Le problème de la conscience morale chez S. Bernard: étudié dans ses oeuvres et dans ses sources


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ANALECTA MEDIAEVALIA NAMURCENSIA ...
AUTRES TRAVAUX DU MEME AUTEUR ...
Gauthier de Châtillon est-il l'auteur du Moralium dogma...
ANALECTA MEDIAEVALIA NAMURCENSIA ...
ANALECTA MEDIAEVALIA NAMURCENSIA ...
INTRODUCTION ...
PREMIERE PARTIE ...
CHAPITRE I ...
ses parvis (Ps. 64, 5). ...
CHAPITRE II ...
CHAPITRE III ...
CONCLUSION ...
SECONDE PARTIE ...
CHAPITRE I ...
CHAPITRE II ...
auditeurs (24)... Il est plus agréable et ...
CHAPITRE III ...
fut le péché dont parle saint Paul dans la Première ...
Le Domus haec rend un tout autre son. Sans ...
CONCLUSION ...
très rapidement ce sera le conflit: pour un Godefroy ...
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Le problème de la conscience morale chez S. Bernard: étudié dans ses oeuvres et dans ses sources

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ANALECTA

MEDIAEVALIA

NAMURCENSIA

9

PROBLÈME

LE

DE

LA

CONSCIENCE

CHEZ

S.

MORALE

BERNARD

ÉTUDIÉ DANS SES ŒUVRES ET DANS SES SOURCES

PAR

Philippe

DELHAYE

DOCTEUR EN THEOLOGIE ET EN PHILOSOPHIE

EDITIONS GODENNE 21, RUE DE BRUXELLES NAMUR LIBRAIRIE GIARD 2, RUE ROYALE LILLE

EDITIONS NAUWELAERTS 2, PLACE CARD . MERCIER LOUVAIN

1957

ANALECTA

MEDIAEVALIA NAMURCENSIA

Collection de textes et d'études publiée par

le

Centre

d'Etudes

Médiévales ,

4, Boulevard du Nord, Namur

Cahier 1. 1 Ph. DELHAYE, Une controverse sur l'âme universelle au IX® siècle, 1950, 72 p .

Cahier 2. C. LAMBOT, Ratramne de Corbie. Liber de anima ad Odonem Bellovacensem, texte inédit, 1952, 158 p. Cahier 3. - Ph. DELHAYE, Gauthier de Chatillon est-il l'auteur du Moralium dogma ?, 1953, 89 p. et 10 tableaux synoptiques. Cahier 4. ---- J.-A. DUGAUQUIER, Pierre le Chantre, Summa de Sacramentis et animae consiliis, première partie, 1954, CXIII + 204 p. Cahier 5. -

Ph. DELHAYE, Florilegium Morale Oxoniense, Flores Philosophorum , texte commenté, 1955, 130 p.

Prima pars,

Cahier 6. - H. TALBOT, Florilegium Morale Oxoniense, Secunda pars, Flores auctorum , texte inédit, 1956, 220 p. Cahier 7.

J.-A. DUGAUQUIER, Summa de Sacramentis et animae consiliis,

deuxième partie, 1956, XVI + 500 p. Cahier 8. P. MICHAUX-QUANTIN, Godefroy de Saint- Victor, Fons philosophiae, texte annoté, 1956, 72 p. Hors série. — Ph. DELHAYE. L'organisation scolaire au XIIe siècle. Traditio, 1947, 70 p.

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BX4700 B5D4

INTRODUCTION

La théologie catholique a marqué un singulier progrès depuis le début du siècle. La dogmatique et l'histoire en ont donné les premières la preuve, stimulées qu'elles étaient par l'hérésie ou par la nécessité de se tenir au contact des méthodes scientifiques profanes. Le droit canon et la liturgie ont pris alors leur élan qui ébranla les milieux les plus fermés comme les grandes foules des manifestations religieuses . Les exégètes qui avaient œuvré avec courage , prudence et perspicacité ont connu un nouveau climat de confiance quand fut promulguée l'encyclique Divino Afflante Spiritu... Il semble que la morale soit, elle aussi , décidée à tenir une digne place dans cet effort de renouvellement. Dans le respect de la tradition et des directives de la hiérarchie, elle veut elle aussi examiner les problèmes nouveaux, repenser ses thèses fondamentales en les « ressourçant » et au besoin adapter leur présentation . Les uns, comme Dom Lottin dans sa remarquable Morale fondamentale (1) repenseront l'enseignement thomiste à la lumière de ses sources historiques. D'autres, comme le P. Gilleman , ouvriront à la théologie morale des voies nouvelles en insistant sur le Primat de la charité en théologie morale (2) .

Le

P.

Spicq

posera

les

linéaments d'une théologie morale biblique par des études sur l'Agape ou la Conscience dans le Nouveau Testament (3) .

(1) Dom O. LOTTIN, Morale fondamentale, Bibliothèque de théologie ; Série 2, Théologie morale, Desclée, 1954. (2) G. GILLEMAN, Le primat de la charité en théologie morale. Essai méthodologique, Paris, 1952. (3) SPICO, La conscience du Nouveau Testament dans Revue Biblique, t. 47, 1938, p. 50 ss. Agapé, prolégomènes à une étude de théologie néotestamentaire, Louvain, 1955.

...

431

8

INTRODUCTION

Après un temps de stagnation, les manuels , qui sont indispensables dans les séminaires, connaîtront eux aussi un regain de succès . Certains bénéficieront du renouveau canonique dont nous parlions tout à l'heure et se révèleront ainsi de précieux instruments de travail pour le gouvernement des âmes et l'administration du sacrement de Pénitence

:

ce sera le cas par exemple pour celui du R. P. Zalba (4) . D'autres seront plutôt orientés vers la pratique de la vie chrétienne prise dans toute son exigence, telle qu'elle est comprise par beaucoup de laïcs d'aujourd'hui , stimulés par l'action catholique fondée par le Pape Pie XI . Ils auront tendance à s'inspirer plus profondément du mouvement biblique qui , avec le renouveau liturgique, a produit en ces milieux des résultats si remarquables . On signalera à ce propos l'ouvrage de NN . SS . Lanza et Palazzini qui enseignèrent ou enseignent à l'Athénée pontifical du Latran (5) mais plus encore Das Gesetz Christi, du R. P. Haring, professeur à l'Institut de morale des RR. PP . Rédemptoristes de Rome (6) . La publication de cet ouvrage a suscité un véritable enthousiasme dans les pays de langue allemande . Son adaptation en français par les RR . PP. Bourdeau et Vereecke , de Dreux, aidés de quelques amis , a déjà été saluée avec faveur par plusieurs membres de l'Episcopat français ; Mgr Garonne a notamment bien voulu écrire dans sa préface que cet ouvrage était vraiment magistral. C'est une contribution beaucoup plus modeste que nous voudrions apporter aujourd'hui en publiant cette étude sur la conscience chez saint Bernard . Son but fut tout d'abord de voir comment un maître de la vie spirituelle et un prédicateur de la morale avait compris ce thème essentiel . Il méritait une attention toute

spéciale

à titre

de docteur de

(4) E. F. REGATILLO, et M. ZALBA, S. I. , Theologiae moralis summa, 3 vol., Madrid, 1953. (5) † A. LANZA et P. PALAZZINI , Theologia moralis, 3 vol. , Turin, 1949-1955. (6) B. HARING, Das Gesetz Christi, Fribourg-en-B. , 1954 ; La loi du Christ. Théologie morale à l'intention des prêtres et des laïcs, Desclée, 1955.

9

INTRODUCTION

l'expérience chrétienne, comme par ses dons étonnants d'intuition et d'introspection . Il y avait là tout d'abord le désir de combler le fossé que notre spécialisation risque parfois de laisser s'établir entre la spiritualité et la morale . Nous aurions pu en rester là, mais quand on a l'habitude de l'histoire, on peut difficilement s'abstraire d'une préoccupation et d'un souci celui de rechercher les sources de l'auteur étudié et de fixer les points de comparaison qui permettent de le mieux comprendre . C'est pourquoi j'ai entrepris l'étude qui constitue la seconde partie de ce travail et qui pose en quelque sorte les jalons de ce que pourrait être une histoire de la notion et du traité de la « conscience habituelle » . Puisse-t-elle susciter des recherches de détails qui permettront quelque jour de nous donner une synthèse qui serait certainement précieuse pour le moraliste . A la petite histoire de ce travail s'en ajoute une autre , toute extrinsèque et accidentelle

je n'en ferai évidemment con-

fidence au lecteur que dans la mesure où je dois réclamer son indulgence et le préparer à limiter son appétit intellectuel . Ce travail , en effet, a été arraché en quelque sorte à une santé défaillante et si , grâce à la complaisance d'amis comme Dom

Lambot ,

M. le professeur Liebart,

M. Mathon , le

docteur Talbot, que je remercie ici , j'ai pu mener une vaste enquête, il est certain que d'un point de vue idéal , bien des déficiences peuvent être notées . La plus notable est, évidemment, le retard avec lequel paraît ce travail prévu pour le jubilé bernardin ... Après tout, on a bien le droit de parler d'un auteur une autre année que celle de sa naissance ou de sa mort . Au temps où j'avais renoncé à éditer cette étude, deux extraits de certaines parties en ont été publiés par des amis . Dom Jean Leclercq a résumé des fragments de la première partie pour les Analecta S. Ordinis Cisterciensis ( 1953 , p . 209222) , réalisant ainsi, avec compétence et charité, le travail qu'il avait bien voulu me demander pour le Congrès théologique de Dijon ( 15-19 septembre 1953) . Le P. De Ganck m'a rendu le même service en publiant, dans Citeaux in de

10

INTRODUCTION

Nederlanden (1954 , p . 92-103) , une adaptation d'autres pages sous le titre : Dans le sillage de S. Bernard . Trois petits traités de Conscientia . Je pourrais me réclamer de la coutume qui permet de rééditer en volume des extraits publiés dans des revues

en fait, ici, les textes sont présentés de

manière trop différente pour qu'il s'agisse seulement d'une réimpression . Je dédie ces pages à mes élèves de Lyon et de Lille, en signe de commune ferveur intellectuelle... mais aussi en compensation, en quelque sorte des leçons que leur amitié attendait de moi , en 1954 ou en 1956, et que des circonstances bien indépendantes de ma volonté ne m'ont pas permis de leur donner.

PREMIERE PARTIE

LA DOCTRINE BERNARDINE DE

LA CONSCIENCE

Est-il nécessaire de le dire ? La doctrine bernardine de la conscience n'a rien d'une synthèse scolastique, basée sur une définition claire, structurée par de nombreuses distinctions . Dès l'abord , la notion de conscience apparaît comme un centre d'attribution auquel se rattachent divers phénomènes de la vie spirituelle. Cette réalité s'exprime en un concept souple et polyvalent, basé sur la méditation religieuse de textes pauliniens ou patristiques , s'enrichissant sans cesse de réflexions et d'expériences religieuses . Essentiellement, la conscience est une sorte de relai entre Dieu et l'âme . Par une sorte de dédoublement qui n'est pas tellement étrange au plan de la psychologie empirique, elle est parfois comme distincte de l'âme : elle est son compagnon et la suit partout ; ou bien encore elle est une cassette , un secrétaire qui conserve jalousement ce qu'on lui a confié . Elle est un livre qui note tout ; un esprit qui , de l'intérieur , nous surveille et nous juge . Mais plus encore se rattache- t- elle à Dieu . Elle est comme l'écho de sa voix , la loupe qui réfléchit sa lumière et l'applique . Ailleurs , saint Bernard use d'un langage moins apprêté . Et alors, pour lui , comme pour nous, aujourd'hui , la conscience n'est autre chose que l'âme ellemême. A l'esprit jugé par la conscience distincte de luimême, et hypostasiée, fait alors place l'esprit conscient de son action et de sa qualité morale . Ainsi entendue, la conscience est taxée de diverses déficiences . Sa perspicacité n'est pas parfaite ; ses jugements sont sujets à caution . Si le remords ne trompe pas et risque seulement de créer le désespoir, la bonne conscience peut être dangereuse . Ici , saint Bernard parle en mystique et voit surtout dans la conscience le témoignage de l'adoption de l'âme par Dieu .

12

LE PROBLÈME DE LA CONSCIENCE MORALE

Là, il se tient au plan moral et insiste sur l'obligation de suivre l'appel de cette voix de Dieu en nous . Bernard songe peu à faire de la conscience l'équivalent de la loi naturelle et encore moins à concevoir celle-ci en dehors de perspectives religieuses . Il serait très tentant, du point de vue de la méthode scientifique, de déterminer si cette théologie si riche a subi une évolution et comment elle a groupé autour d'elle divers concepts mystiques ou moraux . En pratique , l'application de la méthode génétique semble ici assez vaine . Non pas seulement parce qu'il est impossible de dater avec précision la plupart des sermons dans lesquels nous trouvons les textes les plus importants . Mais encore et surtout parce que saint Bernard est un esprit intuitif qui arrive en une fois à constituer un système de pensées sur tel ou tel thème ou plus exactement une série de théories convergentes , mais qui ne sont pas nécessairement coordonnées . Il n'a rien de ces intelligences systématiques qui avancent comme par relais et peuvent exposer leurs idées en toute une série de subdivisions et de points. Pour lui , « tout est dans tout » , même s'il ne dit pas tout à chacun et à chaque moment . Dans son esprit des aspects divergents sont complémentaires sans qu'il éprouve le besoin , comme le ferait un « scolastique » enseignant à des élèves , de marquer des raccords , d'énumérer des subdivisions et d'éviter les équivoques. Parle-t-il à des moines ? Il insistera sur le côté mystique de la conscience , sur le rôle qu'elle joue dans l'union de l'âme avec Dieu . En soi , c'est le point culminant de sa doctrine , le sommet de sa synthèse ; une reconstruction conceptuelle aurait tendance

à la

situer

dans

les

dernières années de sa vie même si elle fut prêchée très tôt . Par contre , quand l'abbé de Clairvaux s'adresse à des laïcs , à des auditoires populaires qu'il veut impressionner, il insiste sur le phénomène du remords qui est peut-être l'élément le plus frustre, le plus immédiat d'une doctrine de la conscience . Cela ne veut pas dire que ce jour- là , il n'est pas encore maître de sa thélogie de la conscience, mais tout simplement qu'il ne peut guère en montrer toutes les richesses à ceux qui ne les apprécieraient pas .

CHAPITRE

I

LA CONSCIENCE, TEMOIN DE L'ADOPTION DIVINE

Dans les Sermones de tempore et de sanctis nous trouvons indiquée une première fonction de la conscience . Celle- ci affirme à l'âme que Dieu la reconnaît pour sienne , et l'adopte comme son enfant.

1. Sentiment de présence. L'âme chrétienne est un champ clos que se disputent la crainte et l'espoir . Elle est frappée par l'énormité de ses fautes et redoute son juge . Mais elle espère aussi en son Sauveur et, pour la grande satisfaction de la conscience , la joie exclut la crainte par la certitude du salut qui vient (7) . Plus exactement,

la conscience est elle-même messagère

de joie et de confiance. Saint Paul le dit aux Corinthiens, notre gloire, c'est le témoignage de notre conscience (2 Cor., 1,

12) . Saint Bernard commente ce texte dans un sermon

pour la Toussaint (8) : « Il ne faut pas entendre par ce témoignage de la conscience, une louange qu'elle se décernerait à

(7) In vigilia Nativitatis Domini, sermo 3, nº 5, P. L. 183, 96 D. Hic iam respirare incipit a tribulatione malorum et dolore, et timoris magnitudinem spirituali laetitia temperare, ne suorum enormitate scelerum abundantiori tristitia absorbeatur. Hinc etsi timet a judice, sperat a salvatore ; cum iam in animo eius timor et laetitia obsequitent et obvient sibi ; plerumque timor laetitiam superet, laetitia saepius timorem excludat et i̇ntra sui gaudii concludat arcanum. Felix conscientia in qua luctamen huiusmodi indesinenter conficitur donec quod mortale est absorbeatur a vita, donec evacuetur timor quod ex parte est et succedat laetitia quod perfectum est quia non timor sempiternus sed laetitia sempiterna erit. (8) En traduisant ces textes bernardins, il m'arrive de m'inspirer de l'œuvre de Ravelet, Paris, 1868, sans m'y asservir.

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LA CONSCIENCE, TÉMOIN DE L'ADOPTION DIVINE

elle-même, car l'apôtre déclare dans la même épître : Ce n'est pas celui qui se recommande qui est un homme de valeur, mais celui que Dieu recommande (2 Cor. , 10, 18) . Ce témoignage de la conscience , qui est la gloire de l'apôtre , ne vient pas de l'homme , mais de l'Esprit qui , en lui et par la conscience, affirme à notre esprit que nous sommes fils de Dieu (Rom. , 8, 16) . C'est donc un témoignage que la conscience reçoit et qu'elle ne donne pas d'elle-même » (9) .

» (32 ) . C'est encore à l'image de la décomposition que reviendra saint Bernard lorsqu'il comparera la conscience morbide à Lazare au tombeau . Seigneur, il sent déjà mauvais car il est ici depuis quatre jours . Le premier jour , l'âme est prostrée dans la crainte et l'horreur de sa faute . Elle est comme ensevelie dans le tombeau de la conscience . Le second jour voit le début d'un relèvement dans la lutte contre les passions

(31 ) De conversione ad clericos, cap . 5, nº 7, P. L. 182, 858 D-859 A. Interim sane audiens quis vocem Domini : Redite , praevaricatores, ad cor, et tantis in interiore cubiculo obscenitatibus deprehensis, singula quaeque rimari satagit et quonam haec influxerunt aditu, curiosus vestigator explorat nec difficile patet foramen, imo et foramina contuenti . (32) De consideratione , lib . 5, cap. 12, nº 25, P.L. 182, 803 A-B. Et videntur ergo (tenebrae) ut confundantur et non vident ne consolentur . Nec modo a luce et in luce videntur . A quo vel quibus ? Ab omni vidente ut pro multitudine intuentium sit confusio multa. At nullus de tanta numerositate spectantium molestior oculus suo cuiusque. Non est aspectus sive in coelo , sive in terra quem tenebrosa conscientia suffugere magis velit, minus possit. Non latent tenebrae vel scipsas. Se vident quae aliud non vident. Opera tenebrarum sequuntur illas, nec est a quo se abscondant ab illis, ne in tenebris quidem. Hic est vermis qui non moritur, memoria praeteritorum .

26

LA CONSCIENCE, JUGE DIVIN DE L'AME

qui contre-attaquent . Ensuite ce sont les ténèbres des péchés passés qui remplissent l'âme d'amertume . L'homme enfin , en vient presque à exagérer sa culpabilité . Une horrible confusion enveloppe l'âme malheureuse trop occupée à considérer le nombre et l'excès de ses crimes, et à se remettre sous les yeux les sombres images de ses désordres. Un esprit, en pareil état, ne se dissimule rien ; il distingue , il aggrave, il exagère tout ; il est sans pitié dans le jugement qu'il porte sur luimême.

Cet excès de cruauté est heureusement compensé par un excès de miséricorde divine . Lazare, viens dehors , crie le Seigneur. Jusques à quand les ténèbres de la conscience t'envelopperont-elles ? Viens, sors et respire à la lumière de ma miséricorde (33) . Il ne peut être question pour des moines de conserver encore quelque attachement au péché . Sinon ils ne seraient pas vraiment plus séculiers que religieux (34) . La contrition est acquise chez eux et elle a été récompensée par le pardon divin . Mais il reste en eux le souvenir douloureux des errements passés . Leur conscience les fouaille, elle les mord avec insistance . Le seul remède pour eux est de s'humilier dans la componction, d'avouer à nouveau leurs fautes avec sim-

(33) In assumptione B. Mariae Virginis sermo 4, nº 3, P. L. 183, 426 B427 A. Sed quid est : Domine, iam faetet ; quatriduamus est enim ? Forte enim fetorem istum et quatuor dies istos non continuo quivis intelligat . Ego primam arbitror timoris diem qua nimirum irradiante cordibus nostris peccato morimur et quodam modo sepelimur in conscientiis nostris. Secunda, ni fallor, agitur in labore certaminis... Tertia nihilominus doloris esse videtur ; dum recogitat quis annos suos in amaritudine animae suae et nec tam laborat declinando futura quam praeterita plangendo deplorat... Lazare, inquit, veni foras. Acsi manifestius dicat : Quousque conscientiae tuae caligo te detinet ? Quamdiu in cubili tuo gravi corde compungeris ? Veni foras, procede, respira in lucem misericordiarum mearum . S. Bernard compare les novices encore attachés au péché à Lazare : In Cantica , sermo 52, nº 12 , P. L. 183, 1053 B. (34) In Cantica , sermo 16 , nº 9, P. L. 183, 852 C-D . Quamquam et de his qui religiose vestiti et religionem professi sunt, nonnumquam audiuimus aliquos reminisci et iastitare impudentissime mala sua praeterita... Saecularis adhuc animi indicium est hoc...

LA DOCTRINE BERNARDINE DE LA CONSCIENCE

27

plicité sans chercher à s'excuser et encore moins à en tirer vanité (35) .

3. La bonne conscience .

Sortie de la tombe du péché , l'âme va jouir des biens que procure une bonne conscience . Ce sont eux que l'abbé de Citeaux fait miroiter aux yeux de Thomas , qui , malgré son jeune âge, était prévôt de la collégiale de Beverly, dans le comté de Yorck . Bernard en a entendu dire grand bien et désire le voir entrer à Clairvaux . Là, le jeune homme sera heureux, parce que sa conscience sera pure . « Une bonne conscience, écrit-il, est un grand trésor , précieux , doux , générateur d'assurance et de calme plus que tout autre bien dont on peut jouir sur cette terre . Une bonne conscience ne craint pas la perte des richesses, les atteintes de la médisance , les souffrances du corps . Car elle est plutôt relevée qu'abattue par la mort » . Les biens matériels peuvent disparaître . « Mais les biens d'une bonne conscience reverdissent, le travail ne les use pas ; loin de s'épanouir à la mort , ils refleurissent . Ils réjouissent l'homme quand il est vivant, le consolent quand

(35) In Cantica, sermo 16, P. L. 183, 850 C, 851 B, 842 C. n° 4. Porro sensum ex integro recuperasse te scias, si tuam conscientiam quadruplici sentis compunctione morderi : pudore gemino et gemino metu... ; nº 5, Sed et si Pater non esset, obrueret me beneficiis . Instaurat adbversus me testes... Pudet ingratitudinis , quamquam ad confusionis cumulum, arguar etiam reddidisse mala pro bonis et odium pro dilectione ; nº 8, Omne ergo quod remordet conscientiam, confitere humiliter, pure, fideliter, et has vices implesti. (36) Epistola 411 , nº 3 , P. L. 182, 620 B-C . Magnae divitiae bona conscientia. Et revera quid diutius in rebus, vel dulcius ? quid in terra quietius atque securius ? Bona conscientia damna rerum non metuit, non verborum contumelias, non corporis cruciatus : quippe quae et morte ipsa magis erigitur quam deiecitur. Quid, quaeso, in bonis terrae tantae compares felicitati ? quid tale mundus blandiens suis offerat amatoribus ? quid simile vel mentiens polliceatur insipientibus ? B. C. JAMES, The letters of St Bernard of Clairvaux newly translated, Londres, 1953, p. 156, nº 108.

28

LA CONSCIENCE, JUGE DIVIN DE L'AME

il meurt, le soutiennent quand il est mort , et ne lui manquent pas de toute éternité » (37) . . Devenu cistercien (38) , Thomas aura sans doute entendu des choses un peu différentes , ou tout au moins plus profondes. Il aura appris tout d'abord que la bonne conscience n'est qu'un stade à dépasser. Le moine doit avoir conscience de ne pas manquer à la charité avant de chercher le repos de la contemplation . Les fleurs du lit nuptial signifient, pour l'auteur des Sermones in Cantica, les bonnes actions qui rendent la conscience tranquille et sûre . Après une bonne œuvre , l'âme peut s'endormir dans la contemplation . Elle cherchera avec d'autant plus de confiance à étudier et à pénétrer les choses divines qu'elle pourra se

rendre

n'avoir point, par amour d'un repos

le

témoignage

de

omis

les

personnel,

œuvres de la charité (39) . Thomas aura aussi appris que la bonne conscience peut tromper ou parfois ne pas apporter la paix . La conscience , lisons-nous dans le sermon 112 , connaît quatre états . Elle peut être bonne sans être tranquille ,

tranquille

sans

être

bonne, bonne et tranquille à la fois ou encore ni bonne ni tranquille (40) .

(37) Epistola 161 , nº 3, P. L. , t. 182 , col . 620 C. At vero bona bonae concientiae revirescunt, in laboribus non arescunt, nec in morte evanescunt sed reflorescunt : laetificant viventem, morientem consolantur, reficiunt mortuum, nec deficiunt in aeternum. (38) Sur Thomas de Beverley, on verra le Dictionary of National biography, t. 56. p. 173 et l'Histoire littéraire de la France, t. 15, p . 264-267. Ce prévôt fut parmi les familiers de S. Thomas de Canterbury et mourut moine de Froidmont en Picardie. (39) In Cantica, sermo 47 , nº 4, P. L. 183 , 1010 A. Bene quoque in thalamo actio bona de quae conscientiam et quietam facit et tutam . Post bonum denique opus securius in contemplatione dormitur et tanto quis fiducialius sublimia intueri et investigare aggreditur, quanto sibi conscius est minime se propriae amore quietis charitatis operibus defuisse. Dans le même sens, on verra le sermon 46, nº 5-7, P. L. 183, 1005 D- 1007 B. (40) De diversis, sermo 112 , P. L. 183 , 739 D. Convertere, anima mea, in requiem tuam . Laborat et requiescit anima in conscientia quia conscientia, alia bona et non tranquilla, alia tranquilla et non bona, alia nec tranquilla nec bona, alia bona et tranquilla.

LA DOCTRINE BERNARDINE DE LA CONSCIENCE

29

Le dernier cas est clair ; il caractérise le pécheur bourrelé . de remords (41 ) . Mais les autres le sont moins. Il y a bien le juste qui est doté d'une conscience bonne et tranquille . Encore cet état ne concerne-t- il que la conscience du passé et du présent, car l'avenir reste toujours incertain . « La conscience est à la fois bonne et tranquille chez ceux qui ont soumis la chair à l'esprit et qui restent pacifiques au milieu des ennemis de la paix . C'est là, pour l'âme , un lit où elle prend son repos, mais non un repos parfait . Pour qu'il en fût ainsi , il aurait fallu en effet que la conscience fût non seulement bonne et tranquille, mais encore à l'abri de tout danger. Aussi le psalmiste ( 114 , 8 ) écrit-il Parce qu'il a arraché mon âme à la mort , mes yeux aux larmes, mes yeux à toute chute . A la mort, en me donnant une bonne conscience ; aux larmes, en me dotant d'une conscience tranquille ; à toute chute, en me favorisant d'une conscience à l'abri de tout danger » (42) .

(41) De diversis, sermo 112. P. L. 183, 740 A. Nec bona nec tranquilla, eorum qui prae multitudine peccatorum desesperant. Ce serait mal comprendre la pensée de saint Bernard que de lui prêter le désir d'accabler et d'attarder l'âme pécheresse mais convertie dans le souvenir et le regret de ses fautes . Il souhaite évidemment que le pécheur se repente, mais il lui conseille de penser plus encore aux bienfaits de Dieu. Le Claravalien ne craint pas que l'âme chrétienne ait conscience de sa noblesse, mais il ne peut supporter l'idée qu'elle s'en attribue le mérite . On verra à ce propos les sermons 10 et 11 in Cantica (P. L. 183, 819-827) . On notera particulièrement ces paroles de l'homélie 11 , nº 2 : « Je vous exhorte, vous mes amis, à laisser de temps en temps de côté, le triste et pénible souvenir de votre vie passée , pour vous arrêter aux souvenirs plus doux et plus agréables des bienfaits de Dieu ... Sans doute, il faut pleurer vos péchés , mais non avec des larmes continuelles . Il faut y joindre le souvenir de la bonté de Dieu de peur que la tristesse ne nous jette dans l'endurcissement et peut-être dans le désespoir ». P. L. 183, 824 C-D . (42) De diversis, sermo 112, P. L. 183, 740 A. Bona et tranquilla, eorum qui carnem spiritu subdiderunt : qui cum his qui oderunt pacem sunt pacifici. Hic est lectus animae in hoc requiem capit anima sed non perfectam . Oportet autem ut perfectam possit praestare requiem, non solum bona et tranquilla sit conscientia sed etiam secura . Unde subiungit : Quia eripuit animam meam de morte, oculos meos a lacrymis, pedes meos a lapsu. De morte, dando bonam conscientiam ; a lacrymis, dando tranquillam et bonam ; a lapsu, dando securam .

30

LA CONSCIENCE, JUGE DIVIN DE L'AME

En toute hypothèse, il peut se faire que la conscience soit bonne sans être tranquille. C'est le cas de ceux qui , après leur conversion , repassent dans l'amertume de leur cœur les années écoulées . A l'inverse, de jeunes présomptueux croiront que Dieu ne leur demandera pas compte de leurs fautes . Leur conscience est tranquille mais elle n'est pas bonne (43) . Une fois de plus, le grand claravalien cherche ici son inspiration chez saint Paul . « Ma conscience, disait l'apôtre, ne me reproche rien, cependant je ne suis pas justifié pour autant » (1 Cor. 4, 3) . Saint Bernard commente : « Je ne me fie pas sans réserve à ma propre conscience, car elle n'est pas capable de me connaître tout entier , et un juge qui n'a pas tout entendu ne peut juger définitivement. Mais celui qui juge , c'est le Seigneur, le Seigneur à la science duquel rien ne saurait échapper, à la sentence duquel ne peut se soustraire même ce qui est caché à notre propre conscience. Dieu entend les pensées de notre cœur que nous ne percevons pas nous-mêmes » (44) . Thomas enfin aura appris qu'il importe de ne pas s'enorgueillir dans une bonne conscience comme si on devait à soi-même la rectitude de vie . Dieu seul est admirable , car lui seul fait des choses admirables (Ps . 71 , 18) , lui seul crée les vertus . Se glorifier de celles-ci , sans les référer au Seigneur, c'est se glorifier contre le Seigneur . « S'il y a lieu de me glorifier , saint Paul m'apprend en quoi et pourquoi je dois le faire », déclare l'abbé de Clairvaux dans un de ses sermons

(43) De diversis, sermo 112, P. L. 183, 739 D. Tranquilla et non bona, eorum est qui in spe peccant, et dicunt in corde suo quod Deus non requiret ; et ista maxime adolescentium. Bona et non tranquilla, eorum est qui iam conversi ad Dominum recogitant annos suos in amaritudine . (44) De moribus et officio episcoporum, cap. 6, nº 22, P. L. 182, 823 C-D. Nam cum Apostolus diceret : Mihi pro minimo est ut ab vobis iudicer aut ab humano die , adiecit : Sed nec ego meipsum iudico . Quare ? Quia non possum, ait, ratam vel ipse de me proferre sententiam. Ego enim nihil mihi conscius sum, non tamen in hoc iustificatus sum. Non ex toto credo me vel ipsi conscientiae meae quippe cum ne ipsa quidem queat me comprehendere totum, nec potest iudicare de toto qui totum non audit. Qui autem iudicat me, Dominus est. Dominus, inquit, cuius utique scientiam non effugit, sententiam non subterfugit etiam quod propriam latet conscientiam. Audit Deus in corde cogitantis quod non audit vel ipse qui cogitat.

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sur le cantique . Notre gloire , dit saint Paul , c'est le témoignage de notre conscience (2 Cor. 1 , 12) . Je puis me glorifier en toute sécurité si ma conscience me rend ce témoignage que je ne m'attribue rien de la gloire de mon créateur, parce que je ne me glorifie pas contre le seigneur, mais en lui . Loin de nous être interdite , cette gloire nous est conseillée » (45) . Rappelant à ses moines qu'on ne peut s'approcher du baiser du Christ qu'après s'être purifié, saint Bernard déclare dans le troisième sermon in Cantica : « Vous êtes plongé dans la boue et, aujourd'hui , vous oseriez baiser cette bouche étincelante de gloire ! Passez d'abord par sa main pour la baiser . Elle vous purifiera , elle vous relèvera. Comment vous relèvera-t-elle ? En vous donnant de quoi oser : l'éclat de la chasteté et de dignes fruits de pénitence qui sont les œuvres de piété. Ces dons vous tireront de la fange et vous permettront d'espérer monter plus haut . En recevant ces dons , baisez la main de Dieu , c'est-à-dire ne vous glorifiez pas, mais rendez gloire au nom de Dieu . Oui , rendez-lui gloire et pour le pardon de vos crimes et pour le don des vertus . Sinon , comment échapperiez-vous au reproche de l'apôtre : « Qu'avezvous que vous ne l'ayez reçu ? Si vous l'avez reçu, pourquoi vous glorifiez- vous comme si vous vous ne l'aviez pas reçu ? » (1 Cor. 4, 7) (46) .

(45) In Cantica, sermo 13, nº 6 , P. L. 183 , 837 A. Si gloriandum est, Paulus me docuit unde et in quo Gloria, inquit, nostra haec est, testimonium conscientiae nostrae. Securus glorior si teste conscientia, de gloria conditoris nihil mihi usurpo ; securus plane quia iam non contra Dominum sed in Domino. Haec nobis gloriatio non solum non prohibetur sed et suadetur cum dicitur : Gloriam ab invicem quaeritis et gloriam quae a solo Deo est non vultis (Iob, 5, 44) . (46) In Cantica, sermo 3, nº 3, P. L. 183 , 795 C-D . Quid enim ? recenti adhuc respersus pulvere, ora sacra continges ? Heri de luto tractus, hodie vultui gloriae praesentaris ? Per manum tibi transitus sit. Illa prius te tergat, illa te erigat ? Quomodo erigat ? Dando unde praesumas. Quid istud ? Decor continentiae et dignae poenitentiae fructus, quae sunt opera pietatis. Haec te de stercore erigent in spem audendi potiora. Sane accipiendo donum , osculare manum hoc est non tibi sed nomini eius da gloriam. Da semel et da iterum , tam pro donatis criminibus tam pro collatis virtutibus. Aut certe videto unde munias frontem contra ictus istos : Quid habes quod non accepisti ? Si autem accepisti, quid gloriaris quasi non acceperis ?

CHAPITRE III

LA CONSCIENCE TEMOIN DE L'OBLIGATION MORALE

Une troisième série de textes bernardins sur la conscience ne concerne plus le jugement à porter sur la vie morale passée, (conscientia consequens) , ou sur l'état de grâce , mais vise les devoirs à accomplir et les actes à poser (conscientia antecedens) . Pour une part, le problème à résoudre reste sur le plan des principes , comme ce fut le cas jusqu'ici . La conscience juge souverainement et de haut les gestes à accomplir comme ceux qui furent posés . Mais pour une part aussi , un engagement est nécessaire sur le terrain pratique et concret. Car si la conscience peut être imparfaite en sa fausse tranquillité, elle peut aussi se tromper en prenant position pour l'avenir . On peut agir objectivement mal , tout en ayant bonne intention . En sera-t-on excusé pour autant ? Saint Bernard ne le pense pas .

1. La conscience précise et urge les consignes morales . C'est encore un texte paulinien qui donnera à saint Bernard l'occasion d'exposer sa pensée . Dans le De moribus episcoporum , il rappelle un passage de la première à Timothée ( 1 , 5) à propos de la charité qui naît d'un cœur pur, d'une bonne conscience et d'une foi sincère. Que faut-il pour avoir une bonne conscience ? Deux choses se repentir du mal que l'on a commis et s'en abstenir désormais . « C'est- à-dire, continue le Claravalien , qu'il faut , pour se servir des expressions de saint Grégoire, pleurer les fautes commises et n'en point commettre qu'il faille pleurer >> .

LA DOCTRINE BERNARDINE DE LA CONSCIENCE 333 La première consigne ne suffit pas. A quoi servirait- il de pleurer les fautes passées si on en acceptait de nouvelles ? (50) . Un autre texte enfin, de Mathieu celui-ci (6, 22-23) , est encore pour saint Bernard l'occasion de joindre les notions de bonne conscience et de cœur pur, en marquant la nécessité d'une intention droite. « Ce qui détermine la couleur de nos actions, dit-il dans le Sermon 71 sur le cantique (nous dirons : ce qui qualifie moralement nos actes) , c'est l'intention du cœur et le jugement de la conscience . Les vices sont noirs et la vertu est blanche. La parole du Seigneur touchant l'œil méchant et l'œil lumineux demeure . Il a tracé des limites précises entre la blancheur du bien et la noirceur du mal ; il a séparé la lumière des ténèbres . Ainsi donc tout ce qui émane d'un cœur pur et d'une bonne conscience est vertu (51 ) .

(50) De diversis, sermo 45, nº 5, P. L. 183 , 668 C-D . Charitas itidem ternario numero colligitur de corde puro et de conscientia bona et fide non ficta. Puritatem debemus proximo, conscientiam nobis, fidem Deo. Puritas autem est ut quidquid agitur, aut ad utilitatem proximi aut ad honorem fiat Dei. Maxime autem exhibenda est proximo quia Deo manifesti sumus ; proximo autem non possumus nisi in quantum illi cor nostrum aperimus. Conscientam bonam faciunt in nobis duo, poenitentia et continentia, quando scilicet per poenitentiam peccata commissa punimus et per continentiam deinceps punienda non committimus. Et hanc debemus nobis. (51) In Cantica, sermo 71 , nº 1, P. L. 183, 1121 C-D. Porro colorem operi tuo dat cordis intentio et iudicium conscientae. Nigra sunt vitia, virtus candida est. Inter hanc atque illa, conscientia consulta discernit. Stat sententia Domini de oculo nequam et lucido quia inter candidum et nigrum certos fixit limites et divisit lucem a tenebris. Quod ergo de corde puro et conscientia bona egreditur candidum est, et est virtus...

LA DOCTRINE BERNARDINE DE LA CONSCIENCE

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2. La conscience pose des questions précises.

Puisque la conscience exerce sa vigilance sur nos actions, il est normal qu'elles se réfère à certains critères précis, qu'elle se pose des questions nettes et claires . C'est ce que l'abbé de Clairvaux rappelle curieusement au pape Eugène III dans le De Consideratione, en soulignant certains excès de la centralisation et en regrettant les exemptions qui réduisent l'autorité épiscopale . Sans doute le pape a tout pouvoir . Encore faut-il qu'il en use selon les règles morales, selon le devoir et la justice . Car le pape doit éviter par dessus tout le mal et ainsi ménager sa conscience . Il doit être fort. Mais sa force c'est le témoignage de sa bonne conscience. Qu'il n'y ait dans sa conscience ni la faiblesse , ni les hésitations d'une foi médiocre (52) . Jusqu'ici, nous trouvons somme toute un rappel de l'enseignement paulinien de la 2 Cor. et de la 1 Tim . Saint Bernard, qui écrit ceci à la fin de sa vie , puisque le De Consideratione fut rédigé de 1148 à 1152 , se résume plus qu'il ne se répète. Mais voici qui est plus nouveau . Car il ajoute : « L'homme vraiment spirituel, celui qui juge de tout et ne peut être jugé par personne ( 1. Cor . 2 , 15) fera précéder tous ses actes d'une triple enquête . D'abord, se demandera-t- il , cet acte est-il permis ? Ensuite

est-il convenable ? Enfin :

cela est-il aussi utile ? Car, s'il est bien établi dans la philosophie chrétienne comme une règle sans exception que le bien, l'honnête seul est permis et qu'il n'y a d'utile que le

(52) De Consideratione, lib . 3, cap. 4, nº 14, P. L. 182, 766 A-D . Sane interest tuae perfectionis et malas res et malas pariter species devitare. In altero conscientiae , in altero famae consulis... Tu quoque esto fortis in fide, decorus in gloria, et probasti te imitatorem Dei . Fortitudo tua, fidutia fidelis conscientiae ; decor tuus, splendor bonae opinionis... Non sit in conscientia nutans infirmitas modicae fidei... Sic factitando probatis vos habere plenitudinem potestatis sed iustitiae forte non ita. Facitis hoc quia potestis, sed utrum et debeatis, quaestio est.

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LA CONSCIENCE , TÉMOIN DE L'OBLIGATION MORALE

permis et l'honnête, il ne s'ensuit pas cependant que toute chose permise soit nécessairement honnête ou utile » (53) . Une remarque de ce texte doit spécialement attirer notre attention

c'est la phrase où il souligne la sévérité et l'exi-

gence de la philosophie chrétienne (54) . Serait-ce qu'il songe à la philosophie tout court et qu'il lui reprenne son idée ? Son scrupule peut s'expliquer par le désir de rectifier une fausse doctrine comme par la mauvaise conscience devant un emprunt à la sagesse païenne. Au moment où il écrit le troisième livre du De Consideratione , en 1152, Bernard vient peut-être de lire le Moralium dogma récemment écrit par Guillaume de Conches (55) , que les Cisterciens suspectent depuis longtemps (56) . Et le Moralium dogma précisément fait écho à Cicéron sur trois questions qu'il faut poser avant d'agir : Triplex est capiendi consilii deliberatio : prima est de honesto tantum, secunda de utili tantum , tercia de conflictu utriusque (57) . Lorsqu'on

(53) De Consideratione, lib. 3, cap. 4, nº 15, P. L. 182, 767 A. Spiritualis homo ille qui omne diiudicat ut ipse a nemine iudicetur, omne opus suum trina quadam consideratione praeveniet . Primum quidem an liceat, deinde an deceat, postremo an et expediat. Nam etsi constet in christiana utique philosophia non decere nisi quod licet, non expedire nisi quod decet et licet, non continuo tamen omne quod licet, decere aut expedire consequens est. (54) Je n'oublie pas la brillante démonstration par laquelle Dom J. Leclercq a marqué que l'expression philosophia christiana peut désigner la vie monastique. Mélanges de Science Religieuse, 1952, t. 8, p . 221-226. Mais je ne crois pas que tel soit le sens ici, car il s'agit plutôt d'une règle morale visant tous les chrétiens . Même s'il en allait autrement, saint Bernard pouvait être amené à parler de « philosophie chrétienne » en ayant à l'esprit les écrits des philisophes païens. On le sait, en effet, si philosophia a, au XIIe siècle, une multitude de sens, le terme philosophus, lui, désigne avant tout les païens. Cfr Ph. DELHAYE, La place de l'éthique parmi les disciplines scientifiques au XIIe siècle, dans les Mélanges Arthur Janssen, Louvain, s.d., p . 30-44. (55) Ph. DELHAYE, Gauthier de Châtillon est-il l'auteur du Moralium dogma ? Lille, 1953. (56) En 1141, Guillaume de Saint-Thierry a dénoncé Guillaume de Conches à saint Bernard en une lettre-opuscule : De erroribus Guillelmi de Conchis, P. L. 180, col . 333-340.

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délibère, il faut se demander si l'action est honnête, ensuite si elle est utile et enfin si elle est à la fois honnête et utile . Cette phrase concise résume un long passage du De Officiis ou Cicéron reprend et amende cette division tripartite qu'il attribue à Panétius et qu'il transforme en une division plus complète (58) . Malgré les différences portant notamment sur le troisième terme, le convenable, il est certain que les analogies entre les textes cicéronien et bernardin sont frappants ; elles portent notamment sur la division en trois questions et l'énumération des deux premiers critères . Allons plus loin et demandons- nous si l'énumération de saint Bernard peut s'expliquer sans un arrière-fond cicéronien . A suivre la seule inspiration chrétienne , le Claravalien eut été amené à distinguer le permis (licet)

et

le

convenable

(decet) . Car un acte honnête en soi et conforme au droit peut devenir mauvais dans des circonstances précises où il s'oppose aux impératifs de la vertu de prudence (59) . C'est ainsi que

(57) Guillaume DE CONCHES, Moralium dogma philosophorum , ed. J. HOLMBERG, Uppsala, 1929, p . 6, 1. 19-29. (58) Cicéron, De officiis, lib. 1, cap. 3. Triplex igitur est, ut Panaetio videtur, consilii capiendi deliberatio. Nam honestumne factu sit, an turpe, dubitant, id, quod in deliberationem cadit : in quo considerando saepe animi in contrarias sententias distrahuntur. Tum autem aut anquirunt, aut consultant, ad vitae commoditatem iucunditatemque, ad facultates rerum atque copias, ad opes, ad potentiam, quibus et se possint iuuare, et suos, conducat id, necne, de quo deliberant : quae deliberatio omnis in rationem utilitatis cadit. Tertium dubitandi genus est, cum pugnare videtur cum honesto id quod videtur esse utile. Cum enim utilitas ad se rapere honestas contra revocare ad se videtur, fit ut distrahatur deliberando animus, afferatque ancipitem curam cogitandi. (59) Il serait fort tentant de retrouver cette distinction bipartite dans le De praecepto et dispensatione, cap. 14, nº 36, P. L. 182, col . 881 C., que je citerai tout de suite. Saint Bernard distingue là le point de vue de l'intention et celui de la prudence. Mais , il faut le remarquer, il emploie le terme de prudentia au sens intellectuel de science et d'information . C'est là le sens ancien du terme qui permet à Abélard d'exclure la prudence de la liste des vertus morales et de la rattacher logiquement aux vertus intellectuelles. L'aspect moral de la prudence sera plutôt exprimé par saint Bernard par les termes de cautio ou discretio.

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LA CONSCIENCE, TÉMOIN DE L'OBLIGATION MORALE

raisonnera saint Paul lorsqu'il déclarera qu'en principe

les

chrétiens peuvent manger les viandes offertes aux idoles . Son jugement portant sur la licéité de l'acte sera restreint et tempéré par des considérations prudentielles :

un chrétien

ne

peut user de sa liberté au risque de scandaliser ses frères ou des païens (60) . Dans les perspectives chrétiennes, tous les problèmes sont résolus par cette double référence . On ne voit pas en quoi la notion d'utilité peut intervenir. Pour penser autrement, il faudrait, avec Cicéron , reconnaître contre saint Bernard ... et Socrate que le mal moral peut parfois être utile . Or, nous venons de le voir, cela, saint Bernard le nie tout de suite : ce qui est ni permis ni prudent ne peut être utile, déclare-t- il . Mais alors , un des chefs de sa distinction disparaît et il n'y a plus de problème à propos de l'utile . Si le Claravalien le pose, n'est-ce pas par fidélité à des réminiscences philosophiques plutôt que sous la pression de la logique de sa pensée ?

3. La conscience devant l'erreur.

Supposons que la conscience confrontée avec une action à poser ait répondu affirmativement aux trois questions : celle-ci est honnête, convenable et utile . Seulement , voilà, elle se trompe. L'action qu'elle accepte est mauvaise, inconvenante , nuisible . Ou bien elle manque de l'une ou l'autre de ces qualités . Comment faut- il la juger ? L'homme qui s'est trompé de bonne foi a-t-il commis une faute ? La question avait été posée à l'abbé de Clairvaux par des moines chartrains . Lorsque nous agissons bien en croyant agir mal, disaient ces moines, on nous dit que notre action est mauvaise . Mais alors il faut dire que si nous faisons mal en ayant une bonne intention , nous posons un acte vertueux .

(60) 1 Cor 8, 1-13 ; 10, 19 et 28.

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Après tout, saint Paul, en parlant des idolothytes , déclare que la seule faute consiste à agir en ce cas contre sa conscience (61) . Il n'en est rien, répond l'abbé de Clairvaux . Pour que notre organisme soit dans la lumière , il faut que, selon les préceptes de l'Evangile, notre ceil soit simple, c'est-à-dire que notre conscience soit droite (62) .

Mais l'est-elle à la seule

condition d'avoir une intention correcte ? Non , car il est une seconde condition : la vérité. « Si quelqu'un aime le bien et ne choisit pas un bien véritable, il aura le zèle de Dieu , mais ce zèle ne sera pas selon la science et je ne sais comment la simplicité jointe à la fausseté pourra passer pour véritable au jugement du Dieu de vérité » (63) . C'est en ce sens que le grand Claravalien interprète le précepte du Seigneur : « Soyez prudents comme des serpents et simples comme des colombes ( Math . 10 , 16) . « Ainsi , dit-il , le Christ a mis la prudence (64) en premier lieu , sachant que, sans elle , on ne peut être véritablement simple . Comment pourrait-on l'être, en effet , si on ignore la vérité ? ... Cette simplicité, louable en elle-même et louée par le Seigneur, ne peut exister sans ces deux choses : la bonne volonté et la

(61) De praecepto et dispensatione , cap. 14, nº 35, P. L. 182, 880 D-881 A. Nunc iam respondendum est quaestiunculae quae incidit vobis ex occasione apostolici praesentis capituli . Quaeritis nemque utrumne ista de idolothytis Pauli sententia : Puto quia nihil commune est in Christo nisi ei qui putat quid commune esse, illi commune est, et rursum : Si comederit, damnatus est quia non ex fide (Rom. 14, 14 et 23) in generalem regulam trahi potest, quatenus malum cuilibet sit bonum quoque quod agit, si malum esse crediderit, ae tantum malum quantum crediderit. (62) De praecepto et dispensatione, cap. 14, nº 35, P. L. 182, 881 A. Nam qui dixit ex oculo nequam corporis tenebras aestimari, indicavit et de simplici lucem aeque corporis approbari. Sed videte, ne forte non sit vere simplex, oculus qui fallitur. (63) De praecepto et dispensatione, cap. 14 , nº 36, P. L. 182, 881 B. Nam si bonum quidem diligat vel verum non eligat, habet quidem zelum Dei sed non secundum scientiam et nescio quemadmodum iudicio Veritatis vera esse possit cum falsitate simplicitas. (64) J'ai dit plus haut que la prudence devait s'entendre ici non de la vertu morale mais de la connaissance . Elle équivaut à la science que saint Bernard (cfr citation précédente ) oppose au zèle. Sans elle (citation suivante) le zèle ignore la vérité.

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LA CONSCIENCE , TÉMOIN DE L'OBLIGATION MORALE

prudence. Ainsi l'œil du cœur ne sera pas seulement assez bon pour ne pas tromper, mais il sera encore assez prudent pour ne pas être trompé (65) . Puisque l'intention et la connaissance sont également nécessaires, la défection d'une seule de ces qualités entraînera une défaillance morale . A côté de ceux qui n'ont ni zèle ni science , de ceux qui ont la science mais pas de zèle, il faut ranger parmi les mauvais ceux qui croient bien faire mais se trompent (66) . Certes, reconnaît saint Bernard , la droite intention seule est déjà digne de louange, et la bonne volonté, bien qu'engagée dans une action mauvaise, mérite une récompense. Mais cependant la simplicité

qui

est séduite

ne

sera

pas

exempte de mal (67) . La droite intention a agi selon la conscience qu'elle avait, sans aucun doute . Mais sa conscience n'était pas véritable . Ou pour mieux dire, elle n'a pas agi avec foi puisqu'une foi erronée ne mérite pas ce nom. Tout ce qui ne vient point de la foi est un péché (Rom . 14 , 23) . Saint Bernard ne songe pas un instant que foi , ici , veut dire conviction, bonne-foi . Il entend le terme au sens objectif et plus noble d'adhésion à la révélation et à la loi divines . Et il va de soi que la véritable foi basée et calquée sur la vérité divine ne nous fait pas prendre le mal pour le bien . Elle est

(65) De praecepto et dispensatione, cap. 14, nº 36, P. L. 182, 881 C. Volens denique ad veram discipulos instruere simplicitatem magitsra Veritas : Estote, inquit, prudentes sicut serpentes et simlpices sicut columbae . Praemisit ergo prudentiam sine qua neminem satis esse posse simplicem sciret. Quomodo denique vere simplex erit oculus cum ignorantia veritatis ? aut vero vera potest dici simplicitas quam simplex ignorat veritas ? Scriptum est enim : Ignorans ignorabitur (I Cor. 14, 38) . Patet ergo laudabilem illam et a Domino laudatam simplicitatem absque his duobus non esse bonis benevolentia atque prudentia : ut oculus videlicet cordis, non solum pius qui fallere nolit sed et cautus sit qui falli non potest. (66) Je résume ici les nos 38-40 du chap. 14 du De praecepto et dispensatione, P. L. 182, 882 A-883 A. (67) De praecepto et dispensatione, cap. 14, nº 41 , P. L. 182, 883 C. Et quidem laude dignam dixerim vel solam intentionem piam, nec plene condigna remuneratione fraudabitur in opere quoque non bono ipsa bona voluntas. Attamen sine malo quocumque non erit decepta voluptas.

LA DOCTRINE BERNARDINE DE LA CONSCIENCE

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rigoureusement vraie ; celui qui se trompe , même sans mauvaise intention, perd la vraie foi . Ainsi quand on croit que la mauvaise action est un bien ou le bien un mal , on pèche parce que l'on n'agit pas selon la foi (68) . Ainsi fourvoyé, saint Bernard n'en sortira plus . Il continuera à poser en termes objectifs un problème éminemment subjectif. Tout au plus , par un sursaut de bon sens , reconnaîtra-t-il que le péché ainsi commis de bonne foi est plus léger que s'il procédait d'une intention mauvaise . Mais , pour lui, c'est un péché tout de même, car l'acte n'est pas pur, il est mêlé de mal (69) .

(68) De praecepto et dispensatione , cap . 14, nº 41, P. L. 182, 883 C-D. Cur inquis ? Nunquid non ex fide ? Prorsus ex fide sed falsa, vel certe potius non ex fide quia fides falsa. Denique de fide vera, non falsa puto dixisse Apostólum : Omne quod non est ex fide, peccatum est. Non autem ex fide vera bonum creditur quod malum est est enim falsum. Peccatum igitur est, Utrumque proinde complectitur praesens capitulum : Omne quod non est ex fide peccatum est, et caecam videlicet malitiam et deceptam innocentiam quia quod a nesciente fit, et bonum prorsus condemnat intentio prava et malum non penitus excusat recta. (69) De praecepto et dispensatione, cap. 14, nº 41 , P. L. 182, 883 D4884 A. Sive itaque malum putes bonum quod forte agis, sive bonum malum quod operaris, utrumque peccatum est, quia neutrum ex fide, licet sane levius admodum peccetur ubi sana intentione sola reprehensibilis actio foris apparet, quam ubi maligna latet etiam in mala actione intentio.

CONCLUSION

La lecture de ces textes impose à l'esprit certaines conclusions . Les unes concernent la doctrine de saint Bernard , les autres sa méthode .

1. Si nous cherchons à résumer et à caractériser l'enseignement bernardin sur la conscience, il semble que nous devions y distinguer essentiellement deux niveaux . Pour faire court appelons l'un moral ou humain, l'autre mystique ou divin. Au plan humain, la conscience c'est avant tout le phénomène psychologique et moral du remords. Saint Bernard insiste beaucoup sur la douleur et l'angoisse qui doivent normalement habiter l'âme du pécheur , surtout quand il s'adresse à ceux qui ne se sont pas encore convertis . C'est l'amorce psychologique qu'il tend par exemple aux étudiants de Paris auxquels il endosse les pires fautes.

Mais il faut bien dire que sa description , qui ne manque d'ailleurs ni de souffle ni de zèle, pèche un peu au point de vue de la vérité humaine . D'une part l'abbé de Clairvaux insiste sur le fait que la voix de la conscience est incoercible . D'autre part, il nous dit que ce serait un grave danger que de la faire taire . Si encore ce trouble était réservé au pécheur ! Mais non, saint Bernard avoue qu'une conscience droite peut ne pas être tranquille . Le seul point peut-être où nous le voyons attentif aux phénomènes psychologiques se rapporte à l'objet du remords. Avec beaucoup de vérité , il note que le pécheur a plus de honte des péchés charnels que des fautes spirituelles , car au

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seuil de la conversion , la sensibilité chrétienne est trop émoussée pour qu'elle perçoive la laideur des vices de l'esprit (70) . On a bien l'impression d'ailleurs que, pour saint Bernard , cet aspect grossier de la conscience n'est que préliminaire . Il ne s'agit que d'un moyen d'amener le pécheur à la conversion . Mais une fois celle-ci acquise , on pourra en faire fi . Le voyonsnous féliciter ses moines d'avoir éliminé le péché de leur vie ? Non, on dirait que l'abbé craint pour eux une trop bonne conscience , une satisfaction béate qui arrêterait leur progrès spirituel en même temps qu'elle enlèverait à Dieu une gloire qui lui est due . Comme tous les Anciens et les Médiévaux d'ailleurs , il a un sens très vif du péché et sent que l'homme le plus parfait n'est jamais totalement exempt de sa souillure ou de ses approches . Aussi bien, avec la bonne conscience ,

abordons-nous le

niveau divin du problème et découvrons - nous l'aspect ontologique de la conscience . Tout chrétien qui se félicite d'avoir échappé au péché sait qu'il doit son salut à la grâce de Dieu . Le témoignage de la conscience entraîne l'action de grâce . Mais chez le Claravalien le passage est si brusque que la première étape est comme supprimée au profit de la seconde. Une âme a- t-elle conscience de sa pureté ? Il s'empresse de lui rappeler qu'elle doit se méfier d'elle-même et reconnaître avant tout la force et l'étendue du don divin . Poussé à l'extrême , ce mouvement de pensée en vient à supprimer le témoignage de la conscience au sens obvie du mot, pour substituer le témoignage de la présence divine. La conscience morale se mue en une conscience mystique . C'est en ce sens là que le texte paulinien de la 2 Cor 1 , 12 se trouve le plus souvent interprété . Et ainsi l'homme ne trouve aucune raison d'avoir confiance en lui . C'est Dieu qui a tout fait . Faut-il voir ici une prise de position sur le problème de la grâce et une poussée fiévreuse d'antipelagianisme ?

(70) De conversione ad clericos, cap . 5 , nº 7, P. L. 182, 839 A-B. Nam spiritualia quidem vitia quorum supra meminimus, difficile adhuc, prout sunt, carnalis examinat. Unde fit, ut quae sunt graviora, aut minus aut minime sentiat, nec tan superbiae aut invidiae quam flagitiosorum aut facinosorum recordatione actuum mordeatur.

44

CONCLUSION

Non, sans doute, il s'agit beaucoup plus de l'expérience d'un grand mystique qui a expérimenté l'action de Dieu en lui et est heureux de trouver des appuis traditionnels — nous les signalerons tout de suite - pour sa manière de présenter les choses. Malgré toute sa confiance en la force de la grâce, l'ascète doit surtout lutter. Si bien que, sur le plan psychologique, c'est le sentiment de l'effort qui domine . Le mystique peut se relâcher de cette tension . Il sent plus vivement Dieu dans son oraison ; d'instinct, son jugement reste dans la ligne de l'Evangile, la vertu lui est peut être plus facile . Bref, Dieu l'a envahi -- au point qu'il a une impression de passivité . Dieu domine, l'homme n'est plus rien. C'est sans doute à ce niveau divin qu'il faut remettre l'enseignement bernardin sur la conscience erronée pour le comprendre et l'expliquer - je ne dis pas l'excuser, car un tel docteur peut avoir des pages moins heureuses . On est frappé, en effet, de mention de la foi — et de la foi théologique - dans l'argumentation que présente le Claravalien pour démontrer qu'une mauvaise action faite dans une bonne intention reste peccamineuse . Foi et non pas seulement conscience , c'est- à-dire lumière divine et non pas seulement jugement humain . Mais alors si Dieu est là, si toutes les conditions surnaturelles de l'action correcte sont remplies, une défection , une erreur ne peut s'expliquer que par une faute humaine . Nous sommes devant une application nouvelle de l'explication augustinienne du mal . L'œuvre de Dieu est parfaite . Si elle présente un défaut, c'est la mauvaise volonté de l'homme qui l'a introduit . Saint Bernard raisonnera de la même manière pour expliquer l'échec de la deuxième croisade (71 )

Dieu avait tout donné, mais les hommes

ont péché. Ainsi , dira-t-il avec candeur , l'honneur de Dieu est sauf, le nôtre importe peu . Ainsi dirions-nous pour la con-

(71) De Consideratione, lib . 2, cap. 1 , nº 4, P .L. 182, 745 A-B. Perfecta et absoluta cuique excusatio testimonium conscientiae suae . Mihi pro minimo est ut ab illis iudicer qui dicunt bonum malum et malum bonum, ponentes lucem tenebras et tenebras lucem. Etsi necesse sit unum fieri ex duobus, malo in nos murmur hominum quam in Deum esse. Bonum mihi si dignetur me uti pro clypeo. Libens excipio in me detrahentium linguas maledicas et

LA DOCTRINE BERNARDINE DE LA CONSCIENCE

45

science erronée, Dieu n'a pas manqué à l'âme , mais c'est elle qui commet une faute . Laquelle ? Par le refus de s'éclairer ou par solidarité avec le péché d'Adam comme l'a pensé Hugues de Saint-Victor ? Saint Bernard ne le dit pas et probablement n'en a-t-il cure. L'essentiel pour lui est de dégager la responsabilité de Dieu et de voir resplendir sa lumière dans la conscience . 2. D'autres conclusions visent les procédés bernardins de pensée et d'exposition de saint Bernard .

Il est à peine besoin de le souligner, nous sommes en présence de nombreux doublets. D'un traité à un sermon, saint Bernard se répète sans que sa pensée progresse le moins du monde ou se coordonne en vue d'une synthèse . C'est le cas, par exemple , pour la conscience de la rédemption ou pour les conditions d'une bonne conscience morale . Ces exposés , en général , sont charpentés sur un texte qu'ils interprètent et commentent . On dirait, en termes modernes , que saint Bernard possède des fiches sur la question et qu'il les sort chaque fois que l'occasion s'en présente. Ces fiches, ces notes font penser aux Miscellanea victorins , notes de lecture, résumés de méditations ou canevas d'exposés plus complets. On comprend que certains textes bernardins aient pu y trouver place et que des compilateurs aient mis sur le même pied les fiches victorines et bernardines en les groupant dans leur recueil.

A notre point de vue évidemment, on peut regretter que saint Bernard n'ait pas tenté une synthèse . Il n'en avait sans doute aucun désir car , pour cela , il lui eut fallu adopter une méthode calquée sur celle des écoles. Seule une dialectique avec ses précisions par définition , division et avec ses arguments solidement enchaînés aurait pu permettre à sa pensée de se dépasser.

venenata spicula blasphemorum ut non ad ipsum perveniant. Non recuso inglorius fieri ut non irruatur in Dei gloriam . Quis mihi det gloriari in voce illa : Quoniam propter te sustinui opprobrium, operuit confusio faciem meam ? Gloria mihi est consortem fieri Christi, cuius illa vox est : Opprobria exprobrantium tibi ceciderunt super me.

46

CONCLUSION

Manifestement saint Bernard y répugne . Il n'a cure d'une théologie systématique et il se montre peu indulgent aux essais en ce sens de ses contemporains (72) . Ce qu'il veut, c'est procurer un aliment à l'oraison

ou

préparer

l'action .

Nous pouvons bien penser qu'une théologie systématique n'a pas tous les défauts que lui attribue saint Bernard , mais le problème n'est pas là . Il se situe exactement sur le terrain psychologique dans l'éternelle opposition qui oppose les

esprits

systématiques

aux intuitifs , la méthode à l'inspiration . Dans les deux cas , nous diront les logiciens, il y a raisonnement . Mais chez les uns, il est conscient et procède ouvertement des prémisses vers une conclusion . Chez les autres, il est inconscient et fait surgir en un instant une idée comme une chose originale même si elle a été longuement préparée dans le subconscient . Chez ces deux sortes d'esprit, le rôle de la mémoire est passablement différent . Pour les partisans de la méthode, les citations sont étiquetées , exactement reproduites et bien identifiées . Ces savants ont la référence facile . Pour les intuitifs , au contraire, les textes lus autrefois ne se représentent plus comme tels. Ils ont été amalgamés, repensés, frappés au coin de la personnalité . Vu de l'extérieur, leur enseignement pourra présenter des analogies avec celui d'autres penseurs . Mais subjectivement il n'en est rien . Peut-être faut-il chercher dans cette voie une conciliation entre deux faits également évidents. D'une part, saint Bernard et ses biographes nous disent qu'il a plus appris de Dieu que des hommes . D'autre part, on sait qu'il s'est livré à un travail de documentation . Dans ses œuvres, nous retrouvons bien des idées qui ne lui sont

(72) Othon DE FREISING l'a honnêtement reconnu dans ses Gesta Frederici, lib. 1 , cap. 49, M. G. H. , SS ad usum scholarum, p . 68, 20-27. Erat autem predictus abbas (Bernardus) tam ex Christianae religionis fervore zelotipus quam ex habitudinali mansuetudine quodammodo credulus, ut et magistros, qui humanis rationibus saeculari sapientia confisi nimium inherebant, abhorreret et, si quidquam ei Christianae fidei absonum de talibus diceretur, facile aurem preberet. Ex quo factum est, ut non multo ante hos dies ipso auctore primo ab episcopis Galliae, post a Romano pontifice, Petro Abailardo silentium impositum fuerit.

LA DOCTRINE BERNARDINE DE LA CONSCIENCE

47

pas propres . C'est que ces lectures auront été pour lui une occasion de penser personnellement et non de faire collection de sentences (73) . Essayons donc, en étudiant les sources de saint Bernard , de découvrir à quels courants de pensée il s'est rattaché, sur quels points de départ s'est appuyée sa réflexion personnelle .

(73) Cfr R. MARTIN, O. P. , La formation théologique de saint Bernard, dans Saint Bernard et son temps, t. 1 , Dijon, 1928.

SECONDE

PARTIE

L'ARRIERE-PLAN DOCTRINAL

NOTES POUR UNE HISTOIRE DU PROBLEME DE LA CONSCIENCE

Pour saisir parfaitement la portée de l'enseignement bernardin sur la conscience , il nous faut le comparer à des textes antérieurs ou contemporains .

Aliquid amplius invenies in

sylvis quam in libris, écrivait le Claravalien à un maître parisien (1 ) . En proposant un idéal, il nous livrait quelque chose de sa méthode. Mais , comme nous venons de le dire, les intuitifs eux-mêmes doivent s'informer. Si peu conscient qu'il ait été, Bernard , parlant de la conscience , était tributaire d'une tradition.

On peut donc envisager une enquête en une triple direction : 1. Nous pouvons rapprocher l'enseignement bernardin des textes auxquels il se réfère explicitement , c'est- à- dire les épitres pauliniennes . Bernard les a-t-il bien comprises ? Rend-t-il justice à la doctrine paulinienne ? L'a-t-il fait en dépendance d'une tradition ou d'une manière toute personnelle ?

(1) Lettre 116, nº 2, P. L. 182, 242 B.

L'ARRIÈRE-PLAN DOCTRINAL

50

2. Tous les moralistes chrétiens et même quelques philosophes païens ont traité de la conscience .

Il

nous

faudra

dire

brièvement si saint Bernard a parlé dans le même sens qu'eux ou en quoi il s'en sépare . 3. Enfin , l'étude de la conscience a été relativement poussée au XIIe siècle. Bernard a- t- il connu certains traités ou au contraire ceux-ci se sont-ils inspirés de lui ? S'est- il affronté avec certains ? C'est ce que nous dira notre troisième enquête .

Ainsi nous reprendrons en quelque sorte les thèmes que nous avons cru pouvoir distinguer dans la théorie bernardine de la conscience . Car c'est à saint Paul et à ses commentateurs que l'abbé de Citeaux doit ses idées sur la conscience de l'élection. Le thème du remords et de la surveillance morale est plutôt développée chez les Pères . Enfin, le problème de la conscience ignorante et douteuse met le cistercien en opposition avec Abélard , le plus grand de ses contemporains .

CHAPITRE I

L'INSPIRATION

FONCIERE

SAINT PAUL ET ORIGENE

1. Influence de saint Paul. Si une conclusion s'impose à l'esprit après la lecture de ces textes bernardins , c'est bien que l'abbé de Clairvaux a essentiellement basé sa théorie de la conscience sur saint Paul . D'autres textes scripturaires sont aussi cités, mais dans un sens allégorique, par exemple, celui de Lazare qui , au tombeau depuis quatre jours , est l'image de la purification de la conscience . Evidemment ceci ne nous apprend rien sur les sources de la pensée bernardine , car en pareil cas le commentateur apporte ses idées personnelles plus qu'il n'accepte celles du texte sacré. Les textes pauliniens sur la conscience, au contraire, sont compris dans un sens littéral - qui n'exclut pas d'ailleurs l'intelligence spirituelle . Nous trouvons souvent 2 Cor 1 , 12

comme

Notre gloire est le témoignage de notre con-

Luthe

r

science curieusement rapproché de

Rom .

8,

16 :

L'Esprit

Saint témoigne à notre esprit que nous sommes fils de Dieu. Le texte de 1 Tim. 1 , 5 : La charité procède d'un cœur pur, d'une bonne conscience et d'une foi sincère est souvent rappelé . On lit aussi Rom . 14 , 23 : Tout ce qui ne procède pas de la foi est un péché ; 1 Cor 2, 11 , Nul ne peut savoir ce qu'est un homme à l'intérieur hormis l'esprit qui réside en cet homme. Citons encore , quoique moins ad rem : 2 Cor 10, 18, Ce n'est pas celui qui se recommande qui est un homme de valeur, mais celui que Dieu recommande.

Ainsi donc, d'une manière paradoxale, c'est un ennemi des théologiens qui leur donne le moyen de transcender leurs discussions comme de retrouver dans les sources inspirées la solution des problèmes qui se posent à eux.

ntery

52

L'ARRIÈRE-PLAN DOCTRINAL

Est-ce à dire qu'il les guidera en tout et qu'ils trouveront chez lui un traité tout constitué qu'ils pourront substituer au leur ? Non, évidemment, c'est une invitation à penser une invitation à retourner à ce qui est cent fois mieux saint Paul que nous trouvons chez saint Bernard .

Il nous faut d'ailleurs bien l'avouer, l'exégèse bernardine de certains textes pauliniens n'est pas sans nous étonner. Elle leur donne un sens qui ne coïncide pas avec l'interprétation non seulement des exégètes d'aujourd'hui , mais encore de ceux d'autrefois . On en vient à se demander si le Claravalien n'a pas interprété ces passages à la lumière d'autres données et en puisant à d'autres sources. Je songe surtout au gloria nostra testimonium conscientiae nostrae de la 2 Cor 1, 12. Son sens obvie est psychologique : il se réfère au satisfecit que se donne une conscience vertueuse. Saint Bernard lui donne une interprétation théologique

Dieu sauveur affirme

la force de sa grâce dans l'âme .

< Sa gloire, A propos de ce passage, le Père Spicq écrit : « saint Paul ne la recherche pas auprès des hommes ; c'est sa conscience qui le justifie ; son témoignage est le fruit d'une réflexion sur sa conduite passée (cfr 1 Cor. , IV, 4 : Je ne suis pas conscient d'avoir mal agi ) . C'est attestation est une des fonctions les plus importantes de l'âme humaine qui est censée responsable de ses actes et donc capable de les choisir et de les diriger . C'est pour cela que l'approbation subséquente de la conscience est glorieuse pour l'homme » (2) . Cette façon de voir est traditionnelle, peut-on dire . A la grande époque de l'exégèse patristique grecque, saint Jean Chrysostome, qui s'est spécialement intéressé aux problèmes de la conscience, écrit à propos de ce texte : « Notre gloire à nous, dit saint Paul, c'est le témoignage de notre conscience » . Notre conscience ne saurait nous accuser comme si nous étions persécutés pour des actions perverses . Quoique nous éprouvions mille maux et que les périls nous assaillent

(2) C. SPICQ, Epitres aux Corinthiens traduites et commentées dans la Bible PIROT-CLAMER, t . XI, 2º partie, Paris, 1948, P. 311.

SAINT PAUL ET ORIGÈNE

53

de toute part, il suffit pour notre consolation comme pour notre couronne, que notre conscience soit pure et qu'elle nous rende ce témoignage que si nous souffrons ce n'est pour aucun crime, mais selon la volonté de Dieu, pour la vertu , la philosophie, pour le salut d'un grand nombre. La consolation dont l'apôtre avait parlé plus haut provenait de Dieu ; celle qu'il mentionne ici a sa source en nous- mêmes et dans la pureté de nos vies . Aussi la nomme-t-il gloire puisqu'elle est le résultat de leur vertu » (3) .

Chez les Latins , l'interprétation morale du texte s'impose unanimement. L'Ambrosiaster constate que l'Apôtre, étant suspecté de duplicité, en appelle à sa bonne conscience . Il est certain d'avoir été simple et sincère avec la grâce de Dieu (4) .

Pélage voit dans la gloire de la conscience pure l'équivalent tone de la béatitude des coeurs purs (5) . Saint Augustin compare le témoignage de la conscience à l'huile des bonnes œuvres que se sont procurées les vierges sages (6) . Il remarque que les vertus , notamment la foi , l'espérance et la charité, dont peut se glorifier le chrétien , sont des dons de Dieu . Ainsi notre

(3) SAINT JEAN CHRYSOSTOME, Euvres complètes éditées et traduites par J. BAREILLE, Homélie 3 sur la Seconde Epitre aux Corinthiens, t. 17 , Paris, 1872, p. 354-355, P. G., 61, 405 A-B. (4) AMBROSIASTER, In epistolam B. Pauli ad Corinthios secundam , cap. 1, P. L. 17, 293 C. Hoc dicit quia de conscientia sua praesumebant quae pura erat ab omni simulatione, quamobrem de Dei auxiliis non diffidebant. « Quia in simplicitate et in sinceritate... » Haec est gloria conscientiae quam dixit simplicitas et sinceritas. Et quia haec de Dei doctrina sunt, adjecit : « Non in sapientia carnali sed in gratia Dei » ut ostenderet non humanae sapientiae sed evangelicae praedicationi liberam se conscientiam exhibuisse. (5) PELAGE, Commentarius in epistolam 2 ad Corinthios, cap. 1, P. L. 30 , 774 C. Testimonium conscientiae nostrae . Id est beati mundo corde quoniam ipsi Deum videbunt. (6) SAINT AUGUSTIN, Ennaratio in psalmum 140, nº 13 , P. L. 37, 1824 C. Sapientes virgines secum oleum portabant, id est, conscientia illarum illis testimonium perhibebat. Oleum gloria est, fulget, nitet in superficie. Sed bona debet esse gloria, et vera gloria, ut ibi sit intus in vasis suis. Audi quid est in vasis : Probet autem se homo et tunc in semetipso habebit gloriam et non in altero (Gal. 6, 4) . Quid est in vasis suis ? Audi ipsum apostolum : Nam gloria nostra haec est, testimonium conscientiae nostrae.

ofperobact

54

L'ARRIÈRE-PLAN DOCTRINAL

perfection est un don de Dieu dont il faut le remercier et qu'il faut lui demander d'augmenter (7) . Cette pensée est certes plus proche de l'enseignement bernardin que les autres textes que nous avons relevés . Mais elle se situe dans la ligne de l'anti- pélagianisme qui insiste sur la nécessité de la grâce actuelle beaucoup plus qu'elle ne vise l'affirmation de l'adoption divine que saint Bernard se plait à identifier avec le témoignage de la conscience.

2. Influence d'Origène .

Il semble donc avéré qu'en interprétant

ce

texte,

saint

Bernard ne s'est pas plus laissé guider par la tradition exégétique que par le sens obvie du passage . Il faut donc chercher ailleurs . Et ici , il faut souligner la ressemblance vraiment frappante qu'il y a entre l'enseignement du Claravalien et celle s thi de... Philon le Juif. Il y a beau temps que M. Bréhier l'a noté : « La conscience morale est, chez Philon, inséparable de la conscience mystique, c'est- à-dire du sentiment de fusion et d'union avec une réalité suprasensible ... Sur la nature de cette conscience,

starm 14 (7) SAINT AUGUSTIN, Ennaratio in psalmum 149, nº 11 , P. L. 37, 1955 A-C. Exultabunt sancti in gloria , laetabuntur in cubilibus suis... Quid est, In cubilibus suis ? In cordibus suis. Audi apostolum Paulum exsultantem in cubili. suo Nam gloria nostra haec est, testimonium conscientiae nostrae . Rursum timendum est, ne quisque apud seipsum fiat sibi placens, et quasi superbus de conscientia sua glorietur . Debet enim quisque cum tremore exsultare, quia donum Dei est unde exsultat, non meritum suum. Etenim sunt multi sibi placentes, et iustos se esse arbitrentes ; et procedit adversus illos alia pagina dicens : Quis gloriabitur castum se habere cor ; aut quis gloriabitur mundum se esse a peccato ? Est ergo quidam modus in conscientia gloriandi, ut noveris fidem tuam esse sinceram , noveris esse spem tuam certam, noveris caritatem tuam esse sine simultatione . Sed quoniam multa sunt adhuc forte quae possunt offendere oculos Dei, lauda Deum qui tibi ista donavit ; tunc perficiet quod donavit. Propterea cum dixisset : Laetanbuntur in cubilibus suis, ne quasi sibi placentes viderentur, adiunxit statim : Exaltationes Dei in faucibus eorum . Sic laetabuntur in cubilibus suis ut non sibi tribuant quod boni sint sed illum laudent a quo acceperunt quod sunt, a quo vocantur ut perveniant ad id quod nondum sunt et a quo sperant perfectionem...

SAINT PAUL ET ORIGÈNE

55

Philon a une théorie bien à lui qui dérive de sa conception Rotlloll "mystique. La conscience n'est, en effet, pour lui , que la pré-

restalisence du divin dans l'âme . Elle n'est qu'un des multiples aspects du Logos de Dieu » (8) . enl Seulement, comme il est hautement improbable que saint Bernard ait pu lire Philon, force nous est de nous rabattre. sur un auteur qui lui doit beaucoup et que saint Bernard a connu et exploité : Origène (9) . Cette fois , nous touchons au but ! Nous trouvons en effet dans le commentaire origénien de l'épitre aux Romains (2, 15) un exposé systématique sur la

внед

ел

conscience. Le grand docteur alexandrin se demande en effet si la conscience doit être considérée comme une réalité distincte de l'âme. Le nous primordial a été ravagé par le péché et il en est venu à ne plus avoir pour rôle que d'animer le corps . Il est devenu psyché ou âme . Mais Origène pense que quelque chose des fonctions supérieures du nous est resté

1 dans l'homme

le pneuma ou esprit dont une des fonctions

essentielles est de guider moralement l'âme humaine, d'être ཧ་ ༥

sa conscience (10) .

(8) E. BREHIER, Les idées philosophiques et religieuses de Philon d'Alexandrie, 2e édit. , Paris, 1925, p. 297, 301-302. (9) Dès le XIIe siècle, la bibliothèque de Clairvaux possédait ces ouvrages : Libri Origenis : Omelie origenis super vetus testamentum in uno uol(umine) , Explanatio eiusdem super extremam partem math(e) i in uno uolumine, Omelie eiusdem super lucam et omel(ie) alcuini in uno uol(umine) , Super epistolam ad romanos liber in uno uolu(mine) , Explanatio eiusdem super cantica canti- \ corum ab exordio usque capite nobis uulpes in uno uolu(mine) , Apologeticus phampili pro origene, Periarcon origenis in uno uolumine, Tractatus eiusdem super psalmum tricesimum VI , XXXVII, XXXVIII . Cfr A. WILMART, L'ancienne bibliothèque de Clairvaux dans les Mémoires de la Société académique d'agriculture, des sciences, arts et belles-lettres du département de l'Aube, 1917, t. 81 , p. 149-150 . On connaît aussi le précieux article de Dom J. LECLERCQ, Origène au XIIe siècle dans Irenikon, 1951 , t. 24, p. 425-439. (10) Sur la psychologie d'Origène, on verra notamment S. T. BEttencourt, Doctrina ascetica Origenis sive quid docuerit de ratione animae humanae cum daemonibus, Studia Anselmiana, fasc. 16, Rome, 1945, p. 8-9. A propos du pneuma humaln , on verra aussi : A. J. FESTUGIERE, L'idéal religieux des Grecs et l'Evangile, Paris, 1932, Excursus B : La division corps -âme -esp: it de I Thessal, 5, 23 et la philosophie grecque, p. 195 ss.

DOCTRINAL

-PLAN

L'ARRIÈRE

565

C'est ce pneuma qu'Origène croit reconnaître dans les textes pauliniens sur la conscience. Sa démonstration se fait en deux stades . Tout d'abord il veut montrer que la conscience est distincte de l'âme . Pour cela, il relève deux textes scripturaires dans lesquels la conscience apparaît comme un juge adressant des reproches à l'homme ou le félicitant, en tout cas le considérant comme un être distinct de lui . Si le premier ne nous apporte rien ( 11 ) , le second est pour nous d'une présence très significative car il s'agit de 2 Cor 1 , 12 : gloria nostra... testimonium conscientiae nostrae ( 12) . En un second point de sa démonstration , Origène tend à établir que la conscience est un esprit (pneuma) , une sorte de pédagogue spirituel qui accompagne l'âme (psyché) . En ce sens, il allègue deux textes pauliniens qui parlent de l'esprit. Ceux-là aussi , nous les connaissons pour les avoir lus chez saint Bernard (p . 23) : Personne ne sait ce qu'il y a dans l'homme si ce n'est l'esprit qui demeure en lui (1 Cor. 2 , 11 )

((11) Il s'agit de 1 Ioan. 3, 21. On comprend que saint Bernard ne se soit pas arrêté à ce texte quand on voit que dans la Vulgate il n'est pas question de conscience mais de cœur : Charissimi, si cor nostrum non reprehenderit nos, fiduciam habemus ad Deum. (12) La conscience-pneuma est encore hypostasiée par Origène en d'autres passages : De principiis, 2, 10, 7 et 3, 4, 2-3, P. G. , 11 , 239 B-C, 320 ss ; In Genesim homeliae 1 , 15, P. G. 12, 158 B-C , ed . Sources Chrétiennes, p. 85 ; In Ioannem tomus, 32, 11, P. G. 14, 790 ; In epistolam ad Romanos, 1 , 18, P. G. 14, 866 A-867 B. Derrière cette théorie, on peut penser retrouver, avec les amendements inspirés par une meilleure connaissance de la transcendance divine, des idées païennes sur la conscience-dieu . Cicéron dira : « Vir bonus meminerit deum se adhibere testem , id est, ut arbitror, mentem sum, qua nihil homini dedit deus ipse divinus » (De Off. 3, 44 ; reproduit dans Lactance, Div. institut. 6, 24, P. L. 6, 725 B) . Sénèque écrit : « Prope est a te deus ; tecum est, intus est... Sacer intra nos spiritus sedet, malorum bonorumque nostrorum observator et custos » (Ep. 41, 2) . La tradition si populaire du « démon » de Socrate peut avoir contribué pour une part à la divinisation diffuse de la conscience dans la pensée des anciens. Suggestif à cet égard est Apulée, De deo Socratis, 16, éd . P. TOMAS, Teubner , 1908, p. 25-26. Certains philosophes, constate Théophile d'Antioche (Ad Autolycum, 2, 4, P. G., 6, 1052 A) , n'ont voulu admettre d'autres divinités que la conscience de chacun.

SAINT PAUL ET ORIGÈNE

57

et : L'esprit rend témoignage à notre esprit que nous sommes fils de Dieu (Rom. 8, 16) ( 13) . Ainsi donc, on le voit, nous retrouvons chez Origène des traits marquants de l'enseignement . bernardin sur la conscience . C'est tout d'abord l'insistance sur les trois mêmes textes pauliniens . C'est aussi leur connexion constante . Saint Bernard aurait- il songé à citer sans cesse le texte sur l'esprit de Rom. 8, 16 à propos du témoignage de la conscience s'il n'avait pas lu quelque jour le

commentaire

origénien

qui

rapprochait les deux passages ? Sans la démonstration d'Origène aurait-il même songé à voir dans cet esprit, la conscience morale ?

(13) ORIGÈNE, Commentaria in Epistolam ad Romanos, lib. 2, nº 9, P. G. 14, 893 A- D. Atque testimonio sanae conscientiae uti Apostolus dicit eos qui descriptam continent in cordibus legem . Unde necessarium videtur discutere quid istud sit quod conscientiam Apostolus vocat utrumne alia sit aliqua substantia quam cor vel anima. Haec enim conscientia et alibi dicitur quia reprehendat, non reprehendatur et judicet hominem, non ipsa judicetur, sicut ait Joannes : Si conscientia, inquit, nostra non reprehandat nos, fiduciam habemus ad Deum (1 Joh. 3, 21) . Et iterum ipse Paulus alibi dicit quia gloriatio nostra haec est, testimonium conscientiae nostrae (2 Cor. 1, 12) . Quia ergo tantam eius video libertatem quae in bonis quidem gestis gaudeat semper et exultet, in malis vero non arguatur, sed ipsam animam cui cohaeret, reprehendat et arguat, arbitror quod ipse sit spiritus qui ab Apostolo esse cum anima dicitur secundum quod ipse in superioribus edocuimus velut paedagogus ei quidam sociatus et rector ut eam de melioribus moneat vel de culpis castiget et arguat ; de quo et dicit Apostolus quia nemo scit hominum quae sunt hominis nisi spiritus hominis qui in ipso est (1 Cor. 2, 11) et ipse sit conscientiae spiritus de quo dicit : Ipse Spiritus testimonium reddit spiritui nostro (Rom. 8 , 16) . Et forte hic ipse spiritus est qui cohaeret animabus justorum quae sibi in omnibus obedientes fuerint, et ideo scriptum est : Laudate, spiritus et animae justorum Dominum (Dan. 8 ou 3, 86). Si vero inobediens ei anima et contumax fuerit, dividetur ab eo post excessum et separabitur. Et propter hoc puto dictum esse in Evangelio de malo villico quia dividet eum Dominud et partem eius cum infidelibus ponet (Luc. 12, 46) . Ipse fortassis est spiritus de quo scriptum est quia incorruptibilis est spiritus in hominibus (Job 32, 8) . Et secundum ea quae superius diximus quia dividitur ac separatur ab anima peccatrice , ut illa cum infidelibus accipiat partem, potest similiter his aptari et illud quod dictum est : Erunt duo in agro, unus assumetur et unus relinquetur : et duae ad molam , una assumetur et una relinquetur (Math. 24, 40-41) . Haec de eo quod scriptum est Testimonium reddente conscientia.

58

L'ARRIÈRE-PLAN DOCTRINAL

C'est à Origène aussi qu'il doit sans aucun doute d'avoir conçu le rôle de la conscience comme celui d'un compagnon , d'une entité hypostasiée , distincte de l'âme elle-même, un juge extérieur et impartial. Le seul point sur lequel il n'a pas suivi Origène, c'est l'interprétation philosophique de l'homme . Il ne connaît pas les termes techniques de psyche et de pneuma ou leurs équivalents latins . Il songe peu aux survivances du nous qui ne sont d'ailleurs pas indiquées dans le passage qu'il avait sous les yeux. Saint Bernard a dépouillé de son vocabulaire et de son contexte philosophiques un texte dont il ne voulait conserver que la saveur religieuse (14) .

Cette interprétation devait paraître d'autant moins étrange à saint Bernard qu'elle était proche de la théorie de l'image de Dieu en l'homme proposée par saint Paul (15) . Nous avons vu qu'à l'occasion il lie les deux notions de conscience et l'image de Dieu dans l'homme (16) . Cette note discrète le rapproche assez de Guillaume de Saint-Thierry chez lequel cette idée affleure aussi parfois . Celui-ci nous dit, en effet ,

(14) On le sait, les idées d'Origène sur la conscience ont influencé l'enseignement de saint Jérôme. On verra à cet effet le Commentaire de Malachie, 2, 14, P. L. 25, 1562 D ss . et surtout celui d'Ezechiel 1, 4-12, P. L. t. 25, 19 ss. L'homme, le lion et le veau de la vision prophétique représentent les trois âmes platoniciennes : la raison , l'irascible et concupiscible. L'aigle, qui domine les autres, est la conscience, suneidesis, 22 A-B. Cfr ORIGÈNE, Homélies sur Ezechiel, hom. 1, P. G. t. 13, col. 681 B-C ; autre traduction latine, P. L. 25, 707 A ; chaîne exégétique, P. G. 13, 681 D. L'adaptation de la suneidesis à l'aigle de la vision du prophète se retrouve d'ailleurs dans un autre fragment, que Migne a fait figurer parmi les œuvres de Grégoire de Naziance (P. G. 36, 665) , ainsi que dans la première des homélies messaliniennes faussement attribuées à Macaire l'Egyptien (3, P. G. 34, 452 C) . Malgré la communauté des idées essentielles, ces textes sont beaucoup moins proches des passages bernardins cités que le commentaire origénien des Romains. (15) M. STANDAERT, La doctrine de l'image chez saint Bernard , dans Ephemerides theologicae lovanienses, 1947, t. 23, p. 70-129. (16) Sur l'image de Dieu en l'homme, on verra entre autres In cantica, sermones 80 et 81. Le discernement du bien et du mal fait partie de la ressemblance de l'homme à Dieu.

SAINT PAUL ET ORIGÈNE

59

dans le Speculum fidei , que la grâce de Dieu peut transformer l'âme en lui donnant une forme supérieure, la joie de la grâce illuminante, le sentiment d'une conscience pleine de lumière. Alors l'esprit qui osait à peine s'adresser au Seigneur Jésus se sait parmi les fils d'adoption et crie avec confiance : Abba, Père ( 17) . Dans la lettre aux Frères du Mont-Dieu, Guillaume met aussi la conscience en relation avec l'image de Dieu en nous . Lorsque l'âme a assez progressé pour ne plus vouloir autre chose que Dieu , la similitude entre la créature et le Créateur devient telle

qu'on

peut

parler

d'unité d'esprit.

Comme

l'Esprit Saint et dans l'Esprit- Saint, l'âme est le point de rencontre entre le Père et le Fils . « La conscience bienheureuse se découvre elle- même comme située

au

milieu

de

l'étreinte et du baiser du Père et du Fils » ( 18) .

(17) GUILLAUME DE SAINT-THIERRY , Speculum fidei , P. L. 180, 391 C-D . Quod multo potentius digniusque agitur cum ipse est substantialis voluntas Patris et Filii, Spiritus Sanctus, voluntatem hominis sic sibi afficit ut Deum amans anima et amando sentiens, tota repente transmutetur non quidem in naturam divinitatis sed tamen in quamdam suprahumanam, citra divinam, formam beatitudinis, in gaudium illuminantis gratiae et sensum illuminatae conscientae intantum ut spiritus hominis qui paulo ante vix in Spiritu Sancto poterat dicere : « Dominus Iesus », iam inter filios adoptionis confidenter clamat : Abba, Pater. (18) GUILLAUME DE SAINT-THIERRY, Epistola ad fratres de Monte-Dei, cap 108. Dicitur autem hec unitas spiritus, non tantum quia efficit eam , vel afficit ei spiritum hominis Spiritus sanctus sed quia ipsa ipse est Spiritus Sanctus Deus caritas ; cum per eum qui est amor Patris et Filii, et unitas, et suavitas, et bonum, et osculum, et amplexus, et quicquid commune potest esse amborum , in summa illa unitate veritatis et in veritate unitatis hoc idem homini suo modo fit ad Deum quod substantiali unitate Filio est ad Patrem vel Patri ad Filium : cum in amplexu et osculo Patris et Filii mediam quodammodo se invenit beata conscientia ; cum modo ineffabili incogitabili fieri meretur homo Dei non Deus sed tamen quod est Deus, homo ex gratia quod Deus (est) ex natura. M. M. Davy, Un traité de la vie solitaire, Paris, 1940, édition p. 146, 7-18, traduction p. 286. Le R. P. MALEVEZ a très heureusement commenté ce texte confus dans sa précieuse étude sur La doctrine de l'image et de la connaissance mystique chez Guillaume de Saint-Thierry, dans Recherches de Science Religieuse, 1932, t. 22, p. 178-205, notamment p. 199-202.

CHAPITRE II

LA TRADITION ECCLESIASTIQUE

La tradition patristique a moins cherché à philosopher sur le concept de conscience qu'à l'étudier et à l'utiliser sur le terrain pratique et pastoral . Les Pères songent avant tout à stimuler la ferveur des fidèles, à leur faire fuir le péché ; ils les invitent donc à obéir aux injonctions de la conscience . Sur tous ces points , l'abbé de Clairvaux est le fidèle interprète et l'écho de cette prédication traditionnelle sans qu'il soit toujours possible de préciser l'auteur dont il s'est inspiré. Comment s'en étonner si l'on songe qu'il s'agit bien souvent d'idées très communes, transmises dans un enseignement oral . Mais une conformité de l'enseignement claravalien avec la doctrine patristique est aussi un fait à souligner . Nous pouvons le constater d'une manière précise à propos de différents thèmes qui reviennent constamment dans la prédication ou dans l'enseignement bernardins : 1. Les Pères , eux ausi, présentent la conscience comme la voix de Dieu . 2. Ils ne cessent d'insister sur le verdict que la conscience rend au nom de Dieu et font état des affres du remords comme de la paix procurée par une bonne conscience . 3. Ils mettent enfin en vedette le rôle de guide et de loi que revêt la conscience lorsqu'elle nous permet de discerner le bien du mal au moment où nous envisageons d'agir. Ce rôle préventif de la conscience n'est pas moins important à leurs yeux que son activité répressive.

LA TRADITION ECCLÉSIASTIQUE

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1) La conscience relai de la voix de Dieu en nous. Saint Bernard a plus d'une fois rappelé que la conscience exerce son activité sous le regard de Dieu qui seul la pénètre parfaitement. Elle est comme un témoin enregistrant nos actes pour le jour du jugement . Ce sont là des idées que nous retrouvons chez les Pères et tout d'abord d'une manière très émouvante chez saint Augustin. Rappelant les années passées dans le manichéisme, le converti de Cassissiacum se demande si sa conscience est fidèle dans ses souvenirs et si elle n'encourt aucun reproche de Dieu pour une défaillance dans sa connaissance du passé. S'adressant à Dieu < « arbitre de sa conscience » , il lui demande si