A la cour de Bourgogne: Le duc, son entourage, son train 250350650X, 9782503506500

La recherche historique manifeste de nos jours une curiosité renouvelée pour le vaste champ des pouvoirs. Au-delà d'

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A la cour de Bourgogne: Le duc, son entourage, son train
 250350650X, 9782503506500

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BURGUNDICA

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Publié sous la direction de Jean-Marie CAUCHIES Secrétaire général du Centre européen d'études bourguignonnes ()(l\Te-)(\Tle s.)

ALACOURDEBOURGOGNE LE DUC, SON ENTOURAGE, SON TRAIN

A LA COUR DE BOURGOGNE LE DUC, SON ENTOURAGE, SON TRAIN

édité par JEAN-MARIE CAUCHIES

BREPOLS

Collection

BURGUND ICA Peu de périodes, de tranches d'histoire ont suscité et continuent à susciter auprès d'un large public autant d'intérêt voire d'engouement que le "siècle de Bourgogne". Il est vrai qu'à la charnière de ce que l'on dénomme aussi vaguement que commodément "bas moyen âge" et "Renaissance", les douze décennies qui séparent l'avènement de Philippe le Hardi en Flandre (1384) de la mort de Philippe le Beau (1506) forment un réceptacle d'idées et de pratiques contrastées. Et ce constat s'applique à toutes les facettes de la société. La collection "Burgundica" se donne pour objectif de présenter toutes ces facettes, de les reconstruire - nous n'oserions écrire, ce serait utopique, de les ressusciter - à travers un choix d'études de haut niveau scientifique mais dont tout "honnête homme" pourra faire son miel. Elle mettra mieux ainsi en lumière les jalons que le temps des ducs Valois de Bourgogne et de leurs successeurs immédiats, Maximilien et Philippe de Habsbourg, fournit à l'historien dans la découverte d'une Europe moderne alors en pleine croissance.

ISBN 2-503-50650-X D/1998/0095/28 © BREPOLS, 1998, TURNHOUT, BELGIUM /\Il rights reserved. No part ofthis publication may be rcproduccd, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without prior permission of the copyright holder.

TABLE DES MATIÈRES

Jean-Marie CAUCHIES - Introduction au thème.

VII

1 ° La cour en ses fonctions Werner PARAVICINI - Structure et fonctionnement de la cour bourguignonne au XVe siècle. Eric BOUSMAR - La place des hommes et des femmes dans les fêtes de cour bourguignonnes (Philippe le Bon - Charles le Hardi). Monique SOMMÉ - Le cérémonial de la naissance et de la mort de l'enfant princier à la cour de Bourgogne au XVe siècle.

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2° Les "professionnels" Francis RAPP - Universités et principautés: les États bourguignons. Christian de BORCHGRAVE - Diplomates et diplomatie sous le duc de Bourgogne Jean sans Peur.

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3 ° Les influences culturelles Myriam CHEYNS-CONDÉ - L'épopée troyenne dans la "librairie" ducale bourguignonne au XVe siècle. Graeme SMALL - Qui a lu la chronique de George Chastelain?

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4° La cour dans la société Jean-Pierre SOSSON - Chantiers urbains, chantiers ducaux dans les anciens Pays-Bas méridionaux (XIVe-XVe s.): deux univers de travail différents? Jean-Marie CAUCHIES - La signification politique des entrées princières dans les Pays-Bas: Maximilien d'Autriche et Philippe le Beau. Wim BLOCKMANS - Le dialogue imaginaire entre princes et sujets: les Joyeuses Entrées en Brabant en 1494 et 1496.

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JEAN-MARIE CAUCHIES

Secrétaire général du Centre européen d'études bourguignonnes (X/Ve-XVIe s.)

INTRODUCTION AU THÈME

«Parce que deux livres dont l'âge n'a pas altéré la vigueur, ceux de Huizinga et de Cartellieri, l'ont évoquée merveilleusement, la cour est la première réalité qui vient à l'esprit d'un historien lorsqu'il a l'occasion de réfléchir sur les Etats bourguignons» 1 (F. Rapp). Il est vrai que la cour bourguignonne, heu de spectacle continu et de prise de décisions pennanente, suscite par ses multiples facettes l'intérêt de tous les spécialistes des ducs et de leur temps. Elle est de tout, elle se voit partout. Le Centre européen d'études bourguignonnes (X/VeXV!e s.) ne lui a pas consacré spécifiquement une de ses rencontres annuelles, pleinement thématiques depuis 1983. Et pourtant, il n'est pas un seu 1 des volumes de sa collection d'études dont cette cour soit absente. Pas forcément dans son ensemble. Mais à tout le moins par le truchement de telle ou telle de ses nombreuses composantes, de ses diverses sections ou activités. On a donc rassemblé ici un CHOIX de contributions ordonnées autour de quatre vecteurs: célébrations, professionnalisme, culture, insertion socio-politique. La cour forme d'abord un entourage (W. Paravicini), celui d'une personne exceptionnelle par son statut et sa dignité. Ce qui la définit, c'est un faisceau de fonctions domestiques, sociales, politiques, et une longue série d'enjeux: besoins élémentaires, gestion de grands événements heureux ou malheureux (M. Sommé), séjours et résidences (J .-P. Sosson), loisirs (E. Bousmar). propagande (J.-M. Cauchies, W. Blockmans), animation spirituelle, traditions artistiques et littéraires (G. Small, M. Cheyns-Condé), attachement et contrôle des élites, tâches étatiques et administratives (F. Rapp, C. de Borchgrave), ... Dans cette sarabande, cc tourbillon d'activités, des questions se posent sans cesse à l'observateur: où est le quotidien? quelle est la part de la fête? Facteurs de cohérence, des solidarités et des réseaux, en ordre principal d'essence nobiliaire, sous-tendent tout l'édifice. Evaluer la présence et le rôle des femmes dans la vie de la cour, dans son dynamisme. dans son évolution avec le temps. tel est l'objectif d'E. Bousmar. Un dualisme masculin/féminin s'y fonde sur une «sociabilité» de cour et de ville

Il s'agit, en traduction française, de: J. llUIZINGA, L'automne du moyen ilge, traduction J. BASTTN, Paris, 1932 (réimpression: 1989); et O. CARTELLIERI, La cour des ducs de Bourgogne, traduction F. CAUSSY, Paris, 1946.

VII

néanmoins globale. Marque de noblesse, le service est dû par les hommes aux dames. Ces dernières, en retour, «inspirent» et valorisent les prouesses chevaleresques de leurs partenaires. Les spectacles de fiction organisés à la cour, tels les fameux pas cl' armes, font certes intervenir des personnages féminins romanesques mais ne s'ancrent pas moins dans la réalité, puisque ce sont des dames en chair et en os qui sont appelées à juger les exploits des combattants. Les «grands rites de passage» sont décrits par M. Sommé à travers décors et rituels, mise en place d'objets, usage de couleurs, achats de tissus, de fourrures, éléments héraldiques,... La comptabilité ducale et les écrits «normatifs» d' Aliénor de Poitiers permettent en l'occurrence d'apprécier modalités et coûts de plusieurs naissances et baptêmes, décès et obsèques sous Philippe le Bon et Isabelle de Portugal. On remarquera notamment que dans la pompe aulique, l'enfant mort demeure strictement le fils du prince. Les services de cour assurent bien autre chose qu'amusements et deuils. Des légistes, juristes universitaires, y sont indispensables, en raison de leurs capacités techniques, pour le fonctionnement des rouages des Etats ducaux, en particulier l'organisation et l'exercice de la justice. F. Rapp souligne que pour les former, mieux vaut encore créer des facultés «à soi» plutôt que de les voir s'en aller étudier à Bologne ou à Orléans. Dole en Franche-Comté, Louvain en Brabant - jeune héritage de la branche cadette des Valois de Bourgogne - trouvent là une notable raison d'être. Les ducs demandent à l' Alma Mater des hommes qui soient à la fois férus de doctrine et doués de capacités d'action. Si la détention d'un titre universitaire n'est pas une condition sine qua non pour appartenir à l'entourage qualifié du prince, elle est un atout en vue d'une carrière à la cour, surtout si l'on y joint extraction noble, bonnes parentés et moyens financiers. Sans oublier bien sûr les faveurs du prince, clé indispensable à toute prétention aulique. Au rayon de leurs proches collaborateurs politiques, les dynastes bourguignons comptent aussi des diplomates, qui souvent sont en même temps leurs conseillers dans les dossiers politiques quotidiens. S'il n'est point encore au XVe siècle de professionnels de la diplomatie, il existe à la cour une élite que ses aptitudes rendent propre à intervenir dans les négociations. Jean sans Peur a fait usage de diplomates dans une politique qui, sans négliger l'essor de sa maison et l'accroissement de son patrimoine. mettait en exergue une volonté de domination de la scène française. Traiter par «ambassadeurs» interposés avec les monarques du temps, n'est-ce pas une marque de souveraineté de fait et de politique «étrangère» autonome, demande C. de Borchgrave? Le contrôle permanent exercé par le prince n'interdit pas les initiatives de ses représentants, nobles en majorité mais aussi - les revoilà - légistes, universitaires de bon conseil. Faut-il souligner que cette propension à développer un réseau de négociateurs soigneusement choisis ne fera que s'intensifier sous les ducs suivants, toujours plus soucieux d'autonomie et d'influence internationale? Lieu de faste, lieu de pouvoir, la cour est encore lieu de lettres et d'arts, en termes d'inspiration autant que de production. Inspiration d'abord, étudiée par M. Cheyns-Condé. L'entourage ducal apprécie l'épopée, plus particulièrement le thème de Troie, dont on connaît la présence à travers plusieurs versions dans un VIU

nombre important de manuscrits de la collection princière. L'option troyenne n'est évidemment ni neutre ni fortuite: elle est à rapprocher étroitement des origines mythologiques de l'ordre de la Toison d'or, une création essentielle de Philippe le Bon, et de la recherche pour la dynastie de lointains ancêtres mythiques. Production ensuite. Historiographe au service de Bourgogne, Georges Chastelain a laissé une œuvre dont la réception apparemment modeste suscite nombre de questions, qu'envisage G. Small. L'étude des manuscrits que l'on en possède la circonscrit dans des champs chronologique et géographique limités. Mais les lecteurs identifiés sont des hommes de cour, c'est-à-dire des hommes issus de «milieux dirigeants», marqués par la volonté des héritiers Habsbourg de garder sa place à une vraie culture historique «bourguignonne», illustrée en l'espèce par la plume d'un authentique et fidèle serviteur des ducs Valois défunts. Largement encore nomade, ambulatoire, la cour séjourne ici ou là. Sa présence anime et marque une ville, où production et consommation de biens divers se portent alors au mieux. J.-P. Sosson fait apparaître la résidence princière comme un facteur de relance possible d'une économie urbaine, là où les autorités ont éventuellement réussi à attirer le duc et son train. Les travaux d'installation et de séjour alors commandités représentent potentiellement un marché fécond pour des entrepreneurs locaux. Il leur revient d'en tirer parti ou non, selon la conjoncture, face au recours concurrentiel à des maîtres et à une maind' œuvre appelés d'ailleurs. L'animation de chantiers de grande envergure n'est pas la seule que procure la venue, même passagère, de la suite princière dans les murs d'une ville. J.-M. Cauchies et W. Blockmans se penchent sur la coutume des «joyeuses entrées» et sur leurs relations étroites avec des faits politiques et dynastiques saillants. Modes de communication, elles font se rencontrer dans un dialogue de circonstance gouvernants et gouvernés. On y déploie grand faste, on y affirme une légitimité. Rituel, cortèges, «tableaux vivants», ... tout y est leçon, symbole. Dans ces manifestations de type contractuel, souvent rehaussées de concessions préalablement négociées, la cour est pleinement impliquée, dans un bal comme dans une messe. Les réjouissances, occasions bienvenues, le disputent aux témoignages d'attachement. L'iconographie y a sa place pour célébrer l'événement. Rien n'est laissé au hasard et la ville hôtesse et organisatrice orchestre sa propre exaltation autant que celle d'un prince ou d'une princesse. Les travaux et les jours de la cour de Bourgogne, valablement connus grâce à une riche documentation, mettent en scène une foule de personnes aux compétences et aux tâches les plus diverses, souvent spécialisées. Il s'agit bien là de rouages nombreux et complexes d'un appareil de gouvernement, d'administration, de relations publiques. Il importe certes que le duc s'informe de tout, garde la haute main sur tout. Mais il ne peut tout assumer ni même tout savoir. Il doit judicieusement confier, déléguer. «Nous mesmes qui ne sommes pas de si grant entendement comme vous estes ... », avoue Jean sans Peur à des ambassadeurs, dans une lettre citée par C. de Borchgrave (1415). Il eût pu s'exprimer de la sorte envers son personnel de cuisine ou ses services protocolaires! Sans sa cour aux innombrables visages, le maître ne serait-il pas une voix qui crie dans le désert? IX

Bruxelles, KBR, ms.8, fol. 339r

X

WERNER PARAVICINI

Directeur de l'Institut historique allemand de Paris

STRUCTURE ET FONCTIONNEMENT DE LA COUR BOURGUIGNONNE AU xye SIÈCLE

Définitions La cour, quant à sa structure, est l'ensemble des hommes et des femmes qui, à des titres divers, forment l'entourage continuel, périodique ou occasionnel du prince. Son principe est lafamiliaritas, l'appartenance à la maison qu'il préside en tant que pater familias, et le service personnel du prince en tant qu'individu, ce qui explique la cessation de tout office curial (et même local) à la mort du maître. Ses limites sont flottantes, mais son noyau est clairement défini: appartient à la cour qui mange le pain du maître et a le droit d'ainsi faire - l'accès aux tables du prince n'est jamais parfaitement contrôlé. La cour consiste aussi en ceux qui, en principe pairs du prince, acceptent d'être nourris par lui, et en la foule de ceux qui, serviteurs de courtisans, attendent les résignations, successions, nominations, ou qui, ambassadeurs, envoyés, messagers, quémandeurs et nobles voyageurs, n'y restent qu'un temps. Si le prince fait envoyer du vin dans la demeure d'un noble étranger, celui-ci est symboliquement reçu dans la maison dans laquelle le prince attribue et distribue la nourriture. L'affluence est le signe d'une cour florissante. Vue du prince, toute cour a, au moins, cinq fonctions principales: 1. Organiser la vie quotidienne: boire et manger, dormir, soigner la santé, prier et louer Dieu, se divertir; le tout pendant le déplacement presque continuel qui caractérise toujours la vie princière du moyen âge finissant. 2. Garantir la sécurité du prince et contrôler son accès: par la présence de serviteurs, dans la chambre, même pendant la nuit, par la présence d'une garde devant la porte, pendant les déplacements. 3. Impressionner les concurrents par la consommation voyante, le luxe, le gaspillage, par le grand nombre et le superflu. 4. Intégrer les couches dirigeantes, ceux du dedans, mais aussi ceux du dehors, si possible. A la cour devaient se trouver les membres de la famille princière, la haute noblesse, de rang égal ou presque, les évêques et prélats, nobles ou non, la noblesse moyenne et petite, des spécialistes du droit, des finances, 1

de théologie, de médecine, formés ou non par les études et par la pratique. Enfin: 5. Gouverner et administrer, donc assurer la paix par le droit et les armes, organiser la rentrée des revenus domaniaux et des impôts, et en faire la redistribution, défendre son bien, l'accroître peut-être.

Les sources Pour illustrer, vérifier ou éprouver ces données quant à l'exemple bourguignon, nous disposons de sources variées, mais point globales. La série inégalée des ordonnances de l'hôtel, secondée par les états journaliers, conservés à raison de 5% environ, met à la disposition du chercheur l'état changeant dupersonnel aulique, aisément quantifiable, réparti d ·après les différents offices. Mais ce matériel, si important qu'il soit, ne trahit presque rien des rapports de force existant à l'intérieur et à l'extérieur de ce monde clos, ne permet pas de saisir les tendances profondes. En général, il est étranger aux gestes et cérémonies: les ordonnances de l'hôtel énumèrent les ayants-droit aux gages et livraisons, mais ils taisent ce que fait tout ce monde. Trois documents capitaux remédient à cette lacune: les mémoires d' Aliénor de Poitiers, dame d'honneur de la duchesse Isabelle de Portugal, qui ne consistent qu'en mentions de préséances et cérémonies; l'État de l'hôtel du duc Charles le Téméraire, écrit en 1473 par le maître d'hôtel et capitaine de la garde Olivier de la Marche; et les ordonnances générale et particulières de l'hôtel du Téméraire, datées du 1er janvier 1469 (n. st.) et encore inédites comme la très grande partie de ces textes. A part ces sources capitales, mais normatives, il faut glaner partout réalités et tendances, dans les chroniques, les récits des voyageurs, les correspondances. Sans prétendre épuiser le sujet- loin de là- mettons-nous donc à l' œuvre. 1. Organiser la vie quotidienne

C'est la fonction fondamentale, indispensaole, mais vue d'en haut de l'échelle sociale, négligeable. Jamais un chambellan ne fera le lit de son maître, c'est l'affaire du valet de chambre ou plutôt du subordonné de celui-ci: la tendance est à séparer de plus en plus nettement l'office, de plus en plus honorifique, de la fonction effective, de plus en plus «mécanique». Olivier de la Marche note que le grand maître d'hôtel et les chefs des quatre offices ne servent qu'aux quatre nataulx de l'an et quant le prince tient cstat solennel. Les principaux offices de la cour se divisent en une partie noble et une partie non-noble: chambellans et valets de chambre; pannetiers, échansons, écuyers tranchants, écuyers d'écurie d'une part, sommeliers, aides, etc. d'autre part. Même la cuisine n'est pas présidée par les queux, mais par des écuyers de cuisine. Il existe, cependant, une forte tendance inverse, limitée au contact direct avec le prince: en la chambre du prince le plus grant pensionaire ou le 1premier] chamhel fan doit servir à mettre le cœuvrc chief de nuit: et le plus grant honneur si est de servir le prince ès choses plus secretcs. L'intimité du prince est signe de position sociale et, de même que pour les gens sans qualité, moyen d'influence, lieu d'un pouvoir informel, envié, précaire: 2

Jean Coustain, Guillaume (de) Bisches, Jean le Tourneur en fournissent l'exemple. Il semble que la valorisation de toute position curiale ait fait des progrès sous Philippe le Bon et surtout sous Charles le Téméraire, ait rapproché l'office et la fonction, la personne du prince s'imprégnant du sacré de sorte que l'on ne l'approchait qu'à genoux, baisant de révérence tout ce qu'il touchait. Donne de l'éclat à la vie princière tout ce qui dépasse les nécessités de l' existence humaine: non seulement exister, mais vivre noblement. Donc se divertir, par des jeux, par la lecture, le soir, la journée étant terminée; aux sports du jeu de paume, de la chasse, du tournoi; par des fêtes grandioses, religieuses et profanes, funèbres et joyeuses. Il y a même le divertissement institutionnalisé: quant à la personne par le fou, les fous ayant titre d'office (car la cour de Bourgogne en a plusieurs); quant au lieu par le parc et la ménagerie, à Bruxelles, Hesdin, Gand, au Quesnoy en Hainaut, Hesdin en Artois (étudié par Mme Anne van Buren) étant le type même de la résidence d'été.

2. Garantir la sécurité du prince La sécurité du prince était d'abord l'une des tâches de ses chambellans. Ainsi quand, le 29 octobre 1468, les 600 Franchimontois firent leur héroïque tentative nocturne devant Liège et faillirent tuer Charles le Téméraire et Louis XI, Commynes, alors chambellan, était près de son maître: J' estoie couché en la chambre dudict duc de Bourgongne, qui estait bien petite, et deux gentilz hommes qui estoient de sa chambre; et au dessus y avait douze archiers seulement, qui faisaient le guet et estoient en habillement et jouaient aux déz. Son grant guet estait loing de luy et vers la porte de la ville.

Au temps du duc Philippe le Bon, la garde du duc de Bourgogne, en temps de paix, ne comprenait que 24 archers, quoi qu'en disent des visiteurs étrangers. Son fils. fort préoccupé de sa sécurité, fit sensiblement augmenter ce nombre: 42 en 1469, 64 en 1475, 102 fin 1475. La garde proprement dite naquit en 1474: 126 gentilshommes, autant d'archers et 14 coustilliers. La même année commença la garde anglaise: douze escadrons de 60 archers, commandés par des capitaines lourdement armés. C'est, sauf erreur, la plus forte garde que connût une cour européenne en ce temps. Ainsi prit naissance la maison militaire à la cour de Bourgogne, réalité encore dans un autre sens. En 1433 déjà, Philippe le Bon avait décrété dans une ordonnance de son hôtel que chaque membre de celui-ci serait tenu de fournir un certain nombre de serviteurs et hommes de trait armés, correspondant au nombre de ses chevaux. Cette militarisation fit des progrès inouïs sous Charles le Téméraire jusqu'à donner à son hôtel une double structure, à la fois civile et militaire, s'appliquant aux mêmes personnages. En même temps il augmenta le nombre du personnel noble étant autour de lui la nuit. Désormais il y eut 16 écuyers de la chambre, bien nommés: ilz couchent près de sa chambre, par une manier-e de seureté de sa personne, dit Olivier de la Marche.

3. Impressionner les concurrents Au cours des entrées, mariages, tournois, banquets, chapitres de la Toison d'Or, la cour bourguignonne ne fait que cela. Les ambassadeurs étrangers y pré3

tent grande attention. Assistant au chapitre de 1461, celui du duc de Milan s'aperçoit que le duc Philippe en fait une démonstration de religione, sublimità apparati. Ils notent et taxent la valeur de la vaisselle d'or et d'argent exposée, de la robe, des joyaux que porte le prince. Et force leur est d'avouer que leur maître à eux ne pourrait se permettre un tel luxe: ainsi l'envoyé milanais Panigarola. Il fait savoir à son maître que le siège du duc de Bourgogne ressemble assez à sa cathedra, sauf qu'elle n'est pas en bois, mais en or massif en quoi il se trompe, fort probablement. Un moyen classique d'impressionner était de faire visiter le trésor. Le patricien nurembergeois Gabriel Tetzel, accompagnant le baron tchèque Leo de Rozmital dans son voyage d'Europe, vit ainsi en 1466 le trésor du duc Philippe à Bruxelles. Marchand qu'il est, il note la valeur des pièces principales et conclut que ce trésor était de loin plus important que celui des Vénitiens - en tant que Nurembergeois, il savait certainement ce qu'il disait. Parfois, le trésor en tant que tel fut employé à des fins politiques. Pour prouver sa solvabilité aux Utrechtois rechignants, Philippe le Bon fit non seulement venir de la vaisselle et des tapisseries, mais aussi deux caisses pleines de pièces d'or que chacun des visiteurs put tâcher de soulever. Ce qui émut encore davantage les étrangers, c'est tout simplement la quantité de gens vivant à la cour, aux frais du duc. Grâce aux ordonnances de l'hôtel, nous connaissons exactement les ayants-droit aux gages de l'hôtel ducal (234 titulaires en 1426, 1030 en 1474), et grace aux états journaliers le nombre de ceux qui, à un moment donné, étaient effectivement présents à cette cour: 308 personnes le 11 novembre 1450, par exemple, ou 590 plus 294 hommes de la garde en 1475. Mais il faut accroître ce nombre: des serviteurs des serviteurs, des autres cours vivant aux dépens du duc et sous son toit, et de tout un monde servant sans gages, en remplaçant, en guettant l'occasion. Pero Tafur, le noble voyageur castillan qui vit la cour de Bruxelles dans les années trente, est ravi de tout ce monde et en donne une description assez exacte. Il dit de la cour de Bourgogne que son «traffic» est le plus grand qu'il ait jamais rencontré. Car «vivaient dans la demeure ducale le comte de Saint-Pol, un grand seigneur, avec sa femme et toute sa suite, le comte d'Etampes avec sa suite, la princesse de Navarre, sa nièce, avec sa maison à part; de même son frère le duc de Clèves et les seigneurs de Charny et de Créquy, tous avec leurs épouses, et beaucoup d'autres gentilshommes de qualité. Autour de la duchesse il y aurait constamment 200 dames d'honneur» (ce qui est une grosse exagération, le chiffre est à diviser par dix au moins). «Tout ce monde dort et prend ses repas à l'intérieur de la demeure ducale, et avec eux les gentilshommes non mariés, ceux-là cependant sans leurs serviteurs. Et le duc les entretient à ses dépens tout comme il fait pour lui-même». Puis, Pero Tafur compare avec la cour de Milan qu'il avait vue peu avant: «Il me semblait s'y passer le contraire de ce que faisait le duc de Milan: celui-ci tient autant d'hommes qu'il peut aux champs et rien près de lui; celui-là, tout à proximité et rien aux champs - mais il n'en avait pas besoin, car il tenait bonne paix», explique judicieusement notre rapporteur. Même admiration du grand nombre des gens présents chez un des écuyers de Leo de Rozmital: aucun autre roi (!) de la chrétienté ne tient une cour aussi splendide - à condition qu'il ait vraiment vu du quotidien, ajoute-t-il, et non pas un apparat extraordinaire de fête. Quand on distribue les cierges aux membres de l'hôtel du Téméraire pour la procession de la Chandeleur, alors on 4

ne compte pas par centaines, écrit fièrement Olivier de la Marche, mais par milliers. «Je n'ai jamais entendu parler de quelque chose de pareil, sauf la cour du roi Arthur», s'émerveille l' Anglais John Paston. 4. Intégrer les couches dirigeantes

Le prince détenant un pouvoir de plus en plus grand, la cour devenant le grand centre de distribution de l'impôt, il nous semble évident, à nous, hommes et femmes du XXe siècle, qu'une intégration des diverses couches dirigeantes devrait être la conséquence, bien équilibrée entre les groupes sociaux et les régions géographiques, d'autant plus que l'État bourguignon se développait rapidement et que, relevant soit de la France, soit de l'Empire, l'identité de cet ensemble était encore à créer. Attirer, retenir, intégrer les parents, la haute noblesse internationale; intéresser les élites régionales nobles, mais aussi les prélats et les praticiens des villes flamandes, brabançonnes, hollandaises, et le savoir montant des clercs: telle devait être, selon nous, la tâche. En effet, la cour a, en un demi-siècle, doublé, triplé, quadruplé sa surface sociale. Elle a introduit assez tôt et a systématisé le service par terme. Si le nombre des courtisans ne cesse de croître, c'est surtout grâce à ce système ingénieux du service à temps partiel: par quartier, par quatre mois, par demi-an. Ainsi Philippe le Bon, en 1426/1427, a 9 (12) chambellans toujours payés quand ils sont à la cour, et 24 chambellans à tour de trois mois, en tout 36 personnes, dont 9 certainement présentes à la fois. En 1474, Charles le Téméraire en est arrivé à 44 pensionnaires payés s'ils sont présents, y compris le premier chambellan; 20 chambellans à demi-an, 30 à quatre mois et 40 à trois mois. En tout 175 personnes, dont 40 toujours présents d'office. Ce partage se retrouve dans les quatre offices nobles et même dans les offices non-nobles, bien qu'à une échelle moindre. Il n'est pas d'invention bourguignonne, puisqu'il est déjà mentionné dans l'ordonnance de l'hôtel de Charles VI, roi de France, en 1387. Mais apparemment la maison de Bourgogne, d'abord simple copie de la maison royale, l'a particulièrement développé, devançant ainsi le modèle royal qui ne rattrapera ce retard qu'à la fin du siècle. Ce système avait non seulement l'avantage de toucher un nombre plus grand de gens. Il établissait un lien entre le pays et la cour, d'autant plus que les nobles exerçaient également des charges administratives dans les provinces et les régions. Il est évident que les parents du prince et la très haute noblesse ne se pliaient pas encore à ce système, n'entraient pas dans le cadre de la maison proprement dite. C'est pourquoi il y avait non seulement une différenciation à l'intérieur de la chambre, mais un régime particulier pour les très haut placés en dessous des princes et de leurs enfants. C'est Charles le Téméraire qui, le premier, créa la charge du pensionnaire ou chambellan pensionnaire pour ce genre de personnage. Les pensionnaires avaient en effet droit à une pension fixe, mais payée seulement au prorata de leur présence à la cour. Ainsi le cadre était posé, et il exerçait des pressions. Ceci est sensible surtout sous le Téméraire qui ne rêvait qu' «ordre et règle» et qui entendait contrôler luimême sur rapport l'assiduité des membres de son hôtel. 5

Le cas le plus net est celui de l'audience publique pour recevoir les requêtes des particuliers que le duc instaura en 1468, deux années après le jeune duc de Milan, peut-être en imitant son exemple. Il nous en reste des descriptions fort vivantes. Lesdits seigneurs du sang, pensionnaires et chambellans et gentilzhommes des quatre estas et aussi les gentilz hommes de la garde ayans le plat pour le jour, donc toute la noblesse de l'hôtel, était astreinte d'assister à ce rituel, sous peine de perdre deux jours de gages. N'y oserait homme nul faillir, note Olivier de la Marche, qui décrit d'ailleurs exactement l'emplacement d'un chacun. Et le duc appoincte les requestes à son plaisir, et selon que le cas le requiert, et toutes les despeches avant qu'il part de la place. Et pendant ce temps chascun se taist et tient ordre. Chastellain, l'historiographe officiel, se fait l'écho de l'ennui que causait cette corvée à ces hommes, seigneurs eux aussi: Là se tint deux, trois heures, selon la multitude des requestes, souvent toutesfois à grand tannance (fatigue) des assis, mais souffrir en convenait. D'abord, Charles le Téméraire tint cette audience trois fois par semaine, puis deux fois, enfin, en 1474, une seule fois, le vendredi: la résistance intérieure à dû être trop grande, ainsi que le poids du travail quotidien. Il est évident que les ducs ont fait un grand effort pour intégrer la noblesse; si les effectifs de l'hôtel augmentent, c'est surtout en sa faveur. Il serait intéressant d'en savoir davantage sur d'éventuelles tentatives en direction d'autres groupes dirigeants. Le clergé? Les grandes familles des villes? Rien de comparable, ni qualitativement, ni quantitativement. Le pouvoir est toujours l'affaire des nobles. Mais cette image de la lourde prépondérance de la noblesse change singulièrement quand on regarde les listes des dons que versaient les intéressés pour faire passer une affaire à la cour, ou s'acheter des bonnes volontés pour d' éventuels besoins. Ainsi voit-on la ville de Lille «graisser la patte» du Grand Bâtard de Bourgogne en 1468 par 420 L., mais aussi celle du chancelier Pierre de Goux par 100 L. plus un drap pour sa femme valant 150 L., 84 L. au premier secrétaire Jean Gros et 42 L. à Jean le Tourneur, sommelier de corps du Téméraire tous des gens de roture. Les mêmes hommes n'étaient pas importants pour les villes et, par exemple, pour le duc de Milan. La liste des personnages à la cour de Bourgogne auxquels sa chancellerie jugeait nécessaire d'attribuer un chiffre, employé dans les dépêches des envoyés ducaux, ne comprend que deux roturiers, dont le chancelier, à côté de douze noms de princes et de grands nobles. Pour savoir qui était important pour qui, il faudrait regarder de plus près le monde de la chapelle ducale, de l'aumônerie, des maîtres des requêtes, des secrétaires, avant de donner une réponse définitive. Même situation pour ce qui est de l'enracinement géographique. Quant aux nobles et quant à la cour de Philippe le Bon, la réponse peut être donnée: les Bourguignons de Bourgogne tiennent le haut du pavé, plus de la moitié des postes en 1426/1427, toujours presque 40% en 1458, après toute l'expansion que l'État bourguignon a connue. Puis les Picards, à raison de près d'un quart des places pendant tout ce temps. Aucun autre groupe régional ne réussissait à percer la phalange de ces gens en place - sauf un: les Brabançons, à qui Philippe le Bon, apparemment en contrepartie de leur décision d'accepter sa succession au duché en 1430, accorde un quart des places nobles augmentées pour cette occasion. Les autres provinces et des étrangers se partageaient le peu qui restait. Mais il faut aller à l'intérieur de la noblesse, voir les solidarités verticales pour bien comprendre les mécanismes de la cour. Tel maître des requêtes, tel 6

secrétaire, tel huissier d'armes est client de tel chambellan ou maître d'hôtel. Tout peut se présenter sous un jour différent vu de cet angle-là. Les travaux font encore défaut. Pourtant la rivalité entre le clan des Cray et celui des Rolin est bien connue. Elle permettrait l'étude non d'une fonction, mais d'une dysfonction de la cour. Au moins commençons-nous à apercevoir les relations de protection qui existaient entre certaines villes et certains nobles haut placés à la cour: Saint-Omer et le seigneur de Cray, puis le Grand Bâtard; Lille et Baudouin d'Oignies, puis les de Lannoy; Arras et le seigneur de Contay. Les études pionnières d'Alain Derville exploitant les comptes et registres aux délibérations municipaux seraient à poursuivre. La discipline des mœurs, générale, devient exigence affichée. Séparer, hiérarchiser: aux différents rangs de la noblesse sont assignés des locaux différents, mis en perspective; l'accès au prince, dont on distingue désormais la personne publique et la personne privée, est réservé au rang le plus élevé. Le gentilhomme est traité comme de la valetaille (1469):

Lesditz chambellans et gentilz hommes vendront chascun jour devers mondit seigneur apres leur disgner en la salle ou chambre ou il disgnera, chascun soubz et avec le chief de son terme, et illec se contendront honnestement sans faire noise ou bruit desordonné. Et au cas que auchun bruit si esleveront, mondit seigneur veult et ordonne que au cry et parolle de huissier de salle sillence soit prestement faicte. En contrepartie de cette discipline érigée en principe d'État, voici des avantages: matériels, honorifiques, expectatives. Matériels: gages et pensions, des dons que les ducs s'efforcent de réglementer d'après le rang du personnage, assiégés de l'importunité des requérants qu'ils sont, les «bonnes manières». Honorifiques: lafamiliaritas du prince, accordée aussi en pur titre, attachée aux offices de la cour, distingue; l'appartenance à l'ordre chevaleresque de la maison encore davantage: les observateurs étrangers ne manquent pas de faire une différence entre les gentilshommes simples et ceux de la Toison. Expectatives: un beau mariage, des relations, pour les pages une formation et !'avancement promis, prévu dans les ordonnances mêmes.

5. Gouverner et administrer le pays La cour est et reste le lieu de la décision politique. Progressivement le duc de Bourgogne s'est dessaisi des fonctions demandant un travail continu de spécialiste: d'abord le contrôle des finances, puis !'administration de la justice courante - mais il reste la source de tout droit, de toute faveur surtout, qu'aucune «parole de prince» ne peut efficacement restreindre. Charles le Téméraire se remet à compter lui-même ses deniers au grand étonnement de tous, à distribuer lui-même la justice dans son audience. Si les Chambres des comptes, le Grand conseil puis le Parlement de Malines sortent de !'orbite de l'hôtel, le centre de la décision, le conseil ordinaire, aulique, y reste, continue à faire partie des ordonnances de l'hôtel dans lesquelles on !'aperçoit pour la première fois en 1433. Des treize membres, trois seulement ne sont pas nobles, dont le chef, le futur évêque de Tournai. Font partie de la maison également les secrétaires ducaux et les maîtres des requêtes, les hommes de loi et d'écriture par excel7

lence. Mais si l'on cherche une tendance profonde, ce sera certainement la naissance des institutions administratives en dehors de la cour qui, elle, ne se réserve que la part du lion: le gouvernement.

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Pour en conclure: la cour de Bourgogne se présente comme un ensemble correspondant bien au modèle général de l'exercice du pouvoir patrimonial présenté par Max Weber. Sa structure se retrouvera à peu près partout dans l'Europe ancienne, sauf qu'elle était plus «noble» que les autres, plus avancée dans la voie du partage, du règlement et du contrôle, largement ouverte par Charles le Téméraire dans une rigueur toute nouvelle. Surtout, elle était plus riche, plus nombreuse que les autres. Une cour de parvenus barbares? Ce cliché me paraît d'une simplicité plate. Au fond, elle est mal connue. Elle pourrait l'être davantage par l'étude globale et méthodique du personnel la composant, par l' analyse de décisions bien documentées prises en son sein, par des recherches sur les résidences ducales et par la mise en série de sa culture festive, si célèbre et si mal étudiée.

Addenda La version longue de ce travail, pourvue de notes et d'une bibliographie, a paru sous le titre The Court of the Dukes of Burgundy: a Madel for Europe?, dans Princes, Patronage, and the Nobility: The Court at the Beginning of the Modern Age, pub!. par R.G. ASCH etA.M. BIRKE, Oxford, 1991, pp. 69-102. Le livre de H. KRUSE, Hof, Amt und Gagen. Die tiiglichen Gagenlisten des burgundischen Hofes ( 1430-1467) und der erste Hofstaat Karls des Kühnen ( 1456), Bonn, 1996, renouvelle la recherche en ce qui concerne la cour d'Isabelle de Portugal et du jeune Charles le Téméraire, et établit les comptes journaliers (écroes) en tant que source. Pour la cour de la duchesse voir également la thèse de M. SOMMÉ, Isabelle de Portugal, duchesse de Bourgogne, une femme au pouvoir au XVe siècle, 3 vol., Univ. de Lille Ill, 1995; la version imprimée paraîtra en 1998. Un groupe de travail à l'Institut historique allemand de Paris, composé de W. Paravicini, H. Kruse, H. Brand, V. Bessey et E. Anne prépare actuellement l'édition des ordonnances de l'hôtel de Philippe le Bon et de Charles le Téméraîre et crée une banque de données exploitant les quelque 5000 comptes journaliers conservés du temps de ces princes. Un premier résultat: H. KRUSE, Die Hofàrdnungen Herzags Philipps des Guten von Burgund, dans Hofe und Hofimlnungen, éd. H. KRUSE et W. PARAVICINI, Sigmaringen, 1998 (sous presse). Pour tout ce qui concerne la chasse, voir Chr. NIEDERMANN, Das Jagdwesen am Hofe Herzogs Philipps des Guten von Burgund, Bruxelles, 1995.

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Bruxelles, KBR, ms.8, fol. 33v

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ERIC BOUSMAR Assistant de recherches aux Facultés universitaires Saint-Louis à Bruxelles

LA PLACE DES HOMMES ET DES FEMMES DANS LES FÊTES DE COUR BOURGUIGNONNES (PHILIPPE LE BON - CHARLES LE HARDI) 1

11 semble, à la lecture des grandes sources narratives des règnes de Philippe le Bon (1419-1467) et Charles le Hardi (1467-1477), qu'il n'y ait pas de fêtes de cour sans dames. Qu'il s'agisse d'une rencontre entre princes, d'un retour de guerre, ou d'un mariage par exemple, les récits des chroniqueurs rapportent l' affluence des seigneurs, chevaliers, dames et damoiselles, suggèrent ou décrivent l'abondance de la table et la richesse du décor, l'étonnement provoqué par les divertissements proposés aux convives: que les dames soient dans ce cadre mêlées aux chevaliers semble être une condition de la fête, puisque leur présence est sans cesse signalée, presque sans exception. La présente communication repose principalement sur une lecture exhaustive des chroniques de Mathieu d'Escouchy (v. 1420-après 1482), un Picard2, Jacques Du Clercq (14201501), un écuyer arrageois dont le milieu d'origine est à cheval entre noblesse et bourgeoisie 3 , Jean de Haynin (1423-1495), chevalier hainuyer peu familier de la cour sernble-t-il4 , et Olivier de La Marche (1422-1502), qu'on ne présen1. Abréviations utilisées dans les notes: BCRH =Bulletin de la Comlllission royale d'Histoirc (Bruxelles); PCEEB = Publication du Centre européen d'Etudes Bourguignonnes (XIVeXVJe s.). Pour les références aux éditions des chroniques, se reporter aux notes 2 à 5 ci-après. 2. M. d'ESCOUCHY, Chronique... , édit. G. du FRESNE de BEAUCOURT, 3 vol., Paris, 1863 (Société de ['Histoire de France). Pour la critique de cette source. voir provisoirement E. BOUSMAR, Les rapports entre hommes et femmes au XVe s.: courtoisie et réalité vécue. Une étude d'après les chroniques de M. d'Escouchy, J. du Clercq, O. de La Marche et.!. de Hoynin, mémoire de licence inédit, Université Catholique de Louvain 3.

4.

(Louvain-la-Neuve), 1991, pp. 36-40. J. DU CLERCQ, Mémoires .. ., édit. F. de REIFFENBERG, 2e éd., 4 vol., Bruxelles, 18351836. Voir en dernier lieu E. BOUSMAR, Les emprunts de Jacques du Clercq à Jeun Chartier. Notes sur l'historiographie franco-bourguignonne au X\le siècle, dans W. VERBEKE et al. (éd.), Serta devota in memoriam G. Lourdaux, t. II, Leuven, 1995 (Mediaernlia Lovaniensia, series I, studia XXI), pp. 115-148. J. de HAYNIN, Mémoires .... édit. D. BROUWERS, 2 vol., Liège, 1905-1906 (Société des Bibliophiles liégeois, 37-38). Voir E. BOUSMAR, Les rapports.... op.cit. (cf.n.2), pp. 41-44.

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te plus 5 . Ces chroniqueurs, quatre hommes, soulignent la présence des dames et damoiselles au cours des fêtes de cour qu'ils rapportent6 . Le cas échéant, ils insistent sur leur nombre ou leur noblesse7 , voire sur leur mode de paraître (beauté ou vêtement) 8 . La présence féminine semble indispensable, comme si la conjonction «dames + chevaliers» constituait une des caractéristiques les plus importantes de ces fêtes, où le grand seigneur ou le prince déploie son faste et affirme sa puissance9 . Ces traits, même s'ils ne sont pas la propriété exclusive de la société que nous étudions, en sont à coup sûr caractéristiques. Je voudrais ici explorer un peu plus loin les pistes ouvertes par cette constatation, en présentant les résultats provisoires de recherches en cours. La perspective retenue est, pour reprendre les mots de Jacques Heers, « 1'étude de la fête comme manifestation d'une certaine psychologie collective et ses liens avec l'affirmation ou la contestation des structures établies» 10 . Nous nous concentrerons ici sur ce que les cérémonies de l'élite aristocratique peuvent nous apprendre des rapports entre hommes et femmes, et notamment sur la manière dont il faut interpréter les situations rappelant l' «amour courtois» 11 . Successivement,

5.

6.

7. 8. 9.

10. 11.

12

O. de LA MARCHE, Mémoires ... , édit. H. BEAUNE et J. d' ARBAUMONT, 4 vol., Paris, 1883-1888 (Société de /'Histoire de France). Le long récit des fêtes du mariage ducal de 1468 est en fait une lettre que La Marche lui-même envoya à Gilles du Mas, maître d'hôtel du duc de Bretagne, et qu'il inséra dans ses Mémoires. Voir E. BOUSMAR, op. cit. (cf.n.2), pp. 53-58, et la contribution de D. QUERUEL, Olivier de La Marche ou «l'espace de l'artifice», dans Publications du Centre européen d'Etudes bourguignonnes (XIVe-XVIe s.), 34, 1994, pp. 55-70. Par exemple, lorsque Philippe le Bon est accueilli à Ulm en 1454, Mathieu d'Escouchy rapporte que «icellui duc fut grandement receu et festoié par les seigneurs et bourgeois, dames et damoiselles d'icelle, tant de joustes comme de danses et autres joieux esbattements» (ESCOUCHY, II, 249). Autres mentions: ID., II 118 et 249; HAYNIN, II 23 et 59; DU CLERCQ, I 402; ID., II 195 et 289-291; ID., III 179 et 233; ID., IV 197; LA MARCHE, II 333, 341, 348, 380 et 425; ID., III 55, 102, 112, 116, 119, 166, 201. Exception notable: le récit du sacre de Louis XI (1461) chez DU CLERCQ, III, 151-158. LA MARCHE, III 54; DU CLERCQ, II 197-198; ESCOUCHY, II 138-139 et 141. ESCOUCHY, I 343; ID., II 380-381et388; HAYNIN, II 31et34; DU CLERCQ, III 174; LA MARCHE, II 173; ID., III 106-107. Sur le faste et l'ostentation comme moyens de pouvoir, voir récemment W. PARAVICINI, The court of the dukes of Burgundy. A model for Europe?, dans R.G. ASCH et A.M. BIRKE éd., Princes, patronages and the nobility. The court at the beginning of the modem ages, ca. 1450-1650, Oxford, 1991, pp. 69-102, ici pp. 75-77 et 89-90. On pourra relire les pages, toujours intéressantes après deux décennies de recherches, de J. HEERS, Fêtes, jeux et joutes dans les sociétés d'Occident à la fin du moyen âge, Montréal-Paris, 1971 (Conférences Albert-le-Grand, [21]), particulièrement pp. 18-43 pour ce qui concerne notre propos. J. HEERS, op. cit., p. 11. Sur l'historiographie de celui-ci. voir en particulier: L.D. BENSON, Court/y love and chivalry in the later middle ages, dans R.F. YEAGER éd., Fifteenth-century studies. Recent essays, Hamden Conn., 1984, pp. 237-257; R. SCHNELL, Causa amoris, Berne, 1985 (Bibliotheca Germanica, 27), pp. 80-103; ID., Die «hDfische» Liebe ais «hüfischen> Diskurs über die Liebe, dans J. FLECKENSTEIN éd., Curialitas. Studien zu Grundfragen der hofisch-ritterlichen Kultur, Gi:ittingen, 1990 (Veroffentlichungen des Max-Planck-Instituts für Geschichte, 100), pp. 231 -301. En dernier lieu: R. DUBUIS, La courtoisie dans les «Cent Nouvelles Nouvelles», dans J.C. AUBAILLY et

nous envisagerons la place des hommes et des femmes dans les joutes et tournois, dans les mises en scène et les cérémonies festives, avant d'examiner plus avant de possibles relations amoureuses et, finalement, la transgression des rôles établis. Pour ce faire, il importe de garder à l'esprit que nous avons affaire, comme l'ont montré les travaux de Maurice Keen et Malcolm Vale, à une société bien vivante, sachant s'adapter à son siècle et à la modernité naissante, et non pas à une noblesse décadente, se complaisant dans le ridicule, le mauvais goût et des illusions anachroniques 12 .

* * * On sait qu'à la fin du Moyen Age, tournois, joutes et autres combats du genre se déroulaient en présence des dames; Huizinga a parlé explicitement du caractère érotique de ces événements et Ph. Contamine de «l'émulation qu'entraîne la

al. (éd.), Et c'est la fin pour quoy sommes ensemble. Hommage(. .. ) à J. Dufournet (. .. ), t. I, Paris, 1993, pp. 479-489. De marùère générale sur les rapports entre hommes et femmes au Bas Moyen Age, voir la contribution très dense de C. OPITZ, Contraintes et libertés (1250-1500), dans Histoire des femmes en Occident, s. la dir. de G. DUBY et M. PERROT, t. II: Le moyen âge, s. la dir. de C. KLAPISCH-ZUBER, Paris, 1991, pp. 277-335 et 530-535 (notes). 12. Cf. les travaux de M.H. KEEN, Huizinga, Kilgour and the decline of chivalry, dans Medievalia et Humanistica, N.S., 8, 1977, pp. 1-20; M.G.A. YALE, War and chivalry. Warfare and aristocratie culture in England, France and Burgundy at the end of the Middle Ages, Londres, 1981, passim (remarques essentielles sur le rôle militaire de la noblesse et sur son adaptation à l'emploi de l'infanterie et de l'artillerie); M.H. KEEN, Chivalry, New Haven-Londres, 1984, qui ont de manière pertinente et convaincante remis en question le dogme de la décadence. L'étude de M.-Th. CARON, La noblesse dans le duché de Bourgogne 1315-1477, Lille, 1987, en analysant les carrières et la gestion des domaines des nobles duchois ainsi que leur ouverture aux anoblis récents, va dans le même sens et remet en question !'image de groupe social sclérosé prêtée à la noblesse du Bas Moyen Age. Sur le rôle politique réel des ordres de chevalerie, outre les travaux déjà cités de Keen et Yale, voir récemment: M.T. REYNOLDS, René of Anjou king of Sicily, and the order of the Croissant, dans Journal of Medieval His tory, 19, 1993, pp. 125-161, et D'A.J.D. BOULTON, The knights of the crown. The monarchical orders of knighthood in later medieval Europe 1325-1520, Woodbridge, 1987. Néanmoins, il semble que le débat ne soit pas encore clos, ainsi qu'en témoigne l'intelligent article de D. MORGAN, From a death to a view: Louis Robessart, Johan Huizinga and the political significance of chivalry, dans S. ANGLO éd., Chivalry in the Renaissance, Woodbridge, 1990. pp. 93-106, dont je ne peux discuter ici les conclusions. Le riche ouvrage de M. STANESCO, Jeux d'errance du chevalier médiéval. Aspects ludiques de la fonction guerrière dans la littérature du moyen âge flamboyant, Leiden, 1988 (Brill's Studies in lntellectual History, 9), reste peu satisfaisant du point de vue de l'historien des sociétés: terminé en 1979-1982 (p.IX), il n'a pas pu bénéficier des travaux de Keen et Yale et perpétue l'image d'une fuite dans l'illusion comme mode de vie nobiliaire, ce d'autant plus qu'il surestime la place de l'imaginaire des acteurs par rapport à d'autres facteurs, en réaction (légitime au départ: cf. pp. 1-15) contre les travaux d'inspiration marxiste des années 1960-1970. Le petit livre de J. RYCHNER, La littérature et les mœurs chevaleresques à la cour de Bourgogne. Leçon inaugurale 30 janvier 1950, Neuchâtel, 1950, quant à lui, est typique de la position traditionnelle.

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présence féminine» 13 . Les chroniqueurs montrent parfois tel ou tel jouteur prenant les dames à témoin des prouesses qu'il se prépare à accomplir, ou sollicitant d'elles l'autorisation de jouter14 . Ils consignent aussi parfois la consultation des dames après les combats, chargées de désigner le vainqueur puis de lui remettre le prix par l'intermédiaire de leurs déléguées, ajoutant parfois une note qui renvoie à la coutume et prouve ainsi que ces situations ne se limitent pas aux cas explicitement mentionnés 15 . C'est par les yeux des dames, semblent croire les jouteurs, que la valeur masculine existe (sinon, pourquoi les consulter?);

13. Aperçus généraux dans: J. BARBER et J. BARKER, Tournaments. Jousts, chivalry and pageants in the Middle Ages, Woodbridge, 1989, et H. NICKEL, The tournament: an historical sketch, dans H. CHICKERING et T.H. SElLER éd., The study of chivalry: resources and approaches, Kalamazoo Mich., 1988, pp. 213-262. L'accent est mis sur les milieux franco-bourguignon et anglais dans M.P.J. MARTENS éd., Lodewijk van Gruuthuse, catalogue d'exposition, Bruges, 1992; Cl. GAIER, Techniques des combats singuliers d'après les auteurs «bourguignons» du 15e siècle, dans Le Moyen Age, 91, 1985, pp. 415-457 et 92, 1986, pp. 5-40; Ph. CONTAMINE, Les tournois en France à la fin du moyen âge, dans J. FLECKENSTEIN éd., Das ritterliche Turnier im Mittelalter. Beitrage zu einer vergleichenden Formen- und Verhaltengeschichte des Rittertums, Giittingen, 1985 (Veroffentlichungen des Max-Planck-lnstitutsfür Geschichte, 80), pp. 425-449, dont p. 447 pour la citation; M. YALE, War and chivalry... , pp. 63-69; R. VAUGHAN, Philip the Good: the apogee of the Burgundian state, Londres, 1970, pp. 145-149. Cf. le classique J. HUIZINGA, L'automne du Moyen Âge, trad. par J. BASTIN, Paris, 1932 (rééd. 1989, «Petite Bibliothèque Payot» n° 6; éd. orig.: 1919), e.a. p. 81. 14. Voir infra, ainsi que par exemple Adolphe de Clèves, seigneur de Ravestein, jouant son ancêtre légendaire le Chevalier au Cygne, dans le pas d'armes qu'il organise le jour du banquet du faisan (Lille, 1454 ): «( ... )fut mené le chevallier au chyne sur les rens et devant les dames, et fut presenté par Thoizon-d'Or, roy d'armes, à la ducesse de Bourgoingne, femme et espeuze audit duc, aux aultres princesses, dames et damoiselles; lequel fut bien vegnié comme il appartenait» (ESCOUCHY, II, 126-127. Cf. LA MARCHE, II, 346). A Bruges, lors du Pas de l' Arbre d'Or en 1468, le même seigneur de Ravestein marche jusque devant les dames, se fait présenter et déclarer comme leur serviteur, et celui de toute dame. Il justifie sa participation à la joute par la présence de tant de dames (LA MARCHE, III, 129-130). 15. Consultation et remise du prix pour le Pas du Chevalier au Cygne à la fin du banquet du faisan en 1454 (Cf. infra n. 42): «Tandiz qu'on dansait en telle maniere, les roys d'armes et heraulx, avecques les nobles hommes qui furent ordonnez pour l 'enqueste, allerent aux dames et aux damoiselles, savoir à qui l'on devait donner et presenter le prix, pour avoir le mieux jousté et rompu bois pour ce jour; et fut trouvé que monseigneur de Charrolois l'avait gaigné et desservy. Si prinrent les officiers d'armes deux damoiselles princesses ( ... )pour le prix presenter; et elles le baillerent à mondit seigneur de Charrolois, lequel les baisa comme il avait accoustumé et qu'il est de coustume; et fut crié Montjoye moult haultement» (LA MARCHE, II, 379). Cf. le récit semblable donné par ESCOUCHY, II, 236-237: «( .. )et fut baillié par elles audit comte de Charolais, lequel les baisa, comme il est acoustumé, et fut crié Monjoye moult haultement». Consultation et remise du prix après le Pas del' Arbre d'Or à Bruges en 1468 (cf. infra n. 34) «Apres le dit pas aconpli, les offisyers d'armes allerte devers les dames et devers les juges pour savoir qui avait le mieuxfet pour avoir le pris(. .. )» (HAYNIN, II, 57). Version plus complexe de la même cérémonie: «les roys d'armes et heraulx se tirerent devers les juges pour sçavoir à qui le pris devait estre donné; lesquelz juges les renvoyerent aux dames, pour en ordonner à leur bon plaisir; mais les dames les renvoyerent aux juges, et s'en rapporterent à l'ordonnance des chappitres» (LA MARCHE, III, 191). Le prix sera donné à Jean de Chalon «de par les dames et de par les juges» (LA MARCHE, III, 192).

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elles ne sont donc pas de simples spectatrices. Une seule fois, un des quatre chroniqueurs retenus ici nous renseigne sur l'effet produit par un jouteur sur les dames. Il s'agit de La Marche à propos de Jacques de Lalaing. Celui-ci s'était inspiré de Pontus, personnage de roman, pour son Pas de la Fontaine des Pleurs en 1449-1450. Alors que Lalaing s'attarde un peu à Chalon après le Pas, La Marche note: «devez croyre que les dames du pays faisaient de gracieuses devises a la louenge de luy, et l'appelaient le bon chevallier, et le nommaient pour ung nouvel Pontus en vertuz, en vaillance et renommée» (La Marche, II, 203) 16 . Il a donc plu, mais comment a-t-il plu? Par sa culture «littéraire», sa courtoisie, ou ses qualités martiales? Il y a à ce propos deux remarques à formuler. D'abord, on se gardera de généraliser, chaque Pas d'armes étant un événement particulier: ainsi en 1454 à Lille les dames seules sont, d'après Escouchy et La Marche, consultées pour choisir le vainqueur; à Bruges en 1468, elles le sont parce que les juges veulent leur donner le choix 17 . On peut d'ailleurs se demander comment se déroulait la consultation: n'étaient-ce pas les officiers d'armes, véritables spécialistes, qui soumettaient des propositions aux dames, influençant leur jugement18 ? Ensuite, seconde remarque, on n'ignore pas que ces sports chevaleresques n'étaient pas exempts de danger et de risques réels, comme l'ont fait remarquer les travaux de M. Yale et Cl. Gaier 19 . Même dans un cadre festif et sportif, la prouesse d'un chevalier est un acte violent. Au cours du tournoi qui clôture le Pas de l' Arbre d'Or, la duchesse Marguerite a peur pour le duc, son nouvel époux, qui y participe: finalement, «a la requeste des dames», celui-ci arrête le tournoi collectif, « mes che fu a tres grant paine, car il ne se volloite chesser»,

16.

17. 18.

19.

Quant au prix du tournoi qui clôture ce Pas: «Les dames, toutes d'un accord, disaient que monseigneur de Bourgoingne le debvoit avoir, pour ce qu'il s'estoit moult bien esprouvé à celluy tournoy, et consideroient en oultre qu'il avait ce jour très rudement jousté; parquoy, mis ensemble le tournoy et la }ouste, leur advis estait tel que dit est» (LA MARCHE, III, 199). Vu son refus, le prix est remis au frère de la reine d'Angleterre, John Woodvill: «Si luy fut presenté le pris par une des dames de pardeça et par une aultre d'Angleterre, des plus grandes et des meilleures maisons, comme il est de coustume en tel cas» (LA MARCHE, III, 199). Au comte de Charolais remportant le prix de ses premières joutes à Bruxelles en 1451, > accroché au rideau refermé après chaque représentation29 . Quand Hercule secourt Hésionne, son intervention est donnée en modèle de comportement chevaleresque: >, «certain ouvraige et ediftïce de maison ( ... ) nagaires ordonné faire a lostel de mondit seigneur» 20 . Cela suppose aussi répondre à une question, semble-t-il, préjudicielle: administrativement ou juridiquement, les chantiers ducaux, au moins en ville, sontils réservés à des entrepreneurs «ducaux»? Selon toute vraisemblance, non. La procédure d'attribution des marchés ne contenait aucune clause privilégiant telle ou telle catégorie de main-d' œuvre: les entrepreneurs «ducaux» au détriment de leurs confrères «urbains» par exemple. L'adjudication au rabais et la publicité donnée aux appels d'offre étaient d'usage courant et, si nous en jugeons par un document de 1462 consignant les instructions données par la Chambre des Comptes à Pierre Le Carbonnier à propos de travaux à effectuer au Palais Rihour à Lille, l'une et l'autre avaient les préférences des instances ducales 21 . Pour des raisons évidentes. De coût: «en baillant lesdits ouvrages en tasche ( ... ) mondict 12. Cité par J.-A. VAN HOUTTE. De r;esehiedenis van Brugge, Ticlt-Bussum, 1982. 13. Au total près de deux cents comptes inédits ou peu s'en faut de 1281 à 1500. Ceux du XIVe siècle sont conservés aux Archives de la Ville de Bruges, ceux du XVe le sont à Bruges et à Bruxelles, Archives générales du Royaume, Chambre des Comptes, n°32461-32554. 14. Bruxelles, Archives générales du Royaume. Chambre des Comptes (cité désormais AGR, CC), n°27387, compte dressé par Alard Gherboud, 13 mai 1395-ler juillet 1396. 15. AGR, CC, n°27388, compte de Jehan Rauledre, 1445-1446. 16. AGR, CC, n°27391, état par manière de compte de Wauterquin le Marchant. 17. J\GR, CC, n°27389, compte de Gautier le Marchant, 6 juillet 1446-25 décembre 1449. 18. AGR, CC, n°27390, compte de Gautier le Marchant, Ier août 1446-25 décembre 1448. 19. AGR, CC, n°27392, compte de Jehan Rauledrc, 1448-1452. 20. A propos du Prinscnhof, voir M. RYCKAERT, Brugge, Bruxelles. 1991, p. 165 (Historische stedenatlas van België, sous la dir. de A. VERHULST et J.-M. DUVOSQUEL). 21. Document édité par M. BRUCHET, Notice sur la construction du Palais Rihour à Lille, dans Bulletin de la Commission historique du Département du Nord, t. XXXI, 1922, p. 255-259: «Memoire ou advcrtissement a maistre Pierre Le Carbonnier, conseiller de monseigneur le duc de Bourgoingne et maistre de ses comptes a Lille, de ce qu'il aura a dire et remonslrer a mondict seigneur et a messeigneurs de son Crant Conseil estans lez lui de par les gens de ses diçts comptes pour le fait de l'ouvrage de maçonnerie qui est a fere en la saison prochaine en !' ostel de mondict seigneur a Rihout a Lille et autres poins et affaires cy dessoubz declaréz». 130

seigneur aura meilleur marchie comme de la moitie ou du moins du tiers denier qu'il n'a pas eu cy devant» 22 , d'autant plus que «ce qui est mal fait ajournée se refait et repare aux despens de mondit seigneur, et ce qui est mal fait en tasche se repare et amende aux despens des marchens» 23 . Et de qualité: «ledict ouvrage sera ( ... ) de aussi bon ouvrage et meilleur que se il se faisait a journées» 24 . Sauf un souci de justice distributive, la concurrence pouvait pleinement jouer dans une telle procédure 25 , d'autant qu'il est très probable quel' adjudication au rabais était de mise. Les travaux effectués «a lostel de mon tres redoubte seigneur» le furent donc «par marchié». S'y ajouta la sous-traitance: «pour son sallaire et paine davoir fait et fait faire et charpenter en tache par marchie avec lui fait de par mondit seigneur (... )»26. Cela suppose encore que le marché global de l'emploi ne soit pas d'entrée de jeu faussé par des distorsions salariales. En d'autres termes que la main-d' œuvre ne soit pas attirée d'un côté ou de l'autre par de meilleures rémunérations. Si l'on en juge par les salaires journaliers payés aux maîtres et aux compagnons, ce ne fut pas le cas: de part et d'autre, 10 et 5 gros par jour27 . Cela suppose enfin que les travaux entrepris pour le compte du duc dans la cité du Zwin représentent, au moins potentiellement et à l'aune des travaux publics de Bruges, un marché important, voire très important, pour d'éventuels entrepreneurs brugeois 28 . Ce fut le cas. Surtout au cours des années 1445-1452: un budget de 5.994 lb. 6 s.6 d. de 40 gros monnaie de Flandre la livre pour les travaux figurant dans le compte de Gautier le Marchant (1446-1449) 29 . Marché ponctuel, certes, - quelques exercices comptables seulement, - mais d'autant plus précieux que le budget «travaux publics» de Bruges n'est pas stable (cfr graphique). Marché en tout cas non négligeable pour préserver ou consolider un chiffre d'affaires que mettrait à mal un ralentissement des dépenses urbaines en la matière, ce qui fut effectivement le cas des environs de 1440 à 1461 (cfr graphique). Ces préalables établis et eu égard à la problématique définie ci-dessus, les comptes «ducaux» nous révèlent deux images relativement contrastées. La première: lors des travaux effectués à l'hôtel ducal en 1395-I 39630 et dont Alard Gherboud, «concierge de lostel», nous révèle les détails, l'élite des entre-

22. 23. 24. 25.

26. 27. 28. 29. 30.

Ibid., p. 256. Ibid., p. 257. Ibid., p. 257. En ce qui concerne, par exemple, Je palais Rihour: «de baillier lesdicts ouvrages en tasche et pour ce fere, ont fait fere et ordonner trois devises de trois marchiez de l'ouvrage qui est a fere ladicte saison a venir, en entention de les envoier publier a Brouxelles, Tournay, Valenciennes, Douay et Lille» (Ibid., p. 255). AGR, CC, n°27389, 1446-1449, f'l4v Pour les travaux de la ville de Bruges, ils ont été publiés par J.-P. SOSSON, Les travaux publics de la ville de Bruges, XIVe-XVe siècles. Les matériaux. Les hommes, Bruxelles, 1977 (Collection Histoire Pro Civitate, sér. in-8°, 48). Idéalement, il faudrait également pouvoir apprécier l'importance du «secteur privé». Il est à peine besoin de préciser que cela demeure hors de portée. AGR, CC, n'27389. AGR, CC, n°27387, f' 1 «Compte Alard Gherboud, concierge de lostel de monseigneur le duc de Bourgogne, conte de Flandre, Dartois et de Bourgongne en sa ville de Bruges de tout ce qui! a receu et mis hors depuis le XIIIe jour de mais quatre vins quinze jusques au 0



131

preneurs brugeois est absente du chantier. En effet, à l'exception de Goossuin Couderuddere 31 qui est un important «maistre fevre et serurier en la ville de Bruges», les entrepreneurs (ils emportent tous les marchés en tâche) Clais de Duudzelle, charpentier, Jehan Spaignart, «maistre maçon» et Georges de le Velde, «couvreur de tieules» n'appartiennent pas au «Who's who», au «lobby» des travaux publics de la cité du Zwin. Pas plus qu'ils ne font partie du cadre technique de la Ville, - les «stedemeesters», - ou des serments des métiers. Les très importants entrepreneurs maçons et charpentiers de Bruges, les J. van Oudenaerde, M. van Luevene, C. van Aeltre, G. van der Houtmersch pour ne citer qu'eux, n'apparaissent pas 32 . Ils sont pourtant actifs en 1395-1396. Et il paraît en être de même de la main-d' œuvre rétribuée par un salaire joumalicr33 . Il n'est évidemment pas exclu pour autant que les uns et les autres soient brugeois. La seconde: sur les chantiers de l'hôtel ducal ouverts de 1445 à 1452, il n'en est pas de même. Au moins en ce qui concerne les marchés de charpenterie et de maçonnerie. Ils sont tous emportés par Antoine Gossin, «maistre charpentier de la ville de Bruges» (1.120 lb.p.; 500 lb. 12 s. de 40 gros, monnaie de Flandre, la livre; 126 lb. de 40 gros, monnaie de Flandre, la livre), et Michel Goetghebuer, «maistre maçon de la ville de Bruges» (848 1.14 s.p.; 1.943 lb. 2 s.6 d. de 40 gros, monnaie de Flandre, la livre; 107 lb. 14 s.4 d. de 40 gros, monnaie de Flandre, la livre). S'y ajoute, pour l'un et l'autre, l'achat d'une part importante des matériaux de construction, «ais dalemaigne», «aiz Danemarche» notamment34 . Le premier est charpentier de la ville à partir de 1449-145035 . Le second est maçon de la ville à partir de 1441-1442, et doyen de son métier en 1470-1471 et 14771478; on sait aussi qu'il s'efforcera par deux fois de s'imposer lors de la reconstruction de l'hôtel de ville de Damme en 1463-146436 . Incontestablement du beau monde. D'autres Brugeois sont présents sur le chantier, mais vraisemblablement des «seconds couteaux» 37 . Pour le reste, un chaudronnier et un plombier bruxellois 38 , un jardinier parisien39 , un jardinier lillois40 , un charpentier de Male41 , des couvreurs de chaume d'Oedelem et Eeklo42 ...

31. 32. 33. 34. 35. 36. 37.

premier jour de juillet !an mil CCC rnxx XVI. A cause de reparacions, ouvrages et edifices ordonnees par mondit seigneur le duc de Bourgongne, conte de Flandre, estre faictes par ladvis de Sandre Spierinc, bailli, et Jehan de Latre, escoutete de Bruges en son dit Hoste! de Bruges ainsi qui! appert par mandement de mondit seigneur, donne a Paris le XXIIIIe jour daoust lan mil CCC nrxx et quinze, lequel mandement est escript cy après de mot a mot devant la recepte de ce present compte, lequel compte se fait en monnaie de Flandre le noble de mondit seigneur compte a soixante douze solz par.». J.-P. SOSSON, op. cit., pp. 179, 180, 199. A leur propos, J.-P. SOSSON, op. cit., pp. 167-201. Liste dans ibid., pp. 180-186. AGR, CC, n°27389, f°16: «paires daiz Danemarche». J.-P. SOSSON, op. cit., pp. 182, 200 et n. 32, 33 et 35. J.-P. SOSSON, op. cit., pp. 169, 184, 188, 200 et n. 33, 201 et n. 35. Par exemple, Anthoine de Boven (couvreur de tuiles), Laurens vanden Velde (fèvre et serrurier), Jehan Le Lynier (cloutier), Guillaume van Hulst (plombier) (AGR, CC, n°27389, c 14v sqq.). AGR, CC, n°27389, f 0 23v 0 : «Clais van den Ghuchte, demourant à Brouxelles, chaudrons et buses de plomb», «Henry de le Driessche, chaudronnier demourant audit Brouxelles». AGR, CC, n°27389, f' 25v 0 : «Jacques Jacquelin, jardinier de Paris». AGR, CC, n°27389, f' 26: «Jacquemart du Bois, jardinier demourant a Lille». AGR, CC, n°27388, f 0 4v 0 : «A Jehan Moisne, carpentier demourant a Male». 0

38. 39. 40. 41.

132

Absence de l'élite brugeoise du «bâtiment» sur le chantier de l'hôtel ducal à la fin du XIVe siècle, participation au moins partielle de celle-ci sur le même chantier au milieu du XVe, comment expliquer ce contraste? Hormis les effets toujours possibles des hasards de la documentation et le fait qu'on ignore tout du secteur «privé», l'explication pourrait bien être de nature strictement économique43 . En effet, même si les dépenses de «travaux publics» sont modérées de 1391 à 1396, elles furent exceptionnellement élevées de 1379 à 1391 et de 1396 à 1405 (cfr graphique). La réfection et l'amélioration de l'enceinte battent en effet leur plein: les adjudications ont été et seront nombreuses, sans doute de quoi remplir les carnets de commande des gros entrepreneurs brugeois, qui auraient abandonné à d'autres des marchés, relativement peu importants d'ailleurs (au moins à l'aune brugeoise), - à peu près 10 % du budget «travaux publics» de Bruges en 1395-139644 , - et dont ils n'auraient eu en l'occurrence guère besoin pour se maintenir. A l'opposé, les années 1439-1448 sont une période de vaches maigres. Il faut attendre 1476 pour que, durant une quinzaine d'années, un niveau d'activités comparable à celui de la fin du XIVe siècle soit atteint (cfr graphique). De surcroît, le marché que représente le chantier de l'hôtel ducal est à ce moment de loin supérieur à celui des «travaux publics» de la cité du Zwin. Le «Who's who» brugeois du bâtiment ne s'y serait guère trompé qui s'empara, grâce à la procédure d'adjudication au rabais, des entreprises de maçonnerie et de charpenterie et ne laissa sans doute aucune chance au «menu fretin» en recourant à la sous-traitance. Cette fois, l'enjeu était de taille: de quoi conforter ou augmenter des chiffres d'affaire menacés par la faiblesse des dépenses publiques. En d'autres termes, utilisation d'un «volant de conjoncture». Certes, notre base documentaire est mince. Le cas dijonnais, plus précisément le chantier de la chartreuse de Champmol, -qu'étudie Eric Husson,- permettra sans doute d'y voir clair. Mais cet exemple précis incitera peut-être à prendre davantage en compte l'état et l'évolution de la conjoncture sectorielle dès lors qu'on tente d'évaluer, dans une ville importante, les retombées socio-économiques des chantiers ducaux. Chantiers «ducaux», chantiers «urbains»: deux mondes différents? La réponse paraît ne pas devoir être identique selon l'état de la conjoncture sectorielle.

42. AGR, CC, n°27388, f 0 5: «A Jehan Ogiers, Willem Riquart et Willem de Lare, couvreurs destrains demourant a Oedelem et Eclo». 43. Il n'est évidemment pas impossible, notamment au milieu du XVe siècle, que la politique ait joué un rôle. Notre collègue et ami W. Blockmans a, lors du colloque, très opportunément attiré notre attention sur ce point. Seule la méthode prosopographique permettrait de s'en assurer. 44. Le total des dépenses ne se monte qu'à 622 lb. 15 s. par. (AGR, CC, n°27387). Et les «marchiés en tache» ne sont pas importants: quelques dizaines de livres parisis.

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Livres parisis

1332-33 1336-37 1340-41

:j::-

t

J

1-

1344-45 1348-49 ::;.: 1352-53 1356-57 1360-61 1364-65 1368-69 1372-73

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1376-77 =te 1380-81

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1383-84

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1387-88

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1391-92 1395-96 1399-1400 1403-04

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t :t 1411-12 i 1415-16 ±

1407-08

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~:~::~~ 1± 1479-80

1483-84 1487-88

1

1491-92 L l :1 t 1495-96

±

1499-1500 :t

134

Bruxelles, KBR, ms.9243, fol. 146r

136

JEAN-MARIE CAUCHIES

Professeur aux Facultés universitaires Saint-Louis à Bruxelles et à l'Université catholique de Louvain

LA SIGNIFICATION POLITIQUE DES ENTRÉES PRINCIÈRES DANS LES PAYS-BAS: MAXIMILIEN D'AUTRICHE ET PHILIPPE LE BEAU

On pouvait lire dans le quotidien La Libre Belgique, en date du 17 septembre 1993, l'information suivante: «Comme il est de tradition au début d'un règne, le Roi et la Reine effectueront des 'Joyeuses Entrées'» dans le pays. Chacune d'elles comprendra notamment une rencontre avec les autorités et la population ainsi qu'une activité centrée sur un thème spécifique». En procédant de la sorte, LL. MM. Albert II et Paola entretinrent une tradition séculaire, familière aux historiens, celle des cérémonies d'inauguration ponctuant l'entrée en fonctions de nouveaux gouvernants et leurs premiers contacts officiels avec les gouvernés. Le 10 juillet 1486, Maximilien d'Autriche se trouvait à Bruxelles «OU, relate un compte de la recette générale des finances, il luy fut faite une bien riche et honnourable entree par ceulx de la ville, a cause de son nouvel advenement a roy» 1. Un an plus tôt, le 7 juillet 1485, le même prince s'était trouvé à Gand et, selon une chronique locale, «dede de voorscrevene hertoghe zyne entree binnen Ghendt, met groote macht van edelen ende andere volck van wapenen te paerde ende te voet» 2 . Des termes clés tels qu' «entrée» ou «avènement» suggèrent de prime abord un moment déterminant dans la carrière du prince, un début de règne. Or 1485/86 n'est pas un «début de règne» pour l'archiduc autrichien, époux et «prince consort» de Marie de Bourgogne dans les Pays-Bas en 1477, puis régent au nom de leur fils Philippe en 1482. Répertorier les inaugurations ou entrées des ducs de Bourgogne Philippe le Bon (1419-1467) et Charles le Hardi (1467-1477) dans leurs divers Etats est une tâche relativement aisée. Leurs principats furent assez «linéaires». Pour le second d'entre eux, des études fouillées de Pierre Quarré (Dijon, 1474) et

1. L.P. GACHARD, Collection des voyages des souverains des Pays-Bas, t. I, Bruxelles, 1876 (Commission royale d'histoire), p. 110 n. 4. 2. Dagboek van Gent van 1447 tot 1470 met een vervolg van 1477 tot 1515, édit. V. FRIS, t. II, Gand, 1904, p. 261.

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Peter Amade (Gand, 1467) fournissent de bons modèles 3 . Une thèse américaine récente ne relève toutefois pas moins de cent cinquante cérémonies du genre, au moins, pour les deux ducs 4 . L'entreprise devient plus complexe lorsqu'on aborde le gouvernement des premiers Habsbourg, en raison tant des événements troublés qui ont marqué le dernier quart du XVe siècle que des statuts personnels fluctuants qui furent ceux de Maximilien et Philippe. Nous serions incapable, dans l'état actuel de nos recherches et de nos lectures, de livrer un répertoire sûr, complet et définitif des inaugurations de Maximilien et de Philippe le Beau dans les Pays-Bas. Beaucoup de datations nous laissent encore perplexe, la réalité de plus d'une cérémonie demeure sujette à caution. Nous limiterons donc notre propos à deux objectifs: montrer la complexité du dossier et proposer une sorte de grille d'analyse de ce type de cérémonie. Priorité sera accordée non pas à l'aspect festif, mais à la dimension politique des événements. En principe, une seule >, des estrades en bois 45 . Jean Molinet se plaît à relater les illuminations mises sur pied46 . La musique tient aussi sa place, ainsi avec des joueurs de flûte, de trompette et d'autres instruments dans les entrées louvanistes 47 . Et on connaît l'usage des «tableaux vivants» 48 , inspirés de scènes profanes, tel le jugement de Pâris à Anvers (octobre 1494)49 et à Bruxelles (décembre 1496)50 , ou religieuses, bibliques - à Mons, en 1470, l'entrée de Marguerite d'York, duchesse de Bourgogne, avait donné lieu à l'organisation de quatre spectacles fixes principaux, avec lecture de «ballades» en vers, consacrés à des femmes de grand renom célébrées dans l'Ancien Testament, Judith, Abigaïl, la reine de Saba et Esther51 - . On y mêle volontiers inspirations religieuse et profane (mythologie, allégorie, histoire), sans se départir jamais d'une intention politique plus ou moins affirmée ou sous-jacente52 . Mais n'en déplaise à la fête, non dépourvue donc d'un souci didactique ou symbolique, et aux fêtards, la politique reprend bien vite ouvertement tous ses droits. Nous voici au cœur même de la cérémonie, avec les serments réciproques que le prince, acheminé au milieu des spectacles et de la foule, va prononcer et entendre sous la forme séculaire de dialogues soigneusement réglés, «vice versa», soulignera-t-on à Bois-le-Duc (1496) 53 . Un compte communal d'Ypres pour 1483 enregistre avec précision les frais supportés par le pensionnaire et un

45. 46. 47.

48.

49.

50. 51.

52.

53.

vale et de philologie, Paris, 1991, pp. 179-212. Voir aussi la description détaillée du cortège de Bruxelles en 1496 et de son «programme» iconographique fournie par W. BLOCKMANS, Le dialogue imaginaire... (dans ce volume). L. DEVILLERS, Le Hainaut .. ., 1483-1485, op. cit., pp. 368-369. Ainsi à Anvers, Malines, Bruxelles (ici, pendant six à sept jours, précise le chroniqueur), en juillet 1486: Chroniques de Jean Molinet.. ., t. I, pp. 524-526. G. HUYBENS, Bronnen voor de geschiedenis van het muziekleven te Leuven in de 16e eeuw (1471-1594), dans Muziek te Leuven in de 16e eeuw, édit. ID., Louvain, 1982, pp. 23-24. J.G. SMIT, Vorst en onderdaan .. ., op. cit., p. 196, par contre, estime musique, chant et théâtre.absents des entrées hollandaises (argument a silentio). Usage particulièrement apprécié dans les Pays-Bas à la fin du moyen âge, comme le souligne W.M.H. HUMMELEN, Het tableau vivant, de «toog», in de toneelspelen van de rederijkers, dans Tijdschrift voor Nederlandse taal- en letterkunde, t. CVIII, 1992, pp. 193-222. Chroniques de Jean Molinet.. ., t. II, pp. 397-398. En 1468, lors de l'entrée de Charles le Hardi à Lille, cette même scène y avait été parodiée: H. SOLY, Plechtige intochten .. ., op. cit., p. 345. M. HERRMANN, Forschungen zum deutschen Theatergeschichte .. ., op. cit., p. 391; 500 jaar Grote Raad... , op. cit., pp. 208-209. A. LACROIX, Relation en prose et en vers, de la Joyeuse Entrée à Mons, en 1470, de Marguerite d'Yorck d'Angleterre et de Marie de Bourgogne... , dans Mémoires et publications de la Société des sciences, des arts et des lettres du Hainaut, [les.], t. II, 1842, pp. 126-133. Comme le montre notamment E. KONIGSON, La cité et le prince: premières entrées de Charles Vlll (1484-1486), dans Les fêtes de la Renaissance, t. III (Quinzième colloque international d'études humanistes, Tours, 10-22 juillet 1972), édit. J. JACQUOT et ID., Paris, 1975, pp. 55-69 (cf. p. 60: «les expressions politique et religieuse du pouvoir sont intimement mêlées et présentées aux cités comme l'image légitime de la royauté»). A Saint-Omer (1490), deux scènes historiques font briller aux yeux de Philippe l'éclat de ses prédécesseurs comtes d'Artois et de sa propre dynastie: J. de PAS, Mystères et jeux scéniques à Saint-Omer aux XVe et XVIe siècles, dans Mémoires de la Société des antiquaires de Morinie, t. XXXI, 1913, p. 370. L.P.L. PIRENNE, 's-Hertogenbosch. .. , lac. cit.

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autre représentant de la collectivité locale dans plusieurs villes flamandes, pour «onsen prince [Philippe] te zien huldene, ontfanghene ende als heere eed gedaen tsine» 54 . Il peut s'agir d'engagements oraux de caractère général, sans que rien de précis ne soit spécifié, envers les coutumes, les privilèges en usage dans le pays ou la cité. Il se peut aussi que l'on précise la nature des textes visés: le cas récurrent des «Joyeuses Entrées» en Brabant, renouvelées lors de chaque avènement, est trop connu pour que l'on s'y attarde ici55 . De toute façon, dans une circonstance comme dans l'autre, nous sommes en présence de sermentscontrats «de nécessité constitutionnelle», selon l'heureuse expression, fût-elle anachronique dans le terme, d'Edmond Poullet56 . «Soe eest dat wy... hen in anse incompst ende ontfangen onser lande voirscr(even) verleent, gegeven ende geconsenteirt hebben alsulken privilegien, pointen ende vesticheden van rechte als hier nae volgen, te houden ende te gebruken». A la déclaration orale va succéder parfois la délivrance d'un acte écrit: à Louvain, la «Joyeuse Entrée» de Marie de Bourgogne du 29 mai 1477, celle de son fils en date du 9 septembre 1494, avec ses compléments de mars 1497 (n.st.), en sont des illustrations notoires 57 . Philippe le Beau fonde la sienne sur celles de ses aïeul et bisaïeul les ducs Philippe et Charles, en se gardant de reconnaître les concessions auxquelles avait été contrainte sa mère 58 . A Mons, chef-lieu du comté de Hainaut, on a pu identifier avec certitude quatre actes écrits pour la période considérée: deux serments de Maximilien au nom de son épouse («comme mary, bail et advoé» ), respectivement pour les Etats de Hainaut et la ville de Mons (2 novembre 1477); un autre du même au nom de son fils («comme pere, bail et legitime administrateur des corps et biens»), présenté comme un renouvellement de celui de 1477 pour la ville, dont il inclut le texte intégral (14 janvier 1484); enfin un acte de Philippe le Beau majeur (20 novembre 1497), ratifiant son serment inaugural montais du 31décembre1494 («nous feismes serment») et en constituant la forme écrite59 . Il ressort au

54. Handelingen ... , t. 1, p. 304. 55. Pour Marie de Bourgogne (29 mai 1477): De Blijde Inkomst van Maria van Bourgondië (29 mei 1477): Uitgave van de tekst en van een eigentijdse commentaar, édit. R. VAN UYTVEN (avec la collaboration de P. DE RIDDER), dans 1477. Le privilège général et les privilèges régionaux de Marie de Bourgogne pour les Pays-Bas, édit. W.P. BLOCKMANS, CourtraiHeule, 1985 (Anciens Pays et Assemblées d'Etats, t. LXXX), pp. 287-357. Pour Philippe le Beau (9 septembre 1494): Placcaeten ende ordonnantien vande hertoghen van Brabandt, t. 1, Anvers, 1648, pp. 179-189 (avec «additie» de mars 1497: pp. 189-192). 56. E. POULLET, Les constitutions nationales belgès de l'ancien régime à l'époque de l'invasion française de 1794, Bruxelles, 1875 (Mémoires couronnés et autres mémoires publiés par l'Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, coll. in-8°, t. XXV), p. 67; J-M. CAUCHIES, La Constitution, le serment et le prince dans le Hainaut ancien, dans Liber amicorum John Gilissen. Code et constitution. Mélanges historiques, Anvers, 1983, p. 60. 57. Cf. n. 55 ci-dessus. Pour le texte cité, cf. De Blijde lnkomst.. ., p. 289. 58. Cf. E. POULLET, Mémoire sur l'ancienne constitution brabançonne... , Bruxelles, 1863 (Mémoires couronnés et mémoires des savants étrangers publiés par l'Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, t. XXXI), pp. 287-288. 59. J.-M. CAUCHIES, Liste chronologique des ordonnances de Charles le Hardi, Marie de Bourgogne, Maximilien d'Autriche et Philippe le Beau pour le comté de Hainaut ( 14671506), dans Bulletin de la Commission royale pour la publication des anciennes lois et ordonnances de Belgique, t. XXXI (1982-1984), 1986, pp. 44, 58 et 96 (n° 86, 87, 143 et 277).

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contraire du silence total des sources que des inaugurations que nous qualifierons d' «intermédiaires», en 1485-8660 , n'ont pas donné lieu à la délivrance d'une charte de circonstance. Gestes et paroles, cérémonies vécues et imprégnation des mémoires par la vue et l'ouïe demeurent de toute évidence l'enjeu essentiel des rencontres privilégiées entre gouvernant et gouvernés que constituent pareils événements. L'octroi d'actes princiers, quand il a lieu, répond en outre à des règles de préséance, en particulier dans la «hiérarchie» entre les villes au sein de telle principauté: même si, depuis avant la Joyeuse Entrée de 1356, première d'une longue série, la primauté de Louvain en Brabant n'est plus totale, si un «rééquilibrage» est intervenu, si Bruxelles, «centre politique» du duché dès le règne de Jean Ier (3e tiers du XIIIe siècle), est sans conteste la résidence principale des ducs du XIVe siècle, Philippe le Beau se garde encore, en août 1494 à Anvers, de délivrer le moindre parchemin avant la cérémonie louvaniste de septembre61 . Quant à Bruxelles, l'archiduc ne semble lui rendre visite que près d'un an plus tard, en juillet 1495 62 . Louvain conserve bien une préséance séculaire, fût-elle de pure forme, le «rôle moteur» dans la politique brabançonne eût-il été définitivement cédé à la rivale proche63 . L'occasion est aussi offerte de solliciter du prince l'un ou l'autre privilège complémentaire. Maximilien y consent pour Anvers, le 3 janvier 1478, lorsqu'il confirme la «Joyeuse Entrée» de son épouse Marie, à la demande des Etats de Brabant64 . Dès mars 1477, trois mois déjà avant de prêter serment (25 juin), la jeune duchesse avait ratifié des privilèges communaux anciens de Malines et aboli par la même occasion un acte de Charles le Hardi qui les avait modifiés en 1467 65 . Le consensus apparent, recouvrant de son ample manteau le rituel en usage, peut fort bien y dissimuler de lourdes tensions et des conflits d'intérêts, même si les successeurs de Charles le Hardi ne verront pas, comme ce dernier à Gand en 1467, leurs entrées verser dans le tragique et la rébellion 66 . Des cérémonies ou des décisions connexes, simultanément à l'inauguration proprement dite et à la prestation des serments, sont destinées à frapper l'assistance à travers des marques, des manifestations concrètes de pouvoir, d'honneur ou de foi. A Gand, le 8 juillet 1485, Maximilien arme chevalier le grand doyen

60. Cf. supra. Les Chroniques de Jean Molinet... , t. 1, pp. 441, 448, relatent aussi les cas d' Audenarde et d' Alost (Flandre). 61. Op. cit., t. II, pp. 394-397. 62. Op. cit., t. II, p. 418. Cf. A. HENNE et A. WAUTERS, Histoire de la ville de Bruxelles, t. 1, Bruxelles, 1968 (réimp. 1845), p. 315. 63. Cf. A. SMOLAR-MEYNART, Bruxelles: l'élaboration de son image de capitale en politique et en droit au moyen âge, dans Bijdragen tot de geschiedenis, t. LXVIII, 1985, pp. 25-45, spécialement 30-31. La priorité reconnue à Louvain pour le serment ducal traditionnel devait perdurer jusqu'aux archiducs Albert et Isabelle: M. SOENEN, Fêtes et cérémonies publiques à Bruxelles aux Temps Modernes, ibid., p. 62. 64. F. VERACHTFR, Inventaire des anciens chartes et privilèges et autres documents conservés aux Archives de la ville d'Anvers (1193-1856), Anvers, 1860, p. 164. 65. P.J. VAN DOREN, Inventaire des archives de la ville de Malines, t. I, Malines, 1859, p. 164 (n° 247); la date du 25 juin est mentionnée dans l'analyse que fournit du compte de 147611477 H. JOOSEN, Inventaris van de stadsrekeningen van Mechelen (tot 1570), Malines, 1988 (Studia et documenta Mechlinensia, deel 3), p. 63. 66. Cf. P.J. ARNADE, Secular charisma ... , op. cit. (n. 3).

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des métiers 67 . A Bois-le-Duc, le 13 décembre 1496, Philippe le Beau est le parrain d'un juif allemand baptisé en cette circonstance68 . A Gand, le 14 mars 1497, le jour même de l'inauguration du couple princier, Jeanne de Castille, épouse de Philippe, révoque une sentence de bannissement prononcée par le Magistrat à la charge d'un individu coupable d'infidélité conjugale69 • Certes ce type de manifestation d'une «grâce» souveraine n'est-il pas rare lors des entrées, c'est le moins qu'on puisse dire70 ... Mais en l'espèce, on a pris soin de déposer l'original des lettres de Jeanne dans le chartrier communal gantois, ce qui pourrait indiquer la signification particulière qu'on leur a reconnue. Dans la même ville, Marguerite d'Autriche, sœur de l'archiduc, octroiera dans le même esprit, lors de son entrée du 8 mars 1500, des lettres de rappel de ban en faveur d'un condamné coupable de violences au domicile d'un bourgeois gantois, avec l'approbation expresse du Magistrat71 .

5. Le poids des traditions A vrai dire, les pratiques évoquées sont souvent vieilles de plusieurs siècles sans doute. Le XVe siècle n'innove guère en l'espèce, sinon, en raison de circonstances historiques, par la multiplication des inaugurations. C'est «naer doude costume», suivant l'ancien usage, que les Gantois invitent Philippe le Beau, en octobre 1494, à venir dans leurs murs 72 . Les endroits précis où se déroulent les cérémonies sont tellement classiques et connus qu'on n'éprouve pas toujours le besoin de les identifier. A Malines, on dresse une estrade devant le «Beyaert», l'hôtel de ville du temps, sur la grand-place (Maximilien, 1478) 73 . A Gand, on l'a vu, l'abbatiale Saint-Pierre, l'église paroissiale principale Saint-Jean (actuelle cathédrale Saint-Bavon) et le «Vrijdagmarkt» (Marché du Vendredi), la plus vaste place publique, sont les lieux usités (Maximilien, 1485)74 . Les abords de la collégiale Saint-Pierre, pour les privilèges du chapitre, et ceux de l'hôtel de ville, pour ceux du duché de Brabant tout entier (lus en thiois), s'animent à Louvain (Philippe, 1494)75 . L'hôtel de ville encore à Anvers, à l'issue d'une messe (même année)7 6 , ou à Breda («opter stadhuys sat te rechte»: Philippe, 1496)77 . L'église Saint-Aubain (pas encore cathédrale!), au pied de l'autel chargé de reliques et de saintes espèces,

67. Dagboek van Gent... , t. II, p. 261. 68. L.P.L. PIRENNE, 's-Hertogenbosch .... loc. cit. 69. P. VAN DUYSE et E. DE BUSSCHER, Inventaire ... ville de Gand, op. cit., p. 293 (n' 796). Entrée «en grant triomphe» relatée dans L.P. GACHARD, Collection des voyages .. ., t. I, p. 116 n. 5. 70. A Gand, en 1467 (Charles le Hardi), on cite un chiffre de bannis grâciés par le nouveau duc oscillant entre 543 et 784: P.J. ARNADE, op. cit., p. 77 (et n. 27)! 71. P. VAN DUYSE et E. DE BUSSCHER. op. cit., p. 298 (n' 814). 72. Handelingen .. ., t. II, p. 685. 73. H. CONINCKX, op. cit., p. 204. 74. Dagboek van Gent.. ., t. II, p. 261. Sur ce point du cérémonial traditionnel, cf. P.J. ARNADE, op. cit., pp. 70-71, 77-78. 75. Chroniques de Jean Molinet.. ., t. II, pp. 395-397. 76. Op. cit., pp. 397-398. 77. F.A. BREKELMANS, Aanzien en luister van de stad Breda van de J6de tot de J8de eeuw, dans Bijdragen tot de geschiedenis, t. LXVIII, 1985, p. 166.

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et le château, là aussi sur reliques et livres des Evangiles, à Namur (Philippe, 1495)78 . Autant que les emplacements, le cérémonial paraît éprouvé et ne laisse rien au hasard. Des cadeaux, en particulier, sont offerts ou échangés. Les uns relèvent aussi de traditions locales répétées, ici du vin, là du bétail, ailleurs un drap d'or. Les ornements mis en valeur sont d'un prix plus élevé encore dans certaines circonstances, tels ces dais processionnels (pallium, «poêle»)79 précieux, sans doute recouverts de drap d'or, sous lesquels, selon le chroniqueur officiel Molinet, Maximilien d'Autriche pénètre dans nos villes après son élévation à la royauté («des Romains»), à Anvers, Malines et Bruxelles («Ung palle fort rice» ), en juillet 148680 : il est vrai qu'un prince gouvernant le Brabant, fût-cc au titre de régent, n'accède pas tous les jours à semblable honneur, et que le dais est bien utilisé ici, comme il se doit, pour un vrai souverain81 ... Certaines inaugurations donnent lieu à de longues et fastidieuses tournées, d'autres sont concentrées en une seule cérémonie. On peut opposer à cet égard les visites de Maximilien en Hollande en 1478 (époux de Marie) et en 1482 (tuteur de Philippe). La première fois, au cours d'un périple que les sources disponibles font bien connaître, son cheminement de Dordrecht (25 mars) à Geertruidenberg (mi-avril) est émaillé d'une dizaine de manifestations officielles; la plus importante se déroule à La Haye, en présence des Etats du comté, dont l'archiduc confirme les privilèges en même temps que ceux de huit villes, représentées sur place. La seconde fois, une seule inauguration est jugée nécessaire, sans doute parce que l' Autrichien n'est plus un «inconnu»: à La Haye, elle comporte derechef des serments réciproques de Maximilien et des Etats 82 . Plus tard, Philippe le Beau, intronisé au début de son règne personnel dès le 9 septembre 1494 à Louvain et le 6 octobre à Anvers, se rend ensuite en Zélande (Reimerswaal, 6 novembre) et en Hollande (Geertruidenberg, 12 décembre) pour une seule inauguration par pays; dans les deux provinces septentrionales, on remarquera le choix de lieux frontaliers, proches du Brabant (Bergen-opZoom), où le jeune prince réside et peut rentrer aussitôt, ayant satisfait à ses devoirs élémentaires. Mais en juin 1497, il entreprendra une tournée de plus

78. J. BORGNET, Promenades dans la ville de Namur, op. cit., pp. 282-283. L'utilisation des Livres Saints n'est pas attestée couramment; en Hollande et en Zélande, on n'en trouve pas de trace avant le règne de Charles Quint: J.G. SMIT, Vorst en onderdaan .. ., op. cit., pp. 184-185. Dans ces deux comtés, aucune prestation de serment n'a davantage lieu dans une église: op. cit., p. 195. 79. Cf. B. GUENEE et F. LEROUX, Les entrées royales françaises de 1328 à 1515, Paris, 1968 (Sources d'histoire médiévale publiées par l'Institut de recherche et d'histoire des textes, 5), pp. 13-21, sur la signification royale et liturgique du dais. N. COULET, Les entrées solennelles en Provence au XNe siècle. Aperçus nouveaux sur les entrées royales françaises au bas moyen âge, dans Ethnologie française, t. VII, 1977, pp. 68-69, 70-71, 75-77, en illustre aussi l'importance dans le cérémonial d'entrée, en divergeant des deux auteurs précédents quant à ses origines possibles. 80. Chroniques de Jean Molinet .. ., t. l, pp. 524-526. 81. Cf. à ce sujet J. CHARTROU, Les entrées solennelles et triomphales à la Renaissance (1484-1551), Paris, 1928, p. 11. 82. H. KOKKEN, Steden en Staten .. ., op. cit., pp. 272-273. J.G. SMIT, Vorst en onderdaan .. ., op. cit., pp. 106-107, 108. La principale cérémonie hollandaise ( «generale huldiging») trouvait d'ordinaire place à La Haye ou à Dordrecht: op. cit., p. 187.

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d'un mois dans les villes hollandaises 83 . Cette fois, sans doute le «nouveau» gouvernant était-il trop connu et trop désiré pour qu'on lui imposât un périple au moment où il prenait en mains les rênes glissantes du pouvoir. Mais ce dernier étant mieux assis, il pouvait bien, trois ans plus tard, sacrifier à une tradition appréciée. Même si on ne le fait pas d'une manière systématique, on est fondé à se référer, pour entretenir la mémoire collective et souligner le bien-fondé des traditions, aux cérémonies organisées à l'intention de princes antérieurs. On peut le faire pour mettre en relief des similitudes volontairement entretenues. On peut aussi, comme nous l'avons relaté, situer l'étalon des concessions accordées: autant qu'un tel, mais pas davantage. Dans un important article, publié voici dix ans, Hugo Soly soutient la thèse suivante: l'évolution des cérémonies inaugurales entre les XVe et XVIe siècles, dans les Pays-Bas dits bourguignons puis espagnols, illustre la distance croissante qui y sépare les sujets de princes souvent absents, de surcroît toujours plus autoritaires et centralisateurs 84 . Moins de dialogue, plus de glorification? Wim Blockmans ne partage pas cette vision: la proximité du prince et du peuple restera grande, les bals populaires batteront encore leur plein, la foule demeurera dense 85 . Tl n'est toutefois pas aisé d'apprécier le sentiment exact qui anime les spectateurs: entre la simple curiosité, la volonté de participer à une liesse collective et le véritable attachement à un pouvoir et à des hommes, les nuances seraient de taille. Quoi qu'il en soit, plaçons-nous du point de vue princier. S'ils revêtent sans doute moins d'éclat qu'au temps économiquement plus fortuné et politiquement plus stable des ducs de Bourgogne, les hommages officiels rendus à plusieurs reprises à Maximilien et Philippe le Beau, par leur déroulement autant que leur répétition sans précédent, illustrent un effort majeur des princes Habsbourg du XVe siècle finissant. 11 s'agit pour eux d'intégrer des pays, des villes, des élites, des corps subordonnés, des communautés entières à leur édifice politique si longtemps déséquilibré par quelque quinze années de guerre et de troubles. Leurs entrées, en dépit de ce qu'en pensent certains auteurs et sans nier un instant leur caractère rituel, ne sont point de simples cérémonies formalisées 86 . Les sources narratives ont beau demeurer peu prolixes et en suggérer ainsi le caractère répétitif et coutumier: elles n'en démentent pas pour autant le caractère nécessaire, pour la dynastie et le peuple. Quatre cent nonante-neuf ans jour pour jour après Philippe le Beau, le Roi des Belges Albert II et la Reine Paola ont effectué une tournée officielle et inaugu83. L.P. GACHARD, Collection des voyages ... , op. cit., t. I, p. 118; H. KOKKEN, op. cit., p. 275; J.O. SMIT, op. cit., pp. 110-111, 112. 84. H. SOLY, Plechtigc intochten in de steden van de Zuidelijke Nederlanden .. ., op. cit. (n. 12), pp. 341-361, p(/ssim. C'est le point de vue auquel souserit aussi P. BREEMERSCH, L'entrée des archiducs Albert et Isabelle à Arras le 13 février 1600, dans Liber amirnrum. Etudes historiques offertes à Pierre Bougard, Arras, 1987 (Mémoires de la Commission départementale d'histoire et d'archéologie du Pas-de-Calais, t. XXV, et Revue du Nord, hors série n° 3), p. 183. 85. Remarque orale formulée à l'issue de notre communication de Lausanne. 86. Cf. le jugement restrictif trop peu nuancé de N. MOSSELMANS, Les villes face au prince.. ., op. cit. (n. 3), pp. 546, 548.

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ratoire dans leurs Etats. L'occasion est ainsi offerte de se souvenir qu'il s'agit là d'une très ancienne et vivace tradition royale et politique, tenant aussi pour la population tout entière une place dans les relations sociales, sans quel' on puisse en occulter un autre aspect encore, une dimension festive. Certes peut-on sourire quand on lit, sous la plume de l'archiviste Augustin Lacroix, relatant la