Le Pere Roland De Vaux, O.P.: Une biographie (Etudes Bibliques, 96) (French Edition) 9042949503, 9789042949508

"Le Pere Roland de Vaux, dominicain, a ete une des figures marquantes contemporaines de l'Ecole biblique et ar

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French Pages 281 [321] Year 2022

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Table of contents :
LISTE DES ABRÉVIATIONS
PROLOGUE
CHAPITRE PREMIERCOMMENT DEVIENT-ON ROLAND DE VAUX ?ORIGINES FAMILIALES ET JEUNESSE DOMINICAINE
CHAPITRE DEUXIÈMEÀ PIED D’OEUVRE À JÉRUSALEM1935-1945
Recommend Papers

Le Pere Roland De Vaux, O.P.: Une biographie (Etudes Bibliques, 96) (French Edition)
 9042949503, 9789042949508

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ÉTUDES BIBLIQUES

LE PÈRE ROLAND DE VAUX, O.P. Une biographie par Jean Jacques PÉRENNÈS, O.P.

PEETERS

LE PÈRE ROLAND DE VAUX, O.P. Une biographie

Nihil obstat : fr. Jean-Baptiste Humbert, op ; fr. Olivier Catel, op Imprimi potest : fr. Gerard Francisco Timoner III, op, Magister Ordinis Imprimatur : Miguel Ángel del Río, op, Pro Vicarius Magistri Ordinis, Rome, 24 septembre 2022

ÉTUDES BIBLIQUES (Nouvelle série. No 96)

LE PÈRE ROLAND DE VAUX, O.P. Une biographie par Jean Jacques PÉRENNÈS

PEETERS LEUVEN – PARIS – BRISTOL, CT 2022

ISBN 978-90-429-4950-8 eISBN 978-90-429-4951-5 D/2022/0602/104 A catalogue record for this book is available from the Library of Congress. © 2022, Peeters, Bondgenotenlaan 153, B-3000 Leuven, Belgium

« En dehors de son prestige d’exégète et d’archéologue, il m’impressionnait par son allure de grand seigneur en habit dominicain [...]. Son affabilité n’était pas de commande et son autorité naturelle n’avait rien d’écrasant ». Agnès SPYCKET « C’était un maître ; j’avais une confiance totale dans son jugement. Les orientations qu’il m’a données ont orienté toute ma carrière » Pierre DE MIROSCHEDJI

LISTE DES ABRÉVIATIONS Les abréviations suivent les normes de Siegfried SCHWERTNER, IATG 3 Internationales Abkürzungs-verzeichnis für Theologie une Grenzgebiete, Zeitschriften, Serien Lexika, Berlin, Boston, Walter de Gruyter, 3, Auflage, 2014. ADAJ AGOP AHDL AIBL BA BArR BASOR Bib. BiblThom. H BiTod BJPES BMB BTS CaOr CleR Conc (F) CRAI CRB CSion DB DJD EBAF EtB EtCarm FAr Gr. HTR JAOS JNES JPOS JQR LeDiv. LBASBF LThK MemDom. MUSJ NRTh

Annual of the Department of Antiquities of Jordan Archives générales de l’Ordre des Prêcheurs (Rome) Archives d’Histoire doctrinale et littéraire du Moyen-âge Académie des Inscriptions et Belles-Lettres Biblical Archaeologist Biblical Archaeology Review Bulletin of the American Schools of Oriental Research Biblica Bibliothèque Thomiste. Section historique Bible Today Bulletin of the Jewish Palestine Exploration Society Bulletin du Musée de Beyrouth Bible et Terre sainte, Les Cahiers de l’Orient The Clergy Review Concilium (édition française) Comptes-rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres Cahiers de la Revue biblique Cahiers Sioniens Dictionnaire de la Bible Discoveries of the Judaean Desert Ecole biblique et archéologique française Études Bibliques Études Carmélitaines Fasti Archaeologici Firenze Gregorianum Harvard Theological Review Journal of the American Oriental Society Journal of Near Eastern Studies Journal of the Palestine Oriental Society Jewish Quarterly Review Lectio Divina Liber Annus Studii Biblici Franciscani Lexikon für Theologie und Kirche Mémoire Dominicaine Mélanges de l’Université Saint-Joseph Nouvelle Revue Théologique

X

PEQ POC QC RA RB RdQ RGG RJeu RSPhTh Syr Viel VivPen VS VT ZAV

LISTE DES ABRÉVIATIONS

Palestine Exploration Quarterly Proche-Orient Chrétien The Qumran Chronicle Revue d’assyriologie et d’archéologie orientale Revue Biblique Revue de Qumran Religion in Geschichte und Gegenwart Revue des Jeunes Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques Syria La Vie intellectuelle Vivre et Penser La Vie spirituelle Vetus Testamentum Zeitschrift für die Alttestamenliche Wissenschaft

PROLOGUE Lundi 13 septembre 1971 : une foule inhabituelle est rassemblée en la basilique Saint-Étienne de Jérusalem pour une messe solennelle présidée par le P. Vincent de Couesnongle, assistant du Maître de l’Ordre dominicain venu de Rome pour l’occasion. La communauté des frères dominicains est là au grand complet. La gravité se lit sur tous les visages : tous sont réunis pour la célébration des obsèques du P. Roland de Vaux, décédé deux jours plus tôt, à l’âge de soixante-huit ans. Les consuls de divers pays, dont les États-Unis, et plusieurs personnalités israéliennes comme André Chouraqui et Avraham Biran, directeur du Département des Antiquités de Jérusalem, sont assis au premier rang. Des évêques de différents rites sont également présents. Dans une ville qui reste marquée par une profonde fracture entre Palestiniens et Israéliens, la diversité hors du commun de cette assemblée est frappante, comme le souligne le récit qui en est donné par la chronique du couvent : « Diplomates, membres de l’O.N.U., le maire Teddy Kollek, un représentant du gouverneur Rafaël Lévy, des professeurs d’Universités, des notabilités arabes. Arabes et Juifs, Musulmans, Chrétiens, rassemblement de factions ordinairement séparées que le P. de Vaux a réussi à grouper en cet hommage unanime. Patriarche latin, Délégué apostolique, archevêque anglican s’étaient excusés parce qu’obligés de s’absenter. Le patriarche grec orthodoxe était représenté par Mgr Germanos en personne et un autre évêque. Mgr Capucci, évêque greccatholique, était là aussi. Un prêtre représentait le Patriarcat arménien »1. À côté des autorités politiques et religieuses, nombreux sont les représentants des institutions culturelles de la ville, Université hébraïque, American School of Archaeology, et, bien sûr, la British School of Archaeology, dont l’ancienne directrice, la célèbre Miss Kathleen Kenyon, amie personnelle de Roland de Vaux durant des nombreuses années et partenaire pour quelques fouilles prestigieuses. « Elle pleurait à chaudes larmes », se souviennent ceux qui étaient présents. L’homélie de la messe de funérailles est prononcée par le Père Pierre Benoit, directeur de l’École biblique. Compagnon de Roland de Vaux depuis leurs années de jeunesse dominicaine, il est le mieux placé pour évoquer les origines familiales de Roland de Vaux, ses travaux et aussi 1

Chronique du Couvent Saint-Étienne, 13 septembre 1971.

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XII

ce que son départ prématuré représente pour l’École biblique. Bien que le Seigneur l’ait cueilli à l’improviste, « il était prêt, car il avait les reins ceints et sa lampe allumée », dit le prédicateur en commentant la page de l’Évangile de saint Luc (12, 35-40) choisie pour l’occasion. « Restez en tenue de service, votre ceinture autour des reins et vos lampes allumées », conclut le texte. Cette sérénité chrétienne face à la mort n’empêche pas le prédicateur de laisser entendre le désarroi que cette mort rapide signifie pour l’École : « C’est nous que nous plaignons, nous qu’il laisse devant le vide immense de son absence. Vous tous qui l’avez connu et aimé, vous sentez ce que représente sa disparition, pour nous et pour tous »2.

Le P. Roland de Vaux vient, en effet, de mourir de manière inattendue, laissant un prestigieux chantier de fouille à peine entamé, une œuvre écrite inachevée, et, à travers le monde, un réseau considérable d’amis, d’universitaires, de biblistes, d’archéologues, d’étudiants, de disciples pour qui il était une référence, un appui, un roc. Si l’on jette un regard rétrospectif sur l’histoire de l’École biblique durant les années allant de la fondation au début des années 1970, il est indéniable que deux figures dominent ces décennies : le fondateur, le P. MarieJoseph Lagrange, de son arrivée en 1890 à son départ de Jérusalem au cours des années 1930, et Roland de Vaux, qui arrive à Jérusalem en 1933, peu avant le départ de Lagrange (1936), et sera le personnage dominant la vie de l’École jusqu’à sa mort en 1971. L’un et l’autre couvrent ensemble une période de quatre-vingts ans qui a largement façonné ce qu’est alors l’École biblique. Le dire ne signifie pas minimiser le rôle de plusieurs autres religieux éminents par leur science, leur notoriété, leurs qualités personnelles, leur impact. Le P. Louis-Hugues Vincent est sans conteste le grand nom de l’archéologie à l’École pendant les années Lagrange et il a, à ses côtés, des figures remarquables comme l’assyriologue Édouard Dhorme, en qui Lagrange a longtemps vu son successeur, Abel, Jaussen, Savignac qui ont joué un rôle important et marqué dans leurs disciplines respectives. Durant la génération suivante, un autre nom s’impose aux côtés de Roland de Vaux : Pierre Benoit. Lui succédant comme directeur de l’École, il jouera un rôle considérable comme bibliste et théologien à Vatican II. À lui aussi reviendra la lourde tâche de poursuivre l’édition des manuscrits de Qumrân dans la collection des Discoveries in the Judaean Desert que de Vaux avait lancée. Raymond Tournay, le directeur suivant, a aussi été un chercheur 2

Homélie de P. Benoit aux obsèques de Roland de Vaux, 13 septembre 1971

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de grande valeur. La force de l’École biblique, depuis son début, fut d’être une équipe de religieux aux talents multiples et complémentaires. Une équipe multidisciplinaire, dirait-on aujourd’hui. Il y a parmi eux des savants mais aussi des « sans grade » qui ont beaucoup contribué, comme Jourdain-Marie Rousée, à qui la bibliothèque de l’École doit un classement avec cotation décimale, dépouillement de tous les articles de revues et recueils, et indexation par thème ; Hyacinthe Coüasnon qui a assisté de Vaux dans ses fouilles de Qumrân et Tell el-Farʽah ; François Langlamet qui a tenté d’éditer ses travaux inachevés, etc. Il n’en reste pas moins que Lagrange et de Vaux ont donné le « la » durant plus de la moitié de l’histoire de l’École. L’apport de Lagrange est sans conteste la méthode historique, nouvelle approche de l’étude biblique dans le monde catholique, qui visait à réconcilier la lecture croyante en Église et l’intégration des acquisitions de la science moderne, en particulier l’histoire du Proche-Orient ancien et les découvertes archéologiques du XIXe siècle. La paléontologie, qui fait remonter l’histoire de l’homme à plus de cent cinquante mille ans, rend caduque l’histoire biblique d’Adam et Ève comme fondateurs de l’humanité. Jusque-là, la Bible était l’histoire du monde. Elle ne l’est plus. La découverte d’énormes archives à Sumer, Ugarit et Mari, entre autres sites, dont on a peu à peu déchiffré les écritures, a révélé des littératures et des univers culturels extrabibliques. Le défi était considérable. L’avant-propos du premier numéro de la Revue biblique (1892) montre la détermination de Lagrange à affronter ce défi et sonne encore comme un manifeste : « Tout ce qui peut contribuer à faire connaître la Bible : controverse, philologie des langues sémitiques, histoire ancienne des peuples d’Orient, géographie des pays bibliques, archéologie sacrée, bibliographie, théologie scolastique et mystique de l’Écriture sainte, histoire de l’exégèse, tout ce qui peut favoriser les études bibliques doit trouver sa place dans la Revue »3.

Toutes ces disciplines doivent donc aussi trouver leur place dans la recherche et l’enseignement des dominicains de Jérusalem. Cela n’allait pas alors sans susciter de fortes craintes dans le monde catholique, craintes auxquelles Lagrange répondait sans ciller : « Que la science remue son propre sol, qu’elle lance dans toutes les directions son regard et ses investigations, qu’usant de son droit légitime elle marche à la conquête de la vérité par le moyen de l’observation et du travail expérimental […] parce que l’homme de la vérité catholique sait très bien que la foi n’a rien à craindre, mais bien plutôt beaucoup à espérer de la science 3

RB 1 (1892) 10.

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désintéressée et partiale, de la science qui cherche la vérité par amour pour la vérité seule, sans intentions antireligieuses, sans préjugé pour ou contre l’idée chrétienne »4.

Lagrange paya cher ces convictions mais elles finirent par triompher. En quoi de Vaux a-t-il été l’homme marquant de la deuxième génération ? La réponse est plus complexe et ne peut tenir en une phrase car de Vaux est un personnage aux multiples facettes et, surtout, les temps ont changé. C’est d’ailleurs ce qui motive cette première biographie qui lui est consacrée. À sa mort prématurée en 1971, les éloges furent quasi unanimes : on célébra le maître qui avait dirigé des générations d’étudiants, le chercheur dont les travaux sur l’histoire de l’Ancien Israël avaient longtemps fait autorité, l’archéologue dont le nom était resté attaché à quelques fouilles prestigieuses : Tell el Far‘ah, l’Ophel et surtout Qumrân. Mais il ne put venir à bout de la publication de ces diverses fouilles, pour des raisons qu’il faudra essayer d’éclaircir, et surtout – fait plus grave – sa légitimité dans le dossier Qumrân reste jusqu’à aujourd’hui largement questionnée, principalement dans le monde israélien et Nordaméricain. Sa science est indiscutée, mais pas sa légitimité dans l’aventure exceptionnelle de la découverte des manuscrits de la mer Morte. La lenteur de la publication des manuscrits, de son vivant, lui a valu presque une damnatio memoriae posthume : que faisait donc là ce prêtre catholique, entouré de quelques savants venant du monde chrétien alors qu’Israël qui venait de se donner une terre en 1948 recevait aussi de nouvelles copies de ses textes religieux fondateurs. Simple coïncidence ou signe venu du Ciel ? Cela a valu à la mémoire de Roland de Vaux de rudes attaques, allant jusqu’à l’outrance : un homme au caractère difficile, antisémite, marqué depuis sa jeunesse, a-t-on écrit, par des courants catholiques de droite comme l’Action française. De Vaux serait-il donc un personnage clivant ? Un personnage riche et complexe, sans nul doute. Pour démêler le vrai du faux, pour retrouver aussi la dynamique d’une vie vécue à toute allure sans perdre de temps, un inventaire restait à faire. Les biographies de Roland de Vaux n’ayant jamais dépassé la taille d’une notice nécrologique, il y avait place pour un ouvrage plus systématique. Nous avons pu bénéficier de conditions exceptionnellement favorables pour l’entreprendre : sept années de vie quotidienne à l’École biblique, dont les murs résonnent encore de quelques histoires passées le concernant ; un accès instantané aux archives de Roland de Vaux, plus de deux mètres linéaires de documents magnifiquement classés par une 4

Ibidem,14.

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archiviste professionnelle ; l’ouverture bienveillante des archives dominicaines (archives générales de l’Ordre à Rome, archives de la Province dominicaine de France et photothèque de l’École biblique) mais aussi des archives diplomatiques françaises (La Courneuve pour les archives diplomatiques et Nantes pour les archives consulaires). J’ai pu aussi bénéficier d’un accueil très généreux de la famille de Vaux, rencontrée dans leurs propriétés de Chatel-Censoir (Yonne) et de Soulangy (Cher) là même où Roland de Vaux passait ses vacances d’enfant et plus tard d’adulte. Enfin, j’ai pu rencontrer quelques personnes qui ont connu Roland de Vaux et parfois bénéficié de ses orientations dans leur recherche : par ordre alphabétique : Pierre Amiet, Maurice Gilbert, Francolino Gonçalves, Gildas Hamel, Jean-Baptiste Humbert, Jean-Louis Huot, Pierre de Miroschedji, Marcel Sigrist, et, dans sa famille, Marie-Noëlle de la Chaise et Dominique de Vaux, nièce et petit-neveu de l’oncle Roland. Des spécialistes de Qumrân comme Émile Puech et le professeur Emmanuel Tov ont aussi accepté de me partager leur vision des choses et m’ont aidé à me situer dans ce dossier complexe et controversé. Roland de Vaux ne se racontait pas et l’on a fort peu de confidences de sa part. Pierre Benoit, son condisciple au studium dominicain du Saulchoir, est un de rares qui aient bénéficié de quelques confidences, surtout durant leur jeunesse. En mai 1969, deux ans avant la mort de Roland de Vaux, le bibliste américain Aelred Cody, osb, qui avait entrepris d’écrire un article biographique sur Roland de Vaux pour la revue Clergy Review, demanda à celui qui avait dirigé son mémoire de recherche à l’École s’il voulait bien corriger son texte. Celui-ci répondit avec humour : « avoir sa biographie écrite signifie soit que vous êtes célèbre, soit que vous êtes mort. N’étant ni l’un ni l’autre, je suis fermement opposé à ce projet, comme vous pouvez l’imaginer » (lettre du 29 mai 1969). Considérant le genre littéraire et par amitié pour son disciple, il accepta néanmoins de donner deux ou trois précisions de détail sur ses études à la Sorbonne et l’article fut publié5. L’abondante correspondance et le témoignage écrit de quelques amis privilégiés comme Kathleen Kenyon et de disciples comme Guy Couturier nous encouragent aussi à tenter de faire un portrait de cet homme d’une stature humaine et intellectuelle exceptionnelle. J’ai aussi bénéficié de la correspondance privée de Roland de Vaux avec l’archéologue Henri de Contenson, grâce à l’obligeance de son épouse. Qu’elle en soit vivement remerciée.

5

Cf. A. CODY 1969.

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Les quarante années que Roland de Vaux a vécu à Jérusalem ne furent pas des années de tout repos : à peine arrivé, il doit prendre la direction de la Revue biblique dans un contexte de crise de confiance avec les autorités romaines ; entre 1936 et 1939, la Palestine est secouée par la montée d’une « Révolte arabe » suscitée par l’implantation croissante d’immigrants juifs en Palestine depuis la Déclaration Balfour de 1917 ; en 1941, la Guerre de Syrie voit s’affronter l’Armée du Levant, dont les dominicains de Jérusalem connaissaient bien les chefs, et les Gaullistes, invitant chacun à prendre position politiquement et ce ne fut simple dans aucune communauté religieuse de Terre sainte, couvent Saint-Étienne compris ; en 1947-48, la Partition de la Palestine ouvre une autre période dramatique pour les dominicains de Saint-Étienne, dont le domaine jouxte le no man’s land qui coupe désormais Jérusalem en deux ; en 1956, la Crise de Suez va obliger un arrêt des fouilles en Jordanie, le monde arabe s’étant dressé contre ce qu’il qualifiait de « triple et lâche agression » par Israël, la France et la Grande-Bretagne ; puis vint la guerre de Six jours, la « réunification » de Jérusalem qui fit basculer le domaine de Saint-Étienne de la Jordanie à la tutelle de facto de l’État d’Israël. À plusieurs reprises, il a fallu évacuer les étudiants à la hâte ; parfois, les dominicains ont dû se réfugier dans les caves pour éviter de possibles tirs de mortier ; les uns et les autres ont dû se situer, non sans mal, ce qui a beaucoup intéressé et parfois intrigué les politologues spécialistes de la région6. La situation ne fut jamais paisible suscitant des réactions parfois épidermiques et peu nuancées : ainsi quand le diaire de Saint-Étienne parle de « terroristes » arabes à Hébron au moment de la grande Révolte arabe de 1939 ; mais on aurait tort de croire trop vite à un simplisme affligeant de religieux manquant de culture politique – ce pouvait aussi être le cas – quand ces mêmes religieux étaient des témoins parlant les langues du pays, vivant là depuis des décennies et souvent plus en prise avec les acteurs de terrain que les chancelleries occidentales. Suivre Roland de Vaux sur ces différentes périodes donne aussi un accès exceptionnel au climat d’une communauté religieuse face à la Question de Palestine, pour reprendre l’expression d’Henry Laurens. L’habitude religieuse d’écrire un diaire, précieusement conservé par la communauté, permet de suivre la vie de la communauté presque jour après jour. Les archives personnelles des frères, inégalement conservées, aident aussi à comprendre le climat interne de cette communauté de religieux, tous étrangers, dans une région en pleine ébullition. 6

Cf. LANCASTER 1999, 143-175.

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Historien et bibliste, de Vaux s’est vite intéressé à l’archéologie. La génération qui l’avait précédé à l’École, bénéficiant jusqu’en 1917 de l’absence de frontières au sein de l’Empire ottoman, avait sillonné la région de l’Égypte au Bilad ash-sham, et de la Méditerranée à Palmyre et l’Arabie du Nord. Cette génération de découvreurs était intrépide et ramena une riche moisson d’observations, de plans, de photos. Mais elle ne fouilla pas. Les fouilles à l’École biblique commencent pratiquement avec de Vaux à la fin des années 1930. La Terre sainte a déjà été amplement labourée, d’abord par des archéologues britanniques comme Flinders Petrie (1853-1942) qui a fouillé Tell el-Hesi en 1890 et Tell el-‘Ajjul à partir de 1927 ou John Garstang (1876-1956). Le Palestine Exploration Fund britannique avait été créé dès 1865 ouvrant la voie à des initiatives analogues par les Américains et les Allemands. Directeur de la British School of Archaeology en 1919, Garstang était depuis 1920 responsable du Département des Antiquités de la Palestine et c’est à ce titre qu’il organise une collaboration entre Britanniques, Français et Américains au Proche-Orient et crée en 1938 le musée des Antiquités de Palestine, Palestine Archaelogical Museum. L’Américain William Foxwell Albright (1891-1971) est aussi sur place, très actif : directeur de l’American School of Oriental Research de Jérusalem entre 1922 et 1929 puis entre 1933 et 1936, il se signale par des fouilles importantes à el-Jib – ou Gabaon – en 1922 et Tell beit-Mirsim entre 1926 et 1932, deux sites éclairant l’histoire des tribus de Benjamin et de Juda. Assez coloniale dans ses présupposés, cette archéologie était aussi très marquée par une approche protestante dominante dans l’archéologie biblique d’alors. De Vaux bénéficie néanmoins de l’extraordinaire expérience du P. Vincent qui commence avec Lagrange quand l’archéologie démarre vraiment en Palestine avec Petrie, Bliss, Macalister, Watzinger. « Le jeune Vincent les rattrape, les accompagne, qui, dans les années trente, visite tous les chantiers où il est consulté comme l’oracle. De Vaux arrive quand Vincent est élu à l’unanimité président de la Palestine Oriental Society. Vincent est un parrain de poids pour de Vaux et lui a tracé la route et de Vaux va faire les fouilles dont Vincent a dû rêver », souligne Jean-Baptiste Humbert7. En effet, « il avait tout lu et tout vu, et tout retenu », écrit de Vaux à son sujet au lendemain de sa mort, ajoutant : « Pendant un demi-siècle, il ne s’est ouvert en Palestine aucun chantier de fouilles qu’il n’ait visité et dont il n’ait commenté les découvertes ; deux générations d’archéologues sont venues demander ses conseils, lui apporter des tessons à classer, 7

Entretien avec l’auteur,

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PROLOGUE

des objets à identifier. Il fut bientôt reconnu comme un prince de l’archéologie et il y a peu d’années que, dans un congrès international, on le saluait comme le “Nestor de l’archéologie palestinienne” »8. L’archéologue américain William Albright le qualifia de « leader indiscuté de l’archéologie palestinienne »9. Les religieux catholiques établis en Terre sainte n’étaient pas en reste en matière de fouilles avant l’arrivée de Roland de Vaux mais ils s’étaient focalisés le plus souvent sur des sites chrétiens ou croisés. Pionnier, l’assomptionniste Joseph Germer-Durand (1847-1917), contemporain de Lagrange, avait ouvert la voie avec de premières fouilles sur le site de Saint-Pierre en Gallicante, non loin du Mont Sion. Largement implantés dans le pays et depuis longtemps, les Franciscains se sont également lancés dans des fouilles sur des sites confiés à la garde de la Custodie de Terre sainte : le P. Sylvester Saller au Mont Nébo de 1933 à 1937, suivi par Virgilio Corbo en 1963 puis, de 1976 à 2008, par Michele Picirillo ; le P. Bellarmino Bagatti qui a fouillé sur le Mont des Oliviers avec Sylvester Saller, suivant les traces prestigieuses du P. Gaudenzio Orfali, archéologue du site de Capharnaüm au début du XXe siècle. Roland de Vaux vient s’insérer dans l’histoire de l’archéologie en Terre sainte par des religieux catholiques qui ont essayé de trouver leur place auprès de la puissante archéologie protestante qui avait démarré à vive allure au XIXe s. et ont dû se démarquer de ses prémisses épistémologiques. Par rapport aux franciscains, il innove en entreprenant des fouilles sur un site lié à l’histoire d’Israël, comme l’antique Tirça (Tell el-Far‘ah), le préférant à des sites byzantins ou croisés. De plus, le site est complexe et nécessite une étude stratigraphique poussée. Dans un brillant article écrit peu avant sa mort pour les Mélanges de Nelson Glueck, un autre grand archéologue de son époque, de Vaux situe très bien son travail par rapport aux ambiguïtés des débuts de l’archéologie en Palestine, ambiguïtés très perceptibles dans le prospectus annonçant la fondation du Palestine Exploration Fund de 1865 : « Aucun pays ne devrait avoir autant d’intérêt pour nous que celui où les documents de notre Foi furent écrits et les événements importants qu’ils décrivent eurent lieu »10. Il s’agissait alors non seulement d’illustrer la Bible, de lui trouver des fondements, mais d’en confirmer la pertinence, de la défendre face au scepticisme moderne et au positivisme triomphant. De Vaux va s’efforcer de pratiquer une archéologie scientifique de nature 8 Roland de Vaux, « Le T.R.P. Louis-Hugues Vincent », Lettre de Jérusalem aux anciens et amis de l’École biblique et archéologique française, n° 20, Janvier 1961. 9 Cf. ALBRIGHT 1961, 3. 10 Cf. VAUX (de) 1970.

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à éclairer diverses périodes de l’Ancien Testament et à entrer en débat avec les textes. Mais il le fait aussi à un moment historique particulier : la création de l’État d’Israël en 1948 a donné lieu à « une explosion virtuelle de l’activité archéologique israélienne », selon le mot de Raphael Greenberg11 : les principaux acteurs en sont l’Institut d’archéologie de l’Université hébraïque, créé dans les années 1920 avec l’Israel Exploration Society et l’Israel Department of Antiquities and Museums, ensemble qui deviendra en 1990 l’Israel Antiquities Authority. L’archéologie se met peu à peu au service d’une mémoire juive, car, comme l’écrit Chloé Rosner, « le projet sioniste, moderniste et futuriste par certains aspects, vise en même temps à recréer une image historique du territoire perçu comme l’ancien Israël, Eretz Israel (le terre d’Israël) où les générations juives de l’histoire biblique se sont succédé. Dans cette logique, l’archéologie comme science des traces visibles d’anciennes civilisations, permet de réveiller et de réactiver ce passé juif en Palestine »12. Eleazar Sukenik, qui fut élève du P. Vincent, avait fouillé dès 1923 dans la Vieille ville de Jérusalem et sa fouille de la synagogue de Beït Alpha en 1928 avait le plus contribué à la visibilité de l’archéologie juive en Palestine. À partir de 1948, les choses changent et se compliquent, car les archéologues israéliens n’ont plus accès au Palestine Archaeological Museum, en territoire jordanien de l’autre côté de la ligne de démarcation. Après l’annexion israélienne de l’ensemble de la ville de Jérusalem en 1967 – la réunification selon les pouvoirs en place – l’archéologie israélienne peut prendre son plein essor au point de devenir « une industrie nationale ». Les archéologues israéliens de l’Université hébraïque vont investir d’abord les grands sites de la Ville sainte, Benjamin Mazar au pied de l’Esplanade et Nahman Avigad sous le quartier juif de la Vieille ville. La zone de la Cité de David va faire l’objet d’immenses travaux. Au fil des années, l’activité archéologique israélienne va s’étendre à l’échelle du pays. Il sera intéressant de voir comment de Vaux a pu trouver sa voie propre dans un contexte aussi complexe. En effet, par certains aspects – il est français, religieux catholique, de surcroît – il appartient encore un peu – du moins au départ – à ce qui reste du passé de la Palestine mandataire. De Vaux, enfin, inaugure une période de la recherche de plus en plus interconnectée et en débat avec le monde académique européen et Nordaméricain. Il est déjà lointain le temps des archéologues pionniers venus 11 12

Cf. R. GREENBERG 2018. Cf. ROSNER 2018.

XX

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acquérir sur le terrain et pour leur pays quelques beaux monuments destinés à prendre place au Louvre, au British Museum ou au Pergamon Museum de Berlin. De Vaux n’appartient pas non plus à la génération des archéologues qui allaient de pair avec les agents de renseignement des Puissances européennes, comme ce fut le cas de Woolley et Lawrence à Karkemish à la veille de la Première guerre mondiale. De Vaux est en contact avec l’orientaliste français René Dussaud (1868-1958) spécialiste des Hittites et des Hourrites sur lesquels il se penchera à son tour mais il est aussi en étroite relation avec les archéologues anglo-saxons comme William Foxwell Albright (1891-1971), Nelson Glueck (1900-1971), il débat volontiers avec les collègues de l’American Society of Oriental Research (ASOR) et fouillera avec Kathleen Kenyon du British Institute of Archaeology. Il sera intéressant d’étudier comment, tout en étant bibliste, il définit sa méthode, son domaine de recherche, en respectant l’autonomie des disciplines alors même que le propos fondateur de l’École biblique est l’intelligence du texte dans son contexte. Puisqu’il s’agit d’une biographie, nous suivrons un plan chronologique : les années de jeunesse et de formation ; l’arrivée à Jérusalem ; les premiers pas de Roland de Vaux en archéologie ; les années Qumrân ; l’aventure de la Bible de Jérusalem et de l’édition des manuscrits de la mer Morte ; de Vaux, leader aux multiples responsabilités et directeur de l’École biblique ; l’homme au faîte de sa notoriété académique ; sa mort prématurée source d’inachèvement de son œuvre ; et enfin, the last but not the least, un essai de portrait de cet homme complexe, aux diverses facettes, respecté et craint, aimé aussi parfois. Car Roland de Vaux n’était pas seulement un bibliste et un archéologue, c’était aussi un religieux et, pour certains, un ami. Son abondante correspondance à ce jour inédite permet d’entrevoir un peu un jardin secret dont la connaissance colore aussi le portrait qu’il s’agit ici d’esquisser. Elle sera largement sollicitée dans les pages qui suivent. En fin de volume, on trouvera une bibliographie contenant une liste aussi exhaustive que possible de ses ouvrages et de ses articles. Notre recherche n’aurait pas été possible sans l’aide et la bienveillance de personnes déjà nommées : la famille de Roland de Vaux, Helena Rigaud qui a rangé ses archives à Jérusalem, les quelques personnes qui l’ont connu et dont les noms ont été mentionnés plus haut, l’archéologue Jean-Baptiste Humbert dont la longue expérience dans la région m’a souvent ouvert les yeux, Émile Puech, pour qui rien de ce qui relève de Qumrân n’est étranger, Dominique Trimbur dont les travaux sur la vie culturelle de Jérusalem au moment de la Seconde Guerre mondiale

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m’ont beaucoup appris. J’ai également bénéficié de beaucoup de bienveillance dans l’accès à des archives qui permettent d’apporter de l’inédit sur Roland de Vaux : les archives du couvent Saint-Étienne, bien sûr, mais aussi celles de la Curie généralice de l’Ordre à Rome, celles de la Province dominicaine de France. L’archiviste du collège Stanislas à Paris m’a également fourni des précisions importantes. Les archives numérisées des Antiquités israéliennes (Israel Antiquities Authority) contiennent également quelques lettres de Roland de Vaux (http://www.iaa-archives. org.il/defaultaspx). Jean-Michel de Tarragon, dont la connaissance très fine de l’histoire récente de l’École à travers sa photothèque et la chronique du couvent a été un appui inestimable. Merci aussi aux relecteurs, Olivier Catel, Marc Leroy. Thérèse Dan Wang m’a apporté de précieux conseils pour la mise en forme du manuscrit. À tous je dois une vive reconnaissance ainsi qu’aux frères dominicains de Jérusalem, qui m’ont offert un merveilleux écosystème favorable à la recherche : une collection de la Revue biblique et des archives à portée de main, la possibilité d’échanger des impressions de manière très informelle au cours d’un repas, par exemple, ce qui est une des merveilleuses caractéristiques du campus de Saint-Étienne, de fructueuses conversations avec des chercheurs de passage, tous marqués par l’œuvre de Roland de Vaux, enfin l’accès facile à Qumrân, au Musée d’Israël et aux sites que de Vaux a fouillés. Il ne m’a manqué qu’une chose : ne l’avoir jamais personnellement rencontré, alors que j’ai eu la chance de rencontrer quelquesuns de ses contemporains, en particulier Pierre Benoit et Raymond Tournay. Les limites de cette biographie m’incombent de même que les erreurs d’appréciation que j’ai pu faire sur tel ou tel point. Le riche parcours de Roland de Vaux exige de se plonger dans des disciplines aussi différentes que l’histoire du Proche-Orient ancien, l’exégèse de l’Ancien Testament, l’archéologie, les langues anciennes. De Vaux s’est intéressé à tout, parfois dans le détail, comme on verra dans ses travaux sur les Hittites et ces dossiers sont complexes. Le dossier Qumrân ajoute une difficulté particulière, tant il est controversé et reste jusqu’à nos jours l’objet d’interprétations discordantes et à forte charge émotionnelle. La vie de Roland de Vaux est traversée par une série de conflits politiques et, plus que tout autre dossier, Qumrân a été un « outil à usage politique multiple », comme l’écrit Elie Barnavi à propos de Jérusalem13. Aussi, 13

Cf. BARNAVI 2018. L’ensemble de ce numéro des Cahiers de l’Orient souligne la forte intensité politique et émotionnelle de l’archéologie en Israël-Palestine.

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j’accepte humblement la responsabilité de certaines lacunes ou interprétations erronées, espérant, néanmoins, que la documentation ici fournie, puisée dans des archives inédites, aidera à mieux connaître une page de l’histoire des études bibliques et de la prestigieuse École biblique que j’ai eu le bonheur et l’insigne honneur de devoir diriger.

CHAPITRE PREMIER

COMMENT DEVIENT-ON ROLAND DE VAUX ? ORIGINES FAMILIALES ET JEUNESSE DOMINICAINE « Avoir une grande ambition humble. C’est la seule attitude possible lorsque vraiment on travaille pour Dieu ». Roland de Vaux (1933).

1. UNE ENFANCE HEUREUSE Marie Étienne Roland Guérin de Vaux naît à Paris le 17 décembre 1903, fils de Jacques Guérin de Vaux (1874-1960) et d’Yvonne Brunet (18781944), dont le mariage avait été célébré à Bourges le 20 novembre 1902. Il est l’aîné de six enfants, trois garçons et trois filles, dont l’une, Solange, deviendra religieuse auxiliatrice du purgatoire, sœur Saint-Savinien1. Jacques de Vaux, son père, est inspecteur des finances. Administrateur de banque, il est président du Crédit industriel de l’Ouest (CIO) et administrateur de plusieurs banques privées (Union des mines, Banque Dupont, etc.). « Barbu, sévère mais bon, toujours au travail, homme de grande culture », tel est le souvenir qu’a laissé Jacques de Vaux auprès de ses neveux et nièces. La famille habite Boulevard Saint-Germain à Paris mais vient volontiers passer l’été et les congés scolaires dans sa propriété de Châtel-Censoir, une petite ville de l’Yonne proche d’Auxerre, où plusieurs centaines d’hectares de bois et de terres agricoles, cultivées en fermage, offrent un cadre de repos idéal. Non loin du château familial, on peut encore voir l’imposante liste des défunts de la famille, enterrés près de la collégiale. Une famille aisée, donc, mais où le sens des responsabilités prévaut sur le désir de s’enrichir. Le grand-père, lui, avait été procureur de la République. Il aimait peindre, faisait de la musique, aimait la littérature et le théâtre. Être magistrat est assez courant dans la famille de Vaux, depuis des générations. 1 Détail de la fratrie : Roland de Vaux (1903-1971) ; Jacqueline de Vaux, épouse de Langre (1905-1967) ; Solange de Vaux (1906-1993), en religion sœur Saint-Savinien ; Gilbert de Vaux (1909-1942), époux de Solange de Drouas et père de Dominique de Vaux, l’unique descendant mâle actuel de la famille de Vaux ; Bertrand de Vaux (1911-1972), époux de Claude d’Achon ; Nicole de Vaux (1914-2000), épouse de Paul Sallé de Chou.

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CHAPITRE PREMIER

Yvonne Brunet, sa mère, vient, elle aussi, d’une famille appartenant à ce qu’il était convenu d’appeler dans l’Ancien Régime la « noblesse de robe » : elle occupait depuis Louis XIV des charges ou offices d’État, que l’on pouvait alors acquérir pour devenir « conseillers du Roy ». Un des ancêtres, Antoine Brunet avait ainsi acquis la charge de Receveur du tabac2. Un de ses fils, brillant en affaires, se lança dans le commerce du bois et des ocres, une roche ferrique composée d’argile pure, non toxique, et qui est très appréciée dans la construction. La réussite économique de la famille Brunet lui permit de transformer une longère berrichonne du 17e siècle en une très belle demeure, le château de Soulangy à Levet, dans le Cher, construit vers les années 1870 par le docteur Alphonse Brunet. Un de ses fils, Fernand Brunet, grand-père de Roland de Vaux, fut inspecteur des finances, conseiller d’État, puis directeur général des douanes au Ministère des finances. Comme chez les Guérin de Vaux, l’aisance matérielle passe après le sens de l’État et un goût prononcé pour la culture sous ses aspects les plus divers. C’est ainsi que le grand-père Fernand Brunet entreprit, au cours de ses tournées d’inspecteur des finances, d’étudier les jardins publics les mieux dessinés afin d’aménager la propriété de Soulangy où il dessina lui-même les allées et le plan du parc, un parc enrichi d’espèces d’arbres parfois assez rares dans la région, comme le séquoia et le sapin de Douglas. La région est connue pour l’exploitation du bois que l’on acheminait par convois fluviaux jusqu’à Paris pour le chauffage des citadins. Plus curieux encore, Fernand Brunet eut l’idée de faire creuser en face du château un plan d’eau pour le patinage. En hiver, lorsque l’eau est gelée, un carton invitait les amis et relations à venir à Soulangy pour une « partie de patinage ». Un train chauffé au bois partait de Bourges et s’arrêtait à la demande au bout de la propriété. Mais c’est surtout à Pâques et en été que Soulangy devenait le lieu privilégié des retrouvailles familiales. Au temps du grand-père, des nourrices s’occupaient des petits, transportés dans un célèbre « chariot vert », une petite carriole de bois. Laissons parler le livre des souvenirs familiaux : « Peu à peu, les enfants grandissant, les plaisirs évoluaient, passant de la collecte traditionnelle des œufs de Pâques aux petites saynètes composées par les parents ou les enfants, aux tableaux vivants photographiés (la “fenaison”), et plus tard aux films mis en scène dans le parc ou la forêt voisine, aux Femmes savantes (1925). Les sports se développaient, tennis, natation. 2 Un souvenir précis de la famille est conservé dans un « Livre de raison », Chez les Brunet et leurs alliés du Moyen Âge au XX e siècle, 3 vol., rédigé par Fernand Brunet au cours de la première guerre mondiale, à un moment où les événements dramatiques du moment semblent menacer un bonheur patiemment construit.

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Grand-père dirigeait les plongeons quelquefois un peu cruels sur le fond de ciment. Football, courses de bicyclettes étaient organisées par la Société sportive de Soulangy. Deux générations ont galopé sur les pelouses. Un parcours de concours hippique avait été aménagé. De deux jeunes cavaliers, Robert Brunet, puis son neveu Bertrand de Vaux, Saint Cyr a fait un chasseur et un dragon … »3.

Voilà l’ambiance heureuse dans laquelle Roland de Vaux a baigné enfant. Soulangy était, en effet, le lieu de retrouvailles des nombreux cousins, « une demeure faite pour la joie », écrira Bertrand de Vaux à son frère Roland dans une lettre de 1970, à l’heure où des deuils ont commencé à décimer la fratrie. Une atmosphère qui fait penser à ce que l’écrivain Jean d’Ormesson décrivit quelques décennies plus tard dans son roman Au plaisir de Dieu, saga d’une famille où la nouveauté des temps n’érodait que très lentement les permanences anciennes. On aurait tort cependant de considérer que cette famille heureuse et plutôt privilégiée, ait glissé dans la futilité et le goût des plaisirs faciles. On a, certes, des domestiques pour la cuisine, le jardin, l’entretien du parc, mais le sens de l’État est aussi très marqué par des générations de fonctionnaires à l’Inspection des finances, la Cour des comptes, la magistrature, l’armée. De plus, la famille est fortement catholique, pratiquante et marquée par des exemples comme la tante Germaine de Vaux (18781964), une sœur de Jacques de Vaux. Élevée au cours Raffi avec d’autres jeunes filles de bonne famille, mais de santé précaire, Germaine de Vaux s’est consacrée très jeune au service des autres : d’abord comme ambulancière au cours de la première guerre mondiale, ce qui lui a valu la croix de guerre remise par le général Gouraud, puis au service des enfants pauvres de Belleville, un quartier de Paris alors très misérable. Avec l’aide d’une amie qui avait acheté une maison pour y créer un centre social, Germaine de Vaux va contribuer à la création de divers services sociaux de quartier qui finirent par créer un ensemble, appelé Groupe des Œuvres sociales de Belleville (G.O.S.B.)4. L’impact fut tel que l’opération fut renouvelée dans divers quartiers de la périphérie de Paris. Les compétences et les relations de son frère Jacques sont alors très précieuses pour mettre en place ces structures d’aide sociale. Pendant l’occupation allemande et à la Libération, Germaine avait joué un rôle de premier plan au sein de la Croix-Rouge Française, son autorité naturelle et son dévouement lui permettant de s’imposer dans des lieux aussi difficiles que le camp d’internement de Drancy ou la prison de Fresnes où étaient internés 3 4

Chez les Brunet et leurs alliés du Moyen-Âge au XX e siècle, vol 3, p. 43. Cf. AIMÉ-AZAM 1966.

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CHAPITRE PREMIER

les prisonniers politiques, pour certains condamnés à mort pour collaboration avec l’occupant5. Elle aura la joie de revoir son neveu Roland, quelques jours avant sa mort en mars 1964. Jacques de Vaux, le père de Roland, n’est pas en reste en matière d’engagements sociaux : proche de Monseigneur Maurice Feltin (1883-1975), qu’il a connu dans les années 1930 lorsque celui-ci était archevêque de Sens, la région de vacances de la famille, Jacques de Vaux met ses compétences d’administrateur au service des œuvres sociales du cardinalarchevêque de Paris, en particulier les Conférences Saint-Vincent-dePaul6. Il aide aussi sa sœur Germaine à créer à Châtel-Censoir une maison de vacances pour familles défavorisées puis un foyer de personnes âgées. Comme elle, Jacques de Vaux est un exemple de ce christianisme social qui a irrigué l’Église de France depuis la fin du XIXe siècle, à la suite de Frédéric Ozanam et de l’encyclique Rerum novarum de Léon XIII. Tout ceci contribue certainement à donner au jeune Roland de Vaux un sens des autres, qui l’aida sans doute à s’orienter vers une vocation sacerdotale. De ses origines aristocratiques, il gardera aussi une aisance, une autorité naturelle, qui seront servies plus tard par sa compétence, sa vaste culture et son ardeur au travail. Le 1er octobre 1914, il entre au collège Stanislas à Paris (promotion 1920) où il va faire ses études secondaires. C’est un établissement privé catholique très renommé, établi dans le quartier Notre-Dame-des-Champs à Paris. Son père y avait fait ses humanités et ses deux frères Gilbert et Bertrand feront de même. C’est un milieu ouvert aux idées des intellectuels catholiques libéraux comme Lamennais, Lacordaire ou Montalembert, proches de Frédéric Ozanam qui y avait assuré pendant des années le cours de rhétorique tout en étant professeur à la Sorbonne. De Vaux y rencontre plusieurs autres jeunes qui deviendront eux aussi dominicains et, à défaut de confidences – l’homme se dévoile fort peu –, on peut penser que ce compagnonnage a contribué à l’orienter plus tard vers l’Ordre de saint Dominique. Parmi ses compagnons à « Stan », on relève dans la même génération Georges (Thomas) Chifflot7, futur directeur des éditions du 5 Parmi les condamnés qu’elle eut à assister, il y eut le général Dentz, ancien commandant de l’Armée du Levant, que l’on évoquera plus tard. 6 Signe de son rôle dans l’Église de Paris, il tient les cordons du poêle aux obsèques du cardinal Suhard en mai 1949. 7 Thomas Chifflot (1908-1964) entre au noviciat d’Amiens en septembre 1930, un an après Roland de Vaux. Il sort de l’École polytechnique et mettra ses talents d’organisateur au service des éditions du Cerf où il va développer l’édition biblique. Il sera le principal partenaire de Roland de Vaux dans la grande aventure de l’édition de la Bible de Jérusalem. R. de Vaux est l’auteur d’une courte biographie de Thomas Chifflot : VAUX (de) 1964a.

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Cerf avec qui il lancera la Bible de Jérusalem, Jacques Delalande qui sera père maître des novices de la Province de France, Pierre (Dominique) Dubarle, futur professeur de philosophie au Saulchoir et à l’Institut catholique de Paris, Paul (Marie-Humbert) Vicaire, éminent historien des origines de l’Ordre dominicain. Pour ne rien dire de quelques illustres aînés, comme François (Paul) Thierry d’Argenlieu, Jean (André) Festugière, René (Antonin) Motte qui auront tous des parcours de premier plan au niveau intellectuel et religieux. C’est dire qu’il fait ses humanités dans un milieu riche aux plans intellectuel, spirituel et humain8. Les archives du collège montrent qu’il se montra tout de suite un élève assidu et même brillant : à partir de la classe de quatrième, il reçoit chaque année plusieurs prix d’excellence et des accessits. Il passe un baccalauréat littéraire et entre à l’Académie d’émulation de Stanislas, réservées aux meilleurs élèves. Parmi eux, se trouve Stanislas de Sèze, qui deviendra un célèbre rhumatologue, président de l’Académie nationale de médecine. À la fin de ses études, le jeune de Vaux est inscrit au livre d’or du collège. Une photo familiale de 1920 le montre au milieu de ses cousins, plutôt bel homme. Il peut rêver d’un bel avenir. Ses frères et sœurs feront tous eux aussi un beau parcours dans la vie : Jacqueline, épouse d’un chirurgien du Mans, aura sept enfants ; Solange vivra une bonne partie de sa vie comme religieuse à Versailles ; Gilbert sera conseiller référendaire à la Cour des comptes, mais mourra d’un accident d’auto à quarante-deux ans, quelques mois avant la naissance d’un fils, Dominique ; Bertrand fera Saint-Cyr et une carrière militaire, avant de venir s’installer à Soulangy ; Nicole épousera Paul Sallé de Chou, dont elle aura quatre enfants. Famille nombreuse, c’est aussi une famille unie, que Roland de Vaux aime retrouver au cours de ses passages d’été. 2. DU SÉMINAIRE AU NOVICIAT Baccalauréat littéraire en poche, Roland de Vaux passe en trois ans une licence ès lettres à la Sorbonne. Il n’est pas exclu qu’il ait eu Étienne Gilson comme professeur car le célèbre médiéviste y est nommé en 1921. Léon Brunschvicg, fondateur de la Revue de métaphysique et de morale, est un des autres grands noms du moment. En octobre 1923, après sa licence, de Vaux rejoint le séminaire de Saint-Sulpice à Issyles-Moulineaux pour plusieurs années de formation, interrompues par 8 Pour une liste complète de ses condisciples au Collège Stanislas, voir L’Écho de Stan (Bulletin de liaison des anciens élèves du Collège Stanislas), 2e trimestre 1962, publié dans Ut Sint Unum, 1er août 1962, p. 140.

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le service militaire en 1925-26. Fondé par Jean-Jacques Olier, un prêtre de l’École française de spiritualité, le séminaire sulpicien d’Issy-lesMoulineaux est un lieu d’excellence qui a formé de nombreux prêtres et évêques depuis sa fondation au XVIIe siècle. Le père Lagrange y fut lui-même élève en 1878-79, de même qu’Ernest Renan ou l’abbé Breuil, l’éminent préhistorien, pour ne citer que quelques savants proches des futurs centres d’intérêt de Roland de Vaux. Parmi ses professeurs, on peut signaler l’abbé Petitmangin, auteur d’une célèbre grammaire latine. Roland de Vaux aimera raconter de savoureuses historiettes sur ses anciens professeurs. Selon son contemporain dominicain Pierre Benoit, il « garda de ces premières années d’éducation cléricale le souvenir et les fruits d’une forte instruction dans les disciplines sacrées, entre autres dans les sciences scripturaires où il eut pour maître M. Jean-Julien Weber, plus tard archevêque de Strasbourg9. Et surtout, il eut cette solide formation sulpicienne, d’esprit sacerdotal, de fidélité aux devoirs de l’état ecclésiastique, en particulier à la prière, qui marqua toute sa vie d’une empreinte indélébile, bientôt renforcée et complétée mais jamais effacée par l’esprit dominicain »10. Dans sa biographie du père Lagrange, Bernard Montagnes ajoute que celui-ci avait gardé de son passage au séminaire d’Issy-lesMoulineaux un intérêt pour la philosophie thomiste mais aussi « un goût passionné pour la parole de Dieu »11. Roland de Vaux était, en somme, à bonne école. Il passe son baccalauréat en philosophie scholastique et en théologie à l’Institut catholique de Paris puis est ordonné diacre en décembre 1928 et prêtre le 29 juin 1929 par l’archevêque de Paris, le cardinal Dubois. Sa promotion est baptisée « Cours Pie XI », ce qui n’est pas anodin si l’on se souvient que trois ans plus tôt ce pape a condamné l’Action française, décision qui fut très controversée au sein de l’Église de France. De Vaux semble avoir déjà été un leader, puisqu’il est choisi par les autres séminaristes comme bibliothécaire mais surtout comme 9 Pierre Benoit (1906-1987), Maurice de son nom de baptême, est né à Nancy le 3 août 1906 dans une famille de notables locaux cultivés : son grand-père, doyen de la Faculté des lettres de Nancy, avait étudié à l’École française de Rome ; son père et plusieurs oncles furent professeurs de droit. Un de ses frères, Jacques, fut professeur au Collège de France. Il entre au noviciat dominicain d’Amiens en 1924 et rejoint Jérusalem en 1932, pour se spécialiser en Nouveau Testament. Il dirige la Revue biblique de 1953 à 1968, est directeur de l’École biblique de 1965 à 1972 et collabore à l’édition de la Bible de Jérusalem. Appelé comme expert au Concile Vatican II en 1964, il est ensuite nommé membre de la Commission biblique pontificale. Il est l’auteur, entre autres, d’Exégèse et théologie, 4 volumes, Cerf, 1961, 1968, 1982. 10 Cf. P. BENOIT, « Le Père Roland de Vaux », Lettre de Jérusalem, n° 37, 3 octobre 1971. 11 Cf. MONTAGNES 2004, 33.

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secrétaire du cours 1929 ; il y fait preuve de dynamisme si l’on en croit le Bulletin trimestriel des Anciens de Saint-Sulpice qui parle de son successeur à cette fonction comme « le pâle successeur de Roland de Vaux au poste si redoutable du secrétaire du cours »12. Mais « le pauvre Roland est définitivement perdu pour le monde », écrit le même Bulletin trimestriel de novembre 1929 car il a déjà le projet d’entrer dans l’Ordre dominicain. L’homélie prononcée par le curé de la paroisse lors de sa première messe en la collégiale de Châtel-Censoir le 18 août 1929 montre que dès son ordination son choix de la vie religieuse était arrêté13. Comment a-t-il été conduit à envisager une vocation dominicaine ? Roland de Vaux n’en dit rien. Mais la familiarité avec l’Ordre dominicain est ancienne au collège Stanislas où, près d’un siècle plus tôt, en 1834, le père Henri Lacordaire avait fait des conférences qui attirèrent les foules, bien qu’elles fussent initialement destinées aux grands élèves du collège14. Le lien du collège Stanislas avec l’Ordre dominicain va se poursuivre à travers les aumôniers. L’un d’entre eux, le père Paul Synave, élève de l’École biblique de Jérusalem en 1913-1914, est aumônier à « Stan » de 1915 à 1919. Il aura plus tard une influence décisive sur l’orientation apostolique et intellectuelle de Roland de Vaux15. La pédagogie de Stan, comme on l’appelait à Paris, avait aussi été marquée par Frédéric Ozanam, contemporain de Lacordaire, fondateur d’une œuvre charitable de visites et secours pour les pauvres, placée sous le patronage de saint Vincent de Paul. Ozanam avait été chargé du cours de rhétorique dans les années 1840. À la fin de l’été 1929, Roland de Vaux rejoint le noviciat de la Province dominicaine de France à Amiens, où il prend l’habit le 22 septembre, se mettant sous la protection particulière de saint Catherine de Sienne. Il y retrouve quatorze autres novices, dont François Louvel qui sera son partenaire pour la publication de la Bible de Jérusalem traduite et annotée par l’École biblique. Le noviciat précédent avait accueilli dix-sept novices dont Nicolas Rettenbach, Pie-Raymond Régamey, Marie-Humbert Vicaire, Aimon-Marie Roguet et Dominique Salman qui auront tous un parcours 12

Cf. Bulletin trimestriel des Anciens de Saint-Sulpice, Aout 1929, p. 347. Le prêtre catholique, sa dignité, ses fonctions, ses épreuves, son prestige. Discours prononcé en l’église de Châtel-Censoir (Yonne) le 18 août 1929 par M. l’abbé Rollin, curé de la paroisse, à l’occasion de la première messe solennelle de M. l’abbé Roland de Vaux, 6 p. 14 Cf. PHILIBERT 2016, 92 et sv. Un an plus tard, l’archevêque de Paris, Mgr de Quelen, charge Lacordaire d’inaugurer une chaire d’exposition doctrinale pour les jeunes étudiants. Ce fut le début des conférences de Notre-Dame. 15 Pendant quinze ans, Paul Synave a assuré un bulletin critique de théologie biblique dans la RSPhTh et le Bulletin thomiste. 13

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remarquable. Le maître des novices de l’époque est le fr. Réginald Berger (1877-1956), un homme qui, dans sa jeunesse, avait rêvé d’être envoyé comme missionnaire à Mossoul mais sera maître des novices ou des étudiants presque toute sa vie : vingt-et-un ans au Saulchoir de Kain puis Amiens, ensuite une quinzaine d’années à Coublevie dans la province dominicaine enseignante. Ceux qu’il accompagna dans les débuts de leur vie religieuse « se rappellent avec gratitude le bel exemple d’abnégation, de bonté, de délicatesse, d’esprit religieux qu’il a toujours su leur donner », dit sa notice nécrologique dans le bulletin provincial16. Sa longévité comme père maître laisse à penser que ce ne sont pas là que des paroles convenues. L’homme a marqué plusieurs générations de religieux. Roland de Vaux fait partie d’un de ses derniers noviciats à Amiens. Toute sa vie, il sera un religieux équilibré, solide. Les bases acquises dans sa jeunesse n’y sont probablement pas pour rien. Quel était alors le regard que portaient sur le monde ces jeunes religieux qui semblaient l’avoir quitté avec une certaine radicalité ? Son co-novice François Louvel, donne un témoignage intéressant sur l’orientation politique du jeune de Vaux et de ses frères de noviciat : « Quand je suis rentré au noviciat, en 1929, fin 1929, pratiquement 1930, dans mon noviciat, sur les quinze que nous étions, il y avait Bonduelle, Grégoire, Chevallier, les Coquelle, Maynard, cela fait six, et je pense davantage, qui avaient appartenu à l’Action Française, qui s’étaient soumis, mais soumis comme devant une injustice, et dont le cœur était d’Action française. Et, dans mon noviciat, à ne pas partager ces idées-là et avoir les idées diamétralement opposées que trois : le Père de Vaux, le Père Gourbillon, et moi. Nous étions les trois qui avions un poil de formation politique et qui étions, on ne peut pas dire contre les autres, mais qui ne pouvions pas parler ! Le Père Maître, notre Père Maître, avait été d’Action Française et il en restait. Et moi, je lui ai posé la question pendant mon noviciat. Je suis allé le voir et lui ai dit : “Mon Père, je ne suis pas d’Action française, je n’en ai jamais été et je n’en serai jamais. Mais je constate qu’il y a tout un mouvement à nuance politique dans le noviciat. Voulez-vous me dire : est-ce que je peux être dominicain en gardant mes positions républicaines ?” [...] Le Père Maître, très embarrassé, m’a dit : “Non, non, il n’y a aucune obligation à être royaliste, mais il faut bien voir qui est-ce qui protège l’Église...”. “Mais, mon Père, est-ce que je peux rester ?” Il m’a dit oui. Je suis resté »17.

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Cf. Ut Sint Unum, n° 34, Décembre 1956, p. 17. « Les Éditions du Cerf ont 50 ans ... Entretien avec le Père Louvel (8 mars 1979) », Archives de la province de France, V - 807. Information transmise par Tangi Cavalin. La notice que Tangi Cavalin consacre au fr. Dalmace Besançon (1902-1958) dans le dictionnaire biographique des Frères prêcheurs montre combien cette question épineuse du lien avec l’Action française était présente dans ces générations de novices. 17

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L’Église de France, faut-il le rappeler, avait été profondément secouée par la condamnation de l’Action française par le pape Pie XI en 1926. Comme tous les grands ordres religieux, les dominicains ne sortaient pas indemnes de la crise. Beaucoup avaient été favorables aux idées de Charles Maurras, mais d’autres et non des moindres, comme les fondateurs de La Vie intellectuelle et de Sept, avaient eu le courage de s’opposer à leurs supérieurs, y compris au Maître de l’Ordre Martin Gillet18. Il est indéniable que Roland de Vaux arrive dans la vie religieuse avec un bagage intellectuel et humain plus ouvert que ceux qui sortaient de petits séminaires ou de familles catholiques fermées. Religieux apparemment sans histoire, il prononce ses vœux simples pour trois ans le 23 septembre 1930 et rejoint immédiatement le studium dominicain de Kain en Belgique. 3. AU SAULCHOIR DE KAIN,

UNE VOCATION NAISSANTE DE MÉDIÉVISTE

Depuis l’expulsion des congrégations catholiques en 1903, les dominicains de la province de France se sont, en effet, réfugiés en Belgique, près de Tournai. Leur maison d’étude s’est installée en 1904 dans une ancienne abbaye cistercienne appelée « Le Saulchoir », un « lieu planté de saules ». Ce nom suivra le déménagement en France près d’Étiolles au Sud de Paris en 1939 et donnera même naissance à un adjectif : « salicétain ». L’ambiance du couvent d’études de Kain est des plus austères comme le montre une réponse du père maître des étudiants, le père Joseph Périnelle (1880-1964), au prieur provincial, le père Jourdain Padé (1876-1938) qui s’est inquiété lors de la visite canonique de l’état de santé et du niveau de fatigue des frères étudiants. Le maître des étudiants reconnaît qu’il faut veiller à la santé des jeunes frères, surtout la génération qui a grandi pendant la première guerre mondiale mais, à ses yeux, cela n’autorise pas à abandonner les observances. On pourra tout au plus, veiller à « une progression plus lente, permettant aux organismes des frères étudiants de mieux s’adapter aux observances »19. D’ailleurs, ajoute-t-il, la règle autorise des dispenses du jeûne pour « les frères âgés de moins de vingt-et-un ans, les anémiés et les pré-tuberculeux ». Outre l’abstinence perpétuelle, les frères sont alors astreints au lever de nuit pour l’office des matines et doivent se donner de temps en temps la discipline. Le père maître se dit tout de même opposé aux pénitences corporelles violentes comme la chaîne de fer (sic), mais estime que les vacances en famille « sont à éviter », car 18 19

Cf. LAUDOUZE 1990 ; PRÉVOTAT 2001. Lettre du père Périnelle au père Padé, provincial de France, 4 août 1928.

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CHAPITRE PREMIER

il y voit un risque de relâchement. On est encore dans l’ambiance quasi monastique qui a dominé la vie des religieux dominicains depuis la restauration de l’Ordre en France par Lacordaire vers 1840. Cette ambiance d’austérité avait été aggravée par la création à Lyon en 1856 d’un couvent de stricte observance, le couvent du Saint-Nom-de-Jésus, qui deviendra une province autonome avec l’appui du Père Alexandre Vincent Jandel, Maître de l’Ordre de 1850 à 1872. Ce souci de la rigueur de la vie religieuse ne dit pas tout du père Joseph Périnelle : ancien élève de l’École des chartes, dont il était sorti major, prix de Rome pour sa thèse de doctorat, il avait été ensuite pensionnaire de l’École française de Rome. Il a donc aussi en estime la vie intellectuelle et ses exigences. L’Ordre dominicain attire alors en France des jeunes de grand calibre intellectuel. Dans sa jeunesse étudiante, le père Périnelle avait été proche du Sillon de Marc Sangnier et de son mouvement laïc militant pour un christianisme démocratique et social. Le fait est important à signaler pour une époque où Maurras et l’Action française semblaient avoir gagné la partie au sein des milieux intellectuels catholiques. Roland de Vaux est donc accompagné dans sa croissance religieuse et humaine par un religieux assez exceptionnel. À la fin de sa vie, le père Périnelle publiera le fruit de ses réflexions dans un ouvrage intitulé « Les voies de Dieu »20. On disait de lui : « il a le don du mot qui transforme une vie »21. Il eut la joie de voir entrer dans la vie dominicaine un de ses neveux, Raymond Tournay, qui sera directeur de l’École biblique de Jérusalem quelques années après Roland de Vaux. De Vaux ne séjourne que trois ans au Saulchoir de Kain, de 1930 à 1933, le temps de prononcer ses vœux solennels : c’est, en effet, un « ancien prêtre » comme on qualifiait alors les religieux ayant déjà fait tout le séminaire jusqu’à l’ordination avant d’entrer dans la vie religieuse. Il était hors de question de lui demander de refaire toute la scolarité d’un jeune religieux. Il peut ainsi approfondir sa formation dans un milieu intellectuel extrêmement stimulant. Tout d’abord, au cours des années trente, les étudiants dominicains sont nombreux : entre soixante-dix et quatre-vingts, selon les années, de quoi faire un milieu propice au débat. Le débat ne manqua certainement pas, car, parmi les frères étudiants ou jeunes prêtres, il y a des personnalités hors pair comme André-Jean Festugière (18981982), ancien élève de l’École normale supérieure, agrégé de lettres et membres des Écoles françaises d’Athènes et de Rome ; Jean de Menasce (1902-1973), un converti du judaïsme proche du milieu intellectuel qui 20 21

Cf. PÉRINELLE 1956. Ut Sint Unum, n° 209, janvier 1965, p. 20.

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se réunit à Meudon autour de Jacques Maritain. Fin connaisseur des langues anciennes, en particulier du pehlevi – le perse moyen, une langue iranienne parlée à l’époque sassanide –, historien des religions, philosophe et théologien, il fera une brillante carrière à Fribourg, à l’École pratique des hautes-études puis aux États-Unis (Harvard et Princeton). De Vaux fera appel à lui quelques années plus tard pour une traduction dans la Bible de Jérusalem ; Augustin Maydieu (1900-1955), futur responsable des éditions du Cerf, est de la même génération : il dirigera La Vie intellectuelle et attirera Maritain, Mauriac, Claudel et des figures de la Résistance comme Edmond Michelet ; il y a aussi Marie-Alain Couturier (1897-1954) qui portera dans l’Église de France le renouveau artistique autour de la revue L’Art sacré, grâce à ses liens personnels avec Matisse, Rouault, Braque, Le Corbusier. Plusieurs de ces jeunes religieux arrivent déjà avec une expérience humaine considérable : on imagine sans peine l’intensité culturelle d’un tel milieu22. Celle-ci est stimulée par une équipe enseignante qui fait preuve elle aussi d’un grand dynamisme intellectuel : la Revue des sciences philosophiques et théologiques, expression du groupe de professeurs du Saulchoir de Kain, a été fondée en 1907 ; le Bulletin thomiste en 1924. La Société thomiste, créée en 1922, a lancé une nouvelle édition de la Somme théologique de Saint Thomas d’Aquin, sous forme de fascicules qui paraissent à partir de 1925 sous le titre La Revue des jeunes. Un renouveau impressionnant du thomisme a lieu, à l’époque, sous l’impulsion d’une brochette d’éminents dominicains : des médiévistes comme Pierre Mandonnet (1858-1936) et Marie-Dominique Chenu (1895-1990) ; des biblistes comme Paul Synave (1888-1937) et Ceslas Spicq (1901-1992) ; des philosophes et des théologiens dont certains vont beaucoup compter dans les années à venir : Yves Congar (1904-1995) en ecclésiologie, Thomas Deman (1899-1954) en théologie morale, Henri-Marie Féret (19041992) en histoire de l’Église, Henri-Dominique Gardeil (1900-1974) en histoire de la philosophie, Vincent Héris (1885-1975) en théologie dogmatique. La plupart des théologiens salicétains sont convaincus que le renouveau de la théologie catholique passe par un retour aux sources et donc une meilleure connaissance de l’histoire plutôt que par une répétition des 22 Plusieurs de ces religieux ont fait l’objet de biographies : André-Jean Festugière : Hellénisme et Christianisme, Cahiers du Saulchoir n° 8, Paris, Cerf, 2001 ; Jean-Michel ROESSLI, « Jean de Menasce (1902-1973), historien des religions, théologien et philosophe », RSPhTh, 101 (2017), p. 611-654 ; Jean-Augustin Maydieu (1900-1955), Mémoire dominicaine, n° II, 1998, 352 p. ; Antoine LION (éd.), Marie-Alain Couturier, un combat pour l’art sacré, Mémoire dominicaine, n° VI, 2005, 223 p. Ils ont aussi fait l’objet de notices biographiques dans le Dictionnaire biographique des frères prêcheurs (en ligne) : Festugière par H.-D. Saffrey, Maydieu par É. Fouilloux, Couturier par F. Caussé.

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CHAPITRE PREMIER

commentateurs de saint Thomas d’Aquin, approche que Marie-Dominique Chenu et Yves Congar, qui en ont souffert, qualifient de « théologie baroque »23. Certes, plusieurs écoles s’y confrontent, y compris des écoles dominicaines, mais le Saulchoir est clairement du côté de ceux qui veulent mieux connaître les influences philosophiques à l’origine de la pensée de Thomas d’Aquin24. Dès la fin du XIXe siècle, Pierre Mandonnet s’était intéressé à quelques adversaires de Thomas d’Aquin, qu’il avait qualifiés d’« Averroïstes latins », et publié un ouvrage remarqué sur leur chef de file, Siger de Brabant25. Fondateur de la chaire d’histoire ecclésiastique à l’Université de Fribourg dont il fut aussi le recteur, Pierre Mandonnet est co-fondateur de la Revue thomiste et un des ténors du Saulchoir de Kain. Il va intéresser le jeune Roland de Vaux à ces sujets, ce qui explique la publication par le futur bibliste de Jérusalem d’un premier article dans la Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques de 1933 sur la première entrée d’Averroès chez les Latins26. Dans un texte substantiel d’une quarantaine de pages, l’auteur examine les premiers manuscrits qui ont permis aux médiévaux d’accéder à certains textes d’Averroès, le philosophe arabe qui devait avoir un grand impact sur la pensée scolastique, en particulier chez Albert le Grand. Dans la mouvance d’Étienne Gilson (1884-1978), un des grands médiévistes de l’époque, les dominicains du Saulchoir ont acquis la conviction que l’étude des sources, y compris des sources arabes, est fondamentale. Marie-Dominique Chenu, recteur des Facultés dominicaines du Saulchoir de 1932 à 1942 et auteur d’ouvrages majeurs comme La théologie comme science au treizième siècle, fera plus tard la théorie de la manière de renouveler la théologie dans un ouvrage de 1937 qui lui vaudra quelques déboires dans les milieux romains : Une école de théologie Le Saulchoir27. L’intuition de l’importance de l’histoire et de l’étude des sources va faire école au-delà des frontières comme le montre la fondation en 1929 par Chenu et Gilson de l’Institute of Mediaeval Studies à l’Université de Toronto au Canada (Saint Michael’s College). Quatre ans plus tard, en 1932, un Institut équivalent d’études médiévales est fondé au Couvent dominicain Saint-Albert de Montréal. Si l’on en croit son condisciple Pierre Benoit, Roland de Vaux semble avoir fait preuve d’aptitudes dans divers domaines (philosophie, théologie, histoire, philologie), ce qui lui ouvre diverses orientations possibles 23 24 25 26 27

Cf. CONGAR 2000. Cf. DONNEAUD 2002. Cf. MANDONNET 1899. Cf. VAUX (de) 1933a. Cf. M.-D. CHENU 1937.

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pour l’avenir. Avant même qu’il n’entre au noviciat, le rencontrant à Paris en juillet 1929, le père Jaussen qui vient d’arriver au Caire et rêve d’y constituer une équipe d’orientalistes, l’imagine bien se consacrant aux études musulmanes. Son article de 1933 sur l’averroïsme latin va faire date pour plusieurs raisons, comme l’expliquent Adriano Oliva et Ruedi Imbach, deux éditeurs des œuvres de l’Aquinate : « L’auteur pose une question très précise : À quel moment et par quelles voies Averroès a-t-il commencé d’être connu dans le monde latin ? et il conclut au terme de son enquête que probablement les premières traductions d’Averroès, dues à Michel Scot, ont été introduites à partir de 1231 et que certainement avant 1230 il n’y a eu “aucune influence d’Averroès sur la pensée chrétienne”28. Ce qui est remarquable dans l’étude du P. de Vaux, ce ne sont cependant pas tant les résultats concrets que la dimension méthodique. L’auteur procède en deux étapes. Dans un premier moment, il analyse les manuscrits des traductions d’Averroès, il s’attarde particulièrement aux deux corpus parisiens (BN 15453 et 14385) ; dans un second moment, il est à la recherche des premières références explicites à Averroès, et dans ce contexte il examine plus longuement la Summa de creaturis d’Albert le Grand. Cet auteur témoigne en 1240 “d’une connaissance déjà étendue et précise de l’œuvre du Commentateur” qu’il aborde d’ailleurs avec bienveillance et intérêt. On peut ajouter que le P. Salman, dans son travail Albert le Grand et l’averroïsme latin, a poursuivi la recherche commencée par de Vaux »29.

L’enquête de Roland de Vaux ne s’arrête pas là comme le montre l’ouvrage qu’il publie chez Vrin en 1934 dans la collection Bibliothèque thomiste que dirige également Mandonnet : Notes et textes sur l’avicennisme latin aux confins des XIIe-XIIIe siècles30. Avicenne a beaucoup séduit les auteurs chrétiens médiévaux, car il complétait d’une certaine manière la pensée aristotélicienne sur deux points essentiels : la cosmogonie et la théodicée. « Mieux encore, ajoute de Vaux, Avicenne avait tenté déjà cet accord entre la raison et la foi qui occupait les scolastiques. Car il était musulman, et donc attaché à une révélation qui en certains points concordait avec le christianisme. Ainsi, non seulement son aristotélisme, mâtiné de néo-platonisme, restituait les notions de création et de providence, mais il laissait une place à des dogmes comme la résurrection des corps ou la peine des damnés […]. Ces caractères devaient rendre l’œuvre du philosophe arabe sympathique aux chrétiens »31.

28 29 30 31

Cf. VAUX (de) 1933a, 242. Cf. IMBACH - OLIVA 2008. Cf. VAUX (de) 1934. Ibid., 10.

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Dans cet ouvrage très fouillé, Roland de Vaux s’emploie à montrer comment la pensée d’Avicenne marque les médiévaux, en particulier Guillaume d’Auvergne, Roger Bacon, le Pseudo-Denys, et comment Albert le Grand et Thomas d’Aquin sont parvenus à en faire la synthèse, en en retenant le meilleur, mais sans tomber dans des erreurs qui furent condamnées par le pape Honorius III. Ouvrage très technique, donc, digne d’un futur médiéviste. Une note liminaire indique que la touche finale de l’édition a été donnée par son confrère Dominique Salman car, dès l’automne, Roland de Vaux part vers d’autres cieux : Jérusalem. En peu d’années, il a déjà montré de quoi il était capable. 4. BIBLISTE, PAR GOÛT ET PAR OBÉISSANCE Il semble que ce soit le fr. Paul Synave, lui-même ancien élève de l’École de Jérusalem et professeur d’exégèse au studium de Kain, qui ait obtenu l’envoi de Roland de Vaux dans la Ville sainte. Y-t-il eu une demande explicite du père Lagrange à un moment où l’École biblique est fragilisée par le départ soudain durant l’été 1931 d’Édouard Dhorme, qui était à la fois directeur de l’École et de la Revue biblique ? On ne le sait pas et la lettre de Lagrange au Maître de l’Ordre d’octobre 1931 évoque plusieurs noms comme possibles futurs membres de l’École (Dumeste, Barrois, Rascol, Festugière) mais pas celui de Roland de Vaux pour devenir professeur d’Ancien Testament ou successeur de Vincent à l’archéologie32. De Vaux, pourtant, s’intéresse déjà à l’orientalisme comme le montre un article assez copieux de vingt-cinq pages portant sur les rapports entre Adonis et Osiris confié à la Revue biblique de janvier 193333. « Il s’y révélait déjà comme un maître dans l’histoire de l’Ancien Orient et l’exégèse de l’Ancien Testament », écrit de lui le P. Raymond Tournay (1912-1999)34. Quelques lettres de Roland de Vaux à son confrère Pierre Benoit laissent deviner comment fut prise la décision de sa venue à Jérusalem. Dès le mois de janvier 1933, sa correspondance manifeste un vif intérêt pour les questions bibliques : il a beaucoup travaillé, dit-il, à une dissertation sur l’histoire du « Reste d’Israël » chez les prophètes.

32 Cf. MONTAGNES 2004, 462-463. Dans la lettre citée, l’arrivée de Pierre Benoit est déjà considérée comme acquise. Selon L-H Vincent, c’est le père Padé, provincial de Paris, qui aurait décidé au cours de l’été 1932 l’envoi de Roland de Vaux. Cf. L.- H. VINCENT 2013, 553. 33 Cf. VAUX (de) 1933b. 34 Cf. TOURNAY 1972.

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« Tout s’est passé honorablement. Maintenant, pour me reposer, je reviens aux éléments fondamentaux : je fais du grec et je lis Platon ; je fais de l’hébreu, les Psaumes avec les commentaires de Duhm ; je fais de l’allemand. Je lis ou relis quelques ouvrages de méthode de Lagrange, Schmidt, Pinard de la Boullaye […]. Je voudrais bien aussi me faire les idées claires – aussi claires que possible – sur l’objet formel et les méthodes de la théologie biblique. C’est elle qui doit faire le point entre l’exégèse et la théologie, et elle pourrait être le terrain de rencontre entre exégètes et théologiens »35.

Quatre mois plus tard, sa correspondance manifeste que, s’il est destiné à cette voie, une vie de savant l’attend plus qu’une vie apostolique classique : « J’ai fait un peu de ministère avec la joie que vous devinez. J’ai senti combien cela est prenant et tout ce dont je serai probablement privé […]. Mais il faut que chacun ait sa tâche où Dieu le veut et s’y donne de tout cœur »36.

À peine a-t-il remis au père Chenu son gros article destiné à la Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques sur « la première entrée d’Averroès chez les Latins » qu’il en annonce un autre mais il tient, dans le même souffle, à rassurer Pierre Benoit : « Ne vous effrayez pas trop de me voir ainsi infidèle à l’Écriture Sainte : ce sont d’anciennes notes que je rédige ne pereant, c’est en somme une liquidation. Je cède mes fonds, et je ne ferai plus après que de l’exégèse ». De fait, à Pâques 1933, il remet à la Revue biblique un article d’une douzaine de pages sur « Le “Reste d’Israël” d’après les prophètes », article qui sera publié en octobre de la même année37. Sans être encore en rien assuré de l’avenir auquel le destinent ses supérieurs, sa seule certitude est qu’on le spécialisera en Écriture sainte. « Mais où, mais quand ? […]. Peu importe. Il suffit de travailler humblement au jour le jour, tout en gardant un appétit bien aiguisé. Avoir une grande ambition humble. C’est la seule attitude possible lorsque vraiment on travaille pour Dieu »38.

Une telle disponibilité était probablement assez courante chez les jeunes religieux de l’époque. Il reste que la belle formule « avoir une grande ambition humble » mérite d’être soulignée. Ses dons intellectuels évidents auraient déjà pu faire naître en lui quelque ambition. Ce n’est pas le cas. 35 Lettre de Roland de Vaux à Pierre Benoit, 31 janvier 1933, Archives du Couvent Saint-Étienne. 36 Lettre de Roland de Vaux à Pierre Benoit, 26 avril 1933, Archives du Couvent SaintÉtienne. 37 Cf. VAUX (de) 1933c. 38 Lettre de Roland de Vaux à Pierre Benoit, 26 avril 1933.

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CHAPITRE PREMIER

En réalité, il semble que dès juin 1932, le régent du Saulchoir, MarieDominique Chenu, avait donné son accord pour la venue immédiate de Pierre Benoit et celle, un an plus tard, de Roland de Vaux39. En septembre 1933 Roland de Vaux est en mesure d’annoncer à Pierre Benoit son assignation définitive au Couvent Saint-Étienne de Jérusalem. Les choses ont probablement été décidées au cours de l’été, comme le laisse deviner une lettre du père Vincent (1872-1960) au père Savignac (1874-1951) en date du 26 août. La décision ultime de son assignation à Jérusalem par le Maître de l’Ordre qui a juridiction sur les frères du couvent Saint-Étienne n’a guère plu au prieur provincial de la province de France qui aurait volontiers gardé ce religieux prometteur : « J’ai retenu hier ma place pour le départ du 27 octobre, en 2ème classe intermédiaire sur le Mariette Pacha, ainsi que celles des Pères de Vaux et Humeau (de Lyon) qui partiront avec moi sauf catastrophe, écrit Vincent […]. De Vaux sera pour l’École et le couvent une excellente recrue […]. Ici le P. Provincial n’a pas été très satisfait de la manière dont on a procédé pour lui souffler le P. de Vaux sans le consulter et presque sans l’avertir »40.

« Je me donne tout entier à cette tâche où m’appelle l’obéissance », commente de Vaux dans une lettre à Pierre Benoit. « Je suis très heureux, tout en regrettant beaucoup (souligné par R. de Vaux) le Saulchoir, où le milieu est vraiment exceptionnel »41. Ses débuts comme médiéviste auraient pu, en effet, lui ouvrir une belle carrière semblable à celle de tel ou tel autre de ses aînés ou confrères qui, comme André Festugière ou Jean de Menasce, enseigneront à l’École pratique des Hautes-Études ou à la Sorbonne. Et on comprend la frustration du prieur provincial qui tenait là un futur régent des études, par exemple. Il sera donc bibliste, par goût de l’Écriture et par obéissance. Le début d’automne 1933 est pour lui un mois chargé : il doit passer son examen de lectorat qui clôt le cycle des études dans un studium dominicain, faire sa profession solennelle le 23 septembre et passer début octobre l’examen de confession, requis de tout religieux prêtre en début de ministère. Tout cela avant de rejoindre Jérusalem courant octobre, où il doit arriver avant le début des cours. Sa brève carrière de médiéviste a montré qu’il avait de l’étoffe. L’avenir ne démentira pas ces belles promesses. Dans une note du 22 septembre 1933, veille de sa profession solennelle, Roland de Vaux qui s’épanche 39

Cf. VINCENT 2013, 552-553 Lettre du père Vincent à Raphaël Savignac, 20 septembre 1933. Archives du Couvent Saint-Étienne. 41 Lettre de Roland de Vaux à Pierre Benoit, 4 septembre 1933, Archives du Couvent Saint-Étienne. 40

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fort peu écrit : « Il n’y a pas à me demander comment concilier vie d’études et apostolat. Une vie d’études comme celle-là est un apostolat splendide. Ce sera mon apostolat. Et, comme on ne fait pas plusieurs choses à la fois, ce sera mon seul apostolat. Une fois engagé, je devrai me donner à fond et sacrifier tout le reste, en particulier mes désirs d’un ministère plus concret. Cependant, je devrai me réserver – et ce sera toujours possible – un minimum de contacts apostoliques, pour ne pas perdre le goût des âmes et garder mon équilibre. Mais, ce minimum étant assuré, me refuser à tout entraînement. Ce pourra être crucifiant, mais il le faut – pour la fécondité même de ma vie apostolique »42. Voilà son état d’esprit. 5. 1933 : À

LA DÉCOUVERTE DE LA

TERRE

SAINTE

Roland de Vaux arrive à Jérusalem à la fin de l’été 1933. Il a trente ans, est tout juste profès solennel. Il restera à Jérusalem jusqu’à sa mort, trente-huit ans plus tard. Il a été précédé, un an plus tôt, par Pierre Benoit (1906-1987), entré dans l’Ordre dominicain cinq ans avant lui, et qui a été ordonné prêtre en 1930. Ces sont deux précieuses recrues, comme l’écrit le père Lagrange au prieur provincial Jourdain Padé : « Les Pères Benoit et de Vaux sont des éléments très précieux, l’un pour le Nouveau Testament, l’autre pour l’Ancien, qui pourront remplacer l’ancienne équipe à bout de souffle, surtout en ma personne43. Quand le bon Dieu m’appellera à lui, j’aurai la consolation de penser que de jeunes forces continueront l’œuvre, et c’est une grande dette de reconnaissance que le couvent de Saint-Étienne contractera envers vous ». Le prieur du couvent SaintÉtienne, Bertrand Carrière (1883-1957), s’apprête à finir son mandat et à rejoindre le Caire comme supérieur de la nouvelle maison dominicaine construite par le père Antonin Jaussen. Un nouveau prieur, Vincent Hermel (1875-1962) est élu en décembre 1934. De Vaux arrive pour prendre un relais alors que le fondateur s’apprête à se retirer. 42

Ibid. Le P. Marie-Joseph Lagrange (1855-1938) était arrivé à Jérusalem en 1890 après des études de philosophie et de théologie à Salamanque et une spécialisation en langues sémitiques à Vienne en Autriche. Il ouvre immédiatement l’École biblique de Jérusalem où il va vivre jusqu’en 1935, bâtissant une équipe de professeurs, définissant une méthode d’étude critique de la Bible qui honore à la fois les exigences des sciences modernes et la fidélité au Magistère de l’Église. Considéré comme un des fondateurs de l’exégèse catholique moderne, il laisse une œuvre considérable ainsi que le témoignage d’une vie religieuse exemplaire. Sa cause de béatification a été ouverte en 1986. Cf. MONTAGNES 2004. 43

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CHAPITRE PREMIER

L’École biblique a déjà quarante-trois ans d’existence. Fondée en 1890 comme École pratique d’études bibliques, sur le modèle de l’École pratique des hautes études, elle avait reçu pour mission d’affronter les défis considérables que les progrès des sciences modernes (archéologie, histoire, linguistique) adressaient à la foi chrétienne, progrès qui avaient conduit certains intellectuels chrétiens comme Loisy à s’en détourner. Le liminaire du premier numéro de la Revue biblique fondée en 1892 résume le propos en peu de mots : il entend solliciter toutes les sciences qui peuvent aider à une meilleure intelligence du texte sacré, respectant l’autonomie méthodologique de ces disciples, convaincu que « rien de cela ne doit inspirer de crainte à l’homme de la vérité catholique »44. À sa sortie du studium dominicain de Salamanque, le père Lagrange s’était préparé à cette grande œuvre en se formant à Vienne en Autriche auprès des meilleurs maîtres45. Installé à Jérusalem en 1890, il parvint vite à réunir autour de lui une équipe de savants dominicains désireux comme lui de mieux comprendre le texte sacré en le situant dans son contexte et en le relisant avec les outils critiques modernes. Dans son discours d’inauguration de l’École le 15 novembre 1890, Lagrange estime à propos de la Bible : « on ne peut la connaître sans se placer dans son atmosphère, sans consulter à la fois l’hébreu et les autres langues bibliques sémitiques, les monuments et les mœurs de la Terre sainte »46. « Une École où l’on pratiquerait inlassablement d’une part l’analyse des textes par la critique (critique textuelle et critique littéraire des écrits, critique historique des récits), d’autre part la confrontation des textes et du terrain (géographie, archéologie, épigraphie, ethnologie). Tel est le programme, dès le premier jour, annoncé par la dénomination d’École biblique, et que confirme le P. Lagrange, au bout de deux ans, au Maître de l’Ordre », résume son biographe47. On reste aujourd’hui émerveillé par la qualité de l’équipe de spécialistes que Lagrange a réunis autour de lui en peu d’années : Antonin Jaussen (1871-1962), arrivé comme lui en 1890, va s’illustrer en ethnographie et en anthropologie des sociétés sémitiques. En 1908, il publie Coutumes des Arabes au pays de Moab, un ouvrage dont l’ambition est de faire découvrir le milieu humain et culturel des peuples sémitiques48. Louis-Hugues 44

Revue biblique, 1 (1892), 14. Il suit ainsi les cours d’égyptien hiéroglyphique et hiératique du professeur Reinisch, ceux d’arabe et d’assyrien du professeur David-Heinrich Müller qui l’initie aussi à l’exégèse rabbinique et à la Michna. 46 Cf. M. J. LAGRANGE, « Discours prononcé le 15 novembre 1890 pour l’inauguration de l’École biblique », L’Écriture en Église, Paris, Cerf, 1990, p. 111. 47 Cf. MONTAGNES 2004, 76. 48 Cf. JAUSSEN 1908. 45

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Vincent (1872-1960) les rejoint en 1891 et va s’occuper d’archéologie palestinienne. Ses ouvrages sur Jérusalem, cosignés avec Félix-Marie Abel (1878-1963), sont vite les ouvrages de référence sur la Ville sainte49. Raphaël Savignac (1874-1951), épigraphiste, arrive en 1893. Il accompagnera Antonin Jaussen dans trois campagnes d’exploration archéologique de l’Arabie du Nord avant la première guerre mondiale50. Félix-Marie Abel, arrivé en 1893, s’intéresse à l’histoire mais aussi à la géographie de la Palestine51. Paul-Édouard Dhorme (1881-1966) complète l’équipe en 1899 et sera un assyriologue de renom52. En moins de dix ans, une équipe de savants est à pied d’œuvre et va vite montrer de quoi elle est capable. Outre leurs tâches d’enseignement, les premiers professeurs de l’École vont sillonner les pays de la Bible, relevant ici une inscription, faisant là une carte, ailleurs la photographie d’un monument. Avec leur appui, une nouvelle méthode de lecture du texte sacré se fait jour que Lagrange expose dans un ouvrage de 1903 : La méthode historique, surtout à propos de l’Ancien Testament53. Lagrange est, bien entendu, l’inspirateur et c’est sur lui que vont retomber suspicion et critiques. S’étant vite attaqué à la difficile question de l’historicité du Pentateuque, il est l’objet de dénonciations, de mises en garde, voit certains de ses articles refusés par les censeurs romains et se voit finalement interdire de publier en 1905 un Commentaire de la Genèse qui devait ouvrir la collection Études bibliques de l’École. Il se met dès lors à préparer des commentaires des Évangiles qu’il aura aussi bien du mal à faire accepter par les autorités romaines, effrayées de voir se répondre dans l’Église catholique le péril moderniste qui avait valu à Alfred Loisy d’être révoqué de son enseignement à l’Institut catholique de Paris en 1899. Lagrange tint bon, obéissant, mais poursuivit son œuvre : ses Études sur les religions sémitiques sortent en 1903 ainsi qu’un ouvrage sur le Livre des Juges, son commentaire de l’Évangile de saint Marc en 1911. Malgré la mobilisation de la plupart des professeurs durant la première guerre mondiale, il parvient à maintenir depuis Paris, où il réside, la parution de la Revue biblique. Après-guerre, outre d’innombrables articles d’érudition, sortiront ses trois autres commentaires du Nouveau Testament : Saint Luc en 1921, Saint Matthieu en 1923 et Saint Jean en 1925 (chaque Cf. VINCENT - ABEL 1912-1914-1922-1926. Cf. JAUSSEN-SAVIGNAC 1909-1914-1922. 51 Cf. ABEL 1933 et 1938. 52 Les publications d’Édouard Dhorme portent, entre autres, sur les religions de Babylonie et d’Assyrie. Sa bibliographie a été établie par Agnès SPYCKET. CF. SPYCKET 1997. 53 Cf. LAGRANGE 1903 ; Voir aussi REFOULÉ 1992. 49 50

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volume fait entre 550 et 600 pages), ses Commentaires des épîtres de Saint Paul (Romains en 1916, Galates en 1918) et une synthèse L’Évangile de Jésus-Christ en 1928 54. Bref, une œuvre considérable, surtout si l’on se souvient qu’il a aussi en charge la direction de l’École et bien des soucis à gérer. Les autres professeurs ne sont pas en reste : on a cité plus haut quelquesuns de leurs premiers ouvrages. D’autres suivront, variés : Les livres de Samuel de Dhorme (1910), une Grammaire du grec biblique du père Abel (1927), Naplouse et son district, de Jaussen (1927), etc. Il est clair que Roland de Vaux, entré au Saulchoir de Kain en 1930, n’a pu qu’être fasciné par la vitalité de l’École biblique qui, depuis octobre 1920, a ajouté à son titre le nom d’École archéologique française, la France ayant souhaité, par le biais de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, s’adjoindre pour son travail archéologique en Palestine le concours d’une équipe aussi prestigieuse55. « C’est un très grand succès, et que je n’aurais pas espéré au début », avoue son fondateur, qui ajoute qu’il aimerait avoir la même considération de la part de l’Église, « étant avant tout fils de l’Église »56. 6. UNE ARRIVÉE DANS UN CONTEXTE DE CRISE L’arrivée de Roland de Vaux en 1933 est d’autant bienvenue que le père Lagrange sort à peine d’une terrible épreuve qu’il qualifie lui-même de « meurtrissure inguérissable »57. Certes, du renfort est déjà arrivé pour soutenir la première génération vieillissante : Bernard Couroyer (19001993)58 en 1928, Louis Dumeste (1892-1959) en 1931 et Pierre Benoit en 1932. C’est un renfort dont le père Lagrange mesure le prix59. Mais ces 54 Une première bibliographie sommaire de Lagrange est publiée par L.-H. VINCENT au lendemain de sa mort : « Essai d’une bibliographie sommaire du père Lagrange », Mémorial Lagrange, Paris, Gabalda, 1940, p. 1-11. 55 Cf. TRIMBUR, 2002a. 56 Cf. MONTAGNES 2004, 396. 57 Cf. MONTAGNES 2004, 439-447. 58 Bernard Couroyer était arrivé à l’École biblique en 1928 après de solides études en lettres classiques et modernes. Appelé par Lagrange pour se spécialiser en assyriologie, on l’oriente vers l’égyptologie, qui le conduira à enseigner pendant près de quarante ans diverses langues orientales (hébreu, arabe, copte, égyptien) et à se consacrer à l’étude des rapports du récit biblique avec la civilisation égyptienne. Membre de la Palestine Oriental Society de Jérusalem, il en est élu président en 1938. Très minutieux dans ses travaux, il tente, en fin de parcours, une synthèse sur la question du monothéisme égyptien : Cf. COUROYER 1987-1988. Son parcours est évoqué dans SIGRIST 1997. 59 Prenant congé en raison de son âge, en 1935, de l’Académie des Inscriptions et BellesLettres dont il est correspondant, le père Lagrange écrit : « J’ose recommander l’École à la

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jeunes recrues ne peuvent faire oublier la décision d’Édouard Dhorme, annoncée au cours de l’été 1931, de quitter l’état religieux, alors même qu’il était directeur de l’École biblique, directeur de la Revue biblique et ancien prieur du couvent. La nouvelle est dramatique, car Lagrange le considérait comme son successeur naturel, même s’il avait noté que l’orientalisme prenait peu à peu le pas chez ce religieux sur les études bibliques, faisant ainsi dévier la vocation première de l’École. Les archives du Quai d’Orsay montrent le poids que Dhorme avait à Paris dans les milieux intellectuels et politiques, ce qui était précieux à un moment où la France venait de faire de l’École biblique et archéologique de SaintÉtienne un des éléments clefs de sa présence culturelle en Palestine. En fait, la sécheresse du travail scientifique, l’isolement humain et la faible activité apostolique directe à Jérusalem ont eu raison de sa vocation religieuse, comme il l’écrit avec honnêteté au Maître de l’Ordre en juillet 193160. Assyriologue de renom, Dhorme poursuivra, d’ailleurs, sa carrière académique de belle manière à l’École pratique des Hautes Études (19331951) et au Collège de France (1945-1951) et mourra en 1966 réconcilié avec l’Église. Mais pour Lagrange, quel choc ! « On dirait que j’ai bien mal réussi avec ceux pour lesquels je me suis donné le plus de peine, avec le plus d’espérance », avoue-t-il à un confrère61. Âgé de soixante-seize ans, il doit reprendre pour un temps la direction d’une École biblique très ébranlée. L’équipe des fondateurs a pris de l’âge : Louis-Hugues Vincent, archéologue réputé, a soixante-et-un ans ; Raphaël Savignac, épigraphiste, en a cinquante-neuf ; Félix-Marie Abel, auteur d’une Histoire et d’une Géographie de la Palestine, a cinquante-cinq ans. Antonin Jaussen, auteur d’importants travaux d’ethnographie et d’exploration archéologique, est déjà parti pour le Caire en 1927 fonder la maison dominicaine filiale du couvent Saint-Étienne de Jérusalem. La première génération a énormément travaillé ; elle a essuyé des tempêtes, surtout autour de la crise moderniste. Il est urgent pour l’École biblique de trouver un nouveau souffle. sollicitude de l’Académie : de nouveaux éléments entrés chez nous donnent la meilleure espérance que notre École ne s’en rendra pas indigne », Lettre du père Lagrange au Secrétaire perpétuel de l’AIBL, 4 octobre 1935. 60 « La crise dans laquelle je me trouve ne date pas d’hier, écrit-il au Maître de l’Ordre Gillet. Elle remonte à plusieurs années. J’ai senti se désagréger peu à peu la foi de ma jeunesse et je n’avais plus que les dehors de la vie religieuse […]. Seules l’étude et la recherche scientifique, soutenues par une ambition toute mondaine, me retenaient dans le monde où j’ai toujours vécu », Lettre au P. Gillet, 26 juillet 1931. Le journal intime du père Benoit fait état des interrogations assez radicales de Dhorme qui « dès 1911, dans une promenade, […] déclara au père Boulanger qu’il ne pouvait plus croire à la Résurrection du Christ » (Journal, 11 juin 1937, Archives Saint-Étienne). 61 Cf. M.-J. LAGRANGE, Lettre à B. Allo, 17 février 1934. AGOP.

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CHAPITRE PREMIER

Évoquant son arrivée à Jérusalem, de Vaux ne cache pas la forte impression que lui fit le père Lagrange, aux plans humain, intellectuel et religieux : « Je vis ce grand vieillard, un peu voûté, aux gestes distingués, cette figure de médaille, burinée par l’âge et le labeur, où les ombres du visage soulignaient le front magnifique, et surtout ces yeux, vifs, intelligents, et si jeunes ! Un regard qui prend possession de son objet, qui le scrute à fond, en toute sympathie, mais qui aussi, par sa profondeur sereine, est une fenêtre ouverte sur une âme pacifiée. Je fus saisi et conquis. J’avais admiré le savant dans ses livres, j’avais perçu, à travers les brindilles d’une exacte érudition, la flamme d’une âme religieuse, j’aimai l’homme. Ce qu’il y a de plus notable, sans doute, chez le P. Lagrange, c’est qu’il fut complet. À une époque de spécialisation, où dans le domaine même des études scripturaires chacun cultive son arpent de terre, il explora tout »62. Le père Vincent confirme dans l’ouvrage écrit à la mémoire de son maître que pour Lagrange l’arrivée de Roland de Vaux fut une véritable consolation : « Au début de l’automne, le P. Lagrange eut la joie de voir arriver le P. Roland de Vaux, brillant sujet que le provincial de France et le régent des études du Saulchoir cédaient à l’École biblique avec la plus généreuse sympathie. Peu de semaines suffirent à confirmer les espérances qu’il avait fondées sur cette force jeune pour l’avenir de son œuvre, au double point de vue scientifique et religieux, et qui se sont si parfaitement réalisées. Il avait désormais l’entière confiance qu’avec le P. de Vaux tout ce qui concerne l’Ancien Testament serait bientôt en très bonnes mains, tandis que s’affirmait déjà l’exceptionnelle compétence du P. Benoit dans les études néotestamentaires […]. De rassurantes perspectives s’ouvraient : le flambeau ne s’éteindrait pas entre les mains défaillantes des vétérans »63. Arrivé à Jérusalem à la fin de l’été 1933, son nom est aussitôt cité dans la chronique conventuelle parmi les participants des étudiants et jeunes pères aux excursions et caravanes bibliques : 5 février 1934 au Wadi Qelt, 3 mai 1934 à Pétra avec les PP. Couroyer, Dumeste et le Consul général de France ; en octobre 1934, il fait partie de la « caravane de Syrie », une expédition de quinze jours conduite par le père Dumeste. En janvier 1935, il part explorer le village de Kefr ‘Aqab et la ruine de Kefr Ṭâs avec les PP. Abel, Couroyer et Benoit. La vocation à l’archéologie semble donc avoir vite pointé. En attendant de s’y consacrer, il doit, néanmoins, préparer les examens de la Commission biblique, point de passage obligé pour qui veut être professeur d’Écriture sainte dans l’Église catholique. 62 63

Cf. VAUX (de) 1938b. Repris dans R. de VAUX, Bible et Orient, Cerf, 1967, p. 18. Cf. VINCENT 2013, 565.

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Pierre Benoit l’a devancé, passant sa licence biblique à Rome avec mention en novembre 1934. 7. PRÉPARATION

DE LA LICENCE BIBLIQUE

Depuis la crise moderniste, l’enseignement de la Bible fait l’objet d’un contrôle strict de la part du Saint-Siège. Pour ce faire, le pape Léon XIII, auteur de l’encyclique Providentissimus Deus (1893) consacrée à la recherche biblique, avait créé en 1902 la Commission biblique pontificale, avec trois objectifs : promouvoir les études bibliques parmi les catholiques, s’opposer de manière scientifique aux idées erronées en matière biblique et, enfin, conseiller le Magistère de l’Église dans l’interprétation du texte sacré. Pendant plusieurs décennies, c’est surtout le second objectif qui va dominer : contrôler, voire réprimer, quitte à ignorer les acquis scientifiques. Ainsi, en 1906, la Commission réaffirme l’authenticité mosaïque du Pentateuque, alors même que divers travaux, dont ceux de Lagrange, remettent déjà sérieusement la thèse en cause64. Bien qu’il ait été nommé Consulteur de cette Commission biblique pontificale en 1903, Lagrange est un de ceux que le Magistère surveille le plus, faisant figure de « chef de l’école critique modérée », selon le mot de Bernard Montagnes65. Le rôle de contrôle explique que seule la Commission biblique pontificale soit habilitée à délivrer la licence en Écriture sainte. Un Institut biblique pontifical, confié aux jésuites, a été créé à Rome en 1909 pour préparer les étudiants à la licence en Écriture sainte, mais il fallut attendre 1928 pour qu’il soit habilité à donner le doctorat en sciences bibliques montrant, selon Maurice Gilbert, à quel point le domaine était sous stricte surveillance66. C’est avec l’encyclique de Pie XII Divino Afflante Spiritu (1943) puis la Constitution dogmatique Dei Verbum de Vatican II (1965) 64

Cf. LAGRANGE 1898a. Lagrange ne put cacher son soulagement lorsqu’il constata que les thèses de la Revue biblique ne faisaient pas partie des soixante-cinq propositions dignes d’être « réprouvées et proscrites » selon le décret Lamentabili sane exitu de Pie X (1907). Cf. REFOULÉ 1992. 66 L’histoire de l’Institut biblique pontifical a été décrite dans le détail par Maurice GILBERT, L’Institut biblique pontifical, Un siècle d’histoire (1909-2009), Rome, Editrice Pontificio Istituto Biblico, 2009, 488 p. C’est le jésuite allemand Leopold Fonck (18651930), grand adversaire de Lagrange, qui en fut le premier directeur de 1909 à 1929. En 1927, une succursale fut créée à Jérusalem en partie pour contrer l’œuvre du père Lagrange. Le Saint-Siège ne permettra pas, néanmoins, que des enseignements y soient dispensés. Certains jésuites comme le Père Jean Levie, professeur d’exégèse du Nouveau Testament au scolasticat jésuite de Louvain et directeur de 1926 à 1956 de la Nouvelle revue théologique, s’efforcèrent de réhabiliter l’image de Lagrange. Cf. Bernard JOASSART, sj, « Le Père Lagrange vu par le Père Jean Levie, directeur de la Nouvelle revue théologique », NRT, 143 (2021), 652-662. 65

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CHAPITRE PREMIER

sur la Révélation que l’Église catholique reconnaît seulement, sans réserve majeure, l’utilisation des méthodes historiques et critiques dans la recherche biblique. La ligne officielle de l’École biblique de Jérusalem a toujours été la fidélité au Magistère, malgré les tensions suscitées entre la doctrine et les acquis de la recherche67. Lorsque Roland de Vaux arrive à Jérusalem, il trouve des conditions idéales pour se préparer aux examens de la Commission biblique : une excellente bibliothèque, des professeurs chevronnés, du calme pour travailler, un climat de vie religieuse peu propice aux distractions. Le programme des cours annoncé chaque année dans le numéro de juillet de la Revue biblique précise à un moment donné que « la préparation de la licence devant la Commission biblique est assurée en deux années par des répétitions spéciales qui complètent les cours ordinaires ». Roland de Vaux peut donc lui aussi bénéficier du soutien de ses aînés. Le climat romain a-t-il déjà un peu changé pour cet examen ? Oui et non. Certes, les biblistes des Universités pontificales font passer les examens ; surtout, l’élection du pape Pie XI en 1932 a mis à la tête de l’Église catholique déjà un érudit, Ambrogio Ratti (1857-1939). Ancien directeur de la Bibliothèque ambrosienne de Milan, poste où il s’est illustré, Pie XI comprend l’importance de lieux de vitalité intellectuelle au sein de l’Église. En réalité, le programme de la licence biblique est resté inchangé depuis 1911. Six matières sont au programme de l’examen : les langues bibliques (grec, hébreu) ; un examen d’exégèse dans lequel l’étudiant est invité à faire l’analyse philologique d’une péricope et à en donner l’interprétation doctrinale ; une dissertation en histoire biblique sur un des douze sujets mis au programme (l’histoire d’Abraham, Moïse et l’exode des Hébreux, Nabuchodonosor et l’exil à Babylone, l’institution des Rois d’Israël, etc.) ; un examen d’introduction générale (le Pentateuque, les psaumes, la Sagesse, etc.) et un examen d’introduction spéciale sur un des livres de l’Ancien ou du Nouveau Testament (authenticité, datation, etc.). Les acquis scientifiques n’ont pas encore ébranlé le système. L’ambiance reste solennelle, comme le montrent les notes du père Benoit qui a passé l’examen un an plus tôt, en novembre 1934 : l’écrit a lieu dans le Palais du SaintOffice, l’oral dans le cadre solennel de la Sala dei Paramenti. Benoit relève que « les figures des examinateurs s’éclairent dès que je peux alléguer avec quelque précision un document ecclésiastique : c’est ce qu’ils désirent (souligné par l’auteur) ». Au cours de l’oral, le père Bea, jésuite, 67 Cette fidélité est clairement affirmée dans la Revue biblique en 1894, après l’encyclique Providentissimus Deus, et à nouveau en 1951 à l’occasion d’une Instruction de la Commission biblique pontificale sur l’enseignement de la sainte Écriture. Cf. RB 3 (1894), 29 et 58 (1951), 92-93.

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alors recteur de l’Institut biblique pontifical, l’interroge sur des points de détail en histoire : à quelle satrapie se rattachait la Palestine ? Où habitait le satrape ? « Érudition de détail. Cela me confirme sur son esprit : pas très intelligent, mais d’une érudition soignée et consciencieuse. Je m’en tire honorablement », conclut Benoit68. Grâce aux archives de la Commission biblique, on sait que, début juin 1935, Roland de Vaux réussit l’examen avec mention, obtenant 178 points sur 200, exactement la même note que le P. Benoit un an auparavant69. Son excellente note en histoire biblique (18/20) laissait-elle déjà présager une vocation d’historien ? Si le programme de la licence biblique est toujours celui de 1911, les idées sur la Bible en juin 1935 ont commencé à changer parmi les chercheurs, comme le montre, par exemple, l’article du jésuite Jean Levie, publié en 1929 : « La crise de l’Ancien Testament. Soixante années d’études bibliques »70. En revanche, si l’on en croit les observations du P. Benoit un an plus tôt, les autorités romaines restent sourcilleuses sur les questions d’authenticité, d’historicité et d’inspiration. Diplôme obtenu, Roland de Vaux reste quelque temps en Europe. Il a droit à une audience privée du pape pendant vingt-cinq minutes et décide de ne rentrer à Jérusalem qu’après le Congrès d’Histoire des religions qui a lieu à Bruxelles à la mi-septembre. Du travail l’attend déjà à Jérusalem : alors qu’il était encore en train de préparer l’examen de la Commission biblique, Roland de Vaux avait été nommé sous-bibliothécaire en février 1935. La bibliothèque est une pièce maîtresse de l’École, l’outil de travail indispensable pour les chercheurs résidents et de passage. C’est dire que le temps des responsabilités ne va pas tarder pour lui. Rentré à Jérusalem le 29 septembre 1935, il est nommé, un mois plus tard, secrétaire du directeur, le père Savignac. « Évidemment pour le préparer à la succession. On ne pouvait mieux choisir », commente son confrère Pierre Benoit dans une remarque qui laisse à penser que déjà se profilait une personnalité d’exception71. Le père Lagrange a quitté Jérusalem définitivement le 6 octobre, en la vigile de la fête de Notre-Dame du Rosaire. 68

Cf. Pierre BENOIT, Journal intime, 21 novembre 1934, Archives du Couvent SaintÉtienne. 69 Une année plus tôt, son confrère dominicain piémontais Joseph Girotti, élève de l’École biblique d’octobre 1932 à octobre 1934, avait passé le même examen, non sans mal, les examinateurs l’ayant recalé à la première session. Il mourut à Dachau en 1945 et a été béatifié en avril 2014. 70 Cf. LEVIE 1929. 71 Cf. Pierre BENOIT, Journal intime, 29 octobre 1935, Archives du Couvent Saint-Étienne. Un an plus tard, Roland de Vaux a été également nommé vice-économe et vice-maître des frères convers.

CHAPITRE DEUXIÈME

À PIED D’ŒUVRE À JÉRUSALEM 1935-1945 « J’avais tant aimé le livre et maintenant je contemplais le pays ! Aucun doute ne subsista dans mon esprit sur l’opportunité de pratiquer les études bibliques en Palestine ». Marie-Joseph Lagrange1

1. ARCHÉOLOGIE ET HISTOIRE DU PROCHE-ORIENT ANCIEN : UNE ORIENTATION S’ANNONCE Avant même d’avoir passé l’examen de la licence biblique à l’automne 1935, Roland de Vaux se voit confier un enseignement à l’École biblique. La Revue biblique d’octobre 1934 annonce déjà trois cours hebdomadaires : Archéologie (Institutions de l’Ancien Testament. Lieux de culte), Histoire ancienne de l’Orient (Époque assyrienne jusqu’à Cyrus) et langue assyro-babylonienne. Dans les deux premières matières, les sujets vont varier selon les années. En Histoire ancienne de l’Orient, qui va devenir son domaine de prédilection, il procède par périodes : De la prise de Jérusalem à la conquête d’Alexandre (1935-1936) ; Des origines à la période des Juges (1936-1937) ; La période des Juges et de la monarchie unitaire (1937-1938) ; La période royale (1938-1939 et 19391940). Parallèlement, il commence un cours d’archéologie portant sur les institutions familiales, puis les institutions civiles, militaires et religieuses des Hébreux. On le voit donc parcourir au fil des années les périodes et les sujets de ses publications futures. Il donne également un cours de langue assyro-babylonienne. 2. UN

MILIEU INTELLECTUEL PORTEUR

En lisant la chronique conventuelle, on est d’abord frappé de voir la solidité des bases posées par la première génération des dominicains de 1

Cf. MONTAGNES 2004, 65.

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Jérusalem. Trois représentants au moins de la génération des fondateurs continuent à beaucoup compter après le départ de Lagrange en octobre 1935 : Félix-Marie Abel, Raphaël Savignac et Louis-Hugues Vincent2. Ce dernier est pressenti en décembre 1935 pour devenir président de la Palestine Oriental Society, mais il décline l’offre. En juillet 1938, il recevra le prix Clermont-Ganneau de l’Académie des Inscriptions et BellesLettres pour l’ensemble de ses travaux, en particulier son ouvrage sur Jérusalem. Diverses académies et sociétés savantes prestigieuses comme le Deutsches Archäologisches Institut de Berlin, la British Academy de Londres et la Society of Biblical Literature l’ont accueilli en leur sein. Le père Abel, lui, est membre depuis 1929 de l’Archaeological Advisory Board qui supervise l’activité archéologique de la Palestine sous mandat britannique3. L’École biblique reçoit régulièrement la visite de personnalités scientifiques ou politiques : l’islamologue Louis Massignon, le politologue André Siegfried, Lankester Harding, directeur du Service des Antiquités de Transjordanie, Ernest Richmond et Robert Hamilton, directeurs successifs du Service des Antiquités de Palestine, Henri Seyrig, directeur du Service des Antiquités de Syrie, Maurice Dunand, directeur du Service des Antiquités pour le Liban et la Syrie, Jean Lauffray, conservateur du musée d’Alep, l’égyptologue Pierre Jouguet, directeur de 2 Louis-Hugues Vincent (1872-1960) fait partie de la première génération de l’École biblique où il passera toute sa vie à Jérusalem. Son parcours est typique de la première génération qui se passionne pour l’exploration et la découverte des pays de la Bible. Très vite chargé du cours d’archéologie, qu’il donnait sans notes, tellement il était familier avec le terrain (« Il avait tout lu, tout vu et toute retenu », dit de lui la Lettre de Jérusalem de janvier 1961, après sa mort). En 1907, il publie Canaan d’après l’exploration récente (Paris, Gabalda, 495 p.). Il va ensuite étudier les grands sanctuaires et laisser des livres de références sur Bethléem (1914), Hébron (1923), Emmaüs (1932), mais il sera surtout célèbre pour ses ouvrages sur Jérusalem, Jérusalem, recherches de topographie, d’archéologie et d’histoire, écrits en collaboration avec le P. Abel pour Jérusalem nouvelle (4 vol., Gabalda, 1914, 1922, 1926, 1035 p.) et le P. Stève pour Jérusalem de l’Ancien Testament (2 vol., 1954, 1956, Gabalda, 809 p.). Auteur de nombreux ouvrages de référence, il est celui qui a assuré la notoriété de l’École biblique en archéologie, ce qui lui valut d’être élu membre correspondant de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres et membres de diverses autres académies. Agnès Spycket écrit de lui : « sans avoir quitté pratiquement l’École biblique durant sa longue vie, le Père Vincent avait collectionné des honneurs qu’il n’avait pas cherchés. Membre de la plupart des Instituts orientalistes du monde entier, Commandeur de la Légion d’Honneur, il avait surtout le don de l’amitié et tous ceux qui sont allés vers lui ont gardé le souvenir d’une personnalité rayonnante ». Cf. SPYCKET, 2004, 71. 3 Félix-Marie Abel (1878-1953), religieux de la Province dominicaine de Toulouse, arrive à Jérusalem en 1897 et se spécialise en histoire et géographie de la Palestine. Auteur d’une Grammaire du grec biblique, publiée en 1927, il organise de nombreuses expéditions de l’École comme la Croisière de la mer Morte en 1908 – une véritable expédition pionnière – et publie une synthèse de ses recherches dans deux ouvrages de référence : cf. ABEL 1933 et 1938 et ABEL 1952.

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CHAPITRE DEUXIÈME

l’IFAO du Caire. Parfois ce sont des diplomates qui passent au couvent Saint-Étienne, comme en novembre 1939 Gabriel Puaux, Haut-Commissaire de la République française en Syrie et au Liban. Régulières sont les visites des chantiers de fouilles en cours dans la région, à l’invitation des chefs de missions archéologiques : Tell el-Sultan à Jéricho, Megiddo et Tell Duweir (Lakish) en février 1936 ; fouilles de la citadelle de Jérusalem en juillet et fouilles d’une catacombe juive à Scheikh Abreiq en novembre de la même année. En mars 1938, visite des restes du château des templiers à Latroun ; en mai 1940, visite du chantier de reconstruction de la mosquée d’al-Aqsa sous la conduite de Cedric Norman Johns, etc. On sent ces savants de l’École biblique à l’affût de toute nouvelle découverte. Ils sont régulièrement sollicités pour intervenir à l’American School of Oriental Research, dirigée depuis 1922 par W.F. Albright, dont les locaux sont depuis 1925 tout proches de l’École biblique4. Abel et Savignac continuent à diriger les « promenades archéologiques » ou la « caravane archéologique » qui amènent les étudiants sur le terrain. De Vaux s’y met lui aussi, profitant de l’occasion pour voir les lieux sur lesquels il travaille : en mars 1937, il dirige la caravane des étudiants en Syrie ; en avril 1938, celle du Sinaï ; en mars 1940, la caravane de printemps qui conduit les étudiants à Aqaba et Pétra. Hormis quelques prédications ici ou là, il consacre l’essentiel de son temps au travail personnel. 3. PREMIERS ARTICLES DE ROLAND DE VAUX La Revue biblique, la chronique conventuelle et les archives offrent de suivre les centres d’intérêt de Roland de Vaux. Dès l’année de son arrivée à Jérusalem, la Revue biblique avait publié un article de sa main écrit au Saulchoir : « Le “Reste d’Israël” d’après les prophètes »5. En 1935, il publie un texte sur un bas-relief de Palmyre ; en 1937, deux articles sur les décrets de Cyrus et Darius et sur les textes de Ras Shamra, découverts en 1929 au Nord de la ville de Lattaquié en Syrie et qui lèvent le voile sur la cité d’Ougarit, capitale d’un royaume du même nom qui connut son apogée du XIVe au début du XIIe av J.-C.6. Très vite, le père Lagrange, 4 William Foxwell Albright (1891-1971) est un archéologue américain, philologue des langues sémitiques, spécialiste des céramiques. Il est représentatif d’une certaine archéologie biblique dont l’ambition était de fonder la véracité du texte biblique sur les découvertes de l’archéologie. Cf. FREEDMAN, 1972, 3-13. 5 Cf. VAUX (de) 1933c, 526-539. 6 Cf. VAUX (de)1935 ; VAUX (de) 1937a ; VAUX (de) 1937b.

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retiré en France pour raisons de santé, reconnaît et salue les qualités intellectuelles de ce jeune professeur mais n’hésite pas à discuter ses conclusions montrant ainsi que, malgré son grand âge, il suit de près les acquis de la recherche. Lagrange commente ainsi sa recension du dernier ouvrage de Woolley7 : « J’ai trouvé votre article sur les Perses aussi solide que clairement exposé. Je vous ai trouvé un peu sévère pour la théorie de Woolley sur Abraham, ayant suggéré dès 1905 que la religion des patriarches pourrait recevoir de la lumière de la notion de dieux de clans. Rien n’empêche qu’un dieu de clan soit unique à sa façon, comme un dieu de nation »8. Il l’encourage aussi à approfondir sa spécialisation en archéologie : « Vous avez bien raison de vous attacher à l’archéologie locale, ce que tel de nos amis n’a pas assez pratiqué. C’est la raison d’être et la force de l’École où elle est, c’est-à-dire au bon endroit. C’est étonnant comme le public nous suit, et volontiers nous pousserait : je parle du public intelligent. Nos concurrents amoncellent les petits livres : on attend toujours leurs preuves » (Ibid.). En juillet de la même année, nouvel éloge de Lagrange pour un article de son disciple : « J’ai été émerveillé – le mot n’est pas trop fort – de votre article sur le chemin de Krt9, et je n’attends pas moins du prochain article […]. (Un de vos élèves) disait que vous étiez si brillant qu’on ne pouvait croire que vous aviez trouvé vous-même ce que vous enseigniez ! A quoi j’ai répondu que vous n’aviez emprunté à personne la leçon magistrale que vous donniez aux grands maîtres, Dussaud10, 7 Archéologue britannique, Sir Charles Leonard Woolley (1880-1960) avait fouillé le site d’Ur en Mésopotamie de 1919 à 1934 et publié divers ouvrages sur le sujet, dont Recent Discoveries and Hebrew Origins, Londres, Faber & Faber, 299 p, ouvrage recensé par de Vaux dans la Revue Biblique de janvier 1937. 8 Lettre de Marie-Joseph Lagrange à Roland de Vaux, 15 janvier 1937, Archives du Couvent Saint- Étienne. 9 Cf. VAUX (de) 1937c. Il s’agit d’une reprise d’une communication faite à la Palestine Oriental Society sur la localisation de noms de lieux cités dans une tablette découverte à Ras Shamra et publiée par Virolleaud. 10 René Dussaud (1868-1958) est un orientaliste. Directeur de plusieurs missions archéologiques en Syrie à partir de 1895, il s’intéresse de manière particulière à la présence des Arabes en Syrie avant l’Islam. Spécialiste de l’aspect religieux des civilisations orientales, il devient conservateur du Département des Antiquités orientales au Louvre après la Première guerre mondiale. Professeur à l’École du Louvre, il forme toute une génération d’archéologues et d’épigraphistes dont il suit les travaux. Il fonde en 1920 la revue Syria qu’il dirigera jusqu’à sa mort. Professeur au Collège de France, il est élu à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, dont il devient le Secrétaire perpétuel en 1937. Il accompagne et suit avec passion les grandes découvertes de Ras Shamra, Byblos, Mari, Elam, etc. et alimente le Corpus des Inscriptions sémitiques fondé par Ernest Renan dont il était un grand admirateur et disciple. Ses travaux sur les Religions de Babylonie et d’Assyrie comme sa monographie Les religions des Hittites et des Hourrites, des Phéniciens et des Syriens, publiée en 1945, ont beaucoup inspiré Roland de Vaux avec qui il était en correspondance.

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CHAPITRE DEUXIÈME

Albright, i tutti quanti […]. Continuez donc, cher Père, à vous frayer une voie dans cette terra incognita, mais riche, que je souhaitais vous voir aborder »11. On ne peut pas rêver d’un meilleur adoubement. On peut signaler que l’archéologue américain William F. Albright lui adresse aussi de très vifs compliments pour cet article, qui « témoigne du même haut niveau de qualité que vos récents articles ou recensions, que j’ai lu avec intérêt et profit »12. Deux mois plus tard, le père Vincent, qui a rejoint le père Lagrange en France tout en travaillant aux prochains numéros de la Revue biblique, écrit à de Vaux pour lui conter ses visites à l’Académie et au Louvre, en compagnie d’André Parrot13, sur le point de repartir sur le site de Mari et confirme combien Lagrange est resté émerveillé par l’article sur Ras Shamra14. La génération des fondateurs a acquis à l’École une haute réputation que Roland de Vaux va honorer à son tour. Dès la fin des années 1930, il se lance dans quelques explorations à Salt et Ma‘in en Transjordanie, dont se fait écho la Revue biblique15. L’exploration de Salt, réalisée avec Pierre Benoit en août 1937, comble une lacune sur les cartes archéologiques de la Transjordanie en identifiant les périodes d’occupation de la région (Bronze 1 et 2, puis Fer 1 et 2 et enfin périodes hellénistique, romaine et byzantine). En octobre de la même année, avec Raphaël Savignac, il fouille à Ma‘in, un site proche de Madaba, les restes d’une église byzantine, en particulier une très belle mosaïque en partie abîmée à l’époque de l’iconoclasme. Les recensions de Roland de Vaux dans la Revue biblique durant ces premières années à Jérusalem manifestent vite sa capacité à se faire un point de vue personnel sur les travaux scientifiques du moment. En 1934, il recense un ouvrage en anglais de G.A. Barton sur les origines possibles des Sémites et des Chamites ; en 1937, son attention se porte sur une 11 Lettre de Marie-Joseph Lagrange à Roland de Vaux, 23 juillet 1937. Au risque de l’enorgueillir, Lagrange n’hésite pas dans la même correspondance à lui dire que tel autre professeur de l’École « n’aura jamais les connaissances techniques qu’il faut pour l’École biblique, quoique je ne voie pas qui pourrait le remplacer dans trois ans ». 12 Lettre de W.F Albright à Roland de Vaux, 19 novembre 1937. Archives du Couvent Saint-Étienne. 13 André Parrot (1901-1980), archéologue spécialiste du Proche-Orient ancien, ancien élève boursier à l’École biblique en 1926-27, devint Conservateur en chef du musée du Louvre, chargé des Antiquités orientales et des Arts musulmans, puis directeur du musée du Louvre. Il sera le premier président de l’Associations des Amis de l’École biblique créée en octobre 1971, juste après la mort de Roland de Vaux, à l’initiative de plusieurs anciens élèves de l’École. 14 Lettres de L.-H. Vincent à R. de Vaux, 13 août et 21 septembre 1937. Archives du Couvent Saint-Étienne. 15 Cf. VAUX (de) 1938a ; VAUX (de) 1938b.

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reconstitution du milieu d’Abraham par « l’admirable fouilleur d’Ur », Sir Leonard Woolley, ouvrage qu’il dit avoir lu « avec passion » et, la même année, sur les études par Charles Virolleaud des inscriptions de Ras Shamra et une grammaire de langue phénicienne. En 1938, il travaille sur un ouvrage en allemand de A. Allgeier dont le dessein est de « tracer dans ses grandes lignes le cadre ou s’est développée l’histoire d’Israël » : on est là dans le sujet de l’œuvre principale de Roland de Vaux trente ans plus tard, sujet qu’il approfondit la même année en analysant l’ouvrage d’A. Causse Du groupe ethnique à la communauté religieuse. Le problème sociologique de la religion d’Israël, « un beau livre », à ses yeux. En 1939, il revient sur l’étude par Virolleaud d’une grande tablette trouvée à Ras Shamra en 1931 et fait preuve d’une minutie d’analyse d’un texte lacunaire difficile à interpréter. En 1940, de Vaux s’intéresse à l’ouvrage de Mesnil du Buisson consacré aux peintures de la synagogue de DouraEuropos, découverte en 1921 à l’extrême sud-est de la Syrie actuelle sur le moyen-Euphrate, exemple unique d’iconographie juive dans une synagogue antique. Toujours en 1940, il recense trois volumes de publications de Claude F. Schaeffer, directeur de la Mission archéologique de Ras Shamra, site archéologique dont il suit de près la publication. Durant la seconde Guerre mondiale, on le voit lire et discuter les publications de l’Université de Chicago sur le site de Megiddo, de Roman Ghirshman sur les fouilles de Sialk, près de Kashan en Perse, et de Dunand sur Byblos. On pourrait poursuivre le dépouillement des recensions de Roland de Vaux dans la Revue biblique de cette période, mais ce bref sondage suffit à montrer à la fois la largeur de ses centres d’intérêt et en même temps l’acuité de ses analyses sur ce qui est publié. Il acquiert une véritable connaissance encyclopédique de l’histoire de la région, qui va petit à petit être restituée dans son enseignement et ses propres travaux. 4. PREMIÈRES

RESPONSABILITÉS

À la rentrée académique de 1935, Roland de Vaux avait été nommé secrétaire du directeur de l’École et va donc être vite initié à son fonctionnement. En décembre, il accepte déjà de faire une communication à la Palestine Oriental Society sur « le sceau de Godolias ». En janvier 1938, on lui confia la direction de la Revue biblique dans un contexte difficile qu’il convient d’expliquer. En novembre 1937, le père Lagrange avait préparé une recension de l’ouvrage d’Édouard Dhorme L’évolution religieuse d’Israël16. 16

Cf. DHORME 1937.

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CHAPITRE DEUXIÈME

Évoquer les travaux de Dhorme était délicat : Dhorme ayant quitté l’état clérical quelques années plus tôt faisait l’objet d’une certaine damnatio memoriae dans les milieux romains. Néanmoins, jugeant l’ouvrage important, Lagrange avait décidé d’en rendre compte dans la Revue biblique de janvier 193817. Bien que la recension fût critique, le seul fait d’évoquer Dhorme fut considéré comme inacceptable par les censeurs romains, toujours consultés par le père Lagrange, soucieux d’être obéissant au Magistère. Il faut dire qu’à cette époque, les publications dominicaines francophones étaient dans le collimateur des censeurs en raison des prises de position des dominicains français dans Sept et La Vie intellectuelle sur le Front populaire et la guerre d’Espagne. Le père Lagrange se vit donc intimer l’ordre de retirer sa recension alors que le numéro de janvier 1938 de la Revue biblique était en composition. Excédé, le père Vincent, directeur de la Revue biblique et fidèle disciple de Lagrange, donna sa démission. « On ne trouve plus personne qui veuille se hasarder à fournir un article sérieux sur l’Ancien Testament », confia son confrère Savignac au Vicaire du Maître de l’Ordre, alors que de Vaux est sollicité pour prendre la direction de la revue en remplaçant l’article jugé inopportun de Lagrange18. Dans une lettre du 24 janvier 1938 au Maître de l’Ordre, de Vaux déclare ne pas pouvoir assumer une telle responsabilité, surtout dans un contexte aussi tendu. « Il m’est impossible moralement, écrit-il, d’appliquer une mesure qui va contre le jugement du père Lagrange, auquel je m’associe intérieurement […]. Je ne ferai plus rien pour la Revue, à moins, naturellement, que je ne reçoive un ordre direct et formel, par où mes supérieurs prendront leurs pleines responsabilités et qui, en m’obligeant 17

Édouard Dhorme (1881-1966) était entré dans l’Ordre dominicain en 1899 et partit la même année à Jérusalem pour faire des études de philosophie et de théologie mais aussi d’hébreu et d’assyrien. Il se passionne pour les textes cunéiformes et se voit confier par Lagrange l’enseignement des langues sémitiques et de l’Histoire de l’Orient ancien. Auteur de plusieurs ouvrages en 1910 et 1911, il est mobilisé durant la première guerre mondiale sur le front des Dardanelles où la hiérarchie militaire lui confie la fouille de l’ancien site d’Éléonte de Thrace dans la presqu’île de Gallipoli, avec deux autres conscrits élèves de l’École d’Athènes. De retour à l’École biblique, il devient directeur de l’École et de la Revue biblique. En 1931, il publie une première traduction des textes phéniciens de Ras Shamra. Après son départ de la vie religieuse, il va être nommé professeur d’hébreu à la quatrième section de l’École pratique des hautes études puis à la faculté des lettres de l’Université de Paris, avant d’entrer en 1945 au Collège de France où il est titulaire de la chaire de philologie et d’archéologie assyro-babylonienne. Il devient membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres en 1948 et publie l’Ancien Testament en deux volumes de la Pléiade (1956 et 1959). 18 Lettre de Raphaël Savignac à Raymond Louis, 17 janvier 1938, cité par MONTAGNES 2004. 499.

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au nom de la sainte obéissance, libérera ma conscience de ses inquiétudes »19. On doit mesurer le contexte difficile dans lequel il est appelé à prendre la responsabilité de la Revue biblique : la surveillance de Rome reste très sourcilleuse en matière exégétique, l’École se relève à peine du départ de Dhorme qui devait être le successeur de Lagrange, la génération des fondateurs (Abel, Vincent, Savignac) est âgée. De Vaux est un religieux obéissant, mais il est en face d’un véritable cas de conscience : « Je vous assure, mon Révérendissime Père, que je n’écris qu’avec beaucoup de répugnance et tristesse cette lettre où j’ai l’air de faire acte d’insoumission. Je cherche seulement à être entièrement loyal envers vous et envers moi-même. C’est le seul moyen de mettre un peu de calme dans mon âme désemparée »20. Cette référence à l’obéissance religieuse étant de nature à apaiser sa conscience, Roland de Vaux accepte la direction de la Revue biblique à partir de janvier 1938. Deux mois plus tard, le 10 mars 1938, le père Lagrange meurt à SaintMaximin. Ses disciples sont désormais seuls maîtres à bord. Le numéro d’avril 1938 de la Revue biblique lui rend hommage en ouvrant le volume par un article du fondateur sur « l’authenticité mosaïque de la Genèse et la théorie des documents ». Trente-trois ans plus tôt, il s’était vu interdire de publier son ouvrage sur la Genèse. Son disciple et confident LouisHugues Vincent souligne dans la biographie qu’il lui a consacrée combien Lagrange, déjà retiré à Saint-Maximin, s’était senti « tout rajeuni par la pensée de revenir à son vieil enthousiasme pour le Pentateuque »21. Il envisageait, en effet, de reprendre, au moins sous forme d’article, son étude du Pentateuque. La mort l’en empêcha. Sa mémoire et son exemple allaient habiter pendant longtemps le cœur des dominicains de Saint-Étienne. La célébration du cinquantenaire de l’École biblique en 1940 fournit l’occasion de célébrer ce maître incomparable et donne lieu à la publication d’un volume d’hommage Mémorial Lagrange, réalisé par le père Vincent, malgré les vicissitudes de la guerre. Une trentaine de contributions, venant de milieux académiques et religieux prestigieux (Institut de France, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Universités de divers pays) permet de mesurer l’aura du fondateur de l’École biblique et aussi l’amplitude de sa notoriété scientifique : orientalisme, histoire des religions, questions bibliques, souvenirs22. Onze ans plus tard, le père Vincent, disciple 19

Lettre de Roland de Vaux au Maître de l’Ordre, 28 janvier 1938, AGOP. Rome. Lettre de Roland de Vaux au Maître de l’Ordre, 28 janvier 1938, AGOP. Rome 21 Cf. VINCENT 2013, 607. Référence de l’article de Lagrange : M.-J. LAGRANGE 1938. 22 Cinquantenaire de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem (15 novembre 1890-15 novembre 1940), Mémorial Lagrange, Paris, Gabalda, 1940, 385 p. 20

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bien-aimé de Lagrange, termina la rédaction d’une biographie de son maître, mais sa publication fut empêchée par les censeurs dominicains, « craignant que la présentation franche des combats que le père Lagrange avait subis ravive de vieilles querelles et nuise à l’École biblique »23. Le père Vincent mourra en 1960, sans voir la publication de son ouvrage qui ne sortira qu’en 2013 ! C’est dire l’ampleur de la méfiance concernant les études bibliques qui a prévalu dans l’Église catholique jusqu’à l’encyclique Divino afflante spiritu (1943) et même jusqu’à la publication de la Constitution Dei Verbum à Vatican II (1965). Il fallait même l’approbation de Rome pour le programme de cours annuel proposé par l’École biblique. Dans ce contexte-là de Vaux s’orienta davantage vers l’histoire et l’archéologie que vers les études bibliques proprement dites. 5. TURBULENCES POLITIQUES AU MOYEN-ORIENT : LA QUESTION DE PALESTINE Il n’y eut pas que les difficultés internes à l’Église. La seconde guerre mondiale interrompit à nouveau les activités de l’École biblique, en raison de la mobilisation qui toucha tous les jeunes concernés par la conscription. Mais, contrairement à la première guerre mondiale, l’École ne fut pas fermée : il y eut des étudiants jusqu’à l’été 1939, ensuite quelques professeurs restèrent sur place, s’adonnant à leurs travaux de recherche malgré un contexte assez perturbé. Trois étudiants dominicains, dont le fr. Raymond Tournay, restèrent sur place et de Vaux dirigea pour eux la caravane de printemps 1940. Deux événements affectèrent pourtant leur vie quotidienne : la « grande révolte arabe » de 1936-1939 et la guerre de Syrie de 1941. La chronique conventuelle ne reflète ces événements que de manière anecdotique. On a parfois le sentiment en la lisant que les religieux de Saint-Étienne vivent dans leur monde de religieux et de savants et ne sont pas très sensibles, ou pas assez équipés culturellement, pour saisir les enjeux politiques du monde qui les entoure. À titre d’exemple, le chroniqueur écrit le 17 janvier 1939 : « On pend sept terroristes à Hébron », sans s’interroger sur cette qualification de « terroriste ». Dans le cas, ce sont des Arabes qui sont pendus, mais l’Irgoun, organisation sioniste armée née en 1931 d’une scission de la Haganah24, va, elle aussi, multiplier les 23

Cf. VINCENT 2013, 4e de couverture. La Haganah est une organisation sioniste paramilitaire initialement crée pour défendre les colonies juives contre des attaques par les voisins Arabes. Le durcissement de la Révolte arabe à la fin du mandat britannique va aboutir à faire de la Haganah une véritable armée contrôlée par l’Agence juive, qui est l’exécutif sioniste en Palestine mandataire. 24

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attentats à caractère « terroriste ». Le diaire des pères Blancs de SainteAnne en parle à peu près dans les mêmes termes, avec plus d’émotion car leur couvent est situé dans le quartier beaucoup plus sensible de Salahieh en face d’al-Aqsa. Jaussen était probablement plus sensibilisé aux enjeux politiques, lui qui s’était intéressé dans les années 1920 à étudier la société palestinienne de Naplouse avant l’arrivée des colons juifs dans la région, mais il était au Caire depuis 1927. La « grande révolte arabe », par exemple, n’est évoquée que sous l’angle du fait divers, alors qu’il s’agit d’un séisme majeur dans la société palestinienne qui subit depuis vingt ans déjà les conséquences de la Déclaration Balfour et de l’installation progressive d’un foyer juif en Palestine25. À partir d’avril 1936, on assiste à un durcissement des positions des mouvements nationalistes arabes qui multiplient les attentats contre les colons juifs. La chronique conventuelle signale le 23 avril 1936 que « les étudiants rentrent de voyage en Galilée en convoi accompagné d’automitrailleuses et de gendarmes en voitures afin de traverser sans dommage Djenine et Naplouse où les autos isolées sont criblées de pierres par les enfants et les jeunes gens ». Le 13 mai, le chroniqueur relate les troubles en vieille ville : « Les Juifs de l’intérieur de la ville évacuent leur quartier et s’en vont dans les quartiers juifs de la banlieue avec leur balluchon. Un Juif pénètre dans un café et tue quatre Arabes à coup de révolver ». Une grève générale en juillet 1936 oblige les Britanniques à nommer une commission royale supposée indépendante pour sortir du conflit. En réalité, le rapport de la commission Peel publié en juillet 1937 va contribuer à détériorer la situation, puisqu’il propose un plan de partage de la Palestine dans lequel les Palestiniens perdent presque tout accès à la mer, hormis Gaza, des échanges de terres et des transferts de population. Le Congrès sioniste de Zürich en août 1937, lui, accepte le plan qui ébauche déjà la création d’un État juif. La violence va alors s’accroître de jour en jour, atteignant son paroxysme en août 1938, ce qui a obligé la Grande-Bretagne à faire des concessions esquissées dans un Livre blanc publié en mai 1939 et qui satisfait en partie les revendications des insurgés : limitation de l’immigration juive à 75 000 entrées sur cinq ans et perspective de mise en place d’un État palestinien dans les dix ans. La chronique conventuelle de Saint-Étienne mentionne régulièrement des incidents au cours de cette période : sabotage du réseau électrique à Jaffa, voie ferrée coupée à Lydda, attentats en vieille ville dont les portes sont régulièrement bloquées, instauration du couvre-feu. En octobre 1938, les Anglais viennent même solliciter le père Vincent, très bon connais25

Cf. LAURENS 2002, 305 et sv. et 373.

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seur de la vieille ville, afin qu’il leur explique où sont les souterrains. Roland de Vaux n’est mentionné que lorsqu’il s’agit de visites archéologiques. Quel était son regard sur la situation politique ? Rien ne nous permet de nous prononcer. À l’évidence, il a déjà beaucoup à faire. 6. VIVRE ET PENSER : LA REVUE BIBLIQUE DURANT LA GUERRE 1939-1945 Comme la plupart des religieux de Terre sainte, les dominicains de l’École biblique sont mis durant la seconde guerre mondiale dans une situation embarrassante. Dès la déclaration de guerre à l’Allemagne début septembre 1939, certains religieux comme le père Benoit ou Vincent Perret sont mobilisés et affectés à des bataillons, pour un temps assez bref d’ailleurs. D’autres comme Roland de Vaux et Bernard Couroyer sont mobilisés sur place à Jérusalem et tenus de venir pointer chaque matin au Consulat général de France à Jérusalem26. Ils ont un statut de réservistes résidant à l’étranger, comme l’indique un état nominatif transmis par le consulat général de Jérusalem au général Caillault, commandant supérieur des troupes du Levant27. Les archives livrent peu de renseignements sur les occupations de Couroyer et de Roland de Vaux au consulat de France. En fait, la mobilisation ne va durer que quelques semaines et ne perturbe guère la vie studieuse du couvent Saint-Étienne. Ainsi, la chronique conventuelle fait état de la visite à Saint-Étienne des grands archéologues du moment. Roland de Vaux se tient au courant des recherches en cours, par ses lectures et les visites assez fréquentes de chantiers en cours en Palestine, mais aussi en Syrie, au Liban et en Transjordanie. En mars 1940, il dirige la caravane de printemps des étudiants de l’École vers Aqaba et Pétra. À plusieurs reprises, il lit une communication sur ses recherches devant les membres de la Palestine Oriental Society. La mobilisation de certains professeurs et le fait que la Revue biblique soit publiée en France entraînèrent, en effet, de nombreuses difficultés : dispersion des auteurs, quasi impossibilité de circulation des épreuves et, 26 Cf. chronique du 5 septembre 1939 : « À la demande du Consul général de France, le père de Vaux viendra travailler tous les matins au consulat ». Il a le grade de Maréchal des logis. Le père Couroyer fait de même à partir du 19 septembre. Il sera démobilisé en novembre. Le père Dumeste s’embarque à Gênes pour rejoindre l’armée d’Orient à Beyrouth. 27 Note n° 104 du 5 février 1040, Archives diplomatiques, Nantes. Ce statut d’« affecté spécial » est probablement dû à la responsabilité d’un établissement académique sous protection française.

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surtout, censure de toute publication régulière de la part des autorités britanniques28. Comme pendant la première guerre mondiale, la Revue fut donc gérée matériellement depuis Paris par le père Vincent et l’éditeur Gabalda, le père de Vaux continuant à en assurer la direction scientifique depuis Jérusalem. Les deux premiers numéros de 1940 (janvier et avril) sortirent, non sans mal, car la censure britannique contrôlait étroitement tous les textes envoyés à l’étranger, y compris les épreuves d’articles à paraître dans la Revue biblique. En revanche, selon la réglementation allemande, il est impossible à partir de juillet 1940 de poursuivre une publication régulière. Il est possible, en revanche, d’envisager une publication qui n’ait pas de périodicité régulière. À partir de juin 1941, les dominicains poursuivirent donc sous un titre de camouflage : Vivre et Penser. Titre « choisi précisément parce qu’il ne signifiait rien et, comme un rappel discret de ce qu’il fallait maintenir en existence, on ajouta en sous-titre : Recherches d’Exégèse et d’Histoire », écrit la Rédaction29. Un second volume sortit en juillet 1942. Le troisième prévu pour 1943 ne sortit qu’en juin 1945, en raison des difficultés liées à la guerre et aux turbulences de la Libération. La Revue biblique reprit sa parution régulière en janvier 1946 et les dominicains de Jérusalem exprimèrent leur gratitude à l’éditeur, aux auteurs et aux lecteurs qui leur étaient restés fidèles dans la crise de la guerre et autorisant « un espoir confiant dans l’avenir ». C’était déjà ce qu’avait fait le père Lagrange durant la première guerre mondiale30. Si le volume publié est réduit de moitié, la qualité scientifique est la même. De Vaux y prend sa part, signant un article étoffé sur les Hurrites et plusieurs recensions fouillées sur des ouvrages consacrés aux peintures de la synagogue de Doura-Europos, aux découvertes de l’archéologue Claude-Frédéric Schaeffer à Ras Shamra. 28 En temps de guerre, le contrôle de l’information est très strict. Entre septembre et novembre 1939, de Vaux doit justifier du caractère scientifique de la Revue biblique pour finalement obtenir du Haut-Commissariat britannique en Palestine de ne pas être soumis à la censure en vigueur quand il s’agit d’articles et documents destinés à être publiés par la revue de l’École. Cf. Échange de correspondance entre Roland de Vaux et le Haut-Commissariat britannique en Palestine (lettres du 10 septembre 1039 et réponse du 20 septembre, Archives diplomatiques Nantes, 294 PO/B/204). 29 « La “Revue biblique” et “Vivre et Penser” », RB 53 (1946), 6. 30 La situation alors était pire puisque tous les religieux français qui n’étaient pas au front, en raison de leur âge, furent expulsés par les Turcs fin décembre 1914. Installé à Paris de janvier 1915 à septembre 1918, Lagrange poursuivit sa mission de recherche et de publication, travaillant à ses ouvrages et poursuivant de manière miraculeuse une parution de la Revue biblique sous forme de deux numéros doubles par an (janvier et avril, juillet et octobre) de 1915 à 1919. La périodicité régulière reprit en 1920. Cf. MONTAGNES 2004, 359-391.

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Par ailleurs, les conférences de Saint-Étienne continuent et de Vaux y prend sa part, traitant de sujets divers liés à son champ de recherche : « Les Hurrites et la Bible » (1939), « Salomon et la reine de Saba dans l’histoire et la légende » (1940), « Le Temple de Salomon » (1941), « La séparation des Royaumes d’Israël et de Juda » (1942), « Les prophètes de Baal et le Mont Carmel » (1942). À chaque fois, son texte est rédigé, dactylographié, preuve que la guerre n’arrête pas l’activité intellectuelle des dominicains de Saint- Étienne. 7. LA

GUERRE DE

SYRIE DE 1941

À l’époque, un des enjeux majeurs pour les Alliés était d’empêcher les puissances de l’Axe (Allemagne et Italie) de prendre le contrôle de l’accès au canal de Suez. Or, au printemps 1941, les troupes allemandes remportent des succès en Méditerranée : Rommel atteint la frontière égyptienne en avril. Les Alliés ont d’autres sujets d’inquiétude sur le versant oriental de la Méditerranée, le Liban et la Syrie, sous protectorat français, s’étant ralliés à Vichy après l’armistice du 22 juin 194031. Lorsqu’une révolte antibritannique se déclenche en Irak en avril 1941, soutenu aprèscoup par l’Allemagne, l’Angleterre craint pour ses approvisionnements en pétrole et se décide à intervenir pour reprendre le contrôle de l’Irak, ce qui est fait à la fin mai 1941. L’utilisation des aéroports syriens par l’Allemagne en soutien aux rebelles irakiens, accordée par Vichy, représentant une menace trop importante et une provocation, les Britanniques se décident ensuite à intervenir au Levant, appuyés par les forces gaullistes. De Gaulle, lui, avait espéré que les 30 000 militaires de l’Armée du Levant se rallieraient à lui pour disposer ainsi d’un corps expéditionnaire consistant, mobilisable pour les combats futurs. En réalité, les autorités françaises du Levant et l’Armée du Levant préférèrent rester fidèles au pouvoir du maréchal Pétain, légitime à leurs yeux, malgré un appel pressant du général de Gaulle les invitant au ralliement à la France libre. Leur réticence au ralliement tient aussi à la crainte que, la guerre finie, la France ne soit évincée du Moyen-Orient par les Britanniques, ce qui était probablement dans les intentions de Churchill, si l’on en croit les travaux des historiens sur cette époque32. Moins d’un an après avoir détruit l’escadre française dans le port de Mers el-Kebir le 3 juillet 1940, les Britanniques interviennent militairement au 31 32

Cf. HOKAYEM, 1994, 83-118. Cf. WAILLY 2010 ; WAILLY 2013.

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Levant début juin 1941, sous la conduite du général Henry Maitland Wilson et avec l’aide des troupes gaullistes. Après un mois de combat, le général Henri Dentz (1881-1945), gouverneur de la province du Levant, demande un cessez-le-feu au nom des autorités de Vichy et autorise la négociation d’un armistice, signé à Saint-Jean d’Acre le 14 juillet 1941 entre les Britanniques et les autorités de la Syrie mandataire, représentées par le général Joseph de Verdilhac (1883-1963). Les termes de l’accord confirment l’inquiétude des Français de se voir évincés du Moyen-Orient par les Britanniques. Refusant « une transmission pure et simple du Liban et de la Syrie aux Britanniques », de Gaulle obtient de ces derniers un avenant à la convention de Saint-Jean d’Acre reconnaissant la place de la France au Levant sur le plan politique et administratif, même si la conduite des opérations militaires continue de relever des Britanniques33. Les Alliés sont donc parvenus à sécuriser la rive orientale de la Méditerranée, mais ce mois de combat s’est soldé par la perte de plusieurs milliers d’hommes, dont six mille environ dans l’Armée du Levant, ce qui laissera le souvenir amer d’une guerre fratricide entre Français vichystes et Français libres. 8. TENSIONS ENTRE LA COMMUNAUTÉ DE SAINT-ÉTIENNE ET LES DOMINICAINS DU CAIRE De manière inattendue, la guerre de Syrie va être source de vives tensions entre le couvent Saint-Étienne et sa maison filiale du Caire. En 1914, les dominicains du couvent Saint-Étienne étaient tous partis au front dès l’entrée en guerre, à l’exception des plus anciens (Lagrange et Jaussen)34. Le positionnement politique était alors très simple : tous unis contre l’Allemagne. Le positionnement des religieux du couvent Saint-Étienne est plus complexe au moment de la guerre de Syrie. La chronique conventuelle est assez discrète sur l’opinion des uns et des autres, sauf en quelques endroits biffés ultérieurement par le chroniqueur, comme si l’on avait voulu cacher des positions qui n’étaient plus politiquement acceptables35. Le fait marquant est, néanmoins, l’expulsion du prieur de Saint-Étienne, 33

Ces Accords dits Lyttleton-de Gaulle furent signés au Caire les 24-25 juillet 1941. Le père Jaussen fera la guerre comme officier de renseignement à Port-Saïd en Égypte d’abord pour la Grande-Bretagne puis pour la France. Cf. PÉRENNÈS 2014. 35 C’est le cas de passages de la chronique des 26 et 30 juin 1941, 2 juillet 1941, 5 novembre 1941, 25 novembre 1943, passages hélas assez difficiles à restituer. Cinq pages de la chronique conventuelle de mars 1941 seront même arrachées et recopiées, probablement pour supprimer certains commentaires à chaud de l’actualité jugés outranciers. 34

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Vincent Perret, par l’autorité britannique le 13 septembre 1941. Arrêté à Jaffa où il donnait une conférence publique sur Ozanam, Perret (19011984) est ramené manu militari à Jérusalem pour prendre quelques affaires, puis conduit dès le lendemain dans une voiture de police jusqu’à la frontière syrienne où il est remis aux autorités gaullistes. Après quelques jours d’internement à Beyrouth, il est rapatrié en France avec des soldats de l’Armée du Levant. L’épisode est assez documenté dans les archives, aussi bien dominicaines que du Quai d’Orsay. Dès février 1941, Antonin Jaussen avait alerté le Maître de l’Ordre Gillet depuis le Caire sur « le manque de bon sens et le manque de prudence » de Perret : « En déblatérant contre l’autorité mandataire en Palestine, le père Perret porte préjudice à notre École biblique de Jérusalem. Sous ce rapport, il est mal noté et, malheureusement, il a influencé plusieurs professeurs mal notés aussi. Or le Gouvernement britannique a toujours montré une grande sympathie pour notre École biblique et archéologique de Jérusalem. En tout cas, cette École, Gloire de l’Ordre, doit être au-dessus des opinions politiques d’un supérieur local qui, de par ses fonctions, ne fait que passer »36. Perret explique sa position dans une longue lettre du 15 octobre 1941 au Maître de l’Ordre, Martin Gillet. Assurant s’être toujours abstenu de toute activité politique et rappelant qu’il invitait les religieux de son couvent à faire de même, Perret ne cache pas avoir soutenu le régime de Vichy : « comme supérieur d’un Établissement français, j’avais dû, en plusieurs circonstances, affirmer mon loyalisme vis-à-vis du Gouvernement du Maréchal Pétain, dont nous n’avions pas compétence pour discuter la légitimité, ni de raison pour secouer l’allégeance. C’était là, à mes yeux, un devoir strict de fidélité »37. Il assure même avoir gardé « des rapports corrects et courtois avec d’anciens amis passés à la dissidence », comme le vice-Consul qui est passé dans le camp gaulliste. Il a aussi gardé des liens avec le général Dentz et d’autres militaires français de l’Armée du Levant, détenus en semi-liberté à Jérusalem par les Britanniques : visites amicales, messes du dimanche, etc38. Le livre d’or de la communauté garde la trace de plusieurs passages au couvent SaintÉtienne en septembre 1941 du général de Verdilhac, ancien commandant de l’Armée du Levant, accueilli par le prieur de Saint-Étienne alors qu’il 36

Lettre de Antonin Jaussen à Martin Gillet, 10 février 1941, AGOP. Lettre de Vincent Perret à Martin Gillet, 15 octobre 1941, AGOP, Rome. 38 Le général Henry Dentz (1881-1945) est celui qui remit la capitale de la France aux mains de l’Allemagne en juin 1940. Haut-commissaire de la République en Syrie, il s’y oppose aux Alliés, signe l’armistice de Saint-Jean d’Acre, et sera condamné à mort en 1945 pour intelligence avec l’ennemi. Il mourra dans la prison de Fresnes 37

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est en route pour la France39. Un des généraux français de passage au couvent ajoute en dessous de sa signature sur le livre d’or en date du 7 septembre 1941 : « otage de S.M. britannique ». Comme le général Dentz, Verdilhac quitte la Palestine dans le camp des vaincus. Soulignant qu’il avait de bonnes relations avec les autorités britanniques, le prieur Perret estime que la source de ses malheurs est à chercher en Égypte, en l’occurrence chez les dominicains du Caire, dont le supérieur, le père Carrière, ancien prieur de Jérusalem, est un des représentants de la France libre en Égypte. Anselme-Bertrand Carrière est un personnage peu banal. Né en 1883, il arrive tout jeune à l’École biblique, en 1901, avant même la fin de son noviciat. Il effectue toutes ses études dominicaines à Jérusalem et est vite recruté pour être membre du corps professoral de l’École. Mobilisé pendant la première guerre mondiale, il se comporte brillamment au front dont il revient avec le grade de sous-lieutenant et quatre citations dont une à l’ordre de l’armée. Professeur à l’École biblique, particulièrement chargé des sorties archéologiques avec les étudiants, il est élu prieur en 1931, avant de rejoindre en 1934 la maison filiale du Caire, où le couvent Saint-Étienne l’envoya pour prendre le relais du père Jaussen, qui avait construit le couvent et s’était usé à la tâche40. Vice-président des Anciens combattants français d’Égypte, Carrière est convoqué au consulat de France au Caire en septembre 1939 pour organiser la défense passive et prend la tête de la Résistance en Égypte après l’appel du général de Gaulle en 1940. De Gaulle vient lui rendre visite au couvent dominicain d’Abbasiah en avril 1941, tout comme le général Pierre Koenig, en partance pour Bir Hakeim et El Alamein. Ses options gaullistes sont donc claires et affichées, comme le montrent ses prises de position dans la presse de la France libre41. 39 Il faut dire que Perret a de l’envergure : ancien avocat à la Cour d’Appel de Paris (19221927), Perret est docteur en droit, licencié ès-lettres et docteur en théologie. Sa formation lui a permis de faire rayonner l’École biblique à travers de multiples conférences et prédications en Palestine, en Égypte et en Syrie. Engagé volontaire au début de la guerre en 1939, il fut d’abord aumônier de corps de l’armée du Levant à Beyrouth. Après son expulsion de Palestine, il se proposa comme aumônier dans les chantiers de jeunesse pour la province Pyrénées-Gascogne. Cf. Lettre de Perret à Martin Gillet, 15 juin 1943, AGOP. 40 Cf. AVON 2005. 41 En novembre 1941, Carrière publie un article intitulé « Dieu le veut ! » dans FranceOrient, organe de la France libre publié à Delhi. L’engagement de Carrière pour la France libre est explicitement mentionné dans le Dictionnaire de la France libre : Cf. l’article « Position religieuse de la France libre » dans BROCHE - CAITUCOLI, - MURACCIOLE 2010, 1191. Une rétrospective de la vie d’Anselme Carrière est donnée dans l’In memoriam qui lui est consacré par le bulletin de la Province dominicaine de France, Ut Sint Unum, d’août 1957.

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Perret, de son côté, avait refusé en avril 1941 de recevoir le général Catroux, Haut-commissaire de la France libre pour le Proche-Orient, de passage à Jérusalem, et boudé la messe consulaire du 14 juillet de la même année organisée par les gaullistes, désormais en charge de la représentation française en Palestine. Quoiqu’exilé en France après son expulsion de Palestine, Perret reste prieur en titre de Saint-Étienne à la demande du Maître de l’Ordre. En son absence physique, le père Savignac, sousprieur, est chargé de veiller sur le couvent de Jérusalem et sa maison filiale du Caire. Vincent Perret, quant à lui, coopère sans réserve avec le régime de Vichy : aumônier militaire dans les Chantiers de jeunesse, il explique son expulsion et celle de plusieurs supérieurs religieux par « le caractère judéo-maçonnique violemment anticlérical qu’a pris le mouvement de la dissidence (sic) »42. En octobre 1941, il vient, en personne, rencontrer l’amiral Darlan, ministre secrétaire d’État aux Affaires étrangères du gouvernement de Vichy. Quelques mois plus tard, il est proposé pour la Légion d’honneur par le général Dentz lui-même, en des termes qui laissent peu de doutes sur ses sentiments pro-vichystes43. Elle lui est remise à Vichy en juin 1943 par le même Dentz, à l’issue d’une cérémonie où Perret prononçait l’éloge des soldats morts pendant la campagne de Syrie. On est en présence de deux lignes politiques peu compatibles. Perret se sent fort du soutien du Maître de l’Ordre qui désapprouve les options politiques de Carrière et Boulanger : « Ils ne peuvent prétexter qu’il s’agit d’une option politique, écrit Martin Gillet, car le gouvernement français du Maréchal a été légalement institué, et tout citoyen français doit obéissance à l’autorité légitime, quelles que soient ses opinions politiques personnelles »44. Aussi donne-t-il à Perret « tout pouvoir pour prendre les décisions nécessaires à l’égard de ces deux Pères ». Gillet est d’autant 42 Lettre de Vincent Perret à Raymond Louis, socius du Maître de l’Ordre, 28 mai 1942, AGOP, Rome. 43 Extraits de la lettre du Général Dentz à l’amiral Darlan, en date du 9 avril 1942 : « Rentré à Jérusalem en novembre 1940, après sa démobilisation, a, comme supérieur des dominicains et en sa qualité d’ancien aumônier militaire, très efficacement contribué à maintenir les communautés françaises de Palestine dans la voie de la fidélité et de l’obéissance au Gouvernement du Maréchal Pétain. S’est énergiquement opposé à la propagande gaulliste, sans craindre d’encourir les persécutions des milieux dissidents. A refusé de recevoir dans son établissement la visite de l’ex-général Catroux, mais il a ouvert toutes grandes les portes de sa Maison au Général Dentz et aux autres officiers de l’Armée française du Levant durant le temps où ceux-ci ont séjourné à Jérusalem comme otages des Britanniques », Archives diplomatiques de La Courneuve, 4 GM II, 152. 44 Lettre de Martin Gillet du 13 novembre 1940, AGOP, Rome. Les liens anciens de Gillet avec l’Action Française et la droite catholique ont été mis en évidence par LAUDOUZE 1989, 163-175.

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plus déterminé qu’une note diplomatique émanant de Vichy, datée de 1941, l’invite à « user de sa haute influence pour faire rentrer les religieux dans le droit chemin »45. Son attitude reflète celle qui fut souvent dominante dans le clergé catholique de l’époque : l’obéissance à l’autorité légitime46. Au Caire, en revanche, Carrière s’est lancé de toutes ses forces dans la mobilisation de la communauté française aux côtés du général de Gaulle, comme le montrent les échos d’une grande conférence publique qu’il donne sur Charles de Foucauld, conférence à laquelle assistent des personnalités comme Taha Hussein et Gaston Wiet, et qui lui fournit l’occasion d’exalter les vertus de courage et de résistance47. Il entraîne à sa suite le père Boulanger et même un jeune religieux, Joseph de Dainville. Un autre religieux de la Mission dominicaine de Mésopotamie, JacquesRéginald Savey, se distingue lui aussi. Avec un brin d’exaltation, il se porte volontaire pour Bir Hakeim, malgré les tentatives des religieux de Jérusalem qui tentèrent de l’en dissuader. Il meurt à la tête de son bataillon le 11 juin 1942, âgé de trente-deux ans, et sera fait Compagnon de la Libération en mai 1943 par de Gaulle48. En février 1943, Carrière est nommé aumônier militaire bénévole et en octobre de la même année, il est membre de l’Assemblée consultative provisoire créée en septembre 1943 par le Comité français de la libération nationale. Il en est même un des vice-présidents à Alger. Raphaël Savignac, sous-prieur de Saint-Étienne et vicaire général du Maître de l’Ordre pour l’Orient ad interim, est venu au Caire pour tenter de l’en dissuader mais Carrière était parti pour Alger la veille de son arrivée. Le Maître de l’Ordre, Martin Gillet, écrit au supérieur du couvent d’Alger, le père Louis Lefèvre, pour lui demander de tenter une démarche auprès du père Carrière afin qu’il se retire, discrètement, de toute politique active49. Il n’en fera rien. Dépité, le chroniqueur 45 Note diplomatique de Vichy adressée à Martin Gillet le 23 mars 1941, AGOP, Rome. Un télégramme du Consul de France à Jérusalem, en date du 8 avril 1941, insiste même pour que la Secrétairerie d’État du Vatican intervienne auprès des autorités britanniques afin qu’un visa d’entrée en Égypte soit accordé au père Perret qui veut venir au Caire obtenir la soumission de ses confrères, la maison dominicaine du Caire étant alors filiale du couvent Saint- Étienne. 46 Cf. FOUILLOUX 1997 ; COINTET 1998. 47 Cf. Journal d’Alexandrie, 24 janvier 1941. Taha Hussein (1889-1973), brillant intellectuel musulman égyptien, universitaire, ministre de l’éducation, faisait partie des relations des dominicains du Caire, tout comme Gaston Wiet (1887-1971), fondateur du musée d’art islamique du Caire où il était un des plus ardents partisans de la France libre. 48 Jacques Savey, Dominicain, Héros de Bir-Hakim, Témoignages recueillis par son frère. Préface du Général Koenig, Éditions du Cerf, 1950, 89 p. ; Tangi CAVALIN, « SAVEY Réginald », Dictionnaire biographique des frères prêcheurs [En ligne], Notices biographiques, S, URL : http://journals.openedition.org/dominicains/2616 49 Lettre de Martin Gillet à Louis Lefèvre, 15 janvier 1994, AGOP.

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conventuel de Jérusalem note que Carrière aura comme « collègue un radical socialiste et un communiste », faisant allusion à la présence au sein de l’Assemblée constituante des divers courants politiques français engagés dans la Résistance (11 novembre 1943). On a peu de détails sur l’attitude de Roland de Vaux dans ce moment difficile. La lecture de la chronique du couvent Saint-Étienne donne le sentiment que les frères de Jérusalem ne sentent guère ce qui se joue au plan politique, un peu enfermés peut-être dans leur vie de savants. Une indication concernant les penchants politiques de Roland de Vaux nous est néanmoins livrée au détour d’un courrier diplomatique du Consul de France à Jérusalem, Henri Zimmermann, délégué de la France libre en Palestine et en Transjordanie, adressé au général Catroux, commandant en chef des Forces françaises libres dans le Levant. De Vaux s’est adressé en octobre 1941 au consulat pour demander un visa lui permettant de se rendre au Liban pour travailler une dizaine de jours avec le directeur du Service des Antiquités du Liban, Maurice Dunand. Dans sa lettre d’appui au général Catroux, Zimmermann dit du père de Vaux : « Ce dernier, qui, lors de mon ralliement au mouvement de Gaulle m’avait exprimé ouvertement sa désapprobation, était entièrement acquis aux idées de son supérieur, le R.P. Perret, qui fut, tout récemment, comme vous le savez, expulsé de Palestine et renvoyé en France. J’ai promis au R.P. de Vaux de vous transmettre sa demande, après qu’il eut pris, devant moi, l’engagement d’honneur de ne se livrer à aucune activité politique »50. Le visa fut accordé. Une autre lettre de Roland de Vaux au père François Drapier, supérieur de la mission dominicaine de Mésopotamie à laquelle appartenait le père Savey donne une autre indication. Savey avait fait le choix, peu compris de ses frères, de rejoindre les gaullistes via Jérusalem et le Caire. De Vaux le rencontre et écrit à Drapier : « J’ai longuement parlé avec le père Savey et je n’ai pu que constater que sa décision avait été prise en toute loyauté de conscience et qu’elle était sans retour […]. Nous vivons à une époque malheureuse et trouble où on peut hésiter pour savoir où est le devoir, et je crois que nous devons respecter chacun quand bien même nous n’aboutirions pas aux mêmes conclusions »51. On n’en sait pas plus sur les options politiques de Roland de Vaux à cette époque. La formule laisse à penser qu’il s’agissait plus d’un alignement sur la position alors courante au sein du clergé catholique de fidélité à l’autorité jugée légitime, et non d’un engagement explicite et conscient pour le 50

Lettre du 21 octobre 1941, Archives diplomatiques, Nantes, 204 POB 101. Lettre non datée, mais on sait que Savey est passé par la Palestine en août 1940. Archives Province de France. 51

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régime de Vichy. Dominique Trimbur considère que le fait que de Vaux ait continué à exercer la direction par intérim du Centre de culture française de Jérusalem, fonction qui lui a été confiée par Outrey lors de son départ en mai 1941, peut indiquer qu’il bénéficie d’une certaine confiance de la part des gaullistes52. La chronique des Pères blancs de Saint-Anne en vieille ville restitue un climat identique au sein de la communauté. Lorsque le général Dentz vient prendre congé de la communauté des Pères blancs le 16 août 1941, il promet de dire au Supérieur général des Pères blancs « que nous demeurons fidèles à l’autorité légitime de la France »53. Maréchaliste, plus que Pétainiste, selon la distinction proposée par JeanPierre Azéma54. Position courante mais nullement systématique comme le montre le parcours de Raymond Tournay, un autre religieux de Jérusalem, un peu plus jeune que Roland de Vaux. Arrivé en Palestine en 1938, avec un solide bagage en assyriologie, Tournay passe la période de la guerre en France où il vient aider le père Vincent dans la publication de la Revue biblique. Il s’engage dans la Résistance grâce au médiéviste Edmond Faral, qui est aussi administrateur du Collège de France55. Impliqué dans des réseaux qui cachent des collègues juifs, Raymond Tournay devient agent de liaison après l’arrestation de plusieurs religieux dominicains du couvent Saint-Jacques à Paris, dont deux vont mourir en déportation. Sa santé fragile l’empêcha d’être recruté comme aumônier de la 2e DB où il avait offert de servir. Dès octobre 1945, il est de retour en Palestine pour prendre sa place à l’École biblique. D’autres communautés religieuses de Jérusalem, comme les sœurs de Sion, les sœurs de Saint-Joseph de l’Apparition et les Pères de Betharram se prononcèrent vite pour les gaullistes et n’hésiteront pas à hisser le drapeau français le 18 juin 1943 pour fêter le troisième anniversaire de l’appel du Général de Gaulle à Londres. Dominique Trimbur a analysé la complexité de la situation des Français à Jérusalem durant la seconde guerre mondiale. N’optant pas immédiatement pour le gaullisme, sans être lui-même inféodé au régime de Vichy, le Consul de France Amédée Outrey doit quitter son poste sous la pression des Britanniques qui répondent à la déclaration de persona non grata à 52

Cf. TRIMBUR 2011a, 347-363. Diaire de la Communauté des Pères blancs de Sainte-Anne, 1941. 54 Cf. AZEMA 2002. Il est à noter que d’autres religieux français de Jérusalem firent l’objet d’une expulsion ou d’une assignation à résidence par les autorités britanniques. L’expulsion de Perret est assez abondamment documentée dans les archives du Quai d’Orsay. 55 Cf. Notice Raymond-Jacques Tournay par Nathalie Viet-Depaule dans le Dictionnaire biographique des Frères prêcheurs : https://journals.openedition.org/dominicains/4209 53

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l’encontre du représentant anglais en Syrie-Liban56. Le consulat de France est fermé en mai 1941 et la charge des intérêts français en Palestine est confiée à l’Espagne en attendant des jours meilleurs. Dès le 23 juillet 1941, une Délégation de la France libre est installée, peu après l’armistice de Saint-Jean d’Acre qui scelle la victoire des Forces françaises libres et des Anglais sur les forces de Vichy. Le titulaire du poste, Henri Zimmermann, ancien adjoint d’Amédée Outrey, poursuivit la politique antérieure de soutien aux communautés religieuses françaises, qui étaient un des moyens pour la France de rester présente dans une région où son influence était en fait en déclin57. L’École biblique et archéologique française de Jérusalem était, évidemment, une des pièces maîtresses de la diplomatie d’influence politique par la culture. Il resta que les communautés eurent du mal à se situer lors de ces changements politiques, en particulier la communauté des Pères blancs de Sainte-Anne qui ont la charge d’une église, domaine français, où a lieu une messe pour la République lors du 14 juillet. En 1941, ils refusèrent d’assister à une messe à NotreDame de France « non par passion ni bravade, disent-ils, mais parce qu’après avoir réfléchi devant Dieu et consulté notre conscience, nous avons jugé que nous ne pouvions pas, nous qui sommes les gardiens officiels de l’église nationale de Sainte-Anne, participer à des cérémonies et à des réunions organisées et présidées par un parti, dont les intentions sont bonnes sans doute, mais qui nie et insulte le Gouvernement légitime de la France et qui a, à plusieurs reprises, versé le sang français »58. Les communautés religieuses liées à la France eurent aussi du mal à se situer paisiblement sur la question du judaïsme. Lors d’une conférence donnée chez les Frères des Écoles chrétiennes par un jésuite français Auguste 56

Amédée Outrey poursuivit néanmoins une carrière honorable au Quai d’Orsay, d’abord comme premier conseiller à l’ambassade de France à Ankara puis comme directeur d’AfriqueLevant au ministère. Mis à la retraite anticipée en raison de son indécision face à Vichy, il fut réintégré à la Libération et occupa pendant onze ans le poste de directeur des archives diplomatiques. Il importe de ne pas le confondre avec oncle Georges Outrey, Consul général à Jérusalem de 1905 à 1908. 57 Cf. TRIMBUR 1998. René Neuville, n’aura pas non plus la tâche facile, bien que ce fût un personnage de très grande envergure. Né à Gibraltar d’un père diplomate, Neuville est chancelier du consulat général de France à Jérusalem de 1926 à 1937 puis consul général de 1946 à sa mort en 1952. Entre temps, il a été en poste au Maroc, en Algérie et en Tunisie. Diplomate, mais aussi archéologie, préhistorien et épigraphiste, René Neuville est particulièrement qualifié pour représenter la France lors de la Partition de la Palestine en 1948. Vincent Lemire a montré avec quelle attention il a géré le dossier du quartier des Maghrébiens et du waqf Abou Mediene, qui permettait de subvenir aux besoins de pèlerins musulmans d’origine maghrébine. Cf. V. LEMIRE 2022, 119-127. Voir aussi F. SCHILLO 2015, 327-343 et PERROTPARROT 1952. 58 Diaire de la Communauté des Pères blancs de Sainte-Anne, 3 novembre 1941.

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Valensin sur « Racisme, judaïsme et christianisme », les Pères blancs décidèrent de ne pas y aller, estimant que « ces sortes de sujets prêtent trop facilement à la politique »59. 9. DE L’HISTOIRE À L’ARCHÉOLOGIE Les turbulences de la guerre n’empêchent pas, en effet, les religieux de l’École biblique de poursuivre leurs travaux. Un article de Roland de Vaux, daté de 1946 – « Les patriarches hébreux et les découvertes modernes »60 – montre qu’il a profité de cette période particulière pour mûrir ses positions sur le délicat dossier de l’historicité du Pentateuque sur lequel Lagrange avait rencontré tant de résistances. Il y examine les diverses théories en présence et tente de prendre position en s’appuyant sur les fouilles réalisées depuis une vingtaine d’années en Mésopotamie, en Syrie et en Palestine et qui ont, dit-il, « entièrement renouvelé nos connaissances sur l’histoire du Proche-Orient au cours du IIe millénaire avant Jésus-Christ ». De Vaux ose reprendre le dossier car, depuis le départ de Lagrange, les positions ont évolué au sommet de l’Église catholique. Le 30 septembre 1943, Pie XII a promulgué l’encyclique Divino Afflante Spiritu, dont la Revue biblique donne le texte intégral en latin dans son numéro de 1943-44. Un liminaire de la rédaction de la Revue biblique souligne que l’encyclique « ouvre sans contredit une ère nouvelle pour l’étude des Saintes Lettres et ne saurait manquer de lui donner une inspiration féconde »61. Ainsi conforté dans son désir de mettre les acquis de la science au service de l’étude de la Bible, de Vaux propose un status quaestionis sur ce dossier sensible. Très érudit et documenté, le long article en trois livraisons constitue déjà une esquisse de la synthèse qu’il publiera en 1970 dans son maître-livre, Histoire ancienne d’Israël62. La période de la Seconde Guerre mondiale est également celle qui voit Roland de Vaux se lancer dans le métier d’archéologue. Un de ses compagnons de fouilles, le fr. Jourdain-Marie Rousée, a écrit que « le P. de Vaux lui-même n’avait jamais souhaité devenir archéologue. Il était venu à Jérusalem pour faire de la théologie biblique » et il ajoute à l’appui de 59 Le chroniqueur ajoute que le Consul général du Chaylard (gaulliste) présidait et que la salle était comble. Diaire de la Communauté des Pères blancs de Sainte-Anne, 22 novembre 1942. 60 Cf. VAUX (de) 1946. L’article va se poursuivre sur plusieurs livraisons : RB 55 (1948), 321-348, RB 56 (1949), 5- 36. 61 « Encyclique de Sa Sainteté Pie XII sur la meilleure manière de promouvoir les études bibliques », Vivre et Penser. Recherches d’exégèse et d’histoire, 1944, p. 7. 62 Cf. VAUX (de), 1971a et 1973a.

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son propos le fait que, durant la première année de son séjour à Jérusalem, Roland de Vaux « inaugurait chaque journée de travail par la lecture d’une page de Cajetan dans l’édition Léonine de Saint Thomas d’Aquin »63. En réalité, cette lecture régulière des commentateurs de saint Thomas était alors courante ; il est probable surtout que de Vaux voulait faire en permanence le lien entre archéologie et texte : d’où cette fréquentation régulière. Comme la plupart des religieux de son temps, il accepta sans doute de faire tout simplement ce qui lui était demandé, mais on ne peut nier que son goût pour l’histoire d’Israël et la réputation de l’École biblique en la matière le prédisposaient au travail d’archéologue. Il est probablement perçu ainsi par les autres, car, sans avoir encore beaucoup fouillé lui-même, l’offre lui est faite en mai 1943 d’être dans l’équipe organisatrice d’une rencontre des archéologues du Proche-Orient à l’invitation de l’American School of Oriental Research. Les deux autres membres du comité préparatoire sont Nelson Glueck, directeur de l’institution invitante, et Éleazar Sukenik, fondateur du département d’archéologie à l’Université hébraïque de Jérusalem. Le but de la rencontre est de voir comment relancer la recherche archéologique en Palestine après la fin de la guerre, à un moment où le développement des nationalismes locaux vient bousculer les hégémonies coloniales traditionnelles. La rencontre eut lieu à l’American School of Oriental Research les 10 et 11 juillet 1943 et rassembla une cinquantaine de chercheurs, dont les PP. Abel et de Vaux de l’École biblique, mais aussi d’autres archéologues importants du moment, comme Lankester Harding, plus tard directeur des antiquités de Transjordanie, Maurice Dunand, directeur de Service des Antiquités de Syrie et du Liban, Keppel Archibald Cameron Creswell, professeur à l’Université Fouad du Caire, et, bien sûr, un bon nombre d’archéologues et de chercheurs de l’Université hébraïque (Nahman Avigad, Michael AviYonah, Immanuel Ben-Dor, Leo Aryeh Mayer, Eleazar Sukenik, Shmuel Yeivin). Des questions sensibles furent abordées comme, par exemple, la possibilité de collaborer entre institutions de recherche dépendant de différents pays, les droits respectifs sur les découvertes, etc. À la lecture des minutes de la rencontre, on mesure combien l’avis de Roland de Vaux est sollicité sur divers sujets. Il devient d’ailleurs membre de l’Archaeological Advisory Board qui est consulté par le Département des antiquités de Palestine lorsque des permis de fouille sont sollicités. Quant aux fouilles elles-mêmes, de Vaux s’y était un peu frotté à la fin des années 1930 en dégageant avec le père Benoît la mosaïque byzantine 63

Cf. « Fouiller avec le P. de Vaux », in LAPERROUSAZ 1997, 39.

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de Ma‘in en Transjordanie, mais il va désormais s’attaquer à des chantiers plus conséquents. Le premier chantier auquel il s’intéresse en 1944 est une fouille autour de l’église médiévale d’Abou Ghosh, petit village situé à une douzaine de kilomètres à l’Ouest de Jérusalem. Abou Ghosh abrite une petite merveille, une église croisée construite par les Chevaliers de Saint-Jean-de-l’Hôpital, ornée de fresques. Devenue propriété nationale française en 1873 par donation du Sultan de Constantinople, la propriété d’Abou Ghosh est confiée depuis 1901 à des religieux français. Soucieux d’élargir leur propriété, ceux-ci se lancent en 1941 dans le déblai et la restauration d’une grande salle voûtée attenante à la mosquée du village, ce qui va donner l’occasion d’ouvrir un chantier de fouille pour mieux connaître l’histoire du domaine. Des relevés en avaient déjà été faits au XIXe siècle et les fresques avaient fait l’objet d’une communication à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres en 1924. Une subvention du Gouvernement provisoire de la République française en 1944 permet de réaliser une fouille dont la responsabilité scientifique est confiée à l’École biblique et archéologique française de Jérusalem. De Vaux va bénéficier de la collaboration de son confrère Stève, qui réalisera les plans et les dessins dans la publication finale64. Cette subvention des pouvoirs publics français pour une fouille suscita quelques critiques au sein de certaines communautés religieuses françaises de Jérusalem qui estimaient 64 Marie-Joseph STÈVE, Ambroise en religion, (1911-2001) avait été remarqué par le père Lagrange alors qu’il était étudiant au couvent de Saint-Maximin, mais la guerre de 1939 retarda sa venue à Jérusalem. Durant la guerre, il étudie l’architecture à l’Université de Montpellier. Entré dans la Résistance, il est obligé de partir en Espagne pour fuir la Gestapo. Il rejoint la France libre au Maroc où il est nommé aumônier au régiment de spahis puis officier du chiffre à bord de la Jeanne d’Arc. Cela lui permet de participer au débarquement dans le Sud de la France en 1944. Il rejoint Jérusalem en décembre 1944. Il est d’abord étudiant puis seconde le père Vincent comme dessinateur pour la publication des deux volumes de Jérusalem de l’Ancien Testament, chez Gabalda en 1955 et 1956. En 1950, il collabore avec Roland de Vaux pour les fouilles de Tell el-Far‘ah et les dessins et planches de la publication d’Abou Ghosh, puis rentre en France pour raisons de santé. Il ne reviendra pas à Jérusalem. Ceci n’interrompt pas sa carrière scientifique, puisque, après avoir suivi le cours d’akkadien de René Labat à l’École pratique des Hautes-Études, il apporte son concours comme épigraphiste dans diverses missions archéologiques, principalement en Iran. Cela lui vaut d’être membre de la Délégation archéologique française à Tchoga-Zanbil et Suse. Après le départ à la retraite du chef de mission Roman Ghirshman en 1967, Stève prend la direction scientifique de la fouille de Suse, mais il laissera ce poste devant l’insistance d’un concurrent ambitieux. Spécialiste reconnu de la langue élamite, il poursuit alors sa carrière savante au CNRS. Outre la publication des textes élamite et accadiens de Tchoga-Zanbil dans le volume III de la collection des Mémoires de la délégation archéologique de Perse, on signalera parmi les nombreuses publications érudites du P. Stève : Syllabaire élamite. Histoire et paléographie, Neuchâtel-Paris, Recherches et Publications, 1992. Pour un rappel de sa vie, voir SPYCKET, 2001, 1-4.

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que cet argent serait mieux employé s’il permettait d’assurer la survie du séminaire syrien-catholique tenu par les bénédictins français65. La fouille fait vite apparaître un bâtiment construit vers la fin du IXe siècle, à la première époque musulmane, puis utilisé par les Croisés au XIIe siècle et restauré sous les Mamelouks. Bien que le couvent moderne recouvre en partie le bâtiment ancien, des sondages ont conclu à la présence d’un caravansérail de dimension moyenne (40 m. sur 35 m.), à proximité d’une source qui jaillit sous l’église médiévale. Un réservoir aurait été aménagé au IIe-IIIe siècle de notre ère par la 10e légion romaine qui des hauteurs de Kyriat Yearim surveillait la route de Jérusalem à Nicopolis. Après la conquête musulmane, la voie romaine devient la route des Califes et de leurs troupes qui trouvaient là une halte opportune. La fouille mit en évidence le soin apporté à l’approvisionnement en eau, avantage souligné par divers chroniqueurs ultérieurs, arabes et croisés. Ces derniers y restèrent assez peu, chassés au bout d’un demi-siècle par Saladin. Le site sera alors abandonné puis repris et restauré par les Mamelouks. Diverses légendes musulmanes sont, de surcroît, rattachées à ce lieu, croisant même parfois des épisodes de l’histoire biblique liés à Esdras et Jérémie. Un des intérêts principaux de la fouille a été de mieux connaître l’architecture musulmane de Syrie-Palestine entre le VIIIe et le XIIe siècle, dont on avait assez peu d’exemples : « Abou Ghosh fournit donc un jalon précieux pour l’histoire de ce type architectural. La transformation de notre bâtiment à l’époque mamlouke ajoute un intérêt nouveau : elle marque une nouvelle phase dans l’évolution du plan, conformément à ce qu’on peut observer dans les caravansérails de Syrie. De plus, la céramique recueillie spécialement dans la petite citerne du sud-est nous fournit, pour la première fois, une série assez nombreuse et bien datée. L’archéologie musulmane y trouvera son profit », écrit Roland de Vaux dans une lettre au Consul général de France, annonçant une communication à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, qui sera donnée le 10 juillet 1945 sous la forme d’un mémoire, un pré-rapport de fouilles, publié dans la Revue biblique de 194666. La publication définitive sort chez Gabalda en 1950 sous le titre : Fouilles à Qaryet al-‘Enab Abu Gôsh Palestine sous la double signature de de Vaux et de Stève67. « Vous apportez vraiment du nouveau dans un chapitre de 65

Cf. TRIMBUR, 2002b, 340. Lettre au Consul général de France, Délégué du Gouvernement provisoire de la République française, 22 décembre 1944, Archives diplomatiques, La Courneuve, 238 QO 108. 67 Cf. VAUX (de) - STÈVE 1950. L’ouvrage est recensé par F.P. LEMAIRE dans la RB (1951) 443-447. 66

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l’évolution culturelle de l’Islam », lui écrit William Marçais, un des nombreux spécialistes à qui il a fait adresser l’ouvrage68. La période de la guerre se clôt pour Roland de Vaux par une autre fouille conduite en 1945-46 à ‘Aïn el-Ma’moudiyeh, à l’Ouest d’Hébron, toujours avec le père Stève. Des textes anciens identifiant le lieu avec le désert où Jean-Baptiste baptisait, la fouille permit de confirmer la présence d’une petite chapelle baptismale et d’un ancien monastère pouvant accueillir des pèlerins, le tout datant de Justinien69. Les chantiers sont encore modestes mais préparent Roland de Vaux à des fouilles d’une autre ampleur, qui vont se succéder au lendemain de la guerre : Tell el-Far‘ah et Qumran. Tout en fouillant, Roland de Vaux poursuit ses recherches : en 1948 et 1949, il publie deux autres articles sur les Patriarches hébreux et les découvertes modernes, qui font suite à l’article de 1946 déjà cité. Il est là sur une question de fond qui aboutira dix ans plus tard à son ouvrage Die hebräischen Patriarchen und die modernen Entdeckungen70, où il reprend à frais nouveaux le dossier que Lagrange s’était vu intimer l’ordre d’abandonner : la question de l’historicité des Patriarches et plus largement du Pentateuque.

68 William Marçais (1872-1956), spécialiste de littérature arabe, a été professeur à l’École des langues orientales, à l’École pratique des hautes-études, avant de finir sa carrière au Collège de France. 69 Cf. STÈVE 1946, 559-575. 70 Cf. VAUX (de), 1959b.

CHAPITRE TROISIÈME

NAISSANCE D’UN ARCHÉOLOGUE (1945-1952) « Cette collection est, de loin, la plus riche que la Palestine ait livrée pour cette époque reculée ». Roland de Vaux à propos des vases trouvés à Tell el-Far‘ah, 1947.

Les tumultes de la seconde guerre mondiale tout juste apaisés, la vie reprend à l’École biblique et Roland de Vaux y joue un rôle de premier plan. Dans une dépêche diplomatique du 4 mai 1944, le Consul général de France et Délégué de la France combattante, Guy du Chaylard, évoque, en des termes flatteurs, sa participation aux conférences de Roland de Vaux qui attirent à l’École plus de trois cent personnes : « ces réunions sont très courues et le public qui s’y presse représente l’élite intellectuelle de la ville, sans distinction de nationalité et de religion »1. De Vaux a été chargé depuis mai 1941 de la présidence du Centre de culture française, qui tente de maintenir une présence culturelle de la France dans une Palestine sous mandat britannique. De son propre aveu, c’est pour lui « un fardeau », mais aussi l’occasion de remettre l’École biblique sur le devant de la scène. Créé en 1935 par la Mission laïque française qui avait échoué à établir à Jérusalem un lycée français sur le modèle de ses établissements méditerranéens, en raison des oppositions locales (écoles des congrégations, tensions entre arabes et juifs), le Centre de Culture française s’adresse à la partie juive d’abord, arabe ensuite de la ville. Mais l’effort de renouveler la présence française qu’il incarne est confronté à la réalité compliquée et troublée du terrain palestinien, comme le montre Dominique Trimbur2. Néanmoins, l’École biblique en la personne du P. de Vaux qui en a accepté 1

Dépêche de Guy du Chaylard, 4 mai 1944. Archives diplomatiques. Dans le même message, le délégué de la France combattante en Palestine et Transjordanie ajoute : « Je me fais un devoir d’assister à chacune de ces réunions où la première place m’est d’ailleurs réservée, bien qu’à vrai dire, la majorité des Pères Dominicains ne fait pas montre, à l’égard de notre mouvement, d’une sympathie exagérée ». Les blessures créées par la guerre de Syrie et les controverses Pétain-de Gaulle ont laissé des traces. 2 Cf. TRIMBUR, 2002c et 2021.

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la présidence n’a pas ménagé son soutien : « on peut dire qu’il a sauvé l’institution qui était en train de décliner et son activité a presque triplé depuis qu’il en a assuré la direction », reconnaît le Consul de France qui ajoute que l’École constitue au Moyen-Orient « un centre de renommée mondiale ». On peut imaginer la surprise de certains de voir un religieux catholique à la tête d’un établissement de la Mission laïque. Au sortir de la guerre, l’École doit, en fait, reconstituer ses effectifs, relancer son enseignement, faire connaître ses activités. Dans une lettre de mai 1944, de Vaux écrit : « je suis extrêmement occupé et je ne puis pas répondre suffisamment à toutes les possibilités, pas même à toutes les exigences »3. Cette surcharge ne va pas l’empêcher d’accepter d’autres responsabilités, à sa mesure. Il va même être happé par un rythme d’activité qui laisse pantois : il devient directeur de l’École biblique en 1945, tout en continuant à assumer la direction de la Revue biblique, charge qu’il ne laissera qu’en 1953. En 1946, il démarre les fouilles de Tell el-Far‘ah ; la même année, l’École biblique se lance dans l’ambitieux projet de la Bible de Jérusalem ; en 1947, éclate l’affaire Qumrân où il va jouer un rôle majeur. Et, pour faire bonne mesure, il est élu prieur pour un mandat de trois ans en août 1950. Il est alors au faîte de ses capacités, en pleine maturité. C’est la période où il va donner toute sa mesure, une mesure hors du commun. 1. LE LANCEMENT DES

FOUILLES DE

TELL

EL-FAR‘AH

Au sortir de la guerre, alors qu’on vient de lui confier la direction de l’École biblique, de Vaux va se lancer dans des fouilles archéologiques de grande envergure. Après celle d’Abou Ghosh, conduite en 1944, il prend en charge le site de Tell el-Far‘ah où il va diriger neuf campagnes entre 1946 et 19604. Mais à peine s’est-il engagé dans ce dossier qu’il est happé par la découverte des manuscrits de la mer Morte à Qumrân et la responsabilité des fouilles archéologiques qui lui incombe. La guerre de 1948 survient sur ces entrefaites et va perturber l’activité de l’École biblique sans l’arrêter complètement. Certes, il est au milieu de la quarantaine, dans la force de l’âge, mais on reste néanmoins stupéfait devant ce que cet homme a dû assumer au cours de ces années. Jusque-là, il n’a conduit que des fouilles mineures où il s’agissait d’exhumer et d’identifier des monuments ou des vestiges d’architecture. À Tell el-Far‘ah, il s’agit d’autre chose et 3

Lettre de Roland de Vaux à Madame R.M. Ollier, archives familiales. Pour un historique des fouilles de l’École biblique, voir : BENOIT, 1988 ; TRIMBUR, avec la collaboration de J.-B. HUMBERT, 2011b. 4

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CHAPITRE TROISIÈME

de Vaux a vite compris l’intérêt et l’enjeu d’accepter l’offre qui lui est faite en mars 1945 par la commission des fouilles du Ministère français des Affaires étrangères qui accepte de lui confier la responsabilité scientifique du nouveau chantier5. Il rédige un premier projet où il ne cache pas son intérêt : « cette demande, écrit de Vaux, reçoit de notre part l’accueil le plus enthousiaste ». Il souhaite, en effet, que l’École honore son rôle de « représenter la science française dans ce pays […] et ait un chantier où puissent s’exercer pratiquement ses étudiants et le stagiaire qu’envoie chaque année l’Académie »6. De Vaux veut explicitement que l’archéologie française « ne fasse pas trop mesquine figure » à côté de ce qui est réalisé par diverses autres missions archéologiques, étrangères ou locales. Le site de Tell el-Far‘ah, par sa complexité, requiert une approche scientifique savante avec une stratigraphie multiple. De Vaux ose se lancer même s’il n’a pas encore une véritable expérience de fouilles aussi complexes, mais il a beaucoup appris auprès du P. Vincent qui l’a introduit auprès de plusieurs savants comme André Parrot, qui deviendra un soutien et un ami ; il visite depuis des années les grandes fouilles de Palestine, de Syrie, du Liban au contact d’archéologues français comme Thureau-Dangin, Dunand, Seyrig et Schaeffer, devenus parfois des amis, mais aussi des archéologues anglo-saxons comme Albright. Dès 1938, Thureau-Dangin lui dit toute son admiration pour son étude des textes de Ras Shamra parue dans la Revue biblique de 1937 et l’informe des fouilles de Dunand à Sidon et de Louis Delaporte – un spécialiste des hittites – à Malatya. De Vaux lit tout ce qui paraît et, au contact de ses pairs, n’ignore rien des exigences d’une fouille bien conduite. Le site, sérieusement exploré par Albright mais jamais fouillé, laisse espérer des découvertes d’intérêt, car il est aussi grand que Megiddo et plus grand que Jéricho. Situé à onze kilomètres au Nord-Est de Naplouse, 5 La Commission des fouilles a été créée au lendemain de la seconde guerre mondiale sous l’impulsion du général de Gaulle et de l’archéologue Henri Seyrig, avec pour mission d’offrir la compétence de spécialistes pour aider au choix de chantiers de fouilles que la France entreprend à travers le monde. Le lien entre archéologie et diplomatie est donc ici explicite. Ses partenaires sont donc les Écoles françaises à l’étranger, les grands musées comme le Louvre, le musée Guimet, le Museum national d’Histoire naturelle, et, bien sûr, les grands centres de recherche français. Elle permet aux pouvoirs publics français d’appuyer de manière plus efficace l’action déjà ancienne d’institutions archéologiques françaises à l’étranger comme l’Institut Français d’Archéologie Orientale du Caire, la Délégation Archéologique Française en Afghanistan à Kaboul et de soutenir des centres plus récents comme l’Institut Français du Proche-Orient. Liste disponible sur le site du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. 6 Projet de fouilles archéologiques à Tell el-Far‘ah près de Naplouse (Palestine) présenté par le R.P. de Vaux, École archéologique française (Jérusalem), 21 mars 1945, 7 p., archives diplomatiques.

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le site est une place forte qui commandait d’importantes voies de communication avec la vallée du Jourdain et la Transjordanie. Les Patriarches des Hébreux auraient parcouru cette route à l’instar des grandes migrations. Des sections de mur qui affleurent laissent deviner un rempart de l’époque du Bronze et la poterie qui affleure en surface atteste une occupation très ancienne, depuis le début du Bronze moyen jusqu’au début du Fer, c’està-dire de l’an 2000 à 800 avant notre ère. Fouiller ce site devrait apporter une vraie contribution à la connaissance de l’histoire de la Palestine, car les sites voisins de Sébastiyé et de Sichem avaient été peu ou mal fouillés ; ils le seront correctement plus tard. Probablement occupé dès l’époque cananéenne, le site pourrait, à l’époque biblique, correspondre à la première capitale du Royaume d’Israël, l’antique Tirça, où Jéroboam établit sa capitale après la scission du royaume à la mort de Salomon, selon le Livre des Rois. Intendant de Salomon, Jéroboam s’était révolté contre lui et avait été acclamé roi par les tribus du Nord. Sa royauté ne durera qu’une quinzaine d’années, Samarie et le roi Omri ayant vite pris le dessus. Le Cantique des cantiques fait néanmoins l’éloge de la beauté de cette ville inachevée : « Tu es belle, mon amie, comme Tirça, charmante comme Jérusalem, redoutable comme des armées prêtes à combattre » (Cantique, 6,4). Elle aurait été la capitale de six ou sept rois d’Israël sur une période de quarante à cinquante ans, ce qui en fait un site clé pour l’étude des débuts du Royaume du Nord7. Ceci reste, néanmoins, à démontrer car il existe d’autres hypothèses : pour certains, il s’agirait d’Ophra, mentionnée dans les récits relatifs à Gédéon dans le Livre des Juges ; pour d’autres, dont le père Abel, il s’agirait de Beth-Bara8. L’hypothèse la plus commune, retenue au départ par Roland de Vaux, est qu’il s’agirait en effet de l’antique Tirça, dont il est plusieurs fois question dans les Livres des Rois. L’accès en est assez facile mais l’ampleur du chantier amène de Vaux à élaborer un projet de fouille sur quatre ou cinq ans. Un plan de travaux est soumis à la Commission des fouilles ainsi que la composition d’une équipe qui serait dirigée par de Vaux lui-même, assisté du père Stève. Ce dernier est architecte, topographe et dessinateur, et a déjà travaillé avec lui à Abou Ghosh. Les boursiers de l’Académie y seraient, bien sûr, associés ainsi que des assistants, selon les besoins. Le Département des Antiquités de Palestine soutient le projet : Robert William Hamilton, directeur du Département, et son équipe vont assister Roland de Vaux. Pour une première campagne exploratoire, de Vaux estime la dépense à 1100 Livres palestiniennes, prix incluant la location du terrain à ses propriétaires. Au cours de l’été 1945, 7 8

C’est l’opinion retenue par FINKELSTEIN 2013, 109-110. Présentation du dossier par AMIET et al. 1996, 14.

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de Vaux va à Paris défendre le dossier. La commission des fouilles accepte le projet au cours de sa séance du 25 juillet 1945 et accorde la somme demandée de 1100 Livres palestiniennes, soit 220.000 Francs. Elle a, en outre, désigné M. Claude Schaeffer, directeur de la Mission de Ras Shamra, comme son délégué auprès de la Mission archéologique française pour la conduite de la fouille de Far‘ah9. La somme va hélas mettre des mois à parvenir à Jérusalem, ralentissant d’autant la demande de permis de fouille et le démarrage du chantier10. Le tell que de Vaux va fouiller pendant près d’une décennie est important par ses dimensions : 600 m. de long sur 300 m. de large, si l’on inclut les pentes. L’implantation humaine s’est faite sur le sommet d’un plateau rocheux qui se termine par une falaise abrupte. C’était un endroit assez facile à fortifier, en raison des vallées qui encadrent le site. De surcroît, plusieurs sources entourent la zone, en particulier le wadi Far‘ah dont l’abondance semble avoir toujours attiré une population nombreuse. Bien située quant aux communications avec la Samarie et la vallée du Jourdain, le site semble donc avoir été occupé depuis le néolithique précéramique jusqu’à la période arabe, avec quelques lacunes, parfois longues comme entre le Bronze ancien II et le Bronze moyen II. Fouillant sur une période de près de quinze ans, entre 1946 et 1960, de Vaux a entrepris sur le site cinq chantiers différents auxquels s’ajoutent autant de sondages dans d’autres parties du site. Le chantier a duré des années pour diverses raisons : de longues négociations avec le propriétaire du terrain, une famille de Naplouse, pour convenir des conditions de location du site, la guerre de 1948, et, enfin, le démarrage des fouilles de Qumrân. Malgré tout, 15% de la superficie du tell ont été fouillés. L’ampleur du chantier va amener de Vaux à solliciter divers collaborateurs. On a un compte-rendu assez régulier du chantier de Tell el-Far‘ah grâce aux pré-rapports de fouille publiés dans la Revue biblique entre 1947 et 196111. Les pré-rapports sont déjà assez copieux, la présentation des premières conclusions s’appuyant sur de nombreuses planches de croquis et de photos.

9 Claude Frédéric-Armand Schaeffer (1898-1982) est connu pour ses travaux sur Ugarit (Ras Shamra) où il a fouillé pendant cinquante ans et découvert des tablettes à écriture cunéiforme alphabétique. Directeur de recherche au CNRS, il a été secrétaire général de la Commission des fouilles de 1946 à 1959. De Vaux se voit donc attribuer un partenaire de très haut niveau. 10 Des courriers ultérieurs évoquent un virement de 2200 L.P. (19 mars 1946, 27 mars 1946). 11 Les références précises sont données ci-dessous campagne par campagne.

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2. JUIN 1946 –

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1947 : PREMIÈRES CAMPAGNES À TELL EL-FAR‘AH

OCTOBRE

La première campagne eut lieu en 1946, en deux périodes (du 1er juin au 28 juillet, puis du 15 septembre au 14 octobre). Elle est dirigée par de Vaux et Stève, assistés de l’abbé Henri Cazelles et de M. Jean Perrot, puis du père Benoit. Plusieurs étudiants de l’École biblique prendront part à certaines périodes du chantier, qui s’arrête au moment où les cours reprennent à l’École, mi-octobre. Les fouilleurs sont logés chez les Sœurs de Saint-Joseph de l’Apparition de Naplouse, où a jadis résidé le père Jaussen, lorsqu’il préparait son ouvrage Naplouse et son district (1927). Les ouvriers, une soixantaine durant la première campagne, viennent pour la plupart du village de Tallûza, situé à une bonne heure de marche. Le contremaître venait, lui, de Samarie, accompagné de quelques ouvriers déjà formés12. Très vite se pose la question de l’accessibilité du terrain. De Vaux suggère au Consulat général de France d’appuyer sa demande au Gouvernement britannique de pouvoir acheter au nom de l’École une partie du terrain (trente donums) du Tell el-Far‘ah13. Au cours de la première campagne, Roland de Vaux est victime d’un accident de la route assez sérieux : le camion dans lequel il avait pris place avec une vingtaine de voyageurs s’est renversé14. La seconde campagne a lieu sans interruption du 20 août au 19 octobre 1947. Le P. de Vaux, chef de mission, est à nouveau secondé par le P. Stève, qui fait fonction de dessinateur et d’architecte. Deux autres dominicains de l’École, Marie-Émile Boismard et François Lemoine collaborent également, surtout pour le remontage des vases, avec l’aide de Luc Grollenberg, chargé de la photographie. Les objets exhumés commençant à être nombreux, un abri est construit pour la conservation et l’étude et un gardien installé dans le voisinage à la fin de la campagne pour éviter des pillages par les chercheurs d’antiquités15. Au cours de la seconde campagne, une nécropole est découverte dans des conditions racontées par R. de Vaux lui-même : « Pendant que nous fouillions les niveaux d’occupation du Tell, un ouvrier nous dit un jour : “Pourquoi travailles-tu ici ? C’est beaucoup mieux là-bas : quand on 12

Cf. VAUX (de) - STÈVE 1947, 394-433, 573-589. Lettre du 22 juillet 1947. En fait, par une lettre du 23 septembre 1947, l’autorité mandataire refuse d’intervenir. 14 Chronique conventuelle du 26 juin 1946 : « Contusionné par tout le corps et portant à la tête de graves blessures, il a été porté à l’hôpital de Naplouse où les PP. Savignac et Couroyer se sont rendus immédiatement ». 15 Cf. VAUX (de) - STÈVE 1948, 544-580 et VAUX (de) - STÈVE 1949, 102-138. 13

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CHAPITRE TROISIÈME

laboure, il sort de terre des pots entiers ; en une journée tu remplirais ton automobile” ». Intrigué, de Vaux alla vérifier et put dégager en quelques heures un plein couffin de vases : il venait de trouver une des nécropoles de la ville antique, dont les objets permirent de mieux connaître la période du Bronze moyen II. « La nécropole de Tell el-Far‘ah apporte évidemment une contribution de première valeur à la connaissance de la période archaïque en Palestine », concluent de Vaux et Stève dans leur rapport de 1949. Dès la fin de la seconde campagne, Roland de Vaux fait un compte-rendu à Direction Générale des relations culturelles au Ministère des Affaires étrangères à Paris, qui est impliquée, via la Commission des fouilles, dans le financement des campagnes. Le rapport fait état d’un partage des objets rapportés du chantier, selon un accord d’août 1947 avec le département des Antiquités de Palestine. Celui-ci « s’est montré libéral », écrit de Vaux, qui ajoute : « les pièces laissées à la France sont déposées au Musée de l’École archéologique française, où Monsieur Schaeffer doit venir prochainement choisir celles qui seront remises à nos musées nationaux ». Dans un communiqué de presse rédigé après la seconde campagne, de Vaux écrit : « Des résultats très intéressants ont été obtenus, qui confirment et enrichissent beaucoup ceux de la première saison. Le site a été habité à partir d’environ 3.500 avant J.-C. Peu après, se développe une importante cité, dont les niveaux se succèdent assez rapidement, séparés par des couches d’incendie. Au début du troisième millénaire avant J.-C., la ville s’entoure d’un rempart, doublé d’un avant-mur et formant avec lui une fortification de douze mètres d’épaisseur. Le site semble avoir ensuite été abandonné pendant presque un millénaire. Vers 1800 avant J.-C., la vie y reprend mais la ville paraît avoir eu une extension moindre et s’être resserrée dans une partie du Tell que la pioche n’a pas encore atteinte. La région explorée jusqu’ici sert alors de cimetière. Bientôt des maisons s’y construisent, installations assez pauvres qui indiquent qu’on est alors dans les faubourgs de la cité : le vieux rempart écroulé a d’ailleurs cessé depuis longtemps d’être une protection efficace. Divers niveaux d’occupation se succèdent jusque vers 800 avant J.-C., où le site semble avoir été abandonné encore une fois. Une réoccupation est attestée à l’époque romaine et byzantine mais elle se concentre de préférence près de la belle source de ‘Aïn Far‘ah, au pied du tell ». Le résultat le plus remarquable de cette seconde campagne a été la découverte d’une nécropole archaïque dans les grottes voisines du tell, grottes d’où l’on a sorti plusieurs centaines de vases et d’objets divers appartenant à l’époque chalcolithique,

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entre 3500 et 3100 avant J.-C. Selon de Vaux, « cette collection est, de loin, la plus riche que la Palestine ait livrée pour cette époque reculée »16. Outre un résumé des premiers acquis scientifiques, de Vaux donne un rapport financier qui souligne que la Mission n’a été possible que grâce à « une stricte économie et le dévouement des membres de la Mission ». Cinq sixièmes des dépenses ont été affectées au salaire des ouvriers et du personnel subalterne, soit 939 Livres palestiniennes sur une dépense totale de 1281 Livres. Au terme de cette campagne, le bail de location du terrain s’achève et il sera donc nécessaire de remblayer tout ce qui a été fouillé, à moins qu’il ne soit possible d’acheter le terrain, ce à quoi de Vaux s’emploie, non sans difficulté, une loi palestinienne restreignant les transactions foncières aux citoyens palestiniens17. Cela ne lui sera pas accordé et il faudra à chaque campagne payer une location aux différents ayants droit, plusieurs familles palestiniennes. On mesure ici que la fouille suppose de son responsable non seulement beaucoup de résistance physique et d’endurance, mais aussi des démarches administratives assez lourdes, pour lesquels il n’était guère secondé. La tâche est d’autant plus lourde que le directeur de l’École doit également lutter en permanence pour obtenir des financements, non seulement pour les fouilles, mais aussi pour l’entretien de la bibliothèque de l’École biblique et même pour le paiement des bourses accordées pour les boursiers de l’Académie que l’École accueille chaque année depuis 1920, bourses qui parfois n’arrivent que partiellement18. 3. L’INTERRUPTION DE LA GUERRE

ISRAÉLO-ARABE DE

1947-1948

Le projet était bien engagé mais allait devoir s’interrompre, comme bien d’autres activités, en raison des événements politiques qui vont secouer toute la région en 1947-48. L’année 1946-47 avait été assez florissante pour l’École : vingt-six étudiants réguliers, soit le chiffre le plus haut depuis la fondation de l’École, dit le rapport annuel envoyé par Roland de Vaux en juillet 1947 à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. 16 Cf. R. de VAUX, Communiqué de presse sur les Fouilles françaises de Tell el-Far‘ah près de Naplouse, 1 p. 1947. 17 Lettre de Roland de Vaux au Directeur général des relations culturelles au Ministère des affaires étrangères, 20 décembre 1947. Archives diplomatiques, La Courneuve, 238 QO 108. 18 Cf. Courrier du P. de Vaux au directeur général des relations culturelles au ministère des Affaires étrangères, 26 juin 1947, signalant le retard du paiement, des réductions non prévues, etc., archives diplomatiques, Nantes, 294 PO/3/1-193.

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CHAPITRE TROISIÈME

Les étudiants viennent de diverses nationalités. Les cours prévus ont été assurés, ainsi que les voyages d’étude et les conférences très suivies dans une salle remise à neuf. Divers ouvrages sont sortis dans la collection Études bibliques. Bref, l’École s’est bien remise de l’interruption de la seconde guerre mondiale19. Mais, le 29 novembre 1947, un plan de partage de la Palestine est voté par l’Assemblée générale des Nations-Unies. C’est le résultat d’une stratégie très soutenue des mouvements juifs qui, mettant à profit la Déclaration Balfour de 1917 promettant la création d’un foyer juif en Palestine, ont activement travaillé à faire venir des milliers d’immigrants. Le mouvement de colonisation est particulièrement intense à partir de 1932 et bute sur une difficulté : le manque de terres pour installer ces nouveaux colons. Les Britanniques sont dépassés par la situation ; les Arabes, eux, sont divisés et manquent d’un leadership qui fédère leurs énergies. En revanche, le mouvement sioniste est soutenu par de puissants groupes armés comme la Haganah et l’Irgoun qui ont clairement fait le choix de la manière forte pour imposer un futur État juif qu’ils rêvent même, pour certains, d’établir sur l’ensemble du territoire de la Palestine mandataire. Ben Gourion est l’homme qui va jeter les bases d’un futur État juif en s’appuyant sur la force de frappe des groupes paramilitaires juifs. La grève générale de 1936 et la grande révolte arabe de 1937-39 sont un clair avertissement que l’on va vers un affrontement. Celui-ci va d’abord prendre la forme d’une guerre civile entre novembre 1947 et mai 1948, date du départ des Britanniques. Diverses organisations juives, plus ou moins officielles, harcèlent les villages arabes afin de les vider de leur population, en vue du partage territorial à venir. En riposte, des groupes armés arabes harcèlent les convois qui ravitaillent les colonies sionistes. L’épisode le plus tragique est le massacre du village de Deir Yassin perpétré le 9 avril 1948 par des membres de l’Irgoun et du Palmach, deux organisations paramilitaires sionistes : ce massacre fait environ 250 victimes, dont de nombreuses femmes et enfants et est suivi d’un pillage des maisons qui annonce le sort de nombreux villages palestiniens. L’objectif était de briser le moral des Arabes. Ceux-ci ripostent avec vigueur, faisant aussi beaucoup de victimes civiles, comme lors de l’attaque le 13 avril 1948 d’un convoi transportant du personnel médical de Jérusalem-Ouest vers le mont Scopus. 19 Cf. Rapport sur l’activité de l’École archéologique française de Jérusalem pendant l’année 1946-1947, envoyé à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 12 juillet 1947, archives diplomatiques, Nantes, 294PO/C/1-30

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Dépassés par la situation, et comme annoncé depuis 1947, les Britanniques quittent la Palestine le 14 mai 1948. L’État d’Israël est proclamé le même jour, déclenchant une offensive des armées arabes (Égypte, Transjordanie, Syrie, Irak, Liban) qui vont intervenir sur divers fronts du Nord au Sud de la Palestine mandataire. L’armée de la Transjordanie, la Légion arabe, entraînée par les Britanniques, est mieux préparée que les autres contingents arabes moins équipés. Mais la coordination de leurs offensives militaires est d’autant plus problématique que la Transjordanie garde le projet d’annexer une partie de la Palestine, pour réaliser la promesse faite aux Hachémites à la fin de la première guerre mondiale d’un grand État arabe confié à leur dynastie. L’État d’Israël, en revanche, se dote vite d’une puissante armée, Tsahal, qui émane des groupes paramilitaires, en particulier la Haganah. Entre mai 1948 et le printemps 1949, la bataille fait rage, sur divers fronts et dans toute la Palestine, faisant de nombreuses victimes de part et d’autre. Finalement, les forces arabes doivent concéder un armistice, Israël annexe Jérusalem-Ouest, alors que la Ville sainte, selon le plan de partage voté par l’ONU en 1947, devait avoir le statut de corpus separatum. Espérant contrôler un jour toute la ville, l’État hébreu occupe 77% de la Palestine mandataire, entraînant un immense exode de la population palestinienne des territoires désormais sous contrôle israélien : environ sept-cent cinquante mille Palestiniens prennent, de gré ou de force, le chemin de l’exil. C’est l’origine des nombreux camps de réfugiés de Palestine, de Jordanie et du Liban, qui vont déstabiliser le monde arabe durant des décennies. 418 villages sont brûlés ou rasés, comme le documente l’application « iNakba » développée par l’ONG israélienne Zochrot sur la base de documents d’archives. Les Arabes appellent cette période la nakba, la catastrophe. Pour les Israéliens, la victoire est incomplète, car une ligne de démarcation – la ligne verte – traverse la ville de Jérusalem. Elle va durer vingt ans jusqu’à la guerre de juin 1967, dite des Six jours par la partie israélienne et l’Occident allié. L’École biblique est au milieu du conflit car elle située sur la ligne de démarcation entre les belligérants transjordaniens et les forces sionistes. Dès 1946, les difficultés avaient commencé, lorsque les Britanniques avaient tenté d’installer un poste d’observation avec téléphone sur la tour-clocher du couvent. Le prieur protesta auprès du délégué apostolique, arguant du statut spécial de l’École où flotte le drapeau du Saint-Siège. À partir de mars 1947, des tirs de mortiers et des bombes vont régulièrement ébranler le couvent. Au printemps 1948, les soldats transjordaniens installent une batterie de mortier sur une colline de terre faite à partir des déblais de la

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construction de la basilique et du couvent à la fin du XIXe siècle, colline que la chronique conventuelle appelle « la montagne »20. Ils éventrent le mur de la propriété pour créer un passage dans le jardin entre la route de Naplouse et la rue Salah ed-dine. Ils essaient même d’installer un poste d’observation dans une chambre et sur la tour-clocher du couvent, mais les frères leur montrent que ce lieu est trop exposé et informent les Britanniques que, dans ce cas, le drapeau français cessera de flotter sur le clocher du couvent21. Les sionistes, eux, sont postés dans le quartier voisin de Musrara. Inévitablement, les tirs arabes vont attirer des ripostes sur le domaine de Saint-Étienne, faisant passer aux religieux des nuits très éprouvantes. Les vitres du couvent volent en éclats, les frères doivent parfois aller se réfugier dans des abris plus sûrs (tour à tour, l’ancien couvent, la cave ou sous l’escalier d’honneur). Quelques vols ont lieu, à la faveur du désordre. Les cinq étudiants non-dominicains restants sont évacués via Amman en mai 1948. « Tous les Pères vont bien et restent calmes. Nous nous remettons tous à la miséricorde de Dieu, qui a été si bonne jusqu’ici », écrit de Vaux au P. Giraud, assistant du Maître de l’Ordre. En effet, les dégâts ne sont que matériels. Il reste que tout cela est usant et le chroniqueur conventuel note en juin que les frères commencent à manquer de sommeil. Aussi, la récitation chorale de l’office des matines est supprimée et l’heure du lever est laissée libre, les religieux passant souvent de mauvaises nuits. Le 18 juillet 1948, un tir de mortier israélien décapite la statue de Saint Étienne dans l’atrium de la basilique. De temps en temps, tel ou tel frère part se reposer dans une autre communauté religieuse de Palestine ou au Liban. Malgré tout cela, la vie continue vaille que vaille à l’École : la vie religieuse de la communauté se poursuit, dès qu’il y a une accalmie dans les combats, les frères vont ici ou là visiter des proches ou mêmes des sites archéologiques, les cours ont lieu, parfois dans une chambre du couvent jugée plus à l’abri des tirs éventuels. Fin 1948, le P. de Vaux donne des conférences aux officiers des Nations-Unies impliqués dans les négociations d’un cessez-le-feu. Il leur parle de la prise de Jérusalem par David, histoire de donner un peu de profondeur historique à ce qui les occupe en Palestine. Dès février 1949, il est occupé avec les découvertes de manuscrits à Qumrân, où il va diriger les fouilles avec Lankester Harding. Ce même mois de février 1949, l’armistice signé à Rhodes entre les belligérants consacre la coupure de la ville Sainte en deux, laissant le couvent Saint-Étienne en territoire jordanien. 20 21

C’est sur ce terrain que sera édifié plus tard l’actuel hôtel Saint-Georges. Lettres de P. Bellouard, prieur, et de Vaux, directeur, au Consul de France. 6 juillet 1948.

NAISSANCE D’UN ARCHÉOLOGUE (1945-1952)

4. LES

MANUSCRITS DE LA MER

MORTE,

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UNE DÉCOUVERTE RICHE EN

REBONDISSEMENTS

Le récit exact de la découverte n’est pas sans poser de problèmes, tant le jeu des acteurs est complexe : il s’y mêle des éléments religieux, du nationalisme, l’appât du gain, la recherche de la notoriété. C’est un véritable écheveau que les spécialistes ont tenté de démêler non sans mal22. Au printemps de l’année 1947, des bédouins Ta‘amireh de Jordanie tombent sur des manuscrits dans des grottes au-dessus de la mer Morte, au bord du wadi Qumrân, alors qu’ils paissent leur troupeau de chèvres ; c’est, du moins, le récit officiel. Quelques mois plus tard, en juillet 1947, ils reviennent explorer les grottes pour trier quelques objets dont ils pourraient tirer parti : du cuir pour faire des lanières, des jarres pour garder l’eau. Après plusieurs tentatives auprès de divers antiquaires, ils montrent les objets à un cordonnier-antiquaire de Bethléem, Khalîl Iskandar Shahîn, surnommé Kando, qui finit par s’y intéresser. Flairant une occasion commerciale, certains parchemins comportant des écritures mystérieuses, Kando les acquiert pour quelques Livres. Il faut dire que les bédouins s’acharnent à essayer de vendre toutes sortes d’objets, pièces de monnaies et lampes anciennes et le commerce illégal est mal vu des autorités. Au printemps 1947, Kando montre ses acquisitions au Métropolite Mar Athanase Samuel, de l’Église syriaque orthodoxe à laquelle il appartient. L’homme est lettré ; il a vécu dans des monastères où l’on conserve d’anciens manuscrits. Intrigué par les écritures apparentes sur les rouleaux – ce n’est pas du syriaque mais de l’hébreu –, il pousse son intermédiaire à récupérer tout ce qu’il peut trouver auprès de l’antiquaire de Bethléem, mais celui-ci veut surtout inciter les bédouins à continuer à exhumer ces vieux documents. Comprenant le parti à tirer de ces objets mystérieux, les bédouins se sont mis à fouiller plus sérieusement les grottes du wadi Qumrân. Il faudra un certain temps pour que les savants s’y intéressent vraiment et nombre de documents (parchemins, tissus les enveloppant, jarres) sont abîmés ou perdus par manque de soin. Convaincu de leur intérêt, le métropolite Samuel acquiert quatre rouleaux en juillet 1947 pour la modique somme de 27 Livres, maugréant que c’est cher payer pour des manuscrits en bien mauvais état : il s’agit pourtant du grand rouleau d’Isaïe, du Commentaire d’Habaquq, de morceaux de la Règle de la Communauté et d’un Apocryphe de la Genèse, en araméen. Plusieurs spécialistes, y compris de l’Université hébraïque, 22

2009.

Une tentative de reconstruction aussi précise que possible a été faite par FIELDS,

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CHAPITRE TROISIÈME

se montrent sceptiques, en grande partie parce que leur identification supposait une très haute compétence en épigraphie sémitique. Fin juillet 1947, le métropolite Samuel a l’occasion de montrer le rouleau d’Isaïe à des dominicains de l’École biblique, venus lui rendre visite, le Père Marmadji, op, professeur d’arabe, et le dominicain hollandais J.-M. Van der Ploeg23, en résidence à l’École cette année-là. Celui-ci reconnaît le texte d’Isaïe, mais ne prend pas la mesure de l’ancienneté du document, estimant peu probable qu’un texte ait pu survivre 2000 ans. « Rentrant à l’École, le P. Van der Ploeg dit au P. Vincent qu’il avait vu de “vieux manuscrits” et le P. Vincent lui a répondu en riant qu’il y en avait beaucoup comme cela, de vrais et de faux »24. Le climat général devant les trouvailles est à la méfiance, tant était courante la mise sur le marché de fausses antiquités. Tous les savants connaissaient la triste histoire d’un faux manuscrit en cuir contenant le texte du Deutéronome et qui avait été acheté en 1878 à des bédouins par un antiquaire de Jérusalem, W. Shapira. Alerté, l’archéologue français Charles Clermont-Ganneau, qui avait déjà démontré dix ans plus tôt que les poteries « moabites » que Shapira mettait sur le marché étaient des faux, vint expertiser le manuscrit au British Museum et prouva que, cette fois encore, il s’agissait d’un faux. Un an plus tard, l’antiquaire se suicida25. Le père de Vaux dut longtemps affronter le reproche que l’École biblique n’avait pas su mesurer l’importance de la découverte : en réalité, l’École n’avait pas été formellement sollicitée pour une véritable expertise et de Vaux lui-même n’avait pas lui-même été informé de cette visite chez les Syriens, comme il l’écrit le 21 novembre 1950 à André DupontSommer : « Jamais le Métropolite ne s’est adressé directement à l’École pour avoir son avis et je n’ai moi-même rien su de cette visite avant de lire le mot de Trever »26. Kando continue, de son côté, à récolter des manuscrits. En novembre 1947, l’affaire est soumise au jugement du professeur Eléazar L. Sukenik, professeur d’archéologie et d’épigraphie sémitique à l’Université hébraïque de Jérusalem, qui prend rendez-vous à son tour avec un antiquaire arménien 23 Johannes Petrus Maria Van der Ploeg (1909-2004), religieux dominicain de la Province de Hollande, a été élève à l’École biblique en 1946-47 puis professeur d’Ancien Testament et de langues sémitiques à l’Université catholique de Nimègue de 1951 à 1979. Van der Ploeg donne sa version des faits dans son livre The Excavations at Qumran, Longmans, Green & Co, 1957, p. 10 et sv. 24 Lettre de Roland de Vaux à John Trever, 19 juillet 1949, Archives du Couvent SaintÉtienne. 25 Cf. DUPONT-SOMMER (1974) 591-609. 26 Lettre de R. de Vaux à André Dupont-Sommer, Archives du Couvent Saint-Étienne.

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pour se faire une idée de ce dont il s’agit27. On est le 25 novembre, à la veille du vote des Nations-Unies sur le partage de la Palestine, et donc la tension politique est extrême. Eléazar Sukenik regarde les documents au travers de barbelés, installés entre quartiers juifs et arabes à la porte de Jaffa par les autorités britanniques. Vite convaincu que l’on est en présence de documents très anciens, il demande un permis aux autorités militaires pour aller à Bethléem. L’entreprise est alors risquée pour un Juif, mais, flairant l’affaire, il veut absolument en avoir le cœur net. Il est enthousiasmé par ce qu’il découvre : trois rouleaux, des fragments, deux jarres complètes. « Mes mains se mirent à trembler dès que j’ai commencé à dérouler un des manuscrits. J’ai lu quelques phrases. C’était écrit en très bel hébreu biblique. La langue était semblable à celle des Psaumes, mais le texte m’était inconnu. J’ai regardé et regardé et j’ai eu soudain le sentiment que mon destin me réservait le privilège de contempler un rouleau hébreu qui n’avait pas été lu depuis plus de 2000 ans »28. Sukenik parvient à se faire prêter les manuscrits par l’antiquaire et à rentrer vaille que vaille à Jérusalem, serrant les précieux manuscrits sous son bras, pliés dans du papier journal, dans l’intention de s’assurer de leur valeur avant de les acheter. Il a en mains un rouleau fragmentaire d’Isaïe, une Règle de la guerre et un recueil d’Hymnes. Nous sommes le 29 novembre 1947, jour du vote du partage de la Palestine. Convaincus de l’énormité de la trouvaille, Sukenik convainc alors l’Université hébraïque d’acquérir ces trois manuscrits en sa possession. La nouvelle devient publique fin 1947 et Sukenik en fait une première présentation dès 1948. Cette découverte réveille la curiosité du bibliothécaire de l’Université hébraïque qui avait été sollicité quelques mois plus tôt par les syriaques pour faire une expertise de vieux manuscrits d’origine inconnue. Informé, Sukenik tente de joindre les syriaques mais, à cause du conflit, il n’a pas accès à la vieille ville et doit passer par son intermédiaire arménien. Désireux de pouvoir les acheter le moment venu, il gage sa maison de Rehavia auprès de sa banque et parvient à se faire prêter ces nouveaux manuscrits pour les identifier. Il en fit même quelques photos. Un arrangement est presque trouvé pour les acheter mais les complications dues à la situation politique font que la vente ne peut pas se faire, du moins à ce moment-là. On est en février 1948. Sukenik meurt en 1953, convaincu d’avoir laissé s’échapper un trésor pour Israël. De son côté, pour s’assurer de la valeur 27 Sukenik sera le premier à attribuer aux Esséniens l’origine des manuscrits découverts à Qumrân. Son fils Yigal Yadin poursuivra son œuvre. 28 Cf. SUKENIK, 1955, 14.

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CHAPITRE TROISIÈME

des manuscrits qu’il aimerait bien revendre, le métropolite Samuel les montre en février 1948 à deux fellows de l’American School of Oriental Research29: John Trever, qui fait alors office de directeur en l’absence du directeur Millar Burrows, alors en voyage en Irak, et William Brownlee30. Après un temps d’examen, ceux-ci reconnaissent le texte d’Isaïe et décident d’en faire des photographies. Le métropolite Samuel hésita à donner son accord, mais Trever et Brownlee finissent par le convaincre et peuvent photographier les manuscrits puis développer les négatifs avec leur propre équipement, dans les caves de l’Institut. Ils en montrent des exemples à leur compagnon d’études, William Foxwell Albright31, professeur à l’Université Johns Hopkins de Baltimore. Celui-ci estime immédiatement que les manuscrits remontent au 2e siècle avant J.-C. Trever et Burrows en font une première présentation dans le Bulletin of American Schools of Oriental Research (BASOR) dès octobre 1948. Convaincu de détenir un trésor qu’il veut valoriser au maximum et profitant des troubles consécutifs à la proclamation de l’État d’Israël le 14 mai 1948, le métropolite Samuel parvient à emporter des rouleaux aux ÉtatsUnis, où il veut lever des fonds pour reloger ses fidèles déplacés après le partage de la Palestine. Les rouleaux sont présentés sous bonne garde dans diverses expositions à Baltimore, Chicago, Worcester. Entre temps, la Jordanie en a réclamé la propriété et accusé le métropolite de les avoir 29 Fondée en 1900 par des chercheurs et théologiens protestants américains pour faire des fouilles en Palestine, dans la perspective d’une archéologie biblique, l’American Society of Overseas Research (ASOR) a été dirigée à partir de 1922 par William F. Albright qui a ouvert en 1923 un autre centre d’études à Bagdad, ASOR devenant alors American Schools of Oriental Research. Fouillant, comme l’École biblique, dans des contextes agités, ASOR doit ouvrir une branche à Amman après la guerre de juin 1967 (ACOR) et a beaucoup travaillé avec l’EBAF à partir des découvertes de Qumrân. En 1970, l’American School de Jérusalem prend le nom actuel d’Albright Institute for Archaeological Research. Cf. BRANHAM, 2011, 73-94. 30 John Trever (1916-2006), docteur de l’Université de Yale, était alors en études postdoctorales à Jérusalem. C’est grâce à ses photos que l’on peut avoir connaissance de l’état original des manuscrits. Récit détaillé de cet épisode par J. TREVER : « Preliminary Observations on the Jerusalem Scrolls », BASOR, 111 (1948), p. 3-16 ; Millar Burrows (1889-1980) fut professeur à Yale Divinity School après avoir dirigé l’American School of Oriental Research ; William Brownlee (1917-1983) a eu la chance d’être en études post-doctorales à l’American School of Oriental Research de Jérusalem juste au moment de la découverte des manuscrits de Qumrân. Titulaire d’un doctorat de l’Université de Duke, il va préparer l’editio princeps du Commentaire d’Habaquq et fera de la littérature de Qumrân le cœur de son enseignement ultérieur. 31 William Foxwell Albright (1891-1971) occupait la chaire de langue sémitique à l’Université Johns Hopkins de Baltimore où il avait passé son doctorat. Archéologue, bibliste, philologue, il a été le leader et le fondateur du mouvement de l’archéologie biblique. Signe de sa notoriété, son nom a été donné à l’American School of Oriental Research de Jérusalem dont il avait été le directeur de 1922 à 1929 puis de 1933 à 1936.

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fait sortir illégalement de Jordanie. En juillet 1949, le métropolite écrit à Lankester Harding, directeur des Antiquités de Jordanie, pour lui dire son souhait de coopérer pleinement avec les spécialistes pour mieux identifier les conditions de la découverte des manuscrits et rappeler que pendant plus d’un an personne n’a pris au sérieux l’authenticité et l’ancienneté de ces manuscrits32. Mgr Samuel doit attendre plusieurs années pour vendre les manuscrits et doit même recourir à une annonce dans le Wall Street Journal (1er juin 1954). La négociation finale a lieu dans une chambre du Waldorf Astoria à New York. Il n’en tire que deux-cent cinquante mille dollars33. Ce que le vendeur ignore, c’est que l’acheteur n’est autre qu’un émissaire du fils d’Eléazar Sukenik, l’archéologue Yigaël Yadin, alors officier dans l’armée israélienne34. La version officielle est que celui-ci se trouvait alors aux États-Unis pour des conférences, a vu l’annonce du Wall Street Journal et a obtenu du gouvernement israélien, consulté en secret, l’accord pour les acheter. On peut avoir des doutes sur le fait que Yadin ait été là par hasard. Les manuscrits sont ramenés à Jérusalem : les Israéliens détiennent désormais sept rouleaux importants sortis de la première grotte35. Une conférence de presse du premier ministre israélien lui-même a lieu en février 1955 pour annoncer la grande nouvelle et confirmer l’érection d’un musée spécial, le Sanctuaire du Livre (Shrine of the Book), destiné à recevoir le précieux héritage. Roland de Vaux entre en scène au printemps 32 Lettre du Métropolite Mar Athanasius Samuel à Lankester Harding, 27 juillet 1949, transmise à Roland de Vaux : « I wish to assure you that I shall cooperate in every way possible in order that the elements of this discovery which have come into my hands may be made fully available to the scholarly world. I view of the fact that I purchased the original four scrolls in good faith and quite innocently from the Bedouins who first presented them to me, I consider my rights to these unquestionable. It must be remembered that for almost a year many to whom I showed the scrolls refused to accept their authenticity and antiquity ». Archives du Couvent Saint-Étienne. 33 Le métropolite Samuel raconte sa version des faits dans un ouvrage autobiographique : SAMUEL, 1966, 141-201. 34 Yigael Yadin (1917-1984), fils de l’universitaire Eléazar Sukenik, a commencé par faire des études d’archéologie à l’Université hébraïque de Jérusalem, avec une spécialisation d’archéologie mésopotamienne. Il s’engage vite dans l’armée et en devient en 1949 le chef d’état-major. Il revient ensuite à l’archéologie, qu’il aborde dans la ligne de l’archéologie biblique de W. Albright. Sa thèse de doctorat préparée en Angleterre porte sur un sujet qumranien, The War of the Children of Light against the Children of Darkness. Après avoir fouillé le site de Hazor entre 1955 et 1958, il fouille la « Grotte des lettres » où se seraient cachés les rebelles au temps de la révolte de Bar Kokhba mais il se rend surtout célèbre par la fouille de Masada qu’il conduit entre 1963 et 1965. On dit de lui qu’il planifiait et conduisait une fouille archéologique « comme une campagne militaire ». Cf. In Memory of Yigael Yadin (1917-1984). Lectures presented at the Symposium on the Twentieh Anniversary of his Death, Université hébraïque de Jérusalem, Institut d’archéologie, 2006, 34+69 p. 35 L’histoire de la transaction est racontée par Yadin lui-même : YADIN, 1992, 39-52.

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1948, lorsque les archéologues français, anglais et américains de Jérusalem tentent de découvrir où sont les fameuses grottes dont sortent les rouleaux. Il est loin de penser, alors, que cela va l’occuper pendant près de dix ans. 5. PRIEUR DU

COUVENT

SAINT-ÉTIENNE

La guerre de 1948 a été rude pour tous les frères du couvent SaintÉtienne, mais surtout les plus anciens, comme les pères Vincent et Abel. De Vaux, lui, est dans la force de l’âge : 45 ans. C’est probablement pour cela que les frères l’élisent prieur, le 6 juillet 1949, au premier tour de scrutin, par six voix sur huit, malgré tout ce qu’il assume déjà : la direction de l’École et de la Revue biblique, sans parler des chantiers de fouille en cours. Il prend la suite du fr. Augustin Bellouard, de la Province de Lyon, en charge depuis le 9 septembre 1946. Il doit désormais aussi avoir un œil sur toutes sortes de questions : d’abord la vie fraternelle d’une communauté de plus de vingt religieux, dont une dizaine d’étudiants36; ensuite, des problèmes matériels dont le registre des conseils conventuels se fait l’écho : renouvellement de l’installation électrique, réfection de l’étanchéité des terrasses, entretien des citernes du jardin, etc.37. Le prieur doit aussi superviser la gestion financière, tente de trouver des religieuses pour assurer les travaux domestiques qui sont de moins en moins assurés par les frères convers du couvent qui sont âgés. Sous le mandat de Roland de Vaux la maison filiale du Caire prend son autonomie par rapport au couvent Saint-Étienne en 1952 car la frontière avec Israël a coupé le lien de communication par route et chemin de fer. Son dynamisme permet à la communauté de couvrir toutes les dépenses y compris les réparations des dégâts causés par la guerre de 1948 et qui ont coûté 1700 Livres, comme il l’indique dans les comptes envoyés à Rome à la fin de son mandat38. 36 Outre les membres permanents de la communauté déjà mentionnés, sont présents une dizaine d’étudiants dominicains, dont Marie-Émile Boismard, Albert Denis et plusieurs frères convers. L’elenchus de 1947 contient 28 frères. 37 Le dynamisme et la résistance de Roland de Vaux semblent avoir échappé à un correspondant non identifié, probablement un archéologue, qui écrit le 14 février 1949 au secrétaire général de la Commission des fouilles à Paris : « La santé du P. de Vaux semble d’ailleurs assez sérieusement atteinte et je ne pense pas qu’il pourra vivre en chantier avant longtemps ». En fait, il est à la veille de se lancer dans l’aventure Qumrân, tout en poursuivant la fouille de Tell el-Far‘ah. 38 Les ressources du couvent sont les pensions des étudiants, les honoraires de messes et de prédications, les droits d’auteurs, les subventions du gouvernement français et les intérêts des comptes en banque. La vie à Saint-Étienne est encore très austère : pas de chauffage, pas de téléphone dont l’installation est jugée trop coûteuse.

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Il faut dire qu’il s’est beaucoup démené pour trouver des ressources. Il se tourne, par exemple, vers le gouverneur jordanien de Jérusalem pour tenter d’obtenir une prise en charge des dommages de guerre dus aux soldats transjordaniens39. Il va aussi en France chercher du soutien et essaie de joindre diverses personnalités civiles ou religieuses. Au cours de ses voyages, il a la chance de rencontrer l’homme compétent et de bonne volonté dont le couvent a besoin pour se réorganiser matériellement au sortir de la guerre : le fr. Raymond Spitz, fils de la Province de France, ancien Polytechnicien et ingénieur des Ponts et Chaussées. « Qui serait plus compétent pour diriger les travaux de réparation ? » dit la Lettre de Jérusalem du 1er mars 1950. « Car l’École doit rouvrir ses portes en janvier, et d’ici là, il faut faire disparaître toutes les blessures de la guerre ; deux longs mois ne seront pas de trop. Dès novembre, après le retour des Pères, le Couvent se transforme en un vaste chantier : les vitres brisées (plus de 350!) sont remplacées, les fenêtres arrachées reprennent leurs places sur leurs gonds, les portes éventrées réparent leur ouvertures béantes, les murs et les plafonds pansent leurs blessures sous un crépi tout neuf, la terrasse comble ses trous et s’équipe pour recevoir sans défaillance les couches de neige que l’hiver lui prodiguera ; une nouvelle auto (ce qui ne veut pas dire une auto neuve) prend place dans un nouveau garage pour remplacer celle qui perdit son moteur en une nuit fatale. Même le pauvre Far‘ah40, victime des mortiers juifs, a trouvé un remplaçant. Les traces de la guerre s’effacent ainsi peu à peu. Nous demeurons cependant soumis au régime des lampes à pétrole, privés d’électricité, et donc aussi d’eau courante »41. Raymond Spitz sera élu prieur en juillet 1952, au terme des trois ans de mandat de Roland de Vaux. Bien d’autres tâches le mobilisent. 6. 1950 : REPRISES DES FOUILLES DE TELL

EL-FAR‘AH

La troisième campagne n’eut lieu qu’en 1950, entre le 21 juillet et le 9 octobre, soit au terme de deux années complètes d’interruption42. Les collaborateurs de de Vaux changent : Boismard est toujours là, mais Stève est rentré en France pour raisons de santé. Un renfort précieux est arrivé 39 Lettre du 5 juin 1949 à Son Excellence ‘Abdallah et-Tel, Gouverneur de Jérusalem, archives diplomatiques. Une lettre du 25 septembre 1948 au Consul général de France et une autre, non datée, font la liste des dommages : vol du moteur de la voiture conventuelle, murs éventrés, vitres cassées 40 Il s’agit du chien du couvent que de Vaux avait ramené de Tell el-Far‘ah. 41 La Lettre de Jérusalem, n° 2, 1er mars 1950, 42 Cf. VAUX (de), 1951a, 393-430 et 566-590.

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en la personne du père Charles Coüasnon, architecte diplômé, qui va faire le relevé de tous les monuments43. Pierre Amiet, diplômé de l’École du Louvre, tient le registre de fouille et dessine les objets. Plusieurs étudiants de l’École biblique apportent à nouveau leur concours, ainsi que le père Dominique Barthélémy qui fait sur place un séjour prolongé. Dans son pré-rapport, de Vaux souligne l’appui précieux trouvé auprès des autorités jordaniennes, en particulier M. Lankester Harding, directeur des Antiquités, et M. ‘Awni Dajani, inspecteur pour la Palestine. Aux cinquante ouvriers locaux payés par la Mission archéologique de l’École, vinrent s’ajouter une quarantaine d’ouvriers, réfugiés palestiniens, payés par l’UNRWA (United Nations Relief and Works Agency), l’agence des Nations-Unies créée en 1949 pour prendre en charge les centaines de milliers de Palestiniens chassés de leurs villages et de leurs terres au terme du premier conflit israélo-arabe. Un camp de réfugiés vient, en effet, d’être créé à Far‘ah pour loger les Palestiniens dépouillés de leurs biens. Le nouvel apport de main d’œuvre a engagé le remblai des fouilles précédentes. La fouille de 1950 a confirmé les conclusions des deux premières campagnes concernant l’Ancien Bronze, avec son puissant rempart, et l’abandon ultérieur de la ville. En revanche, la nouvelle campagne amène à réviser des hypothèses émises sur le site à l’époque du Fer. Les archéologues sont en effet en présence de vestiges d’une occupation assyrienne, liée à la prise et à la destruction de la ville par Sargon II en 721. La ville aurait alors été démantelée pour parer à toute rébellion. À ce moment de sa recherche, de Vaux n’est plus tout à fait sûr que ce site corresponde à Tirça, l’ancienne capitale d’Israël. La quatrième campagne eut lieu du 7 juillet au 30 août 1951, avec à peu près les mêmes intervenants : de Vaux, Coüasnon, Amiet, Grollenberg et quelques étudiants de l’École44. Coüasnon restera un élément précieux de 43

Hyacinthe Coüasnon (1904-1976), né à Rennes dans une famille profondément chrétienne, est une vocation tardive : il entre au noviciat dominicain en 1943, âgé de trente-neuf ans, avec derrière lui une carrière d’architecte ordinaire des monuments historiques (DPLG) et trois ans de captivité durant la Seconde Guerre mondiale. Assigné au couvent SaintÉtienne de Jérusalem en 1950, il y restera jusqu’à sa mort, secondant Roland de Vaux dans ses fouilles, mettant ses compétences architecturales au service de diverses communautés de Terre sainte (les Bénédictins de Bethléem, la basilique Sainte-Anne et l’église croisée d’Abou Ghosh). Mais le grand œuvre de sa vie, sa chance, disait-il, fut de coopérer de 1962 à 1976 à la restauration de la basilique du Saint-Sépulcre gravement endommagée par l’incendie de 1808 et le tremblement de terre de 1927. Il présenta ses travaux sur le Saint-Sépulcre lors de conférences à la British Academy (Schweich lectures 1972) publiées deux ans plus tard : COÜASNON, 1974. Voir aussi RB 63 (1956), p. 576 et sv. pour les relevés de Qumrân qui sont de sa plume. 44 Cf. VAUX (de), 1952a, 551-583.

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l’activité archéologique de l’École jusqu’à sa mort en 1976. Les Antiquités de Jordanie restent toujours bienveillantes, grâce, en particulier, à Lankester Harding que Roland de Vaux connaît d’autant mieux qu’ils viennent de vivre ensemble l’épisode complexe des premières fouilles de Qumrân. Au fil des années, le chantier s’équipe : à côté des tentes où logent toujours les fouilleurs, une petite maison a été construite pour abriter le travail du dessinateur, du photographe et des restaurateurs de la poterie. La Mission améliore sa compréhension du site. La campagne de 1951 documente mieux l’époque du Fer ; la fouille d’une nouvelle nécropole néolithique met aussi en évidence l’importance du tell aux époques archaïques. La cinquième campagne n’a lieu que trois ans plus tard, en 1954, en raison de la surcharge entraînée par la découverte des manuscrits de Qumrân. Le travail s’est déroulé comme d’habitude en été, du 8 juillet au 11 septembre 1954. L’été est, en effet, la seule période où les professeurs de l’École biblique n’ont pas de charge de cours. L’équipe de fouille reste assez stable. Dans son rapport, de Vaux note aussi avec satisfaction l’aide précieuse du Musée archéologique palestinien, qui fournit deux excellents contremaîtres, un photographe et l’appui de ses ateliers pour la restauration des objets45. Le nombre d’ouvriers était encore situé entre cinquante et soixante, venant du même village voisin de Talluza. La Mission a alors ouvert deux chantiers principaux sur le tell, l’un dans les couches archaïques, l’autre dans les niveaux du Fer. Des recherches accessoires ont continué dans les nécropoles. L’interprétation du site progresse et de Vaux a la possibilité de comparer ses résultats avec ceux de Miss Kathleen Kenyon, archéologue britannique, qui a fouillé Tell el-Sultan à Jéricho entre 1952 et 1958 et Samarie-Sébaste, deux sites qui relèvent d’époques comparables46. L’expérience de Miss Kenyon a, semble-t-il, eu une influence considérable sur Roland de Vaux qui maintient l’hypothèse d’une identification de Tell el-Far‘ah à Tirça, comme l’avait déjà proposé Albright en 1931. « Suppléant aux indications vagues de la Bible sur la localisation de Tirça et à défaut de la preuve décisive qu’apporterait une inscription, ces arguments archéologiques rendent très probable l’identification de Tell el-Far‘ah avec la première capitale du royaume d’Israël », conclut de Vaux47. 45

Cf. VAUX (de), 1955a, 541-589. Dame Kathleen Kenyon (1906-1978), archéologue britannique formée à Oxford, s’est rendue célèbre par diverses fouilles, dont celles de Jéricho et de l’Ophel à Jérusalem. Elle a été la directrice de la British School of Archaeology de Jérusalem de 1951 à 1966, soit exactement les années de plus grande activité archéologique de Roland de Vaux, avec qui elle entretenait des rapports très étroits de collaboration et d’amitié. 47 Cf. VAUX (de), art. cité, 589. 46

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CHAPITRE TROISIÈME

La sixième campagne eut lieu du 1er juillet au 31 août 1955, avec à peu près les mêmes collaborateurs. On notera l’implication dans la durée de plusieurs membres de l’École biblique, qui ont bien compris l’intérêt qu’il y a pour l’École à mener une fouille sur un site d’une telle importance pour l’histoire biblique et aussi pour l’histoire politique de l’ancien royaume d’Israël. La mission a concentré ses efforts sur l’escarpement rocheux qui limite le tell au Sud dans l’espoir d’y retrouver une nécropole de l’époque du Fer. L’hypothèse ne s’est pas vérifiée, mais la recherche a identifié des grottes utilisées par l’homme, l’une du Moyen Bronze, l’autre chalcolithique. Les travaux de cette campagne confirment la destruction avancée des couches du Moyen et du Récent Bronze observée lors des fouilles précédentes.48 Une nouvelle interruption a lieu en 1956, de Vaux étant très pris par le dossier Qumrân. Néanmoins, mesurant l’importance de la fouille, il n’abandonne pas le chantier de Tell el-Far‘ah. Trois dernières campagnes vont avoir lieu en 1958 (du 8 septembre au 14 novembre), en 1959 (du 1er septembre au 25 octobre) et en 1960 (du 1er septembre au 20 octobre). Le père de Vaux est toujours le chef de mission, mais il a de nouveaux collaborateurs, y compris un dominicain qui sera un temps pressenti pour lui succéder à la tête de l’archéologie à l’École biblique, Jean Prignaud49. Dans le rapport préliminaire sur les trois fouilles de 1958 à 1960, de Vaux montre que les acquis de la recherche débouchent désormais sur une classification plus fine des périodes, pour mieux rendre compte des ruptures entre les époques, les peuplements et les habitats, dont l’archéologie garde la trace50. Submergé d’activités, Roland de Vaux n’est pas allé au-delà des pré-rapports de fouilles, publiés dans la Revue biblique. En revanche, des collaborateurs ont entrepris d’étudier et de publier les résultats, en 48

Cf. VAUX (de) 1957), 552-580. Jean Prignaud (1928-2015) arrive à Jérusalem en 1959 où il commence par faire des études bibliques. Il se spécialise d’abord en épigraphie (cf. son article « Caftorim et Kerétim », RB 71, 1964, 215-229), puis, après une petite fouille sous la direction de Roland de Vaux (Cf. « Une installation monastique byzantine au Khan Saliba », RB 70 (1963), 243-254), il part se former en archéologie à Oxford auprès de Kathleen Kenyon. Il revient à Jérusalem et va diriger avec le parrainage de Roland de Vaux, jusqu’à sa mort, le chantier de Tell Keisan de 1972 à 1974. Il s’installe ensuite aux éditions du Cerf où il collaborera étroitement aux projets éditoriaux à caractère biblique. Parmi les nouveaux collaborateurs, on signale Francis Anfray, dessinateur, l’abbé E. Morin, photographe, et G. Couturier, chargé de la poterie, en 1958 ; en 1959 : Henri de Contenson, Jean Prignaud, G. Couturier, D. Arenhoevel, dessinateur ; en 1960 : on retrouve presque les mêmes, mais s’y ajoute l’abbé Jacques Briend, qui lui aussi jouera un rôle dans l’avenir de l’archéologie à l’École. Jourdain-Marie Rousée, qui l’accompagna dans une dizaine de campagnes, raconte ses souvenirs dans ROUSÉE, 1997, 39-47. 50 Cf. VAUX (de), 1961a. 49

NAISSANCE D’UN ARCHÉOLOGUE (1945-1952)

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fonction des périodes. Comme souvent, la surcharge des personnes sollicitées et le manque de moyens financiers de l’École biblique ont retardé les publications, mais certaines ont néanmoins vu le jour : l’âge du Fer a été publié par Alain Chambon en 1984 et l’âge du Bronze moyen par Joël Mallet en 1987-1988. Tous deux avaient, d’ailleurs, fait un mémoire à l’École biblique sous la direction de Roland de Vaux. Le chantier sera repris des décennies plus tard par d’autres archéologues51. Parallèlement à ses fouilles, Roland de Vaux continue, bien sûr, à enseigner. Après l’interruption de la seconde guerre mondiale, il reprend les mêmes sujets d’histoire traités auparavant mais il ajoute un cours d’exégèse de l’Ancien Testament : d’abord le deuxième Livre des Rois, puis, en 1948-1949, la Genèse, dont il prépare l’édition pour la future Bible de Jérusalem. En 1950, il publie avec Pierre Benoît le résultat de la fouille faite en 1950 dans la propriété des sœurs de Saint-Vincent de Paul à Béthanie52. Le chantier de Tell el-Far‘ah aura occupé Roland de Vaux pendant une quinzaine d’années – de 1945 à 1960 – et diverses raisons : la complexité du chantier, où la stratigraphie occupe une place essentielle et exige de sa part une minutie particulière et l’apprentissage de méthodes que n’exigeait pas l’archéologie traditionnelle ; les aléas politiques (guerre de 1948, crise de Suez en 1956) ; ses nombreuses et lourdes responsabilités à l’École biblique, mais surtout l’irruption d’un dossier majeur : Qumrân. En 1971, le chantier de Tell el Far‘ah devant être abandonné à cause de l’impossibilité légale d’intervenir dans des Territoires occupés et de Vaux va mourir prématurément en septembre.

51 En 2017 une équipe hispano-portugaise venant des universités de La Corogne et de Lisbonne, conduite par Juan Luis Montero Fenollos et Francesco Caramelo, reprend des fouilles à Tell el Far‘ah. À leur grande surprise, les ouvriers du camp évoquent encore le père de Vaux. 52 Cf. BENOIT - BOISMARD 1951, 200-251.

CHAPITRE QUATRIÈME

« TERRASSIER DE LA BIBLE » : LES ANNÉES QUMRÂN (1947-1956) « Les Bédouins ont découvert une nouvelle grotte de manuscrits à Qumrân. Le P. Barthélemy et l’Abbé Milik se frottent les mains, le P. de Vaux lève les yeux au ciel et gémit »1, 1952.

« Il n’avait vraiment pas besoin de cela » : telle est la remarque qui vient à l’esprit lorsque l’on pense à ce que les découvertes de Qumrân vont signifier pour Roland de Vaux. Il était déjà bien occupé à mille autres choses : recherche, enseignement, publications, direction de l’École biblique. Son implication dans le dossier Qumrân va lui valoir un surcroît de travail mais surtout un nombre considérable d’ennuis. Son parcours d’historien et les fouilles engagées à Tell el-Far‘ah suffisaient à lui assurer un nom dans le monde scientifique. Et pourtant, le paradoxe est que sa notoriété ultérieure est souvent liée, à tort ou à raison, à l’aventure des manuscrits de la mer Morte. Son nom s’est, en effet, imposé vite dès qu’il s’est agi de récupérer les manuscrits en circulation puis de fouiller les grottes de Qumrân : il a une connaissance remarquable de l’histoire biblique, une solide expérience du travail archéologique, et, depuis 1949, il est membre du Board of trustees du Palestinian Archaeological Museum (PAM), créé en 1938 par la British School of Archaeology et le Département des Antiquités de Palestine pour accueillir les collections d’objets découverts durant le mandat britannique sur la Palestine2. Le board réunit les responsables des principales missions archéologiques intervenant en Palestine (Britanniques, Américains, Français) et Eleazar Sukenik, du Département d’archéologie de l’Université hébraïque3. En 1950, de Vaux en accepte la présidence, 1

Chronique du Couvent Saint-Étienne, 20 septembre 1952. Pour un historique et une présentation du musée et de ses collections, cf. PERROT 1946, 268-300. 3 Cf. Minutes of the second ordinary meeting held in the board room of the Palestinian archaeological Museum, 2 novembre 1950, Archives du Couvent Saint-Étienne. En réalité, de Vaux était membre de l’Archaeological Advisory Board depuis 1944, nommé chaque année par le Haut-Commissaire du Gouvernement de Palestine. 2

« TERRASSIER DE LA BIBLE » : LES ANNÉES QUMRÂN (1947-1956)

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à contre-cœur car il est déjà très occupé, mais il va devoir garder ce rôle jusqu’en 1964, c’est-à-dire pendant les années des fouilles à Qumrân, dont il va aussi devoir lancer et superviser la publication, à la demande de Lankester Harding, Directeur du Service des Antiquités de Jordanie. Né en Chine en 1901, élevé à Singapour puis à Londres jusqu’à la première guerre mondiale, Gerald William Lankester Harding s’intéresse très jeune à l’Égypte ancienne, apprend le hiéroglyphique et contacte l’égyptologue britannique Flinders Petrie (1853-1942) qui l’invite à le rejoindre sur une fouille, non pas en Égypte comme il l’espérait, mais en Palestine. Il accepte, se fait apprécier et va faire partie de l’équipe de Petrie sur le site de Tell Jemmeh (1926-27). Il continue, sans Petrie, sur divers autres chantiers : Qau (1927), Tell el-Farah (1927-30) et Tell el-‘Ajjul de 1930 à 1932. Il devient ensuite l’assistant de James Leslie Starkey dans les fouilles de Lachish (1932-36) avant d’être nommé en 1936 conservateur en chef des Antiquités de Jordanie sous le mandat britannique. Il participe aux fouilles au bord de la mer Morte jusqu’à la Crise de Suez en 1956, crée le Musée national à Amman et la publication Annual of the Department of Antiquities of Transjordan. Plus tard, il fouillera à Aden et en Arabie du Nord. Après sa mort en 1979, son guide The Antiquities of Jordan restera le livre de référence pour les visites archéologiques en Jordanie4. 1. LA

COURSE POURSUITE AVEC LES BEDOUINS PREMIÈRES FOUILLES DE

1949-1952

:

En raison de la guerre de 1948, consécutive au Partage de la Palestine, aucune fouille n’a pu être entreprise avant 1949. Grâce à l’entremise d’un officier belge de l’ONU, le capitaine Philippe Lippens, qui a gagné la confiance des bédouins, et à l’aide d’un détachement de la Légion arabe qui est parvenu à localiser l’endroit, les archéologues peuvent pénétrer fin janvier 1949 dans une grotte qui deviendra la grotte 1. Lankester Harding, qui a une expérience déjà assez longue dans la région, fait alors appel à Roland de Vaux qui va y travailler du 15 février au 5 mars 1949. C’est le début d’une longue collaboration. Dans le communiqué de presse publié à la fin de la campagne, Harding annonce la découverte de centaines de fragments, de restes de trente jarres et de quantités de textiles entourant les manuscrits. Un premier examen 4 Les archives de Harding déposées à l’Institut d’archéologie de l’Université de Londres continuent à être une mine pour les chercheurs comme le montre une étude récente : Cf. SPARKS 2019.

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CHAPITRE QUATRIÈME

permet déjà d’identifier plusieurs des documents exhumés : fragments de la Genèse, du Livre des Juges, du Deutéronome, plusieurs chapitres du Lévitique. « Une des plus importantes découvertes archéologiques faites en Palestine », écrit Harding5. Dès le mois d’avril, de Vaux précise : « nous avons ramassé plusieurs centaines de fragments manuscrits. Ils sont, pour la plupart, très petits, ne contenant que quelques lettres ou quelques mots : ce sont des miettes détachées des anciens rouleaux maniés sans précautions par les violateurs de la cachette […]. Notre exploration aurait été assez fructueuse si elle n’avait rapporté que ces débris, mais elle donne à la science d’autres renseignements ». La fouille fait apparaître que bien d’autres objets ont disparu. Ont-ils été détruits, ou sont-ils chez des receleurs ? « On ne peut assez regretter que les premières personnes compétentes qui ont vu les manuscrits et ont reconnu leur importance n’aient pas pris les dispositions nécessaires pour arrêter l’exploitation clandestine du trésor trouvé accidentellement »6. Les bédouins continuent leurs explorations et dès octobre 1951, un nouvel « arrivage » a lieu sur le marché. Dans le volume II des Discoveries of the Judaean Desert, de Vaux donne des détails presque journaliers sur la négociation avec l’antiquaire de Bethléem Khalîl Iskandar Shahîn, (alias Kando) et les bédouins qui viennent proposer des fragments7. Pour ne pas perdre ses profits d’intermédiaire, Kando brouille les pistes et retient des documents. L’intérêt des savants va croissant, mais aussi l’avidité des bédouins qui ont découvert là un bon filon pour s’enrichir. De Vaux raconte comment il est parvenu à convaincre les bédouins de le conduire à l’endroit : « lorsque je proposai à mes bédouins d’aller travailler avec eux, il se récrièrent : c’était impossible, la présence d’un étranger dans le désert, en ameutant la police, compromettrait tout. Cependant, à leur visite suivante, comme je discutais le prix trop élevé qu’ils demandaient pour une pièce, ils insistèrent sur l’éloignement du lieu, le nombre des chercheurs et les difficultés du travail, et, comme je paraissais sceptique, ils me dirent : “Tu n’as qu’à venir voir !” Je sautai sur cette invitation : pouvais-je vraiment y aller ? Ils me rassurèrent : je n’aurais rien à craindre, on mettrait des sentinelles sur les hauteurs voisines et, si la police se montrait dans les environs, on se cacherait dans les trous et la maréchaussée n’y verrait rien. Assuré de leur confiance, je poussai 5

Cf. HARDING 1949. L’article publie quelques premières photos de la grotte, d’une jarre, de textiles et de morceaux de manuscrits. 6 Cf. VAUX (de), 1949c, 235 et 237. 7 Cf. BENOIT - MILIK - VAUX (de) 1961, 3-7.

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plus loin : et si j’obtenais du Service des Antiquités la permission de les faire travailler là-bas, sans qu’ils aient à craindre la prison ? Ils applaudirent. Et si le Directeur des Antiquités venait avec nous ? Ils acceptèrent. Et si je demandais une escorte de police, non pas pour moi – car j’étais leur frère – mais pour les protéger eux-mêmes contre les jalousies de leurs contribules ? Ils jugèrent que l’idée était excellente »8. C’est ainsi que de Vaux parvient sur le site de wadi Murabba‘ât le 21 janvier 1952, à 25 kilomètres au Sud de Qumrân. Parvenus sur place avec une escorte, au terme de plusieurs heures de marche, ils trouvent sur place trente-quatre fouilleurs illégaux, dont la moitié va être engagée comme ouvriers légitimes, l’escorte jordanienne parvenant à tenir les autres à l’écart. Harding, de Vaux et Dominique Barthélemy, appuyés par deux contremaîtres palestiniens du Musée Palestinien, vont se relayer sur le chantier durant six semaines, vivant dans des conditions très précaires. « Le travail, par son ampleur et ses difficultés, dépassait toutes nos prévisions », dit de Vaux. Pour voir clair dans les grottes, où la poussière éteint vite les lampes tempêtes, ils ont recours au procédé des bédouins : une mèche à l’air libre, fichée dans une boîte de conserve garnie de pétrole. Si l’on se souvient que février-mars sont des mois froids et pluvieux sur ces contreforts de la mer Morte, on mesure l’énergie déployée par de Vaux et ses collaborateurs. Au total, une vingtaine de grottes ont ainsi été explorées. Les pillages antérieurs font que peu de textes sont retrouvés mais la fouille renseigne sur le mystère d’un habitat juif à l’époque romaine dans une région désertique et des grottes d’accès difficile : « c’est le repaire d’un groupe d’insurgés, écrit de Vaux en avril 1953, le poste de commandement de Yeshu’a Ben Gilgola, l’un des lieutenants de Bar Kokeba, chef de la révolte contre les Romains »9. C’est une découverte considérable, comme le souligne Lankester Harding dans le premier compte-rendu qu’il donne de la fouille au printemps 195210. L’American School of Archaeology est également associée à la fouille de l’École biblique et du Palestine Archaeological Museum11. Juste après la fouille du wadi Murabba‘ât, de Vaux retourne à Qumrân avec son équipe et entreprend la fouille d’une deuxième grotte déjà découverte par les bédouins alors qu’il est à Murabba‘ât. C’est vraiment une course poursuite.

8

Cf. VAUX (de) 1953, 246-275. Ibidem, 265. 10 Cf. HARDING, 1952, 104-109. 11 Cf. Le compte rendu fait par son directeur William L. REED. Cf. REED 1954, 8-13. 9

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2. PREMIÈRES CONTROVERSES AUTOUR DE L’INTERPRÉTATION L’École biblique s’est tôt intéressée à l’analyse des manuscrits, comme le montre un article du P. Tournay dans la Revue biblique d’avril 1949, où il donne les grandes lignes de la première publication en hébreu faite par Sukenik en 194812. Il estime pouvoir dater les manuscrits de l’époque hérodienne, considère, vu leur qualité de conservation, qu’ils avaient été délibérément cachés et non mis au rebut, mais reste encore circonspect quant à la nature de la communauté ayant conservé ces textes. Dans deux communications à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres (AIBL) et un article plus étoffé de la Revue biblique d’octobre 1949, de Vaux passe en revue les différents éléments qui intéressent les chercheurs : la céramique, les linges et les fragments manuscrits13. Selon son premier diagnostic, l’essentiel de la poterie est caractéristique de la « bonne poterie commune de la fin de l’époque hellénistique, certainement avant l’époque romaine », c’est-à-dire IIe et Ière moitié du Ier siècle avant notre ère. C’est aussi, dit-il, l’avis du père Vincent « entre les mains duquel sont passés les tessons de presque toutes les fouilles palestiniennes ». Outre des tessons, on retrouve des lampes et surtout des jarres cylindriques à fond plat qui ont contenu les manuscrits, ce qui était, semble-t-il, une manière de faire assez traditionnelle14. Les jarres seraient de l’époque hellénistique : « Comme ces jarres sont normalement contemporaines de leur dépôt dans la grotte, elles fixent la date la plus basse qu’on puisse admettre aux manuscrits. Aucun de ceux-ci n’est donc postérieur à la fin du IIe siècle ou au début du Ier siècle av. J.-C. Certains peuvent être, et sont effectivement, bien antérieurs »15. La présence de céramiques de l’époque romaine laisse, en outre, penser que la grotte a été violée dans l’antiquité. Dans les discussions ultérieures sur la datation des manuscrits, de Vaux a toujours insisté sur le fait que le matériel archéologique recueilli est une aide précieuse pour trancher. Les fragments peuvent aussi aider à fixer une datation mais leur morcellement complique le travail : parmi les six cents fragments recueillis dans la grotte 1, la majorité des pièces proviennent d’ouvrages extracanoniques mais on trouve aussi plusieurs fragments du Lévitique (chap. 19 à 22) en écriture archaïque « phénicienne », que de Vaux date approximativement du IVe siècle av. J.-C. Ces morceaux « nous restituent l’aspect 12 13 14 15

Cf. TOURNAY, 1949 ; SUKENIK, 1948. Cf. VAUX (de), 1949a, 99-101 ; et VAUX (de), 1949e, 281-282. Cf. COUROYER, 1955. Cf. VAUX (de), 1949c, 281.

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extérieur d’un manuscrit biblique plus ancien que tout ce qu’on rêvait de connaître et nous assurent de la fidélité minutieuse de la tradition massorétique ». Malgré l’état désastreux du site, l’exploration apporte donc de précieux renseignements. Outre l’intérêt des textes retrouvés, elle éclaire la nature de la cachette : « ces rouleaux soigneusement enveloppés et rangés dans des jarres d’une même époque ne sont pas des livres hors d’usage qu’on a, dans le cours du temps, mis au rebut dans une “genizah”, ainsi qu’on l’a supposé ; ce sont des archives ou une bibliothèque, mises en sûreté à un moment critique »16. Les spécialistes évoquaient alors trois hypothèses possibles : soit un dépôt de manuscrits de la Bible impropres à l’usage liturgique mais que l’on ne peut pas jeter pour éviter la profanation et qui sont conservés dans une sorte de débarras comme il en est du dépôt de la synagogue qaraïte du Caire qui est célèbre ; soit une bibliothèque, destinée à abriter les livres d’une communauté habitant sur les rivages de la mer Morte ; soit un dépôt d’archives. À moins que ce ne soit tout simplement une cachette et c’est l’hypothèse qui a la faveur de Roland de Vaux. Une cachette qui aurait abrité une cinquantaine de jarres, pouvant contenir chacune au moins trois manuscrits. La meilleure preuve que le lieu était sûr est que les manuscrits y sont restés pendant des siècles. L’opinion est déjà discutée par d’autres spécialistes, en particulier Sukenik, Trever et Albright. De Vaux suggère « qu’il peut s’agir de la secte sadocide de la Nouvelle Alliance, dont on connaît l’exode de la Judée à Damas » : c’est une première hypothèse sur laquelle il reviendra. Très vite, André DupontSommer va défendre la thèse que la secte de la Nouvelle Alliance se confond avec les Esséniens, « une antique colonie de moines juifs, entièrement retranchés du monde ; ils y formaient une “cité”, où les âmes étaient heureuses »17. Dans le numéro d’octobre 1949 de la Revue biblique, R. de Vaux avance une hypothèse : « Nous sommes peu à peu introduits dans le milieu intellectuel de la communauté – disons mieux : de la secte – qui cacha sa bibliothèque dans la grotte de la mer Morte. Mais pour préciser ces tendances et pour la rattacher à l’un ou l’autre des mouvements connus du Judaïsme, il faut attendre que la publication des documents soit plus avancée qu’elle ne l’est »18. Harding publie lui aussi de premières hypothèses à partir d’une brève description des lieux et des objets découverts. Il déplore que Sukenik n’ait rien dit au département des Antiquités 16

Cf. VAUX (de), 1949a, 101. Cf. DUPONT-SOMMER, 1950, 106. Au fil des découvertes, il complètera son analyse dans Nouveaux aperçus sur les manuscrits de la mer Morte, Cf. DUPONT-SOMMER, 1953. 18 Cf. VAUX (de), 1949c, 609. 17

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et que l’exportation des objets par le Métropolite Samuel n’ait fait l’objet d’aucun accord19. On sent de la part de tous les savants une impatience à mieux cerner la provenance d’un tel trésor, impatience peut-être accrue par les photos de Trever qui commencent à circuler. De Vaux va revoir son interprétation car, durant ces années 1949-51 où se fait l’analyse des trouvailles de la grotte 1, il échange régulièrement avec Sukenik et Trever, qui sont attelés au déchiffrement des rouleaux qu’ils ont photographiés ou achetés, mais aussi avec de nombreux savants, épigraphistes ou archéologues que la découverte de Qumrân intrigue. L’abondance de sa correspondance à l’époque est impressionnante20. Un épisode difficile a lieu en 1950-51 entre de Vaux et l’épigraphiste français André Dupont-Sommer. Ancien boursier de l’AIBL à l’École biblique (1928-1929), directeur d’études à l’École pratique des hautes études où il est professeur d’Histoire ancienne de l’Orient, Dupont-Sommer est un des premiers, bien que ne résidant pas sur place, à publier en langue française un essai d’interprétation de la découverte de Qumrân. Son premier ouvrage, de 1950, intitulé Aperçus préliminaires sur les manuscrits de la mer Morte, accompagné d’un article grand public dans Le Figaro littéraire fait réagir vivement Roland de Vaux21. En mars 1951, le dominicain lui écrit avoir été « peiné » (sic) qu’il prenne le grand public pour juge et lui annonce avoir envoyé un article de réponse dans une revue française, La Vie intellectuelle. Dans son premier ouvrage de 1950, Dupont-Sommer minimise le rôle de Roland de Vaux, qui n’est présenté que comme ayant « aidé » Lankester Harding dans sa fouille de 1949 (p. 20)22. De plus, 19

Cf. HARDING, 1949. La liste des correspondants de Roland de Vaux à cette époque est longue : Millar Burrows, du Département de Near Eastern Languages and Litterature de Yale, Kurt Schubert de l’Oriental Institute de l’Université de Vienne, Carl H. Kraeling, directeur de l’Oriental Institute de l’Université de Chicago et président de ASOR, Paul Ernest Kahle de l’Université d’Oxford, William F. Albright, professeur de langues sémitiques à l’Université Johns Hopkins (Baltimore), Ernest R. Lacheman de Wellesley College (Massachusetts), Harold L. Ginsberg, professeur de littérature rabbinique au Jewish Theological Seminar of America (New-York), Solomon A. Birnbaum, professeur à School of Oriental & African Studies de l’Université de Londres, Otto Eissefeldt, professeur d’Ancien Testament à l’Université de Halle -Wittenberg (Allemagne), Harold Plenderleith, du British Museum (Londres), Harry M. Orlinsky, du Jewish Institute of Religion (New York), Cyrus H. Gordon, de l’Université de Princeton (New Jersey), Jeremiah E. Wright du McCormick Theological Seminar de Chicago, Harold H. Rowley, du Département de langues sémitiques de l’Université de Manchester, Carlo Cecchelli de l’Université de Rome, Willam H. Brownlee de Duke University (Durham), du P. Jean de Menasce, EPHE (Paris), Johannes Hempel (Berlin, Allemagne), Bleddyn J. Roberts, University College de Bangor (North Wales). 21 Cf. DUPONT-SOMMER, 1950. 22 Dans une lettre de juin 1957, Thomas Chifflot des éditions du Cerf dira à de Vaux avoir vu avec surprise le même Dupont-Sommer présenter à la télévision française les découvertes 20

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l’ouvrage est surtout fondé sur les textes des Américains de l’ASOR et de Sukenik qui ont sous les yeux des documents plus complets et fait peu état de ce qui est encore en voie de déchiffrement au Musée palestinien. Cela explique peut-être le ton ironique, presque cinglant, de la réponse de Roland de Vaux en avril 195123 : « On comprend la hâte mise par l’auteur à se libérer d’un secret qui l’écrasait (ainsi parle Le Figaro Littéraire), son zèle à faire connaître sa découverte : elle est énorme. La secte de la Nouvelle Alliance, d’où émane le Commentaire d’Habaquq et dont la Règle a également été préservée dans la grotte, a des traits communs avec le christianisme. Son fondateur, le Maître de justice, persécuté par le Prêtre impie, a des ressemblances troublantes avec le Christ. Qu’on en juge ». De Vaux cite alors un extrait de l’ouvrage de Dupont-Sommer : « Le Maître galiléen, tel que nous le présentent les écrits du Nouveau Testament, apparaît, à bien des égards, comme une étonnante réincarnation du Maître de justice. Comme celui-ci, il prêcha la pénitence, la pauvreté, l’humilité, l’amour du prochain, la chasteté […]. Partout où la ressemblance oblige ou invite à penser à un emprunt, l’emprunt fut fait par le Christianisme »24. Ce qui amène à conclure si l’on suit l’auteur, commente de Vaux, que « tous les problèmes relatifs aux origines chrétiennes doivent être reconsidérés, et d’autres encore : ce n’est pas une révolution qu’apportent dans les études bibliques les documents de la mer Morte, conclut DupontSommer reprenant les thèmes d’Ernest Renan, c’est, on le pressent déjà, toute une cascade de révolutions »25. Pour de Vaux, « cette construction historique ne se fonde que sur des faits et des textes mal interprétés ». Et il argumente, non en théologien, ce dont son contradicteur se méfie, mais en philologue ayant lui-même participé à la fouille. Suit une argumentation serrée, avec une mise en question explicite de défauts de traduction du Commentaire d’Habaquq, d’erreurs de perspective historique et, enfin, une conclusion sans appel : les documents « garderont une importance considérable, même pour l’étude des origines chrétiennes, en faisant mieux connaître le milieu religieux où s’est exercée la prédication de Jésus, où a grandi l’Église. Mais il faut se défendre contre les mirages. Au terme de son petit livre, M. Dupont-Sommer avoue que de Qumrân, non seulement de manière un peu tendancieuse, mais « sans nommer l’École de Jérusalem ». Archives du Couvent Saint-Étienne. 23 Cf. VAUX (de), 1951, 60-70. 24 Cf. DUPONT-SOMMER, 1950, 121 et 122, cité par R. de Vaux, 1951b, 61. Dupont-Sommer reprend ici une thèse de Renan qui avait écrit dans sa Vie de Jésus en 1863 : « Le christianisme est un essénisme qui a largement réussi ». Il évoluera sur ce point, comme le note André PAUL, 2006. 25 Cf. DUPONT-SOMMER, 1950, 117, cité par VAUX (de) 1951b, 63.

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les rapprochements qu’il a faits “constituent un ensemble presque hallucinant” (p. 122). Les hallucinations sont dangereuses pour l’historien. Nous souhaitons à M. Dupont-Sommer d’en guérir et, simplement, d’y voir clair »26. La charge est sévère mais elle est à la mesure de l’écart entre le laborieux travail fait par ceux qui fouillent sur place non sans mal et une tentation d’aboutir rapidement à des conclusions spectaculaires, propres à frapper une opinion publique qui en est friande. Cette hâte du savant parisien n’est pas sans rappeler la manière dont Ernest Renan, un de ses prédécesseurs au Collège de France où il occupera la chaire d’hébreu et d’araméen de 1963 à 1971, avait cru déjà pouvoir régler son compte au christianisme, au nom des progrès de la science. Quelques mois plus tard, avant de publier son étude sur le Manuel de discipline, Dupont-Sommer répond à Roland de Vaux : « Bien entendu, j’ai lu cet article, et n’ai pu m’empêcher de penser que le ton général était peu conforme à la courtoisie et à la cordialité habituelles de nos relations. Ce ton aigre et violent a disparu de votre récent article dans la Revue Biblique. C’est pourquoi je reprends le contact interrompu […]. Que vous discutiez mes opinions et mes hypothèses, sur le plan scientifique, ceci est parfaitement normal, totalement souhaitable. Mais pourquoi ne pas le faire avec la courtoisie et la sérénité dont je ne me suis jamais départi envers vous ? ». L’incident sera clos et de Vaux accueillera bientôt Dupont-Sommer sur ses fouilles de Qumrân mais il est révélateur de la pression médiatique autour du sujet, de l’impatience des spécialistes à avoir la primeur des découvertes, et donne déjà un avant-goût de reproches futurs : dit-on toute la vérité sur les manuscrits de la mer Morte ? Ne tente-t-on pas de cacher des choses troublantes pour l’orthodoxie catholique ? L’épisode nous dit aussi quelque chose sur le tempérament de Roland de Vaux. On y reviendra. Dans la même veine, de Vaux a un échange épistolaire aigre-doux avec l’archéologue René Dussaud, membre de l’AIBL, qui avait informé Dupont-Sommer des premières hypothèses de de Vaux27. Nourri par ces échanges et aussi par l’avancement de ses travaux, de Vaux révise sa position sur la datation du site et en fait part lors d’une deuxième communication l’AIBL le 4 avril 1952. Ayant trouvé une jarre intacte, identique à celle qui contenait les manuscrits, il en conclut que « sa seule présence dans ce contexte non daté nous oblige à réviser certaines conclusions que nous avions tirées de la fouille de la grotte. Je me 26 27

Cf. VAUX (de), 1951b, 70. Cf. Échange de lettres entre Dussaud et de Vaux, juin-juillet 1949.

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suis trompé – avec tous les archéologues compétents qui les ont vues – en attribuant les jarres des manuscrits à l’époque préromaine : elles sont, d’un bon siècle, plus tardives et prouvent que, dans un milieu fermé, des techniques anciennes peuvent survivre ». Il n’est plus convaincu que ces jarres aient été fabriquées en vue du dépôt des manuscrits, elles ne relèvent pas d’une violation postérieure de la cache. « Cela ne préjuge pas de la date des manuscrits, qui peuvent être plus anciens mais cela est décisif pour la date du dépôt : il a été fait au cours du Ier siècle avant notre ère et, s’il s’agit d’une cachette, probablement à la veille de l’abandon du Khirbet, pendant la guerre juive »28. Il estime par ailleurs que ses nouvelles découvertes permettent de conclure que les manuscrits viennent de la communauté qui habitait la khirbeh, que Sukenik, le premier, a identifiée avec les Esséniens, en se fondant sur les écrits de Pline l’Ancien et de Flavius Josèphe. En 1952, Dupont-Sommer, toujours impatient d’être le premier, publie un deuxième ouvrage Nouveaux aperçus sur les manuscrits de la mer Morte où il fait état de l’évolution de la position de Roland de Vaux29. Lors de la séance de l’AIBL, Jérôme Carcopino dit son admiration pour l’étendue des découvertes et la probité scientifique dont fait preuve Roland de Vaux en renonçant à des conclusions antérieures. Lors de la séance du 12 décembre 1952, de Vaux sera élu membre correspondant de l’AIBL. 3. LES GRANDES DÉCOUVERTES DES

GROTTES

3 ET 4

De Vaux retourne à Qumrân du 10 au 22 mars 1952, accompagné par un prêtre polonais, Józef Milik, qui vient d’arriver à Jérusalem, et un étudiant français boursier de l’AIBL, Henri de Contenson30. L’objectif est alors d’explorer l’ensemble de la falaise sur une longueur de 4 km au Nord et au Sud de Qumrân, en faisant trois équipes d’ouvriers dirigés par de Vaux, Milik et de Contenson. Au total, ils vont découvrir deuxcent vingt-cinq grottes, aucune ne contenant, à première vue, de restes 28

Cf. VAUX (de), 1952b, 174-175. Cf. DUPONT-SOMMER, 1953. 30 Henri du Bessey de Contenson (1926-2019), ancien élève de l’École du Louvre, a fait ses premiers pas en archéologie en 1950-1951 en participant à des fouilles menées par André Leroi-Gourhan à Arcy-sur-Cure dans l’Yonne. Il vient à l’École biblique en 1951, d’abord à ses frais, puis comme boursier de l’AIBL, et participe aux fouilles de Roland de Vaux à Tell el-Far‘ah, puis à Qumrân. Son mémoire à l’AIBL porta sur « le matériel chalcolithique de la grotte de Murabba‘ât ». En 1955, il soutint sa thèse à l’École du Louvre et entre ensuite au CNRS où il fera toute sa carrière, gravissant tous les échelons jusqu’à sa retraite en 1992. Cf. HUOT 2006. 29

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intéressants31. En y regardant de plus près, de Contenson découvre cependant dans une grotte (3Q), au milieu de tessons sans grand intérêt, deux rouleaux de cuivre oxydé, que l’on croit d’abord être du bronze, sur lequel on devine des caractères en hébreu. Leur déchiffrement va être une affaire complexe, en raison de la fragilité du support. On y reviendra. En juillet 1952, des bédouins avaient découvert une autre cache de manuscrits près des ruines d’un monastère chrétien à Khirbet Mird. Le site est fouillé début 1953 par une mission belge. Au milieu du mois de septembre 1952, les bédouins avaient aussi trouvé une quatrième grotte (4Q), dont les fragments vont apparaître peu à peu sur le marché à Jérusalem32. Le rythme des découvertes s’accélère, provoquant la lassitude de Roland de Vaux qui écrit au P. Benoit le 25 septembre 1952 : « Mes diables de bédouins ont déniché une nouvelle grotte, à Qumrân même, d’où il sort des choses et des choses […]. Nous avons fait arrêter le travail, trop tard probablement, Harding y est depuis hier et j’y pars tout à l’heure avec Milik. J’espère que cela ne durera que quelques jours, car il fait encore très chaud et je suis surchargé de travail ici »33. Il s’agit, en fait de la grotte 4Q, très riche en manuscrits, qui vont apparaître peu à peu sur le marché à Jérusalem et donneront lieu à plus de dix volumes dans les DJD34. Accompagnés d’une escorte de police, ils vont fouiller pendant une semaine et découvrir plus de vingt-cinq mille fragments appartenant à des centaines de manuscrits, dont des éléments sont déjà en vente sur le marché. Parmi ces fragments, Milik reconnaît sur place le manuscrit du Livre d’Hénoch. Des centaines de fragments sont recueillis au milieu de la poussière et de la boue séchée. L’exploration des environs de la grotte 4 permet d’en découvrir une cinquième, 5Q, qui contient des fragments d’une douzaine de rouleaux. Les bédouins proposent alors aux savants des morceaux de cuir ramenés d’une sixième grotte, la grotte 6Q, découverte en juillet dans la falaise rocheuse du wadi Qumrân en allant vers le barrage. Ils sont acquis par le Musée archéologique palestinien, mais, souvent les archéologues arrivent trop tard et ne recueillent que les miettes d’une récolte qui a déjà été abîmée, dispersée et dont il va falloir retrouver les éléments épars. D’autres campagnes de fouille ont eu lieu en 1954 (13 février-14 avril), 1955 (2 février-6 avril) et 1956 (18 février-28 mars) dans le but de dégager le bâtiment principal et quatre citernes du site, 31 VAUX (de), 1953b. Le même numéro de la revue présente des textes hébreux découverts à Murabba‘ât, Ibid., 268-275 et 1953c. 32 Cf. DJD, V, 1968 et FIELDS, 2009, 141 et sv. 33 Lettre de R. de Vaux à P. Benoit, 25 septembre 1952. 34 Cf. DJD V, 1968 et W. FIELDS 2009, Ibidem.

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divers loci et le grand cimetière. Un rapport de fouille assez détaillé est publié en 1956 qui donne les premiers résultats de ces 3e, 4e et 5e campagnes. La découverte de la grotte 11, riche en fragments, montre que ce labeur n’est pas vain. La dernière campagne fait aussi apparaître l’importance du site de Feshkha, contraignant de Vaux à envisager une autre campagne : « Ainsi les fouilles de Qumrân qu’on espérait clore cette année sont relancées sur une nouvelle piste. Khirbet Qumrân est achevé mais il faut maintenant fouiller le nouveau bâtiment découvert à ‘Aïn Feshkha. Si les circonstances le permettent, le chantier s’ouvrira en 1957 »35. La crise politique de Suez en 1956 l’obligea à attendre. 4. ROLAND DE VAUX, HOMME

DE CONFIANCE POUR L’ACQUISITION

DES FRAGMENTS

Pour gérer les nouvelles découvertes et empêcher les bédouins de tout massacrer par des fouilles sauvages, un système est mis en place, que l’on connaît assez bien grâce à l’enquête faite par Weston Fields, qui a interrogé tous les témoins vivants et relu dans le détail les correspondances des divers protagonistes, en particulier Dominique Barthélemy qui se trouvait alors à l’École biblique et faisait un premier tri parmi les fragments proposés par les antiquaires36. Il s’agissait non seulement de récupérer le maximum de manuscrits, mais surtout de retrouver leur provenance afin de mettre fin rapidement aux fouilles sauvages qui dégradent les documents et rendent difficile leur identification. Dans ses souvenirs, Dominique Barthélemy raconte que les bédouins empilaient leurs découvertes pêle-mêle, dans leurs keffiehs pour les transporter. Le dispositif mis en place à partir de mi-1952 est le suivant : R. de Vaux gère une certaine somme au nom du Musée palestinien qui l’habilite à faire les achats qu’il juge justifiés. Petit à petit, un tarif se met en place, au prorata de la surface de texte écrit : environ 1 Livre sterling par cm2. Mais assez vite, on découvre la limite de cette méthode qui encourage les Bédouins à déchirer les manuscrits pour tenter de gagner davantage. Il faut donc tenter de gagner leur confiance et, le cas échéant, recourir à l’armée jordanienne, seule capable d’endiguer les fouilles sauvages. Les transactions doivent reposer sur la confiance. Une fois acquis, les manuscrits sont confiés au Musée palestinien et peu à peu attribués à un spécialiste pour être identifiés. 35 36

Cf. VAUX (de), 1956a. Cf. FIELDS, 2009, 131 et sv.

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Le nombre de manuscrits découverts dans la grotte 4 pose très vite un problème de financement : le Palestinian Archaeological Museum n’a plus les ressources nécessaires pour se porter acquéreur de tout ce qui arrive sur le marché. Lankester Harding se tourne alors vers diverses institutions susceptibles d’offrir un financement, même si cela implique de devoir vendre certains manuscrits. Consulté, le professeur Carl Kraeling, directeur de l’Oriental Institute de Chicago, répond qu’il n’y voit pas d’inconvénient si la vente se fait dans les règles et si les institutions acquéreuses sont en mesure de prendre soin des manuscrits. Harding se tourne alors vers la Bibliothèque du Congrès aux États-Unis et le British Museum de Londres. Curieusement, aucune de ces prestigieuses institutions ne va se montrer intéressée, estimant peut-être être en présence d’un « marchandage oriental ». Pourtant, les besoins financiers de l’époque étaient évalués à seulement 15 ou 20 000 £. En revanche, un mécène américain, qui n’a rien à voir avec l’archéologie ou les études bibliques, se dit disposé à apporter une contribution : la famille Bechtel, qui dirige la première entreprise américaine de travaux publics. 5000 $ sont immédiatement proposés et davantage à l’avenir si cela peut entrer dans le cadre d’une procédure de déduction fiscale. Hélas, ni Harding ni de Vaux n’étaient alors familiers de cette manière de financer des projets de recherche et l’occasion de lancer une véritable opération de fundraising à la hauteur de l’enjeu fut alors manquée. Finalement, quelques universités étrangères vont acquérir certains lots de manuscrits en échange d’une contrepartie financière : l’université de Heidelberg, l’université de Manchester, la bibliothèque vaticane, l’université McGill de Montréal. Cette dernière donne 15 000 $ pour des manuscrits de la grotte 4. Le contrat était que les manuscrits resteraient au Palestinian Archaeological Museum, au moins jusqu’à leur publication, car la dispersion des lots rendrait le déchiffrement et l’édition plus difficiles. Le gouvernement jordanien donna son accord en 1953 mais reviendra sur sa décision en 1960, estimant que « au vu de l’importance historique et de la valeur historique de ces rouleaux », ceuxci devaient rester au Département des Antiquités de Jordanie, même si l’on devait rembourser les institutions ayant déjà contribué financièrement. En parallèle, les Israéliens étaient en mesure de mobiliser des financements considérables pour acquérir d’autres lots, ce qui, évidemment, avait un effet immédiat sur les exigences financières des bédouins. L’intérêt de la découverte est immense et les candidats pour fouiller vont se presser. Sukenik a déjà dit son désir de fouiller les falaises au Sud d’Engaddi. Les bédouins ont découvert les vestiges d’une bibliothèque monastique au Khirbet Mird, à une quinzaine de kilomètres au sud-est

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de Jérusalem, qui contient des manuscrits en grec, en araméen christopalestinien et en arabe. Le site est fouillé à partir de février 1953 par une équipe belge qui propose ses services, sous la direction du chanoine Robert de Langhe, professeur aux Universités de Louvain et de Nimègue. L’organisation matérielle est assurée par le capitaine Lippens. Elle comporte aussi un géologue alpiniste, H. Brifaut, et Jacques Ryckmans, docteur en philologie et histoire orientale, neveu du chanoine Gonzague Ryckmans. La zone fouillée est propriété du Patriarcat grec orthodoxe de Jérusalem. Avec l’accord de Harding, de Vaux accepte et écrit à Lippens : « Il serait très important que toute la côte jusqu’à Engaddi et sur une assez grande largeur à l’intérieur soit systématiquement explorée […]. Je ne sais pas s’il faut encore espérer des trouvailles très sensationnelles, mais je crois important que la chose soit faite »37. Avec leur accord, un financement belge, l’appui explicite de l’Université de Louvain et même des souverains belges, une mission se met en place qui a lieu du 23 février au 13 avril 1953 pour explorer les falaises des bords de la mer Morte. Au terme de leur mission, les Belges écrivent dans leur rapport : « environ 60% des grottes visitées étaient bouleversées de fond en comble par les Bédouins. Ajoutons 30% des grottes sondées par les bédouins (d’un à sept sondages) et il reste quelque 10% des grottes vierges pour notre expédition. Notons que les Bédouins arrêtent leurs fouilles lorsqu’ils tombent sur une couche de cendres, du principe que tout est anéanti dessous […]. Notre expédition ayant travaillé uniquement par voie de sondage il est évident que les grottes parcourues par elle peuvent donner lieu ultérieurement à des découvertes dont nous serons les premiers à nous réjouir avec une nuance de regret légitime ».38 Cette mission belge a recueilli soixantesept papyri en christo-palestinien du Ve au VIIe s. qui seront confiés pour étude et publication à un étudiant de l’École biblique, Charles Perrot39. Mais cette publication, comme tous les résultats de la mission belge vont traîner en longueur et sera rendue difficile par la mort de de Langhe et le fait qu’une partie de la documentation avait été transférée en Belgique40. Il y avait aussi un ensemble de papyri arabes que le Musée palestinien va confier au Dr Adolf Grohman, du Caire, qui en fera l’expertise et la publication à Louvain, les DJD étant réservés aux fouilles de Qumrân et 37

Lettres de Roland de Vaux à Philippe Lippens, 7 juin et 3 septembre 1952. Mission archéologique en Jordanie. 1953. Rapport de Ph. Lippens sur le travail effectué au désert de Juda par l’équipe Ph. Lippens, J. Ryckmans, H. Brifaut, du 25 février au 13 avril 1953, archives de l’EBAF. 39 Un extrait du mémoire de Charles Perrot pour l’AIBL est publié par la RB 70 (1963), 506-555. 40 Cf. la note de Ryckmans à de Vaux, 3 février 1964, archives du Couvent Saint-Étienne. 38

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Murabba‘ât41. Devant l’urgence d’explorer une zone plus large, une seconde équipe dirigée par Philippe Lippens se met au travail pour faire des sondages dans la zone de Murabba‘ât42. Les Belges ne sont pas les seuls intéressés. Des chercheurs anglais de l’Université de Manchester vont se porter candidats pour entreprendre d’autres fouilles : Harold Rowley du département de langues sémitiques et John Allegro. On sent clairement une pression pour être partie prenante d’une aventure qui, en effet, sort de l’ordinaire et peut assurer de la notoriété à ceux qui y prennent part ! De Vaux est réticent, car, dit-il, « Harding ne désire pas avoir de participation étrangère pour notre fouille de Qumrân […]. Si vous pouviez venir comme hôte vous seriez bien accueilli et j’en serai même très heureux. Mais cela est très différent de ce que vous proposez », écrit de Vaux à Allegro, le 27 novembre 1955. En décembre 1955, les Belges se mettent à nouveau sur les rangs pour une nouvelle exploration, cette fois au Khirbet Mazen. La publication des résultats de Khirbet Mird va prendre des années et sera difficile en raison de lacunes de transmission des photos, des planches et des journaux de fouille nécessaires pour une publication scientifique. 5. UN

PUZZLE COMPLIQUÉ POUR UNE PARTIE À TROIS

L’abondante correspondance de Roland de Vaux fait mieux comprendre ce qui se joue durant les premières années après la découverte de la grotte 1. Il s’agit d’une sorte de partie à trois autour d’un puzzle dont personne ne connaît tous les éléments : d’un côté les Américains de l’American School of Oriental Research (ASOR) qui ont pu photographier les manuscrits récupérés par les hommes du Métropolite syrien Mar Athanase Samuel, travaillent à leur traduction et recomposent peu à peu les éléments ; ensuite, l’israélien Éléazar Sukenik qui déchiffre et publie les rouleaux importants qu’il a réussi à acquérir ; enfin, Roland de Vaux et l’École biblique qui ont le lot le moins flatteur, puisqu’il s’agit de fragments épars récupérés en février-mars 1949 après un véritable saccage de la grotte par les fouilleurs clandestins, les bédouins, puis les « Syriens », car ces derniers 41 Cf. GROHMAN, 1963. Les papyri offrent surtout un intérêt d’ordre paléographique à cause du style ancien d’écriture qui aurait été employé par les chancelleries de l’époque omeyyade et survivra à l’époque abbasside. 42 Ph. LIPPENS, Mission archéologique belge en Jordanie, 1953, tapuscrit, archives du Couvent Saint-Étienne.

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ont gardé des contacts avec les premiers fouilleurs clandestins43. Chacun n’ayant que des éléments du puzzle a besoin des informations dont disposent les autres mais il y deux obstacles principaux. Un obstacle politique : depuis le Partage de la Palestine en 1948 et l’acquisition des rouleaux par Sukenik, Harding et de Vaux, tenus à la loyauté vis-à-vis de l’administration jordanienne, ne peuvent accéder aux demandes répétées de Sukenik. Il y a aussi une concurrence académique, les savants américains mais aussi certains Européens comme André Dupont-Sommer faisant tout pour être les premiers à révéler ce que la presse fait passer comme la découverte archéologique du siècle. En août 1949, de Vaux confesse à Harding être submergé par la demande des médias. Il est en contact fréquent avec tout ce qui compte dans le monde spécialisé de l’archéologie et de l’épigraphie. Tout d’abord avec Trever et Burrows, bien sûr, qui déchiffrent les manuscrits prêtés par les « Syriens », mais aussi avec Sukenik car le savant israélien insiste pour obtenir des photos de fragments afin de compléter des lacunes de ses textes, fragments qui se trouvent au Musée palestinien. Contrairement à un reproche qui lui a été fait, de Vaux ne refuse pas d’aider tel ou tel chercheur qui a besoin d’une photographie pour avancer une publication. C’est le cas, par exemple, de Solomon Birnbaum qui enseigne l’épigraphie à Londres (School of Oriental and African Studies) et publie dans BASOR d’avril 1950 un article sur les fragments du Lévitique pour lequel il a bénéficié de photographies fournies par de Vaux44. Régulièrement dans cette correspondance, chacun se montre très scrupuleux sur le fait de citer ses sources, l’ambiance est tendue. À un moment, de Vaux reproche à Sukenik de ne pas l’avoir cité, lequel s’en défend : « Puis-je observer, mon cher Père de Vaux, que ceci n’est pas exact ? Vous trouverez aux pages 7 et 53 de mon livre mention de votre nom et de votre article paru en octobre dans la Revue biblique. » Après avoir invité de Vaux à être plus « libéral » sur le sujet, voire moins susceptible, Sukenik ajoute : « je me compte, comme vous savez, parmi les amis de l’École et de ses membres »45. Cette capatatio benevolentiae ne suffira pas car, deux mois plus tard, de Vaux reproche au même Sukenik d’avoir retouché ou laissé retoucher par le photograveur un texte tiré d’une illustration publiée par la Revue biblique. Sukenik s’en défend mais le 43 Dans une lettre du 27 juillet 1949 à Lankester Harding, que celui-ci transmet à de Vaux, le Métropolite Samuel avoue avoir encore récupéré des fragments du Livre de Daniel au cours de l’été 1948. 44 Cf. BIRNBAUM, 1950. 45 Lettre de de Vaux à Sukenik, du 23 avril 1950.

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reproche court durant plusieurs semaines dans la correspondance. En septembre 1950, Trever se plaint à de Vaux qu’on ait pu penser qu’il demandait communication de photographies de certains fragments et allait les publier sans autorisation. On sent que tout le monde est à cran : chacun doit résoudre des énigmes, sans accès facile aux documents des autres ; l’attente internationale est considérable et il est tout de même tentant d’être le premier à publier des informations décisives. Aussi de Vaux se permet-il de conseiller à Sukenik de publier les textes en sa possession sans attendre que tout le puzzle ait été reconstitué : « Plutôt que la reproduction de textes qui sont en d’autres mains et ont déjà été publiés ailleurs, le monde savant attend de vous l’édition des grands et importants morceaux que vous possédez. Les Américains nous ont donné l’exemple en éditant très vite leur Isaïe et le commentaire d’Habacuc. Et il faudrait que nos publications soient absolument objectives, pour ne frapper d’aucune nouvelle suspicion cette extraordinaire découverte, dont, par le malheur des circonstances, l’histoire a été, dès le début, entourée de tant d’incertitudes ». Regrettant de ne pas pouvoir lui « donner pleine satisfaction », de Vaux redit à Sukenik « l’assurance de (ses) sentiments les meilleurs »46. Sans attendre, en revanche, une vraie collaboration se met en place entre l’École biblique et l’American School qui a ses locaux proches de l’École. R. de Vaux est très clair dès juillet 1949 sur sa disponibilité pour une collaboration, comme le montre un échange de lettres avec le professeur Carl H. Kraeling, président de l’American School de 1949 à 1954 : « Je suis personnellement du même avis que vous et je souhaite que, dans l’intérêt de la science, une collaboration amicale s’établisse pour tirer le meilleur parti possible du trésor sorti de la grotte de la mer Morte. Il est regrettable que cette collaboration ne se soit pas établie dès le début […] mais Mr Harding a seul le droit de disposer du matériel de cette fouille dont il avait la direction […]. Si je puis, de mon côté, être de quelque utilité à l’École américaine en cette matière, je le ferai volontiers. Les relations entre nos deux institutions sont anciennes et ont toujours été excellentes »47. Le même jour, de Vaux précise ses intentions à Harding : d’accord pour la collaboration, mais pas de précipitation qui serait dommageable à la qualité de l’édition ; la transmission d’un fragment du Deutéronome risque de compromettre l’intérêt de la publication finale en préparation. 46

Lettre de Roland de Vaux à Sukenik, 13 juin 1950, Archives du Couvent Saint-Étienne. Lettre de Roland de Vaux à Carl Kraeling, 21 juillet 1949, Archives du Couvent SaintÉtienne. 47

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Tout est, en somme, affaire d’équilibre et de prudence. Dans une lettre de mai 1951, de Vaux confirme la réalité des échanges avec l’École américaine à Jean de Menasce qui a entrepris avec Cazelles une traduction du Manuel de discipline et lui demande des photos : « les photographies des fragments que je dois éditer ont été envoyés à Burrows en conséquence d’un échange conclu entre les Écoles américaines et nous : ils ont eu les photos de tous mes fragments et j’ai en mains, depuis plus d’un an, les photos de tous leurs textes (sauf naturellement le Lamech qui n’est pas déroulé). Nous avons décidé, Mr Harding et moi, de ne pas communiquer nos fragments à d’autres avant leur publication. Et j’ai dû refuser déjà les photos qui vous intéressent à Sukenik, Robert Van der Ploeg, DupontSommer […]. Vous comprendrez qu’il n’est guère possible de faire maintenant une exception et je vous en dis mon regret. Je ne crois, d’ailleurs, pas que nos débris vous apportent quelque élément d’essentiellement nouveau, et c’est plutôt le texte américain qui m’aide à les comprendre »48. La collaboration avec les Américains va s’amplifier avec la mise en place par de Vaux au début des années 1950 d’une équipe de savants travaillant au déchiffrement, à la traduction et à la publication. 6. L’AMORCE D’UNE ÉQUIPE INTERNATIONALE POUR DÉCHIFFRER LES MANUSCRITS

L’École biblique est en mesure d’intervenir de manière sérieuse dans le débat parce que de Vaux est aux premières loges pour la fouille officielle mais aussi parce que l’École va bénéficier de collaborateurs de haut niveau49. Un des premiers à intervenir dans l’étude des manuscrits est un jeune religieux dominicain français, Dominique Barthélemy, qui est venu à Jérusalem durant l’année 1950-51 pour se spécialiser en études bibliques après avoir passé son lectorat en théologie au Saulchoir. Né en 1921, entré dans l’Ordre dominicain en 1939, Dominique Barthélemy passe sa licence biblique en 1951 et est vite repéré par Roland de Vaux en raison de ses compétences exceptionnelles en critique textuelle, comme le montre la recension minutieuse qu’il fait dans la Revue biblique de l’édition du grand Rouleau d’Isaïe par M. Burrows50. En 1952, il commence à enseigner à l’École biblique et intègre l’équipe naissante chargée d’étudier les manuscrits de la mer Morte. Après son article sur le rouleau 48 Lettre de Roland de Vaux à Jean de Menasce, 11 mai 1951, Archives du Couvent SaintÉtienne. 49 Cf. PUECH 2012, 403-432. 50 Cf. BARTHÉLEMY, 1950 ; SCHENKER - LOCHER – WILLIAMSON, 2018.

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d’Isaïe, il signe un article copieux et très technique où il interroge déjà les premières interprétations avancées par les spécialistes qui se sont penchés sur les manuscrits51. Dominique Barthélemy va travailler d’arrache-pied sur le sujet au point d’y laisser sa santé. En 1953, il fait une première présentation du rouleau en grec des Petits Prophètes52, qui met en évidence la recension kaige : il s’agirait d’une nouvelle édition – appelée recension – du texte grec original destinée à le rendre plus proche du texte hébreu (proto-massorétique). L’hypothèse est reprise par Barthélemy dans son livre Les Devanciers d’Aquila53, où il montre que la « recension » était présente dans de nombreux autres livres de la Septante, la traduction d’Aquila constituant une sorte de « surrecension, i.e.la recension d’une recension » selon le mot d’Adrien Schenker54. Le livre est une vraie révolution dans l’étude de la Septante, estime Emmanuel Tov, rejoint par d’autres spécialistes qui qualifient ce livre de « la plus féconde monographie écrite dans le domaine de la Septante durant le 20e siècle »55. La trouvaille est géniale, mais Barthélemy s’épuise au travail et en juin 1953, après quelques jours d’hospitalisation, il doit partir se reposer en France. Il ne reviendra que provisoirement à Jérusalem, car il souffre en réalité d’un profond surmenage. Il continuera à travailler à distance sur les manuscrits, comme le montrent sa correspondance avec Roland de Vaux et ses publications56. De cette période d’épreuve, il tirera un livre, Dieu et son image : ébauche d’une théologie biblique, qui commence par cette confession très émouvante : « Juste avant d’écrire les dix chapitres qui suivent, j’ai consacré autant d’années à l’étude des recensions palestiniennes de la Bible grecque au cours du premier siècle de notre ère. Ce travail est actuellement sous presse en Hollande. Je ne le renie pas, mais dois conclure qu’il 51 Cf. BARTHÉLEMY, 1952. Cet article avait été précédé en 1950 d’un autre article présentant le rouleau d’Isaïe « Le grand rouleau d’Isaïe… », art. cit. 52 Cf. BARTHÉLEMY, 1953. 53 Cf. BARTHÉLEMY, 1963a. 54 Cf. AEJMELEAUS - KAUHANEN (eds.), 2017, 14. 55 Cf. Ibidem, 7 (« the most seminal monograph written in the field of Septuagint during the 20th century »). 56 À partir de 1957, Dominique Barthélemy sera professeur d’Ancien Testament à l’Université de Fribourg où il anime l’Institut biblique et écrit une œuvre de premier plan en critique textuelle. De 1962 à 1969, il travaille à une nouvelle édition des Hexaples d’Origène. En 1969, il est invité par l’Alliance universelle des sociétés bibliques à participer à une équipe internationale pour élaborer un guide de traduction de la Bible. En 1971, les professeurs de l’École tenteront de le convaincre d’accepter le poste de directeur de l’École à la fin des mandats du père Benoit, mais il refusera avec fermeté. Membre de la commission biblique pontificale, il meurt en 2002. Un institut portant son nom poursuit son œuvre à l’Université de Fribourg, dont il fut aussi vice-recteur.

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ne m’a pas apporté la moindre lumière nouvelle sur la résonance que la Parole de Dieu doit avoir en ma destinée »57. L’École biblique va bénéficier d’un autre expert de premier plan en la personne de Józef Tadeusz Milik, un épigraphiste franco-polonais qui s’est trouvé à l’École biblique au moment précis où ses talents exceptionnels en épigraphie et philologie vont être d’un très grand secours pour le déchiffrement des manuscrits de la mer Morte58. Il venait tout juste de finir ses études d’orientalisme à l’Institut biblique pontifical et à l’Institut pontifical oriental de Rome lorsque furent découverts les manuscrits de Qumrân. Né en 1922 dans une famille paysanne modeste de l’Est de la Pologne, le jeune Milik a eu très tôt le goût de la lecture et des langues, grâce à l’attention d’un oncle prêtre qui lui fait faire ses études secondaires dans une école réputée à Siedlce. Célèbre pour sa grande bibliothèque, cette école attire une grande diversité d’élèves, Polonais, mais aussi Ukrainiens, Allemands. Très tôt le jeune Milik apprend le yiddish. En 1939, il entre au séminaire à Plock, puis à Varsovie, où plusieurs enseignants, dont Eugeniusz Dabrowsky, avaient fait des études bibliques avancées. Milik est vite remarqué pour son application et ses capacités philologiques hors du commun. À l’automne 1944, alors que l’armée rouge libère la Pologne de l’occupation allemande, il entre à l’Université catholique de Lublin, où il poursuit sa formation ecclésiastique mais aussi linguistique. Après l’obtention de la licence et de la maîtrise en théologie et son ordination sacerdotale en juin 1946, il part pour Rome à l’Institut biblique pontifical, où il se perfectionne en latin, grec, hébreu et araméen et apprend l’arabe, l’ougaritique, l’akkadien, le sumérien, l’égyptien, le hittite, le géorgien ainsi que plusieurs autres langues contemporaines. Il a pour professeurs des biblistes de renom comme Bonsirven, Vaccari, Lyonnet, Bea. Dès l’annonce en 1948 des découvertes des manuscrits de la mer Morte, il s’y intéresse et prend comme sujet de sa dissertation de licence la Règle de la Communauté, alors appelée Manuale Disciplinae, découvert dans la grotte 1. Sans même voir les originaux et se fiant seulement à des photos de médiocre qualité, Milik est en mesure de fournir rapidement une première traduction latine du texte hébreu. S’étant fait remarquer par ses premiers articles, il est contacté fin 1951 par de Vaux qui lui propose de venir à Jérusalem aider à déchiffrer les découvertes qui affluent. Enthousiaste, il rejoint l’École biblique en janvier 1952 57

Cf. BARTHÉLEMY, 1963b. Une biographie lui est consacrée par Zdzisław J. KAPERA, auteur également de nombreux articles sur Milik : KAPERA 2011. 58

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et se met immédiatement à travailler à l’édition des manuscrits. Il va s’y donner tellement qu’il laisse de côté sa thèse de doctorat, qu’il ne passera jamais. Dès le mois de mars 1952, il fournit un premier article à la Revue biblique sur un midrash de Michée dans les manuscrits de Qumrân59. Dès lors, de Vaux va lui confier le déchiffrement des manuscrits au fur et à mesure de leur découverte60. Ce même mois de mars 1952, Milik se joint aux fouilleurs qui explorent les grottes 2 et 3. En décembre, il publie dans la Revue biblique un article sur une lettre de Siméon Bar Kokheba61. Il travaille nuit et jour à nettoyer, classer et déchiffrer les manuscrits, au détriment de sa santé, déjà compromise avant qu’il n’arrive en Terre sainte. Il reste à Jérusalem en 1953 et 1954, hébergé par l’École biblique. En 1955, le P. de Vaux et J. Starcky le font admettre au CNRS français comme stagiaire puis attaché de recherche, pour financer son travail tout en restant à Jérusalem au plus près des documents qu’il étudie. Il obtient alors la nationalité française. En octobre 1960, il démissionne du CNRS et est alors nommé « Research professor » de la Catholic University of America de Washington, avec résidence en Jordanie et possibilité de continuer à travailler sur les manuscrits. Mais son contrat n’est pas renouvelé l’année suivante, pour raisons de santé. De Vaux parvient alors à le faire réintégrer par le CNRS, avec le titre d’attaché. Jusqu’à juin 1962, il réside à l’Institut français d’archéologie de Beyrouth, où l’accueille Henri Seyrig ainsi que l’abbé Starcky, un bibliste français qui tente de l’aider à gérer ses fragilités. Il travaille, en particulier, sur le livre d’Hénoch et reste en contact étroit avec Roland de Vaux qui lui a conservé toute son amitié malgré les soucis que ce chercheur hors pair lui a donnés62. Son compagnon de Jérusalem, Henri de Contenson, dit de lui : « Tous ceux qui l’ont connu ne pourront oublier la fidélité de son amitié et la gentillesse de son accueil »63.

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Cf. MILIK, 1952. Cf. KAPERA 2013. 61 Cf. MILIK, 1953. 62 En 1972, Józef Milik est invité à donner des conférences à Harvard, où il présente un fragment araméen, qui sera désigné plus tard comme 4Q246. Il meurt le 5 janvier 2006. Sa bibliographie est considérable et touche à tous les domaines du sémitique occidental ancien : araméen, paléo-hébreu et hébreu (manuscrits de Qumrân, Murabba‘ât et Khirbet Mird, rouleau de cuivre de Qumrân), ougaritique, phénicien et punique (flèches inscrites publiées dans Syria, stèles de Tyr), hatréen, palmyrénien et nabatéen. Il a consacré ses dernières années au Corpus des inscriptions nabatéennes. 63 Cf. CONTENSON, 2007 ; PUECH, 2006. 60

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7. LE LABORATOIRE D’ÉTUDE DES FRAGMENTS AU MUSÉE ARCHÉOLOGIQUE PALESTINIEN64 Barthélemy et Milik sont les premiers membres de l’équipe que de Vaux va constituer et travaillent d’abord à l’édition des fragments de la grotte 1. « Tous les deux étaient des génies », n’hésite pas à dire Emmanuel Tov qui prendra plus tard la responsabilité de l’équipe éditoriale. Milik se voit aussi confier les textes des « petites grottes » de Qumrân, ceux des grottes de Murabba‘ât, puis les manuscrits non bibliques de la grotte 4. En mai 1953, ils sont rejoints par un pasteur presbytérien, l’Américain Frank Moore Cross Jr. Annual professor à l’American School, durant l’année 1953-54. Il poursuivra depuis Harvard l’étude des manuscrits qui lui sont confiés, ce qui l’amènera à revenir régulièrement à Jérusalem. À la fin de l’année 1953, c’est au tour de John Allegro de rejoindre l’équipe : assistant lecturer à l’Université de Manchester, il arrive avec une bourse britannique et va s’occuper de textes parabibliques, commentaires ou paraphrases. En janvier 1954, arrive l’abbé Jean Starcky, qui avait été boursier de l’Académie à l’École biblique en 1935-36, durant ses études à l’Institut biblique pontifical à Rome. Professeur de Nouveau Testament et d’araméen à l’Institut catholique de Paris, pensionnaire à l’Institut français d’archéologie de Beyrouth, il entre au CNRS en 1949 ; dans l’équipe, Roland de Vaux lui confie le déchiffrement et la publication des papyri en nabatéen et des manuscrits araméens de la grotte 465. En juin 1954, Mgr Patrick W. Skehan intègre l’équipe : professeur à la Catholic University of America (Washington), il est alors annual professor à l’American School, qu’il va diriger en 1955-5666. Un mois plus tard, c’est au tour de John Strugnell, étudiant en langues orientales au Jesus College d’Oxford, d’arriver dans l’équipe. Il se voit confier un lot important de manuscrits non bibliques. En octobre 1954, Claus-Hunno Hunzinger, théologien protestant venant de Göttingen, se joint à l’équipe. Il sera remplacé 64

Cf. FIELDS, 2009, 191-239. Cf. PUECH, 1989, 3-6. Sentant ses forces décliner, Starcky sollicitera Émile Puech à la fin des années 1990 pour continuer son œuvre après son décès. 66 Né en 1909, Patrick William Skehan est un érudit américain. Il a enseigné pendant vingt ans l’hébreu, l’araméen, le syriaque au département de langues et littératures sémitiques et égyptiennes à l’Université catholique d’Amérique, dont il devient le doyen en 1951. Il est aussi professeur invité à l’Université Johns Hopkins de Baltimore et à l’Institut biblique pontifical à Rome. Secrétaire du Comité consultatif pour le Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium, il intègre en 1953 l’équipe éditoriale des manuscrits de la mer Morte et publie les manuscrits paléo-hébreux et grecs bibliques dans DJD IX (1992, 250 p.) avec E. Ulrich et J.E. Sanderson. 65

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en 1959, et définitvement en 1971, par Maurice Baillet, venu de Bordeaux67. C’est en somme une équipe de huit savants, tous très qualifiés, que de Vaux est parvenu à constituer en peu d’années. L’équipe internationale et multiconfessionnelle, travaillant au départ sous sa direction, va superviser la préparation des cinq premiers volumes des Discoveries in the Judaean Desert, dont la publication commence en 1955 par le volume I, où Barthélemy et Milik publient des fragments de la grotte 1. Le volume suivant, consacré aux grottes de Murabba‘ât, paraîtra seulement cinq ans plus tard, sous la responsabilité de Pierre Benoit, Milik et de Vaux. L’équipe va s’élargir sous la direction de Pierre Benoit, en raison du nombre de fragments découverts dans la grotte 4. Eugen Ulrich, de l’Université Notre-Dame, va aussi venir seconder Patrick Skehan et plus tard aidera Frank Cross68. Sa contribution va être considérable pour les volumes IX avec P. Skehan, pour les volumes XII, XIV, XV et XVI avec Frank M. Cross, et pour le volume XXII avec Peter W. Flint. Ce délai est-il imputable à la complexité de la tâche, ou au fait que l’équipe choisie pour y travailler était trop restreinte ? En réalité, commente Emmanuel Tov, qui prendra plus tard la direction des DJD, l’équipe dépassait ce groupe de huit personnes et pouvait aller jusqu’à vingt-cinq, voire trente-cinq membres, selon les périodes69. Il n’était pas rare, en effet, qu’une édition mobilise un spécialiste particulier comme Grace M. Crowfoot pour l’étude des textiles dans le volume 1 ou John W. Barns pour une expertise sur la fibre des papyri dans le volume VI. Avec le recul, on se dit qu’il eût fallu élargir davantage l’équipe pour hâter la publication. Dans son ouvrage synthétique sur l’aventure des manuscrits de la mer Morte, Weston Fields note que la recherche de fonds réalisée en 1952 aurait pu être l’occasion d’impliquer plus de partenaires, en échange de leur contribution 67 Claus-Hunno Hunzinger (1929-2021), professeur à l’Université de Göttingen, puis de Hambourg, travailla à l’édition des textes de Qumrân de 1957 à 1960 mais ne termina pas ses travaux. Celui qui dut le remplacer, Maurice Baillet (1923-1998), était un prêtre du diocèse de Bordeaux. Après des études de lettres classiques, il se spécialisa en langues orientales à l’École Pratique des Hautes-Études et à l’École Nationale des Langues Orientales Vivantes. Boursier de l’AIBL à l’École biblique de 1952 à 1954, au moment des découvertes des manuscrits de la mer Morte, il consacre ses mémoires AIBL à des textes des grottes 2 et 4 de Qumrân. En 1958, il est agrégé à l’équipe éditoriale des manuscrits et contribue, avec l’appui du CNRS, à deux volumes des DJD (vol. III et vol. VII), ce qui lui valut en 1983 le Prix Charles Clermont-Ganneau, décerné par l’AIBL. Cf. PUECH, 1998, 339-341. 68 Peter William Flint, docteur en études bibliques de l’Université Notre-Dame, était professeur associé à Trinity Western University au Canada et directeur du Dead Sea Scrolls Institute de la même université. 69 Cf. TOV, 2002, 1-2.

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financière70. À l’époque, en effet, le Musée palestinien n’a plus les ressources nécessaires pour le projet et doit faire appel à un mécénat. Dans le volume VI des DJD où sont publiés certains fragments de la grotte 4, de Vaux donne des détails sur la complexité du travail d’édition : « À la différence de la grotte 1, la grotte 4 ne contenait aucun rouleau entier, ni relativement complet, mais seulement une masse énorme de fragments parfois grands, souvent minuscules, toujours plus ou moins détériorés. Tous les lots, celui qui provenait de la fouille comme ceux qui étaient acquis des Bédouins, contenaient des fragments d’un grand nombre de manuscrits et chaque nouvel achat ajoutait à l’étendue et à la complexité de cet immense puzzle, dont on savait d’avance que beaucoup de pièces étaient perdues et que les bords rongés des pièces existantes interdiraient souvent d’obtenir des joints immédiats. Ces fragments arrivaient froissés, pliés ou enroulés (non par la faute des Bédouins), chargés de terre et d’incrustations calcaires, souvent noircis au point d’être indéchiffrables. Ils étaient d’abord nettoyés avec un pinceau doux et aplanis après avoir été mis dans des humidificateurs, juste assez longtemps pour leur rendre une relative souplesse sans risquer que l’encre se dissolve ou que la peau se décompose ; cette opération demande une attention continuelle car les conditions varient avec les fragments. Ainsi préparés, les fragments étaient mis entre deux plaques de verre aux dimensions des planches de l’édition. Ils se trouvaient d’abord groupés au hasard de leur arrivée et de leur traitement et les plaques étaient photographiées. La photographie aux infrarouges a été utilisée dès le début et est vite devenue le procédé unique : elle fait ressortir l’écriture, même sur des fragments si noircis que l’œil n’y distingue aucune lettre »71. On sent dans ces lignes le caractère assez empirique des procédés au début de l’exploitation des fragments. Avec le recul, et surtout lorsque l’on connaît les conditions exceptionnelles dans lesquelles les fragments sont aujourd’hui conservés, on reste perplexe à l’idée que l’on ait pu, par exemple, utiliser du ruban adhésif pour faire tenir de petits bouts de fragments, qu’ils aient été manipulés à la main, déroulés de manière artisanale, etc. Mais il fallait inventer des solutions et l’on parvint ainnsi à sauver de nombreux fragments. De plus, Harding et de Vaux prennent conseil : en octobre 1951, par exemple, Harding demande à Harold Plenderleith du Laboratoire du British Museum des suggestions sur la manière de décoller 70 71

Cf. FIELDS, 2009, 165 et sv. Cf. VAUX (de), 1977, 7.

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des fragments en les humidifiant sans les abîmer. Le spécialiste britannique lui répond : « Vous pouvez contrôler l’humidité en mettant les spécimens dans un vase fermé contenant du papier buvard humide pour un temps variable, en veillant à ce qu’il n’y ait pas de contact. Cinq ou dix minutes à la température de la pièce devraient suffire. L’important est d’éviter que les spécimens ne noircissent : il faut les enlever avant que cela ne se produise et séparer les peaux attachées les unes aux autres »72. « Les premières photographies étant faites, le vrai travail des éditeurs commençait alors, poursuit Roland de Vaux. Les centaines de sous-verre étaient étalées sur de longues tables. Partant d’un fragment un peu plus grand qui avait été déchiffré et appartenait à son lot, chaque membre de l’équipe cherchait des fragments qui s’y raccordaient, au moins ceux qui s’y apparentaient par les indices paléographiques, la qualité de la peau, la disposition du texte, les affinités de langue et de sujet. C’est une œuvre de longue patience, relativement aisée pour les livres bibliques dont les passages peuvent être identifiés en recourant à une concordance existante, mais la difficulté va croissant quand il s’agit de textes non bibliques dont il n’y a pas de bons index, ou qui ne sont connus qu’incomplètement, ou indirectement par l’intermédiaire de versions, ou seulement par leur titre, ou qui sont totalement inconnus, comme c’est souvent le cas »73. De Vaux fait mention de divers collaborateurs externes et peu à peu c’est toute une communauté académique internationale qui se mobilise au fil des années pour relever le défi. Mais il est immense : « Au long des mois et des années, les fragments se rejoignaient, les restes des mêmes manuscrits étaient réunis et, sur les longues tables du Musée Palestinien, les sous-verre étaient regroupés au nom de chaque éditeur tandis que se rétrécissait leur commun terrain de chasse des fragments non identifiés. En 1953, on se trouvait en face d’un pêle-mêle d’au moins quinze mille fragments, parmi lesquels soixante-dix manuscrits seulement avaient été identifiés, dès l’automne de 1952, dans les lots provenant de la fouille et des premières acquisitions. En août 1955, on avait isolé trois-cent trente manuscrits, occupant quatre-cent vingt sous-verre et il restait quatre-vingts sous-verre de fragments non identifiés. Un an après, à l’été de 1956, on comptait trois cent quatre-vingt-un manuscrits, dont les fragments étaient disposés en quatre cent soixante-dix-sept sous-verre, ne laissant que vingtneuf sous-verre de fragments non identifiés et treize sous-verre de fragments de papyrus non encore étudiés. À la fin de juin 1960, le nombre de 72 Lettre de H. Plenderleith à Lankester Harding, 24 octobre 1951, Archives du Couvent Saint-Étienne. 73 Cf. VAUX (de), Ibidem, 7.

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manuscrits monte à cinq-cent onze, répartis en six-cent-vingt sous-verre, avec vingt-cinq sous-verre de fragments isolés »74. Alors que le travail sur les manuscrits de la grotte 4 mobilisait déjà toute l’équipe, la découverte en 1956 de nouveaux manuscrits dans la grotte 11 va nécessiter de faire appel à de nouveaux collaborateurs. Joseph Fitzmyer, sj, de Woodstock College (Maryland), arrive en 1958 et se lance dans la préparation de fichiers-concordance utiles pour reconstituer l’immense puzzle75. Il ne pourra pas rester, faute de financements. La limite financière empêcha de faire appel de manière significative à Mathias Delcor, Geza Vermès et Jean Carmignac. Selon Emmanuel Tov, il aurait été possible d’associer davantage de collaborateurs comme Jakob Licht (1922-1992) ou Shemaryahu Talmon (1920-2010), mais sans financement et une juste évaluation de la tâche à réaliser, on en resta à des solutions empiriques, au coup par coup. Mais d’autres vont arriver : William G. Oxtoby de Princeton puis McGill en 1959, Javier Teixidor du CNRS en 1960. Leur équipe sera dispersée lors de la guerre de 1967. La concordance en cinq volumes sera d’abord distribuée en une trentaine d’exemplaires aux seuls membres de l’équipe éditoriale. Une version imprimée en trois volumes sera publiée durant les années 1990. Le travail de déchiffrement se passait dans une grande salle du Musée Palestinien, appelée scrollery, et les photos des chercheurs penchés sur les tables sont parues dans tous les ouvrages sur les manuscrits de la mer Morte. Milik, que l’on a qualifié de « Champollion des rouleaux », a laissé le souvenir d’un homme ayant une mémoire photographique exceptionnelle qui lui permettait de vite « reconnaître » la provenance d’un fragment76. Présent à la fois sur le terrain des fouilles des grottes 2, 4, 5 et 6, il travaille sans relâche au sein du Scrollery team, qu’il représente, d’ailleurs à la demande de de Vaux, au Congrès international de l’Ancien Testament à Strasbourg en 1956. Un de ses collaborateurs, John Allegro, dit de lui : Milik était « peut-être le plus brillant de notre petite équipe d’éditeurs des rouleaux […]. Il avait développé une facilité étonnante pour lire les écritures sémitiques en caractères cursifs jusque-là inconnus, et pour reconnaître le travail de chaque scribe à partir du plus petit fragment, ce qui était la base de notre travail qui consistait à replacer des morceaux épars dans leur document original »77. Dans l’In Memoriam qu’il lui consacre, 74

Ibidem, 8. Cf. BROWN - FITZMYER - OXTOBY - TEIXIDOR 1988 ; Z. J. KAPERA, « Father Joseph A. Fitzmyer and the Qumran concordance », The Qumran Chronicle, Dec. 2016, 105-126. 76 Cf. KAPERA, 2016, 155-167. 77 John Allegro cité par E. WILSON, 1985, 168. 75

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Émile Puech rapporte un épisode révélateur : « Dans l’équipe des éditeurs on raconte l’épisode du déchiffrement d’une des écritures cryptiques de la grotte 4, comment pensant tenir en main les fragments clés de la connaissance des fameux secrets des Esséniens, trois des éditeurs alors présents à Jérusalem rivalisaient en forme de compétition à celui qui le premier réussirait à trouver la clé de lecture. Alors que Cross et Allegro avaient dans une émulation de circonstance repris leur besogne après une matinée infructueuse, Milik arriva avec quelque retard mais créa la surprise en tirant de sa poche une photographie du document et en annonçant avoir déchiffré cette écriture le temps du déjeuner ! Mais de révélation essénienne, il n’y avait point »78. En 1953, un problème d’une autre nature s’était posé avec la découverte des rouleaux de cuivre dans la grotte 3 : comment dérouler sans les casser, ni les abîmer, des rouleaux que l’on croit d’abord être de bronze, qui sont oxydés et qu’il faudrait pouvoir déplier et couper en bandes afin de pouvoir les déchiffrer. Dans un premier temps, les rouleaux ont été revêtus d’une couche isolante de celluloïde dissous dans l’acétone pour les protéger79. Des contacts sont pris dans diverses directions avec Rutherford J. Gettens, archéologue chimiste du Smithsonian Institute de Washington, Alsoph H. Corwin de Johns Hopkins University à Baltimore, Karl G. Kuhn de Göttingen, etc. De Vaux reçut même une offre farfelue d’un « prophète » qui suggérait une solution miracle que personne ne tenta, bien entendu. Les Jordaniens sont réticents à ce que les rouleaux partent aux États-Unis pour être déroulés, comme l’avait suggéré Albright. Finalement, le travail sera réalisé par le professeur Wright Baker dans les laboratoires du Collège de technologie de l’Université de Manchester, qui fit très attention à ne pas abîmer les lettres et le support très fragile. Ceci permit à Milik de faire un premier déchiffrement, publié dans la Revue biblique de 1959, avant l’édition officielle dans le volume III des Discoveries in the Judaean Desert of Jordan qui ne paraîtra qu’en 196280. Les originaux furent remis au musée d’Amman et des facsimilés réalisés en 1994-1996 avec le soutien du mécénat d’EDF, permettant à la fois la présentation de copies dans divers lieux, dont l’École biblique, et une édition plus détaillée de l’original81. C’est une époque de pionniers qu’il ne faut pas évaluer au regard des techniques actuelles. L’enthousiasme y était, ainsi que l’ardeur au travail, 78 79 80 81

Cf. PUECH, 1996, 8-9. Cf. VAUX (de), 1953c, 557. Cf. MILIK, 1959, 321-357. Cf. BRIZEMEURE - LACOUDRE - PUECH, 2006.

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comme le souligne Roland de Vaux dans un rapport préliminaire d’août 1955 sur le déchiffrement des manuscrits des premières grottes publié dans la Revue biblique de janvier 1956 : « Il faut avoir vu les membres de l’équipe “qumranienne” errer le long des grandes tables où sont disposés les sous-verre, se pencher ici et là, essayer vingt combinaisons dont la dernière seule s’avère efficace, pour apprécier l’austérité de leur passionnant travail et excuser les délais qu’il exige. Malgré tous les efforts, de nombreuses lacunes demeureront. Mais l’acquis positif est des plus prometteurs »82. 8. 1958 : APRÈS LA CRISE

DE À

SUEZ, SIXIÈME ET DERNIÈRE CAMPAGNE QUMRAN

Comme souvent dans la région, les problèmes politiques vont encore compliquer le travail des chercheurs. Porté au pouvoir en Égypte par le coup d’État des Officiers libres qui a renversé la monarchie en 1954, le très charismatique Gamal Abd el-Nasser annonce le 26 juillet 1956 la nationalisation du canal de Suez pour financer la construction du hautbarrage d’Assouan et aussi mettre fin à la tutelle britannique sur l’Égypte. Une intervention militaire tripartite, comprenant Israël, la France et la Grande-Bretagne, est lancée sur le canal le 5 novembre 1956, intervention que le président de la Compagnie universelle de la Compagnie maritime du Canal de Suez, Jacques Georges-Picot, qualifie de « folles erreurs de l’automne 1956 »83. Bien engagée militairement, cette blitzkrieg, qualifiée dans le monde arabe de « triple et lâche agression », va être un cuisant échec politique, de nombreux pays et l’Assemblée générale de l’ONU désavouant une initiative jugée hasardeuse en un temps où la guerre froide fait rage (l’armée soviétique vient tout juste d’écraser la Révolution de Budapest). Les Britanniques et les Français sont contraints d’accepter un cessez-le-feu, dont le grand bénéficiaire va être Nasser. Ceci va avoir de lourdes conséquences sur l’activité des Britanniques et des Français dans les pays arabes : rupture des relations diplomatiques et expulsion des étrangers, gel des avoirs bancaires. Les conséquences sont immédiates pour l’École biblique et les fouilles de Qumrân : fin octobre 1956, avec le retour des tensions, les étudiants non-dominicains de l’École biblique doivent quitter les lieux. Les religieux restent sur place, faisant provision de vivres, obturant les fenêtres, en prévision d’un nouveau conflit armé. 82 83

Cf. VAUX (de), 1956b, 53. Cf. GEORGES-PICOT, 1975, 129-140.

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La chronique du couvent Saint-Étienne relate au jour le jour les événements mais aussi des rumeurs souvent mal étayées. Le 1er octobre, les relations diplomatiques sont rompues entre le France et la Jordanie. Le 28 octobre, le consulat de France à Sheikh Jarrah (Jérusalem-Est) est pris par la foule et incendié. Roland de Vaux ne peut plus accéder aux sites de fouilles ; Harding, lui, est congédié. C’est seulement début 1958, du 25 janvier au 21 mars, que de Vaux peut reprendre des fouilles, avec le Dr ‘Awni Dajani, alors nouvel inspecteur général des Antiquités pour la Palestine, Harding ayant été remercié après la crise de Suez. Le précédent directeur jordanien des Antiquités, nommé en octobre 1956, avait tenté de confisquer tous les manuscrits de la mer Morte, dont une part, avec l’accord du Gouvernement jordanien, par des institutions étrangères. De Vaux s’y opposa et finit par obtenir gain de cause, déplorant l’incompétence de la personne nommée : « J’ai finalement obtenu qu’après une interruption de quatre mois, le travail reprenne sur les manuscrits dans les mêmes conditions qu’auparavant et que les mesures de confiscation ne soient pas appliquées. Mais je me suis ainsi attiré l’inimitié déclarée de ce Directeur. Il a demandé au Gouverneur militaire de Jérusalem mon incarcération “pour compromission avec Israël” (!) puis, par deux fois, il a réclamé l’ouverture d’une instruction judiciaire contre moi “pour commerce illégal des manuscrits” »84. Les démarches sont vite arrêtées par d’autres fonctionnaires plus bienveillants mais témoignent de la complexité du contexte que de Vaux doit affronter. Une sixième campagne a lieu, pendant laquelle de Vaux est assisté de Jourdain-Marie Rousée, qui l’accompagne pour faire les relevés topographiques et de deux boursiers de l’Académie à l’École biblique pour l’année 1957-1958 : les abbés Pierre Bonnard et André Darrieutort85. Comme d’habitude, une cinquantaine d’ouvriers recrutés dans le quartier de Silwan à Jérusalem constituent la main d’œuvre. En 1956, un bâtiment enfoui avait été repéré près de la source de ‘Aïn Feshkha. La campagne de 1958 a pour but de dégager le bâtiment et d’explorer les environs. « Notre campagne de fouille a été très intéressante, malgré mes prévisions pessimistes, écrit R. de Vaux à un correspondant. J’ai trouvé la réponse à des questions que je me posais… et aussi de nouvelles questions auxquelles je ne sais pas encore quoi répondre. Mais j’espère bien que c’est la dernière fois que 84 Lettre de Roland de Vaux à Claude Schaeffer, 20 août 1957. Archives du Couvent Saint-Étienne. 85 Pierre Bonnard présentera un mémoire à la fin de l’année académique 1957-58 sur « la poterie palestinienne et la Bible ». André Darrieutort présente la même année un mémoire sur « la métallurgie en Palestine ancienne et certaines de ses applications : les armes offensives ».

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j’irai hiverner sur le bord du lac Asphaltite »86. La poterie et les monnaies – quoique très abîmées – permettent de conclure que le bâtiment a « la même histoire que celui de Khirbet Qumrân, dans ses phases essentielles », écrit de Vaux dans une première note de 195887. La présence voisine de divers bassins laisse supposer un travail industriel assez élaboré, qui pourrait être un atelier pour la préparation du cuir. Mais on n’a pas les éléments pour faire le lien entre cette tannerie et la préparation des parchemins qui servirent pour les manuscrits de Qumrân. Se pose en outre la question de la provenance de l’eau pour une activité aussi intensive. En somme, on est en présence, selon de Vaux, d’« une dépendance de Khirbet Qumrân, un centre secondaire, probablement un centre d’exploitation agricole, où vivaient et travaillaient ceux qui étaient occupés à la palmeraie de la communauté et à ses troupeaux et qui tiraient un certain parti industriel des produits de la culture et de l’élevage ». Selon de Vaux, « l’archéologie a fourni assez d’éléments pour replacer dans son cadre historique et humain la communauté qui nous a laissé les manuscrits de Qumrân ». Le rapport préliminaire de la fouille de 1958 est publié dans la Revue biblique de 1959, avec une note faisant état d’une expertise des cuirs et des produits de traitement faite par le professeur Burton, chef du Department of Leather Industries de l’Université de Leiden, qui n’est guère convaincu qu’il y ait eu une véritable tannerie sur le site. « L’hypothèse de la tannerie n’est donc pas écartée mais elle a peu de soutien ; je souhaite qu’on en propose une meilleure », ajoute de Vaux avec modestie88. Il envoie un rapport au secrétaire général de la Commission des fouilles du Ministère des Affaires étrangères, Claude Schaeffer. Le rapport est lu et commenté par Édouard Dhorme lors de la séance du 23 mai 1958 de l’Académie des Inscriptions et BellesLettres89. Au cours de la séance, Dhorme prend position sur le dossier dans un sens qui contrarie de Vaux : « Je ne suis pas étonné qu’il ait rejeté une fois de plus l’hypothèse essénienne, mais cela était hors de propos puisque, dans ce rapport, je n’emploie pas une seule fois le mot “essénien”. Je considère que la communauté de Qumrân appartenait à l’Essénisme, mais je tire cela des textes et non de l’archéologie et, dans mes rapports archéologiques j’ai toujours essayé de m’en tenir au domaine archéologique » écrit de Vaux à Claude Schaeffer, Secrétaire général de la Commission des fouilles au Ministère des Affaires étrangères et membre lui aussi de 86 Lettre de R. de Vaux à Thomas Chifflot, 23 mars 1958, Archives du Couvent SaintÉtienne. 87 Cf. VAUX (de), 1958a, 406. 88 Cf. VAUX (de), 1959a, 225-255. 89 Cf. VAUX (de), 1958, 186-187.

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CHAPITRE QUATRIÈME

l’AIBL90. Il ajoute : « Comme vous le dites aimablement, je n’ai jamais hésité à changer une interprétation archéologique si j’aperçois ou si on me montre qu’elle est mauvaise. Et je suis tout prêt à abandonner celles sur lesquelles Dhorme a ironisé et que je n’ai présentées que comme des hypothèses. Mais je demande qu’on m’oppose des arguments archéologiques et non des jugements a priori. Dans ces discussions qui s’élèvent autour des manuscrits de la Mer morte, je suis étonné et effrayé de l’incapacité des hommes de textes – philologues ou historiens, et parfois les meilleurs – à comprendre une démonstration archéologique. Je ne me trouble pas de cette incompréhension, mais je vous suis très reconnaissant d’avoir défendu devant l’Académie l’honneur des archéologues, et le mien ». Le monde académique suit avec un vif intérêt les fouilles de Roland de Vaux sur les rivages de la mer Morte, comme le montre l’article de René Dussaud dans la revue Syria de la même année 195891. 9. QUMRÂN… ET LE RESTE On reste confondu devant l’activité de Roland de Vaux durant ces quinze années (1946-1960) : en 1946 et 1947, il dirige deux premières campagnes de fouilles à Tell el-Far‘ah. La guerre israélo-arabe de 1948 suspend toute activité, mais en 1949, l’aventure Qumrân démarre avec une première campagne. Le 1er août 1950, il est élu prieur du couvent SaintÉtienne, alors qu’il est déjà directeur de l’École depuis 1945. En 1950 et 1951, ont lieu la troisième et la quatrième campagne de Tell el-Far‘ah, mais le pic d’activités archéologiques se situe en 1954, 1955 et 1956, avec chaque année deux chantiers : Tell el-Far‘ah et Qumrân en 1954 et 1955. En 1956, au chantier de Qumrân s’ajoutera un nouveau chantier à Jérusalem, dans le domaine de Sainte-Anne, où la destruction de vieilles maisons arabes a mis au jour des vestiges croisés. Fouillant avec l’aide de JourdainMarie Rousée, de Vaux atteint les niveaux byzantin et romain de la piscine probatique, déjà décrite par les PP. Vincent et Abel dans Jérusalem nouvelle92. En 1958, il conduit à nouveau deux chantiers, Tell el-Far‘ah et ‘Aïn Feshkha, auxquels succèdent deux nouvelles campagnes à Tell el-Far‘ah en 1959 et 1960. Roland de Vaux publie au moins un rapport préliminaire 90 R. de VAUX, Lettre à Claude Schaeffer, 20 juin 1958, archives du couvent SaintÉtienne. 91 Cf. DUSSAUD, 1958, 1-8. Dussaud meurt cette année-là et de Vaux dit avoir ressenti sa disparition « avec beaucoup de tristesse », ajoutant : « Il me témoignait une grande bienveillance », Lettre à Claude Schaeffer, 3 avril 1958. Archives du Couvent Saint-Étienne. 92 Cf. VINCENT - ABEL, 1914, 1922, 1926 ; Cf. VAUX (de) - ROUSÉE, 1957, 226-228.

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de chacun des chantiers, mais la publication complète de ses fouilles lui échappera largement. Les Schweich Lectures de 1959 à la British Academy de Londres lui offriront néanmoins l’occasion d’une première tentative de synthèse à portée internationale, esquissée la même année dans un article de synthèse où il donne son point de vue sur les principales questions : l’authenticité, l’ancienneté des manuscrits et la date de leur abandon, la communauté de Qumrân, son histoire et son caractère93. D’autres chantiers l’attendent : l’édition de la Bible de Jérusalem qui a commencé en 1949 poursuivie jusqu’en 1955, puis l’édition des textes de Qumrân qui commence en 1955 et la publication d’ouvrages faisant la synthèse de son enseignement sur l’histoire et les institutions de l’Ancien Israël, dont le premier volume sort en 1958.

93

Cf. VAUX (de), 1961b ; VAUX (de) 1959c, 87-110.

CHAPITRE CINQUIÈME LA BIBLE DE JÉRUSALEM ET LES DISCOVERIES IN THE JUDAEAN DESERT, DEUX GRANDS PROJETS ÉDITORIAUX « J’ai actuellement l’impression de me noyer : je n’ai pas commencé la révision de la Genèse, que je vous avais promise pour Pâques… et je suis, depuis quinze jours, engagé dans les fouilles de Jérusalem ». Roland de Vaux, 14 avril 1962.

Le premier volume de la collection Discoveries in the Judaean Desert sort en 1955, qui est aussi l’année de publication de la Bible de Jérusalem en un seul volume. Une première édition a eu lieu en quarante-trois fascicules entre 1948 et 1954. Le travail a beaucoup mobilisé Roland de Vaux, à la fois comme traducteur de trois livres de l’Ancien Testament et comme coordinateur du vaste projet éditorial élaboré avec les éditions du Cerf. 1. LA NAISSANCE DU PROJET D’UNE NOUVELLE TRADUCTION DE LA BIBLE De manière assez surprenante, durant la crise morale profonde que traverse la France après la défaite de 1940, de grands projets naissent au sein de l’Église de France. Le catholicisme français vit les prémices d’une véritable renaissance : la collection Sources chrétiennes, qui se propose une publication scientifique et exhaustive des Pères de l’Église, voit le jour à Lyon en 1942 sous l’impulsion de plusieurs jésuites éminents (Fontoynont, Daniélou, de Lubac, Mondésert) qui souhaitent mettre à la disposition des chrétiens le trésor des textes patristiques anciens dans des éditions critiques. Le scolasticat jésuite de Fourvière est alors un milieu particulièrement vivant : sensible aux enjeux de son époque, aiguillonné par l’urgence de la Résistance au nazisme et les défis que traverse le catholicisme français, il va constituer ce qu’on a pu appeler une « école de Fourvière », tout comme l’a été Le Saulchoir pour les dominicains quelques années plus tôt1. En mai 1943, un groupe de dominicains des éditions du Cerf (Duployé et Roguet) crée à Lyon, en zone libre, le centre de pastorale liturgique afin de promouvoir une meilleure participation des fidèles à la vie liturgique, 1

Cf. FOUILLOUX 2002, 451-459.

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en les faisant bénéficier du renouveau liturgique lancé par Dom Lambert Beaudouin. L’ouvrage de l’abbé Godin, France pays de mission, également de 1943, attire l’attention sur l’urgence missionnaire dans une France en voie de déchristianisation rapide. La même année, la publication de l’encyclique Divino Afflante spiritu de Pie XII ouvre une ère nouvelle pour les études bibliques, qui peuvent enfin sortir de la suspicion qui pesait sur elles depuis la crise moderniste. Pour l’École biblique, l’encyclique est une magnifique confirmation des idées et efforts du père Lagrange un demi-siècle plus tôt et un encouragement à aller de l’avant. Bref, plein de choses sont en train de bouger dans le catholicisme français, provoquant des répercussions aussi dans le domaine biblique2. Les éditions du Cerf sont elles-mêmes alors en plein dynamisme. Fondée en 1929 par le père Marie-Vincent Bernadot (1883-1941), qui avait été à l’origine de grandes revues comme La Vie spirituelle (1919), La Vie intellectuelle (1928) et fondera plus tard Sept (1934), la maison d’édition dominicaine prend des positions courageuses au cours de la seconde guerre mondiale grâce à des religieux exceptionnels comme AugustinJean Maydieu (1900-1955)3. Elle est un acteur important dans tous les débats et parfois les combats qui ont agité l’Église de France depuis la fin de la Première guerre mondiale (crise de l’Action française, positionnement face au Front populaire, résistance à Hitler, etc). Un autre nom compte beaucoup alors, Thomas-Georges Chifflot (1908-1964). Entré dans l’Ordre dominicain en 1930 à sa sortie de l’École polytechnique, Chifflot est attaché aux éditions du Cerf dès la fin de ses études dominicaines en 1938. Il devient sous-directeur des éditions en 1942 après une visite canonique qui avait écarté le directeur d’alors, le P. Boisselot. Pendant la seconde guerre mondiale, Chifflot reste à Paris avec Maydieu, alors que la plupart des religieux du Cerf se sont repliés à Lyon en zone libre, pour y poursuivre leur activité au sein des éditions de l’Abeille. Mais il maintient un contact avec eux à travers la ligne de démarcation et se tient informé de ce qui mûrit à 2

Dans ses souvenirs, le P. François Louvel, dominicain des éditions du Cerf, écrit : « Les années 1945-50, je crois que c’est le Père Congar qui l’a dit : “Ceux qui n’ont pas connu les années 45-50 ne savent pas ce qu’est l’Église” », Archives Louvel, Archive Province de France. 3 Né à Bordeaux en 1900 d’une famille bourgeoise, Jean Maydieu entre au noviciat d’Amiens en 1925 après des études d’ingénieur à l’École centrale, et prend le nom d’Augustin. Prêtre en 1930, il est assigné aux éditions du Cerf en 1932 après une année comme aumônier d’étudiants à Dijon. Selon E. Fouilloux, « c’est un véritable intellectuel, soucieux de rétablir le dialogue entre le catholicisme et la culture moderne ». Résistant actif, il joue un rôle décisif dans la place des éditions du Cerf dans les grands débats de l’époque. Cf. FOUILLOUX 2017, 65. Des colloques consacrés à A. Maydieu en 1995-1996 ont été publiés dans Mémoire Dominicaine, numéro spécial II, 1998.

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CHAPITRE CINQUIÈME

Lyon autour de Sources chrétiennes, du scolasticat de Fourvière et de la Chronique sociale4. Transposant au plan des études bibliques le renouveau en cours, il fonde en 1942 une petite collection de figures bibliques, Témoins de Dieu, dont le premier volume Paul, Apôtre de Jésus-Christ, paraît en juin 1942 sous la plume du dominicain Bernard Allo. Très intéressé par la Bible lors de ses études, Chifflot pressentait tout le bien que le peuple de Dieu pourrait retirer d’une connaissance plus approfondie du trésor de ses Écritures. Pour cela, il faut faire plus qu’une collection et l’évoque avec ses confrères du Cerf dans des notes de novembre 1942 et mai 1943 : « une sorte de pari sur l’avenir dans un présent bien sombre », commente Étienne Fouilloux5. Un renouveau biblique étant devenu pensable, Chifflot prend contact avec Roland de Vaux au cours de l’été 1945 pour dessiner les contours d’un projet dont le directeur de l’École rend compte au Maître de l’Ordre et à quelques autorités romaines en novembre 19456. Au printemps 1946, Chifflot vient à Jérusalem pour discuter et faire avancer le projet. Voici ce qu’en dit Roland de Vaux, vingt ans plus tard, dans la longue notice nécrologique qu’il rédigea après la mort de Thomas Chifflot : « Le P. Chifflot, dominicain, avait songé dès le début à confier la direction du travail d’exégèse et de traduction aux dominicains de l’École biblique de Jérusalem. Je dois dire que, lorsqu’il me soumit son projet, j’hésitai d’abord à y engager l’École : nous restions peu nombreux et le nombre des élèves augmentait, nous avions à maintenir la Revue Biblique et les Études Bibliques, je considérais que notre mission propre dans l’Église était de pousser toujours avant plus avant notre une étude scientifique de la Bible. Pour accomplir notre tâche, nous n’avions pas assez de toutes nos forces réunies et de tout notre temps. Avions-nous le droit d’y ajouter une œuvre de vulgarisation, dont je mesurais l’ampleur ? Avec cette gentille obstination qui le rendait irrésistible, le P. Chifflot me convainquit. Le besoin auquel il voulait répondre était réel et, s’il s’agissait de vulgarisation, les meilleurs vulgarisateurs sont encore les spécialistes, lorsqu’ils savent rendre leur science accessible à beaucoup. L’École 4 Dans ses souvenirs, F. Louvel raconte : « Le P. Chifflot venait me voir à peu près tous les trois mois. Il passait la frontière en fraude. Les premiers temps, il arrivait à bicyclette. Il tenait beaucoup à assurer la liaison entre Paris (où les Editions du Cerf n’avaient pas le droit de publier de revue) et Lyon où l’on avait fondé les éditions de l’Abeille et où l’on publiait la Revue spirituelle », Souvenirs du P. Louvel, Archives Province de France. 5 Cf. FOUILLOUX 2017, 178. 6 Traduction française de la Sainte Bible sous la direction de l’École biblique de Jérusalem, note de Roland de Vaux pour le Maître de l’Ordre, le cardinal Tisserant et le P. Vosté, secrétaire de la Commission biblique, 27 novembre 1945, 3 p. Archives du Couvent SaintÉtienne.

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donna dans son adhésion et s’engagea dans une aventure qui n’est pas achevée avec la mort du P. Chifflot »7. Une tradition orale de l’École biblique rapporte que les dominicains de Jérusalem auraient d’abord dit : « Nous n’avons pas le temps. Nous avons du travail » ! Le propos est difficile à vérifier, mais reprend, en le simplifiant, la teneur de la réponse de de Vaux. 2. POURQUOI UNE NOUVELLE TRADUCTION ?8 Les éditeurs du Cerf et Roland de Vaux se rejoignent sur les raisons de se lancer dans le projet d’une nouvelle traduction de la Bible : il existe alors en France trois traductions de la Bible (la Bible de Crampon, seule Bible catholique, la Bible de Segond et la Bible du Rabbinat), traductions que de Vaux juge non satisfaisantes dans un exposé qu’il fait devant un petit groupe d’experts comprenant Chifflot, Louvel et Carrouges, Serrand, Henry, membres des éditions du Cerf, mais aussi le P. Congar, qui réagissent et nous laissent entrevoir les tout premiers projets de ce qui deviendra La Sainte Bible traduite en français sous la direction de l’École biblique de Jérusalem, plus communément appelée ultérieurement la Bible de Jérusalem : « toutes ces traductions, dit de Vaux, sont faites sur le texte original, mais sur un texte non critiqué. Ces traductions sont plus ou moins plates. Crampon, à ce point de vue, remporte le prix !... […]. Les notes de Crampon sont très mauvaises et ne répondent pas à ce que demande le texte. La présentation est désastreuse au plan typographique ». Bref, conclut de Vaux, « le besoin se fait donc sentir d’une traduction de la Bible entière, à l’usage des catholiques, qui puisse répondre aux besoins, aux goûts des milieux cultivés de France et des pays étrangers de langue française »9. La Lettre de Latour-Maubourg, organe des éditions du Cerf, reprend publiquement le propos dans son numéro d’octobre 1949 : « D’une part, les progrès des études bibliques depuis quelque cinquante ans ont permis dans beaucoup de cas une intelligence plus exacte des textes sacrés et de leur contexte historique, et l’Encyclique Divino Afflante Spiritu, en sanctionnant ces progrès, souhaite que le peuple chrétien soit à même d’en profiter. D’autre part, les traductions les plus exactes restaient souvent d’une langue médiocre. Julien Green remarquait naguère dans son Journal 7

Cf. VAUX (de) 1964a, 519. Un historique détaillé et documenté du sujet a été fait par Olivier-Thomas VENARD. Cf. VENARD 2020, 9-16. 9 Collections relatives à la Bible. Exposé du R.P. de Vaux, sans date, 6 p. Archives du Couvent Saint-Étienne. 8

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(1943-45) que les catholiques “n’ont pas de belle traduction française des Écritures. L’équivalent de la Bible anglaise n’existe pas : la Bible, en France, n’a jamais été le monument littéraire qu’elle est en Angleterre ou en Allemagne. Il y a ceci de grave : elle n’est pas citable dans les traductions françaises ” »10. Les protestants ont entrepris une traduction qui devait paraître en 1918 pour le centenaire de la création de la Société biblique protestante de Paris, mais le projet n’aboutira qu’en 1947. L’éditeur dominicain le Cerf est d’autant plus enclin à se lancer dans l’entreprise que le cardinal Suhard, ancien archevêque de Paris, et le cardinal Tisserant, président de la Commission biblique, soutiennent le projet naissant. L’ampleur de la tâche incite à procéder en deux étapes : « 1/ Une série de volumes incluant chacun la traduction d’un livre ou d’un groupe de livres de la Bible. Cette traduction sera précédée, dans chaque fascicule, d’une introduction, qui évitera les discussions savantes mais qui donnera l’essentiel de ce qu’un lecteur cultivé doit savoir pour lire le livre avec intérêt et profit. La traduction sera accompagnée de notes nombreuses qui n’auront pas un caractère technique mais qui seront destinées à résoudre les difficultés qu’un moderne trouve dans la lecture de la Bible et à expliciter le contenu doctrinal et spirituel du texte. 2/ Une fois cette série terminée, on publiera une Bible complète, où ces traductions seront reprises, après avoir été améliorées. Cette traduction complète sera accompagnée seulement des notes indispensables. Il s’agit en somme d’arriver à une traduction fidèle mais aussi à une traduction française, à un texte littéraire qui rende accessible au lecteur français toute la richesse de l’orignal. Pour atteindre à ce résultat, on s’adressera à des exégètes compétents travaillant en collaboration avec de bons écrivains »11. L’éditeur souligne par ailleurs que la méthode met en relief le fait essentiel que « “La Bible”, c’est en réalité, des livres, dont chacun a son “genre littéraire”, sa place dans l’histoire du salut, sa personnalité »12. La Bible complète est annoncée pour 1952, au plus tôt, alors que l’édition par fascicule pourrait commencer assez vite. Une équipe est alors mise en place d’un commun accord entre de Vaux et Chifflot. Elle comprend Roland de Vaux et Pierre Benoit pour l’École biblique, le chanoine Cerfaux, le P. Joseph Huby et André Robert comme 10

Lettre de Latour-Maubourg, Chronique des éditions du Cerf, n° 5, octobre 1949,

p. 2. 11 12

p. 3.

Cf. R. de VAUX, Traduction française de la Sainte Bible…, p. 1-2. Lettre de Latour-Maubourg, Chronique des éditions du Cerf, n° 5, octobre 1949,

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représentants des exégètes de langue française, trois représentants éminents des milieux intellectuel et littéraire français (Étienne Gilson, Gabriel Marcel et Henri-Irénée Marrou)13. Les éditions du Cerf sont alors particulièrement bien placées pour rassembler des collaborateurs dans les milieux intellectuels et littéraires en raison de la créativité de l’équipe pendant la période de la guerre ; l’École biblique, de son côté, dispose alors d’une solide équipe. C’est donc un attelage prometteur. Une procédure de double révision par un exégète et un littéraire est mise en place ; chaque texte révisé devra ensuite être présenté au Comité de direction du projet, qui confiera à deux de ses membres le soin de décider de la publication. « L’un de ces deux membres devra être un représentant de l’École biblique, qui assume la responsabilité de cette entreprise »14. La mise en forme juridique du projet d’édition de la Bible de Jérusalem est confiée au père Pierre Boisselot (1899-1964), qui avait une formation de juriste et sera un des piliers du Cerf durant les années de l’après-guerre15. Un contrat est signé le 17 mars 1946, au terme duquel « il appartient à l’École biblique de Jérusalem, conjointement avec le Comité de Direction mentionné dans le texte ci-joint, de désigner les collaborateurs à qui elle confiera chacun des Livres de la Bible, de promouvoir et de contrôler leur travail »16. Des contrats particuliers sont signés avec chacun des auteurs. Il est prévu de ne pas dépasser un délai maximum de dix ans pour finir la traduction de l’ensemble. L’éditeur se réserve la propriété littéraire du texte, sous réserve qu’il doive renoncer à réimprimer et prévoit les droits à verser à chacun des auteurs (5% sur le prix fort de l’exemplaire vendu). Le dossier technique étant bouclé, le P. de Vaux veille à informer les autorités de l’Église, y compris le pape qui donne son approbation au cours d’une audience accordée au Maître de l’Ordre le 26 novembre 1945. 13

Lucien Cerfaux, professeur à l’Université de Louvain et Joseph Huby, jésuite, sont tous deux membres de la Commission biblique pontificale ; André Robert, sulpicien, est professeur à l’Institut catholique de Paris. Étienne Gilson enseigne l’histoire de la philosophie médiévale à la Sorbonne, puis au Collège de France ; Gabriel Marcel est un philosophe représentatif de l’existentialisme chrétien ; Henri-Iréné Marrou, spécialiste du christianisme primitif, occupe la chaire d’Histoire du christianisme à la Sorbonne. 14 Cf. R. de VAUX, Traduction française de la Sainte Bible …, p. 2-3. 15 Entré tardivement dans l’Ordre dominicain à l’âge de vingt-sept ans après avoir fait des études de droit et d’histoire et exercé le métier d’avocat au barreau de Paris, Boisselot « bien que doté d’une bonne formation thomiste, est […] un esprit libre, peu porté aux solutions dogmatiques […]. C’est un homme d’action qui ne mâche pas ses mots, plus enclin à l’affrontement qu’à la conciliation, sans pour autant déroger au devoir d’obéissance », écrit de lui Étienne Fouilloux, op. cité, p. 64. 16 Cf. Archives du Couvent Saint-Étienne

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3. UN VÉRITABLE DÉFI ÉDITORIAL Sans tarder, Roland de Vaux recrute une série de collaborateurs. Plusieurs professeurs de l’École biblique acceptent de prendre en charge quelques livres : Félix-Marie Abel prend les Livres des Maccabées et Josué ; Bernard Couroyer se charge de l’Exode ; Pierre Benoit se voit attribuer l’Évangile selon Saint Matthieu et les épîtres de la captivité (Philippiens, Colossiens, Philémon, Éphésiens) ; Raymond Tournay relève le défi du Livre des Psaumes, dont la traduction est particulièrement délicate en raison de son usage liturgique ; Marie-Émile Boismard se charge de l’Apocalypse. De Vaux, non content de piloter le projet, entreprend de traduire La Genèse et deux Livres historiques (Samuel et Rois), reprenant un chantier que Lagrange avait dû abandonner à la demande des censeurs romains quand on lui interdit en 1905 de publier son Commentaire de la Genèse en raison des redoutables questions d’historicité que pose le Pentateuque17. D’autres collaborateurs sont sollicités au sein de l’Ordre dominicain : Chrysostome Larcher pour Job, Jean de Menasce pour Daniel, Ceslas Spicq pour l’Épître aux Hébreux, François-M. Braun pour l’Évangile et les Épîtres de saint Jean, Louis-Marie Dewailly pour Thessaloniciens. Parmi les autres collaborateurs extérieurs, notons Henri Cazelles qui prend en charge Lévitique, Nombres, Deutéronome et Chroniques ; Paul Auvray pour Proverbes, Ézéchiel, Ecclésiastique, Isaïe ; Albert Gelin pour Esdras-Néhémie, Jérémie, Baruch, Aggée, Zacharie, Malachie, le jésuite Stanislas Lyonnet (Romains, Galates) et le chanoine Osty (Amos, Osée, Sagesse, Luc, Corinthiens). Au total, ce sont trente-trois collaborateurs francophones qui sont recrutés, presque tous exégètes de renom. Un très beau casting, en somme. Certains comme Jean de Menasce ont été choisis pour des raisons très spécifiques : le livre de Daniel a la particularité d’avoir été écrit en hébreu et en grec et le contenu de l’ouvrage voit l’affrontement de deux systèmes religieux opposés, le monothéisme hébraïque et le polythéisme de l’Orient ancien. Recourir à un spécialiste des religions de l’Iran ancien était donc particulièrement avisé. Un cahier des charges très précis est élaboré en 1946-47 par le Comité de direction qui entre dans le détail des difficultés de la traduction : comment traduire en bon français tout en restant fidèle au texte original en en gardant la saveur. On constitue enfin une équipe de réviseurs avec qui des tests furent réalisés sur les orientations de membres du Comité de direction (Marrou, Gilson et parfois 17 Cf. LAGRANGE 1905. Ce devait être le premier numéro de la série Études bibliques. Lagrange dut se contenter de présenter sa méthode dans un article « La prophétie de Jacob », RB 7 (1898) 525-540.

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Daniel-Rops). Il fut même question de solliciter François Mauriac ou des auteurs non-chrétiens comme Jean Wahl et Jean Paulhan suggérés par Maydieu. L’enjeu n’est pas seulement d’offrir une traduction de qualité, rigoureuse et agréable à lire, mais aussi de tenir compte des progrès considérables de l’exégèse catholique depuis l’adoption de la méthode historico-critique. De Vaux en donne un exemple lumineux dans l’introduction générale au Pentateuque qu’il rédige en une vingtaine de pages au début de sa traduction de la Genèse. Les temps ont changé, il devient possible d’aborder à nouveau la question de l’historicité du Pentateuque que de Vaux résume en quelques épisodes : les premières remises en cause par Richard Simon dans son Histoire critique du Vieux Testament (1678), livre « qui fit scandale, mais la question restait posée » ; l’émergence au XVIIIe s. et le développement de la « théorie documentaire ou théorie des sources du Pentateuque » qui relève l’existence de plusieurs traditions, yahviste et élohiste, et, plus tard, deutéronomiste et sacerdotale ; la thèse est ensuite élaborée et affinée par Graf et Wellhausen18, dont l’approche sera aussi remise en question, « chaque exégète (étant finalement) à la recherche d’une solution personnelle ». « On comprend, dans ces conditions, écrit de Vaux, que la Commission biblique pontificale, le 27 juin 1906, ait mis les exégètes catholiques en garde et leur ait demandé de maintenir l’authenticité mosaïque substantielle du Pentateuque considéré dans son ensemble, tout en reconnaissant l’écart possible, d’une part, de traditions orales et de documents antérieurs à Moïse, d’autre part, de modifications et d’additions postérieures »19. Ce rappel prudent étant fait, il reconnaît que « l’énorme travail critique fait depuis deux siècles n’aura pas été perdu. Il a mis en lumière des faits indéniables », à savoir la combinaison de plusieurs traditions, l’existence de divers milieux d’où émanent les courants de pensée, le tout remontant au temps où Israël se constitua en peuple. Il reprend la réflexion sur les apparentes incohérences ou inexactitudes historiques du texte dans son introduction des Livres de Samuel et des Livres des Rois, dont le sujet fait d’ailleurs aussi l’objet de son enseignement à l’École biblique. Sa position, encore assez classique, évoluera cependant à la fin de sa vie comme on le verra en examinant le premier 18

Karl-Heinrich Graf (1815-1869) est un des pionniers de la critique littéraire de l’Ancien Testament. Son ouvrage de 1866 Die Geschichtlichen Bücher des Alten Testaments qui avait mis en évidence l’antériorité de la législation religieuse des livres de l’Exode, du Lévitique et des Nombres sur le Deutéronome, eut une influence déterminante sur un autre théologien protestant Julius Wellhausen (1844-1918), auteur de ce qui sera ensuite appelé la théorie documentaire ou « système de Graf-Wellhausen ». 19 Cf. VAUX (de) 1951d, 13.

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volume de son magistral ouvrage Histoire ancienne d’Israël, des origines à l’installation en Canaan. Retenons pour le moment que les fascicules honorent le projet de donner au lecteur non spécialiste un accès aux apports nouveaux de la science en matière d’études bibliques. Sans tout remettre en cause, les éléments du débat ne sont pas cachés. C’est un des premiers mérites de la collection, dont la qualité est immédiatement saluée : « cette fois, ce sont de véritables éditions critiques, sans lourd appareil cependant, qui se trouvent mises à la disposition des catholiques, le travail de présentation et de traduction étant accompli par l’équipe la plus compétente … », écrit la Nouvelle Revue Théologique de Louvain. Seul Paul Claudel réagit avec sévérité20. Cinq fascicules paraissent en 1948 (Maccabées, Ecclésiastique, Aggée-Zacharie-Malachie, Marc et Luc), quatre en 1949 (Rois, Ezéchiel, Corinthiens, épitres de la captivité), suivis à partir de 1950 d’une parution annuelle de sept à huit volumes. En 1954, les quarante-trois volumes sont parus et dès 1951 des rééditions ont eu lieu, témoignant du succès de l’entreprise. De Vaux a publié les Livres des Rois en 1949, la Genèse en 1951 et les Livres de Samuel en 1953. À la réception de la traduction du Livre des Rois, Ceslas Spicq, qui prépare la traduction de l’Épître aux Hébreux, envoie un courrier enthousiaste à Roland de Vaux : « Je viens de recevoir les Livres des Rois. Merci de l’offrande. Je viens de les parcourir et j’avoue en toute simplicité que je suis émerveillé. C’est une exceptionnelle réussite. Vous avez le droit d’être fier d’une traduction qui restera un modèle »21. 4. LA BIBLE DE JÉRUSALEM, UNE BIBLE DE RÉFÉRENCE La publication par fascicule a l’intérêt d’offrir plus d’espace pour des introductions approfondies mais n’est guère d’un usage facile pour le grand public. Une large diffusion suppose aussi que le coût soit raisonnable. Aussi l’éditeur s’emploie-t-il vite à préparer une édition en un seul volume, tout en gardant les objectifs initiaux ainsi résumés : « un texte français de la Bible, scientifiquement établi, littérairement garanti, et adapté 20 Paul Claudel y voit « du sous-Crampon », avec « un véritable parti-pris de ne pas faire place à l’interprétation traditionnelle des Pères et de la liturgie », Comité de la Bible. Séance du 21 décembre 1948, Archives du Couvent Saint-Étienne. Dans son introduction au volume 1 de la série La Bible en ses traditions, Olivier-Thomas Venard restitue dans le détail la diversité d’appréciations du travail de traduction aux débuts du nouveau projet éditorial : La Bible en ses traditions, 1, Peeters, 2020, p. 13-16. 21 Lettre de Ceslas Spicq à Roland de Vaux, 23 octobre 1949, Archives du Couvent SaintÉtienne.

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dans sa présentation et son annotation aux besoins du public français »22. Roland de Vaux se charge d’écrire une introduction plus resserrée aux textes de l’Ancien Testament, laissant celles du Nouveau Testament à Pierre Benoit, sauf pour les écrits johanniques dont les introductions sont confiées à Marie-Émile Boismard. Un soin particulier est apporté à la typographie et au choix du papier, le papier Bible. L’éditeur est d’autant plus incité à être créatif que le « retour à la Bible » qui a lieu dans l’Église de France provoque une multiplication d’initiatives éditoriales : en 1950, les éditions bénédictines de Maredsous publient une traduction par le P. Georges Passelecq ; en 1951, sort la « Bible Liénart », une édition voulue par l’évêque de Lille et publiée sous le patronage de la Ligue catholique de l’Évangile23. En 1953, paraît une traduction du Nouveau Testament fait par le chanoine Osty. Pourtant, sur la longue durée, c’est la Bible de Jérusalem publiée en 1955 qui va s’imposer et devenir la référence. La correspondance de Vaux-Chifflot de 1955 porte beaucoup sur la mise au point des derniers ajustements du texte de la Bible de Jérusalem mais aussi sur l’obtention du nihil obstat romain. Depuis février 1954, le Maître de l’Ordre Emmanuel Suarez a demandé au prieur provincial qu’aucun livre ne soit publié par le Cerf sans la censure préalable de la Curie généralice. Le nihil obstat déjà requis pour les fascicules est plus délicat pour la Bible complète dans la mesure où elle est destinée à un vaste public et concerne donc « la foi des fidèles ». Deux censeurs romains sont désignés, les dominicains Pierre Duncker et Frans Ceuppens, biblistes l’un et l’autre. Ceux-ci demandent de petites corrections auxquelles de Vaux consent sans difficulté : « En somme, c’est peu de choses et je craignais pire. Il faut donner satisfaction à ces censeurs bénévoles », écrit-il à Chifflot le 21 août 1955. Sur avis des deux censeurs, le Maître de l’Ordre lui-même, Michael Browne, donne l’imprimi potest le 18 octobre 1955. Certaines lettres de Thomas Chifflot rappellent néanmoins, que le temps de la censure et des interdits n’est pas si loin, surtout pour les dominicains du Cerf qui sont à peine remis de la condamnation de certaines de leurs revues comme Sept, dont Rome avait obtenu la suppression en 1937. Le 25 mars 1956, Chifflot, de retour de Rome, écrit à de Vaux sur un ton enjoué : « Je suis allé du 11 au 18 à Rome, avec l’objectif précis de présenter la “Bible de Jérusalem” à quelques huiles, et l’objectif moins 22 Note préliminaire en vue d’un accord entre la SOCIEP et les Éditions du Cerf, 8 mai 1952, Archives du Couvent Saint-Étienne. 23 Des négociations assez poussées ont eu lieu avec le Cerf pour bénéficier de la traduction de Jérusalem mais le texte retenu fut une traduction faite par des professeurs de séminaires.

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précis de me frotter le museau aux “milieux romains”. J’ai donc traîné mes savates à la Curie généralice et dans quelques dicastères romains, rentrant le soir dans ma cellule pour y fumer une pipe aux intentions du Souverain Pontife. J’ai découvert des mondes nouveaux pour moi : l’Angelicum, ce pavillon de Breteuil du thomisme, où on conserve la vraie doctrine, comme le mètre-étalon, dans la glace fondante, mais où il y a tout de même quelques hommes avec qui on peut parler de questions et pas seulement de solutions ; le Saint-Office et son petit palais silencieux, où il semble que le P. Paul Philippe n’a pas changé depuis Le Saulchoir, et le cardinal Ottaviani guère changé depuis le procès de Galilée. La remise, par la voie hiérarchique, de l’exemplaire (relié spécialement en peau de toutou blanc) destiné au pape m’a conduit, flanqué du Rme P. Smith, qui voulait bien se faire mon introducteur, jusqu’à la Secrétairie d’État ; mais nous n’y avons été finalement reçus qu’en bas de l’échelle hiérarchique, par Mgr Martin, dans un corridor (il est vrai décoré plus ou moins par Raphaël). Il ne manque pas un bouton de guêtres aux gardes suisses, ni un argument aux arsenaux de la Vérité soigneusement défendus de toute curiosité du profane par des gardes-mites consciencieux […]. J’ai croisé des clercs de tout poil et de toute robe […]. J’ai aussi rencontré des frères à l’hospitalité simple et cordiale, vivant pieusement et pauvrement dans les splendeurs romaines, et, si haut placés qu’ils soient, dépourvus d’ambition personnelle et de morgue : leur accueil est plein de gentillesse, leurs censures seront strictes, ils nous étrangleront avec douceur – Mais ce n’est pas si sûr ! »24. En mai 1956, Chifflot reçoit une lettre du Secrétaire d’État, Mgr Dell’Acqua, avec les remerciements et une bénédiction du Saint Père : « Nous voici copieusement arrosés d’eau bénite », écrit-il à de Vaux le 30 mai 1956 au moment même où le provincial dominicain de Paris, le Père Ducatillon, nommé par Rome après les condamnations de 1954, s’emploie à démanteler le Cerf en dispersant l’équipe parisienne25. Chifflot est d’autant plus impliqué qu’il est le supérieur de la Maison Saint-Dominique où vivent les religieux qui travaillent aux éditions du Cerf. Très inquiet, il soumet à de Vaux des hypothèses alternatives pour que l’entreprise de la Bible de Jérusalem puisse continuer. Finalement, le provincial Ducatillon meurt d’un accident de voiture en juin 1957 et le régime d’exception sous lequel vivaient les dominicains parisiens va être levé. 24

Lettre de Th. Chifflot à R. de Vaux, 25 mars 1956, Archives du Couvent Saint-Étienne. En quelques semaines, les PP. Boisselot, Chartier, Duployé et Henry sont envoyés à Dijon, Strasbourg et Boulogne, au cours de ce que l’historien Étienne Fouilloux appelle « la grande purge ». Cf. Fouilloux, op. cit., p. 242 et sv. Voir aussi sur l’époque LEPRIEUR 1989. 25

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La Bible de Jérusalem connaît vite un grand succès éditorial, dans ses diverses présentations : la plus connue est la major, le gros volume, dont Chifflot lance un quatrième tirage en février 1957, après soixante-quinze mille exemplaires vendus. Si l’on ajoute les trente mille exemplaires vendus en Bible de poche et les vingt-cinq mille exemplaires édités par le Club français du livre, on atteint des records de diffusion. L’aventure va se poursuivre et bénéficier de la diversification des formats : une Bible d’autel en grand format en 1959, une Bible de la Famille, texte enrichi d’une quarantaine de reproductions de Rembrandt, une édition de poche format agenda, réalisée par les éditions Desclée de Brouwer (sans introductions et notes regroupées à la fin de l’Ancien et du Nouveau Testaments), une édition de luxe en trois volumes par le Club français du livre, etc. Le succès auprès du public dépassa toutes les espérances : non seulement les tirages en France sont élevés (430 000 exemplaires pour le Nouveau Testament de poche en 1961), mais les demandes de traductions affluent, qui mettent parfois dans l’embarras l’équipe éditoriale. Que peut valoir, par exemple, une traduction en langue vietnamienne, qui sera une traduction de la traduction française, mais dans une langue qui n’a rien à voir avec les mots de l’édition de base ? De Vaux est abondamment consulté au cours de l’année 1956-57 et donne volontiers son avis. Pour favoriser la diffusion, l’éditeur proposa aussi des versions à bas prix en édition de poche : les Quatre Évangiles, Les Actes, les Épitres et l’Apocalypse, un Nouveau Testament en un volume, le Psautier de la Bible de Jérusalem en 1961. Enfin, à partir de 1957-58, les éditions cherchent à promouvoir une série d’ouvrages annexes, de nature à favoriser la lecture du texte : une des premières publications va être Les Institutions de l’Ancien Testament, de Roland de Vaux, dont le premier tome sort en 195826. « Si je compte le mal qu’il m’a donné, je dois modestement reconnaître que ce livre est un chef-d’œuvre, mais je ne sais pas si les lecteurs en seront satisfaits et je crains que l’éditeur en soit encombré », écrit de Vaux à Chifflot. L’ampleur de la matière l’amène en cours de rédaction à prévoir un second tome qui sortira en 1960. En 1958, paraît une Géographie de la Terre sainte sous la plume de Michel Du Buit, op, dont l’objectif est aussi d’aider le lecteur à entrer dans le mode de la Bible. Une Synopse des Quatre Évangiles en français est commandée à deux professeurs de l’École biblique, les PP. Benoit et Boismard. Elle connaîtra un grand succès, tout comme le 26

Cf. VAUX (de) 1958c.

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Vocabulaire de théologie biblique du jésuite Xavier Léon-Dufour, également publié aux éditions du Cerf27. Roland de Vaux est consulté par Thomas Chifflot pour tous ces projets éditoriaux, comme le montre leur abondante correspondance entre 1945 et 1964, date de la mort de ce dernier. Ce projet, on l’imagine, a beaucoup mobilisé Roland de Vaux entre les premiers contacts en 1944 et la publication en 1955 de La Bible de Jérusalem en un volume. Deux hommes ont été les principaux artisans de cette entreprise d’envergure, Thomas Chifflot et Roland de Vaux, chacun dans son rôle et avec ses talents. Dans le long article nécrologique que de Vaux consacre à son confrère, il lui en attribue l’essentiel du mérite : « Puisqu’elle a été publiée “sous la direction de l’École biblique”, je puis dire plus aisément que d’autres, qu’elle est avant tout et tout entière l’œuvre du P. Chifflot : il en a eu l’idée, il en conduisit l’exécution, il en vit la réalisation […]. Il avait un souci extrême de la qualité, du travail bien fini, de ce qu’il appelait “le cousu main” […]. Ensemble, nous choisîmes les traducteurs parmi les meilleurs exégètes de langue française, sans exclusive, et l’adhésion facilement consentie de tous au travail commun récompensa cette largeur de vue […]. Le P. Chifflot était l’âme de l’organisation, et pas seulement un commandant sur sa dunette … »28. L’impressionnante activité de cet homme parvient à cacher que, suite à l’ablation d’un rein dans sa jeunesse, c’était aussi un grand malade, tenu à prendre régulièrement du repos. « Il est rare, je pense, écrit de Vaux, de constater à ce degré quelle domination le courage moral peur exercer sur un organisme défaillant. Le P. Chifflot avait une indomptable volonté de vivre et il vivait, malgré les décisions de la médecine. Il avait une œuvre à faire, il voulait l’accomplir, et le corps suivait. Lorsque la Bible fut parue, voici presque dix ans, un de ses confrères me disait, mi-plaisant et mi-sérieux “Trouvez-lui autre chose, pour qu’il continue à vivre”. J’ai dit comment il s’était lui-même chargé de trouver et qu’il nous a entraînés avec lui. Il a vraiment, en un sens physique, vécu de la Bible »29. Il y a eu, sans nul doute, une amitié profonde entre les deux hommes, tous deux de taille à entreprendre un grand œuvre. De ce point de vue, le personnage de Chifflot aide aussi à situer qui était Roland de Vaux : outre le leadership nécessaire pour mener un tel projet collectif, il fait preuve d’une capacité à reconnaître le travail d’autrui, à s’effacer devant des projets plus larges où il n’est pas le seul engagé et qui bouleversent ses projets personnels. Il avoue, en effet, dans une lettre à Thomas Chifflot 27 28 29

Cf. LÉON-DUFOUR 1961. Cf. VAUX (de) 1964a, 520. Cf. VAUX (de) Ibidem, 522

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qu’il travaillait alors à « un gros commentaire savant du Livre des Rois, qui était rédigé plus qu’à moitié », et qui ne verra finalement pas le jour. Enfin, la grosse fouille de Tell el-Far‘ah devait démarrer en juin 1946, soit trois mois après la signature du contrat avec les éditions du Cerf. Un autre projet éditorial, plus compliqué et moins consensuel, était aussi à l’ordre du jour : l’édition des manuscrits de la mer Morte. Le P. Congar en a aussi été partie prenante et Chifflot résume leur état d’esprit dans une lettre accompagnant un exemplaire personnel : « Je vous envoie, par même courrier, un des premiers exemplaires de la Bible de Jérusalem en un volume. J’espère que vous l’aimerez. Vous y avez apporté votre pierre. Les nombreux et microscopiques papiers que vous m’avez envoyés, portant vos remarques, ont été intégrés dans les dossiers de révision qui ont été consciencieusement grabelés en vue de cette édition. Je voudrais que cette Bible de Jérusalem portât témoignage pour l’Ordre et pour l’Église, devant l’Ordre, devant l’Église et devant le monde ; qu’on y reconnût un travail dominicain où l’Ordre n’a pas fait bande à part, mais où l’équipe de Jérusalem a été le centre d’une équipe de prêtres, de religieux de tout poil et de laïcs ; qu’on y perçût les préoccupations à la fois scientifiques, pastorales et missionnaires qui voudraient s’y composer en un seul souci apostolique […]. Je vous dédie cet exemplaire comme une ébauche de ce service de l’Église dans la vérité, que vous m’avez enseigné et que j’espère, avec la grâce de Dieu, continuer avec vous »30. 5. ÉDITER LES

MANUSCRITS DE LA MER

MORTE :

UNE RUDE ENTREPRISE

Lorsque de Vaux écrit en 1955 à René Dussaud qu’il se considère comme « un terrassier de la Bible » et laisse à d’autres le soin d’utiliser les documents, il ne mesure pas le labeur qui l’attend durant encore plusieurs années pour lancer l’édition des manuscrits puis la synthèse de la fouille archéologique du site. Les premiers à avoir disposé de manuscrits publiables, car plus significatifs que des fragments, sont Éléazar Sukenik et les chercheurs américains de l’American School of Oriental Research (ASOR). Sukenik acquit en novembre 1947 un rouleau fragmentaire d’Isaïe, la Règle de la guerre et le recueil d’Hymnes. Les rouleaux acquis par lui pour l’Université hébraïque n’ont pas encore pu être déroulés mais, 30 Lettre de Thomas Chifflot à Yves Congar, 1er mars 1956. Le P. Congar, éloigné de Paris par les supérieurs de l’Ordre, a vécu une année d’exil à Jérusalem en 1954. C’est là qu’il prépara son ouvrage Le Mystère du Temple, ou l’Economie de la Présence de Dieu à sa créature, de la Genèse à l’Apocalypse, Cerf, 1958, 345 p.

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dès septembre 1948, il donne un avant-goût de leur contenu en présentant quelques extraits d’un apocryphe intitulé La guerre des fils de la lumière et des fils des ténèbres et du recueil d’hymnes. Il s’agit seulement d’extraits : les colonnes 7, 12 et 13 du premier document et cinq fac-similés de la collection d’hymnes. Pour ce qui est du rouleau d’Isaïe, Sukenik n’a pu à ce stade que copier les chapitres XLII et XLIII31. Leur présentation étant faite en hébreu moderne, le P. Tournay, de l’École biblique, en donne un résumé et les éléments principaux dans la Revue biblique du printemps 194932. Quelques années plus tard, il évoquera le contexte troublé de son travail : « En décembre 1948, au bruit de la fusillade, tandis que les balles sifflaient autour de ma chambre, située au premier étage du couvent, je traduisis de mon mieux un certain nombre de textes et je soulignais l’importance de cette grande découverte. Sukenik pensait déjà à la secte des Esséniens »33. L’analyse de la graphie, des joints entre les lettres, de la texture des peaux sont autant d’indices permettant d’identifier l’origine et la datation des manuscrits, attribués pour certains à l’époque hérodienne. Reste l’énigme d’une bibliothèque improbable : « Le bon état des manuscrits, le soin avec lequel on a voulu les préserver des atteintes du temps, ne nous permettent pas de considérer la grotte comme un simple genizâ où l’on aurait jeté au rebut des rouleaux défectueux et usés, commente Tournay. C’est bien plutôt une véritable cachette. Quelques prêtres et lévites, fervents messianistes groupés en secte particulière, auraient « avant de sortir du pays de Juda « (Dam. VI,5), dissimulé dans un lieu écarté une partie de leurs manuscrits, pensant peut-être venir les retrouver un jour. Leur exode aurait-il été contemporain de celui du groupe mandéen, au temps de Bar Kochébas ?»34. Éléazar Sukenik raconte dans son journal qu’au moment où il étudiait les Hodayot, son plus jeune fils surgit dans son bureau pour lui annoncer le vote des Nations Unis en faveur de la création de l’État d’Israël : « Ce grand événement dans l’histoire juive a donc été associé dans ma maison de Jérusalem avec un autre événement pas moins historique, l’un politique, l’autre culturel »35. La découverte des manuscrits est un tel événement pour Israël que le 14 février 1949 à l’occasion de la première session du parlement israélien, chacun des 31

Cf. SUKENIK 1948. Cf. TOURNAY1949, 204-233. 33 Cf. LAPERROUSAZ, 1997, 35-36. 34 Cf. TOURNAY, Ibid., 232. 35 Cf. YADIN 1992, 24. Dans son journal, Sukenik avait écrit le 1er décembre 1947 : « J’ai lu un peu plus au sujet des parchemins et tremble rien que d’y penser. Ceci pourrait être une des plus grandes découvertes dans ce pays, une découverte dont nous n’aurions jamais rêvé » (Ibid. p. 30). 32

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députés a reçu en hommage un fac-similé contenant sur papier luxe la photographie et la transcription du chapitre XL d’Isaïe. Le fait que la découverte soit quasi contemporaine de la naissance de l’État d’Israël va décupler l’intérêt pour les manuscrits, exacerber les ambitions, favoriser les querelles. Certains ont presque vu un signe du Ciel dans le fait que l’on découvre des textes des origines du judaïsme au moment même où le peuple juif se voyait reconnaître un État. En mai 1949, Sukenik fait appel à un réfugié juif d’Allemagne, le peintre et graveur allemand, James Bieberkraut, spécialisé en restauration, pour dérouler le rouleau d’Isaïe (1QIsb) qu’il a acquis le 21 décembre 1947. En mars 1950, un second volume de Sukenik présente des extraits des Hymnes d’action de grâces (Hodayot), d’un second manuscrit d’Isaïe et d’autres extraits de La guerre des fils de la lumière et des fils des ténèbres36. En réalité, on ne dispose encore que de morceaux épars, pas toujours très lisibles. Immédiatement, une traduction en anglais est faite à Manchester : tout le monde est à l’affût. Sukenik meurt en 1953, à l’âge de soixantetrois ans, sans avoir pu achever son œuvre et un de ses collaborateurs, Nahman Avigad, prépare à l’impression les autres rouleaux déchiffrés, transcrits et pourvus d’introductions par Sukenik : le texte d’Isaïe, le rouleau de la Guerre et le rouleau des Hymnes (Hodayot). Milik qui en fait une recension dans la Revue biblique d’octobre 1955 loue la qualité technique de la transcription et estime que « cette première édition offre une merveilleuse base de travail pour bien des études complémentaires »37. Pour mener à bien son travail, Sukenik a plusieurs fois sollicité Roland de Vaux pour avoir des précisions sur le nom exact du wadi où se situent les grottes, la date exacte de la fouille, le contenu des divers manuscrits découverts, la forme de la poterie : « Je pense que vous avez entendu parler des fragments du Livre d’Isaïe en notre possession. Ces fragments diffèrent du premier rouleau d’Isaïe et aussi des autres rouleaux dans l’orthographe et sont presque identiques de l’orthographe du texte massorétique »38. En fait, pour réaliser sa publication, Sukenik a demandé des photos aux Américains de ASOR et à de Vaux, et il y a un début de contentieux sur le droit de publier ces photos. De Vaux doit expliquer à Sukenik que Harding « est fonctionnaire officiel du Gouvernement Jordanien, la fouille a été une fouille du Gouvernement Jordanien, les photographies sont la propriété du Gouvernement Jordanien. Tant que la paix ne sera pas signée entre Israël et la Jordanie, il lui est absolument impossible 36 37 38

Cf. la recension par Raymond TOURNAY, RB 57 (1950), 616-621. Cf. MILIK, RB 62 (1955), 601. Lettre de Sukenik à de Vaux, 12 juin 1949, Archives du Couvent Saint-Étienne.

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de communiquer en Israël des documents officiels ». Il est au regret de lui dire : « Comme je n’ai aucun droit sur ces photographies et que j’ai seulement accepté de les publier, je ne puis personnellement rien faire pour vous »39. Les Américains de l’American School of Oriental Research (ASOR) travaillent eux aussi d’arrache-pied. Ils disposent de photographies des manuscrits en possession du Patriarcat syrien, à savoir un grand rouleau d’Isaïe, le Commentaire d’Habaquq, de la Règle de la Communauté et d’un document araméen qui est un commentaire de la Genèse. De premières présentations sont faites dans leur Bulletin, BASOR, à partir de décembre 194840. En décembre, Trever, Burrows et Brownlee publient de premières observations sur le rouleau d’Isaïe, qui contient un texte presque complet du livre, La Règle de la Communauté, le Commentaire d’Habaquq, et des éléments sur un quatrième document pas encore identifiable car son état de dégradation a conduit à retarder son déroulement. Les numéros suivants de BASOR approfondissent la présentation et l’analyse : Brownlee propose une transcription et une première traduction du Commentaire d’Habaquq41. En février 1949, Trever propose une étude paléographique des divers documents dont il dispose et Millar Burrows analyse les variantes dans le Rouleau d’Isaïe. En octobre 1949, Trever propose une identification du quatrième document dont il dispose, rédigé en araméen, qui serait le Rouleau de Lamech. Au fil des mois, des détails sont accumulés qui vont permettre à Burrows, Trever et Brownlee de publier en 1950 un premier volume sur les manuscrits du monastère Saint-Marc des Syriens, au total quarante-quatre colonnes du manuscrit d’Isaïe, et treize colonnes du Commentaire d’Habaquq, avec, en regard, la transcription du texte hébreu42. Dans une lettre du 18 mars à Roland de Vaux, Burrows indique avoir retenu, un peu dans l’urgence, le titre Dead Sea Scrolls, qui peut être discuté car l’aire de récolte des manuscrits est un peu plus large que la mer Morte. Un second volume est publié en 1951 par les mêmes auteurs43. Dans une lettre du 17 mars 1952 à Dupont-Sommer, de Vaux juge cette édition un peu trop rapide. C’est aussi l’avis de Dominique Barthélemy qui pointe dans la Revue biblique d’octobre 1950 un certain nombre d’imperfections de l’édition du manuscrit d’Isaïe44. En février 39

Lettre de de Vaux à Sukenik, 10 juillet 1950, Archives du Couvent Saint-Étienne. Cf. articles de Trever, Burrows, Brownlee, Albright, Birnbaum, etc. dans BASOR 111 (1948) 4-24, 112 (1948) 8-36, 113 (1949) 6-35, 114 (1949) 5-12, 115 (1949) 8-22, 116 (1949) 14-18, 118 (1950) 5-11 et 20-30. 41 Cf. BROWNLEE 1948. 42 Cf. BURROWS 1950. 43 Cf. BURROWS 1951. 44 Cf. BARTHÉLEMY 1950. 40

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1952, BASOR publie un article sur une jarre de Qumrân qui a été acquise par l’Oriental Institute de l’Université de Chicago. En fait, chacun essaie d’avancer mais sans avoir tous les éléments, car les manuscrits sont souvent incomplets et il n’est pas simple de disposer des fragments dispersés. 6. LE

LANCEMENT DE LA COLLECTION DES THE JUDAEAN

DESERT

DISCOVERIES IN

Dans l’immédiat se pose la question de l’édition : la Revue biblique a publié les rapports préliminaires des fouilles et les premiers résultats du déchiffrement, mais la masse et l’importance des documents rendent nécessaire de trouver un éditeur disposé à se lancer dans une entreprise d’édition scientifique d’envergure. En novembre 1952, Harding, en accord avec de Vaux, écrit à trois éditeurs, tous dans le monde anglo-saxon, Oxford University Press, Cambridge University Press et Manchester University Press, en leur donnant des précisions sur les souhaits : des volumes d’au moins cent pages avec en regard la photographie des manuscrits, leur transcription et une traduction. Des volumes techniques, en somme, suivant le modèle de celui publié en 1950 par l’American School, The Dead Sea Scrolls of St Mark’s Monastery. Le premier éditeur à répondre, avec un réel enthousiasme, fut Clarendon Press d’Oxford. Les deux autres, conscients de l’ampleur de l’entreprise, hésitent et différent leur réponse, aussi Harding et de Vaux donnent leur accord à Oxford University Press. L’éditeur propose 10% de droits d’auteur, ce qui est loin de couvrir les frais liés aux mois et années de travail des savants engagés dans l’entreprise, et va être lourd de conséquences pour l’avenir. « Naïveté », commente Weston Fields, mais on en était alors au début du déchiffrement de la grotte 4 et nul ne pouvait imaginer l’ampleur d’une entreprise éditoriale qui allait durer cinquante ans. L’idée de faire un business plan n’était pas dans la culture de l’époque, surtout chez des religieux européens au Moyen-Orient habitués à travailler gratis pro Deo. Au fil des années, le coût d’édition de volumes aussi complexes et le peu d’acquéreurs potentiels va amener l’éditeur à supprimer les droits d’auteur sur les mille, puis les mille-cinq cents premiers volumes vendus, limitant d’autant la possibilité pour l’École biblique de financer la venue de nouveaux collaborateurs45. 45

L’inquiétude des éditeurs est d’autant plus compréhensible que certains chercheurs, comme l’historien juif Solomon Zeitlin, éditeur du Jewish Quarterly Review, continuaient à mettre en cause l’ancienneté des manuscrits de la mer Morte, qui, selon lui, auraient été écrits au Moyen-âge par des Juifs caraïtes à des fins de propagande. Dans une recension, Dominique Barthélemy avait estimé que cette thèse n’était pas tenable (cf. RB 60 (1953),

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Le premier volume de la série Discoveries in the Judaean Desert (DJD) sort en 1955 chez Oxford Clarendon Press, sous le titre Qumran Cave 1, avec des contributions de Dominique Barthélemy et Józef Milik46. Une quarantaine de pages dues à Harding, de Vaux, Crowfoot et Plenderleith, présentent le site, la poterie, les textiles et quelques problèmes techniques comme les méthodes employées pour dérouler les rouleaux, mais l’essentiel de l’ouvrage (p. 41 à 165 + de nombreuses planches) consiste en l’édition par Milik et Barthélemy de fragments venant de divers livres bibliques (Genèse, Exode, Lévitique, Deutéronome, Juges, livres de Samuel, Isaïe, Ezéchiel, Psaumes) et de textes non bibliques (Commentaires de Michée, de Sophonie, des Psaumes, plusieurs apocryphes - Livre des Jubilés, Livre de Noé, Testament de Lévi, Dires de Moïse, etc.). Divers fragments de textes juridiques et liturgiques sont également édités (Annexes à la Règle de la Communauté, le Recueil des bénédictions, des recueils hymniques, etc.) ainsi que des éléments épars parfois difficiles à situer. Ce premier ouvrage fait déjà percevoir l’extrême difficulté du travail d’édition des fragments retrouvés et l’extrême technicité requise pour y travailler, difficulté que ne semblent pas comprendre même les savants47. Au fil des années, l’équipe initiale d’éditeurs des manuscrits va se disperser pour diverses raisons de santé, de carrière ou de manque de financements, rendant plus difficile la tâche du maître d’œuvre Roland de Vaux. Il s’en ouvre dans une lettre à Dominique Barthélemy en août 1961 : « Vous connaissez les difficultés dans lesquelles je me débats. Maintenant que sont dispersés les membres du team d’édition, je ne puis rien obtenir d’eux. Notre volume III est en dernière épreuve et sortira dans quelques mois. Il est annoncé dans le catalogue d’automne d’Oxford, mais je doute fort qu’il sorte avant la fin de l’année. Mais ensuite, je ne sais pas »48. Avec le recul, on a le sentiment que trop de fragments ont été confiés à la p. 148), mais Zeitlin a maintenu sa thèse durant des années et trouvé quelques soutiens, comme le professeur Harry Orlinsky de l’Hebrew Union College. Cf. S. ZEITLIN, « The Dead Sea Scrolls: A Travesty on Scholarship », The Jewish Quaterly Review, juillet 1956, p. 1-36. 46 Cf. BARTHÉLEMY - MILIK 1955. 47 Dans la Revue biblique d’avril 1952, « Notes en marge de publications récentes sur les manuscrits de Qumran », p. 187-218, D. Barthélemy fait état d’une bibliographie de cent publications déjà parues sur le sujet entre mai 1949 et juin 1951 et recensées par W. Baumgartner, dans Theologische Rundschau et commence à discuter la datation. Barthélemy se méfie des synthèses trop hâtives de Delcor et Dupont-Sommer et estime que « l’ère des certitudes ne (me) paraît pas encore venue » (p. 218). 48 Lettre de Roland de Vaux à Dominique Barthélemy, 20 août 1961. Archives du Couvent Saint-Étienne. Dans une lettre antérieure, du 20 mai 1961, de Vaux évoque aussi « les graves difficultés » qu’il a avec le Gouvernement.

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responsabilité des premiers spécialistes : « Milik avait de quoi travailler pour deux cents ans », estime Emmanuel Tov qui considère que cela a conduit à « un véritable fiasco » (sic)49. Le second volume, Les grottes de Murabba‘ât, sort en 1960, avec pour principaux auteurs P. Benoît, J. Milik et R. de Vaux. On est déjà passé de 165 à 304 pages. Trois autres volumes sortiront avant la mort prématurée de Roland de Vaux en 1971 : Les « Petites grottes » de Qumrân, rédigés par Baillet, Milik et de Vaux (1962, 317 p.) ; le volume suivant, publié en 1965 par J.A. Sanders, a pour titre : The Psalm Scroll of Qumrân Cave 11 (99 p. + XVII pl.) ; J. Allegro et A. Anderson publient Qumrân Cave 4.1 en 1968 (111 p.+ XXXI pl.). Enfin, de Vaux est cosignataire avec Milik du second volume de la série, Qumrân Cave 4.2 : Archéologie, Tefillin, Mezugot et Targums (1977, 93 p.), mais il meurt avant la sortie de l’ouvrage. Ce sixième volume sort donc trente ans après la première découverte des manuscrits. De Vaux a été l’éditeur responsable des volumes 1 à 5 mais à partir de 1966-1967 le contexte s’est compliqué. 7. L’AFFAIRE ALLEGRO Un des membres de l’équipe, John Allegro, va beaucoup faire parler de lui : il est un des spécialistes que de Vaux avait choisi pour son équipe éditoriale sur proposition de Rowley et, même si leurs relations ont vite été tendues, il l’a longtemps soutenu, en particulier quand celui-ci demandait des lettres d’appui pour obtenir des financements50. Il vient alors régulièrement à Jérusalem durant ses congés d’été pour travailler sur les manuscrits et continue de le faire à partir de photographies depuis l’Angleterre où il enseigne. Durant l’hiver 1955-56, de Vaux envoie d’abord à Manchester le petit rouleau de cuivre de la grotte 3 puis le grand en 1956 pour être découpés, traités et déchiffrés. Allegro assiste au découpage du petit rouleau. La liste mystérieuse de trésors, inscrite sur les rouleaux, excite l’imagination de l’universitaire britannique qui se met alors en tête d’aller faire lui-même des sondages à Qumrân, sans aucune compétence archéologique. 49

Entretien avec l’auteur. John Marco Allegro (1923-1988) commence une formation de prêtre méthodiste après avoir fait son service militaire dans la Royal Navy. Ayant obtenu un diplôme en études orientales à l’Université de Manchester, il est invité en 1953 par Roland de Vaux à rejoindre l’équipe de traduction des manuscrits. Il sera ensuite professeur assistant en philologie sémitique comparée à Manchester jusqu’à sa démission en 1970 après la publication d’un livre qui sera évoqué plus loin et le disqualifie dans le monde académique. Sa fille a publié en 2005 un ouvrage qui aide à entrer dans la complexité du personnage et de son histoire : BROWN 2005. 50

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CHAPITRE CINQUIÈME

Il publie en 1960 un ouvrage intitulé The Treasure of the Copper Scroll dans lequel il propose un nouveau déchiffrement du texte que Milik avait déjà publié dans la Revue biblique de 1959, mais il laisse aussi entendre que ce trésor, provenant peut-être du Temple de Jérusalem, pourrait être encore caché quelque part dans le désert. Il conviendrait donc, à ses yeux de faire de plus amples investigations, en employant les techniques modernes de détection51. Avec la complicité d’un archéologue britannique spécialisé dans l’Égypte antique, Alan Rowe, il entreprend de faire un sondage dans la zone de Qumrân. La célèbre archéologue britannique Kathleen M. Kenyon, qui a fouillé Jéricho, s’élève violemment contre ce projet mais ne parviendra pas à l’empêcher : « Ce que vous êtes en train de faire est exactement comparable à la destruction, comme si je me mettais à copier un manuscrit sans savoir d’abord ce qu’il contient », lui écrit-elle52. « J’ai appris d’‘Awni53 qu’Allegro n’avait pas obtenu un permis de fouille archéologique mais un permis de recherche de trésors, qui est délivré par le Ministère de l’Intérieur », écrit de Vaux à son amie britannique, le responsable jordanien des Antiquités lui ayant expliqué qu’Allegro avait bénéficié de puissants soutiens. « J’ai insisté, comme vous, sur le caractère catastrophique pour la science de telles chasses aux trésors et sur la nécessité d’un contrôle archéologique », mais au cours de la conversation avec ‘Awni, de Vaux apprend toutes les horreurs qu’Allegro a répandues à son propos : il aurait fait sortir des manuscrits de Jordanie, il chercherait à les vendre à l’extérieur, il détruirait les pièces qui n’iraient pas dans le sens de ses opinions, il aurait bloqué un programme de télévision préparé par Allegro, etc. En fait, avoue le directeur jordanien des Antiquités, « Allegro propose de trouver un million de Livres pour le bien de la Jordanie et pour prouver au monde que les Manuscrits sont une découverte faite en Jordanie. Lui, ‘Awni, comme Jordanien et comme Directeur des Antiquités, ne pouvait pas s’opposer à ce projet »54. La brouille va franchir un cran supplémentaire vers la fin des années 1960 lorsque John Allegro qui est lecturer d’études vétéro et intertestamentaires à l’Université de Manchester se met à diffuser une thèse des plus étranges : à partir de quelques hypothèses philologiques, il remonte à Sumer pour interpréter les textes de Qumrân et bâtit une théorie selon laquelle le judaïsme et le christianisme 51

Cf. ALLEGRO 1960. Lettre de M. K. Kenyon à J. Allegro, 6 janvier 1960, archives du Couvent SaintÉtienne. 53 ‘Awni Dajani est alors le directeur des Antiquités de Jordanie. Allegro l’a fait inviter à Manchester pour assister au déroulement et à la découpe du rouleau et lui fait miroiter la création à Amman d’un grand Institut d’études du Moyen-Orient. 54 Lettre de Roland de Vaux à Kathleen Kenyon, 17 février 1960. 52

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dériveraient en réalité d’un culte phallique sumérien centré sur un champignon hallucinogène, Amanita muscaria. Les auteurs du Nouveau Testament ne seraient ni plus ni moins que des drogués qui seraient parvenus à faire croire à leurs hallucinations. Allegro commence par diffuser ses idées dans divers journaux ou magazines grand public (Die Weltwoche de Zürich en juin 1966, Harper’s Magazine en août de la même année) qui trouvent là une thèse à même d’aguicher le lectorat : The Dead Sea Scrolls: A Threat to Christianity titre Harper’s Magazine. Le professeur Harold Rowley, du département d’études sémitiques de l’Université de Manchester, qui a patronné Allegro, en est horrifié. Il écrit à de Vaux : « Hier, je suis allé à Stratford-upon-Avon donner deux conférences sur les rouleaux […]. Allegro était déjà passé par là et avait présenté son idée absurde que Jésus n’a jamais existé et que ses disciples ne sont que des créations mythiques […]. Sa philologie est étrange et invraisemblable »55. Mais Allegro persiste : en 1970, il développe sa thèse dans un ouvrage de trois cents cinquante pages The Sacred Mushroom & The Cross, Fertility Cults and the Origin of Judaism and Christianity56. On est dans l’après-1968 et les idées à caractère libertaire ont le vent en poupe. Un groupe d’éminents universitaires britanniques, très embarrassés par ces idées farfelues venant d’un des leurs, prennent tout de suite position publiquement en déclarant à propos de l’ouvrage d’Allegro : « Il s’agit d’un ouvrage sur lequel des universitaires ne feraient normalement aucun commentaire. Mais les soussignés, spécialistes de diverses disciplines concernées et appartenant à diverses confessions ou à aucune, estiment qu’il est de leur devoir de faire savoir que ce livre n’est fondé sur aucune évidence philologique ou preuve qui pourrait être qualifiée d’universitaire ». Suivent une dizaine de signatures dont le professeur Godfrey Driver, philologue de l’Université d’Oxford, le professeur George W. Anderson d’Edimbourg, le professeur Edward Ullendorff de l’Université de Londres, Henry Chadwick d’Oxford, Geza Vermès, etc. De Vaux fait le choix de ne pas polémiquer avec ce chercheur qu’il a jadis accueilli et encouragé : « Le jugement sévère que vous portez sur cet article est justifié, écrit-il à Elisabeth Koffmahn de Vienne après les articles d’Allegro le mettant en cause, de même que ce que vous dites du comportement de ce Monsieur. J’ai pris pour principe de ne jamais répondre à ses mensonges et à ses attaques aussi longtemps qu’elles sont publiées dans la grande presse. Je sais par expérience que ces controverses ne servent à rien »57. 55 56 57

Lettre de Harrold Rowley à Roland de Vaux, 29 septembre 1966. Cf. ALLEGRO 1970. Lettre de Roland de Vaux à Elisabeth Koffmahn, 27 juin 1966.

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CHAPITRE CINQUIÈME

Allegro persistera, quittera l’Université et publiera quelques années plus tard un autre ouvrage intitulé The Dead Sea Scrolls and the Christian Myth, qui trouvera un écho auprès d’un public non averti, enclin à penser que l’Église avait quelque chose à craindre du contenu de ces manuscrits. N’est-ce pas là, laisse-t-on entendre, la véritable raison du retard pris par l’édition des manuscrits ?58 8. ENTRE DÉBATS

ACADÉMIQUES ET CRISPATIONS POLITIQUES

La position d’Allegro se disqualifie elle-même par son outrance, mais le débat reste vif et passionné entre spécialistes sur l’interprétation de Qumrân et de Vaux n’en déserte pas l’arène comme le montre une vive controverse avec l’orientaliste anglais Godfrey R. Driver, professeur de philologie sémitique au Magdalen College d’Oxford, auteur en 1965 d’un copieux ouvrage sur les manuscrits de Qumrân que de Vaux va vigoureusement contester59. Ils se connaissent, Driver ayant même présidé une de ses Schweich lectures à la British Academy en 1959. Bien que de Vaux le considère comme un scholar, qui est estimé comme l’un des meilleurs hébraïsants de notre temps, un gentleman », les thèses développées par Driver dans son ouvrage rencontrent de sa part une vive opposition dont il s’explique dans un article de plus de vingt pages de la Revue biblique en 1966 : « Esséniens ou zélotes ? À propos d’un livre récent »60. Sa charge étant vigoureuse, de Vaux commence par résumer avec précision la thèse de l’universitaire d’Oxford. Selon Driver, la communauté de Qumrân qu’il appelle « les hommes de l’alliance » ou les « Covenanters » a « des ressemblances superficielles mais des différences fondamentales avec les Esséniens. En revanche, il y a un rapport frappant avec un rejeton des Pharisiens, la « quatrième philosophie » de Josèphe, les Zélotes »61. À l’appui de sa thèse, l’universitaire britannique estime que les indications historiques données par certains textes comme le Commentaire d’Habacuc et la Guerre conduisent à « rejeter toutes les indications pré-chrétiennes ou chrétiennes qui ont été proposées », l’organisation militaire s’accordant 58 Cf. ALLEGRO 1979. Dans la recension du volume V des DJD que fait J. Murphy O’Connor dans la Revue biblique de 1971, il n’est fait aucune allusion à la dérive d’Allegro, mais l’auteur pointe déjà de vraies insuffisances de cette édition qui, à ses yeux, ne peut pas être considérée comme une véritable editio princeps. Cf. RB 78 (1971), 298. Voir surtout la note de J. Strugnell, « Notes en marge du volume V des Discoveries in the Judaean Desert of Jordan », RdQ 26, (1970), 163-276, corrigeant les nombreux défauts de cette édition. 59 Cf. DRIVER 1965. 60 Cf. VAUX (de) 1966. 61 Cf. VAUX (de) art. cité, p. 213.

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davantage avec celles des armées romaines de la République. Ce qui conduit l’auteur à une datation tardive des écrits de Qumrân. « Le plus vraisemblable, selon l’auteur, est que les grottes étaient des genizôt et que l’enfouissement des textes bibliques et non bibliques, abîmés ou suspects, correspond au durcissement de l’orthodoxie chez les Rabbins après l’échec de la Première Révolte ». Laissant aux historiens, aux exégètes et aux paléographes le soin de discuter la thèse chacun dans sa discipline, de Vaux entend en montrer l’incohérence du point de vue de l’archéologie. L’examen de la poterie et des monnaies permettent, selon lui, d’affirmer que « la date de juin 68 est la date où les bâtiments de la période II ont été détruits par les Romains, qui ont ensuite laissé un détachement sur le site. Le témoignage combiné de l’archéologie et des textes ne peut pas fournir une preuve plus absolue ni une date plus certaine […]. Toute hypothèse qui situe la composition ou la copie des manuscrits après cette date est fausse »62. On reviendra plus tard sur le ton plus que vigoureux de l’article, mais sa longueur suffit déjà à montrer combien le dossier Qumrân reste pour Roland de Vaux une bataille qui n’en finit pas. Les ennuis sont également politiques : le 28 novembre 1966, les Jordaniens nationalisent le Palestinian Archaeological Museum. Quelques mois plus tard, la conquête militaire de Jérusalem par Israël lors de la guerre dite de Six Jours crée de nouvelles conditions : désormais, de Vaux doit traiter avec le Département israélien des Antiquités et le Musée d’Israël, dont le directeur est alors Avraham Biran63. Les membres de l’équipe éditoriale s’inquiètent de l’accès qui leur sera laissé au Musée où se trouvent les fragments et dont les autorités israéliennes se sont rapidement assurées du contrôle. Un nouveau musée, le Sanctuaire du Livre (Shrine of the Book) est créé en 1965 par les Israéliens pour accueillir les manuscrits de la mer Morte dont ils disposent, mais les fragments déposés au Palestinian Archaeological Museum restent sous la responsabilité scientifique de Roland de Vaux, comme le montrent des échanges de lettres avec l’Israélien Magen Broshi. Ce conservateur du Sanctuaire du Livre entreprend, par exemple, en 1970 de faire des listes systématiques des manuscrits et fragments. Il fait réaliser des duplicatas des manuscrits existant dans les deux lieux et le fait en bonne intelligence avec de Vaux qui sollicite tous les membres de son équipe pour qu’ils fournissent les négatifs des photos en leur possession. « He was very gracious, he was cooperative, and he was a wonderful man », dira-t-il de lui plus tard à Weston Fields qui a traqué 62

Cf. VAUX (de) art. cité, p. 235. Pour un historique par un Israélien de l’évolution du Département des Antiquités, voir SELIGMAN, 2011, 125-146. 63

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CHAPITRE CINQUIÈME

le devenir des manuscrits jour après jour. En revanche, la nouvelle autorité politique tente d’imposer ses conditions en matière d’édition des manuscrits : suppression dans l’intitulé des DJD de « of Jordan » ; remplacement de Jordanian Department of Antiquities par The Department of Antiquities of the Government of Israel ; ajout sur la page de couverture de la mention Shrine of the Book ; accord donné pour que les ouvrages soient republiés en hébreu ; respect des droits scientifiques accordés aux auteurs avant la guerre de 196764. Seules concessions : les autorités israéliennes acceptent de ne pas transférer dans le nouveau musée, sauf pour des expositions temporaires, les manuscrits déposés au Palestinian Archaeological Museum, et ils maintiennent de Vaux dans son rôle d’éditeur en chef. Frank Cross se dit prêt à accepter les conditions israéliennes, considérant que l’on n’a fait que passer d’une autorité de facto à une autre. Ce n’était pas l’avis de Roland de Vaux qui dit clairement son désaccord dans sa correspondance avec Yadin65 : Israël a un contrôle de facto de la ville et donc du Musée palestinien, mais l’affaire n’est pas réglée du point de vue du droit international, rappelle-t-il. De Vaux a-t-il envisagé de créer une autre collection que DJD pour ne pas avoir à se soumettre aux exigences de contrôle par Israël ? Maurice Baillet le dira à Pierre Benoit dans un courrier de 1972 mais les archives disponibles n’en confirment pas l’affirmation. Une lettre de Roland de Vaux à Yigael Yadin apporte néanmoins une précision : il refuse que les DJD soient mélangés aux publications du Shrine of the Book, Hekhal Ha-Sefer : « Je ne me souviens pas avoir conclu un accord avec vous sur un nouveau titre à donner à la série des DJD, y compris en incluant Hekhal ha-Sefer. J’ai seulement été très clair dans la conversation avec le Dr Biran66 et avec vous, je crois, que si la collection du Palestinian Archaeological Museum était réunie avec celle de Hekhal Ha-Sefer, je démissionnerais de la responsabilité éditoriale »67. De Vaux s’en explique aussi dans une lettre à Frank Cross : « Lorsque j’ai accepté avec le Dr Biran et Y. Yadin de continuer à être rédacteur en chef des manuscrits du Musée archéologique palestinien, j’ai posé comme condition que cette collection ne soit pas fusionnée avec la collection du Hekhal Ha-Sefer. Ma raison était que je ne voulais pas 64

Cf. Lettre de Yigael Yadin à Roland de Vaux, 22 janvier 1968. Lettre de Roland de Vaux en réponse à celle de Yadin, 25 janvier 1968. 66 Avraham Biran (1909-2008) est un archéologue israélien qui s’est rendu célèbre par la fouille de Tel Dan en Galilée. Il fut ensuite directeur de l’Institut d’archéologie à l’Université hébraïque de Jérusalem. 67 Lettre de Roland de Vaux à Yigael Yadin, 19 janvier 1968. 65

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prendre une position politique sur l’intégration de la Jérusalem arabe à Israël. Je ne suis pas d’accord avec vous pour dire que, puisque nous avons reconnu l’autorité de facto de la Jordanie sur le Musée archéologique palestinien, nous devrions reconnaître l’autorité de facto d’Israël. Ce n’est pas la même chose. La nationalisation du Palestinian Archaeological Museum n’était pas judicieuse mais elle était dans les droits du gouvernement jordanien et a été faite légalement. La prise de contrôle par Israël était un acte de guerre. Selon les lois et pratiques internationales, tant qu’il n’y a pas de règlement de paix, les Israéliens sont des “occupants” et non des propriétaires. En acceptant la fusion de la collection, je prendrais une mesure politique qu’aucune autorité étrangère, même votre propre gouvernement, n’a encore prise. Si le règlement intervient et que le musée reste sous domination israélienne, je n’aurai plus d’objection »68. Dans la suite de sa missive, de Vaux indique que Yadin avoue avoir fait ces demandes sous pression de son gouvernement. Il ajoute aussi qu’il est persuadé qu’il subirait moins de pressions si les auteurs de son comité ne tardaient pas tant à remettre leur étude. L’autre difficulté que rencontre de Vaux est le retard considérable accumulé dans l’édition des fragments de la grotte 4. Dominique Barthélemy, par exemple, ne parvient pas à finir sa propre édition, la défection d’un autre contributeur, Hunzinger, ayant contraint à solliciter Maurice Baillet pour éditer les fragments de la Guerre. « Je sais bien qu’on nous reproche notre lenteur mais un article “Où en est l’édition ?”, c’est impossible à écrire. Comment peut-on dire que, si Frank Cross, Milik, Strugnell, etc. avaient tenu leurs promesses, presque tous les volumes de la grotte 4 auraient paru avant la guerre de 1967 ? que, maintenant, même si des volumes étaient prêts pour l’impression, la publication pourrait être bloquée 68 Lettre de Roland de Vaux à Franck Cross, 15 février 1968, dont voici le texte original : « When I agreed with Dr. Biran and Y. Yadin to continue as Chief-editor of the Scrolls of the Palestinian Archaeological Museum I put as condition that this collection would not be merged with the collection of the Hekhal Ha-Sefer. My reason was that I did not want to take a political position on the integration of Arab Jerusalem to Israel. I do not agree with you that, since we recognized the de facto authority of Jordan on the Palestinian Archaeological Museum, we should recognize the de facto authority of Israel. It is not the same thing. The nationalization of the P.A.M. was unwise but it was within the rights of the Jordan Government and was legally done. The taking over by Israel was an act of war. According to the international laws and practice, as long as there is no peace settlement, the Israelis are “occupants” and not owners. In accepting the merging of the collection, I would take a political step which no foreign authority, even your own Government has taken yet. When and if the settlement comes and the Museum stays under Israeli rule, I will have no more objection ».

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par des considérations politiques ? Et comment donner alors des prévisions ? », écrit-il à Baillet69. La dispersion de l’équipe éditoriale, puis les réticences de certains contributeurs à publier sous une autorité israélienne, vont faire traîner gravement l’édition des textes de la grotte 4, ce qui fait dire à de Vaux en septembre 1969 : « Je traîne un lourd boulet, dont j’ai souvent envie de me débarrasser »70. À sa mort, Pierre Benoît puis John Strugnell71 prendront le relais pour l’édition des volumes 6 et 7, qui sortent en 1977 et 1982, mais on continuera pendant longtemps, parfois avec beaucoup de mauvaise foi, à reprocher à de Vaux d’avoir mal géré l’édition des manuscrits. Les attaques contre lui vont parfois dégénérer : ainsi en 1988, près de vingt ans après sa mort, Philip R. Davies, de l’Université de Sheffield, mettra en cause le fait que de Vaux non seulement n’était pas un archéologue de la « période du Second Temple » (expression qui n’existait pas alors) mais surtout il manquait de rigueur scientifique, en voyant la réalité à travers sa propre culture de prêtre catholique. Ceci transparaît, à ses yeux, dans le fait qu’il emploie un vocabulaire évoquant un monastère, quand il croit trouver dans l’établissement essénien un réfectoire, un scriptorium, une salle de prière, toutes expressions courantes dans le monachisme catholique mais inadéquates pour des établissements juifs ou militaires, hypothèses trop vite écartées par de Vaux, selon Davies. Celui-ci va jusqu’à conclure que la manière dont fut conduite la fouille de Qumran est un exemple de ce qu’il ne faut pas faire : How Not to Do Archaeology. The Story of Qumran72. Le jugement sévère n’a pas été suivi par la plupart des archéologues, qui, comme Jodi Magness, estiment au contraire que tout en utilisant les méthodes de son temps de Vaux a fait un travail de qualité73. Il y a eu manifestement ici un peu d’animosité protestante contre ce qui est considéré comme une mainmise catholique indue. 69

Lettre de Roland de Vaux à Maurice Baillet, 3 juin 1971. Lettre de Roland de Vaux à Dominique Barthélemy, 30 septembre 1969. 71 John Strugnell (1930-2007) était encore étudiant en études sémitiques à Oxford lorsque son maître G.R. Driver le recommanda à Roland de Vaux pour étoffer l’équipe des éditeurs des manuscrits de la mer Morte. Il n’avait que vingt-quatre ans. Il s’établit à Jérusalem, qu’il quitte en 1960 pour Duke University avant de prendre un poste de professeur des Origines du christianisme à Harvard en 1966. Néanmoins, il reste en contact avec l’équipe de Jérusalem, où il est finalement nommé éditeur en chef en 1987 selon le souhait du P. Benoit qui l’avait fait élire à ce poste en 1984, mais l’accord des autorités israéliennes se fit attendre. C’est sous sa responsabilité que des éditeurs israéliens vont rejoindre l’équipe d’édition des manuscrits. Emmanuel Tov qui prendra plus tard la direction de la collection DJD avait été étudiant de Strugnell à Harvard et le tenait en grande estime. Cf. MURPHY-O’CONNOR 2015, 4-6. 72 Cf. DAVIES 1988, 203-207. 73 Cf. MAGNESS 2002 70

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9. DE RUDES OPPOSANTS La mise en cause de la probité de Roland de Vaux franchit un cran supplémentaire dans un ouvrage publié à Londres en 1991, The Dead Sea Scrolls Deception, par deux écrivains, Michael Baigent et Richard Leigh, qui sont plus des journalistes à sensation que des experts en études juives ou bibliques, mais le sujet Qumrân est et reste un sujet « grand public ». Une traduction française de l’ouvrage sera même publiée sous le titre La Bible confisquée : enquête sur le détournement des manuscrits de la mer Morte. Baigent et Leigh ont entrepris de documenter un véritable procès à charge contre Roland de Vaux et l’équipe qui a pris en main l’édition des manuscrits de Qumrân depuis leur découverte. À leurs yeux, il s’agit du « scandale académique par excellence du XXe siècle » ! Le retard pris dans l’édition des manuscrits serait délibéré, le contenu étant susceptible de remettre en cause ce qui a été admis jusque-là sur les origines du christianisme. Il ne s’agirait de rien moins que d’une opération menée par le Vatican pour éviter des révélations embarrassantes et poursuivre une pratique inquisitoriale dont la Revue biblique des dominicains de Jérusalem serait un des organes. Roland de Vaux aurait composé un comité d’experts à sa main, choisis sans se préoccuper de procédures et de critères académiques objectifs de recrutement, et excluant évidemment tout spécialiste israélien. D’ailleurs, ajoutent les auteurs, la localisation du musée Rockefeller en territoire jordanien convient très bien à « l’antisémite de Vaux » (sic) qui est qualifié de personnage « impitoyable, étroit d’esprit, bigot et férocement vindicatif », ce qui ne serait pas surprenant de la part d’un homme qu’il qualifie d’homme de droite, membre de l’Action française et sympathisant des dictatures allemande, italienne et espagnole, et, bien entendu, hostile à Israël74. L’outrance du propos le discrédite mais le thème d’un Roland de Vaux malveillant va perdurer, alimentée par la controverse sévère entre lui et John Allegro qui, plus libre, se serait émancipé, au déplaisir du découvreur de Qumrân. On trouvera des traces assez fréquentes de ces accusations dans la revue américaine Biblical Archaeological Review, dirigée par Hershel Shanks, qui lança en 1985 la controverse publique sur le retard de la publication 74

Cf. BAIGENT - LEIGH 1991, 27. Version française : Cf. BAIGENT - LEIGH 1992. La polémique est reprise quelques années plus tard par deux universitaires américains, Robert EISENMAN et Michael WISE, The Dead Sea Scrolls Uncovered, 1993, Penguin books, 304 p. L’ouvrage est traduit en français chez Fayard en 1995 sous le titre Les manuscrits de la mer Morte révélés. Joseph Fitzmyer publiera une critique sévère du livre de Baigent et Leigh en 2000, mais cela n’empêche pas le grand public d’y accorder un certain crédit (cf. Maurice OLENDER, « Y a-t-il eu des chrétiens avant le Christ ? », Le Monde, 14 avril 1995).

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CHAPITRE CINQUIÈME

des documents de la mer Morte. En 1991, il préface le premier volume publié de la concordance des textes de la grotte 4 jusque-là restée en fiches à la disposition de quelques spécialistes : « Ceci est un livre historique. D’ici cent ans, il sera encore cité, pas seulement par des chercheurs, mais parce qu’il a brisé le monopole sur les manuscrits de la mer Morte qui ne sont pas encore publiés. Jusqu’à présent, une petite coterie de savants a exercé un contrôle exclusif sur la possibilité d’y avoir accès. Pendant plus de trente ans, ils ont refusé de les mettre à disposition d’un cercle plus large de chercheurs […]. Aujourd’hui, près de quarante ans après (la découverte de la grotte 4), seulement 20% environ de ces manuscrits ont été publiés. Le reste est demeuré secret et inaccessible aux autres chercheurs, jusqu’à la publication de cet ouvrage […]. Le plus inacceptable est que la concordance prouve que la transcription des textes était disponible depuis les années 1960. Ils auraient pu facilement les publier à ce moment-là, permettant ainsi à la communauté scientifique de les étudier. C’est un crève-cœur de réaliser combien plus avancées les études qumraniennes auraient pu être aujourd’hui si cela avait été fait. Une génération entière de savants a été privée de la possibilité d’étudier ces textes »75. Les deux auteurs de la publication sont un professeur du Hebrew Union College, Ben Zion Wacholder, et un doctorant de l’Université hébraïque de Jérusalem, Martin Abegg, qui préparait alors un doctorat sur la Guerre. Abegg deviendra co-directeur de l’Institut des manuscrits de la mer Morte à Trinity Western University de Langley (Colombie britannique, Canada). Le caractère presque pirate de l’édition de la concordance de Fitzmyer et alii, restée à l’état de fiches à la diffusion réduite, va contribuer à entretenir l’animosité entre spécialistes de Qumrân, dans un champ d’études qui continue à susciter les passions et les anathèmes. De surcroît, il s’agissait seulement d’un outil de travail provisioire à l’usage des éditeurs officiels et non d’une véritable édition scientifique définitive. Mais le sujet est porteur et des dizaines de chercheurs vont faire leur carrière scientifique dans l’étude des manuscrits de la mer Morte, multipliant les éditions, rééditions, traductions et études. L’ouvrage de Lawrence H. Schiffman, Les manuscrits de la mer Morte et le judaïsme, publié en 2003, reprendra dans une tonalité plus académique les mêmes critiques de fond. Le malaise de cet universitaire juif, professeur d’hébreu et d’études juives à l’Université de New York, est révélateur d’une question de fond qu’il faut évoquer : était-il judicieux d’entreprendre une belle aventure éditoriale sans associer aucun universitaire juif ? 75 Cf. WACHOLDER - ABEGG 1991, VII-VIII. L’édition complète publiée entre 1991 et 1995 fait 118, 309 et 406 p.

LA BIBLE DE JÉRUSALEM ET LES DISCOVERIES IN THE JUDAEAN DESERT

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La complexité de la situation politique explique pour une part la politique éditoriale des premières années : on ne pouvait pas passer d’un côté à l’autre de la ligne de démarcation à Jérusalem. D’un autre côté, on peut comprendre l’impatience des savants israéliens à avoir accès à une littérature profondément liée à leur histoire religieuse et découverte presque la même année que celle de la création de l’État d’Israël. La judaïté du dossier est finalement la pierre d’achoppement, comme l’écrit Lawrence H. Schiffman : « Puisque certaines accusations ont circulé dans les médias, il est important de situer le problème dans une juste perspective. Je ne prétends pas que les membres de l’Équipe internationale aient délibérément camouflé des manuscrits parce qu’ils auraient eu peur d’un quelconque effet dévastateur pour le christianisme. Je ne prétends pas non plus que ces chercheurs aient tenté de mettre ces textes à distance du christianisme, chronologiquement ou théologiquement. Au contraire, je soutiens qu’ils se sont beaucoup trop efforcés de les décrire en termes chrétiens, sans jamais véritablement tenir compte de la judaïté de l’ensemble »76. Pierre Benoit, successeur de Roland de Vaux, devra encore porter ce pesant fardeau qui a, par certains côtés, plombé la carrière universitaire de Roland de Vaux, empêché de se consacrer complètement à ce qui était vraiment son domaine : l’étude et l’écriture de l’histoire ancienne d’Israël.

76

Cf. SCHIFFMAN 2003, 19.

CHAPITRE SIXIÈME

LES FARDEAUX S’ACCUMULENT (1945-1965) « La Providence envoie à l’École un nombre croissant d’élèves, elle lui donne dans les milieux catholiques un attrait et dans le monde scientifique un éclat qu’elle n’avait jamais eu jusqu’ici à ce point ». Roland de Vaux au Maître de l’Ordre, septembre 1952.

L’intense activité déployée par Roland de Vaux lors de la découverte des manuscrits de la mer Morte puis de l’édition de la Bible de Jérusalem ne doit pas faire oublier qu’il assume à partir de la fin de l’année 1945 la charge de directeur de l’École biblique, tout en poursuivant des fouilles archéologiques et un enseignement commencé avant la seconde guerre mondiale. À quarante-cinq ans, au faîte de ses moyens, il aborde la période la plus intense de son existence : les responsabilités, les soucis. Mais ce sont des défis à sa mesure. 1. 1945 : LA

DIRECTION DE L’ÉCOLE BIBLIQUE

Le 20 novembre 1945, Roland de Vaux est appelé par le Maître de l’Ordre à succéder comme directeur de l’École biblique au P. Raphaël Savignac qui assume la charge depuis 1935. Savignac est âgé de soixante-etonze ans ; il a assumé la direction de l’École après le départ du P. Lagrange et aussi la charge de vicaire du prieur sur la communauté depuis l’expulsion en 1941 du prieur jugé trop proche de Vichy. Ayant porté le poids des années instables de la Seconde guerre mondiale, il est temps pour lui de passer le relais à quelqu’un de plus jeune. Dès sa prise de fonction, de Vaux fait un bilan détaillé de la situation de l’École biblique, dont il montre à la fois les atouts et les fragilités1. Le corps enseignant est encore largement composé de religieux qui sont là depuis la fondation : Louis-Hugues Vincent, Raphaël Savignac, 1

R. de VAUX, La situation et l’activité de l’École biblique de Saint-Étienne, 27 novembre 1945, 6 p., AGOP.

LES FARDEAUX S’ACCUMULENT (1945-1965)

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Félix-Marie Abel, Ceslas Lavergne et Sébastien Marmadji. Arrivés à Jérusalem au temps du P. Lagrange, ils continuent à enseigner, malgré un âge parfois assez avancé. De jeunes enseignants, âgés d’une quarantaine d’années et déjà bien formés, ont commencé à prendre le relais : Bernard Couroyer, Pierre Benoit, Chrysostome Larcher et Raymond Tournay. Néanmoins, l’École biblique doit couvrir un grand nombre de disciplines et de Vaux, dans son rapport, indique qu’il est souhaitable que ce corps enseignant soit renforcé au moins pour l’archéologie et le Nouveau Testament. En avril 1949, de Vaux demande au Maître de l’Ordre de bien vouloir assigner à Jérusalem les ffr. Dominique Barthélemy et Luc Grollenberg. Dominique Barthélemy, religieux de la Province de France, vient d’arriver à Jérusalem en 1949 à l’âge de vingt-huit ans pour préparer sa licence biblique. Dès 1951, il commencera à enseigner. Très investi dans le déchiffrement des manuscrits de Qumrân, il devra quitter rapidement en 1953. Après quelques années de repos, il reprendra son enseignement à Fribourg. Luc H. Grollenberg (1916-1997), religieux de la province dominicaine de Hollande, arrive comme étudiant en 1946. Après l’obtention de la licence biblique, il commence à enseigner l’Introduction à l’Ancien Testament en 1950 mais il sera rapidement appelé à d’autres tâches et ne restera pas à Jérusalem2. Marie-Émile Boismard arrive lui aussi en 1946 et est intégré au corps professoral en janvier 1948, mais à peine a-t-il commencé à enseigner le Nouveau Testament qu’il est appelé à enseigner à l’Université de Fribourg, et ce à quinze jours de la rentrée d’octobre 19503. Il va falloir lutter pour obtenir son retour : en septembre 1952, de Vaux propose au Maître de l’Ordre d’autres possibilités pour Fribourg – les ffr. Viard ou Spicq, par exemple, – mais le supplie littéralement de rendre Boismard à Jérusalem, demande d’autant plus justifiée que « la Providence envoie à l’École un nombre croissant d’élèves, elle lui donne dans les milieux catholiques un attrait et dans le monde scientifique un éclat qu’elle n’avait jamais eu jusqu’ici à ce point. Mais elle ne pourra pas longtemps répondre dignement aux obligations qui en découlent, car ses professeurs 2

Grollenberg publie en 1955 un Atlas de la Bible, préfacé par Roland de Vaux. Marie-Émile Boismard (1916-2004) est fils de la Province dominicaine de Lyon. Après un lectorat en théologie obtenu au Saulchoir avec une thèse sur la doxa dans les épîtres de Paul, il vient à Jérusalem, passe la licence de la Commission biblique pontificale et se spécialise dans la littérature johannique. Il assure la traduction de l’Apocalypse pour la Bible de Jérusalem, prend une part très active dans la réalisation avec Pierre Benoit de la Synopse des Quatre Évangiles, dont il rédige le Commentaire avec Arnaud Lamouille, op. Il travaille ensuite sur les Actes des Apôtres et propose une approche très novatrice de la critique textuelle du texte, dont le résultat paraît sous forme d’ouvrage en 1985 : Le texte occidental des Actes des Apôtres, Paris, Gabalda, Études bibliques 40, 2000, 432 p. Il rédige en 2002 une autobiographie pro manuscripto intitulée Histoire de ma vie. 3

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CHAPITRE SIXIÈME

encore actifs sont trop peu nombreux et se surmènent »4. Raphaël Savignac est mort quelques mois plus tôt en décembre 1951 dans un accident de voiture ; le P. Vincent a quatre-vingts ans et la santé du P. Abel décline5. Boismard reviendra en 1953 pour enseigner l’exégèse du Nouveau Testament et aussi assister le bibliothécaire. Des plus jeunes arrivent aussi, les uns après les autres, comme JourdainMarie Rousée6 à qui on confie la charge de bibliothécaire, un poste clef à l’École et Hyacinthe Coüasnon qui sera précieux sur les chantiers de fouille, mais avoir un corps enseignant qualifié et étoffé est toujours un défi. Boismard sera un des chercheurs marquants de l’École, tout comme Pierre Benoit et Raymond Tournay. Benoit va prendre une part très active à l’édition de la Bible de Jérusalem et porter l’ambitieux projet de Synopse des Quatre Évangiles qui sort quelques années plus tard. Appelé au Concile Vatican II comme expert en raison de ses compétences en exégèse biblique, on peut dire qu’il est d’une stature équivalente à celle de Roland de Vaux, auquel il succédera d’ailleurs comme directeur de l’École de 1965 à 1972, plus versé néanmoins en exégèse qu’en archéologie. Le successeur de Benoit à la direction de l’École sera Raymond Tournay : né en 1912, il arrive à Jérusalem en 1938, cinq ans après de Vaux. Retenu en France pendant la Seconde guerre mondiale, il se forme en assyriologie à l’École pratique des hautes-études et au Collège de France. Après son retour à Jérusalem en octobre 1945, il commence à enseigner l’assyro-babylonien 4

Lettre de R. de Vaux au Maître de l’Ordre, 23 septembre 1952, AGOP. Le père Abel meurt le 24 mars 1953. À sa mort, le Consul général de France fait célébrer une messe à Notre-Dame de France et rédige un éloge appuyé du défunt qui a vécu soixante-dix ans en Palestine. Cf. Lettre de M. Christian Marcotte de Sainte-Marie, Consul général à Maurice Couve de Murville, ministre des affaires étrangères, 3 janvier 1961. Vincent était commandeur de la Légion d’honneur, membre de l’AIBL et de diverses académies, docteur honoris causa de l’Université de Louvain. 6 Jourdain-Marie Rousée (1923-2010), entré dans l’Ordre dominicain en 1942, arrive à l’École biblique comme étudiant en 1951. Nommé bibliothécaire un an plus tard, il organise un nouveau classement de la bibliothèque avec cotation décimale, dépouillement de tous les articles de revues et recueils, et indexation par thème. À partir de 1954-1955, il se joint à l’équipe de fouille de Tell el-Far‘ah puis de Qumrân et va désormais assister Roland de Vaux sur ces deux sites s’occupant de faire les relevés topographiques. Il est aussi avec lui sur les fouilles de l’Ophel et de la « Piscine probatique » à Sainte-Anne en Vieille ville, fouille sur laquelle il publie quelques chroniques archéologiques dans la Revue biblique en 1957 et 1962 ainsi qu’un article dans Proche-Orient chrétien (1981, p. 23-42) en collaboration avec MarieJoseph Pierre. Témoin au quotidien des fouilles de Roland de Vaux, il en rend compte dans le volume collectif Qumrân et les manuscrits de la mer Morte, dirigé par E.-M. Laperoussaz (Cerf, 1997, p. 39-47). Homme pratique et dévoué, il prépare à la fin des années 1970 le déménagement de la bibliothèque au sous-sol du couvent. On lui doit aussi un catalogue imprimé de la bibliothèque et des tables générales de la Revue biblique pour les années 1892-1968. 5

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et va se spécialiser dans l’étude des civilisations de la Mésopotamie. Collaborateur de la Bible de Jérusalem, il publiera L’épopée de Gilgamesh et s’intéressera aussi beaucoup au Cantique des Cantiques7. Les autres chercheurs marquants que de Vaux va recruter durant ses années de direction sont : François Lemoine qui s’installe à Jérusalem en 1951 où il va enseigner l’hébreu, l’araméen et le syriaque, tout en étant responsable des voyages ; François Langlamet qui arrive en 1962 et se spécialise en Ancien Testament, après un mémoire sous la direction de Roland de Vaux8. D’autres, bien que prometteurs, ne resteront pas pour des raisons diverses : Michel Du Buit, un religieux qui s’intéressait à la géographie biblique et Jean Prignaud, évoqué plus haut9. Après s’être spécialisé en épigraphie sémitique, Prignaud se forme en archéologie à Oxford auprès de Kathleen Kenyon et commence à collaborer aux fouilles de Roland de Vaux. La mort de ce dernier cassera son élan et il s’établira ensuite aux éditions du Cerf à Paris où il travaillera beaucoup à l’édition biblique. Bon an mal an, de Vaux est parvenu à maintenir à l’École biblique une équipe étoffée et diversifiée, mais au prix de beaucoup d’efforts. Lorsque de Vaux prend la direction de l’École, les étudiants sont encore peu nombreux, en ce lendemain de la Seconde guerre mondiale : huit étudiants dominicains, dont Marie-Émile Boismard et Ambroise Stève, futurs collaborateurs de l’École, et deux boursiers de l’Académie des inscriptions et belles-lettres. L’un d’eux est l’abbé Henri Cazelles qui sera un des principaux contributeurs à la traduction de la Bible de Jérusalem. Le nombre d’étudiants remonta heureusement assez vite : ils furent vingt-six étudiants réguliers en 1946-47, le chiffre le plus haut qui ait été atteint depuis la fondation de l’École. L’enseignement proposé, il faut le dire, est attractif : un large éventail de cours de langues anciennes (hébreu, syriaque, assyrien, grec biblique, arabe et égyptien) ; l’archéologie, la géographie et l’épigraphie ; des cours spécialisés sur les divers livres bibliques. Au lendemain de la guerre, en revanche, il n’est pas encore possible de fixer un programme de voyages et d’excursions archéologiques. En revanche, des fouilles prometteuses à Tell el-Far‘ah et près de Naplouse sont imminentes ; la Revue biblique s’apprête à retrouver une périodicité normale 7

Cf. TOURNAY - SHAFFER 1994 et TOURNAY 1967. De santé fragile, François Langlamet laisse néanmoins une œuvre écrite considérable et a joué un rôle très important dans la Traduction œcuménique de la Bible, lancée par François Refoulé, et sur laquelle il travailla trois ans, y apportant, en particulier, une grande compétence sur les Livres de Samuel 9 Michel Du Buit, qui est rentré en France en 1960, publie une Géographie de la Terre sainte et trois volumes sous le titre En tous les temps, Jésus-Christ : DU BUIT 1974, 1975, 1977. 8

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ainsi que la collection des Études bibliques, interrompue pendant la guerre10. De Vaux annonce aussi son intention d’inaugurer une collection d’études archéologiques, qui groupera les travaux des membres de l’École et de d’autres savants. Le premier volume annoncé est le rapport de la fouille d’Abou Ghosh faite en 1944. Dès les mois d’avril-mai 1946, l’École reprend ses Conférences de printemps qui lui assurent une renommée au-delà du cercle restreint des étudiants biblistes ou archéologues. Les excursions archéologiques, guidées par le P. Benoit, vont redémarrer au cours de l’hiver 1946-47. En avril 1947, vingt-six étudiants pourront visiter les grands sites de Transjordanie (Aqaba, Petra, Kerak, Madaba, le mont Nébo, Amman) ; en mai, a lieu le voyage en Galilée, certains étudiants ont même pu aller en Syrie, au Liban et en Égypte. « L’École a retrouvé ainsi ses meilleures traditions d’avant-guerre, bien que le nombre accru de ses étudiants et les difficultés actuelles de transport, de logement et de ravitaillement compliquent singulièrement la tâche de ceux qui sont responsables de ces grandes randonnées », écrit de Vaux dans le rapport d’activité qu’il envoie à l’AIBL pour l’année 194647. Surtout, 1946 est le début de la grande fouille de Tell el-Far‘ah évoquée plus haut. Au-delà de l’objectif scientifique, il y a dans l’esprit du nouveau directeur la volonté d’offrir aux étudiants de l’École un terrain d’application de ce qui leur est enseigné. 2. FINANCEMENTS,

GUERRE DE

1948,

LES SOUCIS S’ACCUMULENT

PRIORAT

:

Un des objectifs de Roland de Vaux quand il prend la direction de l’École en 1945 c’est aussi de relancer les fouilles. L’École est biblique et archéologique, car elle a reçu de la France en 1920 une certaine mission en ce domaine. Aussi, le 31 mars 1945, le futur directeur envoie au Consul général de France à Jérusalem un projet de fouille qui lui a été demandé « pour répondre au désir du Ministère des affaires étrangères, qui souhaite que l’École archéologique française entreprenne la fouille d’un site palestinien »11. La Commission des fouilles donne son accord le 25 juillet, octroie une somme de 200.000 Frs, équivalente à 1.100 Livres sterling et désigne Claude F.A Schaeffer, membre de la Commission et directeur de 10 Vont ainsi paraître Le Commentaire des Épîtres pastorales par le P. Spicq, le tome 2 de la Révélation d’Hermès trismégiste d’André-Jean Festugière, le Commentaire du Livre des Maccabées par le P. Abel. Des volumes épuisés sont réédités. 11 Lettre de Roland de Vaux au Consul du Chaylard, 31 mars 1945. Archives du Couvent Saint-Étienne.

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la mission de Ras Shamra, pour être son délégué auprès de l’École pour la conduite scientifique de cette mission. En fait, il va falloir des mois et de multiples démarches pour que le financement promis soit versé, ce qui retarde d’autant la possibilité de solliciter un permis de fouilles auprès du Service Palestinien des Antiquités. La somme n’ayant été débloquée qu’en mars 1946, la première campagne a lieu du 1er juin au 28 juillet, puis du 15 septembre au 14 octobre 1946. Au terme de cette première campagne, de Vaux tente d’obtenir l’autorisation d’acheter certaines parties du terrain de Tell el- Far‘ah (trente donums). Le Gouvernement de Palestine, qui est encore sous mandat britannique, commence par refuser de s’impliquer en raison de règlements en cours sur l’achat de terres, la législation en vigueur prévoyant qu’il ne peut y avoir de transactions foncières qu’entre Arabes de nationalité palestinienne. Après avoir un temps laissé entendre qu’une dérogation pourrait être accordée, l’autorité mandataire refuse que la transaction se fasse, ce qui oblige Roland de Vaux à remblayer le site après chaque campagne, comme il l’explique dans un rapport de fouilles détaillé qu’il envoie à Paris au terme de la deuxième campagne qui a eu lieu du 20 août au 19 octobre 1947. Les résultats sont très satisfaisants et ont été obtenus « avec un budget réduit, qu’une stricte économie et le dévouement des membres de la Mission ont permis d’utiliser au maximum en consacrant au salaire des ouvriers et du personnel subalterne les cinq sixièmes des dépenses »12. Aussi, renouvelle-t-il sa demande de dérogation pour l’acquisition du terrain. Les archives contiennent de nombreux documents relatifs aux difficultés de financement qui, même lorsqu’ils sont accordés, tardent à arriver à Jérusalem. Au lendemain de la guerre, l’École doit de surcroît faire face à un gros retard d’acquisition de livres à la bibliothèque. L’autre grand souci de cette période est l’insécurité dans laquelle se trouve plongée l’École lors de la guerre israélo-arabe de 1948. Au lendemain du vote du Plan de partition de la Palestine le 29 novembre 1947, les communautés juive et arabe vont s’affronter. L’opposition arabe à la colonisation juive de la Palestine avait déjà donné lieu une grande révolte arabe en 1936-39, révolte que l’autorité britannique avait tenté d’apaiser en faisant adopter un Livre blanc visant à limiter la vente de terres aux Juifs. Mais la Partition va relancer la violence des deux côtés, une violence que les Britanniques qui sont sur le départ ne veulent pas gérer. Les attentats vont se multiplier et en décembre 1947 la résistance palestinienne conduite 12 Rapport de la deuxième campagne de fouilles à Tell el-Far‘ah (Palestine) adressé par R. de Vaux au Directeur général des relations culturelles au Ministère des Affaires Étrangères, 20 décembre 1947, 6 p. Archives diplomatiques.

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par Abd el-Kader al-Husseini entreprend d’essayer d’étouffer la population juive de Jérusalem en coupant tout approvisionnement. David Ben Gourion déclenche une violence contre-offensive en avril 1948, qui est aussi le mois du massacre du village palestinien de Deir Yassin par l’Irgoun. Jérusalem devient peu à peu un champ de bataille et ceci va avoir des conséquences immédiates pour l’École biblique, comme le montre la correspondance de Roland de Vaux : « Depuis plus de huit jours, la bataille fait rage à Jérusalem. Mais Dieu nous a visiblement protégés : on s’est battu autour du couvent, nous avons reçu des obus dans notre jardin et des balles dans nos fenêtres, mais il n’y a eu aucun dégât ni aucun accident de personnes. Cependant, je profite d’une occasion qui se présente pour évacuer les étudiants non dominicains qui nous restaient et c’est par eux que vous parviendra cette lettre », écrit-il le 23 mai 1948 à l’assistant du Maître de l’Ordre à Rome13.

Un mois plus tard, un courrier indique que la communauté a « passé un mois très dur, puisque nous étions sur la ligne de feu ». Six bombes de mortier ont éclaté dans le jardin. Les troupes jordaniennes qui sont venus en renfort des belligérants palestiniens ont installé une batterie de mortier sur le terrain du couvent, au-dessus d’un amas de terre resté là depuis le déblaiement des ruines de l’ancienne basilique. La chronique du couvent indique à la mi-juillet 1948 : « Dans la nuit du 12 au 13, de 8h à 10 s’est livré le plus violent combat pour la possession de la route de Naplouse, de Saint-Étienne et environs et autour du canon arabe de la montagne. Les mortiers et les bombes ont fait rage. L’attaque a été repoussée non sans peine ».

Pour faire entrer un canon, les militaires font sauter à l’explosif le mur de la propriété, entraînant divers dommages (portes et fenêtres arrachées, vitres cassées, etc.). Ils tentent aussi d’installer un poste d’observation avec téléphone sur la tour du couvent Saint-Étienne, relié à une chambre de commandement au rez-de-chaussée, où des officiers demeureraient en permanence. Profitant de leur présence nuit et jour dans la propriété, des soldats ou des complices désossent la voiture du couvent dont ils ne laissent que la carrosserie. De Vaux entreprend des démarches auprès de l’autorité militaire, tente d’obtenir l’appui du consulat de France. En juin 1949, il écrit au provincial dominicain de Belgique qui veut lui envoyer un étudiant : « La situation politique est encore trop incertaine pour que je puisse vous assurer que nos cours reprendront en novembre. Ils reprendront dès que le statut de Jérusalem sera décidé et effectivement établi, mais, au train où vont 13

Lettre de R. de Vaux au père Giraud, AGOP.

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les choses, cela peut demander encore bien du temps. Nous en sommes encore à un armistice dont, après trois mois de discussion, les modalités ne sont pas encore toutes fixées ; nous sommes encore loin de la paix »14.

Après la fin des hostilités, Roland de Vaux va devoir multiplier les démarches pour obtenir des dommages de guerre et financer les réparations15. Il sera d’autant plus impliqué qu’il est élu prieur de la communauté le 6 juillet 1949. On peut trouver déraisonnable de demander au directeur de l’École d’assurer la charge priorale alors qu’il démarre le gros chantier archéologique de Tell el- Far‘ah et qu’il porte avec Thomas Chifflot l’ambitieux projet d’une nouvelle traduction de la Bible. Les archives du couvent gardent la trace d’au moins un refus lors des consultations préalables pour trouver un prieur16. Le procès-verbal de l’élection indique qu’il a été élu au premier tour de scrutin à l’unanimité des votants moins une voix (qui devrait être la sienne) et un bulletin blanc. La composition de la communauté à ce moment-là permet d’expliquer ce choix : sur huit votants, cinq appartiennent à la vieille génération (Vincent, Savignac, Abel, Couroyer, Marmadji) et parmi les trois autres, l’un – Stève – est là de fraîche date. Les autres membres de la communauté, comme Boismard, Tournay, Lemoine, sont encore étudiants et n’ont pas droit de vote. Le choix était donc probablement entre de Vaux et Benoît. De Vaux écrit au Maître de l’Ordre le 12 juillet pour indiquer qu’il est déjà trop occupé, mais qu’il acceptera la charge s’il n’y a pas d’autre solution. Il doit, d’ailleurs, recevoir une dispense (être « postulé », selon le langage canonique), car il est par ailleurs Directeur de l’École (Régent des études, dans le droit dominicain) et ces charges ne doivent pas être cumulées. De surcroît, la Palestine sort à peine d’années tumultueuses qui n’ont pas épargné le couvent SaintÉtienne, où des travaux sont à réaliser suite aux dommages de guerre. Il faut aussi préparer le retour des étudiants. La supplique ne fut pas entendue et la confirmation de l’élection arriva de Rome le 6 août. Le mandat étant de trois ans, de Vaux sera libéré au début de l’été 1952. Mais ce fut lourd à porter, si l’on en croit un courrier de Ceslas Spicq, inquiet, en octobre 1949, du niveau de fatigue de son confrère qui lui a rendu visite à Fribourg17. 14

Lettre de R. de Vaux au P. Gobert, 14 juin 1949, AGOP Dans un courrier de 1952 au Maître de l’Ordre, à la fin de sa charge priorale, de Vaux indique que les dépenses occasionnées par les réparations de la guerre de 1948 se sont élevées à 1 700 livres. 16 Cf. lettre de Roland de Vaux au P. Cathelineau de la Province de Lyon, 24 mai 1949 et sa réponse, négative du 29 mai. Archives du Couvent Saint-Étienne. 17 « J’espère que vous allez trouver un régime de vie humainement supportable. Vous aviez l’air tellement fatigué lorsque je vous ai vu que je demeure inquiet. L’idéal serait que 15

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CHAPITRE SIXIÈME

Les étudiants ne retrouveront le chemin de Jérusalem qu’en janvier 1950 et on peut dire que, soixante ans après sa fondation, l’École biblique a vraiment trouvé sa place au sein de la recherche biblique mais aussi française. On le sent à travers les lignes que le Consul de France René Neuville écrit au Père Savignac lorsqu’il apprend l’élection priorale de Roland de Vaux : « Vous savez quel souci j’ai de voir l’École biblique reprendre rapidement son enseignement et ses recherches. La chose est essentielle à la fois pour la science chrétienne et pour la science française. J’ose espérer que le R. P. de Vaux, cumulant les fonctions de prieur et de directeur de l’École, aura à cœur de donner à celle-ci un nouvel essor ».18

La même année, La Documentation française, organe d’étude du Secrétariat général du Gouvernement, fait une belle place à l’École biblique et archéologique française de Jérusalem dans le tour d’horizon de son numéro du 22 février 1950 intitulé Quatre instituts de recherche français à l’étranger (Athènes, Rome, Jérusalem, Extrême-Orient). Il est indéniable que Roland de Vaux avait aussi le prestige et la stature nécessaires pour faire reconnaître l’École de Jérusalem au sein de l’administration publique et des institutions de recherche de la France. Au printemps 1950, un voyage d’études de l’École a lieu en Israël, avec une douzaine d’étudiants sous la conduite du Père Benoit. Le consulat de France a appuyé les demandes d’autorisations nécessaires. Le même consulat demande à l’École d’entreprendre une petite fouille à Béthanie pour étudier une grotte découverte dans la propriété des Filles de la Charité. Un compte rendu assez détaillé de la fouille est présenté dans la Revue biblique d’avril 195119. Au printemps 1951, l’École organise un voyage d’études de dix-huit jours en Syrie et au Liban, où les professeurs sont régulièrement invités à visiter de nouvelles fouilles archéologiques dont Roland de Vaux rend compte dans le Bulletin de la Revue biblique. En somme, deux ans après la secousse de la guerre de 1948, l’École biblique a retrouvé son élan. Elle attire désormais un public plus international comprenant non seulement des Français, mais aussi des Américains, des Hollandais, un Anglais, un Arménien, un Éthiopien, un Italien. « La crise qui avait si profondément secoué les institutions de Palestine paraît donc heureusement surmontée. L’École archéologique française a repris toutes vous ayez un sous-prieur et un procureur tels qu’ils ne vous laissent que la présidence, les bénédictions et les idées… Mais l’idéal n’est pas de ce monde », lettre de Ceslas Spicq à Roland de Vaux, 23 octobre 1949. Archives du couvent Saint-Étienne. 18 Lettre du 22 août 1949, Archives diplomatiques. 19 Cf. BENOIT - BOISMARD 1951.

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ses activités et, si les circonstances politiques ne sont pas trop défavorables, si le statut donné à Jérusalem est viable, elle a devant elle un avenir de travail fécond », écrit-il aux autorités françaises20.

Cet apaisement permet à de Vaux de reprendre en juillet 1950 ses chantiers de fouilles. 3. DE L’ARCHÉOLOGIE À L’HISTOIRE BIBLIQUE En 1955, rendant compte à l’AIBL des campagnes de 1954-1955, de Vaux estimera que le site de Qumrân a été intégralement exploré et que le temps d’exposer les résultats est venu. Félicité par l’académicien René Dussaud qui dit son admiration devant la manière dont Roland de Vaux a conduit ces fouilles, celui-ci répond « qu’il n’est plus qu’un “terrassier” laissant à ses collaborateurs le soin d’utiliser les documents »21. Ce ne sera pas vraiment le cas, puisqu’il fouillera encore à Qumrân jusqu’en 1958 et à Tell el-Far‘ah jusqu’en 1960. Néanmoins, la « basse continue » de son œuvre, le fil conducteur de sa recherche, c’est bien l’Histoire d’Israël, dont la compréhension donne des clefs pour comprendre l’Ancien Testament. Le dossier l’intéresse à telle enseigne que, malgré les diverses tâches qui lui incombent – direction de l’École, fouilles, colloques, etc. – il garde toujours son enseignement et reprend rarement le même cours d’une année sur l’autre. Les archives de l’École ont conservé les manuscrits et les tapuscrits de ses cours. De 1935 à 1940, il avait assuré trois cours hebdomadaires : Histoire ancienne de l’Orient (époque assyrienne jusqu’à Cyrus) puis Histoire biblique (Période des Juges et de la monarchie unitaire) ; Archéologie (Institutions de l’Ancien Testament. Lieux de culte) et langue assyro-babylonienne. Après la guerre qui a vu une interruption des cours, il reprend le cours d’Histoire biblique à raison d’un cours par semaine qui lui permet de parcourir les différentes périodes qui seront la base de son Histoire ancienne d’Israël ; un cours qui aboutira à deux volumes sur les Institutions de l’Ancien Testament, dont la première édition sort en 1958-6022, et enfin un cours en archéologie palestinienne. On est frappé par la cohérence de l’ensemble de cet enseignement et l’on réalise à quel point son domaine c’est l’Ancien Testament et non la période de Qumrân ! 20 Lettre de R. de Vaux au Directeur général des relations culturelles, Ministère des Affaires étrangères, 6 juin 1950. Archives diplomatiques. 21 Cf. VAUX (de) 1955b, 386. 22 Cf. VAUX (de) 1958c et 1960.

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CHAPITRE SIXIÈME

Sur la période 1945-1960, son cours d’Histoire biblique aborde successivement : « De Salomon à l’Exil » (1946-47), « Des origines à la Monarchie » (1947-48), « La période des Juges et de la monarchie unitaire » (1948-49), « Questions d’exégèse et d’histoire tirées des livres de Samuel » (1950-51), « La période monarchique de Salomon à l’exil » (1951-52), « De la ruine de Samarie à la conquête d’Alexandre » (195253), « Des origines à l’époque de Josué » (1953-54), « La période des Juges et la Monarchie jusqu’à la prise de Samarie » (1954-55), « Du schisme à l’Exil » (1955-56), « De l’Exil à la conquête d’Alexandre « (1956-57 et 1957-58), « Des origines à la fin de la période des Juges » (1958-59), « La Fédération des Douze Tribus. Les Livres de Josué et des Juges » (1959-60). Viennent ensuite : 1960-61 : « L’institution de la monarchie, les règnes de David et de Salomon » ; 1961-62 : « Du règne de Salomon à la ruine de Samarie » ; 1962-63 : « L’Exil et le Retour » ; 1963-64 : « L’époque des Patriarches hébreux » ; en 1964-65, il n’assure pas de cours car il est en année sabbatique à Harvard. Jean Prignaud prend le relais provisoirement pour l’enseignement d’archéologie. Parallèlement et jusqu’à sa mort, de Vaux donne un cours d’archéologie, tantôt appelé « Archéologie biblique » ou « Archéologie palestinienne ». En général, il donne ce cours en faisant visiter le Musée Rockefeller mais il traite aussi hors visites de divers sujets : en 1960-61 : « L’époque israélite » ; 1961-62 : « Les fouilles récentes en Palestine, puis la vie quotidienne en Israël à l’époque monarchique » ; 1963-64 : « La Palestine du IIe millénaire av. J.-C. ». 4. UN

MAÎTRE-LIVRE

: LES INSTITUTIONS DE L’ANCIEN TESTAMENT

Cet ouvrage naît dans la foulée de la publication de la Bible de Jérusalem, Chifflot et de Vaux percevant très vite que le lecteur, qui n’est pas familier de ce monument parfois déroutant qu’est la Bible, a besoin de mieux connaître le contexte géographique, historique, culturel. C’est l’objet de la série des « études annexes » dont les éditions du Cerf lancent la publication après la sortie de la Bible de Jérusalem. Roland de Vaux est le premier à se lancer avec ses Institutions de l’Ancien Testament, dont le premier tome sort en 195823. En 1958, paraît une Géographie de la Terre sainte sous la plume de Michel Du Buit, op. Au cours de ces années d’enseignement, de Vaux a acquis une compétence qu’il tente de synthétiser dans deux ouvrages qui feront date. Le propos des Institutions 23

Cf. VAUX (de) 1958c.

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de l’Ancien Testament est clairement expliqué dans l’avant-propos du volume 1 : « Les institutions d’un peuple sont les formes de la vie sociale que ce peuple accepte par coutume, se donne par libre choix ou reçoit d’une autorité […]. Elles sont intimement liées non seulement à son habitat, mais aussi à son histoire […]. Pour décrire et comprendre les institutions d’un peuple ancien, l’historien doit tenir compte de tous les vestiges du passé […]. La source principale est évidemment la Bible elle-même. En dehors des sections législatives et rituelles, les livres historiques, prophétiques et sapientiaux contiennent beaucoup d’informations […]. L’archéologie au sens propre, c’est-à-dire l’étude des restes matériels du passé, n’intervient qu’accessoirement, pour restituer le cadre réel dans lequel les institutions fonctionnaient […]. Pour être bien comprises, les institutions d’Israël doivent être comparées à celles des peuples voisins, surtout la Mésopotamie, l’Égypte et l’Asie Mineure, où la documentation est surabondante, mais aussi, malgré la maigreur de notre information, les petits États de Syrie et de Palestine parmi lesquels Israël s’est taillé un territoire ou qui se sont fondés en même temps que lui et avec lesquels il a eu des contacts de tous genres »24.

Son propos n’est pas donc pas de refaire l’étude de F.W. Albright dans son Archéologie de la Palestine, publiée en 1955 dans la série Études annexes de la Bible de Jérusalem25. De Vaux a, certes, la compétence archéologique pour aborder le sujet sous cet angle, mais ici il s’appuie surtout sur sa connaissance exceptionnelle du texte de l’Ancien Testament pour restituer une sorte d’histoire du substrat matériel du récit narratif, à la manière dont Fernand Braudel et l’École historiques des Annales repensaient à la même époque la manière d’écrire l’histoire des sociétés. Les institutions abordées dans le premier volume sont : le nomadisme et ses survivances (par exemple, l’organisation tribale, le droit d’asile) ; les institutions familiales que sont la famille, le mariage, le statut des femmes, des veuves, des enfants, l’héritage et les rites liés à la mort ; enfin, les institutions civiles (la conception de l’État, le roi, l’administration du royaume, le droit, l’économie, etc.). Le second volume, publié deux ans plus tard, porte sur les institutions militaires et les institutions religieuses. Cette dernière partie est évidemment très développée, car il y est question des sanctuaires, du Temple de Jérusalem et du culte, de la fonction sacerdotale, des sacrifices, du sabbat, des fêtes anciennes d’Israël. Au total, un panorama éblouissant qui embrasse sur quelque huit cents pages les grands aspects de la vie du peuple d’Israël telle qu’elle ressort d’une étude attentive de l’Ancien Testament. Une bibliographie analytique et 24 25

Ibidem, 9, 10 et 11. Cf. ALBRIGHT 1955.

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des index contribuent à faire de ces deux volumes un véritable manuel très précieux et pas seulement pour les spécialistes. Plusieurs choses frappent à la lecture de cet ouvrage : d’abord, à quel point l’auteur domine le sujet, pourtant très vaste et complexe, comme le montre l’abondante bibliographie qui clôt le second volume. Ceci a pour conséquence que les questions sont rendues accessibles, sans érudition inutile qui découragerait le lecteur non spécialiste. De Vaux rappelle, d’ailleurs, que ce livre est le fruit de son enseignement. Ensuite, l’auteur prend position sur plusieurs sujets discutés comme le statut du roi en Israël : à ses yeux, le roi n’est pas de filiation divine comme le prétendent certains auteurs qui invoquent des parallèles orientaux (Pharaon) et pourraient le faire penser certains psaumes (« Tu es mon fils, aujourd’hui je t’ai engendré », Ps 2, 7), mais il est, de fait, adopté par Yahvé, est sanctifié par l’onction et accomplit parfois des actes sacerdotaux (Saül à Gilgal, David à Jérusalem, Salomon à Gabaon). Enfin, le va-et-vient permanent entre le texte biblique et les connaissances sur les institutions des peuples voisins d’Israël comme la Mésopotamie et l’Égypte aide à situer les spécificités du peuple d’Israël. Il n’est donc pas surprenant que l’ouvrage ait reçu un accueil exceptionnel comme le montrent les recensions très nombreuses publiées dans les revues spécialisées qui saluent cette « monumentale synthèse » (Ephemerides Theologicae Lovaniensis, 1961/1). L’Oratorien Paul Auvray, membre du Comité de direction de la Bible de Jérusalem, fait une recension minutieuse et très élogieuse de l’ouvrage dans deux livraisons de la Revue biblique : « Le P. de Vaux nous donne là le résultat de vingt-cinq ans de travail et d’enseignement. C’est dire la maîtrise avec laquelle il manie les réalités littéraire et archéologiques », écrit-il à la sortie du premier volume26. À ses yeux, l’ouvrage convient autant au grand public qu’aux spécialistes. L’écho est, de surcroît, international, ce qui explique le nombre impressionnant de traductions du livre, faites peu après la parution du second volume en 1960 : néerlandaise (Romen & Zonen, 1962), anglaise (McGraw Hill, 1962), italienne (Marietti, 1964), allemande (Herder Verlag, 1962), espagnole (Herder, 1964). On soulignera la traduction hébraïque par les éditions Aïn Hassefer en 1969 qui fit l’objet d’un lancement remarqué en janvier 1970 au Hebrew Union College de Jérusalem et reçut un large écho dans la presse israélienne. L’historien israélien Shmuel Ahituv, professeur à l’Université Ben Gourion du Neguev, considère que le livre est aussi utile « pour le 26

Cf. AUVRAY, RB 66 (1959) 118. La seconde recension se trouve dans la Revue biblique de 1961 : RB 68 (1961), 262-255.

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lecteur averti et l’étudiant que pour le chercheur qui l’utilisera comme un manuel synthétique ». Le journaliste de Haaretz, Yossef Friedlander, quant à lui, fait l’éloge de la clarté avec laquelle « un des grands archéologues et chercheurs de la Bible de nos jours » présente ses idées de manière « fluide et libérée d’une érudition vaniteuse »27. Le traducteur, Aharon Amir, élève de Sukenik, avait déjà traduit les Mémoires du général de Gaulle et l’Archéologie de la Palestine d’Albright. Des rééditions ont eu lieu en français et diverses langues. Ce livre, fruit de décennies d’enseignement, reste une référence. En 2015, dans un ouvrage monumental proposant une synthèse de la recherche sur l’Ancien Testament, Hebrew Bible. Old Testament, The History of Its Interpretation, Anselm C. Hagedorn qualifie l’ouvrage de « the most extensive treatement of the social life and institutions of biblical Israel » et en loue les qualités, regrettant seulement que l’auteur, centré sur les institutions, n’ait pas vraiment pris en compte le contexte économique et la dynamique d’évolution de ces institutions28. Il reste que la synthèse porte comme titre : From J. Wellhausen and M. Weber to R. de Vaux : de Vaux est donc loin d’être considéré comme un auteur mineur. Sur sa lancée, de Vaux publie en 1964 un autre ouvrage qui inaugure la collection Cahiers de la Revue biblique : Les sacrifices de l’Ancien Testament. Il s’agit de la présentation sous forme un peu élargie et avec des notes du texte français de quatre conférences données à l’University College de Cardiff en 1961 pour les Elisabeth James lectures. Le sujet était déjà abordé dans le volume 2 des Institutions de l’Ancien Testament mais permet d’approfondir quatre thèmes : le sacrifice pascal, les holocaustes et sacrifices de communion, les sacrifices humains en Israël et les sacrifices expiatoires. L’ouvrage souligne que « la plupart des rites sacrificiels de l’Ancien Testament sont un héritage de la période semi-nomade, antérieure à la constitution du peuple (la Pâques, les rites du sang) ou sont un emprunt aux voisins immédiats d’Israël lors de son installation en Canaan », mais « le caractère historique et moral de la religion d’Israël a modifié ces formes étrangères du culte et leur a donné une valeur nouvelle : la Pâque est devenue le mémorial du salut du peuple ; l’holocauste et le sacrifice de communion ont leur signification de repas offerts à la divinité, qu’ils avaient chez les Cananéens perdue ; les sacrifices expiatoires ont répondu à un nouvel impératif de la conscience religieuse : le besoin d’un pardon de Dieu pour la transgression de sa loi […]. Le sacrifice unique du Christ a rendu vains les rites 27 28

Cf. Hayom, 07 novembre1969 et Haaretz, 11 juillet 1969. Cf. HAGEDORN 2015, 81.

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sacrificiels de l’Ancien Testament, mais ceux-ci avaient rempli leur rôle, comme une expression de la piété de nos ancêtres dans la foi et comme un moyen de leur sanctification »29.

Une fois encore, l’immense culture de Roland de Vaux permet d’entrer dans une compréhension fine et nuancée de la question du sacrifice qui court à travers toute la Bible, du sacrifice d’Isaac à l’épître aux Hébreux. Comme l’écrit André-Marie Dubarle dans une recension, « cette synthèse met bien en lumière l’enracinement humain des sacrifices de l’A.T. dans un patrimoine venu des ancêtres nomades ou dans un environnement religieux étranger ; le sens nouveau qu’ont reçu les rites hérités ou empruntés dans la foi originale d’Israël apparaît d’autant mieux »30. À nouveau, l’ouvrage a une large audience, très au-delà de la sphère linguistique francophone, ce qui souligne à quel point l’expertise de Roland de Vaux est alors attendue et appréciée. Comme il est normal, les analyses de de Vaux sont parfois discutées, comme c’est le cas par le professeur Karlheinz Deller dans Orientalia, revue de l’Institut biblique pontifical, mais il s’agit toujours de sujets très pointus (l’exégèse de textes cunéiformes, en l’occurrence), mais le propos d’ensemble attire une large adhésion. « Une monographie dans laquelle rivalisent des qualités maîtresses, désirées dans ce genre d’écrits : vaste information, clarté des exposés, solidité des conclusions », écrit un recenseur canadien31. Les Institutions de l’Ancien Testament vont être un ouvrage de référence pour plusieurs années. 5. LES SCHWEICH LECTURES DE 1959 :

LA CONSÉCRATION

Les Schweich Lectures on Biblical Archaeology sont des conférences données chaque année depuis 1908 à la British Academy d’Oxford par des chercheurs de renom international (« the most oustanding academics in the UK and beyond ») dans le domaine de l’archéologie, de l’histoire, des langues et de la littérature du monde biblique. André Dupont-Sommer avait été invité en 1953 ; Kathleen Kenyon le sera en 1963, pour ne citer que deux personnes proches de Roland de Vaux qui encadrent, en quelques sorte, les conférences qu’il est invité à donner en décembre 1959. Une dizaine d’années plus tard, son collaborateur à Qumrân, Charles Coüasnon, sera lui aussi invité à donner dans ce même cadre prestigieux une série 29

Cf. VAUX (de) 1964b, 5. Cf. A.M. DUBARLE, recension de l’ouvrage dans le Bulletin de théologie biblique de la RSPhTh, 1965, p. 466. 31 Cf. L. SABOURIN, Comptes rendus Écriture sainte -Théologie, Sciences ecclésiastiques, Montréal, oct.-déc. 1964, p. 519. 30

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de conférences sur le Saint-Sépulcre de Jérusalem dont il avait co-dirigé la restauration. C’est donc devant un auditoire des plus distingués que Roland de Vaux accepte de livrer sous une forme plus synthétique et plus accessible que dans des rapports préliminaires de fouilles les conclusions auxquelles il est arrivé dix ans exactement après la première entrée sur le site de Qumrân. Ses trois conférences portent sur le site de Qumrân, l’archéologie de la région et, finalement, les ruines et les textes. D’abord publiées en français, elles sont traduites et publiées en anglais32. La première conférence s’intéresse aux périodes d’occupation du site de Qumrân : « le fait essentiel est l’occupation communautaire des périodes I et II. Un groupe d’hommes est venu s’installer à Khirbet Qumrân dans la moitié du IIe siècle av. J.-C., Période Ia. Très vite les constructions s’étendirent et prirent leur forme à peu près définitive, Période Ib. En 31 av. J.-C., un tremblement de terre endommagea les bâtiments, qui restèrent ensuite abandonnés jusqu’aux années qui encadrent le début de l’ère chrétienne. Ils furent alors réoccupés par la même communauté, Période II, et subsistèrent jusqu’en 68 ap. J.-C., où ils furent détruits par l’armée romaine. La principale caractéristique des bâtiments de Qumrân est leur adaptation à la vie commune et la prépondérance des locaux d’usage collectif sur les pièces qui ont pu servir au logement. D’autre part, le nombre de tombes du cimetière est trop élevé par rapport aux possibilités d’habitat des bâtiments dans la durée de leur occupation »33.

L’explication, selon de Vaux, est à trouver dans les restes archéologiques de la région, qu’il présente dans la deuxième conférence. La région est en effet riche en sites instructifs : des grottes, bien sûr, dont certaines contenaient des manuscrits, mais aussi les cimetières secondaires et surtout le site de Feshkha, situé près d’une source, où l’on découvre les restes d’un établissement agricole et industriel qui était probablement une dépendance de l’installation de Qumrân. Une communauté aurait donc pu vivre dans cette région déshéritée ; un groupe qui ne dépasserait pas les deux-cents membres, environ, si l’on en juge par les tombes. Mais ce qui est notable, « c’était un groupe organisé, comme l’indiquent le plan élaboré des bâtiments et du système d’eau, le nombre de locaux communs et la disposition régulière du grand cimetière ». Divers indices permettent même de conclure que « cette communauté avait un caractère religieux et qu’elle observait des rites particuliers »34. 32 33 34

Cf. VAUX (de), 1973 ; édition française : VAUX (de), 1961b. Cf. VAUX (de), 1961b, 39. Ibidem, 70.

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CHAPITRE SIXIÈME

La troisième conférence tente d’étayer cette hypothèse à partir des textes et de ce que l’on sait de l’histoire de cette époque. Cela permet d’établir que l’on est en présence de manuscrits anciens, déposés dans ces grottes, et dont le lien avec la communauté qui y habite est évident. On peut en savoir davantage sur la vie de cette communauté par la présence de plusieurs exemplaires de la Règle de la Communauté, une communauté qui s’appelle elle-même le Reste d’Israël ou la Nouvelle Alliance. Ses membres se sont retirés au désert pour vivre une vie en communauté, de prière, d’étude de la Loi et d’ascèse. D’autres textes comme le Document de Damas renseignent sur la structure d’une communauté, dont le fondateur est appelé le Maître de Justice. « L’archéologie, conclut de Vaux, ne joue qu’un rôle secondaire dans les études sur les textes de Qumrân, mais elle a l’avantage de fournir des dates et d’apporter des faits matériels dont l’interprétation peut être plus objective que celle de textes souvent énigmatiques ou incomplets. Elle permet d’établir que les manuscrits de Qumrân sont certainement authentiques et qu’ils sont anciens, qu’ils ont appartenu à une communauté religieuse qui a vécu sur le bord de la mer Morte depuis la seconde moitié du IIe siècle av. J.-C. jusqu’en 68 ap. J.-C. et que, vraisemblablement, aucun des manuscrits déposés dans les grottes n’est postérieur à cette date »35.

L’édition française des Schweich lectures propose de surcroît trente-huit planches, des cartes, un plan schématique avec les numéros des loci et un tableau des types de céramiques trouvées dans la région. Dans son avant-propos à l’édition anglaise publiée en 1973, deux ans après la mort de Roland de Vaux, Kathleen Kenyon évoque les conférences de 1959. Il parla en anglais avec énormément de verve et d’aisance, dit-elle, riant le premier de ses erreurs de prononciation et elle ajoute : « ce furent les seules Schweich lectures dont je me souviens où la salle était pleine au début et encore plus à la fin »36. 6. 1961 : LES PATRIARCHES HÉBREUX ET LES

DÉCOUVERTES MODERNES

Au moment où est publié le second volume des Institutions, paraît en Allemagne un autre ouvrage de Roland de Vaux Die hebräischen Patriarchen und die modernen Entdeckungen37. Il s’agit de la traduction allemande de trois articles importants parus dans la Revue biblique en 1946, 35 36 37

Ibidem, p. 104. Cf. VAUX (de) 1973, 73. Cf. VAUX (de) 1959b.

Roland de Vaux enfant, vers 1906 © famille de Vaux

Au service militaire, 1925 (à droite) © famille de Vaux

Séminariste à Saint-Sulpice, 1928, © famille de Vaux

Au Saulchoir de Kain, 1932, © province dominicaine de France

À Jérusalem, lors des 80 ans du P. Lagrange, 1934 (2e à gauche, 2e rang), © couvent Saint-Étienne

Avec ses neveux et nièces à Soulangy, 1939, © famille de Vaux

Visite à la famille au château de Soulangy, 1953, © famille de Vaux

À Tell el-Far’ah, premier gros chantier de fouille, 1946, © couvent Saint-Étienne

À Tell el-Far’ah avec Emilio Olávarri, 1961 ©, couvent Saint-Étienne

À Tell el-Far’ah avec les PP. Spitz, Benoit, Vincent, Savignac, 1952 © Archives du département des Antiquités orientales du musée du Louvre (fonds Pierre Amiet)

Avec J. Milik et Lankaster Harding à Qumrân couvent Saint-Étienne, © couvent Saint-Étienne, 1952

Controverse autour de l’interprétation de Qumrân, © Albert de Pury

Avec Paul Lapp et Yigael Yadin, © couvent Saint-Étienne

Fouilles de Jérusalem avec la British school et Agnès Spycket, 1962 © couvent Saint-Étienne

Avec Avi Eitan et Ruth Amiran sur les fouilles de la Citadelle, Jérusalem, 1969, © Zev Radovan

Présentation de la Bible de Jérusalem aux éditions du Cerf, 1966, © couvent Saint-Étienne

Visiting professor à Harvard, 1964-1965, © couvent Saint-Étienne

Doctorat honoris causa à Providence College (USA), 1965, © couvent Saint-Étienne

Un moment de détente avec le petit chien de Mrs Crystal Bennett, © couvent Saint-Étienne

Dernière sortie à Tell Keisan, 1971, © couvent Saint-Étienne

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1948 et 1948 sous le titre « Les Patriarches hébreux et les découvertes modernes »38. De Vaux part du constat que « les fouilles exécutées en Mésopotamie, en Syrie et en Palestine depuis une vingtaine d’années et la publication de documents importants ont entièrement renouvelé nos connaissances sur l’histoire du Proche-Orient au cours du IIe millénaire avant Jésus-Christ », et cela conduit à revoir les traditions bibliques sur les origines israélites et l’époque patriarcale. Sans prétendre pouvoir parvenir à des résultats définitifs, il estime qu’il y a assez d’informations nouvelles pour faire une mise au point des connaissances. C’est l’objet de cette série d’articles, qui font au total près de quatre-vingt-dix pages. Il reprend ainsi la question complexe de l’historicité des Patriarches, que Lagrange avait dû laisser de côté à la demande des autorités romaines mais qui n’en reste pas moins posée39. Ne pouvant publier son Commentaire de la Genèse, Lagrange avait tenté de faire le point dans un article qui, lui non plus, ne put être publié et qui ne resurgira qu’en 1990 à l’occasion d’un colloque organisé par le Collège dominicain d’Ottawa à l’occasion du Centenaire de l’École biblique de Jérusalem. On apprit à cette occasion que Lagrange tenta à trois reprises de publier cet article, en 1907, en 1917-18 et en 1936, à la veille de sa mort. Empêché, il avait remis l’article à un étudiant dominicain canadien, élève de l’École, Bertrand Deschênes, en lui demandant de ne pas le publier. Une édition critique de ce manuscrit fut alors faite et servit de base à un colloque sur la question de l’historicité des Patriarches, où l’apport de Roland de Vaux fut analysé et souligné. Il avait déjà abordé le sujet lors du XXe Congrès des Orientalistes à Bruxelles en 1938. Il reprend la question dans un article de 1941 en s’intéressant à des textes nouvellement publiés concernant les Hurrites. On apprend à cette occasion que de Vaux entreprit d’apprendre cette langue peu connue, ce qui lui servira dans ses travaux ultérieurs, les textes de Nuzi éclairant les coutumes juridiques des Patriarches. Un autre article de la même période consacré à l’histoire et à la topographie de la Transjordanie porte aussi sur l’histoire des origines d’Israël depuis les Patriarches jusqu’à la conquête40. « Déjà, commente Guy Couturier, on sent que le père de Vaux a ses doutes sur les résultats des analyses littéraires des textes bibliques, bien connus sous l’appellation de “théorie documentaire”, pour favoriser la recherche des traditions sous-jacentes à ces textes et documents »41. C’est ce dossier qu’il reprend de manière 38 39 40 41

Cf. VAUX (de) 1946 ; VAUX (de) 1948 ; VAUX (de) 1949b. Cf. COUTURIER 1988. Cf. VAUX (de) 1941a et VAUX (de) 1941b. Cf. COUTURIER 1988, 142.

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CHAPITRE SIXIÈME

plus systématique dans sa série de trois articles de la Revue biblique en 1946, 1948 et 1949. Le premier article traite de questions générales sur la réalité historique des Patriarches. Il passe en revue les diverses thèses proposées, depuis celle de Wellhausen, et conclut que « toutes ces tentatives d’expliquer les récits patriarcaux en dehors de l’histoire paraissent donc avoir échoué ou n’atteindre qu’incomplètement leur but […]. La tradition relative à Abraham, Isaac et jacob n’est pas seulement possible, elle est vraisemblable et se trouve substantiellement confirmée par les découvertes récentes »42. Le développement des fouilles en Mésopotamie, Syrie et Palestine et une meilleure connaissance des textes permet, de surcroît, de mieux connaître les migrations de peuplement durant le IIe millénaire av. J.-C. Le deuxième article de la série aborde directement les textes bibliques eux-mêmes concernant l’itinéraire des migrations des Patriarches, la datation de cette migration et l’origine ethnique des Patriarches. Selon de Vaux, il y a assez d’éléments pour « rattacher Abraham et l’entrée en Palestine des ancêtres des Hébreux aux mouvements migratoires qui se sont produits entre 1900 et 1700 […]. Si j’osais donner une date, je dirais qu’Abraham était à Hébron aux environs de 1850, plutôt un peu après ». Quant au groupe ethnique auquel il appartenait, de Vaux les qualifie de Proto-araméens, « un groupe ethnique qui nomadisait depuis un temps indéterminé dans le désert syro-arabique et dont les éléments avancés entre en contact, au début du IIe millénaire avec les populations sédentaires sur le pourtour de ce désert »43. Le troisième article traite du milieu social des Patriarches, semi-nomades, éleveurs de petit bétail, qui entrent en contact avec des sédentaires et leur empruntent certaines manières de vivre. Lorsqu’ils arrivent en Palestine, « les Patriarches ont trouvé un pays où la civilisation urbaine et agricole était en plein essor après un stage de dépeuplement relatif, mais des vastes espaces restaient libres pour les pasteurs. Abraham et ses fils plantèrent leurs tentes à la lisière des terres cultivées, ou dans le Négeb ». Tout en gardant des traditions nomades, ils vont aussi s’imprégner peu à peu de modes de vie sédentaire. Ils vont aussi entrer en contact avec des coutumes juridiques de peuples voisins, que l’on connaît désormais grâce au Code de Hammurabi, au Recueil des lois assyriennes et au Recueil des lois hittites. Selon de Vaux on en trouve des traces dans des récits comme le récit de l’Alliance en Genèse 15, 7-21, l’acquisition de la grotte de Makpelah, la question de l’héritage d’Ismaël et surtout l’histoire du séjour de Jacob chez Laban. Prudent dans ses conclusions, de Vaux estime qu’il s’agit plus d’analogies 42 43

Cf. VAUX (de) 1946, 327-328. Cf. VAUX (de) 1948, 336 et 346.

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que d’emprunts directs aux peuples voisins. On peut tout au plus, estime de Vaux, « rattacher la geste des Patriarches à un milieu historique que les découvertes récentes nous ont fait mieux connaître et ainsi certifient l’ancienneté et la valeur des traditions consignées dans la Genèse »44. On ne peut qu’être frappé par l’étendue de l’érudition de Roland de Vaux et par le caractère nuancé de ses conclusions. En fait, ce sujet va continuer à l’occuper : en 1949, il fait l’objet de l’article « Israël (histoire d’) » qu’il rédige pour le Supplément au Dictionnaire de la Bible et, en 1951, il reprend le sujet dans l’introduction qu’il rédige pour l’édition de la Genèse dans le fascicule de la future Bible de Jérusalem. Prenant ses distances avec la théorie documentaire mais aussi avec une critique littéraire poussée à l’extrême, de Vaux s’intéresse davantage aux milieux d’où proviennent les traditions. « À son avis, la quête des traditions antérieures aux sources écrites du Pentateuque est beaucoup plus importante et prometteuse pour l’élaboration d’une histoire des origines d’Israël », commente Guy Couturier45. Le sujet reviendra sous sa plume dans sa contribution au Congrès de la Society for Old Testament Studies, à Copenhague, en 1953, lors de ses conférences à Harvard en 1964-65, dans un grand article sur les Hurrites paru dans la Revue biblique de 1967 et surtout dans son Histoire Ancienne d’Israël, publiée en 1971, au lendemain de sa mort. Deux ans après la parution de l’ouvrage sur les Patriarches en Allemagne, l’éditeur anglais Darton, Longmann & Todd contacta de Vaux pour envisager une traduction, mais l’auteur est réticent car il estime que les progrès de la recherche rendent vite caduques les thèses présentées. Il refusa pour la même raison une traduction en néerlandais. « Je sais que la solution serait que je révise mes articles et que je les republie d’abord en français, mais je ne vois pas quand je pourrai trouver le temps pour le faire. Au moins, pas avant un an », répond-il46. La liberté avec laquelle de Vaux a pu aborder un sujet sensible sur lequel Lagrange avait été censuré souligne le changement de climat intervenu avec Pie XII en matière d’études bibliques. De Vaux le dit explicitement dans la lettre qu’il envoie au Maître de l’Ordre Suarez à l’occasion du décès du P. Jacques-Marie Vosté, op, secrétaire de la Commission biblique pontificale : « L’autorité dont il jouissait à Rome, sa haute fonction de Secrétaire de la Commission biblique, le soin qu’il prenait des intérêts de l’École nous ont rendu des services inestimables […]. Les épreuves de la Revue biblique et les autres publications de l’École étaient régulièrement 44

Cf. VAUX (de) 1949b, 36. Cf. COUTURIER 1988, 144. 46 Lettre de Roland de Vaux à Miss E. Russell, Darton, Longmann & Russell, 3 décembre 1961. Archives du Couvent Saint-Étienne. 45

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CHAPITRE SIXIÈME

adressées au T.R.P. Vosté, pour être soumises à la censure de l’Ordre »47. Selon Bernard Montagnes, le climat a changé au moment de sa nomination comme Secrétaire de la Commission biblique48. Il reste que lorsque les éditions du Cerf entreprendront en 1966 de republier dans la collection Foi vivante l’ouvrage du P. Lagrange La Méthode historique publié en 1904, ouvrage dont Rome avait interdit la réédition en 1909, toutes les précautions sont prises pour le nihil obstat et de Vaux rédige une introduction où il souligne « le progrès certains » dans la manière dont le Magistère aborde ces questions complexes, progrès confirmés par la Constitution conciliaire De Divina Revelatione de 1965. L’année 1967 verra la parution des Souvenirs personnels du Père Lagrange, projet né des échanges réguliers entre Chifflot et de Vaux. La correspondance entre les deux hommes révèle qu’ils ont beaucoup réfléchi, craignant de réveiller de vieilles querelles, consulté Rome et finalement opté pour cette publication, qui est une sorte d’hommage filial de la génération des successeurs. L’imprimatur est donné par le Maître de l’Ordre lui-même. De Vaux et Benoit, en effet, rédigent les introductions de ces deux volumes, dont la parution sonne comme une réhabilitation de leur maître : « les positions du Père Lagrange, qui apparaissaient alors trop avancées, ont été admises par l’Église et sont même dépassées. C’est un bel exemple de ce progrès dans la ligne de la tradition, où le Père Lagrange a été un poteau indicateur et non pas une borne », écrit de Vaux qui ajoute, dans une note plus personnelle dont il n’est pas coutumier : « J’aimerais beaucoup, avant de quitter la direction de l’École, pouvoir donner ces deux témoignages de mon attachement à mon maître et de ma fidélité à son esprit »49 . La biographie plus apologétique écrite par son disciple Louis-Hugues Vincent ne sera publiée qu’en 201350. 7. 1961-1964 : LES

FOUILLES DE L’OPHEL AVEC

KATHLEEN KENYON

À peine terminée la neuvième campagne de fouille à Tell el-Far‘ah (1 septembre-20 octobre 1960), de Vaux accepte de se lancer dans un autre projet archéologique avec Kathleen Kenyon de la British School of er

47 Lettre de Roland de Vaux au P. Suarez, 6 mars 1949. La censure existe encore, comme le montre un courrier de R. de Vaux au Saint-Office en novembre 1953 pour demander la permission pour les étudiants de lire des livres interdits. La permission est accordée, sous le contrôle de R. de Vaux. 48 Cf. MONTAGNES 1996, 255-276. 49 Lettre de Roland de Vaux à Jérôme Hamer, op, alors assistant du Maître de l’Ordre, 30 avril 1964, Archives du Couvent Saint-Étienne. 50 Cf. LAGRANGE 1966 ; LAGRANGE 1967 ; VINCENT 2013.

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Archaeology51. Le projet, à vrai dire, est alléchant, puisqu’il s’agit d’entreprendre des fouilles sur le terrain au Sud du Haram esh-sherif, à l’Est de la Porte des Maghrébins, une zone prometteuse pour la connaissance de l’histoire d’une zone très sensible. Il s’agit d’un vaste projet qui va courir sur plusieurs années, de 1961 à 1967, et impliquer diverses institutions, dont la British School et l’École biblique, sous la responsabilité des Antiquités de Jordanie. Roland de Vaux participe à la direction de la fouille de 1961 à 1963 ; un relais est pris de 1963 à 1967 par Arlotte D. Tushingham du Royal Ontario Museum puis par des archéologues israéliens. Divers partenaires soutiennent ce projet ambitieux qui donnera lieu à une grosse publication en plusieurs volumes. La première campagne a lieu de la fin mai au milieu d’août 1961 et fait l’objet d’une brève chronique dans la Revue biblique de janvier 1962. Il s’agit de fouiller au pied de la tour dite « salomonienne » sur la pente est de l’Ophel, une zone appelée ‘ard alKhatuniyya, qui avait déjà fait l’objet de sondages ou fouilles par divers archéologues aux époques ottomane puis du mandat britannique (Warren en 1867, Macalister-Duncan, Crowfoot en 1923-25 et 1927). Très vite le résultat est éblouissant, puisque « la tour et le glacis sont fondés sur les ruines de maisons israélites du VIIe s. av. J.-C. : c’est le témoignage émouvant de la destruction de la ville par Nabuchodonosor », écrit de Vaux52. Une tranchée a ensuite permis de retrouver ce que les archéologues supposent être le rempart de la Jérusalem conquise par David. « La cité de David s’étageait donc sur le flanc de la vallée du Cédron, comme l’actuel village de Silwan qui lui fait face ». Même s’il reste, à ce stade, des inconnues sur la datation, la première campagne invite à réviser sérieusement les notions sur la topographie ancienne de Jérusalem. Une deuxième campagne a lieu du début avril à la fin juin 1962. Elle permet de dégager le rempart cananéen repéré l’année précédente sur la pente du Cédron. Puis, le nettoyage d’une couche contenant de nombreux morts datant probablement de la conquête de Titus permet d’atteindre des niveaux contenant un lot important de céramique de l’époque israélite. De Vaux a en charge une fouille spécifique qui permit de mettre au jour ce qu’il interprète comme des ruines d’un hospice construit à l’époque de Justinien (527-565), mentionné par Cyrille de Scythopolis. Il se trouvait près de l’église Sainte-Marie-la-Neuve et fut détruit par les Perses53. Agnès Spycket qui particiupa à cette campagne à l’invitation du P. de Vaux fait une description savoureuse de Miss Kenyon : « C’était 51 52 53

Cf. GIBSON 2011, 23-57, en particulier 50-53. Cf. VAUX (de) 1962a, 99. Cf. VAUX (de) 1964c, 202-207 et VAUX (de) 1963, 416-419.

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une femme massive, trapue, vêtue d’une chemisette à manches courtes et d’une jupe-culotte bleu-marine aux genoux. Signe distinctif : une cigarette à la bouche, inlassablement renouvelée. Autoritaire et s’occupant de tout, elle était un vrai chef, infatigable, omniprésente, cordiale et tenant ses distances. Il fallait l’avoir vue embaucher ses ouvriers (près de 150 au début des travaux) pour se faire une idée de l’ascendant qu’elle exerçait avec un calme imperturbale. Pourtant, je la vois encore passer à côté de moi ce jour-là et me glissant : “What a horrid job !” »54. Une troisième campagne a lieu du 8 juillet au 14 septembre 1963 permettant de doubler la zone fouillée au Sud de la mosquée al-Aqsa et d’affiner des conclusions encore provisoires, que de Vaux présente à l’AIBL le 3 juillet 1964. Un écho intéressant de ces campagnes est donné par Agnès Spycket dans ses Mémoires55. Une synthèse générale sera faite par Kathleen Kenyon dans l’ouvrage qu’elle publiera en 1974 : Digging Up Jerusalem. Dans cet ouvrage, elle dit sa grande amitié pour Roland de Vaux, qui fut, par elle, associé à un des chantiers les plus prestigieux dans la Ville sainte56. De Vaux n’a malheureusement pas pu poursuivre la fouille car le waqf propriétaire des lieux retira son autorisation en août 1963, par crainte que la fouille ne déstabilise les fondations du Haram esh-sherif. La fouille sera reprise plus tard par Benjamin Mazar au nom de l’Université hébraïque et de l’Israel Exploration Society. Cette fouille fit apparaître qu’il s’agissait en fait de restes d’un palais omeyyade dont on trouve la présentation dans le volume v de la publication complète des fouilles entreprises par Kathleen Kenyon et poursuivies par divers collaborateurs57. Accepter de participer à cette fouille a été une lourde surcharge pour Roland de Vaux, comme il l’avoue dans une lettre à Chifflot le 15 avril 1962, durant la deuxième campagne à l’Ophel : « J’ai actuellement l’impression de me noyer : je n’ai pas commencé la révision de la Genèse, que je vous avais promis pour Pâques ; j’ai deux articles à écrire avant le 1er mai pour une Encyclopédie et je suis, depuis quinze jours, engagé dans les fouilles de Jérusalem. Cela veut dire que je suis sur le chantier de 6 h. du matin à 4 h. du soir et que, quand je rentre à l’École, je ne suis pas bon à grand-chose. Et tout le monde me tombe alors dessus : professeurs, étudiants, visiteurs, et courrier. J’ai envie de donner ma démission de tout ! Dieu est bon et me pardonnera de n’en faire pas plus, mais accepterez-vous 54

Cf. SPYCKET, 2004, 99-100. Cf. Ibidem, 100-105. 56 Cf. KENYON 1974. 57 Excavations by Kathleen M. Kenyon in Jerusalem 1961-1967, vol. V par Kay PRAG, 2008, 101-241. 55

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ce retard ? La réédition de la Genèse a été promise dans le courant de cette année »58. Il reste que fouiller un tel site était pour lui une occasion exceptionnelle.

Roland de Vaux ne poursuivra pas ce chantier car, outre l’arrêt imposé par le waqf, il part pour la France fin juin 1964 et va passer un an aux États-Unis comme visiting professor à Harvard Divinity School. Pierre Benoit va assurer l’intérim de la direction de l’École, dont il ne sera nommé directeur qu’un an plus tard, le 25 septembre 1965. De Vaux sera alors vice-directeur.

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Lettre de R. de Vaux à Th. Chifflot, 15 avril 1962, Archives Province de France.

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« MAÎTRE EN ISRAËL » ET BIEN AU-DELÀ LA NOTORIÉTÉ INTERNATIONALE (1959-1971) « En 1964-65, il quitta Jérusalem pour une année académique à Harvard […] et, à ses heures perdues, enseigner l’Ancien Testament dans le reste de l’Amérique du Nord ». John Strugnell à propos de Roland de Vaux.

Lorsqu’il part pour une année à Harvard comme visiting professor, de Vaux a déjà une notoriété internationale et ses qualités sont déjà largement reconnues par le monde savant et au sein même de l’Église catholique : en décembre 1952, il a été élu correspondant français de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres ; en 1953, il est fait chevalier de la Légion d’honneur par la République française ; en 1955, il est nommé membre de la Commission biblique pontificale ; en 1958, il est fait Maître en théologie, qui est la reconnaissance suprême dans l’Ordre dominicain ; la même année, il reçoit la médaille d’argent du CNRS pour ses travaux1. En 1959, il est invité par la British Academy à donner les Schweich lectures sur Qumrân. Bientôt, les doctorats honoris causa vont pleuvoir de tous côtés. Durant les années qui lui restent à vivre, bientôt libéré de la direction de l’École biblique, il va beaucoup voyager, acceptant des conférences ici ou là, dans diverses enceintes académiques. Il se montre particulièrement touché par l’attention que lui prête le pape Paul VI lors de sa visite en Terre sainte en janvier 1964, lorsqu’il est présenté au Saint-Père après la messe, lors d’une audience au Patriarcat latin. La chronique conventuelle rapporte que lorsque le Maître de l’Ordre présente au Souverain Pontife les Pères de l’École biblique qui sont présents, le Pape s’adressa assez longuement au Père de Vaux (« deux ou trois minutes, ce qui fait grand effet, vu le moment », dit la chronique). Disant son regret de n’avoir pu faire une visite à l’École biblique comme il en avait le désir, Paul VI « félicite l’École et les Pères pour tout le travail, qui s’y fait et qu’il a en grande estime. Il 1

Le CNRS le sollicita à diverses reprises pour suivre les travaux de plusieurs chercheurs, en particulier Józef Milik en1958 et Pierre de Miroschedji en 1969.

« MAÎTRE EN ISRAËL »

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encourage à poursuivre l’œuvre, dans une grande soumission au Magistère de l’Église, mais aussi aux exigences d’une œuvre vraiment scientifique »2. La veille, le P. de Vaux avait fait visiter la Galilée et les fouilles de l’École biblique à Tell el-Far‘ah et Qumrân au Maître de l’Ordre et son assistant le P. Jérôme Hamer, op. D’une certaine manière, pour de Vaux, c’est l’heure de la moisson : après tant de labeur, l’heure est venue de tenter une synthèse de ses recherches. Sa santé ne lui permettra pas, hélas, de parvenir au bout de ce projet, mais il va laisser de nombreux disciples. 1. 1964-65 : VISITING PROFESSOR À HARVARD ET CONFÉRENCIER EN AMÉRIQUE DU NORD Les Schweich lectures de 1959 à Oxford ont déjà offert à Roland de Vaux d’élargir l’audience de ses travaux au-delà du cercle des spécialistes, car les conférences publiques sont l’occasion d’interviews, de conférences de presse, etc. surtout lorsqu’il s’agit de Qumrân. L’invitation à Harvard lui fut l’occasion de multiplier les conférences et interviews dans toute l’Amérique du Nord. Sans qu’on en ait une confirmation écrite, il est probable que de Vaux a été invité à Harvard par Frank Moore Cross, un des disciples d’Albright qu’il a beaucoup fréquenté dans l’aventure des manuscrits de la mer Morte3. Après une année à l’American School de Jérusalem, Cross a poursuivi à Harvard ses travaux sur les manuscrits de la mer Morte. Dans une lettre au père Marie-Dominique Chenu, Roland de Vaux s’explique sur son départ à Harvard : « Je serai toute l’année prochaine en Amérique : j’ai été invité comme “guest professor” à la Divinity School de Harvard, où une chaire a été fondée pour qu’un Catholique vienne exposer chaque année nos manières de voir et de travailler dans les différents domaines de la science religieuse. J’enseignerai l’histoire de l’Ancien Testament et l’archéologie palestinienne. Il m’est dur de quitter l’École biblique pour toute une année et de laisser ici des travaux interrompus, 2

« Nous sommes très profondément émus de cette attitude si bienveillante du Pape qui a tenu à profiter de cette occasion pour nous dire son approbation et nous donner ses encouragements. Nous baisons agenouillés l’anneau du Saint-Père qui est aussitôt entraîné vers la sortie par son entourage », ajoute le chroniqueur conventuel, le 6 janvier 1964. Archives du Couvent Saint Étienne. Le 9 janvier, de Vaux relate l’événement dans un courrier à Th. Chifflot à qui il demande d’envoyer au Saint-Père une grande Bible de lutrin. 3 Franck Moore Cross (1921-2012), d’origine luthérienne, est professeur d’Ancien Testament à l’Université de Harvard. Membre depuis 1953 du comité d’édition des manuscrits de la mer Morte, il se voit confier l’édition de soixante-et-un fragments bibliques de la grotte 4. Parmi ses travaux, on signalera un ouvrage proche des thématiques favorites de Roland de Vaux : CROSS 1973. Titulaire de la chaire Hancock Professor of Hebrew and Other Oriental Languages de 1958 à 1992, c’est en cette qualité qu’il invita Roland de Vaux.

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mais je crois que l’intérêt œcuménique de cet enseignement mérite que je lui sacrifie un peu de mon travail personnel »4.

La chaire dont il s’agit porte le nom de Charles Chauncey Stillman (18771926), un des plus grands bienfaiteurs de l’Université de Harvard. Roland de Vaux est le troisième à bénéficier de cette chaire dont l’orientation catholique est clairement exprimée dans son énoncé complet : Charles Chauncey Stillman Professor of Roman Catholic Theological Studies. Le départ de Jérusalem de Roland de Vaux interrompt divers travaux en cours, en particulier la préparation de la publication des fouilles de Tell el-Far‘ah et de l’Ophel. D’un autre côté, ce poste offre à de Vaux l’occasion de prendre du recul, d’être moins dispersé et de mettre en forme des recherches qu’il poursuit depuis des années et qui vont aboutir à son œuvre majeure, l’Histoire ancienne d’Israël. De plus, l’activité intense qu’il va déployer durant un an souligne que le public qui s’intéresse le plus à ses travaux est un public anglo-saxon. Est-ce à cause de Qumrân, qui a fasciné l’Amérique ? Toujours est-il qu’il est plus sollicité et accepte davantage d’invitations en Amérique du Nord (États-Unis et Canada) qu’en Europe, malgré un anglais qui reste hésitant, au moins à l’oral. À ce sujet, le P. Benoit écrira après la mort de de Vaux : « Ce séjour aux États-Unis, chargé d’un enseignement astreignant et de nombreuses tournées de conférences, eût été harassant pour tout autre que lui ; il n’en garda qu’un excellent souvenir, parfumé de nombreuses et délicates amitiés. Il retourna d’ailleurs par la suite aux États-Unis, comme aussi il voyagea volontiers en Angleterre et en Ecosse pour donner des conférences. Il se sentait “at home” en pays anglo-saxon. Sans que sa prononciation fût parfaite, il parlait très couramment l’anglais. À ce sujet, il aimait raconter les débuts piquants qui auraient pu le décourager, ce jour où, arrivant pour la première fois en Angleterre, il prépara soigneusement une phrase qu’il essaya sur son voisin d’avion, mais pour s’attirer cette réponse : “Excuse me, Sir, I speak only English !” »5

À Harvard, de Vaux donne un cours magistral intitulé History of the Ancient Israël et un séminaire d’Ancien Testament. Le cours va dans le détail des questions, comme le montrent les notes de la première section qui ont été conservées : les origines d’Abraham à Moïse, le problème chronologique ; le problème des Amorites ; le mouvement amorite et les migrations d’Abraham ; « Laban l’araméen », la « tradition araméenne » de la Genèse, « Abraham l’hébreu », le statut social des Patriarches ; parallèles 4 Lettre de Roland de Vaux à Marie-Dominique Chenu, 13 juin 1964, Archives du Couvent Saint-Étienne. 5 Cf. P. BENOIT, « Le Père Roland de Vaux », Ut Sint Unum, p. 212

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entre les coutumes des Patriarches et les textes extrabibliques du IIe millénaire av. J.-C. ; le problème des Hurrites : la guerre des quatre grands rois de l’Est contre les cinq petits rois de Transjordanie ; les dates de la période des Patriarches ; la religion des Patriarches6. La section suivante portait comme titre : d’Abraham à Moïse. Les archives conservent des notes incomplètes sur la suite du cours : les Philistins ; Samuel et l’institution de la monarchie ; le règne de David ; les peuples de la mer ; l’histoire de l’arche, etc. D’octobre à décembre 1964, de Vaux donne aussi un séminaire d’Ancien Testament sur l’Exode, durant lequel quatorze étudiants présentent des études assez fouillées, dont il a conservé le texte (de quinze à vingt-cinq pages) et les annotations. De Vaux s’appuie, bien entendu, sur des notes du cours qu’il a déjà donné à Jérusalem, mais il s’efforce ici de donner une bibliographie détaillée en anglais. En réalité, les sujets qu’il traite sont aussi les sujets qu’il travaille pour son enseignement à l’École biblique et qu’il va encore mûrir avant de rédiger son Histoire ancienne d’Israël 7. En même temps, de Vaux ne rechigne pas à exposer ses idées à un public plus large, comme pour les tester, pour s’assurer qu’il n’en reste pas à une érudition gratuite, et qu’une connaissance rigoureuse et scientifique ne l’éloigne pas d’une préoccupation théologique. Ainsi, avant de commencer son enseignement à Harvard, donne-t-il à New York le 1er septembre 1964 une conférence intitulée « Peut-on écrire une “Théologie de l’Ancien Testament” ? » Le 15 novembre, il accorde une longue interview sur le même sujet au bénédictin David Granfield, de l’abbaye Saint-Anselme de Washington, dans le cadre d’une série intitulée Theologians at work. Le débat vient d’être relancé par l’universitaire luthérien allemand Gerhard von Rad qui publie au début des années soixante plusieurs ouvrages concluant à l’impossibilité d’une théologie cohérente de l’Ancien Testament si l’on admet les diverses réinterprétations auxquelles conduit une histoire critique de l’ancien Israël tel que le présente la Bible. Pour von Rad, « toute l’histoire, toutes les institutions, toute la vie d’Israël sont vues sous une optique différente par le savant moderne et les auteurs bibliques ; ceux-ci 6

Le dossier de notes pour ce cours fait cent vingt pages. Cours de cette période : 1962-63 : « Histoire biblique : l’Exil et le Retour » ; 1963-64 : « Histoire biblique : l’époque des Patriarches hébreux » ; 1965-66 : « Histoire biblique : la monarchie israélite » ; « Archéologie biblique : la vie quotidienne en Israël d’après les textes et l’archéologie » ; 1966-67 : « Histoire biblique : les règnes de David et de Salomon » ; 1967-68 : « Histoire biblique : la période monarchique » ; 1968-69 : « Histoire biblique : l’installation en Canaan et la période des Juges » ; 1969-70 : « Histoire biblique : de Saül à Salomon » ; 1970-71 : « Histoire biblique : la période des Juges et l’institution de la Royauté ». 7

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ne font pas de l’“histoire”, ils proclament un “kérygme” », résume Roland de Vaux, pour qui une théologie de l’Ancien Testament ne peut être réduite à une histoire de la religion de l’Ancien Testament, car, écrit-il, « en théologien chrétien, je reçois l’Ancien Testament comme la Parole de Dieu, la Parole de mon Dieu, adressée à son peuple élu, mais destinée aussi pour moi qui suis son descendant spirituel. L’Ancien Testament contient la Révélation de mon Dieu […]. Dieu se révèle dans l’histoire : l’élection d’Israël, son salut, les promesses qui lui furent faites et les châtiments qui lui furent imposés sont donnés comme des faits, dans le Nouveau Testament […]. L’Incarnation est un fait, la Résurrection est un fait […]. Le paradoxe de la foi, et qui découle de son essence, est que ces faits d’histoire ne peuvent pas être saisis par les méthodes de l’histoire […]. L’objet d’une théologie de l’Ancien Testament ne peut pas être seulement, ainsi que dit G. von Rad, de définir comment Israël a conçu ses rapports avec Dieu, la conscience qu’il a eue que Dieu intervenait dans son histoire ; le théologien, acceptant l’Ancien Testament comme la Parole de Dieu, y recherche ce que Dieu luimême a voulu, par l’histoire, enseigner à Israël et à nous-mêmes »8. Les 28 et 29 novembre 1964, trois conférences à Montréal et Ottawa sur l’importance des récentes découvertes archéologiques en Palestine, à destination d’un public de prêtres, religieuses et laïcs confirment son souci de garder une vision d’ensemble. Les 11 et 12 janvier 1965, il est de nouveau à Montréal et donne trois conférences : « La signification politique et religieuse de Jérusalem dans l’Ancien Testament », au couvent dominicain Saint-Albert ; « The Latest Archaeological Discoveries in Palestine and their Significance for the Old Testament », à l’Université McGill et « Les manuscrits de la mer Morte : leur découverte et leur importance », à l’Université de Montréal. Le 27 février 1965, il assiste à l’ouverture de l’exposition The Dead Dea Scrolls au Museum of Natural History (Smithsonian Institution) à Washington. Le 21 mars 1965, conférence à Princeton sur les Patriarches. Le 7 mai 1965, de Vaux donne une conférence au Garrett-Evangelical Theological Seminary sur « How Jerusalem became the holy city ? ». Le sous-titre de la conférence en français est « signification politique et religieuse de Jérusalem dans l’Ancien Testament ». Il s’agit d’un séminaire privé de l’United Methodist Church, situé à Evanston (Illinois). Enfin, du 27 juin au 2 juillet 1965, il donne une série de quatre conférences sur l’Exode au Summer Biblical Institute 8 Cf. VAUX (de) 1967c, 66, 67, 68. On retrouve la recension des ouvrages de von Rad par de Vaux dans RB 70 (1963), 291-293. De Vaux demandera à corriger le texte de cette interview à Saint-Anselm Abbey et regrettera d’avoir accepté une interview qui conduit à des simplifications sur des sujets complexes (théologie biblique, Bible et archéologie, etc.).

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du Maryknoll Seminary : Introduction au Livre de l’Exode ; l’Exode dans la foi et les traditions d’Israël ; l’Exode et le culte : le sacrifice pascal ; le « Nouvel Exode » d’après les Prophètes, etc. Ces conférences sont suffisamment préparées pour être retranscrites et distribuées ensuite aux auditeurs. Bref, ce fut une année intense, qu’il évoquera en ces termes dans une lettre à Henri Cazelles du 24 avril 1970 : « J’ai gardé une certaine nostalgie de mon séjour là-bas et j’y retourne toujours avec joie […]. Mais c’est encore à Jérusalem que je travaille le mieux, dans le calme et avec une bibliothèque convenable que je connais bien. Si seulement l’horizon politique s’éclaircissait ! ». La chronique conventuelle du 24 septembre 1965 mentionne le retour du P. de Vaux « en pleine forme et enchanté du voyage de retour qu’il vient de faire et lui a permis de visiter la Grèce ». Un an plus tard, en octobre 1966, il reçoit une nouvelle offre venant de l’Université jésuite de San Francisco où on lui offre d’enseigner six mois ou un an dans la chaire de théologie. L’offre financière est alléchante mais Roland de Vaux répond qu’il ne peut pas s’absenter plus longtemps de Jérusalem. John Strugnell, commentant cette période, écrira avec humour : « En 1964-65, il quitta Jérusalem pour une année académique à Harvard […] et, à ses heures perdues, enseigner l’Ancien Testament dans le reste de l’Amérique du Nord »9. On peut penser que des offres de ce genre auraient pu se multiplier s’il y avait consenti. 2. ACADÉMIES ET SOCIÉTÉS SAVANTES S’il accepte quelques sollicitations du grand public cultivé, de Vaux se laisse volontiers inviter par les sociétés savantes et assiste dans la mesure du possible aux congrès où il peut discuter ses travaux avec des spécialistes. En 1947, il était devenu correspondant puis membre de l’Association internationale d’archéologie classique Fasti archaeologici qui publie un Bulletin annuel d’archéologie classique. Il y donne des comptes rendus de fouilles et une bibliographie commentée des ouvrages concernant la Palestine. Roland de Vaux y contribuera jusqu’à sa mort, assurant une quarantaine de notices entre le volume de 1946 et celui de 1973-1974, presque toutes sur la Palestine ou les sites sur lesquels il travaille. En 1950, il avait été élu président du board du Palestine Archaeological Museum, avec l’occasion de collaborer régulièrement avec les directeurs successifs de l’American School, avec Henri Seyrig, directeur de l’Institut français d’archéologie de Beyrouth, Archibald Creswell de la British Academy, 9

Cf. STRUGNELL 1972, 3.

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c’est-à-dire des représentants des anciennes puissances coloniales. De Vaux en fait d’ailleurs partie comme représentant de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Peu à peu, le bureau va intégrer des membres jordaniens et bénéficier de la présence occasionnelle de spécialistes comme Kathleen Kenyon ou Paul Lapp. Le 12 décembre 1952, il est nommé membre correspondant de l’AIBL en remplacement d’Henri Gauthier. René Echegaray est le premier à le féliciter et à se réjouir de voir ainsi reconnue sa valeur scientifique. Dix ans plus tard, en 1962, de Vaux deviendra académicien libre non résident, élu en remplacement de Georges Marçais, titulaire de la chaire d’archéologie musulmane à l’Université d’Alger. À Thomas Chifflot qui le félicite, de Vaux répond le 16 janvier 1963 : « Je vous remercie de vos félicitations pour mon entrée à l’Institut. Je n’arrive pas à prendre cela très au sérieux mais je suis content de la joie que cette nomination paraît donner à mes amis ». Cette collaboration avec l’AIBL n’est pas une première pour l’École biblique qui avait été choisie en 1920 par l’AIBL pour être son correspondant en Palestine. Plusieurs membres de l’École ont déjà été correspondants ou membre de l’AIBL : le P. Lagrange, bien sûr, dès 1903, Vincent Scheil en 1908, et L-H. Vincent en 1927. C’est d’ailleurs le Père Vincent qui présenta à l’Académie en juillet 1945 la fouille d’Abou Ghosh faite par Roland de Vaux l’année précédente. À l’AIBL, il retrouve des historiens et des archéologues compétents pour discuter ses travaux : tout d’abord, l’assyriologue Édouard Dhorme, ancien directeur de l’École biblique, Professeur au Collège de France et membre de l’Académie depuis 1948. Il y a aussi l’orientaliste René Dussaud, spécialiste de Ras Shamra, qu’il appelait « mon cher Maître » et qui avait discuté ses premiers articles, en particulier celui de 1937 dans la Revue biblique, consacré à une tablette de Ras Shamra10. Dussaud est un des spécialistes des Hurrites, sur lesquels de Vaux va beaucoup écrire. En 1952, l’AIBL compte parmi ses membres l’archéologue Claude F.A. Schaeffer, qui a fouillé pendant des années à Ugarit et a été son référent pour le démarrage de la fouille de Tell el-Far‘ah, l’épigraphiste André Dupont-Sommer, avec qui il a parfois ferraillé au sujet de Qumrân et qui sera élu Secrétaire perpétuel en 1968. André Parrot, ancien élève de l’École biblique (1926-27), conservateur en chef du musée 10 La correspondance entre de Vaux et Dussaud montre que ce dernier suit de près les divers travaux de R. de Vaux. En mai 1951, celui qui avait été secrétaire perpétuel de l’AIBL de 1937 à 1948 écrivait à de Vaux : « Je veux vous dire combien, à l’Académie, on apprécie votre activité scientifique. Vous disposez d’un excellent personnel, professeurs et auditeurs, et avec le site de Tell el-Far‘ah d’un merveilleux laboratoire » (lettre de R. Dussaud, 8 mai 1951).

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du Louvre, avec qui de Vaux a beaucoup correspondu, sera élu un an plus tard, en 1963. Sur la période 1952-1971, de Vaux fait à l’Académie une quinzaine de communications, portant essentiellement sur ses fouilles de Tell el-Far‘ah et sur les découvertes de Qumrân. Ses dernières communications de 1964 et 1967 portent sur « les hôpitaux de Justinien à Jérusalem, d’après les dernières fouilles » et « Les Hurrites de l’Histoire et les Horites de la Bible »11. Parfois, il fait lire sa communication quand il ne peut être à Paris, mais il veille à tenir l’Académie au courant de ses travaux. À sa mort, l’Académie rendit hommage à « une personnalité de premier plan dans le domaine de l’exégèse et de l’archéologie biblique, un homme d’action et de recherche, doué d’une grande puissance de travail, qui a dirigé avec résolution et sagesse l’École biblique et archéologique de Jérusalem pendant vingt ans »12. André Parrot lui rendra aussi un hommage appuyé dans Syria. Le 15 décembre 1955, le P. de Vaux est nommé consulteur de la Commission biblique pontificale, alors présidée par le cardinal Tisserant, ancien élève de Lagrange. La Commission biblique joue un rôle important de régulation des études bibliques au sein de l’Église catholique. D’autres dominicains de l’École biblique, comme Lagrange, Abel et Vincent, l’y ont précédé. Sa nomination est une reconnaissance dont il est conscient, comme le montre la lettre qu’il écrit au Maître de l’Ordre : « Je suis très confus et reconnaissant de cet honneur, qui atteint, à travers moi, l’École biblique de Jérusalem. C’est pour moi l’occasion de vous renouveler l’assurance que nous voulons travailler de toutes nos forces et dans un esprit d’entière soumission aux directives de l’Église. Nous avons été assignés à ce travail par l’obéissance religieuse et notre labeur n’a pas de raison d’être s’il n’est pas totalement employé pour le service des âmes et de l’Église ». Il en sera membre jusqu’à juin 1971, date à laquelle la Commission connut une réforme radicale : jusque-là, les membres stricto sensu étaient tous cardinaux ou évêques ; les consulteurs étaient seulement sollicités à distance pour des avis techniques. Après la réforme de 1971, la Commission est constituée d’experts travaillant ensemble des questions qui leur sont soumises par le Saint-Siège. Lors d’une consultation en 1961, de Vaux écrit souhaiter « que l’on distingue bien entre le travail scientifique des exégètes professionnels, dont la mission est d’explorer et d’éclairer les problèmes encore débattus et les publications destinées aux fidèles, auxquels on ne doit pas proposer des solutions qui ne sont pas encore mûres, 11 12

Cf. VAUX (de) 1964c 1967b. Cf. CRAI (1971) 541.

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dont ils ne peuvent pas mesurer l’incertitude et qui risquent de troubler leur foi »13. Invité en 1962 à donner son avis sur un projet d’instruction sur les questions bibliques, il exprime « sa satisfaction de ce texte, qui affirme la légitimité de l’application au Nouveau Testament comme à l’Ancien Testament de l’étude des genres littéraires et de la méthode de l’histoire des formes, tout en marquant les limites et les risques de ce travail. Il est bon qu’on ait appelé les choses par leur nom. C’est une réponse autorisée aux attaques de certains et un rappel opportun de Divino Afflante, qu’on voulait faire oublier »14. La Commission prendra position officiellement en publiant en avril 1964 un texte intitulé De historica evangeliorum veritate15. Consulté en 1969 sur l’état actuel des études bibliques et les changements à apporter dans le contexte de turbulences que traverse l’Église, de Vaux invite à ne pas intervenir trop vite : « Il serait regrettable, écrit-il, que, comme il est arrivé dans le passé pour la critique documentaire, les “genres littéraires” et la Formgeschichte, la Commission biblique prenne une position qu’elle sera ensuite obligée de désavouer »16. La question sous-jacente, à cette époque, est la place croissante de l’herméneutique. En 1970, il répond longuement et dans le détail à une consultation sur le nouveau schéma d’examens de la Commission biblique pontificale. On peut donc conclure que Roland de Vaux a pris très au sérieux son rôle de consulteur, prenant toujours le soin de préciser que son domaine d’expertise était l’Ancien et pas le Nouveau Testament. Au-delà de ces deux enceintes – l’AIBL et la Commission biblique pontificale – R. de Vaux accepte volontiers des collaborations avec des sociétés savantes comme la Society for Old Testament Study, fondée en Grande-Bretagne en 1917, dont il devient membre honoraire. Elle tient des congrès annuels et, à défaut de pouvoir y assister, de Vaux est tenu au courant de la recherche vétéro-Testamentaire dans le monde anglo-saxon, car des comptes rendus sont envoyés à chaque fois aux membres honoraires et il compte parmi eux quelques amis comme George Wishart Anderson, de l’Université d’Edimbourg. En 1955, également, il a rejoint aussi la Society of Biblical Litterature and Exegesis, une société savante américaine fondée en 1880, qui réunit chaque année des centaines d’enseignants et chercheurs en études bibliques. Il en est élu membre honoraire en 1956. En 1958, il prépare deux communications pour le Congrès international des sciences 13 Lettre de R. de Vaux à Dom Athanasius Miller, o.s.b., 29 août 1961. Archives du Couvent Saint-Étienne. 14 Lettre de Roland de Vaux au R.P. B. Wambacq, secrétaire de la Commission biblique, à propos de l’Instructio de quaestonibus biblicis hodiernis probe tractandis, 25 janvier 1963. 15 AAS, 56 (1964), 712-718. 16 Lettre du 27 septembre 1969 au P. Wambacq. Archives du Couvent Saint-Étienne.

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bibliques et est sollicité pour intervenir lors de la séance inaugurale sur « les limites de l’apport de l’archéologie », mais il devra renoncer à faire le déplacement en raison de l’instabilité de la situation politique en Palestine17. En 1959, il est coopté comme membre honoraire de la Society of Antiquaries of London, la première association britannique d’archéologues et d’historiens, fondée en 1707, qui publie, entre autres, la collection Archaeologia. Sa nomination, rédigée en latin, est adressée à « Viro doctissimo, Rolando de Vallibus » ! À la faveur de voyages à l’étranger, Roland de Vaux participera parfois à leurs sessions : le 26 octobre 1961, par exemple, il y donnera une communication sur ses fouilles de Tell elFar‘ah, occasion pour lui de faire connaître ses travaux dans le milieu académique britannique. Henri Cazelles le sollicite pour entrer dans l’Advisory board de Vetus Testamentum. En 1961, il est choisi comme membre correspondant de la British Academy, qui lui avait attribué en 1956 la Burkitt Medal for Biblical Studies, une distinction prestigieuse dont les récipiendaires les plus proches furent Oscar Cullmann (1956) et Joachim Jeremias (1958). Cette même année 1961, il donne quatre conférences à l’University College de Cardiff pour les Elizabeth James lectures, qui seront publiées à Cardiff et reprises dans les Cahiers de la Revue Biblique sous le titre Les sacrifices de l’Ancien Testament18. Si l’on ajoute la Commission des Études de l’Ordre dominicain où il est appelé à travailler à la mise au point de la nouvelle Ratio studiorum et le Catholical Biblical Association of America, on mesure le large éventail de cercles académiques que fréquente Roland de Vaux. Sa correspondance fait apparaître que souvent colloques et congrès étaient pour lui une occasion de quitter Jérusalem et les tensions politiques permanentes en Palestine, pour retrouver des collègues avec qui il entretenait aussi des relations amicales. 3. 1968-69 : LA RECONNAISSANCE INTERNATIONALE La publication des Institutions de l’Ancien Testament à la fin des années 1950 a indéniablement contribué à accroître la notoriété internationale de Roland de Vaux. Cela lui valut une série de doctorats honoris causa, qui vinrent s’ajouter au premier reçu à Dublin en 1954. En 1964, 17 Lettre d’envoi du 9 février 1958 à Beda Rigaux : « Je trouve votre lettre du 4 février en remontant de nos fouilles de la mer Morte pour changer de linge et donner quelques cours. Je repars après-demain : nous dégageons le bâtiment de ‘Aïn Feshkha que nous avions repéré en 1956. Jusqu’ici, rien d’intéressant, et je n’attends rien de sensationnel, mais il faut achever l’œuvre commencée ». 18 Cf. VAUX (de) 1964b.

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il est fait docteur honoris causa de l’Université de Louvain (Belgique), puis de l’Université d’Aberdeen (Ecosse). En 1965, il reçoit six doctorats : Providence College (Rhode Island), Vienne (Autriche), Yale (Connecticut), Notre-Dame (Indiana), College de la Salle (Pennsylvania), Holy Cross College (Massachussets). « Il ne tirait aucune vanité de ces honneurs ; il les cachait plutôt et ses confrères en étaient à peine informés », écrira plus tard Pierre Benoit19. À son retour de Harvard en 1965, Roland de Vaux est libéré de la direction de l’École biblique, désormais confiée à son confrère Pierre Benoit. Il va alors pouvoir honorer les nombreuses invitations qui lui sont adressées. Avant de s’envoler vers les USA en août 1967 pour les Congrès des Orientalistes à Ann Arbor puis pour la Rencontre Assyriologique de Chicago, il avoue à Henri de Contenson : « L’École doit rouvrir en octobre, comme prévu, mais je ne vois pas bien dans quelles conditions nous fonctionnerons. Mais j’aime mieux ne pas parler de tout cela. J’avais besoin de sortir de cette atmosphère de cauchemar et de respirer un air plus pur ». La guerre de juin 1967 l’a beaucoup éprouvé et ces congrès, outre leur intérêt scientifique, sont aussi une occasion de se changer les idées. Fin août 1968, il écrit au même confident : « Quel dommage que je sois enfermé dans ce ghetto ! La vie y est de plus en plus désagréable. La situation est pourrie »20. Entre mi-septembre 1968 et fin mai 1969, la série de conférences qu’il donne en Amérique du Nord permet de se faire une idée à la fois de sa notoriété et de son énergie. Le mieux est donner une liste de lieux et de sujets, qui se passe de commentaire21 : Septembre 1968 19 : University of Pennsylvania : Yahweh, El and Baal 23 : University of Miami (Floride) : The Exodus: Historical Fact and Article of Faith 24 : même lieu : Recent Archaeological Discoveries in Palestine and the Bible 25 : San Juan, Puerto Rico : The Exodus: Historical Fact and Article of Faith 26 : The Catholic University Ponce Puerto Rico : Yahweh, El and Baal 19

Pierre Benoit, Lettre de Jérusalem, 3 octobre 1971. Lettres de Roland de Vaux à Henri de Contenson, 11 août 1967 et du 24 aout 1969. Archives de Contenson. 21 Selon l’usage à l’époque, Roland de Vaux demande l’accord du Maître de l’Ordre, Fr. Vincent de Couesnongle, avant d’entreprendre la tournée de conférence. Lettre du 15 juin 1968. 20

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30 : Oberlin College (Ohio), Haskell lectures : 1- The Revelation of the Divine Name YHWH 2- Was Yahweh First a Midianite-Qenite Deity? 3- Yahweh and the God of the Fathers 4- Yahweh, El and Baal Octobre 1968 4 : Aquinas Institute, Dubuque : Yahweh and the God of the Fathers 5 : même lieu : Archaeology and the Bible 6 : Rosary College (Illinois) : Archaeology and the Bible 7 : Wooster College : (Ohio) : Archaeology and the Bible 9 : Vanderbilt University (Tennessee) : Was Yahweh First a MidianiteQenite Deity ? 11 : Duke University (North Carolina) : The Exodus: Historical Fact and Article of Faith 14 : University of California, Los Angeles : Yahweh, El and Baal 15 : University of California, Santa Barbara : The Exodus: Historical Fact and Article of Faith 16 : même lieu : The God of the Fathers and Yahweh 17 : University of California, Berkeley : The Exodus: Historical Fact and Article of Faith 18 : San Francisco, Theological Seminary San Anselmo : The God of the Fathers and Yahweh 21 : Yale Divinity School (Connecticut) : Yahweh, El and Baal 22 : Yale University, Department of Near Eastern Studies : The Exodus: Historical Fact and Article of Faith 23 : Brown University (Rhode Island) : Yahweh, El and Baal 24 : Harvard University (Massachusetts) : Was Yahweh First a MidianiteQenite Deity ? Soit un total de vingt et une conférences dans vingt-huit universités différentes et une dizaine de sujets différents, le tout encadré par une semaine en famille à l’aller et un séjour en Angleterre au retour. Roland de Vaux revient à Jérusalem fin octobre 1968 et reprend une tournée américaine au mois de mai suivant mais avec moins de conférences et davantage de rencontres amicales. Entre le 14 et le 26 mai, il va visiter New York, Boston (deux conférences à St John’s Seminary), Washington (avec un déjeuner au National Geographic), Winchester, Providence (avec une conférence), Pitssburgh, en Pennsylvanie, où il retrouve Paul Lapp, Thomas Schaub, Hartford (avec une conférence), New York (pour un déjeuner de travail avec Time & Life). À la faveur de son passage, l’archéologue George

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Ernest Wright, président de l’ASOR organise un diner de fundraising avec comme autres intervenants Albright, Nelson Glueck et Adams. Le New Yorker Magazine, qui vient de publier des articles sur les manuscrits de la mer Morte indique qu’il y a un vif intérêt autour de la venue de Roland de Vaux. Enfin, il rentre via Londres où il retrouve Crystal Bennett dont il va soutenir la candidature au poste de directrice de la British School of Archaeology de Jérusalem.22. C’est une période où Roland de Vaux est pris par divers projets éditoriaux. Il est, par exemple, associé à la rédaction d’un ouvrage de référence en matière d’archéologie : The Cambridge Ancient History, publié par Cambridge University Press. Une première série en douze volumes avait été publiée en 1924 et 1939. De Vaux est associé au projet de réédition depuis 1947 porté par des spécialistes comme Cyril John Gadd, professeur émérite de langues et civilisations sémitiques à l’Université de Londres (School of Oriental and African Studies), et Iorweth Eiddon Edwards, conservateur des Antiquités égyptiennes au British Museum. Parmi les collaborateurs, on note aussi Albright et Kenyon. Il se voit confier les chapitres sur la Palestine durant les périodes néolithique et chalcolithique (ch. IX b), et la Palestine à l’époque du Bronze (ch. XV). Trop pris par ses multiples activités à la fin des années 1950, car il prépare alors les Schweich lectures et achève d’écrire le second volume de ses Institutions de l’Ancien Testament, il eût du mal à envoyer sa contribution et ne parvint à envoyer son texte révisé qu’en août 1964, au moment où il part pour Harvard. Ce genre de synthèse est ce qu’il y a de plus difficile, car il faut s’en tenir à l’essentiel, mais tout vérifier (les cartes, les dates), fournir des planches, etc. Les deux chapitres de la main de R. de Vaux paraissent en fascicules en 1966 (vol. 46 et 47) puis en volumes en 1970 et 197123. Son disciple, l’archéologue Henri de Contenson, en fait une recension soignée dans la Revue biblique et lui dit dans une correspondance privée considérer que « c’est de loin la meilleure synthèse qui ait vu le jour jusqu’à présent ; vous tenez compte de tout ce qui a été actuellement publié. Je 22 Crystal Bennett (1918-1987) est une archéologue britannique, élève de Kathleen Kenyon, avec qui elle fouille à Jéricho en 1957-58 et à Jérusalem en 1961-63. Une fouille à Pétra avec Peter Parr en 1958-63 va l’amener à se spécialiser sur les Edomites et à fonder à Amman le British Institute for Archaeology and History. Cf. BENNETT 1966. En 1970, elle devient la directrice de la British School of Archaeology de Jérusalem, poste pour lequel Roland de Vaux écrivit une lettre de recommandation très chaleureuse, la qualifiant de « first class archaeologist on the field » (lettre de Roland de Vaux à Peter Parr, 6 novembre 1969). Elle dut, à ce poste, affronter de grosses difficultés, la guerre de juin 1967 l’ayant coupée de son terrain d’étude en Jordanie. 23 The Cambridge Ancient History, Cambridge University Press, Londres, 1966, vol. 1, part 1, p. 499-538 et vol. 2, part 1, p. 208-237.

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suis d’accord avec presque tout »24. Sa large compétence lui vaut aussi d’être sollicité en 1968 pour contribuer à un projet américain d’Atlas du monde biblique réalisé par des universitaires familiers du Moyen-Orient, Denis Baly et A.D. Tushingham25. Ils attendent de lui un regard méticuleux et averti sur l’ensemble des cartes proposées et une préface. Il connaît les auteurs : Tushingham a collaboré aux fouilles de Kathleen Kenyon à Jéricho et Jérusalem, mais le projet est ambitieux car il s’agit de prendre les pays de la Bible dans leur ensemble et pas seulement la Palestine. Comme l’écrit de Vaux dans sa préface, « il faut mettre le “pays de la Bible”, la “Terre Sainte”, et son histoire à sa place dans ce cadre géographique pour comprendre, comme le comprenait Israël, le caractère unique de sa vocation spirituelle ». De Vaux souligne aussi l’intérêt du regard original d’un géographe qui part du milieu naturel, car ceci a de lourdes incidences : on est dans un petit pays, morcelé, sans grandes voies de communications, un pays où la vie à l’échelle du canton a eu des conséquences pour la politique et pour l’histoire. « Jusqu’à l’institution de la monarchie sous Saül, les tribus ont suivi des destinées indépendantes. L’unification a été réalisée par David, mais elle n’a pas survécu à la mort de son premier successeur, Salomon. Après lui, et jusqu’à la ruine de Samarie puis de Jérusalem, Israël dans le Nord et Juda dans le Sudont été deux États distincts et parfois ennemis, et le Royaume d’Israël a été déchiré par les rivalités entre les tribus. Le seul lien solide et durable a été la religion : c’est elle qui a fait de “tout Israël” un peuple, et de son pays le “pays de la Bible” ». De Vaux souligne aussi le contraste entre la médiocrité des aptitudes naturelles de ce pays et la grandeur de sa destinée spirituelle. Une vie spirituelle d’ailleurs protégée par l’isolement de ce pays, à l’écart des voies commerciales et des ambitions des grandes puissances. « L’insignifiance du pays comme sa pauvreté le préparait à recevoir et à garder le message de Dieu »26. Outre cette mise en perspective éclairante par un bibliste qui réfléchit sur les données du milieu naturel, de Vaux propose plus d’une centaine de corrections de détail sur les cartes, les localisations de site, les datations proposées, etc. Ses remarques vont jusqu’à des détails comme la datation de la domestication des chameaux, qui a des incidences sur la datation de l’époque des Patriarches, et certains choix de localisation qui peuvent être manipulés à des fins politiques, 24 Cf. CONTENSON, RB 74 (1967), 271-274 et lettre à Roland de Vaux, 4 octobre 1966. Archives de Contenson. 25 Cf. BALY & TUSHINGHAM 1971. 26 Version française de la préface de Roland de Vaux à l’Atlas of the Biblical World, archives de Vaux.

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comme le montra le New Israel Atlas de Zev Vilnay publié en 1969 par University Press. Le coordinateur du projet, Denis Baly, accepta presque toutes les corrections proposées par de Vaux. Ses exemplaires d’auteur arrivèrent à Jérusalem trois semaines après sa mort. Les voyages sont pour Roland de Vaux une manière de souffler à un moment où sa priorité est l’écriture de son Histoire ancienne d’Israël. En février 1967, il écrivait déjà à François Refoulé, qui a pris la suite de Thomas Chifflot à la direction des éditions du Cerf, pour lui dire sa perplexité devant l’ampleur que prenait le projet : « Je suis très occupé avec l’Histoire d’Israël. Et cela me pose un grave problème. Elle grandit et je suis entraîné à y mettre pas mal de notes et de références techniques, pour justifier mes positions. Cela n’est plus du tout le genre que nous avons établi pour nos Études annexes et que j’avais gardé pour mes Institutions. Je me demande si la solution ne sera pas que je donne mon travail complet (ou deux ou trois gros volumes) à nos Études bibliques chez Gabalda et un exposé plus sommaire (encore un bon volume) chez vous »27. Deux ans plus tard, il porte encore ce souci : « Personnellement, je suis pris depuis trois ans par la préparation d’une grande histoire d’Israël, qui me donne beaucoup de mal », écrit-il à un correspondant suisse le 21 août 196928. Ce projet étant sa priorité, il doit refuser certaines sollicitations, comme celle d’Edward Cambell Jr qui lui demande en décembre 1969 de republier dans Biblical Archaeologist son « The Hebrew Patriarchs and History », publié dans la Revue biblique de 1965. De Vaux hésite et souligne que ses positions ont changé : « Je suis dubitatif sur les ProtoAraméens, Je n’accepte plus les chameaux à l’époque patriarcale, et je suis très prudent dans l’utilisation des preuves extra bibliques (Nuzi…) ». Il demande à ce que la date de sa première parution soit mentionnée si l’article est republié. En avril 1970, dans une lettre à Henri Cazelles, il dit travailler à réviser le manuscrit de son Histoire d’Israël. Le premier volume, d’environ 600 pages, s’arrêtera au seuil de la période des Juges. Il y aura ensuite « les Juges et les Rois », puis « L’Exil et le retour ». « Je serai heureux si je peux finir avant ma mort ! », ajoute-t-il. Comme on l’a vu, il porte encore bien d’autres projets : son enseignement qui continue, les conférences et voyages internationaux aussi ; et un nouveau projet de fouille qu’il souhaitait confier à Jean Prignaud, qu’il destinait à le remplacer pour l’archéologie. 27 Lettre de Roland de Vaux à François Refoulé, 28 avril 1967. L’École biblique, depuis le Père Lagrange, édite ses travaux les plus spécialisés dans la collection Études bibliques, accueillie par la maison Gabalda, éditeur de l’École biblique depuis sa fondation, via un mariage avec la maison Lecoffre. 28 Lettre à Robert Martin-Achard, professeur à l’Université de Genève.

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4. 1970-71 : TELL KEISAN,

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UN DERNIER CHANTIER DE FOUILLE

En janvier 1962, Roland de Vaux conclut le rapport préliminaire des trois dernières campagnes de fouille à Tell el-Far‘ah (1958-1960) en considérant qu’elles ont « achevé de poser les principaux problèmes que soulève l’histoire archéologique de Tell el Far‘ah et que les éléments de solutions (ont) été rassemblés »29. Il n’exclut pas alors de revenir sur le site, mais la dégradation de la situation politique va rendre le site inaccessible, surtout après la guerre de juin 1967 qui a durci le partage de la Palestine et placé le site en territoire occupé. Selon les lois internationales régissant les sites archéologiques en territoire occupé (Convention de La Haye, 1954), il y a embargo sur toutes les fouilles archéologiques, la puissance occupante – en l’occurrence l’État d’Israël – devant préserver les sites mais s’abstenir de fouilles nouvelles30. Du côté de la Jordanie, l’horizon s’est également assombri et la collaboration avec le Service jordanien des Antiquités devient de plus en plus difficile, écrit de Vaux à André Parrot, conservateur au Musée du Louvre : une loi vient en effet d’être publiée en Jordanie qui « prévoit qu’un permis de fouilles ne sera accordé pour un site des IIe et Ier millénaires avant J.C. si le fouilleur ne s’engage pas à dépenser 5000 dinars par saison seulement pour les ouvriers locaux. » Ces dispositions, ajoutées à la nationalisation du Musée de Jérusalem, conduisent de Vaux à conclure que « la meilleure politique paraît celle de l’abstention »31. Ceci est ennuyeux pour l’École biblique, reconnaît de Vaux, car cela prive l’École de chantiers d’application pour ses jeunes étudiants, en particulier les boursiers de l’Académie. L’École biblique ne voulant pas abandonner ses activités archéologiques tente alors de trouver une alternative et s’en explique dans un memorandum présenté en 1970 au Consulat général de France à Jérusalem et à la Commission des fouilles du Ministère des Affaires étrangères : l’activité archéologique fait partie de la mission de l’École biblique, surtout depuis sa reconnaissance comme École archéologique française en 1920 ; cette activité constitue une part significative de la formation des étudiants qu’elle accueille, en particulier les boursiers de l’AIBL ; reprendre un chantier constitue enfin pour la 29

Cf. VAUX (de) 1962b. Ce que ne font pas plusieurs archéologues israéliens, dont Benjamin Mazar qui fait visiter à Roland de Vaux ses fouilles près de l’angle Sud-Ouest du Haram esh-sherif, en vieille ville et met de Vaux mal à l’aise : « He has no right to excavate there. This is against the Jordanian Law of Antiquities, which the Israelis have to implement in an occupied territory, as well as against the Israeli Law », (lettre à Paul W. Lapp, 30 septembre 1969). Archives du Couvent Saint-Étienne. 31 Lettre de Roland de Vaux à André Parrot, 10 septembre 1966. Archives du Couvent Saint-Étienne. 30

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France un moyen de rayonnement culturel dans un pays où les missions archéologiques étrangères sont nombreuses. Jean Prignaud qui travaille à sa thèse à Oxford avec Miss Kenyon est du même avis et pourrait être l’homme de la situation si l’École envisage de reprendre des fouilles. Reprendre un chantier en Israël n’est pas sans poser des questions, en raison de la situation politique. André Parrot, alors secrétaire générale de la Commission des fouilles au Ministère français des Affaires étrangères, ne lui cache pas le risque que fouiller en Israël compromette les possibilités futures de l’Ecole dans les pays arabes. Il serait donc favorable à un projet à Chypre, dont Prignaud a entrevu la possibilité durant son séjour à Oxford. De Vaux est d’ailleurs en contact très amical avec un jeune Américain, Paul W. Lapp, qui se prépare à ouvrir un chantier à Chypre où deux autres archéologues français fouillent déjà : Claude Schaeffer à Enkomi et Jean Pouilloux à Salamine. De Vaux est prêt à les contacter pour ménager leur susceptibilité. Lapp a été directeur de l’Institut Albright de Jérusalem de 1960 à 1965 et de Vaux le tient en estime en raison de la qualité des travaux qu’il a réalisés dans la région32. De Vaux connaît aussi Vassos Karageorghis, directeur du Département des Antiquités à Chypre. Trouver à Chypre un site du Bronze récent ou du début du Fer aurait l’intérêt d’« éclairer les contacts historiques et archéologiques entre Chypre et la Palestine », écrit de Vaux à Prignaud en novembre 196933. Il est prêt à faire nommer Prignaud « field director », la licence de fouille devant rester au nom de Roland de Vaux, en raison de son expérience et de sa notoriété. La difficulté est que fouiller à Chypre est plus coûteux que de fouiller en Palestine et Miss Kenyon a indiqué clairement que la 32 Paul W. Lapp (1930-1970) a commencé sa carrière par des fouilles à Tell Balata (Naplouse) en 1957, alors qu’il était étudiant à Johns Hopkins University, avant d’écrire à Harvard une brillante thèse sur la poterie de Palestine de 200 à 70 av. J.-C. Comme assistant du directeur puis directeur de l’Albright Institute, il conduit des fouilles à ‘Arâq al Amir, Tell el-Rumeith, Wadi Dâliyeh, Tell el Fûl et Tell Ta’annek. C’est durant cette période qu’il noue d’étroites relations avec le monde des chercheurs de Jérusalem et se lie à Roland de Vaux. En 1965, il est nommé senior field advisor auprès de l’agence américaine d’aide au développement pour des projets en Jordanie et Palestine et se lance dans la fouille du cimetière de Bâb ed-Dhrâ, mais il est rapidement nommé par ASOR Professeur d’histoire et d’archéologie du Proche-Orient ancien. Selon sa notice nécrologique dans The Biblical Archaeologist (vol. XXXIII, 1970), « il y avait peu d’hommes vivant connaissant le pays aussi bien que lui ». Son livre de 1969 Biblical Archaeology and History (World Publishers, New York, 1969) fit date et lui ouvrit la porte d’enseignements prestigieux aux États-Unis où de Vaux allait le visiter. Il mourut noyé, à l’âge de trente-neuf ans, à Chypre où il préparait une nouvelle fouille de la cité antique d’Idalion, ville fondée sur le commerce du cuivre au 3e millénaire av. J.-C. 33 Lettre de Roland de Vaux à Jean Prignaud, 12 novembre 1969. Archives du Couvent Saint-Étienne. Deux autres lettres de la même période (19 février 1970 et 11 avril 1970) permettent de suivre l’évolution de la réflexion.

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British School n’obtiendrait pas de financement pour autre chose que de l’archéologie palestinienne. Avec une certaine grandeur, de Vaux écrit à son jeune confrère Prignaud qu’il est prêt à appuyer tout projet et qu’il lui laisse la liberté de choisir entre une fouille à Chypre ou un site en Israël. Est-ce la noyade de Paul Lapp à Kyrenia au cours de l’été 1970 qui a interrompu le projet d’une fouille à Chypre ? On sait seulement que de Vaux fut très affecté par cette disparition prématurée. Finalement, et après discussion au sein de l’École, de Vaux se voit offrir par Avraham Biran, directeur des Antiquités israéliennes un très beau site en Galilée, convoité par de nombreuses missions étrangères, Tell Keisan, au sud-est de Saint-Jean d’Acre. D’une superficie de six hectares, le site a déjà été décrit par Victor Guérin dans sa Description géographique, historique et archéologique de la Palestine en 1880 et avait été l’objet d’un sondage en 1935 par l’archéologue britannique Alan Rowe, mais la révolte arabe vint interrompre l’entreprise. L’hypothèse en cours faisait de Tell Keisan un bastion « cananéen » ou phénicien non loin d’un autre Tell, Tell Gharbi, qui aurait été un poste avancé des tribus israélites de Galilée34. L’intérêt du site est de pouvoir « éclairer les périodes de la fin du Bronze récent et du début du Fer ainsi que les rapports entre la Palestine et les autres pays de la Méditerranée occidentale », résume le projet présenté par l’École biblique35. Il informe de sa décision Jean Prignaud qu’il prépare pour l’assister, voire lui succéder, sur les chantiers archéologiques. Il compte déjà sur lui pour le cours d’archéologie, ce que redoute un peu Prignaud. Le Département des Antiquités met seulement comme condition que l’École biblique s’engage sur une durée d’au moins cinq ans, pour aller au-delà d’un simple grattage superficiel et parvenir à des conclusions solides. Le Consul général de France relaie et appuie la demande auprès du ministre français Maurice Schumann : « Souhaitant retrouver une activité archéologique qu’elle avait interrompue en 1964 et que les événements, depuis 1967, ne lui avaient pas permis de reprendre, l’École biblique et archéologique française de Jérusalem a dû renoncer à entreprendre des fouilles dans les territoires actuellement occupés, où elle avait jusqu’alors exercé son action. Ayant donc tourné ses regards vers Israël, elle a obtenu du Département des Antiquités israélien un accord de principe pour l’exécution de fouilles sur un site reconnu, mais non encore exploré, et qui, de l’avis de tous les spécialistes, présente un très grand intérêt archéologique, celui de Tell Keisan, près de Saint-Jean 34 35

Cf. GUÉRIN 1880, t. 1, ch. 39. Mission de Tell Keisan, Israël, Prévisions de budget, septembre 1970.

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d’Acre »36. Pour l’École biblique, le tournant est important, qui met en évidence le réalisme de Roland de Vaux, qui allait au-delà des considérations politiques. Surpris du choix, Prignaud rentre d’Oxford en juillet 1970 et travaille au projet à présenter à la Commission des fouilles du Ministère. Les travaux sont prévus pour durer cinq ans. La mission se fera sous la responsabilité de Roland de Vaux avec Jean Prignaud comme directeur adjoint. Plusieurs assistants qualifiés sont prévus (un architecte-topographe, un photographe, un responsable du catalogue et de la poterie, un maître de camp et plusieurs assistants de chantier). Plusieurs anciens étudiants de l’École sont pressentis pour le chantier : Dominique Auscher, Jacques Briend, Jean-Baptiste Humbert, André Lemaire, Agnès Spycket, les deux boursiers de l’AIBL pour 1971 (Alain Chambon et Éric Godet) et, à tour de rôle pendant des périodes de six semaines, des petits groupes d’étudiants de l’École. Pour lancer le projet, le chef de mission demande un budget de 117 262 francs à la Commission des fouilles. Comme il s’agit des premières fouilles de l’École en Israël, le Consul général à Jérusalem sollicite aussi l’appui de l’ambassadeur de France à Tel-Aviv, ce qu’il fera, soulignant que « le fait que le Département des Antiquités ait confié à l’École biblique un site de choix montre assez l’importance qu’attachent les autorités israéliennes aux projets de cette Institution »37. Malheureusement, la Commission des fouilles n’accordera que 50 000 francs, ce qui complique beaucoup le lancement du chantier. De Vaux se démène au printemps 1971 pour obtenir un appui complémentaire du CNRS, avec l’appui du Consul général et de personnalités parisiennes comme André Parrot, Directeur du Musée du Louvre, mais il se heurte à la rigidité de l’administration. En juin 1971, rien n’est encore versé alors que le chantier doit commencer début juillet. « La préférence donnée à notre établissement alors que les Américains étaient également sur les rangs témoigne de façon éloquente de la considération dont jouissent les Pères dominicains de Saint-Étienne auprès des archéologues israéliens. Il reste qu’une telle préférence nous crée des devoirs : avant tout, celui de mener les choses à bonne fin, ou, à tout le moins, d’obtenir des résultats suffisants », écrit le Consul général Paul-Antoine Henry, afin d’obtenir une meilleure subvention pour la campagne suivante. De Vaux obtient, en revanche, une aide substantielle de 36 Note diplomatique du Consul général de France à Jérusalem M. Paul Henry à S.E. M. Maurice Schumann, Ministre des Affaires étrangères, 14 Janvier 1970. Archives diplomatiques. 37 Lettre de l’ambassadeur de France à Tel-Aviv, M. Francis Huré, au Ministre des Affaires étrangères, 21 janvier 1971.

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la National Geographic Society of America et un soutien matériel (tentes, outillages) des missions archéologiques britannique et allemande de Jérusalem. Il est clair que le prestige de Roland de Vaux a beaucoup compté dans l’obtention de ce beau chantier. Finalement, la fouille démarre malgré un budget amputé, ce qui contraint plusieurs anciens élèves à financer eux-mêmes leur voyage. La première campagne va durer deux mois, du 4 juillet au 3 septembre 1971, avec une équipe de fouilleurs allant de douze à dix-huit personnes, et entre quinze et trente ouvriers. Le manque de moyens financiers ne semble pas avoir entamé l’enthousiasme et l’ardeur de l’équipe comme le montre le premier rapport préliminaire publié dans la Revue biblique d’avril 1972 : Jean Prignaud et Jacques Briend font une présentation rapide du site et des questions qu’il pose ; André Lemaire propose de premières interprétations épigraphiques et Agnès Spycket une description de quelques premiers objets tirés de la fouille (anses de jarres, figurines, fibules) permettant déjà une première datation. Le site n’était pas tout à fait inconnu, le sondage fait en 1935 par Alan Rowe avait établi que le niveau le plus ancien est daté du Bronze ancien ; on trouve ensuite des niveaux du Bronze moyen et récent, puis des niveaux de l’âge du Fer I et II. Les niveaux supérieurs sont qualifiés de Perse-Hellénistique. La première mission de l’École biblique s’est employée à fouiller la partie du plateau oriental et permet déjà d’établir l’existence d’une vaste église de plan basilical, qui daterait de l’époque de Justinien. De premiers indices laissent déjà penser que les Byzantins aient fondé leurs murs sur des lignes de murs plus anciens mais la première campagne n’a pas permis de proposer une identification à un site ancien connu. Le site, en tout cas, était prometteur et constitue une belle opportunité pour une nouvelle génération d’archéologues de l’École biblique. Rentrant de Tell Keisan avec Jean Prignaud, Dominique Auscher et Timothy Radcliffe, un frère dominicain anglais de passage, il leur confie : « À Keisan, il y a du travail pour quatorze ans »38. 5. UN

SITE, EN FORME DE TESTAMENT

Dans son premier rapport préliminaire, Prignaud écrit : « C’est lui (le P. de Vaux) qui a fait choix de Tell Keisan et c’est, à coup sûr, à son autorité et à sa compétence que la mission a dû la concession d’un des sites archéologiques les plus importants et les plus prometteurs du pays. C’est la personnalité du P. de Vaux qui a rendu possible la composition d’une équipe 38

Témoignage du fr. Timothy Radcliffe.

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formée pour l’essentiel d’anciens élèves de l’École qui ont reçu de lui leur formation archéologique et connu l’existence d’un chantier de fouilles à Tell al-Far‘ah ou à Jérusalem. Bien que son état de santé lui ait interdit un séjour prolongé sur le chantier, le P. de Vaux y a fait à trois reprises plus que des visites d’inspection ou d’encouragement, même après qu’un accident lui ait immobilisé la jambe dans le plâtre. La conception du travail, sinon son exécution, a été son œuvre. Ses étudiants aiment à se souvenir de l’avoir vu sur le chantier actif, enthousiaste et heureux peu de jours avant sa mort »39.

En effet, Roland de Vaux a de sérieux soucis de santé depuis la fin du mois de février 1971 où il dû être hospitalisé pour soigner une artérite. « On me dit que ce n’est pas grave, écrit-il depuis l’hôpital au professeur George W. Anderson de l’Université d’Edimbourg. Je peux continuer à travailler un peu, corrigeant les épreuves du premier volume de mon Histoire, mais, étant loin de mes notes et de notre bibliothèque, je ne peux faire rien de sérieux. J’espère qu’on saura bientôt de quoi il s’agit et qu’on me libèrera »40. De retour de l’hôpital mi-mars, il doit complètement arrêter le tabac. Il lui arrive de faire des malaises en raison d’une légère thrombose cérébrale qui inquiète son entourage et l’oblige à annuler des conférences au Canada et sa participation à l’Oriental Congress d’Uppsala. Il reprend tout de même son enseignement mais ne peut pas marcher longtemps, ce qui l’ennuie car, même s’il est convenu que Jean Prignaud a la direction active de la fouille de Tell Keisan, le permis et l’argent ont été obtenus sous son nom. Infatigable, Roland de Vaux est d’autant plus déterminé à continuer qu’il veut faire aboutir le grand projet qu’il porte depuis plusieurs années, son Histoire ancienne d’Israël. 6. UN MAÎTRE

ET SES NOMBREUX DISCIPLES

Nombreux ont été les étudiants de l’École biblique qui ont suivi l’enseignement de Roland de Vaux et profité de ses visites archéologiques guidées. À son retour de Harvard, il a repris son enseignement, continuant à décliner, au fil des années, les périodes de l’Histoire d’Israël : « La monarchie israélite » (1965-66) ; « Les règnes de David et de Salomon » (1966-67) ; « La période monarchique » (1967-68) ; « L’installation en Canaan et la période des Juges » (1968-69) ; « de Saül à Salomon » (1969-70) ; « La période des Juges et l’institution de la Royauté » (197071). Il a également repris le cours d’archéologie : 1965-66 : « La vie 39

Cf. PRIGNAUD 1972, 228. Lettre de Roland de Vaux au professeur George W. Anderson, 9 mars 1971. Archives du Couvent Saint-Étienne. 40

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quotidienne en Israël d’après les textes et l’archéologie » ; 1966-67 : il s’en tient aux visites guidées du Musée, car Prignaud, qui s’est formé à Oxford auprès de Kathleen Kenyon, monte en puissance. 1968-69 : « La vie quotidienne en Israël à l’époque de la Monarchie, avec visites aux Musées » ; 1969-70 : « Archéologie biblique : visites expliquées des Musées de Jérusalem » ; 1970-71 : « Archéologie biblique : l’archéologie de la période israélite et visites expliquées des Musées de Jérusalem » ; 1971-72 : « Archéologie biblique : conférences de R. de Vaux ; visites expliquées des Musées ». Mais l’École propose pour les étudiants les plus motivés de réaliser un mémoire de fin d’étude : mémoire en un an pour le titre d’ancien élève, double mémoire pour le titre d’élève titulaire. Malgré ses nombreuses autres tâches, Roland de Vaux s’est beaucoup consacré à transmettre et à former des disciples. Entre 1953-54 et 1971, il a dirigé la recherche de plus de soixante-dix étudiants dans les domaines qui sont les siens : l’Ancien Testament et l’archéologie. Le premier à bénéficier de ses conseils fut un boursier de l’AIBL, l’abbé Maurice Baillet du diocèse de Bordeaux, qui préparait un mémoire sur les fragments araméens de Qumrân. Le sujet relève plutôt de l’épigraphie mais intéresse de Vaux dans la mesure où il conduit à ce moment les fouilles des grottes de la mer Morte. Baillet sera membre de la première équipe éditoriale des DJD. Les deux derniers étudiants qu’il accompagnera sont Francolino Gonçalves, un dominicain portugais qui lui succédera quelques années plus tard comme professeur d’Ancien Testament à l’École, et Alain Chambon, boursier de l’AIBL, qui poursuivra l’édition d’une partie de ses fouilles, en particulier Tell el-Far’ah. De Vaux suit entre deux et quatre mémoires par an, ce qui représente un travail considérable, car l’École exige que ce soit vraiment une recherche qui apporte du neuf, et que l’on ne s’en tienne pas à un status quaestionis ou à une synthèse de la littérature scientifique existante. Certaines années, il en suit davantage : sept en 1960-61, six en 1967-68, cinq en 1962-63. Le maximum est atteint durant l’année académique 1963-64 : douze mémoires ! La raison en est que de Vaux s’apprête à partir à Harvard et que l’on se bouscule pour bénéficier de ses conseils. À son retour, il reprend un rythme soutenu de quatre à six mémoires par an. Il est clair que son conseil est recherché. Ces étudiants viennent d’horizons divers : une quinzaine de pays au total, pays européens bien sûr (France, Allemagne, Belgique, Espagne, Hollande, Portugal, Tchéquie, Yougoslavie, Suisse), mais il y a aussi des étudiants venant d’Australie, du Brésil, du Canada, des États-Unis, et même du Burkina Faso et de Colombie. Noter aussi la présence de plusieurs protestants, comme le bibliste suisse Albert de Pury et l’archéologue-épigraphiste Pierre Bordreuil.

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Les sujets de recherche sont variés. Pour les mémoires à caractère biblique, une quarantaine, on relève les sujets suivants : la doctrine de l’élection dans le Deutéronome ; la crainte de Dieu dans le Tétrateuque et la suite deutéronomique ; le Royaume de Juda au temps d’Ozias. Histoire et archéologie ; La condition humaine après la chute. Un essai de littératures comparées ; l’Alliance à Sichem ; les souvenirs patriarcaux dans le Deutéronome ; les conséquences de la chute de Jérusalem en 587 av. J.-C. ; la montagne sainte dans les mythes de l’Orient ancien et dans l’Ancien Testament. Signification et évolution du symbole religieux ; Récit antimonarchiste et vocabulaire deutéronomiste ; la Pâque et la sortie d’Égypte ; les termes Israël et Fils d’Israël dans les livres historiques de Genèse jusqu’à 2 Rois ; le sanctuaire de Béthel dans Juges 19-21 ; Exode 13, 3-16 et son rapport au Deutéronome ; les deux traditions sur la création en Genèse 1-3 et Philon d’Alexandrie ; Aaron dans les traditions anciennes du Pentateuque. Il arrive que le mémoire soit rédigé en anglais, en allemand ou en espagnol : Evolution of the Theology of Jerusalem in the Book of Isaiah ; The Nature of Saul’s Kingship ; Priesthood in Israel before the Time of Saul ; The Israelite Central Sanctuary prior to the Establishment of the Monarchy ; Die Theocratie nach den beiden Makkabäerbuchen ; Wesen, Ursprung und Bedeutung des Bundesopfers in Israel ; Der Grundbesitz in Israel ; La Gehena, el Seno di Abrahamo y el juicio particular en la litteratura judía precristiana ; Significación del epitetes divino Yahve sabaot en los libros históricos del Antico Testamento ; La alianza de Yahve con el rey David ; Edom, Ensayo de reconstrucción histórica ; II Reyes XVII 7-23; 35-39 en la redacción deuteronomista preexílica del libro de los reyes. Pour un étudiant brésilien, de Vaux accepte même un mémoire en langue portugaise : A narraçao das prages no Egito, Ex 7:8 - 10:27. De Vaux se disait incompétent en Nouveau Testament mais accepte, néanmoins, l’un ou l’autre mémoire sur des thèmes liés à la connaissance de l’Orient ancien ou à des données de l’archéologie : La guérison du paralytique en Jean 5, 1-10 et les dieux guérisseurs du paganisme hellénistique à Jérusalem d’après les textes et l’archéologie. Il y a, bien sûr, quelques mémoires liés à Qumrân, traités par de futurs collaborateurs : fragments araméens de Qumrân (Maurice Baillet) ; La guerre des Fils de lumière contre les fils des ténèbres. Contribution à l’établissement du texte (Jean Carmignac) ; Les fragments christo-palestiniens de Khirbet Mird (Charles Perrot). Une trentaine de mémoires relèvent de l’histoire de l’Orient ancien ou de l’archéologie. En voici la liste par ordre chronologique : • La route romaine de Jérusalem à Jéricho • Vestiges archéologiques de l’occupation assyrienne en Palestine

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• Les rapports commerciaux entre la Palestine et l’Arabie antérieurement à l’époque grecque • La poterie palestinienne et la Bible • La métallurgie en Palestine ancienne et certaines de ses applications : les armes offensives • Les palais de la Bible • L’habitation privée en Palestine pendant la période israélite. Données archéologiques • Le site d’Araq el Emir • Les débuts de l’époque du Fer à Megiddo. Résultats de fouilles et état de la question • Les fortifications israélites à l’époque monarchique • Cronología de la cerámica chipriota hallada en Palestina • Recherches sur les nécropoles et ossuaires « chrétiens » de la région de Jérusalem • Diferencias entre la cerámica del Reino del Norte y del Sud durante la monarquía divida en Palestina. • Notes textuelles et archéologiques : les murailles de Néhémie • Remarques sur l’iconographie du dieu de l’orage dans le Proche-Orient ancien, notamment en Syrie au VIIe s. av. JC. • La montagne sainte dans les mythes de l’Orient ancien et dans l’AT. Signification et évolution du symbole religieux • Le plan et l’architecture du Temple de Salomon d’après les parallèles orientaux • Les parallèles extérieurs du chalcolithique palestinien • La présence grecque en Palestine avant la conquête d’Alexandre • Typologie et chronologie relative de la céramique du bronze ancien de tell el-Far‘ah • Observations sur le calendrier de Gezer • Cult stones of Ancient Palestine • L’époque préurbaine en Palestine. Recherches sur les origines de la civilisation urbaine en Palestine • Les débuts de l’époque du Fer en Palestine et leur interprétation historique • Les ostraca de Samarie et la géographie administrative du Royaume d’Israël • Le plateau central de Benjamin. Essai de géographie humaine et historique (secteur Râmallah- Nebi Samwîl) • Tell el-Far‘ah. L’installation du Moyen Bronze antérieure au rempart • Tell el Far‘ah - Niveau III - Fer 1.

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Une vingtaine d’étudiants présentant ces mémoires sont des boursiers de l’AIBL. Un nombre impressionnant de ces élèves de Roland de Vaux vont faire de brillantes carrières, comme enseignants chercheurs, biblistes ou archéologues41. En études bibliques, on mentionnera par ordre alphabétique et sans vouloir être exhaustif : Pierre Bonnard, prêtre du diocèse de Lyon (AIBL 1957-58) ; Jean Carmignac (1914-1986), fondateur de la Revue de Qumrân ; Guy Couturier (1929-2017), directeur du département d’études bibliques à l’Université de Montréal (Canada) ; René Feuillet, Sulpicien (AIBL 1955-56), dont le frère André Feuillet (1909-1998), sera l’auteur d’une célèbre Introduction à la Bible ; Francolino Gonçalves (1943-2017), professeur d’Ancien Testament à l’École biblique et spécialiste des ouvrages prophétiques ; François Langlamet (1931-2005), dominicain français, professeur d’Ancien Testament à l’École biblique, qui se chargera d’éditer une partie des manuscrits de l’Histoire ancienne d’Israël laissés par de Vaux à sa mort ; André Lemaire (né en 1942), épigraphiste spécialisé dans la civilisation Ouest -sémitique ancienne et les origines du monothéisme, sera directeur d’études à l’École pratique des hautesétudes ; Michel Lestienne (1932-2013), ancien collaborateur de Sources Chrétiennes et de la Bible d’Alexandrie ; Jean L’Hour (né en 1932), auteur de plusieurs ouvrages sur le Pentateuque, professeur au Collège général de Penang (Malaisie) et traducteur de plusieurs livres de la Bible Bayard ; Charles Perrot (1929-2013), spécialiste du judaïsme contemporain de Jésus, professeur de Nouveau Testament à l’Institut catholique de Paris ; Albert de Pury (né en 1940), professeur d’Ancien Testament aux facultés de théologie de l’université de Neuchâtel puis de Genève, auteur d’une thèse remarquée sur le Cycle de Jacob. Il est à l’origine du livre collectif Le Pentateuque en question (1989), qui fut, en son temps, la meilleure introduction disponible sur le sujet ; Adrian Schenker (né en 1939), dominicain, professeur d’Ancien Testament à l’Université de Fribourg et éminent expert en critique textuelle, responsable de l’édition critique de la Biblia Hebraica Quinta. On pourrait ajouter, parmi d’autres noms, Antoine Vanel (1934-1978), professeur à l’Institut Catholique de Paris qui a mis en place la BOSEB (Bibliothèque œcuménique et scientifique d’études bibliques de l’Institut Catholique de Paris). En archéologie, citons Jacques Briend (1932-2017) qui sera professeur à l’Institut catholique de Paris ; Pierre Bordreuil (1937-2013), auteur de 41

Plusieurs seront membres de la Commission biblique pontificale : Jacques Briend, Guy Couturier, Francolino Gonçalves, Adrian Schenker, etc.

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nombreuses fouilles, responsable de l’équipe épigraphique de la mission française de Ras Shamra entre 1977 et 2008 ; Jean-Louis Huot (né en 1939), spécialiste de la Mésopotamie ancienne, directeur de la mission archéologique française de Larsa de 1974 à 1990, puis de l’Institut français d’archéologie du Proche-Orient (IFAPO) puis professeur à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne ; Burton MacDonald (né en 1939), archéologue canadien spécialisé dans l’archéologie de la Jordanie, sera professeur à Université Saint-François Xavier d’Antigonish (Canada) ; Pierre de Miroschedji (né en 1944) sera responsable, entre autres, des fouilles de Tell Yarmouth, directeur du Centre de recherche français de Jérusalem entre décembre 2004 et septembre 2008 et membre du CNRS entre 1970 et 2015 ; Jean Sapin (1930-2015) spécialisé dans l’archéologie de la Jordanie, il participe aux missions de l’École Biblique dans la région de Khirbet Samra, et à celles de l’équipe espagnole qui étudie la région du Jebel Mutawwaq. De Vaux était indiscutablement un maître, dont l’autorité déplut parfois à tel ou tel. Ce fut le cas de Jean Perrot, que de Vaux exclut de l’École en 1947, l’ancien étudiant s’étant indument réclamé dans un article du Journal de Jérusalem d’une École à laquelle il n’appartenait plus. Cela ne l’empêchera pas de faire une très brillante carrière de paléontologue. L’ironie de l’histoire fera qu’il succédera en janvier 1965 à Roland de Vaux comme membre correspondant de l’AIBL quand son maître sera nommé membre libre non résident de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Un archéologue espagnol, qui a repris la fouille de Tell el-Far’ah, a récemment mis en évidence l’influence de Roland de Vaux dans la formation de deux pionniers de l’archéologie orientale en Espagne : Joaquim González Etchegaray (1930-2013) et Emilio Olávarri Goicoechea (19292002)42. De Vaux, écrit Etchegaray, était un maître très exigeant mais « une exigence à la mesure de l’estime et de la confiance qu’il plaçait dans l’avenir scientifique de son étudiant ». Durant son temps à l’École, il lui fit ainsi un plan de travail très précis : passer toutes les matinées au Musée Rockefeller à dessiner des pièces archéologiques et les après-midis à la bibliothèque de l’École pour étudier articles et monographies sur l’archéologie de la région. Quelques années plus tard, Joaquin Gonzalez Echegaray sera le premier Espagnol à diriger un projet archéologique en Transjordanie, la grotte préhistorique de Mogaret Dalal. Plus tard, il se lance dans la fouille du site préhistorique d’el-Khiam près de Bethléem dans le désert de Juda et s’appuie sur les conseils de Roland de Vaux, 42

Cf. MONTERO FENOLLÓS 2020, 115-125.

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à qui il rend hommage dès les premiers résultats de fouille43. Quant à Emilio Olávarri il avait préparé deux diplômes avec Roland de Vaux en 1960-61 et 1961-62, le diplôme d’ancien élève puis le diplôme d’élèvetitulaire. Olávarri reviendra dans la région, sera directeur de la Casa de Santiago à Jérusalem de 1965 à 1971 et responsable de plusieurs fouilles (forteresse d’Arair, la cité moabite de Tell Medeineh, la citadelle d’Amman et l’agora de Gerasa). De Vaux avait mis ces deux étudiants prometteurs en relation avec Kathleen Kenyon et Diana Kirkbride, deux éminentes archéologues britanniques du moment qui fouillaient à Jéricho. Roland de Vaux a vraiment été un maître. Pierre de Miroschedji, qui l’eut pour parrain (sic) au CNRS dans son travail de thèse, dit n’avoir eu que deux maîtres dans sa vie, Roland de Vaux et Pierre Amiet, et rapporte ce souvenir qui en dit long : « Rencontrant de Vaux qui allait faire son cours, il me dit : “je ne sais pas ce que je vais dire”. Cela ne signifiait pas, bien entendu, qu’il n’avait rien préparé. Au contraire, il avait derrière lui des années de recherches et de lectures. Il passait au moins une matinée par semaine à dépouiller à la bibliothèque les revues et les livres qui venaient d’arriver. Cela signifiait que sa recherche était encore en train de se faire. Enseigner n’était pas dérouler des connaissances, c’était s’efforcer de renouveler le sujet, le repétrir »44. Cela lui permet d’ailleurs de sortir de temps en temps de son programme historique et d’oser des synthèses thématiques comme ce cours non daté intitulé La justice et l’immortalité dans le Livre de la Sagesse. Gildas Hamel, étudiant à l’École biblique en 1966-68, reconnait aussi une influence décisive de ce maître qui a orienté sa carrière ultérieure : « Sa passion et sa science ont eu une grande influence sur moi. Quel exemple de l’entendre arriver à toute heure à l’ancienne bibliothèque, claquer la porte, feuilleter un ou plusieurs livres, les refermer brusquement, et repartir aussi vite pour ce que l’on devinait être la préparation de ses cours et la rédaction de sa grande Histoire d’Israël qui devait remplacer le Kittel »45. D’une certaine manière, plus qu’une œuvre personnelle – elle sera assez inachevée comme on va le voir – de Vaux a laissé des disciples, leur laissant même la possibilité de ne pas toujours suivre ses conclusions, comme le souligne Albert de Pury : « J’avais pour le Père de Vaux une sorte de vénération, j’admirais notamment la force 43

Cf. ECHEGARAY, 1963 et ECHEGARAY 1964. Entretien avec l’auteur, septembre 2021. Les archives de Vaux contiennent plusieurs boîtes remplies de ses notes de cours, notes très rédigées, avec des bibliographies dactylographiées qu’il distribuait aux étudiants. 45 Entretien avec l’auteur, décembre 2021. Professeur à l’University of California de Santa Cruz, Gildas Hamel est l’auteur de Poverty and Charity in Roman Palestine. First Three Centuries C.E. Cf. HAMEL 1990. 44

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de ses mises en scène, la qualité de son langage, l’étendue de son savoir, et dans son ensemble, “l’univers” issu de son travail. Impressionnant ! De plus, il m’inspirait comme à la plupart de nos condisciples une affection spontanée. Pourtant, je n’étais pas toujours sûr que nos questions se rencontrent sur le plan des méthodes que je cherchais à suivre. Une fois il m’avait dit : “vos analyses sont excellentes, mais il faut changer les conclusions” »46. Il a laissé aussi un exemple de passion pour la recherche, comme le montre ce mot de juin 1969 à l’universitaire britannique Harold Henry Rowley : « J’ai beaucoup travaillé cette année sur la question de l’installation des tribus en Canaan. J’ai tenté de trouver de nouvelles approches et cela signifie que je vais être en désaccord avec à peu près tout le monde ! Mais c’est ça qui garde nos études vivantes »47.

46

Entretien avec l’auteur, mars 2022. Lettre de Roland de Vaux à Harold H. Rowley, 19 juin 1969, Archives du Couvent Saint-Étienne. 47

CHAPITRE HUITIÈME

UNE ŒUVRE INACHEVÉE ? « Les dix années qui lui auraient permis d’achever son œuvre, Dieu ne les lui a pas consenties ». Pierre Benoit, 1971.

Le fil conducteur de l’œuvre de Roland de Vaux c’est l’étude de l’histoire ancienne d’Israël qu’il travaille depuis la fin des années 1930 ; c’est ce qu’il s’emploie à documenter à travers les fouilles dont il a eu l’initiative, Tell el Far‘ah et Keisan, en particulier – Qumrân qui n’était pas dans son domaine lui a été en quelque sorte imposé – ; qu’il enseigne avec fébrilité durant les années qui précèdent et suivent le séjour de 1964-65 à Harvard. Il voyait l’Histoire ancienne d’Israël comme l’œuvre de sa vie ou, surtout, comme la synthèse de sa recherche. Elle sera inachevée, comme plusieurs autres de ses entreprises. 1. UN

TRAVAIL PRINCIPAL ET BIEN D’AUTRES

Un courrier d’avril 1964 de l’éditeur londonien Darton, Longmannn & Todd montre que de Vaux, qu’il vient de voir à Londres en route pour les USA, espérait profiter de son séjour américain pour se lancer dans la rédaction d’une Histoire d’Israël. L’éditeur britannique se met tout de suite sur les rangs pour une édition anglaise de l’ouvrage qu’il perçoit comme une synthèse (« this future major work of yours »). De Vaux est parvenu à une étape de sa vie où il s’agit de « nouer la gerbe » : il a beaucoup étudié, fouillé, enseigné, publié ; l’heure est venue d’organiser sa pensée sur le sujet qui l’a le plus occupé au long de sa vie intellectuelle. En fait, dans ses cours à Harvard et ses conférences dans diverses universités et séminaires d’Amérique du Nord, il va continuer à labourer le sujet mais ne s’attelle pas encore à une rédaction systématique. « Personnellement, je suis pris depuis trois ans par la préparation d’une grande Histoire d’Israël, qui me donne beaucoup de mal », écrit-il le 21 août 1969 au professeur Martin-Achard de Genève, ce qui laisse deviner qu’il ne s’est mis à rédiger vraiment qu’en 1966. À François Refoulé, directeur des éditions

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du Cerf, qui lui écrit en février 1967 se réjouir de recevoir à l’automne le manuscrit du premier tome, de Vaux répond que l’ampleur que prend son manuscrit le fait hésiter sur la collection à retenir : ne vaut-il pas mieux en faire deux ou trois gros volumes dans la collection Études bibliques de Gabalda, complétés par un ouvrage plus sommaire mais encore consistant aux éditions du Cerf. Finalement, c’est l’option retenue comme le montre une correspondance avec le directeur des éditions du Cerf qui s’impatiente : « Histoire d’Israël. C’est, depuis deux ans, mon travail principal. Je pense donner à Gabalda, d’ici un an ou un an et demi, un premier volume qui ira jusqu’à l’institution de la royauté. D’après notre agrément, je devrai vous donner ensuite un ouvrage plus sommaire qui couvrirait toute l’histoire jusqu’à la conquête romaine. Je vous l’ai promis dans deux ans, 1970. Je tiendrai peut-être ma promesse, mais il est possible que je vous demande une année de délai. Mais, comme je vous l’ai dit, c’est mon travail principal »1. Travail principal ? ce n’est pas le seul en tout cas, car il suit aussi et coordonne la première révision de la Bible de Jérusalem, en lien avec Dominique Auscher, ancienne étudiante boursière de l’AIBL à l’École biblique (1963-64). Elle va devenir la coordinatrice des éditions bibliques aux éditions du Cerf. En mai 1971, les révisions des livres de l’Ancien Testament sont bien avancées, grâce à de multiples collaborateurs que suit Roland de Vaux (Auvray, Bonnard, Dreyfus, Larcher), mais la révision du Nouveau Testament, confiée au P. Benoit, se fait attendre. Il y a, par ailleurs, la fouille de Tell Keisan que de Vaux peine à faire financer et qui démarre malgré tout en juillet 1971. De surcroît, il continue à enseigner et traite, à son retour des États-Unis, diverses périodes qui seront autant de chapitres de son livre : la monarchie israélite (1965-66), les règnes de David et de Salomon (1966-67), la période monarchique (1967-68), l’installation en Canaan et la période des Juges (1968-69), de Saül à Salomon (1969-70). Le programme de l’École annonce un cours sur la période des Juges et l’institution de la Royauté pour l’année académique 1970-71. Il continue aussi à assurer la direction de mémoires d’étudiants : en 1969-70, un mémoire de Burton MacDonald intitulé The Origin of the Old Testament Tribe of Benjamin, ainsi qu’un mémoire de Joël Mallet sur Tell el- Far‘ah. L’installation du Moyen Bronze antérieure au rempart ; en 1970-71, un mémoire de première année d’Alain Chambon sur Tell el-Far‘ah, Niveau III-Fer. 1

Lettre de Roland de Vaux à François Refoulé, 2 juillet 1968. Archives du Couvent SaintÉtienne.

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Roland de Vaux continue aussi à publier des articles : en 1967, il publie dans la Revue biblique un long article sur « les Hurrites de l’histoire et les Horites de la Bible », article qui lui vaut une correspondance consistante avec l’égyptologue Jean Leclant et fait l’objet d’une communication à l’AIBL le 6 octobre 19672. En 1968, il donne un article intitulé « Le pays de Canaan » pour un volume à la mémoire de l’assyriologue et exégète américain Ephraïm A. Speiser (1902-1965) dans le Journal of the American Oriental Society3. En 1969, c’est un article de près de soixante pages sur « Le sacerdoce en Israël, le temple, le sacrifice » pour un volume en honneur du cardinal Ottaviani4 ; en 1969 encore, il publie dans Concilium un article intitulé « Présence et absence de Dieu dans l’histoire d’après l’Ancien Testament »5. La même année, il envoie un article pour les Mélanges de Maurice Dunand réunis par l’Université Saint-Joseph de Beyrouth6. Sa contribution qui a pour titre « La Phénicie et les peuples de la mer »7 lui vaut une réponse très émouvante de Dunand : « Mon Père, j’ai été heureux de lire votre belle étude dans les Mélanges de l’Université Saint-Joseph. Votre amitié me touche beaucoup. Et dans le cercle d’amis et de collègues qui m’entourent, vous êtes un des plus fidèles et des plus anciens […]. Pour la remise des Mélanges, j’ai tenu à la présence de l’École biblique. Le père Boilot vous représentait. Qu’ils étaient beaux les jours de Saint-Étienne. Et c’était pour moi la fleur de l’âge et non les pleurs comme aujourd’hui »8. En 1969 encore, à la demande d’André Parrot, Roland de Vaux accepte de participer aux Mélanges offerts à Claude Schaeffer à l’occasion de la trentième campagne de fouilles à Ugarit et propose un article intitulé « El et Baal. Le Dieu des Pères et Yaweh ». Il veut rendre hommage au fouilleur de Ras Shamra et s’interroge sur « les différents aspects que prend la religion cananéenne » selon qu’on la regarde d’Ugarit ou de Palestine ou d’Égypte ». En conclusion, il estime que « Yaweh n’a rien emprunté à la mythologie de Baal. Il est resté le Dieu unique, sans parèdre, il est sans concurrent, il est tout puissant. Il 2

Cf. VAUX (de) 1967b ; 1967a. Cf. VAUX (de) 1968. Speiser s’était fait connaître par la fouille de Tepe Gawra en Irak, et a fait sa carrière entre l’École américaine de recherche archéologique de Bagdad et l’Université de Pennsylvanie. Il a aussi enseigné à l’Université hébraïque de Jérusalem. 4 Cf. VAUX (de) 1969a. 5 Cf. VAUX (de) 1969b, 13-22 dans l’édition française. 6 Maurice Dunand (1898-1987) a été directeur de la Mission archéologique française au Liban. Il a fouillé à Byblos de 1924 à 1975 et fondé la revue Syria. 7 Cf. VAUX (de) 1969d. 8 Lettre de Maurice Dunand à Roland de Vaux, 7 janvier 1971. Maurice Dunand a été un des premiers boursiers de l’Académie à l’École biblique en 1923-24 et il écrit au moment de la guerre du Liban ; d’où sa référence aux « pleurs d’aujourd’hui ». 3

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n’a pas d’histoire personnelle, comme en avaient les dieux de la mythologie, mais il est le Dieu de l’histoire et le Dieu de l’alliance. Ces traits font l’originalité de la religion d’Israël et la mettent à part, et au-dessus, de la religion de Canaan et de toutes les religions de l’Ancien Orient »9. En 1970, il écrit un article sur « Les Philistins dans la Septante » pour les Mélanges offerts au professeur Joseph G. Ziegler de la Faculté de théologie de Würzburg. En 1970 encore, il rédige pour le Festchrift de Herbert May, professeur à Oberlin College, Ohio, un article intitulé « The Settlement of the Israelites in Southern Palestine and the Origins of the Tribe of Judah » ; Herbert May est une relation de longue date et c’est lui qui avait invité Roland de Vaux à donner les Haskell lectures en 1968. Dans cet article, de Vaux reprend sa contribution sur le même sujet au cinquième congrès mondial d’études juives qui s’est tenu à Jérusalem en 1969. Parmi les organisateurs, on trouve les archéologues Yigal Yadin et Benjamin Mazar, avec qui de Vaux a eu affaire. La même année, il contribue aux Mélanges d’André Dupont-Sommer avec un article intitulé « L’itinéraire des Israélites de Cadès aux plaines de Moab »10. En 1971, il contribue au nom de l’amitié et malgré ses occupations à un volume à la mémoire de Paul Lapp, récemment disparu11. Il y ajoutera un article pour le numéro spécial de la Harvard Theological Review réuni à la mémoire de celui qui était pour lui un ami : « La thèse de l’“amphyctionie israélite” »12. Il le fait d’autant plus volontiers que ce texte sera l’un des chapitres du second volume de son Histoire ancienne d’Israël qu’il est en train d’écrire, confiet-il au censeur de Rome à qui il demande toujours un nihil obstat. En réalité, Roland de Vaux, au sommet de sa notoriété, est très sollicité et doit aussi refuser régulièrement des demandes d’articles voire des propositions d’ouvrage comme celui sur les Patriarches que l’éditeur newyorkais Doubleday lui propose d’écrire. Il refuse aussi en juin 1969 une offre de conférence au Hartford Seminary (Connecticut). Parfois l’insistance se fait grande comme c’est le cas lorsque Frank Leslie Cross d’Oxford lui propose d’intervenir lors de l’International Conference of New Testament Studies en septembre 1969. Après un premier refus, de Vaux, qui se dit incompétent en études néotestamentaires, accepte par amitié mais le décès brutal de son hôte lui permettra d’éviter un déplacement supplémentaire. Ses archives contiennent une liasse épaisse d’offres de conférences ou de publications que Roland de Vaux a dû refuser, par faute de 9

Cf. VAUX (de) 1969c. Cf. VAUX (de) 1971b, 331-342. 11 Cf. VAUX (de) 1971d, 23-33. 12 Cf. VAUX (de) 1971d. 10

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temps. Au professeur Jean Delumeau qui le sollicite en juin 1970 pour contribuer à un ouvrage sur l’homme de l’Ancien Testament, de Vaux argumente son refus en disant : « le premier volume (de l’Histoire ancienne d’Israël) vient d’être donné à l’impression, mais j’ai encore deux volumes à écrire, qui m’occuperont entièrement pendant cinq ou six ans, c’est-àdire probablement jusqu’à la fin de mon activité efficace d’auteur »13. En 1970, il refuse une offre de visiting professor à l’Iliff School of Theology de Denver (Colorado) pour l’été 1971. La Revue biblique, en revanche, publie de nombreux comptes rendus ou recensions d’ouvrage de sa plume durant ces années 1970-71. Malgré ces diverses tâches, de Vaux est en mesure de terminer un premier volume qui est envoyé chez l’éditeur au cours de l’été 1970. Il en corrige les premières épreuves au printemps 1971 et confie la correction des index des secondes épreuves à Daniel Bourgeois, un jeune frère dominicain du Saulchoir étudiant à l’École biblique durant les deux années 1969-70 et 1970-71. Celui-ci lui écrit le 31 août 1971 : « Je ferai tout mon possible pour que la dernière révision des index vous soit épargnée. Merci encore d’avoir voulu en corriger les premières épreuves ». 2. L’HISTOIRE ANCIENNE D’ISRAËL OU

LE PROJET D’UNE VIE

« J’ai longtemps hésité sur le titre qu’aurait cet ouvrage », écrit Roland de Vaux dans la préface de son premier tome, où il définit le périmètre de son étude. Il ne s’agit pas vraiment d’une Histoire d’Israël, car « Israël » n’émerge dans l’histoire que comme le nom collectif donné à un groupe de tribus après leur installation à Canaan »14. Son entité politique cesse d’exister politiquement après la chute de Samarie et la réduction du Royaume du Nord en province assyrienne. Le nom « Israël » avec sa connotation religieuse va aussi être en compétition avec « judaïsme » après le retour d’exil. Parler d’« Histoire de l’Ancien Testament » n’est pas adéquat non plus, car l’alliance noué par Dieu avec son peuple dépasse l’Ancien Testament. Faudrait-il plutôt parler d’« Histoire du peuple de l’Ancien Testament » ? De Vaux adopte finalement Histoire ancienne d’Israël, pour intégrer la dimension religieuse et la dimension historique, car il fait œuvre d’historien mais l’histoire de ce peuple a un caractère unique, intimement liée à une foi et ne nous est accessible qu’à travers des livres religieux. Comme pour ses Institutions de l’Ancien Testament, sa recherche doit donc encore partir de textes, lus rigoureusement selon les méthodes de la critique 13 Lettre de Roland de Vaux à Jean Delumeau, 1er juillet 1970. Archives du Couvent Saint-Étienne. 14 Cf. VAUX (de) 1971a, 7.

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littéraire. Mais, derrière les textes, il y a des traditions orales et surtout un contexte qui implique de vastes territoires du Proche-Orient ancien qui ont aussi leurs textes, leurs vestiges historiques et parfois, rarement, des liens explicites avec des personnages ou des événements de la Bible. Le parti pris méthodologique est de « maintenir un équilibre […] entre la critique littéraire et l’utilisation des témoignages externes ». Trois volumes sont envisagés pour dresser cette vaste fresque : un premier volume étudiera les origines du peuple jusqu’à sa constitution comme « peuple d’Israël » après l’installation des tribus en Canaan. Le deuxième volume ira de l’époque des Juges à la ruine du Royaume de Juda. Le troisième portera sur les périodes exilique et postexilique jusqu’à la conquête d’Alexandre. De Vaux reconnaît en abordant cette large fresque ce qu’il doit à Rudolf Kittel, universitaire allemand de Tübingen, qui avait publié entre 1888 et 1929 une monumentale Histoire du peuple d’Israël qui fut « le premier à mettre en œuvre, pour l’histoire d’Israël, les découvertes du Proche-Orient en même temps que les résultats, alors considérés comme acquis, de la critique littéraire ». Les progrès de la recherche rendent néanmoins nécessaire de reprendre le dossier. Il fallait l’expérience, la vaste culture et l’énergie d’un Roland de Vaux pour entreprendre à frais nouveaux une telle entreprise. Le premier volume de six cent soixante-quatorze pages qui sort en 1971 comprend un prologue et trois grandes parties. Le prologue définit ce qu’on entend par « pays de la Bible » et fait le point sur ce que l’on sait de la Palestine pendant la première moitié du deuxième millénaire avant J.-C., sous les dynasties égyptiennes et ce qu’on a appelé le pays de Canaan. L’histoire du peuple d’Israël prend en effet naissance et consistance dans un contexte géographique, culturel et cultuel qui va interférer avec lui : il suffit de penser aux conflits entre le culte à Yahweh et les cultes de Canaan. Pour documenter le dossier, de Vaux sollicite les textes bibliques mais aussi non bibliques découverts dans les documents égyptiens à Tell el-Amarna ou à Ras Shamra-Ugarit. On s’intéressait beaucoup à Ugarit, à l’époque, car on estimait que cette civilisation datant de onze siècles avant notre ère offrait une documentation cananéenne unique, avec écriture, sur une période proche de l’époque de David et donc intéressante dans le cadre d’une datation de la Bible qualifiée de « chronologie haute », datation sur laquelle on est largement revenu depuis. À l’époque de Roland de Vaux, cela n’était pas aussi admis qu’aujourd’hui. Il doit donc prendre position sur des questions complexes comme l’historicité de la présence en Palestine des Hittites, des Amorites et des Jébuséens, peuples mentionnés dans la Bible mais dont l’attestation historique est douteuse, ce qui ne signifie pas qu’il n’y ait pas eu de contacts. Des sujets comme la

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connaissance de la religion cananéenne ont beaucoup progressé avec la publication des textes religieux de Ras-Shamra : on découvre une religion polythéiste, avec El comme figure principale du panthéon, mais qui ne parvient pas à écarter d’autres dieux ou déesses comme Asherat, Baal et Anat, avec qui se jouent des relations de pouvoir et de séduction. « Les paysans de la campagne devaient être captivés par ces aventures de leurs dieux, desquelles ils faisaient dépendre la fertilité de leurs champs et la fécondité de leurs troupeaux. On comprend la séduction que cette religion violente et sensuelle exerça sur les Israélites lorsqu’ils s’établirent en Canaan […]. Le conflit entre Yahvé et Baal éclata dès l’entrée en Canaan »15.

Un tel arrière-plan permet de situer le contexte de naissance d’Israël de l’Ancien Testament. Un regard attentif sur la documentation du prologue prend la mesure de la culture de Roland de Vaux, de l’immensité de sa documentation, mais aussi de sa capacité à en faire une synthèse lisible. C’est le fruit du travail d’une vie, de beaucoup de mises au point. Sur la seule question des hourrites, par exemple, on a vu de Vaux recenser les travaux des spécialistes, multiplier les conférences et les articles16. Il faut ajouter que ces sujets sont étudiés et débattus autour de lui à l’École, comme le montre la longue recension donnée à l’étude de Posener en 1941 par le père Vincent, auteur trente-cinq ans plus tôt d’une première synthèse sur Canaan17. La première partie de l’étude des origines du peuple d’Israël est consacrée aux traditions patriarcales, que de Vaux entreprend de synthétiser à partir des textes bibliques eux-mêmes mais aussi de quelques traditions extrabibliques. Il prend acte de « l’énorme travail de critique littéraire accompli depuis deux siècles sur le Pentateuque en général et sur la Genèse en particulier » et part du fait que « l’opinion la plus commune reste attachée à la théorie documentaire et reconnaît, dans la Genèse, trois des quatre grandes sources du Pentateuque : la source yahviste (J), la source élohiste (E) et la source sacerdotale (P.) »18. Les sources extrabibliques permettent de vérifier si cette « histoire » des Patriarches s’accorde ou non avec l’histoire générale de l’Orient ancien. La migration de Ur en Chaldée, le lien problématique avec les Araméens, l’effort des rédacteurs de la Genèse pour rattacher Abraham à la grande histoire, la vie nomade 15

Ibidem, p. 147. En 1939, il donne une conférence à l’École sur le sujet, qu’il reprend en 1941 dans un article très fouillé où il présente les travaux de Speiser, Albright, Friedriech, etc. : Cf. VAUX (de) 1941a. En 1967, il met à jour le dossier pour une communication à l’AIBL : Cf. VAUX (de) 1967a et un article dans la Revue biblique : Cf. VAUX (de) 1967b. 17 Cf. VINCENT 1907 et 1941. 18 Cf. VAUX (de) 1971a. 16

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des Patriarches sont autant de dossiers étudiés par de Vaux qui aborde ensuite la délicate question de la datation des Patriarches sur laquelle il estime difficile de se prononcer. La deuxième partie de l’ouvrage s’intitule « Les traditions sur le séjour en Égypte, l’Exode et le Sinaï » et comporte cinq chapitres : l’installation en Égypte, l’histoire de Joseph ; la mission de Moïse ; la sortie d’Égypte ; les traditions du Sinaï ; la religion de Moïse. S’appuyant sur une érudition impressionnante, de Vaux tente de clarifier une histoire faite de traditions multiples, qui s’entrecroisent dans le texte biblique, et conclut : « Le diptyque qui montre les douze fils de Jacob qui entrent en Égypte et les douze tribus d’Israël qui en sortent ne peut pas exprimer une vérité historique, même si l’on accorde quatre siècles pour cette croissance. Il n’y a pas eu de “peuple d’Israël” en Égypte, les tribus ne se sont constituées, différenciées et fédérées que par un lent processus, dont le “système des Douze tribus” n’est que l’expression dernière »19.

Il se risque, néanmoins, à une datation : le XIIIe s. av. J.-C. pour l’exode et les XIXe-XVIIIe s. av. J.-C. pour les Patriarches. La mission de Moïse, dont le seul récit est dans la Bible, la sortie d’Égypte et la tradition du Sinaï sont trois récits fondateurs dont la source principale est la Bible mais la critique littéraire des chapitres 19 à 24 du Livre de l’Exode a conduit des auteurs comme von Rad à considérer l’Hexateuque comme « le développement d’une confession de foi dont il retrouve la formule dans le “Credo” que chaque Israélite devait réciter en offrant les prémices : “mon père était un araméen errant qui descendit en Égypte, etc.” »20. Pour d’autres auteurs, « il n’y a pas eu de peuple d’Israël avant la Ligue des tribus, certains groupes auraient apporté en Canaan la tradition de l’exode, d’autres la tradition du Sinaï. Ces deux traditions ont fusionné en Canaan »21. De Vaux passe en revue toutes les théories en cours à son époque et tente de démêler la complexité du dossier, mais conclut que « l’historien peut seulement dire qu’il est possible qu’Israël ait conservé des souvenirs authentiques de ses origines. Pour aller plus loin, il faut sortir de la Bible »22. La troisième partie de l’Histoire ancienne d’Israël porte sur les traditions de l’installation en Canaan, dont l’auteur dit d’entrée de jeu : « Le problème de l’installation des Israélites en Canaan et de la formation du système des douze tribus est le plus difficile de l’histoire d’Israël »23. 19 20 21 22 23

Cf. VAUX (de) 1971a, 302. Ibidem, 376. Ibid., 382. Ibid., 179. Ibid., 443.

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Pour clarifier le dossier, il reprend les récits bibliques à la lumière de la critique littéraire et de la critique des traditions et tente de les comparer au témoignage extérieur de l’histoire générale et de l’archéologie. La période de l’installation des Israélites en Canaan est une période troublée marquée par la fin de la domination égyptienne, la ruine de l’empire hittite, les mystérieuses incursions des « peuples de la Mer » dont les Philistins font partie et l’infiltration des Araméens : ce contexte a à la fois permis et compliqué l’installation des tribus. Elle va se faire par étapes : les tribus de Juda, Siméon et Lévi dans le Sud de la Palestine, celles de Ruben, Galaad et Manassé en Transjordanie, celle de Benjamin et la maison de Joseph en Palestine centrale et, enfin, celles de Asher, Nephtali, Zabulon et Issachar dans le Nord. Pour certains auteurs, « il n’y a pas réellement eu de “conquête”. Les tribus semi-nomades se sont infiltrées pacifiquement dans les territoires peu habités ou non-habités et dans les lacunes laissées entre les cités cananéennes à un moment où l’Égypte avait perdu le contrôle du pays »24. Le bilan archéologique des destructions et réoccupations de certaines villes palestiniennes invite à « faire confiance au récit biblique, qui représente l’installation comme une conquête accomplie en un temps assez bref par les groupes venant d’Égypte sous la conduite de Josué. Le rôle historique de celui-ci ne doit pas être diminué »25. La période d’installation s’étendrait sur l’ensemble du XIIIe siècle av. J.-C. Comme on l’a signalé pour le prologue, de Vaux mobilise une masse impressionnante de lectures dans des domaines variés allant de l’archéologie à l’histoire, en passant par l’épigraphie, la connaissance des langues anciennes. Beaucoup des travaux cités ont fait l’objet de recensions dans la Revue biblique et ailleurs. 3. UNE ŒUVRE INTERROMPUE Œuvre d’une vie, pourtant œuvre inachevée, puisque Roland de Vaux meurt à quelques semaines de la sortie de ce premier volume et ne pourra pas mener à bien la rédaction des deux suivants. Il laisse derrière lui un certain nombre de pages dactylographiées et des notes manuscrites qui traitent de la période des Juges, par laquelle devait commencer un second volume qui devait exposer jusqu’à la ruine du royaume de Juda. L’École biblique confia à François Langlamet, professeur d’Ancien Testament, le soin de réunir la documentation pour publier ce qui pouvait l’être. Il en 24 25

Ibid., 615. Ibid., 615.

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sortira deux ans plus tard un deuxième volume, plus petit (179 pages), où l’auteur aborde la difficile question de la constitution des douze tribus d’Israël : « il voit dans le système des douze tribus la construction idéale, au temps de David d’un grand Israël qui n’a jamais existé comme organisation politique. Mais il montre en détail à travers quelles luttes et quelles vicissitudes s’est peu à peu constitué le peuple d’Israël. Recherche passionnante qui suit attentivement les déplacements des tribus, en particulier la migration de Dan sur laquelle nous sommes les mieux renseignés, leur consolidation en Canaan et leur lutte contre les peuples voisins »,

résume Raymond Tournay, directeur de l’École, dans l’introduction du volume publié en 197326. Inachevé, le texte nous laisse sans réponse ferme sur la chronologie, car, comme dans le premier volume, l’auteur laisse entendre qu’elle est impossible à établir. « Malgré son état inachevé, cette histoire des Juges d’Israël complète dignement l’œuvre monumentale que constituait l’histoire des origines du peuple d’Israël jusqu’à son installation en Canaan », ajoute le directeur de l’École biblique27. Une traduction anglaise de l’ouvrage parut à Londres en 1978 en deux volumes sous le titre The Early History of Israel28. À leur publication, ces volumes reçurent un accueil des plus élogieux29. Matériellement inachevée, l’entreprise l’est aussi dans le déroulé et la pertinence de la réflexion. Son œuvre paraît à la veille de remises en cause assez radicales de la théorie documentaire par les travaux de Thomas L. Thompson (1974) et John Van Seters (1975) sur les sources du Pentateuque30. Les trois parties du volume de de Vaux reprennent le mot « traditions ». Retraçant à grands traits l’évolution de la pensée de Roland de Vaux sur le Pentateuque et la question des Patriarches, José Loza observe dans son étude de 1990 que de Vaux semble minimiser les problèmes littéraires et « tente de maintenir l’unité essentielle de certains récits »31. Un examen attentif de ses travaux montre que, dès l’introduction au fascicule de la Genèse publié en 1953 et un article de la même année, sa position a lentement évolué32. Il reprend le dossier dans un article de 1962-63 puis un autre de 1965 tiré d’une conférence donnée à Harvard33. 26 27 28 29 30 31 32 33

Cf. VAUX (de) 1973, 3. Ibid., 4. Cf. VAUX (de) 1978. Cf. SARNA 1980. Cf. THOMPSON 1974 et VAN SETERS 1975. Cf. LOZA 1990, 97. Cf. VAUX (de) 1951d et 1953d. Cf. VAUX (de) 1962c.

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Dans l’Histoire ancienne d’Israël, ultime étape de sa réflexion, il reste prudent sur l’origine littéraire des ensembles textuels : « L’analyse littéraire ne permet pas à l’historien de remonter plus haut que l’époque où les tribus installées en Canaan se considéraient comme unies par les liens du sang et par une foi commune »34. Selon J. Loza, c’est plus au travers des recensions et présentations d’ouvrages dans la Revue biblique que l’on pressent l’évolution de sa pensée. Malgré ces hésitations, « la contribution du P. de Vaux à l’étude du Pentateuque […] a joué un rôle considérable dans le renouveau biblique à l’intérieur de l’Église catholique avant et après Vatican II », conclut J. Loza35. Selon Guy Couturier, « le père de Vaux fait œuvre d’historien des traditions, et c’est à ce niveau qu’il nous faut l’évaluer de nos jours, soit pour rejeter ses conclusions soit pour les accepter, tout en les précisant selon l’avancement de nos connaissances »36. Disciple de Roland de Vaux, Couturier ajoute qu’il a été « un des rares savants de toute cette période qui ait pu maîtriser les différentes sciences nécessaires à l’élaboration d’une histoire patriarcale, ce qui a contribué énormément à donner à son opinion une valeur inestimable. Il connaissait très bien l’Ancien Testament, capable de discuter avec autorité des questions linguistiques, surtout de tout problème aux connotations historiques et institutionnelles »37. L’étude du texte biblique s’appuie beaucoup chez lui sur son excellente connaissance du Proche-Orient ancien : de Vaux s’était, par exemple, imposé d’apprendre le hurrite, une langue non sémitique, afin de pouvoir mieux évaluer les textes de Nuzi découverts dans les années 1930 au Sud de Kirkouk en Irak. Il reste qu’il a pressenti que des remises en cause profondes étaient imminentes. À un étudiant qui le pressait de lui dire en privé ce qu’il pensait vraiment de l’histoire de l’Exode, de Vaux aurait répondu : « Il s’est certainement passé quelque chose »38. 4. UNE MORT SOUDAINE Roland de Vaux ne verra pas la sortie du premier volume de ce qui était un peu pour lui le travail d’une vie. Ayant dû renoncer à plusieurs voyages et conférences à l’étranger, de Vaux continue à travailler malgré une fragilité croissante. Fin février 1971, il doit être hospitalisé à Jérusalem pour 34

Cf. VAUX (de) 1971a, 160. Cf. LOZA 1990, 105. 36 Cf. COUTURIER, 1998, 224. 37 Ibid., 222. 38 Anecdote racontée par Jean-Michel Poffet, lors d’une conversation avec l’auteur. Lors de son voyage au Sinaï en 1893, Lagrange avait déjà perçu la radicalité des questions que l’archéologie pose au théologien. 35

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soigner une artérite, qu’il ne semble pas prendre très au sérieux. Ce qui l’ennuie c’est d’être bloqué quelques semaines à l’hôpital loin de ses notes, car cela l’empêche de travailler comme il le souhaite. Les médecins lui demandent d’arrêter de fumer : « pas une cigarette. Les réactions s’atténuent mais je ressens encore la privation et je suis moins actif au travail, il me semble », écrit-il le 29 mars à Agnès Spycket, tout en ajoutant : « Mais j’ai repris tous mes cours et ma vie normale ». Il avoue néanmoins à cette amie et collaboratrice : « Priez pour que je ne cède pas au découragement, que je garde ma bonne humeur et que je puisse continuer de travailler. C’est un vrai carême et il faudrait qu’il me profite spirituellement »39 : rare aveu d’un homme qui ne se livre guère. En réalité, il doit annuler plusieurs engagements, dont une série de conférences au Canada où l’invite avec insistance le P. Gilles-Dominique Mailhiot, qui fut son élève à Jérusalem en 1953-55 et en garda un grand souvenir 40. L’archéologue Jean-Louis Huot, dont il a dirigé le mémoire quelques années plus tôt et qui sera responsable de la Délégation archéologique française en Irak, ne peut s’empêcher de lui dire : « je vous imagine sans cigarettes, ou plutôt, je ne vous imagine pas… »41. Outre la poursuite de l’écriture de l’Histoire ancienne d’Israël, Roland de Vaux est soucieux du lancement 39

Lettre de Roland de Vaux à Agnès Spycket, 29 mars 1971, Archives du Couvent SaintÉtienne. Ancienne élève de l’École du Louvre et diplomée de l’École pratique des hautesétudes, Agnès Spycket (1921-2021) entre en 1945 au service du département des Antiquités orientales du Louvre où elle se spécialise ans l’étude de la sculpture de l’Orient ancien. Collaboratrice d’Édouard Dhorme dont elle a publiera plus tard les archives, elle entre au CNRS comme « collaborateur scientifique » à la bibliothèque d’Assyriologie du Collège de France. Elle soutient en 1966 une thèse de doctorat consacrée à la statue du culte en Mésopotamie. Roland de Vaux publie sa recherche dans un des premiers numéros de la collection des Cahiers de la Revue biblique : Les statues de culte dans les textes mésopotamiens des origines à la dynastie de Babylone, Paris, Gabalda, 1968. En 1962, le P. de Vaux l’associe aux fouilles de l’Ophel, réalisées avec la British school. Elle participe ensuite à diverses fouilles : à Suse avec Roman Ghirshman, à Tell Keisan avec Roland de Vaux puis Jean Prignaud, à Isin (Irak), Sirkeli (Turquie), Ashara (Syrie). Ses mémoires offrent des aperçus passionnants sur les acteurs de l’archéologie au Proche-Orient durant les années 1940-1970, acteurs fréquentés au cours d’une longue vie : À temps et à contretemps : un demi siècle d’archéologie et de contacts dans le domaine du Proche-Orient, Neuchatel, Recherches et publications, 2004, 210 p. 40 Une lettre d’avril 1971 au P. Mailhiot, o.p., d’Ottawa, donne des détails : « tout est actuellement suspendu à l’état de ma santé. Mon artérite ne limite pas seulement mes déplacements mais a engendré un état de fatigue général […]. Hier, en plus de mes cours hebdomadaires à l’École, j’avais accepté une lecture (sic) en anglais au Palestine Archaeological Museum devant un nombreux auditoire. Cette fatigue supplémentaire qui serait mon lot quotidien au Canada et aux États-Unis m’a épuisé. Je me vois donc obligé de vous demander de suspendre toute publicité pour mes cours et mon séjour en Amérique ». 41 Lettre de Jean-Louis Huot à Roland de Vaux le 6 mars 1971. Archives du Couvent Saint-Étienne.

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de la fouille de Tell Keisan, dont il a du mal à réunir le financement. En rentrant de visiter le chantier mi-juillet, il se casse une jambe en tombant dans la cuisine du couvent, signe de sa grande fatigue, probablement : « C’est moins glorieux que de tomber dans un chantier de fouille », écrit-il avec humour. « Les médecins me donnent quelque espoir que je pourrai à nouveau marcher, à défaut de pouvoir courir, dans deux ou trois semaines », écrit-il le 29 juillet à Kathleen Kenyon. Il est malgré tout satisfait des travaux : « Ils ont touché un niveau hellénistique-perse, et il doit y avoir quelque chose d’intéressant en dessous. Mais les prix de la main d’œuvre, des matériaux et de la nourriture sont astronomiques »42.

Préoccupé de mener à bien ce chantier, il retourne faire une visite à Tell Keisan le 16 août en compagnie du père Benoit, grâce au Consul général Paul-Antoine Henry qui les emmène dans sa voiture : celle-ci permet à Roland de Vaux de tenir allongée sa jambe plâtrée. « Le Consul général se dit très satisfait tant de la fouille que de l’esprit de l’équipe au travail. Il promet d’appuyer nos demandes de crédits », note le chroniqueur du couvent Saint-Étienne. Le 3 septembre, Jean Prignaud et son équipe rentrent de Tell Keisan. Alors qu’il s’apprête à partir en France pour se reposer en famille et bénir le mariage de la fille d’amis proches43, Roland de Vaux est pris de violentes douleurs intestinales qui contraignent à une hospitalisation en urgence dans la nuit du 8 au 9 septembre. Il s’agit d’une appendicite que l’on décide d’opérer malgré son mauvais état général, en raison du risque de péritonite. L’opération se passa bien, mais le lendemain en milieu d’aprèsmidi son état se dégrada rapidement et le Père Benoit eut à peine le temps de rejoindre l’hôpital Saint-Joseph, qui est proche du couvent, pour lui administrer l’Extrême-Onction et assister à sa mort vers 16h30. Dans sa lettre au cardinal Tisserant, ancien élève de l’École, Benoit écrit : « Appelé en hâte auprès de lui, je l’ai trouvé déjà sans connaissance. J’ai encore pu l’administrer. Je l’avais confessé la veille et il avait communié le matin même. Une mort rapide, sainte, aussi belle que nous pouvions le souhaiter »44. Les Pères accoururent, accompagnés de quelques étudiants, pour chanter le Salve Regina, selon la tradition dominicaine. Son corps fut alors 42 Lettre de Roland de Vaux à Kathleen Kenyon, 27 juillet 1971. Archives du Couvent Saint-Étienne. 43 Il s’agissait de la fille de Claude et John-Paul Ross, résident permanent du Programme des Nations-Unies pour le développement. 44 Lettre de Pierre Benoit au cardinal Eugène Tisserant, 15 septembre 1971, Archives du Couvent Saint-Étienne.

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ramené dans son couvent de Saint-Étienne et déposé dans le grand parloir du couvent. On prévient la famille, le Maître de l’Ordre, le prieur provincial, le secrétaire perpétuel de l’AIBL, André Dupont-Sommer. Une annonce publique est faite par l’Agence France-Presse et la radio israélienne qui donne la nouvelle aux émissions du soir en français, anglais et hébreu. Les journaux français et israéliens annoncent aussi la nouvelle et préviennent de la date des obsèques fixées au lundi suivant 13 septembre. La messe de funérailles est présidée par le P. Vincent de Couesnongle, assistant du Maître de l’Ordre, venu de Rome pour l’occasion. « Très belle liturgie, chants latins du commun de la messe, avec participation de la foule », note la chronique du couvent. Une foule très inhabituelle remplit la basilique : évêques de divers rites, diplomates, archéologues, personnalités israéliennes et palestiniennes. Beaucoup d’amis, aussi, dont l’émotion est grande, en particulier Miss Kenyon qui était la seule à commencer ses lettres au défunt par « my dear Roland ». Dans son homélie Pierre Benoit souligne la place particulière de Roland de Vaux dans l’histoire de l’École biblique : « Digne successeur du P. Lagrange, qu’il a encore connu et entendu, du P. Vincent qui fut son maître en archéologie, de tous nos grands Anciens, il a poursuivi leur œuvre avec une compétence et une efficacité exceptionnelles », dit-il avant d’énumérer les multiples tâches remplies par le défunt au cours de sa vie : professeur d’histoire et d’archéologie biblique, Directeur de la Revue biblique durant une quinzaine d’années, Directeur de l’École durant vingt ans, auteur de nombreux articles et d’ouvrages de référence comme les Institutions de l’Ancien Testament et l’Histoire ancienne d’Israël, responsable de fouilles célèbres comme celles de Qumrân, coordinateur de la publication de la Bible de Jérusalem, etc. Benoit rappelle aussi la reconnaissance publique que les travaux de Roland de Vaux lui ont mérité : maître en théologie, membre de la Commission biblique pontificale, de l’Institut de France et de la British Academy ; membre Honoraire de diverses sociétés scientifiques (Society of Biblical Literature and Exegesis, 1955, Society of Old Testament Study, 1956, Society of Antiquaries of London, 1959), Catholic Biblical Association of America, 1964) ; titulaire de plusieurs doctorats honoris causa ; chevalier de la Légion d’honneur, médaille d’or du CNRS (1957), « autant de titres qui ont voulu honorer une renommée mondiale » mais dont le récipiendaire ne tirait guère vanité, commente son confrère45. Le même jour, une messe est célébrée au couvent dominicain de l’Annonciation à Paris afin de permettre aux membres de la famille et aux 45

Ibidem.

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nombreux amis parisiens de se joindre par la pensée et la prière à l’office célébré à Jérusalem. Y assistent des membres de la famille de Vaux, bien sûr, mais aussi de nombreux amis, diverses personnalités dont d’anciens consuls de France à Jérusalem (MM. de la Sablière et d’Halloy) et des représentants de l’Institut de France (MM. Hubert et Dupont-Sommer, président et secrétaire perpétuel de l’AIBL), des anciens élèves (Pierre Amiet, Dominique Aucher, Henri Cazelles, Alain Chambon, André Lemaire, etc.). De nombreux messages de condoléances parviennent au couvent Saint-Étienne et à la curie provinciale des dominicains à Paris venant par exemple du cardinal Villot, secrétaire d’État au Vatican, de Maurice Schuman, Ministre français des Affaires étrangères, d’André Parrot, directeur du Musée du Louvre. Le jour de ses funérailles, l’archéologue israélien Yigael Yadin lui rend hommage dans le Jerusalem Post. Après avoir rappelé les grands moments d’une brillante carrière de chercheur, son collègue ajoute : « Son esprit, son humour et sa gaieté, d’une part, son enthousiasme et sa disponibilité à conseiller d’autre part, ont fait de lui une personne unique, qui savait comment garder ses relations personnelles à un plan amical avec ceux parmi nous dont il ne partageait pas les opinions politiques ». Le lendemain, c’est au tour du Washington Post de lui consacrer un article qui souligne que, si la notoriété de Roland de Vaux est très liée à la découverte des manuscrits de la mer Morte, « ses collègues soulignent que c’était un homme d’une immense culture académique » : « He was a giant of Old Testament scholarship »46. Le 24 septembre, le président de l’AIBL, M. Jean Hubert, rend hommage au Père de Vaux au cours de la séance hebdomadaire de l’Académie. Un an plus tard, en octobre 1972, John Strugnell, alors professeur à Harvard et qui avait travaillé avec de Vaux à l’édition des manuscrits de la mer Morte, lui rend un hommage appuyé et très personnel dans un numéro du Bulletin of the American Schools of Oriental Research qui publie même la photo de Roland de Vaux en page de couverture47. L’archéologue jordanien Fawzi Zayadine s’écrie, quant à lui : « Cette mort subite a plongé dans le désarroi ses amis et admirateurs ; il était en effet incroyable que cet homme à l’énergie indomptable eût pu succomber si rapidement à la maladie. Si simple, si paisible qu’ait été sa mort, elle n’en est pas moins une catastrophe douloureusement ressentie par nous tous. C’est une vie riche et belle, entièrement consacrée au travail dans la pauvreté 46 Washington Post, 14 septembre 1971, p. C 6. Le Times lui consacre également un In memoriam sous la plume de Sir Godfrey Driver, avec qui de Vaux a parfois ferraillé. 47 Allocution de M. Jean Hubert, CRAI (1971) 539-540 ; Cf. STRUGNELL 1972.

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et l’abnégation, que la mort vient d’emporter »48. Quelques jours plus tard, le 19 septembre, mourait William F. Albright, un autre grand archéologue de la même génération. Un hommage leur est rendu à tous deux dans la livraison suivante de la Newsletter de World Union of Jewish Studies. Ils avaient été précédés en février de la même année par l’archéologue américain Nelson Glueck (1900-1971). Trois grands spécialistes de l’archéologie du Proche-Orient disparaissaient ainsi en quelques mois. 5. LA

PUBLICATION DES FOUILLES DE

TELL

EL-FAR‘AH

Mort en pleine activité à l’âge de soixante-huit ans, Roland de Vaux laisse une œuvre considérable et pourtant inachevée. « Les dix années qui lui auraient permis d’achever son œuvre, Dieu ne les lui a pas consenties », écrit Pierre Benoit, qui avait pris le relais comme directeur de l’École biblique49. À ses correspondants, Benoit ne cache pas son désarroi : « S’il-vous-plaît, priez pour notre ami disparu et pour l’École biblique qui ressent une terrible perte », écrit-il le 25 septembre 1971 à l’éditeur du Cambridge Ancient History quand il corrige post mortem les dernières contributions de de Vaux. Celui-ci laisse d’abord son Histoire Ancienne d’Israël, qu’il considérait comme l’aboutissement, la synthèse de toute une carrière d’historien. François Langlamet, qui tentera de publier ce qui peut l’être dans les manuscrits que de Vaux a laissé, écrit le lendemain des funérailles : « L’atmosphère ici ne permet pas de désespérer, mais nous aurons certainement des années difficiles »50. Mais il y a aussi la publication de deux grandes fouilles, Tell el-Far‘ah et Qumrân, pour lesquelles il a laissé des rapports préliminaires que Strugnell qualifie de « modèles d’interprétation ». Tell el-Far‘ah est la première grande fouille de Roland de Vaux. Il y a mené neuf campagnes entre 1946 et 1960, interrompues par la guerre de 1948, et des rapports préliminaires ont été régulièrement publiés dans la Revue biblique. Mais, pris par son enseignement et ses multiples activités, il n’a pas pu faire la publication complète de cet important chantier. En revanche, il y a intéressé divers collaborateurs : en 1965-66, il confie un sujet à un boursier de l’École, Jean-Louis Huot, dont il supervise le mémoire intitulé Typologie et chronologie relative de la céramique du Bronze ancien de Tell el-Far‘ah. En 1967-68, un autre boursier de l’AIBL, 48 49 50

Cf. ZAYADINE 1971, 131. « Le Père Roland de Vaux », Ut Sint Unum, 1971, p. 218. Lettre de François Langlamet, 14 septembre 1971, Archives du Couvent Saint-Étienne.

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Pierre de Miroschedji, prépare avec lui un mémoire intitulé Recherches sur les origines de la civilisation urbaine en Palestine : l’époque pré-urbaine51. Le texte remanié et enrichi sera publié en 1971 dans les Cahiers de la Revue biblique. En 1969-70 un boursier de l’AIBL, Joël Mallet, avait aussi bénéficié des conseils de Roland de Vaux pour un mémoire qui a pour titre Tell el-Far‘ah, l’installation du Moyen bronze antérieure au rempart, mémoire qui sera publié peu après dans la même collection52. Mallet poursuivra l’étude et publiera en 1987 et 1988 deux volumes consacrés à la période du Bronze moyen à Tell el-Far‘ah53. En 1970-71, de Vaux dirigeait encore le mémoire d’un boursier de l’AIBL, Alain Chambon, sur le niveau III du Fer à Tell el-Far‘ah. Chambon en fera la publication en 198454. D’autres travaux sur Tell el-Far‘ah seront réalisés ultérieurement par des étudiants de l’École sous d’autres directions : Jacques Collin (AIBL) consacre un mémoire en 1972-73 : Les figurines en terre cuite de Tell el-Far‘ah, mémoire réalisé sous la direction de Jean Prignaud ; Jean-Bernard Dumortier (AIBL) consacre en 1973-74 son mémoire sur Les scarabées de Tell el-Far‘ah, sous la direction du P. Couroyer ; en 20012002, c’est au tour de Guillaume Charloux (AIBL) de s’atteler à l’Étude technologique des poteries de l’âge du Bronze ancien I provenant de Tell el-Far‘ah, près de Naplouse : la nécropole, sous la direction de JeanBaptiste Humbert. Après la mort de Roland de Vaux, Pierre Benoit, directeur de l’École confie le dossier de publication de Far‘ah à un ancien élève de l’École, l’abbé Jacques Briend (1932-2017), alors professeur à l’Institut catholique de Paris. Il coordonnera l’édition en 1996 d’un volume contenant quatre contributions, dont trois inédites, qui poursuivent la publication du site55. Henri de Contenson a conservé jusqu’à sa mort en 2019 un dossier non publié – et qui ne serait plus scientifiquement à jour – sur la poterie chalcolithique de Tell el-Far‘ah. Un autre dossier confié à Jacqueline Balensi sur le bronze récent est aussi resté en plan. En revanche, deux chercheuses de l’Université La Sapienza (Rome), Giacomina Petrullo et Gaïa Cecconi ont entrepris l’une l’étude de l’industrie osseuse, l’autre celle du matériel métallique. Maura Sala, de la même université, est 51

Cf. MIROSCHEDJI 1971. Cf. MALLET 1973. 53 Cf. MALLET 1987 et 1988. 54 Cf. CHAMBON 1984. 55 Cf. AMIET ET AL. 1996. Outre l’introduction de J. Briend et le mémoire de Dumortier sur les scarabées, déjà évoqué, l’ouvrage contient un chapitre de Pierre Amiet sur les sceaux et empreintes antiques de sceaux de Tell el-Far‘ah et une étude de L. Courtois sur l’observation au microscope pétrographique de quelques céramiques de Tell el-Far‘ah qui montre la diversité des sources argileuses employées dans la céramique du site. 52

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chargée de l’architecture et de la stratigraphie du Bronze ancien, tandis que Pierre de Miroschedji est engagé dans l’étude de la nécropole. La poterie néolithique/chalcolithique est encore à attribuer. Au total, on peut dire que, malgré la mort prématurée de Roland de Vaux, la publication de Tell el-Far‘ah, même inachevée, est convenablement honorée. L’École biblique tient toujours à la disposition des chercheurs la documentation de la fouille de Roland de Vaux sur ce site56. 6. LE FARDEAU DE LA PUBLICATION DE L’ARCHÉOLOGIE DE QUMRÂN Plus compliquée est la publication de Qumrân, où il faut distinguer les manuscrits et l’archéologie. De Vaux avait commencé avant sa mort à publier l’archéologie de Qumrân dans la série DJD : dans le volume III consacré aux « Petites grottes », il retrace l’historique de l’expédition de 1952, présente la situation géographique générale du site, les diverses grottes, les objets découverts (jarres, bols et céramiques diverses) et livre, en quatre pages, les premières conclusions et hypothèses57. Le volume VI des DJD, consacré à la grotte 4 publié en 1977, contient aussi une contribution posthume de de Vaux : après un rappel des conditions de la découverte et du travail d’édition en cours, il propose une description de la grotte, présente le matériel archéologique découvert, en particulier la poterie, et offre de rapides conclusions sur le caractère et l’histoire de la grotte 4, d’où on a retiré plus de quinze mille fragments. Son décès l’empêcha d’aller plus avant, mais, pour préparer la publication ultérieure des divers chantiers de Qumrân, de Vaux a laissé une dizaine de journaux de fouilles, couverts de son écriture très fine, peu lisible, et des catalogues d’objets par saison, dans lesquels deux mille six cent soixante-et-un objets sont décrits, dessinés, photographiés, campagne après campagne (1951, 1953, 1954, 1955, 1956-58) et un carnet sur les grottes. Les carnets gardent même la trace de la paie des ouvriers, qui signaient souvent en apposant leur pouce sur un tampon d’encre. On dispose aussi d’une synthèse des notes de chantier que Jean-Baptiste Humbert, qui a eu à les exploiter, a publiée dans le premier volume sur l’archéologie de Qumrân ainsi que d’un volume d’études d’anthropologie, de physique et de chimie sur le site58. 56 En l’occurrence, un catalogue général d’objets (5586 items, 180 p.), huit grands albums de photos et onze catalogues d’objets allant de la première à la dernière saison (1946-1960). 57 Cf. BAILLET - MILIK - VAUX (de) 1962, 1-36. La contribution de Roland de Vaux contient des dessins de jarres, de couvercles et de petite céramique. 58 Cf. HUMBERT - CHAMBON, 1994, 291-368. Des traductions allemande et anglaise (sans les photos) ont été faites en 1996 et 2003 par le même éditeur.

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Les commentant, il suppose que ce document est à mi-chemin entre les notes prises au jour le jour et les conclusions définitives qu’il espérait rédiger : « Au moment de donner une interprétation d’ensemble, peut-être avant les Schweich Lectures, il avait conçu une synthèse en rassemblant ses notes par locus. En fait, il n’a pas tout repris, il a sélectionné, écartant ce que l’avancée progressive des travaux rendait caduc et, par ailleurs, il avait ébauché des explications (les notes complémentaires). Là est le point de départ de son interprétation. Campagne après campagne, il avait confronté les idées et construit le résultat des fouilles avec les matériaux de l’histoire et la leçon des textes. L’assemblage des notes n’était que l’ébauche de la démonstration »59.

En fait, divers aspects de l’archéologie de Qumrân sont encore en cours de publication et vont occuper les successeurs de Roland de Vaux. Plusieurs volumes vont sortir au fil des années chez des éditeurs suisse et allemand (Éditions universitaires de Fribourg et Vandenhoeck & Ruprecht de Göttingen), Benoit ayant exigé que l’archéologie de Qumran ne soit pas publiée dans la collection DJD désormais dirigée par Emmanuel Tov. Le volume I de la collection, daté de 1994 et dû à Jean-Baptiste Humbert et Alain Chambon, contient un imposant album de photos (538 clichés) avec des légendes et les notes de chantier, afin de mettre la documentation à la disposition des chercheurs. Le volume II, daté de 2003, rassemble une série d’études sur la poterie, les cimetières, la datation au carbone 14, les textiles, les bains, les inscriptions et graffiti, les métaux et l’archéologie des grottes. Il s’achève surtout par une reconsidération de l’interprétation archéologique de Qumrân par Jean-Baptiste Humbert60. Il s’en expliquait déjà dans un article de la Revue biblique, paru en 1994, intitulé « L’espace sacré à Qumrân. Propositions pour l’archéologie »61. Selon J.-B. Humbert, « l’interprétation globale de Qumrân souffre de l’application de l’extérieur d’une lourde grille communautaire – laquelle était issue en partie de la lecture légitime des textes et en partie de la lecture forcée des ruines. Or, à première vue, le communautaire dans l’établissement communautaire (expression favorite) ne s’impose pas. Qumrân dans sa forme initiale n’est pas une installation domestique, ni villa (ce qu’elle fut) ni exploitation agricole en dépit des deux faucilles et d’une houe ; Qumrân n’est pas une place forte malgré une poignée de flèches qui ne fait pas une bataille, et pourquoi quelqu’un n’aurait-il pas été chasseur ? Qumrân n’est pas un “monastère” à la façon du Moyen Âge. Il a été répété que Qumrân est un centre communautaire. J’accepte que 59 60 61

Ibid., p. X. Cf. HUMBERT - GUNNEWEG 2003. Cf. HUMBERT 1994.

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Qumrân soit un centre, à la rigueur pour la communauté. […]. Tout dans l’argumentation du P. de Vaux n’était pas convaincant et j’ai des raisons de supposer que lui le savait bien »62.

Pour J.-B. Humbert, « il faut conclure que le site de Qumrân est d’abord un édifice hellénistique tardif, à vocation laïque et que les Esséniens l’auraient investi à la faveur d’un événement inconnu de nous, fondu dans la trame historique du milieu du 1er siècle av. J.-C. ». Le site serait donc d’abord hasmonéen, avec ajout progressif d’éléments adventices à ce qui au départ était une maison ou une résidence. Si le site est ensuite devenu essénien, les données archéologiques laissent penser qu’il n’aurait été habité que par un tout petit nombre à l’occasion de réunions cultuelles regroupant des adeptes de la secte disséminés dans la région. En rupture avec le judaïsme officiel et le Temple de Jérusalem, les Esséniens auraient trouvé là un lieu cultuel de substitution. Faut-il pour autant y voir un important centre proto-monastique, avec des lieux spécifiques comme un scriptorium, un réfectoire, etc., tels qu’on le dit volontiers en présentant le site ? Le volume III, qui a pour sous-titre Reconsidération de l’interprétation porte sur les installations périphériques de Khirbet Qumrân, est paru en 2016 et poursuit le travail de réinterprétation du site avec le même effort de se dégager d’une interprétation univoque qui aurait jusque-là dominé63. Le volume IV, daté de 2019, rassemble sous la direction de J.-B. Humbert et Marcello Fidanzio de l’Université de Lugano une série d’études sur les découvertes de la grotte 11. Cette publication est un des premiers fruits d’une convention signée en 2015 entre l’École biblique et la Faculté de théologie de l’Université de Lugano, dont un des professeurs, Marcello Fidanzio, est chercheur associé de l’École biblique. Sous son impulsion, un colloque international tenu à Lugano en 2014 conduit à une relance et une première publication en 201764. Une série de publications est en cours pour honorer l’attente légitime de chercheurs, qui ont longtemps reproché à de Vaux puis à ses successeurs de retenir l’information sur un dossier vite passionnel, on y reviendra65. Dans un ouvrage de 2019, Sidnie White Crawford fait, néanmoins, observer que les résultats archéologiques du site de Qumrân ne suffisent pas à eux seuls à trancher la question de la nature de cette 62

Art. cité, p. 162. Cf. HUMBERT - CHAMBON - MLYNARCZYK 2016. Voir, en particulier, p. 419-425 qui reprend l’article « Qumrân, Esséniens et architecture » publié dans Antikes Judentum une Frühes Christentum, Festchrift für Hartmut Stegeman zum 65. Geburtstag, Berlin and New York, De Gruyter, 1999, p. 183-196. 64 Cf. FIDANZIO 2017. 65 Cf. TAVARDON 2010. 63

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installation. On peut tout au plus écarter certaines hypothèses comme une forteresse, un village ou une maison hasmonéenne. Ce sont les manuscrits qui permettent de pencher pour la présence d’une secte religieuse, très probablement essénienne, une branche du judaïsme de l’époque des IIe et Ier s. av. J.-C. 66. Le dossier de Tell Keisan, décidé par de Vaux, est celui auquel il a le moins contribué, en raison de sa mort prématurée. Mais ce chantier lui tenait à cœur à divers titres : l’intérêt scientifique, d’abord, d’étudier l’installation des peuples de la Mer et les influences du monde méditerranéen et de la Phénicie sur le Nord de l’Israël ancien. C’est, par ailleurs, l’occasion d’offrir à l’École un nouveau chantier de fouille et le moyen de mettre en selle Jean Prignaud appelé à lui succéder au terme de sa formation à Oxford. Lancé par de Vaux qui fit des visites sur le site en été 1971, Prignaud conduisit ensuite deux campagnes complètes en 1972 et 1973 et dut abandonner, pour raisons de santé, au cours de la troisième campagne (1974) après seulement deux semaines de chantier. La relève fut alors prise par Jacques Briend, qui conduisit deux campagnes au cours des étés 1975 et 1976, secondé par Jean-Baptiste Humbert avec l’aide de Jacqueline Balensi, Pierre de Miroschedji et Agnès Spycket pour 1975 et J.-B. Humbert, A. Chambon, E. Puech, J.-F. Salles et X. Bohl en 197667. Après deux années d’interruption, la fouille reprit en 1979 et 1980 sous la direction de J.-B. Humbert assisté d’Étienne Nodet avec une équipe plus étoffée et, pour la campagne de 1980, une centaine de volontaires venant des Universités de Strasbourg, Lille et Louvain-la-Neuve68. Ces fouilles ont fait l’objet de plusieurs publications, qui reprennent à frais nouveaux de premières hypothèses faites par une fouille anglaise en 193536, fouilles qui avaient établi un embryon de la stratigraphie. Celle-ci a pu être affinée par les diverses campagnes de l’École biblique. Dès 1972, la Revue biblique offre un premier dossier avec un rapport préliminaire par Jean Prignaud, une étude d’André Lemaire sur l’identification du site à l’époque byzantine, et la publication de certaines pièces remarquables du catalogue (inscriptions, anses de jarres, figurines et fibules)69. Au cours des années suivantes, la Revue biblique publie une petite étude sur le culte du Dieu-lune et sur des monnaies trouvées sur le site70. En 1978, au terme 66

Cf. CRAWFORD 2019, 166-216. Cf. BRIEND 1976 et 1977. 68 Cf. HUMBERT - NODET 1979. 69 Cf. PRIGNAUD 1972. Les autres contributions sont d’A. Lemaire, M. Join-Lambert et A. Spycket, Ibid., p. 239-274. 70 Cf. SPYCKET 1973, 395 ; FULCO 1975. 67

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de six campagnes, Jacques Briend et Jean-Baptiste Humbert entreprirent la rédaction d’un volume de synthèse, avec l’appui d’une quinzaine de collaborateurs71. Le site témoigne d’importantes relations commerciales passées, en raison de son caractère « phénicien », comme le fit apparaître le remontage par Émile Puech d’une quinzaine d’amphores portant des lettres phéniciennes. D’où la trace d’une église byzantine, de vestiges hellénistiques, de plusieurs niveaux d’occupation à l’époque perse, du Fer, dont témoignent une multitude d’artefacts (monnaies, perles, pesons, sceaux, scarabées, timbres amphoriques, jarres et inscriptions diverses). Au terme des campagnes de 1979-1980, Jean-Baptiste Humbert présente de nouveaux résultats et propose une synthèse72. L’étude confirme que le site de Keisan a probablement connu son apogée à l’époque du Bronze récent et du Fer I : « on peut prétendre établir, pour le Nord de la Palestine, une stratigraphie-référence qui couvre la fin du second millénaire ». De par sa situation dans la plaine d’Acre, le site tourné vers la mer reflète bien les transformations du bassin oriental de la Méditerranée. « Les vestiges peuvent alors fournir l’occasion de relever les traces des mutations économiques, du mouvement des peuples, de la marque politique des empires ». Selon l’auteur, il y a assez d’indices pour penser que la région aurait joué un rôle dans le développement de la navigation et de relations « suivies et triangulaires entre le Levant, le monde égéen et l’Égypte » dès le XVIe s. av. J.-C. Le moteur du développement commercial étant, probablement, la nécessité de commercialiser le cuivre chypriote, ce qui fit de cette île un nœud des relations dans le bassin oriental de la Méditerranée. De nombreux textes viennent à l’appui de cette hypothèse. « Bref Keisan, par sa proximité avec Acco, est prise dans la chaîne des débouchés commerciaux internationaux et s’ouvre au cosmopolitisme méditerranéen »73. Cette mise en relation a de lourdes conséquences politiques, avec une alternance de domination égyptienne et hittite. Keisan n’est pourtant pas un port, mais sa situation abritée lui permet d’être le jardin et le grenier dont avait besoin le site portuaire. Interroger les traces de l’influence, de l’emprise puis de l’effacement des Peuples de la Mer est riche d’enseignement pour comprendre les processus d’intégration d’autres groupes, à savoir les Hébreux, les Araméens, les royaumes de Transjordanie. On est ainsi conduit à sortir d’une lecture simplificatrice de l’arrivée des tribus d’Israël en Canaan, promue par une certaine 71 72 73

Cf. BRIEND - HUMBERT 1980. Cf. HUMBERT 1981 et HUMBERT 1986, 65-83. Cf. HUMBERT 1981, 377.

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CHAPITRE HUITIÈME

archéologie biblique protestante. « L’Israël ancien n’avait pas, à l’origine, d’homogénéité ethnique. Ceux qui furent rassemblés pour appartenir aux royaumes d’Israël et de Juda n’étant pas tous d’origine israélite, tant s’en faut, ils le seront devenus. Concevoir un ethos israélite au début de la Monarchie est un anachronisme », conclut J.-B. Humbert dans un essai de synthèse qui confirme tout l’intérêt d’étudier ce site, ce qui explique pourquoi il fut si convoité quand on le confia à Roland de Vaux74. 7. ÉPISODES À

VENIR DANS LA PUBLICATION DES MANUSCRITS DE LA MER

MORTE

Le 16 décembre 1971, le P. Benoit, nouveau directeur de l’École, écrit aux membres de l’équipe d’édition des manuscrits de la grotte 4 de Qumrân que les professeurs Cross et Strugnell lui ont demandé de bien vouloir remplacer le P. de Vaux dans le rôle d’éditeur en chef 75. Après consultation, il accepte mais cette demande est l’occasion d’une clarification sur le fonctionnement du comité éditorial. La lecture des comptesrendus des réunions du Board of Trustees fait apparaître que « de Vaux a été peu à peu installé dans ce rôle (d’éditeur en chef) d’une façon pratique, parce qu’il fouillait le Khirbet Qumrân, s’occupait des tractations avec les antiquaires ou les bédouins, et acceptait de chercher des fonds pour permettre les achats. Le Board of Trustees, dont il fut souvent le président, l’a officieusement chargé de toutes les démarches qui entraînaient finalement l’édition des documents recueillis, c’est-à-dire l’organisation d’une équipe d’éditeurs, la planification de la collection et de ses différents volumes, les pourparlers avec la Clarendon Press. Tout cela était mené par le P. de Vaux au nom du Musée, et c’est à ce titre qu’il a signé les contrats avec Clarendon Press »76. Benoit est conscient que les rôles doivent désormais être officialisés et que l’on doit sortir d’un leadership de facto, dû à la fois aux circonstances et à la personnalité de Roland de Vaux. Certes, les autorités jordaniennes et le directeur du Palestine Archaeological Museum ont dans le passé confirmé la responsabilité confiée au P. de Vaux. Benoit ajoute, sans référer à un document précis, qu’après la guerre de juin 1967, Y. Yadin et A. Biran ont également approuvé le rôle de Roland de Vaux dans l’édition des fragments déposés au Musée 74

Cf. HUMBERT 1986, 74. Les destinataires sont M. Baillet, Fr. M. Cross, J.T. Milik, P.W. Skehan, J. Starcky, J Strugnell, A.S. Van der Woude. 76 Lettre de Pierre Benoit aux membres du comité éditorial des manuscrits de Qumrân, 16 décembre 1971. 75

UNE ŒUVRE INACHEVÉE ?

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Rockefeller. Aucun document n’avait été signé, mais la presse en avait fait état (Jerusalem Post du 29 septembre 1967 et Haaretz du 27 juillet 1967). Le Dr Biran confirme cet accord et se dit « prêt à accepter que le P. Benoit continue l’office du P. de Vaux », mais il souligne qu’accepter cette fonction ne peut désormais se faire sans une demande explicite des autorités israéliennes, représentées par Avraham Biran. Par ailleurs, si les contrats d’édition avec Clarendon Press ont été signés pour les volumes I-IV par le P. de Vaux au nom du Palestine Archaeological Museum, et pour le volume V, après la nationalisation du Musée Rockefeller, par Saïd Dajani, Président de Tourist Authority and Antiquities, et ‘Aref el-‘Aref, directeur général du Palestine Archaeological Museum, désormais « la logique veut que les contrats futurs soient signés par l’Autorité israélienne qui gouverne désormais le Musée ». Sur la page de titre des volumes à publier, la mention of Jordan, ajoutée dans les volumes III, IV et V, doit désormais disparaître après Discoveries in the Judaean Desert. Benoit, cherchant une conciliation, plaide pour que l’on fasse mention des institutions scientifiques auxquelles appartiennent les contributeurs (École biblique, l’AIBL, Harvard University, Washington University, l’American School of Oriental Research), mais indique que Biran et Yadin refusent, ce dernier souhaitant que l’on fasse mention du Shrine of the Book, créé par les Israéliens pour accueillir les rouleaux de la mer Morte77. Bref, tout cela est compliqué et touche très vite les sensibilités politiques des uns et des autres. Benoit serait prêt à faire cette concession, considérant que ce « Sanctuaire du Livre » est peu connu du public international. En conclusion, si l’on veut que la publication continue, plaide Benoit auprès des membres de l’équipe internationale, il faut être prêt à faire quelques concessions, y compris à reconnaître l’autorité des Antiquités israéliennes, qui est l’autorité de fait. Il se dit prêt à accepter la tâche ingrate d’éditeur en chef des manuscrits si les divers éditeurs acceptent ces conditions et aussi s’engagent à livrer sans délai les textes dont ils ont la charge78. Plusieurs membres de l’équipe, en particulier Patrick Skehan et Maurice Baillet, vont s’opposer farouchement au compromis proposé par Benoit. Comme on pouvait s’y attendre, les responsables des Antiquités de Jordanie, 77 En note, Benoit commente : « La décision internationale ayant prévu l’internationalisation de Jérusalem, l’occupation par les Transjordaniens fut un acte de conquête du même ordre que maintenant l’occupation par les Israéliens. Quoi qu’on pense de la légitimité de ces gestes politiques, il me paraît impossible de les traiter différemment sur le plan des conséquences qui nous occupe ici », Lettre de Pierre Benoit aux membres du comité éditorial des manuscrits de Qumrân. Benoit se montre prêt à accepter des accommodements politiques que de Vaux refusait. 78 Il s’agit alors de Baillet, Cross, Milik, Hutzinger, Skehan, Starcky, Strugnell.

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CHAPITRE HUITIÈME

que le père Benoit rencontre à Amman à l’automne 1972, lui font part eux aussi de leur désaccord sur les changements dans la publication des DJD. La suppression de la mention de la Jordanie au profit du Shrine of the Book est à leurs yeux « une violation des règles de l’UNESCO »79. Pierre Benoit tenta de s’appuyer sur les bonnes relations de l’École biblique avec le prince héritier de Jordanie, Hassan bin Talal, qu’il rencontre à Amman le 13 octobre 1974 pour faire accepter un compromis, arguant que Shrine of the Book n’a aucune connotation politique. Sa crainte est que les autorités israéliennes n’autorisent plus les chercheurs à consulter les originaux des manuscrits qui sont restés au Musée Rockefeller. Le prince suggéra que l’on s’en tint à une couverture ne mentionnant aucune institution patronnant, ce qui fut finalement la solution adoptée, mais dans les faits la publication allait passer sous responsabilité israélienne80. D’une certaine manière, l’autorité israélienne suit l’exemple des Jordaniens qui avaient nationalisé le Musée le 28 novembre 1966 en entrant à leur tour dans une politisation d’un sujet scientifique, mais le dossier était politique dès la découverte des grottes de la mer Morte. Dans son memorandum, Benoit rappelle que « par de vigoureux efforts le P. de Vaux a obtenu des Israéliens que les manuscrits restent au Rockefeller Museum, et ne soient pas réunis aux autres manuscrits que les Israéliens ont acquis de leur côté, par fouilles ou par achat, et qui sont conservés dans l’Israel Museum de la zone occidentale de Jérusalem. Il a obtenu aussi la reconnaissance des droits des éditeurs auparavant désignés. Fidèles à cette reconnaissance, les Israéliens ont depuis lors constamment refusé l’accès des documents à tout savant, même israélien, sauf permission accordée par l’équipe des éditeurs ou par leur représentant »81. En février 1975, Benoit parvient à un accord avec Yadin et le prince Hassan, accord qui est expliqué en termes un peu emberlificotés dans la préface du volume VI des DJD. Cinq volumes sont alors parus et il faudra attendre 1977 pour la publication du volume VI, sous la signature posthume de Roland de Vaux et celle de Józef Milik. Le volume VII, présentant les travaux de M. Baillet, sortira en 1982 mais l’impatience va alors grandir au point que Benoit doit alerter les membres de l’équipe éditoriale de 4Q, comme on l’appelle82 : 79 Correspondance entre P. Benoit et Yacoub Oweis, Directeur général des Antiquités de Jordanie, 12 août 1974. Archives du Couvent Saint-Étienne. 80 P. BENOIT, Memorandum concernant la publication des « Discoveries in the Judaean Desert » (DJD), tapuscrit, 1974, 4 p. Archives du Couvent Saint-Étienne et lettre du P. Benoit à M. Fawzi Zayadine. 81 Ibidem, p. 2. 82 Les destinataires de sa lettre du 15 septembre 1985 sont Cross, Milik, Starcky, Puech et Ulrich.

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« J’ai besoin en particulier de répondre aux légitimes questions des Autorités israéliennes. En 1967, elles ont reconnu et respecté vos droits de publication, et elles continuent à le faire ; mais elles aimeraient, elles aussi, savoir où nous en sommes ». Benoit, en fait, est sommé par le directeur du Département des Antiquités, Avi Eitan, de lui fournir un rapport sur l’état actuel des travaux et les échéances de livraison des manuscrits. Fatigué et malade, il envisage de transmettre la responsabilité d’éditeur en chef des DJD à John Strugnell de Harvard University Divinity School, qui vient travailler à l’École biblique durant l’été depuis des années. La transition va être progressive et Strugnell deviendra directeur de l’équipe après la mort de Pierre Benoit en 1987. Celui-ci fait alors appel à des chercheurs israéliens comme Elisha Qimron de l’Université Ben Gourion au Négueb et Devorah Dimant pour renforcer l’équipe, mais aussi à d’autres : Eileen Schüller, alors en études doctorales à Harvard, Carol A. Newsom d’Emory University (Atlanta), etc. Le Département israélien des Antiquités établit alors avec Strugnell un calendrier de publication avec des dates précises et créa un comité éditorial dirigé par l’historien et archéologue israélien Benjamin Mazar. Hélas, la santé de John Strugnell se détériora rapidement, il fit l’objet d’une campagne de presse malveillante et il dut se retirer en 1990. Dans un premier temps, on demanda à Émile Puech83 de prendre la direction, assisté d’Eugen Ulrich et de Frank Cross, mais les autorités israéliennes reprennent les choses en main : le premier directeur des Antiquités israéliennes, Amir Drori, qui est un général, et le conservateur du Sanctuaire du Livre, Magen Broshi, confient la responsabilité de l’édition à l’Israélien Emmanuel Tov en 1990. Celui-ci accepte à condition d’avoir à la fois l’accord de l’équipe éditrice internationale et celui des Antiquités israéliennes. Il sera désormais la cheville ouvrière de l’édition des volumes suivants, dont la publication s’étagera entre 1992 et 200984. La première chose qu’il fait est de venir, accompagné 83 Émile Puech arrivé à l’École biblique en 1971 comme boursier de l’AIBL après des études de théologie, de Bible et de langues anciennes à l’Institut catholique de Paris, à l’École pratique des hautes-études et à l’École du Louvre. À la demande de Jean Starcky, il rejoint l’équipe des éditeurs de Qumrân et fera toute sa carrière à Jérusalem, comme professeur d’épigraphie et d’études qumraniennes à l’École biblique. Directeur de recherches au CNRS, il est aussi Directeur de la Revue de Qumrân à partir de 1986 et l’auteur d’un très grand nombre de travaux sur les manuscrits de la mer Morte. Co-éditeur d’un lot de manuscrits hébreux inédits de la grotte 4, il a contribué aux volumes XVIII, XXII, XXVII de la collection DJD et publié un ouvrage de synthèse en deux volumes sur les Esséniens : La croyance des Esséniens en la vie future : Immortalité, résurrection, vie éternelle ? Histoire d’une croyance dans le Judaïsme ancien, 2. Vol. Études bibliques, Gabalda, 1993, 984 p. 84 Émile Puech a donné sa vision de cette histoire dans la préface au volume XXXVII des DJD, 2009, p. XV-XXIII.

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CHAPITRE HUITIÈME

d’officiels des Antiquités israéliennes, récupérer les dossiers qui restaient à l’École biblique dans le bureau de John Strugnell85. Ensuite, il lance une campagne de fundraising aux États-Unis, avec l’appui du mécène américain Weston Fields. Cela lui permet de récolter des millions de dollars et de pouvoir désormais payer les contributeurs. Les manuscrits quittent le Musée Rockefeller en 2003 pour être tous conservés désormais dans le Sanctuaire du Livre et dans les laboratoires du Musée d’Israël. Alors que les premiers volumes de la collection, directement pilotés par des chercheurs choisis par l’École biblique, ont été publiés sous les auspices du Département Jordanien des Antiquités, de l’École biblique et archéologique française et du Palestine Museum et parfois des American Schools of Oriental Research (vol. III et IV), l’édition à partir du volume VIII est sous le contrôle d’un comité des Antiquités israéliennes. À partir de 1992, un laboratoire très sophistiqué rattaché au Musée d’Israël, le Leon Levy Dead Sea Scrolls Digital Library, va assurer la conservation des manuscrits ainsi que la numérisation et l’édition digitale. Emmanuel Tov qui a dirigé l’édition des manuscrits depuis la fin de la période des pionniers a fait une synthèse fort utile dans le volume XXXIX, qui donne la liste des textes publiés, des concordances et un index chronologique selon lequel les textes de la mer Morte couvrent une période allant de 250 av. J.-C. à 30, voire 135 ap. J.-C. La majorité des textes dateraient de l’époque hasmonéenne et hérodienne, soit de 150 av. à 68 ap. J.-C.86. Roland de Vaux est donc mort à la tâche, prématurément et sans avoir pu mener au bout par lui-même plusieurs chantiers éditoriaux et archéologiques qu’il avait lancés. En revanche, il laisse à ses successeurs de belles pistes de travail. Il disait volontiers qu’il faudrait à sa mort, trois personnes pour le remplacer : un archéologue, un historien et un bibliste. Avait-il contribué à les préparer et à les former ? Est-il parvenu à prolonger l’élan que Lagrange avait donné à l’École biblique ? Ce sont les questions ultimes à laquelle on peut tenter de répondre en essayant de brosser un portrait à partir des multiples facettes de sa riche personnalité.

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La liste de deux pages, intitulée Materials Taken from Strugnell’s Room at Ecole, en est donnée par E. Tov dans un courrier adressé au prieur de l’École, Jean Jacques Robillard, daté du 24 octobre 1991, avec la mention « Confidential ». Il ne s’agit pas de manuscrits mais de photos infrarouges de manuscrits, de courriers avec l’équipe éditoriale initiale, d’inventaires. Une autre liste de deux pages donne la liste des documents laissés dans la chambre de Strugnell. Archives du Couvent Saint-Étienne. 86 Cf. E. TOV 2002, 375.

CHAPITRE NEUVIÈME :

CHARME ET AUTORITÉ ÉLÉMENTS D’UN PORTRAIT CONTRASTÉ « Sa mort a privé l’archéologie palestinienne et les études bibliques d’un homme d’une sagesse accomplie et d’un très grand charme ». Kathleen Kenyon1.

Le parcours de vie de Roland de Vaux fait apparaître un personnage de premier plan, véritable continuateur de l’œuvre du père Lagrange, mais sa personnalité est complexe, difficile à saisir car pleine de contrastes. C’est à la fois un homme d’action et un chercheur ; un chef, un leader, à qui l’on confie très tôt des responsabilités, mais on ne peut le réduire à cela : l’homme qui se cache derrière ses fonctions se livre peu mais, au détour d’une lettre ou d’une décision, on peut deviner la personne et le religieux qu’il était. Sollicité en 1969 par son ancien élève, le bénédictin américain Aelred Cody pour relire une notice biographique qu’il devait écrire pour The Clergy Review, de Vaux répondit avec humour : « Avoir sa biographie écrite signifie que vous êtes célèbre ou mort, et, en général, les deux. N’étant ni l’un ni l’autre, je résiste fortement à ce projet, comme vous pouvez l’imaginer »2. Sa stature physique et sa personnalité en faisaient quelqu’un d’imposant, sans exclure un certain charme, que souligne l’archéologue britannique Kathleen Kenyon. De Vaux doit beaucoup sa célébrité à la découverte des manuscrits de Qumrân mais son rôle dans cette aventure reste largement discuté et ce dossier fut pour lui une véritable épreuve. Bien qu’il soit académicien français par son élection à 1

Cf. VAUX (de) 1973, vi. Lettre de Roland de Vaux à Aelred Cody, 29 mai 1969, Archives du Couvent SaintÉtienne. Voir CODY 1969. Le bénédiction américain Aelred Cody (1932-2015) avait été élève à l’École biblique de 1962 à 1964 où il prépara son diplôme sous la direction de Roland de Vaux, avec un mémoire intitulé Priesthood under the Monarchy before the Josian Reform. Auteur de plusieurs ouvrages sur l’Ancien Testament, il fut professeur à l’Institut biblique pontifical de Rome de 1968 à 1978 et membre de diverses associations de biblistes comme la Catholic Biblical Society of America et l’International Organization for the Study of the Old Testament à laquelle appartenait aussi Roland de Vaux. 2

216

CHAPITRE NEUVIÈME

l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, son audience scientifique a été largement diffusée dans le monde anglophone où il fut beaucoup invité comme visiting professor. Beaucoup de contrastes, en somme, qui n’aident pas à répondre à la question : qui était donc Roland de Vaux ? Ce dernier chapitre voudrait tenter l’esquisse d’un portrait en faisant au moins apparaître quelques traits de sa riche personnalité. 1. DE

QUI TENIR

: L’ASSURANCE D’UN HOMME « BIEN NÉ »

ET

BIEN FORMÉ

Dans un projet de notice biographique pour une Encyclopédie, le bibliste dominicain Michel Du Buit qui a fréquenté Roland de Vaux à Jérusalem écrit : « Au physique, c’était un homme de taille moyenne, aux mouvements alertes, au visage buriné par le plein air et balafré par un accident de voiture, à la barbe grisonnante et hirsute3. Très loin donc du type conventionnel d’un moine universitaire ! Ce qui ne l’empêchait pas d’être un grand religieux, fidèle à l’Office divin et aux usages et règles de son Ordre, motivé dans ses travaux par le service de Dieu dans son Église. »4 L’archéologue français Pierre de Miroschedji, qui a commencé ses études sous la direction de Roland de Vaux, dit de lui : « C’était un maître ; j’avais une confiance totale dans son jugement. Les orientations qu’il m’a données ont orienté toute ma carrière »5. Cette autorité valait à Roland de Vaux que l’on se pressait à ses cours. « Les visites avec lui des collections archéologiques étaient exceptionnelles », se souvient Jean-Baptiste Humbert. La première chose qui frappe à l’évocation de Roland de Vaux c’est en somme sa forte personnalité : il est fiable, solide ; c’est quelqu’un 3

Roland de Vaux avait été victime d’un accident en juin 1946, lorsqu’un camion sur lequel il était monté près de Tell el-Far‘ah s’était retourné, projetant une vingtaine de voyageurs. Contusionné sur tout le corps et portant de graves blessures à la tête, il fut transporté à l’hôpital de Naplouse où les PP. Savignac et Couroyer accoururent à son chevet. Il s’en remit mais garda une belle balafre au-dessus de l’arcade sourcilière droite. 4 Dossier Roland de Vaux, s.d., Archives de la Province de France. 5 Entretien avec l’auteur. Miroschedji qui était boursier de l’AIBL à l’EBAF en 1967-68 et a préparé sous la direction de Roland de Vaux un mémoire intitulé « L’époque préurbaine en Palestine. Recherches sur les origines de la civilisation urbaine en Palestine », ajoute : « Je n’ai eu que deux maîtres dans ma vie : de Vaux et Pierre Amiet ». Boursier de l’AIBL à l’École biblique en 1950-51, Pierre Amiet (1922-2021) a été toute sa vie très fidèle à Roland de Vaux avec qui il a fouillé à Tell el- Farʽah et à l’École biblique, qu’il a soutenue à la fois comme directeur du Département des Antiquités orientales au Louvre puis comme président de l’Association des Amis de l’École biblique, poste où il a succédé à André Parrot. Les Mélanges qui lui furent consacrés permettent de mesure l’ampleur de la science de cet homme d’une grande discrétion : Mélanges Pierre Amiet, Iranica Antiqua, XXIII-XXIV (1988-1989), Louvain/ Paris, Peeters.

CHARME ET AUTORITÉ

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à qui on confie volontiers des responsabilités. À peine a-t-il passé sa licence biblique en 1935, deux ans après son arrivée à Jérusalem, il est nommé secrétaire du directeur de l’École biblique, Raphaël Savignac. Il commence à enseigner, mais dès 1938 – il a seulement trente-cinq ans – il se voit confier la direction de la Revue biblique, un rôle qui lui échoit dans un contexte de crise, Édouard Dhorme qui en avait la responsabilité ayant quitté la vie religieuse quelques années plus tôt ; Lagrange, que l’on croyait alors sorti de l’ère de suspicion qui avait pesé sur lui, se voit encore refuser par les censeurs romains une recension d’un ouvrage de Dhorme, dont il contestait pourtant les thèses mais voulait rendre compte par honnêteté scientifique. Vincent ayant donné sa démission comme directeur de la Revue biblique par solidarité avec le P. Lagrange, de Vaux est tout de suite sollicité pour prendre la suite dans ce contexte de crise. Il n’accepta pas sans réticences intérieures car il soutint le point de vue de Lagrange dans le débat du moment. Devenir directeur de la Revue biblique à cette époque est une responsabilité qui peut avoir de lourdes conséquences. Pourtant, il s’y met et va bel et bien relever le défi, dirigeant la revue durant quinze ans, avant de passer la main au père Benoit en 1953. Lagrange qui n’a passé que trois ans avec lui au couvent Saint-Étienne a bien perçu que l’École tenait là quelqu’un de solide. Ne l’a-t-il pas luimême adoubé en juillet 1937 au détour d’un éloge sur un de ses articles ?6 Vingt ans plus tard, alors que de Vaux est fait maître en théologie le 31 juillet 1958, le vieux père Vincent puise dans ses souvenirs une confidence de Lagrange : « Maintenant, je suis rassuré sur l’avenir de l’École : elle a trouvé l’homme qui lui fallait » et ajoute : « Quelque soient les circonstances, je sais que vous serez à la hauteur comme vous l’avez déjà été jusqu’ici »7. Qu’y a-t-il donc en lui qui rassure, donne confiance à ce point, laisse penser qu’il sera à la hauteur d’une tâche difficile ? Son intelligence, certainement ; son équilibre humain et spirituel aussi, on y reviendra. Mais il y a davantage. Par-delà ses qualités personnelles, Roland de Vaux est clairement le produit d’une histoire qui l’a formé. « Comment devient-on le père Lagrange ? » se demande Bernard Montagnes dans un de ses ouvrages sur le père Lagrange8. Comme pour Lagrange, deux éléments sont déterminants dans la construction de sa forte personnalité : une certaine histoire familiale et une formation dominicaine de grande qualité. On a évoqué plus haut l’origine sociale de Roland Guérin de Vaux : une famille de bonne bourgeoisie, alliée par mariages à la noblesse de robe, 6 7 8

Cf. Lettre de Marie-Joseph Lagrange à Roland de Vaux, 23 juillet 1937. Diaire du couvent Saint-Étienne, 31 juillet 1958. Cf. MONTAGNES 1995, 17 et sv.

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CHAPITRE NEUVIÈME

où la fortune ne conduit pas à mener une vie futile ou dissolue ; au contraire, on y cultive le sens de l’État, du service public et du bien commun. Des ancêtres à la Cour des comptes ou dans l’armée, un grand-père procureur de la République, un père inspecteur des finances et administrateur des œuvres sociales de l’archevêque de Paris, en particulier des Conférences Saint-Vincent-de-Paul, voilà de quoi apprendre à un jeune qu’être « bien né » et vivre Boulevard Saint-Germain ne dispense pas d’avoir le sens du bien commun. Au contraire, cela engage à le servir. Roland de Vaux en eut un exemple éclatant sous les yeux en la personne de sa tante Germaine de Vaux, ambulancière bénévole au cours de la Première guerre mondiale et très engagée dans des œuvres sociales. Ce milieu catholique avait été marqué par Frédéric Ozanam et la doctrine sociale du pape Léon XIII dont l’encyclique Rerum novarum a ouvert les yeux aux catholiques sur la misère populaire à l’époque de la Révolution industrielle. L’aisance matérielle de la famille allait de pair avec une vraie éthique, à la limite de la sévérité, dans le cas de Jacques de Vaux, le père de Roland – que celui-ci vouvoyait d’ailleurs. Ce même esprit va continuer à marquer Roland durant ses études au Collège Stanislas à Paris. On y retrouve, certes, des fils de famille, mais là aussi le catholicisme social a laissé sa marque et les jeunes élèves reçoivent une éducation de qualité. Le séminaire de Saint-Sulpice, puis les études dominicaines à Amiens et au Saulchoir de Kain en Belgique vont poursuivre la construction de sa personnalité. L’exil en Belgique et le style encore assez monacal de la vie dominicaine en France depuis la restauration de l’Ordre par Lacordaire au XIXe siècle avaient favorisé le développement d’un milieu intellectuel très stimulant. Le style de vie religieuse est austère, mais c’est une époque de grande effervescence intellectuelle. Les PP. Mandonnet, Chenu, Congar, Féret, Gardeil, Héris préparaient par leurs travaux un véritable renouveau de la théologie de nature à apprendre aux jeunes religieux en étude ce qu’est une véritable vie intellectuelle : pas de la répétition, mais un travail sur les sources soutenu par un lien constant avec des intellectuels de l’Université comme Étienne Gilson, médiéviste de premier ordre et complice de Marie-Dominique Chenu. Lorsque Roland de Vaux arrive au bout de ses études dominicaines en 1933, il est déjà en mesure d’offrir à l’éditeur parisien Vrin, établi place de la Sorbonne, un ouvrage sur l’avicennisme latin au tournant des XIIe-XIIIe siècles et la même année un copieux article dans la Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques sur la première entrée d’Averroès chez les Latins9. Au sortir des études, Roland 9

Voir les références de ces deux publications au chapitre premier.

CHARME ET AUTORITÉ

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de Vaux est déjà un auteur dont les travaux sont publiables. Cela ne peut que donner de l’assurance, une assurance qui va être confirmée lorsque, arrivé à Jérusalem, il se met à l’école de maîtres tout aussi éminents : Lagrange, Vincent, Abel, Jaussen, Savignac, Dhorme. Ces origines familiales et cette formation intellectuelle de premier ordre permettent de comprendre que Roland de Vaux se soit vite vu attribuer des responsabilités. Il a de qui tenir et a été à bonne école. Il n’est pas surprenant qu’il ait pu assumer plus tard avec beaucoup d’aisance les devoirs liés à sa charge : réceptions à la British School et à l’American School of Oriental Research, vœux au Gouverneur de Jérusalem, dîners dans les consulats de Jérusalem à l’occasion de la visite de certaines personnalités comme des officiels français ou les souverains belges qu’il est chargé d’accompagner sur l’Esplanade des mosquées, représentation de l’École biblique lors de fêtes nationales de pays amis comme l’Italie, l’Espagne ou la GrandeBretagne, etc. 2. ROLAND DE VAUX, SUCCESSEUR DE LAGRANGE ? Il arrive à Jérusalem lorsque le fondateur Marie-Joseph Lagrange, âgé et malade, s’apprête à se retirer. Ses compagnons de la fondation – Jaussen, Vincent, Abel, Savignac – sont entrés dans la soixantaine : il faut penser à la relève. Elle est d’autant plus urgente que Dhorme sur qui Lagrange avait beaucoup compté a pris une autre route en 1931 laissant le fondateur dans un grand désarroi. L’arrivée successive entre 1930 et 1938 de Ceslas Spicq, Pierre Benoit, Roland de Vaux, Ephrem Lauzière, Chrysostome Larcher et Raymond Tournay, tous à peine dans la trentaine, laisse entrevoir la possibilité d’une relève. Les plus jeunes se voient affecter de premiers enseignements : Couroyer enseigne le copte et l’égyptien dès 1930, Benoit l’exégèse du Nouveau Testament en 1933, de Vaux l’archéologie et l’Histoire ancienne de l’Orient ainsi qu’un cours de langue assyrobabylonienne en 1934, Larcher un cours d’introduction aux Actes des apôtres et un enseignement sur les épîtres de Paul en 1939. Entre temps, le Maître de l’Ordre a institué Raphaël Savignac directeur de l’École le 2 octobre 1935. Quatre jours plus tard, le 6 octobre 1935, jour de la fête du Rosaire et anniversaire de sa profession, le père Lagrange quittait Jérusalem pour rejoindre le couvent de Saint-Maximin. À vue humaine, la relève était assurée. Tous les membres de cette nouvelle génération ne resteront pas, mais de Vaux, Benoit et Tournay vont chacun jouer un rôle de premier plan, comme professeurs et directeurs successifs de l’École de Jérusalem.

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CHAPITRE NEUVIÈME

Outre les cours qui leur sont confiés, Benoit et de Vaux prennent vite la relève de la première génération dans le travail archéologique. La génération des fondateurs a largement sillonné les « pays de la Bible » de la Palestine aux confins de l’Euphrate et de la Syrie à l’Égypte. Ils sont de l’époque des « voyageurs », à la manière de Burckhardt et de Musil. Ils ont observé, décrit, dessiné, photographié, portés par l’enthousiasme des commencements. En sont déjà sortis des travaux majeurs comme ceux de Vincent sur le Haram al-Khalîl d’Hébron et la ville de Jérusalem et ceux de Jaussen et Savignac sur l’Arabie du Nord10. La magnifique photothèque de l’École biblique est le fruit de leur labeur. L’absence de frontières dans l’empire ottoman a comme stimulé l’enthousiasme de ces pionniers. Quelques laisserpasser, de l’intrépidité et, parfois, un fusil et quelques munitions suffisaient pour se lancer dans l’aventure. Au cours des années 1930, lorsque Benoit et de Vaux arrivent, le tableau a changé : la Palestine est sous mandat britannique ; l’immigration juive en Palestine est en plein essor entraînant déjà de premières tensions dans les villes palestiniennes ; l’heure n’est plus à l’exploration : encouragés par des aînés comme Henri Seyrig et Maurice Dunand du Service des Antiquités de la Syrie et du Liban, de Vaux et Benoit vont se lancer eux-mêmes dans des fouilles. Les PP. Vincent, Carrière et Barrois les avaient devancés en dégageant quelques sites au cours des années 1920 : une villa d’époque romaine à Beit Djebrin en 1921, la basilique d’Amwâs en 1925, le Tell de Neirab au sud-est d’Alep en 1926, mais il s’agit plus de déblaiement que de véritables campagnes de fouille. En 1937, Roland de Vaux va assister le P. Savignac à Ma‘in au sud-est de Madaba en Transjordanie pour dégager des mosaïques byzantines, puis il participe avec Pierre Benoit à une exploration de la région de Salt, deux campagnes dont témoignent d’abondantes chronique dans la Revue biblique11. L’irruption de la Seconde guerre mondiale va contraindre à l’arrêt de l’enseignement mais pas de toute activité : la chronique conventuelle témoigne de visites régulières sur les sites archéologiques et de la participation de Roland de Vaux en juillet 1943 à une Conférence internationale sur les fouilles organisée à l’American School de Jérusalem, conférence au cours de laquelle il participe avec les principaux archéologues de la région (Glueck, Harding, Dunand, Hamilton, Creswell, en charge de l’archéologie en Palestine, Jordanie, Liban, Égypte) à l’élaboration d’un master-plan pour les fouilles à venir et la formation d’un Near East Council : il s’agit d’élaborer une législation internationale concernant les fouilles archéologiques dans la région, la montée des nationalismes dans divers pays (Égypte, Irak, Turquie) faisant 10 Cf. VINCENT - MACKAY - ABEL 1923 ; Cf. VINCENT-ABEL 1912 - 1914 - 1922 - 1926 ; Cf. JAUSSEN - SAVIGNAC, 1909 - 1914 - 1922. 11 Cf. VAUX (de) 1938a et 1938b.

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craindre aux équipes archéologiques occidentales des difficultés croissantes d’accès aux sites. Durant la guerre, de Vaux signe aussi de copieux articles dans la revue de l’École : « Notes d’histoire et de topographie transjordaniennes » et « Études sur les Hurrites » en 1941 et continue à participer aux réunions de la Palestine Oriental Society. La centième séance de cette société savante a d’ailleurs lieu à l’École biblique le 20 octobre 1942 et Roland de Vaux y fait une communication sur « Élie au mont Carmel. Allusions du récit biblique au culte de Melqart ». Le couvent Saint-Étienne a, par ailleurs, continué son programme de conférences, auxquelles de Vaux contribue : « Conférence à 4h1/2 par le P. de Vaux sur le Temple de Salomon. Salle pleine », note la chronique du 13 mai 1943. En avril 1944, deux conférences sur « l’époque d’Abraham » et « le milieu ethnique et social des Patriarches hébreux » et, en mai 1945, une autre sur les fouilles d’Abou Ghosh. En 1944, en effet, il s’est lancé dans une fouille à Abou Ghosh, en compagnie de Marie-Joseph Stève, un jeune religieux dominicain qui vient d’arriver à Jérusalem comme étudiant. À peine a-t-il commencé sa carrière de fouilleur qu’il part pour la France via Beyrouth le 25 août 1945 pour s’occuper de la reprise des activités de l’École car le voilà pressenti par le Maître de l’Ordre pour prendre la succession de Raphaël Savignac comme directeur. Il reçoit sa nomination à Rome en novembre 1945 mais, bloqué en Europe durant plusieurs mois en raison des contraintes de voyage dues à la guerre, il ne rentrera à Jérusalem que le 17 janvier 1946. Dès le lendemain de son retour, il « met le conseil des professeurs au courant de ses activités à Paris et à Rome, au sujet des fouilles à entreprendre, des achats de livres, des subventions, des publications à mettre en train, de la traduction de la Bible, etc. de ses visites aux ministères en France et au Souverain Pontife à Rome », note la chronique. En clair, l’École biblique a de nouveau un vrai chef, plein de dynamisme et de projets. En à peine plus de dix ans, Roland de Vaux a accédé aux responsabilités principales à Jérusalem, situation qui ne semble pas lui avoir pesé. Lagrange a porté l’École pendant la période de fondation et les douloureuses conséquences de la crise moderniste. Il en a assis la réputation dans le monde académique et, non sans mal, au sein de l’Église catholique. Roland de Vaux va être la figure marquante de la génération suivante, un véritable successeur du père Lagrange, mais les temps ont changé et il va devoir affronter des défis nouveaux. La première génération avait la fraîcheur et l’enthousiasme des commencements. De Vaux va devoir porter le poids de la consolidation de l’École : obtenir des autorisations de fouille, négocier des budgets, gérer une équipe internationale d’éditeurs. Oui, les temps ont complètement changé.

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CHAPITRE NEUVIÈME

3. UN HOMME

DE GRANDS PROJETS

Le fondateur de l’École biblique a affronté bien des épreuves pour faire reconnaître le bien-fondé de la méthode historique. Lorsque Roland de Vaux accède à la direction de l’École en 1945, l’Encyclique Divino Afflante Spiritu de Pie XII vient juste de paraître en 1943. L’École biblique peut d’autant plus s’en réjouir que le texte pontifical fait explicitement mention de l’École de Jérusalem, reprenant un mot de Léon XIII évoquant une école grâce à laquelle « la science biblique a reçu des avantages sérieux et dont elle en attend de plus grands encore ». Les premiers disciples de Lagrange ont défriché les pays de la Bible, on l’a dit. Il s’agit maintenant d’aller plus loin. De Vaux va être l’homme-clef de quelques grands projets qui jalonnent ses vingt années de direction de l’École biblique entre 1945 et 1965 : la Bible de Jérusalem, le grand chantier de fouille de Tell el-Far‘ah, l’aventure de Qumrân, quelques autres fouilles dans des lieux prestigieux, en particulier l’Ophel et Tell Keisan, et, in fine, quelques grands livres de synthèse sur l’état de la recherche en études vétéro-testamentaires. L’édition de ce qui deviendra La Bible de Jérusalem l’occupe de 1944 à 1956 et même au-delà, car il va suivre certaines rééditions des fascicules. Ce projet, élaboré avec Thomas Chifflot des éditions du Cerf, est né durant la Seconde guerre mondiale. On a évoqué plus haut les réticences initiales du côté de l’École biblique : cette entreprise n’allait-elle pas distraire son équipe de savants de leur travail de chercheurs ? De Vaux a su les convaincre : après une phase d’élaboration, il rassemble, en lien avec Chifflot, une équipe d’une trentaine de collaborateurs, suit l’évolution du travail de chacun, prend lui-même en charge la traduction de trois ouvrages de l’Ancien Testament (Genèse, Samuel, Rois), veille à obtenir le nihil obstat des autorités romaines et finalement contribue au lancement de ces ouvrages qui connaissent un grand succès. Bref, il y a de sa part un réel engagement. Il vient d’ailleurs à Paris lorsque la Bible de Jérusalem en un volume est lancée en 1956. En mars 1945, le Ministère français des Affaires étrangères lui propose un grand chantier de fouille qu’il accepte sans hésiter : le site de Tell el-Far‘ah. Il y dirigera neuf campagnes de fouilles de 1946 à 1960, interrompues par la guerre de 1947-48 et compliquées par l’irruption du dossier Qumrân. Au fil des années, il s’associe divers collaborateurs, le dernier étant Jean Prignaud qu’il formait pour être son successeur. Il publie plusieurs rapports préliminaires, prépare une publication scientifique en confiant certains dossiers à des étudiants de l’École en particulier Joël Mallet et Alain Chambon. Il y a encore beaucoup à tirer de l’étude de ce site prestigieux. Aux dires de ses confrères dominicains, Roland de Vaux

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n’avait pas souhaité devenir archéologue : il était venu à Jérusalem pensant faire de la théologie biblique et aimait commencer ses journées par la lecture d’une page d’un commentaire de saint Thomas d’Aquin par Cajetan. Il reste que l’archéologie est toujours présente dans la vie de l’École biblique et de Vaux, comme chaque professeur, a toujours aimé visiter les sites et les nouvelles découvertes. Ses premières années à Jérusalem furent consacrées à l’enseignement et à la recherche. Il se met à l’archéologie en 1940, suite à une demande du Ministère français des Affaires étrangères, et s’est formé sur le terrain. Jourdain-Marie Rousée, qui a fouillé avec lui, a livré quelques impressions qui aident à évaluer la manière dont il travaillait : « le P. de Vaux pratiquait l’archéologie de son temps, qui peut sembler primitive à beaucoup. Il en avait conscience, mais ne pouvait y remédier. Il disait souvent qu’il fouillait trop tôt. L’archéologie palestinienne était à peine lancée. Quelques pionniers s’étaient essayés sur des sites bibliques : Megiddo, ‘Aï, Jérusalem, Lakish, Beit Mirsim et très peu d’autres. Ils voulaient y retrouver l’histoire biblique ». Ce n’est que peu à peu que l’on sort du piège de l’archéologie biblique qui cherche à authentifier les évènements relatés dans la Bible. Avant Qumrân, de Vaux avait fait ses gammes sur quelques chantiers sans difficulté majeure : Ma‘in et Salt en Transjordanie, avec Pierre Benoit, à la fin des années 1930. Le premier chantier plus conséquent où il est impliqué en 1944 est une fouille autour de l’église médiévale d’Abou Ghosh, petit village situé à une douzaine de kilomètres à l’Ouest de Jérusalem12. Puis vient le gros chantier de Tell el-Far‘ah déjà évoqué. Sur cette fouille, beaucoup plus complexe, il doit faire la stratigraphie nécessaire à l’identification des périodes. Les carnets de fouille montrent la méticulosité avec laquelle il conduisait le travail. Faut-il pourtant croire que, comme le dit Rousée, le P. de Vaux pratiquait « une archéologie humaniste », c’est-à-dire une archéologie encore assez empirique ?13 Même si l’on était encore loin de recourir à des techniques modernes élaborées comme la télédétection ou la datation au carbone 14, les carnets de fouille et les catalogues d’objets découverts à Qumrân montrent le souci que la fouille soit faite avec méthode : après une longue journée sur le chantier commencée avant le lever du soleil, passée à aller d’un coin à l’autre du chantier pour guider les ouvriers, « le vrai travail en commun commençait après le thé », se souvient Rousée : examen de la poterie exhumée la veille et qui avait été lavée dans la journée, tour complet du chantier pour noter sur un carnet chaque locus, enregistrement des artefacts et discussions des points litigieux. « J’ai vu ailleurs pratiquer d’autres 12 Cf. VAUX (de) - STÈVE 1950. L’ouvrage est recensé par F.P. LEMAIRE dans la RB 58 (1951) 443-447. 13 Cf. LAPERROUSAZ 1997, 46.

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CHAPITRE NEUVIÈME

méthodes d’enregistrement des fouilles archéologiques. Elles paraissent plus méthodiques et plus scientifiques. Je suis certain qu’elles ne valent pas cette discussion sur le tas et à l’heure même de la mise au jour des restes archéologiques », ajoute Rousée. « Le père de Vaux était un maître en la matière. Ses notations sur le chantier sont vraiment une œuvre commune ». Pierre de Miroschedji se dit lui aussi impressionné par la manière dont de Vaux sans véritable formation de départ a acquis, au contact du P. Vincent et de quelques archéologues de la région, une vraie compétence : « les carnets de fouilles et les rapports préliminaires de de Vaux montrent un sens du terrain étonnant »14. On peut aussi ajouter à la liste des grands projets ses Institutions de l’Ancien Testament et son Histoire ancienne d’Israël, même s’il n’a pu en écrire qu’un volume sur trois. Dans les deux cas, il s’agit de synthèses, mûries, basées sur une documentation considérable. « Roland de Vaux est un des rares et des derniers avec Albright à avoir pu maîtriser l’archéologie et la connaissance des textes », confie le professeur Mark Smith de l’Université de Yale, qui ajoute : « le dossier Qumrân est décisif, car il touche à la fois l’arrière-plan du texte biblique, le judaïsme primitif, les premiers temps du christianisme »15. Il suffit de parcourir les recensions d’ouvrages par Roland de Vaux dans la seule Revue biblique pour mesurer l’ampleur de ce que cet homme a lu, discuté, assimilé. En archéologie, il suit de près les résultats des fouilles de Doura Europos sur l’Euphrate16 (1940), Sialk en Perse (1946)17, ‘Ay (Et-Tell) (1950)18, Enkomi à Chypre (1953)19, Samarie (1956)20, Tell Atchana en Syrie (1957)21, Mambré (1958)22, Mari (1960)23, 14

Entretien avec l’auteur. Entretien avec l’auteur, 15 juillet 2018. Le Consul général Paul-Antoine Henry va dans le même sens dans une dépêche au Quai d’Orsay du 22 juillet 1975 intitulée : « De Vaux n’a pas encore été remplacé » : « Il était impossible de remplacer au pied levé un homme d’une culture, d’une science et d’une expérience aussi vastes. En fait, quatre années après sa disparition, le P. de Vaux n’a toujours pas trouvé de successeur dans sa double qualité d’historien et d’archéologue… ». Archives diplomatiques. 16 Les peintures de la synagogue de Doura-Europos, par le Comte du Mesnil du Buisson, Rome, Institut biblique pontifical, 1939, RB 49 (1940), 137-143. 17 Fouilles de Silak, près de Kashan, vol I et II par R. Ghirshman, 1933, 1934, 1937, RB 53 (1946), 140-144 18 « Les Fouilles de ‘Ay (Et-Tell) 1933-1935, La résurrection d’une grande cité biblique par Mme Judith Marquet-Krause », RB 57 (1950), 621-624. 19 Enkomi-Alasia. Nouvelles Mission en Chypre, 1946-1950, par Cl. F. A. Schaeffer, RB 60 (1953), 300-304 ; 20 Die Stadtstaat Samaria, par Albrecht Alt, 1954, RB 63 (1956), 101-106 ; 21 Alalakh, Excavation at Tell Atchana in the Hatay, 1937-1949, par Sir Leonard Woolley, 64 (1957), 413-417 ; 22 Ambre, par E. Mader, 1957, RB 64 (1957), 594-598 ; 23 Mission archéologique de Mari, II, par A. Parrot, 1958, RB 67 (1960), 416-423 ; 15

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Jéricho (1960 et 1966)24, Ramat Rahel25. L’histoire d’Israël et des civilisations de la région retient aussi beaucoup son attention : en 1937, il prend grand intérêt à l’ouvrage de Leonard Woolley sur Abraham qui constitue à ses yeux « une reconstitution étonnante du milieu d’Abraham, une gerbe d’idées neuves, et, bien qu’on ne doive pas les accepter toutes, elles méritent toute d’être considérées »26 ; en 1938, il recense l’ouvrage de Arthur Allgeier, Biblische Zeitgeschichte in der Grudlinien dargstellt27 (inutile de dire qu’il avait une parfaite maîtrise de l’allemand) ; en 1961, il s’attarde sur l’ouvrage de Yehezkel Kaufmann The Religion of Israel. From Its Beginning to the Babylonian Exile28 ; en 1968, c’est au tour de l’ouvrage de Harold H. Rowley Worship in Ancient Israel. Its forms and Meaning29 ; en 1969, il consacre deux copieuses recensions aux ouvrages de Manfred Weippert et Georg Fohrer (Die Landnahme der Israelitischen Stämme in der neueren wissenwhaftlichen Diskussion et Geschichte der isarealistischen Religion)30. Il examine aussi avec minutie, livraison après livraison, les éditions de textes d’Ugarit31. Du temps de Roland de Vaux déjà, la spécialisation des chercheurs s’affirmait ; on ne parlait pas encore de pluridisciplinarité et, de toute façon, la multiplication des travaux allait rendre impossible le niveau de maîtrise que Lagrange puis de Vaux ont eu de la littérature scientifique de leur temps. On notera ici, néanmoins, le rôle très original et exceptionnel du corps professoral de l’École biblique qui peut réunir en son sein et en conversation quasi quotidienne des biblistes, des archéologues, des linguistes, les uns et les autres travaillant sur une large gamme de textes, de sites, de langues. 4. UN

RELIGIEUX PEU ENCLIN AUX CONFIDENCES

Professeur, conférencier, homme aux multiples responsabilités, Roland de Vaux livre fort peu ses sentiments et ses états d’âme. Lors de son orientation vers Jérusalem et les études bibliques, il avait fait de rares confidences à son contemporain Pierre Benoit lorsqu’il réalisa que sa vie de prêcheur allait être surtout une vie de chercheur : 24

Jéricho, par Miss K. Kenyon, 1952-54, RB 67 (1960) et RB 73 (1966), 265-269). Ramat Rahel, par Yohanan Aharoni, 1959-1962, RB 73 (1966), 269-272. 26 RB 46 (1937), 128-131. 27 RB 47 (1938) 266-269. 28 RB 70 (1963), 266-269. 29 RB 75 (1968), 586-589. 30 RB 76 (1969), 272-276 et 587-591. 31 Cf. RB 46 (1937), 440-447, 48 (1939), 593-598, 54 (1947), 283-287, 57 (1950), 274-277. 25

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CHAPITRE NEUVIÈME

« Peu importe. Il suffit de travailler humblement au jour le jour, tout en gardant un appétit bien aiguisé. Avoir une grande ambition humble. C’est la seule attitude possible lorsque vraiment on travaille pour Dieu », écrit-il en avril 193332.

Quelques mois plus tard, lorsqu’il sait qu’il part pour Jérusalem, il ajoute : « Il n’y a pas à me demander comment concilier vie d’études et apostolat. Une vie d’études comme celle-là est un apostolat splendide. Ce sera mon apostolat. Et, comme on ne fait pas plusieurs choses à la fois, ce sera mon seul apostolat. Une fois engagé, je devrai me donner à fond et sacrifier tout le reste, en particulier mes désirs d’un ministère plus concret »33.

Son ministère sera, certes, celui d’un chercheur et avec quelle intensité. Néanmoins, il ne rechigne pas à prêcher quand l’occasion se présente et aussi à s’occuper de ses frères dans les diverses charges qui lui sont données. Peu après son arrivée à Jérusalem, on le voit sollicité pour diverses prédications comme l’Heure sainte chez les Dames réparatrices et des conférences aux jeunes gens et jeunes filles à Jaffa. Pendant la Seconde guerre mondiale, alors qu’il n’y a pas d’étudiants à l’École, il assure retraites et conférences pour diverses communautés religieuses : retraite au petit séminaire puis au grand séminaire de Sainte-Anne en septembre 1941, retraite des jours saints aux Frères des écoles chrétiennes en mars 1942, sermon chez les Pères de Ratisbonne en juin, retraite aux Dames de Sion à l’Ecce Homo en août, retraite aux Dames de Nazareth en janvier 1943. Ses thèmes sont assez classiques, selon les fêtes liturgiques : célébration du Cœur très pur de Marie, fête du Rosaire, sermon à l’occasion de la fête de la Couronne d’épines. Parfois, l’occasion est plus solennelle comme ces conférences de Carême données à la basilique SaintÉtienne en février 1945 en présence du Patriarche latin, du Consul général de France et une basilique pleine de monde, mais où ses thèmes sont eux aussi très classiques : le Royaume de Dieu sur la terre (18 février), le corps mystique du Christ (25 février), l’unité catholique (4 mars), la jeunesse éternelle de l’Église (11 mars), nos devoirs envers l’Église (18 mars). Lors de la fête de Saint-Thomas d’Aquin la présidence et l’homélie lui reviennent de droit comme directeur de l’École et Régent du Collège, l’École biblique continuant à avoir le statut de studium dominicain. Ses responsabilités allant croissant, il acceptera ensuite moins de prédications pour les communautés religieuses, mais restera attentif 32 33

Lettre de Roland de Vaux à Pierre Benoit, 26 avril 1933. Lettre de Roland de Vaux à Pierre Benoit, 4 septembre 1933.

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comme prieur et aussi comme frère à être proche des religieux de sa communauté : il prêche une retraite aux frères convers du couvent SaintÉtienne, confère les derniers sacrements au frère Mathieu devant la communauté réunie le 1er novembre 1949 et au père Vincent le 29 juin 1958. On n’a aucune trace laissant à penser qu’il se serait dérobé à ses devoirs de religieux et de membre de sa communauté en raison de ses nombreux engagements extérieurs. Au contraire, si l’on en croit ce qu’écrit après sa mort le dominicain Bernard Trémel, qui fut son élève à l’École en 1951-52 : « Sa foi gardait sans doute une certaine pudeur, quand le technicien jouait son rôle. Mais combien de fois ne l’ai-je pas sentie dans une autre rigueur, celle du religieux devant l’horaire quotidien de Saint-Étienne »34. Ses trois ans de prieur du couvent Saint-Étienne de 1950 à 1953 lui ont de surcroît donné l’occasion de servir ses frères en s’occupant de nombreuses questions assez terre-à-terre comme la recherche de subventions et la réparation des dégâts subis par le bâtiment lors de la guerre de 1948. Roland de Vaux se livre aussi fort peu sur ses relations familiales et amicales. En août 1944, apprenant la mort de sa mère, il peut reprendre contact avec les siens, la guerre ayant entraîné une interruption complète du courrier. Une lettre à son père laisse comme rarement percer ses sentiments : « Je reste meurtri et déchiré, surtout par la mort de ma maman bien aimée. Je conserve précieusement et relis sa dernière lettre, déjà ancienne, où elle me disait qu’elle n’espérait pas me revoir sur terre. Pressentiment, auquel alors je n’avais pas voulu croire. Ma douleur a été accrue de la vôtre, que je sentais et que j’aurais voulu pouvoir consoler un peu en étant près de vous ».35

Ce deuil d’autant plus douloureux qu’il ne peut se rendre aux funérailles, s’ajoute, il faut dire, à d’autres : son frère Gilbert est également décédé d’un accident de voiture ainsi que sa grand-mère. « J’ai célébré de nombreuses messes pour Gilbert, pour maman et pour grand-mère. J’ai demandé aussi et je continue de demander à Dieu qu’il vous rende courage, ce courage que nous ne pouvons puiser que dans la foi et la prière […]. Je vais bien et j’ai continué de travailler pendant ces quatre années, toujours à Jérusalem, et autant que me le permettaient les circonstances et les inquiétudes morales que j’avais pour vous tous et pour notre chère France »36.

34

Lettre de Bernard Trémel, 13 septembre 1971. Lettre de Roland de Vaux à son père, Jacques de Vaux, 24 septembre 1944, archives familiales. 36 Ibid. 35

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CHAPITRE NEUVIÈME

En novembre 1960, c’est par télégramme qu’il apprend le décès de son père. Tous ces deuils sont vécus loin de la famille, qu’il retrouve seulement au cours des vacances d’été qu’il passe à Chatel-Censoir. Au cours de ces séjours de vacances qui étaient assez brefs, « il travaillait beaucoup, dormait peu, fumait beaucoup », se souvient sa nièce Marie-Noëlle, mais il avait aussi le don de captiver les enfants en leur racontant des romans policiers, dont il était grand lecteur. Il mimait aussi des scènes de la Bible, en particulier la colère de Moïse, ce qui impressionnait beaucoup les plus jeunes avec qui il se lançait parfois dans une partie de canoé. « Comme neveux, nous étions fascinés par son caractère infiniment joyeux, toujours proche des enfants, prêt à jouer avec eux, à improviser des histoires nouvelles auxquelles nous prêtions un caractère policier. Nous nous efforcions de l’imiter sans succès […]. Au-delà de ce talent, nous aimions par-dessous tout cet esprit d’enfance, inattendu chez un personnage aussi respectable », écrit Ghislain de Langre37.

Voilà un portrait de Roland de Vaux qui tranche avec le chercheur érudit connu du monde académique, sauf, peut-être pour ses proches qui savaient qu’il était un grand amateur de romans policiers en anglais. Un des rares moments, peut-être, où Roland de Vaux laisse affleurer ses émotions est l’accident de voiture qui coûta la vie à Raphaël Savignac le 27 décembre 1951, accident dont il fut involontairement responsable. Voici en quels termes en parle la Lettre de Jérusalem : « Le 27 décembre, comme les PP. de Vaux, Abel, Savignac, Couroyer et Benoît étaient allés dans l’auto du couvent avec un Père franciscain visiter des fouilles récemment faites par ce dernier au Champ des Pasteurs, ils furent victimes d’un grave accident au retour. Dans la descente dangereuse qui de Deir-Dosi dévale vers le Cédron, un virage fut manqué par suite d’un mauvais fonctionnement des freins et l’auto tomba en contrebas de la route, roulant trois fois sur elle-même avant de s’arrêter dans les champs. Les PP. de Vaux et Benoit, n’ayant que des contusions légères, s’employèrent à faire transporter à l’hôpital de Bethléem les autres Pères plus sérieusement atteints. Malgré les soins qu’il reçut aussitôt, l’état du P. Savignac fut jugé bientôt désespéré ; atteint d’une fracture du col du fémur et du bassin, le Père, qui était dans sa soixante-dix-huitième année, ne put supporter un tel choc et s’éteignit cinq heures plus tard, muni en pleine conscience des Sacrements, non sans avoir beaucoup souffert. Les autres Pères étaient heureusement atteints de manière moins grave. Une forte blessure au cuir chevelu du P. Abel (non une fracture du crâne, comme l’on dit certains journaux) fut assez vite cicatrisée et le Père pouvait rentrer à St Étienne une quinzaine de jours après l’accident pour y reprendre bientôt sa vie régulière. Quant au P. Couroyer fortement contusionné dans la poitrine et dans le dos, il a pu, après des soins douloureux, rentrer lui 37

Lettre de Ghislain Langre à l’auteur, 25 février 2017.

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aussi au couvent où il se trouve en bonne voie de guérison. Du Père franciscain, dont une épaule fut légèrement fracturée, les nouvelles sont également bonnes »38.

Dans une lettre au Maître de l’Ordre Suarez à qui il explique les conditions de l’accident et le décès du père Savignac qui est mort dans ses bras, de Vaux recommande Savignac à la prière du Maître de l’Ordre et ajoute : « Je recommande aussi l’École, qui est durement touchée en trois de ses membres, et moi-même qui ressens comme un fer rouge le regret et la douleur d’avoir été l’instrument involontaire de cette mort et de ces blessures »39.

Tenu à distance par la ligne de démarcation, Eléazar Sukenik fit passer une lettre de condoléances à Roland de Vaux, via le Consul général de France René Neuville. Accablé de travaux, il laisse parfois entrevoir sa lassitude, comme le montre cette lettre de l’été 1955 à Thomas Chifflot, qu’il s’apprête à rejoindre à Paris après la fermeture du chantier de Far‘ah le 31 août : « J’ai grand besoin de prendre d’abord un peu de repos. Je reviendrai le 15 septembre à Paris qui restera alors mon port d’attache. Puis-je profiter de l’hospitalité du Cerf, que vous m’avez si aimablement proposée et qui me plairait énormément ? […]. Adieu, je repars pour Far‘ah, où la campagne continue sans beaucoup d’intérêt. Mais peut-être ce manque d’intérêt vient-il de mon état de fatigue. Vivement une détente. Je vous embrasse »40.

Quelques années plus tard il avoue au même Thomas Chifflot, compagnon de l’aventure au long cours qu’a été la Bible de Jérusalem : « J’ai actuellement l’impression de me noyer : je n’ai pas commencé la révision de la Genèse, que je vous avais promise pour Pâques ; j’ai deux articles à écrire avant le 1er mai pour une Encyclopédie et je suis, depuis quinze jours, engagé dans les fouilles de Jérusalem. Cela veut dire que je suis sur le chantier de 6h. du matin à 4 h. du soir et que, quand je rentre à l’École, je ne suis plus bon à grand-chose. Et tout le monde me tombe alors dessus : professeurs, étudiants, visiteurs et courrier. J’ai envie de donner ma démission de tout ! Dieu est bon et me pardonnera de n’en faire pas plus, mais accepterez-vous ce retard ? »41 38 Lettre de Jérusalem aux Amis en Anciens de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem, 27 janvier 1952. 39 Lettre de Roland de Vaux au R.P. Emmanuel Suarez, OP, Maître de l’Ordre, 28 décembre 1951, AGOP. 40 Lettre de Roland de Vaux à Thomas Chifflot, 14 août 1955. Archives du Couvent Saint-Étienne. 41 Lettre de Roland de Vaux à Thomas Chifflot, 14 avril 1962. Archives du Couvent Saint-Étienne.

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CHAPITRE NEUVIÈME

Ces rares confidences sur ses moments d’épuisement sont corroborées par quelques observateurs, mais échappent le plus souvent aux religieux de sa communauté, qui voient en lui un travailleur inlassable, fumeur invétéré au point d’oublier parfois un mégot allumé sur les rayonnages en bois de la bibliothèque42. Chantiers de fouille, enseignement, publications, voyages internationaux : on peut penser que ce rythme effréné n’est pas pour rien dans sa mort prématurée à l’âge de soixante-huit ans. S’y ajoute une lassitude due au contexte politique qui a marquée toute sa vie. 5. UNE VIE MARQUÉE PAR

LE CONFLIT ISRAÉLO-PALESTINIEN

Le conflit israélo-palestinien joue un rôle important dans la vie de Roland de Vaux. Dès son arrivée, les révoltes arabes devant l’immigration juive et l’éviction graduelle des Palestiniens secouent régulièrement la ville de Jérusalem. Il est là en 1948 lors du Partage de la Palestine ; en 1956, ses fouilles de Qumrân sont interrompues par la crise de Suez, que les Arabes qualifient de « triple et lâche agression » en raison de l’implication de la Grande-Bretagne, de la France et d’Israël ; après la conquête militaire de Jérusalem, qui lui valut le 6 juin 1967 d’être pris en otage pendant quelques heures par les soldats israéliens avec le P. Avril et le P. Tournay, le contrôle sur le Musée palestinien lui échappe et il va désormais devoir composer avec les archéologues du Département des antiquités d’Israël. Roland de Vaux, comme tous les religieux étrangers de Jérusalem, doit prendre position, même s’il ne prend pas parti ouvertement dans le débat politique. À son corps défendant, il est inévitablement dans un camp, ne fût-ce que par la localisation du couvent Saint-Étienne à Jérusalem-Est. Dans l’impossibilité d’avoir accès à des témoins directs, on doit s’en tenir à ce que laisse entendre les archives disponibles. Ainsi, dans une lettre du 30 juillet 1972 du Consul général de France Paul-Antoine Henry à René Brouillet, ambassadeur de France près le Saint-Siège, il est question d’une amélioration des relations entre l’École biblique et l’État d’Israël, mais il est dit aussi : « Compte-tenu des sentiments – que nul n’ignorait du côté israélien – de certains membres de l’École, le R.P. de Vaux notamment, cette attitude pourrait surprendre. Elle s’explique pourtant aisément » et le Consul d’expliquer que la qualité des travaux des professeurs de l’École lui assure une incontestable notoriété43. S’il est clairement perçu comme 42 Cf. la lettre du Consul général de France René Neuville à Claude Schaeffer : « La santé du Père de Vaux semble d’ailleurs assez sérieusement atteinte et je ne pense pas qu’il pourra vivre en chantier avant longtemps ». En fait, de Vaux va fouiller la grotte 1 de Qumrân à cette même date ! Il est dur à la peine. 43 Lettre de Paul-Antoine Henry à René Brouillet, Archives diplomatiques.

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ayant épousé la cause d’un camp, une correspondance ultérieure avec l’abbé Youakim Moubarac manifeste clairement son souci de réserve et d’apaisement. L’abbé Moubarac, disciple de Massignon et professeur à l’Institut catholique de Paris44, le sollicite en janvier 1970 pour présenter sa vision de l’idée de promesse et de Terre sainte à travers l’Ancien Testament devant le Congrès mondial des chrétiens pour la Palestine organisé à Beyrouth par Témoignage chrétien en mai de la même année, de Vaux répond que beaucoup de raisons le pousseraient à accepter cette offre : « Je suis attristé de voir que le monde chrétien ne réagit pas assez ni d’une manière légitime à la situation actuelle dans notre région. Je suis indigné de l’abus qui est fait des textes de l’Ancien Testament par des Juifs et par des Chrétiens, catholiques et protestants, qui même se croient “théologiens” pour justifier une politique d’agression et de conquête. Vous connaissez enfin mon long attachement à Jérusalem et au peuple de ce pays »45.

Même s’il a travaillé le sujet, comme le montre un article de 1964 sur « Le sens de l’expression “peuple du pays” dans l’Ancien Testament et le rôle politique du peuple en Israël », dans la Revue d’assyriologie et d’archéologie orientale46, il regrette de devoir refuser, par faute de temps pour mûrir son propos sur un sujet aussi complexe, d’abord, mais surtout parce que « les passions ont empoisonné le débat. Je me demande si l’on reste sensible à une présentation objective du problème. Ou bien elle sera ignorée, ou bien elle sera utilisée abusivement pour une fin politique […]. Je prie tous les jours pour que s’établisse une paix juste dans la Terre sainte qui est la terre d’Abraham et la terre du Christ »47.

Youakim Moubarac ayant insisté pour qu’il accepte, de Vaux lui répond : « Je comprends l’importance du débat mais j’hésite à entrer en lice dans un combat qui, actuellement, peut difficilement n’être pas passionné. Je cherche seulement à porter témoignage en restant présent ici à côté de mes amis arabes »48. 44 Youakim Moubarac (1924-1995), prêtre maronite libanais, vient étudier à l’Institut catholique de Paris au terme de ses études au Liban. Il présente une thèse de doctorat sur Abraham dans le Coran, devient secrétaire de Louis Massignon et entre au CNRS. Professeur d’arabe à l’Institut catholique de Paris, il est invité par diverses universités et participe au Concile Vatican II de 1962 à 1965, comme membre de la délégation maronite. Il va ensuite se consacrer surtout à la promotion du dialogue islamo-chrétien et à la défense de la cause palestinienne. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont une Pentalogie antiochienne en 5 volumes et une bibliographie de Louis Massignon, dont il a été un des plus fervents partisans. Il a été le coordinateur du Mémorial Louis Massignon, Dar el-Salam, Imprimerie de l’Institut français d’archéologie orientale, Le Caire, 1963. Cf. Georges Corm, Youakim Moubarac, Un homme d’exception, Librairie orientale, Beyrouth, 2004, 568 p. 45 Lettre de Roland de Vaux à l’abbé Youakim Moubarac, 19 février 1970 46 Revue d’assyriologie et d’archéologie orientale, 58 (1964), 167-172. 47 Ibid. 48 Lettre de Roland de Vaux à l’abbé Youakim Moubarac, 6 mai 1970.

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CHAPITRE NEUVIÈME

La réputation anti-israélienne de Roland de Vaux lui a survécu et a même entraîné certains à la qualifier d’antisémite, le glissement de l’antisionisme à l’antisémitisme étant de plus en courant dans « l’air du temps ». On voit ainsi son ancien collaborateur, Henri de Contenson réagir le 9 juin 1995 dans une Tribune du quotidien Le Monde à un article du 14 avril de la même année évoquant sans nuance des ouvrages de propagande insinuant « l’antisémitisme et la grande proximité idéologique (de R. de Vaux) avec l’Action française » : « Je n’ai jamais entendu mon vénéré maître Roland de Vaux émettre une opinion qui puisse laisser supposer chez lui la moindre complaisance avec les thèses de l’Action française. Quant à son prétendu antisémitisme, l’amitié qu’il témoignait à nombre de ses collègues israéliens s’inscrit en faux contre une telle assertion. Il est certain que le Père de Vaux n’a pas accepté l’extension de l’État d’Israël au-delà des limites accordées par l’ONU en 1947, ni, à plus forte raison, l’occupation totale de la Palestine en 1967, avec toutes les spoliations de terres arabes que ces événements ont provoquées […]. À propos d’un “antisémitisme” qui semble une constante chez certains érudits haut placé dans la hiérarchie qumranologique », cela se limite à quelques paroles excessives proférées par certains membres du comité éditorial du Musée Rockefeller… »49.

Cet article du quotidien Le Monde est paru un quart de siècle après la mort de Roland de Vaux : les clichés ont la vie dure ! 6. ENTRE NOTORIÉTÉ ET DAMNATIO

MEMORIAE

Qumrân est, en fait, le dossier qui a le plus contribué à entacher sa réputation et ce pour diverses raisons : l’extrême sensibilité du sujet, car le site est découvert en Jordanie à la même époque que la création de l’État d’Israël ; peu d’années après la fin des fouilles, Israël va étendre sa juridiction sur cette zone et surtout s’employer à prendre le contrôle de l’édition des manuscrits, que l’équipe initiale réunie par de Vaux peine à faire avancer ; de Vaux doit naviguer entre autorités jordaniennes et autorités israéliennes ; la période à étudier n’est pas vraiment la sienne : son sujet est l’Ancien Testament. Les hésitations initiales de membres de l’École à reconnaître l’authenticité des manuscrits et la lenteur de l’édition vont 49 Henri de CONTENSON, Le Monde, Tribune 9 juin 1995. L’article incriminé, du 14 avril 1995, signé par Maurice Olender, cite sans réserve un article de Robert Eisenman dans le New York Times du 9 juillet 1989 qui met de Vaux en cause de manière sévère. En réalité, le plus virulent dans l’équipe éditoriale des manuscrits de Qumrân semble avoir été l’abbé Baillet, qui se livre à de véhémentes protestations lorsque l’édition passe aux mains des Israéliens. On ne trouve rien de ce genre chez Roland de Vaux.

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constituer des reproches tenaces qui entachent un peu jusqu’à aujourd’hui la notoriété de Roland de Vaux. Ainsi dans le volume mémorial consacré à Eléazar Sukenik, on lit sous la plume de Nahman Avigad : « Et soudain eut lieu une découverte qui aurait pu jeter Sukenik dans une tempête mentale, le plaçant devant le plus grand défi qu’il ait jamais eu à affronter – les manuscrits de la Mer morte trouvés à Qumran. En 1947, ces rouleaux furent offerts à la vente à diverses personnes et institutions de Jérusalem – et ils furent rejetés. Quand on les apporta au professeur Sukenik, il prit conscience de leur ancienneté et en acheta la plus grande part pour l’Université hébraïque de Jérusalem »50.

La mémoire de Roland de Vaux est restée marquée d’une tache indélébile, qui lui vaut une sorte de damnatio memoriae, même si sa notoriété scientifique reste incontestée. Nous en avons été un témoin direct en visitant en 2018 une petite exposition au Sanctuaire du Livre consacrée aux fouilleurs de Qumrân, intitulée The Faces behind the Scrolls. Les noms retenus pour cette modeste présentation étaient Muhammed ed-Dib et Khalîl Iskandar Shahîn, (Kando), Athanasius Samuel, John Trever, Roland de Vaux, Yigael Yadin, James et Helen Bieberkraut. Alors que chacun d’eux était présenté par une brève notice, plutôt élogieuse, celle consacrée à Roland de Vaux se terminait ainsi : « De Vaux a été à la tête de l’équipe internationale chargée de déchiffrer les manuscrits ainsi que l’éditeur en chef des principales publications sur le sujet. Il est considéré comme un professeur hors pair et un chercheur méticuleux, mais a aussi été critiqué pour avoir empêché d’autres savants d’examiner les rouleaux ».

Plus grave, un guide israélien d’un certain âge, portant la kippa, expliquait à une famille israélienne qui l’écoutait combien de Vaux avait été « un personnage méchant » et appuyait ses dires en renvoyant à une lettre de Roland de Vaux affichée sur un des panneaux, lettre dans laquelle, en fait, il donnait son accord pour un transfert d’objets de Qumrân dans une autre salle du musée. Ayant fait observer à ce guide que la lettre indiquée disait tout autre chose, il répliqua : « alors on a changé la lettre »51. En E. L. Sukenik, Memorial Volume (1889-1953), N. AVIGAD, M. AVI-YONAH, H.Z. HIRSCHB. MAZAR (edit.), Israel Exploration Society, 1967, p. IX. 51 Dans la lettre exposée, datée du 25 février 1969, Roland de Vaux, qui avait alors la responsabilité des objets archéologiques de Qumrân, écrit à Magen Broshi, conservateur du Sanctuaire du Livre : « Cher M. Broshi, merci pour votre lettre du 17 février qui confirme l’accord que nous avons conclu dans une réunion du même jour. Je donne mon accord pour le transfert et l’installation dans des tiroirs métalliques dans la salle octogonale du Palestine Archaeological Museum de tous les rouleaux qui sont entreposés au musée et dont j’ai la responsabilité éditoriale ». 50

BERG,

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fait, la mention même du nom de Roland de Vaux est souvent omise dans certaines présentations de l’historique de la découverte des manuscrits de la mer Morte. Qumrân aura été pour Roland de Vaux une source de notoriété dont a bénéficié ensuite l’École biblique ; cette fouille l’a mis en contact avec un monde académique beaucoup plus large que le cercle des biblistes et le monde de l’Église catholique ; elle a contribué à sa réputation internationale ; mais c’est aussi le dossier sur lequel, quoiqu’on fasse, on continue à lui faire des reproches. Certains universitaires comme le professeur Géza Vermès, titulaire émérite de la chaire d’études juives à l’Université d’Oxford, n’hésitent pas à parler de la « tyrannie de de Vaux » sur la question des manuscrits. À ses yeux, la gestion du dossier des manuscrits de la mer Morte a été « le scandale académique par excellence du vingtième siècle » (sic)52. Au fond, aux yeux de certains, en particulier dans le monde israélien et Nord-américain, le religieux catholique qu’il était n’était pas légitime pour être le maître d’œuvre d’une des plus fameuses aventures archéologiques de son siècle. Pour être complet dans ce dossier difficile, il faut aussi ajouter que de Vaux avait l’estime de beaucoup d’intellectuels israéliens, comme en témoignent dans ses archives les nombreuses lettres d’universitaires demandant une lettre de recommandation pour un poste, un avis sur une sélection d’assistants53. Ainsi, le 20 novembre 1950, Eleazar Sukenik de l’Université Hébraïque sollicite Roland de Vaux pour avoir un avis la nomination de Benjamin Maisler Mazar comme professeur de géographie historique de la Palestine et d’histoire du judaïsme dans les temps bibliques. Dix-sept ans plus tard, il soutiendra par une lettre des plus élogieuses le projet de lui attribuer le Rothschild prize. En juillet 1954, l’Université hébraïque le consulte à nouveau sur l’opportunité de nommer Nahman Avigad comme lecteur en archéologie. En août 1970, il soutient la nomination de Shalom M. Paul comme professeur d’études bibliques à l’Université hébraïque de Jérusalem. Nombreuses sont les sollicitations de ce genre dans la correspondance de Vaux, 52

Cf. https://youtu.be/NtRi11O28CA. Dans son ouvrage The Story of the Scrolls G. Vermès estime que « dès le début, en supervisant et surveillant tout avec des yeux de faucon (sic), de Vaux avait adopté une attitude de propriétaire à l’égard des manuscrits ». Cf. VERMÈS 2010, 50. La sévérité de la critique de Vermès est due, pour une part, aux nuances que de Vaux lui opposa sur la propriété des manuscrits dans sa recension d’un premier ouvrage de Vermès sur les manuscrits (Les manuscrits de Désert de Juda, Paris, Desclée et Cie, 1953). Cf. R. de VAUX, RB 61 (1954) 630-631. Mais leur correspondance de l’époque était tout à fait aimable. 53 Scripta manent et c’est parfois cruel : on retrouve dans les archives de Vaux une lettre d’un de ses détracteurs ultérieurs les plus féroces, sollicitant vingt ans plus tôt une lettre de recommandation pour une promotion universitaire, lettre que de Vaux écrivit de bonne grâce.

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sollicitations auxquelles il répondait toujours avec bienveillance. En 1970, il est reçu à l’Université hébraïque par Yigal Yadin qui l’a invité à donner une grande conférence publique. L’accueil fut des plus chaleureux, se souvient Jean-Baptiste Humbert qui l’y conduisit. 7. DE

GRANDES AMITIÉS

Le souvenir que Roland de Vaux a laissé dans la communauté du couvent Saint-Étienne est à la fois celui d’un homme imposant, qui était le centre de la conversation lorsque les frères prenaient un temps de détente dans la grande galerie après le déjeuner, mais aussi un frère agréable, dont la conversation animée était toujours intéressante. Pierre Benoit, qui est celui qui l’a connu le plus longtemps, dit de lui : « Quand je prends quelque recul pour regarder cette vie de mon frère, deux traits me frappent, dont le contraste fait la richesse de sa personnalité : d’une part, une vitalité débordante et enthousiaste qui le lançait à l’assaut de toutes les entreprises, d’autre part, une raison calme et froide qui réglait et organisait cette vitalité. Cette raison tempérait, au point de la voiler parfois, une sensibilité très vive. Plusieurs ont pu s’y tromper, qui trouvaient son premier abord un peu sec […]. Ces dons de l’esprit et du cœur que Dieu lui avait accordés, il les a fait fructifier comme un serviteur fidèle qui tient sa lampe allumée et éclaire tous ceux qui l’approchent »54. Dans l’In Memoriam qu’il lui a consacré, John Strugnell, qui l’a beaucoup fréquenté au moment de l’édition des manuscrits de Qumrân, souligne bien sûr ses qualités de chercheur, d’enseignant et de conférencier, mais il est sensible aussi au religieux que de Vaux n’a jamais cessé d’être, en toutes circonstances : « Si de Vaux a passé beaucoup de son temps dans une vie académique, il n’était pas seulement là et nos souvenirs seraient incomplets si on ne pensait pas aussi à de Vaux prêtre, dans son couvent et dans le monde. On se souvient spontanément de cet esprit vivant, brillant et attractif, pas seulement sur le terrain et dans la salle de classe, mais dans sa manière d’être dans la vie, au couvent et à Jérusalem. Dans les rencontres de tout genre, il était rare qu’il ne soit pas le centre d’une conversation animée, la chaleur de sa personnalité attirant l’attention vers lui. Cette vivacité d’esprit était perçue non seulement par ses collègues et ses étudiants ; où qu’il aille, il était un visiteur bienvenu ; quand il se détendait, il répandait un grand sens de l’humour autour de lui et sa vivacité d’esprit se transformait en un vif intérêt pour les autres. Deux mots me viennent à l’esprit quand je pense à lui : “C’était un homme humble”, et “Il n’avait guère que des amis”. Dans toute sa vie d’enseignant et d’ami, il se voyait d’abord 54

Pierre BENOIT, Homélie pour les obsèques de Roland de Vaux, 13, septembre 1971.

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comme un prêtre, et pas comme un universitaire qui, par accident, serait devenu prêtre, plutôt un prêtre qui avait consacré ses talents à l’Église et l’avait servie de toutes ses énergies »55.

À l’appui de ces souvenirs, John Strugnell évoque un père de Vaux fidèle à la vie liturgique dans son couvent comme à la messe quotidienne, y compris sur le chantier de fouille de Qumrân, où elle était aussi régulière que les dîners conviviaux, quel que soit le lieu où il se trouvait : « Il y avait un certain traditionalisme chez cet homme dont les recherches et les centres d’intérêt étaient si modernes, un formalisme qui cachait son humilité, un conservatisme même, peut-être, dû à ses origines. Mais tout cela n’était pas l’essentiel, l’essentiel étant le service loyal de Dieu. Un des amis de longue date a écrit que son “sens de Dieu” non seulement sous-tendait sa vie mais était la source d’un caractère presque lumineux. La liberté de la recherche critique allait main dans la main avec une foi très profonde […]. Après une de ces visites archéologiques où il avait fait revivre avec enthousiasme la vie au temps de Qumrân, il confiait à ses étudiants que l’idée de sa vie restait de prêcher Jésus-Christ, en bon frère prêcheur qu’il avait toujours désiré être »56.

L’archéologue canadienne Arlotte D. Tushingham qui avait fouillé en même que lui à l’Ophel aux côtés de Kathleen Kenyon donne aussi un portrait suggestif : « Pour tous ceux qui le connaissaient, Père de Vaux était une figure hors pair. C’était un grand scholar, un bon auteur, un archéologue exceptionnel. C’était aussi un homme d’Église avec de profonds sentiments religieux et un sens moral élevé. C’était un Français idéal, avec un merveilleux sens de l’humour, un brillant conteur, un homme autour de qui des légendes pouvaient se construire, et c’était le cas (on disait par exemple qu’il avait pendant des années été à la Comédie française avant de rejoindre les dominicains). Enfin, et ce n’est pas le moins important, il fut un véritable ami pour les jeunes chercheurs qui pouvaient mesurer combien ses réussites et ses triomphes étaient cachés sous une véritable modestie et stimulés par une auto discipline et de l’humilité »57.

L’homme pouvait être rude et tranchant, comme le montre sa rigueur lors de l’exclusion de Jean Perrot de l’École en 1947, la controverse publique de 1950-51 avec un Dupont-Sommer qui voulait avoir la vedette dans le grand public dans le dossier Qumrân, et la critique cinglante de l’ouvrage de Driver publiée dans la Revue biblique en 1966 (« Esséniens ou zélotes ? À propos d’un livre récent »). Pourtant, son abord imposant pouvait cacher des attentions et des qualités d’amitié qu’il faut traquer, au détour de sa 55

Cf. STRUGNELL 1972, 4. Ibid. 57 Cité par Pierre Benoit dans l’In memoriam publié par la Lettre de Jérusalem, n° 37, 3 octobre 1971. 56

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correspondance, par exemple. On l’a senti dans ses nombreux échanges épistolaires avec Thomas Chifflot. C’est aussi le cas avec Nancy Lapp après le décès prématuré de son mari Paul Lapp en avril 1970. On entrevoit là de belles amitiés mais c’était une sorte de jardin secret, chose assez courante encore dans sa génération de religieux où « on ne se racontait pas ». Paul Lapp était au nombre des amis intimes, tout comme Kathleen Kenyon, Cristal Bennett58 et John Strugnell. Au fil de la correspondance avec celui qu’il appelait « my dear John », l’humain n’est jamais oublié dans la correspondances Strugnell alors que le dossier de la publication des manuscrits avance trop lentement et que la controverse avec Allegro complique la situation : la maladie de son père, l’avis du maître sur un poste qui lui est proposé à Harvard, des nouvelles des enfants, dont l’un fut baptisé en la basilique Saint-Étienne, un mot d’amitié pour son épouse et les enfants, multiples sont les indices d’une affection discrète mais réelle. Strugnell avait aussi de grandes fragilités mais qui se révèleront surtout après la mort de de Vaux. Leurs cendres à tous deux reposent dans la nécropole du domaine Saint-Étienne après le transfert à Jérusalem des cendres du disciple en mars 2009. Kathleen Kenyon, qui fut à la fois une collègue et une grande amie de Roland de Vaux, parle de lui comme « d’un homme d’un très grand charme ». Avec humour et finesse, elle en dresse un assez joli portrait : « De Vaux fut le disciple du P. Vincent en archéologie de la Palestine. Vincent a vécu à l’École jusqu’à un âge très avancé et de Vaux a bénéficié de son large savoir et de son expérience. J’ai fait une fois remarquer à de Vaux que mon impression la plus durable de Vincent était son élégance, sa courtoise et son charme. Cela donna à de Vaux le grand plaisir de me taquiner en prétendant qu’à mes yeux il manquait de ces qualités. Sa façon d’être était, en effet, très différente et il n’avait pas l’apparence pimpante de Vincent, mais ses visites sur nos fouilles donnaient le même plaisir que celles de Vincent aux générations précédentes. Nous étions inspectés par quelqu’un qui avait une vaste connaissance de l’archéologie de la Palestine »59.

Leur amitié réciproque était telle que Roland de Vaux pouvait se permettre de discuter les méthodes de son amie. Lors des fouilles sur l’Ophel, elle 58 En novembre 1969, de Vaux avait soutenu en ces termes la candidature de Crystall Bennett au poste de directeur de la British School of Archaeology de Jérusalem : « She is a first-class archaeologist », Lettre à Peter Parr, 6 novembre 1969. En janvier 1971, R. de Vaux appuie sa demande de financement pour des fouilles sur l’ancien site de Bosra. : « elle est très qualifiée pour une telle recherche. Elle est l’un des meilleurs archéologues de terrain. En raison de ses fouilles précédentes en Jordanie, à Um el-Biyara et at-Tawilân, elle connaît mieux que quiconque l’archéologie édomite. Elle sera en mesure de faire progresser la science dans ce domaine », lettre à T.J. Cox, Research Fund Secretary, British Academy. 59 Cf. KENYON 1972.

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écrit : « Mon grand ami Père de Vaux remarqua que mes plans de Jérusalem consistaient en une ligne approximative de nature à correspondre à quelques points précis. Père de Vaux et moi étions (c’est très triste de devoir écrire cela au passé) de si bons amis que je pris ces remarques comme il acceptait les miennes sur ses fouilles et ses hypothèses »60. Entre deux grands archéologues, la chose n’est pas si courante. Trois choses au moins marquent l’apport de de Vaux aux yeux de K. Kenyon : contrairement à ses prédécesseurs dominicains, il a conduit lui-même des fouilles, dont certaines majeures comme la fouille de Tell el-Far‘ah ; il a joué un rôle décisif dans le dossier Qumrân ; il a été un professeur et un savant hors pair. « L’enthousiasme était, je crois, la clef qui faisait de de Vaux un collègue délicieux. Il était toujours intéressé, prêt à se passionner pour des découvertes excitantes. Mon souvenir préféré de lui est l’époque où nous avons trouvé les crânes enduits de la pré-poterie néolithique à Jéricho. C’était vers la fin de notre saison de 1953. La nouvelle lui parvint à travers ‘Awni Dajani, qui sera plus tard directeur du Département des Antiquités de Jordanie, quand de Vaux fouillera Qumrân. De Vaux embarqua littéralement Dajani dans sa voiture et conduisit à toute allure jusqu’à Jéricho. De Vaux était connu pour être un chauffeur audacieux. Il arriva à Jéricho, abandonna sa voiture avec trois roues sur la pente qui descendait vers la source où nous avions établi notre camp, suivi depuis le haut du tell par un Dajani tout tremblant. Par chance, il arriva au moment où la partie la plus remarquable des crânes enduits était visible sur le bord de la fouille. J’ai donc eu la chance d’observer ses réactions. “Oh” est le seul son dont je me souvienne, mais, si ce n’est pas un sacrilège de dire cela à propos d’un prêtre catholique, je dirais que son attitude était une sorte de vénération devant une incroyable révélation de ce qui pouvait être fait à une époque de 7000 ans avant notre ère »61.

Dans sa notice biographique de Roland de Vaux, Aelred Cody souligne plusieurs traits de sa personnalité. De Vaux était d’abord un enseignant remarquable, dont les cours, toujours bien préparés malgré ses multiples occupations, proposaient une véritable synthèse d’une érudition étonnante : « rapide, nerveux, plein d’esprit, il parvenait à rendre agréable et essentiel ce que des enseignants moins doués auraient laissé ennuyeux et sans vie ». Ses visites de sites ou de collections archéologiques dans les musées permettaient de faire à merveille le lien entre les objets et l’immense littérature écrite à leur sujet. Doté d’un vif sens de l’humour, de Vaux était aussi pour Cody un homme « exigeant sans être tyrannique » : selon une tradition établie depuis le temps de Lagrange, on ne dérangeait pas les professeurs 60 61

Cf. KENYON 1974. Ibidem.

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durant les heures du matin, consacrées à la recherche, et même avant six heures de l’après-midi, sauf véritable raison. Un visiteur imprévu pouvait deviner chez lui une impatience contenue. C’était enfin un religieux assidu à la vie conventuelle, utilisant fort peu la dispense d’assiduité à l’office choral que les Constitutions dominicaines accordent aux professeurs. Enfin, détail moins connu de l’extérieur, c’était un lecteur passionné de romans policiers, ce qui, disait-il, n’était pas sans rappeler le côté détective de l’archéologue. 8. UNE ŒUVRE ÉCRITE CONSIDÉRABLE L’héritage de Roland de Vaux est riche et varié et fut unanimement salué à sa mort. Il laisse bien sûr une œuvre scientifique considérable même si elle est inachevée. Une bibliographie provisoire établie vers 1965 par Mgr Maurice Aloysius Hofer d’une université privée de l’Ohio, le Pontifical College Josephinum, donnait le chiffre de sept cent quarante-trois titres : onze livres, quatre-vingt-deux articles, cent trente-et-une recensions et cinq cent cinq brèves notices62. En complétant l’enquête, on parvient à une liste de treize ouvrages de sa main, de dix-huit ouvrages en collaboration, et de près de cent cinquante articles, sans compter les diverses notices dans des encyclopédies comme Fasti Archaeologici de l’Association internationale d’archéologie classique, où il écrit régulièrement. En fin de cet ouvrage, on trouvera un essai de bibliographie systématique de Roland de Vaux, à l’exception des recensions. Un regard attentif sur celles-ci permet de mieux mesurer l’érudition exceptionnelle de leur auteur. Au cours de l’année 1964, Thomas Chifflot avait proposé à Roland de Vaux de publier sous forme de Mélanges un certain nombre d’articles qui marquent quelques grandes étapes de son itinéraire intellectuel. De Vaux propose une sélection d’une trentaine d’articles où il s’efforce de concilier un ordre logique, par thèmes, et une suite chronologique. L’ensemble est rassemblé sous le titre Bible et Orient. L’article le plus ancien est une de ses premières contributions à la Revue biblique en 1933 ; le plus récent est une contribution aux Mélanges Tisserant en 1964. Cinq grands chapitres structurent ce tour d’horizon de sa vie intellectuelle : Théologie et critique littéraire ; Histoire d’Israël ; Institutions de l’Ancien Testament ; Les manuscrits de la mer Morte ; Bible, archéologie et histoire des religions. En guise d’introduction, de Vaux choisit de placer l’article qu’il 62

Mgr Maurice Aloysius HOFER, A Numbered List, Arranged by Years of The Writings of Father Roland de Vaux, O.P., tapuscrit, 8 p., s.d., Archives du Couvent Saint-Étienne.

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CHAPITRE NEUVIÈME

écrivit dans la Revue biblique lors de la mort du P. Lagrange en 1938 : « J’ai voulu, écrit-il, renouveler cet hommage à la mémoire de mon Maître et lui dédier cette javelle d’épis glanés dans les champs qu’il avait moissonnés. Je souhaite qu’on y reconnaisse la fidélité à son esprit et le fruit de ses leçons »63. L’histoire d’Israël et les institutions de l’Ancien Testament occupent plus de la moitié du volume, ce qui correspond bien aux thématiques qui ont occupé Roland de Vaux. Une belle place est faite aussi au regard de l’archéologue sur la découverte des manuscrits de la mer Morte. Deux articles de 1937 et 1939 sur « les textes de Ras Shamra et l’Ancien Testament » et « les ostraka de Lachis (sic) » donnent une idée de l’érudition acquise par de Vaux et qui sous-tend les synthèses qu’il écrira en fin de carrière, sans avoir le temps, d’ailleurs, de les achever. On ne peut qu’être impressionné par l’éventail, la complexité des sujets abordés par de Vaux et aussi sa capacité à en avoir une vue synthétique, où le spécialiste ne se noie pas dans des détails superflus. L’ouvrage de cinq cent quarante-deux pages est publié en 1967. La diversité des sujets abordés, la modestie scientifique devant des disciplines en rapide évolution conduisent à souligner un autre trait de la riche personnalité de Roland de Vaux : c’était un homme libre. Le monde des archéologues, comme d’ailleurs celui de d’autres disciplines savantes – égyptologie, assyriologie, etc. – suscite souvent jalousies et rancœur : obtenir tel beau site, recevoir un financement conséquent pour réaliser une belle fouille et publier dans les délais ; être appuyé en haut lieu à la Commission des fouilles là où la compétition peut être impitoyable car, au bout, il y a l’espoir d’accéder un jour à la gloire : un fauteuil à l’Académie des Inscriptions, par exemple. De Vaux est un homme libre ; il est estimé de ses pairs, parmi les plus grands de l’archéologie du Levant à son époque, mais il ne quémande pas et n’est que modérément sensible à la vaine gloire. Voilà qui tranche dans un milieu souvent impitoyable. Un des exemples de cette courtoisie et de l’absence d’esprit de compétition est le soin qu’il apporte à adresser des tirés à part de ses articles à des savants de par le monde qui lui en sont très reconnaissants. De Vaux a aussi laissé le dossier Qumrân en héritage à l’École biblique, non seulement sous forme de dossiers archéologiques encore à publier, mais aussi comme une notoriété qui attire toujours à l’École de Jérusalem des chercheurs du monde entier. La riche bibliothèque de l’École, le voisinage des sites et des spécialistes israéliens, le milieu intellectuel de l’École sont, de l’avis de tous, puissamment attractifs. On s’en encore rendu compte 63

Cf. VAUX (de), Bible et Orient, Paris, Cerf, 1967, p. 8.

CHARME ET AUTORITÉ

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lors de la Résidence Qumrân organisée en septembre 2019 et qui a attiré à l’École parmi les meilleurs spécialistes venant d’Europe, d’Amérique du Nord et d’Israël. Quelques semaines après la mort de Roland de Vaux, le 23 octobre 1971, une Association des Amis de l’EBAF fut créée sur une initiative de l’orientaliste français André Parrot, fouilleur de Mari et ami de Roland de Vaux64. Le bibliste Henri Cazelles, l’archéologue Pierre Amiet et d’autres personnalités françaises allaient poursuivre le soutien à cette Association qui, depuis plus de cinquante ans, apporte aux dominicains de Jérusalem un certain soutien financier mais plus encore un soutien amical inestimable. Il est indéniable qu’aujourd’hui encore, on ne peut pas penser à l’École biblique de Jérusalem sans penser à Lagrange, bien sûr, mais aussi à Roland de Vaux.

64

Cf. La Lettre de Jérusalem, n° 38, 1er janvier 1972.

EN GUISE DE CONCLUSION

UNE VIE VÉCUE À VIVE ALLURE, UN MAÎTRE ET DES DISCIPLES Les archives de Vaux conservent une amusante caricature due au bibliste suisse Albert de Pury qui représente son maître Roland de Vaux en mousquetaire, barbe au vent, croisant furieusement le fer avec deux opposants armés d’une longue plume, dont les noms sont inscrits sur un bandeau : Dupont-Sommer et Allegro. Dans la caricature, le plastron de Roland de Vaux est orné de la devise « mort aux hérétiques » et, tel un capitaine Haddock des albums de Tintin, l’assaillant s’exclame : « en garde, bande de sapajous ! ». De Vaux eut, en effet, maille à partir avec l’un et l’autre sur le dossier Qumrân, dont Dupont-Sommer et Allegro avaient tenté de tirer parti pour une remise en cause radicale des origines du christianisme. Cela avait mis le dominicain hors de lui. Il ne s’agit ici, bien sûr, que d’une caricature mais elle dit quelque chose de la passion qui animait cet homme. Toute sa vie, une vie intense vécue à vive allure, il a été animé par le désir de mieux comprendre l’Écriture, la Parole de Dieu, en l’étudiant au pays de la Bible, avec la rigueur intellectuelle et les outils scientifiques que le fondateur de l’École biblique, son maître Lagrange, avait recommandés. Roland de Vaux a-t-il donc été un véritable successeur du Père Lagrange ? Ce parcours détaillé de sa vie le confirme de manière éclatante : sa forte personnalité et sa stature intellectuelle, le leadership qu’il a exercé sur l’École biblique durant plus de trente ans, les fouilles importantes qu’il a conduites, sa contribution à l’épopée de Qumrân et au lancement de la Bible de Jérusalem sont autant d’indices d’une vie qui sort de l’ordinaire et font de lui une des figures marquantes de l’histoire contemporaine de l’École biblique. Sa mort prématurée à l’âge de soixante-huit ans a, certes, interrompu ce qu’il voyait comme le grand œuvre de sa vie, une Histoire ancienne d’Israël, dans laquelle il avait entrepris de reprendre des dossiers que Lagrange avait dû laisser en plan, pour obéir aux injonctions romaines et ne pas heurter davantage la frilosité du monde catholique face aux acquis de la science moderne, en histoire, en particulier. Avec talent, de Vaux a plongé dans ces dossiers, dès sa jeunesse, se passionnant pour les découvertes de nouveaux sites archéologiques comme Ras

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Shamra, épluchant dans le détail les publications sur les diverses fouilles en cours dans la région, se passionnant pour des sujets très érudits comme la question des hourrites, ce peuple d’Asie Mineure, venu probablement du Caucase plus de vingt siècles avant notre ère et qui va se répandre et devenir au début du deuxième millénaire avant J.-C. l’ethnie dominante en Syrie du Nord, au point de pouvoir affronter les Hittites, les Égyptiens et même les royaumes assyriens. Prenant la suite du Père Vincent, à qui rien n’avait échappé en matière d’archéologie palestinienne pendant plus d’un demi-siècle, de Vaux a pu, au prix d’un immense labeur, maîtriser quelques grandes questions historiques de son temps. Lui qui se qualifia lui-même de « terrassier de la Bible », soulignant là le côté besogneux et terre-à-terre de sa recherche, il a indiscutablement été un maître, quelqu’un qui a pu dominer son sujet, ayant assimilé autant que faire se peut le savoir de son temps. Arrivé à Jérusalem alors que Lagrange s’apprête à se retirer, de Vaux a pris le relais et largement contribué à donner à l’École biblique la notoriété et le crédit dont elle bénéficie aujourd’hui. Il est « Maître en Israël » par la spécialité où il a excellé, mais sa notoriété est allée bien au-delà avec un accent particulier dans le monde anglo-saxon comme le montrent ses tournées de conférences et les diverses reconnaissances académiques qui lui furent conférées. Homme d’exception, véritable successeur de Lagrange, Roland de Vaux a aussi bénéficié d’une période favorable, un momentum, qui a rendu possible un parcours personnel flamboyant. Il arrive d’abord à l’École biblique peu d’années avant Divino Afflante Spiritu, l’encyclique de Pie XII qui a desserré l’étau qui contraignait jusque-là la recherche exégétique dans le monde catholique. Dans un contexte nouveau, il a pu s’immerger sans réserve dans la recherche de son temps, avec une liberté dont n’avait pas bénéficié le fondateur de l’École biblique. Certes, de Vaux a dû lui aussi soumettre ses écrits à l’imprimatur ecclésiastique, en particulier lorsque les introductions de la Bible de Jérusalem abordaient des questions délicates d’historicité, mais il a bénéficié d’un accueil intelligent et bienveillant. Il n’a jamais eu à faire face à des refus ou des interdits de publier et a joui d’une réelle liberté de la recherche. L’autre élément favorable est une sorte de « fenêtre politique » dont il a bénéficié : les Britanniques ont la haute main sur l’archéologie en Palestine jusqu’à leur départ en mai 1948 ; à partir de 1967, lorsque l’État d’Israël prend le contrôle politique d’une bonne partie de la Palestine, il deviendra difficile pour un non-Israélien, a fortiori un religieux catholique, de prétendre à des fouilles d’envergure sur des sites liés à l’histoire d’Israël. De Vaux a bénéficié pendant vingt ans, à l’époque jordanienne, d’une réelle liberté pour lancer des

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EN GUISE DE CONCLUSION

programmes de fouilles ambitieux. Après quelques explorations ou fouilles superficielles à Salt et Ma‘in en Transjordanie conduites avec le Père Benoit à la fin des années trente, puis la fouille d’Abou Ghosh en 1940, il entreprend en 1946 le gros chantier de Tell el- Far‘ah. Ce site d’importance, occupé dès l’époque cananéenne, pourrait correspondre à la première capitale du Royaume d’Israël, l’antique Tirça, où Jéroboam établit sa capitale après la scission du royaume à la mort de Salomon, selon le Livre des Rois. De Vaux s’attaque donc à un chantier susceptible de renouveler les connaissances du contexte historique d’une période majeure de l’Ancien Testament, celle de la naissance même du royaume d’Israël. À sa mort, la presse israélienne titra : « Le Père de Vaux s’est distingué comme archéologue en découvrant la première capitale du Royaume d’Israël »1. Puis, Qumrân lui est quasi imposé, alors que Tell el-Far‘ah a largement de quoi l’occuper. Le site de Qumrân est alors en Jordanie où les responsables du Département des Antiquités de Jordanie se tournent naturellement vers de Vaux car il est alors de loin le plus compétent pour un dossier aussi complexe. Ce fut très lourd, on l’a montré, mais cette responsabilité place alors de Vaux et l’École biblique au cœur d’un renouvellement profond de la connaissance du texte biblique, grâce à cette trouvaille incroyable des manuscrits. Cinquante ans après la mort de Roland de Vaux, Qumrân reste pour l’École une niche d’expertise, un réel avantage comparatif dans le monde de la recherche. Elle constitue un attrait indéniable qui lui vaut la visite et le séjour prolongé des meilleurs scholars en la matière. La découverte des manuscrits de la mer Morte est la trouvaille du siècle pour les biblistes, comme le fut la découverte d’Angkor par des missionnaires portugais et espagnols à la fin du XVIe siècle ou, pour l’égyptologie, celle de la tombe de Toutânkhamon par Howard Carter en 1922 : ce sont des découvertes qui viennent complètement renouveler un sujet et donnent lieu à la naissance d’une discipline nouvelle. C’est cette notoriété qui a valu à de Vaux d’être encore choisi pour le très beau site de Tell Keisan, malgré les prétentions de plusieurs équipes prestigieuses qui pouvaient y prétendre. Il s’agit d’un site biblique et il se trouve en Israël mais de Vaux s’est fait un nom et il est presque incontournable. Après lui et cette « fenêtre politique », il sera quasi impossible pour l’École biblique de prétendre à des sites majeurs en Israël. Il faudra se tourner vers des périphéries, la Jordanie et Gaza, et travailler surtout sur des sites byzantins moins pertinents pour l’étude biblique.

1

L’Information d’Israël, 8 octobre 1971.

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De Vaux est mort assez jeune. Son œuvre écrite est considérable et souvent très érudite. Mais il n’a pas pu achever son Histoire ancienne d’Israël, qu’il considérait comme devant être la synthèse de sa recherche, ni aller au-delà de copieux rapports préliminaires pour les grandes fouilles qui l’ont occupé. Faut-il se dire que dix années lui ont manqué pour achever son œuvre ? En réalité, n’est-il pas plus juste de penser que ce qu’il a laissé de plus précieux, ce sont des disciples ? Et là, le tableau est éblouissant. De Vaux a été un maître, un vrai maître, quelqu’un qui a su transmettre, encourager, promouvoir, ne pas tirer à soi, comme cela arrive si souvent dans le monde scientifique. Des générations d’étudiants ont bénéficié de ses cours sur l’Histoire d’Israël, ses visites de musées archéologiques sont restées légendaires, sa générosité pour les étudiants est reconnue de tous. C’est par dizaines que se comptent les biblistes, les historiens et les archéologues qui lui doivent d’avoir pris goût à leur discipline, d’avoir appris à l’exercer avec passion, d’avoir eu le goût de transmettre à leur tour. Il a même été, au travers de ses étudiants, à l’origine de nouvelles écoles ou équipes d’archéologues comme cette tradition archéologique espagnole au Proche-Orient initiée par ses disciples Joaquin Gonzalez Echegaray et Emilio Olávarri. Comme les vrais maîtres, de Vaux a formé des plus jeunes, il les a lancés dans la vie, leur a montré la route et ensuite les a quittés. Sa mort prématurée les a peut-être laissés orphelins, mais elle les a surtout laissés libres. Libres de poursuivre et aussi d’inventer de nouveaux chemins. La fécondité de la vie de Roland de Vaux, une vie, vécue pleinement et à vive allure, est probablement là : tout faire avec passion et transmettre. La marque d’un véritable maître. Évoquer sa vie est aussi l’occasion d’un retour sur quelques grands moments et quelques personnages éminents de l’archéologie au Proche-Orient au cours du XXe siècle. La personnalité de Roland de Vaux tranchait dans un milieu qui n’est pas dépourvu d’ambitions et de jalousies : « il (m’) impressionnait par son allure de grand seigneur en habit dominicain [...]. Son affabilité n’était pas de commande et son autorité naturelle n’avait rien d’écrasant », dit de lui Agnès Spycket2. Un véritable maître, qui n’écrase pas : peut-on rêver d’un plus bel hommage ?

2 Cf. SPYCKET, 2004, 108. L’ouvrage évoque plusieurs noms croisés au long de ces pages : Pierre Amiet, André Caquot, Édouard Dhorme, Kathleen Kenyon, Jean Nougayrol, Pierre Labat, André Parrot.

BIBLIOGRAPHIE DE ROLAND DE VAUX 1- OUVRAGES (ÉDITIONS ORIGINALES) 1- Notes et textes sur l’avicennisme latin aux confins des XIIe-XIIIe siècles, Paris, Vrin, (BiblThom. H 17) 1934 2- Les Livres des Rois, Introduction et traduction, Paris, Cerf, 1949. 3- La Genèse, Introduction et traduction, Paris, Cerf, 1951. 4- Introduction générale au Pentateuque, La Genèse, Paris, Cerf, 1952. 5- Les Livres de Samuel, Introduction et traduction, Paris, Cerf, 1953. 6- Les Institutions de l’Ancien Testament, t. 1 : Le nomadisme et ses survivances, Institutions familiales, Institutions civiles, Paris, Cerf, 1958. 7- Les Institutions de l’Ancien Testament, t. 2 Institutions militaires et religieuses, Paris, Cerf, 1960. 8- Die hebräischen Patriarchen und die modernen Entdeckungen, Leipzig, St. Benno-Verlag & Düsseldorf, Patmos-Verlag, 1959. 9- L’archéologie et les manuscrits de la mer Morte, The Schweich Lectures, London, The Oxford University Press, 1961. Trad. anglaise : Archaeology and the Dead Sea Scrolls (The Schweich Lectures 1959), London, The Oxford University Press, 1973. 10- Les sacrifices de l’Ancien Testament (CRB 1), Paris, Gabalda, 1964. 11- Bible et Orient, Paris, Cerf, 1967, 542 p. Traduit par McHugh Damain sous le titre The Bible and the Ancien Near East, Londres, Longmans & Todd, 1971. 12- Histoire ancienne d’Israël. t. 1, Des origines à l’installation en Canaan, Paris, Gabalda, 1971. 13- Histoire ancienne d’Israël. t. 2, La période des Juges, Paris, Gabalda, 1973. NB : plusieurs de ces ouvrages ont été traduits en diverses langues (anglais, allemand, hébreu, espagnol, etc.)

2- OUVRAGES EN COLLABORATION 1- « Le schisme religieux de Jéroboam Ier », Contribution à Biblia et Orientalia (Mélanges Vosté), Rome, 1943, p. 77-91. 2- R. de VAUX, A.-M. STÈVE, Fouilles à Qaryet al-‘Enab Abu Gôsh Palestine, Paris, Gabalda, 1950, 162 p. + XX pl. 3- D. BARTHÉLEMY and J.T. MILIK, with contributions by R. de VAUX, G.M. CROWFOOT, H.J. PLENDERLEITH, G.L. HARDING, DJD I. Qumran Cave I, Oxford, Clarendon Press, 1955, XI-165 p., + 32 pl. 4- R. de VAUX, L. H. GROLLENBERG, R. BEAUPÈRE, Atlas de la Bible, Elsevier, 1955, 157 p. 5- R. de VAUX, J.T. MILIK, Dix ans de découvertes dans le Désert de Juda, Paris, Cerf, 1957, 120 p.

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INDEX DES NOMS D’AUTEURS Le nom des Roland de Vaux, étant présent à toutes les pages, n’a pas été retenu dans l’index ci-dessous pour ne pas l’allonger inutilement. Les chiffres en gras correspondent à de petites notices biographiques des partenaires principaux de Roland de Vaux. Abel Félix-Marie XII, 19, 20, 21, 22, 27, 28, 33, 48, 55, 68, 104, 112, 137, 138, 140, 143, 167, 219, 228, 255, 269. Achon, Claude d’ 1. ‘Abdallah et-Tel 69. ‘Abd el-Nasser, Gamal 100. ‘Aref el-‘Aref 211. ‘Awni Dajani 70, 102, 126, 211, 238. Abegg, Martin 134. Aejmelaeus, Anneli 92, 255. Aharoni, Yohanan 225. Ahituv, Shmuel 148. Aimé-Azam, Denise 255. Albert le Grand 12, 13, 14. Albright, William Foxwell XVII, XVIII, XX, 28, 30, 54, 66, 67, 71, 79, 80, 100, 122, 147, 149, 161, 172, 203, 224, 255. Allegro, John 88, 95, 99, 100, 125, 128, 133, 237, 242, 255, 257. Allgeier, Arthur 31, 225. Allo, Bernard 21, 107. Alt, Albrecht 224. Amiet, Pierre XV, 55, 70, 202, 204, 216, 241, 245, 255. Amir, Aharon 149. Anderson, Arnold 125. Anderson, George W. 127, 168, 180. Arenhoevel, Diego 72. Auscher, Dominique 178, 189, 202. Auvray, Paul 112, 148, 189. Averroès 12, 13, 15, 218, 248. Avicenne 13, 14. Avigad, Nahman XIX, 48, 121, 233, 234. Avi-Yonah, Michael 48, 233. Avni, Gideon 256. Avon, Dominique 255. Avril, Charles 230. Azéma, Jean-Pierre 45, 255.

Bagatti, Belarmino XVIII. Baigent, Michael 133, 255. Baillet, Maurice 96, 125, 130, 131, 132, 181, 182, 205, 210, 211, 212, 232, 248, 255. Baker, Wright 100. Balensi, Jacqueline 204, 208. Balfour 60. Baly, Denis 173, 174, 254, 255. Barnavi, Elie XXI, 256. Barns, John W. 96. Barrois, Augustin-Georges 14, 220. Barthélemy, Dominique 70, 74, 77, 85, 91, 92, 95, 96, 122, 123, 124, 131, 137, 247, 256. Barton, George Aaron 30. Baumgartner, Walter 124. Bea, Augustin 24, 93. Beaudouin, Lambert 107. Beaupère, René 247. Bellouard, Augustin 62, 68. Ben Gourion, David 60, 142. Ben-Dor, Immanuel 48. Bennett, Crystal-M. 172, 237, 256. Benoit, Pierre XI, XII, XV, XXI, 6, 12, 14, 15, 16, 17, 20, 21, 22, 24, 25, 30, 36, 48, 53, 57, 73, 76, 84, 92 96, 110, 112, 115, 117, 125, 130, 132, 135, 137, 138, 140, 143, 144, 156, 159, 162, 170, 188, 189, 200, 201, 203, 204, 206, 210, 211, 212, 213, 217, 219, 220, 222, 225, 226, 228, 235, 236, 244, 248, 250, 256. Berger, Réginald 8. Bernadot, Marie-Vincent 107. Besançon, Dalmace 8. Bieberkraut, James 121, 233. Biran, Avraham XI, 129, 130, 131, 177, 210, 211. Birnbaum, Solomon 80, 89, 122, 256.

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INDEX DES NOMS D’AUTEURS

Bliss, Frederick Jones XVII. Bohl, Xavier 208. Boilot, Jacques Dominique 190. Boismard, Maire-Emile 57, 68, 73, 112, 115, 117, 137, 138, 139, 143, 144, 256. Boisselot, Pierre 107, 111, 116. Bonnard, Pierre 102, 184, 189. Bonsirven, Joseph 93. Bordreuil, Pierre 181, 184. Boulanger, Marie-Dominique 21, 42, 43. Bourgeois, Daniel 192. Branham, Joan R. 256. Braudel, Fernand 147. Braun, François-Marie 112. Breuil, Henry 6. Briend, Jacques 178, 179, 184, 204, 208, 209, 256. Brizemeure, Daniel 100, 256. Broshi, Magen 129, 213, 233. Brouillet, René 230. Brown, Judith Anne 257. Brown, Raymond 257. Browne, Michael 115. Brownlee, William 66, 80, 122, 257. Brunet, Alphonse 2. Brunet, Antoine 2. Brunet, Fernand 2. Brunet, Robert 3. Brunet, Yvonne 1. Brunschwicg, Léon 5. Burckhardt, Johannes Ludwig 220. Burrows, Millar 66, 80, 89, 91, 122, 257. Burton, Donald 103. Caillault, Henri-Léon 36. Cambell, Edward Jr 174. Capucci, Hilarion XI. Caquot, André 245. Caramelo, Francesco 73. Carcopino, Jérôme 83. Carmignac, Jean 99, 182, 184. Carrière, Bertrand 17, 41, 42, 43, 220. Carrouges, Michel 109. Carter, Howard 244. Catel, Olivier XXI. Cathelineau, Emmanuel 143. Catroux, Georges 42, 44. Causse, Antonin 31. Cavalin, Tangi 8, 43, 257.

Cazelles, Henri 57, 91, 112, 139, 165, 169, 174, 202, 241. Ceccheli, Carlo 80. Cecconi, Gaïa 204. Cerfaux, Lucien 110, 111. Ceuppens, Frans 115. Chadwick, Henry 127. Chambon, Alain 73, 178, 181, 189, 202, 204, 205, 206, 208, 222, 257, 260. Charlier, Jean-Pierre 259. Charloux, Guillaume 204. Chartier, René 116. Chaylard, Guy du 47, 62, 140. Chenu, Marie-Dominique 11, 12, 15, 16, 161, 218, 248, 257. Chifflot, Thomas 4, 80, 103, 107, 108, 109, 110, 115, 116, 117, 118, 119, 143, 146, 156, 158, 159, 161, 166, 174, 222, 229, 237, 239, 252. Chouraqui, André XI. Claudel, Paul 11, 114. Clermont-Ganneau, Charles 64. Cody, Aelred XV, 215, 238, 257. Collin, Jacques 204. Congar, Yves 11, 12, 107, 109, 119, 218, 257. Contenson, Henri de XV, 72, 83, 84, 94, 170, 172, 173, 204, 232, 257. Corbo, Virgilio XVIII. Corm, Georges 231, 258. Corvin, Alsoph H. 100. Coüasnon, Charles XIII, 70, 138, 150, 258. Couesnongle, Vincent de XI, 170, 201. Couroyer, Bernard 20, 22, 36, 57, 78, 112, 137, 143, 204, 216, 219, 228, 258. Courtois, Liliane 204. Couturier, Guy XV, 72, 153, 155, 184, 198, 258. Couturier, Marie-Alain 11. Couve de Murville, Maurice 138. Cox, T.J. 237. Crampon, Augustin 109. Crawford, Sidnie White 207, 208, 258. Creswell, Keppel Archibald Cameron 48, 165, 220. Cross, Frank Leslie 191. Cross, Frank Moore 95, 96, 100, 130, 131, 161, 210, 211, 212, 213, 258.

INDEX DES NOMS D’AUTEURS

Crowfoot, Grace M. 96, 124, 157, 247. Cullmann, Oscar 169. Dabrowsky, Eugeniusz 93. Dainville, Joseph de 43. Daniélou, Jean 106. Daniel-Rops 113. Dan Wang, Thérèse XXI. Darlan, François 42. Darrieutort, André 102. Davies, Philip R. 132, 258. Delalande, Jacques 5. Delcor, Mathias 99, 124. Dell’Acqua, Angelo 116. Delaporte, Louis 54. Deller, Karlheinz 150. Delumeau, Jean 192. Deman, Thomas 11. Denis, Albert 68. Dentz, Henri 4, 39, 40, 41, 42, 45. Deschênes, Bertrand 153. Dewailly, Louis-Marie 112. Dhorme, Edouard XII, 14, 19, 20, 21, 31, 32, 33, 103, 104, 166, 199, 217, 219, 245, 258. Dimant, Devorah 213, 258. Drapier, François 44. Dreyfus, Paul 189. Driver, Godfrey R. 127, 128, 236, 258. Drori, Amin 213. Dubois, Louis-Ernest 6. Du Buit, Michel 117, 139, 146, 216, 258. Du Chaylard, Guy 32. Dubarle, André-Marie 150. Dubarle, Dominique 5. Ducatillon, Vincent 116. Dumeste, Louis 14, 20, 22, 36, 38. Dumortier, Jean-Bernard 204. Dunand, Maurice 27, 31, 44, 48, 190, 220, 248. Duncan, Andrew 157. Duncker, Pierre 115. Duployé, Pie 106, 116. Dupont-Sommer, André 64, 79, 80, 81, 82, 89, 91, 122, 124, 150, 166, 191, 201, 202, 236, 242, 254, 258. Dussaud, René XX, 29, 82, 104, 119, 145, 166, 258. Echegaray, Joaquim González 245, 258.

185,

273

Edwards, Iorweth Eiddon 172. Eisenman, Robert 133, 232, 258. Eissefeldt, Otto 80. Eitan, Avi 213. Faral, Edmond 45. Feltin, Maurice 4. Féret, Henri-Dominique 11, 218. Festugière, André Jean 5, 10, 11, 14, 16. Feuillet, André 184. Feuillet, René 184. Fidanzio, Marcello 207, 258. Fields, Weston 63, 84, 85, 95, 96, 97, 123, 129, 214, 259. Finkelstein, Israël 55, 259. Fitzmyer, Joseph A. 99, 133, 134, 257. Flavius Josèphe 83. Flint, Peter William 96. Fohrer, Georg 225. Fonck, Leopold 23. Fontoynont, Victor 106. Foucauld, Charles de 43. Fouilloux, Etienne 43, 106, 107, 108, 116, 259. Freedman, David Noël 259. Friedlander, Yossef 149. Fulco, William J. 208, 259. Gadd, Cyril John 172. Galor, Katarina 256. Gardeil, Henri-Dominique 11, 218. Garstang, John XVII. Gaulle, Charles de 38, 39, 41, 43, 45, 149. Gauthier, Henri 166. Gelin, Albert 112, 252. Georges-Picot, Jacques 101, 259. Germanos, Mgr XI. Germer-Durand, Joseph XVIII. Gettens, Rutherford J. 100. Ghirshman, Roman 31, 49, 199, 224. Gibson, Shimon 157, 259. Gilbert, Maurice XV, 23, 259. Gillet, Martin 9, 21, 40, 42, 43. Gilson, Etienne 5, 12, 111, 112, 218. Ginsberg, Harold 80. Giraud, André 62, 142, Girotti, Giuseppe 25. Glueck, Nelson XVIII, XX, 48, 172, 203, 220, 253. Gobert, Damianus Walter 143,

274

INDEX DES NOMS D’AUTEURS

Godet, Eric 178. Godin, Henri 107. Gonçalves, Francolino XV, 181, 184. Graf, Charles-Henri 113. Granfield, David 163. Greenberg, Raphaël XIX, 259. Grohman, Adolf 87, 88, 259. Grollenberg, Luc H. 57, 70, 137, 247, 259. Guérin, Victor 177, 259. Gunneweg, Jan 206, 260. Hagedorn, Anselm C. 149, 259. Halloy, Christian Fouache d’ 202. Hamel, Gildas XV, 186, 259. Hamer, Jérôme 161. Hamilton, Robert William 27, 55, 220. Harding, Lankester 27, 48, 62, 67, 70, 71, 75, 76, 77, 78, 80, 84, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 97, 98, 102, 121, 123, 124, 220, 247, 259. Harrington, Wilfrid J. 253. Hassan bin Talal 212. Hempel, Johannes 80. Henry, Antonin-Marie 109, 116. Henry, Paul-Antoine 178, 200, 224, 230. Héris, Vincent 11, 218. Hermel, Vincent 17. Hirschberg, Hayim Zeev 233. Hofer, Maurice Aloysius 239. Honorius III 14. Hubert, Jean 202, Huby, Joseph 110, 111. Humbert, Jean-Baptiste XV, XVII, XX, 53, 178, 204, 205, 206, 207, 208, 209, 216, 235, 256, 260. Hunzinger, Claus-Hunno 95, 96, 131, 211. Huot, Jean-Louis XV, 83, 185, 199, 203, 260. Huré, Francis 178. Husseini, ‘Abd el-Kader al- 142. Imbach, Ruedi 13. Jandel, Alexandre Vincent 10. Jaussen, Antonin XII, 13, 17, 18, 19, 20, 21, 35, 39, 40, 57, 219, 220, 260. Jeremias, Joachim 169. Johns, Cedric Norman 28? Join-Lambert, Michel 208.

Joassart, Bernard 260. Jouguet, Pierre 27. Junker, H. 252. Kapera, Zdisław J. 93, 94, 99, 260. Karageorghis, Vassos 176. Kaufmann,Yehezkel 225. Kenyon, Kathleen XI, XV, XX, 71, 72, 126, 139, 150, 152, 156, 157, 158, 166, 172, 173, 176, 181, 186, 200, 201, 215, 225, 236, 237, 238, 245, 261. Khalîl Iskandar Shahîn (Kando) 63, 75, 233. Kirkbride, Diana 186. Kittel, Rudolf 193. Koenig, Pierre 41. Koffmahn, Elisabeth 127. Kollek, Teddy XI Kraeling, Carl 80, 85, 90. Kuhn, Carl G. 100. L’Hour, Jean 184. Labat, Pierre 49, 245. La Chaise, Marie-Noëlle de XV, 228. Lacheman, Ernst 80. Lacordaire, Henri-Dominique 4, 7, 10, 218. Lacoudre, Noël 100, 256. Lagrange, Marie-Joseph XII, XIII, XVII, 6, 14, 15, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 25, 29, 30, 31, 33, 33, 34, 37, 39, 47, 49, 51, 107, 112, 136, 153, 155, 156, 166, 167, 198, 201, 217, 222, 225, 238, 241, 243, 249, 253, 261. Lamennais, Félicité de 4. Lamouille, Arnaud 137. Lancaster, William 261. Langhe, Robert de 87. Langlamet, François XIII, 139, 184, 196, 203. Langre, Ghislain de 228. Laperoussaz, Ernest-Marie 48, 120, 138, 222, 261. Lapp, Nancy 237. Lapp, Paul W. 166, 171, 176, 177, 191, 237, 254, 261. Larcher, Chrysostome 112, 137, 189, 219. Laudouze, André 9, 261. Lauffray, Jean 27. Laurens, Henry XVI, 261.

INDEX DES NOMS D’AUTEURS

Lauzière, Ephrem 219. Lavergne, Ceslas 137. Lawrence, Thomas Edward, XX. Leclant, Jean 190. Lefèvre, Louis 43. Leigh, Richard 133, 255. Lemaire, André 178, 179, 184, 202, 208, 222. Lemire, Vincent 46, 261. Lemoine, François 57, 139, 143. Léon XIII 4, 22, 218, 222. Léon-Dufour, Xavier 118, 261. Leprieur, François 116, 261. Leroi-Gourhan, André 83. Leroy, Marc XXI. Lestienne, Michel 184. Levie, Jean 23, 25, 261. Levy, Rafaël XI. Licht, Jakob 99. Liénart, Achille 115. Lippens, Philippe de 75, 85, 88. Loisy, Alfred 18, 19. Louis, Raymond 32, 42. Louvel, François 7, 8, 107, 108, 109. Loza, José 197, 198, 261. Lubac, Henri de 106. Lyonnet, Stanislas 93, 112. Macalister, Robert Alexander Stewart XVII, 157. MacDonald, Burton 185, 189. Mackay, Ernest 220, 269. Mader, Evaristus 224. Magness, Jodi 132, 261. Mailhiot, Gilles-Dominique 199. Mallet, Joël 73, 189, 204, 222, 261, 262. Mandonnet, Pierre 11, 12, 13, 218, 262. Marçais, Georges 166. Marçais, William 51. Marcel, Gabriel 111. Maritain, Jacques 11. Marmadji, Sébastien 137, 143. Marquet-Krause, Judith 223. Marrou, Henri-Irénée 111, 112. Martin, Jacques 116. Martin-Achard, Robert 174, 188. Massignon, Louis 27, 231. Mauriac, François 11, 113. Maurras, Charles 9, 10. May, Herbert 191. Maydieu, Augustin 11, 107, 113. Mayer, Leo Arieh 48.

275

Mazar, Benjamin XIX, 158, 175, 191, 213, 233, 234. Menasce, Jean de 10, 11, 16, 80, 91, 112. Mesnil du Buisson, Robert du 31, 224. Michelet, Edmond 11. Milik, Józef Th. 74, 76, 83, 84, 93, 94, 95, 96, 99, 100, 121, 124, 125, 126, 131, 160, 205, 210, 211, 212, 247, 248, 255, 256, 262. Miller, Athanasius 168. Miroschedji, Pierre R. de XV, 160, 185, 186, 204, 205, 208, 216, 224, 262. Mlynarczyk, Jolanta 207, 260. Mondésert, Claude 106. Montagnes, Bernard 6, 14, 17, 20, 23, 26, 156, 217, 262. Montalembert, Charles Forbes de 4. Montero Fenollós, Juan-Luis 73, 185, 262. Motte, Antonin 5. Moubarac, Youakim 231. Müller, David-Heinrich 18. Murphy-O’Connor, Jerry 128, 132, 262. Musil, Alois 220. Nasser, Gamal abd-el 101. Neuville, René 46, 144, 230. Newsom, Carol A. 213. Nodet, Etienne 208, 260. Nougayrol, Jean 245. Olávarri Goicoechea, Emilio 185, 186, 245. Oliva, Adriano 13. Olier, Jean-Jacques 6. Orfali, Gaudenzio XVIII. Orlinsky, Harry M. 80, 248. Ormesson, Jean d’ 3. Osty, Emile 112, 115. Ottaviani, Alfredo 116, 190, 253. Outrey, Amédée 45, 46. Outrey, Georges 46. Oweis, Yacoub 212. Oxtoby, William G. 99, 257. Ozanam, Frédéric 4, 7, 40, 218. Padé, Jourdain 9, 14, 17. Parr, Peter 172. Parrot, André 30, 54, 166, 167, 175, 176, 178, 190, 202, 216, 224, 241, 245.

276

INDEX DES NOMS D’AUTEURS

Passelecq, Georges 115. Paul, André 262. Paul VI 160. Paul, Shalom M. 234. Paulhan, Jean 113. Pérennès, Jean Jacques 39, 262. Périnelle, Joseph 9, 10, 262. Perret, Vincent 36, 40, 41, 42. Perrot, Charles 87, 182, 184, 262. Perrot, Jean 57, 74, 236, 262. Pétain, Philippe 38, 40. Petitmangin, Henri 6. Petrie, Flinders XVII, 75. Petrullo, Giacomina 204. Philippe, Paul 116. Picirillo, Michele XVIII. Pie XI 9, 24. Pie XII 23, 47, 107, 155, 222, 243. Plenderleith, Harold 80, 97, 98, 124, 247. Pline l’Ancien 83. Poffet, Jean-Michel 198. Posener, Georges 194. Pouilloux, Jean 176. Prag, Kay 158, 262. Prignaud, Jean 72, 139, 146, 174, 176, 177, 178, 179, 180, 181, 199, 200, 204, 208, 222, 263. Puaux, Gabriel 28. Puech, Emile XX, 91, 95, 100, 208, 209, 212, 213, 256, 263. Pury, Albert de 181, 184, 186, 242. Quelen, Hyacinthe-Louis de Qimron, Elisa 213.

7.

Radcliffe, Timothy 179. Rascol, Ambroise 14. Reed, William L. 77, 263. Refoulé, François 19, 23, 174, 188, 189, 263. Régamey, Pie-Raymond 7. Reinisch, Leo Simon 18. Renan, Ernest 6, 81, 82. Rettenbach, Nicolas 7. Richmond, Ernest 27. Rigaud, Helena XX. Rigaux, Beda 169. Robert, André 110, 111. Robert, Bleddyn J. 80. Robillard, Jean-Jacques 214. Roguet, Aimon-Marie 7, 106.

Rosner, Chloé XIX, 263. Ross, John Paul 200. Rost, Leonhard 253. Rousée, Jourdain-Marie XIII, 47, 72, 102, 104, 138, 222, 224, 263. Rowe, Alan 126, 177, 179. Rowley, Harold Henry 80, 88, 125, 127, 186, 225. Ryckmans, Gonzague de 87. Ryckmans, Jacques de 87. Sablière, Bertrand Rochereau de la 202. Sabourin, Leopold 150. Sainte-Marie, Christian Marcotte de 138. Sala, Maura Salamin, Matthieu 227. Sallé de Chou, Paul 1, 5. Saller, Sylvester XVIII. Salles, Jean-François 208. Salman, Dominique 7, 13, 14. Samuel, Mar Athanasius Yeshue 63, 64, 67, 80, 88, 233, 263. Sanders, James A. 125. Sanderson, Judith E. 95. Sangnier, Marc 10. Sapin, Jean 185. Sarna, Nahum M. 263. Savey, Jacques Réginald 43, 44, 257. Savignac, Raphaël XII, 16, 21, 25, 27, 28, 30, 32, 33, 42, 43, 57, 136, 138, 143, 144, 216, 217, 219, 220, 221, 228, 229, 260. Schaeffer, Claude Frédéric-Armand 31, 37, 54, 56, 58, 102, 103, 140, 166, 176, 190, 224, 230, 248. Schaub, Thomas 171. Scheil, Vincent 166. Schenker, Adrian 91, 92, 184, 263. Schiffman, Lawrence H. 134, 135, 263. Schillo, Frédérique 46, 263. Schumann, Maurice 177, 202. Schwertner, Siegfried IX. Seligman, Jon 129, 263. Serrand, Alain-Zacharie 109. Seyrig, Henri 27, 54, 94, 164, 220. Sèze, Stanislas de 5. Shaffer, Aaron 139. Shanks, Hershel 133. Shapira, Moses 64. Schubert, Kurt 80.

INDEX DES NOMS D’AUTEURS

Schüller, Eileen 213. Siegfried, André 27. Siger de Brabant 12. Sigrist, Marcel XV, 264. Simon, Richard 113. Skehan, Patrick W. 95, 96, 210, 211. Smith, Mark 224. Sparks, Rachael Thyrza 75, 264. Speiser, Ephraïm A. 190. Spicq, Ceslas 11, 112, 114, 137, 140, 143, 144, 219. Spitz, Raymond 69. Spycket, Agnès 19, 157, 158, 178, 179, 199, 208, 264. Starcky, Jean 94, 95, 210, 211, 212, 213. Starkey, James Leslie 75. Stève, Ambroise-Marie 49, 51, 55, 57, 69, 139, 143, 221, 222, 247, 250, 264. Stillman, Charles Chauncey 162. Strugnell, John 95, 128, 131, 132, 160, 164, 202, 203, 210, 211, 213, 214, 235, 236, 237, 264. Suarez, Emmanuel 115, 155, 156, 229. Suhard, Emmanuel 4, 110. Sukenik, Eleazar XIX, 48, 64, 65, 67, 74, 78, 79, 80, 81, 83, 85, 88, 89, 90, 91, 119, 120, 121, 149, 229, 233, 234, 264. Synave, Paul 7, 11, 14. Taha Hussein 43. Talmon, Shemaryahu 99. Tarragon, Jean-Michel de XXI. Tavardon, Augustin 207, 264. Teixidor, Javier 99, 257. Thierry d’Argenlieu, François 5. Thomas d’Aquin 11, 14, 48, 222. Thompson, Thomas L. 197, 264. Thureau-Dangin, François 54. Tisserant, Eugène 108, 110, 167, 200, 239, 248. Tournay, Raymond-Jacques XII, XXI, 10, 14, 34, 45, 78, 112, 120, 121, 137, 138, 143, 197, 219, 230, 264. Tov, Emmanuel 92, 95, 96, 99, 125, 138, 206, 213, 214, 264. Trémel, Bernard 227. Trever, John C. 64, 66, 79, 80, 89, 90, 122, 233, 265. Trimbur, Dominique XX, 20, 45, 46, 62, 63, 265.

277

Tushingham, Arlotte Douglas 157, 173, 236, 254, 255. Ullendorff, Edward 127. Ulrich, Eugene Charles 95, 212, 213. Vaccari, Alberto 93. Valensin, Auguste 47. Van der Ploeg, Johannes Petrus Maria 64, 91. Van der Woude, Adam Simon 210. Van Seters, John 197, 265. Vanel, Antoine 184. Vaux, Bertrand de 3, 4, 5. Vaux, Dominique de XV, 1, 5. Vaux, Germaine de 4, 218. Vaux, Gilbert de 4, 5, 227. Vaux, Jacques de 1, 3, 4, 218, 227. Vaux, Jacqueline de 1, 5. Vaux, Nicole de 1, 5. Vaux, Solange de 1, 5. Venard, Olivier-Thomas 109, 269. Verdilhac, Joseph de 39, 40, 41. Vermès, Géza 99, 127, 234, 269. Vicaire, Marie-Humbert 5, 7. Viet-Depaule, Nathalie 45, 257. Villot, Jean 202. Vilnay, Zev 174. Vincent, Louis-Hugues XII, XVII, 14, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 27, 30, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 45, 49, 54, 64, 68, 78, 104, 136, 138, 143, 156, 166, 167, 194, 201, 217, 219, 220, 224, 237, 243, 269. Virolleaud, Charles 31. Von Rad, Gerhard 163, 164, 195. Vosté, Jacques-Marie 108, 155, 156. Wacholder, Ben Zion 134, 269. Wahl, Jean 113. Wailly, Henri de 269. Wambacq, Beniaminio 168. Warren, Charles 157. Watzinger, Carl XVII. Weber, Jean-Julien 6. Weber, Max 149. Weippert, Manfred 225. Wellhausen, Julius 113, 149, 154. Wiet, Gaston 43. Wilson, Edmund 99, 269. Wilson, Henry Maitland 39. Wise, Michael 133.

278

INDEX DES NOMS D’AUTEURS

Wooley, C. Leonard XX, 29, 31, 224, 225. Wright, Jeremias E. 80. Wright, George Joseph 172. Yadin, Yigaël 65, 67, 120, 130, 131, 191, 202, 210, 211, 233, 235, 269.

Yeivin, Shmuel 48. Zayadine, Fawzi 202, 203, 212, 270. Zeitlin, Solomon 123, 124, 270. Ziegler, John 248. Ziegler, Joseph G. 191. Zimmermann, Henri 44, 46.

TABLE DES MATIÈRES LISTE DES

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

IX

PROLOGUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

XI

CHAPITRE PREMIER : COMMENT DEVIENT-ON ROLAND DE VAUX ? ORIGINES FAMILIALES ET JEUNESSE DOMINICAINE . . . . . . . . . . .

1

1. 2. 3. 4. 5. 6. 7.

ABRÉVIATIONS

Une enfance heureuse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Du séminaire au noviciat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Au Saulchoir de Kain, une vocation naissante de médiéviste . Bibliste par goût et par obéissance . . . . . . . . . . . . . . 1933 : à la découverte de la Terre sainte . . . . . . . . . . . Une arrivée dans un contexte de crise . . . . . . . . . . . . . Préparation de la licence biblique . . . . . . . . . . . . . . .

CHAPITRE DEUXIÈME : À

PIED D’ŒUVRE À JÉRUSALEM

. . . . . . .

1 5 9 14 17 20 23

(1935-1945) .

26

1. Archéologie et Histoire du Proche-Orient ancien : une orientation s’annonce . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Un milieu intellectuel porteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. Premiers articles de Roland de Vaux . . . . . . . . . . . . . . 4. Premières responsabilités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5. Turbulences politiques au Moyen-Orient : la Question de Palestine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6. Vivre et Penser : la Revue biblique durant la guerre de 1939-1945 7. La guerre de Syrie en 1941 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8. Tensions entre la communauté de Saint-Étienne et les dominicains du Caire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9. De l’histoire à l’archéologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

26 26 28 31 34 36 38 39 47

CHAPITRE TROISIÈME : NAISSANCE D’UN ARCHÉOLOGUE (1945-1952)

52

1. 2. 3. 4.

53 57 59

Le lancement des fouilles de Tell el-Far‘ah . . . . . . . . . . . Juin 46 - octobre 47 : premières campagnes à Tell el-Far‘ah . L’interruption de la guerre israélo-arabe de 1947-1948 . . . . . Les manuscrits de la mer Morte : une découverte riche en rebondissements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

63

280

TABLE DES MATIÈRES

5. Prieur du couvent Saint-Étienne . . . . . . . . . . . . . . . . . 6. 1950 : Reprise des fouilles de Tell el- Far‘ah . . . . . . . . .

68 69

CHAPITRE QUATRIÈME : « TERRASSIER DE LA BIBLE », LES ANNÉES QUMRÂN (1947-1956) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

74

1. La course poursuite avec les Bédouins : premières fouilles de 1951-1952 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75 2. Premières controverses autour de l’interprétation . . . . . . . . 78 3. Les grandes découvertes des grottes 3 et 4 . . . . . . . . . . . 83 4. Roland de Vaux, homme de confiance pour l’acquisition des manuscrits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85 5. Un puzzle compliqué pour une partie à trois . . . . . . . . . . 88 6. L’amorce d’une équipe internationale pour déchiffrer les manuscrits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91 7. Le laboratoire d’étude des fragments au Musée archéologique palestinien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95 8. 1958 : Après la crise de Suez, sixième et dernière campagne à Qumrân . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101 9. Qumrân… et le reste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104 CHAPITRE CINQUIÈME : LA BIBLE DE JÉRUSALEM ET LES DISCOVERIES IN THE JUDAEAN DESERT, DEUX GRANDS PROJETS ÉDITORIAUX . . . . 106 1. 2. 3. 4. 5. 6.

La naissance du projet d’une nouvelle traduction de la Bible . Pourquoi une nouvelle traduction ? . . . . . . . . . . . . . . . Un véritable défi éditorial . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La Bible de Jérusalem, une Bible de référence . . . . . . . . . Éditer les manuscrits de la mer Morte : une rude entreprise . . Le lancement de la collection des Discoveries in the Judaean Desert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7. L’affaire Allegro . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8. Entre débats académiques et crispations politiques . . . . . . . 9. De rudes opposants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

CHAPITRE SIXIÈME : 1. 2. 3. 4. 5.

LES FARDEAUX S’ACCUMULENT

106 109 112 114 119 123 125 128 133

(1945-1965) . . 136

1945 : la direction de l’École biblique . . . . . . . . . . . . . Financements, guerre de 48, priorat : les soucis s’accumulent . De l’archéologie à l’histoire biblique . . . . . . . . . . . . . . Un maître-livre : les Institutions de l’Ancien Testament . . . . Les Schweich lectures de 1959 : la consécration . . . . . . . .

136 140 145 146 150

TABLE DES MATIÈRES

281

6. 1961 : Les Patriarches hébreux et les découvertes modernes. . 152 7. 1961-64 : les fouilles de l’Ophel avec Kathleen Kenyon . . . . 156 : « MAÎTRE EN ISRAËL » ET BIEN AU-DELÀ : LA NOTORIÉTÉ INTERNATIONALE (1959-1971). . . . . . . . . . . . . . . 160 CHAPITRE

SEPTIÈME

1. 1964-65 : Visiting professor à Harvard et conférencier en Amérique du Nord. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Académies et sociétés savantes . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. 1968-69 : la reconnaissance internationale . . . . . . . . . . . 4. 1970-71 : Tell Keisan, un dernier chantier de fouille . . . . . . 5. Un site en forme de testament . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6. Un maître et ses nombreux disciples . . . . . . . . . . . . . .

161 165 169 175 179 180

CHAPITRE HUITIÈME : UNE ŒUVRE INACHEVÉE ? . . . . . . . . . . . 188 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7.

Un travail principal et bien d’autres . . . . . . . . . . . . . . . L’Histoire ancienne d’Israël ou le projet d’une vie . . . . . . . Une œuvre interrompue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Une mort soudaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La publication des fouilles de Tell el-Far‘ah . . . . . . . . . . Le fardeau de la publication des manuscrits de Qumrân . . . . Épisodes à venir dans la publication des manuscrits de la mer Mort . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

188 192 196 198 203 205 210

CHAPITRE NEUVIÈME : CHARME ET AUTORITÉ : ÉLÉMENTS D’UN PORTRAIT CONTRASTÉ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8.

De qui tenir : l’assurance d’un homme « bien né » et bien formé Roland de Vaux, successeur de Lagrange ? . . . . . . . . . . . Un homme de grands projets . . . . . . . . . . . . . . . . . . Un religieux peu enclin aux confidences . . . . . . . . . . . . Une vie marquée par le conflit israélo-palestinien . . . . . . . Entre notoriété et damnatio memoriae . . . . . . . . . . . . . De grandes amitiés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Une œuvre écrite considérable . . . . . . . . . . . . . . . . . .

216 219 222 225 230 232 235 239

EN GUISE DE CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 242 BIBLIOGRAPHIE DE ROLAND DE VAUX . . . . . . . . . . . . . . . . 247 BIBLIOGRAPHIE DE L’OUVRAGE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 255 INDEX DES NOMS D’AUTEURS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271

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• IMPRIME

SUR PAPIER PERMANENT

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