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French Pages 436
Le comté de Bourgogne d’Eudes IV à Philippe de Rouvres (1330-1361)
Burgundica XXXII
Publié sous la direction de Jean-Marie Cauchies Centre européen d’études bourguignonnes (xiv e-xvie s.)
Le comté de Bourgogne d’Eudes IV à Philippe de Rouvres (1330-1361)
Sylvie Le Strat-Lelong
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Collection BURGUNDICA Peu de périodes, de tranches d’histoire ont suscité et continuent à susciter auprès d’un large public autant d’intérêt voire d’engouement que le « siècle de Bourgogne ». Il est vrai qu’ à la charnière de ce que l’on dénomme aussi vaguement que commodément « bas moyen âge » et « Renaissance », les douze décennies qui séparent l’avènement de Phillipe le Hardi en Flandre (1384) de la mort de Philippe le Beau (1506) forment un réceptacle d’idées et de pratiques contrastées. Et ce constat s’applique à toutes les facettes de la société. La collection Burgundica se donne pour objectif de présenter toutes ces facettes, de les reconstruire – nous n’oserions écrire, ce serait utopique, de les ressusciter – à travers un choix d’études de haut niveau scientifique mais dont tout « honnête homme » pourra faire son miel. Elle mettra mieux ainsi en lumière les jalons que le temps des ducs Valois de Bourgogne et de leurs successeurs immédiats, Maximilien et Philippe de Habsbourg, fournit à l’historien dans la découverte d’une Europe moderne alors en pleine croissance.
Le présent ouvrage est publié avec le concours financier de la Fondation pour la protection du patrimoine culturel, historique et artisanal (Lausanne) Illustration de couverture : Premier sceau de Philippe de Rouvres [1357-1360]. Moulage. Département du Doubs, Archives départementales, HDEP1/340/B . © 2021, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise without the prior permission of the publisher. ISBN 978-2-503-59079-0 E-ISBN 978-2-503-59080-6 DOI 10.1484/M.BURG-EB.5.121103 ISSN 1780-3209 E-ISSN 2295-0354 D/2021/0095/153 Printed in the EU on acid-free paper.
Table des matières
Remerciements7 Abréviations utilisées 9 Préface11 Introduction13 Sources19 Ire partie Au cœur de la principauté Chapitre I Héritages41 Chapitre II Assises territoriales
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Chapitre III Une administration héritée71 Chapitre IV Des réformes de structures
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IIe partie La féodalité au comté de bourgogne Chapitre I Le droit du suzerain : les fiefs du comté
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Chapitre II Des pouvoirs concurrents : les grands et leurs réseaux
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IIIe partie Le prince et sa noblesse Chapitre I De la rébellion à la participation : un équilibre à trouver
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Chapitre II Les hommes du comte
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IVe partie L’élaboration du pouvoir princier et ses limites Chapitre I Fondements politiques
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Chapitre II Le droit du prince
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Chapitre III Appareil administratif et judiciaire
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Chapitre IV Organisation militaire et financière
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Conclusion générale 387 Annexes391 Bibliographie409 Index des noms de personnes 429
Remerciements Tous mes remerciements vont en premier lieu à Paul Delsalle et au Professeur Jean-Marie Cauchies, sans lesquels cet ouvrage n’aurait pu être publié. Il est issu d’une thèse de doctorat, menée sous la direction de Madame le Professeur Michelle Bubenicek à l’Université de Franche-Comté. Qu’elle soit ici remerciée pour ses conseils avisés, sa compréhension et sa lecture toujours attentive. Je sais également gré aux Professeurs Guido Castelnuovo, Bruno Lemesle et Olivier Mattéoni de leurs remarques lors de la soutenance. Elles m’ont permis d’enrichir ce travail. Merci à Philippe, mon mari, qui a réalisé les cartes et les généalogies, et pris en charge la vie familiale lorsque ce fut nécessaire, comme à Christelle et à Laure pour la relecture. Merci au Professeur Pierre Gresser pour son accueil bienveillant et l’intérêt qu’il a porté à mes travaux, ainsi qu’à ma famille et mes amis pour leur soutien. Je tiens enfin à faire ici mémoire du Professeur Henri Dubois, qui a initié cette recherche. Le sujet l’intéressait tout particulièrement. J’espère que ce livre aurait pu en partie répondre à ses interrogations.
Abréviations utilisées ADD : Archives départementales du Doubs ADCO : Archives départementales de la Côte-d’Or ADJ : Archives départementales du Jura ADHS : Archives départementales de la Haute-Saône BEC Besançon : Bibliothèque d’Étude et de Conservation de Besançon AN : Archives nationales BnF : Bibliothèque nationale de France N.a.f. : Nouvelles acquisitions françaises fr : Manuscrits français lat. : Manuscrits latins A.L.U.B. : Annales Littéraires de l’Université de Besançon B.É.C. : Bibliothèque de l’École des chartes M.S.H.D.B. : Mémoires de la Société pour l’Histoire du Droit et des Institutions des anciens pays bourguignons, comtois et romands. l., s., d. : livre, sou, denier Sauf mention contraire, toutes les dates sont données en nouveau style.
Préface Avec cette belle étude consacrée au comté de Bourgogne sous les principats d’Eudes IV et de Philippe de Rouvre (1330-1361), Sylvie Le Strat se propose en quelque sorte de rouvrir le « dossier Eudes IV », ce qui n’était pas une mince affaire, l’homme et son action étant à la fois connus et méconnus. Certes, les médiévistes familiers du contexte bourguignon s’accordent pour attribuer au duc capétien une réputation d’homme à poigne, précurseur des grands ducs Valois de Bourgogne dans leur entreprise de centralisation et de reprise en main efficace de la province comtoise. Dans le détail, cependant, la méthode qui fut celle du duc, ses résultats, mais aussi ses limites, demeuraient assez mystérieux, et il fallait, de toute évidence, reprendre l’ensemble de la question. C’est précisément ce que Sylvie Le Strat a fait, au plus près des sources ; en ce sens, l’ouvrage comble donc, dans l’histoire des principautés et, plus précisément, des principautés bourguignonnes, un réel vide historiographique. Tenter de saisir Eudes IV et son action, en reprenant l’ensemble de la documentation disponible, n’était toutefois pas une tâche aisée. Si l’on compare, en effet, avec le principat d’un Philippe le Hardi, le corpus peut paraître, à première vue, presque indigent : pas d’ordonnances majeures, pas de prises de décision tonitruantes, mais une action souvent saisissable en creux, par le biais des arbitrages extérieurs ou d’ordonnances postérieures, et une impression de guerre permanente pour des résultats parfois décevants. Il a donc fallu à l’auteure déchiffrer l’ensemble de cette action à travers ses effets, notamment l’opposition qu’elle a suscitée, et du fait des lacunes des sources, beaucoup lire en creux, en laissant subsister parfois des points d’interrogation, mais c’est justement l’une des qualités du vrai chercheur de savoir reconnaître que, parfois, il n’a pas de réponse. Car la réalité est toujours complexe, elle ne se laisse pas enfermer dans des structures nettes, des systèmes globaux bien rodés. C’est le propre, en particulier, des périodes de mutation, et celle des principats d’Eudes IV et de Philippe de Rouvres en est bien une, époque de très net basculement vers un renforcement du pouvoir princier, malgré les difficultés, les freins, les limites imposées par le contexte. Pour son étude, Sylvie Le Strat a choisi de partir de la réalité du domaine comtal, d’opérer ensuite une analyse de la situation féodale du comté, puis des modalités de relations entre le prince et sa noblesse, pour scruter en dernier lieu la nature du pouvoir princier des ducs Eudes IV et Philippe de Rouvres. S’observe alors une sorte de montée en puissance de la démonstration pour arriver au cœur de la problématique : la nature réelle du pouvoir princier en Comté, dans la première moitié du XIVe siècle, dans un contexte particulier qui est à la fois celui de la première union bourguignonne et des débuts de la guerre de cent ans. L’auteure a procédé en s’appuyant, selon la richesse des fonds, sur de mini-dossiers d’archives finement disséqués, pratique érudite ancienne que l’on redécouvre aujourd’hui sous l’étiquette de la micro-histoire. Car son étude, on l’a déjà dit, est le fruit d’une longue fréquentation des archives et, partant, d’une connaissance profonde et réelle
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des sources. Familiarité d’autant plus méritoire que ces sources, précisément, ne sont pas toujours d’accès ni de compréhension faciles ; celles dont on dispose par exemple pour l’histoire de la noblesse comtoise sont des plus fragmentaires, des difficultés dont témoignent, du reste, les manques de la bibliographie. Toujours soigneusement appuyée sur les sources, la démarche qui est celle de l’auteure permet ainsi d’apporter un certain nombre d’analyses définitives, sur des aspects importants et jusque-là sujets à débat, de l’histoire de la principauté comtoise, à l’exemple du contexte précis de création des deux bailliages comtois distincts (Amont et Aval) ou de la constitution, dès l’époque, d’une « pyramide » féodale normalisée, ce qui n’avait rien d’évident étant donné la situation de départ de la Bourgogne comtale : alors que la comtesse Marguerite de France (1361-1382) passait jusque-là pour la mère de cette introduction, il semble bien que la pratique de l’aveu et dénombrement à la française, ensuite généralisée sous le premier des grands ducs Valois, ait été introduite, en Franche-Comté, sous le duc Eudes IV. Plus généralement, Sylvie Le Strat nous livre ici une vision renouvelée de l’action politique et administrative qui fut celle du duc capétien. En faisant siennes les subtilités du droit féodal, y compris à travers les modalités de la guerre seigneuriale, Eudes IV a sans conteste fait progresser son autorité, mais le bilan de son gouvernement demeure complexe et, comme l’auteure l’avoue elle-même, « mitigé ». Certes, les progrès de l’autorité princière, nettement redéfinie et affirmée jusque dans les termes, grâce à l’expression généralisée de « souveraineté, baronnie et ressorts », grâce également à la volonté de contrôle des sujets, à la création embryonnaire d’un espace politique et économique, y compris vis-à-vis de la cité impériale de Besançon, sont incontestables. Mais, d’une manière générale, l’action énergique du duc apparaît fortement bridée à la fois par des résistances structurelles – notamment la force des grands lignages – et par un contexte défavorable, celui de la guerre qui impose à la couronne voisine de ménager les lignages frontaliers, toujours susceptibles d’aller porter ailleurs leur fidélité. Pour autant, il s’agit là d’une étape décisive de l’histoire de la construction des principautés et des pouvoirs princiers à la fin du Moyen Âge, que le bel ouvrage de Sylvie Le Strat nous permet de saisir ici dans son contexte à la fois bourguignon et impérial. Michelle Bubenicek Professeure des universités Directrice de l’École nationale des chartes - PSL
Introduction La Franche-Comté des xive et xve siècles est restée longtemps d’obédience bourguignonne, avant de passer sous la domination des Habsbourg. On l’associe généralement à la splendeur des ducs Valois. Pourtant, une cinquantaine d’années avant la prise en main de la province par Philippe le Hardi, qui eut lieu en 1384, les ducs de Bourgogne ont déjà administré le comté, comme lui à la faveur d’un mariage avec l’héritière des comtes. Cette période, objet de notre étude, correspond aux principats des ducs Eudes IV, époux de Jeanne de France – petite-fille de Philippe le Bel par son père et de Mahaut d’Artois par sa mère – comte de Bourgogne de 1330 jusqu’à sa mort en 1349, et de Philippe de Rouvres. Mort en 1361, Philippe succède à son aïeul à l’issue d’une régence confiée à sa mère Jeanne, comtesse de Boulogne et d’Auvergne, puis à son beau-père le roi de France Jean II le Bon. Les conséquences du gouvernement de la Franche-Comté par des dirigeants étrangers au pays méritent d’être éclairées. Il ne faut pas oublier qu’ils tiennent alors en main une vaste principauté regroupant l’Artois et les duché et comté de Bourgogne. La province va-t-elle s’intégrer facilement dans cet ensemble jusque-là sans précédent ? La personnalité des ducs-comtes, et notamment celle d’Eudes IV, a sans nul doute eu sa part dans cette question. Eudes IV a joué un rôle politique capital dans le royaume de France depuis son accession au duché en 1315. Raymond Cazelles, dans son étude du règne de Philippe VI de Valois, lui accorde une large place. Elle se justifie par l’appui qu’il a apporté au souverain, dont le pouvoir restait fragile1. Mais, comme le souligne Henri Dubois, « ici, c’est donc un Eudes IV homme politique, vu dans le cadre du royaume et au sein du gouvernement royal, qui se trouve restitué2 ». Qu’en est-il alors du gouvernement de ce prince en Bourgogne, et plus spécialement en Franche-Comté ? Les anciens historiens de la province ont véhiculé un portrait d’Eudes IV d’un « caractère altier, impérieux, entreprenant […] dans son duché maître redouté et toujours obéi3 », jaloux de son autorité, « prince redoutable4 », malgré tout mis en échec dans son comté par l’opposition nobiliaire. Par contraste, l’image de son petit-fils paraît bien falote : longtemps trop jeune pour gouverner, dans un contexte troublé par l’invasion anglaise et les ravages des routiers. D’où vient cette image du duc Eudes IV ? Repose-t-elle sur des fondements solides ? Reprenons les propos qu’ont tenus sur lui les historiens, depuis la première histoire imprimée de la Franche-Comté au xvie siècle. Nous voulons parler des Mémoires 1 R. Cazelles, La société politique et la crise de la royauté sous Philippe de Valois, Paris, Librairie d’Argences, 1958. 2 H. Dubois, « Discours d’ouverture », Annuaire-bulletin de la Société de l’histoire de France (19891990), Paris, librairie C. Klincksieck, 1992, p. 52. 3 Ibid., p. 50. 4 L. Febvre, Histoire de la Franche-Comté, Paris, Boivin et cie, 1912, p. 106, repris par H. Dubois, « Discours… », op. cit., p. 51.
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historiques de Louis Gollut. On sera surpris de n’y trouver aucun des poncifs qui collent à l’image d’Eudes IV, seulement un accent mis sur les querelles successorales et l’action de son bailli Guy de Villefrancon, « lequel manioit les affaires superbement et sans porter respect aux barons et grands seigneurs5 », à la source des troubles de son principat en Comté. Mais du rôle ou de la volonté du duc lui-même dans ces affaires, il n’est point fait mot. Gollut suppute néanmoins, au vu de la récurrence des conflits, que « le duc faisoit le difficile » pour appliquer les clauses d’arbitrage posées par le roi de France6, ce qui laisse augurer d’un caractère bien trempé. Deux siècles plus tard, l’historien de la Bourgogne Dom Plancher ne fait pas davantage allusion à une personnalité volontaire ou dominatrice. Au contraire, il insiste sur la piété du duc : « devenu Comte d’Artois et de Bourgogne, Palatin Sire de Salins, et paisible possesseur de tous ces titres, [il] pensa sérieusement à en marquer à Dieu sa reconnaissance7 ». « Paisible », le mot mérite d’être souligné. Eudes IV apparaît sensible aux requêtes de ses sujets, très religieux, et l’auteur conclut sur un portrait exemplaire, véritable panégyrique : Il fut le premier des Ducs de Bourgogne qui joignit au Duché les Comtez d’Artois et de Bourgogne, qui passèrent depuis à tous les ducs ses successeurs. Devenu plus riche et plus puissant, il fut et plus libéral, et plus pieux […]. Il donna de grands exemples de patience et de valeur ; de patience, en ce qu’il eut à souffrir de quelques-uns de ses Vassaux ; de valeur, dans les combats qu’il soutint pour la France ; sa sagesse et son expérience le rendirent précieux au roi Philipe de Valois ; sa douceur et son équité le firent aimer de ses sujets. Tant de pieux établissements qu’il fit, méritèrent les loüanges et les bénédictions de ceux qui en sentoient les avantages, et les regrets de ceux qui s’attendoient à d’autres semblables, qu’il eut fait s’il avoit encore vécu quelques années8. Curieusement, l’image d’Eudes IV bascule complètement cent ans plus tard avec l’Essai sur l’histoire de Franche-Comté d’Édouard Clerc. Il est vrai que celui-ci est comtois, donc plus sensible aux démêlés du duc-comte avec la haute noblesse du pays. D’après lui, Dom Plancher n’a rien compris à la personnalité de ce prince. Et de brosser le portrait d’un homme … parvenu à l’âge de la maturité et de l’ambition, […] issu du sang français et [qui] se glorifiait d’avoir saint Louis pour aïeul. Les grands événements politiques, auxquels il avait pris part, décelaient en lui un caractère altier, impérieux, entreprenant. […] Dans son duché, au milieu d’une noblesse peu puissante, Eudes était un maître redouté et toujours obéi9…
5 L. Gollut, Les mémoires historiques de la république séquanoise et des princes de la Franche-Comté de Bourgougne, Dole, 1592, Arbois, A. Javel, 18462, col. 693. 6 Ibid., col. 697. 7 U. Plancher, Histoire générale et particulière de Bourgogne, t. II, Dijon, A. de Fay, 1741, p. 183. 8 Ibid., p. 204. 9 É.Clerc, Essai sur l’histoire de la Franche-Comté, t. II, Besançon, Ch. Marion, 18702, p. 37.
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L’auteur voit dans les guerres comtoises une lutte « entre le pouvoir et la féodalité », qui marque les progrès de la civilisation, avec l’approbation et le soutien des villes, dans ce qu’il appelle l’« époque des affranchissements10 ». Il souligne l’affermissement des « institutions protectrices du peuple », parlements et commendises11. Il avait créé ou affermi de grandes institutions, publié de sages ordonnances, réprimé le brigandage, enchaîné la féodalité12. Une « révolution », qui trouve cependant ses limites, car elle n’est « fondée que sur la force ». Un prince qui affirme donc son pouvoir, mais qui, « inexorable à l’endroit de ses seigneuries et hauteurs13 », n’a pas su faire preuve de justice : Ces glorieux services de vassaux […] demandaient sinon des récompenses que le duc n’accorda jamais, du moins de nobles encouragements, et les justes indemnités des pertes de la guerre. Ce prince ne le comprit point. […] Ainsi le Duc s’aliénait ses vassaux, ses parents même. Enivré par le succès, il avait oublié que sans la justice il n’est rien au monde de durable14. Si Édouard Clerc n’hésite pas à moraliser dans un grand élan romantique, Ernest Petit, plus tard, aux tomes VII et VIII de son Histoire des ducs de Bourgogne de la race capétienne15, fait preuve de davantage de positivisme et conclut sur son personnage avec beaucoup de modération, portant à son crédit des qualités d’esprit d’entreprise, de courage dans les combats, d’habileté diplomatique, de chance, d’autorité et de persévérance et, à son débit, le peu de respect des droits des autres et des procédés « pas toujours très recommandables », au total un portrait nettement positif16. Il est tentant de chercher à savoir si ces descriptions contradictoires correspondent au personnage historique. D’autant plus qu’une autre question importante se profile derrière le tableau : Lucien Febvre reprend certes à son compte le portrait d’ « un prince redoutable », « actif, ambitieux, obstiné », qui a eu le tort ne pas reconnaître le dévouement de ses fidèles, et « de trop leur faire sentir le poids de son autorité souveraine17 » ; ce faisant, il introduit une nouvelle idée, Eudes IV serait un précurseur des ducs Valois : 10 Il subit là l’influence des grands historiens libéraux contemporains. Elle est lisible dans son interprétation des chartes de franchise, dans lesquelles la bourgeoisie en quête d’identité historique veut reconnaître un vaste mouvement de libération du joug féodal. 11 Ibid., p. 62. 12 Ibid., p. 79. 13 Ibid., p. 76. 14 Ibid., p. 68. 15 E. PETIT, Histoire des ducs de Bourgogne de la race capétienne, t. VII, Règnes de Hugues V et Eudes IV, Dijon, Publication de la Société Bourguignonne de Géographie et d’Histoire, 1901, et t. VIII, Règne d’Eudes IV, 1344 à 1349, Dijon, Publication de la Société Bourguignonne de Géographie et d’Histoire, 1903. 16 H. Dubois, « Discours… », op. cit., p. 51. 17 L. FEBVRE, Histoire de la Franche-Comté, Paris, Boivin et cie, 1912, p. 106-108.
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… ce pourchasseur inlassable des grands barons turbulents, ce chevalier hardi, infatigable, très jaloux de ses droits et très peu respectueux des droits d’autrui […], fut un des précurseurs, réel et efficace, des grands ducs d’Occident18. Joseph Calmette va dans le même sens. … on pourrait presque dire qu’Eudes IV réalise déjà le type du grand duc19. Eudes IV constructeur d’une principauté ? Voilà qui mérite une étude approfondie. Et pourtant, on note l’absence quasi-totale de travaux spécialisés sur cette période en Franche-Comté : alors que l’histoire politique du xiiie siècle a été réalisée par Marie-Thérèse Allemand-Gay20, que le développement du pouvoir souverain du duc Philippe le Hardi et sa réception par les Comtois a donné lieu à une étude serrée de Michelle Bubenicek21, il y a un vide historiographique pour les années 1330-1361 en Franche-Comté, malgré quelques articles22 et l’ouvrage de synthèse de Pierre Gresser23. Relire l’histoire du comté de Bourgogne sous le principat d’Eudes IV à la lumière des recherches politiques récentes24 s’impose donc. Lui adjoindre le court règne de son
18 Ibid., p. 109, cité par P. Gresser, La Franche-Comté au temps de la guerre de Cent ans, Besançon, Cêtre, 1990, p.185. 19 J. Calmette, Les grands ducs de Bourgogne, Paris, Albin Michel, 1949, p. 28, cité par P. Gresser, La Franche-Comté…, op. cit., p. 166. L’idée qu’avec Eudes IV apparaît un nouveau type de dirigeant, constructeur d’une principauté, est aussi exprimée par M. Lombard, « Eudes IV, duc de Bourgogne. Ses débuts (1315-1330) », Annales de Bourgogne (1945), p. 219-224 (ibid., p. 198, n. 5) : « Le principat d’Eudes IV est l’aboutissement des efforts soutenus par des générations de ducs capétiens, dont Eudes est le continuateur fidèle. Mais il est en même temps autre chose. En ce xive siècle qui devait voir l’éclatant épanouissement d’une puissance ducale – valoise – son principat apparaît comme une curieuse préface à cet épanouissement. La politique et la personnalité princière d’Eudes IV annoncent Philippe le Hardi. Le Capétien ouvre les chemins aux Valois » (M. Lombard, « Eudes IV… », art. cit., p. 219-220). 20 M.-Th. ALLEMAND-Gay, Le pouvoir des comtes de Bourgogne au xiiie siècle, Paris, Les Belles Lettres, 1988 (A.L.U.B. 368, Cahiers d’Études Comtoises 36). 21 M. BUBENICEK, Entre rébellion et obéissance. L’espace politique comtois face au duc Philippe le Hardi (1384-1404), Genève, librairie Droz, 2013. 22 M. Bubenicek, « Noblesse, guerre, mémoire. Informations sur une requête de Jean de Bourgogne à Philippe de Rouvres (1359) », B.É.C., 164 (juillet-décembre 2006), Paris, Genève, Droz, 2007, p. 391445 et « De Jean l’Aîné († 1306) à Jean II de Bourgogne († 1373) : les sires de Montaigu, des héritiers déçus ? », in La face noire de la splendeur : crimes, trahisons et scandales à la cour de Bourgogne aux xive et xve siècles, W. Paravicini et B. Schnerb (éd.), Revue du Nord, 91/380 (avril-juin 2009), p. 259-293. Jean Richard s’est également autrefois intéressé à la période : J. Richard, « Le droit de guerre du noble comtois », M.S.H.D.B., 12 (1948-1949), p. 107-115 et « Finances princières et banquiers au xive siècle. L’affaire des Bourgeoise et la réformation de 1343 en Bourgogne », Annales de Bourgogne, 27 (1955), p. 7-32. Pour les travaux de Jacky Theurot et de Pierre Gresser, nombreux, mais qui touchent peu à l’histoire politique, nous renvoyons à la bibliographie. 23 P. Gresser, La Franche-Comté…, op. cit. 24 Notamment les travaux coordonnés par Jean-Philippe Genet sur la genèse de l’État moderne, comme Genèse de l’État moderne. Prélèvement et redistribution. Actes du colloque de Fontevraud, 1984, J.-Ph. Genet et M. Le Mené (éd.), Paris, CNRS, 1987 ; L’État moderne, le droit, l’espace et les formes de l’État, actes du colloque tenu à la Baume Les Aix, 11-12 octobre 1984, N. COULET et J.-Ph. Genet (éd.), Paris, CNRS, 1990 ; L’État moderne et les élites, xiiie-xviiie siècle : apport et limites de la méthode
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héritier Philippe de Rouvres est logique, car ce principat s’inscrit dans la continuité de cette première union bourguignonne. En prenant appui sur les nombreux ouvrages dernièrement consacrés à la construction des principautés25, nous nous proposons d’examiner s’il y a à ce moment dans la province, terre d’Empire, mais où l’influence française est déjà forte26, des progrès de l’État. Si oui quels sont-ils, et dans quelle mesure peuvent-ils être imputés à la réunion des deux Bourgognes sous un même gouvernement, ducal, et même royal ? Quelle est l’incidence structurelle du modèle franco-bourguignon ? La principauté comtoise présente-t-elle une originalité par rapport à ses contemporaines qui ont déjà fait l’objet de recherches, comme par exemple la Savoie, étudiée par Bernard Demotz, le Dauphiné d’Anne Lemonde et, plus loin, la principauté d’Évreux, décrite par Pierre Charon27 ? Autant de questions qui orienteront notre réflexion. Les démêlés des ducs-comtes avec leur noblesse invitent non seulement à évoquer les guerres comtoises, en s’aidant des recherches les plus récentes en histoire militaire, notamment des travaux de Bertrand Schnerb28, mais aussi et surtout à considérer d’un œil neuf les rapports fondateurs entre le prince et son aristocratie29, comme Bernard Andenmatten a pu le faire pour la Savoie et le pays de Vaud. Cet historien a établi la variété des attitudes de la noblesse vaudoise face aux comtes de Savoie, de la collaboration à l’opposition ; il a souligné le rôle essentiel de la guerre et de l’administration comme facteur d’intégration des élites dans l’État princier en construction30. La question se pose de savoir si le modèle savoyard étudié par Bernard Andenmatten peut être appliqué à la Franche-Comté. La construction du pouvoir de nos ducs-comtes s’opère-t-elle contre l’aristocratie ou avec elle ? Comment les princes
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prosopographique. Actes du colloque international organisé par le CNRS et l’Université de Paris I, 16-19 octobre 1991, J.-Ph. Genet et G. Lottes (éd.), Paris, Publications de la Sorbonne, 1996 (Histoire moderne 36). Par exemple Les princes et le pouvoir au Moyen Âge. XXIIIe congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, 1992, Brest, Finistère, Paris, Publications de la Sorbonne, 1993, (Histoire ancienne et médiévale 28) ; La France des principautés. Les Chambres des comptes. xive et xve siècles. Colloque tenu aux Archives départementales de l’Allier, à Moulins-Yzeure, les 6, 7 et 8 avril 1995, Ph. Contamine et O. Mattéoni (éd.), Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, Ministère de l’Économie et des Finances, 1996 ; plus récemment, Les principautés dans l’Occident médiéval, B. Demotz (éd.), Turnhout, Brepols, 2007. La Franche-Comté a déjà été administrée par deux rois de France, Philippe IV le Bel et Philippe V le Long. Le comte Othon IV a cédé la province au premier en 1295, et le second a épousé sa fille. B. Demotz, Le comté de Savoie du début du xiiie au début du xve siècle : étude du pouvoir dans une principauté réussie, thèse de doctorat d’état, Lyon, 1985. A. Lemonde, Le temps des libertés en Dauphiné. L’intégration d’une principauté à la Couronne de France (1349-1408), Presses universitaires de Grenoble, 2002. P. Charon, Princes et principautés au Moyen Âge. L’exemple de la principauté d’Évreux (12981412), Paris, École des chartes, 2014 (Mémoires et documents de l’École des chartes 93). Pour n’en citer qu’un, La guerre à la fin du Moyen Âge : information, communication, action, B. Schnerb (éd.), Revue du Nord, 95/402 (octobre-décembre 2013). Étudiés dans Noblesse et États princiers en Italie et en France au xve siècle, M. Gentile et P. Savy (éd.), Rome, École Française de Rome, 2009 (Collection de l’École Française de Rome 416). B. Andenmatten, La Maison de Savoie et la noblesse vaudoise (xiiie-xive s.) : supériorité féodale et autorité princière, Lausanne, Société d’histoire de la Suisse romande, 2005 (Mémoires et documents 4).
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bourguignons structurent-ils leurs rapports avec la noblesse comtoise, ou plutôt les noblesses, car le groupe est hétérogène ? Quelles sont concrètement pour celles-ci les retombées de leur politique d’affirmation ? Il convient certainement d’établir des distinctions au sein de l’aristocratie, des remaniements étant manifestement à l’œuvre en arrière-plan des affrontements violents qui n’en sont que les épiphénomènes. On comprendra donc que cette étude accorde une large place à la noblesse, depuis les plus grands lignages jusqu’aux modestes hommes d’armes. En revanche, parler des villes du comté n’aurait rien apporté de décisif à notre propos, leurs rapports avec nos princes, qui ne font souvent que confirmer d’anciennes franchises, paraissant assez limités. Pour d’évidentes raisons de volume, les sources ecclésiastiques ont également été laissées de côté. Car il existe bien des archives couvrant la période 1330-1361 pour la Franche-Comté : des comptes, qui, bien qu’épars et discontinus, fourmillent de renseignements, notamment les comptes de messageries ; de nombreuses chartes, actes ducaux, quittances, reprises de fief entre autres ; des cartulaires ; une abondance de documents à caractère militaire enfin, recensant la composition des garnisons, leurs frais ou les mouvements de troupes. Aucune de ces sources n’a été écartée. Leur exploitation se situe au croisement de plusieurs méthodes, en tâchant d’une part de traquer l’évolution des institutions et des modes de gouvernement, d’autre part de suivre les hommes. Un large recours à la prosopographie a donc été utilisé, avec les limites imposées par le caractère très elliptique des sources en ce milieu du xive siècle, qui n’autorise pas de longues reconstitutions de parcours, et par les difficultés qu’induit le foisonnement des personnages qu’on y rencontre, surtout des hommes d’armes. Fort de l’étude de ce riche corpus, le développement de l’ouvrage portera successivement sur quatre points forts : le domaine du comte, ses fiefs, qui amèneront à traiter de ses relations avec la noblesse, dont les guerres comtoises ne constituent qu’un aspect, et enfin la construction de son pouvoir princier.
Sources Plusieurs dépôts d’archives méritent une investigation soutenue pour éclairer l’histoire de la Franche-Comté au xive siècle. Ceux des départements concernés, bien évidemment, à l’exception de la Haute-Saône, n’offrant que des fonds de documents plus tardifs. La réunion du comté au duché de Bourgogne au cours de la période traitée justifie également un examen serré des inventaires des Archives de la Côte-d’Or. En revanche, quoiqu’Eudes IV soit aussi comte d’Artois, nous avons été déçu par l’absence de documents proprement francs-comtois aux archives du Pas-de-Calais. Mais le travail était amplement suffisant en Franche-Comté. Les Archives départementales du Jura, exceptionnellement riches en séries ecclésiastiques, ne présentent pour notre propos qu’un intérêt complémentaire à l’étude de la noblesse locale, que nous n’avons cependant pas négligé. L’essentiel de nos travaux de dépouillement s’est porté sur la série 1B des Archives départementales du Doubs. L’utilisation en est rendue très facile par un inventaire complet, réalisé en 1883 par l’archiviste Jules Gauthier. La série 7E s’avère plus délicate à exploiter : le recensement rapide par familles laisse au chercheur la joie de la surprise au terme de longues et poussiéreuses manipulations. Le cadre de ce travail rendait impossible une plongée au cœur des séries G et H, et nous sommes reconnaissant au professeur Locatelli de nous l’avoir déconseillée. Il nous a également orienté avec profit vers le fonds insoupçonné de la Bibliothèque d’Étude et de Conservation de Besançon. Outre quelques pièces originales complémentaires, il renferme, dans la collection Droz, la copie de comptes aujourd’hui disparus. Ce sont les mêmes produits des érudits du siècle des Lumières que l’on retrouve à la Bibliothèque nationale de France1. En effet, les collections du département des manuscrits fournissent d’intéressants compléments. Sans oublier de recourir aux Archives nationales. L’inventaire des sources médiévales comtoises déposées à Paris, réalisé dans le cadre de notre Diplôme d’Études Approfondies, a largement facilité cette tâche2. Il serait fastidieux de commenter la totalité du corpus retenu pour chacun de ces dépôts, municipaux, départementaux et nationaux. On comprendra, vu le caractère à la fois très large, mais chronologiquement très ponctuel, de notre sujet, qu’un grand nombre de cotes le touchent de près ou de loin, d’autant plus que nous nous sommes
1 Les volumes 862 à 895 de la collection Moreau sont les doubles de la collection de Besançon réalisée à partir de 1768 sous l’égide de Droz, conseiller au Parlement et secrétaire de l’Académie des Sciences de cette même ville (d’après R. Locatelli et al., La Franche-Comté à la recherche de son histoire (18001914), Paris, Les Belles Lettres, 1982 (A.L.U.B. 264, Cahiers d’Études Comtoises 31) p.16. 2 S. Lelong, Les sources de l’histoire de la Franche-Comté médiévale dans les dépôts documentaires parisiens. Recensement et possibilités d’utilisation, mémoire de D.E.A., Université de Paris-Sorbonne, Paris IV, 1991. Un ouvrage complet est paru depuis : J. et A.-M. COURTIEU, Sources parisiennes relatives à l’histoire de la Franche-Comté, incluant le Catalogue des manuscrits relatifs à la Franche-Comté qui sont conservés dans les bibliothèques publiques de France, d’Ulysse Robert, 1878, Besançon, Presses universitaires comtoises, 2001 (A.L.U.B. 710, Cahiers d’études comtoises 63).
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attaché à réaliser des sondages sur les premières décennies du xive siècle, et à trouver des informations complémentaires dans les années 1360-1370. Les chartes et pièces justificatives, qu’elles se rapportent à des particuliers ou à l’administration comtale, n’appellent ici aucune remarque spéciale. En revanche, il semble indispensable à une meilleure compréhension de présenter, avant tout développement, l’ensemble foisonnant des comptes de la Comté ducale, au cœur de notre corpus. Un bilan plus rapide suffira quant aux sources d’origine nobiliaire.
1. Les chartes et pièces justificatives relatives au comté a. Actes ducaux Archives départementales du Doubs
Série 1B : 17, 20, 55, 60, 63, 67, 68, 72, 80, 87, 152, 201, 214, 219, 262, 314, 320, 324, 327, 328, 333, 338, 340, 341, 342, 345, 351, 352, 354, 355, 358, 360, 363, 369, 370, 371, 372, 373, 376, 385, 386, 388, 389, 406, 407, 414, 416, 421, 422, 431, 436, 440, 449, 469, 470, 473, 481, 482, 501, 502, 507, 511, 521, 524, 527, 585, 1062, 1610, 2011, 2012, 2014, 2282, 2492, 2882, 2982, 3035. Série 7E : 1318, 1335, 1338, 2771, 2772, 3061. Série G : 96. 28 H 12 Archives départementales de la Côte-d’Or
Série B : 292, 305, 358, 372, 395, 399, 938, 1056, 1057, 1058, 1062, 1064, 1065, 1086, 1172, 1269, 1368, 1384, 10 440, 11 733, 11 835. E 1859 33 F190 47 H 873 48 H 903 Archives départementales du Jura
1F 306 Archives départementales de Haute-Saône
Série G : 25, 28, 28 bis. Série H : 303, 825, 901. Archives départementales du Nord
B 925
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Archives départementales du Pas-de-Calais
Série A : 74, 79, 84, 88. Archives nationales
Série J : 258, 371. Série JJ : 79, 80. Bibliothèque nationale de France
Nouvelles acquisitions françaises : 68, 3535, 8730, 8815. Collection Bourgogne : 21, 23, 26, 39, 94. Collection Moreau : 875, 878, 879, 887, 888, 900, 1046. b. Autres pièces isolées relatives au comté de Bourgogne Archives départementales du Doubs
Série 1B : 3, 20, 25, 26, 30, 40, 41, 42, 49, 60, 67, 68, 72, 73, 79, 116, 152, 203, 214, 219, 262, 314, 320, 327, 330, 332, 333, 338, 339, 340, 341, 344, 345, 349, 350, 351, 352, 354, 355, 358, 360, 361, 363, 365, 370, 372, 374, 376, 377, 382, 383, 385, 389, 404, 405, 406, 407, 410, 411, 414, 416, 420, 421, 426, 428, 431, 439, 442, 445, 446, 449, 453, 454, 469, 470, 471, 473, 474, 479, 480, 482, 484, 490, 493, 500, 501, 502, 504, 507, 510, 511, 521, 523, 524, 527, 537, 538, 539, 2011, 2012, 2063, 2318, 2356, 3006. Série 7E : 1306, 1323, 1335, 1344, 1349, 3034. Série G : 175, 531. Archives départementales de la Côte-d’Or
Série B : 340 bis, 358, 359, 363, 372, 389, 1053, 1055, 1056, 1057, 1061, 1062, 1064, 1065, 1068, 1070, 1072, 1384, 11 389, 11 401, 11 619, 11 691, 11 733, 11 824, 11 825, 11 827, 11 828, 11 829, 11 830, 11 831, 11 834, 11 835, 11 837, 11 860, 11 875, 11 912. Archives départementales du Jura
1F 188, 11F 193. Bibliothèque nationale de France
Nouvelles acquisitions françaises : 3104, 3594, 8715, 8761, 9176, 19909, 21692. Collection Moreau : 879, 960, 1046. Collection Dupuy : 467.
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Archives communales de Clerval
EE 5, FF 1, FF 2.
2. Les comptes : essai de typologie3 L’existence, la conception des documents comptables de ce premier xive siècle qui ont réussi à parvenir jusqu’à nous constituent à elles seules de précieux témoins de l’évolution des méthodes gestionnaires en vigueur au comté de Bourgogne. Malheureusement, on ne peut tirer trop de conclusions quant à l’absence de ces documents –et on constatera combien ils s’avèrent hélas disparates et lacunaires – puisque rien ne permet d’affirmer qu’ils n’ont pas disparu : les occasions de dispersion n’ont pas manqué, et bien avant la Révolution, les guerres et les transferts successifs corrélatifs aux changements de souverain avaient déjà fait leurs ravages dans l’actuel fonds de la Chambre des comptes franc-comtoise4. Le recensement de mentions ponctuelles ou le recours aux anciens inventaires peuvent en partie compenser cette ignorance5. L’hétérogénéité des documents comptables, qui tient d’abord à leur caractère très fragmentaire, voire épisodique, appelle une tentative de classement, sans recouper toujours celui qu’ont adopté les archivistes du Doubs, d’autant que le corpus s’enrichit de pièces en provenance d’autres dépôts. Tous les comptes connus de 1300 à 1361 ont été recensés6, en dépit de la date de 1330 retenue pour cadre de notre travail. On comprendra aisément qu’il ne peut prendre son sens qu’à la lumière des années antérieures. a. Les comptes individuels
Nous considérons ici des documents qui ne relèvent ni d’une comptabilité « générale » à l’échelle de la province en tout ou en partie, ni d’une comptabilité locale attachée à tel ou tel district. Ce sont des papiers « personnalisés », tenant aux frais occasionnés dans l’exercice d’une fonction particulière. Ils apparaissent, pour ce que nous en savons, en 1346-1347 ; cette année-là, le sire de Grandson, lieutenant du duc Eudes chargé des guerres de la Comté, fait état, dans un intéressant cahier en papier de vingt-sept feuillets, des versements qu’il a reçus afin de conduire son action et de l’usage qu’il en a eu, de novembre à mars, tant en frais d’hôtel comme en paiement des troupes. Un recensement des diverses réquisitions opérées sur le terrain est destiné à
3 Se reporter à R.-H. Bautier et J. Sornay, Les sources de l’histoire économique et sociale du Moyen Âge, 2. 1, Les États de la maison de Bourgogne, archives centrales de l’État bourguignon (1384-1500), archives des principautés territoriales, 1, Les principautés du Sud, Paris, CNRS, 2001. 4 Nombre de pièces ont été jetées lorsqu’elles n’intéressaient pas les gens de Louis XI chargés de centraliser les titres vers Paris à la prise de Poligny en 1479. Ceux-ci furent par la suite restitués aux Habsbourg sous Louis XII mais ils continuèrent à faire l’objet de dilapidations au fil des siècles. 5 ADD, 1B 3 à 15. 6 Il n’en existe d’ailleurs pas pour la période antérieure, sauf rares et négligeables exceptions.
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servir de base aux dédommagements ultérieurs7. On trouve, sur deux rouleaux, l’un de cinquante centimètres de long, l’autre d’un mètre quatre-vingt-dix, ce même type d’énumération établie pour le bétail pris à Jussey8 destiné à approvisionner le siège de Chaussin9 au mois de juillet 133610. Des dépenses occasionnelles peuvent également être mises par écrit à titre justificatif ou en vue d’obtenir un remboursement : coût d’une opération militaire ponctuelle11, frais des officiers d’Eudes IV chargés d’aller en France régler un contentieux avec les gens du roi12… Cet usage, qui semblerait à l’origine purement circonstanciel, rentre progressivement dans la pratique courante après 1350. Les états de service financiers des baillis de Philippe de Rouvres inaugurent une série par la suite bien représentée pour les années 1360. Ce sont les comptes de Renaud de Jussey, de la mi-1350 à la mi-1358, et de Jean de Montmartin, bailli d’Aval, de décembre 1358 à avril 1361, très bien tenus sur de beaux cahiers en papier de dix et quinze feuillets13. Dans le même temps, le conseiller et garde du sceau ducal Ancel de Salins comptabilisait ses frais sur un grand rouleau de parchemin14. Cette gestion individuelle, bien que très riche d’informations, ne s’attache pas à établir un bilan d’ensemble des revenus en Franche-Comté. Il faut en chercher l’esquisse, sous des formes plus ou moins achevées, dans un autre type de sources. Archives départementales du Doubs
Série 1B : 79, 80, 84, 85, 86, 87, 88. Bibliothèque nationale de France
Collection Moreau : 900. Bibliothèque d’Étude et de Conservation de Besançon
Collection Droz : 11. b. Les comptes du duché
La réunion des deux Bourgognes, qui définit les limites chronologiques de ce travail, se traduit par l’apparition de la Franche-Comté au sein de la série B des
7 ADD, 1B 84. On en trouve deux copies partielles, l’une à Paris, l’autre à Besançon (BnF, Moreau 900 et BEC Besançon, Droz 11, fol. 425-436). 8 Jussey, Haute-Saône, ar. Vesoul, ch.-l. c. 9 Chaussin, Jura, ar. Dole, c. Tavaux. 10 ADD, 1B 80 (1). 11 ADD, 1B 85 (1351). 12 ADD, 1B 79 (2) (1334-1335). 13 ADD, 1B 86 (1) et 1B 88. 14 ADD, 1B 87 (25 décembre 1356-6 août 1359).
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Archives Départementales de la Côte-d’Or. Dans des documents que l’on pourrait a priori juger proprement ducaux, des rubriques lui sont consacrées. Ainsi, les comptes du receveur général Dimanche de Vitel, ininterrompus de la Toussaint 1352 à la Toussaint 1361, incluent les recettes tirées du comté15. On peut également y glaner d’autres renseignements, au même titre qu’au fil des comptes de châtellenies du temps d’Eudes IV ; mais pour cette période plus reculée, un seul volume, d’utilisation fort délicate, regroupe pêle-mêle les transferts d’argent venu d’outre-Saône et les arrêts des comptes de tous les officiers et manieurs de fonds tant pour le duché que pour la Comté : il ne couvre que les années 1331, 1336 et 134116. Archives départementales de la Côte-d’Or
Série B : 1388, 1389, 1390, 1394, 1397, 1401, 1402, 1405, 1407, 1408, 1410. c. Les comptes du domaine comtal
Il convient d’ajouter à ces traces fort éloquentes de l’existence d’une comptabilité centralisée à Dijon les documents proprement comtois. Les comptes du domaine comtal constituent le corpus le plus important et le cœur de nos connaissances sur la région dans cette première moitié du xive siècle. Deux ensembles peuvent être identifiés : la comptabilité s’établit dans un premier temps à l’échelle locale, avant d’être synthétisée sur des registres d’ambition plus vaste. Rien que de très banal, mais la situation particulière en Franche-Comté, où rien n’est jamais simple pour notre période, mérite qu’on leur consacre quelques explications. • Comptes généraux Nous ne possédons pas de bilan des recettes et dépenses domaniales globales avant la mort du comte palatin Othon IV (1279-1303), l’État des fiefs et revenus du comté17, dressé en 1295 lors de la cession de la province au roi Philippe le Bel, ne pouvant être considéré comme un exercice comptable. Il constitue néanmoins une base de référence unique en son genre. Une bonne compréhension de la situation dont hérite Eudes IV quelques trente-cinq ans plus tard exige en effet d’exploiter les comptes antérieurs, d’ailleurs réduits à peu de chose. L’ensemble le plus important est relatif au douaire de la comtesse Mahaut, qui lui fut alloué après son veuvage, et à ses revenus annexes en Franche-Comté. Il couvre de façon inégale (par des
15 ADCO, B 1394, 1397, 1399, 1401, 1402, 1405, 1407, 1408, 1410. 16 ADCO, B 1388, 1389, 1390. 17 BnF, N.a.f. 395, publié en annexe de l’ouvrage de M.-Th. Allemand-Gay, Le pouvoir…, op. cit., p. 437-461. Ce document, qui date du xvie siècle, a son équivalent à Besançon, copié en 1354 (BEC Besançon, ms 1578). D’autres publications partielles et d’autres versions manuscrites existent, incomplètes cependant : ADD, 1B 74 ; AN J 1028 (A), n° 6 ; Médiathèque de Montbéliard, ms. 1 (1354) ; BEC Besançon, ms. 1215 (xvie siècle).
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originaux dispersés et des copies partielles) les années 1304-1315, et 1321-132318. Mais il ne concerne pas la totalité du domaine. La part du roi de France – puis de son fils Philippe, futur Philippe V, qui porte depuis 1307 le titre de comte de Bourgogne grâce à son mariage avec la propre fille d’Othon IV et de Mahaut d’Artois, Jeanne de Bourgogne – sans doute comptabilisée à Paris, n’est de ce fait pas éclairée, à l’exception des années 1311-1313 pour lesquelles des fragments demeurent19. En dépit de la mention, à partir de 1325, de comptes continus, mais dont nous ne gardons presque aucune trace20, correspondant à l’administration conjointe de Jeanne de Bourgogne et de sa mère Mahaut dès 1322, comptes que l’on peut alors qualifier de « généraux », il faut attendre 1332-1333, donc le début du principat d’Eudes IV, pour consulter le seul original qui en subsiste21. Très complet, superbement tenu, il donne la mesure de l’ampleur des pertes pour l’historien. Il se compose d’un cahier principal en parchemin comprenant quarante et un feuillets, complété par un autre en papier – les « menues parties » – où le trésorier a inscrit sur trente-quatre feuillets le détail des rubriques portées en dépenses dans le premier. Fort heureusement, les spécimens ultérieurs ont été partiellement sauvegardés sous forme de copies, hélas sélectives, au xviiie siècle ; malgré leurs imperfections, celles-ci nous permettent de disposer d’une série presque continue de 1332 à 133822. À partir de cette date, on perd toute trace de documents de ce type. Rien pourtant n’autorise à supposer l’abandon d’une pratique devenue aussi courante que nécessaire. On possède par exemple pour l’année courant de la Saint-Michel 1349 à la Saint-Michel 1350 les parties du compte de Perceval de Vaveler, « tresorier dou contey en la baillie d’Amont23 ». Ce n’est que pour l’année 1358-1359 et le seul bailliage d’Aval qu’on retrouve l’équivalent des comptes intégraux des années 133024 ; il doit vraisemblablement son salut au fait d’être demeuré pour une raison inconnue à Dijon, où il se trouve encore. Remarquons l’existence d’un compte irréductible à toute catégorie, qui couvre cependant l’ensemble du domaine. Du mois d’août 1343 à Noël 1344, des réformateurs
18 BnF, Moreau 900, fol. 1-239v, et BEC Besançon, Droz 11, fol. 2-236 (copies du xviiie siècle). BnF, fr. 8551 (original en copie contemporaine à Planoise sous la cote ADD, 1B 75). BEC Besançon, mss 914 et 915 (1305-1306). 19 ADD, 1B 76 (1311-1312) ; BnF, fr. 25 993, n° 197 (1312-1313), copié dans ADD, 1B 76 (2), et publié par R. Fawtier et F. Maillard, Comptes royaux (1285-1314). Comptes particuliers et comptes spéciaux ou extraordinaires, t. II, Paris, Imprimerie Nationale, 1954 (Recueil des Historiens de la France. Documents financiers III), sous les n°s 18 142 à 18 192. 20 À l’exception d’un petit extrait copié en 1360 sur les comptes des années 1325-1326 et 1326-1327, afin de justifier les droits d’un prieuré, coté ADD, 1B 77, et de brèves allusions aux comptes de 1324, 1326, 1327 et 1328 dans BnF, Moreau 900, fol. 240-241v, et son équivalent bisontin (BEC Besançon, Droz 11, fol. 237-238v). 21 ADD, 1B 79A1, compte du trésorier de Vesoul Richard des Bans et B 791, pour ses « parties ». 22 BnF, Moreau 900, fol. 244-376, et BEC Besançon, Droz 11, fol. 255-388v. Une copie du compte de 13321333 est également contenue dans ces volumes. 23 ADD, 1B 1711, petit cahier papier de vingt-cinq feuillets. 24 ADCO, B 1406, grand cahier en parchemin de cinquante-deux feuillets : compte d’Aubriet de Plaine, trésorier au bailliage d’Aval.
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sont députés en Franche-Comté par le duc avec pour mission de veiller à la bonne marche de la justice, corriger les abus des officiers et poursuivre les délits impunis ; remise en ordre capitale dont les Archives départementales du Doubs gardent à peine la trace25, mais qui avait fort heureusement retenu l’attention des copistes en 1768 : nous leur devons la sauvegarde de la comptabilité essentielle de cette tournée26. Ils ont également consigné quelques détails d’une opération du même genre en 1337133827. De tels documents soulignent le caractère particulier de l’histoire comtoise en ce second tiers du xive siècle. D’autres sources directement liées aux richesses régionales viennent corroborer cette originalité. Archives départementales du Doubs
Série 1B : 75, 76, 77, 79, 83, 1711. Archives départementales de la Côte-d’Or
Série B : 1406. Bibliothèque d’Étude et de Conservation de Besançon
Manuscrits : 914, 915, 1578. Collection Droz : 10, 11. Bibliothèque nationale de France
Manuscrits français : 8551, 25993. Collection Moreau : 900. • Eaux, forêts et salines C’est au cours de notre période que le produit des bois et de la pêche est bientôt géré par une administration autonome, la gruerie. De la même façon, l’économie du sel est comptabilisée à part. Pour cette raison, on les trouvera regroupés ici sous ce titre. On exploite encore, pour peu de temps, le sel de la saline de Grozon28. Elle sera fermée par la comtesse Marguerite en 1369. Il nous en reste le détail des réparations qui y sont effectuées en 1349-135029, ainsi que des comptes, sur deux cahiers en papier de vingt-neuf et trente feuillets, du 25 août au 28 octobre 1351, et pour 1359-1360 à ce terme30. Cet organisme n’est cependant pas en mesure de rivaliser avec la grande saline de Salins. 25 26 27 28 29 30
ADD, 1B 83. BnF, Moreau 900, fol. 377- 412v, et BEC Besançon, Droz 11, fol. 389-424v. Ibid., fol. 377-380v. Grozon, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Bletterans. ADD, 1B 308 (10). ADD, 1B 309 et 1B 310.
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Nous disposons pour celle-ci d’une courte série de comptes sur quatre ans, de la fin de 1338 à Noël 134231. Ils sont uniques en leur genre pour le xive siècle ; ils revêtent donc un intérêt exceptionnel. Cinq grands cahiers de parchemin totalisent une soixantaine de feuillets, dont une moitié restitue les recettes et dépenses en argent à l’année, l’autre la production et le stock de sel une fois les ventes et les paiements en nature effectués, ceci semaine par semaine pendant un an. Il ne fait pas de doute que nous avons là les rescapés d’une série continue de documents du même type, comme l’attestent des extraits ou la compilation réalisée en 1469 par des administrateurs inquiets de comprendre sur le long terme les variations de cette production alors en baisse32. Il reste à établir à quelle date on s’est préoccupé de tenir de tels registres, témoins d’une gestion élaborée de la principale ressource du domaine. Le même flou entourerait l’origine des comptes de gruerie, si cette institution n’avait fait l’objet des travaux de Pierre Gresser33. Rappelons simplement que l’on peut individualiser dans notre corpus des comptes locaux rudimentaires, sur de petits rouleaux de papier ou de parchemin, qui ont trait aux revenus des bois (amendes et vente de bois de construction)34 et des étangs du domaine comtal (vente des poissons en Carême)35. Ces revenus sont centralisés dans les comptes du gruyer. Le premier dont nous ayons trace est celui de Nicolas de Florence de juillet 1338 à Noël 134036. Il faut se porter à Dijon pour consulter les suivants (1353-1362)37, mais avec une solution de continuité de treize ans. On peut supposer qu’elle n’est due qu’aux aléas du Trésor des Chartes de Franche-Comté ; mais la présence de ces dernières sources dans les archives ducales et leur concomitance aux comptes de Dimanche de Vitel cités plus haut autorise à penser que l’administration à la française sous le bail de Jean le Bon ait pu systématiser une pratique jusque-là mal assise. Mentionnons également pour mémoire une recette du péage de Pontarlier, fort intéressante, rendue par Jean de l’Aule à la fin de notre période38. Archives départementales du Doubs
Série 1B : 81, 1 17, 122, 125, 133, 246, 247, 308, 309, 310, 1610.
31 ADD, 1B 246 : comptes du trésorier Renaud Garnier (Noël 1338-Noël 1342). ADD, 1B 247 : compte des sels (Noël 1341-Noël 1342). 32 AN Q1 413*, fol. 34-37 et 121v-123. 33 P. Gresser, La gruerie du comté de Bourgogne aux xive et xve siècles, Turnhout, Brepols, 2004 (Burgundica IX). 34 ADD, 1B 81 (1), 1338, sur parchemin (cinquante-deux centimètres). 35 ADD, 1B 117 (1), 122, 125 (B), 133 (B). Les deux premières de ces pièces correspondent au Carême 1349, les deux autres au Carême 1345. 36 ADD, 1B 81 (2), rouleau parchemin de trois mètres douze. 37 ADCO, B 1396, 1403, 1404, 1409. 38 ADD, 1B 1610 (septembre 1357-février 1362).
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Archives départementales de la Côte-d’Or
Série B : 1396, 1403, 1404, 1409. Archives nationales
Q1 413* • Domaines particuliers Une autre série de comptes domaniaux mérite d’être traitée à part. Ce sont les comptes afférents aux parts concédées à des membres de la famille comtale. Il s’agit d’Hugues de Bourgogne, frère de l’ancien comte Othon IV, et de Marguerite, comtesse de Flandre, respectivement le grand-oncle et la sœur de la duchesse Jeanne, héritière du comté en 1330. Pour le domaine du premier, on dispose d’un arrêt des comptes de ses châtelains et prévôts entre la fin de 1329 et 133139. Outre ce document de synthèse, un bon échantillonnage de ces comptes locaux est représenté pour l’année 1330-133140. Dans les années suivantes, son décès explique que les rentes de sa terre soient recensées dans un chapitre spécial au sein des comptes généraux ci-dessus mentionnés. L’ensemble se rapportant aux possessions de Marguerite de Flandre est plus tardif. Ce sont là encore des comptes de prévôtés, et d’une châtellenie, de 1347-1348, 1352-1353, et 1353-135441. La belle-sœur d’Eudes IV bénéficie des revenus d’Arbois : les recettes spécifiques aux vins, déjà appréciés, justifient donc un traitement particulier42. On remarque que les pièces de ces deux groupes (et particulièrement pour la comptabilité locale d’Hugues de Bourgogne, plutôt brouillonne) sont d’aspect plus négligé que les deux comptes généraux de 1332-1333 et 1358-1359. Toutes sur papier, elles se présentent sous des formes variées : si les agents de la comtesse de Flandre ont opté pour l’utilisation du rouleau, petit ou moyen, l’administration de son grand-oncle, il est vrai plus ancienne, fait alterner frustement rouleaux, cahiers et simples feuillets. La même hétérogénéité caractérise la consignation des recettes et dépenses dans les cellules administratives du domaine comtal. Archives départementales du Doubs
Série 1B : 78, 108, 109, 110, 11, 115, 116, 118, 120, 123, 132, 349. • Comptes des prévôtés et des châtellenies Les comptes des prévôts et des châtelains s’avèrent encore plus lacunaires que les comptes généraux, c’est tout dire : leur inexistence avant 1330 ne permet pas de les
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ADD, 1B 78. ADD, 1B 116, 118, 120, 349 (9). ADD, 1B 108, 110 (A), 115 (1), 123, 338 (4). ADD, 1B 109 (1352-1353) et B 111 (1353-1355).
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asseoir sur une base solide ; par la suite, on se heurte à une majorité de documents éclatés, doublement isolés – dans le temps et dans l’espace : – 1339-1340 : châtellenie de Clerval43 ; – 1340-1341 : terre de Cugney44 ; – 1341-1343 : châtellenie d’Étobon45 ; – 1344-1345 : mairie de Montbozon46 ; – 1345-1346 : châtellenie de Beaujeu47 ; – 1349-1350 : prévôté d’Ornans48 ; – 1354-1355 : prévôté de Villers-Farlay49 ; – 1358-1360 : terre de Chaux50 ; – 1358-1359 : châtellenie de Vadans51 ; – 1359-1360 : châtellenie de Châtillon-sur-Besançon52 ; – 1359-1360 : châtellenie de Montferrand53 ; – 1361-1362 : châtellenie de Vadans54. Devant cet état de fait, on peut invoquer sans risque d’erreur des coupes sombres et systématiques, peut-être dès le Moyen Âge. Très vite en effet, le détail de ces comptes perd tout intérêt dès lors que les sommes finales ont été consignées dans les registres généraux. À moins que le caractère presque continu dans le temps des pièces qui nous sont parvenues ne témoigne d’une volonté de conservation à titre exemplaire, sur l’ordre d’un serviteur zélé de la Révolution ? Quelques groupes, trop rares, se dégagent néanmoins : – le plus remarquable est celui des comptes dressés à l’occasion de la confiscation des biens des Juifs, entre novembre 1348 et février 1349, prévôté par prévôté55. Cinq secteurs de l’actuel département de la Haute-Saône font chacun l’objet d’un document conséquent : Fondremand56, Gray et Apremont57, Montbozon et Vesoul. Ils se présentent, à l’exception d’un cahier, sous la forme de grands rouleaux, papier ou parchemin, dont la longueur (jusqu’à plus de dix mètres) ou le mauvais état de conservation ont dû décourager plus d’un lecteur. Le
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ADD, 1B 341 (11). Clerval, commune Pays-de-Clerval, Doubs, ar. Montbéliard, c. Bavans. ADD, 1B 117 (2 et 3). Cugney, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Marnay. ADD, 1B 349 (7). Étobon, Haute-Saône, ar. Lure, c. Héricourt-2. ADD, 1B 131 (2). Montbozon, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Rioz. ADD, 1B 125 (A). Beaujeu-Saint-Vallier-Pierrejux-et-Quitteur, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Scey-sur-Saône-et-Saint-Albin. ADD, 1B 308 (10). Ornans, Doubs, ar. Besançon, ch.-l. c. ADD, 1B 496 (8). Villers-Farlay, Jura, ar. Dole, c. Mont-sous-Vaudrey. ADD, 1B 414 (14). Peut-être Chaux, comm. Boult, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Rioz. ADD, 1B 148. Vadans, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Arbois. BEC Besançon, ms. 1070. ADD, 1B 1313. ADD, 1B 149. ADD, 1B 121, 127, 131 (1), 151. Fondremand, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Rioz. Apremont, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Gray.
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chercheur, récompensé d’une tâche fastidieuse, se réjouira de disposer enfin d’un fonds homogène et particulièrement original58 ; – un ensemble autour de Poligny, avec un fragment de compte de châtellenie (1360)59, et une série relative à la perception de la dîme des vins, pour six ans non continus entre 1331 et 136160 ; – les comptes du prévôt de Gray pour 1344-1345, 1346-1347, 1350, 1358. Deux cahiers en papier de dix-sept feuillets chacun tenus par Jean de Morey dans les années 134061, un rouleau de parchemin pour son successeur Jean de Bonnay62, ne fournissent malheureusement que peu de renseignements homogènes sur la prévôté63 ; le dernier rouleau encore moins, en dépit de ses deux mètres de long, puisqu’il recense uniquement les porcs mis en paissance dans les bois64 ; – un noyau intéressant Montjustin65 en 1331, puis de 1338 à 1340, et enfin de 1343 à 134766. Ces documents sont à mettre en parallèle avec les comptes de garnisons dont ils constituent le complément67. Archives départementales du Doubs
Série 1B : 113, 114, 117, 121, 124, 125, 126, 127, 128, 131, 132, 133, 134, 135, 148, 149, 151, 308, 338, 341, 349, 414, 496, 1610, 3068. Bibliothèque d’Étude et de Conservation de Besançon
Manuscrits : 1070. Bibliothèque nationale de France
Nouvelles acquisitions françaises : 8712 58 Il a nourri l’étude de L. Gauthier « Les Juifs dans les deux Bourgognes. Étude sur le commerce de l’argent aux XIIIe et XIVe siècles », Mémoires de la Société d’émulation du Jura, 9/3 (1914), Lons-leSaunier, 1914, p. 57-232. La mort de l’auteur avait interrompu le projet de sa publication, repris par R. Kohn, « Les pièces justificatives des Juifs dans les deux Bourgognes de Léon Gauthier », Revue des études juives, 152 (1993), p. 258-312. 59 ADD, 1B 135 (A1). 60 ADD, 1B 134 (3 à 7). Voir J. THEUROT, « Poligny au xive siècle : la levée des dîmes des vendanges », Le Jura Français, 272 (octobre-décembre 2006), p. 12-14. 61 ADD, 1B 124 et 1B 126 (2). Comme ceux du trésorier Richard des Bans, ces comptes figurent en copie dans les volumes compilés par Droz (BnF Moreau 900 et BEC Besançon, Droz 11). Ceci laisse supposer qu’il n’en subsistait pas plus au xviiie siècle qu’aujourd’hui. À moins que le fait d’avoir été à l’époque considérés comme exemplaires par les érudits ne les ait préservés d’une disparition ultérieure ? 62 ADD, 1B 128. 63 La guerre en 1346-1347 justifie un simple état des frais de garnison. 64 ADD, 1B 129. 65 Montjustin-et-Velotte, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Villersexel. 66 ADD, 1B 132 et 1B 133. 67 Le rouleau du prévôt Jean Nenat en 1331 est essentiellement un compte de garnison, tandis que les trente-huit feuillets du compte de Jean de Montaigu dans la décennie suivante constituent une mine de renseignements tant sur les troupes que sur la circulation des ordres, au chapitre des « messageries ».
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• Comptes de garnisons Les Archives départementales du Doubs en conservent en effet des exemples précieux pour la seconde partie du gouvernement d’Eudes IV, postérieure à 1340. Imposants par leur volume, ils n’ont cependant pas intéressé les copistes de l’Académie, vraisemblablement déçus par le caractère répétitif des renseignements, en marge de la « grande » histoire. Le travail des historiens du xixe siècle ayant depuis été poussé loin dans le détail, on ne peut guère espérer y découvrir des faits inédits. En revanche, listes de fournitures et de leur coût au jour le jour, noms et mouvements quotidiens des hommes d’armes, peuvent aujourd’hui être exploités avec intérêt – mais non sans difficulté – au profit d’une meilleure connaissance de l’économie et de la société militaire. Deux pièces sont exclusivement consacrées à ce décompte. La première couvre 1340 et se prolonge jusqu’en mars de l’année suivante. Il s’agit d’un registre en papier de taille moyenne, composé de 156 feuillets68. Bien qu’il ait été tenu avec soin, un matériau de mauvaise qualité qui dut se trouver très rapidement mangé des vers en rend la manipulation délicate, et laisse des inquiétudes quant à son intégrité à venir. Il concerne les garnisons et les déplacements des troupes de la partie septentrionale du comté, l’Amont (en Haute-Saône actuelle), centrés sur Vesoul et Montjustin. On a pour une fois le plaisir de compléter ces renseignements grâce à un autre compte, qui constitue en fait la suite du premier, de mars à septembre 134169. Les années suivantes bénéficient de quelques éclairages plus modestes : décembre et janvier en l’hiver 1346-1347 sont connus par les comptes des garnisons de Gray et de Montjustin, regroupés avec ceux de leurs prévôté et châtellenie respectives70 ; 1348 et 1349 s’illustrent à Châtillon-le-Duc71 sous la plume de Renaud de Jussey, puis de Guillaume de Thoraise, châtelains des lieux72. Au total, on remarque le vide des décennies limitrophes, 1330-1340 et 1350-1360, ainsi que la représentation exclusive de la zone nord. Au-delà des hasards archivistiques, un tel phénomène incite à la réflexion. Il est à nuancer grâce à la présence aux Archives départementales de la Côte-d’Or de deux comptes. Le premier intéresse la garnison en poste à Vesoul en 133673, le second recense, en vue de leur rétribution, les hommes placés dans les différentes places fortes du comté en 1346-134774. Archives départementales du Doubs
Série 1B : 80, 82, 113, 114, 133, 150. Archives départementales de la Côte-d’Or
Série B : 11836, 11838.
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ADD, 1B 150. ADD, 1B 82, de trente-sept feuillets seulement. ADD, 1B 126 (1) et 1B 133B. Châtillon-le-Duc, Doubs, ar. Besançon, c. Besançon-3. ADD, 1B 113 et 1B 114. ADCO, B 11 836. ADCO, B 11 838.
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• Bilan Les tableaux ci-dessous illustrés dans les figures 1 et 2 synthétisent le classement du corpus comptable, et aident à mieux visualiser points forts et faiblesses de nos sources. Ils sont établis à titre indicatif, la variété des termes adoptés selon les documents, presque toujours à cheval sur deux ans, voire plus, n’autorisant qu’une approximation. La grande majorité des comptes courent d’une Saint-Michel à l’autre (29 septembre) : nous les avons alors recensés sur la deuxième année, celle du terme final, plus largement représentée. Les copies modernes procèdent d’ailleurs à l’identique lorsqu’elles titrent les documents. Nous avons fait de même pour toutes les pièces commencées dans les trois derniers mois de l’année : par exemple à la Toussaint, comme les comptes ducaux de Dimanche de Vitel; à Noël, comme les comptes salinois de Renaud Garnier. Les frais de garnison de l’hiver 1340-1341 ou 1346-1347 ont en revanche été comptabilisés deux fois, pour les deux années concernées, bien qu’ils n’intéressent qu’un ou deux mois de chaque. En dépit de ces choix où entre nécessairement une part d’arbitraire, les résultats obtenus ne sont pas sans intérêt. La répartition des comptes par catégories à travers la période 1330-1361 (Fig.1) complète les remarques émises au fil de la typologie. On a figuré en grisé les documents qui n’existent qu’en copie Les graphiques font apparaître un déficit de documents très net dans la décennie initiale (1330-1339) ; seuls ou presque l’illustrent des comptes généraux, dont beaucoup sont partiels lorsqu’il n’en reste que les copies. Ce manque est flagrant pour les cinq premières années, à l’exception de 1331, qui bénéficie des comptes du domaine d’Hugues de Bourgogne, et de l’année 1332-1333, sur laquelle le compte intégral du trésorier de Vesoul Richard des Bans jette un éclairage exceptionnel. L’absence cruelle de comptes généraux dans les années 1340-1349 est mal compensée par l’apparition de comptes des châtellenies et prévôtés, rescapés occasionnels et isolés d’un ensemble jugé indigne d’être conservé, sauf caractère particulier. C’est pourquoi on note une envolée un peu artificielle du nombre de documents en 1348, qu’explique la présence des comptes relatifs à la confiscation des biens juifs. Les autres années de la décennie sortent de l’ombre lorsqu’elles sont dotées de comptes militaires, mais ils n’en couvrent en général que quelques mois. C’est le cas pour 1340, 1341, 1346 et 1347. On aimerait que ces quelques vingt ans du principat d’Eudes IV soient aussi bien représentés que les dix dernières années de la période. Elles offrent dans l’ensemble un échantillon harmonieusement réparti de tous les types de comptes. Ce panel s’enrichit des mentions comtoises insérées en continu dans les volumes dijonnais, à l’exception des années 1351 et 1352, déficitaires. Si les comptes de garnisons ne sont plus disponibles sous leur forme antérieure, la généralisation progressive du recours à des comptabilités individuelles les supplée avantageusement. Leur corpus débouche inévitablement sur une étude de la noblesse, comme toujours très favorisée par les archives.
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Fig. 1. Ventilation des types de comptes de 1330 à 1361
1 Comptes ducaux 2 Comptes généraux 3 Comptes individuels 4 Salines 5 Gruerie et pêche
6 Péages 7 Domaines particuliers 8 Châtellenies et prévôtés 9 Garnisons R= Compte des réformateurs.
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Fig. 2. Répartition approximative des comptes par année
3. Les sources pour une étude de la noblesse a. Les sources militaires
On a relevé plus haut l’apport des comptes de garnisons dans la connaissance de la société militaire. Tous les documents à l’usage des armées peuvent ainsi être retenus comme des supports précieux, et servir de base à un recensement que les chartes, les titres de famille et les généalogies existantes viennent compléter, dans le meilleur des cas. La Franche-Comté, dont les combattants se trouvent enrôlés au sein des troupes bourguignonnes et, par extension, françaises, n’a pas conservé de telles sources. On doit les chercher aux Archives départementales de la Côte-d’Or et à la Bibliothèque nationale de France.
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Citons un rôle de ban et d’arrière-ban bourguignon dressé pour la convocation à l’ost royal de 133675, une série d’engagements de gens de guerre par le duc76, l’état des paiements versés aux gens d’armes par les exécuteurs testamentaires d’Eudes IV77, une montre d’armes en 135878, et enfin ce qu’il nous est parvenu des comptes royaux : celui du trésorier des guerres Barthélémy du Drac, de l’ost de Buironfosse et de Bouvines (1339-1341)79, dans lequel on retrouve à plusieurs reprises les bannières comtoises ; il en va de même pour la compilation d’extraits en copie signalée avec le compte précédent, où nos seigneurs apparaissent en 1337 et en 135080. b. Les listes de vassaux
Le pouvoir comtal a cherché plus d’une fois à recenser les vassaux et les fiefs placés sous sa suzeraineté. Cela a donné lieu à l’établissement de listes fort utiles pour étudier la noblesse comtoise. La plus complète, encore utilisée par nos ducs-comtes bien que datée de 1295, est l’état des fiefs du comté, dressé à l’occasion de la cession de la province au roi Philippe IV le Bel81. On conserve également des documents produits pendant leurs principats : des rôles des vassaux d’Eudes IV82, toutefois très maigres, ainsi que la liste des hommages prêtés à Philippe de Rouvres en 135783. Il faut ajouter à celle-ci un « livre des féaux » qui compile dans un cahier de papier les fidélités jurées au jeune duc en 1360 et 1361, tant pour le fait du duché que du comté de Bourgogne84. c. Les cartulaires
Le champ chronologique des cartulaires étant généralement beaucoup plus vaste que celui qui nous intéresse, il faut y piocher des renseignements, sans néanmoins négliger l’apport des preuves antérieures. • Le cartulaire de Châtelbelin Alors que l’ensemble des papiers de la famille de Chalon, dont beaucoup sont restés privés, ne nous est connu en partie et dans le cadre des Archives départementales que par de volumineux inventaires85, le cartulaire de Châtelbelin86, que viennent 75 ADCO, B 11 721. 76 ADCO, B 11 733. 77 ADCO, B 309. 78 BnF, N.a.f. 1036. 79 BnF, N.a.f. 9238 et 9239. 80 BnF, fr. 32 510, fol. 70-93, 149-149v, 191-192. 81 Voir note 17. 82 ADCO, B 1053 ; ADCO, B 10 495, publié par E. PETIT, Histoire…, op. cit., t. VII, p. 66-82. 83 AD B 3, fol. 3-8v, publié par Fr.-F. Chevalier, Mémoires Historiques sur la ville et seigneurie de Poligny, avec des recherches relatives à l’histoire du comté de Bourgogne et de ses anciens souverains, Lons-leSaunier, P. Delhorme, 1767-1769, t. II, preuve n° 62 (2). 84 ADCO, B 10 508. 85 ADD, 7E 2758 à 2767. 86 Châtelbelin, forteresse au-dessus de Salins-les-Bains, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Arbois.
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compléter des pièces justificatives en bon nombre, nous renseigne avec précision sur les domaines et les vassaux échus dans le sud du Jura à la branche cadette, représentée en ce temps par Jean II de Chalon-Auxerre, seigneur de Rochefort87. Par chance, le support majeur de cet ensemble couvre la décennie 1330-1340. Il s’agit d’un grand et épais registre en papier de 104 feuillets, qui a conservé sa couverture d’origine en bois recouvert de basane verte88. On ne peut fournir de date exacte pour sa confection. Une bonne partie semble avoir été rédigée en 1329-1330, mais des rappels remontent jusqu’en 1324. Comme souvent, plusieurs rentiers existants ont dû être compilés. Le cartulaire se divise en deux parties : un rentier (fol. 2-82), suivi d’un livre des fiefs (fol. 83-98) qui comprend lui-même deux rubriques. La première (fol. 83-89) recense « les foiyaux et les fiez monseignour le cuens d’Auceurre de la montaignie » dans une liste plus ou moins détaillée de cent fieffés (dont on ne connaît pour certains que le nom). Elle a été établie au début de l’année 1331 apparemment. La seconde (fol. 89-98), intitulée « fiez aquis de novel », recense des reprises de fiefs détaillées, au nombre de quatre-vingt-trois, classées par ordre chronologique, de 1329 à 1351 (ou plutôt 1343, car les deux dernières seulement concernent les années 1350 et 1351). Au folio 99 ont été copiés à part deux actes de 1338, l’un instituant le prévôt d’Orgelet89, l’autre affermant les fours et les revenus des foires et marchés de cette localité à un bourgeois du lieu. Ils sont suivis (fol. 100-103v) d’un inventaire des chartes conservées dans la grande tour d’Orgelet, réalisé par le chapelain du comte le jeudi devant Pâques Fleuries 1330 a. st. (29 mars 1331)90. Aux folios 104 et 104v sont détaillées les concessions des boucheries et fromageries d’Orgelet, de la prévôté, de la « foresterie », des fours et de la « messerie » de Dompierre91, des fours et des ventes d’Orgelet, et enfin des « loux » perçus sur la vente des maisons et des terres d’Orgelet, le tout dans les années 1330. Le dernier folio, collé sur la couverture, porte les premiers mots latins de l’Évangile selon saint Jean92, témoignage émouvant de la haute conception que le scribe anonyme se faisait de sa tâche. Outre ce noyau dur, on dispose de deux autres cahiers complémentaires : l’un détaille les aides accordées au comte d’Auxerre en 1330 et 1340 sur ses terres comtoises93, l’autre est un terrier des châtellenies de la Petite Montagne94, autour d’Arinthod et de Dramelay95, aux environs de 1350. Étant donné qu’il existe en sus deux livres des fiefs de la même maison allant du milieu du xiiie siècle à la fin du xive siècle96,
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Rochefort-sur-Nenon, Jura, ar. Dole, c. Authume. ADD, 1B 335. Orgelet, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Moirans-en-Montagne. Dont, détail intrigant, des « lettres secretes qui sont en une cace de bois et est scelee cette cace du soignet secret monseigneur le conte » (fol. 103v). 91 Dompierre-sur-Mont, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Moirans-en-Montagne. 92 « In principio erat Verbum » (au commencement était le Verbe). 93 ADD, 1B 1624. 94 ADD, 1B 416 (22). 95 Arinthod, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Moirans-en-Montagne ; Dramelay, idem. 96 ADD, 1B 334 et 336.
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l’ensemble est suffisamment homogène pour permettre une étude satisfaisante tant des organismes seigneuriaux que de la noblesse locale97. • Le cartulaire de Chilly-le-Vignoble98 Beaucoup plus modeste, le cartulaire de Chilly-le-Vignoble mérite cependant quelque attention. Déposé à la Bibliothèque nationale de France, ce joli volume de parchemin à la couverture de cuir gauffré99, quoique peu épais et de format réduit, nous introduit dans le monde des petits nobles fieffés du vignoble lédonien. Sur soixante actes consignés, compris entre 1285 et 1344, seuls deux concernent la fin du xiiie siècle, et quarante-cinq couvrent les années 1320-1340. Il se place donc dans le vif de notre sujet. • Le cartulaire de Neuchâtel Les autres cartulaires comtois sont antérieurs au xive siècle, sauf le cartulaire de Neuchâtel100, dont nous possédons plusieurs copies101. L’original semble avoir été transcrit d’un bloc, entre 1424 et 1428, date à laquelle on a rajouté deux actes supplémentaires. Il couvre près de deux siècles, de février 1232 à février 1428, en 671 chartes juxtaposées sans aucun souci d’ordre chronologique ou géographique, précédées d’un rentier des sept seigneuries du Doubs ; soit un énorme volume de trente-six centimètres par vingt-quatre comprenant 593 feuillets de texte102. Il donne pour notre période une bonne connaissance de la puissance et des réseaux vassaliques de cette famille ancrée dans la haute vallée du Doubs, aux confins de la Comté et de l’Empire103. d. Les inventaires
Il est impossible de faire l’économie des inventaires pour étudier la famille de Chalon, en particulier la branche aînée des Chalon-Arlay, dont un grand nombre
97 Nous avons consacré un article à l’ébauche de cette étude : S. Le Strat-Lelong, « Pour une étude de Jean II de Chalon-Auxerre dans le Jura sud (deuxième tiers du XIVe siècle) », Travaux de la Société d’émulation du Jura. Jura, histoire et actualités 2016, Lons-le-Saunier, 2017, p. 143-160. 98 Il a servi de base à notre article : S. Le Strat-Lelong, « Un petit lignage de la région lédonienne au début du xive siècle d’après le cartulaire de Chilly-le-Vignoble », Société d’émulation du Jura. Travaux 2012, Lons-le-Saunier, 2013, p. 63-78. Chilly-le-Vignoble, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Lons-le-Saunier-2. 99 BnF, N.a.f. 12 278. 100 Neuchâtel-Urtière, Doubs, ar. Montbéliard, c. Valentigney. 101 BEC Besançon, Droz 24 et 25 ; AN K 1799 ; BnF, Moreau 898 ; BnF, N.a.f. 3535. Seule cette dernière est exhaustive. Elle a été réalisée par Jules Gauthier en 1879, d’après l’original du xve siècle alors en possession du comte de Dufort-Civrac. La copie de la collection Moreau s’avère fort succinte. Celle des Archives nationales, faite pour le compte du prince de Montbéliard au xviiie siècle, n’intéresse que les seigneuries passées par la suite sous sa dépendance. 102 D’après Jules Gauthier, en introduction au cartulaire copié sous la cote BnF, N.a.f. 3535. 103 Le cartulaire de Neuchâtel a fait l’objet de notre mémoire de maîtrise : S. LELONG, Les seigneurs de Neuchâtel-Bourgogne. Extension d’une puissance en Comté (fin xiiie-début xve siècle), Université de ParisSorbonne, Paris IV, 1986.
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de papiers sont restés privés. L’existence d’inventaires y remédie assez mal104. Les indications trop imprécises, les erreurs, l’absence fréquente de dates, rendent leur utilisation aléatoire. De plus, les titres n’ayant pas été classés au répertoriage, on se trouve dans l’obligation de parcourir les dix grimoires de la série 7E des Archives départementales du Doubs, puis de les recouper avec les inventaires de Droz et avec les pièces originales en consultation. À terme, une maigre récolte moissonnée en un temps considérable. e. Les comptes
Les titres de famille des Chalon recèlent quelques comptes épars. Aucune série d’importance ne pourrait donner lieu à une exploitation massive. Leur intérêt ne doit cependant pas être négligé. Ils nous renseignent notamment sur les versements effectués au comte d’Auxerre à partir de sa seigneurie de Montfleur105 dans les années 1330, mais le détail de ces transferts de fonds s’avère plus utile à une biographie générale du personnage qu’à une étude régionale. C’est surtout la décennie 1350-1360 qui est représentée, à travers des comptes relatifs aux salines. Archives départementales du Doubs
Série 1B : 3, 17, 25, 26, 30, 35, 36, 40, 41, 52, 63, 67, 68, 72, 73, 74, 152, 176, 185, 201, 203, 214, 219, 227, 228, 235, 236, 262, 328, 334, 335, 336, 337, 349, 350, 356, 360, 361, 363, 366, 369, 378, 397, 400, 402, 404, 406, 413, 418, 419, 421, 422, 423, 424, 425, 427, 434, 438, 439, 441, 442, 444, 449, 450, 451, 452, 453, 454, 457, 463, 464, 465, 471, 473, 475, 479, 480, 481, 482, 489, 490, 491, 494, 495, 496, 498, 501, 518, 519, 523, 525, 527, 534, 535, 536, 580, 659, 810, 2007, 2011, 2275, 2490, 2592, 2614, 2775, 2776, 2790, 2796, 2833, 2925, 2960, 3051, 3069, 3089. Série 7E : 1182, 1199, 1204, 1250, 1257, 1279, 1281, 1306, 1317, 1318, 1320, 1323, 1324, 1328, 1329, 1330, 1336, 1338, 1341, 1364, 1430, 1433, 1435, 1436, 1441, 1442, 2758-2767, 2771, 2772, 2791, 2793, 2809, 2810, 2844, 3028, 3034, 3073, 3395, 3406, 3419, 3515, 3534, 3541, 3568, 3592, 3605, 3630, 3641, 3644, 3670, 3792, 3882, 3883, 3921, 3942, 3971. Archives départementales de la Côte-d’Or
Série B : 309, 1053, 1058, 1061, 1065, 1068, 1070, 1072, 10 495, 10 506, 10 507, 10 508, 11 721, 11 733, 11 837, 11 875. Archives départementales du Jura
Série E : 188, 189, 204, 241, 293, 298, 327, 364, 373, 416, 429, 545, 612, 647, 741, 968. Série 1F : 188, 293, 304, 315.
104 ADD, 7E 2758 à 2767 ; BEC Besançon, Droz 13 à 20 ; BnF, Moreau 889, 890, 892 à 897. 105 Montfleur, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Saint-Amour ; ADD, 7E 2844 (1330-1337).
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Bibliothèque d’Étude et de Conservation de Besançon
Manuscrits : 904, 1207, 1209, 1210, 1211, 1215, 1463, 1539, 1550, 1556, 1557, 1558, 1559, 1578, 2266, 2619, 2654. Collection Chifflet : 43, 47. Collection Droz : 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 23, 24, 25, 26, 27, 28. Collection Dunand : 11 ; Collection Duvernoy : 14, 15, 56, 58, 62, 63, 72. Bibliothèque nationale de France
Manuscrits latins : 9129. Manuscrits français : 8553, 8554, 32 510. Nouvelles acquisitions françaises : 395, 1036, 3535, 8703, 8718, 8720, 8722, 8723, 8724, 8727, 8733, 8734, 8738, 8739, 8819, 9176, 9238, 12 278, 15 808. Collection de Lorraine : 184, 185, 380, 420. Collection de Bourgogne : 105. Collection Cinq-cents Colbert : 64. Collection Moreau : 864, 878, 879, 888, 889, 890, 891, 892, 893, 894, 895, 896, 897, 898, 899, 961, 962, 964.
Ire partie
Au cœur de la principauté Le domaine comtal. Permanences et mutations Comme partout ailleurs, le comte de Bourgogne est le seigneur foncier d’un domaine dont il est censé tirer sa puissance politique et financière. Ce domaine comporte des terres, exploitées par des tenanciers, des forêts et des rivières, dont il dégage le profit. La seule originalité réside dans les revenus en provenance des salines. À cela s’ajoutent, sur le modèle courant, des droits divers, d’essence régalienne : ils s’appliquent aux routes, aux marchés, aux hommes, sans oublier les ressources liées à l’exercice de la justice. Le tableau de cet ensemble composite varie dans le temps, au gré des acquisitions et des partages. Selon quelle dynamique évolue-t-il ? Des constantes, centrées sur des zones géographiques privilégiées, apparaissent toutefois. Comprendre les choix faits par le pouvoir comtal en matière de politique domaniale, expliquer leurs variations au cours de ce premier xive siècle, permettra de dégager l’originalité profonde des données franc-comtoises. Mais avant de rendre leur part de cette gestion à Eudes IV et à son petit-fils, n’oublions pas qu’ils sont d’abord des héritiers. Héritage des derniers comtes et partages successoraux permettent alors de mieux appréhender les assises territoriales du domaine comtal, ainsi que leurs modifications, durant leurs principats. Si perdurent en ce deuxième tiers du xive siècle d’anciennes structures administratives, le temps est aux réformes de l’organisation du domaine et de sa gestion, pour l’essentiel œuvre d’Eudes IV.
Chapitre I
Héritages Les possessions comtales sont-elles intangibles ? La question se pose étant donné le contexte successoral troublé, qui donne lieu à des remaniements successifs des partages. À partir du xiiie siècle, le duc en Bourgogne comme le roi en France ont pris des dispositions protectrices afin d’éviter la dispersion du domaine péniblement reconstitué ; toute distraction du patrimoine apparaît en effet, au vu des exemples du passé, comme une menace pour l’exercice du pouvoir lui-même. L’étude du xiiie siècle comtois a montré qu’il n’en va pas automatiquement ainsi outre-Saône : « En Franche-Comté, point de rencontre entre les influences françaises où les biens de la couronne sont fortement protégés et les pays d’Empire où l’on hésite à soumettre les biens domaniaux à un régime d’exception, il est seulement possible de relever une augmentation de la solidarité familiale dans le renforcement des liens entre l’aîné, héritier du titre, et les cadets1 ». C’est pourquoi le domaine que trouve Eudes IV n’est pas tout d’une pièce. Hugues de Bourgogne, grand-oncle de la duchesse, en détient une bonne partie, et le devenir de son héritage pose problème, tout comme la dotation du neveu de ce dernier, Henri de Bourgogne, héritier de son père Jean. Quant aux deux sœurs de la duchesse, elles entendent bien également réclamer leur part. Il convient donc de présenter en premier lieu l’héritage comtal proprement dit, avant d’évoquer le règlement, complexe, des autres successions.
1. L’héritage des derniers comtes Le propos n’est pas de détailler ici l’activité bien remplie des prédécesseurs d’Eudes IV. Une mise en lumière des lignes directrices qui la sous-tendent suffit pour comprendre la situation du domaine à l’avènement du duc de Bourgogne en Comté. La dotation abondante des cadets, à l’aube du xive siècle, a été rendue possible dans un domaine régénéré sous les efforts de leurs parents, Alix de Méranie et Hugues de ChalonChalon (de) Hugues, archevêque de Besançon, efforts poursuivis par leur frère, le comte Othon IV. Ceux-ci s’étaient retrouvés à la tête de possessions réduites comme une peau de chagrin, mais ils les ont reconquises et même agrandies, sans aller au-delà cependant d’une ambition purement terrienne et féodale : « Plutôt que l’idée fugitivement exprimée d’un domaine dépassant la pure et simple appropriation, il faut voir, dans l’action des comtes, une volonté mal élaborée de grouper des terres et d’en assurer la cohésion2 ». Ce but a été atteint grâce à une ample politique d’achats. Les comtes ont également beaucoup pratiqué le prêt sur gage foncier : non remboursé le plus souvent, le gage finit toujours par entrer dans leur patrimoine.
1 M.-Th. Allemand-Gay, Le pouvoir…, op. cit., p. 200. 2 Idem.
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Quoique très dispersés, les acquis successifs de la seconde moitié du xiiie siècle ont consolidé les positions septentrionales, majoritaires dès le départ ; ils ont introduit le comte au sud du Doubs, où il était pratiquement absent, ses biens ne débordant pas à l’origine la région doloise. Ils en ont fait le voisin des grandes familles féodales, qu’il peut espérer mieux contrôler, au moins pour les seigneuries subalternes de plaine, puisque la montagne lui échappe totalement. Les Chalon, les Montfaucon et autres puissants n’en ont pas souffert. Au contraire, les grands connaissaient au même moment une évolution parallèle, au détriment des plus modestes contraints d’aliéner leur patrimoine pour survivre3. Les comtesses Jeanne et Mahaut ont poursuivi cette politique terrienne. L’acquisition la plus marquante de la reine a été, en 1324, celle de la châtellenie de Montmorot4, vendue par Guillaume de Vienne5. Elle a permis aux comtes de s’implanter dans le secteur lédonien, riche d’une saline, et objet d’une forte rivalité entre les familles de Vienne et de Chalon. Sa mère Mahaut d’Artois, qui disposait d’un douaire très important pour lequel des comptes sont conservés6, a déployé quant à elle une intense activité en matière d’achats, tant à Arbois7 et aux environs8 qu’autour de Poligny9 comme de Dole (où elle récupère des parts du péage10 et des biens à Gevry11), de Gray12 et de Vesoul (elle effectue plusieurs achats à Chariez13 et un à Vaivre14). Deux secteurs privilégiés ont retenu la plupart de ses efforts en matière d’acquisitions foncières : la châtellenie de Montmirey15, siège de pas moins de sept transactions entre 1307 et 131416, et la vallée de la Loue, où elle agrandit le domaine de façon très
3 Ibid., p. 195. 4 Montmorot, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Lons-le-Saunier-1. 5 ADD, 1B 374. 6 Voir la présentation des domaines comtois de Mahaut d’Artois et la carte afférente dans L’enfant oublié. Le gisant de Jean de Bourgogne et le mécénat de Mahaut d’Artois en Franche-Comté au xive siècle, Musée des Beaux-Arts et d’archéologie de Besançon, 5 décembre 1997-24 février 1998 (catalogue d’exposition), Besançon, Musée des Beaux-Arts et d’archéologie de Besançon, 1997, p. 22-24. 7 ADD, 1B 314. 8 À Montigny-lès-Arsures et à Mesnay ; ADD, 1B 371 ; ADD, 1B 365. Montigny-lès-Arsures, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Arbois. Mesnay, idem. 9 À Colonne ; ADD, 1B 342. Colonne, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Bletterans. 10 ADD, 1B 344. 11 ADD, 1B 353. Gevry, Jura, ar. Dole, c. Dole-2. 12 À Oyrières ; ADD, 1B 479. Oyrières, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Dampierre-sur-Salon. 13 ADD, 1B 333. Chariez, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Vesoul-1. 14 ADD, 1B 409. Vaivre-et-Montoille, idem. 15 Montmirey-le-Château, Jura, ar. Dole, c. Authume. Montmirey a fait l’objet de toutes les attentions de Mahaut d’Artois. Elle en fait une véritable châtellenie et y engage d’importants travaux. Voir J. Theurot, « Mahaut d’Artois et le domaine comtal : la transformation et le financement du château de Montmirey ( Jura), entre 1306 et 1310 », Académie des sciences, belles lettres et arts de Besançon et de Franche-Comté, Procès-verbaux et mémoires, 200 (2009-2010), p. 325-343. Du même auteur également : « La prise en main de la châtellenie de Montmirey (1261-1322) », Société d’Émulation du Jura. Travaux 2007, Lons-le-Saunier, 2008, p. 211-238 ; « L’affirmation de la châtellenie de Montmirey (1322-1397) », Société d’émulation du Jura. Travaux 2012, Lons-le-Saunier, 2013, p. 79-112. 16 ADD, 1B 373 et 1B 451.
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conséquente à Santans17, Chissey18, Liesle19, Chay20, Quingey21, Chouzelot22, Cléron23, et à Scey, qui en constitue le point fort puisqu’elle y acquiert non seulement les droits sur les moulins en 1303, mais surtout la moitié du château pour 4 000 l. un an plus tard24. Si à sa mort en 1329 ses biens reviennent tout naturellement à sa fille la reine Jeanne25, la succession de cette dernière l’année suivante s’avère beaucoup plus compliquée. Elle vient s’agréger à des problèmes plus anciens qui expliquent la partition du domaine hérité des premiers comtes, et qu’il convient d’éclaircir.
2. Les règlements des successions En 1295, Othon IV a défini plus nettement que jamais le droit du comte sur ses biens. Dans l’état qu’il rédige pour Philippe le Bel, il précise les conditions des partages, très restrictives pour les héritiers qui ne détiennent pas le titre. Il vise plus particulièrement à clore les revendications de son frère Jean : La baronnie du comté de Bourgogne est si franche que nulle partie le conte n’est tenu de donner ne a seur ne a frere […] En heritage de par son père, il doit avoir sa raison selon ce que li conte a eu à partir, il ne leu peult avenir plus de 1000 livres de terre26. Les règles étaient bien loin d’être aussi nettes avant lui, elles ne se sont finalement pas appliquées à sa propre fratrie. Faut-il voir dans ces mises au point une influence déterminante des juristes du roi, soucieux de parer à tout conflit successoral comme la province en a déjà connu27 ? Quoi qu’il en soit, elles sont peut-être venues étayer les arguments d’Eudes IV contre les revendications de ses belles-sœurs. En effet, dans le premier tiers du xive siècle se trouvent imbriqués en Franche-Comté les problèmes afférents au règlement de plusieurs successions : celle de la reine Jeanne, héritière de son père Othon IV, bien sûr – par laquelle le comté revient à sa fille aînée Jeanne de France et à l’époux de celle-ci, le duc de Bourgogne Eudes IV –, succession qui donne lieu à de multiples accords en vue de dédommager les deux cadettes ; mais aussi celle d’Alix de Méranie qui, bien que lointaine, éclaire la question récurrente des parts accordées aux frères cadets d’Othon IV, modifiées à chaque décès d’un des 17 ADD, 1B 405. Santans, Jura, ar. Dole, c. Mont-sous-Vaudrey. 18 ADD, 1B 340. Chissey-sur-Loue, idem. 19 ADD, 1B 360. Liesle, Doubs, ar. Besançon, c. Saint-Vit. 20 ADD, 1B 330. Chay, idem. 21 ADD, 1B 392. Quingey, idem. 22 ADD, 1B 341. Chouzelot, idem. 23 ADD, 1B 440. Cléron, Doubs, ar. Besançon, c. Ornans. 24 ADD, 1B 406. Scey-Maisières, idem. 25 Voir J.-P. Redoutey, « Les trois testaments de Mahaut d’Artois », in Études en souvenir de Roland Fiétier. Droit, économie, société au Moyen Âge, II, M.S.H.D.B., 39 (1982), p. 161-178. 26 BEC Besançon, ms. 1578, fol. 10. Cité par M.-Th. ALLEMAND-Gay, Le pouvoir…, op. cit., p. 199. 27 Le siècle précédent a en effet été marqué par d’incessantes guerres entre les branches aînée et cadette de la famille comtale.
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membres de la fratrie, question qui reste pendante durant toute la période et dont la manifestation la plus significative est sans doute l’insatisfaction permanente des sires de Montaigu, étudiée par Michelle Bubenicek28 ; celle d’Hugues de Bourgogne, enfin, dernier survivant des frères d’Othon IV et grand-oncle de la duchesse Jeanne, qui interfère avec celle de son neveu Othenin de Montbéliard dont il avait la tutelle. C’est sur ces problèmes très complexes que viennent se greffer les conflits qui affectent le principat d’Eudes IV, touchant en particulier à la part d’héritage de ses belles-sœurs. a. La part des frères cadets d’Othon IV
Le comte palatin Othon IV († 1303) a trois frères dans le siècle, Hugues († 1331), Renaud († 1321), qui est aussi comte de Montbéliard, et Jean († 1306), à qui il faut rajouter Étienne, chanoine de Besançon († 1299). Par son testament rédigé entre 1277 et 127829, leur mère la comtesse Alix de Méranie précise les parts attribuées aux cadets et stipule qu’au cas où l’un d’eux meure sans héritiers, sa dotation fera retour à Othon, qui a la prééminence sur le comté et la suzeraineté sur tous les fiefs constitutifs de l’héritage de ses frères. C’est ainsi que Renaud et Hugues ont rendu hommage à leur aîné30, à l’issue de nouveaux accords passés avec Othon, par lesquels Renaud ne retient pour sa part d’héritage que Montfleur, Dramelay, Pimorin, Marigna31, Montaigu32, Sellières33, Château-Chalon et la garde de son abbaye, celle de Baume-les-Messieurs, Blandans34, Bracon et 1 000 l. de rente sur la saunerie de Salins35. Après plusieurs révisions faisant suite à ses revendications, la part de Jean est enfin réglée par un accord avec Philippe le Bel en 1303 et se monte à 1 500 l. de rente assise sur Montrond36, Chissey, Choye et ses environs, en sus de ce qui lui a déjà été attribué (Faverney et Amance notamment)37. Quant à Hugues, il semble n’avoir fait aucune difficulté, se déclarant en 1292 satisfait de sa part d’héritage38 ; il réitère sa renonciation à d’autres prétentions devant l’official de Paris après le traité de Vincennes en 1295, puis après le décès d’Othon IV auprès de sa veuve et de ses enfants39. En 1295, il a promis au roi de France d’accepter une révision du partage40. Nous ne savons pas si elle eut lieu
28 M. Bubenicek, « De Jean l’Aîné… », art. cit., p. 259-293. 29 Édité par Fr.-F. CHEVALIER, Mémoires…, op. cit., t. I, preuves n°s 54-55 et 57-58, et cité par M. Bubenicek, « De Jean l’Aîné… », art. cit., p. 260-261. 30 ADD, 1B 18 ; M. Bubenicek, ibid., p. 262. 31 Pimorin, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Moirans-en-Montagne. Marigna-sur-Valouse, idem. 32 Montaigu, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Poligny. 33 Sellières, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Bletterans. 34 Château-Chalon, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Poligny. Baume-les-Messieurs, idem. Blandans, comm. Domblans, idem. 35 En 1279, ADD, 1B 18. Bracon, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Arbois. 36 Montrond, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Champagnole. 37 M. Bubenicek, « De Jean l’Aîné… », art. cit., p. 268-269. Choye, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Marnay. Faverney, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Port-sur-Saône. Amance, idem. 38 ADD, 1B 18. 39 ADD, 1B 16. 40 ADD, 1B 19.
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ni quelle en fut la teneur. Mais les domaines d’Hugues de Bourgogne peuvent être appréciés grâce à ses deux testaments connus, le premier de novembre 130141, le second de juin 131242. La redistribution de cet apanage fait l’objet de plusieurs tractations. b. La succession d’Hugues de Bourgogne
Outre des dispositions testamentaires précises, la succession d’Hugues de Bourgogne, ouverte en 1331, doit prendre en compte l’héritage de son frère Renaud, comte de Montbéliard († 1321), ainsi que la part de son neveu Henri de Bourgogne, fils de Jean († 1306). Les dispositions testamentaires
Il semble assez tôt évident à Hugues qu’il n’aura pas d’enfants, même si la possibilité de laisser un héritier est encore évoquée lorsqu’il promet à sa nièce Jeanne, fille d’Othon et bientôt héritière du comté, la châtellenie de Montjustin à défaut d’héritier mâle pour lui ou pour son frère43. Dans son premier testament, il a déjà abandonné cette éventualité et lègue l’essentiel de ses possessions au roi Philippe IV, mais n’oublie pas ses trois frères : Montjustin ira à Othon, Étobon, Montbozon et deux fiefs échoiront à Renaud, Port-sur-Saône44 et quelques fiefs reviendront à Jean, outre des terres tenues en gage. La disparition de trois de ces personnages l’oblige à tester de nouveau en 1312 : si la dotation de Renaud reste inchangée, Port-sur Saône passe à son neveu Henri, fils de Jean, tandis que les héritiers d’Othon se taillent la part du lion avec Montjustin, Apremont, Gendrey, Orchamps, Fraisans, Dampierre, Étrepigney et Cincens45. Tous ces biens ne proviennent pas de la succession d’Alix de Méranie46, beaucoup sont advenus à Hugues par la suite : c’est en novembre 1291 qu’il achète le château de Montjustin à la veuve de Jacques de Montjustin, chevalier, et à leur fils Guillaume47. Il fait également l’acquisition d’Apremont en deux étapes, d’abord le donjon et la maison forte avec la moitié du village auprès de la veuve de son vassal Guillaume d’Apremont en 1300, puis le reste des droits auprès d’Alix d’Apremont en 130948, complétés par
41 ADD, 1B 349 (6). 42 Fr.-F. Chevalier, Mémoires…, op. cit., t. I, preuve n° 86. 43 ADD, 1B 349 (6), septembre 1290. En 1303, en raison de la naissance d’un fils chez le couple comtal, prénommé Robert, il transfère à celui-ci cette donation, lui substituant sa sœur aînée Jeanne s’il meurt sans postérité, ce qui a été le cas puisqu’il est disparu dans son jeune âge ; BnF, N.a.f. 8724, fol.52. 44 Port-sur-Saône, Haute-Saône, ar. Vesoul, ch.-l. c. 45 Gendrey, Jura, ar. Dole, c. Authume. Orchamps, Jura, ar. Dole, c. Mont-sous-Vaudrey. Fraisans, Dampierre, Étrepigney, idem. Cincens, comm. Étrepigney. 46 L’apanage que lui a constitué son frère Othon regroupe les villages limitrophes de la forêt de Chaux (Fraisans, Étrepigney, Cincens, Orchamps) et l’usage dans ces bois ; ADD, 1B 352. 47 BnF, N.a.f. 8724, fol. 54. 48 ADD, 1B 314, pour les prix respectifs de 120 l. tournois plus une rente viagère de 30 l., puis de 500 l. estevenantes.
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les droits du fils de Guillaume sur le village voisin de Mantoche49. Il consolide ces positions par des achats supplémentaires à Apremont et à Germigney50. Comme il l’a fait pour Montjustin, il donne cette châtellenie en 1304 à ses neveux et nièces : à Robert, fils d’Othon, et à défaut à Jeanne puis à Blanche ses sœurs. Il lui adjoint ses biens de Gendrey, Fraisans, Dampierre et La Brétenière51. Hugues de Bourgogne arrondit également son patrimoine personnel à Dampierre52 et à Montbozon53. Quant à Châtillon-le-Duc, qu’il ne mentionne pas dans ses deux testaments, c’est un don temporaire du comte Othon, obtenu en garantie d’une dette de 5000 l. estevenantes vers 1292, qui semble bien devenir définitif puisqu’il est approuvé par Philippe le Bel en mars 129554. Cette position de surveillance aux abords de Besançon est particulièrement intéressante pour Hugues, également alors vicomte de la cité, malgré bien des démêlés avec son compétiteur Jean de Chalon-Arlay55. C’est pourquoi elle se trouve également convoitée par la comtesse Mahaut, qui jugera plus prudent à la mort de son époux d’en récupérer la nue-propriété et d’exiger d’Hugues de Bourgogne, devenu simple usufruitier et vassal de la comtesse, de la recevoir dans cette forteresse stratégique en temps de guerre56. Autre place militaire clé aux mains de celui-ci : Étobon, face à la trouée de Belfort, commande l’accès vers les possessions comtales du nord de la province. Regroupant trois villages dans le massif sous-vosgien, l’ensemble lui a été donné en viager par son frère Renaud en 128757. On ne s’étonnera donc pas de la clause testamentaire de retour au comte de Montbéliard. L’avouerie de Lure
Outre ces biens fonciers, Hugues de Bourgogne détient un avantage considérable : il est choisi comme gardien par l’abbé de Lure en octobre 1290. Il se trouve à ce titre associé aux revenus du monastère sur les villages alentour, assiste l’abbé dans ses contrats et les scelle de son sceau. Ce droit lui est contesté par le comte de Ferrette58, Thibaut, qui en a fait l’hommage à Othon IV, mais ne parvient pas à faire valoir ses 49 ADD, 1B 364. Mantoche, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Gray. 50 ADD, 1B 453. Germigney, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Gray. 51 ADD, 1B 314. La donation d’Apremont est renouvelée en 1310, tandis que le recept du château est abandonné immédiatement à la comtesse Mahaut en 1304. Un rouleau fait état des différentes donations anticipées en faveur des héritiers d’Othon ; ADD, 1B 372. La Bretenière, Jura, ar. Dole, c. Mont-sous-Vaudrey. 52 ADD, 1B 343, avec deux étangs en 1292, puis des ménages de dépendants en 1310. 53 ADD, 1B 370, par l’achat d’une maison dans l’enceinte du château. 54 ADD, 1B 338. 55 Voir L. BORNE, « Hugues de Bourgogne, 1265( ?)-1331. Sa guerre avec Jean de Chalon seigneur d’Arlay au sujet de la mairie et de la vicomté de Besançon. 1293-1295 », Mémoires de la Société d’Émulation du Doubs, 9/6 (1926), p. 61-91. 56 BnF, N.a.f. 8712, fol. 179 (vidimus de 1362 de l’accord passé en 1303 devant l’official de Paris entre Hugues de Bourgogne et sa belle-sœur) et ADD, 1B 349 (6). 57 P. PÉGEOT, Vers la Réforme : un chemin comparé et séparé. Montbéliard, Porrentruy et leur région du XIVe au milieu du XVIe siècle, thèse de doctorat d’État, Université de Paris-Sorbonne, Paris IV, 1993, p. 47 (d’après AN, K 2087). 58 Ferrette, Haut-Rhin, ar. et c. Altkirch.
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droits à la mort de l’abbé. Il doit céder l’avouerie à Hugues en mai 1303, mais à titre viager seulement. Par son testament de 1312, ce dernier déclare effectivement que le droit de gardienneté de l’abbaye reviendra au comte de Ferrette après sa mort59. La succession d’Othenin de Montbéliard
La succession d’Hugues de Bourgogne, on le voit, déjà assez particulière, va se trouver compliquée par la mort en 1321 de Renaud son frère, comte de Montbéliard, qui laisse pour seul héritier mâle un fils prénommé Othenin, incapable de gouverner en raison d’un handicap. C’est pourquoi son père a eu soin de prendre la même année des dispositions spéciales en vue de régler le devenir du comté après son décès : si ses deux filles Jeanne et Agnès, et en leur nom leurs époux respectifs Orry de Ferrette et Henri de Montfaucon, emportent immédiatement la première le château de Granges60, la seconde le château du Pin61, la part d’Othenin, soit Belfort, Héricourt62 et toute la baronnie du comté de Montbéliard, sera administrée durant cinq ans par Hugues de Bourgogne qui devra en mettre de côté les revenus, sous le contrôle des deux gendres de Renaud. Au-delà de cette échéance, Othenin en reprendra le gouvernement s’il s’avère apte. Au cas contraire, la mesure sera prorogée pour cinq ans, au terme desquels la totalité de l’héritage sera remise en commun et partagée par moitié entre Ferrette et Montfaucon, qui gouverneront ainsi le comté de Montbéliard au nom tout théorique d’Othenin, à qui sera assuré un revenu viager décent par Hugues au moyen de deux « fort maisons » valant chacune 500 l. de terre63. En cas de décès d’Hugues de Bourgogne, il sera remplacé par l’archevêque de Besançon, qui cautionne ces dispositions. La reine Jeanne, la comtesse Mahaut et le duc Eudes IV devront également y souscrire par l’entremise du prélat. C’est donc en mars 1331 que doit avoir lieu la passation de pouvoir et le partage des biens d’Othenin entre ses deux beaux-frères, c’est-à-dire au tout début du principat d’Eudes IV64. Ils semblent s’être très mal appliqués. Jeanne de Montbéliard, veuve 59 L. Besson, Mémoire historique sur l’abbaye et la ville de Lure, suivi d’une notice sur le prieuré de SaintAntoine et les seigneurs de Lure et de Passavant, Besançon, Bintot, 1846, p. 52-56. 60 Granges-la-Ville et Granges-le-Bourg, Haute-Saône, ar. Lure, c. Villersexel. 61 Le Pin, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Poligny. 62 Héricourt, Haute-Saône, ar. Lure, c. Héricourt-1 et 2. 63 ADD, 1B 538 (6), 14 mars 1321 (vidimus du 3 avril 1332). Ces dispositions semblent annuler le testament du comte Renaud, en date du mardi avant l’Exaltation Sainte-Croix 1296, publié après sa mort par l’officialité de Besançon le 3 avril 1321, et qui comporte un codicille de 1314. Celui-ci place également Othenin sous la tutelle de son oncle, mais reste très flou en ce qui concerne l’application de la mesure, sans envisager le devenir de ses biens en cas de décès de l’un ou de l’autre ; ADD, 7E 1323, copie de 1455. De plus, Agnès n’est alors pas encore mariée à Henri de Montfaucon. Il semblait donc impératif pour Renaud à la veille de son trépas de revoir ses dernières dispositions. 64 Sous réserve d’une interprétation correcte de l’acte de 1321, assez ambigu. Les historiens n’ont retenu qu’un délai de cinq ans. Or, selon P. Pégeot, Henri de Montfaucon se voit confier la tutelle d’Othenin en 1326 avant de prendre le gouvernement du comté de Montbéliard en 1332 ; P. Pégeot, Vers la Réforme…, op. cit., p. 48. Voilà qui confirmerait que la tutelle était bien prévue pour dix ans, et qu’elle a été révisée au bout de cinq, comme le stipulait le comte Renaud, Henri de Montfaucon s’étant alors substitué à Hugues de Bourgogne.
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d’Orry (ou Ulrich) de Ferrette, s’est entre-temps unie en secondes noces à Rodolphe (ou Raoul) de Hesse, marquis de Bade, de qui l’on a vraisemblablement contesté l’héritage. Afin de faire valoir son droit, il arrache son aide au duc Eudes en prenant immédiatement en otage le vieil Hugues de Bourgogne, capturé dans son fief de Châtillon-le-Duc et retenu en prison au château de Rougemont, en Haute-Alsace65. Eudes IV doit accepter les conditions draconiennes de sa libération. On paiera au marquis pour les frais de captivité du prisonnier 6 000 l. tournois sur les six mois suivant sa libération. Au cas où ce dernier passe de vie à trépas dans les six mois, ce qui n’est pas improbable étant donné son âge avancé66, le duc doit garantir à Rodolphe de Bade la possession de la moitié des châteaux de Montbéliard et d’Étobon que détenait Hugues de Bourgogne. Une trêve de soixante ans sera alors conclue. Si Hugues reste en vie, Eudes IV paiera les 20 000 l. de rançon sur dix-huit mois (qui correspondent sans doute aux 20 000 marcs d’argent d’amende prévue par le testament du comte Renaud au cas où Hugues n’en respecterait pas les dispositions) ou bien Hugues de Bourgogne retournera en otage67. Chose rare qui témoigne de l’importance du maintien de la paix, la totalité de la somme due pour frais de captivité est versée aux échéances prévues68. Le prisonnier a été vraisemblablement délivré dès la passation du traité au mois de mars 1331, les versements commençant en avril. La quittance du marquis de Bade pour la dernière moitié de son défraiement nous est restée. Il a reçu 1 200 l. de petits tournois le 17 juillet, 800 l. le 16 août et enfin 1 000 l. le 20 octobre69. Le décès d’Hugues de Bourgogne est apparemment survenu avant le terme des six mois prescrit par l’accord70. La rançon de 20 000 l. prévue par le traité n’a donc pas eu lieu d’être. Reste alors la question de la châtellenie d’Étobon. Jeanne de Montbéliard en obtiendra bien la moitié (qui sera rachetée à ses divers descendants par Henri de Montfaucon-Montbéliard, désireux de compléter sa propre moitié, entre 1350 et 135871), mais pas avant le décès d’Eudes IV en 134972, en vertu d’un accord conclu entre le sire de Montfaucon, le marquis de Bade et le duc de Bourgogne à une date indéterminée. Ceci suppose que la question soit encore restée en suspens avant de trouver un arrangement à l’amiable, peut-être à la mort d’Hugues de Bourgogne. Il
65 Rougemont-le-Château, Territoire de Belfort, ar. Belfort, c. Giromagny. 66 Il serait né vers 1265, et aurait donc 66 ans. 67 14 mars 1331 ; ADD, 1B 338 (12) et ADCO, B 11 937, publié par E. Petit, Histoire…, op. cit., t. VII, p. 178-185. 68 Ernest Petit recense cinq quittances de Raoul de Hesse et Jeanne de Montbéliard à Eudes IV pour la rançon d’Hugues de Bourgogne, pour un total de 5000 l. (ibid., t. VIII, P. J. n°s 7836-7840) et une de 1000 l. pour le terme du tiers mois suivant sa libération, datée du 15 juin 1338 (ibid., P. J. n° 7780). La date de 1338 avancée par l’auteur pour ces quittances surprend, au regard de celles conservées aux Archives départementales du Doubs, datées de 1331. Peut-être s’agit-il de vidimus. 69 ADD, 1B 72 (35, 36, 37). 70 Il serait mort dans le dernier tiers de l’année 1331 ; E. PETIT, Histoire…, op. cit., t. VII, p. 137, n. 2. La reddition des comptes de tous les officiers de son domaine, organisée à Apremont le samedi après la Saint-Rémi 1331, soit le 5 octobre, suggère qu’il est déjà disparu à cette date ; ADD, 1B 78. 71 BEC Besançon, Duvernoy 14, fol. 176. 72 P. Pégeot, Vers la Réforme…, op. cit., p. 49.
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prévoit qu’au cas où Othenin décèderait avant le duc ou la duchesse, le gouvernement d’Étobon demeurera au survivant des deux, avec 100 livrées de terre (au lieu de 500 actuellement73). Le mardi après Pâques Fleuries 1332 a. st. (30 mars 1333), un acte de Jeanne de France rappelle ces dispositions avant de promettre à Henri de Montfaucon qu’elle lui remettra le gouvernement d’Étobon en cas de décès anticipé de son époux le duc Eudes, avec les 500 livrées de terre si Othenin est encore en vie, ou seulement 100 livrées s’il est déjà décédé74. Cette mesure gracieuse ne sera pas appliquée en raison de la disparition de Jeanne en 1347. Elle témoigne encore une fois s’il était nécessaire de l’enjeu stratégique majeur que constitue cette position. L’épineuse question de l’héritage montbéliardais d’Hugues de Bourgogne ne trouve pas d’issue avant 1352, puisqu’elle génère encore un conflit armé contre le duc-comte, mené cette fois par Hugues de Hohenberg, qui est le gendre de Jeanne de Montbéliard, époux de sa seconde fille Ursule (née de son premier mariage avec Ulrich de Ferrette). Le duc achète la paix, conclue semble-t-il moyennant un versement de 1 000 florins or au comte de Hohenberg par l’intermédiaire du gardien Thibaut de Neuchâtel le 19 octobre 135275. À cette date, Hugues de Hohenberg déclare n’avoir aucun droit ni à la succession d’Hugues de Bourgogne, ni au comté, et avoir mené pour ces causes une guerre injuste contre Philippe de Rouvres, au profit de qui il renonce à tous ses droits, à l’exception de ceux qu’il détient sur Belfort et Étobon, qui lui appartiennent en partie76. Les droits d’Henri de Bourgogne
Henri de Bourgogne renonce lui aussi à la succession de son oncle, et ce dès 1328, auprès de la reine Jeanne, pour le prix de 500 l. de terre dans la châtellenie de Fondremand et 5 000 l. estevenantes qu’il touchera au décès d’Hugues de Bourgogne77. Un versement de 3 000 l. aurait eu lieu immédiatement, suivi d’une remise de dette de 2 000 l. correspondant au reliquat lors d’un nouvel accord avec Eudes IV à qui il devait initialement 10 000 l. Il remet au duc en gage de ces 8 000 l. de dette ses possessions de Chissey, Fondremand et Chemilly78.
73 Cette valeur laisse penser qu’Étobon a été l’une des places fortes choisies pour la dotation d’Othenin prévue par son père en 1321. Eudes IV en a cependant gardé le gouvernement, arguant des droits de sa femme à la succession d’Hugues de Bourgogne ; P. Pégeot, Vers la Réforme…, op. cit., p. 48, d’après AN K 1830. 74 ADD, 7E 1338. 75 ADD, 1B 867. 76 BEC Besançon, Duvernoy 15, fol. 28 et 29 ; ADD, 1B 20 (2). 77 Le 10 avril 1328 ; AD, B 3, fol. 121v-122v, cité par M. BUBENICEK, « De Jean l’Aîné… », art. cit., p. 271. Selon le dernier testament d’Hugues, Henri devait recevoir pour héritage Port-sur-Saône, huit fiefs en Haute-Saône actuelle, ainsi que trois terres engagées, Amance, Chissey et Villers-Farlay ; Fr.-F. Chevalier, Mémoires…, op. cit., t. I, preuve n° 86. Ce sont certainement les siennes (échues à son père lors des différents partages avec le comte Othon), puisqu’Henri reconnaît en 1314 qu’il a engagé auprès de son oncle toute sa terre du val de la Loue et Amance ; ADD, 1B 485. 78 D’après M. Bubenicek, « De Jean l’Aîné… », art. cit., p. 272. Chemilly, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Scey-sur-Saône-et-Saint-Albin.
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Ce renoncement lui a sans doute beaucoup coûté et il semble en avoir conçu plus que des remords. L’exemple de Port-sur-Saône prouve qu’il a malgré tout tenté de faire valoir ses droits à l’héritage. Port-sur-Saône devait constituer, d’après les dernières volontés d’Hugues, le point fort de celui-ci. Or, peu avant la disparition de son oncle, dès avril 1330, il se fait promettre par Ansel, sire de Joinville79, de lui faire hommage pour le château de Port, que ce dernier tient pour l’instant en fief d’Hugues80. Les petites-nièces d’Hugues de Bourgogne, sœurs de la duchesse Jeanne, en revanche, n’ont pas renoncé à leur part de succession, ni dans celle de leur oncle, ni dans celle de leur mère, ce qui complique grandement les affaires du comté dès l’avènement d’Eudes IV. c. La part des belles-sœurs d’Eudes IV
S’estimant lésées lors du partage des biens de la reine Jeanne leur mère, Isabelle, dauphine de Viennois, et sa sœur Marguerite, comtesse de Flandre, revendiquent un dédommagement. Celui de la comtesse de Flandre est fixé assez rapidement pour couper court à toute dissension. Flandre et Bourgogne sont en bons termes. Il est décidé par traité le 2 septembre 1330 que le duc aura l’Artois, le comte de Flandre une rente de 10 000 l. dont l’assiette est répartie comme suit : 6 000 l. en Artois, 4 000 l. au comté de Bourgogne, dont 3 000 dans la châtellenie de Quingey et 1 000 sur le puits de Salins. Cette rente comtoise, dont deux prudhommes fixeront l’assiette, sera tenue en fief des duc et duchesse de Bourgogne « en la maniere que cils qui autresfois en ont porté par partage de ladite Contée de Bourgongne et Seigneurie de Salins doivent et ont accoustumé à tenir81 ». Remarquons qu’il n’est plus question ici de l’affirmation toute théorique d’Othon IV en cette matière, qui limitait à 1 000 l. le dédommagement des cadets, quoique les « ressort, seigneurie et souveraineté » du comte de Bourgogne soient explicitement préservés par l’hommage que lui doivent le comte et la comtesse de Flandre. De sérieux problèmes avec Robert d’Artois sont redoutés, et les deux parties se promettent alliance en justice comme à la guerre en cas de réclamations de ce dernier. En revanche, un règlement à l’amiable est prévu en ce qui concerne les éventuelles prétentions du dauphin Guigues de Viennois, en raison des droits de sa femme Isabelle de France. Nous n’avons pas de précisions sur les exigences de celui-ci. Y a-t-il eu négociation qui n’aurait pas trouvé de solution ? A-t-il dès le départ montré son désaccord en faisant usage de la violence ? Nous n’avons en notre possession que l’arbitrage du roi Philippe VI sur la question, daté du mois de mai 133182. Il devenait en effet urgent d’y mettre bon ordre, en raison d’une collusion d’intérêt entre le dauphin et Jean de Chalon-Arlay à la tête du parti des nobles comtois qui refusent l’hommage à Eudes IV. 79 Sans doute Jonvelle, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Jussey. 80 BnF, N.a.f. 3535, n° 464, fol. 390, acte du mercredi avant la Saint-Georges 1330 a. st., soit le 18 avril 1330. 81 U. Plancher, Histoire…, op. cit., t. II, preuve CCLII, cité par E. PETIT, Histoire…, op. cit., t. VII, p. 132. 82 U. Plancher, Histoire…, op. cit., t. II, preuve CCLIV, cité par E. Petit, Histoire…, op. cit., t. VII, p. 137 ; ADD, 1B 20 ; ADD, 1B 374 (2).
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Cette alliance n’est pas nouvelle. Elle réactive les camps dessinés quelques années plus tôt pendant la guerre dite de Varey qui avait opposé le Dauphiné à la Savoie, pendant laquelle on avait vu Jean de Chalon-Arlay aux côtés du dauphin, dans le camp adverse des bourguignons83. On retrouve certainement dans ce cas comme dans celui qui nous intéresse la lutte entre la France et l’Empire en arrière-fond, ce qui explique la diligence du roi à régler au plus tôt les causes de discorde entre Eudes IV et son beau-frère avant que ne s’enflamment les marges orientales du royaume. Eudes IV semble veiller à limiter au maximum le rang des opposants, alors qu’on compte déjà parmi eux le marquis de Bade, mécontent du règlement de la question montbéliardaise. La Franche-Comté paraît en effet bien agitée à l’avènement du duc. La situation est si critique qu’il juge plus prudent de se rendre à Chambéry, dès la libération d’Hugues de Bourgogne obtenue, pour passer un traité d’alliance avec le comte de Savoie le 19 mars 133184. Fort heureusement, l’intervention royale calme le jeu85. Le dauphin de Viennois reçoit sur la succession de la reine Jeanne une part égale à celle de son beau-frère de Flandre86 et semble s’en contenter puisqu’il ordonne presque immédiatement à son parti comtois, à Jean de Chalon en tête, d’obéir au duc de Bourgogne et de lui prêter hommage87. Il exécute ainsi la sentence du royal arbitre : Et parmi ces choses nous ordenons que ledit dauphin envoiera des maintenant lettres aus gentishomes et autres de la contee de Bourgoingne qui ne sont pas venus à obeissance audit duc pour cause dudit dauphin, soit Jehan de Chalon ou autres, que ils facent obeissance audit duc et viegnent en son homage. Et nous escrirons audit duc que il leur pardoingne toutes desobeissances et toutes autres choses qu’il auroient fait envers ledit duc pour cause dou dit dauphin et non pas pour autres choses88. Cependant, ces affaires successorales sont loin d’avoir trouvé un règlement définitif, d’autant que le problème se complique bientôt avec l’héritage d’Hugues de Bourgogne. Elles sont portées devant le Parlement du roi. Outre les réclamations sur la succession de l’oncle des princesses, l’un des points de litige est lié au fait que
83 En 1325 ; P.-F. Gacon, Histoire de la Bresse et du Bugey, Bourg, P.-F Bottier, 1825, réédition Les Éditions du Bastion, 1989, p. 154. 84 U. Plancher, Histoire…, op. cit., t. II, preuve CCLI. 85 Le roi est conscient d’être en terrain brûlant : « Nous qui tous jours avons grant desir d’apaisier toutes manieres de descors et de dissensions qui pouroient estre ou avenir entre ceus especiaumant qui nous appartienent de lignage pour eschiver les perilz, esclandes et damages qui en pouroient ensivir » ; ADD, 1B 20. 86 10 000 l. tournois de rente, dont, comme pour le comte de Flandre, 6 000 en Artois et 4 000 en Comté, réparties elles aussi sur la saunerie de Salins pour 1 000 l. et pour 3 000 l. sur les châtellenies de Montmorot et de Château-Chalon ; deux prudhommes seront également établis pour en fixer l’assiette ; ADD, 1B 20, ADD, 1B 374 (2) et U. Plancher, Histoire…, op. cit., t. II, preuve CCLIV. Cité par E. Petit, Histoire…, op. cit., t. VII, p. 137. 87 Le 6 juin 1331 ; ADD, 1B 20 et U. Plancher, Histoire…, op. cit., t. II, preuve CCLV. Cité par E. PETIT, Histoire…, op. cit., t. VII, p. 138. 88 ADD, 1B 20, ADD, 1B 374 (2) et U. Plancher, Histoire…, op. cit., t. II, preuve CCLIV. Cité par E. Petit, Histoire…, op. cit., t. VII, p. 137.
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les rentes, fixées en livres tournois dans les conventions initiales, sont payées à la valeur de la monnaie estevenante et s’en trouvent par-là fort amoindries. De plus, les assiettes s’avèrent très vite insuffisantes et ne couvrent pas la totalité des sommes dues. Le 9 juillet 1335, Eudes IV doit compléter la part du comte de Flandre : elle est grossie des terres de Liesle, de Chissey et de Buffard89. En 1341, la succession n’est toujours pas liquidée et le comte réclame une nouvelle révision de son partage90. Un règlement semblable intervient entre la dauphine et le couple ducal le 2 novembre 133591. Il est bientôt rendu caduc par le remariage d’Isabelle avec Jean, seigneur de Faucogney, un puissant baron du nord comtois, qui donne lieu à un nouvel arrangement prononcé par le roi en septembre 1341. Eudes IV, fort gêné par cette union qui renforce la puissance d’un vassal peu fiable92, a jugé bon en effet de reprendre (sous quel prétexte ?) les fiefs comtois de la dauphine. … desquelles choses que il [la dauphine et Jean de Faucogney] demandoient certain acort avoit esté fait autrefois entres lesdits duc et duchesse dune part et ladite Ysabel et ledit dauphin son mari, dez le vivant de lun dautre, et en avoient bien eu une grant partie : laquelle partie lesdits duc et duchesse avoient fait reprendre et mettre en lour main, et li faisoient tenir avecques ce que a bailler et a delivrer leur estoit encores par ledit accort ; si disoient lesdiz de Faucoigny et Ysabel que icelles terres et autres biens meubles et immeubles leur devoient estre baillez et delivrez tant par ledit acort que autrement, et lesdiz duc et duchesse disoient le contraire et que a bonne cause les tenoient93 … Pour couper court à de nouveaux affrontements, Philippe VI donne satisfaction à Jean de Faucogney, en prenant bien garde toutefois de ne lui laisser disposer d’aucun lieu stratégique en fixant la nouvelle assiette, portée à 5 000 l., 1 000 de plus que ce que l’on avait prévu pour le dauphin Guigues, pour compenser sans doute cette éviction des places-fortes comtoises94. 89 ADD, 1B 340 (8). Buffard, Doubs, ar. Besançon, c. Saint-Vit. 90 6 mars 1341 ; ADD, 1B 20 (2). 91 U. Plancher, Histoire…, op. cit., t. II, preuve CCLIX. La dauphine rend Montmorot et emporte, pour les 4 000 l. qu’elle doit toucher au comté sur la succession de la reine Jeanne ainsi que pour le quart de l’héritage d’Hugues de Bourgogne, Fondremand, Apremont, Gendrey et Lavans, ChâteauChalon, Blandans et Voiteur et 1 000 l. sur la saunerie de Salins. Si cette assiette s’avère insuffisante, elle sera complétée sur le péage d’Augerans et la saline de Grozon. 92 Des relations sont attestées entre lui et Robert d’Artois, qui s’intitule comte de Bourgogne, dès l’avènement d’Eudes IV au comté. Jean de Faucogney est gratifié d’une somme de 1 000 l. tournois pour une cause inconnue. Il est tentant d’imaginer que le sire est alors chargé par le rival d’Eudes IV d’entretenir un ferment d’agitation dans les rangs de la noblesse comtoise ; acte du 12 avril 1330, ADD, 1B 67 (6). 93 U. Plancher, Histoire…, op. cit., t. II, preuve CCLXX et ADD, 1B 370. 94 Apremont et Château-Chalon sont rendus au duc, il n’est plus question de Fondremand. Les lieux de perception de la rente ne sont plus que de riches domaines fonciers : Montbozon, Gevrey, Santans (Dom Plancher a lu « Sampans »), à compléter éventuellement sur La Loye, plus 2 000 l. de rente au puits de Salins. Le sire de Faucogney en prête l’hommage lige à Eudes IV ; U. Plancher, Histoire…, op. cit., t. II, preuve CCLXX. Il nomme des procureurs pour veiller à la répartition de l’assiette, avec confirmation de son épouse : 12 décembre 1341 ; ADD, 1B 350 (14) ; 12 janvier 1342 ; ADD, 1B 214 (9).
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Après la mort d’Eudes IV, le roi Jean transfère sur le domaine de Fondremand 1 000 l. que Jean de Faucogney devait toucher sur les salines, ce qui donne lieu à une nouvelle réclamation : cette terre, selon Jean de Faucogney, ne vaut en fait pas plus de 300 l. Effet d’une erreur d’appréciation ou témoignage saisissant de la baisse de la rente foncière au milieu du siècle ? Toujours est-il que le roi lui concède sans discussion le complément de Gendrey et de Lavans95. La comtesse de Flandre se heurte quant à elle à d’autres problèmes : d’une part, l’assiette de son douaire est faite en partie sur des terres dont le revenu est déjà attribué à d’autres ou contesté par les payeurs présumés96, d’autre part, elle ne parvient pas à obtenir les titres ducaux qui attestent ses droits97. C’est ainsi que Jean II de Bourgogne peut se targuer de la possession des terres de Liesle, Chissey et Buffard, alors que son père Henri les a jadis vendues au duc Eudes IV, sans que la comtesse puisse le prouver98. Ainsi, la prise de possession du comté de Bourgogne par Eudes IV et Jeanne de France a donné lieu à de multiples complications dès leur avènement et dans les trente ans qui suivirent. Un rassemblement de facteurs litigieux a créé une situation très délicate à régler ; trois successions sont en jeu, dont les intérêts s’entremêlent : celle de la reine Jeanne, celle d’Hugues de Bourgogne et enfin celle d’Othenin de Montbéliard qui implique également les barons. De plus, la baisse de la rente foncière et la déplorable organisation des règlements entre le duc et ses belles-sœurs obligent à de constants réajustements. Ceux-ci modifient la composition du domaine comtal, dont il convient de brosser le tableau d’ensemble.
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Eudes IV ordonne au bailli de réaliser cette assiette, le 21 décembre 1341 ; ADD, 1B 351 (7). Les commissaires ducaux et les procureurs du seigneur de Faucogney ne parviennent d’ailleurs pas à se mettre d’accord sur la valeur de Lavans et se voient proposer une convocation en justice à Dole pour régler la question si aucune issue n’est trouvée ; ADCO, B 1058, 24 janvier 1342. Il est probable qu’il se soit avéré nécessaire d’effectuer un complément de rente sur La Vieille-Loye et la forêt de Chaux, comme le laisse à penser un acte ducal, malheureusement peu lisible, qui délivre à Jean de Faucogney et à la dauphine Isabelle un domaine dans ce secteur au cours des années 1340 ; ADD, 1B 363. Lavans-lès-Dole, Jura, ar. Dole, c. Authume. Le 9 janvier 1352 ; ADD, 1B 352 (17). La comtesse n’a pu toucher les revenus du four de Fraisans, appartenant à Estevenin l’Arbalétrier, ni les tailles du lieu, perçues par le sire de Sainte-Croix, ni la rente d’un autre four revenant aux échevins d’Arbois, ni enfin le gîte que le prieur d’Arbois soutient ne pas devoir à quiconque. Eudes IV demande une enquête à son bailli le 5 janvier 1349 ; ADD, 1B 511 (2). Le roi Jean le Bon passe une ordonnance pour les lui restituer, après une longue série de réclamations de la part de la comtesse, le 11 janvier 1356 ; ADD, 1B 20 (2). Autre ordonnance royale pour y remédier le 12 janvier 1356 ; ADD, 1B 340 (17). Si on ne sait rien de Liesle et Buffard (attribués en 1294 à Jean Ier de Bourgogne, grand-père de Jean II, selon M. Bubenicek, « De Jean l’Aîné… », art. cit., p. 266), il est certain que Chissey a été cédé au duc Eudes par Henri de Bourgogne en 1333 ; ADD, 1B 340 (5). Mais il n’a de cesse de revendiquer cette terre par la suite. En 1340, comme le relate un témoin, il se plaint au duc de ce que celui-ci l’occupe ; M. Bubenicek, « Noblesse, guerre… », art. cit., p. 398. La vente de 1333 était assortie d’une clause de rachat ; peut-être l’a-t-il fait jouer. De toute façon, Liesle, Chissey et Buffard finissent par retourner dans le patrimoine des sires de Montaigu, puisque ces trois seigneuries constitueront la dot de Marguerite de Bourgogne, la sœur de Jean II, lors de son mariage avec Thibaut VI de Neuchâtel.
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Chapitre II
Assises territoriales La continuité des positions domaniales des comtes de Bourgogne témoigne d’un solide ancrage patrimonial dans l’espace jurassien. Quelles en sont les bases et les avantages ? La comparaison des documents comptables dans le temps fait cependant apparaître des modifications de l’organisation du domaine, significatives peut-être de choix économiques mieux adaptés à de nouveaux besoins.
1. Tableau du domaine dans les années 1330 et en 1359 d’après les comptes généraux Les comptes généraux permettent de dresser un état du domaine comtal. Ils s’ouvrent sur les recettes tirées de celui-ci. Elles sont classées par rubriques, ayant pour titre des noms de lieux. Ceux-ci correspondent d’ordinaire aux différentes prévôtés et châtellenies, parfois regroupées par deux ou trois. Ce type de cahier est destiné à une utilisation courante, et sa disposition graphique doit permettre une visualisation rapide de son contenu. La structure d’organisation des recettes ordinaires reste la plupart du temps invariable d’une année sur l’autre, sauf détails particuliers. Les fluctuations du domaine conduisent malgré tout à des remodelages en fonction des partages familiaux. Il n’en est pas démembré pour autant, et l’on peut continuer à le suivre chez ses divers usufruitiers, dont les parts finissent généralement par faire retour au comte lors des successions. Nous appuyons l’essentiel de la description qui suit sur les comptes de Richard des Bans pour les années 13301, confrontés à l’un des deux seuls documents comparables contemporains de Philippe de Rouvres qui subsistent, le compte d’Aubriet de Plaine (1358-1359)2. Un problème majeur entrave une telle démarche : le premier de ces personnages est trésorier de Vesoul, en Amont, tandis que le second officie au baillage d’Aval. Le découpage administratif n’ayant pas encore acquis sa rigueur future, leurs comptabilités se recoupent dans l’espace, mais pas en totalité. Il est dès lors difficile de tirer des conclusions sûres. Il faudrait avoir en main les comptes de l’ensemble du domaine. En 1330, on y parvient presque grâce aux documents qui touchent la portion d’Hugues de Bourgogne3, dont une bonne part se situe au futur bailliage d’Aval. En 1359 en revanche, tout le nord du comté nous échappe. Nous sommes néanmoins bien renseignés sur les terres de Marguerite de Flandre à partir de 1347-1348. Complété par les pièces justificatives, le corpus susdit permet de se faire une idée claire des
1 ADD, 1B 79A1, fol. 2-5. 2 ADCO, B 1406, fol. 1-5v. L’autre document fait état des « parties » du compte du trésorier d’Amont, Perceval de Vaveler, en 1349-1350 ; ADD, 1B 1711. 3 ADD, 1B 78.
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possessions domaniales du comte entre 1330 et 1361. Elles se répartissent selon sept espaces géographiques qui communiquent de l’un à l’autre. a. La plaine de la Saône
La Saône ouvre le nord-ouest du comté sur l’axe naturel qui rejoint Chalon à partir des plateaux lorrains, entre les Avant-Monts et le plateau de Langres. Elle débouche sur le duché un peu avant Pontailler, non loin de son confluent avec la Vingeanne. Jusssey marque la limite septentrionale des possessions comtales. De ce fait, la prévôté n’est mentionnée que dans les comptes de Richard des Bans. Elle comprend les revenus tirés des pêcheries, les cens de bourgeoisie et la perception des amendes. Comme la plupart des circonscriptions de ce type, elle est amodiée moyennant un fixe. Au contraire, les tailles sont touchées directement par le comte. Signalons également les ressources fournies par le péage, situé en zone frontalière sur l’axe commercial qu’est la vallée. Dans les années 1330, elles sont attribuées à l’un des fidèles serviteurs du pouvoir, Espiart l’Arbalétrier. Elles ne sont donc pas comptabilisées à Vesoul. Le comte contrôle le trafic fluvial sur plus de vingt kilomètres en aval. Port-sur-Saône constitue une autre tête de pont importante de cette portion, surtout en raison de sa position de carrefour entre la route des foires et l’accès à la porte de Bourgogne via Vesoul. Au commencement de notre période, sa prévôté est encore confiée à Hugues de Bourgogne. Il maîtrise le cours de la rivière jusqu’à Chemilly, dont la châtellenie est dotée d’un port. Gray est de longue date le point d’appui principal du domaine comtal au nord du Doubs. Ses revenus incluent les tailles prélevées dans les plus proches localités d’outre-Saône : ce sont Gray-la-ville, Velet, Velesmes, Esmoulins et Battrans4, toutes comprises dans un demi-cercle décrit au sud et à l’est de la ville. Les rentes du four, du moulin ainsi que de la tuilerie sont encaissées par le comte, mais le prévôt sert d’intermédiaire en ce qui concerne les amendes, les taxes sur les ventes des foires et des marchés, le poids et les blés, les revenus des pêcheries, du péage, et enfin les ressources de la mairie de Velesmes5. Le domaine comprend également des rentes à Saint-Loup6, encore amodiées en 1330 par décision de la reine Jeanne au prévôt Jean de Chargey. b. En bordure des Avants-Monts
Quinze kilomètres à l’est de la rivière une seconde diagonale de possessions domaniales jalonne les premiers reliefs du massif jurassien. À Vesoul comme à Gray, les tailles pèsent sur les villages environnants. Une autre prévôté jouxte à l’ouest celle de la ville, englobant Chariez et Vaivre. Plus au sud, Fondremand s’insinue au cœur des collines, en direction de Besançon. Hugues de Bourgogne y tient les recettes du tabellionnage.
4 Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Gray. 5 Velesmes-Échevanne, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Gray. 6 Saint-Loup-Nantouard, idem.
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C’est à lui que sont confiés les postes frontaliers qui ferment la province au nord. Une courte mention signale qu’il tient la châtellenie la plus septentrionale de Sainte-Marie-en-Chaux7, dans les environs immédiats de Luxeuil, à la hauteur de Jussey. À la latitude de Vesoul, d’ouest en est, la prévôté de Montjustin et la châtellenie d’Étobon représentent des lieux hautement stratégiques, sur lesquels ne nous renseigne malheureusement pas le compte de 1359. Ils contrôlent l’entrée dans le comté par la Lorraine et assurent la protection des domaines les plus excentrés des hautes vallées du Doubs et de l’Ognon. c. Le val de l’Ognon
Montbozon, entre Vesoul et le Doubs, introduit le comte dans un espace de fond de vallée riche et très humanisé, où la plupart des seigneurs du Varais ont cherché à s’implanter. Ses principaux voisins y sont les sires de Rougemont et de Montmartin. La prévôté est également aux mains d’Hugues de Bourgogne jusqu’à sa mort. À Cromary8, il a quelques biens annexes gérés par un sergent. On le retrouve au débouché aval de la vallée de l’Ognon, à dix kilomètres au nord de Dole, à Menotey9. Le comte est pour sa part possessionné non loin de là, à Montmirey, une prévôté siège d’un important château. Son ressort, ramassé dans un court rayon de deux à quatre kilomètres autour de Montmirey-la-Ville, s’étend à Pointre, Brans, Offlanges, Moissey, Frasne, Dammartin10, Champagnolot11. Dans ce périmètre sont collectées les tailles, ainsi que des cens sur quelques meix. Située sur des terres de défrichement, c’est une zone d’élevage qui profite de la proximité des bois de la Serre. Elle témoigne de l’implantation comtale relativement récente dans l’interfluve qui sépare l’Ognon du Doubs. C’est à la comtesse Mahaut que les groupes domaniaux de la Saône doivent de communiquer désormais avec la plaine doloise et les seigneuries de la partie méridionale. d. La vallée du Doubs
Dole s’étale au sud du massif de la Serre. Son carrefour annonce la transition entre le val de Saône, bourguignon, et le pays comtois. Passée cette limite, la route venue de Chalon remonte en direction de Besançon par la vallée du Doubs. La ville a été au siècle précédent une capitale pour les comtes palatins. Leurs positions en plaine sont bien assurées. La longueur du chapitre consacré à Dole dans nos comptes le rappelle. En trente ans, il est presque inchangé : le domaine n’a plus rien à acquérir, le comte Othon IV ayant autrefois fait porter tous ses efforts sur son extension dans le plat pays alentour. C’est ainsi que reviennent au trésor, en sus des censes perçues dans la 7 8 9 10
Sainte-Marie-en-Chaux, Haute-Saône, ar. Lure, c. Saint-Loup-sur-Semouse. Cromary, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Rioz. Menotey, Jura, ar. Dole, c. Authume. Dammartin-Marpain, Jura, ar. Dole, c. Authume. Pointre, Brans, Offlanges, Moissey, Frasne-lesMeulières, idem. 11 Champagnolot, comm. Dammartin-Marpain, idem.
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ville12, les rentes banales et les tailles de Sampans et de Champvans13, au nord-ouest, de Villette14 et de Gevry au sud, le tout dans un périmètre rural de quatre à cinq kilomètres. Aux portes sud et ouest, les habitants de Séligney15 et d’Azans16, rejoints dans un rayon plus large de quinze à vingt kilomètres par ceux de Serre-les-Moulières17 et de Crissey18, versent des taxes pour leur protection, les « gardes ». Les autres revenus (amendes, banvin, fours et moulins, taxes diverses sur le commerce et les marchandises) sont affermés au prévôt, sauf les droits de chancellerie. À l’extrémité opposée du domaine, Baume19 et Clerval constituent les positions comtales les plus avancées, en direction de la haute vallée du Doubs. Elles ne figurent donc pas au compte du bailli d’Aval à la Saint-Michel 1359. Mais ces deux châtellenies relèvent toujours de l’administration comtale, qui y perçoit tailles et censes à Baume, Pompierre20, Clerval, Saint-Juan et Adam-lès-Passavant21. La basse vallée commence là où le Doubs quitte son terrain encaissé pour s’étaler dans la plaine doloise, avant d’aller se jeter dans la Saône près de Saint-Jean-de-Losne. Elle relève presque entièrement du domaine comtal, grâce aux efforts d’Othon IV pour s’étendre vers l’est à partir de sa capitale. C’est là que se concentrent en 1330 le meilleur des possessions d’Hugues de Bourgogne. Sur la rive gauche, s’égrènent de part et d’autre de la rivière les mairies de Dampierre, Gendrey, Orchamps, Lavans ; sur la rive droite, en chapelet, les prévôtés et les mairies de Fraisans, Étrepigney, Cincens, ourlent la forêt de Chaux. En 1359, le comte ne conserve de cet ensemble à son profit personnel que les rentes d’Orchamps22. La prévôté de Fraisans est tombée dans les domaines de Marguerite de Flandre. Les rentes des autres villages sont momentanément aliénées depuis cette année-là : le doyen de Besançon Jean de Corcondray jouit de l’usufruit viager d’Étrepigney et de Cincens, pendant que le sire de Faucogney touche à vie les revenus de Lavans et de Gendrey, en assiette de 1 000 l. de rente. On constate que le secteur est prédisposé aux démembrements provisoires. Pour deux raisons au moins. Tout d’abord, son abandon ne présente aucun danger. La région doloise est l’une des mieux contrôlée par le pouvoir comtal, de vieille date déjà ; elle l’est d’autant mieux depuis qu’elle repose dans la même main que les enclaves ducales et la Bourgogne toute proche. Ensuite, la zone est placée à cheval sur des milieux naturels variés. C’est la garantie d’un bon rapport, relativement constant grâce à la diversité des revenus, qui peuvent se compenser en cas d’accident humain ou climatique : le peuplement dense pour les prélèvements seigneuriaux, les bonnes 12 Par tête d’habitant, pour des maisons, des vignes, et sur les « battours » (moulins à tan ou à drap). 13 Sampans, Jura, ar. Dole, c. Dole-1 ; Champvans, idem. 14 Villette-lès-Dole, ar. Dole, c. Dole-2. 15 Séligney, Jura, ar. Dole, c. Tavaux. 16 Azans, comm. Dole. 17 Serre-lès-Moulières, Jura, ar. Dole, c. Authume. 18 Crissey, Jura, ar. Dole, c. Dole-2. 19 Baume-les-Dames, Doubs, ar. Besançon, ch.-l. c. 20 Pompierre-sur-Doubs, Doubs, ar. Montbéliard, c. Bavans. 21 Saint-Juan, Doubs, ar. Besançon, c. Baume-les-Dames. Adam-lès-Passavant, idem. 22 Les tailles, deux meix, les droits de sceau et la ferme de la prévôté, limitée à la perception des amendes.
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terres alluviales pour les céréales, le fond de vallée pour les prairies, la rivière pour la pêche, et, enfin et surtout, la forêt de Chaux. Elle apporte des revenus multiples et d’importants droits d’usage23. Ils sont partagés entre les villages de la basse vallée du Doubs et leurs équivalents de la frange forestière méridionale, baignés par la Loue. e. La vallée de la Loue
La vallée de la Loue a fait l’objet de toutes les attentions des derniers comtes. Leur politique d’achats leur a permis de s’introduire dans la forêt de Chaux par le flanc sud. Les investissements se sont portés en priorité sur les nombreux moulins qui tournent au fil de l’eau dans la basse vallée. En 1359, les comtes se sont entre-temps désintéressés de leur exploitation directe dont est désormais gratifiée à vie la comtesse de Valentinois. Elle possède alors 80 l. sur les importants revenus du péage d’Augerans, qui capte le trafic entre Salins et le duché. Le long de la même voie, La Loye, Belmont, Santans sont des prévôtés dont elle touche le produit de la ferme. La Vieille-Loye24, au centre d’une clairière en forêt de Chaux, lui appartient également, avec les rentes de sa verrerie. Cet arrangement est le résultat d’un échange réalisé par le comte contre la terre de Vadans, près d’Arbois. Dans cette basse vallée aux revenus élevés et originaux, le domaine n’a donc conservé en sus du péage que la perception des rentes de la prévôté de VillersFarlay, puisque l’exploitation de Chissey est au bénéfice de la comtesse de Flandre. Déjà en 1330, Hugues de Bourgogne en tenait la halle, ainsi que la prévôté de Santans. Les comptes ne nous renseignent pas alors au sujet d’autres lieux que La Vieille-Loye. Les prédécesseurs d’Eudes IV ont de même réussi à investir la haute vallée, mettant à profit les difficultés financières de la famille de Scey, progressivement dépouillée de ses biens. Le domaine intègre désormais Quingey, où une cluse permet l’accès facile à la vallée du Doubs depuis la Loue, et, en amont, les localités encaissées de Scey-en-Varais25 et d’Ornans. À Scey, les revenus en 1330 se concentrent sur la ville, avec ses tailles, sa halle et ses amendes, son four, ses prés et ses vignes. Ajoutons quelques tailles à Flagey et à Chassagne-Saint-Denis26, et le rapport des pêcheries de Cléron. Soit que le compte de 1359 donne davantage de détails, soit que le domaine ait pris de l’extension, à cette date Cléron, Cademène, Flagey, Chassagne-Saint-Denis, Bolandoz27 versent les tailles, c’est-à-dire que la domination foncière remonte assez loin vers le plateau. Ornans ne figure pas non plus dans le domaine à l’avènement d’Eudes IV. La prévôté, la pêcherie et les rentes des fours n’y sont rien comparées au gîte : il pèse sur dix-sept localités annexes et introduit le comte très avant sur les plateaux, dans le bastion des seigneurs d’Arlay28. Cette avancée en direction des 23 Le comte Othon a acquis du sire de Rans l’autorisation d’y faire paître ses troupeaux sur ses terres pour 400 l. ; M.-Th. Allemand-Gay, Le pouvoir…, op. cit., p. 192. 24 Augerans, Jura, ar. Dole, c. Mont-sous-Vaudrey. La Loye, Belmont, Santans, La Vieille-Loye, idem. 25 Scey-Maisières, Doubs, ar. Besançon, c. Ornans. 26 Flagey, Doubs, ar. Besançon, c. Ornans. Chassagne-Saint-Denis, idem. 27 Cademène, Doubs, ar. Besançon, c. Ornans. Bolandoz, idem. 28 En direction de Levier et de Pontarlier jusqu’à Septfontaines (Doubs, ar. Pontarlier, c. Ornans), à l’ouest jusqu’à Épenoy (Doubs, ar. Pontarlier, c. Valdahon) et Arc-sous-Cicon (Doubs, ar. Pontarlier, c. Ornans).
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montagnes a été menée également à partir du rebord occidental du plateau, où le comte commande l’entrée de chacune des reculées du vignoble. f. Le vignoble et ses abords
Dans la zone du vignoble, les acquis comtaux y sont assez récents, mais représentent un ensemble d’une richesse essentielle. Les investissements ont atteint des proportions plus importantes que partout ailleurs, en terres, vignes, moulins. La rente repose en grande partie sur la production viticole. Le domaine, en plus de ses vignes propres, comporte une part des dîmes perçues sur les vins. Une place particulière revient à Salins et aux revenus de ses salines. Othon IV a hérité du titre attaché à la seigneurie à la mort de Jean de Chalon l’Antique. Sa possession est le résultat d’un échange avec le duc de Bourgogne datant de 1237. Le Bourg-le-Comte est soumis à la taille, le reste des revenus est englobé dans la prévôté, sauf ceux du péage, de la halle et du sceau. En 1359, Bracon est dans sa presque totalité laissé en héritage au seigneur du lieu. À Arbois, les prédécesseurs d’Eudes IV ont réalisé des acquisitions capitales, notamment la grosse forteresse de La Châtelaine qui domine la reculée des Planches. La prévôté d’Arbois et la châtellenie de La Châtelaine29 sont les points forts des possessions de la comtesse Marguerite de Flandre. Tout près, la prévôté de Grozon se signale par ses salines, amodiées avec elle. Poligny et ses villages alentour30 n’est plus en 1359 la limite méridionale du domaine comtal. Le compte d’Aubriet de Plaine intègre aussi la prévôté de Buvilly31, et dans les environs immédiats de Lons-le-Saunier, celles de Voiteur et de Château-Chalon, des droits à Blandans, Domblans, Nevy-sur-Seille32 et Montmorot. Mentionnons enfin une implantation dans la plaine proche, où le domaine est présent à Colonne, une prévôté regroupant une dizaine de villages et hameaux de la vallée de l’Orain. Précieuse pour ses étangs, elle est le siège d’une importante activité piscicole. À Toulouse33 en revanche, les rentes ne sont perçues par le comte ni en 1332, ni en 1359. Elles sont alors assignées en partie au sire de Joux. g. Les hauts plateaux
Domaines des sires et des grandes abbayes qui ont orchestré leur colonisation, les hauts plateaux échappent totalement à la seigneurie du comte. Seule exception : le péage qu’il perçoit à Pontarlier, par où transite une partie du trafic commercial vers la Suisse et l’Italie du nord, à l’embranchement de deux routes très fréquentées, l’une montant de Salins, l’autre arrivant de Besançon par la vallée de la Loue. La 29 La Châtelaine, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Arbois. 30 Barretaine, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Bletterans. Miéry, Plasne, Tourmont, idem. Champvaux : comm. Barretaine. 31 Buvilly, Jura, ar. Dole, c. Poligny. 32 Domblans, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Poligny. Nevy-sur-Seille, idem. Blandans, comm. Domblans. 33 Toulouse-le-Château, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Bletterans.
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taxation des marchandises est justifiée par le maintien de la sécurité des chemins : le comte détient le conduit depuis les portes de la cité impériale jusqu’à Pontarlier. La comtesse Alix l’a reçu en 1268 après la mort de Jean de Chalon l’Antique. Au-delà, les Chalon-Arlay ont néanmoins toujours la haute main sur le péage de Jougne34, d’une grande importance économique. Pontarlier est donc une fenêtre ouverte sur une zone à laquelle le comte est pour le reste complètement étranger (sauf des droits de suzeraineté épisodiquement effectifs). Elle fait office de point d’observation dans une région que se disputent la famille de Chalon et les seigneurs de Joux. On peut y voir « une sorte de zone franche, de tampon entre les domaines de Joux et de Bourgogne35 ». Ainsi, le domaine comtal se répartit harmonieusement au nord-ouest d’une diagonale rejoignant Montbéliard à Lons-le-Saunier, qui prendrait appui sur la vallée du Doubs et les contreforts du vignoble. Il tire profit des axes de pénétration naturels et des principales routes. En revanche, à l’exception de la position avancée que constitue Pontarlier, toute la montagne et les hauts plateaux lui échappent toujours. Au fil de la période, il fluctue au gré des opérations foncières réalisées par les comtes, même si l’ossature principale ne se trouve pas remise en question. Aussi, après avoir étudié ses points forts, voyons quel parti ont adopté Eudes IV et Philippe de Rouvres pour mener leur politique domaniale.
2. Les modifications Achats, ventes, constitution de rentes, dons gracieux, voire confiscations rythment la vie du domaine comtal et en modifient la composition. Après avoir classé ces différentes opérations foncières, on tentera d’analyser les processus en jeu et de dégager les évolutions sur notre période. a. Acquisitions36
Les principaux achats de terres effectués sous le principat d’Eudes IV sont ceux des châtellenies de Chissey et de Fondremand, respectivement acquises d’Henri de Bourgogne pour le prix de 3 000 l. et de 5 000 l. estevenantes le 10 mai 133337. Ils sont complétés par l’achat d’un domaine à Santans, vendu à ce prince par Aubriet d’Oricourt en 1346 moyennant 70 l.38. Une pièce de terre, sans doute assez conséquente
34 Jougne, Doubs, ar. Pontarlier, c. Frasne. 35 M.-Th. ALLEMAND-GAY, Le pouvoir…, op. cit., p. 190. 36 Voir carte 1 en annexe. 37 ADD, 1B 340 (5,6,7), copies de 1362, publiées par U. Plancher, Histoire…, op. cit., t. II, preuve CCLVIII ; ADD, 1B 351 (copie de 1362). 38 ADD, 1B 405 (10). Ce domaine se compose de vingt-quatre journaux et demi de terre, cinq soitures de pré, un bichot de froment et un autre d’avoine sur les revenus de Santans, ainsi que 10 l. de rente viagère sur les tailles du lieu.
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au regard de son prix de 120 l. estevenantes, vient parfaire ce tableau le 2 mai 134839. Elle est sise à Vadans et Grozon et appartenait à l’ancien chapelain de la duchesse Guillaume Bonete de Salins, Les achats fonciers du temps de Philippe de Rouvres sont un peu plus nombreux, six au total. Les plus importants sont ceux des châtellenies de Vadans et de Montby40. La première a été acquise de Marguerite de Vergy, comtesse de Valentinois, en 1357. Le versement comptant de 4 000 florins s’accompagne d’une rente viagère de 700 l41. Guillaume de Montby renonce à la seconde le 14 mars 1359 pour 600 florins or, 120 florins supplémentaires de rente annuelle et quelques avantages dont le paiement de ses dettes et l’intégration à l’hôtel ducal42. Nos ducs ont également cherché à récupérer des rentes constituées sur les revenus du domaine à Santans (1346)43, Lavans (1348)44, Brainans (1357)45, Dole (1357)46, La Loye (1358)47. S’ils déboursent pour parfaire leurs assises territoriales des espèces sonnantes et trébuchantes, ils n’hésitent pourtant pas à recourir également à la confiscation. b. Confiscations
La confiscation la plus marquante opérée par Eudes IV est sans nul doute celle de la châtellenie de Montrond, aux dépens d’Henri de Bourgogne48. Ce duc a également
39 ADD, 1B 407 (4 et 13). 40 Comm. Gondenans-Montby, Doubs, ar. Besançon, c. Baume-les-Dames. 41 ADD, 1B 407 (17), copie du 23 mai 1358. Cet acte du 15 juillet 1357 correspond à l’assiette de la rente, postérieure à la vente proprement dite. 42 ADD, 1B 469 (2), copie du 11 avril 1359. 43 ADD, 1B 405 (10). 44 Une rente de 9 l. estevenantes sur la pêcherie du lieu, échangée avec Nicolas de Florence contre l’emplacement d’un moulin entre La Barre et Ranchot ( Jura, ar. Dole, c. Mont-sous-Vaudrey), avec permission de le reconstruire ; ADD, 1B 377 (4). 45 Une rente annuelle de 10 l. estevenantes dues par les habitants pour la taille, achetée à un écuyer de Poligny pour 100 l. estevenantes ; ADD, 1B 426 (5 et 6). Le n° 6 est une copie du 18 août 1362. 46 Une rente annuelle de 10 l. sur les rentes comtales, tenue en fief du duc ; ADD, B 345 (6). 47 Une rente annuelle de dix bichots de blé prélevés sur les habitants du lieu, achetée 150 florins ; ADD, 1B 363 (11). 48 BnF, Moreau 900, fol. 317v-318, 335v ; ADCO, B 306 ; ADD, 1B 17 ; ADD, 1B 376 (6). Montrond ( Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Champagnole) entre dans le patrimoine de Jean Ier de Bourgogne après la mort du comte Othon suite à un accord avec Philippe le Bel ; M. Bubenicek, « De Jean l’Aîné… », art. cit., p. 269. La reine Jeanne l’a donné à son fils Henri et à ses héritiers mâles, comme le rappelle Philippe de Rouvres dans un acte de 1357 ; ADD, 1B 376 (8). Il stipule que Jean II, fils d’Henri, a pu en fournir la preuve écrite. Mais Henri de Bourgogne semble n’en avoir eu la jouissance que par intermittence. Une première mainmise ducale a lieu au début de 1336. Le bailli donne l’ordre de prendre possession du château le jour des Rameaux, soit le 24 mars, et une garnison de 4 sergents y siège entre le 27 janvier et le 30 avril, date à laquelle il est restitué à son détenteur (BnF, Moreau 900, fol. 317 v°-318 et 335 v°). Mais, bien qu’Henri de Bourgogne « en mourût saisi et vêtu », cette mesure n’a pas été longtemps suivie d’effets : le château est encore une fois saisi par le duc au décès d’Henri, selon un témoin de l’époque (M. Bubenicek, « De Jean l’Aîné… », art. cit., p. 276, note 91), ce qui explique qu’il soit rendu à sa veuve Isabelle de Villars, au nom de ses enfants, le 23 février
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mis la main sur celles de La Rochelle entre 1338 et 134249, et de Beaujeu-sur-Saône et Vellexon entre 1343 et 134850, confisquées à leurs seigneurs respectifs. Plus tard, ce sont Montferrand (1353), Jonvelle (1355), Ancier et Chaux (1358-1360) qui rejoignent ainsi momentanément le domaine comtal51. En 1361, Philippe de Rouvres fait aussi main basse sur des biens plus modestes à Purgerot et Mollans52. c. Aliénations53
Tandis que ces terres entrent dans le patrimoine des comtes, d’autres en sortent régulièrement, par le biais des dons, des ventes et de la constitution de rentes sur le domaine. Les occasions de dons gracieux à des fidèles, par exemple, ne manquent pas. C’est ainsi que le 16 août 1332, le four banal de Fraisans est concédé, avec ses rentes et l’affouage dans la forêt de Chaux pour le chauffer, à l’arbalétrier Estevenin de Chemin54. Le 2 décembre 1346, Hérart du Châtelet et Waltrus de Thuillières, écuyer, bénéficient chacun du don d’une rente annuelle de 20 l. sur les tailles de Jussey55. Quelques jours plus tard, le 10 du même mois, c’est Girard de Beaufremont qui reçoit une rente de 60 l. estevenantes sur les hommes de Port-sur-Saône56, tandis qu’est attribuée en avril suivant à Fromond de Toulongeon, chevalier, une rente viagère de 60 l. sur les revenus de Dole57. Eudes IV est alors en guerre contre les barons comtois et donc soucieux de s’attacher des partisans. Les établissements religieux,
1341 ; ADD, 1B 376 (6). Une nouvelle mainmise dut avoir lieu puisque, le 17 août 1357, le duc Philippe doit réinvestir son fils Jean II de ce fief, et ne peut que constater que son « tres chier seigneur et aïeul le duc Eude de Bourgoigne dont Dieu ait l’ame ai tenu le dit chastel par long temps paisiblement au veu et au sceu de tous », ainsi que ceux qui l’ont gouverné en son nom depuis la mort de ce dernier. Mais cette restitution se fait à des conditions très restrictives, que vient justifier l’affirmation selon laquelle ce château appartenait au duc « de droit et de raison ». Jean doit à la demande le tenir ouvert aux troupes ducales, et ne peut réclamer aucun dédommagement, que ce soit au titre des revenus non perçus, des réparations non effectuées ou des dommages commis. Le château retournera au domaine si Jean n’a pas de descendance masculine directe, ce qui sera le cas. Il ne peut de plus le vendre ou l’aliéner sans autorisation écrite du comte ; ADD, 1B 376 (8). Jean II concevra quelque amertume de ces mesures drastiques et fera malgré tout réclamation de 2 000 l. de pertes liées à la prise de Montrond en 1359 ; M. Bubenicek, « De Jean l’Aîné… », art. cit., p. 276 et « Noblesse… », art. cit., p. 398. 49 ADCO, B 1062 (1). La Rochelle, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Jussey. 50 ADD, 1B 420 (10) ; ADD, 1B 3068. Beaujeu-Saint-Vallier-Pierrejux-et-Quitteur, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Scey-sur-Saône-et-Saint-Albin ; Vellexon-Queutrey-et-Vaudey, idem. 51 ADD, 1B 470, 1B 355 (11) et 1 B 414 (9-13). Montferrand-le-Château, Doubs, ar. Besançon, c. Besançon-6 ; Ancier, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Gray ; Chaux-la-Lotière, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Rioz. 52 ADD, 1B 482 (11), copie de 1362 ; ADD, 1B 2012, fol. 54-54v. Purgerot, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Jussey ; Mollans, Haute-Saône, ar. Lure, c. Lure-2. 53 Voir carte 2 en annexe. 54 ADD, 1B 352 (5) ; ADCO, B 1058 (vidimus du 9 octobre 1334). 55 ADCO, B 1062 (1) et ADD, 1B 358 (11). 56 ADCO, B 1065 (vidimus du 15 décembre 1346). 57 ADD, 1B 3442 (6).
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traditionnels destinataires de dons, font en comparaison figure de parents pauvres : nous n’avons relevé qu’un geste de ce duc, en faveur des chanoines de la chapelle de Gray58. Cette disparité invite à se pencher sur le contexte entourant les opérations foncières réalisées par les ducs-comtes. d. Conditions de ces modifications Acquisitions
Les occasions d’acquisition sont variées. Il y a bien entendu les achats proprement dits, pour lesquels il n’est pas toujours évident de trouver un financement immédiat lorsque la somme en jeu est élevée. Par exemple, pour acquérir la terre de Vadans, pour laquelle 8 000 florins sont au départ promis, ce qui est énorme, on doit requérir un don auprès des habitants les plus proches, de Colonne et des environs59, même si finalement on ne versera que 4 000 l. au comptant. Les tractations sont parfois délicates et le recours à un intermédiaire peut aider à les conclure dans de bonnes conditions. Par exemple, Jean de Gevigney se voit gratifié de 50 florins par le duc pour avoir aidé à passer le contrat d’achat de la châtellenie de Montby60. Parfois, un échange a lieu, satisfaisant les deux parties : cette formule a convenu à Nicolet de Florence en 1334, puis en 1348, qui a préféré exploiter directement des terres et des moyens de production (des moulins) plutôt que percevoir des rentes, dont le versement laissait peut-être à désirer61. Des terres échoient aussi au duc-comte par le droit du seigneur. C’est le cas des biens des bâtards. Mais il y a là matière à conflit avec les seigneurs hauts justiciers, qui s’appuient sur la coutume du comté, selon laquelle ces biens doivent leur revenir de droit lorsqu’ils sont de leur ressort. Il subsiste à ce sujet un document fort intéressant daté du 1er septembre 1376, relatif à un conflit porté devant les assises de Gray le 10 février de la même année, au temps de Marguerite de Flandre62. Hugues, seigneur de Rigney, dispute la possession des villages de Valay et Lieucourt63 à Guiot de Montbozon. Celui-ci soutient que le duc Eudes, qui les avait reçus après la mort du bâtard Jean de Rigney, les lui avait donnés. On conserve effectivement un acte de vente de 1347 au profit de Guiot de Montbozon et touchant la seigneurie de Valay64. Mais ce dernier ne peut le fournir, et le seigneur de Rigney affirme que son père a été en possession des deux villages. Il a finalement gain de cause, d’autant plus que la
58 Ils reçoivent, le 5 août 1334, un ensemble – certes conséquent – composé des fours et moulins de Gray, Santans, Champvans et Sampans, avec l’affouage pour le chauffage et l’entretien de ces biens, des revenus de la halle et de l’éminage de Gendrey, doublés de 20 l. de rente sur les tailles de Velesmes ; ADD, 1B 585, fol. 220v-221v. 59 ADD, 1B 407 (14), acte du bailli du mercredi après la Saint-Denis (11 octobre) 1357. 60 ADD, 1B 469 (6), acte ducal du 4 décembre 1359. 61 BnF, Moreau 1046, fol. 1 et ADD, 1B 377 (4). 62 ADCO, B 1065. 63 Lieucourt, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Marnay. 64 ADD, 1B 3035, 12 mai 1347.
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comtesse, qui ne semblait pas au courant de la provenance de l’héritage, les lui avait rendus par une lettre de rémission après une mainmise passagère. Mais elle garde néanmoins la haute main sur ces domaines, son procureur affirmant que la succession des bâtards appartient à la comtesse. Une autre façon moins litigieuse de gonfler le patrimoine comtal est de recourir au prêt sur gage, en cas de non-remboursement du débiteur. Si le procédé était courant au siècle précédent, nous n’en avons pas d’exemple direct pour notre période. On peut simplement suspecter Eudes IV d’y avoir recours de façon déguisée lors de ce qui est officiellement une vente en bonne et due forme de la part d’Henri de Bourgogne pour ses domaines de Chissey et de Fondremand. On a vu plus haut que le cousin de la duchesse avait remis ces biens à son époux en gages d’une dette de 8 000 l. Or, justement, le montant cumulé des deux ventes, réalisées qui plus est le même jour (le 10 mai 1333), correspond à cette somme, ce qui n’est sans doute pas le fruit du hasard65. Henri, apparemment à cours d’argent, se laisse d’ailleurs la possibilité de racheter Chissey dans le mois qui suit en cas d’embellie financière. Le terme de « vente » ne serait alors qu’un euphémisme destiné à ménager sa susceptibilité. Que récupèrent nos ducs par cette politique d’achats ? Si l’on excepte les grosses acquisitions de Montby et de Vadans par Philippe de Rouvres, qui touchent de nouvelles châtellenies entières, avec hommes, terres et fiefs, ils ont plutôt montré le souci de compléter les biens déjà intégrés au domaine, densifiant l’emprise comtale pour une meilleure cohérence de l’ensemble. Ils font ainsi porter leurs efforts sur la zone autour de Dole et de la forêt de Chaux66, déjà bien maîtrisée, privilégiant la récupération de rentes en nature et surtout en argent, peut-être autrefois aliénées pour récompenser des fidèles. Ils ne négligent pas pour autant les ressources en hommes taillables ou censables là où ils le peuvent, comme on le voit à Apremont et aux environs. Confiscations
Autre moyen de se procurer des ressources à moindres frais : la confiscation, largement pratiquée par nos ducs. Si la motivation principale est pour la plupart des cas de nature stratégique face à des forteresses d’une importance capitale pour le contrôle de la province en ces temps troublés67, la manœuvre peut s’avérer d’un bon rapport. Les revenus des châtellenies tombent dans l’escarcelle ducale tant que
65 ADD, 1B 340 (5, 6, 7) et 1B 351. 66 Notons que s’il y a aliénation dans ce secteur, comme en 1332 pour le four de Fraisans (ADD, 1B 325 (5) et ADCO, B 1058), le duc se ménage la possibilité de récupérer ces biens à moindres frais (80 l. pour 10 l. de rente, ce qui est une estimation basse). Il est vrai qu’en revanche la dotation des chanoines de la chapelle de Gray est inaliénable ; ADD, 1B 585, fol. 220v-221v. 67 Jonvelle et La Rochelle contrôlent l’accès au comté par le nord-ouest, Beaujeu et Vellexon complètent le dispositif de surveillance des passages de la Saône entre Gray et Port, Montferrand commande la vallée du Doubs en aval de Besançon et Montrond constitue le débouché naturel des hauts-plateaux jurassiens, tenus par Jean de Chalon-Arlay, sur le vignoble, où le domaine comtal est riche et bien implanté.
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dure la mainmise, comme l’attestent les extraits de comptes en copie conservés pour Beaujeu et Vellexon entre 1343 et 134868, ou l’arrêté des comptes du châtelain de La Rochelle consigné à Dijon en 134169. Le seigneur de ce dernier lieu est par la suite autorisé à percevoir les rentes de son bien, quoique toujours en la main d’Eudes IV, qui donne l’ordre d’ôter ses sergents au bailli et au prévôt de Jussey70. Geoffroy de Beaujeu n’a pas cette chance et doit quitter le duc de tous les revenus perçus pendant sa mainmise71. Pierre de Silley en revanche pourra jouir de ses biens de Chaux et d’Ancier pendant la mainmise (qui s’étend de la mi-Carême 1358 au 2 juin 1360), et on lui rendra ceux qui ont été confisqués72. C’est pourquoi le trésorier est requis par le duc de lui verser 60 l. prélevées sur sa terre, bientôt ramenées à 40 l., selon l’estimation de Pierre de Silley lui-même73. Il reçoit cette somme le jour de la levée de la confiscation, alors que la terre a rapporté en tout 124 l. 11 s. 3 d. estevenants74. On voit que Philippe de Rouvres, dans sa clémence, a néanmoins réalisé un bénéfice substantiel. Quels sont les prétextes qui viennent justifier ces confiscations ? Reconnaissons que souvent, ils restent obscurs, comme cela est le cas pour Montrond, et que les seules causes évoquées sont de « certaine[s] et juste[s] cause[s] »… Moyen commode, outre de disposer de points stratégiques, de discipliner la noblesse. Parfois on allègue que le seigneur du lieu a « méfait ». Ainsi, Pierre de Silley a abrité illégalement des officiers de la comtesse de Flandre capturés par les « enfants de Thoraise », et n’a pas versé entièrement la caution qu’il devait pour cela fournir en justice75 ; le sire de La Rochelle a quant à lui fait prisonnier Henri seigneur de Conflandey76. Dans ce cas, la confiscation vient sanctionner un recours illicite aux guerres privées. Souvent la commise est de nature féodale, pour défaut de reprise de fief, comme à Montferrand après la mort du seigneur du lieu, qui a été assassiné et ne laisse pour héritières que deux jouvencelles, d’ailleurs prises en charge par le duc77, ou à Purgerot où il n’y a point de « desserveur » du fief. Le cas du domaine de Mollans est intéressant : ici, le trésorier de Vesoul a « mis en notre main et appliqué en notre domaine », dit Philippe de Rouvres, des biens qui appartenaient à la fille d’un écuyer du lieu, mariée à un roturier. La fille de ce couple, héritant de la vile condition de son père, ne peut donc pas prétendre à ce fief, mais le duc-comte leur concède ce domaine, à elle et à son 68 ADD, 1B 3068. 69 ADCO, B 1390, fol. 65. La somme de la recette d’argent est de 263 l. 7 s. 4 d., en monnaie d’Auxonne. Elle comprend le produit de la vente des blés, des fèves, du vin, des gélines, et 30 l. de cire. On recommande même au châtelain de dorénavant lever les taxes en monnaie estevenante, plus forte que la monnaie d’Auxonne. 70 Le 25 septembre 1342 ; ADCO, B 1062 (1). 71 ADD, 1B 420 (10), le samedi après Noël (27 décembre) 1348. 72 ADD, 1B 414 (9 et 10), 27 décembre 1358 et 26 janvier 1359. 73 ADD, 1B 414 (11 et 12), 19 mai et 12 août 1359. 74 ADD, 1B 414 (13), 2 juin 1360. 75 ADD, 1B 414 (9). 76 ADCO, B 1062 (1). 77 ADD, 1B 470 (2 et 3), janvier 1353.
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père, moyennant le versement de 60 florins d’entrée, et le paiement d’un cens annuel de 4 l. de cire78. Le fief de Purgerot, lui, ne change pas de statut, mais il est remis au maître de l’écurie ducale Jean de Coublanc le 20 juin 1361, après être resté longtemps en la main du duc79. Aliénations
Ces diverses acquisitions constituent en effet un moyen commode de récompenser des fidélités. C’est ainsi que deux mois après être entré dans le domaine comtal, le château de Montby est donné en fief à Thibaut, sire de Blâmont, en mai 135980. En 1347 déjà, Eudes IV revendait à Guiot de Montbozon, maître de l’écurie de la duchesse, la seigneurie de Valay, échue de la succession d’un bâtard, et les possessions de Chargey, récemment acquises du seigneur de Dampierre-sur-Salon81. Lorsqu’ils ne semblent pas importants pour la stratégie domaniale qui privilégie la compacité ou la défense, les biens circulent vite. Ils sont très utiles pour rémunérer les officiers : Ougney est ainsi remis par Eudes IV au bailli Jean de Montaigu82, Esnans au châtelain de Baume83. Notons qu’Ougney n’est conféré qu’à titre viager, ce qui permettra de le remettre dans le circuit à la mort de son détenteur. On pourrait encore citer le don, viager également, d’une rente de 13 l. à Purgerot en faveur du maître de l’écurie ducale Jean de Coublanc le 20 juin 136184. L’aliénation de portions du domaine intervient fréquemment aussi en dédommagement de pertes de guerre : pour Jacques d’Arguel, dont le château a été détruit par les barons révoltés lors des affrontements de 1336 (on préfère lui donner Colonne, position centrale sans danger, plutôt qu’Ornans, porte d’accès vers la montagne, qui lui avait été d’abord remis, d’autant plus que le château revient bientôt à sa veuve)85, pour
78 ADD, 1B 2012, fol. 54-54v, 20 octobre 1361. 79 ADD, 1B 482 (11). 80 ADD, 1B 469 (3). Thibaut comte de Blâmont (Meurthe-et-Moselle, ar. Lunéville, c. Baccarat) fait partie, avec les Beaufremont, de ces grands seigneurs versatiles, vassaux du comte de Bar, dont il convient de gagner la fidélité par des séductions financières et politiques. Il se laisse la même année acheter par Yolande de Bar et rentre à son conseil (M. Bubenicek, « Au “conseil Madame”. Les équipes de pouvoir d’une dame de haut lignage, Yolande de Flandre, comtesse de Bar et dame de Cassel (1326-1395) », Journal des Savants (juillet-décembre 1996), p. 349). Mais, autre interprétation possible et sans doute plus vraisemblable, peut-être s’agit-il plutôt du fils de Thibaut V de Neuchâtel, qui a été sire de Blamont (Doubs, ar. Montbéliard, c. Maîche) avant de prendre la succession de son père en 1366. Montby est en effet un fief des Neuchâtel dans la seconde moitié du xive siècle, voisin de leurs possessions initiales dominant la vallée du Doubs à la hauteur de Pont-de-Roide. 81 Pour le prix de 300 petits florins or (ADD, 1B 3035). Valay, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Marnay. Chargey-lès-Gray, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Dampierre-sur-Salon. 82 ADD, 1B 383 (4). Ougney, Jura, ar. Dole, c. Authume ou Ougney-Douvot, Doubs, ar. Besançon, c. Baume-les-Dames. 83 ADD, 1B 2492 (copie moderne). Esnans, Doubs, ar. Besançon, c. Baume-les-Dames. 84 ADD, 1B 482 (11), copie du 27 avril 1362. 85 ADD, 1B 342 (4 et 5), ADD, 1B 416 (18) et ADCO, B 1064.
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Guillaume de Tourmont, puis sa veuve également86, pour Jean d’Igny87. Remarquons que dans ce cas comme dans celui des étangs et des tailles de Colonne, certainement d’un très bon rapport, le duc se réserve la possibilité de racheter le don. Les biens domaniaux servent donc à pallier un manque de numéraire, permettent d’étaler dans le temps les versements de revenus, et sont bien souvent considérés comme hypothéqués plus que définitivement aliénés. La clause de rachat est incluse de la même façon dans le don fait à Girard de Beaufremont d’une rente sur les hommes de Port-sur-Saône88 comme dans celui du four de Fraisans à Estevenin l’Arbalétrier89. Tous ces exemples datent du principat d’Eudes IV, qui a apparemment fait grand usage de cette méthode commode en une période où les besoins étaient importants tant il était capital de gagner des fidélités. Philippe de Rouvres, pour qui l’achat de Vadans et de Montby occasionne de gros frais, procède de même en affectant les revenus du domaine au paiement d’une partie du prix de ces acquisitions, sans clause de rachat ici. Mais il est des ventes qui ne sont en fait que des emprunts sur gages, comme celle de Ravilly à Perrin Genin, châtelain de Château-Chalon, le 21 novembre 134790 ou celle de la rente sur les gîtes de Cendrey et Authoison cédée le 28 novembre 1360 à l’abbaye Saint-Paul de Besançon pour 800 florins91 ; c’est aussi le cas pour la châtellenie de Scey en 1359, pour laquelle on ne fait que changer de prêteur ! Autrefois engagée pour 3 000 l. à Huguenin de la Salle, elle est rachetée le 18 septembre par Thibaut de Scey moyennant 4 200 florins or92. Thibaut de Scey est par cette manœuvre en droit d’espérer réintégrer le domaine aliéné par ses aïeux et n’a pas intérêt à être remboursé. Il a toutes ses chances, étant donné que les sommes engagées dans ces dernières transactions sont très lourdes, et témoignent de difficultés financières croissantes à la fin du principat de Philippe de Rouvres, qui en viennent à menacer l’intégrité du domaine. Tentons d’établir une balance des paiements. Bilan
Le graphique indique l’échelle des montants consacrés aux acquisitions mis en rapport avec ceux des ventes, le tout en livres estevenantes. On a dû pour l’établir
86 Le don porte sur divers biens à Bersaillin ( Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Bletterans) pour une valeur de 15 l. ADJ, 1F 306, fol. 12v ; ADD, 1B 407 (14) et 1B 421 (17). 87 BnF, Lorraine 713, fol. 241 et ADD, 1B 490 (2). Il reçoit le château de Saint-Loup et ses revenus. Il s’agit de Saint-Loup-Nantouard (Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Gray). Le seigneur d’Igny (idem) en est le voisin immédiat. C’est sans doute par erreur que cette quittance, accompagnée de deux extraits des comptes généraux de 1337-1338 et 1354-1355, figure dans le volume de la collection de Lorraine, au sujet d’un procès touchant les terres de surséance. On aurait alors confondu cette localité avec Saint-Loupsur-Semouse (Haute-Saône, ar. Lure, ch.-l. c.). 88 ADCO, B 1065. 89 ADD, 1B 352 (5) et ADCO, B 1058. 90 Pour 500 florins. ADD, 1B 527 (16). Ravilly : localité non identifiée. D’après E. Petit, Histoire…, op. cit., t. VIII, p. 460, il s’agirait de Revigny ( Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Poligny). 91 ADD, 1B 332 (8). Cendrey, Doubs, ar. Besançon, c. Baume-les-Dames ; Authoison, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Rioz. 92 ADD, 1B 406 (16).
assi se s t e rri to ri ale s 9000 8000 7000 6000 5000 Achats
4000
Ventes
3000 2000 1000 0 1330-1349
1349-1361
Fig. 3. Montants des transactions domaniales sous Eudes IV et Philippe de Rouvres
convertir les florins de Florence dans cette monnaie, selon le rapport donné par Maurice Rey, un florin égale 15 sous93, qui est aussi celui préconisé par l’abbé du couvent de Saint-Paul de Besançon en 136094. La différence des profils entre les deux périodes retenues est frappante. 8 190 l. d’achats pour 600 l. rapportées par les ventes sous Eudes IV ; 3 839 l. d’achats pour 3 750 l. de ventes pour ses successeurs, soit dans ce dernier cas une balance des paiements quasiment en équilibre, alors qu’entre 1330 et 1349 les acquisitions se montent à plus du double de celles réalisées par la suite95. L’important déséquilibre entre les achats et les aliénations dans la première période doit être notablement tempéré, car il ne tient pas compte des assignations de rentes pour dommages de guerre ni des dons aux fidèles, qui ont pourtant un coût, alors que Philippe de Rouvres, dans un contexte différent, a plutôt préféré la vente pour se procurer des liquidités. Il y a certainement néanmoins un changement d’échelle : vers moins d’acquisitions, et plus d’aliénations,
93 M. Rey, « La monnaie estevenante des origines à la fin du xive siècle », Mémoires de la Société d’émulation du Doubs (1958), p. 56. 94 ADD, 1B 332 (8). L’abbé stipule que le duc peut racheter la rente sur les gîtes de Cendrey et d’Authoison qu’il lui a vendue pour 800 florins ou 600 l. estevenantes. Le montant de cette vente est d’ailleurs plus qu’un prix d’ami, car la rente n’est que de 30 l. En effet, la valeur brute d’une rente est en générale de dix fois son rapport. L’abbé l’a donc payée le double, soit qu’il veuille être agréable au duc, soit qu’une très forte motivation le pousse à s’implanter sur les terres de son rival. Saint-Paul de Besançon entre en effet en compétition sur ce terrain avec l’abbaye de Bellevaux, à qui le seigneur d’Authoison avait légué ses biens au début du xiiie siècle. Bellevaux est une abbaye cistercienne sur la commune de Cirey, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Rioz. 95 Il est vrai que la fourchette chronologique est plus large, ce qui atténue un peu l’écart avec la période 1349-1361.
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même si le second duc-comte pratique aussi l’assignation de rentes (pour compléter le prix d’achat de Montby et de Vadans ou dédommager la veuve de Guillaume de Tourmont) qu’il n’est guère possible de comptabiliser dans ce graphique. Peut-on s’autoriser à voir là un changement dans le rapport du comte avec son domaine ? La terre ne serait plus perçue comme un moyen pour augmenter sa puissance, dans une dynamique d’expansion foncière et féodale96, mais comme un outil de financement comme un autre de la politique ducale. On irait vers une rationalisation de la gestion du domaine, de pair avec une modernisation des mentalités. Ainsi, les assises domaniales du comté de Bourgogne sont globalement restées stables, et toujours cantonnées à la plaine ou aux collines, en dépit de variations de détail. Elles représentent un atout capital pour les princes, qui ont su en préserver la cohérence, en jouer pour se créer des clientèles, puis afin de se fournir en numéraire. On a pu mettre en lumière l’existence d’une véritable politique patrimoniale chez Eudes IV comme chez son petit-fils, qu’ils ont su adapter aux nécessités du temps. Ce souci de gestion des bases territoriales du pouvoir comtal se traduit à plus petite échelle par un maillage administratif du domaine, réparti entre diverses entités complémentaires dont il convient d’étudier l’articulation.
96 Notons que les dons gracieux, qui disparaissent presque complètement sous Philippe de Rouvres (hormis deux exemples) et donc caractéristiques de la politique d’Eudes IV, s’accompagnent pour la plupart de l’obligation d’hommage pour les bénéficiaires.
Chapitre III
Une administration héritée Le comté de Bourgogne au xive siècle, comme les principautés du temps, juxtapose des unités de gestion domaniale plus ou moins anciennes : mairies, prévôtés, châtellenies. Souvent elles viennent se superposer les unes aux autres, aussi bien dans l’espace qu’en ce qui concerne les attributions relatives aux agents qui en ont la charge, ce qui rend difficile leur appréhension.
1. Mairies Les mairies sont des entités anciennes. Elles correspondent au xiiie siècle à des fiefs héréditaires de grand profit, le maire, officier de basse justice et de police, percevant une fraction des amendes et des collectes levées par ses soins1. Nos sources n’en gardent que peu de traces pour le xive siècle. On peut seulement relever quelques groupes géographiques de mairies. Dans les environs d’Arbois, on situe la première mention d’une mairie à la Châtelaine en 1310-1311, où un certain Renaud tient à ferme le four (pour 6 l.), le moulin et les amendes (pour 15 l.), ainsi que des terres labourées (moyennant un fixe en froment)2. Il ne semble donc pas ici s’agir d’un fief à proprement parler, au contraire de la mairie voisine de Montigny-lès-Arbois3, qui ne peut être donnée par Marguerite de Flandre au maître de son hôtel, le 25 mars 1357, qu’avec l’assentiment de Philippe de Rouvres, en tant que seigneur du fief4. La donation qu’en fait plus tard le bénéficiaire à l’église d’Arbois, en 1388, nous éclaire quant à la nature des revenus compris dans la mairie : des sujets, des cens, les droits des ventes, du four, la basse justice avec les amendes de 3, 6 et 60 sous, les amendes arbitraires et la moitié de celles infligées aux mésusants de la forêt Mouchard. L’acte précise que ne sont pas inclus dans ces droits la haute justice, l’ost, la chevauchée ni la taxe sur le guet de la ville d’Arbois5. On connaît également le maire de Montigny, prénommé Jean, pour l’année 1344-1345, grâce à un compte de ses dépenses « pour le fait de la justice6 ». On y apprend que c’est au maire qu’incombent la fourniture des chars et l’entretien des hommes qui les conduisent, tâche spécifique que l’on retrouve au fil d’autres documents.
M.-Th. Allemand-Gay, Le pouvoir…, op. cit., p. 62-63. ADD, 1B 75, fol. 15v-17. Aujourd’hui Montigny-lès-Arsures. ADD, 1B 371 (3). Cette donation est destinée à aider Humbert de la Platière à maintenir l’état de chevalerie que lui a fait embrasser la princesse en récompense de ses services comme maître de son hôtel. Le duc y consent le 28 septembre 1359. 5 ADD, 1B 371 (4). 6 ADD, 1B 131 (3). 1 2 3 4
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C’est le cas pour les maires de Sampans et Champvans en 1332-1333, qui reçoivent ordre du prévôt de Dole d’organiser le charroi de tuiles7. Les alentours de Dole sont en effet riches en mairies. On en trouve une également à Lavans8, à Villette-lèsDole9 ainsi qu’à Orchamps : en 1358-1359, Guiot, maire de ce lieu, perçoit pour le trésorier d’Aval les tailles de l’année, en deux termes, 20 l. à la mi-Carême et 22 l. à la Saint-Étienne d’août (3 août)10. On connaît par ailleurs ce personnage qui a fait l’objet d’une enquête du bailli en 1353, peut-être en raison d’une gestion douteuse, et à l’issue de laquelle il a été condamné à payer une amende de 100 florins11. Cette somme élevée témoigne de l’aisance de ces maires, déjà relevée à Montigny-lès-Arbois, dont la mairie permet de couvrir l’entretien d’un chevalier. Guiot, maire d’Orchamps, est peut-être ce même Guiot d’Orchamps qui, en 1341, amodiait les moulins de Cincens pour 40 l. par an, et que l’on voit reprendre son fief (la mairie ?) du duc Philippe le 6 janvier 135712. Aisance à relativiser toutefois : les moulins lui ont été retirés car il était dans l’impossibilité de « bien payer ne remettre les choses en estat » comme le faisait son prédécesseur13. Dans la haute vallée du Doubs, des mairies sont attestées à Baume, Clerval et Hyèvre14 par les comptes de 1332-1333. Le maire y apparaît comme un auxiliaire du prévôt, qu’il le remplace en cas de maladie pour se rendre auprès du bailli15, ou qu’il l’accompagne dans une chevauchée16. Le rôle militaire des maires semble en effet s’affirmer, notamment dans la zone frontière de Montjustin. Le 17 mars 1346, des lettres partent de ce lieu vers les maires d’Aillevans, Arpenans, Les Aynans, Vy, Mollans et Bouhans17, afin qu’ils y fassent venir leurs sergents pour qu’on les équipe. Le 1er novembre, c’est pour le mettre en garde contre les ennemis qu’on écrit au maire de Bouhans18. En 1355, à la fin avril, le maire de Fontenois19 se présente à Montjustin au mandement du gardien dans la troupe du prévôt de Montbozon pour le service du roi20.
7 ADD, 1B 791, fol. 12v. 8 Ibid., fol. 13v. 9 ADD, 1B 73 (7). Le 14 mai 1354, le maire Perresier de Gevry rétribue un homme du village qui a réalisé la façade du four. 10 ADCO, B 1406, fol. 3. 11 ADD, 1B 73 (4). 12 ADD, 1B 3, fol. 3-8v, publié par Fr.-F. Chevalier, Mémoires…, op. cit., t. II, preuve n° 62 (2). 13 ADCO, B 1390, fol. 61v. 14 Hyèvre-Magny ou Hyèvre-Paroisse, Doubs, ar. Besançon, c. Baume-les-Dames. 15 Comme Le Blanc, maire de Baume, le mercredi après Occuli (10 mars) 1333 ; ADD, 1B 791, fol. 8. 16 Ainsi se rendent à Mandeure, fin septembre 1333, le maire d’Hyèvre et celui de Clerval, respectivement avec les prévôts de Baume et de Clerval ; ADD, 1B 79A1, fol. 20 et ADD, 1B 791, fol 9v. 17 Aillevans, Haute-Saône, ar. Lure, c. Villersexel. Arpenans, Les Aynans, Vy-lès-Lure et Mollans, HauteSaône, ar. Lure, c. Lure-2. Bouhans-lès-Lure, Haute-Saône, ar. Lure, c. Lure-1. 18 ADD, 1B 133B, fol. 25. 19 Fontenois-lès-Montbozon, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Rioz. 20 ADD, 1B 370 (3).
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Il faut nourrir ces contingents, et c’est le maire d’Échenoz21 qui, en 1340, livre pour le gardien à Vesoul « deux bestes grosses et neuf chastrons », à charge de rembourser à ses frais les sujets réquisitionnés, avant de se faire dédommager par le duc22. On trouve également dans le secteur de Gray la mention d’une mairie à Velesmes. Il y a certainement eu, et il y a peut-être encore, un maire à Gray, où nous connaissons le prévôt Jean le Maire de Gray la Ville, dit aussi ailleurs maire dudit lieu. Ceci nous amène à remarquer que la fonction de maire peut apparemment constituer un bon tremplin vers un office de prévôt : Oudet Maire ou Le Maire de Clerval, qui occupe en 1333 la fonction de ce nom ne pourrait-il pas faire une seule et même personne avec O(u)det de Clerval, plus tard prévôt de Baume et de Clerval ? Quoi qu’il en soit, cette étude montre qu’il n’est pas contradictoire de trouver à la fois un maire et un prévôt dans une même localité. Mairie et prévôté ne constituent donc pas vraiment des circonscriptions administratives au sens actuel, et ne correspondent pas à un finage villageois, puisqu’elles ne s’excluent pas l’une l’autre, mais regroupent un ensemble de droits sur ce finage. L’analyse des prévôtés, beaucoup mieux représentées que les mairies dans nos sources, va permettre d’affiner cette question.
2. Prévôtés On s’attachera d’abord à recenser et à situer les prévôtés, avant de préciser à quelles réalités elles correspondent et d’analyser les fonctions de leurs représentants. a. Le maillage du domaine23
Nous avons pu identifier quarante-cinq prévôtés dans le domaine comtal à travers les mentions éparses des comptes et des pièces justificatives. Notons que, parmi elles, celle du bourg communal – ou Bourg-Dessus – de Salins, qui apparaît à plusieurs reprises, doit logiquement relever d’une gestion partagée entre les héritiers de Jean de Chalon l’Antique, et pas seulement du comte. Ces prévôtés semblent assez stables dans le temps, comme permet de l’affirmer la mise en parallèle des comptes du début du xive siècle avec ceux de la période 1330-1361. Curieusement, ces comptes ne recensent pas toujours la totalité de ces organismes, et on peut se demander comment celles qui n’y figurent pas rapportent alors leurs recettes au trésor – en dehors de celles qui relèvent d’Hugues de Bourgogne en 1331 ou de Marguerite de Flandre, pour lesquelles on a une comptabilité séparée. On a vu aussi dans la description du domaine que telle ou telle prévôté peut se trouver momentanément concédée à un autre seigneur, ce que précise bien le compte d’Aubriet de Plaine pour l’année 1358-1359. Une cartographie sommaire de ces prévôtés met en lumière un contraste éclatant entre le nord et le sud de la principauté. Il y a certes des prévôtés partout, et elles sont
21 Échenoz-la-Méline, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Vesoul-1. 22 ADD, 1B 150, fol. 2v. 23 Voir carte 3 en annexe.
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régulièrement réparties sur l’ensemble du domaine, mais la faible densité du réseau nord frappe en regard du maillage très serré de la zone méridionale, notamment autour de la région doloise et de la forêt de Chaux, ainsi que le long du Vignoble. Peut-être en raison d’une occupation plus ancienne et d’acquisitions progressives des premiers comtes dans ces secteurs. Les prévôtés du nord, quant à elles, épousent beaucoup plus la localisation des châtellenies, qui sont sans doute des constructions plus tardives24. Mais à quoi correspondent exactement ces circonscriptions ? b. Nature de la prévôté
Les prévôts constituent un élément à part au sein du personnel comtal. Ils ne sont pas des officiers gagés, mais des fermiers25, et pourtant leurs attributions rejoignent par beaucoup d’aspects celles des autres agents comtaux. Le prévôt, un amodiataire de rentes
Si la prévôté a son champ d’action limité par un finage correspondant à celui de la localité d’exercice, qui peut être étendu aux villages alentour pour certains droits, elle ne consiste cependant pas en une véritable fonction de gouvernement de ce territoire, plutôt dévolue au châtelain, mais en un ensemble de revenus librement perçus sur ce finage par le prévôt et affermés à lui par le domaine moyennant un fixe. Les versements se font en argent et ils sont souvent complétés par de la cire, dont le poids à livrer est défini. La fourchette de valeur des fermages est large, variant entre 7 l. 10 s. payés par Jean de Morey à Apremont pour les deux tiers de l’année 1337-1338, et 700 l. plus 350 livres de cire versées par Guillemin de Montbard pour la prévôté de Dole en 1357-1359, ce qui est compréhensible au vu de l’importance de celle-ci. Le prix est également élevé à Baume : le prévôt Huguenin Triquet paie 620 l. et 310 livres de cire de fermage en 1332-1334, son successeur Jean de Montbéliard 580 l. et 300 livres de cire. Nous n’avons pas de contrats spécifiques à notre disposition, qui pourraient éclairer les modalités de cette concession des revenus du domaine à un particulier, mais elle ne semble pas obéir à des règles immuables, le prévôt pouvant avoir affaire à des interlocuteurs variés. Si pour l’année 1337-1338, c’est l’ancien bailli d’Amont Hugues d’Arc qui institue Jean de Morey prévôt d’Apremont26, Jean de Bonnay, en revanche, tient sa prévôté de Gray du gardien Gauthier de Ray en 134927. Et pour
24 D’après M.-Th. Allemand-GAY (Le pouvoir…, op. cit., p. 330), les châtelains n’apparaissent que vers le milieu du xiiie siècle au comté de Bourgogne, sous l’impulsion de Jean de Chalon l’Antique. 25 Ceci n’est pas le cas dans toutes les principautés. Les prévôts sont par exemple gagés en Forez et en Bourbonnais, et nommés par le pouvoir ducal ; les deux systèmes, gages et ferme, coexistent dans le duché d’Auvergne et en Beaujolais ; O. Matteoni, Servir le prince. Les officiers des ducs de Bourbon à la fin du Moyen Âge (1356-1523), Paris, Publications de la Sorbonne, 1998 (Histoire ancienne et médiévale 52), p. 374. 26 BnF, Moreau 900, fol. 350. 27 ADD, 1B 128.
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Vadans en 1358-1359, un document précise que c’est le trésorier de Poligny qui l’a amodiée à Perrenot de Ruffey, même si deux hommes déjà en place avant l’achat de la seigneurie par le comte ne l’ont pas laissé exercer sa fonction28. Une fois institué, que peut espérer toucher le prévôt sur sa circonscription ? Nous avons connaissance des rentes amodiées dans les diverses prévôtés par les comptes des trésoriers du comté où elles sont précisées. Une constante se dégage : sur toute la période et pour l’ensemble du domaine, les prévôts perçoivent les amendes inférieures ou égales à 60 sous. Elles ne constituent parfois que leur seul revenu, ce qui prouve qu’elles sont assez conséquentes : ainsi à Jussey en 1312-131329, à Montjustin en 1336-133730, et en 1358-1359 à Poligny, Orchamps, Ornans et Grozon31. Sont généralement compris ailleurs les revenus des fours, des moulins, de la halle, comme à Arbois en 1304-130532, à La Loye en 1310-131133. Là où l’activité est plus développée, ainsi à Dole en 1332-1333, viennent s’ajouter des taxes plus spécifiques : péage, liage, éminage34, ventes des foires et marchés35. Ces rentes peuvent présenter une grande stabilité sur toute la première moitié du siècle : au Bourg-le-Comte de Salins, en 1304-1305 comme en 1310-1311 et en 1358-1359, le prévôt perçoit, outre les amendes, les rentes de la halle36 ; à Colonne, il touche les revenus du four, du moulin, de la halle, des sergenteries, des prés « et autres rentes accoutumées à amoisener » en 1310-1312, comme en 1313 et en 1314-1315, date pour laquelle on mentionne également le panage des porcs37. Mais dans d’autres cas, l’amodiation recouvre des réalités changeantes d’une année à l’autre : le prévôt de Jussey, qui ne touchait que les amendes en 1312-1313, se voit attribuer vingt ans plus tard en sus les revenus de la pêcherie, les taxes de bourgeoisie et le prix de la garde du prieuré de Saint-Marcel38. Pour Dole se rajoutent à l’énumération des droits du prévôt en 1358-1359 le banvin et les taxes sur les bancs39. Inversement, ces prérogatives peuvent subir une réduction en raison de la concession de certains revenus à d’autres amodiataires. C’est peut-être pourquoi le champ de perception du prévôt de La Loye s’est rétréci entre 1304-1305 et 1310-1311 ; il a perdu les « batteurs » (moulins à tan ou à drap), les droits de panage dans la forêt de Chaux, du sceau, du poids et divers cens40. Dans le même secteur en 1332-1333, un certain Guillemin Guibert tient à ferme les rentes de La Vieille Loye et
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ADD, 1B 148, fol. 4. ADD, 1B 76 (2) et BnF, fr. 25 993, n° 197. BnF, Moreau 900, fol. 344. ADCO, B 1406, fol. 1, 3, 4v et 5. BnF, Moreau 900, fol. 6. ADD, 1B 75, fol. 7 (copie de BnF, fr. 8551). Droit en nature levé sur chaque émine de grain que l’on mesure. ADD, 1B 79A1, fol. 4. BnF, Moreau 900, fol. 7-7v, ADD, 1B 75, fol. 5 et ADCO, B 1406, fol. 1v. À cette dernière date viennent s’ajouter des tailles. ADD, 1B 75, fol. 25v, 66v et 78. ADD, 1B 79A1, fol. 19v. ADCO, B 1406, fol. 5. BnF, Moreau 900, fol. 8.
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de la verrière de Chaux pour un total de 30 l.41. De même, en 1313 à Arbois, les fours et les moulins du douaire de Mahaut d’Artois se trouvent affermés au « communal » de la ville pour 500 l. annuelles42, et sont donc retirés au prévôt. Cette cohabitation de plusieurs fermiers sur un même finage est courante : en 1333-1334 par exemple, l’éminage et les cens de la Saint-Martin d’hiver de Chariez sont amodiés à une femme pour 43 s. 6 d.43, tandis que la jouissance des revenus du four du marché de Gray est laissée à Girard le Maire moyennant 15 l. 10 s. pour le terme de Pâques44. Le prévôt lui-même cumule souvent l’affermage de la prévôté et d’autres rentes qui font l’objet d’une amodiation séparée. Ainsi à Dole en 1358-1359, il paie en plus 12 d. pour l’exploitation à Sampans d’un curtil où est installé le pressoir ducal, et 25 s. pour divers cens de terres, de vignes et de prés au même lieu45. Les moulins, généralement inclus dans la prévôté, sont parfois comptés à part, comme à Villers-Farlay en 1354-1355 et 1358-1359, où le prévôt Huguenin Plure s’acquitte pour eux d’un fermage supplémentaire qui passe de 11 à 8 l. entre ces deux dates46. À Poligny également, Perrin de Grozon tient les revenus du moulin de Malpertuis pour 31 l. en 1332-133347, et il les conserve l’année suivante alors qu’il a été remplacé à la tête de la prévôté par Renaud Février48. Il amodie en même temps, avec un autre personnage, les dîmes des moissons de 1332 pour 130 quartaux de froment et autant d’avoine49. Parfois, l’exploitation du four donne lieu aussi à une amodiation distincte, comme à Ornans en 1358-135950. On note que le prévôt paie alors 8 l. supplémentaires pour la pêcherie, qu’il amodie lui-même à un autre. Cette pratique de sous-traitance n’est pas rare, notamment en ce qui concerne les mairies et les sergenteries : à Montbozon entre autres, l’amodiation de la prévôté comprend celle de la mairie de Fontenelles, qui vaut 10 l. Comme cette dernière a été restituée au seigneur de Montmartin, le fermage total est ramené à 180 l. au lieu de 190 dans le compte de Richard des Bans pour l’année 1332-133351. On sait aussi qu’à Gray Jean de Morey baille à ferme la mairie de Velesmes, dont le prix est inclus dans la valeur de sa prévôté. Comme elle n’a rien valu en 1346-1347 – les habitants ayant déserté le village, incendié par les ennemis – le trésorier déduit 28 l. de son dû52. À Clerval également, mairie et sergenterie sont amodiées par le prévôt. Ici aussi, la guerre justifie un rabais d’un quart de leur valeur en 133753.
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ADD, 1B 79A1, fol. 4. ADD, 1B 75, fol. 8v. BnF, Moreau 900, fol. 244v. Ibid., fol. 248. ADCO, B 1406, fol. 3v. ADD, 1B 496 (8) et ADCO, B 1406, fol. 3. ADD, 1B 791, fol. 20 et B 79A1, fol. 3v. C’est le prix le plus élevé des moulins de la ville. BnF, Moreau 900, fol. 246. ADD, 1B 79A1, fol. 32v. Parfois certains revenus sont comptés à part peut-être parce qu’ils sont extérieurs au siège de la prévôté. Ainsi Humbert prévôt d’Arbois en 1310-1311 amodie les deux moulins appartenant à La Châtelaine et les amendes de Mesnay pour 100 l. ; ADD, 1B 75, fol. 16. ADCO, B 1406, fol. 1. BnF, Moreau 900, fol. 281. ADD, 1B 126, fol. 5. BnF, Moreau 900, fol. 341v.
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Un fermage modulable
Il faut dire que le prix à payer pour jouir des rentes attachées aux prévôtés n’est pas immuable, mais subit au contraire des adaptations permanentes. Les variations à la baisse sont liées soit au contexte militaire très perturbé du principat d’Eudes IV, comme dans les deux cas précédents54, soit à des réajustements ponctuels, comme à Clerval, où les « vaites » dues par les « prodomes » (apparemment une compensation en froment à payer pour non-prestation du service de guet), qui relèvent pour moitié de l’amodiation du prévôt, n’ont pas été acquittées en 1333, en 1337, ni en 1339, car le guet a été effectué. Le trésorier diminue alors d’autant le prix de la prévôté55. De même, il verse 24 s. estevenants au prévôt de Montmirey, pour le prix d’un bichot de blé, en considération du fait que le moulin dit de l’étang Chapaix, qui fait partie de l’amodiation, a cessé de moudre en Carême, alors que l’on pêchait l’étang56. Henri, prévôt de Fondremand, se voit également consentir un rabais d’un tiers de la valeur de son fermage (le tout estimé à 82 l. 8 s.) en raison de l’incendie criminel de sa maison en 1336-133757. Cet avantage pour cause de pertes encourues peut même être négocié lors de l’amodiation, comme l’a fait Jean de Bonnay avec le gardien pour l’année 1349 : comme il a été envoyé par deux fois en France pour les affaires comtoises, on lui déduit 20 l. sur le prix de son fermage58. Une autre façon de dédommager les prévôts est la pratique du don gracieux par le duc, dont nous avons un témoignage par la mention d’une lettre du 6 janvier 1337 : Perrinet de Grozon, qui a été prévôt de Dole pendant la guerre de 1336, reçoit 40 l. en compensation des dommages subis59. À l’inverse, si l’on estime que la valeur des biens gérés par le prévôt a augmenté, cela se répercute sur son fermage à la hausse. Le compte courant de la Saint-Michel 1333 à Pâques 1334 nous rapporte le cas d’Huguenin Juillet à Grozon, dont le prix de l’amodiation a été majoré de 10 l., alors qu’il avait remis en état les moulins. Il poursuit donc le duc en procès, car on lui a en plus ôté la prévôté, accordée pour deux ans, au bout d’une année. Il semble obtenir gain de cause60. Mais dans la plupart des cas, l’attribution de la perception de revenus supplémentaires explique certainement l’inflation du
54 Aux deux exemples ci-dessus, on peut en rajouter un troisième : à Baume, le prévôt perçoit une rente spécifique, appelée « l’avenerie au prevot de Baume » – certainement une taxe sur les rendements en avoine – sur les villages alentour de Saint-Jean d’Audans, Villers-le-Sec, Poix-de-Veler et Pont-lesMoulins, estimée à 16 bichots 6 penaux d’avoine. En raison des déprédations dont ils ont été victimes pendant la guerre de 1336, le duc en quitte les habitants pour l’année 1337-1338, et le fermage que le prévôt doit pour cette rente, ramené à sa valeur monétaire de 8 l. 5 s., est annulé. Pour les mêmes raisons, Eudes IV a rabattu de moitié l’amodiation de la prévôté elle-même. Mais le trésorier ne consent au prévôt Jean de Montbéliard qu’un rabais du quart de sa valeur. La situation n’est réglée qu’en 1338 ; BnF, Moreau 900, fol. 367v-368 et 372-372v. 55 ADD, 1B 79A1, fol. 20, BnF, Moreau 900, fol. 341-341v et ADCO, B 1055. 56 ADCO, B 11 830. 57 BnF, Moreau 900, fol. 348v. 58 ADD, 1B 128. 59 BnF, Moreau 900, fol. 323v. 60 BnF, Moreau 900, fol. 264.
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fermage, comme on l’a vu plus haut pour Dole, où il passe de 510 l. et 240 livres de cire à 700 l. et 350 livres de cire en vingt ans. Le montant du fermage une fois déterminé, il est en principe acquitté au trésorier, généralement en deux fois, à Pâques et à la Saint-Michel, ce qui donne lieu à l’établissement de deux comptes distincts. Plusieurs quittances nous parlent du « premier compte de Pasques » rendu par les prévôts61, et un compte à la Saint-Michel 1335 est attesté pour Fondremand62. Pour Montbozon, néanmoins, le fermage se paie à la Saint-Jean et à Noël63, tandis qu’à Montjustin, en 1336, le prévôt verse à Noël la moitié de son « amoisonement » au trésorier de Vesoul64. Les paiements en cire, eux, ne s’effectuent qu’à la Saint-Michel, certainement en fonction des exigences de la collecte du produit. Par commodité et pour gagner du temps, il est aussi possible que le versement serve directement à payer les frais en cours, sans passer par la trésorerie centrale. Odet, prévôt de Clerval, remet ainsi au châtelain du lieu le montant de son fermage de Pâques 1339, soit 80 l.65. Perrin Truchet, prévôt de Baume, fait deux versements en argent et en cire, qui englobent chacune des deux échéances de son amodiation de 1338, à Eudes de la Roche pour payer ses gages de guerre. Cette opération est intéressante, dans la mesure où nous en conservons deux traces qui permettent d’appréhender le fonctionnement de la comptabilité par leur recoupement : la première dans le compte du trésorier de Vesoul Richard des Bans rendu à la Saint-Michel 133866, la seconde sous la forme d’une cédule de reçu émise par Eudes de la Roche le dimanche après la Saint-Léger 133867 qui a servi de pièce justificative au prévôt afin d’établir son droit auprès du trésorier. Outre la valeur de son fermage, Perrin Truchet a versé l’argent des tailles de Carême et de la Saint-Étienne, pour un montant total de 300 l. et 229 livres de cire, puis 260 l. et 250 livres de cire. C’est cette dernière somme qui est l’objet de la quittance conservée d’Eudes de la Roche. Le prévôt fait donc office de receveur-payeur. C’est là une de ses attributions parmi d’autres, qu’il convient d’explorer. c. Fonctions prévôtales
Le domaine d’intervention de ces agents est en effet très large, mais toujours au plus près des réalités locales, que ce soit en matière économique, judiciaire ou militaire. Un agent financier
Il faut dire que les prévôts disposent de liquidités abondantes, parce qu’ils perçoivent tous non seulement les amendes attachées à la basse justice dans leur 61 Voir par exemple ADCO, B 1055. 62 BnF, Moreau 900, fol. 345. 63 BnF, Moreau 900, fol. 279v, pour la demi-année courant de la Saint-Michel 1333 à Pâques 1334. 64 BnF, Moreau 900, fol. 344. 65 ADCO, B 1055. 66 BnF, Moreau 900, fol. 367-367v et 371v. 67 ADCO, B 1055.
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circonscription, et cela pour leur propre compte, mais aussi les revenus qui reviennent au prince par leur intermédiaire. C’est le cas des tailles pesant sur les habitants, qu’ils lèvent et versent ensuite au trésorier68 (ou qu’ils utilisent pour des paiements aux agents comtaux, comme on l’a vu dans le cas d’Eudes de la Roche69), des dîmes des vins70, du panage des porcs71, mais aussi des épaves72 ou de la succession des bâtards73, voire de certaines amendes, qui excèdent vraisemblablement les 60 sous74. Des levées plus exceptionnelles peuvent également leur être confiées : une « quise » opérée à Baume75, ou le recouvrement des « vieilles dettes des Juifs » sur les terres ayant appartenu à Hugues de Bourgogne, au cours des années 133076. Le comte dispose donc en leurs mains de sommes abondantes immédiatement réutilisables. Les paiements peuvent en effet se faire très vite d’un endroit à l’autre par le réseau des prévôtés : le 14 octobre 1346, on écrit depuis Montjustin au prévôt de Jussey pour qu’il apporte les 40 l. dues par les habitants de Vitrey (pour une raison inconnue) ; dès le 18 octobre, on s’impatiente car il n’a pas livré l’argent, et une nouvelle lettre le rappelle à l’ordre77. Ce n’est pas avant 1355 cependant que ces fonctions de receveur sont reconnues officiellement aux prévôts : celui d’Ornans, Richard Leschenet, porte alors ce titre lorsqu’il verse ses gages au portier du château78. Dans le compte d’Aubriet de Plaine en 1359, il est dit tantôt « receveur d’Ornans », tantôt « receveur en la chastellenie d’Ornans », aux gages de 9 l. par an79. L’existence d’un salaire spécifique érige en institution une pratique qui semblait jusque-là très informelle. À ce titre, Richard
68 En 1359, le prévôt du Bourg-le-Comte de Salins reçoit les tailles de la mi-Carême et de la Saint-Michel, et les verse au trésorier d’Aval Aubriet de Plaine pour un montant de 80 l. ; ADCO, B 1406, fol. 1v. 69 On a d’autres exemples de ce type d’opération : Colinet de Montbozon, prévôt du lieu, paie à l’ancien châtelain 5 l. prises sur l’argent des tailles de la mi-Carême 1337 pour ses gages et frais de guerre ; BnF, Moreau 900, fol. 348. 70 Renaud Jovine à Chariez a reçu pour cela trente-neuf muids et demi de vin sur la vendange de 1332, et autant pour la suivante ; ADD, 1B 79A1, fol. 35 et BnF, Moreau 900, fol. 274. Son successeur en verse une partie à Jean de Corcondray, qui s’est vu assigner une rente sur ces dîmes par le duc ; ADCO, B 11 837. 71 Le prévôt de Gray le lève sur les bois de Gray et des villages environnants. On en garde trace pour 1340 ; ADD, 1B 81 (2). Guyet Courbras, son clerc, en verse au trésorier de Vesoul 70 l. pour 1332-1333 (ADD, 1B 79A1, fol. 7) et 41 l. 10 s. pour la période courant entre la Saint-Michel 1333 et Pâques 1334 ; BnF, Moreau 900, fol. 251. 72 Aubertin de Port, prévôt de Vesoul, rapporte les épaves trouvées sur son finage au trésorier, soit 5 s. pour la part du duc. Cela signifie-t-il qu’il en a gardé une partie ? BnF, Moreau 900, fol. 350v. 73 Le 4 janvier 1357, le duc Philippe ordonne au prévôt de Gray de faire transporter la laine issue de la succession de Jean Lombart de Gray au château de Saint-Seine ; ADD, 1B 354 (17). 74 En juin 1346, le prévôt de Vesoul reçoit une lettre le priant d’envoyer à Montjustin l’argent d’une amende pour payer les ouvriers ; ADD, 1B 133B, fol. 26. 75 ADD, 1B 791, fol. 8. 76 Du jeudi après la Saint-Michel 1331 jusqu’à Pentecôte 1337, Colinet, prévôt de Montbozon, en compagnie de Hacquinet, Juif du lieu, procède à leur levée, soit 185 l. 21 d. qui reviennent au duc ; BnF, Moreau 900, fol. 345v. 77 ADD, 1B 133B, fol. 26v-27. Vitrey-sur-Mance, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Jussey. 78 ADD, 1B 73 (10). 79 ADCO, B 1406, fol. 8v.
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Leschenet peut remettre au trésorier d’Aval le compte de ses dépenses dans la châtellenie et percevoir les dîmes des vins80. Ses compétences financières sont reconnues, mais il doit bien, comme ses homologues, avoir d’autres cordes à son arc. Un personnel spécialisé dans l’estimation
Les prévôts, par nature dans les arcanes des revenus seigneuriaux, sont au premier chef des hommes de terrain, aptes à discerner la valeur d’une rente, car ils sont au fait des prix du marché. On peut même penser qu’ils pratiquent la spéculation81. C’est pourquoi ils constituent un excellent recours lorsqu’il s’agit d’évaluer un bien ou des marchandises. Les sources en gardent quelques traces, comme le 12 novembre 1348, quand une cédule précise que les douze bichots d’avoine versés par Huguenin de Quenoche au châtelain de Fondremand ont été estimés par le prévôt du lieu à 13 sous le bichot82. À Poligny, l’existence d’une taxe spécifique sur les vins, appelée la dîme des vins, qui fait l’objet d’une collecte très organisée83, donne au prévôt du lieu l’occasion de s’employer comme « taxeur », sorte d’expert qui fixe le montant à payer par les particuliers en fonction de la valeur de leur récolte. Il est dédommagé pour ce travail, et nos sources le mentionnent pour les vendanges de 1332, 1349, 1352, 1357, 1359 et 136184. Ce sont là vraisemblablement des compétences décisives pour qui veut devenir prévôt. Le compte des dîmes des vins de 1331-1332 nous apprend que Perrin de Grozon a été appelé deux ans de suite, avec le prévôt de Poligny et les quatre « prodomes » de la ville, par Jean de Corcondray, commissaire ducal, pour faire l’estimation des vins85. Il est donc jugé apte, et on ne s’étonne pas de le retrouver l’année suivante au poste de prévôt de Poligny, bien préparé à sa tâche.
80 Ibid., fol. 13v-14. 81 Il est fréquent de les voir réaliser des achats de marchandises que facilitent leurs fonctions, et sans doute à des tarifs préférentiels, certainement dans le but de les revendre à meilleur prix plus tard : Henri, prévôt de Fondremand, acquiert du comte les quarante-cinq bichots et deux penaux de blé qu’il devait par arrêt de son compte à la Saint-Michel 1335, au prix de 25 s. estevenants le bichot (BnF, Moreau 900, fol. 345) ; en 1351, Rolier, qui n’est plus prévôt de Grozon, mais estimateur du bois à la saline, achète du sel (ADD, 1B 309, fol. 5-6v) ; enfin, Richard Leschenet, prévôt d’Ornans qui, en tant que receveur, vend les vins en stock, en achète lui-même une partie (ADCO, B 1406, fol. 5v). 82 ADCO, B 1070. 83 Voir J. THEUROT, « Poligny au xive siècle : la levée des dîmes des vendanges », Le Jura Français, 272 (octobre-décembre 2006), p. 12-14. 84 ADD, 1B 134 (3), fol. 7v, 1B 134 (4), fol. 11v, 1B 134 (5), 1B 134 (6), fol. 2v et 1B 134 (7), fol. 3. 85 ADD, 1B 134 (3), fol. 1 et 7v. Il touche 60 s. pour son expertise ; ibid., fol. 5v. Ce salaire est variable selon les années : 60 s. toujours en 1349 et 1352, mais 30 s. en 1357 et 40 s. en 1361 (voir note précédente). L’expertise est ici intégrée à un processus administratif à visée fiscale. De récentes études sur l’expertise au Moyen Âge ont souligné que dans la majorité des cas, comme ici à Poligny, elle est le fait d’un groupe d’individus, de façon à aboutir de manière collective à un consensus ; L. Feller et C. Verna, « Expertises et cultures pratiques », in Experts et expertise au Moyen Âge. Consilium quaeritur a perito. XLIIe congrès de la Société des Historiens Médiévistes de l’Enseignement Supérieur Public (Oxford, 31 mars-3 avril 2011), Paris, Publications de la Sorbonne, 2012 (Histoire ancienne et médiévale 116), p. 36.
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Le prévôt de Grozon lui aussi se doit d’être un expert, en raison de la présence de la saline. On retrouve deux hommes ayant occupé la fonction prévôtale en tant que « taxeurs » du bois qui y est apporté. Il s’agit de Rolier de Grozon en 135186 et de Jeannin Perdriset en 1359-136087, dont on ne sait pas s’ils sont encore prévôts alors. Ils touchent à ce titre des gages et des frais de robe qui s’élèvent ensemble, pour Jeannin Perdriset, à 21 l. 6 s. pour l’année88. En matière foncière également, le prévôt est à même d’évaluer les biens. Jeannot Branche à Poligny participe, le 28 décembre 1360, à l’estimation des terrains qui seront utilisés pour faire les fossés afin de fortifier le bourg89. C’est lui aussi qui, l’année précédente, avec son clerc, ses deux sergents et les quatre « prodomes » de la ville, accompagne des personnes connaissant les habitants de Poligny à qui l’on doit appliquer la taxe du « chambrage90 ». Les prévôts apparaissent par conséquent bien informés des réalités locales, au plus près des populations91. Un relais du pouvoir auprès des populations
Le prévôt assure le lien entre les habitants de son district et les autorités supérieures, qui n’entrent pas en contact avec eux. Par exemple, en 1331, les prévôts de Gendrey et de Fraisans sont tenus de donner les noms des personnes qui prétendent ne pas pouvoir payer l’aide levée pour la rançon de leur maître Hugues de Bourgogne (alors captif du marquis de Bade), afin que le trésorier s’informe de leur solvabilité92. C’est surtout en temps de guerre que ce rôle est mis en lumière, à l’occasion des réquisitions, car les prévôts fournissent alors les listes de particuliers à rembourser et traitent avec eux. Jean de Chaux, prévôt de Châtillon-le-Duc, est en 1336 en possession d’un document contenant les noms des personnes à qui le bailli Hugues d’Arc a emprunté du vin et du blé, que le duc doit payer93. En juillet de la même année, le prévôt de Vesoul délivre à Philippe de Jussey la liste des bêtes réquisitionnées dans la ville et ses environs, dûment évaluées par les bouchers, et que ce dernier doit mener pour le 86 ADD, 1B 309, fol. 26 : « A Rolier de Grozon, estimerres du bois en la salnerie, prenant par jour XII d. estevenants… ». 87 ADD, 1B 310, fol. 26 : « Pour les gages et robes de Jehan Perdriset, tauxeur du bois que lon amene en la saunerie […] XXI l. VI s. ». 88 La mention d’une rémunération des experts n’est pas courante dans les sources du Moyen Âge. « Il apparaît que seuls les experts qui disposent d’une charge, associée à une fonction dans le domaine public, reçoivent un paiement qui peut être l’objet d’une tarification publique » ; L. Feller, C. Verna, « Expertises… », art. cit., p. 40. Il est intéressant de voir qu’ici, l’expert est en quelque sorte un officier du prince. 89 ADD, 1B 385 (23). 90 ADCO, B 1406, fol. 38. Cette taxe est assez obscure. Le chambre ou chaintre est un petit pré autour de la maison en Bresse et en Saône-et-Loire. Est-ce cela qui fait l’objet d’un impôt à Poligny ? 91 On peut citer Olivier Mattéoni, qui écrit à propos du prévôt : « Il connaît les gens qui vivent dans son ressort, la terre qu’ils travaillent et sa valeur, les biens qu’ils possèdent, les maisons qu’ils habitent. Il sait tout ce que chacun doit au duc et quand il doit s’en acquitter. Bref, il est la véritable cheville ouvrière de la châtellenie. » ; O. MATTÉONI, Servir le prince…, op. cit., p. 170. 92 ADD, 1B 78, fol. 6-6v. 93 ADCO, B 1389, fol. 38.
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ravitaillement au siège de Chaussin94. Durant la guerre de 1346, la pratique est toujours la même, et les comptes de Jean de Morey pour la prévôté de Gray contiennent les noms des fournisseurs de vivres pour les hommes de la garnison et d’avoine pour les chevaux95. Une évolution se fait jour à la fin de la période : le 14 juillet 1360, le prévôt de Jussey Estevenet Millet ne dresse pas de liste, mais donne des cédules aux réquisitionnés afin de faire valoir le remboursement « quand lieu et temps sera96 ». Ce rôle d’intermédiaire du prévôt entre le pouvoir et les populations est bien mis en lumière par l’obligation qui lui incombe de faire crier les informations dans sa prévôté97. Le cri concerne essentiellement deux registres, l’un judiciaire, l’autre militaire. Le bailli écrit ainsi au prévôt de La Loye pour qu’il fasse crier « l’assise » et la « chevauchée » le vendredi avant la Chandeleur (29 janvier) 133398. Le prévôt se fait parfois le relais de l’ordre du bailli et envoie lui-même des lettres à ses semblables afin de faire annoncer publiquement, puis contremander ces obligations : ainsi Colinet de Montbozon, prévôt de Vesoul, auprès de ses collègues les plus proches de Montjustin, Fondremand, Port-sur-Saône et Gray fin avril 133399, ou Jean de Morey, prévôt de Gray, en direction de Montjustin, puis d’Étobon au tout début de 1346 pour une assise judiciaire100. Les sources ne détaillent pas ce que peut recouvrir le terme d’« assise » en matière de mobilisation des populations, sans doute s’agit-il simplement d’assister à la tenue d’un procès par le bailli. Nous sommes mieux renseignés sur la chevauchée : le prévôt se doit de « faire crier et bannir aux lieux les plus notables de sa prevosté101 » que nobles et non nobles à pied et à cheval se tiennent prêts et en armes pour venir au service du duc102. Pour les nobles cependant, cette mobilisation se fait plutôt par la voie de lettres, là aussi transmises par les prévôts. En 1333 par exemple, Jean de Morey, alors prévôt de Montmirey, par ordre du bailli via le prévôt de Gray, envoie des lettres de mandement aux chevauchées de Lure aux gentilshommes du district,
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ADD, 1B 80 (4). ADD, 1B 126 (1), fol. 16-17v et ADD, 1B 126 (2), fol. 21v-22v. ADD, 1B 358 (16). Dans la société du xive siècle, où l’accès à l’écrit est très limité, la diffusion de l’information passe par le geste et la parole. L’ouïe occupe donc une place cruciale. C’est pourquoi, pour les annonces officielles, le cri public est associé au son de la trompe. Les crieurs sont généralement des sergents de la prévôté. Haro ! Noël ! Oyé ! Pratique du cri au Moyen Âge, D. Lett et N. Offenstadt (éd.), Paris, Publications de la Sorbonne, 2003 (Histoire ancienne et médiévale 75), p. 12 et 20. ADD, 1B 791, fol. 12v-13 : « Pour lettres envoyées au prevot de La Loye de par le bailli pour faire crier l’assise au vendredi devant la Chandeleur, VI d. Item pour lettres envoyees audit prevot pour faire crier la chevauchee celui jour de par le bailli, VI d. ». Ibid., fol. 7v. ADD, 1B 133B, fol. 25. ADD, 1B 358 (14) : ordre du bailli au prévôt de Jussey, du 1er février 1360, pour être à Gray la semaine suivante avec tous les gens d’armes qu’il pourra mobiliser dans sa prévôté, afin de rejoindre les troupes ducales à Nuits-Saint-Georges (Côte-d’Or, ar. Beaune, ch.-l. c.). Les proclamations se font en général sur les places publiques, aux carrefours, près des fontaines ou devant l’église, parfois les jours de marché pour toucher le plus de monde possible. Elles peuvent être répétées plusieurs fois. Haro…, op. cit., p. 21-22. ADCO, B 11 733 : ordre du lieutenant du bailli, du commandement de la duchesse, au prévôt de Montmirey pour venir à Salins en octobre 1345.
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soit vingt-quatre personnes103, tandis que quelques mois plus tard le prévôt de Jussey reçoit du bailli l’ordre d’informer tous les nobles de son secteur pour des mobilisations comparables104. Entre 1344 et 1347, Jean de Morey encore, cette fois en tant que prévôt de Gray, comptabilise le coût de lettres du même type envoyées dans la châtellenie105. On constate donc le rôle capital que jouent les prévôts – en liaison continue, non seulement avec le bailli dont ils tiennent leurs ordres106, mais aussi les uns avec les autres – dans la diffusion de l’information, et par là même dans l’administration de la principauté au quotidien, pour laquelle les prévôtés ainsi constituées en réseau s’avèrent un précieux tissu. Le cri des assises et des chevauchées affirme l’autorité du prince sur le territoire, participe du lien politique entre gouvernants et gouvernés107, et renvoie aux fonctions prévôtales de justice et de guerre qui seront évoquées lors de l’étude de ces aspects108. En conclusion, le système de l’amodiation des revenus du domaine bénéficie au comte comme au prévôt. Le premier, même s’il réajuste le fermage en cas de crise grave, voit les fluctuations de la rente amorties et peut compter sur des rentrées garanties. Il est dispensé d’avancer les frais locaux courants, comme ceux des châtelains. Il est sûr que son domaine sera entretenu et rentabilisé au maximum, dans le propre intérêt de son amodiataire. Il s’assure par là le concours d’hommes précieux par leur connaissance du terrain, auxquels il ne manque pas de faire appel pour des expertises diverses, et pour la mobilisation les populations. On aura l’occasion de voir que, bien que des mesures dissuasives soient adoptées par le pouvoir central pour limiter le phénomène, les prévôts se comportent de ce fait trop souvent en potentats locaux, abusant de leurs fonctions judiciaires et des avantages conférés par leur force armée. Deux attributs qui sont aussi ceux des châtelains.
3. Châtellenies109 Le pouvoir des comtes de Bourgogne s’appuie vers le milieu du xive siècle sur un solide réseau défensif de forteresses qui épouse la géographie locale : au nord, la vallée de l’Ognon est émaillée par les châteaux de Montbozon, Fondremand et Montmirey ; le cours du Doubs est gardé par Pontarlier, Clerval, Baume, Châtillon-le-Duc, Fraisans, Dole, Chaussin ; celui de la Loue par Ornans, Scey-en-Varais, Quingey et Santans. Les frontières sont surveillées par un réseau périphérique : à l’ouest s’égrènent le 103 ADD, 1B 791, fol. 15v-16. 104 Ibid., fol. 5-5v. 105 ADD, 1B 124, fol. 12v (1344) ; ADD, 1B 126 (2), fol. 14 (1346-1347). 106 L’ordre de faire crier l’assise peut aussi à l’occasion venir du trésorier ; ADD, 1B 791, fol. 7v. 107 Haro…, op. cit., p. 32-33. 108 Voir IVe partie, chapitres iii et iv. 109 Nous reprenons en partie ici notre article : S. Le Strat-Lelong, « Les châtelains domaniaux dans le comté de Bourgogne au milieu du xive siècle. Entrer au service du prince », M.S.H.D.B., 68 (2011), p. 37-61, qui s’est donné la modeste ambition de renouveler celui de J. Gauthier, « Châteaux et châtelains domaniaux en Franche-Comté sous les comtes et ducs de Bourgogne (xiiie-xve siècles) », Procès-verbaux et Mémoires de l’Académie de Besançon (1902), p. 265-302.
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long de la Saône Jussey, Gray et Apremont ; au nord Sainte-Marie-en-Chaux et Château-Lambert110 contrôlent les frontières de Lorraine tandis qu’Étobon fait face à l’Alsace par la trouée de Belfort ; au sud Bracon, Arbois, La Châtelaine, Poligny, Château-Chalon et Montmorot complètent le dispositif et gardent les passages vers le Haut-Jura. Ces forteresses offrent un point d’ancrage à des circonscriptions administratives correspondantes. L’ensemble d’une circonscription est confié au gardien du château, le châtelain, en tant qu’agent de la puissance comtale. Ainsi, un texte nous précise que Jean seigneur d’Amoncourt111 est institué à Montjustin, le 6 octobre 1349, comme « chastelain du chastel et gouverneur de toute la terre appartenant audit chastel112 ». On examinera successivement l’évolution de ce maillage administratif, puis les caractéristiques des châtelains et de leurs fonctions. a. Un réseau fluctuant113
La carte des châtellenies du domaine comtal met en relief les variations du réseau au fil de la période. On ne sera pas surpris d’y retrouver les châtellenies qui ont été gouvernées par Hugues de Bourgogne jusqu’à son décès en 1331, toutes situées dans le nord de la province (Sainte-Marie-en-Chaux, Chemilly, Montjustin, Étobon, Apremont, Fondremand, Montbozon et Châtillon-le-Duc). Sont également figurées les châtellenies concédées aux belles-sœurs d’Eudes IV pour leur part d’héritage : à la dauphine Isabelle, Montmorot et Château-Chalon d’abord, remplacées après 1341 par Fondremand, puis Montbozon ; à la comtesse de Flandre Marguerite, Quingey, Chissey et La Châtelaine. On reconnaîtra aussi les châtellenies ayant fait l’objet d’une confiscation : La Rochelle, Beaujeu, Cugney, Montferrand, Montrond, et certainement Château-Lambert, qui se sont trouvées pour un temps gérées par le domaine. Étobon et Chaussin devraient faire également l’objet d’une mention spéciale, car elles n’ont été que momentanément aux mains du duc-comte sous Eudes IV : Étobon est rendue à Henri de Montfaucon-Montbéliard et aux autres ayants droit d’Othenin de Montbéliard à la mort du duc en 1349 ; quant à Chaussin, elle a été prise sur le même Henri de Montfaucon lors de la guerre contre les barons en 1336 et semble être restée pour un temps indéterminé sous administration comtale. Elle a néanmoins fini par lui être restituée, puisque qu’elle ne deviendra définitivement partie du domaine qu’en 1366, en vertu d’un échange entre la comtesse Marguerite et Henri de Montbéliard contre la châtellenie de Clerval et d’autres rentes114. Remarquons que sa gestion relèvera par la suite de la comptabilité ducale. Mais elle est bien considérée comme comtoise dans l’arrêté des comptes des châtelains rendu à Dijon en 1341115. On trouvera enfin sur la carte Vadans, qui n’est acquise par le 110 Haut-du-Them-Château-Lambert, Haute-Saône, ar. Lure, c. Mélisey. 111 Amoncourt, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Port-sur-Saône. 112 ADD, 1B 372 (32), copie de février 1351. De la même façon, en 1347, le duc donne pouvoir au nouveau châtelain de Dole « de garder et gouverner [le] chastel avec toutes les appertenences » ; ADD, 1B 345 (2). 113 Voir carte 4 en annexe. 114 ADD, 1B 339. 115 ADCO, B 1390, fol. 66.
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domaine qu’en 1357, et Scey, dont Philippe de Rouvres se sépare deux ans plus tard. Il convient de remarquer que nous avons pris en compte uniquement les châtellenies citées dans nos sources pour la période 1330-1361, et qu’il est possible que certaines connues auparavant aient subsisté sans laisser de traces. Nous pensons notamment à Santans, qui est également le siège d’une prévôté. Mais sa tour ne semble plus être confiée à la direction d’un châtelain ; même si Hugues de Bannans a été affecté à sa garde pendant la guerre de 1336 et nous a laissé un compte116, il ne porte pas ce titre. Le cas porte néanmoins à caution. Cartographier le réseau des châtellenies comtales fait apparaître leur harmonieuse répartition, qui épouse régulièrement les points d’ancrage du domaine et permet au duc de contrôler les voies naturelles de communication et l’accès aux reliefs. Tout au plus peut-on faire remarquer un maillage légèrement plus lâche dans le nord, avec des manques que viennent judicieusement compenser les confiscations opérées par les princes. Ces mainmises donnent chacune lieu à l’établissement d’un officier par le pouvoir central. Ils viennent rejoindre le groupe des quatre-vingt-six châtelains domaniaux que nous avons pu identifier en Franche-Comté entre 1330 et 1361. Quelles sont les conditions de leur service ? b. Les châtelains. Leurs conditions de service Modalités d’entrée en fonction
Envisageons tout d’abord comment ces officiers prennent leurs fonctions, à quelles dates et selon quelles décisions. Date de prise des fonctions
La date d’entrée en fonction des châtelains est variable. Quoique pour la plupart nous ne puissions la distinguer – l’exercice de l’office se trouvant englobé dans une année comptable débutant à Noël ou à Pâques sans plus de précisions – certains cas nous offrent davantage de détails. Si les comptes du domaine d’Hugues de Bourgogne en 1331 comportent la curieuse mention de « chastelain à vie » pour Étobon et Chemilly (qui n’a pas lieu d’être pour Perrin de Vy à Étobon puisqu’il quitte bientôt ses fonctions pour prendre la tête du château de Montjustin), il est vrai que le changement de personnel est parfois conditionné par le décès de l’ancien détenteur. Ce motif explique l’arrivée de Ferry de Montbozon, qui fait suite à Huguenin de Bracon, à Dole le samedi après la Saint-Hilaire 1333117, celle d’Eudes de Cromary à la châtellenie de Poligny après la mort de Guy de Villefrancon en décembre 1336118, 116 ADD, 1B 147. 117 ADD, 1B 79A1, fol. 13v. 118 D’après nos documents, elle survient le lundi après la Saint-Nicolas d’hiver de cette année, soit le 9 décembre 1336 ; BnF, Moreau 900, fol. 336. J.-T. de Mesmay, dans son Dictionnaire historique, biographique et généalogique des anciennes familles de Franche-Comté, Versailles, 2006, t. III, p. 446, la place le lundi après la Sainte-Lucie, soit une semaine plus tard, suivant là Édouard Clerc qui se
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celle de Jean de Vilette à Dole en 1350 au décès d’Estevenin l’Arbalétrier119, de même que sans doute celle de Jean de Salins, à Bracon, le 19 mars 1357, en remplacement de Renaud de Jussey. Celui-ci était entré en fonction le 27 avril 1350, et cumulait cette charge avec celle de bailli d’Aval – comme Eudes de Cromary et Guy de Villefrancon précédemment cités étaient à la fois châtelains de Poligny et baillis d’Aval. Est-ce également son décès qui justifie le changement de châtelain ? Probablement, car il est dit malade au début du mois d’octobre 1356, lorsqu’il fait excuser son absence au conseil ducal à Rouvres120, et il ne peut se déplacer jusqu’à Gray où il est par la suite mandé par le duc121 ; s’il prête encore hommage à Philippe de Rouvres le 10 janvier 1357122, il est disparu à la reddition de son compte le 22 juillet 1358, date à laquelle on compose avec son fils et héritier Olivier de Jussey123. Le décès d’un châtelain crée d’ailleurs une vacance provisoire de l’office qu’il faut gérer avec les moyens du bord : à la disparition de Guy de Villefrancon, un mois environ s’écoule avant son remplacement à la tête de la châtellenie de Dole, pendant lequel on entretient six gentilshommes et quatre sergents commis à la garde du château124. À Montjustin, la même année 1337, un intérim de six jours est assuré par le bailli accompagné d’un écuyer à la suite de la mort de Guillaume de Grenant125. Mis à part ces cas de force majeure, on peut identifier d’autres coïncidences de dates : ainsi l’année 1357 voit l’investiture d’Hugues de Montjeu à Vadans le 20 août126, ce qui correspond à l’acquisition de la seigneurie par le domaine. Une fête peut également servir de point de départ : la Fête-Dieu pour Guillaume de Grenant, qui touche les gages rémunérant ses fonctions à Montjustin à partir de ce terme en l’année 1333-1334127 ; Noël pour Joffroy d’Aulisi, ordonné châtelain de La Rochelle à la Nativité 1338128 ; la Trinité pour Othe de Vaite à Étobon de 1339 à 1341129. D’autres dates de passation d’office sont plus obscures, comme le mardi après les Bordes (16 février) 1339 qui voit Huguenin de Noidans entrer en fonction à Sainte-Marie-en-Chaux130, ou encore le 6 octobre 1349, lorsque Jean d’Amoncourt devient châtelain de Montjustin. Nomination
Ce dernier exemple éclaire en revanche la manière dont s’effectue la prise de fonction. Jean d’Amoncourt est institué châtelain par le gardien Gauthier de Ray « en
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base sur l’inscription de sa pierre tombale à l’abbaye de Theuley, copiée au xviiie siècle ; É. Clerc, Essai…, op. cit., t. II, p. 58. ADD, 1B 345 (2). Rouvres-en-Plaine, Côte-d’Or, ar. Dijon, c. Genlis. ADD, 1B 86 (1), fol. 8v. Fr.-F. Chevalier, Mémoires…, op. cit., t. II, preuve n° 62 (2) et ADD, 1B 3, fol. 3-8v. ADD, 1B 86 (1), fol. 1v. BnF, Moreau 900, fol. 336. Ibid., fol. 372v-373. ADD, 1B 148, fol. 10v. BnF, Moreau 900, fol. 281v. ADCO, B 1390, fol. 65. Ibid., fol. 68v. Ibid., fol. 63.
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nom de Madame de Boloigne et de l’auctoritey de [son] office ». Le nouveau détenteur de la charge prête alors serment131. La prise en main de l’office donne également lieu à un inventaire des biens meubles contenus sur place, principalement des armes pour Hugues d’Ornans, châtelain du lieu, le mardi après oculi (5 mars) 1331. Il déclare avoir été établi par la duchesse132. L’a-t-il été directement ou par le biais d’un de ses agents, à l’exemple de Jean d’Amoncourt ? L’intervention du pouvoir central sans passer par un officier comtois est en effet attestée. Eudes IV en personne, le 30 septembre 1347, installe à la tête de la châtellenie de Dole Estevenin l’Arbalétrier, mais au décès de ce dernier, c’est le gardien qui le remplace le 16 août 1350, « tant comme à [son] office toiche et appartient », en attendant la confirmation du roi deux mois plus tard133. On sait également que Jean le Bon intronise lui-même par lettre Renaud de Jussey bailli d’Aval et châtelain de Poligny le 3 août 1353134. Il est vrai que la double fonction peut expliquer la procédure, mais elle ne semble pas exceptionnelle. Pour 1353 toujours, un document vient éclairer les modalités de nomination d’un châtelain mineur, au château de Montferrand confisqué pour défaut de fief. Le 4 août, le roi à Paris donne ordre au bailli d’Aval Renaud de Jussey de nommer un châtelain à sa convenance, mais originaire du duché, et de le pourvoir de gages comme il l’entendra135. C’est donc le bailli qui, là, établit au nom du roi et par lettres du 20 septembre suivant, l’homme de son choix, à savoir Guillaume du Pailley, moyennant 200 l. estevenantes de gages par an. Il ne manque pas sans aucun doute d’exiger de lui « le serment acoutumé de faire » ainsi que requis dans la missive royale. La sortie de charge se fait aussi par le commandement d’un intermédiaire ducal. Lorsque Jean de Saint-Baraing quitte le gouvernement de la châtellenie d’Apremont, le mardi après Pâques (18 avril) 1340, c’est sur ordre du seigneur de Thil136. Un inventaire est alors également établi et remis au successeur. On peut remarquer ici l’intervention d’un homme de confiance du duché, dépourvu de fonctions en Comté137. On ne parvient donc pas à dégager de règles strictes qui présideraient aux nominations à la tête des châtellenies. Tout au plus peut-on avancer que – sauf dans le cas de Montferrand où toute latitude est laissée au bailli, mais la mainmise n’en est que temporaire – semble primer dans ces affectations de châtelains l’impulsion du gouvernement ducal plus que la décision d’un officier local, signe de centralisation accrue aussi bien que de l’importance attachée à ces châtellenies comtoises par le pouvoir. En témoigne le serment de fidélité exigé de leurs détenteurs qui devait être systématiquement pratiqué, comme au siècle précédent138. Le comte nommait
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ADD, 1B 372 (32). Copie de février 1351. ADD, 1B 382 (1). ADD, 1B 345 (2). ADD, 1B 86 (1), fol. 1v. ADD, 1B 470 (4). ADCO, B 1390, fol. 66v. Le seigneur de Thil est alors gardien du duché. M.-Th. Allemand-Gay, Le pouvoir…, op. cit., p. 331. La prestation du serment de fidélité est toujours en vigueur au temps de la reine Jeanne : en décembre 1329, le nouveau châtelain de Pontarlier, Hugues, se rend à Dole sur ordre du bailli « pour faire feauté en la main de la reine ». Et dès qu’il apprend la nouvelle de son décès au début de l’année suivante, il va à Salins prêter serment à son héritière la duchesse ; ADCO, B 11 835.
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alors personnellement les châtelains et veillait tout particulièrement à ce qu’ils lui prêtent hommage. Cette pratique de l’hommage semble tombée en désuétude sous Eudes IV pour le principat duquel nous n’en avons point d’exemple, mais elle retrouve une nouvelle vigueur avec Philippe de Rouvres, lors de la réception des fidélités en 1356-1357139. Ce sont alors les châtelains de Bracon, Montjustin, Montmirey, Ornans, Gray, Gevry, Montmorot, Scey, Châtillon-le-Duc, Jussey, Dole, La Châtelaine qui font leur reprise de fief, sans que l’on ait connaissance de la teneur de celle-ci140. Mais ce ne sont pas les châtellenies dont ils ont la charge qui constituent le fief, bien évidemment, puisqu’elles relèvent du domaine. Ils n’en sont que les officiers, et ils justifient à ce titre de la perception de gages versés par le comte. Ces émoluments seront étudiés dans la IIIe partie. Mais quels services viennent-ils rémunérer ? c. Fonctions châtelaines141
On étudiera ici comment les châtelains gèrent leur district et en collectent les revenus, ce qui ne manque pas d’interférer avec le rôle des prévôts. Les gestionnaires de la châtellenie et de son château
Le châtelain paie les travaux agricoles et s’occupe de faire rentrer les récoltes du domaine142. Il les a en garde pour le compte du trésorier143. Il peut les vendre au nom du duc144, ou en acheter une partie pour l’approvisionnement du château145. Celui-ci lui incombe en effet au premier chef, et il a toute latitude pour le réaliser
139 Fr.-F. Chevalier, Mémoires…, op. cit., t. II, preuve n° 62 (2) et ADD, 1B 3, fol. 3-8v. 140 Sauf pour Jacques de Thoraise, châtelain de Châtillon-le-Duc en 1359 et 1360 au moins (ADD, 1B 493 (3)), qui reprend en fief lige du duc-comte le château de « Beaumont en Val Louois » (Belmont, Jura, ar. Dole, c. Mont-sous-Vaudrey) et autres biens le 1er janvier 1357 ; ADD, 1B 421(8). 141 Nous reprenons ici une partie de notre article : S. LE Strat-Lelong, « Les châtelains domaniaux dans le comté de Bourgogne au milieu du xive siècle. Polyvalence ou spécialisation ? », M.S.H.D.B., 70 (2013), p. 137-155. 142 Jean le Barbier à Scey reçoit les blés de la moisson de 1333, et les délivre au trésorier pour la vente ; BnF, Moreau 900, fol. 270. 143 Guillemin, en 1333 et 1334, garde les foins de Montmirey, dont il vend une partie sur ordre ducal, ainsi que les vins du comte ; BnF, Moreau 900, fol. 4v, 276v. Le châtelain de Scey garde également les vins de sa châtellenie (ibid., fol. 274v), et celui de Montmorot les vins du lieu ; 1341, ADCO, B 1390, fol. 61v. Perrin Gelin, châtelain d’Ornans, garde les blés et les vins d’Ornans pour le compte du trésorier ; ibid., fol. 61-61v. 144 Guy de Villefrancon commande de vendre vingt-huit quartaux de froment pris au grenier ducal pour payer des travaux au château de Poligny en 1333 ; BnF, Moreau 900, fol. 271 ; l’année suivante, il vend à nouveau trente-neuf quartaux, d’avoine cette fois ; ibid., fol. 249v et 272. 145 Jean le Barbier achète au domaine à Scey du froment, de l’avoine et du vin de la vendange de 1332 ; ADD, 1B 79A1, fol. 5v-6. Plus tard, en fonction à Montmirey, il rachète les foins qui n’ont pas été consommés par les soldats pendant la guerre ; 1336-1337, BnF, Moreau 900, fol. 321-321v et 341v. De même, à Bracon, Jean de Salins achète cinq charrettes de foin d’un pré du domaine fauché en 1359 ; ADCO, B 1406, fol. 2v.
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au moyen d’achats146 ou de réquisitions lorsque l’urgence de la situation l’exige : une lettre de Philippe de Rouvres invite le bailli d’Amont à recourir à la contrainte pour approvisionner le château de Jussey, le châtelain commis à cette tâche s’étant heurté à une forte résistance147. Le trésorier peut également fournir du vin ou des vivres si nécessaire148. C’est notamment le cas lorsque le duc est de passage dans la châtellenie : Guy de Villefrancon reçoit ainsi quatorze quartaux de froment sous forme de pains, qu’il se charge de faire cuire à l’occasion de la venue d’Eudes IV à Poligny le 2 décembre 1333149. L’approvisionnement en sel est naturellement assuré par les receveurs des salines de Grozon ou de Salins150. Non content de veiller à l’alimentation de ses troupes de garde au château, le châtelain peut à l’occasion pourvoir en nourriture l’hôtel ducal151, ou d’autres concentrations d’hommes d’armes. On voit ainsi le prévôt de Clerval Guillaume Voudenay réquisitionner quatre-vingt-onze « chatrons152 » dans sa terre, ainsi que de l’avoine, qu’il fait parvenir à Vesoul pour nourrir les troupes du gardien en 1340153. Le même, à l’issue d’un véritable pillage opéré sur les terres d’Henri de Bourgogne, récupère une trentaine de bêtes et des ustensiles de cuisine qui sont envoyés à l’ost devant La Rochelle154. Il faut donc de bonnes qualités de gestionnaire pour être châtelain. Elles s’appliquent dans le règlement des moindres détails nécessaires au bon fonctionnement du château, depuis l’approvisionnement en cire pour le luminaire155 jusqu’au chanvre pour la corde du puits156, en passant par les carreaux et les cordes des arbalètes157, les
146 Eudes de Cromary, châtelain de Poligny, achète à un bourgeois de Dole quarante porcs gras pour la garnison du château, cinq charges de sel de Grozon pour les mettre en salaison, ainsi que huit bacons à la dame de Villefrancon, en 1336-1337 ; BnF, Moreau 900, fol. 339v-340. 147 Acte du 7 avril 1359 ; ADD, 1B 358 (23). 148 En 1358-1359, le trésorier délivre du vin au châtelain de Pontarlier, selon un mandement du duc qu’il fournit avec la quittance du châtelain ; ADCO, B 1406, fol. 50. 149 BnF, Moreau 900, fol. 249. 150 Jacques de Thoraise reçoit pour le château de Vadans dix charges de sel du gouverneur de la saline de Grozon en 1361 ; ADD, 1B 73 (19). Son frère Poinsard, en poste à Bracon, s’adresse pour son approvisionnement au trésorier de la saline de Salins Renaud Garnier en 1341 ; ADD, 1B 246 (3), fol. 2v-3. 151 En 1332-1333, Guillemin de Montmirey envoie des sergents et des valets à Auxonne, Dole et Châtillon afin d’acheter des lamproies pour le duc, alors à Châtillon ; ADD, 1B 791, fol. 14v. En septembre 1336, le duc doit 117 s. tournois au châtelain de Dole Ferry de Montbozon, également pour du poisson qu’il a délivré à l’hôtel ; BnF, Moreau 900, fol. 280v. En 1344-1345, la prévôté de Gray achète des vins au châtelain Jacques du Vaul. Ils sont transportés jusqu’à l’hôtel ducal sous la surveillance d’un valet de la bouteillerie ; ADD, 1B 124, fol. 10. En 1359, le châtelain de Chaussin livre 248 livres de cire à l’hôtel de la reine et du duc ; ADCO, B 1407, fol. 66v. 152 Animal castré. 153 ADD, 1B 150, fol. 3v. 154 ADD, 1B 17, fol. 4-4v. 155 En 1338, Perrin de Vy donne quittance de quatre livres de cire pour faire une torche et de deux cierges pour la chapelle du château de Montjustin ; ADCO, B 1062 (1). 156 Le même atteste en avoir fait acheter à deux cordiers de Vy (ibid.). 157 Huguenin de Verne charge le prévôt de Baume de leurs achats en 1345 ; ADCO, B 1055.
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serrures et leurs clés158 ou la vaisselle159. Elles s’étendent à la planification des travaux qui ne manquent pas au château comme dans la châtellenie : réfection du four et du moulin souvent, et remise en état des fortifications, dont on pourrait multiplier les exemples160. La période est en effet caractérisée par une vaste campagne de restauration des forteresses comtales. Eudes de Cromary et Renaud de Baissey ont mené plusieurs inspections des châteaux en 1335-1336161. Ils sont « commis de par monseigneur pour faire raparoiller les forteresses des chasteaux et bonnes villes de la contey de Borgoigne162 ». Ils seront aussi châtelains. Déjà intendants, nos hommes doivent parfois se faire architectes. Cette polyvalence nécessaire à la gestion de la châtellenie s’exerce aussi dans le domaine de la comptabilité et des finances. Des percepteurs
Les châtelains font parfois figure d’experts en matière de rente foncière. En 1358, Joffroy de Chailly et Hugues de Savigny sont commis par le duc Philippe de Rouvres pour réaliser à Bersaillin l’assiette d’une rente de 15 l. concédée par son prédécesseur163. Ceci s’explique par le fait qu’en tant qu’agent domanial, le châtelain peut percevoir, à l’instar des prévôts, les amendes, les cens et les tailles des habitants de son ressort, qu’il reverse normalement au trésorier : ainsi, Jacques du Vaul, châtelain de Gray, paie les cens de Gray au trésorier des Bans, soit 16 s. 6d.164 ; Jean de Ruy, à Fondremand, donne quittance à un homme de Quenoche des rentes en avoine qu’il doit au comte à la Saint-Martin d’hiver165 ; Guillemin de Montmirey rapporte les 37 s. 6 d. payés au duc par les hommes de Jean de Brans pour sa trahison, à Moissey166 ; Étienne de Vaite, châtelain de Pontarlier, reçoit les blés et les cires167 ; Hugues de Savigny, châtelain de
158 Guillaume de Grenant à Montjustin fait rémunérer un serrurier pour son travail au château fin juin 1336 ; ADCO, B 11 860. 159 Guy de Villefrancon, châtelain de Poligny, remplace trois vieux pots de cuivre laissés par son prédécesseur par deux tout neufs qu’il garde pour le duc ; 1332-1333, ADD, 1B 791, fol. 18. 160 On a par exemple conservé une quittance d’un charpentier, qui a travaillé au moulin d’Ornans, au châtelain du lieu ; 1342, ADCO, B 1064. Othe de Vaite à Étobon fait refaire la citerne du donjon ; 1338, ADCO, B 11 860. On ne peut citer ici toutes les mentions de travaux dont nos comptes fourmillent. Telle celle du châtelain de Dole passant des marchés avec des artisans pour la réfection des moulins de Dole et du toit de la grande tour en 1332-1333 ; ADD, 1B 791. 161 BnF, Moreau 900, fol. 311v, 312, 336v, 337, 337v, 347, 347v, 364v. 162 Ibid., fol. 320v. On peut rapprocher ces hommes des experts, qui se rendent sur le site à examiner préalablement à la mise en chantier, et établissent l’état du bâtiment avant de procéder à l’estimation des travaux à entreprendre. Voir M.-A. Moulin, « Experts et expertise sur les chantiers de construction en Normandie méridionale : l’exemple de la ville d’Argentan au xve siècle », in Experts …, op. cit., p. 261 et 262. 163 AD B 421 (17). Bersaillin, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Bletterans. 164 En 1332-1333 ; ADD, 1B 79A1, fol. 4v. Mais deux ans plus tard, on s’aperçoit qu’il y a erreur : ces cens lui reviennent personnellement, en vertu d’une lettre du couple ducal ; BnF, Moreau 900, fol. 314-314v. 165 En 1348 ; ADCO, B 1070. Quenoche, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Rioz. 166 Entre la Saint-Michel 1336 et Pâques 1337 ; BnF, Moreau 900, fol. 321. 167 En 1357-1359 ; ADCO, B 1406, fol. 46v et fol. 51.
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Montmorot, vend l’avoine issu de l’affermage de la saline et des commands168 ; Guiot de Brans, établi à Montmirey, verse à Dimanche de Vitel, receveur général du duché, le montant d’une composition moyennant laquelle les gens de sa châtellenie sont exemptés de mainmorte169. La succession des bâtards décédés sans héritiers revient également au duc par l’intermédiaire du châtelain dont ils relèvent : on en a trois exemples à Montmirey également170. La ferme des prévôtés lui est parfois versée171. Il fait donc office de receveur en ses terres pour le compte du pouvoir172. N’oublions pas enfin que, sur place, les châtelains perçoivent une partie des amendes et des rentes de leur châtellenie173 ou qu’ils tiennent celles-ci à ferme174. Comme les prévôts, les châtelains peuvent donc jouir des revenus du domaine. On ne peut qu’être frappé en étudiant châtellenies et prévôtés de l’imbrication étroite de ces deux réalités administratives. S’il y a des prévôtés sans châtellenie, et notamment dans la zone sud où le réseau prévôtal est dense, il n’existe pratiquement pas de châtellenie sans prévôté. En outre, ce qui relève ici du prévôt est ailleurs assumé par le châtelain (la perception des tailles ou des amendes entre autres), et il apparaît bien difficile de comprendre pourquoi. Le châtelain peut même être parfois un fermier, à l’instar du prévôt. Il est même le cas de Montmirey où les deux offices appartiennent en 1349 à un seul homme, écuyer de surcroît, Guyot de Brans. Fonctions similaires de receveurs, de gestionnaires du domaine, polyvalence semblable, tout se passe comme si l’on avait juxtaposé deux agents, le châtelain venant sans doute
168 En 1358-1359 ; ADCO, B 1406, fol. 48v. 169 Le 31 octobre 1360 ; ADCO, B 1408, fol. 26v. 170 En 1332-1333, Guillemin, châtelain du lieu, reçoit les 11 l. 4 d. de la vente des biens d’une bâtarde de Pointre, en sus de deux émines d’orge et d’avoine pour le reste de sa taille ; ADD, 1B 79¹, fol. 2. Le même homme, en 1335-1336, rapporte au trésorier les biens de deux autres bâtardes de ce village, et d’une autre d’Offlanges ; BnF, Moreau 900, fol. 288v. En 1337-1338 encore, alors qu’il n’est plus en fonction, il verse 20 l. 10 s. au bailli et 17 s. au trésorier, échus des biens meubles de Pierrate de Brans ; BnF, Moreau 900, fol. 350. 171 Guillaume Voudenay à Clerval délivre deux quittances au prévôt pour le montant de sa ferme, acquitté en deux fois entre la Saint-Michel 1338 et la suivante ; ADCO, B 1055. 172 Voir IVe partie, chapitre iv. 173 Le procédé est ancien : lorsque Humbert le Moine, châtelain de Pontarlier en 1304-1305, inflige une amende de 20 l. aux hommes du prieur de Hautepierre (comm. Mouthier-Haute-Pierre, Doubs, ar. Besançon, c Ornans), il garde 60 s. pour lui ; il afferme également les rentes de la châtellenie ; BnF, Moreau 900, fol. 4 et 14. Sous Mahaut d’Artois toujours, Arnoul, châtelain de Bracon, perçoit en 1312 deux livres de cire sur les quatre que verse un homme nouvellement entré en la garde de la comtesse ; ADD, 1B 75, fol. 46v. Plus tard, Ferry de Montbozon, châtelain de Dole, prend trente-cinq émines, moitié froment, moitié avoine, sur l’éminage de Dole entre la Saint-Hilaire (13 janvier) et la SaintMichel 1333, et encore vingt-six émines jusqu’à Pâques 1334 ; ADD, 1B 79A1, fol. 13v et BnF, Moreau 900, fol. 253. Quant au châtelain de Montjustin Guillaume de Grenant, il reçoit la même année les gélines du lieu, soit environ 110 volailles, dont le trésorier ne compte rien ; BnF, Moreau 900, fol. 286v. 174 Jean le Barbier, en tant que châtelain, tient à ferme la halle et les amendes de Scey pour 40 l., ainsi que les revenus de la châtellenie pour vingt livres de cire en 1332-1333 ; ADD, 1B 79A1, fol. 2v et 39v. De la même façon, on ne compte pas les recettes de blé de Chemilly pour 1333-1334, qui sont de l’ « amoisonement » du châtelain ; BnF, Moreau 900, fol. 283. Guy de Villefrancon, lui, à Poligny, tient à ferme des prés, un verger et une vigne et plusieurs autres choses que Richard des Bans ne compte pas pour l’année 1332-1333 ; ADD, 1B 79A1, fol. 3v.
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plus tardivement prendre sa place aux côtés du prévôt, dont les origines ne sont pas connues en Comté. L’usage local ou l’occasion feraient le reste, le pouvoir n’ayant pas jugé bon de redéfinir les compétences de chacun. Une telle redondance ne manque pas de surprendre et témoigne d’un archaïsme certain de l’administration domaniale en ce premier xive siècle175. Plus rationnelle semble à nos yeux contemporains son organisation en bailliages, dont les responsables chapeautent prévôts et châtelains. Elle participe d’une certaine modernisation de l’administration du domaine sensible dès le principat d’Eudes IV.
175 C’est ce que remarque P. Gresser qui écrit : « Jusqu’au milieu du xive siècle approximativement, le domaine comtal continua de disposer d’une organisation que l’on peut qualifier d’archaïque par comparaison aux institutions du royaume de France » ; P. Gresser, La Franche-Comté…, op. cit., p. 201.
Chapitre IV
Des réformes de structures Se définissent progressivement au cours de notre période des entités administratives qui accompagnent l’ébauche d’une centralisation et d’une gestion plus rationnelle du domaine, comme les bailliages et, pour l’exploitation des eaux et forêts, la gruerie. L’originalité de la région tient moins à celles-ci, qu’on peut croire imitées du royaume de France et du duché voisin, qu’à l’exploitation des ressources particulières apportées par les salines. Elles font l’objet de toutes les attentions des princes.
1. Bailliages Le titre de bailli apparaît ponctuellement au comté de Bourgogne dès la fin du XIIe siècle, comme dans le royaume de France. La fonction se met en place courant XIIIe, mais ne devient régulière qu’à partir de 1260 environ1. Elle reste unique jusqu’au règne d’Othon IV, qui voit la mise en place de deux baillis, spécialisés l’un dans les affaires de justice et de police, l’autre dans les finances2. Il n’est pas alors question d’un territoire différent pour chacun, les deux officiers ayant leur champ d’action dans tout le domaine. C’est un titre que l’on retrouve dans les grandes seigneuries particulières. Mahaut d’Artois a son bailli pour administrer ses biens en Comté, plus tard Marguerite de Flandre également dans ses domaines. Qu’en est-il pour Eudes IV et Philippe de Rouvres ? Deux baillis coexistent de 1330 à 1361, qui s’occupent indifféremment des finances comme de la justice, contrairement au siècle précédent. Mais la classique dichotomie entre bailliage d’Amont et bailliage d’Aval n’est pas encore établie pendant le principat d’Eudes IV. Ces termes n’apparaissent en effet qu’après sa mort dans les documents, à partir de 1350, pour la comptabilité comme dans la titulature des baillis3. Ce n’est que par déduction que l’on a établi le tableau qui suit, et réparti ses officiers entre les deux bailliages, en se basant sur la châtellenie qui leur est affectée (Poligny pour les baillis d’Aval, Châtillon-le-Duc ou Vesoul pour les baillis d’Amont). On pourra les comparer à la liste donnée par Charles Duvernoy en 1846 lors de la réédition des Mémoires historiques de Louis Gollut4. Elle diffère de la nôtre sur plusieurs points : il
1 M.-Th. Allemand-Gay, Le pouvoir…, op. cit., p. 77. 2 Ibid., p. 324-325. 3 À l’exception d’un fragment de compte du bailli Foulque de Vellefrey, daté de 1347 et publié par Fr.-F. Chevalier, où cet officier est intitulé « bailli d’Aval et châtelain de Poligny » ; Fr.-F. Chevalier, Mémoires…, op. cit., t. I, preuve n° 103. Mais il y a de fortes chances pour que ce titre lui ait été attribué a posteriori, peut-être par l’auteur lui-même, car à aucun moment dans nos sources n’apparaît la mention « bailli d’Aval » pour le qualifier. Si nous pouvions encore disposer de ce document malheureusement disparu, les choses seraient plus claires. 4 L. Gollut, Les mémoires historiques…, op. cit., col. 1752 et 1753.
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y manque l’intercalation des officiers sur la fine durée, les dates d’entrée et de sortie de charge ne sont pas toujours les mêmes, et surtout on y trouve la mention d’Eudes de la Roche, sire de Nolay et de Châtillon-sous-Maîche5, comme bailli d’Aval en 1338. Peut-être Duvernoy a-t-il eu accès à un document qui nous a échappé, car nous ne le connaissons en cette année qu’en tant que gardien de Baume6. Il nous apprend aussi, c’est intéressant, que Guinart (ou Quinart) de Cheliz, qu’il nomme Quienars de Theliz (l’orthographe de son nom varie beaucoup dans les sources) et ne recense pas parmi les baillis, a été lieutenant du bailli d’Aval en 1353 et 1354, ce qui l’aurait effectivement bien préparé à sa tâche. On n’a pas fait mention dans le tableau des gages de ces officiers, sur lesquels nous n’avons que très peu de renseignements7. BAILLIS D’AMONT
BAILLIS D’AVAL
1331-1336
Hugues d’Arc
1332-1336
Guy de Villefrancon
Fin 1336-1342
Guy de Vy
1336-1341
Eudes de Cromary
1343-1348
Jean de Montaigu
1343-1349
Foulque de Vellefrey
1350-1351
Hugues de Vercel
1350-1353
Hugues de Savigny
03/08/53-10/03/54
Renaud de Jussey
10/03/54-14/03/54
Guillaume Jumars
14/03/54-13/07/54
Renaud de Jussey
03/07/55
Renaud de Jussey
1355
Jean de Cusance
1356-1357
Guillaume d’Antully
1356-1358
Guinart de Cheliz
1358-1360
Jean de Cusance
12/58-04/61
Jean de Montmartin
1360-1361
Hugues de Vercel
Sept. 1361
Jean de Cusance
Enfin, Charles Duvernoy affirme que la division en deux bailliages d’Amont et d’Aval s’opère sous Eudes IV, alors que rien dans le vocabulaire employé dans les documents de l’époque n’évoque ces deux circonscriptions. L’idée d’un territoire précis affecté à chacun des deux baillis, même absente de leur titulature, est-elle néanmoins présente dans les faits avant 1350 ? Il est difficile de répondre à cette question à l’aide de nos sources. Rien n’est à première vue rigidement règlementé, ce qui se répercute sur la terminologie, avec la seule mention de « bailli de la Comté », ou « bailli en Bourgogne », pour les désigner, sans les différencier. Mais si ces deux
5 Châtillon-sous-Maîche, comm. Les Terres de Chaux, Doubs, ar. Montbéliard, c. Maîche. 6 ADCO, B 1055. 7 Voici les rares indications dont nous disposons : 50 l. de gages annuels pour Morel d’Anvin, bailli en Bourgogne pour la comtesse Mahaut en 1305 (BnF, Moreau 900, fol. 22v) ; 200 l. pour Eudes de Cromary en 1340 (ADCO, B 1390, fol. 62) ; 200 l. également pour Renaud de Jussey, en 1353-1354 (ADD, 1B 86 (1), fol. 1v), et pour Jean de Montmartin à la fin de notre période (ADD, 1B 88, fol. 7), ce qui est moins élevé que la rémunération d’un châtelain de la zone frontalière. Ils cumulent cependant leurs gages de bailli avec ceux attachés à leur office de châtelain.
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officiers semblent circuler dans toute la principauté8, ils ont sans doute une zone d’intervention privilégiée, notamment en matière de justice. Ainsi, en 1335-1336, sont notés les « despens de monsignour Hugues d’Arc, bailli en Bourgoigne, avec ses lieutenans, faiz en tenant assises par la contey ». Il ne rend la justice qu’à Jussey, Vesoul, Baume, Clerval et Montmirey, c’est-à-dire dans le nord de la province9. Malheureusement, nous n’avons aucun renseignement sur l’activité judiciaire de son homologue Guy de Villefrancon qui pourrait permettre d’affirmer que ce dernier fait de même dans la zone sud. On le voit seulement participer à une « journée » à Poligny contre les gens de Jean de Chalon en novembre 133510, ce qui est déjà un indice. Mais il est aussi châtelain de Poligny, et peut agir à ce seul titre. Les comptes que nous ont laissés les baillis d’Eudes IV ne peuvent pas non plus nous éclairer sur une éventuelle circonscription d’exercice. Ils ne comportent que très peu, voire aucun renseignement de nature géographique. Certes, Hugues d’Arc officiait dans le nord : l’arrêt de son compte au début de décembre 133611 cite Châtillon-le-Duc (dont il est châtelain), des prêteurs juifs de Vesoul, de Port-surSaône et de Fondremand, ou lombards de Traves, Montjustin et Montbozon, une échute à Apremont. Hélas, nous ne pouvons le mettre en parallèle avec l’activité de Guy de Villefrancon, qui ne s’est pas présenté à Dijon devant les gens des comptes en même temps qu’Hugues d’Arc. Et pour cause, il devait être alors à l’agonie12. Quant aux arrêtés des comptes opérés en mars 1341, où figurent Eudes de Cromary et Guy de Vy, tous deux baillis à cette date, ils sont désespérément muets13. Nous devons nous reporter aux comptes des trésoriers du comté pour en apprendre plus sur une éventuelle division administrative en deux circonscriptions bailliagères. L’absence de distinction entre bailliage d’Amont et bailliage d’Aval entre 1330 et 1349 y est lisible. Elle est ancienne. L’arrêté des comptes des prévôts dressé par Arnoul des Noes pour l’année 1311-1312 balaie la totalité du domaine comtal14. Les comptes de Richard des Bans pour les années 1332-1337, qui est dit soit trésorier du comté sans précisions15, soit trésorier de Vesoul16, reproduisent cette structure et englobent
8 Par exemple, au mois de novembre 1337, les deux baillis sont réunis à Pesmes (Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Marnay) pour la tenue d’un procès contre Jean de Chalon et l’archevêque de Besançon ; BnF, Moreau 900, fol. 361v. 9 BnF, Moreau 900, fol. 315-315v et 327-327v. 10 Ibid., fol. 299. 11 ADCO, B 1389, fol. 37v-38. 12 D’après nos documents, son décès survient le lundi après la Saint-Nicolas d’hiver de cette année, soit le 9 décembre 1336 ; BnF, Moreau 900, fol. 336. 13 ADCO, B 1390, fol. 62-62v. 14 ADD, 1B 76. Le domaine est alors beaucoup moins étendu, en raison de l’important douaire de la comtesse Mahaut. 15 Ce n’est qu’au dos qu’on a rajouté plus tardivement la mention « trésorier de Vesoul » ; ADD, 1B 79A1. Il est vrai que ce personnage est originaire de Vesoul. 16 ADCO, B 1389, fol. 33. Arrêté de son compte fait à Dijon le samedi, jour de la Saint-André (30 novembre) 1336. Il est appelé « trésorier de Vesoul » dans le titre de la rubrique, puis « trésorier de la comté de Bourgogne ». On conserve aussi l’arrêté de son compte pour 1339-1340, fait à Dijon le samedi après la quinzaine des Bordes 1340 a. st. (17 mars 1341), en tant que « trésorier de Vesoul » ; ADCO, B 1390, fol. 63v.
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indifféremment les localités du nord et celles du sud de la province (comme Grozon, Poligny, Toulouse, Dole, La Vieille Loye)17. Mais il existe alors un second trésorier à Salins, dont ont été conservés les arrêtés des comptes de 1335-133618 et 1339-134019. Le champ de son exercice s’étend pour le premier arrêté à « la terre de la baronnie de Salins », à une partie des anciennes possessions d’Hugues de Bourgogne – sans plus d’indications, le principal étant comptabilisé par Richard des Bans – à Bracon, Colonne, et Chissey. Il est réduit à la portion congrue20. Dans le second arrêté viennent au contraire se rajouter à ces terres Montmorot, Pontarlier, Ornans, Lavans, Cincens, Étrepigney, Orchamps, Dole, Gendrey, Poligny, Grozon et Blandans. Poligny, Dole et Grozon ont alors été retirés du ressort de Richard des Bans, qui se trouve concentré, en 1339-1340, sur les localités du nord (Vesoul, Chariez, Baume, Clerval, Montmirey, Gray, et les anciennes possessions d’Hugues de Bourgogne : Montjustin, Montbozon, Étobon et Fondremand)21. Ce qui signifie qu’il y a eu remaniement du ressort des deux trésoreries, par un rééquilibrage au profit du trésorier de Salins, désormais en charge de tout le sud du comté. Cette mutation capitale a eu lieu précisément entre Pâques 1337, date du dernier compte du trésorier de Vesoul englobant des localités méridionales, et la Saint-Michel de la même année. Ces localités ont en effet disparu de son compte courant de la Saint-Michel 1337 à la Saint-Michel 133822, le dernier que nous ayons conservé en copie. Bien qu’incomplet, il ne laisse aucun doute sur le remodelage de la circonscription de la trésorerie de Vesoul. Cette redéfinition géographique s’est à n’en pas douter répercutée sur la perception du périmètre d’intervention des baillis, à moins qu’à l’inverse, elle n’ait été opérée qu’afin d’aligner le ressort des trésoreries sur celui des bailliages. On a représenté sur la carte 6 en annexe les lieux cités aux chapitres des trésoriers de Vesoul et de Salins dans l’arrêté des comptes de 1341. Ils peuvent donner une idée du ressort des deux bailliages à partir de 1337. L’intuition de Duvernoy datant leur définition du principat d’Eudes IV semble bien être corroborée. Quoi qu’il en soit, l’opération va dans le sens d’une rationalisation de l’administration qui s’imposait du seul point de vue pratique. Ce sont certainement les manœuvres et les tracas occasionnés par la guerre de 1336 contre les barons qui ont jeté la pleine lumière sur les inconvénients de la gestion initiale. On ne peut qu’être frappé en effet par la coïncidence de la réorganisation territoriale avec la fin des hostilités, faisant suite à l’arbitrage royal de juin 133723, et avec l’entrée du royaume dans la Guerre de Cent ans. L’efficacité devenait nécessaire. Le flou qui régnait auparavant s’explique toutefois très bien : la gestion du domaine portait les stigmates de l’importante et durable partition de celui-ci entre les terres proprement comtales, celles constitutives du douaire de Mahaut d’Artois, qui avaient une entière autonomie et se regroupaient 17 ADD, 1B 79A1, BnF, Moreau 900, fol. 244-348v et BEC Besançon, Droz 11, fol. 255-360v. 18 ADCO, B 1389, fol. 35v-36v. 19 ADCO, B 1390, fol. 61-62. 20 Voir carte 5 en annexe. 21 ADCO, B 1390, fol. 63v-64v. 22 BnF, Moreau 900, fol. 349-376 et BEC Besançon, Droz 11, fol. 361-388. 23 U. Plancher, Histoire…, op. cit., t. II, preuve CCLXI. Voir IVe partie, chapitre iii.
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dans ce qui sera le futur bailliage d’Aval, et celles d’Hugues de Bourgogne. Leur réintégration dans les organismes princiers semble avoir généré quelques flottements, avant qu’il ne devienne patent que le domaine était désormais trop important pour être géré pratiquement par une seule structure comptable comme auparavant. Ce n’est toutefois qu’en 1350 qu’un compte, ou plutôt les « parties » d’un compte général disparu, pour l’année courant de la Saint-Michel 1349 à la Saint-Michel 1350, individualisent le « tresorier dou contey de Bourgoigne en la baillie d’Amont24 ». Lui correspondait sans aucun doute alors le trésorier d’Aval, qui rendait compte, comme le fit Aubriet de Plaine pour 1358-1359, sous le titre de « tresorier en la contey de Bourgoigne au bailliage d’Aval25 », selon un procédé bien connu pour les années qui suivront, jusqu’à la création d’un bailliage supplémentaire à Dole en 1422. Ce n’est donc qu’à partir du principat de Philippe de Rouvres qu’il devient aisé, à partir de ces comptes – reliant désormais sans ambigüité le ressort des trésoreries à celui des bailliages – d’identifier le champ d’action respectif des deux baillis, tout en gardant à l’esprit qu’« en aucun cas il ne s’agissait d’une circonscription administrative aux limites bien précises, mais d’une série de seigneuries placées dans le ressort du trésorier26 ». La partition territoriale est pourtant bien réelle, et dès lors bien lisible dans l’idée que s’en font les agents comtaux. Ainsi, le 22 avril 1357, une lettre adressée à Guillaume d’Antully, bailli d’Amont, par le lieutenant du gouverneur Étienne de Musigny, lui intime l’ordre « qu’il aille sur les pas et detroits de son bailliage » en raison de rassemblements de troupes armées au comté dont la cause est inconnue27. Le bailliage a donc une frontière, même floue. Chaque bailli gouverne une circonscription désormais bien définie : le mercredi 19 juin 1359, Jean de Cusance, bailli d’Amont, rejoint celui d’Aval, Jean de Montmartin, à Pontarlier avec une petite troupe afin de « traiter et prendre estenances a dit seigneur de Jou », sur les terres de qui les hommes de Jean de Montmartin viennent la veille de « corre, fourfaire et bouter les feux ». Dès le samedi suivant, après le déjeuner, « se departirent lesdits baillis chascun a sa route dudit lieu pour aller chascun en son bailliage28 ». Cette précision éclaire l’attribution sans ambigüité d’un territoire propre au gouvernement de chacun. Le bailliage d’Aval, moins étendu que celui d’Amont, mais plus dense en prévôtés, et celui d’Amont, au maillage plus lâche, fournissent alors un cadre structurant pour la gestion de la principauté et la direction des officiers subalternes. Cette ossature compense en partie l’indifférenciation des fonctions châtelaines et prévôtales, source de confusion certainement nuisible au bon fonctionnement de l’administration princière. Sa mise en place a été progressive, mais l’épreuve de la guerre a constitué le facteur décisif d’une nécessaire clarification et d’une homogénéisation des institutions. Une même volonté de rationalisation administrative, toute relative, préside à la naissance et au développement de la gruerie.
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ADD, 1B 1711, compte de Perceval de Vaveler. ADCO, B 1406. P. Gresser, La Franche-Comté…, op. cit., p. 203. ADCO, B 1402, fol. 53v. ADD, 1B 88, fol. 4.
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2. Eaux et forêts La gestion des eaux et forêts, secteur particulier et important du domaine comtal, est aujourd’hui bien connue grâce aux travaux de Pierre Gresser, que nous ne faisons que reprendre dans la présentation qui suit. Celle-ci résume l’apparition de l’office de gruyer, le ressort de son gouvernement, ainsi que ses principales fonctions. a. La naissance d’un office spécialisé : la gruerie La situation vers 1330
Le premier compte de gruerie dont nous disposons, qui court du 12 juilllet 1338 au 25 décembre 134029, peut donner une idée de la gestion des eaux et forêts du domaine avant la création de l’office. Si les eaux semblaient alors sous l’entière responsabilité des châtelains domaniaux, plusieurs intervenants se partageaient l’administration des forêts. Par exemple, le « pesnaige » des bois de Gray et de Velesmes, levé par un clerc et un sergent, était ces années-là reçu et comptabilisé par le prévôt de Gray. Le document précise d’ailleurs qu’à Clerval, Baume, Montbozon et Fondremand, « les bois sont en l’amoisenement des prevost ». En matière judiciaire, notamment pour la perception des amendes, c’étaient les châtelains qui agissaient, sans que fût exclue une intervention du gardien, voire du comte lui-même. Ainsi, une amende jugée arbitraire demeurait « à la volontey et à l’ordenance de monseigneur ». « Par conséquent, écrit Pierre Gresser, depuis les agents locaux jusqu’au comte, nombreux étaient ceux qui intervenaient dans l’administration et la gestion des eaux et forêts princières30 ». C’est pour rationaliser la mise en valeur de ce secteur du domaine que fut créée la gruerie. Les premières mentions de l’office
« À la différence du duché de Bourgogne, le comté de Bourgogne ne nous a pas laissé de textes suffisamment nombreux pour savoir, avec précision, quand et comment fut créé l’office de gruerie de la Comté dans la première moitié du xive siècle31 ». La mention la plus ancienne d’un gruyer du comté se trouve dans l’arrêté des comptes rendus à Dijon en 1336, sous l’intitulé « Huguenins de Banans, gruers ou contey de Bourgoigne32 ». Il rend alors compte, le 2 décembre 1336, de la comptabilité de la gruerie depuis le 25 mars 1335 jusqu’au 30 novembre 1336, et la mention de la somme due par l’arrêt de son compte précédent nous indique avec certitude qu’il exerçait déjà cette fonction avant le 25 mars 1335. Si l’existence d’un successeur en la personne de Perrenot de Grozon, mentionné pour 1337 par Fr.-F. Chevalier33, et qui sera repris par les historiens ultérieurs, est plus
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ADD, 1B 81 (2). P. Gresser, La gruerie…, op. cit., p. 11. Ibid., p. 15. ADCO, B 1389, texte XXXII, cité par P. Gresser, La gruerie…, op. cit., p. 23. Fr.-F. Chevalier, Mémoires…, op. cit., t. II, p. 378, cité par P. Gresser, La gruerie…, op. cit., p. 22.
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que douteuse, les sources attestent la continuité de l’office les années suivantes. Il s’agit de deux rouleaux donnant respectivement les revenus des bois de Colonne, Poligny et Chaux « dou tamps que Jaquet Bergeret ay governer » – c’est-à-dire de la Purification Notre-Dame 1337 a. st. (2 février 1338) à la Saint-Michel (29 septembre) 133834 – et le compte du gruyer Nicolas de Florence, du 12 juillet 1338, date de son institution, à Noël 134035. Ce dernier est recoupé par l’arrêté des comptes fait à Dijon en mars 134136. Il porte sur les étangs comme sur les bois comtaux. Les dates contradictoires soulèvent le problème de la cohabitation des deux gruyers entre le 12 juillet et le 29 septembre 1338. Les assises géographiques différentes invitent à avancer avec prudence qu’il y avait deux gruyers en 1338, l’un, Nicolas de Florence, pour le futur bailliage d’Amont, l’autre, Jacquet Bergeret, pour le futur bailliage d’Aval37. Mais la fonction n’est pas spécifiquement comtoise. Une influence française et bourguignonne38
À la fin du xiiie et dans la première moitié du xive siècle, on assiste dans les principautés à la création d’officiers supérieurs chargés de coiffer les agents locaux des domaines forestiers. En Savoie par exemple, bien que le pouvoir répugne à instaurer des officiers spécialisés afin de conserver la concentration des responsabilités entre les mains des baillis et des châtelains, on trouve pourtant mention, en 1344, d’un garde des bois et des eaux du comté39. Cette date est à rapprocher de l’apparition dans les sources du premier gruyer comtois en 1335. De même, dans le comté de Bar, un gruyer regroupe sous ses ordres, en 1327, les forestiers de la forêt de Briey40. Mais c’est surtout du côté du duché de Bourgogne et du royaume de France qu’il faut chercher un modèle, l’apparition du gruyer comtal étant vraisemblablement une conséquence de l’union des deux Bourgognes, comme le pensait déjà Auguste Coulon en 189341. En effet, l’existence d’un gruyer dans le duché est attestée pour la première fois en 1313, l’office de gruerie se trouvant définitivement institué vers 133542. On ne peut qu’être frappé par la concordance de temps avec l’année d’exercice, en Comté, du premier gruyer Huguenin de Bannans, en 1335-1336.
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ADD, 1B 81 (1). ADD, 1B 81 (2). ADCO, B 1390, fol. 67v. P. Gresser, La gruerie…, op. cit., p. 26-27. Ce d’autant plus que le compte de Nicolas de Florence porte la mention « au bailliage Guy de Vy », et que, comme on l’a vu, Guy de Vy est alors bailli d’Amont. Nous nous référons toujours dans ce paragraphe à l’étude de Pierre Gresser ; ibid., p. 35-42. B. Demotz, Le comté de Savoie du début du xiiie au début du xve siècle…, op. cit., p. 1031. A. Girardot, « Forges et législation forestière : l’exemple de la forêt de Briey au début du XIVe siècle », M.S.H.D.B., 41 (1984), p. 160. A. Coulon, Étude sur les forêts de Franche-Comté du ier au xviie siècle, thèse manuscrite de l’École des chartes, 1893. J. Richard, « La constitution d’un grand office : la gruerie de Bourgogne », Annales de Bourgogne, 44 (1972), p. 48.
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Dans le royaume de France, les eaux et forêts, qui relevaient auparavant de la compétence des baillis, se trouvent confiées à un « maistre des forêts » du roi dès 1287, mais la mutation ne se fit que progressivement jusqu’au début du xive siècle, les deux pouvoirs s’exerçant de façon concomitante. En 1330, puis 1341, le roi procède à une réforme de cette administration : il nomme des enquêteurs réformateurs sur le fait des eaux et forêts afin de révoquer les mauvais administrateurs et de rendre la justice. Enfin, le 1er décembre 1360, il institue le souverain maître et général réformateur des eaux et forêts du royaume, chef de cette administration43. La première moitié du xive siècle apparaît donc décisive dans l’histoire de la gruerie, à l’ouest comme à l’est de la Saône. La tendance à la spécialisation administrative des eaux et forêts se trouve en outre renforcée en Comté par l’arrivée au pouvoir d’Eudes IV qui, comme le pensait A. Coulon, est certainement à l’origine de l’introduction de l’office dans la province « à l’imitation d’un office semblable existant déjà au duché de Bourgogne44 ». Il n’est plus alors qu’à suivre l’essor de cette institution, qui se traduit d’abord par un accroissement de l’espace administré. b. Le ressort de la gruerie Le flou des premiers comptes
« C’est en vain que l’on chercherait des précisions sur ce que fut l’assise géographique des pouvoirs d’Huguenin de Bannans au cours de l’exercice financier du 25 mars 1335 au 30 novembre 1336 », écrit Pierre Gresser45. Les rares mentions toponymiques apparaissent décevantes : Santans, dont la tour fait l’objet de recettes et de dépenses en vue de sa « garnison » lors de la guerre de 1336 ; Dole et Fourg46, pour lesquelles il déclare ne pas compter les cires. « Il serait tout aussi inutile, continue l’auteur, de vouloir s’appesantir sur le compte de Jacquet Bergeret du 2 février au 29 septembre 1338, car non seulement il ne dit mot des eaux comtales, mais il ne présente qu’une partie des bois qui appartenaient au comte de Bourgogne : ceux de Colonne, de Poligny et de Chaux ». La forêt de Chaux ne pose pas de problème d’identification ; les bois de Colonne évoquent une série de forêts dans les environs du village « dont l’identification exacte, par rapport à la sylve existante, demeure délicate, voire impossible » ; enfin, les bois de Poligny font allusion à la forêt de Vaivres, qui subsiste aujourd’hui, à l’ouest de la ville, et qui est citée dans les comptes suivants. Il est donc « bien délicat de parler d’un ressort de la gruerie » si l’on s’appuie sur ces seuls documents. En revanche, le compte de Nicolas de Florence, du 12 juillet 1338 au 25 décembre 1340, s’avère beaucoup plus explicite. Les forêts, qui apparaissent par le biais du « pesnage », sont celles de Gray, « Loncourt47 », Velesmes, Jussey, Vesoul, Montjustin, 43 É. Decq, « L’administration des eaux et forêts dans le domaine royal en France aux xive et xve siècles », B.É.C., 83 (1922), p. 65-110 ; 84 (1923), p. 92-115. 44 A. Coulon, Étude…, op. cit., p. 127, cité par P. GRESSER, La gruerie…, op. cit., p. 37. 45 P. Gresser, ibid., p. 29. 46 Fourg, Doubs, ar. Besançon, c. Saint-Vit. 47 Pierre Gresser se demande s’il s’agit de Lieucourt, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Marnay ; La gruerie…, op. cit., p. 30.
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Étobon, Baume-les-Dames, Clerval, Montbozon, Châtillon-le-Duc, Montmirey, Fondremand et Apremont. Les étangs, au nombre de six seulement, sont moins représentés : Gray, Montjustin, Étobon, Fondremand, Apremont et Montmirey. Ces quatorze localités citées se trouvent vraisemblablement englobées dans une circonscription administrative dont le nom est absent du document, mais qui correspond au futur bailliage d’Amont. En 1338, la gruerie est donc implantée dans les deux bailliages, mais reste loin de couvrir l’ensemble du domaine comtal. Il faut attendre le milieu du xive siècle pour que de nouveaux comptes viennent éclairer l’extension de son ressort. De 1353 à 1361 : une expansion géographique
On dispose d’une remarquable série documentaire pour les années situées entre 1353 et 1364, composée de pas moins de dix-neuf registres. Il devient alors beaucoup plus facile de définir le ressort de la gruerie, grâce à des comptes bien structurés, notifiant recettes et dépenses48. Le premier est le registre financier de Richard de la Loige, écuyer, gruyer du comté, établi pour trois mois, du 22 juin au 29 septembre 135349. Il est incomplet, ne recensant en recettes que les revenus des vanniers « dou rei de Chaux » et la vente de cinquante charretées de bois mort à Salins, et en dépenses, outre les gages du gruyer, le montant de la somme qu’il a versée au receveur général Dimanche de Vitel. Mais le même officier rend, pour l’année courant du 29 septembre 1353 au 29 septembre 1354, un compte en deux parties, « parfaitement structuré50 ». L’absence de lacune dans la documentation permet de suivre Richard de la Loige dans sa fonction jusqu’au 8 janvier 1361. Il est alors le seul gruyer, responsable de l’ensemble des eaux et forêts comtales. La date du 8 janvier 1361 marque le retour à une gestion par bailliages avec, pour l’Amont, le compte de Jean de Bonnay, jusqu’au décès de Philippe de Rouvres le 21 novembre de la même année51, et pour l’Aval, celui d’Aubert de Plaine, courant du 8 janvier 1361 au 9 février 136252. La double comptabilité, reprise en 1364, se poursuivra ensuite jusqu’au xve siècle. Ces comptes sont rédigés selon un plan thématique, et non géographique. On trouve par exemple la mention du « pesnage », dans quinze lieux cités de 1353 à 1361 : Apremont, Baume-les-Dames, la forêt de Chaux, Clerval, Colonne, Gray, Jussey, Montmirey, Ornans, Ougney, Scey-en-Varais, la forêt de Vaivres (près de Poligny), Velesmes, la forêt Vernois (près de Voiteur) et Vesoul. Les amendes des bois banaux ne sont pas forcément perçues dans les mêmes localités. En 1353-1354, il s’agit de Gray, Montmirey, Orchamps, Dole, La Loye et Poligny ; en 1354-1355 d’Apremont, Voiteur
P. Gresser, ibid., p. 43-44. ADCO, B 1396 (1). ADCO, B 1396 (2). P. Gresser, La gruerie…, op. cit., p. 28. Ce compte se trouve inclus dans celui du trésorier du comté pour le bailliage d’Amont, qui est Jean de Bonnay lui-même, pour l’année 1366-1367 ; ADCO, B 1427, fol. 13-13v, cité par P. Gresser, La gruerie…, op. cit., p. 114. 52 ADCO, B 1409 (1).
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et Colonne ; en 1357-1358 de Baume-les-Dames, Clerval et Ornans. Quant aux étangs, l’identification de leur lieu d’implantation est difficile, en raison de l’imprécision des textes. On en recense une vingtaine à peu près, répartis entre Colonne, Fraisans, Apremont, Gray, Montjustin, Montmirey, Velesmes, Montot et Vadans. On est frappé par l’extension du ressort de l’office depuis le compte de 1338-1340. Bien qu’Étobon et Fondremand aient disparu, parce qu’entre-temps sortis du domaine comtal, on ne peut que constater une nette expansion géographique des eaux et forêts sous le contrôle du gruyer, avec vingt-trois noms de lieux pour quatorze seulement dans le compte de Nicolas de Florence53. Il convient toutefois de souligner les limites de cette centralisation. Une partie des eaux et forêts du domaine sont enregistrées dans la comptabilité ordinaire des trésoriers de Dole et de Vesoul. Par exemple le compte d’Aubert de Plaine pour le bailliage d’Aval en 1358-1359 prend en charge l’amodiation des moulins, les pêcheries d’Ornans et de Gendrey, comme une importante vente de bûches pour la saunerie de Salins réalisée dans la châtellenie de Bracon. Toute l’administration des eaux et forêts du domaine comtal n’a donc jamais été regroupée au sein d’une institution unique, malgré les progrès enregistrés dans l’organisation de la gruerie au milieu du xive siècle54. Preuve que cette dernière ne va pas sans tâtonnements. L’hésitation entre l’unicité ou le dédoublement de l’office tend à le montrer. c. Les gruyers : un ou deux officiers ?
Nous reproduisons ici le tableau des détenteurs de l’office entre son apparition dans les sources en 1335 et 1361, tel qu’il a été établi par Pierre Gresser, ou presque55. BAILLIAGE D’AMONT
BAILLIAGE D’AVAL
Huguenin de Bannans (25 mars 1335 – 30 novembre 1336) Perrenot de Grozon (1337 ?) Nicolas de Florence (12 juillet 1338 – 25 décembre 1340)
Jacquet Bergeret (2 février – 29 septembre 1338) Besançon de La Loye (1339 – 1340)
Nicolas de Florence 1345, 1346, 1349 Richard de la Loige (22 juin 1353 – 8 janvier 1361) Jean de Bonnay (8 janvier – 21 novembre 1361)
53 P. Gresser, La gruerie…, op. cit., p. 47-48. 54 Ibid., p. 58-60. 55 Ibid., p. 115.
Aubert de Plaine (8 janvier 1361 – 9 février 1362)
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On a déjà commenté plus haut les sources nous donnant à connaître les noms des premiers gruyers et le dédoublement de la fonction entre juillet et septembre 1338. Nicolas de Florence préside quant à lui à la destinée de l’office sans solution de continuité du 12 juillet 1338 au 25 décembre 1340. Le compte qui nous informe sur ses fonctions dans ce laps de temps ne portant que sur « le bailliage Guy de Vy56 », autrement dit ce qui constituera plus tard le bailliage d’Amont, Pierre Gresser s’interroge sur l’existence éventuelle d’un homologue de Nicolas de Florence qui aurait gouverné les eaux et forêts du bailliage d’Aval, ou de son équivalent, après le 29 septembre 1338, succédant ainsi à Jacquet Bergeret, mais dont il n’a pas trouvé de traces dans les documents. C’est à juste titre, car nous avons en effet découvert la discrète mention de Besançon de La Loye, « gruyer de Bourgogne », qui a fait un versement au trésorier de Salins en l’année 1339-1340 en raison « des defauts de la forest de Chaulx57 ». On peut penser en tout cas qu’en 1345, Nicolas de Florence est le seul détenteur de l’office au vu de son titre de « gruel general ». Il a en effet été gruyer bien au-delà de Noël 1340, quoique plane une incertitude sur la durée exacte de ses fonctions après cette date, car toutes les mentions postérieures de l’homme ne le qualifient pas systématiquement de gruyer. Mais on trouve sa trace en tant que gruyer dans divers documents, et ce jusqu’en 1349. Il existe pour cette année-là « li roles de la vendue dou poisson de l’estang au Guinart, vendu en la karoime l’an XLVIII », c’est-à-dire du 26 février au 12 avril 1349. Il nous précise que cette vente a eu lieu à Colonne, sous les auspices de Perrenoz de Lavans, à ce commis par Nicolas de Florence, « gruyer en la contey »58. Nous ignorons qui succéda à Nicolas de Florence, en raison du silence des sources jusqu’au premier compte de Richard de la Loige, qui débute le 22 juin 1353. Mais ce dernier était déjà en exercice avant cette date, comme l’indique la prise en compte de 201 l. 2 s. 4 d. au titre de l’arrêt de son compte précédent59. Impossible néanmoins de savoir depuis combien de temps. La documentation comptable sans lacune donne en revanche la certitude qu’il a occupé la fonction jusqu’au 8 janvier 136160. L’office se trouve alors à nouveau dédoublé, avec un gruyer pour la trésorerie de Dole et le bailliage d’Aval, Aubert de Plaine, et un autre pour la trésorerie de Vesoul et le bailliage d’Amont, Jean de Bonnay. Les deux hommes cumulent les fonctions de gruyer avec celle de trésorier dans leurs ressorts respectifs. Ils ne restent que peu de temps en place, mais l’assise géographique double est à souligner, avant un bref retour à l’unicité au début du principat de Marguerite de Flandre. La liste des gruyers pose en effet une question majeure, « celle de l’unicité ou du dédoublement 56 ADD, 1B 81 (2). 57 ADCO, B 1390, fol. 61. 58 P. Gresser, La gruerie…, op. cit., p. 112-113. Ce dernier document (ADD, 1B 117) a fait l’objet d’un article du même auteur : P. Gresser : « La pêche et la vente du poisson de l’étang Guignard en 1349 », M.S.H.D.B., 55 (1998), p. 35-63. 59 ADCO, B 1396. 60 P. Gresser, La gruerie…, op. cit., p. 114.
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de la fonction des responsables de l’administration et de la gestion des eaux et forêts princières ». Pierre Gresser conclut à ce sujet : « Nous ne saurions nous étonner de telles fluctuations, preuves d’une administration qui cherche à définir progressivement les cadres idéals de son fonctionnement61 ». Quelles sont justement les fonctions de ces gruyers ? d. Fonctions et compétences des gruyers Les conditions d’exercice de la fonction
Comme d’autres officiers, les gruyers sont assujettis à la prestation d’un serment, et touchent des gages pour le prix de leurs services. Voici les salaires annuels versés aux détenteurs de l’office, exprimés en livres estevenantes : Nicolas de Florence 30 l. Richard de la Loige 40 l. Jean de Bonnay 20 l. Aubert de Plaine 30 l. On remarque la différence de rémunération de 10 l. entre les deux derniers gruyers, preuve que la gruerie d’Aval a plus d’importance que celle d’Amont. Proportionnellement aux revenus des deux organismes, celui d’Amont est même mieux rémunéré que celui d’Aval62. Ces émoluments se justifient par le large champ d’intervention des gruyers. La gestion des eaux
Les eaux sont ignorées dans le compte de Jacquet Bergeret, soit qu’aucun étang n’ait été exploité cette année-là (bien que son compte inclue le temps du Carême, qui est aussi celui de la pêche), soit que la compétence du gruyer ne s’étende pas encore aux étangs domaniaux. La seconde option n’aurait rien d’étonnant si l’on se base sur le cas du duché où existaient deux administrations séparées jusqu’en 1337, date à laquelle le gruyer a pris le contrôle conjoint des eaux et forêts63. Les eaux font leur apparition dans la comptabilité de Nicolas de Florence pour 1338-1340, sous la forme d’étangs. Quelques moulins d’étangs relèvent du gruyer, qui se doit de veiller à leur bon fonctionnement, et de conduire les travaux d’entretien ou de construction. Pour les étangs proprement dits, un entretien régulier est aussi nécessaire, qu’il s’agisse de celui de la « chaussée » (digue) ou de celui du « toul » (pièce de vidange en bois). Le gruyer s’occupe également de procéder à l’alevinage et au transfert des pièces de poisson, et bien sûr de la pêche, qui a lieu en Carême,
61 Ibid., p. 111 et 114. 62 Ibid., p. 175-177. 63 Ibid., p. 191.
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et dont la vente constitue un moment fort de son activité. Nous conservons pour ce poste le document de 1349 relatif à l’étang Guignard cité plus haut64. La surveillance des forêts
Des tournées d’inspection peuvent être organisées pour veiller à la garde des forêts. Le gruyer n’a pas toujours la maîtrise en cette matière, comme en juillet 1346, lorsque la comtesse s’adresse à Robert de Dole, archidiacre de Salins, et à Guy de Vy, chevalier, afin de s’informer des droits du comte de Flandre et de ceux des habitants de Quingey dans la forêt de Chaux ; ils devront faire appel à un tabellion et au gruyer Nicolas pour les seconder dans cette tâche65. L’abattage dans les bois banaux ne peut en revanche avoir lieu sans l’aval du gruyer. C’est ce que nous montre le premier des comptes conservés en 1338 : à Colonne, vingt-cinq villageois avaient eu leur maison brûlée pendant la guerre de 1336. Moyennant argent, quelques sinistrés peuvent se procurer du bois grâce à Jacquet Bergeret, selon l’expression « acordez a gruyer ». Il en va de même pour les onze villageois qui voulaient construire ou simplement couvrir leurs demeures66. La surveillance des ventes de bois et des « conduites »
Outre la coupe, le gruyer supervise la vente du bois, pour les salines, mais aussi pour la petite métallurgie, les fours, les ateliers de potiers ou les verreries. La commercialisation des arbres à des particuliers souhaitant disposer de bois d’œuvre est attestée par le compte de 1361-1362, dans lequel apparaît, à propos de Colonne, la recette du bois « donné », moyennant une redevance67. La surveillance des « conduites », destinées à se procurer du bois de chauffage ou de la matière première pour les artisans qui travaillent le bois, relève pareillement du gruyer. C’est ainsi que le compte courant du 22 juin au 29 septembre 1353 comporte un poste consacré aux vanniers des villages de la forêt de Chaux et du sud du massif : ils sont astreints à payer un denier pour « conduite fuer dou rei de Chaux » et une maille par corbeille68. Cette redevance portant sur la vente d’objets du quotidien en dehors des limites d’un territoire donné peut être suivie pendant tout le bas Moyen Âge. Le compte courant du 4 décembre 1357 au 3 décembre 1358, par exemple, fait mention d’un homme de la Vieille Loye condamné à 3 s. d’amende pour avoir porté des « vans » à la foire de Chissey sans autorisation du gruyer69. Une telle contrainte pèse pareillement sur les fabricants de « cecles » (cerceaux ou cercles pour les tonneaux)
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ADD, 1B 117. P. GRESSER, « La pêche… », art. cit. ADD, 1B 340, cité par P. Gresser, La gruerie…, op. cit., p. 196. ADD, 1B 81 (1), cité par P. Gresser, ibid., p. 196. ADCO, B 1409 (1), fol. 1v, cité par P. Gresser, ibid., p. 198. ADCO, B 1396 (1), fol. 1, cité par P. GRESSER, ibid., p. 199. ADCO, B 1403 (4), fol. 11 ; P Gresser, ibid., p. 199, n. 27.
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et de vaisselle en bois en 1357-1358, ou sur les « rouhiers » (charrons) en 1361-136270. Ces fonctions de surveillance incombant aux gruyers vont de pair avec l’exercice de la police et de la justice dans leur ressort. Police et justice
Dans les premiers comptes, Jacquet Bergeret et Nicolas de Florence rendent compte d’amendes. Hélas nous sommes mal renseignés sur leur tâche en ce domaine. « Mais il n’est pas téméraire d’admettre que dès l’origine les gruyers se trouvèrent étroitement liés à la surveillance et à la justice des bois princiers, avant que leur pouvoir n’englobât les délits commis dans les rivières et les étangs71 ». On peut regretter l’absence pour le comté d’un document semblable aux lettres patentes accordées par le duc Eudes IV à Renaud de Gerland, le 15 août 1347, par lesquelles il l’investit des fonctions de gruyer au duché, avec la mission d’avoir « la cognoissance et juridicion des emendes de touz ceulx et celles qui repris seront esdictes forez, eaux, estangs et rivières, et appartenances d’icelles, et metra et ostera les vendeurs et forestiers d’icelles par la manière acoustumée72 ». Cependant, le message de la comtesse Jeanne à Nicolas de Florence, daté du 24 juillet 1346, va dans le même sens : … toutes foiz que vous troverois les habitanz de Chisse [Chissey] et de Quinge [Quingey] husant en notre forest de Chaux ou meffacent en coppant boys en notre dit forez, vous les gaigiez et traitiez amiablement et faciez recréance ou prestez les gaiges sans nul delay, toutes foiz que requis en serez, jusques a tant que l’information soit faite par nos commissaires sur l’usaige que les diz habitanz se dient havoir en notre dite forez73. La première amende répertoriée figure au compte de 1353-1354. Son montant est de 15 s., et elle est infligée à un certain Robert d’Ancier qui a été pris en flagrant délit par un forestier alors qu’il abattait un chêne74. De 1353 à 1361, les amendes se trouvent regroupées au sein du poste intitulé « amendes et bois banaux », qui porte aussi sur les effractions commises dans les rivières et les étangs. Afin de mieux contrôler les contrevenants, le gruyer recrute tout un personnel de forestiers, chargés de la surveillance. Notons aussi le recrutement, même s’ils n’ont pas de tâche de police, de pêcheurs et de « terraillons » (terrassiers) affectés à l’entretien des étangs. Ainsi, dans la terre de Colonne, Oudat Nobis et son frère Perrin
70 ADCO, B 1403 (4), fol. 9v et ADCO, B 1409 (1), fol. 2 ; P Gresser, idem. 71 P. Gresser, La gruerie…, op. cit., p. 202. 72 J. Richard, « La constitution… », art. cit., p. 49, cité par P. Gresser, Pêche et pisciculture dans les eaux princières en Franche-Comté aux xive et xve siècles, Turnhout, Brepols, 2008 (Burgundica XIV), p. 227. 73 ADD, 1B 340, cité par P. Gresser, La gruerie…, op. cit., p. 202. 74 ADCO, B 1396 (2), fol. 2v, cité par P. Gresser, ibid., p. 203.
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sont employés à la tâche par le gruyer de 1353 à 1361 et au-delà. Ils sont à l’origine d’une lignée de futurs gardes d’étangs75. L’administration des eaux et forêts comtales repose donc sur un personnel varié. La création d’un gruyer en 1335 « ne changea pas brusquement les pratiques qui prévalaient depuis longtemps76 ». Mais elle marqua le début d’une restructuration, avec l’incorporation progressive des seigneuries du domaine dans le ressort de la gruerie, bien que ce désir princier de centralisation reste incomplètement réalisé dans les faits. Il aboutit néanmoins à un meilleur contrôle de la gestion domaniale, qui se retrouve aussi dans l’exploitation du sel comtois.
3. Salines La Franche-Comté compte au début du xive siècle plusieurs salines ou « saune ries », terme qui désigne des entreprises de fabrication du sel : au nord, Saulnot77, sur la bordure méridionale des Vosges, et Soulce78, dans les Avants Monts du Jura, relèvent de la domination des comtes de Montbéliard. Le comte de Bourgogne contrôle quant à lui les points d’extraction du sel sis dans le Vignoble, c’est-à-dire Grozon, Montmorot et Salins. Cette dernière saline finit par monopoliser la production au cours du xive siècle, tandis que les autres cessent leur activité79. Les comtes de Bourgogne mènent une véritable politique de contrôle de leur produit qui leur procure bien plus que des avantages économiques. Nous n’examinerons ici que la composition de leurs droits domaniaux sur le sel, leur gestion et les sources qui nous les donnent à connaître. Trois localités produisent du sel pour le comte durant la période qui nous intéresse, deux à la marge, Montmorot et Grozon, l’autre pour l’essentiel, Salins. a. La saline de Montmorot
Nous sommes mal renseigné sur la production de sel à Montmorot, qui apparaît seulement au détour du compte du trésorier d’Aval en 1358-1359. On peut y lire : « de la value de la berne de Montmorot […] neant car elle vaque et ne treve l’on a cuy amoisener80 ». La saline était donc normalement affermée, et ne devait plus rapporter grand-chose si l’on en croit le peu d’intérêt qu’elle suscite auprès des amodiataires potentiels.
Ibid., p. 251. Ibid., p. 323. Saulnot, Haute-Saône, ar. Lure, c. Héricourt-2. Soulce, Suisse, Jura, district de Delémont. R. Locatelli, D. Brun et H. Dubois, Les salines de Salins au xiiie siècle. Cartulaires et livre des rentiers, Paris, Les Belles Lettres, 1991 (A.L.U.B. 448, Cahiers d’Études comtoises 47), p. 29. 80 ADCO, B 1406, fol. 5. La berne constitue l’unité de production du sel. Elle abrite les installations nécessaires à sa fabrication : un réservoir, un fourneau, une chaudière ou poêle formée de plaques de fer rivetées ; ibid., p. 44. 75 76 77 78 79
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b. La saline de Grozon Mode d’exploitation
La saunerie de Grozon, en revanche, est, au moins pour un temps, en exploitation directe. D’après Max Prinet, elle est amodiée dès le xiiie siècle, et jusqu’à sa destruction81. Ceci est discutable. Certes, dans le compte de Richard des Bans pour l’année 1332-1333, elle se trouve affermée avec la prévôté82. Mais pour une durée de trois ans seulement. Et il semble bien qu’aient alterné pour cette saline affermage et exploitation directe. On apprend au folio suivant que l’année précédente, la saline était « gouvernée » par un certain Perret de Lille, clerc. Cela signifie-t-il qu’il la tenait également à ferme ? Il ne semble pas, étant donné que le trésorier a alors compté 203 l. 3 s. 6 d. de recette versée par Perret. Trois documents afférents à cet établissement peuvent laisser penser que ce cas n’est pas exceptionnel. Le premier est un compte de 1349 faisant état des « parties » des frais de réparation de la saline, rendu par Rolier, prévôt du lieu83. S’il l’avait tenue à ferme, aurait-il eu à rendre compte du coût de son entretien ? Cela est difficile à démêler. Peut-être que oui, pour obtenir un dédommagement du trésorier. Ce compte est d’ailleurs suivi d’un relevé des frais de travaux aux moulins de La Loye, par un certain maître Hugon, ainsi qu’aux écluses et aux moulins d’Ornans par le prévôt d’Ornans la même année, ce qui irait dans ce sens si ces deux derniers protagonistes sont les amodiataires de ces biens. Nous n’avons pas d’indices permettant de le savoir, et nous sommes par conséquent contraint de rester dans le flou quant à une éventuelle amodiation de la saline au prévôt de Grozon en 1349. En 1345, elle n’était d’ailleurs pas affermée avec la prévôté, mais cette fois-ci avec l’étang et le moulin du lieu84. Le second document plaide plus clairement pour son exploitation directe. Sous la forme d’un cahier de papier de trente folios, il comptabilise la production de sel, sa vente, ainsi que les dépenses réalisées par Joceran de Chamole, clerc « sur ce ordonné et commis » par le trésorier d’Aval Aubriet de Plaine, du 16 août au
81 M. Prinet, L’industrie du sel en Franche-Comté avant la conquête française, Besançon, Dodivers, 1900, p. 140. 82 ADD, 1B 79A1, fol. 2v. « De l’amoisenement de la saunerie de Grouson et de la prevoté amoisenée a monseigneur Etienne de Grouson, prestre, Perrenin de Memmay et à Gilet le Clerc de Grouson, VIC livres. Et parmi ce, ils doivent payer toutes charges qui sont dues chacun an en ladicte saunerie, tant en deniers comme en sel d’aumones, dons et fiez ». Il est précisé que les trois « amoisonours » doivent tenir en état le matériel inventorié « par les trois années qu’ils tiendront ladicte salnerie, et à la fin desdictes trois années, ils doivent rendre ces choses à monseigneur ou à sa gent en etat ou l’estimacion des choses supra lequel que mieux plairoit à monseigneur ». On apprend que ce matériel, ou sa valeur marchande, n’a toujours pas été restitué au trésorier en novembre 1336, alors qu’a pris fin cette amodiation ; ADCO, B 1389, fol. 34v. 83 ADD, 1B 308 (10), fol. 1-3. 84 À Guillaume de Pergame, Lombard, qui verse à la duchesse le 26 août 363 l. 6 s. 8 d. estevenants de fermage pour les deux premiers termes de l’année, à déduire des 1 090 l. et huit charges de sel dues annuellement pour les trois biens ; ADD, 1B 262 (13).
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27 octobre 135185. Enfin, un cahier de papier de vingt-neuf folios, bien tenu, contient le compte d’Oudet Michau de Poligny, « clerc maistre et gouverneur » de la saline, pour un an, de la Saint-Simon-et-Jude (28 octobre) 1359 à cette même fête en 136086. La saline dépend alors de la trésorerie d’Aval, et c’est pourquoi le compte d’Aubriet de Plaine récapitule sa valeur pour les deux années précédentes87. Il n’est pas non plus à cette date question de la perception d’un quelconque fermage, mais bien de « la value et issue de la salnerie », et c’est le même Oudet Michau qui la rapporte au trésorier, entre le 28 octobre 1357 et le 28 octobre 1359, par deux comptes annuels. L’argument en faveur d’une gestion directe de la saline par le domaine ces années-là est renforcé par le fait que c’est le trésorier d’Aval qui verse les rentes pesant sur les revenus de celle-ci, contrairement à ce qui se passait en 1333, lorsque ce versement était du ressort des amodiataires88. Parcontre, en 1355, le choix de l’amodiation a été privilégié. Cette année-là, le trésorier a vendu à Jean Lombart « et aux autres amoisonours de la dicte salnerie » « deux chaudières à faire sel » pour le prix de 73 l. 12 s.89. Pourquoi de telles fluctuations ? Le pouvoir semble bien avoir souhaité reprendre, au moins pour un temps, le contrôle de la saline de Grozon. Mais le comte paraît hésiter entre deux politiques de gestion, cherchant sans doute à évaluer laquelle des deux sera la plus rentable. À moins qu’il ne peine à trouver preneur pour un établissement de peu de profit, ce qui est sans doute plus vraisemblable au vu des chiffres dont nous disposons. Se basant sur le compte d’Aubriet de Plaine, Pierre Gresser a fait le calcul de la recette réelle de la saline de Grozon, une fois déduites les rentes annuelles à acquitter : 250 l. 13 d. pour 1357-1358, 250 l. 11 s. 8 d. pour 1358-135990. Ceci sans compter de travaux d’entretien, toujours lourds, car le matériel se corrode vite et demande de se fournir régulièrement en fer, cher à l’achat. On est loin des 600 l. de fermage versées par les amodiataires en 1332-1333, même s’il faut en déduire le montant de la ferme de la prévôté, qui s’élève à 50 l. Le compte d’Oudet Michau pour 1359-1360 est d’ailleurs déficitaire de 121 l. 13 s. 5 d. obole estevenants, ce que ne justifient pas complètement les nombreux versements qu’il a effectués au profit de la reine (il a payé, outre les gages et les rentes annuelles, 114 l. 3 s. 4 d. obole)91. Si la comtesse Marguerite décide la fermeture et la démolition de la saline en 1369, c’est sans doute autant en raison de son déficit que d’une volonté d’établir le monopole de Salins en matière de production salifère92.
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ADD, 1B 309. ADD, 1B 310. ADCO, B 1406, fol. 5. Ibid., fol. 8. Ibid., fol. 7. P. Gresser, « La saline de Grozon au xive siècle : l’apport des comptes domaniaux du trésorier de Dole (1358-1369) », Société d’émulation du Jura. Travaux 1988, Lons-le-Saunier, 1989, p.131. 91 ADD, 1B 310. 92 P. Gresser, « La saline… », art. cit., p. 143-144.
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Fonctionnement
Pierre Gresser93 a pu établir qu’il existait deux édifices, l’un à destination inconnue, dit « la maison de Cernelle » ou « la Cervelle », l’autre abritant l’appareil destiné à capter l’eau salée ou muire. On ne sait pas exactement comment était captée la saumure. En 1351, un « grials », sorte de balancier équipé d’un seau, sert à porter cette eau à la saline. Mais quinze ans plus tard, on parle d’un plancher pour les chevaux, ce qui fait davantage penser à la signole, sorte de noria pour puiser et élever la saumure. Elle est ensuite stockée dans une citerne avant d’être acheminée vers les chaudières pour y être évaporée par chauffage au bois. Nous disposons de davantage de renseignements sur ce matériel : au moins deux chaudières sont attestées en 1358-1359, vendues par le trésorier d’Aval aux amodiataires de la saunerie en 135594. En 1351, les deux chaudières fonctionnent du 25 août au 26 octobre, la seconde fonctionnant moins souvent que l’autre. Parfois, elles sont en service ensemble et paraissent avoir la même capacité, avec une moyenne de dix charges de sel par jour. Il y avait également une forge, bien utile pour la réfection des installations qui semblent assez vétustes, mentionnée en 1365-1366, alors qu’elle avait déjà beaucoup souffert des dégradations et des vols commis par les Routiers. Personnel
On a vu que lorsque la saline est en exploitation directe, des agents du comte en ont la responsabilité. Quelle est exactement celle du clerc Joceran de Chamole, en 1351, alors qu’il est « commis » par le trésorier d’Aval pour comptabiliser les dépenses réalisées ? Est-il un simple comptable ou exerce-t-il des fonctions de direction ? Apparemment oui, car il est dit ailleurs « maistre en la dicte salnerie ». C’est lui en tout cas qui délivre le sel aux acheteurs95. Oudet Michau est lui clairement désigné comme « maistre et gouverneur » de la saline, ce qui suppose qu’il a la direction générale de l’établissement en sus de sa responsabilité financière, et ce au moins de 1357 à 136096. On ne sait s’il demeure en place les années où la saline est affermée. Il faudrait aussi mentionner tout le petit personnel qui contribue au fonctionnement de cette saline : celui qui « gouverne les chevaux de la baruete et moinne la muire en la citerne et es bernes », les « trois berniers qui gouvernent une berne un chacun », les trois femmes « que font et saichent la saul », « li benatiers qui lie et soigne les benates pour ladicte saul lier97 ». À ceux-ci s’ajoutent un portier, un estimateur du bois et un prêtre
93 Ibid., p. 124-126. 94 ADCO, B 1406, fol. 7. « Pour la vendue de deux chaudieres à faire sel en la saunerie de Groson garnies de LXX aniaux de LXX piez et de LXX chaines de fer faites à la mission de monseigneur vendues par le tresorier à Jehan Lombart et aux autres amoisonours de la dicte salnerie en l’an LV dont le tresorier n’avait encore rien compté, pour ce LXXIII l. XII s. ». 95 ADD, 1B 309, fol. 5 et 26. 96 ADD, 1B 310 et ADCO, B 1406. 97 ADD, 1B 309, fol. 1. La bénate est un panier où l’on dépose les pains de sel ou salignons, obtenus par séchage dans un moule, à raison de douze par bénate.
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chargé des écritures98. Les comptes font en outre apparaître l’importance des ouvriers du fer, spécialisés dans la réparation des récipients accueillant la muire99. Peu de monde, finalement, pour faire fonctionner une saline qui demeure modeste par ses dimensions comme par son rendement. Il en va tout autrement à Salins. c. Les salines de Salins
Marguerite, héritière des sires de Salins, vendit la ville au duc de Bourgogne en 1225, qui la céda douze ans plus tard à Jean de Chalon l’Antique. Ce dernier tirait l’essentiel de ses revenus des salines, « dont il réorganisa et rationalisa l’administration afin de mieux les contrôler et les exploiter100 ». Notre propos n’est pas d’étudier leur fonctionnement, mais de rendre au comte de Bourgogne, héritier en partie de Jean de Chalon, ce qui lui revient en propre dans leur exploitation, à partir des comptes dont nous disposons pour notre période. Quelques bases doivent être posées en préambule, afin d’éclaircir la situation salinoise, fort complexe. Trois fabriques de sel distinctes101
Il y a en fait trois organismes producteurs de sel à Salins. Le plus important, la Grande Saunerie, est situé au Bourg-Dessus, sur une vaste esplanade entre la rue principale et la Furieuse. Elle est séparée de la ville par un mur d’enceinte. Au Bourg-Dessous se trouve le Puits-à-Muire, plus petit et non clos. Entre ces deux salines, les plus anciennes et les plus productives, est venue s’insérer la Chauderette, au Bourg-Dessus, plus récente et de taille plus réduite. Accolée à la Grande Saunerie, jouxtant le Bourg-Dessous, elle est dite « de Rosières », car elle relevait au départ de l’abbaye de ce nom102. Elle ne jouit pas d’une source propre d’approvisionnement en eau salée, et tire la muire qu’elle traite du puits de la Grande Saunerie. On ignore pour quelle raison elle n’a pas été incluse dans l’enceinte de celle-ci, dont elle dépend, et pourquoi, bien que tombée sous le contrôle de Jean de Chalon en 1248, elle a gardé son nom et sa fabrication autonome. Ces trois salines se différencient par leur mode de possession. La Grande Saunerie et la Chauderette de Rosières constituent « une société de type familial ». Elles ont échu en trois parts égales aux branches des héritiers de Jean de Chalon l’Antique, à savoir les comtes de Bourgogne, les Chalon-Auxerre, seigneurs de Châtelbelin (dont le tiers se subdivisera en deux parts, Chalon-Auxerre et Vignory), et les Chalon-Arlay, seigneurs de Châtelguyon103. Le comte et les autres « parsonniers » exercent la direction, mais ne disposent pas de toute la muire, seulement de leurs parts, et doivent en outre verser des rentes assignées sur celles-ci. Le Puits-à-Muire est au contraire 98 99 100 101 102 103
Ibid., fol. 26. P. Gresser, « La saline… », art. cit., p. 128-129. R. Locatelli, D. Brun et H. Dubois, Les salines…, op. cit., p. 38. Ibid., p. 41-43. Comm. La Ferté, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Arbois. Châtelbelin et Châtelguyon sont deux forteresses qui surplombent la ville de Salins.
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géré par une « association d’actionnaires », les « rentiers », qui réunit plus de 150 possesseurs ou copropriétaires, dont le comte104. Le contrôle du sel
La richesse tirée du sel provient de sa vente, sous forme de pains, les salignons, obtenus par séchage dans un moule dont les formes peuvent varier, donnant différentes variétés de pains dont le nombre augmente aux xive et xve siècles. Les comtes finiront par instaurer le monopole de la vente et des tarifs différents suivant les aires de commercialisation. À la veille du xive siècle, les choses ne sont pas encore aussi règlementées. Néanmoins, « tout ce qui concernait la fabrication et le fonctionnement de la Grande Saunerie subissait le contrôle des officiers de Jean de Chalon105 ». Ainsi, il fallait avoir son autorisation pour amener le bois nécessaire à la cuite, pour transformer le sel trié – c’est-à-dire en grains – en salignons, pour vendre le sel à Salins, pour le transporter jusqu’aux abbayes… Les acheteurs devaient se présenter au comptoir, appelé la Table de la saunerie, pour y déclarer la quantité de sel désirée. Jean de Chalon semble à l’origine d’une « réorganisation de la saline […] dans le sens d’un contrôle plus rigoureux », sans que l’on puisse « lui attribuer la paternité des structures du xve siècle avec monopole, fiscalité, gabelles106… ». Il n’est pas certain, loin de là, que nos sources permettent d’établir, s’il y a lieu, le rôle d’Eudes IV et de Philippe de Rouvres dans cette évolution. Les sources
On doit distinguer deux types de documents, dont nous ne possédons qu’un échantillon pour la période 1330-1361 : les rôles et les comptes de la saline. Il convient d’en dire ici quelques mots. Les « rôles » de la saunerie
Un « role » de la saline est parvenu jusqu’à nous, pour l’année courant de Noël 1341 à Noël 1342107. Contrairement à son appellation, qui pourrait faire penser à un 104 Voir H. Dubois, « Du xiiie siècle aux portes de la modernité, une société pour l’exploitation du sel comtois : le Bourg-Dessous de Salins à la fin du Moyen Âge », in Le sel et son histoire. Actes du colloque de l’association interuniversitaire de l’Est (Nancy 1979), Nancy, Publications Nancy II, 1981 (Association interuniversitaire de l’Est 20), 1981, p. 67-91. 105 R. LOCATELLI, D. Brun et H. Dubois, Les salines…, op. cit., p. 47. 106 Idem. 107 ADD, 1B 247. « C’est le role de buillons, des vendues des sels… à l’avaut et à la porte, des mises et des delivrances des sels…portées, paiées, prises par acort et du s…, et commenca à la Nativité Nostre Seigneur qui fut le mardi de la première semaine l’an MCCCXLI… ». On calcule en premier lieu la production de sel par quinzaine, pour chacun des deux puits de la Grande Saunerie, détaillée berne par berne (elles sont au nombre de douze), soit le nombre de bouillons et le nombre de charges de sel correspondant à chaque bouillon. La charge est celle que peut porter un animal de bât ; elle est constituée de quatre bénates ou paniers attachés ensemble, ce qui équivaut à peu près à cent kilos ; R. Locatelli,
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rouleau, il se présente sous la forme d’un cahier. Il semble récapituler la production et la vente de sel annuelles à partir d’autres rôles, qui devaient être établis chaque semaine à la saline108, comme invite à le penser un extrait de ces rôles destiné à étayer les droits de Richard de Montbéliard et des « hoirs messire Jehan de Bellevevre » à une rente de 200 l. estevenantes par an pesant sur le « communal109 » de la saunerie. Cette rente est payable par moitié à deux termes, la mi-Carême et la Saint-Étienne « des moissons », c’est-à-dire le 3 août110. Il ressort de cet extrait, qui couvre les années 1327-1385, deux éléments intéressants : d’une part que la saline a brûlé en 1352 ; d’autre part qu’il n’y a aucun rôle à la saline entre ceux de 1343 et de 1348111. Est-ce à dire que la production
« Du nouveau sur les salines comtoises au Moyen Âge », Société d’Émulation du Jura. Travaux 1989, Besançon, 1990, p. 166. Le bouillon correspond à la quantité de muire reçue par une chaudière ; R. Locatelli, D. Brun et H. Dubois, Les salines…, op. cit., p. 45. On distingue en outre la quantité de chaque variété de sel, reconnaissable à la forme du salignon ou à sa marque (« grand sel » et « sel bouchet »). Le compte s’arrête aux vingt-cinquième et vingt-sixième semaines, soit les deux dernières semaines de juin. Cela signifie-t-il que la production s’est ensuite stoppée jusqu’à Noël ? Pour chaque quinzaine suit alors l’état de la vente du sel, évaluée en charges et en argent (la charge valant 13 s.), qui s’effectue du jeudi matin de la deuxième semaine au mercredi soir de la suivante. Ces ventes peuvent se faire « au seaul » (peut-être s’agit-il du sel « moitenal » ou sel d’Amont, distribué au sud et à l’est du grand chemin reliant Salins à Pont-de-Roide), « avaul » (sans doute le sel d’Aval, dit aussi plaine Rosières, distribué à l’ouest de ce chemin et jusqu’à la Saône) ou « à la porte » (c’est-à-dire à Salinsmême), et nécessitent, ainsi que le stipule l’en-tête du document, l’accord du comte, qui vise ainsi à s’octroyer le monopole du commerce de l’or blanc. Pour chaque quinzaine sont aussi comptabilisées les dépenses, qui touchent l’approvisionnement en bois, de menus travaux, le versement des salaires, le sel délivré en dons gracieux (pour dédommager les pertes de chevaux lors des transports, notamment, mais aussi les ouvriers malades, morts ou au chômage), en rentes ou en aumônes. On peut ainsi déterminer au final par quinzaine la somme en argent due aux receveurs, et la quantité de sel restante à la saline, qui est reportée sur la quinzaine suivante. Il demeurait à Noël 1341, de l’année précédente, 20 731 charges et trois bénates de sel. Au début du mois de juillet 1342, lorsque s’arrête le rôle, il en reste 25 666 charges et deux bénates. C’est-à-dire que sur six mois, le stock s’est accru d’un peu moins de 5 000 charges. Il permettra de faire face à l’importante demande du début de l’été, lorsque les chemins sont bons et que l’on sale les fromages, et surtout de l’automne, saison des salaisons ; H. Dubois, « L’activité de la saunerie de Salins au xve siècle d’après le compte de 1459 », Le Moyen Âge, 1964, p. 450. Se reporter à l’étude du même : H. Dubois, « Une comptabilité industrielle au xive siècle », Bulletin de la Société Nationale des Antiquaires de France (1993), 1995, p. 30-48. 108 Voir H. Dubois, « L’activité… », article cité, qui distingue deux ensembles : une collection de cinquante-deux comptes hebdomadaires (la semaine constituant depuis longtemps le cadre élémentaire de toutes les activités), ainsi qu’une série de récapitulations portant sur l’année entière. En vue de la séance du conseil des officiers qui se tenait le samedi, les « clercs des rôles », « à la fois secrétaires, comptables centraux et archivistes de la saline », faisaient ce jour les comptes de la semaine écoulée (p. 421). Ces rôles hebdomadaires, résultat de la synthèse de quatre ou cinq livres de détails fournis par les différents services, étaient à la fois des « comptes de fabrication, de stock et d’exercice » (p. 427). On retrouve bien, dans la structure du compte annuel de 1341-1342 décrit dans la note précédente, celle de ces rôles étudiés par Henri Dubois. En revanche, en 1454, les récapitulations portant sur l’ensemble de l’exercice annuel ne sont plus faites à la quinzaine et se sont complexifiées. 109 Revenus de la saline administrés en commun par les héritiers de Jean de Chalon l’Antique. 110 ADD, 1B 214 (2). 111 Cette lacune est corroborée par un gros volume, déposé aux Archives Nationales sous la cote Q1413*, datant du tout début du xvie siècle et intitulé « État du produit de la saunerie de Salins. Règlement à cet égard et copie collationnée d’un état du revenu du domaine du comté (année 1594 à 1503) ». Il rassemble
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a été perturbée ? Que ces rôles manquants ont été transférés au trésor des chartes du comté ou du duché112 ? Rien ne permet de l’affirmer, mais le dépôt du rôle annuel de 1341-1342 à Dijon le mardi après les Bordes 1356 a. st. (28 février 1357), notifié au dos du cahier, va dans le sens d’un souci de contrôle de l’économie du sel par le pouvoir central. Son autorisation est d’ailleurs requise pour tout achat de sel à la Grande Saunerie. Les comptes de Renaud Garnier
Nous possédons un précieux témoignage de ce souci d’optimisation des ressources tirées du sel à travers le second type de document : les comptes de Renaud Garnier, trésorier du duc-comte en la saunerie de Salins, pour quatre années consécutives, de Noël 1338 à Noël 1342113. Nous savons qu’il existait un compte semblable pour 1337-1338, puisqu’est fait mention de son arrêté, fait à Dijon en février 1339. Le compte de 1339-1340 peut par ailleurs être croisé avec son arrêté, fait également à Dijon le lundi après la quinzaine des Bordes 1340 a. st. (12 mars 1341)114. Ces comptes font référence aux rôles de la saunerie, sur lesquels ils s’appuient pour évaluer les recettes. S’ils visent à tirer le bilan de la part comtale sur les revenus du sel, ils donnent d’abord leur somme globale, pour « monseigneur et ses partages », qu’ils divisent ensuite par trois. Le procédé est ancien. Les comptes du douaire de Mahaut d’Artois faisaient de même, sauf que n’existaient pas alors de cahiers individualisés relatifs aux salines, ou du moins n’ont-ils pas été conservés, mais qu’on distinguait nettement la valeur des biens de la comtesse sans la saunerie, puis les revenus du sel de Salins, preuve d’une comptabilité séparée115. Peut-on grâce à cet ensemble documentaire estimer ce que rapportent les salines au duc-comte ? Les revenus du sel
Pour le temps d’Eudes IV, la structure de ces quatre comptes rédigés par Renaud Garnier est toujours la même116. D’abord, les recettes. Le rappel de l’arrêt
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des copies de pièces relatives aux salines, touchant principalement les conflits entre le duc et les rentiers du Puits-à-Muire au xve siècle, mais aussi, ce qui est d’un grand intérêt pour notre période, un extrait de la valeur de la saline entre 1325 et 1413 (fol. 35-37) « pour savoir combien la saunerie souloit valoir en ces années et à quel prix on souloit vendre le sel d’icelle ». Toutes les années ne sont pas évoquées, mais il y a bien solution de continuité entre 1343 et 1348, alors que l’estimation ne connaît pas de rupture entre 1348 et 1359. Il est possible que l’on n’ait pas retrouvé les rôles des années 1344-1347, et que l’on se soit heurté au même manque que pour justifier les droits de Richard de Montbéliard. Cette lacune persiste dans un autre extrait des rôles, établi afin de « savoir quelle quantité de sel l’on souloit faire anciennement des muyres d’un chacun puits de ladite saunerie » entre 1326 et la veille de la Saint-Jean 1352, date de l’incendie (fol. 121v-122). Le document précise que pour 1385-1386, la copie des rôles se trouve à la Chambre des comptes de Dijon, ce qui coïncide avec l’organisation de celle-ci et la prise en main de l’héritage comtois de Marguerite de Flandre par le duc Philippe le Hardi. ADD, 1B 246. ADCO, B 1390, fol. 69v. BnF, fr. 8551. On retrouve en partie cette structure pour le compte de Mahaut d’Artois en 1307-1308 (ADD, 1B 75, fol. 1-5, copie de BnF, fr. 8551).
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du compte précédent est suivi de l’exposé des revenus globaux de la saline : valeur du « gros de la tauble », c’est-à-dire le résultat financier de la Grande Saunerie une fois les dépenses déduites117, détaillée semaine par semaine et exprimée en livres ; prêts de sel ; menus deniers ; revenus en argent des Chauderettes, eux aussi relevés chaque semaine, auxquels viennent s’ajouter les « costumes de la chauderete qui ne croissent ne descroissent118 » ; revenus du « sixte de la demoyne » – part d’un meix du Puits-à-Muire – qui consistent en un fermage acquitté par son amodiataire Oudet Moreaul de Salins119 ; toujours sur le Puits-à-Muire, 40 s. de fermage versés par le même pour le tiers de vingt « celles »120 appartenant à leurs trois co-détenteurs (« li signours ») ; ensuite vient un revenu assez obscur, oscillant entre 38 et 42 l., intitulé « la valour des buillons volainges des buillons de la chauderete pour le trait dou puis et de la saul de boichet », et reçu par Perrin Laillote, clerc du puits d’Amont121 ; enfin, on termine par la valeur des deux « condute(s) », celle de Chalamont122 et celle de Pontarlier123. Ce n’est qu’alors qu’est établie la « somme toute » de la recette des salines, « pour monseigneur et pour ses partaiges », ensuite divisée par trois pour obtenir la part comtale de cette recette. Mais ce n’est pas tout pour les rentrées en faveur d’Eudes IV : se rajoutent ensuite un « avantage » de 1 000 l. touché par le
117 H. Dubois, « L’activité… », art. cit., p. 425. 118 Elles rapportent une somme modique et toujours identique de 4 l. 17 s. 6 d. Certainement un prélèvement de redevances, dont la nature nous échappe. 119 Ce fermage se monte à 40 l. en 1338-1339 et en 1341-1342. En 1339-1340, il ne vaut que 15 l. Sa valeur pour 1340-1341 est illisible. Le sixte de la domaine est une partie d’un meix, autrement dit d’une tenure, du Puits-à-Muire, où sont possessionnés plusieurs seigneurs, dont les héritiers de Jean de Chalon l’Antique pour un sixième. Voir R. Locatelli, D. Brun et H. Dubois, Les salines…, op. cit., p. 305 et H. Dubois, Les foires de Chalon et le commerce dans la vallée de la Saône à la fin du moyen âge (vers 1280-vers 1430), Paris, Publications de la Sorbonne, 1976, p. 522. On ne sera donc pas surpris d’apprendre que ce sont « les chastelains de Salins » (à savoir celui de Bracon pour le comte de Bourgogne, celui de Châtelbelin pour le comte d’Auxerre et celui de Châtelguyon pour le sire d’Arlay) qui ont conjointement affermé ses revenus à Oudet Moreaul ; ADD, 1B 247 (2), fol. 3v. 120 Les meix du Puits-à-Muire sont subdivisés en parts, exprimées en quartiers, eux-mêmes divisés en seilles, mesure de la muire, correspondant à un récipient étalonné. Une chaudière contient 120 seilles. « Le produit de la cuite ou “bouillon” était partagé entre les ayants droit au prorata de leur part du meix, exprimée en quartiers et seilles ». H. Dubois, « Le livre des rentiers du Puits-à-Muire de Salins », in R. Locatelli, D. BRUN et H. Dubois, Les salines…, op. cit., p. 305. 121 On peut supposer sans certitude aucune qu’il est ici question des pertes de saumure qui se produisent lors du transfert de celle-ci depuis la Grande Saunerie jusqu’à la Chauderette de Rosières. Le sel « bouchet » désigne le sel diffusé en Revermont et dans le Jura, au sud de la route menant de Salins à Jougne ; H. DUBOIS, Les foires de Chalon…, op. cit., p. 554. Le puits d’Amont est avec le puits à Grès l’un des deux systèmes de captage des eaux salées de la Grande Saunerie ; R. Locatelli, D. Brun et H. Dubois, Les salines…, op. cit., p. 42. 122 Comm. Villers-sous-Chalamont, Doubs, ar. Pontarlier, c. Frasne. 123 La conduite ou conduit consiste en une taxe acquittée par les marchands en échange de leur protection par une escorte le long d’un itinéraire donné. Elle concerne ici la route principale qui mène de Dijon à la Suisse, en passant par Salins, Pontarlier et Jougne, un grand axe de commerce du sel. Chalamont et Pontarlier sont d’importants ports de péage.
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duc au mois de mai sur la saunerie, au titre du duché124, et généralement payé en sel, vendu par la suite125 ; puis des droits comtaux sur d’autres rentes126 ; d’autres recettes ponctuelles sont aussi notées, qui varient d’une année sur l’autre, ainsi que le rappel des revenus des salines et des conduits qui ne figurent pas au compte précédent ; enfin, chaque fois, se trouve comptabilisé un dédommagement de quelques livres pour le bois « plux pris que les genz monseigneur » par les hommes du comte d’Auxerre et de Jean de Chalon-Arlay sur la forêt tenue en commun, dite « bois communaul de Saint Pere127 ». On peut ainsi calculer le montant des revenus invariables sur lesquels le duc peut compter en sus de sa part de la production salifère, au contraire fluctuante : ils s’élèvent à 1 035 l. 6 s. 8 d. Au chapitre des dépenses figurent le versement des rentes aux particuliers, nobles ou établissements religieux, établies sur la part comtale des revenus des salines. Elles ne sont pas toutes acquittées, surtout en 1341-1342, année où le compte de Renaud Garnier est très déficitaire. Il en va ainsi en 1338-1339 des 1 000 l. assignées à chacune des deux belles-sœurs d’Eudes IV… alors que pas moins de 2 000 l. vont à la duchesse sur les 3 000 « que li sunt assignez en la saulnerie à pranre chascun an sus monseigneur pour ses joiaux128 » ! Suivent les dotations de chapellenies, les 300 l. dont Mahaut d’Artois a gratifié plusieurs églises, les 141 l. et 10 s. qu’elle a souhaité verser annuellement aux pauvres de plusieurs localités comtoises, afin de les pourvoir en vêtements et en souliers. Interviennent ensuite les gages des agents du comte et divers paiements. Les rentes sur la saline
Il est intéressant d’étudier les rentes dues par le comte sur son « partage » de la saline. Le total des versements incompressibles reste très théorique, car ils ne
124 On trouve la trace de cette rente dans le rôle de 1341-1342 ; ADD, 1B 247. Elle est payée en plusieurs versements partiels. Il en va de même pour la rente de 300 l. que touche Jean de Chalon, au mois de mai également. 125 ADD, 1B 246 (1), fol.10v-11, au chapitre des dépenses, « pour traire fuers de la saulnerie mil VC et XVI charges de saul pour mil livres que messire li dux et contes de Bourgoigne prant pour son avantaige ou mois de may, pour chascune charge III mailles, vaillent IX livres estevenantes » ; « pour le vandaige des dictes mil VC et XVI charges de saul vandues à Perrin Couhart, Ysebelot la Courdière, à Jehan Loite et à Baudin Guignet, pour chascune charge II deniers, vaillent XII livres XII sous VIII deniers ». Il faut aussi décompter du prix de la vente quinze charges de perte, à 17 s. la charge : « pour la decheance des dictes mil VC et XVI charges de saul gastée et purrie XV charges vaillent à XVII sous la charge XII livres XV sous ». 126 10 l. « sur la rante monseigneur Jehan de Falon », 22 l. sur celle du seigneur de Montfaucon, à la suite d’un échange, et enfin 66 s. 8 d. pour le tiers de 10 l. que le duc prend tous les ans avec Guy d’Éternoz et son frère Richard. De plus, pour l’année 1341-1342 est notée une somme de 111 l. correspondant au cumul sur trois années du montant de la rente que touche annuellement Henri de Faucogney sur le communal de la saunerie, transférée au comte pour trois ans finis à Noël 1342, peut-être en raison d’une confiscation ; ADD, 1B 246 (4), fol. 2v. 127 Il existe encore aujourd’hui un lieu-dit « faubourg Saint-Pierre » à Salins. 128 ADD, 1B 246 (1), fol. 6. Les rentes de la comtesse de Flandre et de la Dauphine passent en 1341-1342 à 2 000 l. par an chacune, dont on ne paie respectivement que 140 et 1 500 l. ; ADD, 1B 246 (4), fol. 4.
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sont qu’épisodiquement129 ou partiellement honorés, mais il donne une idée des charges moyennes venant grever les revenus salinois du prince, car on opère des rattrapages d’une année sur l’autre. Remarquons une légère inflation du nombre de rentes assignées sur les revenus du sel, rien que pour la courte période couverte par les comptes de Renaud Garnier. Pour 1340-1341, les folios relatifs au paiement de ces rentes sont manquants. Les graphiques qui suivent montrent la répartition de la valeur totale des rentes assignées sur les salines entre les différentes catégories de bénéficiaires. Elle varie d’une année sur l’autre, essentiellement en raison des modifications intervenues dans les sommes dévolues à la duchesse et à ses deux sœurs. Le reste des montants est globalement stable. On voit que si les défavorisés et les églises ne sont pas oubliés, grâce en majeure partie à la générosité de Mahaut d’Artois, l’essentiel des revenus du sel – les trois quarts et plus – irrigue les rangs de la noblesse et de la famille princière. On obtient pour l’année 1338-1339 un total théorique de 8 688 l. 10 s. à verser, qui excède de beaucoup les recettes. Celles-ci se montent à 5 532 l. 19 s. 11 d. obole, 5 594 l. 16 s. 5 d. obole en comptant les arrêts. Ce sont les 3 000 l. affectées à la duchesse pour ses joyaux qui font basculer la balance des paiements vers le déficit. Le duc a dû s’en alerter, car on ne retrouve pas cette rente les années suivantes. En 1341-1342, on lui substitue le revenu des Chauderettes, dévolu cette fois aux faux frais de Jeanne de France130. Or, il s’élève, pour la part comtale, à 2 249 l. 6 d. obole en 1338-1339, et à 2 159 l. 13 s. 5 d. en 1339-1340131. Pour l’année d’après, les folios manquent, et en 1341-1342, le trésorier ne le comptabilise pas, car il doit être perçu à la source par la duchesse132. On voit globalement que cette mesure est plus économique, certes, mais qu’elle grève encore largement le budget de Renaud Garnier qui perd là un important poste de recettes. Au moins cela a-t-il permis de faire baisser le total des rentes à distribuer133, puisqu’il passe en 1339-1340 à 4 478 l. 10 s. seulement, pour remonter en 1341-1342, à 7 738 l. 10 s., ce qui est encore moindre que la première année renseignée par les comptes, et ce malgré la constitution de nouvelles pensions et le doublement des allocations des belles-sœurs du duc. Mais les rentrées se sont aussi réduites (4 696 l. 5 d. obole, ou 5 785 l. 8 d. obole en comptabilisant l’arrêt du compte précédent), et le
129 Plusieurs mentions laissent penser que si l’on ne réclame pas son dû, la rente n’est pas versée. Au dos du compte de 1339-1340, on peut lire ces mots en partie effacés « …quittance nean paier quar il ne les ont pas demander » ; ADD, 1B 246 (2) ; de la même façon au fol. 6 : « de la some de XX livres que li chapelains de Dole prenent chascun an sus monseigneur pour la fondation de lour yglise n’ai riens paié li diz Regnauls, si les devray messire quar il ne les hont pas demandées ». Il en va ainsi également pour Jacques d’Arguel cette année-là (fol. 4v). Il s’agit donc d’être vigilant quant à ses droits, le trésorier ne faisant pas de cadeau à ceux qui négligent de les faire valoir ! Et il faut chaque fois être en mesure de les prouver : en 1339-1340, Pierre de Silley n’a rien touché car il n’a pas pu produire de titre (ibid.), pas plus que les religieux de Gray (fol. 6). 130 ADD, 1B 246 (4), fol. 7. On a conservé une dizaine de quittances faisant état de versements réguliers du receveur des Chauderettes à la duchesse Jeanne en 1345 ; ADD, 1B 262 et B 72 (3). 131 Pour obtenir ces montants, on a divisé par trois le revenu total des Chauderettes. 132 Ceci fausse en partie le graphique de la fig. 3. 133 Certaines rentes ont aussi été supprimées en 1339-1340 et assignées sur d’autres revenus : celles des Cordeliers et des moines de Grandson, valant chacune 100 l. ; ADD, 1B 246 (2), fol. 5.
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cha p i tr e i v Duchesse et ses sœurs Nobles Bisontins Religieux Pauvres et malades
Fig. 4. Répartition des rentes sur les salines en valeur pour l’année 1338-1339
Comtesse de Flandre Nobles Bisontins Religieux Pauvres et malades
Fig. 5. Répartition des rentes sur les salines en valeur pour l’année 1339-1340
Sœurs de la Duchesse Nobles Bisontins Religieux Pauvres et malades
Fig. 6. Répartition des rentes sur les salines en valeur pour l’année 1341-1342
déficit est toujours là. On l’a sans doute anticipé, car le nombre des rentes effectivement payées s’est contracté, et beaucoup d’autres ne sont que partiellement honorées. Le tableau suivant récapitule l’état des paiements de ces rentes. Année
Recettes (sans les arrêts)
Montant total des rentes à payer
Montant total versé
Montant des impayés
1338-1339
5 532 l. 19 s. 11 d. ø
8 688 l. 10 s.
4 588 l. 10 s.
4 130 l.
1339-1340
5 443 l. 15 s. 10 d.
4 478 l. 10 s.
4 342 l. 10 s.
188 l.
1340-1341
4 962 l. 4 s. 8 d.
Inconnu
Inconnu
Inconnu
1341-1342
4 696 l. 5 d. ø
7 738 l. 10 s.
3 290 l. 5 s.
4 687 l. 5 s.
Dans ce tableau, il ne faut pas s’étonner de voir apparaître une différence entre la somme des impayés ajoutée au montant versé et le montant total des rentes assignées sur les salines. Elle correspond au rattrapage des impayés, qui a été de
d e s ré fo rme s d e st ru ct u re s
30 l. en 1338-1339, de 95 l. en 1339-1340 (mais là le compte n’y est pas, en raison de quelques oublis d’impayés sur les 300 l. concédées aux églises par Mahaut), et de 239 l. en 1341-1342, ce qui est très peu au regard des dettes accumulées. Remarquons que pour 1339-1340, il n’y a aucune mention des 1 000 l. allouées à la dauphine Isabelle, peut-être en raison des négociations relatives au calcul de sa part d’héritage qui sont en cours. Ceci, couplé à la suppression de la rente de la duchesse, contribue à rééquilibrer le budget de Renaud Garnier. Mais cela ne dure pas. Finalement, à part cette année-là, où le rapport entre les recettes de la saline et le montant des rentes assignées sur celles-ci est à peu près en équilibre, il n’y a aucune commune mesure entre ce que le comte peut espérer toucher et les dividendes pharamineux qu’il promet à la société comtoise. D’autant plus qu’il doit encore, sur le budget des salines, s’acquitter des gages des châtelains, portiers et autre personnel : 60 l. pour le châtelain de Bracon, 18 l. 4 s. pour le receveur des Chauderettes, autant pour l’office de la porte, qui est capital pour le fonctionnement des salines et son contrôle, respectivement 9 l. 2 s. et 6 l. 16 d. pour les deux autres portiers à Bracon en 1338-1339, par exemple, soit encore un peu moins d’une centaine de livres à réserver, sans compter d’autres menues dépenses. Mais il semble bien que le trésorier ait fait preuve d’anticipation en réduisant de façon drastique le paiement des rentes afin d’éviter un déficit trop important. Il n’est que de 185 l. 9 s. obole en 1338-1339, 51 l. 3 s. 7 d. obole en 1339-1340, et quand même de 438 l. 9 s. 7 d. obole en 1341-1342 malgré les restrictions budgétaires qu’on a mises en exergue. En revanche, l’année 1340-1341, pour laquelle nous n’avons point de renseignements sur le paiement des rentes, s’avère particulièrement faste, avec un considérable excédent de 1 089 l. 3 d, alors que les recettes ne sont pas extraordinaires (4 962 l. 4 s. 8 d.), ce qui signifie que les versements n’ont pas été très conséquents. Ainsi, les libéralités accordées sur sa part du revenu des salines par le duc-comte, aux nobles comme aux établissements religieux et d’assistance, outrepassent de beaucoup les capacités de la production qui lui revient, parfois de plus de la moitié de sa valeur. Ceci contraint le trésorier, qui suit certainement les directives princières, à procéder à des compromis constants de paiement pour ajuster recettes et dépenses. On est en droit de supposer que ces ajustements s’alignent sur les exigences de la politique du moment. Le prince redistribue néanmoins, mis à part ce qu’il réserve à son épouse, la presque totalité des revenus du sel à la société comtoise, et ces derniers contribuent certainement largement au maintien de la paix dans la province. On mesure le poids de cet atout propre au comté de Bourgogne. Pour conclure, on peut dire que si les sources à notre disposition pour mener une étude des salines de Salins au temps des ducs-comtes capétiens sont bien maigres, leur existence atteste deux faits sans précédent connu. Premièrement, une volonté de contrôler la production en établissant des bilans globaux de celle-ci, bien que seul le tiers relève du domaine comtal. Ces bilans ne sont pas le produit de la comptabilité autonome des clercs de la saunerie, mais bien de l’administration princière proprement dite, qui les centralise dans ses archives dijonnaises, ce qui est une façon de s’approprier la haute main sur le fonctionnement de l’industrie du sel. Le duc nomme d’ailleurs le responsable de la saline ou « pardessus », sans que l’on sache si cette nomination se fait en accord avec les autres ayants droit ou reste le seul
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fait du prince134. Le receveur de la Chauderette en tout cas est apparemment un de ses officiers, puisqu’il lui verse des gages, tout comme le portier de la Grande Saline, qui contrôle toutes les sorties de sel. En second lieu, l’établissement par Eudes IV d’un trésorier qui comptabilise les revenus des salines, mais aussi du commerce du sel à travers les conduits des marchands, témoigne d’une volonté d’efficacité gestionnaire par le contrôle de toute la filière industrielle de l’or blanc, du profit qu’elle génère, et de la redistribution de celui-ci. Si ne nous sont pas parvenus de comptes similaires à ceux de Renaud Garnier pour le principat de Philippe de Rouvres, on peut supposer que la pratique perdure en la personne de Jean de Prissey, receveur de la saunerie de Salins entre 1350 et 1360. Pour Salins comme pour Grozon, l’élaboration nouvelle de tels documents par le pouvoir comtal est à elle seule le signe d’une structuration et d’une rationalisation de la gestion économique complexe des salines, autant que de la confortation des droits du prince. Encore une fois, comme pour les bailliages et la gruerie, le temps d’Eudes IV s’avère être un tournant décisif pour la réorganisation de l’administration du domaine.
Conclusion de la première partie Les ducs-comtes de Bourgogne ont hérité, en 1330, d’un domaine déjà bien constitué, dont les points forts épousent les axes de pénétration du relief selon une diagonale sud-ouest-nord-est. Bien que partiellement et provisoirement démembré au gré de houleux partages successoraux, il n’a connu que des modifications de détail, ayant pour but de renforcer le maillage du territoire. Celui-ci, plus resserré dans la zone sud – aux environs de Dole et de la forêt de Chaux, ainsi que dans la région du Vignoble – que dans le secteur nord, s’appuie sur un réseau administratif ancien constitué de prévôtés, de châtellenies et, accessoirement, de mairies. Il est confié à des officiers fermiers ou à gages, sous le contrôle du pouvoir central qui les nomme et les charge d’encadrer les hommes et de percevoir ses revenus. Son caractère archaïque est compensé par la réorganisation, sous Eudes IV, des fonctions et du ressort des baillis qui le supervisent. Cette réforme aboutit sous son petit-fils à une partition désormais bien nette entre les deux circonscriptions administratives et financières d’Amont et d’Aval. Ce prince est également à l’origine de la dévolution de la gestion des eaux et forêts à un organisme central, la gruerie. Il contribue aussi à la mise en place de structures comptables visant à optimiser et à contrôler le circuit de la production et de la commercialisation du sel, ainsi que la redistribution de ses revenus. Son gouvernement se caractérise donc par une meilleure maîtrise de l’espace du domaine et une rationalisation de sa gestion. Cependant, une considérable partie de la province échappe au contrôle direct du prince, et notamment toute la zone montagneuse de l’est et du sud. Son droit de regard n’est au départ sur les terres des seigneurs que celui du suzerain d’un réseau de vassaux. Quels sont-ils et peut-il compter sur leur collaboration au bon gouvernement de sa principauté ? 134 « item baillé à Philippe de Bracon […] pour porter lettres à monseigneur le duc à Saint Homer pour eslire un pardessus en la salnerie, VII l. X s. » ; ADD, 1B 246 (2), fol. 8v.
IIe partie
La féodalité au comté de bourgogne Vitalité et réorganisation des forces Il convient, comme ailleurs, de distinguer dans le comté de Bourgogne le domaine utile, dont nous venons de brosser le tableau, du domaine éminent1, qui fait l’objet de cette seconde partie. On pourrait être tenté de penser qu’avec les progrès de l’État, les relations féodo-vassaliques en ce Moyen Âge finissant tendent à s’effilocher et à perdre de leur force. Les historiens sont largement revenus sur cette idée2. Et l’abondance des documents qui s’y rapportent suffirait à prouver qu’en Franche-Comté, elles ne relèvent pas du passé, ni pour le comte, ni pour les grandes familles. Comme lui, elles réorganisent leurs réseaux de fidélités en fonction des exigences du moment, et représentent, par leur puissance peu commune, de sérieux compétiteurs du pouvoir princier.
1 G. Leyte, Domaine et domanialité publique dans la France médiévale (XIIe-XVe siècle), Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 1996, p. 126. 2 Voir les conclusions de J.-M. Cauchies dans Noblesse et États princiers…, op. cit., p. 391-393, et de Michelle Bubenicek ; M. Bubenicek, Entre rébellion…, op. cit., p. 515.
Chapitre I
Le droit du suzerain : les fiefs du comté Les ducs-comtes ne négligent en aucune façon la dimension féodale de leur domination. Elle est certes largement héritée, comme l’atteste le fait qu’on s’appuie encore sur l’état des fiefs dressé en 1295 par Othon IV. Mais des sources plus récentes permettent de prendre la mesure de ce qu’il convient de mettre à l’actif d’Eudes IV et de Philippe de Rouvres en matière de politique féodale. Une étude de l’extension géographique de leur réseau vassalique éclairera les orientations qu’ils ont souhaité donner à celle-là.
1. Les sources Plusieurs types de documents éclairent le réseau vassalique des ducs-comtes de Bourgogne entre 1330 et 1361. Ils ne se limitent pas aux seules reprises de fiefs faisant l’objet d’une charte en bonne et due forme. Cette pratique ancienne avait, à la fin du xiiie siècle déjà, été à la base d’un état des fiefs du comté dont on se sert encore au début des années 1350. Mais, de plus en plus, les hommages sont listés en série, sans que soit forcément précisée dans l’immédiat la nature des fiefs qui les motivent. L’évolution de ces documents se fait le témoin de subtiles modifications dans la façon dont le pouvoir princier appréhende et utilise les relations féodo-vassaliques à son profit. a. L’état des fiefs de 1295
Le domaine éminent du comte de Bourgogne se donne à connaître par un document d’une valeur capitale, unique en son genre pour la province : il s’agit d’un état des fiefs, qui malheureusement n’a pas été rédigé pour Eudes IV ou Philippe de Rouvres, mais bien avant leur époque, à l’extrême fin du xiiie siècle. Il a été dressé vers 1295 par le comte Othon IV, et se voulait destiné au roi Philippe le Bel à qui le comté de Bourgogne venait d’être cédé par le traité de Vincennes1. Cette énumération des vassaux, portant mention du nom et de la valeur de leurs fiefs, estimée en livrées de terre, a retenu l’intérêt des historiens2. Elle a fait l’objet d’une copie le 10 décembre 1354, établie par Pierre de Fontenoy, notaire impérial et tabellion de la cour de Montbozon, sur la demande du bailli Guillaume d’Antully. Ceci laisse à penser que l’état des fiefs de 1295 n’était pas alors encore considéré comme caduque, même si des modifications étaient depuis intervenues en raison des successions et des alliances.
1 En date du 2 mars 1295. 2 Voir J.-P. Redoutey, « Le comté de Bourgogne de 1295 à 1314. Problèmes d’administration », M.S.H.D.B., 33 (1975-1976), p. 7-65, et Sources, note 47.
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Ces dernières devaient être dans toutes les mémoires, et les corrections à apporter s’opérer d’elles-mêmes. Globalement, les fiefs restaient les mêmes, puisqu’il est juste jugé bon de rajouter à la suite de la copie, en « accroissance de fiez puis ce livre fait », que la « maison » et les biens de Jean de Velle à Velle-le-Châtel sont devenus un fief direct du comte, ainsi que le « recept » en cette maison3. Jean-Pierre Redoutey s’est intéressé à l’ordre d’énumération des vassaux dans l’état des fiefs de 1295, reflet de la perception qu’on avait alors d’une géographie administrative. Viennent d’abord ceux extérieurs à la Comté (le comte de Bar, le sire de Clermont-en-Bassigny, le comte de Sarrebruck), puis les fiefs « deçà la Saône » et ceux « delà la Saône », seule référence véritablement géographique du document. Pour ces fiefs proprement comtois, l’énumération suit l’ordre retenu un peu plus loin pour celle des prévôtés, « soit de façon concentrique à partir de Dole : la région de Vesoul, Clerval, Pontarlier, le Jura sud et la région doloise ». L’auteur en conclut que « c’est la structure du domaine qui sert de référence à partir de son principal centre politique », s’interrogeant sur le lien avec l’itinéraire suivi par les enquêteurs. Il met également en exergue une correspondance entre l’ordre des fiefs et les zones d’influence des grandes familles : Faucogney, Montfaucon, Chalon, famille comtale, dont les chefs semblent, comme pour les Vienne, rangés par lits4. Ce document est aux yeux de Jean-Pierre Redoutey « une œuvre de circonstance qui présente au roi la valeur du comté, mais qui lui présente aussi ses adversaires ». Le fait que les indications de maisons fortes se font essentiellement pour la famille de Chalon lui semble en cela un indice. En effet, Philippe le Bel, qui avait subordonné le paiement des sommes promises à Othon IV en échange de la cession de son comté à la prestation de l’hommage par la noblesse, avait besoin d’une telle liste. L’annexion de la province ayant soulevé de fortes oppositions, « le comte est obligé d’en dresser une plus restreinte de ceux “ qui volunters entre en l’ommage nostre seigneur le roi”5 ». L’auteur rajoute que « plus profondément la multiplication des reconnaissances de fiefs réclamées aux vassaux est pour le comte un moyen d’affirmer son autorité publique ». Il rappelle qu’à cette époque, l’administration royale fait ailleurs des efforts « pour organiser de façon régulière recensements de fiefs, aveux et dénombrements ». L’état des fiefs de 1295 peut donc être considéré comme un instrument de contrôle des clientèles vassaliques, par une meilleure connaissance de celles-ci. Ce document exceptionnel s’inscrit en tout cas dans la droite ligne des livres de fiefs qu’on peut trouver dans l’Empire à la charnière des xiie et xiiie siècles, un peu plus tard dans la France capétienne, sur toute la première moitié du xiiie siècle, et qui photographient l’organisation féodale d’une région à un instant donné6. Il n’a pas
3 BEC Besançon, ms. 1578, fol. 23v. Velle-le-Châtel, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Scey-sur-Saône-et-Saint-Albin. 4 J.-P. Redoutey, « Le comté… », art. cit., p. 12. 5 Ibid., p. 13. Voir Fr. Funck-Brentano, « Philippe le Bel et la noblesse franc-comtoise », B.É.C., XLIX, 1888, p. 26. 6 Voir sur ces aspects J.-Fr. Nieus, « Féodalité et écriture. Observations sur les plus anciens livres de fiefs en France et dans l’Empire (fin xiie-milieu xiiie siècle) », dans Guerre, pouvoir et principauté, Cahiers/Centre de Recherches en Histoire du Droit et des Institutions, 18 (2002), Bruxelles, Facultés Universitaires Saint-Louis, 2002, p. 15-35.
l e d ro i t d u s uz e rai n : le s f i e f s d u co mt é
d’équivalent dans la première moitié du xive siècle, ce qui oblige à y recourir encore en 1354, avant d’établir deux ans plus tard une nouvelle liste de vassaux du comte. Nous ne disposons donc pour les années 1330-1355 que de reprises de fiefs, sous la forme de chartes isolées, sur lesquelles il convient de s’arrêter un instant. b. Les reprises de fiefs Avant Eudes IV
Il semble intéressant d’insérer les sources du temps d’Eudes IV et de Philippe de Rouvres dans la continuité des témoignages de fidélité rendus à leurs prédécesseurs immédiats, afin d’en mieux cerner l’éventuelle spécificité. Remarquons simplement que le gouvernement de Philippe V est marqué par une série de reprises de fiefs datées de 1316, l’année où il devint roi, par lesquelles il cherche sans doute à asseoir son autorité sur le comté alors réuni pour un temps au domaine royal7. Il apparaît au fil de ces chartes que ce souverain a cherché à consolider la pyramide féodale en Franche-Comté, soucieux de faire entrer sous sa gouverne les arrière-fiefs. Dans cette région de féodalité tardive, où persistent en outre des influences germaniques, ce type de centralisation reste en effet très imparfait, les hommages s’imbriquant dans le plus grand désordre, même si les comtes palatins ont jadis travaillé à se placer au sommet de la hiérarchie féodale8. Certes, l’état des fiefs de 1295 prend soin de distinguer pour les plus grands vassaux les biens tenus directement du comte de ceux qu’ils ont eux-mêmes inféodés à d’autres, le tout semblant bien relever de la suzeraineté d’Othon IV. Mais cet étagement nécessitait apparemment d’être clarifié, en particulier pour de plus petits fieffés. Cela a donné lieu, lors du recueil des fidélités en 1316, à la rédaction d’actes très précis. Par exemple, Henri de Vergy déclare que le fief tenu de lui à Champlitte par Guyot, seigneur de Villefrancon, est un arrière-fief du comté de Bourgogne9. On va parfois jusqu’à détailler six degrés successifs de vassalité !10 La mouvance princière tend donc désormais à s’enrichir des réseaux tissés par les vassaux directs, ce qui ne paraissait pas encore automatique au début du siècle. Philippe V tient selon toute apparence à réorganiser son domaine éminent sur des bases féodales, mais aussi géographiques : il fait également préciser à Henri de Vergy que Poyans et Bouhans11 dépendent du château de Champlitte, que Nantilly12 dépend d’Autrey-lès-Gray, et qu’il reprend de lui ces terres13. C’est déjà le 7 8 9 10
Par exemple ADD, 1B 333. M.-Th. Allemand-Gay, Le pouvoir…, op. cit., p. 133, 215. ADD, 1B 431. On trouvera d’autres exemples en 1B 414, 1B 420, 1B 441, 1B 484. ADD, 1B 479 : Étienne de Frontenay dit Merle, chevalier, déclare que des bois et des vignes à Pannessières ( Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Conliège) sont tenus par Perrin dit Gruet de Girard de Villersérine, qui les tient lui-même de lui, Étienne Merlet. Ce dernier est investi de ce fief par Jean de Frontenay, lequel le reprend de Richard de Montsaugeon, finalement vassal du comte de Bourgogne… 11 Poyans, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Dampierre-sur-Salon ; Bouhans-et-Feurg, idem. 12 Nantilly, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Gray. 13 ADD, 1B 482.
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ressort des forteresses qui s’affermit, la géographie administrative qui s’ébauche. Il s’agit ici des terres d’un vassal, mais on retrouverait la même esquisse autour d’un château comtal comme Jussey. Mahaut de Gevigney, veuve d’Huguenin de Gevigney, écuyer, déclare, en 1316 toujours, y devoir quinze jours de garde pour son douaire, soit vingt-cinq ménages à Mercey14. De nouveaux alleux tombent sous la domination comtale, poursuivant un mouvement déjà largement amorcé au siècle précédent15. Ce renforcement de la suzeraineté du comte sous Philippe V s’accompagne de la compilation de ses droits dans un cartulaire, entre 1318 et 132116, un souci que n’ont pas eu ses successeurs. Au temps d’Eudes IV et de Philippe de Rouvres
Pour la période courant de 1330 à 1361, l’inventaire des reprises de fiefs s’avère bien décevant. Elles sont vraiment peu nombreuses au regard des périodes précédentes durant lesquelles leur nombre annuel pouvait être élevé17. Les années fastes, soit en 1338 et 1343, Eudes IV ne reçoit que trois hommages en tout et pour tout, tandis que d’autres années ne sont même pas représentées. Seules quatorze chartes de ce type nous sont parvenues pour son principat. Quant à son petit-fils, il totalise dix reprises de fiefs pour l’année 1357, et c’est à peu près tout. Certaines de ces reprises de fiefs sont sans surprise, motivées par un changement de patrimoine à la suite d’une succession ou d’un mariage. D’autres font suite à un don ducal. On aura l’occasion de revenir sur les hommages prêtés à Eudes IV pour des forteresses stratégiques au temps des guerres comtoises. Rien que de très traditionnel en somme. Une série de reprises de fiefs particulières existent pourtant pour les deux principats. Elles sont bien spécifiques : rattachées au ressort d’une forteresse comtale, au contraire d’hommages plus vagues dus « à cause du comté », leur but est double ; premièrement mieux définir le périmètre géographique de ce ressort, qui reste apparemment encore un peu flou, en phagocytant les alleux qui subsistent à proximité ; en second lieu fixer par écrit les obligations de garde dans ces châteaux. Ainsi les reprises de fief de Josserand Grivet et de Vauthier de Suigny, passées toutes deux devant le notaire impérial Humbert Sybuef de Montmorot, en faveur de « tres haut prince et puissant monseigneur le duc et comte de Bourgogne palatin pour raison de son chastel de Montmorot18 ». Les forteresses tendent en effet à devenir le point d’ancrage d’un tissu féodal constitué d’un ensemble de petits vassaux limitrophes, comme on peut le deviner dans l’arbitrage entre le duc et les
14 ADD, 1B 358. Comm. Gevigney-et-Mercey, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Jussey. 15 M.-T. Allemand-Gay, Le pouvoir…, op. cit., p. 128-130. ADD, 1B 49, 1B 446, 1B 478. 16 ADD, 1B 1 et 2. Cartulaire des comtes de Bourgogne (1166-1321), éd. J. Gauthier, J. DE Sainte-Agathe et R. de Lurion, Besançon, Jacquin, 1908 (Mémoires et documents inédits pour servir à l’histoire de la Franche-Comté VIII). 17 M.-Th. Allemand-Gay, Le pouvoir…, op. cit., p. 210. 18 ADD, 1B 361 (18), lundi devant la Saint-Thomas (20 décembre) 1344 ; ADD, 1B 374 (3), lundi après l’an neuf (3 janvier) 1345.
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barons révoltés rendu par le roi Philippe VI en juin 133719. Le cas de Chaussin est évoqué, illustrant ce phénomène20 : Chaucins, la chastellanie de Chaucins et la ville de Tichey21 avec toutes les appartenances et les fiedz, arriere fiedz, tous estans et appartenans ausdites chastellenie et ville de Tichey seront audit sire [de Montfaucon], cest assavoir tous ceux qui lui ont fait foy, service fience et obeissance ou hommaige ou à ses gens comme à seigneur de Chaulcins jusques au jour de l’apparicion notre seigneur darrenerement passee qui fut l’an mil IIIC XXXVI22, demeurront et appartiendront audit duc, et ly aultres feaulx qui n’ent fait les choses dessus dites ou aucunes d’icelles demeurront au seigneur de Montfaucon. Le roi ici tempère la course aux vassaux qu’opère le duc sur un point stratégique de la frontière de la Saône, mettant à profit un certain flottement dans la définition du ressort de la forteresse23. On voit donc le danger d’une telle imprécision, susceptible de se retourner contre le duc-comte, et la nécessité de faire enregistrer par écrit les obligations féodales dans l’orbite de ses principaux châteaux. Montmorot, en l’occurrence, sous Eudes IV, entré depuis peu dans le domaine comtal, et au voisinage de la zone d’influence des Chalon ; Jussey sous Philippe de Rouvres, dont on a soin d’organiser la défense en couchant sur le parchemin le nombre de jours de garde dus au château par Thibaut de Gilley24 et par Jean, fils de Simon de Gevigney25. Remarquons que le secteur devait s’avérer particulièrement sensible en 1357, car il fait alors l’objet de plusieurs hommages, la plupart passés devant notaire. Il y a donc des contraintes pour le vassal, mais elles ne sont pas toujours définies précisément. Marie-Thérèse Allemand-Gay a souligné ce flou déjà présent au siècle précédent. Il tient notamment au fait que le fief bourguignon, subissant les influences
19 ADD, 7E 1318, ADD, 7E 1323, ADD, 1B 339 (1), publié par Fr.-F. Chevalier, Mémoires…, op. cit., t. I, preuve n° 95, et par U. Plancher, Histoire…, op. cit., t. II, preuve CCLXI. Les actes de la série 7E sont des vidimus, par Eudes IV d’une part, par Jean de Chalon et Henri de Montfaucon d’autre part, qui jurent d’appliquer la décision royale. 20 Il faut dire que les droits dans les alentours de Chaussin semblent entremêlés de façon peu claire pour tous, comme en témoigne la demande d’enquête faite par les tuteurs des enfants de feu Gui des Mars, Béatrice de Jocerat et Jean sire de Choisey, sur l’appropriation de leurs terres, mêlées à celles de leurs voisins ; ADJ, 11 F 193. 21 Tichey, Côte-d’Or, ar. Beaune, c. Brazey-en-Plaine. 22 Le 6 janvier 1337. 23 C’est certainement la survivance d’alleux qui a permis au duc d’infiltrer le réseau du sire de Montfaucon à Chaussin. Le ressort des principaux châteaux comtois achève donc de se former en ce premier tiers du xive siècle. Autre exemple à l’appui, Jean de Chalon-Auxerre fait preuve d’une grande précision juridique lors de la cession de la châtellenie de Montgefond (comm. Vosbles-Valfin, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Moirans-en-Montagne) à Humbert de Thoire-Villars en 1342. À cette occasion, on a rédigé une sorte de livre des fiefs qui recense une trentaine de vassaux et consigne les hommages prêtés au nouveau seigneur de Montgefond ; ADJ, E 647. Il s’agit certainement d’éviter ce genre d’inconvénient dans une zone à la frontière sud du comté de Bourgogne, donc particulièrement fragile également. 24 Quatre jours « quand requis en est » ; ADD, 1B 473 (6 et 7), 18 octobre 1357. Le n°7 est une copie de 1362. 25 Huit jours ; ADD, 1B 358 (19), copie de 1362, et ADD, 1B 482 (10), 30 novembre 1357.
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méridionales, est fréquemment sans service. Par exemple, il n’implique pas l’aide aux quatre cas, qui est rattachée à la haute justice. « Le service type est le service militaire et encore est-il fréquemment très passif voire passé sous silence26 ». Josserand Grivet se présente ainsi en 1344 « come cis qui est touz jours appareilliés de faire le plaisir et ordenance de mon dit seignour27 ». En temps de guerre, on ressent le besoin de mieux circonscrire les obligations du vassal : il s’agit de disposer de combattants et de fidèles, en contrepartie de fortes sommes d’argent. Pour 200 l. estevenantes, Vauthier de Cusance se déclare prêt, en 1337, tant qu’il reste débiteur du duc, de lui « tenir foy et loiautey, rendre service et faire toutes obeissances et commandemenz si comme li cax le requier et comme il appartient de faire28 ». Dix ans plus tard, Fromond de Toulongeon s’engage, moyennant une rente viagère de 60 l. sur les revenus de Dole, à « bien et loyalement le servir tant en armes comme en touz autres cas et besoignes licites et honnetes que il me voudra commander toute fois que requis29 ». Pour une femme comme Alison de Blamont, on se contentera de faire référence à la coutume, soit la promesse de « rendre et faire service et obéissance si comme il appartient en tel cax et comme acoustumez est de faire entre les nobles30 ». Il ne faut pas s’imaginer que ces hommages sont rendus au duc en personne. Lorsqu’ils sont passés devant notaire par les fieffés les plus modestes, l’autorité de celui-ci et des témoins convoqués doivent suffire à valider la reconnaissance de fief. Sinon, pour de plus notables vassaux, le prince se fait représenter par ses officiers : gardien du comté pour l’hommage d’Alison de Blamont, gardien et bailli pour recevoir la féauté de Vauthier de Cusance, et, ce qui est plus surprenant, bailli seulement pour l’hommage du sire de Joux31 ou la soumission de Thibaut de Neuchâtel, dont la portée est pourtant capitale32. C’est pourquoi l’acte qui en garde la trace soigne les détails : caution de l’official de Besançon, différence de prestige marquée entre les protagonistes (Thibaut de Neuchâtel, « noble homme et puissant messire », contre Eudes IV, « tres haut prince et puissant mon tres cher et redouté seigneur »), précisions juridiques, mise en scène symbolique du rituel (reprise « de main et de bouche33 », remise d’un bâtonnet au bailli pour signifier la renonciation aux gardes de LieuCroissant34 et de Lanthenans35 et à la vicomté de Baume).
M.-Th. Allemand-Gay, Le pouvoir…, op. cit., p. 213. ADD, 1B 361 (18). ADD, 1B 49 (10), Saint-Vincent (22 janvier) 1338. ADD, 1B 3442 (6), 23 avril 1347. ADD, 1B 524 (7), samedi après la Saint-Matthieu (26 septembre) 1338. ADD, 7E 1344, samedi devant la Madeleine (19 juillet) 1343. ADD, 1B 454 (15), 6 novembre 1343. Publié par Fr.-F. Chevalier, Mémoires…, op. cit., t. I, preuve n° 98. Ce détail a son importance, car Jean Philippe de Jussey tient à mentionner dans sa reprise de fief qu’il tient ses biens « de main tant seulement », comme ses devanciers avaient coutume de les tenir des comtes ; ADD, 1B 358 (18 et 22). Sans doute la reprise est-elle davantage plénière quand elle implique aussi l’osculum. 34 Ancien nom de l’abbaye des Trois-Rois, sur la commune de Mancenans, Doubs, ar. Montbéliard, c. Bavans. 35 Lanthenans, idem. La garde de ces deux établissements ecclésiastiques avait été concédée au grandpère de Thibaut V de Neuchâtel par le comte Othon en novembre 1294 ; BnF, N.a.f. 3535, n° 56.
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Ceci contraste avec les reprises de fief en faveur de Philippe de Rouvres, beaucoup moins riches de détails. On n’y trouve plus d’allusion à l’officier représentant du prince, ni aux obligations pratiques et morales induites par la fidélité, à l’exception des journées de garde au château de Jussey. Ceci laisse supposer que la routine administrative a pris le dessus, et que les loyautés sont plus assurées que pendant les temps troublés du principat de son aïeul. Mais ces chartes, instructives à bien des égards, s’avèrent pour les deux ducs-comtes très insuffisantes si l’on souhaite prendre la mesure de leur réseau vassalique. Il faut pour cela consulter d’autres types de sources. c. Les listes de vassaux
Les listes de vassaux qui subsistent pour notre période font apparaître des contextes très différents selon qu’elles se placent sous le gouvernement d’Eudes IV ou sous celui de Philippe de Rouvres. Réduites pour le premier à un court rôle en 1330, elles se répartissent pour le second en deux documents nourris, respectivement datés de 1357 et 1360. Ils mettent au jour une évolution significative. Le rôle des vassaux d’Eudes IV
On a vu qu’on ne disposait jusque dans les années 1350 que de l’état des fiefs de 1295, et qu’on l’a sans doute utilisé faute de mieux, Eudes IV n’ayant apparemment pas été en mesure d’établir un recensement complet de ses vassaux. Il n’a pas non plus, dans un contexte récurrent d’opposition nobiliaire, été à même d’exiger une prestation d’hommage de chacun à sa personne lors de sa prise en main du comté, comme l’avait fait Philippe le Bel. Le rôle des vassaux qui se sont exécutés, dressé au début de l’année 1330, est plus que maigre36. Il recense dix-huit hommages pour des terres franc-comtoises37, qui lui ont été prêtés à Rouvres, puis à Dole, à Salins et à Bracon, entre le 18 février et le 2 mars. Seuls quatre mentionnent la nature du fief. Ces hommages sont prêtés devant des témoins, cités une fois sur deux. Ce ne sont pas toujours les mêmes toutefois. On retrouve parmi eux de fidèles serviteurs d’Eudes IV, comme Anseau Peaud’Oie38, maître Jean Aubriot39, Jean de Bellenot, Geoffroy de Blaisey, le seigneur de Thil… On ne peut qu’être saisi par l’indigence de ce rôle, dressé quelques semaines seulement après la mort de la reine Jeanne le 21 janvier 1330, et alors que la duchesse sa fille parcourt la province en compagnie de Robert, comte de Tonnerre, afin de recevoir l’hommage des seigneurs francs-comtois
36 ADCO, B 1053. 37 Quelques autres se rapportent à des biens situés au duché. 38 Clerc personnel d’Eudes IV, sans doute garde du sceau secret. Voir A.-L. Courtel, « La chancellerie et les actes d’Eudes IV, duc de Bourgogne (1315-1349) », B.É.C., 135/2 (1977), p. 35-36. 39 Clerc et juriste, d’abord attaché au service d’Eudes IV comme conseiller juridique et banquier, il entre au Conseil en 1326. Il est aussi maître de la Chambre des comptes. Il est l’un des bourgeois les plus fortunés de Dijon. Il sera exécuteur testamentaire du duc, et gouverneur du duché sous le bail de Jeanne de Boulogne. Il meurt en décembre 1350 (ibid., p. 39-42).
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sur l’ordre de son époux40. Le document rend-il compte de toutes les fidélités qui se sont déclarées au couple ducal lors de ce bref passage dans la province dont il vient d’hériter ? Sont-ce celles reçues par Jeanne de France avant son retour en Bourgogne le 8 mars ? Elle est à l’occasion rejointe par le duc, lui aussi en Comté, comme l’atteste le compte de l’hôtel de la duchesse pour l’année 133041. Si l’on croise les dates de ce document avec celles des hommages listés en début d’année, on s’aperçoit que certains ont pu être prêtés directement à Eudes IV, comme ceux datés du samedi veille des Brandons (24 février), à Bracon. Ils concernent la dame de Vaugrenans, celle de Chauvirey et son fils, Oudet Noireaul de Salins, Jacques de Bracon, Othe de Velleguindry. Le duc reste-t-il en compagnie de son épouse à Bracon jusqu’au 28 février ? Auquel cas, il aurait pu recevoir la foi d’Humbert de Vuillafans, de Guillaume d’Estavayer, de Jean de Rigney, de Philippe de Vienne, et du sire de Sainte-Croix. D’autre part, les lieux et les dates des autres hommages ne correspondent pas avec l’itinéraire de la duchesse Jeanne tel qu’il est consigné dans le compte de son hôtel. Ainsi, le dimanche avant les Brandons, soit le 18 février, elle se trouve à Baume et à Clerval, alors qu’Humbert, fils du Naverrat de Besançon, prête hommage à Rouvres. Le mardi suivant, elle est à Éternoz, puis à Bracon, alors qu’Oudart, sire de Montaigu, et Matthieu de Longwy, sire de Rahon, font de même à Dole. Ces hommages ne sont donc pas reçus par la duchesse, mais certainement par le duc en personne, alors qu’il s’apprête à la rejoindre à Bracon depuis Rouvres, via Dole. La source ne précise pas où sont jurées les dernières fidélités le 2 mars. Ce rôle de seigneurs vassaux ne recense donc pas les hommages qui auraient pu être prêtés à Jeanne de France au nom de son époux durant son séjour comtois – ce qui n’aurait rien d’impossible compte tenu de son statut d’héritière. Elle était sans doute à ce titre mieux acceptée de la noblesse que son mari bourguignon, flanqué de ses auxiliaires du duché, ce qui explique qu’il l’ait envoyée en tête de pont pour prendre possession de sa nouvelle province. L’indigence du contenu de ce document, par ailleurs fort éclairante sur la situation politique fragile, demande par conséquent à être relativisée. Il ne faut pas oublier en outre qu’un certain nombre de comtois s’étaient déclarés vassaux d’Eudes IV à son avènement au duché, dès 1315 et jusqu’en 1317, alors qu’il n’était pas encore par son mariage l’héritier pressenti du pays. Il pouvait donc d’ores et déjà les considérer comme acquis à sa cause. Un rouleau de parchemin, publié par Ernest Petit, renferme la liste de ces vassaux de la première heure, qu’il n’est pas toujours aisé d’identifier au milieu des seigneurs bourguignons42. Par exemple, en tête du document et les premiers dans l’ordre chronologique, figurent Hugues de Vienne, sire de Montmorot, Thibaut de Beaujeu outre Saône, Hugues de Neublans43, Guillaume, sire de Pesmes, qui reprennent de fief du duc le lundi 40 E. Petit, Histoire…, op. cit., t. VII, p. 128-129. 41 ADCO, B 315, publié par E. Petit, Histoire…, op. cit., t. VII, p. 161-174, et étudié par J.-B. Santamaria, « Quand la duchesse devint comtesse. Jeanne de France et les débuts d’une union personnelle des deux Bourgogne (1329-1330) », in Bourgogne et Franche-Comté : la longue histoire d’une unité, D. Le Page et H. Mouillebouche (éd.), Annales de Bourgogne, 91-2 (2019), p. 15-28. 42 ADCO, B 10 495, publié par E. PETIT, Histoire…, op. cit., t. VII, p. 66-82. 43 Neublans-Abergement, Jura, ar. Dole, c. Tavaux.
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après Pentecôte (12 mai) 1315 ; ils sont suivis cinq jours plus tard par Matthieu, sire de Montmartin44, Jean de Longwy et Marguerite, dame de Foucherans45. On regrette le silence qui enveloppe la nature de tous ces fiefs. D’autres noms connus parmi les familles comtoises peuvent encore être glanés au fil du texte. Néanmoins, même en couplant cette source avec le rôle de 1330, si on prend pour référence l’état de 1295 on reste au total bien loin du compte – plus de cent fieffés – avec ces quelques fidèles comtois d’Eudes IV. La haute noblesse notamment, à l’exception des Vienne, brille par son absence. La liste de 1357
Le contexte semble très différent à l’extrême fin de 1356. Philippe de Rouvres, sous la tutelle de sa mère Jeanne de Boulogne, et compte tenu de la captivité du régent le roi Jean de Bon, peut alors recevoir la foi de cent quatre-vingt-huit vassaux comtois dont la liste a été conservée46. Ces fidélités sont recueillies à la faveur d’une tournée du jeune duc dans le pays, qui passe par Montmirey, Dole, Bracon, Poligny, revient à Dole, pour être de retour à Dijon peu avant Pâques. Elles s’échelonnent entre le 25 décembre 1356 et le 15 septembre 1357, mais pour l’essentiel sont jurées entre Noël et Pâques. Dans une conjoncture politique délicate, il s’avère vraisemblablement indispensable d’asseoir le pouvoir fragile de cet enfant, en s’assurant le soutien de la noblesse comtoise. Certains de ses représentants se sont en effet alliés aux Anglais, comme les sires de Neuchâtel, dont Ernest Petit a remarqué l’absence parmi les fidèles47. On ne saurait dégager de règle quant à l’ordre de ces hommages, qui ne répond pas forcément à une logique géographique, même si on peut identifier quelques groupes, comme celui de trois gentilshommes de Château-Chalon et de Voiteur, qui prêtent hommage au duc le 13 janvier, ou celui des nobles de Poligny et de ses environs, qui profitent de son passage dans la ville pour lui jurer leur fidélité le 16 de ce mois. Mais dans l’ensemble, les vassaux se sont déplacés pour se porter au-devant de leur seigneur. On ignore la plupart du temps où ils l’ont rejoint, seule la date de l’hommage étant précisée. Quelques-uns, tel Jean de Chalon, font le voyage jusqu’à Dijon. Ce flou accompagne aussi l’objet du fief, qui n’est point développé. Il a apparemment donné lieu à des déclarations séparées, mais ont-elles été systématiques ? On peut en douter, il n’y est fait allusion que trois fois, pour Jacques de Thoraise, pour le seigneur de Montbéliard et pour Jean de Corcondray. Ces reprises de fiefs ont été conservées dans le trésor des chartes48. Mais deux éléments vont dans le sens d’un
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Huanne-Montmartin, Doubs, ar. Besançon, c. Baume-les-Dames. Tarcenay-Foucherans, Doubs, ar. Besançon, c. Ornans, ou Foucherans, Jura, ar. Dole, c. Dole-1. Fr.-F. Chevalier, Mémoires…, op. cit., t. II, preuve n° 62 (2) et AD B 3, fol. 3-8v. E. Petit, Histoire…, op. cit., t. IX, Règne de Philippe de Rouvre, 1349-1361, la Bourgogne sous le roi Jean II, 1361-1363, Publication de la Société Bourguignonne de Géographie et d’Histoire, Paris, Picard, 1905, p. 75-76. 48 Elles sont datées respectivement du 1er janvier ; ADD, 1B 421 (8), copie de 1362 ; du 11 janvier ; ADD, 1B 479 (9) ; du 14 janvier 1357 ; ADD, 1B 439 (5), qui est une copie de 1362, et ADCO, B 10 507. Le 1er janvier, Jacques de Thoraise prête hommage et fait sa déclaration en même temps. Le comte de
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dénombrement, ou du moins d’une « déclaration » obligatoire49 : d’une part, la précision, à la date du 19 mars, de l’hommage de Jean de Joigne « par générale reprise, et n’a point baillé l’éclaircissement du fief », ce qui laisse supposer que les autres fieffés l’ont fait ; d’autre part, la survivance dans les archives de deux reprises de fiefs détaillées par Gilat de Belchemin, le 7 février50, et Gille de Vienne dame de Fouvent, le 9 mars51, ces derniers fieffés figurant par ailleurs dans la liste des hommages rendus, aux dates du 8 janvier et du 8 mars. Le « livre des féaux » de Philippe de Rouvres
Cette pratique de la « déclaration » à part de l’hommage proprement dit est éclairée par une autre liste de vassaux de Philippe de Rouvres, qui subsiste aux Archives départementales à Dijon, sous la forme d’un cahier de papier. Il est daté de 1360, et porte en en-tête le texte suivant : C’est le livre des feauls monseigneur le duc de Bourgoigne qui ont repris de li puiz le XXVIe jour de janvier l’an mil trois cens ciquante et nuef, auquelx et a chascun par soy a este comandé et enjonct de par monseigneur le duc selonc ce qu’il sont venuz repranre qu’il baillient la declaration du chascun fié qu’il ont firent dedanz XL jours apres le jour qu’il ont fait leur homaige en la main du balli soubz qui bailliaige le fiez est pour lequel il hont fait l’omaige52. Point d’ambiguïté ici : il y a bien obligation de fournir une énumération des biens repris en fief dans les quarante jours suivant la prestation d’hommage. L’usage est-il en train de se fixer ? C’est en tout cas la première fois que nous en avons trouvé la formulation pour les vassaux du comte. Il est intéressant de noter que les aveux sont désormais pratiqués par bailliage, dont le ressort est donc clairement défini. Ce « livre des féaux » répertorie indifféremment des hommages se rapportant au duché comme au comté, certains touchant aux deux principautés. Les fidélités qui concernent des terres comtoises s’échelonnent du 24 mai 1360 au 18 octobre 1361. Elles sont au nombre de dix. Philippe de Rouvres a alors entre treize et quinze ans53. Sont-elles motivées par sa majorité ? Plutôt par des changements chez les fieffiés, notamment des biens advenus par mariage ou par succession. Par exemple, Jean, fils Montbéliard et Jean de Corcondray, en revanche, ont tardé quelques semaines, car ils ont prêté hommage dans les premiers, le jour de Noël. 49 Cela ne va pas sans difficultés. Ainsi le dauphin Guigues requiert-il ses vassaux de venir déclarer leurs fiefs en détail devant son conseil, en 1330. Humbert II reprend cet édit en 1355. Mais cette politique n’a connu qu’un succès limité, et les rédacteurs de l’inventaire des archives des dauphins en 1346 notent que les dénombrements n’ont pas été faits, bien que le délai soit passé. G. Giordanengo, Le droit féodal dans les pays de droit écrit. L’exemple de la Provence et du Dauphiné. xiie-début xive siècle, Rome, École française de Rome, 1988 (Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome 266), p. 217-218. 50 ADD, 1B 463 (10). 51 ADD, 1B 450 (copie de 1362). Fouvent-Saint-Andoche, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Dampierre-sur-Salon. 52 ADCO, B 10 508. 53 Il est né fin août ou début septembre 1346 selon E. Petit, Histoire…, op. cit., t. IX, p. 2, n. 1.
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de feu Nicolas de Florence, reprend les biens de son père à Menotey et Rainans ; Jacquot de Chamblans les terres qui lui sont échues de feu Othenin de Gevry. Nicolas de Florence et Othenin de Gevry figurent parmi les vassaux listés en 1357. L’hommage peut faire suite à une donation, comme celle consentie à sa sœur par la défunte femme d’Hugues du Moulin de Jussey. Il peut aussi entériner une nouvelle inféodation : c’est vraisemblablement le cas de la maison forte d’Ougney, que reprend en fief Pierre de Landuraz (ou Landuret) le 16 juin 1360 ; on sait qu’elle avait autrefois été concédée gracieusement par le duc Eudes IV à son bailli Jean de Montaigu54. Le cahier de 1360-1361 ne constitue donc qu’une mise à jour des fidélités, et non une entreprise de recensement, comme en 1295, ou de réassurance du pouvoir politique du duc-comte, comme en 1356-1357. Il prouve que, contrairement au temps d’Eudes IV durant lequel le réseau vassalique comtois apparaît plutôt négligé, et géré au coup par coup, sans doute en raison de la conjoncture délicate des guerres comtoises, Philippe de Rouvres et ses tuteurs ont eu le souci de comptabiliser les fidèles, de suivre l’évolution des fiefs, et d’institutionnaliser les coutumes féodales au profit d’une affirmation plus forte du pouvoir princier. Celle-ci s’opère non plus dans le seul comté de Bourgogne, mais désormais à l’échelle d’une grande principauté intégrant duché et comté, grâce à des hommages mixtes de féaux au patrimoine réparti entre ces deux régions55. Des familles comme celle de Vienne avaient préparé le terrain de cette unification. Deux de ses représentants sont d’ailleurs cités dans le cahier : Jacques de Vienne, sire de Longwy56 et de Bellevesvre57, qui prête hommage pour deux fiefs le 26 mai 1360, Bellevresvre, « mouvant de son heritage », et Marigny-sur-Ouche58, « mouvant de l’heritage de sa femme, fille feu messire Eudes de la Roche, tout à cause du duché59 » ; Henri de Vienne, sire de Mirebel-en-Montagne, qui reprend en fief de Philippe de Rouvres ce qu’il tient au duché et au comté, tant de par lui que de par sa femme60. Par rapport au temps d’Eudes IV, un décloisonnement s’est donc clairement opéré entre le duché et le comté de Bourgogne, tandis que les pratiques féodovassaliques, rationalisées et gérées à l’échelle des bailliages, tendent à rentrer dans la gestion administrative courante de ces principautés, prélude à une récupération de la féodalité par l’appareil bureaucratique de l’état princier. Ainsi se fixe peu à peu une géographie de la mouvance comtale.
54 ADD, 1B 383 (4). 55 Par exemple, « Messire Jean de la Roichelle, chevalier, entra dans la foy de monseigneur à Dijon le XXIV mai mil trois cens LX, et fit un fié de ce qu’il tient à Broichon ou bailliage de Dijon ; item un fié à cause du comté de Bourgoigne de par qu’il tient en fiez et en domaine à Ville le Chastel en la chastellenie de Vesoul ». Ou encore « Jean de Coublans entray en la foi de monseigneur à Dijon le 24 mai mil trois cens LX et fit un fié de L livres de rente à estevenans qu’il prend chascun an sur les issues et emolumens de la prevoté d’Auxonne ; item un autre fié mouvant du comté de Bourgoigne en la chastellenie de Jussey de ce qu’il tient à Purgerot » ; ADCO, B 10 508, fol. 2 et 2v. 56 Longwy-sur-le-Doubs, Jura, ar. Dole, c. Tavaux. 57 Bellevesvre, Saône-et-Loire, ar. Louhans, c. Pierre-de-Bresse. 58 Comm. Saint-Victor-sur-Ouche, Côte-d’Or, ar. Dijon, c. Talant. 59 ADCO, B 10 508, fol. 2v. 60 Ibid., fol. 3.
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2. Répartition géographique Au fil des sources se dessine l’aire d’extension du pouvoir des comtes, globalement inchangée depuis la fin du xiiie siècle. Eudes IV a dû mettre en œuvre tout l’arsenal juridique dont il disposait pour la défendre face aux prétentions des grands barons, en particulier dans les zones montagneuses, peu couvertes par son réseau vassalique. Ce dernier tend néanmoins à se densifier et à se renforcer. a. Situation au début du XIV e siècle
Marie-Thérèse Allemand s’est appuyée sur les documents du xiiie siècle pour étudier le réseau des vassaux du comte de Bourgogne61. Elle remarque qu’il dépasse largement les frontières actuelles de la Franche-Comté. Des princes voisins, comme le comte de Bar, le comte de Ferrette, le comte de Montbéliard ou même le comte de Sarrebrück62, se déclarent vassaux du comte pour certains de leurs domaines, tandis que des seigneurs comtois prêtent hommage pour des biens situés hors du pays (comme les Vienne, essentiellement possessionnés dans l’avant-pays jurassien). L’influence du Palatin s’étend sporadiquement jusqu’aux environs de Lyon (à Beauregard63 et Montluel64). En revanche, en direction de l’ouest, outre Saône et sur le versant suisse, les fiefs comtaux sont assez limités, buttant sur l’obstacle de la montagne : les sires de Vautravers65, Grandson66, Montricher67 sont les seuls vassaux d’outre Jura, et les possessions des fieffés comtois sur le versant oriental de la chaîne sont peu nombreuses et ne dépassent pas Orbe. Ceci contraste avec une mouvance comtale très importante dans le nord, dans la Haute-Marne actuelle, aux confins de la Champagne et du Barrois, spécialement dans une bande est-ouest reliant Châteauvillain à Vignory68 (avec les sires de Joinville et de Vignory, apparentés aux Chalon). Les fiefs de cette zone se prolongent en nombre à l’est, jusqu’à l’actuel département des Vosges, englobant Bourlemont69 et Beaufremont70. Quant au comté de Bourgogne proprement dit, il est quadrillé par les hommages, mais ceux-ci se répartissent inégalement : la zone correspondant aux chaînes plissées du Haut Jura, selon une diagonale sud-sud-ouest-nord-nord-est, est très peu représentée, à l’exception des sires d’Usiers71 et de Joux, à la fidélité douteuse.
61 M.-Th. Allemand-GAY, Le pouvoir…, op. cit., p. 210-212. 62 Ville allemande de la Sarre. 63 Beauregard, Ain, ar. Bourg-en-Bresse, c. Trévoux. 64 Montluel, Ain, ar. Bourg-en-Bresse, c. Meximieux. 65 Du nom de la vallée suisse du Val de Travers. 66 Grandson, Suisse, c. Vaud, district Jura-Nord vaudois. 67 Montricher, Suisse, c. Vaud, district Morges. 68 Châteauvillain, Haute-Marne, ar. Chaumont, ch.-l. c ; Vignory, idem, c. Bologne. 69 Comm. Frebécourt, Vosges, ar. et c. Neufchâteau. 70 Beaufremont, Vosges, ar. et c. Neufchâteau. 71 Comm. de Goux-les-Usiers et Bians-les-Usiers, Doubs, ar. Pontarlier, c. Ornans.
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Les sires de Joux contrôlent les localités regroupées autour de Pontarlier et du lac Dam Vautier (actuel lac de Saint-Point) sous le nom de baroichage. Le reste de la montagne est le domaine des grandes abbayes (Saint-Maurice d’Agaune, Saint-Oyand-de-Joux, Rômainmotier). Toute la moitié sud de l’actuel département du Jura, ainsi que l’interfluve Loue-Doubs autour de la butte de Montmahoux72, échappent également à l’influence féodale directe du comte. C’est là que s’exerce le pouvoir des Chalon. Par leur hommage à Othon IV, ils assurent la médiation avec leurs propres vassaux. La moitié nord du pays, en revanche, est bien tenue en main par le comte. Il y a certes des zones où l’hommage est rare, par exemple dans l’extrême nord, en raison de la présence des sires de Faucogney et de l’abbaye de Luxeuil, ou entre Saône et Ognon, là où s’étend le domaine comtal. Mais c’est bien à proximité de celui-ci que le comte a le plus de vassaux, dont les biens jouxtent ses possessions. Essentiellement au nord et au nord-ouest, dans les pays de la Saône, ainsi que le long de la vallée de l’Ognon, du cours inférieur du Doubs et d’une partie de celui de la Loue. L’état des fiefs de 1295 corrobore cette description. Il inclut en sus deux vassaux périphériques d’importance : le duc de Lorraine, qui tient du comte de Bourgogne la saline de Rosières73 ; le sire de Villars pour les points de contrôle du passage méridional vers la Suisse à Brion, Montréal74, Nantua et Châtillon-en-Michaille75, auxquels s’ajoute Matafelon76, qui domine un peu plus au nord la haute vallée de l’Ain. Autant de fiefs stratégiques capitaux. Il en va de même au nord-est, avec la forteresse de Rougemont, sur le flanc vosgien, qui surveille la sortie de la trouée de Belfort. L’hommage dû pour Rougemont sera réitéré par sa détentrice Jeanne de Montbéliard envers Eudes IV en 134677. En revanche, les autres vassaux périphériques ne semblent pas avoir renouvelé leur fidélité au comte de Bourgogne pendant la première moitié du xive siècle, soit qu’elle soit considérée comme acquise, soit qu’elle soit tombée peu à peu dans l’oubli. b. L’œuvre d’Eudes IV et de Philippe de Rouvres
Les reprises de fiefs de la période 1330-1361 n’apportent d’ailleurs pas de modification sensible à ce tableau d’ensemble du réseau vassalique comtal. On se contentera de pointer les zones sur lesquelles les deux comtes font porter leurs efforts. Le renforcement des acquis
Ces princes ont semble-t-il mis l’accent sur des zones fragiles, comme l’est apparemment la frontière nord-ouest, autour de Jussey et des possessions d’Henri 72 73 74 75 76 77
Montmahoux, Doubs, ar. Besançon, c. Ornans. Rosières-aux-Salines, Meurthe-et-Moselle, ar. Nancy, c. Lunéville-2. Brion, Ain, ar. et c. Nantua ; Montréal-la-Cluse, idem. Comm. Valserhône, Ain, ar. Nantua, c. Bellegarde-sur-Valserine. Matafelon-Granges, Ain, ar. Nantua, c. Pont-d’Ain. ADD, 1B 523 (2 et 3). Le n°3 est une copie de 1362.
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de Vergy. Celui-ci précise à plusieurs reprises la nature et l’étendue de son fief78. On est là aux confins du comté et des domaines du roi de France, qui dispute son influence au duc-comte, ce qui donnera lieu à plusieurs conflits. Le Bourguignon a donc toujours à l’esprit d’y affirmer ses droits d’obédience. Ceux-ci se renforcent au cœur de la principauté dans deux directions : autour des forteresses, ainsi qu’on l’a décrit plus haut, et dans les interstices qui échappaient encore à la suzeraineté comtale. Par exemple, le fief reconnu par Jacques de Vellefaux en 1361, pour lui et ses frères sous sa tutelle79, semble apparaître pour la première fois dans nos sources. La famille ne figure sur aucune des listes de vassaux précédentes. Preuve que le maillage féodal se resserre dans la proximité immédiate du domaine – ici à Chariez, Vesoul, Vaivre, Fondremand – et tend à intégrer la plupart des maisons fortes dans l’orbite vassalique du comte – ici, celle de Levrecey, dont il n’y a aucune mention antérieure dans nos sources. C’est toute une lignée qui se déclare féale du prince : subsiste aussi la déclaration de fief d’Étienne de Vellefaux, chanoine de Saint-Aignan d’Orléans, pour lui et sa mère, à Vesoul et aux environs80. Eudes IV, comme ses beaux-parents avant lui, travaille pour sa part à s’implanter plus solidement dans la haute vallée du Doubs, en amont de Besançon. Et ceci à la faveur des heurts qui l’opposent aux seigneurs qui y règnent. En 1314, le comte mettait à profit l’outrage commis sur un de ses sujets de la terre de Baume pour contraindre Renaud de Silley à reprendre son château en fief81. Autre mesure punitive, de la reine Jeanne cette fois, en guerre avec les sires de Montjoie : en 1324, Jean de Montjoie s’engage à lui procurer l’hommage de son père Guillaume, à lui payer 200 marcs d’argent et à lui restituer tous les sujets faits prisonniers lors du conflit82. Pour Eudes IV, c’est la guerre contre les barons révoltés qui lui permet d’obtenir, avec la soumission de Thibaut de Neuchâtel en 1343, la confirmation de la vassalité de ce rebelle. Ses fiefs figuraient il est vrai dans l’état de 1295, mais il est contraint de leur ajouter 150 l. estevenantes de terre d’alleu, assises sur Appenans83, Mancenans et Uzelle84 « et sur ses hommes de ces villes qui sont taillables, exploitables, de mortemain et de serve condition et de son propre domaine85 ». Le tout tenu en fief lige, comme son bourg de L’Isle-sur-le-Doubs. Telle était la condition posée à son pardon, en sus de la restitution des gardes des abbayes de Lieu-Croissant et de Lanthenans :
78 ADD, 1B 431 et 482 : précision du ressort de Champlitte comme fief de Philippe V en 1316 ; ADCO, B 1056 : reprise de fief envers la reine Jeanne en 1329 ; ADD, 7E 1335 : instrument de cette reprise de fief, dressé sous le sceau de la cour de Gray en 1338 ; ADD, 1B 450 : reprise de fief de la veuve de Jean de Vergy en 1357. 79 ADCO, B 10 508, fol. 10v. 80 ADD, 1B 411 (6). Acte passé sous le sceau de la prévôté d’Orléans, dont la date est illisible, en copie de 1362. 81 ADD, 1B 49. Silley-Bléfond, Doubs, ar. Besançon, c. Baume-les-Dames. 82 ADD, 1B 49. Montjoie-le-Château, Doubs, ar. Montbéliard, c. Maîche. 83 Appenans, Doubs, ar. Montbéliard, c. Bavans. 84 Uzelle, Doubs, ar. Besançon, c. Baume-les-Dames. 85 ADD, 1B 454 (15), 6 novembre 1343.
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Item li diz chevaliers reprendra de monseigneur le duc conte de Bourgoigne en fié lige cent et cinquante livrees de terre au plus pres de son chastel de Lile que il tient de franc aleuf et en fera a monseigneur le duc homaige en acreissant le fié qu’il tient de monseigneur le duc, et avec ce esclarcira en bone foy touz les fiez que il tient ou doit tenir en fié de monseigneur le duc conte de Bourgoigne. Et par einsi demuere et sera li diz chevaliers en la bone grace de monseigneur le duc tant soulement pour cause des exces et meffaiz dessus diz jusques au jour de hui86. Coup de maître pour Eudes IV. Outre l’humiliation symbolique liée à la perte de biens libres de toute tutelle qu’il inflige à son vassal, il renforce son domaine éminent au-delà de sa châtellenie de Clerval et consolide donc ses positions dans un secteur stratégique voisin du comté de Montbéliard. On mesure encore une fois l’enjeu que constitue, encore au cœur du xive siècle, la récupération de ces alleux, qui subsistent en nombre au comté de Bourgogne87. L’implantation dans de nouveaux secteurs
Eudes IV, non content d’étendre par ce moyen sa suzeraineté, s’efforce aussi de capter les éventuels vassaux de son adversaire Jean de Chalon pour s’implanter dans le Haut-Doubs dont il est pratiquement absent. Deux cas illustrent cette politique, tous deux datés de 1343 : celui de Jean de Cicon et celui du sire de Joux. Le premier n’apparaît pas parmi les féaux du comte de Bourgogne avant ce moment. Il ne semble pas relever non plus de la suzeraineté de Jean de Chalon-Arlay. Il a visiblement monnayé son hommage pour la maison forte de Durfort88 contre la protection du duc-comte, ce qui lui vaut quelques déboires avec son puissant voisin. Mais la prise de son château par Jean de Chalon ne le dissuade pas, et il promet en la main de Jean de L’Épée de Poligny, lieutenant du bailli Fourque de Vellefrey, de le reprendre en fief d’Eudes IV89. Cela ne l’empêche pas d’accepter d’Henri de Montfaucon-Montbéliard, l’année suivante, 250 l. en échange de son hommage pour la moitié du château et du bourg de Cicon90. On voit que le comte et Jean de Chalon ne sont pas les seuls en lice pour la capture de cet électron libre. Ils se disputent plus âprement encore la fidélité des sires de Joux.
86 ADD, 1B 507 (11), 13 juillet 1343. Publié par Fr.-F. Chevalier, Mémoires…, op. cit., t. I, preuve n° 98, p. 414. 87 C’est ainsi que l’on voyait, en 1311, le sire de Neuchâtel reprendre en fief lige de Jean de Chalon-Arlay le château et le bourg de Montmartin, avec outre ceci mille livrées de terre d’alleu qu’il a ou que l’on tient de lui au val de Montmartin ; BnF, Moreau 889, cartulaire de Chalon I, fol. 16 ; Cartulaire d’Hugues de Chalon (1220-1319), éd. B. Prost et S. Bougenot, Lons-le-Saunier, L. Declume, 1904, n° 14. 88 Comm. Les Premiers Sapins, Doubs, ar. Pontarlier, c. Valdahon. 89 ADD, 1B 446, vendredi devant la Sainte-Lucie (7 décembre) 1343. 90 Comm. Les Premiers Sapins, Doubs, ar. Pontarlier, c. Valdahon. J.-B. Guillaume, Histoire généalogique des sires de Salins au comté de Bourgogne, Besançon, J.-A. Vieille, 1757, p. 140.
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Un enjeu disputé : l’hommage des sires de Joux
La famille de Joux semble, d’après l’état des fiefs de 1295, vassale du comte pour Lièvremont91, et de Jean de Chalon-Arlay pour Joux. Ce dernier fief, qui inclut le péage instauré au pied du château, est réaffirmé par Jean de Blonay, uni à l’héritière des sires de Joux : il en fait hommage à Jean de Chalon le mardi après Pâques (2 avril) 133692. En mai 1337, il lui ajoute ses possessions à Levier, Boujailles93 et Arc-et-Senans94, s’engageant à ce que ses héritiers en renouvellent l’hommage95. Mais le 19 juillet 1343, il reconnaît devant notaire, et en présence du bailli Fourque de Vellefrey, « de sa bone, frainche et libre voluntey, senz contrainte » : … que il ne voudroit pour riens dou monde que pour son deffaut ses tres chier et redoutey seigneur messire li duc de Bourgoigne et sa tres chiere et redotee dame madame la duchesse de Bourgoigne perdissant point de lours drois, et pour ce il disoit et tesmoignoit et estoit apparoilliez de dire et de tesmoignier en touz luex et toutes fois qu’il lours pleiroit que li grant tour dou chesteaul de Jourz dessus Pontellié et li bour de Jourz doivent estre et sunt, et se doivent tenir de fiez ligement dou conte de Bourgoigne quicunqz le soit, et que il messire Jeham en num de dame Jaique, dame de Jourz, fut sa femme, de son consentement et de sa voluntey, et par vertu de sentence diffinitive donnee contre lours pour madame Mahaut fut comtesse d’Artois et de Bourgoigne, sa tres chiere dame cui Diex par sa douce pidiez absoille, reprit de li de fiez de main et de boche ligement ou chesteal de Bracon a temps quelle vivoit les diz grant tour et bour de Jourz, et de ce furent faites bones letres qui doivent estre ou dit chesteaul de Bracon ou de Poloigny96… Nous n’avons point trouvé trace de cette allégeance à la comtesse Mahaut. Peut-on la mettre en doute ? Elle vient en tout cas fort à propos légitimer la prise en main de l’importante forteresse et avec elle du contrôle de la cluse de Pontarlier. Il y a fort à parier qu’elle n’a pas eu lieu, ou du moins qu’elle est considérée comme nulle et non avenue par Jean de Chalon-Arlay comme par Hugues, le fils de Jean de Blonay, qui succède bientôt à son père. En effet, peu de temps après la soumission de circonstance au duc-comte, en octobre 1343, les deux sires réaffirment et renforcent leur alliance : Je Hugues de Blonay, chivalier, sires de Jourz, fais savoir a touz ces qui verront y orront ces presentes lettres que comme je teigne en fiez y haye repris pieçat ou temps passez de main y de boiche de noble barom mon chier seignour monsy Jehan de Challom seignour d’Allay tout mon chestel de Jourz, le borg y les 91 Comm. Maisons-du-Bois-Lièvremont, Doubs, ar. Besançon, c. Ornans. D’après J.-T. de Mesmay, Dictionnaire…, op. cit., t. II, p. 171, les seigneurs de Lièvremont appartiennent à une branche cadette des sires de Joux. 92 BEC Besançon, Droz 16, fol. 159. 93 Levier, Doubs, ar. Pontarlier, c. Frasne ; Boujailles, idem. 94 Arc-et-Senans, Doubs, ar. Besançon, c. Saint-Vit. 95 BEC Besançon, Droz 17, fol. 18v-19. 96 ADD, 7E 1344.
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apartenances du dit chestel, les montaignes de Mirual97, la ville de Bouenans98, les apartenances, les montaignes de Galopin y tout ce que je hay puis y dois havoir en la Chadellyé99, ensamble plusours autres choses que je me recordois estre continues es lettres sus ce faites, les quelles mes dit sire de Challom en hat, y les quelles je loois y aprovois100… Là aussi, la reprise de fief veut s’ancrer dans le passé, qui en porte les traces, on l’a vu. Elle ne s’en contente pas. La fidélité d’Hugues de Blonay, celui-ci « saiges, saichans, bien avisez y bien apensez », s’enrichit encore de nouveaux fiefs : le bourg neuf qu’il est en train d’édifier sous le château de Joux, les villages des Verrières, des Fourgs, de Montpetot, de la Chapelle-Mijoux101, la prévôté du lac Dampvautier, « y toutes les jours y les montaignes y plains y quanque je tenoie en franc alluef en ma chestellinie de Jourz », dit-il. Cette extension d’allégeance est monnayée mille florins de Florence, somme fort conséquente qui permet de mesurer l’importance de l’enjeu : rien moins que la haute main sur toute la montagne au sud et à l’est de Pontarlier, que les marchands traversent pour se rendre en Suisse ou remonter d’Italie du Nord. Ils s’acquittent au passage des droits de péage à Jougne, qui tombent dans l’escarcelle des Chalon-Arlay102. Toute cette portion de la route commerciale d’envergure européenne reliant Lausanne à la Champagne se trouve ainsi sécurisée au profit de ces derniers. Ce n’est pas tout : Hugues de Blonay s’engage à tenir en fief le château d’Usiers « jurable et rendable103 », ce qui introduit Jean de Chalon sur le tronçon de cette voie au nord de Pontarlier, et finit d’encercler l’unique position comtale de cette ville. Il garantit aussi à son seigneur de se garder libre de tout hommage pour la garde de l’abbaye de Montbenoît, afin de le lui réserver lors d’une tractation ultérieure. Il va encore plus loin en 1344 : le samedi après la Saint-Jean (26 juin), il abandonne au sire d’Arlay toutes les terres de sa seigneurie de Joux, qui avaient fait l’objet de l’accroissance de fief de l’année précédente, ne conservant en propre que le château104. On a du mal à saisir ses motivations, et on est en droit d’imaginer des moyens de pression non négligeables. Un indice nous est peut-être fourni : il s’agit apparemment de barrer la route à Louis de Joux, car il est enjoint par le bailli de Jean 97 B. de Vrégille a établi que le château dit « Miroaltum » dans certaines sources correspondait à celui de Joux. B. de Vregille, « Un château nommé Miroaltum », in Études en souvenir de Roland Fiétier. Droit, économie et société au Moyen Âge, II, M.S.H.D.B., 39 (1982), p. 221-240. 98 Sans doute Bouverans, Doubs, ar. Pontarlier, c. Frasne. 99 La Chaux d’Arlier, sans doute La Chaux, Doubs, ar. Pontarlier, c. Ornans. Il existe aussi le hameau de la Chaux sur la commune d’Arçon (idem). 100 ADD, 1B 356 (1), jeudi avant la Toussaint (30 octobre) 1343. 101 Les Fourgs, Doubs, ar. Pontarlier, c. Frasne ; Verrières-de-Joux, Doubs, ar. et c. Pontarlier ; Montpetot, La Chapelle-Mijoux : comm. La Cluse-et-Mijoux, idem. 102 Voir V. Chomel et J. Ebersolt, Cinq siècles de circulation internationale vue de Jougne. Un péage jurassien du xiiie au xviiie siècle, Paris, Armand Colin, 1951. 103 L’expression « jurable » fait référence à un serment assurant le suzerain que le château ne sera pas utilisé contre lui. « Rendable » renvoie à l’acceptation du fait que le seigneur peut en prendre temporairement le contrôle à sa volonté. R.W. Kaeuper, Guerre, justice et ordre public. L’Angleterre et la France à la fin du Moyen Âge, Paris, Aubier, 1994 (Collection historique), p. 210-211. 104 ADD, 7E 2791.
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de Chalon au châtelain de La Rivière, après avoir mis en place des officiers et des panonceaux au nom du seigneur, de « notifier au plus tost que vous pourrez ce fait à Loys de Joux en defendant à lui de part monseigneur que biens ne forface en ladicte terre et ville ». Hugues de Blonay était-il sur ses terres en butte aux agressions de ce personnage, sire de Naisey, issu d’une branche cadette des premiers sires de Joux105 ? Ce dernier revendiquait-il des droits sur une seigneurie transmise par les femmes aux Blonay ? La donation y couperait court, fournirait les moyens de résister dont ne dispose sans doute pas Hugues de Blonay, mais fait le jeu de Jean de Chalon-Arlay, qui en sort encore grandi face au comte. Eudes IV ne s’avoue pas vaincu pour autant, et contre-attaque l’année suivante, en la personne de la duchesse, qui reçoit devant notaire la déclaration stupéfiante du même Hugues de Blonay : À ma tres chiere et redoubtee dame ma dame la duchesse et contesse de Bourgoigne dist et confesse Hugues de Blenay, chevaliers, sires de Joul, que comme li bours et la grans tours devant dou chastel de Joul soit de votre fié, et messire Jehans mes peres, a cause de dame Jaque ma mere, y ycelle ma dite mere, par le temps qu’il estoient seignour de Joul, en fuissent en la foy et en l’omaige de monseigneur le duc pour cause de votre dite contei. Et je assi pour raison dou dict bours et tour, ensamble ce que au dict fyé appartien, en doie estre votre honz et en votre foy et en votre homaige. Neantmoins, je Hugues dessus diz, mehuz de jone voluntei, deceuz et circonvenuz en ce pour ma fole errour et par malvaise instruction, ou prejudice de vous et de votre dict fyé, ay cogneu et confessei les choses devant dites avoir repris en fyé et en hommaige les choses devant dites de monseigneur Jehan de Chalon, liquels m’en avoit promis de porter garantie, et plusours foiz l’an ay riquis et rien n’en ha faict, et l’en ay sommei par an et par jour si comme honz doit sommer son seignour, pour quoy je, li diz Hugues, de certainne science, deliberez et avisez sur ce, me met en votre bonne mercy, et au jugement de votre bonne voluntei, en l’absence de monseigneur le duc, de la mesprison devant dite, et me offre et presente à vous, en l’absence de monseigneur, de faire le fyé et homaige devant dict comme votre hons que je suis et doi estre des choses devant dites, et de aploigier et amander à votre regart et au regart de votre consoil la mesprison devant dite. Et tot ce que en cestu cas ay mespris envers vous, et totes foiz qu’il plaira à venir ou dict chastel et bourc vous ou voz gen, y poez venir comme ou votre. Lesquels choses ainsim faictes, dictes, cognehues, confessees, offertes et presentees par le dict monseigneur Hugue, li dit messire Hugues en lui agenoillant devant dicte dame, supplia et requist humblement, ensamble grant machination faicte à icelle, que à la supplication, humile confession, et à totes les choses devant dites, le vousist recevoir piteusement et à misericorde. Laquelle ma dite dame, sur les choses devant dites ainsi à li dictes, requises, cognehues, confessees, offertes et presentees par le dit monseigneur Hugue, icelui monseigneur Hugue les genolz ploiez, le chapiro ostei devant li, recuist benignement106…
105 J.T. de MESMAY, Dictionnaire…, op. cit., t. II, p. 173. 106 ADD, 7E 1336, 22 septembre 1345.
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Erreur de jeunesse, mauvais conseils, le sire avoue s’être trompé en portant sa foi à Jean de Chalon. Il fait profil bas, adoptant des postures explicites de soumission, et pour preuve de sa bonne volonté, se rachète en offrant de recevoir la duchesse et ses gens dans son château de Joux. Voire… En 1347, alors qu’Eudes IV est acculé par une nouvelle offensive de ses barons, c’est pour 2 500 florins or qu’il vend ce droit au duc-comte107 ! Hugues de Blonay a beau dans un premier temps faire jouer le vieux droit féodal, en rappelant le caractère synallagmatique du contrat vassalique – ici, le non-respect de l’engagement du suzerain à assurer la protection de son vassal justifie la rupture du contrat – ce sont au bout du compte les capacités financières du prince qui le dissuadent d’une nouvelle trahison. Au vu de l’opportunisme récurrent du sire de Joux, elle n’aurait pas manqué d’avoir lieu s’il y avait trouvé quelque intérêt. Cela n’empêche pas que l’affaire du fief dû à Chalon donne par la suite lieu à un procès devant le Parlement de Dole, entre Jean III de Chalon-Arlay et la dame de Joux, en 1404108. Course aux vassaux et actes de contrition publique exigés des fidèles incertains sous Eudes IV, hommages en série scrupuleusement consignés sous Philippe de Rouvres, extension et resserrement du maillage féodal… La noblesse comtoise dans son ensemble subit cette récupération de la suzeraineté au profit du prince. Tentons d’ébaucher les composantes du paysage nobiliaire au comté de Bourgogne, en étudiant plus particulièrement les fiefs des grands barons, en concurrence directe avec le pouvoir ducal.
107 ADD, 1B 41. Mille florins sont payés comptant, le reste sera acquitté par une rente de 200 livrées de terre, à rachat de 1 500 florins. 108 ADD, 7E 2772.
141
Chapitre II
Des pouvoirs concurrents : les grands et leurs réseaux Les historiens ont souligné le nombre élevé de familles nobles en Franche-Comté au Moyen Âge. Perreciot parle d’environ 2 000 familles, ce qui ne semble pas exagéré pour J. Brelot, soit, selon Dunod de Charnage, trois ou quatre familles dans chaque village1. Une noblesse nombreuse, mais aussi une noblesse brillante, comme l’a écrit J.-P. Redoutey, au vu de l’estimation des fiefs donnée par l’état de 1295. Si une cinquantaine de fiefs rapportent plus de 500 l., les plus nombreux ont en effet une valeur comprise entre 200 et 500 l., selon ses observations2. Nous avons revisité ce document afin d’établir les graphiques qui suivent. Il apparaît que la valeur médiane des fiefs comtois est comprise entre 200 et 300 l., mais que leur estimation peut monter jusqu’à 20 000 l., pour moitié en domaine, dans le cas de la famille de Chalon-Arlay, ce qui l’autorise à rivaliser avec le comte. Pour notre période, il faudrait tenir compte de la réunion en une même main des seigneuries de Montfaucon et de Montbéliard en raison du mariage d’Henri de Montfaucon et d’Agnès de Montbéliard, fille du comte Renaud. La particularité du comté de Bourgogne est donc bien l’existence d’une haute noblesse puissante, capable de tenir tête à son prince. Pour mieux comprendre les incidences de cette situation, il convient d’en ébaucher le portrait, à travers l’étude des principaux lignages, les mieux documentés. En leurs mains se concentrent les positions stratégiques à la périphérie de la principauté, là où disparaît l’emprise directe du duc-comte. Ils sont d’autant plus puissants que leur implantation frontalière, au nord, à l’est et au sud, les autorise à établir leur influence en dehors de celle-là.
1. Au nord : Faucogney Nous ne décririons pas mieux le ressort des seigneurs de Faucogney3 que MarieThérèse Allemand-Gay. « Les sires de Faucogney sont mentionnés pour la première fois au milieu du xie siècle. Leurs domaines s’étendent à l’extrémité septentrionale de la Franche-Comté, du pied des Vosges à Vesoul. Ils sont flanqués au nord par les terres de l’abbaye de Luxeuil et au sud par celles de Lure. Ils s’étirent selon une orientation sud-ouest-nord-est. Ils jalonnent la vallée du Breuchin de part et d’autre de Faucogney, de Corravillers à Amage et La Bruyère et s’étendent vers le sud jusqu’à Melisey, recouvrant une région assez marécageuse et touchant la vallée de l’Ognon
1 J. Brelot, « La noblesse du comté de Bourgogne avant le xive siècle », M.S.H.D.B., 12-13 (1948-1951), p. 41-47. 2 J.-P. Redoutey, « Le comté… », art. cit., p. 14. 3 Voir carte 7 en annexe.
144
cha p i tr e i i 7000 6000 5000 4000 3000 2000 1000 0
50-500
500-1000
1000-1500
2000-2500
plus de 2500
Fig. 7. Répartition des fiefs du comté en 1295 selon leur valeur (en livres) 20 18 16 14 12 10 8 6 4 2 0
100-120
50-60
200
300
400
450
Fig. 8. Répartition des fiefs inférieurs à 500 livres en 1295
20000 18000 16000 14000 12000
Fiefs
10000
Domaine
8000
Non précisé
6000 4000 2000 0 1
2
3
4
5
6
7
8
9
Fig. 9. Valeur en livres des fiefs des grands vassaux (supérieure à 2 500 livres) en 1295
1. Sire de Neuchâtel 2. Hugues de Bourgogne 3. Sire de Montfaucon 4. Sire de Villars 5. Comte de Bar
6. Sire de Vergy 7. Comte de Montbéliard 8. Comte d’Auxerre 9. Jean de Chalon-Arlay
de s p o u vo i r s co n cu r r e n t s : l e s g rand s e t le u rs ré se au x
de Servance à la Neuvelle par Ternuay, Belonchamp, Melisey et Montessaux4. Un deuxième noyau se compose de terres incluses à l’intérieur d’un polygone Ailloncourt, Meurcourt, Mailleroncourt, Saulx de Vesoul, Crevenay, Colombotte, Adelans, Dambenoit, Quers et Citers. Cet ensemble isole en son centre le val de Bithaine où s’est installée une abbaye richement dotée par cette famille. Enfin un troisième groupe de possessions forme un arc de cercle à l’ouest, au nord et à l’est de Vesoul5 ; outre des tours fortes, trois grands châteaux assurent la défense de cette seigneurie : celui de Vesoul sur l’actuelle colline de la Motte ; celui de Faucogney sur la route de Luxeuil à la haute Moselle au confluent du Breuchin et du Beuletin, construit “sur un monticule abrupt se dégageant en contrefort de la montagne qui domine le bourg au sud-est pour fermer en quelque sorte la vallée et défendre le passage menant de Franche-Comté en Lorraine6”. Quant à Château-Lambert, il doit son existence à la nécessité de garder le col du Thillot qui met en communication la vallée supérieure de l’Ognon, dite Val de Servance, avec la haute Moselle7 ». Il faudra avoir en mémoire ces positions frontalières stratégiques pour mesurer le poids politique et militaire des enfants de Jean II (1298-1316)8 : l’aîné Jean III (1316-1361), qui épouse au plus tard en 1340 Isabelle de France – sœur de la duchesse Jeanne et veuve du dauphin de Viennois –, et ses deux frères connus, Henri, vicomte de Vesoul (1312-1360), allié à Jeanne de Blâmont en 1347, et Thibaut (1341-1360)9. Le texte du partage des biens paternels, négocié par le comte de Salm en novembre 1336, entre Jean et Henri de Faucogney nous est parvenu, avec le détail de la part échue à Jean, dressé le dimanche après l’an neuf de l’année suivante (5 janvier 1337)10 : le premier emporte le château de Faucogney, le second Vesoul, le reste se trouve réparti par moitié. Il n’est fait aucune mention de Château-Lambert, alors sous le gouvernement d’Eudes IV. Henri et Thibaut en sont les seigneurs après que cette place-forte leur ait été restituée11. Ce sont certainements ces deux derniers qui sont présents dans
4 Un compte de la terre de Faucogney, daté de 1319 et conservé à Dijon, donne le détail de ces localités du val de Faucogney et alentours ; ADCO, B 4675 bis. 5 Les biens faisant partie de la vicomté de Vesoul : Montigny-lès-Vesoul, Pusy, Auxon, Comberjon, Frotey, Colombe, Villers-le-Sec. 6 J. Finot, Les sires de Faucogney, vicomtes de Vesoul : notice et documents, Paris, H. Champion, 1866, p. 30. 7 M.-Th. Allemand-Gay, Le pouvoir…, op. cit., p. 125-126. 8 Jean II est le fils d’Héloïse de Joinville, dame de Faucogney et vicomtesse de Vesoul, la sœur du célèbre chroniqueur. Voir L. Delobette, « Une femme de pouvoir au xiiie siècle : Héloïse de Joinville, vicomtesse de Vesoul », in É. Bousmar et al., Femmes de pouvoir, femmes politiques durant les derniers siècles du Moyen Âge et au cours de la première Renaissance, Bruxelles, Éditions de Boeck Université, 2012 (Bibliothèque du Moyen Âge 28), p. 213-246. 9 G. Royer et J.-É. Tolle, « Les Faucogney de Saint-Loup en Barrois et en comté de Bourgogne (1297-1574) », Bulletin SALSA, 26 (1994), p. 53-98. 10 ADD, 1B 350 (10-11). 11 Ils apparaissent ainsi dans un acte de février 1348 passé avec la duchesse de Lorraine. Ce document illustre comment la famille est impliquée dans les affaires de la principauté voisine. La duchesse leur donne en fief un péage qu’elle établit à Gillet, portant sur le transport des vins d’Alsace, ainsi que deux hommes de Gillet et Ramonchamp (Vosges, ar. Épinal, c. du Thillot) pour les servir (on peut supposer que Gillet se trouve dans les environs de Ramonchamp, sur la route venant de la vallée de
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les sources comtales sous le vocable imprécis « les enfans de Faucogney », avec qui le prince a souvent maille à partir. Leur sœur Agnès est mariée à Jean, sire de Beaujeu12. On trouve également trace d’un Girard de Faucogney, chevalier, lors d’une vente passée à son profit en 1333 dans le val de Servance13. Fait-il partie de la fratrie ? Il ne semble pas en revanche y avoir de lien de parenté récent entre ces sires de Faucogney et de Château-Lambert, vicomtes de Vesoul, et les sires de Villersexel14, qui portent pourtant le même patronyme. Ils sont représentés dans nos sources par Jean de Faucogney, seigneur de Villersexel, déjà mentionné vers 1300, et encore cité en 132315, bientôt remplacé par son fils Aymé, au profit de qui sont jurées plusieurs reprises de fiefs entre 1335 et 134416. Il se fait accorder dans ces actes le titre de « noble et puissant baron ». Assurément, la famille de Faucogney se classe parmi les grands au sein de la noblesse comtoise, comme en témoigne l’alliance prestigieuse réalisée par Jean III avec une princesse de sang royal, même si le fief de ces sires n’est estimé qu’à 2 000 l. dans l’état de 1295, soit très en dessous de celui de ses voisins orientaux les comtes de Montbéliard.
2. Au nord-est : Montfaucon-Montbéliard et Neuchâtel a. Les comtes de Montbéliard
À la tête du comté de Montbéliard se trouve durant toute la période qui nous intéresse Henri de Montfaucon, qui a épousé en 1320 la fille du comte Renaud de Bourgogne, Agnès de Montbéliard. Ce n’est pas la première fois que la famille de Montfaucon gouverne Montbéliard : Amédée II en avait eu la charge après le décès
la Moselle, mais nous ne sommes pas parvenu à le localiser précisément). En échange, les ducs de Lorraine jouiront perpétuellement du recept en la forteresse de Château-Lambert, contre tous sauf le comte de Bourgogne et Jean de Faucogney. La duchesse leur confère en outre le cor et le cri du ban de Longchamp (Vosges, ar. Épinal, c. Épinal-2) et de Ramonchamp, avec les amendes frappant les défaillants qui y sont attachées. Les deux frères s’engagent à assurer le conduit et la défense des marchands de Remiremont (Vosges, ar. Épinal, ch.-l. c.) au « pertuis des Escoryes » (peut-être le col des Croix que commande Château-Lambert). Le ban continuera cependant à être levé pour la défense des intérêts de la duchesse et de ses sujets comme auparavant ; ADCO, B 1058. 12 ADD, 1B 451 (7). 13 ADD, 1B 421 (11). 14 Villersexel, Haute-Saône, ar. Lure, ch.-l. c. 15 ADD, 7E 1430 : Odet de Montmartin, fils de Matthieu, seigneur de Montmartin, entre dans la foi et hommage de Jean de Faucogney, seigneur de Villersexel, damoiseau, pour 140 l. estevenantes, le 11 mai 1323. D’après Dunod, Jean de Faucogney serait mort le 27 mars 1328 ; Fr.-I. Dunod de CHARNAGE, Mémoires pour servir à l’histoire du comté de Bourgogne, Besançon, J.-B. Charmet, 1740, p. 66. 16 ADD, 7E 1442, 1436, 1442, 1430, 1433, 3073. Le dernier acte, daté du jeudi après la nativité de saint JeanBaptiste 1344, nous apprend qu’Aymé, seigneur de Villersexel, est comte de la Roche par sa femme Jeanne, fille de feu Richard, comte de la Roche (il s’agit de la Roche-Saint-Hippolyte, dite aussi la Roche-en-Montagne). Il décède le 10 septembre 1360 ; Fr.-I. Dunod de Charnage, Mémoires…, op. cit., p. 66.
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du comte Thierry, son aïeul maternel, en 1162. Henri de Montfaucon préside à la destinée du comté de 1332 à 1367, après le règlement de la succession évoquée dans la première partie. Il rassemble donc en sa main un double héritage. L’héritage des sires de Montfaucon
La famille de Montfaucon tire son nom du château qui domine la vallée du Doubs à cinq kilomètres à l’est de Besançon17. Le patrimoine de ces puissants seigneurs nous est bien connu grâce au cartulaire de Montfaucon, qui subsiste en copie dans la collection Droz18. Il rassemble des actes couvrant une période s’étalant des années 1250 jusqu’en 1315. Il concerne Aimé (ou Amédée) III, sire de Montfaucon de 1228 à 1280, puis ses fils Jean († 1305) et Gauthier († 1309). Henri de Montfaucon, fils de Gauthier, prend la succession de son défunt frère Jean en 1318, et n’est donc pas concerné par le cartulaire. Mais ce dernier permet de mesurer l’emprise de sa lignée. Les sires de Montfaucon réalisent de multiples achats dans la seconde moitié du xiiie siècle, et consentent de nombreux prêts à des petits seigneurs en difficulté. Beaucoup leur engagent des terres19, qui viendront arrondir leur patrimoine. Achats et dons divers leur assurent une solide position sur les salines de Lons et de Salins. Jean Ier de Chalon-Arlay gratifie ainsi Jean de Montfaucon d’une rente de 1 000 l. à Salins en 130420, et son frère Gauthier d’une rente semblable de 200 l., pour ses bons services, en février 130821. Les possessions du lignage sont localisées à l’est de Besançon, sur les plateaux du Valdahon, autour de Passavant, de Vercel22 et de Pierrefontaine ainsi qu’au val de Vennes23. Ils contrôlent les fiefs de Bonboillon24, Roulans, Bouclans25, Belvoir, dans la vallée de la Loue Vuillafans (le Vieux et le Neuf) et Châtillon26, en « Allemagne », Rougemont, en Suisse Orbe et Échallens27. Le sire de Neuchâtel tient d’eux ses fiefs de Cusance28 et de Roche sur ordre du comte Othon en 129129. Dans l’état des fiefs de 1295, ils figurent parmi les plus grands, avec 4 000 l. de revenus. C’est donc cet héritage important qu’Henri de Montfaucon agrandit encore par son union avec Agnès de Montbéliard, et par une politique active.
17 Montfaucon, Doubs, ar. Besançon, c. Besançon-5. 18 BEC Besançon, Droz 23. 19 Voir notamment les fol. 83 et 84 du cartulaire. 20 BEC Besançon, Droz 23, fol. 351v-352. 21 Ibid., fol. 375-376. 22 Vercel-Villedieu-le-Camp, Doubs, ar. Pontarlier, c. Valdahon. 23 Pierrefontaine-les-Varans, Doubs, ar. Pontarlier, c. Valdahon ; Vennes, idem. 24 Bonboillon, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Marnay. 25 Roulans, Doubs, ar. Besançon, c. Baume-les-Dames ; Bouclans, idem. 26 Vuillafans, Doubs, ar. Besançon, c. Ornans ; Châtillon-sur-Lison, Doubs, ar. Besançon, c. Saint-Vit. 27 Échallens, Suisse, c. Vaud, district de Gros-de-Vaux. 28 Cusance, Doubs, ar. Besançon, c. Baume-les-Dames. 29 BEC Besançon, Droz 23, fol. 252-259.
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L’emprise d’Henri de Montfaucon-Montbéliard
En 1320, outre le château du Pin et 800 l. de rente apportés en dot par Agnès de Montbéliard (dont 200 l. assises sur les salines de Salins et de Grozon) , le mariage vaut également à Henri de Montfaucon d’hériter par don de sa mère Mahaut, dame de Lamarche et de Chaussin, de la forteresse de Chaussin et de 1 000 l. de rente sur cette châtellenie30, ce qui l’introduit sur un point sensible de la frontière avec le duché voisin. Par le biais de la succession du comte de Montbéliard Renaud de Bourgogne son beau-père, il ne lui advient pas cependant la totalité des biens des comtes de Montbéliard ; ils se trouvent répartis entre sa femme, qui récupère le comté proprement dit et la seigneurie de Granges, et les trois sœurs de celle-ci : Jeanne, unie successivement au comte de Ferrette, puis au marquis de Bade, et enfin au comte de Katzenelnbogen31, emporte Héricourt, Belfort, Rougemont ; Alix, épouse de Jean de Chalon-Auxerre, apporte en dot à ce dernier toutes les possessions du Jura-sud, notamment Montaigu et Montfleur ; Marguerite, femme de Guillaume d’Antigny sire de Sainte-Croix32 en Bresse, est dame du Pin. De part Montfaucon, Henri laisse aussi en 1324 Vuillafans-le-Vieux, Orbe et Échallens à son frère Girart († 1352)33. Quant à Vuillafans-le-Neuf, il revient à sa nièce Jeanne, fille de son défunt frère Jean, et mariée à Louis de Neuchâtel-Suisse, en 134834. Il faut remarquer que le noyau de la puissance d’Henri de Montfaucon, à savoir le comté de Montbéliard, ne relève pas du comte de Bourgogne, mais reste un fief d’Empire. Seule la seigneurie de Granges, qui lui est attachée, est un fief comtal. Les autres biens pour lesquels il fait hommage à Philippe de Rouvres le 11 janvier 1357 sont issus de l’héritage des Montfaucon : Passavant, Orbe, Belvoir, Vennes35. En Franche-Comté, Henri de Montfaucon-Montbéliard semble surtout pour sa part avoir porté ses efforts sur l’assurance de jouir du droit de recept dans divers châteaux stratégiques, notamment ceux de Montjoie, sur les montagnes du Lomont, en 132736, d’Auxelles, sur le flanc sud des Vosges, en 133937, de Rupt et de Vaite, dans la vallée de la Saône, en 1342-134338. Il s’offre par ce moyen la possibilité d’intervenir 30 31 32 33
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BEC Besançon, Duvernoy 14, fol. 3. Allemagne, district de Rhin-Lahn-Kreis, Rhénanie-Palatinat. Sainte-Croix, Saône-et-Loire, ar. Louhans, c. Cuiseaux. Le testament de Girard institue héritier universel son frère Henri, au cas où il n’ait pas d’enfants, et dote le chapitre de l’église de Lausanne d’une rente annuelle de 10 l. afin d’entretenir un autel « pour le remede de [son] ame » ; ADD, 7E 1324. Il a finalement eu un fils, Jean, qui a été après lui seigneur de Vuillafans-le-Vieux. Orbe et Échallens reviendront à la branche aînée ; ADD, 1B 540. BEC Besançon, Droz 16, fol. 184-184v. ADD, 1B 479 (9). BEC Besançon, Duvernoy 14, fol. 83. L’hommage du sire de Montjoie est transféré au marquis de Bade son beau-frère en 1333 ; ibid., fol. 24. BEC Besançon, Duvernoy 14, fol. 91. Auxelles-Haut, Territoire de Belfort, ar. Belfort, c. Giromagny. BEC Besançon, Duvernoy 14, fol. 92 et 94. Rupt-sur-Saône, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Scey-surSaône-et-Saint-Albin. Il y a deux localisations possibles pour Vaite, deux châteaux homonymes existent en Franche-Comté : Vaite, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Dampierre-sur-Salon, ou comm. Champlive, Doubs, ar. Besançon, c. Baume-les-Dames. La deuxième solution verrait Henri de Montfaucon renforcer sa domination sur la vallée du Doubs juste en Amont de Besançon, car il
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militairement assez loin de ses bases39, bien utile alors qu’il a grossi les rangs des opposants au duc-comte. D’autres châteaux rejoignent sous son gouvernement le réseau des fiefs des Montfaucon-Montbéliard : Côtebrune en 133640, Ruffey en 133841, Cicon pour moitié en 134442. Il ne semble pas en revanche faire d’acquisitions importantes, en dehors de Marnay le 24 juin 1361, dont le bourg et le château sont achetés à Jean de Chalon-Arlay pour 1 000 florins43. Ils viennent doubler le fief de Ruffey voisin, dans la vallée de l’Ognon, et sur la route reliant Besançon à la ville comtale de Gray. Il renforce aussi ses positions dans les environs de Villersexel par l’hommage d’Aimé de Villersexel, en 133744, et par un fief à Courchaton, en 133845. Ce secteur est en effet délicat, en raison de l’opposition des sires de Faucogney au duc-comte. Henri de Montfaucon-Montbéliard a donc essentiellement mené en Comté une politique axée sur la maîtrise des châteaux, dans un but stratégique évident, et non une entreprise d’expansion territoriale ou féodale, au contraire de ses voisins les sires de Neuchâtel, qui connaissent une ascension remarquable. b. Les sires de Neuchâtel46
Les seigneurs de Neuchâtel n’ont pris pied que tardivement aux confins de l’Ajoie et du Varais, sur un nid d’aigle contrôlant étroitement le passage de la cluse du Doubs à la hauteur de Pont-de-Roide47 ; position frontalière qui leur permet de jouer un rôle
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y possède déjà le château d’Aigremont, aujourd’hui sur la localité voisine de Deluz (Doubs, ar. Besançon, c. Besançon-5), château qui a été donné en 1282 par Renaud de Montbéliard à son oncle Jean ; BEC Besançon, Droz 23, fol. 174v-175. Lorsqu’Étienne, seigneur du château de Vaite, vend le droit de recept dans sa forteresse à Henri de Montfaucon en mai 1343, il précise qu’il s’agit du droit d’entrer dans le château avec gens armés et non armés, et d’y habiter autant qu’il lui plairait, sauf en cas de guerre entre eux. Il reçoit pour ce privilège 100 florins et en fait l’hommage à Henri ; BEC Besançon, Droz 15, fol. 392v. Côtebrune, Doubs, ar. Besançon, c. Baume-les-Dames. Reprise de fief de Pierre de Côtebrune, en faveur de Girart de Montfaucon, sire de Vuillafans-le-Vieux ; BEC Besançon, Droz 20, fol. 174. La compilation de Duvernoy donne la date du 28 février 1333 pour cette prestation d’hommage, d’après l’abbé Guillaume ; BEC Besançon, Duvernoy 15, fol. 40. Ruffey-le-Château, Doubs, ar. Besançon, c. Saint-Vit. BEC Besançon, Droz 20, fol. 159 et Droz 17, fol. 330v. Cet hommage est réitéré le 6 janvier 1353 par Thibaut de Rye et sa femme Étiennette de Ruffey ; BEC Besançon, Droz 16, fol.174 et Droz 20, fol. 260v. BEC Besançon, Droz 20, fol. 194, où il est précisé que cet hommage est fait contre 250 l., alors qu’en Droz 16, fol. 141v-142, il est dit que Cicon a été donné à Aimé de Montfaucon par Jean de Chalon l’Antique. BEC Besançon, Droz 16, fol. 163v et Droz 20, fol. 200. Marnay, Haute-Saône, ar. Vesoul, ch.-l. c. Duvernoy donne un prix de 10 000 florins dans sa compilation et ses éphémérides ; Ch. Duvernoy, Éphémérides du comté de Montbéliard, Besançon, Imprimerie Charles Deis, 1832. BEC Besançon, Duvernoy 14, fol. 87-88, le 4 décembre 1337. BEC Besançon, Duvernoy 14, fol. 90. Cette reprise de fief est faite par le doyen de Mâcon Simon de Sainte-Croix le mardi devant la Saint-Michel 1338. Courchaton, Haute-Saône, ar. Lure, c. Villersexel. Nous nous appuyons dans ce paragraphe sur notre mémoire de maîtrise, effectué sous la direction du Professeur Henri Dubois : S. LELONG, Les seigneurs de Neuchâtel-Bourgogne. Extension d’une puissance en Comté (fin xiiie-début xve siècle), Université de Paris-Sorbonne, Paris IV, 1986. D’après Henri de Faget de Casteljau, le château de Neuchâtel aurait été concédé par les seigneurs de Montfaucon à une branche de la famille de Dramelay, originaire du Jura méridional et souche de la
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de pivot entre la Bourgogne et l’Empire. Ce fait appelle deux remarques : d’une part, ils constituent une pièce politique maîtresse et sont dès la fin du xiiie siècle reconnus parmi les plus grands vassaux du comté48 ; mais en second lieu, l’estimation de leur patrimoine est rendue délicate par l’existence de biens en terre d’Empire, qui échappent aux divers recensements, tel celui de 1295. Il faudrait ainsi corriger à la hausse leurs revenus, évalués à 2 800 l. dans ce document, qui les classe au-dessus de la moyenne des fiefs, mais dans les rangs inférieurs des plus aisés, très loin derrière le peloton de tête des Montfaucon (4 000 l.), des Vergy (7 200 l.), et des Chalon-Arlay, dont les 20 000 l. restent sans concurrence. Cependant, correction faite, l’importance qu’on attribue aux seigneurs de Neuchâtel dans cet état des fiefs du comté reste selon toute vraisemblance disproportionnée par rapport à la modestie globale de leurs biens à cette époque, le critère politique prenant le pas sur tous les autres. La comparaison avec les aveux et dénombrements fournis quelques soixante-dix ans plus tard au duc Philippe le Hardi49 permet de mesurer l’évolution de leurs possessions. C’est souvent la seule démarche autorisée par nos sources pour nombre de leurs contemporains. Réjouissons-nous alors d’être pour cette famille particulièrement bien renseigné grâce au cartulaire, et de pouvoir affiner le détail de son histoire au cours des trente ans qui font l’objet de cette étude. Mais avant d’envisager comment les seigneurs de Neuchâtel ont su s’adapter à ces temps de crise, il est nécessaire de brosser le tableau de leurs atouts à l’heure de la réunion des deux Bourgognes. Situation en 1330 : atouts et faiblesses
Quoique dotés d’une implantation d’un haut intérêt stratégique, les sires de Neuchâtel restent, au début du principat d’Eudes IV, sous la tutelle de puissants suzerains. Une position statégique50
À l’exception de quelques fiefs excentrés en plaine et d’un pied-à-terre dans la haute vallée de l’Ain51, les assises de ce lignage se concentrent dans un périmètre d’environ trente kilomètres carrés au sud de Montbéliard. La lignée des sires de Neuchâtel, au tout début du xiie siècle ; H. de Faget de Casteljau, « Lignées féodales comtoises (lignages de Montfaucon, Neuchâtel, Rougemont) », in Actes du 99e congrès national des sociétés savantes, Besançon, 1974. Section philologie et histoire jusqu’en 1610, t. II, La FrancheComté, Questions d’histoire et de philologie, Paris, Bibliothèque nationale, 1977, p. 12-13. Pont-de-Roide, Doubs, ar. Montbéliard, c. Valentigney. 48 J.P. Redoutey a souligné que dans le manuscrit original de l’état des fiefs dressé en 1295 à l’usage du nouveau suzerain le roi Philippe IV (Médiathèque de Montbéliard, n°1), le scribe a pris soin de repérer les seigneurs de Neuchâtel par une main au doigt pointé, au même titre que les autres fieffés les plus notables de la province ; J.-P. Redoutey, « Le comté… », art. cit., p. 12. 49 BnF, N.a.f. 3535, n° 51 (1369). 50 Voir carte 8 en annexe. 51 Respectivement Rans ( Jura, ar. Dole, c. Mont-sous-Vaudrey) et Montbarrey (idem), de part et d’autre de la forêt de Chaux, et Vers-en-Montagne ( Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Champagnole).
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trame des possessions s’organise autour de points forts. Ils s’articulent en deux dispositifs de contrôle des voies de communication, reliés entre eux par des positions intermédiaires. – Neuchâtel constitue le noyau initial, avec son château imprenable sur un éperon barré du Lomont, qui domine à l’est la cluse du Doubs à la hauteur de Pont-de-Roide, et à l’ouest les villages du Val de Dambelin52. Celui-ci s’étire sur neuf kilomètres le long de la Ranceuse, entre les pentes boisées du Lomont et le rebord des plateaux de Goux et d’Écot53, avant de déboucher sur la vallée du Doubs à Pont-de-Roide, que surveillait autrefois sur l’autre rive l’ancien château désaffecté54 ; – Clémont55 a été acquis en 1241 de l’abbé de Lucelle56 afin de compléter le contrôle du défilé à son entrée par les villages de Villars-sous-Dampjoux, Dampjoux, Noirefontaine, Montécheroux et Liebvillers57, dans le champ panoramique de la motte de Clémont ; – Blamont assure la maîtrise de la rive droite. Sa forteresse termine à merveille le verrouillage de la cluse, enserrée dans le triangle Neuchâtel-Blamont-Clémont, et domine la branche septentrionale de la route du sel qui, venant de Salins par le val de Dambelin, remonte par le vallon d’Autechaux sur le gradin de l’Ajoie en direction de Bâle, après avoir traversé le Doubs à Pont-de-Roide. C’est en 1282 que ce don du comte de Montbéliard vient parachever le premier dispositif castral autour du noeud routier nord-sud - est-ouest, carrefour d’importance tant au regard de la stratégie que de l’économie, pour assurer les débouchés de la Comté en direction du Rhin et de la Suisse. L’hommage du châtelain de Bermont, acquis simultanément58, garantit la sécurité de l’accès occidental au point névralgique, complétée plus tard par celui du seigneur de Vyt59 ; – Le Châtelot60 fait aussi partie du même lot, qui se révèle ici également décisif pour la cohérence de l’assise géopolitique locale : l’ensemble précédent ferme la boucle décrite par le Doubs dans sa partie amont, le Châtelot s’inscrit dans un
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Six villages autour de Dambelin (Doubs, ar. Montbéliard, c. Valentigney). Goux-lès-Dambelin, Écot, idem. Au-dessus de l’actuel hameau de Chatey (comm. Pont-de-Roide-Vermondans, idem). Clémont, comm. Montéchéroux, Doubs, ar. Montbéliard, c. Maîche. Abbé Richard, Recherches historiques et statistiques sur l’ancienne seigneurie de Neuchâtel au comté de Bourgogne, Besançon, Impr. Ch. Deis, 1840, p. 77-78. Lucelle, Haut-Rhin, ar. et c. Altkirch. Liebvillers, Doubs, ar. Montbéliard, c. Maîche. BnF, Moreau 899, n° 257, fol. 177v. Le seigneur de Bermont prête hommage à Neuchâtel en mars 1293 ; BnF, N.a.f. 3535, n° 493. Bermont, comm. Anteuil, Doubs, ar. Montbéliard, c. Bavans. La seigneurie de Bermont comprend les deux bourgs du même nom, et les villages de Glainans et Tournedos. BnF, N.a.f. 3535, n° 247 (1300). Vyt-lès-Belvoir, Doubs, ar. Montbéliard, c. Bavans. Châtelot, comm. Blussangeaux, idem. Cette seigneurie comportait initialement les villages de Blussangeaux, Saint-Maurice, Colombier-Châtelot, Colombier-Fontaine, Longevelle, et en partie Blussans, Beutal, Lougres, Montenois, Étouvans et Berche, Écot et Villars-sous-Écot, Mancenans et Médières. Se reporter à P.-Fr. Beurlin, « Recherches historiques sur l’ancienne seigneurie du Châtelot », Mémoires de la Société d’Émulation de Montbéliard, 18 (1887), p. 80-128 et « Les villages de la seigneurie du Châtelot », Mémoires de la Société d’Émulation de Montbéliard, 20 (1889), p. 1-128.
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S qui la contrôle à l’aval, et vient former avec les possessions plus anciennes de L’Isle-sur-le-Doubs un efficace doublet militaire. En direction de Montbéliard, les seigneuries vassales de Saint-Maurice et de Dampierre61 complètent le tout ; – L’Isle62 susnommée est constituée d’une succession d’alleux le long de la rivière entre Montbéliard et Clerval, progressivement acquis des religieux de LieuCroissant63, de Longevelle à Rang64. Le point fort en est l’île dans un méandre du Doubs, hérissée d’un château élevé vers 123065 et cœur du bourg créé de toutes pièces par les seigneurs de Neuchâtel. Ce dernier a annexé le hameau de la rive droite. Il a été vraisemblablement fortifié par Thibaut Ier (1210-1268)66. Les deux groupes castraux ainsi individualisés, l’un en amont, l’autre en aval de Montbéliard, communiquent entre eux grâce à la mainmise sur la totalité du plateau intermédiaire. Elle passe par la garde du prieuré de Lanthenans67 et, entre hauteurs et vallée, par la prévôté de Mathay68, que le sire tient en fief de l’abbesse de Baumeles-Dames à titre de vicomte du monastère69. Le tout constitue donc un ensemble particulièrement cohérent, sur un espace resserré et très étroitement contrôlé, d’un haut intérêt militaire et économique. Il convient d’y réserver une mention spéciale pour le bourg castral de L’Isle : dégagé de tout lien vassalique, il semble être une belle réussite, dont l’indépendance contraste avec le statut féodal des autres terres familiales. La tutelle de puissants suzerains
Cernés par des voisins d’importance, les seigneurs de Neuchâtel endossent un rôle politique sans commune mesure avec leur patrimoine somme toute plutôt modeste. Mais la petitesse de leurs origines leur est régulièrement rappelée par l’obligation des hommages, dont ils cherchent obstinément à s’affranchir. Leur position aux confins de plusieurs zones de pouvoir les autorise cependant à diversifier les fidélités, et à gagner ainsi une relative liberté d’action. Par leur seigneurie de L’Isle, les sires sont en prise directe avec le domaine comtal, dont la châtellenie de Clerval constitue la partie la plus avancée en amont de la vallée du Doubs. C’est pourquoi Othon IV a eu le souci constant de les ménager, et même de 61 Saint-Maurice-Colombier, Doubs, ar. Montbéliard, c. Bavans ; Dampierre-sur-le-Doubs, idem. 62 L’Isle-sur-le-Doubs, idem. 63 Voir notamment BnF, N.a.f. 3535, n° 98 (mars 1259). Les Neuchâtel ont élu l’abbaye pour nécropole familiale. 64 Rang, Doubs, ar. Montbéliard, c. Bavans. 65 J. Perrot, Histoire de l’Isle-sur-le-Doubs, Montbéliard, Société Montbéliardaise d’impression, 1979, p. 16. 66 Voir la charte de franchise de l’Isle ; BnF, N.a.f. 3535, n° 7, mai 1308. 67 Ses dépendances principales sont Sourans, Hyémondans, Mambouhans, Goux, Anteuil, SaintGeorges, Blussans, Saint-Maurice, Villars-sous-Écot. La garde de cet établissement religieux, ainsi que celle de l’abbaye de Lieu-Croissant, a été conférée par le comte Othon IV en 1294 en gage d’un prêt de 500 l. ; BnF, N.a.f. 3535, n° 56. 68 Elle comprend les villages de Bavans, Mathay, Écot, Lucelans, Bourguignon (Mathay, Bourguignon, Doubs, ar. Montbéliard, c. Valentigney ; Lucelans, comm. Mathay). 69 AN K 1799, 1301.
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les grandir. En leur concédant de nouveaux fiefs70, il a, en même temps qu’il s’assurait leur concours, renforcé son autorité sur le cours supérieur du Doubs, en regroupant dans sa mouvance l’essentiel de leurs positions. Elles forment depuis lors un fief unique et indivisible71 aux couleurs du comte, sur une frontière qu’il maîtrise mal. Cependant, prises séparément, les diverses seigneuries des Neuchâtel ne sont bien souvent que des arrière-fiefs comtaux. Le noyau dont ils portent le nom est sous la coupe des seigneurs de Montfaucon et peut-être – mais c’est un sujet de litige – de leurs proches voisins les comtes de la Roche72. Blamont et Le Châtelot en font les vassaux obligés du comte de Montbéliard, à qui ils doivent également l’hommage pour les arrière-fiefs de Cusance et de Bermont. Une telle multiplicité des fidélités, qui porte en germe bien des conflits futurs73, confère dans l’immédiat aux modestes sires de Neuchâtel une grande souplesse de manœuvre, et la possibilité de choisir leur camp à leur avantage ; tactique qu’ils ont déjà eu l’occasion de mettre en pratique lors des troubles consécutifs à l’annexion royale de 1295. Ils ont alors gagné un suzerain supplémentaire en la personne du comte de Ferrette74. Ainsi, servis par leur intelligence politique, les seigneurs de Neuchâtel sont en mesure de compenser leurs handicaps. Au nombre de leurs faiblesses, on relève la rudesse des conditions naturelles du Lomont et la dépendance féodale. Une bonne utilisation de leurs atouts les place pourtant parmi les grands. Des intérêts bien compris
La lignée a su très tôt tirer parti de son capital initial, en argent comme en vassaux, et le faire fructifier en restant fidèle à une tradition où la prudence gestionnaire n’est pas incompatible avec une expansion bien dirigée. De bonnes ressources en numéraire
Les sires de Neuchâtel se sont élevés dès la fin du xiiie siècle au rang de prêteurs. À l’inverse de leurs contemporains, ils ne semblent jamais avoir souffert d’une pénurie de numéraire, peut-être grâce à leur position sur les seules voies de pénétration d’un relief inhospitalier. Ils ont sans nul doute contribué à attiser le foyer économique des noeuds routiers. Des marchés et des foires annuelles animent Pont-de-Roide75, au
70 Soye (Doubs, ar. Montbéliard, c. Bavans), Dampierre et Châtillon (comm. des Terres de Chaux, idem, c. Maîche) en 1280 ; BnF, N.a.f. 3535, n° 20. 71 BnF, N.a.f. 3535, n° 22, 1289. 72 BnF, Moreau 891, fol. 128, 1270. La Roche, comm. Saint-Hippolyte, Doubs, ar. Montbéliard, c. Maîche. 73 La double vassalité pour Blamont et Le Châtelot, seigneuries pour lesquelles l’hommage a été rendu à la fois au comte de Bourgogne et au comte de Montbéliard à seulement deux ans d’intervalle, entre 1280 et 1282, a donné lieu à d’interminables gloses afin de déterminer si ces terres pouvaient légitimement être rattachées au royaume de France par Louis XIV. 74 Rallié à Philippe le Bel, il fait don au seigneur de Neuchâtel de l’avouerie d’Hérimoncourt (Doubs, ar. Montbéliard, c. Audincourt) en 1298 ; B.N. N.a.f. 3535, n° 79. 75 BnF, N.a.f. 3535, n° 1 : charte de Neuchâtel (1311).
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passage de la route des salines. Sur l’axe économique de Besançon au Rhin, jalonné de marchés, les foires de L’Isle sont une création seigneuriale contemporaine de la fondation du bourg76. Bien que le trafic commercial traverse les domaines du comte à Clerval et à Baume-les-Dames, c’est le seigneur de Neuchâtel qui, prenant le relais du comte de Montbéliard, assure la protection des marchands des environs de L’Isle jusqu’aux portes de Besançon77. Les taxes qu’il en retire s’ajoutent aux revenus des droits de vente, doublés les jours de foire. Sans compter le prix à payer pour le passage des ponts, savamment gradué, sur le même modèle à L’Isle et à Pont-de-Roide78. Afin d’accélerer la circulation des espèces, le recours au troc est fortement taxé dans les domaines. Cette organisation élaborée a donc été pensée avec minutie et astuce. Neuchâtel dispose d’un efficace dispositif économique, concentré dans la boucle du Doubs, rentabilisé au maximum par la volonté des sires. Un solide réseau féodal79
Cet avantage financier permet aux seigneurs de Neuchâtel d’entretenir de nombreux vassaux qu’ils ont pu s’attacher par l’argent. De 1280 à 1336, ils ont déboursé 4 000 l. estevenantes à cet effet, bien que l’essentiel de ces achats de fidélités date du tournant du siècle. Mais leurs disponibilités ne sont pas suffisantes pour qu’ils puissent octroyer des fiefs-rentes, à l’image des Chalon-Arlay, dont le budget est sans commune mesure avec le leur. Néanmoins, leur réseau féodal est solidement implanté : de la vallée du Doubs, entièrement sous leur suzeraineté entre Montbéliard et Clerval, il remonte sur l’interfluve et rejoint l’Ognon, par un chapelet de châteaux intégrés dans leur mouvance. Les pièces maîtresses en sont La-Roche-sur-Ognon80, Loulans et Verchamps81. Au nord de Baume-les-Dames, Neuchâtel possède des appuis tout au long de la route qui mène jusqu’à Villersexel82. Les maîtres des seigneuries qui leur échappent leur sont malgré tout liés par l’hommage pour telle ou telle possession, ainsi les sires de Rougemont, de Nans, de Montby. De l’autre côté du Doubs, au sud de la barre montagneuse du Lomont, les principales étapes sur l’axe de communication est-ouest sont dans leur orbite. Des ouvertures récentes semblent même se profiler en direction de la Saône, de l’Alsace et de la Suisse83. Le plus frappant chez les sires de Neuchâtel est sans doute la profonde cohérence géographique de leur politique d’ensemble, qu’elle touche le domaine foncier, la vie
76 Ibid., n° 7 : charte de L’Isle (1308). 77 Le conduit des marchands « dez Poncharrot jusques à Palantes » lui est inféodé par le comte de Bourgogne depuis 1289 ; ibid., n° 22. 78 BnF, N.a.f. 3535, fol. 5-6 et 27-27v. 79 Voir carte 8 en annexe. 80 Comm. Rigney, Doubs, ar. Besançon, c. Baume-les-Dames ; BnF, N.a.f. 3535, n°440, 1284. 81 Loulans-Verchamps, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Rioz ; ibid. 82 À Mésandans, Romain, Adrisans (Doubs, ar. Besançon, c. Baume-les-Dames), Pont-sur-l’Ognon (Haute-Saône, ar. Lure, c. Villersexel). BnF, N.a.f. 3535, n°s 617 (1337), 355 et 419 (1287). 83 Un chevalier du diocèse de Bâle prête hommage pour 60 l. en 1335 ; BnF, N.a.f. 3535, n° 374. Deux nouveaux fiefs dans la vallée du Rhin apparaissent en 1320 ; ibid., n° 369.
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économique ou les réseaux vassaliques. Une compacité à l’opposé de la stratégie comtale. Comment l’expliquer ? Certainement d’abord parce que leur gestion se fait à petite échelle ; apparemment aussi en raison d’une volonté prudente de préserver avant tout les acquis. Cette autoprotection réapparaît dans les questions d’ordre familial. Une gestion familiale avisée
Une logique identique gouverne la politique matrimoniale et successorale. Seules les possessions excentrées sont démembrées du patrimoine, à moindre risque. L’Isle est le douaire traditionnel des dames de Neuchâtel, tandis que les filles s’engagent à renoncer à leurs droits au partage des biens paternels84. En échange, elles n’emportent dans leur corbeille de mariage que des fiefs isolés et plus difficiles à contrôler : la soeur de Thibaut III († 1303) avait transmis la seigneurie de Montbarrey aux sires de Cusance85 ; perpétuant la tradition, Catherine et Marguerite, filles de Thibaut IV († 1336), obtiennent respectivement Vers-en-Montagne86 et La Ferté-sous-Vadans. Remarquons que la dotation en numéraire n’est pas pratiquée avant la seconde moitié du siècle, pour devenir exclusive au-delà de notre période. Les alliances des aînés, quant à elles, propulsent la famille dans la haute noblesse du comté. Thibaut V († 1366) s’allie successivement à chacune des branches de Chalon. En 1336, l’année où il prend la succession de son père, il épouse Jeanne de Chalon-Auxerre, fille du sire de Rochefort et d’Alix de Montbéliard, puis en deuxièmes noces, six ans plus tard, Catherine de Chalon-Arlay. Ses unions font de lui l’homme fort du moment, alors que la noblesse comtoise resserre les rangs dans un contexte politique houleux. Seuls résistent à ces temps nouveaux les lignages qui savent s’adapter. L’adaptation aux temps de crise
Aidés par la forte personnalité de Thibaut V (1336-1366), les Neuchâtel prennent le tournant des guerres et de l’union bourguignonne sans trop de dommages. Est-ce grâce à une politique placée sous le sceau du changement ? Son profil rénové se dessine aussi bien à l’échelle locale que dans la recherche de nouveaux terrains d’expansion. Renforcement de l’autorité seigneuriale
En premier lieu, le seigneur de Neuchâtel veille à ne jamais laisser se relâcher son emprise sur le terrain. La mainmorte est maintenue dans les seigneuries monta gnardes afin d’empêcher la fuite des populations vers des régions plus clémentes. Les prérogatives foncières sont défendues pied à pied. On voit Thibaut V disputer des 84 BnF, Moreau 899, fol. 32v, n° 185 (1356) : Quittance de Mahaut de Neuchâtel au profit de Thibaut de Neuchâtel de ce qu’elle pouvait prétendre sur l’héritage de ses parents. 85 Ceux-ci prêtent hommage pour Montbarrey, en sus de leurs possessions, dès avant 1338 ; BnF, N.a.f. 3535, n° 252 (1338) : hommage de Thibaut de Cusance pour Montbarrey « comme ses predecesseurs ». 86 BnF, N.a.f. 3535, n° 39 (1343) : accord entre Neuchâtel et son beau-frère Louis de Neuchâtel outre-Joux sur le fief de Vers. Mais Thibaut V s’y réserve les vassaux les plus importants, Vienne et Scey.
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miettes d’autorité à ses proches voisins. Les clauses de l’arbitrage de février 1355 avec les comtes de la Roche sont à cet égard assez éloquentes. Le sire de Neuchâtel entend étendre sa domination sur Mambouhans, pour compléter l’ensemble qu’il possède déjà au val de Dambelin. Non content d’avoir fait barrer les chemins communs, raser le four de la comtesse, il l’empêche de jouir de son droit dans les bois du lieu, prélève des redevances sur ses serfs, et s’octroie même des pouvoirs justiciers en exécutant sommairement quatre de ses hommes, quoique deux des prétendus voleurs aient réclamé la justice de la Roche87. Ces malversations rappellent au passage que le sire dénie désormais tout droit de suzeraineté de ce comté sur la seigneurie de Neuchâtel. Inversement, Thibaut V ne manque pas une occasion d’arracher des féaux à ses rivaux. Le cas du seigneur de Nans88 est édifiant. Vers 1350, il quitte les services du comte de Montbéliard pour le prix de 100 l. estevenantes89. Et pourtant, le sire de Neuchâtel gouverne ses vassaux d’une main de fer. Le seigneur de Montby en fait les frais. Il a ouvert son château aux troupes ducales pendant le conflit de 1346-1347 qui oppose Eudes IV aux barons comtois. Il reçoit un châtiment exemplaire : sa forteresse est incendiée, ses terres sont livrées au pillage, et lui-même est emprisonné dans les cachots de Neuchâtel. Il n’en sort qu’en juin 1350, sur les instances ducales, à condition de faire amende honorable et d’oublier les dommages dont il a été victime90. Envers les établissements ecclésiastiques, la violence est plus larvée, la tactique plus subtile. Elle n’en reste pas moins une démonstration de pouvoir à l’identique. Les instruments établis en 135591 veulent asseoir le droit de regard du seigneur de Neuchâtel sur l’élection de l’abbesse de Baume. Elle se déroule en sa présence, et le déploiement de forces armées aux portes du monastère laisse penser qu’en fait de voix au chapitre, le sire impose sa candidate. C’est d’ailleurs très symboliquement qu’il l’installe sur son siège, au sens littéral. Thibaut V prend soin de faire consigner par écrit le cérémonial dans ses moindres détails. Les Neuchâtel ont toujours été des adeptes de la précision juridique lorsqu’il est question d’affirmer leurs droits. Les spécialistes ont souligné cette originalité : les reprises de fief aussi font montre d’une connaissance technique qui tranche avec les actes assez vagues en usage chez les autres lignées92. Loin de négliger ses bases, Thibaut V, avec une pugnacité peu commune, s’y accroche plus que jamais. C’est le signe que l’organisation féodale garde toute sa valeur dans la haute vallée du Doubs en ce milieu de siècle. En rien périmée, elle apparaît encore comme une source principale de puissance. Le seigneur du moment n’est pas pour autant à la traîne. Il se ménage également de nouveaux débouchés.
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BnF, N.a.f. 3535, n° 101. Nans, Doubs, ar. Besançon, c. Baume-les-Dames. BnF, N.a.f. 3535, n° 607, témoignage de février 1378. BnF, N.a.f. 3535, n° 472. Ibid., nos 15 à 17. « Un des très rares exemples de l’introduction du droit dans les reprises de fief comtoises », d’après M.-Th. Allemand-Gay, « Notes sur le droit féodal comtois : la famille de Neuchâtel en Bourgogne », Annales de l’Est, 4 (1979), p. 311.
de s p o u vo i r s co n cu r r e n t s : l e s g rand s e t le u rs ré se au x Stratégie d’innovation
La difficulté des temps93 est compensée par de nouvelles rentrées d’argent, plus sûres que les revenus du domaine et indépendantes des fluctuations de ceux-ci. Par elles, les Neuchâtel participent au mouvement de redistribution de la rente foncière qui brasse la société nobiliaire à l’occasion de la guerre. Les fonctions militaires régulièrement assurées à l’ost royal et auprès du duc-comte, notamment comme gardien du comté à partir de 1352, valent à Thibaut V le bénéfice d’une rente viagère de 500 l. sur le trésor94. Mais avant de rentrer dans le rang, ses prises de position en faveur de Jean de Chalon-Arlay lors de la guerre contre Eudes IV en 1336-1337 lui ont déjà rapporté une rente annuelle de 50 l.95, sans doute destinée à couvrir ses frais, alors même qu’il procédait au recensement systématique de ses vassaux disponibles : tous sont venus prêter hommage à Neuchâtel dans le courant du mois96. Ces rentrées d’argent autorisent Thibaut V à s’acheter la fidélité de nouveaux vassaux, par des sommes oscillant en moyenne entre 60 et 150 l. : il dépense ainsi 980 l. estevenantes pour neuf prestations d’hommage entre 1343 et 1358. Sa politique lui ménage des appuis supplémentaires le long de la vallée de l’Ognon97, mais surtout lui crée de nombreux obligés parmi la noblesse des plateaux de la Saône98, qui échappe encore à son contrôle, et pour lesquels il débourse les plus fortes sommes : jusqu’à 500 florins or concédés au sire d’Oricourt99. Quelques seigneurs vosgiens sont même intégrés dans son orbite100. L’union de Thibaut V avec Jeanne de Chalon-Auxerre, parti doublement avantageux de par sa filiation simultanée aux Chalon et aux Montbéliard, fait également passer à Neuchâtel l’hommage des seigneurs de Nancuise101, fief du Jura méridional, le long 93 Les revenus en numéraire des seigneurs de Neuchâtel ont vraisemblablement chuté, en raison d’une conjoncture à la baisse, des multiples destructions occasionnées par les guerres et de la perte des amendes et des gardes ecclésiastiques. Le cartulaire donne des indices de difficultés financières, notamment en 1340, avec la constitution d’une rente de 10 l. sur Séloncourt (Doubs, ar. Montbéliard, c. Audincourt) à un chevalier de Porrentruy pour obtenir son hommage, en attendant d’être en mesure de lui verser 100 florins pour un fief pris sur ses alleux. Neuchâtel ne l’a toujours pas fait sept ans plus tard, quand la rente est renouvelée et réajustée au cours de l’estevenant ; BnF, N.a.f. 3535, n°s 567 et 568, 16 novembre 1340 et 14 juin 1347. 94 BnF, Moreau 899, n° 213, fol. 37v (mai 1349). 95 BnF, N.a.f. 3535, n° 36, 12 avril 1337. 96 Ibid., où sont disséminés trente-deux actes sur le même modèle, échelonnés entre le 6 et le 20 avril 1337, dont vingt-quatre pour la seule journée du 6. 97 BnF, N.a.f. 3535, n° 531 (29 mai 1358) pour Sauvigney (Sauvigney-les-Pesmes, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Marnay) ; n° 545 (27 août 1358) pour Rigney (Doubs, ar. Besançon, c. Baume-les-Dames). 98 BnF, N.a.f. 3535, n° 387 (21 novembre 1344) pour Noidans (Noidans-le-Ferroux, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Scey-sur-Saône-et-Saint-Albin) ; n° 465 (21 août 1349) pour Vellefaux (Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Rioz) ; n° 527 (7 décembre 1351) pour Échenoz (Échenoz-la-Méline, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Vesoul-1, ou Échenoz-le-Sec, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Rioz) ; n° 376 (6 février 1352) pour Borey (Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Villersexel). 99 Oricourt, Haute-Saône, ar. Lure, c. Villersexel. BnF, N.a.f. 3535, n° 298, 18 août 1353. 100 BnF, N.a.f. 3535, n° 371 (26 octobre 1341) pour Pierrefitte (Vosges, ar. Neufchâteau, c. Darney) et Villesur-Illon (Vosges, ar. Épinal, c. Darney). 101 Nancuise, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Moirans-en-Montagne.
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de la Valouse, relevant de l’importante baronnie des Chalon-Auxerre à Orgelet, et lui vaut à retardement le fief de Rougemont102, don de la marquise de Bade. Avec celui-ci tombe aux mains de Thibaut V le dernier bastion féodal entre Doubs et Ognon, et non des moindres : il ne comporte pas moins de vingt-quatre vassaux, 212 meix et de riches vignes à la fin du siècle103. La maîtrise des Avants-Monts, déjà en bonne voie grâce à la fidélité des seigneurs de Montmartin, de la Roche et de Châtillon-Guyotte104, est pratiquement assurée. Vers 1360, l’union de Thibaut VI avec Marguerite de Bourgogne, dont le frère Jean meurt sans enfants, permettra de recueillir un héritage qui fera exploser ces limites vers le nord-ouest. Les guerres comtoises paraissent en outre avoir infléchi la politique de Thibaut V vers une expansion en terre d’Empire, qui offre une sortie de secours au moment le plus critique des relations avec le duc de Bourgogne. En janvier 1342, il reçoit tout d’abord de Jeanne de Montbéliard le fief de Montjoie105, et avec lui le contrôle des gorges du Doubs en amont de Saint-Hippolyte. Un échange l’autorise quatre ans plus tard à contrôler le château de Blauenstein106, poste avancé en direction de Bâle, dont le fief est déclaré « entierement et ligement rendable » lorsque Ruechement de Blauenstein en fait la reprise à Thibaut de Neuchâtel le 13 mars 1348107. Une position de revers indépendante du comte de Bourgogne comme de celui de Montbéliard, comparable à celle dont il disposait déjà à Grandvillars108. Les sires de Neuchâtel ne cesseront jusqu’à la fin du siècle de travailler à renforcer leurs positions en Ajoie, le long des lignes de crêtes du Lomont, par le contrôle des forteresses et la distribution de fiefs d’argent à de nombreux seigneurs du diocèse de Bâle. Ainsi, l’expansion spectaculaire dont les sires de Neuchâtel ont été les bénéficiaires au cours du xive siècle n’est qu’amorcée à la mort de Philippe de Rouvres. Mais ils ont montré qu’il fallait désormais compter avec eux pour se concilier la haute noblesse comtoise, dans les rangs de laquelle ils se sont peu à peu hissés au cours de notre période, tant par les alliances que par leur patiente politique féodale. Ils font figure de parvenus au regard de la domination déjà bien installée de la famille de Chalon.
3. À l’est et au sud : Chalon À l’origine des biens des deux branches de la famille de Chalon, on trouve le partage réalisé par Jean de Chalon l’Antique († 1267) entre ses aînés issus des trois lits. À la
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Rougemont, Doubs, ar. Besançon, c. Baume-les-Dames. BnF, N.a.f. 3535, n° 490, 22 octobre 1351. BnF, N.a.f. 3535, n°s 341 et 343, dénombrements de 1391 et 1394. Châtillon-Guyotte, Doubs, ar. Besançon, c. Baume-les-Dames. BnF, N.a.f. 3535, n° 24. Comm. Kleinlützel, Suisse, c. Soleure, district Thierstein. BnF, N.a.f. 3535, n° 25, 26 août 1346. BnF, N.a.f. 3535, n° 479. Ibid., n° 356, 30 septembre 1282 : hommage pour le recept de la forteresse, racheté en 1304 par Richard de Neuchâtel à son nouveau seigneur, avec l’hommage pour toutes ses acquisitions en alleu ; ibid., n° 358. C’est pourquoi son successeur reprend des terrains et une partie de la ville en accroissance de fief en 1343 ; ibid., n° 361. Grandvillars, Territoire de Belfort, ar. Belfort, ch.-l. c.
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suite d’un fructueux échange avec le duc de Bourgogne en 1237, qui lui a apporté la seigneurie de Salins, ce personnage considérable s’est placé à la tête d’un ensemble cohérent, et a réorienté sa politique vers la montagne, cherchant à s’approprier le contrôle des grandes voies marchandes venant de Suisse et d’Italie vers les pays français109. Une partie de ses biens échoira aux comtes de Bourgogne, par le biais de son fils aîné Hugues, qui en a épousé l’héritière, Alix de Méranie. L’autre sera répartie entre les branches cadettes nées de ses second et troisième mariages, soit celle issue de Jean, sire de Rochefort, tige des Chalon-Auxerre, et celle descendant de Jean Ier de Chalon-Arlay. Ces deux maisons, à la tête d’organismes territoriaux dotés d’une administration structurée sur le modèle princier, ont mené des stratégies ambitieuses, à l’échelle de leur puissance rivale de celle du comte, afin d’asseoir leurs positions. a. Chalon-Arlay110
Le temps de cette étude est tout entier dominé par la personnalité de Jean II de Chalon-Arlay (†1362). Avant d’envisager les grandes orientations de sa politique, posons les bases de son héritage familial. L’héritage des premiers représentants de la famille
Une source fondamentale, publiée au début du xxe siècle, donne à connaître l’époque des premiers Chalon-Arlay, Jean Ier (1276-1315) et son fils Hugues Ier (13151322) : il s’agit du cartulaire dressé à l’initiative du second, compilé entre 1317 et 1319111. Il regroupe 650 chartes, échelonnées de 1220 à 1319. On y voit que Jean Ier de Chalon-Arlay a poursuivi la politique amorcée par son père Jean de Chalon l’Antique, concentrant ses efforts pour s’étendre sur la haute chaîne du Jura, « sur les hautes Joux, plus faciles à défendre et tout à la fois difficiles d’accès et zones de passage grâce aux cols112 ». À sa mort en 1315, en effet, « Jean Ier a dessiné les véritables contours de sa principauté et marqué les axes prioritaires de sa politique » : la domination des plateaux du Jura central et le contrôle des principales routes, « en particulier celles qui, venant de Champagne par Besançon ou Salins, confluent au col de Jougne, celle qui assure la liaison Rhin-Rhône par le Vignoble ou la transversale qui les relie en empruntant le val de Mièges113 ». Un chapelet de forteresses matérialise cette présence.
109 M.-Th. Allemand-Gay, Le pouvoir…, op. cit., p. 149. 110 Voir carte 9 en annexe. 111 Cartulaire d’Hugues de Chalon (1220-1319), op. cit. 112 M.-Th. Allemand-Gay, Le pouvoir…, op. cit., p. 149. 113 R. Locatelli, « La carte de Vischer et le chartrier d’Arlay », dans La Franche-Comté et les anciens Pays-Bas, xiiie-xviiie siècles, t. I, Aspects politiques, diplomatiques, religieux, artistiques, Actes du colloque international à Vesoul (Haute-Saône) et Tournai (Belgique), les 25, 26 et 27 octobre 2006, L. Delobette et P. delsalle (éd.), Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2009 (Les cahiers de la M.S.H.E. Ledoux 15), p. 84.
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Les principales sont Nozeroy114, Chalamont115, la Rivière116, Châtelguyon (au-dessus de Salins). Jean Ier a également gagné des droits importants : le fief du comte de Neuchâtel-Suisse en 1288117, don de Rodolphe de Habsbourg, avec le droit de battre monnaie dans ses terres et la garde de Saint-Oyend-de-Joux118, la vicomté et la mairie de Besançon en 1293, ville où il achète bientôt la tour de Vaite, qui y sera le siège de son pouvoir. Son aire d’influence s’étend même au-delà de la Saône, grâce à sa femme Marguerite de Bourgogne, qui lui apporte dans le duché les châtellenies de Vitteaux119 et de l’Isle-sous-Montréal120. Comme son père avant lui, il tire sa richesse des salines, des péages, de l’exploitation des forêts (extraction de la poix, en particulier)121. Le fief lige qu’il tient des comtes de Bourgogne, « devant tous et contre tous », est fixé en décembre 1311 dans la reprise qu’il en fait au futur Philippe V, à l’instigation du roi de France : toutes ses possessions de Salins (dont sa part des salines et Châtelguyon), les châteaux et les lieux de Chalamont, Val de Mièges122, Gardebois123, Mormans124, Arlay125, l’Étoile126, Bletterans127, Nozeroy, Boujailles, La Rivière, la Chaux d’Arlier128, Frasne129, Bonnevaux130, Montmahoux, Abbans131, et tout ce qu’il tient de par la succession de son père, y compris les gardes d’abbayes, les péages et les conduites, les châteaux de Rennes132 et de Châtillon133. Sont exclus de cet hommage les hommes et la terre qu’il tient de l’abbé de Saint-Oyend de Joux, sauf si l’abbé donne son accord, et le château d’Arguel, qui relève pour l’instant de la comtesse Mahaut en raison de son douaire. En ce qui concerne l’hommage pour le château de Sainte-Anne134, il est sujet à caution, mais Jean de Chalon accepte de le tenir en fief avec les autres si l’on peut prouver qu’il est bien un fief du comte. Il rajoute également 1 000 l. de terre qui
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Nozeroy, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Saint-Laurent-en-Grandvaux. Comm. Villers-sous-Chalamont, Doubs, ar. Pontarlier, c. Frasne. La Rivière-Drugeon, Doubs, ar. Pontarlier, c. Frasne. Raoul, comte de Neuchâtel, fait hommage à Jean Ier, « par le commandement du roi d’Allemagne », en juin 1311 ; ADD, 7E 1250. Il existe sous la même cote une copie de 1347. 118 Ancien nom de l’abbaye de Saint-Claude. Cette garde, ainsi que le péage de Jougne et le droit de battre monnaie, sont un fief direct de l’empereur, que reprend Jean II en 1357 ; BEC Besançon, Droz 20, fol. 132. 119 Vitteaux, Côte-d’Or, ar. Montbard, c. Semur-en-Auxois. 120 L’Isle-sur-Serein, Yonne, ar. Avallon, c. Chablis. 121 Voir l’introduction au cartulaire publié par B. Prost et S. Bougenot, rédigée par Jules Gauthier. 122 Comm. Mièges, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Saint-Laurent-en-Grandvaux. 123 Comm. Chapois, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Champagnole. 124 Faut-il lire Moirans (Moirans-en-Montagne, Jura, ar. Lons-le-Saunier, ch.-l. c) ? 125 Arlay, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Bletterans. 126 L’Étoile, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Lons-le-Saunier-1. 127 Bletterans, Jura, ar. Lons-le-Saunier, ch.-l. c. 128 Peut-être La Chaux, Doubs, ar. Pontarlier, c. Ornans. 129 Frasne, Doubs, ar. Pontarlier, ch.-l. c. 130 Bonnevaux, Doubs, ar. Pontarlier, c. Frasne. 131 Abbans-Dessus, Doubs, ar. Besançon, c. Saint-Vit. 132 Rennes-sur-Loue, idem. 133 Châtillon, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Poligny. 134 Comm. Nans-sous-Sainte-Anne, Doubs, ar. Besançon, c. Ornans.
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échappaient à la suzeraineté comtale, mi-parties entre domaine et fiefs, et le château de l’Aigle135, sur les rentes duquel seront assises les 1 000 l.136. À sa mort lui succède en 1315 son fils Hugues Ier, qui hérite d’un immense domaine, de 516 sous-fiefs et de la possession de tous les points stratégiques du Jura. Il leur adjoint Cuiseaux, don du duc de Bourgogne en 1317137, et le fief de la maison forte de Frontenay138, qui vient en 1320 compléter la maîtrise quasi complète du réseau castral nord-lédonien139. Son union avec Béatrice de Vienne, fille du dauphin Humbert de la Tour du Pin, introduit ses descendants en Dauphiné. C’est cette dernière qui exerce la régence après le décès d’Hugues en 1322, selon ses dispositions testamentaires140, et pendant la minorité de Jean II. Elle fait dresser alors un inventaire portant mention de vingt et un châteaux à entretenir, qui donne à voir l’incroyable puissance dont hérite celui-ci141. Le temps de Jean II de Chalon-Arlay (1322-1362)
C’est pourquoi Jean II semble moins préoccupé d’extension territoriale que de quête d’appuis militaires et politiques, ce qui lui coûte fort cher. 135 Comm. La Chaux-du-Dombief, Jura, ar. Saint-Claude, c. Saint-Laurent-en-Grandvaux. 136 ADD, 7E 2771 et 2772 (copie moderne) : vidimus du 22 février 1429, établi à la requête de Louis de Chalon, prince d’Orange et seigneur d’Arlay, sous le sceau de l’officialité de Besançon. 137 Cartulaire d’Hugues de Chalon (1220-1319), op. cit., n° 607 ; ADD, 1B 536 (10) ; ADD, 7E 2771. Cuiseaux (Saône-et-Loire, ar. Louhans, ch.-l. c.) est le prix de la renonciation des Chalon à la succession d’Isabelle, reine d’Allemagne, et d’Hugues de Bourgogne, seigneur de Montréal. 138 BEC Besançon, Droz 19, fol. 441. Frontenay, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Poligny. 139 Voir sur ces points J.-Cl. Voisin, Les Chalon-Arlay. Leur ascension en Comté aux xiiie et xive siècles, mémoire de maîtrise, Université de Besançon, septembre 1974, t. I, p. 69. 140 ADD, 7E 1324 : testament du jeudi avant Noël 1322. Ce document est très intéressant : il comporte notamment une clause par laquelle Hugues Ier institue Girard de Vaites châtelain de Montmahoux durant la minorité de son fils, moyennant 200 l. de gages annuels, et règle toutes les modalités de la garde de la forteresse. Girard de Vaites doit s’engager par serment à ne la remettre à nul autre qu’à Jean II, à l’issue de sa tutelle, et à n’y laisser entrer personne de la famille. L’abbé du Mont-SainteMarie et l’archidiacre de Faverney auront les clés de la chambre aux archives et pourront au besoin y accéder, sous le contrôle du châtelain, sous réserve de rapporter les documents dans les quatre mois, et de faire dresser un instrument notarié de ce processus. Hugues de Chalon-Arlay fait ici montre d’un souci peu commun de protéger ses archives de toute intrusion qui pourrait nuire aux droits de son héritier. Mont-Sainte-Marie est une abbaye cistercienne, sur la commune de l’Abergement-SainteMarie (Doubs, ar. Pontarlier, c. Frasne). 141 P.-F. Chalon et J.-P. BEAU, Histoire de la maison de Chalon, xe-xve siècles, t. I, Comtes de Bourgogne, comtes d’Auxerre et de Tonnerre, barons d’Arlay, ronéotype, 1990, p. 93. Ces châteaux sont Abbans, l’Aigle, Arlay, Arguel, Bletterans, Bouverans (ne faudrait-il pas plutôt lire Bonnevaux ?), Chalamont, Châtillon-sur-Courtine, la Chaux d’Arlier, l’Étoile, Frasne, Gardebois, Jougne, Moirans, Montmahoux, Nozeroy, La Rivière, Sainte-Anne, Val de Mièges. Malheureusement, les auteurs n’indiquent pas leur source. On retrouve grosso modo le même patrimoine dans la reprise de fief que Béatrice de Vienne fait à la reine Jeanne, en qualité de tutrice de Jean II, le 1er mai 1323, en y rajoutant Boujailles, le château de Rennes, les possessions de Salins, dont la part des salines et Châtelguyon, et les péages et conduites « de l’Épine et de Boule jusqu’au pont de Réaumont » ; BEC Besançon, Droz 14, fol. 86-86v. On voit que le fief relevant du comté est resté inchangé depuis l’hommage rendu par Jean Ier au comte Philippe en 1311.
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cha p i tr e i i Sa politique domaniale
Les inventaires des titres de la famille nous le montre effectuant quelques acquisitions : à Myon142 en 1334, des parts sur un bois et un moulin, ainsi que plusieurs ménages « taillables et justiciables », qui relevaient déjà de son fief, pour 100 l.143 ; à Abbans en 1342, tous les biens et droits de Marguerite, dame du lieu, moyennant une rente de 13 l. estevenantes144 ; un moulin dans la seigneurie de Châtillon, échangé avec l’abbé de Baume en août 1343, contre une rente de 40 s. sur la saline de Salins145 ; échange encore, en mars 1350, avec André de Roche, qui cède à Jean de Chalon les hommes et leurs meix qu’il possède à Byans, Fourg et Monthaulin146, contre une rente annuelle de 20 l. sur la saline de Salins147 ; achat de Marnay en 1352148 ; achat d’une rente en blé sur les communaux de Bletterans pour 100 écus d’or en 1358149 ; en 1360, échange avec André seigneur de Roche, une nouvelle fois, qui laisse ses biens de Rennes à Jean de Chalon, contre 60 l. de rente annuelle, un chesal au lieu pour s’y faire une maison et 100 l. payées comptant150. On remarque un intérêt particulier porté à la frange orientale de la forêt de Chaux, autour de la moyenne vallée de la Loue et de son interfluve avec le Doubs. Plus curieusement, Jean de Chalon parvient à arrondir son patrimoine grâce à des dons. Ainsi, Richard de Montrichard, « en consideration des grandes amitiés et bienfaits » reçus de lui et de ses prédécesseurs, lui cède le château de Montrichard151 avec ses dépendances, déjà de son fief, et l’institue son héritier universel, le 7 des calendes de novembre (25 octobre) 1335152. Lui est attribuée en compensation une rente viagère de 10 bichots de froment, ce qui revient à bien peu de chose153. Mais la famille semble faire partie des fidèles : Jean, écuyer du même nom, reçoit en 1350 le don d’une rente de 10 l. sur la saline de Salins, à rachat de 100 l.154, et il est en 1353 gouverneur de la saline pour le sire d’Arlay155. Montrichard constitue pour Jean de Chalon un complément intéressant de son bastion autour de Champagnole et Nozeroy. Il l’inféode à Guillaume « Poncellez » (Porcelet ?) de Besançon, chevalier, en 1342156. Mais il s’en sépare bientôt, en 1360, au profit de son fils illégitime Jean le Bâtard de Chalon, accompagné d’un bois et de 80 l.
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Myon, Doubs, ar. Besançon, c. Saint-Vit. BEC Besançon, Droz 17, fol. 53v. BEC Besançon, Droz 16, fol. 8. BEC Besançon, Droz 16, fol. 356. Byans-sur-Doubs, Doubs, ar. Besançon, c. Saint-Vit ; Fourg, idem ; Monthaulin : non identifié. BEC Besançon, Droz 16, fol. 9. BEC Besançon, Droz 16, fol. 95v. BEC Besançon, Droz 18, fol. 271v-272. BEC Besançon, Droz 18, fol. 272-273. Comm. Sirod, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Champagnole. BEC Besançon, Droz 17, fol. 51. BEC Besançon, Droz 20, fol. 86. BEC Besançon, Droz 19, fol. 58v ; ADD, 7E 1341 et 1B 214. ADJ, 1F 188, copie de BnF, lat. 9129, n° 45. BEC Besançon, Droz 20, fol. 91v-92.
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de terre. Celui-ci les tiendra en fief de son père, qui se réserve le droit de les racheter moyennant 1 500 florins157. Il l’avait auparavant engagé à Thibaut de Scey pour 400 florins, remboursés en 1338 ou 1358158. Il faut dire que Jean II paraît toujours à la recherche de numéraire pour financer sa politique et se donner les moyens de tenir tête au comte de Bourgogne. La recherche de financements
La grande vague d’affranchissements opérée par notre sire sur ses domaines peut être comprise comme un moyen de s’assurer des revenus complémentaires, qu’il s’agisse de franchises individuelles159 ou collectives160, toujours accordées moyennant finances. Ses malheureux sujets ne jouissent pas toujours de telles contreparties à leurs versements d’argent : en novembre 1358, Jean de Chalon donne l’ordre de relever les noms de tous ses justiciables, en vue de prélever sur les hommes de 15 à 60 ans un subside de 6 d. par semaine pendant trois ans161 ! Il tire également des sommes substantielles de l’aliénation de revenus fonciers : il cède à Thibaut de Scey, en 1337, 25 l. de terre à Amancey, Amondans et Malans, proches de Scey, pour 300 florins162, mais se réserve la possibilité de les racheter163. Cette même année, durant laquelle la guerre menée contre le duc-comte exige de gros moyens financiers, il doit encore 400 florins à Alexandre de Mièges, qui se paiera sur les revenus de Boujailles, chargés d’une rente de 20 l. à son profit164. La dernière vague du conflit justifie en juillet 1346
157 BEC Besançon, Droz 17, fol. 51v et Droz 20, fol. 75. 158 BEC Besançon, Droz 20, fol. 78v et Droz 17, fol. 51v. La première référence porte la date de 1338, la seconde celle de 1358. 159 BEC Besançon, Droz 20, fol. 437 : en 1333, Jean de Chalon libère Perrin et Jean, enfants de Richard Marchesset de Rennes, et leurs hoirs, de toutes tailles, corvées, mainmorte et autres servitudes, moyennant une cense annuelle d’une livre de cire. 160 BEC Besançon Droz 16, fol. 89v-90 : renouvellement des franchises d’Arlay (1333). Droz 20, fol. 436v : franchises de Rennes (4 février 1340). Droz 17, fol. 19v : franchises de Montmahoux (1342). ADJ 9F 1 : franchises de Châtillon-sur-Curtine (30 mars 1342, copie moderne). Droz 16, fol. 50 : franchises du bourg d’Arguel (vendredi après Noël, 29 décembre 1346). Droz 17, fol. 123 : franchises de Frasne (1350). Droz 16, fol. 278 : affranchissement des habitants de Boujailles de la mainmorte (22 janvier 1351). Droz 18, fol. 8 et 120v : affranchissement de la mainmorte des habitants du Val de Mièges, pour la somme de 300 l. estevenantes (janvier 1351). Droz 16, fol. 303 : franchise de Chapelle-d’Huin (Doubs, ar. Pontarlier, c. Frasne) le 26 mars 1356. 161 Les plus riches devront aider les autres, en fonction de leurs possibilités. Cette mesure est référencée de multiples fois dans l’inventaire des titres. Par exemple en Droz 18, fol. 120. 162 BEC Besançon, Droz 17, fol. 19, 33-33v, 34v, 49v. Amancey, Doubs, ar. Besançon, c. Ornans ; Amondans, Malans, idem. 163 BEC Besançon, Droz 20, fol. 70-70v. Thibaut de Scey figure au premier rang des créanciers de Jean de Chalon-Arlay, ce qui lui permet de s’affranchir des obligations qu’il lui doit en tant que vassal : le 4 avril 1342, il lui rachète, outre des terres pour 200 florins, le service auquel il est tenu, moyennant 300 florins. Le tout est récupérable pour un montant équivalent ; ADD, 7E 1281. Cet homme, que Jean de Chalon considère comme « son » chevalier, semble inexplicablement jouir d’une capacité financière énorme. On a vu comment le comte lui engagera la châtellenie de Scey pour 4 200 florins or en 1359. 164 BEC Besançon, Droz 18, fol. 153v.
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la vente de la seigneurie de Vevy165 à Étienne de Publy pour 800 florins166, premier acte d’une stratégie d’aliénation terrienne de grande échelle, puisque dès le 21 août, Jean de Chalon institue les licenciés en lois Hugues de Pimorin et Gérard de Vevy ses procureurs, avec pouvoir de vendre et d’acenser toutes terres en Bourgogne et à Besançon, et promesse de ratifier tous les actes qu’ils passeront167. Le 11 mars 1348, il emprunte encore à Thibaut de Scey 1 370 petits florins, et lui laisse la jouissance immédiate de 60 l. de terre au val de Mièges, sur 100 l. promises, en attendant d’être en mesure de le rembourser168. Le 1er avril 1350 ou 1351, il s’acquitte d’une dette de 675 l. estevenantes envers Horri Thibaut sire d’Asuel, payées sous forme de rentes169. En 1350 toujours, il assigne au comte d’Aremberg une rente annuelle de 20 charges de sel sur la saline de Salins, que celui-ci percevra jusqu’à ce que Jean de Chalon lui ait rendu 200 florins170. Ce lourd passif l’oblige à se séparer de la châtellenie de Marnay, avec clause de rachat, au profit d’Henri de Montbéliard, pour 1 000 florins vieux, le 24 juin 1361171. Il avait auparavant aliéné Busy et Boussières à Poinsard de Thoraise172, envers qui il avait contracté une dette importante en octobre 1346, lors du déclenchement de la guerre contre Eudes IV : sa mère Béatrice de Viennois lui avait alors engagé le château et la châtellenie de Châtelneuf173, pour une rente de 100 florins, en raison d’un prêt de 1 000 florins qu’il lui avait consenti174. Cette rente est transférée par Jean II sur les revenus de l’Isle-sous-Montréal, puis en 1350, sur ceux des chauderettes et « des menus dîmes des bois » des salines de Salins, jusqu’à apurement complet de la dette175. Il faut souligner que toutes les aliénations, ou bien les rentes constituées à défaut de paiement comptant, doivent être tenues en fief de Jean II. Poinsard de Thoraise était d’ailleurs déjà intégré à son réseau vassalique pour sa seigneurie de Vorges176. L’accroissement de son fief fait de lui un élément
165 Vevy, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Poligny. 166 BEC Besançon, Droz 16, fol. 382. La vente, réalisée par les procureurs de Jean de Chalon, est ratifiée par lui l’année suivante (ibid., fol. 382v). 167 BEC Besançon, Droz 16, fol. 424. 168 BEC Besançon, Droz 18, fol. 7-7v et 121. La somme est versée en plusieurs fois par Thibaut de Scey, comme l’atteste la quittance de Jean II datée du lundi devant la Toussaint (28 octobre) 1359 ; ibid., fol. 9. 169 BEC Besançon, Droz 13, fol. 170v. 170 BEC Besançon, Droz 19, fol. 367. 171 BEC Besançon, Droz 16, fol. 163v. 172 Vente par les procureurs de Jean II au seigneur de Thoraise de Busy pour 800 (ou 100) florins or en 1356 ; BEC Besançon, Droz 16, fol. 72v-73 et Droz 20, fol. 217v et 221v-222. Vente par Hugues de Pimorin, procureur spécial de Jean de Chalon, de la seigneurie de Boussières pour 1 200 florins or ; BEC Besançon, Droz 16, fol. 9v et Droz 20, fol. 223-223v. Busy, Doubs, ar. Besançon, c. Besançon-6 ; Boussières, idem. 173 Châtelneuf, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Champagnole. 174 BEC Besançon, Droz 16, fol. 328v et Droz 20, fol. 24. 175 BEC Besançon, Droz 19, fol. 358v et ADD, 7E 1341. En 1358, Jean de Chalon donne l’ordre au receveur de Salins de payer cette rente de 100 florins jusqu’au remboursement de 1 000 au sire de Thoraise et à son frère (Droz 19, fol. 379v). 176 Il prête hommage en 1334 ; BEC Besançon, Droz 16, fol. 33v. Il le réitère le 12 septembre 1348 ; Droz 16, fol. 35v et Droz 20, fol. 213). Vorges-les-Pins, Doubs, ar. Besançon, c. Besançon-6.
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stratégique capital pour le contrôle de la vallée du Doubs en aval de Besançon, déjà assuré à Jean de Chalon à Arguel et Abbans. On remarquera que si la rive gauche est acquise au sire d’Arlay, la rive droite relève de la suzeraineté du comte à Avanne, à Montferrand, et à Thoraise, dont Poinsard est le seigneur. Ce personnage-clé a donc su habilement jouer sur les deux tableaux pour préserver ses intérêts dans les conflits. C’est sans nul doute à la lueur de ceux-ci qu’il convient aussi d’interpréter la politique féodale de Jean II. La recherche de fidélités
L’année 1333 est riche de multiples reprises de fief en faveur de Jean de ChalonArlay. Quelques secteurs privilégiés en font l’objet : la châtellenie d’Arguel et celle de Sainte-Anne177, Boujailles178. Sa part de la saline de Salins lui donne alors en outre les moyens, par la distribution de rentes sur les revenus du sel, de s’attacher nombre de fidèles, à l’instar du duc-comte, et ce tout au long de son gouvernement : – 25 l. à Richard, sire de Monts-en-Genevois (1333)179 ; – 10 l. à Humbert de Vuillafans (1333)180 ; – 30 l. à Guyon Breton de Salins (1333)181 ; – 100 s. à Philippe li Blonde de Bletterans (1334)182 ; – 60 l. à Catherine de Roche, veuve de Matthieu de Darbonnay (1338)183 ; – 20 l. à Jean le Chassigney, seigneur de Vieilley (1338)184 ; – Plusieurs reprises de rentes non détaillées (1339)185 ; – 20 l. à Pierre de Faverney, chevalier (1341)186 ; – 20 l. à Pierre « de Faneviere » (le même que le précédent ?) (1343)187 ; – 10 l. à Jean de Montrichard, écuyer (1350)188 ; – 200 l. au seigneur d’Asuel (1350)189.
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BEC Besançon, Droz 16, fol. 33-33v, Droz 17, fol. 31v, Droz 18, fol. 301-301v, Droz 20, fol. 77v et 79-79v. BEC Besançon, Droz 16, fol. 270-270v, Droz 20, fol. 53v et 57. BEC Besançon, Droz 19, fol. 344 ; ADD, 1B 227 (13). BEC Besançon, Droz 19, fol. 357v ; ADD, 7E 1341 (copie moderne) ; ADD, 1B 227 (13). BEC Besançon, Droz 19, fol. 368v-369. BEC Besançon, Droz 19, fol. 428 ; ADD, 1B 227 (16) ; ADD, 7E 2771. BEC Besançon, Droz 16, fol. 93v. BEC Besançon, Droz 19, fol. 357 et 431v ; ADD, 1B 227 (17). Vieilley, Doubs, ar. Besançon, c. Baume-les-Dames. BEC Besançon, Droz 16, fol. 93v. BEC Besançon, Droz 19, fol. 431 ; ADD, 1B 227 (18) et ADD, 7E 1341 (copie moderne). Pierre de Faverney est en 1353 châtelain de Châtelbelin ; ADJ, 1F 188, copie de BnF, lat. 9129, n° 45. BEC Besançon, Droz 19, fol. 358. ADD, 7E 1341 et 1B 214. BEC Besançon, Droz 19, fol. 324v ; ADD, 1B 214 (15) : acte du mardi après les Bordes 1349 a. st. (23 février 1350). On apprend par un acte du 1er avril 1350 ou 1351 qu’Horry Thibaut, sire d’Asuel (comm. La Baroche, Suisse, c. Jura, district Porrentruy), outre une rente de 200 l. estevenantes, bénéficie d’une assiette de 135 l. supplémentaires (non précisée), pour 675 l. qui lui sont dues au total par Jean de Chalon, tant pour ses services, ses frais, ses pertes de chevaux et ses arriérés de rente. Il annule de ce fait les lettres d’obligation qu’il en avait ; ADD, 7E 1318. Le même jour, il s’engage à restituer sa
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Une rotation de ces revenus s’opère certainement, car dès qu’il le peut, le sire de Chalon les récupère et les remplace par d’autres assignations190, à moins qu’il ne se réserve la possibilité de les racheter191. De la même façon que pour les rentes portant sur la part comtale des salines, leur paiement n’est pas toujours effectif : en 1359, Jean de Chalon doit à Henri de Vienne, sire de Mirebel, 1 000 l. estevenantes d’arriérés d’une rente de 140 l. en la saunerie192. Jean II s’assure aussi de la loyauté des détenteurs de places fortes : celle du sire de Joux, en 1336, comme on l’a déjà vu, mais aussi le château de Monts-en-Genevois en 1333193, celui de Montsaugeon en 1334194, le recept du château d’Oiselay en 1338195, les châteaux de la Muire et de la Motte (ou la Monte), la même année196, celui de Château-Vilain, en juin 1347, « jurable et rendable197 ». Le sire de Chalon dispose donc d’un réseau considérable de forteresses, qui viennent se rajouter à celles, déjà nombreuses, qu’il tient en propre, et dont le noyau se ramasse entre Lons-le-Saunier et Nozeroy. Le soutien de leurs détenteurs est parfois acheté, et comme beaucoup d’hommages, peut passer par un versement en espèces, telles les 200 l. accordées à Eudes de Montmartin pour le fief de son château en 1329198. Avec ce dernier et le recept d’Oiselay, Jean II s’est garanti des points de chute pour une éventuelle intervention au-delà du Doubs. Il a également pris position dans la vallée de la Loue en 1340, grâce aux recepts de Châtillon et de Voires, acquis contre 4 florins or199. En 1346,
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rente de 200 l. sur la saline pour 2 000 l., avec lesquelles il devra acheter une rente de même valeur. Il précise également que les 135 l. supplémentaires lui sont assignées à Salins, à raison de 35 l. sur les chauderettes et de 100 l. prises sur la rente de 300 l. que perçoit Jean de Chalon sur le communal. Cette nouvelle rente pourra être rachetée moyennant le versement des 675 l. dues ; ADD, 1B 227 (20) et 7E 1341 (copie moderne). Le 1er juillet 1347, Jean de Chalon donne à Huguenin et Humbert de Germigney 40 l. de rente, assignées sur le pontenage et le four de Rennes, à la place de 20 l. et 20 charges de sel de rente à prendre sur la saline de Salins ; BEC Besançon, Droz 19, fol. 324-324v et 339 ; ADD, 7E 1341 (copie moderne) ; ADD, 1B 219 (10 et 11). Par exemple pour la rente de Pierre de Faverney, de 20 l., rachetable moyennant 200 l. estevenantes, avec lesquelles le chevalier devra acquérir une autre rente, en accroissance de fief. Il en va de même pour les 10 l. perçues annuellement sur les chauderettes par Jean de Montrichard, pour 100 l. Le mécanisme est identique pour les rentes du sire d’Asuel, évoquées plus haut. BEC Besançon, Droz 19, fol. 418v. Non identifié. BEC Besançon, Droz 19, fol. 344. BEC Besançon, Droz 16, fol. 168v et Droz 19, fol. 67. Ce château, situé au sud-est du village de Crotenay, est repris en fief par Richard de Monnet, avec la ville de Crotenay (Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Champagnole). BEC Besançon, Droz 19, fol. 465. Oiselay-et-Grachaux, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Scey-sur-Saône-et-Saint-Albin. BEC Besançon, Droz 16, fol. 169. L’acte est en copie, plus claire que l’analyse de l’inventaire, sous la cote ADJ, 1F 304 (5). La reprise de fief est faite par Huguenin de Vuillafans, écuyer, avec Longeville, au diocèse de Lausanne et d’autres biens. Pour rappel, il tient déjà de Jean de Chalon-Arlay 10 l. de rente sur les salines de Salins. La Muire, comm. Domblans, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Poligny. BEC Besançon, Droz 18, fol.132v et Droz 19, fol. 480v. Château-Vilain, comm. Bourg-de-Sirod, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Champagnole. BEC Besançon, Droz 16, fol. 167v. BEC Besançon, Droz 19, fol. 389. Sans doute Châtillon-sur-Lison (Doubs, ar. Besançon, c. Saint-Vit). Voires, Doubs, ar. Besançon, c. Valdahon.
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Guillaume d’Éternoz lui a remis le château de Poupet pour 30 florins, lui fournissant ainsi un atout de plus afin de surveiller Salins lors du conflit avec le duc-comte200. Comme les sires de Neuchâtel, en effet, le sire d’Arlay monnaie l’acquisition des fidélités. Fin janvier 1334, Jean de Coublanc devient son homme pour le prix de 100 l. estevenantes201. Cette année-là, Pierre, sire d’Aremberg fait de même moyennant 500 florins or, en reprenant en fief, sans doute pour la forme, une rente de 20 l. assise sur ses alleux202. Le 30 mai 1337, Pierre dit Allemand devient son homme lige pour 20 l. de terres assises dans la châtellenie de Châtillon203. Le 16 avril 1339, Vauthier de Présilly prête hommage à Jean de Chalon, qui lui a donné 15 l. de terre, rachetables pour 150 florins204. Il s’assure aussi la vassalité de Guy Sénéchal, « sire de Morcenier (ou de Monterives) et du Dyene », par une rente viagère de 100 l. estevenante, le 3 janvier 1341205. En 1342, c’est Richard de Mailley qui entre dans la foi et hommage de Jean II pour 80 florins et la maison forte de Châtillon-en-Varais (Châtillon-sur-Lison)206. En 1348, le sire d’Arlay réalise deux donations de rentes, rachetables respectivement pour 100 et 500 l. : la première, perpétuelle, en faveur de Grand Jean, fils d’Alexandre de Mièges, d’une valeur de 12 l., à percevoir sur les tailles et les hommes de Molpré207 ; la seconde, viagère, en faveur de Pierre, comte d’Aremberg, à nouveau gratifié de 100 l., assignées sur les biens de Jean II à Jougne et à la Chaux d’Arlier208. Le 3 août 1357, ce dernier donne encore à Amiet, fils de Vauthier d’Andelot, écuyer, en raison de ses bons services, 15 l. de terre à tenir en fief de lui, à percevoir sur ses possessions de Gardebois (avoine, censes, amendes)209. Il achète les bonnes grâces d’Henri de Longwy, sire de Rahon, avec l’importante somme de 1 000 florins, la même année, et conclut un accord – inconnu – avec Thibaut de Blâmont, qui lui coûte encore 2 500 florins trois ans plus tard210. Jean de Chalon va en effet chercher loin ses partisans,
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BEC Besançon, Droz 20, fol. 101v. Poupet, comm. Saint-Thiébaud, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Arbois. BEC Besançon, Droz 14, fol. 87-87v et Droz 19, fol. 439v. BEC Besançon, Droz 14, fol. 87v et Droz 20, fol. 125v. BEC Besançon, Droz 16, fol. 355v. BEC Besançon, Droz 14, fol. 88 et Droz 19, fol. 423. Cet acte est recensé sous la cote ADJ 188, où il est daté de 1336, ce qui semble plus plausible en cette année de guerre, au vu des clauses de l’accord, selon lequel Vauthier de Présilly doit servir Jean de Chalon, avec un autre compagnon, « là où il le mandera et toutes fois qu’il sera mandé ». BEC Besançon, Droz 16, fol. 94 et Droz 19, fol. 422. On a davantage de précisions en ADJ 188 : Guy Sénéchal promet de servir Jean de Chalon « par tout lieu où il lui plaira et devant tous les autres ». Outre la rente viagère, il touchera 20 l. de gages « pour son corps » et 15 l. pour son compagnon, à compter du jour où il quittera sa maison. BEC Besançon, Droz 16, fol. 355-356v. BEC Besançon, Droz 18, fol. 154. Molpré, comm. Mièges. BEC Besançon, Droz 19, fol. 366v-367. BEC Besançon, Droz 18, fol. 8v. BEC Besançon, Droz 15, fol. 69v. Jean de Chalon doit en fait 6 000 florins au sire de Blâmont, dont le paiement est échelonné sur quatre ans ; août 1360, ADD, 1B 68 (1). Le 18 mai 1351, il avait déjà accordé à celui-ci une rente de 100 l. estevenantes sur les chauderettes de Salins, jusqu’au paiement de 1 000 l. perdues par le sire de Blâmont lorsqu’il s’est porté caution pour Henri de Faucogney d’une dette envers Brocard de Fénétrange, lequel Henri était lui-même garant de Jean de Chalon ; ADD, 1B 262 (29). Cette dette de Jean II, dont nous ne connaissons pas le montant, contractée auprès de celui qui
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notamment lors de la guerre de 1346 : il verse cette année-là, le lundi après la SaintMartin (13 novembre), alors que s’ouvrent les hostilités, 1 000 florins au comte de Fribourg211. On ne sera pas surpris de le voir dans le même temps dresser l’état de ses troupes en recensant ses vassaux, dans une série de petits actes dont nous n’avons pas le détail. On sait simplement qu’ils ne précisent pas la nature de leurs fiefs, ce qui corrobore leur valeur purement circonstancielle212. Et là encore, il rémunère les services : l’écuyer Renaud de Germigney s’engage à le servir dans ce conflit pour la somme de 10 florins213, Renaud de Quingey fait de même214. On ne sait si les 50 écus d’or versés à Jean de Poligny, chevalier, sur les 200 dûs « pour certaine cause », le mardi après Noël 1346 (26 décembre) viennent remercier pareil soutien215. Jean II de Chalon-Arlay a donc consacré des sommes importantes au ralliement d’appuis militaires et politiques. Si l’on additionne les seuls chiffres dont nous disposons, en suivant Maurice Rey, pour qui s’est fixé le rapport 1 florin égale 15 s. estevenants216 – et en convertissant les rentes à leur valeur de rachat – il aurait déboursé entre 1329 et 1360 près de 5 000 l. pour se gagner des fidèles ! Ce chiffre correspond à peu près à la valeur totale des emprunts et des ventes réalisés par Jean II sur la même période, grossièrement comprise entre 5 500 et 6 000 l. estevenantes. Son budget est donc considérable, à la mesure de l’ampleur de sa domination foncière. On comprend pourquoi le duc-comte avait affaire à forte partie… Fort heureusement pour lui, l’autre branche de la famille de Chalon, de puissance comparable en Franche-Comté bien que légèrement moindre, ne lui a pas donné de fil à retordre, et il a pu globalement compter sur sa fidélité. b. Chalon-Auxerre217
L’ascendance des comtes d’Auxerre est prestigieuse, remontant à Jean de Chalon l’Antique par son fils aîné du deuxième lit, Jean, sire de Rochefort. Ce dernier est deviendra, en 1354, et sous l’égide de l’empereur Charles IV, lieutenant du comte de Wurtemberg pour le gouvernement du duché de Lorraine (M. Parisse, Encyclopédie illustrée de la Lorraine. Austrasie, Lotharingie, Lorraine, Presses universitaires de Nancy, Éditions serpenoises, 1990, p. 205 et 211), a aussi été cautionnée par Thierry, sire de Lavoncourt (Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Dampierre-sur-Salon). Ce dernier, débiteur de 200 royaux d’or auprès de Brocard de Fénétrange, et pensionné par Chalon de 100 l. annuelles sur sa part des chauderettes de Salins, quitte Jean II du total le 9 octobre 1352 ; ADD, 1B 262 (31). 211 BEC Besançon, Droz 15, fol. 68 et ADD, 7E 1306. S’agit-il de Fribourg en Suisse ou de Fribourg-enBrisgau ? Nous penchons plutôt pour la deuxième solution, car Jean de Chalon bénéficie de l’appui de troupes allemandes lors du conflit. 212 BEC Besançon, Droz 14, fol. 89. 213 BEC Besançon, Droz 15, fol. 67v. 214 Le jour de la circoncision N.-S. 1346 a. st. (1er janvier 1347). ADD, 7E 1306. 215 ADD, 7E 1306. 216 M. Rey, « La monnaie estevenante… », art. cit., p. 56. 217 Voir cartes 10 et 11 en annexe. Nous reprenons dans cette partie des éléments de notre article : S. Le STRAT-Lelong, « Pour une étude de Jean II de Chalon-Auxerre dans le Jura sud (deuxième tiers du XIVe siècle) », Travaux de la Société d’émulation du Jura. Jura, histoire et actualités 2016, Lons-le-Saunier, 2017, p. 143-160.
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possessionné, par les dernières volontés de son père, dans le sud de l’actuel département du Jura, à la limite de l’Ain : il emporte Vernantois218, Orgelet, Saint-Julien219 et Chavannes220. S’estimant lésé, il exige de son neveu le comte Othon IV un surplus de part, qu’il obtient en 1269, avec Arinthod, Oliferne, Boutavant221 et la motte de Conflans222. Dix ans plus tard, Renaud de Bourgogne demande sa part d’héritage à son frère, qui lui attribue dans la région Montfleur, Dramelay, Pimorin, Marigna, Montaigu, Sellières, Le Pin et Binans223. Le sud du Jura devient alors un champ d’affrontement entre l’oncle et le neveu, qui ont embrassé des partis opposés dans la lutte entre le roi de France Philippe IV et la noblesse comtoise. Le mariage, en 1317, entre la fille de Renaud, Alix de Montbéliard, et le petit-fils de Jean de Chalon-Rochefort, Jean II, comte d’Auxerre, met un terme final à ces rivalités224, et consolide les positions de la branche de Chalon-Auxerre dans la région, lui apportant Dramelay, Montfleur, Binans, Marigna, tandis que Pimorin, Vernantois, Montaigu et Le Pin revenaient à la maison de Sainte-Croix par Marguerite de Montbéliard, sœur puinée d’Alix225. Mais Jean II de Chalon-Auxerre, à qui son mariage a ouvert un droit à la succession d’Othenin de Montbéliard, par ailleurs fort compliquée226, ne se contente pas de sa portion. C’est apparemment le motif du litige qui l’oppose un temps à Hugues de Bourgogne227 – alors administrateur du comté de Montbéliard pour son neveu Othenin – et qui se termine par le don perpétuel, en 1329, de 440 l. de rente sur la saline de Salins (sur la partie de la reine Jeanne, perçue par sa mère la comtesse Mahaut) assorti de « Chastel-Roillard228 », dont Hugues se ménage cependant
218 Vernantois, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Lons-le-Saunier-2. 219 Comm. Val-Suran, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Saint-Amour. 220 Comm. Nivigne et Suran, Ain, ar. Bourg-en-Bresse, c. Saint-Étienne-du-Bois. 221 Oliferne, comm. Vescles, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Moirans-en-Montagne ; Boutavant, idem. 222 Comm. Corveissiat, Ain, ar. Bourg-en-Bresse, c. Saint-Étienne-du-Bois. 223 Binans, comm. Publy, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Poligny. 224 En 1305, une paix a été conclue entre Jean de Chalon-Auxerre et Renaud de Montbéliard, par la médiation d’Hugues de Bourgogne et du comte de Savoie, sur la base d’un double mariage. C’est alors Marguerite de Montbéliard qui est promise à Jean II, tandis que la sœur de ce dernier doit épouser Othenin de Montbéliard ; ADD, 1B 22. Remarquons que Jeanne de Chalon-Auxerre s’unira fialement à Robert de Bourgogne, frère du duc Eudes IV, à qui elle apportera le comté de Tonnerre. Les hostilités ont dû se prolonger, puisque ce n’est qu’en 1316 que l’archevêque de Besançon accorde une dispense de parenté entre Jean II et Alix de Montbéliard, fiancés, afin de mettre un terme aux guerres désolant le comté et de réconcilier les deux parties ; ADD, 1B 23. 225 H. de Faget de Casteljau, « Les démembrements de la seigneurie de Dramelay (xiie-xiiie siècles) », Société d’Émulation du Jura. Travaux présentés par les membres de la société en 1983 et 1984, Lons-le-Saunier, 1985, p. 54. 226 Voir première partie, chapitre i. 227 En 1323, les deux hommes passent un traité : Jean II désavoue les entreprises de ses gens de Rochefort sur les terres d’Hugues (qui n’ont sans doute pas été commises par hasard…) ; moyennant quoi, Hugues de Bourgogne s’engage à lui remettre le château de Montaigu, au titre de sa quote-part d’un cinquième à valoir sur le comté de Montbéliard, à laquelle il avait droit par sa femme Alix ; ADD, 1B 402. La reine Jeanne autorisera en effet le comte d’Auxerre à reprendre le château de Montaigu en fief d’Hugues ; ADD, 1B 335, fol. 102v. 228 Jules Gauthier, dans son inventaire de la série 1B des archives départementales du Doubs, a traduit ce nom par « Château-Rouillaud », une maison forte que l’on peut voir encore sur la commune de
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l’usufruit229. L’affaire n’est pas terminée pour autant et donne lieu à quelques escarmouches. Mais dans l’ensemble, le duc-comte peut s’appuyer sur le soutien inconditionnel de Jean II de Chalon-Auxerre, dont la sœur Jeanne, comtesse de Tonnerre, a épousé Robert de Bourgogne († 1336), frère du Capétien. Par exemple, le mardi après Noël 1337, il promet au duc sa médiation au cas où ses beaux-frères de Flandre et du Dauphiné lui feraient des réclamations230. Contemporain d’Eudes IV et de Philippe de Rouvres, il joue donc un rôle politique non négligeable dans la construction de la principauté comtoise, ne serait-ce que par la position frontalière qu’il occupe au sud du Jura, aux confins de la Bresse et du Bugey savoyards. Il peut s’appuyer dans cette zone sensible sur un très solide réseau vassalique. Mais l’identification de cet acteur de premier plan est néanmoins sujette à caution… Jean II de Chalon-Auxerre, un personnage controversé
Les historiens ne sont pas d’accord sur l’identité de ce personnage. Avons-nous affaire à un seul homme ou bien au père et au fils ?231 Selon les chroniqueurs, Jean II serait tombé en 1346 à Crécy. Il aurait été reconnu parmi les morts laissés sur le champ de bataille par le héraut d’armes du roi d’Angleterre. Telle est en tout cas la version de Froissart, reprise par Jean le Bel. C’est celle que suit l’abbé Lebœuf dans son histoire d’Auxerre232. Elle n’est apparemment pas cohérente avec les documents qui nous sont parvenus, et depuis A. Rousset, il semble communément admis que Jean II a survécu jusqu’en 1361 ou 1362, date à laquelle son fils Jean III prend le gouvernement du comté d’Auxerre, tandis que les seigneuries comtoises de Rochefort et de Châtelbelin reviennent à son autre fils Tristan.
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Pesmes. Mais on peut se demander s’il s’agit bien de ce château, en raison de son éloignement, et de son appartenance vraisemblable aux sires de Pesmes. Il existe aussi Châtel-Rouillaud, sur la commune d’Arc-et-Senans, qui nous semble mieux convenir. Le 25 décembre 1332, Poncet le Chaissaignat, écuyer, reprend Château-Roillard en fief de Jean de Chalon-Auxerre, comme il le tenait d’Hugues de Bourgogne à sa mort ; ADD, 1B 335, fol. 92. Le 23 juin 1340, Jean de Vienne, seigneur de Bousselange (Côte-d’Or, ar. Beaune, c. Brazey-en-Plaine), fait hommage pour ce château à Jean de ChalonAuxerre, comme ses prédécesseurs, jurable et rendable contre tous sauf contre Guillaume de Vienne, sire de Saint-Georges ; ADD, 1B 434 (1). ADD, 1B 214 (3), octobre 1329. La reine Jeanne consent immédiatement à cette donation le samedi après la Saint-Michel ; ADD, 1B 214 (4). La rente de 440 l. sur la saunerie et Château-Roillard devaient au départ revenir au comte de Bourgogne après le décès d’Hugues de Bourgogne ; ADD, 1B 335, fol. 100v. Il est possible qu’Eudes IV les ait un temps récupérés, comme le laisse penser le fait qu’il mette à nouveau le comte d’Auxerre en possession de la rente sur les salines, léguée par Hugues, le 31 décembre 1337 ; ADD, 1B 262 (2). Cette donation peut porter à contestation puisque Jean de ChalonAuxerre s’engage alors à la garantir en cas de réclamations du comte de Flandre ou de la dauphine. Ces derniers sont en effet ayant droits à la succession d’Hugues de Bourgogne. BnF, N.a.f. 19 909, fol. 937. P.-F. Chalon et J.-P. Beau, Histoire de la maison de Chalon…, op. cit., suivent A. Rousset, selon lequel Jean II, contemporain d’Eudes IV, serait mort en 1361. On confondrait donc son fils Jean III avec lui en considérant que Jean II est mort en 1346 à Crécy, ainsi que le rapporte Froissart. J. Lebeuf, Mémoires concernant l’histoire civile et ecclésiastique d’Auxerre et de son ancien diocèse, t. III, Auxerre, Perriquet et Rouillé, Paris, Dumoulin, 1855.
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Nonobstant ces passionnantes énigmes, l’ensemble documentaire est néanmoins très riche et permet une étude relativement fine du domaine comtois de Jean II de Chalon-Auxerre. Il met en lumière le rôle capital qu’il a joué dans l’histoire de la période, et avec lui les possessions du Jura sud. Jean II de Chalon-Auxerre, cheville ouvrière de la Franche-Comté bourguignonne
Jean II de Chalon-Auxerre a succédé à son grand-père Jean Ier, fils de Jean de Chalon l’Antique, en 1309. Encore mineur, il a été placé sous la tutelle momentanée du comte de Flandre tandis que l’archevêque de Besançon, son grand-oncle Hugues de ChalonChalon (de) Hugues, archevêque de Besançon, prenait en charge la gestion de ses biens comtois, assisté de trois subrogés tuteurs233. La disparition en pleine jeunesse de son fils Guillaume234 a obligé le vieux Jean Ier à prendre des dispositions pour assurer une régence sereine. Il redoutait sûrement les problèmes qui pourraient naître de revendications de la part des autres branches issues des comtes de Bourgogne, particulièrement de celle d’Arlay. C’est pourquoi il a choisi en 1307 de se placer sous la protection du duc de Bourgogne Hugues V. Il lui a prêté un serment de fidélité que lui ont renouvelé après sa mort les tuteurs Hugues de Neublans et Jean de Présilly, sur ordre exprès de l’archevêque235. Lors de la réunion des deux Bourgognes en la main d’Eudes IV en 1330, Jean II de Chalon-Auxerre se retrouve donc en porte à faux entre deux suzerains d’intérêts divergents, le duc-comte et Jean de Chalon-Arlay, qui est aussi son plus proche voisin en Comté. Les vassaux des deux branches concurrentes sont donc bien souvent les mêmes hommes, d’où l’enjeu majeur que constitue le réseau vassalique de Jean de Chalon-Auxerre pour le duc en cas de conflit ouvert avec les barons comtois. On comprend mieux dès lors que le seigneur de Rochefort et de Châtelbelin ait préféré conserver une prudente neutralité lors de l’affrontement de 1336. Un engagement personnel aurait mis le sud jurassien à feu et à sang et déchiré très profondément toute la petite noblesse de la région. Sans compter les liens de cousinage qui unissent les deux familles de Chalon, mis en avant pour justifier le refus de service aux côtés d’Eudes IV236. Le problème spécifique de la région, où les liens vassaliques sont plus enchevêtrés que partout ailleurs du fait du partage qui s’est opéré jadis entre les descendants de Jean de Chalon l’Antique, créateur du réseau, est bien réel : la mère de Jean de Chalon-Arlay, Béatrice de Viennois, choisit elle aussi la neutralité pour son château de Cuiseaux237. Elle aurait pourtant toutes les raisons d’épouser le parti des mécontents de par ses liens de parenté avec le dauphin de Viennois, un temps allié de son cousin d’Arlay. Mais elle tient un fief ducal et la zone, au pied du Revermont, à la frontière de la Bresse, est particulièrement sensible. Le réseau
233 P.-F. Chalon et J.-P. Beau, Histoire de la maison de Chalon…, op. cit., p. 101 ; ADD, 1B 44 (2), fol. III. 234 Il tombe à la bataille de Mons-en-Pévèle en 1304. 235 ADD, 1B 44 (2) fol. II (1307) et fol. IV (1310). 236 E. Petit, Histoire…, op. cit., t. VII, p. 154. 237 ADCO, B 11 721, cité par E. PETIT, Histoire…, op. cit., p. 153.
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des petits fieffés s’y complique encore du fait de la proximité des possessions savoyardes238. Jean de Chalon-Auxerre, dont certaines des possessions à la limite de l’Ain et du Jura actuels relèvent du comté de Savoie239, et qui prête hommage au duc de Bourgogne pour des fiefs bressans240, est en effet de ce fait une cheville ouvrière active dans les relations entre Bourgogne et Savoie. La bonne entente traditionnelle des deux principautés241, réactivée par un traité d’alliance offensive et défensive le 19 mars 1331242, minore de beaucoup les conséquences du non-interventionnisme de Chalon-Auxerre à cette période. Il a marié l’une de ses filles avec un membre de cette maison243, il est lui-même le fils d’Éléonore de Savoie, et il s’est largement illustré dans les années 1320 au sein du parti savoyard alors en guerre contre le dauphin de Viennois. Celui-ci, ayant fait barrage à la dynamique expansive du comte de Savoie en direction de sa principauté, a lourdement rançonné Jean de Chalon-Auxerre. Fait prisonnier au siège de Varey le 7 août 1325 en même temps que Robert de Bourgogne244 et le sire de Beaujeu245, il reste captif trois ans jusqu’à ce que le roi négocie sa mise en liberté sous caution moyennant une rançon de 50 000 l. tournois246. Il n’en reçoit définitivement quittance que le 9 novembre 1335247. Le combat lui a coûté très cher248, sans compter les indemnités dues à ses serviteurs pour les défrayer ou couvrir leurs 238 À titre d’exemple, le château de Rosy, sur la commune actuelle de Nivigne et Suran, appartient à Fromond de Lomont. Il en prête hommage au comte d’Auxerre, hommage lige sauf sa fidélité à Proudon de Varax. Il est impossible au comte d’Auxerre de savoir s’il peut compter sur cet homme en cas de guerre, pour la bonne raison que l’autre suzerain de ce dernier peut choisir entre pas moins de quatre fidélités, toutes liges, paradoxalement : celle du seigneur de Châtelbelin, celle du comte de Savoie, celle du seigneur de Villars, et enfin celle du sire de Présilly ; ADD, 1B 335, fol. 90. 239 Chavannes-sur-Suran, avec l’hommage des détenteurs des châteaux de Rosy et de Lomont. Ceux-ci contrôlent la passe stratégique qui, traversant le mont Nivigne, ouvre le chemin des premiers plis jurassiens en remontant depuis la Bresse et permet d’éviter Treffort, aux mains du comte de Savoie. 240 Les domaines de Sergenaux ( Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Bletterans), Sergenon (idem), La Marche (Lamarche-sur-Saône, Côte-d’Or, ar. Dijon, c. Auxonne) et Lessard (Lessard-en-Bresse, Saône-etLoire, ar. Chalon-sur-Saône, c. Ouroux-sur-Saône) ; ADD, 1B 44 (2) fol. V (1311). 241 Blanche, soeur du duc Eudes IV, est mariée au comte de Savoie Édouard le 17 octobre 1307 ; U. Plancher, Histoire…, op. cit., t. II, preuve CXXXV sq, cité par E. Petit, Histoire…, op. cit., t. VII, p. 5. 242 « Pour maintenir la bone amour qu’a esté par les tems passez ça en arriers entre les ducs de Borgoigne et les comtes de Savoye ». Cité par E. Petit, Histoire…, op. cit., t. VII, p. 136, d’après U. Plancher, Histoire…, op. cit., t. II, preuve CCLI. 243 Marguerite de Chalon a épousé Jean de Savoie, sire de Vaud, en 1334 ; ADD, 1B 25 et B 214 (6) : traité de mariage du 14 mars et supplément de dot du 22 août. 244 Son beau-frère et frère d’Eudes IV. 245 P.-Fr. Gacon, Histoire de la Bresse et du Bugey…, op. cit., p. 153-155. 246 Le 19 juillet 1328 ; ADD, 1B 534. 247 ADD, 1B 40 (8). 248 On trouve aux Archives du Doubs une « facture » des frais occasionnés par la guerre de Varey, peutêtre un brouillon de texte destiné à une réclamation à présenter soit au duc de Bourgogne, soit au comte de Savoie. En additionnant les sommes partielles, ce qui n’a pas été fait dans le document, on obtient un total de 2 144 l. tournois, sans compter 2 000 l. parisis pour les reliques, pierreries et autres objets précieux perdus avec les quatre sommiers à dos desquels ils voyageaient ; ADD, 7E 2773.
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pertes249. Outre l’argument financier, qui est de poids puisque certaines dettes courent toujours en 1354250, l’expérience avait montré à l’occasion de cette guerre dite « de Varey », les répercussions dramatiques d’un tel conflit en Bresse-Revermont. Jean de Chalon-Arlay a épousé le parti du dauphin251 et, les rivalités régionales faisant le reste, les vassaux de Jean de Chalon-Auxerre se sont engagés dans une guerre locale sur laquelle nous manquons d’informations252. L’alliance avec la Savoie n’est malheureusement pas non plus toujours compatible avec de bonnes relations de voisinage entre le seigneur de Châtelbelin et le sire de Thoire-Villars, qui enserre les territoires du premier par l’ouest et le sud253. L’entente cordiale avec celui qui est l’un des maîtres de la Dombes et du Bugey est soigneusement entretenue. Elle remonte à Jean de Chalon l’Antique : « monseigneur le Grand » avait convenu avec son voisin « le grand seigneur de Villars » de se remettre mutuellement les malfaiteurs de leurs terres « qui seroient pris de cay et de lay254 ». La frontière entre les possessions de l’un et de l’autre avait été fixée au milieu du village d’Oliferne255. Mais le jeu des alliances complique leurs relations : le sire de Thoire-Villars, en 1331, se réserve la possibilité de faire allégeance au dauphin, alors en conflit avec le duc de Bourgogne256, et il se trouve lui aussi dans une position de pivot entre les deux principautés257. C’est pourquoi le meilleur gage de paix que l’on put trouver pour le sud de la Franche-Comté à l’avènement du pape Clément VI fut
249 Le 2 juillet 1329, Jean de Chalon-Auxerre, de retour de captivité, reconnaît devoir à Jean de Toulouse 465 l. tournois au total pour ses frais de guerre et ses pertes. Il est dans l’obligation de lui concéder le château de Boutavant jusqu’à remboursement de cette somme ; ADD, 1B 425 (16). 250 Le 12 mars 1354 est renouvelée une obligation de 160 l. tournois au profit de l’écuyer Pierre de Montaigu qui a perdu un cheval, un sommier et une armure au siège de Varey. Près de trente ans après les faits, Jean II de Chalon-Auxerre espère toujours pouvoir reporter cette dette sur le comte de Savoie ; ADD, 1B 67 (4-5). 251 Il intervient aux côtés du dauphin de Viennois lors du siège de Varey (P.-Fr. Gacon, Histoire de la Bresse et du Bugey…, op. cit., p. 154). 252 Du 17 juillet au 4 août 1325, donc à la veille du désastre de Varey, huit seigneurs de Bresse-Revermont quittent de tous dommages Simon de Côtebrune et son parti en vertu d’une trêve de cent ans passée entre le comte de Savoie et le comte d’Auxerre, d’une part, et Jean de Chalon-Arlay d’autre part, devant l’official de Lyon, sous la caution morale de Béatrice de Viennois ; ADD, 7E 1318. 253 Les sires de Thoire-Villars ont réuni deux seigneuries, autour de Thoirette (comm. Thoirette-Coisia, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Moirans-en-Montagne), dans la vallée de l’Ain, et de Villars-les-Dombes (Ain, ar. Bourg-en-Bresse, ch.-l. c.) ; P.-Fr. Gacon, Histoire de la Bresse et du Bugey…, op. cit., p. 45-46. Ils possèdent de nombreux châteaux en Bugey septentrional et en Dombes. Chacun de ces deux territoires réunit une demi-douzaine de châtellenies ainsi qu’une quarantaine de vassaux notables ; B. Demotz, Le comté de Savoie du xie au xve siècle : pouvoir, château et État au Moyen Âge, Genève, Éd. Slatkine, 2000, p. 246-247. 254 ADD, 1B 335, fol. 103v. 255 Cette limite sépare aujourd’hui le Bugey de la Franche-Comté ; P.-Fr. Gacon, Histoire de la Bresse et du Bugey…, op. cit., p. 51. 256 Il conclut un traité de défense mutuelle avec le seigneur de Beaujeu, contre tous sauf le dauphin et l’archevêque de Lyon (ibid., p. 69). Il était allié du dauphin lors de la guerre de Varey (ibid., p. 155). 257 Il est à la fois vassal du dauphin et du seigneur de Sainte-Croix, fidèle du duc de Bourgogne (ibid., p. 68). Il sert aussi d’intermédiaire entre Jean de Chalon-Auxerre et les seigneuries savoyardes. On le voit se porter garant pour l’abbé de Saint-Oyend et des seigneurs du Bugey en 1353 ; ADD, 1B 36.
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d’unir Humbert VI de Thoire-Villars et Béatrice, fille de Jean de Chalon-Auxerre. Dans la dispense accordée pour l’occasion, le pape précise d’ailleurs que cette démarche a pour vocation de rétablir la paix. C’est l’archevêque de Lyon Guy de Boulogne, oncle par alliance de l’héritier d’Eudes IV, qui la transmet aux intéressés258. La dot de Béatrice permet de créer une zone tampon sur la frontière du Revermont, du Bugey et de la Bresse : elle consiste en la seigneurie de Montgefond259, dont relèvent trente vassaux qui tous doivent prêter hommage à leur nouveau seigneur sur ordre de Jean de Chalon-Auxerre en juillet 1342260. Trois châteaux comtois passent ainsi sous le contrôle d’Humbert de Thoire-Villars : Montgefond, Montdidier261 et Vaugrineuse262 forment un triangle protecteur au nord-ouest de la vallée de l’Ain au-dessus de Thoirette. Un cadeau de prix pour la paix. À bien des égards, Jean de Chalon-Auxerre apparaît en effet comme un médiateur. Comment ne pas penser que le Galois de la Baume, seigneur de Valfin263 et son homme lige264, agit sur ses ordres ? Or ce personnage de premier plan se montre très actif dans les affaires savoyardes, justement. Son fils Guillaume soutient la candidature du comte de Savoie à la succession du Dauphiné en 1343, et intervient activement par la suite pour trouver un accord entre les deux principautés, une fois celui-ci dévolu au fils du roi de France, le futur Charles V265. Mais en attendant, dans les différents entre la Savoie et le Dauphiné, le comte d’Auxerre a choisi le parti français. Dès la conclusion du traité, il signe lui-même avec le dauphin de Viennois une alliance offensive et défensive contre le comte de Savoie et le seigneur de Beaujeu le 25 juillet 1349266. Avec les bourguignons, il a changé de cap, suivant toujours le roi de France pourtant267. L’accord de 1342 avec Humbert de Thoire-Villars était donc destiné à préparer le terrain de la succession dauphinoise. Les affinités entre Jean II et le royaume de France sont donc patentes : outre sa charge de bouteiller du roi, le comte d’Auxerre a pu à plusieurs reprises compter sur le soutien du monarque. Jean le Bon intervient par exemple en
258 Le 11 juin 1342 ; ADD, 1B 25. Le contrat de mariage est établi le 29 juin, la cérémonie a lieu le 30 ; ADD, 1B 471 (11-12). 259 Comm. Vosbles-Valfin, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Moirans-en-Montagne. 260 L’ordre de prêter hommage au seigneur de Villars est en date du 2 juillet 1342. La grande majorité des vassaux s’exécutent le 31 du même mois, sauf le sire de Vaugrineuse et sa mère qui attendent le 11 novembre ; ADJ, E 647. 261 Comm. Aromas, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Moirans-en-Montagne. 262 Comm. Cornod, idem. Jean de Vaugrineuse prête hommage le 11 novembre 1342 pour la « maison forte » de Vaugrineuse dite « en la motte » ; ADJ, E 647. 263 Comm. Vosbles-Valfin, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Moirans-en-Montagne. 264 ADD, 1B 335, fol. 85. 265 Le sire de Villars et son frère l’archevêque de Lyon parviennent à imposer Charles de Valois le 16 juillet 1349. Un traité limite définitivement les deux provinces le 5 janvier 1355 (P.-Fr. Gacon, Histoire…, op. cit., p. 73 et 167). 266 ADD, 1B 41. 267 Ce qui n’est pas sans avantages pour lui : il reçoit du dauphin le château de Montrigaud (comm. Valherbasse, Drome, ar. Valence, c. Drôme des collines) et 500 l. de rente le 7 août 1349 ; ADD, 1B 534 (11-12). Il a cependant beaucoup de peine à faire valoir ses droits. En 1361, il n’a encore eu ni le château, ni la rente, et se trouve dans l’obligation de les réclamer pour pouvoir assurer ses frais de captivité en Angleterre ; ADD, 1B 534 (15-16-17).
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septembre 1354 pour régler le conflit qui l’oppose à l’abbé de Saint-Oyend268. Son père avant lui s’était interposé dans un différend survenu entre Jean II et l’un de ses vassaux, Guillaume d’Antigny, seigneur de Sainte-Croix, très riche d’enseignement quant à sa puissance et à sa conception de ses droits en Franche-Comté269. Le réseau féodal de Jean II
L’emprise féodale de Jean II nous est bien connue grâce d’une part aux reprises de fiefs conservées dans le trésor des chartes des Archives départementales du Doubs, et d’autre part au cartulaire de Châtelbelin270, présenté dans les sources. Ce cartulaire constitue un document de premier plan pour l’étude des seigneuries comtoises de Jean II de Chalon-Auxerre, qui en a de toute évidence été l’instigateur. Nous avons choisi d’étudier ses vassaux en suivant une approche géographique. Et contrairement à ce que pourrait laisser penser le titre donné au cartulaire, la région de Salins est loin d’être la plus représentée. Dans la ville elle-même, on ne peut relever qu’un fief, assez important, tenu par Guillaume Mareschauz de Salins, écuyer. Il consiste en plusieurs maisons, des vignes, des bois et des terres, de nombreux cens sur des maisons, mais curieusement, très peu de rentes en sel271. Son hommage est daté du 2 mars 1336, il serait mort en 1348. Sa famille est par ailleurs connue à Salins depuis le xiiie siècle272. Non loin de là, les droits de suzerain de Jean II de Chalon-Auxerre s’étendent sur une partie de la vallée de la Loue : à Montfort, fief du sire d’Antigny273 ; à Liesle, où l’écuyer Philippe de Liesle reprend de lui en fief lige, pour 30 l. estevenantes, son domaine du lieu le lundi après la Saint-André (6 décembre) 1344274 ; à Villers-Farlay, où tient fief lige Jean, sire de Montfaucon275 ; à Cramans276, où Guillaume, sire de Vaulgrenant, écuyer, reprend de la même façon 20 l. de terre277 ; à Chamblay, enfin, où le sire d’Oiselay possède le château de Clairvent278, que la veuve d’Étienne d’Oiselay,
268 ADD, 1B 36. 269 L’affaire a été étudiée par H. de Faget de Casteljau, « En marge d’un rattachement de cœur à la France. Philippe VI et l’affaire de Châtelmaillot (1345) », Académie des sciences, belles-lettres et arts de Besançon. Procès-verbaux et mémoires, 183 (1978-1979), p. 275-306. 270 ADD, 1B 335. 271 Seulement un quart de quartier de muire en la chauderette, et un quartier et demi au puits du BourgDessous ; ADD, 1B 335, fol. 95v. 272 J.-T. de Mesmay, Dictionnaire…, op. cit., t. II, p. 311. 273 ADD, 1B 335, fol. 100. Montfort, comm. Le Val, Doubs, ar. Besançon, c. Saint-Vit. 274 ADD, 1B 360 (10). Ce domaine se compose d’une maison de pierre entourée de vergers, avec une vigne derrière, le tout rapportant 100 s. par an au maximum, du tiers des quarts des vins pour une valeur annuelle de 40 s., et du grand pré de Liesle, valant 4 l. par an. Le personnage est connu par ailleurs par son testament du 15 mai 1364. Détail piquant relevé par J.-T. de Mesmay (Dictionnaire…, op. cit., t. II, p. 232), il aurait été « affligé d’un tel embonpoint qu’il ordonn[a] que ses restes mortels ne soient pas présentés à l’église Saint-Anatoile de Salins ». 275 Le 4 mai 1333 ; ADD, 1B 335, fol. 92. 276 Cramans, Jura, ar. Dole, c. Mont-sous-Vaudrey. 277 ADD, 1B 335, fol. 93, 17 mars 1333. Le château de Vaulgrenant est situé sur la commune de Pagnoz ( Jura, idem). 278 ADD, 1B 335, fol. 94, 25 septembre 1335. Chamblay, Jura, idem.
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Marguerite de Rougemont, vend à Jean II le 13 octobre 1341279. Autre ancien fieffé de la haute noblesse dans ce val louois : Jean de Vienne, qui y tient Ounans280, ainsi que le recept de tous ses châteaux, contre tous sauf contre son frère Philippe281. Remarquons au passage que Philippe de Vienne, sire de Pymont, est l’un des plus notables vassaux comtois du sire de Châtelbelin. Le 26 novembre 1344, il reprend de lui, comme ses devanciers, les châteaux de Commenailles, Saint-Laurent, et la baronnie de Chevreaux avec ses fiefs, le tout doublé de la garde de l’abbaye du Miroir282. Ceci nous amène à parler du sud jurassien, véritable chasse-gardée de Jean de Chalon-Auxerre. Il n’est pas un secteur qui y échappe à son contrôle de suzerain, depuis le premier pli surplombant la Bresse, à l’ouest, jusqu’à la haute vallée de l’Ain, à l’est, en passant par la Petite Montagne. Le long de l’importante voie de communication qui court au pied de la corniche du Revermont, les sires de Coligny, Saint-Amour et Beaufort sont ses vassaux, même si on ne sait pas toujours ce qu’ils tiennent de lui283. Si la place de Cuiseaux est aux mains de Jean de Chalon-Arlay284, ceci est compensé par l’hommage de Philippe de Vienne pour Chevreaux, dont le château contrôle les environs. Autre position éminente au sud de la précédente, dominant la Bresse à la hauteur de Saint-Amour : l’Aubépin, le château et la ville, tenus en fief par le sire du lieu avec divers arrière-fiefs285. 279 ADD, 1B 441 (1). Elle s’en réserve l’usufruit, mais trois ans plus tard, le 12 septembre 1344, Jean de Chalon-Auxerre renonce à ce don s’il décède avant elle ; ADD, 1B 441 (2). Il est possible qu’Oiselay lui-même soit un fief de Jean II, le texte est ambigu : en effet, le lundi devant la Saint-Michel 1335, à la maison des Cordeliers de Lons-le-Saunier, Jean, sire d’Oiselay, entre dans la foi et l’hommage « lige sans exception » de ce dernier, à charge de déclarer son fief à Rochefort dans les 40 jours. « Et messire li cuens mit en possession par la tradition d’un gan ledit Jehan dou fie d’Oyseler et des appartenances » ; ADD, 1B 335, fol. 95. 280 ADD, 1B 335, fol. 100v. Ounans, Jura, ar. Dole, c. Mont-sous-Vaudrey. 281 ADD, 1B 335, fol. 101. 282 ADD, 1B 439 (9). Commenailles, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Bletterans. Saint-Laurent-la-Roche, comm. La Chailleuse, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Moirans-en-Montagne. Chevreaux, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Saint-Amour. Le Miroir, Saône-et-Loire, ar. Louhans, c. Cuiseaux. Le 12 décembre 1345, Commenailles donne l’occasion d’une nouvelle reprise de fief, lige, qui tient compte de la part de son neveu Huguenin ; ADD, 1B 442 (1). Chevreaux fait également l’objet d’un nouvel hommage, lige et rendable, que rend Philippe de Vienne en compagnie de son fils Guyot le 18 janvier 1346 ; ADD, 1B 439 (11). Il est important de souligner que ce seigneur tient aussi une importante partie de son patrimoine en fief de Jean de Chalon-Arlay, et a lui-même de nombreux vassaux. Se reporter à Pymont, la forteresse oubliée. xiiie-xve siècle. Entre les Vienne et les Chalon, J.-Cl. Jeanjacquot (éd.), Lons-le-Saunier, Centre Jurassien du Patrimoine, 1993. 283 Dans l’inventaire des titres de 1331 sont notés sans plus de précisions les fiefs de la dame de Coligny (ADD, 1B 335, fol. 102), du sire de Saint-Amour (ibid., fol. 85 et 101v), et de Guy de Beaufort, « en deux lieux » (ibid., fol. 100v). Dans cette dernière famille, Étienne de Beaufort, écuyer, fils de Pierre de Beaufort, chevalier, a reçu en fief lige du comte d’Auxerre une maison au bourg d’Orgelet, ayant jadis appartenu au défunt prévôt (ibid., fol. 96, le 2 mars 1336). 284 Jean de Chalon-Auxerre a néanmoins un vassal à Cuiseaux, messire Guy le Buedre ; ADD, 1B 335, fol. 88. 285 ADD, 1B 335, fol. 85, 102. L’Aubépin, comm. Les Trois Châteaux, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. SaintAmour. Le 16 mars 1351, l’écuyer Guiot de l’Aubépin fait un hommage lige pour ses possessions à Curny (comm. Montagna-le-Reconduit, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Saint-Amour) ; ADD, 1B 335, fol. 98.
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Le long du premier val que l’on rencontre en direction de l’est, à savoir la vallée du Suran, notable axe de circulation, un chapelet de fiefs se prolonge jusqu’à Lons-le-Saunier, et vient compléter les châtellenies de Chavannes, de Montfleur et de Saint-Julien qui appartiennent en propre à Jean II. Les maîtres de deux importantes forteresses du Revermont, Montfort et Lomont286, voisines de Chavannes et relevant du comte de Savoie, figurent parmi ses vassaux287. Non loin de là, le sire de Toulongeon tient de lui le fief de Germagnat, au pied de son château288. Plus au nord, le comte d’Auxerre a la garde du prieuré de Gigny289, ainsi que le fief de la maison forte de Lapeyrouse290. À proximité, Guillemette, dame de Véria, reprend de lui en fief lige le château et la terre du lieu291. Si l’on remonte alors en direction de Lons-le-Saunier, on ne manque pas de passer sous l’imposant château de Cressia292. Le seigneur en est Béraud d’Andelot, l’homme de confiance de Jean II de Chalon-Auxerre pour sa terre d’Empire, dont il occupe les fonctions de lieutenant. Ses biens à Cressia constituent évidemment un fief lige, pour lequel il prête hommage à son maître le 19 janvier 1331293. Il lui fait également un peu plus tard acte d’allégeance pour la moitié de Chamblay, dans la vallée de la Loue294. Mais retournons vers le sud jurassien et passons sur l’interfluve qui sépare, à l’est de Montfleur, la vallée du Suran de celle de la Valouse. On y trouve la châtellenie de Montgefond, et de multiples petits vassaux possessionnés dans le val de Charnod295. Dans la vallée de la Valouse ont leurs bases de notables vassaux, dont les sires de Vaugrineuse, ou Étienne le Galois de la Baume, sire de Valfin. Celui-ci prête hommage lige au comte d’Auxerre pour ce château au mois de novembre 1326296. Ceci nous invite à remonter la vallée qui rejoint Arinthod à Orgelet. Les Binans, sires de Chambéria, y sont d’importants vassaux de Jean de Chalon-Auxerre comme leurs voisins, les Montadroit et les Fétigny. Aux abords d’Orgelet, on trouve des
286 Comm. Val-Revermont, Ain, ar. Bourg-en-Bresse, c. Saint-Étienne-du-Bois. 287 ADD, 1B 335, fol. 87v et 89v. 288 Germagnat, comm. Nivigne et Suran, Ain, ar. Bourg-en-Bresse, c. Saint-Étienne-du-Bois. ADD, 1B 335, fol. 87, 102v. 289 ADD, 1B 335, fol. 101. Le sacristain de l’église de Gigny doit quant à lui dire deux messes par an pour les hoirs du comte ; ibid., fol. 102v. Gigny, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Saint-Amour. 290 Comm. Val Suran, idem. En 1330, Girard Balusier de Lapeyrouse lui fait hommage lige pour sa maison forte de Lapeyrouse, et pour toutes ses possessions en ce lieu et dans la terre de l’abbaye de Gigny ; ADD, 1B 335, fol. 89. 291 ADD, 1B 494 (13), mercredi avant Noël (21 décembre) 1345. Véria, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. SaintAmour. Déjà, en 1330, la veuve du seigneur de Véria, Girarde, reprenait en fief lige de Jean II le château et la ville de Véria pour raison de ses enfants ; ADD, 1B 335, fol. 90. Il s’agit sans doute de la mère de Guillemette. 292 Cressia, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Saint-Amour. 293 ADD, 1B 335, fol. 83. 294 Le 28 février 1336 ; ADD, 1B 335, fol. 94v. 295 Pas moins de dix-sept petits fiefs, tous datés de 1323 et 1329 ; ibid., fol. 84v, 85, 86, 87v, 89v. 296 Ibid., fol. 94.
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sires plus notables : à l’est, ceux de Pellapucin297, au sud, ceux de Montjouvent298, au sud-est, ceux d’Écrille299. Si l’on suit maintenant la vallée qui relie Orgelet à Lons-le-Saunier, on rencontre des vassaux d’importance. En premier lieu les sires de Présilly300. Un peu plus loin, à Alièze, son seigneur Guillaume de Saint-Dizier – tristement célèbre pour avoir été impliqué, avec sa belle-sœur Huguette de Sainte-Croix, dans l’assassinat de son frère Étienne en 1328301– envisage d’y construire une maison forte et se déclare l’homme lige de Jean de Chalon-Auxerre en 1344302. Le long de la crête qui surplombe la haute vallée de l’Ain, de remarquables positions stratégiques appartiennent à l’orbite féodale de Jean II. Du sud au nord, il convient de citer : le château de Boutavant ; le château de Viremont,303 ; le château de Virechâtel304, relayé plus au nord par le château de « Coutherez » ou « Cotterey », autrement dit Costarel, à Largillay305. Mis à part quelques fiefs excentrés comme ceux qui s’organisent autour du lac de Chalain306, il ne reste plus à citer dans ce sud jurassien que les abords de Lonsle-Saunier. Jean II de Chalon-Auxerre y est très présent, aussi bien dans la ville, où l’on tient généralement en fief de lui des maisons, des terres et des vignes, voire des rentes en sel ou bien des taxes viticoles, que dans les villages de ses environs méri dionaux, notamment à Montaigu, dont le château est propriété du comte d’Auxerre. Cette zone abrite plusieurs petits lignages nobles, qui sont ses vassaux : les Mallerey (« Malarée »), les La Tour, ou les Bornay307. Ce riche corpus de reprises de fiefs n’appellera que trois remarques d’ordre général. D’une part que semble prévaloir presque chaque fois l’option de la ligesse, quitte à la tempérer de quelques réserves. Que d’autre part est faite aux vassaux l’obligation récurrente de fournir une déclaration de leur fief dans les quarante jours, obligation qui n’apparaît que plus tardivement pour les fieffés du comte de Bourgogne. Jean II
297 Comm. Beffia, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Moirans-en-Montagne. 298 Comm. Sarrogna, idem. 299 Écrille, idem. 300 ADD, 1B 335, fol. 83, 91 et 92v ; ADD, 1B 482 (4). Sur les seigneurs de Présilly, se reporter à H. de Faget de Casteljau, « Les démembrements de la seigneurie de Dramelay… », art. cit., p. 61-63. Présilly, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Moirans-en-Montagne. 301 Voir sur cette affaire M. Bubenicek, « Huguette de Sainte-Croix, une épouse meurtrière ? », in Publication du Centre européen d’études bourguignonnes (xive-xvie s.), 48 (2008), Rencontres de Liège (20 au 23 septembre 2007), « L’envers du décor. Espionnage, complot, trahison, vengeance et violence en pays bourguignons et liégeois », J.-M. Cauchies et A. Marchandisse (éd.), Neuchâtel, 2008, p. 29-55, et Meurtre au donjon. L’affaire Huguette de Sainte-Croix, Paris, Presses universitaires de France, 2014. 302 ADD, 1B 413 (7). Alièze, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Moirans-en-Montagne. 303 Comm. Cernon, idem. ADD, 1B 335, fol. 83v. Voir également, sur les seigneurs de Viremont, H. de Faget de Casteljau, « Les démembrements… », art. cit., p. 66. 304 Comm. Onoz, idem. ADD, 1B 335, fol. 85v. 305 Largillay-Marsonnay, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Saint-Laurent-en-Grandvaux. 306 Voir l’étude consacrée à ces seigneuries du lac de Chalain par J.-L. Mordefroid, « Chalain-Fontenu, une seigneurie comtoise (xiiie-xviiie s.). Aspects banaux et fonciers. », Société d’émulation du Jura. Travaux 1985, Dole, 1987, p. 97-127. 307 Pour ces aspects, consulter notre étude : S. Le Strat-Lelong, « Un petit lignage… », art. cit.
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fait donc ici figure de précurseur dans ce processus. Enfin, que le caractère proprement comtois est bien présent par l’absence de service exigé, car à une exception près il n’est jamais fait mention d’obligations à caractère militaire qui seraient attachées à la prestation d’hommage308. Ces documents afférents au réseau féodal de Jean II de Chalon-Auxerre constituent donc, on le voit, un ensemble d’un très grand intérêt par la richesse des informations qu’on peut y recueillir, tant sur le pouvoir du comte d’Auxerre lui-même, que sur toute la société nobiliaire de la région qu’il contrôle.
Conclusion de la deuxième partie Les comtes ont donc utilisé pleinement les ressources de la féodalité comtoise afin de renforcer leur réseau et de l’étendre à des secteurs stratégiques. Mais ils se sont heurtés dans cette expansion aux intérêts des grandes familles, maîtresses des positions frontalières – Faucogney au nord, Montbéliard et Neuchâtel au nord-est, Chalon-Arlay à l’est et Chalon-Auxerre au sud – dont la puissance les autorise à rivaliser avec eux. Chacune des lignées principales a mené sa politique propre : Henri de Montfaucon a avant tout cherché à s’assurer la maîtrise des châteaux ; les sires de Neuchâtel ont connu une remarquable expansion, caractérisée par une grande cohérence territoriale et féodale ; Jean de Chalon-Arlay a réalisé de vastes opérations financières dans le but d’acheter des fidélités ; Jean de Chalon-Auxerre a travaillé à affirmer ses droits de suzerain, qu’il a fait compiler dans son cartulaire, tout en soutenant la politique comtale, notamment vis-à-vis de son voisin savoyard. L’ancrage limitrophe de ces grands barons les a en effet autorisés à faire entrer dans leur jeu les puissances étrangères, dont ils se serviront lors de leurs démêlés avec le prince bourguignon. Et les occasions sont nombreuses de se liguer contre lui, dès les débuts du principat d’Eudes IV. Mais la noblesse comtoise est diverse, et il convient sans doute d’établir des distinctions, dans le temps et dans l’espace, au sein de ses relations avec le pouvoir ducal.
308 L’inventaire des titres cite le fief des hoirs de Jean de La Marche, sis à Merlia et à Marangea (comm. Sarrogna), et qui comprend aussi le moulin sous Montjouvent. Ils doivent venir demeurer au château d’Orgelet à leurs frais un mois par an pour en assurer la garde, ainsi qu’à toute requête du comte ; ADD, 1B 335, fol. 103v.
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IIIe partie
Le prince et sa noblesse Collaboration ou opposition ?* La question la plus riche de la période étudiée est certainement celle des rapports que les ducs-comtes entretiennent avec la noblesse comtoise, particulièrement contrastés. Si un apaisement relatif survient avec l’avènement de Philippe de Rouvres, le principat d’Eudes IV est parcouru de fortes tensions, qui s’expriment régulièrement par le recours aux armes de toute une partie de la haute aristocratie, appuyée par les solides réseaux féodaux qu’on vient d’évoquer. Est-ce à dire que le pouvoir est isolé ? En aucun cas. Le duc, bien que privé du soutien de larges zones de la province, peut néanmoins compter sur la société nobiliaire. C’est sur elle que reposent le bon fonctionnement de l’administration et la défense de sa principauté. Après les rebelles et les remous qu’ils ont provoqués en Comté, il nous faudra donc envisager les fidèles, officiers et hommes d’armes au service du prince. L’objectif étant, tant que faire se peut, d’éclairer la composition sociale de ces groupes et les motivations qui sous-tendent leurs relations au pouvoir central.
* Cette partie reprend et développe notre contribution : S. Le Strat-Lelong, « S’opposer ou s’intégrer. La noblesse comtoise et le pouvoir ducal au temps de la première union bourguignonne (1330-1361) », in Publication du Centre européen d’Études bourguignonnes (xive-XVIe s.), 58 (2018), Rencontres de Lons-le-Saunier-Arlay (21-24 septembre 2017), « Autour des Chalon et de la noblesse en pays bourguignons (xive-xvie siècles) », A. Marchandisse et G. Docquier (éd.), Neuchâtel, 2018, p. 9-26.
Chapitre I
De la rébellion à la participation : un équilibre à trouver Rien de définitif ne caractérise les rapports du prince et de la haute noblesse comtoise entre 1330 et 1361. Ils connaissent une évolution importante. L’avènement d’Eudes IV a certes cristallisé les mécontentements, dont les guerres comtoises constituent l’expression la plus connue. Mais sa succession, survenue dans un contexte difficile à tout point de vue, inaugure une rupture politique et une ouverture en direction des anciens rebelles.
1. Les causes du mécontentement En guise d’introduction, un mystérieux poème aux origines d’un lieu commun de l’histoire comtoise
À la source de nos connaissances sur la rébellion baronniale, on retrouve, propre à piquer la curiosité, un poème publié dans la première histoire imprimée de FrancheComté en 15921, et apparemment contemporain des événements. L’histoire rimée est alors en vogue. L’auteur en serait pour les uns un cordelier inconnu de Poligny2, d’autres, comme Fr.-F. Chevalier, l’ont assimilé au poète Renaud de Louens, dominicain de la même ville, à qui l’on doit également une traduction en vers du traité De la consolation de Boëce. Originaire d’une famille bourgeoise dont d’autres représentants sont connus, il a occupé les fonctions de doyen de la collégiale3. Seuls deux fragments de ce poème, non datés, ont été conservés4. Mais Gollut avait eu le temps de le publier dans son intégralité avant qu’il ne soit perdu. Il l’attribue lui aussi à un jacobin, en l’année 1336, ce qui autoriserait à l’identifier comme une œuvre de Renaud de Louens. En tout cas, une force assez singulière s’en dégage pour qu’il soit reproduit partiellement dans la plupart des histoires de la province. C’est pourquoi, tout en gardant à l’esprit les limites de ce genre très peu scientifique – dont le chroniqueur Jean le Bel s’irritait déjà à l’époque, et en stigmatisait les « grandes faintes », « bourdes controuvées », « menchongnes » et « redictes pour embelir la rime5 » – nous pouvons nous risquer à émettre quelques commentaires.
1 L. Gollut, Les mémoires historiques…, op. cit., col. 498. 2 É. Clerc, Essai…, op. cit., p.39. 3 A. Vayssiere, « Renaud de Louens, poète franc-comtois du xive siècle », Mémoires de la Société d’Agriculture, Sciences et Arts de Poligny, 13/2 (1872), p. 345-356. 4 A. Vaysssiere, « Documents relatifs à la révolte des barons francs-comtois contre le duc Eudes », Bulletin de la Société d’Agriculture, Sciences et Arts de Poligny, 17 (1876), p. 275-278. 5 J.-M. Biziere, P. Vayssiere, Histoire et historiens, Antiquité, Moyen âge, France moderne et contemporaine, Paris, Hachette, 1995, p. 71.
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Il évoque d’abord les circonstances de la dévolution des comtés de Bourgogne et d’Artois à Eudes IV par sa femme, héritière de la reine Jeanne, au détriment de ses deux sœurs, Isabelle, femme du dauphin de Viennois, et Marguerite, épouse du comte de Flandre. Et si fut faicte la besongne \ Que la duchesse de Bourgongne \ Heut trop plus que les aultres trois, (le religieux introduit déjà un jugement de valeur sur l’inégalité du partage, compensée en fait par des dotations sous forme de terres et de rentes) Et que le duc fut comte d’Artois \ Et de Bourgongne Palazins \ Et sire du Vaud de Salins. \ Lors fut commune opinion \ Que le duc en subjection \ Meltroit le Comté de Bourgongne \ Qui toujours a la gent grifongne \ Et qu’il n’hauroit si grande beste \ Cui ne feist baissier la teste. Le problème est posé : l’épreuve de force entre le duc-comte et les seigneurs comtois, déjà ici présentés comme des querelleurs jaloux de leur indépendance, un trait de caractère provincial à la vie dure. Dans quelle mesure ce texte peut-il être considéré comme le reflet d’une opinion publique réelle ? La date bien commode de 1336 avancée par Gollut pour sa rédaction est-elle un gage certain qu’il n’a pas été composé bien après les événements ? Lorsqu’il évoque le bailli, « un chevalier assez apart », en fait Guy de Villefrancon, qui aurait « au dux acquit moult d’ennemis » en enfreignant les coutumes et franchises de la province, il pressent le cas classique de l’officier zélé, de petite extraction, sorti de l’ombre et qui s’est élevé au service du pouvoir princier naissant. Peu portoit de révérence \ Aux autres barons du pays, \ Dont estoient moult esbays \ Se il havoit commandement \ De se porter si roidement. Cette strophe véhicule à l’égard de l’officier comtal l’idée du temps, communément admise et toujours soigneusement entretenue d’en-haut, d’un gouvernement mal servi par son personnel, éternel bouc-émissaire de rechange. Avec une pointe d’ironie sous une fausse naïveté, l’auteur en profite pour ridiculiser au passage l’orgueil des grands qui, ainsi qu’il l’écrit plaisamment plus haut, « leurs freins rongeoient ». On est en droit de douter qu’un simple ecclésiastique (supposé dominicain, il est vrai) soit aussi bien renseigné en matière de politique. Ainsi que l’a remarqué Pierre Gresser : « Bien souvent l’immense majorité de la population vécut à l’écart d’événements qui ne la concernaient pas et dont elle n’avait sans doute pas toujours connaissance […]. Si les barons avaient tout à redouter d’un comte trop autoritaire, il n’est pas sûr que le caractère impérieux de celui-ci fût toujours ressenti par la plus grande partie des Comtois, imbriqués dans des structures économiques et sociales peu sensibles à certaines fluctuations politiques6 ». Et pourtant, l’auteur du poème qui, non content d’être instruit des détails de l’affaire, est aussi fin analyste, se réfère
6 P. Gresser, La Franche-Comté…, op. cit., p. 164.
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de la « commune opinion7 ». C’est donc qu’il existe bien une opinion publique en Franche-Comté au xive siècle, comme Bernard Guenée l’a montré pour le royaume de France8. En revanche, il oublie que Guy de Villefrancon, au contraire de ce qu’il affirme, n’a pas été institué par Eudes IV, mais qu’il se trouvait déjà en place sous la comtesse Jeanne en 13289. Ce détail aurait-il pu échapper à un contemporain aussi bien informé que l’est notre poète ? Peut-être a-t-on là l’indice que ce dernier n’est pas comtois ; il ne serait au fait des affaires du pays que depuis la prise de pouvoir du duc. S’il n’est pas Renaud de Louens, est-il un lettré des milieux de cour arrivé dans les bagages du bourguignon ? Dans le cas contraire, il faudrait donner raison à Jean le Bel… Jeux de rimes ou doute réel, les dessous de la situation lui semblent peu clairs : « selon ce que me semble », « selon ce qu’ils [les barons] affermoient ». Veut-il par-là sous-entendre l’existence d’autres intérêts, non avoués ? Notre homme n’est pas naïf, il ne s’en cache pas quand il fait allusion aux motifs des féodaux qui font le choix de rester neutres lors du conflit de 1336 : Mais aulcuns bien dissimuloient, \ Dieu scayt ce c’estoient par amour \ Ou par la force dou Seignour. L’ambiguïté du trait final nous incite elle aussi à trancher en faveur du sarcasme voilé sous l’ignorance : Ce ne sçay-je ; mais toute voye \ À la fin n’en vint pas grande joye. Ainsi, ce poème présente certes l’aspect simplificateur et caricatural des effets d’un chansonnier, sans être exempt néanmoins d’une grande finesse qui devait en faire le sel aux yeux d’un contemporain. Il témoigne même d’une connaissance relativement poussée des problèmes de société dissimulés derrière le fracas des armes. Les principaux coups de griffe égratignent avec bonheur la noblesse comtoise, qui semble choisie comme principale cible des rires d’une assemblée de cour. Ces vers nous paraissent plutôt destinés à un public averti et bourguignon, pourquoi pas parisien ? Ils prennent leur force satyrique à la seule condition d’avoir été diffusés sur le moment, à la fin du printemps 1336, au plus fort de l’attaque des barons. Contrairement à l’idée qu’on pourrait être enclin à adopter de prime abord, ces vers, s’ils sont authentiques10, sont donc d’un grand intérêt documentaire, ce qui a contribué à les sauver. Ils vont
7 Thierry Dutour a souligné que l’opinion collective est très sensible aux exigences inédites des princes, qui font considérer qu’ils violent le droit, selon « une façon d’exercer l’autorité qui apparaît aux sujets comme neuve ». Le prince se doit d’être vertueux, et on attend de lui « qu’il admette des limites coutumières à son pouvoir » ; Th. Dutour, « Le Prince perturbateur “meu de volonté sans mie de raison” et les sujets mécontents : recherche sur les opinions collectives dans le royaume de France à la fin du Moyen Âge », in Le prince, son peuple et le bien commun. De l’Antiquité tardive à la fin du Moyen Âge, H. OUDART, J.-M. PICARD et J. Quaghebeur (éd.), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, p. 355, 373. 8 B. Guenee, L’opinion publique à la fin du Moyen Âge d’après la « Chronique de Charles VI » du Religieux de Saint-Denis, Paris, Perrin, 2002. 9 En 1328, il touche 200 l. de gages pour ses fonctions de bailli ; BnF, Moreau 900, fol. 241v. 10 A. Vayssière n’indique pas où il a trouvé les fragments subsistants.
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à l’essentiel des événements et de leurs causes tels qu’un esprit éclairé pouvait les percevoir en leur temps. Ainsi, les raisons de se plaindre ne manquent pas pour la haute aristocratie comtoise et elles apparaissent au grand jour presque immédiatement après la prise du gouvernement du comté de Bourgogne par le duc Eudes IV. Au départ déjà, beaucoup se sont estimés lésés par le règlement des diverses successions advenues à l’aube des années 1330. Un a priori négatif que n’a fait qu’amplifier la politique d’affirmation souveraine menée d’une main de fer par le Capétien, aux dépens des intérêts des grands féodaux. a. Les droits successoraux
Les questions successorales, tant au titre de l’héritage des trois filles de la reine Jeanne que de celui d’Hugues de Bourgogne, et derrière ce dernier, la succession d’Othenin de Montbéliard, restent pendantes durant tout le principat d’Eudes IV, et alimentent les conflits. Nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer ces problèmes dans la première partie, rappelons simplement les épisodes d’insubordination générés par ces contentieux. Dès le décès de Jeanne de Bourgogne-Comté, des barons comtois prennent, contre le duc Eudes, le parti du dauphin de Viennois, insatisfait de l’éviction de son épouse Isabelle de France des droits à la succession de sa mère. Cela apparaît dans l’arbitrage rendu par le roi Philippe VI à Rouen en mai 1331 : Et parmi ces choses, nous ordonnons que le dit dauphin envoiera dès maintenant lettres aus gentilshoumes et autres de la conté de Bourgoigne qui ne sunt pas venus à obéissance au dit duc pour cause dou dit dauphin, soit Jehan de Chalon ou autres, que il facent obéissance au dit duc et viengnent en son homage, et nous escrirons au dit duc que il leur pardoingne toutes desobéissances et toutes autres choses qu’il auroient fait envers le dit duc pour cause dou dit dauphin et non pas pour autres choses11. Le 6 juin 1331, Guigues, dauphin de Viennois, se conforme effectivement à cette sentence et envoie un mandement « à Jean de Chalon, es bourgois, au pueble et es comunes de la conté de Bourgoingne » leur prescrivant obéissance et hommage au duc de Bourgogne, en vertu de cet accord passé par l’entremise du roi12. On ne peut que s’interroger ici à propos de la mention des bourgeois et des communes qui auraient suivi Jean de Chalon dans sa rébellion, les historiens, tels Édouard Clerc, les considérant traditionnellement acquis à Eudes IV. Il convient de considérer cette dernière assertion avec précaution. Elle reste conditionnée par leur époque13. Peut-être
11 U. Plancher, Histoire…, op. cit., t. II, preuve CCLIV ; ADD, 1B 20 ; ADD, 1B 374 (2), copie de 1362. 12 U. Plancher, Histoire…, op. cit., t. II, preuve CCLV ; ADD, 1B 20. 13 Édouard Clerc répercute les principes de l’école historique du moment qui voit dans les manifestations de l’affirmation du pouvoir princier les signes de son alliance avec la bourgeoisie contre les nobles : « La rage des hauts barons, ménagés auparavant avec sollicitude, croissait à la
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(mais ce n’est pas à proprement parler une ville du comté) Guigues de Viennois fait-il allusion à Besançon, qui a passé une alliance défensive avec Jean de Chalon-Arlay ? Il faut noter dans la sentence royale un élément qui a son importance pour le déroulement des conflits ultérieurs : Item sera sauf aus diz dauphin et dauphine le droit qu’il puent avoir en l’eschoicte de Hugue et de Henry de Bourgoingne, chevaliers, et de tous autres des quiex la succession et eschoicte devroit venir aus heritiers de notre dite dame la royne. Le droit ouvert à Isabelle de France sur l’héritage d’Hugues de Bourgogne viendra encore compliquer la donne, d’autant que, devenue veuve, elle s’unit bientôt à Jean de Faucogney. On ne s’en étonnera pas lorsqu’on saura que ce dernier avait, comme Jean de Chalon-Arlay, pris le parti du dauphin dans sa guerre contre le comte de Savoie quelques années auparavant14. C’est pourquoi il a sans doute soutenu le parti de Guigues en 1330-1331, comme invite à le penser cette union, bien que nous n’en ayons pas de preuve formelle. Il continuera en tout cas à défendre vigoureusement les droits de sa femme, tandis que ses deux frères Henri et Thibaut tiendront guerre ouverte contre le duc-comte tout au long des années 1340. Gollut avance même qu’Henri de Faucogney dévaste dès le début des années 1330 le territoire de Vesoul, dont il est vicomte, en faveur du dauphin, ce que met en doute Duvernoy15. Un contentieux inconnu existe pourtant entre les sires de Faucogney et le pouvoir comtal au début du principat d’Eudes IV. Il trouve ses racines au temps de la reine Jeanne, qui fut le théâtre d’une guerre entre les deux parties, ainsi qu’en témoigne un accord, passé à une date indéterminée. Jean et Aymé, seigneurs de Faucogney, s’y engagent à entrer dans la vassalité du duc-comte de Bourgogne d’ici la fête de Notre-Dame de septembre, sur le modèle de leurs devanciers envers la reine et ses prédécesseurs. Et pour ce que il veignent audit homeige omblement et obéissamment et que il ne meffirent oinques en la dicte contey puis que li dux vint sires en la contey de Bourgoigne, et que par la priere de plusours de lour amis messire li dux lour quitte, ledit homeige fait à lui, touz meffaiz ou autres chouses que il lour porroit demander par raison de la dicte guerre et de toutes autres chouses dou temps passey16… Ce passage atteste clairement que les sires de Faucogney n’ont mené aucune opération contre le prince depuis son avènement17, et manifestent leur désir de rentrer dans le rang. Ceci vient fortement nuancer un éventuel soutien de leur part
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pensée que tous les égards étaient pour les “vilains”, pour les communes. Aussi [le duc] était-t-il fort aimé des villes et des bourgades. » ; É. Clerc, Essai…, op. cit., p. 45. L. Gollut, Les mémoires historiques…, op. cit., col. 689. Ibid., col. 688. ADCO, B 11 912 et ADD, 1B 350 (13), qui est une copie du 16 août 1362. La charte évoque seulement le sort de trois bourgeois de Montjustin et de Vy, faits prisonniers au temps de la reine Jeanne, dont il reste à prouver que la capture a bien été motivée par le conflit.
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au parti du dauphin, bien que l’absence de datation et un flou dans l’identification de ces personnages incitent à la prudence18. Dès l’avènement d’Eudes IV, l’autre mécontent des règlements successoraux est le marquis de Bade, second époux de Jeanne de Montbéliard. On a là aussi déjà eu l’occasion d’évoquer ces péripéties, qui ont donné lieu à la détention en captivité du vieil Hugues de Bourgogne. Il convient certainement de les lier aux affaires dauphinoises, une collusion d’intérêts étant probable à ce moment entre les divers opposants au duc de Bourgogne. L’héritage montbéliardais implique également Jean de Chalon-Auxerre, par sa femme Alix de Montbéliard, autre fille du comte Renaud et sœur de Jeanne susnommée. Cela est certainement à l’origine d’un épisode peu clair : Lebeuf, d’après le continuateur de Guillaume de Nangis, prétend que Jean II aurait assiégé Eudes IV à Pimorin en 1336 en raison de démêlés avec lui, au sujet notamment d’une rente sur les salines19. Charles de Dreux, comte d’Étampes, trouva la mort dans cet affrontement20. Cette assertion n’est pas sans poser quelques problèmes : d’une part, Pimorin n’appartient pas au duc, mais à Guillaume d’Antigny, sire de Sainte-Croix, beau-frère du comte d’Auxerre, il est vrai fidèle d’Eudes IV cette année-là21. Le duc-comte serait-il intervenu dans une escarmouche motivée par l’attribution de Pimorin en héritage à Marguerite de Montbéliard, troisième fille du comte Renaud, et femme de Guillaume d’Antigny, sire de Sainte-Croix, plutôt qu’à sa sœur épouse de Jean II de Chalon-Auxerre ? On ne peut en tout cas considérer que ce dernier a rejoint le camp des barons révoltés en 1336, il est avéré qu’il s’est déclaré neutre dans le conflit, empêtré entre sa parenté avec Jean de Chalon-Arlay, l’union de sa fille et de Thibaut de Neuchâtel la même année, et ses liens avec la Bourgogne22. Gollut émet l’hypothèse selon laquelle ce siège se serait plutôt déroulé en 1330 ou 1331, rangeant ainsi Jean de Chalon-Auxerre parmi les mécontents de la première heure, avec le dauphin et le marquis de Bade. Plus cohérente, cette supposition semble pourtant se contredire avec la date du décès du comte d’Étampes, qui serait bien advenu en septembre 1336, d’après la note de Duvernoy23. 18 Nous n’avons pas trouvé de Jean et d’Aymé de Faucogney qui seraient ensemble seigneurs de ce lieu au début des années 1330. En revanche, les sires de Villersexel, le père et le fils, répondent à ces patronymes. Sont-ce eux qui font l’objet de l’acte de pacification ? Pourtant, ce dernier stipule bien « les seigneurs de Faucogney », titre que ne porte pas la branche de Villersexel dans les autres documents de l’époque. 19 Rappelons que Jean II a reçu une rente de 440 l. à Salins par don d’Hugues de Bourgogne, qu’Eudes IV a vraisemblablement reprise, avant d’en mettre à nouveau le comte d’Auxerre en possession, le 31 décembre 1337 ; ADD, 1B 262 (2). 20 J. Lebeuf, Mémoires…, op. cit., p. 221. 21 Il promet, pour 4 000 l. tournois, de servir le duc dans ses guerres comtoises, le 8 mai 1336, avec quarante hommes d’armes, pendant un an, et de le recevoir dans tous ses châteaux ; ADCO, B 11 733. Voilà qui pourrait effectivement expliquer la présence des forces ducales à Pimorin. 22 E. Petit, Histoire…, op. cit., t. VII, p. 154. La minute du traité de mariage entre Thibaut de Neuchâtel et Jeanne de Chalon-Auxerre, datée du 2 mars 1336, alors que le conflit est imminent entre le duc et ses barons, fait cependant apparaître que le père de la promise espère encore faire valoir ses droits à l’héritage montbéliardais ; il la dote de la moitié de la « mieux vaillance » qu’il pourra en obtenir ; ADD, 1B 475 (6). 23 L. Gollut, Les mémoires historiques…, op. cit., col. 687-688.
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Ce sont bien encore les problèmes afférents à la succession montbéliardaise qui semblent motiver l’opposition d’Henri de Montfaucon, beau-frère de Jean de ChalonAuxerre, notamment l’épineuse question d’Étobon, place forte hautement stratégique, qui avait été temporairement concédée à Hugues de Bourgogne par le comte de Montbéliard, et sur laquelle le duc semble avoir fait main basse à la mort d’Hugues. Comme en 1331, c’est l’arbitrage royal rendu afin de mettre fin à la seconde vague d’hostilités, le 13 juin 1337, qui nous apporte quelque éclairage sur les dessous de l’affaire : Du rechiefz, le sires de Montfaulcon aura deux cent livres de terre devers Étobon, sur celle condition que les lettres soient veues savemment se ledit duc tenoit icelles deux cent livres de terre à la vie de luy et de la duchesse sa compaigne ou à la vie Othenin tant seullement, et se il les tenoit à la vie de luy et de sa dite compaigne, nulle recompensation pour le temps passé n’en sera faite. Et se il les tenoit à la vie dudit Othenin seullement, recompensation en seroit faite […]24 Il existe bien un accord, conclu du vivant d’Othenin de Montbéliard, selon lequel le couple ducal aurait la jouissance viagère d’une partie de la châtellenie, mais portant sur 100 livrées de terre seulement25. Peut-être le duc a-t-il interprété un peu largement ses droits, nourrissant l’animosité d’Henri de Montfaucon. Nous ne savons pas quelles ont été les conclusions des conseillers du roi et de l’archevêque de Besançon Hugues de Vienne, commis à examiner ceux-ci, ni si le comte de Montbéliard a été indemnisé. On ne peut que réaliser à quel point est complexe l’imbrication de ces héritages multiples qui en vient à mobiliser, par le biais des alliances matrimoniales, une bonne partie de la haute noblesse. Mais ils ne sont pas seuls en jeu. Gollut, qui avait bien mesuré le poids des questions successorales dans les guerres comtoises, leur ajoute un autre motif, largement mis en avant par le poème de Renaud de Louens : À ces causes en fut adioustée une autre, qui fut que le duc leur donat un bailly general ou gouverneur (c’estoit messire Guy de Villefrancon), lequel manioit les affaires superbement et sans porter respect aux barons et grands seigneurs. De quoy ceux-cy recepvoient tel mécontentement (car rien n’aliène d’advantage le cœur du Bourgougnon que le magistrat estranger, et l’orgueil d’iceluy, et la rupture des priviléges), qu’ilz envoiérent un home d’ecclise au duc Eudes, et le feirent deffier […]26 Est-ce le joug espagnol en cette fin de xvie siècle qui suscite l’aparté ? Toujours est-il qu’après Gollut, l’image de Guy de Villefrancon aura la vie dure dans l’historiographie comtoise. Derrière elle se cachent les tentatives de construction de l’état princier, mettant à mal l’indépendance de la haute noblesse. Ce qu’a bien compris Gollut lorsqu’il évoque ici la « rupture des privilèges ». Un terme auquel les documents du xive siècle préfèrent celui de « coutumes et franchises ».
24 ADD, 7E 1318, ADD, 7E 1323, ADD, 1B 339 (1), publié par Fr.-F. Chevalier, Mémoires…, op. cit., t. I, preuve n° 95, et par U. Plancher, Histoire…, op. cit., preuve CCLXI. 25 ADD, 7E 1338. 26 L. Gollut, Les mémoires historiques…, op. cit., col. 693.
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b. En quoi Eudes IV enfreint-t-il les « coutumes et franchises » de la noblesse comtoise ?
Nous ne disposons que de très peu de preuves de l’action centralisatrice d’Eudes IV en Franche-Comté, sinon par la négative, lorsque le duc-comte trouve un terrain d’entente avec les barons comtois. Chaque fois pourtant, ce problème apparaît comme la pomme de discorde, suffisamment pour que l’on puisse admettre que cette politique est bien réelle27. Le non-respect des libertés nobiliaires, cachées sous le vocable des « coutumes et franchises », est évoqué comme cause principale du soulèvement de 1336 dans le poème attribué d’ordinaire à Renaud de Louens. Rappelons-le : Car ladite dessus année \ Mil trois cent trente six clamée \ Aucuns barons prirent adroict \ Pour lour coustumes et lour droict \ Garder, selon ce que me semble. Cet argument semble tenir puisque le traité de pacification donné à Vincennes par le roi Philippe VI le 13 juin 1337 en fait un élément d’importance à débattre : De rechiefz lesdits Jean de Chalon et le sire de Montfaulcon yront ou envoyront pruves souffisant fondz en la conté de Bourgoigne en l’ostel dudit duc et monstreront se bon leur semble en quoy l’on leur a enfraint les costumes dudit conté de ce qui leur peult toucher. Et sur ce lidit duc leur fera raison et sur ce se il estoit en discort de tout ou de partie, nous y envoyrrons lesdits evesques de Langres et le sire de Nouhiers28. Et ou cas qu’il n’y porroient estre, le seigneur de Joinville29 et l’evesque de Cambray en lieu de eulx deux se ilz deffailloient ou n’y povoient entendre qui plainememt et en bonne foy enquerrons des costumes, declaireront et termineront ce qu’ilz en trouveront30. Toutes les précautions prises, le choix des arbitres, laissent deviner le caractère particulièrement délicat que revêt la question en un temps où aucun point de la coutume ne se trouve fixé par écrit. Est-ce encore ce sujet qui indispose Raoul et Thibaut de Neuchâtel31, les deux autres rebelles mentionnés à Vincennes ? Leurs doléances seront traitées de la même manière s’ils en font la demande auprès du duc. Tentons d’étudier quels sont les droits fondamentaux que la noblesse considère être bafoués par le duc-comte.
27 Le premier à l’avoir mis en lumière, bien avant que ne soit connue la problématique du renforcement des principautés au cours du xive siècle, est Édouard Clerc. 28 Miles de Noyers, grand bouteiller de France. 29 Anseau de Joinville, fils du chroniqueur, membre éminent du Conseil et proche de Miles de Noyers ; R. Cazelles, La société politique…, op. cit., p. 121. 30 ADD, 7E 1318 et 7E 1323, ADD, 1B 339 (1), publié par Fr.-F. Chevalier, Mémoires…, op. cit., t. I, preuve n° 95, et par U. Plancher, Histoire…, op. cit., preuve CCLXI. Les actes de la série 7E sont des vidimus en copie, par Eudes IV d’une part, par Jean de Chalon et Henri de Montfaucon d’autre part, qui jurent d’appliquer la décision royale. L’acte de la série 1B est l’original de celui coté 7E 1323, mais reste néanmoins une copie de 1362. 31 Raoul de Neuchâtel outre-Joux et Thibaut de Neuchâtel-Bourgogne.
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Le droit féodal enfreint
Deux exemples donnés par l’arbitrage du roi en 1337 éclairent la définition des coutumes enfreintes par le duc-comte. Ils concernent le droit des fiefs. Jean de ChalonArlay se déclare vassal du comte pour Arguel, un important château qui domine la cité de Besançon, face à Châtillon-le-Duc, forteresse comtale32. Or voici qu’en 1334, son détenteur, Jacques d’Arguel, le reprend directement en fief lige du duc-comte33. L’arbitrage de Philippe VI précise que le sire d’Arguel « avoit deffié en chiefz » Jean de Chalon. Peut-on voir dans ce défi le mépris dont il a fait preuve à l’égard de son suzerain direct, qui semblait bien être Jean de Chalon-Arlay34, en passant au-dessus de ce lien ? Force est d’établir une relation entre les deux événements. Le roi prévoit de rendre le château au seigneur d’Arlay avec tous les biens et les fiefs qui en dépendent pour une somme de 400 l. de rente, le surplus restant au duc. Et surtout : Demeura Arguel et toute la terre a ce appartenant du fief audit duc se qui devant en estoit se comme il estoit tenu de luy par avant en fied et en arrierefied35. Le propos est très clair et coïncide avec la tentative de prise de possession directe du fief de Jean de Chalon par Eudes IV. Celui-ci a-t-il prétexté un défaut d’hommage pour s’emparer d’Arguel par la force lors de la guerre de 1336 ? Le roi ajoute en effet que le sire d’Arlay n’a pas besoin de réitérer son hommage pour être considéré comme investi de ce fief. Si, comme celui-ci l’avait certainement mis en avant pour justifier son bon droit, la valeur du total excède les 400 l. de terre pour lesquelles l’hommage est dû, le duc-comte devra racheter le surplus s’il veut en avoir le fief. La clé de cette discussion d’apothicaires est bien évidemment la détention sans tutelle ni contrainte d’une forteresse d’importance qu’Eudes IV estimait dangereux de laisser entre les mains de Jean de Chalon, déjà maire et vicomte de Besançon. Si le sire semble avoir fait preuve de quelques velléités d’indépendance dans cette zone, on ne peut nier que le duc-comte a enfreint la coutume féodale en prenant la place d’Arlay comme suzerain immédiat d’Arguel. L’importance de l’enjeu justifie le moyen. Il est d’autres cas, toujours relatés par l’acte royal du 13 juin 1337, où le but principal d’Eudes IV se trouve être la captation de nouveaux vassaux en zone stratégique. Rappelons le cas de Chaussin évoqué dans la IIe partie. On a déjà eu l’opportunité de démontrer combien Eudes IV excelle à jouer des règles féodales pour en faire un élément de sa politique souveraine. Mais il va plus loin dans la subversion de l’ordre nobiliaire ancien, touchant les barons comtois au cœur de leurs prérogatives de seigneurs justiciers.
32 1311. ADD, 1B 2, fol. 42 et ADD, 1B 3. 33 ADD, 1B 416 (17). D’après ADD, 7E 3630, il y a à Arguel trois sires : Gui de Montjustin, chevalier, sire en Arguel, Jacques d’Arguel sire de Chenecey, et enfin Jacques sire d’Arguel, qui reprend la forteresse en fief du duc-comte. 34 Le jour de Pentecôte 1283, Girard sire d’Arguel a fait hommage à Jean de Chalon-Arlay qui lui achète le recept de son château moyennant le don d’une rente de 100 l. sur les salines ; ADD, 7E 2771. 35 ADD, 7E 1318, ADD, 7E 1323, ADD, 1B 339 (1), publié par Fr.-F. Chevalier, Mémoires…, op. cit., t. I, preuve n° 95, et par U. Plancher, Histoire…, op. cit., preuve CCLXI.
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L’indépendance judiciaire menacée
L’acte de soumission de Thibaut de Neuchâtel, daté du 13 juillet 1343, qui est une renonciation de fait à ses libertés, éclaire un peu ces « coutumes et franchises » auxquelles la haute noblesse comtoise paraît si attachée : Li diz chevaliers promet par son soirement doné sur sainct evangile à monsoignour le duc conte de Bourgoigne de respondre dehuement et trainchiement et satiffier es genz et subgiez de monsoignour le duc demoranz en la contee de Bourgoigne de tout ce qu’il li voudront demander en la court doudit duc et conte ou par les deputez dou dit duc sur ce en la dicte contee de Bourgoigne36. L’exercice de la justice et l’affirmation du pouvoir des officiers ducaux est ici l’enjeu majeur. L’objet de ce texte pourtant n’est pas le justiciable de base, que se disputeraient les cours concurrentes du sire de Neuchâtel et du duc-comte, mais le sire lui-même. Il s’agit pour lui d’accepter de répondre de ses « exces et meffaiz per lui commis et perpetrez contre monsoignour le duc et plusours de ses genz et subgez » devant les agents du prince37. Le fait avéré et le plus significatif est que Thibaut de Neuchâtel reconnaît au duc-comte le droit de le faire juger par ses officiers, comme le plus simple des sujets ! En revanche, le texte laisse toute marge d’interprétation quant aux exactions en cause. Le duc taxe-t-il d’illégal l’exercice de la justice coutumière sur des hommes appartenant à Neuchâtel au sein des châtellenies du domaine proches de ses terres à Baume et à Clerval par exemple ? Ou peut-être le sire a-t-il interprété trop à son aise le droit de garde qu’il exerce sur les terres de l’abbaye de Baume-les-Dames, de celle de Lieu-Croissant et du prieuré de Lanthenans38. Elles sont en effet dans le même temps retirées de sa protection pour passer sous contrôle comtal. Ne négligeons pas toutefois la possibilité d’un pur et simple banditisme sous forme de razzias dans les terres bourguignonnes voisines, sans autre explication que l’appât du gain et le goût de la provocation39. Les religieux s’en seraient remis à un bien mauvais gardien, que le duc juge de son devoir de faire comparaître en justice. Il est cependant beaucoup plus probable que Neuchâtel montre ainsi son mécontentement face aux questions inconnues qui pendaient déjà avant 1337, et qui n’auraient toujours pas trouvé de solution en dépit de l’arbitrage royal, qui précisait :
36 ADD, 1B 507 (11). 37 Ces méfaits sont déjà évoqués dans les parties du compte de 1332-1333, où l’on apprend que le maire de l’Isle-sur-le-Doubs, commis à relever « les gruses et les mefaits » du seigneur de Neuchâtel par ce dernier et les baillis comtaux, craignant sans doute quelques représailles, a refusé de s’exécuter. Ce sont finalement le prévôt et le maire de Clerval qui vont en faire état à Dole, la quinzaine de la SaintAndré 1332 ; ADD, 1B 791, fol. 9. 38 Il les a reçues du comte Othon en novembre 1294. 39 Le même Thibaut de Neuchâtel s’attire une excommunication en juin 1350 pour avoir blessé puis fait prisonnier et mis au carcan le doyen de Besançon Jean de Corcondray ; ADD, G 531. Ce geste est significatif : Jean de Corcondray est un fidèle serviteur du prince, siégeant notamment à plusieurs reprises au Parlement. À travers lui, n’est-ce pas le gouvernement d’Eudes IV qui est visé ?
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Et rechiefz a Thiebault sires de Neufchastel, chevalier, l’on fera par la maniere audit Rahoul ainsi comme dit est […] de tout et ce de quoy il se douloit avant le trespassement de son père tant pour lui comme pour son dit pere40. Nous sommes condamné aux conjectures, qui ne sont pas incompatibles entre elles. Mais nous disposons toutefois de plus amples renseignements grâce au cartulaire de Neuchâtel ; le motif des plaintes du père de Thibaut (Thibaut IV) y est éclairé par un acte du roi Philippe V: Thiébaut de Nuefchastel nous a donné à entendre que il a plusieurs droitures, rentes et autres choses en la ville et en la chastellenie de Baume qui meuvent et sont du fief à notre amee et feal Mahaut comtesse d’Artoys pour raison de la contey de Bourgoigne, et que les gardes des eglises de Lieu Croissant et Lanthenans li appartiennent et doivent appartenir41. Le roi intime alors au bailli l’ordre d’en être informé et de ne pas aller à l’encontre de ces droits. Nul doute qu’à l’avènement d’Eudes IV, Guy de Villefrancon n’en a plus tenu compte car en 1341 le duc, fidèle à l’arbitrage royal de 1337, demande au gardien Vauthier de Vienne de faire une enquête sur le bien-fondé des réclamations de Thibaut de Neuchâtel au sujet de la possession des gardes et de la vicomté de Baume42. Le sire a été déclaré dans son droit puisqu’il est dans l’obligation d’y renoncer au profit d’Eudes IV deux ans plus tard. On peut donc conclure que les faits incriminés, pour lesquels il implore son pardon, visaient à imposer son droit sur les trois établissements religieux. Par la force certainement43. Mais contrairement à ce que son descendant affirme à Jean sans Peur dans l’espoir de récupérer le don d’Othon IV44, Neuchâtel est loin de rentrer dans le rang, ayant encore maille à partir avec les troupes ducales à l’Isle-sur-le-Doubs
40 ADD, 7E 1318, ADD, 7E 1323, ADD, 1B 339 (1), publié par Fr.-F. Chevalier, Mémoires…, op. cit., t. I, preuve n° 95, et par U. Plancher, Histoire…, op. cit., preuve CCLXI. 41 Lettre du 25 mai 1317, vidimée par Richard de Dole, bailli en Bourgogne ; BnF, N.a.f. 3535, n° 59, fol. 103. 42 Le 6 septembre 1341 ; BnF, N.a.f. 3535, n° 60, fol. 103. 43 Ceci serait totalement confirmé par la pièce qu’Édouard Clerc dit avoir retrouvée dans les archives de Dijon et qu’il cite ainsi : « À très haut et excellent prince le duc de Bourgougne, Thibaut de Neufchatel, fils (de) Mons. Thibaut de Neufchatel. Comme par plusieurs fois en ma personne et par plusieurs messaiges envoyés à vous et à vostre gent, je haie proié, supplié et requis que li dommaiges que hais offert, soustenu et hahu de vous et de vostre gent, espéciaulement en moy occupant la Vicontey de Bame, la conduite dou grant chemin dois Pont-Charrot jusques à Parlante, la garde de Leu-Croissant et de Lanthenans, et plusieurs aultres choses, de quoy je ne faiz à maintenant mencion, combien queles me soient en grant domaiges, me fussent adraciés et amandés, et vous ne l’ayez faiz, savoir vous faiz que je le amenderai sitot conme je pourray. » ; É. Clerc, Essai…, op. cit., p. 49. On comprend que, bafoué par les hommes du duc dans ses droits justiciers exercés au titre de protecteur des établissements ecclésiastiques et des marchands, et ne parvenant pas à en obtenir réparation auprès du prince, il avise celui-ci qu’il va se faire justice lui-même, certainement en se dédommageant sur le terrain dans les châtellenies comtales voisines de ses terres. 44 « Par lequel traité le suppliant affirme que ses predecesseurs inclinerent et ne condescendirent plus à complaire au feu conte de Borgoigne que à la voie de rigueur, sans vouloir sostenir ne defendre leur bon droit comme bien eussent pu et deu faire » ; BnF, N.a.f. 3535, n° 62, fol. 104.
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en 134745. C’est donc que l’humiliation de 1343 va à l’encontre de toutes les coutumes. Le roi statue d’ailleurs en faveur d’une restitution de ses gardes de Lieu-Croissant et de Lanthenans, de la vicomté de Baume et du conduit des marchands à Thibaut de Neuchâtel lors du nouvel arbitrage rendu en mars 134846. On entend donc par ce terme de « coutumes et franchises » l’ensemble des droits acquis par la noblesse, ici de justice, dont Eudes IV semble bien décidé à la dépouiller pour le compte du prince. Édouard Clerc a mis le premier en exergue l’enjeu majeur que constitue l’exercice de la justice dans les luttes de pouvoir entre les barons et Eudes IV47. Le moyen employé est insidieux : en faisant entrer progressivement leurs sujets dans sa commendise, par l’octroi de protections individuelles ou collectives, le pouvoir comtal les arrache au ressort du seigneur local haut justicier en leur offrant la possibilité d’en référer à sa justice propre. On aura l’occasion d’y revenir dans la quatrième partie. Notons que la pratique n’est pas l’apanage du duc-comte, chacun tentant semble-t-il de faire entrer les hommes d’autrui dans son orbite judiciaire, comme en témoigne l’arbitrage royal de mars 1348 : Item des comanz que li un prennent sur les autres ou païs par dela, dont souvente foiz viennent et naissent matières de descort […], en ferons du consentement des parties selonc notre povoir aucun bon traictié ou aucune bonne ordenance, par quoy matieres de content n’en puissent venir d’ores en avant48. Malgré la bonne volonté du roi, cette mesure n’a pas été suivie d’effets probants, puisqu’en 1349 la question des commendises fait encore l’objet d’un accord entre la régente Jeanne de Boulogne et les grands : Item, avons outroié de grace especial que nos ne autres ne puissiens recoivre commanz en la dicte contee d’autre seignorie ou justice, et que toutes commandises faictes dou temps passei soient ostees par mentenant49. Le duc-comte n’a pas en effet les moyens légaux d’imposer les commendises, c’est-à-dire des précédents qui confèreraient un caractère coutumier à ces pratiques. Aussi, se heurte-t-il certainement à un refus massif, qu’il compense par l’emploi de la contrainte : ses officiers procèdent à des confiscations sur les terres des récalcitrants, touchés au cœur de leur potentiel économique. La pression économique
On en arrive ici à évoquer la délicate question des « gageries », qui constitue pour Édouard Clerc l’un des motifs principaux d’exaspération des barons50. Son propos 45 46 47 48 49
ADD, 1B 150, fol. 137-156v. ADD, 1B 389 ; ADCO, B 11 912 ; U. Plancher, Histoire…, op. cit., preuve CCLXXX. É. Clerc, Essai…, op. cit., p. 42. ADD, 1B 389 ; ADCO, B 11 912 ; U. Plancher, Histoire…, op. cit., preuve CCLXXX. ADD, 1B 55 et BEC Besançon, Droz 28, fol. 333-337 ; publié par E. Champeaux, Ordonnances franccomtoises sur l’administration de la justice (1343-1477), Paris, Picard, 1912, p. 6. 50 É. Clerc, Essai…, op. cit., p. 43.
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est sans doute à nuancer, car l’usage de ce moyen de pression est général dès qu’un contentieux s’élève entre deux parties51. Mais Eudes IV ne respecte pas les règles du jeu, appliquant les pratiques d’usage en temps de guerre alors qu’elle n’a pas été ouverte par un défi officiel52. Elles ne peuvent être justifiées que par le bon plaisir du prince, ce qui est inacceptable aux yeux des grands féodaux. Leur utilisation par le duc peut recouvrir certainement beaucoup de cas de figures (refus d’hommage, gages de dettes…). Nos documents ne précisent pas toujours le motif des représailles53. Elles découlent en fait d’une déviation de la pratique des sûretés réelles54, qui du contractuel auraient basculé dans l’arbitraire, pour devenir une arme coercitive au service du pouvoir princier. Leur utilisation systématique dans les premières années du principat d’Eudes IV semble en effet avoir fait monter la tension entre le prince et la haute noblesse, autant par leur caractère subversif et vexatoire que par le manque à gagner qu’elles occasionnent. De telles méthodes peuvent vite déboucher sur une escalade vengeresse des violences, sans compter qu’elles encouragent les abus des officiers. On comprend pourquoi il semble urgent à la régente Jeanne de Boulogne, après presque vingt ans de conflits, de tenter de réguler cette pratique sauvage en limitant son usage par le recours au droit : Item, que nulles postures, despens de serjeanz, ne missions de persons ne de bestes dont l’an auroit gaigié ne soient levez ne paiez jusques l’on saiche se li gaigement aurai estei fait à droit. […] Item, que gaigemenz ne soient fait en la dicte conté de Bourgogne senz arraignier de justice dou lué ou en voudrai gaiger55.
51 Il relève du droit de la guerre tel qu’on le conçoit au xive siècle. Voir J. Richard, « Le droit de guerre… », art. cit., et M. Bubenicek, « Noblesse, guerre… », art. cit., p. 410. Encore une fois, Eudes IV subvertit une vieille pratique féodale pour mieux affirmer son droit de prince. 52 A contrario, les barons ont respecté les règles en usage avant de passer à l’offensive au printemps 1336. 53 Le mardi avant les Rameaux (28 mars) 1333, le bailli envoie des lettres aux prévôts de Dole et de La Loye, leur donnant l’ordre de « gager » Henri de Bourgogne, qui doit 3 000 l. au duc ; ADD, 1B 791, fol. 10v. Le vendredi avant l’Ascension (7 mai) de la même année, les gens d’Amance (qui appartient à Henri de Bourgogne) font une « rescousse » aux sergents de Jussey qui gageaient par commission pour le duc ; ibid., fol. 5-5v. Le mercredi après Pentecôte suivant (26 mai), Jean de Corcondray va à Chissey « pour prendre la saisine pour monseigneur » ; ADD, 1B 79A1, fol. 28. De guerre lasse, Henri de Bourgogne a en effet fini par concéder cette terre à Eudes IV, pour le prix des 3 000 l. dues, le 10 mai ; ADD, 1B 340. Une autre affaire justifie le recours aux gageries, contre le comte d’Auxerre, cette fois, dont le châtelain de Châtelbelin refuse de libérer trois bourgeois de Poligny qu’il tient prisonniers. Le lundi avant la Saint-Michel (27 septembre) 1333, le prévôt de Poligny, assisté de vingt gentilshommes d’armes, pille alors sa terre de Marigny ( Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Saint-Laurent-en-Grandvaux) ; ADD, 1B 79A1, fol. 20v. Jean de Chalon-Arlay fait aussi les frais de ce procédé, pour une raison inconnue, les mardi et mercredi devant la Saint-André (28 et 29 novembre) 1335, sur ordre du bailli Guy de Villefrancon, fidèle à l’image qu’il a laissée dans l’histoire comtoise. Il mobilise pour cette opération le prévôt de Poligny accompagné de vingt-trois hommes en armes, et celui de Grozon, avec sept hommes et des sergents du lieu ; BnF, Moreau 900, fol. 297v. 54 Par opposition aux sûretés personnelles, qui engagent des individus, pleiges ou otages, pour garantir la bonne exécution d’un contrat, elles mettent en jeu des biens meubles et immeubles. 55 ADD, 1B 55 et BEC Besançon, Droz 28, fol. 333-337 ; publié par E. Champeaux, Ordonnances…, op. cit., p. 6.
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D’autres clauses des sentences d’apaisement des conflits, communes à l’arbitrage royal de Philippe VI en 1348 et à l’ordonnance de Jeanne de Boulogne proclamée un an plus tard, laissent à penser que les enjeux économiques ont aussi tenu une place importante dans les motivations belliqueuses des grands. Il semble bien en effet que le Capétien ait tenté d’étendre le monopole princier à l’activité économique, et que l’expansion du droit du prince au détriment des grands soit allée bien au-delà de ce que les historiens des guerres comtoises ont communément admis. Ce point sera davantage développé dans la quatrième partie. La féodalité est ainsi ébranlée dans ses fondements les plus profonds et, on peut l’avancer, carrément menacée de ruine. On comprend mieux pourquoi la politique d’Eudes IV, en décalage avec toutes les règles de l’époque, a déclenché un tel tollé. Il ne pouvait que déboucher sur un conflit ouvert, qui va occuper le duc-comte pendant toute la durée de son principat.
2. Le temps des guerres (1330-1349) Des intérêts et des situations très complexes sont en jeu à travers les fameuses guerres comtoises, car au contexte nobiliaire local, déjà fort embrouillé par des parentés, des fidélités multiples, et parasité par des guerres privées, s’ajoutent les conflits avec les princes voisins, le tout sur toile de fond de la guerre franco-anglaise. Sans dérouler de bout en bout le fil des épisodes, déjà connu pour l’essentiel, et qui serait fastidieux, on s’attachera à en dégager quelques points forts, par une étude des tactiques et des principaux enjeux. Il faudra avoir à l’esprit que l’état de guerre est endémique dans le comté de Bourgogne pendant toute la période, mais que des répits permettent de rallier une partie des grands à la cause bourguignonne et française. C’est Édouard Clerc qui le premier a eu l’idée d’exploiter les comptes pour éclairer davantage les guerres comtoises contemporaines d’Eudes IV, ce qui constituait presque pour l’époque une révolution méthodologique dans le monde de l’histoire locale. L’essentiel de nos connaissances en matière événementielle reposent encore aujourd’hui sur ses travaux. Reproduit dans la plupart des histoires de la FrancheComté, le poème de Renaud de Louens déjà évoquait la guerre déclenchée par les barons au printemps 1336 : Léauté promirent ensemble, \ Et deffiarent le duc Eudes \Un dimanche, selon je cuide56, \ D’apvril le quatorzième jour, \ Puis le lendemain sans séjour \ Fut 56 Cette mention est-elle innocente ? Est-il en usage de lancer un défi le dimanche ? Nous n’avons point trouvé d’autre trace de ce défi, à l’exception de Gollut qui stipule que les barons « envoiérent un home d’ecclise au duc Eudes, et le feirent deffier en la présence mesme du roy de France, estant à Beaune avec Jeanne, sa femme, sœur du duc Eudes » ; L. Gollut, Les mémoires historiques…, op. cit., col. 693. Claude Gauvard se demande si la réalité n’est pas moins glorieuse que ce que veulent faire croire les sources narratives, qui utilisent fréquemment le défi pour vanter les hauts faits d’armes, et soulève la question de l’existence même de cette déclaration solennelle de guerre sous cette forme rituelle. Elle pose bien le problème d’un tel déclenchement des hostilités : « Mais, au moment où la guerre juste tend à devenir le monopole du souverain, roi ou prince, tout le problème consiste à savoir qui possède
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ars Salins, puis Pontaillié57 \ Par lour et par lour compaignie, \ Et faicte grant destruction \ En toute celle région. Ces vers nous invitent à plonger au cœur des événements. On présentera d’abord les opposants du duc-comte, avant d’envisager quelques aspects des guerres comtoises. a. Les protagonistes
Si le théâtre des opérations reste très circonscrit dans l’espace, il n’en va pas de même des forces engagées, aux ramifications nombreuses. Ce qui fait que ces conflits s’inscrivent en fait au cœur de la politique internationale – si l’on peut employer un tel adjectif. La haute noblesse comtoise, révoltée contre le pouvoir princier en voie d’affirmation, cherche en effet des alliés à l’extérieur de la province. Les barons comtois
A-t-on là une « guerre d’indépendance », ainsi que certains l’ont appelée, contre la mainmise ducale et française ? En fait, la noblesse apparaît, au cours de la période qui nous intéresse, moins unanime et moins organisée que dans les années 1295-1301, lorsqu’elle s’était élevée contre la cession de la province au roi Philippe le Bel58. Les camps se répartissent différemment. Les temps ont changé, de nouveaux facteurs catalyseurs entrent en jeu. Et les alliances que peuvent nouer entre eux les grands sont à géométrie variable. Une rapide analyse chronologique le démontrera aisément. Les trois principaux barons qui combattent le duc Eudes IV, entre le printemps 1336 et l’arbitrage royal qui met fin aux hostilités en juin 1337, sont Jean de Chalon-Arlay, Henri de Montfaucon-Montbéliard et Thibaut de Neuchâtel. Une charte nous en donne la certitude : le vendredi avant Pâques Fleuries (11 avril) 1337, les trois hommes passent un accord devant l’official de Besançon, par lequel ils s’engagent à ne conclure aucune paix séparée, et à s’entraider si, en cas de paix, le duc de Bourgogne entend opérer sur eux des confiscations ou une mainmise « pour raison de l’hommage non fait à lui ou de la guerre dessus dite ». La promesse mutuelle, qui s’étend à leurs héritiers, est scellée par un serment et une peine de 1 000 marcs d’argent59. Elle s’explique peut-être par la récente prise en main de la seigneurie de Neuchâtel par Thibaut V, dont le père vient de mourir. Sa détermination est sans faille, et il se tient au même moment sur le pied
désormais le droit de défier l’adversaire, et s’il suffit de mener l’ouverture des hostilités selon les règles du défi […] pour que le combat soit considéré comme licite » ; C. Gauvard, « Le défi aux derniers siècles du Moyen Âge : une pratique entre guerre et vengeance », in Relations, échanges, transferts en Occident au cours des derniers siècles du Moyen Âge. Hommage à Werner Paravicini. Actes du colloque de Paris (palais de l’Institut, 4-6 décembre 2008), B. Guenee et J.-M. Moeglin (éd.), Paris, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 2010, p. 384. 57 Pontarlier. 58 Voir Fr. Funck-Brentano, « Philippe le Bel… », art. cit. 59 « Li dessus nommey ne pohent faire pais ne acort de la guerre qu’il hont à duc de Bourgoine li uns sam l’autre, et se n’estoit dou commun consantement de lour trois ensanble… » ; BEC Besançon, Duvernoy 72, fol. 9. La charte est consultable en ligne sur le site :
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de guerre. 32 reprises de fief, toutes sur le même modèle et enchaînées en un temps très bref, entre le 6 et le 20 avril 1337 (dont 24 pour le 6 avril)60, lui permettent de connaître les forces à sa disposition, même si le fief comtois est réputé sans service61. Si l’intervention de Philippe VI paraît avoir un temps calmé le jeu, le duc n’a pourtant rien cédé sur sa politique de fond, et dès l’été 1338, de nouvelles opérations témoignent d’un climat particulièrement tendu. Il prend certainement sa source dans les représailles musclées menées par les troupes comtales contre le sire de Belvoir à la mi-juin 133862. Elles déclenchent une véritable escalade. Autour du 25 juin, le gardien lance un mandement pour rassembler des troupes à Gray « sur le fait de Jehan de Chalon et de ces de Besançon qui devaient courre outre Saone si comme on disoit63 », et qui « avoient leur mandement à Ougney64 », dans les environs de Gray. Le 28 juin entre en scène un nouveau protagoniste : Jean sire d’Oiselay. Cette même année 1338, il a repris en fief de Jean de Chalon-Arlay le recept du château d’Oiselay65, et figure dans les rangs ennemis : au mois de juillet, il est attendu de pied ferme à Montjustin, où on a mobilisé 186 sergents pour garder la ville, qu’il doit venir attaquer accompagné des troupes de Villersexel66. Cette collusion s’explique par son mariage avec la fille de Jean de Faucogney-Villersexel67. Le 30 juin, c’est contre le seigneur de Montfaucon, qui a allié ses forces à celles du sire de Belvoir et menace Clerval, qu’il faut aussi se prémunir68. En août, les Bisontins menacent encore Baume69. À la fin de l’année enfin, les barons semblent avoir fait appel à des renforts allemands70. Sont-ce là de simples manœuvres d’intimidation ? Le duc les a en tous cas prises très au sérieux, jusqu’à chercher des soutiens en Savoie et dans le comté de Genève71. Il y est stipulé en outre que si Chalon ou Neuchâtel ne respectaient pas ces « convenances », le fief qui les lie reviendrait à la partie lésée. Or, le cartulaire de Neuchâtel nous a transmis un arrangement par lequel Jean de Chalon constitue une rente de 50 l. annuelles à Thibaut de Neuchâtel pour ses « bons et agreables services », ce dès le lendemain du traité, le 12 avril 1337. Cette date incite à penser que ces 50 l. constituent le fief en question ; BnF, N.a.f. 3535, n° 36. Les historiens anciens ont employé à propos des barons ligués contre Eudes IV le terme de « confédération », qui renvoie à une alliance destinée à soutenir une cause. Mais ce n’est pas ici une « alliance » contractuelle comme les princes bourbonnais ont pu en pratiquer à la fin du xive siècle, car sa base reste à dominante féodale, avec rémunération (le fief de Thibaut de Neuchâtel) et compensation pécuniaire (les 1 000 marcs d’argent). L’accord, qui se désigne comme une « convenance », implique cependant l’idée d’entente mutuelle et d’une « réciprocité obligatoire » ; O. Matteoni, Institutions et pouvoirs en France, xive-xve s., Paris, Picard, 2010 (Les Médiévistes Français 10), p. 86-89. 60 BnF, N.a.f. 3535. Les actes sont disséminés dans le cartulaire. 61 M.-Th. Allemand, « Notes… », art. cit., p. 312. 62 BnF, Moreau 900, fol. 356-357v, 374-374v. 63 Ibid., fol. 355v-357, 358-359, 363v, 374v-375. 64 Ibid., fol. 363v. Ougney, Jura, ar. Dole, c. Authume. 65 BEC Besançon, Droz 19, fol. 465. 66 BnF, Moreau 900, fol. 357, 373 et 375. 67 J.-T. de Mesmay, Dictionnaire…, op. cit., t. II, p. 514. 68 BnF, Moreau 900, fol. 362v, 375v. 69 Ibid., fol. 358v-359. 70 Ibid., fol. 363-364. 71 « À Raymondin, portier du chastel de Gray, du commandement du gardien, pour porter lettres de par monseigneur le duc en Savoie et en Geneve, c’est à savoir au seigneur de Vilars, au Galois de la Baume et à pluseurs autres pour etre au mandement monseigneur le duc… » ; ibid., fol. 364v-365.
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La guerre générale ne s’est cependant pas rallumée, et en 1340 le climat entre le duc et sa haute noblesse, qui le sert aux armées royales, est apaisé. Le compte du trésorier des guerres de Philippe VI atteste que font partie de la « bataille » d’Eudes IV aux frontières septentrionales du royaume Henri de Montfaucon, comte de Montbéliard, Jean de Chalon, seigneur d’Arlay, ainsi que Louis de Neuchâtel outre-Joux72 – qui tient une position ambiguë lors des conflits. En Franche-Comté aussi, les anciens rebelles accomplissent leurs devoirs militaires : Jean de Chalon délègue le sire de la Serrée au mandement du gardien du comté à Gendrey, où il se rend avec vingt-cinq hommes en son nom73 ; Jean d’Oiselay tient garnison à Vesoul ou à Montjustin entre l’été 1340 et l’été 134174. Les années suivantes voient ce dernier gratifié de plusieurs avantages par le pouvoir comtal qui cultive sa loyauté75. Tous n’ont pourtant pas alors baissé les armes, et l’insécurité est permanente sur le front septentrional pendant cette période transitoire du fait de la « doubtance » des enfants de Faucogney. Soit vraisemblablement Henri, vicomte de Vesoul, et son frère Thibaut. Insistons sur le fait que le seigneur de ce nom, Jean de Faucogney, beau-frère du duc et de la duchesse, ne participe pas à cette guerre, et qu’en 1336 comme en 1346, au plus fort de l’opposition des barons, il reste fidèle à Eudes IV76. Thibaut de Neuchâtel, lui, ne semble guère avoir quitté le camp des ennemis pendant les années 1340, marquées par sa soumission forcée en 134377 et la prise de sa maison forte de Mathay en 134478. Un nouveau conflit s’est d’ailleurs déclenché, peut-être la guerre dite de Châtelguyon79, impliquant le comte de Montbéliard, et terminée sur une paix dont le duc Eudes a lui-même dicté les conditions en 134380. Elle est recouverte de l’obscurité la plus totale. L’automne 1346 génère un nouveau remaniement des alliances. Neuchâtel et les enfants de Faucogney sont rejoints par Jean de Chalon-Arlay. En revanche, Henri de Montfaucon-Montbéliard ne s’engage pas cette fois dans le conflit, contrairement à 1336. Mais Jean d’Oiselay reprend les armes. Le compte du prévôt de Gray le qualifie alors d’ « ennemi monseigneur » et fait état d’un butin de guerre de trois bêtes, d’une jument et d’un poulain pris sur un de ses hommes81. Nous n’avons pas trouvé trace
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BnF, N.a.f. 9239, fol. 201, 202-202v, 264v. ADD, 1B 150, fol. 21v-22. ADD, 1B 150 et 1B 82, fol. 4-9. En 1341-1342, il jouit d’un fief de 25 l. sur la saline de Salins, en raison duquel il reçoit, pour le terme de la Saint-Hilaire (13 janvier), trente-huit charges et deux bénates de sel à 13 s. la charge ; ADD, 1B 247, fol. 4v. Le samedi après la conversion de Saint-Paul (1er février) 1343, il touche encore du trésorier de Vesoul Richard des Bans, sur ordre du gardien et pour une cause inconnue, 40 l. estevenantes ; ADCO, B 1070. On le voit ainsi tenir garnison avec ses hommes à Gray du 30 avril au 16 mai 1336 ; BnF, Moreau 900, fol. 293. Le 14 décembre 1346, on lui envoie une lettre de mandement, ainsi qu’aux seigneurs de Villersexel et de Montfaucon ; ADD, 1B 133B, fol. 29. ADD, 1B 454 (15), publié par Fr.-F. Chevalier, Mémoires…, op. cit., t. I, preuve n° 98. ADD, 1B 124, fol. 8-8v. Cet épisode oppose Jean de Chalon-Arlay, assisté des Bisontins, au duc Eudes IV qui entend lui faire démolir la nouvelle forteresse qu’il a élevée au-dessus de Salins ; É. CLERC, Essai…, op. cit., p. 70-71. ADD, 1B 41. Le document est hélas illisible. ADD, 1B 126(2), fol. 2v.
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des 1 000 florins qu’il aurait reçus de Jean de Chalon-Arlay82 et qui auraient justifié des déprédations dans les alentours de Gray, suivies des représailles des bourgeois de cette ville83. Il est certain en revanche qu’une trêve est passée avec lui fin août 1347, mais l’incertitude plane sur son respect, comme en témoignent plusieurs lettres envoyées de Montjustin auxquelles il tarde à donner sa réponse84. Il a apparemment matière à se plaindre de la politique comtale à son égard, ainsi que l’indique l’arbitrage du roi de France daté de mars 1348, qui le restitue dans son droit. On ne sait, hélas, de quoi il est question : Item Jehan sire d’Ozeler requerra nostre dit frere [Eudes IV] que il li face raison, et ou cas que dedens un moys apres sa requeste il en feroit refus, par nos commissaires raison li seroit faitte85. Jean d’Oiselay ne fait dès lors plus parler de lui. S’est-il satisfait de l’arrangement ? Cette nouvelle intervention de Philippe VI a lieu un an avant le décès d’Eudes IV et la régence de Jeanne de Boulogne qui l’a suivi, et qui initient un bouleversement politique particulièrement profitable à la noblesse. Mais des sujets de mécontentement doivent rester en latence. Nous sommes mal renseignés sur les événements ayant abouti à la citation de Jean de Chalon dans les trêves de Bordeaux passées avec le roi d’Angleterre datées du 23 mars 1357. Y sont compris avec lui toujours, « fur especial », pour la partie du souverain anglais, « le seignur (sic) de Faucoigny, le sire de Noef Chastel, le viscount de Vissul86 ». On constate que Jean de Faucogney a cette fois rejoint son frère Henri, vicomte de Vesoul, dans le camp ennemi. Une occasion de rappeler deux points importants pour conclure sur ces barons : d’une part que les camps ne sont en rien fixés une fois pour toute, mais s’avèrent extrêmement mouvants ; d’autre part que les alliances anglaises sont un leitmotiv capital lors des guerres comtoises. Ces conflits ont en effet impliqué une bonne partie des forces vives de l’échiquier diplomatique du temps. Les alliés étrangers Le roi d’Angleterre
Le comté, resté terre d’Empire, se prête en effet aux alliances de revers comme l’Angleterre en pratique sur les marches du royaume de France (Bretagne, Hainaut…)87. 82 E. Petit, Histoire…, op. cit., t. VIII, p. 17, n. 4. 83 J.-T. de Mesmay, Dictionnaire…, op. cit., t. II, p. 514. 84 ADD, 1B 133B, fol. 34. 85 U. Plancher, Histoire…, op. cit., t. II, preuve CCLXXX ; ADD, 1B 389 ; ADCO, B 11 912. 86 Th. Rymer, Foedera, conventiones, litterae […] inter reges Angliae, et alios quosvis imperatores, reges…, J. Néaulme, 1739-17453, t. III/I, p. 133-136. Les barons ont sans doute profité du chaos provoqué par la capture du roi à Poitiers pour entrer en dissidence. C’est certainement ce qui explique que Jean de Chalon-Arlay se trouve en prison entre Pâques 1357 et le courant de l’année 1359 ; ADCO, B 1402, fol. 40v ; B 1405, fol. 40v ; B 1407, fol. 33v. 87 Voir M. G.A. Vale, « The anglo-french war 1294-1340 : Allies and alliances », in Guerre et société en France, en Angleterre et en Bourgogne, xive-xve siècle, Ph. Contamine, Ch. Giry-Deloison et M. Keen (éd.), Villeneuve d’Ascq, Université Charles de Gaulle-Lille III, 1991 (Histoire et littérature régionale 8), p. 15-35.
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Elle les avait déjà utilisées à l’extrême fin du xiiie siècle, lorsque la noblesse comtoise s’était fédérée contre Philippe le Bel son nouveau seigneur88. Mais le problème était retombé et les trêves franco-anglaises avaient débouché sur la soumission des Comtois. Certains seigneurs ont pourtant gardé des liens avec les îles britanniques : en 1335, Henri de Montfaucon, comte de Montbéliard, s’est rendu en Angleterre au secours de son roi en guerre avec l’Écosse, comme l’atteste le sauf-conduit que lui délivre ce souverain, pour lui et sa troupe, le 30 août de cette année-là89. Aussi serait-il plausible qu’un Anglais soit intervenu pour soutenir les barons comtois en révolte en 1337. Gollut écrit « Jean de Bohun, commissaire d’Édouard III, roi d’Angleterre, était dans le camp des confédérés et soldait sans doute leur résistance90 ». Il n’en dit pas plus, et il faut recourir à Édouard Clerc, qui reprend cette thèse, pour en trouver la source : le traité d’alliance du printemps 1337, conclu entre Jean de Chalon-Arlay, Henri de Montfaucon-Montbéliard et Thibaut de Neuchâtel. Nous nous sommes reporté à ce document. Y figure parmi les témoins Jean, seigneur de « Bohom » ou « Bahom », aux côtés d’Aymé, seigneur de la Serrée91 et de « monseigneur Renaud de Seilley92 ». Il s’agit sans doute bien de Jean de Bohun identifié par les anciens historiens. Il n’y aurait en effet rien d’incongru à ce que le roi d’Angleterre, dans un contexte de conflit ouvert imminent avec son cousin de France, ait déjà préparé ses arrières en Franche-Comté. Dans une lettre du 1er juillet 1337, il offre son alliance dans le Genevois à Louis, fils du comte de Neuchâtel outre-Joux, au comte d’Arberg, au sire de la Serrée, au comte de Genève, à Louis de Savoie, seigneur de Vaud, et sollicite également les seigneurs comtois : Thibaut de Neuchâtel, Hugues de Blonay, sire de Joux, Aymé, sire de Villersexel, Othe de Grandson, sire de Pesmes, Vauthier de Vienne, sire de Mirebel, Philippe de Vienne, sire de Pymont. Ceci sans grand succès apparemment93. En revanche, Jean de Chalon se laisse séduire et lui prête hommage pour une rente annuelle de 1 000 marcs esterlins. L’événement est daté, d’après l’inventaire de Chalon, de la deuxième année du règne du Plantagenêt en France et de la onzième en Angleterre, soit de 1338 ou 133994. Lors de la guerre de 1346-1347 au contraire, l’alliance de revers fonctionne à plein : le 9 octobre 1346, les procureurs de Jean de Chalon-Arlay, de Thibaut de Neuchâtel et d’Henri de Faucogney passent une convention avec Édouard III à Calais. Il est entendu que celui qui s’intitule alors « roi de France et d’Angleterre et seigneur d’Irlande » leur versera la somme colossale de 45 000 florins à l’écu, à recouvrer à Bruges. Moyennant quoi, les barons comtois s’engagent à entrer en guerre contre « Philippe de Valois se disant roi de France » et le duc de Bourgogne. Ils se verront dédommagés de leurs
88 J. de Sturler, « Le paiement à Bruxelles des alliés franc-comtois d’Édouard Ier, roi d’Angleterre (mai 1297) », Cahiers Bruxellois, 5 (1960), p. 18-37. 89 Th. Rymer, Foedera…, op. cit., t. II/III, p. 135. 90 L. Gollut, Les mémoires historiques…, op. cit., col. 693. 91 La Sarraz, Suisse, canton de Vaud, district de Morges. 92 BEC Besançon, Duvernoy 72, fol. 9. 93 É. Clerc, Essai…, op. cit., p. 66. Th. Rymer, Foedera…, op. cit., t. II/III, p. 176. 94 BEC Besançon, Droz 14, fol. 119. Pour recruter ses partisans, l’Angleterre a beaucoup utilisé la pratique du fief-rente en direction de la noblesse des frontières franco-impériales ; M. G.A. Vale, « The anglofrench war… » art. cit., p. 19.
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pertes par leur allié. On convient de ne faire aucune paix séparée95. Et effectivement, lorsque France et Angleterre concluent une trêve le 28 septembre 1347 près de Calais, il est spécifié qu’elle inclut pour la partie d’Édouard III « messire Jehan de Chalon, le conte de Noef Chastel : le sire de Noef Chastel : le sire de Faucogny », au même titre que Jean de Montfort, prétendant au duché de Bretagne96. Cette implication du comte de Neuchâtel nous invite à souligner que les seigneurs de la Suisse actuelle ont joui d’un poids politique non négligeable lors des conflits comtois. Le rôle ambigu des seigneurs d’outre-Joux
Quelques mois après la trêve de Calais, le 19 mars 1348, Louis de Neuchâtel outre-Joux tiendra à se disculper auprès de Philippe VI de toute implication dans l’alliance anglaise : Comme nostre amé et feal Loys, conte et seigneur de Nueschastel, chevalier, soit venuz par devers nous, et nous ait exposé que il estoit venu à sa cognoissance que li roys d’Angleterre, es trieves prises darrenierement entre nous et lui, lavoit mis de sa partie, pour quoy lon pourroit cuidier que il fut aliez à lui ou li eust faites promesses contre nous, la quelle chose il ne fist oncques en sa vie, ne ne voudroit avoir faites pour nuls deniers gaignier, si comme il s’en est excusez par devant nous si avant et si souffisant, que nous len avons et tenons et voulons estre tenuz de touz pour excuse97. Confusion des Anglais peu au fait de la distinction entre les deux familles homonymes ou félonie du comte de Neuchâtel ? On ne saurait le dire. Il n’est pas cité en tout cas dans la convention d’octobre 1346, ce qui fait pencher en faveur de la première hypothèse. Il est pourtant encore signalé comme « obéissantz au roi d’Engleterre » avec Jean de Chalon dans les trêves de Bordeaux datées du 23 mars 135798. Voilà qui prouve bien le caractère trouble de son jeu. Quant à Aymé de Montferrand, seigneur de La Serrée, il figure comme témoin au bas de l’acte d’alliance passé entre les seigneurs comtois rebelles à l’autorité ducale, au printemps 1337. Certainement lié par l’hommage à Jean de Chalon-Arlay, il le suit dans ses changements de politique envers Eudes IV : le dimanche après la Saint-Pierre-et-Paul (2 juillet) 1340, il se rend avec vingt-cinq hommes au mandement du gardien du comté à Gendrey en son nom99. On peut citer un autre exemple pour illustrer la position délicate de ces grands voisins du comte. Celui-ci entretient des relations diplomatiques avec le seigneur d’Asuel100, qui vient, en septembre 1337, jusqu’à Montmirey pour rencontrer le gardien
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BEC Besançon, Droz 14, fol. 483-483v. T. Rymer, Foedera…, op. cit., t. III/I, p. 20-27. G.-A. Matile, Monuments de l’histoire de Neuchâtel, s. l., imp. James Attinger, 1844, n° 507. Th. Rymer, Foedera…, op. cit., t. III/I, p. 133-136. ADD, 1B 150, fol. 21v-22. Commune de La Baroche, Suisse, canton du Jura, district de Porrentruy.
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afin de l’entretenir « d’aucunes besognes secretes touchant l’onour monseigneur101 ». Il sert également Jean de Chalon-Arlay, qui lui est redevable de fortes sommes d’argent102. Il a épousé la fille de Gauthier de Ray103, gardien du comté en 1349-1350. Jouant avec habileté sur tous les tableaux, il a su renforcer sa position. Le duc d’Autriche
Parmi ces voisins très courtisés par les deux partis, on ne saurait oublier les ducs d’Autriche. Eudes IV a échoué à se les concilier, comme on le verra un peu plus loin. Édouard III a également tenté de les entraîner dans son alliance, en 1339 notamment104. Jean de Faucogney trouvera refuge sur les terres du duc Rodolphe qui lui accordera sa protection en 1362105. Pourquoi des princes si lointains ? Cela s’explique aisément lorsqu’on sait que le mariage d’Albert II, duc d’Autriche, avec l’héritière du comté de Ferrette, Jeanne (qui se trouve être, par sa mère Jeanne de Montbéliard, la nièce d’Henri de Montfaucon), l’a introduit en Haute-Alsace, dont il tient le landgraviat, aux portes de la Franche-Comté. Et de là, en effet, il ne va cesser de harceler le duc-comte106, peut-être moins sous l’influence anglaise qu’en raison des griefs qu’il nourrit à l’égard d’Eudes IV, principalement motivés par les prétentions de celui-ci à mettre au pas l’abbaye de Lure. La succession du comte de Ferrette a fait d’Albert d’Autriche l’avoué du monastère, fonction un temps occupée, on s’en souvient, par Hugues de Bourgogne. En raison sans doute de ce précédent, Eudes IV exige un hommage pour la garde de Lure, ce que refuse le duc d’Autriche. Le Capétien aura dès lors de nombreux démêlés avec l’abbaye, surtout lorsqu’elle entendra édifier des fortifications – on aura l’occasion d’y revenir – et saisira ses biens107. Le conflit avec l’Autriche au sujet de Lure ne trouvera pas de solution immédiate et occupera encore la comtesse Marguerite. Les grandes abbayes
Bien mal en prit semble-t-il à Eudes IV de s’être aliéné le monastère de Lure et son protecteur, car derrière lui se tient un réseau puissant d’abbayes, qui entretiennent des relations privilégiées entre elles et jouissent d’une réelle indépendance en tant 101 BnF, Moreau 900, fol. 368v-369. L’expression « besoignes secretes » est courante pour désigner la négociation des traités d’alliance ; N. Nabert, Les réseaux d’alliance en diplomatie aux xiveet xve siècles, Paris, Champion, 1999, p. 367 sq, citée par M. Bubenicek, Entre rébellion…, op. cit., p. 370. 102 Voir IIe partie, chapitre ii. 103 J.-T. de Mesmay, Dictionnaire…, op. cit., t. I, p. 103. 104 É. Clerc, Essai…, op. cit., p. 67, d’après Rymer. 105 ADD, 1B 350 (12). 106 Par exemple, le 8 juin 1346, une lettre partie d’Étobon arrive à Montjustin pour prévenir du bruit qui court que « ceux du comté de Ferrette étoient rassemblés pour courir sur monseigneur » à Châtillon et à Vesoul ; ADD, 1B 133B, fol. 26. Trois mois auparavant, le 8 mars, une lettre de Jacquet d’Arpenans était envoyée à Jean de Morey, à Gray, « pour le mandement qu’on faisoit en la comté de Ferrette » ; ibid., fol. 25. 107 L. Besson, Mémoire historique…, op. cit., p. 58-59.
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que fiefs d’Empire. Nous voulons parler de Luxeuil, et surtout de Murbach108. Cet établissement religieux situé en Haute-Alsace, qui dépend du diocèse de Bâle, apparaît souvent au détour des comptes militaires, ce qui pourrait sembler surprenant si on ignore que ses possessions très étendues viennent jusqu’aux environs de Lure et de Montbéliard, où il détient plusieurs églises. Ses abbés puissants se sont unis à ceux de Lure pour défendre leurs droits contre les prétentions du comte de Bourgogne à les contrôler109, et font régulièrement descendre des troupes à la frontière nord de sa principauté110. Et comme si cela ne suffisait pas, Eudes IV doit en plus compter avec des Lorrains que les barons révoltés s’efforcent de rallier à leur cause. Les seigneurs lorrains
Le duc de Lorraine a clairement refusé de prendre parti, et décliné en 1336 la demande de soutien militaire adressée à lui par le Bourguignon, arguant qu’il avait fort à faire avec les Allemands entrés en son pays111. Mais quelques seigneurs de la province sont courtisés par les belligérants. Jean de Chalon a le souci de s’assurer leurs bonnes grâces au moyen de larges subventions. Rappelons les obligations financières qui le lient, dans les années 1350, à Thibaut de Blâmont et à Brocard de Fénétrange112 ; elles prennent sans doute leur source sous le principat d’Eudes IV113. Son allié Henri de Faucogney y est d’ailleurs impliqué en tant que garant. N’oublions pas que ce dernier a épousé en 1347 Jeanne de Blâmont. Chalon-Arlay et Faucogney ont donc leurs entrées en Lorraine : on voit le sire de Chalon se rendre à Metz pendant la guerre de 1346 pour y trouver des appuis114. En fait, le patriciat de la cité participe activement aux affaires françaises et impériales, et ses chevaliers en grand
108 Murbach, Haut-Rhin, ar. Thann-Guebwiller, c. Guebwiller. 109 L. Besson, Mémoire historique…, op. cit., p. 44-45. 110 Par exemple, les messageries de Montjustin font état d’une lettre de Pierre d’Étobon, datée du 8 juin 1346, destinée à avertir le bailli Jean de Montaigu que les gens de l’abbé de Murbach opèrent des raids sur les terres comtales ; ADD, 1B 133B, fol. 26. Un peu plus d’un an après, un message du 27 juillet 1347 est envoyé au même à Vesoul « pour faire savoir que les gens de l’abbé de Morbes [Murbach] descendaient aval sur les gens monseigneur » ; ibid., fol. 33v. 111 É. Clerc, Essai…, op. cit., p. 52, repris par E. Petit, Histoire…, op. cit., t. VII, p. 154. 112 ADD, 1B 68 (1) et 1B 262 (29). Voir IIe partie, chapitre ii. 113 Le Vendredi saint (30 mars) 1347, une lettre part de nuit de Montjustin en destination de Bracon, afin d’avertir le bailli Jean de Montaigu « que le comte de Blamont estoit retenu de Jehan de Chalon » et qu’il devait « corre » sur le duc ; ADD, 1B 133B, fol. 30v. 114 Le 18 octobre 1346, un homme est envoyé à Metz « savoir le convoinne de Jehan de Chalon », relayant les messagers déjà partis les 21 et 24 août ; ibid., fol. 26v-27. Le 3 novembre, on écrit aussi à un écuyer qui vient de Lorraine, dans le même but, puis le 13 à un Lombard résidant dans la province ; ibid., fol. 27. Le 6, puis le 13 mars 1347, de nouveaux messagers partent pour Metz s’y informer des intentions du sire d’Arlay ; ibid., fol. 30. Le Lombard de cette ville écrit finalement au bailli Jean de Montaigu afin de lui notifier le départ de celui-ci « à grande compagnie de genz d’armes ». Sa lettre arrive à Montjustin le 16 avril ; ibid., fol. 30v. Jean Schneider a évoqué les négociations menées à Metz par Jean de Chalon en 1346, puis par Thibaut de Faucogney en 1347. Mais il n’y voit que des tractations relatives à la voie commerciale qui relie Metz à l’Italie par Pontarlier ; J. Schneider, La ville de Metz aux xiiie et xive siècles, Nancy, imprimerie Georges Thomas, 1950, p. 22.
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nombre représentent une force politique et militaire non négligeable115. Instruit par ces expériences, Eudes IV juge plus prudent d’attribuer à Girard de Beaufremont une rente sur Port-sur-Saône le 10 décembre 1346116, tandis que Philippe de Rouvres gratifie peut-être Thibaut de Blâmont du don de la châtellenie de Montby en 1359117, l’absolvant ainsi de ses anciennes accointances avec les opposants du comte. Les « Allemands »
Outre les allusions à ces grands seigneurs lorrains, les documents contemporains des guerres comtoises font à de nombreuses reprises état d’incursions des « Allemands » sur les franges nord du pays118. On a du mal à savoir quelle réalité se dissimule sous un terme aussi vague. Lorrains germanophones alliés de Jean de Chalon? Alsaciens sujets du duc d’Autriche119 ? Qu’entend-on exactement lorsqu’on parle d’ « Allemagne » ? Le plus vraisemblable est que l’on désigne ainsi, sans distinction, toute contrée de langue germanique120. Les abords nord-est du comté de Bourgogne font en tout cas l’objet d’une vigilance permanente et sont pour le moins perçus comme une porte
M. Parisse, Encyclopédie illustrée…, op. cit., p. 209. ADCO, B 1065. ADD, 1B 469 (3). Mais il y a ambigüité sur le bénéficiaire de cette largesse. Dans le compte du trésorier de Vesoul Richard des Bans sont notées les dépenses du prévôt de Fondremand à Montbozon le mardi après la quinzaine de Pâques 1336 (16 avril) « en allant au mandement de monseigneur Hugues d’Arc, bailli de la comté, pour estre au devant des Allemands qui botient les feux en la terre monseigneur » ; BnF, Moreau 900, fol. 341. La fin de l’année 1338 est également affectée par la pression de ces « Allemands » qui menacent Clerval en octobre ; ibid., fol. 363. En 1346-1347, on a toujours maille à partir avec ces étrangers : fin août 1346, on annonce des incursions de ceux-ci, qui font de « grands mandements » dans leur pays, si bien que le samedi après la Nativité de Notre-Dame (9 septembre), un message est expédié à Renaudin de Raucourt « pour savoir si les Allemands rassemblés devaient mefaire sur monseigneur » ; ADD, 1B 133B, fol. 26 et 26v ; finalement, le mardi avant les Rameaux (20 mars) 1347, Pierre d’Étobon écrit au trésorier à Vesoul pour l’avertir que « les Allemands descendent aval » ; ibid., fol. 30. 119 Le 24 juin 1340, le gardien du comté se rend à Dijon « pour parler au consoil monseigneur de ce qu’on disoit que les Allemands descendoient pour corre en la contey et former Choz penduz » ; ADD, 1B 150, fol. 20. Chapendu (comm. Raddon-et-Chapendu, Haute-Saône, ar. Lure, c. Mélisey) dépend de l’abbaye de Lure, qui fait montre à cette période de velléités de fortifier le village. Le duc s’inquiète de cette création d’une nouvelle base militaire ennemie : le mardi après la Fête-Dieu (5 juin) 1347, une lettre part nuitamment de Montjustin « pour aller savoir si l’abbé de Lure fermait Chapendu » ; cela semble bien être le cas puisqu’un peu plus tard on envoie deux hommes du comte « pour defendre la nouvelle ovre qu’on faisoit à Chapendu » ; ADD, 1B 133B, fol. 33. On peut penser que le duc d’Autriche, gardien du monastère, est disposé à lui prêter main-forte dans cette entreprise. Les « Allemands » dont il est ici question sont-ils à sa solde ? 120 « … on désignait les territoires où l’on parlait allemand comme étant l’Allemagne et leurs habitants comme les Allemands, que l’on distinguait ainsi des habitants du “roman pays” » ; J.-M. MOEGLIN, « “Welsches” et “Allemands” dans l’espace bourguignon, germanique et suisse du xiiie au xve siècle », in Publication du Centre européen d’études bourguignonnes (xive-xvie s.), 46 (2006), Rencontres d’Innsbruck (29 septembre au 2 octobre 2005), « Pays bourguignons et autrichiens (xive-xvie siècles) : une confrontation institutionnelle et culturelle », J.-M. Cauchies et H. Noflatscher (éd.), Neuchâtel, 2006, p. 47. 115 116 117 118
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ouverte à tous les dangers121. Sans exclure le sens actuel de ce vocable, car des accords sont passés par Jean de Chalon-Arlay et les Faucogney avec le comte de Fribourg-enBrisgau : quelques jours seulement avant le début des hostilités, en novembre 1346, le sire de Chalon lui verse 1 000 florins122. Thibaut et Henri de Faucogney lui sont encore redevables, le 7 mai 1355, d’une somme de 1 090 florins, dont il leur promet de déduire les versements qu’ils auraient pu faire à ses créanciers123. Il est tentant de penser que cet argent a servi à financer sa participation à la guerre, notamment pour solder des mercenaires. Le recours à ce type de combattants par les ennemis d’Eudes IV est d’ailleurs bien attesté par nos sources124. Au vu de cette présentation des forces nombreuses et variées liguées contre le prince bourguignon, on mesure combien était difficile la tâche d’y faire face, et on comprend mieux qu’aucune victoire décisive n’ait pu mettre fin au harcèlement dont il était victime lors de ces conflits toujours renaissants. Quelle forme prennent les combats, et comment mener la guerre au temps d’Eudes IV ? b. Aspects des guerres comtoises
Envisageons ces deux aspects complémentaires des guerres endémiques au comté de Bourgogne entre 1330 et 1349. Les formes de la guerre
Atteintes aux sujets du prince et chevauchées destructrices dans ses terres auxquelles il répond sur le même mode ne doivent pas faire oublier que le véritable
121 « À maître Jehan de Porrentruy, arbalestrier monseigneur le duc demeurant à Vesoul […] pour ses despens faits en allant en Allemagne pour savoir le convigne du roi des Romains et de sa gens d’armes qu’estoient ensemble, si comme on disoit… » ; compte de Richard des Bans courant de la Saint-Michel 1337 à la Saint-Michel 1338, BnF, Moreau 900, fol. 366 v °-367. En janvier 1341, le fauconnier de l’archevêque, de retour d’« Allemagne », apporte des renseignements sur les « mouvements » des Allemands et des hommes de Faucogney ; ADD, 1B 150, fol. 140. Le mardi après la Madeleine (24 juillet) 1347, on expédie encore une femme à Belfort « savoir le convoine du mouvement devers Allemaigne qu’on y faisoit, pour combattre le duc comme on disoit » ; ADD, 1B 133B, fol. 33v. 122 BEC Besançon, Droz 15, fol. 68 et ADD, 7E 1306. 123 ADD, 1B 67 (18). 124 La semaine de la Saint-Michel 1344 déjà (soit entre le 26 septembre et le 2 octobre), il est question, dans une lettre du bailli Jean de Montaigu, de mercenaires qui doivent venir devant ChâteauLambert ; ADD, 1B 133B, fol. 23v. Le vendredi après Reminiscere (17 mars) 1346, ils sont mentionnés dans un semblable courrier envoyé depuis Montjustin à Étobon et à Château-Lambert « pour le mandement faire savoir que les loierans faisoient, et pour ce qu’on disoit qu’ils devaient corre en Bourgoigne » ; ibid., fol. 25. Le duc de Bourgogne a eu recours à des pratiques identiques. Le compte d’Othe de Grandson mentionne des « loerens » au sein de son escorte en décembre 1346 ; ADD, 1B 84, fol. 10v. Le recours aux « Allemands » n’est en effet pas l’apanage des adversaires du comte de Bourgogne, puisque le même document fait acte de la présence de quinze hommes « armés de fer » allemands à Vesoul en janvier suivant, venus auprès du gardien « pour servir monseigneur de sa guerre », et qui demeurent dans la ville une semaine chez un particulier, où leur entretien coûte d’ailleurs fort cher, 44 ou 49 l. ; ADD, 1B 84, fol. 12, 26.
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enjeu des conflits réside dans le contrôle des forteresses de l’ennemi, beaucoup plus que dans les batailles, très rares. Guerre larvée contre les représentants du prince
L’insécurité est de mise au comté de Bourgogne au temps d’Eudes IV, et il ne fait pas toujours bon d’être des « gens monseigneur ». Les insoumis envers la politique conquérante du duc-comte trouvent en eux des proies toutes désignées, qu’il s’agisse de simples sujets du prince ou, plus grave, de ses représentants. La frontière est d’ailleurs parfois ténue entre représailles et banditisme pur et simple, comme au mois d’avril 1340, alors que les alentours de Dole font l’objet de chevauchées par les troupes du gardien, dans le but de mettre fin aux exactions de « voleurs » : … pour les despens du gardien, du bailli et de plusieurs des gens monseigneur faits à Chacin le mardi après Pasques mil IIIC XL à la dinée en allant à Dole ou il avoit son mandement pour cause de plusieurs malfaiteurs et robleurs que l’on disoit qu’ils estoient es bois environ Dole, lesquels prenoient et roboient les gens monseigneur, et especiaulment messire Renal de Abans et ses complices125… La citation de Renaud d’Abbans, membre d’un lignage noble vassal de Jean de Chalon-Arlay et avéré de son parti par la suite des événements126, incline à douter qu’opèrent ici de modestes voleurs de grand chemin mus uniquement par l’appât du gain facile, même s’il n’est pas exclu que certains d’entre eux aient été instrumentés pour servir la vengeance des ennemis du duc-comte. Les victimes, bien que qualifiées assez vaguement par notre source, semblent bien être les officiers du prince plutôt que de simples quidams de son domaine, le substantif « gens » désignant sans doute son personnel. Le théâtre des agressions – vraisemblablement la forêt de Chaux – invite à penser, outre le fait que ce cadre sylvestre soit favorable aux attaques surprises, que les officiers de la gruerie comtale, récemment mise en place et symbole éclatant des avancées de la centralisation princière, sont directement visés par cette violence. Nous ne disposons pas hélas de dossiers comparables à celui du meurtre du sergent Guillemin Faguier par les sbires de Jean de Chalon-Arlay sous le principat de Philippe le Hardi, qu’a étudié Michelle Bubenicek127. Mais de brèves allusions au détour des comptes, presque inaperçues, font état d’entreprises comparables déjà à l’époque d’Eudes IV, et certainement menées dans le même esprit d’insubordination nobiliaire. Elles se dirigent aussi bien contre la personne des agents du prince que contre leurs biens, et se disséminent sur toute la période. Réaction musclée des hommes d’Henri de Bourgogne, débiteur du comte, lorsque les sergents du duc viennent dédommager
125 ADD, 1B 150, fol. 8v. 126 En mars 1346, le duc ordonne le démantèlement du château de Mantoche, qui appartient alors à Jean d’Abbans, chevalier, « ennemy monseigneur ». La besogne est menée à bien en quatre jours par le prévôt de Gray, Jean de Morey, à la tête de trente hommes d’armes, 120 sergents à pied, seize maçons, mineurs et chapuis ; ADD, 1B 126 (2), fol. 4v. 127 M. Bubenicek, Entre rébellion…, op. cit., p. 35 sq.
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leur maître en nature sur sa terre d’Amance, comme le signalent, le vendredi avant l’Ascension (7 mai) 1333, des … lettres au bailli à Gray pour lui faire savoir la rescousse de ceux d’Amance aux sergents de Jussey qui gageaient par commission pour monseigneur128… Ou autre « rescousse » faite aux sergents de Clerval, qui sont eux aussi molestés, mais dans des circonstances inconnues, par des hommes du sire de Villersexel cette fois, entre la Saint-Michel 1333 et Pâques 1334. Cet affront est aussitôt puni par une descente du prévôt de Baume devant la ville, sur ordre du châtelain et « pour venger le despit fait à monseigneur », car c’est offenser le prince lui-même que de s’attaquer à ses représentants129. On doit donc en répondre devant sa justice, et à défaut subir sa répression armée, dont fait les frais le sire de Belvoir le dimanche et le lundi après la Fête-Dieu (14 et 15 juin) 1338 pour raison de ce que ses gens avoient battu et vilenei au grant despit de monseigneur les sergents monseigneur le duc de sa ville de Clerval et ne le voloit le dit sire de Beauvoir amender ne adrecier à monseigneur ne à ses gens130. Le sire paie sa superbe d’une dévastation en règle de sa terre par les troupes des prévôts de Baume, de Montbozon, de Vesoul et de Chariez réunies pour une expédition punitive sous l’égide d’Huguenin Triquet, lui-même prévôt de Clerval131. S’enclenche alors une réaction en chaîne qui dresse brièvement contre le duc les anciens alliés de la guerre de 1336, et dont on ne connaît pas l’issue. Les agents comtaux en tout cas cristallisent toujours la vindicte des opposants deux ans plus tard : le lundi jour de la Saint-Philippe-et-Jacques (1er mai) 1340, le gardien quitte Vesoul à la tête d’un petit corps expéditionnaire de trente hommes armés … pour cause de ce qu’il cuida racontrer aucuns des enemis monseigneur que l’on disoit qui gaitoie seur les chemins les genz monseigneur132… La pratique de l’embuscade est en effet une tactique apparemment fort utilisée en temps de guerre, et en 1347, le bailli Jean de Montaigu est prévenu à plusieurs reprises du risque qu’il encourt de tomber dans un guet-apens à l’occasion de ses nombreux trajets. Le 6 mars, une lettre lui est expédiée de Montjustin (il se trouve alors à Vesoul) « pour lui faire savoir que les ennemis le guettent au chemin » ; le 24 octobre, encore, c’est à Baume qu’on cherche à le joindre afin de lui adresser la même mise en garde133. La capture, voire l’élimination de cette cheville ouvrière de la défense du comté, serait à coup sûr une bonne affaire pour le parti des barons et désorganiserait durablement la stratégie princière.
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ADD, 1B 791, fol. 5v. BnF, Moreau 900, fol. 257. BnF, Moreau 900, fol. 356-356v. Soit soixante-huit hommes au total. BnF, Moreau 900, fol. 356-356v, 357v, 358, 374-374v. ADD, 1B 150, fol. 73v. ADD, 1B 133B, fol. 30 et 34v.
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Pour conclure sur ces exemples, on relèvera cependant que les premières victimes des adversaires d’Eudes IV sont les plus modestes de ses représentants, à savoir les sergents, sans doute parce qu’ils sont aux premières lignes de l’action menée sur le terrain pour imposer à tous la loi du prince134. Au contact direct des populations, plus vulnérables qu’une troupe à cheval, plus visibles et plus nombreux que les officiers supérieurs, plus faciles à atteindre au quotidien, donc, et peut-être à convaincre par la terreur de renoncer à servir leur maître, ils subissent de terribles pressions, et figurent parmi les premières victimes collatérales des conflits. Ainsi, le lundi après la Saint-Clément (27 novembre) 1346, on compte en dépense à Montjustin, outre les frais d’entretien de la troupe, 5 s. de pain, donné à trente « povres sergenz » réquisitionnés pour renforcer les murs du château et du bourg, « … liquel sergent havoient estey ars cele semaine135… ». La mise à sac des villages, en particulier par le feu, constitue en effet une tactique privilégiée pour affaiblir l’adversaire, ce qui n’est bien évidemment en rien une originalité des guerres comtoises. Feux et « courses » sur les terres ennemies
Les populations civiles pâtissent avant tous autres des conflits comtois. Des raids visent par surprise les terres du domaine comtal, dévastées et détruites par le feu. L’usage systématique de l’incendie paraît d’ailleurs marquer concrètement l’ouverture des hostilités, en 1336 comme en 1346. Le poème de Renaud de Louens signale que, dès le défi lancé au duc par les barons, Puis le lendemain sans séjour \ Fut ars Salins, puis Pontaillié136 \ Par lour et par lour compaignie, \ Et faicte grant destruction \ En toute celle région. De même, en mars 1346, le bruit court que « Jehan de Chalon devoit bouter le feu en la Comté 137 ». Comme en 1336, le soulèvement nobiliaire éclaté dix ans plus tard se manifeste en effet par l’allumage de feux dans les terres comtales, ainsi que l’attestent les comptes du prévôt de Gray. Entre le vendredi après la Saint-Clément (24 novembre) et le mardi après la Saint-Nicolas d’hiver (12 décembre) 1346, trente-huit hommes d’armes sont venus en ce lieu en garnison, sur ordre de la duchesse pour l’aider à garder et defendre contre monseigneur Jehan de Chalon, le signour de Nuef Chastel, les enffens de Faucogney et leurs complices, qui bouterent les feux par toute la contey sur monseigneur le duc138. 134 Romain Telliez rappelle « la cupidité des sergents, leur brutalité, mais aussi le médiocre respect qu’ils inspirent », soulignés par de nombreux historiens ; R. Telliez, « Per potentiam officii ». Les officiers devant la justice dans le royaume de France au xive siècle, Paris, Champion, 2005 (Études d’histoire médiévale 8), p. 313. 135 ADD, 1B 133B, fol. 3. 136 Pontarlier. 137 ADD, 1B 133B, fol. 25. 138 ADD, 1B 126 (2), fol. 6. La période est particulièrement sensible, et on peut recouper ces informations avec celles fournies par le compte de la garnison de Montjustin : le 24 novembre également, on écrit au gardien à Vesoul pour l’informer que les ennemis ont incendié les environs (ADD, 1B 133B, fol. 28), ce qui justifie certainement le renforcement le même jour de la garnison de Gray.
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L’éventualité que l’adversaire se prépare à « corre en la terre monseigneur » revient en leitmotiv dans les comptes des garnisons comtales139. Ce harcèlement épisodique n’offre guère de résultat tangible, sinon celui d’agacer l’adversaire en l’obligeant à se maintenir sur un pied de guerre continuel. Eudes IV est particulièrement gêné par cette tactique : comme une épine fichée en permanence aux frontières du duché, elle nuit au bon fonctionnement de ses états en mobilisant des moyens humains et financiers. Elle coûte cher aussi par défaut, en empêchant la vie économique. L’intention d’entraver celle-ci est manifeste. Ainsi, le 6 avril 1347, une lettre informe le bailli que les ennemis devaient courir à Montjustin pour en « briser la foire140 ». L’argent rentre donc mal. À plusieurs reprises, des mentions signalent par exemple que les salines n’ont rien valu à cause « des guerres monseigneur le duc141 ». La saline de Salins est en effet la première touchée en avril 1336, incendiée au tout début des hostilités, pour son importance économique, et toute proche des forteresses maîtresses des Chalon-Arlay, faisant office de bases de repli. Des entreprises similaires menaçant au même moment la saline de Grozon accréditent l’idée que le but est bien d’abattre le potentiel économique et financier du comte142. D’autres signes de dévastation sont perceptibles au détour des comptes. Le 23 novembre 1346, par exemple, vingt-neuf hommes d’armes et vingt sergents viennent en renfort à Montjustin pour protéger le château alors que les ennemis, arrivés du nord-est, viennent d’incendier les terres comtales sur le chemin du retour, à Montjustin, puis à Arpenans, aux Aynans, et enfin à à Vy-lès-Lure143. Faute d’être parvenus à s’emparer de la place-forte, ils ont malgré tout compromis gravement son approvisionnement dans le plat-pays, et mis en fuite les populations. Et c’est autant de manque à gagner aussi pour les finances de la principauté. Ainsi, le prévôt de Gray ne paiera pas la ferme de la mairie de Velesmes pour l’année 1346-1347 pour cause de ce que ladicte ville a été harse et destructe des enemis monseigneur, pour laquel chouse le diz amoisenemenz n’a riens valuy pour cause des habitanz qui s’an sont fuy et aley li plus grant partie144. En réponse aux chevauchées des barons, le duc adopte la même tactique. Étudions-la à travers quelques exemples.
139 Au moindre mouvement suspect, les troupes sont renforcées. Le 18 janvier 1341, sur les ordres du gardien et du bailli, cinq gentilshommes arrivent avec leurs douze chevaux pour renforcer la garnison de Vesoul, « pour cause de ce qu’on disoit que les ennemis avoient grand mandement de gens d’armes pour venir corre en la terre monseigneur » ; ADD, 1B 150, fol. 143. Mais l’alarme reste apparemment sans suite. Il est ici inutile de multiplier les exemples, nombreux. 140 ADD, 1B 133B, fol. 30v. 141 En 1347 notamment ; É. Clerc, Essai…, op. cit., p. 85. 142 « Pour les despens dudit prevost [de Grozon], lui Xe de compaignons armés de fer, XX arberestiers et XX sergenz […] qui y demeurerent un jour pour aider à garder la salnerie de la ville de Groson pour la doubtance que l’on avoit du bastart de Chalon et du baron d’Esclans, qui devoient venir ardoir la ville et effondrer la salnerie… » ; BnF, Moreau 900, fol. 298v. 143 ADD, 1B 133B, fol. 2. 144 ADD, 1B 126 (2), fol. 5.
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Le jour de la Saint-Matthieu (21 septembre) 1340, le gardien Vauthier de Vienne fait un mandement de troupes à Dole, afin d’aller « corre » sur Henri de Faucogney dans les environs de Vesoul. Il rassemble alors vingt-cinq hommes145. Et effectivement, il stationne deux semaines à Vesoul, du dimanche avant la Saint-Michel (24 septembre) jusqu’au dimanche avant la Saint-Denis (8 octobre) 1340 pour, dit le compte de ses frais, « corre et tenir domaiges à monseigneur Henry de Facony », à la tête d’un groupe d’hommes armés oscillant entre quarante et soixante combattants. Et ceci « pour cause de plusours movement que cis de Facoigny facoient de jor en jor146 ». Comme par exemple le mardi après la Saint-Michel (3 octobre), où ce jor coruz lom ou val de Visoul sus monsignour Henry de Facoigny147. Du dimanche après Noël jusqu’au mardi, jour de Carême entrant 1340 a.st. (soit du 31 décembre 1340 au 20 février 1341) la guerre engagée avec les seigneurs de Faucogney justifie encore des raids multipliés sur leurs terres à partir du château de Vesoul, sous la direction cette fois de Guillaume de Vienne, seigneur de Roulans148. Le 31 décembre, les 7 et 8 janvier, les 21 et 22 du même mois, le 9 février, une petite dizaine d’hommes d’armes, parfois aidés d’autant de renforts venus spécialement à cet effet, partent pour la journée « mefaire » ou « bouter les feux » dans les environs sud de Luxeuil149 ; soit une action limitée, d’un petit effectif, dans un modeste rayon d’une vingtaine de kilomètres, mais que la fréquence régulière d’intervention, à deux semaines d’intervalle, voire même hebdomadaire, rend d’une efficacité redoutable. L’effet psychologique sur les populations maintenues dans la hantise perpétuelle d’un raid devait être pris en compte. Du jeudi après les Bordes au lundi après Pâques 1341 (soit du 1er mars au 9 avril 1341), un autre document comptable nous renseigne sur l’activité de Guillaume de Vienne et de ses troupes, toujours basés à Vesoul150. Le mercredi après Reminiscere (7 mars), une petite quinzaine d’hommes, leurs chevaux et leurs valets quittent de nuit le château « pour aller meffaire sur les enemis monseigneur ». Le lendemain apres boire, suis le tart, revindrent à Vesoul de malfaire suis les enemis, cest assavoir à La Chapelle suis monseigneur Jaique de Baudoncourt151. Du vendredi avant la Division des Apôtres jusqu’au mardi après la Sainte-Croix (soit du 13 juillet au 18 septembre) 1341, Guillaume de Vienne est stationné cette fois 145 146 147 148 149
ADD, 1B 150, fol. 43v. Ibid., fol. 44v. Ibid., fol. 45v. Ibid., fol. 137-156v. Par exemple à Mailleroncourt (Mailleroncourt-Charette, Haute-Saône, ar. Lure, c. Saint-Loup-surSemouse, plutôt que Mailleroncourt-Saint-Pancras, Haute-Saône, ar. Lure, c. Port-sur-Saône) et à Betoncourt, (Betoncourt-lès-Brotte, Haute-Saône, ar. Lure, c. Lure-1, plutôt que Betoncourt-SaintPancras, Haute-Saône, ar. Lure, c. Port-sur-Saône) sur les terres d’Henri de Faucogney, le 8 janvier 1341 ; ADD, 1B 150, fol. 140. 150 ADD, 1B 82, fol. 1-11v. 151 Ibid., fol. 3-3v. Baudoncourt, Haute-Saône, ar. Lure, c. Luxeuil-les-Bains ; La Chapelle-lès-Luxeuil, idem.
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à Montjustin, où il met en œuvre la même tactique152. Jacques de Baudoncourt en subit encore les conséquences le dimanche 3 août : le soir apres souper se partit messire Guillaume pour aller courre sus les enemis monseigneur avec les gens d’armes à gaiges de Vesoul et de Montjustin, et avec lui toutes ses gens d’armes, et furent aus Brecon bouter les feux sur monseigneur Jaque de Baudoncourt153. Il ne rentre à Montjustin que le lendemain au souper. On remarque que, comme dans le cas précédent, ce type d’expédition débute le soir, afin de faire la route de nuit154, discrètement, et d’être à pied d’œuvre le lendemain pour ravager à loisir les terres de l’adversaire en bénéficiant de l’effet de surprise. Mais l’entreprise n’a pas le caractère régulier et systématique relevé dans le premier exemple. Il faut attendre la mi-septembre pour que Guillaume de Vienne réitère de telles déprédations. Le jeudi, veille de la Sainte-Croix (13 septembre) Au souper mangerent à court pluseurs sergents de pie qui avoient été [avec Guillaume de Vienne] à la costé bouter les feux sur les enemis monseigneur155. Finalement, le mardi suivant (18 septembre), le compte de la garnison prend fin avec le départ de Guillaume de Vienne et de toute sa compagnie pour aller à corre au mandement monseigneur le gardien bouter les feux à Ville Saloignon, laquelle estoit Andruyn, seigneur dudit lieu, lequel est des enemis monseigneur156. En 1347, c’est le seigneur de Neuchâtel qui est victime d’une course du gardien Othe de Grandson : entre le 7 et le 14 janvier, 70 hommes basés à Baume-les-Dames dévastent sa terre de L’Isle-sur-le-Doubs, « detruite et gastee157 ». La méthode est sensiblement différente : point de harcèlement, mais un coup brutal et irrémédiable porté au cœur de la puissance du rebelle. L’enjeu plus grave explique cette action en force : L’Isle est un lieu de retranchement pour les ennemis, ainsi qu’en a été prévenu le bailli Jean de Montaigu le 18 décembre158. La mention de plusieurs hommes et chevaux, malades, qui ont été dans l’obligation de rester vingt-quatre jours à Baume au retour de cette chevauchée, sans doute le temps de se rétablir, rappelle que ces
152 Ibid., fol. 12-37v. 153 Ibid., fol. 20. Les Brecons : localité non identifiée. 154 Ces expéditions nocturnes sont menées à la lueur de torches : le lundi avant la Toussaint 1340, une escouade quitte Vesoul à minuit pour résister le matin venu aux troupes d’Henri de Faucogney qui menacent Montjustin, et on comptabilise 10 l. de cire pour trois torches « gastés en alant audit lieu » ; ADD, 1B 150, fol. 58. 155 ADD, 1B 82, fol. 35. 156 Ibid., fol. 37v. Ville Saloignon : certainement Villers-sur-Saulnot, Haute-Saône, ar. Lure, c. Héricourt-2, comme l’invite à le penser la référence aux salines contenu dans le substantif « salignon » (pain de sel). 157 ADD, 1B 84, fol. 11v. 158 ADD, 1B 133B, fol. 9v.
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expéditions sont néanmoins dangereuses, et que les troupes comtales ont dû se heurter à une certaine résistance de l’ennemi159. Notons que lors de ces coups de main, seuls les gentilshommes à cheval sont réquisitionnés, ce qui atteste la nécessité d’agir rapidement pour être efficace160. Pourtant cette façon de mener la guerre ne représente qu’un pis-aller pour le duc, bien que les confiscations de vivres et de matériel effectuées lors des raids permettent de réaliser quelques économies sur les frais de garnison161. Certes, les « courses » fatiguent l’ennemi. Elles compromettent à l’occasion son ravitaillement. Elles ont aussi le mérite d’occuper les troupes, maintenues en éveil par des sorties qui cassent la monotonie de la vie militaire, et heureuses de pouvoir se livrer à un brigandage laissant entrevoir des perspectives de rançon. Mais en fin de compte, elles n’apportent aucun résultat décisif pour l’issue du conflit, les deux partis se répondant mutuellement sans succès définitif de part et d’autre. Les vrais enjeux militaires sont ailleurs. Une guerre de sièges, ou la lutte pour le contrôle des forteresses
La mobilisation des forces se cristallise en effet autour des points névralgiques que sont les places-fortes, que chaque camp s’efforce d’arracher à l’adversaire afin de prendre le contrôle de ses positions stratégiques. Il n’est pas dit pour autant que cette tactique éprouvée apporte une solution qui sonnerait la fin des conflits. En grande partie sans doute à cause des lacunes de nos sources, la guerre de 1336 n’illustre guère ce phénomène, à l’exception notable du siège de Chaussin par les troupes comtales au cours de l’été 1336. Cette forteresse tenue par Henri de Montfaucon-Montbéliard menace de servir de base à des incursions ennemies dans le duché tout proche. Elle finit par tomber entre les mains d’Eudes IV, et il en conserve la maîtrise à l’arrêt des hostilités, ainsi que le stipule l’arbitrage du roi Philippe VI en date du 13 juin 1337162. Les péripéties des années suivantes ne débouchent pas sur d’aussi francs succès, et on peine à suivre le devenir des places-fortes, qui pour certaines semblent passer alternativement d’un camp à l’autre. Mais il apparaît que leur contrôle est désormais un enjeu majeur pour les belligérants, à travers les mentions récurrentes des sources couvrant les années 1340, et surtout à partir de 1345. Le phénomène prend semble-t-il une ampleur nouvelle en cette fin du principat d’Eudes IV. Dès le 1er juin 1340, on 159 ADD, 1B 84, fol. 26v. 160 Une intéressante mention rapporte que le vendredi après la Chandeleur (9 février) 1341 arrivent à Vesoul des sergents de la terre de Fondremand, sur ordre de Guillaume de Vienne et du bailli, pour accompagner les gens d’armes dans une course sur les terres des Faucogney, mais qu’ils doivent repartir, « pour ce qu’ils ne pouvoient suivre les gens d’armes ». On leur fournit néanmoins 300 pains ; ADD, 1B 150, fol. 152v. 161 Le compte de la garnison de Vesoul mentionne, pour les mois de janvier et février 1341, que le foin dont on nourrit les chevaux a été pris à Henri de Faucogney ; ADD, B 150, fol.137 et 144v. En 1346, l’argent tiré des terres des enfants de Faucogney sert à payer la garnison de Sainte-Marie-en-Chaux ; ADD, 1B 84, fol. 17v. 162 ADD, 7E 1318 et 7E 1323, ADD, 1B 339 (1), publié par Fr.-F. Chevalier, Mémoires…, op. cit., t. I, preuve n° 95, et par U. Plancher, Histoire…, op. cit., preuve CCLXI.
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apprend que le château de Vesoul est tombé aux mains des sires de Faucogney163. A-t-il été repris rapidement par les troupes comtales ? Dès le lendemain en tout cas, 228 sergents sont dépêchés par le gardien et le bailli pour assurer la défense de la ville, aidés des châtelains de Baume et de Clerval164, et le 19 juin, on est occupé à renforcer la « fermeté » du château en sciant des planches165. Entre-temps, on a fait un bon nombre de prisonniers, qui sont répartis entre diverses forteresses comtales – Châtillon, Bracon, Poligny, Scey, Château-Chalon, Montmorot166. Début juillet, tous ces captifs sont ramenés à Dole, où ils sont remis au seigneur de Thil, alors gardien du duché167. La reprise en main du château de Vesoul a donc été menée à bien rapidement, peut-être dès le 9 juin, date d’envoi de lettres par le gardien au duc, à l’ost royal, pour lui notifier – la formule est ambigüe – la « prise » de cette forteresse168. On craint encore qu’elle ne soit assiégée au mois d’octobre 1347169. Les ennemis menacent aussi cette année-là Étobon de façon quasi-permanente170, ainsi que Montjustin171 et Baume-les-Dames172. Les positions septentrionales du comte de Bourgogne sont donc les plus exposées. Il convoite d’ailleurs lui-même les places frontalières de ses adversaires, qui présentent pour lui le plus haut intérêt stratégique. Il s’agit essentiellement de deux forteresses : Château-Lambert et Mathay. La première appartient aux sires de Faucogney, et commande le passage des Vosges en direction de la vallée de la Moselle, la seconde est détenue par Thibaut de Neuchâtel et verrouille le défilé du Doubs en amont de Montbéliard et la route vers les hauts plateaux. Les épisodes de la lutte acharnée que se livrent les belligérants pour leur contrôle sont assez confus. La prise de Mathay est l’œuvre du bailli Jean de Montaigu, qui a convoqué les troupes à Clerval pour le 11 octobre 1344 et investi avec succès la maison forte dès le lendemain173. On trouve
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ADD, 1B 150, fol. 84v. Ibid., fol. 85. Ibid., fol. 88. Ibid., fol. 16, 17v- 19v, 87v- 88v. Ibid., fol. 24-25. Ibid., fol. 88. ADD, 1B 133B, fol. 34. Le mercredi, jour de la décollation de Saint-Jean-Baptiste (29 août) 1347, Montjustin expédie une lettre à Étobon : « qu’on se garde bien », car Jean de Montaigu a été informé « qu’on devoit l’ambler » ; on fait savoir en même temps à Vesoul « que les ennemis devoient mettre le siege en aucun lieu en la Comté » ; ibid., fol. 33v. Le samedi après Notre-Dame (15 septembre), la menace se précise, et des lettres partent vers les mêmes destinations pour alerter que le sire de Neuchâtel et Henri de Faucogney « avoient grant mandement pour ambler Etobon » ; ibid., fol. 34. La place-forte court toujours le risque d’être enlevée par l’ennemi début novembre, comme début décembre ; ibid., fol. 34v. 171 Le dimanche après la Saint-Martin (18 novembre), on prévient le bailli Jean de Montaigu à Vesoul qu’on devait « ambler » le château de Montjustin dans la semaine. Huit jours avant, on l’avait déjà informé qu’il était passé près de Montjustin « grant foison de genz d’armes » ; ibid., fol. 34v. 172 Le lundi avant la Saint-Pierre d’août (30 juillet) 1347, une lettre part de Montjustin pour faire savoir à Vesoul que Baume est assiégée ; ibid., fol. 33v. 173 ADD, 1B 124, fol. 8-8v. Le prévôt de Gray Jean de Morey a rassemblé cinquante gens d’armes convoqués par ses soins dans la châtellenie durant la semaine de la Saint-Michel, qui gîtent à Gray avant de partir pour Clerval.
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un écho de cet événement dans les messageries de Montjustin, où l’on a ouï-dire que l’on doit prendre Mathay, ce qui justifie l’envoi de six arbalètes supplémentaires en ce lieu, via Clerval, le 3 octobre174. Au même moment, Château-Lambert est menacé175. Cette forteresse est tombée à une date inconnue aux mains d’Eudes IV, vraisemblablement à la suite d’une confiscation, ou peut-être au cours de la guerre de 1336 (la première mention d’un châtelain comtal pour cette place-forte date de cette année-là). Il semblerait qu’elle ait été perdue par le comte en 1344, puisqu’il doit en mener le siège incontinent176, qui débouche apparemment sur la reconquête de la place, à nouveau dirigée par un châtelain comtal dès le mois de février 1345177. Hélas, à la fin de novembre 1346, Château-Lambert est repris par les ennemis178. Il semble qu’il en soit de même pour Mathay179. Outre les « courses » qui ponctuent toujours les actions belliqueuses des barons, les sièges de forteresses paraissent donc bien être caractéristiques de leur tactique lors de la guerre de 1346-1347 : en avril 1347, le bruit court que Jean de Chalon « devoit assieger aucun fort maison en Borgoigne180 » ; fin août encore, Montjustin informe Vesoul que « les ennemis devoient mettre le siege en aucun lieu en la contey181 ». L’alerte est généralement donnée par la circulation de groupes munis d’échelles182. Notons que chaque fois que l’on peut éviter un siège long et au résultat aléatoire, on lui préfère l’usage de la corruption. 174 ADD, 1B 133B, fol. 23v. 175 Idem. Les comptes du prévôt de Gray portent mention de l’envoi d’un valet à cheval à Paris pour avertir le duc du siège de Château-Lambert par les Allemands. Jean de Morey a lui-même été prévenu par la femme du châtelain du lieu. « Et trouva ledit valet monseigneur es bois de Vincennes, et en fit messire le duc response ». La duchesse est quant à elle avisée à Argilly (Côte-d’Or, ar. Beaune, c. NuitsSaint-Georges) par le portier de Gray, Raymondin ; ADD, 1B 124, fol. 7v-8. 176 Les comptes du prévôt de Gray, toujours, parlent de « l’ost devant Chatel Humbert » ; ibid., fol. 4-4v. Le siège de cette place forte par les troupes ducales en 1344 est également attesté par les comptes des réformateurs, qui dédommagent Ferry de la Roche pour un coursier et deux roncins perdus à cette occasion ; BnF, Moreau 900, fol. 406v-407. 177 Le samedi après Carême entrant 1344 a. st. (12 février 1345), le châtelain de Château-Lambert envoie une lettre au trésorier de Vesoul, via Montjustin, pour le prévenir que les Allemands sont au Thillot, et deux jours plus tard sollicite l’envoi de gens d’armes ; ADD, 1B 133B, fol. 24. 178 Le mercredi veille de la Saint-Clément (22 novembre) 1346, une lettre part de Montjustin vers Château-Lambert, afin de savoir s’il a été pris. La démarche s’avère inutile, puisque dans le même temps, un messager envoyé par le gardien de l’abbaye de Luxeuil est venu annoncer la chute de la forteresse aux mains des ennemis ; ADD, 1B 133B, fol. 28. 179 Le lundi après la Saint-Clément (27 novembre) 1346, Jean de Montaigu écrit au curé de Montbéliard pour savoir si Mathay a été pris. Il avait reçu la veille un message de Montjustin lui annonçant le siège du château. Le lendemain, trois messagers partent successivement de Montjustin « pour savoir le convoine de Mathay, qu’on vouloit aller lever le siège ». Finalement, le 29, on expédie un courrier au bailli à Vesoul pour l’informer « que Mathay est pris » ; ADD, 1B 133B, fol. 28-28v. Les barons semblent mener en cette fin de 1346 une offensive généralisée contre le bailliage d’Amont. Étobon, Montjustin, Montbozon et Baume sont également menacés. 180 ADD, 1B 133B, fol. 30v. 181 Ibid., fol. 33v. 182 Le mardi après la Saint-Michel (4 octobre) 1345, le trésorier écrit à Étobon « pour faire bien garder, car ceux de Besançon et pluseurs banniz faisoient faire echelles pour panre fort maison en Bourgoigne » ; ibid., fol. 25. Le lundi après la Sainte-Lucie (18 décembre) 1346, on prévient le bailli à Vesoul qu’ « on a echelles pour prendre Etobon » ; ibid., fol. 29.
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Comme au début du mois d’août 1345, où court la rumeur alarmante que le duc de Lorraine et l’abbé de Murbach ont soudoyé des Comtois afin d’obtenir la reddition de deux des châteaux d’Eudes IV183. Entreprendre le siège d’une forteresse ennemie n’est effet pas une mince affaire. Une logistique importante doit être mise en œuvre. Les sources en fournissent un exemple intéressant en ce qui concerne le siège de Chaussin durant l’été 1336. Il faut certes du matériel et des hommes pour mener les opérations. Trenta-quatre « mineurs de maisons fortes » quittent ainsi Vesoul pour « l’ost devant Chaussin184 ». On y mène aussi des « pierres d’engin » pour les catapultes, fabriquées spécialement à Dole185. L’encombrement du terrain par les troupes et les machines de siège qui affluent est tel que Philippe de Champlitte, mandaté par le duc pour amener du bétail, ne peut se frayer un passage pour quitter les lieux avant l’heure des vêpres. L’approvisionnement de l’armée est en effet un point capital, comme le montre le compte dressé par cet homme, par chance conservé186. Il fait état d’achats en bonne et due forme, mais les réquisitions arbitraires, et pas uniquement sur l’ennemi, sont aussi de règle. Les nombreux témoignages recueillis en 1359 lors de l’enquête sur les pertes subies par Jean de Bourgogne le montrent bien187. De très rares batailles rangées
Avec le siège de Chaussin, le fait de guerre le plus spectaculaire qu’ait engendré en Comté la guerre de 1336 s’est déroulé à Besançon. La cité sert de bastion à Jean de Chalon. Une incursion en direction de Dole est toujours possible, d’autant qu’à titre de vicomte et gardien de Besançon, il peut disposer de la milice urbaine. Celle-ci subit un véritable massacre lorsqu’elle tente une sortie contre les troupes ducales postées à l’ouest de la ville188. C’est là la seule véritable bataille d’importance parvenue à notre connaissance. D’éventuelles escarmouches peuvent aussi avoir lieu lorsque les garnisons parties en reconnaissance dans le plat pays rencontrent par hasard les soldats de l’adversaire. C’est ainsi que le samedi après la Saint-Denis (13 octobre)
Cela justifie une lettre que Pierre d’Étobon envoie au bailli Jean de Montaigu ; ibid., fol. 24v. BnF, Moreau 900, fol. 306. Ibid., fol. 303. ADD, 1B 80 (1). Parti le 9 juillet, il va se fournir en animaux de boucherie à Jussey, et revient le 14 les livrer aux bouchers d’Eudes IV. Le lundi avant la Saint-Pierre d’août (29 juillet), il repart, et fait une nouvelle livraison le mardi suivant, 6 août. Le vendredi après la Saint-Étienne (9 août), il va encore chercher les « chastrons » qui lui ont été commandés. Mais les bêtes sont ralenties par la grande chaleur et n’arrivent à Chaussin que le dimanche après l’Assomption de Notre-Dame (18 août). Jacky Theurot a dressé une carte des localités de provenance de ce bétail ; J. Theurot, « Approvisionnements de bouche et repas dans le comté de Bourgogne (1286-1374) d’après les comptes des Archives du Doubs, de la Côte-d’Or et du Pas-de-Calais », in Publication du Centre européen d’études bourguignonnes (xive-xvie s.), 47 (2007), Rencontres de Boulogne-sur-Mer (21 au 24 septembre 2006), « Boire et manger en pays bourguignons (xive-xvie siècles) », J.-M. Cauchies (éd.), Neuchâtel, 2007, p. 73-111. 187 M. Bubenicek, « Noblesse… », art. cit. 188 Au lieu dit Malecombe. É. Clerc, Essai…, op. cit., p. 57-58. 183 184 185 186
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1347, les gentilshommes stationnés à Montmorot « saillirent fuer », et trouvèrent les ennemis entre Montmorot et Chilly, « esquelx ils se combatirant et desconfisserant189 ». Finalement, l’attaque est somme tout secondaire au regard des stratégies de défense et des mesures employées pour limiter l’impact d’éventuels affrontements. Mener la guerre au temps d’Eudes IV
Nos documents sont fort prolixes sur les moyens mis en œuvre par le duc-comte et ses hommes pour gérer les conflits. De copieux comptes de messageries donnent une bonne idée des réseaux de renseignement et des systèmes de communication au sein des armées, tandis que l’on peut suivre les nombreuses mesures de protection prises en réponse aux mouvements signalés de l’ennemi190. La diplomatie n’est pas en reste, et les négociations vont bon train en parallèle des manœuvres militaires, car le prince a bien conscience des limites de celles-ci. S’informer
– L’apport des comptes de messageries Le précieux recueil des messageries de Montjustin témoigne de l’intense circulation des informations sur la frontière nord du comté, très exposée, entre septembre 1344 et décembre 1347191. À partir de cette place stratégique, la situation militaire est communiquée au cœur de la province afin de mettre en œuvre les mesures de protection qui s’imposent192, tout comme au haut commandement, régulièrement informé et sollicité lorsque des renforts sont jugés nécessaires193. Parfois, Montjustin n’a qu’un rôle de transmission, se contentant de faire passer au gardien, basé à Vesoul, 189 ADCO, B 11 875. La seule autre mention de combat que l’on ait trouvée est à Clerval en avril 1347 ; ADD, 1B 126 (2), fol. 30v. 190 Sur ces aspects, voir La guerre à la fin du Moyen Âge : information, communication, action, B. Schnerb (éd.), op. cit. 191 ADD, 1B 133B, fol. 23v-35. Nous regrettons de n’avoir pu sur ce point consulter le mémoire de A.-Y. Reboul. 192 Au printemps 1346 par exemple, le vendredi avant la Saint-Philippe-et-Jacques (29 avril), une série de lettres sont expédiées de nuit en direction de Clerval, Étobon, Osselle, Vesoul, Montbozon, Châtillon, Salins et Gray afin que l’on s’y prépare à une offensive allemande ; ADD, 1B 133B, fol. 25v. Le comte de Montbéliard reçoit les mêmes consignes : « que soit apparoillé pour les Allemands ». 193 Les lettres sont essentiellement destinées au bailli Jean de Montaigu, parfois au gardien. Les liaisons avec celui-ci sont particulièrement actives au cours de la guerre de 1346-1347. Ainsi le mercredi, veille de la Saint-Clément 1346 (22 novembre), on avise le gardien, alors à Vesoul, de la prise de ChâteauLambert, dont on vient d’être informé par un messager en provenance de Luxeuil. Dans la nuit, une nouvelle missive à son intention part de Montjustin, lui demandant du secours pour cette place-forte ; ADD, 1B 133B, fol. 28. Le dimanche 26 on cherche à joindre à la fois le bailli et le gardien, tous deux à Vesoul : on annonce au premier que « les ennemis ont bouté le feu en la terre de Baume », et l’on prie le second d’envoyer des gens d’armes à Étobon ; idem. Le mardi suivant, 28 novembre, le gardien se voit encore requis de fournir des hommes à Châtillon, puis à Baume le dimanche après la Saint-Nicolas, 10 décembre (ibid., fol. 28v), et enfin à Montjustin, où on attend les ennemis, le dimanche après Noël, 31 décembre ; ibid., fol. 29.
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les nouvelles en provenance d’Étobon, tandis que la quittent fréquemment des émissaires en quête de nouvelles des adversaires et de leurs mouvements. Étobon et surtout Château-Lambert apparaissent à ce titre comme les postes avancés en terre ennemie, susceptibles d’être utilisés comme bases de renseignement : à titre d’exemple, le Jeudi saint, 24 mars 1345, une lettre part de Montjustin vers le châtelain de Château-Lambert « pour savoir le convoine des Allemands194 » ; ce dernier avait le 12 février informé le trésorier de Vesoul qu’ils étaient au Thillot195, demandant deux jours plus tard l’envoi de gens d’armes. Cela est compréhensible puisque Château-Lambert verrouille l’itinéraire des Lorrains qui chercheraient à gagner la Franche-Comté par la vallée de la Moselle. Étobon joue un rôle similaire en contrebas : début août de la même année 1345, Pierre d’Étobon prévient Jean de Montaigu que les « Allemands » ont un mandement, et que le bruit court que le duc de Lorraine et l’abbé de Murbach ont soudoyé des Comtois afin d’obtenir la reddition de deux places-fortes196 ; le 8 juin 1346, son messager donne l’alarme : les gens du comté de Ferrette et de l’abbé de Murbach sont rassemblés pour ravager les terres comtales197. Si bien qu’en novembre 1346, c’est à ceux d’Étobon qu’écrit Jean de Montaigu « pour savoir le convoine des mouvements d’Amont198 ». Le château surveille effectivement, face à la trouée de Belfort, une zone de passage incontournable pour les troupes qui descendent d’Alsace pour aller menacer le cœur du domaine comtal. – Les réseaux de renseignement La source des nouvelles dépasse cependant largement la simple observation des mouvements suspects depuis les points stratégiques de la frontière. On a déjà eu l’occasion d’évoquer dans les notes précédentes les nombreux comtois dépêchés en Lorraine et en « Allemagne », à la recherche d’informations sur l’ennemi. Au vu de la fréquence de ces occurrences dans nos documents, on peut presque s’autoriser à parler, en dépit de son caractère informel, d’un véritable « service de renseignement » dédié à la protection de la province bourguignonne par les armées d’Eudes IV. Le 2 novembre 1340, par exemple, il est question dans les comptes de garnison du gardien Vauthier de Vienne, d’un espion « envoyé à Remiremont et ailleurs pour savoir le convine des ennemis199 ». Ces « taupes » doivent avant tout passer inaperçues. Ce qui explique certainement qu’on n’hésite pas à avoir recours à des femmes200, voire à des clercs. Ces derniers sont des éléments précieux : ils peuvent déployer un certain entregent, et s’appuyer en outre dans leur quête de nouvelles sur 194 195 196 197 198 199 200
ADD, 1B 133B, fol. 24. Le Thillot, Vosges, ar. Épinal, ch.-l. c. ADD, 1B 133B, fol. 24v. ADD, 1B 133B, fol. 26. Ibid., fol. 27 v °. ADD, 1B 150, fol. 58v. Remiremont, Vosges, ar. Épinal, ch.-l. c. Le lundi après la Madeleine, 23 juillet 1347, une femme est dépêchée à Lure pour s’y informer sur les ennemis, tandis qu’une comparse quitte le lendemain Montjustin pour Belfort dans le but de « savoir le convoine du mouvement devers Allemagne qu’on y faisoit pour combattre à monseigneur, comme on disoit » ; ADD, 1B 133B, fol. 33v.
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le maillage des nombreux établissements religieux. Ainsi, l’abbé de Luxeuil est tenu pour susceptible de connaître les intentions de Jean de Chalon, qui intrigue alors à Metz201. On fait feu de tout bois pour trouver des informateurs : en janvier 1341, c’est le fauconnier de l’archevêque, tout juste rentré d’Allemagne, qui fournit à plusieurs reprises le détail des mouvements opérés par les « Allemands » et les hommes à la solde des Faucogney202. Ces derniers ne sont d’ailleurs pas en reste lorsqu’il s’agit d’épier la stratégie comtale. Les officiers d’Eudes IV accordent une grande importance à ce genre d’affaires, jugées suffisamment graves pour que, début juillet 1340, le gardien du comté Vauthier de Vienne reste spécialement à Gendrey (alors que les troupes qu’il y avait convoquées sont reparties) pour faire examiner Girar le Larre qui fut pris ou dit lieu comme espie de ceux de Facony, avant de le confier à la garde du prévôt de Dole203. Le cas n’est pourtant pas exceptionnel : le 25 août 1341 est encore capturé un certain Moncel de Villeperrot, par suspection d’espie à ceux de Faucogney, lequel fut mis en la prison monseigneur204. Dans un contexte aussi tendu, il peut être profitable d’activer tous les réseaux, notamment celui des prêteurs lombards. Il se trouve justement qu’un Lombard de Montjustin a élu domicile à « Ville-en-Saulnois205 ». Un homme et un valet sont dépêchés auprès de lui pour quérir information sur les intentions de Jean de Chalon et de ses mercenaires, cela le 18 octobre 1346, jour de la Saint-Luc. Moyennant un peu de patience, la démarche s’avère efficace : la réponse dudit Lombard, nommé Bertholon, parvient à Montjustin le mardi après la Saint-Martin d’hiver, soit le 14 novembre, et on la transmet derechef au bailli là où il est supposé se trouver, c’est-à-dire à Bracon. Dans le doute, on en envoie aussi une copie à Ougney. Le bailli en effet commençait à s’impatienter et la veille avait relancé Bertholon, par l’entremise de deux valets qui, pour plus d’efficacité, devaient l’un demeurer sur place en Lorraine pour s’informer, l’autre revenir « dire le convoinne » à Jean de Montaigu206. Leurs courriers se sont donc croisés, et on vérifie ici, sans surprise, l’ampleur des difficultés de communication engendrées par les incompressibles délais de transport207. Le service rendu par le
201 Une lettre lui est adressée depuis Montjustin, « que mande s’il savait le convoinne de Jehan de Chalon » ; ADD, 1B 133B, fol. 32. 202 ADD, 1B 150, fol. 140. 203 Ibid., fol. 22. 204 ADD, 1B 82, fol. 27v. Villeperrot : sans doute Villeparois, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Vesoul-2. 205 Sans doute Laneuveville-en-Saulnois, Moselle, ar. Château-Salins, c. du Saulnois. 206 ADD, 1B 133B, fol. 27. 207 La vitesse de messagerie a été estimée à trente kilomètres par jour aux xive et xve siècles. Elle peut néanmoins varier en fonction de l’importance des nouvelles et « des intérêts de la puissance émettrice et réceptrice » ; Information et société en Occident à la fin du Moyen Âge. Actes du colloque international tenu à l’Université du Québec à Montréal et à l’Université d’Ottawa (9-11 mai 2002), Cl. Boudreau et al. (éd.), Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, Publications de la Sorbonne, Paris, 2004 (Histoire ancienne et médiévale 78), p. 17, d’après J.-M. Cauchies, « Messageries et messagers en Hainaut au xve siècle », Le Moyen Âge, 82 (1976), p. 89-123, 301-334.
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Lombard fut-il sans contrepartie ? On l’ignore, mais l’homme apparaît très motivé par la cause comtale, et informera encore le bailli au printemps suivant du départ de Metz de Jean de Chalon avec force gens d’armes208. Contribuer aux tâches de renseignement semble en tout cas fort lucratif pour certains, comme pour Guillaume Chayet, un écuyer qui ne touche rien moins que 20 florins (ou 15 l.), sur les 40 promis « en outre ses gages » pour « chevaucher les ennemis et pour savoir leur covine », en 1346-1347209. Cet investissement est le fait du prévôt de Gray, Jean de Morey, qui consacre lui aussi une intense activité à la collecte d’informations sur l’adversaire : 100 sous de dépenses portent cette année-là sur les messages dits « privés » rentrant dans cette catégorie210. Se protéger
Une fois renseigné sur les mouvements de l’ennemi, il s’agit de se garantir d’une éventuelle attaque. Les débuts de la guerre de 1346, en novembre et décembre, sont particulièrement bien documentés à cet égard. Cela passe en premier lieu par l’ordre de retrait des populations dans les forteresses comtales211, tandis que l’on n’hésite pas à détruire les villages du plat pays afin de ne pas offrir de base aux adversaires212. Il faut ensuite prévenir les fidèles de l’imminence du danger, pour qu’ils se tiennent sur le pied de guerre213. Puis rassembler des troupes et les déplacer en direction des places fortes menacées214. Enfin s’assurer que l’armement est suffisant et opérationnel215. Des travaux sont éventuellement entrepris pour renforcer les défenses216. 208 209 210 211 212 213
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ADD, 1B 133B, fol. 30v. ADD, 1B 126 (2), fol. 4. Ibid., fol. 5. Par exemple, le 12 novembre 1346, le bailli Jean de Montaigu en donne l’ordre au trésorier de Vesoul, ainsi qu’à Château-Lambert et à Étobon ; ADD, 1B 133B, fol. 27. Comme le bailli en donne l’ordre pour les environs de Baume le 10 décembre ; ibid., fol. 28v. En novembre 1346 toujours, le 16 du mois, le bailli demande par lettres au prévôt de Baume « qu’il envoie VII paires de lettres aux gentilshommes devers Baume pour estre appareillés contre les ennemis monseigneur ». Le même jour sont de façon identique prévenus Jacques de Baudoncourt, les seigneurs de Faucogney, de Rougemont, de Ray, de La Rochelle, de Chauvirey, de Vergy, la marquise et comtesse de Fribourg, la comtesse de Montbéliard, et Renaudin de Rocourt, seigneur de Montureux ; ibid., fol. 27v. Par exemple le 24 novembre 1346, trente-huit hommes d’armes arrivent à Gray sur ordre de la duchesse. Ils y restent dix-neuf jours, du vendredi après la Saint-Clément jusqu’au mardi après la Saint-Nicolas d’hiver (soit du 24 novembre au 12 décembre), avec quatre-vingt-deux chevaux. C’est alors que survient le gardien Othe de Grandson, qui stationne là deux jours, accompagné de quatrevingts chevaux ; ADD, 1B 126 (2), fol. 6. On pourrait citer beaucoup d’autres exemples. Le 5 décembre 1346, on fait venir de Vesoul à Montjustin du fer « pour faire guerraz et querrelx » (carreaux d’arbalète). Le 11 décembre, trois arbalètes sont envoyées à Montbozon, où l’on attend l’ennemi, pour la défense du château. Deux autres sont portées à Baume. Deux jours plus tard, on demande que soit envoyé à Bracon l’artilleur Espiart de Jussey pour y mettre au point « l’atillement » ; ADD, 1B 133B, fol. 28v-29. Le 4 octobre 1346, Montjustin fait « querre » Jean Moingin à Baume pour mesurer les murs qu’on vient de refaire. Il avait déjà supervisé ces travaux au mois de mai ; ibid., fol. 26-26v. Jean Moingin est maître des œuvres de maçonnerie du comté ; il perçoit pour cet office, 20 l. de gages annuels ; ADD, 1B 79A1, fol.14 ; BnF, Moreau 900, fol. 253, 322, 353v, 406v.
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Soulignons à ce propos que le principat d’Eudes IV est marqué par une intense politique de rénovation des forteresses, notamment à l’occasion de la guerre de 1336. Le compte de Richard des Bans, trésorier de Vesoul, courant de la Saint-Michel 1336 à Pâques 1337, comporte même une rubrique entière consacrée aux « ouvrages pour le rapparoillement des maisons du comté de Bourgogne217 ». La même année, Renaud de Baissey et Eudes de Cromary sont « commis de par monseigneur pour faire rapparoiller les forteresses des chasteaux et bonnes villes de la contey de Bourgoigne218 » et entreprennent une grande tournée dans le pays, commanditant de nombreux travaux de réfection dont la comptabilité porte les traces. La mise en défense du territoire, objet d’une organisation réfléchie et particulièrement maîtrisée, ne dispense pas cependant le duc-comte de chercher d’autres moyens de protection. Négocier
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, une intense activité diplomatique est menée en parallèle du harcèlement et des démonstrations de force. Nous ne voulons pas parler ici du recours à l’arbitrage royal, mais de négociations directes entre le duc-comte et ses adversaires. Si on les devine à peine dans la première phase des hostilités en 1336219, elles apparaissent très clairement dans les années 1340, et surtout lors de la guerre de 1346-1347. En 1340, alors que sévissent les heurts répétés avec Henri de Faucogney220 et que plane la menace « allemande » sur le nord de la province221, le gardien du comté Vauthier de Vienne quitte Vesoul pour être, le jeudi après la Madeleine (27 juillet), à Monbéliard « es gens le duc d’Autriche sur le fait des aleances », ainsi qu’en prévision d’une « journee » à l’Isle-sur-le-Doubs le samedi suivant contre ledit Henri de Faucogney « pour les atenances qui adonc furent faictes dudit monseigneur Henri et dudit gardien222 ».
217 BnF, Moreau 900, fol. 331-332v. 218 Ibid. fol. 320v. 219 On peut ainsi supputer que, lorsque le doyen de Besançon, Jean de Corcondray, homme de confiance d’Eudes IV, rejoint le duc – en passant par Montmirey le jeudi après la Saint-André (5 décembre) 1336 – « pour sa besogne devers Alemaigne », il s’agit pour lui de rendre compte à son prince de pourparlers avec l’Autriche ; BnF, Moreau 900, fol. 338. 220 La première trace que nous en ayons date du lundi après la Saint-Georges (24 avril) 1340 : le gardien quitte alors Dole pour Vesoul, en raison d’un « grant mandement pour corre sus monseigneur en la Conthey » rassemblé par « ces de Facony » ; ADD, 1B 150, fol. 11. Les 5 et 6 mai suivant, à Dole, le gardien et le bailli Eudes de Cromary, convoqué spécialement pour l’occasion, se rencontrent pour « havoir consoy entre leurs de plusseurs choses que l’on porroit faire devers ces de Facony que ne voloient rendre ne recroire les chatelx des gens monseigneur » ; ibid., fol.13. Des opérations de pillage de la part de ces seigneurs ont donc bien eu lieu sur les terres du domaine comtal. On a vu qu’ils ne s’en sont pas contentés, et ont fini par prendre possession du château de Vesoul. 221 Le gardien fait un grand mandement à Gendrey début juillet, « pour resiter contre les Alemans que l’on disoit qu’ils vinnoient a val pour corre sus monseigneur en sa contey de Bourgoigne » ; ADD, 1B 150, fol. 21-21v. 222 ADD, 1B 150, fol. 28v. On retrouve mention de cette trêve, ainsi que de l’alliance avec le duc d’Autriche, au fol 107.
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Peu après la Saint-Laurent, à la mi-août, une autre journée est fixée à Montjustin en vue de la prolongation de ces trêves avec Faucogney223. Dans le même temps, les négociations avec l’Autriche semblent avoir débouché positivement sur la conclusion d’un traité spécifié « sans cire », donc plutôt informel, ou à un stade préparatoire224. Cela n’empêche pas les hostilités contre Henri de Faucogney, sans doute un temps suspendues, de reprendre fin septembre, et de se prolonger encore au moins un an, et encore n’est-ce là que la période pendant laquelle nos sources permettent de les suivre. Les « enfants de Faucogney » sont rejoints dans leur lutte contre le prince par Jean de Chalon-Arlay et Thibaut de Neuchâtel dans une nouvelle phase de conflits activée en novembre 1346, alors qu’en septembre des négociations avaient été ouvertes avec le duc de Lorraine et le sire de Montby dans un but d’apaisement225. Cette guerre est elle aussi ponctuée de tractations et de trêves en tout genre. Dès le mois d’avril 1347, Eudes IV cherche à nouveau à s’allier avec l’Autriche226. Ces négociations, qui semblent de la plus haute importance et pour lesquelles le secret est de mise, se poursuivent en mai, alors que la guerre fait rage sur la frontière nord du comté. Il est même question d’un mariage entre les deux maisons227. Mais en octobre, l’espoir de les voir aboutir n’est plus permis : c’est le fils du roi d’Angleterre qu’épousera finalement la fille du duc d’Autriche228… Cet échec diplomatique est
223 Ibid., fol. 34. 224 Ibid., fol. 35v. 225 La menace des « Allemands » et des Faucogney plane encore pendant toutes les années 1344-1346. Il semble qu’ils aient trouvé un allié en la personne de Joceran de Montby, sur l’engagement duquel nous ne savons presque rien, sinon qu’en août 1345 une lettre est partie de Montjustin vers Faucogney pour demander qu’il soit « barré » ; ADD, 1B 133B, fol. 24v. Le 29 septembre 1346, une lettre ordonne au trésorier de Vesoul de venir « tenir » une « journée » avec les gens du duc de Lorraine et de Joceran de Montby ; ibid., fol. 26v. On comprend d’autant mieux que la Lorraine souhaite temporiser lorsque l’on sait que le duc Raoul vient de tomber à Crécy un mois auparavant. Les négociations doivent aller bon train pendant quelques jours, comme l’atteste un échange de missives début octobre : le lundi après la Saint-Michel (2 octobre), Montjustin envoie au bailli, à Talant, la réponse apportée de Metz par un valet, ainsi que celle de Richard de Présentevillers (Doubs, ar. Montbéliard, c. Montbéliard-Ouest) ; idem. 226 Le lundi après Quasimodo (9 avril) 1347, un écuyer part de Montjustin pour porter au duc « la response de la journee des alliances » entre lui et le duc d’Autriche ; ADD, 1B 133B, fol. 30v. 227 Le mardi avant l’Ascension (8 mai) 1347, une lettre est transmise au duc à Rouvres pour lui faire savoir « que les gens du duc d’Autriche devoient aller par devers lui pour plusieurs besognes ». Le mercredi après Pentecôte (23 mai), on écrit au bailli d’Autriche à Belfort pour lui confier « aucun secret » mandé par Eudes IV. La réponse « d’aucun secret pour le fait d’un mariage » ne tarde pas et transite par Montjustin le 31 du même mois, jour de la Fête-Dieu ; ADD, 1B 133B, fol. 32v. Il y a un précédent à une alliance avec l’Autriche : en 1285, le duc de Bourgogne Robert II a marié sa demi-sœur Isabelle au roi des Romains Rodolphe de Habsbourg. Philippe le Hardi reprendra cette politique ; J. Richard, « Les relations dynastiques entre Bourgogne et Autriche de 1285 à l’avènement du duc Charles », in Publication du Centre européen d’études bourguignonnes (XIVe-XVIe s.), 46 (2006), Rencontres d’Innsbruck (29 septembre au 2 octobre 2005), « Pays bourguignons et autrichiens (xive-xvie siècles) : une confrontation institutionnelle et culturelle », J.-M. Cauchies et H. Noflatscher (éd.), Neuchâtel, 2006, p. 5-12. 228 Le mercredi après la Saint-Luc (24 octobre) 1347, une lettre en informe le duc de Bourgogne ; ADD, 1B 133B, fol. 34v.
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peut-être déjà avéré au cours de l’été, car des trêves sont passées avec les ennemis à la fin du mois d’août 1347229. Mais elles s’avèrent extrêmement fragiles230, et sont brisées dès septembre231. Une tentative infructueuse de les réactiver paraît avoir eu lieu deux mois plus tard, dans la confusion la plus totale232. Le défaut d’information est ici patent, et il constitue, entre autres, une sérieuse limite aux capacités d’action des troupes comtales en temps de guerre. Composer avec ses limites
À la fin du mois de juin 1340, le bruit court d’une descente des « Allemands » dans le comté. Il est démenti par les messagers du gardien Gauthier de Vienne, envoyés aux nouvelles dès la première semaine de juillet233. Vers la fin février 1345, des lettres partent de Montjustin vers la duchesse « pour Chastel Humbert que l’on disoit qu’estoit assiegé et il ne l’estoit pas234 ». La rumeur à la fiabilité douteuse paraît à la base du système de renseignement235, même si l’on cherche en général à en obtenir confirmation, et l’expression « si comme on disoit » est récurrente dans les documents236. Il est alors facile d’ « intoxiquer » l’adversaire par de faux bruits que l’on fait courir sur les lieux publics. Le temps
229 Le jeudi après la Décollation de saint Jean-Baptiste (30 août) 1347, des messagers partent de Montjustin pour Baume et Étobon pour « faire savoir les treves » ; ibid., fol. 34. 230 Par exemple, l’incertitude plane sur l’attitude du seigneur d’Oiselay. Respectera-t-il les trêves ? Le 31 août, il est sommé par courrier de se prononcer, mais le 4 septembre, il n’a toujours pas répondu et on doit le relancer ; idem. 231 Neuchâtel et Faucogney rassemblent leurs hommes, et on craint une attaque sur Étobon ou Montjustin. Le village de Belverne (Haute-Saône, ar. Lure, c. Héricourt) a d’ailleurs déjà été détruit par le feu, comme Pierre d’Étobon en informe Vesoul le samedi après Notre-Dame (15 septembre). Le dimanche après la Saint-Matthieu (23 septembre), on prévient le bailli, alors à Saint-Jean-de-Losne, « que les ennemis monseigneur devoient brisier les treves, comme on disoit ». Le 6 octobre, on ne peut que constater dans une nouvelle lettre à Vesoul « que treves estoient faillies » ; idem. 232 Le mardi avant la Saint-Clément (20 novembre) 1347, on cherche à Montjustin à s’informer auprès du bailli de l’actualité d’éventuelles trêves (on lui écrit à Vesoul « pour savoir si les treves estoient ou non »). La réponse dut être positive, puisque six jours plus tard, on prévient Étobon des « secondes treves ». Hélas, dès le 28, on se trouve dans l’obligation de réécrire à Vesoul pour en savoir plus, car le bruit court que ces trêves sont déjà brisées ; ADD, 1B 133B, fol. 34v. 233 ADD, 1B 150, fol. 22. 234 ADD, 1B 133B, fol. 24. 235 Les historiens ont souligné à quel point on assume alors l’usage de la rumeur comme source de connaissance ; La rumeur au Moyen Âge. Du mépris à la manipulation (ve- xve siècle), M. Billore et M. Soria (éd.), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011, p. 17. Claude Gauvard parle même de la rumeur comme d’ « un élément précieux de la construction du politique ». Ces bruits naissent lors d’événements forts et perturbateurs de la vie quotidienne, comme les mouvements de troupes. À la différence des nouvelles, la rumeur n’est pas codifiée, mais elle aboutit rapidement à des stéréotypes ; ibid., introduction, p. 28-32. 236 Les hommes du temps vivent dans la « hantise de la fausse nouvelle, qu’ils n’ont guère le moyen de contrecarrer ». Aussi, on procède à la vérification des nouvelles, soit en menant sa propre enquête, soit en demandant des informations complémentaires aux villes voisines. « Vérifier l’information, la jauger, la distiller font donc partie de l’art de gouverner » ; Information et société…, op. cit., p. 23, 25.
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nécessaire de les démentir, rallongé par les délais de transport, fait espérer gagner un avantage stratégique sur l’adversaire, qui aura peut-être déplacé inutilement des troupes. Là réside aussi une faiblesse majeure de l’organisation militaire comtale : le manque d’effectifs. On ne fait souvent que transporter les hommes d’armes d’un château à un autre, dégarnissant celui-ci pour renforcer la sécurité de celui-là, ce qui est suffisant lors d’un conflit larvé, comme celui du début des années 1340237, mais ne saurait défendre le pays en cas d’attaque sur tous les fronts. C’est pourquoi en 1336 et 1346-1347 on tient des garnisons simultanément dans toutes les forteresses238. Mais cela coûte très cher, et lorsque l’argent vient à manquer, le comte court le risque de voir fondre ses effectifs. Le gardien se rend par exemple à Vesoul pour changer la garnison en 1340, car ceux « qu’il yl estoient my voloient plus demoré et s’en estoient ja partis li plusours239 ». Cette menace plane à deux reprises en 1347 : le 30 mars, le bailli Jean de Montaigu écrit au duc qu’Étobon est menacé par une désertion des gentilshommes de sa garnison ; le 10 août, ce sont ceux qui stationnent à Montjustin qui veulent partir car ils ne sont pas payés240. Les faiblesses du duc-comte, le caractère même des guerres comtoises, qui ne dégagent aucune victoire décisive, l’équilibre des forces en jeu, augurent d’une prolongation à l’infini. Elles ont occupé Eudes IV quasiment pendant tout son principat, engloutissant des sommes colossales241. Ses successeurs pouvaient-ils raisonnablement continuer sur le même mode ?
237 L’important registre de dépenses du gardien Vauthier de Vienne (ADD, 1B 150), que nous avons déjà abondamment cité, permet de suivre ces mouvements de troupes incessants sur la frontière nord du comté. Le 1er mai 1347, encore, des lettres sollicitent Clerval pour que sa garnison soit envoyée à Montjustin, où l’on attend les ennemis ; ADD, 1B 133B, fol. 32. 238 ADCO, B 11 836 et B 11 838, décrits par B. Schnerb, Aspects de l’organisation militaire dans les principautés bourguignonnes (v. 1315-v. 1420), thèse de doctorat de 3e cycle, Université de ParisSorbonne, Paris IV, 1988, p. 352. Il a comptabilisé 374 hommes d’armes au total en 1336 et 816 en 1346. Par comparaison, les sources estiment que Jean de Chalon, aux portes de Vesoul en avril 1347, dispose d’environ cinq cents hommes d’armes ; ADD, 1B 133B, fol. 32. Le dimanche après la Saint-Pierre-etPaul (2 juillet) 1340, le duc réussit à regrouper 247 « armures de fer » à son mandement à Gendrey, destiné à contrer les Allemands ; ADD, 1B 150, fol. 21v. 239 ADD, 1B 150, fol. 27. 240 ADD, 1B 133B, fol. 30 et 33v. L’apparition progressive de ces affaires à la fin du Moyen Âge est la conséquence « du passage d’une armée reposant sur l’obligation féodale à une armée de volontaires payés pour leurs services » ; Chr. Allmand, « Le problème de la désertion en France, en Angleterre et en Bourgogne à la fin du Moyen Âge », in Guerre, pouvoir et noblesse au Moyen Âge. Mélanges en l’honneur de Philippe Contamine, J. PAVIOT et J. VERGER (éd.), Paris, Presses de l’Université ParisSorbonne, 2000, (Cultures et civilisations médiévales 22), p. 31. 241 Il est impossible d’avancer un quelconque chiffre pour le coût total de ces guerres, dont les contemporains n’avaient sans doute pas la moindre idée non plus. Par exemple, dans l’arrêté des comptes des châtellenies bourguignonnes dressé en 1336, les dépenses militaires sont englobées dans certaines rubriques sous le terme bien vague de « recettes et missions faites pour le fait des guerres d’outre Saône et de la venue du roi de France ». Il en ressort du moins que les ressources du duché ont été largement mises à contribution cette année-là ; ADCO, B 1389. Le roi Philippe VI s’arrête en Bourgogne en avril, à son retour d’Avignon, où il a entamé des négociations avec le pape ; E. Petit, Histoire…, op. cit., t. VII, p. 146-147.
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3. La nouvelle donne (1349-1361) À la mort d’Eudes IV, le paysage a totalement changé, avec l’apparition de l’épidémie de peste, et la minorité de son unique descendant. Les circonstances conduisent la régente à proclamer une ordonnance qui révolutionne l’ancien ordre ducal, et débouche dans les années suivantes sur une plus grande participation de la haute noblesse aux affaires comtoises. Ceci dans un contexte bien différent. a. L’ordonnance du 29 avril 1349242
L’ordonnance est l’œuvre de la belle-fille d’Eudes IV, disparu le 3 avril. En tant que régente pour son fils Philippe, elle annule toutes les causes de mécontentement liées à l’exercice accru du pouvoir comtal. La tentation est forte de lui laisser sonner le glas de la politique menée trente ans durant par le Capétien. Avant de conclure trop rapidement, il convient de replacer le document dans son contexte immédiat : l’heure justifie une temporisation peut-être momentanée ; la portée du gant de velours ne s’avère-t-elle pas à terme pour le prince comtois aussi efficace que la main de fer ? Des circonstances difficiles
Un peu moins d’un mois auparavant, le décès du duc-comte a laissé la succession entre les faibles mains d’un garçon de 2 ans et demi, son petit-fils Philippe, seul descendant de la lignée des Capétiens de Bourgogne. Des nombreux enfants nés de l’union d’Eudes IV et de Jeanne de France en effet, le seul qui parvint à l’âge adulte, Philippe de Bourgogne, a déjà trouvé la mort243. L’histoire sait combien les périodes de régence fragilisent le pouvoir. Pour ne rien arranger, l’épidémie de Peste noire sévit toujours. C’est elle qui vient vraisemblablement d’emporter le duc244. Sa belle-fille n’est pas en position de faire face à un nouveau soulèvement en Comté. Or les tentatives malheureuses d’Eudes IV ont démontré que le moindre signe de faiblesse des Bourguignons laisse la porte ouverte au déchaînement des hostilités sur leur flanc est. Le pays s’est avéré particulièrement difficile à contrôler. La menace est d’autant plus sérieuse qu’Anglais et « Allemands » ont leurs entrées dans les réseaux d’alliances des barons. La jeune femme serait bien imprudente de ne pas garantir en priorité la stabilité de cette zone sensible : comme la dernière intervention du roi245
242 ADD, 1B 55 et BEC Besançon, Droz n° 28, fol. 333-337. Publiée par E. Champeaux, Ordonnances…, op. cit., p. 4-9. 243 Il est mort des suites d’un accident de cheval au siège d’Aiguillon en Guyenne, au plus tard le 22 septembre 1346. 244 C’est l’hypothèse la plus générale, retenue par Édouard Clerc (É. CLERC, Essai…, op. cit., p. 86) et reprise par Pierre Gresser ; P. Gresser, La peste en Franche-Comté au Moyen Âge, Besançon, Cêtre, 2012. Ernest Petit se contente de notifier le mauvais état de santé d’Eudes IV, très diminué depuis la disparition de la duchesse en août 1347 ; E. Petit, Histoire…, op. cit., t. VIII, p. 50, 58, 61. 245 Arbitrage de Philippe VI entre le duc et les barons, daté du mois de mars 1348 ; ADD, 1B 389 ; ADCO, B 11 912 ; U. Plancher, Histoire…, op. cit., preuve CCLXXX.
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n’a pas apporté de solution de fond aux griefs des grands, la tension qui est retombée depuis un an ne manquera pas de renaître à la première occasion246. Des troubles dont nous ne savons rien ont d’ailleurs suivi la disparition d’Eudes IV247. Compte tenu des circonstances, elle choisit l’option la plus simple : gagner du temps dans l’immédiat pour sauver son pouvoir fragile. Un calcul politique
La rapidité du geste de la régente est frappante. Trois semaines seulement après le décès d’Eudes IV, elle proclame l’exact contre-pied de trente ans de ténacité ! Est-il pensable qu’un tel défaut de continuité politique soit pris au sérieux par une princesse élevée dans l’esprit de la dynastie ducale ? Elle entre dans l’âge mûr248, du moins selon les critères du xive siècle ; la disparition de son mari et la mauvaise santé du duc vieillissant249 lui ont laissé un ou deux ans pour se préparer à assurer la régence. Eudes IV l’a gratifiée de ses conseils. Dans ces conditions, il y a peu de chance que l’ordonnance de Gray soit un acte affolé passé dans l’urgence ; il semble bien plutôt le fruit d’un calcul nourri depuis un certain laps de temps. Sauf à penser que l’entêtement du duc-comte allait jusqu’à la bêtise, ce qui n’est guère probable pour un homme de sa trempe politique, il est sans doute plus ou moins directement à l’origine de ces mesures, soit que ses recommandations aient éclairé la comtesse de Boulogne sur la meilleure conduite à tenir, soit qu’il la lui ait lui-même dictée pour préparer au mieux sa succession délicate. La régente peut ainsi espérer un répit dans les affaires comtoises, le temps d’épouser Jean de Normandie250 afin d’assurer le pouvoir de son fils. Cette union peut plus difficilement être taxée de préméditation, le veuvage du futur roi datant du mois de septembre 1349. Elle n’est cependant pas incongrue puisque, en dehors de toutes considérations d’intérêt stratégique, multiples pour les deux partis, l’homme était particulièrement lié avec son cousin le défunt Philippe de Bourgogne251. Faut-il lire l’influence de Jean de Normandie derrière le changement radical d’attitude du pouvoir comtal représenté par la régente ? Celle-ci a en tout cas certainement pris conseil auprès de son oncle, le cardinal Guy de Boulogne252. La nécessité de trouver
246 La régente précise qu’elle souhaite par le texte du 29 avril « eschiver les noises et riotes qui pourroient naistre en la dicte Conté ». 247 Le compte de Guillaume de Thoraise pour la châtellenie de Châtillon-le-Duc en 1349 se place « tantot après la mort du duc, pour les doubtes et movements qu’estoient en la contey de Borgoigne » ; ADD, 1B 113. Le compte suivant mentionne que sont demeurés en garnison au donjon de Châtillon dix sergents étrangers « pour tant que l’on ne se osoit pas fier dois tout en yceux de la terre de Chestillon pour la doubte que ne suspandissent à la partie Jehan de Bourgoigne » ; ADD, 1B 114. Ce représentant de la branche cadette des comtes de Bourgogne a donc très certainement tenté de s’emparer du pouvoir, ou du moins de jouer de la situation à son avantage ; M. Bubenicek, « De Jean l’Aîné… », art. cit., p. 283. 248 Elle a alors 23 ans. 249 Né en 1295, il meurt à 53 ou 54 ans, à un âge respectable pour l’époque. 250 Le 9 février 1350. 251 E. Petit, Histoire…, op. cit., t. VIII, p. 11. 252 Sur ce personnage de premier plan, voir R. Cazelles, Société politique, noblesse et couronne sous les règnes de Jean le Bon et de Charles V, Genève, Droz, 1982 et P. Jugie, « Les liens privilégiés de
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un accord avec l’archevêque de Besançon – un lourd contentieux monétaire pend toujours253 – doit être pressante aux yeux du prélat, très impliqué dans les affaires de la curie avignonnaise, dont il anime l’une des factions. Or Hugues de Vienne, détenteur du titre, figure en bonne place parmi les signataires de l’ordonnance du 29 avril. Ses talents diplomatiques ont pu contribuer à engager la négociation dans l’apaisement. Il avait déjà eu l’occasion de proposer sa médiation lors des conflits passés254. Mais un autre élément qui a son importance est à prendre en considération : le fait que ce texte soit – peut-être – né de la collaboration de deux femmes, Jeanne de Boulogne et Jeanne de Montbéliard, comtesse de Katzenelnbogen255. En 1346, le 9 décembre, alors que la guerre faisait rage dans le comté sous l’effet d’une nouvelle collusion entre Jean de Chalon-Arlay, Thibaut de Neuchâtel et les enfants de Faucogney, celle-ci avait offert son soutien au duc en lui prêtant hommage pour le château de Rougemont256. Elle renouvelle sa fidélité à la régente par une procuration en date du 1er juin 1349257. C’est d’ailleurs la seule trace d’un hommage à Jeanne de Boulogne qui nous soit restée, on peut penser qu’elle n’en a pas reçu d’autre, ce qui lui confère un poids très particulier, celui d’un fidèle soutien en une période critique. D’autant plus que la comtesse allemande a insisté pour que l’ordonnance d’apaisement s’applique à ses terres, du moins est-ce la forme que prend le document, avec un rajout de la régente daté du 31 mai : Et notre tres chere et amee cosine Jehanne de Montbeliard contesse de Katzenellembogen desierrenz, si comme elle disoit, norrir son païs en tranquillitei et estre participens des euvres faictes selonc Dieu et por lou bien dou païs et de justice, nos ait supplié et requis que nos voulsissions comprendre es dictes ordenances por touz ses subgez et en toutes ses terres… Il y a très certainement, au-delà de formules convenues, une très sincère volonté de pacification, conforme à l’idéal chrétien du bon et juste gouvernement, chez les deux dirigeantes. Peut-on aller jusqu’à imaginer que ce rapprochement de vues a fait
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quelques cardinaux avec les duché et comté de Bourgogne dans la seconde moitié du XIVe siècle », in Publication du Centre européen d’études bourguignonnes (XIVe-XVIe s.), 50 (2010), Rencontres d’Avignon (17 au 20 septembre 2009), « L’Église et la vie religieuse, des pays bourguignons à l’ancien royaume d’Arles (xive-xve siècle) », J.-M. Cauchies (éd.), Neuchâtel, 2010, p. 41-52. L’archevêque de Besançon est depuis longtemps en conflit avec le duc Eudes IV en raison de la mauvaise monnaie que ce dernier frappe dans son atelier d’Auxonne, et dont il inonde le comté, concurrençant sévèrement la monnaie estevenante du prélat. Celui-ci a même excommunié le duc. L’affaire a été portée jusqu’au Saint-Siège ; É. Clerc, Essai…, op. cit., p. 77 ; E. Petit, Histoire…, op. cit., t. VII, p. 313. Voir aussi Fr.-I. Dunod de Charnage, Histoire de l’Église, ville et diocèse de Besançon, Besançon, Daclin, 1750, p. 220-221. E. Petit, Histoire…, op. cit., t. VII, p. 213. La comtesse est une des quatre filles du comte Renaud de Montbéliard. Elle est donc la belle-sœur d’Henri de Monfaucon-Montbéliard, et une grande cousine de Philippe de Rouvres, qui descend par sa grand-mère paternelle d’Othon IV, frère de Renaud. Le comte de Katzenelnbogen est son troisième mari. ADD, 1B 523 (2 et 3). Le n° 3 est une copie de 1362. La charte est en analyse dans ADD, 7E 1335. ADD, 1B 49 (11 et 12).
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naître une certaine sympathie entre elles en dépit de leur différence d’âge ? « Notre tres chere et amee cosine » va après tout plus loin dans la manifestation d’affection que le « nouz amez et feals cusins » de convention qui qualifie Jean de Chalon et Henri de Montfaucon liquel nos ont supplié en nom de leurs et de touz les autres feals de la dicte conté de Bourgoigne… On peut s’interroger sur le délai d’un mois qui sépare la proclamation de l’ordonnance pour le comté de son extension aux terres de Jeanne de Montbéliard258. Est-ce là le temps nécessaire à l’échange d’informations259, ou une manœuvre dilatoire pour ne pas associer directement la comtesse de Katzenelnbogen à ce qui reste une affaire de comtois, et ne pas froisser les susceptibilités de ceux qui sont présentés comme les « suppliants » : l’archevêque, Jean de Chalon et Henri de Montfaucon-Montbéliard ? Le caractère vital des enjeux conduit ces derniers à s’entendre avec le pouvoir princier, au nom de tous les féodaux du comté, mais sur une base qui satisfait toutes leurs revendications. Le retour aux « bonnes coutumes »
Adoptées dans un but immédiat d’apaisement, ces mesures très circonstanciées mettent cependant parfaitement en évidence le nœud du problème, à savoir la corrélation entre les signes de souveraineté et le profit économique attaché à leur usage. Sont abrogées l’imposition de monnaies inférieures en valeur à l’estevenant, les confiscations intempestives et toutes les commendises ducales. La souveraineté justicière des barons en leurs terres est réaffirmée, particulièrement en matière de gages et pour la succession des bâtards, qui leur revient260. Enfin, l’expulsion des Juifs et des Lombards fait espérer un moratoire des dettes de fait, même si seuls les intérêts des prêts qu’ils ont consentis sont officiellement annulés. C’est donc bien un texte publié pour et par les grands féodaux, visant à sauvegarder les intérêts de leur groupe social261.
258 Elle a obtenu, lors de la succession de son père, Belfort et Héricourt. 259 Les dates semblent démentir cet argument : l’extension de l’ordonnance aux terres de Jeanne de Katzenelnbogen est proclamée le 31 mai à Gray, et cette comtesse la ratifie deux jours après, le 2 juin, au château de Belfort. 260 Le 1er juin, la régente précise l’article relatif à la succession des bâtards : « Pour ce, Nous, qui voulons de notre pouvoir oster en noz terres toute matiere de discension, declairons ledit article et notre entencion avoir esté, en faisant ou ordonnant icelluy, que chascun sires ait la succession des bastars en sa terre se il a en icelle haulte juridicion et non aultrement » ; ADD, 1B 55, publié par E. Champeaux, Ordonnances…, op. cit., p. 10-11. La mesure bénéficie donc bien aux seuls grands féodaux, et non à l’ensemble de la noblesse. 261 Raymond Cazelles a souligné que la monnaie forte favorise les percepteurs de rentes ou de cens fixés en monnaie de compte, et que « les retours à la monnaie forte sont […] réclamés avec énergie et persistance par les classes dites privilégiées qui comptent sur eux pour rétablir l’intégralité de leurs revenus » ; ils ont lieu « lorsque le haut clergé et la noblesse sont assez puissants pour exercer une forte pression sur le pouvoir ». Ces mesures, qui bloquent l’activité économique, ne se justifient que « dans les périodes où la crise démographique ou la désorganisation entraînée par l’état de guerre
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Cependant, instruit par les difficultés d’Eudes IV – qui ont conduit la régente, selon une tactique très éprouvée, à satisfaire les contestations soulevées par sa politique pour rétablir l’unité autour des « bones coustumes, libertez et franchises » – le nouveau comte va devoir réinventer l’équilibre fragile momentanément retrouvé avec sa noblesse. Cette affaire sera celle du duc de Normandie, futur roi de France Jean II le Bon. b. La participation des grands au gouvernement de la province
D’après Édouard Clerc, Jean de Normandie convoque les hauts barons à Dole le 17 avril 1350 et s’engage devant cette assemblée à respecter ses libertés et à suivre les avis d’un conseil pris dans la haute noblesse. Il y arrête en concertation avec celle-ci une ordonnance pour la police du comté, perdue, connue seulement par son analyse citée par le président Clerc 1350, lettres de Jean, fils du roi de France, duc de Normandie et de Vienne, comte de Poitou, ayant le gouvernement du conté de Bourgoigne, du règlement pour la police dud. Comté avec les principaux seigneurs d’icelui, à savoir le comte d’Auxerre, les seigneurs de Chalons, de Neufchâtel, de Ste Croix, de Granson, de Beauvoir, de Villersexel, de Rougemont, de Rahon, de Rupt, d’Oiselay, de Faucogney, de la Roche (sur l’Ognon), de Roulans262. Pour prendre la mesure de cette nouvelle politique princière, il nous faut lire encore une fois entre les lignes de nos sources et recueillir les maigres indices d’une association des anciens rebelles au pouvoir. L’étude des gardiens du comté la met en lumière. Le gardien est un « gouverneur chargé de gérer les principautés du duc en son absence », et plus particulièrement en ce qui concerne le comté de Bourgogne un « homme à poigne, chargé de faire régner l’ordre », « détenteur de ce rôle de défense et de pacification de la province263 ». On relève successivement :
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1330 : Richard de Montbéliard, sire d’Antigny264 1336-1339 : Robert de Châtillon-en-Bazois265
interdisent tout espoir de progression de l’activité commerciale et du train de vie de la majorité » ; R. Cazelles, « Les variations du prélèvement et de la répartition selon les équipes au pouvoir », in Genèse de l’État moderne. Prélèvement et redistribution…, op. cit., p. 203-207. Ce contexte est bien celui du comté de Bourgogne en 1349. Les poursuites contre les Juifs et les Lombards, pratiquées également par le roi de France à plusieurs reprises, constituent aussi selon l’auteur un « prélèvement catégoriel », à ce titre « étroitement conditionné par les préoccupations et par les intérêts personnels ou de groupe de ceux qui ont la confiance du monarque et qui gouvernent en son nom ». É. Clerc, Essai…, op. cit., p. 97. Cette ordonnance de police est également mentionnée par Fr.-I. Dunod de Charnage, Histoire des Séquanois et de la province séquanoise, t. II, Histoire du second royaume de Bourgogne, du comté de Bourgogne sous les rois carolingiens, des IIIe et IVe royaumes de Bourgogne et des comtes de Bourgogne, Montbéliard et Neuchâtel, Dijon, De Fay, 1737, p. 236-237. M. Bubenicek, Entre rébellion…, op. cit., p. 526. ADCO, B 11 835. Antigny-la-Ville, Côte-d’Or, ar. Beaune, c. Arnay-le-Duc. BnF, Moreau 900 ; ADD, 1B 246 (1), fol. 10 ; ADD, 1B 67, 1B 72, 1B 431 (14), 1B 507 (18). Il est dit « connétable et gardien de Bourgogne », et même « connétable et gardien du duché et du comté » ;
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1340-1343 : Vauthier de Vienne266 1346-1347 : Othe de Grandson267 1349-1350 : Gauthier de Ray268 1350-1351 : Girart de Montfaucon269 1355-1356 : Thibaut de Neuchâtel270
Les deux premiers sont des seigneurs du duché. Vauthier de Vienne, sire de Mirebel271, est certes comtois, mais il ne s’est jamais dressé contre le duc-comte. De plus, on est alors dans une période de relatif ralliement au pouvoir comtal des principaux féodaux jadis récalcitrants. Lorsque la guerre générale reprend, le gardien est Othe de Grandson : bien que seigneur de Pesmes par son mariage, il appartient à un lignage de la Suisse actuelle. L’année 1349 marque véritablement une césure, introduisant aux plus hautes fonctions de direction de grands seigneurs comtois, anciens rebelles à l’autorité ducale. Certes, on ne connaît pas la position de Gauthier de Ray sous le principat d’Eudes IV, mais il a épousé Cunégonde de Blâmont, fille d’Henri, comte de Blâmont en Lorraine272, et on se souvient de l’engagement de Thibaut de Blâmont aux côtés de Jean de Chalon-Arlay lors des guerres comtoises. Sa nomination comme gardien peut apparaître comme un geste d’ouverture envers les anciens opposants. L’intention est manifeste avec son successeur Girart de Montfaucon, sire de Vuillafans, frère cadet d’Henri comte de Montbéliard : il a combattu avec lui le duc Eudes IV273. Quant à l’accession de Thibaut de Neuchâtel à la fonction de gardien, elle parle d’elle-même, et achève la réconciliation du lignage avec le pouvoir ducal. En 1353, il est déjà gouverneur de la province, ce qui est sensiblement la même chose274. Le 22 septembre 1352, il est dit capitaine du comté275. Il a donc vraisemblablement succédé à Girart de Montfaucon à la direction des affaires militaires, dans un cadre institutionnel qui se cherche encore.
BnF, Moreau 900, fol. 332v. En 1339-1340, les deux Bourgognes ont chacune leur gardien : le seigneur de Thil officie pour le duché ; ADD, 1B 246 (2), fol. 8v. Châtillon-en-Bazois, Nièvre, ar. ChâteauChinon (ville), c. Château-Chinon. 266 ADD, 1B 150, 1B 82, 1B 246 (2, 4), 1B 333 (18), 1B 341, 1B 354 (9), etc. Il occupe encore la fonction fin janvier 1343 (ADCO, B 1070), mais n’est plus gardien le 20 décembre 1345 ; ADD, 1B 354 (13). 267 ADD, 1B 84 ; ADD, 1B 126 (2), fol. 24. 268 ADD, 1B 372 ; ADD, 1B 128. Ray-sur-Saône, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Dampierre-sur-Salon. 269 ADD, 1B 86 (1), fol. 2, 1B 128, 1B 344 (20 et 21), 1B 351 (9), 1B 372 (16 et 20), 1B 537 (7). En novembre 1357, il est déclaré mort ; ADD, 1B 73 (15). 270 ADD, 1B 86 (1), fol. 8, 1B 370 (3 et 5), 1B 385 (18). 271 Mirebel, comm. Hauteroche, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Poligny. 272 J.-T. de Mesmay, Dictionnaire…, op. cit., t. III, p. 154. 273 En 1336, il a opéré des courses devant Plasne, y faisant quatre blessés ; BnF, Moreau 900, fol. 302. Après la guerre, suivant son frère, il a servi le roi de France en Artois et figure parmi les chevaliers bannerets de la « bataille » du duc de Normandie, avant de se trouver assiégé dans Tournai en 1340 ; BnF, N.a.f. 9238, fol. 66 et N.a.f. 9239, fol. 210v. 274 ADCO, B 1394, fol. 54. En août 1355, il est aussi dit « gouverneur » (ADCO, B 1399, fol. 50v), alors que peu de temps avant, le 12 juillet, une charte le qualifie de « gardien » ; ADD, 1B 370 (3). Les deux titres peuvent donc être considérés comme interchangeables. 275 ADD, 1B 152 (9).
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La composition du Conseil ducal reflète une évolution similaire. En 1359, Henri comte de Montbéliard en fait partie, avec l’archevêque de Besançon ( Jean de Vienne) et l’abbé de Cluny. Est-ce là une fonction purement honorifique ? On voit pourtant Henri de Montbéliard à l’œuvre sur le terrain lors de la tenue d’une « journee » destinée à régler le différend survenu entre les habitants de Pontarlier et le sire de Joux en mai276. L’essentiel du travail courant cependant est plutôt fourni par des conseillers d’extraction plus modeste, mais docteurs en lois, comme Ancel de Salins, nommé à Noël 1356 conseiller et garde du sceau ducal277, ou Hugues de Pimorin278. Jean de Chalon-Arlay n’a pas été oublié : il est à la même date de 1359 « conseiller pour le roi », et touche à ce titre 4 écus par jour entre le 1er juin et le 10 octobre279. Au prestige s’ajoutent donc des avantages substantiels, et ces distinctions s’accompagnent de gratifications annexes propres à satisfaire les grands : le 20 août 1353, le roi fait don à Jean de Chalon-Arlay d’une rente de 300 l. sur la recette de Dijon280, et de 3000 florins sur la recette générale du duché281. En 1354, Henri de Montfaucon-Montbéliard perçoit avec son fils Étienne une rente annuelle à vie de 1 000 l. sur le Trésor royal282. Rien de tel au temps d’Eudes IV. Il existe bien un Conseil, plusieurs fois cité par les sources, sans que sa composition soit vraiment connue. Jouissent de façon certaine du titre de conseiller des personnages de modeste souche, Pierre Le Bougret en 1332-1333283, Jean Aubriet en 1337284 et Renaud de Gillans en 1346285. Le comte semble avoir préféré pour le Conseil le recours à des sortes d’hommes à tout faire, comme Drue d’Aisey, « chevalier monseigneur le duc » dans les années 1330286, qui siégeait déjà au Parlement du comté sous la reine Jeanne en tant que « seigneur en lois »287, et surtout Jean de Corcondray, doyen de Besançon, qui est de toutes les missions dans le comté pendant son principat. Apparenté aux sires de Thoraise, il appartient
276 ADD, 1B 88, fol. 3. 277 ADD, 1B 87. 278 ADCO, B 1406, fol. 8v ; ADD, 1B 88, fol. 3v, 5v. On cite également maître Gilles de Montaigu, licencié en lois, et l’archidiacre de Salins Robert de Dole ; ADCO, B 1406, fol. 8v. 279 BnF, Fr 32 510, fol. 71v. Il est déjà conseiller du roi au début de l’année 1355 ; BnF, N.a.f. 3535, fol. 134. 280 ADCO, B 1399, fol. 36v. Le paiement est régulier dans les comptes des années suivantes, sauf en 1357-1358 et 1358-1359 : il est alors prisonnier ; ADCO, B 1405, fol. 40v ; B 1407, fol. 33v. Cette rente sur la recette de Dijon est destinée à remplacer une pension précédemment assignée sur les marcs de la ville. L’impôt des marcs est une taxe individuelle « correspondant au centième du “vaillant” de chaque membre de la commune résidant à Dijon » (P. Gresser, La peste…, op. cit., p. 256). 281 BEC Besançon, Droz 13, fol. 120. 282 ADCO, B 1399, fol. 54-54v. BEC Besançon, Droz, 14, fol. 409-409v et Droz 20, fol. 208v. 283 ADD, 1B 79A1, fol. 14. Il perçoit 10 l. de gages annuels pour cette fonction. Pierre Le Bougret siégeait déjà au Conseil de la comtesse Mahaut en 1324, et faisait alors partie des gens d’Hugues de Bourgogne ; BnF, Moreau 900, fol. 240v. 284 ADD, 1B 511 (1). Jean Aubriet est chancelier de Bourgogne en 1341 ; ADCO, B 1390. 285 ADD, 1B 125A, fol. 7. 286 ADD, 1B 79A1, fol. 28v. 287 Fr.-F. Chevalier, Mémoires…, op. cit., t. II, preuve n° 72.
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à la moyenne noblesse comtoise au service du duc288. Point de grand seigneur du pays à la direction des affaires donc, au rebours de la politique de Jean le Bon sous Philippe de Rouvres. Cette association nouvelle de la haute noblesse de Franche-Comté à l’exercice du pouvoir se traduit également par le recours à la concertation, à travers la réunion d’assemblées dont nous ne savons presque rien tant les sources restent allusives. Le motif est en premier lieu le consentement à la levée de l’impôt. En janvier 1356 partent de Dijon des « lettres closes » du gouverneur à Hugues de Vienne, seigneur de Saint-Georges, à Jacques de Vienne, seigneur de Longwy, au seigneur de Grandson et de Pesmes, ainsi qu’à Jean de Chalon-Arlay, pour venir en personne avec les autres nobles du duché donner leur avis sur la requête des commissaires du roi. Celui-ci entend rendre effective en Bourgogne « l’imposition et gabelle » que les régions du royaume supportent pour assurer les frais de la guerre contre les Anglais289. Fin octobre 1358, ce sont les États qui sont réunis par la reine à Dole qui là estoit pour tenir une grosse journée des nobles, des genz d’eglise et des bonnes villes du conté de Bourgoigne sur l’estat et la sehurté du païs290. Il s’agirait plutôt là d’une simple prestation de conseil. D’aucuns, comme Édouard Clerc, ont pensé que les seigneurs comtois avaient aussi joué un rôle dans la prise en main du gouvernement bourguignon par Philippe de Rouvres291. On voit en effet Jacques de Vienne se rendre sur ordre de la reine auprès de Jean de Chalon pour l’entretenir sur le fait de l’entreprise du gouvernement de Bourgoigne, pour lequel il et plusieurs autres seigneurs estoient assemblés à Beaune à grant quantité de gens d’armes292. Cela est plausible : la rencontre avec le baron comtois a lieu peu après la Saint-Luc 1359, en octobre, et la reine rend au jeune duc le gouvernement de ses terres le 28 janvier 1360293. Elle a très bien pu rassembler sa noblesse pour la consulter sur ce
288 Sur Jean de Corcondray, voir L. Borne, Les sires de Montferrand, Thoraise, Torpes, Corcondray aux 13e, 14e et 15e siècles. Essai de généalogie et d’histoire d’une famille féodale franc-comtoise, Besançon, Imprimerie Jacques et Demontrond, 1924, p. 194-213. 289 ADCO, B 1401, fol. 51v-52. Le choix d’un impôt sur la consommation a la faveur des grands, « car il ne pèse guère plus sur eux que sur les gens du commun » ; R. Cazelles, « Les variations… », op. cit., p. 205. C’est la seconde tentative du roi d’installer une fiscalité de type « moderne » en Bourgogne, la première, au printemps 1352, s’étant soldée par un refus des États. Celle-là, visant à établir une taxe de 8 d. par livre sur les transactions, ainsi que la gabelle du sel, connut le même sort. Ce n’est que plus tard que sera acceptée la levée d’un fouage pour la défense du pays, puis pour financer la rançon de 200 000 moutons d’or promise aux Anglais par le traité de Guillon,le 10 mars 1360 ; H. Dubois, « Naissance de la fiscalité dans un État princier au Moyen Âge : l’exemple de la Bourgogne », in Genèse de l’État moderne. Prélèvement et redistribution…, op. cit., p. 94. 290 ADCO, B 1405, fol. 45v. Cette session est « traditionnellement considérée comme la première manifestation des États comtois » ; P. Gresser, La Franche-Comté…, op. cit., p. 238. 291 Ibid., p. 169, d’après É. Clerc, Essai…, op. cit., p. 118. 292 ADCO, B 1408, fol. 41v. 293 Ibid., fol. 42v.
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geste politique. C’est vraisemblablement cette question qui se cache sous le terme d’ « entreprise du gouvernement de Bourgoigne ». Quoi qu’il en soit, la grande noblesse du comté est bel et bien associée à la prise de décisions entre 1349 et 1361, ce qui tranche radicalement avec la position d’Eudes IV à son égard, qui entendait lui imposer sans discussion la loi du prince, au grand dam de ses intérêts particuliers. Le contexte très délicat en ce tournant du xive siècle peut expliquer que le pouvoir ait préféré se ménager son soutien. c. Un contexte bien différent
La situation politique inédite, marquée par la régence de Jeanne de Boulogne, suivie par la prise en main des affaires bourguignonnes par Jean le Bon294, se conjugue avec une série de calamités venues s’abattre en chaîne sur le comté de Bourgogne, qui obèrent gravement sa santé démographique et économique. La province impériale connaît alors les mêmes fléaux que le royaume de France : la peste et les grandes compagnies. Et les dernières forces des anciens barons rebelles s’épuisent dans de longues guerres intestines qui achèvent la dévastation du pays. Le temps de la Peste noire
Consacrer ici de longs développements à la pandémie de peste serait hors de propos, d’autant qu’elle a fait l’objet d’un ouvrage très documenté de Pierre Gresser. Nous ne retiendrons donc que l’essentiel, à savoir que la peste touche le sud du comté vraisemblablement dès le printemps ou l’automne 1348, et l’ensemble du pays pendant l’année 1349, qui est celle de « sa diffusion la plus large et son intensité maximale », avant de refluer en 1350295. Puis 1360 et 1361 connaissent une résurgence de l’épidémie296. Mais, dans un cas comme dans l’autre, les sources manquent ou restent silencieuses, et l’historien se trouve bien souvent limité à de simples conjectures. Outre l’impact démographique et économique qu’on imagine, les répercussions politiques de la calamité furent néanmoins bien réelles. En premier lieu, elle perturba fortement le gouvernement du comté, emportant tour à tour lors de ses deux vagues successives le duc Eudes IV (le 3 avril 1349), puis son petit-fils Philippe de Rouvres (le 21 novembre 1361). Elle n’est peut-être pas non plus étrangère à la politique d’apaisement inaugurée par Jeanne de Boulogne en 1349. Pierre Gresser rappelle qu’Yves Renouard avait autrefois écrit que « la saignée démographique
294 Après son mariage avec la régente le 19 février 1350, Jean, duc de Normandie et de Guyenne – qui devient roi peu de temps après (son sacre est daté du 26 septembre) – assume le « bail » des duché et comté de Bourgogne. La reine renonce officiellement à leur gouvernement le 5 juillet 1353, pour le retrouver lors de la captivité de son époux en 1356. Dès son retour en France, Jean le Bon émancipe son beau-fils Philippe de Rouvres le 24 octobre 1360, en même temps qu’il ratifie le traité de Brétigny. Le jeune homme, encore adolescent, dirige alors les affaires bourguignonnes très peu de temps, jusqu’à sa mort le 21 novembre 1361 ; P. Gresser, La Franche-Comté…, op. cit., p. 168-169. 295 P. Gresser, La peste…, op. cit., p. 87-103. 296 Ibid., p. 124-133.
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des années 1348-1350 eut pour conséquence de créer momentanément la paix entre les nations et d’interrompre les guerres297 », ce qui pourrait, en Franche-Comté à cette date, s’appliquer aux guerres générées par l’opposition des grands féodaux à la politique princière. Si la fin de notre période voit la disparition de ce type de conflits, elle reste pourtant marquée par le fait militaire, alors que les rebelles d’hier se déchirent tandis que les efforts du pouvoir central se déplacent vers d’autres adversaires. Les guerres intestines
Les guerres entre seigneurs n’ont quasiment jamais cessé dans la province, en marge des luttes ouvertes contre le pouvoir ducal. On a évoqué le conflit qui a opposé Jean de Chalon-Auxerre et le sire de Sainte-Croix298, on pourrait en citer d’autres299. Mais le début des années 1350 est marqué par une guerre impliquant la plupart des seigneurs comtois, qui a donné lieu à l’intervention des commissaires du roi de France, Jean de Chalon-Arlay et Joffroy de Charny, au terme de laquelle un accord a été passé, que nous avons conservé. Il est daté du mercredi après les Bordes (25 mars) 1355. On y lit que s’opposaient alors deux camps, celui d’Henri de Montfaucon-Montbéliard et de son fils Étienne, alliés au lorrain Thibaut de Blâmont, à la comtesse de Fribourg, à la ville de Bâle, aux seigneurs de Villersexel, de Belvoir, à Jean de Cusance entre autres, contre celui de Thibaut de Neuchâtel et de ses alliés, dont Jacques de Vienne, Louis comte de Neuchâtel, Hugues de Vienne, Guillaume de Grandson, Thibaut de Faucogney et le seigneur de Rahon. Suit un long règlement des points de litige entre chacune des parties300. Des trêves en découleront, mais la querelle entre Neuchâtel et Montbéliard achèvera de se vider sous le principat de Marguerite de Flandre. Les grands ne sont malheureusement pas les seuls à épuiser les forces vives de la province comtoise.
297 Yv. Renouard, « Conséquences et intérêt démographique de la Peste noire de 1348 », Population, III, 1948, p. 465, cité par P. Gresser, La peste…, op. cit., p. 286. 298 Voir IIe partie, chapitre ii. 299 En 1339, Henri de Montfaucon est en lutte contre Louis de Neuchâtel outre-Joux, ce qui donne lieu à un arbitrage ducal ; BEC Besançon, Droz 14, fol. 482v. Le 26 juin 1343, un nouvel arbitrage du prince intervient entre le même comte de Montbéliard, Girart de Montfaucon, Hugues de Joux et Pierre d’Estavayer, opposés toujours au comte de Neuchâtel ; BEC Besançon, Droz 13, fol. 169-170 et Droz 20, fol. 180. Le conflit, lié à la terre de Réaumont, n’a pas trouvé d’issue, car un nouveau compromis est passé en 1348, par l’entremise de l’archevêque de Besançon et de l’abbé de Saint-Seine ; BEC Besançon, Droz 17, fol. 226v et Droz 18, fol. 250-250v. On trouvera des textes afférents à ces événements dans G.-A. Matile, Monuments…, op. cit., t. I, n°s 459, 460, 465, 478, 479, 509. 300 BnF, N.a.f. 3535, n° 101, fol. 134. Voir les nombreuses chartes occasionnées par ce conflit dans G.-A. Matile, Monuments…, op. cit., t. II, nos 512, 513, 550, 555, 556, 557. Le n° 550 notamment contient le détail des alliés de Thibaut de Neuchâtel contre le comte de Montbéliard et le comte de Blâmont : Jacques, Hugues et Henri de Vienne, Othe et Guillaume de Grandson, Jean et Henri de Faucogney, Henri sire de Rahon, Joffroy sire de Beaujeu-sur-Saône, Louis de Neuchâtel. Jean, sire d’Oiselay adhère à cette alliance, datée du 11 janvier 1354, le 13 février 1357 (n° 588).
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Brigands et routiers
Après les années de guerre ouverte caractéristiques du temps d’Eudes IV, le compte du bailli d’Aval et châtelain de Bracon Renaud de Jussey, couvrant les années 1350-1358, tend à montrer que les officiers comtaux ont encore fort à faire pour assurer la sécurité du pays, gangrené par des bandes de voleurs de grand chemin : C’est le compte des recettes et mises faictes par monseigneur Regnaut de Jussey […] en visitant et cerchant les chemins et en querant et poursuivant plusours voleurs et malfaiteurs qui robient et malfaiçoient sur les chemins et autre mont en la duchié et comté de Bourgoigne301… Le bailli circule en effet incessamment de part et d’autre de la Saône, dans un contexte d’insécurité maximale. Peu de temps après Pentecôte 1356, alors qu’il retourne de Dijon à Bracon, le document nous dit ainsi : y mit III jours pour cause de la doubte des chemins et venit par Verdun [sur-leDoubs] pour ce qu’il estoit espiez. Qui sont ces malandrins ? Le compte cite d’abord deux voleurs de porcs qui sévissaient en forêt de Chaux, exécutés en juin 1351302. Rien que de très banal. Il donne également, et ceci est plus intéressant, les noms de quatre « malfaiteurs et robeurs » capturés à Chissey le 4 février 1352 : il s’agit d’Hugues de Binans, Jacob de Faletans, Perrin de Valtravers et « li Bacorez fiz au Chasignet ». Il apparaît donc que ces derniers n’ont rien à voir avec de simples paysans, mais appartiennent au contraire à la noblesse comtoise. On a déjà eu l’occasion de citer la famille de Binans, vassale de Jean de Chalon-Auxerre dans le sud de la province303. Hugues de Binans fera reparler de lui lorsqu’il sera excommunié pour avoir dérobé les joyaux de l’abbaye de Saint-Germain d’Auxerre, en 1366, alors qu’on les ramenait de Paris où ils avaient été mis en gage pour payer aux Anglais la rançon de la ville bourguignonne304. Il a apparemment fait du vol une profession, compensant là sa situation de cadet de famille. Jacob (ou Jacquot) de Faletans comme Perrin de Vautravers ont dû quant à eux s’amender, et figurent dans les rangs des vassaux mandés par le bailli au mois de février 1360 pour la défense du duché305. Les Le Chassignet ont aussi servi le duc dans ses guerres, représentés par les fidèles Jean et Renaud306. Leur descendance a comme on le constate préféré prendre une autre voie, certainement jugée plus lucrative. Il faut dire à la décharge des anciens hommes d’armes devenus brigands
301 ADD, 1B 86 (1), fol. 1. La sécurité des routes devient à la fin du xive siècle « un enjeu qui accompagne la restauration de la souveraineté royale », princière ici en l’occurrence. Les désordres commis sur les routes relèvent désormais de l’autorité publique ; V. Toureille, Vol et brigandage au Moyen Âge, Paris, Presses universitaires de France, 2006, p. 42. 302 ADD, 1B 86 (1), fol. 2. 303 Voir IIe partie, chapitre ii. 304 J.-T. de Mesmay, Dictionnaire…, op. cit., t. I, p. 179. 305 ADD, 1B 88, fol. 10v-11. 306 ADCO, B 309 ; ADD, 1B 82, fol. 25v ; ADCO, B 11 838, fol. 7, 9v et 11.
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que ce n’est parfois pour eux au départ qu’un moyen de se payer sur le terrain des arriérés de gages dus par le comte. Mais ici, le pas est franchi vers la délinquance caractérisée, car lorsqu’il s’agit simplement de se dédommager, le pouvoir le tolère et on peut apparemment le faire en toute impunité, nous en avons un exemple : Guillaume de Dole a, en compagnie de Jean Vernerin, rançonné un bourgeois de Gray et un homme du comte de Cour, près de Baume307, leur extorquant 100 petits florins chacun. Ceci afin de se payer de ce qui leur est dû par Eudes IV pour leurs gages et restors de chevaux lors des guerres comtoises de 1346. Les deux victimes sont indemnisées sur ordre du lieutenant du prince, Jean de Châteauvillain, le dimanche avant Noël (21 décembre) 1348, mais l’affaire semble en rester là308. Pour en revenir à notre document, ce n’est que quatre ans plus tard que le bailli effectue de nouvelles prises. Auparavant, le lundi après la Nativité de Notre-Dame (12 septembre) 1356, Renaud de Jussey, escorté de dix hommes en armes, se rend à Besançon pour poursuivre le fait de Petiement, qui estoit pris à Besançon pour cause de plusours roberies que il avoit faites es genz de la conté de Bourgoigne309. Nous ne savons rien de ce Petiement. Renaud de Jussey n’a semble-t-il pas pris part à sa capture, peut-être va-t-il le juger, si l’on en croit l’expression « poursuivre le fait » : apparemment on considère que le délit, commis contre les sujets du comte, ne relève pas du vicomte de la ville. Les relations apparaissent alors bonnes entre le prince et la cité bisontine, qui lui complait en arrêtant l’auteur des faits. La bonne entente se concrétisera par un traité de garde en faveur de Philippe de Rouvres quelque temps plus tard310. Cela n’a pas toujours été le cas. Début décembre 1353, la petite troupe du bailli est à Besançon pour requester les citiens […], que receptoient en ladite cité plusours robeurs et malfaiteurs que indehuement robient et prenoient sur la duchié et conté de Bourgoigne, que li diz roburs et malfaiteurs ne fussient recetez ne retraiz en ladite cité311. On verra un peu plus loin dans un autre exemple que la ville épiscopale a pu parfois servir de refuge aux contrevenants à l’ordre ducal. La suite est plus claire quant au 307 Cour-lès-Baume, aujourd’hui quartier de Baume-les-Dames. 308 ADD, 1B 372 (14). On pourrait citer aussi le cas de Bertrand Dugast, gentilhomme navarrais qui a combattu au service du duc Eudes avec ses hommes. N’ayant pas été payé « de la grande quantité de florins qui lui estoit dehue pour les gaiges de li et de ses compaignons », il s’empare vers 1359 des passages de la Saône et ravage les terres du duché comme du comté. Jeanne de Boulogne lui abandonne le péage de Saint-Jean-de-Losne (Côte-d’Or, ar. Beaune, ch.-l. c.) jusqu’à complet paiement des sommes dues, à condition qu’il mette fin à ses exactions ; J. Finot, « Recherches sur les incursions des Anglais et des Grandes Compagnies dans le duché et le comté de Bourgogne à la fin du xive siècle », Bulletin de la Société d’Agriculture, Lettres, Sciences et Arts de Haute-Saône (1874), p. 114-115. 309 ADD, 1B 86 (1), fol. 8v. La « roberie » est un acte accompagné de violences physiques, une agression ; V. Toureille, Vol et brigandage…, op. cit., p. 40. 310 Le 27 août 1357 ; ADD, 1B 328 (8). 311 ADD, 1B 86 (1), fol. 6.
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rôle du bailli en 1356 : après s’être consacré à l’affaire Petiement, il quitte Besançon avec sa compagnie pour parcourir le bailliage d’Amont, traversant successivement Châtillon, Baume, Clerval, Passavant, Montbozon, Montjustin et Vesoul pour visiter les lieux et les chemins comme lieu tenant du gardien, lequel n’estoit mie au paiis, et pour querir et enserchier les robeurs et larrons qui robient le paiis, et enqui fit executer le corps de Jehan Vorry, bastard de Belmont, comme robeur qu’il estoit312. Point d’égards pour l’enfant illégitime du sire de Belmont313 que son statut de bâtard a poussé vers la marginalisation. Mais il ne faudrait pas réduire le brigandage et l’insécurité endémique du comté à l’œuvre de pauvres hères, comme l’atteste le cas des « enfanz de Rigney ». Le compte de Renaud de Jussey est silencieux sur ce groupe qui sévit à cette période dans la province, et il nous faut nous reporter à la comptabilité générale du duché pour prendre connaissance de ses exactions. Hugues et Jean de Rigney, fils de Foulque seigneur de Rigney314, près de Gray, apparaissent dans nos sources à partir de juin 1355, comme « ennemis du roi ». Ils tiennent alors une troupe armée sur les frontières de la Saône d’où ils se livrent à « plusieurs roberies et autres exces ». Ils « meffaisoient chacun jour au duché », écrit Dimanche de Vitel dans le compte de cette année-là315. Au mois d’août, ils trouvent refuge à Besançon. En représailles, le roi confisque leurs marchandises à des marchands de la ville316. À la mi-août, leurs complices sont toujours en action dans les environs de Pesmes, mais échappent aux troupes du prévôt d’Auxonne qui ont chevauché toute la nuit pour les surprendre, en vain317. Durant le Carême suivant, en 1356, alors que le bruit court qu’ils doivent venir au pont de Norges, dans les environs de Dijon, 9 hommes d’armes partent de la capitale ducale pour aller les y attendre, « et les attendirent longuement mais ne vinrent pas318 ». Les exactions des frères de Rigney semblent s’être prolongées au-delà du principat de Philippe de Rouvres319. Désemployée et privée de ressources tant par la fin des guerres comtoises que par une conjoncture à la baisse, toute une frange de la petite noblesse bascule donc dans la délinquance et se marginalise. La frontière est ténue entre service du prince et banditisme, et les hommes d’armes d’hier peuvent devenir les malfaiteurs du jour. 312 ADD, 1B 86 (1), fol. 8v. 313 Belmont, Jura, ar. Dole, c. Mont-sous-Vaudrey ; Belmont, Haute-Saône, ar. Lure, c. Mélisey ; ou Belmont, Doubs, ar. Pontarlier, c. Valdahon. 314 J.-T. de Mesmay, Dictionnaire…, op. cit., t. III, p. 184. Nous n’utilisons pas plus avant cet ouvrage sur cet article, sujet à caution. 315 ADCO, B 1399, fol. 61v-62. 316 Ibid., fol. 50v. 317 ADCO, B 1401, fol. 42v. 318 Ibid., fol. 41v. Norges-la-Ville, Côte-d’Or, ar. Dijon, c. Fontaine-lès-Dijon. 319 Un acte du 1er septembre 1376 nous apprend qu’en août 1362, le château et la terre de Rigney ont été confisqués à leur seigneur Hugues de Rigney et réunis au domaine de la couronne en raison de la guerre et des pillages dont le roi était victime. Le 14 août 1374, la comtesse Marguerite délivre à Hugues une lettre de rémission et lui restitue ses domaines ; ADCO, B 1065.
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Étienne de Vy en offre un bon exemple : présent au siège de Grattedos320, il vient par la suite grossir les troupes de routiers, ainsi que l’atteste l’ordre ducal au bailli de renforcer la garnison de Jussey, le 2 avril 1360 : … pour ce que Estiene de Vy et pluseurs autres de Lorrainne et d’ailleurs font de jour en jour pluseurs pilleriez et roberiez seur l’abbeie de Cherleu et autre part en notre païs321… Guillaume d’Étrabonne illustre cette ambiguïté. Fidèle serviteur du prince322, capitaine de Montbard en 1359-1360 et 1360-1361323, il est jugé digne de missions de confiance : le 25 avril 1360, le receveur lui a versé 133 florins, ainsi qu’à Guillaume du Pailley, pour leurs frais occasionnés par une ambassade « de l’ordonnance du duc » en France auprès du régent Jean II324. Il n’est pourtant pas exempt de tout soupçon et se voit obligé, en 1360, de verser à titre de composition pour un délit commis à la foire froide de Chalon la somme considérable de 1 000 florins. Le duc lui en remet 500 ; il devra payer le reste par moitié à Pâques 1362 et à Pâques 1363325. D’après J.-T. de Mesmay, il aurait été alors accusé de pactiser avec les Grandes Compagnies et arrêté326. Nous n’avons trouvé qu’une allusion dans le dernier compte de Dimanche de Vitel, qui indique qu’il a été « pris à Chalon par le bailli d’illec pour certain cas », et qu’il aura pour cela une composition à faire327. A-t-il été alors révoqué de ses fonctions de capitaine de Montbard comme le dit l’auteur ? Notons que le brigandage d’une partie de la noblesse en temps de paix a débuté en Franche-Comté quelques années avant les méfaits de ces Grandes Compagnies, formées à la suite de la signature du traité de Brétigny (daté du 8 mai 1360 et ratifié à Calais le 24 octobre). Ce n’est pour certains, comme Thibaut de Faucogney328, qu’une façon de continuer la lutte contre le pouvoir menée durant les guerres comtoises.
320 Commune de Villiers-lès-Aprey, Haute-Marne, ar. Langres, c. Villegusien-le-Lac. D’après E. Petit, Histoire…, op. cit., t. IX, p. 86. 321 ADD, 1B 358 (15). Ces bandes lorraines, auxquelles s’est jointe une compagnie anglaise, incendient les abbayes cisterciennes de Cherlieu (comm. de Montigny-lès-Cherlieu, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Jussey) et de Clairefontaine (comm. de Polaincourt-et-Clairefontaine, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Port-sur-Saône) au printemps 1360, et descendent la vallée de l’Ognon jusqu’à l’abbaye d’Acey (comm. de Vitreux, Jura, ar. Dole, c. Authume). Elles unissent leurs forces à d’autres bandes remontées par les vallées de la Saône et du Doubs et achèvent de ravager le comté ; J. FINOT, « Recherches… », art. cit., p. 115-116. À cela viennent s’ajouter les déprédations des armées anglaises, qui continuent les hostilités pendant les pourparlers de la paix de Brétigny, et occupent le plat-pays ; ibid., p. 117-120. 322 Il participe au siège de Grattedos et répond à plusieurs mandements. 323 ADCO, B 1408, fol. 49v. 324 Ibid., fol. 57-57v. 325 ADCO, B 1410, fol. 25v. 326 J.-T. de Mesmay, Dictionnaire…, op. cit., t. I, p. 535. 327 ADCO, B 1410, fol. 45v. 328 Thibaut de Faucogney continue ses exactions : en 1355, il a capturé une grande quantité de bétail dans la châtellenie de Rouvres, que le prévôt d’Auxonne va récupérer outre-Saône ; ADCO, B 1401, fol. 42v. Le danger plane encore en janvier 1356, car l’homme a rassemblé des troupes en Lorraine pour venir ravager le duché ; ibid., fol. 51.
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Tel est aussi le cas de Jacques de Baudoncourt, seigneur de Saint-Remy329. Il a pris le parti des Faucogney dans les années 1340. Il s’associe par la suite à d’autres routiers, comme les frères de Mairey, menant une vie de pillage. Il est arrêté avec ses complices en 1359, emprisonné au château de Semur et exécuté l’année suivante330. La famille de Baudoncourt s’illustre encore dans le rang des opposants du prince, avec Guillaume de Baudoncourt : bien que cité dans le compte de la garnison de Vesoul en 1336331, il s’est certainement opposé d’une façon ou d’une autre au pouvoir comtal, soit qu’il l’ait combattu dans le parti de ses ennemis, soit qu’il se soit livré au brigandage. En 1340, le samedi après la Saint-André (2 décembre), c’est en effet en qualité de prisonnier qu’il est transféré de Vesoul à Bracon, où il reste vingt-six jours en détention332. On conclura donc sur la complexité et l’ambiguïté prégnantes qui caractérisent les rapports de la noblesse du comté avec les princes bourguignons entre 1330 et 1361. Des grands tantôt rebelles à leur autorité souveraine qui s’affirme et pactisant avec l’ennemi anglais, tantôt combattant dans leurs rangs contre celui-ci dans les périodes d’apaisement ; des camps toujours mouvants ; une petite noblesse qui peut facilement basculer du service princier vers la dissidence pour compléter ses revenus. Néanmoins se dégage l’idée qu’après les tensions du règne d’Eudes IV, le principat de Philippe de Rouvres suscite l’émergence de nouveaux équilibres en proposant aux grands féodaux de s’associer au gouvernement de la province et d’être davantage consultés. Cette nouvelle politique doit sans doute beaucoup, outre des finances exsangues après une vingtaine d’années de guerre endémique, aux difficultés multiples qui assaillent alors le comté et poussent à la conciliation, aussi bien peut-être qu’à des questions de personnalité des dirigeants. Il faut enfin souligner que le banditisme de la petite noblesse reste un phénomène très marginal, même s’il mobilise quelques forces comtales333. Le prince peut au contraire s’appuyer sur un réseau de vassaux à la fidélité solide, qui le servent au sein de son appareil administratif comme dans ses armées, et y trouvent leur avantage.
329 Saint-Remy, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Port-sur-Saône. 330 J. Finot, « Recherches… », art. cit., p. 112-113, d’après les comptes du châtelain de Semur ; ADCO, B 6202. Semur-en-Auxois, Côte-d’Or, ar. Montbard, ch.-l. c. On trouve une allusion à son exécution dans le compte de Dimanche de Vitel : elle a lieu en septembre 1360, à Semur effectivement, en compagnie de Girart de Mairey ; ADCO, B 1410, fol. 70v. Ce dernier est un chevalier brigand qui avait détroussé des marchands suisses sur la route des foires de Chalon ; ADD, 1B 1610. 331 ADCO, B 11 836, fol. 27v sq. 332 ADCO, B 11 837. 333 Le compte de Renaud de Jussey, parce qu’il a été conservé, fait courir le risque de surévaluer le phénomène, alors qu’il fait état du rôle de police traditionnellement tenu par le bailli.
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Chapitre II
Les hommes du comte Il est acquis qu’une principauté est une construction qui émane conjointement des nobles et du pouvoir du prince. L’État princier « ne peut se passer de l’accord tacite de la classe seigneuriale, sinon de sa collaboration active, s’il veut s’installer dans la durée1 ». Cette collaboration s’exprime par l’exercice des offices et du service armé. En des temps difficiles, nos ducs-comtes ont-ils réussi cette alchimie et su s’attacher la noblesse, et quelle noblesse ? Une étude sociologique des officiers et des hommes d’armes, ainsi que l’examen des conditions du service princier, devraient permettre de répondre à cette question.
1. Les officiers Nous nous intéresserons en premier lieu aux fonctions de direction que le pouvoir comtal réserve essentiellement à sa noblesse, c’est-à-dire aux offices de bailli et de châtelain. À quel milieu social rattacher ces hommes, et peut-on discerner des évolutions ? Comment perçoivent-ils eux-mêmes leur carrière2 ? a. Une fonction essentiellement nobiliaire
Tous les baillis sont chevaliers. Sur quatre-vingt-six châtelains recensés en Comté pour notre période, trente-sept sont chevaliers, soit 43 %. Ceci est une hypothèse basse, car certains le sont certainement, bien que nos sources n’en fassent pas mention explicite. Parmi eux, vingt-trois font expressément usage de leur propre sceau d’après nos documents3. Il est même un écuyer, Huguenin de Savigny, châtelain de Montmorot au moins de 1347 à 1359 ainsi que bailli d’Aval, qui en possède un4, comme d’autres
1 C. Riviere, « La noblesse, pilier de l’État princier. L’exemple du duché de Lorraine, entre royaume et Empire », in Noblesse et États princiers…, op. cit., p. 172. 2 Nous reprenons ici la teneur de notre article : S. Le Strat-Lelong, « Les châtelains domaniaux […]. Entrer au service du prince », art. cit. 3 Il s’agit d’Hugues d’Arc, Bérenger de Boderide, Étienne de Bougey, Guinart de Cheliz, Guy de Bricon, Eudes de Cromary, Guillaume de Grenant, Renaud de Jussey, Jacques Lallemand, Richard de Mairey, Jean de Montaigu, Jean de Montmartin, Guyot de Montrond, Hugues d’Ornans, Huguenin de Quingey, Girard de Thoire, Jacques de Thoraise, Jacques de la Tour, Etienne et Othe de Vaite, Jacques du Vaul, Guy de Villefrancon et Guy de Vy. Ce qui ne signifie pas que les autres n’en possèdent pas un. Ces sceaux sont reproduits dans le travail de Jules Gauthier ; J. Gauthier, « Les châtelains domaniaux… », art. cit. 4 ADD, 1B 537 (8). Il scelle le vendredi après la Saint-Valentin (18 février) 1351 une quittance au receveur de Poligny Jean de Prissey. D’autres châtelains parmi les écuyers font usage de leur sceau : Jean de Bougey, Guyot de Brans, Henri de Demangevelle, Guyot, Guillaume et Ferry de Montbozon, Huguenin de Noidans, Huguenin de la Salle, Richard de Vuillafans, Perrin de Vy et Huguenin de Verne.
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personnages sans titre de noblesse exprimé5. Les écuyers sont en effet également bien représentés parmi les châtelains. On en compte vingt-six, soit 30 % du total. Rajoutons à cela deux damoiseaux, Jean de Bracon, châtelain de Poligny avant la Saint-Michel 1332, qui testa cette année-là, et Huguenin de Bracon, châtelain de Dole à la même période. Ils sont vraisemblablement apparentés, d’une lignée qui devait posséder un fief au-dessus de Salins, repérée dès la fin du xiie siècle6. Notons également le changement de titre de Guy de Brans, à Montmirey : damoiseau en 13487, il est écuyer dix ans plus tard8, n’ayant apparemment pas eu les moyens de se faire adouber. Vingt et un hommes du comte ne sont donc pas identifiés socialement par nos sources, ce qui est assez peu. Sur dix-neuf d’entre eux, nous ne disposons d’aucun renseignement. Quelques familles parmi les autres sont connues. Reprises de fief, chevaliers ou écuyers portant un patronyme identique, tout semble les classer parmi les nobles de la province. Pas de doutes sur la noblesse de Guillaume de Quincey, châtelain de Beaujeu, qui apparaît dans nos sources à l’occasion d’une vente de poisson en carême 13459. La famille est connue depuis Hugues de Quincey, chevalier, qui en 1245 fait une vente à l’abbaye de Bellevaux ; elle s’illustre en la personne de Simon, bouteiller d’Othon IV, inhumé en ce monastère10. Pour Othenin de Gevry, châtelain de Gevry près de Dole en 1358-1359, il faut veiller à ne pas le confondre avec le clerc du même nom qui a occupé les fonctions de trésorier de Salins et qui est déclaré mort en 134411. On connaît deux Gevry au début du siècle, qui font reprise de fief à Mahaut d’Artois et à Philippe V de maisons fortes à Brevans et Gevry12. Une lignée de nobliaux, qui compte des prévôts de Dole13. Des réserves en revanche en ce qui concerne Guillemin de Montmirey, châtelain du lieu, souvent cité dans nos sources par son seul prénom : il existe bien une famille de ce nom, mais elle se serait éteinte en 1323, ce qui explique que la seigneurie soit dès lors intégrée au domaine. Notre homme représente-t-il une autre branche14 ? De
5 Il s’agit de Simon d’Aiteaux, Barthélemy de la Balme, Nicolas de Florence, Nicolas de Moustiers, Jean Torneloup et Guillaume Voudenay. Ce dernier cas nous interroge : à deux reprises, Guillaume Voudenay, gardien de Baume et châtelain de Clerval, est contraint d’utiliser le contre-sceau de la cour de Clerval pour payer les gages d’un écuyer en garnison avec lui en 1341-1342 ; ADD, 1B 72 (40). De même en 1339 pour acquitter les frais du fauconnier du gardien ; ADD, 1B 72 (39). Ce qui ne l’empêche pas de faire usage d’un sceau personnel en 1339 dans deux quittances touchant le prévôt de Clerval ; ADCO, B 1055. De plus ce personnage, qui se fait appeler indifféremment Voudenay ou de Voudenay, ne se voit attribuer aucun qualificatif nobiliaire. 6 J.-T. de Mesmay, Dictionnaire…, op. cit., t. I, p. 248. 7 ADD, 1B 383 (4), où il est cité comme témoin. 8 ADCO, B 1405, fol. 35. 9 ADD, 1B 125B. 10 J.-T. de Mesmay, Dictionnaire…, op. cit., t. III, p. 130. 11 ADD 7E 1349 et 1B 502 (19). 12 J.-T. de Mesmay, Dictionnaire…, op. cit., t. II, p. 80. 13 Sur la famille de Gevry, se reporter à J. Theurot, « Éclats d’histoire : la châtellenie de Gevry à la charnière des xiiie et xive siècles », Société d’émulation du Jura. Travaux 2009, Lons-le-Saunier, 2010, p. 41-68. 14 J.-T. de Mesmay cite au t. II p. 435 Odon de Montmirey, écuyer, qui, testant en 1349, demande à être inhumé en l’église de Pointre aux voûtes de laquelle devront être pendues sa cote d’armes et son armure.
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petite noblesse alors, car la dot conférée à son épouse sur les revenus de la châtellenie par la dauphine de Viennois Isabelle, dont elle était la suivante, n’est que de 100 s.15. On trouve ici un exemple intéressant d’alliance entre deux serviteurs des princes à un modeste niveau. Il est possible que la fonction soit exceptionnellement ouverte à des roturiers. C’est le cas d’Estevenin l’Arbalétrier, récompensé par la châtellenie de Dole en 1347, alors qu’il est un simple sergent d’armes, du pape, il est vrai16. Outre les châtelains de Sainte-Marie-en-Chaux et de Chemilly pour le compte d’Hugues de Bourgogne, et dont on ne connaît que le prénom17, un autre personnage pose des questions comme on l’a noté plus haut. Il s’agit de Guillaume Voudenay, dit parfois de Voudenay18, qui ne possède pas de titre. Il occupe pourtant des fonctions importantes comme châtelain de Clerval et gardien de Baume. Notons également qu’un prêtre est qualifié de « châtelain » dans un compte de 1333-133419. On peut mettre en cause cette appellation, car il nous apparaît ailleurs en tant que garde des vins, garde du sceau de Gray et chanoine de la chapelle du château20. Aurait-il un temps suppléé le châtelain alors que l’office était vacant ? Ces quelques exceptions douteuses ne sauraient gommer le caractère essentiellement nobiliaire des fonctions châtelaines, qui n’a rien de surprenant étant donné que la fonction comporte un large aspect militaire, que seuls des nobles peuvent assumer efficacement21. Devenir châtelain est même souvent une affaire de famille. b. Des lignées châtelaines
On a cité Jean et Huguenin de Bracon, tous deux châtelains en Comté ; on pourrait leur ajouter Jacques du même nom, nommé à La Châtelaine en 133022. Leurs liens de parenté ne sont pas connus, à la différence de ceux unissant Guillaume de Montbozon et ses trois fils Ferry, Guillaume et Guyot, qui se succèdent à la fonction châtelaine. 15 Donation du 11 mai 1345, à l’occasion de leur mariage, confirmée par la duchesse Jeanne le 25 avril 1346 ; ADD, 1B 373 (14). 16 ADD, 1B 345 (2). 17 Respectivement Thierry et Jean, en 1330-1331 ; ADD, 1B 78. Un autre châtelain n’est connu que par son prénom. Il s’agit de Hugues, à Pontarlier en 1329-1330 ; ADCO, B 11 835. Peut-être ne forme-t-il qu’une seule et même personne avec Hugues de Pontarlier, écuyer en fonction à Scey dans les années 1350. Dans le doute, nous l’avons comptabilisé deux fois. Notons que ces trois exemples se situent au tout début de notre période, et que l’on ne retrouve pas par la suite de cas similaires. Ils seraient à rapprocher des châtelains cités dans les comptes du douaire de Mahaut d’Artois, souvent désignés uniquement par leur prénom. Ceci laisse à penser que la fonction, modeste au début du xive siècle, a peu à peu acquis davantage de prestige, et s’est par là même aristocratisée. 18 S’agit-il de la localité de Côte-d’Or au sud-est d’Arnay-le-Duc (Voudenay, Côte-d’Or, ar. Beaune, c. Arnay-le-Duc) ? 19 Jacques dit Rousse, à Gray ; BnF, Moreau 900, fol. 276v. 20 ADD, 1B 79A1, fol. 18v et ADD, 1B 354 (14). 21 O. Matteoni, Servir le prince…, op. cit., p. 315. En Bourbonnais, Forez et Beaujolais, la proportion de nobles parmi les châtelains est aussi élevée (68 %, et plus de 86 % en excluant les indéterminés) ; ibid., p. 316. 22 ADCO, B 11 835.
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La famille est bien représentée dans nos sources. La lignée serait une branche cadette des comtes, dont elle portait les armes à l’origine23. Le père, Guillaume de Montbozon, mort en 1338, a été inhumé dans l’église de Thiénans24, où le bouclier de son effigie porte ce blason. Il aurait été chambellan du duc Hugues V de Bourgogne et il dirige la châtellenie de Baume au début de notre période. Ferry et Guillaume fils exercent également des fonctions de cour en tant qu’écuyers auprès de la reine Jeanne pour le premier25, auprès d’Eudes IV pour le second26. Ils ont été tous deux châtelains domaniaux de Montbozon, tandis que leur frère Guyot officie également à Baume en 134927. Jean et Etienne de Bougey illustrent le même propos. Ils sont cousins28. L’un est châtelain de Jussey, l’autre de Château-Lambert. La famille de Cromary est également bien représentée, par deux chevaliers, Eudes, en fonction à Poligny, et Hugues plus tard à Ornans, vraisemblablement fils du premier29. Elle possède la maison forte de La Vaivre30, près de Vesoul, et semble assez aisée : Eudes a un sceau et un écuyer, Jean Mostellat, qui meurt à la Toussaint 133531 ; son gendre Guillaume du Pailley (ou Paillier) reçoit en héritage à cause de sa femme 200 florins en caution après la mort de son beau-père32. Ce cas illustre bien la mainmise de certains lignages sur les fonctions châtelaines. C’est en effet Guillaume du Pailley qui est choisi par le bailli pour reprendre la châtellenie de Montferrand en 135333. Cette mainmise est encore plus spectaculaire dans le cas de la famille de Thoraise, où trois frères se partagent tour à tour des forteresses d’importance : Châtillon-leDuc et Bracon. Les Thoraise sont issus de la lignée des Montferrand34. Hugues, fils cadet de Jean II de Montferrand, chevalier, était seigneur de Thoraise dans la
23 Aigle éployé d’argent sur champ de gueules ; J.-T. de Mesmay, Dictionnaire…, op. cit., t. II, p. 405. 24 Thiénans, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Rioz. 25 D’après J.T. de Mesmay, il a été nommé son écuyer en 1318 ; J.-T. de Mesmay, Dictionnaire…, op. cit., t. II, p. 406. 26 ADD, 1B 324 : en 1331, un Guillaume de Montbozon, écuyer, valet du duc-comte, reprend en fief 20 l. de rente sur le péage d’Augerans, tandis qu’un autre, chevalier, en reprend 30 autres. Sans doute le père et le fils. Cette rente de 50 l. au total existait déjà en 1309. Elle est toujours payée par le trésor en 1359 ; ADCO, B 1406, fol. 7v. 27 ADCO, B 11 824. 28 ADD, 1B 150, fol. 107. J.-T. de Mesmay a cru voir en Jean le fils d’Etienne ; J.-T. de MESMAY, Dictionnaire…, op. cit., t. I, p. 224-225. 29 J.T. de Mesmay en fait son petit-fils ( J.-T. DE Mesmay, Dictionnaire…, op. cit., t. I, p. 449), ce qui est discutable au vu de la chronologie. Eudes est bailli et châtelain de Poligny dès 1336, et encore en 1341. Il teste le 18 février 1345, et il est déclaré trépassé le 28 octobre 1358 ; ADCO, B 1407, fol. 53v. Hugues se rend à un mandement avec trente hommes d’armes en 1352 ; ADD, 1B 85, fol. 2v. Il fait sa reprise de fief au duc-comte Philippe le 29 décembre 1356 ; Fr.-F. Chevalier, Mémoires…, op. cit., t. II, preuve n° 62 (2). Il se trouve à la tête de la châtellenie d’Ornans en 1358-1359 ; ADCO, B 1406, fol. 7v. Ceci semble correspondre à une génération. 30 La Vaivre, Haute-Saône, ar. Lure, c. Saint-Loup-sur-Semouse. 31 BnF, Moreau 900, fol. 312. 32 ADCO, B 1407, fol. 53v. 33 ADD, 1B 470 (4). 34 Sur cette famille, voir L. Borne, Les sires de Montferrand…, op. cit.
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seconde moitié du xiiie siècle. Son fils Eudes de Thoraise, chevalier, seigneur de Torpes35, meurt en janvier 133336, après avoir repris d’Hugues de Bourgogne en 1311 ses fiefs d’Auxon-Dessus37, d’Augerans et la motte de Belmont38, et établi le partage successoral. Il a eu d’un premier lit Poinsard, châtelain de Bracon de 1339 à 1342, puis d’un second mariage avec Marguerite de Vaudrey Guillaume et Jacques39, tous deux chevaliers en fonction à Châtillon-le-Duc, le premier mentionné en 1349, puis en 1360-1361, le second de 1358 à 1360. On retrouve même celui-ci comme châtelain de Vadans à la fin de 1361. Jacques a un sceau, est seigneur à Torpes comme son frère Guillaume et possède la maison forte de Belmont, qu’il reprend en fief de Philippe de Rouvres le 1er janvier 135740. Poinsard est seigneur de Thoraise et teste en 1353. Deux de ses fils, Huguenin et Etienne, seront présents au siège de Grattedos, occupé par les routiers de Thibaut de Chauffour, en 135741. Guillaume est l’un des seigneurs comtois signataires du traité de Guillon entre Édouard III et le duc de Bourgogne le 10 mars 136042. Il est déjà mort le 26 avril 1362, lorsque son frère Jacques rend le compte de sa châtellenie. Il a marié sa fille Isabelle à Guillaume de Quingey43, qui appartient lui aussi à une famille d’officiers comtaux : son père Eudes et son grandpère Hugues sont châtelains de Quingey et occuperont des fonctions importantes sous Marguerite de Flandre44. Autres exemples de lignées châtelaines : les Vaite et les Vy. La famille de Vaite tire son nom d’un village proche de Vesoul45 ; elle est connue depuis le début du xiie siècle46. Othe de Vaite, chevalier, apparaît dans nos sources en tant que châtelain d’Étobon entre la Saint-Michel 1336 et Pâques 133747, puis encore de la Trinité 1339 à la Trinité 134348. Il fait partie des troupes du gardien en garnison à Montbozon, Vesoul et Montjustin en 1340-134149. Il est chargé avec Jean de Montaigu de lever le subside pour la nouvelle chevalerie de Philippe, fils du duc Eudes, en 1342-134350. Il est alors dit châtelain de Châtillon-le-Duc. Deux ans plus tard, le 20 décembre
35 Thoraise, Doubs, ar. Besançon, c. Besançon-6 ; Torpes, idem. 36 J.-T. de Mesmay, Dictionnaire…, op. cit., t. II p. 417. Pour François-Ignace Dunod de Charnage, il meurt en 1327 et on l’inhume dans l’église des Cordeliers de Besançon ; Fr.-I. Dunod de Charnage, Mémoires…, op. cit., p. 123. 37 Comm. Les Auxons, Doubs, ar. Besançon, c. Besançon-3. 38 Dans la vallée de la Loue, près d’Augerans (Belmont, Jura, ar. Dole, c. Mont-sous-Vaudrey). 39 J.-T. de Mesmay, Dictionnaire…, op. cit., t. II, p. 416-417. 40 Fr.-F. Chevalier, Mémoires…, op. cit., t. II, preuve n° 62 (2) et ADD, 1B 421 (8). 41 ADD, 1B 527 (12). 42 U. Plancher, Histoire…, op. cit., t. II, preuve n° 295. 43 J.-T. de Mesmay, Dictionnaire…, op. cit., t. II, p. 418. 44 Ibid., t. III, p. 132. D’après lui, ce serait son bisaïeul Huguenin qui serait châtelain du lieu en 1330. Nous ne trouvons dans nos sources que Hugues, chevalier, châtelain de Quingey en décembre 1341 ; ADD, 1B 72(41). 45 Vaite, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Dampierre-sur-Salon. 46 J.-T. de Mesmay, Dictionnaire…, op. cit., t. III, p. 411. 47 BnF, Moreau 900, fol. 348v. 48 ADD, 1B 349 (7) et ADCO, B 1390, fol. 68v. 49 ADD, 1B 150 et ADD, 1B 82. 50 ADD, 1B 333 (17-18).
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1345, il est décédé51. Il aurait épousé la veuve de Jean de Thoraise52, ce qui témoigne encore une fois des liens qui unissent entre elles les lignées châtelaines. Etienne de Vaite, chevalier, dont la parenté avec Othe nous échappe, peut-être son fils, apparaît comme châtelain de Pontarlier de 1356 à 135953. Tous deux sont dotés d’un sceau. La famille s’est donc bien intégrée aux rouages administratifs du comté, bel exemple de ralliement puisqu’en 1295, Othon de Vaite s’élevait avec les seigneurs comtois contre la cession de la province au roi Philippe le Bel. Quant aux Vy, ils sont représentés parmi les châtelains par Perrin, écuyer, à Étobon en 1330-1331 et à Montjustin de 1338 à 134154, et par Guy, chevalier, à Vesoul de 1332 à 1338 au moins, et qui serait le neveu du premier55. Il est aussi bailli d’Amont de 1336 à 1342, seigneur de Demangevelle et de Bourguignon56, et on le voit acquérir des fiefs à Selles en 134657. La maison doit son nom à la terre de Vy-lès-Lure58, et remonte à Hugues de Vy, chevalier, seigneur du lieu en 113059. Le groupe des officiers fonctionne donc comme un milieu social réduit60, où les liens familiaux et les alliances matrimoniales jouent un rôle non négligeable61. Pour l’illustrer d’un dernier exemple, citons Simonette, fille de Jacques de Montjustin, qui épouse Guillaume de Vellefaux, chevalier, lui aussi châtelain de Montjustin62. La famille reste ancrée dans la châtellenie, ce qui n’est pas surprenant car le recrutement des châtelains se fait en majorité à l’échelle locale. c. Un recrutement local
La réunion du comté et du duché de Bourgogne sous un même gouvernement n’a pas abouti à une éviction des Francs-Comtois au profit des hommes de main du duc. 51 ADD, 1B 354 (13). 52 J.-T. de Mesmay, Dictionnaire…, op. cit., t. III, p. 411, n’assure pas qu’il s’agit bien de lui, mais on peut le penser étant donné la date du décès de Renaude d’Oiselay, veuve de Jean de Thoraise : elle teste le 8 août 1350 et meurt le 17 octobre de la même année ; ibid., t. II, p. 417. 53 ADD, 1B 1610 et ADCO, B 1406, fol. 1v. 54 ADD, 1B 78, ADD, 1B 132 (2), BnF, Moreau 900, fol. 357 et ADCO, B 1390, fol. 64. 55 ADD, 1B 79A1 et BnF, Moreau 900, fol. 322 et 353. 56 ADD, 1B 431. Demangevelle, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Jussey. Trois localités de Haute-Saône répondent au nom de Bourguignon : Bourguignon-lès-Conflans, ar. Lure, c. Port-sur-Saône ; Bourguignon-lès-Morey, ar. Vesoul, c. Jussey ; Bourguignon-lès-La-Charité, ar. Vesoul, c. Scey-surSaône-et-Saint-Albin, plus éloignée de Demangevelle que les deux précédentes. Il est difficile de savoir lequel de ces villages appartient à Guy de Vy. 57 ADD, 1B 491. Selles, Haute-Saône, ar. Lure, c. Jussey. 58 Vy-lès-Lure, Haute-Saône, ar. Lure, c. Lure-2. 59 J.-T. de Mesmay, Dictionnaire…, op. cit., t. III, p. 471-472. 60 Certains châtelains entretiennent entre eux de bonnes relations. Par exemple Poinsard de Thoraise et Jean de Cusance sont témoins d’un acte passé par l’épouse de Jean de Salins en 1344. Jean de Salins est de plus nommé exécuteur testamentaire par Guillaume de Thoraise en 1360 ; J.-B. Guillaume, Histoire de la ville de Salins, Besançon, Cl. Jos. Daclin, 1758, p. 52. 61 Olivier Mattéoni a remarqué des liens familiaux identiques entre les officiers du Bourbonnais. « Les stratégies matrimoniales ont […] eu comme résultat de renforcer la cohésion du groupe au point de faire quelquefois se confondre intérêt du prince et intérêt des familles » ; O. Matteoni, Servir le prince…, op. cit., p. 428. 62 J.-T. de Mesmay, Dictionnaire…, op. cit., t. II, p. 429.
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C’est seulement pour quelques-uns, somme toute très minoritaires, que le phénomène a joué. On pense immédiatement pour Poligny à Guy de Villefrancon, instrument énergique de la politique ducale dans les années 1330, qui, s’il porte le nom de sa terre voisine de Gray63, est de la maison de Saint-Seine dans le duché. Mais il est déjà bailli en Comté du temps de la comtesse Mahaut. Il y a néanmoins eu des transferts limités de compétences entre les deux principautés. Nous avons l’exemple de Renaud de Baissey64, châtelain de Cuisery de 1332 à 1336 avant que d’être établi à Bracon en 1338-133965. Inversement celui d’Hugues d’Arc, qui occupera les fonctions de bailli de Châlon, d’Autun et de Montcenis66, après avoir officié au comté de Bourgogne, ou de Guinart de Cheliz qui sera capitaine du château de Montcenis en 136067. On constate que sont représentés surtout des membres de la noblesse rurale. Nous avons néanmoins quelques cas connus de gentilshommes urbains. Citons Perrin Gelin, Guillaume Faulquier et Renaud de Molpré, de Poligny, possessionnés dans la ville68, et surtout Jean de Salins, dont la famille est bien implantée à Salins, même si elle possède des seigneuries foncières. Il y hérite d’ailleurs par son père Dimanche d’une maison dans la rue d’Orgemont69. On note à ce propos que Guillaume Faulquier et Jean de Salins sont nommés châtelains sur place, l’un à Poligny, l’autre à Bracon. Il est sans nul doute capital pour le pouvoir, outre d’intéresser les élites locales au gouvernement, de s’appuyer sur des hommes au fait de la situation dans leur zone, qui disposent de leur propre réseau d’influence dans la ville et aux alentours70. C’est d’ailleurs pourquoi une bonne part de nos châtelains sont nommés dans un rayon d’une vingtaine de kilomètres à la ronde par rapport à leur lieu d’origine71. On trouve une situation similaire dans d’autres principautés : le fait que le prince privilégie un recrutement local pour ses officiers a été souligné par Olivier Mattéoni pour le Bourbonnais. Il a également relevé l’existence d’un choix non négligeable du personnel d’encadrement au sein de l’élite urbaine72.
63 Villefrancon, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Marnay. 64 Ou Bessey, selon les documents. Peut-être Bessey-en-Chaume (Côte-d’Or, ar. Beaune, c. Arnay-leDuc) ou Baissey (Haute-Marne, ar. Langres, c. Villegusien-le-Lac). 65 ADD, 1B 79A1, fol. 27v et ADCO, B 1389, fol. 31v. Cuisery, Saône-et-Loire, ar. Louhans, c. Cuiseaux. 66 ADCO, B 1390, fol. 34v. Montcenis, Saône-et-Loire, ar. Autun, c. Le Creusot-1. 67 ADCO, B 11 835. 68 Guillaume Faulquier et Renaud de Molpré vendent au domaine une vigne et un curtil afin d’y détourner la rivière pour le bief des moulins de Poligny ; ADD, 1B 385 (20). Peut-être s’agit-il d’un homonyme, car Renaud de Molpré est dit prêtre dans ce document. 69 J.-B. Guillaume, Histoire de la ville de Salins…, op. cit., p. 51-52. 70 Les avantages sont réciproques, car « le membre d’un lignage de souche seigneuriale vise, en devenant officier, à renforcer son enracinement local ou régional par l’exercice de fonctions administratives à l’intérieur de son aire d’hégémonie propre » ; G. Castelnuovo, « Centres et périphéries : les châtelains en terre savoyarde (moitié xive-moitié xve siècle) », in Actes du 116e congrès national des sociétés savantes (Chambéry-Annecy, 29 avril-4 mai 1991), Savoie et région alpine, Paris, Éditions du CTHS, 1994, p. 106. 71 Cette implantation locale du châtelain, bénéfique à bien des égards, n’est cependant pas toujours souhaitable : rappelons l’exigence de Jean le Bon pour le choix du châtelain de Montferrand, qui se doit d’être « né du duché » ; ADD, 1B 470 (4) ; afin sans doute d’éviter, lors de cette mainmise pour défaut de fief, les imbrications d’intérêts locaux qui pourraient interférer avec le bon gouvernement de la châtellenie. 72 O. Matteoni, Servir le prince…, op. cit., p. 301, 306.
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Si certains officiers sont issus de familles depuis longtemps au service du pouvoir comtal, comme les Gevry73, les Lallemand74, les Montbozon, les Ornans75, les Quincey76, il semblerait que la période voit l’émergence de nouvelles lignées châtelaines ralliées au duc-comte, peut-être à la faveur des affrontements dont la province est le théâtre dès l’avènement d’Eudes IV et qui divisent la noblesse77. Elles semblent plus élevées dans la hiérarchie nobiliaire que les précédentes78, possédant elles-mêmes un château ou une maison forte pour lesquels elles prêtent hommage, mais qui ne sont pas intégrés au domaine – contrairement à ceux de Gevry, Montbozon ou Ornans qui ont donné leur nom aux familles châtelaines du lieu depuis longtemps au service du comte79. L’office de châtelain domanial offre peut-être alors une bonne solution de survie pour les cadets, comme Hugues d’Arguel, pour des fratries affaiblies par le partage des biens paternels, comme c’est le cas des trois frères de Thoraise, et même 73 Hugues de Gevry était à la fin du xiiie siècle prévôt de Dole et bailli du comté ; J.-T. de Mesmay, Dictionnaire…, op. cit., t. II, p. 80. 74 Henri Lallemand, chevalier, figure déjà, en 1242, au rang des châtelains domaniaux, et Jean Lallemand est écuyer tranchant du comte Othon IV ; J.-T. de Mesmay, Dictionnaire…, op. cit., t. II, p.186. 75 Cuene d’Ornans, seigneur en lois, est châtelain d’Ornans au temps de Mahaut d’Artois. Il siège à son Conseil ; BnF, Moreau 900, fol. 3v et 240v. Hugues, est lui aussi châtelain d’Ornans en 1331 ; ADD, 1B 382 (1). Il est déjà en place sous Mahaut, et serait son neveu ; J.-T. de Mesmay, Dictionnaire…, op. cit., t. II, p. 529. 76 Simon de Quincey était bouteiller d’Othon IV. 77 On rappellera le ralliement des Vaite au pouvoir comtal, de même que celui de la famille d’Arguel : Guillaume sire d’Arguel, lui aussi opposé à la cession du comté à Philippe le Bel au début du siècle, partage son château et ses fiefs entre ses deux fils par son testament du 23 mai 1329. Le premier, Jacques, a repris le château d’Arguel, près de Besançon, en fief d’Eudes IV en 1334, ce qui lui vaut de le voir pris et brûlé par les barons révoltés en 1336 ; J.-T. de Mesmay, Dictionnaire…, op. cit., t. I, p. 74. Le second, Hugues, est pendant la même période châtelain de Gray ; BnF, Moreau 900, fol. 304. Le ralliement est plus tardif dans le cas de Jean d’Abbans, à bien des égards exemplaire : sous Eudes IV, il est répertorié comme « ennemi de monseigneur », ce qui lui vaut la mise à bas de son château de Mantoche en 1347 ; ADD 126 (2), fol. 4v et 11. Il semble en effet être des fidèles de Jean de ChalonArlay, dans la compagnie duquel il sert aux frontières d’Artois en 1340 ; BnF, N.a.f. 9238, fol. 264v. Mais en 1357, il est devenu châtelain de Châtillon-le-Duc, forteresse qui contrôle Besançon et dont on sait l’importance stratégique pour le pouvoir comtal ; ADD, 1B 3. 78 Olivier Mattéoni a constaté pour le Bourbonnais une semblable élévation du niveau de recrutement des châtelains entre le milieu du xive siècle et la fin du xve siècle ; O. Matteoni, « Service du prince, fonction châtelaine et élites nobiliaires dans la principauté bourbonnaise à la fin du Moyen Âge », in « De part et d’autre des Alpes ». Les châtelains des princes à la fin du Moyen Âge. Actes de la table ronde de Chambéry, 11 et 12 octobre 2001, G. Castelnuovo et O. Matteoni (éd.), Paris, Publications de la Sorbonne, 2006 (Histoire ancienne et médiévale 88), p. 267. 79 On a vu comment la famille de Cromary tient la maison forte de La Vaivre, et comment les fils d’Eudes de Thoraise se sont réparti celles de Belmont et Thoraise. Sont aussi à la tête d’un château éponyme les familles de Bougey, de Vaite, de Villefrancon, de Montaigu, d’Éternoz, de Quingey, de Vuillafans, qui toutes ont des représentants parmi les châtelains domaniaux du comté. Se référer à la carte des maisons fortes du comté établie par P. Pégeot dans « Les destinées des maisons fortes à la fin du Moyen Âge, exemples francs-comtois », in La maison forte au Moyen Âge, Actes de la Table ronde de Nancy-Pont-à-Mousson des 31 mai-3 juin 1984, M. Bur (éd.), Paris, 1986, p. 245. Quant à Jean de Salins, en fonction à Bracon en 1357-1359, il est sire de Poupet dans les années 1360.
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pour des victimes de la conjoncture à la baisse. Nous pensons à Guillaume, Ferry et Guyot de Montbozon, qui ne sont qu’écuyers alors que leur père avait le titre de chevalier, sans doute par manque de moyens pour assumer les frais d’un adoubement. La fin de la période introduit quelques nouveautés dans le recrutement des châtelains. Accèdent alors à la fonction des hommes directement issus de familles de financiers, comme Jean de Salins dont le père était lombard, ou Nicolas de Florence, neveu de Jacques Scaglia80. On sait que concéder une châtellenie à un créancier peut constituer pour le pouvoir princier un moyen de rembourser ses dettes. D’autre part, des hommes comme Jean de Coublanc, qui poursuit en même temps sa carrière de maître de l’écurie ducale81, Guy de Bricon, chambellan du duc, Hugues de Montjeu ou Guillaume du Pailley, officiers dans le comté de Bourgogne sous Philippe de Rouvres, sont par ailleurs très occupés par les nombreuses missions que leur confie le prince82, et ne résident sans doute pas beaucoup dans leur circonscription83. L’attribution de ces châtellenies comtoises ne tend-t-elle pas à ce moment à devenir une faveur, la concession d’un certain prestige social qui leur serait désormais attaché ? Dès lors, quelle place accorder à la fonction dans le déroulement d’une carrière au service du prince ? e. Les carrières des officiers
Remarquons tout d’abord que le groupe social des châtelains n’est pas fermé, et qu’on peut espérer s’y insérer au fil d’une vie de garnisons et de batailles : Jean de Bougey grossit d’abord les troupes présentes à Vesoul et à Montjustin en 1334 et 1336, puis à Jussey en 1337, dont il devient châtelain, et enfin à Baume en 133884, dont il est peut-être aussi châtelain. De même Jacques de la Tour figure parmi les gentilshommes des troupes du gardien Vauthier de Vienne en 134085, avant de devenir châtelain de
80 J. Theurot et S. Bepoix, « Lombards et autres Italiens dans le comté de Bourgogne, entre xiiie et xvie siècle », Publication du Centre européen d’études bourguignonnes (xive-xvie s.), 49 (2009), Rencontres de Rome (25 au 27 septembre 2008), « Bourguignons en Italie, Italiens dans les pays bourguignons (xive-xvie s.)», J.-M. Cauchies (éd.), Neuchâtel, 2009, p. 181. On peut aussi se reporter à l’ancienne étude de L. Gauthier, Les Lombards dans les deux Bourgognes (xiiie-XIVe siècles), Paris, E. Bouillon, 1907. 81 ADD, 1B 87, ADD, 1B 355 (12), ADCO, B 1406, fol. 11v. 82 Voir le catalogue des actes dans E. PETIT, Histoire…, op. cit., t. IX. 83 Guido Castelnuovo a souligné, pour le xve siècle, que « les châtelains se dépouillent, peu à peu, des aspects locaux de leurs charges ; ils privilégient le cadre politico-institutionnel plus large fondé sur le cumul des fonctions, le croisement entre les postes territoriaux et les offices centraux », laissant la responsabilité des affaires locales à un lieutenant ; G. Castelnuovo, « Dynasties seigneuriales, lignages urbains et parentés d’officiers de part et d’autre des Alpes : l’exemple de la principauté savoyarde (début xive-milieu xvie s.) », in Frontières, contacts, échanges. Mélanges offerts à André Palluel-Guillard, Chr. Sorel (éd.), Chambéry, Université de Savoie, 2002 (Mémoires et documents de la Société Savoisienne d’Histoire et d’Archéologie 104, Bibliothèque des Études Savoisiennes 10), p. 56). Ces remarques pourraient parfaitement s’appliquer à Jean de Coublanc ou à Guy de Bricon. 84 BnF, Moreau 900, fol. 264v, 284, 313-313v, 337-337v, 358v et 359. 85 ADD, 1B 150. Il jouit même d’une certaine autorité puisqu’on le voit accompagner le gardien dans l’inspection des troupes de la garnison de Vesoul ; ibid., fol. 104v.
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Baume et de Clerval deux ans plus tard86. Faut-il voir là une promotion enviée pour un homme d’armes ? Un autre cas invite à nuancer ce propos : la présence de Jean de Montureux87, qui a été châtelain de Baume vers 1336, est attestée dans les garnisons de Vesoul en 1334, de Montjustin en 1333-1334 puis 1336, de Baume en 1335-133688, mais aussi de Clerval en janvier 134789. Il fait également partie de la compagnie du sire de Ray qui guerroie aux frontières d’Artois pour le compte d’Eudes IV dans l’armée royale en 134090. De même Henri de Demangevelle, qui a été châtelain de Sainte-Marie-en-Chaux en 1341, réapparaît comme simple homme d’arme au siège de Grattedos91. On ne peut pas à proprement parler ici de fin de carrière pour l’office de châtelain, même si, comme on l’a vu, un certain nombre d’entre eux décèdent en service, ce qui laisse supposer qu’ils ont atteint un âge avancé. On y verra plutôt un passage, sinon obligé, du moins apprécié. Certains hommes naviguent indifféremment d’un office à l’autre, comme Nicolas de Florence qui débute en tant que gruyer du comté et termine, non sans avoir effectué un bref passage à la trésorerie d’Aval en 135092, comme châtelain de Dole en 1355-135793, preuve que la fonction est assez prestigieuse94. Cette impression est renforcée par le fait que les baillis comtaux sont systématiquement chargés d’une châtellenie, celle de Poligny pour les baillis d’Aval (que Renaud de Jussey cumule avec celle de Bracon en 1353-135495), avec plus de variantes pour les baillis d’Amont, partagés entre celles de Châtillon-le-Duc (à Hugues d’Arc en 1336, et à Jean de Montaigu en 1343), de Vesoul (aux mains de Guy de Vy de 1336 à 1338), de Montjustin (tenue par Jean de Cusance en 135896). Il est difficile de dire si la fonction de châtelain précède ou non la promotion au titre de bailli, car nos fourchettes chronologiques ne sont qu’approximatives. On peut toutefois remarquer que Renaud de Jussey est passé par la châtellenie de Châtillon-le-Duc avant de devenir bailli d’Aval, et que Jean de Montaigu, qui reste bailli d’Amont jusqu’en 1348 au moins, cède rapidement la place à Othe de Vaite à la tête du même château en décembre 1343 alors qu’il ne nous est connu en tant que bailli qu’à partir de cette date97. Faudrait-il pour accéder à l’office de bailli faire d’abord ses preuves dans un secteur clé comme Châtillon, qui contrôle la cité de Besançon ? Pour Hugues d’Arc,
86 ADCO, B 1055. 87 Il est difficile de dire s’il s’agit de Montureux-et-Prantigny (Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Dampierre-surSalon) ou bien de Montureux-lès-Baulay (Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Port-sur-Saône) près de Jussey, où des familles de ce nom sont connues dans les deux cas. 88 BnF, Moreau 900, fol. 264v, 284v, 308v, 309, 313. 89 ADD, 1B 84, fol. 16v. 90 BnF, N.a.f. 9238, fol. 264v. 91 ADD, 1B 527 (12). 92 ADCO, B 1405, fol. 34 et ADCO, B 1406, fol. 6v. 93 ADD, 1B 73 (9), ADD, 1B 345 (8), ADD, 1B 407 (14). 94 Mais Richard de la Loge effectue le parcours inverse : châtelain de Gray en 1346-1347, il devient gruyer dans les années 1350. 95 ADD, 1B 86 (1). 96 ADD, 1B 372 (34). 97 ADD, 1B 333 (18).
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nos sources sont ambiguës lorsqu’il parvient au terme de ses fonctions en 1336 : il parle vaguement du « temps qu’il a été châtelain » de Châtillon-le-Duc dans l’arrêt de son compte du 2 décembre 1336, alors qu’il s’apprête à quitter son office de bailli d’Amont, mais il règle encore des questions afférentes à la châtellenie98. Guy de Villefrancon au bailliage d’Aval semble bien quant à lui occuper les deux offices de bailli et de châtelain de Poligny de façon concomitante. Mais Hugues de Savigny reste à la tête de la châtellenie de Montmorot alors qu’il n’est plus bailli. C’est à n’y rien comprendre si l’on veut considérer les fonctions châtelaines comme un tremplin social systématique. Il faut donc y renoncer et admettre une utilisation des compétences au coup par coup, sachant qu’il est toutefois commode de réunir en une même main la gouvernance du bailliage et la gestion d’un poste militaire stratégique99. Ainsi, la fonction de châtelain fait certes partie du cursus militaire, sans que l’on puisse vraiment établir des règles strictes pour le déroulement de carrière100. Elle ne doit pas être considérée forcément comme une promotion acquise, mais ne constitue qu’un moment dans une vie de garnison, puisque l’on peut servir à nouveau en tant que simple homme d’armes après la sortie de charge. La caractéristique principale semble donc être la grande mobilité de ces agents comtaux, qui passent indifféremment d’une châtellenie à l’autre101, parfois éloignée de leur point d’attache102, voire d’un office à l’autre103. Il n’est pas rare qu’ils occupent le même poste à quelques années d’intervalle, après une interruption104. Le milieu des officiers paraît donc plutôt fonctionner comme un vivier d’hommes compétents où le pouvoir puise au gré de
98 ADCO, B 1389, fol. 38. 99 De la même façon, en Savoie, le bailli reçoit du comte « la responsabilité de la principale châtellenie de sa circonscription, et une autorité sur l’ensemble des châtellenies secondaires » ; B. Demotz, Le comté de Savoie du xie au xve siècle…, op. cit., p. 385. 100 Christelle Balouzat-Loubet a relevé pour l’Artois la même absence de cursus honorum dans les carrières des officiers de la comtesse Mahaut ; Chr. Balouzat-Loubet, Le gouvernement de la comtesse Mahaut en Artois (1302-1329), Turnhout, Brepols, 2014, p. 299-301. 101 Comme Perrin de Vy, successivement à Étobon et Montjustin, Jacques de Thoraise entre Étobon et Vadans, Jean le Barbier entre Scey et Montmirey, Huguenin de la Salle de Chaussin à Pontarlier, Huguenin de Noidans de Sainte-Marie-en-Chaux à Étobon, Jean de Montaigu de Châtillon-le-Duc à Bracon ou Perrin Gelin qui passe de Château-Chalon à Ornans. 102 Il serait intéressant d’étudier la distance séparant le lieu d’origine du châtelain et son affectation. On a vu que la proximité immédiate, dans un rayon d’une vingtaine de kilomètres, paraît un critère important de nomination dans la plupart des cas. Néanmoins Huguenin de Bracon et Hugues de Noidans doivent parcourir trente-cinq kilomètres à vol d’oiseau pour se rendre respectivement à Dole et à Sainte-Marie-en-Chaux, ce qui reste raisonnable, Jean le Barbier de Scey et Jean de Montureux cinquante-huit jusqu’à Montmirey et Baume, Guy de Villefrancon soixante-trois pour rejoindre Poligny, Étienne de Bougey soixante-sept pour gagner Château-Lambert. Mais ces indications sont à utiliser avec prudence car il n’y a plus forcément coïncidence entre le patronyme et l’implantation foncière. 103 On peut citer Guido Castelnuovo qui note pour la Savoie : « Les grands serviteurs de l’État sont souvent des hommes à tout faire, leur professionnalisme aide plus qu’il n’entrave leur passage d’une branche à l’autre de l’administration, sans que ces mutations soient vraiment signe d’un début de formation d’un cursus honorum » ; G. Castelnuovo, « Centres et périphéries… », art. cit., p. 101. 104 Comme Guillemin à Montmirey, Renaud de Baissey à Bracon, Guillaume de Thoraise à Châtillon-leDuc, Renaud de Jussey à Poligny ou Jacques du Vaul à Gray.
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ses besoins. La société nobiliaire, grâce à ses réseaux, lui a offert cette possibilité, tout comme elle constitue une pépinière de combattants aguerris aptes à servir aux armées.
2. Les hommes d’armes L’étude des hommes d’armes dans le comté de Bourgogne entre 1330 et 1361 est rendue possible par des sources abondantes. Elle appelle quelques remarques, au sujet des caractéristiques sociales de ces groupes notamment. a. Sources
Les sources majeures qui autorisent à recenser les hommes d’armes sont assez nombreuses. Nous disposons en premier lieu de deux comptes énumérant les effectifs en garnison dans les forteresses du comté au début des deux principales guerres contre les barons, l’un en 1336, l’autre en 1346-1347105. Les comptes du gardien en déplacement avec ses troupes dans le bailliage d’Amont en 1340 et 1341 fournissent aussi des noms106. Les dépenses des garnisons de Montjustin107 au même moment, et de Gray en 1346-1347108 également. Ces sources peuvent être utilement croisées avec le document établi en 1349 par les exécuteurs testamentaires d’Eudes IV afin de solder ses dettes, des guerres comtoises principalement109. Les comptes généraux ont été mis à contribution. Ils fournissent quelques indications, surtout au début des années 1330, lorsque le pouvoir envoie régulièrement des lettres de mandement aux vassaux pour qu’ils se rendent aux chevauchées, notamment contre l’abbaye de Lure110. Le dernier énumère de même les seigneurs régulièrement requis de rejoindre l’armée ducale dans sa lutte contre les Anglais entrés au duché, en 1359111. La fin de la période est éclairée par les comptes des baillis Renaud de Jussey (1350-1358) et Jean de Montmartin (1358-1361), qui nomment les hommes formant leur compagnie112. Pour 1357, il existe une longue liste des combattants menés au siège de Grattedos par le bailli d’Amont Guillaume d’Antully113. Les comptes royaux ont été également mis à contribution. Ceux de Barthélémy du Drach, établis pour l’ost de Buironfosse et de Bouvines en 1340, citent les seigneurs comtois venus renforcer les troupes du duc de Bourgogne. On peut y reconnaître les
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ADCO, B 11 836 et B 11 838. ADD, 1B 82 et 1B 150. ADD, 1B 133B. ADD, 1B 126 (1 et 2). ADCO, B 309. ADD, 1B 791 et BnF, Moreau 900. ADCO, B 1406. ADD, 1B 86 (1) et 1B 88. ADD, 1B 527 (12). La place forte est alors occupée par les routiers de Thibaut de Chauffour.
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hommes d’armes du pays car la provenance de chacun est mentionnée114. Un autre compte royal fait mention de seigneurs comtois que le roi entend mander lorsqu’il lui plaira115. Nous n’avons pas traité en revanche les montres d’armes bourguignonnes des années 1350 en copie à la BnF, cela aurait excédé le cadre de ce travail en raison de leur ampleur116. Les documents à caractère militaire sont donc très riches sur la question des hommes d’armes, surtout pour le principat d’Eudes IV, et permettent d’établir de longues listes de combattants. L’écueil majeur est qu’hélas, ils n’autorisent pas à aller plus loin. Il faut donc les recouper avec d’autres sources, ce qui n’est pas toujours possible, et beaucoup d’hommes d’armes resteront à jamais pour l’historien un simple nom dans ces listes. b. Recensement et origines117
1 184 hommes ont été comptabilisés. L’origine géographique de 227 d’entre eux reste inconnue. Sur le total des 957 dont la provenance géographique a pu être établie, on compte 788 comtois (82,3 %), soit une large majorité. Parmi eux, 544 sont membres de familles citées dans le dictionnaire de J.-T. de Mesmay et 244 représentent d’autres lignées. Le reste des hommes d’armes identifiés se partage entre ceux originaires du duché (quatre-vingt-neuf, soit 9,3 %), ceux venus des marges de la Bourgogne (soixante-six, soit 6,9 %), et un très petit nombre qui semblent provenir de plus lointaines contrées (quatorze, soit 1,4 %). On peut remarquer que ce sont parfois des familles entières – fratries, pères et fils, cousins germains – qui viennent se mettre au service du prince. On peut aussi s’y faire représenter. Par exemple Guillaume d’Étrabonne est présent à Grattedos, avec trois chevaux, à la place du seigneur de Pesmes – qui est alors Guillaume de Grandson, le fils du gardien du comté Othe du même nom. Mais 114 Buironfosse, Aisne, ar. et c. Vervin ; Bouvines, Nord, ar. Lille, c. Templeuve. Ce compte a été effectué par Barthélémy du Drach, trésorier des guerres de Philippe VI pour les opérations militaires qui se déroulèrent dans le nord du royaume de novembre 1339 à octobre 1340 – dont « l’ost de Bouvines », durant l’été 1340 – jusqu’aux trêves conclues à Esplechin, entre la France et l’Angleterre, le 25 septembre 1340 ; Ph. Contamine, Guerre, État et société à la fin du Moyen Âge. Études sur les armées des rois de France. 1337-1494, Paris, La Haye, Mouton, 1972, p. 60-62. Le déplacement des combattants depuis leur région vers les lieux de rassemblement (Arras), puis de congédiement (Bouvines) jusqu’à leur lieu de résidence est payé par l’administration royale. Pour les Comtois, ressortissant de l’Empire, la prise en charge commence au moment où ils franchissent la frontière du royaume ; Ph. Contamine (dir.), O. Guyotjeannin et R. Le Jan, Le Moyen Âge. Le roi, l’Église, les grands, le peuple, 481-1514, Histoire de la France politique, S. Berstein, Ph. Contamine et M. Winock (éd.), Paris, Éditions du Seuil, 2002, p. 353-354. 115 BnF, Fr 32 510. En août 1352, Jean le Bon décide de réunir une armée faisant appel à des seigneurs de l’Empire, chacun d’eux étant retenu par une lettre avec des effectifs déterminés ; Ph. Contamine, Guerre, État…, op. cit., p. 71. 116 BnF, N.a.f., 1036. On peut en avoir une idée par le résumé qu’en fait U. Plancher, Histoire…, op. cit., p. 314 sq. On y retrouve beaucoup de noms recensés ici. 117 On pourra trouver les tableaux portant le détail de ce recensement en annexe de la thèse dactylographiée dont est issu cet ouvrage.
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c’est généralement le fait des grands seigneurs : Aymé de La Sarraz, le dimanche après la Saint-Pierre-et-Paul 1340 (2 juillet), se rend au mandement du gardien à Gendrey avec vingt-cinq hommes au nom de Jean de Chalon-Arlay ; Jean de Chalon-Auxerre s’y fait également représenter par Renaud d’Andelot, lui aussi à la tête de vingt-cinq combattants118. De la même façon, il faut souligner que les hommes d’armes recensés arrivent pour certains en garnison à la tête d’une « route » d’importance variable dont le détail n’est pas donné119. On attendrait normalement ici une évaluation de la part des nobles et des roturiers au sein de ces armées. Nous ne nous risquerons pas à la calculer, pour plusieurs raisons : d’abord parce que, suivant les documents, la qualité de l’homme d’armes est ou n’est pas précisée, et on découvre qu’untel est chevalier ou écuyer en croisant les sources, mais tous ne se prêtent pas à faire des recoupements, et les calculs que nous fournirions seraient immanquablement faux. Par exemple, la plupart des personnes qui apparaissent sous le vocable de sire de tel ou tel lieu appartiennent bien sûr à la noblesse, mais ne sont pas présentées munies de leur titre, et nous n’avons relevé que ceux de ces titres mentionnés dans les documents à caractère militaire figurant en référence, sans nous appuyer sur d’autres sources. En second lieu, Bertrand Schnerb a déjà noté que les structures aristocratiques persistent dans les armées bourguignonnes de l’époque, et que la composition sociale y reste stable, au contraire des armées royales qui connaissent une décroissance du pourcentage de nobles120. La troisième raison tient au caractère flou de la définition de la noblesse121 : des promotions existent, on peut être réputé noble parce qu’on sert aux armées du prince mais ne pas avoir forcément de noble ascendance122. Ainsi la troupe du prévôt de Montbozon est en 1355 composée de dix-sept « gentilshommes », chacun accompagné de deux chevaux. Répondent aussi à l’appel « X bourgeois chascun à I cheval »123. Mais ces « gentilshommes » ont pour certain des noms à résonnance bien populaire124 ; cela ne les empêche pas d’être clairement distingués des « bourgeois ». Sont-ils tous nobles pour autant ? 118 ADD, 1B 150, fol. 21v-22. 119 Par exemple sont présents à Salins, à la fin de 1346, Jean de Baissey et son frère Richard, chacun avec cinq écuyers. Il en va de même pour Jean de Germoles ; ADCO, B 11 838, fol. 2. 120 B. Schnerb, Aspects…, op. cit., p. 206-207 ; Ph. Contamine, Guerre, État…, op. cit., p. 180. 121 G. Chevrier a jadis souligné l’originalité de la noblesse comtoise sur ce point. Il écrit notamment : « L’état juridique du noble dans le comté de Bourgogne ne comportait pas en soi de caractères saillants » ; G. Chevrier, « Les sources de la noblesse dans le comté de Bourgogne du xive à la fin du xviiie siècle », M.S.H.D.B., 12 (1948-1949), p. 51-52. 122 M.-T. Caron pour le duché explique bien que « certains sont regardés comme nobles alors qu’ils ont toujours répondu aux convocations des hommes d’armes […] Les limites inférieures du groupe des nobles sont particulièrement floues, elles tiennent largement à un consensus social, qui n’a pas de fondement juridique absolu » ; M.-Th. Caron, La noblesse dans le duché de Bourgogne. 1315-1477, Lille, Presses universitaires de Lille, 1987, p. 538. Alain Girardot évoque quant à lui pour le Verdunois ces « compagnons de guerre » pour qui le service du prince à cheval permet de s’intégrer à la noblesse, dans une époque encore socialement ouverte ; A. Girardot, Le droit et la terre. Le Verdunois à la fin du Moyen Âge, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 1992, t. II, p. 624-626. 123 ADD, 1B 370 (3). 124 Estevenin gendre au Goitelet, Colin fils Vuillemin Belorce, Forquenins fils Guiat, etc.
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Nobles ou non, les hommes d’armes comme les officiers constituent la base sociale de la principauté comtoise. L’exercice du pouvoir serait absolument impossible au prince sans leur fidèle soutien. C’est pourquoi il nous faut envisager pourquoi une large frange de la société nobiliaire a choisi de le servir.
3. Au service du prince Dans un contexte troublé, servir le comte va-t-il de soi ? Quels liens attachent ses hommes à leur prince, et surtout ont-ils le choix ? Outre une loyauté de cœur, dont nos sources ne nous permettent guère de prendre la mesure, mais qui existait sans nul doute, collaborer avec le pouvoir offre de nombreux avantages. a. Une question de choix ?
Si à la faveur des conflits en Comté apparaissent, comme partout ailleurs, de nouvelles formes d’engagement armé envers le prince, la base principale du service reste encore de nature féodale. Mais il est rendu plus complexe par le contexte de guerres intestines, et peut faire l’objet de véritables déchirements, personnels et sociaux, même si le duc-comte finit par rallier à sa cause un bon nombre de récalcitrants. De nouvelles formes de recrutement
On a trouvé deux exemples de contrats d’engagement, passés au début de la guerre de 1336, alors que le duc rassemble son armée125. Le 8 mai, Guillaume d’Antigny s’engage à servir Eudes IV dans les guerres du comté pendant un an, en échange d’un versement de 4 000 l. tournois aux Lombards de Seurre. Et cela à ses frais, avec quarante hommes d’armes (dix à Poligny avec un « chevetene » et les trente autres à Sellières). Il promet en outre de le recevoir dans tous ses châteaux, et de garder Poligny, Grozon, Colonne et Montmorot « auxi foialment comme en notre propre terre126 ». Le grand maître des arbalétriers de France, Étienne le Galois de La Baume, procure au même moment au duc les services de Girard de Grammont « qui, moyennant six cents livres tournois de gages, consentit à combattre pour lui avec vingt-quatre hommes d’armes pendant la durée d’une année127 ». Cela est très loin cependant de constituer la règle générale128.
125 On en trouvera d’autres dans B. Schnerb, Aspects…, op. cit., p. 156-157, et preuve n° 6 ; ADCO, B 11 721. 126 ADCO, B 11 733. 127 A. Vayssiere, « Documents relatifs à la révolte des barons francs-comtois contre le duc Eudes », Bulletin de la Société d’Agriculture, Sciences et Arts de Poligny, 17 (1876), p. 275-278. 128 Bertrand Schnerb a insisté sur l’importance de l’institution féodale comme base du système militaire dans les armées des ducs de Bourgogne ; B. Schnerb, « Le recrutement social et géographique des armées des ducs de Bourgogne (1340-1477) », in Guerre, pouvoir et principauté, op. cit., p. 63.
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Les obligations du vassal
Le service armé reste en effet l’attribution des vassaux du comte. Il n’est pas si simple à obtenir lorsqu’il s’agit d’arrière-vassaux qui ont juré leur foi à ses ennemis. Le cas simple des vassaux directs
Si le fief comtois est réputé sans service, il semble bien néanmoins que le fait d’être vassal du comte suppose de pouvoir être réquisitionné en cas de besoin. L’hommage de Vauthier de Cusance au duc-comte, prêté le jour de la Saint-Vincent (22 janvier) 1338 entre les mains du gardien et du bailli pour un prêt de 200 l. estevenantes, et valable jusqu’à son remboursement, précise qu’il jure de tenir foy et loiautey, rendre service et faire toutes obéissances et commandemenz si comme li cax le requier, et comme il appartient de faire129. Une lettre de mandement est généralement adressée par les autorités aux plus importants féodaux. Il s’agit soit de venir en personne aux rassemblements armés, au besoin escorté de quelques hommes d’armes, soit seulement de fournir des troupes. C’est pourquoi les femmes peuvent aussi être l’objet de tels ordres, comme « madame de Montaigu » reçoit des lettres du prévôt de Vesoul, envoyées le mercredi après la quinzaine des Bordes 1333 (10 mars) sur commandement du bailli, pour convocation aux chevauchées130. Ces lettres de mandement sont généralement suivies peu de temps après d’autres destinées à les « contremander » lorsque les opérations sont closes. Quant aux plus modestes des vassaux, ils sont rassemblés par les prévôts ou les châtelains circonscription par circonscription. On en a plusieurs exemples. Le mercredi après Judica me (21 mars) 1347, le bailli Jean de Montaigu envoie des lettres au châtelain d’Étobon que fiest venir tous les fietieciers de son basti au mandement monseigneur qu’estoit à Dole131. Le prévôt de Montbozon joue un rôle semblable en rassemblant pour le service du roi, le lundi après la Saint-Georges (27 avril) 1355, vingt-huit hommes d’armes, sur ordre du gardien Thibaut de Neuchâtel. Celui-ci a organisé un mandement à Montjustin pour contraittier aux Allemanz qui avoient un grant mandement de genz d’armes et de pie pour tenir et faire domaige en la dicte Conté. 129 ADD, 1B 49 (10). 130 ADD, 1B 791, fol. 6v. Madame de Montaigu est vraisemblablement la première femme d’Henri de Bourgogne, Mahaut, dame de Chaussin, veuve de Gauthier de Montfaucon – le père d’Henri, comte de Montbéliard – épousée en 1310 ; É. Clerc, Essai…, op. cit., p. 49, n. 1. Il se remarie en 1337 avec Isabelle de Thoire-Villars ; M. Bubenicek, « De Jean l’Aîné… », art. cit., p. 282. L’hypothèse est confirmée par le compte du trésorier de Vesoul de 1337-1338 : « madame de Montaigu » y est qualifiée de cousine de la duchesse ; BnF, Moreau 900, fol. 369. 131 ADD, 1B 133B, fol. 30.
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Après le « bannissement » public par les soins du prévôt, signifiant que les gens d’armes « de pie et de cheval, chacun en droit soy et selon son estat » sont requis pour ce mandement et furent mandés de par ledit prevost […] pluseurs gentils hommes fievey de Montboson132. Il ressort clairement de ces exemples qu’être vassal du comte implique la prestation d’un service armé. C’est là le cas de figure le plus simple. Mais qu’en est-il des arrière-vassaux, et plus particulièrement de ceux qui se trouvent liés par l’hommage à un grand, rebelle à l’autorité princière ? La délicate question des arrière-vassaux
Les arrière-vassaux viennent certainement en masse grossir les troupes ennemies, quoique les sources restent assez silencieuses sur leur composition. Nous avons déjà cité les reprises de fief prêtées en série à Thibaut V de Neuchâtel, ainsi au fait des fidélités sur lesquelles s’appuyer dans son conflit avec le prince133. On conserve même la lettre de son vassal Guillaume, sire de Montjoie, au duc de Bourgogne, à qui il écrit le dimanche de Reminiscere (25 février) 1347 qu’il me convient estre de l’aide et de la guerre monseigneur de Nuef Chastel encontre vous car je suis ses hons liges et tant tenuz à luy que je ne le puis lessier134. Mais les choses ne sont pas toujours aussi simples qu’elles pourraient en avoir l’air. Prenons le cas de la seigneurie de Montmartin. Elle appartient à la mouvance féodale des sires de Neuchâtel depuis le xiiie siècle135, et ne constitue qu’un arrièrefief du comté136. Eudes de Montmartin, seigneur du lieu, se déclare l’homme lige de Thibaut de Neuchâtel pour Montmartin et Loulans le 6 avril 1336137. Paradoxalement, cette allégeance à un baron plusieurs fois rebelle à l’autorité princière ne paraît pas être pour lui un obstacle au service régulier du duc-comte. Eudes marche ainsi sur les traces de son père Matthieu qui, en 1324 déjà, est présenté comme un membre du Conseil de la comtesse Mahaut, et un fidèle d’Hugues de Bourgogne138. Matthieu entretenait également des liens avec le duc de Bourgogne Hugues V, frère d’Eudes IV, qui lui avait fait le don d’une terre. Il y avait renoncé au profit du prince bourguignon. Ceci a justifié une compensation accordée par Eudes IV à son fils Eudes
132 ADD, 1B 370 (3). 133 Voir IIe partie, chapitre ii. 134 ADCO, B 11 875. 135 En 1277, Pierre, sire de Montmartin, reprend sa seigneurie en fief lige du sire de Neuchâtel, comme ses devanciers ; BnF, N.a.f. 3535, n°s 317 et 318. 136 Montmartin fait partie des fiefs comtaux tenus par les sires de Neuchâtel en 1295 ; M.-Th. AllemandGay, Le pouvoir…, op. cit., p. 439. 137 BnF, N.a.f. 3535, n° 319. 138 BnF, Moreau 900, fol. 240v.
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de Montmartin, à une date inconnue : une rente de 100 l. tournois sur les marcs de Dijon, pour laquelle les seigneurs de Montmartin sont les hommes liges du duc139. Une régularisation a posteriori un peu surprenante, mais fort commode pour faire entrer le sire de Montmartin dans la mouvance directe du prince, et encourager sa fidélité. Celle-ci ne se dément d’ailleurs pas. Eudes de Montmartin semble même faire partie du Conseil140. Il est déclaré mort en 1355141, mais son fils Jean reprend le flambeau comme bailli d’Aval à la fin de notre période. Il en va de même pour Poinsard de Thoraise. Fidèle serviteur du comte, il est pourtant aussi vassal de Jean de Chalon-Arlay pour des rentes et la seigneurie de Vorges142. La double appartenance, qui est certainement le lot d’un bon nombre de nobles comtois, pose « un douloureux et compliqué problème de choix », comme l’a souligné Marie-Thérèse Caron. Il faut alors déployer un certain « flair », comprendre rapidement où est la fidélité « utile », qui permet de survivre ou de faire carrière143. Certains s’en sortent habilement : en déléguant son écuyer au service ducal lors de la guerre de 1336, plutôt que de l’assurer lui-même, Richard Ier de Monnet, sire de Montsaugeon, temporise ; deux ans plus tôt en effet, il avait prêté allégeance à Jean de Chalon-Arlay pour son château de Montsaugeon et le village de Crotenay144. D’autres s’excusent poliment auprès du duc-comte, comme Aimé de Beauvoir en 1336 Mon très cher seigneur, combien que je sois povres homs, sy suis-je tenuz de lignaige et de sanc à monseigneur de Chalons, et de si près que je ne li puis en aucune menière faillir. Sy vous prie que vous me haiez pour escusez lay ou il me faut faire son commandement en façant mon devoir. Et se Dieu plait et saint George, je vous entans une autre fois servir145… Face à des cas litigieux, il faut au prince employer les bons arguments pour faire basculer dans son camp les féaux de ses adversaires.
139 ADCO, B 1399, fol. 33-33v. Cette donation intervient avant 1337, année pour laquelle on a conservé la trace du paiement de la rente par le trésorier de Vesoul, au terme de Pâques, en 125 l. estevenantes ; BnF, Moreau 900, fol. 325v. 140 Avec le bailli Eudes de Cromary « et plusieurs autres du Conseil monseigneur avec eux », il estime la terre de Jacques d’Arguel, sur commission ducale, durant quatre jours de la semaine précédant la Saint-Urbain (25 mai) 1337 ; BnF, Moreau 900, fol. 339. Fin novembre 1336, il accompagnait aussi le bailli Guy de Vy et Jean de Corcondray à une journée à Étobon contre le bailli d’Autriche ; ibid., fol. 346. 141 ADCO, B 1399, fol. 33-33v. 142 Voir IIe partie, chapitre ii. 143 M.-T. Caron, « La fidélité dans la noblesse bourguignonne », in L’État et les aristocraties, France, Angleterre, Écosse, xiie-xvii esiècle, actes de la table ronde, Maison française d’Oxford, 26 et 27 septembre 1986, Ph. Contamine (éd.), Paris, Presses de l’École normale supérieure, 1989, p. 103-127. 144 BEC Besançon, Droz 16, fol. 168v et Droz 19, fol. 67. Ce château, situé au sud-est du village de Crotenay, est alors repris en fief par Richard de Monnet, avec la ville de Crotenay ( Jura, ar. Lons-leSaunier, c. Champagnole). 145 ADCO, B 11 721, cité par E. Petit, Histoire…, op. cit., t. VII, p. 154 et É. Clerc, Essai…, op. cit., p. 53.
le s ho mme s d u co mt e Les fidélités arrachées de haute lutte à l’ennemi
On a expliqué comment le sire de Joux a joué sur les deux tableaux lors des guerres comtoises, prêtant successivement hommage à Jean de Chalon-Arlay en 1336, puis à Eudes IV en 1343146. Le duc semble avoir acheté fort cher cette fidélité : le compte de 1358-1359 nous apprend qu’il a donné au baron, à une date inconnue, 400 l. de rente assignée sur Toulouse-le-Château et Grozon147. Cette politique semble avoir porté quelques fruits, puisque le sire de Joux se fait représenter par ses trois écuyers en garnison à Gray au début de la guerre de 1346148. Mais le pouvoir aura encore à se plaindre de ce seigneur : le samedi avant la Saint-Jean-Baptiste (22 juin) 1359, le bailli d’Amont, basé à Pontarlier, opère une course sur sa terre, livrée aux flammes149. Comme Jean de Chalon-Arlay, Eudes IV a beaucoup pratiqué l’achat de fidélités, justifiées a posteriori par l’hommage150. Fromond de Toulongeon par exemple, qui n’appartient pas au réseau féodal du comte151, s’est pourtant engagé à le servir, moyennant le don d’une rente annuelle et viagère de 60 l. sur les revenus de Dole, le 23 avril 1347, reprise en fief le même jour152. Cette politique a cependant connu des échecs : on a décrit plus haut comment le sire d’Oiselay, pourtant gratifié d’avantages par Eudes IV, n’a pas abandonné la lutte pour autant. On pourrait citer aussi Joceran de Montby. S’il est au service du comte à Vesoul en 1336, ce qui lui vaut sans doute d’être doté par lui cette année-là d’une rente viagère de 30 l. sur les revenus de la châtellenie153, il passe vraisemblablement à l’ennemi. Le cas de la famille de Montby offre l’occasion de parler de ces fidélités douteuses, qui déchirent les hommes et leurs familles. Des fidélités incertaines De véritables cas de conscience
Le château de Montby est un pion important de la stratégie ducale, et Guillaume son seigneur y est comme pris en tenaille entre ses sympathies pour le comte, dont
146 BEC Besançon, Droz 16, fol. 159 ; ADD, 7E 1344. Voir IIe partie, chapitre i. 147 ADCO, B 1406, fol. 4v. Édouard Clerc cite un traité, conclu le 2 juillet 1347 entre Hugues de Blonay et le duc Eudes IV : moyennant 2 500 florins, dont mille payés immédiatement, il s’engage à recevoir le prince dans son château de Joux, avec ses gens d’armes, dont quinze entretenus aux frais du sire de Joux ; il défiera Jean de Chalon-Arlay, Louis de Neuchâtel outre-Joux, Thibaut de Neuchâtel, Henri et Thibaut de Faucogney (tous alors en guerre contre Eudes IV) et « doit encommencier incontinent guerre contre eux de tout son pouvoir, et de toute la force de son chastel et de sa terre » ; É. Clerc, Essai…, op. cit., p. 84. Le texte est commenté par B. Schnerb, Aspects…, op. cit., p. 369-370, et donné en preuve (n° 28) d’après ADD, 1B 41. 148 ADD, 1B 126 (2), fol. 16. 149 ADD, 1B 1610. 150 Voir IIe partie, chapitre i. 151 Il est seulement vassal de Jean de Chalon-Auxerre pour le village de Germagnat ; ADD, 1B 335, fol. 87 et 102v. 152 ADD, 1B 3442 (6). 153 BnF, Moreau 900, fol. 290.
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il est le vassal154, et ses obligations envers le sire de Neuchâtel son voisin, que son ancêtre Jean de Montby a jadis promis de recevoir dans sa forteresse155. Il tente tant bien que mal de résoudre ce dilemme en faisant la promesse à Thibaut de Neuchâtel, en 1347, alors que la guerre fait rage entre le duc et le baron rebelle, de ne pas permettre aux troupes d’Eudes IV d’entrer dans son château. Si le cas advenait malgré tout, il s’engage à avertir le sire dans les huit jours156. Cette position, on s’en doute, n’est pas vraiment tenable, et les hommes du comte ne tardent pas à investir la place, sans que l’on sache si Guillaume de Montby a eu ou non l’intention de manquer à sa parole. Sans doute le duc ne lui a-t-il pas laissé le choix, livrant ainsi son vassal à la vindicte de Thibaut de Neuchâtel. Des familles déchirées
Guillaume, seigneur de Montby, et Joceran, son frère, offrent un cas de figure particulièrement intéressant. Le duc Eudes IV peut apparemment compter sur Guillaume : dès le mardi après Oculi (9 mars) 1333, le bailli le somme de se tenir prêt, avec tous les gens d’armes qu’il pourra rassembler, pour venir au mandement ducal dès qu’il en sera requis157. En 1340-1341, il se rend fidèlement à Vesoul ou à Montjustin pour en assurer la défense. Le frère du gardien, Guillaume de Vienne, paraît alors goûter sa compagnie, partageant son repas à plusieurs reprises et restant à ses côtés jusqu’à quatre jours d’affilée entre le 16 et le 19 mars 1341158 ! Les sujets diplomatiques étaient peut-être au menu, car l’année précédente avait vu Guillaume de Montby par deux fois en compagnie du gardien, en avril pour s’entretenir avec lui des « besognes secrètes » touchant « l’honneur et l’état » du prince, et en juillet lorsqu’on tentait de négocier une alliance autrichienne et une trêve avec les Faucogney159. Cette dernière ayant échoué, il n’avait pas hésité, début octobre, à se joindre aux troupes comtales parties « courir » au val de Vesoul sur l’ennemi160. Cette politique de fidélité au pouvoir comtal est d’ailleurs adoptée par ses deux fils, qui tiennent garnison avec lui à Montjustin en août 1341161. Le frère de Guillaume de Montby, Joceran, présente un tout autre profil. Au service du comte à Vesoul en 1336, il paraît basculer ensuite dans la sédition, mâtinée peut-être de brigandage. On apprend qu’en 1337, le roi a donné l’ordre de le capturer, 154 Montby figure dans l’état des fiefs de 1295 en ces termes : « Item le sire de Montbis en tient Montbis, le chastel et les appartenances et aultres terres qui vault bien VC l. de rente » ; M.-Th. ALLEMAND-Gay, Le pouvoir…, op. cit., p. 438. 155 Jean de Montby et sa femme Aelis, dame de Chemilly, entrent dans l’hommage de Neuchâtel pour le recept de leurs châteaux de Montby et de Chemilly, contre tous excepté le seigneur d’Oiselay, le comte de Bourgogne et Aymé de Faucogney, sire de Villersexel. Ceci en octobre 1288, et pour le prix de 120 l. estevenantes ; BnF, N.a.f. 3535, n° 470, fol. 392. 156 Ibid., n° 471, fol. 393. 157 ADD, 1B 791, fol. 9. 158 ADD, 1B 150, fol. 150 ; 1B 82, fol. 2v, 6-7. 159 Ibid., fol. 28 et 73. 160 Ibid., fol. 45v. 161 ADD, 1B 82, fol. 18v-28.
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et fait lever des troupes afin d’ « obvier aux roberies et entreprises » de celui-ci, qui a rassemblé des gens d’armes pour courir en Champagne, durant la dernière semaine d’août, et emprisonné des bourgeois162. En 1345, il opère encore aux marges du comté : le 25 août, une lettre est envoyée de Montjustin à Faucogney avec pour consigne de le « barrer163 ». En 1346, il semble s’être abouché avec les Lorrains164. Il garde également des droits sur le château de Montby, dont il reprend lui aussi le recept en fief de Thibaut de Neuchâtel, en 1350165. Est-ce à la faveur de la captivité de son frère Guillaume ? À la différence de celui-ci, il a en tout cas très vite choisi le parti adverse. Frères ennemis, pères et fils qui se déchirent, le tableau est sombre : la fidélité d’Othe de Velleguindry n’engage pourtant pas celle de son fils, soupçonné d’avoir participé à la prise du château de Vesoul en 1340. Fâcheuse compromission qui a contraint Othe de Velleguindry à livrer des otages au gardien le 19 août de cette année-là166. Et pourtant, la politique des comtes a porté des fruits, leur valant bon nombre de ralliements. Des ralliements en nombre
Parmi les opposants d’hier qui figurent par la suite dans la liste des hommes d’armes, voire des officiers du prince, on peut citer beaucoup de noms : – Hugues et Jacques d’Arguel sont les fils de Guillaume, sire d’Arguel, qui s’était rebellé contre le roi en 1295 ; – Richard de Montot serait le fils d’Odon de Montot, également ligué contre Philippe le Bel avec les barons comtois167 ; – Jean de La Chassagne a participé à cette ligue baronniale de 1295168. Il est peut-être celui que nos sources nomment « Le Chassignet », dont les hoirs jouissent d’un fief perpétuel de 20 l. sur la saline de Grozon169 ; – Jean de Longwy prend part à la ligue des seigneurs de Bourgogne et de Champagne opposés au roi de France en 1314170. En 1315, il a encore maille à partir avec Philippe V, pour « chevauchees, exces et outrages » en la terre comtale, ce qui lui vaut une forte amende garantie sur ses biens, mais ne l’empêche pas de se soumettre en prêtant hommage pour le fief de Rahon171. En 1327, il est en butte aux représailles de la comtesse Mahaut, peut-être pour défaut d’hommage. Une chevauchée aboutit à la prise de son château et à l’emprisonnement du 162 BnF, Fr 32 510, fol. 71 et 149. 163 ADD, 1B 133B, fol. 24v. 164 Le 29 septembre 1346, le trésorier de Vesoul doit tenir une journée contre ses gens et ceux du duc de Lorraine (ibid., fol. 26v). 165 BnF, N.a.f. 3535, n° 473, fol. 393 bis. 166 ADD, 1B 150, fol. 38. 167 J.-T. de Mesmay, Dictionnaire…, op. cit., t. II, p. 439. 168 J.-T. de Mesmay, Dictionnaire…, op. cit., t. I, p. 348. 169 ADD, 1B 79A1, fol. 13v (pour 1331-1332) ; BnF, Moreau 900, fol. 290 (pour 1335-1336, année où la rente n’est pas versée). 170 J.-T. de Mesmay, Dictionnaire…, op. cit., t. II, p. 244. 171 Fr.-F. Chevalier, Mémoires…, op. cit., t. I, preuve n° 87.
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sire au terme d’une longue procédure172. Il semble être par la suite rentré dans le rang, et ses successeurs ont renoncé à l’insubordination ; Jean V sire de Vaugrenans a connu quelques démêlés avec le pouvoir comtal : avec Mahaut d’Artois, d’abord, dont les sergents ont en 1324 abattu les fourches patibulaires qu’il avait fait ériger sur la terre de la comtesse173 ; avec Eudes IV, ensuite, pour avoir capturé un écuyer, Matthieu de Darbonnay, « qui s’est avoué pour le duc », ce qui justifie une convocation judiciaire à Poligny les jeudi et vendredi avant la Sainte-Catherine (23 et 24 novembre) 1335174 ; Jean II Deschamps a pris part à la lutte contre Eudes IV dans le camp de Jean de Chalon-Arlay en 1336, obtenant d’être « reçu citoyen de Besançon pour avoir porté les armes au service de la cité175 » ; Thibaut, sire de Cusance, est vassal de Thibaut de Neuchâtel pour Cusance, Lavans et Montbarrey, pour lesquels il lui prête hommage la veille de Pâques (19 avril) 1337176. Il a pris le parti de son suzerain face au duc-comte, dont les gens mettent à sac ses domaines. Le jour de la Saint-Vincent (22 janvier) 1338, Thibaut de Cusance et ses deux fils Jean et Vauthier remettent au duc tous les dommages qu’ils ont essuyés pendant la guerre, tandis que Vauthier lui jure fidélité entre les mains du gardien et du bailli Guy de Vy pour un prêt de 200 l. estevenantes177. Cette allégeance a-t-elle été honorée par la suite ? On retrouvera en tout cas Jean de Cusance officiant en tant que bailli d’Amont en 1355 ; Andruin, seigneur de Ville Salignon (Villers-sous-Saulnot), est catalogué parmi les ennemis d’Eudes IV en 1341, contre qui le gardien va « bouter les feux178 ». On le retrouve fin 1346 dans la compagnie du gardien pour aller à Rouvres parler à la duchesse, ou en route vers Montjustin le 1er et le 2 janvier suivants « pour aider à garder et defendre » le lieu contre les ennemis regroupés à Remiremont179 ; le ralliement à la cause ducale peut n’être que d’un moment, comme dans le cas de Jacques de Baudoncourt. Combattu par le duc au début des années 1340 avec les enfants de Faucogney dont il est le complice, il s’est ensuite rapproché du pouvoir. À la fin de novembre 1344, il vient à Montjustin voir le bailli, qui souhaite l’entretenir d’ « aucunes besognes de monseigneur qui ne volait pas mander par lettres180 ». Au mois de décembre 1346, il accompagne le gardien à Rouvres, auprès de la duchesse181. Sa volte-face lui procure quelques
172 J. Theurot, Au temps de Madame Mahaut, comtesse d’Artois, de Bourgogne palatine et dame de Salins. Aspects de la vie comtoise (1285-1329), Besançon, Cêtre, 2012, p. 98. 173 BnF, Moreau 900, fol. 240. 174 Ibid, fol. 299. 175 J.-T. DE Mesmay, Dictionnaire…, op. cit., t. I, p. 325. 176 BnF, N.a.f. 3535, n° 252. 177 ADD, 1B 40 (9) et 1B 49 (10). 178 ADD, 1B 82, fol. 37v. 179 ADD, 1B 84, fol. 10v et 11v. 180 ADD, 1B 133B, fol. 28. 181 ADD, 1B 84, fol. 10v.
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déconvenues : le 4 décembre, il arrive nuitamment à Montjustin en compagnie de 11 gentilshommes pour le « service monseigneur » ; or, on refuse de lui ouvrir, et il est contraint de repartir avec sa petite troupe le lendemain, sans avoir pu monter au château. On comprend que son revirement soudain inspire la plus grande méfiance à Montjustin : il n’y a pas si longtemps que l’on a abattu sa maison forte de Baudoncourt et « boute(r) les fuex sur ses homes182 ». Ceux qui veillent prudemment sur la place n’ont sans doute pas tort, car l’homme retombe bientôt dans la dissidence et le banditisme ; – ce n’est pas le cas de Jean d’Abbans. Il est un opposant farouche du comte tant en 1336183 qu’en 1346-1347. Son château de Mantoche est détruit sur ordre ducal par les troupes du prévôt de Gray en mars 1347184. En septembre 1348 encore, il manœuvre dans les environs de Besançon185. Sa fidélité à Jean de Chalon-Arlay, dont il est le vassal, ne se dément pas : il sert dans sa compagnie en Artois en 1340186, et nos sources le citent clairement comme « ennemi monseigneur », « qui estoit pour les autres »187. La politique d’apaisement qui a suivi le changement de gouvernement ducal a dans son cas porté tous ses fruits, et il intègre les équipes dirigeantes du comté, accompagnant à l’occasion le bailli dans ses missions et terminant sa carrière comme châtelain de Châtillon-le-Duc en 1357188. Ces exemples suffisent à démontrer à quel point devient attractif le service du duc-comte pour la petite et moyenne noblesse. Il comporte en effet bien des avantages. b. Les avantages du service
En des temps que les historiens s’accordent à définir comme marqués par une profonde crise économique, servir un puissant est une question de survie financière189, une façon de s’assurer des revenus réguliers comme des dons extraordinaires. Cela est d’autant plus intéressant que le prince s’attache à garantir les risques encourus. La survie économique
Parler de crise économique de la noblesse en Franche-Comté reste cependant assez théorique, car les outils manquent pour en relever les indices, et aussi parce
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Le dimanche après la Saint-Luc (22 octobre) 1340 ; ADD, 1B 150, fol. 54. ADD, 1B 17, fol. 16 et 17v, publié par M. Bubenicek, « Noblesse… », art. cit., p. 430, 445. ADD, 1B 126 (2), fol. 4v, 5, 11. ADD, 1B 113. BnF, N.a.f. 9239, fol. 264v. ADD, 1B 126 (2), fol. 4v et 1B 17, fol. 17v. ADD, 1B 86 (1), fol. 6-10 ; ADD, 1B 3. B. Demotz souligne qu’en Savoie, la très grande majorité des familles évita la déchéance en choisissant de servir dans l’armée princière ou dans les offices militaires. Il parle même de la « nécessité inéluctable de servir le prince » ; B. Demotz, « La noblesse et la guerre dans la Savoie médiévale », in Guerre, pouvoir et noblesse au Moyen Âge, op. cit., p. 203.
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que toutes les familles ne sont pas à la même enseigne190. Mais il est certain que la proximité du prince permet de faire de bonnes affaires. Une noblesse en crise ?
Prenons quelques exemples allant dans le sens d’une crise des revenus nobiliaires. Au début du siècle, Girart de Chauvirey est en grande difficulté financière : il engage sa seigneurie à Mahaut d’Artois pour 400 l. tournois191. La somme devait être remboursée dans les quatre ans, mais l’ensemble de la dette n’est peut-être pas éteinte en 1333-1334, car le duc fait alors réaliser une estimation de la terre de Chauvirey, du moins de la part de Girart192. Étienne de Bougey, châtelain de Château-Lambert de 1344 à 1347, figure type du groupe de ces châtelains domaniaux détenteurs d’un château – il possède celui de Bougey193, et il est en outre le fils de Marguerite de Lambrey194 dont la famille tient aussi une maison forte195 – est endetté depuis longtemps auprès des Lombards de Traves196. Son cousin Jacques de Rupt s’est porté caution pour lui, et il a promis en 1311 d’indemniser ce dernier pour les frais ainsi encourus. Mais il ne peut sans doute honorer ses engagements, et doit céder une partie de son château familial à Gauthier sire de Rupt197, fils de Jacques, en 1350198. Servir comme homme d’arme, puis comme officier comtal, est certainement pour lui une bonne façon de pallier sa fragilité financière. Jacques de Baudoncourt, dont on a déjà évoqué les méfaits et les revirements, est lui aussi aux abois. Ceci profite à Jean de Faucogney, qui lui rachète en 1346 tous ses biens dès la porte de Faucogney sans rien excepté ni retenir en homes, somes, maisons, chessals, cultiz, yagres, prés, noyes, terres arables et non arables, bois, eaux, fours, moulins, tailles, prises et forprises, mainmortes, echoites, dimes, tierces, rentes, censes, courvees, prestieres, en ranc, en banc, en signorie et justice haute et basse pour IIIC florins X ecus de bon et pur or et leal poix à l’escu et du coin le roi de France199. 190 On a ainsi pu démontrer que la famille de Chilly avait bien résisté à la baisse de la conjoncture, grâce notamment à la perception des amendes locales que lui avait concédée Philippe de Vienne. Ceci pour le prix des bons services d’Humbert de Chilly comme châtelain de Montmorot à la fin du xiiie siècle (S. Le Strat-Lelong, « Un petit lignage… », art. cit.). 191 J. Theurot, Au temps de Madame Mahaut…, op. cit., p. 140. 192 BnF, Moreau 900, fol. 262v. 193 Bougey, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Jussey. 194 BnF, Moreau 900, fol. 404. 195 À Lambrey, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Jussey. Voir la carte des maisons fortes du Comté établie par P. Pegeot dans « Les destinées… », art. cit., p. 245. L’auteur souligne d’ailleurs dans cet article que ces détenteurs de maisons fortes sont frappés de plein fouet par la crise. 196 Traves, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Scey-sur-Saône-et-Saint-Albin. 197 Rupt-sur-Saône, idem. 198 J.-B. Guillaume, Histoire généalogique…, op. cit., p. 349 et 351 ; J.-T. de Mesmay, Dictionnaire…, op. cit., t. I, p. 224-225. D’après BnF, lat. 9129. 199 ADCO, B 1058.
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Comme si cette dépossession en règle ne suffisait pas, il lui cède encore pour 100 florins supplémentaires le fief de la maison forte de Betoncourt qu’il tient de Philippe dit Maillefer de Saint-Remy. Il achève de se dépouiller le 17 avril 1354 en reconnaissant qu’il ne peut racheter ce fief comme il s’en était réservé la possibilité, et qu’il est définitivement acquis au sire de Faucogney et à ses héritiers directs200. Dans le cas des sires de Cusance, l’argument financier semble même avoir été décisif dans le choix de changer de camp. Déjà endettés auprès du seigneur de Neuchâtel, à qui Thibaut de Cusance a, en 1314, engagé ses biens à Lanans pour 100 l. estevenantes201, c’est finalement en se tournant vers le comte qu’ils peuvent résoudre leurs difficultés financières : Eudes IV, on l’a vu, fait l’avance de 200 l. au fils de Thibaut, Vauthier, et celui-ci demeurera dans son hommage jusqu’à remboursement. Autant dire que la perte d’indépendance est définitive, car ce ne sont pas les terres ravagées de la seigneurie qui vont le permettre. Le duc a en quelque sorte gagné la guerre économique face à Thibaut de Neuchâtel. Faire des affaires avec le prince
Le combat économique se joue aussi sur le terrain du domaine. Ceux qui ont la chance d’avoir des possessions jouxtant le domaine comtal peuvent espérer les céder à leur illustre voisin, et faire ainsi de bonnes affaires. On en a conservé plusieurs traces impliquant des hommes d’armes ou leur famille : – le domaine a acheté à Renier de Chariez son fief et son moulin au lieu, ceci avant 1331202 ; – en 1332-1333, le duc a acheté à Guillaume de Noiron treize maignies d’hommes à Villers-les-Gray203. Après la mort de ce dernier, son fils Amiet vend à Philippe de Rouvres, avec sa sœur Mathiote, des hommes, des prés et un cens à Germigney et Apremont, pour 30 florins204 ; – Eudes IV de Dampierre a vendu au domaine le moulin de Chargey, sur l’Écoulottes, ainsi que des hommes du lieu, qui acquittent désormais leurs tailles au prévôt de Gray, ceci avant 1344-1345205 ; – le 3 novembre 1357, Barthélémy de Blandans (réquisitionné pour les chevauchées de Nuits le 16 février 1360) et sa sœur Comtesse vendent au duc Philippe tous leurs droits sur « un petit celier au fond de la tour de Blandans » et « une petite place vide seant entre ladite tour et [leur] meix » pour 25 l. estevenantes reçues du trésorier206. Leur père, Estevenin, gardait en 1341 les vins du lieu pour le domaine207 ;
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ADD, 1B 423 (5). BnF, N.a.f. 3535, n° 528, fol. 435 bis. ADD, 1B 42 (16). ADD, 1B 79A1, fol. 29v. Villers-les-Gray : sans doute Velet, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Gray. Le 9 mai 1361 ; ADD, 1B 453(5). ADD, 1B 124, fol. 14 ; 1B 126, fol. 9 ; 1B 126 (2), fol. 1v. Les tailles se montent à 6 l. ADD, 1B 330 (1). ADCO, B 1390, fol. 61v.
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De plus, graviter dans les milieux militaires offre des possibilités de commercer comme fournisseur des armées. Nicolas et Renaud des Bans, fils du trésorier de Vesoul Richard des Bans, ne dédaignent vraisemblablement pas les activités marchandes car on les voit livrer des vivres aux troupes à plusieurs reprises : en 1346-1347, Renaud touche 30 s. pour la viande d’un bœuf vendu au gardien ; Nicolas, en 1351, fait avoir quatre volailles et vingt pintes de verjus au bailli. Jean des Bans – leur parent sans aucun doute – fournit dans le même temps pour ses hommes de l’huile, du fromage, des œufs et de l’avoine208. Il est même de nobles serviteurs du comte qui semblent faire du négoce avec le prince une spécialisation. Guillaume Faulquier à Poligny par exemple. Il possède des terrains dans la ville et vend au domaine une vigne et un curtil (jardin) afin d’y détourner la rivière pour le bief des moulins209. La reine lui doit encore 30 florins (soit 22 l. 10 s.) pour la vente d’un roncin, qu’elle lui fait payer par le receveur de la saline de Grozon le 20 juillet 1360. Il est alors qualifié d’écuyer210. Il gère d’ailleurs en partie les deniers de cette saline : on le voit, comme son frère Jeannin ou bien sa belle-sœur, compter à plusieurs reprises les sommes payées par le receveur211, ce qui laisse supposer que la famille, maîtrisant parfaitement les techniques de change, fait une spécialité du commerce et de la finance. À tel point que ses titres de noblesse tomberont dans l’oubli : Philippe le Hardi doit confirmer par lettres les origines aristocratiques du fils de Guillaume Faulquier, Étienne212 et, en 1482 encore, un procès oppose Philibert Faulquier à la ville de Poligny, qui entend lui imposer un fouage, ce à quoi il répond qu’ « il est noble et vivant noblement » et « suivant ordinairement les armees »213. Mais ce ne sont là que des cas anecdotiques. La majorité des hommes du duc-comte espèrent avant tout bénéficier d’une retombée financière régulière en rétribution de leurs services. S’assurer un revenu régulier
Ce revenu stable est théoriquement garanti à la noblesse par le duc-comte tant que dure le service, sous la forme de gages, tant pour les officiers que pour les simples hommes d’armes. Théoriquement, en effet, car dans la pratique, le paiement ne va pas toujours de soi, et la question des dettes du duc Eudes empoisonne longtemps ses successeurs. Des gages pour les officiers
Les châtelains bénéficient d’un versement régulier du pouvoir comtal. On ne peut pas à proprement parler d’un salaire, car il sert certainement à couvrir une 208 ADD, 1B 84, fol. 23 ; 1B 85, fol. 4v-5v. 209 Pour 28 florins de Florence, en 1351, avec Renaud de Molpré, prêtre ; ADD, 1B 385 (20). 210 ADD, 1B 310, fol. 26v. 211 Ibid., fol. 27-27v. 212 J.-T. de Mesmay, Dictionnaire…, op. cit., t. II, p. 16. 213 BnF, N.a.f. 10 550.
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partie des frais militaires, ou au moins à en faire l’avance, sans que cela soit toujours très clair dans nos sources214. Leurs gages annuels s’échelonnent de 15 à 300 l215. Ils ne sont pas forcément acquittés uniquement en numéraire216. Les châtelains les moins bien rémunérés sont celui de Montbozon et celui de Dole (qui ne touche que 15 l., mais aussi une rente en céréales), ceux de Baume, de Château-Chalon, de Montmirey et de Scey, avec 20 l. de revenus. Viennent ensuite ceux d’Ornans et de Poligny, pour 40 l. annuelles à la fin de notre période. Ces gages montent à 60 l. à Bracon, La Rochelle, Montmorot et Vesoul. Les salaires les plus élevés sont perçus par les châtelains de Beaujeu (100 l. en 1345-1347), Clerval (100 l. et dix bichots de froment), Vadans (100 l.), Montferrand (200 l. en deux termes), et Étobon (300 l.). On pourrait penser que la dépréciation de la monnaie entraîne une hausse des rémunérations, ce qui n’est pas le cas, d’abord parce que les gages sont exprimés en monnaie de compte, et parce que d’autres critères semblent entrer en jeu, qu’il convient d’éclaircir. Certes, la rémunération à Château-Chalon et à Montmirey augmente au cours de la période (de 5 l.), mais les gages des châtelains de Baume (20 l. entre 1332 et 1340) ou de Bracon (60 l. de 1304 à 1357) n’évoluent pas. Le salaire du châtelain de Scey a même baissé entre 1304-1308 (30 l.) et 1333-1334 (20 l.). Il est vrai qu’il passe à 45 l. en 1358-1359, mais il n’est pas versé cette année-là, qui est celle de la vente de la châtellenie. Le cas le plus spectaculaire est celui de Montjustin : de 80 l. entre 1333 et 1338, ce qui est déjà élevé, la rémunération du châtelain monte à 140 l. en 1338-1341, pour finir à 300 l. (plus les revenus de la pêcherie) de 1349 à 1353, ce qui en fait alors, avec celle du châtelain d’Étobon, la plus élevée dont nous ayons connaissance en Franche-Comté pour la période qui nous intéresse. Ce n’est pas surprenant lorsqu’on sait l’importance stratégique capitale de ces deux places fortes sises sur la frontière nord, près de l’abbaye de Lure avec qui les conflits d’intérêts sont alors nombreux,
214 C’est le trésorier des Bans qui fournit le blé et le pain consommés par la garnison du château de Poligny au plus fort de la guerre de 1336 (entre le 15 avril et le 24 août) ; BnF, Moreau 900, fol. 316v-317. Il assume également les frais d’Hugues d’Arguel, châtelain resté à Gray du 1er janvier jusqu’à Pâques 1337, soit 30 l. Mais ce dernier les reçoit « du don du duc et par ses lettres », ce qui revêt sans doute un caractère d’exception ; ibid., fol. 324. En effet, lorsque le même trésorier paie à Eudes de Cromary, châtelain de Poligny, 76 l. 2 s. 4 d. pour « aider à soutenir » les dépenses de la garnison au premier semestre 1337, il les déduit de ses gages ; ibid., fol. 340. Il est vrai qu’il s’agit alors de sa rémunération en tant que bailli, et non comme châtelain. Le châtelain de Montjustin semble bien en tout cas simplement faire une avance sur ses frais et ceux d’un gentilhomme qu’il doit prendre avec lui au château, sur ordre du gardien daté du vendredi après la Saint-Martin d’hiver (13 novembre) 1349, stipulant que le coût lui en sera décompté par le trésorier de Vesoul ; ADD, 1B 372 (19). En 1340 en revanche, l’entretien d’un gentilhomme à ses côtés pendant trente-neuf semaines lui incombe personnellement ; ADD, 1B 132 (2). La question reste ouverte. 215 La fourchette est donc beaucoup plus large que celle relevée par O. Mattéoni en Bourbonnais, où les gages des châtelains varient pour la plupart de 15 à 50 l. tournois, sachant qu’il faut légèrement majorer ces montants, la livre tournoise étant plus forte que la livre estevenante, suivant l’équivalence donnée par Maurice Rey pour l’année 1331 : un gros tournois, soit 12 deniers, égale 15 deniers estevenants ; M. Rey, « La monnaie estevenante… », art. cit., p. 59. 216 Le 30 mars 1338, Othe de Vaite reçoit pour ses gages de châtelain d’Étobon, outre 45 l. estevenantes, trois muids des vins du domaine, dix bichots de froment et autant d’avoine, ainsi que cent gélines, le tout estimé en valeur monétaire ; ADCO, B 11 860.
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et bientôt en butte aux incursions des Allemands et des sires de Faucogney, attestées à plusieurs reprises par nos documents dans les années 1340. De même à Clerval, poste avancé du domaine vers les terres des comtes de Montbéliard et des sires de Neuchâtel, comme à Montferrand, clé de l’accès à Besançon par la vallée du Doubs, les agents comtaux bénéficient de gages substantiels, respectivement 100 et 200 l. On aimerait connaître le salaire à Châtillon-le-Duc, dont la forteresse surveille la capitale bisontine, ou à Château-Lambert dans les Vosges pour vérifier l’hypothèse selon laquelle la proximité du danger, la tâche plus complexe qu’elle entraîne, et donc les compétences requises, ainsi que les avances à verser aux gens d’armes mobilisés en nombre, justifient des gages beaucoup plus élevés que la moyenne217. C’est ainsi que l’on peut comprendre que dans les zones bien insérées au cœur du domaine, donc sécurisées, comme à Baume, à Montmirey ou à Dole, le salaire soit moindre (15 ou 20 l.), et qu’il grimpe à 60 l. avec les enjeux stratégiques que l’on peut trouver aux abords des salines à Montmorot (près du domaine de Jean de Chalon-Arlay) ou à Bracon (au-dessus de Salins, surveillée également par les forteresses des Chalon, Châtelbelin et Châtelguyon). Mais il n’évolue pas, au contraire des zones frontalières comme à Montjustin où l’instabilité s’accroît au cours de la période. Les gages des baillis sont beaucoup moins bien renseignés par les sources : 200 l. pour Eudes de Cromary en 1340218 ; 200 l. également pour Renaud de Jussey, en 1353-1354219, et pour Jean de Montmartin à la fin de notre période220, ce qui est moins élevé que la rémunération d’un châtelain de la zone frontalière. Ils cumulent cependant leurs gages de bailli avec ceux attachés à leur office de châtelain. Montant des gages d’un homme d’armes
Les gages des hommes d’armes sont en fait par comparaison globalement plus élevés que ceux des officiers, ce qui est surprenant. Par exemple, Renaud de Jussey ne touche que 3 s. 4 d. par jour pour son office de châtelain de Bracon dans les années 1350221, soit une somme bien inférieure à toutes les soldes que nous avons pu relever. Pourquoi ? D’abord parce que les hommes d’armes doivent complètement subvenir à leurs besoins journaliers. Les garnisons sont souvent « mises à gages » lorsqu’il n’y a plus de vivres en stock pour les nourrir222. Sans doute aussi car le service est très ponctuel, il se doit d’être attractif. Mais les inégalités sont grandes. Estart et Jean Palouset, écuyers, sont frères. Le 31 juillet 1330, ils reçoivent d’Étienne Bonete de Salins 96 l. pour leurs gages de garnison à Bracon du 6 mars au 12 août, en compagnie d’un homme du lieu (soit 4 s. par jour et par personne). Leur quittance est 217 On sait qu’à Château-Lambert, la rémunération du châtelain est élevée, puisqu’il touche, en 1343, 80 l. estevenantes et 20 florins de Florence, qui ne couvrent qu’une partie de ses gages ; ADCO, B 11 691. 218 ADCO, B 1390, fol. 62. 219 ADD, 1B 86 (1), fol. 1v. 220 ADD, 1B 88, fol. 7. 221 ADD, 1B 86 (1), fol. 10. 222 Par exemple ADD, 1B 84, fol. 17v.
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validée par le châtelain Barthélémy de la Balme223. Dix ans plus tard, Estart touche, avec Simonin Palouset, comme lui écuyer de Bracon, sur ordre du gardien daté du mardi avant la Saint-Laurent 1341 (7 août), 20 l. estevenantes pour le prix de ses services contre les Faucogney. Le paiement intervient assez rapidement, le samedi avant la Saint-Simon-et-Jude de la même année (27 octobre). De la même façon, c’est le châtelain du lieu – alors Poinsard de Thoraise – qui scelle la quittance224. Le montant des gages journaliers n’est pas connu. En 1347, Thibaut de Frasne, écuyer, reçoit pour ses gages de quinze jours de garnison à Clerval et ceux de son écuyer, au prix de 7 s. 6 d. estevenants par jour chacun, 11 l. 5 s225. Pour le même temps de stationnement et dans la même période, mais à Étobon cette fois-ci, Thibaut de Frotey et Guiet de Villeroy ne reçoivent que 4 l. 10 s., somme qui correspond à 6 s. de gages journaliers seulement, alors qu’ils sont écuyers comme le précédent, ce dont on peut s’étonner, d’autant plus que l’on verse à Huguenin Glannet de Pesmes, lui aussi écuyer, 7 s. 6 d. pour les quinze jours suivants, à Étobon toujours, soit un total de 112 s. 6 d. (ou 5 l. 12 s. 6 d., si l’on veut rendre la comparaison plus parlante). Il ne paraît donc pas qu’il y ait vraiment de règle fixe pour déterminer le salaire des combattants stationnés sur ce poste frontière : début janvier toujours, Guillaume de Lomont perçoit certes 7 s. 6 d. par jour, comme le précédent, mais son compagnon Guillemin de La Villeneuve ne reçoit pour sa part que 5 s. de gages journaliers226. Le nombre de chevaux dont disposent ces hommes d’armes explique peut-être ces différences notables, comme le rang social des combattants. Ainsi, en 1355, dans la troupe du prévôt de Montbozon, on compte 5 s. estevenants de gages quotidiens pour les hommes à deux chevaux, 3 s. pour ceux à un cheval. Les seconds sont apparemment les « bourgeois », opposés aux « gentilshommes », ainsi que le décompte le gardien : « XVIII hommes d’armes a doublel cheval et X bourgeois chascuns à I cheval227 ». Le service armé procure donc des revenus appréciables, même s’ils sont inégaux. On verra cependant en étudiant plus particulièrement les aspects financiers qu’ils ne sont pas toujours versés en temps et en heure, loin de là228. Bénéficier de dons
Si le paiement des dettes de guerre en monnaie sonnante et trébuchante pose certains problèmes au pouvoir ducal, ses hommes les plus favorisés bénéficient cependant d’autres types de gratifications, propres à compenser le manque à gagner. Ce sont essentiellement des rentes sur le domaine, plus spécialement des rentes sur les salines, ou des dons gracieux. 223 ADCO, B 11 835. 224 ADCO, B 11 733. 225 Du dimanche veille de l’An neuf jusqu’au dimanche après la Saint-Hilaire, soit du 31 décembre 1346 au 14 janvier 1347 ; ADD, 1B 84, fol. 17. 226 Ibid., fol. 15 et 15v. 227 ADD, 1B 370 (3). 228 Voir IVe partie, chapitre iv.
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cha p i tr e i i Rentes sur le domaine
Sont assignées sur le domaine soit des rentes à vie ou, pour les plus heureux, des rentes « à héritage », c’est-à-dire perpétuelles et transmissibles. Elles sont parfois modiques, et peu en rapport avec le rang du bénéficiaire. Le 20 juin 1361, Jean de Coublanc, châtelain de Jussey entre 1338 et 1360 et maître de l’écurie ducale, voit son zèle récompensé par le don de 13 l. de rente à Purgerot assorties de la moitié du four de Fresne les Vaudois229. La modestie relative de ces avantages surprend et laisse penser que le personnage n’a sans doute pas un train de vie extraordinaire. Écuyer en 1355, chevalier l’année suivante, Guy de Cicon perçoit de même à Auxonne une rente de 8 l. viennoises sur le domaine, qui lui est versée par le receveur Dimanche de Vitel en 1355, 1356, 1357 et 1360230. On a le cas plus frappant encore de la rente perpétuelle de seulement 100 s. estevenants (soit 5 l.) allouée à Liébaut, sire de Beaufremont, sur les revenus de la prévôté d’Auxonne231. Le duc lui a cependant fait le don plus conséquent du château et des revenus en argent et en nature de Chemilly, comme l’atteste le compte courant de la Saint-Michel 1336 à Pâques 1337232. Dix ans plus tard, il gratifie son frère Huart de 60 l. de rente à Chaux-lès-Port, où se rend le prévôt de Gray en février 1347 pour en établir l’assiette233. On pourrait citer aussi les hoirs de Gilles d’Achey, qui touchent tous les ans, à titre de fief perpétuel, 10 l. prises sur les rentes comtales de Vesoul234. Le 2 décembre 1346, la duchesse Jeanne donne en fief à Hérart, sire du Châtelet, 20 l. estevenantes de rente annuelle sur les tailles de Jussey, payables à la mi-Carême235. Nous avons également l’exemple d’Estevenin l’Arbalétrier, qui perçoit à vie depuis 1348 des revenus sur quatorze journaux de vignes à Sampans grâce aux libéralités d’Eudes IV236. Le duc et la duchesse lui ont en outre fait don, en 1332, du four banal de Fraisans et de ses revenus, doublé du droit d’affouage dans la forêt de Chaux pour en assurer le fonctionnement, en héritage perpétuel cette fois237. La garde efficace de Châtillon-le-Duc vaut de même à Renaud de Jussey et à ses descendants l’attribution d’une rente de 50 l. sur les revenus du domaine le 3 février 1349. L’acte ducal auquel elle a donné lieu va beaucoup plus loin que la simple récompense financière, c’est aussi une reconnaissance morale de la valeur de l’homme, nuance qui doit avoir son importance : le don est motivé par les bons services de Renaud, notamment pour avoir gardé et gouverné le château au temps des guerres de Bourgogne comme en temps de paix, mais aussi
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ADD, 1B 482 (11). ADCO, B 1401, fol. 34, B 1402, fol. 38v, B 1405, fol. 37v et B 1407, fol. 31v. ADCO, B 1410, fol. 34, pour le terme de la Saint-André 1355 ; ADCO, B 1407, fol. 31v pour 1360. BnF, Moreau 900, fol. 343v. ADD, 1B 126, fol. 4v. Chaux-lès-Port, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Port-sur-Saône. ADD, 1B 79A1, fol. 13v pour l’année 1332-1333 ; BnF, Moreau 900, fol. 290 et 352v pour 1335-1336 et 1336-1337. 235 ADCO, B 1062 (1). 236 Par un don du 4 mai 1348 ; ADD 1B 345 (2). 237 ADCO, B 1058, vidimus de 1334 ; ADD, 1B 352 (5), vidimus de 1342.
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… et ailleurs en armes en plusours et divers lieux et que il nous fait encores chascun jour senz cesser, don de ly nous tenons moult pour contens238. Les bienfaits du prince, qui sait prendre en considération la valeur du service, s’étendent parfois indirectement à la famille des hommes d’armes : Marie d’Ancier, que J.-T. de Mesmay suppute être la sœur de Jean et Simon d’Ancier239, semble assez proche de la duchesse Jeanne, qui lui fait don d’un tonneau de vin vendangé à Chariez en 1333 pour son accouchement. Elle touche déjà 20 l. tournois de rente annuelle sur le domaine à Velesmes, que le duc et sa femme lui ont assignées au titre d’une dot d’un montant total de 200 l.240. Rentes sur les salines
Le zèle des agents comtaux est aussi récompensé par des rentes sur les salines. On peut citer : – les héritiers de Jean de Bracon, qui a été châtelain de Poligny, qui prennent 60 l. annuelles sur la part comtale de la saline de Salins, plus ou moins bien payées par son trésorier Renaud Garnier241 ; – le châtelain de Château-Lambert Étienne de Bougey, qui y a une rente de 62 l. 10 s., qui n’est pas versée pendant neuf ans et que le duc finit par lui racheter pour 400 florins, le 22 août 1358242 ; – Huguenin de Bannans, premier gruyer du comté en 1335-1336, dont les héritiers touchent quelques années plus tard une rente de 50 l. sur la part comtale des salines de Salins243 ; – Jacques de Bracon, châtelain de La Châtelaine en 1330244, qui perçoit une rente sur la saline de Salins d’un montant de 30 l., et qu’il est soucieux de réclamer d’année en année245 ; – Jean de Citeaux, qui reçoit une rente à vie de six charges de sel sur la saline de Salins246 ; – Jean de Vaugrenant, qui touche dès février 1342 quinze charges et deux bénates de sel à la grande saline de Salins, en raison d’un fief de 10 l. ;
238 ADD 1B 67 (16). 239 J.-T. de Mesmay, Dictionnaire…, op. cit., t. I, p. 52. 240 ADD, 1B 79A1, fol. 28-28v et BnF, Moreau 900, fol. 265, 303v, 370-370v. 241 ADD, 1B 246 (1), fol. 5v, ADD, 1B 246 (2), fol. 5 et ADD, 1B 246 (4), fol. 3v. 242 ADCO, B 1407, fol. 66. Elle lui avait été allouée par Eudes IV et Jeanne de France le jeudi après N.-D. de mars 1334-1335. 243 ADD, 1B 246 (1), fol. 5v ; 1B 246 (2), fol. 5 ; 1B 246 (4), fol. 3v. 244 ADCO, B 11 835. 245 En témoignent les comptes de Renaud Garnier entre 1338 et 1342 ; ADD, 1B 246 (1), fol. 5v ; 1B 246 (2), fol. 5 ; 1B 246 (4), fol. 3v ; ainsi qu’une série de quittances pour les deux termes, de 15 l., données par Jacques de Bracon et conservées à Dijon ; ADCO, B 358. 246 ADD, 1B 247, fol. 22v (1342).
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– Jean de La Chassagne, qui est peut-être celui que nos sources nomment « Le Chassignet », dont les hoirs jouissent d’un fief perpétuel de 20 l. sur la saline de Grozon247 ; – Guy, seigneur de Venère, qui touche une rente annuelle de 113 l. sur la part comtale de la saline de Salins248, complétée d’un fief perpétuel de 100 s. sur les rentes de Gray249. L’origine de ces dotations reste inconnue ; – Guillaume de Vienne, dont la fructueuse opération d’échange de la châtellenie de Montmorot avec le comte lui vaut de percevoir une rente de 300 l. sur la saline de Salins250. Sans être renouvelables d’année en année comme le sont en théorie les rentes sur les salines, ces libéralités peuvent prendre la forme de dons gracieux, comme celui que la duchesse fait à Renaud de Baissey, châtelain de Bracon, le 26 août 1345, de 150 florins à payer par le receveur de la saline de Salins également251. Ce sont peut-être aussi les bons services Jacques Lallemand qui lui ont valu un don ducal de douze charges de sel, versées par le receveur de la grande saunerie de Salins entre Noël 1339 et Noël 1340252. Dons ponctuels
Les sources abondent en effet de présents en numéraire destinés à témoigner de la largesse du prince : – Richard de Battenans, écuyer, reçoit en don de la duchesse, le 14 novembre 1337, 100 s. tournois, soit 115 s. 4 d. obole estevenants253 ; – Hugues d’Arguel reçoit en don d’Eudes IV, pour sa « demeurance » au château de Gray entre le 1er janvier et Pâques 1337, une somme de 30 l.254 ; – il est agréable à ce duc de suspendre une dette de 113 s. 9 d. de gros que Matthieu de Longwy a envers lui : faveur modeste, certes, mais qui témoigne de leurs bonnes relations255 ; – le 11 août 1338, des lettres de la duchesse confèrent à Estevenot de Port une somme de 10 l. tournois256 ;
247 ADD, 1B 79A1, fol. 13v (pour 1331-1332) ; BnF, Moreau 900, fol. 290 (pour 1335-1336, année où la rente n’est pas versée). 248 ADD, 1B 246 (1), fol. 5 ; 1B 246 (4), fol. 3. 249 ADD, 1B 79A1, fol. 13v pour 1332-1333 ; BnF, Moreau 900, fol. 290 et 352v pour 1335-1336 et 1337-1338 ; ADD, 1B 124, fol. 3 pour 1344-1345 ; ADD, 1B 126, fol. 4 pour 1346-1347. 250 ADD, 1B 246 (1), fol. 5v, 1B 246 (2), fol. 5, pour 1338-1339 et 1339-1340. En 1341-1342, il n’a rien touché ; ADD, 1B 246 (4), fol. 3v. 251 AD B 262 (14). 252 Pour une valeur de 7 l. 16 s. ; ADD, 1B 246 (2), fol. 9. 253 BnF, Moreau 900, fol. 373v. 254 BnF, Moreau 900, fol. 304 et 324. 255 ADCO, B 1389, fol. 34v. 256 BnF, Moreau 900, fol. 354v.
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– des lettres patentes données par le roi Jean lors de sa captivité à Londres garantissent à son bailli et châtelain de Bracon Renaud de Jussey un don de 200 l.257 ; – le 16 août 1360, le duc fait don à Jacques, bâtard de Grandson, chevalier, « en recompense de ses services en ces presentes guerres », d’une somme de 100 florins sur la foire froide de Chalon, destinée à l’achat d’un coursier. Il la touche le 23 septembre258. Cette dernière libéralité invite à souligner que les frais du combattant sont souvent assumés par le pouvoir princier, ce qui n’est pas le moindre des avantages. Avoir ses frais pris en charge
S’équiper d’un cheval est en effet la dépense la plus importante à laquelle l’homme d’armes doit faire face. Perrin de Colombier, en 1346-1347, touche, pour partie de ce que lui doit le duc pour l’achat d’un coursier, 37 écus d’or, soit 39 l. 9 s. 4 d. estevenants259. Le harnachement de l’animal peut même à l’occasion être pris en charge par le duc si l’on sait bien mener sa barque. On en a un exemple avec Étienne de Faletans. Il paraît jouir d’une position notable parmi les hommes d’armes : le 1er janvier 1341, alors qu’il vient à Vesoul, il partage le repas de Guillaume de Vienne, le frère du gardien qui l’a « semoncé ». Par un échange de bons procédés, le 6 février, il convie celui-là à dîner chez lui260. Sa sociabilité ne présage pourtant pas d’une grande aisance : le 11 juillet 1340, on doit lui donner 70 s. pour s’acheter une selle, car il prétexte qu’il n’a pas d’argent et menace de quitter la garnison de Montjustin si on ne lui fournit pas les moyens d’équiper son palefroi261. Une certaine mauvaise volonté transparaît dans cet épisode, preuve que sire entend bien être entretenu aux frais du duc, et que le service armé présente bien des avantages : le jour de la Saint-Laurent (10 août) 1342, le gardien Vauthier de Vienne lui fait verser 22 florins de Florence pour partie de ses gages lorsqu’il tenait garnison à Vesoul262. Le cheval est donc précieux, et le maintien en bonne santé de ce capital relève du duc-comte lorsqu’il est en service. C’est ainsi que le coursier de Renaud de Molpré, blessé lors d’une expédition, est soigné par le maréchal de Poligny aux frais du prévôt, et sur ordre du bailli263. Mais si la monture est irrémédiablement perdue existe la pratique du restor264, par laquelle on rembourse à son cavalier le prix d’achat estimé. Nos sources ne manquent pas d’en témoigner largement :
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ADD, 1B 86 (1), fol. 1v. ADCO, B 1408, fol. 53. ADD, 1B 84, fol. 17v. ADD, 1B 150, fol. 137v et 150. Ibid., fol. 129v. ADD, 1B 72 (42). ADD, 1B 79A1, fol. 20v. Le restor est un vieil usage féodal qui consiste à rembourser aux combattants les chevaux perdus à la guerre, morts ou blessés. Si l’animal a été abattu, on rend son cuir à titre de preuve, s’il est encore en vie, on le rapporte aux autorités ; Ph. Contamine, Guerre, État et société…, op. cit., p. 104. Sur les chevaux dans les armées bourguignonnes, voir B. Schnerb, « Le cheval et les chevaux dans les
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– en 1337-1338, Philippe de Vellexon reprend à Perrin d’Arches, écuyer, son cheval « affolé » en l’ost de Chaussin, estimé à 20 l.265 ; – la mère d’Étienne de Bougey Marguerite de Lambrey, le 27 juillet 1343, quitte le duc et la duchesse de 200 l. estevenantes. Une partie de cette somme vise à compléter les 100 florins qu’ils devaient à Étienne pour un cheval perdu en service en garnison à Jussey. Le reste vient couvrir les arriérés de la rente que Marguerite perçoit à la saline de Salins266 ; – en 1344, le 14 mai, le duc donne l’ordre aux réformateurs de payer à Ferry de la Roche ce qu’il lui doit pour ses gages et ceux de ses gens d’armes tenus en garnison à Montjustin. Il touche 203 l. 5 s. au total, car il s’avère par différentes lettres qu’il a en sus perdu un coursier et deux roncins au siège de ChâteauLambert, et encore un autre roncin à Montjustin267 ; – le châtelain de Montmorot dresse, dans la huitaine de la Toussaint 1347, un certificat de perte de cheval au bénéfice de Joceran Grivet de Montmorot. Il y atteste que l’animal valait bien les 50 florins que l’homme disait avoir payés pour l’acquérir, ce qui est prouvé par les dépositions sous serment de chevaliers et de gentilshommes. La qualité sociale de ces témoins semble être un gage important de véracité268. Le restor de chevaux est bel et bien pour l’homme d’armes une forme d’assurance de sa monture, dans la mesure où elle serait perdue au service du prince. Il est d’autres circonstances où les fidèles du duc-comte bénéficient de garanties comparables. Une assurance tout risque ?
La protection due à ses vassaux est prise très au sérieux par le comte. Elle va jusqu’au versement de véritables dommages et intérêts, voire jusqu’à une prise en charge complète.
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armées des ducs de Bourgogne au xive siècle », in Commerce, Finances et Société (xie-xvie siècles). Recueil de travaux d’Histoire médiévale offert à M. le Professeur Henri Dubois, Ph. Contamine, Th. Dutour et B. Schnerb (éd.), Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 1993 (Cultures et civilisations médiévales 9), p. 71-87 ; « Le cheval d’armes en Bourgogne (milieu xive-fin xve siècle) », in Le cheval dans la culture médiévale, B. Andenmatten, A. Paravicini Bagliani et E. Pibiri (éd.), Florence, Sismel Edizioni del Galluzzo, 2015, p. 67-88. BnF, Moreau 900, fol. 350v. BnF, Moreau 900, fol. 404. Cette rente, qui s’élève à 62 l. 10 s., est payée intégralement en 1338-1339 et 1339-1340 ; ADD, 1B 246 (1), fol. 5v ; 1B 246 (2), fol. 5. En 1341-1342, en revanche, le receveur ne lui verse que 30 l. ; ADD, 1B 246 (4), fol. 3v. Marguerite de Lambrey touche aussi une rente viagère en froment, de six bichots, sur les revenus domaniaux de Baume, ainsi que trois muids cinq pintes de vin par an sur les dîmes de Poligny, qui lui ont été donnés par la duchessse ; ADD, 1B 79A1, fol. 31v et 36. Elle teste en 1349 ; J.-T. de Mesmay, Dictionnaire…, op. cit., t. II, p. 193. BnF, Moreau 900, fol. 406v-407. ADCO, B 11 875.
le s ho mme s d u co mt e Protection due au vassal
Au début des années 1330, le seigneur d’Étrabonne semble pris entre deux feux, mais a vraisemblablement déjà embrassé le parti du duc-comte : celui-ci demande à son prévôt de Poligny de certifier par lettres au seigneur de Montfaucon et à ses enfants « qu’ils ne fassent aucun mal ou dommage au seigneur d’Estrabonne », à ses biens et à ses hommes269. Jean de Cicon, en 1343, a promis de reprendre en fief d’Eudes IV sa maison forte de Durfort270 contre sa protection, avant de reconnaître la suzeraineté d’Henri de Montfaucon-Montbéliard sur la moitié de Cicon271, précautions qui ne lui évitent pas la prise du château par Jean de Chalon-Arlay. Eudes IV envoie alors ses deux baillis faire lever le siège et placer le lieu sous sa garde272. Dommages et intérêts
Le duc Eudes IV n’hésite pas à dédommager ceux de ses fidèles victimes de destructions occasionnées par les combats. Le samedi avant la Saint-Jean-Baptiste (21 juin) 1348, Eudes de Salins touche ainsi du trésorier de Salins Jean de la Porte 100 l. estevenantes pour dommages de guerre engendrés par le siège de Châtelguyon ainsi que par la guerre en cours273. Il faut insister sur le fait que la sollicitude ducale se manifeste encore après la mort de ses bons serviteurs, et qu’Eudes IV prend apparemment à cœur la situation difficile de leurs veuves. Les archives en conservent deux exemples. – Guillaume de Tourmont est, en 1347, indemnisé par le duc pour pertes de guerre, au moyen du don à Bersaillin des trois fours, des amendes et de toute la justice, avec la moitié des gélines dues, le tout jusqu’à 15 l. de rente274. Cette rente de 15 l. est assise de nouveau à sa veuve en 1357, et révisée en 1358275. Cette femme, dont le nom n’est pas parvenu jusqu’à nous276, fait sa reprise de fief à Philippe de Rouvres, pour le bail de ses enfants, le 19 janvier 1357 ; – la fidélité de Jacques d’Arguel au duc Eudes277 lui vaut les représailles de son suzerain Jean de Chalon-Arlay, qui incendie son château lors de la guerre de 1336. Il est dédommagé par le don ducal du château d’Ornans, remplacé en 1338 par celui de Colonne, et de 400 l. de rente dans la châtellenie, rente confirmée à
269 ADD, 1B 791, fol. 10v. 270 ADD, 1B 446. 271 BEC Besançon, Droz 20, fol. 194. 272 ADD, 1B 440 (6). 273 ADCO, B 11 733. 274 ADJ, 1F 306, fol. 12v (inventaire). 275 ADD, 1B 407 (14) et 1B 421 (17). 276 D’après J.-T. de Mesmay, Dictionnaire…, op. cit., t. III, p. 336, il s’agirait de Jeanne d’Arlay. 277 Il lui fait hommage pour le château d’Arguel en 1334 ; ADD, 1B 416.
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sa veuve l’année suivante278. Ses enfants perçoivent en sus une rente annuelle de 40 l. sur la part comtale à la saline de Salins279. L’exemple de Guillaume de Montby
Il n’est pas que les veuves et les enfants des victimes qui obtiennent de larges compensations. On se souvient que Guillaume de Montby n’a pu tenir sa promesse à Thibaut de Neuchâtel de ne pas faire entrer les troupes comtales dans son château. Fait prisonnier par le sire, son château saccagé et pillé, il ne doit son salut qu’à la médiation du bailli du comté, Hugues de Vercel, le 21 juin 1350, devant qui il reconnaît qu’il a manqué à sa parole et quitte le seigneur de Neuchâtel de tous ces méfaits. Ce n’est qu’une fois qu’il s’est avoué son vassal et a repris de lui le recept de la forteresse que celui-ci lui rend la liberté280. On voit que le pouvoir ducal n’a pas au final fait preuve d’ingratitude, mettant au contraire tout en œuvre pour tirer son fidèle de ce mauvais pas. Il est vrai que ce compromis intervient bien tard pour Guillaume de Montby, et que le contexte est alors à l’apaisement général des tensions entre le prince et la haute noblesse comtoise. L’homme terminerait sa carrière en 1356 à la bataille de Poitiers, blessé à mort281. Mais alors qui est le Guillaume de Montby qui vend sa châtellenie à Philippe de Rouvres en 1359 ? Lui-même, qui aurait survécu ? Un parent du même nom ? La transaction est alors toute à l’avantage du vendeur : se séparer d’une terre dévastée pour 600 florins or de Florence, 120 florins de rente annuelle, la jouissance de la pêcherie de Clerval à vie et l’affouage dans les bois du lieu, le paiement enfin de ses dettes envers les Juifs et les Lombards (outre 15 l. estevenantes dues au trésorier) n’est pas une mauvaise affaire. D’autant que l’intégration définitive à l’hôtel ducal lui garantit une belle sinécure, même si c’est au prix de son indépendance282. On peut penser que le prince accorde ici une faveur à l’ancienne victime de sa loyauté à son égard, rachetant à prix d’or une seigneurie dont il n’a nul besoin, et dont il se hâte d’ailleurs de se séparer en la concédant à Thibaut de Blâmont deux mois plus tard283. La prise en charge de ses fidèles par le pouvoir comtal apparaît donc être exemplaire : le devoir de protection du suzerain envers ses vassaux n’est pas un vain mot, s’étendant à leur famille et offrant même au besoin une reconversion à son service. Eudes IV en particulier paraît y avoir veillé avec un grand soin, témoignant peut-être d’une véritable sollicitude à l’égard des victimes, au travers de gestes qui semblent de loin dépasser le simple calcul politique. Voilà qui viendrait adoucir l’image de dureté implacable de l’adversaire des barons véhiculée par l’historiographie284.
278 ADD, 1B 342 (4 et 5) ; ADD, 1B 416 (18) ; ADCO, B 1064. 279 ADD, 1B 246 (1), fol. 5 pour 1338-1339. La rente n’est pas versée en 1341-1342 ; ADD, 1B 246 (4), fol. 3. 280 BnF, N.a.f. 3535, n° 472, fol. 393. 281 J.-T. de Mesmay, Dictionnaire…, op. cit., t. II, p. 409. 282 ADD, 1B 469 (2). 283 ADD, 1B 469 (3). La vente est datée du 14 mars, la donation à Thibaut de Blâmont du 19 mai. 284 D’autant plus qu’Eudes IV ne reste pas non plus insensible à la détresse de pauvres gens, en dehors de toutes considérations politiques, et semble particulièrement épris de justice : en 1333, il met un point d’honneur à dédommager deux « povre(s) femme(s) » qui ont perdu l’une un coussin, l’autre un petit
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Conclusion de la troisième partie Cette étude des rapports entre les princes bourguignons et leur noblesse au milieu du xive siècle a souligné combien l’époque a été décisive pour les ducs-comtes. Ils ont assis durablement les bases de leur principauté sur un socle nobiliaire solide, par des politiques certes divergentes, mais finalement complémentaires l’une de l’autre. Eudes IV a joué contre les grands féodaux la carte de la petite et moyenne noblesse, qu’il a intégrée aux rouages du pouvoir par le biais des offices et du service armé, lui proposant une alternative à ses difficultés économiques en échange du soutien de ses clientèles locales. Il a su cultiver son appui, la protéger, en l’associant aux retombées financières de ses domaines, aidé par les revenus de l’industrie du sel, originalité de la province comtoise qu’il a su exploiter à plein. La politique d’Eudes IV en direction de cette noblesse modeste a été une vraie réussite. Le nombre de ralliements qu’il a obtenus en est une preuve éclatante. Une fois celle-ci acquise à la cause princière, les grands, privés d’une bonne partie leur clientèle, avaient-ils encore le loisir de s’opposer ? Les équilibres trouvés avec la haute aristocratie comtoise par les régents après la mort du duc ne sont-ils pas une suite logique de cette opération de noyautage des élites ? S’impose alors une seconde stratégie de conquête, des barons cette fois-ci, associés au pouvoir comtal dans la préservation de leurs intérêts. Seuls finalement ceux qui disposent de bases assez solides grâce à l’extension d’un domaine et d’un réseau vassalique comparables à ceux du comte, comme Jean de Chalon-Arlay, pourront encore prétendre lui tenir tête. L’histoire de la province comtoise s’est ainsi trouvée réécrite pour longtemps en cette période charnière d’affirmation du pouvoir princier. Mais peut-on déjà parler d’une principauté ?
lit, à l’occasion du séjour comtois du prince au printemps 1333 ; il en profite pour donner également 10 l. à Guillaume des moulins de Dole « pour cause de un suen fils que fut mort quand le moulin de Dole cheirent et un suen autre fils qui eut la cuisse brisiee » ; ADD, 1B 79A1, fol. 19v et 27v.
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IVe partie
L’élaboration du pouvoir princier et ses limites On attend d’une étude des pouvoirs au bas Moyen Âge qu’elle scrute attentivement les progrès de l’État. Le fait que notre province se trouve gouvernée alternativement par deux ducs de Bourgogne, dont la principauté est déjà solide au regard du comté, et un roi de France, laisse augurer d’un bond en avant des structures étatiques. Il faudra donc examiner les principales, en matière de justice, de défense et de finances. Pour mieux analyser s’il y a véritablement accroissement du pouvoir des princes, les bases politiques et juridiques de celui-ci seront préalablement posées, ce qui ne manquera pas de mettre en lumière ses limites.
Chapitre I
Fondements politiques Nous n’avons pas jusqu’ici fait allusion aux circonstances très particulières qui ont conduit le comté de Bourgogne sous administration ducale. Ce transfert n’est pourtant pas incongru, car de nombreux liens existaient déjà entre la province et la France, et avec le duché voisin. Mais cette situation induit, en premier lieu, de fréquentes absences des gouvernants. Autant que les aléas successoraux, ces dernières ne sont pas sans conséquences sur le mode de gestion de la principauté. En second lieu, elle amène une certaine centralisation, surtout sensible en matière de finances.
1. La dévolution de la Franche-Comté au duc de Bourgogne a. Les raisons immédiates
Les causes les plus apparentes qui amènent Eudes IV à prendre le gouvernement du pays sont d’ordre matrimonial et dynastique : il devient comte de Bourgogne parce qu’il se trouve être l’époux de l’héritière du titre, détenu jusque-là par sa bellemère Jeanne de Bourgogne, reine de France. Parmi ses nombreux homonymes1, on reconnaîtra sans peine en elle la seule des tristement célèbres brus de Philippe le Bel à avoir reçu l’absolution de son mari, qui règne sous le nom de Philippe V de 1317 à 1322. Généralement, on sait moins que ce dernier a porté en sus le titre de comte de Bourgogne, grâce au traité conclu à Vincennes le 2 mars 1295 entre son père, le roi Philippe IV, et celui de Jeanne, le comte palatin Othon IV. Selon cet accord, à bien des égards décisif pour l’avenir de la province, la petite fille avait été promise à l’un des fils de France, avec la Comté pour dot ; le souverain avait administré sans plus attendre cette terre qu’il avait pratiquement achetée moyennant 100 000 l. tournois et 2 000 francs de rente2. Ce n’est qu’après sa mort en 1314 que le couple avait pu en prendre la tête, effectuant enfin son premier voyage dans la région dès l’année suivante3. Les liens singuliers établis, on le voit, entre la couronne et le gouvernement de la Franche-Comté dès la fin du xiiie siècle, permettent de mieux comprendre pourquoi la reine Jeanne désigne par testament4 sa fille Jeanne de France – mariée à Eudes IV depuis le 18 juin 13185 – pour lui succéder à défaut d’enfant mâle ; ou plutôt, étant donné que Jeanne est l’aînée des filles, il conviendrait mieux de formuler la question suivante : pourquoi le duc de Bourgogne est-il choisi comme époux de l’héritière
1 Notamment l’autre reine du même nom (1293-1348), épouse de Philippe de Valois. 2 M. Gresset, P. Gresser, J.-M. Debard, Histoire de l’annexion de la Franche-Comté et du Pays de Montbéliard, Le Coteau, Horvath, 1988, p. 47 sq. L. Febvre, Histoire de la Franche-Comté, op. cit., p. 99. 3 R. Fietier (éd.), Histoire de la Franche-Comté, Toulouse, Privat, 1977, p. 164. 4 Le 20 août 1319 ; AN J 403, n° 23, cité par E. Petit, Histoire…, op. cit., t. VII, p. 61, n. 2. 5 E. Petit, Histoire…, op. cit., t. VII, p. 59.
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potentielle ? Il y a à cela des raisons autant personnelles que politiques. L’homme est français, proche du roi par le sang6 et par l’alliance7. On le voit beaucoup dans l’entourage du futur Philippe Le Long dans les mois qui suivent la disparition de Louis X le Hutin8, notamment au couronnement du pape Jean XXII. C’est d’ailleurs au retour que ses épousailles sont négociées par contrat le 29 septembre 13169. Pourtant, avant lui déjà, son défunt frère Hugues V était pressenti pour ce mari age10, et ce détail invite à minimiser le poids que la crise monarchique du moment ferait peser sur l’union d’Eudes et de Jeanne. Il semble très probable cependant que, sinon les noces elles-mêmes, du moins la perspective de l’héritage comtois et artésien, ait été jetée dans la balance afin que le duc de Bourgogne renonce à défendre les droits à la succession au trône de sa nièce Jeanne d’Évreux, la fille de Louis X, écartée au profit du frère cadet de ce dernier. Le projet de mariage intervient en effet deux mois après les conventions de Vincennes, du 17 juillet 1316, par lesquelles les Bourguignons reconnaissent la régence de Philippe V, alors comte de Poitiers11, qui était en butte à de sérieux compétiteurs, dont notre duc n’était pas des moindres. Échange de bons procédés, selon toute vraisemblance. La couronne est encore en suspens. En revanche, après que le régent s’est fait sacrer roi en janvier de l’année suivante, Eudes IV fait opposition un temps, puis sacrifie délibérément les droits de sa nièce sur les royaumes de France et de Navarre contre la promesse de voir exclues de l’héritage maternel ses futures belles-sœurs au profit de sa femme12. Dès la fin du mois de mars 1318, le duc de Bourgogne a donc l’assurance de devenir comte de Bourgogne et comte d’Artois par alliance, à défaut d’héritier mâle, une fois la reine Jeanne et sa mère Mahaut d’Artois disparues, ce que confirme bientôt le testament de sa belle-mère le 20 août 1319. On voit ici combien la conjoncture politique difficile qui menace le trône de Philippe V, alors comte de Bourgogne, justifie les larges facilités concédées à Eudes IV pour réunir la Comté à son duché voisin. Mais ne lui accordons pas trop d’importance. En 1319, qui aurait prévu les décès prématurés du roi et de la reine, en fait sensiblement du même âge que le Bourguignon13, bien qu’il soit leur gendre14 ? Certes, la disparition anticipée de celui-ci n’aurait pas remis en cause le solide héritage maternel des descendants du couple ducal, qui ne pouvait que se réjouir du testament de la comtesse Jeanne pour l’avenir de la dynastie. Il apparait néanmoins très plausible que les souverains aient pris des dispositions identiques
6 Il est le petit-fils de saint Louis par sa mère Agnès de France (1260-1327). 7 Quoique sa sœur Marguerite de Bourgogne, femme de Louis X, ait disparu dans des circonstances tragiques trois ans auparavant. 8 Le 5 juin 1316. 9 E. Petit, Histoire…, op. cit., t. VII, p. 51. 10 Ibid., p. 32. 11 Ibid., p. 46-49. 12 Bibliothèque de l’Arsenal, ms. 6024, n° 46 ; E. Petit, Histoire…, op. cit., t. VII, p. 58. 13 Philippe V serait né en 1293, Jeanne de Bourgogne-Comté en 1292. Eudes IV est né en 1295. 14 D’après E. Petit, Jeanne de France, épouse d’Eudes IV, née en 1308, serait donc de treize ans sa cadette ; E. Petit, Histoire…, op. cit., t. VII, p. 59.
fo nd e me nt s po li t i q u e s
indépendamment des causes conjoncturelles précédemment mises en lumière : de par sa position géographique limitrophe autant que de par sa puissance politique et économique remarquable, le duc de Bourgogne était le grand féodal le plus à même d’assurer au mieux le gouvernement d’un territoire stratégiquement délicat, difficilement contrôlable, zone tampon entre la France et l’Empire que le royaume a besoin de maîtriser pour assurer les arrières de sa politique européenne et les assises du grand commerce international. Cet enjeu était apparu si grand à Philippe le Bel qu’il avait tenu à en prendre lui-même la direction, mesurant le nouveau contexte inauguré sous son règne, où étaient déjà en place la plupart des éléments qui colo rent la toile de fond de la guerre de Cent ans. Il est par conséquent exclu qu’en des circonstances successorales moins troublées, le roi Philippe V ait toutefois pris le risque de démembrer la Comté entre ses trois filles, de la confier à la Flandre, trop éloignée et agitée de dangereux soubresauts, ou de l’abandonner au Dauphiné, dans la mouvance impériale15. De tous les prétendants à la succession comtoise, le duc de Bourgogne est le seul acceptable dans un royaume géré avec bon sens. S’il est un point qui mérite discussion pour établir comment Eudes IV a tiré parti des vicissitudes de la couronne de France en ce premier xive siècle, ce n’est pas son titre de comte de Bourgogne, mais bien celui de comte d’Artois16. Une question majeure qui nous entraînerait trop loin de notre propos pour être évoquée ici. Nous en voulons néanmoins pour preuve qu’à la différence de cette province, la Franche-Comté est depuis longtemps préparée à devenir bourguignonne17. b. Un terrain ensemencé de longue date
J. Richard18 a souligné comment les ducs de Bourgogne ont étendu leur influence en terre d’Empire au cours du siècle précédent, en jouant habilement des conflits qui opposaient alors les branches rivales de la famille comtale. Ils ont été aidés dans cette entreprise par le statut encore allodial de la plupart des patrimoines. Au moment où ceux-ci tombaient progressivement dans les réseaux de pouvoir des grands par le jeu de reprises de fiefs massives, Hugues IV (1218-1272) a su se tailler une part du gâteau comtois, comme le faisait alors son contemporain d’outre-Saône, Jean de Chalon dit l’Antique († 1268). 15 Rappelons que la duchesse Jeanne a deux sœurs dans le siècle : Marguerite, qui a épousé Louis, comte de Flandre, de Nevers et de Rethel ; Isabelle, alliée en premières noces à Guigues, dauphin de Viennois. 16 Il lui a été contesté par Robert d’Artois, débouté de ses prétentions en 1331 devant le Parlement où il avait produit de faux titres ; U. Plancher, Histoire…, op. cit., t. II, p. 191. Il se serait même qualifié de comte de Bourgogne au décès de la reine Jeanne ; Fr.-F. Chevalier, Mémoires…, op. cit., t. I, p. 171 et preuve n° 92, p. 407, du 12 avril 1330, qui fait état d’un versement de 1 000 l. tournois à l’écuyer du seigneur de Faucogney. D’après ADD, 1B 67 (6). 17 Nous reprenons dans les pages qui suivent des éléments de notre article : S. Le Strat-Lelong, « Comté et duché au temps de la première union bourguignonne (1330-1361) », in Bourgogne et Franche-Comté : la longue histoire d’une unité, D. Le Page et H. Mouillebouche (éd.), Annales de Bourgogne, 91-2 (2019), p. 29-40. 18 J. Richard, Les ducs de Bourgogne et la formation du duché du xie au xive siècle, Dijon, 1954, p. 209-226.
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Grâce à la politique de ses prédécesseurs, Eudes IV détient la clé des voies d’entrée dans la province à partir de Dijon, en direction de Dole et de Besançon, via la traversée de la Saône. Vers Pontailler, Hugues IV et surtout Robert II (1272-1306), le père d’Eudes IV, ont travaillé à acquérir l’hommage des plus proches voisins du comté, les sires de Pesmes, de Faucogney et de Rans, pour leurs possessions des alentours19. La maîtrise de l’accès en Franche-Comté par la basse vallée de l’Ognon a été achevée avec l’acquisition de Pontailler en 1288. Sur la route de Dole, l’annexion d’Auxonne au domaine ducal a complété le contrôle du passage de la Saône, déjà assuré à Saint-Jean-de-Losne. Plus au sud, les sires de Vienne ont laissé entrer dans la vassalité des ducs la frange orientale de la rivière, autour de Seurre et de Laperrière, ainsi que leurs terres de la Bresse comtoise, en 126620. À l’avènement d’Eudes IV, en 1315, la frontière séparant les deux Bourgognes est donc désormais nettement à l’est de la Saône. Dans sa partie méridionale, elle jouxte le Revermont par le fief avancé de Cuiseaux21, que tient Jean de Chalon-Arlay. Outre des droits de suzeraineté en de nombreux points, notamment sur la totalité du partage de la branche cadette de Chalon, échu à Jean de Chalon-Rochefort, comte d’Auxerre, qui contrôle d’importantes forteresses autour de Salins (Poupet et Châtelbelin), le duc possède également des domaines, enclavés en territoire comtois : Fresne-Saint-Mamès22, à mi-chemin entre Gray et Vesoul, et, aux portes de Dole, Foucherans, Saint-Ylie et Tavaux23. La capitale des comtes est même, en théorie, de son fief, et dans un rayon de quarante kilomètres se trouve cerclée d’autres fiefs ducaux ; Chaussin notamment, où le sel traverse le Doubs, par une route que ferme à l’opposé le château des Clées, au débouché du Jura sur la plaine suisse24. Le duc participe par ailleurs directement au profit des salines : il perçoit à Salins une rente de 1 000 l. par an25. Ainsi, à l’heure où la reine Jeanne s’apprête à lui confier la province, le duc de Bourgogne est déjà particulièrement bien implanté en Franche-Comté, comme
19 Le seigneur de Pesmes reprend en fief une partie de Broye-lès-Pesmes (Broye-Aubigney-Montseugny, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Marnay) en 1235 (ADCO, B 10 471), tandis que le restant entre plus tard dans la mouvance comtale ; J. Richard, Les ducs de Bourgogne…, op. cit., p. 216, n. 1 ; le sire de Rans engage la forteresse d’Aiguillon (commune de Perrigny-sur-l’Ognon, Côte-d’Or, ar. Dijon, c. Auxonne) et ses dépendances, finalement annexées au domaine ducal par leur achat en 1295 ; ibid., n. 2 ; en 1251, Guillaume de Champlitte prête hommage au duc pour Lamarche-sur-Saône (Côte-d’Or, ar. Dijon, c. Auxonne) ; ADCO, B 10 472, ibid., p. 217. 20 J. Richard, Les ducs de Bourgogne…, op. cit., p. 219. Seurre, Côte-d’Or, ar. Beaune, c. Brazey-enPlaine ; Laperrière-sur-Saône, idem. 21 Cuiseaux, Saône-et-Loire, ar. Louhans, ch.-l. c. Le sire de Sainte-Croix, héritier des Vienne, a cédé au duc la suzeraineté sur le château en 1284, mais Chalon-Arlay détient le reste en alleu ; ibid., p. 225, n. 6. 22 Fresne-Saint-Mamès, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Scey-sur-Saône-et-Saint-Albin. Possession d’Étienne d’Oiselay, fief ducal, il n’est encore réuni au domaine qu’à titre de gage provisoire après sa mort ; son acquisition n’est définitive qu’en 1396 ; ADCO, B 1279, cité par J. Richard, Les ducs de Bourgogne…, op. cit., p. 224. 23 Foucherans, Jura, ar. Dole, c. Dole-1 ; Saint-Ylie, comm. Dole ; Tavaux, Jura, ar. Dole, ch.-l. c. 24 Les Clées, Suisse, canton de Vaud, district du Jura-Nord vaudois. Ces deux places fortes d’un grand intérêt économique ont été échangées avec Jean de Chalon en 1237, en même temps que Salins, mais elles sont restées des arrière-fiefs du duché ; J. Richard, Les ducs de Bourgogne…, op. cit., p. 214. 25 Depuis un accord passé avec Othon IV en 1275 ; ibid., p. 221.
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suzerain de lieux stratégiques surtout, mais aussi à un degré moindre comme acteur de la vie économique locale, d’autant plus qu’il en commande les principaux débouchés en plaine, ouvrant l’accès à l’axe rhodanien et aux foires de Chalon. Il fait donc sans aucun doute déjà figure de successeur naturel des comtes. En 1330, Eudes IV concrétise une situation en germe depuis longtemps, à tel point que, sans l’intermède français finalement choisi par Othon IV, son père Robert II aurait réalisé lui-même la réunion des deux Bourgognes à laquelle il avait efficacement travaillé26. L’analyse des positions ducales en Franche-Comté aide par conséquent à mieux comprendre les arrière-pensées des représentants de la couronne. Une fois les deux pays regroupés sous une même main, surtout celle d’un fidèle aussi indéfectible que l’est devenu Eudes IV, la France peut espérer disposer d’un ensemble politique unifié dans les faits par l’imbrication déjà ancienne des intérêts de part et d’autre de la Saône. Le royaume se dote, en situation de marche frontière, d’un bloc massif de résistance qui avance vers l’est au cœur de l’Empire, entre la Lorraine et la Savoie. Le duc-comte détient l’une des pièces maîtresses de l’échiquier politique français, à la veille d’une guerre qui s’annonce inévitable. À tel point qu’une fois celle-ci bien engagée et Eudes IV disparu, la couronne met tout en œuvre pour la conserver dans son orbite grâce au remariage de Jean, duc de Normandie et bientôt roi de France, avec la mère de l’héritier des deux Bourgognes qui, mineur, passe ainsi un temps sous sa gouverne. Cette domination ducale, puis royale, sur la Franche-Comté, n’est pas sans conséquences sur le fonctionnement administratif ni sur le mode de gouvernement de la province.
2. Les conséquences Le gouvernement des ducs-comtes a ceci de particulier qu’il repose sur un prince la plupart du temps absent de son comté, mais aussi sur un pouvoir partagé avec les figures féminines de premier plan que sont la duchesse Jeanne de France, puis sa belle-fille Jeanne de Boulogne et d’Auvergne. L’autre conséquence de cette situation particulière est une relative centralisation, au profit du duché de Bourgogne, voire du royaume de France. Elle s’exprime essentiellement en matière de finances. a. Un prince peu présent
La présence des princes bourguignons en Franche-Comté n’est pas de règle, et ce n’est qu’épisodiquement qu’ils y séjournent. Eudes IV vient à Gray en 1331, où il passe deux actes les 9 et 11 juillet27, puis l’année suivante en juin28. Il s’avance alors
26 Il projetait d’unir son fils aîné, Jean, à l’aînée des filles du comte Othon, mais le décès des deux enfants mit fin au traité de mariage conclu le 24 septembre 1279 ; ibid., p. 223. 27 A.-L. Courtel, La chancellerie et les actes d’Eudes IV, duc de Bourgogne (1315-1349), thèse dactylographiée de l’École des chartes, 1975, nos 100 et 101, ADPDC A 517 et 518. 28 Ibid., n° 118, ADHS H 750, acte daté du 12 juin 1332 ; copie dans BnF, Moreau 875, fol. 427.
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jusqu’à Dole, octroyant en cette ville aux habitants de Jussey, le 14 juin, le droit de faire paître leurs porcs dans les bois du lieu29. Il effectue une brève tournée dans son état d’outre-Saône en 1333. Le compte du trésorier de Vesoul Richard des Bans, conservé pour cette année-là, y fait de nombreuses allusions, en particulier parce qu’il s’agit pour lui d’assurer l’approvisionnement de l’hôtel ducal30, ce qui n’est pas une mince affaire, car aux provisions de bouche viennent s’ajouter maints détails matériels31. Le duc arrive début avril, passe les fêtes de Pâques à Poligny32, avant de séjourner une dizaine de jours à Dole, où il tient son Parlement33. De retour à Poligny pour quelques jours34, il se dirige ensuite vers Baume. Là viennent le 22 avril l’accueillir le prévôt de Clerval, escorté de cinq hommes, ainsi que le bailli avec sa troupe35. Le duc-comte stationne deux jours en ce lieu, les 23 et 24 avril, puis passe à Clerval le 25, et les 27 et 28 à Montjustin. Le jeudi 29 et le vendredi 30 à midi, il est à Vesoul. Dans la soirée du 30 avril, il arrive à Montbozon, où il reste jusqu’au dimanche midi, avant de rejoindre Fondremand. Les 3 et 4 mai, on le retrouve à Châtillon-le-Duc. Il termine sa tournée par Gray les 8 et 9 mai36. Le 10 mai, il y traite avec Henri de Bourgogne37. En tout, à peine plus d’un mois cette année-là pour matérialiser physiquement son pouvoir sur le comté, ce qui n’est rien sur dix-neuf ans de règne. Eudes IV ne semble pas en effet être revenu longuement dans la province après les trois premières années de son principat, à l’exception de brefs passages, moins bien documentés : il est à Dole au mois de mai 133638, et fait une autre apparition identique à Gray, puis à Dole en
29 Ibid., n° 120, ADCO, B 1062. 30 Sur ces aspects, voir P. Gresser, « L’approvisionnement en gibier et en poisson de la table des comtes et comtesses de Bourgogne aux xive et xve siècles », in Publication du Centre européen d’études bourguignonnes (xive-xvie s.), 47 (2007), Rencontres de Boulogne-sur-Mer…, op. cit., p. 113-138. 31 Par exemple, on apporte à Baume le jeudi avant la Saint-Georges 1333 (22 avril) pour l’hôtel ducal des saumons, du fromage, des œufs, de l’avoine pour les chevaux, mais aussi des pots de terre, des verres, des assiettes, des couteaux (achetés pour l’occasion à Besançon), et même des tables et des tréteaux, qu’on doit faire réaliser par des menuisiers ; ADD, 1B 79A1, fol. 37v et 1B 791, fol. 8v. Des marchands sont mobilisés pour acheter du bétail ; ADD, 1B 791, fol. 9. Le lendemain, il faut prévoir 480 pains pour le repas du soir ; ADD, 1B 79A1, fol. 32 ; les 8 et 9 mai, à Gray, on consomme trois queues et demie de vin, que le trésorier a fait venir de Poligny ; ibid., fol. 37v. Ces importantes quantités donnent à penser que le prince entretient une suite nombreuse lors de ses déplacements. Le compte comporte d’autres mentions de ce type, qu’on ne citera pas toutes ici. Il faut aussi payer des ouvriers pour couper du bois de chauffage ; ADD, 1B 791, fol. 8v. Sans oublier le budget de cire, qui constitue un gros poste de consommation : 234 livres pour la seule journée du 9 mai 1333 à Gray et pour l’hôtel du duc. La duchesse a elle aussi son hôtel, qui en nécessite presque autant ; ADD, 1B 79A1, fol. 41. 32 ADD, 1B 79A1, fol. 10v. Pâques tombe cette année-là le 4 avril. 33 Ibid., fol. 10v, 36v, 41. 34 Ibid., fol. 14v, 36. Le duc possède un hôtel dans la ville ; BnF, Moreau 900, fol. 327. 35 ADD, 1B 79A1, fol. 9, 28v. 36 Ibid., fol. 14v-15, 34v. Se reporter à la carte de l’itinéraire d’Eudes IV dressée par J. Theurot, « L’affirmation de la châtellenie de Montmirey… », art. cit., p. 87, fig. 8. 37 A.-L. Courtel, La chancellerie…, op. cit., n° 132, ADD, 1B 340 (7). 38 BnF, Moreau 900, fol. 298v. Eudes IV arrive à Dole le vendredi après l’octave de la Saint-Georges (3 mai). Cela correspond au début de la guerre contre les barons. On sait qu’il est présent au siège de Chaussin aux mois de juillet et août ; ADD, 1B 80 ; ADCO, B 372.
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juin et juillet 133939. Il faut attendre 1343 pour le retrouver en Comté, toujours à Gray, le 10 mai, puis le 9 décembre. Mais il n’est pas resté sur place entre ces deux dates, puisqu’il est retourné au duché et a fait un aller-retour à Paris40. Dès lors, pour ce que l’on en sait, il ne reviendra plus outre-Saône41. Il s’y fait désormais représenter par la duchesse. Les sources ont gardé trace de plusieurs des séjours prolongés de Jeanne de France à Gray. On peut en identifier au moins trois : le premier en 134442, le second en 1345, qui fait l’objet de nombreuses mentions dans le compte du prévôt Jean de Morey43, et le dernier en 1346, documenté grâce au compte du châtelain de Beaujeu44. Là encore, les actes de la comtesse retracent son parcours, qui n’est pas de tout repos. En 1345 par exemple, les 24 juillet et 3 août, elle est à Gray, mais n’hésite pas à interrompre son séjour et à partir dans son château artésien de La Montoire, d’où elle passe un acte le 8 août. Intermède éclair, car dès le 13 août la voici de retour à Gray, pour un mois au moins cette fois-ci45. Souffre-t-elle de problèmes de santé après son retour en Bourgogne en juillet 1346 ? Elle est sans nul doute très éprouvée par la mort accidentelle de son fils Philippe au cours de l’été, et ne revient pas en Comté jusqu’à son propre décès, qui survient aux alentours de la mi-août 134746. La décision de la régente Jeanne de Boulogne de réunir les grands à Gray, en avril 1349, afin de trouver avec eux un terrain d’entente sur les points de litige qui les opposaient à Eudes IV récemment disparu, la place d’emblée dans la continuité des séjours comtois de sa belle-mère. Jeanne de France, en tant qu’héritière légitime du pays, avait visiblement su se faire accepter, au moins jusqu’à ce que la guerre ne 39 A.-L. Courtel, La chancellerie…, op. cit., n° 274, 5 juin 1339, ADHS, H 825 ; n° 276, 11 juillet 1339, ADHS, G 28. Le compte du gruyer Nicolas de Florence atteste qu’il a fait pêcher le « grant etang darrier la ville » d’Apremont la semaine après la Fête Dieu 1339 (soit la première semaine de juin) pour la venue du duc, alors à Gray. 40 Ibid., n° 299, 10 mai 1343, ADD, 28 H 12 ; n° 305, 9 décembre 1343, ADD, 1B 507. Il se trouve cependant encore une fois à Gray le 28 juin, puis à Cugney le 25 novembre, alors qu’il institue des réformateurs pour le comté ; BnF, Moreau 900, fol. 381-383. 41 Fr.-F. Chevalier, Mémoires…, op. cit., t. I, p. 180, fait état d’un séjour d’Eudes IV à Poligny durant l’été 1348, dont nous n’avons pas retrouvé la trace. 42 ADD, 1B 124, fol. 9. Elle passe trois actes à Gray, les 21 mars, 24 avril et 12 septembre ; A.-L. Courtel, La chancellerie…, op. cit., nos 307, 308 et 310, ADD, 1B 502, 1B 63 (2) et 1B 338. Mais elle retourne à Argilly en mai avant de regagner Gray, et finit l’année à Dijon. 43 ADD, 1B 124. On y voit que la venue de la princesse dans son château comtois occasionne de grands frais : il ne s’agit pas que d’approvisionner l’hôtel, mais aussi de remettre les cheminées en état, de faire deux ponts afin d’être en mesure d’acheminer le foin fauché spécialement pour l’occasion (450 chars au total !), et chaque fois de rémunérer et nourrir l’importante main d’œuvre réquisitionnée : quatre-vingt-dix-sept faucheurs, 408 feneurs, vingt-huit charpentiers… Autant dire que l’économie locale se trouve particulièrement stimulée par ces séjours princiers. 44 ADD, 1B 125A. Toute l’organisation de l’hôtel transparaît, à travers l’évocation du bouvier, du grenetier, du bouteiller, du « valet de la cire », du chambellan… La duchesse séjourne à Gray entre le 10 janvier et le 26 avril au moins ; A.-L. Courtel, La chancellerie…, op. cit., nos 339 à 346 ; ADD, 1B 262, 1B 422 ; ADCO, 33 F 190, B 11 733. 45 Ibid., nos 328 à 333, ADD, 1B 262 et ADPDC A 82 (15). La Montoire, comm. Zutkerque, Pas-de-Calais, ar. Saint-Omer, c. Marck. 46 E. Petit, Histoire…, op. cit., t. VIII, p. 50.
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reprenne à l’automne 1346, dans une parenthèse plutôt calme dont on veut peut-être raviver le souvenir. La mère de son petit-fils a jugé bon d’asseoir le pouvoir fragile de Philippe, âgé de 3 ans seulement, en se montrant – avec lui ? – dès son avènement en Franche-Comté. Les indices de sa présence sont ténus, mais on sait qu’elle a également séjourné à Bracon en 134947, peut-être pour surveiller la réforme de l’administration de la saline, sur laquelle elle s’est accordée avec Jean de Chalon-Arlay début juin48. L’année suivante, c’est son mari fraîchement épousé, Jean de Normandie, pas encore roi de France, qui vient à Gray, « es III semaines de Pasques, pour panre ses homaiges49 ». Il rallie ensuite Dole, où il est prévu qu’il reçoive les hommages le 27 avril50. Plus tard, Philippe de Rouvres fera de même51. Quelques obscurités planent sur les lieux où les vassaux comtois sont venus déclarer leur fidélité à ce dernier : ils sont inconnus entre le début de l’opération, le 25 décembre 1356, et le 1er janvier 1357, où Jacques de Thoraise prête hommage à Gray52 ; le 4 janvier, le prince écrit depuis Gray au prévôt du lieu53 ; le 5 janvier, le jeune duc a déjà quitté la ville pour se rendre à Montmirey ; le 6 janvier il est à Dole54, le 9 à Bracon ; il s’y trouve encore le 11, lorsqu’il reçoit l’allégeance d’Henri de Montfaucon, comte de Montbéliard55 ; le jour des octaves de l’Apparition Notre-Seigneur (ou Épiphanie), soit le 15 janvier, le doyen de Besançon Jean de Corcondray reprend de lui, toujours à Bracon, la ville de « Chevannay56 » ; il quitte bientôt le lieu, car le 16 janvier, il est précisé que les prestations d’hommage se tiennent à Poligny ; le 19 janvier, le petit prince remonte à Dole, par La Loye, et y reste le lendemain ; le mardi après la Purification Notre-Dame (ou Chandeleur), soit le 7 février, il est à La Loye57. On ne sait exactement quand il retourne au duché, où on le retrouve le 9 mars, à Argilly58. Il est vraisemblable qu’il n’ait passé que quelques 47 ADD, 1B 114 : « Pour despens du chastelain [de Châtillon] allant et venant par deux fois vers Madame en Bracon… ». 48 ADD, 1B 201 (4). 49 ADD, 1B 128, compte du prévôt de Gray Jean de Bonay. Pâques étant le 28 mars, cela mène aux environs du 18 avril, soit deux mois après les noces, en date du 19 février. Les vivres doivent alors être particulièrement difficiles à rassembler, car les hommes du prévôt vont les chercher loin de Gray, de Champlitte à Beaujeu en passant par Marnay et Pesmes. Il est vrai que les quantités mobilisées sont encore une fois impressionnantes, car le régent mène grand train : vingt « bacons » (porc salé) et deux cents « chestrons » sont portés à Dole. 50 ADD, 1B 1711, parties du compte du trésorier d’amont Perceval de Vaveler : « Lettres clouses envoiés de par le bailli à Montboson, à Baume et Clervaulx, le diemange avant la Saint Georges ensuigant, aux prevosts desdiz lieux sur ce que feissent crier publiquement tuit li nobles desdiz lieux fussent à Dole le XXVIIe jour d’avril pour repanre de monseigneur de Normandie » (fol. 24v). Les prévôts de Jussey, de Montmirey, de Vesoul, ainsi que le châtelain de Montjustin reçoivent les mêmes ordres. À Chauvirey et à Jonvelle, c’est un sergent à cheval qui se charge de faire le cri (fol. 7). 51 Fr.-F. Chevalier, Mémoires…, op. cit., t. II, preuve n° 62 (2) et AD B 3, fol. 3-8v. 52 ADD, 1B 421 (8). 53 ADD, 1B 354 (17). 54 Le 7 janvier, il est encore à Dole, d’où il passe un acte adressé au bailli Guillaume d’Antully et à Jean de Coublanc ; ADD, 1B 355 (12). 55 ADD, 1B 479 (9). 56 ADD, 1B 439 (5) et ADCO, B 10 507. 57 ADD, 1B 363 (10). 58 ADD, 1B 450. Il y reçoit l’hommage de Gile de Vienne, dame de Fouvent, veuve de Jean de Vergy.
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semaines en terre d’Empire. Sa présence est néanmoins attestée à Gray au mois d’août 1356 par un compte du receveur du duché, Dimanche de Vitel59. La série continue de ces documents autorise à localiser le duc assez précisément : en 1358 encore, il accompagne sa mère pour un séjour comtois assez long. La reine est à Dole aux environs du vendredi avant la Saint-Simon-et-Jude 1358 (26 octobre), lors d’une réunion des États60. Elle y reste avec Philippe la semaine de la Toussaint « pour publier les ordonnances ». Ils semblent s’y trouver encore du vendredi au mardi avant la Saint-Nicolas (30 novembre au 5 décembre 1358), du moins s’ils sont avec les gens du conseil61. Il est certain qu’ils vont à Poligny au mois de janvier suivant, car on y approvisionne alors leur hôtel en vin. On retrouve le conseil, et vraisemblablement le jeune duc, à Gray à la fin juin 135962. La reine l’accompagne63. En novembre 1359, la régente et son fils séjournent toujours à Gray, où le trésorier leur fait parvenir 2 000 florins64. Le 18, la présence de Philippe de Rouvres est attestée à Dole65. Ainsi la régente, en une conjoncture très difficile, livrée à elle-même alors que le roi est captif des Anglais, paraît avoir cherché à rallier l’opinion comtoise autour de la personne de l’héritier du pouvoir par de fréquentes apparitions dans sa province impériale. Il faut néanmoins retenir que les ducs-comtes furent la plupart du temps étrangers à leurs terres comtoises, et c’est un élément important pour la compréhension de leur mode de gouvernement. b. Une gouvernance partagée
Eudes IV se consacre beaucoup à la vie politique du royaume de France, et séjourne souvent dans la capitale auprès de son royal beau-frère, quand il n’est pas en Artois ou sur les champs de bataille ; nos sources comtoises s’en font parfois l’écho66. Il va de soi que, par ses fonctions autant que par ses années de captivité, Jean le Bon a été retenu loin du comté de Bourgogne dont il a eu un temps le bail, tandis que Philippe de Rouvres, comme son surnom l’indique, n’a guère quitté son duché. D’où le rôle majeur du lieutenant du prince dans la direction des affaires comtoises, qui échoit la plupart du temps au gardien, mais peut être confiée à un agent dont la dénomination se cherche encore : « gouverneur », « capitaine », comme on l’a vu pour Thibaut de Neuchâtel au début des années 135067, voire, et c’est la seule mention que nous en 59 60 61 62 63 64 65 66
ADCO, B 1401, fol. 31v. ADCO, B 1405, fol. 45v. ADCO, B 1406, fol. 43v. ADCO, B 1406, fol. 44. ADCO, B 1407, fol. 50. ADCO, B 1406, fol. 44. ADCO, B 1408, fol. 43. Pour prévenir le duc du siège de Château-Lambert par les « Allemands » en 1344-1345, le prévôt de Gray dépêche auprès de lui à Paris un valet à cheval, qui le trouve « es bois de Vincennes » ; dans le même temps, le portier de Gray, Raymondin, est envoyé à Argilly informer la duchesse ; ADD, 1B 124, fol. 7v-8. Déjà en 1337-1338, le même Raymondin partait en France porteur de lettres du gardien, et dut pousser jusqu’en Artois pour trouver le prince ; BnF, Moreau 900, fol. 365. 67 Voir IIIe partie, chapitre i.
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ayons, « lieutenant » en décembre 1348, pour Jean, sire de Châteauvillain et d’Arc, qui se qualifie de « lieutenant de tres excellant prince monseigneur le duc de Bourgoigne en toute sa terre de l’anpire68 ». Il est vraisemblable que l’on ne rencontre ici qu’un avatar du gardien et non un supérieur qui viendrait le chapeauter, car aucun gardien n’est venu à notre connaissance à cette date. Ces délégués du prince restent soumis à ses ordres. On a conservé une lettre qui en atteste, émise à Dijon le 13 mars 1342, et adressée à Vauthier de Vienne, de par le duc : Gardiens de notre contee de Bourgoigne, chiers cosins. Nous vous mandons que, appellé notre prevost de Gray, vous vous enformez de la verité des choses contenues en la supplication ci annexee, et ce fait vous en ordenez tout ce que bon vous samblera69. Suit la requête des chevaucheurs de Gray d’être dégrevés du payement du subside levé à l’occasion de la nouvelle chevalerie de Philippe, fils d’Eudes IV, en raison des frais qu’ils ont déjà engagés pour s’équiper contre l’ennemi. Cet épisode est intéressant, car il retrace la transmission des ordres en cascade depuis le pouvoir central jusqu’à leur exécution à l’échelon local. Le gardien ordonne en effet peu après à Othe de Vaite et Jean de Montaigu, chargés de lever ces fonds, de déduire 40 l. de la somme due par ces chevaucheurs70. C’est finalement le prévôt de Gray, Jean de Morey, dont la cédule est réunie aux trois documents précédents, qui répartit la remise accordée entre ces hommes, au nombre de 13, le 20 décembre 134571. Ici la requête est parvenue jusqu’au duc, à qui elle était adressée, même si celui-ci laisse toute liberté au gardien pour régler l’affaire. On a aussi le cas – est-il plus fréquent ? – où la supplique s’arrête au seul gardien : une lettre de Thibaut de Neuchâtel au trésorier Aubriet de Plaine, datée du 9 mars 1355, fait état d’une démarche initiée auprès de lui par plusieurs habitants de Poligny, qui n’ont pas été remboursés des réquisitions en vin opérées par le bailli Fourque de Vellefrey en 134772. Ces exemples ne doivent pas cependant laisser croire que le duc-comte se contente la plupart du temps de déléguer le gouvernement des affaires courantes à son gardien. Le nombre important d’actes ducaux adressés directement aux officiers du comté en témoigne largement. Pour le principat d’Eudes IV, alors que l’on ne compte que deux actes destinés au gardien, vingt-six le sont aux divers trésoriers du comté, vingt-deux aux baillis, et huit aux châtelains ou aux prévôts (sachant que certains sont comptabilisés deux fois car portant plusieurs destinataires). Plus encore,
68 Lettre du dimanche avant Noël 1348 (21 décembre) mandant à Guiart de Bourgogne et au bailli Jean de Montaigu d’affecter 200 l. sur le montant d’une amende de 300 l. estevenantes au dédommagement de deux victimes d’hommes d’armes du duc ; ADD, 1B 372 (14). Amédée VI de Savoie a de même désigné un « lieutenant général en deçà des monts », placé au-dessus des baillis de l’État savoyard alors qu’il souhaitait se rendre en France à la tête d’une armée en vue d’envahir l’Angleterre (B. Demotz, Le comté de Savoie du xie au xve siècle…, op. cit., p. 396). 69 ADD, 1B 354 (11). 70 Le vendredi après Pâques 1342 (5 avril) ; ADD, 1B 354 (12). 71 ADD, 1B 354 (13). 72 ADD, 1B 385.
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il n’existe aucun acte de Philippe de Rouvres à destination du gardien ! En revanche, dix-sept concernent les baillis, six les prévôts ou les châtelains, et huit les trésoriers ou receveurs. C’est Jean II le Bon qui, entre 1350 et 1356, délègue le plus au gardien ou au gouverneur de la province, avec six actes recensés, contre deux seulement pour les baillis et trois pour les receveurs, ce que l’on comprend aisément eu égard à ses royales fonctions73. Dans l’ensemble, en dépit de leur éloignement, les ducs de Bourgogne ont donc suivi de près les affaires comtoises. Et quand ils ne le pouvaient pas, ils ont, comme Eudes IV, confié les décisions à la duchesse. Jeanne de France occupe en effet une place importante dans le gouvernement du comté, en l’absence de son époux, comme le précisent certains des actes qu’elle a passés, mais pas uniquement. En tant qu’héritière de la province, elle est systématiquement associée aux décisions importantes, les actes solennels la mentionnant à égalité avec Eudes dans leur préambule, avec la titulature de chacun d’eux74. Ils sont scellés de leurs deux sceaux. On compte trente actes de ce type (dont un où le duc est représenté par son frère Robert en 133075). Dans quelle mesure la duchesse est-elle associée aux décisions de son époux ? Le couple garde son secret, mais il arrive qu’Eudes IV souligne le rôle de sa femme, assez pour que l’on puisse supposer une certaine entente, même si Jeanne semble conventionnellement cantonnée à prendre la défense des églises et des clercs. Le 15 avril 1331, alors que le duc se refuse à entériner la donation de 90 l. de rente sur le péage d’Augerans faite par Jacques Scaglia de Florence à l’Hôpital de Besançon, il accorde néanmoins à son recteur, « non regardant rigour de droit mais pitié et amone », 50 l. sur ces 90, « de la volonté et octroi » de Jeanne76. Aux chanoines de la chapelle de Gray – fondée par Philippe V et Jeanne de Bourgogne-Comté et par eux dotée d’une rente de 300 l. – qui ont « supplié » le duc et la duchesse de leur asseoir cette rente en un lieu où ils puissent la percevoir eux-mêmes, sans passer par le trésorier, Eudes donne une réponse positive, dit-il, par « pitié », par souci d’assurer la continuité du service divin, et surtout sous la pression de son épouse qui « par plusieurs fois nous a requis de cette chose accomplir ». Et même si l’acte s’achève classiquement sur la confirmation par Jeanne, sous l’autorisation de son mari, de cette donation de fours, de moulins et de diverses rentes aux religieux, il porte cette mention capitale soulignant qu’il y a bien autorité commune et codécision : … de l’authorité et de la puissance que nous avons en notre dit comté de Bourgoigne avons ensemble assis et assigné77… À l’inverse, lorsque la duchesse fait don à un écuyer de 20 l. de rente sur les tailles de Jussey, le 2 décembre 1346, le duc le confirme le 30 juin de l’année suivante78. Gagner au préalable les faveurs de Jeanne peut en effet s’avérer être un bon calcul, 73 Ces actes de Jean le Bon sont généralement passés à Paris, au Louvre. 74 « Eudes, duc de Bourgoigne, comte d’Artois et de Bourgoigne palatin et sire de Salins, et Jeanne, fille de roi de France, duchesse, comtesse et dame des lieux dessus dits ». 75 L. Stouff, Les comtes de Bourgogne et leurs villes domaniales, Paris, Larose et Forcel, 1899, p. 63-65. 76 ADD, 1B 521 (3). 77 ADD, 1B 585, fol. 220v-221v et 1B 2982 (copie du 2 janvier 1436). 78 ADD, 1B 358 (11).
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notamment pour obtenir une charge, et le clerc Jean de l’Aule l’a bien compris : c’est sur la prière et à la requête de cette dernière qu’Eudes IV l’établit tabellion de Pontarlier le 27 février 1340 « pour la grant loyauté, feuz, prudence et discretion que nous savons de [sa] personne79… » Jeanne de France non seulement jouit donc d’un certain ascendant sur son époux et sait jouer de son entregent, mais elle participe pleinement à certaines décisions. Lorsque l’absence d’Eudes IV ne l’oblige pas à prendre son relais, comme en 1344 ou en 134680, elle se consacre plus classiquement, comme sa grand-mère avant elle, à soulager les pauvres. Ainsi lorsqu’elle prie le receveur des chauderettes de la saline de Salins de payer le drap, la façon et le transport de vêtements qu’elle a fait donner aux défavorisés de plusieurs localités comtoises81. Après elle une autre femme, Jeanne de Boulogne, va jouer en tant que régente un rôle politique capital en Franche-Comté. Si, dès son mariage avec Jean de Normandie (le 19 février 1350), celui-ci bientôt roi de France passe en son nom les actes relatifs au comté de Bourgogne, il ne prend – officiellement – le gouvernement de la province que le 5 juillet 1353. Sa captivité en Angleterre après la défaite de Poitiers le 19 septembre 1356 rend le pouvoir à la reine comme tutrice de son fils Philippe, qui n’a encore que 10 ans. Mais les actes sont désormais au nom de l’enfant82, bien qu’ils se réfèrent toujours à sa mère. Par exemple, lorsqu’il vidime et ratifie à Paris, le 25 mars 1357, des lettres par lesquelles Marguerite, comtesse de Flandre, confère à son maître d’hôtel la mairie de Montigny-lès-Arsures, le document porte la mention : par monseigneur le duc de la volonté de la reine en son Conseil, où estoient messire de Montbeliart, messire Henri de Vienne, sire de Mirebel, messire de Grancon, messire de Raon et vous [la comtesse Marguerite]83. La mention « par monseigneur le duc de la voulenté la royne sa mere en leur Conseil84 », ou « par deliberation de nostre Conseil85 » se retrouve dans plusieurs actes. Le Conseil, dont on a plus haut évoqué l’évolution vers une ouverture à la haute noblesse comtoise, détient alors semble-t-il l’essentiel du pouvoir de décision. Il paraît même se passer parfois de la présence du petit duc et de sa mère : le 29 juin 1359, un acte établi au nom de Philippe porte en souscription :
79 ADD, 1B 389 (vidimus du 20 décembre 1357). 80 En avril 1346, par exemple, elle donne personnellement l’ordre de saisir et d’exécuter pour homicide les malfaiteurs réfugiés à Besançon ; ADD, 1B 422 (5). 81 ADD, 1B 262 (23). 82 Sa titulature est alors « Philippe, duc de Bourgogne, comte d’Artois et de Bourgogne palatin et sire de Salins ». Après le décès de sa mère, il lui rajoute les titres de comte de Boulogne et d’Auvergne ; ADD, 1B 2012, fol. 54-54v, 20 octobre 1361. Jeanne de Boulogne meurt de la peste à Vadans à la fin du mois de septembre 1360 ; E. Petit, Histoire…, op. cit., t. IX, p. 218. 83 ADD, 1B 371 (3). 84 ADD, 1B 421 (17), 22 juin 1358 ; 1B 87, 1er novembre 1357. Ce dernier document, par lequel le duc nomme Ansel de Salins garde de son sceau, transcrit au dos du rouleau portant le compte de ce dernier, est dit passé « par la voulenté et ordenance de nostre tres redoubtee dame et mere madame la roynne ». 85 BnF, Moreau 1046, fol. 1-1v, 19 août 1358.
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Par le Conseil où estoient messire de Chalon, messire de Mavoilley et plusieurs autres estant à Dijon86. Le caractère collégial de la délibération est maintenu après que Philippe, émancipé le 24 octobre 1360, ait pris les rênes du gouvernement. Son dernier acte, décidant la restitution d’un fief à Molans, sur lequel pesait une mainmise, daté du 20 octobre 1361, se termine encore ainsi : Ainsi signé par monseigneur le duc à la relation du conseil, où estoient monseigneur de Besançon87, de Montfort, de Montbeliart88. La question majeure est de savoir s’il existe ou non un Conseil propre au traitement des affaires comtoises. Dunod de Charnarge rapporte que Jean le Bon aurait institué deux Conseils distincts, l’un pour le duché, l’autre pour le comté89. La participation de grands comtois aux décisions concernant les affaires de la province, comme celles que nous venons d’évoquer, pourrait aller dans ce sens. Il faudrait savoir ce qu’il en est des actes proprement bourguignons pour trancher. Ce qui est certain est que, dès le temps d’Eudes IV, certains conseillers sont comtois90, et que les gens du Conseil ducal circulent dans le pays pour superviser les affaires91, resserrant les liens entre les deux principautés.
86 ADD, 1B 1610. Il s’agit de l’ordre adressé au receveur du péage de La Loye et d’Augerans de réserver les recettes du péage jusqu’à la foire chaude de Chalon et de les envoyer alors au receveur général pour y acquitter une dette de 1000 florins envers des marchands suisses. 87 Il s’agit de l’archevêque de Besançon, Jean de Vienne ou Louis de Montbéliard, fils d’Henri de Montfaucon. Il est difficile de trancher, la passation de pouvoir entre les deux prélats ayant lieu justement au mois d’octobre 1361, lorsque le premier est nommé évêque de Metz. Dunod de Charnage n’est pas plus précis sur la datation ; Fr.-I. Dunod de Charnage, Histoire de l’Église…, op. cit., p. 223. 88 ADD, 1B 2012, fol. 54-54v. 89 Il écrit : « La comtesse de Flandres étoit à la tête de celui de Franche-Comté, dont les principaux Conseillers étoient Jean de Ray et Hugues de Frasne » ; Fr.-I. Dunod, Histoire des Séquanois…, op. cit., t. II, p. 236. Nous n’avons pas retrouvé les documents sur lesquels il s’appuie. 90 Comme Pierre le Bougret, aux gages de 10 l. par an d’après le compte de 1332-1333 ; ADD, 1B 79A1, fol. 14. Il faut aussi souligner le rôle récurrent du doyen de Besançon Jean de Corcondray, qui préside à la plupart des affaires comtoises sous Eudes IV. Il semblerait faire partie du Conseil ; ADD, 1B 511 (1), 1337. Il est en tout cas en liaison constante avec lui : le jour de la Saint-Barthélémy 1333 (24 août), il envoie ainsi des lettres au Conseil ducal, à Argilly, « pour plusieurs choses qu’estoient à faire à Chissey » ; ADD, 1B 791, fol. 14. Cet exemple donne un argument décisif pour prouver qu’il n’y a pas alors de Conseil comtois indépendant du gouvernement ducal. 91 En 1332-1333, Richard des Bans, trésorier de Vesoul, comptabilise les frais de Jean de Corcondray et de plusieurs personnes du Conseil qui ont stationné à Poligny ; ADD, 1B 79A1, fol. 27v. On y lit aussi : « despens des gens du Conseil monseigneur faits à Dole le vendredi après la Madeleine… » (idem). En 1336-1337, l’estimation de la terre de Jacques d’Arguel est réalisée par le seigneur de Montmartin, le bailli Eudes de Cromary, « et plusieurs autres du Conseil monseigneur qu’estoient avec lour » ; BnF, Moreau 900, fol. 339. L’année suivante, en août 1338, le gardien et des membres du Conseil sont à Gray pour diverses « journées » ; ibid., fol. 362v. Sous Philippe de Rouvres, le mois de décembre 1358 voit plusieurs conseillers passer en Franche-Comté pour les « besognes » du duc et de la reine, à Orchamps, à Besançon et à Dole ; ADCO, B 1406, fol. 11v.
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c. Une relative centralisation
La réunion du gouvernement des deux Bourgognes en une même main n’est en effet pas sans conséquences immédiates pour leur gestion. C’est sur le terrain des finances que la centralisation qui en a découlé est la plus perceptible. En premier lieu s’opèrent des transferts de fonds incessants vers le duché, tant pour soutenir le train de vie ducal que pour remplir les caisses du receveur de Dijon92. Il faut aussi se représenter des charrois fréquents vers la Bourgogne destinés à pourvoir l’hôtel ducal, en cire essentiellement93. C’est le produit exporté principal, mais on trouve également des mentions, plus rares, d’avoine, de sel, de lard ou de vin en provenance du comté sur la table du prince94. Outre ces échanges prévisibles entre les deux espaces bourguignons, un examen attentif de la comptabilité fait apparaître au temps d’Eudes IV une centralisation nouvelle au profit de la capitale ducale. La plupart des comptes qui sont parvenus jusqu’à nous indiquent sur leur revers qu’ils ont été rendus à Dijon95. D’autres l’ont été à Argilly96. Parfois en présence du duc lui-même97. Mais ce n’est pas systématique : certains sont rendus aux trésoriers du comté, comme celui du péage de Pontarlier en 1356-135798, ou des comptes de prévôtés99 ; Jean de Morey, prévôt de Gray, a quant 92 Voir par exemple pour 1332-1333 et 1333-1334, les comptes de Richard des Bans ; ADD, 1B 79A1, fol. 29 et BnF, Moreau 900, fol. 253v. La ponction est encore plus nette dans les années 1350, où le receveur Dimanche de Vitel réclame régulièrement des fonds – et même « tout ce qu’ils pourroient finer des deniers de leurs offices » – aux divers trésoriers du comté ; ADCO, B 1397, fol. 50v ; B 1399, fol. 49 ; B 1405, fol. 44v. Ces transferts concernent à l’occasion les grains : en 1341, le duc et son Conseil ordonnent que les blés de la châtellenie de Clerval soient désormais délivrés au grenetier du duché ; ADCO, B 1390, fol. 66. 93 Les exemples sont abondants. Citons le compte de 1337-1338 : « … pour la voiture d’une charrette à II chevaux qui mena de Vesoul à Villaignes, en l’ostel Madame la duchesse, VC livres de cire la semaine devant Noël pour la venue de la femme Philippe mons. [ Jeanne de Boulogne]» ; BnF, Moreau 900, fol. 370v. Villaines-en-Duesmois, Côte-d’Or, ar. Montbard, c. Châtillon-sur-Seine. 94 En 1333-1334 ont été menés de Gray à Auxonne « en un navoy à vaul l’aigue », pour la dépense de la duchesse, quatre-vingt-un bichots d’avoine ; BnF, Moreau 900, fol. 273v-274. En 1336 : « … menés, du commandement des gens du Conseil monseigneur et par leurs lettres, dès Poligny à Argilley, pour la venue du roi de France, le dimanche jour de Pasques Flories, à Rouvre et en Talant, en chacun lieu II couhes de vin blanc… » ; BnF, Moreau 900, fol. 318. En 1338-1339, Renaud Garnier comptabilise quinze charges de sel livrées à Argilly à l’hôtel de la duchesse, avec quatorze tonneaux de vin ; ADD, 1B 246 (1), fol. 10v ; puis en 1341-1342, trois lards achetés à Salins ; ADD, 1B 246 (4), fol. 6 ; douze sont par la même occasion expédiés en Avignon pour le sacre du Pape Clément VI, auquel assiste Eudes IV ; E. Petit, Histoire…, op. cit., t. VII, p. 270-271. 95 À titre d’exemple : « Li compes monseigneur Othe de Vaites, chevalier, chastellain d’Estobon, fait à Dijon le venrendi après la Saint Philippe et Saint Jaque l’an mil CCC XLIII » ; ADD, 1B 349 (7). 96 Comme le compte de la châtellenie de Vadans, le 19 septembre 1359 (ADD, 1B 148, fol. 11), ou celui de la saline de Grozon, le 22 février 1361 ; ADD, 1B 310, fol. 29. 97 Othe de Vaite, châtelain d’Étobon, fait allusion en 1343 à « son autre et darenier compte qui fit au Digeonz, presant monseigneur le duc et son consoil, le mecredi voille de l’Ascencion Notre-Seigneur l’an mil CCC quarante et hun » ; ADD, 1B 349 (7). 98 ADD, 1B 1610. 99 Ainsi le prévôt de Villers-Farlay rend son compte au trésorier de Dole Aubriet de Plaine pour l’année 1354-1355 ; ADD, 1B 496 (8).
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à lui compté devant le bailli Guy de Vy et le trésorier des Bans, « commis à ce par monseigneur », en 1341100. On a conservé les arrêts des comptes de tous les officiers et manieurs de fonds tant pour le duché que pour la Comté pour les années 1331, 1336 et 1341101. Ils ont été établis à Dijon, et donnent à connaître les modalités de l’audition des comptes : elle n’est pas encore confiée à des officiers spécialisés, même si le personnel reste en partie le même d’une session à l’autre, comme Anseau Peaud’Oye ou Jean Aubriot, indice d’une ébauche de spécialisation. Des personnes peuvent aussi assister à titre exceptionnel à quelques séances (le seigneur de Thil, Jean Bourgeoise). En 1336 et 1341, l’audition a lieu en présence du duc102. Mais l’apparition d’une véritable Chambre des comptes, organe permanent de contrôle, dotée d’un local et d’un office de « clerc des comptes », n’est effective que sous Jean le Bon, avec l’introduction de la comptabilité française103. La prise en main des affaires comtoises par le roi a d’ailleurs un temps été lourde de conséquences pour les provinces bourguignonnes, qui virent leurs recettes centralisées à Paris, en vertu d’un ordre du souverain, daté du 10 juin 1353, et transmis par son conseiller Pierre d’Orgemont : Et mande par especial et commande qu’il [les officiers du duché et du comté] respondent et facent respondre enterinement à noz amez et feauls tresoriers à Paris et non à autre des proffiz et emolumenz des dictes duchié et conté et des appartenances d’icelles […] Et aveques ce tout l’argent que les diz receveurs ou autres ont ou pevent avoir par devers eulz des receptes des dictes duchié et conté et des appartenances d’icelles, faites envoier sannement et tantost à notre tresor104… Ces éléments jouent à l’encontre d’une autonomie de gestion des finances comtales, qui semblent dans leur majeure partie aspirées par l’appareil ducal, voire royal, et étroitement subordonnées au contrôle central. Et pourtant… Eudes IV avait au départ d’autres projets pour son nouveau comté, instituant une Chambre des comptes à Dole dès 1333, en même temps qu’un Parlement : Par le titre d’institution d’icelle du neufvième février mil trois cent trente deux (v. s.), appert qu’elle a été instituée le même jour que le Parlement, portant iceluy titre l’institution de deux chambres, l’une appelée PARLEMENT, et l’aultre des COMPTES105…
100 ADCO, B 1390, fol. 67. De même, Guillaume de Thoraise, châtelain de Châtillon, a rendu son compte en 1349 à messire Thomas Cochy, chanoine de Besançon, et au trésorier du comté Jean de Bonay, qui l’ont signé au bas ; ADD, 1B 114. 101 ADCO, B 1388, B 1389, B 1390. 102 H. Jassemin, « Le contrôle financier en Bourgogne sous les derniers ducs capétiens (1274-1353) », B.É.C., tome 79, 1918, p. 115-117. 103 Ibid., p. 133. On lit dans le compte de 1353-1354 : « Despens pour oir les comptes du duché et du comté de Bourgoigne […] oiz à Dijon… » ; ADCO, B 1397, fol. 52v. Puis en 1359, il est fait mention de l’achat de nappes et de serviettes (« touailles ») pour garnir la Chambre des comptes ; ADCO, B 1406, fol. 10v. 104 ADD, 1B 67 (17), transmission au trésorier de Vesoul par le gouverneur du duché et les gens des comptes, le 1er juillet 1353 ; ADCO, B 1384 (vidimus du 14 juillet 1353). 105 É. Clerc, Essai…, op. cit., p. 42.
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Effectivement, les documents portent témoignage de l’existence fugace en Comté de « maîtres des comptes », largement cités dans le compte de 1332-1333 et ses parties106. Parmi eux, certainement, Jean Aubriot, encore, et le sire de Larrey107, des personnels importés du duché, certes, mais qu’on ne reverra plus officier en Franche-Comté par la suite. La tentative d’organiser le contrôle de la comptabilité de la province par une institution permanente qui lui soit propre a donc très vite avorté, et on est revenu à un système centralisé, peut-être plus facile et moins coûteux à mettre en place108. Il est aussi très vraisemblable que le contexte houleux d’un pays perpétuellement en guerre n’ait pas favorisé son implantation. Cette institution, qui accompagne traditionnellement l’essor de l’État109, n’a pu voir le jour en Franche-Comté. Est-ce à dire que les princes bourguignons y ont connu l’échec ? Il faut pour le déterminer examiner les attributs de leur souveraineté.
106 On les voit envoyer nombre de lettres (ADD, 1B 791, fol. 7, 12v, 13, 13v, 15), et circuler entre Dole, Gray, Montmirey et Châtillon ; ibid. et ADD, 1B 79A1, fol. 27v. 107 ADD, 1B 791, fol. 13. 108 Ce sont désormais les officiers comtaux qui se déplacent à Dijon : on lit dans le compte de 1337-1338 « pour les despens du tresorier et de ses clercs faits en venant à Dijon aux comptes, demeurant au lieu et retournant arrier par XVIII jours à la bonne voulenté de Monseigneur… » ; BnF, Moreau 900, fol. 370v. 109 Voir La France des principautés. Les Chambres des comptes. xive et xve siècles…, op. cit.
Chapitre II
Le droit du prince Eudes IV et Philippe de Rouvres ont-ils pu s’affirmer comme véritablement souverains dans leur comté de Bourgogne ? Car il y a loin de la théorie à la pratique, et l’ébauche d’un espace où cette souveraineté pourrait s’exercer sans partage butte sur de nombreux obstacles, dont la vigueur des coutumes féodales n’est pas des moindres. Il n’y a guère que dans le domaine de la loi que le prince parvient, après moult revers, à imposer sa marque.
1. La théorie : un postulat nouveau en Comté D’après les textes, le duc-comte retient sur les fiefs ses « ressort, justice, baronnie et souveraineté ». La conception de ses droits a beaucoup évolué depuis le début du siècle : il faut y reconnaître d’une part l’influence du roi de France, qui a amorcé la centralisation dès son accès au gouvernement de la province (1295)1, d’autre part la transplantation en Comté de concepts désormais admis dans la Bourgogne ducale2. Le « ressort » fait appel à l’ancien droit féodal ; Eudes IV fait allusion à la circonscription où est reconnu son pouvoir de suzerain. La « justice » qui lui est automatiquement attachée dépasse pourtant largement le cadre des liens vassaliques personnellement établis entre les seigneurs et le comte. Stricto sensu, elle ne devrait s’appliquer dans toute son ampleur qu’à son domaine et, pour les cas relevant de la haute justice, à celui des petits vassaux qui s’en trouvent dépourvus. Or, l’emploi du terme de « baronnie » pour l’ensemble du comté évoque un champ d’application beaucoup plus large, au moins en théorie, et lié au seul titre comtal. La province tout entière, grands fiefs compris, bascule sous le pouvoir éminent de son détenteur. Ce terme est déjà avancé par Othon IV3, mais il paraît alors encore très entaché de son acception traditionnelle, qui place le comte au rang d’un seigneur féodal : l’étendue de sa puissance le distingue des autres « barons » hauts justiciers ; elle ne lui accorde
1 Voir P. Ladner, « L’administration royale de la Franche-Comté sous Philippe le Bel », Publication du Centre européen d’études burgondo-médianes, 4 (1962), p. 77-86. La souveraineté comtale est évoquée déjà au temps de la reine Jeanne en 1326, dont une décision du Parlement en faveur des droits de l’abbé de Lieu-Croissant retient cependant sur ceux-ci « le cauz de souveraineté et de ressourt » de cette comtesse ; Cl.-J. Perreciot, De l’État civil des personnes et de la condition des terres dans les Gaules, dès les temps celtiques jusqu’à la rédaction des coutumes, t. II, s.l., 1786, preuve n° 120. Seule une étude systématique des actes passés par la reine pour son comté de Bourgogne permettrait de déterminer avec précision jusqu’à quel point la notion était déjà implantée dans la province. 2 L’emploi de ces termes s’inspire des notions imposées peu à peu dans le duché au siècle précédent, au cours de la lente réaffirmation du pouvoir ducal, dont elles constituent l’arme théorique. Voir J. Richard, Les ducs de Bourgogne…, op. cit., p. 283-289. 3 Dans la déclaration qu’il rend à Philippe le Bel en 1295, il cite « la baronnie du conté de Bourgoigne », qui semble comprendre les fiefs et la garde des églises.
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pourtant aucun droit supplémentaire, chacun d’eux restant, selon l’expression consacrée, « souverain en sa terre ». Même si la supériorité du comte est déjà implicite, ses contours demeurent flous et incertains, faute de fondements théoriques. Moins d’un demi-siècle plus tard, lorsqu’Eudes IV, conditionné par l’affirmation de ces principes déjà effectifs à la tête du royaume de France, accole au terme de « baronnie » celui de « souveraineté », quel champ d’action entend-il lui faire couvrir ? À quelle date intervient ce changement et quelle se trouve en être la portée ? Comparons au préalable plusieurs documents. Le 30 septembre 1329, la reine Jeanne confirme une donation de 440 l. de rente sur la saline de Salins par Hugues de Bourgogne à Jean de Chalon-Auxerre « retenu à nous et à nos hoirs qui seront comtes de Bourgoigne le fié » de ces 440 l.4. Le 4 avril 1331 ou 1332, Eudes et Jeanne consentent sans autre précision à une donation de 20 l. de rente relevant de leur mouvance5, dont le bénéficiaire Guillaume de Montbozon reprend en fief du duc l’année suivante 30 l. de rente supplémentaire « en la forme et maniere que li autre noble de la contey de Bourgoigne l’ont acostumey de tenir et deservir de lour signour6 ». De la même façon, le 11 décembre 1329, Raoul de Neuchâtel prêtait hommage à la reine Jeanne pour 100 l. estevenantes de rente sur le puits de Salins et lui promettait d’en reprendre 200 autres en fief7. Il précisait simplement qu’il ferait son service loyalement, « selon ce que fief requiert ». La prise de possession du comté par Eudes IV n’a donc rien changé immédiatement en cette matière. La reine Jeanne comme le duc-comte ne sont encore que de simples suzerains en Franche-Comté. Au même titre que leurs propres vassaux8. On mesure toute la distance qui les sépare du droit bourguignon : déjà en 1317, le duc cédait Cuiseaux à Jean de Chalon-Arlay « sans rien retenir à nous fors que le fié, le servise dou fié, l’obeysance, la subverenetey, le ressort dehuz et dehues pour raison doudit fié9 ». Il faut attendre le 19 mai 1359 pour voir en Franche-Comté un vassal faire état de ces « baronnie, ressort et souveraineté » attachés à son fief10, et 1353 pour entendre dire qu’une maison forte est du « fief, ressort, souveraineté et bâti » de monseigneur le duc et comte de Bourgogne à cause de la Comté11. Quel a été le rôle de la période d’Eudes IV dans cet alignement sur les concepts en vigueur dans le duché ? Le 4 février 1334, le duc consent à une mise en gage de terres par le sire de Belvoir auprès de deux Juifs12. À cette date, il ne retient encore pour droits que ceux qu’il
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ADD, 1B 214 (4). ADD, 1B 324 (2,4,5,6). ADD, 1B 324 (3). ADD, 1B 539 (14). En 1340, Jean de Chalon-Arlay parle par exemple de ses « fiefs, rerefiefs, destroit et juridiction » ; ADD, 7E 1341. Pour un fief de la comtesse de Flandre en 1347, on trouve l’expression, à propos de Chay : « être du fief et du ressort de Madame » ; ADD, 1B 339 (8). ADD, 7E 2771. Reprise en fief de la forteresse de Montby par Thibaut de Blâmont ; ADD, 1B 469 (4-5). Le 22 janvier 1353, le gardien du comté affirme que la forteresse de Montferrand est du fief et souveraineté de la reine ; ADD, 1B 470 (2). En 1361, la formule est appliquée à celle d’Ougney, relevant du château de Dole ; ADD, 1B 383 (5). ADD, 1B 527 (1).
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possède « tant en fiez comme en demoingnes et en resors et les servises de notre fyef ». Le 2 avril 1335, lui et sa femme approuvent la charte de franchise de L’Isle-sur-le-Doubs. Pour la première fois à notre connaissance, la formule consacrée de « souveraineté, baronnie et ressort » apparaît au comté13. Elle est employée à nouveau en 1338, le 10 juillet, lorsqu’Eudes IV et Jeanne de France concèdent le château de Colonne à Jacques d’Arguel, puis en juin de l’année suivante pour assigner une rente au même lieu à la veuve de ce dernier14. Là encore, la souveraineté fait partie des droits retenus sur le fief. On la retrouve dans de semblables dons ou ratifications une fois en 134415, puis à plusieurs reprises sur la fin du règne d’Eudes IV où la formule se systématise16. La régente Jeanne de Boulogne l’emploie elle aussi17. Ce recours exclusif au principe de souveraineté au profit du prince lui confère une prééminence sur les barons, ce qui explique pourquoi Eudes IV a tenu à le généraliser dès 1335. Ceux-ci n’y adhèrent visiblement pas, car ils ont clairement ressenti comme oppressifs les moyens d’expression concrets de ce concept, au point d’entrer en guerre. Examinons par conséquent comment le prince met en œuvre sa souveraineté à leurs dépens.
2. L’affirmation souveraine aux dépens des grands féodaux Les recherches récentes ont souligné « l’importance du contrôle de l’espace pour l’imposition de la souveraineté18 ». On peut effectivement lire la politique de nos ducs, et surtout d’Eudes IV, comme une volonté d’étendre dans tous les domaines leur rayonnement sur un pays, non unifié, cela était encore bien entendu inenvisageable, mais libéré du plus qu’il était possible de ces enclaves que constituent les droits particuliers des grands. Cette volonté s’est exercée dans plusieurs directions,
13 BnF, N.a.f. 3535, n° 7, fol. 49. 14 ADD, 1B 342 (4) ; ADCO, B 1064 ; ADD, 1B 416 (18). 15 ADD, 1B 524 (13) : approbation de l’affranchissement d’hommes de Poissons par leur seigneur, le 19 novembre 1344. Poissons, non identifié. 16 Le 22 juin 1346, le duc retient ses droits de souveraineté sur le fief d’Esnans qu’il donne à Huguenin de Verne ; ADD, 1B 2492. Le 10 décembre 1346, pour un don de 60 l. de rente à Port-sur-Saône à Girart de Beaufremont, la duchesse Jeanne fait de même ; ADCO, B 1065. On retrouve le même procédé le 12 mars 1347 pour l’approbation d’un don à Dampierre-sur-Salon ; ADCO, B 1057. Ce don date de mars 1343, ce qui prouve une volonté rétroactive de prendre le contrôle des transferts de biens entre fieffés. Le 12 mai 1347, Eudes IV fait de même pour la terre de Valay, vendue à Guyot de Montbozon ; ADD, 1B 3035. Le 30 juin 1347, il confirme un don de la duchesse de 20 l. de rente à un écuyer ; ADD, 1B 358 (11). Là encore, la donation est plus ancienne de sept mois (2 décembre 1346), mais cela peut s’expliquer par l’absence du duc. Le 4 mai 1348, c’est un don au châtelain de Dole qui fait l’objet de la même formule. Le 3 février 1349, Eudes IV donne à Renaud de Jussey une rente de 50 l. estevenantes assise sur les échoites du comté « et sarront yceilles cinquante livrees de terre de notre soverainnetey et baronie de notre dicte contey de Bourgoyne » ; ADD, 1B 67 (16). 17 ADCO, B 1062 (1), le 10 juin 1349, don d’un four à Jussey. 18 M. Bubenicek, Entre rébellion…, op. cit., p. 297, se référant notamment à L’État moderne, le droit, l’espace et les formes de l’État…, op. cit., et à A. Rigaudiere, Penser et construire l’État dans la France du Moyen Âge (xiiie-xve siècle), Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, 2003.
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touchant à la justice, à l’économie comme à la cité de Besançon, prenant appui quand elle le pouvait sur les droits régaliens, emblèmes s’il en est de la souveraineté, mais ne négligeant pas non plus d’exploiter toutes les ressources du système féodal lui-même pour le mettre au service de la construction du pouvoir princier. Il en va ainsi pour le droit d’élever des fortifications. a. Le monopole des fortifications
Le monopole des fortifications appartient théoriquement au duc-comte19. C’est lui qui autorise ou non l’élévation d’une forteresse, comme il le fait par exemple en donnant licence à Guillaume de Tourmont de doter sa maison forte de créneaux20, ou bien lorsqu’en 1340, l’élévation intempestive d’une maison forte à Pontarlier vaut à Jean de Chalon-Arlay des tracasseries et un jugement des officiers comtaux21. Cette prérogative est affirmée vigoureusement dans les textes : Eudes IV évoque les limites de sa Comté de Bourgogne « en laquelle aucuns ne puet edifier forteresce senz notre licence », ceci pour cause de sa « baronnie »22. Dans le cas contraire, il y a « déni de souveraineté » ainsi qu’il le déclare à propos de l’abbé de Lure, dans une affaire qui illustre comment il est légal de procéder à l’abattage des nouvelles constructions faites sans autorisation. Au début de son principat, Eudes IV a déjà tenté de mettre au pas l’abbaye de Lure, par des chevauchées sur ses terres dont nous ignorons le motif23. Or, en 1343, son abbé, Jacques de Vy, a entrepris de fortifier le monastère par « un mur de brique garni de plusieurs tours et ceint d’un double fossé24 ». Le 9 décembre 1343, le duc-comte ordonne à son bailli de faire démolir des fortifications commencées autour de la ville : Comme la garde et advoerie de l’abbaye de Lure soit de notre fié et dedens les meittes de notre conté de Bourgoigne en laquelle aucuns ne puet edifier forteresce senz notre licence, et de la garde et advoerie dessus dictes aucuns ne soit en notre hommage et n’en aions dessevour, et avec ce l’abbé de Lure senz notre licence, aussi comme en vaillent denier notre souverainneté ou dit lieu, ait commancié à faire et edifier fourteresce entour la ville de Lure, en grant content et admoindrissement de nous et de notre baronnie, et pour ce aiez ja denuncié novelle euvre au dit lieu
19 En dehors de leur utilité stratégique, les châteaux fortifiés sont aussi des « symboles ostentatoires de pouvoir et de noblesse », ce qui explique que les rois de France aient affirmé leur suprématie sur les fortifications et châtié les seigneurs coupables ; R.W. Kaeuper, Guerre, justice et ordre public…, op. cit., p. 211. 20 ADJ, 1 F 306, fol. 12v. 21 Le 4 avril 1340, le gardien a fixé une assise à Pontarlier, « sur le fait de la bastie que [ Jean de Chalon] havoit formée sus la coste dessus Pontellié, ou prejudice de mom dit seignour » ; ADD, 1B 150, fol. 8. 22 ADD, 1B 507 (19). Ce principe est bien admis sous Philippe de Rouvres, qui l’évoque en même temps que ses prérogatives souveraines en matière de justice : « … À l’eritaige à droit de nous pour raison de notre dit contey de Borgoigne appartaigne que aucuns ne puisse former chestel, maison fort ou lever forches sanz notre consentement… » ; ADD, 1B 328 (8). 23 En 1332-1333 notamment ; ADD, 1B 79A1. 24 L. Besson, Mémoire historique…, op. cit., p. 59.
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de par nous, nous vous mandons et commettons se mestiers est que la dicte garde et advoherie pour deffaut de hommage comme dit est vous mettez et tenez en notre main, et pour les gouverner y deputez de par nous personne souffisant, et le dit edifice de fourteresce fait en notre baronnie de la conté de Bourgoigne et dedens les meittes de ycelle senz notre licence et auctorité, comme dit est, faites demollir et deffaire senz aucun delai25. Cet acte nous apprend qu’il y a en fait deux affaires distinctes : celle des fortifications indues, et celle de la garde de l’abbaye. On se souvient que cette dernière avait été longtemps entre les mains du grand-oncle de la duchesse, Hugues de Bourgogne. Elle est passée après sa mort à Albert d’Autriche, époux de la fille de Jeanne de Montbéliard et de son premier mari, Ulrich de Ferrette, car Hugues de Bourgogne a désigné par testament son compétiteur le comte de Ferrette pour lui succéder à l’avouerie26. Mais le duc d’Autriche refuse apparemment d’en faire l’hommage à Eudes IV. Ce dernier décide donc de placer sous séquestre la garde de l’abbaye, en considérant qu’elle reste sans « desserveur », et d’en confier l’administration à un de ses officiers. Il se doute bien qu’une telle mesure ne va pas améliorer ses relations déjà tendues avec Albert d’Autriche, susceptible de le harceler sur la frontière nord du comté à partir de ses terres alsaciennes. D’où l’impérieuse nécessité de couper court aux entreprises de l’abbé de Lure, afin de priver l’Autriche d’une base fortifiée dans le secteur. L’ordre ducal de démolition des murailles en découle directement. Mais l’abbaye ferme ses portes aux envoyés chargés de le lui signifier. Quels sont alors les recours du Bourguignon ? Il va jouer sur deux tableaux : la justice de Rome et la sienne propre. En juillet 1344, il fait ajourner l’abbé devant le Pape27. Peut-être sans succès, car le bailli d’Amont l’assigne également aux deux assises de Montjustin. Le religieux n’y comparaît point et poursuit ses travaux. Le bailli le condamne alors par défaut, le lundi après la Saint-Georges (25 avril) 1345, à payer une amende de 1 000 marcs d’argent et à procéder à la destruction des murailles28. Cet abattage n’aurait pas pu être exécuté, mais les biens bourguignons du monastère sont saisis29. Ce n’est donc qu’une demi-réussite pour l’affirmation du pouvoir souverain, dont la décision de justice est apparemment restée lettre morte. On peut même se demander si les fondements en étaient vraiment solides, en dépit des prétentions vertement affichées par Eudes IV, car les arbitres ne donnent pas toujours raison au
25 ADD, 1B 507 (19). 26 Voir première partie, chapitre i. 27 BnF, Moreau 900, fol. 409. 28 BnF, Moreau 494, fol. 51 ; analyse dans ADD, 7E 1335. 29 L. Besson, Mémoire historique…, op. cit., p. 59. Nous avons trouvé dans le compte du prévôt de Gray pour l’année 1344-1345 le montant des frais pour un messager à pied envoyé vers le duc en France, sur ordre du bailli, « pour savoir s’il plairoit à monseigneur le duc se la sentence donnee pour le procureur monseigneur le duc contre l’abbé de Lure et le couvent seroit mise à execution à force d’armes, pour demolir la novelle hovre faite par les dits abbé et couvent apres la nunciation des genz monseigneur le duc » ; ADD, 1B 124, fol. 12. Qu’a décidé le duc ? Eudes IV n’a peut-être pas jugé bon de prendre le risque de compromettre ses tentatives d’alliance avec l’Autriche par une intervention armée à Lure. Ou encore n’en avait-il pas vraiment les moyens.
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duc quant au monopole du droit de fortifier. Tel est le cas de Châtelguyon. En 1339, à Salins, Jean de Chalon-Arlay a construit une seconde forteresse à côté de celle qu’il possédait déjà, dominant la ville, sur le versant de l’église Saint-Anatoile. Une sommation de l’abattre est envoyée à ses châtelains par le représentant du pouvoir comtal, Poinsard de Thoraise, châtelain de Bracon, le 1er avril30. Cette intervention donne lieu à une guerre : le baron, se voulant lui aussi souverain en sa terre, estime que le duc a outrepassé ses droits. Et le roi de France Philippe VI, dans son arbitrage du mois de mars 1348, autorise Jean de Chalon à reconstruire une forteresse à la même place31. Mesure d’apaisement ou parole de juge ? Dans le second cas, cela signifierait que la terre du rebelle échappe à la souveraineté du duc-comte alors qu’elle se trouve si proche de ses domaines. Cela n’est pas impossible. Et cela limite du même coup considérablement le caractère princier du pouvoir d’Eudes IV en Franche-Comté. Car le droit féodal n’y est en rien obsolète. Mais il suffit parfois de l’utiliser habilement pour servir ses ambitions, ce que le duc n’a pas manqué de faire. b. Le droit féodal comme arme politique
Prenant appui sur les règles traditionnelles de la féodalité franc-comtoise, le duc Eudes IV a su habilement les faire jouer dans le sens de l’affermissement de son pouvoir princier. Il ne manque aucune occasion d’appliquer ses prérogatives de suzerain, par un recours massif à la commise, ainsi que d’affirmer un droit d’ingérence dans les arrière-fiefs, qu’il cherche à englober dans son orbite souveraine. L’application sévère des droits du suzerain
Les fidélités vassaliques en Comté « paraissent demeurées surtout symboliques », un seigneur n’hésitant pas par exemple à accorder des franchises à ses sujets sans recourir à l’autorité de son suzerain32. Ce sont ces libertés auxquelles Eudes IV va mettre un frein, en contrôlant au maximum les actions de ses vassaux dans leurs fiefs, par l’application stricte de ses prérogatives33. La confirmation des franchises de l’Isle-sur-le-Doubs est emblématique de cette politique. Elles sont en date du mois de mai 1308, et même plus anciennes car ce n’est là qu’un acte qui entérine, au nom de sa veuve et de son fils, les libertés octroyées jadis par Thibaut III de Neuchâtel. L’Isle
30 É. Clerc, Essai…, op. cit., p.70, d’après l’inventaire de Chalon, BEC Besançon, Droz 16, fol. 420, et Droz 19, fol. 397v. 31 « Item porra le dit Jehan de Chalon ediffier deuement chastel et forteresce en la place ou estoit Chastel Guyon » ; U. Plancher, Histoire…, op. cit., t. II, preuve CCLXXX ; ADD, 1B 389 ; ADCO, B 11 912. Le texte nous apprend qu’il y avait un autre point fortifié objet de contestation près de Salins : « Item de la forteresce faitte en l’Ospital de Bracon, dont le dit Jehan de Chalon se duet, raison li sera faitte somerement et de plain par nos dis commissaires ». 32 M. Bubenicek, Entre rébellion…, op. cit., p. 151. 33 Dans des cas classiques d’amortissement de dons à un établissement ecclésiastique en 1331 et 1357 ; ADD, 1B 521 (3 et 6), pour des rentes sur le péage d’Augerans ; d’hypothèque en 1334 ; ADD, 1B 527 (1) ; d’assignation de rente en 1358 ; ADD, 1B 214 (20).
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est un fief comtal. Mais ce n’est qu’en 1334 qu’Eudes et Jeanne ont pris le soin de faire transcrire ces franchises par l’official de Besançon, avant de les approuver à Dijon le 2 avril34. Apparemment, nul comte ou comtesse avant eux ne s’était préoccupé de le faire, et ce geste prend tout son sens dans le contexte qui est alors à la réduction de l’indépendance nobiliaire et, plus particulièrement, de l’insubordination du sire de Neuchâtel. Les archives offrent un autre exemple du même type : la confirmation a posteriori par le duc et la duchesse d’un affranchissement de cinq personnes et de leurs biens octroyé par Henri, seigneur de Joux. L’acte originel est en date du 31 mai 1325, la ratification du 19 novembre 1344, ce qui est très éloquent : le pouvoir princier remonte jusqu’à dix-neuf ans en arrière afin d’apposer sa marque sur le geste d’un vassal envers ses sujets, le but étant de rappeler que les « ressort, baronnie et souveraineté » sur ces biens lui appartiennent en propre35. Cela n’est sans doute pas sans arrière-pensées politiques, au moment où la concurrence est la plus vive entre Eudes IV et Jean de Chalon-Arlay pour s’assurer la fidélité du sire de Joux36. Dans ce cas comme dans le précédent, l’application stricte du droit féodal devient une arme politique au service du prince. La seule affaire de confirmation de franchise que nous ayons trouvée pour le principat de Philippe de Rouvres intervient aussi dans un contexte troublé, ou la souveraineté du comte est mise à mal. Le seigneur de Jonvelle l’a « supplié » de confirmer « de grace especial » l’affranchissement des habitants de la ville, ainsi que d’amortir les 100 l. de rente prises sur la châtellenie pour doter la chapelle qu’il souhaite fonder dans l’église du lieu37. La décision ducale, qui intervient après une enquête demandée à son bailli d’Amont et au maître de l’écurie Jean de Coublanc, reste inconnue. On constate cependant que le ton a bien changé depuis l’époque d’Eudes IV : plus de rattrapage longtemps après les faits, dans une démarche qui semble être plutôt à imputer au duc lui-même, mais une humble supplique de l’intéressé, soumis au bon vouloir du prince. Car son cas est délicat : Jonvelle vient de faire l’objet d’une mainmise de Philippe de Rouvres, dont les droits sur ce fief étaient menacés par les officiers du roi38. L’utilisation massive de la commise
La commise féodale devient en effet un véritable ressort de la stratégie d’affirmation politique des ducs-comtes. Cela est rendu possible par le caractère très particulier du fief comtois, qui est un « fief de danger », « exposé plus que nul autre au risque
34 BnF, N.a.f. 3535, n° 7, fol. 49. 35 ADD, 1B 524 (13). Le fief porte sur des hommes de Poissons. 36 Rappelons que celui-ci, après avoir garanti que Joux était un fief du comte en 1343 (ADD, 7E 1344), a finalement prêté hommage à Jean de Chalon ; ADD, 1B 356 (1). En 1344, année qui nous intéresse ici, il a même cédé à ce dernier toutes les terres de sa seigneurie de Joux, à l’exception du château, le 26 juin ; ADD, 7E 2791. Ceci pourrait expliquer le geste comtal quelques mois plus tard. Sur l’hommage des sires de Joux, voir IIe partie, chapitre i. 37 ADD, 1B 355 (12). 38 ADD, 1B 355 (11).
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de commise par le seigneur39 ». Notamment lorsqu’une aliénation n’a pas été soumise à son consentement. Nous en avons des exemples40. Mais aussi dès qu’il y a litige sur le fief. Comme pour le château de Montby, que se disputent deux membres de la famille41, et mis en la main du roi « jusqu’à ce que raison en soit faite à celui qui il appartiendra », ou pour la maison forte de Morey42, occupée par plusieurs complices, qui ne sera restituée à son détenteur que « jusqu’à satisfaction convenable leur soit faite de tout ce qui sera tenu à eux43 ». Remarquons que l’usage de la commise est mis ici au service de l’affirmation de la justice du prince : il y a dans les deux cas plainte de l’une des parties, qui en réfère au suzerain plutôt que de prétendre ellemême résoudre le problème par les armes. Philippe de Rouvres exprime d’ailleurs son mécontentement au sujet des feux « boutés » dans la terre de Morey par les occupants de la maison forte après qu’il les a requis d’exprimer leurs doléances. La mainmise peut également intervenir en cas d’homicide du vassal. Ainsi au château de Montferrand, en 1353, où la victime laisse une veuve, avec qui l’on traite pour qu’elle abandonne le château, et deux filles, que la reine Jeanne de Boulogne prend sous sa protection44. Il y a en plus défaut de reprise de fief, qui justifie l’entrée en jeu de la « main souveraine » de la régente. Ce contrôle serré tente d’aller encore au-delà, et vise aussi les arrière-fiefs comtaux. Le contrôle des arrière-fiefs
Les historiens ont souligné le caractère éthéré de la pyramide vassalique en Franche-Comté45. Philippe V a visiblement tenté de la renforcer, sur le modèle français46. Eudes IV a pour sa part activement travaillé à étendre son contrôle aux arrière-fiefs. La confirmation qu’il donne à Eudes de Dampierre-sur-Salon47 de la concession à un fidèle d’une pièce de terre, avec possibilité d’en acquérir davantage, illustre clairement ce souci. Datée de 1346, elle se présente comme un vidimus de la lettre du 39 G. Chevrier, « Conjectures sur l’originalité du droit féodal dans les deux Bourgognes », Annales de Bourgogne, 23 (1951), p. 46. 40 Dans le compte de la châtellenie de Beaujeu en 1345-1346 : « …de Belin lou Myderet pour une piece de terre qu’il avoit acquise de Outhenin Lalemant et de Jehannote sa femme, damoiseau, en quoi le chastelain a mis la main monseigneur pour ce qu’elle meut de son fié et ne la pouvoient vendre sans sa licence… » ; « …des terres que Outhenin li Allemandez, ecuyer, qui tient de fié de monseigneur, a vendu sans la licence monseigneur à Jehannot le Menillet et à son frere… » ; ADD, 1B 125A, fol. 12 et 14. 41 « Le procureur Jocerant de Montbis nous a dit et monstré que comme le dit Joceran fut en saisine et possession par son droit de la maison forte de Montbis, qui est fié mu de la contey de Borgoigne, et Huguenin de Montbis et suis freres soient entrés en la maison en ostant et troblant la possession dou droit au dit Jocerant… » ; ADD, 1B 469 (1), 8 avril 1350 ou 1351. 42 La Roche-Morey, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Jussey. 43 ADD, 1B 473 (15), 25 mars 1360. 44 ADD, 1B 470 et 1B 86 (1). 45 G. Chevrier, « L’originalité du droit franc-comtois », RHD, 27 (1957), p. 162-163 et M. Bubenicek, Entre rébellion…, op. cit., p. 150-151. 46 Voir IIe partie, chapitre i. 47 Dampierre-sur-Salon, Haute-Saône, ar. Vesoul, ch.-l. c.
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don, qui précise déjà que le bénéficiaire et ses hoirs seront « mi homme feal comme du fyé du conté de Bourgoigne ». Le duc et son épouse entérinent ensuite l’opération, en retenant « notre fyé se point en y avons, notre rerefyé, souveraineté, baronie, et ressort48 ». On peut donc lire par cette formule l’extension du droit du prince aux arrière-fiefs consacrée en théorie. Qu’en est-il dans la pratique ? On a déjà eu l’occasion d’évoquer les difficultés qu’Eudes IV a rencontrées pour obtenir l’aide militaire de ses arrière-vassaux, ceux-ci accordant la priorité à leurs suzerains immédiats dans les conflits qui les opposaient au duc-comte49. À tel point qu’il s’est trouvé dans l’obligation de s’assurer la maîtrise de points stratégiques en les faisant passer dans sa dépendance vassalique immé diate, au mépris des droits de leur suzerain d’origine, comme on l’a vu avec Arguel. Mais la pratique est douteuse et difficilement justifiable au regard du droit50. C’est pourquoi le duc a usé d’un autre subterfuge pour intervenir sur les chasses gardées des barons : l’usage de la garde, qui s’applique théoriquement le temps de la minorité d’un vassal51. C’est le cas avec les fiefs de Jean de Cicon : Durfort, d’abord, puis Cicon. Jean de Cicon ne semble pourtant pas être encore mineur en 1343, lorsqu’il place son corps et tous ses biens sous la garde du duc, par l’intermédiaire du châtelain de Pontarlier, et s’engage à reprendre en fief d’Eudes IV son château de Durfort, que Jean de Chalon-Arlay a fait occuper par ses gens sans défi préalable, « au grant despit et prejudice du dit seigneur de Bourgoigne ». Et ce certainement parce que Jean de Cicon y tient prisonnier un opposant du duc52. Durfort est apparemment tenu en alleu, et le recours à la garde ducale, bien distincte du lien vassalique, permet de justifier que l’on réclame la protection du prince en dehors de celui-ci. Le cas du château de Cicon, est plus éloquent pour notre propos, car il s’agit bien cette fois d’un arrière-fief du comte53 : Nous avons entendu que notre amez et feaulz cousins messire Jehans de Chalon a essigié la maison fort de Cicons, estant de notre rierefié, appartenant à la dame de Cicons et à monseigneur Jehan son filz, chevalier. Et pour ce que tuit li biens et possessions de la dicte dame, veve feme, sont en notre protection et sauvegarde, et est preste la dicte dame et son dit filz de panre et faire droit par nous et noz genz de tout ce que le dit notre cousin et ses genz li voudront demander, et de adrecier si comme il appartendra de raison…
48 ADCO, B 1057. La donation est datée du lundi après les Bordes (3 mars) 1343, elle est confirmée le 12 mars 1346. 49 Voir IIIe partie, chapitre ii. 50 Le roi Philippe VI, contrant la manœuvre légalement contestable du duc, a en 1337 rétabli Jean de Chalon-Arlay dans son droit de suzerain sur ce fief. 51 Avec la garde qui peut être assurée à une église ou à une ville, et la sauvegarde, protection spéciale accordée à une personne, « ces mesures de protection très ponctuelles constituent un excellent moyen de pénétration d’une autorité sur le territoire de l’autre » ; B. Demotz, dans Les principautés dans l’Occident médiéval…, op. cit., p. 308. 52 ADD, 1B 446. 53 Cicon est pour moitié un fief d’Henri de Montfaucon-Montbéliard ; BEC Besançon, Droz 20, fol. 194.
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Suit l’ordre d’Eudes IV à ses deux baillis, Jean de Montaigu et Fourque de Vellefrey, de faire lever le siège que tiennent Jean de Chalon et ses hommes, et de placer le château sous sa mainmise. Et en ferons si bon accomplissement de justice que il li devra souffire. Et avec ce, li garderons sur ce son honeur et son droit, et se mettra le dit chevalier en notre prison54… On remarque qu’on a encore un exemple de mainmise justifiée par un différend que le prince entend régler lui-même. Et qu’il n’est plus question ici de la garde ducale dont bénéficie Jean de Cicon, mais de la sauvegarde dont jouit sa mère. Certes, protection est due à la veuve d’un vassal, mais Cicon n’est qu’un arrière-fief du comte, qui passe par-dessus le suzerain immédiat, le comte de Montbéliard, pour solutionner l’affaire, profitant de ce droit de garde, décidemment bien commode, pour contrarier les menées de Jean de Chalon. Il n’est pas dit que le sire se soit exécuté, le duc est d’ailleurs sans illusion, qui écrit à ses baillis : « Rapportez-nous tout ce qu’il vous en repondra ». Ce qui montre bien qu’il s’attend à être fortement contesté dans ses exigences, qu’il sait certainement sujettes à caution. Eudes IV utilise donc au maximum les recours offerts par le système féodal pour s’affirmer comme souverain, quitte à les interpréter un peu à sa guise grâce aux possibilités plus large que présente le système des gardes et sauvegardes personnelles. Sur une base semblable, il travaille à affirmer son pouvoir judiciaire, avec la pratique de la commendise. c. L’ébauche d’un espace judiciaire
La garde, dont les ducs se sont servis pour affirmer leur pouvoir, est donc une protection personnelle, en dehors de la vassalité et de la féodalité. Il existe pour les paysans un système apparenté, la commende ou commendise, attestée en FrancheComté à notre période55. Dans les comptes est en effet mentionné le paiement de redevances pour fait de commendise par des collectivités diverses56. La commendise (de commendare, remettre ou confier à quelqu’un) est une institution, connue en Bourgogne et en Champagne jusqu’à la fin du xive siècle, qui permet à un paysan 54 ADD, 1B 440 (6), 26 mai 1345. 55 Sur les commendises, voir P. Petot, « La commendise personnelle », in Mélanges Paul Fournier, Société d’histoire du droit, Paris, Recueil Sirey, 1929, reprint Aalen, 1982, p. 609-614 ; P. Duparc, « La commendise ou commende personnelle », B.É.C., CXIX, 1961, p. 50-112 ; M. Bubenicek, Entre rébellion…, op. cit., p. 161-164. 56 À la rubrique des rentes de Montmirey, le compte de Richard des Bans pour l’année 1332-1333 mentionne les « commandises à deniers faites à volonté, et valent plus et moins ». Elles ont alors rapporté 4 l. 2 s. ; ADD, 1B 79A1, fol. 4v. Un peu plus loin, à la rubrique « Receptes foraines », on trouve les mentions suivantes : « de la commandise des hommes de Mailley, c’est-à-dire pour chacune beste traihant à la charrue I gros tournois d’argent, et pour le chief d’ostel qui n’aura beste traihant à la charrue I gros, reçu par la main du vannier de Mailley LVII gros tournois, valant LXXI sous III deniers » ; « de la commandise des hommes de Pringeret [Purgerot ?], CXIII sous » ; ibid., fol. 8. On voit que les sommes ainsi récoltées ne sont pas négligeables.
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ou à un groupe de paysans de se donner un défenseur sans entrer en servitude. Se commender consiste donc à confier sa personne à autrui, pour rechercher sa protection. La commendise se superpose parfois à la bourgeoisie, avec l’exemption de certaines charges moyennant une redevance fixe, et tend peu à peu à se confondre avec la garde, les deux termes pouvant être, comme on le constate, indistinctement employés dans nos documents57. Le caractère contractuel de cette protection est très marqué : elle peut être souscrite pour une durée limitée58, et on peut s’y soustraire à volonté59. Cela concerne donc des hommes libres, souvent les sujets du protecteur, mais ils peuvent aussi relever d’un autre seigneur60. C’est pourquoi les comtes voient là un moyen d’empiéter sur les droits et justices de leurs vassaux. En faisant entrer les sujets dans sa commendise, le pouvoir comtal les arrache au ressort du seigneur local haut justicier en leur offrant la possibilité d’en référer à sa justice propre. L’intérêt est donc de tout faire pour en accroître le nombre, afin de multiplier les justiciables et par là d’étendre le champ d’action du prince dans le pays. Cette captation de justiciables s’opère grâce au zèle des agents locaux du pouvoir central, comme les châtelains. On a conservé une lettre du roi Jean au gouverneur du comté consécutive à une plainte de la comtesse de Flandre, qui montre que le châtelain de Bracon, Renaud de Jussey, non seulement méprise les droits de haute justice de Marguerite de France dans sa terre de Liesle, où il intervient pour faire la police et arrêter ses sujets, mais encore : Et en oultre s’efforce le dit chastellain de jour en jour de recevoir commens en la terre de notre dite cousine, et de atraire à li la cougnoissance de ses gens… Le tout réalisé « contre raison, contre la coustume du païs, et en grant domaige de notre dite cousine61 ».
57 P. Duparc, « La commendise… », art. cit., p. 90. Selon lui, la commendise personnelle finit par perdre son caractère propre, tandis que s’impose, dans un contexte de violences où l’on redoute les vengeances privées, la protection du roi et des grands princes, qui tire son nouveau nom de l’institution analogue de la garde. La sauvegarde, attachée aux progrès de l’État, prend alors la suite de la commendise, ce qu’a pu étudier Michelle Bubenicek à Morteau ; P. Duparc, « La commendise… », art. cit., p. 112 ; M. Bubenicek, Entre rébellion…, op. cit., p. 165 sq. Notre période apparaît donc comme une époque de transition, où cohabitent dans les comptes ces deux réalités : les anciennes commendises, terme auquel on préfère peu à peu celui de « garde ». Preuve d’une institution à la dénomination encore flottante, on trouve même les deux termes accolés : « de la commandise des hommes de Saint Loutein, qui sont en la garde Monseigneur pour X ans… » ; ADD, 1B 79A1, fol. 33v, 1332-1333. Saint-Lothain, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Bletterans. 58 Les Lombards de Vercel (Vercel-Villedieu-le-Camp, Doubs, ar. Pontarlier, c. Valdahon.) sont par exemple en la garde ducale pour dix ans à partir de 1333 ; ADD, 1B 79A1, fol. 39. 59 Pierre d’Étobon, en 1336, « ne compte rien des cens des commans pour ce qu’ils se sont ostés de la commandise » ; ADCO, B 1389, fol. 35. À Ornans, en 1358-1359, on compte cinq livres de cire payées par cinq hommes « pour leur garde du dit an, et s’en osteront quand ils voudront » ; ADCO, B 1406, fol. 51. 60 Par exemple, dans le compte du trésorier de Vesoul pour l’année 1332-1333 : « de la garde des hommes de Dampierre, hommes de l’ospitaul… » ; « pour la garde des hommes Hugues de Nant… » ; « des habitants de Flurey [Fleurey-lès-Faverney, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Port-sur-Saône] hommes à l’abbé de Faverney… » ; ADD, 1B 79A1, fol. 31, 32, 38v. 61 ADD, 1B 360 (14).
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Le duc-comte n’a pas en effet les moyens légaux d’imposer les commendises aux hommes de ses vassaux : le principe s’est établi, à la fin du xiie siècle, que l’assentiment du seigneur des sujets était indispensable, et le comte de Bourgogne a pris des engagements en ce sens. Othon IV, par exemple, renonce à faire ses commands des hommes du prieur de Lanthenans en 129462. La pratique apparaît donc abusive aux grands féodaux, qui obtiennent de la régente Jeanne de Boulogne son retrait pur et simple : Item, avons outroié de grace especial que nos ne autres ne puissiens recoivre commanz en la dicte contee d’autre seignorie ou justice, et que toutes commandises faictes dou temps passei soient ostees par mentenant63. Mais il est important de souligner que l’octroi de cette protection spéciale n’est en rien une innovation d’Eudes IV en Comté, qu’elle est apparue au xiie siècle, qu’elle s’est institutionnalisée au XIIIe64, et que les comptes du douaire de Mahaut d’Artois en font déjà état65. L’octroi de commendises se poursuit au temps de Philippe de Rouvres, puisque le compte de 1358-1359 en comprend encore quelques-unes66. Va-t-on vers un retrait progressif de cette protection princière par les populations concernées ? Elle est onéreuse pour elles et offre parfois le prétexte à des représailles seigneuriales67. Notons également que la pratique n’est pas l’apanage du duc-comte, chacun tentant semble-t-il de faire entrer les hommes d’autrui dans l’orbite de sa justice68, comme en témoigne l’arbitrage royal de mars 1348 :
62 P. Duparc, « La commendise… », art. cit., p. 89. 63 ADD, 1B 55 et BEC Besançon, Droz 28, fol. 333-337 ; publié par E. Champeaux, Ordonnances…, op. cit., p. 6. 64 Voir M.-Th. Allemand-Gay, Le pouvoir…, op. cit., p. 254-256. 65 Par exemple, dans le compte finissant à Pâques 1305 sont cités « plusours gens de Fribourc qui se sont mis de novel en la garde Madame, et doit la bourgeoisie à La Loye », qui rapportent 20 l., et un peu plus loin, plusieurs commendises à Gevry et à Crissey ; BnF, Moreau 900, fol. 14v-15. 66 À Montmorot, les « commanz » du lieu versent 37 s. ; quant à la commendise de Menétru, incluse dans la ferme de la prévôté de Voiteur, elle est « faillie », ainsi qu’en témoignent les lettres du bailli dont la copie est fournie à la cour des comptes ; ADCO, B 1406, fol. 3 et 5. 67 On a l’exemple d’un homme de Dampierre fait prisonnier par le châtelain d’Abbans, avec ses biens et son bétail, pendant la guerre contre les barons, « pour ce que il disoient que le diz Jehannenins estoit des comanz monseigneur le duc » ; ADD, 1B 123, compte de la prévôté de Fraisans, 1347-1348. 68 On sait que le roi de France lui-même pouvait placer sous sa protection des sujets comtois, ainsi que l’atteste l’enquête que Jean de Bourgogne adresse à Philippe de Rouvres en 1359, afin d’appuyer sa demande de dédommagement pour les pertes subies par son père Henri à l’occasion des guerres du principat d’Eudes IV. En 1344, un détachement armé quitte le siège que tenait le gardien du comté devant La Rochelle pour razzier le village de Semmadon (Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Jussey), appartenant à Henri de Bourgogne, en vue d’assurer le ravitaillement des troupes. Mais ce n’est pas une réquisition en règle, qui aurait donné lieu à un dédommagement ultérieur, plutôt des représailles. Le témoin le mieux informé est un clerc de soixante ans, maître Pierre d’Arbecey, qui a assisté aux événements. Bien qu’il ne s’agisse que d’un ouï-dire, les hommes pourraient avoir agi sur ordre du gardien de Bourgogne, Robert de Châtillon-en-Bazois : « Requis s’il sceit la cause pourquoy lidiz gardians fist ce faire, dit parce que lidit habitant avoient entencion, si comme on disoit, de faire bourgoiserie et commandise au roy contre leur seigneur, par quoi lidiz gardiains ne les voloit pas soffrir, combien que il qui parle li requerest que la chose demorest en tel estat jusques a ce que il en eust sceu la veritei. » ; ADD, 1B 17, étudié et publié par M. Bubenicek, « Noblesse, guerre… », art. cit., p. 391-445. Quoique
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Item des comanz que li un prennent sur les autres ou païs par dela, dont souvente foiz viennent et naissent matieres de descort […], en ferons du consentement des parties selonc notre povoir aucun bon traictié ou aucune bonne ordenance, par quoy matieres de content n’en puissent venir d’ores en avant69. Les seigneurs haut justiciers cherchent donc, tout comme le prince, à étendre leur espace judiciaire, ce qui ne manque pas de déboucher sur des conflits. En outre, ils acceptent mal d’être jugés eux-mêmes par les officiers du comte, ce qui est plusieurs fois le cas sous Eudes IV70. La concurrence est rude entre les puissants. Et il en va en matière d’économie comme de justice. d. La tentative de création d’un espace économique71
Le duc-comte réussit-il à s’assurer un monopole et à unifier à son profit l’économie comtoise ? Quatre secteurs capitaux portent la marque de la politique d’hégémonie centralisatrice d’Eudes IV : la monnaie, les routes, les foires et la forêt. La frappe monétaire
Battre monnaie est un privilège régalien. Il se place donc au premier chef des signes de souveraineté. Le duc de Bourgogne a un atelier à Auxonne où il frappe de mauvaises espèces qui, diffusées en Comté, concurrencent directement la monnaie de l’archevêque de Besançon, dite estevenante. Le prélat multiplie les actions pour défendre son monopole. En 1339, il excommunie Eudes IV, et lance l’interdit sur la ville d’Auxonne. Le duc se fait alors absoudre ad cautelam par un délégué du Saint-Siège le 10 juillet 1339. Bien que l’archevêque, qui est alors Hugues de Vienne, fasse appel de cette décision, elle est confirmée le 31 mars 1343. La même année, Eudes IV obtient du pape un répit sur l’interdit pesant sur Auxonne ; un second est édicté en 1344, et un troisième en 1346 ; il est renouvelé en 1349, puis en 1351, à la prière de Philippe de Rouvres72. Ce privilège monétaire constitue l’un des meilleurs témoins de la vive concurrence des pouvoirs en Franche-Comté. Il a également été concédé par l’empereur à Salins pour Jean de Chalon, et il est régulièrement reconduit, non sans arrière-pensées politiques73. Quelques autres seigneurs se l’arrogent aussi, comme Philippe de Vienne :
les victimes appartiennent à divers seigneurs, l’ensemble des habitants de Semmadon relèvent de la justice d’Henri de Bourgogne. A-t-il alors apprécié qu’une intervention musclée de son suzerain vienne dissuader ses sujets d’échapper à sa juridiction ? 69 ADD, 1B 389 ; ADCO, B 11 912 ; U. Plancher, Histoire…, op. cit., preuve CCLXXX. 70 Voir IIIe partie pour Thibaut de Neuchâtel et pages suivantes pour Henri de Montfaucon-Montbéliard. 71 Sur les aspects économiques de la politique des princes, se reporter à l’article de H. Dubois, « Le pouvoir économique du prince », dans Les princes et le pouvoir au Moyen Âge…, op. cit., p. 229-246. Sur la volonté ducale de créer un espace économique unifié sous sa gouverne au temps de Philippe le Hardi, voir M. Bubenicek, Entre rébellion…, op. cit., p. 299-355. 72 Fr.-I. Dunod de Charnage, Histoire de l’Église…, op. cit., t. II, p. 220-221. 73 ADCO, B 1068, vidimus du 1er juin 1344 du privilège concédé à Jean de Chalon l’Antique en mai 1251.
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pourtant l’oncle de l’archevêque Hugues de Vienne, il n’hésite pas à battre monnaie dans son château de Pymont. Lui aussi soumis à la censure archiépiscopale, il est absout par l’official en 134174. Il est vraisemblable qu’Eudes IV ait pris des mesures pour interdire le monnayage des seigneurs, comme pourrait le laisser penser l’ordre qu’il donne à ses réformateurs, en 1343, de poursuivre « ceulx qui auront aloyés faulses monoies, ou monoies deffandues, ou forgiés faulses monoies75 ». Ces monnaies défendues ne sont-elles pas celles forgées par ses concurrents comtois ? Le duc-comte ne parvient donc pas à imposer sa monnaie d’Auxonne, mais elle circule suffisamment en Comté pour gêner les intérêts économiques des grands, qui finissent par obtenir de la régente Jeanne de Boulogne, en 1349, l’abolition des espèces de valeur inférieure à l’estevenant76. La succession des bâtards
Cette princesse restitue en même temps aux seigneurs hauts justiciers la succession des bâtards, sur laquelle Eudes IV a apparemment tenté de mettre la main. Dans le duché de Bourgogne, celle-ci revient au prince. Dans sa terre, le duc succède aux bâtards, ce qui s’explique par les principes de la mainmorte, qui s’appliquent aux bâtards, juridiquement frappés d’incapacité. Il en va de même dans le comté, où nous en avons relevé plusieurs exemples77. Il hérite également de leurs biens tenus d’un autre seigneur qui dépend de lui, en vertu de son droit de souveraineté. Quant aux biens tenus d’un autre seigneur haut justicier, il peut les recueillir, mais doit en investir dans l’an et jour l’un de ses serviteurs. Entre-temps, il jouit des revenus pendant une année78. Ce dernier point ne semble pas être coutumier en Comté, où la succession des bâtards est vigoureusement réaffirmée être l’apanage des seigneurs détenteurs de la haute justice, à la mort d’Eudes IV, en 134979. Ce qui prouve qu’ils ont souffert des prétentions souveraines de ce prince, qui a voulu aligner la province comtoise sur les pratiques en cours dans son duché. On trouve des similitudes entre les deux Bourgognes en matière de politique routière également.
74 Fr.-I. Dunod de Charnage, Histoire de l’Église…, op. cit., t. II, p. 220-221. 75 BnF, Moreau 900, fol. 382, acte du 28 juin 1343. 76 ADD, 1B 55 et BEC Besançon, Droz n° 28, fol. 333-337. Publié par E. Champeaux, Ordonnances…, op. cit., p. 4-9. 77 En 1332-1333, le trésorier de Vesoul consigne la perception de 13 l. 9 s. 9 d. « des biens demeurés de Hugate la Grant Femme de Champvaulx, batarde morte sanz hoir, liquel estoient echus à monseigneur » ; ADD, 1B 79A1, fol. 7v. Il assume ses frais de sépulture ainsi que des messes dominicales pendant un an ; ibid., fol. 11. Les terres de cette femme se sont trouvées par la suite concédées au valet du bailli Guy de Villefrancon. Cette même année 1335-1336, la vente des biens de Marie de Pointre, bâtarde morte sans héritiers, rapporte aussi 8 l. 22 d. au trésor ; BnF, Moreau 900, fol. 288v. En 1358, la reine rembourse la dette d’un bâtard de Gray, dont le duc a eu l’échoite ; ADCO, B 1405, fol. 62v. 78 H. Guigon, La succession des bâtards dans l’ancienne Bourgogne et chartes de l’abbaye de Saint-Étienne de Dijon de 1385 à 1394, Dijon, Imprimerie de Jobard, 1905, p. 57-58. 79 ADD, 1B 55 et ADCO, B 11 700. Publié par E. Champeaux, Ordonnances…, op. cit., p. 10-11.
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Le contrôle des voies routières La maîtrise de la route, attribut princier
Le duc entend faire des voies de communication son domaine exclusif. Il dispose pour cela de la notion abstraite du « grant chemin », qui relève de sa juridiction80. En Bourgogne déjà, le duc connaît tous les délits commis sur les grands chemins et sanctionne les empiètements sur les passages communs81. On trouve même en Comté, en 1332-1333, la mention de « chemin réaul », ce qui rappelle clairement l’essence régalienne du contrôle des routes qu’Eudes IV essaie de faire sien au début de son principat. Commettre un délit sur ces routes est, on peut le dire, assimilé à un crime de lèse-majesté82. Toutes les routes ne relèvent certainement pas de cette acception, mais nous n’avons pas trouvé de précision quant à l’extension géographique de telles dessertes. En tout cas, être molesté sur celles-ci entraîne des sanctions comtales envers l’agresseur, et les emprunter autorise à bénéficier de la protection des autorités83. Nous avons vu par ailleurs comment, dans les années 1350, le bailli Renaud de Jussey s’emploie activement à garantir la sécurité des chemins, désormais considérée comme relevant du domaine du prince84. Ceci illustre bien que, comme dans le royaume tout proche, sans que l’on puisse vraiment parler de domaine public, « un domaine éminent se forme, lié essentiellement à des considérations d’intérêt public et à la prise en charge progressive du territoire » par le prince, notamment en matière de sécurité et pour l’usage des biens à caractère collectif, ce qui est bien une expression de la souveraineté85. Le conduit des marchands
En offrant sa protection aux marchands sur un des principaux itinéraires commerciaux reliant les foires françaises à la Suisse86, le prince affirme également sa 80 Sur cette notion, se reporter à M. Bubenicek, Entre rébellion…, op. cit., p. 326-327. 81 G. Leyte, Domaine et domanialité publique dans la France médiévale (xiie-xve siècle), Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 1996, p. 177, d’après Le coutumier bourguignon glosé (fin du xive siècle), éd. M. Petijean et M.-L. Marchand, J. Metman (éd.), Paris, CNRS, 1982. 82 En 1332-1333, le prévôt de Vesoul fait ajourner trois fois devant l’official de Besançon le Bonevet de Faverney, clerc de Vesoul, qui avait assailli et battu son frère « au chemin reaul de monseigneur le duc », en « despitant [défier avec mépris] dudit monseigneur ». Pire encore, sommé de réparer le tort infligé à son frère, ainsi que « l’injure et le despit qu’il avoit fait à monseigneur », il refuse avec arrogance ; ADD, 1B 791, fol. 6. Commettre un délit sur ses chemins revient donc désormais à attenter directement à la dignité du prince. 83 En 1332-1333, toujours, le prévôt de Gray se rend sur ordre du bailli à Choye « pour requerir la recreance d’un Lombart qu’on y avait recepté, liquel l’en avoit pris au grant chemin monseigneur » ; ADD, 1B 79A1, fol. 21. 84 ADD, 1B 86 (1). Voir IIIe partie, chapitre i. 85 G. Leyte, « Domaine et domanialité publique … », op. cit., p. 156 et 171. 86 Deux affaires sont relatives à la protection des marchands du grand commerce international sous Philippe de Rouvres. La première touche des hommes de l’évêque de Liège, capturés par Jean de Chalon-Arlay au retour de la foire froide de Chalon en 1355, et dont le duc exige la délivrance ;
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vocation à maintenir la sécurité des routes : le comte détient le conduit des marchands depuis les portes de la cité de Besançon jusqu’à Pontarlier. Eudes IV fait rapporter la valeur de ses deux conduites, celle de Chalamont et celle de Pontarlier87, par le trésorier de la saline de Salins, Renaud Garnier. Ce dernier est en même temps receveur du péage de Saint-Jean-de-Losne, ville dont il est originaire88. Voilà qui va dans le sens d’un souci de contrôle de l’ensemble des routes commerciales par une même administration. Certes, au-delà de Pontarlier, l’itinéraire débouche sur le péage de Jougne, chasse gardée de Jean de Chalon-Arlay, dont le contrôle ne lui est pas disputé89. Et le baron jouit lui aussi des droits de conduit sur les routes qui traversent ses domaines90. De moindres seigneurs ont aussi ce privilège, comme les sires de Faucogney, aux frontières septentrionales du comté91. Mais le duc-comte, qui nourrit très certainement le dessein de s’assurer la maîtrise des routes, s’obstine à contrer les droits de ses vassaux en la matière. Le litige qui l’oppose au seigneur de Neuchâtel l’illustre parfaitement : la conduite du « grant chemin » de Pontcharrot à Palente est inféodée à ce dernier par le comte de Bourgogne depuis 128992 ; Thibaut V la reprend d’ailleurs en fief d’Eudes IV avec ses autres biens le 6 novembre 1343, lorsqu’il fait sa soumission au duc93 ; mais elle lui est apparemment plusieurs fois confisquée, en même temps que les gardes des établissements religieux de Lieu-Croissant et de Lanthenans, ce qui alimente sa dissidence. En 1348 encore, lors de son arbitrage rendu au mois de mars, le roi Philippe VI statue en faveur de la restitution de ce privilège à Thibaut de Neuchâtel94. La possibilité de contrôler la circulation en amont de Besançon – sur la route qui mène de ses villes domaniales de Baume et de Clerval au comté de Montbéliard – ainsi offerte au duc par la mainmise sur ce conduit, s’avère
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ADCO, B 1401, fol. 41-41v, 53v-54. La seconde concerne quatre marchands suisses détroussés par Girart de Mairey « sur le grant chemin en venant des merchés de France », auxquels le duc a promis de verser 2 300 l. en dédommagement de la perte de leurs marchandises ; 1359, ADCO, B 1406, fol. 6v, 11. La conduite ou conduit consiste en une taxe acquittée par les marchands en échange de leur protection par une escorte le long d’un itinéraire donné. Elle concerne ici la route principale qui mène de Dijon à la Suisse, en passant par Salins, Pontarlier et Jougne, un grand axe de commerce du sel. Chalamont et Pontarlier sont d’importants ports de péage. ADD, 1B 246 (1), fol. 1. Saint-Jean-de-Losne, Côte-d’Or, ar. Beaune, c. Brazey-en-Plaine. Ce qui ne sera plus le cas sous Philippe le Hardi, avec « l’affaire des péages », étudiée par M. Bubenicek, Entre rébellion…, op. cit., p. 300 sq. Béatrice de Vienne reprend en fief du comte, en 1323, au nom de son fils Jean de Chalon-Arlay, les péages et conduites « de l’Épine et de Boule jusqu’au pont de Réaumont » ; BEC Besançon, Droz 14, fol. 86-86v. Henri et Thibaut de Faucogney, dans un accord passé avec la duchesse de Lorraine en 1348, s’engagent à assurer le conduit et la défense des marchands de Remiremont (Vosges, ar. Épinal, ch.-l. c.) au « pertuis des Escoryes » (peut-être le col des Croix que commande Château-Lambert) ; ADCO, B 1058. BnF, N.a.f. 3535, n° 22. Palente est un quartier de Besançon situé à l’est de la ville. Le Pont Charrot est certainement le pont qui traverse l’Ognon à Marnay, où une rue porte ce nom. Mais il existait aussi un moulin de ce nom sur la commune de Lougres (Doubs, ar. Montbéliard, c. Bavans). Nous retenons cette dernière localisation, plus cohérente avec la situation géographique des sires de Neuchâtel comme des domaines du comte de Bourgogne. ADD, 1B 454 (15) ; ADD, 1B 327 (vidimus de 1362) ; ADD, 1B 3006 (copie du précédent). ADD, 1B 389 ; ADCO, B 11 912 ; U. Plancher, Histoire…, op. cit., preuve CCLXXX.
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pour lui un complément appréciable à sa politique économique. D’autant plus que cette voie commerciale passe par l’Isle-sur-le-Doubs, où les sires de Neuchâtel ont instauré des foires actives et d’un bon rapport financier. Foires et marchés
Le contrôle des routes commerciales se double en effet d’une tentative d’hégémonie sur les foires et marchés tenus par les grands. Aucune trace ne nous en est parvenue, à l’exception d’un indice commun à l’arbitrage royal de Philippe VI en 1348 et à l’ordonnance de Jeanne de Boulogne proclamée un an plus tard. Nous pouvons lire dans le premier : Item, li dessus nommé Jehan de Chalon, Thibaut de Neufchastel, Henry de Faucoigney, et ceux de Besançon useront des marchés en la comté de Bourgongne, si et en la maniere que il en ont accoustumé user95. Et dans la seconde : Premierement que les marchés soient gardees à touz ceuls qui les ont accostumé avoir en la conté de Bourgoigne96. Si on lit « marchés » et non « marches » dans ces documents, ainsi que le préconise Ernest Champeaux, et cela apparaît en effet plus cohérent, il semble bien qu’Eudes IV ait tenté d’étendre le monopole princier à l’ensemble des activités commerciales comtoises. De quelle manière ? Certainement en tentant de s’assurer la perception des taxes sur les transactions, ou du moins les retombées de celles-ci, peut-être en les surtaxant à son profit. Mais nous en sommes réduits aux conjectures. Et il en va à peu près de même pour un secteur capital de l’économie comtoise, la forêt. Économie forestière
L’économie des hautes Joux, chasse gardée de Jean de Chalon-Arlay, a certainement fait l’objet d’une tentative de contrôle par le duc-comte. On lit en effet aussi dans la sentence royale de mars 1348 : Item ledit Jehan [de Chalon] joyra et exploittera de tel droit comme à luy appartient ez jours, en mettant forestiers et levant ses amandes sans contredit, si et en la maniere que luy et ses devanciers en ont usé. Eudes IV, fort de l’institution de sa toute nouvelle gruerie97, a apparemment disputé la perception des amendes au baron, et même prétendu lui imposer l’ingérence de ses officiers dans ses forêts. C’est donc l’espace comtois dans sa globalité, et non plus
95 Ibid. 96 ADD, 1B 55 et BEC Besançon, Droz 28, fol. 333-337 ; publié par E. Champeaux, Ordonnances…, op. cit., p. 5. 97 Voir première partie, chapitre iv.
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seulement son seul domaine, qu’il travaille à faire entrer dans son orbite administrative, ce qui va très loin dans l’affirmation du pouvoir princier. Trop loin semble-t-il, car il est globalement désavoué par le roi de France dans ses entreprises économiques, que ses successeurs immédiats ne semblent pas avoir reprises. En revanche, Philippe de Rouvres a emprunté une direction inédite pour concurrencer l’influence de Jean de Chalon sur un terrain qui n’est nullement comtois, mais ville impériale : Besançon. e. Une tentative de contrôle de Besançon
La cité de Besançon, au carrefour de pouvoirs multiples et concurrents, dont ceux de Jean de Chalon-Arlay et de l’archevêque ne sont pas des moindres, fait appel au comte de Bourgogne, sans doute dans le but de gagner en autonomie98. Ce n’est pas la première fois. Othon IV, en 1279, puis Mahaut sa veuve, pour elle et son fils Robert, en 1305, ont conclu des traités d’alliance et de sauvegarde avec ses habitants. Se référant à ces précédents, le 27 août 1357, le jeune duc passe avec les citoyens un accord qui lui confère la garde de leurs personnes et de leurs biens, « pour le bon et sehur estast de la dicte Contey de Borgoigne et de la dite citey de Besançon99 ». Pour plus d’efficacité, il leur confère le droit d’établir en son château de Châtillon, tout proche, une personne notauble qui haurai plene puissance, de part nous entre noz autres genz et officieurs en notre dit contey de Borgoigne, de garder et maintenir et deffendre les diz citiains, habitans et communautey comme nous feriens de noz propres borgois en toutes lour bonnes saisines, droiz, usaiges, libertez et frainchises… Cette protection s’exercera plus particulièrement en cas de prise de corps ou de biens, pour laquelle le duc garantit délivrance et restitution à ses frais. Sauf si cette mesure est du fait du roi de France, de l’empereur ou de l’archevêque. Ce dernier point en limite considérablement la portée, car les tensions sont fréquentes entre le prélat et la commune. Toutefois, se lidiz arcevesques venoit contre lour franchises, nous lour aideriens et consoil leriens en bone foy et à tout notre pohoir sanz nous meffaire. Le cas principalement envisagé est l’élévation indue de fortifications, ce qui est l’occasion de rappeler fermement la nécessité d’obtenir l’autorisation comtale pour ce faire. Le duc s’engage également à ne pas conclure de paix séparée en cas de conflit impliquant les citoyens. Il leur promet également de leur dépêcher ses sergents pour
98 Pour la situation géopolitique particulière de la ville de Besançon, se reporter à M. Bubenicek, Entre rébellion…, op. cit., p. 363-366 et à C. Folhen (éd.), Histoire de Besançon, t. I, Des origines à la fin du xvie siècle, Paris, Nouvelle librairie de France, 1964, réédition, Besançon, Cêtre, 1981. Rappelons que l’empereur Rodolphe de Habsbourg a accordé à la cité archiépiscopale une charte de franchise en 1290, qui la place sous la dépendance directe de l’Empire. Mais le seigneur en reste l’archevêque, dont le pouvoir concurrence celui de la commune. Un troisième acteur, Jean Ier de Chalon-Arlay, s’est fait conférer, au tournant des xiiie et xive siècles, le titre de maire et vicomte de la ville, puis de gardien. 99 ADD, 1B 328 (8).
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obtenir le règlement de leurs créances auprès de leurs débiteurs, et de leur garantir l’usage dans le bois de « Chaillous »100, que leur contestent les hommes de Châtillon. Et si d’aventure l’empereur, l’archevêque ou Jean de Chalon-Arlay – maire et vicomte de la ville – venaient à chercher noise aux citoyens en raison de cet accord, le prince défendra leurs intérêts101. En échange, car il y a une contrepartie d’importance, ils promettent de recevoir le duc dans la cité en compagnie de cent hommes d’armes102, et de lui fournir l’ost et la chevauchée à la demande, « à grant force et à petite, à leurs despens », pendant un mois par an (sauf durant les vendanges) ; ce de la Saône jusqu’au château de Joux, et de Montbéliard à Lons-le-Saunier. Cette mention géographique est intéressante, et témoigne de la représentation que le pouvoir comtal se fait de l’espace qu’il domine, qui se précise et qui tend à englober sans distinction fiefs et domaine dans une même réalité territoriale. L’antique « baronnie » dépasse les seuls liens d’homme à homme et s’ancre désormais fermement sur un pays mieux délimité, lieu d’exercice de la souveraineté. Les bisontins ne vont cependant pas jusqu’à s’engager à combattre leurs seigneurs d’ancienneté, et réservent leur fidélité à l’empereur, à l’archevêque, à Jean de Chalon et au maire et vicomte de la ville. Mais, et c’est déjà beaucoup, ils jurent de ne pas leur fournir d’aide ni d’asile lors d’un éventuel conflit avec le duc, inversant la politique suivie durant les guerres comtoises. Ces dispositions ne sont toutefois que viagères, et il n’est pas prévu qu’elles survivent à Philippe de Rouvres. La reine sa mère scelle et ratifie l’accord, considérant qu’il est fait à l’onour et à profit de notre dit fil et de son païs, et par le consoil et avis de plusieurs des barons et nobles et autres de sa terre et ses subgiez. Le pays, les sujets, on a bien là un véritable manifeste de la souveraineté du prince dans son comté. L’utilisation de la technique de la garde est encore une fois ici mise en œuvre pour en parfaire l’affirmation. De nombreux princes territoriaux cherchent d’ailleurs pareillement, au xive siècle, à capter la ville archiépiscopale voisine. C’est par exemple le cas des ducs de Lorraine à Metz et Toul, ou des comtes de Bar à Verdun103. Il n’est pas dit, cependant, que cette entreprise osée de Philippe de Rouvres ait pu trouver une quelconque application dans les faits, car elle s’impose au mépris des droits que l’archevêque et Jean de Chalon-Arlay ont déjà sur la cité.
100 La forêt de Chailluz, au nord de la ville. C’était là un point litigieux entre le duc Eudes IV et les Bisontins, comme on peut le lire dans l’arbitrage royal de mars 1348 : « Item l’empeschement mis à ceulx de Besançon en leurs boys de Chaillouz, si comm il dient, par nostre dit frere ou par ses gens […] yra et assemblera l’en la ou l’en a accoustumé à assambler […], et de la il yront avant sur le fait dessus dit somerement et de plain » ; ADD, 1B 389 ; ADCO, B 11 912 ; U. Plancher, Histoire…, op. cit., preuve CCLXXX. 101 La citation expresse de ces trois personnages a été biffée et remplacée a posteriori par « aucuns », beaucoup plus neutre. On mesure là combien le terrain est délicat. 102 Cette clause figurait déjà dans le traité passé avec Mahaut d’Artois. Au temps d’Othon IV, le nombre de soldats admis était même de deux cents. 103 S. Bepoix, Une cité et son territoire : Besançon 1391, l’affaire des fourches patibulaires, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2010 (A.L.U.B. 871, Cahiers d’Études comtoises 71), p. 100.
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Un papier non daté accompagne en effet le traité de garde ducale d’août 1357 sous la même cote d’archive104. Il renferme un exposé méthodique des raisons proposées pour l’archevêque – alors Jean de Vienne – et pour Jean de Chalon-Arlay afin de le contester. Ce document est du plus haut intérêt. Il argue de 9 points pour contrer la manœuvre ducale : – la mainmorte qui pesait autrefois sur les habitants de la ville n’a été levée qu’en partie et subsiste dans certains cas. La taille a été seulement convertie en une autre redevance annuelle. Ce qui les renvoie à une condition servile (l’argument semble spécieux) ; – les Bisontins se sont placés sous la garde de Jean Ier de Chalon-Arlay et de ses héritiers qui seront sires d’Arguel et maires de Besançon (ce qui est le cas de Jean II) pour soixante ans, s’obligeant à ne pas se mettre sous une autre garde durant ce temps, et le terme n’est pas encore échu ; – le cas a déjà été porté devant l’empereur, qui a conclu que les citoyens de la ville ne pouvaient faire alliance avec quiconque sans l’autorisation de l’archevêque, ni se placer en une autre garde que la sienne ; – le droit de régale confère à l’archevêque la possession des grands chemins et des portes de la ville… par lesquelles les troupes ducales seraient obligées de passer en cas de stationnement dans la cité promis par les habitants. Ceci est donc rendu impossible, car ces derniers n’ont aucun droit sur les portes ! – la reine et le duc ont ordonné « par leur grand Conseil » que de telles gardes n’ont aucune valeur en Comté si elles doivent aller « contre eux et leurs personnes » (l’argument ne tient guère, mais le renseignement est intéressant du point de vue du renforcement du pouvoir comtal) ; – les Bisontins se sont engagés, par le traité de garde passé avec Jean Ier de ChalonArlay, à le recevoir avec ses gens d’armes et à lui prêter une aide militaire, pour lui et ses successeurs perpétuellement (ce qui semble en contradiction avec l’échéance de soixante ans précédemment évoquée). Offrir la même chose au duc serait donc contraire à leurs premières obligations ; – les habitants de la ville sont justiciables entièrement de l’archevêque et de Jean de Chalon, et ne peuvent donc faire une alliance, fournir le recept ou une aide militaire à un autre sans leur assentiment, ni lever une armée ou faire la guerre pour une autre personne qu’eux ; – le duc est vassal de l’archevêque à cause du siège de Besançon, il lui doit donc loyauté et fidélité et ne doit donc pas lui faire une telle « torture » comme la garde « ensemble plusieurs autres choses deraisonnables qui y sont contenues » ; – Le duc est sire féodal de Jean de Chalon et à ce titre lui doit « amour et feauté », et ne doit donc lui imposer ces « tortures ».
104 ADD, 1B 328 (16). On peut sans craindre de se tromper relier le document au traité de 1357 : il fait en effet allusion à la garde confiée à Jean Ier de Chalon-Arlay – « monseigneur le Grand » – qui aurait été conclue pour soixante ans et serait encore en vigueur. Or, il s’est fait reconnaître gardien de la ville vers 1307 ; M. Bubenicek, Entre rébellion…, op. cit., p. 365.
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Il y a donc eu argumentation serrée, bien qu’assez contradictoire, dans un cadre que nous ne connaissons pas, pour défendre les privilèges des deux grands sur la ville face aux prétentions du pouvoir comtal. Outre le fait indéniable que Besançon est encore sous la garde de Jean de Chalon, cette argumentation prend notamment appui sur le postulat implicite selon lequel chacun est souverain en sa terre, et sur le droit féodal, qui sont encore considérés comme faisant autorité, puisqu’opposables à la politique ducale. La raison du prince semble ne pas faire le poids devant les « coutumes et franchises » seigneuriales dont les barons comtois sont si jaloux. L’examen du pouvoir de légiférer dans l’espace comtois en ce milieu du xive siècle peut-il confirmer cette impression ?
3. Dire le droit Oui, à première vue, car Eudes IV en particulier se trouve dans l’obligation de respecter certains privilèges de la noblesse, et n’est guère crédible lorsqu’il se pose en arbitre dans les conflits qui la traversent. Bien plus, les vélléités d’affirmation de son pouvoir sont désavouées par le roi de France. Pourtant, la reconnaissance de la loi du prince comme source du droit est déjà en marche. a. L’obligation de respecter le droit des nobles
Nous avons évoqué comment, par l’extension de la garde ducale, le prince a tenté de limiter le recours aux guerres privées pour régler les conflits. Mais cette politique se trouve considérablement entravée par le caractère très vivace en Franche-Comté, au xive siècle, du droit de guerre, qui reste le privilège des nobles105. Certes, Philippe V, en 1319, a voulu proscrire les excès des belligérants106, mais aucune ordonnance n’a supprimé le droit de guerre, et les ducs-comtes sont obligés de composer avec lui. Eudes IV s’est du moins efforcé de préciser ce privilège, alors « intact dans son principe ». L’affaire de Conflandey lui en offre l’occasion107. En 1342, Henri, sire de Conflandey108, cherche à mettre la main sur la terre de Soing109, qui appartient à Girard de La Rochelle et à sa sœur. Il les chasse de leur maison, et refuse de restituer leurs biens. Girard lui tend alors un guet-apens, le capture et le tient prisonnier dans le château de son frère Jean, seigneur de La Rochelle110. Les parents de la victime ayant dénoncé le guet-apens au duc, Eudes IV confisque les biens du sire de La Rochelle, et fait prendre le château par une armée, sous les ordres de Robert de Châtillon-en-Bazois. Afin d’obtenir la levée de la mainmise 105 J. Richard, « Le droit de guerre… », art. cit. 106 En interdisant par exemple d’incendier les châteaux, de couper les vignes ou les arbres fruitiers, d’enlever les animaux de trait… 107 J. Richard, « Le droit de guerre… », art. cit., p. 113-114. 108 Conflandey, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Port-sur-Saône. 109 Soing-Cubry-Charentenay, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Scey-sur-Saône-et-Saint-Albin. 110 La Rochelle, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Jussey.
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princière, Jean de La Rochelle libère son captif, se réconcilie avec lui, et obtient de recouvrer ses domaines, le 23 septembre 1342, grâce à Henri de Conflandey, qui déclare avoir été pris de bonne guerre aux commissaires ducaux que les deux hommes sont allés rencontrer à Dijon. Mais il revient bientôt sur ses dires, et accuse Jean de La Rochelle, devant le duc, de l’avoir pris par trahison. Jean s’en défend, et s’affirme en droit de venir en aide à son frère dans sa guerre avec le sire de Conflandey. Eudes IV demande alors une enquête, qui porte sur trois points principaux. Il veut savoir si un gentilhomme peut faire la guerre à un autre sans défi préalable quand il a été lésé par celui-ci ; si un parent peut s’associer à cette guerre ; enfin si la prise d’Henri de Conflandey a été faite de bonne guerre. Les pièces fournies par ce dernier ont été conservées et paraissent apporter une réponse affirmative sur les trois points111. Le duc entérine donc de fait la valeur juridique du droit de guerre, lorsqu’il est employé selon la justice. Il s’efforce simplement d’en éclaircir la définition et d’en réguler l’usage, mais n’a aucunement les moyens d’aller à son encontre. Cette affaire n’est en rien exceptionnelle, et plus d’une fois la coutume féodale vient sérieusement limiter la marge de manœuvre du pouvoir princier en Comté. b. Des sentences à valeur limitée : les arbitrages du prince
Une affaire illustre la crédibilité très relative dont peut bénéficier la parole ducale aux yeux de ses sujets, et principalement de la noblesse, au regard de la coutume féodale. Il s’agit de l’affaire de Châtelmaillot112, qu’Eudes IV va essayer de solutionner par un arbitrage. Le recours à l’arbitrage est une pratique répandue dans tout l’Occident médiéval au Moyen Âge, qui perdure encore alors que la justice du pouvoir central se développe. Rois et princes l’ont intégrée dans les mécanismes officiels de résolution des conflits113. C’est un moyen pacifique de régler les litiges, qui dépasse la simple médiation, car la décision finale appartient au seul arbitre, mais ne s’insère pas dans le système judiciaire. Il existe au contraire en marge de celui-ci, qu’il vient concurrencer. Sa rapidité et son moindre coût lui donnent souvent la faveur des grands, d’autant qu’il ménage leur susceptibilité et leur évite d’être déférés devant les tribunaux114. Mais l’affaire de Châtelmaillot, connue par un mémoire destiné à défendre les droits de Jean II de Chalon-Auxerre115, illustre bien le fait que l’arbitrage peine à justifier de sa valeur juridique.
111 ADCO, B 287, publié par J. Richard, « Le droit de guerre… », art. cit., p. 114-115. 112 Voir H. de Faget de Casteljau, « En marge d’un rattachement de cœur à la France. Philippe VI et l’affaire de Châtelmaillot (1345) », Académie des sciences, belles-lettres et arts de Besançon. Procèsverbaux et mémoires, 183 (1978-1979), p. 275-306. Selon lui, il s’agit de Granges-Maillot, comm. Levier, Doubs, ar. Pontarlier, c. Frasne. 113 N. Offenstadt, « Interaction et régulation des conflits. Les gestes de l’arbitrage et de la conciliation au Moyen Âge (xiiie-xve siècle) », in Les rites de la justice. Gestes et rituels judiciaires au Moyen Âge occidental, Cl. Gauvard et R. Jacob (éd.), Paris, 1999 (Cahiers du Léopard d’or 9), p. 201. 114 Y. Jeanclos, L’arbitrage en Bourgogne et en Champagne du xiie au xve siècle. Étude de l’influence du droit savant, de la coutume et de la pratique, Dijon, Centre de recherches historiques, 1977, p. 10-14, 65. 115 ADD, 1B 471 (7).
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En 1338, suite à un conflit avec son oncle Simon de Sainte-Croix, doyen de Mâcon, qu’il a fait prisonnier, Guillaume d’Antigny, sire de Sainte-Croix, s’est emparé de la place, ainsi que de celle de Montfort116, au grand dam du suzerain des lieux, Jean II de Chalon-Auxerre. Ceci a débouché sur une série d’escarmouches pour reprendre le château et le bourg de Maillot, car le comte d’Auxerre entend se remettre en possession des lieux afin de statuer sur le bien-fondé de la guerre entre l’oncle et le neveu. Mais Eudes IV a de son côté rendu une sentence d’arbitrage le 23 avril 1341, très favorable à Sainte-Croix117, envers qui il est redevable de grands services lors de la guerre de 1336118, ce qui lui permet dans le même temps d’exercer un contrôle sur cette forteresse stratégique au cœur des domaines de Jean de Chalon-Arlay. Il a par ailleurs déjà installé ses hommes à Maillot, en soutien aux troupes de Guillaume d’Antigny. Mais il les retire, alors que le litige prend la forme d’une guerre ouverte entre le sire de Sainte-Croix et son suzerain. C’est finalement le roi Philippe VI qui y mettra fin par un nouvel arbitrage en 1345, par lequel il rétablit Jean de Chalon-Auxerre dans ses droits de suzerain119. Cet épisode permet de mesurer la faible portée de la décision ducale : face à la détermination de Jean II de Chalon-Auxerre à faire valoir ses droits, par la force s’il le faut, elle est restée non avenue. Le pouvoir princier est bel est bien battu en brèche au nom de la coutume féodale, que le comte d’Auxerre entend imposer afin de régler le litige à son profit : il reste à ses yeux le seul autorisé à statuer sur le différend qui oppose Guillaume de Sainte-Croix à son oncle, en tant que suzerain direct des fiefs qui en sont l’objet. En levant l’occupation de Maillot, Eudes IV reconnaît ipso facto son incapacité juridique à imposer comme souveraine sa sentence d’arbitrage, et laisse le champ libre à l’exercice de la justice baronniale, en raison de la délicatesse de ce cas, qui relève désormais d’une déclaration de guerre d’un vassal envers son suzerain. Ce n’est certainement pas ce qu’espérait Guillaume d’Antigny : en faisant intervenir les hommes du duc-comte à Maillot, il tablait sans nul doute sur l’aptitude de celui-ci à faire respecter la sentence du 23 avril 1341. Mais la simple parole du prince, dont on perçoit bien ici les limites, ne se suffit pas encore à elle-même, d’autant plus qu’elle est prononcée en dehors de toute institution judiciaire établie. Elle est donc contrainte de s’effacer devant le droit féodal et les pratiques réglées de la guerre entre les nobles. C’est en effet dès lors que le sire de Sainte-Croix eut pris par la force le château de Maillot, et que le sire de Châtelbelin eut répliqué par la prise de Pimorin et de Vernantois que les gens monseigneur d’Auceurre enfermerent les gens du duc du droit de monseigneur et firent que lesdits gens le duc et ses penonciauls furent ostés du
116 Comm. Le Val, Doubs, ar. Besançon, c. Saint-Vit. Voir carte 11. 117 H. de Faget de Casteljau, « En marge… », art. cit., p. 284-285. L’auteur ne donne pas de référence d’archive. 118 Rappelons l’accord passé entre eux le 8 mai 1336, par lequel Guillaume d’Antigny s’était engagé à servir le duc dans les guerres du comté durant un an, en échange d’un versement de 4 000 l. tournois aux Lombards de Seurre ; ADCO, B 11 733. 119 ADD, 1B 471 (8), 11 avril 1345.
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bourg et fu octroyé es gens monseigneur d’Auceurre pour les gens le duc qu’il alassent à leur droit120. Qu’entend-on par « aller à leur droit » ? Avant de donner l’assaut à Châtelmaillot, Jean de Chalon-Auxerre tente de négocier en faisant valoir son droit de suzerain sur ce fief, ou c’est du moins ce que le mémoire qu’il présente au roi cherche à mettre en exergue ; ces démarches en bonne et due forme, menées le vendredi après la Saint-Marc, soit le 27 avril 1341, c’est-à-dire seulement quatre jours après l’arbitrage ducal, n’aboutissent qu’à la restitution du château, mais ni à celle du bourg, ni à celle des biens soustraits au seigneur et à ses hommes par les gens de Guillaume d’Antigny. Ce serait la mauvaise foi de ce dernier, désavouant ses sbires dans une lettre au comte d’Auxerre, mais ne faisant rien pour changer cette situation, qui aurait fini par inciter le sire de Châtelbelin à laisser parler les armes, encore qu’il ait tenté une dernière fois, là encore d’après le mémoire, d’user pacifiquement de ses prérogatives féodales avant de prendre Le Pin, en réponse aux exactions de Sainte-Croix sur ses terres auxerroises : Encore que messire assaillist audit bourg, il requist les gens du seigneur de sainteCroix que ledit bourg il rendissent comme son fié, et il se mirent tantost à defense. Le mémoire destiné à convaincre le roi du bon droit de Jean de Chalon-Auxerre insiste donc lourdement sur l’irrespect porté par son vassal à son droit de suzerain, alors que lui-même se serait scrupuleusement plié à la coutume121, ainsi que sur le caractère juste de ses interventions musclées, menées dans le cadre d’une « bonne guerre ». Il s’agit de contrer la portée éventuelle de l’arbitrage d’Eudes IV dont – il est important de le noter – Jean de Chalon-Auxerre n’a tenu aucun compte. Cela a-t-il été suffisant pour influencer Philippe VI en sa faveur ? Le roi a beaucoup tardé à rendre sa décision. Après avoir décrété une trêve d’un an le 4 février 1343 et reçu la soumission des deux parties, qui promettent de se plier à son arbitrage le 14 du même mois122, il ne se prononce que le 11 avril 1345, au vu de l’examen de l’enquête en son Conseil. Il ne va pas à l’encontre de la sentence d’Eudes IV et demande la restitution de tous les châteaux pris par Jean de Chalon-Auxerre au sire de Sainte-Croix (restitution à laquelle le doyen de Mâcon est consentant pour ceux qui le concernent123) : Pimorin, Vernantois,
120 ADD, 1B 471 (7). 121 « Item que messire d’Aucerre eut fait au seigneur de Sainte-Croix plusieurs griefs que non a li sire de SainteCroix son homme lige le dust, avoir requis et sommé de la generale et notoire coutume de Bourgogne par un an et un jour, et requis par chacune quarantaine de l’annee, laquelle chose il n’a pas fait. » 122 La première étape de l’arbitrage est la passation d’un compromis, par lequel les deux parties en litige choisissent un ou plusieurs arbitres pour terminer le conflit. Elle se présente généralement sous la forme d’un acte écrit, rédigé en double exemplaire par une personnalité ecclésiastique ou laïque, parfois copié par un spécialiste de l’écriture publique, tel un notaire impérial ; Y. Jeanclos, L’arbitrage…, op. cit., p. 25. 123 Il écrit deux fois au comte d’Auxerre le même jour, dimanche avant la Saint-Clément (20 novembre) 1345, d’une part pour l’engager à accepter la sentence royale ; ADD, 1B 471 (8) ; d’autre part pour lui mander de remettre à son neveu le château de Maillot, selon l’arbitrage ducal qui en faisait la condition de sa remise en liberté ; ADD, 1B 463 (5). Jean de Chalon-Auxerre semble avoir été sourd à
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Châtelmaillot, Le Pin, Montfort. Ils resteront cependant en la main du comte d’Auxerre jusqu’à tant que Guillaume d’Antigny lui ait prêté hommage. Cette nuance est importante, elle reconnaît les droits du suzerain bafoués par son vassal indocile, qui est contraint de lui verser de gros dommages et intérêts, s’élevant à 6 000 l.124. C’est-à-dire que si Philippe VI ne désavoue pas officiellement la parole de son beau-frère, par laquelle Montfort et Châtelmaillot passaient aux mains du sire de Sainte-Croix au titre de son héritage, il rétablit à sa juste place Jean Chalon-Auxerre, que l’arbitrage d’Eudes IV avait court-circuité. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que l’impuissance du duc-comte est mise en lumière par un recours au roi de France. c. Les arbitrages royaux, ou le prince en échec
À deux reprises, les guerres comtoises débouchent sur une intervention de Philippe VI, conforme à l’image d’un « roi de paix » que le souverain veut donner. Cette paix est avant tout un « bricolage », visant à faire baisser les tensions et à rétablir le dialogue125. Elle prend là aussi la forme de l’arbitrage. Cependant, ce sont des mesures de circonstance qui doivent impérativement être interprétées à la lumière des événements en cours dans le royaume de France, et spécialement de la guerre contre l’Angleterre. Juin 1337 : un premier arbitrage royal126
En mai 1337, Philippe VI confisque la Guyenne. Le pire est attendu. On ne peut risquer la menace d’être pris de revers sur le flan est, où les barons comtois complotent avec l’Anglais. En juin, il intervient en arbitre dans les guerres comtoises, où son beau-frère s’enlise, grâce à la médiation de l’archevêque de Besançon, Hugues de Vienne. Contrairement à ce que le poids politique du duc de Bourgogne pourrait laisser penser, le roi est bien loin de lui donner complète satisfaction, car il faut ménager les féodaux. À son avantage, il met l’attribution officielle de Chaussin, qu’Eudes IV a arraché de haute lutte à Henri de Montfaucon en 1336. Il envoie également les deux principaux rebelles, et ce n’est pas rien, dans les prisons royales, puis ducales :
cette requête, et donc avoir nié encore une fois la validité de la parole d’Eudes IV sur laquelle s’appuie le doyen de Mâcon. Simon de Sainte-Croix doit en effet réitérer son aval à la cession de Châtelmaillot, se référant cette fois-ci aux deux médiations, royale et ducale, le jeudi après Noël (31 décembre) 1345 ; ADD, 1B 463 (5). 124 ADD, 1B 471 (8). 125 N. Offenstadt, Faire la paix au Moyen Âge. Discours et gestes de paix pendant la guerre de Cent Ans, Paris, Odile Jacob, 2007, p. 13, 308. 126 ADD, 7E 1318, ADD, 7E 1323, ADD, 1B 339 (1), publié par Fr.-F. Chevalier, Mémoires…, op. cit., t. I, preuve n° 95, et par U. Plancher, Histoire…, op. cit., t. II, preuve CCLXI. Il est approuvé par Eudes IV certainement sur l’heure, le 13 juin à Vincennes (ADD, 7E 1318), puis par Chalon et Montfaucon en juillet ; ADD, 7E 1323.
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Derrechief, lidis Jehan de Chalon et li sires de Monfacon vainront en nostre prison127 au Louvre lez Paris, et y demourront tant comme il nous plaira. Derrechief il yront avec ce en la prison dudit duc au lieu et le jour que nous ordonerons, et y demourront jusques à nostre volontey. En sa défaveur, le duc est lourdement grevé financièrement par l’obligation qui lui est faite de rembourser les dettes contractées par Jean de Chalon envers les Juifs et les Lombards, à la hauteur de 5 000 l. Il doit en outre lui abandonner le fief d’Arguel, qu’il avait tenté de faire passer dans sa mouvance directe. Il doit encore concéder à Henri de Montfaucon 200 livrées de terre à Étobon, sur la succession d’Othenin de Montbéliard, et le dédommager s’il est établi que la jouissance de cette terre ne lui revenait, à lui et à la duchesse, que durant la vie de ce dernier – qui semble donc décédé à cette date. Quant aux doléances des barons, tant Chalon que Montfaucon, Neuchâtel et Neuchâtel outre-Joux, sur le non-respect de leurs privilèges par le duc, elles seront examinées par les envoyés du roi, … qui plainement et en bonne foy enquerront des costumes, declareront et termineront ce qu’il en troveront. L’heure est aussi à la conciliation avec la cité de Besançon, engagée aux côtés des grands féodaux, et qui a subi de lourdes pertes à la défaite de la Malecombe à l’été 1336 : Derrechief, ce ceux de Besançon cuident avoir aucune raison envers ledit duc, il li vainront requerre deuement et convenablement en son hostel en la comté de Bourgoingne, par eux ou par leours procureours, à une jornée tant soulement ; et se li dux ne leour en respondoit et delivroit selon raison, l’en iroit, useroit et assembleroit la ou l’on a acoustumé de faire, et la ou li comte de Bourgoingne avoit acoustumé, quant il avoient affaire à ceux de Besançon. Le roi fait donc la part belle à la coutume, contre d’éventuelles nouvelletés introduites par Eudes IV, sur lesquelles il ne donne pas plus de précisions. Il sera beaucoup plus prolixe en 1348. Il renvoie dos à dos les deux parties, qui devront restituer les places conquises, en dehors de Chaussin et d’Arguel. Le duc n’est pas traité en prince souverain : il sera tenu de prendre en compte les réclamations des féodaux au sujet de la violation de leurs coutumes et franchises. L’enjeu est double : ne pas précipiter les comtois dans l’alliance anglaise, alors qu’ils sont courtisés activement par Édouard III128 ; s’assurer de leur appui militaire dans le conflit qui se profile : Derrechief, lesdis Jehan de Chalon, et li sires de Montfacon, nous serviront en nos guerres la ou il nous plaira, especialement contre le roy d’Angleterre, se guerre il y a ; c’est assavoir li sires de Montfacon pour une saison, et lidit Jehan de Chalon tant comme tenuz y est ez gaiges et retors de chevaux de nos acostumez.
127 U. Plancher a transcrit « présence », mais c’est une erreur, comme le confirment les actes des archives. 128 Voir IIIe partie, chapitre i.
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Effectivement, ce renfort est obtenu dans les années qui suivent. Philippe VI paraît avoir sagement parlé, sans s’aliéner son beau-frère, largement satisfait, ni fermer le dialogue avec les grands. Eudes IV, en revanche, n’a pas joué le jeu, et rien abandonné de ses prétentions souveraines, ouvrant la porte à la reprise des conflits en Comté. Il lui faut dès lors à nouveau compter avec le souverain, mais le ton du second arbitrage royal est très différent du premier. Mars 1348 : nouvelle intervention du roi129
En mars 1348, une nouvelle intervention royale met fin à la guerre qui sévit depuis novembre 1346. Les motifs de Philippe VI ne sont plus les mêmes. Il s’agit de ménager les forces après la défaite de Crécy et la crise politique qu’elle a suscitée à Paris. La portée majeure de l’arbitrage prononcé à Vincennes n’est pas le règlement du conflit local en soi, mais plutôt celui du sort de Jean de Chalon-Arlay, en tant que grand seigneur d’obédience française passé à l’ennemi. Son absolution est un geste d’apaisement exemplaire ; elle s’accompagne de la restitution des terres confisquées pour refus de service. Une rentrée en grâce qu’Eudes IV accepte sûrement mal, d’autant qu’il n’est pas dans les meilleurs termes avec la cour, où le temps de la suprématie bourguignonne est révolu130. Emporté par sa plume, Édouard Clerc place le duc-comte dans une posture très dramatique : Abreuvé d’ennuis dans sa vieillesse, sombre, isolé dans ses vastes châteaux, il souhaita une trêve pour en finir131. Pourquoi Eudes IV, moralement et financièrement très éprouvé132, a-t-il réclamé la médiation de Philippe VI ? S’il est clair que l’entretien de garnisons permanentes lui coûte fort cher en Comté ces années-là, il devait savoir à quoi s’attendre sur ce point. Avait-il escompté une issue plus rapide ? Il est difficile de trancher. On ne peut pas non plus invoquer la Peste pour justifier ce coup d’arrêt133. Tout au plus peut-on dire qu’au mois de mars 1348 le souverain a de bonnes raisons d’être prévoyant. Il vient d’apprendre la perte de l’alliance navarraise134. Courant le risque d’être envahi par le sud, il préfère assainir les affaires orientales et couper court à la menace d’un front supplémentaire, même s’il doit pour cela sacrifier les intérêts du duc de Bourgogne. Le temps n’est plus à la conciliation et à l’examen des droits des uns et des autres comme en 1337. Le roi donne en effet largement satisfaction au parti comtois des Chalon-Arlay, Neuchâtel, Faucogney. Le prince est tenu de leur restituer tout le
129 ADD, 1B 389 ; ADCO, B 11 912 ; U. Plancher, Histoire…, op. cit., preuve CCLXXX. 130 Voir R. Cazelles, La société politique…, op. cit. 131 É. Clerc, Essai…, op. cit., p. 85. 132 Il est endeuillé par les récentes disparitions de son fils, puis de sa femme, en 1346 et 1347. 133 Elle semble s’être déclarée dans le courant du printemps. P. Gresser, La Franche-Comté…, op. cit., p. 40. 134 La reine Jeanne passe un accord avec Édouard III : elle lui laisse la liberté de passage dans ses terres et promet de barrer l’accès de ses forteresses aux Français ; J. Favier, La guerre de Cent ans, Paris, Fayard, 1980, p. 197.
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produit de ses confiscations. La reconstruction de l’objet initial du litige, c’est-à-dire des nouvelles fortifications que Jean de Chalon a élevées au-dessus de Salins, est très symboliquement autorisée. Les prétentions ducales, aussi bien sur la règlementation du commerce que des forêts, sont réduites à néant. L’autorité souveraine d’Eudes IV, touchée au cœur, se trouve déniée par décision officielle. Philippe VI frappe assez fort pour que l’Angleterre soit pour longtemps dans l’incapacité de récupérer à nouveau un mécontentement désormais privé de motif. En revanche, il conserve par prudence la mainmise sur la forteresse de Château-Lambert, ultime bastion septentrional de mouvance bourguignonne, en prise directe avec les assauts des « Allemands », tandis que Chalon doit restituer au comte le contrôle de Pontarlier, qui joue un rôle analogue en direction de la Suisse. Cette double précaution met en lumière le souci de se protéger du côté de l’Empire en cas de nouvelle offensive anglaise. Alliée à l’entière satisfaction donnée aux barons, elle évite que ne se répète l’erreur de 1346 ; cette année-là, la négligence des Français les avait jetés dans le camp d’Édouard III. Par conséquent, la défense en marche apparaît bien constituer la cause première de l’intervention du souverain dans le conflit. En 1337 comme en 1348, le roi agit en arbitre entre deux forces féodales égales, ayant des torts mutuels. Il reconnaît ainsi officiellement l’incapacité d’Eudes IV à s’imposer comme souverain, voire même – c’est clair en 1348 – entrave ce projet, pour des raisons tactiques et peut-être politiques. Le duc de Bourgogne est toujours bien assez puissant, les descendants de Philippe VI l’apprendront à leurs dépens. Il n’est pourtant pas sans ressources. En 1343, Eudes IV a même fait preuve d’un certain ascendant sur le règlement des affaires comtoises, en émettant un texte destiné à terminer la guerre avec ses barons, connu seulement par l’approbation qu’en a donnée Henri de Montfaucon-Montbéliard135. Frémissement qui contient en germe la mutation juridique capitale, qui va bientôt faire du pouvoir comtal la seule source du droit. d. La loi du prince
Cette tendance se dessine sous Eudes IV, dans une affaire originale à la charnière de l’arbitrage et du jugement étatique, et se confirme largement au temps de ses successeurs. Un cas de transition : Montbéliard contre Neuchâtel outre-Joux
L’affaire opposant Henri de Montfaucon-Montbéliard à Louis de Neuchâtel outre-Joux présente beaucoup d’intérêt. Le duc Eudes IV est d’abord choisi pour arbitre par les parties, en guerre ouverte. Rien que de très classique. Cela débouche sur une sentence, prononcée le 9 octobre 1343, à Gray, dont voici le préambule :
135 ADD, 1B 41. Le document est hélas illisible.
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C’est li ordenance et pronunciation faite par monseignour le duc de Bourgoigne sus les descors qui sont ou puent estre entre le seigneur de Montfaucon, ses complices et ses aidans, d’une part, et monseigneur Loys, seigneur de Neufchatel, à cause de lui et de ses enfanz, et par ses complices et aidans, d’autre part, per la vertu du povoir que les dictes parties li ont sur ce donné136. Suivent dix articles. Le dixième stipule la restitution des prisonniers faits par les deux camps, le neuvième conclut : Et parmi laquelle pronunciation, tout guerres sunt ostees et arrieres mises, et demeurent les dictes parties en bon acort et en bone pais. Remarquons que cette sentence se définit d’entrée comme une « ordonnance ». Le terme est choisi, il cherche à inscrire les décisions ducales dans le droit, ce qui va plus loin qu’un arbitrage classique qui, avant d’avoir été approuvé par les belligérants, reste purement formel, « à la limite un simple vœu », et n’a pas à sa disposition les contraintes dont peut user la juridiction comtale137. Or Eudes IV va au contraire faire appliquer sa sentence par un jugement de son propre bailli, redirigeant ainsi l’affaire vers les tribunaux du comté. Portée en appel devant le Parlement par le procureur d’Henri de Montfaucon, elle suivra désormais le circuit judiciaire que le prince travaille à imposer dans la province138. Le procédé est remarquable, mais hélas mis en échec par l’impéritie de l’institution : la prise en compte de l’appel est bien compromise par la conjoncture troublée des années 1340. Et si jugement du Parlement il y a eu au final, ce que nous ne savons pas, les belligérants ne s’en sont aucunement satisfaits : à la Saint-Martin d’hiver (11 novembre) 1344, soit environ huit mois après que l’appel au Parlement du prince ait été constaté devant notaire, c’est vers Jean de Chalon-Arlay que se tournent Montfaucon et Neuchâtel, sollicitant son arbitrage139. Une fois de plus, la parole souveraine d’Eudes IV est désavouée, pire encore, les barons lui préfèrent avec beaucoup d’opportunisme la médiation de son compétiteur comtois le plus acharné, ce qui est lourd de signification. Néanmoins, la façon dont le duc a joué de la coutume pour mieux imposer le jugement de ses officiers et le rendre incontournable atteste sa volonté opiniâtre de construire un appareil d’État en Comté, seul habilité à dire le droit. Il mourra sans y être vraiment parvenu, on le voit, achoppant sur l’indépendance considérable de la noblesse qui fait la particularité de la province. Il faut donc à ses successeurs chercher les moyens de s’imposer dans le domaine juridique tout en se conciliant les féodaux. Et ils réussissent ce tour de force, avec l’ordonnance passée à Gray par la régente Jeanne de Boulogne, le 29 avril 1349.
136 G.-A. Matile, Monuments…, op. cit., n° 459. 137 Y. Jeanclos, L’arbitrage…, op. cit., p. 261. L’arbitrage ducal est accepté par Louis de Neuchâtel le 18 octobre 1343 ; G.-A. Matile, Monuments…, op. cit., n° 460 ; U. Plancher, Histoire…, op. cit., preuve CCLXXV, p. 217. 138 BEC Besançon, Droz 17, fol. 278-278v et ADD, 7E 2772. Sur cet appel au Parlement, voir infra, chapitre III. 139 G.-A. Matile, Monuments…, op. cit., n°s 478 et 479.
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L’ordonnance du 29 avril 1349140
Peut-on dire comme Édouard Clerc qu’avec ce document « Eudes et Guy de Villefrancon semblaient être descendus tout entiers dans le tombeau141 » ? Certes, ce texte est négocié avec les féodaux comtois, représentés par Jean de Chalon, Henri de Montfaucon, l’archevêque de Besançon, qui promettent de faire appliquer ces décisions « en nouz terres, destroiz et juridictions » ; certes, il satisfait toutes leurs revendications et leurs intérêts, garantissant le retour aux anciennes « bones coustumes, libertez et franchises », et il leur laisse entrevoir une participation au gouvernement de la province par l’usage de la concertation, auquel Eudes IV ne les avait guère habitués. Mais il ne fait que marquer un temps d’arrêt destiné à apaiser les esprits. Le traité que scelle Jeanne de Boulogne présente toutes les formes d’une ordonnance de réforme telle qu’on la pratique dans le royaume142 : supplication de l’archevêque et des représentants des seigneurs, désir de la régente de travailler à l’utilité et au profit commun de la Comté, autant de termes caractéristiques de ce type de document143, qui affirme fortement l’autorité du prince en matière normative (« est ordonné par nous ») et en vertu de son seul bon plaisir (« avons outroié de grace especial »). C’est par ailleurs le premier document à caractère législatif général en Franche-Comté, qui ne statue plus uniquement sur le domaine, mais aussi sur les grands fiefs, réduisant ceux-ci au rôle de relais de l’application de la décision souveraine dans leurs « terres, destroiz et juridictions144 », opposés aux « ressort, souveraineté et baronnie » que le duc-comte a pris l’habitude d’évoquer dans ses chartes. Pour la première fois, cet espace de pouvoir abstrait est clairement défini : les fiefs de haute justice sont explicitement englobés dans le champ d’application de la parole de juge du prince. Confrontons ce texte de 1349 au mandement d’Eudes IV en vue d’instituer des réformateurs dans la région six ans plus tôt, commission qu’Ernest Champeaux a considérée comme la première ordonnance judiciaire franc-comtoise145 : le duc évoque certes ses « droiz recelez en nostre contei de Bourgoigne, baronie et ressort 140 ADD, B 55 et BEC Besançon, Droz 28, fol. 333-337. Publiée par E. Champeaux, Ordonnances…, op. cit., p. 4-9. 141 É. Clerc, Essai…, op. cit., p. 94. 142 Voir à ce propos l’article de Cl. Gauvard, « Ordonnance de réforme et pouvoir législatif en France au xive siècle (1303-1413) », in A. Gouron et A. Rigaudiere (éd.), Renaissance du pouvoir législatif et genèse de l’État, Montpellier, Société d’histoire du droit et des institutions des anciens pays de droit écrit, Perpignan, Socapress, 1988 (Publications de la Société d’histoire du droit et des institutions des anciens pays de droit écrit 3), p. 89-98. 143 Commun profit, bien et utilité publique, autant de justifications susceptibles d’apporter du poids à la législation, de lui donner « une portée générale et aussi impersonnelle que possible ». « Finalement, la loi de l’État doit s’imposer à tous parce que, même à travers des dispositions particulières, elle ne poursuit d’autre but que le bien commun de tous » ; A. Rigaudiere, Penser et construire l’État…, op. cit., p. 195. 144 Albert Rigaudière a souligné comment, de la même façon, le pouvoir royal, qui ne dispose pas de structures étatiques suffisantes pour relayer son action normative dans l’ensemble du royaume, a mobilisé toutes les structures existantes (barons, bonnes villes…) pour créer un véritable réseau de diffusion contrôlé par l’État ; ibid., p. 230. 145 E. Champeaux, Ordonnances…, op. cit., p. 1-3, d’après BnF, Moreau 900, fol. 380-383.
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d’ycelle » ; mais de quelle étendue parle-t-il vraiment ? L’ambiguïté est forte, et peut-être savamment entretenue : une juridiction princière supérieure est en germe dans les mots, bien que le terme de « souveraineté » ne soit pas avancé ; dans les faits, les commissaires reçoivent un pouvoir de « reformation de nostre terre et de nos subgiez » qui porte essentiellement sur les abus des officiers domaniaux et les cas d’usure. Quoique la référence toute princière aux « sujets » semble l’ouvrir à tous les Comtois, les fragments de comptes de cette réforme146 confirment que son action n’a guère dépassé le périmètre utile du comte, c’est-à-dire le cadre de ses prévôtés et châtellenies. Aucun indice concret donc d’une réelle extension du « ressort » de la justice comtale aux grands fiefs à travers cette opération. En revanche, en 1349, la forme du traité est particulièrement significative : le pouvoir comtal édicte les mesures, s’engage à les faire respecter par ses représentants ; ensuite seulement les féodaux interviennent, les reconnaissent comme bonnes, et promettent à leur tour de les appliquer sur leurs terres : Et nous Hugues arcevesque de Besençon, Jehans de Chalon, Henri, cuyens de Montbeliart […] avons promis et promattons en bone foy por nos et por tous les nobles de la dicte Conté et arceveschié de Besençon, por lesquelz nos nous facons fors, volons, loons, sentons et promattons de certenne science toutes les choses dessus escriptes et une chascune par foy, et ycelles tenir et garder fermement senz corrompre et faire tenir et garder en nouz terres, destroiz et juridictions. Une dissociation du pouvoir comtal apparaît avec ce document, témoignant d’une évolution capitale de la définition qu’il se donne et que les grands lui accordent. Il se place d’une part sur un pied d’égalité avec eux en scellant une promesse identique à la leur : Lesquelles choses dessus dictes outroiees, nos avons promis en bone foy […] tenir et garder […] et à ce nos obligions, mandons et commandons à tous nos officiers de la conté […] que ceste grâce et les choses dessus dictes publioient uns chascuns es lieux de la juridiction qu’il governe […], et que cestes presentes ordonances gardoient fermement et acomplissent… C’est le seigneur justicier dans son domaine qui parle. Il appliquera en tant que tels les articles énoncés plus haut, au même titre que les autres signataires… à la différence qu’il en est à la fois l’exécuteur et l’inspirateur. En ce qui concerne les dispositions légales, aucun passage du texte n’officialise une décision qui aurait été prise de concert147. La régente partage le pouvoir exécutif avec les féodaux, mais elle s’affirme comme législateur unique en Comté. Elle crée la loi là où son prédécesseur s’était trouvé dans l’obligation de recourir à l’arbitrage du roi comme gardien du droit pour retrouver crédit. Dans la sphère du législatif au moins, la Franche-Comté vient de basculer de l’ère féodale dans celle de l’État.
146 ADD, 1B 83 et BnF, Moreau 900, fol. 383v- 412v. 147 Jeanne de Boulogne précise cependant avoir fait cette ordonnance « par grand Consoil », mais le texte lui impute l’entière et ultime décision de son contenu.
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À la lumière des recherches récentes qui voient « dans l’exercice du pouvoir édictal un élément fondamental de la reconstruction de l’État, au même titre que le droit de juger ou de lever l’impôt148 » (A. Rigaudière), cette issue peut donc être considérée comme une victoire posthume d’Eudes IV149. Ainsi vingt ans de crises et d’affrontements apparemment sans effets ont au contraire poussé les partis épuisés à reconnaître de fait la nécessité du pouvoir législatif et ordonnateur supérieur du prince, prélude à la genèse de son État souverain150. Et dès lors, ce pouvoir normatif tout neuf ne va cesser de s’exercer en Comté. Mais il est éclairé d’une lueur bien pâle par les sources. D’autres indices de l’affirmation du pouvoir législatif du comte
On a vu que Jean de Normandie convoque les hauts barons à Dole le 17 avril 1350 et y arrête en concertation avec ceux-ci une ordonnance pour la police du comté, perdue, connue seulement par son analyse citée par le président Clerc151. Là encore, le tuteur du jeune duc travaille ainsi à marquer le contrôle du prince bourguignon sur l’espace comtois, et à instituer sa capacité de légiférer à l’échelle de toute la province. Soulignons au passage que la police est un enjeu important de pouvoir, traditionnellement aux mains des seigneurs. Sa prise en main progressive par le duc et ses agents participe de la construction de l’État152. D’autres ordonnances ont suivi, nous en avons la certitude pour la fin de l’année 1358. Mais lesquelles ? Et à quel sujet ? Les sources restent muettes sur ce point153. Si le pouvoir législatif comtal semble donc plutôt s’affirmer avec les successeurs d’Eudes IV, le Capétien s’étant avéré assez démuni en la matière, ce dernier a néanmoins contribué à renforcer l’exercice de la justice dans sa principauté par d’importantes mesures. Une étude détaillée de l’appareil administratif et judiciaire le met en lumière.
148 A. Gouron et A. Rigaudiere, Renaissance…, op. cit., p. 8. 149 L’ordonnance de 1349 supporte d’être rapprochée du Statut édicté la même année par le dauphin Humbert II pour préserver l’intégrité de sa principauté à l’occasion de son transport au roi de France. Traditionnellement présenté comme privilégiant les nobles, il a été relu par Anne Lemonde comme définissant au contraire la potestas du prince sur l’ensemble du territoire delphinal, et confirmant son pouvoir régalien ; A. Lemonde, Le temps des libertés…, op. cit., p. 27 sq. 150 Pour Albert Rigaudière, les lois de réformation comme celle de 1349 adviennent souvent pendant des périodes troublées, qui débouchent sur des réformes en profondeur. Elles sont à la fois un moyen de restaurer l’ordre ancien et de l’adapter « aux exigences nouvelles nées des conflits entre l’État qui s’affirme et les divers corps qui refusent sa trop forte emprise. Ainsi conçue, la loi de réformation apparaît comme un moyen de restaurer un équilibre rompu dans le fonctionnement des rouages de l’État » ; A. Rigaudiere, Penser et construire l’État…, op. cit., p. 205-206. On ne saurait mieux dire ici. Rappelons que l’ordonnance de Jeanne de Boulogne inaugure de nouveaux équilibres politiques faisant la part belle à la participation des grands (voir IIIe partie). 151 É. Clerc, Essai…, op. cit., p. 97. Dunod de Charnage, qui a peut-être eu le document en main, y fait aussi allusion ; Fr.-I. Dunod, Histoire des Séquanois…, op. cit., t. II, p. 236-237. 152 A. Rigaudiere, Penser et construire l’État…, op. cit., p. 341. Sur les ordonnances de police, liées à l’instauration de la paix et de la justice, autant qu’au contrôle de l’espace et du temps, voir le même p. 287 sq. 153 Le compte d’Aubriet de Plaine nous apprend que la reine et le jeune duc se sont trouvés à Dole la semaine de la Toussaint 1358 « pour publier les ordonnances » ; ADCO, B 1406, fol. 43v.
Chapitre III
Appareil administratif et judiciaire Le comte veut affirmer son appareil judiciaire face aux juridictions concurrentes : les barons hauts justiciers1 et l’archevêque de Besançon. L’official du second a son champ d’action dans tout le diocèse. Il détient l’écrasante majorité en ce qui concerne la validation des actes juridiques. Cela s’explique en partie par la possibilité de menacer les contrevenants d’excommunication, ce que ne permet pas la cour du comte, représentée localement dans les prévôtés et les châtellenies. On commencera donc par étudier les cours locales, avec leurs tabellions, bon indice du champ d’action judiciaire du prince en Franche-Comté, avant d’éclairer le rôle des officiers proprement dits, prévôts, châtelains et baillis, dont les attributions multiples recouvrent aussi le champ de la justice. Face à leurs sentences, les sujets du prince ont néanmoins deux recours : porter l’affaire devant le Parlement, ou bien s’en remettre aux réformateurs lorsqu’il y en a en exercice dans la province, ce qui est le cas par deux fois au temps d’Eudes IV. Quelles nouveautés ces diverses institutions introduisent-elles, et dans quelle mesure le pouvoir princier en sort-il renforcé ?
1. Les cours locales On conserve dans les différentes archives départementales 125 actes civils passés devant l’official de Besançon de 1330 à 1349 (testaments non compris), contre trentedeux seulement où l’on a apposé le sceau comtal. Celui-ci est détenu par un garde dans les différentes prévôtés. À Gray, il est en 1343 entre les mains d’un chanoine de la chapelle comtale, Jacques le Rousse2. Les gardes des sceaux sont souvent deux,
1 Ceux-ci possèdent des cours de justice, dotées de sceaux, à l’image de celles du comte. Par exemple, un acte du lieutenant de Jean de Chalon-Auxerre, Béraud d’Andelot, et de son bailli Visin de Montaigu, daté du 15 décembre 1348, porte leurs sceaux et, « à plus grant segurtey », celui de « la cour de mon dit seigneur le conte duquel on use à Lons » ; ADD, 7E 1341. On trouverait pareillement un acte scellé du sceau d’Henri de Montfaucon, comte de Montbéliard, « dont on use à Montbeliart » ; vente du 4 décembre 1342, ADD, 1B 427 (4) ; une invocation de la juridiction de la cour de Thibaut de Neuchâtel, qui scelle un acte – par lequel l’écuyer Richard de Scey dote sa femme – en même temps que l’official de Besançon ; ADD, 7E 3592, 26 novembre 1344 ; la soumission du respect d’une vente à la justice et à la cour de Jean de Chalon-Arlay et de sa mère Béatrice de Vienne ; ADD, 7E 3541, 10 novembre 1329. Michelle Bubenicek a rappelé l’autonomie judiciaire quasi-totale des grands féodaux comtois, advenue par le fait de la dissociation existant dans la province entre pouvoir de juger et directe féodale, et aggravée par le relief très compartimenté rendant les communications difficiles, « obstacle naturel à l’établissement d’une jurisprudence supérieure » ; M. Bubenicek, Entre rébellion…, op. cit., p. 201-202. Elle signale que, longtemps, les sentences de ces cours baronniales ne font aucune allusion au recours éventuel à l’autorité supérieure du comte ; ibid., p. 204, se référant à M.-Th. Allemand-Gay, Le pouvoir…, op. cit., p. 360. 2 ADD, 1B 354 (14).
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voire trois : Estevenin Pomais, Guillaume Rissous et Bonvallot Pêcheur, trois clercs à Salins en 13353, Vaitheret et Ernouf du Pont à Grozon en 13314, Guillaume Grisot, prêtre, et Jean Coutenot de Quincey à Vesoul en 13455. Leur présence se double de celle d’un tabellion, qui rédige les actes et ajoute parfois son seing en signe de validité supplémentaire6. Parfois, il est aussi juré de la cour de Besançon, mais pas toujours. Il est aussi possible que les deux types de notaires coexistent7. Notons la mention en 1343 d’un tabellion général du comté, Guillaume de Salins, qui se présente ainsi avant de signer : Guillaumes de Salins de la diocese de Besançon, clerc notaires publiques des auctoritey de l’emperaour et dou roy de France, tabellions et jurey de mons. l’arcevesque de Besençon et dou dit mons. le duc, general pour toute sa contey de Bourgoigne8. Cette mention très intéressante, qui laisse supposer l’existence d’un service central destiné à concurrencer l’officialité de Besançon, n’apparaît malheureusement qu’une fois, en raison peut-être de l’échec de cette tentative. On ne la retrouve pas avant 1358, à l’occasion d’une copie effectuée par le tabellion général du comté de Bourgogne Estevenin Lengret de Dole, et scellée du sceau de la cour de Poligny9. Ce service central de chancellerie est alors basé à Poligny, et apparaît dans le compte du trésorier d’Aval pour l’année 1358-1359 : le tabellion général est désormais Joceran de Chamole, qui occupe également la fonction de receveur à Poligny. Son activité est assez conséquente : il a enregistré vingt-cinq lettres, ce qui a généré une recette de 7 l. 6 s. obole de droits de sceau. Le tabellion de Grozon rend pour le même temps un registre de 101 lettres au trésorier, soit 112 s. 7 d. obole de droits de sceau. À Colonne, on comptabilise quarante et une lettres (pour 45 s. 6 d. de droits), soixante-dix-huit à Orchamps, où le curé fait office de tabellion (pour 106 s. 4 d. obole de droits), cinquante-quatre au Bourg le Comte de Salins (pour 8 l. 18 s. 11 d. de droits)10. On remarque que les droits de sceau sont proportionnellement beaucoup plus élevés à Poligny, et dans une moindre mesure, à Salins, en considération sans doute de l’importance de ces centres urbains. La formule consacrée afin de s’en remettre aux cours comtales est toujours à peu près la même. Par exemple pour un acensement à Boule : En tesmoignage de la quel chouse, je li devant diz Hugues ai requis et fait saeller ces presentes lettres dou seel de la court de tres noble et puissant prinpce Eude duc de Borgoigne, comte d’Arthois et de Borgoigne palatin et signour de Salins, 3 ADD, 1B 203, fol. 3v- 4v. 4 ADD, 1B 507 (17). 5 ADD, 7E 1336. 6 Ibid., pour l’hommage du sire de Joux le 22 septembre 1345. 7 En 1357, pour la vente d’une rente à Brainans, le notaire de l’official qui appose son sceau est considéré comme « coadjuteur » du tabellion comtal de Poligny ; ADD, 1B 426 (5-6). 8 ADD, 7E 1344, 19 juillet 1343, le sire de Joux reconnaît que son château est un fief comtal. 9 ADD, 1B 407 (17), le 23 mai 1358. 10 ADCO, B 1406, fol. 1v, 3, 4v et 5.
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dou quel seel l’on use à Pontellier11 par Jehan Tholonier et par Jehan de l’Aule, en la juridicion de la quel court je souzmet et ai souz mis moi et touz mes biens moubles et non moubles, presenz et avenir, pour faire tenir la tenour de ces presentes lettres12. Sur les trente-deux actes retenus, il apparaît que les recours les plus nombreux touchent les cours de Vesoul et de Gray, dont on trouve le sceau sur onze actes, six pour la première et cinq pour la seconde. Ensuite viennent les cours de Clerval et de Montjustin, avec trois actes chacune, puis celle du comte de Flandre à Arbois, celle de Salins, celle de Grozon et celle de Jussey, avec respectivement deux actes pour chacune. Enfin, des documents isolés font intervenir les sceaux de Dole, Montbozon, Pontarlier, La Loye, Chariez et Montmorot, voire même de la cour du comté sans plus de précisions. L’examen de ce panel met en lumière le champ d’action des cours comtales. Est-il très étendu ? Quoique la conservation des documents relève en bonne partie du hasard dans un domaine où de simples particuliers sont en jeu, on ne relève pas d’expansion significative du nombre de recours au sceau du duc-comte au cours de la période 1330-1349. Il est vrai que le maigre échantillonnage à notre disposition ne permet guère de tirer des conclusions statistiques probantes. En revanche, quelques informations émergent. Le manque de confiance absolue en la justice du prince tout d’abord, puisqu’il est certains cas où l’on demande la double caution de l’official et du comte, la cour du comte de Flandre à Arbois semblant la moins efficace. Un usage interne ensuite, pour des quittances de gages ou pour régler des affaires domaniales, qui présente peu d’intérêt pour nos conclusions. Son champ d’action réduit aux populations du domaine enfin, et à des gens plutôt modestes qui ne disposent pas de sceau personnel, à deux exceptions près : Simonin, seigneur de Vaudrey, qui s’en remet à la juridiction de Dole pour assigner une rente à sa belle-fille en 133113 alors qu’il a bien un sceau, qu’on le voit utiliser en 1334 pour fonder une messe anniversaire à l’intention de sa femme14 ; Thibaut, sire de Rougemont, qui vend des possessions à son fils en 1339 et fait lui aussi usage de son sceau par ailleurs la même année15. Ces dons comportent pourtant la haute justice, même s’ils portent sur des points forts du domaine comtal16. Ces cas attestent donc d’une expansion très relative du champ d’action des cours de justice sur la petite noblesse limitrophe du domaine. Les grands fieffés en effet, comme les deux Chalon, ou même de plus modestes, tel Philippe de Vienne seigneur de Pymont, possèdent eux aussi des cours sur le même modèle, qui disposent du sceau du seigneur. Il suffit à valider l’acte. On ne les voit recourir au sceau comtal que lorsque l’affaire dépasse la dimension domaniale, en 1343. La cour de Gray valide cette année-là un accord avec Philippe de Vienne au sujet d’une maison-forte17, tandis que celle de Montmorot entérine une obligation de Jean de Chalon-Auxerre envers des Lombards18. Ces deux exemples marquent une expansion plus notable de 11 Pontarlier. 12 ADD, 7E 2793. 13 ADJ, 1 F 304 (60). 14 ADJ, 1 F 304 (61). 15 ADD, 7E 1204 et 7E 1317. 16 Augerans et Belmont dans le premier cas, Montbozon dans le second. 17 ADD, 7E 2771, 10 octobre 1343. 18 ADD, 1B 67, 3 et 4 novembre 1343.
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l’exercice des chancelleries princières locales. Ce contrôle est voulu par Eudes IV, qui a demandé lui-même que l’on procède à la mise en forme légale par la prévôté de Jussey de l’acte de vente de la maison de l’Estang en 133119. Il entend bien concurrencer l’official de Besançon sur son terrain presque indéfectible d’instance judiciaire supérieure dans toute la Franche-Comté. Il en va ainsi lorsqu’il fait passer les sires de Cusance devant sa cour de Vesoul le 22 janvier 1338 pour leur prestation d’hommage avec quittance de leurs dommages de guerre20, et surtout lorsqu’il fait enregistrer par la même cour l’hommage du sire de Joux le 22 septembre 134521. Le pouvoir des tabellions comtaux prend donc de l’ampleur sous Eudes IV. Nous n’avons pas hélas de renseignements sur le tabellion général du comté évoqué plus haut, mais nous possédons la nomination de celui de Pontarlier qui est à cet égard très éclairante. Le duc donne à Jean de l’Aule pleins pouvoirs pour recevoir tous contrats, obligations, et même les testaments, à sceller du sceau de son comté22. Ainsi, sans y réussir complètement, Eudes IV tente d’établir un contrôle princier sur les affaires civiles, afin de pouvoir si besoin les renvoyer devant ses tribunaux. Quels en sont les ressorts ?
2. Les officiers de justice La justice au comté de Bourgogne est en premier lieu l’affaire des officiers du prince. Prévôts et châtelains restent en la matière subordonnés aux décisions des baillis. La juridiction comtale semble en progrès, avec le développement de la procédure d’appel. a. Le rôle prépondérant du bailli
Le principal juge s’avère être le bailli. Itinérant, il tient régulièrement des assises dans les villes du domaine. En 1332-1333, par exemple, le compte du trésorier de Vesoul a répertorié les dépenses d’Hugues d’Arc et de ses lieutenants, qui siègent successivement à Poligny, Jussey, Vesoul, Clerval, Montmirey et Gray. Le bailli intervient également au Parlement de Dole23. On retrouve des rubriques identiques dans les comptes des années suivantes, ce qui indique que la pratique judiciaire de cet officier s’inscrit bien dans la régularité24. Elle perdure sous Philippe de Rouvres25. À l’occasion de la tenue des assises, le bailli peut convoquer diverses personnes à titre de conseil26, ainsi que 19 20 21 22 23 24 25
ADD, 7E 3034. ADD, 1B 49 (10) et 1B 40 (9), 22 janvier 1338. ADD, 7E 1336. Le 27 février 1340 ; ADD, 1B 389 (7), vidimus du 20 décembre 1357. ADD, 1B 791, fol. 10 et 1B 79A1, fol. 28v. BnF, Moreau 900, fol. 267-267v, 315, 319v, 340v. Le compte du bailli d’Aval Renaud de Jussey mentionne qu’il a reçu 35 l. 18 s. 1 d. du trésorier Aubriot de Plaine pour couvrir ses frais d’assises en Comté. Les sessions se tiennent entre le dimanche après la Saint-André et le mardi avant Noël 1353 (soit du 1er au 24 décembre) ; ADD, 1B 86 (1), fol. 10. 26 Par exemple, à l’assise de Poligny, les mardi et mercredi après la Saint-Thomas 1332 (22 et 23 décembre), le bailli convoque par lettres monseigneur Hugues Menillet, pour venir au conseil du procureur, ainsi que le châtelain de Montrond ; ADD, 1B 791, fol. 10.
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des témoins dont les frais sont pris en charge27. Les intérêts du comte sont défendus par un procureur, qui propose les cas, au civil ou au criminel28. La procédure passe avant tout par l’enquête29. À l’issue du jugement, le bailli rend une sentence, mise par écrit. Quelques-unes ont été conservées30. Outre ces assises sont organisées en sus de multiples « journées » ponctuelles touchant des litiges opposant le duc-comte à d’autres seigneurs, qui occasionnent des déplacements incessants31. La grande mobilité des baillis en fait d’ailleurs des hommes particulièrement difficiles à joindre32. 27 Renaud de Jussey évoque les frais occasionnés en janvier 1354 par l’entretien de « plusieurs temoins traits et amenés à Salins contre Humbert d’Ornans sur plusieurs articles criminels du li procureur le poursugoient » ; ADD, 1B 86 (1), fol. 6. Le lundi avant Noël 1353 (23 décembre), le même Renaud atteste que le trésorier a versé 30 s. estevenants « pour les despens des temoins que nous fimes venir dois Orchans à Poligny pour enquerrir du fait Guiot, maire d’Orchans » ; ADD, 1B 73 (4). 28 « … pour les despens de plusieurs temoins d’Ornans et de la terre environ faits à Salins par plusieurs journees où il [Renaud de Jussey] les fit venir pour enquerir de plusieurs cas criminels et civils proposés par le procureur contre Humbert d’Ornans… » ; ADD, 1B 86 (1), fol. 10. 29 Par exemple, comme Marguerite de Flandre revendique la possession du fief de Chay, le bailli Fourque de Vellefrey et le légiste Robert de Dole, archidiacre de Salins, commissaires du duccomte, demandent à Philippe de Vienne, seigneur de Pymont, d’ajourner les témoins nécessaires à l’information de l’affaire ; ADD, 1B 339 (8), veille de Pentecôte (19 mai) 1347. D’autres enquêtes ont également eu lieu sur le droit des habitants de Chissey, sujets de la comtesse de Flandre, à l’usage dans la forêt de Chaux, auquel ils prétendent. Empêchés de l’exercer, ils recourent au duc, qui ordonne alors aux deux mêmes fidèles d’ouvrir un procès où « examiner diligemment lesdites enquetes se elles sont parfaites […]. Et ou cas que elles ne seroient parfaites, parfaire dehuement, oir, cognoistre et enquerir diligemment sur le droit dessus dit… », avant de « jugier, terminer, sentencier et terminer sur ycelles et y mettre fin selon raison » ; ADD, 1B 2882, 5 janvier 1349. Le bailli est en effet un spécialiste de la recherche d’informations, et le duc peut recourir à ses services même en dehors d’une procédure judiciaire. Ainsi, le 7 janvier 1357, Guillaume d’Antully, bailli d’Amont, est envoyé par Philippe de Rouvres, en compagnie de Jean de Coublanc, pour s’informer des droits ducaux à Jonvelle, où le sire du lieu entend doter une chapelle d’une rente de 100 l. prises sur la châtellenie. Les deux hommes sont priés de fournir un dossier d’enquête « enclos[e] sous leurs sceaux » ; ADD, 1B 355 (12). 30 Sentence rendue par Hugues d’Arc à l’assise de Clerval le mardi après l’Assomption Notre-Dame 1332 (18 août) : l’abbé de Lieu-Croissant réclame 30 l. aux habitants de Geney (Doubs, ar. Montbéliard, c. Bavans) pour leur participation aux 100 l. qu’il a versées au duc pour sa première venue au comté, en vertu d’un instrument passé devant la cour de Clerval, dont les sujets de l’abbé contestent la validité ; l’affaire est tranchée en faveur de l’abbé, après examen approfondi des documents incriminés par plusieurs personnes. Le jugement a ici été le fait des lieutenants du bailli, Hugues d’Arbois, « seigneur en lois », et Simon d’Acraulx, châtelain de Baume et de Clerval (que nous connaissons par ailleurs sous le nom de Simon d’Aiteaux) ; C.-J. perreciot, De l’État civil des personnes…, op. cit., t. II, preuve n° 122, p. 420. Sentence du bailli Jean de Montaigu, dans un procès au sujet des droits d’usage dans les bois de Velesmes entre le curé du lieu et le gruyer du comté ; le droit d’usage est reconnu au curé ; 20 septembre 1345, ADD, 1B 410 (11 et 12). 31 Par exemple, le mercredi après la Saint-Clément 1333 (24 novembre), le bailli passe à Montjustin en allant à une journée contre l’abbé de Lure ; le mercredi après les Bordes suivant (16 février), il y est de retour pour « la journée des seigneurs de Villersexel » ; BnF, Moreau 900, fol. 281v. La pratique perdure à la fin de notre période : le 19 mai 1358, le duc ordonne par lettres au bailli d’Aval d’être à Salins le jour de la Trinité à une journée contre Jean de Chalon « pour accorder de plusieurs griefs faits par les gens du comté aux siens et reciproquement » ; ADCO, B 1405, fol. 56v. 32 Les parties du compte de Perceval de Vaveler (1349-1350) en témoignent : plusieurs messagers partent à la recherche du bailli en vain, à Vesoul, puis à Gray, à Fondremand, et de là à Châtillon, puis de nouveau à Gray, et de là à Champvans. On finit par le trouver à Vesoul, mais il aura fallu lui dépêcher
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Quelles peuvent être les peines prononcées par le bailli ? Les sources offrent un panel de plusieurs châtiments : ils vont de la simple composition pécuniaire33 à la mort par pendaison34, en passant par l’emprisonnement et à la mise au pilori35 ou par le bannissement36. Mais ces officiers supérieurs, très sollicités en matière judiciaire, ne peuvent s’occuper de tous les petits délits. Ceux-ci restent généralement l’affaire des prévôts. b. Le prévôt, un juge en première instance
Si on sait que les prévôts afferment la perception des amendes inférieures ou égales à 60 s., correspondant à l’exercice de la basse justice, on n’a que peu d’exemples qui viendraient éclairer leur action en ce domaine, sauf dans des cas litigieux. En effet,
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pour cela pas moins de cinq messagers entre la Saint-Luc (18 octobre) et le samedi avant la SaintMartin d’hiver (7 novembre) ! ADD, 1B 1711, fol. 6. Dans le compte rendu en 1347 par Fourque de Vellefrey, bailli d’Aval, on trouve mention d’une composition de 6 florins payée par un certain Étienne de Saint-Lothain pour avoir dévêtu une femme et tenté d’abuser d’elle ; Fr.-F. Chevalier, Mémoires…, op. cit., t. I, preuve n° 103. On voit bien avec cette peine relativement clémente que, comme le remarque Nicole Gonthier « le degré d’accomplissement de l’acte criminel entre en jeu dans l’appréciation de la sentence et détermine le niveau de culpabilité. La seule tentative ne coûte pas aussi cher que la réalisation totale » ; N. Gonthier, Le châtiment du crime au Moyen Âge (xiie-xvie siècles), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1998, p. 106. Étienne de Saint-Lothain semble néanmoins avoir aggravé son cas en ôtant la coiffe de la victime, car le document tient à préciser ce détail, sans doute pour signifier combien cette agression a porté atteinte à l’honorabilité de la femme. La pendaison est généralement réservée aux voleurs et aux meurtriers. Son exécution est plutôt l’affaire des prévôts, qui la mettent en œuvre au nom du bailli. Par exemple en 1333-1334 : « despens du prevost de Baume […] faits en allant à Chastoillon […] du commandement au tresorier, en nom du bailli, pour faire la justice es fourches devant Besançon des meurtriers qu’estoient pris à Chastoillon… » ; BnF, Moreau 900, fol. 256v-257. En 1358-1359 encore, le trésorier rabat 60 s. au prévôt d’Orchamps pour l’exécution d’un voleur, pendu pour avoir volé onze fers de charrue, et commis plusieurs autres larcins ; ADCO, B 1406, fol. 16v. C’est surtout la récidive, en effet, qui fait encourir la pendaison aux voleurs. Voir N. Gonthier, Le châtiment…, op. cit., p. 146 sq. Le prévôt a parfois recours à un bourreau pour ces basses œuvres : en 1358-1359 toujours, quatre larrons sont exécutés par un « mitre », qui touche 60 s. par personne ; ADCO, B 1406, fol. 20v. En 1332-1333, quatre sergents menèrent Willemenet de Clerval en prison à Baume, sur ordre du bailli, pour le mettre au pilori ; ADD, 1B 791, fol. 9v. Sur la peine du pilori, se reporter à N. Gonthier, Le châtiment…, op. cit., p. 123-124. Le compte du châtelain de Beaujeu pour l’année 1345-1346 mentionne les frais d’entretien d’un sergent de Gray, qui fut emprisonné au lieu avant d’être « banni à cort et à cri du commandement monseigneur Jehan de Montaguy, bailli de Bourgoigne » ; ADD, 1B 125A. Pour la pratique du bannissement, « solution moins coûteuse et plus commode qu’une exécution », qui « s’applique en général à des voleurs occasionnels », voir N. Gonthier, Le châtiment…, op. cit., p. 134 sq. Une autre alternative à la peine capitale mérite d’être signalée : le compte du bailli d’Aval Fourque de Vellefrey, pour l’année 1347, porte une intéressante mention de réintégration sociale d’un prévenu par le biais du mariage, usage ailleurs attesté, mais très rare : « Li bailli a baillé par devant monseigneur VI livres VIII deniers de parisis […], toute fasse monnoie, laquelle portoit un faussoul de monnoie qui fut pris à Poligny, et fut delivré par le mandement de Madame à une pucelle que le requerit à mari » ; Fr.-F. Chevalier, Mémoires…, op. cit., t. I, preuve n° 103. Ici se vérifie bien le fait que « le procédé reste du domaine de la grâce » ; N. Gonthier, Le châtiment…, op. cit., p. 197.
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premier bénéficiaire des amendes qu’il inflige, le prévôt peut être facilement tenté d’abuser de son pouvoir. Si les recours sont peu nombreux, ils existent cependant, et le prévôt peut se trouver lui-même à son tour assigné en justice : en 1315 déjà, celui du bourg communal de Salins s’était vu jugé et condamné à une amende de 120 l. par le gouvernement communal pour ses excès et son mauvais gouvernement37. Les comptes des réformateurs institués par Eudes IV montrent le souci princier de corriger ces excès, et les portent du même coup à notre connaissance, éclairant d’une lueur concrète les actions contestables de ces juges qui cumulent pouvoir exécutif et pouvoir judiciaire38. Le cas le plus fréquent est la détention arbitraire, ainsi que l’application d’amendes indues, toutes deux opérées aux yeux des réformateurs « par force… [d’] office », ou encore « par oppression d’office »39. Mais les délits commis sous ce chef vont jusqu’à l’extorsion de fonds40 ou au vol caractérisé41. On imagine un milieu interlope42, où tous les coups sont permis, y compris le recours à la violence. Plusieurs prévôts sont condamnés pour l’avoir utilisée43, et même en représailles d’un ajournement devant les réformateurs44 ! Mais on peut s’interroger sur la portée véritable de ce redressement : dans la plupart des cas il y a « composition », c’està-dire accord de principe sur une amende, certes dissuasive, moyennant laquelle on absout le coupable. Ainsi en 1343, comme le prévôt de Jussey, Odet de Clerval, prévôt de Baume, accepte de payer une importante amende de 100 l. « pour plusieurs faits et articles contenus en un role baillé par devers la cour45 ». Mais il reste peut-être en place, avec solution de continuité, jusqu’en 1357 au moins !
37 ADD, 1B 75, fol. 80v. Le tiers de l’amende revient à la comtesse Mahaut. 38 Pour prendre connaissance des principales catégories d’incrimination visant les officiers royaux, voir R. Telliez, « Per potentiam officii » …, op. cit., p. 404 sq. 39 Brisse Vacel, prévôt de Sampans, a capturé sans raison et maintenu en prison « longuement » une femme. Il est pour cela condamné à 5 florins d’amende en 1343-1344 ; BnF, Moreau 900, fol. 389v-390. Le prévôt de Chaussin Jean de Perrecey devra pour une cause similaire s’acquitter d’une peine de 4 l. ; ibid., fol. 384. En 1337, les réformateurs infligent aux anciens prévôts de Châtillon-le-Duc et de Poligny des amendes de 12 et 10 l. pour avoir condamné deux hommes à payer des amendes injustifiées ; ibid., fol. 377v et 378v. 40 Jean le Rose, prévôt de Chariez, a contraint un homme à lui verser 20 s., puis à lui établir une lettre de quittance empêchant toute réclamation. Il écope pour cela d’une amende de 100 s. en 1343 ; ibid., fol. 392. 41 Ce sont les exactions de Jean Romain, prévôt d’Étrepigney, qui a exigé de deux administrés, une femme et un homme, une chemise, du vin et six boisseaux de seigle, et a de plus escroqué la femme par une vente frauduleuse de vin et la perception d’intérêts sur la somme qu’il lui avait prêtée ; ibid., fol. 385v- 386v. 42 Perrenet de Grozon, qui a été en fonction à Dole, est suspecté d’un vol chez les Cisterciens de la ville, et d’autres délits qui doivent être nombreux et graves car l’amende qui lui est infligée pour l’ensemble s’élève à 500 florins, soit 375 l. ; ibid., fol. 388. C’est de loin la plus forte taxation que nous ayons rencontrée pour les prévôts. Il doit encore aux réformateurs 100 petits florins en 1347 ; ibid., fol. 412v. Quant au fils du prévôt de Chaussin Jean de Perrecey, on apprend qu’il a été assassiné ; ibid., fol. 385. 43 Le prévôt de Chaussin doit payer 60 s. pour avoir battu un homme au retour de l’ost de ChâteauLambert ; ibid., fol. 384. 44 C’est le cas de Jean Romain d’Étrepigney en 1343-1344 ; ibid., fol. 386v. 45 Ibid., fol. 401 et 402v. En 1347, il doit encore 100 écus d’or ; ibid., fol. 412v.
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Le prévôt n’a pas seulement la charge de la basse justice. Il peut procéder aux exécutions, comme celui de Vesoul en décembre 1337 qui, accompagné de six hommes et trois sergents, fait justice à deux voleurs46. Pour l’année 1332-1333, le prévôt de Dole compte également en dépenses les frais de détention et d’exécution d’un homme pour vol, ainsi que la façon du gibet pour le pendre. Il est chargé de la police, et se déplace jusqu’à Auxonne en raison d’un homicide, commis lors d’une fête, qui implique des hommes de sa prévôté. Il se rend aussi à Villers-Farlay pour prendre un homme et tous ses biens, sur ordre du bailli47. Lorsque les délinquants ne relèvent pas de la juridiction comtale, mais de celle de l’archevêque, c’est-à-dire pour les clercs, le prévôt les défère devant l’official de Besançon. Le même prévôt de Dole y conduit en novembre 1332 Huguenin de Vaultravers, qui a blessé à mort un sergent ducal. La même année, le prévôt de Vesoul mène un clerc à Besançon pour être jugé, le faisant ajourner trois fois devant l’official. Il est appelé à témoin par ce dernier48. Les compétences juridiques des prévôts sont mises à profit lors des « journées » en marge du domaine auxquelles ils participent, ici contre les Bisontins, là contre les gens du roi, entre la Saint-Michel 1336 et Pâques 1337. Ce sont eux qui se trouvent chargés de recueillir et de mettre par écrit les griefs qui leur sont faits, par l’intermédiaire de leur clerc49. Le prévôt de Poligny est également commis à envoyer au duc un compte-rendu de la journée qui se tient à Voiteur contre les gens du dauphin en 1332-1333, après avoir distribué des lettres de convocation50. La confection des pièces nécessaires aux procès semble bien incomber aux prévôts. Le compte de Huguenin Plure pour Villers-Farlay en 1354-1355 mentionne les frais encourus par celui-ci pour rédiger une procuration ainsi que dresser une copie de la demande du prieur de Gigny, dont le couvent est en conflit avec le comte au sujet des dîmes du lieu51. De la même façon, le prévôt de Gray Jean de Morey, en 1344-1345, se rend aux procès tenus contre les gens du comte de Bar à « Fraigne les Vaudois » et contre ceux du duc d’Autriche à Château-Lambert. Le premier a pour cause la détention dans les prisons du comte de Bar d’un homme relevant de la justice indivise des comtes de Bar et de Bourgogne, qui devrait donc à ce titre être détenu dans la prison commune. A l’issue des discussions, il est rendu au prévôt de Gray52. Quant aux hommes de Trèves53 sujets du duc d’Autriche, ils se plaignent de la capture de plusieurs de leurs biens par le châtelain de Château-Lambert, qui refuse de les leur restituer54. Le prévôt est en effet comme ici bien souvent un négociateur, en charge des litiges de voisinage entre juridictions concurrentes. Les comptes des prévôtés de Fraisans et d’Arbois, qui relèvent de la comtesse de Flandre, en offrent de bonnes illustrations.
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Ibid., fol. 355v. ADD, 1B 791, fol. 12. Ibid., fol. 5v-6 et 12. BnF, Moreau 900, fol. 329 et 338v. ADD, 1B 791, fol. 10. ADD, 1B 496 (8). ADD, 1B 124, fol. 7v. Allemagne, Rhénanie-Palatinat. ADD, 1B 124, fol. 8.
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Les dépenses du prévôt d’Arbois en 1353-1354 comprennent une intéressante rubrique intitulée « missions pour fait de marches et de recreances […] pour fait de justice55 ». C’est ainsi qu’on voit le prévôt de Fraisans en 1347-1348, accompagné d’un tabellion, aller plusieurs fois à Abbans et à Besançon vers Jean de Chalon, et à Quingey et ailleurs vers les gens de la comtesse, afin de récupérer les biens d’un homme fait prisonnier par le châtelain d’Abbans pendant la guerre (sous prétexte qu’il était des « commands » du duc-comte), ceux de son oncle et de deux hommes de Marguerite de France, tous de Dampierre. Le même prévôt a plaidé à Salins, « en la marche de Salins et de Fraisans », et obtenu réparation du prix des chevaux qu’un homme de Salins avait confisqués au lieu sur deux sujets de la comtesse56. Les affaires judiciaires mineures et très locales sont donc l’apanage des prévôts. Mais, comme on a déjà pu le souligner dans d’autres domaines, ils partagent des attributions sensiblement identiques avec les châtelains. c. Le châtelain, un maillon de l’appareil judiciaire
Investi de la puissance de police et de justice dans son ressort, le châtelain procède aussi aux arrestations57, érige les gibets58 et inflige les amendes les plus importantes59. Il siège aux procès, qui à Pompierre contre le seigneur de Neuchâtel sur ordre du bailli60, qui à Poligny contre les gens de Jean de Chalon61 ou à Grozon
55 ADD, 1B 110B. 56 ADD, 1B 123. 57 Symon d’Auxonne, châtelain de Baume, va avec le prévôt et à la tête d’une petite troupe, s’emparer des bannis de la Comté, et capture Jean de Voiles ; 1333-1334, BnF, Moreau 900, fol. 257v. De même, en 1355, Renaud de Jussey, châtelain de Bracon, se rend à Liesle avec cinquante-quatre sergents pour prendre le Gouhal et l’emmener à Bracon ; ADD, 1B 496 (8). Mais il est aussi alors bailli, est-ce en tant que tel ou en vertu de son statut de châtelain qu’il exerce ces pouvoirs policiers ? 58 Le trésorier décompte le prix de la façon d’une « justice » à Scey sur ordre du châtelain Jean le Barbier. Ce dernier exécute là le commandement du bailli Hugues d’Arc ; 1332-1333, ADD, 1B 79A1, fol. 20v. Il a donc peu de pouvoir de décision et ne fait que transmettre. C’est ainsi que, la semaine de la Saint-Vincent 1359, Hugues de Savigny, châtelain de Montmorot, en réfère au bailli lorsque Jean de Chalon installe des fourches à Chille ( Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Lons-le-Saunier-1), qui relève de la juridiction comtale ; ADCO, B 1406, fol. 43. Les fourches patibulaires sont des piliers de pierre sur lesquels une poutre est posée transversalement ; en fait, elles sont le plus souvent en bois et tirent leur appellation des deux perches fourchues, plantées verticalement pour y faire reposer la barre horizontale, à laquelle on pend les condamnés. Elles constituent un « élément symbolique et concret de la détention du pouvoir judiciaire pour les habitants », un marqueur de la haute justice, la qualité des seigneurs hauts justiciers se définissant par le nombre de piliers. Elles sont considérées comme un emblème de la possession du terrain par le seigneur, et sont les premières à être enlevées lorsqu’il y a usurpation, les tentatives de détournement judiciaire en direction des seigneurs voisins étant fréquentes ; S. Bepoix, Une cité…, op. cit., p. 82-83. 59 Déjà en 1312, le châtelain de Bracon accorde par l’intermédiaire de maître Guillaume deux amendes, de 100 s. et 9 l. ; ADD, 1B 75, fol. 58-58v. Dans son compte de 1357-1358, Hugues de Savigny, châtelain de Montmorot, indique au trésorier qu’il a composé une amende arbitraire de 15 l. ; ADCO, B 1406, fol. 6v. 60 Les châtelains d’Étobon et de Baume, le mercredi après la Saint-Denis (13 octobre) 1333 ; BnF, Moreau 900, fol. 258. 61 Le châtelain de Bracon et celui de Pontarlier, avec le bailli et le trésorier de Salins, les jeudi et vendredi devant la Sainte-Catherine (23 et 24 novembre) 1335 ; BnF, Moreau 900, fol. 299.
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pour un règlement entre le duc et l’abbé de Lure62, qui à Montigny-lès-Arsures contre les habitants de Chissey63, ou encore à Lons-le-Saunier pour régler une affaire de justice avec les Chalon64. Bien souvent, dans les cas cités, le recours au châtelain s’explique par sa proximité géographique avec le lieu d’arbitrage choisi, pour des affaires qui concernent plus ou moins son district : ainsi, c’est le châtelain de Baume qui rencontre à Pompierre son voisin le seigneur de Neuchâtel – mais pas celui de Clerval, pourtant plus proche encore ; c’est celui de Pontarlier qui intervient à Poligny contre Jean de Chalon parce que le litige touche les habitants de cette ville ; celui de Chissey qui arbitre entre les villageois de ce lieu et les gens du duc ; et enfin celui de Montmorot pour la dernière affaire pendante avec Chalon au sujet de la justice de Chille, aux portes de sa châtellenie. Rien d’étonnant donc. Mais il faut noter que ces agents judiciaires locaux ne statuent pas en leur seul nom, ils ne font en général qu’accompagner le bailli, dont la caution semble indispensable. Leur rôle déborde également les frontières de leurs districts : ils peuvent être convoqués par lettre au conseil du procureur aux assises du bailli, tel le châtelain de Montrond le dimanche après la Saint-André (6 décembre) 133265 ; il arrive même qu’ils suppléent le bailli en son absence, comme les châtelains de Bracon, de Pontarlier et de Scey réunis à une journée contre le seigneur de Joux, le jeudi devant la Saint-Barthélemy (22 août) 1359 66. Comme dans le domaine militaire, le châtelain est un agent mobile et zélé du pouvoir comtal, qui en vertu d’une lettre de commission est en mesure d’agir à l’échelle de toute la principauté : ceux de Châtillon-le-Duc et de Montferrand sont ainsi chargés d’ajourner des marchands de Besançon – leurs voisins, donc – devant le gouverneur à Dijon pour inventaire de biens confisqués sur eux en représailles, le 17 août 135567 ; c’est encore en tant que commissaires du duc que le bailli et le châtelain de Bracon Jean de Salins tiennent à Dole les journées d’un procès, le mardi devant la Saint-Luc (17 octobre) 135768. Ancrage local et mobilité constituent donc pour les hommes de notre étude un double atout, et font d’eux des maillons indispensables dans l’exercice de la justice princière au comté de Bourgogne. Mais ils font davantage figure de valeureux assesseurs du bailli plutôt que de décideurs. Le bailli reste le juge qui fait autorité. Il a la possibilité de trancher en appel.
62 Le même châtelain de Bracon, toujours en compagnie du bailli et d’autres membres du Conseil, les samedi et dimanche avant Carême entrant (1er et 2 mars) 1337 ; BnF, Moreau 900, fol. 335. 63 Le châtelain de Chissey, avec le trésorier et le procureur, le jeudi après la Fête-Dieu (2 juin) 1345 ; ADD, 1B 131(2). 64 Le châtelain de Montmorot, en compagnie du bailli Jean de Montmartin, le vendredi après la SaintGeorges (26 avril) 1359 ; ADD, 1B 88, fol. 2v. 65 ADD, 1B 79¹, fol. 10. 66 ADD, 1B 1610. On a vu plus haut que le châtelain de Baume et Clerval avait pareillement rendu un jugement à l’assise de Clerval en tant que lieutenant du bailli en 1332. 67 La ville avait hébergé Jean et Huguenin de Rigney, ennemis du roi ; ADCO, B 1399, fol. 50v. 68 ADD, 1B 345 (8).
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d. Les progrès de la juridiction
Les archives n’ont pas conservé d’exemple de la mise en œuvre d’une procédure d’appel des décisions des juridictions inférieures devant les baillis pour le domaine comtal proprement dit. En revanche, un document éclaire son fonctionnement dans les terres de la comtesse de Flandre. Il a été découvert dans le cartulaire d’Arbois, publié par Louis Stouff69. Nous l’avons retenu, car il y a fort à parier qu’il en allait de même dans les deux bailliages du comté. La charte est une confirmation par le bailli du comté Guy de Cicon, le 11 mars 1371, en ses assises d’Arbois, de la sentence prononcée le mercredi après la Sainte-Lucie (16 décembre) 1349 par le bailli de Marguerite de Flandre, Aymonet de Cerdon70. De quoi s’agit-il ? Guillaume dit de Pupillin71, d’Arbois, a sollicité en la cour d’Arbois le jugement du prévôt du lieu contre Renaud, fils de feu Renaud Aguier, clerc, qui a démoli sa maison sur la tenure qu’il lui avait acensée. Il demande sa reconstruction, ainsi qu’un dédommagement pécuniaire. Le clerc soutient être dans son droit, qui est celui des bourgeois d’Arbois. Le prévôt donne raison à la victime. Renaud, ainsi que trois échevins de la ville, font alors appel de cette décision devant le bailli de la comtesse, en leur nom et en celui de toute la communauté d’Arbois. Aymonet de Cerdon tranche en leur faveur. Jean Gay a souligné combien la rédaction de l’acte est beaucoup plus savante que pour les litiges jusque-là résolus par le bailli. La cause de l’ajournement est énoncée « en cause de apial », le déroulement devant la juridiction subalterne du prévôt est relaté avec détail, précision et méthode. Le débat entre les parties est rappelé, suivi de la formule « et sur ce se mirent les dictes parties en droit ». Après l’exposé de la sentence du prévôt vient la procédure d’appel, durant laquelle les parties reprennent les raisons déjà proposées et en formulent de nouvelles. Encore une fois, la précision juridique est de règle : Et dirent et proposerent les rasons dessus dictes, ensamble plusours autres encontre le dit Guillame et encontre le dit prevost […], en disant et affermant la dicte sentence estre donnée contre droit et contre raison et mal sentencié ; et li dit Guillames et prevost disant la dicte sentence estre bien donnée per les raisons dessus dictes, et moy requerant instament li dit Renaud et li dit eschevins que la dicte sentence rappellasse et anullasse. Le bailli, « grant deliberacion heue, à consoil de bon et de saige », prononce alors sa sentence : le prévôt a « mal sentenciez », Renaud et les échevins ont « bien appellez ». Un tel acte, rédigé en bonne et due forme, témoigne des « progrès considérables de la juridiction comtale72 ». On aura un peu plus loin l’occasion de présenter un autre document qui offre nombre de similitudes avec celui-ci, relatif lui aussi à une 69 L. Stouff, Les comtes de Bourgogne…, op. cit., n° 29, p. 72-74. J. GAY, « Recherches sur l’histoire de la procédure judiciaire dans le comté de Bourgogne (xie-xve s.) », M.S.H.D.B., 34 (1977), p. 157. 70 Cerdon, Ain, ar. Nantua, c. Pont-d’Ain. 71 Pupillin, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Arbois. 72 J. Gay, « Recherches … », art. cit., p. 157.
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procédure d’appel, mais devant le Parlement. Il y a possibilité en effet de contester une sentence du bailli en en appelant à la juridiction de la cour supérieure de justice du comté, le Parlement.
3. Le Parlement73 Le Parlement n’est pas une création des ducs-comtes capétiens, et fonctionne déjà sous leurs prédécesseurs. Il est une émanation du Conseil, et tenu périodiquement et temporairement, au départ dans des villes différentes du comté, pour juger en appel les décisions des juridictions inférieures74. Au début de 1333, Eudes IV l’aurait fixé à Dole75, et tenterait d’élargir ses compétences au détriment des justices féodales. Les indices à notre disposition sur ce propos s’avèrent bien minces76. Vont-ils dans le sens d’un progrès institutionnel ? a. Les origines du Parlement
Les origines du Parlement sont connues grâce à la thèse manuscrite de Jules Gauthier, dont les conclusions ont été reprises et complétées dans un article ultérieur par Georges Blondeau77. Ces travaux sont assez anciens, mais sans équivalents. Ils font apparaître que le Parlement comtois serait né sous la comtesse Mahaut : la première mention d’une assemblée répondant à cette appellation date du 23 février 1306, à Bracon78. Du moins n’est-ce là « qu’un nom nouveau donné à une chose ancienne », c’est-à-dire au Conseil comtal dans ses attributions judiciaires, par imitation de ce que Mahaut d’Artois avait pu connaître à la cour de France. Jules Gauthier réfute donc l’idée souvent avancée selon laquelle le Parlement serait une institution nouvelle due à l’initiative de Philippe le Bel79. Le fonctionnement en est assez bien connu sous la reine Jeanne, qui semble avoir régularisé sa tenue afin de soumettre les sentences des baillis à son appel80. Mais le Parlement n’a pas encore de siège fixe : les archives le montrent se tenant à Dole en
73 Nous reprenons ici la teneur de notre article : S. Le Strat-Lelong, « Le Parlement de FrancheComté au temps d’Eudes IV (1330-1349) », M.S.H.D.B., 75 (2018), p. 35-48. 74 L. Gollut, Les mémoires historiques…, op. cit., col. 216-217. 75 E. Petit, Histoire…, op. cit., t. VII, p. 139 et É. Clerc, Essai…, op. cit., p. 42. 76 Les archives du Parlement ont disparu lors de l’incendie de Dole par les troupes de Louis XI en 1479. 77 J. Gauthier, Les origines du Parlement de Franche-Comté, étude sur l’organisation des tribunaux du souverain dans cette province, du xiie siècle au commencement du xve, thèse manuscrite de l’École des chartes, 1870. G. Blondeau, « Les origines du Parlement de Franche-Comté. Premières sessions jusqu’au milieu du xive siècle », Mémoires de la Société d’émulation du Doubs (1924), p. 90-106. 78 D’après BnF, Moreau 900, fol. 27. La veille de la « Saint Mathé » (23 février) « a Parlement de Salins et y vinrent plusieurs gens d’armes et vint l’on aux portes de Bracon V sergens ». 79 J. Gauthier, Les origines…, op. cit., fol. 10-11 ; G. Blondeau, « Les origines… », art. cit., p. 98-99. 80 J. Gauthier, Les origines…, op. cit., fol. 12-13 ; G. Blondeau, « Les origines… », art. cit., p. 102-103.
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juillet 1323 et à l’abbaye de Baume en 132681. La charte de franchises de Gray est à ces deux titres éloquente : Voulons que aucun des habitant ne soit tenu d’aller plaidoyer fuer la ville de Gray en quelque cas que ce soit appartenant à nostre justice et seigneurie, et que ne soit contraint à ce ne ajourné autre part, se ce n’estoit en cas d’appel […] Et se appel y avoit, et il estoit du bailli dou lieu ou nous gens en devroient connoistre à Gray ou au plus loing à Dole, ou là où nostre Parlement seroit82. Les conseillers sont alors appelés « présidents83 ». L’audition de témoins, la production de documents, nécessaires à une procédure d’enquête, sont attestés84. L’institution est donc déjà bien en place. Mais il s’agit seulement d’ « une amélioration de l’exercice par le comte ou son entourage immédiat, de sa propre juridiction, et non pas une construction systématique définitive85 ». La prise du gouvernement comtal par le duc Eudes IV modifie-t-elle cet état de fait, sur le modèle des Jours de Beaune dans son duché ?86 b. Le Parlement au temps d’Eudes IV et de Philippe de Rouvres
Hélas, les traces de l’institution sont désespérément ténues pour notre période d’étude, et il faut renoncer à en écrire une histoire détaillée. Tout ce que nous pouvons en dire est qu’au début du principat d’Eudes IV, le Parlement s’est tenu à Dole deux années de suite, au même moment de l’année liturgique, c’est-à-dire aux environs de Pâques, en 1333 et 133487. Les sources parlent même, en 1333, du « Parlement de 81 Archives communales de Clerval, FF1 (1323) ; Cl.-J. Perreciot, De l’État civil des personnes…, op. cit., t. II, preuves nos 118 (1323), 120 (1326) ; Fr.-F. Chevalier, Mémoires…, op. cit., t. II, preuve n° 72 (1326). En ce qui concerne le Parlement de Baume, tenu début décembre 1326, il s’agit selon nous de Baume-les-Dames, les documents évoquant le « monastere des nonains » et la cour de Baume et de Clerval. G. Blondeau, au contraire de Perreciot, Chevalier et Gauthier, l’a situé à Baume-lesMessieurs, s’appuyant sans doute sur le fait que l’abbé de Baume, Jean d’Éternoz, siège parmi les conseillers. 82 Cl.-J. Perreciot, De l’État civil des personnes…, op. cit., t. II, preuve n° 119. 83 Le mardi après la Saint-André (2 décembre) 1326, « auquel jour les Pallements general de la comté de Bourgoigne etoient mendés », dans la grande salle du monastère de Baume-les-Dames, les représentants de la reine, dits « presidents » (Thomas de Savoie, oncle de la reine, les abbés de Baume et de Cherlieu, le trésorier de Besançon, le bailli, Jean de Corcondray, chanoine de Besançon, et un légiste), qualifiés par le tabellion de « seigneurs auditeurs du Parlement », entendent une affaire de mouvance pour un fief lige du comté ; Fr.-F. Chevalier, Mémoires…, op. cit., t. II, preuve n° 72, p. 622-623. 84 Cl.-J. Perreciot, De l’État civil des personnes…, op. cit., t. II, preuve n° 120. 85 J. Gay, art. cit., p. 147. L’auteur remarque par exemple que la saisine n’est pas effectuée toujours de la même manière : en 1326, le Parlement est saisi directement par l’abbé de Lieu-Croissant, ailleurs c’est après l’instruction du bailli que les Jours du Parlement sont appelés à juger. 86 Sur les Grands Jours de Beaune, voir J. Richard, « Les institutions ducales dans le duché de Bourgogne », Histoire des institutions françaises au Moyen Âge, F. Lot et R. Fawtier (éd.), t. I, Institutions seigneuriales, Paris, Presses universitaires de France, 1957, p. 221-222. 87 Les comptes du trésorier de Vesoul Richard des Bans contiennent de maigres allusions. Pour 1333, les dépenses de vin indiquent que « fut despensey au Parlement de Dole par monseigneur le duc, qui fut la sepmaine apres Pasques l’an XXXIII, II tonnels III coes » ; de même, le compte porte mention de
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Pasques88 ». Faut-il comprendre qu’il y a eu d’autres sessions dans l’année ? Mais les comptes porteraient certainement alors mention des dépenses occasionnées par leur tenue, ce qui n’est pas le cas89. En 1334, l’assemblée est réunie pour trois jours90. Comme pendant la décennie précédente, ce Parlement comporte des « présidents », mais qui semblent désormais se distinguer des « gens du Conseil », présents eux aussi, ainsi que des légistes, flanqués de l’omniprésent doyen de Besançon, Jean de Corcondray ; ces derniers restent sur place une fois la session achevée pour rendre les arrêts, « I jour et I digner ». Ce qui signifie que les affaires sont expédiées en quatre jours et demi, avec, on le constate, une certaine spécialisation des tâches qui s’est instaurée depuis le temps de la reine Jeanne. L’institution paraît en outre générer des textes qui lui sont propres, par lesquels la cour rend compte de ses décisions, là où, sous la comtesse précédente, il n’y avait que des actes passés sous le nom de cette princesse91 ou des instruments publics rédigés par un notaire. Mais nous ne pouvons que rester prudent quant à la forme qu’ils revêtent désormais, pour la bonne raison qu’aucun n’a été conservé. Eudes IV semble donc avoir contribué à mieux définir le Parlement et à renforcer son organisation.
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4 l. 14 s. 10 d. consacrés aux frais du bailli Hugues d’Arc et de sa compagnie, ainsi que du procureur, à ce Parlement ; ADD, 1B 79A1, fol. 29 et 36v. Pour l’année suivante, on comptabilise sept bichots cinq quarterons d’avoine « pour les despens des presidanz du Parlement de Dole qui fut à mois de Pasques XXXIV », vingt-huit livres et demie de cire « par lettres monseigneur de Larrey [Robert de Grancey] », ainsi que des frais en monnaie noire : « Despens de l’evesque de Chalon, des presidanz du Parlement monseigneur le duc de Dole et des gens du Conseil mondit seigneur etant audit Parlement, qui commenca le diemange jour du mois de Pasques pour III jours que l’on demeura au lieu… » ; dépenses du bailli Hugues d’Arc ; frais enfin de Jean de Corcondray, de maître Jean de Vielley, de maître Hugues Menillet « et de plusieurs autres, qui demeurerent apres ledit Parlement pour rendre les arrest » ; BnF, Moreau 900, fol. 263v, 267v, 273, 277. ADD, 1B 79A1, fol. 37. Pourtant, un autre détail pourrait laisser penser que le Parlement siège plusieurs fois par an : le 18 mars 1344, un instrument public donne à connaître la requête du procureur du comte de Montbéliard, qui veut faire appel d’un jugement du bailli à son encontre, dans un litige qui l’oppose au comte de Neuchâtel outre-Joux : « Je requiers à grant instance […] que une citacion me fust baillé pour adjourner es premiers Parlement de Dole les diz monseigneur Loys de Nuefchastel et monseigneur Fourques de Villefrey, baillif en la contey de Bourgoigney… » ; ADD, 7E 1349. La fête de Pâques étant alors toute proche, on comprend bien que ce premier Parlement dont il est question ici est celui qui se tient à cette date, ce qui autoriserait à supposer qu’il y en a au moins un autre après lui. À moins que le procureur ne redoute d’être obligé d’attendre celui de l’année suivante ? L’ambiguïté subsiste avec une autre allusion du même type, par le duc lui-même, de son « premier Parlement de Dole », en 1348 ; ADD, 1B 431. BnF, Moreau 900, fol. 263v. G. Blondeau, « Les origines… », art. cit., p. 104, parle quant à lui de dix jours. Pour régler, en 1323, le litige entre les habitants de Clerval et ceux de Pompierre, qui porte sur le droit de passage et de pâturage des troupeaux, évoqué à Dole devant « les presidiaux de notre Parlement », on trouve bien la formule « prononcé par droit et par arret de notre cour, par sentence definitive, par nous presidens de Parlement », mais la décision de la reine Jeanne intervient ensuite, qui confère « force et vertu de chose adjugiee et passee en jugement » à l’arrêt de la cour, et frappe d’une amende ceux qui ne le respecteraient point ; J. Gay, « Recherches… », art. cit., p. 147. Les jugements du Parlement n’ont donc en eux-mêmes encore aucune valeur exécutoire.
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Il est également certain qu’il a fait de cette cour jadis itinérante une institution stable, dans le temps (au mois de Pâques), et dans l’espace. Selon Georges Blondeau, d’après Jules Gauthier, les papiers des États généraux du comté font apparaître qu’Eudes IV l’aurait convoqué à Dole le 9 février 1334 en même temps qu’il instituait la Chambre des comptes dans la ville. Il aurait assisté en personne à cette session92. Nous n’avons quant à nous pas trouvé de preuve formelle de la présence ducale au Parlement de Pâques 1334, au contraire de l’année précédente93. Certainement parce que cette date d’instauration du Parlement est visiblement fautive, et qu’il faut lire 1333, comme le prouve la précieuse citation de ces Papiers des États du comté de Bourgogne rapportée par Édouard Clerc, que nous n’avons pas retrouvée dans les archives : Par le titre d’institution d’icelle du neufvième février mil trois cent trente deux (v. s.), appert qu’elle [la Chambre des comptes] a été instituée le même jour que le Parlement, portant iceluy titre l’institution de deux chambres, l’une appelée PARLEMENT, et l’aultre des COMPTES, à chacun des chiefs des quels est donné tiltre de président, et expressément dit qu’ils ne pourroient entreprendre l’une sur l’aultre94. Présider la cour de justice qu’il vient d’installer dans la ville dont il veut apparemment faire sa capitale administrative est pour le nouveau comte un geste particulièrement fort et symbolique. Il semble avoir pleinement réussi dans ce but : une dizaine d’années plus tard, en 1344, l’usage de porter les appels à Dole est entré dans les mœurs, comme on peut le lire dans un acte notarié qui fait mention de la maison Hothenin de Gevrey qui fuit jaidis tresoriers de Bourgoigne, en laquelle maison estoit acostumez de demander, requerir les citacions des appealx95… Rien n’indique cependant que le Parlement ait pu se tenir de façon régulière après 1334, soit que la trace en ait été perdue, soit que le contexte très perturbé en Franche-Comté l’en ait empêché. Jules Gauthier a pensé que si on continuait à appeler devant lui des sentences des baillis, ainsi qu’en atteste le document susdit, ces appels restaient sans suite, sauf si des juges étaient spécialement nommés par le prince pour trancher l’affaire96. C’est par exemple le cas en 1348 : trois commissaires sont chargés de juger en appel le différend qui opposait les clercs de Champlitte à Jean de Vergy, car … pour l’occupation de plusieurs grosses besoignes nostre dit Pallement ne puisse estre tenuz se comme il seroit mestier… On est alors en pleine guerre contre les barons, et l’insécurité ambiante compromet sérieusement le bon déroulement de la justice comtale. Aussi Eudes IV établit-il 92 J. Gauthier, Les origines…, op. cit., fol. 14v ; G. Blondeau, « Les origines… », art. cit., p. 104. 93 « … fut depensé au Parlement de Dole par monseigneur le duc, qui fut la semaine apres Pasques l’an XXXIII… » ; ADD, 1B 79A1, fol. 36v. 94 É. Clerc, Essai…, op. cit., p. 42. 95 ADD, 7E 1349. 96 J. Gauthier, Les origines…, op. cit., fol. 15 ; G. BLONDEAU, « Les origines… », art. cit., p. 105.
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Robert Ardecon, docteur en lois, Guillaume de Recey, bailli de Dijon, et Guy de Vy à statuer par ces mots : Vous mandons et commettons que appeliez ceux qui seront à appeler, reconnoissez, sentenciez et determiniez someremant et de plain sans delai de ladite cause d’appeaul comme les genz tenant nostre dit Parlement. Et volons que ce que par vous ou les deux de vous en seroit fait, sentencié et determiné vaille et tienne comme arrest de nostre dit Parlement, quar ensinc le volons nous de certainne science97… Est-ce là une mesure exceptionnelle propre au contexte délicat de 1348, ou le cas s’est-il reproduit fréquemment ? Nous ne pouvons trancher. Le document montre en tout cas que le souvenir des sessions parlementaires à Dole est encore vif alors, ce qui laisse penser qu’elles se tenaient encore dans un passé très proche, bien après la dernière trace que nous en ayons conservée – datée de 1334 : … nous trois ensemble avons fait appeler par devant nous ou les deux de nous à Dole, au lieu acostumey à tenir le Pallement dudit monseigneur le duc et conte de Bourgoigne en sa contey de Bourgoigne… Il semble bien par conséquent que le Parlement se soit réuni de façon assez régulière sous Eudes IV, et se soit suffisamment ancré dans le temps comme dans l’espace pour marquer les esprits, jusqu’à entrer dans le registre du coutumier. D’après Jules Gauthier, « le Parlement semble oublié » sous Jean le Bon et Philippe de Rouvres, dans un contexte de « désorganisation judiciaire complète », où « les troubles continuels empêchent l’administration régulière de la justice98 ». Il vaudrait mieux dire que nous n’en savons rien. Le fait que toutes mentions du fonctionnement de l’institution à cette époque aient disparu ne signifie pas pour autant qu’elle ait été inexistante, et on devait bien alors rendre la justice d’une façon ou d’une autre. Il est possible que toutes les sentences du Parlement rendues entre 1349 et 1361 aient péri dans l’incendie de ses archives. Un indice de son maintien nous est d’ailleurs parvenu, une lettre des « president et gens du Parlement », réunis à Poligny, aux officiers de la ville de Salins, datée du 8 novembre 135799. Le Parlement de Franche-Comté a donc selon toute vraisemblance été beaucoup plus actif durant notre période que les auteurs qui ont tenté de l’étudier ont bien voulu le dire. Mais il faut mettre à leur décharge le caractère infime des traces qu’il a laissées. Cette cour d’appel s’est sans doute maintenue pendant toute la première moitié du xive siècle, avec des éclipses lors des phases de troubles intenses. Quelle est cependant la portée politique de ces appels au Parlement ? Autorisent-ils le duc-comte à intervenir dans les terres des seigneurs hauts justiciers et à les concurrencer sur le terrain judiciaire ? Les archives conservent le souvenir de deux de ces affaires sous
97 ADD, 1B 431, 13 juillet 1348. 98 J. Gauthier, Les origines…, op. cit., fol. 15v-16. 99 G. Blondeau, « Les origines… », art. cit., p. 106. Nous n’avons pas retrouvé le document sous la cote indiquée par l’auteur à la Bibliothèque d’étude et de conservation de Besançon.
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le principat d’Eudes IV. Elles contribuent à en éclairer la procédure, et permettront de dire s’il y a ou non innovation de la part de ce prince en la matière. c. La procédure d’appel L’affaire des clercs de Champlitte100
Un seul dossier conservé retrace le fonctionnement de la justice d’appel dans son intégralité. Les clercs de Champlitte, que Jean de Vergy, sire du lieu, prétend soumettre au versement de la taille, ne parviennent pas à se faire entendre du bailli de leur seigneur pour faire lever la mainmise qui pèse de ce fait sur leurs biens. Ils en ont appelé à la juridiction gracieuse du duc101. Celui-ci est alors absent et la duchesse renvoie l’affaire devant le prévôt de Gray, première instance judiciaire comtale. Ce dernier les remet en possession de leurs « héritages », et les convoque à Gray, devant la duchesse et son Conseil afin de statuer sur la question des tailles. Mais il faut signaler qu’à l’occasion de l’affaire, Champlitte a été placée sous la mainmise princière, et que c’est maintenant le duc-comte qui est susceptible d’être le bénéficiaire du prélèvement. Le 9 décembre 1344, Eudes IV ordonne au bailli du comté Jean de Montaigu de recevoir en appel ce procès, dont il retire l’instruction au prévôt de Gray. Cette décision est notifiée au bailli le samedi après l’Apparition Notre-Seigneur 1345 (10 janvier) par les suppliants eux-mêmes : alors qu’il siège à Gray, ils lui présentent le document scellé par le duc, ainsi que les actes du procès102. Fort de cet ordre ducal, le bailli convoque plusieurs fois les parties à Gray, à savoir les clercs de Champlitte et leur procureur, le procureur du duc, et celui de Jean de Vergy ; il s’appuie pour instruire l’affaire sur les arguments des deux camps – « notoires coutumes », « us et usages notoires » – tous mis par écrit devant notaire. Lors d’une ultime « journée »,
100 ADD, 1B 431. 101 Les historiens ont mis en évidence l’existence d’une forme particulière d’exercice de la souveraineté, qualifiée de « gouvernement par la grâce », résultant d’une démarche personnelle du sujet envers le prince, afin d’obtenir de sa bienveillance une mesure individuelle à titre gracieux. Sur la question, se reporter à Suppliques et requêtes : le gouvernement par la grâce en Occident (xiie-xve siècle), H. Millet (éd.), Rome, École Française de Rome, 2003 (Collection de l’École Française de Rome 310). L’expression de la grâce ducale est présente dans quelques actes, à travers la formule « de notre certaine science… de grace especiale ». Cette mention « révèle une prise de conscience par le pouvoir que le droit de justice n’est pas qu’un héritage seigneurial mais que c’est aussi un droit régalien […] On peut y voir un changement profond dans l’exercice du pouvoir » ; Y. Coativy, Aux origines de l’État breton. Servir le duc de Bretagne aux XIIIe et XIVe siècles, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2019, p.155. Nous en avons trois exemples sous Eudes IV : pour la concession du droit de paisson des porcs au bois de Jussey ; ADCO, B 1062 (1), juin 1332 ; pour le don d’une terre à Huguenin de Verne, châtelain de Baume ; ADD, 1B 2492, 22 juin 1346 ; enfin, pour le don du four de Jussey à Béatrice de Faverney et à son fils ; ADCO, B 1062 (1), 10 juin 1349. On la rencontre deux fois sous le principat de Philippe de Rouvres : pour la réception de la demande de confirmation des franchises de Jonvelle ; ADD, 1B 355 (12), 7 janvier 1357 ; pour l’approbation du don d’une rente de 70 l. sur le péage d’Augerans à l’hôpital de Besançon ; ADD, 1B 521 (6), 31 novembre 1357. 102 Ils ont été dressés par Guillaume de Musigny, chevalier, conseiller du duc et de la duchesse. Il est depuis décédé.
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à Gray, le lundi après Quasimodo 1346 (24 avril), il finit par rendre son jugement : les clercs doivent s’acquitter des tailles, ainsi que des frais du procès. Il tranche donc en la défaveur des religieux, qui font appel de cette décision devant le Parlement. Hélas, la conjoncture du moment, en pleine guerre entre le duc et les barons comtois, empêche le Parlement de fonctionner normalement. Aussi, deux ans plus tard, le 13 juillet 1348, le duc ordonne à Robert Ardecon, docteur en lois, au bailli de Dijon et à Guy de Vy103, de prendre la cause en appel comme le feraient les gens du Parlement ; le bailli d’Amont leur fera suivre les pièces du dossier. Les commissaires font appeler les parties à la fin août104, « à Dole au lieu acostumey à tenir le Pallement dudit monseigneur le duc et conte de Bourgoigne en sa Contey de Bourgoigne ». Comparaissent alors les appelants, le procureur du duc-comte au Parlement, Jean de Morey, Jean de Montaigu, son bailli d’Amont, ainsi que le procureur de Jean de Vergy. Chacun expose sa requête : les clercs font appel de la sentence du bailli Jean de Montaigu, et demandent qu’il soit, avec les deux procureurs, condamné à leur payer les frais du procès ; lesquels répondent au contraire que le bailli a bien jugé, et que les clercs, qui ont « mal appelé », doivent assumer leurs dépenses en justice. Les juges demandent alors que leurs arguments respectifs soient mis par écrit, et apportés à une nouvelle journée fixée au quinzième jour de la Saint-Rémi (mi-octobre), soit environ deux mois plus tard. Au jour dit, bon nombre des appelants renoncent à poursuivre la procédure. Estiment-ils que leur défense ne tienne pas, ou reculent-ils devant le coût élevé de cette action en justice, qui joue les prolongations, en cas de rejet de l’appel ? Les juges commis par le duc réclament les pièces du procès au bailli, et reportent le Parlement au quinzième jour de la Saint-Martin d’hiver (25 novembre). Ils reçoivent ce jour-là le dossier, ainsi que la sentence de Jean de Montaigu, objet de l’appel. Leur verdict définitif tombe le lendemain, 26 novembre 1348 : il est identique à celui du bailli. On le voit, le dossier est complexe, et très intéressant. Il montre que le duc-comte, pour être en mesure d’intervenir judiciairement dans une affaire qui relève de son vassal Jean de Vergy, sire de Champlitte, met préventivement sa main sur le fief. Et ce en vertu d’une supplication des plaignants, qui lui demandent remède « gracieux et convenable105 ». Le litige peut alors être traité par la justice comtale ordinaire, et remonter jusqu’au Parlement (ou ici à ceux qui en tiennent lieu). Cela signifie bien que l’ingérence directe de cette cour dans les fiefs n’est pas envisageable, et qu’il ne peut y avoir d’appel au Parlement du comté pour les justiciables des seigneurs. Mais le recours à la juridiction gracieuse du prince peut apparemment, via l’application de la commise féodale, permettre de contourner le problème. Il est cependant nécessaire d’évoquer le contexte très particulier de ce litige, qui porte sur Champlitte. Or Champlitte est un point chaud de la frontière du comté, sur lequel le duc tient à marquer sa domination, face aux entreprises répétées des 103 Guy de Vy, sire de Demangevelle (Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Jussey), a été bailli d’Amont entre 1336 et 1342. 104 Le mardi après l’Assomption (19 août 1348). 105 C’est même le propre bailli de Jean de Vergy qui, sollicité par les clercs pour lever la confiscation de leurs biens, leur suggère d’en appeler à la justice princière, leur indiquant qu’« il ne leur en peut plus faire que Madame sur ce les pourvehest de remede convenable ».
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officiers royaux du bailliage de Sens. C’est peut-être pour cette raison qu’il a opéré une mainmise sur le fief, car elle semble déjà en vigueur en 1334-1335. On a conservé pour cette année-là le compte du procureur d’Eudes IV, Jean de Noiren, occupé à obtenir du roi de France qu’il libère le prévôt de Champlitte – un sergent ducal – et qu’il feist lever sa main de la ville de Chanlipte et laisse justicier à monseigneur ladite ville, et que li dit sergenz fut recrehuz, tant par cause de ce que ladite ville est de son fief, comme par cause de son ressort pour raison de la conté de Bourgoigne. La démarche porte ses fruits : le lundi avant les Rameaux 1335 (3 avril), le sergent est rétabli dans ses fonctions prévôtales, et les panonceaux ducaux replacés à Champlitte, tandis que le bailli de Sens est ajourné à Langres devant les commissaires du roi106. L’affaire n’est pas terminée pour autant, et les comptes des années suivantes montrent que les officiers royaux poursuivent leurs tentatives d’étendre leurs compétences aux terres limitrophes de Champlitte et de Jussey107. Cela signifie qu’il ne faut peut-être pas tirer de conclusions hâtives sur la portée de l’appel au Parlement des clercs de Champlitte, dans la mesure où Eudes IV a longtemps tenu la ville en sa main pour y affirmer son bon droit face à l’ingérence des hommes du roi. Il était sans doute important de prouver par la pratique que cette zone sensible relevait bien de la justice comtale. C’est peut-être pour cette raison que le duc, une fois informé de la requête des clercs, a préféré remettre cette affaire délicate entre les mains de son bailli plutôt que de laisser le prévôt de Gray la régler à sa modeste échelle. L’affaire Montbéliard-Neuchâtel
Une autre charte porte sur le recours au Parlement par les sujets du prince. Elle consiste en un instrument public. On y apprend que, le 18 mars 1344, le procureur d’Henri de Montfaucon-Montbéliard lance deux appels au Parlement d’un jugement rendu par le bailli Fourque de Vellefrey contre le comte de Montbéliard, à l’occasion 106 ADD, 1B 79 (2). 107 Par exemple, pour 1337-1338, « despens d’un commissaire du roi de France qui fut à Champlitte fait en demeurant audit lieu pour tenir monseigneur le duc en sa possession de Champlitte, pour ce que les gens du roi de Sens et de Coiffey vouloient aparier la juridiction de ladite ville au roi » ; BnF, Moreau 900, fol. 365v. À tel point que le procureur comtal Jean de Morey poursuit les sergents royaux de Coiffy (Coiffy-le-Haut, Haute-Marne, ar. Langres, c. Bourbonne-les-Bains) devant les réformateurs de Champagne ; ibid., fol. 359v. En 1344-1345, on écrit encore « unes lettres envoyees à Langres au bailli de Sens de par madame la duchesse le jeudi après la Madeleine sur le fait des griefs que le prevost de Sens faisoit à Champlitte » ; ADD, 1B 124, fol. 12. Le document nous apprend également que le commissaire du roi a tenté d’imposer les hommes du duc-comte à Jussey ; ibid., fol. 7v. Une affaire semblable avait déjà été enregistrée en 1336-1337 ; BnF, Moreau 900, fol. 338-338v. Ces litiges au sujet de l’appartenance des biens des Vergy au royaume de France ou au comté de Bourgogne perdurent bien au-delà de notre période. Voir par exemple L. Dauphant, « Microhistoire d’une triple frontière : les “terres de surséance” entre duché de Bourgogne, Franche-Comté et Champagne sous Charles VIII et Louis XI (1435-1477) », in Deux frontières aux destins croisés ? Étude interdisciplinaire et comparative des délimitations territoriales entre la France et la Suisse, entre la Bourgogne et la Franche-Comté (xive-xxie siècle), B. Castets Fontaine et al. (éd.), Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2019 (Les Cahiers de la MSHE Ledoux 36).
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d’un litige entre celui-ci et Louis de Neuchâtel outre-Joux108. Les citations en appel doivent être demandées devant la maison de l’ancien trésorier Othenin de Gevry, à Dole. Ne trouvant personne en ces lieux qui puisse recevoir sa requête, le procureur prend soin de faire consigner sa démarche devant notaire : Je requier à grant instance en toichant au veroil de l’uys que une citation me fust baillé pour adjourner es premiers Parlement de Dole les diz mons. Loys de Nuefchastel et mons. Fourques de Villefrey baillif en la contey de Bourgoigney en tant comme au dit bailli toische encontre le dit mons. de Monbeliar pour procedier et aller avant en la cause109. Il s’agit de ne pas perdre de temps dans une procédure déjà très longue, comme on l’a vu dans l’exemple précédent110. À cette date, le Parlement est-il déjà empêché pour que notre homme trouve porte close ? Le système administratif semble quelque peu désorganisé : … et je bailleroie velontier les diz appealx se je trovesse que me vuillet baillier citation… Cet appel réclame la justice du comte comme suzerain de deux de ses vassaux, Montbéliard et Neuchâtel outre-Joux, en désaccord entre eux. Il introduit donc encore moins que le précédent l’extension abusive de la compétence de la cour féodale. Le contraire serait étonnant étant donné qu’il est requis par un baron. Mais le fait que le bailli comtal ait pu prononcer une sentence judiciaire sanctionnant un grand féodal comme le comte de Montbéliard, même si cette sentence fait suite à un classique arbitrage du prince de portée juridique moindre, va dans le sens d’un renforcement sensible de l’appareil étatique. L’activité du Parlement sous Eudes IV ne paraît donc pas très différente de ses anciennes attributions, dans le sens où il statue toujours sur des affaires domaniales – ici dans le cadre d’une mainmise – ou féodales. Mais on perçoit bien, quoique son activité semble très compromise lors des guerres comtoises, que le comte a su jouer de cette institution pour accroître son champ d’action juridique en Comté,
108 L’inventaire de Chalon fait état de ce jugement, en date de 1343 (sans plus de précisions) : il est rendu en présence des procureurs de Raoul comte de Nidau (Rodolphe IV de Neuchâtel-Nidau) et de Louis de Neuchâtel outre-Joux, opposés au procureur d’Henri de Montfaucon, Thomas Cochy – celui-là même qui interjette l’appel au Parlement en 1344. Le bailli Fourque de Vellefrey ordonne au second de restituer au procureur de Louis de Neuchâtel la place du Miroir, selon une sentence rendue par le duc, et de satisfaire la demande de celui de Raoul de Nidau sur Bouclans (Doubs, ar. Besançon, c. Baume-les-Dames) et Aigremont (Suisse, commune d’Ormonts-dessous, canton de Vaud, district d’Aigle). Thomas Cochy fait immédiatement appel, et en demande acte au notaire ; BEC Besançon, Droz 17, fol. 278-278v. La sentence ducale en question est un arbitrage rendu par Eudes IV le 9 octobre 1343 pour mettre fin à la guerre qui sévit entre Neuchâtel-Suisse et Montfaucon-Montbéliard ; G.-A. Matile, Monuments…, op. cit., n° 459. Raoul (ou Rodolphe) de Nidau est le beau-père de Louis de Neuchâtel. Nidau, Suisse, canton de Berne, ar. Bienne. 109 ADD, 7E 2772. 110 Le souci du procureur d’Henri de Montfaucon-Montbéliard est « que li temps ne incorrest contre lou dit monseigneur de Monbeliar, et que il ne li portest prejudice dois cy enavant ».
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et mieux asseoir son pouvoir. En cela, ainsi qu’en le fixant à Dole et en régularisant son fonctionnement, notamment dans le cadre de la procédure d’appel, Eudes IV a fait œuvre princière.
4. Les réformateurs111 Le mauvais fonctionnement du Parlement a été en partie compensé au temps d’Eudes IV par l’institution de réformateurs, chargés de parcourir le comté et d’y corriger les abus des officiers. La mesure a été mise en œuvre à deux reprises, en 1337 et en 1343-1344. Ces dates sont assez significatives : elles coïncident l’une comme l’autre avec la fin de phases majeures du conflit entre le prince et la haute noblesse, dont l’arbitrage royal de 1337 et les conditions de paix imposées par Eudes IV en 1343 constituent les coups d’arrêt. Outre le fait qu’une remise en ordre s’imposait certainement après des années de trouble, toujours propices aux malversations des officiers, la charge symbolique de telles mesures est forte : le duc-comte affirme son pouvoir, le manifeste à tous, et l’incarne concrètement en la personne de ses envoyés qui se placent d’emblée au-dessus des officiers, interlocuteurs habituels des populations. Cette reprise en main est d’autant plus efficace que les tournées des réformateurs balaient l’ensemble du domaine. Elles nous sont connues grâce aux précieuses copies, réalisées au xviiie siècle, de deux comptes qui avaient retenu l’attention des érudits. Le premier est assez succint, et se rapporte aux recettes de la tournée de Robert de Lugney, trésorier de Chalon, flanqué d’Étienne de Saint-Verain, seigneur de Jussy en Auxerrois112, députés en 1337 par le duc non seulement dans le comté de Bourgogne, mais aussi dans les terres duchoises d’outre-Saône113. Il est suivi d’un court état des recettes et dépenses de Jean Mouhard de Semur114, procureur ducal pour cette opération115. Le second compte est beaucoup plus intéressant : il donne le détail de toutes les
111 Nous reprenons ici l’article que nous avons consacré à la question : S. Le Strat-Lelong, « Rétablir l’ordre au comté de Bourgogne. L’action des réformateurs d’Eudes IV en 1337 et 1343-1344 », C@hiers du CRHIDI [En ligne], 41 (2018), disponible sur 112 Jussy, Yonne, ar. Auxerre, c. Vincelles. 113 La distinction entre le duché proprement dit et la terre d’outre-Saône s’est introduite au temps du duc Hugues V (1306-1315), prédécesseur d’Eudes IV. Il avait transféré sur la rive impériale certains organes de gouvernement menacés par l’action des officiers du roi de France, comme l’atelier monétaire d’Auxonne ; J. Richard, Les ducs de Bourgogne…, op. cit., p. 467-468. Comme l’écrit Jean Richard, « c’est certainement pour rendre impossible l’appel en France des sentences portées par les réformateurs – ces appels dont la commune de Dijon menaçait les réformateurs en fonction dans le duché – qu’Eudes IV s’était décidé à établir une commission de réformation commune à toutes ses terres d’Empire » ; J. Richard, « Finances princières… », art. cit., p. 27. Cette tradition s’est maintenue après lui. En revanche, il ne semble pas qu’elle soit effective en 1343. 114 Semur-en-Auxois, Côte-d’Or, ar. Montbard, ch.-l. c. Jean Mouhard est bailli d’Auxois de 1344 à 1350 ; J.Richard, « Finances princières… », art. cit., p. 28, n. 1. 115 BnF, Moreau 900, fol. 377-380v ; BEC Besançon, Droz 11, fol. 389-392v.
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amendes infligées lors de la tournée qui s’est déroulée entre le 1er août 1343 et Noël 1344, et mériterait une étude à part entière. Il comporte en outre la copie de deux actes d’Eudes IV instituant ses réformateurs, pour le comté uniquement cette fois-ci : l’un, en date du 28 juin 1343, passé à Gray, nomme à cette fonction frère Raoul, prieur de Saint-Marcel-lès-Chalon et Renaud de Jussey ; l’autre substitue au prieur, passé de vie à trépas, frère Colin de Blaisey, moine de Saint-Seine et prieur de Sarrigny, le 25 novembre de la même année116. La pratique de la réformation vient tout droit du royaume de France, où la tradition est bien établie depuis saint Louis d’envoyer des enquêteurs dans le pays, chargés de faire cesser les abus des officiers royaux et de faire droit aux plaintes des sujets117. Le substantif reformator y est attesté depuis 1302, transposé en français, et employé tantôt seul, comme ici, tantôt couplé avec le terme d’ « enquêteur »118. La lettre de commission du 28 juin 1343 met bien en exergue cette double mission d’enquête, puis de correction des abus : … vous mandons et commectons que des chouses dessus dictes […] anquerez, saichez diligemment la veritey, procedez, punissiez et faittes executer, tant es causes civiles ou autres civilement mehues vous doux ansamble, comme es causes criminelles appartenant à poine de fait… Elle présente les traits communs à ce type de missive, mis en lumière pour le royaume de France119. Elle débute par un long exposé des maux dont souffre le peuple, causés par les excès des officiers, dont moult plaintes sont parvenues jusqu’au prince : Pour les tres grans oppressions, griefz et extorsions faiz à noz subgiez, genz d’eglise, nobles et non nobles, pour nos officiers, baillifz, recevours, chastellains, mahours, prevost, dispenseurs de nostre hostel et de l’ostel de nostre chiere compaigne la duchesse, grenetiers, gruers, procureurs et autres officiers quel qu’il soient […], desquelx chouses justice ne droicture n’ay esté faicte, si comme toutes ces chouses nous ont estez copportees, et plusours plainctes en sunt venues en nostre audiance120… 116 BnF, Moreau 900, fol. 381-383 ; BEC Besançon, Droz 11, fol. 393-395. Publiés par E. Champeaux, Ordonnances…, op. cit., p. 1-3, qui les considère comme les premières ordonnances judiciaires franccomtoises. Saint-Marcel, Saône-et-Loire, ar. Chalon-sur-Saône, c. Saint-Rémy ; Saint-Seine-l’Abbaye, Côte-d’Or, ar. Dijon, c. Fontaine-lès-Dijon ; Ladoix-Serrigny, Côte-d’Or, ar. Beaune, ch.-l. c. 117 Voir à ce sujet M. Dejoux, Les enquêtes de saint Louis. Gouverner et sauver son âme, Paris, Presses universitaires de France, 2014 (Le Nœud Gordien). L’auteur a montré que ce sont des enquêtes de réparation, menées dans un but d’exemplarité plus que de sanction ou de contrôle administratif. Elles ont vocation à être des outils de gouvernement, « un moyen de combler l’éloignement physique du prince […] et d’affronter la diversité sociale et juridique du royaume », pour intégrer les provinces nouvellement conquises (p. 374-375). 118 O. Canteaut, « Le juge et le financier. Les enquêteurs-réformateurs des derniers Capétiens (1314-1328) », in L’enquête au Moyen Âge, Cl. Gauvard (éd.), Rome, École Française de Rome, 2008 (Collection de l’École Française de Rome 399), p. 269 et 274. 119 Ibid., p. 275. 120 Olivier Canteaut souligne que les enquêtes de réforme « se veulent une réponse aux requêtes, formelles ou informelles, émises par l’opinion », de manière à créer un consensus dans le royaume sur le thème de la lutte contre les mauvais officiers, consensus renouvelé, comme ici en Franche-Comté,
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Le désir de promouvoir la paix pour les sujets, d’assurer leur bien-être, se trouve également mis en avant : Pourquoy nous, desseirans à la honour de Dieu et conservacion de nostre estat et à la tranquilitey de nos subgiez pourveoir de remede convenauble… De façon plus originale, Eudes IV cherche à mettre fin par la même occasion, outre aux crimes d’usure, aux délits des faux monnayeurs : … ceulx qui auront aloyés faulses monoies, ou monoies deffandues, ou forgiés faulses monoies… Réduire le nombre excessif des sergents rentre également dans les attributions des réformateurs de 1343 : Ancour vous donnons povoir de faire ordenances sur la multitude des sergenz de nostre contey, de quoy nostre dit subgiez sunt moult grevez. Ces deux derniers points rapprochent notre texte de commissions expédiées sous le roi Charles IV, qui conféraient aux réformateurs de tels pouvoirs complémentaires de répression de l’usure et de limitation du nombre des sergents121. Mais c’est surtout à une commission de réformation presque en tout point identique, confiée à deux conseillers ducaux le 2 mai 1343, pour le duché cette fois, qu’il faut rapporter le document comtois122. À cela près que l’affaire principale à juger était alors celle des malversations du financier Hélie Bourgeoise, absente évidemment de la commission de réformation comtoise. Mais il y a bien un lien étroit entre les deux opérations voulues par Eudes IV, car peu avant qu’il n’institue outre-Saône Renaud de Jussey et le prieur de Saint-Marcel, ses commissaires du duché, Jean de Châtillon et Guillaume de Musigny, entreprennent un voyage en Franche-Comté. Le 14 mai, on les trouve à Poligny ; ils s’y arrêtent au retour de Salins, où l’administration de la saline appelle souvent les conseillers du duc-comte123. Contrairement au document du 2 mai 1343 établi pour le duché, celui du 28 juin relatif au comté stipule que les réformateurs sont autorisés à nommer un procureur. La composition de la commission est donc très proche de celle de 1337, dans laquelle Jean Mouhard de Semur tenait cet office : les procureurs de la réformation ducale de 1343, qui portent le titre de « promotour des causes criminelles et civilles de la dite reformacion », sont successivement Guillaume de Vinex et Verry de Ray. Un notaire de Bligny-sur-Ouche complète le groupe en qualité de clerc124.
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par le lancement périodique de grandes tournées d’enquête de réforme ; ibid., p. 292-293. Les officiers endossent alors pour le pouvoir le rôle de « victimes émissaires génératrices d’une unanimité dans laquelle se régénère et s’entretient la machine politique » ; Cl. Gauvard, « Ordonnance de réforme… », op. cit., p. 97. O. Canteaut, « Le juge… », art. cit., p. 277. Publiée par J. Richard, « Finances princières… », art. cit., p. 22, d’après les Archives municipales de Dijon, B 129, fol. 85. Ibid, p. 24, d’après ADCO, B 358. Ibid., p. 28-29, d’après BnF, Moreau 900, fol. 409v-410. Bligny-sur-Ouche, Côte-d’Or, ar. Beaune, c. Arnay-le-Duc.
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Les principales cibles des commissaires du duc-comte sont les prévôts, dont on a déjà évoqué les excès. Mais d’autres affaires sont portées devant nos réformateurs, étrangères aux officiers du prince, et dont les justiciables n’avaient pu obtenir raison aux assises ordinaires. Comme le souligne Jean Richard pour le duché, « il semble que le passage des conseillers du duc ait délié les langues, en amenant la révélation de crimes ou de délits dont les prévôts ou les baillis n’avaient pas eu connaissance125 ». Une large place est également tenue par la répression des cas d’usure126. On sanctionne par la même occasion ceux qui se sont arrangés à l’amiable sans passer par la justice princière, ce qui illustre bien la volonté de monopole qu’Eudes IV veut conférer à son appareil judiciaire. Les amendes particulièrement lourdes infligées à ces contrevenants attestent l’importance de l’enjeu pour le pouvoir comtal, désireux de dissuader définitivement les sujets de recourir à de telles pratiques127. Jules Gauthier a inséré cet épisode de réformation comtoise dans sa thèse sur les origines du Parlement128, pressentant bien le lien entre les deux institutions. Dans le royaume de France, certaines grandes tournées d’enquête « peuvent même s’assimiler à une véritable tentative de décentralisation du Parlement » ; celui-ci n’étant alors pas réuni, elles s’y substituent sur une circonscription restreinte et au moyen d’une procédure sommaire « leur permettant d’agir avec une efficacité maximale129 ». Peut-on aller jusqu’à dire cela en Franche-Comté ? En 1343, effectivement, le Parlement semble bien ne pas avoir été tenu. En revanche, le compte des réformateurs ne rapporte généralement que les amendes perçues par le comte, et non un éventuel jugement des affaires portées à leur connaissance130. Mais il a immanquablement eu lieu, et l’établissement d’un procureur, la teneur même de la commission ducale (« procedez, punissiez et faittes executer, tant es causes civiles […] comme es causes criminelles ») leur confèrent les pleins pouvoirs judiciaires. Ceux-ci s’exercent non seulement sur les officiers prévaricateurs, sur dénonciation de leurs administrés131, mais aussi, on l’a vu, sur de simples particuliers, qui figurent en bonne place parmi les cas soumis aux réformateurs. C’est pourquoi nous récusons la thèse selon laquelle « ces commissaires-réformateurs n’avaient point qualité pour statuer
125 J. Richard, ibid., p. 29. Par exemple : « de Perrin le Coure d’Etrepigney qui estaichay au champ à un arbre Colin, fils Vienot Courtot et le battit, pour ce VI l. estevenantes » ; BnF, Moreau 900, fol. 386v. 126 Par exemple : « de la femme Chauvel de Chariey pour I contrat usuraire fait contre Henriot le Fauconnier, qu’elle avait reçu du dit Henriot XI quartaux de froment et VIII sous pour VI quartaux d’avoine, pour ce LX sous » ; ibid., fol. 396. 127 Par exemple : « de Perrin Jaquot, enfant Vienot Grasvalot de Dampierre, pour ce qu’il ont accordé à partie à C sous sans licence de la cour, pour ce XL l. estevenantes » ; ibid., fol. 395v. 128 J. Gauthier, Les origines…, op. cit., fol. 15 et preuves nos VII à X, fol. 47-49. 129 O. Canteaut, « Le juge… », art. cit., p. 294-296. 130 Pourtant, quelques rubriques font état, en sus de l’amende perçue par le pouvoir comtal, du jugement porté par les commissaires afin de régler les litiges entre particuliers : telle femme ayant tenu indument une vigne est condamnée à en verser l’équivalent du fruit à sa propriétaire, tel homme ayant acheté du blé à un prix trop bas doit rembourser la différence au vendeur, après estimation ; BnF, Moreau 900, fol. 395v-396. 131 « Girars li Quarondeaux d’Auxonne III cflorins de Florence, acort fait par plusours cris et articles proposés contre lui par les habitans de La Marche… » ; BnF, Moreau 900, fol. 379.
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sur les différends entre justiciables132 », c’est vraisemblablement tout le contraire. Ils constituent une antenne mobile de la justice comtale, au même titre que les baillis, et parfois susceptible de suppléer le Parlement. En effet, dès 1337, les réformateurs peuvent juger en appel133. Si l’activité proprement judiciaire des réformateurs nous échappe en partie, c’est en raison du caractère des sources conservées, à but uniquement comptable134. Car au désir de redorer l’image du prince, en affichant son souci de la justice et du bon droit de ses sujets, s’ajoute indubitablement une volonté de renflouer ses caisses, par ces opérations qui s’avèrent juteuses. Les amendes infligées, notamment aux officiers, sont globalement très élevées. C’est d’ailleurs l’opinion commune que le duc et les réformateurs « pendient les genz à lour bourse », selon les mots éloquents d’un prévenu135. La tournée de 1343-1344 a rapporté immédiatement pas moins de 3 216 l. 15 s. 15 d. Mais le trésor n’en profite pas, car la totalité de la somme s’est trouvée dépensée sur le champ pour solder les dettes comtales, si bien que le compte est malgré tout déficitaire de 37 l. 16 s. 9 d. Cependant, 3 068 l. 19 s. 4 d. restent encore à lever au profit du duc, auxquels il faut rajouter 450 l. dues au trésorier de Vesoul, que les réformateurs ont fait entrer dans leurs « exploits ». L’opération aura donc théoriquement rapporté 6 697 l. 18 s. 2 d. (et divers paiements en nature)136, ce qui est énorme au regard des revenus du pays : à titre de comparaison, les recettes du domaine comptabilisées par le trésorier de Vesoul pour l’année 1332-1333 se montent à 9 146 l. 9 s. 3 d. obole137. À la fois juges et enquêteurs au large champ d’exercice, loin de se limiter aux seuls abus des officiers, les réformateurs contribuent donc à asseoir au comté de Bourgogne le monopole de l’appareil judiciaire d’État, dont ils constituent une antenne mobile, susceptible d’y suppléer le Parlement encore balbutiant. Outre son intérêt financier non négligeable pour le pouvoir, leur action travaille à promouvoir auprès des populations l’image d’un prince pacificateur et soucieux de justice, mais aussi à intégrer la province dans l’ensemble bourguignon, ceci après les périodes troublées d’opposition au pouvoir du duc-comte qui ont déchiré la région. On peut donc voir
132 G. Blondeau, « Les origines… », art. cit., p. 105. 133 « Roubers de Saint Simphoriens, chastellain de la Perriere, XXIV gros ajugiez contre ly por ce qu’il avoit condamné la Guilote en XII gros, et levés de li, por ce qu’il li mettoit sus qu’elle n’avoit prové sentencion sur ce qu’une autre femme l’avoit appelee fantome, et il est prové par devant nous que li dicte Guillote avoit bien provee sentencion par devant le dit chastellain » ; BnF, Moreau 900, fol. 379v. 134 Le compte de la réformation de 1337 (BnF, Moreau 900, fol. 377-379v et BEC Besançon, Droz 11, fol. 389-391v) ; celui de la réformation de 1343 (1er août 1343-25 décembre 1344, BnF, Moreau 900, fol. 381-412v et BEC Besançon, Droz 11, fol. 393-424v), que les réformateurs ont rendu au conseil ducal le mercredi après les Bordes (21 février) 1347, dont on conserve l’arrêt ; ADD, 1B 83 (1) ; la liste des compositions infligées à Baume-les-Dames, datée de 1345 ; ADD, 1B 83 (2). 135 BnF, Moreau 900, fol. 379. 136 Notamment six plats d’argent saisis chez un Juif de Poligny, donnés à la duchesse ; ADD, 1B 83 (1), publié partiellement dans E. Petit, Histoire…, op. cit., t. VIII, p. 31, et rapporté par J. Richard, « Finances princières… », art. cit., p. 30, n. 1. 137 ADD, 1B 79A1, fol. 12.
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dans leur institution une phase majeure de la construction de l’État princier dans le comté de Bourgogne138. Le principat d’Eudes IV marque donc de réels progrès de la juridiction comtale à tous ses échelons, notamment en matière d’appel. Ces avancées ne sont pas sans retombées pécunières. Elles invitent à considérer l’organisation des finances de la principauté comtoise, qui sont largement consacrées à sa défense. Les domaines militaires et financiers portent-ils eux aussi, comme l’appareil judiciaire, trace de progrès institutionnels ?
138 Ainsi que l’a conclu M. Dejoux pour le royaume de France au temps de saint Louis, pour qui les enquêtes des réformateurs constituent « un moment clé de la construction de l’État » (M. Dejoux, Les enquêtes…, op. cit., p. 377).
Chapitre IV
Organisation militaire et financière 1. Les finances du prince Comme l’a souligné Sylvie Bépoix, la Franche-Comté est une petite région, de peu de rapport1. On le lit clairement dans les comptes de Dimanche de Vitel, qui font état de tous les revenus des trésoriers du duché comme du comté, centralisés à Dijon2. La province tout entière ne rapporte pas plus qu’un gros bailliage du duché, voire moins selon les années. Par exemple, pour l’année 1352-13533 : – Comté de Bourgogne : 1 396 florins 1/3 ; – Bailliage de Dijon : 1 429 florins 2/3 ; – Bailliage de Chalon et d’Autun : 3 532 florins – Bailliage d’Auxois : 33 florins 1/3 – Bailliage de la Montagne : 33 florins 1/3 Rapportons les recettes du comté à la recette totale comptabilisée par Dimanche de Vitel, entre 1352 et 1361 : Années
Recette du comté
Recette totale
Proportion
1352–1353
1 396 florins 1/3
9 931 florins
14 %
1353–1354
670 florins
8 293 florins
8%
1354–1355
2 500 florins
10 074 florins 7 gros 1/4
24, 8 %
1355–1356
1 049 florins 2/3
14 240 florins
7,3 %
1356–1357
920 florins
13 885 florins 6 gros 5 engrognes
6,6 %
1357–1358
2 979 florins 7 gros 1/4
23 355 florins 9 gros
12,7 %
1358–1359
1 817 florins 8 gros 1/2
21 509 florins 8 gros 1/4
8,4 %
1359–1360
8 612 florins 2 gros 1/2
1360–1361
1 292 florins 8 gros 2/3
34 844 florins 8 gros
3,7 %
Remarquons que la recette de l’année 1357-1358 est faussée par la perception de 2 700 florins, versés par Huguenin de Pontarlier pour l’achat de la châtellenie de Scey. Quant à celle de 1359-1360, elle est majorée par de nombreux « dons » concédés au prince par ses sujets comtois.
1 S. Bepoix, Gestion et administration d’une principauté à la fin du Moyen Âge. Le comté de Bourgogne sous Jean sans Peur, Turnhout, Brepols, 2015 (Burgundica XXIII). 2 ADCO, B 1394, B 1397, B 1399, B 1401, B 1402, B 1405, B 1407, B 1408, B 1410. 3 ADCO, B 1394. Nous ne portons dans les tableaux que les montants convertis en florins, afin de pouvoir comparer les chiffres, mais les comptes fournissent de multiples équivalences.
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Cette série de comptes est remarquable par sa technicité, et coïncide avec la prise en main du « bail » des pays bourguignons par le roi Jean le Bon. Elle contraste avec les arrêtés de comptes produits sous Eudes IV, brouillons et difficiles d’utilisation4. Néanmoins, dès cette époque, il y a déjà progrès. Nous avons déjà évoqué la ratio nalisation de la gestion financière, avec la redistribution du ressort des trésoreries d’Amont, basée à Vesoul, et d’Aval, fixée à Dole et destinée à remplacer l’ancienne trésorerie de Salins5. Nous avons décrit les comptes qui ont été conservés pour la période6. Bien qu’épars, ils témoignent d’une importante activité comptable, signe d’indéniables progrès de l’administration princière en Franche-Comté. Les comptes des salines, notamment, sont le signe d’une volonté d’Eudes IV de contrôler les processus de production et de gestion du sel7. L’abondance des quittances dans les dépôts documentaires va dans le même sens d’une fixation des pratiques. Présentées aux trésoriers, à qui elles servent de pièces justificatives, examinées lors de la reddition des comptes, elles portent désormais systématiquement la mention « vous sera alloué en vos comptes », ou « l’on vous fera compter et rabattre par le tresorier ». En revanche, le caractère partiel et fragmentaire des sources n’autorise pas à établir de bilan financier précis pour le comté. On suppute qu’il est globalement négatif, au vu des rares bilans comptables conservés, déficitaires8, de la mauvaise conjoncture9, des difficultés financières que connaît le pouvoir, et des expédients continuels auxquels il doit avoir recours. L’étude des mécanismes de paiement, à travers les comptes laissés par les caisses locales des prévôts et des châtelains, est également riche d’enseignements. a. Des difficultés de paiement Modalités de paiement
Le duc-comte s’acquitte de plusieurs façons du versement des gages de guerre ou des officiers, soit en faisant de larges avances, soit en affectant des revenus du
4 ADCO, B 1388, B 1389 et B 1390. 5 Voir première partie, chapitre iv. 6 Voir Sources. 7 Voir première partie, chapitre iv. 8 Compte du trésorier de Vesoul Richard des Bans pour 1332-1333 : - 719 l. 4 s. 4 d. obole ; ADD, 1B 791. Du même, pour 1335-1336 : - 1 240 l. 9 s. 8 d. obole ; BnF, Moreau 900, fol. 315v. Compte du trésorier d’Aval pour 1358-1359 : - 980 l. 12 s. 6 d. obole ; ADCO, B 1406. 9 Les documents portent de nombreuses traces des séquelles de la guerre, voire de la peste : villages désertés, bâtisses ruinées, etc… Par exemple, en 1347, on décompte au prévôt de Gray la ferme de la mairie de Velesmes, parce qu’elle a été « harse et destructe des enemis monseigneur, pour laquel chouse le diz amoisenemenz n’a riens valuy, pour cause des habitanz qui s’en sont fuy et aluy li plus grant partie » ; ADD, 1B 126 (2), fol. 5. En 1358-1359, le trésorier d’Aval écrit, à la rubrique de Poligny : « Du molin des Plainches, du molin Clevier, du molin de Fonjuhan, du molin du Vergier et de Bienvenant neant, car il sont en ruine des la guerre monseigneur le duc Eudes » ; ADCO, B 1406, fol. 4v. En 1363, les habitants de Plasne supplient la comtesse Marguerite de les dispenser des tailles, lui montrant « que avant les mortalités et les guerres qui darrenement ont esté en Bourgoigne, ils estoient grant quantité des habitanz liquels contribuoient tous et aidoient à paier certaines tailles qu’ils nous doivent chascun an, et pour cause des dictes mortalités et guerres ils soient si appetisiez et destreuz que li plus grant partie des meix de la ville sont vacant… » ; ADD, 1B 481 (4).
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domaine à leur paiement. Mais il faut parfois réclamer son dû, voire attendre plusieurs années, à tel point que les dettes contractées par Eudes IV à l’occasion des guerres comtoises lui survivent. Les avances
En 1346-1347, Jean de Ruy reçoit de la main du bailli 10 l. et 10 écus d’or (valant 10 l. 13 s. 4 d. estevenants), payés par le prévôt de Vesoul, qui constituent une avance sur les gages des dix hommes en garnison avec lui à Fondremand10. Pendant cette période critique, le pouvoir a déployé de gros moyens pour tenir les troupes : Robert de Grancey est payé sur le champ par le trésorier de Vesoul pour ses gages et ceux de trois chevaliers et vingt-neuf écuyers au service ducal entre le 11 et le 25 décembre 134611 ; mieux encore, avec Hugues d’Arguel et Jean de Ville, il touche, en avance de gages pour ses hommes et lui, 100 l. du trésorier de Vesoul, 100 l. du bailli Jean de Montaigu et 100 écus, soit 106 l. 13 s. 4 d., du trésorier des guerres12. Éviter les désertions est sans nul doute la raison principale de cet important déblocage de fonds. Les paiements directs sur les revenus du domaine
Mais il est plus simple d’éviter de débourser de grosses sommes en numéraire en affectant directement les revenus du domaine aux paiements, des gages des officiers notamment. Les châtelains peuvent bénéficier dans leur châtellenie de revenus exceptionnels par le fait du prince, comme ceux de la pêcherie d’Apremont sur lesquels Jacques Lallemand reçoit 12 l. en 134513. Ce qui n’était sans doute au départ qu’un avantage devient pour le duc-comte une façon commode de s’acquitter de leurs gages. En 1336-1337 par exemple, le châtelain de Montjustin Guillaume de Grenant reçoit, « pour cause de ses gages » les tailles des villages alentour (pour un montant de 63 l. 8 d. estevenants), ainsi que les taxes sur les ventes du marché et de la halle de Montjustin14. Et lorsque qu’en 1341 le trésorier réclame à ses héritiers 58 l. 5 s. 8 d. perçus au titre des tailles de Montjustin de la mi-Carême 1338, on exhibe deux lettres attestant qu’il les avait touchés en déduction de ses gages de 160 l.15. En 1344 encore, Huguenin de Noidans touche l’argent des tailles d’Étobon, en deux fois, pour le paiement de ses gages16. Pour la garde de la place forte de Baume, Eudes de la Roche reçoit, par l’intermédiaire du prévôt du lieu, d’abord 300 l. estevenantes en début d’année 1338, puis 260 l. et 250 l. de cire le dimanche après la Saint-Léger 1338 (4 octobre ?). Le paiement provient des tailles de Baume et de la ferme de la prévôté. Il est complété par la vente de vingt 10 ADD, 1B 84, fol. 17-17v. 11 Il touche trente-sept paies de 7 s. 6 d. estevenants par homme, sur quinze jours, soit 208 l. 2 s. 6 d. ; ibid., fol. 14. 12 Ibid., fol. 14v. 13 ADCO, B 1055. 14 BnF, Moreau 900, fol. 343v-344. 15 ADCO, B 1390, fol. 64v. 16 50 l. sur les tailles de la mi-Carême et 40 l. sur celles de la Saint-Michel ; ADCO, B 11 831.
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bichots de froment pris sur la réserve comtale, pour 39 l., et encore 229 l. de cire17. Soit une somme rondelette de près de 600 l. estevenantes et 479 l. de cire. Des seigneuries entières sont parfois spécifiquement dévolues à l’extinction des dettes de guerre du prince. En 1346, 981 l. 10 s. tournois sont dus à Guillaume de Vergy pour gages de guerre et restors de chevaux au service du duc. Il reçoit la jouissance de Port-sur-Saône jusqu’à leur complet paiement18. De même, en 1347, Jean d’Igny quitte le duc de tout ce qu’il lui doit pour frais de guerre, moyennant le don viager du château de Saint-Loup et de ses revenus19. Des versements rapides…
Le trésorier de Vesoul a fait plusieurs versements à Othe de Velleguindry : 10 l. entre la Saint-Michel 1336 et Pâques 1337, soit peu de temps après que le duc a eu reconnu lui en être redevable par des lettres du 20 septembre 133620 ; 15 l. en 1346-1347, pour ses gages et ceux de son écuyer en garnison à Étobon entre le 31 décembre et le 14 janvier21. De même, le prévôt de Vesoul a payé, pour partie de ses gages lors de la guerre de 1346, 45 l. estevenantes à Henri, sire de Conflandey, qui lui en donne quittance dès le lundi après la Saint-Martin d’hiver 1347 (12 novembre)22. On trouverait d’autres exemples comparables, mais la norme semble plutôt correspondre à des paiements qui tardent à être honorés. …et d’autres qu’il faut réclamer
En juin 1342, Renaud de Germigney touche 60 l. estevenantes prises sur la contribution des bourgeois de Gray au subside levé pour la nouvelle chevalerie de Philippe de Bourgogne, fils d’Eudes IV. Ceci « car ce est de la volonté monseigneur le duc ». Le gardien enjoint de plus aux commissaires commis à cette collecte de procéder rapidement au paiement, afin qu’il ne subisse aucune perte23. Renaud de Germigney semble avoir posé une réclamation directement auprès du prince. On ne sait quelle est la nature de la dette ducale à son endroit. Si ce versement vient rétribuer des services de guerre, comme c’est le plus probable, il se fait en effet particulièrement vite, comparé à d’autres. Il est vrai qu’il y a souvent urgence à solder les troupes si l’on veut éviter qu’elles ne se dédommagent sur le pays24. 17 ADCO, B 1055 ; BnF, Moreau 900, fol. 367-367v et 371-371v. 18 ADCO, B 1065. Cet acte, scellé par Guillaume de Vergy, est curieux, la date est laissée en blanc. S’agit-il d’un brouillon ? La concession a pourtant été effective : le 28 février 1347, il s’engage par serment à n’utiliser les « hautes forêts » de Port qu’à l’usage de construction dans la ville et la forteresse du lieu ; ibid. 19 Saint-Loup-Nantouard, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Gray ; ADD, 1B 490 (2). 20 BnF, Moreau 900, fol. 326. 21 ADD, 1B 84, fol. 15. Pour les deux hommes, ces gages se montent à 20 s. estevenants par jour. 22 ADCO, B 11 733. 23 ADD, 1B 354 (15 et 16). 24 Des lettres du dimanche avant Noël 1348 (21 décembre) mandent à Guiart de Bourgogne et au bailli Jean de Montaigu d’affecter 200 l., sur le montant d’une amende de 300 l. estevenantes, au
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Le cas de Jean le Bois et Jeannot Brainche de Poligny donne un aperçu de la difficulté que rencontrent les hommes d’armes à se faire payer leur dû. En avril 1343, Renaud de Baissey, qui fait alors une tournée de contrôle des fortifications et des garnisons du comté, atteste que Jeannot Brainche a rendu à Guy de Bourgogne le cuir d’un coursier « bay une etoile au front » tombé au service du prince, lequel a été estimé 45 florins ; il ajoute qu’on lui doit, à lui et à son compagnon Jean dit Bois, pour avoir stationné au château de Montjustin lors de la guerre contre les Faucogney, 69 l. 18 s. monnaie d’Auxonne de gages. Deux ans s’écoulent avant que le duc, le jeudi avant Pentecôte 1345, écrive au trésorier de Salins et l’informe de cette dette, contractée à l’occasion du siège de Château-Lambert. Cela ne signifie pas pour autant qu’elle soit honorée : le 4 janvier 1346, Eudes IV, dans une nouvelle lettre, adressée cette fois-ci aux trésoriers de Dole et de Salins, leur donne l’ordre de payer Jeannot Brainche, qui s’est plaint auprès de lui25. Le duc est soucieux, semble-t-il, de montrer qu’il ne reste pas sourd à la requête d’un fidèle lorsque celui-ci l’a bien servi : dès le jeudi après la Chandeleur (9 février), Jean le Bois reçoit du trésorier les 45 florins, et 14 l. estevenantes pour les 69 l. 18 s. d’Auxonne26. Le pouvoir est cependant particulièrement vigilant sur ce type de réclamations, et ne les prend en considération que si preuve est faite qu’elles sont bien fondées. À titre d’exemple, on peut citer la lettre partie de Montjustin pour Baume le 6 juillet 1347, destinée au seigneur de Meursault « pour enquerir la verité d’une supplication que Symonin Poitrinet de Baume avait fait à monseigneur27 ». Il y a peut-être des fraudeurs, mais les dettes qui courent toujours, et bien après l’extinction des guerres comtoises, sont une réalité. La question des dettes du duc Eudes
Eudes IV devait à Henri le Barberat 34 l. 15 s. tournois pour gages de guerre, ce qu’avait attesté un écrou du 21 septembre 1346. Mais ce n’est que douze ans plus tard, en août 1358, que des lettres de Philippe de Rouvres ordonnent de lui verser son dû28. L’homme n’avait manifestement pas bénéficié de la vaste opération de règlement des dettes du prince menée peu après la mort d’Eudes IV par ses exécuteurs testamentaires. On a conservé un petit cahier de papier en faisant état :
dédommagement de deux victimes d’hommes d’armes du duc, qui se sont payés sur elles des sommes qu’on leur devait. Les 100 l. restantes iront « es gens d’armes dou païs d’amont qui gagent sur monseigneur le duc » ; ADD, 1B 372 (14). 25 « … nous est donné à entendre et montré en complaignant que les sommes d’argent contenus es lettres annexés vous ne le voulez payer ne delivrer en son grief, prejudice et dommage si comme il dit, et nous a humblement supplié et requis que nous l’en voulussions faire payer et sur ce pourveoir de bon remede convenauble… » ; ADCO, B 11 733. 26 Ibid. 27 ADD, 1B 133B, fol. 33. On retrouve Simonin Poitrenet dans les comptes du trésorier des Bans, qui nous apprennent que le duc lui devait, pour son temps de garnison à Clerval en 1336, 27 l. 5 s., et encore 20 l. pour un roncin perdu à son service lors d’une sortie lancée contre les ennemis depuis cette place forte. Ces sommes lui ont été versées en 1336-1337 ; BnF, Moreau 900, fol. 314v et 324. Tel n’est donc pas l’objet de sa réclamation, sauf si elle n’est pas fondée. 28 ADCO, B 1405, fol. 62.
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Ce sont les paies faites par les executeurs du testament monseigneur Eude jadis duc de Bourgoigne29, cui Dieux absoille, et gouverneurs du duchié de Bourgoigne pour madame la royne de France ayent le bail et gouvernement du dit duchié, à plusieurs persones tant nobles comme autres es quelx lui disoit le dit monseigneur le duc et madame la duchesse, cui Dieu persdoint, etre tenuz pour le fait et occasion de leurs guerres du contey de Bourgoigne, depuis le trespassement dudit monseigneur le duc, qui fut le venredi devant Pasques Flories l’an XLVIII darrain passey, et aussi pour cause darraiges dehuz pour cause de rentes annuelles dehues ou dit contey30. Plus de 5 507 florins sont versés directement par les exécuteurs testamentaires du défunt, près de 1 600 par leur receveur, 1 424 par le trésorier de Dole et plus de 321 par le trésorier de Vesoul, auxquels il faut rajouter 208 florins payés par diverses caisses, pour un total de plus de 10 600 florins. Et encore ne règle-t-on qu’une partie du montant de ces dettes individuelles, la moitié le plus souvent… Autant dire que beaucoup de protagonistes des guerres comtoises ne rentreront jamais vraiment dans leurs frais. Si bien que la question n’est toujours pas solutionnée au temps de Philippe de Rouvres. À cette époque ont lieu des arrangements avec plusieurs grands seigneurs au sujet des dettes de guerre du feu duc, afin de convenir d’un montant satisfaisant pour les deux parties. Tel est le cas pour les frères Liébaut et Huart de Beaufremont. Après calcul complexe destiné à réévaluer la dette en fonction du cours de la monnaie, il apparaît que le prince est redevable envers Liébaut de 1 334 l. 13 d. (sur les 1 809 l. 13 d. de dette totale, dont une partie a été honorée par Eudes IV, notamment par le don peu avant sa mort d’un luxueux cheval de 225 l.). Le Conseil, « en la Chambre des comptes à Dijon », se met d’accord avec lui sur un versement global de 500 florins le samedi après Noël 1357 (30 décembre), qui est effectif dès le 26 février 1358. Quelque temps plus tard, le vendredi avant la Saint-Simon-et-Jude 1358 (26 octobre), Huart touche à son tour pour faits de guerre une somme d’un montant plus modeste – 75 l. – destinée à éteindre le reliquat de la dette d’Eudes IV, et qu’il doit partager avec l’écuyer Huguenin de Ferrières. Ce reste dû s’élevait à 312 l. tournois et 30 florins. Le prince fait une bonne affaire ! L’année 1358 est l’occasion d’une autre négociation : le 5 septembre, et en vertu de lettres de la reine Jeanne de Boulogne, Dimanche de Vitel verse à Guillaume de Verjon 240 florins, pour lesquels il est tombé d’accord avec le Conseil. Cette somme tiendra lieu des 250 florins et 140 l. tournois « de bonne et forte monnoie » – dont 100 florins et 40 l. tournois ont déjà été payés – dus par le feu duc tant pour ses services durant la guerre de 1336 que pour ceux de son défunt père André, de son
29 Eudes IV a laissé deux testaments, le premier du 12 octobre 1346, suivi d’un codicille du 10 juin 1347, le second rédigé le 20 janvier 1349, soit après son veuvage ; U. Plancher, Histoire…, op. cit., t. II, preuves CCLXXVIII, CCLXXXI, CCLXXXIV. Ses exécuteurs sont Jean Aubriot, évêque de Chalon, Jean, seigneur de Châteauvilain, Jacques d’Andelancourt, chanoine de Langres, Joffroy de Blaisey, Gauthier de Pacy, Renaud de Gillans et Hugues, seigneur de Monestoy. 30 ADCO, B 309.
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frère Humbert et de deux autres hommes « pour lesquels il s’est fait fort31 ». Cette fois-ci, pas de pertes importantes pour ces hommes d’armes, mais il leur aura fallu patienter plus de 20 ans… Philippe de Rouvres connaît d’ailleurs les mêmes problèmes que son aïeul pour solder ses hommes. Il doit de grosses sommes à Henri de Longwy, 200 florins en 1358-1359 pour une cause inconnue, et 1 307 florins pour gages de ses services aux frontières de Bourgogne. On finit par les lui payer le 4 mai 1361, après l’échec de leur assignation sur l’impôt qui devait être levé au duché pour éponger le coût de la guerre32. b. Les expédients financiers Les levées extraordinaires
Au comté de Bourgogne, en revanche, l’impôt consenti par les États n’a jamais été d’actualité, et ce fait mérite d’être souligné. C’est une preuve du caractère encore archaïque de la fiscalité, qui repose sur les tailles et les cens, ainsi que sur la pratique de levées à caractère féodal : ainsi une aide est levée dans les terres d’Hugues de Bourgogne pour payer sa rançon en 133033 ; des commissaires sont commis à recouvrer une aide pour la nouvelle chevalerie de Philippe, fils d’Eudes IV, en 134234 ; l’opération est renouvelée pour son petit-fils en 135735. En cas de nécessité, on a volontiers recours au « don » de la part des sujets. C’est le cas lors de l’acquisition de la châtellenie de Vadans en 135736. On peut se demander jusqu’à quel point les sujets étaient consentants à ce type de prestation… Les habitants de Châtillon-le-Duc
31 ADCO, B 1405, fol. 61-61v. 32 ADCO, B 1406, fol. 12 et B 1410, fol. 59v. Après deux tentatives infructueuses, qui ont achoppé sur le refus des États, en 1352 et 1356, est acceptée la levée d’un fouage pour la défense du pays, puis pour financer la rançon de 200 000 moutons d’or promise aux Anglais par le traité de Guillon (le 10 mars 1360) ; H. Dubois, « Naissance de la fiscalité… », op. cit., p. 94. 33 ADD, 1B 78. 34 ADD, 1B 354. 35 Les habitants de Poligny ont versé à cet effet 600 florins ; ADCO, B 1402, fol. 36. 36 Une éloquente lettre des autorités ducales au bailli d’Amont Guillaume d’Antully lui ordonne de requérir les bourgeois et sujets des « bonnes villes » et autres lieux de son gouvernement d’octroyer une aide, « afim qu’il nous appere de la bone amour qu’il ont à nous », pour financer l’achat de Vadans, « pour lequel il nous covient baillier par maintenant moult finance, combien que nous n’en soyens pas bien aisiez au present ». Le duc se dit aussi « grandement missionés », tant en raison de cette acquisition que de son récent mariage ; ADD, 1B 407 (15), 6 juillet 1357. Dès le dimanche et le lundi après la Madeleine (23 et 24 juillet), le bailli se rend à Vesoul, pour y obtenir une aide, ici et à Jussey ; ADD, 1B 407 (16). Le 26 juillet, il est à Baume pour s’exécuter auprès des bourgeois et prodomes de la terre du lieu, ainsi que de Clerval ; ADD, 1B 327 (4). En octobre, c’est le bailli d’Aval Quinart de Cheliz qui prospecte pour la même raison dans les prévôtés de Dole et d’Orchamps, puis de Colonne ; ADD, 1B 345 (8) et ADD, 1B 407 (14). Les habitants du Bourg-le-Comte de Salins ont donné 300 florins pour financer l’achat de Vadans ; les échevins de Gray octroient la même somme pour le paiement des gens d’armes menés à Arras pour le mariage du duc ; ADCO, B 1402, fol. 54v. En 1357, Philippe de Rouvres épouse Marguerite de Flandre, fille de Louis de Male.
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donnent de même au prince 200 florins en 136037. Cette année-là, de gros besoins en numéraire se font sentir pour solder la rançon de 200 000 moutons d’or promise au roi d’Angleterre au traité de Guillon, le 10 mars. Des commissaires sont encore une fois envoyés en Comté pour « requerir aide » pour le duc, sous forme de dons ou de prêts38. Sous Eudes IV, la méthode est plus autoritaire : sont mentionnées des « quises », ainsi qu’un « subside » prélevés sur le pays, dont nous ne connaissons ni la nature, ni les modalités39. Les emprunts
Nos ducs-comtes ont bien sûr eu recours à l’emprunt auprès des Juifs et des Lombards40, mais aussi des villes41. La venue du roi de France au duché en 1337 est l’occasion d’une campagne d’emprunts auprès de particuliers du comté42. C’est peut-être à ce moment que Le Galois de la Baume, seigneur de Valfin, a avancé 1 500 florins au duc Eudes, qui lui seront remboursés en six paiements sur les foires de Chalon à partir de 135843. Notons que les châtelains, bénéficiaires de rentrées d’argent régulières et indépendantes des fluctuations des revenus fonciers, font figure de privilégiés dans la société du milieu du xive siècle, à qui l’on n’hésite pas à recourir pour trouver des fonds. Jacques du Vaul, châtelain de Gray, prête 240 florins, soit 264 l., au prévôt du lieu pour payer les frais de la garnison, par mandement de
37 ADCO, B 1408, fol. 26v et BEC Besançon, ms 1070, fol. 7. 38 Le 6 septembre 1360, le Conseil donne ordre au trésorier de Vesoul de payer les dépenses de Jean de Cusance, bailli, Guy de Bricon, chambellan, et maître Richard de Vevre, conseiller, « commis et deputés […] pour aller par nos bonnes villes, chastellenies, maisons de religion et plusours autres lieux estant au dit bailliage, afin de faire et demander don ou pret de finance pour nous aider à nous despechier des grant obligations qu’il nous a convenu faire… » ; ADD, 1B 68 (2). Ces commissaires ont notamment sollicité l’abbé de Saint-Paul de Besançon et Jean Pourcelet ; ADD, 1B 510 (20), 11 septembre 1360. 39 « …pour la voiture de mener mille livres de Gray à Beaune en un tonnelet, de l’argent des quises de la conté… » ; ADD, 1B 79A1, fol. 29 ; « pour la voiture d’un roncin de Baume à Vesoul qui porta au tresorier partie de l’argent des quises de Baume… » ; ADD, 1B 791, fol. 8 ; « reçu du subside fait à Gray et en la terre… » ; ADD, 1B 349 (7). 40 « À Opuchin, Lombart demeurant à Poligny, en quoi messire Robers, sire de Chastillon en Besois, connetable et gardien de la duché et de la conté de Bourgoigne, estoit tenu à lui pour cause de pret fait à lui pour les besognes monseigneur le duc […], LX l. » ; BnF, Moreau 900, fol. 332v, 1336-1337. « À Salemin, Juif demeurant à Vesoul, pour et en nom des Juifs demeurant à Port sur Soone et à Vesoul, en quoi monseigneur le duc estoit tenu à eux pour cause de pret fait par eux [au bailli Hugues d’Arc], pour et en nom de monseigneur […], IVXXX florins de Florence » ; ibid., fol. 374, 1337-1338. Voir aussi ADCO, B 1389, fol. 38. Sur les prêteurs juifs et lombards, on peut se reporter aux études anciennes de L. Gauthier, « Les Juifs dans les deux Bourgognes. Étude sur le commerce de l’argent aux xiiie et xive siècles », Mémoires de la Société d’émulation du Jura, 9/3 (1914), Lons-le-Saunier, 1914, p. 57-232 et Les Lombards dans les deux Bourgognes…, op. cit. Cette dernière a été renouvelée par l’article de J. Theurot et S. Bepoix, « Lombards et autres Italiens… », op. cit. 41 On apprend qu’en 1332-1333, les habitants de Dole ont prêté 300 l. au duc ; ADD, 1B 79A1, fol. 29. Plus tard, ceux de Gray avancent 500 florins à Philippe de Rouvres, qui ordonne à son trésorier de Vesoul de les rembourser sur les recettes du lieu, le 27 février 1361 ; ADD, 1B 354 (20). 42 À Gray et à Poligny notamment ; BnF, Moreau 900, fol. 299 et 321. 43 ADCO, B 1405, fol. 60v.
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la duchesse et au nom du duc, vers le début de 134744. La même année, Eudes IV engage des terres au châtelain de Château-Chalon pour 500 florins45. Et ce n’est qu’en novembre 1359 que l’on rembourse un ancien châtelain de Bracon, Barthélemy de la Balme, d’une somme de 500 florins également, qu’il avait prêtée au trésorier de Salins en 1336, au nom du duc Eudes, pour l’aider à financer l’accueil du roi en Bourgogne46. Huguenin de Pontarlier, dit ailleurs Huguenin de la SalleLa Salle (de) Huguenin, qui a été châtelain de Chaussin, puis de Pontarlier, s’avère fort aisé : le duc Philippe lui a engagé la châtellenie de Scey pour 3 000 florins47. On remarque que les hommes en poste à Bracon figurent en tête de la liste des bailleurs de fonds, certainement parce qu’ils doivent bénéficier des retombées du revenu de la grande saline, qui relève du dominium de leur châtellenie48 : Jean de Salins possède déjà dans les années 1340 une rente de 20 l. sur celle-ci49, et on le voit plus tard racheter trois rentes de 80, 90 et 100 l. portant sur la part du communal mouvant du comte de Bar50. Le recours aux officiers51
Prêteurs, les officiers le sont aussi par essence puisqu’ils avancent une bonne partie des dépenses de leur district lorsqu’elles ne sont pas couvertes par les recettes. Ce n’est qu’à la fin de l’exercice comptable qu’ils peuvent espérer être remboursés : ainsi le gouverneur du duché ordonne au trésorier de Vesoul, le 1er juillet 1353, de payer à Jean d’Amoncourt les 144 l. 10 s. 7 d. obole qui lui sont dus par arrêt de compte à la Saint-Michel 1352 pour Montjustin52. De la même façon, à Sainte-Marie-en-Chaux, Eudes IV doit au châtelain 398 l. 9 s. 1 d. aux Bordes 1341, et dès le mercredi après Pentecôte une lettre prie le trésorier de Vesoul de le rembourser53. Le châtelain de Clerval, lui, est invité à se payer directement sur les rentes de son district54. Ceci dans le meilleur des cas. On a d’autres exemples pour lesquels le paiement traîne en longueur : sur les 128 l. 18 s. 11 d. que le duc doit rembourser à Jean le Barbier, châtelain de Montmirey, en vertu de l’arrêté de son compte à la Saint-André 1336, seuls 77 l.
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ADD, 1B 126 (1), fol. 1. ADD, 1B 527 (16). ADCO, B 1408, fol. 43-43v et ADCO, B 1389, fol. 36. ADD, 1B 406 (16). R. LOCATELLI, D. BRUN et H. DUBOIS, Les salines…, op. cit., p. 43. Renaud de Baissey a par exemple bénéficié de 150 l. de la part du receveur de la saunerie, qui correspondent en fait au tiers d’une amende infligée en 1344 à un moine de Balerne (commune de Mont-sur-Monnet, Jura, ar. Lons-le-Saunier, c. Champagnole). ADD, 1B 247, fol. 8v. Jacques de Bracon, qui a été châtelain de La Châtelaine en 1330, touche également une rente annuelle de 30 l. ; ADD, 1B 246 (1), fol. 5v, ADD, 1B 246 (2), fol. 5 et ADD, 1B 246 (4), fol. 3v. La transaction est confirmée par la comtesse Marguerite le 20 février 1362 ; ADD, 1B 219 (12). S. Le Strat-Lelong, « Les châtelains domaniaux […] Polyvalence ou spécialisation ? », art. cit., p. 151. ADD, 1B 67 (17). ADCO, B 1390, fol. 63. Ibid., fol. 65v.
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14 s. 7 d. lui sont versés en 1337-133855. Nous ne savons pas si le restant de la dette a été honoré par la suite. Ce n’est rien en comparaison du cas de Jacques de Thoraise à Châtillon-le-Duc : le duc lui doit, pour deux années successives (de Noël 1358 au 28 décembre 1360), 148 l. 17 d. estevenants, qui ne sont toujours pas payés le 31 janvier 1362 et sont assignés sur le péage d’Augerans, qui contrôle le passage des marchands depuis les foires de Champagne vers la Lombardie56 ; mais notre homme n’a encore rien touché en novembre 1367 – ce qui s’explique par les difficultés que connaît alors le trafic transjuran paralysé par les guerres et les grandes compagnies57 – et la comtesse Marguerite finit par lui conférer, en vertu de ses bons services, une rente à vie de 40 florins sur ce péage58. Quant à Othe de Vaite, châtelain d’Étobon, il se voit payé en argent dévalué avec 300 l. d’Auxonne, la mauvaise monnaie que frappe le duc, au lieu des 345 l. 15 d. estevenants dus pour deux ans, de la Trinité 1339 à la Trinité 134159, ce qui, si l’on prend pour référence la valeur de la monnaie d’Auxonne donnée pour 134160, lui occasionne un manque à gagner de 120 l. 15 d. estevenants. À cette aune, le châtelain ne vit parfois pas assez longtemps pour toucher son dû : c’est le fils d’Huguenin de Verne qui récupère, en 1348, une partie des gages de son père défunt61. Rien d’étonnant alors à ce que les officiers soient eux-mêmes contraints de recourir à des expédients : en 1341, Jean de Montaigu ne touche rien de ce que lui doit le duc, par arrêt de compte, pour le gouvernement de Châtillon-le-Duc ; ces 250 l. sont versées directement aux Lombards de Dole, de Montmirey et d’Orchamps pour éponger sa dette62. C’est aussi vers les Lombards d’Apremont que s’est tourné le malheureux Othe de Vaite, châtelain d’Étobon63, et auprès du Lombard de Montjustin que le châtelain du lieu, Perrin de Vy, est endetté à la hauteur de 200 l. en 134064. Sa situation n’a pas dû connaître d’amélioration, car le duc lui doit encore l’année suivante 362 l. 6 s. 6 d. estevenants65, ce qui est énorme et, comme à Étobon, se justifie par les importants frais de garnison occasionnés par les troubles de cette période sur la frontière nord du comté. Remarquons que le budget des châtelains n’est pas forcément meilleur lorsque leur compte est excédentaire. En 1332-1333, Jean de Bracon, ex-châtelain de Poligny, se débrouille comme il peut pour solder son compte débiteur, en passant
55 BnF, Moreau 900, fol. 366v et 372. 56 H. Dubois, Les foires de Chalon…, op. cit., p. 480. 57 Ibid., p. 495. La recette du péage est tombée à 184 l. entre le 1er octobre 1365 et le 30 septembre 1366, alors qu’elle se montait à plus de 898 l. en 1358-1359. 58 ADD, 1B 493 (3). 59 ADCO, B 1390, fol. 68v. 60 Une livre d’Auxonne vaut trois quarts de livre estevenante au début de l’année 1341 ; ADCO, B 1390, fol. 65. 61 Sous forme de vente de blés ; ADCO, B 1055. 62 ADCO, B 1390, fol. 70. 63 Le gruyer Nicolas de Florence leur paie, pour lui et Jean de Montaigu, 12 l. en monnaie du roi, le jeudi après la Saint-Jean-Baptiste 1342 (27 juin) ; ADD, 1B 72 (43). 64 ADD, 1B 132 (2). 65 ADCO, B 1390, fol. 65.
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un accord avec la municipalité de la ville, qui accepte de donner au duc 105 l. 15 s. 4 d. sur les 128 l. qu’il lui devait au titre de l’année précédente66. Peut-être a-t-il confondu caisse domaniale et dépenses personnelles ? À moins que, s’il afferme tout ou partie des revenus de la châtellenie, il faille voir là le signe d’un affaiblissement de la rente foncière, qui ne suffirait pas à rembourser son bail. Ainsi, les finances du duc-comte reposent largement sur la contribution des officiers : s’ils tirent nombre d’avantages de leurs fonctions, ils se présentent aussi comme des prêteurs faciles d’accès, ne serait-ce que parce qu’ils sont amenés à faire l’avance de leurs frais au pouvoir central. Anne Lemonde souligne que cet « équilibre politique typiquement princier », alliant différentes formes de contrats (de prêts, de provisions d’office, etc…), est subordonné à la confiance réciproque, donc aux « liens personnels vivants et entretenus », entre le prince et ses sujets67. c. Des mécanismes financiers complexes
Les comptes des officiers, prévôts et châtelains essentiellement, donnent une bonne idée du fonctionnement complexe des finances à petite échelle. Percepteurs des rentes de leur district, ils tiennent une caisse locale, dont le gouvernement central se sert pour effectuer les paiements sur place. Quels renseignements peut-on tirer de leur comptabilité ? Les comptes des prévôts
Les archives conservent une série de documents touchant des paiements effectués par les prévôts, scellés le plus souvent soit par les châtelains, soit par le bailli, voire par quelques autres bénéficiaires, et dont on trouve parfois également trace dans les comptes. Ils permettent aux prévôts d’obtenir la déduction de leurs frais de la somme due pour le fermage. Déjà le 7 octobre 1331 Aubriot, prévôt d’Étrepigney (alors en possession d’Hugues de Bourgogne), compte à Apremont 15 l. de fermage pour la moitié de l’année (du 25 mars au 29 septembre), quinze bichots d’avoine pour le four durant la même période, et il en déduit deux paiements effectués aux agents ducaux et 10 s. pour un messager68. S’ils veulent bénéficier d’un décompte, les prévôts ont tout intérêt à fournir au trésorier les « parties » donnant le détail de leurs frais. Colinet de Montbozon a omis de les présenter pour ceux qu’il a encourus « pour le fait de Lure » entre la Saint-Michel 1333 et Pâques 1334 (estimés à environ 29 l. 4 s. 6 d. noirs). Mal lui en a pris car le trésorier n’en a rien compté69. Jeannot Branche à Poligny a été plus avisé de faire établir, vérifier et sceller par le bailli ses frais de
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ADD, 1B 79A1, fol. 7v. A. Lemonde, Le temps des libertés…, op. cit., p. 57. ADD, 1B 349 (9). BnF, Moreau 900, fol. 281.
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messagerie70. Mais il est vrai que l’on est là en 1359 et que la pratique comptable s’est affirmée. On peut se faire une bonne idée de ce type de document déjà pour Pâques 1344 : cette année-là, le châtelain de Baume et de Clerval dresse et scelle la liste des dépenses effectuées pour son compte par le prévôt de Baume Hugues Triquet depuis la Toussaint, et prie le trésorier de les déduire de son premier terme71. Les comptes généraux conservés, en tout ou en partie, pour le principat d’Eudes IV, donnent une idée du montant des frais assumés par les prévôts. À titre d’exemple, celui de Baume comptabilise, pour l’année 1332-1333, 11 l. 4 d. de dépenses, alors que son fermage s’élève à 620 l72. Un pourcentage très faible à se faire rembourser donc, ce qui semble la règle dans la plupart des prévôtés, mais qui peut néanmoins fluctuer : pour l’exercice comptable de la demi-année courant de la Saint-Michel 1333 à Pâques 1334, le même prévôt de Baume encourt 50 l. 13 s. de frais, soit en valeur un sixième de son fermage73. Les années suivantes enregistrent par ailleurs une hausse sensible des dépenses dans certaines prévôtés : 219 l. 9 s. 10 d. à Jussey et 127 l. 18 s. 9 d. à Vesoul en 1335-1336 par exemple, ce qui peut se justifier par l’entrée dans une période de conflit ouvert avec la noblesse comtoise74. Hormis quelques inflations ponctuelles, les dépenses notifiées par les prévôts du domaine comtal restent dans l’ensemble un petit budget, dans certains cas de simples faux frais, à valeur négligeable. Les domaines d’Hugues de Bourgogne au début de la période, sur lesquels nous sommes bien documenté, constituent à cet égard une exception. Les prévôts y brassent des sommes importantes, et le solde de leurs comptes est positif. Le budget le plus élevé est celui de la prévôté de Montbozon en 1330 : 2 014 l. 5 s. 3 d. de recettes et 1 907 l. 4 d. de dépenses, auxquelles il convient de rajouter des montants en nature de blé, d’avoine et de cire75. Mais ces résultats sont à minorer, compte tenu du caractère exceptionnel du subside qui a été levé sur les hommes d’Hugues pour payer sa rançon alors qu’il était captif du marquis de Bade. Comme dans leurs autres secteurs d’intervention, les prévôts sont en matière financière en concurrence avec les châtelains, qui tiennent sensiblement le même rôle.
70 ADCO, B 1406, fol. 42v. 71 ADCO, B 1055. Le prévôt a financé huit lettres, dont deux au gardien et deux au bailli, les frais de quatre sergents postés au portes de Clerval lors de la tenue d’une « journée » entre les seigneurs de Neuchâtel et d’Oiselay, le salaire d’un espion, deux sommiers pour charrier du bois, le travail d’un charpentier qui a fait le pont du château, celui d’un maçon et de son ouvrier qui ont réalisé un dos d’âne en contrebas, la façon de la « barre » du pont et le transport et l’installation d’épines au-dessus des murs, le tout pour une dépense totale de 4 l. 8 d. Elle semble bien modique en regard de la valeur du fermage dû pour six mois : si on se base sur 1332-1334, cette dernière s’élèverait à 130 l. et soixantecinq livres de cire. 72 ADD, 1B 79A1, fol. 2v ; ADD, 1B 791, fol. 7v-8v. 73 BnF, Moreau 900, fol. 244 sq. 74 Ibid., fol. 294 sq. 75 ADD, 1B 78, fol. 5v.
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Le rôle capital des châtelains76 Des percepteurs
Le châtelain fait office de receveur en ses terres pour le compte du pouvoir77. Il peut à ce titre suspendre les impôts si nécessaire78, ou redistribuer l’argent perçu sans passer par le trésorier, ce qui constitue un gain de temps appréciable : ainsi Étienne de Vaite, châtelain de Pontarlier, reçoit les rentes des batteurs et paie directement ceux qui en perçoivent une partie79. Un autre exemple de versement direct illustre que, comme dans les autres domaines de sa compétence, les attributions financières du châtelain s’exercent aussi au-delà de son district : en juin 1342, Othe de Vaite, châtelain de Châtillon-le-Duc, ordonne aux receveurs du subside pour la nouvelle chevalerie de Philippe (fils d’Eudes IV) à Gray, de faire payer 60 l. à Renaud de Germigney directement par les bourgeois80. Il est alors, avec le bailli Jean de Montaigu, « commissaire deputé par le duc à recevoir et geter [ce] subside en la comté de Bourgogne81 », et agit sur ordre du gardien afin que le bénéficiaire ait son argent rapidement, sans pertes ni réclamations de sa part82. On a d’autres cas où les châtelains se trouvent commis à recouvrer des liquidités pour le duc : en 1336 déjà, le châtelain de Bracon, en compagnie du bailli et du trésorier de Salins, cherchait des bailleurs de fonds à Poligny et à Colonne pour les frais occasionnés par la venue du roi en Bourgogne83. En septembre 1360, c’est Guy de Bricon, châtelain d’Apremont, qui est avec le bailli Jean de Cusance « commissaire à requérir aide pour le duc en sa Comté de Bourgogne » afin de repousser les Anglais, auprès de l’abbé de Saint-Paul et de Jean Porcelet à Besançon84. Dans ces missions externes, nos châtelains sont toujours, comme en matière de justice, des accompagnateurs du bailli. Ils ne sauraient agir seuls, ce qui met encore une fois en lumière leur rôle de subordonnés.
76 S. Le Strat-Lelong, « Les châtelains domaniaux […] Polyvalence ou spécialisation ? », art. cit., p. 145-155. 77 Jacques de Thoraise à Châtillon-le-Duc fait un versement de 200 florins à Dimanche de Vitel, donnés au duc par les habitants du lieu, le 5 juin 1360 ; ADCO B 1408, fol. 26v. Il lui donne également le produit de la vente d’une pâture, soit 120 florins, le 3 novembre de la même année ; ADCO, B 1410, fol. 32v. 78 Jean d’Amoncourt, châtelain de Montjustin, reçoit le 16 mars 1350 l’ordre du gardien de suspendre la part d’impôt des habitants de Vy-lès-Lure, Les Aynans, Aillevans et Velotte, déjà éprouvés par les pertes de guerre et la peste ; ADD, 1B 372 (33). 79 En 1358-1359 ; ADCO, B 1406, fol. 8. 80 ADD, 1B 354 (16). 81 ADD, 1B 333 (17-18) et ADD, 1B 354 (9-13). 82 Lettre du vendredi après l’Ascension 1342 (10 mai) ; ADD, 1B 354 (15). 83 BnF, Moreau 900, fol. 299. 84 ADD, 1B 510 (20) et ADD, 1B 68 (2).
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cha p i tr e i v Des payeurs
Percepteurs, donc, les châtelains sont également des payeurs, de gens d’armes essentiellement85, voire d’artisans spécialisés dans l’armement86, ainsi que de tout le petit personnel du château, tel que portiers87, guetteurs88 ou messagers89. Le chapelain du château reçoit également ses émoluments de la main du châtelain90. Ces paiements peuvent comme à Bracon passer par un receveur en fonction dans la châtellenie. Le châtelain, après l’avoir enjoint d’effectuer le paiement, scelle les quittances pour les valider91. Les châtelains assument également les frais de déplacement des agents comtaux92. Il est jusqu’au fauconnier du gardien qui en bénéficie93. La caisse du châtelain
85 Par sa quittance, l’écuyer Jean de Mont-Saint-Léger atteste avoir reçu de Guillaume Voudenay, châtelain de Clerval, pour ses gages de la Saint-Michel 1340 à la Saint-Michel 1341, temps pendant lequel il est resté en garnison en sa compagnie, 36 l. 18 s. estevenants ; ADD, 1B 72 (40). En 1336, le lieutenant du châtelain de Montjustin paie les frais du bailli Hugues d’Arc, du bailli de Mâcon et de leurs gens d’armes venus au château pour affronter les ennemis, ainsi que de Philippe de Vellexon, d’Aimé de Ville et de leurs hommes ; BnF, Moreau 900, fol. 318v-319v. Ces paiements peuvent être versés en nature : entre la Saint-Michel 1333 et Pâques 1334, le châtelain de Montjustin fait délivrer à deux écuyers qui ont tenu garnison au château, Jean de Bougey et Jean de Montureux, respectivement deux quartaux et demi et douze quartaux d’avoine ; BnF, Moreau 900, fol. 284-284v. 86 Le 6 septembre 1360, Guillaume Faulquier, châtelain de Poligny, émet une lettre concernant les gages de Jean Bélier, charpentier et artilleur du duché ; ADCO, B 1410, fol. 55v. 87 En 1336, Guy de Villefrancon, en tant que châtelain de Poligny, commande de payer en pain le portier de la porte du bourg sous Poligny, qui n’a pas de quoi vivre ; BnF, Moreau 900, fol. 313. 88 Le samedi après la Saint-Michel 1354 (4 octobre), Renaud de Jussey, châtelain de Bracon, appose son sceau sur le reçu des quatre guetteurs de Bracon pour leur salaire annuel ; ADD, 1B 73 (8). On notera que dans ce cas, il ne fait qu’entériner un versement effectué par le trésorier. 89 Le mardi avant N-D. de mars 1340 (21 mars), le bailli commande au châtelain de Montjustin de payer un messager, qui va de Montjustin à Rioz ; ADD, 1B 132 (2). En 1340 toujours, Poinsard de Thoraise, châtelain de Bracon, fait rétribuer le porteur d’une lettre au duc, alors à Saint-Omer ; ADD, 1B 246 (2). 90 Perrin Gelin à Ornans verse 10 l. à son chapelain en 1341 ; ADCO, B 11 619. 91 En décembre 1338, Renaud de Baissey mande au receveur de Bracon de payer les portiers et guetteurs de la garnison ; ADCO, B 11 835, cité par B. Schnerb, Aspects…, op. cit., p. 304, n. 30. Subsistent plusieurs quittances de ces portiers de Bracon, validées par le sceau du châtelain ; ADCO, B 11 824. Voir aussi la série de quittances de gages des gens de guerre de Bracon au trésorier de Salins, scellées par le châtelain Barthélemy de la Balme en juillet 1330 ; ADCO, B 11 835, citées par B. Schnerb, Aspects…, op. cit., p. 305, n. 25. 92 Ainsi Guillemin, châtelain de Montmirey, règle en 1332-1333 les dépenses de maître Jean de Morey, procureur du duc, pour son voyage aux Jours de Beaune comme pour un aller-retour à Chenebier (Haute-Saône, ar. Lure, c. Héricourt-2) à une journée contre les gens du duc d’Autriche ; il paie également les frais du bailli et de ses lieutenants lors des assises tenues à Montmirey ; ADD, 1B 79A1, fol. 21 et 28v. L’année suivante, il assume le coût de la présence du bailli au Parlement de Dole ; BnF, Moreau 900, fol. 267v. En 1336-1337 enfin, ce sont le gardien, de passage à Montmirey, et le doyen de Besançon qui se trouvent défrayés par Guillemin ; BnF, Moreau 900, fol. 334v et 338. Ils lui remettent une cédule qui permettra le décompte par le trésorier. Les sommes en jeu peuvent être relativement élevées, variant de 14 s. pour le doyen, en route vers le duc après une mission en Allemagne, à plus de 14 l. pour les assises du bailli. 93 Amiet de Bonnay, fauconnier du connétable et gardien Robert de Châtillon, a reçu du lieutenant du châtelain de Clerval 112 s. 8 d. pour ses frais et ceux de ses valets le mercredi après la Saint-Martin d’Hiver 1339 ; ADD, 1B 72 (39).
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fonctionne donc comme une trésorerie locale, qui peut être mise à contribution au même titre que celle des trésoriers du comté si nécessaire : lorsque le seigneur de Grandson, lieutenant du duc pour le fait des guerres, est envoyé outre Saône, c’est le châtelain de Chaussin qui est sollicité pour lui verser 300 florins sur les 400 destinés aux gens d’armes de sa compagnie, le complément étant assuré par le trésorier d’aval Aubriet de Plaine94. Comme le souligne Jean Rauzier, « les transports de numéraire en cette période sont toujours coûteux », en raison du volume à véhiculer et de l’escorte rendue nécessaire par les dangers des chemins ; d’où la pratique courante de ces assignations « sur une caisse locale, proche du créancier95 ». C’est pourquoi, de la même façon et assez fréquemment, ces divers paiements peuvent être supportés par les prévôts pour le compte du châtelain : Jean de Bougey à Jussey commande au prévôt du lieu de solder les gages du portier Huguenin en 1337 ; c’est le même qui, la même année, assume les frais de garnison de ce châtelain pendant 193 jours, avec son écuyer et leurs chevaux, soit un montant de 48 l. 5 s.96. Dans ce cas, on attache une lettre du châtelain au compte du prévôt, priant le trésorier de prendre note de ces dépenses pour qu’elles lui soient rabattues devant les gens des comptes97. Parfois, le paiement tarde : ce n’est qu’à la mi-Carême 1337 que le prévôt de Montbozon, ayant touché l’argent des tailles, peut régler une partie des gages d’Aimé de Ville et de ses gentilshommes restés en garnison au château pendant les guerres de 133698. D’autres sources de revenus particuliers peuvent ponctuellement se trouver affectées aux frais des gardiens de forteresses. C’est par exemple le cas à Bracon, où sa proximité fait naturellement de la saline une pourvoyeuse de fonds : le châtelain Poinsard de Thoraise verse ainsi 40 l. issues des liquidités de celle-ci aux héritiers de Jacques d’Arguel, entre la Saint-Jean-Baptiste et Noël 133999. C’est aussi le cas à Pontarlier, où le châtelain peut faire effectuer les paiements par le receveur du péage : entre 1357 et 1359, les dépenses du bailli Jean de Montmartin lors d’une journée contre le sire de Joux sont prises en charge par celui-là, qui en rend le détail au trésorier sous
94 Par lettre du 9 juillet 1360 ; ADCO, B 1408, fol. 41. 95 Jean Rauzier, Finances et gestion d’une principauté au xive siècle, le duché de Bourgogne de Philippe le Hardi (1364-1384), Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, Ministère de l’Économie et des Finances, 1996, p. 33-34. 96 BnF, Moreau 900, fol. 337-337v. 97 Tel est le cas, le 30 novembre 1355, pour le prévôt de Villers-Farlay, qui paie les frais de Renaud de Jussey, bailli et châtelain de Bracon, et de sa troupe, lors d’une arrestation à Liesle ; ADD, 1B 496 (8 et 9). La pratique est déjà attestée sous le principat d’Eudes IV, pour lequel est conservée une série de ces lettres des années 1340, tant pour des frais d’hommes d’armes que pour divers travaux dans les châteaux à Clerval, Baume, Châtillon-le-Duc, et Apremont ; ADCO, B 1055. Déjà en 1337, c’est le châtelain de Poligny et bailli Eudes de Cromary qui scelle les « parties » de plusieurs dépenses dont il a chargé le prévôt du lieu, rendues au trésorier ; BnF, Moreau 900, fol. 330 ; et c’est en vertu de lettres du châtelain que le même prévôt donne 27 s. 6 d. pour les frais de dix hommes d’armes envoyés de Poligny à Bracon ; ibid. Faut-il voir là le signe d’une rationalisation de la pratique comptable ? 98 BnF, Moreau 900, fol. 348. 99 ADD, 1B 246 (1), fol. 5.
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le sceau du châtelain Étienne de Vaite100. L’année précédente, les revenus du péage ont même été affectés à ce dernier, pour couvrir les frais de réparation du château101. Les recettes des réformateurs exceptionnellement institués par Eudes IV en 1343 sont aussi mises à contribution pour plusieurs paiements du châtelain Jacques du Vaul à Gray102 ; les mêmes réformateurs reçoivent à deux reprises, en 1344, ordre de la duchesse de faire des versements au châtelain de Château-Lambert, Étienne de Bougey103. C’est donc par le biais des châtelains qu’est redistribuée une bonne partie des ressources du comté, et des plus variées : lorsqu’il rend compte de son exercice de plus de deux ans à Dijon en 1340, Perrin de Vy, châtelain de Montjustin, atteste avoir reçu des Lombards, sur commandement du gardien, 310 l. ; mais il est également fourni en nature, en avoine, vin, cire, et en redevances, comme les gélines de Carême entrant104. Notons qu’en temps de guerre ouverte, les paiements se compliquent en raison de l’importance des sommes à mobiliser. Il semble plus sûr alors de passer par les trésoreries centrales105. En 1336, il y a urgence à solder les gens d’armes qui tiennent la forteresse de Chaussin arrachée aux barons en révolte, et Eudes IV écrit personnellement au receveur du duché Jean Bourgeoise pour qu’il verse à son châtelain 200 l. à cet effet, sous peine de perdre le château106. Hugues d’Arguel, châtelain de Gray, a dû également apprécier l’effort du duc qui, en 1346-1347, fait débloquer pour lui et ses gens d’armes, en avances de gages, 100 l. versées par le trésorier de Vesoul, 100 l. par le bailli Jean de Montaigu, et 100 écus par le trésorier des guerres107. Le châtelain de Beaujeu n’a pas alors cette chance, et il se voit contraint de se rendre à Dijon avec ses chevaliers et sa maignie pour quémander de quoi payer sa garnison. On le renvoie à Henri du Sauvement, commis pour la provision des gages des gens d’armes108. Remarquons là l’intervention de nouvelles instances spécialisées dans le paiement des dépenses de guerre, instituées à la fin du principat d’Eudes IV109. On voit par ces différents exemples la variété des procédés employés : soit le châtelain se fournit directement à la source de revenus, en faisant effectuer ses paiements par les prévôts ou les receveurs locaux sans intermédiaires, soit, lorsqu’une logistique
100 ADD, 1B 1610. 101 ADCO, B 1406, fol. 1v et ADD, 1B 1610. 102 Celui-ci leur scelle une reconnaissance de dette de 160 florins, soit 120 l. estevenantes, le 8 février 1344 ; BnF, Moreau 900, fol. 403v. 103 50 l. estevenantes en février-mars, puis 40 l. en mai-juin ; BnF, Moreau 900, fol. 405. En 1347, ils lui donnent une partie de leur recette en nature, soit du froment, de l’avoine et du vin ; ibid., fol. 411v-412. 104 ADD, 1B 132 (2). 105 Jacques de Bracon reçoit 557 l. 19 s. 8 d. d’Étienne Bonete, trésorier de Salins, pour payer les gages et les dépenses des gens de guerre ainsi que les travaux de fortification à La Châtelaine en août 1330 ; lors des troubles de 1341, le châtelain de Sainte-Marie-en-Chaux a touché du trésorier de Vesoul 20 l. en monnaie d’Auxonne pour les frais de la garnison ; ADCO, B 11 835 et 11 837, cités par B. Schnerb, Aspects…, op. cit., p. 304, n. 25. 106 ADCO, B 11 835. 107 ADD, 1B 84, fol. 14v. 108 ADD, 1B 125A, fol. 7. 109 Voir B. Schnerb, Aspects…, op. cit., p. 820-825.
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plus lourde l’exige, il est subventionné avec de l’argent déjà centralisé par les organes du pouvoir. On voit la complexité de la comptabilité à établir. Les comptes de châtellenies
Ces budgets nous sont connus par des comptes de châtellenies, porteurs de renseignements intéressants, non seulement sur les finances des châtelains mais aussi sur leurs fonctions. Les bilans de ces comptes sont reportés dans le tableau qui suit. Année
Châtellenie Recettes
Dépenses
Solde
Références
1328–29 1329–30 1339–40 1340–41
Ste-Marieen-Chaux
22 l. 13 s. 3 d. 40 l. 15 d. 206 l. 1 d. 181 l. 1 d.
15 l. 39 l. 15s.4d. 414 l. 15 s. 2 d. 370 l. 14 s. 1 d.
+7 l. 13 s. 3 d. +5 s. 11 d. -208 l. 15 s. 1 d. -189 l. 14 s.
ADD, 1B 78, fol. 2 v° ADCO, B 1390, fol. 63
1338–41 (Noël– Carême)
La Rochelle
197 l. 10 s. 6 d. 174 l. 18 s.
+22 l. 12 s. 6 d.
ADCO, B 1390, fol. 65
? –1337 1338–40 1340–41 1351–52
Montjustin 358 l. 3 s. 5 d. 246 l. 1 s. 6 d.
-388 l. 19 s. -318 l. 19 d. -362 l. 6 s. 6 d. -144 l. 10 s7 d.
ADD, 1B 132 (2) ADCO, B 1390, fol. 65 ADD, 1B 67 (17)
1338–39 1339–40 [St-M. – Pâques, Pâques– St-M.]
Clerval
221 l. 18 s. 372 l. 11 s. 6 d. [134 l. 12 s.3 d [124 l. 4 s.+ +87 l. 5 s.9 d.] 248 l. 7 s. 6 d.]
-205 l. -150 l. 13 s. 6 d. [+10 l. 8 s. 4 d. -161 l. 21 d.]
ADCO, B 1390, fol. 65 et ADD, 1B 341 (11)
1340–41
Chaussin
865 l. 15 s.1 d.
769 l. 9 s. 5 d. ø
+96 l. 5 s. 7 d. ø ADCO, B 1390, fol. 66
1338–39 1339–40 (4 mois)
Apremont
11 l. (d’Auxonne)
28 l. 9 s. 11 d. (d’Auxonne)
-51 l. 21 d. (d’Auxonne) -17 l. 9 s. 11 d. (d’Auxonne)
ADCO, B 1390, fol. 66 v°
1338–40
Jussey
10 l. 18 s. 8 d.
9 l. 19 s. 6 d.
+19 s. 2 d.
ADCO, B 1390, fol. 68
1330–31 1331–32 1335–36 1339–41 1341–43
Étobon
275 l. 157 l. 2s. 360 l. 7s. 474 l. 18s.9d. 588 l. 19s.6d.
582 l. 4s.6d. 1353 l. 11s. 390 l.8s.5d. 820 l. 1035 l. 15d.
-307 l. 4s.6d -1196 l. 9s. -30 l. 17d. -345 l. 15d. -446 l.11s3d
ADD, 1B 78, fol. 1 ADCO, B 1389, fol. 35 ADCO, B 1390, fol. 68 v° ADD, 1B 349 (7)
676 l. 5 s. 608 l. 8 s.
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Année
Châtellenie Recettes
Dépenses
Solde
Références
1339–40 1340–41 1349–50 1358–59 1359–60
Châtillonle-Duc
267 l. 2 s. 2 d.
154 l. 9 s. 8 d. 155 l. 19 s.
-250 l. +113 l. 12 s. 7 d. -105 l. 5 s 4 d. ø -42 l. 16 s. ø
ADCO B 1390, fol. 70 ADD, 1B 114 ADD, 1B 493 (3)
1329–31
Chemilly
190 l. 10 s. 2 d. 102 l. 5 s. 3 d.
+91 l. 4 s. 1 d.
ADD, 1B 78, fol. 2
1335–36 1336 (4 mois)
Montmirey 47 l. 6 s. 6 d.
325 l. 9 s. 3 d ø
-128 l. 18 s. 1 d. BnF, Moreau -278 l. 2 s. 9 d. ø 900, fol. 366 v° ADCO, B 1389, fol. 46 v°
1341–42
Cugney
53 l. 6 s. 7 d.
50 l. 12 s. 1 d. (faibles)
?
ADD, 1B 117 (3)
1343–44 1345–47
Beaujeu
343 l. 19 s. 4 d. ø
412 l. 12 s. 10 d.
+70 l. 5 s. 1 d. ø -78 l. 13 s. 5 d. ø
ADD, 1B 125A
1352–53 (Pâques– St-M.)
La Châtelaine
45 l. 16 s. 3 d. ø
57 l. 17 s.
-12 l. 8 d. ø
ADD, 1B 338 (4)
Ce tableau appelle quelques commentaires. Il a été élaboré essentiellement à partir de l’arrêté des comptes réalisé à Dijon à partir du dimanche de la quinzaine des Bordes jusqu’au mardi après l’Ascension 1341 – soit, si nos calculs sont exacts, du 11 mars au 22 mai 1341110. Les montants sont exprimés, sauf mention contraire, en monnaie estevenante, la conversion de la monnaie d’Auxonne ayant été prise en compte pour la châtellenie de La Rochelle grâce à l’équivalence donnée par notre document pour le début de l’année 1341. Ignorant les mutations qui ont pu avoir lieu auparavant, nous n’avons pas converti les valeurs relevées pour Apremont entre décembre 1338 et Pâques 1340. Les gens des comptes ont d’ailleurs bien conscience de cette instabilité : la somme finale due par le duc est souvent par précaution suivie de la mention « sauf l’amendement et le defaut de la monnoie se point y en ai ». Nous avons complété les données de 1341 par quelques chiffres relevés ailleurs. Ont donc été portés dans ce tableau tous les bilans comptables venus à notre connaissance pour la période 1330-1361, en argent seulement. Il existe en effet également des recettes et dépenses en nature, variables selon les châtellenies, et qu’il aurait été trop compliqué de rapporter ici, d’autant plus que dans certains comptes elles sont déjà converties en argent. On remarque d’emblée que ces renseignements sont très lacunaires. L’arrêté des comptes de 1341 ne nous a transmis, dans une rubrique consacrée au comté de Bourgogne111, que le bilan des châtellenies de Sainte-Marie-en-Chaux, La Rochelle, 110 ADCO, B 1390. 111 Remarquons qu’est considérée comme comtoise la châtellenie de Chaussin, qui sera plus tard rattachée au bailliage de Dijon. C’est pourquoi elle est englobée dans cette étude.
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Montjustin, Clerval, Chaussin, Apremont, Jussey, Étobon et Châtillon-le-Duc, présenté par leurs administrateurs devant le duc Eudes IV lui-même, assisté du seigneur de Thil, du chancelier Jean Aubriot, de Guillaume de Musigny et de maître Anseau Peaud’Oie. Tous ces organismes sont aux marges du domaine. Les revenus des autres châtellenies sont englobés dans le bilan des deux trésoreries du comté : Othenin de Gevry, « trésorier en la baronnie de Salins », tire le bilan des rentes de Pontarlier, Ornans, Bracon, Dole, Poligny, Grozon et Montmorot, avec parfois mention d’un châtelain, sans que l’on sache s’il a fourni lui-même un compte au trésorier ; le trésorier de Vesoul Richard des Bans mentionne les recettes en céréales, vin, cire ou volailles de Vesoul, Baume, Clerval, Montmirey, Gray, Montbozon, Étobon, Fondremand et Montjustin, même si, on le remarque, certains des châtelains de ces lieux présentent également leur bilan comptable au duc au même moment. Cela ne manque pas de nous interpeller. Il y a donc des châtelains qui rendent directement compte à Dijon, auprès d’une ébauche de Chambre des comptes, selon un procédé déjà éprouvé en 1336112, et attesté en 1334113, et d’autres qui, sans qu’on sache très bien comment sont recensées leurs recettes et dépenses, s’effacent derrière les trésoriers comtaux. Sont également parvenus jusqu’à nous d’autres documents qui ne rentraient pas dans la comptabilité générale du comté : ils concernent les possessions d’Hugues de Bourgogne au début de notre période, c’est-à-dire Étobon, Chemilly, et Montjustin, celles de Marguerite de Flandre – La Châtelaine – et les domaines sur lesquels a pesé une mainmise temporaire comme Cugney ou Beaujeu-sur-Saône. Il faut souligner combien nos chiffres sont délicats à interpréter, étant donné deux particularités. D’une part, ne sont pas utilisées les mêmes méthodes d’un compte à l’autre. Par exemple, dans la plupart des cas, on reporte en dépenses le solde du compte précédent s’il est négatif, ce qui gonfle artificiellement les frais de fonctionnement du château, ainsi que les gages du châtelain, mais pas toujours. D’autre part, on ne comptabilise pas les mêmes éléments dans toutes les châtellenies : certaines fonctionnent comme un organisme domanial à part entière, relevant les revenus des tailles, des cens, de l’affermage du four et du moulin, et faisant entrer dans les dépenses celles occasionnées par les travaux des champs, des vignes et par l’entretien des bâtiments. Ce sont les châtellenies extérieures au noyau dur du domaine comtal, comme La Châtelaine, concédée à Marguerite de Flandre, et celles sur lesquelles pèsent une mainmise, Cugney et Beaujeu (où on trouve en sus un important poste de dépenses militaires). Remarquons au passage que les comptes du domaine d’Hugues de Bourgogne sont très lapidaires et se trouvent regroupés dans un document comparable à l’arrêté des comptes de Dijon, élaboré à Apremont le 5 octobre 1331. À la fin de celui-ci figure également un compte rendu à Dijon en août 1332 par le châtelain d’Étobon Perrin de Vy114. Dans ce cas comme dans d’autres, les châtellenies semblent au contraire réduites à la simple expression d’organes purement militaires : il en va ainsi pour le bilan des frais de garnison et
112 ADCO, B 1389. 113 ADCO, B 1389, fol. 34v. 114 ADD, 1B 78.
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des travaux de fortification de Guillaume de Thoraise à Châtillon-le-Duc115, rendu au trésorier du comté, et pour deux documents qui peuvent peut-être donner une bonne idée de ceux que l’arrêté des comptes de 1341, très synthétique et qui renvoie à des « parties » que nous ne possédons pas, a pris pour base. Ce sont les comptes de Perrin de Vy à Montjustin pour l’année précédente (il couvre une période de deux ans, de mars 1338 à mars 1340)116, et d’Othe de Vaite à Étobon (du 16 mai 1341 au 16 mai 1343)117. Ce dernier, rendu à Dijon également, en présence du duc et de son Conseil, comme celui de Perrin de Vy l’était devant Jean Aubriot et un autre représentant du duc, est certainement comparable à celui qu’Othe de Vaite a fourni à la Chambre des comptes deux ans auparavant118. Examinons ces deux documents dans le détail, en ayant à l’esprit l’agitation qui, rappelons-le, règne de façon endémique sur cette frontière nord autour de 1340. À la rubrique des recettes, Perrin de Vy comptabilise les versements qui lui ont été faits en argent, par l’intermédiaire des Lombards, et en nature (avoine, vin, cire et gélines « de Carême entrant ») pour la consommation quotidienne au château, ces derniers paiements étant retranscrits en valeur monétaire. Il range dans les dépenses les frais estimés des gentilshommes qui se sont succédé à ses côtés au château, sachant qu’il doit assumer sur ses deniers trente-neuf semaines de garde d’un homme d’armes. De la même façon, le duc lui doit les gages des sergents, des guetteurs, d’un messager et l’entretien du chapelain à demeure « pour ce que li gentilhommes ne li sergent ne puent pas laisser le chatel pour aller oïr la messe ». Mais le total annoncé pour les frais des gens d’armes, soit 133 l. 6 s., étant estimé surévalué, on le rabat arbitrairement de 88 l., soit 66% ! Il faut rajouter à cela l’arriéré de la dette ducale de l’année précédente, c’est-à-dire 388 l. 19 s. Cette brève étude amène deux remarques : d’une part, le compte du châtelain ne concerne strictement que les dépenses de fonctionnement de l’organe militaire castral, et d’autre part il se trouve faussé par le report d’une année sur l’autre du solde négatif. Ce qui constitue une pratique commode pour les deux parties : si l’on examine les chiffres dont on dispose pour Montjustin sur cinq ans, on s’aperçoit que le déficit est globalement en équilibre et que le châtelain peut espérer par ses rentrées se voir sur une année remboursé de ses frais de la précédente. C’est là le fruit d’une politique pensée de la part d’un pouvoir qui vit à crédit, mais contrôlé. Nous en voulons pour preuve les versements qui sont faits à Perrin de Vy par le biais des Lombards, soit 80 l., les 200 l. affectées au remboursement de la dette qu’il a contractée auprès d’eux, et le calcul arbitraire qui permet de rééquilibrer – à juste titre ? – ses dépenses. Le solde de tous comptes ne sera effectué qu’à la sortie de charge, mais il convient entre-temps de ne pas étrangler le châtelain si l’on veut qu’il reste un serviteur zélé. 115 ADD, 1B 114. 116 ADD, 1B 132 (2). 117 ADD, 1B 349 (7). 118 « Compta messire Othes de Vaites chevaliers chastelain d’Estobon des recettes et missions quil ai faites au gouvernement de la dite chastelenie tant pour guaiges de genz darmes qui ont estey en garnison ou dit chastel par certain temps contenu en ses parties randues a cest compe comme pour autres causes contenues en ses dites parties… » ; ADCO, B 1390, fol. 68v.
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Othe de Vaite, en 1343, comptabilise pareillement pour Étobon en recettes trois versements en argent, en blé et en vin pour un total de 209 l. 12 s., auxquels s’ajoutent des deniers d’un subside fait à Gray, Baume et Clerval pour un montant de 588 l. 19 s. 6 d. Ses frais recouvrent ses gages de deux années, soit 600 l., le remboursement d’un cheval mort lors d’une expédition, estimé à 90 l., et le report des 345 l. 15 d. qui lui sont dus par arrêt de compte. Ce qui fait que le duc est débiteur de pas moins de 446 l. 11 s. 3 d. estevenants. Au dos sont mentionnées les 300 l. qu’on lui a versées en monnaie d’Auxonne pour acquitter cette dette. On constate que, de la même façon qu’à Montjustin en 1338-1340, les recettes sont totalement détachées des revenus domaniaux. Mais on ne retrouve pas pour la châtellenie d’Étobon une telle régularité du déficit sur plusieurs années de suite. Hugues de Bourgogne en 1331 semble s’être laissé surprendre par d’énormes frais militaires – 832 l. 9 s. 5 d. rien que pour la garde du château – qui aboutissent à un déficit astronomique de 1 196 l. 9 s. lorsqu’on leur rajoute diverses dépenses et le solde du compte antérieur, lui aussi déficitaire de plus de 300 l. Conséquence sans doute des contestations qui accompagnent la prise en main du comté par Eudes IV au détriment des deux sœurs de la duchesse119, attribution contre laquelle s’élèvent parmi d’autres les seigneurs de Faucogney et surtout le marquis de Bade, en prise directe avec le poste frontière d’Étobon dont il conteste la possession au duc-comte120. Si on ne peut dans les deux cas étudiés que supputer une parenté avec les comptes présentés à la cour en 1341, le compte du châtelain de Clerval Guillaume Voudenay rendu cette année-là à Dijon a été conservé, et on est en mesure de le croiser avec l’arrêté des comptes121. Il ne concerne que la première moitié de l’année comptable, entre la Saint-Michel 1339 et Pâques 1340. Lui ont été attribués des revenus tirés du domaine (tailles, censes, produit de la vente de meix et du tabellionnage) augmentés d’un versement du prévôt de 80 l. Ses gages de 50 l., auxquels s’ajoutent 50 l. dues par le duc et divers frais pour la mise en défense de la place et des déplacements en armes, ne parviennent pas à grever son budget, excédentaire de 10 l. 8 s. 4 d. Mais il devient déficitaire dans la deuxième partie de l’année, connue par l’arrêté de son compte, les rentes n’étant plus à percevoir122. Dire que tous ces comptes de châtellenies sont indépendants des revenus domaniaux serait donc inexact. On peut leur en affecter certains et faire comptabiliser les autres par les trésoreries centrales, en l’occurrence ici celle de Vesoul. Les cas de figure varient donc d’une châtellenie à l’autre et selon les années pour un même château : les comptes de Perrin de Vy à Étobon au début des années 1330 semblent bien aussi prendre en compte des revenus domaniaux, contrairement à
119 Isabelle et Marguerite de France, respectivement dauphine de Viennois et comtesse de Flandre. La première épouse en secondes noces Jean sire de Faucogney. 120 É. Clerc, Essai…, op. cit., p. 39. Voir également le texte de l’accord entre le duc et le marquis de Bade au sujet de la rançon d’Hugues de Bourgogne, fait prisonnier par ce dernier, publié par E. Petit, Histoire…, op. cit., t. VII, p. 178-185. 121 ADD, 1B 341 (11). 122 ADCO, B 1390, fol. 65. Précisons que le chiffre des dépenses que nous avons indiqué pour Clerval ne comprend pas l’arriéré dû par le duc, de 105 l. sur les 205 l. de passif résultant de l’année précédente.
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ceux d’Othe de Vaite treize ans plus tard ; ceux des dépenses de Renaud de Jussey pour Châtillon-le-Duc en 1348-1349 allient frais d’entretien de la garnison et « missions » encourues pour la façon des vignes ou le fauchage des prés, au rebours de ceux de Guillaume de Thoraise pour la même châtellenie l’année suivante. Il est vrai que ces derniers se placent « tantost après la mort du duc, pour les doubtes et movements qu’estoient en la contey de Borgoigne123 ». En temps d’affrontements, la spécialisation militaire du châtelain joue à plein, comme on l’a vu à Étobon et Montjustin au début des années 1340. Un cloisonnement se met en place, qui lui réserve les dépenses de guerre et de fortification, tandis que l’approvisionnement de la place forte est géré par d’autres : à Étobon, c’est un prêtre du lieu prénommé Pierre qui en rend compte au plus fort de la guerre de 1336 ; au même moment, le trésorier de Salins prend en charge les frais de garnison du château de Bracon, tandis que Guillemin, ex-châtelain de Montmirey, précise qu’il ne compte rien des blés récoltés et des vins vendangés cette année-là, dont il laisse le bilan au trésorier de Vesoul124. Cette organisation de guerre est déjà ébauchée sur la frontière à Montjustin en 1331, pour lequel il nous reste trois comptes : celui du prévôt, celui de Jacquet d’Arpenans pour les revenus domaniaux, et celui de Jehanenet qui, s’il n’est pas dit châtelain, tient la comptabilité pour les gens d’armes qu’il a tenus au château au printemps125. Bien que des receveurs (qui n’en portent pas le nom) soient déjà attestés à Poligny et à Bracon, on peut se demander si cette dichotomie en matière comptable ne devient pas la règle à la fin de notre période : en 1362, le châtelain de Vadans compte certes les tailles de sa châtellenie, mais ce n’est qu’en raison de l’absence du receveur126. Pour l’année 1358-1359, c’est bien celui-ci, et non le châtelain, qui fait état des recettes127. De même à Ornans apparaît un receveur de la châtellenie en 1355128. En conclusion, tous ces comptes de châtellenies sont, à quelques exceptions près, largement, voire très largement déficitaires, en raison de frais militaires importants et du non-remboursement des arriérés de la dette. Ils témoignent d’une spécialisation progressive des châtelains aux frontières de la principauté vers une activité purement militaire, relevant d’une comptabilité spécifique directement centralisée à Dijon. L’importance stratégique de ces postes avancés en territoire hostile justifie leur abandon de la gestion domaniale en temps de guerre. N’oublions pas que la Franche-Comté est alors le dernier rempart français face à l’Empire. Ne parle-t-on pas de « la marche dou contey par devers lou royaume129 » ? Voilà qui invite à étudier comment s’effectue la mise en défense de la principauté.
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ADD, 1B 113. ADCO, B 1389, fol. 35-36 et 46v. ADD, 1B 78, fol. 4v. ADD, 1B 149B. ADD, 1B 148. ADD, 1B 73 (10). ADCO, B 1389, fol. 52.
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2. La défense de la principauté Les aspects militaires des principats d’Eudes IV et de Philippe de Rouvres ont déjà été largement évoqués. C’est pourquoi nous nous intéresserons seulement ici, plus spécifiquement, au rôle dévolu aux agents princiers subalternes, prévôts et châtelains, afin de discerner d’éventuelles évolutions. Celles-ci s’inscrivent surtout dans la création de nouveaux offices spécialisés dans la défense du comté. a. La direction des contingents militaires de base
Le prévôt a autorité sur les sergents de son secteur130, et peut, à la tête d’une petite troupe, soit tenir garnison pour la défense d’une ville131, soit mener une intervention ponctuelle et ciblée, comme abattre une forteresse132, rançonner un seigneur sur ses terres133, capturer ou escorter des prisonniers134, soit participer à une expédition militaire, comme celle menée devant Besançon en août 1336135. Durant les guerres comtoises, on voit fréquemment les prévôts se rendre aux mandements du duc, du gardien ou du bailli136. Ils dirigent une escouade de vingt à quarante éléments137. On a même un cas pour lequel le mandement s’effectue à l’initiative d’un prévôt : fin juin 1338, le prévôt de Clerval sollicite ses collègues de Vesoul, Baume, Chariez
130 En 1336, Mile de Grozon, lieutenant du prévôt de ce lieu, « gouverne » les sergents de Grozon, qui participent avec ceux de Poligny au siège de Chaussin ; BnF, Moreau 900, fol. 298-298v. 131 Par exemple au printemps 1336, lorsque se déclare la guerre contre les barons, Guillaume Mourtier, prévôt de Jussey, reste vingt-trois jours avec des sergents et des gentilshommes d’armes en garnison à Vesoul, tandis que celui de Grozon monte la garde à Poligny avec trois compagnons ; ibid., fol. 294 et 298. Le même surveille la saline, menacée de destruction par les rebelles, avec neuf hommes, aidés de vingt arbalétriers et d’autant de sergents ; ibid., fol. 298v. En juillet 1338, c’est le prévôt de Vesoul qui est commis à Montjustin, avec trente-trois hommes d’armes et des arbalétriers, afin de garder la ville ; ibid., fol. 357. Le prévôt de Montbozon vient grossir la troupe à la tête de vingt et un hommes, plus deux menestriers, un bannelier, deux corneurs et sept arbalétriers ; ibid., fol. 375-375v. 132 Le château de Mantoche est démantelé en Carême 1347 par les hommes du prévôt de Gray Jean de Morey ; ADD, 1B 126 (2), fol. 4v. 133 En 1332-1333, le prévôt de Poligny va « gager » le comte d’Auxerre, dont le châtelain tient prisonniers trois bourgeois de la ville ; ADD, 1B 79A1, fol. 20v. En novembre 1335, avec le prévôt de Grozon, il inflige le même sort à Jean de Chalon-Arlay ; BnF, Moreau 900, fol. 297v-298. 134 ADD, 1B 79A1 fol. 11v, ADD, 1B 791, fol. 7v et BnF, Moreau 900, fol. 257v et 295. 135 Les prévôts de Jussey et de Baume y participent ; BnF, Moreau 900, fol. 294v et 297. 136 Par exemple, le prévôt de Jussey est convoqué en décembre 1337 par le duc à Dole, avec plusieurs gens d’armes, puis en juin suivant par le gardien à Gray, comme à cette date les prévôts de Vesoul, de Baume et de Montbozon. Il s’agit alors d’arrêter la progression de Jean de Chalon-Arlay et des Bisontins qui comptent franchir la Saône. Il se rend à ce dernier mandement à la tête de trentecinq hommes. Le prévôt de Vesoul en a alors trente et un, celui de Baume vingt-trois, et celui de Montbozon vingt-quatre, auxquels il faut rajouter quelques dizaines d’arbalétriers et des bannerets ; plusieurs gentilshommes de la châtellenie de Montmirey viennent se joindre à eux ; BnF, Moreau 900, fol. 355-375. 137 Elle peut parfois atteindre une cinquantaine de personnes : Jean de Morey conduit quarante-neuf hommes au mandement du bailli à Clerval le lundi après la Saint-Michel (4 octobre) 1344 en vue de prendre la maison forte de Mathay ; ADD, 1B 124, fol. 8-8v.
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et Montbozon pour mettre à sac les terres du seigneur de Belvoir, en raison d’une agression perpétrée par ses gens sur les sergents ducaux138. Ces interventions s’opèrent généralement dans un rayon assez court. Elles prennent cependant une toute autre ampleur en juillet 1359, lors du siège de Brion139. Les prévôts de Colonne, Voiteur, Dole, Poligny, parcourent alors plus d’une centaine de kilomètres pour se rendre jusqu’à Darcey, dans le duché, avant d’être contremandés. Ils ont chacun de soixante à 120 sergents sous leurs ordres140. Le prévôt d’Ornans va jusqu’à mener 220 sergents, sans compter les arbalétriers, sur les terres de Joux pour les incendier en juin de la même année141. On ne peut donc qu’être frappé par l’émergence, dans les années 1330, d’un rôle militaire sans doute nouveau dévolu au prévôt, et par son inflation tout au long des années suivantes, marquées par les effectifs de plus en plus importants placés sous sa responsabilité. Sans oublier le rôle majeur qu’il tient dans l’approvisionnement comme dans la mobilisation des troupes, notamment par la pratique du cri. Ce rôle semble se préciser au cours de la période, jusqu’à une claire définition comme celle que l’on rencontre dans une lettre du bailli Jean de Cusance au prévôt de Jussey, datée du 1er février 1360 : De l’expres comandement de monseigneur le duc et conte de Bourgoigne sur ce fait à nous, vous mandons et commandons que vous soiés à Gray le juedi après l’uictave de la Chandeleur prochainnement venant, à tout ce de genz d’armes de cheval et de pie que bonement porrez recovrer en votre prevostei et basti, maymement les mielx armez, pour venir avec nous au grant mandement dou dit monseigneur, qui se fait à Nuis142 le jour de la quinzenne de la dicte Chandeleur. Si faites crier et bannir es lieux plus notables de votre dicte prevostey, et meymement le faites signifier à touz nobles appartenant à icelle que chescuns soit pourvehuz en chevalx et en armes au mielx en compaigniés qu’il porray et à lui appartendray, pour y estre au dit jour. Et soiez porvehuz de touz vivres necessaires pour les dessus diz pour trois semmaines, ensemble charroy pour les mener, et neant moins saisisez et mettez en la main dou dit monseigneur touz vivres que recovrer porrez en votre dicte prevostey, aifin d’en prendre, se besoings est, pour les deniers dou dit monseigneur, pour le fait et sostenement des dictes genz d’armes143. Ces fonctions prévôtales, dont la définition tout comme l’aire géographique sur laquelle elles s’exercent – « prevostei et basti » – se précisent, présentent des similitudes avec les attributions des châtelains.
138 BnF, Moreau 900, fol. 356, 357v, 358 et 374. 139 Le 2 juillet 1359, les troupes bourguignonnes y sont battues par les compagnies anglo-navarraises ; E. PETIT, Histoire…, op. cit., t. IX, p. 160. Brion-sur-Ource, Côte-d’Or, ar. Montbard, c. Châtillon-sur-Seine. 140 Darcey, Côte-d’Or, ar. et c. Montbard ; ADCO, B 1406, fol. 9v. 141 Idem. 142 Nuits-Saint-Georges, Côte-d’Or, ar. Beaune, ch.-l. c. 143 ADD, 1B 358 (14).
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b. Le rôle des châtelains144
L’attribution première du châtelain est bien évidemment de garder le château en cas de danger, comme l’ordonne le gardien Gauthier de Ray à Jean d’Amoncourt, châtelain de Montjustin, le vendredi après la Saint-Martin d’hiver 1349 : il s’agit de « bien [le] faire garder nuit et jour », « pour aucun novel que nous havons entendu145 ». Pour cela, il est requis d’établir avec lui un gentilhomme préposé à cette garde. Ce sera évrard de Montjustin, qui atteste être demeuré en garnison au château dix-huit jours à compter du vendredi devant la Saint-Clément (20 novembre) 1349, accompagné d’un valet et avec deux chevaux146. Souvent le châtelain et son écuyer suffisent à assurer la sécurité du lieu : ainsi, en 1337, Jean de Bougey se trouve défrayé du coût de 193 jours de garnison au château de Jussey en compagnie de son écuyer, en comptant 8 s. estevenants par jour, soit un total de 48 l. 5 s. payés par le prévôt du lieu147. Des sergents peuvent également venir grossir la garnison, comme à Montrond durant quatre-vingt-seize jours de 1336, avant que le château ne soit restitué à Henri de Bourgogne148. La sécurité est généralement complétée par l’établissement de « gaites et eschargaites » chargés de faire le guet de nuit comme de jour, comme ceux payés par le châtelain Ferry de Montbozon à Dole la même année149. À Montjustin, ce sont huit guetteurs que doit rémunérer Perrin de Vy, en sus du gentilhomme qui devra tenir garnison avec lui pendant trente-neuf semaines, entre mars 1338 et 1340150. Rien ne semble en cette matière pris à l’initiative du commandant de la place forte, qui ne fait qu’exécuter les ordres du gardien, y compris pour nommer les guetteurs : c’est « par l’ordonnance monseigneur le gardien » qu’Eudes de Cromary établit Lambert Lambret et Jean Pasart de Chamole à cette fonction au château de Poligny, de la mi-Carême à Pentecôte 1337. Il y tient au même moment à ses frais un artilleur151. Un acte du 20 septembre 1353 permet de mesurer combien peu de latitude est laissée au châtelain pour la mise en armes de la forteresse de Montferrand : c’est le bailli d’Aval Renaud de Jussey qui, tout en le nommant à son poste, en définit les règles. Il est tenu d’avoir en permanence deux gentilshommes à ses côtés, et un troisième en son absence. Ces derniers seront à ses frais, contrairement à l’artilleur et au maréchal, payés par le roi, mais qu’il peut à loisir remplacer par deux gentilshommes. Jean le Bon assurera également la solde de dix sergents, de garde quotidiennement. Seul le 144 Sur le rôle militaire des châtelains, se reporter notamment à B. Demotz, « Le châtelain et la guerre dans la Savoie des xiiie et xive siècles », in « De part et d’autre des Alpes » …, op. cit., p. 155-166. Ce paragraphe et le suivant développent notre article : S. Le Strat-Lelong, « Les châtelains domaniaux […] Polyvalence ou spécialisation ? », art. cit., p. 138-142. 145 ADD, 1B 372 (19). 146 ADD, 1B 372 (18), le jeudi devant la Saint-Nicolas d’hiver (3 décembre). 147 BnF, Moreau 900, fol. 337-337v. 148 BnF, Moreau 900, fol. 302v et 335-335v. 100 s., puis 13 l. sont versés à Renaud de Molpré par le prévôt de Poligny pour les frais de quatre sergents qu’il a tenus en garnison au château, de la Saint-Vincent (22 janvier) au 30 avril 1336. 149 BnF, Moreau 900, fol. 303. 150 ADD, 1B 132 (2). 151 BnF, Moreau 900, fol. 339-339v.
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choix de ses compagnons d’armes reste finalement à la convenance de Guillaume du Pailley lorsqu’il reçoit ce pouvoir du bailli. On note que, bien que modeste, cette garnison paraît d’importance si on la compare aux exemples de l’époque d’Eudes IV cités plus haut152. L’autorité militaire du châtelain en son château ne s’exerce donc que sur délégation du gardien ou du bailli, et sur un nombre d’hommes très restreint153. Mais son rôle ne s’arrête pas là. Le châtelain est un soldat mobile, qui peut se trouver à disposition quand nécessaire, soit en partant lui-même renforcer une autre garnison, soit en venant grossir les troupes d’une expédition. Les troubles de 1340-1341 sont l’occasion de mobilisations ponctuelles des gardiens de châteaux vers les points névralgiques. Othe de Vaite, châtelain d’Étobon, circule ainsi cette année-là de façon incessante entre Montbozon, Vesoul et Montjustin, qui font office de postes avancés face aux incursions d’Henri de Faucogney et de ses troupes154. Hugues d’Arguel, châtelain de Gray, vient également par deux fois garder Vesoul devant le même danger155. La menace semble particulièrement importante entre l’Ascension et Pentecôte 1340, puisque ce sont deux officiers, les châtelains de Baume et de Clerval, qui y arrivent en renfort à la tête de pas moins de 228 sergents156. Cette mobilisation est sans précédent : le même châtelain de Clerval, Guillaume Voudenay, venait en garnison à Montjustin en défense contre les « Allemands » avec seulement un ménestrier et un maréchal quelques semaines auparavant157. En effet, dans leurs déplacements de garnison en garnison, nos châtelains sont généralement accompagnés d’une escorte comprenant un petit nombre d’hommes, variant d’un à cinq, des valets et des chevaux (jusqu’à onze pour Othe de Vaite le 17 août 1341 à Montjustin158). Parfois, ils viennent seuls, tel Étienne de Bougey, châtelain de Château-Lambert, qui vient renforcer les effectifs de Monjustin du 13 au 20 janvier 1347 avec un valet et deux chevaux uniquement159. Sur ordre ducal, les gardiens de châteaux sont également prêts à se joindre aux troupes du bailli pour en découdre à l’extérieur, qu’il s’agisse de réaliser une expédition
152 Pour l’année 1336 à Baume, en pleine guerre, on compte néanmoins vingt-quatre sergents présents au château pendant sept semaines, un chevalier ( Jean de Voillans, flanqué de deux écuyers et d’un valet), un écuyer ( Jean de Montureux et son valet), et un arbalétrier à cheval, Richard du Tartre, ce qui constitue une mobilisation inhabituelle de forces ; BnF, Moreau 900, fol. 308v-309. 153 On peut encore citer les quatre hommes d’armes que Guyot de Montrond tient avec lui au château de Pontarlier pendant quinze jours d’avril 1339, « du commandement du gardien et par sa lettre » ; ADCO, B 11 835. Alain Salamagne a souligné la faiblesse des effectifs entretenus dans les châteaux, particulièrement en temps de paix, essentiellement pour des raisons financières. Les contingents en garnison dans les forteresses du nord de la France sont souvent inférieurs à dix hommes. Les effectifs sont renforcés uniquement en cas de guerre ; A. Salamagne, « Les garnisons des villes et châteaux dans le nord de la France aux xive et xve siècles », Revue du Nord, 83 (2001), p. 707-729. 154 ADD, 1B 150. 155 Le mercredi après l’Ascension 1340 ainsi que du 19 au 21 janvier 1341 ; ADD, 1B 150, fol. 84 et 143v-144v. 156 Du vendredi après l’octave de l’Ascension jusqu’au mardi après Pentecôte, soit du 2 au 6 juin 1340 ; ADD, 1B 150 fol. 85-86v. 157 Les 7 et 8 mai 1340 ; ADD, 1B 150, fol. 110. 158 ADD, 1B 82, fol. 24. 159 ADD, 1B 133B, fol. 16v.
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punitive sur les terres d’un seigneur récalcitrant160, de mener un siège161 ou de faire face aux Anglais entrés dans le duché en 1360162. Pour ces mobilisations d’importance, le rôle de nos châtelains s’avère capital : c’est à eux qu’il appartient de rassembler les hommes d’armes de leur district, dont la définition se précise au cours de cette période. Il est ainsi fait mention d’une lettre du bailli Jean de Montaigu au châtelain d’Étobon, datant du 21 mars 1347, lui demandant « qu’il fasse venir les tenants fief de son basti au mandement monseigneur à Dole163 ». Déjà en 1332-1333, Guillemin, châtelain de Montmirey, envoie des convocations aux gentilshommes « de la terre et d’ailleurs » pour se rendre au mandement ducal à Noroy, le dimanche après Letare (21 mars), puis à celui du bailli à Gy le vendredi après la Saint-Barthélémy (27 août)164. Plus généralement par la suite, ils sont requis d’enrôler le plus de gens armés possible, sans mentionner leur origine, afin de se tenir prêts à l’action165. Ponctuellement, nos hommes escortent également gardien ou bailli dans des missions de confiance, comme opérer une mainmise sur les biens d’un seigneur désobéissant166 ou conduire des prisonniers jusqu’à leur lieu de détention167. Quelle est dans ces fonctions la latitude dont dispose le châtelain ? Elle semble assez limitée, la plupart des actions restant soumises aux décisions des instances supérieures. Il jouit néanmoins d’un certain pouvoir de commandement sur les prévôts : il peut lui aussi leur intimer un ordre de mandement, comme le châtelain de
160 Le 25 juin 1347, Nicolas de Moustiers, châtelain de Scey, en représailles d’une action de Jean de Chalon-Arlay et des Bisontins devant Salins, va incendier Pugey (Doubs, ar. Besançon, c. Besançon-6) près d’Arguel, à la tête d’un groupe armé – comprenant les hommes de sa garnison, certains de celle d’Ornans et des sergents – qu’il décrit comme « grand foison de genz d’armes, trois banneres et hun penonceys » ; ADCO, B 11 875, donné en preuve par B. Schnerb, Aspects…, op. cit., p. 31. De même, en juin 1359, Jean de Salins, châtelain de Bracon, accompagne le bailli d’Amont à Pontarlier pour saccager et incendier les terres du sire de Joux, en représailles d’une razzia de ce dernier ; ADD, 1B 1610 et ADD, 1B 88, fol. 3v. 161 Hugues de Savigny, châtelain de Montmorot, est avec son fils Humbert et huit chevaux au mandement du bailli à Dole en vue d’assiéger la forteresse de Brion le 20 juillet 1359 ; ADD, 1B 88, fol. 4v. 162 Jacques de Thoraise, châtelain de Châtillon-le-Duc, et son frère Guillaume, sont mandés par le bailli à Dole en février 1360, pour participer aux chevauchées ducales à Nuits-Saint-Georges et à Dijon ; ADD, 1B 88, fol. 10v, 11 et 12v. 163 ADD, 1B 133B, fol. 35. 164 ADD, 1B 791, fol. 14v. Noroy-le-Bourg, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Villersexel ; Gy, Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Marnay. 165 Le 6 novembre 1353, des lettres closes du gouverneur du duché en intiment l’ordre à Renaud de Jussey, châtelain de Bracon ; ADCO, B 1397, fol. 49. Le 19 juillet 1361, c’est à Jacques de Thoraise, châtelain de Châtillon-le-Duc, et à son frère Guillaume, que s’adresse une pareille missive pour se rendre à Dijon le jour de la Madeleine (22 juillet) ; ADCO, B 1410, fol. 49. 166 Le châtelain de Bracon, Renaud de Jussey, accompagne le bailli à Montferrand, avec vingt-sept hommes d’armes, afin de mettre le château dans la main de la reine, pour défaut de reconnaissance et de reprise de fief depuis le décès de son seigneur, le mardi devant la Chandeleur 1353 ; ADD, 1B 470 (3). 167 Les châtelains de Bracon, de Chaussin et de Montmorot font étape à Vesoul, en compagnie du gardien, pour mener les prisonniers qui ont pris le château aux forteresses d’Aval, le jeudi après Pentecôte (8 juin) 1340 ; AD B 150, fol. 87v.
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Clerval envers celui du lieu qui doit se rendre avec sept hommes armés à Mandeure en 1333-1334168. De même, Perrin de Vy ordonne par lettres, le lundi devant la Madeleine (20 juillet) 1338, aux prévôts de Vesoul et de Montbozon de venir à Montjustin, avec respectivement trente-quatre et vingt et un hommes d’armes, afin de garder la ville contre les menaces d’incursion du seigneur d’Oiselay et des sergents de Villersexel169. Les attaques de ces derniers à Clerval avaient d’ailleurs quelques années auparavant justifié l’intervention punitive du prévôt de Baume, sur ordre du châtelain du lieu170. Un des successeurs de celui-ci, Jacques de la Tour, suivant les ordres du gardien, envoie de la même façon le prévôt de Clerval accompagné de ses gens à cheval, de ses sergents et de ses arbalétriers, « courir » sur les terres du seigneur de Villersexel171. Ces pouvoirs de commandement s’étendent aux hommes d’armes, en dehors des mobilisations ducales : Jean de Bougey, basé à Jussey, fait ainsi venir à Baume, où il demeure en garnison, quatre écuyers « de la maignie Eudes de la Roche », pour aider à garder la ville face aux Bisontins, en août 1338172. Le gardien de château peut ainsi parfois jouer sur les effectifs de ses troupes, comme à Étobon où l’on envoie en décembre 1347 trois sergents de Vy qui resteront de garde tant que le châtelain voudra les tenir à ses frais173 ; à Château-Lambert, devant l’avancée des Allemands, le responsable demande au trésorier de Vesoul qu’on lui fournisse des gens d’armes174, et écrit à la duchesse qu’il lui faudrait en garnison six arbalétriers de pied. Celle-ci ordonne au bailli Jean de Montaigu de les lui envoyer au plus vite s’il constate, après s’être rendu sur place en reconnaissance, que leur présence est nécessaire175. Là encore, la liberté du châtelain reste très relative. Le rôle militaire du châtelain est capital pour notre période, tant pour la défense locale que dans de plus lointaines expéditions. Bien qu’affecté à la garde d’une forteresse, il reste très mobile176, et constitue avec son réseau de combattants un maillon essentiel de la stratégie à l’échelle des duché et comté. Malgré ses pouvoirs de commandement restreints, c’est un spécialiste de la guerre à qui on peut faire appel pour inspecter les châteaux comme les troupes177, et surtout un agent bien informé 168 169 170 171 172 173 174 175 176
BnF, Moreau 900, fol. 258. Mandeure, Doubs, ar. Montbéliard, c. Valentigney. BnF, Moreau 900, fol. 357 et 375. Entre la Saint-Michel 1333 et Pâques 1334 ; BnF, Moreau 900, fol. 257. Le 10 janvier 1343 ; ADCO, B 1055. BnF, Moreau 900, fol. 358v-359. ADD, 1B 133B, fol. 35. Le 2 février 1345 ; ADD, 1B 133B, fol. 24. Par lettre du 12 septembre 1344 ; ADD, 1B 338 (1). C’est ce qui explique que nos sources fassent mention à plusieurs reprises de lieutenants qui agissent au château en lieu et place du châtelain : Jacquet de Montjustin à Montjustin en 1333-1334 ; BnF, Moreau 900, fol. 280v ; Philippe du Verger à Bracon en 1334 ; ADCO, B 1056 ; Guyot de Corhomble à Bracon également en 1346 (il est le frère du châtelain du moment, Jean de Montaigu) ; ADCO, B 11 824 ; Estevenin Soigneret à Dole en 1347 ; ADCO, B 11 837 ; et Jean des Murs à Jussey en 1349 ; ADD, 1B 72 (55). 177 Guillaume de Grenant, châtelain de Montjustin, accompagne Eudes de Cromary pour visiter la forteresse de Montbozon ; novembre 1336, BnF, Moreau 900, fol. 347v ; le châtelain de Bracon aide le gardien à inspecter et mettre à gages les gentilshommes de la garnison de Vesoul ; 1340, ADD, 1B 150, fol. 104v.
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de la situation locale, apte à signaler tout mouvement suspect178 grâce à un solide réseau d’espions, et à qui on ne manque pas de recourir, dans un échange incessant de lettres179. Un intermédiaire militaire d’importance, donc. Mais la polyvalence de ses fonctions peut parfois le gêner dans l’exercice de ses attributions martiales. C’est pourquoi le pouvoir lui adjoint bientôt d’autres représentants, plus spécialisés. c. L’apparition ponctuelle de nouveaux acteurs
La mise en défense des forteresses peut parfois être le fait d’agents qui ne portent pas le titre de châtelain, mais sont appelés « gardien ». A-t-on là deux offices bien distincts ? Les deux termes sont, peut-être par abus de langage, employés indifféremment pour Renaud de Baissey à Bracon180. Mais il semble bien qu’on ait affaire à deux réalités différentes. À Baume et Clerval par exemple, la situation est complexe : Guillaume Voudenay est châtelain à Clerval, mais gardien de Baume, et ce de façon concomitante, entre 1339 et 1341 ; il y a alors un châtelain à Baume, au moins sur une partie de la période. Guillaume Voudenay succéderait à Jean de Bougey, que l’on voit exercer des prérogatives militaires à Baume en 1338181, et que Jules Gauthier considère comme châtelain : il se dit « gardien de Baume » à cette date182, tandis qu’Huguenin de Verne est vraisemblablement châtelain de la place. Jean de Bougey viendrait luimême remplacer Eudes de La Roche, sire de Nolay, qui touche cette année-là une partie de ses gages « de la garde de la ville et de Baume » toujours dus par le duc183. En revanche, en 1342 et 1343, Jacques de la Tour cumule les deux offices de châtelain à Baume et à Clerval. Paradoxalement, il se dit en même temps gardien de ces places
178 En 1358-1359, Hugues de Savigny, châtelain de Montmorot, envoie son fils informer le trésorier d’un rassemblement visant à prendre la reine et le duc ou leurs forteresses ; ADCO, B 1406, fol. 44v. 179 En février 1345 à Château-Lambert, poste septentrional avancé en territoire ennemi, le châtelain écrit au trésorier de Vesoul lorsque les Allemands approchent ; ADD, 1B 133B, fol. 24 ; en 1346-1347, c’est le prévôt de Gray qui joint le châtelain de Châtillon-le-Duc « pour savoir le convine des ennemis » ; ADD, 1B 126, fol. 14v ; enfin, le 31 décembre 1355, une lettre du gouverneur est adressée à Guillaume du Pailley, châtelain de Montferrand, lui enjoignant de se renseigner à Besançon et ailleurs, « tant par lui comme par ses espies », sur les mouvements de Thibaut de Faucogney ; il répond que celui-ci a rassemblé des troupes en Lorraine et compte ravager le duché ; ADCO, B 1401, fol. 51. 180 Il s’intitule « gardien de Bracon » dans un mandement de paiement à son receveur le 25 mai 1338 ; ADCO, B 11 835, cité par B. Schnerb, Aspects…, op. cit., p. 305, n. 30. Il avait alors institué, de concert avec le bailli Eudes de Cromary, des portiers et des guetteurs supplémentaires. Il se qualifie également de gardien lorsqu’il fait payer les portiers du château et scelle leurs quittances en avril 1339 ; ADCO, B 11 824. Mais il apparaît en tant que « chastelain » dans des documents de la fin de l’année 1338 (ADD, 1B 246 (1), fol. 9) ou un peu postérieurs (ADD, 1B 262 (14)) ainsi qu’en 1344 (ADCO, B 11 837). 181 Il convoque quatre écuyers pour aider à garder la ville dans la crainte d’une incursion des Bisontins, et fait refaire la porte du bourg. Il est dit alors « ecuyer demeurant à Baume en garnison » pour le duc. Il perçoit à ce titre 40 l. de gages annuels ; BnF, Moreau 900, fol. 358v-359, 361 et 368. 182 En mai, il s’intitule encore « ecuyer en garnison », en août il se dit « gardien » ; ADCO, B 11 860, cité par B. Schnerb, Aspects…, op. cit., p. 305, n. 30. Il fait alors réparer les trois « engins » de la place forte. 183 ADCO, B 1055.
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fortes184. En 1345, on retrouve un nouveau gardien, pour les deux localités conjointes aussi, en la personne de Huguenin de Verne, qui a d’ailleurs auparavant exercé la fonction châtelaine à Baume. Il commande des travaux, de fortification certainement, pour la ville et le château, s’occupe d’assurer la fonctionnalité des arbalètes, et c’est lui qui convoque trois gentilshommes pour renforcer la garnison de Baume. Ils ne sont pas logés au château, mais chez un particulier de la ville, où ils restent trois jours. On redoute alors une attaque de Jean de Chalon-Arlay et des Bisontins185. Il est donc possible que lorsque le contexte militaire devient délicat, on double pour un temps seulement le châtelain par un agent spécialisé dans la mise en armes de la place. Ainsi lors de la guerre de 1336, on trouve mention d’un gardien à Poligny, Montmirey, Gray et Dole186. Pour ces localités, l’existence d’un châtelain dans le même temps est attestée. Mais en 1346-1347, à la fin du principat d’Eudes IV, qui connaît une nouvelle guerre contre les barons, se généralise une autre institution semblable, temporaire elle aussi, sans doute dans un souci d’efficacité : celle de capitaine, placé à la tête de chaque garnison dans les forteresses du comté. Se retrouvent parmi eux des hommes qui seront châtelains par la suite : à Salins Hugues de Montjeu, futur châtelain de Vadans, à Chaussin Guillaume du Pailley, qui officiera à Montferrand187. Le principat d’Eudes IV paraît donc bien avoir été un temps d’expérimentation de nouvelles institutions militaires, dont la dénomination fluctuante montre qu’elles se cherchent encore et restent mal établies. Installées au coup par coup, ce sont néanmoins les nécessités de la guerre qui finissent par les imposer, comme elles ont largement orienté la spécialisation progressive des officiers et la politique financière du prince, réduit à des expédients afin d’en assumer le coût.
Conclusion de la quatrième partie Cette partie se conclut sur un bilan mitigé de l’affirmation princière en FrancheComté entre 1330 et 1361, encore en pleine élaboration. Elle est devenue d’actualité sous la pression de la dévolution de la province aux ducs de Bourgogne, qui fut lourde de conséquences : un prince absent, la circulation des agents du pouvoir entre duché et comté, le transfert des revenus en deçà de la Saône, et une centralisation effective 184 Ibid. 185 Ibid. On ignore s’il existe alors un châtelain à Baume. Jules Gauthier considère sans doute abusivement qu’il s’agit d’Huguenin de Verne. 186 BnF, Moreau 900, fol. 298, 298 bis v, 303, 304, 318. 187 ADCO, B 11 838 ; cité par B. Schnerb, Aspects…, op. cit., p. 308. Ce document couvre la période allant de décembre 1346 à août 1347, mais les capitaines de Baume et de Poligny sont encore attestés au mois de novembre de la même année ; ADCO, B 11 837, cité par B. Schnerb, Aspects…, op. cit., p. 305, n. 31 et ADD, 1B 133B, fol. 34v). La pratique semble naître vers 1341, année pour laquelle on trouve mention d’un « gouverneur des gens d’armes demeurant en garnison » à Vesoul ; ADCO, B 11 733. Sur les capitaines, voir B. Schnerb, « Les capitaines de châteaux dans les duché et comté de Bourgogne au xive siècle », in Le château médiéval et la guerre dans l’Europe du Nord-Ouest. Mutations et adaptations, A. Salamagne et R. Le Jan (éd.), Revue du Nord, Université Charles de Gaulle-Lille 3, 1998 (Art et archéologie 5), p. 123-131.
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en matière de finances. Si la souveraineté du prince est clairement affirmée dans son principe, elle n’est pas toujours effective dans les faits, même si les ducs-comtes, et tout particulièrement Eudes IV, y ont porté tous leurs efforts, en tentant notamment de créer à leur profit l’ébauche d’un espace politique, judiciaire et économique étendu aux fiefs des grands. Ces entreprises se heurtent non seulement aux intérêts particuliers, mais surtout aux exigences d’un droit féodal toujours vivace. Elles souffrent de la conjoncture générale de la guerre de Cent ans, qui contraint le roi de France à ménager ses forces en donnant satisfaction aux féodaux contre leur prince. Néanmoins, les institutions se renforcent notablement, particulièrement en ce qui concerne l’exercice de la justice, dont le champ s’élargit et le circuit se précise, avec la définition de la procédure d’appel et la réorganisation du Parlement. D’autant plus qu’à deux reprises viennent suppléer celui-ci les réformateurs, qui constituent un important instrument d’affirmation politique du duc-comte dans la province. Les finances portent également la marque d’une fixation des pratiques, même si elles sont lourdement grevées par le poids des frais de guerre, partiellement compensés grâce au soutien des officiers. La guerre pousse par ailleurs à redessiner les fonctions de ces derniers, impliquant davantage les prévôts, tendant à spécialiser les châtelains, notamment sur la zone frontalière du nord, et à les doubler de nouvelles instances. Enfin, et c’est peut-être là l’évolution majeure, le pouvoir législatif et normatif du prince est désormais entré dans les mentalités.
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Conclusion générale La période 1330-1361 a abouti à une meilleure maîtrise de l’espace du domaine comtois, aux assises restées globalement stables. Le principat d’Eudes IV constitue un tournant décisif quant à la structuration de son administration : création de la gruerie, définition du ressort des deux bailliages, rationalisation de la gestion économique des salines. Cette réorganisation va de pair avec la production de documents comptables et administratifs élaborés. L’utilisation de ce domaine – et particulièrement des salines de Salins – afin de récompenser les fidélités, tient une place majeure dans la politique ducale de ralliement de la société nobiliaire, sur laquelle repose le fonctionnement et la défense de la principauté. Si les relations avec les grands lignages sont ambigües, oscillant entre confrontation armée et participation, le duc-comte a su s’attacher la petite et moyenne noblesse, vivier pour le recrutement de ses hommes d’armes comme de ses officiers. La féodalité, encore très vivace, a été à la fois une entrave et un atout pour le pouvoir princier : les barons se sont appuyés sur elle pour construire leur puissance, capable de rivaliser avec celle du comte, mais ce dernier a paradoxalement utilisé toutes ses ressources pour se renforcer, et lui superposer une ébauche d’appareil d’État. La réunion du gouvernement des deux Bourgognes en une seule main, davantage finalement que la direction des affaires tenue un temps par le roi de France lui-même, a été décisive dans cette évolution. Elle a contribué à forger le concept de souveraineté du prince, et à aligner les institutions sur les pratiques françaises : la création de la gruerie, l’organisation et la fixation à Dole de la cour d’appel du Parlement ou la nomination de réformateurs sont importées du duché voisin. L’administration de la justice dans le comté doit énormément à Eudes IV. Il a travaillé à la renforcer, tant à l’échelle locale que centrale, et voulu faire de ses institutions un passage obligé pour tous les sujets. Car il y a bien une volonté tenace de ce prince de réformer la province1. Il n’abandonne rien de ses ambitions souveraines après la première guerre comtoise de 1336 qu’elles ont suscitée. Sa politique volontariste et autoritaire connaît au contraire son heure de gloire en 1343 : le duc a obtenu la soumission des grands, leur a arraché l’hommage convoité du sire de Joux, et s’est trouvé en mesure de leur dicter les conditions de la paix ; il marque alors l’apogée de sa domination politique en envoyant des réformateurs à ses sujets. Sans la défaite de Crécy et l’injection d’argent anglais pour soutenir les rebelles trois ans plus tard, la mise au pas de la haute noblesse aurait-elle pu être un succès durable ? Était-il vraiment possible de
1 Il peut en cela être rapproché de Jean Ier, comte de Forez (1290-1333), qui a réorganisé l’administration et la justice foréziennes en s’inspirant du modèle royal. La plus remarquable de ses innovations est la création précoce d’une Chambre des comptes, dès 1317. É. Perroy, « L’État bourbonnais », in Histoire des institutions françaises au Moyen Âge, F. Lot et R. FAWTIER (éd.), t. I, Institutions seigneuriales, Paris, Presses universitaires de France, 1957, p. 298-299.
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construire le pouvoir princier contre celle-ci ? Non, sans doute, car les successeurs immédiats d’Eudes IV, instruits par l’expérience, gouverneront désormais avec les grands, satisfaits par de confortables pensions et de prestigieuses fonctions. On peut établir un parallèle avec le Dauphiné : au temps d’Humbert II, le pouvoir n’avait pas une puissance suffisante pour s’imposer aux grands barons, là aussi particulièrement turbulents. En revanche, après le Transport, « la grande noblesse consentit à reconnaître la supériorité du roi de France, mais dans le cadre d’une cogestion au quotidien de la principauté2 ». En Franche-Comté, la puissance peu commune des grands lignages, augmentée par le caractère excentré de leurs bases, rendues difficiles d’accès par les accidents du relief, puissance qui fait la particularité de la province, obligeait à terme à collaborer avec eux. Outre cette spécificité locale, il est clair que le contexte de la guerre de Cent ans et la position frontalière stratégique du comté de Bourgogne ont considérablement entravé le projet d’Eudes IV. Le roi de France lui-même l’a personnellement contrarié. Mais si la principauté a été prise dans la guerre, elle s’est aussi construite par la guerre, d’ailleurs – cela est significatif – surreprésentée dans les documents produits par le pouvoir : les nécessités militaires ont poussé à la rationalisation des institutions, comme celle des bailliages et des trésoreries d’Amont et d’Aval, à leur spécialisation, comme celle – partielle – des châtelains et des receveurs, voire à la création de nouveaux offices, tel celui de gardien des places fortes, puis de capitaine. Néanmoins, la fragilité du pouvoir durant la période de régence qui a suivi le principat d’Eudes IV, aggravée par la peste et les ravages des routiers, a conduit à chercher des solutions de compromis qui, plutôt qu’un simple retour en arrière, ont permis de rallier la haute noblesse et d’ancrer la principauté dans l’ère législative de l’État, ce qui est déjà un progrès considérable. Mais il faut en rester là, car les structures vraiment étatiques, déjà effectives dans d’autres principautés comme celle d’Évreux3 ou la Savoie4, font cruellement défaut au comté de Bourgogne : il faut mettre au passif un Parlement à éclipses, l’absence probable d’un Conseil proprement comtois au temps d’Eudes IV, l’inexistence d’un prélèvement de l’impôt, et l’échec de la création d’une Chambre des comptes, qui débouche sur une centralisation des finances à Dijon. La tentative de polarisation de la province sur une capitale locale, Dole en l’occurrence, dont Eudes IV a d’abord cherché à faire un centre institutionnel en y installant un Parlement et une Chambre des comptes5, a donc partiellemement avorté. Et il faut à bien des égards considérer la Franche-Comté comme un élément d’une grande principauté bourguignonne centrée sur Dijon plutôt qu’y voir un organisme territorial doté de structures propres.
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A. Lemonde, Le temps des libertés…, op. cit., p. 341. P. Charon, Princes et principautés au Moyen Âge…, op. cit. B. Demotz, Le comté de Savoie du début du xiiie au début du xve siècle…, op. cit. Les recherches récentes ont souligné que la capitale est toujours un lieu décidé, né d’une décision politique du pouvoir souverain, notamment l’installation des organes de gouvernement. P. Boucheron, D. Menjot et P. Monnet, « Formes d’émergence, d’affirmation et de déclin des capitales : rapport introductif », in Les villes capitales au Moyen Âge, XXXVIe congrès de la SHMES, Paris, Publications de la Sorbonne, 2006 (Histoire ancienne et médiévale 87), p. 13-53.
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Les ducs de Bourgogne ont néanmoins su gérer leur comté en s’appuyant sur la petite et moyenne noblesse locale, qui fournit l’essentiel de leurs officiers, et non en important du personnel, ce qui aurait nui à la cohésion du pays et à l’adhésion à leur gouvernement, erreur commise par les comtes d’Évreux6. Comme eux cependant, tels beaucoup de princes du temps7, ils ont souffert d’impécuniosité sévère, et d’un budget grevé par les frais militaires, qu’ils ont peiné à assumer. À défaut d’un fonctionnement vraiment autonome, la province a néanmoins gagné au cours de la période une intégration dans un espace bourguignon en passe de devenir effectif8 pour les hommes, qui cumulent de plus en plus biens et fonctions à la fois dans le duché et le comté, comme pour l’économie, les transferts d’argent entre les deux principautés doublant maintenant les anciens flux de marchandises sur les routes des foires. Après la parenthèse des gouvernements de Marguerite de Flandre, puis, brièvement, de son fils Louis de Male, cette intégration se poursuivra sous le duc Philippe le Hardi, qui prend la direction des affaires comtoises en 1384. Fait remarquable, il remettra à l’ordre du jour quasiment toutes les initiatives qui n’avaient pu être menées à terme par Eudes IV. Dirigeant d’avant-garde, homme politique d’imposante stature, celui-ci, quoique relativement méconnu, aura donc amplement préparé le terrain aux ducs Valois.
6 P. Charon, Princes et principautés au Moyen Âge…, op. cit., p. 766. 7 Par exemple le dauphin Humbert II ; A. Lemonde, Le temps des libertés…, op. cit., p. 14. En revanche, les comtes de Savoie jouissent de grands moyens financiers. 8 S. Le Strat-Lelong, « Comté et duché au temps de la première union bourguignonne (1330-1361) », in Bourgogne et Franche-Comté : la longue histoire d’une unité, D. Le Page et H. Mouillebouche (éd.), Annales de Bourgogne, 91-2 (2019), p. 29-40.
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Annexes Généalogies Les comtes de Bourgogne. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les comtes de Montbéliard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les Chalon-Auxerre. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les Chalon-Arlay . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les sires de Neuchâtel. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
p. 392 p. 393 p. 394 p. 395 p. 396
Cartes Carte 1. Acquisitions au profit du domaine entre 1330 et 1361. . . . . . . . . . . . . . Carte 2. Aliénations domaniales entre 1330 et 1361. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Carte 3. Les prévôtés du domaine comtal. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Carte 4. Les châtellenies du domaine comtal entre 1330 et 1361. . . . . . . . . . . . Carte 5. Ressort des deux trésoreries de Vesoul et de Salins en 1337. . . . . . . . Carte 6. Ressort des trésoreries de Vesoul et de Salins en 1339-1340. . . . . . . . Carte 7. Les possessions des sires de Faucogney au début du XIVe siècle. . . Carte 8. Situation des Neuchâtel au milieu du XIVe siècle . . . . . . . . . . . . . . . . Carte 9. Les seigneuries comtoises de Jean II de Chalon-Arlay. . . . . . . . . . . . Carte 10. Situation de Jean II de Chalon-Auxerre dans le Jura méridional. . . Carte 11. Positions septentrionales de Jean II de Chalon-Auxerre. . . . . . . . . .
p. 397 p. 398 p. 399 p. 400 p. 401 p. 402 p. 403 p. 404 p. 405 p. 406 p. 407
Alix de Méranie
Louis de Male † 1384 comte de Flandre et de Bourgogne
Marguerite de Flandre comtesse de Flandre et de Bourgogne ∞ Philippe de Rouvres † 1361 ∞ Philippe le Hardi, duc de Bourgogne † 1404
Philippe de Rouvres
† 1361 duc et comte de Bourgogne
† 1382 comtesse de Flandre puis de Bourgogne ∞ Louis, comte de Flandre †1346
† 1346 ∞ Jeanne, comtesse de Boulogne et d’Auvergne
Marguerite de France
Isabelle de France
∞ Guigues VIII † 1333 dauphin de Viennois ∞ Jean seigneur de Faucogney
Blanche après 1295 - † 1326 ∞(1308) Charles de la Marche roi de France 1322-1328
Jeanne
comtesse de Bourgogne Av 1291 - † 1330 ∞(1307) Philippe comte de Poitiers roi de France 1316-1322
Philippe
† 1347 comtesse de Bourgogne ∞ (1318) Eudes IV duc de Bourgogne † 1349
Jeanne de France
† avant 1291 ?
Robert 1er
Renaud de Bourgogne
comte de Montbéliard en 1282 - †1321 ∞ Guillemette, comtesse de Monbéliard
v.1240-1303 ∞(2) (1285) Mahaut d’Artois v.1270-1329
Jean mort en bas âge sans doute avant 1302
Jean II
né vers 1299 - † 1317
Robert dit l’Enfant
seigneur de Montaigu † 1373
†1331 ∞ Bonne de Savoie
Hugues de Bourgogne
comtesse de Bourgogne †1279 ∞ (1236) Hugues de Chalon †1266
Othon IV
(généalogie simplifiée)
Les comtes de Bourgogne
Jean de Bourgogne
† 1397 ∞ Thibaut VI de Neuchâtel † 1400
Marguerite
seigneur de Montaigu † 1343
Henri de Bourgogne
seigneur de Montaigu
392 a n n e xe s
comtesse de Montbéliard ∞ Henri de Montfaucon †1367
Agnès
Jeanne
comte de Montbéliard en 1282 - †1321 ∞ Guillemette de Neuchâtel - Suisse
Renaud de Bourgogne
Alix †1362 ∞ (1317) Jean II de ChalonAuxerre † 1362
∞ Hugues comte de Hohenberg †1352
Ursule
∞ (1) Ulric de Ferrette †1325 ∞ (2) Rodolphe marquis de Bade †1335 ∞ (3) comte de Katzenelnboge
∞ (1) Ulric de Ferrette †1325 ∞ (2) Rodolphe marquis de Bade †1335 ∞ (3) comte de Katzenelnboge
Jeanne
comte de Montbéliard †1338
Othenion
Les comtes de Montbéliard
∞ (1324) Guillaume d’Antigny seigneur de Sainte-Croix
Marguerite
anne xe s 393
†1370
Jean IV de Chalon
comte d’Auxerre et de Tonnerre †1379
Jean III de Chalon
Jean de Chalon l’Antique
Humbert
†1375 ∞ Humbert de Thoire-Villars
†1342 ∞ Thibaut V de Neuchâtel
Jeanne
Béatrice
chamoine
†1369 seigneur de Châtelbelin
Tristan
Louis Ier de Chalon
†1360 seigneur de Chavannes et de Dramelay ∞ Jeanne de Châteauvillain
†1378 ∞ Jean de Savoie-Vaud seigneur de Virieu
comte d’Auxerre et de Tonnerre †1398
Guillaume
Marguerite
Jeanne de Chalon comtesse de Tonnerre †1360 ∞ Robert de Bourgogne
Jean II de Chalon
comte d’Auxerre et de Tonnerre †1304 ∞ Eléonore de Savoie
Guillaume de Chalon
sire de Châtelbelin et de Rochefort †1309 ∞ (2) Alix de Bourgogne comtesse d’Auxerre et de Tonnerre
Jean Ier de Chalon
comte de Chalon et de Bourgogne †1267 ∞ (2) Isabelle de Courtenay
comte d’Auxerre †1362 ∞ Alix de Montbéliard
(généalogie simplifiée)
Les Chalon - Auxerre
394 a n n e xe s
anne xe s
Les Chalon - Arlay Jean de Chalon l’Antique comte de Chalon et de Bourgogne †1267 ∞ (3) Laure de Commercy
Jean Ier sire d’Arlay †1315
Hugues Ier sire d’Arlay †1322 ∞ (1312) Béatrice de Viennois
Jean II de Chalon sire d’Arlay †1362
Hugues de Chalon
Jacques
∞ 1332 Marguerite de Mello ∞ 1361 Marie de Genève
sire de la Rivière
sire de Vitteaux
395
396
a n n e xe s
Les sires de Neuchâtel Thibaut Ier †1268
Richard
Thibaut II
†1259 ∞ Marguerite de Montbéliard
†1308 seigneur de l’Isle-sur-le-Doubs
Thibaut III †1304 ∞ Agnès de Châteauvillain
Thibaut IV †1336 ∞ Agnès de Géroldseck
Thibaut V †1366 ∞ 1336 Jeanne de Chalon-Auxerre ∞ 1342 Catherine de Chalon-Arlay
Thibaut VI †1400 ∞ 1360 Marguerite de Bourgogne
anne xe s
Carte 1 . Acquisitions au profit du domaine entre 1330 et 1361
397
398
a n n e xe s
Carte 2 . Aliénations domaniales entre 1330 et 1361
anne xe s
Carte 3 . Les prévôtés du domaine comtal
399
4 00
a n n e xe s
Carte 4 . Les châtellenies du domaine comtal entre 1330 et 1361
anne xe s
Carte 5 . Ressort des deux trésoreries de Vesoul et de Salins en 1337
401
402
a n n e xe s
Carte 6 . Ressort des trésoreries de Vesoul et de Salins en 1339-1340 d’après l’arrêté des comptes de 1341 (ADCO, B 1390)
anne xe s
Carte 7 . les possessions des sires de Faucogney au début du XIVe siècle
403
4 04
a n n e xe s
Carte 8 . situation des Neuchâtel au milieu du XIVe siècle
anne xe s
Carte 9 . les seigneuries comtoises de Jean II de Chalon-Arlay au milieu du XIVe siècle
405
4 06
a n n e xe s
Carte 10 . situation de Jean II de Chalon-Auxerre dans le Jura méridional
anne xe s
Carte 11 . positions septentrionales de Jean II de Chalon-Auxerre
407
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427
Index des noms de personnes
Abbans (d’) Jean, 207, 248, 263 Abbans (d’) Renaud, 207 Achey (d’) Gilles, 270 Aguier Renaud, 339 Aisey (d’) Drue, 231 Aiteaux (d’) Simon, 242, 333 Allemand (dit) Pierre, 167 Amoncourt (d’) Jean, 84 Ancier (d’) Marie, 271 Ancier (d’) Robert, 106 Ancier (d’) Simon, 271 Andelot (d’) Amiet, 167 Andelot (d’) Béraud, 177, 329 Andelot (d’) Renaud, 254 Antigny (d’) Guillaume, seigneur de Sainte-Croix, 173, 188, 255, 319, 320, 321 Antully (d’) Guillaume, 94, 97, 123, 252, 288, 333, 361 Apremont (d’) Alix, 45 Apremont (d’) Guillaume, 45 Arbalétrier (l’) Espiart, 56 Arbalétrier (l’) Estevenin, 53, 68, 86, 87, 243, 270 Arc (d’) Hugues, 74, 81, 94, 95, 205, 241, 247, 250, 332, 333, 337, 342, 362, 368 Arches (d’) Perrin, 274 Ardecon Robert, 344, 346 Aremberg (comte d’) Pierre, 164, 167 Arguel (d’) Guillaume, 261 Arguel (d’) Hugues, 248, 267, 273, 357, 370, 380 Arguel (d’) Jacques, 67, 117, 191, 258, 261, 276, 293, 299, 369 Arpenans (d’) Jacquet, 203, 376 Artois (d’) Mahaut, comtesse de Bourgogne, 13, 24, 25, 42, 43, 46, 47, 57, 76, 91, 93, 94, 95, 96, 114, 116, 117, 138, 160, 169, 231, 242, 243, 247, 248,
251, 257, 261, 262, 264, 282, 308, 315, 335, 340, 413, 417, 424, 427 Artois (d’) Robert, 50, 52, 283 Asuel (sire d’) Horri Thibaut, 164, 165, 166, 202 Aubriot Jean, 129, 231, 295, 296, 360, 373, 374 Aule (de l’) Jean, 27, 292, 331, 332 Aulisi (d’) Joffroy, 86 Baissey (de) Renaud, 90, 221, 247, 251, 272, 359, 363, 368, 383 Balme (de la) Barthélémy, 269 Bannans (de) Huguenin, 98, 99, 100, 102, 271 Bannans (de) Hugues, 85 Bans (des) Jean, 266 Bans (des) Nicolas, 266 Bans (des) Richard, trésorier, 25, 30, 32, 55, 56, 76, 78, 91, 95, 108, 199, 205, 206, 221, 266, 286, 293, 294, 306, 341, 356, 373, 427 Bar (comte de), 67, 124, 134, 336, 363 Barberat (le) Henri, 359 Barbier de Scey (le) Jean, 251 Battenans (de) Richard, 272 Baudoncourt (de) Guillaume, 239 Baudoncourt (de) Jacques, 212, 220, 239, 262, 264 Baume (le Galois de La) Étienne, 174, 198, 362 Beaufremont (de) Girard, 68, 205 Beaufremont (de) Huart, 270 Beaufremont (de) Liébaut, 270, 360 Beaujeu (de) Geoffroy, 173, 174 Beaujeu (de) Jean, 146 Beaujeu (de) Thibaut, 130 Beauvoir (de) Aimé, 258
430
in d e x de s n o m s d e p e r s o n n e s
Bel (le) Jean, chroniqueur, 170, 183, 185 Belchemin (de) Gilat, 132 Bellenot (de) Jean, 129 Bellevesvre (de) Jean, 113 Belvoir (sire de), 198, 208, 298 Bergeret Jacquet, 99, 100, 102, 103, 104, 105, 106 Bertholon, Lombard, 219 Binans (de) Hugues, 235 Binans (de) Jean, 167 Blaisey (de) Colin, moine de SaintSeine, 350 Blaisey (de) Geoffroy, 129 Blâmont (comte de) Henri, 230 Blamont (de) Alison, 128 Blâmont (de) Cunégonde, 230 Blâmont (de) Jeanne, 145, 204 Blâmont (de) Thibaut, 67, 167, 204, 230, 234, 276 Blauenstein (de) Ruechement, 158 Blonay (de) Hugues, sire de Joux, 138, 139, 140, 141, 201, 259 Blonay (de) Jean, sire de Joux, 138 Blonde (le) Philippe, 165 Boderide (de) Bérenger, 241 Bohun (de) Jean, 201 Bois (le) Jean, 359 Bonete Étienne, 269, 370 Bonnay (de) Jean, 30, 74, 77, 101, 102, 103, 104 Bougey (de) Étienne, 241, 251, 264, 271, 274, 370, 380 Bougey (de) Jean, 241, 249, 368, 369, 379, 382, 383 Bougret (le) Pierre, 231 Boulogne (de) Guy, cardinal, 174, 226 Boulogne (de) Jeanne, régente, 13, 129, 131, 194, 195, 196, 200, 226, 227, 233, 236, 287, 292, 294, 299, 308, 310, 313, 325, 326, 327, 328 Bourgeoise Hélie, 351 Bourgeoise Jean, 295, 370 Bourgogne (de) Guy, 359 Bourgogne (de) Henri, 41, 49, 53, 62, 65, 89, 195, 207, 256, 286, 308, 379
Bourgogne (de) Hugues, 28, 32, 41, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 55, 56, 57, 58, 59, 73, 79, 81, 84, 85, 96, 97, 144, 161, 169, 170, 186, 187, 188, 189, 203, 231, 243, 245, 257, 298, 301, 361, 365, 366, 373, 375, 413 Bourgogne (de) Jean II, 16, 42, 53, 158, 216, 308, 414, 417 Bourgogne (de) Marguerite, 53, 158, 160, 282 Bourgogne (de) Philippe, fils d’Eudes IV, 225, 226, 287, 290, 358, 361, 367 Bourgogne (de) Renaud, comte de Montbéliard, 47, 48, 143, 146, 148, 169, 188, 227 Bourgogne (de) Robert, comte de Tonnerre, 129, 169, 170, 172, 291 Bourgogne-Comté (de), Jeanne, reine de France, 43, 47, 49, 50, 51, 52, 53, 56, 62, 87, 129, 136, 161, 169, 170, 184, 186, 187, 231, 244, 281, 282, 283, 284, 297, 298, 304, 323, 340, 342, 360 Bra(i)nche Jeannot, 81, 359, 365 Bracon (de) Huguenin, 85, 242, 243, 251 Bracon (de) Jacques, 130, 272, 363, 370 Bracon (de) Jean, 242, 271, 364 Brans (de) Guyot, 91, 241 Breton Guyon, 165 Bricon (de) Guy, 241, 249, 362, 367 Brisse Vacel, 335 Cerdon (de) Aymonet, 339 Chailly (de) Joffroy, 90 Chalon (de) Hugues, archevêque de Besançon, 41, 137, 159, 161, 171, 409 Chalon (de) Hugues, comte de Bourgogne, 41, 137, 159, 161, 171, 409 Chalon (de) Jean, dit l’Antique, 60, 61, 73, 74, 111, 113, 115, 149, 158, 159, 168, 171, 173, 309 Chalon-Arlay (de) Catherine, 155 Chalon-Arlay (de) Hugues Ier, 159, 161 Chalon-Arlay (de) Jean Ier, 147, 159, 314, 316 Chalon-Arlay (de) Jean II, 35, 46, 50, 60, 61, 65, 73, 74, 95, 111, 112, 113, 115, 116,
i n d e x d e s no ms d e pe rso nne s
127, 131, 137, 138, 139, 141, 144, 148, 149, 157, 158, 159, 161, 162, 163, 164, 165, 166, 167, 168, 169, 170, 171, 172, 173, 174, 176, 179, 186, 187, 188, 189, 190, 191, 195, 197, 198, 199, 200, 201, 202, 203, 204, 205, 207, 209, 215, 216, 219, 222, 224, 227, 228, 230, 231, 232, 234, 235, 248, 254, 258, 259, 262, 263, 268, 275, 276, 277, 283, 284, 288, 298, 300, 302, 303, 305, 306, 309, 311, 312, 313, 314, 315, 316, 317, 319, 320, 322, 323, 324, 325, 326, 327, 329, 333, 337, 377, 381, 384, 413 Chalon-Arlay (le bâtard de) Jean, 162 Chalon-Auxerre (de) Guillaume Ier, comte d’Auxerre, 171 Chalon-Auxerre (de) Jean Ier, sire de Rochefort, 159, 168, 284 Chalon-Auxerre (de) Jean II, 35, 37, 115, 116, 127, 148, 169, 170, 171, 172, 173, 174, 175, 176, 177, 179, 188, 189, 195, 229, 234, 235, 254, 259, 284, 298, 319, 320, 329, 377, 406 Chalon-Auxerre (de) Jean III, 145, 146, 170 Chalon-Auxerre (de) Jeanne, 155, 157, 169, 188 Chalon-Auxerre (de) Jeanne, comtesse de Tonnerre, 170 Chamole (de) Joceran, clerc, 108, 110, 330 Chargey (de) Jean, 56 Charles IV, roi de France, 168, 351 Charny (de) Joffroy, 234 Chassagne (de La) Jean, 261, 272 Chassigney (le) Jean, 165 Châteauvillain (sire de) Jean, 290 Châtillon (de) Jean, 351 Châtillon-en-Bazois (de) Robert, 229, 308, 317 Chaussin (dame de) Mahaut, 148 Chauvirey (de) Girart, 264 Chaux (de) Jean, 81 Chayet Guillaume, 220 Cheliz (de) Guinart, 94, 241, 247 Cicon (de) Guy, 270, 339 Cicon (de) Jean, 137, 275, 305, 306 Clermont-en-Bassigny (sire de), 124
Clerval (de) Oudet, 73, 78, 335 Colombier (de) Perrin, 273 Conflandey (sire de) Henri, 66, 317, 358 Corcondray (de) Jean, doyen de Besançon, 58, 192, 221, 231, 288, 293, 342, 368 Coublanc (de) Jean, 67, 249, 270, 288, 303, 333 Coutenot Jean, 330 Cromary (de) Eudes, 85, 89, 90, 94, 95, 221, 241, 258, 267, 268, 293, 369, 379, 382, 383 Cusance (de) Jean, 94, 97, 234, 246, 250, 262, 362, 367, 378 Cusance (de) Thibaut, 262 Cusance (de) Vauthier, 128, 256 Darbonnay (de) Matthieu, 165, 262 Demangevelle (de) Henri, 241, 250 Deschamps Jean, 262 Dole (de) Guillaume, 236 Dole (de) Robert, archidiacre de Salins, 105, 231, 333 Dreux (de) Charles, comte d’Étampes, 188 Édouard III, roi d’Angleterre, 170, 200, 201, 203, 222, 245, 322, 323, 324, 362, 426 Estavayer (d’) Guillaume, 130 Éternoz (de) Guillaume, 167 Étobon (d’) Pierre, 204, 205, 216, 218, 223, 307, 376 Étrabonne (de) Guillaume, 238, 253 Évreux-Navarre (d’) Jeanne, 282 Faletans (de) Étienne, 273 Faletans (de) Jacob, 235 Fanevière (de) Pierre, 165 Faucogney (de) Agnès, 146 Faucogney (de) Aymé, sire de Villersexel, 146, 149, 260 Faucogney (de) Girard, 146 Faucogney (de) Henri, vicomte de Vesoul, 116, 145, 167, 187, 199, 200, 201, 204, 206, 211, 212, 213, 214, 221, 222, 234, 380
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in d e x de s n o m s d e p e r s o n n e s
Faucogney (de) Jean, seigneur de Villersexel, 146, 188, 198, 201, 208, 260 Faucogney (de) Thibaut, 145, 187, 259, 312 Faucogney (sire de) Jean, 52, 53, 58, 145, 146, 187, 198, 199, 200, 203, 264, 265, 375 Faulquier Étienne, 266 Faulquier Guillaume, 247, 266, 368 Faulquier Philibert, 266 Faverney (de) Pierre, 165, 166 Fénétrange (de) Brocard, 167, 204 Ferrette (de) Orry (ou Ulrich), 47, 48, 49, 301 Ferrette (de) Ursule, 49 Ferrières (de) Huguenin, 360 Février Renaud, 76 Florence (de) Jean, 133 Florence (de) Nicolas, 27, 64, 99, 100, 102, 103, 104, 106, 133, 242, 249, 250, 287, 364 Fontenoy (de) Pierre, notaire impérial, 123 Foucherans (dame de) Marguerite, 131 France (de) Isabelle, dauphine de Viennois, 50, 145, 186, 187, 243, 375 France (de) Jeanne, duchesse et comtesse de Bourgogne, 13, 28, 43, 49, 50, 53, 106, 117, 130, 145, 185, 225, 243, 270, 271, 281, 282, 283, 287, 291, 292, 299 France (de) Marguerite, comtesse de Flandre, 26, 28, 50, 53, 55, 58, 59, 60, 64, 66, 71, 73, 84, 93, 103, 109, 114, 116, 203, 234, 237, 245, 292, 298, 307, 333, 336, 339, 356, 363, 364, 373, 375, 389, 425 Frasne (de) Thibaut, 269 Frotey (de) Thibaut, 269 Garnier Renaud, trésorier, 27, 32, 89, 114, 116, 117, 119, 120, 271, 272, 294, 312 Gerland (de) Renaud, 106 Germigney (de) Renaud, 168, 358, 367 Gevigney (de) Huguenin, 126 Gevigney (de) Jean, 64 Gevigney (de) Jean fils Simon, 127 Gevigney (de) Mahaut, 126 Gevry (de) Othenin, 133, 242, 348, 373 Gillans (de) Renaud, 231, 360
Gilley (de) Thibaut, 127 Glannet Huguenin, 269 Grammont (de) Girart, 255 Grancey (de) Robert, 342, 357 Grandson (bâtard de) Jacques, 273 Grandson (de) Guillaume, 234, 253 Grandson (de) Othe, 201, 206, 212, 220, 230, 232, 369 Grenant (de) Guillaume, 86, 90, 91, 241, 357, 382 Grisot Guillaume, prêtre, 330 Grivet Joceran, 274 Grozon (de) Perrin, 76, 80 Grozon (de) Perrinet, 77, 98, 102 Grozon (de) Rolier, 80, 81, 108 Guibert Guillemin, 75 Habsbourg (de) Albert II, duc d’Autriche, 203, 301 Habsbourg (de) Rodolphe, 160, 222, 314 Hesse (de) Rodolphe, marquis de Bade, 48, 51, 81, 148, 188, 366, 375 Hohenberg (de) Hugues, 49 Hugues IV, duc de Bourgogne, 283 Hugues V, duc de Bourgogne, 15, 171, 244, 257, 282, 349, 410 Igny (d’) Jean, 68, 358 Jean II le Bon, roi de France, 13, 27, 53, 87, 174, 226, 229, 232, 233, 247, 253, 288, 289, 291, 292, 293, 295, 328, 344, 356, 379, 415 Jean sans Peur, duc de Bourgogne, 193, 355, 413 Jean XXII, pape, 282 Joigne (de) Jean, 132 Joinville (de) Anseau, 190 Joux (dame de), 141 Joux (de) Louis, sire de Naisey, 140 Joux (seigneur de) Henri, 303 Jovine Renaud, 79 Juillet Huguenin, 77 Jumars Guillaume, 94 Jussey (de) Olivier, 86 Jussey (de) Philippe, 81
i n d e x d e s no ms d e pe rso nne s
Jussey (de) Renaud, 23, 31, 86, 87, 94, 235, 236, 237, 239, 241, 250, 251, 252, 268, 271, 273, 299, 307, 311, 332, 333, 337, 350, 351, 368, 369, 376, 379, 381 Katzenelnbogen (comte de), 148, 227 La Loye (de) Besançon, gruyer, 102, 103 La Roche (de) Eudes, 78, 79, 94, 133, 357, 382 La Rochelle (seigneur de) Jean, 318 La Roichelle (de) Jean, 133 La Salle (de) Huguenin, 241, 251, 363 La Serrée (sire de) Aymé, 199, 201, 202 Laillote Perrin, 115 Lallemand Jacques, 241, 272, 357 Lambret Lambert, 379 Lambrey (de) Marguerite, 264, 274 Landuraz (de) Pierre, 133 Larrey (sire de), 296 Lavans (de) Perrenoz, 103 Lengret Estevenin, tabellion, 330 Leschenet Richard, 79, 80 Liesle (de) Philippe, 175 Lille (de) Perret, clerc, 108 Loge (de la) Richard, 101, 102, 103, 104, 250 Lombart Jean, 79, 109 Lomont (de) Guillaume, 269 Longwy (de) Henri, sire de Rahon, 167, 361 Longwy (de) Jean, 131, 261 Longwy (de) Matthieu, 130, 273 Lorraine (duc de), 135, 204, 216, 218, 222, 261 Louens (de) Renaud, dominicain, 183, 185, 189, 190, 196, 209, 411 Louis IX, roi de France, 14, 282, 350, 416 Louis X le Hutin, roi de France, 22, 153, 282, 340, 410, 415 Lugney (de) Robert, 349 Mailley (de) Richard, 167 Maire de Gray-la-Ville (le) Jean, 73 Mairey (de) Richard, 241 Mareschauz Guillaume, 175
Méranie (de) Alix, comtesse de Bourgogne, 41, 43, 44, 45, 159 Michau Oudet, 109, 110 Mièges (de) Alexandre, 163, 167 Millet Estevenet, 82 Molpré (de) Renaud, 247, 266, 274, 379 Monnet (de) Richard, 258 Montaigu (de) Jean, 30, 67, 94, 133, 204, 206, 208, 212, 214, 215, 216, 217, 218, 219, 220, 224, 241, 245, 250, 251, 256, 290, 306, 333, 345, 346, 357, 358, 364, 367, 370, 381, 382 Montaigu (de) Visin, 329 Montaigu (sire de) Oudart, 130 Montbéliard (comte de) Thierry, 147 Montbéliard (de) Agnès, 143, 146, 147, 148 Montbéliard (de) Alix, 148 Montbéliard (de) Jean, 77 Montbéliard (de) Jeanne, 47, 48, 49, 135, 148, 158, 188, 203, 227, 228, 301 Montbéliard (de) Marguerite, 148, 169, 188 Montbéliard (de) Othenin, 44, 53, 84, 169, 186, 189, 322 Montbéliard (de) Richard, 113, 114, 229 Montbozon (de) Colinet, 79, 82, 365 Montbozon (de) Ferry, 85, 89, 91, 241, 379 Montbozon (de) Guillaume, 243, 244, 298 Montbozon (de) Guiot, 64, 67, 249, 299 Montby (de) Guillaume, 260, 276 Montby (de) Jean, 260 Montby (de) Joceran, 222, 259 Montfaucon (de) Amédée II, 146 Montfaucon (de) Amédée III, 147 Montfaucon (de) Étienne, 231, 234 Montfaucon (de) Gauthier, 147 Montfaucon (de) Girart, 148, 149, 230, 234 Montfaucon (de) Henri, comte de Montbéliard, 47, 48, 84, 127, 143, 146, 147, 148, 149, 164, 179, 189, 190, 197, 199, 201, 203, 213, 228, 231, 234, 256, 275, 288, 293, 305, 321, 322, 324, 325, 326, 327, 329, 347, 348 Montfaucon (de) Jean, 147 Montfaucon (sire de) Jean, 175 Montferrand (de) Jean II, 244
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in d e x de s n o m s d e p e r s o n n e s
Montfort (de) Jean, 202 Montjeu (de) Hugues, 86, 249, 384 Montjoie (de) Jean, 136 Montjoie (sire de) Guillaume, 257 Montjustin (de) Jacques, 45, 246 Montmartin (de) Eudes, 166, 257 Montmartin (de) Jean, 23, 94, 97, 241, 252, 268, 338, 369 Montmartin (sire de) Mathieu, 131, 257 Montot (de) Odon, 261 Montot (de) Richard, 261 Montrichard (de) Jean, 162 Montrichard (de) Richard, 162 Montrond (de) Guyot, 241, 380 Monts-en-Genevois (sire de) Richard, 165 Montureux (de) Jean, 250, 251, 368, 380 Moreaul Oudet, 115, 130 Morey (de) Jean, 30, 74, 76, 82, 203, 207, 214, 215, 220, 287, 290, 294, 336, 346, 347, 368, 377 Mostellat Jean, 244 Mouhard Jean, 349, 351 Moulin (du) Hugues, 133 Moustiers (de) Nicolas, 242, 381 Murbach (abbé de), 204, 216, 218 Musigny (de) Étienne, 97 Musigny (de) Guillaume, 345, 351, 373 Neublans (de) Hugues, 130, 171 Neuchâtel (de) Thibaut Ier, 152 Neuchâtel (de) Thibaut III, 155 Neuchâtel (de) Thibaut IV, 155, 193 Neuchâtel (de) Thibaut V, 49, 53, 67, 128, 136, 155, 156, 157, 158, 188, 190, 192, 193, 197, 198, 199, 201, 214, 222, 227, 230, 234, 256, 257, 259, 260, 261, 262, 265, 276, 289, 290, 312, 329 Neuchâtel outre-Joux (de) Louis, 148, 155, 199, 201, 202, 234, 259, 324, 348 Neuchâtel outre-Joux (de) Raoul, 190, 298 Nobis Oudat, 106 Noes (des) Arnoul, 95 Noidans (de) Huguenin, 86, 241, 251, 357 Noiron (de) Guillaume, 265 Noyers (de) Miles, 190
Oiselay (d’) Étienne, 175, 284 Oiselay (sire d’) Jean, 199, 200, 234 Orchamps (d’) Guiot, 72 Orgemont (d’) Pierre, 295 Ornans (d’) Hugues, 87, 241 Othon IV, comte de Bourgogne, 17, 24, 28, 41, 43, 44, 46, 50, 57, 58, 60, 93, 123, 124, 125, 135, 152, 169, 193, 227, 242, 248, 281, 284, 285, 297, 308, 314, 315, 412 Pailley (du) Guillaume, 87, 238, 244, 249, 380, 383, 384 Palouset Estart, 269 Palouset Simonin, 269 Pasart Jean, 379 Peaud’Oie Anseau, 129, 373 Pêcheur Bonvallot, 330 Perdriset Jeannin, 81 Perrecey (de) Jean, 335 Pesmes (sire de) Guillaume, 130 Petiement, 236, 237 Philippe IV le Bel, roi de France, 13, 24, 43, 44, 46, 62, 123, 124, 129, 153, 197, 201, 246, 248, 261, 281, 283, 297, 340, 415, 418, 421, 424 Philippe Jean, 128 Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, 13, 16, 114, 150, 207, 222, 266, 309, 312, 369, 389, 414, 424, 425 Philippe V le Long, roi de France, 17, 25, 125, 136, 160, 193, 242, 261, 281, 282, 291, 304, 317 Philippe VI de Valois, roi de France, 13, 50, 52, 127, 175, 186, 190, 191, 196, 198, 199, 200, 202, 213, 224, 225, 253, 302, 305, 312, 313, 318, 319, 320, 321, 323, 324, 418 Pimorin (de) Hugues, 164, 231 Plaine (de) Aubert, gruyer, 101, 102, 103, 104 Plaine (de) Aubriet, trésorier, 25, 55, 60, 73, 97, 108, 109, 290, 294, 328 Plure Huguenin, 76, 336 Poligny (de) Jean, 168 Pomais Estevenin, 330 Poncellez Guillaume, 162 Pont (du) Ernouf, 330
i n d e x d e s no ms d e pe rso nne s
Pontarlier (de) Huguenin, 355, 363 Pontarlier (de) Hugues, 243 Port (de) Aubertin, 79 Port (de) Estevenot, 273 Porte (de la) Jean, 275 Pourcelet Jean, 362 Présilly (de) Jean, 171 Présilly (de) Vauthier, 167 Publy (de) Étienne, 164 Pupillin (dit de) Guillaume, 339 Quincey (de) Guillaume, 242 Quingey (de) Renaud, 168 Ray (de) Gauthier, 74, 86, 203, 230, 379 Ray (de) Verry, 351 Recey (de) Guillaume, 344 Rigney (de) Foulque, 237 Rigney (de) Hugues, 64, 237 Rigney (de) Jean, 64, 130 Rissous Guillaume, 330 Robert dit l’Enfant, fils d’Othon IV, 314 Robert II, duc de Bourgogne, 222, 284, 285 Roche (de La) Ferry, 215, 274 Roche (de) André, 162 Roche (de) Catherine, 165 Rochelle (de La) Jean, 317 Romain Jean, 335 Rougemont (de) Marguerite, 176 Rougemont (sire de) Thibaut, 331 Rousse (dit) Jacques, 243, 329 Rupt (de) Gauthier, 264 Rupt (de) Jacques, 264 Ruy (de) Jean, 90, 357 Rye (de) Thibaut, 149 Saint-Baraing (de) Jean, 87 Saint-Rémy (Maillefer de) Philippe, 265 Saint-Verain (de) Étienne, 349 Sainte-Croix (de) Huguette, 414 Sainte-Croix (de) Simon, doyen de Mâcon, 149, 319, 321 Salins (de) Ansel, 23, 231 Salins (de) Eudes, 275 Salins (de) Guillaume, notaire, 330
Salins (de) Jean, 86, 88, 246, 247, 248, 249, 338, 363, 381 Salle (de la) Huguenin, 241, 251, 363 Sarrebruck (comte de), 124 Sauvement (du) Henri, 370 Savigny (de) Hugues, 90, 94, 251, 337, 381, 383 Savoie (de) Éléonore, 172 Scaglia Jacques, 249, 291 Scey (de) Thibaut, 68, 163, 164 Seilley (de) Renaud, 201 Sénéchal Guy, 167 Silley (de) Pierre, 66, 117 Silley (de) Renaud, 136 Sybuef Humbert, notaire impérial, 126 Thoire (de) Girard, 241 Thoire-Villars (de) Humbert, 127, 174 Tholonier Jean, 331 Thoraise (de) Eudes, 245, 248 Thoraise (de) Guillaume, 31, 226, 246, 251, 295, 374, 376 Thoraise (de) Jacques, 88, 89, 131, 241, 251, 288, 364, 367, 381 Thoraise (de) Poinsard, 164, 246, 258, 269, 302, 368, 369 Torneloup Jean, 242 Toulongeon (de) Fromond, 128, 177, 259 Toulouse (de) Jean, sire de Bornay, 173 Tour (de la) Jacques, 241, 249, 382, 383 Tour du Pin (de la) Humbert, dauphin, 161 Tourmont (de) Guillaume, 68, 70, 275, 300 Triquet Huguenin, 208, 366 Truchet Perrin, 78 Vaite (de) Étienne, 90, 367, 370 Vaite (de) Othe, 86, 90, 241, 245, 250, 267, 290, 294, 364, 367, 374, 375, 376, 380 Valtravers (de) Perrin, 235 Vaudrey (de) Marguerite, 245 Vaudrey (seigneur de) Simonin, 331 Vaugrenans (dame de), 130 Vaugrenans (de) Jean, 262 Vaul (du) Jacques, 89, 90, 241, 251, 362, 370
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4 36
in d e x de s n o m s d e p e r s o n n e s
Vaulgrenant (sire de) Guillaume, 175 Vaultravers (de) Huguenin, 336 Velle (de) Jean, 124 Vellefaux (de) Étienne, chanoine, 136 Vellefaux (de) Jacques, 136 Vellefrey (de) Fourque, 93, 94, 137, 138, 290, 306, 333, 334, 347, 348 Velleguindry (de) Othe, 130, 261, 358 Vellexon (de) Philippe, 274, 368 Vercel (de) Hugues, 94, 276 Vergy (de) Guillaume, 358 Vergy (de) Henri, 125, 136 Vergy (de) Jean, 136, 288, 343, 345, 346 Vergy (de) Marguerite, comtesse de Valentinois, 59 Véria (dame de) Guillemette, 177 Verjon (de) André, 360 Verjon (de) Guillaume, 360 Verjon (de) Humbert, 361 Verne (de) Huguenin, 89, 241, 299, 345, 364, 383, 384 Vernerin Jean, 236 Vevy (de) Gérard, 164 Vienne (de) Gile, dame de Fouvent, 288 Vienne (de) Guillaume, 42, 170, 211, 212, 213, 260, 272, 273 Vienne (de) Henri, sire de Mirebel-enMontagne, 133, 166, 234, 292 Vienne (de) Hugues, archevêque de Besançon, 189, 227, 309, 310, 321, 327 Vienne (de) Hugues, seigneur de SaintGeorges, 232 Vienne (de) Hugues, sire de Montmorot, 130 Vienne (de) Jacques, sire de Longwy, 133, 232, 234
Vienne (de) Jean, 170, 176, 231, 293, 316 Vienne (de) Philippe, sire de Pymont, 130, 176, 201, 264, 309, 331, 333 Vienne (de) Vauthier, 193, 201, 211, 218, 219, 221, 224, 230, 249, 273, 290 Viennois (de) Béatrice, 161, 164, 171, 173, 312, 329 Viennois (de) Guigues, dauphin, 145, 171, 172, 173, 174, 186 Villars (sire de), 135, 174 Ville (de) Aimé, 149, 368, 369 Ville (de) Jean, 357 Ville Salignon (seigneur de) Andruin, 262 Villefrancon (de) Guy, 14, 85, 88, 89, 90, 91, 94, 95, 184, 185, 189, 193, 195, 241, 247, 251, 310, 326, 368 Villefrancon (de) Guyot, 125 Villeneuve (de La) Guillemin, 269 Villeperrot (de) Moncel, 219 Villeroy (de) Guiet, 269 Vinex (de) Guillaume, 351 Vitel (de) Dimanche, receveur général, 24, 27, 32, 91, 101, 237, 239, 289, 294, 355, 360, 367 Voudenay (de) Guillaume, 89, 91, 242, 243, 368, 375, 380, 383 Vuillafans (de) Humbert, 130, 165 Vuillafans (de) Richard, 241 Vy (de) Étienne, 238 Vy (de) Guy, 94, 95, 99, 103, 105, 241, 246, 250, 258, 262, 295, 344, 346 Vy (de) Hugues, 246 Vy (de) Jacques, abbé de Lure, 300 Vy (de) Perrin, 85, 89, 241, 251, 364, 370, 373, 374, 375, 379, 382