Etudes sur Philippe de Commynes


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Etudes sur Philippe de Commynes

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ETUDES SUR

PHILIPPE

DE

COMMYNES

OUVRAGES

DU

MEME

AUTEUR

:

La Destruction des mythes dans les Mémoires de Ph. de Commynes, Genéve, Droz, 1966. La Vie de Philippe de Commynes, Paris, SEDES, 1969. Ed. Villehardouin, Flammarion,

la Conquéte

de Constantinople,

Paris,

Garnier-

1969.

Ed. le Roman de Renart, Paris, Garnier-Flammarion,

1970.

Ed. Villon, Guvres, Paris, 1970 (« Les Classiques Garnier »). Villon et sa fortune littéraire, Saint-Médard-en-Jalles, Ducros et Paris, Nizet, 1970. Recherches sur le Testament de Frangois Villon, 2° éd., Paris, SEDES, t..1 1971 5 t. 1E, 1973. Petite Introduction aux branches I, Ia et Ib du Roman Paris, CDU, 1971. Cours sur la Chanson de Roland, Paris, CDU,

de Renart,

1972.

Ed. et trad. Aucassin et Nicolette, Paris, Garnier-Flammarion, Les Ecrivains de la Quatriéme Croisade. I, Villehardouin 2 vol., Paris, SEDES, 1973. Ed. Villon, Poésies, Paris, Gallimard,

1972.

et Clari,

1973 (Collection Poésie).

Adam de la Halle a la recherche de lui-méme ou le Jeu dramatique de la Feuillée, Paris, SEDES, 1974.

BIBLIOTHEQUE .

JEAN

DU XV° SIECLE yay

DUFOURNET

Professeur a la Sorbonne

ETUDES SUR

PHILIPPE

EDITIONS

DE COMMYNES

HONORE

CHAMPION

7, quai Malaquais PARIS

1975

HOMMARD :

YHOMOH

2HOTTicas

aieupalalt isvp

2A

© 1975 by Librairie Honoré Champion, Paris,

« C’est pour ces hommes de valeur un double sujet de mécontentement

d’étre

privés

du

rang dont ils sont dignes et de se voir associés ou méme

subordonnés

a des hommes

indignes

ou inférieurs.> MACHIAVEL, Décade

A la mémoire tot disparu.

Discours sur la Premiére

de Tite-Live.

de Pierre

ALBOUY,

l’ami trop

5 OURS Gp — Seninhe:Aen

meg, Meaty

CHAPITRE

PREMIER

QUAND LES MEMOIRES DE COMMYNES ONT-ILS ETE COMPOSES ?

I. —

LES LIVRES

I-VI

La datation des Mémoires souléve de délicats problémes dés qu’on s’efforce de préciser. La plupart des critiques et historiens se sont contentés de poser deux années assez éloignées l’une de l’autre qui limiteraient le temps au cours duquel Commynes aurait composé son

ceuvre, E. Dupont, dans la préface de son édition, aborde la question dans une note oti elle donne comme terminus a quo 1488 et comme terminus ad quem 1494. Pour Pélicier?, la premiére partie aurait vu le jour entre la fin de 1488 et les premiers mois de 1490. Ce qui est peu vraisemblable. D’un cété, a la fin de 1488, le mémorialiste subissait un régime de détention trés sévére3, ol lui était interdite toute communisation avec l’extérieur, of donc il ne disposait, selon toute probabilité, ni de plume, ni d’encre, ni de papier; tout au plus a-t-il pu songer a son ceuvre ; mais ne nous dit-il pas lui-méme qu’il en a commencé la rédaction a la demande d’A. Cato? D’un autre cété, un passage du livre VI, au chapitre III 4, suppose, a tout le moins, des retouches en 1493 : il évoque les tergiversations de ce prince bestial que fut Sigismond d’Autriche, qui, d’abord, voulut déshériter sa propre famille, puis, manié, dit Commynes, par d’autres serviteurs, transféra tous ses biens a Maximilien, l’6poux de Marie de Bourgogne. Notre auteur indique la date de cette cession: « et puis trois en ¢a» ; or elle eut lieu le 16 mars 1490 ; par conséquent, on peut en conclure que le passage dont nous 1 Paris, 3 volumes,

1840-1847

(Société

de l’Histoire

de France),

t. I,

p. CXXXII, note 2.

2 Essai sur le gouvernement de la dame de Beaujeu (1483-1491), Chartres, 1882, p. 13, n° 1. 3 Cf, en particulier, MANDROT, L’autorité historique de Philippe de Commynes, Revue historique, t. 73, 1900, p. 252. Toutefois, sur ce point, voir la note 75. 4 Dans I’éd. de J. CALMETTE, Paris, Champion, 3 volumes, 1924-1925 (Les Classiques de Histoire de France au moyen dge, n°* 3, 5 et 6), t. Il, p. 261.

CHRONOLOGIE DES MEMOIRES

2

nous occupons a été écrit, ou plutét dicté, en 14935. Quant a Dupuis, il situe la composition des Mémoires entre le printemps de 1491 et l’été de 14926. Mais une erreur frappe de nullité le premier terme. En effet, ne prend-il pas pour point de départ le 4 avril 1491, jour, assure-t-il, de la mort de Mathias Corvin? Mais ce dernier, en réalité, trépassa le 4 avril 1490. Pour G. Durville?, les données chronologiques du texte « permettent de placer de 1489 a 1492, au plus tard, la composition de cette premiére partie des Mémoires ». Selon A. Molinier 8, Commynes aurait écrit entre le printemps de 1489 et celui de 1491: «Il n’aurait achevé l’histoire de Louis XI que dans les premiers mois de 91.» Ch. V. Langlois ® se borne a reprendre les dates d’E. Dupont, et L. Foulet 1° ne se préoccupe pas de ce probleme. Seuls les deux derniers éditeurs des Mémoires se sont intéressés a cette question, et ont essayé de la résoudre, ou, tout au moins, d’en préciser les termes. B. de Mandrot11 estime que Commynes n’a pas écrit son ceuvre pendant sa captivité, mais qu’il a dii en commencer la rédaction apres sa délivrance, c’est-a-dire aprés le 24 mars 1489; en composer la plus grande partie entre le printemps de 1489 et celui de 1491 ; la modifier par la suite de quelques retouches. J. Calmette 12 élargit les limites fixées par son prédécesseur, accepte les dates du 24 mars 1489 et du printemps de 1491, mais soutient que les six livres s’échelonnent sur trois ans, repris de loin en loin, commencés en 89, continués en 90, achevés en 91, relus en 93 33, N’est-il pas possible d’examiner 4 nouveau ce probléme et d’y projeter quelques lueurs, en contestant certaines références qui, jusqu’ici, ont été admises sans discussion ? Quelques indices nous permettront de retrouver les dates de la genése des Mémoires.

5 BOURRILLY, dans Les Idées politiques de Ph. de Commynes (Revue WPhistoire moderne et contemporaine, t. I, 1899-1900, p. 93), commet aussi Yerreur de dater les Mémoires de la fin de 1488, 6 Quelques notes bibliographiques pour servir a étude des ouvrages de Ph, de Commynes et d’Auger de Bousbecque, dans les Mémoires de la Société des nope de Vagriculture et des arts de Lille, 1870, 3° série, 8° volume,

pp.

9/-1U01. _" Catalogue de la bibliothéque du musée Th. Dobrée, Nantes,

scrits, 1904, p. 465.

8 Sources de Vhistoire de France, Paris, 1904, t. V, p. 12.

:

t. I. Manu-

® Histoire de la langue et de la littérature frangaises, sous la direction de L. PETIT DE JULLEVILLE, Paris, 1896, t. Il, p. 330. 10 Quant a P. Le GENTIL (Liftérature francaise du moyen dge, Paris, 1963,

p. 155), il écrit : « Son livre... était achevé, semble-t-il, en 1488. »

;

_ 11 Ed. des Mém., Il, LXXXI, et son article déja cité, II, 252, n. 2, Paris, Picard, 2 vol., 1901-1903 (Collection de textes pour servir a l'étude et a Vensei-

gnement de Uhistoire), t. Il, p, LXxXxil. Du méme auteur, voir son article déja cité, p..252, note 2.

12 Edition des Mémoires, t. 1, p. XIII.

13 J. BASTIN, Philippe de Commynes, Bruxelles, 1945 (Collection nationale), p. 16, reprend la thése de CALMETTE, mais elle la dénature en la simplifiant : « Les six premiers livres écrits de 1489 a 1491... »

CHRONOLOGIE

DES MEMOIRES

3

Il ne semble pas téméraire de poser que le seigneur d’Argenton a dicté l'ensemble des six premiers livres dans les derniers mois de 1’année 1489 et le premier semestre de 1490. En effet, il est souhaitable de ne pas trop avancer le terminus a quo. N’oublions pas que la captivité a été dure: il fallut sans doute 4 notre auteur un temps plus ou moins jong de réadaptation. De surcroit, a sa sortie de prison, il fut fort occupé si 1’on en juge par les multiples affaires qui sollicitérent son attention. D’abord, dans le proces qui l’opposait aux La Trémoille 4 propos de Talmont, il fut ajourné, sous peine de bannissement du royaume, a comparaitre en personne le 26 mai 1489, c’est-a-dire deux mois aprés sa libération ; le 4 juin, il fut débouté de son appel contre Jean Pellieu, chargé d’exécuter un premier arrét du Parlement, et se vit condamné 4a restituer définitivement Talmont et Chateau-Gontier. Ensuite, la banque des Médicis lui devait une somme importante; il se rendit 4 Lyon pour traiter avec ses représentants ; et ces contestations ne prirent fin que le 6 novembre, a Dreux. Dans le méme temps, il défendait ses intéréts sur un troisiéme front. Il s’agissait de cette galéasse dont il est parlé au chapitre 6 du livre VII 14. Commynes prétendit qu’elle lui appartenait, pour la raison qu’un homme d’affaires, J. Moreau, qui lui devait la somme de 10.250 livres pour la premiére moitié de la ferme des Ponts-de-Cé, ne lui en avait payé que 1.000. Aussi le mémorialiste voulut-il, en avril 1485, s’assurer la propriété de la galéasse. Il s’ensuivit un procés confus. Relaché, notre écrivain obtint de Charles VIII des lettres royales, signées de Toulouse, qui, entre autres choses, établissaient ses droits de légitime possession sur l’objet en litige. Affaires judiciaires, mais aussi activité politique. Il prépare sa rentrée sur la scéne. Le 5 aofit 1489, il écrit 4 Laurent de Médicis que ses efforts n’ont pas été vains: « Le roi et Madame, puis peu de jours, me donnent espérance de mes affaires15.» Le 12 septembre suivant, il remercie Anne de Bourbon de ses gracieuses paroles et se prétend son fidéle serviteur 16. Il intrigue sans doute pour étre compris dans !’amnistie dont les lettres d’abolition seront publiées au début de décembre 1489. Dés lors, comment soutenir que Commynes, en proie a une activité aussi intense et se déployant sur des théatres aussi divers, ait été a méme, quelle que fiit sa facilité, de rédiger ses Mémoires qui sont une ceuvre beaucoup moins nonchalante qu’on ne le dit? En revanche, la fin de 1489 et le début de 1490 sont moins chargés de problémes délicats. Alors se termine l’affaire de la galéasse ow intervient une transaction ; les difficultés avec la banque florentine s’apla-

14 Ed. CALMETTE, t. III, p. 38. Sur tout cela, voir notre Vie de Philippe de Commynes, Paris, SEDES, 1969. 15 Ed, MANDROT,

t. II, p. XL.

16 Ed. Dupont, t. Ill, p. 194.

CHRONOLOGIE

4

DES MEMOIRES

nissent, car, s'il continue a échanger de la correspondance avec les Médicis, s’il se plaint de l’appointement du 6 novembre précédent, il n’y a pas de procés. En outre, il n’a pas encore été repris par la vie de courtisan. Selon Sassetti, le 16 juillet 1490, il s’en tient (ou en est tenu) encore a l’écart27. Mais nous savons qu’en janvier 1491 48, le chroniqueur a accompagné Charles VIII 4 Moulins, grace a une lettre qu’il envoya au duc de Bourbon ; et le méme Sassetti nous révéle qu’en avril de cette année-la, Commynes se trouvait constamment a la cour 1®, De plus, en 1491, le procés avec les La Trémoille connut son épilogue. Aussi croyons-nous qu’il convient de situer la composition des Mémoires en 1490, surtout dans le premier semestre, au cours de cette période de lente remontée, ot I’on se méfie encore beaucoup de ce comploteur auréolé d’une grande réputation d’habileté, ott il n’a pas intérét a brusquer les événements ni a trop se manifester. En outre, si nous considérons maintenant le texte lui-méme, nous rencontrons plusieurs passages qui nous permettent de préciser cette approximation, et dont d’ailleurs se sont déja servis Mandrot et Calmette. Quelques-uns, particuliérement probants, suffiront: — Livre V, ch. 229: «...monst de Chasteauguyon, qui est de present en Pymont...». Ce personnage, Hugues de Chalon-Arlay, était en mission en Savoie au printemps de 1490, et mourut le 3 juillet suivant. Or, notre historien le considére comme encore vivant, en train d’accomplir sa mission. Par conséquent, il est permis de dater avec exactitude ce chapitre et d’en situer la composition dans les premiers mois de cette année. — Livre II, ch. 821: « Mais a duré guerre entre le roy d@’Arragon plus de seize ans et encores dure ce differant.» rialiste adopte comme point de départ le début du conflit entre et Aragon, soit 1473. Faisons l’addition, en tenant compte nous obtenons de nouveau la date de 1490.

et le roy Le mémola France du plus:

— Livre V, ch. 422: «...il fist amener par force la duchesse de Savoye en Bourgongne et ung de ses enfants, qui aujourduy est duc de Savoye ». Lequel enfant est Charles de Savoie qui mourut le 13 mars 1490. Aussi ne peut-on placer la rédaction de ce livre au plus tard qu’au cours du premier trimestre de cette année.

17 KERVYN DE LETTENHOVE, Lettres et négociations de Philippe de C. ~ nes, 3 vol., Bruxelles, 1867-1874, t. II, p. 77. : PRG “Soa Ran

18 [bid., p. 76. 19 [bid., p. 77.

20 Ed. CALMETTE, t. II, p, 112. Nous citerons désormais les Mémoires d’aprés d’ l’édition de J. CALMETTE, mentionnée a la note 4.

21 Jbid., t. I, p. 138. 22 Ibid., t. Il, p. 123.

CHRONOLOGIE

DES

MEMOIRES

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— Enfin, un indice moins précis au chapitre 20 du livre V 23, oll nest pas mentionnée la mort de I’évéque de Bath, Robert Stillington, survenue en mai 1491 24, Faut-il estimer que notre chroniqueur ait dicté d’autres chapitres en 1491 ? Mandrot et Calmette l’affirment. Selon le premier 25, « Il faut croire qu’il le compléta un peu plus tard, puisqu’au chapitre 7

du livre VI, il conte qu’il a maintes fois « et encore puis deux mois » en-

tendu parler Francois de Paule devant Charle VIII ; or, aprés sa disgrace, Commynes ne fit sa rentrée a la cour que vers la fin de l’année 1490, C’est peu de temps aprés sans doute, et peut-étre dans les premiers mois de 1491, qu’il acheva ce qui dans les Mémoires concerne le régne de Louis XI >.

L’argument n’est pas convaincant, et Mandrot ne l’avance qu’avec prudence. Pourquoi situer ce préche en 1491 ? Il est permis tout autant d’y avoir une allusion a l’année 1493 et ce, d’autant plus aisément que le texte lui-méme nous livre cette date de facon certaine, comme nous Yavons signalé plus haut. De plus, grace « au compte de la recepte générale de toutes finances rendu par M. Francois Briconnet pour l’année finie le dernier septembre 1493», nous savons qu’a cette époque, lermite calabrais demeurait aux Montils et qu’il recut 150 livres, ce qui était la moitié de sa pension annuelle 26, Quant Au

a Calmette,

il écrit:

livre VI, ch, 12, nous

lisons l’affirmation

formelle

que 1!’auteur

écrit en 1491, et ce méme chapitre en apporte la confirmation : Mathias Corvin, mort le 4 avril 1490, est donné, en effet, comme décédé. 27

23 [bid., t. II, p 232. 24 Autres preuves, moins précises. Livre II, ch. 2 : « Le chancelier de France, qui est aujourd’hui, homme bien estimé, appelé messire Guillaume de Rochefort », lequel mourut le 12 aofit 1492. Livre II, ch. 12 : le duc d’Alencon, qui

est donné comme vivant, décéda le 1°* novembre 1492. Livre V, ch. 9 : Pauteur

considére comme

reine des Francais Marguerite

d’Autriche

dont les fiancailles

avec Charles VIII furent rompues en 1493. Livre V, ch. 20 : « Vous voyez le duché de Gueldres hors de la lignee»; or, selon E. DUPONT (I, 309, n. 4) «l’empereur Maximilien, époux de Marie de Bourgogne, perdit ce duché en 1492, et Charles d’Egmond, fils du duc Adolphe, fut alors réintégré dans son héritage ». Livre V, ch. 18; il est dit des habitants de Grenade qu’ils sont

«ennemys de foy»; or, en 1492, Ferdinand royaume et en ont chassé les musulmans. 25 Ed. des Mémoires, t. II, p. LXXXIII. 26 Cf. Divers

traittez, contracts,

testamens

et Isabelle

ont reconquis

ce

‘ et autres actes et observations,

servans de preuves et dillustrations aux Memoires de Philippe de Comines, Bruxelles, 1714, p. 529 : «... au chapitre des deniers payez en acquit du Roy, fol ccclxij. verso. A frere Francois de Paule bonhomme Hermite, demeurant aux Montils, la somme de cent cinquante livres, pour partie de la somme de trois cens livres, a luy ordonnee par le Roy, pour son vivre et entretenement de cette presente annee, suivant la quittance dudit Frere Francois de Paule cy

rendué.cy cent cinquante livres. » 27 Mémoires, t. 1, p. XIV.

CHRONOLOGIE

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DES MEMOIRES

Reportons-nous a ce passage: .. et du costé d’Allemaigne, [Mathias] print la pluspart de YAutriche sur Yempereur Federic, qui vit encore, et la posseda jusques a la mort,

laquelle a esté en la ville de Vienne, chief d’Autriche, MCCCCIIIIXX unze. 8

Il importe de faire plusieurs remarques:

1° La relative qui termine Dobrée ;

cette phrase est absente

dans

le manuscrit

2° La date qui nous est donnée est fausse, puisque cette mort se situe en 1490; 3° Elle peut avoir été dictée tout d’autant plus volontiers que, ol il rédige son ceuvre, il a exemple, au chapitre 12 du Pan MCCCIIIXXXVIL... » 29 ;

aussi bien en 1493, et nous le croirons lorsque Commynes mentionne l’année l’habitude de le préciser comme, par livre VIII: «...a ceste heure, qui est

4° L’erreur ne s’explique que si notre auteur écrit assez longtemps aprés le décés de Corvin. C’est pourquoi nous pensons qu’il a ajouté en 1493 sans doute ce dernier chapitre et, trés probablement, tout le livre VI, et qu’a cette occasion, il a peut-étre modifié, de loin en loin, certains passages 29,

La premiére tranche de ses souvenirs relatifs 4 Louis XI (livres I-V) se terminait par des méditations sur l’équilibre politique imposé par Dieu, par des conseils aux princes dont est critiqué le comportement, par des réflexions sur les redoutables interventions de Dieu en ce bas monde, enfin par une collection d’exemples qui attestent les multiples bouleversements qui ont affecté divers Etats de l’Europe occidentale. Elle s’arrétait au cours de l’année 1477 qui vit l’éloignement et 1’effacement relatif de Commynes. En 1493, il compose le dernier livre qui commence par une formule indiquant nettement une reprise aprés une interruption (encore qu’il ne soit pas interdit d’y déceler le retour a la narration

des faits aprés une longue digression): Il est donc temps que je revienne a ma principalle matiere et a conti-

nuer le propoz de ces Memoires

encommencez

a vostre requeste, mons*

l’arcevesque de Vienne 31 ;

28 Jbid., t. Il, 337. 29 Ibid., t. III, p. 195 ; voir encore I. III, p. 10. 80 Il reviendra sur ces chapitres encore plus tard. Témoin ce pass d ch. 4 du livre IV : « ... les deux filz dudict roy, c’est assavoir le duc rh Fake et le seigneur Don Federic, qui tous deux vivoyent encores... » (éd. CALMETTE Il, 272). Le premier, Alphonse d’Aragon, mourut en 1496, le second, Frédéric

de Tarente, en 1504. 31 Ed. CALMETTE, t. II, p. 238.

:

CHRONOLOGIE

DES MEMOIRES

7

et qui s’achéve, lui aussi, par un long chapitre de conclusion sur Ja vie malheureuse des plus grands princes du temps. Cet argument, nous le reconnaissons, ne serait pas déterminant, si nous n’avions pas une preuve pius nette au chapitre 3 du livre VI: le passage, déja cité, relatif a la cession par Sigismond d’Autriche de tous ses biens a son neveu Maximilien, le place, sans contestation possible, en 1493, ou, pour le moins, a la fin de 1492 82, Si nous essayons de récapituler et, par cette occasion, de préciser, il est nécessaire de tenir compte de plusieurs faits: 1° Commynes nous dit lui-méme, au sujet de Francois de Paule 33, qu’il l’a « maintes fois o¥ parler devant le roy qui est de present [c’esta-dire de Charles VIII] ou estoient tous les grands du royaulme, et encore puis deux moys ». Il fallait donc qu’il fit 4 la Cour. Deux expressions

sont a retenir. La premiére, vague (maintes fois) est une allusion a des séjours de notre mémorialiste auprés de son jeune maitre, soit au début du régne, avant qu’il ne soit écarté par les manceuvres ou les menaces de René de Lorraine (a la fin de 1483 ou au cours de 1484), soit, plutét, apres l’emprisonnement et son retour dans |’entourage royal. La seconde, plus précise, indique qu’il a rédigé ce paragraphe du livre VI deux mois aprés avoir entendu l’ermite pour la premiére fois. 2° C’est pourquoi il importe maintenant de savoir, en premier lieu, quand le seigneur d’Argenton est revenu a la cour. Pour ce, interrogeons les renseignements, hélas! trop peu nombreux, que nous offrent les lettres de l’intéressé et du Florentin Céme Sassetti. Nous apprenons que notre auteur vit encore loin du roi le 16 juillet 149034, mais qu’il est a ses cOtés en janvier, puis en avril 1491. II n’est donc pas possible de placer la composition du passage en question avant la fin de 1490 ou le début de 1491. 3° Un second élément est a considérer, 4 ce stade de la démonstration. Francois de Paule habitait aux Montils-les-Tours: l’atteste, entre autres documents, le compte de Briconnet. Voué a la contemplation et a la méditation, il ne quittait sans doute que rarement sa demeure, et ne s’en éloignait que peu. Par conséquent, on peut soutenir que Commynes l’a entendu précher quand la cour se trouvait aux Montils, ou a proximité, c’est-a-dire 4 Tours, au Plessis-du-Parc, au Plessis-les-Tours ou a Amboise. Nous avancons dés lors sur un terrain plus sfir, car les lettres de Charles VIII nous permettent de savoir avec une relative précision quand le souverain a résidé dans ces villes.

32 Lire la citation compléte (éd. CALMETTE, t. II, p. 261) : « Et, en la fin et puis trois ans en sa seigneurie des a parlé, a present roy 33 Ed. CALMETTE,

¢a par autre bande de ses serviteurs, a transporté toute present a sondict nepveu, ce duc Maximilian dont j’ay des Romains... » t. II, p. 296.

34 KERVYN DE LETTENHOVE, op. cit., t. II, p. 77.

CHRONOLOGIE DES MEMOIRES

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4° A ce moment, il convient de ne pas oublier la date fournie par la cession par Sigismond de toutes ses possessions: elle eut lieu ie 16 mars 1490. Et Commynes écrit trois ans aprés. Si nous tenons compte de la possibilité d’une approximation ou d’une légére inexactitude, nous sommes amenés a opter pour l’extréme fin de 1492 ou l’année 1493. 5° De plus, l’empereur Frédéric III n’est pas encore décédé. Témoin ces deux relatives, empruntées l’une au chapitre 8 du livre II 95: « ... ’empereur Federic qui encores est vivant...», Yautre, plus importante, au chapitre 12 du livre VI 86: «...?empereur Federic qui vit encores... ». Or, ce personnage fort nonchalant et avare mourut le 18 aofit 1493. Impossible désormais de placer le terminus ad quem aprés Il’été 1493. 6° Ajoutons que le chroniqueur, en mai 1493, participa aux négociations qui aboutirent, le 23 de ce mois, au traité de Senlis, et que Charles VIII séjourna dans cette ville, 4 coup sfir, entre le 30 avril et le 20 mai, comme nous le révélent ses lettres. Commynes |’accompagnait et s’occupait de problémes politiques. En outre, grace a Sassetti, nous savons qu’en juin et au début de juillet, il était avec son maitre (soit a Compiégne, soit 4 Chauny, soit 4 Paris), mais que « depuis que le roi a quitté Paris, Monseigneur d’Argenton n’a plus mis les pieds a la cour » (or, le 18 juillet, le souverain était 4 Melun) et qu’il doit y revenir le jour ou le Florentin écrit sa lettre, autrement dit le 31 aofit, a un moment ol le fils de Louis XI a rejoint, ou rejoint la Touraine. 7° Par suite, compte tenu de ces éléments divers, deux périodes demeurent possibles: soit l’extréme fin de 1492 et le début de 1493, soit de juillet 4 la mi-aofit 1493. Il est vraisemblable, en effet, que, lorsque le mémorialiste était avec la cour, il s’intéressait A autre chose qu’a la rédaction de son ceuvre.

8° Dés lors, le choix semble aisé, si l’on se souvient qu’il composa cette derniére partie deux mois aprés avoir entendu l’ermite calabrais. Or, a l’6poque que nous avons délimitée, Charles VIII résida aux Montilsles-Tours, au moins, entre le 30 septembre et le 10 décembre 1492. Aussi sommes-nous incités a opter soit pour décembre 1492, soit pour janvierfévrier 1493, soit un peu plus tard (mars-avril).

9° L’auteur avait alors retrouvé son chateau de Dreux, ow il avait rédigé les premiers livres. Pourquoi penser qu’il séjourna alors dans cette cité? Parce que, lorsque son jeune maitre était dans la région parisienne (et c’est le cas alors puisque nous savons qu’il était 4 Melun

le 3 janvier, 4 Paris entre le 13 février et le 17 mars) et que le chro-

niqueur ne se trouvait pas a ses cOtés, il habitait lui-méme Dreux. Ainsi, 35 Ed. CALMETTE, t. I, p. 138.

36 [bid., t. II, p. 337. Preuves complémentaires : Maximilien d’Autriche n’est

encore que roi des Romains (1. Ill, ch. 8; 1. VI, ch. 2, 3, 8); il fut élu empereur a la fin de 1493, Le titre de cardinal n’est pas accordé a Morton chancelier

et évéque (1. IV, ch. 7), qui obtint le chapeau le 20 septembre 1493.

CHRONOLOGIE

DES MEMOIRES

9

en juillet-aofit 1492, Charles visita successivement Savigny, Paris, Marcoussis, Etampes, Melun ; et, de Dreux, le 9 aofit, le chroniqueur écrivit a Pierre de Médicis. 10° Le choix de janvier ou de février 1493 rend compte des deux expressions que nous avons soulignées au départ, « maintes fois » (car Commynes a pu entendre Francois de Paule au cours de 1491, soit en février-mars, soit en mai-septembre, soit en décembre) et « puis deux mois », autrement dit entre la fin de septembre et la mi-décembre 1492. 11° Mais les lettres inédites de Commynes a Francesco Gaddi qu’a publiées avec soin Lionello Sozzi, dans les Mélanges dédiés au professeur Tammaro de Marinis, ne nous permettent pas de conserver cette date de janvier-février 1493. En effet, notre auteur écrivit 4 l’ambassadeur italien le 3 janvier 1493 de Melun 87 et le 5 mars de Paris 38, 12° En revanche, nous possédons deux missives adressées a Gaddi qui nous éclairent sur ce petit probléme. Le mémorialiste les envoya de Dreux ; et contrairement a l’avis de L. Sozzi 3°, elles semblent bien de 1493. La premiére serait du 12 mars, la seconde du 11 avril. On peut en déduire que la composition du livre VI se situe en mars-avril 1493. x

13° Il reste alors une question a résoudre. Que penser de la précision dont nous avons fait état plus haut: « puis deux mois»? En effet, si l’on opte pour mars-avril, trois ou quatre mois se seraient écoulés depuis le dernier préche de Francois de Paule auquel a assisté Commynes. Mais faut-il accorder beaucoup d’importance 4a cette légére divergence ? Nous ne le croyons pas. Les lettres 4 Gaddi, de nouveau, nous apportent une aide précieuse et nous invitent a prendre 1’expression dans un sens large. Nous lisons dans la dépéche du 5 mars 1493: « Je vous ay escript puis ung mois par ung chevaucheur de l’escuerie du Roy... » 4°. C’est une allusion a une lettre du 3 janvier comme I’a bien ¥u ‘Le Sozzi™ : Siamo in presenza, con ogni probabilita, della lettera immediamente successiva alla missiva del 3 gennaio 1493, pubblicata di sopra : lo stesso

Commynes tromperie

informa il Gaddi di avergli gia scritto puis ung mois circa la del Lorini et di avergli mandato

procuration pour y besongner

comme il appartient (la lettera precedente diceva infati : « Pareillement je vous envoye la obligation et procure de recepvoir et de quicter, et de poursuyvre mon

fait et faire poursuyvre...).

37 Cf, Lettre inedite di Philippe de Commynes a Francesco Gaddi, dans les Studi in onore di Tammaro

de Marinis, Vérone, 1964, t. 4, p. 253.

38 [bid., p. 257. 89 [bid., p. 252, n. 4, et p. 260, n. 3. Voir notre étude, A propos des lettres inédites de Commynes a Gaddi, dans la Bibliotheque d’Humanisme et de Renaissance, t. XXVIII, 1966, pp. 583-604. 40 Ibid., p. 257. 41 [bid., note 2.

CHRONOLOGIE

10

DES MEMOIRES

En fait, selon notre facon de calculer, il y a deux mois pleins entre

le 3 janvier et le 5 mars. Pourquoi ne pas estimer qu’il en soit de méme avec le « puis deux mois » des Mémoires ?

14° Dés lors, A moins qu’on ne produise des documents inédits trés

nets, il est raisonnable d’admettre que le livre VI des Mémoires fut dicté en mars-avril 1493. Il semble donc que, pour les six premiers livres, nous arrivions aux conclusions suivantes :

A) Contrairement a ce qu’a soutenu J. Calmette, Commynes ne reprit pas constamment ses Mémoires de 1489 4 1493, trop occupé par ses procés, ses affaires d’argent, ses intrigues, pour trouver le temps de corriger, de revoir et de compléter son ceuvre. B) Il la composa a Dreux, dans Je chateau qu’il avait acheté a Alain d’Albret, ott il vécut, relégué, a la fin de 1489 et pendant l’année 1490 et au début de 1493. C) Il rédigea les cinq premiers livres en 1489-1490; il leur ajouta, en 1492-1493, le sixiéme. Il mit assez peu de temps a les écrire. Nous ne saurions nous en étonner, si nous nous souvenons du témoignage de Sleidan qui, exaltant son intelligence et surtout sa mémoire, nous apprend que celle-ci « estoit merveilleuse, voire telle que souvent il dictoit en un mesme temps a quatre, qui escripvoient sous luy choses diverses, et concernantes a la république, voir avec telle promptitude et facilité, comme s’il n’eust devisé que d’une certaine maniére »42,

II]. —

LES LivRES VII ET VIII

Pour les deux derniers livres, les avis divergent tout autant. Sur ce point aussi, nous pourrons sans doute apporter des précisions. E. Dupont étale la composition sur plus de quatre années, «de 1497 a 1501, ou peut-étre plus tard encore.» 4%. Dupuis la situe en 1497 et 1498, avec une addition plus tardive de quelques chapitres 44 ;Molinier, entre 1495

42 Vie de Commynes. Le chanoine G. DURVILLE (op. cit., t. I, pp. 466 et s.)

a bien répondu a ceux qui tirent argument d’un passage du ch. 2 du livre VI : «... Cest larcheduc Philippes qui regne de present.» Faut-il prendre regner

dans son acception actuelle, comme E. Dupont (t. Il, p. 184, n. 2), et conclure

de cette remarque que les Mémoires n’ont été achevés que de 1504 a 1506, puisque Philippe le Beau devint roi d’Espagne en novembre 1504 et mourut le 25 septembre 1506 ? Nous ne le croyons pas. En effet, en employant ce verbe,

Commynes ne fait pas particuliérement allusion a4 la qualité de roi : le méme

mot regner est appliqué au duc de Bourbon (I. V, ch. 16; 1. IV, ch. 1), et Philippe le Beau, dés la mort de sa mére, Marie de Bourgogne, le 27 mars

1482, fut comte

de Flandre;

en outre, ce vocable

Mémoires étre, se trouver (1. I ,ch. 1).

43 Edition des Mémoires, t. I, p. CXXXU, n. 2. 44 Op. cit. C’est aussi l’opinion de J. BASTIN (p. 17).

peut signifier

dans

les

CHRONOLOGIE

DES MEMOIRES

11

et 1498 #°. Langlois ne se prononce pas. Mandrot, comme 4 |’accoutumée, est plus circonstancié: D'une maniére générale pourtant, on peut croire que, jusqu’a la fin du vingt-deuxiéme chapitre du livre VIII, la rédaction en a été composée au cours de l’année 1497; la date de 1498 apparait dés les premiéres lignes

du chapitre suivant, mais, comme, dans la suite, l’existence de Charles VIII

est encore

affirmée, il est certain que cette portion du récit a été rédigée

avant le 7 avril 1498, date de la mort de ce roi, tandis que la fin de l’ouvrage, et c’est Commynes lui-méme qui nous l’apprend, appartient au mois d’octobre de cette méme année. 46 Calmette pense que «la rédaction n’est pas d’une seule venue» et propose d’admettre que « les livres VII-VIII sont en partie de 1495, en partie des deux années suivantes, avec achévement et remaniement en

1497-1498 » 47, Il est probable que Commynes a commencé de dicter la suite de ses Mémoires dés son retour d’Italie, c’est-a-dire 4 la fin de 1495 et au début de 1496. Il n’est pas absurde de sowtenir qu’alors, il s’éloigna de la cour ol son crédit était au plus bas, comme lui-méme le suggére: « Et me laverent bien la teste, comme on a accoustumé faire es cours de princes en cas semblables. » #8 Quand reprit-il la plume ? Pas avant décembre 1495 ; en effet, le 18 de ce mois, il était encore 4 Lyon avec Charles VIII. Attaqué, critiqué, il éprouva le besoin de se justifier et, accessoirement, céda au plaisir d’égrener ses souvenirs. Homme d’action, il tint 4 défendre la politique que, si l’on ajoute foi a ses propos, il avait préconisée avant et pendant l’expédition : hostilité 4 toute aventure militaire en Italie, recherche constante de la paix qui aboutit au traité de Verceil. I] lui fallait prouver, contre les matamores de la guerre de conquéte, que l’entreprise napolitaine était une folie caractérisée, et, contre les jusqu’auboutistes, que la paix signée en octobre 1495 était la meilleure solution, la seule.

Aussi est-il possible d’estimer qu’il écrivit dés son retour. A ce qu’il semble, il composa la majeure partie du livre VII entre décembre 1495 et mars 1496; en effet, au chapitre 5 49, il s’adresse a A. Cato, parlant de Frédéric de Tarente, « duquel vous, dit-il, Monsieur de Vienne, m’avez mainte fois aseuré quwil serait roy, parlant par astrologie». Or, cet archevéque qui l’exhorta a consigner par écrit ses souvenirs mourut en mars 1496 5°. D’autre part, ce passage nous est utile pour déceler la complexité du probléme que nous pose cette seconde tranche des Mémoires. Au texte originel, notre auteur a, plus tard, ajouté des précisions

45 Op. cit., p. 12. 46 Ed. des Mémoires, t. Il, p. LXXXIV.

47 Ed. des Mémoires, t. I, p. XV. 48 Ibid., t. Ill, pp. 253-4. ; . : : 49 [bid., t. Ill, p. 348. 50 B. CRocE, Il personnagio italiano che esorto il Commynes a scrivere t « Memoires » dans la Critica, t. XXXI, 3° série, 7, 1933, p. 64.

CHRONOLOGIE

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DES MEMOIRES

nouvelles. En effet, juste avant notre précédente citation, nous lisons: « Federic, depuys roy apres ledit Ferrande devant nommé » ; et, immédiatement aprés, « et a esté XX ans devant que ce cas advint ». Or, Frédéric de Tarente ne monta sur le trone de Naples que le 7 octobre 1496, c’est-a-dire plus de six mois aprés la mort d’A. Cato, donné comme vivant dans le passage que nous avons isolé. Il faut donc que le seigneur d’Argenton ait écrit une partie de son ceuvre avant le décés de Varchevéque (c’est-a-dire avant mars 1496) et que, par la suite, il soit revenu sur son texte pour lui apporter des compléments dont un certain nombre concerne les princes qui se sont succédé a Naples (ainsi, la fin du chapitre 14). Le chroniqueur reprit ses Mémoires pour leur donner une suite et tenir compte des derniers développements de |’actualité. Quelques détails nous invitent a penser qu’il en continua la rédaction vers la fin de l'année 1497. En effet, nous lisons d’abord ce millésime en plusieurs endroits : — au chapitre premier du livre VII, il décrit l’échec complet et irrémédiable du duc de Lorraine dans ses espérances italiennes, de celui qui le fit chasser de la cour et a qui, en dépit des apparences, il ne pardonna jamais: «...oncques puys n’eut auctorité ceans, perdit ses gens d’armes et les trente six mil livres qu’il avoit pour Provence, et jusques a ceste heure, qui est lan MCCCCIIII**XVII, est encore en cest estat». — au chapitre 12 du livre VIII 52, il rappelle les fautes de son jeune maitre, ajoutant: «...mais je croy que si, a ceste heure qui est l’an MCCCCIIII#*XVII, ung tel bien advenoit au roy, il en scauroit myeulx ordonner ». Il n’est pas inutile de remarquer, a ce propos, qu’il s’acharne sur ses adversaires, que ce soit sur René de Lorraine, ruiné sans recours, accentuant les tragiques effets de son incapacité, ou sur Charles VIII qui, contre lui-méme, donne raison 4 Commynes, D’autres passages,

ensuite, nous suggérent cette méme

date:

— au chapitre 15 du livre VIII 58, il est question de «la duchesse de Savoye, qui estoit fille de Montferrat, vefve, et mere d’ung petit duc, qui estoit lors ». Or ce dernier, Charles-Jean-Amédée, mourut le 16 avril

1496 ;

— au chapitre 1654, il cite, parmi les négociateurs de la paix de Verceil, « ung appelé mons" de Morvillier, bailly d’Amyens », c’est-adire Raoul de Lannoy qui ne remplit cette charge qu’a partir du 22 juin 1497 ;

51 52 53 54

Ed. CALMETTE, t. III, p. 10. Ibid., p. 195. Ibid., p, 214. [bid., p. 234.

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— enfin, au chapitre 2155, il situe la mort du dauphin au commencement de 1496, alors qu’elle eut lieu a la fin de 1495. S’agissant d’un personnage aussi important, est-ce qu’il aurait commis une erreur, ou qu’il se serait contenté de cette approximation, s’il avait composé ses Mémoires au moment de son décés, ou peu aprés? En cette fin d’année

1497, il a, croyons-nous,

revu le livre VII (et,

dés lors, nous avons affaire 4 un auteur qui s’intéresse 4 son ceuvre) et rédigé les vingt-deux premiers chapitres du livre VIII. Ainsi divisé, louvrage comporte deux parties bien définies. L’une, relatant la chevauchée victorieuse et sans encombres, et, surtout, la premiére ambassade de Commynes a Venise, avec, comme conclusion, son départ et son arrivée a Florence, ot il attendit son jeune souverain. L’autre, relative au retour de celui-ci, 4 la perte du royaume de Naples, a |’avortement des tentatives postérieures : avec le chapitre 22, c’est la fin de Vaventure italienne. D’autres faits corroborent cette hypothése. Malgré de fréquentes répétitions, d’idées comme de mots, d’ailleurs moins gratuites qu’on ne Va prétendu, peut-on estimer que, si notre chroniqueur avait dicté a la suite le chapitre 20 du livre VII et le premier du livre VIII, il aurait employé deux tours quasi identiques, dans le fond et dans la forme, sans qu’ils fussent séparés par quelque développement, et il convient d’ajouter que le second indique une nette reprise, aprés un certain temps ? En effet, nous lisons, d’abord, «...et¢ allay a Florence pour attendre le roy, de qui je retourneray a parler » *®, puis, aussitét aprés, « Pour myeulx continuer mes memoires et vous informer, me fault retourner a parler du roy » ™*. De plus, il est patent que notre écrivain ne manquait pas d’adresse. Or, au chapitre 358, il raconte son téte-a-téte avec Savonarole qui lui affirma que, Charles VIII n’ayant ni réformé |’Eglise ni réprimé les pillages de ses gens, « Dieu avoit donné une sentence contre luy, et bricf auroit ung coup de fouet » ; et il ajoute alors: « Jl me cheut en pensee la mort de monseigneur le Daulphin, car je ne veoye aultre chose que le roy prist a cueur ». L’habile seigneur d’Argenton aurait-il émis semblable hypothése, l’aurait-il notée, s’il n’avait pas été assuré de parler de ce trépas plus loin, comme il le fait effectivement aux chapitres 20° et 21°? Conclusion: les chapitres 3, 20 et 21 ont été composés au cours de la méme période, c’est-a-dire a la fin de 1497. Sinon le mémorialiste se serait-il trompé, méme légérement, sur la date de cet événement capital? De surcroit, aurait-il simplement écrit: «...le trespas

55 56 87 58 59 60

Ibid., Ibid. Ibid., Ibid. Ibid., Ibid.,

p. 261. p. 133. p. 134. pp. 144-146. p. 256. p. 261.

CHRONOLOGIE DES MEMOIRES

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de monseigneur le Daulphin... fut envyron le commencement de lan MCCCCIIII## et XVI» 1? Enfin, au début du chapitre XXIII, nous est présenté un court tableau récapitulatif qui ne peut s’expliquer que si l’on entame une nouvelle partie aprés une certaine interruption, que si l’on éprouve le besoin de résumer ce dont il a été question dans les pages précédentes et dont le souvenir est plus ou moins lointain. Alors, nous est fournie une nouvelle date, 1498: Despuis le commencement de Il’an MCCCCIIIIx*XVI le roy deca les mons trois ou quatre moys avoit,

MCCCCIIII=*XVIII,

que ja estoit le jusques en l’an

ne fit le Roy aultre chose en Ytalie. 62

Avec ce chapitre 23, nous abordons une troisiéme tranche dont la composition est datée par les premiéres lignes, et qui comporte essentiellement les pages consacrées aux affaires franco-espagnoles. Que cette partie ait été rédigée au début de 1498, 4 tout le moins avant le mois d’avril, un fait l’atteste avec certitude. Ne lisons-nous pas: .. le seigneur du Bouchaige, credit avecques le roy Loys

homme bien saige, et qui avoit eu grand et encores a de present avecques le roy

Charles, filz dudit feu roy Loys ? 68 Ce passage a été écrit du vivant de Charles VIII, qui mourut en avril 1498. Ou placer la fin de cette nouvelle addition, moins étendue que la précédente ? Au milieu du chapitre 24, trés vraisemblablement juste avant une formule que nous avons déja rencontrée, et qui est 1’indice d’une reprise aprés une interruption: Pour continuer des miserables adventures d’espace a ce roy et royne de Castille... 64

qui advinrent

en si poy

Commynes a entrepris de relater les négociations entre la France et la Castille qui l’intéressaient au premier chef, puisque le bruit courut qu'il serait envoyé en Espagne. A ce moment, vivait encore la fille des souverains, Isabelle, qui mourut le 24 aofit 1498. En effet, il nous est dit a son sujet: : [Alphonse de Portugal] fut le premier mary de ceste dame que je dis, qui maintenant a espousé ce roy de Portingal qui regne (ainsi est

61 Ibid. Que les ch. 20 et 21 soient liés, un autre fait l’atteste. Le premier

annonce la perte du royaume de Naples et les hontes qui en résultérent : « Siilz fussent arrivez ung mois plus tost, les maulx et les hontes qui leur advinrent, comme entendrez, ne leur fussent point advenues ne les divisions. » Le second chapitre raconte la capitulation d’Atella.

62 Ibid., p. 282. 63 [bid., p. 291. 64 Ibid., p. 297.

CHRONOLOGIE

DES MEMOIRES

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retournee deux fois en Portingal), saige dame et honneste, ce dit-on, entre les saiges dames du monde. 6 Ces présents attestent qu’elle était encore en vie. Mais, répondra-t-on, aprés avoir évoqué la mort de l’infant Jean de Castille, le seigneur d’Argenton n’ajoute-t-il pas: « Encores ne furent-ilz point quittes » 66 ? N’avons-nous pas 1a l’annonce du nouveau deuil qui frappa les souverains espagnols en la personne de leur fille? Nous ne le croyons pas. La douleur supplémentaire qu’ils éprouvérent

aprés la mort de leur fils vint de ce que le roi du Portugal, Emmanuel le Fortuné, avait épousé Isabelle et, par conséquent, devenait leur héritier par le décés de l’infant ; or, comme il nous sera expliqué plus tard, les Portugais étaient méprisés par les Espagnols §7, D’autre part, il semble qu’on ne puisse pas dissocier le chapitre 23 des premiéres pages du chapitre suivant. Ils forment un tout: aprés le récit des négociations franco-espagnoles, notre auteur est naturellement conduit a évoquer les malheurs qui s’abattirent sur les « rois catholiques ». Leur étroite liaison explique a nos yeux ce que B. de Mandrot appelle « une erreur inexplicable, surtout si on considére l’époque a laquelle il [ce livre] a été rédigé (oct. 98) » ®8. Calmette a, sur ce point, fort bien rétabli la vérité ®®. Si nous suivons notre mémorialiste, nous apprenons que Du Bouchage conclut « une treve a deux moys de desdit », qu’il revint en France, qu’il fit son rapport 4 Charles VIII et qu’il annonca que le prince héritier Don Juan était malade. Or, les tréves furent signées a Alcala le 24 novembre 1497, et l’infant mourut le 4 octobre précédent. Faut-il ici incriminer notre auteur? Il ne semble pas, car la difficulté disparait si l’on sait que Du Bouchage fit deux voyages en Espagne au cours de l’année 1497. Posons une bréve chronologie : — le 29 mai, arrive 4 Medina del Campo une ambassade francaise, composée de Du Bouchage, de Clérieux, de Grammont, de Jean Guérin et d’Etienne Petit; — le 7 juin, ils repartent afin d’aller soumettre a Charles VIII le résultat de leurs négociations. Du Bouchage répand la nouvelle de la maladie de Don Juan; —

le 4 octobre, ce dernier meurt;



en novembre,

Du Bouchage

et ses collégues retournent en Espa-

gne pour y signer le traité, qui est daté du 24 de ce mois. 65 [bid. 66 Ibid., p. 296. 87 [bid., p, 298.

68 Ed. des Mémoires, t. Il, p. 371, n. 2.

69 Contribution a la critique des Mémoires de Commynes, Les ambassades

frangaises en Espagne

et la mort

de Don

Moyen Age, t. XVII, 1904, pp. 201-207.

Juan de Castille en 1497, dans

le

16

CHRONOLOGIE DES MEMOIRES

Dans ses Mémoires, Commynes ne parle que des événements situés entre le 29 mai et le 4 octobre. Ayant mentionné le trépas du jeune prince, il se lance dans une digression sur un sujet qui lui est cher, c’est-a-dire sur les tribulations des grands, et il oublie d’évoquer la conclusion des négociations, les tréves d’Alcala qui furent signées le 24 novembre. Seule l’intéresse alors |’énumération des infortunes espagnoles: la mort de I’héritier, le départ de leur fille qui avait épousé « puys poy de jours» le nouveau roi du Portugal. Cette troisiéme tranche comprend donc le chapitre 23 et le début du chapitre 24. I] convient d’y ajouter des retouches relatives a l’infant de Castille, en particulier au chapitre 4 du livre VII. Commynes consacre, d’abord, un développement au traité de Senlis, et aux clauses qui étaient avantageuses pour le souverain francais: .. et le roy retenoit les chasteaux et y pouvoit mettre garnisons jusques au bout de quatre ans, qui fineront a la Sainct Jehan, l’an

MCCCIIII=*X VIII. 7°

Ce futur fineront indique que le passage a été rédigé avant la date donnée, sans doute en 1495-1496, comme nous |’avons montré. Mais, ensuite, nous avons une digression sur les deuils de cour qui s’étend sur prés de deux pages et qui parait avoir été écrite plus tard7™. En particulier, nous y lisons que le jeune prince espagnol « mourut au premier an qu’il fut marié, qui fut l’an MCCCCIIII=*XVII ». Quand

notre

historien

reprit

ses

Mémoires

en

octobre

1498,

Isa-

belle d’Espagne était morte depuis plus d’un mois. Il mentionne ce décés, aprés avoir apporté des compléments utiles sur les malheurs des « rois catholiques » 72, Mais il ne limite plus ses réflexions au seul cas des souverains espagnols, car, auparavant, avait trépassé Charles VIII. Commynes nous indique avec précision A quel moment il a composé cette derniére partie:

... ceste dame [i.e. Isabelle]... est morte en faisant son enffent et croy qu’il

n’y a pas ung moys, et nous sommes

en octobre, l’an MCCCCIIII=*XVIIL...

Il rédigea alors la fin du chapitre 24 qui clot ses réflexions sur les affaires espagnoles, les chapitres 25 (consacré aux derniers mois de la bréve existence de Charles VIII), 26 (relatif a la vie et au sup-

plice de Savonarole) et 27 (sur l’avénement de Louis XII). Ces pages

constituent une sorte de conclusion, et nous renseignent sur le sort fut réservé 4 deux acteurs de |’aventure italienne, au fils de Louis qui, malgré lui, en fut le protagoniste, et au moine florentin dont prédictions étayérent la thése de notre mémorialiste sur Yorigine succés francais. Dans le méme temps, Commynes retoucha ¢a et 70 Ed. de CALMETTE, t. III, p. 26. 71 De la page 26 (« Si lesdits mariages... ») a la de l’éd. CALMETTE. . d Ge

72 Ibid., t. Ill, pp. 297-298.

8 (fi beet

qui XI les des 1a,

i ie ace

CHRONOLOGIE

DES MEMOIRES

17

Pceuvre déja composée, pour y apporter quelques compléments au sujet du nouveau roi. Ainsi, au chapitre 5 du livre VII, précisa-t-il : « Le duc Loys d’Orleans, de present regnant. » En résumé, il est donc permis de soutenir que, mises a part les additions que nous avons signalées, les deux derniers livres des Mémoires ont été écrits aux dates suivantes: 1° 2° 3° 4°

Le Les Le La

livre VII: de décembre 1495 au printemps de 1496; chapitres 1-22 du livre VIII : dans les derniers mois de 1497 ; chapitre 23 et le début du suivant: au printemps de 1498; majeure partie du chapitre 24 et les chapitres 25-27: a la

fin de 1498 78, Un dernier mot pour finir. Faut-il penser avec E. Dupont™ que certaines parties des Mémoires datent de 1501 ? En faveur de cette hypothése, on ne peut avancer qu’un seul argument: au chapitre 15 du livre VII, il est dit que les troupes francaises passérent trois fois par San Germano (en janvier et en mai 1495, puis en 1501). Nous n’avons pas d’autre allusion a un fait postérieur a 1498. Dans ces conditions, n’est-il pas préférable de soutenir qu’un scribe a corrigé le texte original 7 ?

73 Ces remarques nous permettent de contester la valeur des dates adoptées

par R. Lévy dans sa Chronique approximative..., ol, a la page 42, il avance 1491 pour la composition des Mémoires de Louis XI, et 1498 pour celles de

Charles VIII. (Cf. J. FRAPPIER, c.r., dans Romance Philology, vol. XIl, n° 3,

févr. 1959, pp. 324-6.) 74 Edition des Mémoires, t. I, p. CXXXIII. 7 Pour étre complet, il convient que nous mentionnions un document intéressant que M. Jean RYCHNER a eu la grande obligeance de nous signaler, et qui nous apprend qu’en 1488, Martial d’Auvergne loua aux enfants de choeur de la Sainte-Chapelle, puis 4 Commynes une maison dans I’enceinte du Palais. Il semble donc que, dans les mois qui précédérent l’arrét du 24 mars 1489, le chroniqueur logea non plus dans une chambre forte de la tour carrée, mais

de liberté provisoire. dans une demeure plus agréable, bénéficiant d’une sorte

Il se peut qu’il ait alors entrepris la rédaction de ses Mémoires (Sur ce point, voir les Arréts d’amour de Martial d’Auvergne, publiés par a RYCHNER dans

la collection de la Société des Anciens pp. LIX-LX.)

Textes Francais,

Paris, Picard, 1951,

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CHAPITRE

LE PATRONAGE

I. —

II

D’ANGELO

ANGELO

CATO

CATO

Le premier personnage qui apparaisse dans les Mémoires de Commynes est l’archevéque de Vienne, Angelo Cato, ou Catone,1 un Napolitain qui, vers 1476, entra au service de Louis XI dont il fut le médecin et l’astrologue. Né vers 1430, il était sans doute mort au début de 1496, puisque l’on se préoccupait, en mars 1496, d’élire son successeur a larchevéché de Vienne qu’il avait lui-méme obtenu en juillet 1482. Philosophe, il écrivit, 4 ce qu’il semble, entre 1487 et 1493, un traité sur les ceuvres morales d’Aristote. Grace au pénétrant article de B. Croce ?, nous connaissons mieux Cato, mais il convient d’avouer que sa biographie demeure imprécise ou incertaine sur bien des points 8. D’entrée de jeu, un probléme nous arréte. Peut-on sans plus se rallier au jugement de J. Calmette qui note dans la préface de son édition des Mémoires : .. Les Mémoires

de Commynes

étaient destinés,

dans l’esprit de leur

auteur, 4 servir de matériaux a l’archevéque de Vienne, Angelo Cato, pour une histoire de Louis XI qu’il se proposait d’écrire en latin 4.

1 Voir ’éd. des Mémoires de Commynes, par B. de MANDROT, Paris, Picard,

2 vol., 1901-1903, t. I, p. LXXXIV. 2. 2 Il personagio italiano che esorto il Commynes a scrivere i Memoires dans Critica, t. XXXI, 3° série, 7, 1933, pp. 53-64 ; repris dans

Vite di avventure di

fede e di passione, Bari, 1935, pp 161 ss. 3 Autres sources : Sommaire de la vie messire Angelo Cattho, Archevesque de Vienne : qui se peut ajouster aux Croniques messire Philippe de Commines.

Denis Sauvage de Fontenailles en Brie, qui fut historiographe d’Henri II, a placé ce texte, au début de son édition (1552), aprés un avertissement aux lec-

teurs et un résumé des Mémoires. Quant a !’art. de M. LANNOIs et de J. AUDRY, Angelo Cato, archevéque de Vienne, astrologue et médecin dans Lyon médical,

1935, n°* 24 et 25, 16 et 23 juin, il se borne a résumer I’étude de B. CROCE, n’ajoutant rien de nouveau,sinon des erreurs : pourquoi attribuer a Commynes le récit ot Cato annonca a Louis XI, pendant une messe, la mort de son rival bourguignon au moment méme oi elle se produisait ? C’est révéler que les

auteurs n’ont pas lu les Mémoires.

Enfin, un article d’Edmondo

lettera poco nota di Angelo Catone sulla congiura storica italiana, t. LVIII, 1941, pp. 235-255. 4 Tome I, p. XII.

dei baroni,

CIONE, Una

dans

Rivista

ANGELO

20

CATO

En fait, deux passages du Prologue retiennent notre attention. D’aprés le premier, l’archevéque a demandé 4 Commynes de mettre par écrit et de rassembler en un mémoire ses souvenirs sur Louis X15. Un peu plus loin, le mémorialiste précise qu’il envoie 4 Cato ce qui lui est promptement revenu a Vesprit, et il ajoute: esperant que vous le demandez pour le mectre en quelque ceuvre que vous

avez intention de faire en langue latine dont vous estes bien usité... 6 Nous remarquons d’abord que Commynes emploie le verbe esperant: il ne semble donc pas avoir de certitude sur ce point, il souhaite seulement, encore qu’avec fermeté, que Cato utilise les souvenirs qu’il lui envoie dans une ceuvre plus ambitieuse, écrite en latin. Manifestation de modestie: les Mémoires ne sont, au départ, que des matériaux, sans prétention littéraire ni historique, que l’archevéque de Vienne élaborera a son gré. Ensuite, l’expression en quelque cuvre, s’appliquet-elle nécessairement a une histoire de Louis XI? Il peut s’agir tout autant d’une histoire plus générale qui engloberait le régne de Louis XI, sans compter que l’indéfini quelque suggére que Commynes ne connait pas de facgon précise les intentions de Cato. De surcroit, linterprétation de ce Prologue? a donné lieu a des explications divergentes qu’il est peut-étre possible de concilier. Selon Sainte-Beuve 8, le mémorialiste « a l’air d’espérer que cet ami, ancien aumOnier de Louis XI et, de plus, savant médecin et astrologue, ne les ® lui a demandés que pour les mettre en latin et en composer quelque ceuvre considérable. Cet espoir de Commynes que son livre pourra étre mis en langue latine ressemble presque a une plaisanterie, et peut passer pour une simple politesse ». E. Faguet ne partage pas cet avis. Pour lui, Commynes « avait vu quelques grandes choses ; il n’avait plus qu’a les écrire. Il les écrivit en francais, priant « monsieur l’archevéque de Vienne >... de les traduire en latin. Ceci, quoi qu’en ait pensé SainttBeuve, sans aucune malice, et simplement dans le regret de ne pas savoir le latin ; car en ce temps-la, et méme plus tard, on écrivait Vhistoire pour toute l'Europe, et l’on ne s’imaginait guére qu’on pit lécrire

5 Ibid., t. I, p. 1 : « Mons* l’arcevesque de Vienne, pour satisfaire a la requeste qu’il vous a pleu me faire de vous escrire et mettre par memoire ce

que j’ay sceu et congneu des faictz du roy Loys unziesme... » S, IDG okelguDurces

7 A en juger d’aprés le Prologue et la maniére dont Commynes s’adresse & Cato, il ne semble pas qu’ils aient été trés liés. Le chroniqueur donne |’impression de se sentir en état d’infériorité en face de l’archevéque dont il devait admirer la trés grande culture et les dons. A plusieurs reprises, il nous parait solliciter son approbation ou s’excuser auprés de lui, Pour une étude plus. détaillée de ce Prologue, voir notre Destruction des mythes dans les Mémoires de Commynes, Genéve, Droz, 1966, pp. 14-27. 8 Dans1850). 7 janvier les Causeries du lundi, 3° éd., Paris, J 1857, , t.t. I, p.; 243 (article i du 9 Ses souvenirs.

ANGELO

CATO

21

autrement qu’en langue européenne» 1°, La vérité pourrait bien étre a mi-chemin entre ces deux positions extrémes, Le chroniqueur commenca de rassembler et de rédiger ses souvenirs 4 la demande d’Angelo Cato qu’il flatte 4 l’occasion et dont il respecte les amitiés. Mais, au fur et 4 mesure qu’il avancait, ou peut-étre méme dés le début, que son ceuvre ne ffit destinée qu’a procurer des documents a l’archevéque de Vienne ou qu’elle acquit trés vite son autonomie, Commynes eut conscience de la possibilité qui lui était offerte de s’exalter, voire de se venger, ou, a tout le moins, d’orienter ou de déformer quelque peu I’histoire, au point qu’il poursuivit ses Mémoires méme aprés la mort de Cato et que de temps a autre il s’adresse directement aux princes. II semble aussi qu’il ait pris goiit a |’ « écriture ». Quoi qu’il en soit, Commynes a placé ses Mémoires sous le patronage d’Angelo Cato, comme il le répéte au début du livre VI 11. Aussi est-il normal qu’il glisse ca et 1a quelques compliments au sujet de Varchevéque, encore qu’il soit discret et mesuré. I! présente avec habileté Jes principaux aspects de Cato, qui connait bien le latin12 et n’ignore rien des événements passés et contemporains, en sorte que le mémorialiste peut se dispenser de préciser les dates des faits, de s’astreindre a un ordre chronologique rigoureux, de rechercher des exemples dans Vhistoire ancienne, comme le fait Thomas Basin, car, Cato étant fort cultivé, ce «seroit parler latin devant les Cordeliers » 18, Il est au courant des habitudes du roi Louis XI qu’il a fréquenté et dont il sait

qu’il « aymoit a parler en l’oreille », 4 converser souvent en téte-a-téte et librement

avec ses favoris 14.

Mais, a cOté de l’humaniste — Commynes ne dit rien de son ceuvre philosophique — et du familier de Louis XI, on ne saurait négliger Vastrologue qui devine l’avenir: Cato a appris, par l’observation des astres, que la couronne de Naples reviendrait au prince de Tarente et

10 Seiziéme siécle. Etudes littéraires, Paris, Boivin, s.d., p. 3. Il est a remarquer, pour étre complet, que l’ceuvre de Commynes mort, en 1524.

ne fut publiée qu’aprés sa

11 Ed, CALMETTE, t. II, p. 238 : «Il est donc temps que je revienne a ma principalle matiere et a continuer le propoz de ces Memoires vostre requeste, mons" l’arcevesque de Vyenne. »

encommencez

a

12 [bid., t. I, p. 2. 13 Ibid. t. I, p. 190 : «Je ne vous garde point lordre d’escrire qui sont les hystoires ny nomme les annees ny proprement le temps que les choses sont advenues ny ne vous allegue riens des hystoires passees pour exemples, car vous en scavez assez... mais seulement vous dis grossement ce que j’ay veu et sceu ou ouy dire aux princes que je vous nomme. Vous estes du temps que toutes ces choses sont advenues ; par quoy n’est ja besoing de si tres justement

vous dire les heures ne les saisons. » 14 [bid., t. Il, p. 40 : « Et, avant que se seoir a table, m’en dist quelques

parolles ; car, comme vous scavez, mons’ de Vienne, nostre roy parloit fort priveement et souvent a ceulx qui estoient plus prochains de luy, comme j’estoye lors et d’autres depuis, et aymoit a parler en loreille. »

ANGELO

22

CATO

il Va certifié plusieurs fois au seigneur d’Argenton1®, Prédisant les défaites de Granson et de Morat, si l’on en croit certains, il invita Frédéric a quitter le camp du Téméraire ; plusieurs, dont ce futur roi et le comte Giulio-Antonio Acquiviva, ont affirmé devant Louis XI et le mémorialiste que, dans des lettres adressées a des Italiens, Cato avait, plusieurs jours a l’avance, raconté ce qui se passa effectivement lors de ces deux batailles 1°. C’est aussi un médecin fort expert qui, en 1476, soigna le duc de Bourgogne que la neurasthénie minait, et qui ordonna de lui raser la barbe: il a pu noter les symptdmes et suivre l’évolution du mal dont fut affligé le vainqueur de Morat1’. Trois ans plus tard, il était au chevet de Louis XI, dont il était le médecin, lors de sa premiére attaque d’apoplexie ; et les remédes qu’il prescrivit améliorérent immédiatement état du malade qui retrouva l’usage partiel de ses facultés 18, Le seigneur d’Argenton se sentait sans doute, par certains cdtés, assez proche de Il’Italien et a l’aise avec lui. Tous deux étaient, a la cour de Louis XI, des étrangers qui avaient abandonné le méme maitre, lun quittant le Téméraire une nuit d’aofit 1472, l’autre éloignant Frédéric de Tarente la veille de Morat et ne tardant pas a le suivre dans sa fuite ; de surcroit Cato ne fut pas un rival pour Commynes, comme le fut, par exemple, Philippe de Crévecceur, il ne le supplanta pas dans la faveur de Louis XI, il ne s’installa 4 aucun moment au premier plan. Tous deux semblent avoir souffert de leur défection : nous avons essayé de le montrer pour le sire d’Argenton dans notre Destruction des mythes dans les Mémoires de Commynes1®; tandis que l’auteur de l’Abrégé de la vie d’A. Cato se préoccupe d’expliquer qu’on ne saurait reprocher a l’archevéque d’avoir abandonné le Téméraire : Et, apres ladicte bataille de Morat, congnoissant l’obstination dudict Duc, (peut estre) les malheures qui estoyent a advenir a luy A sa maison, prit congé de luy honnestement, comme il pouvoit bien faire, sans pour ce estre reproché ou calomnié, car il estoit estranger non sugect dudict

15 Jbid., t. Ill, p. 35 : «... ung frere appellé don

Federic,

depuys

roy

aprés ledit Ferrande devant nommé (...) ; duquel vous, mons” de Vienne, m’avez maintes fois asseuré qu’il seroit roy, parlant par astrologie. » , 16 [bid., t. Il, p. 118 : « Aussi disent aucuns qu’il usa de vostre conseil mons * de Vienne. Car je luy ouy dire et tesmongner, quant il fut arrivé devers le roy, et au duc d’Astoly, appellé le conte Julio, et plusieurs autres que, de la premiere et seconde bataille vous en avez escript en Ytalie et dit ce qui en advint plusieurs jours avant qu’elles fussent. » 17 Ibid., p. 129 : « Et de ce propoz, vous, mons" de Vienne, en scavez plus que moy comme celluy qui l’aydastes a penser en ceste malladie et luy feistes

faire la barbe que il laissoit croistre. Et a mon

advis, oncques,

puis ladicte

malladie, ne fut si saige que auparavant, mais beaucoup diminué de son sens. > 18 [bid., p. 281 : « Sur ’heure y arrivastes vous, mons’ de Vienne qui pour lors estiez son medecin. A la mesme heure luy fust baillé ung clistere et feistes ouvrir les fenestres et bailler l’air ; et incontinent quelque peu de parolle luy siete et a oo dor monta a cheval et retourna aux Forges... » 008 Seats p. et s. Voir aussi notre Vie de Ph. dee Commynes, Co i Paris, SEDES,

ANGELO

CATO

23

Duc, Et fut tost retiré par ledict Roy Louis, onziéme : duquel il estoit devenu nouvellement sugect, au moyen que le Roy René, Duc d’Anjou : Roy de Naples

de Secile, avoit

institué

ledict

Roy

Louis, onziéme,

son

neveu, son heritier esdicts Royaumes tous ses biens. C’est pourquoi nous ne pouvons accepter le raisonnement de J. Calmette qui soutient?° que, l’évéque ayant été un témoin oculaire de la maladie de Charles, Commynes était contraint de respecter la vérité. Sans doute celui-ci n’a-t-il ni calomnié, ni inventé; mais n’a-t-il pas grossi et déformé les faits ? En effet, l’un et l’autre avaient intérét 4 exagérer le déséquilibre du duc, dans sa derniére année, afin d’y trouver une justification 21, Enfin, d’un point de vue intellectuel, notre historien devait apprécier A. Cato dont la devise était bien faite pour lui plaire : Ingenium superat vires. 11 admirait sans doute son habileté et son intelligence. Cato jouait au prophéte inspiré et avait réussi 4 convaincre les grands de sa puissance surnaturelle. Surtout, a partir de certaines données, il était capable de prévoir l’évolution d’une situation. Ainsi s’explique-t-on, pour une part 22, le choix opéré par le mémorialiste parmi les prédictions que VAbrégé de la vie de Cato attribue a l’archevéque. Il rapporte celles qui concernaient les défaites de Granson et de Morat, car il était possible d’annoncer un échec quand on connaissait le caractére emporté du duc, la piétre qualité de ses mercenaires, la valeur de ses adversaires. Il omet la plus étonnante, et un commentateur de |’Abrégé indique sa surprise dans la marge du texte : Cato apprit au roi la mort du Téméraire au moment méme ou celui-ci tombait sous les coups des Suisses et des Lorrains : Et, estant au service dudict Roy Louis (qui le fit tost Archevesque

Vienne) survint la tierce bataille, donnee a Nancy

de

: en laquelle fut tué

ledict duc, la vigile des Roys, lan mil quatre cens soixante et seize : et a l’heure que se donnoit ladicte bataille, et a l’instant mesme que ledict Duc fut tué, ledict Roy Louis ouoyt la messe en l’Eglise Monsieur S. Martin a Tours, distant dudict lieu de Nancy de dix grandes journees pour le moins : et a ladicte messe le servoit d’Aumosnier ledict Archevesque de Vienne : lequel, en baillant la paix audict Seigneur, luy dit ces paroles : Sire, Dieu vous donne la paix et le repos. Vous les avez si vous voulez,

quia consummatum

est. Vostre ennemy le Duc de Bourgogne est mort et

vient d’estre tué, et son armee déconfite. Laquelle heure, quotee, fut trouvee estre celle en laquelle véritablement avoit esté tué ledict Duc.

20 Dans son éd. cit. des Mémoires, t. Il, p. 129, n. 3. Voir aussi P, CHAMPION,

Louis et ses physiciens, Paris, 1935, p. 14 : « Ph. de Commynes était un obser-

vateur précis et son esprit se placait volontiers sur le plan du moraliste humain. Il n’a aucun intérét 4 nous tromper; et de plus il parle a Angelo Cato qui était précisément un médecin ayant donné ses soins au roi dans les dernicres

années de sa vie. » 21 Voir notre Destruction des mythes..., p. 123. 22 Quant

a la prédiction

de Cato

qui assura

here’

4 Frédéric

" de Tarente

qu il

ceindrait la couronne et le dit 4 Commynes XX ans avant que le cas advint,

le mémorialiste la relate avant qu’elle ne se réalise, puisqu’il s’adresse a Cato, qui était mort en mars 1496, et que Frédéric ne devint roi que le 7 octobre 1496.

24

ANGELO CATO

.

En effet, s’il était raisonnable et facile de pronostiquer la défaite, il ne l’était pas de certifier la mort. En effet, demeuraient de multiples éventualités entre lesquelles les seules ressources humaines ne permettaient pas de choisir: le duc pouvait s’enfuir, comme a Granson et a Morat, ou étre griévement blessé, ou étre capturé par ses ennemis, ou enfin, incapable de supporter l’idée d’un nouveau revers, se jeter dans la mélée pour y trouver la mort 28, Commynes a aussi éliminé les prédictions relatives a Bri¢onnet. L’une, certes, ne manifestait pas un talent exceptionnel, puisqu’elle annoncait 4 Briconnet qu’il risquait de se noyer s’il s’obstinait a vouloir traverser la Loire en crue. L’autre est plus extraordinaire: Cato aurait prédit 4 son ami, du vivant de sa femme, et alors que celle-ci était en bonne santé, qu’il deviendrait un grand personnage de |’Eglise et serait bien prés d’étre pape. Prédiction semblable a celle que fit Cato a propos de Frédéric de Tarente. Commynes I’a-t-il passée sous silence, parce qu’il n’aimait guére Briconnet, qui se méfiait de lui et connaissait sans doute quelques-uns de ses secrets les plus douloureux,24,? La plupart du temps, si Commynes s’adresse 4 Angelo Cato, c’est qu’il désire corroborer son propre point de vue. Signale-t-il qu’il n’a rassemblé ses souvenirs qu’a la demande de l’archevéque de Vienne? C’est un moyen de suggérer qu’il n’a pas consciemment déformé le réel et que, si erreurs il y a, elles sont involontaires, puisqu’il n’a pas écrit de lui-méme ses Mémoires. Quand il s’excuse de ne pas respecter scrupuleusement la chronologie et explique qu’il est inutile de le faire s’adressant a un contemporain aussi cultivé (t. I, p. 190), il tente, en usant de la diversion, de détourner notre attention du mois d’aofit 1471 au cours duquel il promit sans doute au roi de France de le rejoindre 25, Cato peut-il certifier, comme le mémorialiste, que Louis XI avait ’habitude de parler en Voreille (t. Il, p. 40)? C’est confirmer l’importance de Commynes en 1475 et le rdle qu’il joua dans les tractations francoanglaises et sur lequel nous n’avons que le témoignage du seigneur d’Argenton. Indiquer que l’archevéque a prédit les défaites de Granson 23 Lire les lignes excellentes de J. LINIGER, Le Monde et Dieu selon Philippe

de Commynes, Neuchatel, 1943, p. 57 « L’astrologie reléve du méme groupe de sciences que la politique... L’astrologue se double toujours d’un psychologue de méme que le politique. Le sire d’Argenton se plait a reconnaitre la science de son ami a propos des batailles de Granson et de Morat... Peut-étre quil avait suffi a l’astrologue italien de voir par exemple le désordre du camp de LauSanne pour prévoir le pire... La mission de Commynes comme celle de Cato aupres des princes qu’ils servaient était d’étendre fe plus possible le pouvoir de la raison en lui découvrant plus nettement le domaine du futur. Tous deux reservaient la part de l’imprévisible, mais leurs calculs relevaient de la raison

s'appuyant sur les lois plus ou moins empiriques de lPastrologie, logie et de la politique. » 24 Voir notre chapitre sur Commynes et ses ennemis.

:

de la psycho-

_ 25 Comme nous avons essayé de le démontrer dans notre chapitre Art et déformation historique dans les Mémoires de Ph. de Commynes.

ANGELO

CATO

25

et de Morat, qu’il a soigné le duc pendant sa neurasthénie, qu’il I’a aidé

de ses conseils (II, 117), qu’il lui a fait faire la barbe (II, 129), c’est

mettre l’accent sur l’incapacité, l’entétement, l’aveuglement et la démence de Charles de Bourgogne, et justifier le passage au roi. Lors de la premiére attaque d’apoplexie que subit Louis XI, ses familiers l’empéchérent de s’approcher de la fenétre, alors que, dés son arrivée, A. Cato ordonna d’ouvrir les fenestres et bailler Pair (t. Il, p. 281): n’est-ce pas une maniére de suggérer que le roi eut tort de changer son entourage immédiat et, en particulier, de ne plus avoir en Commynes la méme confiance qu’en 1472-1477 26?

Reste un dernier probléme : napolitain, pour quel camp opta Angelo Cato dans la lutte qui opposa les Angevins aux Aragonais ? Deux théses opposées s’affrontent. Celle de B. Croce, qui soutient que |’archevéque demeura fidéle toute sa vie aux Aragonais; celle de la plupart des commentateurs, 4 commencer par |’auteur de l’Abrégé et par Sleidan, pour qui Cato ne cessa d’étre dévoué aux Angevins, lorsqu’ils furent chassés du royaume de Naples en 1442: .. Et estoit natif de Tarente au Royaume de Naples, et avoit suyvy la part de la maison d’Anjou

: mesmes les Ducs Jehan et Nicolas de Calabre,

enfans et héritiers de ladicte maison : qui avoyent grand droit audict Royaume, et desquels mention est aussi faicte en plusieurs endroicts desdicts Mémoires...

Et, pour ce que lesdicts

Ducs Jehan et Nicolas

preten-

dirent subsecutivement au mariage de la fille unique du Duc Charles de Bourgogne (qui estoit lors le plus grand mariage de la Chestienté) ils teindrent ledict messire Angelo Cattho pres de la personne dudict Duc,

pour conduire, de leur part, ledict mariage... 27 Il est certain que Cato resta au service des Aragonais au moins jusqu’en 1476. En 1474, il était encore professeur de philosophie naturelle et d’astronomie a la faculté de Naples ; il dédia au roi Ferrand une réédition des Pandectae Medicinae de Matteo Silvatico ; en 1476, il accompagna Frédéric d’Aragon au camp du Téméraire. Au moment de la bataille de Morat, il le suivit en France, of il se fixa, aprés le départ du prince italien, vivant désormais 4 la Cour en qualité de médecin du roi et récompensé par l’archevéché de Vienne. Sans doute eut-il alors l'occasion de se rapprocher de la faction angevine.

I]. —

FREDERIC DE TARENTE

L’on comprend ainsi que Frédéric d’Aragon, prince de Tarente, apparaisse dans la premiére partie des Mémoires auréolé de grandeur et victime, 4 son tour, de la duplicité du Téméraire. Suivi d’une escorte

26 Voir notre Vie de Commynes,

pp 93 et s.

27 Commynes ne dit rien de cette action de Cato, bien qu’il parle des efforts de Nicolas de Calabre pour obtenir la main de Marie de Bourgogne. 3

26

FREDERIC

DE TARENTE

nombreuse et comptueuse, il était venu a la cour de Bourgogne, en 1474, dans l’espoir d’obtenir la main de Marie, la fille et unique héritiére du duc. Il avait une majesté toute royale par la prestance de sa personne comme par le luxe de ses habits et l’éclat de son escorte; et l’on pouvait conclure que son pére n’avait pas regardé a la dépense. Mais son héte, persistant dans sa dissimulation, avait masqué ses intentions réelles : dans le méme temps, il entretenait avec la méme chaleur les illusions de la duchesse de Savoie et de bien d’autres 28. Ces faits habilement présentés sous un éclairage flatteur pour le

prince (et son conseiller) et défavorable au Téméraire, Commynes s’efforce veille alors cette

de justifier et d’expliquer le départ précipité de Frédéric a la de la bataille de Morat, de lui 6ter tout caractére déshonorant, qu’a l’ordinaire, il adopte la démarche inverse. Voici le détail de démonstration :

1° trompé messes ragon,

Le prince est resté environ une année auprés de Charles qui l’a et mécontenté par ses manceuvres dilatoires et ses vaines pro: Par quoy ledict prince de Tarente, appellé domp Federic d’Armal content des delaiz...

2° Conseillé par son entourage (la responsabilité de Cato n’est donc pas seule engagée), il a demandé un sauf-conduit pour retourner en Italie: ...et aussi ceulx de son conseil envoyerent devers le roy ung officier darmes bien entendu, qui vint supplier au roy donner ung saufconduyt audict prince pour passer par le royaume et retourner vers le roy, son pere... 29,

3° Il a sollicité ce laissez-passer bien avant la bataille de Morat. C’est pendant qu’il attendait le retour de son émissaire que les troupes de la ligue antibourguignonne se rassemblérent : Toutesfois, avant que le messaiger fust de retour, estoient ja assemblees toutes les ligues d’Allemaigne et logees auprés dudict duc de Bourgongne. Ce n’est donc pas volontairement qu’il est parti la veille de la bataille.

4° Ce faisant, il a obéi a son pére qui lui avait ordonné de revenir aupres de lui. Cette précision nous est donnée deux fois en moins d’une demi-page 3,

5° Il a suivi les judicieux conseils d’A. Cato: Aussi disent aucuns quil usa de vostre conseil, mons. de Vienne. ks Ed. CALMETTE, t. II, p. 117 : «De ceste grande assemble e et nouvelle qu’il avoit faicte, j’en parle par le rapport de mons* le prince de Tarante, qui le compta au roy en ma presence. Ledict prince, environ ung an avant, estoit venu devers ledict duc tres bien accompaigné, esperant d’avoir sa fille et seulle heritiere, et sembloit bien filz de roy, tant de sa personne que de son accoustrement et de sa compaignye ; et le roy de Naples, son pere, monstroit bien n’y avoir riens espergné. >» ; 29 Ibid. p. 118.

30 Ibid., p. 118 : ... son pere, lequel 'avoit mandé... bei. dement du’roy son pere... q . en obeissant au comman

FREDERIC

DE TARENTE

27

6° Commynes remarque aussi que Frédéric s’était vaillamment comporté 4 Granson: ...car, a la premiere bataille, s’estoit trouvé comme

homme

de bien #1,

Ainsi ne saurait-on découvrir dans cet épisode une manifestation de lacheté de la part du prince, bien que les apparences lui soient défavorables, puisqu’il print congié dudict duc le soir devant la bataille. Les dépéches des ambassadeurs milanais nous permettent de compléter ce tableau volontairement simplifié. On a toujours intérét a recourir au témoignage de ces observateurs attentifs, sagaces et objectifs. Qu’apprend-on ? Le 24 avril 147682: aprés Granson (cette défaite lui a ouvert les yeux) le prince de Tarente, insatisfait et désireux de s’en retourner dans sa patrie, est fort dépité de n’avoir recu aucune réponse de son pére qu’il a pourtant sollicité par plusieurs courriers. Il a donc pris l’initiative, contrairement a ce que Commynes répéte. Les Milanais sont des témoins oculaires. Le 13 mai 1476 33: Frédéric recoit du Téméraire un commandement supérieur. Il l’en remercie, accepte cette charge, promet de s’en acquitter avec fidélité. Il n’a pas a se plaindre de son hdte envers qui il s’engage de facon formelle. Le 1er juin 147634: le duc de Milan conseille 4 Charles de Bourgogne de retenir I’Italien auprés de sa personne pour l’empécher de prendre un autre chemin. Certains actes l’ont rendu suspect. Le 8 juin 14765: des Napolitains sont venus a Gex pour transporter les effets de leur maitre en Bourgogne. Il s’appréte donc a partir, il n’a plus confiance dans les qualités et les possibilités du Bourguignon. Le 13 juin 147626: la duchesse de Savoie se moque de telles précautions qu’elle attribue 4 la peur. C’est le signe que des rumeurs infamantes circulent sur le compte de Frédéric. Le 10 juin 1476 87: selon Panigarola, le prince partira bient6t, envoyé en France par son pére (Commynes n’a donc rien inventé, mais seulement utilisé et déformé des faits), pour une fille bossue de Louis XI — c’est la future femme de Louis d’Orléans.

31 32 Hardi 1858, 33 34 35 36 37

[bid. Dépéches des ambassadeurs milanais sur les campagnes de Charles le de 1474 a@ 1477, éd. Frédéric de GINGINS-LA-SARRAZ, 2 vol., Genéve-Paris, t. II, p. 92. [bid., p. 151. [bid., p. 215. [bid., p. 229. Jbid., p. 251. [bid., p. 279.

28

FREDERIC DE TARENTE

Le 22 juin 1476 %8: Frédéric a pris congé la veille, pour regagner Naples. Le duc Charles, la cour et l’armée sont étonnés que 1’Aragonais ait adopté une semblable attitude, sans qu’un seul mot de sa part ait pu laisser prévoir ses intentions, et qu’immédiatement aprés avoir obtenu son congé, il soit monté a cheval et se soit éloigné avec sa suite. Selon Olivier de la Marche que fréquentent les ambassadeurs, c’est le résultat d’une entente secréte entre Louis XI et le roi Ferrand de Naples. Les Mémoires passent donc sous silence la dissimulation du prince qui n’a plus rien a envier a celle du Téméraire — mais Commynes repartirait que ce n’est qu’un juste retour des choses —, la préméditation, puis la précipitation de ce départ qui ressemble fort a une fuite. Il a tant bien que mal sauvegardé les apparences, alléguant la duplicité de Charles le Téméraire, et Calmette, suivant les Mémoires, abonde dans ce sens ®9, On s’explique facilement la présentation commynienne de cet épisode si lon sait non seulement que Frédéric était un ami d’A. Cato, mais encore que le prince avait promis a notre chroniqueur une rente de quatre mille livres dans le royaume de Naples, s’il lui arrivait de ceindre la couronne : .. et me promist des lors quatre mil livres de rente audit royaulme, si ainsi luy advenoit : et a esté XX ans avant que le cas advint 40, ans les deux derniers livres des Mémoires, écrits au lendemain de l’expédition de Naples et, pour une bonne part, aprés la montée de Frédéric sur le trone ‘1, le mémorialiste lui est moins favorable, sans toutefois l’attaquer violemment ni le confondre avec les autres membres de sa famille, les deux Ferrand et Alphonse Ie 42. Certes, Commynes nous dit que Frédéric est bien saige #8. Mais le capitaine ne brille pas: il est battu a Rapallo en septembre 149444, Et l’auteur ne se fait plus d’illusions sur sa loyauté. Ne se serait-il pas parjuré aussitét qu’il aurait pu le faire sans danger et avec profit45 ? Sa bonne foi est bien douteuse, lorsqu’il applique les clauses du traité d’Atella 46,

38 Ibid., p. 291. Voir dans la Chronique de Lorraine, p. 291 : «Le prince de

Tarente que du dangier estoit eschappé, luy et sa bande, droict a Lyon tira, en Pairmey du duc plus ne retorna. » . 39 Ed. des Mémoires, t. Il, p. 118, n. 2.

40 Ibid., t. Ill, p. 34.

41 Entre

les derniers

chapitre, p. 12.

jours de 1495 et la fin de 1498 ; cf. notre

premier

42 Voir notre Destruction des mythes..., pp. 494-497.

43 Ed. citée, t. III, p. 34.

mies Ibid., pp. 38-39. Mais ce récit, organisé autour de la galéasse de Commynes

n’accable pas le prince.

,

45 Ibid., p. 99 : « Aussi ilz [Frédéric et son neveu Ferrand II] n’eussent tint nul appoinctement que on leur eust sceu faire, demourans dedans le royaulme pis gees a veoir leur adventaige. » 2 td., pp. 270-271 : « Et s’excusoient ledit roy don Ferrand et aussi le ro don eee qu’il fut roy (de retenir dans une atroce captivité les sBidale de Charles VIII), sur ce que mons' de Montpensier ne faisoit point rendre

LA MAISON D’ANJOU

29

Sans doute, trompé lui-méme, le seigneur d’Argenton n’espérait-il plus obtenir quoi que ce fiit, tout comme entre les Congés et le Jeu de la Feuillée, Adam de La Halle s’était rendu compte de la duplicité de Jakemon Pouchin et de l’inanité de ses promesses 4%. De plus, sans compter qu’A. Cato était mort sans doute dés le début de 1496, Commynes ne désirait sans doute pas que 1’on tirat argument de ses Mémoires pour le soupconner de manceuvres obscures avec les Aragonais au cours de l’expédition francaise en Italie ; aussi ne les a-t-il pas ménagés, comme il n’a pas ménagé Ludovic le More 48, Le patronage de Cato explique aussi que Commynes ait plutét flatté le portrait des Angevins, et en particulier de Charles I, comte du Maine, et de Jean de Calabre, alors que le premier fut sans doute parjure et trompeur, et que le second ne cessa d’accumuler les échecs: a !’ordinaire, le mémorialiste n’est pas tendre pour de tels princes.

II]. —

LA MAISON D’ANJOU

En effet, lorsque l’on parcourt les Mémoires de Commynes, l’on ne laisse d’étre surpris par plusieurs faits: parmi les Angevins, les uns sont présentés sous un jour critique (Marguerite d’Anjou, fille du roi René)! ou peu favorable (René de Lorraine, petit-fils du roi René), les autres bénéficient d’un traitement de faveur qui se manifeste de diverses maniéres et qui les distingue des autres princes, criblés a l’ordinaire de remarques acerbes 2. De surcroit, aucune mention n’est faite du complot qui fut tramé contre la personne du roi par les membres de cette famille et le duc de Bretagne et que Francesco Sforza évoque dans une lettre qu’il adressa 4 son ambassadeur Albéric Maletta le 28 mars 14653. Il est vrai qu’alors la situation est difficile 4 saisir: si l’un des meilleurs soutiens de la Ligue du Bien Public est Jean de Calabre4, en revanche le roi René et le comte du Maine sont les porte-parole de Louis XI lesdites places qu’il avoit promis en faisant ledit traicté. Et Gaiete et aultres n’estoient point en sa main ; et combien qu’il fust lieutenant du roy, si n’estoient point tenuz ceulx qui tenoient les places pour le roy de les rendre pour son commendement, combien que le roy n’y eust gueres perdu...» Cette phrase, embrouillée, coupée de combien que..., traduit bien la complexité du réel que

l’auteur s’efforce de restituer avec ses éléments contradictoires. 47 Voir notre étude sur « Adam de la Halle et le Jeu de la Feuillée », Romania, 1965, t. LXXXVI, n° 2, p, 230-235. 48 Voir notre Destruction des mythes..., pp. 172-174.

1 Pour Marguerite d’Anjou, se reporter 4 notre Destruction des mythes, pp. 384-385.



2 Voir la-dessus notre Destruction des mythes dans les Mémoires de Commynes, Genéve, Droz, 1966, passim. 3 Voir GHINZONI, Spedizione Sforzesca in Francia, dans Archivio storico lombardo, vol. 7, Milan, 1890. 4 H. STEIN, Charles de France, frére de Louis XI, Paris, Picard, 1919, p. 68.

CHARLES

30

[®, COMTE

MAINE

DU

lors des pourparlers tant 4 la Roche-au-Duc non loin d’Angers® le 22 mars qu’en mai a Saint-Florent-le-Vieil. Plus tard, René d’Anjou et Charles du Maine ne feront aucune opposition 4 l’armée des ligueurs °. Peut-é@tre l’habileté supérieure des Angevins fut-elle d’avoir un représentant dans chaque camp. Un dernier point incite a la réflexion: Commynes n’épargne pas certains personnages dont se servit Louis XI dans sa lutte contre la maison d’Anjou. Ainsi G. de Cerisay dont il dénonce la cupidité™ et qui, lorsque furent saisis les duchés de Bar et d’Anjou, fut commis au commandement de la place d’Angers 8. Mais il faut préciser que le méme Cerisay joua un réle lors du mariage de Commynes, comme nous I|’avons montré dans sa biographie ®. I.

Un portrait favorable, mais contraire a la vérité historique : Charles Ie, comte du Maine. C’est Charles

Ier, comte du Maine, fils de Louis II d’Anjou et frére

du roi René (1414-1473), qui de cette famille, dans les Mémoires

de

Commynes, apparait le premier. Pendant le Bien Public, il était a la téte d’un corps de 1l’armée royale. I] fut soupconné de trahison, d’abord, lorsqu’il se retira devant les Bretons, ensuite, sur le champ de bataille de Montlhéry. Or le seigneur d’Argenton entreprend de disculper le comte, alors que, sans réticence et probablement 4 tort, il accuse allégrement Pierre de Brézé, le parangon de la loyauté chevaleresque 1°. Si Charles du Maine a reculé constamment devant les Ligueurs, c’est, nous précise Commynes, qu’il ne se sentait pas assez fort pour les arréter et se mesurer avec eux. Suit une énumération de tous les ennemis de qualité qui s’avangaient sous les banniéres des ducs de Bretagne et de Berry : Entre

les autres

y estoit le comte

de Dunoys,

fort estimé

en

toutes

choses, le mareschal de Lohehac, le conte de Dampmartin, le seigneur de Bueil et maints autres, et estoient partyz de l’ordonnance du roy et bien cinq cens hommes d’armes qui tous s’estoient retyréz vers le duc de Bretaigne, dont tous estoient subjectz et néz de son pays qui estoyent la

fleur de ceste armée 1a 11. 5 Id., ibid., p. 66. 6 Id., ibid., p. 92.

7 Ed. CALMETTE, t. II, p. 189.

8 A. LECOY DE LA MARCHE, Le roi René. Sa vie, son administration,

travaux artistiques et littéraires, 2 vol., Paris, 1875, t. I, p. 394.

Pp.

darter mane 90-97,

La vie de Philippe de Commynes,

_0 Voir notre Destruction des Villon a adopté la méme attitude mandie qu’il nous représente en chevaucher des chiméres (voir nos

1969,

mythes..., pp. 49-50. Il est curieux de voir que critique 4 l’égard du grand sénéchal de Nortrain de «ferrer des oies», c’est-d-dire de Recherches sur le Testament de Villon, 2° éd.

2 vol., Paris, SEDES, 1971-1973, t. Il, pp. 511-526). 11 T. 1, pp. 19-20.

Paris, SEDES,

ses 1

;

:

CHARLES

I*, COMTE

DU

MAINE

31

Charles Ier s’est-il entendu avec les rebelles, comme d’aucuns le soutiennent ? Le mémorialiste affirme qu’il n’en a pas eu la moindre preuve ; bien plus, il se prononce nettement et conclut a l’invraisemblance d’une telle hypothése : Comme combattre,

j’ay dit, le conte du Maine ne se sentant assez fort pour les deslogeoit tousjours devant eux en s'aprochant du roy. Et

cerchoyent de se joindre aux Bourguignons, ledit conte du Maine

Aucuns

ont voulu dire que

avoit intelligence avecques eulx, mais je ne le sceus

oncques ne je ne le croy pas 12, Il reconnait que Charles I* s’est enfui en plein combat — c’était un fait évident que !’on ne pouvait dissimuler —, avec plusieurs autres et au moins huit cents hommes d’armes (il n’était donc pas seul), mais Commynes refuse d’aggraver la lacheté par une trahison: Aucuns ont voulu dire que ledict conte du Maine avoit intelligence avecques lesdicts Bourguygnons, mais a la verité je croy qu’il n’en fut oncques riens 13,

La derniére formule indique que, pour Commynes, le comte du Maine n’a trahi 4 aucun moment. Mais pourquoi revenir a deux reprises sur ces bruits infamants? En outre, ces huit cents hommes d’armes qui fuient comme lui a Montlhéry ne seraient-ils pas ceux-la méme qu’il commandait contre les Bretons 14? Il aurait donc donné l’exemple, et ce plaidoyer ne serait pas exempt de certaines arriére-pensées, malgré d’énergiques affirmations, ces éléments contradictoires traduisant l’embarras de l’auteur. Plus loin, Commynes, discrétement, apporte un nouvel argument en faveur de l’accusé. Dans les négociations, c’est cet Angevin qui représente le roi 15. N’est-ce pas, de la part du souverain, une belle preuve de confiance ? Ou bien n’aurait-il pas encore surpris le double jeu du comte 1%? A propos de ce personnage, Commynes se sépare de tous les historiens et témoins qui ont relaté cette guerre féodale.

D’abord, dans la premiére phase du conflit. Ecoutons le chroniqueur breton, Alain Bouchart: les princes révoltés ne furent « aucunnement empeschez par le roy de Cecille ne autres gens de guerre estans pour le roy d’Angers, dont depuis le roy (Louis XI) eut mauvaise ymagination » 17.

12 T, 13 T, 14 T. ou huyct ISPS

I, p. 20. I, p. 32. I, p. 19 : «Or faut il entendre que Mons du Maine estoit avec sept cens hommes d’armes au devant du duc de Berry et de Bretaigne... » |, PGS:

16 Manque

de lucidité dont le souverain

donna

plusieurs preuves

ralliement de Commynes. 17 Les Grandes Cronicques de Bretaigne, f° 213 r°, c. 2.

avant

le

CHARLES

;

32

I*, COMTE

DU

MAINE

Ensuite et surtout, pour le choc de Montlhéry. En effet, si, comme notre auteur, les mémorialistes signalent la fuite honteuse du comte 18, la plupart l’expliquent par une trahison. Ouvertement, comme Olivier de La Marche !®: le prince est l’un des conjurés; ou Adrien de But: le comte avertit Saint-Pol de l’imminence du combat 2° ; Claude de Seyssel rapporte la rumeur publique: «... qui ne fust pas sans soup¢on d’avoir intelligence avec les ennemis du Roy » 74. Ou indirectement, tel Jean de Haynin: Charles abandonna le roi juste avant le heurt, sous le fallacieux prétexte de ne pas vouloir participer a une lutte fratricide 22 ; selon B. Chiozzi, il s’avanca contre les Bourguignons, mais fit demi-tour avant méme de les aborder 28 ; il s’enfuit, dit Thomas Basin, sans avoir vu les ennemis 24, ou, d’aprés Jean de Roye, sans avoir donné un seul coup 25, Ou en conservant Vambiguité du réel. Ainsi Yambassadeur milanais Panigarola, une fois de plus trés proche de Commynes dans sa maniére de voir le monde, nous présente-t-il trois hypothéses: ... Li avantguardia de sua Mta, che era li principali,

o con animo

deli-

berato, o per paura, o fusse che fu levato voce ch’el Re era morte de

una bombarda, senza essere camati, assay vilmente se ne fugeno a Orliens et altroe senza may guardase indreto ; quali sonno di piu cari et piu exaltati per el passato da essa Mta, zoé : Carlo d’Angio, l’amiraglio de

Franza... 26 18 J, Du CLERCQ, éd. BUCHON, Paris, 1838 (Panthéon littéraire), p. 269 ; O. de

La MARCHE, éd. BEAUNE-D’ARBAUMONT, 4 vol., Paris, 1883 (Société d’Histoire de France), t. Ill, p. 14; J. de ROYE, éd. cit., t. 1, p. 67 ; Th. BASIN, éd. QUICHERAT,

4 vol., Paris, 1855-1859 (Société d’Histoire de France), t. Il, p. 119.

19 Ed, cit., t. Ill, p. 8 : « Et au regard du comte de Charolais, il advertit le

duc son pére de l’aliance qu’il avoit faicte avec monseigneur de Berry, ... ensemble

le conte du Maine. » 20 Chroniques relatives a Uhistoire de la Belgique sous la domination des ducs de Bourgogne, éd. KERVYN DE LETTENHOVE, Bruxelles, t. I, 1870, p. 464 : «.. inter nobiles regis erat Karolus Andogavensis, comes Cenomaniae, qui notificari fecit comiti Sancti Pauli, tenenti primam aciem domini Caladrensis, ut praevideret de conflictu, quum regis animus erat impugnare comitem Caladrensem. »

21 Les Louenges du roy Loys XII° de ce nom..., traduction francaise de lori-

ginal latin par l’auteur, Paris, 1508, p. 83.

22 Mémoires,

éd. D.D. BROUWERS,

2 vol., Liége, 1905-1906,

t. I, p. 63 :

«... lessa et abandona le roi son neveu, de quoi pluseurs hongnerte tres grandement sur li ; car il sambla a pluseurs quil deut avoir pris congié plus tempre sans estre venu si avant. » 23 Dépéches des ambassadeurs milanais en France sous Louis XI et Francois

Sforza, 6d. MANDROT-SAMARAN, t. III-IV, Paris, 1920-1923 (Société de Histoire de France), t. Ill, p. 259

monsignore d’Umena

: « Et rotto che furono

dicendoli

questi, sua Mta

andd

verso

: « Aviateve, carissimo mio barba, et fati che

io vi vida adoperare vostra virti.» El quale monsignore d’Humena se avid verso li inimici cum lanze VIlI¢, et come il fu por ferire contra di loro, traversd

le lanze, et andosene cum Dio lui, el signore de Montalban, et Gargasar, che in tuto li menorno via mille lanze. » _ 4 Ed, cit., t. Il, p. 119 : « Ex regis exercitu, ut ferebatur, comes Cenomanniae et dominus de Monte Albani cum sexcentis vel septingentis lanceis, hostibus nec visis, nisi forte de procul, fugam turpiter acceperunt. » 25 Ed. cit., t. 1, p. 67.

26 Dépéches des ambassadeurs milanais..., t. Ill, p. 238.

CHARLES

I®, COMTE

DU

MAINE

33

Aprés Michelet 27, les historiens modernes, que ce soit Mandrot28 Calmette 2°, ont conclu eux aussi a une trahison.

ou

En outre, le roi lui-méme I’a accusé en 1466, d’autant plus irrité qu'il l’avait favorisé aux dépens du batard d’Orléans qui, pour cette raison, devint « la véritable téte des coalisés de l’Ouest » 3°, ne lui pardonnant pas de l’avoir trahi et trompé. Selon les Objections a présenter au comte du Maine, sur le champ de bataille de Montlhéry, au moment du choc, il avait 4 ses cOtés un héraut de Saint-Pol qui combattait dans les rangs des rebelles, et ce héraut ne cessa de l’accompagner. Or il ne révéla au roi ni la présence de cet émissaire, ni la raison de sa venue 31, Devant Charles de Melun, Louis XI le qualifiait « d’homme d’estrange condition, et fort a entretenir » 22, Enfin, le chroniqueur de Paris, Maupoint, reproche au comte du Maine de continuer a pratiquer le double jeu pendant les négociations, soit qu’il fasse mention d’une pierre trouvée avec l’inscription suivante : « L’an 1465, au mois de septembre, fut cy tenu le lendit des traisons et fut par une treve que on print. Mauldit soit il qui en fut cause» * — et l’on sait que le comte représentait Louis XI — soit que Maupoint

affirme que Charles Ier « leur pourchassa

[aux princes]

a avoir lesd.

treuves lesquelles leur furent a grant secours » #4, Sans aucun doute Commynes a connu le comportement de cet Angevin ou par des informateurs bourguignons (pourquoi serait-il moins bien renseigné que La Marche?) ou par les Francais et le roi qui, nous dit-il, lui avait parlé plusieurs fois de ces événements. A-t-il appris a se méfier des accusations que lancait Louis XI? Mais cette méfiance ne joue que dans certains cas. II.

Un portrait favorable, mais ambigu: Jean de Calabre.

Jean de Calabre, le fils du roi René a qui son pére avait cédé la Lorraine en 1453, était un personnage chevaleresque et sympathique;

27 Histoire de France, t. VII, p. 296, n. 1 : « Commines

comte

du Maine

ni Charles

de Melun

aient trahi, mais

ne croit pas que le

Louis

XI le croit.

Commines, qui était alors un jeune homme de dix-huit ans, a pu ne pas bien ; connaitre les faits de ce temps. » 28 Dans ses éditions des Dépéches des ambassadeurs milanais, t. III, p. 239,

n. 2, et de la Chronique scandaleuse, t. Il, pp. 404-405.

29 Dans son éd. des Mémoires de Commynes, t. I, p. 20, n. 5.

30 Chronique scandaleuse, éd. cit., t. 1, p. 37, n. 4. 31 Voir A. DE REILHAC, Jean de Reilhac, Documents

hanks pour Uhistoire

de

Charles VII, Louis XI et Charles VIII (1455-1499), 3 vol., Paris, 1886-1889, t. II, pp. 218-220. On peut lire aussi a ce sujet les pages de LEGEAY, en général

trop favorable 4 Louis XI (Histoire de Louis XI, t. I, pp. 477-480). 32 Voir le procés de Charles de Melun (cité par MANDROT, éd. de la Chronique scandaleuse,

t. 1, p. 102).

m

ae

:

33 Ed. FAGNIEZ, dans les Mémoires de la Société de Vhistoire de Paris et de Ile-de-France, t. IV, Paris, 1877, p. 102. 34 Ibid., p. 91.

JEAN DE CALABRE

34

mais il avait échoué partout, pendant le Bien Public, en Catalogne, en Italie, en sorte que Calmette a pu écrire a son sujet: Jean de Calabre, prince d’un caractére ardent et sympathique, d’un courage de preux mais politique médiocre, débuta dans ses fonctions de lieutenant général en Catalogne par une lourde faute 35.

Et Du Cherrier partage cet avis quand il le suit en Italie: «Il s’y montra vaillant et loyal, vertus rares 4 cette époque, mais temporiseur et médiocre capitaine » 85, Chastellain, dans son puissant Temple de Boccace, \’a rangé parmi les personnages sur lesquels la mauvaise fortune s’acharna avec une particuli¢ére complaisance : Le duc de Calabre, lequel plus grevé de Fortune et moins retribué de vertu que nul vivant, se doit plaindre de toutes les deux et anientir soy mesme a payne de son haut valereux courage, celui qui par nul haut emprendre, ne par vaillamment diligenter, ne par porter constamment fortunes contraires, ne par travail, ne exploit, ne par nul devoir ne employ en quoi se soit mis jusques a ores, oncques n’a sceu tirer fruit encores de son contendre, ne parattaindre a l’efficace de son merir par longue diligence. Sy a habité les Italies par maints ans, gagné les nations et leur service, sen est mis en leur fiance en tout haut emprendre, traversant mers, visitant ports, villes et places oppugnant par vertu a dure perte de nobles hommes, mais tousdis, comme si vertu n’eust point de loy ne attente de aucune retribution, et comme si tousdis luttast contre vent et s’assaiast a transporter montagnes de lieu a autre, tousdis se trouve reculé en soy advancant... 37

Or Commynes

ne méprise-t-il

pas les gens qui échouent?

Cependant, 4 maintes reprises, il vante sa valeur militaire dont il présente plusieurs preuves. Jean de Calabre, fils unique de René, rejoint Yarmée des rebelles du Bien Public avec neuf cents hommes d’armes recrutés en Bourgogne et en Franche-Comté, avec, pour l’essentiel, des cavaliers et trés peu de fantassins. Sa troupe compense la médiocrité des effectifs par la qualité des soldats qui non seulement ont une allure martiale qui impressionne, mais encore sont réellement expérimentés et entrainés. Sur ce nombre, cent vingt, bien équipés, sont d’origine transalpine ou ont appris leur métier sur les champs de bataille italiens, lors de ses tentatives contre les Aragonais de Naples. Une vertu les met

85 Louis XI, Jean II et la révolution catalane, p. 277. Voir aussi le jugement

de Duclos dans son Histoire de Louis XI, t .l, pp. 427-428 : « Plus admirable dans ses disgraces que brillant dans ses succés, il n’éprouva jamais de revers qui n’ajoutat encore a sa gloire. Adoré de ses sujets, respecté de ses ennemis, sa réputation ne dépendoit plus de la victoire ; il fut souvent malheureux et ne cessa jamais d’étre grand. » 86 Histoire de Charles VIII, t. 1, p. 333.

37 CEuvres, 6d. KERVYN DE LETTENHOVE, 8 vol., Bruxelles, 1863-1866, t. VII, p . 408-410; MICHELET. Histoi Chronique, t. V, , Histoire de be: France, t. VII, p. 207, et t. VIII, p. 62. pp. 120-121 ; du méme,

JEAN DE CALABRE

35

hors de pair: l’adresse, si bien que, compte sont « presque la fleur de nostre ost » 38,

tenu de leur nombre,

ils

En lui-méme, plus qu’en n’importe qui, on reconnait d’emblée les traits distinctifs d’un véritable prince et d’un grand chef militaire 3. Par deux fois il est dit: « ...sembloit bien prince et chef de guerre » 4°, Toutes les fois qu’il y a alerte, il est le premier a étre armé et bien

armé («...et de toutes piéces »), au contraire du comte de Charolais qui, 4 Montlhéry, ne portait pourtant rapide. Il ne néglige harnaché, peut-étre d’avance se précipite aux portes du dérées 41,

pas de baviére. I! devance le Téméraire, rien, puisque son cheval est complétement («...et son cheval tousjours bardé >»). Il camp pour empécher des sorties inconsi-

Sa vaillance et son sang-froid font merveille. Au moment ot des tirs d’artillerie et le brouillard insinuent la peur au coeur des hommes de la ligue du Bien Public, il ranime les courages défaillants par l’exemple et la parole. Il se rendit « la ou estoit l’estendart du conte de Charroloys », avec sa banniére « preste a desployer » et son étendard, accompagné de la plupart de ses serviteurs les plus importants 42. Et le seigneur d’Argenton, recourant au style direct comme il a Vhabitude de le faire chaque fois qu’il entend insister sur un épisode ou une scéne ou une idée, souvent avec une intention critique, rapporte avec une complaisance certaine les propos de ce preux égaré au XV° siécle, dont la noblesse éclate au détriment du Téméraire: Et nous dist a tous ledit duc Jehan : « Or ca! nous sommes a ce que nous avons tous desiré ? Veez la le roy et tout ce peuple sailly de la ville. Et marchent comme dient noz chevaucheurs. Et pour ce que chascun ait bon cueur : tout ainsi qu’ilz saillent de Paris, nous aulnerons a l’aulne de

la ville, qui est la grand aulne! » Ainsi alla resconfortant la compaignie 4°.

38 T. I, pp. 47-48

: «... c’estoit le duc Jehan de Calabre, seul fils du roy

René de Cecille, et avec luy bien neuf cent hommes

d’armes de la duché et

conté de Bourgongne, bien accompaignié de gens de cheval, mais de gens de pied, pou. Pour ce petit de gens que avoit ledit duc, je ne vey jamais si belle

compaignie ne qui semblassent myeulx hommes exercités ou fait de la guerre.

Il povoit bien avoir quelques six vingtz hommes d’armes bardés, tous Italiens ou autres nourris en ses guerres d’Italie... et estoient ses hommes d’armes fort adroitz et, pour dire la verité, presque la fleur de nostre ost, au moins tant pour tant. » 39 T. I, pp. 48-49 : «... mondict seigneur de Calabre... lequel sembloit aussi bien prince et grant chef de guerre que nul autre que je veisse en la compaignie. »

40 T. I, pp. 71-72 : « Tost fut armé mons’ de Charoloys, mais encores plus

tost le duc Jehan de Calabre, car a tous alarmes c’estoit le premier homme arme, et de toutes piéces, et son cheval toujours bardé. Il portoit ung habillement que ces conducteurs portent en Italie... et tiroit tousjours droit aux arrieres de nostre ost pour garder les gens de saillir. »

41°T:..1, pialde 42 Ibid. 43 Ibid.

JEAN DE CALABRE

36

On comprend dés lors qu’il soit populaire et que tous les soldats lui obéissent de bon cceur, autant qu’au Téméraire, bien qu’il soit, matériellement parlant, un plus petit personnage: «...a la verité il estoit » 44. Nous remarquons dans la méme phrase le digne d’estre honoré retour de la comparaison avec Charles de Bourgogne et l’emploi de termes intensifs : tout lost, de bon cuer, a la verité... Le comte de Charolais l’estime plus que les autres princes: entre eux deux naquit une vive amitié 45, ils partagérent 4 Conflans la méme demeure tandis que les ducs de Bretagne et de Berry logérent a Saint-Maur-des-Fossés 46. Toutefois une seconde lecture plus attentive nous améne a découvrir deux faits qui ressortissent a l’art particulier du mémorialiste et remettent tout en question. D’abord, la répétition du verbe sembler qui, sans nier, invite 4 la méfiance et induit a vérifier le jugement émis. Nous avons vu que par deux fois il nous est dit que Jean de Calabre sembloit bien prince et chef de guerre; il n’est pas dit qu’il était bien prince et chef de guerre. Le choix du verbe révéle sinon des arriére-pensées, du moins une grande prudence. Ensuite, le contexte introduit une dissonance qui pourrait bien étre critique. En effet, Jean de Calabre prononce un fier discours devant ses troupes, mais celles-ci n’auront pas a combattre et, de plus, les ennemis qu’elles craignaient n’étaient qu’un champ de chardons qui, le brouillard et la peur aidant, furent pris pour des lances 47, Cette révélation suit immédiatement les nobles propos du duc. Ne sommes-nous pas proches du Franc Archer de Bagnolet? Méme ambigu, le portrait demeure favorable, d’autant plus qu’il ne comporte aucune allusion aux nombreux échecs : demeure l’image d’un prince supérieur aux autres et pour le moins égal au Téméraire. Le texte sugg¢ere méme, ici et 1a, qu’il ’emporte sur ce dernier. Commynes est aussi élogieux qu’Olivier de La Marche qui avait de multiples raisons d’admirer Jean de Calabre, a la fois parce qu’il fut jusqu’au bout un allié fidéle de Charles de Bourgogne et un défenseur de 1’éthique chevaleresque #8, Notre auteur revient encore sur ce personnage au cours du livre VII, rapportant les craintes de Ferrand Ie de Naples qui redoutait fort Charles VIII, puisqu’ « ung pouvre homme de la maison d’Anjou... luy avoit faict sousfrir beaucoup de peyne, qui fut le duc Jehan, filz du roy Regnier » 4°. Ses moyens matériels ne furent pas a la mesure de sa valeur.

44 T. I, p. 72. 45 T. I, p. 49. 46 T. I, p. 50. 47 T. I. pp. 73-74 : « Noz chevaucheurs avoient ung petit reprins de cueur, voyant que les autres chevaucheurs estoient foibles, et se rapprocherent de la

ville, et trouverent encores ces batailles au lieu ou ilz les avoient laissees

qui

leur donna nouveau pensement. Ilz s’en approcherent le plus qu’ilz peurent ; et le jour estoit ung peu haulsé et esclarcy. Ilz trouverent que c’estoient grans chardons, et furent jusques aupres des portes, et ne trouverent rien dehors... »

48: Ed. cit., t: Wl, -p.. 19. 49°T., III, p. 83.

RENE D’ANJOU III,

37

Deux portraits neutres : Nicolas de Calabre et René d’Anjou.

De Nicolas, fils du précédent, duc de Calabre et de Lorraine, il est peu question dans les Mémoires. Mais la maigre mention qui le concerne est significative par ce qu’elle dit autant que par ce quelle tait. Le Téméraire a dupé Nicolas, comme tant d’autres, en lui promettant sa fille en mariage ®°, en l’accueillant avec les honneurs les plus grands et les plus trompeurs ® : .. Le duc Nicolas de Calabre et de Lorraine, heritier de la maison d’Anjou, filz du duc Jehan de Calabre, vint la devers luy, touchant le mariaige de ceste fille (Marie de Bourgogne). Et le recueillit ledict duc tres

bien et luy donna bonne esperance de la conclusion. Bien que Commynes aime a renvoyer dos a dos les princes, le trompeur et le trompé, le bourreau et sa victime 52, il ne dit pas avec précision que, pour briguer la main de la riche héritiére, ce prince effacé rompit la promesse d’alliance qui le liait a la fille de Louis XI, Anne de France’, alors que Nicole Gilles, sur le ton modéré qui est le sien, le lui reproche, tout en rejetant la majeure partie de la responsabilité sur le duc de Bourgogne : En

celle

annee,

le duc

de

Bourgogne

feist

suborner

monseigneur

Nicolas, marquis du Pont... et tellement le feist persuader soubz umbre de grandes promesses qu’il luy faisoit, dont il n’avoit point vouloir de les tenir, que mondit seigneur le marquis, auquel le roy avoit fiancee madame Anne de France, son aisnee fille, s’en alla devers icelluy duc de Bourgogne, dont plusieurs s’esmerveillerent 54.

Peut-étre Commynes estimait-il plus utile de ne pas insister sur cet aspect de la question, puisque, de son cété, Louis XI «non seulement était devenu |’allié de Ferdinand ®® mais lui avait fait demander par Laurent de Médicis la main de sa fille pour le Dauphin, afin d’obtenir son appui contre la branche de sa famille qui régnait en Espagne. Il offrait, en

50 T. I, p. 221. GET Sty P., 200: 52 Ainsi dans l’affaire

Saint-Pol ; voir

notre

Destruction

des

mythes...,

pp. 446-449.

53 Voir MANDROT, éd. des Mémoires de Commynes, 2 vol., Paris, 1901-1903,

t. I, p. 188, n. 4; Ductos, op. cit., t. II, p. 395 : « D’ailleurs, le duc de Calabre

avoit été promis en deux temps différents 4 Anne de France, fille aince du roi. Le contrat avoit été signé, la dot avoit été payée deux fois, et l’on n’attendoit

que l’age de la princesse pour consommer le mariage. Malgré des engagemens si solennels, le duc de Calabre recherchoit V’héritiere de Bourgogne. »

54 N. GILLES, Les treselegantes et copieuses annales des trescrestiens et excellens moderateurs des belliqueuses Gaules... Depuis la triste desolation de la tresinclyte et fameuse cité de Troye... jusques au temps du roy Loys unziesme, Paris, Galliot du Pré, 1547, p. CIIl. 55 Le roi de Naples, ennemi de René d’Anjou.

38

RENE D’ANJOU

retour, de renoncer a soutenir le parti de la maison d’Anjou, qui l’avait trahi, qui le trahissait encore ; bien plus, il se disait prét a prendre contre elle la défense du prince aragonais. C’est au moment méme ou il reprochait si amérement au duc Nicolas d’abandonner son alliance pour celle d’un ennemi de la couronne, que Louis XI cherchait a s’unir par des liens de parenté aux usurpateurs de Naples : ainsi les deux princes étaient quittes » °°. Du plus célébre, le roi-poéte René d’Anjou, le seigneur d’Argenton parle plus longuement en deux endroits de son ceuvre 5’, sans rien dire d’ailleurs du poéte — comme il ne dit rien de la Renaissance italienne, ni de l’ceuvre philosophique d’A. Cato®’ — sans s’attarder sur ses déboires, alors que G. Chastellain leur consacre un long développement dans son Temple de Boccace®®. D’abord, Commynes indique que René voulait céder la Provence au duc de Bourgogne dont il était un partisan fidéle et dévoué, puisqu’il lui révélait toutes les propositions de Louis XI et s’en remettait a lui pour les choix a faire © ; que l’affaire était bien engagée, étant donné qu’Hugues de Chateauguyon, au nom du Téméraire, s’était rendu sur les lieux pour en prendre possession et y lever des soldats ®. 56 LECOY DE LA MARCHE, op. cit., p. 422. 57 T. II, pp. 103 et 111-113. Voir MICHELET, Histoire de France, t. VIII, pp. 331-334. 58 Voir plus haut. 59 Ed. cit., t. VII, pp. 119-120 : « Veux tu encores et de plus pres voir un autre exemple qui te devra ferir au coeur ? Prends recours doncques a ton pere le roy Regnier et droit la regarde et escrutine meditamment en sa vertu et en la maniere de soy comporter depuis quarante ans en ca, que lui chu par fortune de bataille en dure perte, en captivité mené sous forte main, pendant en dangier de rancon penible, en engagement de ses terres, en transport de ses villes et fermetés et depuis mis a delivre du corps et devenu roy de Naples, competité toutesvoies d’un roy d’Arragon, Alphonse, et impugné de forte main, devint en fin constraint d’abandonner sa royale cité, d’eslongier Naples, son royal vray heritage, delaissant couronne et sceptre et possession en la main de fortune, de revenir sur le sien en France atout nom de roy sans royaume. Mais que as tu percu en lui depuis d’un tel si grant malheur a tout lez, et en si haute noble personne, ne quelle mutation en as vu en sa chiere, par quoy sa vertu s’en trouve moins claire ? N’a il porté sa premiere perte patiemment et constamment, sa seconde repulsion soubmise au divin plaisir et autrui force qui prevaloit sur la sienne portee enduramment jusques aujourd’hui en immobilité d’esperance? Oyl voir, et en quoy il a gloire. » Voir aussi, du méme auteur, la Déprécation pour Pierre de Brézé (t. VII, p. 45) : «O excellent prince, roy de Cecille, roy qui as le coeur d’Alixandre et la dignité du nom de Cesar, qui plus es riche en haut vouloir que Fortune en pouvoir donner ! » ; Recollection des merveilles advenues en notre temps, t. VII, p. 200. 60 T. II, p. 107 : «... le roy René de Secille luy vouloit mectre son pays

de Provence entre les mains... l’autre estoit son oncle (de Louis XI), le roy

René de Secille : a grant peine escoutoit il ses messaigiers, mais envoyoit tout audict duc. » 61 T. II, pp. 111-112 : «Le roy René de Cecille traictoit de faire le duc de Bourgongne son heritier et de luy mectre Provence entre les mains, Et pour aller prendre la possession dudict pays estoit mons? de Chasteauguyon, qui est le present en Pymont et autres pour ledit duc de Bourgongne, pour faire gens ; et avoyent bien vingt mil escuz contant. »

RENE D’ANJOU

39

Mais sur ce point il convient de faire plusieurs remarques. En premier lieu, Basin semble d’un avis différent, pour qui trois hypothéses sont également plausibles : ou Louis XI a appris que René avait réellement l’intention de faire ce legs au duc, ou bien il le soupconna d’avoir formé un semblable projet, ou bien ce fut de sa part une pure invention, un simple prétexte 62. Ensuite, selon Lecoy de La Marche ®, « il ne pouvait s’agir toutefois d’une prise de possession immédiate, car René n’avait nulle envie de céder son comté avant sa mort, comme la suite le fera voir». Enfin, Commynes lui-méme se contredit peut-étre (et volontairement), si nous rapprochons ce passage des déclarations de Jean Cossé, le sénéchal de René d’Anjou ®, dont il rapporte les propos au style direct et qui présenta la défense de son maitre, dénoncant les injustices de Louis XI, révélant que René avait traité avec le duc Charles, a l’instigation de ses serviteurs, sans vouloir réellement léguer son héritage au Téméraire ®, mais uniquement pour obtenir réparation des torts subis : le roi, son propre neveu, ne |’a-t-il pas dépossédé des chateaux de Bar et d’Angers? Ne I’a-t-il pas défavorisé ? Ne lui a-t-il pas nui partout ou ses intéréts étaient en jeu ®@? Le mémorialiste, sortant de Sa réserve coutumiére, affirme que c’est l’exacte vérité 67, faisant l’éloge du serviteur plut6t que du maitre. Par le recours au style direct qui lui permet de rapporter des griefs contre Louis XI accusé de ne pas respecter les liens familiaux, Commynes a réussi a nous faire sentir Vambiguité et la complexité du réel, en exposant tour a tour les deux théses opposées. Quoi qu’il en soit, les deux rois se réconciliérent aux dépens du Téméraire, René pensionné, fété, festoyé « avecques les dames » ®8, Et il ne déplait pas 4 Commynes de suggérer l’efficacité de ses services © dans une affaire « encore plus compliquée et plus délicate a traiter qu’elle ne semble a premiére vue » 7, 62 Ed. cit., t. Il, p. 392 : «... cum intellexisset, vel suspicatus fuisset, seu etiam confinxisset regem Renatum Siciliae, avunculum suum, velle tradere duci comitatum suum Provinciae in quo tum degebat, retento sibi ejusdem, quoad viveret, usufructu... » 63 Op. cit., t. Il, p. 401. Seer tl! Dito,

65 Voir la-dessus LECOY DE LA MARCHE, op. cit., t. Il, pp. 406-407. 66 T. Il, p. 113 : «... et dist Jehan Cossé, seneschal de Provence. homme de

bien et de bonne maison, du royaume de Naples : « Sire, ne vous esmerveillez

pas si mon maistre, le roy vostre oncle, a offert au duc de Bourgongne le faire son heritier, car il s’en est trouvé conseillé par ses serviteurs, et par especial

par moy, veii que vous, qui estes filz de sa sceur et son propre nepveu, luy avez fait les tors si grans que de luy avoir prins les chasteaulx d’Angiers et de

Bar et si mal traicté en tous ses autres affaires. Nous avons bien voulu mectre en

avant ce marché avec ledict duc, affin que vos en oyssiez les nouvelles, pour vous donner envye de nous faire raison et congnoistre que le roy mon maistre est vostre oncle ; mais nous n’eusmes jamais envie de mener ce marché jusques

au bout. » 67 [bid., ledict Jehan 68 /bid. 69 T. II, 70 LECOY

: «Le roy recueillit tres bien et tres saigement ces parolles que Cossé dist tout au vray ; car luy conduysoit ceste matiere. » p. 112. DE LA MARCHE, op. cit., p. 407.

REGNAULT

.

40

DE VELORS

Aucune insistance dans les Mémoires ni sur la défection du roi René, imposée par le souverain frangais 7, atténuée dans la mesure ou rien de définitif n’avait été conclu, ne constituant pas une anomalie dans un monde ot les vaincus sont partout et toujours abandonnés par leurs alliés, déterminée par la propre conduite du Bourguignon; ni sur la médiocrité politique de cet amateur d’ébats champétres, proche d’un Edouard IV d’Angleterre qui, lui, n’est pas ménagé dans les Mémoires ™, IV.

Conclusions.

Pourquoi cette exception en faveur de princes ou parjures et trompeurs, ou incapables ou malchanceux ? Pourquoi, de surcroit, un portrait poussé au noir de leurs rivaux aragonais 73 qui leur avaient arraché le trone de Naples ? Sans doute parce que notre auteur a écrit son ceuvre pour A. Cato. Mais aussi, parce qu’exalter Jean de Calabre pendant le Bien Public, c’est diminuer le Téméraire : en un passage précis a tout le moins, Commynes esquisse un paralléle favorable au fils de René, sans compter qu’il a pu étre attiré par son contraire, comme, mutatis mutandis, Gide par le Pot-Bouille de Zola, et vouloir gagner la confiance des lecteurs en adoptant l’opinion commune sur un personnage secondaire. Parler des mésaventures de Nicolas ou du revirement de son grand-pére, c’est critiquer soit la déloyauté, soit l’obstination stupide et la médiocrité du méme Témeéraire. En étudiant de pres la biographie du chroniqueur, ajouter un mobile plus secret. Comme il n’est pas penser que le souvenir de sa trahison ne cessa de méme il est permis de supposer qu’il ne put oublier dans la condamnation de Regnault de Velors que Jean dans sa Chronique scandaleuse™ :

il est possible d’y déraisonnable de le poursuivre, de le rdle qu’il joua de Roye rapporte

Et le lundi XX* jour de novembre, oudit an LXXV, fut mené escarteler aux hales de Paris, par arrest de la court de Parlement, ung gentilhomme, natif de Poictou, nommé Regnault de Veloux, serviteur et fort familier de monseigneur du Maine, pour occasion de ce que ledit Regnault de Veloux avoit fait plusieurs voyages pardevers divers seigneurs de ce royaume et conseillé de faire plusieurs traictiez et porté plusieurs seellez contre et ou prejudice du roy, dudit royaume et de la chose publique.

Ce Regnault de Velors, qui était au service du comte du Maine, fut interrogé en présence de Commynes et d’Ymbert de Batarnay, et, malgré ses dénégations, il fut condamné A mort pour crime de lése-majesté. 71 T. iH, p. 112. 7 Voir notre Destruction des mythes..., pp. 506-510. 73 Voir notre Destruction

14

Ed, cit., t. 1, p. 348.

des mythes..., pp. 494-497,

REGNAULT

DE

VELORS

-

4l

Commynes qui ne fut qu’un exécutant docile de la volonté royale, a probablement reconnu l’injustice de cette sentence 75 et secrétement il en a gardé une rancceur vivace contre son maitre. Un autre fait tendrait a prouver qu’il en fut ainsi. Il est surprenant de constater que le seigneur d’Argenton, qui essaie pourtant de noircir le Téméraire 76, ne relate dans ses Mémoires aucune des tentatives, réelles ou imaginées, perpétrées a l’instigation de Charles de Bourgogne, contre la vie de Louis XI et de son fils, et dont nous connaissons l’existence grace a la Chronique scandaleuse. Par exemple, celles de Jean Bon‘™?, ou d’Ythier Marchant et de Jean Hardi78. Ne serait-ce pas parce que, dans le cas précis de Regnault de Velors, il s’était rendu compte que de telles accusations n’avaient souvent aucun fondement? Peut-étre espére-t-il, en se montrant favorable aux Angevins, suggérer qu’il est invraisemblable qu’il ait envoyé a la mort un de leurs familiers dont, d’autre part, il ne nous dit rien, tout comme Villon a éliminé du Testament toute allusion possible au meurtre de Philippe Sermoise 79. Pour étre complet, signalons la priére de Louis XI, René Ie « les droits de rachat de la terre son maitre lui avait donnée en

avec Lecoy de La Marche 8° que, sur avait concédé au célébre historiographe de Berry, dépendant de Loudun, que propriété», et que c’est 42 Commynes

que les émissaires du roi-poéte s’adressent a I’heure de la débacle bourguignonne. Ainsi apprend-il les étranges propositions de l’Aragonais de Naples qui offre a son vieux rival de laider contre les tentatives de Louis X18, Ainsi le sollicite-t-on — et, si l’on en juge par les habitudes du temps et les renseignements des ambassadeurs italiens, le paie-t-on — pour que soit restituée 4 René la pleine possession de ses droits en Anjou ®?.

75 Ibid., t. I, p. 349, n. 1. 76 Voir notre chap. consacré au Téméraire dans la Destruction des mythes..., pp. 79-148.

77 Ed, cit., t. Il, pp. 30-31. 78 Ibid., t. 1, pp. 303-306. 79 Voir «Villon et Robert d’Estouteville», dans Romania, 1964, t. 85, pp. 348 sqq. 80 Op. cit., t. 1, p. 394. ed 1 81 Jbid., p. 410. 82 Ibid., p. 414. Ajoutons qu’Adrien de But accuse Louis XI d’avoir haté la mort

de Jean de Calabre

par le poison, et que ce dernier

avait dicté un

mémoire contre les perfidies de Louis XI (voir KERVYN DE LETTENHOVE, éd. des Cuvres de G. Chastellain, t. VII, p. 120, n. 2). 4

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CHAPITRE

CONFIDENCES SUR QUATRE

III

ET SILENCES

SERVITEURS

DE LOUIS XI

UN AMI PRECIEUX, YMBERT DE BATARNAY, SEIGNEUR DU BOUCHAGE Le nom d’Ymbert de Batarnay revient fréquemment dans les Mémoires, et le plus souvent dans un contexte élogieux. On peut étre tenté, aprés d’autres critiques, d’attribuer a la seule amitié l’attitude du chroniqueur envers cet homme d’Etat habile et retors. Mais, a y regarder de plus prés, on est amené a faire de curieuses constatations. 1. Du Bouchage apparait, la plupart du temps, en compagnie de Commynes. C’est avec ce dernier qu’il recoit les envoyés du connétable de Saint-Pol1, assiste 4 la fameuse scéne du paravent? au cours de laquelle le sieur de Sainville, pour plaire 4 Louis XI, imite le duc de Bourgogne de facon grotesque, prépare l’entrevue franco-anglaise de 1475 et choisit le pont de Picquigny afin d’éliminer tout guet-apens 3, prend part aux tractations franco-bourguignonnes qui se terminent par les tréves de Souleuvre*, apporte, avant tous les autres, la nouvelle de la défaite de Morat 5, voue Louis XI a saint Claude aprés une attaque d’apoplexie .

Des deux autres mentions, l’une révéle un échec: Du Bouchage ne réussit pas a détacher Edouard

IV de I’alliance bretonne? ; l’autre, une

1 Ph. de Commynes, Mémoires, éd. Calmette et Durville, Paris, 1924-1925, 3 vol., t. Il, p. 49. Sadi.

t Us ps.50:

8 Ibid., 59. Voir notre Destruction Commynes, Genéve, 1966, pp. 193-199.

4 5 6 7

Ibid., Ibid., [bid., Ibid.,

80. 159. 285. 68.

des mythes

dans

les Mémoires

de

44

DU BOUCHAGE

participation active de Saint-Pol 8.

et directe

A l’élimination

du

physique

connétable

2. En outre, les Mémoires n’indiquent pas le réle joué par Du Bouchage dans des épisodes qui occupent pourtant une place importante dans l’ceuvre. Au moment de l’entrevue de Péronne, Dammartin et les capitaines francais l’envoient au roi captif pour lui demander des ordres ®. Le 19 aofit 1469, le duc de Guyenne préte serment sur « la vraye croix de Dieu nommee de Saint Lo lez Angiers» en présence de Dammartin, de Doriole, de Bourré et de Du Bouchage 1°. Ce dernier, apres la rencontre de Pont-de-Braud, reste quelque temps auprés du frére cadet de

Louis XI pour l’espionner et le conseiller (septembre-octobre

1469). II

est chargé, en 1471, de le détourner du mariage avec Marie de Bourgogne. Il aide, en compagnie de Tanneguy du Chastel et de Jean du Lude, a la réconciliation de Warwick et de Marguerite d’Anjou et, partant, a la reconquéte de !’Angleterre et a la victoire des Lancastre sur les York, Il rallie 4 la politique royale le breton Lescun dont Commynes fait grand cas12, et, le 26 octobre 1472, il recoit de Frang¢ois II de Bretagne le serment de garder la tréve conclue avec les Frangais }8. Il efit été encore possible de montrer qu’il fut homme de confiance de Louis XI qui menaca de l’envoyer stimuler le zéle de ses émissaires auprés de Saint-Pol: «...s’il le faut, écrivait le souverain en 1473, j’enverrai aprés eux Mons. du Bouchage pour les faire charrier droit » 14 ; qu’il fut au premier plan en 1477, achetant villes et consciences, intervenant dans la reddition d’Arras et de Hesdin, accompagnant le roi dans ses déplacements15, alors que Commynes fut éloigné de Jlintimité royale 16; qu’il devint gouverneur de Bourges au printemps de 1476 17 ; qu’il participa aux négociations qui aboutirent au traité d’Arras (23 décembre 1482) 18 ; qu’il fut recommandé au futur Charles VIII de facon particuliére 1® ; qu’il appuya efficacement les Beaujeu et le jeune prince pendant les troubles de la Régence. Notons, pour ne rien omettre d’essentiel au dossier, que le mémorialiste élimine aussi l’échec total de Batarnay auprés de Maximilien d’Autriche dans les premiers jours de l’expédition napolitaine, échec 8 Ibid., _ ® Voir seigneur du 10 Ibid., 11 Jbid.,

88. la bonne monographie de B. de MANDROT, Bouchage, Paris, 1886. p. 28. p. 35.

Ymbert

de Batarnay :

12 Voir notre ouvrage cité, pp. 42-46. 13 Voir ’ouvrage de B. de MANDROT, p. 47.

14 [bid., p. 48. 15 [bid., p. 74. 16 Voir notre Vie de Philippe de Commynes, Paris, 1969,

17 Voir l’ouvrage de MANDROT, p. 74. 18 Jbid., p. 111.

pp. 70 ss.

19 [bid., p. 114. Voir notre Vie de Philippe de Commynes,

pp. 119-120.

DU BOUCHAGE

45

que Maulde-la-Claviére juge ainsi dans son Histoire de Louis XII: « Que devint cette mission de Du Bouchage? On le devine. Les gens graves haussérent les épaules et s’étonnérent méme de voir un homme aussi peu novice que Du Bouchage l’accepter: « Ce fut la plus verte commission que je vey jamais prendre a jeune homme», écrivait plus tard

le sire de Graville

au

courtisan

trop dévoué.

Quant

a Maximilien,

il traita Du Bouchage avec le plus parfait dédain ; il refusa de le recevoir et lui envoya son congé. » Ce bilan dressé, on est en droit de se demander la raison, ici, des omissions, la, des révélations. Ymbert de Batarnay passait sans aucun doute pour un homme adroit dont la réussite politique ne subit pratiquement pas d’éclipse sous quatre princes différents, pendant soixante ans 71, et qui ne connut, au contraire de Commynes, ni la disgrace ni la dépossession. Son autorité fut grande et constante aussi bien du vivant de Louis XI dont il fut le véritable factotum qu’avec ses successeurs immédiats, les Beaujeu et Charles VIII 22. En un mot, il fut ’homme politique que Commynes aurait voulu étre. Celui-ci, déchu et suspect au moment de la composition des Mémoires, avait tout intérét 4 rechercher son appui et a cultiver son amitié. De plus, par les notations dont il parséme les Mémoires, il s’efforce de suggérer qu’il convient de lui faire une part dans les succes dont on flatte Du Bouchage et dans l’admiration dont on l’entoure. Dés lors, ne serait-il pas dangereux pour sa gloire de mentionner le réle de ce grand ministre ou bien quand il entend se réserver le bénéfice de l’affaire (entrevue de Péronne) 23, ou bien quand il n’intervient pas lui-

méme (ralliement de Lescun)? En outre, ils étaient liés par des traits de caractére et par des souvenirs

communs.

L’un

et l’autre

avaient

des relations

étroites

avec

les

20 3 vol., Paris, 1889-1891, t. III, p. 125. 21 MANDROT, op. cit., p. V : « Conseiller de quatre régnes successifs, pendant soixante années en contact intime et presque quotidien avec la royauté, le seigneur du Bouchage a joué son rdéle dans tant d’événements importants que personne mieux que lui n’efit été capable de les conter jusque dans leurs détails les plus secrets. » Voir encore p. 26.

22 Ibid., p. 83 : «Les

fonctions

Batarnay pendant cette période qu’en vérité le titre de factotum « Le triomphe des Beaujeu fut milieu de 1484 il reprit auprés

du efit le du

dont Louis XI avait investi Ymbert

de

régne se présentent si multiples et si variées seul convenu a |’actif chambellan » ; p. 117 : signal de sa rentrée aux affaires. Avant le jeune roi les postes de confiance qu’il avait

si longtemps tenus a la cour de Louis XI» ; p, 135 : « Madame de Beaujeu qui aimait a s’appuyer au Conseil sur l’expérience de vieux serviteurs de son pere,

tels que Louis de Graville, Jean Bourré ou Batarnay, avait appris a apprécier singuliérement les talents de ce dernier personnage>; p. 145 : « L’adroit Batarnay avait le talent de se faire l’ami de tous les personnages avancés dans

la faveur royale»;

p. 212

: «Il est l'un des serviteurs les plus écoutés de

Louis XII dont il est le porte-parole au Parlement, avec évéque d’Albi. » 23 Voir notre Destruction des mythes..., pp. 182-193.

Louis

II d’Amboise,

CHARLES

46

DE MELUN

Médicis 24, se distinguaient par leur Apreté au gain? et leur gofit de la terre, ce qui leur valut de longs débats avec les familles de leurs femmes 26, l'un et l’autre s’appropriérent sans scrupules les biens des seigneurs condamnés ou spoliés 27, participérent au dépecage de I’héritage du malheureux Nemours 28 et a la condamnation injuste de l’angevin Regnault de Velors 2°. Enfin, Commynes ne pouvait !ui reprocher de l’avoir supplanté aupres de Louis XI, sa faveur étant bien antérieure a celle du mémorialiste.

II. PLAIDOYER EN FAVEUR D’UNE VICTIME DE Louis XI, CHARLES DE MELUN On ne peut manquer d’étre troublé par le fait que le seigneur genton prend position, a plusieurs reprises et avec netteté, en de Charles de Melun, exécuté en 1468 pour crime de lése-majesté alors qu’il avait plus que quiconque bien servi le roi, « en fut, a mal récompensé ».

d’Arfaveur et qui, la fin,

En 1465, il défendit Paris contre les rebelles du Bien Public ®°. Commynes accumule les détails favorables 4 la cause de Ch. de Melun. Il obtint ensuite la charge de grand-maitre de l’hétel du roi: n’est-ce pas parce que Louis XI avait eu des preuves évidentes de sa loyauté, de sa compétence et de son activité? En cette année critique, il servit le souverain « aussi bien... que jamais subject servit roy de France a son besoing »: on ne saurait aller plus loin dans l’éloge. En fin de compte, il ne lui fut témoigné que de l’ingratitude plus par 1l’action de ses ennemis que par la propre initiative de son maitre, envers qui il n’a donc pas commis de fautes. Mais « les ungs ne les autres ne s’en scauroyent de tous poinctz excuser ». Autrement dit, méme si l!’on adopte la thése la plus favorable au roi et a ses séides, leur conduite ne peut se justifier totalement.

24 Voir l’ouvrage de B. de MANDROT, pp. 82, 189-190. 25 Témoin la lettre de Louis XI 4 Batarnay en date du 20-11-1480 : « Mettez la plus grant peine que vous pourrez a avoir des levrierres, et je vous Ha oe que vous aimez le mieulx, qui est argent.» Cf. MANDROT, op. cit., p. :

26 Voir, pour Commynes,

notre Vie, passim, et pour Batarnay le livre de

MANDROT, p. 10. 27 Ainsi, en 1469, Du Bouchage obtint une partie des dépouilles de Jean V a’Armagnac ; de méme en 1472; ou encore en 1474 les biens confisqués sur

Jehan de Penne (p. 54)... 28 Voir MANDROT,

op. cit., pp. 70-71.

29 Voir notre étude sur Commynes et la maison d’Anjou. oo Ed. ti, th P. los

CHARLES

DE MELUN

47

Trente cinq pages plus loin ®1, il est répété que, dans les murs de la capitale, se tint « monst de Nantouillet, grand maistre, qui bien y servit, comme j’ay dict ailleurs ». Un sort particulier lui est fait, puisqu’il est question, dans le méme passage, du maréchal Joachim Rouault et que le chroniqueur se contente de le citer, sans accompagner son nom d’aucun jugement laudatif. Ensuite, nous apprenons 32 qu’une nuit de septembre 1465, le roi trouva ouverte la porte de la fortification avancée de Saint-Antoine et qu’il soupconna Charles de Melun de vouloir introduire les ennemis dans Paris, étant donné que son pére Philippe était préposé a la garde de cette « bastille ». Sur ce point, Commynes refuse de s’attarder, soucieux de ne pas contredire Louis XI de qui il tient cette information. Mais il suggére de deux maniéres que l’accusation repose sur des bases trés fragiles. D’abord, il rappelle que le comportement ordinaire de Charles est en contradiction avec un acte de ce genre: au cours de cette année, il fut le « meilleur serviteur » de son maitre, c’est-a-dire le plus loyal et le plus actif, et il nous renvoie au jugement qu’il a porté précédemment. Ensuite, dans la ligne que nous lisons juste avant ce passage, il indique que le roi se méfiait de beaucoup de gens, ce « qui estoit sans cause ». Méme en admettant une trahison de Philippe de Melun, n’avonsnous pas de nombreux exemples ou la mére et le fils, ou les deux fréres combattent dans des camps opposés ? Enfin, lorsque le 9 septembre 1465 Louis XI rencontre Charles le Téméraire, il n’est accompagné que de quatre ou cinq personnes, et, parmi celles-ci, nous notons Antoine de Castelnau, seigneur du Lau, l’amiral de Montauban, et notre Charles de Melun 33, Une injustice a donc été commise. Le mémorialiste en rejette la responsabilité sur les ennemis du malheureux supplicié qu’il ne désigne pas nommément et qui, dit-il, ont rendu au roi de moins grands services que leur victime. N’est-ce pas é€voquer Dammartin que les Mémoires citent quelques pages plus loin ®4 parmi les serviteurs de Charles VII qui, disgraciés, luttérent contre Louis XI pendant le Bien Public et qui, pour se venger, travailla 4 la ruine et a l’élimination de Charles de Melun ? Une lecture attentive de la Chronique scandaleuse et de ses Inter-

polations

nous

infortuné Melun.

permet de réunir de précieux Jean de Roye, a maintes

renseignements

sur cet

reprises, le présente comme

: , ‘ 31 Ebid., t. I, p. 50. 82 Ibid. t. I, p. 71 :

96 Ibid., p. 38.

~

a

ey,

nes Rote

canis. ae

ie stats, malate

14 T. Ill, p. 199. 18 [bid., p. 201.

"

16 T. Ill, pp. 245-246

: «... le cardinal, qui avoit tout le credit avecques le

Virus 17 T. Ill, p. 254, 18 T. Ill, p. 44. 19 Mémoires de Commynes, éd. E. Dupont, t. III, pp. 7-10.

GUILLAUME

BRICONNET

63

de Beaune était le beau-pére de G. Briconnet, et la somme correspondait au premier versement de la pension allouée au

fuge.

Sans

aucun

doute,

les Briconnet

et Jean

de Beaune

saisie trans-

avaient

dai des ne On

connaitre le prix exact de la trahison, les premiers étant receveurs deniers royaux et le second grand argentier du souverain. Commynes devait-il pas détester les témoins d’un acte qu’il finit par regretter ? comprend aussi que l’évéque de Saint-Malo se soit méfié de lui. Ensuite, a propos du sel passant aux Ponts-de-Cé, dont le mémorialiste avait donné la ferme 4 J. Brizeau, a J. Briconnet le Jeune et a Raoullet Toustain: de nombreuses contestations opposérent l’une et Yautre partie 2°, Répétons, en passant, que Commynes qui se plait a flatter A. Cato en rapportant ses prédictions, ne nous livre aucune de celles, nombreuses, qui concernent Briconnet 22. Quelques menues qualités et des actions louables. Saint-Malo est riche et financier adroit 22. Il aime bien son maitre 23; mais le mémorialiste vient de l’accuser de tout ignorer de la politique et de parler sans réfléchir. Il défend les droits de Florence sur Pise 24, Paul Jove latteste 25: « Louys de Ligni... estoit fort courroucé contre le Cardinal Brissonnet pour ce que les Florentins, devant tous les autres grans Signeurs, l’avoient choisy, luy donnant de l’argent, afin qu’ils en usassent pour advocat de souveraine autorité». Commynes dut souffrir de voir son adversaire estimé et payé, a un plus haut prix que lui, par ses amis florentins. Et, plus nombreux, des défauts qui étouffent ces éléments favorables et disqualifient l’homme politique. Une origine médiocre. qui le voue au négoce, mais ne le destine pas a diriger les affaires de l’Etat 26. Ni expérience, ni compétence. Commynes |’attaque personnellement, ou bien l’englobe dans des critiques générales 27. En plusieurs circonstances, il efit mieux valu qu’il se tit, confronté avec les problémes politiques depuis peu de temps, et n’en saisissant pas la complexité 28, L’expression : « ne s’y congnoissoit » le vise 4 mainte et mainte reprises. Il ne connait rien a la guerre, ni ne manifeste la moindre lucidité. N’est-ce

pas lui qui, a la veille de Fornoue, estimait que le roi pourrait partir au petit matin, passer le long de l’armée ennemie, décharger sur elle quelques salves d’artillerie, puis continuer sa route, sans étre inquiéte,

20 Vie de Philippe de Commynes, 21 Voir le chap. Il

pp. 52 et 156-157.

22 T. Ill, p. 20. 23 T. III, 5 46. 24 T, III, . 147. 25 Matas sur les choses faictes et advenues de son temps en toutes les parties du monde, trad. par D. SAUVAGE, 2 vol., Paris, 1581, in-fol., 108. 26 T. Ill, p. 33. 27 [bid., p. 153. 28 Ibid., p. 46: « Toutesfois, il estoit myeulx seant qu’il s’en fust teu, mais jamais n ’avoit eu credit en choses d’ Etat, et ne s’y congnoissoit... >

GUILLAUME

c

64

BRICONNET

ni obligé de combattre 29? Le mémorialiste l’incrimine doublement. C’est la thése qu’a défendue, voire imaginée le cardinal (« Et croy bien que

ce avoit esté son adviz propre ») intervenant dans un domaine ou il n’a

aucune lumiére: ... « savoit pou a parler de tel cas et... ne s’y congnoissoit ». Il ajoute méme, mettant les points sur les i, qu’il aurait fallu que Charles VIII réunit autour de lui des conseillers politiques et militaires plus sages, et qu’il les consultat. Ni zéle. A Vinexpérience s’ajoute la paresse 99, Ni courage. Il n’ose pas risquer sa précieuse personne et rejoint bien vite le camp francais 31. En septembre 1495, il soutient le duc d’Orléans et pousse a une bataille a laquelle il ne prendra pas part, étant homme d’Eglise 32, Beaucoup de légéreté dans ses actions comme dans ses propos *8. Il inquiéte Ludovic le More et fait ainsi échouer un projet d’entrevue entre le Milanais et Charles VIII. En effet, Sforza tire prétexte de propos tenus soit par Ligny, soit par Briconnet, pour ne pas rencontrer le roi 24. Commynes, avisé et prudent tout a la fois, affirme que ces propos étaient insensés et se refuse a désigner l’un plutét que l’autre: ... «il est bien vray que plusieurs folles parolles avoient esté dictes (de qui que ce fust, je ne scay)». Quoi qu’il en soit, ils ont agi a l’encontre des intéréts et des désirs de leur maitre qui voulait conclure un pacte d’amitié avec le duc de Milan a qui, dans la meilleure hypothése, ils ont fourni une précieuse justification... En aoitit et septembre 1495, Briconnet s’efforce d’enfoncer le souverain dans la guerre. Il soutient le duc d’Orléans, prisonnier dans la place de Novare, oli ses troupes affamées sont incapables de prolonger la résistance. Il induit en erreur, volontairement ou non (de toutes facgons, coupable de tromperie ou d’aveuglement), l’envoyé du futur Louis XII, G. d’Amboise, qui encourage son maitre a ne pas quitter la ville, se fondant sur les affirmations du tout-puissant favori #5 qui ne peut ni ne doit ignorer pourtant que personne ne veut plus retourner au combat, ni le roi, ni ses hommes, Il s’obstine dans son parti pris, il désire la bataille et pré29 T. III, p. 173. _ 30 T. Ill, p. 256 : «... et ses serviteurs qui s’en mesloient estoient poy experimeniee et parasseux ; et croy que quelque ung avoit intelligence avecques

pape... »

31 T. Ill, p. 198. Voir la Destruction

courage.

des mythes,

ch. 3, 4° partie, § Son

82 'T. Ill, p. 231 : «Ceulx qui vouloient rompre la paix... monstroient ae la bataille ; mais ilz estoient gens d’eglise et ne s’y fussent point

OUuvEeZ... » 33 T. Ill, p. 46 : «... et si estoit homme legier e rolles... 84 T. III, 345. " ie TR

35 T. Ill, p. 220 : « Mais l’arcevesque de Rouen, qui avoit esté au commencement avecques luy audit lieu de Novarre et, pour faire service audit seigneur, estoit venu vers le roy et se trouvoit present aux affaires, luy mandoit tousjours ne partir point et qu'il seroit secouru ; et se fondoit que ainsi luy disoit le cardinal de Sainct Malo qui avoit tout le credit. Et bonne affection le faisoit parler, mais j’estoys asseuré du contraire... »

GUILLAUME

BRICONNET

65

tend qu’elle ne saurait étre que victorieuse pour les Francais 36, malgré la détresse des assiégés de Novare, malgré l’opposition des chefs militaires, de tous les plus importants, 4 commencer par le prince d’Orange et La Trémoille 87, malgré l’approche de V’hiver, l’insuffisance des effectifs, le danger que représenterait un appoint suisse trop considérable dont Charles VIII deviendrait l’otage 38. En décembre 1495, en dépit des démarches réitérées de Commynes, il repousse les offres vénitiennes, qui étaient sérieuses puisque présentées par écrit, et qui eussent permis d’éviter un échec total en Italie. Encore plus stupide que son maitre, qu’il oriente 4 son gré%9, il Venferme et le mure dans son entétement, au lieu de lui ouvrir les yeux #9. De bout en bout, il pratique une politique aberrante, qui n’a méme pas le mérite de la continuité, comme celle de Vesc, au moins a ses débuts, puisque, devant l’opposition générale des gens raisonnables, la détermination de l’ambitieux prélat faiblit, au point de s’aliéner la faveur de Charles VIII, pour peu de temps il est vrai, car il sait flatter, et le jeune prince manque de suite dans les idées 41. Les Mémoires signalent le fait par deux fois 42, louant méme le sénéchal pour mieux accabler Saint-Malo. Remarques a double tranchant qui détruisent l’un par l’autre les deux protagonistes du réve napolitain. Briconnet n’a pas la bétise épaisse et aveugle de son acolyte, mais il manque de fermeté, et, aprés quelques jours de clairvoyance, qui vient moins de lui-méme que de la pression d’autrui, il s’abandonne de nouveau et volontairement a la chimére, emporté par la cupidité et le désir de plaire 4 son maitre. Nous venons d’écrire le mot qui nous donne la clé de son comportement, clé qui est étrangement semblable dans tous les cas dont s’occupent les Mémoires. Pourquoi Briconnet choisit-il le parti de la guerre et de la conquéte ? Essentiellement, selon notre chroniqueur, par ambition et cupidité. Le voyage lui assura « de grans biens en !’Eglise comme cardinal, et beaucoup de beneffices » 4%. Il fut poussé par les promesses et les suggestions de Ludovic le More qui lui « faisoit conseiller se faire

36 37 38 39

T. III, p. 225. [bid., p. 221. [bid., p. 224. Ibid., p. 353.

40 Ibid.

: « Je comptay

; au roy et monstray

par escript l’offre que Venis-

siens luy faisoient, que avez entendu devant : dont il ne fit nulle extime et moins le cardinal de Sainct Malo, qui estoit celuy qui conduisoit tout. (...) Le roy l’eust bien voulu, mais il estoit craintif de desplaire a ceulx a qui donnoit le credit, et par especial a ceulx qui manyoient ses finances, comme

dinal, ses freres et ses parens... »

ae

;

ledit car-

41 T. Ill, p. 34 : « Toutesfois le sens faillit audit general, voyant que tout homme saige et raisonnable blasmoit l’alee du roy de par dela... et fit le roy mauvais visaige audit general trois ou quatre jours, puis il se revint en train... » 42 Voir aussi p. 2 : « Ung autre s’en estoit meslé jusques la, a qui le cueur

faillit, homme de finances, appellée le general Brissonnet... » 43 [bid.

66

F

GUILLAUME

BRICONNET

presbtre et qu’il le feroit cardinal » 44. Il obtint effectivement, en janvier 1495, le chapeau de cardinal 45, Il essaya de relancer la guerre en septembre 1495, reniant ses amis d’hier (mais ne sont-ils pas coupables de la méme faute?) et se vendant au plus offrant, puisque, a en juger d’aprés la rumeur publique, Commynes accusant sans s’engager personnellement, le duc d’Orléans lui avait promis 10.000 ducats de rente pour un de ses fils, au cas ot il s’emparerait de Milan 4, En général, il a trés bien servi ses propres intéréts et négligé ceux du roi dont le renom a subi, de ce fait, un amoindrissement 47. Commynes laccuse nommément alors que Sanudo ne précise pas: «...al Re era liberal, ma non havia danari, et li soi erano richi... » 48 Ses choix ont toujours été égoistes : il souhaita une nouvelle offensive, car lui comme le sénéchal « veoient leur prouffict et auctorité en la continuant» 49. Ajoutez a cette avidité l’envie et l’orgueil qui l’opposent 4 Ludovic le More et a Et. de Vesc. Rempli du sentiment de sa propre importance (« jd se estimoit grant »), il n’accepte plus que Ludovic ou d’autres influencent la conduite de Charles VIII. Position absurde, car l’aide du More est absolument nécessaire: ...« sans propos, car on ne se pouvoit passer de luy ». Sans doute a-t-il été gagné par l’or de Louis d’Orléans : « c’estoit pour complaire 4 mons™ d’Orléans qui pretend droit 4 ladite duchié ». Il en vient a jalouser le sénéchal 5°, Plus tard, il entrave les efforts de Commynes 51, Ajoutez-y la déloyauté, n’est-il pas le trompeur par et qui est manifeste avec paroles, mais jamais aidés du bien piétre personnage

dont l’accuse Sforza5? (mais ce dernier excellence, et peut-on lui faire confiance ?) les assiégés de Novare, payés de bonnes efficacement 53; et vous aurez le portrait qui mania Aa son gré son souverain et se

44 Tbid., p. 20. 45 [bid., p. 90. On trouve la méme critique dans la Sottie de l Astrologue, dans la bouche de Chascun : Vela une belle plaisance! Pour avoir une rouge chappe A ung tresorier de finance Y faloit aler voir le pape

(E. Picot, Recueil général des Sotties, t. I, p. 7, vv. 284-287). 46 T. III, p. 225,

20e Tell ap 25455 «... ef se trouve le maistre mal servy, comme il a faict de ses gouverneurs qui ont tres bien faict leurs besongnes et mal les siennes ; et si en a esté mains estimé. » 48 La Spedizione di Carlo VIII in Italia, éd. R. FULIN, dans Archivio Veneto,

serie I, t. Ill, Venise, 1883, p. 344 ; cf. encore p. 340. 49ST 1p) 282: 50 Ibid., p. 45. 51 Ibid. : « Et dist ledit Ludovic au roy, pour le faire demourer, qui mouvoit

ledit general a parler contre luy; et disoit qu’il tromperoit la compaignee... »

Ba Ts WAL. cD. cada SS ai avec le prince d’Orange (t. III, pp. 230-231), la Trémoille (ibid., p. '

LA PRINCIPAUTE

DE TALMONT

67

trouva en contradiction avec les membres de la cour les plus éminents et les plus raisonnables 54, Comme nous ne disposons pas d’une bonne monographie sur le cardinal, piutét que de contester chacune des affirmations des Mémoires, bornons-nous a remarquer qu’il ne fut pas aussi détestable diplomate que le prétend Commynes, puisque, négociant avec Pierre de Médicis, alors que primitivement il ne demandait que le passage a travers les terres florentines et, au mieux, Livourne 55, il obtint, coup sur coup, Sarzana, Pise, Ripafratta, Livourne, bien que notre auteur efit encouragé le fils du Magnifique a refuser cette derniére ville. Désireux de se venger par la plume de ce Médicis qui le condamna a l’échec, le seigneur d’Argenton en oublie d’acérer ses pointes contre Briconnet, encore que l’incapacité notoire de l’Italien minimise le succés inattendu et impensable du Francais qui, d’ailleurs, ne fut pas seul 4 mener ces tractations : A son arrivée furent envoyés au devant de luy [Pierre de Meédicis] Mons’ de Piennes, natif du pays de Flandres, chambellan du roy, et le general Brissonriet, qui souvent a esté nommé. Ilz luy parlérent d’avoir lobéissance de la place de Seresannes, ce que incontinent il fit. Ilz luy requirent davantaige qu’il fist prester au roy Pise et Liborne et Pietre Sante, Librefato. Tout accorda, sans parler a ses compaignons, qui savoient

bien que le roy devoit estre dedans

Pise, pour se reffraichir ; mais ilz

n’entendoient point qu’il retint les places : car c’estoit mis leur estat et leur force entre noz mains. Ceulx qui traictoient avecques ledit Pierre le m’ont compté, se mocquant de luy et esbayz comme si toust accorda si grand chose et 4 quoy ilz ne s’atendoient point 55.

C’est pourquoi, pour conclure, mieux vaut laisser la parole a Paul Jove, plus impartial, qui qualifie Bricgonnet d’homme de singuliére finesse et subtilité, qui, estant sorty de petit lieu et ayant

acquis

de tresabondantes

richesses

par

je me

scay

quelle

indus-

trieuse pertinacité, aspiroit ambicieusement aux plus grans honneurs 56, Il.

LES

PROCES

RELATIFS

A LA PRINCIPAUTE

DE

TALMONT

Parmi les dons que recut Commynes, il en est un qui pesa sur toute sa vie: ce fut la principauté de Talmont, cadeau empoisonné et donation intéressée de Louis XI, que celui-ci avait extorquée a Louis d’Amboise, vicomte de Thouars, que LA FAMILLE LA TREMOILLE, héritiere légitime, ne cessa de revendiquer et que Commynes défendit pied a pied sans reculer devant aucun moyen, mais qu’il finit par perdre définitivement en 1489 aprés de longs procés, abandonné par Louis XI mourant 54 T. III, p. 63.

a ‘ 55 T. III, pp. 55-56. 86 Ed. citée, p. 17. Une lettre de Briconnet, publiée par Y. LABANDEMAILFERT dans les Mélanges Halphen (pp. 374-375), nous apprend que le car-

dinal, aprés avoir été le favori de Charles VIII, était devenu, en outre, lami dévoué et intéressé de Louis d’Orléans.

68

:

LOUIS II DE LA TREMOILLE®

et par la régente Anne de Beaujeu, comme nous avons tenté de le montrer dans notre Vie de Philippe de Commynes 1. De surcroit, LouIs II DE LA TREMOILLE, s’il s’opposa a notre mémorialiste pour la possession de Talmont, combattit, pendant la Régence, aux cotés d’Anne de Beaujeu et infligea aux princes révoltés de sévéres défaites. Contentons-nous de rappeler quelques faits: Louis II de La Trémoille épousa G. de Bourbon, fille du comte de Montpensier, apparentée aux Régents 2; a vingt-quatre ans, il recut le commandement des forces loyalistes? ; 4 Saint-Aubin du Cormier, il anéantit les espérances des rebelles dont Commynes était le conseiller 4. Or des historiens de la qualité de B. de Mandrot et de J. Calmette se sont plu a exalter l’impartialité et l’objectivité de notre mémorialiste au sujet de ce grand capitaine. Notre auteur n’ayant pas cité La Trémoille parmi ceux qui se distinguérent lors de la mémorable traversée des Appenins (28 juin-3 juillet 1495), le premier affirme: Nous nous refusons a voir dans cette omission l’effet de la rancune de Commynes contre la maison de La Trémoille pour la raison que, dans la suite, on voit le seigneur d’Argenton et le sire de La Trémoille constamment d’accord sur les mesures campagne 5,

a prendre pour terminer

honorablement

la

Quant au second, s’appuyant sur une scéne que relatent les Mémoires et qui se place a la fin de l’expédition italienne, il écrit: On voit... que, malgré d’anciens démélés avec sa maison, Commynes vivait avec Louis en bonne intelligence 6.

Il est d’ailleurs facile de s’y tromper, dans la mesure ott Commynes feint habilement l’impartialité et garde un ton modéré, évitant avec prudence les attaques violentes et, par exemple, ne mentionnant pas la légende du fameux souper de La Trémoille dont parle encore Mauldela-Claviére 7,

1 Voir les pages 53-55, 105-108, 153-156, 174-176.

: any Peo pes lp: f 3 Id., ibid., p. 140.

Histoire de Louis XII, 3 vol., Paris,

1889-1891,

é 4 Id., ibid., pp. 184-185 : « Louis de la Trémoille vint le rejoindre a la téte d’un nouveau contingent, non pas d’un contingent personnel (par une faveur singuliére,le roi venait de le dispenser personnellement de tout service de ban et arriére-ban) mais bien d’une nouvelle armée royale, « Vous savez qu’étes mon parent et que tenés de la bande de gueules », lui écrivait Charles VIII. Tout souriait en effet a ce jeune favori d’Anne que, désormais, nous allons

rencontrer dans les plus hautes charges et a la téte de l’armée. » _ 5 B. DE MANDROT, fAutorité historique de Ph. de Commynes, dans la Revue

historique, t. 74, p. 21, n: 6. 6 Ed. des Mémoires, t. Ill, p. 225). 3,

7 Op. cit., t. Il, pp. 225-226,

:

LOUIS

II DE LA TREMOILLE

69

Toutefois, une étude diligente des Mémoires, oi1 le nom de ce personnage revient trois fois, permet de nuancer, voire de réviser ce jugement. 1°) Il, 73, Avant que le roi se fit emparé de Viterbe, il envoya a Rome La Trémoille, Jean de Ganay, président du Parlement de Paris, et Denis de Bidant, receveur général des finances, afin qu’ils négociassent avec le pape Alexandre VI, qui ne cessait de « pratiquer », comme le font tous les Italiens. Que résulta-t-il de cette démarche ? Rien, sinon un cuisant échec. D’abord, le pape introduisit de nuit dans sa ville, malgré la présence des Francais, leurs ennemis aragonais, Ferrand II et ses soldats. Ensuite, ils furent méme mis en état d’arrestation pendant quelques heures. Enfin, Alexandre VI leur donna congé, mais retint prisonniers deux partisans de Charles VIII, Ascagno Sforza et Prosper Colonna 8, Il est donc permis de dire que La Trémoille qui, nommé le premier, semble étre a la téte de cette ambassade, n’a pas réussi dans Sa mission. 2°) II, 184. Pendant la bataille de Fornoue, il commande l’arriéregarde de l’armée francaise. Commynes parait le subordonner, 4a tort, au comte de Foix®. Selon Jean Bouchet qui a chanté La Trémoille 1°, « aprés la bataille marchoit l’arriére garde que conduisoit ledict seigneur de la Trimoille, oi estoit le seigneur de Guyse avec les guets bien ordonnés ». Mais Molinet s’accorde avec notre chroniqueur pour en donner le commandement au comte de Foix 14, 3°) III, 225. La Trémoille encourage Commynes a parler en faveur de la paix: « Je rencontray mons™ de la Trimoille a qui contay cest affaire, pour ce qu’il estoit des prouchains du roy, demandant si encores luy en devoye parler. Il me conforta et me dist que ouy; car chascun desiroit de se retirer ». Mais, selon |’Histoire d’Italie de Guichardin 12, La Trémoille se serait prononcé contre la paix au cours d’un long et noble discours dont nous relevons les passages les plus significatifs: ..

si vous

ne

marchez

au

secours

de cette

place,

la gloire

de

Votre

Majesté et l’honneur de la nation sont flétris d’une tache éternelle... Je représenterais donc a Votre Majesté que sa retraite, précédée de la perte

8 < Avant que le roy eust Viterbe, il avoit envoyé le seigneur de la Trimoille, son chambellan, et le president de Ganay, qui avoit son seel, et le

general Bidant a Rome, cuidant traicter avecques le pape, qui tousjours pratic-

quoit, comme est la coustume en Ytalie. Eulx estants la, le pape mist de nuyt en la cité don Ferrand et toute sa puissance, et furent noz gens arrestez, mais poy. Le jour propre, les despescha le pape, mais il retint prisonnier le cardinal Escaigne, vi-chancelier et frere du duc de Milan, et Prospre Coulonne... > :

9 T. Ill, p. 184 : «... mais le conte de Foix estoit chief de ceste arrierearde. »

10 Extraict de histoire de Louys, seigneur de la Trimouille, dict le Cheva-

lier sans reproche, éd. Buchon, t. VII, p. 761 (le Panthéon littéraire). 11 Ed. cit., t. Il, p. 414. ; 12 Histoire d’ltalie de l'année 1492 a année 1532, éd. J.A.C. BUCHON, Paris, 1836 (le Pantheon littéraire), p. 102.

LOUIS II DE LA TREMOJLLE

}

70

volontaire de Novare, sera infailliblement suivie de la perte enti¢re du royaume de Naples et du malheur de tant de braves capitaines et de noblesse... Au reste, peut-on s’imaginer que la paix soit sincére ?... Je serais moins sensible A cette ignominie si je pouvais avoir quelque raison

de douter

de la victoire;

mais

peut-on

n’y pas compter,

si l’on veut

comparer notre état présent a celui de nos troupes a la journée du Taro ?

Quoi qu’il en soit de la vérité, méme si l’on admet que ces deux attitudes se situent 4 deux moments différents, méme si l’on accorde la préférence au seigneur d’Argenton, témoin intéressé mais oculaire, il reste qu’il est impossible de parler avec Mandrot d’un constant accord entre La Trémoille et Commynes qui, nulle part ailleurs, n’indique qu’ils ont adopté la méme ligne politique. Récapitulons. De ces trois mentions, la premiére est critique et a la limite erronée, si l’on estime avec Delaborde1% que «Commynes se trompe lorsqu’il dit que les ambassadeurs furent arrétés aussi et presque aussit6t relachés sur l’ordre du Pape». La seconde est neutre, encore que restrictive: elle déposséde La Trémoille de son haut-commandement et, de ce fait, de la victoire puisque seule |’arriére-garde, a en croire les Mémoires, se battit véritablement 14. La troisiéme parait élogieuse. L’est-elle en réalité? Il ne semble pas qu’ici, l’historien se soit préoccupé de flatter le portrait de son ennemi. Mais plut6dt, pour démontrer que son option personnelle en faveur de la paix était le parti le plus sage, il avance qu’il recut l’approbation de gens et de capitaines qui, non seulement étaient estimés et réputés, mais aussi, en d’autres circonstances, lui furent violemment hostiles. Pour triompher dans 1’esprit de son lecteur, il oppose entre eux deux de ses ennemis, Briconnet qui pousse a la continuation de la guerre et La Trémoille qui se prononce pour le retour en France, le cardinal et le spécialiste, le premier déconsidéré par un on-dit15, le second vaillant et habile soldat, d’autant moins suspect qu’il fut l’adversaire du mémorialiste. En résumé, il se sert du nom de La Trémoille pour justifier son choix politique et accabler le cardinal de Saint-Malo.

D’ailleurs, nous avons une preuve tangible que Commynes ne s’était pas réconcilié avec le prince de Talmont; et on ne peut l’escamoter, compte tenu de ce que nous venons de signaler. Quand les troupes francaises remontérent vers le nord de I’Italie, elles se distinguérent par un exploit retentissant. En effet, elles réussirent a hisser au sommet des Apennins et a redescendre dans la vallée toute l’artillerie, surmontant des difficultés que ne masquent pas les Mémoires 16, par des chemins a peine tracés ou méme inexistants, si abrupts que les mulets y passaient a grand-peine. Il fallut que les Allemands de l’armée se missent

13 14 15 16

L’Expédition de Charles VIII en Italie, p. 499. T. III, p. 185. T. Ill, p. 225 : il aurait été acheté par le duc d’Orléans, T. Ill, pp. 160-161.

LOUIS

II DE LA TREMOILLE

WA

a cent ou méme a deux cents, pour tirer vers le haut, puis pour retenir dans la descente les quatorze grosses piéces d’artillerie. On devait sans cesse recourir aux charpentiers et aux maréchaux ferrants pour redres-

ser les piéces tordues. Or, 4 qui notre écrivain attribue-t-il la réussite de cette difficile entreprise qu’il raconte par le menu ? Aux mercenaires allemands et suisses qui avaient incendié et mis a sac 4a I’aller Pontremoli, le 28 juin 1495, et qui, pour se faire pardonner ce méfait, avaient spontanément offert 4 Charles VIII de transporter son artillerie a travers les Apennins17, Le seigneur d’Argenton omet simplement de préciser, comme le font Nicole Gilles 18, André de La Vigne 1® et Jean Bouchet 2°, que La Trémoille dirigea l’opération ; qu’il encouragea les soldats de la voix et de l’exemple, portant lui-méme des boulets de fonte, de plomb et de fer « qui estoit un trés estrange faix a porter » 2! ; qu’il ne s’€pargna guére, noir comme un Maure « pour la grant chaleur qu’il avoit soubstenue » ; que, sans lui, les Allemands et les Suisses n’auraient pas accepté de s’employer a une telle besogne: «... Si ce n’eust esté la grant sollicitude dudict seigneur de la Trimoille... 4 grant peines l’eussent voulu faire lesdictz Allemans » 22, Est-ce le seul exemple que nous puissions avancer pour étayer notre hypothése ? Un autre, moins net, semble aller dans le méme sens. Les Mémoires rapportent que Charles VIII alla loger a quatre mil prés de Mont-Sainct-Jehan, une trés forte place, laquelle fut batue sept ou huyt heures et puis prinse d’assault et tout tué ce qui estoit dedans ou la pluspart... 23

17 [bid., p. 160 : «... Ung tour honnourable firent noz Almans, ceulx qui avoient faict ceste grand faulte au Pont de Tremolo (et avoient peu que le roy les en haist a jamais), et vindrent d’eulx mesmes offrir a passer l’artillerie en ce merveilleux chemin de montaignes... » 18 NICOLE GILLES, Les treselegantes et copieuses annales des trescrestiens et excellens moderateurs des belliqueuses Gaules... depuis la triste desolation de

la tresinclyte

et fameuse

cité de Troye... jusques

au

unziesme, chez Galliot du Pré, Paris, 1547, p. CXVI. 19 Le Vergier d’honneur de Ventreprise et voyage

temps

du roy Loys

de Naples,

Paris, s.d.,

in-folio, pp. 377 sq. 20 Op. cit., : « Et, scaichant que ledict seigneur de la Trimouille, pour sa hardiesse et grand vouloir, ne trouvoit rien impossible, luy donna ceste laborieuse charge, que volontiers il accepta. Et si bien y employa son corps, son esprit, sa parole et ses biens qu’il y acquist honneur et accroissement de la grace de son seigneur et maistre. Il se meit a pousser aux charrois et a porter gros boulets de fer, en si grand labeur et diligence, que a son exemple la plus part de ceulx de l’armee, mesmement les Allemans, de son grand et bon vouloir esbahis, se rangerent a cest ceuvre. Et, par ce moyen, feut toute I’artillerie passee, avec les munitions par les montaignes et vallees, par la prudente conduite dudict seigneur de la Trimouille, qui tousjours accroissoit les couraiges des

Allemans

et autres, par belles paroles, trompettes,

bons vins, promesses de recompenses capitaines experimentéz. »

clairons, flustes, tabours,

et autres moyens

que bien entendent

21 ANDRE DE LA VIGNE, op. cit., p. 377. 22 [bid., p. 378. Voir aussi DELABORDE, op. cit., p. 630. 23 T. III, pp. 91-92.

les.

72

:

LouIs II DE LA TREMOILLE

Ressort surtout la cruauté des Francais, qu’il ne s’agit pas de masquer : le carnage fut horrible, si l’on en croit André de La Vigne 4. Or, si notre auteur avait voulu étre complet, il aurait di préciser, comme plus tard Delaborde 25 ; a) que le massacre imputable aux vainqueurs s’explique, en partie, par le traitement qu’infligea le chatelain de cette place forte aux deux trompettes envoyés par le roi, qui revinrent nez et oreilles coupés, sans autre réponse (et Malipiero le révéle dans ses Annali Veneti 26 et quil se limita aux gens qui étaient armés: les femmes furent . protégées contre toute violence; b) que la cité fut prise en moins d’une heure, cédant a la furie des assaillants ;

c) que Louis de La Trémoille eut les honneurs de la journée, pénétrant le premier dans la ville.

Mais il est bon d’ajouter que Charles VIII, dans ses lettres, ne parle pas davantage de lui, pas plus qu’il ne s’indigne du traitement infligé A ses deux trompettes qu’il ne mentionne méme pas. Il ne cite que Gilbert de Bourbon, comte de Montpensier 27. Quant a Paul Jove, il remarque d’abord que les Italiens, ignorant la puissance destructrice de l’artillerie francaise, non seulement refusérent l’entrée de leur ville, mais encore injuriérent le héraut qui lui aussi « parloit en toute extrémité, librement » ; ensuite, que les envahisseurs, enflammés de colére, assaillirent la cité qu’ils prirent en peu de temps, entrant par une bréche qu’ils avaient ouverte dans la muraille ; enfin, que les défenseurs furent mis a mort, et que le reste des habitants s’enfuit par la porte opposée 28, 24 Op. cit., p. 130. 25 Op. cit., p. 548. Voir surtout SANUDO, op. cit., p. 209. 26 Annali Veneti dall’anno 1457 al 1500 del Senatore Domenico Malipiero, ordinati e abreviati dal Senatore Francesco Longo, con prefazione e annotazioni di Agostino Sagredo, dans Archivio storico italiano, t. VII, 1° partie, 1843, p. 332 : « El Re Carlo zonto appresso Monte San Zuane, ha manda a dir per do trombeti a quei della rocca che se renda; e loro ha fatto apicar i fombes ; el Re ghe ha fatto dar la battaglia, e ha riuna el luogo, e fatto morir

utti.» 27 Lettres, éd. P. PELICIER, 5 vol., Paris, 1898-1905 (Société de l’'Histoire de France), t. 1V, pp. 166-167, 168-169, 173 ; Mémoires de Commynes, éd. DUPONT, t. III, pp. 390 et 392.

28 Ed. cit., p. 54 : « Croyans ceux la qu’ils estoient assez a seur entre leurs murs, mesmes bien foibles, et ne pensans point qu’il y eust telle force qu’elle se trouva depuis, au dommage d’eux et d’autres, en l’artillerie des Francois, ne furent contens de leur fermer les portes, ains encore outragerent presque l’officier francois qui leur denonceoit trop arogamment feu et sang, s’ils ne se rendoient incontinent. Ce qui enflamba tres ardamment les cueurs de ceste brave nation pour ce qu’en France ils estiment estre chose fort illicite que d'outrager tel officier qu’ils nomment heraud, encores qu’il parlast en toute extremité, librement. Sans plus doncques tarder, l’assaut fut commencé par tel effort et courroux des Francois qu’en un petit moment de temps, se defendans les garnisons pour neant, leurs gens d’armes entrerent a la foule dedans, ayant fait breche et abbatu une partie des murs, et ne demoura presque nul de ceux qui avoient asprement resisté qui ne fust mis a mort : pendant lequel temps le demeurant s’enfuit par la porte opposite. »

GEORGES DE LA TREMOILLE

73

Le récit de G. de Villeneuve 2° est beaucoup plus succinct. Charles VIII vint assiéger Mont-Saint-Jean. Les citadins avaient commis, contre les Francais, « certaines violences et autres grans desplaisirs » et s’étaient prononcés contre le roi. Aprés quelques tirs d’artillerie, l’assaut fut ordonné et exécuté avec une ardeur extraordinaire par les capitaines et les soldats qui ne pensaient qu’a acquérir de l’honneur et a bien servir leur maitre. La ville fut mise a feu et A sang « pour donner exemple aux aultres » 80, Dans sa rancune, Commynes n’hésite pas a buriner a l’acide le portrait d’un autre membre de cette famille) GEORGES DE LA TREMOILLE, odieux ou ridicule. Celui-ci trahit Louis XI quand il négocie, en son nom, avec le Téméraire, a qui il donne de judicieux conseils 31. Il trompe René II de Lorraine, qu’il jette contre son allié bourguignon, le grisant de fallacieuses promesses 32, Il est l’un de ces hommes fort gros et gras, que Louis XI place 4 Amiens autour des tables chargées de vivres et de vins, pour inciter les soldats anglais 4 de copieuses libations 33, Par son injustice, il est a l’origine de la rébellion du prince d’Orange *4 et de pertes sérieuses pour le royaume. Capitaine orgueilleux, il échoue devant Déle 25; quand il remporte un succés et capture le seigneur de Chateauguyon, c’est dans un combat sans importance, bien qu’il en ait retiré une grande gloire2*, D’une cupidité insatiable, il s’enrichit aux dépens des malheureux habitants du duché de Bourgogne 87. Finalement, ses exactions comme son échec ameénent le roi a le remplacer par Charles d’Amboise: «Le roy, marry de ceste adventure, commenca a penser de mectre ung autre gouverneur en Bourgongne, tant pour ce cas que pour les grandz pilleries qu’il avoit faictes audict pays qui, a la vérité, estoient trop excessives » 38, Intervinrent aussi dans l’affaire de Talmont d’autres personnages que nous allons bient6t rencontrer : Jacques Coictier et Etienne de Vesc 39.

29 Journal, éd. BUCHON (Panthéon littéraire), p. 270, c. 2. 30 Voir une autre version de l’affaire dans GUICHARDIN,

Sit.

lape229:

éd. cit., p. 56.

32 T. Ii, p. 15.

$3 "T .1L, p.. 50s eT, p.. 200.

35 T. II, pp. 262-263

.

:

: « Ung coup le seigneur de Craon assiegea la ville de

Dolle, chef de la conté de Bourgongne. Il estoit lieutenant pour le roy. Il n’y avoit point grandz gens dedans et les desprisoit. Aussi mal luy en advint : car

pour une saillie que feirent ceulx de dedans, il se trouva tres soudainement surprins et perdit quelque partie de son artillerie et de gens ung peu, qui luy fut honte et charge envers le roy.» A comparer avec le récit de MOLINET, Chronique, éd. cit., t. I, pp. 204-205. ; : i

36 T, II, p. 263. Remarquons la chronologie erronée de Commynes qui place

la capture

de Chateauguyon

aprés

l’échec de Dole.

Or

le premier

fut pris

devant Gy le 17 juin 1477 et Craon fut défait devant Dole le 1° octobre 1477.

87 T. Il, p. 266 : « Ledict seigneur de Craon, dont j’ay parlé, et ledict gou-

verneur seigneur de Chaulmont, tous deux y feirent bien leurs besongnes. » 38 T. II, p. 263. 39 Voir notre Vie de Commynes, p. 120.

RIVALITES

:

74

III.

LES RIVALITES

POLITIQUES

SOUS

SOUS

LOUIS

XI

LOUIS XI

Il semble que de 1472 a 1476, Commynes fut une sorte de premier ministre tout-puissant qui élabora avec son maitre la politique du royaume dont aucun domaine ne lui était interdit!, sans doute parce qu’il était d’une singuliére habileté mais aussi parce qu’il était le seul a avoir été, huit années durant, le confident du Téméraire et que, le connaissant mieux que quiconque, il était 4 méme de conseiller au roi les mesures les plus sfires et les choix les plus pertinents pour abattre son adversaire, sans se mesurer avec lui dans une guerre. Or il est évident qu’il perdit en 1477 la premiére place qu’il avait occupée pendant prés de cing ans et qu’il ne la retrouva jamais, devenu moins utile aprés la disparition du duc de Bourgogne ; il se peut aussi que le trés méfiant Louis XI regimbat contre l’emprise d’un serviteur jugé trop adroit. Quoi qu’il en soit, il semble qu’en l’absence de Commynes en mission dans le Nord, et a son détriment, il se soit produit une sorte de révolution de palais et qu’une nouvelle équipe ait pris la reléve avec Jean de Daillon, Louis d’Amboise, Boffillo et, dans l’ombre de ceux-ci, Olivier le Dain, puis Doyat et Coictier2. Cette impression se confirme quand on se rappelle que Commynes, envoyé d’abord en Poitou, fut ensuite constamment écarté du Nord de la France oti se jouait une partie difficile et quand on considére les dons et les charges que Louis XI accorda aux uns et aux autres. Suivons par exemple la carriére de Daillon aprés 1477. Il effectua plusieurs missions dans le Nord ow il inspira de la crainte par sa rigueur et oli il signa avec quelques autres les lettres de composition et d’amnistie, données aux Arrageois les let avril et 4 mai 1477. La garde du Quesnoy

lui fut confiée le 8 juin 1478. Notre

mémo-

rialiste était éloigné de cette région et on Iui reprocha sa modération en Bourgogne. En 1479, Daillon recut le serment de fidélité des nobles et des officiers de ce duché; il escorta en France le légat du pape, le cardinal de Saint-Pierre-aux-Liens. Et les dons affluaient. Le 10 avril 1477,

il devint

vicomte

de Domfront ; en

septembre,

il obtint

les sei-

gneuries non seulement de la Ferté-Milon et de Nogent, mais encore de Leuze et de Condé-en-Hainaut, arrachées au duc de Nemours, cependant que Commynes ne recevait sur ces dépouilles qu’une modeste rente. En juillet 1481, le voici en outre seigneur de Gezy-les-Lens, enlevé a Jean de Chalon, prince d’Orange. Il n’est pas sans intérét de remarquer que les Mémoires consacrent trois pages a ce dernier ®, A la fois sans doute parce qu’il changea de camp plus d’une fois, qu’il préta serment de fidélité entre les mains de notre auteur et que, dans son histoire,

1 Vie de Commynes, 2 Ibid., pp. 70-122.

3 T. Il, pp. 204-206.

pp. 64-69.

JEAN DE DAILLON apparaissent mynes 4,

75

G. de La Trémoille

et Daillon,

deux

ennemis

de Com-

Des personnages qui s’occupent alors des affaires de l’Etat et que notre mémorialiste énumére, Louis et Charles d’Amboise, le maréchal de Gié et Jean de Daillon, .. dont avoyent la charge l’evesque d’Alby, son frere le gouverneur Bourgongne,

le mareschal

de Gyé, le seigneur du Lude

de

: car ceulx la se

trouverent a l’eure que son mal luy print et estoient tous logez soubz sa chambre... 5,

ou bien Commynes parle trés peu dans les six premiers livres : Louis d’Amboise n’est nommé qu’a cette occasion, et Gié n’est mentionné ailleurs qu’une seule fois lorsqu’en 1475 les Anglais sont invités a venir festoyer dans les tavernes d’Amiens® — pour le portrait critique du maréchal dans les livres VII et VIII des Mémoires on se reportera a notre Vie de Commynes™ — ou bien le chroniqueur entreméle les roses aux épines: ainsi en est-il lorsqu’il s’agit de Charles d’Amboise&; ou bien enfin il les attaque avec force: c’est le cas de Jean de Daillon et de deux comparses, Olivier le Dain et J. Coictier. *

*

Habile, intrigant, dénué de scrupules, le seigneur du Lude, JEAN DE DAILLON, prit peu a peu la place de Commynes dans la faveur de Louis XI et contribua a l’éloigner. N’est-il pas significatif que, dans les Mémoires ®, il assiste au départ de notre mémorialiste pour son exil poitevin ? Il jouit d’une autorité de plus en plus grande jusqu’a sa mort, comme nous l’apprend notre écrivain lui-méme, le plus souvent de facon indirecte et avec une intention critique. Quelques exemples le prouvent. En janvier 1477, Daillon fut le premier informé de |’arrivée d’un messager chargé des lettres relatives a la bataille de Nancy; il les lui demanda et l’autre n’osa les lui refuser. Mais pour saisir sur le vif la méthode de Commynes, il est bon de citer le passage en entier: Mons’ du Lude, qui couchoit hors du Plessis, sceut le premier l’arrivée du chevaulcheur qui apporta les lettres de ceste bataille de Nancy dont

j’ay parlé. Il demanda au chevaulcheur ses lettres, qui ne les luy osa reffuser, pour ce qu’il estoit en grant auctorité avec le roy, Ledit seigneur du Lude

_. —

Ke]

vint fort matin, et estoit

4 grand

peine jour, heurter

a l’huys

76

.

JEAN DE DAILLON

plus prouchain du roy. On luy ouvrit. II bailla lesdictes lettres que escrivoit mons’ de Craon et autres 10, Dans ces lignes, nous sentons que le seigneur d’Argenton est tiraillé entre des desseins contradictoires. D’un cété, il désire discréditer un rival qui, par cupidité (Louis XI récompensait quiconque lui apportait, le premier, des nouvelles importantes, ou impatiemment attendues), abusa de son autorité. De l’autre, il ne tient pas a laisser croire que Daillon est plus habile que lui. Aussi, dans le passage qui précéde immédiatement le nétre, a la faveur d’une digression, nous apprend-il que c’est lui, Commynes, qui, avec Du Bouchage, annonca le premier 4 son maitre la bataille de Morat, et que, dans le cas qui nous occupe, son ennemi ne l’a devancé que parce qu’il ne couchait pas au Plessis. Enfin, par cette derniére remarque, par l’accumulation de détails précis (sur l’heure et le lieu...) que seul un témoin direct et privilégié est 4 méme de rapporter, par V’emploi de lindéfini on, il s’efforce de suggérer, sans Yaffirmer, qu’il bénéficiait de l’amitié royale autant, sinon plus, que Daillon. Quand Louis XI adopta soudain, en février 1477, pour régler le probléme bourguignon, une attitude radicalement différente de celle qui, jusqu’alors, avait été la sienne, et qu’il voulut convertir le mémorialiste a cette nouvelle position, il confia cette mission 4 Jean Du Lude 41 qui, est-il noté plus loin, « estoit fort aggreable au roy en aucunes choses » 12, C’est avouer qu’il est puissant. Mais l’embarras de |’auteur se remarque aussit6t, et aussi son souci constant de l’exactitude. D’un cété, un adverbe d’intensité, fort, et de l’autre, une limitation: en aucunes choses. Quoi qu’il en soit, cette influence grandissante a ulcéré Commynes et éveillé en lui une haine vivace contre Daillon. Car, avec cette demidisgrace dont il le rend responsable, a commencé la longue série de ses infortunes. Il ne se contente pas d’établir entre lui et son rival un paralléle qui lui est en tous points favorable, et que nous avons déja abordé. Mais il s’acharne 4 dénoncer dans ce favori un homme maladroit, cupide et sans scrupules. Maladresse avec l’envoyé du connétable au point de révéler les intentions de Louis XI, devant un Commynes stupéfait, par une question qui trahit un caractére a la fois avide et irréfléchi: il est assez imprudent pour demander a |’émissaire, s’il ne savait pas ou se trouvait le trésor de son maitre. Seul, l’aveuglement surnaturel de ce dernier l’a empéché de s’enfuir, en tirant les conclusions de cet entretien 13, Maladresse au moment de la succession de Bourgogne puisqu’il soutient le point de vue royal et envoie Olivier le Dain en ambassade a

10 11 12 18

T. II, p. [bid., p. Ibid. p. Ibid, p.

159. 170. 174. 73.

JEAN DE DAILLON

77

Gand ; maladresse doublée d’obstination, puisque le mémorialiste les a prévenus de l’issue probable d’une telle décision, alléguant la médiocrité de l’exécutant et la grandeur de la tache, eu égard a l’importance de la ville 14. C’est pourquoi le barbier est moins a blamer que ceux qui se méprirent sur sa personnalité15, Maladresse quand il traite avec le porte-parole des chevaliers hennuyers qu’il rebute alors que Commynes Vavait presque gagné 16, Audace bien dangereuse, quoique couronnée de succés, lorsqu’il détrousse, en avril 1477, une bande bourguignonne qui, venue de Douai, essayait de pénétrer dans Arras17. Le chroniqueur minimise la réussite de plusieurs maniéres. D’abord, un certain nombre de conditions tres défavorables et de fautes grossiéres voue a un échec quasi assuré la tentative des Bourguignons emmenés par G. de Vergy: leur troupe est hétéroclite, composée des soldats, bons ou mauvais, qu’ils ont pu assembler ; les habitants de Douai, emportés par un fol orgueil, les ont contraints a se mettre en route «a plain midi», sans s’informer de leurs désirs, et ce, dans une plaine bien dégagée, plate «comme ita main» qui s’étend sur cinq lieues, alors que, s’ils avaient attendu la nuit, ils n’eussent pas manqué de parvenir a leurs fins. Ensuite, les Francais jouent le tout pour le tout, et acceptent de courir de grands risques, au lieu de limiter la part du hasard, comme la raison le recommande: « L’entreprise de ceulx que j’ay dit estoit bien perilleuse... » ; leur succés est di a la chance et a la hardiesse, non a la sagesse. Enfin, Commynes associe a Daillon Jehan Du Fou et les gens du maréchal de Lohéac, alors que Louis XI, dans une lettre du 26 avril 1477, citée par BrantOéme 18, attribue au seul Du Lude, une réussite qui ne comporte aucune restriction. La plupart du temps, trop peu méfiant, ce dernier est dupé par ses interlocuteurs : « aussi trés legierement croyoit et estoit trompé bien souvent... » 19, C’est la cupidité qui le pousse 4 commettre ces graves fautes, en homme « qui fort aymoit son proffit particulier » 2°. Il arrache les lettres au messager pour obtenir une récompense de Louis XI; il veut rallier les villes du Hainaut contre argent comptant 21; il espére devenir gouverneur des Flandres, pour s’y enrichir et s’ « y faire tout d’or » 22, selon sa propre phrase. A Arras, en compagnie de G. de Cerisay, il arrondit sa fortune. Il a lui-méme confié 4 Commynes qu’il y gagna 20.000 écus et deux fourrures de martres 28. L’on reconnait, par la méme occa-

14 [bid., p. 170. 15 16 17 18

]bid., p. 179. [bid., p. 175. viii ’ ; [bid., p. 187. Les Grands Capitaines francois, éd. LALANNE, t. II, Paris, 1866 (Société

de VHistoire de France), p. 335.

19 20 22 22

T. II, p. 174. Ibid. oT. Hp. tT, T. Il, p. 174.

78

JEAN DE DAILLON

sion, la vanité du personnage, incompatible, selon les Mémoires, la discrétion d’un véritable homme politique.

avec

Pour compléter le portrait de cet homme de proie, le mémorialiste le délivre de tout scrupule. Daillon flatte et trompe: il « ne craignoit jamais a abuser personne... » 24. Il assied sa puissance par des moyens qui n’ont rien a voir avec les qualités du cceur et de l’esprit. C’est un ami de jeunesse du roi; aussi connait-il ses penchants et ses inclinations qu’il sert avec une complaisance sans dignité ; en outre, il a un esprit bouffon qui fait les délices de son maitre: ...«il avoit esté nourry avec le roy en sa jeunesse, il luy scavoit fort complaire et estoit homme trés plaisant ». Il ne respecte pas les promesses faites aux Arrageois pour qu’ils ouvrent leurs portes aux forces royales ; et Daillon est le seul dont Commynes signale la responsabilité 25. Il est hors de doute que Du Lude, nommé par R. Gaguin 26 parmi les principaux serviteurs du roi avec Doyac, Olivier le Dain, Héberge, etc., se signala par une cupidité notoire. Le méme Gaguin l’accuse d’avoir dérobé l’or des reliques 27, Molinet d’avoir pillé les églises et volé deux calices pour en faire des chaines en or 28; et, selon Jean Le Clerc, il accorda la vie sauve a ceux qui pouvaient lui payer six écus 29. Son esprit était réputé, témoin encore une interpolation de la Chronique scandaleuse: si les Francais ont fui a Guinegatte, c’est qu’ils haissaient tellement leurs ennemis qu’ils ne purent supporter de les voir 3°. Mais, tout a son réquisitoire, Commynes, qui lui-méme est loin d’étre désintéressé, omet de signaler certains faits, 1°) Daillon, qui avait été trés lié au dauphin (les Mémoires Vindiquent incidemment), l’abandonna quand son pére envahit le Dauphiné. Commynes nous parle de ces défections, mais le nom de son rival n’apparait pas sous sa plume. Pendant le Bien Public, il embrassa le parti des princes. Jean Le Clerc le cite parmi ceux qui prétérent serment contre Louis XI, aux cétés du duc de Bourbon, de Dunois, de Dam-

23 T. II, p. 189 : « Ledict seigneur du Lude et maistre Guillaume

y eurent grant prouffit, car ledict du Lude I’a dit par ce temps gaigne vingt mil escus et deux pannes de martre. »

Cerisay

qu’il y avoit

24 T. Il, p. 174.

2% tees ude. 26

T. Il, pp. 188-189 : « Par quoy firent une composition en rendant la laquelle fut assez mal tenue, dont eut partye de la coulpe le seigneur du » Compendiude m origine et gestis Francorum (traduction de P. DESREY,

chez Regnault, Paris, s.d., in-folio), p. 187. 27 P. 210 : « De ce sacrilege cestuy Marrafin n’estoit estimé tant coulpable

comme fust Jehan de Daillon.» Commynes n’accuse pas son ennemi de ce sacrilége. 28 Ed. cit., t. 1, p. 325. 29 Journal, connu sous le nom de Chronique scandaleuse, 1460-1483, éd.

:be MANDROT, 2 vol., Paris, 1894-1896 (Société de Histoire de France), t. Il, 30 [bid., p. 393.

JEAN DE DAILLON

79

martin, etc. 31. En Normandie, il suit Charles de France 32, On le chercherait en vain dans la liste présentée au chapitre V du livre Ie des Mémoires *8, Pourtant, le chroniqueur efit pu ainsi jeter des doutes sur sa fidélité. Il y renonga, l’argument pouvant se retourner contre lui de deux maniéres. D’une part, il aurait été facile de lui opposer sa propre trahison. D’autre part, le retour en grace de Daillon révélait sa singuliére habileté, puisqu’il avait réussi 4 apaiser la rancune du roi et qu’il était assez estimé pour obtenir son pardon et, finalement, se retrouver au premier plan. Brantéme l’a noté avec finesse: ... « il failloit bien que Jean Daillon fust quelque chose de prix, car le roi se congnoissoit en gens » 8, Et Commynes ne nous dit-il pas lui-méme dans le portrait qu’il nous a laissé de son second maitre: il « travailloit 4 gaigner ung homme qui le povoit servir ou qui luy povoit nuyre » 5? 2°) Daillon joua un réle dans les relations franco-anglaises. D’abord, dans la réconciliation inattendue des deux ennemis d’Edouard IV, le comte de Warwick et la reine Marguerite d’Anjou. Commynes parle de ce coup de maitre, mais il en attribue tout le mérite au seul Louis XI 36, Ensuite, dans les négociations de Picquigny 37. 3°) Il eut a réduire Jean V d’Armagnac

en 1473, a reconquérir

le

Roussillon en 1474 et 1475 38, 4°) Dans le Nord, aprés la mort du Témeéraire, il prit part aux tractations diplomatiques aussi bien qu’aux opérations militaires. Si l’on en croit Adrien de But, le roi, ne séjournant guére en cette région, lui délégua ses pouvoirs: « Rex in propria non comparens, misit loco delphini sui regentem ipsius dominum de Lude, cum copia permaxima virorum, qui cum apud Hesdinium applicuisset ibidem concilium tenuit magnus ille capitaneus » 8°. Et selon un autre chroniqueur local, Pierre Le Prestre, il partagea avec Philippe des Cordes le commandement des

31 Ibid., p. 194. 32 Voir l’ouvrage cité n. 29, t. I, pp. 142, n. 1 ; 149, n. 1; 152, n. 1, Lorsque

Louis XI reprit la Normandie, Daillon fut exclu de l’amnistie ainsi que Thomas Basin,

Jean

de

Lorraine,

Charles

d’Amboise

et le seigneur

de

Bueil

(voir

Mémoires de Commynes, éd, LENGLET-DUFRESNOY, t. II, p. 570). 3..T il, p39, 34 Op. cit., t. Il, pp. 415-416. 35 T, I, p. 67. 36 T. I, p. 198

: «... Le roy y vint a tout ce qu'il avoit et peut finer de

navires et mist largement gens dedans. II avoit faict le mariage du prince de Galles

avecques

la seconde

fille dudict conte de Warvic. »

37 T. I, p. 74. 38 Sur Daillon, consulter soit la notice des Lettres de Louis XI, t. IV, pp. 94-

98, soit les notes ‘de la Chronique scandaleuse, t. 1, pp. 292 n. 1, 320 n. 5, 327 ny 2p Srbl ips.9. 0.4. 39 Chroniques relatives a Uhistoire de la Belgique sous la domination des

ducs de Bourgogne, p. 536.

éd. par KERVYN

DE LETTENHOVE,

t. I, Bruxelles,

1870,

80

:

JEAN DE DAILLON

armées francaises 4°. Le Journal de Dom Gérard Robert le mentionne a de nombreuses reprises 41. Dans les tréves du 8 septembre 1477, il est précisé que leur dénonciation éventuelle sera signifiée « en la ville d’Arras a Monseigneur du Lude, lieutenant pour le roy illec ou au gouverneur d’Arras » 42, et que sont désignés, du cdté francais, pour en assurer l’application, Dammartin, Jacques de Saint-Pol, Daillon, Philippe de Crévecceur, les seigneurs de Maugne, de Saint-André et de Moy 43, Daillon fut chargé de la garde du Quesnoy #*. Il fut a l’origine de la seconde disgrace de Dammartin *. Il recut en Bourgogne le serment de fidélité des nobles et des principaux officiers. 5°) De 1470 a 1482, date de sa mort, il fut gratifié des plus hautes charges et des biens les plus importants. Brant6me est dans le vrai quand il soutient que « feu M. du Lude... gouvernoit le roy Louis XI » 46. Est-il possible de penser que ce favori fut maladroit, étant donné que Louis XI, fin connaisseur, ne cessa de lui confier des missions délicates et de lourdes responsabilités, qu’il l’appelait « maistre Jehan des Habiletés », qu’il lui octroya de nombreuses récompenses qu’énumére R. Doucet 47 : Il trouva d’ailleurs de larges profits et plus honorables dans la munificence du roi : bailli de Cotentin, capitaine d’une compagnie d’ordonnance

de cent lances, gouverneur

d’Alencon,

de Pouancé

et de Domfront,

il

recut, en 1474, le gouvernement du Dauphiné qu'il conserva jusqu’A sa mort. Aux titres honorifiques de conseiller et de chambellan du roi, il ajoutait les revenus qu’il tirait de nombreuses donations, 500 livres a

Domfront, 1.300 livres 4 Orléans, la vicomté de Domfront, les seigneuries de Leuzé, Condé-en-Hainaut, La Ferté-Milon, Nogent-l’Artaud, Luzarches

et d’autres encores, Louis l’avait comblé en 1477, aprés la campagne d’Artois. Il savait recompenser magnifiquement ceux qui le servaient bien ?

Cupide, certes, mais médiocre politique, non pas.

Mais, pourra-t-on dire, le chroniqueur efit pu se dispenser de parler de ce personnage qui était tout-puissant a la cour et dans le Nord au moment méme ou Commynes était éloigné de ces deux théAatres, et que le roi comblait de donations diverses, alors qu’il devenait moins géné40 Chronique d’Abbeville, éd. par BELLEVAL, Mémoires de la Société d’émulation d’Abbeville, 3° série, 2° vol., 1878, p. 137 : «Le roy y aloit et venoit souvent en personne, mais il n’y sejournoit gaires, ains y commetoit le seigneur d’Esquerdes et le gouverneur du Daulphiné comme principaulx cappitaines de saditte armee. » 41 Arras, aofit 1852, pp. 20, 21, 23. Voir la Chronique scandaleuse, t. II, pp. 69 n. 2, 94 n. 1, 100, 383 : «... fut assés mal obey des gens d’armes. » 42 Voir Pierre LE PRESTRE, op. cit., p. 142.

43 Ibid., p. 144.

44 Jean LE CLERC, éd. cit., t. II, p. 384,

45 Ibid., p. 387.

46. Op, cit. t. Il, p. 415.

47 Le Gouvernement de Louis XI, dans la Revue des Cours et conférences,

année

1922-1923, p. 744,

JEAN DE DOYAT

81

reux avec le seigneur d’Argenton ? Son nom aurait pu disparaitre des Mémoires, comme ceux de Bourré et de Boffillo. Par la méme occasion, notre auteur aurait masqué encore davantage sa disgrace. Pourquoi revenir tant et tant de fois sur Daillon ? Sans doute parce qu’il a souffert 4 cause de lui plus que de n’importe qui, écarté du voisinage royal et ulcéré par les plaisanteries acerbes ou enjouées de son esprit caustique : les Mémoires suggérent l’un et l’autre. En outre, mort, Jean Du Lude n’était plus dangereux. Surtout, couraient sur son compte des bruits infamants que les Mémoires ne rapportent pas, mais qu’ils rendent plausibles par de venimeuses remarques. En effet, Molinet relate la fin scandaleuse et étrange de Daillon: En ce temps aussy, advint que le seigneur du Lude, mignon du roy Loys de France 48, cheut en une maladie sy horrible qu’il ne voloit cognoistre son createur et morut en cest erreur, Aulcuns disoyent que lacuité de son mal le privoit de salutaire congnoissance, l’oppinion des aultres estoit qu’il le faisoit par cauteleux malices comme demy desespéré. Toutefois, il fut enterré en quelque chapelle et, ainsy que le prestre se disposoit 4 chanter la messe pour son ame, l’ennemy s’aparu a lui, affirmant que ledit seigneur du Lude estoit dampné et emmené en enfer, en corpz et en ame. Et, pour scavoir la verité, son tombel fut descouvert et n’y avoit ne chaer ne os ne quelque membre de son corpz, dont le roy et ceulx de sa court furent grandement esmerveilliéz. Ceste estrange besoigne fut divulguée et preschie publicquement par tout le royaume de France 49. %

*

Parmi les conseillers ou les familiers de la nouvelle équipe, Commynes en a choisi deux qu’avaient poursuivis la rancune tenace des grands et la haine du peuple: Olivier le Dain, dont le duc d’Orléans s’appropria les grands biens, et Jacques Coictier, encore que ces deux personnages aient été loin de jouer les premiers rdles. Il est notable qu’il ne voue pas au mépris de I’histoire une autre victime du changement de régime : JEAN DE DoYAT, qui fut arrété le 14 mai 1484, condamné le 30 juin 1485 a étre fouetté, 4 avoir la langue percée d’un fer chaud et une oreille coupée, a étre banni, a étre dépossédé de sa fortune, et qui fut publiquement fustigé 4 Montferrand en 1486 5°. Sans doute lui pardonna-t-il les faveurs qu’il obtint de Louis XI parce qu’il ne vint a la cour qu’en 1482, dans « une sorte de disgrace, provoquée peut-étre par les instances du duc de Bourbon désireux d’étre protégé contre les excés de zéle des fonctionnaires royaux » 51; que, comme Commynes, il fut abandonné par son maitre ; et surtout qu’il fut le champion acharné du pouvoir central contre un autre ennemi du seigneur d’Argenton, le duc de Bourbon, dont il vient d’étre question. 48 49 50 51

Autre signe de sa toute-puissance. Chronique, éd. cit., t. 1, pp. 354-355. Lettres de Louis XI, t. VI, p. 301. Voir R. Doucet, art. cit., p. 1240. Voir MICHELET,

t. VIII, pp. 338-339.

es Histoire

de France,

82

:

OLIVIER

LE DAIN

Personne n’a entrepris de laver la mémoire du barbier OLIVIER LE DAIN des crimes et des excés dont on l’accuse, sauf peut-étre Alfred Neumann dans son roman historique Der Teufel (1926). Selon toute vraisemblance, il est impossible de le réhabiliter, bien que ce com-

pére (?) du roi efit été un homme de science, plus chirurgien que barbier, qu’il eit agi auprés de son maitre pour que fit établi un réglement hostile a ignorance, favorable a la propreté, préconisant une connaissance approfondie des veines et l’hygiéne pour le royaume ®? ; bien qu’il soit inquiétant de penser qu’on lui a fait payer cher les délits de chasse de ses serviteurs ; bien qu’il soit troublant que le duc d’Orléans, chef des féodaux, se soit emparé de ses biens trés considérables ; et qu'il ait été exécuté sans délai, pour ne pas laisser au jeune Charles VIII le temps de le gracier 53, Il n’est pas sans intérét d’étudier dans le détail le comportement de notre chroniqueur, dont la disgrace a coincidé avec l’envoi d’Olivier a Gand, et de poursuivre une analyse entamée ailleurs 54. Commynes, une fois de plus, feint la modération et l’impartialité. Il n’accuse pas le barbier des pires forfaits, comme le font Thomas Basin5> ou Alain Bouchart °¢ ; il juge inutile et méme dangereux pour sa réputation d’objectivité, de reprendre des accusations que tout le monde connaissait et répétait en les amplifiant au point de donner naissance au monstrueux personnage de la légende romantique (exactions contre des gens inculpés du crime de lése-majesté, injustement emprisonnés et relachés contre de fortes sommes d’argent ; actions contre le conseiller du Parlement, Martin de Bellefaye, contre l’évéque de Paris...57), et qui ne sont certainement pas dénuées de fondement: « C’était un homme de moralité trés basse, le type du fonctionnaire pillard et cruel, qui abusait de son autorité pour commettre toutes sortes d’excés » 58, Commynes

52 P. CHAMPION, Louis XI et ses physiciens, Paris, 1935, p. 36. 538 Voir MICHELET, op. cit., t. VIII, p. 309 : «Cet homme, trés-fidéle, était capable aussi. Le roi, qui lui confiait son col, ne craignit pas de lui confier ses affaires. Il lui trouva infiniment d’adresse et de malice. » 54 Dans la Destruction des mythes..., ch. 3, 4° partie, § Son habileté, pp. 177-179. 55 Ed. QUICHERAT, 4 vol., Paris, 1855-1859 (Société de 'Histoire de France), t. III, p. 197 : «... quosdam infimae sortis homines, nullis ornatos litteris aut virtutibus, omni vero nequitia et iniquitate repletos, quibus maximos honores et munera conferebat : ut Oliverium quemdam, suum barbitonsorem, Flamingum, qui paulo post ejus obitum, ob enormia scelera quae, eo vivente, patrarat, cum quodam ejusdem satellitii, Daniele nominato, Parisiis patibulo adjucatus est et affixus. » 56 Les Grandes Croniques de Bretaigne, éd. LE MEIGNEN, Nantes, 1886 (Société des Bibliophiles bretons), f° 242 v°, c. 1 : «Olivier le Daim, tant a cause de plusieurs maulx comme a cause de l’occision par luy commise jouste le commandement de Loys, fut executé de mort par justice. » ee ns site Procés lobed le Daim, dans les Séances et travaux de cademie des sciences morales et politiques, 37° année, nouv. série. t.

1877, pp. 485-537.

58 R. DOUCET, op. cit., p. 738.

a

cut

pte is

Deni

OLIVIER

LE DAIN

83

se contente de le ranger parmi ces « gens de petite condicion et assez mal nommeéz » 5® qui entourent le roi dans les derniéres années, et qui ne sont pas assez lucides pour se rendre compte que les faveurs excessives dont ils bénéficient, se retourneront contre eux et qu’ils perdront tout a la mort de leur protecteur ®. II lui reconnait méme sens et vertu dans la prise de Tournai, ol! « ung bien plus saige et plus grant personaige que luy eust bien failly 4 conduyre son ceuvre » *1. Ce compliment le prive d’ailleurs de sagesse, et le définit par la médiocrité, a tous les points de vue. Détachement méritoire de la part de notre chroniqueur, a premiére vue, mais qui s’explique aisément : il savait qu’Olivier n’était qu’un comparse, qui ne joua qu’un réle médiocre, instrument entre les mains de plus grands que lui (tel Daillon). C’est pour sa propre apologie qu’il lui a accordé, dans les Mémoires, une place sans proportion avec son importance réelle. De toute facon, il ne l’épargne guére, discréditant tour a tour l’homme, le familier, l’ambassadeur. Quel piétre personnage que ce barbier, né dans un petit village flamand proche de Gand ®, méprisé de tous, avec toutes les prétentions d’un parvenu de bas étage, sans finesse naturelle, affichant dans son costume, un luxe que devrait lui interdire la médiocrité de sa naissance §8, se faisant appeler comte de Meulan, et cette formule est de Commynes lui-méme ®*. Non content d’user et d’abuser des bontés du roi, il lui annonce brutalement la mort, sans aucun scru-

pule (était-ce 4 un homme de son acabit qu’incombait une telle mission ?), sans éprouver le moindre sentiment d’humilité, de crainte ni de reconnaissance, sans tenir compte de la dignité de son maitre ni du caractére exceptionnel du moment ®, enorgueilli (et cet orgueil est un nouveau signe de sa sottise) par une bonne fortune soudaine et excessive qu’il ne méritait d’aucune maniére, que l’on envisage ses qualités personnelles ou la noblesse de sa famille ®*. Toujours le parvenu méprisable: VYhomme de peu réapparait sans cesse. S’occupe-t-il de politique ? Il trompe Louis XI par ses vantardises, étant de ceux qui «le servoyent plus de parolles que de faict » ®.

58 T. II, p. 292. 60 Jbid. : «... a qui il povoit bien sembler, s’ilz estoient saiges, que, dés ce qu’il seroit mort, que ilz seroient desappointez de toutes choses, pour le moins qui leur en pourroit advenir. Ainsi leur en advint. »

61 T. II, pp. 179-181. 62 [bid., pp. 170 et 178. 63 [bid., p. 177. 64 Jbid., p. 178

: « Ledit maistre

Olivier, qui se faisoit appeller

conte

Melean, qui est une petite ville prés de Paris, dont il estoit capitaine... »

de

65 Ibid., p. 315 : «... aussi tout de mesmes prindrent charge sans craincte de dire chose a ung tel prince qu’il ne leur appartenoit pas, ny ne garderent la reverence et humilité qu’il appartenoit au cas... » 66 Jbid. : « Et tout ainsy comme il les avoit haulsez et trop a4 coup et sans propoz en estat plus grand qu’il ne leur appartenoit... »

oT Feil p. 170:

;

84

OLIVIER

LE DAIN

Surtout, il échoue lamentablement 4 Gand. Auprés de Marie de Bourgogne: certes, il ne réussit pas a lui parler en téte a téte, mais, ce qui est beaucoup plus grave pour un ambassadeur, il ne sait sauver les apparences, faisant triste figure, pris de court, incapable soit de prévoir, soit d’inventer sur le champ une réponse ingénieuse, menacé, moqué et apeuré®, Bref, ni qualités intellectuelles, cela va sans dire, ni qualités plus élémentaires de fermeté et de courage. Auprés des Gantois, malgré de bons atouts dans son jeu®: abreuvé de quolibets et de sarcasmes, qui ridiculisent aussi bien son passé de parvenu misérable que sa conduite présente de porte-parole sans intelligence, il fuit comme le dernier des laquais, redoutant une mort infamante par noyade. Et ses craintes n’étaient pas déraisonnables 7. Bien siir, il l’emporte 4 Tournai. Mais quel mérite y a-t-il 4 prendre, mi-force, mi-amour, une ville « fort affectionnée au roy » 71, aux applaudissements du peuple assez sot pour ne pas prévoir les malheurs a venir 72? Au total, un « petit personnaige, inutile 4 la conduyte de si grant matiére » 78, plus hardi que sensé, « ridicule ambassadeur, forban adroit », comme |’écrit Faguet. x Reste 4 savoir si cet échec 4 Gand fut aussi retentissant et aussi ridicule que nous le dit Commynes. Selon Nicolay, le chroniqueur de Tournai qui, francophile, ne se moque pas de la basse condition de l’ambassadeur Olivier, aprés avoir montré ses lettres de créance, présenta sa requéte a la jeune duchesse, l’assura de l’affection et de l’amitié du roi, invita a se réconcilier avec lui ; mais ses efforts furent vains, a cause de l’opposition du peuple et de certains conseillers 7. Jean de Haynin se borne a signaler le petit état de |’émissaire, « barbyer ou varlet de chambre et ome de bien petit estat » 75, qui s’en retourna aprés le refus opposé a sa requéte d’un entretien secret avec Marie de Bourgogne. Basin, enfin, nous a laissé une relation circonstanciée de 1’épisode 76, Deux faits étonnent et choquent profondément la duchesse et 68 T. II, 69 T. II, 70 T. Il, 71 Ibid. fa te IL TW

pp. 176-178. p. 177. p. 178. piel 80: pl St.

74 Kalendrier des Guerres de Tournay (1477-1479), éd. par F. dans les Mémoires de la Société historique et littéraire de Tournai, 1853 et 1856, p. 43 : «... (Olivier), jadis barbier du Roy quy le en honeur par sa bone conduicte et leal service, fait capitaine Meulenc et envoyé en Tournay... A laquelle (Marie) ledit mestre

credance monstree, declara la bonne affection et cordialle amour

HENNEBERT, t. II et III, avoit eslevé du Pont a Ollivier, sa

que le Roy

avoit a elle et aultres charges que ilz avoient du roy pour la incliner a ce que amiablement elle se acordast avoecq luy ; mais tout leur fust vain, et ne peult la chose venir a bon effect pour les empeschemens du peuple et de aulcuns du conseil de elle. » _ 1 Mémoires, éd. D.D.° BROUWERS, 2 vol., Liége, 1905-1906 (Société des Bibliophiles liégeois), t. Il, p. 233.

76 Ed. cit., t. II, pp. 17-18.

OLIVIER

LE DAIN

85

son entourage, composé de parents et de conseillers : d’abord, le choix d’un tel ambassadeur que son origine misérable et sa moralité douteuse (en témoigne son surnom de mauvais) rendent indigne de cette mission auprés d’une si grande princesse ; ensuite, la demande d’un téte-a-téte, sans aucun témoin, entre Marie, une jeune fille, et ce sordide émissaire que n’accompagne qu’un secrétaire royal 77, Aussi fait-on savoir au barbier qu’il ne serait ni décent ni permis, qu’il conversat seul a seule avec une demoiselle aussi jeune et que l’entrevue ne peut avoir lieu qu’en présence de témoins choisis parmi son entourage 78, Olivier répond que les consignes qu’il a recues, ne prévoient pas une telle possibilité ; il se déclare disposé 4 envoyer un messager auprés de son maitre pour I’inciter a satisfaire aux désirs de ses interlocuteurs 7. Mais, aprés une attente de plusieurs jours a Gand, lui parvient une réponse négative qui refuse toute modification. Tous les membres de la cour bourguignonne désapprouvent et critiquent une exigence aussi déraisonnable qui masque sans doute une ruse ou quelque infame dessein. Les négociations s’arrétent 1a, le barbier demande son congé et retourne vers Louis XI, sans avoir réussi a parvenir a ses fins 8°. Robert Gaguin ne s’éloigne pas beaucoup de l’évéque de Lisieux: Olivier aprés qu’il fut venu a Marie, usant de sa temerité acoustumée, ou pourtant que son mandement le portoit, demanda avoir parolles a part

et en arriére cest a dire seul avecques Marie. Toutesvoyes ne luy fut permis de parler a elle en particulier, actendu

nable a la vereconde

que c’estoit chose non conve-

et celsitude de ceste pucelle, aincoys luy convint

dire devant les seigneurs a ce choysiz par Marie le mandement

avoit du roy Loys. Et ne fut 4 l’ambassadeur foy adjoustée retourna au roy sans riens faire 81.

que receu

: par quoy

Si nous comparons ces récits entre eux, que découvrons-nous ? Quelques éléments communs: le mépris déclaré des Gantois et de l’entourage de la duchesse pour le barbier promu ambassadeur; le refus de lui accorder un entretien avec Marie. Mais Commynes est seul a rapporter, d’abord, qu’Olivier le Dain a été ridicule, pris de court et effrayé par les questions pressantes de ses interlocuteurs ; il est plus vraisemblable, comme le dit Basin, qu’il se soit retranché derriére la volonté

77 Ibid., p. 17 : « Qui veniens Gandavum

cum uno simplice secretario regio,

petiit ex parte regis habere colloquium secretum

ad partem, cum

principissa

sola. Quod cum ipsa audivisset caeterique, qui de ejus aderant cognatione et consilio, mirati sunt et non modicum stomachati : primum quod rex talem

infimae sortis et conditionis hominem

talique, uti diximus, insignitum

cogno-

mento, ad talem tantamque principissam legatum misisset, et pro tanto tamque arduo negotio pertractando ; deinde quod tantae principissae, juvenis puellae, colloquium, remotis arbitris, expeteret... »

a ; ‘ 78 [bid. 79 Ibid., p. 18 : « Quod cum hujuscemodi legato responsum fuisset, dixit se

non aliter in mandatis a rege expressum

habere, sed ad regem libenter se mis-

surum eumque desuper consulere ut, uti ipsi optabant, sibi fieri placeret. » 80 bid. 81 Fd. cit., f° 109.

JACQUES

;

86

COICTIER

royale ; ensuite, qu’il s’enfuit précipitamment : le méme Basin, pourtant peu favorable a cette créature de Louis XI, nous révéle qu'il s’éloigna en respectant les usages. En outre, il est A noter que Louis XI, s’il ne lui confia plus de missions délicates, ne lui tint pas rigueur de son échec, mais lui manifesta de plus en plus sa faveur 82, comme les Mémoires |’attestent. On pourrait done conclure que notre chroniqueur, loin de chercher a rétablir la vérité, hurle avec les loups et dépouille ses ennemis ou rivaux des qualités, petites ou grandes, qui les faisaient estimer d’un maitre dont il aggrave a dessein la décrépitude. *

*% Avec COICTIER, les spécialistes de la réhabilitation peuvent plus facilement donner libre cours a leur bonne volonté en quéte de causes difficiles. Comment notre mémorialiste présente-t-il ce médecin, auquel il reproche essentiellement d’avoir accaparé les faveurs du roi, méritées sans doute par un talent exceptionnel s’il est vrai que, comme il est dit dans les Mémoires, d’une part, le souverain « estoit enclin a ne vouloir croire le conseil des médecins » 88, et, de l’autre, « il avoit toute confiance » 84 en ce disciple d’Hippocrate, sans compter que le vertueux Cato devait éprouver une jalousie persistante a l’égard de ce confrére plus heureux ? Nous ne nous attarderons pas sur ce personnage, ayant déja abordé son cas dans un chapitre consacré 4 Commynes lui-méme ®°. Premiére

habileté

de notre

auteur:

associer

étroitement

Coictier

a

Olivier le Dain, dont l’infamie semblait incontestable %. Seconde habileté: analyser, avec précision, son comportement a Pégard de Louis XI, sans hésiter 4 user de la répétition. Sa cupidité est dénoncée trois fois, avec chiffres a l’appui, et recours a la division pour calculer le revenu annuel du médecin 87. Cupidité insatiable qui engloutit de colossales sommes d’argent, des offices, des terres, voire Pévéché d’Amiens, pour lui, ses parents, ses amis. Tous les mois, ponctuellement, il passe a la caisse. Ses services lui sont payés comptant 88. Dix mille écus mensuels, plus des broutilles, puisqu’en cinq mois, il ramasse 54.000 ou 55.000 écus. La pension annuelle de Commynes était de 6.000 livres tournois. Cupidité d’un charlatan qui spécule sur les

82 Voir les Lettres de Louis XI, t. IV, p. 160, et les ouvr. cités de P. CHAMPION et PICOT.

83 T. II, p. 284. 84 Ibid., p. 314. 85 Voir notre Destruction des mythes..., ch. 3, 4° partie,

pp. 179-181,

86 T. II, pp. 314-315. 87 T. II, pp. 292, 314 ef 319.

§ Son dévouement

88 T. Il, p. 319 : «... auquel en cing moys donna cinquante cing mil escuz contant... »

JACQUES COICTIER

87

vaines espérances d’un moribond qu’épouvante l’approche du trépas 89. Cupidité grossiére d’un parvenu arrogant dont la brutalité est stigmatisée en deux longs passages 9°, Pas de circonstances atténuantes pour le prévenu qui abusa de la situation. Ingratitude, manque de respect, vulgarité, chantage, menaces. I] humilia son maitre, l’emprisonnant dans une servilité indigne de sa grandeur. Brutalité dans la vie quotidienne: les scénes de chantage agrémentées de menaces, de rebuffades, de jurons, de serments, se renouvellent trés souvent 91. Brutalité a la derniére heure, quand il s’agit d’annoncer au roi l’imminence de sa mort. Sa présence doit 6ter toute illusion au souverain %, et il accepte de participer a cette cruelle entreprise, surtout par jalousie de Francois de Paule, dont Commynes exalte a dessein la sainteté, et dont le nom revient de deux a trois fois dans les réflexions et les propos du sinistre trio 9% qui s’arrogea le droit d’avertir Louis XI et s’acquitta de cette mission sans la moindre once d’humanité, malgré les priéres de sa victime %*. Coictier est encore plus odieux que ses complices: le roi, qui le couvrait d’or, avait placé en lui toute son espérance %, La cupidité de Coictier ne saurait étre mise en doute. La longue liste des dons royaux % le prouve, comme cette récapitulation de Chereau : Dans l’espace d’une année (de février 1472 a février 1483), il obtint, outre les riches et fructueux offices de premier médecin du roi, de bailli du Palais et de Premier Président en la Chambre des Comptes, la chatellenie de Rouvres, domaine des anciens ducs de Bourgogne, le chateau de

Saint-Germain-en-Laye, les seigneuries de Poissy, de Triel, de Saint-James, le chateau

de Grimont,

le fief royal de Poligny,

la clergie ou greffe du

baillage d’Aval dont Poligny était le siege principal depuis 1427, et qui renfermait presque toute la basse Franche-Comté, la terre et la seigneurie de Saint-Jean-de-Losne et de Brazay, les rentes prélevées par la couronne

sur la maison hospitaliére de Montmorillon, autres dons secondaires 97.

sans préjudice de plusieurs

Mais, dans l’entourage de Louis XI, qui a été désintéressé ? Quant au reste, il est difficile de l’affirmer avec une égale certitude. Fut-il brutal et arrogant? Gaguin écrit que Coictier «jusques au dernier jour de sa vie tresagreablement le (le roi) servit, par luy enrichi de plusieurs biens et richesses » 98. Le vénérable général des Trinitaires efit-il employé ce superlatif, s’il avait été au courant de rumeurs défavorables sur le comportement du médecin ? Est-il admissible qu’elles ne soient pas par-

89 Passim. 9 T. Il, pp. 314-319.

91 Jbid., p. 319. 92 Ibid., p. 315. 93 Ibid., pp. 314, 315 et 316. 94 Ibidem, p. 316. 5 Jbid., p. 314.

9% Lettres de Louis XI, t. VII, p. 244. 97 Jacques Coictier, médecin ae Louis XI, Poligny, 1861, p. 13. 98 Fd. cit., f° 213.

;

88

LA REGENCE

DES

BEAUJEU

venues A ses oreilles, alors qu’on faisait fléche de tout bois pour abattre le personnel de Louis XI ? A-t-il été ou non cet homme probe, généreux, cultivé, respecté, qu’estime Pierre Champion dont les affirmations sont bien souvent sujettes a caution 9 ? Il demeure un fait indéniable : au moment de la plus virulente réaction, si Coictier fut dépossédé, le 22 septembre 1483, de son office de premier président des comptes, dés le 26 du méme mois, il en retrouva la vice-présidence, oti Louis XII le maintint le 20 septembre 1498. On est surpris que Commynes ne dise rien d’un autre prétendu compére de Louis XI, le fameux TRISTAN L’HERMITE qui proméne son ombre inquiétante dans les piéces de Paul Fort. Il est facile d’expliquer cette absence, Serviteur de Charles VII, il resta a l’arriére-plan sous Louis XI : « Une autre fois, il est chargé d’une mission de médiocre importance. Nous savons enfin qu’il fit partie des commissions chargées de juger Charles de Melun et le cardinal Balue; dans tout cela, il n’y a rien qui fasse pressentir la moindre influence » 1°. Commynes ne le rencontra pas sur son chemin, comme Daillon et Olivier le Dain, au moment de la succession de Bourgogne.

IV.

LES DEBOIRES SOUS LA REGENCE D’ANNE DE BEAUJEU

Ecarté par Louis XI, dédaigné par les Régents Anne et Pierre de Beaujeu, Commynes joua, pour revenir au premier plan, la carte des princes et de l’opposition. Son ambition l’amena 4a rejoindre le camp des Orléanistes et a devenir le champion du libéralisme et de Il’aristocratie, alors qu’il avait aidé le souverain a rabaisser les féodaux et a renforcer la royauté?. Pour retrouver l’un des premiers rdles dans la conduite de l’Etat, il utilisa tous les moyens qui lui semblaient favorables: il intrigua avec les factieux, il songea a se servir des états

généraux

(1484)? pour limiter l’autorité des Beaujeu.

Il se heurta a

René de Lorraine, alors allié aux régents, dont il avait combattu, nous dit-il, avec succés les prétentions sur la Provence en compagnie d’Odet d’Aydie et d’Antoine de Castelnau? pour plaire a Charles VIII et a son favori Etienne de Vesc, et qui le chassa de la cour: le mémorialiste ne le pardonna jamais ni a René II ni a Etienne de Vesc. Cet exil le

99 Op. cit., p. 62 : « La correspondance du célébre médecin, travesti par les auteurs romantiques, révéle un homme aussi respecté que consulté, savant et latiniste. » Voir BENARD, préface au livre de L. IPCAR, Louis XI et ses médecins, Paris, 1936 . «... une série de lettres de Coitier... qui montrent le tour d’esprit, la culture, le degré d’instruction de l’illustre physicien... » 100 R. DOUCET, art. cit., p. 738.

1 Voir notre Vie de Commynes, pp. 142 sq. 2 Ibid., pp. 145 sq.

3 Ibid., p. 163.

RENE

II DE LORRAINE

89

conduisit 4 se démasquer et 4 seconder davantage les menées des opposants qui échouérent: le duc d’Orléans capitula 4 Beaugency en septembre 1485 et Commynes fut déchargé de son office de sénéchal et de la garde du chateau de Poitiers. Dés lors, nous comprenons que celui-ci ait tracé des ducs de Lorraine, d’Orléans et de Bretagne* des portraits peu flattés : le premier le forca a lier plus intimement son sort A celui des féodaux en révolte ; le second, incapable et brouillon, ne sut 4 aucun moment mener une action efficace ; le troisiéme n’intervint pas a l’heure ou le destin hésitait®, A des degrés divers, Commynes les tiendra pour responsables de ses malheurs. En octobre 1485, il se réfugia auprés du duc Jean II de Bourbon qui, a son insu, finit par se réconcilier avec les Beaujeu et du coup renvoya Commynes comme un laquais dont on n’a plus besoin®: bafoué, ridiculisé, chassé, le chroniqueur n’oublia jamais la conduite du duc qui, tout au long des Mémoires, n’est qu’un traitre versatile ou un pitoyable barbon’. De gré ou de force, Commynes rejoignit les éternels comploteurs, les Orléanistes, qui, le 13 décembre 1486, conclurent contre les Beaujeu une ligue regroupant les ducs d’Orléans, de Bretagne et de Lorraine, le roi et la reine de Navarre, les comtes de Nevers, de Comminges et d’Angouléme, le prince d’Orange, Alain d’Albret et Maximilien d’Autriche ®. Mais Anne de Beaujeu, bien renseignée, les prit de vitesse : Commynes fut arrété en janvier 1487 et soumis a une dure captivité 4 Loches, puis a la Conciergerie de Paris, jusqu’en mars 1489 9. *

o*

RENE II DE LORRAINE, héritier des Angevins, petit-fils du roi René par sa mére Yolande d’Anjou, épouse de Ferry II de Vaudémont, était donc coupable aux yeux de Commynes de Il’avoir chassé en 1485 de la Cour de France et de !’avoir ainsi contraint a s’associer plus étroitement aux Orléanistes dans une aventure qui finit fort mal pour notre auteur 2° ; plus tard, de n’avoir su se lancer a la reconquéte du royaume de Naples qui aurait peut-étre procuré a notre mémorialiste la restitution de ses biens et de ses charges 11. Aussi les Mémoires ne le ménagentils pas.

Aprés sa victoire 4 Nancy sur le Téméraire, le duc de Lorraine eut dans l’opinion publique la réputation d’un grand et noble guerrier, d’un

4 Pour les ducs de Lorraine et d’Orléans, voir les 4° et 5° parties de ce chapitre. i Pour le duc de Bretagne, voir notre Destruction des mythes..., pp. 499-504. 6 Voir notre Vie de Commynes, pp. 165-170. 7 La Destruction des mythes..., pp. 35-36.

8 La Vie de Commynes, pp. 170-174. 9 Sur les Beaujeu, voir la Vie de Commynes, pp. 160-168.

10 Voir notre Vie de Ph. de Commynes, 11 [bid., pp. 167-168.

pp. 163-164.

RENE

90 David terrassant Goliath, témoin nes et Lud: '

II DE LORRAINE

ces lignes de ses thuriféraires, Joan-

... et estoit chose bien estrange a ouyr que un poure dechassé de son pays, tel qu’estoit lors, eust deffaict un tel et puissant prince comme estoit partout renommé le duc de Bourgongne 12,

Nous en retrouvons |’écho aussi bien dans la Chronique scandaleuse de Jean de Roye que dans la Chronique de Jean Molinet. Trois images se détachent avec netteté. 1°) A Morat, René II joua un réle prépondérant. Il attaqua le Téméraire et le mit en fuite. Les Suisses n’eurent plus qu’a parachever son ceuvre. Selon Jean de Roye, entre 10 et 11 heures, le 22 juin 1476, il se jeta contre l’avant-garde bourguignonne, commandée par le comte de Romont, qu’il déconfit « de premiére venue » 13, Pour Molinet, il était le principal chef de l’armée suisse, estimée a vingt ou vingt-deux mille soldats 14, 2°) Pour reconnaitre la part importante qu’il avait prise dans la victoire, ses alliés lui abandonnérent toute l’artillerie bourguignonne, tombée entre leurs mains et destinée a remplacer celle qui lui avait été enlevée a Nancy 15, Molinet est encore plus explicite : l’ennemi en fuite, René II est l’objet de vifs éloges et d’honneurs flatteurs ; il passe la nuit dans l’hétel du vaincu qu’il trouve « bien furni de vivres, de baghues, vaisselles et utensiles » ; le lendemain, pour le remercier, les Suisses lui donnent non seulement le parc d’artillerie, mais encore toutes les dépouilles qui jonchent le champ de bataille 16. 3°) Enfin, aprés Nancy, le cadavre du Téméraire retrouvé et identifié, René II lui rend les derniers honneurs avec une grandeur toute chevaleresque. Jean de Roye ne tarit pas sur ce sujet. Le corps du vaincu est transporté dans la capitale du duché lorrain. Aprés la toilette funébre, enfermé dans une chambre sombre aux murs tendus de velours noirs, il est placé sur une table, habillé d’un vétement de toile « depuis le col jusques aus piedz», avec, sous la téte, un oreiller de

12 Chronique

ou Dialogue

entre Joannes Lud et Chretien, secrétaires

René II de Lorraine, sur la défaite de Charles le Téméraire éd. J. CAYON, Nancy, 1844, p, 41. Voir aussi CAGNOLA, lettre dans KERVYN DE LETTENHOVE, Lettres et négociations de Philippe Bruxelles, 1867-1874, 3 vol., t. I, p. 225. 18 Journal connu sous le nom de Chronique scandaleuse,

de

devant Nancy, du 28-11-1478 de Commynes,

1460-1483,

B. DE MANDROT, 2 vol., Paris, 1894-1896 (Société de histoire de France,

éd.

1,

p. 146. Voir aussi Chronique de Lorraine (Recueil de documents sur Lhistoire de Lorraine), éd. MARCHAL, Nancy, 1860, p. 204 : « Desdicts Suysses por leurs gens secourir ont demandé a duc s’il volloit estre leur chief » ; p. 206 : « Grand

honneur portoient a duc de ce que le chief en leur airmoy estoit esté. »

p.

we

G. DOUTREPONT

et O. JopoGNE,

: 46 Jean DE ROVE, éd.ieth pt. Me pedir 6 fd. cit, t. 1, p. 147.

Bruxelles,

1935-1937,

3 Vol.et.

I

?

RENE

II DE LORRAINE

91

velours noir et, au-dessus de lui, un poéle de méme étoffe et de couleur identique ; aux quatre coins, quatre grands cierges; « aux piedz, la croix et l’eau benoiste ». René vint a son chevet en habits de deuil, portant une longue barbe d’or qui lui descendait jusqu’a la ceinture

« en significacion des anciens preux et de la victoire qu’il avoit sur lui eue » 17, Molinet compléte cette relation: le vainqueur ordonna d’ensevelir le Téméraire honorablement dans une chapelle de l’église SaintGeorges de Nancy et d’élever une croix de pierre A l’endroit of fut découvert son cadavre afin que les passants priassent pour le salut de son 4me}8, Commynes, au contraire, dépouille le Lorrain de sa victoire. Il ne lui reconnait aucun mérite personnel. En effet, René II est trés jeune, Sans aucune expérience 19. Sa puissance est trés médiocre: c’est « ung ennemy de bien petite force » 2°; elle apparait encore plus pitoyable, compte tenu des ressources dont dispose le Téméraire : les mercenaires anglais de la garnison bourguignonne de Nancy cédérent au désespoir car ils «ne congnoissoient point bien la petite force du duc de Lorraine et les grandz moyens que avoit ledict duc de Bourgongne de recouvrer gens» 2!, Elle était si faible que René II, tout d’abord, dut renoncer a affronter son adversaire: «...il n’y eut riens d’importance pour ce que ledict duc de Lorraine n’estoit assez fort » 22, Elle devint méme inexistante, puisque Charles de Bourgogne lui avait enlevé le duché de Lorraine, le comté de Vaudémont et la majeure partie du Barrois, et que Louis XI s’était emparé du reste 2°. Jouet dérisoire entre les mains de deux puissants protecteurs, il n’avait plus ni sujets, ni méme serviteurs: tous, spontanément, avaient prété serment au Téméraire, en sorte qu’il « sembloit qu’il y eust peu de ressource en son faict » 24. Il eut la chance exceptionnelle que Dieu efit fait de lui son instrument pour abattre le duc de Bourgogne. L’initiative ni le mérite d’une action quelconque ne lui reviennent jamais. Quand il se révolte contre le Téméraire et lui déclare la guerre,

17 T. Il, p. 42. 18 T. I, p. 168. Voir Chronique de Lorraine, éd. cit., pp. 307-308 : « Quand li duc [René] a oy que [le cadavre du Téméraire] estoit trouvé, bien joyeux fut nonobstant que il eust mieulx voullu que li duc_en ses pays eust demouré et que oncques la guerre n’eust prins contre luy. Dist li duc : « Adportez le bien honnestement. » Li duc moult honnestement fut lavé. Il estoit blanc comme neige, il estoit petit, fort bien membré. Sus une table, bien enveloppé dedans des blancs draps, un oreiller de soye dessoubs sa teste, avecque une estoque rouge, mis les mains joinctes, la croix et l’eau benoiste apres de luy. Qui veoir le volloit,

on

n’en destornoit

nulles personnes.»

solennelles, 19 Ed. cit., Il, p. 94: choses. »

20 21 22 23 24

Ibid. [bid., Ibid., Ibid., Ibid.,

p. p. p. p.

134. 135. 119. 120.

Suit, p. 309, le récit des funérailles

«... en fort jeune aage,

. ; peu experimenté en toutes

RENE

g2

II DE LORRAINE

cest A l’instigation de Georges de La Trémoille 25. La Chronique de Lorraine nous permet de nuancer cette affirmation des Mémoires, de distinguer plusieurs moments, de comprendre que René II ne fut pas seulement un pion sur l’échiquier de Louis XI et de ses conseillers. Mécontent d’avoir cédé a son protecteur bourguignon quatre places, René craint d’étre contraint d’avoir a lui abandonner la Lorraine que Charles médite d’englober dans le royaume dont il réve ; en outre, ses sujets se plaignent des soldats bourguignons 2. Il écrit au Téméraire pour lui demander de remédier 4 cette situation. Réponse dilatoire, jugée peu satisfaisante 27. Les conseillers de René II le poussent a se jeter dans les bras de Louis XI 28 qui l’incite 4 déclarer la guerre au duc de Bourgogne et lui promet son appui 2%. René II envoie son héraut au camp de Neuss pour défier son trop autoritaire ami qui s’en gausse, donnant a l’émissaire une magnifique robe et l’assurant de se retrouver bien vite en Lorraine 2°; il obtient alors du roi de France des troupes que commande Georges de La Trémoille *1. Revenons-en aux Mémoires, Le Lorrain pille quelques places du Luxembourg, mais il n’a que la ressource de s’enfuir piteusement quand le Téméraire se présente aux frontiéres de son duché. Il se rend compte qu’il a été dupé par les Francais qui n’interviennent pas. I] connait alors une existence misérable a la cour de Louis XI ot ses malheurs n’apitoient personne ®2, Plus tard, aprés la défaite bourguignonne de Granson, le roi songe de nouveau a TVutiliser. I] lui donne de 1’argent, lui préte une forte escorte pour qu’il puisse gagner l’Allemagne a travers son ancien duché, il lui paie des soldats jusqu’a concurrence de quarante mille francs, il lui procure des alliés parmi les Suisses grace a laction de ses ambassadeurs, tant et si bien que René II est bientdt a la téte d’une forte armée composée de fantassins et de cavaliers suisses et aussi de nombreux gentilshommes francais 33, sans compter qu’a proximité, en Barrois, stationnent les troupes de La Trémoille qui, bien qu’elles n’interviennent pas, font peser une lourde menace sur les forces du Téméraire et, par 1a, favorisent le duc de Lorraine. La chance aussi aida René II a rétablir une situation quasi désespérée. Toute une succession d’événements opportuns joua en sa faveur. Contre son gré, parce qu’il se rendait compte qu’on le supportait a contrecoeur, il quitta la cour de France a l’heure qui convenait: « Au duc de Lorraine print bien de ce que |’on s’ennuyoit de luy en nostre court... » 34.

25 Ibid., t. Il, p. 15. 26 Fd. cit., p. 146. 27 Ed. cit., p. 146.

28 Ibid. p. 147. 29 Ibid., p. 147. 30 Ibid., p. 148. 31 Jbid., pp. 153-154." 82°T. Il, p. 119; 33 T. II, pp. 119 et 144.

34 T. II, p. 119.

RENE

II DE LORRAINE

93

Il rejoignit les Suisses trés peu de temps avant la bataille de Morat dont il retira honneur et profit, bien que son rdle y efit été réduit, puisqu’il

n’était accompagné que de quelques soldats 35, Et Commynes d’insister : sans cet heureux concours de circonstances, personne ne l’efit accueilli : « ... Si autrement en fust allé, il eust trouvé peu de recueil » 36, Ensuite, grace 4 la mort de Colpin, le chef des mercenaires anglais a la solde du Téméraire, il recouvra sa capitale de Nancy un ou deux jours, dit Commynes (en réalité cinq), avant l’arrivée de son ennemi qui survenait avec des forces largement suffisantes pour empécher la chute de la ville 87. De plus, n’eut-il pas a combattre un prince déchu et deux fois vaincu, en qui la folie avait étouffé le bon sens, s’obstinant dans une vaine entreprise, remettant le siége devant Nancy au lieu de l’affamer et de reconstituer son armée%8, décidant «avecques parolles d’homme insensé » d’accepter un comhat inégal 39, avec des troupes lamentables, réduites 4 douze cents soldats, fatiguées, démoralisées et terrorisées 4°. Enfin, René II profita de la trahison de Campobasso qui, négociant secrétement avec lui, lui révéla les projets et les plans de son maitre *#! ; qui retarda les progrés du siége établi de nouveau par les Bourguignons autour de Nancy 4#2 et encouragea la résistance des défenseurs, lesquels, informés des manceuvres de I’Italien au moment ot ils étaient sur le point de se rendre, trouvérent de nouvelles forces pour continuer a s’op-

poser a la pression des agresseurs 48. Campobasso, au bout du compte, détermina la défaite du Téméraire, lors de l’ultime bataille, s’en allant A la derniére minute pour mettre le comble a la peur des soldats bourguignons, laissant parmi eux douze a quatorze de ses hommes pour semer la panique et tuer leur chef 44. Quel mérite eut donc René II a triompher d’un adversaire dément, trahi par le condottiere en qui il avait placé toute sa confiance, et de

35 36 T. II, pp. 119-120

: « Mons™ de Lorraine y arriva a peu de gens, dont

bien luy en print depuis, car le duc de Bourgongne tenoit lors toute sa terre...

Passé que fut ledit duc de Lorrayne, comme j’ay dit, aprés avoir chevauché aucuns jours, arryva vers lesdictes Alliances peu d’heures avant la bataille et avecques peu de gens ; et luy porta ce voyage grant honneur et grant profftit. » 37 T. Il, p. 134 : «Le lendemain, ou pour le plus tard deux jours aprés

ladicte place rendue, ledit duc de Bourgongne arriva bien accompaignié selon le cas... > ic a i! es BF 39 T. II, p. 150. 40 T. Il, p. 151. . ag 41 42 T. II, pp. 136-137

: « Et de nouveau, voyant son maistre en adversite,

commenca a pratiquer tant avecques mons" de Lorraine que avecques aucuns capitaines et serviteurs que le roy avoit en Champaigne prés de l’armee dudit

duc. Audit duc de Lorraine promectoit tenir la main que ce siege ne s’avanceroit point et qu’il feroit trouver des desffaulx es choses plus necessaires pour ledit siege et pour la batterie. »

43 T. II, p. 149. j ; 44 T. II, pp. 151-152. Sur Campobasso, voir notre Destruction..., pp. 54-64.

RENE

94

II DE LORRAINE

troupes peu nombreuses, mal équipées, que le souvenir proche de deux déconfitures emplissait de terreur 4 ? Pourquoi cette constante bonne fortune? Faut-il l’attribuer a des qualités exceptionnelles ? Pas du tout. Dieu avait décidé d’abattre et de détruire le Téméraire. Pour parvenir a ses fins, il insinua lui-méme la trahison dans le coeur de Campobasso et de ce fait prolongea anormalement la résistance de Nancy, car « il vouloit achever ce mysteére » 46, il ne permit pas au duc de Bourgogne de choisir le parti le plus sage, c’est-a-dire d’attendre la fin de l’hiver avant de reprendre les opérations militaires 47, Que peut-on inscrire a l’actif de René II? Rien. Il dut ses succés et en particulier le plus grand d’entre eux, la victoire de Nancy, a ses alliés suisses, 4 Louis XI, a la chance, a un traitre dont la perversité ne l’écceura pas et, par-dessus tout, 4 Dieu qui dispose a son gré du destin des hommes. D’une médiocrité affligeante, il ne fut qu’un pion poussé par les uns et les autres sur l’échiquier de la politique occidentale. Il ne peut donc se prévaloir d’avoir abattu son ennemi, d’autant plus que ses échecs postérieurs attestent son incapacité fonciere. Echec en France. La Provence lui échappe, qu’en tant que descendant du roi René, il revendiquait contre Charles VIII. Il ne récupére que le Barrois. Seules des circonstances favorables, mais passagéres, en particulier ’appui de Jean I] de Bourbon qui, en dépit de son grand 4ge, briguait la main de sa sceur Marguerite, et au premier chef la révolte des féodaux, lui assurent des charges, des gens d’armes, une pension annuelle de 36.000 livres pendant quatre ans, une place importante 4a la cour 48, Par ces liens dorés et ces appas, on veut l’empécher de se joindre aux rebelles qui menacent les Régents ; bien plus, on se sert de lui, «car il estoit homme hardi, et plus que homme de court» *. Hardi — et la hardiesse n’est pas une vertu dans le monde commynien — mais sans la moindre lucidité, comme la suite le démontre. Anne et Pierre de Beaujeu devenus assez forts pour se passer d’alliés encombrants, le duc d’Orléans abattu et réduit a l’impuissance, que devient René JI? Il quitte la cour, trés mécontent, sans avoir obtenu satisfaction sur l’essentiel, sur la Provence. En effet, comme il avait été dupé par Louis XI, il le fut par les Beaujeu qui, plus clairvoyants, avaient

45 T. II, p. 152. 46 T. II, p. 149. 47 T. Il, p. 150 ; voir aussi pp. 135, 139, 141, 157. 48 T. Ill, pp. 4-5 : « En effet, Bar fut rendu, ott le roy ne demandoit que une somme d’argent ; et, pour avoir grant faveur et grands amys (et par especial le duc Jehan de Bourbon qui estoit vieil et vouloit espouser sa seur), eut estat bon du roy et cent lances de charge et luy fut baillé trente six mile livres l’an pour quatre annees, pendant lequel temps se congnoistroit du droit de ladite conté (Provence). » : 49 T. Ill, p. 7 : « En ce temps desdites quatre annees, ceulx qui gouvernoient ledit roy... appellerent en court, en auctorité et credit ledit duc de Lorreyne, pour en avoir port et aide... »

RENE

II DE LORRAINE

95

toujours pensé pouvoir se débarrasser de lui, le moment venu. Et c’est ce qui se passa effectivement®°, Quand fut écoulé le délai de quatre ans fixé d’un commun accord pour permettre une enquéte approfondie au sujet des droits des uns et des autres sur le comté de Provence, il fut impossible de découvrir un terrain d’entente en sorte que René II ne put ni rentrer en possession de la Provence a laquelle il prétendait, ni obtenir, avec une promesse écrite de restitution, le maintien de sa pension de 36.000 livres51. Commynes gagne sur deux tableaux: il a signalé la médiocrité du Lorrain et la duplicité des Régents. Echec en Italie. Tout se présentait sous les meilleurs auspices. Le pape, les seigneurs et les trois quarts du royaume de Naples s’étaient prononcés en sa faveur et lui avaient offert la couronne ; une révolte générale avait éclaté contre Ferrand Ier et ses enfants dont la tyrannie avait outrepassé les bornes tolérables ; des navires l’attendaient 4 Génes avec Julien de la Rovére pour le conduire a Naples; des émissaires de tous les princes et notables italiens le pressaient de partir 52; Charles VIII et ses conseillers étaient disposés a l’aider « en tout et par tout » avec de l’argent, des soldats, des ambassades; ils lui avaient méme délivré 20.000 livres sur les 60.000 qu’ils lui avaient promises 58. Bien qu’il fit assuré du succés, encore que ses ennemis, avec l’appui des Florentins, ne restassent pas inactifs, ce piétre politique ne sut pas saisir cette occasion. Aussi, las de l’attendre en vain, ses alliés et partisans choisirent-ils de traiter avec les Aragonais ; et tous en pdatirent puisque l'accord ne fut pas respecté, malgré la garantie du Pape, du roi d’Espagne, de Venise et de Florence 54. A qui la faute, sinon a cet homme incapable de choisir et de sortir de son indécision? Echec total et définitif. En 1486, il se réfugia dans son duché, ridicule et honteux, dépouillé de toute autorité, de ses gens d’armes et de sa pension. Dix ans plus tard — et Commynes précise la date: en

1497 — il en était toujours au méme point. Cette précision, qui est une addition tardive 55, traduit de la part du seigneur d’Argenton un acharnement certain et une joie cruelle 4 piétiner un ennemi 4a terre: Ledit duc de Lorreyne s’en alla bien honteux en son pays; oncques puys n’eut auctorité ceans, perdit ses gens d’armes et les trente six mil livres

qu’il avoit pour

Provence,

et jusques

a ceste

heure,

qui est l’an

MCCCC IIII=* XVII, est encores en cest estat 56,

50 Jbid.

: «...

et leur

seroit temps, comme

sembloit

qu’ilz s’en

deschargeroient

bien

quant

il

ilz firent quant ilz se sentirent assés fors et que la force

du duc d’Orleans et de plusieurs aultres, dont avez ouy parler, fut diminuee. »

51 bid.

52 T. III, pp. 7-8.

53 T. Ill, p. 8. , figs ieee Tl p. 8. 55 Voir le ch. 1 « Quand les Mémoires de Commynes ont-ils été composes ? » Le chapitre est de décembre

fin de 1497. 56 T. Ill, p. 10.

1495 ou du printemps de 1496, l’addition est de la

LES ECHECS

96

EN ITALIE

Les termes intensifs (bien, oncques puys, encores...) reflétent cet état d’es-

prit. René II n’avait donc pas réussi a revenir sur le devant de la scéne. Et le jugement que les Vénitiens avaient porté sur lui et que nous livreat les Mémoires (Commynes aime a combattre par personnes interposées) gardait toute sa valeur: au Napolitain Antonello di San Severino qui leur demandait auprés de qui il était préférable qu’il se réfugiat, ils répondirent que le duc de Lorraine était un homme fini, incapable de les rétablir un jour, lui et les siens, dans leurs droits et leurs biens %. Bref, René Il, selon Commynes, ne fut au mieux qu’une caricature grotesque du Téméraire qu’il avait vaincu sous les murs de Nancy grace a un heureux concours de circonstances.

V.

LES QUERELLES

POLITIQUES

A PROPOS

DE

L’EXPEDITION

D’ITALIE.

L’expédition d’Italie dura un peu plus d’un an, et Commynes s’y occupa fort, toujours soucieux de s’assurer la bienveillance de Charles VIII par un succés diplomatique. Maulde-La-Claviére a bien senti en lui cette volonté de « jouer vis-a-vis du royaume le rdle d’homme providentiel, de deus ex machina »1. Mais que ce soit a Florence, auprés de P. de Médicis, 4 Venise, avec la Seigneurie, a2 Milan, avec Ludovic le More, notre auteur a échoué: il n’a su ni rallier le premier au parti pro-francais, ni empécher la seconde de constituer la Sainte-Ligue, ni obtenir du troisiéme le respect de ses promesses ; en outre, désireux de conserver l’amitié des Florentins malgré le changement de régime, il fut incapable d’amener son maitre a leur restituer Pise et les autres villes dissidentes 2. Il est hors de doute qu’il fut habile, craint et estimé ; mais, a la Cour, c’est lui surtout qui a subi les contrecoups d’une faillite dont on l’a rendu responsable — injustement. Aussi les livres VII et VIII des Mémoires sont-ils une apologie et un réquisitoire qu’il commenga a é€crire dés son retour en France et ou il distribua éloges et surtout blames. D’un coté, Ludovic Sforza, cruel et trompeur ; Pierre de Médicis, stupide et entété ; Briconnet (que pourtant il flattait dans ses lettres 8) et E. de Vesc, légers, cupides et incapables; Charles VIII, indolent et faible ; et bien des comparses dont le comportement eut de funestes conséquences. De l’autre, Commynes lui-méme, actif, dévoué, lucide, habile et courageux, mais dédaigné, laissé a l’écart et finalement récom-

57 Ibid. : « Dit qu’ilz luy respondirent que le duc de Lorreyne homme mort et qu’il ne les scauroit ressourdre. » 1 Op. cit., t. Ill, p. 298. 2 Vie de Commynes, pp. 198-263.

3 Voir KERVYN Commynes,

DE LETTENHOVE,

t. II, p. 189.

Lettres

et négociations

estoit ung

de Philippe de

ETIENNE

DE VESC

97

pensé par l’ingratitude ; Venise, remarquable par sa sagesse, sa richesse et sa puissance. I] faut ajouter que la ligne politique de Commynes ne fut rien moins que nette: hostile, puis favorable, enfin de nouveau hostile a l’expédition italienne — et un témoignage de Francesco della Casa‘ est particuliérement éclairant sur ce point: « Monseigneur d’Argenton... fait

aux autres de ce cOté des promesses qu’il ne songe pas 4a tenir (...) Monseigneur d’Argenton lui-méme oriente habilement sa voile de ce cété pour voguer avec le vent qui souffle », — soucieux surtout de retrouver un pouvoir qui lui avait échappé, il s’opposa a plusieurs des plus influents parmi les conseillers de Charles VIII — Briconnet, E. de Vesc, Louis de Luxembourg, comte de Ligny, et Robert de Balsac, seigneur d’Entragues... — et se retrouva le plus souvent dans le camp hostile au duc d’Orléans qui ne pardonna pas a ceux qui au moment de la paix de Verceil, séparérent la querelle du roi de la sienne et l’abandonnérent: Commynes, dés lors, n’existe plus pour lui, et ce n’est pas une des moindres preuves que donna de son habileté le maréchal de Gié, d’avoir

su conserver la sympathie de Louis d’Orléans et méme son amitié, aprés une si rude épreuve dont le souvenir, malgré tout, hanta toujours l’esprit du prince 5,

Ainsi_ s’explique-t-on, avec de Maulde, que l’avenement subit de Louis XII « opéra naturellement un triage parmi les serviteurs immédiats de la royauté. Le maréchal de Gié et le cardinal d’Amboise en

profitérent... Commynes,

Graville et d’autres en furent victimes » ®.

%

*

Nombreuses sont donc les raisons qui valurent Vhostilité de notre chroniqueur.

4 ETIENNE DE VESC

D’abord, il compromit les intéréts de Commynes dans l’affaire capitale de Talmont. Familier de Louis XI en ses derniers jours, il révéla que le roi avait décidé de restituer la principauté a ses propriétaires légitimes, tout en dédommageant le seigneur d’Argenton. Cette intervention fut décisive : elle assura le triomphe de la famille La Trémoille.

Ensuite, alors que notre a la disgrace, A la prison, ministre que comblérent les Estimé des Beaujeu, il fit

4 5 Paris, 6

mémorialiste était en proie a Et. de Vesc devint et resta un bienfaits royaux et qui imposa partie du conseil de Régence

la suspicion, tout-puissant sa politique. avec Bourré,

Ibid., p. 90. DE MAULDE, Pierre de Rohan, duc de Nemours, dit le maréchal de Gié, 1895, p. 49. [bid., p. 52.

98

ETIENNE DE VESC

G. Briconnet, Philippe de Crévecceur, Du Bouchage...7. Il devint président-lai de la Chambre des comptes de Paris et concierge du Palais

(29 mai 1489), sénéchal de Carcassonne (début 1490), sénéchal de Beaucaire et de Nimes (3 mars 1491). Favori de Charles VIII, il acquit de nombreuses seigneuries 8, I] joua un rdle important dans les négociations qui aboutirent au mariage du jeune roi et d’Anne de Bretagne. II concut et organisa l’expédition contre le royaume de Naples ou, pendant la courte occupation francaise, il fut comte d’Avellino et d’Atripalda, duc d’Ascoli et de Nola, grand chambellan chargé de la surintendance des finances et de la haute présidence de la Cour des comptes, commandant de la forteresse de Gaéte, et surtout, l’un des premiers dans le conseil, cependant que notre auteur devait se contenter d’une douane d’exportation et d’un gros office dans Naples ®. En outre, il était hostile aux Médicis dont Commynes défendait les intéréts. Témoin ces dépéches de Francesco della Casa. L’une, citée par Boislisle 1°, nous apprend que le sénéchal de Beaucaire est, parmi tous les courtisans, le plus influent sur l’esprit du roi, et, plus spécialement, en ce qui concerne les affaires italiennes: a lui seul, il est plus puissant que tout le reste du conseil. Or il est acquis a Ludovic le More, et il manifeste une grande faveur (mais est-il sincére ?) au prince de Salerne qu’il consulte volontiers sur ces questions. Précisons que les deux personnages que nous venons de mentionner comptent parmi les ennemis les plus acharnés de la ligue constituée par les Aragonais de Naples et Pierre de Médicis. L’autre est rapportée par Desjardins 14 : .. in somma... [Saint-Malo] é@ di sua natura vario e fallace, e di poi corroto de sua speranza del cappello : le quali cose sono principal causa del male nostro di qua. Il siniscalco ancora si é tanto alienato da noi quanto sapete ma € uomo inteso e pitt fermo che l’altro. Loro due governono tutte...

Nessuno ci é che posso senza loro, e ciascuno teme offenderli. Voici encore les propos recueillis de la bouche d’Et. de Vesc par une ambassade florentine, partie de Lyon le 23 juin 149412: « Nous ne

7 A. DE BOISLISLE, Notice biographique et historique sur Etienne de Vesc, sreece in Beaucaire, pour servir a Vhistoire des expéditions d'Italie, Paris,

» DP.

1a.

8 Voir la liste dans les Lettres de Louis XI, t. VIII, p. 283, n. 1 : « Seigneur de Chateauneuf de Mazenc, de Caromb et Saint-Hippolyte au pied du

Ventoux, de Suzette, de Chateauneuf-Redortier, Forcalquier et Chateau-Renard,

Bourbon-Chateauneuf,

Grimaud-en-Provence,

Savigny-sur-Orge,

Viry, Thorigny

et Orangis, Montesson, la Borde, Montdidier, Charenton dans le voisinage de Paris, d’Hersin en Artois... » 9 A. DE BOISLISLE, op. cit., pp. 108-109. 10 Op. cit., p. 61. 11 Négociations diplomatiques de la France

recueillis par Giuseppe CANESTRINI

1859, p. 278.

p.

avec

la Toscane.

Documents

et publiés par A. DESJARDINS, t. I, Paris,

ia Cités par DE CHERRIER, Histoire de Charles VIII, 2 vol., Paris, 1868, t. I, :

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confondons point le peuple de Florence avec l’homme qui le gouverne. C’est ce dernier seul que Sa Majesté Trés Chrétienne considére comme son ennemi». Des remarques jetées dans les Mémoires confirment cette impression. Le roi et ses deux principaux conseillers détestent Pierre de Médicis, et entretiennent d’étroites relations avec la faction qui lui est hostile 13. Les ambassadeurs et les habitants de la grande cité offrent a Charles VIII de l’accueillir dans leurs murs avec ses troupes, recherchant surtout une occasion de chasser leur médiocre tyran, et « se sentoient avoir bonne intelligence avec ceulx qui conduisoient pour lors les affaires du roy, que assez ay nommeéz » 14, En revanche, Spinelli, le représentant de Pierre, intrigue avec ceux qui haissent les favoris en place, avec Philippe de Savoie et Jacques de Miolans, les adversaires d’Et. de Vesc et de Briconnet 15, Enfin, l’amitié liait Et. de Vesc 4 des hommes n’aimait pas, tel Louis II de La Trémoille.

que le chroniqueur

Comme 4a !l’accoutumée, le seigneur d’Argenton s’entoure de quelques précautions. I) accorde 4 son ennemi des qualités mineures ou, si l’on peut dire, neutres que le contexte diminue et transforme en défauts. Il lui reconnait la persévérance. Alors que Briconnet finit par tergiverser, impressionné par V’hostilité unanime des hommes sages et raisonnables, seul le sénéchal, envers et contre tout, continue a prdner et a soutenir l’idée de l’expédition italienne 16. Commynes dit méme qu’il lui voue encore, pour cette raison, de l’estime. Mais quel crédit attribuer a cette persévérance dans l’erreur que la raison condamne? I] met a son actif la bonne volonté: « Bien affectionné estoit a la garde dudit royaulme » 17; mais elle est liée a l’incapacité. Que valent les bons sentiments d’un homme chargé de «plus de fetz qu’il ne pouvoit ne n’eust sceu porter» ? Quoi qu’il en soit, ces maigres mérites ne pésent pas lourd en face des accusations graves dont Commynes le harcéle sans répit. C’est un homme de peu, ici, « homme de petite lignée » 18, 1a, « homme de petit estat » 19, Il s’est trés bien acquitté de ses fonctions de valet de chambre auprés du roi, lorsque ce dernier était enfant 2°. Qui ne sent la perfidie de ce compliment ? Commynes suggére que de Vesc a occupé le devant de la scéne (avec profit) non pas pour sa valeur intellectuelle, mais

parce qu’il a bien servi un enfant. Peut-on penser qu’un excellent valet 13 T. Ill, p. 44. 14 T. III, pp. 54-55. 15 [bid.. p. 55 : «Et avoient l’auctorité

praticquoit_avecques

errs ceulx qui haioient

ceulx

qui

: c’estoit mons™ de Bresse, qui despuis a esté duc de Savoie,

et mons’ de Miolant, qui était chambellan du roy et gouverneur du Daulphiné. » 16 T. III, pp. 34-35. a7 ‘7,1 -p. 136. is oT Tl p. 2. 16 FoI, p33. ' 20 T. Ill, p.

2: «... et avoit servy ledit roy en son enfance

varlet de chambre... »

tres bien de

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de chambre soit A méme de s’occuper de graves problémes, ou qu'il mérite une aussi éclatante faveur ? Brant6me sera beaucoup plus net: «En ceste entrée du roy, on n’y trouva rien a redire, sinon que prés. de lui estoit le seigneur de Beaucayre, représentant le connestable du royaume de Naples; ce qui n’estoit guiéres beau, car il venoit que de frais estre son valet de chambre ; et luy voir porter l’espée, ceste veue estoit odieuse » 21. Aux yeux de Commynes, le tort d’Et. de Vesc est surtout de n’avoir aucune qualité politique. Il manque d’expérience et d’intelligence. Et le mémorialiste, pour aggraver la condamnation et devenu plus partial au fur et 4 mesure que les échecs s’amoncelaient, renonce a employer ces mots ou ces tours restrictifs dont nous avons noté ailleurs la fréquence dans les six premiers livres des Mémoires. Il est tranchant et catégorique: le sénéchal « jamais n’avoit veu ne entendu nulle chose » 22 ; lui et Briconnet « de nulle chose n’avoient experiance » 2%. Il succombe sous le fardeau dont il s’est chargé. D’un cdté, l’énumération de ses fonctions et de ses titres ; il est capitaine de Gaiéte, duc de Nola, il est a la téte d’autres seigneuries, il est grand chambellan, il est le trésorier qui controle tous les deniers du royaume de Naples. De 1’autre, un jugement sur l’homme, sans appel, valable dans toutes les circonstances : il ne pouvait porter un tel « faix», trop lourd pour lui; quoi qu'il fit, dans la meilleure des hypothéses, il « n’eust sceu» le porter 4. A la médiocrité s’ajoutent l’inconscience et la cupidité. Seul ou presque, il soutient une politique que blament les plus sensés. En 1494, les positions sont nettes. Tous les gens qui se recommandent par leur sagesse et leur expérience sont hostiles 4 la conquéte de Naples qu’ils jugent déraisonnable. En face, pour l’approuver, ils ne sont que deux: un jeune roi qui ne brille pas par l’intelligence et ce de Vesc 25, Certes, il a réussi a gagner a cette chimére G. Briconnet, mais celui-ci est un autre incapable ; bien plus, au dernier moment, moins obstiné, il a hésité, voire reculé devant l’opposition de tous les hommes de bon sens. Au demeurant, les deux compéres rencontrent peu d’approbations, et beaucoup de critiques, « car toutes choses necessaires a une si grand emprise failloient » 26, Et, parmi ce petit nombre qui est de leur avis, ne faut-il pas compter le seigneur d’Urfé qui, par la suite, ralliera le camp des opposants 27? Autre preuve: quand il est impossible au sénéchal de se rendre auprés de son maitre (un de ses serviteurs, A ce qu’on disait, était malade de la peste), personne ne défend sa thése ; au contraire, 21 Op. cit., t. Il, p. 292.

22 T. Ill, p. 2.

23 24 25 26 27

T. Ill, p. 33. T. Ill, p. 136. T. Ill, p. 2. ' Ibid., p. 3. C’est aussi l’avis de SANUDO, op. cif., p. 87. T. Ill, p. 52 : «... d’aulcuns qui avoient premier loué le voyage le blas-

moient, comme

le grant escuier, seigneur d’Urfé. »

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Anne et Pierre de Beaujeu cherchent, par tous les moyens, 4 empécher cette folie 28, Pour apprécier l’argumentation de Commynes, il est bon de préciser qu'il est possible d’expliquer différemment le revirement (sans lendemain) de Brigonnet. De deux maniéres. L’une, favorable a4 Bricgonnet qui, selon de Cherrier 2°, s’apercut que « l’argent sur lequel il avait compté, et qui ne rentrait qu’en partie, était presque toujours dépensé mal a propos ». Ou encore avec Maulde-La-Claviére 9°: «En réalité SaintMalo, déconcerté par la confusion et la mauvaise tournure de toutes choses, de plus en plus ému des trahisons attribuées 4 Ludovic, du défaut d’argent, du mécontentement unanime de la France, de l’entétement du roi, auquel on ne pouvait rien faire entendre, n’apportait aucun zéle dans les préparatifs. Galéas seul soutenait Charles VIII et le dirigeait a sa guise». L’autre, défavorable. Briconnet aurait soutenu avec moins de chaleur le projet d’expédition, si cher 4 Ludovic le More, parce qu'il n’avait pas été compris dans la grande promotion de cardinaux de septembre 1493 et qu’il accusait les Sforza de l’avoir desservi ou, pour le moins, de ne pas Il’avoir soutenu #1. Il est curieux de remarquer que Commynes s’abstient de dénoncer une fois de plus le zéle intéressé de l’évéque de Saint-Malo, pour mieux souligner la bétise d’Et. de Vesc. En outre, est-il exact que celui-ci soit seul, ou presque, a soutenir la thése de la conquéte? D’aprés Paul Jove, beaucoup parmi les plus importants des princes et des seigneurs encourageaient le roi a la guerre, surtout parmi les chefs militaires qui ne pouvaient s’accoutumer a la paix, et qui espéraient retirer d’un nouveau conflit gloire et richesse, d’autant plus ardents qu’ils estimaient qu’avec Charles VIII a leur téte, rien ne leur serait impossible 32. L’historien comasque, quelques pages plus loin, cite des noms *%%: Pierre de Rohan, maréchal de Gié, qui, capitaine expérimenté, s’attend a étre lieutenant-général du roi, Pierre de Bourbon lui-méme (ce qui ne laisse pas de nous étonner), G. de Montpensier, Louis de Ligny, Béraut d’Aubigny, Précy, le seigneur de la Pallice. Mais, comme la plupart de ces derniers sont critiqués dans les Mémoires, on peut penser que le sire d’Argenton ne les range pas parmi les gens raisonnables, et que l’approbation d’ambitieux ou d’écervelés n’est pas flatteuse. Mais Maulde-La-Claviére indique*4 que Du Bouchage lui-méme, envoyé en mission a Milan, réclamait, tout comme

28 T. Ill, p. 35 : «... nul ne sollicitoit ce cas. Et mons’de Bourbon madame estoient 1a, serchans rompre ledit voyage a leur pouvoir... »

29 30 81 32 33

Histoire de Charles VIII, t. 1, p. 426. Histoire de Louis XII, t. Ill, p. 28. Mémoires de Commynes, éd. MANDROT, t. II, p. 98, n. 2, fin. Ed. cit., p. 13. P. 17.

34 Op. cit., t. Ill, p. 33.

et

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Galeas, l’envoi de troupes;

DE

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et Charles VIII l’informait que, selon sa

le duc d’Orléans recevait l’ordre de passer la mer. Emporté par sa «fantaisie» qui empéche toute saisie exacte et lucide de la situation et des données du probléme *5, poussé par des réfugiés napolitains qui pendant deux ans ne cessérent de le harceler 6, et par Ludovic le More dont il est le porte-parole empressé et dont il demande,

transmet les arguments a son maitre (ils sont de deux sortes : les droits francais sur Naples, la beauté et la richesse de ce royaume 87), de Vesc repait le roi de ces chiméres, de ces « fumées et gloires d’Italie », sans avoir lui-méme V’initiative d’un tel projet, puisqu’il apparait manié non seulement par des Italiens hostiles aux Aragonais, mais encore par des clercs de Provence qui soutiennent que Charles VIII a des droits et sur ce comté et sur le royaume de Sicile et d’autres terres occupées par la maison d’Aragon 38, S’il réussit, c’est que Dieu l’avait voulu ainsi, qui aida les envahisseurs, comme il est évident 4 en juger d’aprés de nombreux indices sans ambiguité 9 : il suffit de comparer les multiples faiblesses des Francais avec la force de leurs ennemis, riches, sages, expérimentés, soutenus par le Pape, les Florentins, le Turc, etc. 4°. Et pourquoi de Vesc est-il un partisan aussi décidé et aussi persévérant de cette entreprise aventureuse ? Par cupidité. Les faveurs dont il a bénéficié ne lui suffisent pas. Bien qu’il ait acquis « beaucop de heritaiges », qu’il soit sénéchal de Beaucaire et président de la Cour des Comptes a Paris #1, « enrichy, mais non point encores a son gré » 42, il appuie l’idée d’une expédition contre Naples, alléché par une offre de Ludovic le More qui lui a promis un duché 4? et qui obtient l’investiture de Génes grace a sa complicité payée en bons ducats.

35 T. Ill, p. 5. 36 T. Ill, p. 11

: « Firent

grant poursuite

envyron

deux

ans,

et du tout

s’adressoient a cest Estienne de Vers, lors seneschal de Beaucayre et cham-

belan du roy.» 87 T. III, p. 20 : «... commenca a faire sentir a ce roy, jeune de vingt deux ans, des fumees et gloires d’Italie, luy remonstrant, comme dit est, le droit qu’il avoit en ce beau royaulme de Napples, qu’il luy faisoit et savoit bien blasonner et louer. Et s’adressoit de toutes choses a cest Estienne de Vers... » 38 T. III, p. 6 : « Avant les quatre annees se trouverent clercs de Provence qui vindrent mectre en avant certains testamens du roy Charles le premier, frere de sainct Louys, et autres roys de Ceceille, qui estoient de la maison de France, et autres raisons, disans que non point seullement la conté de Prouvence appar-

tenoit audit roy, mais le royaulme de Cecille et aultres choses possedees par la maison d’Arragon et que ledit duc aulcuns vouloient dire aultrement) et se de Vers qui nourrissoit son maistre en 39 T. Ill, p. 32 : «.. et si en vint clerement le donna ainsi a congnoistre.

40 41 42 43

Ibid., p. 33. [bid., p. 2. [bid., p. 20. Ibid.

de Lorreyne n’y avoit riens (toutesfois adroissoient tous ceulx la audit Estienne ce langaige... » bien moyennant la grace de Dieu, qui »

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Il est l'un de ceux qui eurent une part de la somme de 8.000 ducats distribuée par Sforza aux chambellans de Charles VIII; il est le seul qui soit désigné nommément dans les Mémoires ott Commynes déploie son attaque dans plusieurs directions 44. En premier lieu, de Vesc n’a pas tenu compte de l’intérét de son maitre, il n’a pas hésité A lui causer du tort, puisque Génes aurait pu facilement revenir a la France. En second lieu, il n’est pas bien adroit. Décidé a vendre son accord, il aurait dfii se faire payer plus cher: en effet, que représentent ces 8.000 ducats, en face des 50.000 que Galeas Sforza apporta a Louis XI, et dont 30.000 échurent 4 Commynes ? C’est une maniére pour ce dernier de suggérer la part importante qu’il prit alors dans cette opération, et nous inviter 4 comparer son habileté a celle du sénéchal. En troisiéme lieu, en admettant que Charles VIII ait été au courant de l’affaire, quel mobile a poussé son conseiller 4 adopter ce parti ? Toujours le mirage napolitain, Cette avidité est 4 l’origine de toutes ses actions et de toutes ses fautes. Il défendit les droits de la couronne sur la Provence, parce que « ja avoit acquis quelque chose en Provence » #5, Avantageusement doté

dans le royaume nouvellement conquis (suit l’énumération déja citée) 46, il fut responsable d’une mesure désastreuse qui lésa les intéréts de la faction angevine. Il fut décidé que chacun garderait les biens qu’il possédait a l’arrivée des Francais ; c’est-a-dire, que les partisans de la maison d’Anjou, les francophiles, ne seraient pas autorisés a récupérer les terres et les maisons dont ils avaient été chassés par leurs ennemis ; qu’au mieux, ils devraient engager une action en justice 47. On employa méme la force pour expulser ceux qui s’étaient fait justice eux-mémes, comme le comte de Celano 48. Pourquoi avoir promulgué un tel mande-

44 Ibid. p. 22: «... et donna a aulcuns chambellans du roy huyt mil ducatz pour avoir ladite investiture ; lesquelz firent grant tort a leur maistre, car ilz povoient peu paravant avoir Gennes pour le roy, s’ilz eussent voulu; et, si

argent ilz en devoient prendre pour ladite investiture, on en devoit demander plus, car le duc Galliace en paia une foiz au roy Loys, mon maistre, cinquante mil ducatz, desquelz j’en euz trente mil escuz content en don dudit roy Loys, a qui Dieu, par sa grace,

face pardon.

Toutesfois

ilz disoient avoir pris lesdits

huyt mil ducatz du consentement du roy. Et ledit Estienne de Vers, seneschal

de Beaucaire, estoit l’un qui en print et croy bien qu’il le faisoit pour mieulx entretenir ledit seigneur Ludovic pour ceste emprise ot il tendoit.» Lecon : ou bien de Vesc a été déloyal, ou bien il a été maladroit.

eT eT p: 5. 26 7D pr-136. 47 T. III, pp. 100-101

: « Fut donné ung mandement,

dont on chargea le

president de Gannay d’avoir prins argent, et le seneschal, faict de nouveau duc de Nolle et grand chambellan du royaulme : par ce mandement fut maintenu chascun en sa possession et forclox les Engevins de retourner au leur, sinon par

proces. » 48 Jbid. : « Et ceulx qui y estoient entrez d’eulx mesmes, comme de Selanno, on bailloit la main forte pour les en gecter. »

le comte

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ment, injuste et peu politique? De Vesc a été soudoyé, comme le président de Ganay. Sa responsabilité est d’autant plus grande qu’il était plus puissant. Duc de Nola depuis peu, grand chambellan, favori omnipotent, il doit répondre de toutes les maladresses, de toutes les erreurs, de toutes les fautes, et les Mémoires se complaisent a les signaler 4. Mais la prudence de notre auteur ne se dément pas: pour lancer cette accusation, il se dissimule derriére l’indéfini on. Comme Brigonnet, de Vesc est favorable a la continuation de la guerre en Italie, parce qu’elle leur vaut de beaux profits et une singuliére autorité: ils controlent toute la politique de ce pays (« et passoit tout par eulx ») 50. Notons que les critiques de Commynes contre le sénéchal de Beaucaire et son compére, sont étrangement proches des pensées secrétes que Ludovic le More confiait 4 des ambassadeurs vénitiens en décembre 1494 et que rapporte De Cherrier dans son Histoire de Charles VIII : Le roi trés chrétien

est jeune,

de peu

de sens,

sans

extérieur,

sans

habileté. Ceux qui ont sa confiance, forment deux partis : Pun conduit par le comte de Bresse, mon ennemi personnel ; le second, par le sénéchal de Beaucaire et l’évéque de Saint-Malo. Chacun s’efforce de l’emporter sur son adversaire, sans se préoccuper autrement de lintérét de la France. Ils ne cherchent qu’éa amasser beaucoup d’argent, et tous ces hommes, pris ensemble, ne valent pas la moitié d’un homme sage... Ses ministres, au lieu de leur donner [i.e. aux sommes d’argent] une destination utile, ne songeaient qu’a s’en approprier la meilleure partie... Ces mémes gens étaient trop intéressés a cacher leurs rapines pour que mes instances fussent suivies d’effet 51.

La réhabilitation d’Etienne de Vesc, entreprise par Boislisle, a été discréditée par des attaques violentes et sans mesure contre Commynes a qui il est reproché d’étre rancunier 52, dépourvu, a l’en croire, des qualités indispensables a l’historien: l’impartialité, le désintéressement, le sens moral®3; d’étre plein du ressentiment de l’ambitieux déchu, ayant joué au souverain, « au tyran méme », sous Louis XI et disgracié publiquement sous Charles VIII, ressentiment qui se trahit a chaque ligne des livres VII et VIII ou il passe sous silence les événements qui compromettent son honneur et ou, au sujet de ses rivaux heureux, il ne raconte que ce qui lui sera utile aux yeux de la postérité pour diminuer ou excuser ses erreurs (ne fut-il pas constamment dupé par Ludovic le

49 T. III, pp. 101 sq. 50 T. III, p. 282. 61 T. Il, pp. 56-57. 52 Op. cit., p. 1.

53 Ibid., p. 29.

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More et par le doge de Venise ?) 54 ou pour dissimuler sa disgrace 55, De plus, Boislisle a tort de croire, sans examen préalable, au désintéressement d’Et. de Vesc que nous invitent 4 mettre en doute les nombreux dons recus en France et les dépouilles qu’il s’appropria lors de la curée napolitaine. Mais cet argument peut plaider en faveur de I’accusé : est-il légitime de prétendre que cet homme riche et puissant se soit lancé dans l’aventure italienne, déterminé seulement par le désir d’obtenir un duché de la main du More? Il y a plus. L’entreprise, bien ou mal congue, a réussi dans sa premiére phase. Commynes, comme Savonarole, en attribue le mérite 4 Dieu. N’est-il pas préférable d’expliquer ce succés par |’état de décomposition oti se trouvait alors I’Italie, victime impuissante de tous les aventuriers, et profondément divisée, Etats et partis se dressant les uns contre les autres 57, par 1l’incontestable supériorité militaire de la France 58, que Commynes d’ailleurs reconnait pour ce qui est de l’artillerie5®, par la volonté tenace de Charles VIII et de ses conseillers — facteurs favorables dont le sénéchal aurait eu une conscience plus ou moins aigué ? En outre, peut-on croire qu’il fut le seul a préner cette expédition si l’on tient compte du revirement complet des opposants, comme nous l’apprend Vhistorien anonyme de Charles VIII que cite Boislisle: Mais

le désir d’honneur

et de biens présens,

promis

et esperez

poursuite de tel dessein, eschaufa tellement les autres, ceux mesmes avoient

la grace

du prince,

qu’aucuns

metant

sous

pié et les autres

a la

qui ne

considérant la cheute des inconvénients a venir, ne travaillérent gueres d’estre gaignez et ce fait, persuader le roy que chose ne lui saurait avenir plus honorable en ce monde que délivrer I’Italie de ses tiranneaux 6° ?

54 Ibid., p. 122 : « Les correspondances diplomatiques que nous possédons aujourd’hui prouvent bien plus positivement que, du commencement a la fin de sa mission, il fut constamment joué soit par Ludovic, ce prince de l’astuce, soit

par le doge, non moins expert a feindre et a ruser. Lorsque les Vénitiens poussés par Ludovic commencérent a armer, ce fut par Ludovic lui-méme que

Commynes imagina d’en aviser son maitre ; quand les nouvelles de la reddition de Naples portérent au comble la terreur des Italiens, Ludovic se hata encore d’écrire la lettre la plus amicale 4 Commynes, protestant de son allégresse et se plaignant seulement de n’avoir point recu la notification officielle de ce triomphe ; mais, en méme temps que salettre partait pour Venise, il y envoyait deux agents sfirs pour entamer la négociation définitive d’une quintuple alliance.

Tant d’allées et venues, de conciliabules et de levées de gens de guerre n’eussent

4 Commynes ; mais il crut suffire a tout par de belles paroles. »

pas df échapper

55 [bid., p. 28. 56 [bid., p. 42. 57 SANUDO,

op. cit., pp. 469-470.

58 Id., ibid., p. 393. 59 T. Ill, pp. 21 et 50 : «Car

ilz n’entendoient point le faict de lartillerie,

et en France n’avoit jamais esté si bien entendue. » 60 Op. cit., p. 71.

106

.

LOUIS

DE

LUXEMBOURG

Il reste que l’expédition était impopulaire en France ® et que le Parlement ne cessa de s’opposer aux actes du roi, refusant, a plusieurs reprises, d’enregistrer l’ordonnance de Plaisance pour l’aliénation du domaine, jugée contraire aux régles séculaires de l’administration francaise ©, Mais est-il maladroit et stupide ce conseiller qui a su, d’une part, garder au royaume la Provence et l’Anjou au détriment de René II de Lorraine, de l’autre, rallier ce méme René a la cause des Régents ? Ici encore, conscient du danger, le chroniqueur dissimule et diminue. Il attribue a Etienne de Vesc l’idée de conserver la Provence a la couronne, mais le mérite de la réussite revient surtout aux exécutants, Odet d’Aydie, Antoine de Castelnau et Commynes lui-méme: Etienne de Vers... fit dire par le roy, ainsi jeune comme il estoit lors — sa sceur duchesse de Bourbon presente — a mons’ de Comminges, du Lau (car ces deux estoient aussi du conseil) et moy que nous tensissons la main que il ne perdist point ceste conté de Prouvence, Et fut avant

lappoinctement dont j’ay parlé 63, Quant a l’accord avec en crédite nommément sénéchal en se servant bellans qui en ce temps

René II, appelé 4 la cour et flatté, Commynes les Régents et Graville, escamotant le nom du d’une formule générale sur «les aultres chameurent grand régne » ®, * ok

Commynes associe dans la méme réprobation LouIs DE LUXEMBOURG, comte de Ligny, et Robert de Balsac, seigneur d’Entragues. Le premier ®, cousin germain du roi, influenca singuliérement ce faible souverain. Il avait, de la jeunesse, tous les défauts qu’accentuait encore une ambition forcenée. Poussé par la seule pitié, et sans raison sérieuse (politiquement parlant)®¢, il sacrifia les intéréts vitaux des Francais aux revendications autonomistes des Pisans, alors que le seigneur d’Argenton et d’autres plaidaient en faveur de la restitution aux

61 Voir MAULDE-LA-CLAVIERE,

op. cit., t. III, pp. 7 sq. ; une chanson

contre

de Vesc, Briconnet, d’Urfé ; SANUDO, op. cit., pp. 30, 24, 48, 49 : « Questo mons. di Cordova sempre fu contrario a questa venuta dil Re in Italia. »

62 Voir MAULDE-LA-CLAVIERE, op. cit., t. Ill, p. 113. CSCT lp: Os

_ 84 T.III, p. 7. A noter aussi pour la campagne italienne l’intense préparation diplomatique qu’évoque longuement Brantéme (op. cit., t. II, pp. 293-295), avec des erreurs : par ex., Commynes ne fut pas envoyé 4 Rome en compagnie de son beau-frére, J. de Chambes. Voir SANUDO, op. cit., pp. 31, 49.

85 Voir, de LEMAIRE: DE BELGES, la Plainte du Désiré.

Nepean SoeLs. 143: «... et y empescheoit mons* de Lingny, qui estoit homme jeune, cousin germain du roy ; et ne scavoit point bien pour quelle raison, sinon

pour pitié des Pisans. »

LOUIS

DE LUXEMBOURG

107

Florentins de leurs places, 4 l’exception de Livourne 67, Ce second parti efit été le plus fructueux, apportant au roi 100.000 ducats, 300 hommes d’armes commandés par Francesco Secco, 2.000 fantassins. On efit disposé ainsi de moyens considérables pour payer les troupes, pour acheter les serviteurs et les mercenaires des ennemis, pour aller les combattre dans leur propre royaume 88, Contre Commynes encore, Ligny soutint, par la voix de Gaucher de Dinteville, une faction des Siennois qui demandait la protection de Charles VIII: il était aveuglé par son intérét puisqu’il devint capitaine de la ville et que celle-ci avait promis de lui délivrer, chaque année, une certaine somme d’argent. Politique insensée : Sienne, en proie aux divisions intestines, « se gouverne plus follement que cité d’Italie », et change d’avis d’une semaine 4a l’autre. Politique dangereuse: Sienne est ville impériale ; en s’immiscant dans ses affaires, on s’aliénera l’empereur et les électeurs. Politique désastreuse pour Charles VIII, puisqu’elle retarde sa marche de 6 a 7 jours et affaiblit son armée de 300 hommes d’armes ; pour Ligny, aussi, qui abusé, n’obtient, en fin de compte, rien de l’argent attendu. Le tout, pour un résultat pitoyable: la garnison francaise fut chassée « avant ung moys de la » ®. Tout le monde avait approuvé l’argumentation de Commynes qui avait recommandé de poursuivre son chemin, sans perdre de temps a s’occuper de ces querelles mineures ; « toutesfoiz on fit aultrement ». Objectif et moins hanté par le souci de dénoncer les fautes de Charles VIII et de ses séides, le seigneur d’Argenton efit signalé: 1°) que les arréts 4 Sienne et a Pise étaient justifiés par l’obligation de discuter d’affaires graves avec les Siennois, les Pisans et les Florentins ;2°) que le roi ne séjourna dans la ville de Sienne que quatre jours ; 3°) qu’il sentait la nécessité de se hater, comme il lécrivait au duc de Bourbon: « Je m’en vays le plus diligemment que je puis et me sejourneray ni arresteray en lieu ni en place que ce soit que le moins que possible me sera » 7,

Hostile aux Florentins et compatissant aux malheurs des Pisans, Ligny, inspiré plus ou moins par « ung homme mal conditionné appelé Entragues » (Commynes le suggére plutdt qu’il ne l’affirme), aprés avoir retenu a Pise, pendant 6 ou 7 jours, son maitre dont il est le mauvais génie, le convainc d’immobiliser, dans un certain nombre de cités, des troupes importantes qui lui feront défaut plus tard; de placer a leur ¢éte des hommes peu recommandables et sensibles a l’attrait de lor: d’Entragues a Pise, 4 Pietrasancta, 4 Motrone et a Ripafratta, le batard

67 Ibid. : « Je fus d’oppinion que le roy le devoit faire, et d’autres aussi, et seullement retenir Livorne jusques il fust en Ast. » 68 [bid : « Il eust bien paié ses gens, et encores luy fust demouré de l’argent pour fortraire des gens de ses ennemys et puis les aller chercher. »

69 T. Ill, pp. 143-144. 70 Ligny fut chassé de Sienne longtemps aprés son installation.

LOUIS DE LUXEMBOURG

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de Roussy a Sarzana, un batard de la maison de Saint-Pol a Sarzanella ; enfin de refuser les offres et |’aide des Florentins et de les plonger dans le désespoir. Ligny se laissa sans doute acheter par ces dangereux serviteurs. Mais combien Commynes est habile! Il évite de formuler une accusation précise. Il juxtapose simplement deux faits. Il note que d’Entragues, pour obtenir le commandement de Pietrasancta, «en bailla de l’argent» ; deux lignes plus haut, il a remarqué que Ligny le recommanda a Charles VIII pour qu’il fit placé a la téte de la garnison de Pise 71, Au moment ott se négocie le traité de Verceil, il appuie le belliqueux

(et intéressé) duc d’Orléans et préne la continuation de la guerre dans les conditions les plus défavorables : faiblesse insigne des Francais a Novare comme dans le camp royal; aucune raison a alléguer pour justifier une agression contre Milan ; des ennemis puissants, des alliés peu siirs. Ils ne sont que quelques-uns a défendre une politique aussi néfaste, aux antipodes de celle de Commynes et, parmi eux, « deux ou trois menuz personnaiges ». Leur comportement est suspect. Ils poussent quelques mercenaires suisses a venir aupres de Charles VIII et a lui proposer de combattre: «...et forgérent aulcuns Suysses qui venoient a se offrir 4 combatre » 72; tout comme il est fort possible de comprendre, si l’on lit entre les lignes des Mémoires, qu’auparavant, Ligny a inspiré le comportement des Pisans et suscité, voire organisé, leurs manifestations destinées a attendrir le jeune souverain: Et sur tous tenoit la main a cecy le conte de Ligny ; et venoient lesdits Pisans a grans pleurs devers le roy et faisoient pitié 4 chascun qui par raison les eust peu aider 73,

Dans tout cela, il n’y a plus rien de spontané. On devine la main et le cerveau d’un homme qui ne néglige pas ses propres intéréts. Mais le comte va encore plus loin. Il ne recule devant aucun moyen. Sans doute est-il de ces bellicistes qui, en octobre 1465, pour contraindre leur jeune prince, fomentérent la rébellion des Suisses qui menacérent de se saisir soit du roi et des plus riches de ses familiers, soit

“1 T. Ill, pp. 148-149 : « Bien six ou sept jours perdit le roy temps a Pise ; et puys mua la garnison et mist en la citadelle ung appellé Entragues... et luy dressa_ledit seigneur de Ligny. Et y fut laissé des gens de pied de Berry.

Ledit Entragues fit tant qu’il eut encores entre ses mains Pietre Sancto, et croy

qu'il en bailla argent, et une aultre place auprés, appellée Morton, Il en eut une aultre appellee Librefato prés de Luques. Le chasteau de Seresanne, qui estoit tres fort, fut mis par le moyen dudit conte de Ligny entre les mains d’ung

bastard de mons" de Roussy, serviteur dudit conte ; ung aultre, appellé Seresannelle, és mains d’ung de ses aultres serviteurs, et laissa le roy beaucop gens ausdites places (et si n’en aura jamais tant a faire) et refusa

Florentins et offre dont j’ay parlé, et demourérent comme

Rappelons que Charles VIII ne resta que trois jours a Pise.

72 T. Ill, p. 240. 73 T. Ill, p. 147.

l’aide des

gens desespéréz. »

ROBERT

DE BALSAC

109

seulement de ces derniers : « Et cecy advint des Francoys propres, qui leur mysdrent cela en avant» 74, C’est ce que révéla un de leurs capitaines au prince d’Orange qui en informa Charles VIII. Et pourquoi agirent-ils ainsi ? Parce qu’ils étaient hostiles a la conclusion de la paix. Quant a Ligny, maintenant comme hier, ses prises de position sont irrationnelles et manquent de réalisme politique. Il opte pour un parti absurde, au service de l’ambition insensée d’un grand féodal, sans appui sérieux ni solide, avec, au mieux, des arguments truqués et fabriqués de toutes piéces. Enfin, il tient des propos irréfléchis, lourds de menaces contre Ludovic le More dont il empéche la réconciliation avec le roi. N’a-t-il pas dit qu’on aurait di emprisonner Sforza lorsqu’il se trouvait en compagnie des Francais 4 Pavie ? Et ces paroles ne sont-elles pas parvenues aux oreilles de l’intéressé75 ? Bref, a son passif, outre de la maladresse et de la cupidité, une déloyauté profonde. Le second de ses deux comparses, ROBERT DE BALSAC, est un de ses détestables protégés 78, le plus influent, qui s’était attaché au duc d’Orléans dont il était chambellan7? et que Commynes ne ménage pas du tout: c’est, ni plus ni moins, un « homme « mal conditionné » 78, L’emploi de cet adjectif est une invitation a fouiller dans le passé de ce personnage et a y découvrir, par exemple, le rdle qu’il joua dans le meurtre de Jean V d’Armagnac que V’historien s’est contenté d’évoquer dans la premiére partie des Mémoires 7, Envoyé a Florence pour préparer les logis des Fran¢ais en route vers Naples, a peine Pierre de Médicis se fut-il enfui qu’il pilla sa maison, sous un prétexte que le chroniqueur nous invite a suspecter. Prétendant que le banquier des Médicis a Lyon lui devait une grosse somme d’argent, il se saisit de tout ce qu’il put trouver et, en particulier, il « print une licorne entiére, qui valloit six ou sept mil ducatz et deux grans piéce d’une aultre et plusieurs aultres biens » 8°, Paul Jove ne le cite pas parmi cette meute de pillards que pourtant il nous montre a l’ceuvre ®!; par contre, il le présente, plus loin, comme un « vaillant homme » ®?, Par l’intrigue et la corruption, il obtient la garde de plusieurs cités que nous avons énumérées plus haut ®%, et Commynes nous en a donné

74 T. Il, p. 245. 75 Ibid. : «... et se excusa sur aulcunes parolles que mons™ de Ligny avoit dictes qu’on le devoit prendre quant il fut devers le roy a Pavye... » SANUDO (p. 625) mentionne le fait sans indiquer la cause, 76 Voir SANUDO, op. cit., p. 647. 77 MAULDE-LA-CLAVIERE, op. cit., t. III, p. 346.

78 T. Il, p. 148.

79 Voir J. MASSELIN, Journal des Etats Généraux de France tenus a Tours en 1484, sous le regne de Charles VIII, éd. A. BERNIER, dans la Collection des

documents inédits sur Uhistoire de France, Paris, 1835, p. 279. 80 T. III, pp. 66-67. 81 Ed. cit., p. 36; pas plus que SANUDO, pp. 108-109. 82 P. 39. 83 T. Ill, pp. 148.

110

ROBERT

DE BALSAC

un relevé précis. Dépositaire malhonnéte, encouragé d’ailleurs par des familiers de Charles VIII (sans doute par ce Ligny dont les manceuvres souterraines ne se comptent pas: «...aulcuns des plus prés de luy donnérent cueur audit Entraguez de ainsi le faire») ®4, il vend aux Pisans la citadelle de leur ville, d’un intérét stratégique indéniable, « qui estoit le fort et tenoit ceste cité en subjection » ; il vend

aux Luc-

quois Pietrasancta, aux Vénitiens Ripafratta, chargeant de honte le roi (et la France) qui se montra peu reconnaissant des services rendus et qui, par deux fois, avait promis aux Florentins de leur restituer ces places, le privant d’utiles ressources, puisque, de ce fait, il ne percut pas les 70.000 ducats que Florence s’était engagée a lui verser, et dut rendre les 30.000 déja empruntés, finalement, causant directement « dommaige et consummation de la perte du royaulme de Naples » 8. Balsac put perpétrer ce méfait, parce que l’obéissance ne régnait pas dans le camp francais et que tout s’y traitait dans l’ombre, intrigues et dénonciations, par « rappors en l’oreille» 88, Si lon en croit le seigneur d’Argenton, d’Entragues aurait trahi seulement par cupidité. Or, il semble que ce soit 1a une simplification abusive — souvent inconsciente (tellement l’argent a occupé une large place dans la vie, les pensées et les espoirs de notre mémorialiste) mais ici voulue sans aucun doute. Ecoutons plutét Paul Jove qui énonce 87 des raisons plus complexes et, certaines du moins, plus honorables: a) d’Entragues exécute les ordres de Ligny, hostile aux Florentins ; b) lui-méme les hait, parce quils ont massacré la garnison francaise, aprés avoir pris Pontesecco « par composition » ; c) il aime passionnément une jeune Pisane, nommée Délantia; d) il pense que les Pisans, ayant recouvré et conservé leur liberté, libérés de la tutelle odieuse des Florentins, seront des partisans fidéles de la France. Plus tard, poussé par son violent amour,

il promet de rendre a Pise sa citadelle aux conditions suivantes: 1°) si Charles VIII ne revient pas en Toscane avant un délai de cent jours, elle sera abattue et rasée ; 2°) les habitants de la ville verseront, chaque mois, 2.000 ducats pour entretenir la garnison francaise ; 3°) lorsqu’il rendra la citadelle pour qu’elle soit détruite, il recevra 14.000 ducats comptant. L’accord conclu, il vend aux Pisans deux grosses piéces d’artillerie 88. Il respecte sa parole, malgré les tentatives de Florence qui s’efforcga de l’acheter avec une grosse somme d’argent 8®, Lorsqu’il s’exé84 T. Ill, p. 263. 85 Ibid., pp. 262-263.

86 Ibid., p. 263. 87 Ed. cit., p. 108.

88 P, 113. 89 P. 115 : « Peu de jours aprés, Antragues, le cueur duquel navré d’incroyable amour envers la pucelle Delantia brusloit tout... par tous devoirs

d’humanité, leur testifia que, tout incontinent

que I’an seroit passé, selon le

terme prefix de leur accord, aussi tost rendroit-il la Roque au peuple de Pise, et, de faict, ne faillit point a sa promesse, combien qu’il fust 4 merveilles solli-

ROBERT

DE BALSAC

111

cute et rend la citadelle aux Pisans, il exige que les dirigeants de la ville s’engagent de facon formelle, par serment, a « tenir certaines choses pour le roy Charles», en l’honneur de qui est ensuite forgée une monnaie ornée de fleurs de lis %. Dans son Histoire d’Italie, Guichardin nous explique pourquoi et comment d’Entragues ne se soumit pas aux ordres de Charles VIII. Plusieurs raisons nous sont présentées. Ou bien, comme tous les Francais, il aimait les Pisans, ou bien il obéit 4 des instructions secrétes de Ligny dont il était le lieutenant; ou bien il était amoureux de la fille d’un Pisan, Luc del Lante. Une seule est écartée: la cupidité, car il est invraisemblable qu’il se soit laissé corrompre par l’or pisan, alors qu’il pouvait en espérer bien davantage des Florentins. Comment procédat-il? Tantédt il déformait les commandements du roi; tantdt il prétendait que, lorsqu’on lui avait confié ces places, on lui avait recommandé de ne les rendre a Florence qu’a la vue d’un certain signe dont il était convenu avec Ligny 1. Pourquoi une telle charge contre ces deux comparses dont le premier est loué par Brantéme qui a apprécié ce chevalier: M. de Ligny, aussi de la maison de Luxembourg, parent et fort favori du roy, le gouverna fort en ce voyage... Il méritoit bien une telle récompense de son roy, car il le servit trés bien et trés fidélement en tout ce voyage : aussi le roy l’aymoit fort... il estoit bon capitaine, brave, vaillant, jeune et trés beau 92 ?

Commynes nous apprend qu’il s’opposa a Ligny au sujet de Pise. Le fit-il seulement pour que Charles VIII témoignat sa gratitude aux Florentins qui ’avaient aidé, pour qu’il fit fidéle 4 ses serments réitérés et retirat de cette loyauté de substantiels avantages ? Notre auteur, qui ne devait pas priser un favori (« che dormiva col Roy», dit Sanudo)® dont on admirait l’allure et le comportement chevaleresques, omet de signaler — et on comprend aisément la raison de son silence —que les Florentins lui avaient promis de le récompenser, s’ils parvenaient A recouvrer Pise et les autres villes. Or Ligny et d’Entragues furent ceux qui soutinrent le plus énergiquement et le plus efficacement la rébellion des Pisans et qui empéchérent leur retour sous le joug de Florence. Bien plus, une intervention du second les sauva de la catastrophe et arréta un dangereux assaut de leurs ennemis. Témoin Paul Jove: les Pisans « reputoient de bon gré a bienfaict souverain qu’Antragues d’argent, et

cité du contraire par les Florentins qui luy offroient grosse somme

nommément a chascun capitaine, s’il en déboutoit les Pisans. » 90 Jbid. 91 Fd. cit., p. 109. 92 Ed. cit., t. Il, pp. 354-355. 93 Op.

Maesta. »

cit., p. 614.

Voir

encore

p. 111

: «..

sempre

4

dormiva

con

Sua

LOUIS D’ORLEANS

112

en ce perilleux hazard n’avoit point rompu sa foy, encores qu’il ne la leur eust donnée seulement que par promesses ambigués et qu’il avoit retardé l’impétuosité des ennemis en temps tresopportun par son artillerie deschargée ». En outre, le méme d’Entragues était le neveu d’Antoine de Chabannes, comte de Dammartin, que Commynes n’aimait pas, comme nous avons vu. Il fut disgracié en méme temps que son oncle %. De surcroit, malgré les sollicitations de Louis XI, il resta fidéle au duc de Bourbon que notre mémorialiste accusait, avec raison, de félonie a son égard %, Enfin, il participa au pillage du palais des Médicis qui devaient au seigneur d’Argenton de l’argent qu’il ne put jamais récupérer, en dépit de tous ses efforts. *

*

On est surpris de découvrir dans les Mémoires un portrait plutét satirique de LouIs D’ORLEANS. Commynes, pourtant, l’a suivi et appuyé dans ses révoltes au début du régne de Charles VIII; il se présente comme son ami; il l’avertit quand il apprend que se conclut la Ligue qui menace d’Orléans autant que son royal cousin, demandant a Pierre de Beaujeu de renforcer Asti®’; il lui donne de judicieux conseils %. Il a enduré pour lui pertes et malheurs 9%. x

Il est trop habile pour ne pas ajouter ¢a et 1a a cette charge quelques touches moins acerbes. Il l’approuve soit de ne pas s’étre laissé griser par les paroles de soumission de deux petites villes dont on pouvait craindre la versatilité : elles lui proposérent de l’accueillir dans leurs murs, mais avec sagesse il ne donna pas suite a leur offre 1 ; soit de n’avoir apporté aucun changement, lorsqu’il monta sur le tréne: il ne toucha pas aux pensions en cours, il ne remplaca les titulaires que d’un petit nombre de charges, il affirma qu’il voulait maintenir chacun dans ses fonctions et prérogatives1°1. Encore faut-il noter que Com-

94 Op. cit., p. 113. Voir aussi SANUDO, p. 598. te Voir les Interpolations de la Chronique scandaleuse, éd. cit., t. Il, pp. 152 et 388. 96 [bid., t. II, pp. 183-184 : « Et, durant ledit jour, le roy entretint fort ledit seigneur de Balsac, et le voullut retirer d’avec ledit duc de Bourbon ; lequel Balsac respondit qu’il ne le feroit point sans le congé de monseigneur de Bourbon et de son oncle le conte de Dampmartin. Lequel de Balsac dist au roy qu’il avoit chassé de son service sondit oncle a tort et sans cause; et le roy, au departement de saditte seur, rescripvit 4 monseigneur de Bourbon, au conte de Dampmartin et autres seigneurs qui estoient audit Moulins qu’ilz luy ren-

voyassent ledit seigneur de Balsac et qu’il luy vouloit faire des biens. » ot Th. Usp. 125; 98 T. Ill, p. 220 : «Et comme se veoit dessus... »

OFT alllepsc ka. 100 T. III, p. 157. 10th, pa oka,

luy eust myeulx

vallu

faire ce que

luy manday,

LOUIS D’ORLEANS

113

mynes semble lui accorder 4 contrecoeur des compensations mineures, puisque dans le premier cas, il lui reproche, immédiatement aprés, de ne pas avoir accepté la reddition de Pavie (« Mais ceulx de Pavye envoiérent deux foiz: 1a devoit-il entendre ») et que, dans le second, il vient de se plaindre de l’ingratitude du nouveau souverain. D’une maniére générale, il ne ménage ni l’homme, ni le sujet, ni le chef de guerre. De l’un des plus brillants princes de ce temps, I’ceil clair de notre chroniqueur démasque les défauts et les insuffisances. Qu’en est-il de ce duc qui s’occupe de politique? Jeune et beau, il passe la majeure partie de son temps dans les plaisirs 192. Sa ligne de conduite lui est le plus souvent soufflée par autrui 193, Peu compétent, il ne s’est pas entouré de conseillers intelligents et lucides qui, aprés la chute de Novare en leurs mains, n’oseérent pas marcher sur Milan, alors que les principaux de la ville leur avaient fait des avances, s’offraient a leur donner en otages leurs propres enfants, que le peuple aussi bien que la noblesse haissaient Sforza 1%, qu’ils ’eussent accueilli avec plus d’enthousiasme que ne le faisaient ses sujets a Blois 1%: Aussi m’a compté le duc d’Orleans et ses gens, ces praticques dont j’ay parlé, qui ne s’y fiaient point bien, et avoient faulte d’hommes qui les

entendist myeulx que eulx.., 106 Le pronom eulx est ambigu le duc et les conseillers.

4 dessein, susceptible d’englober a la fois

Il est tant6t trop méfiant, ne croyant pas les nouvelles véridiques qui lui sont rapportées 107, tantét confiant a l’excés : il se range a l’avis de ses partisans, Saint-Malo et Georges d’Amboise, qui lui promettent des secours et l’incitent 4 rester dans Novare ou, aprés avoir subi un siége effroyable, il court un grand danger 18, tandis que le mémorialiste lui conseillait de quitter cette ville en emmenant avec lui toutes les bouches inutiles et de rejoindre Charles VIII, auprées de qui il eit pu défendre son point de vue 1°, Commynes insinue que les véritables traitres a la cause orléaniste, ce sont ces mentors trop crédules ou volontairement abusés.

102 T. Ill, p. 31 : «... homme jeune et beau personnaige, mais aymant son laisir... > ‘

103 T. III, p. 276. Voir SANUDO, p. 499.

104 105 106 107

T. Ill, p. 159. Jbid., p. 151. eb ’ ‘ Jbid., p. 159. [bid., p. 151 : « Et le pouvoit faire sans dangier, les trois jours pre-

miers, pour ce que les gens du duc de Millan estoient encore a Noni, prés Ast, quant Novarre fut prins, qui ne vindrent de quatre jours apres ; mais peult estre } qu’il ne creoit point les nouvelles qu’il en avoit. »

108 [bid., p. 222 : « Mais tous ces signes ne pouvoient garder ceulx dont ay

parlé demander grant peril. »

audit duc d’Orleans

qu’il ne bougeast,

lequel ilz misdrent

en

LOUIS D’ORLEANS

114

Autres éléments de ce portrait: quand meurt l’héritier direct de la couronne, qui dés lors lui reviendra, il manifeste une joie insolente qui ulcére la reine 110, Remarquons, cependant, que le prudent chroniqueur ne se prononce pas nettement, puisqu’il se borne a rapporter les impressions d’Anne de Bretagne, une femme plongée dans la douleur. D’Orléans manque 4 la courtoisie la plus élémentaire, en s’opposant violemment au prince d’Orange "1. Il n’oublie jamais ses intéréts particuliers et ses prétentions sur le duché de Milan142, L’attitude menacante a Asti de ses serviteurs contre Ludovic Sforza, pousse Venise a accélérer la conclusion de la SainteLigue antifran¢aise 113. Charles VIII, de peur de le mécontenter, n’ose, en suivant les suggestions de Trivulce et en reconnaissant comme duc le petit-fils de Jean-Galeas Sforza, s’assurer le contrdle définitif du Milanais 114, Le futur Louis XII n’hésite pas a désobéir aux ordres écrits de son souverain et a s’emparer de Novare, poussé par des offres alléchantes 145. Il détermine ainsi les Vénitiens a jeter toute leur puissance dans la bataille :Commynes avait prévenu son maitre que, si la moindre action était entreprise contre le More, la république interviendrait en sa faveur, avec toutes ses forces, qui étaient considérables et se tenaient sur le pied de guerre 116, Louis d’Orléans a donc sacrifié l’intérét général en connaissance de cause. C’est encore par sa faute que se prolonge inutilement la guerre. En effet, le seul point qui dresse la France contre Milan est cette cité de Novare que veut conserver Louis d’Orléans et qu’entend recouvrer Sforza qui ne saurait souffrir qu’une ville, proche de sa capitale de dix lieues seulement, demeure entre d’autres mains que les siennes 117 et qui ajoute que, si on lui donne satisfaction sur ce point, et que si on ne lui réclame pas Génes, il sera a l’entiére disposition

109 110 111 112

du roi, pour

T. T. T. T.

III, III, HII, III,

p. p. p. p.

l’aider en tout et partout.

220. 257. 241. 225.

113 T. Ill, p. 122 : «Et disoient encores que mons™ d’Orleans, qui estoit demouré en Ast, faisoit craincte au duc de Millan et que ses serviteurs disoient de grans menaces... > 114 IJbid., pp. 156 et 206 : « Et quant le roy eust voullu entendre a ceste praticque, plusieurs villes et aultres personnes y eussent entendu par le moyen dudit messire Jehan Jacques de Trevolse et d’aultres, mais ledit seigneur ne vouloit point faire ce desplaisir audit duc d’Orléans son cousin, qui ja estoit dedans Novarre, comme avez veii. » 115 T. III, p. 150 : « Toutesfoiz, non obstant ce que le roy luy avoit escript, luy vint ceste praticque si friande que de luy bailler ceste cité de Novarre... » 116 T. Ill, p. 149 : «Et si avoit sceu, dés avant qu’il partist de Senes, comme le duc d’Orleans avoit prins la cité de Novarre sur le duc de Millan, par quoy le roy povoit estre certain que les Veniciens se declareroient, veu que de par eulx luy avoye dit que s’il faisoit guerre audit duc de Millan, qu’ilz luy donneroient tout aide 4 cause de la ligue nouvellement faicte ; et avoient leurs gens prestz et en grant nombre. »

117 -T, Ill, p. 220.

LOUIS D’ORLEANS

115

Le duc d’Orléans n’est pas davantage un bon chef de guerre. Ses capitaines s’opposent les uns aux autres 118, Il ne sait pas saisir au vol Voccasion favorable pour s’emparer de Milan 19 ou occuper Pavie 120, Ni évaluer la force de ladversaire. Le voici devant Vigevano, ot s’était retranchée l’armée milanaise commandée par Galeasso et GianFrancesco di San Severino. Cette bourgade était faible, ne valant méme pas Saint-Martin de Candes « qui n’est riens ». Commynes parle par expérience ; il l’a visitée peu de temps aprés ces événements. Ludovic et ses capitaines lui ont montré les positions respectives des deux armées. Les ennemis se tenaient sous les murs et a l’intérieur de la cité. Si le duc d’Orléans s’était avancé de cent pas, les autres auraient reculé et traversé le Tessin. C’est si évident pour le mémorialiste, qu’il emploie limparfait de Vindicatif. Ils étaient décidés 4 abandonner et la ville et sa citadelle. La preuve ? Ils avaient préparé un grand pont de bateaux ; ils avaient construit « ung boulovart de terre... de la part de la riviére pour deffendre le passaige », et l’auteur assista plus tard a sa démolition 121, Ils auraient subi une lourde perte: c’était la résidence favotite du More, offrant les plus riches possibilités aux amateurs de chasse, avec chiens comme avec oiseaux 122, Mais que fit le Francais ? Il s’imagina que ce bourg était trés fort, sans preuve sérieuse, si l’on en juge par l’expression: il sembla par adventure ; et, estimant qu’il en avait assez fait, il se retira a Trécate 125, Le témoignage de Guichardin 124 permet de cerner de plus prés la vérité et de déceler les coups de pouce que le seigneur d’Argenton apporte, ca et 1a, a une réalité plus rebelle: Ensuite, il [Louis d’Orléans]

envoya

un détachement

de cavalerie jus-

qu’a Vigenéve ; on croit que, s’il efit marché sans délai vers Milan avec toute son armée, il y aurait causé de grands mouvements.

Aussit6t qu’on

y eut appris la perte de Novare, les esprits parurent fort disposés a la révolte ; déja, Ludovic, aussi rampant dans l’adversité qu’il était fier et insolent dans la bonne fortune, comme le sont tous les laches, laissait voir sa faiblesse en versant inutilement des larmes, Il n’avait pour toute défense que les troupes qui étaient avec Galeas ; mais les ennemis étaient entre elles et lui, et on ne les voyait paraitre nulle part. Il arrive souvent qu’on laisse passer les occasions les plus favorables dans !a guerre, les

118 [bid., p. 159. 119 [bid., p. 151. 120 [bid., p. 157.

. 121 Jbid., pp. 157-158. 122 Jbid., p. 158 : «... qui leur eust été grant perte. Et est le lieu du monde ot le duc de Millan se tient le plus et la plus belle demeure pour chasses et ! A voleries en toutes sortes que je saiche en nul lieu. » 123 Ibid. : «Il sembla par adventure 4 Mons™ d’Orleans qu’ils estoient en lieu fort, et qu’il avoit assez faict, et se retira en ung lieu appellé Trecas, dont le seigneur dudit lieu parla poy de jours aprés a moy, qui avoit charge

du duc de Millan. » Commynes est donc bien informe. 124 Fd. cit., p. 80.

116

LOUIS D’ORLEANS capitaines ne connaissant pas toujours le mauvais

état de leurs ennemis;

d’ailleurs, il ne paraissait pas vraisemblable qu’un prince aussi puissant que Ludovic dfit craindre une révolution si subite. Le duc d’Orléans, voulant s’assurer la conquéte de Novare, fit le siege de la citadelle de cette ville, et elle promit au bout de cinq jours qu’elle se rendrait dans vingt-

quatre heures si elle n’était pas secourue. Ce retardement donna le temps a San Severino de se jeter dans Vigenéve avec ses troupes et a Ludovic de grossir son armée, aprés avoir apaisé le peuple par la révocation de plusieurs taxes qu’il lui avait imposées. Néanmoins, le duc d’Orléans

s’avanca jusqu’aux portes de Vigenéve et présenta la bataille aux ennemis ; l’épouvante était si grande parmi eux qu’ils furent sur le point d’abandonner la place et de passer le Tessin sur un pont de bateau. Le duc d’Orléans, voyant qu’ils refusaient d’en venir aux mains, se retira a

Trecas, et dés ce moment,

les affaires de Ludovic

commencérent

a se

rétablir.

Ni livrer bataille au moment opportun. Quand les Milanais se présentérent devant Trecate, il se laissa persuader de ne pas combattre, bien que «sa bande vaulsist myeulx que l’autre » 125, x Lorsque, pressé a son tour par ses ennemis, il s’enferma dans la ville de Novare, il ne se préoccupa pas des vivres, alors qu’il lui était possible de s’en procurer trés facilement, tant en conservant et en économisant ceux qu’il y avait déja qu’en stockant les blés qui étaient en grande quantité autour de la ville et qu’il pouvait s’approprier sans méme avoir a les payer. Cette négligence eut de lourdes et douloureuses conséquences, car la famine décima la garnison126, Et notre auteur revient sur cette faute grossiére a trois reprises 127, Que le duc ne s’en prenne donc qu’a lui de cet échec sans panache, puisque par la suite, il ne songea méme pas a écouter les conseils de Commynes, c’est-a-dire 4 éloigner de la place assiégée les gens inutiles pour réserver les vivres aux défenseurs et a venir en personne auprés de Charles VIII pour le décider a le secourir 128, Bientdt, il en fut réduit a implorer de l’aide et a subir, avec des troupes affamées, la honte de la défaite 1°9, Il quitta avec joie la ville, étroitement investie 13°, grace a laccord signé par le mémorialiste. C’est loin du danger qu’il retrouva son ardeur belliqueuse et songea de nouveau 4 la bataille, aprés avoir

125 T. Ill, p. 159, 126 Ibid., pp. 159-160 : « Et se retira toute ceste compaignée dedans Novarre, donnant trés mauvais ordre au faict de leurs vivres, tant 4 garder ceulx quwilz

avoient que a mettre bledz dedans la ville, dont assez pouvoient recouvrer a

Yentour de ladite cité sans argent, et dont despuis ilz eurent grant faulte... »

127 Ibid., pp, 212 et 219. 128 Ibid., p. 220.

_ 29 Ibid., p. 212 :

«... et si la provision eust esté faicte de bonne heure et

bien gouvernee, jamais n’eussent eu Ja ville, mais en fussent sailliz a leur hon—

pe

: at ennemys a grant honte, s’ilz eussent peu tenir encores ung moys. »

;

_180 [bid., p. 236 : «... Et fit partir ledit duc seullement a petite compaignee, qui a grant joye en saillit... »

LOUIS D’ORLEANS

117

passé une dizaine de jours dans l’opulence, piqué au vif par des critiques que lui rapportaient de nombreux visiteurs et qui lui reprochaient de s’étre laissé réduire a une telle extrémité, alors qu’il était a la téte d’une armée importante 131, Il assista au conseil ot l’on décida de la paix, dont il ne pardonnera pas la conclusion a notre auteur, et il ne semble pas, a en croire les Mémoires, qu'il s’y soit opposé182, De retour en France, il hésita a reprendre le chemin de I’Italie, malgré les circonstances trés favorables que le chroniqueur énumére }83, et l’avis unanime des conseillers 154, Il tergiversa et chercha des prétextes, préférant attendre en France la succession de Charles VIII 135, Commynes semble donc rejeter sur lui, a différents moments, la responsabilité de l’échec italien. Un peu vite, peut-étre, car Guichardin 18¢ présente une version plus complexe des mémes faits. Il n’estime pas qu’en 1496, l’entreprise ait échoué pour la seule raison qu’on avait partagé en plusieurs corps les troupes franc¢aises, comme le signalent les Mémoires 187, I] pense que les mémes personnes qui, en 1494, s’étaient opposées a ce que Charles VIII passat en Italie, mirent tout en ceuvre en 1496 pour déterminer la faillite d’une nouvelle tentative en ne fournissant pas le nécessaire, soudoyés par le duc de Milan qui distribua beaucoup d’argent a Pierre de Bourbon et a d’autres seigneurs influents sur l’esprit du roi; et l’on soupconna Briconnet d’étre lui aussi pensionné et d’avoir renoncé au réve italien. Il est indéniable, a son avis, que Louis d’Orléans, qui devait se rendre a Asti et que le roi sollicitait (Commynes nous le dit) 188, ne se pressa pas de partir, bien qu’il nett pas négligé de préparer son voyage. Mais, au lieu de l’unique explication avancée par les Mémoires, Guichardin en présente deux. L’une, identique : héritier présomptif de la couronne, Louis jugea qu’il ne lui convenait pas de s’éloigner 4 un moment ou la santé du souverain était chancelante. L’autre, plus honorable: il ne comptait pas sur les secours qu’on promettait de lui envoyer. Une premiere expérience lui avait ouvert les yeux.

131 [bid., pp. 239-240 : «Le duc d’Orleans, qui ja avoit esté huyt ou dix jours a son aise et hanté de toutes sortes de gens et a qui il sembloit que aulcuns avoient parlé de quoy tant de gens comme il avoit dedans Novarre avecques luy s’estoient laisser mener a ceste necessité, parloit fort de la bataille, ; " et ung ou deux avecques luy. >

132 [bid., p. 242 : «Et ainsi l’avoit conclud le roy en ung grant conseil,

present le duc d’Orleans. >»

: ; 7 133 Jbid., pp. 273-274. 134 [bid., p. 276 : «Et fut conclud, sans une voix au contraire, et si y

avoit tousjours dix ou douze personnes pour le moins, qu’il y devoit aller, veu qu’on avoit asseuré tous les amys en Ytalie, qui dessus sont nommez, lesquelz ja avoient faict despence et se tenoient prestz. »

135 [bid., pp. 276-277. 136 Ed. cit., p. 143.

137 T, III, pp. 278 sq. 138 T. III, p. 277.

118

LOUIS D’ORLEANS

D’autres éléments nous invitent a4 penser que notre écrivain n’a pas voulu épargner le duc. D’abord, il lui d6te le bénéfice des succés ou

des actions heureuses:

a Rapallo, c’est la galéasse de Commynes

qui

apporte la victoire au camp francais, et Ludovic ne peut surprendre Asti grace aux lettres envoyées de Venise 189. Ensuite, il confond volontairement la cause réelle et le prétexte. Si nous suivons le chroniqueur, la prise de Novare par le duc détermina l’entrée en guerre des Vénitiens ; en fait, ceux-ci, inquiets des progrés de Charles VIII, étaient décidés a intervenir cofite que cofite 14°, Il omet de signaler l’activité et le courage de Louis pendant le siége 141. Il avance des explications ou lance des accusations qui, partielles et partiales, malménent la vérité. Il lui reproche de ne pas avoir marché sur Milan aprés s’étre emparé de Novare. Avec Maulde-La-Claviére, il est possible de nuancer cette critique 142, Le duc était-il tout a fait libre de ses mouvements ? Ni le roi, ni Pierre de Bourbon n’étaient favorables a |’extension du conflit et a une conquéte du Milanais pour le compte de leur cousin. En outre, si l’on admettait un coup de main minutieusement préparé qui remettait en question le pouvoir de Ludovic Sforza, protégeait les principautés subalpines favorables a la France, opérait une diversion sérieuse au revers de l’ennemi et aidait a la sauvegarde de Charles VIII (ce que ne dit pas Commynes), il efit été dangereux de s’enfoncer dans la conquéte du duché, alors que l’armée vénitienne était proche et que des forteresses nombreuses pouvaient, a tout moment, arréter la marche des agresseurs; il efit été dangereux, en alimentant et en authentifiant la propagande ennemie, de soulever contre la France I’Italie entiére. Si, enfermé dans Novare, le duc n’attaqua pas son adversaire, la faute en incombe, au moins partiellement, a ses lieutenants, qui se refusérent a une marche en avant ou a un retour a Asti, préoccupés surtout du salut de Charles VIII 143, Enfin, est-il possible d’admettre tout de go que Louis d’Orléans, a la fin de 1496, déclina l’honneur de prendre la téte d’une nouvelle expédition francaise en Italie parce qu’ «il veoit le roy assez mal dispousé de sa santé, dont il devoit estre heritier s7il advenoit a mourir » 144? En fait, il ne semble pas que ce facteur ait été déterminant. A cette date, l’état du roi ne présentait rien d’alarmant; et la reine Anne était enceinte d’un fils qui mourut le 2 octobre 1496. En outre, il est des indices qui peuvent nous permettre de soutenir avec Maulde-La-Claviére 145 que Louis d’Orléans gardait toujours les yeux 139 T. Ill, p. 149 : « Et fault entendre que, quant la ligue fut conclue, le duc de Millan cuidoit prendre Ast et n’y pensoit trouver personne ; mais mes lettres, dont j’ay parlé, avoient bien aidé 4 advencer des gens que le duc de Bourbon y envoya. »

140 141 142 143

MAULDE-LA-CLAVIERE, bid, [bid., p. 194. [bid., pp. 222-223.

144 T. III, pp. 276-277.

145 T, III, p. 357.

op. cif., t. III, p. 252.

LOUIS D’ORLEANS

119

fixés sur I’Italie. Il pensionnait Antoine de Baissey, chargé des rapports avec les Suisses. Il recevait des gentilshommes milanais venus lui offrir leurs services. Il répondait sans tarder a des lettres adressées de Lombardie. Il négocia, pour aider Charles VIII, un emprunt consi-

dérable

avec les banques lyonnaises.

Et si, pour finir, il s’écarta de

toute action politique, c’est qu’il avait fort a faire avec la tutelle des enfants d’Angouléme 148, Ainsi, ici encore, a un fait réel et bien attesté (le futur Louis XII semble se détourner de I’Italie), Commynes donne

une cause erronée ou une seule cause. Que s’est-il donc passé qui explique d’une part, que le chroniqueur n’ait pas ménagé le duc, mais plutdt ait cherché a démontrer que celui-ci, aprés avoir accumulé les fautes et péché par insubordination, n’a pas rechigné a quitter Novare assiégée et 4 approuver le traité de Verceil ; d’autre part, que Louis XII, quand il monta sur le tréne, n’ait pas réservé une place de choix a son ancien complice des troubles de la Régence ? Si, comme nous l’avons vu, le futur roi était coupable aux yeux de Commynes et de ne pas l’avoir emporté sur les Beaujeu, et de ne pas avoir arrété l’expédition d’Italie, il y eut sans doute un fait plus récent qui sépara définitivement les deux hommes. En effet, au cours de l’aventure napolitaine, on peut distinguer, dans les relations entre le duc et Commynes, trois périodes. La premiére est celle du plein accord. Un homme de Louis accompagne le mémorialiste 4 Venise. Tous deux cherchent a mettre un terme au voyage de Naples, celui-l4 pour se tourner contre Ludovic le More et le déposséder du Milanais, celui-ci pour éviter le heurt avec les Florentins. Tous deux sont favorables a |’alliance de Florence (et des Médicis) et hostiles a Briconnet. De Venise, le seigneur d’Argenton envoie des faucons au duc. Témoin cette note de Marino Sanudo 147. La seigneurie vénitienne distribue des faucons aux ambassadeurs pour leurs maitres. Celui de Naples refuse plus ou moins: « Et inteso questo da Monsignor di Arzenton, ambassador de Franza, mando a dimandar al Prencipe li volesse concerderli per monsignor Duca de Orliens, era in Aste, dicendo havea gran piacer di tale cose ». En mai 1495, premier signe de divergence. Quand Commynes réclame des explications 4 la seigneurie vénitienne, il déclare passer condamnation sur l’investiture impériale en faveur de Sforza, sans méme paraitre se douter des droits du duc d’Orléans sur Milan 148; il se contente de 146 T. Ill, p. 384. ; ; Ash 9 147 Ed. cit., p. 183. 148 T. Ill, p. 206 : «... Aulcuns de ladite ville praticquoientde y mettre le

roy, mais ilz vouloient que ce fust soubz le tiltre d’ung petit filz demouré

de

Tehan Galiace, dernier duc, qui n’a guéres estoit mort, comme avez ouy. Et quant le roy eust voullu entendre

a ceste praticque,

plusieurs villes et aultres

personnes y eussent entendu par le moyen dudit messire Jehan Jacques de Trevolse ef d’aultres...> Cf. encore III 280 : «... et qui l’eust laissé faire, il eust faict grant chose. »

LOUIS D’ORLEANS

120

demander «le motif des démonstrations de l’armée milanaise devant Asti». Mais les apparences sont encore trompeuses, puisqu’en juillet 1495, le sénat de Venise demande de se méfier du chroniqueur a cause de sa sagacité et de son affection pour le duc d’Orléans. Pourtant, dés cette date, plus ou moins gagné par les flatteries intéressées de Ludovic le More, soucieux de se concilier les faveurs des Francais, de plus en plus nombreux, qui sont las de la guerre, toujours recherchant un succés diplomatique qui le remette en selle, Commynes rejette au second plan les revendications de Louis d’Orléans, et, volontairement ou involontairement, joue le jeu du More, son ennemi mortel, poussant a l’arrét des hostilités et, finalement, échouant. Aussi les Mémoires sont-ils écrits, pour une part, afin de démontrer, en s’appuyant sur le teémoignage de personnalités comme Louis de La Trémoille, Trivulce ou le prince d’Orange, que Commynes a eu raison d’agir comme il l’a fait et qu’il n’a trahi personne; que si Louis d’Orléans n’a pu réaliser ses desseins, il doit se retourner contre lui-méme et ses funestes conseillers, plut6t que de reprocher aux autres de ne pas l’avoir soutenu jusqu’au bout. Quand notre chroniqueur eut rompu avec le More, il appuya, contre le duc, Trivulce qui voulait placer a la téte de |’Etat milanais Francesco Sforza. Les Mémoires le suggérent a plusieurs reprises 149. Et, si nous les comparons a La Spedizione di Carlo VIII in Italia de Marino Sanudo, nous découvrons un indice supplémentaire : Commynes ne dit mot des « pratiques » de Trivulce avec les ennemis de Charles VIII, alors que Vhistorien italien en parle au moins deux fois. Témoin ce passage: « Et é da saper che nostri tramavano pratiche secrete con ditto Zuan Jacomo di Traulzi, venisse da la banda di qua; et andava messi su et zo de questo; tamen promise de venir et non venne » 159, Toutefois, il convient de demeurer prudent. Peut-étre y avait-il 14 des manoeuvres pour entrer en contact avec les chefs de la Sainte-Ligue et, finalement, les tromper. Pour masquer une réalité qui l’importune, le mémorialiste n’hésite pas, comme nous I’avons vu, a confesser qu’il a été joué par Ludovic le More. Ce qui surprend de prime abord quand on sait que, dans son ceuvre, il tient 4 nous donner des preuves de son habileté politique. D’une facgon générale, il attaque le More pour éloigner tout soupcon

150 Fd. cit., p. 451. Cf. encore, p. 474 : «... et in questa matina [i.e. juste avant la bataille de Fornoue| venne uno trombetta in campo nostro, zoé da parte di Zuan lacomo di Traulzi, era uno de capitanei dil Re, el qual ne li zorni superiori ritrovandose su quelle montagne, le so gente italiane con Franzesi veneno a parole per caxon di alozamenti et vittuarie, adeo esso Zuan

lacomo Ihave molto a mal, et pitt volte volse venir da la banda nostra, ut

dicitur, cossa

che molto. nostri

desiderava,

et za ne

era

qualche

pratica ; et

cussi mandd uno suo trombetta, come ho ditto, fenzando de mandar a dimandar

al Marchexe de Mantoa alcuni danari che l’avea spexo a Napoli in uno cavallo per Soa Signoria... »

LOUIS D’ORLEANS

121

de collusion entre ce dernier et lui-méme!, Autre indice qui n’est pas sans intérét, quand on se rappelle le plaisir qu’il ressent a déceler et a dénoncer la puissance occulte de l’argent. Au moment de Verceil, nous dit-il, le duc d’Orléans soudoya Briconnet afin d’entraver les négociations 152, Mais il ne souffle mot de l’or répandu par Sforza et d’autres, comme l’écrit Guichardin a propos du prince d’Orange: «Le prince d’Orange parut si empressé a faire résoudre la retraite que beaucoup de gens le soupconnérent de s’étre laissé gagner par l’empereur, auquel il était fort attaché, et d’avoir préféré l’avantage du duc de Milan aux intéréts de la France». N’en a-t-il pas été de méme pour lui, convaincu par des moyens plus ou moins avouables ? Quoi qu’il en soit, Louis d’Orléans a joué un grand réle dans la vie, mais surtout dans les pensées et les rancoeurs du seigneur d’Argenton qui le rend responsable en grande partie de ses échecs, et éprouve a son sujet une certaine mauvaise conscience. Une curieuse phrase des Mémoires nous le suggére. Au chapitre V du livre VII, nous lisons dans un passage concernant le futur Louis XII: « De luy a esté assés parlé en

ces memoires » 156, Or, a ce moment

de I’ceuvre,

il n’a été question,

semble-t-il, de ce personnage qu’une seule et unique fois, dans une allusion aux luttes de la Régence 4, Qu’est-ce a dire ? Que Commynes croyait avoir parlé a plusieurs reprises de lui, tellement le duc obsédait son esprit et revenait fréquemment dans ses évocations d’un passé peu glorieux. Mais il y a une difficulté. En effet, dans la phrase qui précéde, nous avons: «...le duc Loys d’Orléans de present regnant... ». Manifestement, nous sommes en présence d’une addition postérieure au 2 mai 1498. Faut-il penser que les deux lignes qui suivent datent de la méme époque ? Calmette ne parait pas s’étre arrété a cette idée 1, Mais, méme si nous adoptons cette these, ces remarques ajoutées au texte indiquent que notre auteur sentait le besoin de revenir sur le cas de Louis d’Orléans, se rendant compte qu’il occupait une large place dans les derniers événements de sa vie (« De luy a esté parlé en ces memoires »), et le caractérisant de quelques mots qui donnent Vexplication de toutes les maladresses 4 venir (« homme jeune et beau personnaige, mais aymant son plaisir »).

151 Collusion qui n’a rien d’invraisemblable,

témoin une lettre de Ludovic a

Commynes du 1-2-1496, Voir notre Vie de Commiynes.

152 153 154 155

T. T. T. T.

Ill, Ill, Ill, Ill,

p. p. p. p.

225. 31. 7. 31, n. 6.

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CHAPITRE

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V

ET DEFORMATION

HISTORIQUE

« La mer entiére change pour une pierre ; donc tout est important. » (Pascal, Pensées, éd. Lafuma, fr. 749.) « Le journal le plus secret est une composition lit-

téraire, un arrangement, un mensonge. » (F. Mauriac,

Vie de Racine, p. 7.)

Ce qui caractérise peut-étre pour une bonne part la seconde moitié du XV° siécle, c’est que nous avons affaire a des gens, a des écrivains malins, malicieux, retors, compliqués, souvent masqués, dont il n’est pas facile aujourd’hui de saisir la personnalité et les intentions. C’est l’époque de la Farce de maitre Pierre Pathelin qui présente une belle galerie de trompeurs et dont l’intrigue est fondée sur une cascade de duperies. Quant a Villon, c’est le poéte de l’antiphrase, du double ou du triple sens, du calembour et de 1l’équivoque, de legs apparemment anodins, voire gentils, mais qui, a l’étude, se révélent venimeux et méchants... Une lecture attentive des Mémoires de Commynes nous découvre, peu a peu, une ceuvre complexe, pleine d’arriére-pensées et, de ce fait, singuliérement riche, en sorte qu’il convient d’y regarder a deux fois quand on a a porter un jugement sur ce mémorialiste : il est important de ne pas se laisser prendre au piége de l’apparente simplicité du style, de la narration, de la pensée. I.

REALISME

ET PRECISION

Aussi mon propos est-il d’essayer d’amener le lecteur, dans cette étude rapide de l’art de Commynes (qu’on ne peut isoler du reste), du plus apparent au plus secret, tout en ne conservant que ce qui caractérise cette ceuvre et en multipliant les recours au texte. Le premier trait qui nous frappe, c’est le réalisme et le gotit de la précision, des nuances, qui se retrouvent partout, dans sa politique, dans sa sociologie qui se fonde sur la méchanceté, la cupidité et la déloyauté des hommes, dans sa psychologie que les apparences mensongéres ae dupent pas, dans son action qui fait fi des mythes périmés mais aussi

i124

DES DETAILS PRECIS

et surtout dans son style débarrassé des fioritures inutiles et dangereuses, adjectifs superflus, images abondantes, refusant les jugements abrupts, les formules définitives, riche au contraire en réserves et en limitations que traduisent de nombreux presque, quasi, du moins, il me semble, par adventure, assez, comme je croy... Ce qui procede sans aucun doute a la fois d’un gofit profond de l’auteur pour |’exactitude, condition essentielle de la réussite, et de sa volonté de persuader en donnant l’impression de ne rechercher que la vérité. A. — L’ceuvre abonde en notations précises sur les lieux et les personnages, en détails qui font vrai et qui emportent la conviction. Toutes les fois que le mémorialiste cherche 4 imposer une idée a son lecteur, il ’'accompagne d’une de ces remarques qui l’insérent dans le réel. Par exemple, il a intérét a ce que le duc de Bourgogne passe pour un mauvais vassal qui ne tendait qu’a ruiner et a disloquer la France. Ainsi ne pourra-t-on pas lui reprocher d’avoir quitté un homme qui était luiméme peu loyal. C’est pourquoi il reproduit une confidence de son premier maitre, lequel souhaitait que le royaume fit partagé entre six rois plut6t que de demeurer entier au pouvoir d’un seul. Mais, comme on peut toujours penser que ce propos a été inventé pour les besoins de la cause, Commynes précise que le duc lui confia ses pensées secrétes dans l’embrasure d’une fenétre1. Le mémorialiste accorde beaucoup d’importance a la sortie des Franchimontains qui, le 29 octobre 1468, faillirent tuer Charles de Bourgogne et Louis XI, 4 un moment ov la cité de Liége agonisait et semblait ne plus receler aucun danger pour les assaillants ; c’est une preuve que le hasard régne en maitre a la guerre, qu’on peut assister 4 des retournements tout a fait inattendus, qu’il vaut mieux recourir a la diplomatie. Pour suggérer la qualité de son information et la gravité du danger couru, Commynes ajoute qu’il coucha dans la chambre de son maitre, qui estoit bien petite, et deux gentilz hommes qui estoient de sa chambre ; et au dessus y avoit douze archiers seulement qui faisoient le guet et estoient en habillement et jouoient aux dez 2.

Nous savons® qu’il est seul 4 accuser Pierre de Brézé d’avoir trahi sur le champ de bataille de Montlhéry. Comme une telle accusation peut sembler invraisemblable, Commynes a tenu a la rattacher a un trait de caractére que tout le monde reconnaissait 4 Brézé, a savoir son habitude de plaisanter. Aussi rapporte-t-il un propos du grand sénéchal, en ajoutant : et le dist en gaudissant, car ainsi estoit il accoustumé de parler 4.

1 T. fp. 224.

2 Ibid., p. 157. 3 Voir notre Destruction des mythes dans les Mémoires de Ph. de Commy-

nes, pp. 49-53.

4 T. I, p. 21.

DES RETOUCHES L’abondance

125 de ces petits détails parsemés

dans le récit donne a

l’ceuvre une saveur particuliére, et surtout l’impression de la vie, mieux, en tout cas, que les longues énumérations chéres aux Grands Rhétoriqueurs, ou que les descriptions minutieuses de certains réalistes. B. — Ce qui rend plus attachants encore ces Mémoires qui, selon toute vraisemblance, ont été dictés, c’est que nous assistons a |’élaboration de la pensée de l’auteur dans une suite de va-et-vient, de retouches, de repentirs, ott nous retrouvons avec plaisir les hésitations de la vie. Voici un exemple de quelque huit lignes, que j’ai déja utilisé, et qui est une analyse des relations franco-bourguignonnes en 14681469 : .. et sembloit que [Louis XI] patiemment le [humiliation de Personne] portast nonobstant que depuis survint grant guerre entre eulx, mais non pas si tost, et n’en fut point la cause la chose dont j’ay parlé par cy devant (combien qu’elle y peust ayder), car la paix eust esté presque telle qu’elle estoit quant le roy l’eust faicte a Paris. Mais ledict duc de Bourgogne, par conseil d’officiers, voulut eslargir ses limites ; et puis quelques abillitez furent faictes pour y remettre la noyse, dont parleray quand il sera temps 5.

Si nous analysons ce passage, nous conservons qu’il est intéressant de suivre: 1. Le roi semblait

une série d’alternances

s’étre résigné a endurer la honte de Péronne.

2. Mais est-ce certain ? Une guerre acharnée a éclaté entre les deux interlocuteurs. 3. On répondra qu’elle n’a pas suivi immédiatement |’entrevue, laquelle n’est pas la cause directe du nouvel affrontement.

4. Toutefois, hostilités.

il se peut qu’elle ait joué un réle dans la reprise des

5. Mais il faut affirmer qu’a peu de choses prés, la paix signée a Péronne ne fut pas pire pour Louis XI que s’il l’avait jurée a Paris. 6. Enfin, le duc de Bourgogne, poussé par des conseillers, a cherché a étendre ses Etats, et des gens s’entremirent pour réveiller ia

guerre. Ainsi donc, cette phrase complexe, coupée de parenthéses, repartant constamment sur des nonobstant que, mais, combien que, précisée par des presque ou des formes du verbe pouvoir, a le triple avantage :

1. de respecter la complexité du réel, en ne négligeant aucun des éléments qui le composent, aucune des forces qui interviennent;

5 Ibid., p. 169.

126

LE

REFUS

DES

COMPARAISONS

2. d’assurer a l’ceuvre une certaine cohérence puisque Commynes a soutenu qu’a Péronne Louis XI n’avait rien perdu, ou presque rien, 4 Péronne ot le mémorialiste joua un rdle important 6; 3. de ne pas accabler le roi de France, mais plutdt d’incriminer l’ambition du Téméraire manié par ses conseillers, ou les manceuvres de grands féodaux. C. — Cette volonté de gagner la confiance du lecteur se marque par le refus des comparaisons et des assimilations qu’ont prodiguées a la méme époque les Grands Rhétoriqueurs, et en particulier Molinet, comme nous le voyons en parcourant l’édition de sa Chronique que nous ont procurée M. O. Jodogne et G. Doutrepont?. Le chanoine de Valenciennes a emprunté des images a tous les domaines, du régne végétal a la morale et a la mythologie. Sous cette plume, que devient la jeune héritiére de Bourgogne? Une vigne bien entretenue qui produit du raisin d’excellente qualité dont on tire un vin délicieux, et aussi de petits ceps de haute estime. Comme la Vierge, elle rachétera la maison de Bourgogne, et aux ambassadeurs de l’empereur d’Allemagne, elle répond: « Je suis la petite ancelle de mon tres excellent seigneur. Puisqu’il lui plaist qu’ainsy soit, il me doibt bien plaire». Le Téméraire sera tour a tour comparé a un tres fort et vertueux lyon, a Gédéon, Samson, Orphée, Hercule et Jason, au chef des Géants menacant Jupiter, a Hannibal, Xerxes, Alexandre le Grand, Scipion, Constantin, César, Charlemagne, a Sémiramis, ou encore a la justice, ou enfin a un « escu solide, glave tranchant et baston non flexible a ceulx qui s’y appoyent 8 ». G. Chastellain, plus mesuré, céde a la méme tentation, surtout quand il parle de Philippe le Bon qu’il surnomme Auguste, et qu’il compare, lui aussi, a un lion, 4AHolopherne, 4 Mardochée, 4 Pompée, aux meilleurs empereurs de Rome, a Charlemagne, a saint Joseph... Commynes s’est refusé 4 de semblables assimilations. Est-ce seulement le fait d’une culture moindre? Nous ne le croyons pas. Compte tenu de son goiit de la précision qui le rend rebelle 4 toute dénaturation littéraire et de sa vision pessimiste du monde, nous pouvons soutenir qu’il a voulu a la fois 6ter aux princes l’auréole d’une grandeur qu’il ne leur reconnait pas et respecter la vérité, sensible 4 l’originalité irréductible de chaque étre et de chaque situation. La comparaison fausse toujours le réel en ne conservant qu’un seul de ses aspects. Mais ¢a et 1a, des images rares et discrétes, souvent ironiques, quelquefois bien usées, mais toujours aptes a entrainer l’adhésion. Nous savons qu’il a longuement décrit la réclusion volontaire de Louis XI a la fin de sa vie, y revenant pour expliquer comment le roi, complétement changé, a pu écarter ses meilleurs conseillers, dont Commynes, 6 Voir notre Destruction des mythes..., pp. 182-193. 7 Ibid., pp. 428-430.

8 Ed. G. DOUTREPONT- O. JODOGNE, Bruxelles, Palais des Académies,

1937, t. I, p. 67.

;

1935-

QUELQUES

IMAGES

127

Sans que ceux-ci aient démérité. Il résumera ses développements en écrivant que son maitre s’enchesnoit de si estranges chesnes®, et \’adjectif estrange est une litote. En 1465, les propres soldats du Téméraire ont détruit eux-mémes la fleur et esperance de son armée 9, c’est-a-dire ses archers, ce qui est une maniére de souligner que leur chef était un bien mauvais capitaine. Les ducs de Berry et de Bretagne sont manyés par leurs serviteurs ; et pour montrer qu’ils ne sont mus que par des soucis sordides et la cupidité, le mémorialiste dira que, la Normandie tombée en leur pouvoir, « ilz se commencerent a diviser quant ce vint a departir le butin‘1 ». Sur ce point, il est bon de comparer ce texte avec celui de contemporains. La ott Commynes parle de butin, Olivier de La Marche parle de grans offices 12, La ott La Marche met en cause plusieurs grans personnaiges sans nommer les deux ducs, Commynes emploie un pronom personnel ilz embigu a souhait, désignant a la fois les ducs dont il vient d’étre question et leurs conseillers tout-puissants, des chevaliers, qui vont étre mentionnés et qui désirent retrouver |’influence, les honneurs dont ils ont été dépouillés par Louis XI au début du régne 13, Cet exemple est intéressant 4 un double point de vue: il montre qu’images et précisions ont toujours peu ou prou une valeur démonstrative, ne sont que trés rarement gratuites ; il montre aussi que le texte de Commynes demeure souvent ambigu et sans doute, dans !a majorité des cas, volontairement. Nous illustrerons dans quelques instants la seconde partie de notre affirmation. Pour le moment, voici un nouvel et dernier exemple qui éclairera le premier volet de ce diptyque. Ici encore, nous recourrons a une comparaison entre La Marche et Commynes qui ont appartenu a la méme génération, vécu les mémes événements, connu les mémes personnages bourguignons, et qui se sont sans doute servis d’une relation identique. Tous deux ont noté que, sur le champ de bataille de Montlhéry, un soldat se distingua par son courage, le fils du médecin du Téméraire, qui sauva ce dernier de la mort, alors qu’il était entouré par un groupe d’ennemis. La Marche écrit:

9 T. II, p. 323. Et ce n’est pas la seule image qu’emploie Commynes pour caractériser la réclusion, mais il a recours a celle du purgatoire, de la prison, de la cléture qu’on peut lire dans la méme page. Voir la Destruction... pp. 285288. 10 T. I, p. 27. Commynes reprend la méme image un peu plus loin : « rompirent eulx mesmes la fleur de leur espérance. » Cinq ou six ans dans le livre VIII, il l’utilisera encore pour nous dire que Charles VIII, médiocre capitaine, se sépara, avant la bataille de Fornoue, de trois Suisses, « qui estoit l’esperance de l’ost »

11 T. I, p. 88. 12 Mémoires, éd. d’H. BEAUNE et de J. D’ARBAUMONT,

Ainsy aprés, autre mille

4 vol., Paris, 1883-

1888 (Société de (Histoire de France), t. Ill, pp. 32-33 : «... prestement que le duc de Bretaigne fut entré a Rouan, plusieurs grans personnaiges, comme Jehan, monseigneur de Lorraine, et aultres entrerent en debat pour les grans offices. » 18 T. I, p. 88 : «Retournant auxdictz ducz de Normandie et de Bretaigne, qui estoient allez prendre possession de la duché de Normandie, des ce que leur

entree fut faicte a Rouen, ilz se commencerent a diviser quant ce vint a departir

le butin ; car encores estoient avecques eulx ces chevaliers que j’ay nommez... »

128

LE STYLE DIRECT

‘ Et avint que le filz de son médecin, nommé

Robert Cottereau, monté

sur un fort cheval, vit son maistre en ce dangier, milieu de ce debat, l’espee au poing... 14

et se vint fourrer

au

Nous avons donc un héros monté sur un gros cheval. Considérons maintenant le texte de Commynes: .. et sur ce debat, le filz d’ung medecin

de Paris appellé maistre

Jehan

Cadet, qui estoit a luy, gros et lourd et ort, monté sur ung cheval de ceste propre taille, donna au travers et les departit 15. Au milieu de mots semblables, une seule addition de Commynes, mais combien importante : trois adjectifs qui caractérisent le cavalier et font de lui un personnage grossier, énorme, vulgaire, voire répugnant. I! est significatif aussi que Commynes se trompe sur le nom de ce cavalier: les héros ne l’intéressent pas beaucoup 16.

Pourquoi cette mention honorable (mais en méme temps pas tout a fait flatteuse) d’un roturier, alors qu’a lordinaire, les exploits individuels ne trouvent pas leur place dans les souvenirs de notre mémorialiste ? Commynes, a ce qu’il semble, visait deux buts. D’abord, porter un nouveau coup au vieux mythe de la guerre chevaleresque ou de nobles et élégants héros pourfendaient leurs adversaires : 4 Montlhéry, les hommes d’état ont pris la fuite ;quand un exploit se signale a |l’attention et mérite de passer a la postérité, il est le fait d’un soldat qui est le fils d’un médecin de Paris, qui ne descend pas d’une grande famille comme celle des Lalain et qui n’a méme pas emprunté a I’aristocratie ses apparences extérieures : carrure de rustre, cheval de paysan. Ensuite, détourner notre attention du Téméraire, dont on saura qu’il a été négligent, et que cette faute a failli lui cofiter la vie ; mais, plutét que de le montrer en pleine action et déployant un courage anachronique que suggérent seulement deux mots neutres: « tousjours se deffendoit», le narrateur préfére orienter son lecteur vers |’intervention décisive de ce cavalier sans élégance. D. — Pour en terminer avec ce premier point, nous remarquerons que le mémorialiste a éliminé tous les longs discours au style direct, a la maniére antique, fabriqués de toutes piéces le plus souvent, et dont la Chronique de G. Chastellain nous offre maint exemple. Ainsi, lors du différend qui opposa Philippe le Bon a son fils Charles, Pierre de Brézé essaya d’aplanir le différend par deux longues interventions auprés du comte de Charolais. Commynes refuse cet artifice qui est une reconstitution plus ou moins arbitraire du réel, qui appartient au genre littéraire de la chronique et qui incite 4 la méfiance, encore que, dans le cas que nous avons mentionné, il se puisse que nous ne soyons 14 Fd. cit., t. Ill, pp. 11-12. 16 T. I, pp. 30-31. 16 Voir la Destruction..., pp. 612-613.

LE STYLE DIRECT

129

pas tellement éloignés de la réalité, Pierre de Brézé aimant 1’éloquence et Chastellain étant assez lié avec lui pour recueillir ses confidences. Quoi qu’il en soit, si notre mémorialiste recourt au style direct assez fréquemment, il le fait dans des passages trés brefs, si bien que nous avons l’impression qu’il nous rapporte réellement les propos de ses héros qui se seraient gravés dans sa mémoire ou qu’il aurait notés au moment méme ou ils les tenaient. Dans bien des cas, ils illustrent un développement précédent, mais fréquemment, ils permettent a l’auteur de s’effacer derriére autrui quand il s’agit de formuler une accusation précise. Veut-il signaler la loquacité et l’imprudence verbale de Louis XI? It commencera par é€crire que le roi estoit leger a parler de gens, et aussi tost en leur presence que en leur absence1". Mais, tout de suite, pour respecter la vérité et éviter de condamner sans appel le maitre qu’il a préféré, il ajoute une atténuation: ...sauf de ceulx qu’il craignoit, qui estoit beaucoup, ce qui limite singuliérement le défaut. Puis vient une affirmation nuancée, énoncant ce qui est une qualité a ses yeux: ... car il estoit assez craintif de sa propre nature. Enfin, en maniére de conclusion, il rapporte au style direct un aveu du roi: Je scay bien que ma langue m’a porté grant dommaige, aussi m’a elle faict quelquefois du plaisir beaucoup. Toutefois c’est raison que je repare

Vamende 18, Nous avons 1a un exemple typique de la démarche de pensée et du style de Commynes. Ailleurs, il s’agit de nous informer que Louis XI a nui a son oncle René d’Anjou au point de l’amener a négocier avec Charles le Téméraire et A songer 4 faire de lui son héritier ; il s’agit donc d’accuser le souverain d’avoir commis une faute et une erreur. Aussi Commynes donne-t-il la parole au sénéchal de Provence, Jean de Cossa, dont il précise, de surcroit, qu’il est homme de bien et de bonne

maison

:

Sire, ne vous esmerveillez pas si mon maistre, le roy vostre oncle, a offert au duc de Bourgogne le faire son heritier, car il s’en est trouvé conseillé par ses serviteurs, et par especial par moy, veu que vous, qui estes filz de sa sceur et son propre nepveu, luy avez fait les tors si grans

que de luy avoir prins les chasteaulx d’Angiers et de Bar et si mal traicté

en tous ses autres affaires. Nous avons bien voulu mectre en avant ce marché avec ledict duc, affin que vous en oyssiez les nouvelles, pour vous donner envye de nous faire raison et congnoistre que le roy mon maistre est vostre oncle; mais nous n’eusmes jamais envie de mener ce marché jusques au bout 19.

17 T. I, p. 68. 18 Ibid., pp. 68-69.

19 T, II, p. 113.

130



LE STYLE DIRECT

Commynes veut-il montrer comment se comportent les gens qui 1’ont remplacé auprés de Louis XI dans les derniéres années du régne ? Entre autres moyens, a deux reprises, il reproduit leurs propos. Coictier parle au roi comme on n’oserait le faire avec un valet: ... ledict medecin luy disoyt audacieusement ces motz : «Je scay bien que ung matin vous m’envoyerez [vous me renverrez] comme vous faictes d’autres, mais, par la... (ung grand serment qu’il juroit), vous ne vivrez point huict jours apres. » 20, Comme le sujet tient au coeur du mémorialiste ulcéré d’avoir été supplanté par des gens de bas étage et sans doute parce qu’il n’a cessé d’aimer son maitre tout en éprouvant contre lui de la rancceur, il utilise le méme procédé pour dénoncer la cruauté de ces mauvais serviteurs et la maniére brutale dont ils annoncérent la mort au souverain: .. tout en pareil signiffierent les troys dessusdictz a nostre roy sa mort en brieives parolles et ruddes, disans : «Sire, il fault que nous nous acquictons, N’avez plus d’esperance en ce sainct homme [saint Francois de Paule] ny en autre chose, car seurement il est faict de vous ; et, pour ce, pensez de vostre conscience, car il n’y a nul remede... 21,

C’est, bien entendu, un procédé dont Commynes se sert avec habileté pour discréditer le Téméraire. Dans le passage déja cité ou il nous informe que le duc lui parla d@ une fenestre 22, il nous rapporte, de surcroit, ses propos : Et il me

dist ces motz

: «J’ayme

mieulx

le bien du royaulme

de

France que mons* d’Urfé ne pense ; car, pour ung roy qu’il y a, je y en vouldroie six, »

Ainsi donc, par ce gofit du détail précis, par cette volonté d’aller au plus pres de la vérité, par le refus de tous les artifices qui dénaturent, par cette habileté 4 mettre en avant les acteurs de son histoire et a s’eifacer personnellement, par la simplicité notoire de son style sans recherche ni outrance, qui demeure modéré méme quand il narre des actions révoltantes ou étonnantes (tout au plus parlera-t-il dung cas tres horrible lorsqu’il racontera comment Adolf de Gueldre emprisonna son pére *’), par son souci affiché de respecter la vérité a l’égard de tous, en toute liberté d’esprit, A aucun moment Commynes ne donne ?impression de démontrer, ni de s’éloigner du vrai.

20 Ibid., p. 319. 21 Ibid., pp. 315-316. 22 T. I, p. 224. 23 T. Il, p. 2. Voir la Destruction..., pp. 441-442.

LES JUGEMENTS

D’AUTRUI

131

II.

AMBIGUITE

Mais le mémorialiste a bien senti que, pour conserver Villusion du vrai, pour étre fidéle 4 la vérité, il fallait respecter l’ambiguité du monde, sans compter qu’il lui était utile de ne pas révéler le fond de sa pensée dans bien des cas. Aussi, souvent, cette ceuvre demeuret-elle ambivalente, et l’art de l’auteur n’y est pas étranger. A. — Au niveau le plus évident, nous notons que le mémorialiste reproduit des jugements d’autrui, sans indiquer quelle est sa propre pensée, ni s’il adopte personnellement (et complétement) ces points de vue. Ainsi il est embarrassé lorsqu’il lui faut critiquer Louis XI. D’un coté, il l’a préféré au Téméraire, il a recu de lui des faveurs et des biens — suspects, il est vrai; de l’autre, il a été écarté aprés cinq ans d’omnipotence, rejeté au second plan, et le roi ne l’a méme pas recommandé a son fils, et Commynes est convaincu que tous les princes commettent des erreurs, et beaucoup s’ils vivent longtemps. Aussi, quand il aura a faire quelque reproche a Louis XI, il se bornera souvent a reproduire des propos ou du souverain lui-méme, ou de ses adversaires, ou de personnages moins engagés. Louis XI, au début du régne, a commis une grosse injustice et une grave faute en renvoyant et en dressant contre lui les conseillers de son pére qui avaient rendu de trés grands services au royaume; et Commynes d’ajouter : .. et maintes foys despuis s’en est repenti de les avoir ainsi traicté, en recongnoissant son erreur 24.

Faut-il lui faire confiance quand il signe un traité ? Son comportement envers le duc de Guyenne est suspect, comme le souligne un jugement des grands féodaux: .. et [!abbé de Begar] remonstroit audict duc de Bourgogne que le roy praticquoit les serviteurs audict duc de Guyenne et en vouloit retirer les ungs par amour, les autres par force ; et ja avoit fait abattre une place

qui appartenoit a mons’ d’Estissac, serviteur dudict duc de Guyenne,

et

plusieurs autres voyes de faict estoient ja commencees ; et avoit le roy fortrait aucuns serviteurs de sa maison, par quoy concluoient qu’il vouloit recouvrer Guyenne, comme il avoit fait Normandie autresfois, aprés qu'il leut baillee en partaige, comme avez ouy 25.

Ou bien le mémorialiste choisit ses porte-parole parmi des gens qu’on ne peut suspecter de partialité. Voici un exemple qui en dit long sur

24 T. I, p. 20. : r 25 Ibid., pp. 222-223. A remarquer que l’auteur passe insensiblement du style indirect au style indirect libre.

132

.

LE RECOURS AUX PRONOMS INDEFINIS

son adresse. Il désire reprocher 4 Louis XI d’avoir fait des dons excessifs aux églises. Mais c’est une critique délicate 4 formuler, s’agissant de Louis XI et d’un point qui touche a la religion. Aussi sera-t-il trés habile de recourir 4 un homme qui, d’abord, était l’archevéque de Tours, Hélie de Bourdeilles, qui, ensuite, était homme de saincte et bonne vie, cordelier et cardinal, qui, enfin, était intervenu en faveur des enfants de Louis de La Trémoille, les adversaires de Commynes dans l’affaire de Talmont 26 ; De grandes offrandes faisoit et trop, a l’advis de l’arcevesque de Tours, homme de saincte et bonne vie, cordelier et cardinal, lequel, avec plusieurs autres choses, luy escripvit qu’il lui vauldroit myeulx hoster l’argent aux chanoynes des eglises, ou il faisoit des grans dons, et le departir aux povres laboureurs et adultes qui paient ces grans tailles, que de lever sur ceulx la pour le donner aux riches eglises et aux riches chanoynes ou

il le donnoit 27, Remarquons qu’ici comme précédemment, le mémorialiste préfére le style indirect, encore moins suspect de reconstitution arbitraire, et qu’ensuite, en maniére de preuve, il énumére les dons aux églises 28, avec chiffres marquant le poids ou le prix. B. — Le plus souvent, il s’en tient ad des pronoms indéfinis, qui lui permettent d’englober tout le monde sans désigner quelqu’un de facon précise, et qu’il utilise avec finesse. Relisons ensemble un passage a notre avis fortement critique ou il s’agit de montrer que les ducs Francois II de Bretagne et Charles de France sont de bien piétres soldats. On peut discerner trois moments dans cette satire 29: 1. Premier temps : le comte de Charolais et le duc de Calabre, eux, exercent vraiment le commandement et font leur métier de chef : « ... prenoyent grand peine de commander et de faire tenir ordre a leurs batailles...» ; ils sont armée de pied en cap; ils sont pleins de zéle.

2. Deuxiéme temps: en revanche, les ducs de Berry et de Bretagne « chevauchoient sur petites hacquenees ® », c’est-a-dire sur des

26 Sur cette affaire, voir notre Vie de Philippe de Commynes, SEDES, 1969,

passim, et le chapitre [V du présent ouvrage, pp. 67-73.

27ST Mil sp. 9293.

28 Ibid. : « Et monta bien en ung an ses veuz et ses offrandes et reliquaires qu’il donna et chasses, comprins la grisle d’argent de Saint Martin de Tours qui pesoit pres de dix huict marcs d’argent, et la chasse monseigneur sainct Eutroppe de Xainctes et autres reliquaires qu’il donna a Coulongne, aux Trois Rois, a_Nostre Dame d’Ez en Almaigne, a Sainct Serves d’Utrecht, la chasse sainct Bernardin a !’Aquille, au royaume de Naples, et les calices envoyez a Sainct Jehan de Latran a Rome, et plusieurs aultres presens deglise, tant d’or que d’argent, en son royaulme, le tout se monta bien sept cens mille francs. »

29 T. I, pp. 49-50.

30 C’est la monture

que le petit Jehan de Saintré offre a la reine (voir éd.

J. MisRAHI et Ch.A. KNUDSON,

Geneve, Droz et Paris, Minard,

littéraires francais, n° 117, pp. 73-74) et que Littré a défini comme ou une jument docile, et marchant ordinairement a l’amble ».

1966, Textes « un cheval

UNE

DOUBLE

CRITIQUE

133

chevaux de voyage, de petite taille par surcroit ; « a leur ayse», « armez de petites brigandines *1 » : la répétition de l’adjectif petit est fort suggestive ; et comme si le mémorialiste ne s’estimait pas satisfait, il ajoute : « fort legieres pour le plus ». 3.

Troisiéme

temps:

il désire

porter

encore

quelque

coup

contre

ces deux fantoches ; mais il craint qu’on ne l’accuse de partialité et dinvraisemblance. Aussi s’abrite-t-il. derriére la rumeur publique: «...encores disoyent aucuns qu’il n’y avoit que petiz clous dorez par dessus le satin, pour moins leur peser». Autrement dit, on les soupconne d’avoir garni de clous dorés leur vétement de satin pour simuler Vaspect d’une cotte d’armes. Mais, soucieux de laisser une bonne impression au lecteur, comme homme et comme historien, désireux aussi de toujours faire le départ entre l’information sifire et la rumeur publique, Commynes termine par cette remarque: « Toutesfois, je ne le scay pas de vray ». C. — Fréquemment, il est beaucoup plus délicat de connaitre le point de vue précis de l’auteur qui n’ignore rien de l’art de renvoyer dos a dos les deux adversaires. Voici un nouvel exemple que j’emprunte encore au récit de la guerre du Bien Public, trés riche sous tous les rapports. Les Mémoires nous reproduisent, soit au style indirect, soit au style direct, les réflexions de Charles de France et du comte de Charolais. Le premier, fort jeune et inexpérimenté, « sembla par ses parolles que ja en fust ennuyé 2», alléguant le grand nombre de blessés qu’il avait vus, manifestant de la pitié, disant qu’il efit préféré qu’une telle entreprise ne se fit jamais engagée. Le second fut fort mécontent de ces propos, et Commynes rapporte ses commentaires dans une assez longue citation:

nous

Avez vous ouy parler cest homme ? II se trouve esbahy pour sept ou huict cens hommes qu’il voit blessez allans par la ville, qui ne luy sont riens ne qu’il ne congnoist. Il s’esbahyroit bien tost si le cas luy touchoit de quelque chose et seroit homme pour appointer bien legierement et nous laisser en la fange. Et pour les anciennes guerres qui ont esté le temps passé entre le roy Charles son pere et le duc de Bourgogne mon pere, ayseement toutes ces deux partyes se convertiroient contre nous. Pour quoy il est necessaire de se pourveoir d’amys 38.

Il est possible d’utiliser ces deux pages princes :

31 point entre 32 33

contre l’un et l’autre des deux

Selon V. GAY, dans son Glossaire archéologique, « une sorte de pourformant cuirasse... et consistant en un tissu d’écailles d’acier enferme deux fortes toiles et recouvert de cuir >. T. I. pp. 42-43. [bid., p. 43.

UNE DOUBLE

134

INTERPRETATION

1. Contre le futur duc de Bourgogne, insensible 4 la pitié, égoiste, se souciant peu du bonheur et du salut de ses hommes, méfiant envers ses alliés. 2. Contre le duc de Berry, A qui il est reproché de manquer — de lucidité: avant de s’engager, il aurait di imaginer la réalité d’un champ de bataille et les conséquences d’un heurt armé; — de suite dans les idées: l’entreprise l’ennuie avant méme qu’elle ne se soit développée; — de fermeté: la considération de blessés (les morts sont escamotés) entrave la réalisation de ses desseins ; — de loyauté: il est prét a se retourner contre son allié; mais Commynes ne s’engage pas: il laisse la responsabilité de cette accusation au Téméraire. D. — Dans de nombreux cas, un passage sera susceptible d'une double interprétation. Mais, quel que soit le point de vue que lon adopte, il n’est pas favorable au personnage dont il est question, cependant que l’auteur semble ne point prendre parti, usant des mots les plus simples, ajoutant une restriction, un détail qui, de prime abord, paraissent n’étre 14 que pour mieux informer le lecteur. Au chapitre 2 du livre I, il est écrit qu’en présence du connétable de Saint-Pol et du maréchal de Bourgogne, Charles le Téméraire déclara tous les membres de la maison de Croy « ennemys mortelz de son pere et de luy **» ; puis est ajoutée cette concessive: .. nonobstant que le conte de Sainct Pol eust donné sa fille en mariage au seigneur de Crouy longtemps avoit, mais il disoit y avoir esté forcé.

Tout tourne autour de ce verbe il disoit dont Commynes efit pu faire l’économie et dont l’interprétation fait basculer la phrase d’un cdté ou de l’autre. Ou bien nous prenons les propos de Saint-Pol pour argent comptant et nous estimons qu’il a été réellement forcé d’accepter ce mariage: c’est l’avis de Mathieu d’Escouchy **; nous l’excusons alors de se prononcer contre son beau-fils, encore qu’on puisse lui reprocher de réagir bien tardivement, mais nous avons un nouvel exemple de ces réunions princiéres ott le chantage et la contrainte ont joué un rdéle prépondérant. Ou bien nous soupconnons Saint-Pol de mentir et d’inventer un prétexte pour farder la mauvaise action d’un ambitieux qui sacrifie tout, méme

les liens les plus chers,

4 son

ambition.

Commynes

ne se prononce pas. Volontairement sans doute. D’abord, parce que nignorant rien de la complication du coeur humain, il n’était pas parvenu a se faire une idée précise sur cette question. Ensuite, parce qu’il

84 T. I, pp. 10-11, 35 Chronique, éd. G. DU FRESNE

DE BEAUCOURT,

(Société de V'Histoire de France), t. Il, pp. 306-310.

3 vol., Paris, 1863-1864

UNE

DOUBLE

INTERPRETATION

135

lui a plu que son texte efit ce double sens qui refléte bien l’ambiguité fonciére du réel, l’incertitude fondamentale du monde dont il faut tenir compte pour réussir politiquement. E. — D’autres moyens nous empéchent souvent de conclure dans un sens ou dans |’autre. Par exemple, nous nous demanderons si, en 1475, Louis XI a ordonné d’assassiner le connétable de Saint-Pol. La lecture des Mémoires ne permet pas de le décider. Regardons Vhabile dosage que pratique Commynes. 1. D’un cété, il place la thése de la tentative d’assassinat dans la bouche d’un envoyé du connétable qui vient expliquer pourquoi son maitre n’a pas obéi aux ordres du roi, mais s’est retiré sur ses terres. Ainsi la rend-il suspecte, puisqu’elle vient de l’intéressé qui est un trompeur 26, 2. De l’autre, il insére dans les paroles de l’émissaire des précisions, des affirmations péremptoires qui nous inclinent 4 conclure a la culpabilité de Louis XI: a) Commynes a entendu lui-méme le messager; donc, pas de déformation par les on-dit. b) Saint-Pol se dit certainement informé: \’adverbe a toute sa force. c) Il ajoute que deux hommes en larmee... avoient prins charge du roy de le tuer: la précision du chiffre corrobore l’affirmation précédente. d) Il apporte de nombreuses preuves, tant d’enseignes apparentes: de nouveau, l’utilisation d’une formule grossissante. e) Il s’en faut de peu qu’il ne soit cru, et qu’on ne soupconne Il’un des deux hommes d’avoir fait des révélations au connétable. 3. Quel est le mot de la fin? Commynes se dérobe: Je n’en veuil nul nommer ne plus avant parler de ceste matiere. Le mélange de moyens simples fait que le probléme demeure entier, et que le mémorialiste a jeté le doute sur les deux adversaires — Louis XI accusé d’avoir ordonné un assassinat, Saint-Pol soupconné d’avoir monté de toutes piéces l’affaire pour justifier son départ 37. Commynes s’est si bien masqué, il s’est si bien servi de l’ambiguité que nous finissons par ne plus pouvoir deviner quels sont ses sentiments a V’égard des personnages dont il est question dans son euvre. Ainsi en est-il de Jean de Calabre comme nous l’avons vu 88,

36 T. II, p. 24: «... (le connétable) manda au roy (car je ouys son homme par le commandement du roy) qu’il s’estoit levé, pour ce qu’il estoit certainement informé qu’il y avoit deux hommes en I’armee qui avoient prins charge du roy de le tuer, et dist tant d’enseignes apparentes qu’il ne s’en failloit gueres qu’il ne fust creu et que l’ung des deux ne fut suspessonné d’avoir dit au connestable quelque chose qu’il devoit taire.>» 37 Sur ce personnage, voir la Destruction..., pp. 446-450. 38 Voir notre ch. II, 3° partie, pp. 33-37.

L’ACCUMULATION

136

III.

DEFORMATION

Par conséquent, arrivé a ce point de l’exposé, il est possible de dire sans outrance que l’art de Commynes n’est rien de moins que concerté, que cet auteur, aprés s’étre préoccupé d’obtenir l’adhésion de son lecteur par de nombreuses notations précises dont certaines sont faciles a vérifier, et par le refus d’artifices qui étaient monnaie courante, a pris soin de ne pas se démasquer et de conserver 4 son ceuvre une ambiguité qui lui confére profondeur et complexité. Mais surtout, avec une habileté qu’il convient d’admirer, il nous persuade peu a peu d’adopter son point de vue par des procédés dont certains sont faciles, voyants, mais dont d’autres révélent maitrise et maturité. A. — Parmi les premiers, citons l’accumulation, ’énumération et son contraire, la litote, le rappel et la répétition. Voici un exemple qui en recele plusieurs et nous permet de saisir de facon synthétique un certain aspect de cet art. C’est le récit du siége de Beauvais, destiné a montrer que le Téméraire n’a rien d’un grand capitaine, décidant trop tard de passer a l’assaut de la ville, aprés qu’elle a recu des renforts: Cest bien grant peril encores par dessus tout y prés de la ville, je ne scay Loheac, mons? de Cursol,

et grant follie d’assaillir si grans gens; et estoit le connestable, comme je croy (ou logé lequel), le mareschal Joachin, le mareschal de Guillaume de Vallee, Mery de Coé, Sallezart,

Thevenot de Vignolles, tous ayans cent lances. Pour le moins y avoit huyt cens ou mil hommes d’armes de l’ordonnance, et largement gens de pied, et beaucoup gens de bien qui se trouverent avecques ces cappitaines. Toutefois delibera ledict duc donner l’assault 39.

Nous notons : 1. lemploi de mots forts redoublés ; 2. la répétition de l’adjectif grand;

3. la recherche de l’exactitude, avec la double hypothése sur le lieu oli se trouve

le connétable;

4. l’énumération de noms termes plus vagues;

propres, par définition trés précis, et des

des chiffres précis au milieu

de formules

amplifiantes;

finalement, une disproportion entre les forces francaises qui défendent la ville et la décision du duc de Bourgogne de I’attaquer.

39 T. I, p. 237.

LA LITOTE

137

B. — Selon les besoins de l’apologie ou du réquisitoire, Commynes passera rapidement, pratiquant la litote ou l’euphémisme, ou bien il détaillera, énumérant avantages et pertes. Dans le premier cas, il avoue en quelque sorte la vérité en la colorant favorablement. Parle-t-il de sa désertion? Il note, comme s’il ne s’agissait pas d’une véritable trahison: « Environ ce temps, je vins au Service du roy». A peu de choses prés, nous avons une présentation identique a celle que nous lisons au début des Mémoires: « Au saillir de mon enfance, et en l’aage de povoir monter a cheval, fus amené a Lisle devers le duc Charles de Bourgoigne, lors appelé conte de Charroloys, lequel me print a son service » 4°. Comment évoque-t-il sa demidisgrace de février 1477? Le mot n’apparait pas dans les Mémoires, et les circonstances rapportées atténuent encore cette réalité: Ledit seigneur [Louis XI] me tira a part comme il voulut partir, et m’envoya en Poitou et sur les frontieres de Bretagne 41.

La derniére remarque tend 4 suggérer que le roi lui a demandé d’aller surveiller les agissements du duc de Bretagne, ce qui semble avoir été un prétexte pour l’éloigner du Nord, principal théatre des opérations, ou l’on craignait quelques facheuses initiatives de notre mémorialiste, qui ne fut pas dupe 42, En 1478, il fut envoyé a Florence ot la situation de Laurent de Médicis était particuliérement périlleuse, face a la coalition d’ennemis redoutables. Il obtint de trés maigres résultats en sorte que le probleme demeurait entier lorsqu’il s’en alla. Il se borne a noter dans ses Mémoires: «La faveur du roy leur feit quelque chose, non point tant que j’eusse voulu 4 ». Enfin, il semble bien qu’en 1495, il fut surpris par la conclusion de la Sainte-Ligue antifrancaise, et qu’il perdit le contrdle de lui-méme au moment ot le doge de Venise le lui annonca; c’est le chroniqueur Sanudo qui nous l’apprend, et il n’y a aucune raison de rejeter son témoignage. Mais, si l’on en croit l’intéressé lui-méme, il fut simplement angoissé a l’idée des périls et des difficultés qui menacaient d’assaillir son jeune maitre Charles VIII: Javoys le cuer serré et estoie en grant doubte de la personne du roy 44.

les

Le More 1’a trompé, et Venise a refusé de prendre en considération requétes francaises: ... «de tout feiz mon rapport au roy » *.

40 T, I, p. 4. 41 TIL, D403. 42 Sur cette demi-disgrace, voir notre Vie de Philippe de Commynes, . 70-76. oe 43 T. II, p. 273. Voir notre Vie de Ph. de Commynes, pp. 79-92. 44 T. Ill, p. 273. Voir notre Vie de Ph. de Commynes, pp. 219-236. 45°T) Il, py 255. 10

138

L’AMPLIFICATION

Quand il mentionne le traité de Conflans de 1465, il dit simplement que «le comte de Charroloys [fit hommage au roi] des terres de Picardye dont il a esté parlé » 46, Le succés du vassal n’aurait-il pas paru plus grand, si le chroniqueur avait précisé:

a) que la cession des villes de la Somme était annulée ; b) que le comté de Boulogne appartiendrait 4 la Bourgogne longtemps que vivraient le Téméraire et son successeur;

aussi

c) que Charles obtenait en pleine propriété Péronne, Montdidier, Roye et le comté de Guines, en sorte que John Bartier a pu écrire: « Le succés du jeune prince était éclatant. Il avait effacé la faute commise par son pére deux ans auparavant et accru aux dépens de la monarchie le territoire bourguignon » 47? Ce refus de l’outrance, méme s’il masque des desseins précis, a déja quelque chose de classique, et n’est pas sans grandeur. C. — Mais il serait erroné de conclure que 1’ellipse soit la caractéristique constante du style de Commynes qui, la plupart du temps, cherche a grossir et ad enfler ’exposé en refusant le résumé et le raccourci, en donnant du volume a son énoncé par le redoublement, !’énumération, l’accumulation de détails qui gonflent sa phrase. Quand il évalue l’importance des forces anglaises d’invasion en 1475, pour accuser d’incompétence et d’aveuglement le Téméraire qui n’a pas su tirer profit de circonstances exceptionnelles, il recourt spontanément a une succession de ef qui augmente la faute, en méme temps qu'elle dilate le discours, sans compter d’autres procédés: Tous les grans seigneurs d’Angleterre povoient bien estre quinze cens hommes pour Angloys, tous fort bien en point et mil archiers, portans arcs et flesches, et gens a pied servans a leur ost. Et en toute

y estoient sans faillir ung. Ilz d’armes, qui estoit grant chose bien accompaignez, et quatorze tous a cheval, et assez autres l’armee n’y avoit pas ung paige.

Et oultre devoit le roy d’Angleterre envoyer trois mil hommes en Bretaigne

pour se joindre avec

l’armee

descendre

du duc 48.

Oppose-t-il la médiocrité politique de Charles a l’habileté de son pére ? Il énumére les acquisitions de Philippe et les richesses qu’il laissa a son fils: Le tiers fut le bon duc Philippes, qui joignit 4 sa maison les duchéz de Brebant, Luxembourg, Lambourg, Hollande, Zellande, Henault, Namur. Le quart a esté ce duc Charles, qui aprés le trespas de son pére, fut l’ung des plus riches princes de la crestienté, les plus grands meubles de bagues

ae Tr. LP. OGk 47 J. BARTIER, Charles le Téméraire, Bruxelles, truction des mythes..., ch. III, 5° partie. 48 T. II, pp. 10-11.

1944, p. 90. Voir la Des-

L’AMPLIFICATION

139

et de vaisselle, de tapisserie, livres et linges que l’on eust sceu trouver és troys plus grandes maisons 49, Sa propre défection est beaucoup moins grave que celle de Crévecceur. Pour le prouver, il rappelle tous les titres et fonctions dont le duc de Bourgogne avait comblé le transfuge: il estoit gouverneur de Picardye, seneschal de Ponthieu, cappitaine du Crotoy, gouverneur de Péronne, Roye et Mondidier, cappitaine de Boulongne et de Hedyn 50, De méme, Commynes aggravera le cas du sire de Lescun, en rappelant en particulier tous les avantages que le rallié obtint du roi de France : ... Six mil chaussées teaulx de Bayonne,

francz de pension, le gouvernement de Guyenne, les deux senesdes Lannes et de Bordeloys, la capitainerie de l’ung des chasBordeaulx, la cappitainerie de Blaye, les deux chasteaulx de de Dax et de Saint-Sever, et vingt quatre mil escuz contant et

lordre du roy et le conté de Comminges 51, D’autre part, n’a-t-il pas eu raison de proner la paix, et d’accélérer la conclusion du traité de Verceil, eu égard, d’un cdété, aux conditions défavorables a l’armée francaise: .. veu

que

l’yver approuchoit,

qu’il n’y avoit point d’argent,

et que

le

nombre des Francoys estoit petit, et plusieurs malades, et s’en alloient chascun jour sans congié, et d’autres a qui le roy donnoit congié 52. de l’autre, 4 la puissance des forces ennemies: Les ennemys

estoient

bien fortz et impossible

de les prendre

dedans

leur ost, tant estoient bien fermez de fousséz plains d’eaue et |’assiéte propice et n’avoient 4 se deffendre que de nous, car de ceulx de la ville n’avoient-ilz plus de craincte. Ilz estoient bien deux mil huyt cens hommes

d’armes bardéz... 58 Il serait vain de multiplier les exemples qui abondent dans les Mémoires. Que l’on pense aux achats de bétes que Louis XI ordonna 4a la fin de son régne 5, Un long paragraphe est consacré au butin remporté par les Suisses

a Granson 55, et en particulier aux bijoux du Téméraire, vendus a droite

49 T. Il, p. 93. ; 50 T. Il, p. 185. 51 T. I, p. 241. Pour une étude plus compléte du passage, voir notre Destruction des mythes..., pp. 42-46.

52 T. Ill, p. 222.

53 Ibid., pp. 240-241. 64 T, Il, pp. 297-298. Voir encore t. III, pp. 67, 97, 103-104, 136, 174, 179, 255, 296... 56. Ty, p,, 145;

140

LA REPETITION

et A gauche pour un prix dérisoire. C’est la reprise développée d’une énumération que nous trouvons quelques pages plus haut 56, Elle répond d’ailleurs A un autre dessein de l’auteur. Avant, il désirait accabler le duc Charles ; maintenant, il tient 4 signaler ’ignorance des Suisses qui, depuis, ont bien appris « a congnoistre que l’argent vault. Car les victoires et estimations en quoy le roy les mist dés lors et les biens qu’il leur a faictz leur ont fait recouvrer infiny argent ». Pour bien prouver que ce jeu de la litote et de l’énumération n’est rien moins que gratuit, livrons-nous 4 une bréve comparaison entre deux passages, l’un tiré des Mémoires et l’autre de la Chronique scandaleuse de Jean de Roye. Dans le premier, une remarquable discrétion; sur son lit de mort, Louis XI « recommanda a son filz mons™ le dauphin, aucuns serviteurs ». Dans le second 58, des détails utiles et abondants, les noms des bénéficiaires comme Crévecceur, Olivier Le Dain, Du Bouchage, etc., l’exposé des raisons du roi. Commynes s’abstient soigneusement de citer des noms; ce serait révéler qu’il ne fut pas au nombre de ceux que Louis XI jugea bon de recommander 4a son fils. La concision et l’ambiguité de la formule lui sont, au contraire, favorables. D. — Non content de donner de l’importance a un fait en le détaillant, il le privilégie souvent en le répétant. Procédé simple, assez gros, mais qui ne s’explique pas toujours par la maladresse d’un écrivain amateur qui égrénerait ses souvenirs sans se soucier des redites. Ici et la, il cherche 4 nous imposer quelques thémes en sollicitant constamment notre attention. Limitons-nous a deux exemples ou nous retrouvons les obsessions de Commynes, l’homme qui a fréquemment échoué et homme qui a trahi. Dans le premier cas, il se défend contre des accusations de négligence, d’aveuglement, d’incompétence pendant 1’expédition d’Italie. Dans la page qui précéde celle ot il relate comment on lui apprit la conclusion de la Sainte-Ligue dirigée contre les envahisseurs francais et Charles VIII, il énumére, en utilisant des termes identiques ou synonymes, les princes qu’il avait mis au courant de la situation : Et durant que cecy se demenoit, avoys sans cesse adverti le roy du tout... Aussi advertissoys mons‘ d’Orléans, qui estoit en Ast avecques les

56 Jbid., p. 104. 57 Ibid., p. 311. _58 Edition B. de MANDROT,

Paris, Renouard,

1894-1896

(Société de ’His-

toire de France), t. Il, pp. 120-121 : «... et pour ceste cause [Louis XI] se fist porter a Amboise pardevers mons. le daulphin, auquel il fist plusieurs belles remonstrances, en luy disant qu’il estoit malade d’une maladie incurable, en le exhortant que, apres son trespas, il voulsist avoir aucuns de ses serviteurs

pour bien recommandés : c’est assavoir, maistre Olivier le Dyable, dit le Dain,

son barbier, et Jean de Doyac, gouverneur d’Auvergne (...) Luy recommanda aussy mons. du Bouchaige et messire Guiot Pot, bailly de Vermendois (...) Et

si luy dist oultre que pour la conduite de la guerre il se servist du seigneur

d’Esquerdes, lequel il avoit trouvé en tous ses affaires bon, loyal, et notable chevalier et de bonne et grande conduicte. »

LA

REPETITION gens

de sa maison

14] seullement...

Et escripvoys

a mons*

de Bourbon

qui

estoit demouré lieutenant pour le roy en France... Et advertissoie aussi la marquise de Montferrat, qui estoit fort bonne pour nous et ennemye du duc de Millan... 59

Dans l’autre passage, il accuse le Téméraire d’avoir changé de comportement et de s’étre engagé dans la voie du crime, se déshonorant par le massacre de Nesle dont il appuie l’horreur par la répétition et le rappel : a) il annonce le forfait, en l’englobant dans un commenca exploict de guerre ort et mauvais » ®°,

ensemble:

«... ef

b) il explique pourquoi il le relate, malgré ses répugnances, et il reprend les mémes mots: « Il me desplaist a dire ceste cruaulté... Il faut dire que ledict duc de Bourgogne estoit passionné de faire si cruel Gctéiem c) aprés une digression, il raméne notre esprit a cette tuerie : « Pour retourner a la guerre dont cy devant ay parlé et comme cruellement furent traictez ung tas de povres francs archiers qui avoient esté prins

dedans Nesle ®... » La solution 4 apporter au probléme posé par le siége de Novare opposa Commynes aux bellicistes jusqu’auboutistes. Pour se justifier, il soutient dans son ceuvre que les assiégés n’auraient pas pu résister plus longtemps, si grande était la famine. S’il décrit, avec un réalisme riche d’arriére-pensées, les survivants de cette douloureuse épreuve %, il établit, par deux fois, une comparaison avec les plus fameux siéges de V’histoire, celui de Calais d’abord: « A la vérité, cent ans avant que nous naquismes, ne souffrirent gens si grant faim» ®, celui de Jérusalem, ensuite: ... « et croy que jamais gens n’endurérent plus de fain, qui ne vouldroit alléguer le siége de Jherusalem » ©. Que le chroniqueur ait voulu déterminer notre jugement en multipliant et en dédoublant, qu’il ait voulu persuader son lecteur en linfluencant insidieusement, on ne saurait en douter quand on se rappelle qu’il revient au moins six fois sur les fautes initiales de Louis XI qui rejeta les bons serviteurs de son pére, qu’il énonce comme un leitmotiv que Dieu se détourna du Téméraire, qu’il attribue a plusieurs reprises pendant l’expédition d’Italie le succés a la protection divine et l’échec a Vincapacité de Charles VIII et de ses conseillers, qu’en plus de trois

59 60 61 62 88 64 65

T. III, pp. 125-126. T. I, p, 227. [bid., p. 228. Ibid., pp. 233-234. T. Ill, pp. 237-238. Ibid., p. 222. Jbid., pp. 236-237.

142

L’UTILISATION

DES

CHIFFRES

endroits il relate la conduite criminelle et la fin honteuse du duc Adolf de Gueldre. E. — Le seigneur d’Argenton est trop intelligent pour se livrer a une falsification sommaire. Aussi ses chiffres sont-ils a Vordinaire exacts, mais il s’en sert souvent d’une maniére telle quil fausse lappréciation. Lui-méme critique 1a méthode de certains historiens, trop peu méfiants ou enclins a la flatterie, lorsqu’il relate la bataille de Brusthem ; par la méme occasion, en réduisant le nombre des tués, il minimise la victoire: ... depuis que je suis né, j’ay veu en beaucoup

de lieux qu’on disoit, pour

ung homme qu’on avoit tué, cent, pour cuyder complaire ; et avecques telz mensonges s’abusent bien aucunes fois les maistres 66, Toutefois, il lui arrive d’exagérer pour justifier une de ses options. Ainsi, comme on lui reprochait d’avoir été un des principaux artisans de la paix de Verceil, il augmenta de deux milliers d’-hommes au moins les troupes allemandes que Milan opposa a la France et qui auraient compté 11.500 soldats alors que, selon Ulmann ®7, ils n’auraient pas été plus de 9.000. Ajoutons que, dans le méme passage, le mémorialiste présente comme singuliérement redoutables les forces de la Sainte-Ligue que des témoins oculaires, tels que J. d’Atri et Benedetti, dans ses Diaria de bello Carolino ®, jugent avec beaucoup plus de sévérité ®. Quand Commynes donne un chiffre précis, c’est ordinairement avec une intention trés nette, et critique. Ainsi, signalant le désastre de Granson, il oppose l’étendue des pertes matérielles qu’il augmente par la généralisation et l’amplification, au petit nombre des victimes qu’il indique trés exactement: En gaingnerent les Allemans son champ et son artillerie et toutes les tentes et pavillons de luy et de ses gens, dont il y avoit grant nombre, et d’autres bien infiniz, car riens ne se saulva que les personnes, et furent perdues les grandz bagues dudit duc, mais de gens pour ceste fois ne perdit que sept hommes d’armes 79,

Remarquons, d’un cdté, !’énumération et le gonflement de ce compte rendu ponctué de et, le redoublement des expressions, l’emploi et la répétition de mots intensifs (toutes, grant, autres, infiniz, riens...); de l’autre, la minutie et la sécheresse soulignées par l’adverbe négatif ne... que. Ce déséquilibre intentionnel éclate si l’on se référe au récit d’Olivier

edi

a Bak3 Ot

87 Kaiser Maximilian I°’, 2 vol., Stuttgart, 1884-1891, t. I, p. 290, note.

68 Mémoires de Ph. de Commynes, éd. B. de MANDROT, t. II, p. 427, note 2.

69 T. III, p. 240. WOlT; Hy. px 104;

L’UTILISATION

DES

CHIFFRES

143

de La Marche! ott nous observons exactement l’inverse, puisqu’il comporte une liste des victimes, terminée par une formule grossissante. ... la mourut le seigneur de Chasteauguyon, le seigneur du Mont-SainctSorlin, Jehan de Lalain, Loys Raulin, seigneur du Prusely et plusieurs aultres gentils personnages.

et, pour ce qui est de la perte des biens ducaux, une notation rapide: ... celle journée oi ses riches bagues furent pillées, et son armée rompue.

Livrons-nous au méme exercice avec Molinet 72 qui, emporté par son emphase, développe plutdt qu’il ne résume. Parle-t-il des Bourguignons tués? Il cite six d’entre eux, précisant leurs liens de parenté avec tel ou tel (« Et demourérent morz sur la place le seigneur de Casteauguyon, messire Jehan de Lalaing, filz de messire Simon, le seigneur de SainctSorlin, frére du seigneur d’Yrlain, le frére du seigneur de la Freté, le seigneur de Harchies, messire Jacques d’Aymaries, filz du grant bailli de Haynau») et terminant par la mention anonyme, mais élogieuse, d’autres victimes qui nous permet de dépasser le chiffre de 7 donné par le seigneur d’Argenton («... et aultres vaillans chevaliers et gentilzhommes qui, en ce premier hurd, se portérent honnestement et bien ».) Il tend méme a accroitre les pertes humaines, un peu plus loin, par une

formule

ambigué:

«Et

aveuc

aucuns

vivendiers,

furent

trouvéz

mors sur la place de .II.a.Ill*.». Il dresse un bilan détaillé du succés suisse. D’abord, ils remportent la victoire et restent maitres du champ de bataille ; ensuite, ils récupérent « joyaulx, la maison de boix, fort rice vaisseles, tentes, pavillons, tapisserie et la richesse du duc Charles» ; enfin, ils s’emparent « aveuc leurs despoulles [de] |l’artillerie, cest a scavoir le Bergier et la Bergiére, .VI. courtaulx, .VI. longues serpentines, et .VI. aultres petittes aveuc les .IIII. Sceurs ». Que conclure ? Commynes n’a pas truqué la réalité de facon voyante, puisque Panigarola, dans une dépéche du 4 mars 147673, nous apprend, lui aussi, que sept personnes de marque avaient succombé au cours de la bataille et qu’un trés important matériel (artillerie, tentes et pavillons remplis d’objets précieux) était tombé aux mains des vainqueurs. Mais ajoutons immédiatement que l’ambassadeur milanais apporte deux précisions : il parle de sept personnes de marque, ce qui nous empéche de réduire 4 sept le nombre des victimes ; le duc, en outre, a pu sauver son trésor, ses joyaux, sa vaisselle d’argent, atténuation qu’écartent

résolument se saulva

les formules exclusives de notre mémorialiste que

les personnes»).

Pourquoi,

dans

(« ... rien ne

les Mémoires,

un

tel

71 Ed. cit., t. Ill, pp. 209-210. 72 Ed. cit., t. I, p. 140. 73 Dépéches

des ambassadeurs

milanais

sur

les campagnes

Hardi de 1474 a 1477, éd. Fréd. de GINGINS-LA-SARRAZ, 1858, t. I, pp. 313 sq.

de Charles

le

2 vol., Genéve-Paris,

144

c

L’UTILISATION

DES

CHIFFRES

contraste ? Pour concrétiser l’ampleur du désastre, pour en rejeter entie-

rement la responsabilité sur l’incompétence et la lacheté des Bourguignons,

et de leur chef en particulier.

Le plus souvent, le mémorialiste préfére l’imprécision et l’indéfinition, les tours généralisants qui ont l’avantage de ne pas trop exciter la méfiance critique du lecteur et de ne pas exposer dans le détail des réussites ou des avantages douteux. Veut-il exagérer le danger qui menagcait en 1478 Laurent de Médicis et que son ambassade empécha de déferler sur le territoire de Florence ? I! énumérera les chefs ennemis avec force éloges, puis élargira leur nombre par deux expressions vagues a souhait, dont la seconde étend démesurément la premiére « et plusieurs autres.... et grant nombre de gens de bien 7. » Pour dénoncer, une nouvelle fois, la folie du duc de Bourgogne qui, en 1475, se heurta a la puissante Allemagne, il se contente d’user et d’abuser de mots amplifiants comme grand, tout..., de procédés simples tels que la répétition et la redondance: Et ainsi ceste armee s’appresta de la part d’Allemaigne, qui fut merveilleusement grande, et tant qu’il est presque increable. Car tous les princes d’Allemaigne, tant temporelz que sperituelz, et les evesques y eurent gens, et toutes les communaultez, et en grant nombre 75,

Mais tout l’art du chroniqueur, pour emporter la conviction, est d’exposer, aprés ces généralités et ces formules intensives, le cas d’un des plus petits potentats d’Allemagne, avec chiffres a l’appui, et un détail qui semble peu utile de prime abord, mais confére au passage une intense impression de vérité : Il me

mena

fut dit que l’evesque

six mil hommes

de Munstre,

de pied, quatorze

qui n’est point de grans,

cens

hommes

de cheval

y

et

Xlle charriotz, et tous vestuz de vert 76,

Remarquons, une fois de plus, la supériorité du manuscrit Polignac qui comporte le chiffre de XII¢; D et M ont XII, ce qui serait aller a l’encontre du but que vise Commynes. Enfin, comme !’auteur cherche toujours a nous présenter des données complétes, il précise que cette ardeur de l’évéque de Munster s’explique par le fait que « son evesché est prez de Nuz », qu’assi¢ge le duc de Bourgogne. A-t-il eu raison plus tard de se prononcer en faveur de la paix ? Sans aucun doute, « car tous les grans chiefz, comme le prince d’Orange qui y estoit de nouveau arrivé et a qui le roy donnoit de grant credit és affaires de la guerre, et tous aultres chiefz de guerre cherchoient une honneste yssue par appointem»... ent77, 1 1. il p..272. 7 T. II, pp. 12-13.

76 [bid., p. 13. Ty, Ul, Deel.

LE PATHETIQUE

ET LE PITTORESQUE

145

Quand il critique ou condamne, non seulement il se retranche souvent derriére l’opinion d’autrui, mais encore il ne cite pas avec précision ses sources, recourant soit a un tour passif78, soit, plus fréquemment, a des indéfinis, tels que: aucuns 7, les plusieurs 8°, assez de gens ®1, des hommes de grant auctorité leans 82, tous les chiefz ®8, etc. F. — Dans cette ceuvre dépouillée que sont les Mémoires, le pathétique et le pittoresque ne sont jamais gratuits. Ils démontrent, ou étayent, ou détournent 1’attention. Le chroniqueur décrit assez longuement la bataille de Brusthem %, livrée en 1467 ; de plus, il est le seul A noter qu’a un certain moment, bransloient toutes noz enseignes, comme gens presque desconfitz; il laisse entendre que la déroute a menacé les troupes ducales, ce qui est une maniére d’insinuer, d’abord, que le succés n’a pas été aussi total et facile que l’ont prétendu les admirateurs de Charles de Bourgogne, ensuite, qu’a la guerre nous sommes toujours a la merci d’un retournement imprévu et que le hasard ne cesse de déjouer les calculs des humains. Ailleurs, désireux d’exagérer les tribulations de la duchesse Marie de Bourgogne, par suite, de charger la mémoire du Téméraire, cause directe des malheurs bourguignons, et de détruire le mythe tenace du bonheur princier, il amalgame, dans les mémes heures d’une scéne trés émouvante, des faits distants de plusieurs jours. Quand les Gantois eurent condamné a mort les conseillers du duc défunt, Humbercourt et Hugonet, la jeune duchesse, pleine d’humilité, vint supplier ses sujets de ne pas exécuter les deux malheureux. En vain, car ils furent décapités séance tenante sous ses yeux. La demoyselle de Bourgongne, qui puis a esté duchesse d’Autriche, saichant ceste condamnation, s’en alla en l’hostel de la ville leur faire requeste et supplication pour les deux dessusditz ; mais rien n’y valut. De 1a, alla sur le marché ou tout le peuple estoit assemblé et en armes, et

veit les deux dessusdictz

sur l’escharfault.

Ladicte demoyselle

estoit en

son habit de dueil et n’avoit que ung couvrechef sur la teste, qui esttoit habit humble et simple, et pour leur faire pitié par raison; et la supplya audit peuple les larmes aux yeulx et toute eschevelée qu'il leur pleust avoir pitié de ses deux serviteurs et les luy vouloir rendre. Une grant partie de ce peuple vouloit que son plaisir fust faict et qu’ils ne mourussent point; autres, au contraire; et se baisserent les picques lung contre !’aultre, comme pour combattre. Mais ceulx qui vouloyent la mort se trouvérent les plus fortz et finalement cryérent a ceulx qui estoient

%8 79 80 81 82 83 84

T, Il, p. 13. Ainsi t. I, p. 49; t. Il, p. 235. T. Ill, p. 266. T. II, p. 147. T. Ill, p. 158. [bid., p. 195. T. I, pp. 105-107. Voir notre Destruction des mythes..., pp. 102-103.

LE PATHETIQUE ET LE PITTORESQUE

;

146

sur l’escharfault qu’ilz les expediassent.

Or, pour conclusion, ilz eurent

tous deux les testes couppées et s’en retourna ceste povre damoyselle

en

cest estat en sa maison, bien dolente et desconfortée, car c’estoyent les principaulx personnages

ou elle avoit mys sa fiance 8.

Luc Hommel a raison de protester contre une présentation plus pathétique que véridique de ces événements tragiques, présentation ou se reconnaissent la haine de l’écrivain contre les Gantois et aussi une certaine pitié pour cette malheureuse jeune fille prise dans la violence de ces jours de colére: Il nous faut renoncer a l'image d’Epinal — accréditée par Commynes et par Pontus Heuterus — d’une Marie de Bourgogne accourant en son

habit de deuil et toute échevelée, sur le Marché du Vendredi, au moment méme ou le bourreau s’appréte 4 accomplir son ceuvre, et suppliant, mains jointes, la foule de faire grace 86.

En effet, la duchesse, le lundi 31 mars 1477, pour demander la grace de ses conseillers, alla successivement a4 I’hétel de ville ou: siégeait le tribunal des échevins, puis au Marché. Mais aucune décision ne fut prise dans l’immédiat. Aprés que les échevins eurent délibéré, ils se rendirent auprées de Marie pour lui déclarer qu’ils voulaient appliquer la justice aussi bien aux riches qu’aux pauvres. L’exécution eut lieu le 3 avril, et la fille du Téméraire n’y assista pas. Nous pouvons saisir sur le vif la déformation que notre chroniqueur impose aux faits, car, des mémes événements, nous possédons un récit d’un témoin plus impartial, Jean Nicolay, l’auteur du Kalendrier des guerres de Tournay®: .. et ja soit ce que le lundy de la saincte sepmaine leur damoiselle et princesse fust venue en personne sups ledit marchié et leur eust pryé, genoulx flexchis, que ilz fussent respitez, leur remonstant que a elle competoit le criesme a eulx imposé plus que a nul aultre, offrans a faire bonne justice et restituer ce qu’ilz seroient attains avoir des biens de la ville et du pays, rien n’y vallu sa priére, riens n’y vallu son commandement ne sa promesse ; car sans avoir consideration que elle estoit leur souveraine dame naturelle, et sans luy porter quelque honneur ne reverence, ledit peuple esmeu le jeudy absolu an mil quatre cens soixante dix sept fist publicquement decapiter sups ung eschaffault en plein marciet, messire Guillaume Gonet, chancelier de Bourgogne, et messire Gui de Brimeu, seigneur d’Humbercourt, les deux plus sages et renomez chevaliers de tout le pays et de le environ 88,

85 T. Il, pp. 202-203. bias : p.

de Bourgogne ou le Grand Héritage, Bruxelles-Paris, 4° éd., 1951,

87 Ed. F. HENNEBERT, Mémoires Tournai, t. Il et Ill, 1853 et 1856.

de la Société

historique

et littéraire

de

88 Voir aussi Pierre LE PRESTRE, Chronique, éd. BELLEVAL, Mémoires de la Société d’Emulation d’Abbeville, 3° série, 2° vol., 1878, pp. 126-127 : «... et si estoit en la ville de Gand damoiselle Marie de Bourgongne, et la douagere duchesse qui instamment requeroient d’avoir lesdits prisonniers, et principale-

LE

PATHETIQUE

ET

LE PITTORESQUE

147

On voit comment a procédé Commynes:

1°) Il a fondu en une seule

et unique scéne les supplications du lundi et l’exécution du jeudi ; ainsi dramatise-t-il ’épisode: Marie demande la grace des victimes, face a la foule, devant l’échafaud ot elles attendent le coup de hache; aprés un débat pathétique, au cours duquel le destin hésite, elle assiste a leur décapitation. 2°) I] a accentué l’attitude humiliée et pitoyable de la princesse : en habits de deuil, sans les ornements de son rang, les cheveux en désordre, elle supplie ses sujets, elle pleure; les deux dignitaires mis a mort malgré son intervention, elle s’en retourne accablée et désespérée. Derniére contre-épreuve. L’abondant et excessif Molinet se borne a noter : Et nonobstant toutte remonstrance, humble requeste et priere que mademoiselle de Bourgoigne, leur princesse naturelle, qui lors estoit en Gand, sceust faire, monseigneur le chancellier, monseigneur de Humbercourt et

messire Jehan de Wammele, chargié pour aultre delictz, furent jugiéz en la maison de la ville et mis 4 mort supz ung hourt, comme larrons ou murdriers, et finablement decapitéz, par ung joeudy absolut, l’an de ceste

tribulation mil. IIl¢e LXXVI 89.

Pourquoi cette dramatisation Pour attaquer a la fois: —

Louis

XI qui a dévoilé

d’une scéne en elle-méme aux

Gantois

pathétique?

les tractations

secrétes

de

la duchesse et, de ce fait, a condamné a la mort les illustres vic-

times et humilié la jeune Marie ;



Charles de Bourgogne qui, par son orgueil, a livré sa fille sans défense au pouvoir de ses sujets rebelles;



les Gantois qui méprisent la justice et se livrent a de simples réglements de comptes sans respecter leur princesse;



les grands, en général, dont la vie n’est pas heureuse.

Il se plait aussi 4 raconter en des pages dramatiques la tentative des Pazzi contre les Médicis et la répression qui s’ensuivit. Julien est tué « en la grande église de Florence », avec Franceschino Nori qui avait voulu le protéger de son corps. Laurent est griévemert blessé ; il se réfugie dans la sacristie bien défendue par des portes de cuivre dont son pére Céme avait ordonné la fabrication ; il a été sauvé par un serviteur qu’il avait délivré de prison deux jours auparavant, et

iceulx ment les serviteurs et officiers dudit feu duc, auxquelles fu respondu par par les de Gand qu’ilz ne les renderoient point mais feroient faire leur proces estans trois Estas des pays de Flandres et de Brabant; ce quilz firent, eux de Humtoujours en armes. Et finablement fut amené ledit chanselier et ledit

bercourt au lieu publique, 1a ot ilz leur firent trenchier les teste. »

80 Ed. cit., t. 1, p. 214. Voir Ol, DE LA MARCHE, éd. cit., t. III, p. 242.

148

;

LE PATHETIQUE ET LE PITTORESQUE

qui recut plusieurs blessures. Le drame s’est produit au milieu de la grand-messe, a l’heure ott le prétre chantait le Sanctus. Les conjurés, croyant le succés assuré, montent au Palais ol se tiennent les membres de la Seigneurie, afin de les exécuter. Personne ne les suit. On ferme méme une porte derriére eux. Dans la ville, Jacques Pazzi appelle le peuple a l’émeute. En vain. Aucun mouvement de révolte. Il est obligé de s’enfuir. Les partisans des Médicis, demeurés maitres de la situation, se saisissent de ceux qui comptaient les tuer et prendre leur place. Sur le champ, ils les pendent aux fenétres du palais seigneurial. Parmi les victimes, l’archevéque de Pise, Francesco Salviati. Ils organisent la chasse, ordonnent d’arréter aux points de passage tous les fugitifs. La répression est impitoyable : Jacques Pazzi rejoint les autres aux fenétres du palais ; Jean-Baptiste de Montesco, qui était au service du pape, est décapité. Les prisonniers sont pendus sans autre forme de procés. Parmi eux, Francesco Pazzi. Au total, « y eut quatorze grans personnaiges penduz et aucuns menuz serviteurs tuéz par la ville» %. Ces pages dramatiques empéchent le lecteur de s’interroger sur la mission exacte de l’ambassadeur qui ne nous en dit rien, notant seulement : Louis XI décida « de m’envoyer trés soudainement a Florence. Je obeys, comme raison estoit, et partyz dés ce que j’euz les lettres » 9! ; elles attirent attention sur la gravité de la situation, ce qui rend hautement honorable le petit succés remporté par le seigneur d’Argenton. Il consacre plusieurs pages aux mésaventures de Pierre de Médicis a la fin de 1494 92, 4 son retour a Florence, au soulévement de la ville contre sa tyrannie, a sa fuite précipitée, A son exil A Venise. Sans doute se plait-il 4 apporter un nouvel exemple des mutations de la fortune qui, du jour au lendemain, renvoie au néant et a la médiocrité les plus puissants ; et c’est dans ce sens qu’il se justifie de cette longue digression qui n’était pas nécessaire a son récit: « A ceste heure, ung peu m’a faillu parler de ce Pierre de Médicis, qui estoit grand chose, car soixante ans avoit duré ceste auctorité, si grande que plus ne povoit » 8. Mais surtout il nous semble qu’il veuille dissimuler son propre échec, puisqu’il n’a pas réussi a réconcilier le fils du Magnifique avec Charles VIII et a le maintenir a la téte de l’Etat florentin. Une phrase, glissée dans sa relation, confirme cette hypothése: «... par l’ambassadeur florentin estant la [c’est-d-dire a Venise], sceu ces nouvelles, qui bien me despleurent, car j’avoys aymé le pére; et, s’il me eust voulu croire, il ne luy fust point ainsi mesadvenu »...94. Mais de nouveau il colore sa conduite de beaux semblants. A l’en croire, seule une vieille amitié explique ses sentiments ; en fait, intervient aussi une question de gros SOUus.

90 T. II, pp. 269-271. Pour une étude plus précise de cette page, voir l’arti-

cle, cité dans la bibliographie, de P. JODOGNE. 91 [bid., p. 268. : 92 T. III, pp. 61-66. 93 Tbid., p. 66. 94 Jbid., p. 63.

LE PATHETIQUE

ET

LE PITTORESQUE

149

Enfin, pour nous amener a admettre que la paix signée 4 Verceil fut le parti le plus raisonnable, tour 4 tour il nous apitoiera sur la mort du comte de Vendéme qu’il rend particuliérement tragique: il succomba d’ « ung mal de flux», lui qui se distinguait entre tous par sa beauté, sa jeunesse et sa sagesse, lui qui, regrettant de n’avoir pu participer a la chevauchée napolitaine, était venu en briilant les étapes pour ne pas manquer la bataille dont la rumeur publique annoncait Pimminence ® ; il décrira les lieux avec plus de détails qu’a l’accoutumée : le sol y est lourd et humide comme dans les Flandres ; coupé, sur l’un et l’autre cété des chemins, de fossés trés profonds, beaucoup plus que dans le pays natal de |’auteur ; transformé en bourbiers l’hiver, et, en été, recouvert de poussiére %6. Il s’attardera, avec chiffres a Vappui, sur !’extréme misére des soldats francais assiégés dans Novare, affamés, d’une maigreur cadavérique ; plus de 2.000 morts ; quelques chevaux encore en vie, les autres ayant été mangés ; sur les 5.500 survivants, moins de 500 qui fussent en état de porter les armes ; un grand nombre d’entre eux tombait d’épuisement le long des routes, si misérables qu’ils apitoyaient les ennemis eux-mémes qui venaient a leur secours ; apres la levée du siége, 300 moururent a Verceil pour avoir trop mangé, une fois échappés a leur enfer, ou de maladie ; beaucoup gisaient dans les cloaques de la ville; prés de Camara, la générosité de Commynes sauva cinquante de ces malheureux qui étaient couchés inertes dans un jardin et a qui fut distribuée de la soupe %”. Il serait aisé de multiplier les exemples qui, en majorité, nous incitent 4 conclure que, dans les Mémoires, rarement le chroniqueur s’adonne au seul plaisir de conter ou de décrire. Tout détail, pittoresque ou dramatique, contribue a blanchir le transfuge, a excuser ses échecs, a illustrer ses theses. Inutile de revenir sur les silences du mémorialiste qui a éliminé des périodes entiéres de sa vie (par exemple, sa participation aux complots

orléanistes) et a tu certains épisodes, totalement (comme son voyage en Bretagne et en Castille 98), ou partiellement, telle son ambassade a Milan, en 1478 9°, et sur les comparaisons dont il a parsemé son ceuvre soit pour discréditer son ancien maitre, soit pour se distinguer de ses contemporains.

G. — Ces différents moyens sont souvent au service d’autres plus subtils, qu’il s’agit maintenant de signaler. Presque a notre insu, par raisons et étapes, le mémorialiste nous conduit da sa conclusion. Veut-il

95 T. Il, p. 227. 96 Ibid. : «... fort pays et mol comme

Flandres, a cause des fousséz qui

sont au long des chemins, de I’ung costé et de l’autre, fort parfonz et beaucoup plus que ceulx de Flandres, L’yver, les fanges y sont fort grandes et l’esté la pouldre... »

97 T. III, pp. 236 et 237-238. 98 Voir notre Vie de Ph. de Commynes, pp. 29-32. 99 Ibid., pp. 80 sq.

150

LES

DEMONSTRATIONS

justifier sa défection ? Il n’affirmera pas ouvertement qu’il n’a pas eu tort d’abandonner le duc Charles, mais dans les trente pages qui précédent la mention de son passage au roi, il accumulera les arguments, assez habile pour y entreméler des digressions qui dtent au récit le caractére d’un réquisitoire ou d’une apologie. A regarder le texte de plus prés, nous découvrons un certain nombre de jalons qui nous ameénent, peu a peu, a une approbation compléte de |’auteur et nous renseignent sur sa maniére cauteleuse. 1° - t. I. pp. 206-8. — Le Téméraire abandonne son allié, Edouard IV, et n’hésite pas a mettre en péril « ung sien serviteur pour s’en ayder, quant il en avoit besoing ». Ainsi, le duc, qui est le premier a trahir, n’a droit ni A la reconnaissance, ni a la fidélité de son serviteur. Ces

premiéres fléches décochées, suit le récit des mutations a Calais et du plein succés de Commynes, ambassadeur auprés de Wenlock (pp. 208211). Donc, d’autres trahissent ou trompent, donnant l’exemple au chroniqueur encore naif, surpris d’abord par de telles volte-face. 2° tique mais de la

- pp. 211-212. — Nous revenons au duc de Bourgogne qui praun jeu double, se ralliant publiquement aux Lancastre vainqueurs, aidant secrétement Edouard IV. Le chapitre VII (p. 212-217) traite victoire des York et des divisions en Angleterre.

3°. — Retour au duc (p. 218), pour montrer qu’il trompe aussi ses alliés francais, 4 propos du mariage de sa fille et héritiére. Deux passages sans ambiguité dans la méme page indiquent qu’il ne faut pas se fier aux apparences. Charles a fait semblant de regarder d’un ceil favorable les requétes multiples du duc de Guyenne qui s’efforce d’obtenir la main de la jeune Marie. Mais en réalité, 4 aucun moment, il n’a eu lintention de réaliser ce mariage. Il voulait garder en mains cette carte maitresse qui lui assurait, au pire, la neutralité, au mieux, la sympathie active de nombreux princes alléchés par ce bel héritage, en sorte qu’il prodigue les promesses a tous les prétendants: ... « il vouloit marchander de ce mariage partout comme j’ai dict». Chacun des termes est a regarder de prés. Longue digression, alors, sur l’utilité de négocier continuellement (pp. 218-221). 4°. — L’on en revient au Téméraire qui fait, simultanément, en moins de trois ans, des promesses qu’il ne tient pas, et qu’il était décidé a ne pas tenir de toute sa vie 4 moins d’y étre forcé. Promesses verbales, et méme écrites, 4 Charles de France, 4 Nicolas de Calabre, a Philibert de Savoie, 4 Maximilien d’Autriche qui, outre une lettre de Marie, recoit un diamant de fiancailles. Commynes s’excuse d’apporter de telles précisions. Il ne veut pas accabler celui dont il parle, mais il céde aux exigences de la vérité et estime que seuls les princes et gens de cour, c’est-a-dire les initiés, liront ses Mémoires, en sorte que les tromperies des grands ne sortiront pas d’un cercle étroit et ne seront pas divulguées parmi ‘leurs sujets, ni jugées trop sévérement par des individus qui manquent d’expérience et ignorent la complexité des choses de ce monde (pp. 221-2). Aprés cette attaque, des remarques

LES DEMONSTRATIONS

15!

sur «les brouilliz de ce royaulme » (pp. 222-3) et les manceuvres de Louis XI, aux confins et a la cour de Guyenne, contre son cadet, a qui, disent ses ennemis, il veut 6ter son apanage, comme il lui a autrefois repris la Normandie (p. 223). Ici, apparait un procédé cher a !’auteur qui rapporte les propos d’autrui, qui sont autant de critiques, sans les prendre a son compte. 5°. — Le duc est un mauvais vassal, a qui ses alliés demandent de ne pas recourir a l’alliance des ennemis de la France, c’est-a-dire des Anglais, et qui confie 4 Commynes ses pensées secrétes : il recherche tant le bien du royaume que, plutét qu’il soit aux mains d’un seul roi, il le voudrait voir partagé entre six (pp. 223-224). Passage, au demeurant, fort intéressant, car il permet au mémorialiste d’accabler, dans le méme temps, les différents princes de la coalition féodale. Le Téméraire : il se ligue avec les adversaires héréditaires de son suzerain et ne songe qu’a le réduire a l’impuissance. Les ducs de Guyenne et de Bretagne : ils prétendent agir pour le soulagement et le bien de la France, mais ils demandent au Bourguignon d’intervenir avec la plus grande armée qu’il lui sera possible de réunir. Tel est le sens d’un court dialogue entre le Téméraire et l’auteur, rapporté au style direct: «... et me dit: « Vela le seigneur d’Urfé qui me presse faire mon armée la plus grosse que je puis et me dit que nous ferons le grant bien du royaume. Vous semble-t-il que si je y entre avecques la compagnie que fje‘y meneray, que je y feisse guéres de bien?» Je lui respondi en ryant qu’il me sembloit que non». Les complices qu’ils comptent parmi les serviteurs et les capitaines de Louis XI: «...ilz avoyent de trés grandes intelligences avecques plusieurs capitaines et autres ». Suivent de bréves considérations sur les craintes vaines d’Edouard IV (p. 224). 6°. — Malgré les instances de ses alliés, les ducs de Guyenne et de Bretagne, le Téméraire appellerait volontiers 4 son aide les Anglais (p. 225) « qui estoyent ennemys du royaulme ». C’est donc un traitre aux yeux de l’historien qui ne s’attarde pas sur ce point, mais reprend un de ses themes favoris : le « travail » et la misére des princes, divisés

et hostiles les uns aux autres (p. 225). 7°, — Le duc, désespéré par la mort de Charles de France, détruit Nesle et massacre sa garnison. C’est un prince cruel, dénoncé par le mémorialiste qui prétend, ici encore, éprouver du déplaisir a raconter une telle scéne (pp. 227-8), et qui, ensuite, revient sur ses pas pour parler des négociations entre le suzerain et son vassal (pp. 229-230). 8°. — Le duc, tout comme Louis XI, essaie de tromper son adversaire. Il l’accuse des pires forfaits. Bref, «il pourra sembler... que en ces deux princes n’y eut pas grand foy ou que je parle mal d’eulx ». Affirmation nette, coupée de précautions oratoires qui sont a l’avantage du roi. Le chroniqueur ne veut médire ni de l’un ni de l’autre, d’autant plus qu’il doit beaucoup a Louis XI; il est tenu, pour respecter la promesse faite 4 A. Cato, de dire « partie de ce qu’il sait (il avoue donc qu’il taira certains faits ou détails) en quelque sorte qu’il soit advenu » ;

152

LES DISJONCTIONS

;

si l’on compare le suzerain et le vassal aux autres princes, on estimera qu’ils sont « grans et notables » et qu’en particulier, le premier a manifesté une trés grande sagesse, lui qui a laissé, 4 sa mort, un royaume agrandi et en paix avec ses ennemis. Cette derniére remarque n’6tet-elle pas, sans le dire, au Téméraire, le bénéfice de la sagesse ? (p. 230). Dans les pages qui suivent, Commynes s’étend surtout et longuement sur le machiavélisme du Bourguignon (pp. 231-3), et sur son échec final puisqu’il fut trompé par plus fin que lui. 9°. — Aprés un rappel de la tuerie de Nesle (pp. 233-4), le chroniqueur poursuit le récit de la campagne de 1472 (p. 234). Le duc échoue devant Beauvais, parce qu’il est mauvais stratége et que Dieu s’est éloigné de lui; il se venge en ravageant inutilement le pays de Caux (pp. 235-9). Les dernieres images sont celles d’un incapable rempli d’orgueil et d’un maudit. Qui oserait alors reprocher 4 Commynes sa défection évoquée en une ligne, au début du chapitre suivant (p. 241) ? Il procéde de la méme maniére pour justifier le traité de Verceil. H. — Ces discrétes démonstrations s’accompagnent d’autres procédés qui renforcent le point de vue que le mémorialiste veut faire triompher. Par la disjonction, l’historien rompt les rapports qui unissent deux faits, tant6t pour nous donner une cause erronée (ainsi, il attribue la barbe mal rasée du Téméraire a la maladie et a la neurasthénie, alors qu’elle doit étre mise au compte de la volonté farouche de se venger des Suisses), tantét pour masquer l’enchainement du réel. Technique fort ancienne, et dont Jean Grandmougin a écrit: « Deux nouvelles qui, rapprochées, s’éclaireraient, on les écarte. On les éparpille dans le bulletin de telle sorte qu’a aucun moment l’auditeur n’ait l’idée d’établir un rapprochement » 109, Un exemple nous semble particuliérement probant. Ne remarque-t-on pas que, lorsque Commynes est envoyé en Poitou, d’abord, il ne donne pas les raisons de cet éloignement ; et qu’ensuite, il cherche a dissimuler la réalité de la disgrace ? C’est pourquoi Calmette 1°! pense que le chroniqueur fut écarté momentanément a cause du désaccord qui s’éleva entre lui et son maitre sur la succession de Bourgogne. N’est-il pas difficile d’admettre qu’un ministre tout-puissant, zélé et habile, ait été exilé par un souverain aussi avisé que Louis XI pour une simple divergence sur une question tactique? De plus, comme nous l’avons signalé, méme aprés son retour auprés du roi, Commynes n’effectuera plus de mission dans le Nord. En réalité, il semble que Calmette ait adopté le point de vue que l’auteur a voulu nous imposer par une habile disposition des faits dans les chapitres XI, XII, et XIII du livre V.

100 Le développement’ des avril 1962, pp. 90-91,

moyens

d’expression,

101 Ed. des Mémoires, t. Il, p. 173, n. 2.

dans

Prospective,



9,

LES DISJONCTIONS

153

1°. — Commynes est envoyé en Picardie et en Artois, en compagnie de !’amiral de France aussit6t aprés qu’a été connue la mort du Téméraire : si échec il y a, la responsabilité n’en doit pas retomber sur lui seul. I] énumére, avec désinvolture, quelques succés faciles 4 Abbeville et a Doullens. S’il ne réussit pas 4 gagner Arras au roi, il a le mérite, comme ses compagnons, d’avoir prévu un échec partiel et de ne pas s’€tre laissé emporter par son imagination, évaluant le réel et ses possibilités. En effet, avec quelques personnages de moindre envergure, il se présente seul aux portes de la ville, l’amiral qui était avec lui le chef de cette ambassade ne l’accompagnant pas (Il, 164); les conversations ne se prolongent pas et les propos demeurent empreints de moderation, car il s’attendait 4 ce que lui fussent opposés et les droits de Marie de Bourgogne sur |’Artois, et les tréves de neuf ans conclues

entre le roi et le duc défunt (p. 165). Echec que compense, d’ailleurs, le ralliement du futur premier président du Parlement de Paris, Jean de La Vacquerie, porte-parole des Bourguignons (p. 164), et de certains notables (p. 165). C’est, nous dit-il, la raison qui l’a poussé a se rendre « ausdictz lieux » : il voulait parler avec des ennemis pour les amener a changer de camp. Réussite totale, dont le mérite lui revient. Il importe d’étre trés attentif aux termes qu’il emploie: « J’en parlay a aucuns qui tost aprés furent bons serviteurs du roy» (p. 165). La locution tost aprés indique qu’il y a un lien de cause a effet entre les conversations et le ralliement d’aucuns. Cet indéfini a été choisi a dessein, car il peut recouvrir le plus autant que le moins, le nom de Philippe des Cordes, dont la défection porta un coup sensible 4 la cause bourguignonne et assura, plus tard, au roi la possession d’Arras, comme celui de personnages moins illustres. L’adjectif bons suggére que ce résultat fut définitif, alors que le prince d’Orange 1°? repassera a l’adversaire, rejetant dans la dissidence une bonne partie du duché de Bourgogne. Le pronom je signale qu’il est le principal artisan de cette adroite opération. L’auteur insiste ensuite sur la terreur des provinces de l’Etat bourguignon (p. 163) qui contraste avec leur arrogance passée (pp. 163164). Dans ce chapitre, par la mise en valeur de ses réussites, partielles ou futures (sans quitter le ton de la modestie) tout autant que de sa lucidité, par un court développement sur les bienfaits de Vhumilité (pp. 165-166), par la présentation de l’argumentation des partisans de Marie, notre écrivain a su masquer son échec a Arras dont le ralliement était sans doute l’essentiel de sa mission,

2°, — Le chapitre XII interrompt le récit et introduit une digression sur la joie délirante de Louis XI, évoquée déja au chapitre X, et qu’explique V’élimination compléte de ses ennemis, énumérés avec complai-

sance (pp. 166-167). Il en détaille les raisons, mais aussi les facheuses conséquences.

Car

Louis

XI

renonga

a sa premiére

idée qui était !a

102 T. II, pp. 204-205, 260 sq. 11

154

LES

DISJONCTIONS

plus sage (celle d’un mariage et d’une alliance entre France et Bourgogne qui auraient entrainé une annexion facile et compléte de toutes les importantes possessions du Téméraire sur lesquelles il n’avait aucun droit), idée qu’il prénait encore huit jours avant la mort du duc (p. 168), et qu’il rejeta sans consulter personne (p. 169). Tout un chapitre est destiné a expliquer et a critiquer les erreurs du souverain sur ce grave probléme. S’il y a faute et échec il faut en accuser Louis XI et non pas Commynes. 3°. — Le roi retrouva son chambellan prés de Péronne. Aucun signe de défaveur, puisqu’il l’invite 4 sa table, comme 4 |’accoutumée (p. 170) — ce traitement n’étant en rien exceptionnel, car le souverain dinait toujours en compagnie de familiers, sept ou huit pour le moins, et quelquefois beaucoup plus. Pourquoi cette derniére mention ? Commynes signale une habitude de son maitre pour rendre vraisemblable et convaincant un détail qu’il lui est utile de révéler. Cependant, Louis XI est peu satisfait, nous dit le chroniqueur « du petit exploict que ledict monst l’admiral et moy avyons fait». Remarquons que |’échec devient, sous la plume du mémorialiste, « un petit exploit », ce mot n’ayant pas, bien entendu, le sens moderne, mais celui d’ « action menée a bien, de résultat » ; qu’il le partage avec l’amiral qui pourtant ne rencontra pas les porte-parole du parti bourguignon ; qu’il ne semble pas que Louis XI lui en tint rigueur. Donc, l’insuccés sur l’essentiel n’est mentionné que deux chapitres aprés que l’auteur nous a raconté sa mission. Premiére disjonction. 4°. — De plus, immédiatement (pp. 170-171), passent au premier plan Olivier le Dain, Robin d’Oudenfort, Jean Du Lude. Réapparaissent les griefs contre le roi: il s’est laissé griser par la victoire, il a repoussé la solution de la sagesse, il a suivi l’avis de piétres conseillers et l’emportement de sa passion, il a mauvaise conscience car il essaie de persuader Commynes. Conclusions: 1°) le prince céde a sa haine et se trompe ; 2°) son chambellan reste fidéle 4 la raison ; 3°) ils se trouvent en désaccord sur la solution a apporter 4 ce probléme; 4°) de nouveaux serviteurs orientent la politique royale et sont responsables de la faillite. Autrement dit, le seigneur d’Argenton, seul contre tous, est sensé, En outre, il nous invite 4 découvrir a l’origine de sa disgrace une raison fort honorable pour lui.

5°. — Digression sur la sagesse du roi (pp. 171-3), que nous avons déja analysée. C’est le plus subtil des princes de son temps, mais Dieu, aux yeux de qui les belligérants n’ont pas encore mérité le bienfait de la paix, le dispose a opter pour le plus mauvais parti. La faute demeure, mais le « grant sens» de Louis XI est sauf. De nouveau, des thémes connus : avant de choisir, il faut réfléchir et le roi ne l’a pas fait; il ne s’agit pas de le blamer, il ne le mérite pas, et d’autres, sensés et compétents, ont approuvé ; les chroniqueurs se contentent de louer, Commynes rapporte l’exacte vérité ; les plus sages se trompent. Parvenu au terme de ses réflexions, l’auteur a prouvé et qu’il était véridique, et

LES DISJONCTIONS

155

qu’il admirait la sagesse du souverain, et que, sur cette affaire, ce n’est pas lui qui s’est trompé. On a oublié l’échec d’Arras. 6°. —

C’est alors qu’il nous

dit qu’il est envoyé en Poitou

«et sur

les frontiéres de Bretaigne » (p. 173). Mais les Mémoires tendent encore

a masquer la disgrace du favori: son maitre lui parle «en Il’oreille », lui confie ses projets, prend bonne note de ses derniéres recommandations, tient les promesses que Commynes a faites en son nom: « Je luy recommanday aucuns, lesquels s’estoient tournéz de son party par mon moyen, par quoy leur avoye promis pensions et biensfaictz de luy. Il en print de moy les noms par escript, et leur tint ledict seigneur ce que je leur avoye promis » (pp. 173-174). C’est une maniére, aussi, de rappeler ses services et ses réussites. Donc deuxiéme disjonction : Yéloignement n’est pas lié a l’échec. 7°. — Portrait-charge de Jean du Lude (p. 174), qui ne sait mener a bien les tractations avec un chevalier hennuyer (pp. 174-175). Comportement ridicule et échec total d’Olivier le Dain 4 Gand (ch. XIV, pp. 177-181). De ce récit fragmenté, riche en anecdotes, digressions, jugements et remarques, que ressort-il ? A. — Que l’insuccés de notre auteur apparait bien minime, compensé par des réussites indéniables et comparé aux lourdes fautes du roi, de ses conseillers, de ses ambassadeurs. B. — Que l’exil poitevin semble imputable a un désaccord sur la succession de Bourgogne, a la folie passagére du souverain, a l’influence pernicieuse du seigneur du Lude, c’est-a-dire a trois causes qui n’impliquent de la part de Commynes ni démérite, ni échec. Il est vraisemblable qu’il a été éloigné de la Cour parce qu’il n’a pu assurer a la France la possession immédiate d’Arras et que sa conduite a paru suspecte 4 son maitre. Dés lors, on comprend que le chroniqueur soit plut6t sévére a l’égard de Philippe de Crévecceur 1° qui refusa de lui ouvrir les portes d’Arras et causa ainsi sa disgrace, mais, un peu plus tard, traita avec Louis XI et lui remit, outre cette ville, Hesdin et Boulogne (p. 184). Mais Commynes est assez adroit pour suggérer qu’il a été pour quelque chose dans le ralliement du grand dignitaire bourguignon. I. — Le seigneur d’Argenton est particuliérement habile a détourner notre attention, a nous éloigner de certains faits, 4 user de la diversion. Nous avons vu comment il a expliqué et excusé son passage au roi qu’une seule ligne suffit 4 annoncer. Aussit6t aprés, il signale qu’avant lui, se sont ralliés les serviteurs du duc de Guyenne, et il use d’une

103 Voir la Destruction des mythes..., ch. 1, 3° partie. Autre exemple : la disgrace sous Louis XII. Commynes ne nous donne aucune raison. D’autres passages, disséminés dans |’ceuvre, indique qu’il s’opposa a plusieurs reprises

aux desseins du futur roi, alors duc d’Orléans.

156

LES

DIVERSIONS

formule généralisante et vague, la plus grand part, mise en relief a la fin de la phrase: il consacre plus de trois pages a la défection de Lescun. Les exemples abondent. Le plus net est relatif au périple qui, par la cour de France, conduisit notre mémorialiste en Bretagne et en Espagne, durant l’été 1471, et spécialement pendant le mois d’aofit 1%. Dans les Mémoires, il fait allusion aux états d’Abbeville que le duc de Bourgogne tint le 22 juillet 1471 1°. Devrait alors chronologiquement, prendre place le récit du voyage de Commynes. Mais une premiére digression 16 critique le Téméraire : il accabla ses peuples d’impdts 1% ; il dupa les prétendants a la main de sa fille; il tomba dans la mégaJomanie ; hardi, endurant, puissant, il fut bien inférieur au roi en sens et en malice. Un deuxiéme développement, trés long 198, sans raison déterminante, rappelle les luttes intestines en Angleterre. Prudent, l’historien en justifie d’abord : il ne s’astreint pas a suivre l’ordre des chroniques, ni a respecter scrupuleusement la chronologie, ni a préciser les dates ; il se borne a raconter, au fur et 4 mesure qu’ils lui reviennent a la mémoire, les événements et les faits saillants ou significatifs dont il a été le témoin, ou dont il a eu connaissance, ou enfin que lui ont rapportés les protagonistes de ses Mémoires. A. Cato, pour qui il dicte ses souvenirs,

étant contemporain

de ces différents

épisodes,

il est inu-

tile de «si trés justement vous dire les heures ni les raisons» 19, Il s’efforce ensuite de brouiller la chronologie pour nous amener a oublier que nous sommes en aofit 1471. En effet, il €voque successivement le

mariage du Téméraire (1468), la fuite de Warwick (avril 1470), la premiére ambassade a Calais (avril 1470), la chute d’Edouard IV (septembre 1470), une nouvelle mission 4 Calais (octobre 1470), le retour triomphal d’Edouard IV en Angleterre (mars 1471), les batailles de

Barnet (14 avril 1471) et de Tewkesbury (4 mai 1471). Il semble donc finir par revenir a ce mois de juillet: Le dernier endroit oi1 je me suis teu de noz affaires de par deca a esté au département que feit le duc de Bourgongne de devant Amyens et aussi du roy qui, de son costé, se retira en Touraine, et le duc de Guyenne,

son frére, en Guyenne.., 110

Mais survient une troisiéme digression (les manceuvres

des uns et des

autres au sujet du mariage de I’hériti¢re bourguignonne) 111, sur laquelle

104 Ed. DUPONT, t. III, pp. 1 sq.

105 T. I, p. 188, OST .L, peet BO:

107 Ibid. : «... quant il se trouva cing cens hommes d’armes, la voulenté luy vint d’en avoir plus et de plus hardiment entreprendre contre tous ses voysins, et les six vingtz mil escuz feit monter jusques a cinq cens mil et creut

de gens d’armes en grant quantité, dont ses seigneuries ont eu bien a souffrir, » 108 T. 1, pp. 190-217. : 200 (°T. .hoxfe41 90,

110, T1218, 111 [bid.

LES DIVERSIONS

157

s’en greffe une quatriéme, qui traite des négociations et des ambassadeurs 12. L’auteur éprouve encore le besoin de prévenir les critiques: Jay esté ung peu long a parler de ces ambassadeurs

et comment

on y

doit avoir l’ceil, mais ce n’a point esté sans cause, car j’ay veu faire tant de tromperies

et de mauvaistiéz

soubz telz couleurs que je ne m’en suys

peu taire ny passer 4 moins 113, Il reprend alors ses thémes favoris: les promesses fallacieuses du Téméraire, les menées des princes contre le roi. A l’aide de formules vagues, telles qu’ « a l’heure dont je parle» 114, « en cette saison dont nous parlons » 145, «en ce temps dont je parle» 16, il passe insensiblement de 1471 4 1472, pour raconter enfin la maladie et la mort de Charles de France, annoncée au duc le 15 mai 1472. La mémoire de Phistorien devient trés fidéle, et il donne des précisions dont il faisait fi trente-cing pages plus haut: Lendemain, qui fut le quinziesme de may, !’an mil quatre cens LXXII, comme il me semble, vindrent lettres de Simon de Quingy, lequel estoit devers le roy ambassadeur pour ledit duc de Bourgogne, contenans comme

ledict duc de Guyenne estoit trespassé 117, Ces hors-d’ceuvre ont permis d’éliminer tout l’été de 1471, et surtout le fameux voyage au cours duquel se négocia la trahison, qui est au coeur et a la racine de la pensée et du subconscient de Commynes. Méme attitude, quand il raconte son retour a la cour, le 12 décembre 1495, aprés une malheureuse ambassade a Venise et a Milan. Comment escamoter cette vaine tentative ou la réduire le plus possible? D’abord, une phrase neutre: ... « du tout feiz mon rapport au roy » 118 ; et, tout de suite, les responsabilités de la faillite sont rejetées sur le pitoyable Charles VIII, négligent et débauché, « qui lors y estoit, entendant a faire bonne chére et joustes; et de nulle aultre chose ne luy challoit». Apparait alors l’idée d’un réglement de comptes entre factions opposées: les jusqu’auboutistes sont heureux de l’échec, qui se mue en une tromperie dont Commynes n’a pas été la seule victime; ceux qui ont été hostiles 4 la paix de Verceil trouvent une revanche dans «la tromperie que nous avoit faict le duc de Milan», et leur autorité devient encore plus grande. Le cas personnel de |’auteur disparait derriére une observation a valeur générale sur le comportement habituel des courtisans: ... «et me lavérent bien la teste, comme on a accoustumé faire és cours des princes en cas semblables ». Les atta-

112 Us 114 115 116 117 118

T, I, pp. 218-221. 7, J, py221. [bid., p. 223. [bid, p. 224. [bid., p. 225. [bid., p. 226. T, III, p. 253.

158

LES

DIVERSIONS

ques qu’il subit ne s’expliquent pas tant par l’insuccés que par les jalousies de ses rivaux. De plus, par deux fois, il renouvelle au roi offre des Vénitiens qui efit permis d’atténuer le désastre ; mais Charles VIII ou bien n’écoute pas, ou bien s’en remet au seul cardinal de Saint-Malo. Pour finir, une digression sur la nécessité pour les princes de conduire eux-mémes leurs affaires et d’avoir plusieurs conseillers. On ne peut reprocher 4 Commynes d’avoir complétement passé sous silence son échec ; quelques mots le suggérent : tromperie, laver la teste, marri. Mais, a quatre reprises, dans ce court passage, il a ramené notre attention sur le souverain et le cardinal de Saint-Malo qui patissent le plus de ce compte rendu. De méme encore, avant la paix de Verceil, le mémorialiste parle de la venue probable d’un grand nombre de Suisses qui eussent changé Véquilibre des forces en présence en faveur de la France; ce qui était un argument de poids a opposer aux partisans de la négociation. Aussi est-il immédiatement question, en premier lieu, de « l’extresme famyne » qui sévissait 4 Novare et qui interdisait d’attendre des renforts: deux mille hommes étaient morts de faim ou de maladie, les survivants étaient si maigres « qu’ilz sembloient myeulx mors que vifz» ; jamais famine ne fut plus atroce depuis le si¢ge de Jérusalem ; en second lieu, de la faute initiale du duc d’Orléans qui n’eut pas la sagesse de « vouloir mettre les bledz dedans, qui estoient a l’envyron de ladite ville quant premier ilz la prindrent» 19, Dernier exemple: le Téméraire mort, l’auteur explique comment Louis XI corrompit l’entourage d’Edouard IV. II s’étend sur le cas de Hastings 12°, car il fut mélé avantageusement aux tractations ; ensuite, quand il évoque les manceuvres de son maitre, il ne cite plus personne, alors que l’évéque d’Elne, Charles de Martigny, sut habilement, de 1477 a 1480, gagner du temps et empécher la conclusion d’une alliance anglo-autrichienne, comme 1|’a montré Calmette dans son ouvrage sur Louis XI et ’ Angleterre 121, J. — Plut6t que de forger de toutes piéces des faits fictifs dont il est facile de déceler la fausseté, Commynes s’efforce d’empécher son lecteur d’apprécier un événement dans le moment méme oi il s’est produit. Aussi, avant la révélation des succés de ses adversaires ou de ses propres échecs, introduit-il des indications qui servent soit A compenser, soit a expliquer une réussite qui le géne, ou un revers dont il souffre encore.

119 T. III, pp. 236-237. 120 T. II, pp. 242 sq. 121 Pp. 228-245. Commynes confesse son échec auprés de Ludovic le More en novembre 1495. Mais il rejette une partie de la responsabilité sur le prési-

dent de Gannay

et le maréchal

de Gié. De plus, il explique l’attitude

du

Milanais par les paroles de menaces proférées contre lui par le comte de Ligny et Briconnet ; c’est, en fait, leur imputer l’insuccés (t. III, pp. 245-246).

LES COMPENSATIONS

159

Nous avons dit qu’a Brusthem, Charles de Bourgogne se comporta comme un grand chef de guerre et Olivier de la Marche le souligne 122, Le chroniqueur, qui ne peut le nier, minimise cette réussite en notant d’entrée de jeu que jamais le duc ne sut ordonner une armée excepté ce jour-la. A Montlhéry, il l’a certes emporté; mais ce succes lui a cofité bien cher, par la suite; en outre, l’auteur indique que le seul avantage du Téméraire a été de rester maitre du champ de bataille 123, alors que M. Perroy a prouvé qu’une partie de l’artillerie royale tomba aux mains des Bourguignons 124, Quand Commynes veut dissimuler son demi-échec 4 Florence en 1478, ot il ne put assurer l’avantage sur ses ennemis a Laurent de Médicis, il commence par un récit fortement dramatique de la tentative et de l’insuccés des Pazzi 125, Il insiste, ensuite, sur a Milan, ou les dirigeants dés, tant pour plaire au fidéles : sur-le-champ, ils la suite, ils en envoyérent

l’accueil chaleureux qu’il recut en Savoie et accordérent sans rechigner les secours demanroi que pour accomplir leur devoir d’alliés fournirent trois cents hommes d’armes et, par encore d’autres 126,

Il évoque la situation de Florence pour opposer la puissance des ennemis a la faiblesse des médicéens. D’un cdté, les armes spirituelles (le Pape a excommunié les Florentins) ; les forces conjuguées de Naples et de Rome: une armée « belle et grosse», composée de soldats de qualité; la prise de plusieurs places dont la Castellina, non loin de Sienne ; de grands chefs de guerre, a la compétence soulignée par des adjectifs élogieux, dont le chroniqueur énumére les plus illustres (Frédéric d’Urbin, « grant saige homme et bon capitaine », R. de Malatesta qui « puis a esté grand homme », Costanzio Sforza, prince de Pesaro, Alphonse d’Aragon et son frére Frédéric) et dont il étend le nombre par deux formules généralisantes : et plusieurs autres, et grant nombre de gens

jeunesse

de bien 127, De l’autre, l’inexpérience,

et l’entétement

de Laurent

le manque

de lucidité,

la

et de ses conseillers 128; de rares

122 Voir la Destruction des mythes..., ch. li, 3° partie.

123 T. I, p. 37. 124 Dans la Revue historique, t. CXLIX, 1925. ; 125 T. II, pp. 269-271. 126 [bid., pp. 271-272 : «... Et de la allay a Millan, ou pareillement sejournay deux ou troys jours pour leur demander des gens d’armes pour secourir

lesdits Florentins, desquelz estoient allyez pour lors, ce que liberallement ilz accorderent, tant a la requeste du roy que pour faire devoir. Et des lors fournirent troys cens hommes d’armes et depuys en envoyerent encores d’autres. »

127 Ibid.

p. 272 : «Et pour conclusion

de ceste matiere, le pape envoya

excommunier les Florentins, ce cas incontinent advenu, et envoya aussi l’armee quant et quant, tant de luy que du roy de Naples, laquelle armee estoit belle et grosse et grand nombre de gens de bien. Ils misdrent le siege devant la Chas-

tellenye, pres de Sene, et la prindrent, et plusieurs autres places... Ainsi pre. noyent toutes les places qu’ilz assiegeoient. » 128 Ibid. : «... ilz avoyent esté longtemps sans guerre ny ne congnoissoyent

leur peril. Laurens de Medicis, qui estoit chef en la cité, estoit jeune et gou-

verné de jeunes gens. On se arrestoit fort a son oppinion propre. »

160

;

LES

COMPENSATIONS

chefs de valeur, peu de soldats 129 ; bref, un avenir fort sombre: ... « et fut grand aventure que de tous poinctz lesditz Florentins ne furent detruictz » 130, Le demi-succés de la mission est atténué, d’abord, par le recours a quelques mots modestes, qui soulignent l’exiguité des moyens dont disposait Commynes: l’appui de Louis XI fut de quelque utilité au camp des Médicis («La faveur du roy leur feit quelque chose »), bien que le mémorialiste efit voulu apporter une aide plus substantielle a ces alliés et amis, mais il n’avait point d’armée avec lui, et seulement une escorte 181, I] est, ensuite, éloigné de l’esprit du lecteur par les notations finales, consacrées aux marques d’estime que prodiguérent a l’ambassadeur et les Florentins: ne fut-il pas «trés bien traicté d’eulx et a leurs despens, myeulx le dernier jour que le premier» ?; et les Milanais, dont il recut, au retour, l’hommage pour Génes; et Louis XI qui l’accueillit avec une chaleur exceptionnelle, marquée par le redoublement de l’expression (...me feit bonne chére et bon recueil) et qui le mit au courant de ses affaires et l’invita méme a coucher dans sa chambre. A ce moment, l’auteur, craignant de s’étre trop découvert, ajoute, avec cette humilité qui a abusé plus d’un lecteur, qu’il n’était pas digne d’une telle faveur et que d’autres, plus que lui, la méritaient, tandis que dans les chapitres précédents, il s’est efforcé de mettre en évidence la médiocrité des nouveaux conseillers de son maitre. Quelles conclusions retirons-nous de ce récit? 1°) D’une part, une série de réussites partielles, 4 la satisfaction de tous ; 2°) de l’autre, dans une situation quasi désespérée, le chroniqueur a su empécher le pire. Nous en oublions que, ce dernier rentré en France, le probléme demeurait entier pour Laurent le Magnifique. Comment ne pas voir aussi que la description enthousiaste des réalités vénitiennes, qu’il a certainement admirées, sert 4 masquer l’échec final de son ambassade ? En effet, aprés avoir signalé leur force, leur

sens et conduite (toutes les conditions de la réussite sont donc réunies), le seigneur d’Argenton s’étend, pendant trois pages, sur la fastueuse réception qui lui fut réservée 132, sur la grandeur 183, la richesse, la piété 434, la sagesse de la Seigneurie de Venise 135, pour suggérer que, contre un tel adversaire, il efit fallu, pour triompher, que Charles VIII et son ambassadeur conjuguassent leurs efforts, alors que seul celui-ci se dépensa sans compter, et le plus souvent en vain. Habileté identique pour rendre compte de sa seconde mission dans la cité des doges. Avant d’indiquer que les Vénitiens refusérent de

129 Ibid. : « Ilz avoyent peu de chefz et leur armee

130 bid.

tres petite. »

131 /bid., p. 273 : «... je n’avoye point d’armee pour leur ayder, mais seulement j’avoye mon train. »

132 133 134 1385

T. III, pp. 107-108., Ibid., p. 108. [bid., pp. 108-111. Jbid., pp. 114-114.

LES COMPENSATIONS

161

prendre en considération les offres francaises, il exalte de nouveau leur piété exemplaire : pendant trois jours, ils organisérent des processions générales, distribuérent sans lésiner des aumdnes, ordonnérent des prédications publiques; ils demandérent a Dieu, dans leurs priéres, de leur accorder la grace de prendre la meilleure décision; et Commynes apprit qu’ils avaient l’habitude de procéder ainsi, toutes les fois que Se présentait un cas semblable, en sorte qu’il est amené a conclure qu’il n’a jamais

vu

de ville

« plus

reverente...

aux

choses

ecclesiastiques »,

ni dont les églises fussent plus richement ornées et parées 136, J] établit une comparaison entre les Romains et eux. Sur le chapitre de la piété, ils sont sensiblement égaux 4 ces illustres devanciers, et leur grandeur vient de la, « digne de augmenter plus tost que de appetisser ». Ce qui nous invite 4 penser qu’ils se sont assuré les faveurs divines et que leur conduite politique est la plus sage possible. Conclusion: il est

normal, et excusable, qu’ils aient rejeté les ouvertures de l’ambassadeur et que celui-ci ait échoué. Notre mémorialiste revient a la charge pour préciser longuement 187 que toutes les portes n’étaient pas fermées, et qu’il rapporta a Charles VIII une proposition secréte de la Seigneurie qui, acceptée, efit préservé les intéréts francais en Italie. Et l’on peut saisir sur le vif un autre procédé cher au seigneur d’Argenton, la disproportion: quatre lignes pour le refus (et, partant, l’échec), plus d’une page pour les contre-propositions secrétes que le roi dédaigna d’examiner. K. — II est hors de doute que Commynes a commis des erreurs de chronologie. Un historien aussi bienveillant que Calmette le reconnait: Ce que l’on peut dire seulement, c’est que, se livrant a4 la spontanéité de ses souvenirs, et n’ayant aucun élément d’information ou de contrdle, Commynes laisse parfois échapper des inexactitudes. Pour le surplus il ne se met guére en peine de précisions chronologiques et se contente aisément d’approximations fort larges 188,

Et Huizinga, qui accorde que notre auteur n’exagére pas le nombre des tués dans une bataille, remarque que « Commynes lui-méme n’est pas exempt d’inexactitudes surprenantes. Souvent, il multiplie par deux un certain nombre d’années » 189, Le chroniqueur lui-méme, a plusieurs reprises, s’excuse d’une chronologie un peu flottante et nous incite a minimiser ses inexactitudes. L’essentiel, nous dit-il, est de ne pas commettre d’erreur sur le fond; le reste n’est que broutilles (un écart d’un mois, ou de plus, ou de moins) qu’il demande aux lecteurs de lui par-

136 Jbid., p. 248. 137 Ibid., pp. 248-249. 138 Ed. des Mémoires, t. I ,p. XVI, fin de la note.

139 Le déclin du moyen age, p. 294.

;

162

LES ERREURS

DE CHRONOLOGIE

donner 149; et nous avons vu, il y a peu, qu’il ne se préoccupait pas de préciser les dates des événements qu’il relate!#4. Se pose alors un probléme qu’il serait dangereux d’éluder: ces inexactitudes sont-elles toutes, comme le suggére le mémorialiste, involontaires, ou bien retouche-t-il, de temps a autre, plus ou moins consciemment, la chronologie, pour acérer ses traits ? Il est des erreurs et des imprécisions qui, sans aucun doute, ont échappé a l’auteur. Il allonge de douze ans la domination des Florentins sur les Pisans 142, Ces derniers, subjugués le 9 octobre 1406, se révoltérent, avec l’active complicité des Francais, en novembre 1494; or les Mémoires parlent de « quelque cent ans». Il affirme 14% que, lorsque les troupes bourguignonnes arrivérent devant Liége le 26 octobre 1468, la cité rebelle « tousjours estoit en sentence d’excommuniement ». Cependant, le légat du Pape avait relevé les Liégeois de l’excommunication dés le 8 mai. Dans ce cas, c’est sans doute son hostilité a Pégard de ce « fol peuple» (c’est l’expression qu’il vient d’employer) et de cette bourgeoisie turbulente qui le pousse, inconsciemment, a ageraver leur cas et a expliquer ainsi leur échec: ne faut-il pas, selon lui, mettre de son cété Dieu par une soumission totale 4 ses commandements comme a ceux de son Eglise? Il prétend que Warwick, en 1471, n’attendit pas l’arrivée de ses alliés pour livrer bataille, car il craignait le duc de Somerset dont il avait exécuté le pére et le frére 144, Or le premier fut tué 4 Saint-Albany, le 23 mai 1455, et, bien que Warwick commandat les troupes qui lui étaient opposées, il ne fut pas personnellement responsable de sa mort 145, Quant au second, il périt 4 Tewkesbury, le 4 mai 1471, et Warwick mourut a la bataille de Barnet, plus de quinze jours avant, le 14 avril 1471. Mais ici encore Commynes n’est-il pas enclin, par un pessimisme foncier, a noircir le tableau et 4 suggérer, ou a démontrer, que les amis d’aujourd’hui étaient hier des ennemis mortels et que, du jour au lendemain, ils peuvent le redevenir, et s’entretuer, en sorte que régne toujours la méfiance ? Autres exemples: il place au début de 1496 la mort du dauphin survenue le 6 décembre 1495146; il dit que Louis XI aurait commencé a intriguer pour retourner en France quatre ou cing jours aprés la prise de Liége qui tomba le 30 octobre 1468147; or le roi quitta la cité

140 T. II, p. 258 : «Il me suffist de ne faillir point a la substance, et si je faulx aux termes comme s'il leur plaist. »

141 142 143 144

T, 7, T, T,

d’ ung moys, peu ou moins, les liseurs m "excuseront

I, p. 190, lil, p. 58. I, p. 147. : p. 216.

145 Ed. ‘DUPONT, t. I, p. 262, note. 146 T, III, p. 261. Voir MANDROT, éd. des Mémoires, t. II, p. 343, n. 1.

147 T. I, p. 164.

LES

ERREURS

DE

CHRONOLOGIE

163

conquise dés le 2 novembre 148, I] serait facile d’accumuler d’autres preuves, ne fiit-ce qu’en rassemblant et en analysant les notes nombreuses que nous offrent les précieuses éditions d’E. Dupont, de Mandrot et de Calmette. Toutefois, d’autres inexactitudes sont plus suspectes. On ne saurait les attribuer exclusivement 4 l’éloignement dans le temps ou a une défaillance de la mémoire. Ainsi, le seigneur d’Argenton vieillit ses personnages pour les mieux critiquer. Alors que Charles VIII n’a que 16 ans, il écrit: ... « le roy estoit ja de dix neuf ans ou plus » 149, C’est lui refuser, en partie, les circonstances atténuantes, bien qu’ailleurs, il prétende les lui accorder. L’emploi de jd et de ow plus confirme notre hypothése. Pour souligner l’inconsistance et la stupidité de ce fantoche que fut Charles de France, il lui ajoute plusieurs années. C’était, nous dit-il, un homme qui ne faisait rien, ou a peu prés rien, par lui-méme, manié et conduit par d’autres, bien qu’il efit 25 ans ou plus 1°, Or ce dernier était né le 28 décembre 1446 et nous sommes, a ce moment du récit, en 1468. Quand des courtisans forment des projets de mariage pour Marie de Bourgogne, il est question du dauphin de France qu’on écarte, parce que, d’aprés certains, il est trop jeune, et Commynes précise: il « n’estoit que de neuf ans ou environ » 151, Remarquons, en passant, qu’il accompagne souvent les chiffres d’une formule de ce genre: « ou plus», «ou moins», «ou environ». Prudence instinctive, certes, mais aussi besoin de se prémunir contre d’éventuelles critiques. Toujours est-il qu’a cette date, en 1477, le futur Charles VIII avait exactement 7 ans. Pourquoi ce léger vieillissement ? Pour répondre a une objection (la trop grande différence d’Age entre I’héritier royal et la Bourguignonne) que l’on adressait aux partisans de cette union, et le mémorialiste était Yun d’eux. Dernier exemple: veut-il stigmatiser Ferrand II] de Naples, qui épousa «la fille de son grant pére, le roy Ferrande (qu’il avoit de la seur du roy de Castille de present regnant, et si estoit seur du roy Alphonce, son propre pére) » 152? Il rajeunira Jeanne d’Aragon qui, agée de 17 ans, apparait, dans les Mémoires, vieille seulement de «treize ou quatorze ans». Aprés avoir dénoncé la proche parenté et le jeune age de la, princesse, il peut s’écrier: « Ce me semble horreur de parler d’ung tel mariage...» Par un rapprochement (abusif) de dates, il associe des personnages. Ici, Charles VIII et Isabelle d’Espagne, trépassés, note-t-il, « en troys moys d’espace » 153, alors que le premier décéda le 7 avril 1498 et la

148 Ed, MANDROT, t. I, p. 168, n. 1.

149 150 151 152 153

f

Voir la Destruction des mythes..., ch. 5, 2° partie. T. I, p. 170. T. II, p. 250. T. Ill, p. 270, T. Ill, p. 301.

164

LES ERREURS DE CHRONOLOGIiz

seconde le 24 aofit. Mais ainsi il illustre une idée qui lui tient a coeur: les grands princes, qui passent leur vie 4 se tourmenter, a se contrecarrer, a se nuire, a former d’ambitieux projets, a ne savoir se limiter, connaissent, pour finir, un sort commun, le sort de tous, frappés par la vengeance de Dieu qui dispose d’eux a sa guise, plus puissant qu’ils ne le sont par rapport a leurs sujets. La, Savonarole et Charles VIII, morts «a quatre ou cing jours distant l’un de l’autre » 154, en réalité avec un mois et demi d’intervalle. L’auteur se plait a rapprocher leurs fins, car le premier, qui expliqua par la protection divine les succés francais au cours de l’expédition d’Italie, avait prédit que Dieu punirait cruellement le souverain s’il ne repassait les Alpes pour chasser les tyrans et réformer l’Eglise a la pointe de l’épée, ou s'il n’empéchait pas ses gens de se livrer au pillage, et que « la sentence estoit donnée contre luy au ciel » 155, Cependant, n’y a-t-il pas aussi une légére attaque contre

le dominicain,

auquel

ailleurs

il est plutdt

favorable,

mais

qui,

malgré son talent de prophéte (n’a-t-il pas annoncé « maintes choses vrayes », la mort du dauphin et du roi ?)15®6 ne sut pas prévoir sa propre fin 157? Selon le chroniqueur, qui. se plait a souligner 1l’instabilité de la condition humaine en général et princiére en particulier, cing rois se succédérent en moins de deux ans sur le tréne de Naples: Ferrand I, Alphonse, Ferrand II, Charles VIII, Frédéric 158, En réalité, du 15 janvier 1494 au 7 septembre 1496, il s’écoula plus de deux ans et demi. Le Téméraire, nous disent les Mémoires, arriva sous les murs de Nancy le lendemain, ou, au plus, deux jours aprés que la garnison bourguignonne eut rendu la place aux soldats de son ennemi René II 159, En fait, le duc, parti de son camp de La Riviére le 25 septembre 1476, parvint a Toul le 11 octobre et Nancy était tombé aux mains des Lorrains le 6. Maniére d’insinuer qu’un trés léger contretemps, voulu par Dieu, a changé la face du monde. Ou encore, a en croire V’historien 1, trois semaines seulement séparérent les défaites de Granson et de Morat; en réalité, la premiére eut lieu le 2 mars et la seconde le 22 juin 1476. Veut-il enfin démontrer que la cruauté attire un chatiment immédiat ? A propos de Contay qui s’était prononcé pour l’exécution des otages liégeois, il écrit : « Ce jour (c’est-a-dire 4 Brusthem, le 28 octobre 1467) ayda bien a donner l’ordre le seigneur de Contay, lequel peu de jours 154 T. Ill, p. 309. 155 [bid. 156 T, Ill, p. 311. 157 Voir encore les arréts de l’incapable Charles VIII 4 Sienne (6 ou 7 jours

selon Commynes, 4 en réalité du 13 au 17 juin 1495), a Pise (6 ou 7 jours

d’aprés les Mémoires,

i €

4 en

fait, du 20 au

23 juin);

la garnison

de Sienne

pendant des semaines : elle ne fut done pas chassée « avant ung moys

lat.

158 T. Ill, p. 86. 159 T. Il, p. 134. 160 T. II, pp. 122-123.

f

LES

ERREURS

DE

CHRONOLOGIE

165

apres mourut en la ville de Hu et eut assez bonne fin. Et avoit esté vaillant et Sage ; mais il dura peu aprés ceste cruelle oppinion qu’il avoit donnée contre les Liegeoys ostaigiers, dont avez ouy parler cy dessus » #61. Wavrin nous apprend 162 que Contay mourut a Bruxelles le 19 décembre. Pour aggraver les malheurs du dauphin Louis qui symbolise tous les grands de ce monde, d’un cété, il le rajeunira, disant qu’il participa a la Praguerie contre son propre pére a l’Age de treize ans 16, ou méme, selon un autre passage 14, d’onze ans, alors qu’il avait, en 1440, seize ans; de l’autre, il allongera de treize mois la durée de son exil en Flandre, « ot il fut six ans » 165, ou, en réalité, il séjourna de septembre 1456 a fin juillet 1461. Il ne se contente pas d’exagérer ou de diminuer, mais il modifie la chronologie en sorte qu’il lie des faits séparés dans la réalité de l’histoire. Grace a ces anachronismes, sa démonstration est beaucoup plus probante. Nous avons vu que Commynes a critiqué en son ancien maitre un prince de l’échec. Non seulement il est défait sur le champ de bataille de Granson, mais encore ses alliés se retournent en bloc contre lui. Ainsi, au livre V, le chapitre II nous apprend que dans le méme temps, le duc de Milan, le roi René d’Anjou, Madame de Savoie abandonnérent le Témeéraire, et que les villes impériales d’Allemagne se joignirent a ses ennemis, en sorte que, ajoute le chroniqueur, tirant la lecon de ces tragiques événements et accablant, par ce biais, le Bourguignon: Et sera bel exemple pour ces seigneurs jeunes qui follement entreprennent, sans congnoistre ce qu’il leur en peult advenir ne aussi ne |’ont point veii par expérience, et mesprisent le conseil de ceulx qu’ilz deussent appeller 166,

Or, a confronter ces pages avec la vérité historique, on découvre que ‘ le mémorialiste s’est livré a une simplification arbitraire et a pris des libertés avec la chronologie.

1°) Tout d’abord, il est faux que le Téméraire

ait été abandonné

de tous. En effet aprés Granson, et malgré Granson, l’empereur envoya auprés du duc le protonotaire Hesler qui essaya de ramener la paix entre les adversaires et qui, surtout, voulut conclure le mariage entre Marie de Bourgogne et Maximilien. Cette intervention jeta, selon Toutey 167, un net désarroi parmi les membres de la ligue antiducale. La

161 162 t. III, 163 164 165 166 167

T, I, p. 108. Ed. DUPONT, 3 vol., Paris, 1858-1863 (Société de Histoire de France), p. 266. T. II, p. 310. T. II, p. 328. T. |, p. 69. T. II, p. 108. Charles le Téméraire et la ligue de Constance, p. 320.

LES

166

ERREURS

DE

CHRONOLOGIE

paix entre l’empereur et Charles fut proclamée solennellement le 14 avril 1476 168, Le 6 mai, fut juré un accord définitif sur le mariage qui devait étre célébré le 11 novembre 1476. S’il est vrai que Frédéric III n’apporta aucune aide matérielle 4 son allié, il reste toutefois qu’aux yeux du monde, le Bourguignon n’était pas isolé, d’autant plus que Mathias, le roi de Hongrie, un des trois grands rois de ce temps selon Commynes, lui demeurait fidéle et lui adressait méme des conseils 16 que, pour son malheur, Charles n’écouta pas. 2°) En outre, 4 propos des rapports burgundo-milanais, il importe de rétablir exactement la vérité. D’une part, Galéas Sforza ne se borna pas a se réjouir de l’échec de son dangereux allié, comme nous en informe les Mémoires 17, mais, bien avant la mésaventure de Granson, il avait commencé a pratiquer le double jeu. Dans le moment méme ott le traité de Montcalier le rangeait, le 30 janvier 1475, aux cdtés de Charles le Téméraire et de Yolande de Savoie, il proposait a Louis XI d’attaquer la Bourgogne avant le débarquement des Anglais, il faisait savoir aux Bernois ses sentiments favorables a leur égard, il refusait de lever contre eux les troupes que réclamait la Savoie, il ne publiait pas le pacte qui le liait au duc et a ses alliés 171. Le revirement était donc prévisible, bien avant le premier revers suisse. D’autre part, tout en admettant que jusqu’a cette bataille, il ne se livra 4 aucune démarche officielle pour changer de camp, il est inexact d’affirmer, comme le fait notre chroniqueur 172, que, tout de suite aprés la défaite de Granson, de nouvelles alliances franco-milanaises furent cryées et incontinent despeché ung embassadeur qui alla a Millan ou elles furent cryées en grand solempnité. Ainsy vecy desja ung des

heurs de l’adversité et ung grand homme

mué, qui avoit envoyé une si

grant et si solemnelle embassade vers le duc de Bourgongne son alliance, n’y avoit que trois sepmaines.

pour

faire

En effet — et Calmette l’indique dans une note de son édition —, le renouvellement du pacte franco-milanais ne fut conclu que le 9 aoiit 1476 et publié dans le duché que le 25, c’est-a-dire aprés la seconde déconfiture bourguignonne, subie A Morat le 22 juin 1476. Le 26 juin, quatre jours aprés cette déroute, Jean Blanco écrivait A son maitre Sforza que lesprit de Louis XI était encore fort aigri a l’égard de Milan: « Comperi a principio et semper animum regis contra Extiam Vestram fuisse turbatissimum » 173, Ajoutons qu’en outre, Galéas, par

168 L, HOMMEL, op. cif. p. 181; voir aussi la lettre de Panigarola avril 1476 (éd. GINGINS-LA-SARRAZ).

du

15

169 Ed. GINGINS-LA-SARRAZ, lettre du 7 mai 1476 (t. Il, p. 125). 179 T; IL2p.2H0. 171 TOUTEY, op. cit...p. 198; éd. GINGINS-LA-SARRAZ, lettre du 3 février 1475 (t. I, p. 22).

192 "TU op. 111,

173 Ed. GINGINS-LA-SARRAZ, t. II, p. 306.

LES

ERREURS

DE

CHRONOLOGIE

167

lintermédiaire de son ambassadeur Panigarola, continuait A donner des conseils a Charles174 et que l’intention d’envoyer 4 Milan Olivier de La Marche !75 indique que les ponts n’étaient pas rompus entre les deux ducs. Réalité tres complexe, puisque Louis XI, le 12 janvier 1477, ordonna a Poitiers une procession générale a l’occasion du trépas « du duc de Milan et du duc de Bourgogne, nos anciens ennemis» 176, Ainsi donc, bien que Commynes ait raison dans les grandes lignes, la réalité, encore qu’accablante pour le Téméraire, est cependant moins noire que ne le suggérent les Mémoires, avec leur image d’un duc brutalement abandonné de tous, sans alliés, malade, neurasthénique, insensé. N’oublions pas non plus qu’en montrant son premier maitre réduit a la solitude, l’auteur poursuivait sa propre justification. Terminons par deux autres exemples, de valeur différente. L’un, qui se lit dans le livre VII177. Commynes prétend avoir averti les ducs

d’Orléans et de Bourbon avant la conclusion de la Sainte-Ligue (31 mars 1495). Or le seul document que nous possédons nous apprend qu’il écrivit quelques jours seulement avant le 14 avril178. Mais, sur ce point, faute de données plus précises, faisons crédit au mémorialiste : des lettres ont pu se perdre, et il est possible que des messages transmis oralement n’aient pas laissé de traces. L’autre appartient au livre III. Au cours du chapitre XI, on rencontre une erreur chronologique curieuse. Aprés le récit des tractations de Louis XI avec la Bretagne, il est ajouté: « Et fut lan LXXIII» 17. Manuscrits et éditions s’accordent sur ce'texte. Or les tréves en question se situent en octobre et novembre 1472. N’aurions-nous pas 1a un lapsus significatif, le chroniqueur tenant a s’écarter au plus vite de cette année critique que fut celle de sa désertion 18° ? L. — Ailleurs, nous avons signalé la fréquence du tour j’estoye 181, Mais il est bon de remarquer, et nous l’avons fait plus d’une fois, qu’a Voccasion, l’auteur s’efface pour se fondre dans la foule, tant6t créant une habile ambiguité qui lui permet de revendiquer une part dans une initiative heureuse 182, tant6t se dissimulant pour éviter un reproche.

174 [bid., p. 213 (lettre du 4 juin 1476).

175 [bid., pp. 122, 133, 282. 176 Lettres de Louis XI, t. V, p. 114. 177:'T, Ill, p. 125. 178 Ed. Dupont, t. III, p. 418 (lettre du duc d’Orléans a P. de Bourbon). 179 T, I, p. 243. 180 Dans la Destruction des mythes..., au ch. II, nous aurions pu déceler aussi une chronologie flottante puisque, dans les Mémoires, la rébellion de René de Lorraine semble suivre l’exécution de Saint-Pol (t. II, p. 94), alors qu’elle lui est antérieure et contemporaine du siége de Neuss. Ailleurs, il nous est dit avec exactitude que René II défia le duc enlisé dans la guerre de Neuss (¢. Iipp. 15*et 8p). 181 Voir la Destruction des mythes..., ch. 3, 2° partie.

182 Par ex., t. II, p. 5.

LE JE ET LE NOUS

168

Ainsi passe-t-il du je au nous avec aisance. Alors que d’autres A Montlhéry, il est courageux:

fuient

... et me trouvay tousjours ce jour avecques luy, ayant moins de craincte que je n’eus jamais en lieu ot! je me trouvasse depuis... 188

Mais, quand la peur s’abat sur les combattants, il recourt 4 l’anonymat et disparait dans un nous bien ambigu: lui et ses compagnons ont eu le mérite de rester sur le champ de bataille, mais ils furent en proie a la crainte: Il n’y avoit pas quarante

hommes

en tout; et nous

y joignismes

qui

n’estions pas trente, en trés grant doubte... Je vey telle demye heure que nous qui estions demouréz 1a, ne avions l’ceil que a fuyr, sil fust marché cent hommes 184,

Voici le chroniqueur de retour 4 Lyon, aprés avoir échoué a Venise et A Milan. Il tient a indiquer qu’il ne fut pas seul a négocier et a conclure le traité franco-milanais, mais qu’ensuite, on fit de lui le bouc émissaire chargé de toutes les erreurs et que seul il fut en butte aux attaques des courtisans: Ceulx qui avoient esté courroucéz joyeulx de la tromperie que lavérent bien la teste 185,

nous

de la paix de Verseil furent fort

avoit faict le duc

de Millan...

et me

Comment relate-t-il sa mission en Picardie et en Artois en janvier 1477? Dans une premiére partie 186, il emploie nous et notre qui |’englobent ainsi que le batard de Bourbon et les autres ambassadeurs pour raconter des succés, mineurs, a Abbeville et 4 Doullens, mais aussi pour indiquer que les uns et les autres ne se faisaient aucune illusion sur leurs chances de succés a Arras. La seconde partie 187 concerne les conversations avec des dignitaires bourguignons, venus de la capitale de l’Artois (Ravenstein, Crévecceur, J. de La Vacquerie), a qui il est demandé d’ouvrir les portes de la ville aux forces royales. Echec total sur ce point: le nous prédomine encore. Mais est-il question du ralliement de quelques-uns au parti du vainqueur ? Alors, le pronom de la pluralité céde la place au possessif mon et au personnel je. Tout de suite aprés, réapparait le nous. Pour finir, un je188 qui rappelle que Commynes dirige en second, aprés le batard de Bourbon, cette ambassade. Outre le jeu des noms propres et de l’indéfini d’aulcuns quand le mémorialiste cite ses sources et ses garants, il serait curieux d’étudier

183 T. I, p. 28. AE ed eal Bec 185 oT, Ll aip; 2S aby, 186 T. IJ, pp. 162-164. 187 T. II, pp. 164-166.

188 T. II, p. 166.

LE JE ET LE NOUS

169

’emploi du pronom on qui n’est pas toujours un substitut facile et sans signification du personnel nous. Quelquefois, il sert a atténuer une critique, ou a attribuer un avantage flatteur au seigneur d’Argenton. Nous Pavons déja rencontré dans le récit de cette scéne dans laquelle Daillon apporte les nouvelles de la bataille de Nancy. Nous lisons: on luy ouvrit. Qui se cache sous l’indéfini? Des familiers, certes, mais aussi Commynes, ainsi que le suggérent le contexte et les précisions qui nous sont données : il est donc plus intime avec le roi que Du Lude, puisqu’il

couche au Plessis 189,

Voici maintenant, en remontant une année en arriére, le repas offert par Louis XI a quelques Anglais 19°, Quels sont les convives ? Ne sortent de l’anonymat que le roi, trois ou quatre sujets d’Edouard IV, dont «mons* de Havart», et notre auteur 4 qui son maitre parla, a un certain moment, «en loreille ». Proposition embarrassante des interlocuteurs d’outre-Manche: «...le plus saigement que l’on peut on rompit ceste entreprise »... Ne faut-il pas accorder une part au chroniqueur dans l’issue heureuse de cette difficulté? Transportons-nous sur le champ de bataille de Fornoue. Le seigneur d’Argenton arrive a l’endroit oti se tient Charles VIII. Il le trouve en train d’armer des chevaliers, bien que le danger soit proche. Aussi « le fit-l’on cesser » 191, Les lignes qui précédent ne nous indiquent-elles pas que le mérite de ce rappel a la raison revient, au moins pour une part, au chambellan lucide et dévoué ? Ailleurs, pour ne pas accuser tout de suite Louis XI de duplicité et de tromperie, l’auteur écrit que quelques Anglais clairvoyants et honnétes, et peut-étre aussi respectueux de la dignité royale, disaient a leur maitre Edouard IV que « du costé de deca [c’est-d-dire d la cour de France] on les trompoit et que 1l’on n’achevoit point» le mariage d’Elisabeth d’Angleterre et du dauphin Charles 192, M. — Le seigneur d’Argenton n’a pas utilisé seulement tel ou tel procédé mais leur emploi successif ou simultané, leur convergence, aboutit a une transformation subtile de l’ensemble des événements, dont les uns sont rejetés a l’arriére-plan, noyés dans la pénombre ou l’ombre, mais dont les autres sont violemment éclairés par de multiples faisceaux lumineux. Dans cette ceuvre vigoureuse et une, bien que nonchalante et désordonnée en apparence (et nous retrouvons, ici, un théme cher 4 Commynes, celui de la réalité profonde et de ses masques divers et contradictoires), la gratuité est bannie, et le plus souvent le

détail se subordonne

a la pensée de l’écrivain. Comme

la défection y

occupe une position centrale, et que nous la retrouvons chaque fois que

nous approfondissons un point particulier, il est bon de récapituler tout

189 190 191 192

T, T. T, T,

II, p. 159. II, p. 69. Ill, p. 183. II, p. 245. Voir aussi t. II, pp. 15-16.

170

LES

CONVERGENCES

ce que nous avons découvert dans la quarantaine cédent ou suivent immédiatement sa mention :

de pages

qui pré-

1°) Auparavant, tout a tendu a expliquer, 4 excuser, A minimiser la faute, elle-méme vidée de son contenu : a) les mésaventures d’Edouard IV ont mis en lumiére la duplicité et la déloyauté profondes du Téméraire (pp. 206-211); b) les ambassades de Commynes a Calais ont montré que le maitre faisait peu de cas de la liberté, et méme de la vie, de

son serviteur (p. 208) ; c) le duc n’hésitait pas a tromper ses alliés (cf. le mariage de sa fille (pp. 218 et 221) et ses ennemis: il n’a rien a envier sur ce point 4 Louis XI (pp. 230-233) ; d) c’est un traitre envers son suzerain et la France (pp. 224-225); e) c’est un étre de passion qui, emporté par la colére, massacre sauvagement a Nesle la garnison (pp. 227-228); f) aveugle et incompétent, il ne sait s’emparer d’une

ville qui, d’abord, était mal défendue (Beauvais) ; nous avons un long récit dramatique qui détaille toutes les fautes du duc; il se venge en ravageant par le fer et le feu le pays de Caux; g) Dieu se détourne de lui. 2°) Cette démonstration s’appuie sur des camparaisons (entre Louis XI et le Téméraire), sur des récits pathétiques (ambassade de l’auteur a Calais, affaires de Nesle et de Beauvais...), sur des détails précis, sur des accumulations (liste des prétendants de Marie), sur des contrastes (les Anglais avant et aprés la chute d’Edouard IV, l’attitude publique et les pensées secrétes de Charles), sur des digressions qui masquent le réquisitoire. Elle est d’autant plus convaincante qu’on ne peut porter au passif de notre chroniqueur qu’une courte phrase anodine et euphémique. Donc, au départ, une disproportion qui avantage le transfuge et réintégre sa trahison dans l’univers des comportements, sinon recommandables, du moins explicables et excusables. 3°) Le lecteur ment sévére. Bien attention de sa teurs de Charles

n’est pas préparé a porter contre Commynes un jugeplus, immédiatement aprés |’aveu, l’historien détourne propre affaire pour évoquer le ralliement des servide France (p. 240).

4°) Et pour étudier le cas de Lescun

(pp. 240-242).

Il nous

améne

a) explicitement 4 opposer deux moments de cette vie tourmentée (I’hostilité et la haine d’hier, les services loyaux d’aujourd’hui) ; b) implicitement, a comparer la cupidité de Lescun au désintéressement de Commynes (p. 241). Il dramatise (la fuite hative du premier, par mer, pour échapperia Louis XI) (p. 240). Il répéte (l’état de guerre entre la Bretagne et la France) (pp. 240-241). Il développe et énumére (avantages,

titres et fonctions accordés au rallié) (p. 240).

5°) Non content de se servir de Lescun, il introduit dans le débat ses serviteurs, Soupplainville et Des Essars (p. 242).

Au terme de cet exposé qui occupe un peu moins de quarante pages (pp. 206-242), que concluons-nous?

LES

CONVERGENCES

171

A. Le vrai et seul coupable maudit. B.

Commynes

C.

D’autres

est le Téméraire,

faux, brutal, cruel,

n’a pas eu tort de !’abandonner. défections sont tout aussi, sinon plus choquantes.

Ainsi donc, aprés avoir endormi l’esprit critique de son lecteur, Commynes dirige habilement son attention. Tantédt il lui impose une conviction en le frappant par le retour fréquent de l’énoncé; tantét il le détourne des points embarrassants par d’habiles digressions. Et, afin que la méfiance ne s’exerce pas a son détriment, il a la supréme adresse de ne jamais pouvoir étre convaincu d’insincérité totale car, comme le dit M. Rambaud 193, « une des conditions nécessaires du succés est d’utiliser le vrai et le meilleur mensonge est celui qui contient le plus de vérités ». L’ensemble des faits rapportés est conforme a la réalité : le Téméraire ne prit pas Neuss, il fut vaincu a Granson, il se laissa pousser la barbe. Mais sans cesse l’auteur intervient, dissimulé et prudent, pour nous inviter 4 juger les faits et les personnages d’une maniére qui lui est favorable. Donc, en méme temps, une absence remarquable de mensonges caractérisés et une action constante sur l’esprit du lecteur. Aussi faut-il se défier de cette simplicité apparente qui recouvre des desseins complexes, et bien voir que, comme César dans le De Bello Gallico et le De Bello Civili, Commynes a été assez intelligent pour ne pas taire ce qui était connu de tous et pour le redire a sa maniére, sans paraitre violenter la vérité, en glissant l’apologie sous exposé, en dispersant les éléments de ce subtil plaidoyer dans un contexte qui en masque la véritable nature. *

%

La place manque pour une matiére aussi abondante. Mieux vaut essayer de caractériser pour finir cette qualité de ton qui fait que euvre de Commynes demeure moderne, et qui la distingue des autres chroniques et journaux qui se sont mutlipliés au Xv° siécle. Sans aucun doute, son style simple, fuyant l’enflure, étonnamment divers, passant de l’ironie et de humour a une sécheresse toute diplomatique ou, au contraire, 4 une éloquence sans boursouflure, tour a tour réaliste et abstrait, son style assure aux Mémoires une valeur littéraire qui éclate dans les récits de bataille ou de siége aussi bien que dans les portraits, qu’il en rassemble les éléments en une ou deux pages (Louis XI,

Edouard IV), ou qu’il procéde par touches dispersées (Charles le Témé-

raire). Et peut-on nier sans injustice qu’il expose avec clarté les affaires les plus difficiles et les plus obscures, qu’il mette a nu les ressorts secrets, les conflits d’intérét, l’envers sordide du décor (songeons aux

193 L’Art de la déformation

historique dans les Commentaires

de César,

172

UN TON

MODERNE

intrigues de 1471-1472), avec le souci constant de ne rien laisser échapper du réel, en refusant de céder a la tentation d’une simplification abusive, en sorte que, souvent, son style semble hésitant et que nous sont présentées plusieurs explications ? C’est pourquoi, de cette ceuvre en apparence modeste, se dégage avec intensité le sentiment de la complexité de ce monde qui échappe a nos prises et ol s’affrontent des hommes a |!’esprit tortueux.

BIBLIOGRAPHIE

I. TEXTES A. MEMOIRES

1) Editions. Nous nous bornerons ici 4 indiquer les éditions les plus importantes et les plus utiles pour une premiére approche de l’ouvre. Pour les autres, se reporter a Fr. Van der Haeghen, Bibliotheca belgica, Gand, 17° série, t. V, n°* 161-311,

et a notre Fortune littéraire de Commynes, a paraitre aux Editions Nizet. Ed. D. Sauvage, Paris, Galiot du Pré, 1552, in-fol. Ed. Godefroy, Paris, Imprimerie royale, 1649, in-fol. Ed. Lenglet-Dufresnoy, Londres et Paris, 4 vol., 1747, in-4°. Ed. Dupont, Paris, 3 vol., 1840-1847, in-8° (Société de (Histoire de France). Ed. Chantelauze, Paris, 1881, in-4?. Ed. B. de Mandrot, Paris, 2 vol., 1901-1903, in-8° (Collection de textes pour servir a létude et a 'enseignement de V’histoire, XXXV}).

Ed. Calmette-Durville, Paris, 3 vol., 1924-1925, in-8° (Les Classiques de Histoire de France au moyen dge, n. 3, 5 et 6). Ces éditions comportent aussi des notices et des documents dont l’utilité ne saurait étre trop soulignée. C’est le cas, en particulier, pour les tomes II, III et IV de l’éd. Lenglet-Dufresnoy et pour le t. IV de I’éd, Dupont.

2) Anthologies et éditions courantes. Plus ou moins copieuses, elles modernisent souvent le texte. Paris, G. et Jeanroy A. : Extraits des chroniqueurs frangais,

Paris,

1891.

16° éd. revue par A. Jeanroy, 1932 (Classiques Hachette).

Pauphilet, A. et Pognon, E. : Historiens et chroniqueurs du moyen dge, Paris, 1938 (Bibliothéque de la Pléiade), Bossuat, A. : Les chroniqueurs francais du moyen age, Paris, t. Il, pp. 101 sq. (Classiques Larousse).

Bastin, J. : Philippe de Commynes, Bruxelles, 1945 (Collection nationale). Coulet, N. : Louis XI et Charles le Téméraire par Philippe de Commynes. Mémoires,

livres I a VI, Paris (Le Monde en 10/18).

3) Traductions. Nous en signalerons deux : Commynes, Ph. de : Memorie, introd., trad. e note di M.CI. Daviso di Charvensod, Turin, 1960 (Scrittori di storia, 7).

The Memoirs of Commynes, éd. par Samuel Kinsey et trad. par Isabelle Cazeaux, Columbia, vol. I, 1969.

174

BIBLIOGRAPHIE

4) Notes sur le texte.

En dehors des apparats critiques des éd. citées, voir : Calmette, J., dans les Annales du Midi, t. XIV, 1903, p. 277. Delisle, L. : Mélanges de paléographie et de bibliographie, Paris, p. 347; la Bibliotheque d’Anne de Polignac et les origines de Vimprimerie a Angouléme, Paris, 1880. Dufournet, J. : Sur le texte des Mémoires de Commynes, dans Revue des langues romanes, t. 78, 1969, pp. 97-108. Durville, G. : Catalogue de la bibliothéque du musée Manuscrits, 1904, pp. 453-584.

Th. Dobrée, Nantes, t .1,

Grunzweig, A. : Correction d’un passage des Mémoires de Commynes, dans le Omont,

Moyen Age, t. 72, n. 3-4, 1966 (4° série, t. 21), pp. 511-530. H. : Catalogue général des manuscrits francais de la Bibliothéque nationale, nouvelles acquisitions, t. 1V, Paris, 1918.

Podgurski, J.C. : Ignorer. Une lecon hypercorrecte, dans Zeitschrift fiir Romanische Philologie, 1961, 1/2, pp. 81-84. Turpin, E. : Fragment d’une ancienne copie des Mémoires de Ph. de Comiynes, dans le Bulletin philologique et historique du Comité des travaux historiques et scientifiques, 1922-1923, pp. 155-156. B. LETTRES

Benoist, E. : Les lettres de Commynes aux archives de Florence, Lyon, 1863. Kervyn de Lettenhove, Lettres et négociations de Philippe de Commynes, 3 vol., Bruxelles,

1867-1874.

Sozzi, L. : Lettere inedite di Commynes a Francesco Gaddi, dans Studi di bibliografia e di storia in onore di Tammaro de Marinis, Vérone, 1964,

t. IV, pp. 205-262. (Voir, sur ces lettres :

Dufournet,

J : A propos

des lettres inédites de Commynes

da Gaddi,

dans

Bibliothéque d’Humanisme et Renaissance, t. 26, 1966, pp. 583-604. jodogne, P., dans Revue belge de Philologie et d'Histoire, t. 45, 1967, pp. 286-

287. Lecoy, F., dans Romania, t. 88, 1967, pp. 142-143.)

Voir aussi le Catalogue

Cornuau, Lettre autographe

de Commynes

a Madame

de Montsoreau, dans la Revue d'Histoire littéraire de la France t. 43, 1936, p. 455. Il.

ETUDES

D’ENSEMBLE

1) Préfaces et introductions des éditions citées en I.A.1. 2) Ouvrages et articles :

Chantelauze, R. : Philippe de Commynes, dans le Correspondant, tomes 85 et 86, 1880-1881 ; Portraits historiques, Paris, 1886, pp. 47-133 (avec une étude biographique de R. Vallery-Radot).

Charlier, G. : Commynes, Bruxelles, 1945 (Collection Notre Passé).

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B.A. Pocquet du Haut-Jussé, dans la Revue belge de Philologie et d’Histoire, t. 46, 1968, pp. 131-132 ; d’A. Micha, dans [Information littéraire, t. 19, 1967, pp. 217-218 ; de S. Kinser, dans Renaissance Quarterly, t. 21, 1968, pp. 464-469 ; de J.Ch. Payen, dans Moyen Age, t. 75, 1969, pp. 179-

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Varenbergh, Mémoire sur Philippe de Commynes comme écrivain et comme homme d’Etat, dans les Mémoires couronnés par l'Académie de Belgique, t. XVI, Bruxelles, 1864. 3) Chapitres de manuels et d’ouvrages collectifs : Aubertin, Ch. : Histoire de la langue et de Ia littérature frangaises au moyen dge, Paris, nouv. éd., 1894, t. II, pp. 281-297. Bossuat, A., dans Bossuat, R. : le Moyen Age (t. I de l’'Histoire de la littérature francaise, sous la direction de J. Calvet), Paris, 1931, pp. 326-328. Chasles, Ph. : Discours sur la marche et les progrés de la langue et de Ia littérature francaises depuis le commencement du XVI° s. jusqu’en 1610,

discours couronné par l’Académie francaise le 25 aofit 1828, grand prix

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d’autres

témoignages,

se

reporter

a notre

Fortune

littéraire

de

Commynes.

III. Nous

ETUDES

avons volontairement

PARTIELLES

éliminé tous les articles de pure vulgarisation.

1) La famille et la seigneurie de Commynes.

Delestrez, W. : Reningelst door de eeuwen heen, 1971 (P. 92 : De heerlijkheid van de Clytte). Desplanques,

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(Sur le pére de Commynes.)

Duvosquel, J.M. : Comines, ville de frontiéres, ou comment trouver les sources de son

passé a la lumiére

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de la géographie

XXV°* anniversaire,

document

dhistoire

historique,

1945-1970,

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Athénée

Commines,

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1970, de

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pp. 251-264, se trouve

la Généalogie

des seigneurs

de Commines

et

de Messire Ph. de C., due 4 Hugues de Maubus, grand bailli du seigneur

de Comines, Georges de Halluin). Messiaen, L.J. : Histoire de la ville de Comines, 3 vol., Courtrai, 1892. Taverne

de Tersud

: Hazebrouck

depuis son

origine jusqu’d

Renescure, son chateau, Hazebrouck, 1890.

nos

jours (...).

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of

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les chroniques de Amsterdam, 1933.

Villehardouin,

En outre, dans les Mémoires

région, t. III, Comines,

Joinville,

Froissart

de la Société d’histoire

et

Commynes,

de Comines

et de la

1973, il a été publié un ouvrage de plus haut

intérét sous le titre suivant : H. Bourgeois, le Patois picard de Comines et de Warneton, comportant en particulier des études de

Duvosquel, J.M., L’emploi des langues ad Comines et Warneton du Moyen Age ad nos jours, pp. 9-62; Bourgeois,

H. : Le patois des Comines-Belgique,

pp. 63-250;

Allard, P. et Ch. Vermes, Le patois de Comines-France, pp. 251-290; Simpel, P. de : Le Patois de Warneton, pp. 293-33. Enfin, Madame J. Demers a soutenu en 1971, devant l'Université de Toulouse, une thése de doctorat sur la Digression dans les Mémoires, ou Cominynes, un moraliste en devenir, qui sera publiée en 1975 sous le titre Commynes

moraliste,

BIBLIOGRAPHIE

180 5) La fortune littéraire de Commynes,

Simone, F. : La prima fortuna di Commynes nella cultura italiana dil Rinascimento, dans les Studi C. Pellegrini, Turin, 1963, pp. 109-118. i

1 Divers chercheurs ont entrepris sous notre direction des theses de doctorat

se rapportant plus ou moins a notre historien : A, Macabies sur le Vocabulaire psychologique

de Commynes

et des historiens

contemporains ; H. Wolff

sur

Le style historique au XV°* siécle ; A.M. Durrieu de Madron sur les Archaismes dans les Mémoires de Commynes. Nous remercions vivement M.J.M. Duvosquel pour l’établissement de cette bibliographie.

qui nous a aidé de sa science

TABLE

DES

CHAPITRE

Quand

les Mémoires

de Commynes

1. Les livres I-VI

..

MATIERES

PREMIER

ont-ils été composés?

..

10

CHAPITRE

d’Angelo

1. Angelo

Cato

2. Frédéric

de

3. La

Maison

Cato

II

..

19 19

Tarente

25

d’Anjou

CHAPITRE

III

Confidences et silences sur quatre serviteurs de Louis XI .. 1. Un ami précieux, Ymbert 2.

Plaidoyer de Melun

3. Deux

en .

curieux

faveur

d’une

de Batarnay victime

.

43

..

de Louis

43

XI, Charles 46

oublis, Jean Bourré et Boffille del Giudice

CHAPITRE Commynes

..

..

2. Les livres VII et VIII

Le patronage

..

et ses ennemis

IV

59

.

1. La défection de 1472 Robert d’Estouteville Guillaume Briconnet

52

59 60 61

.

2. Les procés relatifs 4 Talmont Louis II de la Trémoille . Georges de la Trémoille .. .

..

67 68 73

182

TABLE

3. Les rivalités politiques sous Louis XI .. Jean de Jean de Olivier Jacques Tristan

Daillon . . Doyat le Dain Coictier . .. l’Hermite

..

DES MATIERES

74 75 81 82 86. 88

..

.

Les déboires sous la Régence d’Anne de Beaujeu René II de Lorraine Les querelles politiques 4 propos de l’expédition Etienne de Vesc ... Sa Louis de Luxembourg, éomte ‘de "Ligh : Robert de Balsac, seigneur d’Entragues Louis dOriéans, fe-fatur Louis AM .i-5 ..°.