L'Antonymie: Fonctions Semantico-Referentielles de la Co-Presence d'Antonymes En Francais (Orbis Supplementa) (French Edition) 9789042941182, 9789042941199, 9042941189

S'appuyant sur un examen critique des nombreux travaux consacres a l'antonymie, cet ouvrage propose de la defi

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Table of contents :
TABLE DES MATIÈRES
I. INTRODUCTION: L’ANTONYMIE ENTRE LANGUE ET DISCOURS
II. L’ANTONYMIE DANS LE SYSTÈME DE LA LANGUE
III. LA COPRÉSENCE ANTONYMIQUE EN DISCOURS
IV. BILAN
V. EXTRACTION DE COPRÉSENCES ANTONYMIQUES: OUTILS ET MÉTHODES
VI. FONCTIONS SÉMANTICO-RÉFÉRENTIELLES DE L’ANTONYMIE EN DISCOURS
VII. BILAN
VIII. CONCLUSIONS
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES
INDEX DES NOTIONS
INDEX DES AUTEURS
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L'Antonymie: Fonctions Semantico-Referentielles de la Co-Presence d'Antonymes En Francais (Orbis Supplementa) (French Edition)
 9789042941182, 9789042941199, 9042941189

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ORBIS

S U P P L E M E N TA L’ANTONYMIE Fonctions sémantico-référentielles de la co-présence d’antonymes en français

Marie STEFFENS

PEETERS

L’ANTONYMIE

ORBIS / SUPPLEMENTA MONOGRAPHIES PUBLIÉES PAR LE CENTRE INTERNATIONAL DE DIALECTOLOGIE GÉNÉRALE (LOUVAIN) MONOGRAPHS PUBLISHED BY THE INTERNATIONAL CENTER OF GENERAL DIALECTOLOGY (LOUVAIN)

TOME 45

L’ANTONYMIE Fonctions sémantico-référentielles de la co-présence d’antonymes en français

MARIE STEFFENS

PEETERS LEUVEN – PARIS – BRISTOL, CT

2019

Ouvrage publié avec le concours de la Fondation Universitaire de Belgique et du Fonds de la Recherche Scientitique – FNRS

A catalogue record for this book is available from the Library of Congress.

© 2019, Peeters, Bondgenotenlaan 153, B-3000 Leuven ISBN 978-90-429-4118-2 eISBN 978-90-429-4119-9 D/2019/0602/123

À Moteur, parce qu’il y a toujours une lumière. À Gustave et Guillaume, mes apprentis linguistes préférés. Aux Grands-Mères, parce qu’elles le valent bien. Au Service, parce que tout seul on n’est rien.

TABLE DES MATIÈRES

Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

XV-XVI

Liste des abréviations et symboles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

XVII

I. Introduction: l’antonymie entre langue et discours . . . . . . . 1. Préciser les notions de relation antonymique, sens opposés et lexèmes antonymes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Décrire les fonctions sémantico-référentielles des coprésences antonymiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

1-11 4-7 7-11

Première partie: VERS UNE DÉFINITION DE L’ANTONYMIE

13-160

II. L’antonymie dans le système de la langue . . . . . . . . . . . . . 1. La notion d’antonymie, première délimitation . . . . . . . . 1.1. Brève histoire des termes antonymie et antonyme . 1.2. Antonyme, contraire et opposé: bilan terminologique 2. L’antonymie comme relation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1. Une relation sémantique et lexicale . . . . . . . . . . . . 2.1.1. La notion de catégorie prototypique. . . . . . . . . . . 2.1.2. La catégorie antonymie: antonymes prototypiques et antonymes périphériques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.3. Antonymes conventionnels et opposés non conventionnels: la notion de contexte . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.4. Antonymes canoniques et antonymes non canoniques: critères de canonicité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.5. Relation entre conventionnalité, prototypicité et canonicité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2. Une relation sémantico-lexicale parmi d’autres . . . 2.2.1. Différence entre antonymie et synonymie: degrés de similarité et d’opposition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.2. Rapports entre antonymie et co-hyponymie: définir la similarité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.3. Rôle de la polysémie dans l’appariement antonymique: emplois et classes d’objets . . . . . . . . . . . . . . .

15-125 15-19 15-18 18-19 19-42 20-28 21-22 23-24 24-26 26-27 28 29-42 29-30 31-35 35-39

VIII

TABLE DES MATIÈRES

2.2.4. Homonymie et appariement antonymique: le critère grammatical en question . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.3. Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. L’antonymie comme relation d’opposition . . . . . . . . . . . 3.1. Distinction logique entre contraires et contradictoires 3.1.1. L’opposition dans la logique classique. . . . . . . . . 3.1.2. De l’opposition logique à l’antonymie: modèle vériconditionnel de Robert Martin . . . . . . . . . . . . . . . 3.1.3. De la distinction contraire/contradictoire à la distinction contraire/complémentaire . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2. La «graduation»: son rôle dans la définition de l’antonymie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.1. Le processus psychologique et sémantique de graduation: le modèle de Sapir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.2. Définir deux opposés comme des pôles d’une échelle: le modèle d’Ogden . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.3. Des adjectifs définis par comparaison . . . . . . . . . 3.2.3.1. Distinction entre norme objective et norme subjective. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.3.2. Discussion: trois objections à la distinction entre adjectifs objectifs et non objectifs . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.3.3. Première distinction entre graduation, graduabilité et scalarité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.4. Des adjectifs définis par leur scalarité . . . . . . . . . 3.2.4.1. Distinction entre emplois scalaires et emplois non scalaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.4.2. Les systèmes monoscalaires: absence graduelle d’une propriété . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.4.3. Les systèmes biscalaires: présence graduelle de deux propriétés? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.4.4. Distinction entre lexèmes bornés et lexèmes non bornés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.4.5. Rapports entre graduation, graduabilité, scalarité et borne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.5. Graduation, graduabilité, scalarité et borne dans les autres parties du discours . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.5.1. Distinction entre antonymie primaire et antonymie secondaire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.5.2. Antonymie des substantifs . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.5.3. Antonymie des adverbes . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.5.4. Antonymie des verbes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

39-42 42 42-101 44-53 44-50 50-52 52-53 54-92 55-57 57-59 59-65 59-60 60-64 64-65 66-82 66-71 71-75 75-78 78-81 81-82 82-92 83 83-85 85-87 87-92

TABLE DES MATIÈRES

3.3. Termes intermédiaires ou neutres par rapport à une paire antonymique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3.1. Définitions du troisième terme d’une paire antonymique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3.2. Typologie des termes intermédiaires ou neutres . 3.3.2.1. Première distinction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3.2.2. Deux critères supplémentaires . . . . . . . . . . . . . . 3.4. Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.4.1. Rapport entre contrariété, scalarité et graduation 3.4.2. Trois définitions de l’antonymie étroite . . . . . . . . 3.4.3. Pour une définition binariste de l’opposition . . . . 4. L’antonymie comme relation d’opposition entre des lexèmes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.1. Trois catégories d’opposables non antonymes . . . . 4.1.1. Les conversifs: une catégorie d’antonymes?. . . . 4.1.2. Existe-t-il des antonymes de genre? . . . . . . . . . . 4.1.3. Opposables culturels: des oppositions conventionnelles non binaires. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.2. Caractéristiques sémantico-formelles des antonymes 4.2.1. Unités monolexicales et polylexicales . . . . . . . . . 4.2.2. Morphèmes dérivationnels: marques morphologiques de l’antonymie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.3. Inventaires d’antonymes: listes, dictionnaires et thésaurus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.3.1. Listes de «bons antonymes» . . . . . . . . . . . . . . . . 4.3.2. Dictionnaires d’antonymes . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.3.3. Renvois antonymiques dans les dictionnaires généraux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . III. La coprésence antonymique en discours . . . . . . . . . . . . . . 1. Interaction entre langue et discours. . . . . . . . . . . . . . . . . 1.1. Rhétorique et antonymes: la fin et les moyens. . . . 1.2. Au-delà de la distinction paradigmatique/syntagmatique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Modèles d’analyse des coprésences d’antonymes conventionnels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1. Fonctions de la coprésence antonymique . . . . . . . . 2.1.1. Le classement de Jones. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.2. Distinction entre procédés syntaxiques et fonctions de l’antonymie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.3. De l’ancillarité à la double mise en relation . . . .

IX

92-98 92-94 94-98 94-95 95-98 98-101 98-99 99 99-101 101-125 101-110 101-105 105-107 107-110 110-119 110-114 114-119 119-125 120-122 122-123 124-125 126-156 126-135 126-132 132-135 135-156 135-144 136-140 140-142 142-143

X

TABLE DES MATIÈRES

2.1.4. De l’antonymie coordonnée à l’expression de l’exhaustivité/nullité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2. Mise en relation co-textuelle de deux antonymes. . 2.2.1. Le modèle des patrons syntaxiques . . . . . . . . . . . 2.2.2. Des coprésences antonymiques sans patrons syntaxiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.3. Approche sémantico-logique de la mise en relation des antonymes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

144 144-156 145-147 148-154 154-156

IV. Bilan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157-160 1. Une définition précise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157-158 2. Deux descriptions nécessaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159 3. Trois questions en suspens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159-160 Deuxième partie: FONCTIONS DE L’ANTONYMIE EN DISCOURS

161-388

V. Extraction de coprésences antonymiques: outils et méthodes 1. Un corpus journalistique écrit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.1. Présentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.2. Raisons de ce choix . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Traitement du corpus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1. Établir une liste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2. Outils d’extraction automatique. . . . . . . . . . . . . . . . 3. Identifier deux lexèmes coprésents comme des antonymes en contexte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.1. L’appartenance catégorielle des lexèmes. . . . . . . . . 3.2. Le figement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3. La combinatoire des lexèmes . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.4. La variation diastratique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4. Cadre d’analyse des coprésences antonymiques . . . . . . . 4.1. Les antonymes comme lexèmes prédicatifs . . . . . . 4.2. Analyse des relations prédicats-arguments . . . . . . . 4.2.1. Structures simples et complexes. . . . . . . . . . . . . . 4.2.2. Schémas prédicatifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.2.3. Représentation schématique des coprésences. . . . 4.3. Critères de distinction entre simple mise en relation et double mise en relation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

163-186 163-165 163-164 164-165 165-169 165-167 167-169 169-176 170-171 171 172-175 175-176 176-186 176-179 179-183 179-180 180-182 182-183 183-186

VI. Fonctions sémantico-référentielles de l’antonymie en discours . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 187-373 1. Simple mise en relation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 187-223 1.1. Antonymes arguments d’un même prédicat . . . . . . 187-190

TABLE DES MATIÈRES

1.2. Fonction sémantico-référentielle d’expression de l’exhaustivité positive et négative . . . . . . . . . . . . . . . 1.2.1. Antonymes dans une fonction prédicative . . . . . . 1.2.2. Antonymes dans une fonction argumentale . . . . . 1.2.3. Antonymes dans une fonction d’actualisation . . . 1.2.4. Exhaustivité et négation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.2.4.1. Antonymes dans une fonction prédicative . . . . 1.2.4.2. Antonymes dans une fonction argumentale . . . 1.2.4.3. Antonymes dans une fonction d’actualisation. . 1.2.5. Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.3. Fonction sémantico-référentielle de (re)classement 1.3.1. Antonymes dans une fonction prédicative . . . . . . 1.3.1.1. Constructions négatives: Pas A1 (mais) A2 ou A1 (mais) pas A2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.3.1.2. Une évolution dans le temps: marques temporelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.3.1.3. Structures comparatives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.3.1.4. Structures interrogatives . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.3.2. Antonymes dans une fonction argumentale . . . . . 1.3.3. Antonymes dans une fonction prédicative et argumentale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.3.4. Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.4. Fonction d’anaphore . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.5. Fonction de définition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Double mise en relation: deux lexèmes différents non antonymes comme paire B . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1. Structures sémantico-syntaxiques . . . . . . . . . . . . . . 2.1.1. Antonymes dans une fonction prédicative . . . . . . 2.1.1.1. B1 et B2: arguments élémentaires . . . . . . . . . . . 2.1.1.2. B1 et B2: arguments prédicatifs simples . . . . . . 2.1.1.3. B1 et B2: arguments prédicatifs complexes. . . . 2.1.1.4. B1 et B2: arguments de deux prédicats identiques enchâssés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.1.5. B1 et B2: actualisateurs ou circonstants. . . . . . . 2.1.1.6. Paires hétérocatégorielles. . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.2. Antonymes dans une fonction argumentale . . . . . 2.1.2.1. B1 et B2: prédicats recteurs . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.2.2. B1 et B2: co-dépendants (avec les antonymes) de deux prédicats identiques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.3. Antonymes dans une fonction d’actualisation . . . 2.1.3.1. B1 et B2: prédicats recteurs . . . . . . . . . . . . . . . .

XI

190-208 191-195 196-197 197-199 199-207 200-203 203-206 206-207 207-208 208-221 209-217 209-212 212-215 215-216 216-217 217-218 218-220 220-221 221 221-223 224-267 225-267 225-254 225-236 237-238 239-243 243-247 247-250 250-254 254-259 255-258 258-259 259-266 260-265

XII

TABLE DES MATIÈRES

2.1.3.2. B1 et B2: co-dépendants de deux prédicats identiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.4. Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2. Fonction sémantico-référentielle d’ancillarité (au sens strict) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.1. Contraste entre B1 et B2 selon la dimension d’opposition A1 - A2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.2. Cadre référentiel commun aux référents de B1 et B2 2.2.3. Ancillarité et univers de croyance . . . . . . . . . . . . 3. Double mise en relation: deux lexèmes identiques non antonymes comme paire B . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.1. Structures sémantico-syntaxiques . . . . . . . . . . . . . . 3.1.1. Antonymes dans une fonction prédicative . . . . . . 3.1.1.1. B1 et B2: arguments élémentaires . . . . . . . . . . . 3.1.1.2. B1 et B2: arguments de deux prédicats identiques enchâssés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.1.1.3. B1 et B2: actualisateurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.1.1.4. Paires hétérocatégorielles. . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.1.2. Antonymes dans une fonction argumentale . . . . . 3.1.3. Antonymes dans une fonction d’actualisation . . . 3.1.4. Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2. Fonction sémantico-référentielle de sous-classement 3.2.1. Des antonymes qui définissent seuls l’intension d’une classe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.2. Sous-classement et exploitation pragmatique. . . . 3.2.3. Réfuter un sous-classement: une dimension sémantique non applicable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3. Fonction sémantico-référentielle d’expression de l’exhaustivité par rétroclassement. . . . . . . . . . . . . . . . 3.3.1. Définir l’exhaustivité par rétroclassement . . . . . . 3.3.1.1. Marqueurs d’exhaustivité. . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3.1.2. Indices d’exhaustivité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3.1.3. Exhaustivité sans rétroclassement apparent . . . 3.3.2. Définir l’exhaustivité négative ou nullité. . . . . . . 3.3.2.1. Nullité par rétroclassement . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3.2.2. Paires hétérocatégorielles. . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.4. Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4. Double mise en relation: paire B antonymique . . . . . . . 4.1. Structures sémantico-syntaxiques . . . . . . . . . . . . . . 4.1.1. Antonymes dans une fonction prédicative . . . . . . 4.1.1.1. B1 et B2: arguments prédicatifs simples . . . . . .

265-266 266-267 268-271 268 268-270 270-271 272-328 272-292 272-287 272-283 283-285 285-286 286-287 287-290 290 291-292 292-299 292-293 293-296 296-299 299-328 299-319 304-310 310-315 316-319 319-328 319-324 324-328 328 329-360 330-358 330-351 331-339

TABLE DES MATIÈRES

4.1.1.2. B1 et B2: arguments de deux prédicats différents enchâssés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.1.1.3. B1 et B2: actualisateurs ou circonstants. . . . . . . 4.1.1.4. Paires hétérocatégorielles. . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.1.2. Antonymes dans une fonction argumentale . . . . . 4.1.3. Antonymes subordonnés à des prédicats semblables (actualisateurs, arguments) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.1.4. Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.2. Fonction sémantico-référentielle: le double classement. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.2.1. Établir une corrélation ou une implication entre la paire A et la paire B . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.2.2. Double classement et généralisation: un mécanisme de manipulation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5. Questions transversales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.1. Combinaison de fonctions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.1.1. Ancillarité et sous-classement . . . . . . . . . . . . . . . 5.1.2. Ancillarité et exhaustivité négative . . . . . . . . . . . 5.1.3. Ancillarité et double classement. . . . . . . . . . . . . . 5.1.4. Double classement et reclassement . . . . . . . . . . . 5.1.5. Double classement et sous-classement . . . . . . . . . 5.2. Modulation de l’antonymie en discours . . . . . . . . . 5.2.1. Appariement multiple . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.2.2. Modulation par des adverbes . . . . . . . . . . . . . . . . 5.2.3. Multiplication des paires B. . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.2.4. Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VII. Bilan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. Six fonctions sémantico-référentielles des antonymes coprésents. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Trois réponses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1. Affinités entre structures de surface et fonctions discursives des antonymes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2. Affinités entre parties du discours et fonctions discursives des antonymes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.3. Affinités entre types d’opposition et fonctions discursives des antonymes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

XIII

339-340 340-349 349-351 351-355 355-356 356-358 358-360 358-359 359-360 361-373 361-366 361-362 363 363-364 364-365 365-366 366-373 366-368 368-370 370-372 372-373 374-000 374-379 379-383 379-380 380-382 382-383

VIII. Conclusions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 384-388 1. Une relation lexico-sémantique en langue . . . . . . . . . . . 384-386 2. Un rôle majeur d’organisation sémantico-référentielle en discours . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 386-388

XIV

TABLE DES MATIÈRES

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 389-398 ANNEXES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 399-400 INDEX DES NOTIONS. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 401-404 INDEX DES AUTEURS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 405-407

AVANT-PROPOS À travers un examen critique des travaux consacrés à l’antonymie, cet ouvrage propose de la définir comme une relation multiforme qui touche des unités très différentes sur les plans sémantique et morphosyntaxique mais dont l’unicité réside dans une opposition binaire fondamentale enracinée lexicalement. La modélisation qui y est développée combine de manière originale les notions de graduation, de graduabilité, de scalarité, de borne et de seuil pour forger l’identité sémantique de chaque paire d’antonymes, la rapprocher ou la distinguer des autres. Pour étayer cette réflexion, les fonctions sémantico-référentielles de la coprésence antonymique sont étudiées dans un large corpus journalistique francophone contemporain (Le Monde 1987-2006 et 2009-2011). L’étude sémantico-discursive que nous proposons dépasse les approches logiques de l’antonymie et de la négation (cf. Horn) en abordant l’opposition antonymique lexicale (cf. Blanché) à travers le sémantisme des antonymes dans leur contexte d’emploi discursif pour décrire le rôle de la coprésence antonymique dans la production du sens des énoncés dans lesquels elle s’insère. Cette approche discursive, inspirée par les travaux de Jones, intègre pour la première fois l’analyse des schémas prédicatifs dans lesquels les antonymes sont employés pour définir les fonctions discursives de l’antonymie dans une perspective qualitative. L’étude montre qu’à chacune de ces fonctions correspond un seul schème de dépendance syntaxique. La distinction entre les différents schèmes syntaxiques s’appuie sur l’identité ou la différence sémantico-référentielle entre les arguments des antonymes ou entre les prédicats dont ils dépendent. La correspondance entre les schèmes de dépendance syntaxique et les fonctions sémantico-référentielles des antonymes co-présents a fait l’objet d’une modélisation formelle compatible avec le traitement automatique des langues (TAL). La présente étude est le remaniement d’une thèse de doctorat, élaborée sour la direction de Marie-Guy Boutier et Pierre Swiggers à l’Université de Liège et soutenue le 1er avril 2014. La présente publication constitue une révision approfondie et un élargissement de notre thèse; nous tenons à remercier nos promoteurs et les membres du jury de thèse, MM. Salah Mejri, Georges Kleiber, Jean Klein et Nicolas Mazziotta de leur remarques et suggestions. Nous sommes également très redevables aux relecteurs

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AVANT-PROPOS

anonymes, désignés par le FNRS et la Fondation universitaire, pour leur lecture attentive et leurs observations critiques. Nous souhaitons témoigner notre reconnaissance à tous ceux et celles qui ont, à des degrés divers, rendu possible les différentes étapes de la conception de cet ouvrage, notamment Sylvain Loiseau, Joël Eline, Damon Mayaffre, Dominique Longrée, Bruno Leclerq, Bruno Courbon, Cyril Briquet, Esther Baiwir, Pascale Renders, Claire Ducarme, Isabelle Halleux, Évelyne Favart, Vanessa Hamoir, Sara Decoster et Ginette Gillard. Nous remercions particulièrement tous ceux et celles qui, de près ou de loin, nous accompagnent sur le chemin sinueux de la recherche et de la vie, essentiellement Ghislaine Raskin, Gustave Steffens, Guillaume Steffens, Henriette Vitrier, Maria Gielen, Maryse Piqueray, Sylvie Gaillard, Elisabeth Willemaers, Laurence Da Via, Monique et André Stroykens, Ann et Frank Deschamps, Elisabeth et Joris Bekaert, Astrid Lejeune et Yves Dubuisson, Delphine Lallemand, Audrey Castela, Marianne et Jean Dubuisson, Catherine Lahaye, Angélique Lejeune, Kevin Urganci, Anna Constantinidis, Tamara Clobus, Mehdi Sayah, Anne-Sophie Gaillard, Isabelle de Ghellinck, Quentin Bullens, Yvonne Vermijn, Marica Ortiz, Sabine Steiner, Cristina Molteni, Lucia Markova, Annette Bellot-Brulls et bien d’autres. Nous tenons enfin à remercier le Fonds de la Recherche ScientifiqueFNRS et la Fondation Universitaire pour le soutien financier accordé à notre projet doctoral et à la publication de cet ouvrage.

LISTE DES ABRÉVIATIONS ET SYMBOLES A1 / A2 arg1, arg2, arg3 B1 / B2 C, D comp GMF NE P rel SF SjPC SPM SpS SPU SubstAdj X // Y X=Y X–X ¬X о trop

X Xhier P X+Y A2 A1 B2 B1 arg P c

P X

Y

membres d’une paire antonymique arguments en position sujet (arg1) et complément (arg2, arg3) membres d’une paire B, lexèmes mis en relation grâce aux antonymes lexèmes arguments non antonymes structure comparative groupements de mots figés argument non exprimé prédicat proposition subordonnée relative séquences figées séquence sujet-prédicat-complément structure à prédicats multiples séquence substantif-préposition-substantif structure à prédicats unique séquence substantif-adjectif quasi-synonymie de deux lexèmes co-référence de deux lexèmes différence référentielle entre deux lexèmes de forme identique négation chacune des instanciations d’un lexème qui n’est explicité qu’une fois modulation adverbiale en exposant (comparatif, quantité, etc.) actualisateur en indice explicitation d’un prédicat sous-entendu nécessaire à l’interprétation arguments de même rang relation entre des antonymes relation entre les membres d’une paire B relation d’un prédicat à ses arguments, numérotés s’ils sont de rang différent relation d’un prédicat à ses compléments circonstanciels séquence figée

I. INTRODUCTION: L’ANTONYMIE ENTRE LANGUE ET DISCOURS

Depuis Aristote, de nombreux travaux, riches et stimulants, ont été consacrés aux «mots qui, par le sens, s’opposent directement l’un à l’autre» (Grevisse 2003: 31). À partir du XIXe siècle, les relations entre ces mots, appelés contraires dans le langage courant, sont répertoriées dans les dictionnaires de langue et dans des dictionnaires spécialisés. Traditionnellement, le lexème antonymie, bien connu en linguistique et dans le langage scolaire1, désigne la relation entre ces mots, les antonymes, dont les sens sont opposés. Dans la pratique lexicographique, le terme antonymie est en général appréhendé à travers antonyme. Ce terme est ainsi défini comme «opposition entre antonymes» (Grand Robert de la langue française 2001). Le Grand Larousse de la langue française (1971-1978) définit antonyme par «mot dont le sens est opposé à celui d’un autre», le Grand Robert de la langue française (2001) le définit par «unité lexicale (mot, etc.) ou syntagme dont le sens est contraire (à un autre de même nature)», le Lexique de terminologie linguistique de Marouzeau par «terme de sens contraire à un autre terme» (Marouzeau 1951)2. Le Dictionnaire de linguistique de Dubois et al. définit le terme au pluriel par «unités dont les sens sont opposés, contraires […]» (Dubois et al. 2007)3. En sémantique structurale4 et dans les études lexicales liées à la linguistique générative5, l’antonymie est définie, dans le système de la langue, comme une «relation d’opposition paradigmatique» entre des «lexèmes de sens opposé» (Lyons 1978: 218-219).

1 Voir notamment les manuels scolaires comme le manuel de vocabulaire 1000 mots pour réussir (Lebrun ‒ Poumarède, Paris, Belin). Voir Combettes (1984) et Masseron (1984) pour d’autres exemples de travaux sur l’antonymie dans un cadre scolaire. 2 Définition reprise par le Trésor de la langue française (1971-94). 3 Pour d’autres définitions lexicographiques des termes antonymie et antonyme, voir Martin (1973: 43) et Van Overbeke (1975: 137). 4 Voir notamment Duchaček (1965), Lyons (1967 et 1978), Martin (1973, 1976a et 1976b), Lehrer ‒ Lehrer (1982) et Cruse (1986). 5 Voir notamment Katz (1972) et Ljung (1974).

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M. STEFFENS

En psycholinguistique6, en linguistique computationnelle7 et en linguistique cognitive8, les antonymes sont étudiés par deux dans des séquences phrastiques syntagmatiques9 qui les mettent en coprésence. Dans cette perspective, l’antonymie est définie comme la construction discursive d’une relation lexicale particulière entre deux lexèmes qui ont pour propriété de s’opposer en discours: «the pair-wise relation of lexical items in context that are understood to be semantically opposite» (Jones et al. 2012: 127). Quel que soit le modèle sémantique qui la définit, l’antonymie est donc fondée sur une opposition. Celle-ci peut être décrite au moyen de la distinction logique entre (propositions) contraires et (propositions) contradictoires et/ou modélisée grâce à des échelles sémantiques dont les antonymes constituent des pôles de tension. Les enjeux principaux de ces modélisations sont 1) de justifier l’appariement de deux lexèmes, autrement dit de montrer l’existence d’un lien oppositif particulier entre ces lexèmes (comparer la relation grand/petit et la relation grand/immense); 2) de donner un statut aux tertia, c’est-àdire aux lexèmes souvent associés à une ou plusieurs paires d’antonymes et dont le sens est défini négativement par rapport à eux (grand/petit/ moyen); 3) d’objectiver à l’aide de tests linguistiques les distinctions entre différents types d’opposition de sens entre deux lexèmes (comparer l’opposition entre les contraires grand et petit, qui peuvent être simultanément niés, avec l’opposition entre les contradictoires mort et vivant, qui ne peuvent pas l’être).

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Voir notamment Deese (1964), Clark (1970), Charles ‒ Miller (1989). Voir notamment Justeson ‒ Katz (1991) et les travaux en traitement automatique des langues (TAL) de Schwab (2001) et Schwab et al. (2002 et 2005). 8 Voir notamment Cruse ‒ Togia (1995), Croft ‒ Cruse (2004) ainsi que les travaux du Comparative Lexical Relations Group (ci-après CLRG, http://www.f.waseda.jp/ vicky/complexica/). Ce groupe a été formé, suite à une rencontre à Lund en 2004, par les linguistes Steven Jones, Lynne Murphy, Carita Paradis, Caroline Willners et Victoria Muehleisen. Les travaux des membres du CLRG, inscrits dans une approche cognitiviste des relations lexicales, portent notamment sur l’antonymie, sa définition, les mécanismes qui provoquent son acquisition par les locuteurs, son rôle discursif et les caractéristiques de ses paires les plus exemplatives. Les membres du CLRG (sauf Muehleisen) ont collaboré à la rédaction d’un ouvrage (Jones et al. 2012), qui fait la synthèse de leurs recherches respectives sur ces questions et dont nous discuterons les grandes lignes dans la suite. 9 La distinction entre les axes paradigmatique (relations entre lexèmes en absence, au sein d’un ensemble défini) et syntagmatique (relations entre lexèmes en présence dans une structure discursive) qui fonde la divergence entre définition structurale et définition cognitive de l’antonymie est héritée de Jakobson (1963). 7

I. INTRODUCTION: LANTONYMIE ENTRE LANGUE ET DISCOURS

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Comme le montrent ces différentes définitions, la nature relationnelle de l’antonymie («relation d’opposition», «pair-wise relation»), le caractère oppositionnel de cette relation («mots qui s’opposent», «dont le sens est opposé», «lexèmes de sens opposé», «semantically opposite») et le fait qu’elle unisse des unités lexicales («mot», «unité lexicale», «lexème», «lexical items») sont les trois éléments définitoires minimaux consensuels des termes antonymie et antonyme, que l’on retrouve dans de multiples dictionnaires généraux ou spécialisés en linguistique et dans de nombreux travaux de recherche. Plus récemment, un nombre croissant d’études ont été consacrées au comportement discursif des antonymes. À cet égard, trois types d’études peuvent être distingués. (1) Le premier type d’étude discursive sur l’antonymie regroupe les travaux rhétoriques et pragmatiques qui analysent les usages de lexèmes antonymes en discours en tant qu’ils participent, au même titre que des syntagmes ou des phrases de sens opposés, à la création de figures de style comme le paradoxe (voir, par exemple, Landheer et Smith 1996), l’oxymore (voir notamment Berbinschi 2003 et Monte 2008), l’antithèse (voir notamment Guénot 2008), la réfutation et la négation polémique (voir Moeschler 1981, par exemple) ou la contradiction (voir François 1971 ou Kerbrat-Orecchioni 1984). Dans ces travaux, les antonymes ne sont étudiés que comme des instruments parmi d’autres au service d’une visée énonciative. (2) Le deuxième type d’étude vise à identifier quelles sont les unités que l’on peut opposer en discours et à décrire les processus de création de «nouveaux antonymes» contextuels à côté des paires antonymiques codées dans le système de la langue (voir notamment Davies 2007 et Jeffries 2010, cités dans Jones et al. 2012: 30). L’adoption de cette perspective par Berbinschi la conduit à définir, dans un cadre structuraliste, l’antonymie comme «une relation sémantico-discursive entre deux items qui s’opposent de façon contradictoire» (Berbinschi 2003: 627). L’antonymie est donc envisagée comme une relation fondamentalement discursive. On peut dire, en termes saussuriens, qu’elle relève de la parole plutôt que de la langue. L’objet d’étude est alors toute opposition en discours, quels que soient les moyens de l’exprimer. Autrement dit, est appelée antonymie toute relation d’opposition en discours et pas seulement la relation entre deux lexèmes considérés comme des antonymes hors du contexte d’énonciation particulier qui est étudié.

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M. STEFFENS

Ces deux premiers types d’étude proposent des analyses au niveau du texte, elles concernent le discours en tant qu’enchaînement d’énoncés qui participent d’une intention énonciative particulière. Le troisième type d’étude se concentre davantage sur le niveau de la phrase où se nouent les relations syntagmatiques entre lexèmes antonymes. (3) Le troisième type d’étude porte sur le déploiement en discours, dans différents contextes et dans des usages rhétoriques ou non rhétoriques, de la relation entre deux lexèmes reconnus comme des antonymes conventionnels. Ce déploiement n’est, en tant que tel, l’objet que d’un nombre restreint d’études. Ces études, fondées sur l’analyse empirique de corpus de données textuelles, envisagent l’antonymie discursive sous deux aspects: 1) les structures syntaxiques, appelées patrons syntaxiques, qui sous-tendent la coprésence des antonymes en discours et 2) les «fonctions discursives» que leur mise en relation peut remplir. Pour l’anglais, les patrons syntaxiques ont été décrits, à partir d’un corpus littéraire, par Mettinger (1994). Ces patrons sont repris et enrichis principalement par Jones (2002) et adaptés au français par Morlane-Hondère (2008). Le second aspect a été développé essentiellement par Jones (2002) qui classe les coprésences antonymiques en dix catégories, fondées sur les différentes «fonctions discursives» (discourse functions) qu’elles peuvent exercer. À chaque «fonction» sont associés des patrons syntaxiques privilégiés. Dans ce contexte, l’objectif du présent ouvrage est double. Il vise 1) à construire une définition précise de l’antonymie, au terme d’un état des recherches sur la relation d’antonymie dans le système de la langue et dans son actualisation en discours (I, 1) et 2) à décrire les principales fonctions sémantico-référentielles qu’exercent les antonymes du français lorsqu’ils sont coprésents en discours en s’appuyant sur l’étude des fonctions discursives de l’antonymie en anglais, proposée par Jones (2002) (I, 2).

1. Préciser les notions de relation antonymique, sens opposés et lexèmes antonymes Au vu de la définition structurale et de la définition cognitive des termes antonymie et antonyme, il est clair que le consensus s’arrête aux trois éléments définitoires minimaux identifiés ci-dessus. Pour construire une définition plus précise de l’antonymie, il s’agit d’expliciter ces éléments, ce qui nécessite des prises de position théoriques quant à:

I. INTRODUCTION: LANTONYMIE ENTRE LANGUE ET DISCOURS

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1) la nature à la fois sémantique et lexicale de la relation d’antonymie ainsi que son caractère paradigmatique et/ou syntagmatique; 2) l’intension et l’extension de l’opposition sémantique; 3) la détermination des unités lexicales comme antonymes par excellence, et corollairement la définition morpho-syntaxique des unités lexicales antonymes et leur catégorisation. Les orientations théoriques privilégiées pour le traitement de ces trois questions impliquent, plus largement, le choix d’un modèle sémantique qui dépasse le cadre de l’antonymie, mais dans lequel cette relation sémantique particulière peut être décrite. Les principaux courants théoriques qui se sont intéressés à l’antonymie sont la sémantique structurale et la sémantique cognitive. Leur approche de l’antonymie est très différente: la sémantique structurale la conçoit comme une relation stable en langue qui participe à la structuration du lexique alors que la sémantique cognitive l’envisage comme une production discursive renégociée dans chaque contexte, mais susceptible de devenir plus ou moins conventionnelle. Les avantages de chacune de ces deux approches peuvent être évalués théoriquement et empiriquement en regard du comportement des antonymes dans des environnements contextuels qui les mettent en coprésence. Ce type d’évaluation permet la construction d’une définition précise de l’antonymie, qui condense dans une forme synthétique les choix théoriques et méthodologiques relatifs aux trois éléments définitoires consensuels de l’antonymie. La construction d’une telle définition est l’un des objectifs de cet ouvrage. Si remarquables soient-ils, les travaux sur l’antonymie sont majoritairement organisés autour de l’étude d’un nombre limité de paires de lexèmes entre lesquels est mise au jour une relation d’opposition que tout locuteur de la langue étudiée (essentiellement l’anglais) identifie à coup sûr, par exemple dans le cadre de tests d’association (voir notamment Deese 1964, pour l’anglais; Pohl 1966 et 1970, pour le français). Les différentes modélisations de l’antonymie sont construites à partir de lexèmes considérés comme de «bons antonymes» (voir notamment Cruse 1986), c’est-à-dire des lexèmes dont la relation est particulièrement représentative de ce qu’est l’antonymie. Ces modélisations sont appliquées, de façon quasi exclusive, à l’antonymie des adjectifs; les antonymes relevant des autres parties du discours ne sont que rarement étudiés. Les relations antonymiques primaires, c’est-à-dire entre deux lexèmes non dérivés d’autres lexèmes10, sont, en effet, les plus nombreuses parmi les adjectifs et les verbes. Aussi, la 10 L’adjectif primaire est ici employé par opposition à secondaire, mentionné dans la suite du texte. Nous reviendrons sur cette distinction dans la Première Partie (II, 3.2.5.1.).

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M. STEFFENS

majorité des études de l’antonymie portent-elles essentiellement — voire uniquement — sur les adjectifs (Kleiber 1976, Rivara 1993), même si quelques-unes d’entre elles évoquent aussi les verbes (Cruse 1986, Giermak-Zielińska 1987, Jones 2002). Peu d’études sont spécifiquement consacrées aux verbes (voir Nellessen 1982 et Apothéloz 2007). Les substantifs, dont une classe importante, celle des noms à référent concret, n’est pas concernée par l’antonymie (voir Geckeler 1983 et Rey-Debove 1998), ne sont pratiquement étudiés qu’en tant qu’ils forment des paires antonymiques secondaires, c’est-à-dire dérivées de paires antonymiques appartenant à d’autres parties du discours, essentiellement des adjectifs (voir Klein 1975 et Winther 1980). Les relations antonymiques primaires entre substantifs à référent abstrait (jour/nuit, par exemple) ne sont quasiment pas étudiées. Quant à l’antonymie des adverbes, elle n’a fait l’objet d’aucune étude. En tant qu’elle fait partie du système de la langue, l’antonymie, qui concerne toutes les parties du discours, devrait être modélisée en tenant compte d’un grand nombre de lexèmes antonymes pour déterminer si la distinction entre différents types d’opposition coïncide avec la distinction entre les parties du discours. Une modélisation de l’antonymie qui puisse être appliquée aux lexèmes du français nécessite que les tests linguistiques sur lesquels elle s’appuie soient adaptés à la langue étudiée, de sorte qu’il soit possible de déterminer si les catégories d’opposition que ces tests permettent d’identifier sont les mêmes dans toutes les langues et si les équivalents des paires antonymiques dans différentes langues peuvent être classés dans les mêmes catégories. Des différences linguistiques de classement pourraient faire l’objet d’une étude comparative. La réalisation d’une telle étude n’est pas l’objectif de cet ouvrage. Nous cherchons (1) à faire l’état des modélisations proposées pour l’antonymie, essentiellement des adjectifs en anglais; (2) à identifier les éléments constitutifs de ces modélisations; (3) à les combiner de manière structurée pour étendre les modèles proposés à d’autres parties du discours, en identifiant les points communs aux antonymes, toutes parties du discours confondues, et les spécificités des paires antonymiques relevant de chaque partie du discours; (4) à les appliquer à la description de l’antonymie en français. Nous décrivons l’antonymie comme une relation sémantique et lexicale et envisageons ses rapports avec les autres relations sémantico-lexicales, afin de mettre en évidence ses spécificités. Cette description rend possible la modélisation de l’opposition sémantique entre deux antonymes en

I. INTRODUCTION: LANTONYMIE ENTRE LANGUE ET DISCOURS

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combinant de manière systématique quatre notions présentes dans les travaux sur l’antonymie, les notions de graduation, de polarité, de borne et de seuil. Cette modélisation rend compte de l’opposition entre des paires de mots appartenant à toutes les parties du discours, en mettant en évidence les spécificités liées à chaque partie. Cette modélisation doit également tenir compte du fait que la relation lexicale d’antonymie peut s’actualiser en discours sous la forme de coprésences d’antonymes. La définition de l’antonymie ainsi construite a permis d’extraire d’un corpus de textes journalistiques, constitués par des articles du journal Le Monde, des séquences phrastiques qui contiennent deux lexèmes coprésents, identifiés comme des antonymes selon les critères que nous avons établis. Les analyses menées sur ces séquences permettent d’affiner cette première définition.

2. Décrire les fonctions sémantico-référentielles des coprésences antonymiques Parmi les dix fonctions discursives de l’antonymie que décrit Jones (2002,), l’une se distingue par sa fréquence élevée et par le fait qu’elle ne peut être associée à aucun patron syntaxique particulier. Cette fonction est appelée antonymie ancillaire (ancillary antonymy). Elle est identifiée dans des phrases comme I LOVE to cook but I HATE doing the dishes (Jones 2002: 45)11 dans lesquelles l’emploi d’une paire d’antonymes en coprésence (love/hate) permet de créer ou de renforcer l’opposition entre les membres d’une autre paire de lexèmes ou de syntagmes (cook et doing the dishes). L’identification du phénomène que recouvre l’appellation antonymie ancillaire est une avancée importante en raison de la grande fréquence d’emploi simultané, dans un énoncé donné, des deux membres d’une paire antonymique A pour appuyer, voire rendre possible, la mise en relation d’autres unités ou groupes d’unités présents dans le même énoncé et qui forment ainsi une paire B. Pour identifier ce phénomène et le décrire dans nos exemples en français, en dehors du cadre théorique dans lequel le place Jones, nous lui donnons le nom de double mise en relation. À la lumière des travaux de Jones, deux questions émergent en ce qui concerne la double mise en relation: (1) Quelles sont les structures sémantiques et syntaxiques qui permettent l’émergence de ce phénomène 11

Dans la suite, les antonymes coprésents seront signalés par des petites majuscules.

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et, corollairement, existe-t-il des structures qui la bloquent?; (2) Quels sont les critères sémantiques et syntaxiques qui permettent d’identifier les membres de la paire B? Pour répondre à ces deux questions, la double mise en relation sera étudiée dans un modèle, plus large que celui de l’antonymie ancillaire de Jones, qui repose principalement (a) sur la description des relations sémantiques et syntaxiques qu’entretiennent les antonymes avec leur environnement linguistique dans les énoncés dans lesquels ils sont coprésents; (b) sur la description des rôles sémantiques et référentiels que les coprésences antonymiques jouent dans ces énoncés. Le présent ouvrage propose des outils d’analyse capables de décrire les mécanismes sémantiques et syntaxiques qui sous-tendent les coprésences antonymiques. L’application de ces outils aux données extraites du corpus sert à définir les principales fonctions sémantico-référentielles des antonymes coprésents et à décrire les conditions dans lesquelles ces fonctions s’exercent. L’analyse d’un grand nombre d’attestations de coprésences antonymiques permet d’appréhender la diversité des manifestations de l’antonymie en discours, tant au niveau de l’inventaire des paires d’antonymes que des structures formelles dans lesquelles elles apparaissent. Notre travail porte sur les fonctions de la coprésence d’antonymes conventionnels en discours. Dans ce cadre, il convient d’entendre discours, par opposition à langue «système de valeurs virtuelles», comme «l’usage de la langue dans un contexte particulier, qui filtre ces valeurs et peut en susciter de nouvelles» (Charaudeau – Maingueneau 2002: 185). Nous employons le terme coprésence et non le terme cooccurrence parce que notre étude ne comporte pas de dimension statistique12.

12 En ce qui concerne l’antonymie, le terme cooccurrence est utilisé dans les études lexicométriques qui mesurent statistiquement la régularité des présences simultanées de deux antonymes dans un même contexte linguistique (Mayaffre 2008: 55). De nombreuses études statistiques en lien avec la coprésence antonymique sont possibles. Elles peuvent porter, par exemple, sur la fréquence d’apparition simultanée de deux antonymes dans le même contexte dans un corpus littéraire (Justeson ‒ Katz 1991, Muller 1984, Brunet 2006) ou, dans d’autres types de corpus, sur leur fréquence d’apparition dans certaines configurations syntaxiques ou pour remplir certaines fonctions (Jones 2002, Jones et al. 2012) ou sur la fréquence d’apparition de paires dont les membres appartiennent à des parties du discours différentes (voir Fellbaum 1995). De telles études quantitatives, sur des corpus francophones, rassemblant idéalement divers genres textuels, pourraient faire l’objet de travaux ultérieurs; la présente analyse est exclusivement qualitative.

I. INTRODUCTION: LANTONYMIE ENTRE LANGUE ET DISCOURS

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Dans la plupart des travaux consacrés à la coprésence antonymique, qu’ils l’envisagent ou non dans une perspective statistique, seuls les «bons antonymes» sont étudiés. Pour rendre compte de la coprésence antonymique dans sa diversité, il paraît nécessaire d’envisager également les paires moins représentatives de l’antonymie, parmi lesquelles sont classées les paires dont les membres n’appartiennent pas à la même partie du discours et qui n’apparaissent pas dans les tests d’associations spontanées (amour/haïr, par exemple). Par ailleurs, nous analysons indifféremment les coprésences antonymiques au sein d’une même phrase typographique et la répartition, moins étudiée, d’une paire antonymique sur deux ou plusieurs phrases contiguës, dans le but de décrire les fonctions sémantico-référentielles que ces coprésences peuvent jouer dans les énoncés dans lesquels elles s’insèrent. Démarche La première partie, théorique, a pour objet la définition de l’antonymie (chapitre II) et la mise en place du cadre théorique (chapitre III) dans lequel s’inscrivent les analyses empiriques, présentées dans la Deuxième partie. Chacun de ces deux chapitres s’appuie sur un état des recherches centré sur les principaux travaux qui abordent les éléments définitoires de l’antonymie, les mécanismes de mise en relation de deux antonymes dans le même contexte et les fonctions discursives des antonymes. Parmi l’abondante littérature consacrée à l’antonymie, nous retenons essentiellement les travaux de portée générale, publiés dans les langues qui nous sont personnellement accessibles (français, anglais, allemand, néerlandais et espagnol), ainsi que les travaux consacrés en particulier à l’antonymie en français. Nous n’envisageons les travaux consacrés à d’autres langues que dans la mesure où ils alimentent notre réflexion sur le français. Dans le chapitre II, nous proposons une première délimitation de la notion d’antonymie, en rappelant brièvement son histoire, en délimitant son champ d’application et en distinguant le terme antonyme des termes proches contraire et opposé (II, 1). Nous définissons ensuite l’antonymie d’abord en tant que catégorie prototypique — pour rendre compte de l’existence à la fois de paires de lexèmes reconnues comme des antonymes par tout locuteur d’une langue et de paires moins représentatives — puis en tant que relation sémantique et lexicale parmi d’autres, notamment en distinguant la similarité sémantique des antonymes et la co-hyponymie (II, 2). La notion d’antonymie étant fondée sur celle d’opposition,

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nous modélisons l’opposition sémantique entre deux antonymes en utilisant essentiellement les notions de graduation, de polarité, de borne et de seuil présentes dans les travaux sur l’antonymie, majoritairement consacrés aux adjectifs (II, 3). Ce modèle d’analyse, construit à partir de l’opposition entre des adjectifs, est ensuite appliqué aux antonymes relevant des autres parties du discours pour dégager les points communs et les spécificités des antonymes appartenant à chaque partie du discours. Pour rendre compte de ces spécificités, la distinction entre sens et direction s’avère extrêment utile. Après avoir modélisé l’opposition, nous distinguons les antonymes d’autres paires de mots qui ne doivent pas être confondus avec eux et les caractérisons sur le plan sémantico-formel pour rendre compte de la diversité formelle des antonymes (II, 4). Dans le chapitre III, l’antonymie est distinguée de son exploitation discursive à des fins rhétoriques pour construire un paradoxe ou un oxymore; nous abordons ensuite brièvement la question des conditions d’émergence de nouvelles paires antonymiques (III, 1). Ce deuxième chapitre est essentiellement consacré à la discussion des fondements théoriques sur lesquels repose la définition des fonctions discursives de l’antonymie par Jones (2002) et l’analyse des structures de mise en relation de deux antonymes coprésents (III, 2). Dans ces différents chapitres, la négation et les mécanismes logiques, sémantiques, syntaxiques et pragmatiques qui la sous-tendent seront au cœur de la réflexion. Nous avons pourtant choisi de ne pas consacrer à la négation de chapitre spécifique. L’antonymie étant notre objet, c’est par le prisme de ses manifestations que nous envisagerons la négation, en nous focalisant sur son rôle dans la définition des lexèmes antonymes. La deuxième partie, empirique, a pour objet la description des fonctions sémantico-référentielles que deux antonymes exercent lorsqu’ils sont employés ensemble dans un même énoncé. Dans le chapitre V, nous présentons d’abord le corpus journalistique, dont nous avons extrait des énoncés contenant des coprésences antonymiques (V, 1), ainsi que les outils de traitement qui ont rendu cette extraction possible (V, 2). Avant de pouvoir définir les fonctions sémantico-référentielles de la coprésence antonymique en discours, nous présentons les critères qui nous ont permis de déterminer si les énoncés extraits de notre corpus sont tous pertinents pour notre étude, c’est-à-dire s’ils contiennent deux antonymes lexicalisés employés dans le contexte sémantique et morpho-syntaxique dans lequel leur antonymie est définie (V, 3). Dans le chapitre VI, les énoncés où les antonymes coprésents participent à une double mise en relation sont distingués des énoncés dans

I. INTRODUCTION: LANTONYMIE ENTRE LANGUE ET DISCOURS

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lesquels ils participent à une simple mise en relation. Nous définissons ensuite les principales fonctions sémantico-référentielles de la coprésence antonymique dans une simple mise en relation (VI, 1) et dans une double mise en relation (VI, 2, 3 et 4), grâce à la description des conditions sémantiques et syntaxiques dans lesquelles ces fonctions sont exercées par les antonymes. Les questions transversales à toutes les fonctions identifiées dans les chapitres précédents sont enfin traitées (VI, 5). Chacune des parties s’achève par un bilan (IV et VII) qui en reprend les éléments essentiels avant de pouvoir tirer des conclusions générales pour l’ensemble de l’étude (VIII).

PREMIÈRE PARTIE VERS UNE DÉFINITION DE L’ANTONYMIE

II. L’ANTONYMIE DANS LE SYSTÈME DE LA LANGUE

Afin de construire une définition précise des termes antonymie et antonyme, les trois éléments définitoires consensuels de l’antonymie doivent être envisagés: la notion de relation antonymique (II, 2), la notion d’opposition (II, 3) et la notion de lexèmes antonymes (II, 4).

1. La notion d’antonymie, première délimitation Avant de définir précisément les notions de relation antonymique, de sens opposés et de lexèmes antonymes, il faut distinguer l’emploi des termes antonymie et antonyme en rhétorique et en sémantique, avant de préciser leur origine comme termes de linguistique (II, 1.1) et de délimiter les emplois des adjectifs et substantifs antonyme, contraire et opposé (II, 1.2). 1.1. Brève histoire des termes antonymie et antonyme À la fin du XVIIIe siècle13 et au début du XIXe siècle, l’antonymie est la figure stylistique qui consiste en la «réunion de mots opposés, contradictoires. Le doux Néron, le pieux Jules II. Ce n’est qu’une espèce d’ironie» (Supplément au Dictionnaire de l’Académie françoise 1831)14. Le terme antonymie a donc d’abord été employé pour décrire un procédé rhétorique discursif qui consiste essentiellement, d’après les exemples cités par les dictionnaires du XIXe siècle15, en la production d’un syntagme contenant, le plus souvent, un adjectif et un nom propre, et dans lequel le sens de l’adjectif s’oppose aux connotations associées au nom propre. À partir de la première moitié du XIXe siècle, le lexème antonyme commence, par ailleurs, à être utilisé en lexicographie, puis en sémantique pour désigner un mot dont le sens est opposé à celui d’un autre mot. 13 Le Trésor de la langue française (1971-1994) précise, d’après Boiste (1829), que le terme de rhétorique antonymie était employé par Robespierre dès 1784. 14 Voir également Chanson ‒ Raymond (1842). 15 Voir Gaudeau et al. (1846-1847), Boiste (1851), Larousse (1856, 1866) et Guérin (1886), par exemple.

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Il est employé par Ackermann, sans qu’il justifie ce choix, dans son Dictionnaire des antonymes ou contremots (1842), le premier du genre en français. Dans ce dictionnaire, les paires d’antonymes en entrée sont illustrées par des citations d’œuvres classiques dans lesquelles les antonymes sont coprésents. Ainsi, sous l’entrée endormi/éveillé, Ackermann cite un passage du Discours de la méthode: «Il est bien aisé à connaître que les rêveries que nous imaginons, étant ENDORMIS, ne doivent aucunement nous faire douter de la vérité des pensées que nous avons étant ÉVEILLÉS» (Descartes, Discours de la méthode, 4e partie, nous soulignons). Ackermann identifie la coprésence de deux antonymes à l’antithèse: «On sait que toute négation implique une affirmation, comme toute affirmation appelle une négation, c’est cette corrélation de l’affirmation et la négation qui forme la connexion des mots mis en antithèse dans nos exemples» (Ackermann 1842: XII).

Cette définition fait la transition entre l’emploi moderne du terme antonymie16 et l’emploi, plus ancien, circonscrit au domaine de la rhétorique. Dans l’ouvrage d’Ackermann, le lexème antonyme permet, en effet, de nommer les mots reliés par l’antonymie rhétorique, mais aussi d’autres paires d’unités qui ne répondent pas forcément à ce modèle (adjectifs, noms communs, syntagmes, etc.). Par conséquent, avec Ackermann, le terme antonymie subit un glissement sémantique et référentiel. Il ne désigne plus un procédé qui consiste à réunir deux mots opposés, mais bien la relation d’opposition sémantique entre ces deux mots17. La conception rhétorique de l’antonymie et la définition qu’en donne Ackermann sont toutefois fondées sur des énoncés dans lesquels des mots ou des ensembles de mots sont opposés. Elles procèdent donc d’une conception très large de l’antonymie qui englobe les relations entre toutes sortes d’unités opposées en discours. La conception la plus répandue, qui est celle que nous adoptons, est plus restrictive et limite l’antonymie à des paires de lexèmes dont l’opposition est conventionnalisée et dépasse l’usage ponctuel. Nous préciserons la notion de conventionnalité sous II, 2.1.3. 16 Cet emploi commence à être répertorié, à la suite d’Ackermann, dans les dictionnaires de la deuxième moitié du XIXe siècle. Voir Poitevin (1860), La Châtre (1865), Larousse (1866), Trousset (1885), Guérin (1886) et Morandini d’Eccatage (1886), dictionnaire de rimes qui fournit aussi des définitions. 17 Cette dernière acception subsiste jusqu’à aujourd’hui alors que la première a disparu (dernières mentions dans Larousse 1905 et Augé 1922).

II. L’ANTONYMIE DANS LE SYSTÈME DE LA LANGUE

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Arrêtons-nous brièvement sur la formation grecque des termes linguistiques antonymie et antonyme et leurs équivalents dans d’autres langues. Si les mots de sens opposés sont un sujet d’étude des philosophes et des linguistes depuis Aristote, les termes antonymie et antonyme, nous l’avons dit, ne sont apparus dans les dictionnaires qu’à partir du XIXe siècle et dans les travaux de linguistique essentiellement au XXe siècle. Le Dictionnaire universel de Poitevin (1860), notamment, signale que les lexèmes antonymie et antonyme sont formés à partir de deux éléments de formation respectivement tirés de grecs anti («contre») et onoma («nom»). Pour l’entrée antōnumeō, forme de la première personne de l’indicatif présent du verbe antōnumein, le dictionnaire du grec ancien de Bailly (1950) et celui de Liddell et Scott (1968) donnent le sens «avoir un nom contraire» / «have an opposite denomination» et citent comme source un traité du IVe siècle18 qui reprend des passages de l’Introduction à l’arithmétique de Nicomaque de Gérase. Ce texte de Nicomaque, également cité dans le Sprachwissenschaftliches Wörterbuch de Knobloch (1961), contient effectivement la forme ἀντωνυμoύμενά [sic]19. Rose Egan, dans son introduction au Merriam-Webster’s Dictionary of Synonyms (1984), qui répertorie également les antonymes, ainsi que l’Oxford English Dictionary (1989), dictionnaire étymologique de l’anglais, citent le dictionnaire Synonyms and Antonyms de Smith (1867) comme fournissant la première attestation du terme anglais antonym. Smith, dans la préface de son dictionnaire, dit avoir adopté ce terme à cause de son analogie avec synonym et du sens du terme grec ancien ἀντωνῠμίa, équivalent à «opposition to» (Smith 1867: v et vi)20. Smith ne prétend pas avoir lui-même forgé le terme antonym, mais dit l’avoir seulement réactualisé à partir de l’original grec (ibid.: v). On ne peut toutefois exclure que Smith ait connu le terme français, plus ancien, employé par Ackermann dans son dictionnaire. Le dictionnaire d’Ackermann est par ailleurs cité par Nellessen (1982: 14-15), dans son étude sur l’antonymie verbale en français, pour attester que fr. antonyme et fr. antonymie étaient employés comme termes de linguistique à partir de 1842 au moins. 18 Ce traité, intitulé Theologumena arithmeticae, est attribué à Jamblique. Il a été édité en 1827 par Friedrich Ast (Leipzig). 19 Nicomaque de Gérase (1866) [vers 180 PCN], ΑΡΙΘΜΗΤΙΚΗ ΕΙΣΑΓΩΓΗ, Leipzig, Teubner. Texte édité par Richard Hoche, p. 45, l. 9. 20 Smith précise également que, comme terme grammatical hérité du grec ancien ἀντωνῠμία, antonym peut servir à désigner le pronom. Benveniste emploie effectivement antonyme pour désigner “la série autonome de MOI, comme distincte du pronom je» (Benveniste 1965: 74).

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Il semble donc que les termes français antonyme et antonymie aient été employés avant leurs équivalents en anglais, pour désigner la relation entre des mots de sens opposés. 1.2. Antonyme, contraire et opposé: bilan terminologique Les substantif et adjectif antonyme font partie de la terminologie sémantique. Nous dirons que leur usage est métalangagier, parce qu’ils désignent ou qualifient des unités de la langue21. Dans son extension la plus large, le terme antonyme, substantif, désigne un «mot de sens opposé» à un autre, quel que soit le type d’opposition qui existe entre les deux (Grand Robert 2001). Dans un sens plus étroit, antonyme désigne un mot opposé à un autre dans un rapport d’opposition particulier, la contrariété, étudié depuis l’Antiquité22. Dans ce sens étroit, le terme antonyme est synonyme du substantif et adjectif contraire, qui relève de la terminologie logico-sémantique. En tant que terme, contraire, qui appartient également au vocabulaire général, possède le même sens métalangagier courant que antonyme dans son acception la plus large (x est le contraire de y, x et y sont contraires). En tant qu’adjectif (x est contraire à y), le lexème courant contraire possède également au moins trois emplois, que nous appellerons référentiels ou ontiques, parce qu’ils se rapportent à des objets ou à des choses du monde extralangagier et non à des unités de la langue: 1) «de direction opposée» (dans des routes contraires ou tirer en sens contraire, par exemple); 2) «qui, en s’opposant, gêne le cours d’une chose» (dans un destin contraire ou des vents contraires, par exemple); 3) «qui présente 21 Nous préférons le terme métalangagier à métalinguistique parce qu’il évite la confusion, qu’induit le terme linguistique, entre ce qui relève de la langue (par exemple, les unités de la langue comme le substantif) et ce qui relève de l’étude de la langue (par exemple, les concepts développés dans le cadre d’une théorie linguistique comme le structuralisme). 22 Depuis l’Antiquité, la logique distingue quatre relations entre les propositions. Deux d’entre elles ont été transposées aux lexèmes par les théoriciens modernes de l’antonymie et constituent les deux principaux types d’opposition généralement décrits: la contrariété et la contradiction. Traditionnellement, des lexèmes comme mâle et femelle sont considérés comme des contradictoires parce les propositions X est mâle et X est femelle ne peuvent être ni vraies ni fausses simultanément, tandis que les lexèmes chaud et froid sont considérés comme des contraires parce que les propositions X est chaud et X est froid peuvent être simultanément fausses. Nous reviendrons, dans la section 3, sur les fondements sémantiques et logiques de la distinction entre la contrariété et la contradiction et sur la transposition de l’opposition logique entre des propositions à l’opposition sémantique entre les lexèmes.

II. L’ANTONYMIE DANS LE SYSTÈME DE LA LANGUE

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la plus grande différence possible» (dans Son attitude est contraire à la morale, par exemple)23. Dans les contextes où contraire possède l’un de ces trois sens, antonyme ne lui est pas substituable: *des routes antonymes, *des vents antonymes, *Son attitude est antonyme à la morale. antonyme (terme métalg.)

«(d’un mot) qui est dans une relation de contra riété avec un autre mot» «(d’un mot) qui est opposé à un autre, quel que soit le type d’opposition»

«(d’une chose) de direction opposée» «(d’une chose) qui s’oppose à quelque chose»

contraire (terme métalg.) contraire (lexème courant métalg.) contraire (lexème courant réf.)

«(d’une chose) qui présente la plus grande différence possible avec une chose»

L’identité formelle entre le terme à emploi métalangagier contraire et le lexème courant à emploi métalangagier ou référentiel contraire est propre au français. Dans d’autres langues comme l’anglais ou l’espagnol, les substantifs et adjectifs angl. opposite et esp. opuesto sont des équivalents du lexème français contraire dans ses emplois référentiels et dans son emploi métalangagier. Dans ces langues, le terme logico-sémantique contraire est traduit par angl. contrary et esp. contrario. Les distinctions contrary/opposite et contrario/opuesto évitent toute confusion entre le sens technique restreint et le sens courant plus large. En français, l’adjectif opposé peut être utilisé comme substantif pour remplacer le lexème courant contraire et éviter cette confusion. Nous emploierons donc le substantif pluriel opposés pour désigner des paires de mots contraires, au sens large.

2. L’antonymie comme relation Cette section est consacrée à l’une des trois notions qui fondent la plupart des définitions de l’antonymie, à savoir la notion de relation antonymique. Les deux autres notions seront envisagées aux sections 3 et 4.

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Ces définitions et exemples sont tirés du Grand Robert (2001).

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Dans cette section, nous commencerons par décrire le double caractère, sémantique et lexical, de la relation d’antonymie puis nous analyserons les rapports entre l’antonymie et les autres «grandes» relations lexicales et/ou sémantiques (synonymie, co-hyponymie, polysémie et homonymie), ce qui permettra notamment de définir: (1) la conventionnalité, la canonicité et la prototypicité des antonymes; (2) la similarité sémantique entre les antonymes; (3) la notion de contexte et son rôle dans l’appariement antonymique. 2.1. Une relation sémantique et lexicale L’antonymie, généralement définie comme une relation d’opposition sémantique. L’affirmation de son ancrage lexical24 repose sur l’existence de bons antonymes. La reconnaissance de ces antonymes découle de tests linguistiques, portant essentiellement sur l’anglais et dans lesquels des locuteurs natifs ont été amenés: – – –

à reconnaître des paires antonymiques dans des listes de paires de mots (voir Jones et al. 2012: 45, pour un panorama); à juger de la qualité antonymique de différentes paires de mots (Herrmann et al. 1986, Jones et al. 2012); à trouver l’antonyme de mots d’une liste, placés ou non en contexte (voir Pohl 1966, 1970, pour ce type de tests portant sur le français).

Ces tests permettent, en effet, d’établir (1) le caractère lexical de l’antonymie et (2) l’existence d’une différence de statut entre les paires d’antonymes. (1) Certaines paires d’antonymes sont identifiées comme telles par les informateurs plus vite que d’autres, même sans référence à un contexte d’emploi spécifique. C’est le cas, par exemple, des paires concave/ convexe ou pair/impair, qui sont associées automatiquement par les locuteurs dans tous les contextes, alors que l’opposition entre les membres

24 Murphy (2003: 169-180) va jusqu’à considérer que l’antonymie serait métalexicale», c’est-à-dire qu’elle ne serait pas une propriété des antonymes mais un savoir que les locuteurs possèderaient à propos d’eux, de leur caractère conventionnel. Nous ne chercherons pas à expliquer l’acquisition de ce savoir, ni à relier celle-ci aux emplois des antonymes en coprésence. Par contre, nous montrerons dans la Deuxième partie, que la connaissance par les locuteurs de la relation antonymique entre deux mots peut être nécessaire à l’interprétation de certains énoncés.

II. L’ANTONYMIE DANS LE SYSTÈME DE LA LANGUE

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de la paire fort/léger, par exemple, «ne se présente à la pensée que dans un contexte déterminé, qu’il s’agisse de l’environnement verbal ou de la situation» (Pohl 1970: 186-192). Ces résultats conduisent Pohl à conclure que «l’antonymie ne dépend pas seulement des signifiés, ou du moins des choses signifiées, mais qu’elle est aussi liée à la façon dont l’usage a fixé dans la langue des oppositions de signifiants» (ibid.: 188). Cette conclusion est également étayée par les tests sur des paires d’antonymes synonymiques comme wet/dry, watery/sere ou moist/parched (Gross – Miller 1990: 268, cité dans Jones et al. 2012: 44). Bien que ces trois paires soient sémantiquement proches, les membres de la paire wet/dry sont associés l’un à l’autre plus rapidement que les membres des autres paires, ce qui tend à prouver que l’association wet/dry est fortement enracinée lexicalement, alors que les lexèmes watery/sere et moist/parched seraient moins liés et opposés indirectement seulement, en vertu de leur synonymie avec les membres de la paire wet/dry (Jones et al. 2012: 44). (2) Un continuum peut être établi entre des paires de mots considérés comme de bons exemples de l’antonymie et d’autres considérés comme de moins bons exemples. Selon ces tests, la paire maximize/minimize, par exemple, est plus représentative de l’antonymie en anglais que la paire courageous/diseased (Herrmann et al. 1986, cité dans Jones et al. 2012: 45). Alan Cruse rend compte de cette différence de représentativité en distinguant les antonymes prototypiques et les antonymes périphériques (Cruse 1986: 198). Cette distinction repose sur les fondements de la sémantique du prototype, qui associe à chaque lexème une catégorie prototypique (voir Kleiber 1990, pour une synthèse). Arrêtons-nous un instant sur les notions de catégorie et de prototype, ainsi que sur l’implication de ces notions dans la description sémanticoréférentielle des lexèmes en général et des antonymes en particulier. 2.1.1. La notion de catégorie prototypique La théorie du prototype est née dans le cadre de la psychologie cognitive avec les travaux d’Eleanor Rosch (voir Rosch 1973, par exemple). Rosch cherche à décrire les relations entre les objets pour expliquer la structuration du monde en catégories qui résultent de notre perception de la réalité. Pour y parvenir, elle élabore un modèle dans lequel les membres des catégories qui organisent notre perception sont structurés autour d’un prototype, constitué par «le meilleur exemplaire ou encore la meilleure instance, le meilleur représentant ou l’instance centrale d’une catégorie» (Kleiber 1990: 47-48).

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Dans la même perspective, la sémantique du prototype tente d’expliquer «la relation entre un mot donné et les objets, idées, actions auxquels ce mot peut s’appliquer» (Tracy 1997: 72). À tout mot est ainsi associée une catégorie sémantico-référentielle aux frontières floues et organisée autour d’un prototype ou exemplaire le plus représentatif de la catégorie. Le degré d’appartenance d’un référent à la catégorie désignée par un lexème est déterminé par «le degré de similarité avec le prototype» (Kleiber 1990: 51)25. Cette appartenance explique qu’un référent puisse être désigné par le lexème auquel la catégorie est attachée. Par exemple, un moineau ou une autruche peuvent être appelés oiseau, parce qu’ils sont des membres de la catégorie référentielle attachée au lexème oiseau, même si leur degré d’appartenance à cette catégorie, et donc de représentativité de celle-ci, n’est pas le même. La ressemblance d’un référent avec le prototype de la catégorie référentielle associée à un lexème donné, qui implique l’appartenance plus ou moins forte de ce référent à cette catégorie, explique que ce lexème puisse désigner ce référent. La sémantique du prototype fournit dès lors le principe explicatif des différents emplois d’un lexème, y compris ses emplois métaphoriques. Le nom d’animé oiseau peut ainsi permettre de désigner l’objet inanimé qu’est un avion en vertu de la ressemblance de l’avion et du moineau: «Première constatation d’évidence: ces oiseaux de métal coûtent très cher, 50 à 60 millions de dollars pour un Airbus A310, 120 millions de dollars pour un Boeing 747» (Le Monde 19/12/1987, Les banques prennent l’air, Françoise Chirot). Cet emploi du lexème oiseau est ressenti comme métaphorique, car l’avion est un membre dit périphérique, c’est-à-dire non prototypique (Cruse 1986: 198), et fort peu représentatif de la catégorie référentielle associée à oiseau. La catégorie référentielle prototypique est ainsi conçue comme un ensemble d’au moins deux objets26 auxquels on peut donner le même nom en vertu de leurs propriétés communes. Le prototype est l’objet qui possède un maximum de propriétés typiques d’une catégorie donnée. 25 Le modèle de catégorie référentielle prototypique est proche de celui de domaine notionnel développé par Antoine Culioli (voir Culioli 1983, notamment). Selon celui-ci, un domaine notionnel est organisé autour d’un centre attracteur, d’un intérieur, d’un extérieur et d’une frontière, l’appartenance graduelle d’une notion, conçue comme un système complexe de représentation, à un domaine notionnel est évaluée en fonction de son éloignement par rapport au centre attracteur. 26 Nous entendons le terme objet dans son sens étymologique: «ce qui est placé devant, ce qui est visé» (TLF 1971-1994). Dans la suite, le terme objet désignera tout élément, quelles que soient sa nature et sa réalité, auquel une unité linguistique peut renvoyer. Cet emploi du terme objet permet de définir le terme référent par «objet en tant qu’il est désigné par une unité linguistique».

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2.1.2. La catégorie antonymie: antonymes prototypiques et antonymes périphériques Dans le cadre de l’étude de l’antonymie, la sémantique du prototype permet d’expliquer que les participants aux tests d’associations antonymiques libres, décrits par Jones et al. (2012: 48) par exemple, citent tous good comme antonyme pour bad, et inversement, ou slow comme antonyme de fast, et inversement. La relation entre les mots good et bad ou fast et slow appartient à la catégorie référentielle associée au terme antonymie27. Les paires good/bad et fast/slow peuvent être dites prototypiques parce qu’elles sont très représentatives de cette catégorie. Les lexèmes evil et sudden ne sont, en revanche, jamais cités spontanément, par les participants aux tests d’association libre, comme antonymes de good et slow. Dans le cadre de tests de jugement, en revanche, les paires good/evil et slow/sudden sont reconnues comme des paires antonymiques (Jones et al. 2012: 48). On peut donc dire que good/evil et slow/sudden sont bien des paires antonymiques, mais moins représentatives de l’antonymie, voire aux frontières de celle-ci; elles sont donc considérées comme des paires antonymiques périphériques28. Une conception prototypique de l’antonymie permet ainsi d’inclure dans la catégorie antonymie, la relation d’opposition entre des mots qui n’appartiennent pas à la même partie du discours, c’est-à-dire des paires d’antonymes que nous appellerons hétérocatégorielles29, l’existence de celles-ci ayant été mise en évidence par Fellbaum (1995). Ces paires hétérocatégorielles partagent certaines propriétés avec les paires prototypiques: opposition de sens, coprésence significative en discours (Fellbaum 1995: 291) et, dans certains cas, identité formelle entre la paire prototypique et la paire hétérocatégorielle (adj. chaud / adj. froid; adj. chaud / subst. froid; subst. chaud / adj. froid, par exemple). Elles ne sont pourtant pas prototypiques, parce qu’elles n’entretiennent pas une relation lexicale aussi forte que les «bons antonymes» et ne sont jamais proposées spontanément par des informateurs (comparer aimer/ haïr et amour/haine à amour/haïr ou aimer/haine). On peut donc dire, 27 Les exemples d’antonymes et leur degré de représentativité de la catégorie antonymie sont empruntés à Jones et al. (2012: 48). 28 Pour distinguer les antonymes toujours proposés par les participants aux tests et ceux qui ne le sont pas, Deese (1965) donne à ces derniers le nom de near-opposites. MorlaneHondère propose de traduire cette appellation par le terme quasi-antonymes (MorlaneHondère 2008: 14). Ce terme est source de confusion dans la mesure où les antonymes périphériques sont pleinement des antonymes, même s’ils ne sont pas, aux yeux des locuteurs, d’aussi bons représentants de la catégorie que les antonymes prototypiques. 29 Le terme hétérocatégoriel est emprunté à Morlane-Hondère (2008: 33).

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contrairement à Duchaček (1965), que la relation entre amour et haïr est bien une relation antonymique, mais on doit aussitôt ajouter que son degré d’appartenance et de représentativité par rapport au champ de l’antonymie est moindre que celui de la relation entre amour et haine. La partie du discours dont relève une unité lexicale apparaît donc comme un élément important de détermination de son sens et des relations sémantico-lexicales qu’elle entretient avec d’autres unités. 2.1.3. Antonymes conventionnels et opposés non conventionnels: la notion de contexte Le degré de prototypicité d’une paire d’antonymes, c’est-à-dire son degré de proximité avec les meilleurs représentants de la catégorie antonymie, est proportionnel à son degré de conventionnalité (Jones et al. 2012: 43). Deux lexèmes, opposés l’un à l’autre dans un contexte particulier, forment une paire. Cette paire peut être «popularisée», puis «généralisée d’un contexte particulier à tout type de contexte», de sorte que la paire devient «lexicalisée à un niveau d’abstraction plus élevé», c’est-à-dire qu’elle devient moins dépendante du contexte (ibid.: 113, notre traduction). À ce stade, cette paire est alors conventionnalisée en tant que paire dans la langue (ibid.: 43) et reconnaissable comme telle, même sans référence à un contexte spécifique (ibid.: 102). Pour éviter de diluer la notion d’antonymie en qualifiant d’antonymique toute paire de lexèmes opposés en discours, nous réservons le terme antonymie à la relation entre les membres des paires conventionnalisées30. Jones et al. (2012) emploient le terme context pour désigner principalement le co-texte des antonymes en coprésence syntagmatique à l’intérieur de structures phrastiques particulières (antonyms in context), c’est-à-dire toutes les unités linguistiques qui entourent les antonymes. Le contexte d’emploi (au sens large) de deux antonymes coprésents, c’est-à-dire «l’environnement des unités» (Kleiber 1997: 68), ne se limite toutefois pas à leur environnement textuel (co-texte), mais comprend également un environnement extralinguistique (contexte, au sens strict). Au sein 30 La question qui subsiste est celle du degré de conventionnalité minimum pour qu’une paire puisse être considérée comme «conventionnalisée». Cette question est difficile, voire impossible, à traiter de manière absolue. Deux critères opératoires peuvent être invoqués: le jugement des locuteurs et la description par des dictionnaires de référence. C’est sur ce deuxième critère que nous basons notre sélection d’antonymes conventionnels (V, 2.1).

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du contexte extralinguistique, on peut distinguer (1) les paramètres liés à la situation d’énonciation et (2) les paramètres liés au cadre référentiel. Cette distinction est utile à la définition des fonctions sémanticoréférentielles des antonymes coprésents (VI, 1-4). La situation d’énonciation peut être conçue à la fois comme l’ensemble des données permettant de décrire les conditions de production d’un énoncé et comme la situation contingente, concrète et unique (ego hic et nunc) dans laquelle s’instancient ces données31. Parmi ces données, on peut citer le choix d’un canal de communication, l’inscription de la communication dans une culture (temps, lieu, société) ou le principe de coopération entre un émetteur et un destinataire. Sur le plan référentiel, le contexte linguistique et extralinguistique de deux antonymes coprésents dans le même énoncé et, plus généralement, de toute unité linguistique, permet de construire un cadre référentiel ou un thème discursif (en anglais, discourse topic). Ce cadre référentiel peut être défini comme un système de référents auquel un énoncé renvoie et à propos duquel il fournit des informations, comme l’indique notamment Van Dijk: «In this sense a discourse topic would be based on the notion of a sequential topic, defined in terms of repeated reference to a given discourse referent, of which the various comments specify properties and relations with other, variable, discourse referents» (Van Dijk 1977: 56).

Un même cadre référentiel peut être commun à des situations d’énonciation différentes. Par exemple, l’énoncé Celui-ci est léger, tandis que celui-là est fort, contenant une paire d’antonymes, s’il s’inscrit dans une conversation ayant pour thème le café, pourra être prononcé par un commerçant face à un client ou par une maîtresse de maison devant ses invités. Par ailleurs, dans diverses situations d’énonciation, cet énoncé pourrait faire partie de discours qui ont des thèmes différents (le café, le tabac, l’alcool). Pour faire partie d’un même cadre référentiel, différents référents doivent entretenir des relations de contiguïté ou des relations d’inclusion. Ces relations peuvent être limitées à une situation d’énonciation particulière ou être communes à plusieurs situations d’énonciation différentes.

31 Charaudeau et Maingueneau, dans leur Dictionnaire d’analyse du discours (2002), nomment situation de communication «le contexte effectif d’un discours» (Charaudeau ‒ Maingueneau 2002: 229).

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Nous appelons relation de contiguïté la relation entre les référents de deux mots qui peuvent être remplacés l’un par l’autre dans le cadre d’une métonymie (voir notamment Robrieux 2005: 56-57). Nous dirons que deux objets entretiennent une relation de contiguïté s’ils sont proches spatialement, temporellement ou fonctionnellement. Parmi les relations de contiguïté possibles entre deux objets, on peut citer la relation contenant/contenu, la relation instrument/utilisateur, la relation cause/effet, la relation lieu/objet s’y trouvant, la relation lieu/action s’y déroulant, la relation producteur/produit, etc. Ainsi, dans le cadre référentiel d’un petit-déjeuner évoqué par un énoncé ou un ensemble d’énoncés, les unités bol, lait et céréales désignent des objets qui entretiennent une relation de contiguïté. Nous appelons relation d’inclusion la relation entre les référents de deux mots qui peuvent être remplacés l’un par l’autre dans le cadre d’une synecdoque (voir notamment Robrieux 2005: 57-58). Nous dirons que deux objets entretiennent une relation d’inclusion si l’un des objets constitue une partie de l’autre. Ainsi dans le cadre référentiel d’un travail de bureau évoqué par un énoncé ou un ensemble d’énoncés, les unités ordinateur et souris désignent des objets qui entretiennent une relation d’inclusion. 2.1.4. Antonymes canoniques et antonymes non canoniques: critères de canonicité À la distinction entre antonymes prototypiques et antonymes périphériques s’ajoute la distinction de Murphy (2003: 31) entre antonymes canoniques et antonymes non canoniques32. Une paire d’antonymes peut être considérée comme canonique si elle répond aux caractéristiques qui définissent le canon: (1) elle est conventionnelle au plus haut degré, c’est-à-dire qu’elle est lexicalisée (2.1.3 et Jones et al. 2012: 43); (2) la propriété sémantique qui fonde l’opposition entre les antonymes est saillante, c’est-à-dire facilement identifiable33 (ibid.: 55 et 136); (3) les antonymes appartiennent à la même partie du discours (ibid.: 121); (4) ils tendent à apparaître fréquemment dans des structures syntaxiques particulières34 (ibid.: 59 et 121); 32

Voir également Jones (2002) et Jones et al. (2012). Nous définirons précisément cette propriété sous II, 2.2.2. 34 Ces structures ont été identifiées notamment par Jones (2002). Nous les décrirons sous III, 2. 33

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(5) leur association par des informateurs dans les tests est toujours réciproque, c’est-à-dire que les tests donnent le même résultat quel que soit le membre d’une paire d’antonymes canoniques qui sert de stimulus (ibid.: 64). Les paires canoniques sont les plus représentatives de la relation d’antonymie. À ce titre, elles sont également prototypiques (II, 2.1.2). Conformément aux résultats de plusieurs expériences, menées notamment par Herrmann et al. (1986) et présentées dans Jones et al. (2012: 46-68), la canonicité est conçue comme une propriété graduelle des paires d’antonymes (ibid.: 49 et 55)35. Une paire antonymique peut être plus ou moins canonique, comme elle peut être plus ou moins prototypique, ces deux propriétés étant liées. Le modèle prototypique vise à rendre compte du continuum d’appartenance des paires de mots à la catégorie antonymie, le plus haut degré d’appartenance s’identifiant au plus haut degré de représentativité, alors que la canonicité modélise un continuum de représentativité fondé sur l’attribution possible aux antonymes des propriétés définitoires du canon. Parmi les paires canoniques citées dans Jones et al. (2012) figure la paire cat/dog. Cette paire est conventionnelle et reconnue rapidement par les locuteurs comme une paire lexicalisée (ibid.: 111). Il nous semble, toutefois, que l’inclusion de ce type de paires parmi les paires canoniques étend, jusqu’à la diluer, la notion de canonicité. Les paires canoniques s’identifieraient, selon ce point de vue, à toute paire lexicale conventionnelle, y compris celles qui ne répondent que très partiellement au canon de l’antonymie: il est ainsi difficile d’établir une propriété sémantique claire qui pourrait opposer les membres de la paire cat/dog et, plus encore, de considérer une éventuelle opposition comme pouvant être abstraite d’une situation d’énonciation particulière. Par ailleurs, si la canonicité dépend, entre autres, de l’évidence de la propriété sémantique et de la conscience linguistique des locuteurs, il faut considérer la canonicité comme variable sur les axes diastratique, diatopique et diachronique. Tout en étant pleinement conventionnelle pour tous les historiens actuels, la paire grec/barbare, par exemple, pourrait n’être pas jugée canonique par beaucoup de locuteurs contemporains n’appartenant pas à ce sous-ensemble.

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Voir également Jones et al. (2007).

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2.1.5. Relation entre conventionnalité, prototypicité et canonicité Pour clarifier les liens entre conventionnalité, prototypicité et canonicité, nous appellerons conventionnelle toute association sémantique et/ ou lexicale qui dépasse le cadre d’une situation d’énonciation particulière. On considérera donc que, plus une association entre deux mots ou deux concepts est liée à une situation d’énonciation particulière, moins elle est conventionnelle. Dans le cadre d’une opposition donnée, une paire conventionnelle est une paire de mots ou de concepts reconnus, par une communauté linguistique, comme étant ou ayant été opposés, dans un ou plusieurs cadres référentiels (grec/barbare). Sont considérées comme antonymiques, à des degrés divers, les paires conventionnelles de lexèmes qui entretiennent une relation d’opposition sémantique et lexicale, pour autant qu’elles ressemblent aux paires prototypiques (grec/barbare, aimer/haine), voire qu’elles soient des paires prototypiques (grand/petit). Cette conception de l’antonymie implique que deux lexèmes dont la relation d’opposition est non conventionnelle, c’est-à-dire limitée à une seule situation d’énonciation particulière36, ne sont pas considérés comme des antonymes. Nous considérerons ces lexèmes comme simplement opposés dans un contexte particulier. Sera appelée prototypique toute paire antonymique qui peut être reconnue, à une époque, en un lieu et par une société donnée, comme un parangon de la relation d’antonymie, notamment parce qu’elle possède au plus haut degré les caractéristiques canoniques identifiées par Jones et al. (grand/petit). Sera appelée canonique, toute paire antonymique qui possède les propriétés canoniques décrites sous II, 2.1.4 (immense/minuscule). La prototypicité d’une paire antonymique est liée à son degré de conventionnalisation, c’est-à-dire au nombre de contextes différents dans lesquelles elle peut apparaître et, par conséquent, à l’indépendance de son opposition par rapport à tout contexte (linguistique et extralinguistique) particulier. Plus une paire antonymique est opposée dans un grand nombre de situations d’énonciation, plus elle pourra être reconnue comme antonymique en dehors de tout contexte, et plus elle aura de chances de devenir prototypique, à condition qu’elle soit aussi canonique.

36 Si un appariement entre deux lexèmes opposés est non conventionnel, on peut dire, pour reprendre les termes de Rey-Debove (1971), qu’il a une valeur d’échange très faible, voire nulle.

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2.2. Une relation sémantico-lexicale parmi d’autres Après avoir décrit le caractère lexical de la relation d’antonymie et défini les notions de conventionnalité, de canonicité et de prototypicité qui lui sont liées, nous analysons les rapports entre l’antonymie et les autres «grandes» relations sémantiques et lexicales (synonymie, co-hyponymie, polysémie et homonymie) en ce qu’elles fournissent des éléments de définition qui permettent de mieux cerner la notion d’antonymie. 2.2.1. Différence entre antonymie et synonymie: degrés de similarité et d’opposition L’antonymie et la synonymie sont associées par les lexicographes et les linguistes dès le XIXe siècle dans les premiers dictionnaires consacrés aux antonymes. Dans son introduction au Dictionnaire des antonymes (1842), Ackermann fait référence au dictionnaire des synonymes de Girard (1718) dont il partage le projet de fixer la langue française pour préserver la clarté maximale qu’elle a atteinte, selon lui, dans les écrits des auteurs classiques. Ackermann, même s’il est l’un des rares lexicographes37 qui consacre un dictionnaire exclusivement aux antonymes, ne peut éviter de faire le lien entre antonymie et synonymie comme la plupart des dictionnaires d’antonymes ultérieurs, qui répertorient aussi les synonymes38. Le choix d’une description conjointe des relations d’antonymie et de synonymie dans une langue donnée fait écho à une conception ancienne des termes antonyme et synonyme comme des contraires39. Dans son ouvrage sur les antonymes verbaux en français, Nellessen réfute cette conception en faisant valoir que les antonymes ne sont pas des mots dont la différence sémantique est maximale (Nellessen 1982: 15-16). Pour cette raison, la relation qui existe entre des antonymes est plus proche de celle qui existe entre des synonymes que de celle qui existe entre des termes incompatibles non antonymes (ibid.). L’opposition entre des antonymes ne peut, en effet, se réduire à la seule incompatibilité40. 37 Voir également Barré ‒ Chésurolles (1853), Desormes ‒ Basile (1897-99) ainsi que Mfoutou (2009). 38 C’est le cas dans Dupuis ‒ Légaré (1975), Boussinot (1981), Le Fur (2006), Bertaud du Chazaud (2007) et Haboury (2009). 39 Voir notamment Poitevin (1860), le Grand Larousse (1971-78) et le Grand Robert (2001). 40 Voir I, 3 pour une présentation du cadre logique dans lequel s’inscrit l’incompatibilité.

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Les lexèmes rose et cochon, par exemple, sont incompatibles, en raison du fait qu’ils ne peuvent pas occuper la même place dans des propositions attributives simultanément vraies dont tous les autres éléments sont communs: les propositions X est une rose et X est un cochon ne peuvent être simultanément vraies. Les lexèmes rose et cochon ne seront pourtant considérés par aucun locuteur du français comme des antonymes41. Pour que deux termes incompatibles puissent être considérés comme des antonymes, il faut qu’ils aient une «base sémantique commune» (Geckeler 1996: 107). C’est alors la hiérarchie entre la similitude et la différence sémantique entre deux lexèmes qui détermine s’ils sont synonymes ou antonymes: «[…] dans les relations synonymiques, c’est la similitude sémantique qui domine au détriment des éléments différenciateurs, tandis que, dans les relations antonymiques, c’est la polarité sémantique qui s’impose en reléguant au second plan la base sémantique commune» (ibid.). Dans cette optique, les antonymes sont définis comme des mots dont le sens est «maximally similar but for one crucial difference» (Murphy 2003: 200)42. Andreas Blank, dans le cadre de ses travaux sur le changement sémantique et lexical, va plus loin en affirmant que la similarité est nécessaire à toute opposition entre des éléments sémantiques différents: «[…] toute opposition a besoin d’un fond commun» (Blank 2000: 61). Selon Blank, c’est alors le degré de similarité entre deux sens ou entre deux concepts qui permet de distinguer la synonymie et l’antonymie. Les deux relations sont définies par une conjonction de similarité et de contraste, le degré d’existence de l’un étant inversement proportionnel à celui de l’autre. Ces deux notions contribuent donc, selon Blank, à la formation d’une «sorte de continuum dont les pôles sont l’identité et le contraire absolu» (ibid.). Mais, si toute opposition implique un degré de similarité, toute similarité n’implique pas une opposition. L’identité est définie par une similarité totale alors que l’opposition est définie par une alliance de contraste et de similarité. De cette analyse de Blank, il ressort clairement que, pour définir l’antonymie, il faut non seulement définir l’opposition, mais aussi la similarité nécessaire à cette opposition.

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Cet exemple est tiré de Lyons (1978: 234). Voir également Clark (1970: 275), qui appelle minimum contrast rule la nécessaire similarité entre deux antonymes, ainsi que Cruse (1986: 197). 42

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2.2.2. Rapports entre antonymie et co-hyponymie: définir la similarité La similarité nécessaire à l’opposition antonymique a souvent été étudiée en lien avec la co-hyponymie. La similarité entre deux antonymes résiderait alors dans leur relation commune à un même hyperonyme. À côté des oppositions binaires, parmi lesquelles il classe l’antonymie43, Lyons étudie les contrastes non binaires entre co-hyponymes. Lyons donne le nom de contraste à toute opposition «dans un ensemble paradigmatique donné», quel que soit le nombre d’éléments opposés, le terme opposition étant réservé aux oppositions binaires (Lyons 1978: 226). L’opposition est donc considérée, par Lyons, comme un type particulier de contraste, celui qui existe entre deux éléments seulement. Les contrastes non binaires peuvent être ordonnés cycliquement ou sériellement. Ils sont ordonnés cycliquement si «chaque lexème est ordonné entre deux autres» (Lyons 1978: 234). Parmi les contrastes cycliques, Lyons cite les noms des saisons ou des jours de la semaine. Un ensemble de contrastes non binaires est ordonné sériellement si, outre le fait que chacun de ses éléments soit ordonné entre deux autres, il comporte deux éléments extrêmes (ibid.). C’est le cas par exemple, des grades dans l’armée. L’analyse de Lyons est compatible avec l’hypothèse qui veut que l’antonymie soit un cas particulier de co-hyponymie (Amsili 2003)44. Dans cette approche, le point commun entre deux antonymes est l’hyperonyme qu’ils partagent, c’est-à-dire le lexème superordonné dont le sens est inclus dans celui de chacun des antonymes, lesquels sont donc des co-hyponymes (Dubois et al. 2007). Toutefois, dans un ouvrage sur l’opposition en anglais, Mettinger, à la suite de Coseriu (1975) et de Kastovsky (1981), souligne que la base commune entre deux antonymes peut être envisagée de deux manières différentes: (1) soit comme une base sémantique commune (common basis) ou base de comparaison (base of comparison), commun dénominateur sémantique entre deux antonymes qui peut être identifié à un hyperonyme, (2) soit comme une dimension sémantique par rapport

43 Nous reviendrons dans la section 3 sur le caractère binaire de l’antonymie, qui permet notamment à Jones et al. (2012) de la distinguer de la synonymie sur la base du nombre d’éléments impliqués dans la relation: l’antonymie est une relation binaire alors que la synonymie est une relation multiple, comme en témoigne le choix du déterminant dans les deux questions suivantes: What’s the opposite of interesting? et What’s a synonym for interesting? (Jones et al. 2012: 1). 44 Voir également Jones (2002: 7). Saeed (2003), à l’inverse, considère que les co-hyponymes constituent une catégorie particulière d’antonymes.

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à laquelle deux antonymes sont opposés (Mettinger 1994: 62-66)45. La dimension est définie, par Coseriu, comme «le point de vue ou critère d’une opposition donnée quelconque, c’est-à-dire, dans le cas d’une opposition lexématique, la propriété sémantique visée par cette opposition […]» (Coseriu 1975: 35, cité dans Mettinger 1994: 65). La base sémantique commune entre les termes d’une opposition consiste dans leurs traits communs, alors que la dimension est constituée de «ce qui est commun aux différences entre ces termes, c’est-à-dire à leurs traits distinctifs» (Coseriu 1975: 36, cité dans Mettinger 1994: 65). Ainsi, la dimension sémantique par rapport à laquelle s’opposent les lexèmes anglais boy et girl est la dimension GENDER, alors que leur base sémantique commune, c’est-à-dire leur hyperonyme, est CHILD: «With regard to the archisememe46, systemic opposites are co-hyponyms: boy and girl, differing along the semantic dimension GENDER, constitute a semantic micro-field with CHILD functioning as the archi-unit» (Mettinger 1994: 66). En ce qui concerne les adjectifs antonymes, Kastovsky (1982: 35, notamment) estime que base sémantique commune et dimension coïncident souvent. Mettinger nuance cette position en rappelant qu’un hyperonyme doit appartenir à la même partie du discours que ses hyponymes47: si la dimension sémantique en regard de laquelle large et small s’opposent est bien SIZE, l’archilexème, qui permet de désigner leur archisémème commun, doit être formulé sous la forme de la périphrase having size (Mettinger 1994: 65-66).

45 Dans la suite, nous éviterons l’emploi du syntagme base de comparaison pour désigner la base sémantique commune entre deux antonymes parce qu’il peut s’appliquer également à la dimension. Cette ambiguïté est d’autant plus grande en regard des travaux de Sapir (1944) et Lyons (1978), notamment, dans lesquels l’opposition entre antonymes est liée à la comparaison: les antonymes sont comparés et opposés l’un à l’autre quant à une qualité commune. Cette qualité constitue la dimension de l’opposition entre les antonymes, elle est représentée sous la forme d’une échelle sémantique graduée. Nous y reviendrons en détail sous 3.2.4. 46 Le terme archisémème, dans le cadre de l’analyse sémique, désigne l’intersection entre l’ensemble des traits de sens de tous les lexèmes d’un champ sémantique (voir Greimas 1966, Pottier 1974, Kastovsky 1981). S’il existe un lexème dont le sens correspond à un archisémène, ce lexème est appelé archilexème (par exemple, siège). Dans la terminologie de Mettinger (1994: 65), les termes archisememe et archi-unit (fr. archilexème) désignent la base de comparaison. 47 Voir également Kleiber ‒ Tamba (1990) ainsi que Dubois et al. (2007) pour une conception traditionnelle de l’hyperonyme comme un lexème qui appartient à la même partie du discours que ses hyponymes et qui, en outre, dénomme une classe: fleur est l’hyperonyme de tulipe, rose, lys, etc.

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Cette double contrainte, lexicale et grammaticale, qui pèse sur la relation hypo-hyperonymique rend très difficile l’identification d’un hyperonyme satisfaisant pour beaucoup de paires antonymiques. Quel pourrait être, en effet, l’adjectif hyperonyme des paires fort/léger (en parlant de café, de thé, d’un alcool ou de tabac), chaleureux/glacial (en parlant d’un accueil) ou long/court (en parlant d’un trajet, de cheveux ou d’une chanson) et, de même, quel serait le verbe hyperonyme de monter/descendre, avancer/reculer ou rire/pleurer? Les dimensions sur lesquelles ces paires d’antonymes s’opposent peuvent, en revanche, être formulées sans trop de difficulté par un substantif ou par une périphrase48: TENEUR EN SUBSTANCE STIMULANTE D’UN PRODUIT DE CONSOMMATION (fort/léger)49, OUVERTURE À AUTRUI DANS LES RELATIONS HUMAINES (chaleureux/glacial), DISTANCE (long/court), ÉTENDUE SPATIALE (long/court), DURÉE (long/court), MOUVEMENT VERTICAL (monter/descendre), MOUVEMENT HORIZONTAL (avancer/reculer), EXPRESSION EXPLICITE D’UNE ÉMOTION PAR LE VISAGE (rire/ pleurer). En ce qui concerne les substantifs du français, un hyperonyme est plus régulièrement identifiable, mais il n’est pas toujours propre à une paire d’antonymes particulière. Ainsi les paires amour/haine, sympathie/antipathie et joie/tristesse peuvent être considérées toutes les trois comme des co-hyponymes du même hyperonyme très général, sentiment. L’identification de cet hyperonyme ne permet donc pas d’expliquer la relation particulière qu’entretiennent, par exemple, les lexèmes amour et haine, au sein de l’ensemble des hyponymes de sentiment. À l’inverse, l’existence d’un hyperonyme commun à deux lexèmes n’est pas un indice de leur opposition. Les lexèmes freesia et rose ont le même hyperonyme, fleur, ils ne sont pas pour autant opposés. Pour qu’ils le soient, il faut une dimension qui soutienne leur opposition. Celle-ci peut être très liée à une situation d’énonciation particulière dans laquelle des co-hyponymes se comportent comme des antonymes. Les noms de ces deux fleurs peuvent, par exemple, être opposés quant à la dimension FLEURS PRÉFÉRÉES DE LA MÈRE DE X, au moment de choisir celles qui plairaient le plus à cette personne pour son anniversaire. De même, un enfant peut opposer vert et bleu selon la dimension COULEURS DE MARTIEN ou chocolat 48

Nous noterons les dimensions en majuscules. Il faut remarquer que lorsque le lexème teneur est utilisé, c’est la paire fort/faible qui exprime le degré de présence de la substance stimulante. La paire fort/léger est employée en l’absence du substantif teneur pour signifier à teneur forte/faible: le syntagme un café à faible teneur en caféine est sémantiquement équivalent à un café léger. 49

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et confiture selon la dimension GARNITURE DE PAIN50. L’éventail des oppositions non conventionnelles entre deux co-hyponymes, dans une situation d’énonciation particulière, est théoriquement infini. Ces raisons poussent à considérer que le rattachement de deux antonymes à un hyperonyme commun, s’il arrive qu’il soit possible, n’est pas un corrélat nécessaire de leur relation antonymique. Le champ de répartition lexicale de l’antonymie et de l’hyperonymie, en français et en anglais, témoigne également de cette indépendance. Les lexèmes antonymes par excellence sont les adjectifs, l’antonymie ne touchant qu’un nombre restreint de substantifs (Geckeler 1983, Rey-Debove 1998, Jones et al. 2012). La relation d’hypo-hyperonymie, au contraire, concerne essentiellement des substantifs et rarement des adjectifs (Kleiber ‒ Tamba 1990). Cette répartition pourrait indiquer qu’antonymie et hypo-hyperonymie ont un rôle complémentaire dans la structuration du lexique. D’autres études, plus larges que celle-ci, seraient utiles pour confirmer cette complémentarité. La seule similarité sémantique nécessaire à l’antonymie semble donc être la dimension. La majorité des exemples de dimensions ou propriétés sémantiques qui sous-tendent l’opposition entre antonymes peuvent être trouvés dans des travaux sur l’opposition en anglais: MERIT ou MORAL QUALITY pour good/bad (Mettinger 1994: 68; Cruse 1986: 213; Jones et al. 2012: 11), TEMPERATURE pour hot/cold (Mettinger 1994: 108; Cruse 1986: 210; Jones et al. 2012: 113)51, SIZE pour large/ small (Mettinger 1994: 86; Jones et al. 2012: 140), LENGTH pour long/ short (Mettinger 1994: 111; Cruse 1986: 210; Jones et al. 2012: 12). Ces exemples ne rendent compte que des dimensions et des paires qui sont parmi les plus conventionnelles52, c’est-à-dire les moins dépendantes d’une situation d’énonciation particulière. Elles sont saillantes, c’est-à-dire facilement identifiables (Jones et al. 2012: 55). Trois autres caractéristiques des dimensions sémantiques qui soustendent l’opposition entre les antonymes peuvent être identifiées.

50 Voir Croft ‒ Cruse (2004: 165) pour l’exemple des mots Friday et Saturday, qui peuvent être opposés, par exemple, en vertu des différents types de réunion qui ont lieu habituellement dans une entreprise ces deux jours-là. Voir également les travaux de Jones et al. (notamment 2012: 135-136). 51 Voir Van Overbeke (1975), par exemple, pour une analyse de l’opposition française chaud/froid quant à la dimension TEMPÉRATURE. 52 Voir II, 2.1.3.

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(1) Ces dimensions peuvent être produites discursivement, en fonction d’une situation d’énonciation particulière et être limitées à celle-ci, donc moins facilement exprimables par un seul mot (voir ci-dessus). (2) Elles dépendent de cadres référentiels et de paramètres culturels, ce qui implique que deux lexèmes sont opposés selon une dimension particulière dans une époque donnée, dans un lieu donné ou pour un groupe social donné. Les adjectifs chaud et flegmatique, par exemple, sont opposés dans la théorie médicale des humeurs depuis l’Antiquité jusqu’au XIXe siècle53. L’expression de la dimension devrait alors également rendre compte de ces éléments extralinguistiques. (3) Pour pouvoir réellement sous-tendre l’opposition, elles doivent être particulières à chaque emploi d’une paire d’antonymes, c’est-à-dire à chaque signification différente que cette paire peut revêtir selon le contexte dans lequel elle se trouve. Ainsi, la dimension LONGUEUR (LENGTH) pour la paire long/court ne permet pas de distinguer leurs emplois. Il semble donc plus judicieux de proposer trois dimensions différentes pour rendre compte de la différence d’emploi de la paire long/ court dans Tu préfères quand j’ai les cheveux courts/longs? (ÉTENDUE SPATIALE), Qu’il est long/court, qu’il est loin, ton chemin, Papa! (étendue spatiale entre deux points sur un trajet ou DISTANCE) et dans Avant de réaliser des longs métrages, Patrice Leconte a commencé par des courts (techniquement ÉTENDUE SPATIALE, couramment DURÉE)54. 2.2.3. Rôle de la polysémie dans l’appariement antonymique: emplois et classes d’objets Nous venons d’évoquer la question de l’inscription de l’appariement antonymique dans un contexte particulier en définissant la dimension d’opposition entre les antonymes comme dépendante de paramètres 53

Voir Jones et al. (2012: 113), pour d’autres exemples. De la même façon, Jones et al. (2012: 114) citent plusieurs exemples d’emplois multiples de paires antonymiques et notamment l’emploi possible, parmi d’autres, de la paire open/closed dans le domaine de la chirurgie. Cet emploi existe aussi pour ouvert/ fermé en français. Jones et al. proposent la dimension unique APERTURE (ibid.: 140) pour rendre compte de l’opposition entre open et closed. En ce qui concerne la paire française, une dimension unique de ce type semble insuffisante dans la mesure où elle ne permet pas de distinguer les emplois suivants: ces deux adjectifs peuvent s’opposer quant au recours à des incisions pour opérer, quant à la taille de celles-ci (en médecine), quant à l’espace laissé entre la partie mobile et la partie fixe d’un objet (porte, fenêtre, livre), quant à l’accès possible à une entreprise de services ou à un commerce par ses usagers et clients, quand au degré de sympathie dégagé par un visage ou constitutif d’un caractère, etc. 54

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contextuels extralinguistiques, mais aussi des différents emplois d’une même paire d’antonymes. Pour rendre compte de ces différents emplois, de l’influence de la multiplicité d’emplois d’un lexème sur ses appariements antonymiques et des différents facteurs qui déterminent ces emplois, examinons les rapports entre antonymie et polysémie. On peut aborder ces rapports sous deux angles différents: 1) parmi les polysèmes d’une langue, certains lexèmes entretiennent des relations d’antonymie entre eux (long/court) et d’autres non (bureau); 2) certains lexèmes qui composent des paires d’antonymes sont des polysèmes. Nous privilégions le deuxième angle en raison de l’existence de paires d’antonymes dans lesquelles l’un des membres seulement est un polysème. C’est le cas, par exemple, de la paire triste/enjoué. L’adjectif triste possède, selon le Grand Robert (2001), des emplois qui peuvent être rattachés à deux grands types de sens: «qui est dans un état de tristesse [état affectif pénible, calme et durable; envahissement de la conscience par une douleur, une insatisfaction, ou par un malaise dont on ne démêle pas la cause, et qui empêche de se réjouir du reste]55» et «qui fait souffrir, fait de la peine». L’adjectif enjoué, en revanche, est monosémique: «qui a ou marque de l’enjouement [disposition, tendance à la bonne humeur, à une gaieté aimable, douce, souriante]». Certains des lexèmes qui possèdent un antonyme peuvent donc être des polysèmes. Le caractère polysémique d’une unité linguistique doit être pris en compte pour décrire les appariements antonymiques de cette unité. Deux cas de figure peuvent être envisagés. (1) Un lexème possède le même antonyme dans tous les sens dans lesquels il peut être employé pour autant qu’à ces sens puisse correspondre un sens opposé (officiel/ officieux; voir TLF 1971-1994). (2) Un lexème possède plusieurs antonymes différents selon le sens dans lequel il est employé56. Deux types de lexèmes semblent pouvoir relever du premier cas de figure: les lexèmes qui ont un nombre très réduit de sens et, au contraire, les lexèmes pour lesquels l’antonymie est tellement conventionnelle qu’elle s’applique aussi aux nouveaux emplois de l’un des deux membres 55 Lorsque la définition du Grand Robert (2001) contient un lexème de même racine que le lexème à définir, nous avons fusionné les définitions données par le dictionnaire pour ces deux lexèmes. La définition du lexème dérivé apparait entre crochets. 56 Un troisième cas de figure pourrait être ajouté: un même lexème possède deux sens opposés. Ce cas de figure est connu sous le nom d’énantiosémie (voir Cadiot ‒ Tracy 2003 et Larue-Tondeur 2009). Toutefois, les sens des énantiosèmes entretiennent des relations de conversité dont nous discuterons l’appartenance au champ de l’antonymie sous II, 4.1.1.

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de la paire (II, 2.1.3). Jones et al. (2012: 113-114) citent comme exemple de ce dernier cas, l’emploi récent de hot dans le syntagme hot reading («lecture préparée») alors que cold est utilisé depuis longtemps pour indiquer l’absence de préparation57. Pour illustrer le deuxième cas de figure, prenons les exemples suivants que nous avons classés selon deux types de facteurs qui ont une influence sur l’appariement antonymique: (a) les facteurs sémantico-syntaxiques et (b) les facteurs sociolinguistiques. (a) L’appariement antonymique peut dépendre de facteurs d’ordre sémantico-syntaxique. Les différences sémantico-syntaxiques entre deux emplois d’un polysème peuvent être décrites grâce à la notion de classe d’objets. Cette notion a été développée par Gaston Gross, pour le traitement automatique du langage, au sein du Laboratoire de linguistique informatique (aujourd’hui LDI pour Lexiques, Dictionnaires, Informatique) à l’Université Paris XIII, notamment dans un article paru en 1994 dans la revue Langages et dans son Manuel d’analyse linguistique (2012)58. La notion de classe d’objets permet de distinguer les différents sens des prédicats polysémiques, quelle que soit la partie du discours à laquelle ils appartiennent, et de rendre compte des contraintes sémantiques qui pèsent sur leurs arguments59. Gross (2012) cite l’exemple du verbe abattre, qui peut avoir des synonymes différents en fonction de la classe de substantif à laquelle appartient son complément d’objet: si son objet est un nom d’arbre, abattre est synonyme de couper, s’il s’agit d’un nom de construction, il est synonyme de démolir, s’il s’agit d’un nom d’animal de boucherie, il est synonyme de tuer (Gross 2012: 35). Les substantifs qui nomment des arbres, des constructions ou des animaux de boucherie, lorsqu’ils occupent une position argumentale donnée du prédicat abattre, permettent de déterminer son sens (ibid.: 34). Ces 57 La même opposition existe en français entre lecture à froid et lecture à chaud, par calque de l’anglais. Ces deux syntagmes renvoient à l’attitude d’un vendeur ou d’un escroc qui, avant d’aborder son client, peut avoir trouvé le moyen d’obtenir des informations utiles à son objectif (lecture à chaud) ou qui va chercher pendant l’interaction à obtenir ces informations (lecture à froid). 58 Cette notion a également été diffusée notamment par Le Pesant et Mathieu-Colas dans un article paru en 1998 dans Langages et par Buvet et Grezka dans un article de 2009 paru dans cette même revue. 59 Un prédicat est «un mot qui opère une sélection déterminée parmi les mots du lexique pour établir avec eux un schéma formant la base d’une assertion» (Gross 2012: 13), les unités lexicales qu’il sélectionne étant ses arguments. Nous présenterons en détail le cadre d’analyse des relations prédicat-argument(s) que peuvent entretenir les antonymes sous V, 4.

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substantifs font partie de trois classes d’objets différentes. Gross définit la classe d’objets comme «un ensemble de substantifs, sémantiquement homogènes, qui détermine une rupture d’interprétation d’un prédicat donné, en délimitant un emploi spécifique» (ibid.: 94). Appliquée à l’antonymie, la notion de classe d’objets fournit le principe explicatif des différents appariements possible du verbe adhérer, par exemple. Lorsque son sujet fait partie de la classe et son objet de la classe , adhérer signifie «tenir fortement par un contact étroit de la totalité ou de la plus grande partie de la surface»60 et est antonyme de se décoller alors qu’il est antonyme de rejeter lorsque son sujet fait partie de la classe et son objet de la classe , il signifie alors «se déclarer d’accord, partisan de (une idée, une doctrine, etc.)». De même, admettre s’oppose à exclure lorsque leur objet appartient à la classe alors qu’il s’oppose à contester lorsque son complément d’objet appartient à la classe . Lorsqu’il s’oppose à exclure, le verbe admettre signifie «recevoir (qqn), laisser entrer, permettre à (qqn) d’accéder quelque part, d’être avec (d’autres), de faire partie d’un groupe» alors qu’il s’oppose à contester en regard de la signification «considérer (qqch.) comme acceptable par l’esprit (par un jugement de réalité ou de valeur)». Le modèle des classes d’objets ne se limite pas à la description de la polysémie des verbes, mais peut aussi rendre compte de celle des adjectifs. En ce qui concerne l’adjectif léger, par exemple, l’appartenance de son seul argument à la classe d’objet , ou détermine son antonymie avec lourd lorsque léger signifie «qui a peu de poids, se soulève facilement (en parlant de ce qui est inanimé ou considéré dans un état d’immobilité)», avec fort lorsque léger signifie «qui a peu de force, qui est peu concentré» (II, 2.2.2) et avec épais lorsque léger signifie «qui a peu de matière, de substance». L’appartenance des arguments d’un polysème à des classes d’objets différentes peut se manifester par une différence de construction morphosyntaxique. Ainsi, le verbe acquitter, par exemple, qui signifie «déclarer par arrêt (un accusé) non coupable» et dont l’objet appartient à la classe d’objets , est antonyme de condamner alors que le verbe pronominal s’acquitter de, qui signifie «mener à bien (ce à quoi on s’est engagé, ce à quoi on est obligé)» et dont l’objet appartient à la classe , est antonyme de faillir. 60

Toutes les définitions sont tirées du Grand Robert (2001).

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Sur le plan référentiel, l’appartenance des arguments d’un prédicat à une classe d’objets correspond à leur inscription dans un cadre référentiel (II, 2.1.3). Ainsi la phrase Celui-ci est léger tandis que celui-là est plus fort pourra être prononcée en parlant de café ou de tabac, mais non en parlant d’un pantalon ou d’un veston. Les pronoms démonstratifs de la phrase Celui-ci est léger tandis que celui-là est plus épais pourront en revanche désigner un pantalon ou un veston dans la mesure où les substantifs qu’ils remplacent sont des noms de vêtements qui font donc partie de la classe d’objets . (b) L’appariement antonymique dépend aussi de facteurs d’ordre sociolinguistique. L’appariement de deux lexèmes peut en effet être limité à une variété diastratique. Ainsi, par exemple, l’adverbe méchamment, qui est antonyme de gentiment dans la langue générale, peut être antonyme de peu ou faiblement dans le registre familier, où il est employé comme adverbe d’intensité, synonyme de très, fortement ou puissamment: Il est méchamment énervé. L’appariement antonymique de deux lexèmes peut également être limité à une langue de spécialité. Ainsi, le verbe dissoudre, lorsqu’il est employé dans la terminologie de la chimie pour signifier «décomposer (un agrégat, un organisme) par la séparation des parties», est antonyme de cristalliser alors qu’il est antonyme de constituer lorsqu’il est employé dans la terminologie juridique pour signifier «mettre légalement fin à (une association)». En discours, ces facteurs interviennent dans le choix du locuteur d’employer un lexème plutôt qu’un autre comme antonyme d’un polysème. C’est le contexte d’emploi du polysème qui détermine ce choix. L’exploitation de ces deux facteurs fournit des critères pour définir le sens d’un lexème dans un contexte donné et déterminer si deux lexèmes coprésents sont employés dans les conditions sémantiques et morphosyntaxiques qui définissent la relation antonymique qui a été lexicalisée entre eux (V, 3). 2.2.4. Homonymie et appariement antonymique: le critère grammatical en question Comme la synonymie, la co-hyponymie et l’antonymie, l’homonymie est une relation sémantique et lexicale. Deux homonymes homographes et homophones ont la même orthographe et la même prononciation, c’està-dire un signifiant tout à fait identique, mais des signifiés différents

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considérés comme sans lien entre eux. Si des polysèmes, entre les sens desquels il existe un lien, peuvent avoir des appariements antonymiques différents en regard de chacun de leurs sens (II, 2.2.3), deux homonymes n’ont pas, a fortiori, le même antonyme. L’absence de lien sémantique est un des fondements des quatre critères suivants qui permettent d’identifier les homonymes et de les distinguer des polysèmes. (1) Le premier critère concerne la parenté génétique de deux lexèmes (Récanati 1997: 112): sont homonymes les mots qui, bien qu’ils partagent la même forme en synchronie, possèdent un étymon différent. (2) Le critère théorique en synchronie61 consiste à analyser le sémantisme des mots pour déceler la présence ou non d’un lien entre les sens: si un lien ne peut être décelé entre les sens associés à un signifiant, il s’agit d’homonymie62. (3) Le critère épilinguistique en synchronie est fondé sur l’intuition linguistique des locuteurs: sont homonymes les mots dont les locuteurs s’accordent à considérer les significations «comme étrangères les unes aux autres» (Fuchs 1996: 27). (4) Le critère grammatical en synchronie repose sur la morphosyntaxe des homonymes: sont considérés comme homonymes les lexèmes qui, même s’ils partagent le même signifiant, appartiennent à des catégories grammaticales différentes. Ce critère est justifié par le fait qu’à chaque lexème est attachée une catégorie grammaticale qui, avec sa forme et son sens, constitue son identité (Lehmann et MartinBerthet 2005: 1). Il est appliqué par les dictionnaires, qui consacrent deux entrées différentes à des homonymes homophones et homographes qui appartiennent à deux parties du discours différentes et proposent des renvois homonymiques explicites. Le Grand Robert (2001), par exemple, considère l’adjectif chagrin et le substantif chagrin comme des homonymes. En cas de non-concordance des différents critères, le Grand Robert (2001) privilégie le critère grammatical: les lexèmes voile (f.) et voile (m), qui ont la même origine étymologique, bénéficient ainsi de deux entrées différentes, tandis que les substantifs glace «eau congelée» et glace «plaque de verre», entre lesquels le lien sémantique n’est plus perçu, sont traités sous la même entrée.

61 Nous empruntons cette appellation, ainsi que celle de critère épilinguistique en synchronie, à Fuchs (1996: 26-27). 62 Pour une première définition du critère du lien entre les sens, voir Benveniste (1954).

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L’étude des appariements antonymiques propres à chacun des membres de paires d’homonymes permet de nuancer le critère grammatical. Deux homonymes font le plus souvent l’objet de deux appariements antonymiques différents. Deux lexèmes homonymes qui n’ont pas de réelle proximité sémantique n’ont logiquement pas le même antonyme. Ainsi le substantif affectation qui signifie «destination (à un usage déterminé)» est antonyme de désaffectation défini par «action de désaffecter [Faire cesser, changer l’affectation de]», alors que le substantif affectation qui signifie «manque de sincérité et de naturel» est antonyme de sincérité. De même, le substantif comble qui signifie «[…] partie la plus haute d’une construction» s’oppose à cave alors que l’adjectif comble qui signifie «rempli de monde» s’oppose à désert ou à vide. Il faut toutefois remarquer que deux homonymes peuvent avoir le même antonyme lorsque le critère grammatical est le seul à être rempli. En effet, lorsque la reconnaissance de l’homonymie de deux lexèmes (subst. chagrin et adj. chagrin, par exemple), qui ont le même sémantisme, n’est fondée que sur leur différence grammaticale, ces lexèmes ont non seulement deux antonymes différents qui relèvent de la même partie du discours qu’eux (subst. chagrin/joie et adj. chagrin/joyeux), mais aussi le même antonyme dans une paire hétérocatégorielle (subst. chagrin/joie-joyeux et adj. chagrin/joyeux-joie). Les membres de paires antonymiques hétérocatégorielles (II, 2.1.2) sont susceptibles d’apparaître en coprésence dans le même contexte pour autant que soient respectées les contraintes distributionnelles de chacun d’entre eux comme dans l’exemple suivant: «L’idée qu’il soit à la fois orphelin et aventurier, en proie à l’abandon, à la solitude, au deuil, et cependant héros actif, personnage vivant et même JOYEUX. Je ne concevais l’orphelin que comme un enfant forcément en pleurs, assis par terre, dévasté de CHAGRIN» (Le Monde 22/05/2009, ««Tom Sawyer», petit héros de Denis Podalydès», Propos de Denis Podalydès recueillis par R.S.).

Des énoncés comme celui-ci conduisent à considérer que deux lexèmes homophones et homographes dont le sens est identique — à l’exception de la composante sémantico-syntaxique qui définit l’appartenance catégorielle et la combinatoire —, et dont les appariements antonymiques sont, au moins partiellement, semblables, ne sont pas des homonymes comme les autres. Il s’agit des variantes morphologiques d’une même unité dont l’identité morpho-syntaxique a évolué. Cette conception doit toutefois être nuancée par la dimension lexicale de la relation d’antonymie qui engendre une différence de statut entre, par exemple, la paire subst. chagrin/joie

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et la paire subst. chagrin/joyeux. La première paire est canonique voire prototypique alors que la seconde est conventionnelle, mais non canonique (II, 2.1). 2.3. Synthèse Les travaux des psycholinguistes et des linguistes cognitivistes, essentiellement, ont montré que les paires antonymiques sont des associations sémantico-lexicales plus ou moins conventionnelles. Les notions de canonicité et de prototypicité permettent de décrire les conditions de formation d’une association lexicale stable et d’évaluer le degré d’appartenance de cette association au champ de l’antonymie (II, 2.1). Cette association lexicale se double d’une relation d’opposition sémantique, fondée sur l’existence d’une dimension qui permet de décrire la similarité entre les antonymes, sur la base de laquelle ils s’opposent (II, 2.2). Cette dimension sémantique peut être limitée à une situation de communication particulière ou commune à plusieurs situations. Le degré de conventionnalité, de canonicité et de prototypicité d’une paire d’antonymes est inversement proportionnel au degré de dépendance de sa dimension sémantique par rapport à une situation d’énonciation particulière. Quel que soit le degré de dépendance de la dimension sémantique d’une paire d’antonymes à une situation d’énonciation particulière, cette dimension est toujours liée à un emploi de chacun des lexèmes antonymes. Aux différents emplois d’un même lexème ou de deux lexèmes différents de même signifiant peuvent correspondre des appariements antonymiques différents. Les différents emplois des membres des paires antonymiques peuvent être décrits en regard de leur relation avec les éléments de leur co-texte, notamment grâce à la notion de classe d’objets et à la prise en compte de la combinatoire des lexèmes antonymes. Le cadre théorique dans lequel nous analyserons cette combinatoire sera présenté sous V, 4.

3. L’antonymie comme relation d’opposition Cette section a pour objet la définition de la notion d’opposition, centrale dans la définition de l’antonymie, généralement envisagée comme une relation entre des mots dont les sens sont opposés. Depuis l’Antiquité, deux types principaux d’opposition sont distingués, la contrariété et la contradiction. Cette distinction donne lieu à deux

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conceptions différentes de l’antonymie et à deux emplois différents de antonyme et de contraire (II, 1.2). Ces termes peuvent désigner des lexèmes unis par toute forme d’opposition ou par un type particulier d’opposition, la contrariété. La conception la plus large de l’antonymie est adoptée par les dictionnaires, qui répertorient une grande variété de lexèmes opposés (II, 4.3), par certains manuels scolaires comme 1000 mots pour réussir et par de nombreux travaux de linguistique comme ceux de Lyons (1967), Martin (1973 et 1976ab) ou Geckeler (1996). La conception la plus restrictive de l’antonymie est adoptée notamment par le dictionnaire de linguistique de Dubois et al. (2007), qui, dans l’article antonymie, décrit ainsi les lexèmes antonymes: «Les antonymes sont des unités dont les sens sont opposés, contraires; cette notion de contraire se définit en général par rapport à des termes voisins, ceux de complémentaire (mâle vs femelle) et de réciproque (vendre vs acheter)»63. On retrouve également cette conception restreinte dans des études linguistiques comme celles de Duchaček (1965), Van Overbeke (1975), Lyons (1978), Cruse (1986) et Giermak-Zielińska (1987), par exemple. Dans cette conception restrictive, l’antonymie est limitée aux lexèmes contraires. Dans son ouvrage Linguistique, André Martinet défend une autre vision: il identifie l’antonymie, au sens restreint, à la contradiction. En effet, Martinet parle d’«antonymie au sens strict» lorsque «deux signifiés mutuellement exclusifs entrent dans un même niveau d’opposition […]» (Martinet 1969: 194). Cette exclusion mutuelle est un des éléments définitoires de la contradiction entre deux lexèmes. L’antonymie au sens large est définie comme une opposition qui «comporte d’autres termes intermédiaires s’échelonnant entre les pôles» (ibid.: 194-195). Postuler l’existence d’une échelle de valeurs sémantiques entre deux antonymes qui en constituent des pôles est un des moyens permettant de définir la contrariété entre deux lexèmes. La distinction entre contrariété et contradiction est fondée, à l’origine, sur les principes de la logique propositionnelle. L’application de cette distinction à des lexèmes seuls et non plus à des propositions a nécessité des adaptations (II, 3.1). La perspective logique n’est pas la seule à opérer cette distinction entre lexèmes contraires et lexèmes contradictoires. Il en existe une autre fondée sur les notions de graduation et de scalarité, essentiellement 63

Nous reviendrons sur les réciproques ou conversifs (II, 4.1.1).

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appliquées aux adjectifs, dont l’opposition est la plus étudiée (II, 3.2.3 et 3.2.4), mais qu’il est possible d’appliquer aussi aux lexèmes opposés relevant des autres parties du discours (II, 3.2.5). On proposera ensuite une définition de la notion de terme intermédiaire qui permet, tant dans la perspective logique que dans la perspective fondée sur la graduation et la scalarité, d’identifier des lexèmes contraires (II, 3.3). Outre la présentation de ces deux perspectives et de la notion de terme intermédiaire, les sous-sections 3.1 à 3.3 auront pour but d’évaluer le rôle, dans la définition de l’antonymie, des applications conceptuelles de la logique, de la graduation et de la scalarité. Précisons dès maintenant que notre regard sur l’opposition telle qu’elle est définie en logique est conditionné par notre approche, qui est fondamentalement linguistique. 3.1. Distinction logique entre contraires et contradictoires La distinction fondamentale entre les paires de lexèmes contraires (bon/mauvais ou grand/petit) et les paires de lexèmes contradictoires (célibataire/marié ou mort/vivant) sous-tend la majorité des études sur l’antonymie. Dans la logique traditionnelle héritée de l’Antiquité, cette distinction est fondée sur les valeurs de vérité attribuées à des propositions quantifiées (Horn 2001). Pour mieux comprendre l’emploi de la logique pour catégoriser les lexèmes antonymes dans les travaux d’auteurs comme Lyons ou Martin, le retour à la conception classique de la négation et de l’opposition offre un éclairage utile. 3.1.1. L’opposition dans la logique classique Entre deux propositions attributives quantifiées, on relève traditionnellement deux axes de différence possible: les propositions peuvent différer selon la quantité (propositions universelles ou particulières), selon la qualité (propositions affirmatives ou négatives) ou selon les deux (Horn 2001: 10). Ces deux axes permettent de construire le carré suivant (ibid.), construit par Apulée d’après Aristote, où A, E, I et O sont des propositions de type A = Chaque x sont P, E = Aucun x n’est P, I = Quelque x est P, O = Quelque x est non-P:

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Fig. 1

Entre ces propositions quatre types de relations peuvent exister: 1) les propositions universelles, A et E, sont contraires car elles peuvent être simultanément fausses mais pas simultanément vraies; 2) les propositions particulières, I et O, sont subcontraires car elles peuvent être simultanément vraies mais pas simultanément fausses; 3) la proposition universelle affirmative A et la proposition particulière négative O (et plus généralement toutes les paires de propositions qui diffèrent sur les deux axes) sont contradictoires, car la vérité de l’une implique la fausseté de l’autre, et inversement; 4) les propositions particulières, I et O, sont subalternes aux propositions universelles, A et E: la relation entre A (ou E) et I (ou O), par exemple, est une relation d’implication logique unilatéral, la vérité de l’universelle entraînant celle de sa subalterne. Contrairement aux trois autres relations, il ne s’agit pas d’une relation d’opposition. En prenant la négation comme base définitoire de l’opposition, la logique traditionnelle identifie deux principes, qui fondent la distinction entre la contradiction et la contrariété: la loi de contradiction («on ne peut pas être et ne pas être en même temps) et la loi du tiers exclu (tertium non datur, dans chaque cas, on doit soit affirmer, soit nier) (Horn 2001: 18). En logique propositionnelle, la loi de contradiction implique qu’«aucune proposition ne peut être vraie en même temps que sa négation» et la loi du tiers exclu que «chaque proposition soit est vraie, soit a une vraie négation» (ibid.: 20). La loi de contradiction s’applique tant aux contraires qu’aux contradictoires alors que la loi du tiers exclu n’est valable que pour les contradictoires64. Appliquées aux termes (donc aux antonymes) plutôt qu’aux propositions, ces deux lois

64 Nous reviendrons sur les différentes définitions possibles du troisième terme possible entre deux contraires (→3.3).

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impliquent que «rien ne peut être à la fois P et pas P» (loi de contradiction, ibid.) et que «tout est soit P ou pas P (≠ non-P)» (loi du tiers exclu, ibid.). Horn donne cet exemple pour illustrer la loi du tiers exclu et expliciter le type de négation impliqué, une négation dont la portée s’étend au prédicat entier et pas au terme seul: «For any object x, either x is red or x is not red (but x may be neither red or not-red: if, for instance, x is a unicorn65 or a prime number)» (ibid.). Deux portées syntaxiques différentes de la négation sont ainsi identifiées: la négation de tout le prédicat, qui résulte en négation contradictoire (x n’est pas rouge), et la négation d’un terme, qui résulte en affirmation contraire (x est non-rouge) (ibid.: 21). À partir de ces principes logiques, Blanché donne des exemples d’opposition entre des lexèmes en français. Ce faisant, il définit les relations du carré logique entre des concepts (voir figures 2-4) et le dégage ainsi du cadre propositionnel, de la quantification et du moule syntaxique d’énoncés attributifs dans lesquels il est en général appliqué. C’est cette perspective lexicale qui nous intéresse ici. Blanché cite notamment téméraire qui a pour contraire lâche, pour contradictoire prudent et pour subalterne courageux ainsi que froid qui a pour contraire chaud, pour contradictoire tiède et pour subalterne frais (Blanché 1957: 195). Selon Blanché, le concept de tiède est donc «la négation contradictoire du froid» alors que le frais est «un non-chaud» (ibid.). Le lexème froid équivaut à la négation préposée exclusive de tiède, son contradictoire, et à la négation postposée simplement limitative de chaud, son contraire (ibid.: 193). Ces exemples illustrent le rôle de la négation simple dans la construction du carré logique, comme le montrent les schémas suivants:

Fig. 2

Fig. 3

Fig. 4

65 Cet exemple nous semble sujet à caution dans la mesure où, même si la licorne n’existe pas dans le monde réel, le prédicat rouge peut s’appliquer à ses représentations.

II. L’ANTONYMIE DANS LE SYSTÈME DE LA LANGUE

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Son analyse logique des concepts conduit également Blanché à transformer le carré logique en l’hexagone suivant (figure 5), en prenant en compte la négation simultanée de deux contraires et l’affirmation simultanée de deux subcontraires (Blanché 1957: 204).

Fig. 5

Le concept Y, ajouté au carré par Blanché, représente le tertium entre les deux contraires A et E obtenu par la «négation conjointe, et parfaitement symétrique, des deux» (Blanché 1957: 198). Cette négation simultanée est égale à la conjonction des subcontraires I et O: «[…] nous conviendrons de désigner par Y la zone commune à I et à O ou, ce qui revient au même, la zone laissée libre par A et E, et qui divise avec ces deux derniers le champ total en trois parties mutuellement exclusives et collectivement exhaustives» (ibid.). En guise d’exemple, Blanché cite les adjectifs excité, déprimé, calme et en train par rapport auxquels équilibré est un terme Y: selon Blanché, excité a pour contraire déprimé, pour contradictoire calme et pour subalterne en train; équilibré qualifie un individu qui n’est ni excité, ni déprimé, c’est-à-dire à la fois calme et en train (ibid.: 206, voir figure 6). Blanché cite également l’exemple de l’adjectif négatif indifférent qui équivaut à à la fois permis et facultatif et à ni interdit ni obligatoire (ibid.: 202). Le concept U est la négation de Y, c’est-à-dire la négation de I et O et l’affirmation de A et E. Or, les subcontraires I et O ne peuvent, par définition, être simultanément niés. La négation porte ici sur leur conjonction. U peut donc être exprimé par pas à la fois I et O (ibid.: 204). De même, l’affirmation simultanée des contraires A et E va à l’encontre de la définition de la contrariété. La négation de Y est en conséquence équivalente non à la conjonction de A et E, mais à leur disjonction: «L’expression complexe A ou E est ainsi la face positive ou affirmative de la négation binaire pas à la fois I et O» (ibid.: 205). En guise d’exemple, Blanché cite cyclothymique qui qualifie un individu qui, n’étant jamais dans un

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état d’équilibre, est excité ou déprimé et ne sait pas être à la fois en train et calme (ibid.: 206). Blanché précise que les six concepts dont les relations sont décrites dans l’hexagone ne sont pas nécessairement tous lexicalisés. Les adjectifs excité, déprimé, calme, en train, équilibré et cyclothymique forment l’un des rares systèmes complets de concepts à six positions.

Fig. 6

Nous reviendrons sous II, 3.3 sur les différentes définitions possibles des concepts Y et U, mais formulons à présent trois remarques sur la conception logique de l’opposition proposée notamment par Blanché: (a) les relations logiques que Blanché identifie entre certains lexèmes ne correspondent pas toujours aux emplois linguistiques de ces lexèmes; (b) toutes les relations d’opposition entre lexèmes ne se prêtent pas à la représentation sous la forme d’un carré ou d’un hexagone; (c) la contradiction ontologique, qui est limitée, peut être distinguée de la contradiction discursivement produite, qui est sans limite. Détaillons ces remarques. (a) Les relations logiques identifiées par Blanché entre courageux et lâche ou entre tiède et frais ne semblent pas parfaitement en accord avec les emplois de ces lexèmes. Les lexèmes courageux et lâche ne peuvent être considérés comme des contradictoires. Ils sont contraires dans la mesure où ils peuvent être simultanément niés: des phrases comme Il n’est pas courageux mais il n’est pas lâche non plus ou Il n’est ni courageux ni lâche sont parfaitement admissibles. À l’inverse, les lexèmes tiède et frais ne peuvent être affirmés ensemble: *Cette bière est tiède et fraîche. Lorsqu’ils qualifient la bière, ils pourront, en effet, être considérés comme des contraires, et non comme des subcontraires: Cette bière n’est pas fraîche, elle est tiède ou Cette bière n’est ni fraîche ni même tiède, elle est franchement chaude. Cette contrariété peut être

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définie par rapport à une attente quant à l’application des propriétés dénotées par les lexèmes dont tiède et frais sont subalternes, selon Blanché, c’est-à-dire chaud et froid: une bière sera dite fraîche si elle est aussi froide qu’elle doit l’être et tiède si elle est plus chaude ou moins froide qu’elle ne devrait l’être. La contrariété tiède/frais n’existe pas dans tous les emplois de ces adjectifs: une soupe pourra ainsi être dite tiède si elle est moins chaude qu’elle ne le devrait, mais elle ne pourra être dite fraîche. Cette soupe pourra être dite froide si elle n’est ni assez chaude, ni même un peu chaude, c’est-à-dire tiède. Les lexèmes tiède et froid pourraient dans ce cas être considérés comme des contraires dans la mesure où ils peuvent ne s’appliquer aucun des deux si la soupe est dite chaude c’est-à-dire aussi chaude qu’elle doit l’être. Ces emplois peuvent être expliqués par le fait que froid, frais, tiède et chaud dénotent les degrés de présence ou d’absence d’une propriété qui correspond à une échelle sémantique unique (II, 3.2; sur tiède, voir aussi II, 3.3.2.2). (b) La représentation de l’opposition entre des lexèmes par un carré ou un hexagone nécessite que tout lexème qui entretient une relation de contradiction avec un autre lexème entretienne également une relation de contrariété avec un troisième lexème, et inversement. Or, ce n’est pas toujours le cas: trouver un lexème qui serait contraire à mâle ou à mort paraît vraiment difficile alors que mâle et mort possèdent chacun leur contradictoire, femelle et vivant. (c) Enfin, la contradiction, définie par la logique comme l’exclusion mutuelle de deux concepts — ce qui interdit l’existence d’un troisième concept dans le même domaine —, est fondée sur des données ontologiques: une porte ne peut être qu’ouverte ou fermée, un être humain ne peut être que marié ou célibataire, que mort ou vivant, un animal ne peut être que mâle ou femelle, etc. La liste de ces lexèmes contradictoires est relativement limitée et discutable en regard notamment des éléments suivants: 1) en raison de la polysémie de célibataire, «qui n’est pas en couple» et «qui n’est pas marié», une personne peut être dite ni mariée ni célibataire quand le couple qu’elle forme avec une autre personne n’a pas été officialisé par un mariage66; 2) l’homme peut croire à l’existence de catégories d’êtres qui ne sont ni morts ni vivants ou les deux à la fois (les fantômes, les vampires, les zombies); 3) des animaux ou des humains peuvent naître hermaphrodites, c’est-à-dire à la fois mâles et femelles. Dans les langues naturelles, contrairement à la logique, on peut ainsi 66 Ce cas de figure est envisagé au travers de l’analyse d’un dialogue réel par Constantin de Chanay (1998: 58).

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toujours imaginer des contre-exemples à toutes paires de contradictoires. À l’inverse, le contradictoire de n’importe quel lexème peut être construit grâce à une négation syntaxique ou à l’adverbe négatif non (II, 4.2): pas blanc ou non-blanc sont les contradictoires de blanc, non-violence est le contradictoire de violence, etc. Par ailleurs, des lexèmes contraires ont tendance à être conceptualisés comme contradictoires67, ce dont témoignent les possibilités qu’offre le discours de créer les conditions d’émergence d’une relation de contradiction entre deux lexèmes qui ne dénotent pas des concepts ontologiquement contradictoires. Ainsi des lexèmes contraires sont fréquemment employés en tant que contradictoires comme dans la phrase Le gouvernement encourage les riches et les pauvres à préparer leur retraite (traduit de Jones 2002: 61). Ces trois remarques mettent également en lumière le fait qu’opérer sur des concepts opposés requiert des analyses pragmatico-sémantiques fines, et pour une part subjectives, de leurs emplois discursifs, dans lesquelles entrent des présuppositions, des implications et des connotations. Par ailleurs, au vu du sémantisme très diversifié des antonymes analysés et de la diversité encore plus grande de leurs emplois dénotatifs, l’analyse des rapports antonymiques se situe nécessairement à la frontière entre lexicologie et connaissances encyclopédiques. 3.1.2. De l’opposition logique à l’antonymie: modèle vériconditionnel de Robert Martin Pour construire sa modélisation de la relation entre des lexèmes antonymes dans le cadre d’une sémantique vériconditionnelle, Robert Martin a dû appliquer à l’analyse logique classique une transformation pour permettre la description de l’opposition entre des concepts, en envisageant l’opposition entre des propositions dont l’élément non commun n’est pas nécessairement un quantificateur (Martin 1973, 1976a et 1976b). Martin (voir notamment 1976a: 59) considère que l’antonymie regroupe trois types de relation entre énoncés: (1) la disjonction exclusive, qui fonde la contradiction; (2) l’incompatibilité logique, qui fonde la contrariété; (3) la disjonction inclusive, qui fonde la subcontrariété. Ainsi, les lexèmes marié et célibataire sont antonymes parce que les deux propositions suivantes sont dans un rapport de disjonction exclusive: si Jean est marié est une proposition vraie, alors Jean est célibataire est une propo67 Voir notamment Van Overbeke (1975: 139), Lyons (1978: 224-225) et Combettes (1984: 43).

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sition fausse, et inversement (ibid.)68. Les lexèmes bon et mauvais sont antonymes parce que les deux propositions suivantes sont dans un rapport d’incompatibilité logique: si Ce devoir est bon est une proposition fausse alors Ce devoir est mauvais n’est pas nécessairement une proposition vraie, elle peut être également une proposition fausse, dans le cas où Ce devoir est médiocre est une proposition vraie (ibid.). Les lexèmes réussir et échouer sont antonymes parce que les deux propositions suivantes sont dans un rapport de disjonction inclusive: si Dans cette classe, un élève au moins réussira au baccalauréat est une proposition vraie alors Dans cette classe, un élève au moins échouera au baccalauréat n’est pas nécessairement une proposition fausse, elle peut être vraie (ibid.). Tout en conservant la notion de quantité par le biais d’une distinction entre propositions quantifiées et non quantifiées, Martin réduit le carré logique aux contraires et aux contradictoires sur la base d’une distinction entre deux opérateurs sémantico-logiques: la négation et l’inversion. L’opérateur de négation s’inscrit dans une logique binaire à deux valeurs de vérités absolues et exclusives: vrai et faux (ibid.: 60). Il est défini comme un «opérateur qui, appliqué au prédicat d’une proposition p dont les arguments sont définis, a pour effet de créer une proposition p’ telle que, si p est vrai, p’ est nécessairement faux et si p est faux, p’ est nécessairement vrai» (Martin 1976b: 115). L’opérateur d’inversion, quant à lui, s’inscrit dans une logique multivaluée dans laquelle le vrai et le faux côtoient au minimum le nul et possiblement une infinité de valeurs du plus ou moins vrai au plus ou moins faux, la valeur neutre ou nulle étant intermédiaire entre le vrai et le faux (Martin 1976a: 60). L’opérateur d’inversion est défini comme «un opérateur qui, appliqué au prédicat d’une proposition p dont les arguments sont définis, a pour effet de créer une proposition p’ telle que, si p est vrai, p’ est nécessairement faux et si p est faux, p’ est nécessairement vrai, à moins que p soit nul» (Martin 1976b: 115). Grâce à ces opérateurs, Martin redéfinit la contradiction et la contrariété comme les «deux cas possibles de l’antonymie» (Martin 1976a: 72). Martin considère ainsi que heureux et pas heureux sont contradictoires, dans des propositions non quantifiées, si «le prédicat de l’une est la négation du prédicat de l’autre» (ibid.) et, dans des propositions quantifiées, si «le quantificateur de l’une est la négation du quantificateur de l’autre» 68 Nous avons vu que ce rapport logique n’est valide que si l’on ne considère qu’un seul sens de l’adjectif célibataire (II, 3.1.1).

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(ibid.). Les propositions non quantifiées Pierre est heureux et Pierre n’est pas heureux sont contradictoires, de même que les propositions quantifiées Tous les Français sont heureux et *Pas tous les Français sont heureux, c’est-à-dire Tous les Français ne sont pas heureux. Par contre, heureux et malheureux sont contraires, dans des propositions non quantifiées, si «le prédicat de l’une est l’inverse du prédicat de l’autre» (ibid.) et, dans des propositions quantifiées, si «le prédicat de l’une est la négation ou l’inverse du prédicat de l’autre» (ibid.). Les propositions non quantifiées Pierre est heureux et Pierre est malheureux sont contraires, de même que les propositions quantifiées Tous les Français sont heureux et Tous les Français sont malheureux. En tant que contraires, heureux et malheureux peuvent être considérés comme «deux termes [qui] se situent symétriquement par rapport à une intensité moyenne et neutre» dans une échelle d’intensité, comme c’est le cas de chaud/froid, gai/triste, intelligent/sot, etc. (ibid.: 68). Si Martin, contrairement à d’autres linguistes (II, 3.2.4), n’envisage pas l’existence d’une échelle sémantique graduée entre deux lexèmes comme nécessaire à leur antonymie, il considère leur «position symétrique par rapport à une moyenne» comme une condition sine qua non de l’antonymie lexicale d’inversion. La définition que donne Martin de l’antonymie regroupe donc sous cette étiquette des lexèmes (heureux/malheureux), des syntagmes (heureux/pas heureux) et même des phrases dans la mesure où il considère aussi la transformation passive comme une source de l’antonymie qu’il appelle grammaticale: La France a battu l’Italie est antonyme de La France a été battue par l’Italie (Martin 1976a: 63). Le fait de nommer antonymes à la fois des lexèmes opposés et des phrases ou des syntagmes dans lesquels on ne peut identifier de lexèmes opposés, c’est-à-dire des séquences sans «antonymes», est de nature à diluer la notion désignée par le terme antonymie et à complexifier sa définition. Nous avons donc choisi de réserver, comme dans l’immense majorité des travaux sur l’antonymie, les termes antonymie et antonyme aux unités lexicales, simples ou complexes, opposées alors que les relations d’opposition entre des syntagmes ou des phrases peuvent être envisagées dans le cadre d’analyses discursives, notamment rhétoriques (III, 1). 3.1.3. De la distinction contraire/contradictoire à la distinction contraire/ complémentaire La distinction entre lexèmes contraires et lexèmes contradictoires a été reprise par Lyons (1967 et 1978) dans ses travaux de sémantique

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structurale largement consacrés à l’opposition de sens. Lyons considère que cette distinction est fondée sur le processus psychologique et sémantique de graduation étudié par Edward Sapir dans un article fondateur publié à titre posthume en 1944, sur lequel nous reviendrons en détail (II, 3.2). Selon Lyons, une paire d’antonymes comme grand/petit appartient à la catégorie des contraires plutôt qu’à celle des contradictoires en raison du fait que ces termes sont gradables ou graduables, c’est-àdire qu’ils sont définis par comparaison à une norme, tandis que les contradictoires sont non gradables ou non graduables (Lyons 1967: 62 et Lyons 1978: 220, notamment)69. Lyons considère que la contrariété logique des antonymes graduables est une conséquence de leur graduabilité et non une cause (Lyons 1978: 220). Il réserve le terme antonymes aux opposés graduables et donne aux lexèmes opposés non graduables le nom de complémentaires (Lyons 1978: 226). Lyons adopte donc en 1978 une conception plus restrictive de l’antonymie que celle qu’il proposait en 1967. Les lexèmes graduables et non graduables sont définis en fonction de leurs implications sémantico-logiques. Dans le cas des contraires graduables, «la prédication de l’un implique la prédication de la négation de l’autre: la proposition ‘X est chaud’ implique ‘X n’est pas froid’ […]. Mais ‘X n’est pas chaud’ n’implique pas nécessairement ‘X est froid’ (même si dans certains contextes on l’interprète de cette manière […])» (Lyons 1978: 219). Dans le cas des complémentaires, non graduables, par contre, «la proposition ‘X est femelle’ implique ‘X n’est pas mâle’; et la proposition ‘X n’est pas femelle’ (à condition que mâle et femelle soient prédicables de X) implique ‘X est mâle’» (ibid.). Dans la théorie de Lyons, l’opposition concerne des lexèmes et non des propositions. Celles-ci ne sont utilisées qu’en guise de tests pour vérifier les implications d’un lexème et ne constituent plus l’objet des relations d’opposition comme dans la logique classique. La définition logique, par les valeurs de vérité, de paires de lexèmes contraires et contradictoires se superpose exactement à la définition sémanticologique, par des implications, de paires de lexèmes graduables et non graduables, tels que définis par Sapir et Lyons.

69 Le terme gradable est un calque de l’anglais probablement dû à Jacques Durand, traducteur de Semantics (Lyons 1977). Nous lui préférerons l’adjectif graduable que l’on trouve dans Van Overbeke (1975) et Rivara (1993), notamment. Nous reviendrons sous II, 3.2 sur les différentes définitions qui ont été données à cet adjectif et nous préciserons dans quel sens nous l’entendons.

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3.2. La «graduation»: son rôle dans la définition de l’antonymie À la suite de Lyons, la distinction entre deux catégories de lexèmes opposés, les lexèmes opposés graduables et les lexèmes opposés non graduables, a été reprise par de nombreux linguistes, surtout anglophones, dans leurs travaux, entièrement ou partiellement consacrés à l’antonymie. Dans ces travaux sur l’antonymie, le caractère graduable de certains lexèmes est considéré comme primordial dans la définition de leur opposition, voire comme la principale caractéristique distinctive de l’antonymie, au sens restreint du terme. La définition de la graduation, qui fonde la distinction entre antonymes graduables et non graduables, n’est malheureusement pas sous-tendue par les mêmes caractéristiques sémantiques dans tous les travaux que nous allons présenter. Deux lexèmes opposés peuvent ainsi être dits graduables parce qu’ils sont tous deux définis par comparaison avec une norme ou un terme de comparaison. Cette conception de la graduation développée par Sapir (1944) a été reprise et approfondie, notamment, par Lyons (1967 et 1978), Van Overbeke (1975), Kleiber (1976) et Stati (1979). Deux lexèmes opposés peuvent également être dits graduables lorsqu’ils sont susceptibles d’être modulés en discours par des adverbes de degré comme très surtout pour les adjectifs, peu ou beaucoup pour les verbes, légèrement, complètement, absolument, un peu, tout à fait, ou modérément pour les adjectifs et les verbes. L’opposition entre des lexèmes graduables dans ce deuxième sens peut être représentée par une échelle sémantique graduée dont ces lexèmes constituent les pôles. Cette conception de la graduabilité des lexèmes opposés est donc très liée à deux autres notions: la scalarité et la polarité. Ces deux notions ont été définies dans l’ouvrage fondateur de Charles Ogden, Opposition: A Linguistic and Psychological Analysis, publié en 1932. Elles sont reprises et approfondies dans les travaux de nombreux linguistes, parmi lesquels on peut citer Kotschi (1974), Gsell (1979), Warczyk (1981), Lehrer ‒ Lehrer (1982), Nellessen (1982), Combettes (1984), Cruse (1986), Giermak-Zielińska (1987 et 1988), Rivara (1993), Mettinger (1994), Cruse ‒ Togia (1995), Geckeler (1996), Yorke (2001), Paradis (2001), Kennedy (2001), Jones (2002), Murphy (2003), Kennedy ‒ McNally (2005), Frazier ‒ Clifton ‒ Stolterfoht (2008), Jones et al. (2012). Les lexèmes graduables les plus souvent étudiés, quelle que soit la conception dans laquelle ils sont définis, sont des adjectifs et, dans une bien moindre mesure, des verbes. Aucune étude n’est consacrée à la graduation des substantifs et des adverbes, pas plus qu’à l’antonymie de ceux-ci.

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Les sous-sections suivantes seront consacrées aux travaux fondateurs de Sapir (II, 3.2.1) et d’Ogden (II, 3.2.2) sur la graduation, la scalarité et la polarité. Cet examen permettra d’approfondir les différents éléments constitutifs de leurs théories: (1) la définition du deuxième terme de la comparaison constitutif de la graduation (II, 3.2.3), (2) les caractéristiques des échelles sémantiques, qui permettent de rendre compte de l’opposition entre deux adjectifs (II, 3.2.4). Les outils dégagés de l’analyse des adjectifs seront ensuite appliqués aux lexèmes opposés relevant des autres parties du discours, les substantifs, les adverbes et les verbes (II, 3.2.5). 3.2.1. Le processus psychologique et sémantique de graduation: le modèle de Sapir En 1944 paraît un travail d’Edward Sapir consacré au processus sémantique et psychologique de graduation. Cet article aborde notamment la relation entre des paires d’opposés comme small/large ou little/ much. Selon Sapir, ces paires d’opposés ne renvoient pas à des valeurs absolues (Sapir 1944: 93). Cette impression est une illusion due au fait que leur graduation, c’est-à-dire leur caractère comparatif, est implicite, non formellement marquée (ibid.). Selon Sapir, la graduation concerne tous les lexèmes quantifiables parce que les traits des concepts qu’ils dénotent peuvent être décrits par des comparaisons (plus ou moins) avec les traits d’autres concepts (ibid.: 94). Ainsi, la graduation du substantif house est définie par Sapir de la manière suivante: «Any two houses selected at random offer the contrast of ‘more’ and ‘less’ on hundreds of features which are constitutive of the concept ‘house’. Thus, house A is higher but house B is roomier, while existent C is so much smaller than either A or B that it is ‘less of a house’ than they and may be put in the class ‘toy’ or at best ‘shack’» (ibid.).

Le même raisonnement est appliqué, par Sapir, aux verbes, aux adjectifs et aux adverbes. Ainsi le verbe anglais to run est dit gradable dans la mesure où «the concept of ‘running’, involving, as it does, experience of many distinct acts of running wich differ on numerous points of ‘more’ and ‘less’, such as speed, excitement of runner, length of time, and degree of resemblance to walking, is as gradable as that of ‘house’» (ibid.). De même, l’adjectif red, comme l’adverbe gracefully, est dit gradable parce que, dans ses différents emplois, il est défini en termes de plus ou moins, autrement dit comparativement à une norme, c’est-à-dire selon le «degree of conformity to some accepted standard of redness» (ibid.). Dans la suite de son article, Sapir se concentre pourtant sur les adjectifs.

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La comparaison implicite définitoire de la graduation peut être de deux types: une comparaison par rapport à une norme implicite ou une comparaison par rapport à un autre terme de comparaison (ibid.: 96). L’adjectif near, par exemple, s’il est appliqué à un objet A peut signifier «à une distance plus petite que la distance normale par rapport à un point de référence» (at a less than normal distance from) ou «à une plus petite distance du point de référence qu’un autre objet» (at a less distance than) (ibid.). Dans la phrase From the point of view of America, France is on the near side of Europe, par exemple, l’adjectif near ne dénote pas une valeur absolue, mais exprime une comparaison, non pas par rapport à une norme qui permet de définir à quelle distance d’un autre pays un état doit se trouver pour pouvoir être dit near, mais entre la France et les autres pays d’Europe quant à leur distance par rapport aux États-Unis (ibid.). Cette comparaison entre la France et les autres pays d’Europe justifie qu’elle soit qualifiée de near par rapport aux États-Unis alors que, en comparaison avec une norme de distance, elle pourrait être dite far from America (ibid.). De même, l’adjectif good, appliqué à un objet A, peut signifier «d’une qualité supérieure à la qualité moyenne des objets du même type que A» (of more than average quality) ou «d’une plus grande qualité qu’un autre objet A» (of greater quality than) (ibid.). Des comparaisons implicites de ce type peuvent être explicitées par des tours analytiques (angl. more expensive than, fr. plus cher que) ou des tours synthétiques (angl. better than, fr. meilleur que). Selon Sapir, une phrase comme My pen is better than yours exprime une comparaison explicite entre les stylos de deux individus, mais aussi, par comparaison implicite, le fait que le stylo du locuteur possède un certain degré de qualité. Ce degré peut être très faible si les deux stylos peuvent être dits bad par rapport à une norme de comparaison (average quality) (ibid.). Sapir constate qu’il y a, parmi les lexèmes qu’il identifie comme étant définis par comparaison, des paires de mots, surtout des adjectifs, considérés comme des opposés. Dans ce cas, Sapir considère, à propos de good et bad par exemple, que: «[…] these distinct qualities are psychologically contiguous and capable of being fitted into a single series with two crests or maxima» (ibid.: 99). Les opposés définis par graduation représentent alors des points de repère par rapport auxquels les autres éléments graduels sont orientés positivement ou négativement: sur le continuum bad-poor-fair-good, fairly good est orienté positivement par rapport à poor, dans la mesure où fairly good exprime une qualité

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supérieure, alors qu’il est orienté négativement par rapport à (very) good, dans la mesure où fairly good est l’expression d’une qualité inférieure (ibid.: 101). Au centre du continuum que deux adjectifs opposés définis par graduation permettent de former se trouve une zone d’indifférence (zone of indifference) dans laquelle aucun des deux pôles ne s’appliquent (ibid.: 98). Cette zone d’indifférence peut être exprimée par la négation simultanée des deux opposés ou par un autre lexème: le syntagme neither brilliant nor stupid, par exemple, équivaut ainsi à «of normal intelligence» qui est la norme de comparaison, alors que le sens du syntagme neither hot nor cold correspond au lexème temperate (ibid.: 99)70. Dans la conception de Sapir, la graduation est un processus dont l’action n’est pas limitée à l’opposition de sens. Le fait de l’étendre à des substantifs comme house tend à confondre les lexèmes qui expriment directement des propriétés comparatives (good, bad) — ces lexèmes ont pour spécificité d’être graduables — et des lexèmes dont le sens peut être défini indirectement par des propriétés comparatives (house), ce qui peut être le cas d’un grand nombre de lexèmes, voire de tous les lexèmes. Lorsqu’elle concerne les lexèmes spécifiquement graduables, la notion de graduation est utile à l’étude de l’antonymie. Dans les travaux de Lyons (1978), Van Overbeke (1975), Kleiber (1976) et Stati (1979), elle est même considérée comme un élément essentiel dans la définition de l’antonymie au point que les lexèmes que Sapir définit comme gradable sont considérés par Van Overbeke (1975) comme les seuls à pouvoir être appelés antonymes. L’extension du terme gradable à tous les lexèmes dont l’opposition peut être représentée par une échelle sémantique dans les travaux de Cruse, par exemple, est probablement due au fait que Sapir décrit, entre deux opposés, un continuum au centre duquel se trouve une zone neutre, similaire aux échelles sémantiques avec seuil qui ont été définies par Ogden pour rendre compte de l’opposition entre deux lexèmes. 3.2.2. Définir deux opposés comme des pôles d’une échelle: le modèle d’Ogden Le linguiste et philosophe Charles Ogden fonde sa théorie de l’opposition principalement sur la distinction entre deux types de lexèmes opposés: ceux qui constituent «the two sides of a cut» et ceux qui peuvent 70

3.3.2.

Nous analyserons des énoncés dans lesquels deux antonymes sont niés sous VI,

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être considérés comme «the two extremes of a scale» (Ogden 1932: 58). Pour décrire ces deux types d’opposés, Odgen commence par définir le terme cut, que nous traduirons par seuil, et le terme scale, qui se traduit par échelle. Le seuil est défini comme «the point of neutrality, the absence of either of two opposed characters in the field of opposition» (ibid.: 58-59). Il est la limite qui divise un domaine conceptuel en deux. En ce qui concerne l’opposition entre inside et outside, par exemple, le champ d’application de l’adverbe inside est limité par un seuil — qui coïncide dans ce cas avec une limite physique, une porte par exemple — à partir duquel le champ d’application de outside commence immédiatement (ibid.: 59). L’échelle, quant à elle, peut être représentée, dans une perspective spatiale, comme «a diagram of rectilinear motion in one direction or its opposite, increasing or decreasing throughout the whole gamut, according as we start from the bottom and move up or from the top and move down» (ibid.: 61-62). Ogden distingue deux types d’échelles sémantiques, celles qui comportent un point intermédiaire, un seuil (up/down) et celles qui n’en comportent pas, qui sont donc continues (black/white). Ces échelles simples comportent un minimum et un maximum, dont les noms sont opposés. Ces deux extrêmes sont conçus comme des pôles de tension qui s’attirent ou se repoussent comme les pôles magnétiques (ibid.: 63). Le minimum est dit négatif parce qu’il correspond à l’absence de la qualité représentée par l’échelle. Le maximum est dit positif parce qu’il correspond au plus haut degré de présence de la qualité (ibid.: 46). Le lexème positif qui correspond au maximum peut dénoter également l’échelle dont il fait partie, c’est-à-dire une qualité graduelle qui peut augmenter ou diminuer alors que le lexème négatif qui correspond au minimum désigne une qualité non graduelle. Ainsi, selon Ogden, dans la paire angl. visible/invisible, «visible is the scaled opposite (by cut) of its negative (not scaled)» (ibid.: 100). Si les lexèmes opposés sont tous les deux positifs, autrement dit s’ils désignent tous les deux des qualités graduelles, leur opposition peut être représentée par deux échelles mises bout à bout, qui possèdent chacune un maximum et un minimum qui coïncide avec le seuil des deux côtés duquel elles se déploient dans des directions opposées (ibid.: 62). Ogden considère ainsi que les lexèmes hot et cold dénotent deux échelles distinctes, dont le minimum commun, le seuil, est dénoté par tepid, qui correspond à la température du corps humain. Ces lexèmes dénotent aussi les extrémités de ces deux échelles (ibid.: 66-67).

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Les lexèmes hot et cold sont donc opposés selon les deux types d’opposition distingués par Ogden: ils dénotent les extrémités (minimum ou maximum) de l’échelle qu’ils contribuent à former (the two extremes of a scale) et chacun des deux sous-domaines séparés par un seuil (the two sides of a cut). Ces sous-domaines pouvant être scalaires ou non, cinq cas de figure sont possibles dans l’opposition by cut: 1) aucun des opposés ne dénote une échelle (right/left), 2) l’un des deux opposés dénote le minimum de l’échelle dénotée par l’autre (invisible/visible, shut/open), 3) les opposés dénotent chacune des deux parties d’une échelle qui comporte un seuil (hard/soft), 4) les opposés dénotent chacune des deux échelles dont le minimum est un seuil (hot/cold) et 5) les opposés dénotent les extrémités de chacune des deux échelles dont le minimum est un seuil (hot/cold). 3.2.3. Des adjectifs définis par comparaison Après avoir présenté deux conceptions différentes de la notion de graduabilité, celle de Sapir et celle d’Ogden, envisageons le rôle de la comparaison, définitoire de la graduation selon Sapir, dans la définition des adjectifs antonymes. 3.2.3.1. Distinction entre norme objective et norme subjective Parmi les définitions données depuis Sapir à la norme de comparaison implicite, constitutive de la graduation, on peut citer celle de Kleiber (1976) qui, dans son étude des adjectifs antonymes, cherche à définir la norme implicite par rapport à laquelle sont définis ces adjectifs qui sont toujours employés dans des phrases considérées comme comparatives «même lorsque la comparaison n’est pas explicite» (Kleiber 1976: 281-282). Selon Kleiber, à la suite de Sapir, une phrase comme Charles est grand signifie que «Charles est plus grand que la taille normale des êtres humains» (ibid.: 282). Cette «norme d’expérience» serait équivalente à environ 1m70, selon Kleiber (ibid.). La référence à une norme ne permet pas seulement de définir grand, mais également de rendre compte de son opposition avec petit: «Les hommes qui ont une taille supérieure à cette norme seront grands, ceux qui ont une taille inférieure petits» (ibid.). Parmi ces adjectifs définis par comparaison, Kleiber distingue les adjectifs «quantifiables numériquement, soit de façon absolue (Cet arbre est haut de trois mètres), soit de façon mixte (Cet arbre est plus haut que ma maison d’un mètre)» et les adjectifs qui ne supportent que les

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comparaisons relatives du type Paul est plus intelligent que Charles, sans possibilité d’ajouter de mesure numérique (ibid.: 293). Les premiers sont appelés adjectifs objectifs (+ obj) et les seconds adjectifs non objectifs (– obj)71. En ce qui concerne la norme, les adjectifs (+ obj) et (– obj) se différencient par le fait que la norme implicite des adjectifs (– obj) dépend de l’émetteur du message, ce qui n’est pas le cas pour les adjectifs (+ obj): «Pierre est grand signifie que Pierre dépasse la norme - moyenne, Pierre est intelligent signifie que son intelligence est égale ou supérieure aux critères exigés pour que le locuteur le déclare intelligent» (ibid.: 299). La norme des adjectifs (– obj) correspondra alors aux critères nécessaires à un objet pour pouvoir être qualifié par l’adjectif (ibid.: 302). Dans la phrase Pierre est intelligent, intelligent signifie que Pierre est «conforme au canon de l’intelligence pour le locuteur» (Kleiber 1976: 290)72. Il sera dit bête s’il n’est pas conforme à ce canon. 3.2.3.2. Discussion: trois objections à la distinction entre adjectifs objectifs et non objectifs La distinction de Kleiber entre deux types d’adjectifs antonymes selon qu’ils supposent une comparaison implicite par rapport à une norme objective ou par rapport à une norme non objective peut être nuancée en raison de (1) l’existence d’emplois qu’il est difficile de qualifier d’objectifs pour des adjectifs réputés objectifs et, inversement, l’existence d’emplois objectifs pour des adjectifs réputés non objectifs; (2) l’existence de critères d’attribution communément admis, qui ne dépendent donc pas du locuteur, pour les adjectifs non objectifs; (3) l’existence d’emploi non comparatifs dans lesquels des critères objectifs sont d’application. (1) Prenons tout d’abord l’exemple de l’adjectif grand dans la phrase Pierre est grand, citée par Kleiber (1976: 299). La norme de comparaison qui permet d’interpréter cet adjectif ne sera pas la même si cette phrase est prononcée par a) un médecin après la visite médicale; b) l’institutrice de Pierre quand elle regarde le rang qu’il forme avec ses camarades à 71 Cette distinction rejoint celle de Van Overbeke (1975) et de Dik (1969), cité dans Van Overbeke (1975: 141), entre antonymes objectifs et subjectifs. 72 La définition de la norme propre aux adjectifs non objectifs est comparable à celle que Geoffrey Leech donne de la speaker-related norm, qui détermine les conditions de vérité de certains énoncés: la phrase X is ugly par exemple peut être vraie pour un locuteur mais pas pour un autre (Leech 1974, cité dans Jones 2002: 15).

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la fin de la récréation; c) la mère de Pierre quand elle s’aperçoit que son petit dernier la dépasse déjà d’une tête. Dans la première situation d’énonciation (a), le médecin a placé Pierre devant sa toise, il a comparé le résultat avec les données qu’il possède sur la taille moyenne des individus de l’âge de Pierre — cette moyenne peut être très éloignée du mètre septante que Kleiber cite, si Pierre a cinq ans et demi, par exemple73 — et il a pu dire ou écrire Pierre est grand, sur la base de cette comparaison. L’emploi de grand dans cette situation correspond à celui relevé par Kleiber pour les adjectifs objectifs. On peut considérer le deuxième emploi (b) comme un cas particulier du premier si l’institutrice dit Pierre est grand après avoir comparé sa taille à la moyenne des tailles d’un groupe d’individus plus restreint, les autres élèves de sa classe. Mais l’institutrice peut également dire que Pierre est grand simplement parce qu’elle constate, en regardant le rang, que la taille de Pierre dépasse celle des autres élèves. Le sens de grand est alors «qui a plus de centimètres qu’un autre individu». La comparaison implicite présente dans la phrase Pierre est grand est dans ce cas une comparaison non par rapport à une norme implicite, mais par rapport à un autre terme de comparaison (voir Sapir 1944 et II, 3.2.2). Une comparaison par rapport à un terme de comparaison est également identifiable dans le troisième emploi (c). La phrase Pierre est grand prononcée par la mère de Pierre peut être interprétée comme une comparaison par rapport à un terme de comparaison, qui n’est pas un individu tiers, mais la locutrice elle-même si elle compare la taille de son fils avec la sienne. Cet emploi est banal et courant. Ainsi, des individus qui mesurent un mètre cinquante seront sans doute enclins à juger grands un nombre plus important de personnes que les individus qui mesurent deux 73 Le calcul de la moyenne dépend donc de l’objet. Kleiber (1976) remarque ce fait et parle de norme implicite syncatégorématique (voir également Stati 1979). Au sens que Kleiber donne à cet adjectif, cela signifie qu’elle dépend de l’objet auquel la propriété comparative s’applique (Kleiber 1976: 285). Ainsi, un éléphant jugé petit par rapport à la moyenne des éléphants sera toujours considéré comme un grand animal, bien qu’il soit petit pour un éléphant, dans la mesure où il n’est petit que par rapport à la taille moyenne ou attendue des éléphants. La définition de la norme syncatégorématique, par opposition à la norme catégorématique, rejoint celle que Leech donne de l’object-related norm et de la role-related norm: l’attribution d’une qualité à un objet ou à un individu dépend de la nature de cet objet ou du rôle social de cet individu (Leech 1974: 110, cité dans Jones 2002: 15). Cette distinction entre norme applicable à tous les types d’expériences et norme applicable à certains types d’expériences seulement est déjà présente dans l’article de Sapir (1944: 93). Voir également la distinction entre absolute adjectives et relative adjectives proposée par Kennedy (2001), Kennedy ‒ McNally (2005) et reprise par Frazier ‒ Clifton ‒ Stolterfoht (2008).

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mètres, à moins que, par une comparaison d’égalité systématique, ils ne généralisent leur propre taille pour voir le monde en petit. La norme dans ce type d’emploi est beaucoup plus proche de celle des adjectifs non objectifs que des adjectifs objectifs: on pourrait dire que l’attribution de l’adjectif grand à Pierre dans la phrase prononcée par sa mère est très dépendante de critères que celle-ci considère comme pertinents pour qualifier un individu de grand (taille supérieure à la sienne). En discours, deux interlocuteurs, A et B, peuvent employer grand, l’un en comparaison à une norme moyenne et l’autre en comparaison avec un terme de comparaison, ce qui peut aboutir à une confrontation comme: A - Il est grand le monsieur! (par rapport à l’enfant A qui mesure 1m), B- Non, il est petit, il ne mesure qu’1m60! (sa taille est moins élevée que la moyenne). Dans la réponse de B, l’emploi de petit résulte d’une comparaison avec une norme moyenne, mais il pourrait également résulter de la comparaison avec un terme de comparaison. Un même individu peut donc être qualifié de petit ou de grand selon la norme ou le terme de comparaison que le locuteur a choisi. Les emplois que nous venons de décrire montrent que l’adjectif grand peut donc être dit objectif (comparaison par rapport à une norme moyenne) ou non objectif (comparaison par rapport à des critères déterminés par le locuteur) en fonction de la situation d’énonciation dans laquelle il est employé. À l’inverse, des adjectifs comme intelligent ou bon, classés dans la catégorie des adjectifs non objectifs, sont susceptibles d’être employés objectivement de la même manière que grand, en référence à une norme moyenne. L’adjectif intelligent, par exemple, peut être attribué à un individu à la suite de la mesure de son QI. Cet individu sera alors dit intelligent par rapport à la moyenne des individus ayant passé le même test. De même, un adjectif comme bon peut avoir exactement les mêmes emplois, objectifs ou non, que grand: un coureur de 400m peut ainsi être dit bon parce qu’il est meilleur que la moyenne, parce qu’il est meilleur que ceux qui concourent avec lui, parce qu’il est meilleur que le locuteur. Dans ce dernier emploi, on peut considérer que bon est effectivement attribué au coureur de 400m parce que lui, ou sa course, est conforme aux critères du locuteur. S’il ne l’était pas, il pourrait être dit mauvais. Selon Kleiber, cette interprétation est la même pour beau, fort, généreux ou courageux dans l’exemple de Van Overbeke (1975), cité par Kleiber (1976: 290), Jean est beau, fort, généreux, courageux, etc. Kleiber réfute l’objection de Van Overbeke quant à la définition de la norme non objective comme un canon. Selon Van Overbeke, en effet, si beau, par exemple, est défini par la conformité avec un canon de la beauté,

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«on réduit l’antonymie graduée au statut d’opposition disjonctive» (Van Overbeke 1975: 143). Selon Kleiber, la multiplicité des critères de conformité qui constituent le canon du locuteur permet qu’un axe scalaire soit maintenu, ce qui explique que l’on puisse dire Jean est plus ou moins beau (Kleiber 1976: 290-291). La scalarité de beau et de laid, comme celle de grand et de petit, paraît indubitable, non seulement parce que tous les critères d’attribution d’une qualité à un individu ou à un objet peuvent ne pas être remplis, mais également parce qu’ils semblent pouvoir être remplis seulement de manière partielle: si les critères de beauté d’un individu pour un locuteur A sont le teint mat, les cheveux foncés et les yeux marrons, par exemple, un individu peut être plus ou moins bronzé, avoir les cheveux plus ou moins éclaircis par le soleil ou les yeux tirant sur le vert et donc être dit plus ou moins beau par A. (2) Si ce caractère scalaire des adjectifs non objectifs n’est pas remis en cause, il faut, cependant, remarquer que les critères qui définissent la norme par rapport à laquelle se situent les adjectifs non objectifs ne sont pas toujours propres à un seul locuteur, mais peuvent être des critères communément admis. Ainsi, on peut dire que le canon de la beauté communément admis aujourd’hui, celui sur la base duquel sont recrutés les mannequins par exemple, comprend des critères relatifs aux proportions (rapport poids/taille), à la symétrie générale du corps, à la couleur ou à l’éclat des cheveux, etc. Une telle norme, réduite par la collectivité à des paramètres mesurables, est dès lors moins liée à la subjectivité du locuteur. (3) La norme non objective est constituée par un ensemble de critères de qualité, qu’il peut être difficile de décomposer analytiquement, qui est propre à un locuteur ou à toute une communauté culturelle et avec lequel on mesure l’adéquation d’un objet avant de pouvoir lui appliquer l’adjectif qui dénote cette qualité. Ces critères de dénomination peuvent être réduits à la comparaison avec une moyenne comme dans le cas de bon, dans la phrase Ce coureur de 400m est bon, pour l’attribution duquel le principal critère est la rapidité du coureur, qui ne peut être définie que par comparaison: un coureur de 400m dit rapide par un locuteur A c’est un coureur qui parcourt cette distance en moins de temps que la moyenne, que d’autres coureurs ou que le locuteur. Ce n’est pas toujours le cas. La qualification de Pierre par l’adjectif grand, quand il est relatif à l’âge, comme dans la phrase Quand Pierre sera grand, il sera pompier, est déterminée par des critères, ceux qui définissent l’âge adulte. Ces critères ne sont pas nécessairement comparatifs: l’aptitude à prendre des responsabilités, la capacité à être autonome,

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etc. Il existe également, dans de nombreux pays, un critère légal qui fonctionne comme un seuil: l’âge adulte commence à 18 ans (voir Ogden 1932 et II, 3.2.2). Cet âge constitue un seuil strictement au-delà duquel un individu passe de l’enfance à l’âge adulte. La norme de taille moyenne par rapport à laquelle Pierre peut être dit grand est différente. Elle n’est, en fait, qu’un point de repère flou: si la taille moyenne prototypique au-dessus de laquelle un individu adulte peut être dit grand avoisine sans doute effectivement 1m70 (pour autant que cet individu soit de type caucasien74), il ne suffit pas de mesurer 1m71 pour être dit grand, un individu de cette taille sera sans doute qualifié de moyen et il est très difficile, voire impossible, de déterminer à partir de quel écart par rapport à la moyenne un individu peut être dit grand. 3.2.3.3. Première distinction entre graduation, graduabilité et scalarité Suite aux trois remarques formulées quant à la distinction entre adjectifs comparatifs objectifs et adjectifs comparatifs non objectifs, nous pouvons dire qu’un même adjectif, dans une phrase où il n’est pas accompagné d’un comparatif explicite, peut être interprété, selon ses emplois, soit en vertu d’une adéquation graduelle à un certain nombre de critères définitoires propres au locuteur ou communément admis dans une communauté culturelle et linguistique, soit par comparaison avec une norme moyenne, avec un groupe d’individus ou avec un individu unique qui peut être le locuteur. En ce qui concerne l’antonymie des adjectifs dans ces différents emplois, si le sens d’un adjectif dans un énoncé est «plus ou moins conforme à un canon», le sens de son antonyme dans le même énoncé sera «plus ou moins non conforme à un canon» (Ce couscous est bon/ mauvais). Si le sens d’un adjectif dans un énoncé est «qui est supérieur à la qualité moyenne ou à la qualité d’un terme de comparaison», le sens de son antonyme sera «qui est inférieur à la qualité moyenne ou à la qualité d’un terme de comparaison» (Ce coureur est bon/mauvais)75.

74 Il faut noter que la norme de comparaison par rapport à laquelle sont définis des adjectifs comme grand et petit, qu’elle soit une norme de référence, communément admise, ou une norme d’expérience, personnelle à un locuteur, est toujours relative, elle varie dans le temps, l’espace et la société. 75 Dans la paire bon/mauvais, on peut considérer que dans la plupart des cas c’est bon qui signifie «plus ou moins conforme à un canon» ou «qui est supérieur à la qualité moyenne ou à la qualité d’un terme de comparaison». De ce fait, le lexème bon peut être décrit comme positif ou non marqué, mais il peut arriver que ce soit mauvais qui dénote

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Les adjectifs peuvent ainsi être classés en deux catégories distinctes selon qu’ils peuvent ou non être employés comme comparatifs. Les adjectifs déverbaux ouvert et fermé, par exemple, qui dénotent l’achèvement des procès exprimés par les verbes dont ils dérivent, peuvent être considérés comme non comparatifs parce que leurs emplois n’impliquent jamais une comparaison, contrairement à bon/mauvais ou grand/petit: une porte n’est pas dite ouverte ou fermée par comparaison avec une autre porte ou avec une norme moyenne par rapport à laquelle on définirait l’ouverture ou la fermeture, une porte peut être dite ouverte dès le moment où sa partie mobile ne forme plus un angle plat avec sa partie fixe, c’est-à-dire dès le moment où elle ne peut plus être dite fermée76, lorsqu’elle est simplement contre. Pour éviter toute ambiguïté, nous préférons les termes non comparatifs à non graduables pour qualifier les adjectifs comme ouvert ou fermé qui ne peuvent pas être employés comme des comparatifs implicites. Le caractère non comparatif d’un adjectif, dans le sens précis que nous venons de donner à ce terme, n’implique pas nécessairement que cet adjectif ne puisse être modulé syntaxiquement par un adverbe de degré (y compris un comparatif explicite) ou que son sens ne puisse être décrit par une échelle sémantique. Ainsi, même si l’adjectif ouvert, par exemple, est non comparatif, il peut être gradué en discours (La porte est plus ouverte que tout à l’heure, La porte est légèrement ouverte). C’est en ce sens que nous dirons qu’ouvert est un adjectif graduable. Le tableau suivant illustre les rapports entre comparaison et graduabilité. adjectifs comparatifs

adjectifs non comparatifs

adjectifs graduables

intelligent

ouvert

adjectifs non graduables

/

marié

Tableau 1

Le sémantisme de ouvert peut, par ailleurs, être représenté par une échelle graduelle dont fermé permet de nommer le point d’origine. Nous dirons qu’il est scalaire. La définition de la scalarité est l’objet de la sous-section suivante. la conformité au canon ou la supériorité par rapport à la moyenne. Nous y reviendrons en détail sous II, 3.2.4. 76 Les lexèmes ouvert et fermé peuvent donc être considérés comme non comparatifs mais aussi comme contradictoires. Nous reviendrons sur les liens entre non-comparativité et contradiction (II, 3.2.4).

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3.2.4. Des adjectifs définis par leur scalarité De nombreux travaux ont été consacrés à la scalarité. Ils ont pour but de décrire l’opposition de sens entre antonymes en modélisant leur relation par une échelle sémantique, comme celles décrites par Ogden (II, 3.2.2), dont chacun des antonymes dénote une partie autour d’un pôle de tension ou un extrême. Cette conception ne rend compte que des antonymes qui dénotent des propriétés qui peuvent être appliquées de manière graduelle. Ces antonymes sont parfois appelés graduables alors que les antonymes qui dénotent des propriétés qui peuvent être appliquées de manière absolue sont appelés non graduables. Pour éviter toute ambiguïté, nous privilégierons les termes scalaire et non scalaire. Nous avons vu que dans certaines approches de l’antonymie, celle-ci est limitée aux lexèmes scalaires. La plupart des travaux sur l’antonymie scalaire portent sur les antonymes scalaires en anglais. En ce qui concerne les antonymes scalaires en français, on peut mentionner les articles de Van Overbeke (1975) et de Kleiber (1976), qui, à la suite de Sapir, définissent les antonymes essentiellement en lien avec la notion de graduation et ne font qu’évoquer la scalarité, mais surtout l’article de Rivara (1993) sur les adjectifs scalaires, qui distingue deux types d’opposition scalaire, en rapport avec la définition de la scalarité par Ogden (II, 3.2.2). Cette distinction entre deux types d’opposition scalaire, que l’on retrouve dans les échelles proposées par Rivara, a été établie, pour l’anglais, par Cruse (1986). Dans cet ouvrage, Cruse accorde une grande place aux relations lexicales en général et aux relations entre antonymes scalaires en particulier. Il a ensuite approfondi cette étude des antonymes scalaires en l’intégrant dans un modèle sémantique cognitif qu’il présente dans un article publié avec Togia en 1995 et, surtout, dans l’ouvrage Cognitive Linguistics, publié avec Croft en 2004. Nous utiliserons ces travaux comme ouvrages de référence en ce qui concerne le caractère scalaire des adjectifs antonymes d’abord, puis celui des antonymes appartenant à d’autres parties du discours (II, 3.2.5). Nous indiquerons les points communs et les différences entre ces travaux et ceux de Van Overbeke, Kleiber et Rivara. 3.2.4.1. Distinction entre emplois scalaires et emplois non scalaires Dans les travaux de Cruse, comme dans ceux de Lyons (II, 3.1.3), la définition des complémentaires correspond à la définition logique traditionnelle des contradictoires. Selon Cruse, la caractéristique définitoire principale des complémentaires (complementaries) est la suivante:

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«[…] they exhaustively divide some conceptual domain into two mutually exclusive compartments, so that what does not fall into one of the compartments must necessarily fall into the other» (Cruse 1986: 198-199). Cruse cite la paire dead/alive comme exemple de complémentaires et précise que la phrase John is not dead implique, et est impliquée, par la phrase John is alive (ibid.: 199). Le terme antonymes (antonyms), employé par Cruse au sens strict, désigne des paires de lexèmes qu’il appelle gradable, c’est-à-dire graduables au sens précis que nous donnons à ce terme: ils sont modulables en discours par des adverbes de degré77 et peuvent apparaître dans des phrases comparatives explicites (ibid.: 202). Les membres d’une paire antonymique dénotent des degrés d’une propriété variable (comme le poids, la taille, la vitesse), qui peut être représentée par une échelle graduée (ibid.: 204). Ce faisant, les antonymes peuvent être considérés comme des contraires logiques dans la mesure où ils ne divisent pas strictement un domaine conceptuel en deux. La négation simultanée de deux antonymes est donc possible, elle correspond à une région neutre de l’échelle qu’ils contribuent à former: «there is a range of values of the variable property, lying between those covered by the opposed terms, which cannot be properly referred to by either term» (ibid.: 204-205). Il arrive qu’un lexème corresponde à cette région neutre. Ainsi les phrases It’s neither long nor short et It’s neither cold nor hot ne sont pas du tout paradoxales. Les lexèmes tepid et lukewarm réfèrent à la région neutre entre hot et cold (ibid.)78. La distinction entre lexèmes complémentaires et antonymes sur la base de la graduabilité n’est pas tout à fait nette. Cruse identifie, en effet, une catégorie de lexèmes qui se caractérisent par le fait qu’ils sont logiquement contradictoires tout en étant graduables. Cruse identifie des paires de lexèmes complémentaires dont un membre est graduable: dead et alive sont ainsi complémentaires, mais alive peut être modulé par very ou moderately, open et shut sont complémentaires, mais open peut être modulé par wide, slightly ou moderately. Dans certaines paires de lexèmes complémentaires, les deux membres sont graduables. Cruse range ces 77 Sur la base de la modulation contextuelle, Kleiber distingue grand qui admet d’être modulé par les adverbes passablement, suffisamment, assez, très ou trop et marié qui, selon Kleiber, ne le peut pas: passablement / suffisamment / assez / très / trop grand mais non *passablement / suffisamment / assez / très / trop marié (Kleiber 1976: 280). Voir également Giermak-Zielińska sur la gradation syntaxique (G.-Z. 1987: 5). 78 Nous approfondirons la définition de la notion de terme neutre ou intermédiaire par rapport à une paire d’antonymes dans la sous-section II, 3.3.

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lexèmes dans une classe à part, les gradable complementaries: clean et dirty sont tous deux graduables, mais peuvent être considérés comme des complémentaires dans la mesure où ils se comportent différemment des antonymes. Cette différence se manifeste notamment par le fait qu’ils ne peuvent apparaître dans une phrase comme *It’s neither clean nor even slightly dirty (ibid.: 203)79. Dans Cognitive Linguistics, Croft ‒ Cruse (2004) reviennent sur cette distinction en introduisant la notion de conceptualisation (construal). La complémentarité et l’antonymie (au sens strict) ne sont plus considérées par eux comme des relations entre des unités lexicales, mais comme des relations entre des conceptualisations. Dans le modèle cognitif de Croft et Cruse, tous les lexèmes dénotent des concepts intégrés dans ce que Fillmore appelle des cadres conceptuels (frames ou domains). Un cadre conceptuel (frame) est défini par Fillmore comme: «[…] any system of concepts related in such a way that to understand any one of them you have to understand the whole structure in which it fits» (Fillmore 1982: 111, cité dans Croft ‒ Cruse 2004: 15). Pour faire comprendre la notion de conceptualisation, Croft et Cruse prennent l’exemple de paires de lexèmes qui ont les mêmes conditions de vérité comme fœtus et unborn baby ou genuflect et kneel (Croft ‒ Cruse 2004: 19-21). La différence entre ces mots réside dans le fait que les expériences qu’ils désignent sont conceptualisées dans des cadres conceptuels différents. Le lexème fœtus conceptualise l’ovule fécondé dans le cadre conceptuel général de la reproduction des mammifères, alors que le syntagme unborn baby conceptualise le même objet dans le cadre conceptuel plus restreint de la condition humaine (Croft ‒ Cruse 2004: 19). En ce qui concerne genuflect et kneel, les deux verbes désignent la même action, mais le premier dénote un concept qui trouve sa place dans le cadre conceptuel des pratiques religieuses catholiques (ibid.: 21). Croft et Cruse citent également l’exemple des verbes allemands essen et fressen qui appartiennent à un cadre conceptuel humain et à un cadre conceptuel animal pour montrer qu’un concept comme celui qui correspond à fressen peut être reconceptualisé dans un autre cadre: si fressen est appliqué à un être humain, l’action de manger

79 L’appellation gradable complementaries indique un glissement de sens du terme complementaries entre la théorie de Lyons dans laquelle il désigne les lexèmes non graduables et la théorie de Cruse dans laquelle il désigne les lexèmes contradictoires, qu’ils soient ou non graduables. Ce terme devient donc avec Cruse un synonyme de contradictories.

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est conceptualisée comme une action qui ressemble à celle que peut réaliser un animal, autrement dit l’individu sujet de fressen mange salement ou goulûment (ibid.: 20). En ce qui concerne les lexèmes opposés, Croft et Cruse considèrent que deux lexèmes sont complémentaires si le cadre conceptuel dans lequel s’insèrent les concepts qu’ils dénotent est conçu comme ne contenant que ces deux concepts mutuellement exclusifs (ibid.: 166-167). Par conséquent, si X et Y sont des complémentaires, le fait qu’un objet puisse être nommé X implique qu’il ne peut être appelé Y et inversement (ibid.: 168). Les lexèmes alive et dead (fr. vivant/mort), par exemple, sont complémentaires dans un cadre conceptuel qui ne tient pas compte des fantômes et des vampires alors que married et single (fr. marié/ célibataire) sont complémentaires dans un cadre conceptuel qui ne prend en compte que les individus en âge de se marier (ibid.: 168). Dans d’autres cadres conceptuels, les phrases It’s neither dead or alive (Il n’est ni mort ni vivant) ou It’s neither married or single (Il n’est ni marié ni célibataire) sont possibles (ibid.: 186-188)80. Les antonymes, par contre, sont définis comme suit: «These are gradable adjectives or stative verbs81 and denote degrees of some property that diverge significantly from some reference value» (ibid.: 166). La scalarité est donc définitoire de l’antonymie, mais pas de la complémentarité. Les membres d’une paire de lexèmes complémentaires peuvent toutefois dénoter des propriétés conceptualisables comme scalaires. Ainsi les lexèmes clean et dirty (fr. propre/sale) peuvent se comporter comme des complémentaires dans une phrase comme I’ve put the clean shirts in the drawer and the dirty ones in this bag (J’ai mis les T-shirts propres dans le tiroir et les sales dans ce sac), mais ils peuvent aussi se comporter comme des lexèmes scalaires dans des phrases comme This shirt is dirtier than that one (Ce T-shirt est plus sale que celui-là) et This shirt is cleaner than this one (Ce T-shirt est plus propre que celui-là) (ibid.: 185-186). Les propriétés dénotées par clean et par dirty peuvent aussi être conceptualisées de manière différente. Ainsi dans la phrase It’s neither clean nor dirty (Ce n’est ni propre ni sale), dirty (sale) est conceptualisé comme dénotant une propriété graduelle alors que clean (propre) dénote une propriété absolue. Dans ce cas, clean (propre) dénote le degré zéro

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Voir nos remarques sur la contradiction (II, 3.1.1). Nous y reviendrons sous II, 3.2.5.

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de l’échelle dénotée par dirty (sale)82. Dans la phrase It’s neither clean nor dirty, dirty (sale) peut être interprété comme «not far enough along the dirty-scale to deserve the unmodified label dirty» («qui n’est pas suffisamment haut dans l’échelle de la saleté pour mériter le label sale»), ce qui correspond à only slightly dirty (seulement un peu sale) (ibid.: 186)83. De même, la propriété désignée par alive (vivant) peut être conceptualisée comme scalaire dans You look rather more alive than you did half an hour ago (Tu as l’air plus vivant qu’il y a une demi-heure) (ibid.: 187). La propriété dénotée par dead (mort) est plus difficilement conceptualisable comme scalaire, mais peut l’être, selon Croft et Cruse, par exemple dans You look half-dead (Tu as l’air à moitié-mort) (ibid.: 188). À l’inverse, selon Croft et Cruse, certains antonymes, seulement, dénotent des propriétés conceptualisables comme non scalaires: cold (froid), par exemple, peut désigner une propriété conceptualisée comme non scalaire dans Your dinner’s almost cold — hurry up and come to table! (Ton dîner est presque froid — dépêche-toi de venir à table!) où cold (froid) dénote le degré zéro de l’échelle que dénote hot (chaud) alors que slow (lent) ou cheap (bon marché) ne peuvent jamais dénoter un degré zéro, comme en témoigne le fait qu’ils ne puissent être modulés par completely (complètement) (ibid.: 189)84. Dans la conception de Croft et Cruse, la complémentarité est donc définie par la contradiction logique (non-X implique Y, tertium non datur) et peut relier des lexèmes qui dénotent des propriétés scalaires ou non scalaires. L’antonymie, quant à elle, ne relie pas des lexèmes dont les sens couvrent ensemble l’entièreté d’un domaine conceptuel. On peut considérer qu’ils sont contraires. Les antonymes dénotent les degrés d’une propriété. 82 Yorke emploie le terme échelle unidirectionnelle (unidirectional scale) pour nommer une échelle comme celle qui correspond à la paire clean/dirty lorsque dirty dénote une échelle sémantique dont clean dénote le point zéro (Yorke 2001: 175). Si aucun des opposés n’est scalaire (married/unmarried ou fr. marié/non-marié), l’échelle sémantique qu’ils constituent n’a que deux valeurs sans graduation entre elles. Cette échelle est dite binaire (binary scale) (ibid.). Cette conception en termes d’échelles binaires fait de la complémentarité un cas particulier de l’antonymie scalaire dans lequel les termes opposés ne sont pas graduables. Elle présente le risque de diluer jusqu’à l’évaporation la notion d’échelle sémantique en l’étendant aux propriétés non graduelles. Si nous gardons l’appellation pratique échelle unidirectionnelle, nous éviterons le recours à la notion d’échelle binaire. 83 La détermination de l’écart par rapport à une norme de comparaison n’est pas un seuil déterminé (II, 3.2.3). 84 Nous reviendrons sur la valeur de la modulation contextuelle avec à moitié et complètement (II, 3.2.4.4 et 3.3)

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Croft et Cruse distinguent, parmi les antonymes (au sens strict), les lexèmes qui appartiennent à une seule échelle et ceux qui contribuent à former deux échelles sémantiques différentes. Les premiers font partie de ce que Croft et Cruse appellent des systèmes monoscalaires (monoscalar systems)85, les seconds appartiennent à des systèmes biscalaires (biscalar systems)86. Deux lexèmes appartiennent à la même échelle (système monoscalaire) lorsque l’un des deux dénote une propriété et que l’autre dénote des degrés d’absence de cette propriété. Dans ce cas, le lexème qui nomme l’échelle apparaît dans des contextes qui neutralisent l’opposition, on dit qu’il a un emploi non marqué (impartial), mais les comparatifs de supériorité correspondant aux deux lexèmes de la paire sont tous les deux non marqués. Deux lexèmes appartiennent à deux échelles sémantiques différentes (système biscalaire) lorsqu’ils dénotent tous les deux des propriétés distinctes graduellement présentes. Dans ce cas, le comparatif de supériorité d’un des deux lexèmes de la paire ou des deux est marqué (committed). Nous allons aborder la distinction de Croft et Cruse entre systèmes mono- et biscalaires (II, 3.2.4.2 et 3.2.4.3), puis nous consacrerons une sous-section (II, 3.2.4.4) à la distinction proposée par Jones et al. (2012) entre adjectifs bornés (bounded) et non bornés (unbounded) qui rejoint, sans s’y superposer complètement, la distinction de Croft et Cruse entre complémentaires et antonymes. Nous clôturerons ce chapitre 3.2.4, centré sur les adjectifs, par une synthèse sur les rapports entre graduation, graduabilité, scalarité et borne, avant de passer au chapitre II, 3.2.5 qui traitera de l’application de ces notions à la définition de l’antonymie dans les autres parties du discours. 3.2.4.2. Les systèmes monoscalaires: absence graduelle d’une propriété Les systèmes monoscalaires regroupent les antonymes liés par une échelle unique. Cette échelle va de zéro à l’infini. L’un des termes d’une paire antonymique monoscalaire tend vers le degré zéro de la qualité exprimée par l’échelle sans jamais l’atteindre et l’autre tend vers l’infini (Croft ‒ Cruse 2004: 170, voir également Cruse ‒ Togia 1995: 115). 85 Les systèmes monoscalaires décrivent une opposition unidimensionnelle (Rivara 1993: 42). 86 Les systèmes biscalaires décrivent une opposition bipolaire (Rivara 1993: 44). Le terme bipolaire semble mal choisi dans la mesure où, dans le cadre de l’opposition définie comme unidimensionnelle par Rivara, les antonymes dénotent aussi deux pôles sur une échelle sémantique (II, 3.2.4.2 et 3.2.4.3).

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Croft et Cruse citent la paire long/short (fr. long/court) comme exemple d’antonymes appartenant à un système monoscalaire. L’échelle sémantique qui unit long et short est considérée par Croft et Cruse comme une échelle de longueur (length). La propriété dénotée par long (long) tend vers l’infini alors que short (court) dénote un degré de la même propriété, inférieur à une valeur de référence contextuellement définie (II, 3.2.3) et qui tend vers zéro, l’absence totale de longueur, mais n’est jamais égal à cette absence totale. Le sens de long (long) est défini par Croft et Cruse comme «noteworthy by virtue of being longer than some contextually determined reference value» alors que le sens de short (court) correspond à «noteworthy by virtue of some contextually determined reference value being longer» (Croft ‒ Cruse 2004: 174). C’est la propriété dénotée par long (long) qui définit l’échelle long/ short (fr. long/court) parce que long (long) est susceptible d’avoir un emploi non marqué (impartial) dans certains contextes neutralisants, c’est-à-dire qu’il fonctionne comme un lexème générique qui dénote l’ensemble du domaine conceptuel dans lequel long (long) et short (court) s’inscrivent. Le lexème anglais long peut être employé de manière non marquée dans deux principaux types de contextes qui, selon Croft et Cruse, sont les suivants: les how-questions et les comparaisons explicites. La réponse à la question How long is it? peut ainsi être very short alors que la réponse à la question How short is it? ne peut pas être very long. De même dans les comparaisons explicites d’égalité, si l’on dit X is (not) as long as Y, X et Y peuvent être qualifiés de long ou de short alors que X is as short as Y implique que X et Y soient qualifiés de short (ibid.: 179). Le sens de as long as est «has the same length as» et non «has the same longness as» alors que as short as signifie toujours «has the same shortness as» et jamais «has the same length as» (ibid.). En ce qui concerne la comparaison de supériorité, par contre, les comparatifs longer et shorter sont tous deux non marqués: X is long but shorter than Y et X is short but longer than Y (ibid.: 178, voir aussi Cruse 1986: 207). Dans Lexical Semantics, Cruse considère que longer et shorter sont tous deux des pseudo-comparatifs (pseudo-comparatives): longer signifie «of greater length», et non «long to a greater degree» (vrai comparatif, true comparative)87, de même shorter signifie «of smaller length» et pas «short to a greater degree» (Cruse 1986: 207). 87 La distinction entre pseudo-comparatifs et vrais comparatifs est toujours présente dans Croft ‒ Cruse (2004) mais ces termes n’ont pas été repris.

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Les adjectifs français long et court se comportent, dans les structures comparatives, comme leurs équivalents anglais: les phrases X est aussi long que Y ou X n’est pas aussi long que Y peuvent être prononcées chaque fois que X et Y peuvent être qualifiés de longs ou de courts alors que X est aussi court que Y implique que X et Y soient dits courts. À l’inverse, les comparaisons de supériorité88 suivantes sont possibles: X est long mais plus court que Y et X est court mais plus long que Y. En revanche, le français ne connaît pas d’équivalent des howquestions. Croft et Cruse proposent, pour le français, les deux questions suivantes: Elle est longue ta nouvelle jupe? Elle est courte? (Croft ‒ Cruse 2004: 180). Dans aucune de ces deux questions, l’adjectif ne semble toutefois posséder un sens non marqué: un échange comme *Elle est longue ta nouvelle jupe? Elle est courte ne semble pas possible alors que l’échange Elle est longue ta nouvelle jupe? Non, elle est assez courte est tout à fait naturel. La question Quelle est la longueur de ta jupe?, en revanche, est réellement neutre. Elle est formée à partir d’un dérivé de long, celui de court n’existant pas. Un autre contexte possible qui donne un indice sur le caractère non marqué d’un des deux termes d’une paire d’antonymes est l’emploi avec une quantification numérique, à condition que la propriété désignée par les antonymes soit quantifiable (II, 3.2.3): Le ruban est long d’un mètre, mais pas *Le ruban est court d’un mètre (voir Kleiber 1976: 286). Parmi les adjectifs du même type que long et court, on peut citer grand/petit, large/étroit, rapide/lent ou lourd/léger (voir notamment Rivara 1993). Ces couples d’antonymes, dont les deux membres ont un pseudocomparatif, sont appelés antonymes polaires (polar antonyms) par Cruse (1986: 208). Les antonymes sont considérés comme des pôles de tension dont l’un est positif et l’autre négatif. Le lexème qui dénote le pôle positif est en général non marqué; il est défini par Croft et Cruse comme celui qui a «the greater potential for impartial use» (Croft ‒ Cruse 2004: 187). Le lexème dont la polarité est négative (short)89 couvre la partie de

88 Le comparatif d’infériorité ne neutralise pas l’opposition: si un locuteur dit X est moins long que Y, cela indique que ce locuteur considère que Y est long, de même si le locuteur dit X est moins court que Y, c’est qu’il considère que Y est court. 89 Le terme négatif d’une paire d’antonymes ne doit pas être confondu avec un terme à polarité négative (TPN). Un lexème peut être considéré comme un TPN s’il «peut être construit dans la portée de la négation (ne) pas, et s’il ne peut être construit dans la phrase correspondante sans négation. Ainsi, en démordre est un TPN parce qu’on a une différence d’acceptabilité selon qu’il y a ou pas ne pas dans la phrase: Luc n’en démord pas // *Luc en démord.» (Muller 1991: 69, cité dans Palma 2006: 3).

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l’échelle qui correspond à la relative absence de la propriété dénotée par le lexème à polarité positive (long)90. Précisons qu’un lexème qui dénote un pôle dénote également toute l’échelle ou une partie de l’échelle sémantique sur laquelle ce pôle est situé. Si ce lexème est nié, la négation peut porter sur le lexème en tant qu’il dénote (1) une partie d’échelle: dans la phrase X n’est pas grand, il est petit, grand est nié en tant qu’il dénote la partie de l’échelle de grandeur au-dessus du terme de comparaison; (2) toute l’échelle si le lexème est non marqué: dans la phrase X n’est pas aussi grand que Y, grand est nié en tant qu’il dénote toute l’échelle sémantique de la grandeur; (3) un degré seulement de cette échelle: dans la phrase X n’est pas grand, il est immense, grand est nié en tant qu’il dénote un degré sur la partie de l’échelle de grandeur — qu’il dénote également et dont il est le pôle de tension par rapport auquel les autres degrés se définissent. La notion de polarité n’a pas été appliquée seulement aux lexèmes qui dénotent des propriétés scalaires, mais aussi aux lexèmes qui dénotent des propriétés non scalaires. Cruse, notamment, considère que les lexèmes qui constituent ce qu’il appelle des paires de complémentaires sont toujours de polarité différente. Le lexème à polarité négative dénote l’absence totale de la propriété exprimée par le lexème à polarité positive. Cruse cite des paires comme angl. pure/impure ou dead/alive (Cruse 1986: 248). En ce qui concerne la paire pure/impure (fr. pure/impure), le lexème à polarité négative est impure, ce qu’indique le préfixe négatif im- (II, 4.2). Dans la paire dead/alive (fr. mort/vivant), le lexème à polarité négative est dead, qui dénote l’absence de vie, que la propriété désignée par alive soit ou non conçue comme scalaire (II, 3.2.4.1). Dans les théories sémantiques structuralistes, la relation d’opposition entre un 90 Dans certaines situations d’énonciation particulières, la polarité peut être inversée. Van Overbeke donne à ce phénomène le nom de renversement de marque et propose un exemple de renversement pour la paire grand (+Pol) / petit (-Pol): «Cherchant une maison particulièrement petite pour des raisons qui ne regardent que moi, j’aurai tendance à déplorer le manque de petitesse des maisons normales ou grandes qu’on me propose», dès lors «le terme non marqué (la grandeur) se mue en qualité non conforme à l’attente, qualité excentrique et donc marquée» (Van Overbeke 1975: 146). Le renversement de marque est également possible pour des paires antonymiques qui se définissent par la conformité avec un canon (II, 3.2.3). On peut ainsi imaginer juger finalement bon un dessert souvent raté parce qu’exceptionnellement les critères qui le rendent mauvais d’ordinaire ne sont pas remplis.

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lexème à polarité positive et un lexème à polarité négative est appelée opposition privative91: «Il y a opposition privative lorsque l’une des deux unités prises en considération possède un trait distinctif dont l’autre est privée» (Van Overbeke 1975: 145). À propos de l’opposition privative, Coseriu souligne qu’il est important de garder à l’esprit que l’absence, totale ou partielle, d’une propriété dénotée par l’un des deux antonymes ne doit pas être confondue avec l’opposition privative de la phonologie: «En ce qui concerne les champs antonymiques, il faut remarquer que la négativité sémantique lexicale est […] très différente de la négativité («privativité») phonologique et grammaticale. En phonologie et en grammaire, la négativité, c’est l’absence d’une détermination fonctionnelle (d’un «trait distinctif»), de sorte que le non-x est un zéro fonctionnel, tandis que dans le lexique le non-x est […] un contenu «existant», ayant sa substance» (Coseriu 1975: 39).

La polarité sémantique, au sens où nous l’envisageons ici, ne doit pas non plus être confondue avec la polarité qu’on pourrait appeler axiologique. La polarité sémantique d’un terme négatif, par exemple, est due à l’absence d’un trait sémantique alors que la polarité axiologique d’un terme négatif est due à la présence de connotations axiologiquement négatives. Les lexèmes pour lesquels on peut définir une polarité axiologique sont appelés évaluatifs et sont analysés par Pupier (1998). Pupier relève, par ailleurs, des cas de non-coïncidence entre polarité sémantique et polarité axiologique. Un lexème négatif du point de vue de sa structure sémantique, c’est-à-dire un lexème qui dénote l’absence d’une propriété, peut, en effet, avoir une valeur axiologique positive. C’est le cas de impartial. L’adjonction d’un préfixe négatif à un adjectif connoté négativement (partial) permet donc de renverser son axiologie (Pupier 1998: 65). 3.2.4.3. Les systèmes biscalaires: présence graduelle de deux propriétés? Les systèmes biscalaires regroupent les paires d’antonymes dont les membres correspondent à deux échelles sémantiques distinctes (Croft ‒ Cruse 2004: 181, voir également Cruse ‒ Togia 1995: 115-116). Croft et Cruse distinguent deux types d’antonymes qui relèvent d’un système biscalaire: 1) les antonymes de chevauchement (overlapping antonyms) et 2) les antonymes équipollents (equipollent antonyms) (Croft ‒ Cruse 2004: 181-185, Cruse ‒ Togia 1995: 115-116, Cruse 1986: 211-214). 91 La notion d’opposition privative est héritée de la phonologie de Troubetzkoy (1939, cité dans Cruse 1986). L’opposition privative entre deux phonèmes est caractérisée par le fait que l’un des deux phonèmes possède un trait distinctif qui fait défaut à l’autre.

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(1) Croft et Cruse citent les paires good/bad et dull/clever comme exemples d’antonymes de chevauchement. À chacun des deux membres d’une paire correspond une échelle sémantique particulière. L’un des deux membres de la paire seulement peut avoir un emploi non marqué: la réponse à la question How good were the results this year? peut être very bad alors que la réponse à la question How bad were the results this year? ne peut pas être very good (Croft ‒ Cruse 2004: 183-184)92. Les lexèmes de la paire dull/clever, comme ceux de la paire good/bad, se caractérisent par le fait que le comparatif de supériorité de l’un, cleverer, est un pseudo-comparatif alors que le comparatif de supériorité de l’autre, duller, est un vrai comparatif: la phrase John’s a dull lad, but he’s cleverer than Bill est parfaitement admissible alors que la phrase? Bill’s a clever lad, but he’s duller than John ne l’est pas (Cruse 1986: 207, voir également Croft ‒ Cruse 2004: 183-184). Les paires de lexèmes français comme bon/mauvais, malin/sot ou beau/laid sont des antonymes de chevauchement: la phrase Mes résultats sont mauvais mais meilleurs que les tiens est tout à fait admissible alors que la phrase? Mes résultats sont bons mais plus mauvais que les tiens ne semble pas admissible, on dira plutôt Mes résultats sont bons mais moins que les tiens. (2) Comme exemples d’antonymes équipollents, Croft et Cruse citent les paires hot/cold et happy/sad. Comme pour les antonymes de chevauchement, à chacun des deux membres d’une paire d’antonymes équipollents, conçus comme deux pôles positifs, correspond, selon Croft et Cruse, une échelle sémantique qui tend vers l’infini. Aucun des deux membres ne peut avoir d’emploi non marqué: la réponse à la question How hot is it? ne peut pas être very cold et la réponse à la question How cold is it? ne peut pas être very hot. Les lexèmes de la paire hot/cold se caractérisent par le fait que leurs comparatifs de supériorité, hotter et colder, sont tous deux de vrais comparatifs: ?This pan feels hot, but it feels colder than that one et ?This bottle feels cold, but it feels hotter than that one (Croft ‒ Cruse 2004: 182, voir aussi Cruse 1986: 207). Les paires de lexèmes français joyeux/triste ou honnête/malhonnête par exemple, sont des antonymes équipollents: les phrases ?X est joyeux mais plus triste que Y et ?X est triste mais plus joyeux que Y ne semblent pas licites.

92 Cette réponse semble toutefois acceptable si son énonciateur s’inscrit en faux par rapport à la question marquée qui lui est posée: Well, actually, they were very good.

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En ce qui concerne les lexèmes français chaud et froid, Cruse précise qu’ils ne semblent pas fonctionner comme des antonymes équipollents. Les deux lexèmes ont, en effet, un pseudo-comparatif: les phrases Il fait chaud, mais il fait plus froid qu’hier et Il fait froid, mais il fait plus chaud qu’hier sont licites (Cruse 1986: 219). Cruse rattache cette paire d’antonymes à la catégorie des antonymes polaires. À l’appui de cette catégorisation, nous pouvons dire que les lexèmes froideur ou subst. froid peuvent être définis par «défaut de chaleur» (Grand Robert 2001). Par ailleurs, on peut considérer que dans tous les emplois de chaud et de froid, le locuteur, pour appliquer l’un ou l’autre à un objet, au sens le plus large du terme, compare la température de cet objet avec la température interne ou externe de son propre corps: dire La soupe est chaude, c’est avoir déterminé que la température de la soupe est plus élevée que la température de la bouche, dire L’air est chaud c’est avoir déterminé que la température de l’air est plus élevée que celle de la peau. Il semble donc que chaud et froid se définissent par comparaison comme grand et petit ou long et court. Si le test de la comparaison de supériorité permet de donner un indice clair sur le fait que les membres d’une paire d’antonymes de chevauchement ou équipollents sont conceptualisés comme correspondant chacun à une échelle sémantique distincte, il ne semble pas aussi évident que l’existence de ces deux échelles distinctes élimine tout rapport privatif. Il est, en effet, important de noter que bon, mauvais, joyeux et triste sont généralement ou exclusivement définis en regard d’un certain nombre de critères qui permettent d’appliquer ces qualités à un objet. Leur opposition peut être définie par la conformité ou la non-conformité à un canon (II, 3.2.3). En ce sens, ils sont dans un rapport privatif. Il semble toutefois nécessaire de distinguer la paire bon/mauvais et la paire joyeux/triste. L’opposition entre bon et mauvais peut être décrite, de manière analogue à celle des antonymes polaires (grand/petit), comme la relation entre un lexème qui dénote l’absence graduelle d’une propriété et un lexème qui dénote la présence graduelle de cette même propriété. La différence entre bon/mauvais et grand/petit est que mauvais dénote l’absence graduelle de la propriété dénotée par bon par rapport à un ensemble de critères définitoires de bon alors que petit dénote l’absence graduelle de la propriété dénotée par grand par rapport à une valeur de référence qu’aucun des deux ne définit lui-même. L’opposition entre joyeux et triste, en revanche, se caractérise par le fait que les deux lexèmes dénotent la présence totale, déterminée par le franchissement d’un seuil, de deux propriétés différentes dont chacune

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correspond exactement à ce que l’autre n’est pas. Pour cette raison, on peut dire que la dénotation des deux membres de la paire joyeux/triste est analogue à celle du lexème ouvert, à la différence que joyeux et triste ne dénotent pas de propriétés bornées ou de bornes de propriétés. Nous pouvons aborder maintenant la distinction entre lexèmes bornés et non bornés. 3.2.4.4. Distinction entre lexèmes bornés et lexèmes non bornés En marge de la distinction de Croft et Cruse entre trois types de relation scalaire et en lien avec les limites inférieures (zéro) et supérieures (l’infini) des échelles, Jones et al. (2012) distinguent les échelles bornées (bounded scales) et les échelles non bornées (unbounded scales). Un adjectif non borné dénote une propriété dont les valeurs tendent vers un extrême sans jamais l’atteindre (Jones et al. 2012: 92). Comme exemples d’adjectifs non bornés, Jones et al. citent long et short et considère qu’un adjectif non borné peut être employé avec l’adverbe very, mais ne peut être employé avec les adverbes completely ou totally: very long, very short, *completely/totally long, *completely/totally short (ibid.). Les adjectifs non bornés sont en général des adjectifs scalaires (ibid.). Selon la terminologie développée dans les travaux de Cruse (1986, 1995, 2004) exposés ci-dessus, on peut dire que les adjectifs non bornés appartiennent tant à des systèmes monoscalaires qu’à des systèmes biscalaires. Peuvent être considérés comme non bornés selon la conception de Jones et al. notamment les adjectifs français suivants: très long, court, grand, petit mais pas *complètement/totalement long, court, grand, petit. Un adjectif borné dénote l’existence absolue d’une propriété, le plus souvent non scalaire (Jones et al. 2012: 92). Deux antonymes bornés sont généralement complémentaires, au sens que Cruse donne à ce mot: «[…] they are absolute and divide some conceptual domain into two distinct parts» (ibid.: 92). Les adjectifs bornés peuvent être employés avec completely ou totally et pas very: completely dead/alive et non *very dead/alive, completely closed/open et non *very closed/open, completely full/empty et non *very full/empty, completely possible/impossible et non *very possible/impossible (ibid.: 90-94). Les adjectifs français mort/ vivant, plein/vide et ouvert/fermé peuvent être dits bornés selon la définition de Jones et al. Trois remarques doivent être faites en ce qui concerne la distinction entre lexèmes bornés et non bornés: (1) un même lexème peut dénoter

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une propriété bornée et une propriété non bornée en fonction de ses emplois et de données extralinguistiques; (2) les lexèmes bornés ne sont pas forcément non scalaires dans tous leurs emplois; (3) un lexème peut dénoter non pas une propriété bornée, mais une borne, c’est-à-dire la limite inférieure ou supérieure d’une échelle sémantique, l’absence ou la présence totale d’une propriété. Détaillons à présent ces trois remarques. (1) On peut considérer que les adjectifs vivant «qui vit, est en vie» et ouvert «dont les parties sont écartées, séparées» (Grand Robert 2001), par exemple, sont bornés dans la mesure où la vie possède une limite (la mort), de même que l’ouverture d’une porte, par exemple, possède une limite physique, celle qu’imposent ses gonds. Il nous faut, toutefois, nuancer ce propos. La limite d’une propriété est en réalité le produit d’une conceptualisation. Ainsi, la vie peut être conceptualisée comme sans limite dans le cadre de la foi catholique par exemple («la vie éternelle»), la mort n’est pas conçue alors comme une limite, mais comme une étape. Dans le cas de ouvert, deux emplois différents peuvent également être distingués. Lorsqu’il s’applique à un objet physique comme la bouche, les bras, une porte ou une fenêtre, l’adjectif ouvert dénote une propriété dont la limite correspond à la limite physique d’ouverture de l’objet auquel l’adjectif est appliqué. Le syntagme figé grand ouvert dénote le degré de présence de la propriété une fois cette limite atteinte. Lorsque l’adjectif ouvert s’applique à un objet abstrait, en revanche, on peut conceptualiser l’ouverture comme étant bornée (Il a débuté cette rencontre avec l’esprit totalement ouvert) ou, au contraire, sans limites (Cette idéologie ne peut être acceptée que par un esprit infiniment ouvert). En ce qui concerne vivant et ouvert, la propriété dénotée par l’adjectif peut donc être bornée ou non bornée en fonction du référent auquel il s’applique ou du cadre conceptuel dans lequel il est employé. À l’inverse, une limite physique peut être identifiée pour des adjectifs généralement considérés comme non bornés, comme grand, petit, long ou court. Cette limite dépend de l’objet que l’adjectif qualifie: un être humain ne peut être grand que jusqu’à un certain point, mais son courage peut être infiniment grand, une voiture ne peut être longue que jusqu’à un certain point, mais le temps peut être infiniment long, etc. Par ailleurs, l’idée de complétude — et donc l’adverbe complètement — peut s’appliquer à des objets, même si elle ne peut être corrélée à une progression temporelle ou spatiale, c’est-à-dire même si aucune limite ne peut être identifiée. Ainsi, dans des phrases comme Mon ordinateur est complètement lent («poussif dans toutes ses tâches») ou Je ne suis

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pas complètement triste («il reste quelque part dans mon être une lueur de joie»), l’emploi de complètement n’indique pas qu’une borne ait été atteinte mais que la totalité des parties de l’objet ou de l’individu n’est pas concernée. (2) À la lumière des travaux de Cruse (1986, 1995, 2004), nous pouvons dire que les adjectifs vivant et ouvert peuvent dénoter des propriétés conceptualisées comme scalaires. Les syntagmes très vivant et très ouvert sont donc parfaitement licites. En ce qui concerne ouvert, cette modulation est possible dans tous les emplois que nous avons relevés ci-dessus, que la propriété qu’il dénote soit conceptualisée ou non comme bornée: une bouche très ouverte, une porte très ouverte, un esprit très ouvert. En ce concerne vivant, cette modulation n’est possible que lorsqu’il est employé pour signifier «plein de vitalité» (Grand Robert 2001) dans une phrase comme Cet enfant est très vivant, par exemple. S’il est employé pour signifier «qui vit, est en vie», même si le locuteur conceptualise la vie comme sans limite, l’adjectif vivant ne peut pas être modulé par très. Le caractère scalaire, ou non, d’un lexème n’est donc pas forcément lié à son caractère borné ou non. (3) La paire plein/vide doit être distinguée des autres dans la mesure où les deux lexèmes qui la composent dénotent non pas une propriété dont une des caractéristiques est d’être conçue comme limitée, mais bien l’absence ou la présence totale d’une propriété, c’est-à-dire une borne: vide, comme fermé ou mort, dénote la limite inférieure, l’absence totale de la propriété désignée par son antonyme, de la même façon que plein, contrairement à vivant, dénote la limite supérieure, la présence totale d’une propriété, dans ce cas la contenance maximum: le Grand Robert (2001) définit plein par «qui contient toute la quantité qu’il peut contenir» et vide par «qui ne contient rien». Les lexèmes vide et plein sont bornés, mais contraires, la négation de l’un ne correspond pas à l’autre. Ces lexèmes ne sont pas comparatifs. Ils peuvent être gradués par un adverbe qui exprime la notion de moitié: à moitié vide et à moitié plein. Cette modulation est liée au fait que vide et plein dénotent des bornes. Les syntagmes à moitié vide et à moitié plein n’indiquent pas un degré de présence d’une propriété graduelle, mais bien le fait que cette propriété n’est pas absente ou présente de manière totale. Les lexèmes non bornés ne sont en général pas employés avec un adverbe exprimant la moitié: *à moitié grand / petit / rapide / lent / bon / mauvais / joyeux / triste. À l’inverse, vide et plein ne peuvent être employés avec les adverbes qui modulent les lexèmes non bornés: *légèrement / modérément / très vide, plein.

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Si notre analyse est correcte, la modulation possible de ouvert par à moitié ou mi- est un indice pour dire que ouvert peut dénoter non seulement une propriété bornée et une propriété non bornée, mais aussi la borne d’une propriété. Selon les caractéristiques que nous venons d’évoquer en ce qui concerne les paires vide/plein et ouvert/fermé, nous pouvons à présent les distinguer. Les deux paires sont modulables par un adverbe qui exprime la moitié (à moitié vide, à moitié plein, à moitié fermé et à moitié ouvert), mais une porte qui est dite à moitié fermée est ouverte alors qu’une bouteille à moitié vide n’est ni vide ni pleine. La porte à moitié fermée est ouverte parce qu’elle n’a pas franchi le seuil entre l’ouverture et la fermeture. La bouteille à moitié vide n’est pas vide parce que la dernière goutte du liquide qu’elle contient n’a pas été enlevée, le seuil entre le contenu et l’absence totale de contenu n’a pas été franchi. La bouteille à moitié vide n’est pas pleine non plus parce qu’elle ne contient pas suffisamment de liquide pour que le seuil qui délimite la capacité maximale de la bouteille soit franchi. Cette différence entre à moitié fermé et à moitié vide provient du fait que ouvert et fermé sont contradictoires alors que plein et vide sont contraires. Par ailleurs, une porte dite mi-ouverte est ouverte alors qu’une bouteille à moitié pleine n’est pas pleine. Cette différence peut s’expliquer par le fait que ouvert dénote, lorsqu’il s’agit d’un objet physique, soit une propriété bornée, conceptualisable comme scalaire, soit la présence totale de cette propriété alors que plein ne dénote que la limite d’une propriété, sa présence totale. La distinction entre adjectifs bornés et non bornés permet donc de prendre en compte aussi des antonymes qui dénotent des bornes et pas seulement des pôles sur une échelle infinie. Avant d’examiner le rôle des notions de graduation, de graduabilité, de scalarité et de borne dans l’antonymie des lexèmes appartenant aux autres parties du discours, faisons maintenant la synthèse des distinctions que nous avons opérées entre ces notions en ce qui concerne les adjectifs. 3.2.4.5. Rapports entre graduation, graduabilité, scalarité et borne Un même adjectif, selon ses emplois, peut être interprété par graduation, c’est-à-dire soit comme une comparaison implicite avec une norme moyenne de la propriété que l’adjectif dénote ou avec un terme de comparaison, soit comme l’adéquation plus ou moins totale à des critères individuels ou communément admis qui définissent un canon pour cette propriété (II, 3.2.3). En revanche, certains adjectifs ne peuvent être

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interprétés que de manière non comparative dans la mesure où ils dénotent une qualité ou une propriété dont l’existence débute dès le franchissement d’un seuil (c’est-à-dire par rapport à un cut). L’opposition entre deux adjectifs peut être décrite par scalarité, c’està-dire au moyen d’une ou de deux échelles sémantiques dont les adjectifs qui composent une paire d’opposés constituent des pôles ou des bornes (II, 3.2.4). Dans certaines paires, un membre peut être défini positivement par la présence d’une propriété alors que l’autre membre est défini négativement par l’absence de cette propriété. En ce qui concerne ces paires, l’adjectif défini négativement peut être considéré comme un pôle de tension autour duquel une échelle ou une partie d’échelle est définie (court dans la paire long/court ou mauvais dans la paire bon/mauvais) ou comme la borne ou l’extrémité d’une échelle unidirectionnelle (mort dans la paire mort/vivant ou fermé dans la paire ouvert/fermé). En revanche, l’opposition entre des adjectifs comme vide et plein ne peut être définie par scalarité parce que ces adjectifs dénotent les bornes d’une propriété, c’est-àdire la présence ou l’absence totale de cette propriété. Les adjectifs qui dénotent des pôles sont graduables en contexte par les adverbes très, modérément ou légèrement (très / modérément / légèrement long, bon, ouvert). Les adjectifs qui dénotent des bornes sont graduables en contexte par les adverbes complètement, totalement, à moitié ou mi- (complètement / totalement / à moitié mort, fermé, vide). Un adjectif comme ouvert peut être graduable à la fois par très et par à moitié parce qu’il dénote à la fois une échelle dont il est le pôle et l’extrémité de cette échelle93. 3.2.5. Graduation, graduabilité, scalarité et borne dans les autres parties du discours Après avoir défini l’opposition des adjectifs en lien avec les notions de graduation, de graduabilité, de scalarité et de borne, voyons maintenant comment ces notions permettent de définir l’opposition des lexèmes appartenant à trois autres parties du discours: les substantifs, les adverbes et les verbes94. 93 On peut considérer que le syntagme grand ouvert, qui dénote, comme ouvert seul peut le faire, l’extrémité de l’échelle d’ouverture, permet de créer un système d’oppositions distinctives dans lequel ouvert n’est pas ambigu. 94 Nous n’envisagerons pas ici l’antonymie des prépositions, notamment spatiales et temporelles, qui permettent de situer, dans l’espace et/ou dans le temps, un objet ou un évènement par rapport à un autre objet ou à un autre évènement. Leur sens peut être décrit par un assemblage complexe de traits fondés notamment sur le contact avec l’objet,

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3.2.5.1. Distinction entre antonymie primaire et antonymie secondaire Un grand nombre de paires antonymiques substantives, adverbiales et verbales sont dérivées de paires d’adjectifs ou, plus largement, de paires appartenant à une autre partie du discours, mais elles ne le sont pas toutes. Nellessen (1982) distingue dès lors deux types d’antonymie: l’antonymie secondaire (sekundäre Antonymie), dans laquelle une paire antonymique est dérivée d’une autre paire appartenant à une autre partie du discours, et l’antonymie primaire (primäre Antonymie), dans laquelle une paire antonymique n’est pas dérivée d’une autre paire (Nellessen 1982: 57-60)95. La dérivation dépasse ici le cadre de la simple préfixation (II, 4.2) et désigne tout changement de classe morpho-syntaxique pour une unité donnée, avec ou sans adaptation morphologique. Nellessen cite notamment les adjectifs beau/laid comme antonymes primaires, à partir desquels sont dérivés les antonymes secondaires désadjectivaux embellir/ enlaidir (ibid.: 58). Dans la suite, nous allons montrer que l’opposition des antonymes secondaires ne peut pas toujours être décrite de la même manière que celle des antonymes primaires dont ils sont dérivés. Nous définirons également l’opposition particulière des antonymes primaires substantifs, adverbiaux et verbaux. 3.2.5.2. Antonymie des substantifs De nombreuses paires antonymiques substantives sont des paires secondaires dérivées de paires primaires adjectivales. Parmi celles-ci, on peut citer les paires grandeur/petitesse, rapidité/lenteur, beauté/laideur ou capacité/incapacité96. Ces substantifs peuvent être définis en fonction des adjectifs grâce auxquels ils sont formés: grandeur peut ainsi être défini par «caractère de ce qui est grand», rapidité par «caractère de ce qui est rapide», etc. L’antonymie de ces substantifs peut être décrite de la même manière que celle des adjectifs correspondants. l’orientation interne de cet objet, la place de l’observateur par rapport à l’objet (voir notamment Vandeloise 1986 et Ašić 2008). Chaque paire de prépositions antonymes nécessite un examen rigoureux pour déterminer l’importance de chacun de ces traits dans la description de leur sens. Nous ne pouvons procéder à un tel examen dans le cadre de cette recherche. Nous ne ferons donc qu’évoquer l’antonymie des prépositions dans le cadre de la distinction entre conversité et antonymie (II, 4.1.1). 95 Voir également Staib (1983). 96 Les paires substantives ouverture/fermeture ou agrandissement/réduction, par exemple, sont dérivées de paires primaires verbales. Nous y reviendrons dans la soussection consacrée à l’antonymie des verbes (II, 3.2.5.4).

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Les lexèmes grandeur et petitesse peuvent ainsi être considérés comme des comparatifs, scalaires, dont l’un dénote une propriété graduelle non bornée et l’autre l’absence graduelle de cette propriété non bornée. Le lexème grandeur est non marqué, dans certains emplois il neutralise l’opposition avec petitesse. Ainsi la question Quelle est la grandeur de ton bureau? pourra obtenir les deux réponses suivantes: Il est très grand ou Il est tout petit. Les membres de la paire beauté et laideur, dont l’un dénote une propriété graduelle et l’autre l’absence graduelle de cette propriété, peuvent être définis par comparaison avec une norme ou par conformité avec un canon. La paire joie/tristesse, par contre, peut être qualifiée de mixte dans la mesure où joie est un substantif primaire alors que tristesse est un substantif secondaire dérivé d’un adjectif. Son opposition peut également être décrite de la même façon que celle des adjectifs correspondants: les deux lexèmes dénotent des propriétés non bornées, l’une pouvant être définie comme ce que n’est pas l’autre, et inversement. Tous les adjectifs membres d’une paire d’antonymes n’ont pas forcément de dérivé substantif. Les antonymes primaires long et bref permettent ainsi de former la paire secondaire longueur/brièveté alors que la paire primaire long/court ne donne pas lieu à une paire secondaire substantive. Lorsque bref peut être employé comme synonyme de court, le substantif brièveté peut être utilisé pour combler l’absence de substantif correspondant à court: Le film était vraiment court. La brièveté du film ne m’a pas trop gênée. Lorsque bref ne peut être employé comme synonyme de court, la forme substantive correspondant à court peut être construite par une périphrase: Ma jupe était vraiment courte. Le fait qu’elle soit courte ne m’a pas trop gênée. Jusqu’à présent nous n’avons envisagé que les paires secondaires substantives dérivées de paires primaires adjectivales, mais la substantivation d’un adjectif peut avoir lieu sans dérivation morphologique. Un adjectif comme inconscient peut ainsi être employé comme un substantif susceptible d’être déterminé par un article défini ou indéfini. Dans son article sur la substantivation des adjectifs antonymes, Klein (1975) constate qu’un lexème qui dénote la présence d’une propriété n’admet pas toujours l’article indéfini alors que le lexème qui dénote l’absence de cette propriété peut être employé indifféremment avec un article défini ou un article indéfini: le conscient, l’inconscient, un inconscient, mais non *un conscient97. Il faut, en outre, remarquer que la détermination par 97

Voir également Winther (1980).

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l’article indéfini d’un adjectif substantivé polysémique peut n’être possible qu’en vertu de l’un de ses sens seulement, dans lequel il n’est pas antonyme de l’adjectif substantivé négatif correspondant (II, 2.2). Ainsi la détermination par l’article indéfini de responsable n’est possible qu’en vertu du sens «chargé de…, en tant que chef qui prend des décisions» (Grand Robert 2001). C’est lorsqu’il signifie «qui doit rendre compte de ses actes» que responsable s’oppose à irresponsable «qui ne répond pas ou n’a pas à répondre de ses actes» (Grand Robert 2001). L’expression d’une contradiction par rapport à un énoncé comme C’est un irresponsable! ne pourra donc pas être formée à partir de l’adjectif substantivé déterminé par un article indéfini: *Non, c’est un responsable, au contraire, mais Non, il est très responsable, au contraire. Parmi les substantifs antonymes formés à partir d’adjectifs sans dérivation morphologique, on peut citer vide et plein, qui dénotent la présence totale et l’absence totale d’une propriété bornée non scalaire. En ce qui concerne les substantifs antonymes primaires, Geckeler (1983) remarque que les noms d’objets concrets, comme radiateur, avion, maison ou chemise, n’ont pas d’antonymes (Geckeler 1983: 76-78)98. Comme paires de substantifs abstraits antonymes, on peut citer jour/nuit, lumière/ ténèbres, lumière/ombre ou ordre/désordre. Le premier membre de ces paires dénote une propriété dont l’autre membre dénote l’absence. Les substantifs ténèbres et ombre dénotent l’absence de la même propriété, la différence entre les deux est que ombre dénote que l’absence de lumière est due à la présence d’un obstacle que la lumière ne peut franchir. L’opposition entre les adjectifs lumineux/ténébreux, lumineux/ ombragé et ordonné/désordonné est équivalente à l’opposition des substantifs dont ils sont dérivés. 3.2.5.3. Antonymie des adverbes De la même façon que l’antonymie des substantifs désadjectivaux peut être décrite comme l’antonymie des adjectifs grâce auxquels ils sont formés, l’antonymie des adverbes désadjectivaux peut être rapprochée de celle des adjectifs primaires, mais il faut remarquer qu’une paire d’adverbes antonymes peut être formée à partir d’adjectifs dont l’association antonymique n’est pas prototypique (II, 2.1.2).

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Voir également Rey-Debove (1998: 96).

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Parmi les paires d’adverbes antonymes formées à partir d’adjectifs, on peut citer: patiemment / impatiemment, rapidement / lentement, petitement / largement, grandement / modérément ou pleinement / incomplètement. Ces adverbes sont définis en fonction des adjectifs grâce auxquels ils sont formés: patiemment peut ainsi être défini par «de manière patiente», lentement par «de manière lente», etc. Les lexèmes patiemment et impatiemment, de la même manière que patient/impatient ou patience/impatience, peuvent être considérés comme des complémentaires, au sens que Cruse donne à ce terme. Les lexèmes rapidement/ lentement peuvent être considérés comme des comparatifs, scalaires, dont l’un dénote une propriété graduelle non bornée et l’autre l’absence graduelle de cette propriété non bornée. L’adverbe rapidement possède un synonyme, vite, qui forme avec lentement la paire mixte vite/lentement. L’adverbe petitement forme une paire antonymique avec largement plutôt qu’avec grandement alors que grandement s’apparie plutôt avec modérément qu’avec petitement parce que petitement est essentiellement employé dans des univers de discours relatifs à l’argent, à la pauvreté, à la possession de biens, dans lesquels grandement n’est pas employé: on peut dire Il gagne petitement sa vie ou Il gagne largement sa vie, mais non *Il gagne grandement sa vie. Les lexèmes largement et petitement peuvent être considérés comme des comparatifs, scalaires, dont l’un dénote une propriété graduelle non bornée et l’autre l’absence graduelle de cette propriété non bornée. Pour dénoter le faible degré de présence d’une propriété, par opposition à grandement, ce sont les lexèmes formés à partir d’adjectifs intermédiaires entre grand et petit, qui remplacent petitement: modérément ou moyennement. À l’adjectif vide ne correspond pas d’adverbe. L’adverbe pleinement, synonyme de entièrement, peut toutefois être considéré comme l’antonyme de la séquence adverbiale pas du tout. La paire pleinement/pas du tout est comparable à la paire plein/vide: le premier lexème dénote la présence totale d’une propriété, le second son absence totale. On peut également relever la paire pleinement/incomplètement et la paire mixte pleinement/à moitié. Les paires pleinement/incomplètement ou pleinement/à moitié se distinguent de la paire pleinement/pas du tout dans la mesure où incomplètement et à moitié dénotent non pas l’absence totale d’une propriété, mais le fait que la borne dénotée par pleinement ne soit pas atteinte.

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La locution adverbiale pas du tout forme une paire d’antonymes adverbiaux primaires avec la locution tout à fait99. La paire pas du tout / tout à fait peut être analysée de la même manière que pleinement/pas du tout. Les adverbes tout à fait et pas du tout dénotent des bornes, c’est-à-dire la présence totale ou l’absence totale d’une propriété. L’adverbe un peu dénote le fait qu’aucune des deux bornes n’est atteinte. 3.2.5.4. Antonymie des verbes La distinction entre antonymes graduables et antonymes non graduables (antonymes au sens strict) a été appliquée aux verbes, notamment par Nellessen dans une étude consacrée à l’antonymie des verbes français (Nellessen 1982). Nellessen insiste sur l’importance d’envisager les antonymes d’une langue en tenant compte de la partie du discours à laquelle ils appartiennent. Ses recherches visent donc à déterminer comment définir l’antonymie propre à la catégorie du verbe. Il identifie sept types de relations antonymiques entre deux verbes et répartit les paires d’une liste qui compte plus de 500 verbes dans ces différents types (Nellessen 1982: 87-134). La première catégorie que nous allons aborder est celle des verbes opposés que Nellessen appelle antithétiques (Antithetica) ou antonymes, dans le sens restreint du terme, et qu’il identifie comme gradierbar (Nellessen 1982: 102). Ce terme désigne, chez Nellessen, la graduabilité contextuelle et la scalarité, mais non la graduation. Les verbes «graduables» dans ce sens peuvent être identifiés grâce au fait qu’ils admettent d’être modulés par les adverbes beaucoup ou peu dont la paraphrase est «dans une large/faible mesure» ou «à un haut/faible degré» (ibid., voir également Kotschi 1974: 197, cité dans Nellessen 1982: 102). Lorsque beaucoup ou peu peuvent être remplacés par beaucoup de choses/peu de choses ou par souvent/rarement, ils n’indiquent pas la Gradierbarkeit — au sens où Nellessen emploie ce terme c’est-à-dire comme synonyme de scalarité — des verbes ainsi modulés: acheter beaucoup (de choses), lire beaucoup (souvent). Nous pouvons ajouter que beaucoup et peu peuvent également être paraphrasés par longtemps et peu de temps, par exemple dans parler beaucoup.

99 Les locutions adverbiales ne sont pas des unités simples mais des unités dites polylexicales. Nous considérerons l’intégration des unités polylexicales au champ de l’antonymie sous II, 4.2.1.

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Parmi les verbes graduables, Nellessen distingue trois types: (1) les verbes qui dénotent une évaluation positive ou négative (aimer/haïr, apprécier/mépriser), (2) les verbes qui dénotent une action positive ou négative (aider/nuire, amuser/ennuyer) et (3) les verbes qui dénotent une échelle quantitative (augmenter/diminuer, déprécier/valoriser). Avant d’envisager les catégories de verbes antonymes non graduables identifiées par Nellessen, faisons deux remarques sur la scalarité de ces verbes: (a) la scalarité est propre à certains emplois des verbes et pas forcément à tous; (b) les verbes que Nellessen cite comme des antonymes antithétiques ne constituent pas une catégorie d’opposés homogène. (a) Le fait que certains emplois d’un verbe soient scalaires et d’autres non peut être illustré par les antonymes monter/descendre. Ces antonymes ne sont pas considérés comme antithétiques par Nellessen, mais peuvent toutefois être scalaires lorsqu’ils ont un sujet inanimé. C’est le cas dans des phrases comme La route monte beaucoup ou La route monte fort. Ces phrases indiquent que la route est inclinée à un haut degré. En revanche, dans les phrases où monter et descendre ont un sujet humain, l’adverbe beaucoup ne pourra être employé ou sera synonyme de souvent. Ainsi la phrase X monte beaucoup ne pourra être prononcée si X monte un escalier, mais signifie «X monte souvent» si X monte à cheval. (b) Le fait que les verbes dits antithétiques ne constituent pas une classe homogène peut être montré en comparant l’opposition aimer/haïr et l’opposition augmenter/diminuer, par exemple. Les antonymes aimer/ haïr, ainsi que apprécier/mépriser, aider/nuire ou amuser/ennuyer (antithétiques du type 1 et du type 2) et affirmer/nier100, peuvent être définis de la même façon que les adjectifs joyeux/triste: le premier verbe de la paire dénote un procès graduel non borné et le second un autre procès graduel non borné qui est exactement ce que le premier n’est pas. Les verbes augmenter et diminuer, en revanche, dénotent deux processus inverses, comme monter et descendre. Le sens de ces verbes est défini non pas par rapport à grand et à petit, mais par rapport à leurs comparatifs de supériorité: augmenter peut ainsi être défini par «rendre plus grand» et diminuer par «rendre plus petit». Les comparatifs plus grand et plus petit sont des pseudo-comparatifs, ils se définissent comme «d’un plus haut/faible degré que» (3.2.3). Les verbes augmenter et diminuer, 100 La paire affirmer/nier est rangée par Nellessen dans une catégorie d’antonymes qu’il appelle la Status-antonymie (ibid.: 107), qui regroupe des antonymes dont les implications sont dans un rapport privatif: affirmer une chose c’est dire que cette chose est vraie alors que nier une chose c’est dire que cette chose est fausse.

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auxquels on peut ajouter agrandir et apetisser, ne sont pas des comparatifs: l’ajout d’un millionième de seconde suffit à augmenter une durée, alors que le retrait de ce millionième de seconde suffit à la diminuer. La réalisation du procès dénoté par augmenter ou diminuer n’est donc pas déterminée par comparaison avec une norme, mais par le franchissement d’un seuil. L’opposition entre aimer et haïr ou entre augmenter et diminuer peut donc être définie grâce aux outils que nous avons décrits dans les chapitres précédents. Revenons maintenant plus en détail sur le type d’opposition qui peut être identifié entre monter et descendre, ou entre augmenter et diminuer, et qui est propre aux antonymes verbaux et aux paires secondaires déverbales. L’opposition entre des verbes comme monter et descendre est considérée par Nellessen comme un cas particulier d’une des catégories qu’il identifie. Il s’agit d’une opposition contredirectionnelle verticale qui ne se définit pas, contrairement aux autres, comme le rapprochement ou l’éloignement par rapport à un point fixe. L’opposition entre les autres paires que Nellessen range parmi les antonymes contredirectionnels (Kontradirektionalia) est définie comme suit: «Deux verbes sont dits contredirectionnels lorsqu’ils expriment des mouvements dans des directions opposées relativement à un point fixe implicite («mouvement» et «direction» étant à entendre dans un sens très large, y compris figuré)» (Nellessen 1982: 88)101. Les verbes de mouvement sont divisés en quatre catégories: les ablatifs (all. ablativ), dont le sens exprime un mouvement directionnel à partir d’un point ou d’un état; les adlatifs (all. adlativ), dont le sens exprime un mouvement directionnel vers un point ou un état; les illatifs (all. illativ), dont le sens exprime un mouvement qui permet à un objet ou à un individu de se trouver dans un espace donné et les élatifs (all. elativ), dont le sens exprime un mouvement qui permet à un objet ou à un individu de se trouver en-dehors de cet espace (ibid.: 89). La contredirectionnalité peut opposer un verbe qui exprime l’absence de mouvement et un ablatif (garder/céder) ou l’absence de mouvement et un adlatif (renoncer à/aspirer à). Elle peut aussi opposer un illatif et un élatif (entrer/sortir) ou un adlatif et un ablatif (arriver/partir, réunir/ disperser) (ibid.). 101 Nellessen distingue les antonymes contredirectionnels et les antonymes contrepositionnels (Kontrapositionalia). Ces derniers dénotent des positions opposées par rapport à un point fixe et non des mouvements. Cette catégorie d’antonymes semble relever plutôt de la conversité (II, 4.1.1). Nous traduisons toutes les définitions.

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L’opposition directionnelle est déjà décrite par Lyons (1978). Selon lui, les verbes monter et descendre sont définis par rapport à un point fixe, comme c’est le cas pour arriver et partir. La différence est que monter et descendre dénotent deux mouvements qui s’éloignent d’un point P alors que arriver et partir dénotent l’un un mouvement qui s’approche d’un point P et l’autre un mouvement qui s’en éloigne (Lyons 1978: 227-228). Les verbes monter et descendre peuvent donc être définis comme des mouvements qui font changer un objet ou un individu X d’état pour augmenter la distance qui le sépare de son point de départ. Pour décrire la différence entre l’éloignement par rapport à un point de départ dénoté par monter et celui dénoté par descendre, nous proposons d’utiliser la distinction entre sens et direction. La direction est un ensemble de droites parallèles, le sens est l’orientation selon laquelle on parcourt ces droites. Les verbes monter et descendre sont des mouvements non bornés de même direction, verticale, mais de sens contraires, l’un vers le haut, l’autre vers le bas. La direction définit la dimension de l’opposition entre les deux verbes (II, 2.2.2). Dans un article sur l’antonymie directionnelle, Apothéloz (2007) considère comme des verbes directionnels non seulement des verbes comme monter et descendre, mais plus largement tous les verbes qui dénotent un changement d’état. Sont donc également répertoriés comme des antonymes directionnels par Apothéloz les verbes que Nellessen appelle réversifs (Reversiva) et définit comme suit: «Deux verbes sont réversifs s’ils expriment des transitions opposées entre deux états complémentaires» (Nellessen 1982: 95). Selon cette définition, les paires ouvrir/fermer et allumer/éteindre sont des antonymes réversifs. À côté de la réversivité, Nellessen définit la complémentarité (Komplementarität): «Deux verbes sont complémentaires si, dans toutes les situations dans lesquelles ils sont tous les deux applicables (et donc dans les situations où les conditions nécessaires pour leur emploi sont réalisées), ils constituent des alternatives libres et qui satisfont au principe du tertium non datur» (Nellessen 1982: 101). Contrairement à la réversivité, les verbes complémentaires forment une alternative libre et n’impliquent pas une transformation contrainte d’un état à un autre. Allumer et éteindre, par exemple, sont réversifs parce que l’on ne peut qu’éteindre une lampe allumée (ibid.: 100). Échouer et réussir, par contre, sont complémentaires, parce qu’ils sont en distribution libre dans la mesure où (1) si l’on a échoué, on peut continuer à échouer sans que l’action de réussir soit contrainte par celle d’échouer ou (2) si l’on a réussi, on ne peut que réussir à nouveau ou échouer, la réussite n’impliquant pas automatiquement d’échec consécutif.

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La dernière catégorie d’antonymes verbaux que Nellessen identifie est celle des Aktionsart-antonymes. Le terme Aktionsart désigne l’aspect102 en tant qu’il est lexicalisé dans le sens d’un verbe. Nellessen définit l’antonymie Aktionsart comme suit: «Deux verbes relèvent de l’antonymie dite ‘Aktionsart’ s’ils expriment le début ou la fin relativement à un autre contenu verbal ou si l’un exprime le maintien particulier d’un état ou de circonstances, tandis que l’autre contient son achèvement» (ibid.: 106). Deux sous-catégories sont citées par Nellessen: l’opposition ingressif (début d’un procès) / égressif (fin d’un procès) exemplifiée par la paire apprendre/oublier et l’opposition transformatif (changement d’état) / égressif (fin d’un procès), exemplifiée par la paire retenir/oublier. Les verbes antonymes rangés par Nellessen dans la catégorie des réversifs, des complémentaires et des Aktionsart ont en commun d’être non comparatifs. L’évaluation de la réalisation des procès qu’ils dénotent s’appuie sur le franchissement d’un seuil: l’action d’allumer ou d’éteindre commence à l’instant où l’on appuie sur le bouton, l’on réussit si l’on atteint ou dépasse une limite, en général chiffrée, au-dessus de laquelle on n’échoue pas, l’on oublie dès l’instant où ce que l’on a retenu disparaît de la mémoire. L’un des membres de ces paires, ou les deux, est également conceptualisable comme scalaire et borné: J’ai un peu / complètement allumé/éteint la lumière (dans le cas d’une lampe à intensité variable), J’ai moyennement / complètement réussi mes examens, J’ai un peu / complètement oublié notre rendez-vous. On peut toutefois les distinguer grâce à la possibilité de leur adjoindre un troisième terme. Les antonymes complémentaires n’admettent pas de troisième terme. Ainsi, pour autant que réussir ou échouer puisse s’appliquer à une situation, c’est-à-dire pour autant que le locuteur ait effectivement passé un examen par exemple, il ne pourra pas dire Je n’ai ni réussi ni échoué. Par ailleurs, les syntagmes avoir moyennement réussi ou réussir à moitié expriment des degrés ou des quantités de réussite et ne sont donc pas des termes médians entre réussir et échouer. C’est ce que nous appelons des faux tertia (II, 3.3.2). Les verbes allumer/éteindre et apprendre/ oublier, par contre, pour autant qu’ils puissent s’appliquer103, peuvent être simultanément niés. Cette négation simultanée équivaut à un terme neutre dont le sens peut être défini comme la négation de la dimension 102 Les catégories verbales proposées par Giermak-Zielińska sont fondées essentiellement sur l’aspect: les antonymes verbaux sont symétriques s’ils ont le même aspect, ils sont asymétriques si leur aspect est différent (Giermak-Zielińska 1987). 103 Cette condition de validité logique est requise pour tous les prédicats, quelle que soit la catégorie sémantique dans laquelle on peut les ranger.

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entre les antonymes: MODIFIER LA LUMINOSITÉ DÉGAGÉE PAR UNE LAMPE, TRAITER UNE INFORMATION PAR LA MÉMOIRE104. La différence entre les antonymes complémentaires et les deux autres catégories réside donc dans le troisième terme qu’ils admettent. Nous allons maintenant définir ce troisième terme. 3.3. Termes intermédiaires ou neutres par rapport à une paire antonymique Après avoir défini l’opposition entre les adjectifs, les substantifs, les adverbes et les verbes antonymes, abordons la question de la définition des termes intermédiaires ou neutres par rapport à une paire d’antonymes. 3.3.1. Définitions du troisième terme d’une paire antonymique Qu’elle trouve sa place dans un cadre logique ou qu’elle soit établie par la graduation, la graduabilité ou la scalarité, la distinction entre antonymes contraires et antonymes contradictoires/complémentaires, toutes parties du discours confondues, est fondée sur la possibilité de nier simultanément deux contraires, alors que cette négation simultanée n’est pas possible pour les contradictoires/complémentaires. En logique formelle, cette négation simultanée équivaut à un troisième terme, le tertium, les contradictoires étant définis par le principe du tiers exclu (tertium non datur), par opposition aux contraires (tertium datur) (II, 3.1). Dans les travaux sur la scalarité, la négation simultanée est considérée comme ayant pour valeur la zone sémantique au centre de l’échelle dont les antonymes dénotent des pôles, zone dans laquelle aucun de ces deux pôles ne s’applique. Cette zone médiane reçoit des dénominations différentes selon les théoriciens, elle peut être appelée cut (Ogden 1932), zone of indifference (Sapir 1944), région intermédiaire (Van Overbeke 1975) ou midinterval (Lehrer ‒ Lehrer 1982). L’existence de cette région médiane fournit à Lehrer ‒ Lehrer (1982) un critère de distinction entre deux types d’antonymes, les antonymes parfaits et les antonymes imparfaits. Ce critère consiste dans l’équidistance sémantique des antonymes par rapport à la région intermédiaire: 104 Les verbes retenir/oublier peuvent être niés simultanément, si on envisage le sens agentif de retenir ou envisagés comme des complémentaires si on considère qu’ils désignent des processus mentaux que le sujet ne provoque pas (contrairement à apprendre). La catégorie de l’Aktionart regroupe des oppositions fondées sur l’aspect, mais recouvre donc en partie celle des complémentaires, si c’est la possibilité de négation simultanée qui est retenue comme critère de catégorisation.

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«Two antonyms are perfect antonyms if they are the same distance from the midinterval; otherwise they are imperfect antonyms» (Lehrer ‒ Lehrer 1982: 489). La position symétrique sur l’échelle sémantique de deux antonymes par rapport à cette région médiane est considérée comme un simple critère de canonicité par Lehrer ‒ Lehrer (1982: 489) ainsi que par Croft ‒ Cruse (2004: 166-167) (II, 2.1.4). Elle constitue, en revanche, un critère définitoire de l’antonymie pour Chaffin et Herrmann qui distinguent les contrary antonyms et les asymmetric contraries, qui ne sont pas antonymes. Les contrary antonyms sont définis comme «opposed symmetrically on a continuous dimension» (Chaffin ‒ Hermann 1984: 135). Les asymmetric contraries sont définis comme «opposed on a continuous dimension but, as the term indicates, asymmetrically» (ibid.)105. Une paire comme petit/immense sera donc considérée par les premiers comme une paire antonymique peu représentative de sa catégorie et par les autres comme une paire de lexèmes non antonymes. Dans la suite, nous adopterons la conception de Croft ‒ Cruse (2004). La zone sémantique médiane entre les antonymes peut constituer le sens d’un troisième lexème associé aux antonymes lorsque le tertium correspond à une unité lexicale. Les exemples les plus souvent cités pour le français sont tiède (Blanché 1957: 195, Rivara 1993: 45, Amsili 2003), moyen (Rivara 1993: 42), indifférent (Ducháček 1965: 62). Ce troisième terme peut aussi être formé à partir du terme non marqué de l’opposition: «Le milieu est indiqué par la restriction du terme non marqué (comme dans à mi-hauteur, jamais *à mi-bassesse)» (Van Overbeke 1975: 147). Dans une perspective psycholinguistique, Yorke énumère quinze définitions différentes que le troisième terme d’une opposition entre des antonymes pourrait théoriquement recevoir, certaines étant plus probables que d’autres. Malheureusement, Yorke n’effectue pas lui-même ce tri et n’exemplifie pas ces définitions. Selon Yorke, un élément E, conçu en référence à une échelle bipolaire P-Q, peut être un troisième terme par rapport à l’opposition entre P et Q si 1) 2) 3) 4) 5)

il n’est ni P, ni Q; il est à la fois P et Q dans les mêmes proportions; il est à la fois P et Q dans des proportions différentes; il est simultanément tout à fait P et tout à fait Q; il est un mélange équilibré et dynamique dans lequel P et Q sont présents de manière égale; 6) il est composé pour moitié de P et pour moitié de Q;

105

Voir également Katz (1972).

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7) il est P la moitié du temps et Q l’autre moitié, autrement dit il oscille entre P et Q; 8) il est parfois P, parfois Q, parfois aucun des deux; 9) il est parfois P, parfois Q, parfois les deux; 10) il est parfois P, parfois Q, parfois les deux, parfois aucun des deux; 11) il a une position incertaine sur l’échelle P-Q; 12) il a une position inconnue sur l’échelle P-Q; 13) l’échelle P-Q n’est pas pertinente pour la construction de E; 14) le locuteur ne souhaite pas construire E en fonction de l’échelle P-Q; 15) le destinataire ne prend pas en compte la position de E sur l’échelle P-Q (Yorke 2001: 180).

Dans ces définitions, Yorke intègre la possibilité que le troisième terme ne soit pas équivalent à la négation simultanée des antonymes, mais à leur commune affirmation (2-10). Nous nous proposons de définir ici précisément le troisième terme d’une opposition antonymique en mettant en relation les deux grands types de définition identifiés par Yorke (2001), ni P ni Q et à la fois P et Q, avec les différents types d’opposition que nous avons identifiés sous II, 3.2. 3.3.2. Typologie des termes intermédiaires ou neutres Les exemples classiques de troisième terme, tiède, moyen, indifférent, à mi-hauteur peuvent être distingués en fonction: (1) du type de relation qu’ils entretiennent avec une ou plusieurs paire(s) antonymique(s); (2) du nombre de paire(s) antonymique(s) dont ils expriment le troisième terme; (3) du type d’opposition dont relève(nt) la ou les paire(s) dont ils constituent le troisième terme. 3.3.2.1. Première distinction En raison de la relation qu’ils entretiennent avec les paires antonymiques dont ils constituent le troisième terme, (être) indifférent ou indifférence et (être) immobile ou immobilité peuvent être distingués de moyen et normal. En effet, (être) indifférent ou indifférence peuvent être définis par «ne pas éprouver de sentiment» ou «absence de sentiment» et constituent le troisième terme de tous les antonymes qui expriment des sentiments contraires (aimer/haïr, amour/haine, sympathie/antipathie, joie/tristesse, joyeux/triste, confiance/méfiance, etc.). De même, (être) immobile ou immobilité sont définis par «ne pas faire de mouvement» ou «absence de mouvement» et s’opposent à tous les prédicats de mouvement (monter/descendre, avancer/reculer, etc.). Le sens de

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ces troisièmes termes n’appartient pas à la dimension sur laquelle les antonymes s’opposent, il peut être défini comme la négation de cette dimension. Nous dirons qu’ils sont des termes neutres par rapport aux antonymes. En revanche, les lexèmes moyen et normal, seuls ou dans des syntagmes qui spécifient leur sens (de taille moyenne, les classes moyennes, à vitesse moyenne/normale, par exemple), peuvent équivaloir à la négation simultanée de grand/petit, étroit/large, riche/pauvre, rapide/lent, etc. En raison du caractère comparatif de ces antonymes, moyen et normal équivalent aussi à leur commune affirmation. Le sens de moyen ou de normal, lorsque ces lexèmes se rapportent à l’opposition grand/petit, par exemple, peut en effet être défini par «qui est moins petit que le petit et moins grand que le grand». Pour les distinguer des termes neutres, nous dirons que normal et moyen sont des termes intermédiaires. Un cas particulier doit être mentionné, celui de gris. Ce lexème peut ainsi être considéré comme un terme neutre dans la mesure où il est équivalent à la négation simultanée de blanc et noir qui dénotent des bornes: blanc «qui est d’une couleur combinant toutes les fréquences du spectre» et noir «se dit de l’aspect d’un corps qui produit une impression particulière sur la vue du fait que sa surface ne réfléchit aucune radiation visible» (Grand Robert 2001). Gris signifie alors «pas tout à fait blanc» (du linge gris, un mariage gris) ou «pas tout à fait noir» (travail gris, tatouage gris). Le sens de blanc et de noir étant scalaire, gris peut également être considéré comme un terme intermédiaire défini par «à la fois blanc et noir» (des cheveux gris, «poivre et sel»). 3.3.2.2. Deux critères supplémentaires En fonction du nombre de paires antonymiques dont ils constituent le troisième terme, les lexèmes indifférent (neutre) et moyen (intermédiaire) peuvent être distingués de tiède, à mi-hauteur, gris, à moitié vide, à moitié plein, mi-ouvert ou à moitié ouvert et à demi mort ou à moitié mort. Ces deux premiers lexèmes sont associés à plusieurs paires antonymiques alors que les neuf derniers sont liés à une paire particulière: tiède est à mettre en relation avec chaud/froid, à mi-hauteur avec en haut/ en bas, gris avec noir/blanc, à moitié vide et à moitié plein avec vide/ plein, mi-ouvert ou à moitié ouvert avec ouvert/fermé et à demi mort ou à moitié mort avec mort/vivant. Le lexème tiède peut être considéré comme un terme intermédiaire, les antonymes chaud/froid auxquels il se rapporte étant des comparatifs.

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Contrairement à moyen et à normal, tiède n’est pas équidistant des deux antonymes, il est orienté vers chaud. Le lexème tiède dénote en effet un degré de chaleur et peut être défini par «qui est moins chaud que le chaud». Contextuellement, en fonction de la nature du référent du lexème qu’il accompagne et des attentes des locuteurs par rapport à ce référent, tiède peut signifier «moins chaud qu’attendu» (une soupe tiède, un accueil tiède), mais aussi «moins frais qu’attendu» (une bière tiède) ou «plus chaud qu’attendu» (un gaspacho tiède) (II, 3.1.1). Au lexème tiède, orienté vers le chaud, correspond le lexème frais, orienté vers le froid. Dans les emplois où il peut être opposé à tiède, le lexème frais peut avoir soit une valeur positive que l’on peut définir par «qui a la température attendue» (une bière fraîche) soit une valeur négative que l’on peut définir par «qui est moins chaud qu’attendu» ou «qui est plus froid qu’attendu» (un accueil frais). Contrairement à frais (pour la bière), tiède ne renvoie à la norme de température d’aucun produit consommable. La proposition X n’est pas tiède est donc inattendue, à moins d’imaginer l’existence d’un plat syldave à servir impérativement tiède. Ce phénomène est décrit par Anscombre et Ducrot dans leurs travaux sur les échelles argumentatives, qui envisagent la dimension argumentative des échelles sémantiques et rendent compte des attentes des locuteurs par rapport aux énoncés impliquant des pôles de ces échelles (Anscombre ‒ Ducrot 1976, 1978, 1983). Les unités à mi-hauteur, à moitié vide et à moitié plein peuvent également être considérées comme des termes orientés en raison du fait qu’ils sont formés à partir de l’un des deux antonymes. Ils sont toutefois neutres parce qu’ils permettent de nier la dimension sur laquelle s’opposent deux antonymes qui dénotent les bornes d’une propriété: en haut et en bas s’opposent sur la dimension POSITION EXTRÊME PAR RAPPORT À UN OBJET CONSIDÉRÉ alors que vide et plein s’opposent sur la dimension DEGRÉ EXTRÊME DE REMPLISSAGE D’UN CONTENANT. En fonction du type d’opposition entre les antonymes auxquels ils se rapportent, tiède, moyen et normal peuvent être rapprochés. Les paires dont ils peuvent constituer le tertium sont, en effet, des paires de lexèmes dont l’un dénote la présence et l’autre l’absence graduelles d’une propriété se mesurant par rapport à une norme, à un point de comparaison ou à un ensemble de critères définitoires. Les membres des paires antonymiques qui expriment des sentiments et par rapport auxquelles (être) indifférent ou indifférence sont des termes neutres dénotent des propriétés ou des procès, définis comme opposés l’un à l’autre et auxquels sont associés des valeurs axiologiques positives ou négatives. Les antonymes

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par rapport auxquels (être) immobile ou immobilité sont des termes neutres dénotent chacun un procès dans un des deux seuls sens possibles d’une même direction. Les unités à mi-hauteur, à moitié vide, à moitié plein et gris équivalent à la négation simultanée de paires d’antonymes qui dénotent les bornes d’une propriété. Les unités mi-ouvert ou à moitié ouvert et à demi mort ou à moitié mort sont associées aux paires ouvert/fermé et mort/vivant. Ces antonymes sont contradictoires et ne peuvent donc être simultanément niés. Les unités mi-ouvert ou à moitié ouvert et à demi mort ou à moitié mort constituent pourtant bien des troisièmes termes de ces paires antonymiques. L’existence de ceux-ci ne remet pas en cause la complémentarité des antonymes en raison du fait qu’ils indiquent que les bornes des propriétés dénotées par chaque membre de ces deux paires ne sont pas atteintes. L’un des membres d’une paire antonymique de ce type dénote en effet la borne inférieure d’une propriété, son degré zéro, alors que l’autre dénote cette propriété ainsi que sa borne supérieure. En raison du caractère contradictoire des antonymes, ces troisièmes termes ne doivent pas être définis comme des équivalents de la négation simultanée des antonymes, mais bien comme des équivalents de la négation simultanée des bornes des propriétés. La phrase La porte est à moitié ouverte peut ainsi être interprétée comme «la porte est ouverte, mais pas complètement», La porte est à moitié fermée comme «la porte est ouverte, mais plus tout à fait». De la même façon, la phrase Il a été abandonné à moitié mort peut être interprétée comme «il a été abandonné encore vivant, mais plus tout à fait». Les unités à moitié ouvert et à demi mort ne sont donc ni des termes intermédiaires, ni des termes neutres. Ils ne sont pas équivalents à la négation simultanée, ni à l’affirmation simultanée des antonymes, le caractère contradictoire de ceux-ci empêchant l’une et l’autre. Le syntagme figé à moitié ouvert n’est pas un tertium par rapport à ouvert et fermé, mais dénote un degré d’ouverture, au-dessous de la borne d’ouverture totale. Le syntagme figé à moitié mort, quant à lui, dénote, en dépit du sens de ses constituants, un degré de vie au-dessous de la borne de vitalité totale. Nous donnons à ces termes le nom de faux tertia. Cinq types de troisième terme peuvent donc être identifiés: (1) les termes neutres (indifférent, immobile); (2) les termes neutres orientés (à mi-hauteur, à moitié vide, à moitié plein); (3) les termes intermédiaires (moyen, normal); (4) les termes intermédiaires orientés (tiède) (5) les termes à la fois neutres et intermédiaires (gris).

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À ces lexèmes s’ajoutent les faux tertia (mi-ouvert, à moitié mort). Tant les termes neutres que les termes intermédiaires sont équivalents à la négation simultanée en contexte des deux antonymes en regard desquels ils peuvent être définis. Nous présenterons dans la Deuxième partie (VI, 3.3) l’analyse d’énoncés qui contiennent ces différents types de termes intermédiaires ou neutres. 3.4. Synthèse Au terme de ce chapitre, nous pouvons clarifier les rapports entre les notions de contrariété, de graduation et de scalarité, dont nous avons précisé la définition (II, 3.4.1). Nous pouvons également revisiter trois conceptions restreintes de l’antonymie et en montrer les limites (II, 3.4.2). Enfin, nous pouvons faire la synthèse des cinq types d’opposition binaire, que nous avons définis entre deux antonymes (II, 3.4.3). 3.4.1. Rapport entre contrariété, scalarité et graduation Nous pouvons valider, en partie, l’affirmation de Lyons (1978) selon laquelle une forte corrélation existe entre le fait que deux lexèmes soient logiquement contraires et le fait qu’ils puissent être décrits comme scalaires et comparatifs (grand/petit ou rapidité/lenteur). Cette corrélation n’est toutefois pas systématique. Nous avons identifié: 1) des paires de lexèmes contraires, scalaires, mais résolument non comparatifs comme aimer/haïr, agrandir/rapetisser ou joyeux/triste. Ces lexèmes sont soit des paires verbales, soit des paires adjectivales primaires biscalaires, soit des paires substantives et adverbiales formées à partir d’adjectifs biscalaires; 2) des paires de lexèmes contraires, mais dont l’un des deux membres — ou les deux — n’est pas scalaire et qui sont non comparatifs comme vide/plein, allumer/éteindre, monter/descendre. Ces lexèmes dénotent soit les bornes d’une propriété, soit des procès bornés qui permettent de faire passer un objet d’un état initial à un état final, soit des procès directionnels non bornés; 3) des paires de lexèmes contradictoires et non comparatifs, mais dont l’un des deux membres au moins est scalaire comme ouvert/fermé ou mort/vivant. La distinction entre la contrariété et la contradiction de deux lexèmes repose sur l’existence d’une région sémantique médiane qui peut être

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exprimée par la négation simultanée des deux antonymes. À cette négation simultanée peuvent être sémantiquement équivalents des lexèmes, que nous avons définis comme neutres ou intermédiaires par rapport à une paire d’antonymes, en fonction du type d’opposition entre ces antonymes. 3.4.2. Trois définitions de l’antonymie étroite À la lumière de la non-correspondance totale des notions de contrariété, de graduation et de scalarité, on peut dire que la distinction entre l’antonymie au sens large et l’antonymie au sens restreint peut s’appuyer sur trois notions différentes. (1) Lorsque seuls les lexèmes opposés par contrariété sont considérés comme des antonymes (voir Dubois et al. 2007), le champ de l’antonymie comprend, par exemple, la paire vide/plein, mais pas la paire ouvert/fermé. Or, nous avons montré que l’opposition entre les membres de ces deux paires (A1/A2) est similaire: A1 dénote une borne définie positivement par la présence totale d’une propriété et A2 dénote une borne définie négativement par l’absence totale d’une propriété. L’évaluation de la présence et de l’absence de la propriété s’appuie sur le franchissement d’un seuil. (2) Lorsque seuls les lexèmes comparatifs sont considérés comme des antonymes (voir Van Overbeke 1975), le champ de l’antonymie ne comprend ni certaines paires canoniques comme amour/haine ni aucun des verbes opposés. (3) Lorsque seuls les lexèmes scalaires sont considérés comme des antonymes (voir Cruse 1986), le champ de l’antonymie ne comprend pas certaines paires canoniques comme vide/plein, ni les antonymes directionnels et réversifs. Une telle conception de l’antonymie n’arrive pas à rendre complètement compte de la scalarité des contradictoires. Nous espérons avoir montré que ces paires que les différentes conceptions restreintes de l’antonymie évacuent peuvent être décrites dans une large mesure de la même manière, au moyen des mêmes outils théoriques, que les paires qui font partie du champ de l’antonymie restreinte. Elles nous paraissent donc pouvoir y être intégrées de plein droit. 3.4.3. Pour une définition binariste de l’opposition Au fil de cette troisième sous-section, nous espérons avoir montré que toutes les relations antonymiques peuvent être définies comme des relations binaires sur une dimension donnée entre deux lexèmes A1 et A2. Ces relations peuvent prendre les formes suivantes.

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(1) A1 dénote la présence, éventuellement conceptualisable comme graduelle, d’une propriété ou la réalisation d’un procès alors que A2 dénote l’absence de cette propriété ou de la réalisation de ce procès. L’évaluation de la présence de la propriété ou de la réalisation du procès s’appuie sur le franchissement d’un seuil. A1 et A2 sont mutuellement exclusifs et complémentaires (vivant/mort, ouvert/fermé, capacité/ incapacité, patiemment/impatiemment, échouer/réussir). (2) A1 dénote la présence totale d’une propriété alors que A2 dénote l’absence totale de cette propriété, c’est-à-dire des bornes (ce qu’indique le cercle dans le tableau 2, ci-dessous). L’évaluation de la présence de la propriété s’appuie sur le franchissement d’un seuil (plein/vide, tout à fait/pas du tout). (3) A1 dénote la présence d’une propriété non bornée ou la réalisation d’un procès non borné; A2 dénote la présence d’une autre propriété non bornée ou la réalisation d’un autre procès non borné qui peuvent être définis comme étant exactement ce que la propriété — ou le procès — dénotée par A1 n’est pas et inversement. L’évaluation de la présence des propriétés ou de la réalisation des procès s’appuie sur le franchissement d’un seuil. A1 et A2 n’ont pas la même polarité axiologique (honnête/ malhonnête, aimer/haïr, joie/tristesse). (4) A1 dénote la présence graduelle d’une propriété ou la réalisation graduelle d’un procès alors que A2 dénote l’absence graduelle de cette propriété ou l’absence graduelle de réalisation de ce procès. L’évaluation de la présence de la propriété ou de la réalisation du procès s’appuie sur une comparaison avec une valeur de référence, qu’il s’agisse d’un terme de comparaison, d’une norme de comparaison (grand/petit, longuement/ brièvement, rapidité/lenteur) ou des critères définitoires d’un canon (bon/mauvais, beauté/laideur). (5) A1 dénote le procès qui va d’un état initial à un état final alors que A2 dénote le procès qui va de l’état final à l’état initial (allumer/éteindre, retenir/oublier); A1 et A2 dénotent chacun un procès dans un des deux seuls sens possibles d’une même direction (monter/descendre, augmenter/ diminuer). L’évaluation de la réalisation des procès s’appuie sur le franchissement d’un seuil. A1 et A2 sont mutuellement exclusifs. Les antonymes dont l’opposition relève du type 1 sont les seuls à ne pas pouvoir être simultanément niés. La négation simultanée des antonymes dont l’opposition relève des autres types peut correspondre à un lexème neutre (types 2, 3, 5) ou à un lexème intermédiaire (type 4). Le sens de ces lexèmes neutres ou intermédiaires est défini en regard de la dimension sur laquelle les deux antonymes s’opposent de façon binaire (II, 3.3).

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Types Type 1 capacité – Critères incapacité

Type 2 Type 3 Type 4 Type 5 plein – vide aimer – haïr grand - petit monter descendre

graduation scalarité

x (x)

x

seuil

x

x

borne

x

x

(faux)

neutre

tertium

x

x

(x) x (x)

neutre

intermédiaire

neutre

Tableau 2

4. L’antonymie comme relation d’opposition entre des lexèmes Après avoir défini les notions de relation antonymique et d’opposition, nous pouvons distinguer les antonymes et trois catégories de lexèmes, non antonymes, mais fréquemment opposés en discours (II, 4.1). Nous établirons ensuite les caractéristiques sémantico-formelles des unités lexicales antonymes (II, 4.2). Nous terminerons cette section par une présentation des outils (dictionnaires ou listes) qui permettent d’avoir une vision d’ensemble des relations antonymiques dans un système linguistique donné (II, 4.3). 4.1. Trois catégories d’opposables non antonymes Dans cette sous-section, nous distinguerons l’antonymie et trois autres types de relations lexématiques à ne pas confondre avec elle: (1) la relation entre des lexèmes dits conversifs comme acheter et vendre; (2) la relation entre des lexèmes dont la différence de genre grammatical est corrélée à une différence ontique entre les sexes comme neveu et nièce; (3) la relation entre des lexèmes opposés culturellement comme rouge/ vert ou célimène/agnès. 4.1.1. Les conversifs: une catégorie d’antonymes? Outre les contraires et les complémentaires (ou contradictoires), une troisième catégorie de mots est parfois classée parmi les antonymes. Il s’agit des conversifs ou réciproques106. 106 Conversif est le terme proposé par Polguère (2003:125) pour traduire l’anglais converse (voir notamment Kempson 1977, Cruse 1986, Saeed 2003). La relation entre deux conversifs est appelée conversité par Polguère (2003) et converseness par la plupart

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Jones (2002), dans son étude des fonctions discursives de l’antonymie, répertorie ainsi les substantifs landlord (locataire) et tenant (bailleur) parmi les antonymes conversifs. Selon Jones, ces antonymes échappent à la distinction entre termes graduables et non graduables. Ils ne sont ni graduables («one cannot be more or less of a landlord/tenant than somebody else») ni non graduables («not being a landlord does not inherently make one tenant»), mais seulement conversifs: la proposition p = X is the landlord of Y implique la proposition q = Y is the tenant of X et inversement (Jones 2002: 16 - 17)107. Ces deux propositions, citées par Jones, montrent que deux prédicats sémantiques sont conversifs s’ils peuvent être employés dans deux phrases dans lesquelles au moins deux de leurs arguments sont inversés (voir Polguère 2003: 125). En ce qui concerne les verbes, Jones, à la suite de Kempson (1977: 85), définit l’antonymie conversive comme suit: «[…] if the variables X and Y are converse verbs, the statement A X B entails B Y A and the statement A Y B entails B X A». Il prend l’exemple de la paire precede (précéder) / follow (suivre) et explique que la phrase Jack precedes Jill implique Jill follows Jack et inversement, dans ce contexte au moins (Jones 2002: 17). Ces phrases, citées par Jones, montrent qu’en contexte l’emploi de deux verbes conversifs dans une même situation d’énonciation entraîne la permutation de leurs arguments, comme c’est le cas des arguments de prédicats sémantiques exprimés par des substantifs. Dans le cadre de la conversité verbale essentiellement, Cruse (1986) distingue les conversifs directs (direct converses) et les conversifs indirects (indirect converses). Cette distinction est fondée sur le fait que certains arguments des verbes conversifs sont considérés comme centraux, l’agent et le patient, et d’autres comme plus périphériques, notamment parce qu’ils ne sont jamais obligatoires, le bénéficiaire, par exemple108. Les conversifs sont directs lorsqu’ils apparaissent dans des phrases où les arguments considérés comme centraux peuvent être permutés (follow/ precede ou fr. suivre/précéder): Jean suit Marie / Marie précède Jean109 des auteurs anglophones. Les termes français réciproque et réciprocité sont employés notamment par Van Overbeke (1975) et Amsili (2003). Nous retenons le terme conversif pour éviter toute confusion entre des prédicats comme acheter/vendre et les prédicats à construction réciproque comme cohabiter ou controverse (Riegel et al. 1994: 458). Cette distinction est importante en raison du fait que deux antonymes peuvent être employés comme arguments de prédicats à construction réciproque. 107 En ce qui concerne la conversité des substantifs, bon nombre d’exemples peuvent être trouvés dans le domaine des relations de parenté: pour le français, frère/sœur, père/ fils ou fille, mère/fils ou fille, mari/épouse, oncle/neveu, etc. 108 Les termes central et périphérique sont empruntés par Cruse à la sémantique du prototype (II, 2.1.1). 109 Notre exemple.

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(ibid.: 234). Les conversifs sont indirects lorsqu’ils apparaissent dans des phrases où un argument central permute avec un argument périphérique (give/receive ou fr. donner/recevoir): Jean donne des fleurs à Marie / Marie reçoit des fleurs de Jean110 (ibid.). Il n’y pas d’antonymie entre give et receive, selon Cruse, seuls les conversifs directs sont antonymes. La conversité ne concerne pas que les substantifs et les verbes. Des prépositions, comme above/below (fr. au-dessus/en-dessous), peuvent aussi être conversives (Jones 2002: 17). Jones ne cite, en revanche, aucune paire d’adjectifs conversifs. Pour que des adjectifs puissent être interprétés comme des conversifs, il faut, en effet, qu’ils soient employés dans des énoncés explicitement comparatifs: X est plus petit que Y peut impliquer Y est moins grand que X. Le même phénomène peut être identifié pour les adverbes: X est plus faiblement éclairé que Y peut impliquer Y est moins fortement éclairé X. Les conversifs ne peuvent être considérés comme appartenant au champ de l’antonymie dans la mesure où ils peuvent être distingués des antonymes sur trois plans: (1) le plan sémantico-syntaxique, (2) le plan sémantico-logique et (3) le plan sémantico-référentiel. (1) Sur le plan sémantico-syntaxique, les conversifs nécessitent, par définition, une combinatoire à deux arguments au moins. Ces deux arguments doivent pouvoir être permutés si l’un des conversifs a été remplacé par l’autre. L’argument agent de l’un est nécessairement l’argument patient ou bénéficiaire de l’autre et inversement111. La permutation possible des arguments est une caractéristique définitoire des conversifs qui permet de distinguer donner/recevoir et monter/descendre, par exemple: la phrase Paul donne des fleurs à Marie implique la phrase Marie reçoit des fleurs de Paul, obtenue par permutation des arguments et remplacement du verbe par son conversif. En ce qui concerne les verbes antonymes monter et descendre, le remplacement de monter par son antonyme peut être possible alors que la permutation des arguments ne l’est pas: Paul monte l’escalier (*L’escalier descend Paul). On le voit, la permutation des arguments doit pouvoir entraîner le remplacement d’un prédicat par son conversif pour que l’on puisse parler de conversité. Ces deux conditions doivent être réunies. 110

Notre exemple. La conversité est parfois considérée comme un équivalent lexical de la diathèse (voir notamment Polguère 2003: 126). Il ne faut pourtant pas confondre les deux: dans une transformation passive, le patient devient sujet grammatical mais reste patient, il subit l’action: Paul suit Marie, Marie est suivie par Paul. Ce n’est pas le cas dans deux propositions conversives dans lesquelles chacun des arguments est vraiment l’agent de l’un des prédicats conversifs: Paul suit Marie, Marie précède Paul. 111

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(2) Sur le plan sémantico-logique, la valeur de vérité d’une proposition contenant un des membres d’une paire de conversifs est nécessairement la même que celle de la proposition conversive: si X a vendu quelque chose à Y est vraie alors Y a acheté quelque chose à X est également vraie, de même si X est le père de l’individu masculin Y est vraie alors Y est le fils de l’individu masculin X est vraie également. Inversement, si X a vendu quelque chose à Y est une proposition fausse, alors Y a acheté quelque chose à X sera nécessairement fausse. En ce qui concerne les propositions qui contiennent des antonymes, par contre, les valeurs de vérité ne sont pas systématiquement les mêmes: la vérité de X connaît mon nom implique la fausseté de X ignore mon nom, la fausseté de X aime le chocolat n’implique pas nécessairement la vérité de X déteste le chocolat, les propositions X est grand et X est petit peuvent être simultanément vraies si le même objet X est qualifié de grand ou de petit par comparaison avec deux termes de comparaison différents (II, 3.2), la proposition Marie aime Paul n’implique pas forcément Paul déteste Marie, même si les arguments des deux propositions sont permutés. (3) Sur le plan sémantico-référentiel, les relations d’implication logique entre deux propositions conversives correspondent à une relation d’implication qui fonde l’existence ontologique des deux conversifs. Les lexèmes conversifs sont, en effet, des prédicats relationnels par définition. Cette relation requiert que les lexèmes permettent de dénommer des référents dépendants l’un de l’autre pour leur existence même: pour que l’on puisse parler d’achat pour une transaction, il faut que cette même transaction puisse être conceptualisée comme une vente en adoptant un autre point de vue. De même, un individu ne peut être appelé fils qu’en référence à un autre individu appelé père ou mère. À l’inverse, un individu ne peut être appelé père/ mère de x que s’il existe un autre individu x que l’on peut appeler fils (ou fille). Ce n’est pas le cas pour les antonymes: un mouvement peut être appelé montée sans que le mouvement appelé descente doive avoir lieu, la montée et la descente étant deux mouvements différents qui, s’ils sont effectués par le même individu, ne peuvent avoir lieu en même temps. Nous espérons avoir montré que le fonctionnement des antonymes et des conversifs sur les trois plans d’analyse que nous avons pris en compte est assez différent. Si les antonymes et les conversifs peuvent donc être clairement distingués, un certain nombre de lexèmes semblent toutefois susceptibles d’être classés dans les deux catégories: au-dessus/ en-dessous112, avant/après ou suivre/précéder par exemple. 112

Voir Polguère (2003: 126).

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Les lexèmes au-dessus et en-dessous, par exemple, peuvent ainsi être considérés comme des lexèmes dont le sens est opposé, ce que l’exemple suivant atteste: Le chat s’installe au-dessus de l’armoire alors que le chien se couche en-dessous. Ils fonctionnent, toutefois, comme des conversifs: Le chat se trouve au-dessus de l’armoire implique L’armoire se trouve en-dessous du chat, de même Le chien se trouve en-dessous de l’armoire implique L’armoire se trouve au-dessus du chien, même si les travaux sur l’expression de l’espace en français montrent que ces deux propositions impliquées ne sont en pratique jamais réalisées (voir notamment Vandeloise 1986). La particularité de ces lexèmes est qu’ils permettent de situer des objets dans l’espace et/ou dans le temps des deux côtés d’un point de repère. Chacun des deux lexèmes de la paire désigne l’un des côtés considérés par rapport au point de repère, c’est ce qui fonde leur antonymie: dans notre exemple, les positions du chat et du chien par rapport à l’armoire sont opposées. Si c’est la relation entre l’objet et le point de repère qui est désignée, alors au-dessus et en-dessous seront conversifs. Au-dessus et en-dessous peuvent être considérés comme des conversifs dans les emplois où ils mettent en relation un objet et le point de repère par rapport auquel il se situe. Ils sont antonymes lorsqu’ils mettent en relation deux objets situés des deux côtés du point de repère. Les caractéristiques sémantico-syntaxiques, sémantico-logiques et sémantico-référentielles des conversifs permettent de les distinguer nettement des antonymes. Les conversifs peuvent toutefois être opposés en discours comme le sont les antonymes et plus largement toutes les unités lexicales pour peu que le contexte construise une dimension à leur opposition (II, 2.2.1). Contrairement à des unités lexicales choisies arbitrairement, les conversifs entretiennent une relation sémantique et lexicale extrêmement forte. Pour cette raison, nous considérerons les lexèmes conversifs comme des opposables, c’est-à-dire des unités fortement susceptibles d’être opposées en discours en raison de leur relation lexicale, mais non antonymes. Dans la Deuxième partie consacrée à l’étude de la coprésence antonymique en discours, nous n’aborderons donc pas les coprésences de lexèmes conversifs. 4.1.2. Existe-t-il des antonymes de genre? Parmi les opposables non antonymes, on peut également citer les paires de mots que l’on peut appeler de manière neutre les opposables de genre, c’est-à-dire les unités dont la différence de genre grammatical est corrélée à une différence ontique entre les sexes. Leur traitement par

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les dictionnaires peut être très différent d’une paire à l’autre. Ces paires peuvent être réparties en trois groupes en fonction de ce traitement. (1) Le premier groupe contient essentiellement les paires homme/ femme, mâle/femelle, masculin/féminin ou fille/garçon. Ces paires sont répertoriées comme antonymes dans tous les dictionnaires (voir, par exemple, le Grand Larousse 1971-1978, le TLF 1971-1994, le Grand Robert de la langue française 2001, Boussinot 1981 et Antidote113). Dans les travaux de linguistique, majoritairement en anglais, leurs équivalents anglais sont considérés comme des exemples d’antonymes complémentaires (voir Ogden 1932, Lyons 1978, Cruse 1986, Mettinger 1994, Jones 2002 pour un panorama et Murphy 2003). (2) Le deuxième groupe contient les paires chirurgien/chirurgienne ou dessinateur/dessinatrice et, plus généralement, toutes les paires de mots pour lesquelles la différence de genre est marquée morphologiquement. Ces lexèmes ne sont considérés comme des antonymes ni par les linguistes, ni dans les dictionnaires. Les lexèmes chirurgien et chirurgienne, par exemple, ne sont envisagés que du point de vue grammatical: l’un est le féminin de l’autre (Grevisse 2003: 170). Toutefois, comme le signale Josette Rey-Debove dans son Étude linguistique et sémiotique des dictionnaires français contemporains, le rapport entre ces unités n’est pas seulement grammatical: «Le genre est le plus souvent en français dépourvu de contenu sémantique (une table, un fauteuil, une sauterelle, un mannequin). Cependant lorsqu’une forme masculine et une forme féminine désignent un couple, mâle et femelle, homme et femme, la marque morphologique du genre féminin correspond à une différence sémique» (Rey-Debove 1971: 141-142).

(3) Le troisième groupe comprend des paires de co-hyponymes, avec ou sans hyperonyme réalisé, comme oncle/tante, père/mère, frère/sœur, qui n’ont pas seulement en commun de désigner des membres de la 113  Antidote (2009) est un logiciel, édité par la société québécoise Druide, qui propose un correcteur orthographique et grammatical fondé sur le Bon usage de Maurice Grevisse et André Goosse ainsi que douze dictionnaires: un dictionnaire de définitions, assorti d’un dictionnaire historique mais aussi d’un dictionnaire des locutions, des synonymes, des antonymes, des cooccurrences, des conjugaisons, des familles, des analogies, des citations, des anagrammes et des illustrations qui se rapportent aux 122 000 entrées du dictionnaire de définitions. Les entrées de ces différents dictionnaires sont accessibles via une interface de recherche que le logiciel fournit. Les 100 000 paires antonymiques répertoriées par le dictionnaire d’antonymes d’Antidote sont issues de différentes sources reprises dans la bibliographie qui accompagne le logiciel et parmi lesquelles on trouve notamment des dictionnaires d’antonymes comme Dupuis ‒ Légaré (1979), Boussinot (1981) et Bertaud du Chazaud (1996).

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famille, mais aussi de ne pas comporter de marques morphologiques de genre et de ne pas être systématiquement considérées comme antonymiques. Les lexèmes uncle et aunt sont considérés par Murphy (2003: 206) comme des antonymes du même type que homme/femme. Les lexèmes père/mère et frère/sœur ne sont répertoriés comme antonymes, à notre connaissance, que dans le dictionnaire du logiciel Antidote alors que la paire oncle/tante n’est répertoriée nulle part. Les membres des paires du premier groupe sont des complémentaires (II, 3.1.3), qui peuvent être intégrés au champ de l’antonymie. Les membres des paires du deuxième (chirurgien/chirurgienne) et du troisième groupe (oncle/tante), par contre, ne peuvent être considérés comme des antonymes. Ils sont des opposés de genre qui contiennent les traits de sens /homme/ ou /femme/. On peut dire que les paires des deuxième et troisième groupes encapsulent les paires du premier groupe. Cruse donne à ces paires le nom de impure opposites: «Another class of opposites about which little systematic can be said are impure opposites, that is to say, those which encapsulate, or include within their meaning, a more elementary opposition» (Cruse 1986: 198)114. La présence des traits /homme/ ou /femme/ ne suffit pas à soutenir une opposition entre les paires qui appartiennent à ces deux groupes en raison du fait que les membres de ces paires ne sont ni contraires ni complémentaires, mais juste incompatibles, en l’absence d’un contexte d’énonciation qui réduise le monde aux dessinateurs et aux dessinatrices, par exemple, et fournisse une dimension à leur opposition. À la suite de notre analyse, nous pouvons conclure que l’encapsulation, sous forme de traits sémantiques, du sens des membres d’une paire antonymique dans le sens d’une autre paire de lexèmes n’entraîne pas forcément l’antonymie de ces lexèmes. 4.1.3. Opposables culturels: des oppositions conventionnelles non binaires Dans son article de 1965 qui vise à définir l’antonymie, Ducháček distingue les antonymes propres et les antonymes impropres (Ducháček 1965: 64). Ducháček définit et exemplifie les antonymes impropres comme suit:

114 Il faut noter que l’encapsulation décrite par Cruse dépasse le cadre des opposés de genre, on peut ainsi considérer que le sens des membres de la paire glacial/torride encapsule la paire froid/chaud.

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«Il s’agit de mots qu’on met souvent en opposition sans qu’ils soient réellement contraires, par exemple jour – nuit, matin – soir, été – hiver, nord – sud, etc. Terre est mis en parallèle soit avec mer, soit avec ciel. Souvent on oppose mort à vie; si, cependant, on conçoit mort en tant que désignation du moment où la vie fionit [sic], son antonyme réel n’est pas vie, mais naissance. Il y a des cas encore plus frappants. En ce qui concerne les nominations des couleurs, les rapports antonymiques sont exclus. Toutefois on conçoit souvent — par erreur sans doute — le mot noir comme antonyme du mot blanc. Cela s’explique par le fait que, par association, on rapproche la blancheur de la lumière et la noirceur des ténèbres (absence de lumière)» (ibid.)

Il ajoute que des facteurs externes à la langue, surtout politiques ou économiques, contribuent à l’émergence de nouveaux antonymes propres ou impropres et cite comme exemples notamment les paires impropres rouge/blanc, dont l’opposition s’inscrit dans le contexte de la Révolution d’Octobre en Russie, et Ouest/Est, dont l’opposition s’inscrit dans le contexte de la Guerre froide (ibid.). Parmi ces antonymes impropres cités par Ducháček, nous pouvons distinguer trois groupes de lexèmes qui entretiennent des relations d’opposition différentes. (1) Les membres des paires jour/nuit, matin/soir et mort/vie entretiennent une relation d’opposition qui procède de leur sens lexical, ce que montre une analyse de ces sens: jour «clarté que le soleil répand sur la terre» et nuit «absence du soleil au-dessus de l’horizon»; matin «commencement, début du jour» et soir «déclin et fin du jour»; vie «ensemble des phénomènes (croissance, métabolisme, reproduction) que présentent tous les organismes, animaux ou végétaux, unicellulaires ou pluricellulaires» et mort «cessation définitive de la vie (d’un être humain, d’un animal, et, par ext., de tout organisme biologique)» (Grand Robert 2001). Pour cette raison, ces paires doivent être classées parmi les antonymes que Ducháček appelle antonymes impropres. (2) Les membres des paires noir/blanc, nord/sud, est/ouest, été/hiver, terre/mer et terre/ciel sont des co-hyponymes qui entretiennent, au sein du système d’incompatibilités multiples qu’ils constituent avec leurs autres co-hyponymes, une relation d’opposition particulière qui procède de leur sens: blanc «qui est d’une couleur combinant toutes les fréquences du spectre» et noir «se dit de l’aspect d’un corps qui produit une impression particulière sur la vue du fait que sa surface ne réfléchit aucune radiation visible»; nord «celui des quatre points cardinaux correspondant à la direction du pôle» et sud «celui des quatre points cardinaux qui est diamétralement opposé au nord»; est «l’un des points

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cardinaux, situé dans la direction du soleil levant» et ouest «celui des quatre points cardinaux qui est situé vers le couchant, à l’opposé de l’est»; été «saison correspondant à la période la plus ensoleillée et la plus chaude de l’année» et hiver «la plus froide des quatre saisons de l’année»; terre «dans le milieu naturel où vit l’homme, l’élément solide [qui a de la cohésion] qui supporte les êtres vivants et leurs ouvrages et où poussent les végétaux» et mer «élément liquide [de faible cohésion] qui couvre une grande partie de la surface du globe terrestre»; terre «sol, matière qui forme la couche superficielle de la croûte terrestre, considérée dans sa surface ou dans son épaisseur» et ciel «voûte où semblent se mouvoir les astres» (Grand Robert 2001). Pour cette raison, ces paires doivent également être classées parmi les antonymes que Ducháček appelle antonymes propres. L’opposition Ouest/Est, lorsqu’elle s’inscrit dans le contexte de la Guerre froide, est fondée sur l’opposition entre deux points cardinaux, les noms de ces points permettant de désigner par convention deux groupes de nations en conflit dont le territoire est situé dans les zones géographiques dénommées par ces lexèmes. Dans ce contexte, la paire Ouest/Est appartient au troisième groupe. (3) Les membres de la paire rouge/blanc sont des co-hyponymes dont les sens ne sont pas opposés, mais qui sont mis en opposition l’un à l’autre dans le cadre référentiel de la Révolution russe. L’opposition entre ces deux couleurs est d’abord concrète: le rouge est la couleur du drapeau des révolutionnaires russes et le blanc celle du drapeau des partisans du Tsar. En référence à ces drapeaux, leurs couleurs permettent d’opposer les partisans de la révolution et les antirévolutionnaires qui restent fidèles au Tsar. Ce ne sont donc pas les traits de sens des adjectifs de couleur rouge «qui est d’une couleur voisine de celle de l’extrémité du spectre solaire, couleur dont la nature offre de nombreux exemples (sang, fleur de coquelicot, rubis, etc.)» et blanc «qui est d’une couleur combinant toutes les fréquences du spectre» qui leur permettent d’être utilisés pour remplacer la paire antonymique révolutionnaire/antirévolutionnaire, mais une convention née d’une situation référentielle particulière. C’est également le cas de la paire Ouest/Est dans le contexte de la Guerre froide et d’une paire comme vert/rouge qui remplace conventionnellement la paire antonymique marche/arrêt en référence à un système sémiotique, inscrit dans la culture occidentale, fondé sur les couleurs que les antonymes désignent et appliqué aux feux de signalisation et aux signaux lumineux sur les appareils électriques. Cette convention linguistique et culturelle permet à la phrase C’est vert d’être prononcée pour signifier «on peut passer», même devant un feu qui vient de passer du

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rouge au jaune clignotant. En raison du fait que le sens des adjectifs rouge/blanc et vert/rouge ne fournit pas le principe de leur opposition, nous ne considérons pas ces adjectifs comme des antonymes, même impropres, mais comme des opposables culturels. Relève également de cette catégorie une paire comme célimène/agnès, répertoriée dans le Grand Robert (2001). Cet appariement, qui trouve son origine dans un cadre référentiel particulier décrit dans L’école des femmes et Le misanthrope de Molière, peut être détaché de ce cadre et employé conventionnellement comme équivalent de l’opposition coquette/ingénue. De même, les paires construites à partir de noms d’animaux comme loup/agneau ou colombe/faucon peuvent remplacer conventionnellement les paires antonymiques fort/faible et belliciste/ pacifiste. Ces appariements ne sont pas issus d’œuvres littéraires, contrairement à célimène/agnès, mais sont exploités dans différents textes comme les Fables de La Fontaine ou les discours de George W. Bush. Les oppositions entre célimène et agnès, entre loup et agneau ou entre colombe et faucon ne découlent pas du sens de ces lexèmes, mais des qualités attribuées aux référents de ces lexèmes dans des œuvres littéraires ou dans une imagerie culturelle. Leur emploi, dans une phrase comme «À force de traiter d’«islamophobe» toute personne simplement hostile à l’intégrisme, l’accusation n’a plus qu’un effet: faire passer pour un AGNEAU laïque le LOUP — bien réel — du racisme antimusulman» (Le Monde 18/12/2010, «Désamorcer le FN», Caroline Fourest), est interprété comme suit: x et y sont opposés en étant désignés par loup et agneau parce que x et y font montre de caractéristiques ou de comportements opposés qui sont attribués au loup / à l’agneau dans une culture ou un ensemble de cultures. 4.2. Caractéristiques sémantico-formelles des antonymes Dans ce chapitre, nous établirons les caractéristiques sémanticoformelles des unités lexicales antonymes, pour inclure dans le champ de l’antonymie les unités lexicales formées de plusieurs éléments lexicaux (unités polylexicales) et décrire le rôle de certains morphèmes dans la relation antonymique des lexèmes qu’ils contribuent à former. 4.2.1. Unités monolexicales et polylexicales La grande majorité des travaux sur l’antonymie est fondée sur l’étude d’unités simples. Les unités complexes formées d’une succession figée

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d’éléments peuvent toutefois être sujettes à l’antonymie au même titre que les unités simples. La notion de polylexicalité, développée notamment dans Gross (1996) et Mejri (1997 et 2004), se révèle très utile dans le traitement des séquences figées (SF) antonymes. La polylexicalité est une des caractéristiques principales des SF. Dans cette optique, la SF est constituée d’un «signifiant pluriel (= poly), formé de plusieurs unités lexicales employées d’une manière autonome hors du cadre de la séquence (= lexical)» (Mejri 2004: 14). Mejri précise également que la séquence doit être «[conforme] aux règles syntaxiques du système» (ibid.). Selon Mejri, œil de bœuf et jeune fille sont donc des SF, alors que porte-fenêtre est un nom composé, car il ne respecte pas les règles syntaxiques du français qui ne permettent pas que deux noms soient accolés (ibid.). Il convient de préciser que, pour Mejri, la locution, comme la séquence, est une «unité à signifiant pluriel» (ibid.: 18), c’est-à-dire une unité polylexicale. Locutions et séquences sont donc des unités linguistiques — et non des phrases — dont la polylexicalité est la principale caractéristique. Sur le plan sémantique, l’unité polylexicale est caractérisée par le fait qu’elle possède deux types de sens différents: un sens littéral compositionnel et un sens global non compositionnel115. Le sens de la SF, «structuré par cette dualité» (ibid.: 25), est envisageable en termes de «dédoublement» (ibid.: 21). Ce dédoublement n’est pas comparable à la pluralité de sens de l’unité lexicale simple. Il s’agit, en effet, de deux niveaux d’analyse sémantique distincts plutôt que de deux sens. Dans la conception de l’antonymie, la plus largement admise, qui envisage l’antonymie comme une relation entre des unités lexicales (II, 1), on ne peut qualifier d’antonymique une paire de SF comme aller droit au but / tourner autour du pot que si l’on considère que ces séquences sont bel et bien des unités lexicales, qui ont la particularité d’avoir un signifiant pluriel. Les critères de respect des règles syntaxiques et d’emploi à l’extérieur d’une SF sont moins essentiels pour rendre compte des unités polylexicales antonymes: d’une part, des mots composés comme basse-contre et haute-contre ou bien-être et mal-être peuvent être considérés comme des antonymes; d’autre part, des séquences qui ne sont pas prises en compte par Mejri parmi les unités polylexicales, 115 Dans le cadre de la théorie Sens-Texte (TST), Mel’čuk envisage cette distinction entre regard de deux niveaux syntaxiques différents, la structure syntaxique de surface où les séquences figées sont décomposées et la structure syntaxique profonde où elles ne le sont pas (voir notamment Mel’čuk 2004).

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parce que les éléments qui les composent ne peuvent être employés seuls, comme de bon gré et de mauvais gré, peuvent également être considérées comme des antonymes. Pour cette raison, nous partageons la définition des SF, moins restrictive que celle de Mejri, proposée par Martin (2001: 82), qui inclut parmi les SF les locutions dont certains éléments n’existent pas en dehors d’elles (à la bonne franquette), tout en conservant, comme caractéristique fondamentale des SF, la notion d’unité lexicale à signifiant pluriel. Très peu d’études ont été consacrées spécifiquement aux relations sémantiques entre séquences figées en général et à l’antonymie des séquences figées en particulier. Pour le français, Thun (1975) a classé les «groupements de mots figés» (GMF), dont l’antonymie est portée par l’un de leurs constituants, en fonction de la partie du discours à laquelle ces groupements appartiennent. Lorsque deux GMF antonymes se comportent syntaxiquement comme des adjectifs ou des adverbes, leur antonymie est fondée sur les adjectifs ou les adverbes opposés qu’ils contiennent. C’est le cas des locutions prépositionnelles à l’intérieur de / à l’extérieur de ainsi que des locutions constituées au moyen des paires bon/mauvais et bien/mal comme de bonne foi / de mauvaise foi, bien luné / mal luné, de bon aloi / de mauvais aloi (Thun 1975: 60-61). Plus rares sont, selon Thun, les GMF adjectivaux ou adverbiaux construits sans bon/mauvais ou bien/ mal comme de première main / de seconde main et les paradigmes à trois termes tels que à court terme / à moyen terme / à long terme (ibid.: 62). Lorsque deux GMF se comportent syntaxiquement comme des substantifs, ils peuvent s’opposer en raison de la présence, parmi leurs constituants, de deux adjectifs ou de deux substantifs antonymes. C’est le cas de oiseau de mauvais augure / oiseau de bon augure ou de le dessus du panier / le fond du panier (ibid.). Lorsqu’ils se comportent comme des verbes, les GMF peuvent s’opposer (a) par les composants adjectivaux bon/mauvais, comme dans faire bonne figure / faire mauvaise figure ou avoir bonne mine / avoir mauvaise mine; (b) par les composants adverbiaux bien/mal, comme dans prendre bien qqch / prendre mal qqch; (c) par d’autres composants à valeur adjectivale ou adverbiale comme dans tenir la garde haute / tenir la garde basse ou voir tout en rose / voir tout en noir et 4) par des composants verbaux, comme dans enterrer la hache de guerre / déterrer la hache de guerre ou ouvrir la marche / fermer la marche (ibid.: 62-64).

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L’opposition entre des GMF verbaux qui diffèrent par leur composant verbal peut reposer (1) sur des valeurs lexicales comme «perte» / «obtention» dans perdre connaissance / reprendre connaissance, et «maintien» / «perte» dans avoir toute sa tête / perdre la tête; (2) sur des valeurs aspectuelles comme «ingressif» / «essif», notamment, dans prendre connaissance de / avoir connaissance de, qui correspond à une opposition sémantique entre «cause» et «effet» (ibid.: 65-68). À ces oppositions, Thun ajoute deux autres types moins fréquents: l’opposition de diathèse «actif» / «passif» comme dans donner le change / prendre le change116 et l’opposition complémentaire nécessaire117 comme dans passer un savon / attraper (recevoir) un savon (ibid.: 69). L’étude de Thun ne prend en compte que des oppositions entre séquences figées dont un seul élément diffère. García-Page Sánchez (1999), dans une étude sur l’antonymie des séquences figées en espagnol, identifie toutefois deux autres cas de figure: 1) les oppositions entre séquences figées sans éléments communs comme aller droit au but / tourner autour du pot; 2) la réunion de deux antonymes à l’intérieur d’une seule et même séquence figée comme souffler le chaud et le froid. García-Page Sánchez distingue, en effet, l’antonymie interne ou intraphraséologique et l’antonymie externe ou interphraséologique. L’antonymie intraphraséologique regroupe le type de séquences figées étudié par Thun (esp. tener buena fe / tener mala fe, fr. être de bonne foi / être de mauvaise foi) (García-Page Sánchez 1999: 86)118 et les séquences figées contenant une paire d’antonymes (esp. para bien o para mal, fr. à tort ou à raison) (ibid.: 81). L’antonymie interphraséologique, quant à elle, est caractérisée par une opposition de sens entre deux séquences figées formellement différentes (esp. ser uña y carne / llevarse como el perro y el gato, fr. être comme cul et chemise / s’entendre comme chien et chat) (ibid.: 89). On peut remarquer que les antonymes interphraséologiques sont opposés seulement sur le plan de leur sens conventionnel alors que les antonymes intraphraséologiques du premier type (être de bonne/mauvaise foi) sont opposés également par certains de leurs composants. En ce qui 116 Notamment à propos de cet exemple, Thun remarque que l’un des deux GMF d’une paire d’opposés peut être moins utilisé que l’autre. 117 Cette catégorie correspond à la conversité (II, 4.1.1). 118 L’existence de ces unités polylexicales dont l’antonymie est fondée sur la substitution paradigmatique de deux antonymes monolexicaux peut être mise en relation avec la question du degré de figement. Les liens entre antonymie et gradualité du figement mériteraient de plus longs développements qui dépassent le cadre de notre étude.

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concerne le deuxième type d’antonymes intraphraséologiques (à tort ou à raison), la distinction entre opposition compositionnelle et non compositionnelle de deux unités polylexicales ne s’applique pas. Pour cette raison, nous préférons ne pas utiliser le terme antonymie intraphraséologique pour rendre compte des unités polylexicales comme à tort ou à raison. Les deux types de séquences que García-Page Sánchez regroupe sous cette appellation sont, en effet, très différents dans la mesure où les antonymes sont des unités polylexicales mutuellement exclusives dans le premier cas et des unités monolexicales coprésentes dans le second. Nous considérons le deuxième type comme un cas de coprésence antonymique discursive particulière dans laquelle la structure de mise en relation des antonymes est figée. Aucune étude n’envisage de manière précise et complète les relations sémantico-lexicales des unités polylexicales et, a fortiori, leurs coprésences antonymiques en discours. Compte tenu du dédoublement sémantique caractéristique des unités polylexicales, l’étude du déploiement syntagmatique de la relation d’antonymie entre deux unités polylexicales est plus complexe que celle des coprésences d’antonymes monolexicaux. Nous ne pouvons malheureusement mener ces études de front dans le cadre de cette recherche et nous avons choisi de nous consacrer dans la Deuxième partie aux coprésences antonymiques d’unités monolexicales. 4.2.2. Morphèmes dérivationnels: marques morphologiques de l’antonymie La plupart des travaux sur l’antonymie mentionnent le fait que certains antonymes sont reliés morphologiquement119. Ils sont appelés antonymes grammaticaux, par opposition aux antonymes lexicaux, par Ducháček120 parce qu’ils sont des «antonymes formés à partir des préfixes, donc par un procédé grammatical» (Ducháček 1965: 56)121.

119 Dans les ouvrages de linguistique anglo-saxons, les «morphologically related antonyms» sont distincts des «opaque antonyms» (Gross et al. 1989, cité dans Murphy 2003: 201) ou «morphologically unrelated antonyms». 120 Voir également Berbinschi (2003: 286). 121 Geckeler (1996: 108) propose également une autre appellation que Ducháček pour ces antonymes. Il les appelle antonymes secondaires par opposition aux antonymes primaires dont l’antonymie ne s’appuie pas sur un morphème. Nous ne reprendrons pas ces termes parce que nous avons choisi de les utiliser dans le sens que leur donne Nellessen (II, 3.2.5.1).

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Pour désigner les paires d’antonymes qui possèdent la même base et diffèrent par les morphèmes qui leur ont été adjoints, nous privilégierons l’appellation antonymes morphologiques à celle utilisée par Ducháček pour deux raisons: (1) l’adjectif grammatical pourrait laisser penser qu’il est question de l’antonymie des mots grammaticaux (à, de, le, ils, etc.) alors que ceux-ci ne sont, à l’exception des prépositions, pas concernés par l’antonymie; (2) le choix de cet adjectif occulte le fait que les morphèmes qui permettent de former des antonymes dits grammaticaux sont des morphèmes lexicaux. Parmi les morphèmes dérivationnels dont la présence sous-tend l’antonymie des lexèmes qu’ils composent, nous identifions deux grands types: (A) les paires de morphèmes (préfixes, suffixes ou confixes, voir Martinet 1979), qui se combinent à un élément commun, qui peut être une base, un radical ou un morphème lexical lié; (B) les préfixes qui en se combinant avec un lexème permettent de former un antonyme de ce lexème. (A) Parmi les morphèmes du premier type, on peut citer les suivants: hypo-/hyper-(hypotension/hypertension), extra-/intra- (extralinguistique/ intralinguistique), infra-/supra- (infranational/supranational), micro-/ macro- (microéconomique/macroéconomique), post-/pré- (post-tonique/ pré-tonique), anti-/post- (antidater/postdater), homo-/hétéro- (homosexuel/ hétérosexuel), cis-/trans- (cisalpin/transalpin), endo-/exo- (endogène/ exogène), ana-/cata- (anabolisme/catabolisme), brady-/tachy- (bradycardie/ tachycardie), -phile/-phobe (anglophile/anglophobe), -ite/-ose (arthrite/ arthrose), -fuge/-pète (centrifuge/centripète)122, -fuge/-phile (héliofuge/ héliophile) ou -fuge/-cole (nidifuge/nidicole). Les exemples de paires cités entre parenthèses montrent que les antonymes formés à partir d’une paire d’affixes ou de confixes appartiennent souvent à des langues techniques. Guilbert (1964), qui propose une catégorisation fondée sur le sens des préfixes et leur rôle dans l’antonymie, considère que les paires de préfixes qui se combinent au même morphème pour former des paires d’antonymes sont suffisamment autonomes pour jouer un rôle de «catalyseur de cette création d’un couple oppositionnel», autrement dit, porter la relation d’antonymie (Guilbert 1964: 35). Cette remarque peut être appliquée également aux suffixes et confixes. Les affixes et confixes qui 122 Les confixes -fuge et -pète peuvent être combinés avec d’autres éléments que centri- par exemple dans ignifuge ou géopète mais il semble qu’ils ne permettent de former que la paire antonymique centrifuge/centripète.

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permettent de former des antonymes sont d’ailleurs eux-mêmes répertoriés dans les renvois antonymiques de dictionnaires généraux comme le TLF (1971-1994) et le Grand Robert (2001). Ces affixes et confixes sont en effet des morphèmes que l’on peut considérer comme des antonymes parce qu’ils correspondent au canon de l’antonymie que nous avons défini sous II, 2.1: 1) ils forment des paires lexicalisées; 2) ils s’opposent toujours sur une dimension saillante, c’est-à-dire facilement identifiable (DEGRÉ QUI DÉPASSE UNE LIMITE pour hypo-/hyper-, ÉCHELLE pour micro-/macro- ou ALLURE pour brady-/tachy-, par exemple); 3) ils appartiennent à la même classe grammaticale et 4) ils tendent à apparaître fréquemment dans des structures syntaxiques particulières et leur association par des informateurs dans les tests est toujours réciproque, les tests donnent les mêmes résultats quel que soit le membre d’une paire d’antonymes canoniques qui sert de stimulus. L’adéquation de ces affixes (hypo-/hyper-, par exemple) et confixes (-fuge/-pète, par exemple) avec le canon de l’antonymie ne doit pas occulter la différence fondamentale entre ces affixes et confixes et l’immense majorité des antonymes: ils sont des morphèmes liés et non des unités lexicales libres. En raison de la prédominance des unités libres parmi les antonymes, nous proposons d’intégrer cette caractéristique dans le canon de l’antonymie et nous considérons que les affixes et confixes précédemment cités sont des antonymes moins canoniques que les antonymes qui sont des unités lexicales libres. En revanche, les paires qu’ils permettent de former (hypotension/hypertension, centrifuge/centripète) sont des paires d’unités lexicales libres pleinement canoniques. Dans sa catégorisation, Guilbert décrit les préfixes de degrés comme hypo-/hyper-, mais aussi les préfixes qui expriment des «oppositions quantitatives», parmi lesquels on peut citer mono-/bi- dans monoplace/ biplace ou tri-/quadri- dans trimoteur/quadrimoteur, et les morphèmes libres qui expriment des oppositions dans l’espace et le temps comme avant/après dans avant-guerre/après-guerre (Guilbert 1964: 35). Nous ne rangeons pas les préfixes dits d’opposition quantitative parmi les antonymes dans la mesure où nous considérons qu’en dehors de certaines situations d’énonciation particulières ils ne sont pas opposés. Leur co-hyponymie ne suffit pas à justifier leur appartenance au champ de l’antonymie (II, 2.2.2). Le fonctionnement de avant/après peut être comparé avec celui d’autres éléments qui ne sont pas considérés en général comme des morphèmes dérivationnels: bien/mal (bien-pensant/ mal-pensant), haut/bas (haut-fond/bas-fond) ou plus/moins (plus-value/

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moins-value), notamment. Nous pouvons dire que ces paires ne sont pas des morphèmes dérivationnels, mais des unités libres antonymes. À côté de leurs usages en tant qu’unités libres, ils peuvent être des éléments de mots composés eux aussi antonymes. (B) Parmi les morphèmes du deuxième type, c’est-à-dire les préfixes qui en se combinant avec un lexème permettent de former son antonyme, Peter (1949), dans une étude sur les préfixes négatifs et leur rôle dans la formation d’antonymes, cite notamment les préfixes et les paires d’antonymes suivants: non- (conformiste/non-conformiste, violence/nonviolence), dé- et ses allomorphes (plaire/déplaire, obéir/désobéir, favorable/défavorable, ordre/désordre), dis- (grâce/disgrâce, continu/ discontinu, joindre/disjoindre), a- (moral/amoral) ainsi que in- et ses allomorphes (utile/inutile123, prudence/imprudence). Ces préfixes sont négatifs et peuvent être combinés, comme en témoignent les exemples, avec des bases adjectivales ou substantives et, pour certains d’entre eux, avec des bases verbales. Peter traite également deux autres préfixes dont le rôle dans la formation d’antonymes est particulier: sans- et anti-. En ce qui concerne sans-, Peter remarque qu’il se combine toujours avec un substantif. Les lexèmes, le plus souvent polylexicaux, ainsi formés sont des substantifs (sans-Dieu, sans-façon), des adjectifs (sans danger, sans intérêt) ou des adverbes (sans cesse, sans relâche) (Peter 1949: 34-71). Les lexèmes, composés de sans-, peuvent être des antonymes d’un lexème dérivé du substantif dont ils sont formés (sans danger/ dangereux) ou d’un autre lexème sans lien morphologique (sans-façon/ courtoisie). La particularité de la plupart des lexèmes de type sans-x, qui entretiennent une relation antonymique avec un substantif, un adjectif ou un adverbe, est d’avoir un synonyme, qui peut être formé à partir d’un préfixe négatif: sans-Dieu, impie / croyant; sans-façon, goujaterie ou impolitesse / courtoisie; sans intérêt, inintéressant / intéressant; sans cesse, continuellement / occasionnellement; sans relâche, toujours / jamais. En ce qui concerne anti-, Peter remarque que deux lexèmes de même origine étymologique formés par ce préfixe peuvent être interprétés de deux manières différentes: antiprogressif, par exemple, signifie «qui est contraire aux idées du progrès» alors que antiprogressiste signifie 123 Certains lexèmes possèdent un antonyme morphologique et un antonyme non morphologique. Peter cite notamment les paires utile/inutile et utile/nuisible (Peter 1949: 185). Voir également Geckeler (1996: 108-109) pour d’autres exemples comme poli/ impoli, poli/grossier, actif/inactif, actif/passif.

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«qui s’oppose aux idées de progrès» (ibid.: 140). Il attribue donc deux valeurs sémantiques différentes au préfixe anti-: «contraire à» et «contre» (gegen). Cette distinction entre deux valeurs pour anti- est reprise, notamment, par Rey (1968), dans une étude du champ préfixal d’anti-, et par Heyna (2008) dans un article sur la sémantique de ce préfixe. Selon Rey, antiremplit ainsi deux fonctions en tant que préfixe: une fonction oppositionnelle quand il signifie «hostilité/lutte contre», comme dans antirouille par exemple, et une fonction antonymique quand il signifie «qui est tout le contraire de», comme dans antiprécautionneux par exemple (Rey 1968: 53 et 56). Pour éviter toute confusion entre l’opposition définitoire de l’antonymie et l’opposition qui peut exister entre deux adversaires, nous préférerons la terminologie d’Heyna (2008) qui appelle adversative la valeur de anti- dans antirides ou antigrippe. La distinction entre ces deux valeurs n’est pas seulement utile à l’interprétation des lexèmes formés grâce au préfixe anti-, mais aussi à l’étude de l’antonymie. Un lexème formé grâce à une base à laquelle est adjoint le préfixe anti- avec une valeur adversative ne peut, en effet, pas être considéré comme l’antonyme de la base sans préfixe. Ainsi le lexème antirides n’est pas antonyme de rides, anticommuniste n’est pas antonyme de communiste, anti-juif n’est pas antonyme de juif, antimilitarisme n’est pas antonyme de militarisme, etc. En ce qui concerne l’antonymie, ces exemples illustrent deux cas de figure: (1) ni le lexème x, ni le lexème anti-x n’ont d’antonyme (rides/0, antirides/0) et (2) le lexème x possède un antonyme qui n’a pas de lien morphologique avec lui alors que le lexème anti-x est antonyme du lexème pro-x, formé grâce au préfixe pro-, antonyme de anti-. Ainsi, on peut dire que juif est antonyme de goy («non-juif») alors qu’anti-juif est antonyme de pro-juif («pour/contre les juifs», dans le cadre du conflit israélo-palestinien, par exemple). De même, communiste qualifie ce qui est relatif à une doctrine dont les fondements peuvent être considérés comme contraires à ceux d’une autre doctrine, le capitalisme. On peut donc dire que communiste est antonyme de capitaliste alors que anticommuniste est antonyme de procommuniste. Un même individu peut évidemment être qualifié à la fois de capitaliste et d’anticommuniste si, en plus d’adhérer au capitalisme plutôt qu’au communisme, il combat le communisme ou le déteste particulièrement. Lorsque le préfixe anti- signifie «qui est contraire», les lexèmes x et anti-x sont antonymes, comme c’est le cas de septique («qui provoque une infection») et antiseptique («qui combat l’infection»). Dans certains cas, il est difficile de déterminer si anti- est

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employé pour sous-tendre une antonymie ou comme adversatif. C’est le cas, par exemple, de antimoderne. Une étude diachronique, que nous ne pouvons mener ici, pourrait permettre de déterminer la préséance d’un emploi sur l’autre. Il faut remarquer que la préfixation négative n’entraîne pas toujours l’antonymie. Geckeler, dans une étude sur les lexèmes sans antonymes, cite une série de lexèmes formés d’un préfixe négatif, mais dont les antonymes ne sont pas identifiables aux confixes qui permettent également de les former: intransigeant, invincible, indéfectible, inlassable, etc. (Geckeler 1983: 72-73). La préfixation négative ne doit pas non plus être confondue avec la négation syntaxique. Verhagen (2005: 31-35, cité dans Jones et al. 2012: 98) distingue en effet la négation affixale et la négation non affixale. Ainsi la proposition Mary is not happy qui contient une négation syntaxique admet que lui soit adjointe la proposition suivante On the contrary, she is feeling really depressed alors que ce n’est pas possible pour les propositions qui contiennent une négation affixale: *Mary is unhappy. On the contrary, she is feeling really depressed. La différence c’est que la phrase Mary is not happy est négative alors que la phrase Mary is unhappy est affirmative. Le temps de réponse des informateurs est systématiquement plus long pour les phrases négatives que pour les phrases affirmatives (Jones et al. 2012: 99). La négation affixale renvoie à un espace mental différent alors que la négation non affixale crée des possibilités à partir d’une affirmation de départ (ibid.). 4.3. Inventaires d’antonymes: listes, dictionnaires et thésaurus Les analyses que nous avons menées dans les sections précédentes permettent d’établir huit critères pour une description satisfaisante du réseau antonymique d’une langue. (1) La description doit éviter de répertorier les paires d’opposables non antonymes comme les converses, les opposables de genre ou les opposables culturels (II, 4.1), mais comporter les unités polylexicales antonymes et les paires dont l’opposition est morphologiquement marquée (II, 4.2). (2) La description doit indiquer la nature de l’opposition entre les antonymes (II, 3.4). (3) La description doit indiquer la dimension sémantique qui fonde l’opposition entre deux unités lexicales (II, 2.2.2).

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(4) La description doit prévoir des marques diasystémiques pour spécifier les conditions d’emploi des paires antonymiques dans le temps, l’espace et la société. Il faut ainsi indiquer, par exemple, que la paire chaud/flegmatique s’inscrit dans le cadre de la théorie des humeurs ou que la paire simple/implexe est archaïque et que son usage est essentiellement littéraire ou philosophique (II, 2.2). (5) La description doit envisager la polysémie des paires antonymiques. Une même paire peut avoir plusieurs emplois: l’opposition fort/ faible, par exemple, peut s’appliquer à des capacités physiques, à des connaissances intellectuelles ou à la résistance morale (II, 2.2.3). (6) La description doit prendre en compte ce que Duchaček (1965) appelle l’antonymie partielle, c’est-à-dire le fait que qu’à deux emplois différents d’un même lexème peuvent correspondre deux appariements antonymiques différents: s’il réfère à la teneur en caféine du café, par exemple, fort ne s’oppose pas à faible, mais à léger (Pohl 1966: 99), l’adjectif clair est antonyme de trouble s’il qualifie eau, de foncé s’il s’applique à une couleur, de obscur s’il concerne une idée (Duchaček 1965: 57), etc. (II, 2.2.3). (7) La description doit distinguer parmi les différents appariements possibles d’un même lexème ceux qui sont prototypiques (II, 2.1.2). (8) La description doit intégrer à la description sémantique des antonymes (définitions, attestations d’emplois) leur combinatoire morphosyntaxique en lien avec la partie du discours à laquelle ils appartiennent (II, 2.2.3). Examinons à présent les trois principaux outils de description des réseaux antonymiques: les listes de paires, les dictionnaires d’antonymes et les renvois antonymiques dans les dictionnaires généraux. Nous nous intéresserons essentiellement aux ouvrages portant sur le français pour identifier ceux qui répondent le mieux aux critères ci-dessus et sont utiles à notre recherche de paires d’antonymes coprésentes dans le même contexte. 4.3.1. Listes de «bons antonymes» Peu d’études linguistiques donnent à voir un large éventail des paires antonymiques de la langue qu’elles traitent. La plupart se contentent souvent de quelques exemples traditionnels souvent étudiés: chaud/ froid (hot/cold), célibataire/marié (bachelor/married), bon/mauvais (good/bad), grand/petit (big/small), homme/femme (man/woman), etc. Quelques-unes, en revanche, mentionnent, sous forme de listes, un grand nombre d’antonymes, classifiés ou non.

II. L’ANTONYMIE DANS LE SYSTÈME DE LA LANGUE

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Pour les antonymes en anglais, de telles listes ont d’abord été établies dans une perspective psycholinguistique par Deese (1964) sur la base de tests d’associations libres. Grâce à ces tests, Deese identifie les quarante paires d’adjectifs que les informateurs associent le plus fréquemment. Ces quarante paires peuvent être considérées comme prototypiques. Dans son étude sur l’opposition en anglais, Mettinger (1994), dans une perspective différente fondée sur l’étude d’un corpus littéraire écrit, y ajoute des verbes, des adverbes et des substantifs pour obtenir une liste de 161 paires, dont l’opposition peut être plus ou moins liée à leur contexte d’emploi simultané (comparer guilty/innocent et necessity/choice, fact/ idea ou Lord/law, par exemple). Jones (2002), dans son étude des fonctions de l’antonymie en contexte, rejoint l’ambition de Deese de constituer une liste de «bons antonymes» (good opposites), mais ceci dans une perspective d’analyse contextuelle pour extraire d’un corpus les phrases qui contiennent simultanément les deux membres de ces paires. Cette liste comporte 56 paires et se veut un échantillon représentatif de l’antonymie en anglais, avec des antonymes graduables et non graduables (II, 3.2), des paires appartenant à toutes les parties du discours, des paires dont l’opposition peut être ou non morphologiquement marquée (II, 4.2.2). Ces listes sont très restreintes, elles ne comptent qu’un petit nombre de paires et ne reflètent donc qu’une partie de l’antonymie en anglais: les listes de Deese et de Jones ne comportent pas de paires non canoniques et celle de Mettinger, quoique plus étendue, est limitée par la présence de ces paires dans le corpus dont elles sont extraites. Les listes de Mettinger et Jones présentent toutefois l’avantage de ne pas se borner aux seuls adjectifs. Jones défend ce choix en reprenant la remarque de Fellbaum (1995) selon laquelle deux concepts sont antonymes quelle que soit la partie du discours à laquelle appartiennent les lexèmes qui les désignent: «[…] there is nothing special about antonymous adjectives […]; there is something special about antonymous concepts, no matter in what form these concepts are lexicalised» (Fellbaum 1995: 285). La transposition d’une telle perspective dans une liste comme celle de Jones présente l’inconvénient de ne pas distinguer les paires en fonction de la partie du discours à laquelle elles appartiennent et, par conséquent, de ne pas spécifier l’appartenance catégorielle des paires. Cette absence de distinction et la conception de l’antonymie dont elle procède conduisent notamment à envisager comme une seule paire d’antonymes les verbes et les substantifs hate/love ou les adjectifs et les substantifs chaud/froid, par exemple.

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Dans le cadre d’une analyse comme la nôtre, cette conception pose problème. Notre analyse, parce qu’elle vise à décrire précisément le lien entre les moyens morpho-syntaxiques de mise en relation de deux antonymes dans un même contexte et le rôle que remplit leur coprésence dans la constitution d’un message écrit, doit prendre en compte la combinatoire spécifique à chaque partie du discours. Elle distingue donc clairement les adjectifs chaud/froid et les substantifs de même forme dans la mesure où le comportement syntaxique de ceux-ci en contexte n’est pas le même, ce comportement étant un facteur déterminant quant aux rôles discursifs des antonymes coprésents (Deuxième partie). Par ailleurs, l’antonymie peut être décrite globalement avec les mêmes outils théoriques dans toutes les parties du discours, mais des spécificités liées à chaque partie du discours peuvent être identifiées (II, 3.2.5). À cet égard, deux listes d’antonymes en français se distinguent particulièrement: celle de Peter (1949) et celle de Nellessen (1982). Dans son étude sur le rôle des préfixes négatifs dans l’antonymie en français, présentée en détail sous II, 4.2.2, Peter (1949), outre les listes de lexèmes associées à la description de chaque préfixe, fournit en effet pour les principales parties du discours une liste comportant une centaine de contraires, classés par groupes dans une perspective onomasiologique (substantifs exprimant l’opposition antipathie/sympathie, verbes en lien avec l’opposition visible/invisible, adjectifs synonymes de plaisant ou joyeux et leurs antonymes, etc.). Le classement sémantique de Nellessen (1982) est différent. Nellessen répartit plus de 500 paires d’antonymes verbaux dans les sept catégories d’opposition verbale qu’il identifie et parmi lesquelles on retrouve la distinction traditionnelle entre contraires et contradictoires (II, 3.2.5.4). Toutes ces listes, aussi étendues qu’elles puissent être, en raison de leur nature même, ne peuvent rendre compte pleinement des différents emplois d’une même paire antonymique ou des appariements antonymiques différents d’un même lexème en fonction de ses emplois (II, 2.2.3). Pour mesurer ces variations d’emplois, essentielles dans une approche contextuelle de l’antonymie comme la nôtre, il convient de consulter les dictionnaires d’antonymes et les renvois antonymiques dans les dictionnaires généraux. 4.3.2. Dictionnaires d’antonymes Le plus ancien dictionnaire d’antonymes français qui se présente explicitement comme tel est celui rédigé par Paul Ackermann en 1842 (II, 1.1).

II. L’ANTONYMIE DANS LE SYSTÈME DE LA LANGUE

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Tous les antonymes répertoriés dans ce dictionnaire sont accompagnés par un extrait d’une œuvre classique dans lequel les antonymes sont mis en coprésence. Cette démarche méthodologique permet à l’ouvrage d’Ackermann de remplir quatre des huit critères de description que nous avons identifiés ci-dessus: 1) il répertorie des séquences figées (accuser/ tenir innocent, de force/de gré); 2) il donne au lecteur des éléments pour identifier la dimension qui fonde l’opposition entre chaque paire d’antonymes (II, 2.2.2); 3) il illustre le fait qu’à deux emplois différents d’un même lexème peuvent correspondre deux appariements antonymiques différents (grandeur/faiblesse, grandeur/bassesse, grandeur/petitesse); 4) il donne des indications quant à la combinatoire des unités antonymes (marcher vers/s’écarter). Il faut en outre souligner qu’il répertorie des paires hétérocatégorielles (force/affaiblir) et permet la description des structures syntaxiques de mise en relation de deux antonymes dans le même contexte, en raison du fait qu’il cite in extenso les phrases dans lesquelles les antonymes sont employés ensemble. La nomenclature de l’ouvrage présente toutefois trois inconvénients. Le premier est que le corpus d’exemples littéraires date des XVIIe et XVIIIe siècles, un grand nombre des paires qui y sont attestées ne sont donc plus utilisées aujourd’hui, ce qui rend le dictionnaire peu adapté à la description du français moderne (fillage/hyménée, plaisanterie/tout de bon). Le deuxième inconvénient est que la définition des antonymes comme des unités lexicales, qui fait aujourd’hui consensus, n’est pas encore nettement appliquée par Ackermann qui répertorie aussi des syntagmes ou des phrases (modérer/trop grand désir, faire/ne pas faire, riens/ce qui est important, par exemple). Le troisième est que le contraste entre certaines des paires de lexèmes répertoriées par Ackermann est parfois circonscrit à un contexte d’énonciation particulier. Nous ne les considérons donc pas comme des antonymes (sage/veau ou chrétien/raisonnable). Malgré ces trois inconvénients, le dictionnaire d’Ackermann, grâce à ses exemples, reste le seul à remplir les quatre critères ci-dessus. Les dictionnaires les plus récents, dont la nomenclature convient mieux à notre usage moderne, même s’ils listent les antonymes par emplois, ne fournissent en général ni exemples, ni définitions et ne décrivent pas les emplois liés à chaque appariement124. Pour trouver de telles définitions, il faut consulter les dictionnaires généraux qui proposent des renvois antonymiques. 124 Voir Boussinot (1981) ou Dupuis et al. (1975). Signalons toutefois que le dictionnaire de Le Fur fournit de brèves définitions pour certaines paires dans le but de permettre au lecteur d’appréhender des nuances entre quasi-synonymes.

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4.3.3. Renvois antonymiques dans les dictionnaires généraux Les principaux dictionnaires généraux du français prévoient des renvois antonymiques. Leur liste peut être plus ou moins riche (environ 3000 renvois dans le TLF, environ quatre fois plus dans le Grand Robert), mais elle reflète toujours une conception très large de l’antonymie qui comprend les contraires, les contradictoires, mais aussi des conversifs (par exemple achat/vente dans le TLF et dans le Grand Robert), des opposables de genre (par exemple amant/maîtresse dans le TLF et fils/ fille dans le Grand Robert) et des opposables culturels (par exemple célimène/agnès dans le Grand Robert) (II, 4.1). Ces renvois ne contiennent jamais d’expressions figées. Les dictionnaires généraux donnent néanmoins des indications quant aux paires antonymiques intraphraséologiques (II, 4.2.1), dans la mesure où ils répertorient leurs constituants. Ils ne signalent toutefois pas que l’antonymie de deux lexèmes peut contribuer à l’antonymie des séquences figées dont ils sont des constituants. Dans le cas des antonymes morphologiques (II, 4.2.2), ils indiquent, en général, les éventuelles règles de combinaison. Ceci est utile lorsque les renvois ne sont pas systématiques. Dans le cas des antonymes x/non-x, par exemple, la relation d’antonymie peut être dite régulière ou calculable: si l’adjonction de non à un lexème x est possible alors le lexème non-x ainsi formé est antonyme de x. Or, cette adjonction est possible pour un très grand nombre d’unités lexicales. Les dictionnaires, par manque de place, ne concrétisent pas la plupart de ces renvois potentiels. La présence de définitions pour chaque lexème d’une paire d’antonymes dans les dictionnaires généraux, contrairement aux dictionnaires spécifiquement consacrés aux antonymes, est bien entendu tout à fait généralisée. Elle est leur principal atout dans la description de la structuration antonymique du lexique. Ces définitions permettent à l’utilisateur de ces dictionnaires de mieux saisir le lien sémantique entre les antonymes. Les trois grands dictionnaires que nous avons consultés, le Grand Larousse (1971-1978), le TLF (1971-1994) et le Grand Robert (2001), indiquent le lien entre les sens d’un lexème et ses antonymes par le biais de stratégies très diverses: par des tirets qui distinguent les emplois dans le champ réservé aux antonymes en fin d’article (Grand Robert 2001), par la numérotation des emplois dans un champ similaire (Grand Larousse 1971-1978), par l’insertion des renvois antonymiques dans le cœur de l’article sous chaque sens (TLF 1971-1994 et Grand Robert 2001), sans que les antonymes soient repris en fin d’article dans le TLF (1971-1994).

II. L’ANTONYMIE DANS LE SYSTÈME DE LA LANGUE

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Cette distinction nécessaire entre les relations antonymiques spécifiques à certains sens des lexèmes polysémiques (antonymie partielle) ne doit pas faire oublier que la polysémie d’un lexème n’implique pas forcément qu’il entretienne des relations antonymiques différentes dans chacun de ses sens. Des lexèmes, même polysémiques, peuvent avoir un antonyme absolu. Ce genre de cas ne peut pas être représenté par une structure de renvoi antonymique comme celle du TLF. Il serait pourtant intéressant d’en tenir compte dans la mesure où les relations antonymiques d’un lexème donnent aussi des indications sur les liens qui existent entre ses sens ou ses emplois. Ainsi, les deux emplois de officieux pour lesquels le même antonyme, officiel, est répertorié dans le TLF sont fortement liés: «Qui émane d’un (chef de) gouvernement, mais n’engage pas en raison de son caractère discret» et «Qui n’a pas été rendu public; qui présente un caractère confidentiel» (TLF 1971-94). Le cas est le même pour motivé, par exemple. L’article du TLF ne met pas en évidence le fait que motivé est antonyme de arbitraire essentiellement dans le domaine de la linguistique alors que les autres sens de motivé auxquels s’opposent ceux de immotivé ne sont que des spécialisations par domaines d’un sens de base «justifié, fondé» (TLF 1971-94). Le double système de renvois adopté par le Grand Robert (2001) évite ce problème. Il établit en effet une distinction entre les opposés et les contraires suivant que les oppositions concernent un emploi (renvoi dans le corps de l’article) ou l’unité dans son ensemble (renvoi en fin d’article). Cette distinction permet de décrire tant l’antonymie partielle que l’antonymie absolue. Pour cette raison et parce que le Grand Robert propose plus de renvois antonymiques que le TLF, nous avons choisi de nous fonder sur les renvois que répertorie le Grand Robert (2001) pour établir la liste des paires antonymiques dont nous avons cherché des coprésences en contexte (V, 2.1).

III. LA COPRÉSENCE ANTONYMIQUE EN DISCOURS

Après avoir précisé les notions de relation antonymique, d’opposition et de lexèmes antonymes, nous pouvons à présent envisager les études de l’antonymie en discours et discuter les différents modèles de description des coprésences antonymiques qui permettent de définir le cadre théorique des analyses présentées dans la Deuxième partie.

1. Interaction entre langue et discours Avant de présenter ces modèles, nous allons préciser les rapports entre antonymie et rhétorique (III, 1.1) et aborder brièvement la question des conditions d’émergence de nouvelles paires antonymiques en regard de la distinction entre relation paradigmatique et relation syntagmatique (III, 1.2). 1.1. Rhétorique et antonymes: la fin et les moyens La plupart des études sur l’antonymie en discours appréhendent celleci dans le cadre de la rhétorique. On se souviendra que c’est dans ce cadre que les termes antonymie et antonyme furent d’abord utilisés en français pour désigner un procédé rhétorique d’association entre un nom propre substantivé et un adjectif. Dans cette association, le contenu sémantique de l’adjectif est opposé aux connotations liées au nom propre comme c’est le cas dans le syntagme le doux Néron (II, 1.1). Le terme antonymie désignera ensuite la relation entre antonymes, mais reste lié au domaine de la rhétorique dans la mesure où Ackermann, l’auteur du premier dictionnaire d’antonymes français, considère comme antonymes tous les mots mis en antithèse dans un discours donné. Les études rhétoriques de l’antonymie en discours peuvent être classées en deux grandes catégories: a) celles qui considèrent l’antonymie comme une relation d’opposition en discours, participant souvent à la création de figures rhétoriques d’opposition et sous-tendue ou non par l’emploi d’antonymes coprésents dans le même contexte; b) celles qui envisagent l’antonymie comme une relation paradigmatique en langue, dont le déploiement syntagmatique participe à la production de figures de style.

III. LA COPRÉSENCE ANTONYMIQUE EN DISCOURS

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(a) Les travaux de Berbinschi (2003 et 2006) se rattachent à la première catégorie. Berbinschi emploie, en effet, le terme antonymie pour désigner toute relation sémantico-discursive d’opposition (Berbinschi 2003: 627), ce qui la conduit à regrouper sous ce terme des oppositions aussi diverses que celles où la scalarité est cristallisée dans une paire d’antonymes (ex. Claudine est petite, mais plus grande que Marie) et celles où elle ne l’est pas (ex. La bouteille est pleine, mais moins que le verre) (Berbinschi 2006: 17). L’emploi extrêmement large du terme antonymie pour désigner toute relation d’opposition en discours, y compris celles qui ne reposent pas sur la coprésence de deux lexèmes antonymes, présente à nos yeux le risque d’entraîner une confusion entre deux phénomènes différents: 1) l’existence d’une relation privilégiée et conventionnelle, donc isolable de son contexte d’activation dans une situation d’énonciation particulière, entre deux lexèmes dont les sens sont opposés et 2) la possibilité d’opposer en discours deux lexèmes, syntagmes ou phrases, dont les sens, les connotations ou les implications peuvent être perçus par les locuteurs comme opposés, ou sont construits comme tels par le discours (II, 3.1.1). Ces deux phénomènes doivent être clairement distingués pour permettre une description fine de leurs interactions, de manière à montrer comment la relation conventionnelle peut alimenter l’opposition discursive et, inversement, comment une opposition discursive non conventionnelle donne naissance à une paire d’antonymes (II, 2.1.3 et 2.2.2 ainsi que III, 1.2). (b) Parmi les études de la deuxième catégorie, on rangera celles qui portent sur les principales figures d’opposition que sont le paradoxe, l’antithèse et l’oxymore, apparentés au paradoxe, et la contradiction. La coprésence antonymique y est envisagée parmi les mécanismes discursifs qui permettent de produire ces figures. On citera, par exemple, l’article de Landheer (1996), où l’auteur décrit les différentes actualisations de la formule de base «à la fois X et non-X» qu’il associe au paradoxe (Landheer 1996: 112). On peut ainsi citer les phrases Plus ça change, plus ça reste la même chose (ibid.: 100) ou Les premiers seront les derniers (ibid.: 113), fondées sur la coprésence antonymique, mais aussi la phrase Les héros sont des assassins (ibid.: 101), fondée sur les connotations liées à héros ou la phrase C’est un homme sans convictions, mais qui les défend avec passion (ibid.: 108), dans laquelle le paradoxe repose sur une antanaclase implicite. Il est essentiel de distinguer, comme le fait Landheer, les lexèmes (ou groupes de lexèmes), antonymes ou non, qui permettent la construction de figures de rhétorique, les mécanismes formels de mise en relation de ces lexèmes et la visée rhétorique poursuivie par cette mise en relation.

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À l’appui de cette distinction, deux constatations peuvent être faites: (1) les figures de l’opposition peuvent être sous-tendues par d’autres éléments que des lexèmes antonymes; (2) deux antonymes peuvent être employés simultanément en discours sans donner lieu à des figures d’opposition. L’examen attentif de ces deux constatations permet de préciser les rapports entre antonymie, antithèse et oxymore. (1) La première constatation est confirmée par les définitions que les dictionnaires de rhétorique donnent des figures d’opposition. Nous examinerons plus précisément la distinction proposée par Molinié, dans son Dictionnaire de rhétorique (Molinié 1992), entre figures macro- et microstructurales. Selon la terminologie de Molinié, l’antithèse est une figure qui marque une «opposition conceptuelle forte» et fait partie des figures macrostructurales (Molinié 1992: 57). Les figures macrostructurales «ne s’imposent pas d’emblée à la réception pour que le discours soit acceptable […]; elles sont peu isolables sur des éléments formels précis ou, si elles sont isolables, demeurent en cas de changement de ces éléments» (ibid.: 208). Selon cette définition, le caractère macrostructural de l’antithèse résulte du fait que la présence d’éléments formels particuliers, comme des lexèmes antonymes, n’est pas nécessaire à sa création. Dans son manuel de rhétorique et d’argumentation, Robrieux (2005) donne, lui aussi, des exemples dans lesquels les idées mises en opposition, indiquées par l’italique (voir ci-dessous), ne sont pas toujours exprimées par des antonymes. Elles peuvent l’être 1) par des lexèmes qui ne sont pas reconnus comme des antonymes par le Grand Robert (2001), notre dictionnaire de référence («[…] en écoutant ce qu’elle [l’impulsion de la nature] dit à nos sens, nous méprisons ce qu’elle dit à nos cœurs […]», Rousseau, Émile, cité dans Robrieux 2005: 120-121); 2) par des syntagmes («Le cerf eut un présent, bien loin d’être puni», La Fontaine, les Obsèques de la lionne, cité dans Robrieux 2005: 120); 3) par des phrases («[…] c’est toi qui fait l’excellence de sa nature et la moralité de ses actions; sans toi je ne sens rien en moi qui m’élève au-dessus des bêtes […]», Rousseau, Émile, cité dans Robrieux 2005: 121)126. 126 Les phrases et les syntagmes non figés ne peuvent être considérés comme des antonymes car leur opposition s’appuie sur des mécanismes notamment grammaticaux qui ne sont pas mis en œuvre en ce qui concerne l’antonymie des lexèmes (II, 3.1.2 et 4.2). Appeler antonymes des phrases ou des syntagmes opposés conduirait à diluer le sens de ce terme en l’amenant à renvoyer à des relations d’oppositions très différentes.

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L’antithèse n’implique pas l’antonymie de ses constituants127. Nous distinguerons donc clairement les notions d’antithèse et d’antonymie. Dans la suite, nous considérerons l’antithèse comme un procédé discursif d’opposition entre des lexèmes antonymes ou non, entre des syntagmes ou entre des phrases et qui vise à produire un effet rhétorique. Nous ne confondrons pas ce procédé avec l’antonymie, définie comme une relation d’opposition entre des lexèmes, qui forment des paires dont on peut faire la liste en-dehors de toute situation d’énonciation particulière, comme le font certains dictionnaires sans exemples (Boussinot 1981), certains jeux éducatifs ou certains tests d’associations lexicales, par exemple. À côté des figures macrostructurales parmi lesquelles il classe l’antithèse, Molinié identifie des figures microstructurales qui «se signalent d’emblée à l’interprétation pour que le discours ait un sens acceptable; elles dépendent précisément du matériel langagier mis en jeu dans un segment déterminé» (Molinié 1992: 218). Les figures microstructurales peuvent servir à former des figures macrostructurales, mais, on l’aura compris, ne sont pas nécessaires à cette formation. L’oxymore est une figure microstructurale. Il peut donc contribuer à former une antithèse. Au XIXe siècle, les termes antonymie et oxymoron (francisé en oxymore) désignaient tous deux une figure de rhétorique consistant en la mise en opposition de deux termes. À cette époque, la distinction entre l’oxymoron et l’antonymie était fondée sur l’aspect «absurde» de l’association de mots: «figure de rhétorique, fausse pointe, alliance de mots qui paraît absurde au premier coup d’œil» (Boiste 1851). Dans le cas de l’antonymie, l’alliance de mots n’est pas considérée comme absurde, mais comme ironique (II, 1.1). Aujourd’hui, l’oxymore est défini comme une figure de rhétorique qui «établit une relation de contradiction entre deux termes qui dépendent l’un de l’autre ou qui sont coordonnés entre eux» 127 C’est vrai aussi de deux notions voisines de l’antithèse: l’antéisagoge et le distinguo. Selon Robrieux, l’antéisagoge est l’«opposition d’une réalité niée à la situation affirmée ensuite: ‘ce n’est pas…; c’est…’ ou ‘il n’a pas…, mais il a…’» (Robrieux 2005: 121, voir aussi Molinié 1992: 51). L’antéisagoge peut être illustrée notamment par cet exemple cité dans Molinié (1992): «Ils ne sortaient point d’un mauvais dîner pour monter dans leur carrosse; ils se persuadaient que l’homme avait des jambes pour marcher, et ils marchaient» (La Bruyère, cité dans Molinié 1992: 52, nous soulignons). Le distinguo est défini, par Robrieux, comme «une comparaison négative», «une manière de définir en utilisant, pour le rejeter, un comparant inférieur ou inadéquat.» (Robrieux 2005: 155). La réplique suivante, citée par Robrieux (2005), contient plusieurs distinguos: «Exécuter, Majesté, non pas assassiner. J’obéissais aux ordres. J’étais un simple instrument, un exécutant plutôt qu’un exécuteur, et je le faisais euthanasiquement» (Ionesco, Le Roi se meurt, cité dans Robrieux 2005: 155).

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(Molinié 1992: 235)128. En ce sens, il doit être distingué de l’antonymie qui n’est pas une figure de rhétorique, mais une relation entre des lexèmes qui, s’ils sont employés ensemble dans le même contexte, peuvent servir à former un oxymore. Parmi les exemples que donne Robrieux (2005: 91) pour illustrer les différentes structures formelles possibles de l’oxymore, certains contiennent des antonymes et d’autres non: (1) les termes de l’oxymore sont coordonnés, par exemple dans Douceur d’être et de n’être pas (Valéry); (2) les termes sont juxtaposés, par exemple dans clair-obscur; (3) l’un des deux termes est épithète de l’autre, par exemple dans jeune vieillard (Molière) ou fous normaux (Desproges); (4) l’un des deux termes est un adverbe, qui se rapporte à l’autre terme, par exemple dans brillamment recalé; (5) l’un des deux termes est un dérivé de l’autre, souvent un substantif qualifié par le participe dont il dérive, par exemple dans un mystificateur mystifié (Balzac) ou l’arroseur arrosé.

Dans trois des exemples cités par Robrieux (1, 4 et 5), les termes constitutifs de l’oxymore ne sont pas considérés traditionnellement comme des antonymes: le verbe être et sa négation explicite ne pas être; l’adverbe brillamment et un participe passé, recalé, qui ne s’opposent qu’en vertu du fait que brillamment est un évaluatif positif alors que recalé renvoie à un résultat négatif et, enfin, les participes passés, mystifié et arrosé, qui expriment une voix passive alors qu’ils qualifient un substantif agentif. Dans l’exemple 2, les termes de l’oxymore sont clairement antonymes et dans les exemples sous 3, ils peuvent être considérés comme tels à condition que l’on admette les paires hétérocatégorielles dans le champ de l’antonymie (II, 2.1.2). Ces exemples montrent que les parties du discours auxquelles les antonymes appartiennent et la combinatoire qui en découle doivent être prises en compte dans l’étude de l’antonymie. Le fait que la création d’un oxymore (ou d’une antithèse) ne requiert pas nécessairement la mise en coprésence de deux unités lexicales, répertoriées comme des antonymes, indique que les antonymes peuvent être considérés comme des lexèmes opposés susceptibles d’être mis en relation en discours à des fins rhétoriques pour produire un oxymore — ou une antithèse —, mais ne peuvent être réduits à un effet de bizarrerie ou d’absurde que leur association contribue parfois à créer129. 128

Voir aussi Reboul (1991: 131 et 236) et Robrieux (2005: 91). À côté de l’oxymore, Robrieux envisage également l’antilogie parmi les figures du paradoxe (Robrieux 2005: 90). Il cite comme exemple la phrase suivante: «C’est assez 129

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(2) La deuxième constatation selon laquelle la coprésence antonymique en discours ne donne pas toujours lieu à une figure d’opposition, peut être appuyée par les deux exemples suivants qui illustrent clairement l’usage d’antonymes coprésents dans une structure non rhétorique. a)

«La MÉMOIRE et l’OUBLI faisant bon ménage, on y trouve tout à la fois le design des années 1950 ou les lunettes 1970» (Le Monde 07/06/2011, «Vintage à l’envi», Igor Deperraz).

b)

«L’avenir des relations avec son allié américain en dépend mais aussi le de la TENSION au Proche-Orient sur lequel M. Obama compte pour négocier avec l’Iran et affaiblir les mouvements radicaux comme le Hamas et le Hezbollah» (Le Monde 14/06/2009, «M. Nétanyahou prépare sa réponse aux exigences américaines», Michel Bôle-Richard). RELÂCHEMENT

Dans l’exemple a), les antonymes sont coordonnés, mais cette coordination ne produit pas une antithèse ou un oxymore, les antonymes ne sont pas mis en opposition par l’énoncé. Dans l’exemple b), les antonymes relâchement et tension, lorsque l’un est syntaxiquement dépendant de l’autre, ne produisent pas d’oxymore. Le premier, relâchement, exprime le processus d’évolution appliqué au second, tension. Ainsi deux antonymes, lorsqu’ils sont présents ensemble dans le même contexte (la même phrase, le même paragraphe), ne sont pas toujours mis en antithèse comme dans les exemples du dictionnaire d’Ackermann et ne participent pas toujours à la formation d’un oxymore. L’analyse que nous menons dans la Deuxième partie, même si elle a une dimension rhétorique, dans la mesure où la coprésence antonymique peut donner lieu à la création d’une figure, est essentiellement une étude linguistique. Elle porte à la fois sur les relations sémantico-syntaxiques vague pour être clair, n’est-ce pas?» (Vian, cité dans Robrieux 2005: 90). Comme l’antithèse, l’antilogie n’est pas forcément liée à l’antonymie. Le terme antilogie est défini par le TLF (1971-94) comme suit: «contradiction entre deux ou plusieurs idées d’un même discours, tel ou tel passage d’un même écrit, entre telle ou telle opinion d’un même auteur dans des ouvrages différents». Le TLF (1971-94) considère ce terme comme un synonyme de antinomie défini par «opposition, quelquefois contradiction, réelle ou apparente, entre deux idées, deux principes, deux lois, etc.». Antinomie n’est toutefois pas un terme de rhétorique, son champ d’application (droit, théologie ou philosophie) n’est donc pas le même que celui d’antilogie. Comme antilogie, antinomie peut être confondu avec antonymie, en raison de leur proximité sémantique et phonétique. Comme exemple d’antinomie, Nellessen cite une phrase qui, si elle est prononcée par un Crétois, est antinomique: Tous les Crétois mentent (Nellessen 1982: 14). L’identification d’un énoncé antinomique ne peut donc se passer de l’analyse de ses conditions d’énonciation. Les principes ou les lois opposés dans une antinomie sont en général exprimés par des propositions et non par des lexèmes seuls. L’antinomie n’est donc pas, dans la plupart des cas, fondée sur l’antonymie.

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qu’entretiennent les antonymes coprésents lorsqu’ils contribuent à une mise en relation et sur les implications sémantico-référentielles, qui découlent de ces relations. 1.2. Au-delà de la distinction paradigmatique/syntagmatique Dans la conception structuraliste traditionnelle, l’antonymie est envisagée hors de tout contexte d’emploi. En vertu de leur relation paradigmatique, les antonymes sont censés partager les mêmes propriétés combinatoires et donc être substituables dans un même contexte linguistique et extralinguistique d’emploi. Cette substitution possible d’un membre d’une paire d’antonyme par l’autre membre fonde la définition quePohl donne de l’antonymie130: «Deux expressions sont antonymes quand leurs signifiants peuvent se substituer l’un à l’autre, dans un énoncé, sans en modifier la structure, et quand leurs signifiés se présentent comme les deux espèces exclusives ou dominantes d’un même genre131» (Pohl 1970: 192). Cette définition exclut implicitement du champ de l’antonymie: 1) les paires d’unités dont la structure syntaxique profonde est différente (approuver quelque chose/refuser de faire quelque chose) et 2) les paires hétérocatégorielles, constituées de lexèmes qui appartiennent à des parties du discours différentes (adj. calme / subst. anxiété). Si l’appartenance de la deuxième catégorie de paires au champ de l’antonymie fait débat (II, 2.1.2), celle de la première catégorie est tout à fait admise par des dictionnaires de référence comme le Grand Robert (2001). Inversement, une telle définition fait entrer dans le champ de l’antonymie des paires de lexèmes comme maison et maisonnette ou fleur et tulipe qui sont substituables l’un à l’autre dans le même énoncé, mais qui ne s’opposent absolument pas par leur sens. L’étude de l’ancrage contextuel des associations antonymiques prend son essor à la suite d’études lexicométriques qui mettent en évidence l’importance quantitative des cooccurrences antonymiques, c’est-à-dire des coprésences ou présences simultanées de deux antonymes dans le même contexte linguistique (paragraphe, phrase ou fenêtre d’analyse arbitraire) dont la régularité est mesurée par la statistique (Mayaffre 2008: 55). Des analyses de discours comme celles de Muller (1984) ou 130 Deese, pour expliquer l’acquisition par les locuteurs des associations antonymiques d’une langue, adopte également une conception paradigmatique de l’antonymie et privilégie l’hypothèse selon laquelle deux mots sont associés parce qu’ils sont substituables dans les mêmes contextes (Deese 1965 cité dans Charles ‒ Miller 1989: 358). 131 L’emploi de genre par Pohl renvoie à une relation d’hyperonymie (II, 2.2.2).

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de Brunet (2006, notamment), sur des corpus littéraires francophones, montrent en effet que les antonymes apparaissent ensemble dans la même phrase ou dans le même paragraphe de manière significative, c’est-à-dire plus souvent que le hasard permettrait de l’attendre132. De telles études ont poussé les linguistes cognitivistes à ne pas décrire l’antonymie simplement comme une relation paradigmatique binaire, mais à la modéliser de façon à rendre compte de son caractère à la fois paradigmatique (opposition selon une dimension particulière, II, 2.2.2) et syntagmatique (cooccurrence). Pour y parvenir, Jones et al. ont développé un modèle cognitif qui traite les paires antonymiques comme des constructions. Dans une grammaire de construction133, la construction antonymique est définie comme un couple forme-sens plus ou moins abstrait et connu des locuteurs d’une langue, qui se comporte comme une unité lexicale bifide enracinée dans la mémoire et peut s’actualiser en discours (Jones et al. 2012: 104). La construction antonymique fournit un schéma conceptuel, une représentation mentale formelle et sémantique, qui soutient l’opposition entre les antonymes134 alors que la dimension définit l’axe de similarité sur lequel opère cette opposition (ibid.: 102, II, 2.2.2). Les modèles constructionnistes ne distinguent pas nettement le plan paradigmatique (le lexique) et le plan syntagmatique (la grammaire): ils postulent un continuum entre l’unité abstraite la plus évidemment grammaticale et les lexèmes mono-morphémiques (ibid.). La perspective de Jones et al. est, de ce fait, usage-based, c’est-à-dire qu’elle conçoit le langage, son évolution et son acquisition comme le résultat de son usage et des besoins de la communication (ibid.: 129). Dans cette perspective, toute paire de mots, quelle que soit la partie du discours à laquelle chacun des mots appartient, peut être interprétée comme une paire antonymique à condition qu’elle soit utilisée dans une structure phrastique contrastive (III, 2.1 et 2.2). Certains appariements peuvent devenir conventionnels (II, 2.1.3). Dans ce modèle, les paires de lexèmes reliés syntagmatiquement, dans des structures phrastiques contrastives, alimentent donc la 132 Des conclusions similaires ont été obtenues, pour l’anglais, notamment, par Charles ‒ Miller (1989), Justeson ‒ Katz (1991) et Jones (2002); pour l’espagnol, par Varo Varo (2007). 133 Voir Yannick Mathieu (2003), François (2008), Puckica (2008) et Desagulier (2011) pour un panorama des modèles constructionnistes. 134 Si deux mots, dont la paire constitue une construction antonymique lexicalisée, sont coprésents en discours, le locuteur peut les identifier comme des antonymes uniquement à cause de la lexicalisation de cette construction et non en raison d’une quelconque propriété sémantique commune à ces deux mots (Jones et al. 2012: 118).

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constitution de constructions antonymiques au plan paradigmatique qui s’actualisent à leur tour dans des structures syntagmatiques, le plus souvent contrastives: les antonymes sont «semantically construed, experientially reinforced, paradigmatically and syntagmatically related, and rhetorically powerful» (ibid.: 71). Ce modèle s’inscrit en faux contre la conception structuraliste du sens: «Meanings of lexical items are dynamic and sensitive to contextual demands, rather than being fixed and stable, and lexical items evoke meaning rather than ‘have’ meanings» (ibid.: 129). Le sens des mots est alors conçu comme intrinsèquement dépendant de leur contexte d’emploi: «[…] meanings of words are always emergent and receive their ultimate interpretations from the specific contexts and constructions in which they are used» (ibid.). Par conséquent, l’antonymie n’est pas une relation stable entre des lexèmes, mais «a relation between contextualized, contrasting form-meaning pairings» (ibid.: 134). En dépit de cette différence revendiquée, le modèle cognitiviste de Jones et al. ne semble pas complètement inconciliable avec les principes de la linguistique structurale post-saussurienne, dans la mesure où 1) il reconnaît l’existence de paires antonymiques conventionnelles, identifiables comme telles hors contexte, notamment dans des tests d’associations spontanées et 2) il postule l’existence de constructions antonymiques paradigmatiques lexicalisées. En outre, malgré leurs différences, ces deux modèles peuvent être considérés comme complémentaires dans la mesure où ils ne traitent pas l’antonymie, et la langue en général, sous les mêmes aspects. Les travaux de Jones (et collègues) cherchent à modéliser l’acquisition de paires antonymiques par les locuteurs, les mécanismes qui permettent l’interprétation antonymique de paires de mots dans des contextes particuliers («communicatively motivated binary opposition», Jones et al. 2012: 134) et ceux qui entraînent la conventionnalisation de ces paires, alors que la perspective structuraliste vise à rendre compte de la place des paires antonymiques conventionnelles dans la structure du lexique d’une langue, conçue comme un système qui organise les «habitudes linguistiques» de la «masse parlante», autrement dit de l’ensemble des locuteurs (Saussure [1916] 2005: 112). En combinant ces deux perspectives, on peut dire que l’antonymie est une relation paradigmatique entre des paires de mots associés conventionnellement, qui peuvent être présents simultanément dans le même contexte et dont l’association peut être soumise à des contraintes relatives au co-texte, à la situation d’énonciation et au cadre référentiel (II, 2.1.3).

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La question qui demeure est celle de l’antériorité et du rôle de l’usage par rapport au fonctionnement de la langue. Nous ne chercherons pas à répondre définitivement à cette question pour deux raisons: (1) Trouver la réponse à cette question nécessiterait des recherches psychologiques et neurobiologiques centrées sur les jeunes enfants pour étudier précisément les processus d’acquisition de l’antonymie et confirmer (ou infirmer) que l’acquisition de la relation sémantique d’opposition précède celle de la reconnaissance des paires conventionnelles (Jones et al. 2012: 77). Ces recherches ne font pas partie de notre champ d’étude centré sur la définition de l’antonymie conventionnelle et sur le rôle sémantico-référentiel de la coprésence d’antonymes conventionnels en discours. (2) Cette question n’a pas d’influence directe sur notre sujet dans la mesure où les perspectives structuralistes et cognitivistes s’accordent sur le fait que des données contextuelles interviennent dans la majorité des oppositions antonymiques, mais que celles-ci sont caractérisées par une forme de stabilité ou de conventionnalité. Nous montrerons, dans la Deuxième partie (VI, 3), l’importance de cette stabilité dans l’interprétation des séquences dans lesquels les antonymes sont coprésents.

2. Modèles d’analyse des coprésences d’antonymes conventionnels Ce chapitre vise à discuter les modèles d’analyse des fonctions de la coprésence antonymique (III, 2.1) et des mécanismes de mise en relation co-textuelle de deux antonymes (III, 2.2). 2.1. Fonctions de la coprésence antonymique Les fonctions discursives (discourse functions) de la coprésence antonymique ont été étudiées principalement par Jones (2002), à partir d’un corpus de textes en anglais, composés d’articles du journal The Independent (1/10/1988 – 31/12/1996). Des fonctions similaires ont été identifiées dans un corpus de textes en suédois par Willners (2001) et par Jones et al. (2009), ainsi que dans un corpus de textes en japonais par Muehleisen et Isono (2009). Elles sont reprises et raffinées par Jones (2006) à partir d’un corpus oral, ainsi que par Murphy ‒ Jones (2008) à partir d’un corpus de productions langagières enfantines. L’ouvrage

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collectif publié par Jones et al. en 2012 fait la synthèse des travaux antérieurs des membres du CLRG sur les fonctions de Jones et replace celles-ci dans le cadre du modèle cognitif développé dans Paradis et Willners (2011) et que nous avons présenté sous III, 1.2. Nous utiliserons Jones et al. (2012) ainsi que Jones (2002) comme ouvrages de référence en ce qui concerne les fonctions discursives de l’antonymie. En note, nous indiquerons les points communs et les différences entre les fonctions identifiées par Jones et celles que décrit, de façon moins élaborée, Mettinger (1994), cité dans Jones (2002). À la plupart des fonctions correspondent l’une ou plusieurs structure(s) syntaxique(s) typique(s) (syntactic frames)135, dont la plupart avaient également été identifiées dans l’ouvrage de Mettinger (1994). 2.1.1. Le classement de Jones L’objectif de la recherche de Jones (2002) est triple: (1) décrire les fonctions des antonymes coprésents et quantifier leur répartition dans le corpus; (2) générer les profils textuels de paires d’antonymes individuelles; (3) identifier les variables, notamment la catégorie grammaticale des antonymes, qui peuvent affecter les fonctions de l’antonymie en discours (Jones 2002: 25-26). Pour réaliser ces objectifs, Jones recherche dans son corpus journalistique les phrases qui contiennent l’une des 56 paires d’antonymes qu’il souhaite étudier. La liste de ces 56 paires a été établie par Jones pour rendre compte de la diversité des antonymes (ibid.: 29-31): elle comporte des paires prises dans différentes parties du discours (par exemple, les substantifs peace et war, les verbes confirm et deny, les adjectifs dry et wet ainsi que les adverbes badly et well), des paires reliées morphologiquement (par exemple advantage et disadvantage ou correct et incorrect), ainsi que des paires correspondant à une conception étroite de l’antonymie et des paires correspondant à une conception plus large (respectivement bad/good et false/true, par exemple). À partir des phrases extraites de son corpus, Jones décrit dix fonctions discursives de l’antonymie (numérotées dans la suite de cette soussection). Il détermine la fréquence d’emploi de paires antonymiques coprésentes dans chacune de ces dix fonctions et les décrit selon leur fréquence d’apparition dans le corpus. Les deux plus fréquentes sont 135 Lorsqu’elles ont été identifiées par Jones, nous indiquerons les structures syntaxiques typiques de chaque fonction entre parenthèses après le nom des fonctions. Nous analyserons ces structures plus en détail sous III, 2.2.

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l’antonymie ancillaire (ancillary antonymy) et l’antonymie coordonnée (coordinated antonymy). (1) L’antonymie ancillaire se manifeste dans des phrases comme I LOVE to cook but I HATE doing the dishes ou Broadly speaking, the community charge was POPULAR with Conservative voters and UNPOPULAR with Labour voters (ibid.: 45 et 49). Ces phrases contiennent chacune deux paires de mots ou groupes de mots opposés: la paire A (love/hate et popular/ unpopular) et la paire B (cook/doing the dishes et Conservative voters/ Labour voters). Jones (ibid.: 47) considère que l’emploi de la paire A, dont l’opposition est la plus évidente, (a) réaffirme l’opposition entre les termes de la paire B lorsque cette dernière possède déjà un haut niveau d’opposition («high level of innate opposition»), (b) active un potentiel plus ou moins important de contraste lorsque la paire B ne possède qu’un bas niveau d’opposition («low level of innate opposition»), voire (c) génère une opposition entre les termes de la paire B lorsque ceux-ci ne sont pas opposés du tout hors du contexte d’emploi avec la paire A («no innate element of opposition»). La mise en relation discursive des termes de la paire A possède donc une fonction ancillaire par rapport à la paire B, elle est au service de l’opposition des termes de B: «the function of the ‘A-pair’ is to act as a signal of opposition, demanding that we interpret the ‘B-pair’ contrastively» (Jones et al. 2012: 28). L’antonymie ancillaire se distingue des autres fonctions discursives de l’antonymie par le fait qu’elle se situe à un «niveau taxonomique» différent (Jones et al. 2012: 29): un même énoncé, It’s meeting PUBLIC need, not PRIVATE greed, peut représenter l’antonymie ancillaire si l’on considère le rôle de la paire public/private par rapport à la paire need/greed, mais il peut être considéré comme un exemple d’antonymie de négation (voir ci-dessous) dans la mesure où l’un des membres de la paire antonymique est nié et l’autre affirmé. Les structures syntaxiques qui mettent en relation des antonymes dans une fonction ancillaire sont multiples: parallélismes de construction comme dans There is praise for SUCCESS, condemnation for FAILURE (Jones 2002: 56) et structures du type X but Y comme dans […] EASY to fall into but DIFFICULT to get out of (ibid.: 57), mais aussi des structures caractéristiques d’autres fonctions de l’antonymie en discours comme X not Y ou X and Y. C’est le cas dans le deuxième exemple cité où la structure syntaxique qui met popular et unpopular en relation est de type X and Y. Il s’agit de la structure la plus représentative de l’antonymie coordonnée (coordinated antonymy, X and Y, X or Y). (2) L’antonymie coordonnée est la catégorie suivante dans l’ordre de fréquence. Cette catégorie est illustrée par des phrases comme While

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pensions will not be abolished, the government will encourage everyone, RICH and POOR, to rely for their retirement mainly on money they invest in private pension funds (Jones 2002: 61). Dans ce genre d’énoncé, les antonymes sont coordonnés par des structures syntaxiques du type X or Y, X and Y ou son équivalent négatif neither X nor Y, ou juxtaposés sans conjonction de coordination (ibid.: 73-74 et Jones et al. 2012: 31). Le syntagme coordonnant exprime l’exhaustivité (exhaustiveness) (Jones 2002: 61), c’est-à-dire «all points on the given scale, not just the two specific points mentioned» (ibid.: 66). L’énoncé ainsi construit peut renvoyer à la totalité de l’échelle entre les antonymes, pôles et valeurs intermédiaires compris (ici, tout le monde, toute personne indépendamment de sa santé financière) (ibid.: 66-67)136. Les fonctions suivantes sont jugées mineures parce que beaucoup moins fréquentes. (3) L’antonymie comparative (comparative antonymy, more X than Y) se manifeste dans des énoncés comme The question is perhaps easier to answer for the LONG term than the SHORT ou Sometimes I feel more MASCULINE than FEMININE and I don’t like it (ibid.: 76). Dans ces énoncés, les antonymes peuvent être le vecteur de la comparaison comme dans les exemples ci-dessus contenant des adjectifs antonymes, mais aussi son objet comme dans Training would be based upon rewarding good behaviour, because behaviourists, Skinner argued, had found that REWARD is more effective than PUNISHMENT (ibid.: 78), où les antonymes sont des substantifs. La récompense et la punition sont ici comparées en fonction de leur efficacité. Comme pour toute comparaison, les antonymes peuvent être unis par un comparatif de supériorité, d’infériorité ou d’égalité137. (4) L’antonymie distinctive (distinguished antonymy, the difference between X and Y) repose sur des structures syntaxiques qui réfèrent explicitement à la distinction entre antonymes, comme dans […] he still doesn’t know the difference between RIGHT and WRONG, or so he said. (ibid.: 81)138. 136 Pour l’antonymie coordonnée de type X and Y, Mettinger considère que la coprésence antonymique exprime la validité simultanée du sens de X et de celui de Y (Mettinger 1994: 44). Pour l’antonymie coordonnée de type either X or Y, il considère qu’elle implique un choix entre les deux (ibid.). Outre la coordination, Mettinger signale que la coprésence antonymique, en dehors des structures syntaxiques qu’il identifie, dans des contextes qui juxtaposent simplement les antonymes, a pour effet d’assurer la cohésion lexicale au sein des énoncés, et ce grâce aux tendances des antonymes à la cooccurrence au sens statistique du terme (ibid.: 41-43). 137 Voir Mettinger (1994) pour d’autres exemples. 138 Selon Mettinger, la mise en relation d’antonymes par la structure the difference between X and Y est un cas de coordination qui indique la confrontation entre les sens de X et Y (Mettinger 1994: 44).

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(5) Lorsque la coprésence antonymique exerce la fonction d’antonymie transitionnelle (transitional antonymy, from X to Y), elle exprime le passage de l’état ou de la qualité désigné(e) par un des antonymes à l’état ou à la qualité contraire. Ainsi, dans Even HARD currency has turned SOFT (ibid.: 87), une devise forte s’est affaiblie jusqu’à devenir faible139. (6) L’antonymie de négation (negated antonymy, X not Y) consiste à nier l’un des termes d’une paire antonymique pour renforcer l’autre. C’est le cas, par exemple, dans la phrase However, the citizen pays for services to work WELL, not BADLY (ibid.: 88)140. (7) Suite aux recherches de Jones et al. sur des corpus oraux, l’antonymie interrogative (interrogative antonymy) est venue s’ajouter aux six fonctions précédemment décrites (Jones et al. 2012: 32). L’antonymie interrogative peut servir trois objectifs différents selon Jones et al. (ibid.: 35): l’emploi d’antonymes cooccurrents dans une phrase interrogative vise 1) à obtenir des informations factuelles comme dans Is it the NEW Billy or the OLD Billy?, 2) à établir les préférences du destinataire de l’énoncé comme dans Do you want to do letters DOWN HERE or UP THERE? et 3) à remplir un rôle pédagogique quant au sens des antonymes comme, par exemple, dans la question posée par un père à son fils de trois ans, Is that a BIG table or a LITTLE table?. Les trois dernières fonctions sont considérées comme résiduelles dans Jones et al. (2012), c’est-à-dire comme trop peu fréquentes pour permettre une catégorisation stable (ibid.: 37). (8) L’antonymie extrême (extreme antonymy, the very X and the very Y) consiste à mettre en relation les extrêmes opposés d’une échelle antonymique, en neutralisant les valeurs intermédiaires, comme c’est le cas dans la phrase For thousands of years in Britain, food had to be either very COLD or very HOT, but now they are accepting warm salads (Jones 2002: 92). (9) Les structures antonymiques qui ont pour fonction l’antonymie idiomatique (idiomatic antonymy) sont caractérisées par la mise en œuvre de séquences idiomatiques et de proverbes, comme dans Easy COME, easy GO (ibid.: 93). Jones considère, en outre, que la phrase They evidently knew they could teach this OLD dog a few NEW tricks est un cas d’antonymie ancillaire (avec une paire A, old/new, et une paire B, dog/tricks) qui exploite l’adage You can’t teach an old dog new tricks (ibid.: 94). 139 Mettinger attribue à la mise en relation d’antonymes par la structure X turns into Y la fonction d’exprimer une mutation de X à Y (Mettinger 1994: 45). 140 Selon Mettinger, la mise en relation de deux antonymes dont l’un est nié est un type de coordination qui exprime une correction, c’est-à-dire qu’elle indique que les «entités» représentées par les antonymes ne sont pas simultanément valides, que l’une des deux doit remplacer l’autre dans le «système cognitif» du destinataire (Mettinger 1994: 59, voir aussi Lang 1984: 79, cité par Mettinger).

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Jones montre, notamment grâce à ce dernier exemple, que les structures antonymiques idiomatiques peuvent remplir toutes les autres fonctions. (10) La coprésence antonymique peut avoir pour fonction d’exprimer la simultanéité (simultaneity) et plus précisément l’application simultanée de deux états ou qualités opposés au même référent, sans que, pour autant, le paradoxe apparent soit réel. La phrase Mr Amato’s WEAKNESS is his STRENGTH permet d’exprimer qu’un trait de caractère qui peut apparaître comme une faiblesse de Mr Amato est considéré comme une force sur le plan politique (Jones et al. 2012: 40). L’expression de la simultanéité n’est considérée comme une fonction à part entière que dans Jones et al. (2012). Dans l’ouvrage de Jones (2002: 95-101), la simultanéité est exprimée dans des exemples que Jones dit ne pouvoir classer dans aucune catégorie comme c’est le cas des phrases suivantes: –





The survey also shows that the environmental movement has won the debate over PUBLIC versus PRIVATE transport, qui exprime le conflit grâce à une construction avec versus et/ou l’expression d’une opposition forte; The US team feel wronged and are HAPPILY/UNHAPPILY letting their opponents suffer for it, dans laquelle les antonymes sont séparés par une barre oblique et peuvent remplir diverses fonctions; Then there is the possibility that the Hairy Hands story is the RURAL version of the URBAN folk-myth […], qui exprime l’équivalence lorsque des adjectifs antonymes mettent en équivalence deux versions d’une même chose.

2.1.2. Distinction entre procédés syntaxiques et fonctions de l’antonymie L’analyse des fonctions de l’antonymie proposée par Jones (2002) est l’une des rares approches, avec celle de Mettinger (1994), qui envisage les structures syntaxiques de mise en relation d’antonymes conventionnels dans la même phrase et les fonctions remplies par cette mise en relation. Cette étude est fondée sur un vaste corpus, dont la taille garantit la validité des calculs statistiques qui sous-tendent la hiérarchie des fonctions. Elle fait émerger un large éventail de fonctions et de structures syntaxiques, abondamment illustrées par de nombreux exemples réels tirés du corpus, qui reflètent les coprésences antonymiques dans chaque partie du discours. Cette analyse semble toutefois comporter un défaut qui n’est pas présent dans celle de Mettinger, pourtant moins développée. Elle mêle, sous la même étiquette fonction, sans les distinguer clairement (1) la structure

III. LA COPRÉSENCE ANTONYMIQUE EN DISCOURS

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syntaxique qui sous-tend la coprésence des antonymes, (2) le rôle que cette mise en relation joue dans la production du sens de l’énoncé et (3) l’effet pragmatique que cette relation discursive produit. Prenons l’exemple de l’antonymie coordonnée. Deux antonymes peuvent être mis en relation de coordination dans un énoncé, en anglais, au moyen de plusieurs structures syntaxiques: X and Y, X and Y alike, neither X nor Y, emploi de X et Y dans des structures parallèles sans conjonction, etc. (Jones et al. 2012: 30-31). Ces structures minimisent ou neutralisent l’opposition entre les antonymes (ibid.: 30). Or, elles peuvent également souligner l’opposition lorsqu’elles permettent aux antonymes de remplir une fonction ancillaire comme dans Broadly speaking, the community charge was POPULAR with Conservative voters and UNPOPULAR with Labour voters (ibid.: 49). La même structure coordonnante peut exprimer l’exhaustivité, dans While pensions will not be abolished, the government will encourage everyone, RICH and POOR, to rely for their retirement mainly on money they invest in private pension funds (Jones 2002: 61). Elle peut aussi exprimer une distinction entre les antonymes, moyennant l’adjonction d’une unité ou d’un syntagme qui souligne cette distinction (the difference between X and Y), et sous-tendre l’antonymie extrême si l’on recourt à des unités ou syntagmes qui indiquent explicitement la référence à un extrême comme very. Lorsque la coordination de deux antonymes remplit une fonction ancillaire ou qu’elle exprime l’exhaustivité, elle implique en outre la validité simultanée du sens des deux antonymes. La coordination de deux antonymes est donc également compatible avec la simultanéité. L’inventaire rapide que nous venons de faire des différents emplois de la coordination de deux antonymes dans le même contexte montre clairement que «l’antonymie coordonnée» n’est pas une fonction discursive de l’antonymie, mais un ensemble de procédés formels susceptibles de remplir un certain nombre de fonctions et de produire un certain nombre d’effets pragmatiques. Pour éviter toute confusion, nous appellerons procédés formels les mécanismes morpho-syntaxiques et lexicaux qui mettent en présence deux antonymes dans le même énoncé, nous réserverons le terme fonctions aux rôles sémantico-référentiels de cette coprésence et nous nommerons effets de sens leurs conséquences pragmatiques. La plupart des «fonctions» de la coprésence antonymique identifiées par Jones (2002) et Jones et al. (2012) nous apparaissent davantage comme des procédés formels. La coprésence d’antonymes dans une phrase interrogative, par exemple, ne sert pas toujours à mettre les antonymes en question. Ainsi dans Quels sont les films, anciens ou récents, qui vous

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font rire?, les antonymes se trouvent bien dans une phrase interrogative, mais celle-ci n’a aucune influence sur le procédé formel de coordination qui sous-tend la coprésence antonymique et sur la fonction d’expression de l’exhaustivité qu’elle remplit. De même, les antonymes coprésents dans des séquences idiomatiques ou comparatives n’ont pas pour fonction la création d’un figement ou d’une comparaison. Une séquence figée contenant des antonymes peut ainsi remplir une fonction ancillaire (Jones 2002: 94) alors que la comparaison des antonymes peut permettre, par exemple, de catégoriser les référents des antonymes et de spécifier leur opposition comme dans la phrase However, LIGHT crude is more easily broken down than HEAVY crude from the Middle East, making it less damaging environmentally (ibid.: 76), qui indique que le pétrole brut léger et le pétrole brut lourd s’opposent quant à la possibilité de les décomposer facilement. 2.1.3. De l’ancillarité à la double mise en relation Dans la terminologie de Jones (2002), reprise dans Jones et al. (2012), l’appellation antonymie ancillaire s’applique à la mise en coprésence d’une paire d’antonymes conventionnels A avec une paire B, composée de lexèmes, antonymes ou non, de syntagmes, voire de propositions. Trois questions peuvent être soulevées en regard de la définition que Jones donne de l’antonymie ancillaire: (1) Quelles sont les structures sémantiques et syntaxiques qui favorisent le phénomène identifié par Jones et, corollairement, existe-t-il des structures qui le bloquent?; (2) Quels sont les critères sémantiques et syntaxiques qui permettent d’identifier les membres de la paire B?; (3) Lorsque deux paires antonymiques sont mises en relation, peut-on réellement considérer que l’une des deux paires renforce l’opposition des membres de l’autre paire? Jones ne propose pas de description précise des structures syntaxiques qui sous-tendent l’antonymie ancillaire. Il repère seulement que celles-ci sont souvent fondées sur des parallélismes de construction avec ou sans connecteur explicite. À partir des exemples donnés par Jones (2002), trois principaux cas de figure peuvent être identifiés. (a) Chaque membre de la paire B dépend directement de chaque membre de la paire d’antonymes (paire A) sur le plan syntaxique. C’est le cas, par exemple, dans la phrase As the old adage put it, oppositions do not WIN elections; governments LOSE them (Jones 2002: 53) où deux verbes antonymes ont pour sujets les lexèmes oppositions et governments qui constituent la paire B.

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143

(b) Chaque antonyme dépend directement de chaque membre de la paire B sur le plan syntaxique. Par exemple, dans la phrase There is praise for SUCCESS, condemnation for FAILURE (ibid.: 56), les substantifs antonymes dépendent des substantifs déverbaux praise et condemnation qui constituent la paire B. (c) Chaque membre de la paire B dépend du même verbe que chaque antonyme. Dans la phrase Bofors might indicate FAILURE, but Venus and Saturn spell SUCCESS (ibid.: 57), les substantifs antonymes sont compléments directs d’un verbe dont les membres de la paire B, Bofors et Venus and Saturn, sont les sujets. Les membres de la paire B ne sont donc pas reliés directement mais indirectement aux membres de la paire A sur le plan syntaxique, contrairement aux deux premiers cas de figure. Les exemples cités ci-dessus montrent que la fonction ancillaire de la coprésence antonymique est toujours fondée sur un phénomène discursif que nous appellerons double mise en relation, qui consiste en la mise en relation de deux antonymes (paire A), mais aussi de deux autres lexèmes ou groupes de lexèmes (paire B) du même contexte, ces deux mises en relation pouvant être sous-tendues par divers procédés formels. Par ailleurs, les relations syntaxiques entre paire A et paire B peuvent être très différentes. Elles dépendent notamment des parties du discours auxquelles appartiennent les antonymes. Estimer quel est le rôle de l’appartenance catégorielle des antonymes coprésents dans leur capacité à exercer l’une ou l’autre fonction discursive est l’un des trois objectifs des recherches de Jones (2002). Sa conclusion est que les paires d’antonymes remplissent les mêmes «fonctions» quelle que soit la partie du discours dont elles relèvent (Jones 2002: 148-149). Nous estimons que la question la plus intéressante n’est pas de savoir si les antonymes, toutes parties du discours confondues, sont compatibles avec toutes les fonctions, mais comment chacun d’eux remplit ces fonctions, selon quelles contraintes morpho-syntaxiques et par quels procédés formels spécifiques. Par ailleurs, la notion d’ancillarité perd de sa pertinence, lorsque la paire B est une paire antonymique: le rôle de la paire A n’est pas une réelle mise en contraste, mais se limite alors à souligner un contraste existant entre les membres de la paire B. La notion d’ancillarité perd donc de sa pertinence. Par contre, une double mise en relation doit être décrite. Analyser les coprésences antonymiques en termes de double mise en relation permet de construire un modèle d’analyse unique pour tous les cas qui relèvent de l’antonymie ancillaire telle que définie par Jones, y compris ceux où l’ancillarité n’est pas un principe explicatif suffisant.

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2.1.4. De l’antonymie coordonnée à l’expression de l’exhaustivité/nullité Comme nous l’avons dit, selon Jones (2002), les coprésences antonymiques qui relèvent de l’antonymie coordonnée permettent d’exprimer l’exhaustivité, c’est-à-dire la totalité d’une dimension sémantique. Contrairement à l’antonymie ancillaire, l’expression de l’exhaustivité semble très liée à l’emploi d’une mise en relation des antonymes du type X connecteur Y, où le connecteur exprime une coordination, c’est-à-dire où le connecteur est soit et, soit ou lorsqu’il fonctionne comme et. Il faut toutefois faire deux remarques. La première est que toutes les coordinations n’expriment pas l’exhaustivité comme le montrent les deux exemples suivants: «Ses ingénieurs [du DCNS] ont aussi retenu l’énergie thermique des mers, qui utilise les échanges de température entre l’eau CHAUDE de la SURFACE et l’eau FROIDE remontant des PROFONDEURS» (Le Monde 16/04/2010, «DCNS veut prendre la tête d’une filière industrielle des énergies marines», Jean-Michel Bezat). «Eliette Abécassis, dont je ne partage pas l’approche de la maternité, dit une chose juste: il y a deux sortes de femmes, celles qui AIMENT à se retrouver en femelles mammifères, et celles qui DÉTESTENT cela, ne veulent pas en entendre parler» (Le Monde 13/02/2010, «Cessons d’avoir une idée unique de la gent féminine», propos d’Elisabeth Badinter recueillis par Josyane Savigneau).

La deuxième est que l’exhaustivité peut être exprimée par d’autres structures syntaxiques et notamment celles qui sous-tendent la comparaison comme dans l’exemple suivant: «Ses travaux s’inscrivent dans une longue tradition: l’écholocation humaine est en fait étudiée depuis les années 1940, essentiellement aux Etats-Unis, tant chez les VOYANTS que chez les AVEUGLES» (Le Monde 28/05/2011, Voir avec les oreilles, Hervé Morin).

Ces deux remarques sont également valables pour l’exhaustivité négative, à laquelle nous donnerons le nom de nullité. Les structures formelles qui sous-tendent l’expression de l’exhaustivité / la nullité par des coprésences antonymiques doivent donc être étudiées précisément. Cette étude est un des objectifs de la Deuxième partie (VI, 1.2 et 3.3). 2.2. Mise en relation co-textuelle de deux antonymes Après avoir discuté le classement des fonctions discursives de Jones (2002) et Jones et al. (2012), nous pouvons maintenant décrire les mécanismes de mise en relation de deux antonymes coprésents l’un avec l’autre.

III. LA COPRÉSENCE ANTONYMIQUE EN DISCOURS

145

2.2.1. Le modèle des patrons syntaxiques Le modèle généralement privilégié pour l’analyse syntaxique des contextes dans lesquels deux antonymes sont employés ensemble est celui des patrons syntaxiques. De telles structures syntaxiques (syntactic frames) ont été identifiées par Mettinger (1994) grâce à l’étude des coprésences antonymiques dans un corpus de romans, surtout issu des œuvres d’Agatha Christie. Mettinger répertorie quatorze patrons de type X connecteur Y, où X et Y sont des antonymes (voir tableau ci-dessous) et y ajoute un patron XY, sans connecteur, dans lequel la mise en relation peut passer par une juxtaposition des antonymes ou être assurée par la marque morphologique de leur opposition, quand elle existe (Mettinger 1994: 39-40). Jones (2002), puis Jones et al. (2012), reprennent pour l’essentiel les patrons identifiés par Mettinger et les enrichissent en recherchant des coprésences antonymiques dans un corpus plus vaste. Ils identifient ainsi vingt-six structures lexico-grammaticales (lexico-grammatical frameworks) de mise en relation qu’ils associent à des fonctions discursives (tableau ci-dessous et 2.1.1, ci-dessus). Ces structures sont envisagées comme étant contrastives par nature ou susceptibles d’être employées de manière contrastive, ce qui implique qu’elles induisent une interprétation contrastive des lexèmes qu’elles permettent de lier. La structure X and Y alike, par exemple, est décrite comme contrastive par nature: «part of the meaning of the X and Y alike construction is that it unites and neutralizes contrasting categories, and thus any two words that appear in this construction are interpreted as opposites» (Jones et al. 2012: 107). Ces structures sont traduites et adaptées au français dans les travaux de Morlane-Hondère (2008) et de Fabre (2010)141. Les dix patrons syntaxiques ainsi obtenus (voir tableau ci-dessous) sont utilisés essentiellement pour l’extraction automatique de relations antonymiques, à partir d’un corpus constitué de l’intégralité de la version francophone de Wikipédia disponible en avril 2007 et comportant à ce moment 194 millions de mots (http://fr.wikipedia.org/wiki/Accueil): «Les patrons ci-dessus ont été sélectionnés parce qu’on suppose qu’ils ont la propriété de ramener, entre autres, les antonymes d’une amorce donnée» (Morlane-Hondère 2008: 80). Le fait que l’emploi de ces patrons soit circonscrit au champ du traitement automatique des langues (TAL) explique leur faible nombre: les patrons trop généraux (X and Y) ou trop spécifiques (a gap between X and Y) n’ont pas été traduits en raison du trop fort risque d’obtenir des données non pertinentes (bruit) en les recherchant dans le corpus 141

Voir également Morlane-Hondère ‒ Fabre (2010).

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(ibid.: 72). Morlane-Hondère constate que la recherche des patrons qu’il prend en compte pour le français lui permet d’extraire de son corpus 1) des coprésences antonymiques comme dans la structure à la fois simple et complexe; 2) des coprésences de «quasi-antonymes», c’est-à-dire de «couples de mots qui présentent une opposition manifeste sans que soit pour autant ressenti chez le locuteur le sentiment d’une relation aussi forte que dans les exemples ci-dessus [antonymes]» (ibid.: 81), comme dans la structure parlées plutôt que chantées, mais aussi 3) des hypohyperonymes lorsque c’est la structure X comme Y qui est recherchée: Les Jingpos ramassent aussi des herbes sauvages et des fruits comme aliments (ibid.: 82)142. L’efficacité de l’utilisation des patrons syntaxiques pour rechercher des antonymes coprésents, pour identifier de nouveaux appariements oppositifs ou pour éliminer les coprésences antonymiques de résultats extraits automatiquement d’un corpus, pourrait être discutée, mais il ne s’agit pas de l’objet de notre recherche. En effet, nous ne cherchons pas à confirmer, par leur emploi dans des structures particulières en discours, des appariements antonymiques répertoriés dans des dictionnaires ou à en identifier de nouveaux, nous cherchons à décrire les procédés formels de mise en relation contextuelle d’antonymes conventionnels, c’est-à-dire reconnus comme tels par nos dictionnaires de référence et qui correspondent à notre définition de l’antonymie, les fonctions sémanticoréférentielles que ces coprésences antonymiques exercent et leurs effets pragmatiques. Mettinger (1994) X and Y /

Jones (2002), Jones et al. (2012) X and Y both X and Y

Morlane-Hondère (2008) / à la fois X et Y

X, at the same time Y X as well as Y X and Y alike

aussi bien X et Y

neither X nor Y

ni X ni Y

neither X nor Y

142 Dans une même perpective de TAL, les patrons syntaxiques de Jones (2002) ont été repris par Lobanova et al. (2010) et adaptés à la recherche de coprésences antonymiques en néerlandais. Ils ont également été utilisés notamment par Lin et al. (2003) qui cherchaient à isoler, parmi les paires de lexèmes coprésents qui ont le même schéma distributionnel, les synonymes et donc à éliminer les antonymes.

III. LA COPRÉSENCE ANTONYMIQUE EN DISCOURS

Mettinger (1994)

Jones (2002), Jones et al. (2012)

147

Morlane-Hondère (2008)

X or Y143

X or Y

X ou Y

whether X or Y

whether X or Y

/

either X or Y

either X or Y

soit X soit Y

/

X as well as Y X and Y alike  antonymie coordonnée

X comme Y

not X, (but) Y

/ X instead of Y X as opposed to Y

/

X, not Y

X not Y  antonymie de négation

/

X rather than Y

X rather than Y

X plutôt que Y

X-er than Y Y-er than X

more X than Y X is more [adj] than Y  antonymie comparative

plus/moins/aussi X que Y

X turns into Y becomes

turning X into Y X gives way to Y

/

from X to Y

from X to Y de/depuis X à/jusqu’à Y  antonymie transitionnelle

/

/

entre X et Y

X but Y  antonymie ancillaire144

/

/

the difference between X and Y separating X and Y a gap between X and Y  antonymie distinctive

/

/

the very X and the very Y either too X or too Y deeply X and deeply Y  antonymie extrême

/

Tableau 3

143 Le patron X or/ou Y possède deux sens: il peut exprimer une disjonction exclusive ou une coordination, il est alors synonyme de et. Mettinger (1994: 38) distingue bien ces deux sens alors que Jones a tendance à privilégier la coordination: «Often, the semantic difference between X or Y and X and Y is negligible» (Jones 2002: 66). 144 Le patron X but Y n’est pas le seul à sous-tendre l’antonymie ancillaire (III, 2.1.1 et 2.1.3) mais il est le seul à être propre à cette fonction de l’antonymie.

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2.2.2. Des coprésences antonymiques sans patrons syntaxiques Le modèle des patrons syntaxiques ne semble pas pouvoir rendre compte de toutes les coprésences antonymiques. Celles-ci peuvent être rangées dans six grandes catégories syntaxiques et morpho-syntaxiques qui représentent les branches de trois alternatives différentes. Les coprésences antonymiques peuvent ainsi être dites: – – –

connectives ou sans connecteur; endophrastiques ou transphrastiques; homocatégorielles ou hétérocatégorielles.

Les coprésences antonymiques décrites au moyen des patrons syntaxiques sont des coprésences que l’on peut qualifier de connectives en raison du fait que les antonymes y apparaissent joints par un relateur qui peut être une conjonction simple (et, ou, ni, mais, comme, etc.) ou une locution conjonctive au sens large (tandis que, par opposition à, contrairement à, aussi bien que, plus que, plutôt que, jusqu’à, etc.). D’autres patrons que ceux conservés par Morlane-Hondère (2008) en raison de l’objectif de sa recherche peuvent être identifiés, par exemple: – X et Y «Mais Bocharova fait oublier Borodina en quelques secondes: présence captivante et voix capiteuse, AIGUS et GRAVES faciles, diction plus que satisfaisante» (Le Monde 15/05/2011, «Les bigarrures savamment dosées de ‘Samson et Dalila’», Renaud Machart).

– transformer X en Y «Grâce à son éloquence très médiatique et à son talent d’humoriste décalé, il réussit le tour de force de transformer ce sujet COMPLEXE et RÉBARBATIF en un thème de discours ATTRAYANT» (Le Monde 14/05/2011, «Le cheval de bataille d’Al Franken», Y. E.).

Aux patrons identifiés par Jones (2002) et traduits par MorlaneHondère (2008), on peut ajouter notamment: – X puis Y «La guerre éclate alors que Paul a presque fini son service militaire. Il est blessé une première fois en août, une seconde en novembre 1914. Il est alors ACCUSÉ — puis DISCULPÉ — de s’être mutilé volontairement pour échapper au front, comme l’ont fait nombre de soldats, en particulier au début du conflit» (Le Monde 03/06/2011, «Un genre de déserteur», Nicolas Offenstadt).

III. LA COPRÉSENCE ANTONYMIQUE EN DISCOURS

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– X mais aussi Y «On est surpris par la vigueur des ACCÉLÉRATIONS, mais aussi par le FREINAGE (non assisté) efficace, mais qui manque de mordant» (Le Monde 26/05/2011, «Twizy, mi-auto, mi-scooter», Jean-Michel Normand).

– X en même temps que Y «Les deux couples sillonnent ensemble les monuments et événements parisiens, Paul se révélant un expert en à peu près tout, depuis Rodin jusqu’au vin de Bordeaux, et plus encore un raseur hors pair qui suscite l’ADMIRATION d’Inez en même temps que l’EXÉCRATION de Gil» (Le Monde 13/05/2011, «Woody Allen à la poursuite d’un Paris rêvé», Jacques Mandelbaum).

D’autres patrons peuvent être identifiés si l’on envisage aussi tous les connecteurs plus ou moins sémantiquement équivalents en français à ceux répertoriés notamment par Jones (2002). Ainsi, dans le dernier exemple cité, où X en même temps que Y est une variante de à la fois X et Y, on peut remplacer le patron employé par X (tout) aussi bien que Y ou X et (par la même occasion) Y, etc. La liste des patrons syntaxiques potentiels pour mettre en relation deux antonymes dans le même contexte s’étend alors considérablement. Par ailleurs, si l’on prend en compte le contexte qui précède le premier antonyme cité, comme le fait Jones (2002) quand il répertorie des patrons comme a gap between X and Y, cette liste devient extrêmement longue. Il arrive en outre que les coprésences antonymiques ne s’appuient pas sur la présence d’un relateur; nous les qualifierons de sans connecteur. C’est le cas dans l’exemple suivant, fondé sur un parallélisme de construction: «Peut-on affirmer pour autant que 40 % de vos lecteurs sont «PRO», 60 % sont «ANTI»?» (Le Monde 24/05/2011, «Paroles de lecteurs», Jean Günther Lyon).

L’absence de connecteur entre deux antonymes coprésents dans le même contexte ne signifie évidemment pas l’absence de relation entre ces deux antonymes. La mise en relation des antonymes peut être assurée (1) par la juxtaposition (exemple a); (2) par une dépendance syntaxique d’un des membres d’une paire d’antonymes à l’autre (exemple b); (3) par une dépendance syntaxique des deux antonymes au même prédicat (exemple c) et (4) par une relation syntaxique des deux antonymes à deux prédicats différents reliés syntaxiquement de manière plus ou moins lâche (parallélisme de prédication, etc.) (exemple d). Ces quatre cas de figure, que nous allons détailler dans la Deuxième partie, peuvent être illustrés, en première approche, par les exemples suivants:

150 a) b)

c) d)

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«Ses ADVERSAIRES, ses AMIS retrouvent leurs noms couchés bon gré mal gré sur ses toiles ou épinglés dans ses livres» (Le Monde 11/05/2011, «Denis Robert, le marginal de l’info», Benoît Hopquin). «Devant ses amis migrants et ses disciples montés sur sa péniche, au bord du Danube (sur l’affluent serbe), le voilà qui narre un extraordinaire voyage à l’intérieur de lui-même, expliquant sa hantise du langage et sa HAINE de l’AMOUR» (Le Monde 13/05/2011, «Handke dans la panique et la douceur», Amaury da Cunha). «Pour Marion Bartoli, un MOUVEMENT ne naît jamais de l’IMMOBILITÉ» (Le Monde 03/06/2011, «Le théorème du corps», André Scala). «Albert Quentin (Jean Gabin), propriétaire d’un hôtel dans un village de Normandie, devenu SOBRE à la suite d’un serment, va retrouver, quinze ans après la fin de la guerre, l’occasion de boire tant et plus en se liant d’amitié avec un jeune homme de passage, Gabriel Fouquet (Jean-Paul Belmondo), paumé, ALCOOLIQUE» (Le Monde 22/05/2011, Synopsis du film Un singe en hiver, s.a.).

Ces quelques exemples attestent l’existence de coprésences antonymiques trop complexes pour être décrites par une chaîne syntaxique linéaire simple du type X connecteur Y, où X et Y sont des antonymes. Les études portant sur les coprésences antonymiques n’abordent pas les coprésences de deux antonymes répartis dans deux phrases typographiques [Majuscule - point final] différentes plus ou moins distantes l’une de l’autre, même si ces phrases forment une unité sémantique, parce que ces coprésences sont difficilement descriptibles par des patrons syntaxiques. Pour autant qu’une relation discursive entre les antonymes employés dans des phrases distinctes puisse être établie, une coprésence antonymique répartie sur plusieurs phrases, que nous appellerons transphrastique, peut être identifiée, par exemple, dans les énoncés suivants: «Je sais, Sebastian Piñera, le nouveau président du Chili a été élu démocratiquement, le peuple a choisi, rien à dire. Mais, mes chers amis, ma TRISTESSE remonte du fond de mon corps et de mon cœur. Quand je vois le déferlement de JOIE des admirateurs d’Augusto Pinochet, je pense à mes morts, à mes disparus, aux centres de torture, aux prisons» (Le Monde 31/01/2010, «Piñera me fait du mal», Teo Saavedra). «Certes, la HAUSSE implicite de l’impôt via la désindexation du barème de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur la fortune, le relèvement des taux réduits de TVA vont affecter la consommation des ménages, principal moteur de la croissance française. Mais a contrario, le fait de dessiner une trajectoire claire et ambitieuse de RÉDUCTION pluriannuelle (2012-2016) des déficits envoie un signal crédible à l’ensemble des acteurs économiques — non seulement les marchés financiers mais aussi les entreprises et les ménages» (Le Monde 15/11/2011, «Alléger le fardeau de la dette par le retour de la croissance», Emmanuel Combe).

III. LA COPRÉSENCE ANTONYMIQUE EN DISCOURS

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À l’inverse, nous appelons endophrastiques, les coprésences de deux antonymes dans une même phrase. Les patrons syntaxiques ont été identifiés à partir de coprésences endophrastiques. Il faut toutefois remarquer que des coprésences transphrastiques peuvent également répondre au schéma X connecteur Y comme c’est le cas dans le dernier exemple cité: hausse mais réduction. L’actualisation de ce schéma X mais Y, mis au jour dans des travaux portant sur l’anglais, peut prendre des formes variées dans les différents contextes de coprésences antonymiques, endophrastiques et transphrastiques, en français en raison de la distance plus ou moins grande entre les antonymes, et des antonymes par rapport au connecteur, distance due à la présence d’un nombre plus ou moins important d’éléments intercalaires, notamment des propositions enchâssées ou des compléments circonstanciels, fréquents à l’écrit. Lorsqu’une structure de type X Ln connecteur Ln Y, où Ln représente des éléments intercalaires en nombre indéfini, ne peut être identifiée, les patrons syntaxiques tels que définis par Jones (2002) ou MorlaneHondère (2008) ne peuvent être utilisés pour décrire la mise en relation des antonymes ni dans les coprésences endophrastiques ni dans les coprésences transphrastiques. Sous II, 2.1.2, nous avons dit que les paires hétérocatégorielles peuvent être considérées comme antonymiques, bien qu’elles ne correspondent pas pleinement au canon. Les exemples suivants contiennent des paires hétérocatégorielles: «La discussion exprime, à mots CALMES, l’ANXIÉTÉ d’une saison ravageuse» (Le Monde 05/06/2011, «On est au bout du rouleau», Hervé Kempf). «Les prix ont continué à MONTER depuis le début de l’année, mais, avec l’augmentation des taux d’intérêt qui va se poursuivre, une BAISSE est probable au second semestre» (Le Monde 07/05/2011, «Le marché immobilier peut-il s’effondrer?», propos recueillis par J. Po.). «Le PRI s’attendait à une large VICTOIRE comme pour les législatives de 2009. Mais il va PERDRE deux, voire trois États très peuplés qu’il gouvernait jusqu’ici» (Le Monde 07/07/2010, «Au Mexique, le PRI sort renforcé par les élections locales», Frédéric Saliba).

Les paires d’antonymes qui appartiennent à la même partie du discours sont les plus courantes. Elles peuvent être appelées homocatégorielles et sont employées en coprésence dans des exemples comme celui-ci: «Résultat: non seulement la puissance de la puce s’en trouve ACCRUE, mais la consommation d’énergie est fortement RÉDUITE» (Le Monde 06/05/2011,

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«Intel prend le risque d’une rupture technologique avec des puces 3D», Laurence Girard).

Des patrons syntaxiques comme ceux identifiés par Jones (2002) et traduits par Morlane-Hondère (2008) ne peuvent pas tous mettre en relation toutes les paires antonymiques toutes parties du discours confondues et, par conséquent, ne sont pas toujours adéquats pour décrire les coprésences antonymiques hétérocatégorielles. Ainsi, un patron comme X devient Y ou X se transforme en Y n’est pas compatible avec une paire de verbes antonymes (*Monter devient descendre mais La montée devient descente), ni avec une paire hétérocatégorielle composée d’un verbe (*L’augmentation devient baisser mais L’augmentation devient baisse). Après avoir proposé un classement des coprésences antonymiques en six catégories, il nous faut préciser que la distinction entre paires homocatégorielles et hétérocatégorielles n’est pas de même nature que les deux autres distinctions; elle peut être appliquée aux paires antonymiques hors contexte. Il serait, en effet, absurde de dire que la paire réduire/augmenter est une «paire transphrastique» ou une «paire connective» alors que l’on peut dire sans problème que la paire réduire/augmentation est une paire hétérocatégorielle. Un même exemple de coprésence antonymique peut par ailleurs être classé dans plusieurs catégories comme le montre le tableau ci-dessous, chaque case du tableau étant plus ou moins compatible avec le modèle des patrons syntaxiques tels que décrits notamment par Jones (2002). Seules les quatre cases supérieures du tableau sont tout à fait compatibles avec ce modèle. Micro/macro

Endophrastiques

Transphrastiques

Connectives

homocatégorielles

homocatégorielles

«Mais Bocharova fait oublier Borodina en quelques secondes: présence captivante et voix capiteuse, AIGUS et GRAVES faciles, diction plus que satisfaisante» (Le Monde 15/05/2011, «Les bigarrures savamment dosées de ‘Samson et Dalila’», Renaud Machart)

«Certes, la HAUSSE implicite de l’impôt via la désindexation du barème de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur la fortune, le relèvement des taux réduits de TVA vont affecter la consommation des ménages, principal moteur de la croissance française. Mais a contrario, le fait dedessiner une trajectoire claire et ambitieuse de RÉDUCTION pluriannuelle (2012-2016) des déficits envoie un signal crédible à

III. LA COPRÉSENCE ANTONYMIQUE EN DISCOURS

Micro/macro

Endophrastiques

Transphrastiques l’ensemble des acteurs économiques — non seulement les marchés financiers mais aussi les entreprises et les ménages» (Le Monde 15/11/2011, «Alléger le fardeau de la dette par le retour de la croissance», Emmanuel Combe).

Connectives

Sans connecteur

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Hétérocatégorielles

hétérocatégorielles

«Les prix ont continué à MONTER depuis le début de l’année, mais, avec l’augmentation des taux d’intérêt qui va se poursuivre, une BAISSE est probable au second semestre» (Le Monde 07/05/2011, «Le marché immobilier peut-il s’effondrer?», propos recueillis par J. Po.)

«Le%s’attendait à une large VICTOIRE comme pour les législatives de 2009. Mais il va PERDRE deux, voire trois États très peuplés qu’il gouvernait jusqu’ici» (Le Monde 07/07/2010, «Au Mexique, le PRI sort renforcé par les élections locales», Frédéric Saliba)

homocatégorielles

homocatégorielles

«Peut-on affirmer pour autant que 40 % de vos lecteurs sont ‘PRO’, 60 % sont ‘ANTI’?» (Le Monde 24/05/2011, «Paroles de lecteurs», Jean Günther Lyon).

«Le projet — dont le coût total est de 17,3 milliards de dollars — doit permettre de RÉDUIRE l’insécurité énergétique du pays. Les six unités du site déployées de 2012 à 2015, la centrale devrait afficher une puissance de 4 800 mégawatts (MW) et AUGMENTER le potentiel électrique du pays de près de 12 %» (Le Monde 09/04/2010, «La construction d’une centrale au charbon en Afrique du Sud crée une polémique», Bertrand d’Armagnac)

Hétérocatégorielles

hétérocatégorielles

«La discussion exprime, à mots CALMES, l’ANXIÉTÉ d’une saison ravageuse» (Le Monde 05/06/2011, «On est au bout du rouleau», Hervé Kempf)

«‘Ils ont raison’ répondit M. Jouyet, rappelant qu’il existe un lien inversement proportionnel entre l’AUGMENTATION des déficits et de la dette et la croissance. Prédisant dix années de vaches maigres —

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Micro/macro

Endophrastiques

Transphrastiques ‘Ceux qui prétendent le contraire vous mentent’ —, le patron de l’AMF ajouta que toute la question est, dorénavant, de savoir comment répartir les efforts, comment RÉDUIRE les déficits dans le respect de l’équité et de la justice» (Le Monde 19/05/2010, «Les marchés? Quels marchés?», Franck Nouchi)

Sans connecteur

Tableau 4

2.2.3. Approche sémantico-logique de la mise en relation des antonymes Comme nous venons de le voir, toutes les coprésences antonymiques ne peuvent être décrites selon les patrons du type X connecteur Y, identifiés par Jones (2002) ou Morlane-Hondère (2008). Il faut cependant remarquer que, si ces patrons ne sont pas pris littéralement comme des structures syntaxiques linéaires mais comme des types sémanticologiques qui peuvent être instanciés par divers procédés formels, ils peuvent s’appliquer à toutes les coprésences antonymiques. Les coprésences antonymiques dans les exemples que nous avons cités dans les chapitres précédents peuvent majoritairement être réduites à une conjonction entre deux propositions quelconques, c’est-à-dire entre des propositions qui ne sont pas nécessairement des propositions attributives quantifiées. Les conjonctions que l’on peut identifier dans ces exemples sont de différents types: (1) les conjonctions simples (p ˄ q), (2) les conjonctions auxquelles s’ajoute une dimension temporelle, (3) les conjonctions de propositions, niées toutes les deux (¬p ˄ ¬q), ou dont l’une seulement est niée (p ˄ ¬q). Dans les autres exemples, les coprésences antonymiques instancient (4) une implication logique (p → q) ou (5) une disjonction exclusive (pWq). (1) En logique, deux propositions sont conjointes si elles sont simultanément vraies (Bouquiaux et Leclercq 2009: 21). Ainsi l’énoncé a) contient deux propositions, toutes deux vraies au même moment: p = Ses adversaires retrouvent leurs noms couchés bon gré mal gré sur ses toiles ou épinglés dans ses livres et q = Ses amis retrouvent leurs noms couchés bon gré mal gré sur ses toiles ou épinglés dans ses livres sont simultanément vraies. a)

«Ses ADVERSAIRES, ses AMIS retrouvent leurs noms couchés bon gré mal gré sur ses toiles ou épinglés dans ses livres» (Le Monde 11/05/2011, «Denis Robert, le marginal de l’info», Benoît Hopquin).

III. LA COPRÉSENCE ANTONYMIQUE EN DISCOURS

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La même analyse est valable pour toutes les coprésences antonymiques qui mettent en œuvre les patrons syntaxiques X et Y, à la fois X et Y, aussi bien X et Y, X comme Y, entre X et Y et plus/moins/aussi X que Y, mais aussi pour les coprésences dans lesquelles les antonymes sont explicitement opposés, comme dans b). b)

«Résultat: non seulement la puissance de la puce s’en trouve ACCRUE, mais la consommation d’énergie est fortement RÉDUITE» (Le Monde 06/05/2011, Intel prend le risque d’une rupture technologique avec des puces 3D»,Laurence Girard).

(2) L’exemple c), ci-dessous, peut également être considéré comme fondé sur la conjonction d’une proposition p et d’une proposition q. À cette conjonction, s’ajoute toutefois une dimension temporelle. Ainsi les propositions p = Ce sujet est rébarbatif et q = Ce sujet constitue un thème de discours attrayant sont simultanément vraies mais pas à partir du même instant t ou jusqu’au même instant t. c)

«Grâce à son éloquence très médiatique et à son talent d’humoriste décalé, il réussit le tour de force de transformer ce sujet complexe et RÉBARBATIF en un thème de discours ATTRAYANT» (Le Monde 14/05/2011, «Le cheval de bataille d’Al Franken», Y. E.).

(3) Dans les exemples d) et e), ci-dessous, au moins une des deux propositions qui contient les antonymes est niée. Les deux propositions conjointes peuvent être toutes les deux niées. Ainsi, dans l’exemple d), les propositions p = Le mouvement peut condamner la répression et q = Le mouvement peut approuver la répression sont niées. Les deux propositions niées ¬p et ¬q sont simultanément vraies. d)

«Le mouvement ne peut ni CONDAMNER la répression, ni l’APPROUVER» (Le Monde 11/05/2011, «‘Obama va être confronté à un dilemme’», propos recueillis par Corine Lesnes).

L’une des deux propositions conjointes seulement peut être niée. Ainsi, dans l’exemple e), la proposition p = Le problème est d’augmenter les recettes est niée alors que la proposition q = Le problème est de réduire les dépenses ne l’est pas. Les deux propositions ¬p et q sont simultanément vraies. e)

«Le problème de fond des finances publiques françaises n’est pas tant d’AUGMENTER les RECETTES que de RÉDUIRE de façon urgente et massive la DÉPENSE publique, et, à l’heure où la convergence avec l’Allemagne est invoquée par le gouvernement, la France serait bien inspirée de regarder du côté de son voisin en la matière» (Le Monde 31/05/2011, «Moins d’écoles pour faire 10 milliards d’économies», s.a.).

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(4) Deux antonymes coprésents peuvent être employés dans deux propositions qui entretiennent un rapport d’implication logique. En logique, deux propositions entretiennent une relation d’implication si la vérité de l’une entraîne la vérité de l’autre (Bouquiaux et Leclercq 2009: 22)145. Ainsi dans l’exemple f), la vérité de la proposition p = Nous avions la chance d’être en petits effectifs implique la vérité de la proposition q = Il y avait une plus grande écoute. f)

«Avec ses enfants en CP et CM2 à Marcel-Cachin, cette jeune maman craint une dégradation du service: ‘Ici nous avions la chance d’être en PETITS effectifs, d’où une plus GRANDE écoute’» (Le Monde 22/05/2011, «A Bagneux, la nuit blanche des parents et des instits», Kathleen Plaisantin).

(5) Deux antonymes coprésents peuvent être employés dans deux propositions qui entretiennent un rapport de disjonction exclusive. En logique, deux propositions sont dans un rapport de disjonction exclusive si l’une des deux propositions seulement est vraie (Bouquiaux et Leclercq 2009: 21). Lorsque deux propositions sont coordonnées par le seul relateur ou, une ambiguïté est possible. En effet, en français, les propositions coordonnées par le relateur ou peuvent également entretenir un rapport de disjonction non exclusive (p ˅ q) sur le plan logique. Deux propositions sont dans un rapport de disjonction non exclusive si l’une des deux propositions au moins est vraie (Bouquiaux et Leclercq 2009: 21-22). Dans le cas où deux propositions coordonnées par ou sont toutes les deux vraies, le relateur ou équivaut à et. Ce cas peut être assimilé à la conjonction simple. Les cas où une seule des propositions coordonnées par ou est vraie sont des cas de disjonction exclusive. Ainsi dans l’énoncé g), p = Les installations sont maintenues et q = L’énergie atomique est abandonnée sont disjointes. Dans cet énoncé, la disjonction exclusive est sous-tendue par une structure équivalente à un patron syntaxique du type le choix entre X et Y mais elle peut aussi être sous-tendue par des structures comme X ou Y et soit X soit Y. g)

«Deux autres options étaient en balance: le MAINTIEN des installations avec un éventuel remplacement des réacteurs les plus anciens, ou l’ABANDON anticipé de l’énergie atomique» (Le Monde 27/05/2011, «La Suisse fermera progressivement ses cinq centrales nucléaires d’ici à 2034», Agathe Duparc)

145 Si la proposition p est fausse, l’implication est valide quelle que soit la valeur de vérité de q, selon le principe ex falso (sequitur) quodlibet («du faux, (suit) n’importe quoi») (Bouquiaux ‒ Leclercq 2009: 22-23). En langue naturelle, on ne considérera pas comme vraie n’importe quelle proposition dont la condition n’est pas réalisée (ibid.: 23).

IV. BILAN

Cette Première partie nous a permis de construire une définition précise des termes antonyme et antonymie. Nous pouvons à présent la formuler de façon synthétique (IV, 1). Nous pouvons également identifier quels sont les aspects du déploiement syntagmatique de l’antonymie qui restent à décrire (IV, 2 et 3). Nous y consacrerons la Deuxième partie.

1. Une définition précise Le terme antonyme peut recevoir la définition suivante: «unité lexicale dont la relation avec une autre unité lexicale, en vertu d’un sens particulier de ces deux unités (II, 2.2.3), constitue un appariement, conventionnel, plus ou moins canonique et plus ou moins prototypique (II, 2.1), fondé sur une opposition binaire (x/non-x) définie par rapport à une dimension sémantique reconnue par une communauté linguistique et culturelle donnée, à une époque donnée (II, 2.2.2 et 3.4.3)». Dès lors, le terme antonymie peut recevoir la définition suivante: «relation sémantique et lexicale prototypique d’opposition binaire entre deux unités lexicales dont l’appariement est conventionnel». Le terme antonyme ne s’applique à une unité lexicale qu’en référence à une autre unité lexicale (x est antonyme de y ou x et y sont antonymes). Il faut donc considérer ces unités lexicales ensemble pour décrire leur antonymie. Les antonymes peuvent être des unités mono- ou polylexicales (II, 4.2.1), polysémiques ou non (II, 2.2.3) et construites ou non à partir de morphèmes dérivationnels (II, 4.2.2). Aux définitions des termes antonyme et antonymie, dix précisions lexicales et sémantiques peuvent être ajoutées: 1) L’antonymie doit être distinguée de la conversité, de la relation entre les unités lexicales dont l’appariement repose seulement sur une différence de genre et de la relation oppositive entre des lexèmes souvent mis en contraste par une communauté linguistique et culturelle (II, 4.1). 2) Deux unités lexicales ne forment un couple antonymique qu’à la condition qu’une dimension sémantique commune sous-tende cette opposition. La dimension est particulière à chaque emploi d’une paire d’antonymes (II, 2.2.2).

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3) Le terme antonymie dénomme une catégorie prototypique. Cette catégorie regroupe des paires d’unités lexicales dont l’association sémantique dépasse le cadre d’une situation d’énonciation particulière et qui sont reconnues, par une communauté linguistique, comme étant ou ayant été opposées, dans un ou plusieurs cadres référentiels (II, 2.1.2 et 2.1.3). Sera appelée prototypique toute paire antonymique qui peut être considérée, à une époque, en un lieu et par une société donnés, comme un parangon de la relation d’antonymie, notamment parce qu’elle possède au plus haut degré les caractéristiques canoniques de l’antonymie. L’appartenance d’une paire d’unités lexicales à la catégorie de l’antonymie peut donc être plus ou moins évidente, mais aussi sujette à débat (II, 2.1). 4) À de rares exceptions près, les antonymes sont des lexèmes prédicatifs, qui peuvent exercer une fonction de prédicat dans un énoncé (II, 2.2.3). 5) Les antonymes peuvent être des polysèmes. Pour déterminer si deux lexèmes polysémiques sont antonymes, il faut identifier, parmi les différents emplois de chacun d’eux, au moins un emploi dans lequel ils sont opposés l’un à l’autre, c’est-à-dire auquel correspond une dimension sémantique (II, 2.2.3). 6) Les antonymes peuvent être des co-hyponymes, mais leur rattachement à un hyperonyme commun n’est pas un corrélat nécessaire de leur relation antonymique. Des co-hyponymes ne peuvent être considérés comme des antonymes qu’à la condition qu’existe une dimension sémantique qui fonde leur opposition binaire (II, 2.2.2 et 2.2.4). 7) Le terme antonyme possède le même sens métalangagier que le lexème courant contraire qui, dans une acception large, recouvre tous les types d’opposition (x est le contraire de y, x et y sont contraires) (II, 1.2). 8) Le terme antonymie recouvre un champ plus large que la seule contrariété logique dans la mesure où il englobe aussi la contradiction (II, 3.1.1). 9) Cinq types d’opposition binaire peuvent être identifiés sur la base des notions de graduation, de graduabilité, de scalarité, de borne et de seuil (II, 3.4.3). 10) Ces types d’opposition permettent, le plus souvent, de décrire les relations antonymiques dans toutes les parties du discours, bien que des mécanismes d’opposition spécifiques puissent être identifiés pour les adjectifs et pour les verbes (II, 3.2.5).

IV. BILAN

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2. Deux descriptions nécessaires L’examen critique du classement que proposent Jones (2002) et Jones et al. (2012) pour les fonctions discursives de l’antonymie a mis en évidence le fait que certaines des «fonctions» identifiées sont des mécanismes formels de mise en relation des antonymes coprésents et non de réelles fonctions sémantico-référentielles exercées par les antonymes (III, 2.1). Il n’en reste pas moins que les travaux de Jones (et collègues) constituent un excellent point de départ pour la description des fonctions sémantico-référentielles de la coprésence antonymique en français. Nous mènerons cette description dans la Deuxième partie en cherchant 1) à établir des critères de distinction nette entre les énoncés où la coprésence antonymique participe à une simple mise en relation et les énoncés où elle participe à une double mise en relation (III, 2.1.3), 2) à déterminer si les fonctions sémantico-référentielles que Jones décrit peuvent être exercées par des antonymes coprésents dans des énoncés en français, 3) à identifier et à décrire les principales fonctions sémanticoréférentielles que Jones n’a pas identifiées. Nous proposerons également une description des conditions sémantiques et syntaxiques de la coprésence antonymique. Cette analyse, fondée sur la description des relations dépendancielles que les antonymes entretiennent avec les unités de leur co-texte, est absente des recherches de Jones (et collègues). Elle paraît pourtant essentielle dans la mesure où la plupart des antonymes sont des lexèmes prédicatifs. Nous formulons l’hypothèse que les relations dépendancielles que les antonymes entretiennent avec leur environnement linguistique dans les énoncés dans lesquels ils sont coprésents jouent un rôle déterminant dans la distinction entre les différentes fonctions sémantico-référentielles de la coprésence antonymique.

3. Trois questions en suspens Trois questions restent en suspens. L’analyse des fonctions sémanticoréférentielles de la coprésence antonymique vise à leur apporter une réponse. (1) Quelle est l’influence du patron syntaxique qui relie les propositions contenant les antonymes coprésents sur leurs fonctions sémanticoréférentielles? L’analyse doit déterminer si toutes les structures syntaxiques

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de surface qui mettent en relation deux antonymes coprésents sont compatibles avec n’importe quelle fonction sémantico-référentielle. (2) Quelle est l’influence de l’appartenance catégorielle des antonymes coprésents sur leurs fonctions sémantico-référentielles? L’analyse doit déterminer si la partie du discours dont relèvent les antonymes coprésents a une influence sur la fonction qu’ils exercent, avec un focus particulier sur le statut et l’emploi des paires hétérocatégorielles. (3) Quelle est l’influence du type d’opposition entre les antonymes coprésents sur leurs fonctions sémantico-référentielles? L’analyse doit déterminer si l’appartenance des paires antonymiques coprésentes à l’un ou à l’autre des cinq types d’opposition que nous avons définis (II, 3.4.3) oriente leur capacité à exercer l’une ou l’autre fonction sémanticoréférentielle ou influence les modalités sémantiques et référentielles selon lesquelles elles les exercent, notamment par l’emploi, avec les antonymes coprésents, d’un lexème neutre ou intermédiaire.

DEUXIÈME PARTIE FONCTIONS DE L’ANTONYMIE EN DISCOURS

V. EXTRACTION DE COPRÉSENCES ANTONYMIQUES: OUTILS ET MÉTHODES

Après avoir défini l’antonymie dans la Première partie, nous pouvons présenter le corpus dont nous avons extrait des énoncés dans lesquels deux antonymes sont employés simultanément (V, 1), les outils qui ont permis cette extraction de manière automatique (V, 2 et 3) et notre cadre d’analyse des coprésences antonymiques (V, 4). Nous décrirons ensuite les fonctions sémantico-référentielles que la coprésence antonymique exerce dans ces énoncés (VI).

1. Un corpus journalistique écrit Avant d’exposer les raisons pour lesquelles nous avons choisi de décrire les coprésences antonymiques à partir d’un corpus journalistique écrit constitué d’articles du journal Le Monde, nous allons présenter ce corpus et les sous-corpus dont il est composé. 1.1. Présentation Le corpus sur lequel nous fondons nos recherches est constitué de deux sous-corpus dont les modalités de constitution ont été différentes. Ces deux sous-corpus sont issus du journal Le Monde. (1) Le premier sous-corpus a été établi par Sylvain Loiseau au laboratoire Lexiques, Dictionnaires, Informatique (LDI) à l’Université Paris 13. Il est constitué de dix-neuf années du journal Le Monde (1987-2006), ce qui représente 500 millions d’occurrences. Les articles qui constituent ce corpus appartiennent à des rubriques différentes et ont été signés par des auteurs différents. Chaque mot de ces articles a été lemmatisé, catégorisé en partie du discours et étiqueté morpho-syntaxiquement grâce au logiciel d’analyse morpho-syntaxique Syntex (voir Bourigault – Fabre 2000). Ce corpus peut être interrogé au LDI par le biais d’un moteur de recherche CQP Web (http://cwb.sourceforge.net/cqpweb.php). (2) Le deuxième sous-corpus a été extrait par nos soins de l’édition en ligne du journal, réservée aux abonnés. Il est constitué par trois années du Monde (2009-2011), ce qui représente environ 75 millions d’occurrences.

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Ce corpus contient tous les articles, formés par un ou plusieurs paragraphe(s) de texte, parus dans le journal pendant trois ans quelle que soit la rubrique dans laquelle ils sont parus ou l’auteur qui les a signés. Avec l’aide de Cyril Briquet, les articles ont été répartis dans des fichiers .html individuels (un fichier par article) et balisés quant à leur titre, leur auteur et leur date de parution. Aucun autre prétraitement ne leur a été appliqué. 1.2. Raisons de ce choix Nous avons choisi d’exploiter un corpus journalistique écrit. Ce choix est motivé par le fait que notre étude porte sur les emplois courants des coprésences antonymiques et pas spécifiquement sur les emplois de ces coprésences au service d’une visée rhétorique (III, 1.1). Notre corpus n’est bien sûr pas exempt d’une certaine recherche formelle et la coprésence antonymique dans ce corpus peut contribuer à la création d’effets de style mais cette recherche et ses effets sont moins prégnants que dans des textes littéraires. Nous éviterons toutefois de citer des coprésences antonymiques présentes dans des titres d’articles, dans la mesure où les titres sont le résultat d’une recherche stylistique particulière destinée à les rendre accrocheurs. La variété de français contemporain employée dans le journal Le Monde se caractérise par le choix d’un lexique courant mais précis146 qui est le reflet d’un niveau socio-culturel élevé et par une syntaxe normée qui lui permettent d’être compréhensible par la plupart des locuteurs francophones ou francophiles scolarisés. Dans la mesure où ce journal, largement diffusé tant en France qu’à l’étranger, est un des véhicules — voire le seul véhicule dans certains pays — du français dans le monde au point qu’il est utilisé comme journal de référence pour les épreuves du Diplôme approfondi de langue française (DALF) organisées dans les Alliances françaises, il peut être considéré comme le reflet des variétés standards actuelles, de la même manière que tous les grands journaux (voir Glessgen 2007: 97). Notre corpus, à l’instar de tout autre corpus, ne peut toutefois être considéré comme représentatif du français mais seulement d’une actualisation particulière du français. Il permet d’avoir accès à des matériaux langagiers pour notre étude des coprésences antonymiques dont les conclusions ne vaudront que pour cette actualisation particulière mais dont on peut supposer qu’elles peuvent être valides 146 Ce souci d’employer les bonnes dénominations dans leur sens premier est appelé orthosémie par Bernard Pottier (voir notamment 1992: 40).

V. EXTRACTION DE COPRÉSENCES ANTONYMIQUES

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pour d’autres actualisations, ce qui pourra être vérifié dans des études ultérieures à partir d’autres corpus. Nous avons choisi d’analyser des coprésences antonymiques présentes dans tout type d’article sans distinction dans la mesure où les structures prédicatives dans lesquelles les antonymes sont coprésents avec une fonction sémantico-référentielle particulière sont tout à fait semblables dans tout type de texte journalistique au sein de notre corpus. L’appartenance d’un article à telle ou telle rubrique peut en revanche avoir une influence sur la fréquence de la coprésence, sur le choix des paires antonymiques ou sur les effets pragmatiques de la coprésence antonymique. Cette influence pourrait être analysée dans le cadre d’une étude lexicologique ultérieure sur la distribution de telle ou telle paire antonymique dans tel ou tel article ou dans la totalité de notre corpus.

2. Traitement du corpus Deux étapes ont été nécessaires pour extraire de notre corpus des énoncés dans lesquels deux antonymes sont coprésents. La première a consisté à établir une liste de paires antonymiques à rechercher dans notre corpus. La seconde a consisté dans l’extraction proprement dite des contextes dans lesquels les membres des paires listées sont employés en coprésence. 2.1. Établir une liste Sous II, 4.3.1, nous avons discuté les limites des listes réduites à quelques paires de «bons antonymes» pour l’étude de l’antonymie en contexte. Nous avons donc choisi de ne pas limiter la liste des antonymes dont nous avons recherché les coprésences en contexte à quelques paires représentatives seulement, mais de fonder cette liste sur les renvois antonymiques du Grand Robert de la langue française (2001). Ce dictionnaire, grâce à son caractère analogique, a l’avantage de présenter un inventaire très riche de renvois diversifiés qui intègre les paires antonymiques prototypiques mais aussi leurs paires (quasi-)synonymes (accélérer/freiner, accélérer/ralentir, (se) hâter/ralentir) et de distinguer les différents appariements antonymiques possibles d’une même unité en fonction de ses différents emplois (II, 4.3.3). À partir des renvois antonymiques du Grand Robert (2001), nous avons constitué une première liste d’environ 20 000 lignes. Chaque ligne

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est divisée en deux colonnes. La première colonne contient tous les lexèmes (A1) pour lesquels le Grand Robert propose un renvoi antonymique, un lexème par ligne. La deuxième colonne contient tous les lexèmes (A2, A3 A4, etc.) que le Grand Robert répertorie comme des antonymes pour chaque lexème de la première colonne. Trois traitements ont été appliqués à cette première liste: (1) nous avons supprimé certaines paires, (2) nous avons fusionné plusieurs lignes entre elles, (3) nous avons isolé l’ensemble des paires homocatégorielles et hétérocatégorielles. (1) Les lignes supprimées contenaient des paires de quatre types: a) les paires de lexèmes que nous avons écartées du champ de l’antonymie dans la Première partie (II, 4.1.1 et 4.1.3), c’est-à-dire les conversifs (ex. achat/vente ou salarié/patron) et les opposables culturels (ex. célimène/ agnès)147; b) les antonymes terminologiques ou circonscrits à un domaine restreint, qui ont peu de chance d’apparaître dans le corpus (ex. acœlomates/cœlomates, hyperalgésie/hypoalgésie, vibreur/silencieux); c) les paires contenant des verbes supports ou des auxiliaires, trop fréquents et donc susceptibles d’engendrer du bruit (faire / anéantir, démolir, détruire, supprimer ou avoir / manquer, abandonner, laisser, perdre, quitter); d) les paires de morphèmes liés (hyper- / hypo-), qui ne sont pas pleinement canoniques (II, 4.2.2). (2) Après avoir supprimé ces quatre types de paires de la liste, nous avons fusionné les lignes contenant des lexèmes dérivés d’une même base. Les lignes acceptable; inacceptable et accepter; décliner, récuser, refuser, rejeter, repousser ont ainsi été fusionnées pour former la ligne acceptable, accepter; inacceptable, décliner, récuser, refuser, rejeter, repousser. Lorsque deux lignes contenaient exactement les mêmes lexèmes, nous en avons supprimé l’une des deux: la ligne prévu/imprévu fait partie de la liste alors que la ligne imprévu/prévu a été supprimée. À partir de la liste des renvois antonymiques du Grand Robert (2001), nous avons ainsi établi une liste de 1159 lignes148. Chaque ligne est constituée, d’une part, d’un lexème A1 et des dérivés formés sur la même base, A1’, A1’’, et, d’autre part, d’un ou plusieurs lexèmes antonymes, A2, A3 A4, etc., parmi lesquels se trouvent également des dérivés formés

147 Mis à part homme/femme, masculin/féminin, mâle/femelle et garçon/fille que l’on peut considérer comme des antonymes (II, 4.1.2), les opposables de genre ne sont pas répertoriés dans le Grand Robert (2001). 148 Voir Annexes, feuille 1.

V. EXTRACTION DE COPRÉSENCES ANTONYMIQUES

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à partir de ces lexèmes, A2’, A2’’. Chaque ligne de la liste se présente donc comme suit: A1, A1’, A1’’; A2, A2’, A2’’, A3 A4, …

À titre d’illustration, les six premières lignes de cette liste sont reproduites ici.

(3) Nous avons enfin apparié chaque lexème à droite du point-virgule avec chaque lexème à gauche, avant de supprimer les doublons. La liste ainsi obtenue contient 35 116 paires de mots pleins antonymes149 relevant des cinq types d’oppositions antonymiques identifiés dans la Première partie (II, 3.4.3) et appartenant à toutes les parties du discours. Cette structuration a été choisie pour permettre aux outils de traitement automatique (V, 2.2) d’extraire des coprésences des différents appariements possibles pour un même lexème, ainsi que des paires antonymiques hétérocatégorielles. En raison de sa taille, cette liste contient les «bons antonymes», mais aussi des paires non prototypiques. 2.2. Outils d’extraction automatique Trois outils nous ont permis d’extraire automatiquement de nos deux sous-corpus des coprésences des antonymes répertoriés dans notre liste. Le premier de ces outils est un programme d’extraction automatique conçu par Joël Eline. Ce programme a été utilisé pour extraire des données du sous-corpus fourni par le LDI (1987-2006). Il permet, à partir d’un code en PERL (https://www.perl.org/) et en PYTHON (https:// www.python.org/), d’automatiser les requêtes CQP sur ce sous-corpus, ce qui nous a évité d’effectuer manuellement ces requêtes une par une pour toutes les paires de la liste d’antonymes. Pour chaque combinaison possible entre deux lexèmes repris des deux côtés du point-virgule sur la même ligne dans la liste, étiquetée avec l’aide de Treetagger (http:// www.cis.uni-muenchen.de/~schmid/tools/TreeTagger/), le programme de Joël Eline adresse une requête au moteur de recherche CQP associé au corpus et obtient une page html qui contient les 25 premières coprésences 149

Voir Annexes, feuille 2.

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trouvées par le moteur de recherche. À cette page, dans laquelle les coprésences apparaissent avec leur co-texte immédiat, sont associées autant de pages html qu’il y a de résultats pour une requête. Elles contiennent les coprésences antonymiques accompagnées d’un co-texte plus large. L’extraction automatique que permet ce programme utilise un langage procédural, ce qui implique que chaque paire antonymique, A1 A2, fait l’objet de deux requêtes que l’on peut paraphraser comme suit: si tu trouves A1, cherche A2 et si tu trouves A2, cherche A1. En dehors des suppressions évoquées plus haut, nous avons choisi de ne rien modifier à ces renvois. Les doublons présents dans la liste et créés par le caractère procédural du langage des requêtes sont éliminés par le programme qui ne restitue que l’une des pages html contenant les coprésences d’une même paire. Les pages html vides, c’est-à-dire sans résultats, ont également été éliminées pour faciliter la consultation des données. Grâce à l’étiquetage morpho-syntaxique des paires de la liste et des unités du corpus, les pages restantes ont pu être classées en deux catégories: les paires d’antonymes dont les membres appartiennent à la même partie du discours et celles dont les membres n’appartiennent pas à la même partie du discours. Au sein de ces deux catégories, deux sous-catégories ont été prévues: les antonymes dont la coprésence est circonscrite à une seule phrase et les coprésences réparties sur deux phrases contiguës (distance 1 entre les antonymes) identifiables à la présence des séparateurs point, point d’interrogation et point d’exclamation. Les distances supérieures à la distance 1 (distance 2 = antonymes répartis dans deux phrases séparées par une autre phrase, distance 3 = antonymes répartis dans deux phrases séparées par deux autres phrases, etc.) n’ont pas été prises en compte par le programme d’extraction en raison du rapport proportionnel entre la distance qui sépare les antonymes et le risque de bruit150. 150 On peut citer, par exemple, l’énoncé suivant dans lequel absence et présence, très éloignés l’un de l’autre, n’entretiennent pas de relation discursive particulière: «L’annonce, jeudi 2 juin, de la mort de Stéphane Frantz di Rippel confirme ce que policiers, militaires et diplomates français redoutaient, depuis le début, en l’ABSENCE de toute revendication ou demande de rançon. Il est à redouter qu’une pareille nouvelle soit prochainement annoncée concernant les trois autres personnes enlevées. Mercredi soir, le ministère français des affaires étrangères avait indiqué que deux corps retrouvés, la veille, dans la lagune d’Abidjan étaient en cours d’identification. “Les ossements humains ont été récupérés” par les deux équipes d’enquêteurs ivoiriens et français en PRÉSENCE d’un médecin légiste, avait précisé le ministère ivoirien de l’intérieur» (Le Monde 04/06/2011, «La mort de l’un des deux Français enlevés au Novotel d’Abidjan est confirmé», Christophe Châtelot).

V. EXTRACTION DE COPRÉSENCES ANTONYMIQUES

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Deux outils de traitement automatique ont été appliqués au deuxième sous-corpus (2009-2011). Ces deux outils sont le logiciel Trombone conçu par Cyril Briquet et le logiciel Hyperbase (http://ancilla.unice.fr/) conçu par Étienne Brunet à l’Université de Nice Sophia Antipolis. Le logiciel Trombone, non accessible au public actuellement, permet d’indexer des textes et d’y rechercher les coprésences de toutes les formes de deux lemmes à une distance, calculée en nombre de phrases ou en nombre de mots, que l’utilisateur a la liberté de choisir. Le logiciel Hyperbase, très utilisé en lexicométrie, permet de chercher une forme, ses concordances, une expression ou les cooccurrences de deux formes. En raison du fait que la lemmatisation de notre deuxième sous-corpus (2009-2011) n’a pas pu être effectuée avant qu’il ne soit converti au format tbk pour être exploité par Hyperbase, les fonctionnalités de recherche de lemmes et de structures syntaxiques proposées par le logiciel n’ont pu être utilisées. Certains énoncés extraits de nos deux sous-corpus contiennent, outre l’une des paires antonymiques recherchées, un lexème intermédiaire ou neutre par rapport à cette paire (II, 3.3). Ces lexèmes ne figurent pas dans la liste d’antonymes que nous avons soumise à nos outils de traitement automatique en raison du fait qu’ils ne sont pas répertoriés comme opposés par le Grand Robert (2001). Nous les avons identifiés au cas par cas et mis en évidence grâce à des petites majuscules, comme les antonymes. 3. Identifier deux lexèmes coprésents comme des antonymes en contexte Avant de pouvoir décrire les fonctions sémantico-référentielles de la coprésence antonymique en discours, il convient de déterminer si les résultats des requêtes que nos outils de traitement nous ont permis d’appliquer à nos sous-corpus sont tous pertinents pour notre étude, c’est-à-dire s’ils contiennent tous réellement des antonymes coprésents et pas simplement deux formes — reprises dans notre liste d’antonymes — qui ne sont pas employées en contexte dans les conditions sémantiques et morpho-syntaxiques qui définissent la relation antonymique qui a été lexicalisée entre elles. Deux lexèmes polysémiques, qui ne sont antonymes qu’en vertu d’un de leur sens, peuvent ainsi être employés ensemble dans le même contexte dans un autre sens que celui qui fonde leur opposition. De même, deux lexèmes dont les homonymes sont antonymes peuvent être employés ensemble dans le même contexte (II, 2.2.3 et 2.2.4). Pour déterminer le sens de ces lexèmes en contexte, c’est-à-dire

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pour réduire leur polysémie ou leur homonymie et ainsi déterminer s’ils sont antonymes, nous utilisons les facteurs identifiés dans la Première partie (II, 2.2.3) mais aussi la procédure que Robert Martin appelle procédure d’appariement et qui consiste en la superposition du texte lexicographique définitoire d’un lexème et du texte à analyser pour déterminer si le sens de ce lexème lorsqu’il est employé dans le texte à analyser correspond bien au texte lexicographique qui le définit (Martin 2001: 124 sv., 2005: 171-172)151. Cette méthode de paraphrase permet d’identifier parmi les résultats de l’exploitation automatique de notre corpus des énoncés qui ne contiennent pas d’antonymes coprésents et qui ne feront donc pas l’objet de notre étude. Nous citons ici quelques énoncés à titre d’exemple. Nous les avons classés en fonction de quatre paramètres qui déterminent les conditions sémantico-syntaxiques de l’emploi des unités de la langue: l’appartenance catégorielle des lexèmes (V, 3.1), le figement (V, 3.2), la combinatoire des lexèmes (V, 3.3) et la variation diastratique (V, 3.4). 3.1. L’appartenance catégorielle des lexèmes Certains appariements antonymiques sont fondés sur une appartenance catégorielle déterminée. Deux lexèmes, qui peuvent être antonymes à condition qu’ils relèvent tous deux d’une catégorie grammaticale donnée, ne doivent pas être identifiés comme des antonymes coprésents en contexte lorsque l’un des deux n’appartient pas à la catégorie grammaticale dans laquelle il est antonyme de l’autre. Ainsi, droit est antonyme de devoir seulement en tant que substantif et non en tant qu’adjectif. Dans l’exemple a), on ne peut donc pas considérer que droit et devoir sont des antonymes coprésents. De même, dans l’exemple b), on ne peut considérer que courageusement et lâche sont antonymes dans la mesure où courageusement peut être antonyme de l’adjectif lâche mais non du verbe lâcher dont lâche dans cet exemple est la forme de l’indicatif présent à la troisième personne. (a) «Notre société penche dangereusement vers le populisme et sa version médiatique dégénérée, le “pipolisme”, jusqu’à contaminer une partie de la gauche et du centre DROIT. On assiste à un renoncement affligeant du politique à son DEVOIR de pédagogie de la complexité» (Le Monde 11/05/2010, «La méthode Sarkozy dans l’impasse», Denis Muzet).

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Nous utiliserons les définitions du Grand Robert (2001).

V. EXTRACTION DE COPRÉSENCES ANTONYMIQUES

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(b) «Pendant que les Zimbabwéens font la queue pendant des heures pour accéder à des bureaux de vote réduits à peau de chagrin par le président Robert Mugabe pour les empêcher de s’exprimer, pendant que ces citoyens affrontent COURAGEUSEMENT les coups de matraque, sous l’œil d’une armée qui a annoncé qu’elle refusait l’alternance, les coups volent bas entre les deux ‘nominés’ à l’élection présidentielle. Lionel Jospin, dans l’avion qui le ramène de sa visite éclair à la Réunion, LÂCHE: ‘Chirac a perdu beaucoup de son énergie et de sa force. Il est fatigué, vieilli, victime d’une certaine usure dans l’exercice du pouvoir. Il est marqué par une certaine passivité’» (Le Monde 12/03/2002, «Du contrôle de soi», Alain Lompech).

L’extraction d’exemples non pertinents comme a) et b) par nos outils de traitement de corpus est due à la part d’erreurs inhérente à la lemmatisation en ce qui concerne le premier sous-corpus (1987-2006, exemple b) et à l’absence de lemmatisation en ce qui concerne le deuxième souscorpus (2009-2011, exemple a). 3.2. Le figement Parmi les exemples non pertinents pour notre étude, citons les coprésences d’une unité lexicale simple A et d’une séquence plus ou moins figée dont un élément constitutif est un lexème qui, en tant qu’unité simple, est antonyme de A, comme c’est le cas dans l’exemple suivant, dans lequel il n’y a pas d’antonymie entre fort et faible: (a) «Ce ‘miracle italien’ étonne alors que le gouvernement, au plus FORT de la crise, n’a activé aucun plan de relance, se montrant confiant dans la bonne tenue des banques et le FAIBLE endettement des Italiens» (Le Monde 15/05/2010, «En dépit d’une croissance robuste au premier trimestre, l’Italie envisage de couper dans les dépenses publiques», Philippe Ridet).

Contrairement à cet énoncé, dans lequel fort et faible ne peuvent être considérés comme des antonymes parce que fort n’est pas employé comme une unité simple, dans l’exemple suivant, économiser et jeter ne peuvent être considérés comme des antonymes parce que jeter n’est pas employé dans la bonne séquence figée. En effet, le verbe économiser est antonyme de la séquence figée jeter l’argent par les fenêtres et non de la séquence figée jeter les bases, où jeter est un verbe support. (b) «Outre la volonté de répondre d’abord à la demande sociale plutôt qu’à celle des élus, le souci de «ménager le territoire» et de JETER les bases d’un développement durable dans les régions, en privilégiant les stratégies de long terme et en ÉCONOMISANT les ressources naturelles, sera le principe fondateur des schémas de services collectifs» (Le Monde 19/04/1998, «Dominique Voynet veut privilégier les villes, les régions et les services», Jean-Paul Besset).

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3.3. La combinatoire des lexèmes Une différence combinatoire entre deux lexèmes prédicatifs, quand cette différence se manifeste par l’appartenance de leurs arguments à une classe d’objets différente (II, 2.2.3), est un indice majeur de l’absence d’antonymie entre ces lexèmes dans l’emploi en l’occurrence. Ainsi l’adjectif sourd s’oppose à entendant lorsque leur unique argument appartient à la classe d’objets et s’oppose à sonore lorsque leur argument appartient à la classe d’objets (gifle sourde/sonore) ou à la classe qui regroupe (consonne sourde/sonore), (mugissement sourd/sonore), (grincement sourd/sonore) ou (gémissement sourd/sonore), notamment. L’analyse de la combinatoire des adjectifs sourd et sonore fournit trois indices qui permettent de considérer l’énoncé (a), ci-dessous, comme non pertinent pour notre étude en raison du fait que la paire sourd/sonore qui y est employée n’est pas une paire d’antonymes: (1) l’adjectif sourd a deux arguments et non un seul; (2) le premier argument de sourd appartient à la classe d’objets , ce qui n’est pas le cas du premier argument de sonore; (3) les lexèmes sourd et sonore ne peuvent se substituer l’un à l’autre dans cet énoncé (voir Deese 1965). À ces trois indices, on peut en ajouter un quatrième qui réside dans la différence des paraphrases possibles pour sourdes et sonores: l’adjectif sonores, employé pour qualifier le substantif nuisances auquel il est souvent associé, peut être remplacé par «qui sont dues au son» alors que l’adjectif sourdes peut être remplacé par «insensibles». Dans cet emploi, sonore n’a pas d’antonyme alors que sourd s’oppose à ouvert, réceptif ou sensible. (a) «Les forces de l’ordre seraient-elles devenues SOURDES à la musique en plein air? Les riverains se seraient-ils plaints de nuisances SONORES?» (Le Monde 31/07/2010, «Pas de deux sur un quai de Seine», Plana Radenovic).

De même, les substantifs élévation et dépression sont antonymes lorsque leur argument appartient à la classe . Dans l’énoncé (b), la paire élévation/dépressions ne peut être considérée comme une paire d’antonymes parce que l’argument de élévation appartient à la classe alors que l’argument, non exprimé, de dépressions appartient à la classe . Dans cet exemple, dépressions peut être remplacé par «états mentaux pathologiques caractérisés par de la lassitude, du découragement, de la faiblesse, de l’anxiété, de l’angoisse» et non par «abaissements, enfoncements (produits par une pression de haut en bas ou par une autre cause)». Le substantif dépression s’oppose à élévation dans ce deuxième emploi seulement.

V. EXTRACTION DE COPRÉSENCES ANTONYMIQUES

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(b) «L’ÉLÉVATION du cortisol est un signe très présent dans les DÉPRESSIONS et est mis en cause dans les difficultés de concentration et les pertes de mémoire caractéristiques de ces affections» (Le Monde 29/05/2001, «Selon une étude, les décalages horaires fréquents ont des répercussions sur l’organisme», Élisabeth Bursaux).

Le fait que les arguments des deux lexèmes prédicatifs, antonymes dans certains de leurs emplois, appartiennent à des classes d’objets différentes peut être indiqué par une construction syntaxique partiellement ou totalement différente comme c’est le cas dans les exemples (c) et (d) ci-dessous. Dans l’énoncé (c), le schéma argumental du verbe pronominal s’acquitter qui signifie «payer sa dette» peut être noté s’acquitter (, ) alors que le schéma argumental de condamner qui signifie «frapper (qqn) d’une peine, faire subir une punition à (qqn), par un jugement» peut être noté condamner (, , ). Le verbe condamner (, , ) est antonyme du verbe non pronominal acquitter (, , ) et non du pronominal s’acquitter dont le schéma argumental est différent. Le verbe s’acquitter peut ainsi être classé dans la catégorie des verbes pronominaux autonomes qui regroupe «les verbes pronominaux qui apparaissent également dans des constructions non pronominales mais avec un sens lexical différent et éventuellement une autre construction (p. ex., tromper quelqu’un et se tromper / se tromper d’étage)» (Riegel et al. 1994: 464). (c) «Paul Natali devra S’ACQUITTER d’un retard de 8,7 millions de francs d’impôts sur les sociétés et sera CONDAMNÉ à quinze mois d’emprisonnement avec sursis et 150 000 francs d’amende» (Le Monde 7/04/1998, «Paul Natali, l’autodidacte devenu l’un des plus puissants patrons de l’île», Michel Codaccioni).

Dans l’énoncé (d), ce sont les constructions prépositionnelles des deux verbes qui sont l’indice de l’absence d’antonymie entre eux. En effet, les verbes arriver à (, ), synonyme de aboutir à, et partir dans (, ) ne sont pas antonymes, contrairement à arriver en/à ( ou , ) et partir de ( ou , ). (d) «Nous sommes ARRIVÉS à la conclusion que sa situation — condamnée à mort, croupissant dans une cellule, sa famille en danger et menacée — ne pouvait empirer et nous sommes donc PARTIS dans l’aventure du livre» (Le Monde 01/06/2011, «Asia Bibi, chrétienne du Pakistan, condamnée à mort pour blasphème», Propos recueillis d’Asia Bibi par Mathilde Gérard).

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Dans l’exemple (e), ce n’est pas le caractère pronominal du verbe s’élever qui indique l’absence d’antonymie avec détruire mais sa construction prépositionnelle (avec à) comme dans l’exemple précédent. Le verbe s’élever à requiert un deuxième argument qui appartient à la classe , ce qui n’est pas le cas de détruire. Les verbes détruire et (s’)élever, lorsqu’ils sont employés tous les deux dans une construction active ou passive, ou lorsque s’élever est employé dans une construction pronominale passive dans laquelle l’agent n’est pas exprimé (Riegel et al. 1994: 460-462), s’opposent en vertu d’un même schéma argumental: P(, ), comme l’indiquent les exemples (e’) et (e’’). (e) «Du côté militaire israélien, on confirme que le nombre de maisons DÉTRUITES S’ÉLÈVE à environ soixante-dix» (Le Monde 17/07/1988, «Les nouveaux réfugiés palestiniens de l’‘intifada’», s.a.). (e’) «Sur l’emplacement d’une ancienne église, DÉTRUITE par les bombardements, allait S’ÉLEVER le Palais du travail, remplacé en 1982 par le Palais des études du peuple avec ses toits recourbés aux extrémités dans le style traditionnel et recouverts de tuiles vernissées vertes» (Le Monde 01/07/1989, «Pyongyang capitale du ‘Grand Leader’», Philippe Pons). (e’’) «Le bureau de l’office avait «pris acte avec stupéfaction et indignation» de la décision préfectorale fondée sur l’absence de permis de construire et l’interdiction de construire à l’intérieur de la bande littorale des cent mètres. Or, la base scientifique a été installée dans un petit bâtiment DÉTRUIT en 1991 par un plastiquage et réhabilité pour les besoins de la cause, bâtiment qui avait été ÉLEVÉ avant la promulgation de la loi Littoral» (Le Monde 04/08/1998, «Polémique en Corse autour de la base marine du futur parc marin des bouches de Bonifacio», Paul Silvani).

Lorsque l’un des deux lexèmes coprésents, qui peuvent être antonymes dans certains emplois, n’est pas un lexème prédicatif, les schémas argumentaux de ces lexèmes ne peuvent être comparés et fournir un critère pour déterminer si les lexèmes coprésents sont ou non des antonymes. Le fait que l’un des lexèmes coprésents soit un prédicat et l’autre pas est toutefois une indication certaine de l’absence d’antonymie entre eux, ce que confirme la paraphrase. Ainsi, dans (f), le substantif détente peut être remplacé par «manette qui commande l’ouverture et la fermeture du pistolet (d’un distributeur d’essence ou d’un vaporisateur)», par analogie avec son sens premier «pièce (d’une arme à feu) qui sert à faire partir le coup». Dans cet emploi, il n’a pas d’antonyme. Il s’oppose à effort lorsqu’il signifie «relâchement d’une tension intellectuelle, morale; état qui en résulte».

V. EXTRACTION DE COPRÉSENCES ANTONYMIQUES

(f)

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«Une pression répétée de l’index sur la DÉTENTE d’un vaporisateur ne demande guère plus d’EFFORT qu’une pression continue du pouce sur une bombe à gaz propulseur!» (Le Monde 28/02/1995, «Intégrisme écologiste», Roger Cans).

De même, dans l’exemple (g), le substantif accessoire peut être remplacé par «ce qui constitue un complément nécessaire ou utile pour l’usage commode d’un objet (en particulier, d’un objet manufacturé complexe: véhicule, machine, mécanisme)» alors que le substantif prédicatif essentiel peut être remplacé par «ce qu’il y a de plus important». Le substantif essentiel a pour antonyme accessoire dans le sens «ce qui s’ajoute comme un accompagnement, une suite ou une dépendance, à la chose principale». (g) «La réflexion sémantique à laquelle le soumet son chef nous vaut un final digne de Ionesco, séance d’humiliation et de philosophie morale. Le Littré local devient l’ACCESSOIRE homérique d’un film fait avec presque rien, sauf l’ESSENTIEL: l’art de vivre ensemble et d’en communiquer les règles» (Le Monde 19/05/2010, «Le policier, la morale et la sémantique», Jean-Luc Douin).

3.4. La variation diastratique Un appariement antonymique peut également être limité à une variété sociolectale seulement (un registre ou une terminologie par exemple). Ainsi, drôlement s’oppose à légèrement lorsqu’il est employé dans le langage familier comme synonyme de très, extrêmement. Dans l’exemple suivant, drôlement est employé dans le sens courant de «d’une manière bizarre» et n’entretient donc pas de relation d’antonymie avec légèrement qui signifie «un peu, à peine». (a) «Parmi les vedettes, les étoiles du cinéma, vous êtes une constellation à vous tout seul, le nec plus ultra», lui dit DRÔLEMENT, dans le film, le serviteur qui l’accueille dans le château de Monsieur Cinéma. La «constellation à lui tout seul» n’avait pas l’air ravi de cette façon LÉGÈREMENT désinvolte de lui faire jouer cette parodie de lui-même» (Le Monde 22/03/1996, «Le cercle de Delon», Agathe Logeart).

Dans les deux exemples suivants, la paire acide/basique n’est pas utilisée dans le même contexte. Dans le premier énoncé, acides et basiques sont employés comme termes de chimie et sont antonymes alors que dans le deuxième énoncé, basique est un anglicisme qui signifie «fondamental» et qui n’est pas l’antonyme de acide qui, lorsqu’il qualifie une musique dans le langage musical, signifie «où dominent les notes aiguës».

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(b) «Celui des revêtements intérieurs des boîtes métalliques est plus compliqué, le BPA possédant de grandes qualités de souplesse, d’étanchéité et de protection contre la corrosion pour une large gamme d’aliments, ACIDES (comme les tomates) ou BASIQUES» (Le Monde 7/10/2011, «Quels substituts au bisphénol A, bientôt interdit dans le secteur alimentaire?», Pierre Le Hir). (c) «Guitares serrées, rythmique BASIQUE et surtout l’omniprésence de l’orgue Farfisa de Clint Boon, tantôt tournoyant et psychédélique, tantôt ACIDE et percussif, répétant le même accord avec cette persistance extatique qui faisait déjà la grandeur imbécile du 96 Tears de Question Mark and the Mysterians en 1966» (Le Monde 17/03/1994, «Arts et spectacles. Disques rock. Inspiral Carpets», Stéphane Davet).

4. Cadre d’analyse des coprésences antonymiques Après avoir décrit les quatre paramètres qui permettent d’identifier deux lexèmes coprésents comme des antonymes, nous pouvons maintenant définir le cadre théorique en regard duquel nous avons analysé l’interaction entre les antonymes coprésents et leur co-texte. 4.1. Les antonymes comme lexèmes prédicatifs Pour pouvoir analyser les relations entre les antonymes et le co-texte dans lequel ils sont employés en coprésence, la description de leur combinatoire est essentielle. Cette combinatoire fait partie du sens des unités lexicales antonymes comme de toute autre unité de la langue (II, 2.2.3). Ce postulat fonde l’approche sémantico-syntaxique du lexique développée au laboratoire Lexiques, dictionnaires, informatique (LDI) par Sfar (2010), Mejri (2011) et Gross (2012), notamment. Selon cette approche, les lexèmes peuvent être répartis en catégories en regard des trois fonctions primaires que leur combinatoire leur permet d’exercer. Ces fonctions sont appelées fonction prédicative, fonction argumentale et fonction d’actualisation. Elles sont dites primaires parce que les composantes qui les exercent sont essentielles à la constitution de toute phrase: «[…] pour qu’il y ait phrase (énoncé), il faut qu’il y ait une relation entre des entités, inscrite dans le temps» (Mejri 2011: 10). La plupart des lexèmes sont des lexèmes prédicatifs ou prédicats, qui peuvent exercer une fonction prédicative parce que leur combinatoire présuppose l’existence d’autres lexèmes, les arguments, dont leur signification dépend. À la suite de Harris (1976), Gross définit un lexème

V. EXTRACTION DE COPRÉSENCES ANTONYMIQUES

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prédicatif comme «un mot qui opère une sélection déterminée parmi les mots du lexique pour établir avec eux un schéma formant la base d’une assertion» (Gross 2012: 13). Les lexèmes prédicatifs peuvent être des verbes comme respecter dans Cet homme respecte les autres (ibid.: 17), des substantifs comme respect dans Cet homme a le respect des autres (ibid.), des adjectifs comme respectueux dans Cet homme est respectueux des autres (ibid.: 18), des prépositions comme contre dans Cet homme est contre les autres (ibid.) ou des adverbes comme sérieusement dans Paul travaille sérieusement (ibid.: 287). Les adverbes prédicatifs et les prépositions sont généralement des prédicats dits du second ordre car ils ont une incidence sur d’autres prédicats (ibid.). Les lexèmes prédicatifs peuvent par ailleurs être sélectionnés par d’autres lexèmes prédicatifs pour exercer une fonction argumentale par rapport à eux. Dans Respecter les autres est important et dans Le respect est essentiel, respecter et respect exercent une fonction argumentale par rapport à important et essentiel qui exercent une fonction prédicative. À côté des lexèmes prédicatifs, Gross identifie des substantifs qui ne peuvent exercer qu’une fonction argumentale. Ces substantifs, appelés substantifs élémentaires, sont des lexèmes qui ne peuvent opérer une sélection parmi les mots du lexique, même s’ils peuvent eux-mêmes être sélectionnés par un prédicat (ibid.: 22). Les substantifs élémentaires sont des lexèmes qui réfèrent à des objets concrets comme caillou, voiture ou arbre (ibid.: 22 et 100). C’est le cas également des adjectifs de relation comme postal, ministériel ou pétrolier qui exercent toujours une fonction argumentale comme dans le syntagme la production pétrolière française, dans lequel française et pétrolière sont les deux arguments du prédicat production (ibid.: 24). Les lexèmes de la troisième catégorie peuvent exercer une fonction d’actualisation. Selon Mejri, l’actualisation «assure la bonne formation de la phrase en y ajoutant à la fois l’ordre des mots (cf. la notion de linéarisation) et toutes les catégories nécessaires au passage de l’existence virtuelle de la relation prédicative à son existence actuelle, c’est-àdire celle qui est prise en charge par un locuteur qui l’inscrit dans le temps et l’espace» (Mejri 2011: 10-11). Les lexèmes qui peuvent exercer une fonction d’actualisation sont notamment les verbes employés comme verbes supports dans des séquences figées, par exemple dans Paul a donné une gifle à Jean où le prédicat, c’est-à-dire le lexème qui sélectionne les arguments, n’est pas donner mais gifle (Gross 2012: 157). Gross compare l’emploi du verbe donner dans cette phrase et dans Paul a donné un bonbon à Jean où il est employé comme verbe pleinement

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prédicatif et non comme simple verbe support. Cette comparaison permet à Gross d’illustrer les critères d’identification des verbes supports (ibid.)152: (i)

(ii)

(iii)

(iv)

(v)

le déterminant du substantif prédicatif gifle est soumis à de fortes contraintes alors que ce n’est pas le cas du substantif argument bonbon: Paul lui a donné le bonbon et non *Paul lui a donné la gifle, Paul lui a donné notre bonbon et non *Paul lui a donné notre gifle; l’interrogation en que ne peut porter sur le complément d’un verbe support: Qu’est-ce que Paul lui a donné? Un bonbon et non *Une gifle; les verbes supports n’ont pas de forme nominale en tant qu’actualisateurs: Paul lui a fait don d’un bonbon et non *Paul lui a fait don d’une gifle; le verbe support peut être effacé pour former une phrase nominale où seule manque l’actualisation: la gifle de Paul à Jean et non *le bonbon de Paul à Jean. ce n’est pas le verbe support, mais le substantif qu’il actualise, qui détermine les propriétés sémantico-syntaxiques de ses arguments (Gross ‒ Prandi 2004: 71-73).

Dans les phrases qui précèdent, l’auxiliaire avoir exerce également une fonction d’actualisation. Peuvent également exercer cette fonction les adverbes qui indiquent le temps ou l’aspect comme demain dans J’arrive demain ou souvent dans Il vient souvent chez nous (ibid.: 288). Ces adverbes peuvent également être employés comme arguments par exemple dans Demain est un autre jour. Comme on le voit dans les exemples ci-dessus, l’intérêt de la distinction entre fonctions prédicative, argumentale et d’actualisation est double: (1) Elle ne se superpose pas aux parties du discours: verbes, substantifs, adverbes et adjectifs peuvent en théorie exercer chacune des trois fonctions. (2) Elle met en évidence des affinités entre parties du discours et fonctions: les verbes sont pour l’essentiel employés comme prédicats, mais peuvent jouer un rôle d’actualisation lorsqu’ils ne sont que supports, les adverbes temporels sont le plus souvent employés comme actualisateurs, etc. Ces affinités n’impliquent toutefois pas que les catégories lexicales 152

Voir également l’ouvrage de Gross ‒ Prandi (2004).

V. EXTRACTION DE COPRÉSENCES ANTONYMIQUES

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qu’elles permettent de définir soient exclusives: si les substantifs identifiés comme élémentaires ne peuvent exercer qu’une fonction argumentale, des substantifs peuvent aussi être employés comme prédicats ou actualisateurs; un adverbe temporel qui apparait souvent comme actualisateur peut aussi être employé comme argument, etc. On constate par ailleurs que les lexèmes qui entrent dans des paires antonymiques, qu’ils soient adjectifs, verbes, substantifs ou adverbes, sont très majoritairement des lexèmes prédicatifs153. Cette constation s’impose logiquement dans la mesure où, comme nous l’avons dit dans l’introduction, les substantifs à référent concret — dont l’ensemble recoupe presque entièrement celui des substantifs élémentaires — n’ont pas d’antonymes. À l’exception de rares paires de substantifs élémentaires comme jour/nuit ou fiction/réalité et des adverbes temporels qui sont principalement des actualisateurs, tous les antonymes peuvent donc être employés comme prédicats ou comme arguments. 4.2. Analyse des relations prédicats-arguments Pour décrire les emplois des antonymes dans chacune des trois fonctions primaires, nous devons préciser les modalités de description des phrases simples et complexes (V, 4.2.1) ainsi que les critères de détermination de la position de chaque argument par rapport au prédicat qui le sélectionne (V, 4.2.2). 4.2.1. Structures simples et complexes Une phrase simple peut être définie comme l’ensemble que forment un prédicat et ses arguments, noté Prédicat (arg1, arg2, arg3, …) (Gross 2012: 14 et 345). Comme ce sont les coprésences antonymiques qui sont l’objet de notre étude discursive de l’antonymie, les phrases simples concernées par notre recherche sont des phrases dans lesquelles les antonymes sont des substantifs élémentaires qui exercent une fonction argumentale par rapport au même prédicat comme c’est le cas dans le titre d’un roman de Yasmina Khadra en 2008, Ce que le jour doit à la nuit.

153 Les prépositions opposées sont également des prédicats. Les paires de prépositions sont des paires de conversifs susceptibles d’être employées comme des antonymes dans certains cas (II, 4.1.1). Nous ne les envisagerons pas dans le cadre de cette étude qui porte sur les antonymes dont l’opposition relève de l’un des cinq types identifiés (II, 3.4.3).

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Compte tenu de la nature prédicative de la plupart des antonymes, l’essentiel de notre étude portera sur des phrases contenant plusieurs prédicats. Parmi ce type de phrases, certaines sont traditionnellement considérées comme des phrases complexes (Les chiens aboient, la caravane passe), d’autres pas (Paul a hérité cette vieille commode de son oncle) (Riegel et al. 1994: 392 et 781). Dans ce dernier cas, un prédicat est intégré dans le schéma argumental d’un autre prédicat: hériter (Paul, vieille (commode), oncle). Ce phénomène porte le nom d’enchâssement ou de récursivité (Gross 2012: 13). Le prédicat qui a un autre prédicat pour argument est le centre d’une phrase qui est dite enchâssante alors que le prédicat qui est argument d’un autre prédicat est le centre d’une phrase enchâssée (ibid.). Le même phénomène d’enchâssement peut être décrit dans des phrases complexes canoniques, comme celle-ci, forgée à partir de l’exemple de Riegel et al. et fondée sur la juxtaposition de deux propositions avec ellipse des constituants identiques: Paul a hérité de son oncle une VIEILLE commode et un fauteuil NEUF. Notre analyse des coprésences antonymiques porte principalement sur les schémas prédicatifs dans lesquels les antonymes sont impliqués, et sur leur relation avec leur(s) argument(s) (commode, fauteuil) et avec le(s) prédicat(s) dont ils dépendent directement ou indirectement (hériter). La distinction traditionnelle entre phrases simples et phrases complexes ne permet pas de rendre compte de l’enchâssement de ces schémas prédicatifs. Nous avons donc choisi de distinguer les structures à prédicats multiples (ci-après SPM), par opposition aux structures à prédicat unique (ci-après SPU). Dans notre exemple, les antonymes coprésents font partie de deux SPU intégrées dans deux SPM coordonnées construites autour du même prédicat hériter. 4.2.2. Schémas prédicatifs Au sein de chacun de ces types de structures prédicatives, pour décrire précisément les relations de chacun des antonymes coprésents avec les éléments de leur co-texte et pouvoir comparer ces relations, il nous faut pouvoir assigner une position aux deux antonymes par rapport aux prédicats qui les sélectionnent ainsi qu’aux arguments des prédicats antonymes, autrement dit il s’agit de déterminer quels arguments correspondent aux positions arg1, arg2 ou arg3 dans le schéma prédicatif P(arg1, arg2, arg3). En ce qui concerne les adjectifs et les adverbes prédicatifs qui n’ont en général qu’un seul argument, la question ne se pose pas. Il en est de

V. EXTRACTION DE COPRÉSENCES ANTONYMIQUES

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même pour les substantifs prédicatifs dérivés d’adjectifs et pour les verbes prédicatifs qui n’ont qu’un argument comme augmenter ou diminuer dans La vitesse augmente/diminue. En ce qui concerne les substantifs et les adjectifs prédicatifs dérivés de verbes ainsi que les prédicats verbaux, on peut considérer, à la suite de Gross, que le premier argument (arg1 est celui qui a la fonction syntaxique de sujet (Gross 2012: 34). Il faut cependant apporter deux précisions. (1) Un sujet apparent ne peut être considéré comme un argument. Ainsi dans la phrase Au concert d’hier soir, il pleuvait des tomates, le seul argument du prédicat pleuvoir qui a le sens de «affluer, arriver en abondance» (Grand Robert 2001) est tomates. (2) Dans une construction passive, c’est le complément d’agent qui doit être considéré comme le premier argument. Les phrases Jean a frappé Marie et Marie a été frappée par Jean ont donc le même schéma prédicatif frapper (Jean, Marie). Le schéma frapper (Marie, Jean) correspond aux phrases Marie a frappé Jean et Jean a été frappé par Marie. Le deuxième argument (arg2) est celui qui a la fonction syntaxique d’objet (Gross 2012: 34). À nouveau, deux précisions doivent être apportées. (1) Lorsqu’un verbe possède un complément d’objet direct et un complément d’objet indirect, le lexème qui exerce la fonction de complément d’objet direct est le deuxième argument du prédicat verbal alors que le lexème qui exerce la fonction de complément d’objet indirect est le troisième argument du prédicat verbal (arg3). Ainsi, la phrase Jean donne des fleurs à Marie correspond au schéma prédicatif donner (Jean, fleurs, Marie). (2) Le pronom qui participe à la construction réfléchie ou réciproque des verbes prédicatifs pronominaux peut être le deuxième argument du verbe prédicatif comme dans Jean se soigne au whisky et Ils se détestent cordialement ou le troisième argument de ce prédicat comme dans Il s’est accordé un mois de vacances ou Pierre et Jean se serrent la main (Riegel et al. 1994: 457-458). Dans les constructions pronominales passives, le sujet apparent et l’objet pronominal du verbe prédicatif peuvent être considérés comme les deuxièmes arguments co-référents du prédicat, le premier argument n’étant pas exprimé. C’est le cas dans une phrase comme Les feuilles mortes se ramassent à la pelle (ibid.: 460-461). En ce qui concerne les verbes essentiellement pronominaux, c’est-à-dire les verbes qui n’ont pas de forme simple non pronominale (Il s’évanouit), et les constructions pronominales dites neutres auxquelles

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ne correspond pas de construction passive (Une occasion s’est présentée), on considère que le pronom est «une sorte de particule préfixée au verbe et qui redouble automatiquement le sujet», cette particule est une partie de la forme lexicale du verbe (ibid.: 462-463). La détermination de la position de chaque argument des différents prédicats d’une phrase complexe va permettre de comparer le schéma argumental de deux prédicats antonymes ou des prédicats dont ils sont les arguments. Ainsi au sein d’une structure à prédicats multiples dans laquelle les antonymes sont coprésents comme Jean construit plusieurs châteaux puis Paul les détruit, la schématisation de la proposition Jean construit plusieurs châteaux, construire (Jean, châteaux), sert de base à la comparaison du schéma argumental de construire avec celui de son antonyme, détruire, dans la proposition Paul les détruit, détruire (Paul, les). 4.2.3. Représentation schématique des coprésences Dans le chapitre VI, nous analyserons des énoncés qui attestent des structures sémantiques et syntaxiques dans lesquelles deux antonymes coprésents exercent différentes fonctions sémantico-référentielles. Ces analyses seront accompagnées de schémas centrés sur la relation des antonymes entre eux et avec les éléments de leur co-texte. La représentation de ces relations est organisée en fonction de la structure prédicative et de la structure syntaxique de surface dans lesquelles les antonymes sont employés. Cette représentation dépendancielle permet de prendre pleinement en compte la nature prédicative de la majorité des lexèmes antonymes et de mettre en lumière les mécanismes de translation, au sens tesniérien du terme, qui sous-tendent les coprésences antonymiques hétérocatégorielles. Ces représentations schématiques prendrond la forme illustrée ci-dessous. Au fil des analyses, des informations supplémentaires pourront s’ajouter à ce schéma type (Fig. 7). Ce schéma permet notamment de représenter la phrase: Si la loi n’est pas favorable au service public, elle est plus défavorable encore aux chaînes privées. Nous avons choisi de schématiser la structure d’accueil de la coprésence antonymique de manière à mettre en parallèle les structures prédicatives qui contiennent chacun des membres d’une paire d’antonymes. La structure syntaxique des énoncés, lorsqu’elle risque d’alourdir la schématisation et de la rendre moins claire, fera l’objet d’un commentaire

V. EXTRACTION DE COPRÉSENCES ANTONYMIQUES

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Fig. 7

écrit. La structure prédicative des coprésences antonymiques est toujours composée d’un prédicat, éventuellement nié (¬) ou utilisé avec un adverbe comparatif (+ - =)154, et de ses arguments. Les simples flèches indiquent les relations prédicatives, des prédicats vers leur(s) argument(s). Lorsqu’un prédicat a plus d’un argument, ceux-ci sont numérotés. La double flèche indique la relation d’antonymie entre deux lexèmes. Le symbole = indique la co-référence de deux lexèmes et le symbole // leur quasi-synonymie dans le contexte d’emploi particulier à l’énoncé analysé. L’arc de cercle signale la présence d’une séquence figée. Au fil du développement, d’autres symboles s’ajouteront à la représentation schématique. Leur signification sera précisée lors de leur première apparition. La liste complète des abréviations et symboles utilisés figure au début de l’ouvrage. 4.3. Critères de distinction entre simple mise en relation et double mise en relation Après avoir écarté les énoncés non pertinents pour notre étude et précisé notre cadre d’analyse des relations prédicats-arguments (V, 4.1 et 4.2), nous allons décrire, dans le chapitre VI, les fonctions sémanticoréférentielles que les antonymes coprésents exercent dans les énoncés que nous avons considérés comme pertinents parce qu’ils contiennent deux antonymes lexicalisés employés dans le contexte sémantique et morpho-syntaxique dans lequel leur antonymie est définie. Ces énoncés 154 Dans la suite, les autres modulateurs adverbiaux comme trop ou peu seront également indiqués en exposant avant le lexème auquel ils se rapportent.

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peuvent être classés en deux groupes: les énoncés dans lesquels les antonymes participent à une simple mise en relation et les énoncés dans lesquels les antonymes participent à une double mise en relation. Dans la Première partie (III, 2.1.3), à partir de l’analyse des éléments définitoires de l’antonymie ancillaire telle que décrite par Jones (2002) et des exemples qu’il cite, nous avons défini la double mise en relation comme le phénomène par lequel la mise en relation de deux antonymes (paire A) renforce ou crée une mise en relation, souvent contrastive, entre deux lexèmes ou syntagmes (paire B). Les cas où la coprésence antonymique participe à une double mise en relation, qui constituent l’objet principal de cette Deuxième partie (VI, 2 à 4), doivent être distingués des autres cas de coprésence antonymique dans lesquels aucune paire B ne peut être identifiée. Nous dirons, dans ces cas, que les antonymes coprésents participent à une simple mise en relation, la leur. Pour établir le critère d’identification d’une paire B, analysons maintenant deux énoncés qui contiennent une paire d’antonymes. (1) «Sa HAINE des femmes devint aussi légendaire que son AMOUR pour les chiens: il appela son caniche Atma (les brahmanes désignent ainsi l’âme du monde), mais les habitants de la bonne ville de Francfort, où il mourut à l’âge de soixante-douze ans, le surnommaient Schopenhauer Junior» (Le Monde 19/08/1988, «Portrait d’Arthur Schopenhauer, le rentier du pessimisme», Roland Jaccard).

Fig. 8 (2) «Tout EN RIANT et PLEURANT avec les héros, nous plongeons dans la vie quotidienne d’un hameau — avec sa maîtresse d’école, son médecin, son diacre, ses religieuses, ses bachi-bouzouks —, vivant ses dernières heures» (Monde 07/09/2007, «Ivan Vazov, naissance d’une nation», Marie Zawisza).

Fig. 9

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Au vu de ces énoncés, le critère d’identification d’une paire B peut être défini comme suit: dans un énoncé où deux antonymes sont coprésents, il y a une paire B si les antonymes exercent, directement ou indirectement (i.e. par le biais d’une relation de dépendance avec un autre prédicat), une fonction prédicative, argumentale ou d’actualisation, de même rang, par rapport à des lexèmes ou syntagmes différents. Selon ce critère, la paire B femmes/chiens peut être identifiée clairement dans l’énoncé (1), ci-dessus. Dans l’énoncé (2), à l’inverse, les lexèmes prédicatifs antonymes ont le même argument, nous. Les actions dénotées par ces verbes sont accomplies par le même groupe de personnes. Aucune paire B ne peut donc être identifiée. L’application de ce critère d’identification est plus délicate dans l’énoncé ci-dessous. (3) «Confortable pour un film plutôt documentaire, qui renvoie à la vie, aux photos et aux films de Depardon, qui mêle des images ANCIENNES et RÉCENTES, ANIMÉES et FIXES» (Le Monde 14/05/2011, «Raymond Depardon tourne un film à Cannes», Michel Guerrin).

Dans cet énoncé, les membres des deux paires d’adjectifs antonymes semblent avoir le même argument, images. Or, il est important de remarquer que, en raison de la présence des antonymes prédicatifs, images en tant qu’argument de ancien (ou animé) ne peut désigner les mêmes référents que images en tant qu’argument de récent (ou fixe). Nous dirons que la seule occurrence du lexème images ne renvoie pas à la même classe référentielle lorsqu’il instancie la position argumentale de chacun des deux prédicats antonymes. Dans nos schémas, nous indiquerons cette différence référentielle par le symbole — entre deux о, qui représentent chacune des deux instanciations du lexème images comme argument des antonymes prédicatifs. Dans ce cas, contrairement à l’énoncé (2), on peut considérer qu’il y a bel et bien une paire B. Dans un énoncé comme (3), nous dirons que les antonymes exercent une fonction de sous-classement, au service de l’expression d’une totalité (VI, 3).

Fig. 10

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Compte tenu de cet énoncé, le critère d’identification de la paire B peut être reformulé comme suit: dans un énoncé où deux antonymes sont coprésents, il y a une paire B si les antonymes exercent, directement ou indirectement, une fonction prédicative, argumentale ou d’actualisation, de même rang, par rapport à des lexèmes ou syntagmes qui désignent des référents différents.

VI. FONCTIONS SÉMANTICO-RÉFÉRENTIELLES DE L’ANTONYMIE EN DISCOURS

Après avoir établi le critère de distinction entre simple et double mise en relation (V, 4.3), nous allons à présent définir les fonctions de la coprésence antonymique lorsqu’elle participe à une simple mise en relation (VI, 1) et les fonctions de la coprésence antonymique dans une double mise en relation (VI, 2 à 4).

1. Simple mise en relation Lorsqu’ils participent à une simple mise en relation, les antonymes peuvent exercer quatre fonctions sémantico-référentielles différentes: fonction d’expression de l’exhaustivité (VI, 1.2), fonction de reclassement (VI, 1.3), fonction d’anaphore (VI, 1.4) et fonction de définition (VI, 1.5). Nous allons les présenter après avoir envisagé le cas où les antonymes coprésents n’exercent pas de fonction particulière (VI, 1.1). La définition de ces fonctions s’appuie sur la description des structures sémantico-syntaxiques qui sous-tendent la simple mise en relation. Pour plus de clarté, nous avons formalisé chacune de ces structures dans un encadré. Dans ces formules, A1/A2 sont les membres de la paire d’antonymes, P un prédicat et C un lexème-argument. Lorsque les antonymes sont employés dans deux structures différentes, qu’il s’agisse de structures à prédicat unique (SPU) ou de structures à prédicats multiples (SPM), nous avons considéré par convention que ces structures sont juxtaposées et reliées par un point. Dans les énoncés que nous avons analysés, ces structures peuvent être juxtaposées, reliées par d’autres signes de ponctuation, coordonnées ou subordonnées l’une à l’autre. 1.1. Antonymes arguments d’un même prédicat P[A1(C), A2(C)]: A1 et A2 sont des substantifs, arguments de rang différent d’un même prédicat. Si les antonymes exercent également une fonction prédicative, ils ont tous leurs arguments en commun.

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(4) «Pour Marion Bartoli, un MOUVEMENT ne naît jamais de l’IMMOBILITÉ» (Le Monde 03/06/2011, «Le théorème du corps», André Scala). (5) «On répondra que les personnes choquées par les images new-yorkaises font au moins la différence entre le RÉEL et le VIRTUEL» (Le Monde 22/05/2011, «Paris - New York, New York – Paris», Max Vincent). (6) «‘Le chef de file de l’UMP sur ce dossier a jugé le principe d’INTERDICTION avec dérogations “plus facilement contrôlable’ que le régime d’AUTORISATION sous conditions ‘aux contours flous’» (Le Monde 01/06/2011, «Recherche sur l’embryon: les députés restaurent le principe de l’interdiction avec dérogations», Patrick Roger). (7) «Mais une autre raison, beaucoup plus décisive, pourrait expliquer que l’ABSENCE de la France [à l’entrevue entre James Baker et Gerhard Stoltenberg] était, à la limite, préférable à sa PRÉSENCE pour la défense de ses propres intérêts» (Le Monde 23/10/1987, «L’absorption du SME dans la zone dollar», Paul Fabra).

Dans les énoncés (4) à (7), les antonymes en coprésence n’ont pas de fonction sémantico-référentielle par rapport aux autres éléments du co-texte, ils ne permettent pas d’organiser le matériel sémantique et référentiel de l’énoncé. Ces antonymes sont essentiellement des substantifs qui occupent des positions argumentales différentes par rapport au même prédicat, comme dans l’énoncé (4), où les arguments des prédicats antonymes ne sont pas exprimés.

Fig. 11

Lorsque le prédicat dont les substantifs antonymes sont des arguments, est un prédicat à construction réciproque (Riegel et al. 1994: 458), caractérisé sur le plan sémantique par la présence du trait de complexité (Blanche-Benveniste et al. 1987: 39sv.), les antonymes occupent alors la même position argumentale par rapport à ce prédicat. Dans ce cas, les antonymes n’exercent pas non plus de fonction sémantico-référentielle particulière. Les antonymes coprésents sont des arguments de même rang d’un prédicat à construction réciproque lorsqu’ils sont employés, par exemple, dans la structure la différence entre X et Y, dont l’équivalent anglais est associé par Jones (2002) à la distinguished antonymy (III, 2.1). C’est le cas dans l’exemple (5). Contrairement à Jones, nous considérons que les antonymes n’ont pas, dans un énoncé comme (5), de fonction

VI. FONCTIONS SÉMANTICO-RÉFÉRENTIELLES DE L’ANTONYMIE

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discursive particulière, parce que leur emploi n’a pas d’impact sémanticoréférentiel sur un ou plusieurs élément(s) de leur co-texte. Ils sont simplement l’objet d’une affirmation.

Fig. 12

Lorsque le prédicat dont les antonymes sont des arguments est modulé par un adverbe comparatif de supériorité (plus) ou d’infériorité (moins), les antonymes constituent les deux termes d’une comparaison (comparé et comparant). Ainsi, dans l’énoncé (6), les deux syntagmes nominaux, que les antonymes forment avec le substantif qu’ils complètent, exercent une fonction argumentale de même rang par rapport au prédicat adjectival contrôlable, argument de l’adverbe facilement modulé par le comparatif plus (voir figure 13). Ces deux syntagmes nominaux sont construits par les prédicats opposés et leurs arguments principe et régime. Ces deux substantifs sont quasi-synonymes: principe «règle d’action, formulée ou non, s’appuyant sur un jugement de valeur et constituant un modèle, une règle ou un but» et régime «ensemble de dispositions légales ou administratives qui organisent une institution; cette organisation» (Grand Robert 2001). Les prédicats secondaires avec dérogations et sous conditions introduisent tous deux des restrictions à l’application des prédicats opposés.

Fig. 13

Dans l’énoncé (7), la comparaison n’est pas sous-tendue par la présence d’un adverbe comparatif mais par le prédicat préférable155. Cette comparaison permet d’attribuer une qualité à l’un des prédicats opposés. 155 Ce prédicat est actualisé par le verbe support être comme de nombreux prédicats adjectivaux employés dans les exemples suivants. Pour ne pas alourdir la représentation schématique, nous n’indiquerons ce verbe support dans les schémas que lorsqu’il est employé en parallèle avec d’autres verbes supports comme devenir ou rester.

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Aucune paire B ne peut être identifiée dans la mesure où tous les arguments des antonymes leur sont communs. C’est France et sa, qui reprend France, qui exercent la fonction argumentale arg1 pour les deux antonymes. Leur argument arg2 n’est, en revanche, pas exprimé dans cet énoncé mais le contexte élargi indique qu’il peut l’être par entrevue entre James Baker et Gerhard Stoltenberg.

Fig. 14

Dans sa classification des fonctions de l’antonymie (III, 2.1), Jones (2002) attribue à la coprésence antonymique employée dans une structure comparative une fonction discursive particulière, l’antonymie comparative (comparative antonymy). Contrairement à Jones, nous distinguons les cas où les antonymes sont l’objet de la comparaison, comme dans les énoncés (6) et (7), et les cas où les antonymes sont le support de la comparaison (VI, 1.3.1). Lorsque les antonymes sont seulement l’objet d’une comparaison, leur présence ne permet pas de structurer leur cotexte sur les plans sémantique et référentiel, la coprésence antonymique n’exerce donc pas de fonction particulière, au sens que nous avons donné à fonction (III, 2.1.2). Dans tous les exemples de cette sous-section, les antonymes substantifs, qui participent à une simple mise en relation, sont les deux seuls arguments d’un même prédicat. En général, les antonymes n’ont pas d’argument exprimé. S’ils en ont, ces arguments sont communs aux deux antonymes, c’est-à-dire soit qu’un même lexème est argument des deux antonymes (entrevue), soit que les lexèmes-arguments de chacun des antonymes désignent le même référent (France et sa). Les antonymes ne jouent donc aucun rôle de structuration sémantico-référentielle par rapport à l’une ou plusieurs des unités qui constituent leur co-texte. 1.2. Fonction sémantico-référentielle d’expression de l’exhaustivité positive et négative Contrairement aux énoncés analysés dans la sous-section précédente, les énoncés dont nous allons décrire la structure sémantico-syntaxique dans cette sous-section contiennent des antonymes qui exercent une

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fonction sémantico-référentielle quant aux unités qui constituent leur cotexte. Nous appelons cette fonction fonction d’expression de l’exhaustivité. Lorsqu’ils exercent cette fonction, les antonymes peuvent être les arguments (ou les actualisateurs) d’un même prédicat, mais, contrairement aux cas envisagés sous VI, 1.1, ils occupent la même position argumentale par rapport à ce prédicat. Les antonymes peuvent également être les prédicats recteurs des propositions dans lesquelles ils s’insèrent. Ils ont alors tous leurs arguments en commun. Nous envisagerons ce cas de figure en premier lieu. Dans la suite, nous respecterons toujours le même ordre pour l’analyse des énoncés, selon la fonction sémanticosyntaxique primaire exercée par les antonymes: antonymes dans une fonction prédicative, dans une fonction argumentale, dans une fonction d’actualisation. 1.2.1. Antonymes dans une fonction prédicative A1(C). A2(C): A1 et A2 sont des prédicats qui ont tous leurs arguments en commun. Lorsque les antonymes sont des prédicats dont tous les arguments sont communs, ils peuvent être des verbes, des adverbes ou des adjectifs.  Verbes antonymes (8)

«Tout EN RIANT et PLEURANT avec les héros, nous plongeons dans la vie quotidienne d’un hameau – avec sa maîtresse d’école, son médecin, son diacre, ses religieuses, ses bachi-bouzouks –, vivant ses dernières heures» (Monde 07/09/2007, «Ivan Vazov, naissance d’une nation», Marie Zawisza).

(9)

«Qu’elle l’ACCABLE ou qu’elle le LIBÈRE, l’ancien premier ministre et adversaire déclaré de Nicolas Sarkozy ne manquera pas de transformer cette décision en moment politique» (Le Monde 28/05/2011, «L’avenir politique de M. de Villepin suspendu à la décision de la cour d’appel», Pascale Robert-Diard).

Dans les énoncés (8) et (9), les antonymes sont des verbes qui ont tous leurs arguments en commun. Ces arguments sont des substantifs ou des pronoms, répétés ou non, qui désignent les mêmes référents dans le cadre de ces énoncés, c’est-à-dire exactement le(s) même(s) objet(s) ou individu(s). Ainsi dans l’exemple (8), comme l’indique la figure 15, la seule occurrence de nous, qui désigne un groupe d’individus, exerce

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une fonction argumentale arg1 par rapport aux deux verbes antonymes. Les actions dénotées par ces verbes sont donc accomplies par les mêmes personnes. La coprésence antonymique permet donc d’exprimer que les lecteurs du roman Sous le joug d’Ivan Vazov peuvent manifester physiquement tout type d’émotion comme c’est le cas également du héros du roman.

Fig. 15

Lorsqu’ils ont tous leurs arguments en commun, deux verbes antonymes peuvent être constitutifs d’une structure Que X ou que Y (9). Muller analyse une structure comparable à celle-ci dans la phrase Qu’il pleuve ou pas, je sortirai, construite sur la négation du prédicat introduit par que (Muller 1996: 162). Dans cette phrase, la structure introduite par que sous-tend une hypothèse qui «ne prend pas la forme la plus courante (si P) mais celle d’une évocation par coordination disjonctive de plusieurs situations opposées» (ibid.). Cette hypothèse est associée à une assertion «présentée comme valide dans toutes les situations évoquées» (ibid.). Lorsque que introduit des prédicats antonymes (9), la branche négative de l’hypothèse ne prend plus la forme d’une négation grammaticale mais d’une négation lexicale constitutive du sens de l’un des antonymes. Muller analyse les constructions de l’hypothèse de type Que x ou pas dans le chapitre qu’il consacre aux subordonnées concessives extensionnelles de type quel(le) que soit X (Muller 1996: 161-184). Ce rapprochement entre les constructions Que x ou pas et quel(le) que soit X semble confirmé par le fait que toutes les constructions de type que X ou que Y, lorsqu’elles contiennent des antonymes, peuvent être paraphrasées par une concessive extensionnelle dans laquelle les antonymes sont remplacés par un lexème ou un ensemble de lexèmes qui dénote(nt) la dimension sur laquelle ils s’opposent (II, 2.2.2). Ainsi, dans l’énoncé (9), la construction qu’elle l’accable ou qu’elle le libère peut être paraphrasée par quelle que soit sa teneur. La coprésence antonymique permet donc d’exprimer que l’action dénotée par transformer aura lieu quelle que soit la teneur de

VI. FONCTIONS SÉMANTICO-RÉFÉRENTIELLES DE L’ANTONYMIE

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la décision (elle) de la Cour d’appel par rapport à Dominique de Villepin (premier ministre, l’, le).

Fig. 16

On peut dès lors considérer que les concessives extensionnelles sont équivalentes aux constructions de type que X ou que Y, qui sous-tendent une hypothèse. Pour distinguer cette hypothèse, décrite par Muller, de l’hypothèse classique introduite par si, nous lui donnons le nom d’hypothèse extensionnelle. Dans les deux énoncés ci-dessus, la coprésence antonymique exerce une fonction sémantico-référentielle à laquelle nous donnons le nom de fonction d’expression de l’exhaustivité. Cette fonction peut être définie sur le plan sémantique et sur le plan référentiel comme l’expression d’une totalité. Sur le plan sémantique, la coprésence antonymique dans ces énoncés permet de dénoter la totalité de la dimension sémantique sur laquelle les antonymes s’opposent. La définition que donne Jones (2002: 66) de l’exhaustivité comme l’expression de la totalité d’une échelle sémantique (III, 2.1) pose problème car elle ne peut s’appliquer aux cas où la coprésence d’antonymes non scalaires permet d’exprimer l’exhaustivité comme dans l’exemple (9) notamment. Lorsque les antonymes expriment l’exhaustivité, leur coordination, par et / ou, est toujours paraphrasable par une concessive extensionnelle de type quel(le) que soit X, où X représente la dimension: quelle que soit la MANIFESTATION PHYSIQUE D’UNE ÉMOTION (8), quelle que soit la TENEUR de la décision (9). Sur le plan référentiel, la dimension sur laquelle les antonymes s’opposent permet de définir la totalité d’une classe référentielle qui est directement attachée à cette dimension.  Adverbes antonymes (10)

«Lors des précédents scrutins, le SBIH [parti libéral-conservateur] était tantôt OUVERTEMENT, tantôt DISCRÈTEMENT allié au SDA [parti conservateur]; cette fois, des cadres de son parti l’incitent à passer des alliances avec le SDP [parti social-démocrate], désormais perçu comme le parti de

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l’avenir. M. Silajdzic, qui n’a pas encore annoncé ses intentions, pencherait plutôt pour un ‘cavalier seul’, cultivant sa différence en vue des scrutins présidentiel et parlementaire, prévus pour octobre» (Le Monde 12/04/2000, «Les électeurs des principales villes de Bosnie ont rejeté les partis nationalistes», Rémy Ourdan).

Lorsque les antonymes sont des adverbes, ils peuvent également exercer une fonction d’expression de l’exhaustivité, si les antonymes sont des prédicats du second ordre qui opèrent sur deux prédicats identiques dont tous les arguments sont communs (10). La coprésence antonymique exerce une fonction d’expression de l’exhaustivité en raison du fait que les antonymes ont le même argument, le prédicat allier: le SBIH a toujours été allié au SDA, quelle que soit la manière dont s’est manifestée cette alliance.

Fig. 17

 Adjectifs antonymes (11)

«Après une période d’observation continue des mouvements d’un téléphone, le moteur d’intelligence artificielle saura si son propriétaire est un HOMME ou une FEMME, JEUNE ou ÂGÉ, RICHE ou PAUVRE, DÉPENSIER ou AVARE, diplômé ou non, NOMADE ou SÉDENTAIRE, employé STABLE ou PRÉCAIRE…» (Le Monde 11/05/2010, «Le téléphone qui en savait trop», Yves Eudes).

Lorsque les adjectifs antonymes ont tous leurs arguments en commun – comme l’indique la figure 18 dans lequel jeune et âgé peuvent être remplacés par les quatre autres paires d’adjectifs employées dans l’énoncé (11) –, ces adjectifs expriment l’exhaustivité. En première approche, on peut considérer que les antonymes fournissent simplement un principe de classement pour un même référent. En effet, en raison du fait que les antonymes permettent de constituer des subordonnées complétives introduites par un si d’interrogation indirecte et dépendantes du prédicat savoir, les paires antonymiques coprésentes constituent les branches d’une alternative entre lesquelles le téléphone présenté est censé pouvoir

VI. FONCTIONS SÉMANTICO-RÉFÉRENTIELLES DE L’ANTONYMIE

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choisir pour déterminer auxquelles des douze classes référentielles, opposées deux à deux et désignées par les antonymes, son propriétaire appartient. Ces classes sont hiérarchisées ontologiquement à partir du sexe jusqu’au statut social. Malgré l’intégration des antonymes dans une alternative, l’énumération non close d’un grand nombre de paires d’antonymes semble indiquer que l’interprétation des coprésences antonymiques peut être l’exhaustivité: le téléphone pourra tout connaître sur son propriétaire, son sexe, son âge, sa fortune, son rapport à l’argent, à quelle fréquence il déménage et le statut de son emploi. Au sein de cette énumération de paires antonymiques, l’adjectif diplômé est coordonné avec l’adverbe non. Cet adverbe est constitutif d’une négation syntaxique. La séquence diplômé ou non ne contient donc pas d’antonymes. L’adverbe non peut toutefois être utilisé pour former un antonyme de diplômé, l’adjectif non-diplômé, dans lequel non est constitutif d’une négation lexicale (II, 4.2.2).

Fig. 18

À côté des nombreux adjectifs prédicatifs antonymes employés dans cet énoncé avec le même argument, les substantifs non prédicatifs antonymes homme et femme sont employés comme arguments de même rang du prédicat propriétaire. L’expression de l’exhaustivité par deux antonymes employés dans cette configuration prédicative est analysée dans la sous-section suivante.

Fig. 19

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1.2.2. Antonymes dans une fonction argumentale P[A1 + A2, C]: A1 et A2 occupent la même position argumentale par rapport à un prédicat.  Substantifs antonymes (12)

«Tournon avait bien écrit quelques années plus tôt: ‘Par la seule syntaxe des langues, nous pouvons juger des VERTUS et des VICES, de la LIBERTÉ et de l’ESCLAVAGE des nations’» (Le Monde 7/07/1989, «Grammaire patriotique», Denis Slakta).

(13)

«Les ABSENCES de Federer sont aussi intenses que sa PRÉSENCE» (Le Monde 02/06/2011, «En 2 D ou en 3 D, le vent reste invisible», André Scala).

Lorsque les antonymes, essentiellement des substantifs, sont des prédicats secondaires qui ont tous leurs arguments en commun et qu’ils exercent une fonction argumentale de même rang par rapport à un autre prédicat, ils expriment l’exhaustivité (12). Ainsi, les antonymes ont tous nations comme argument commun. La coprésence antonymique permet d’exprimer que l’on peut juger de la qualité morale des nations et des contraintes qui pèsent sur elles.

Fig. 20

Dans l’exemple (13), les antonymes sont des prédicats qui ont leurs arguments en commun et qui exercent une fonction argumentale par rapport au même prédicat adjectival, intense. Les énoncés dans lesquels les antonymes sont employés dans cette configuration sémantico-syntaxique ont été analysés dans la sous-section VI, 1.1. L’exemple (13) semble toutefois différent de ces énoncés dans la mesure où les antonymes sont les termes d’une comparaison d’égalité et non d’une comparaison de supériorité ou d’infériorité. En raison de la présence de l’adverbe aussi, la structure prédicative de l’énoncé est

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la suivante: P(A1 + A2). L’exemple (13) peut en effet être paraphrasé comme suit: Les absences et la présence de Federer sont intenses. La coprésence antonymique exprime donc qu’il y a toujours quelque chose d’intense chez Federer, qu’il soit là ou non. L’interprétation de l’exhaustivité est moins pertinente dans les comparaisons de supériorité et d’infériorité en raison du fait que les propositions Les absences de Federer sont plus intenses que sa présence et Les absences de Federer sont moins intenses que sa présence n’impliquent pas nécessairement que les absences et la présence de Federer sont intenses.

Fig. 21

1.2.3. Antonymes dans une fonction d’actualisation PA1 + A2 (C): A1 et A2 exercent une fonction d’actualisation par rapport au même prédicat.  Adverbes antonymes (14)

«Pour la faiblesse insigne de l’interprétation, à l’exception peut-être du rôle du méchant; mais surtout pour le véritable contre sens (par rapport aux films “canoniques”) que de faire de Zorro / Don Diego un bravache de JOUR comme de NUIT, À VISAGE DÉCOUVERT ou MASQUÉ.» (Le Monde 13/05/1990, «Cabou Cadin: CANAL +, 17 h 25. Duncan Reglehr et E. Lindner. Un Zorro pointé», Claude Aziza).

(15)

«‘ICI ou LÀ, on est ravi qu’il y ait des centristes PARTOUT pour qu’il n’y en ait NULLE PART qui pèse’, a asséné M. Leroy» (Le Monde 07/09/2010, «Matignon, Borloo s’y voit déjà», Arnaud Leparmentier).

La coprésence de deux antonymes non prédicatifs qui exercent une fonction d’actualisation par rapport à un même prédicat exprime également l’exhaustivité (14). Les substantifs jour et nuit exercent une fonction d’actualisation temporelle par rapport au même prédicat, bravache. Participent également à l’actualisation de ce prédicat la locution figée à visage découvert et l’adjectif masqué que l’on peut considérer comme des antonymes. Dans cet énoncé, les antonymes coprésents expriment l’exhaustivité: Zorro est toujours un bravache, quelle que soit son apparence.

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Fig. 22

Les antonymes peuvent exprimer l’exhaustivité en exerçant une fonction d’actualisation temporelle, comme dans l’énoncé précédent, mais aussi une fonction d’actualisation spatiale (15). Le fait que les antonymes soient coordonnés dans une apposition ne permet pas une identicfication certaine du prédicat qu’ils actualisent. Comme l’indiquent les figures 23 et 24, deux interprétations sont possibles. On pourrait considérer que les antonymes actualisent ravi et expriment l’exhaustivité: on est ravi partout qu’il y ait des centristes partout.

Fig. 23

On pourrait également considérer que les antonymes actualisent le prédicat d’existence il y a et sont repris par partout, qu’ils annoncent: on est ravi qu’il y ait des centristes partout. Dans la deuxième interprétation, les adverbes antonymes permettent également de distinguer deux sous-classes de centristes: ceux d’ici et ceux de là (VI, 3). Le fait que les référents appartenant à ces deux sous-classes soient différents, bien qu’ils appartiennent à la même classe référentielle globale, est indiqué dans le schéma ci-dessous par une seule barre horizontale entre deux о, qui représentent les deux instanciations de centristes à reconstruire à partir d’une seule mention explicite dans le texte.

VI. FONCTIONS SÉMANTICO-RÉFÉRENTIELLES DE L’ANTONYMIE

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Fig. 24

Outre la paire ici/là, l’énoncé (15) contient également la paire antonymique partout/nulle part dont les membres exercent une foncction d’actualisation spatiale par rapport à deux prédicats différents, comme l’indique la figure 25. En raison de cette différence, nous considérons que ces prédicats constituent une paire B (VI, 2).

Fig. 25

1.2.4. Exhaustivité et négation Lorsque deux prédicats antonymes coprésents sont tous les deux niés ou lorsque deux antonymes sont des arguments de même rang (1) d’un prédicat nié, (2) d’un ou deux prédicat(s) qui exprime(nt) une négation, la coprésence antonymique exerce une fonction d’expression de l’exhaustivité négative à laquelle nous donnons le nom de nullité. L’expression de la nullité peut être définie, de la même façon que l’expression de l’exhaustivité, comme la conjonction d’un mécanisme sémantique, par lequel la coprésence antonymique dénote la totalité de la dimension sémantique sur laquelle les antonymes s’opposent, et d’un mécanisme référentiel, par lequel à cette dimension est associée la totalité d’une classe référentielle. La nullité est le pendant négatif de l’exhaustivité et non sa négation. Si l’énoncé Il y a des centristes partout, ici ou là, forgé à partir de l’énoncé (15), est nié, il devient Il n’y a pas de centristes partout. Cet énoncé n’est pas équivalent à l’énoncé

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Il n’y a de centristes nulle part, ni ici ni là dans lequel les antonymes expriment la nullité. L’emploi de la négation ne permet aux antonymes coprésents d’exprimer la nullité que dans le cas où la portée de la négation s’étend aux deux antonymes. La négation qui porte sur les antonymes peut être grammaticale. Elle est alors portée par les structures de type ne pas/plus A1 et ne pas/plus A2 ou ni A1 ni A2, que nous rencontrerons dans la plupart des énoncés analysés ci-dessous. Elle peut également être lexicale. Elle est alors contenue dans le sens des prédicats auxquels les antonymes sont subordonnés. 1.2.4.1. Antonymes dans une fonction prédicative ¬A1 (C). ¬A2 (C): A1 et A2 sont des prédicats niés qui ont tous leurs arguments en commun.  Verbes antonymes Dans cette configuration, les antonymes sont essentiellement des verbes. Les énoncés (16), (17), (18) et (20) illustrent l’emploi de deux appariements antonymiques différents d’un même verbe, confirmer, pour exercer la même fonction ainsi que quatre manifestations différentes de la négation: 1) la structure pas A1 mais pas A2 non plus (16); 2) la présence d’un prédicat unique à contenu négatif (17), 3) la présence de prédicats différents à contenu négatif (18) et (19), 4) la structure ni A1 ni A2 (20). (16)

«Quant à sa visite [de Frederik de Klerk] en Zambie, prévue pour le 28 août, elle n’est pas ANNULÉE, mais elle n’est pas non plus CONFIRMÉE» (Le Monde 15/08/1989, «République sud-africaine. Le gouvernement soutient M. De Klerk dans son conflit avec le président Botha», s.a.).

(17)

«Interrogé à France Inter, M. Raimond s’est toutefois abstenu de CONFIRMER ou de DÉMENTIR les informations sur la prochaine livraison de douze nouveaux avions Mirage-F1 à l’Irak» (Le Monde 12/12/1987, «La guerre du Golfe M. Perez de Cuellar baisse les bras», s.a.).

(18)

«Pour l’instant, les milieux judiciaires se refusent à CONFIRMER l’information du Parisien libéré selon laquelle les membres d’Action directe projetaient d’enlever le PDG de la société Robert Alkan et Cie, une société d’armement aéronautique dont les activités sont couvertes par le ‘secret défense’, mais se gardent bien de DÉMENTIR l’information» (Le Monde 26/02/1987, «L’interrogatoire des quatre responsables d’Action directe. Plusieurs témoins de l’assassinat de Georges Besse ont reconnu Nathalie Ménigon», Laurent Greilsamer).

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(19)

«RECULER c’est impensable, AVANCER, c’est impossible» (Le Monde 29/05/2011, «A Misrata, avec les rebelles libyens prêts à mourir», JeanPhilippe Rémy).

(20)

«Un an après l’annonce à Beyrouth par le Djihad islamique de l’assassinat de Michel Seurat, ses amis nous ont adressé la lettre suivante: Voilà un an que la mort annoncée de Michel Seurat n’a pu être ni CONFIRMÉE NI DÉMENTIE» (Le Monde 6/03/1987, «Un an après l’annonce de la mort de Michel Seurat ‘Pourquoi cet incroyable silence?’», s.a.).

Dans l’énoncé (16), les prédicats opposés ont pour arguments arg2 les deux occurrences de elle qui reprend visite. Leur argument arg1 reste non exprimé (NE) mais on peut supposer qu’il est identique pour les deux prédicats opposés. Les propositions qui contiennent les antonymes sont coordonnées par la conjonction mais qui les oppose explicitement. La présence de non plus qui renforce la négation permet de neutraliser le sens oppositif de cette conjonction. La structure de cet énoncé permet de dépasser l’opposition entre les antonymes pour exprimer la nullité: négation de la dimension COMMUNICATION SUR LA TENUE D’UN ÉVÉNEMENT.

Fig. 26

Dans l’énoncé (17), la paire antonymique est composée de confirmer et de démentir. Ces verbes exercent une fonction argumentale par rapport à un même prédicat négatif et exprime la nullité: négation de la dimension COMMUNICATION SUR LA VÉRACITÉ D’UNE INFORMATION.

Fig. 27

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Dans l’énoncé (18), les verbes antonymes et leurs arguments exercent une fonction argumentale par rapport à deux autres prédicats, à contenu négatif. Ces prédicats sont proches sémantiquement, ils peuvent tous deux être paraphrasés par ne pas vouloir faire qqch. Leur différence réside dans le fait que se refuser à exprime une absence de volonté plus active que se garder de. Dans cet énoncé, la conjonction mais ne semble pas avoir une valeur d’opposition nette. Son rôle est pragmatique: elle signale que l’absence de démenti n’est pas attendue, la conséquence attendue d’une absence de confirmation étant un démenti.

Fig. 28

Les prédicats négatifs par rapport auxquels les verbes antonymes exercent une fonction argumentale peuvent être des verbes, comme dans l’énoncé précédent, ou des adjectifs (19). Le contenu négatif de ces adjectifs est indiqué par le préfixe im-, variante graphique de in-, qui les compose (II, 4.2.2). La négation véhiculée par l’adjectif impossible est plus forte que celle contenue dans son quasi-synonyme impensable en raison du sens de ces adjectifs: impensable «qui ne peut être conçu par la pensée», impossible «qui ne peut exister» (Grand Robert 2001). La coprésence antonymique exprime la nullité: négation de la dimension MOUVEMENT HORIZONTAL.

Fig. 29

VI. FONCTIONS SÉMANTICO-RÉFÉRENTIELLES DE L’ANTONYMIE

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Dans l’exemple (20), les antonymes impliqués dans la structure ni A1 ni A2 sont les mêmes que ceux de l’exemple (18). Ils permettent d’exprimer qu’aucune communication n’a eu lieu concernant la réalité de la mort de Michel Seurat.

Fig. 30

1.2.4.2. Antonymes dans une fonction argumentale ¬P[A1 + A2, C]: A1 et A2 occupent la même position argumentale par rapport à un prédicat de possession nié.  Substantifs antonymes (21)

«Et une dernière fraction de ces mutations est sélectivement NEUTRE. Elle ne présente ni AVANTAGES, ni DÉSAVANTAGES pour l’organisme» (Le Monde 2/011/1996, «Des chercheurs américains doublent l’âge des vertébrés», Christiane Galus).

(22)

«‘Qui a consommé de la cervelle de bœuf il y a dix ou quinze ans a peutêtre pris un petit risque. On n’a pas assez réfléchi dans les années 80 sur les AVANTAGES et DÉSAVANTAGES des farines animales’, a ainsi déclaré le directeur de l’Office fédéral suisse de la santé, Thomas Zellner» (Le Monde 26/03/1996, «‘Vache folle’: l’hypothèse d’une nouvelle épidémie inquiète l’Europe», s.a.).

(23)

«Mais même dans ce cas la situation risque d’être quelque peu cocasse: ces contrôleurs seraient, de fait, stationnés en permanence aux portes mêmes des installations, dont on s’assurerait au préalable qu’elles ne comportent pas d’ENTRÉES ou de SORTIES dérobées…» (Le Monde 16/05/1987, «Désarmement: le casse-tête de la vérification», Michel Tatu).

À la coprésence antonymique qui exprime l’exhaustivité négative peut être associé un troisième terme (21) où la coprésence antonymique exprime l’absence totale d’impact d’une partie des mutations sur les organismes. Il est important de noter que la négation simultanée des antonymes permet de confirmer et de renforcer l’adjectif neutre employé dans

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la phrase précédente, dans un schéma prédicatif sémantiquement équivalent à celui dans lequel sont employés les antonymes. L’adjectif neutre se définit précisément comme un terme neutre par rapport à la dimension IMPACT qui fonde l’opposition entre les antonymes. Le lexème neutre est ainsi opposé à la paire avantage/désavantage et à chacun de ces deux membres individuellement (II, 3.3).

Fig. 31

Dans l’exemple (21), la portée de la négation s’étend aux antonymes en raison de la présence du prédicat présenter, exprimant l’inclusion comme comprendre, totaliser ou englober. Dans l’exemple (22), c’est sur le verbe réfléchir que porte la négation et pas directement sur les antonymes. La coprésence antonymique permet ainsi d’exprimer, non pas que les farines animales n’ont pas d’impact mais bien que cet impact n’a pas été suffisamment étudié. La totalité exprimée par les antonymes est ici positive.

Fig. 32

Lorsque deux antonymes sont niés, un élément de modulation peut restreindre l’extension de la totalité négative qu’ils permettent d’exprimer (23). Dans cet énoncé, les substantifs antonymes exercent une fonction argumentale par rapport à comporter mais aussi par rapport à dérobé. La présence de cet adjectif introduit une limitation à la totalité exprimée par les antonymes: ce qui sera vérifié, ce n’est pas le fait que les installations

VI. FONCTIONS SÉMANTICO-RÉFÉRENTIELLES DE L’ANTONYMIE

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ne comportent aucune voie d’accès mais le fait qu’elles ne comportent aucune voie d’accès secrète.

Fig. 33

 Adverbes antonymes (24)

«Ce résumé squelettique suffit pour entrevoir quelques-uns des gestes singuliers de la démarche heideggérienne: relire la tradition philosophique sans pouvoir s’inclure vraiment DEDANS ni sauter déjà DEHORS; DÉCONSTRUIRE, plutôt que FONDER, BÂTIR ou ÉDIFIER; se mettre à l’écoute de la langue plutôt que d’en avoir un usage instrumental; tenter de retrouver, sous l’empire de la technique, une lumière plus originelle» (Le Monde 05/02/1988, «De nouveau Heidegger, les Grecs et le Reich…», Roger Pol Droit).

Les antonymes coprésents qui expriment l’exhaustivité négative peuvent être les arguments d’un seul prédicat comme dans les trois énoncés précédents mais aussi de deux prédicats différents; ainsi dans (24), où les adverbes antonymes exercent une fonction argumentale par rapport aux prédicats s’inclure et sauter.

Fig. 34

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Ces verbes et les antonymes qui en dépendent sont sémantiquement très liés. Les ensembles qu’ils forment correspondent à entrer et sortir. Sont également employés dans cet énoncé les prédicats fonder, bâtir et édifier. Ils sont synonymes de construire et entretiennent donc une relation d’opposition avec déconstruire. L’ordre dans lequel ces prédicats sont employés correspond à une progression dont ils dénotent les différentes étapes, de la construction des fondations d’une théorie philosophique jusqu’à son parachèvement. 1.2.4.3. Antonymes dans une fonction d’actualisation P¬A1 + ¬A2 (C): A1 et A2 sont niés et exercent une fonction d’actualisation par rapport au même prédicat.  Substantifs antonymes (25)

«Petit guide à l’usage des accros aux smartphones et tablettes numériques qui n’arrivent pas à déconnecter Avez-vous été tenté un jour de déconnecter? D’étouffer sous un oreiller smartphone ou iPad pour ne plus vérifier vos mails ni au COUCHER ni au LEVER? Si cette envie vous démange, sachez que vous n’êtes pas seul» (Le Monde 05/06/2011, «Inspirez, débranchez!», Laure Belot).

Les substantifs antonymes qui expriment la nullité n’exercent pas toujours une fonction argumentale par rapport au prédicat auquel ils sont subordonnés. Ils peuvent également exercer une fonction d’actualisation (25). La particularité des antonymes dans cet énoncé est qu’ils dénotent des bornes (II, 3.2.4.4). La coprésence antonymique exprime que le référent de vous ne souhaite réaliser l’action désignée par vérifier à aucun moment en regard de la dimension sur laquelle s’opposent les antonymes et que l’on peut décrire comme suit: MOMENTS QUI COÏNCIDENT AVEC LES LIMITES, INITIALES ET FINALES, DE LA NUIT ET QUI SONT DÉFINIS PAR L’ACTION QUE LES ÊTRES HUMAINS Y ASSOCIENT TRADITIONNELLEMENT.

Fig. 35

VI. FONCTIONS SÉMANTICO-RÉFÉRENTIELLES DE L’ANTONYMIE

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 Adverbes antonymes (26)

«Du sombre chaos des rêves et des tourments ressurgit, phénix, l’harmonie solaire d’une solitude amoureuse où les toiles du peintre n’apparaissent plus comme des “concrétions”, des objets à vendre ou à détruire, mais comme des “plaques de sensibilité” où s’inscrit ce qui, pour Cham, compte plus que la peinture ou l’écriture: le temps passé à aimer celle qu’il s’émerveille d’avoir rencontrée, “ni trop TÔT et ni trop TARD”, comme dans la chanson tendre et grave que Rezvani signait Bassiak» (Le Monde 14/12/1990, «Les brasiers de Rezvani», Monique Pétillon).

Dans l’énoncé (26), les antonymes sont des adverbes tous deux modulés par trop. Cette double modulation est possible en raison du fait que le sens des deux adverbes employés dans ces énoncés peut être conçu de manière scalaire. Lorsque trop module les deux antonymes, la coprécsence antonymique exprime la nullité mais permet aussi et surtout d’indiquer que c’est le troisième terme, défini par opposition aux antonymes, qu’il faut interpréter (II, 3.3): ici, un moment défini comme n’étant pas éloigné d’un délai excessif (dimension de l’antonymie) par rapport à un moment idéal.

Fig. 36

1.2.5. Synthèse Dans les énoncés (8) à (26), ci-dessus, la coprésence d’antonymes prédicatifs qui ont tous leurs arguments en commun et d’antonymes arguments de même rang, ou actualisateurs, d’un même prédicat exerce une fonction sémantico-référentielle d’expression de l’exhaustivité. Sur le plan sémantique, la coprésence antonymique dénote la totalité de la dimension sémantique sur laquelle les antonymes s’opposent. Sur le plan référentiel, la dimension sur laquelle les antonymes s’opposent permet de définir la totalité d’une classe référentielle qui est directement attachée à cette dimension. Dans les énoncés (16) à (21) et (23) à (26), l’exhaustivité exprimée par les antonymes est négative, la totalité de la dimension sur laquelle ils s’opposent est niée, grâce à la présence d’une négation dont la portée s’étend aux deux antonymes. Lorsque l’un des deux antonymes seulement est nié, la négation renforce l’opposition entre les antonymes, comme le montre l’énoncé suivant, forgé à partir de l’énoncé (16).

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Dans ce cas, la coprésence antonymique exerce une autre fonction que l’expression de l’exhaustivité. Nous appelons fonction de reclassement cette autre fonction. Nous la définirons dans la sous-section suivante. «Quant à sa visite [de Frederik de Klerk] en Zambie, prévue pour le 28 août, elle n’est pas ANNULÉE, elle est CONFIRMÉE»

Fig. 37

1.3. Fonction sémantico-référentielle de (re)classement Lorsque les antonymes coprésents sont des prédicats qui ont tous leurs arguments en commun ou lorsqu’ils sont arguments de même rang (ou actualisateurs) d’un même prédicat, ils peuvent exprimer l’exhaustivité ou la nullité dans le cas où ils sont tous les deux niés (VI, 1.2). Lorsque l’un des deux antonymes seulement est nié, la coprésence antonymique exerce une autre fonction sémantico-référentielle, que nous appelons la fonction de reclassement. La fonction sémantico-référentielle de reclassement peut être définie comme l’action par laquelle la coprésence de deux antonymes indique que le référent d’une des unités de leur cotexte est passé d’une classe référentielle à une autre, ces deux classes étant définies en intension de manière opposée par les antonymes. La portée de la négation permet donc de distinguer deux cas de figure identiques sur le plan sémantico-syntaxique. En l’absence de toute négation, les antonymes prédicatifs dont tous les arguments sont communs exercent une fonction de reclassement, et non une fonction d’expression de l’exhaustivité, s’ils sont intégrés dans des structures comparatives ou interrogatives. Lorsqu’ils exercent une fonction de reclassement, l’un des antonymes peut également être un prédicat, non nié, par rapport auquel l’autre antonyme et ses éventuels arguments exprimés exercent une fonction argumentale. Nous nous proposons d’analyser des énoncés relevant de ces différents cas de figure pour définir précisément la fonction sémantico-référentielle de reclassement.

VI. FONCTIONS SÉMANTICO-RÉFÉRENTIELLES DE L’ANTONYMIE

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1.3.1. Antonymes dans une fonction prédicative A1 (C). A2 (C): A1 et A2 sont des prédicats qui ont tous leurs arguments en commun. Les antonymes coprésents qui exercent une fonction de reclassement peuvent être des prédicats, recteurs ou non, dont tous les arguments sont communs, comme lorsque la coprésence antonymique exprime l’exhaustivité ou la nullité. Quatre marqueurs de reclassement permettent de distinguer les énoncés dans lesquels les antonymes exercent une fonction de reclassement et les énoncés dans lesquels ils expriment l’exhaustivité ou la nullité: 1) la présence d’une négation qui porte sur l’un des antonymes seulement, 2) la différence d’actualisation temporelle des antonymes prédicatifs, 3) leur intégration dans une structure comparative, 4) leur emploi comme objets d’une interrogation. Nous allons à présent envisager ces différentes configurations. 1.3.1.1. Constructions négatives: Pas A1 (mais) A2 ou A1 (mais) pas A2 Lorsque l’un des deux antonymes prédicatifs seulement est nié, la coprésence antonymique exerce une fonction de reclassement. C’est le cas dans les énoncés (27) à (30). Dans ces énoncés, les antonymes sont des verbes (cf. (27) et (28)), des adjectifs (29) ou des adverbes (30).  Verbes antonymes (27)

«L’épargne des ménages doit AUGMENTER, pas DIMINUER» (Le Monde 20/04/2010, «La Grande-Bretagne sur le fil», Martin Wolf).

(28)

«Derrida, déjà, avait entendu en Genet le glas de la pensée occidentale. Il reste la biographie, les documents, qui ÉCLAIRENT l’œuvre, ou plutôt l’ASSOMBRISSENT» (Le Monde 05/08/1988, «Jean Genet, l’irrécupérable», Michel Contat).

Comme l’indiquent les schémas ci-dessous, les verbes antonymes dans les énoncés (27) et (28) partagent tous leurs arguments. Ces deux énoncés illustrent différentes formes que peut prendre la négation qui porte sur l’un des antonymes. Dans (27), la présence de l’adverbe négatif pas inscrit les antonymes dans une structure de type X, pas Y.

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Fig. 38

Dans l’énoncé (28), l’un des deux antonymes n’est pas nié mais l’emploi de l’adverbe plutôt exerce un rôle similaire à celui d’une négation dans la mesure où il corrige l’information précédente et l’invalide. Cette invalidation est partielle en raison du caractère scalaire de plutôt et peut être interprétée à un niveau de lecture méta-énonciatif: l’auteur joue sur les deux sens possibles d’éclairer. En corrigeant son propre énoncé, l’auteur indique que le verbe ne doit pas être interprété seulement dans son sens le plus évident, «aider à comprendre», mais dans un autre sens «donner un éclairage positif»: les documents permettent de comprendre mais donnent aussi un éclairage négatif.

Fig. 39

 Adjectifs antonymes (29)

«L’objectif, l’éradication du travail clandestin, exige des stratégies de fond. Il ne s’agit plus de couper les branches pourries d’un arbre SAIN mais de traiter un arbre devenu MALADE» (Le Monde 19/07/1991, «Les vrais clandestins», Jean Métais et Claude Triomphe).

Dans l’énoncé (29), la négation ne porte pas directement sur l’un des antonymes mais sur l’un des deux prédicats par rapport auxquels les antonymes et leur argument identique exercent une fonction argumentale. Ces prédicats, couper et traiter, sont des verbes très proches sémantiquement dans la mesure où traiter peut être considéré comme un hyperonyme de couper, l’action de couper étant un type de traitement. La présence de l’adjectif pourri a pour effet d’atténuer l’opposition entre les adjectifs antonymes et donc l’ampleur du reclassement du

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référent du lexème arbre dont les deux occurrences co-référentielles exercent une fonction argumentale de même rang par rapport aux antonymes. L’adjectif pourri indique, en effet, que l’arbre dit sain ne l’est pas tout à fait.

Fig. 40

Le fait que le qualificatif sain puisse être appliqué à un arbre dont certaines branches sont pourries peut être expliqué par le principe de métonymie intégrée, défini par Kleiber (1999, notamment). Selon ce principe, pour que les caractéristiques d’une partie d’un référent global soient appliquées à la totalité de ce référent, il faut que «les caractéristiques concernées soient d’une manière ou d’une autre également saillantes ou valides pour le tout» (Kleiber 1999: 99). Pour que l’on puisse dire qu’un arbre est sain, il faut donc qu’une partie significative de cet arbre soit effectivement saine et, à l’inverse, que ses parties pourries ne soient pas saillantes.  Adverbes antonymes (30)

«Nous n’avons pas le droit d’être LÂCHEMENT européens, il faut être COURAGEUSEMENT européens» (Le Monde 28/01/1987, «M. Chevènement développe son projet pour le candidat socialiste de 1988. Une Europe forte, dernier rempart de l’indépendance», Jean-Louis Andreani).

Les antonymes qui exercent une fonction de reclassement peuvent être des adverbes comme dans l’énoncé (30). Ils sont alors des prédicats du second ordre qui ont pour arguments deux prédicats identiques. Ceux-ci ont en commun leur seul argument. C’est le référent désigné par ce lexème-argument (nous) qui est alors reclassé. Le contraste entre ne pas avoir le droit et falloir renforce l’opposition entre les antonymes.

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Fig. 41

1.3.1.2. Une évolution dans le temps: marques temporelles (31)

«L’hôtel de Râon-l’Étape (Vosges), commandé à Pascal Haüsermann en 1966 par un restaurateur local, a FERMÉ SES PORTES en 1998. Après plusieurs années de restauration, l’établissement est de nouveau OUVERT au public» (Le Monde 11/09/2010, «Une nuit dans une bulle Haüsermann», M.P.).

(32)

«Après avoir RECULÉ de 30 % ces deux dernières années, les ventes, qui avaient timidement REPRIS ont subi un sérieux COUP D’ARRÊT en avril (- 14,5 %), le printemps étant pourtant une saison généralement favorable aux ventes de deux-roues. Sur les quatre premiers mois de 2011, la baisse des immatriculations atteint 5,3 %. Les constructeurs pointent l’effet de la nouvelle réglementation qui, selon eux, ‘freine l’achat d’impulsion’» (Le Monde 31/05/2011, «Le marché français du scooter continue de souffrir», Jean-Michel Normand).

(33)

«Les décors de Carlo Tommasi et les costumes de Carlo Diappi sont à l’unisson: on se croirait à Naples (avec une vue sur la baie qui fait applaudir la salle au lever du rideau), ou à Paris vers 1812, superbement ÉCLAIRÉS et graduellement ASSOMBRIS au fil de l’action» (Le Monde 20/06/1992, «Une saveur particulière. Les quatre ‘farse’ du jeune Rossini superbement mises en scène et plutôt bien interprétées», Gérard Condé).

(34)

«La guerre éclate alors que Paul a presque fini son service militaire. Il est blessé une première fois en août, une seconde en novembre 1914. Il est alors ACCUSÉ — puis DISCULPÉ — de s’être mutilé volontairement pour échapper au front, comme l’ont fait nombre de soldats, en particulier au début du conflit» (Le Monde 03/06/2011, «Un genre de déserteur», Nicolas Offenstadt).

(35)

«Les idées de ces jeunes intellectuels qui souhaitaient ‘une société sans classes et pieuse’, explique l’auteur du cahier, ont été ‘étouffées dans l’œuf par ceux qui s’étaient CACHÉS derrière la révolution et qui, tout à coup, APPARAISSAIENT au grand jour’» (Le Monde 17/05/2011, «Une révolution brisée», Philippe Euzen).

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Lorsqu’aucun des antonymes n’est nié, la coprésence de deux antonymes peut également exercer une fonction de reclassement. Dans ce cas, les deux propositions que les antonymes prédicatifs et leurs arguments communs permettent de constituer ne sont pas vraies en même temps, ce qui se manifeste par une actualisation temporelle différente dans les deux propositions. C’est cette différence temporelle qui permet le reclassement. Les actualisateurs temporels peuvent être des compléments de temps comme en 1998 et après plusieurs années de restauration (31).

Fig. 42

Dans l’énoncé (32), ces compléments sont ces deux dernières années et en avril. Dans cet énoncé, l’unité polylexicale coup d’arrêt peut être considérée comme un terme neutre par rapport aux antonymes reculer et reprendre en raison du fait qu’elle possède, dans cet énoncé, le sens de «absence d’évolution» alors que les antonymes dénotent les deux sens possibles d’une évolution. Sur le plan sémantico-formel, coup d’arrêt est très différent des exemples classiques de «terme intermédiaire», souvent adjectivaux, analysés dans la Première partie (II, 3.3), dans la mesure où il s’agit d’un substantif polylexical, la présence du verbe subir lui permettant de se comporter comme un verbe. Cet énoncé montre, en outre, qu’un terme neutre par rapport à une paire antonymique peut appartenir à une partie du discours différente de celle dont relèvent ces antonymes.

Fig. 43

En l’absence de tout autre actualisateur temporel pour les prédicats opposés, la locution prépositionnelle au fil de permet, dans l’énoncé (33), d’indiquer que les antonymes dénotent des actions successives dans le temps.

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Fig. 44

Cette succession temporelle peut également être indiquée par des conjonctions de coordination comme puis (34).

Fig. 45

Lorsque les antonymes sont des verbes conjugués à des temps différents (35), la présence d’actualisateurs temporels n’est pas nécessaire pour indiquer la non-simultanéité des procès opposés.

Fig. 46

Dans l’étude de Jones (2002), des énoncés comme (31) et (32) sont analysés comme des exemples d’antonymie ancillaire, les compléments de temps étant considérés comme constitutifs de la paire B: The most interesting is that countries which have, in the Eighties, done rather BADLY will, in the Nineties, do rather WELL (Jones 2002: 50)156. La mise en série de ces énoncés avec les énoncés (33) à (35) indique que le reclassement référentiel est plus saillant que l’opposition entre deux époques pour deux raisons:

156 Ni Jones (2002) ni Jones et al. (2012) ne donnent malheureusement d’exemples d’antonymie ancillaire temporelle verbale.

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1) La création d’un contraste entre deux époques différentes désignées par les membres de la paire B repose sur la présence de compléments de temps, or on peut identifier un reclassement en l’absence de tout complément de temps comme dans les énoncés (34) et (35). 2) Le reclassement s’appuie sur une actualisation temporelle polymorphe qui caractérise un nombre plus important de cas plus divers que ceux pris en compte par Jones. 1.3.1.3. Structures comparatives (36)

«Le portrait-robot ainsi dessiné montre un vacancier toujours très attaché à un Hexagone où il recherche des lieux calmes et retirés. Plus ACTIF que PASSIF cependant, épris d’in+dépendance et qui, lorsqu’il s’adresse à un organisme de voyages, souhaiterait davantage de formules ‘sur mesure’» (Le Monde 13/03/1993, «Douce France», Patrick Francès).

Contrairement aux structures comparatives dans lesquelles les antonymes sont des substantifs qui exercent une fonction argumentale par rapport au même prédicat (VI, 1.1 et 1.2), la structure comparative illustrée par l’énoncé (36) met en coprésence deux antonymes prédicatifs, essentiellement des adjectifs, dont l’unique argument est commun. Ainsi dans l’énoncé (36), les prédicats antonymes ont pour argument commun il, qui reprend vacancier. La fonction sémantico-référentielle des antonymes dans ces énoncés, comme dans les énoncés précédents, est d’indiquer le passage du référent du pronom qui exerce cette fonction argumentale d’une classe à la classe opposée.

Fig. 47

Jones (2002) considère que l’inscription des antonymes dans une structure comparative leur permet d’exercer la fonction qu’il appelle comparative antonymy (III, 2.1). Compte tenu des structures comparatives analysées sous VI, 1.1 et 1.2. ainsi que dans cette sous-section, trois types de comparaison dans lesquelles les antonymes exercent des fonctions sémantico-référentielles différentes peuvent être identifiés:

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1) Comparaisons d’égalité: les antonymes sont arguments de rang différent d’un prédicat modulé par aussi, ils expriment l’exhaustivité (VI, 1.2.2). 2) Comparaison de supériorité et d’infériorité dont les antonymes sont l’objet: les antonymes sont arguments d’un prédicat modulé par plus ou moins, ils n’exercent pas de fonction sémantico-référentielle particulière (VI, 1.1). 3) Comparaison de supériorité et d’infériorité dont les antonymes sont le support: les antonymes sont des prédicats dont l’un est modulé par plus ou moins et qui ont leur argument en commun, ils exercent une fonction de reclassement par rapport au référent de ce lexèmeargument. 1.3.1.4. Structures interrogatives (37)

«Lorsqu’on lui demande s’il dispose d’une politique de rechange, dans l’hypothèse d’un échec de Gorbatchev, il [Hans-Dietrich Genscher] réplique: “A mon avis, il faut poser la question de la manière suivante: la politique de Gorbatchev est-elle à notre AVANTAGE ou à notre DÉSAVANTAGE? […]» (Le Monde 29/09/1988, «L’enquête: chef, depuis quatorze ans, de la diplomatie de Bonn M. Genscher, champion de l’‘Allemagne centrale’», Luc Rosenzweig et Claire Tréan).

(38)

«Je [Dominique Voynet] refuse de me laisser enfermer dans la question de savoir si mon ‘non’ sera un ‘non’ SALE ou un ‘non’ PROPRE» (Le Monde 17/09/1992, «La campagne pour le référendum. Chez les Verts Le ‘oui’ de la raison contre le ‘non’ du cœur», Jean-Louis Saux).

Parmi les fonctions discursives de l’antonymie, Jones et al. (2012: 35) répertorient l’antonymie interrogative. Lorsqu’ils sont employés dans une phrase interrogative, les antonymes peuvent, selon Jones et al., avoir trois objectifs, qui sont en réalité des visées pragmatiques: la coprésence antonymique peut être employée (1) pour obtenir des informations factuelles (Is it the NEW Billy or the OLD Billy?), (2) pour établir les préférences du destinataire de l’énoncé (Do you want to do letters DOWN HERE or UP THERE?) et (3) pour remplir un rôle pédagogique quant au sens des antonymes (Is that a BIG table or a LITTLE table?) (III, 2.1). Dans les énoncés (37) et (38), dans lesquels les antonymes sont coordonnés par un ou disjonctif dans des structures interrogatives comme dans les exemples de Jones et al., une fonction proche de la fonction de reclassement peut être identifiée. Dans ces énoncés, un même référent ne passe pas d’une classe à la classe opposée, mais peut être rangé dans l’une de ces deux classes opposées, l’objet de l’interrogation étant précisément de déterminer dans quelle classe ce référent doit être rangé.

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Fig. 48

Cette fonction, que nous appelons fonction de classement peut également être identifiée lorsque les antonymes sont l’objet d’une interrogation indirecte (38). Dans cet énoncé, la présence du verbe à contenu négatif refuser indique la volonté de l’énonciateur de ne pas tenir compte de cette interrogation et de réfuter tout classement, c’est-à-dire de ne pas appliquer la dimension sur laquelle les antonymes s’opposent.

Fig. 49

1.3.2. Antonymes dans une fonction argumentale ¬P(A1). P(A2): A1 et A2 exercent une fonction argumentale par rapport à deux prédicats identiques dont l’un est nié ou à deux instanciations d’un même prédicat, dont l’une est niée. (39)

«‘En Pologne, vous avez connu le nazisme et le communisme. Devenu pape, vous avez souffert un attentat terroriste qui vous a presque ôté la vie. Et pourtant, vous proclamez que le message central de ce temps n’est pas la HAINE mais l’AMOUR’, a déclaré le président américain, qui a conclu sa brève adresse de bienvenue par une citation extraite des Constitutions de Vatican II, où figurait deux fois le mot ‘solidarité’» (Le Monde 12/09/1987, «Le voyage du pape aux Etats-Unis Jean-Paul II invite l’Amérique à défendre ‘la liberté et la justice’», Jean-Pierre Clerc).

Lorsque les antonymes exercent une fonction argumentale par rapport à deux instanciations d’un même prédicat, attributif ou non, dont l’une est niée, les antonymes sont employés dans une structure du type pas A1 (mais) A2 (39). L’interprétation de cet énoncé requiert l’explicitation du prédicat être sous-entendu dans la deuxième partie de la phrase.

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Le schéma indique par un о les deux instanciations de être l’une dans laquelle le prédicat est explicité et nié, l’autre où il est sous-entendu. Dans cet énoncé, les antonymes sont des prédicats secondaires dont les arguments ne sont pas exprimés.

Fig. 50

1.3.3. Antonymes dans une fonction prédicative et argumentale A1 [A2(C), C]: A2 exercent une fonction argumentale par rapport à A1. (40)

«L’avenir des relations avec son allié américain en dépend mais aussi le RELÂCHEMENT de la TENSION au Proche-Orient sur lequel M. Obama compte pour négocier avec l’Iran et affaiblir les mouvements radicaux comme le Hamas et le Hezbollah» (Le Monde 14/06/2009, «M. Nétanyahou prépare sa réponse aux exigences américaines», Michel Bôle-Richard).

(41)

«Les secteurs les plus DÉPENSIERS cette année seraient, d’après les prévisions de l’Insee, les plus ÉCONOMES l’an prochain» (Le Monde 17/11/2001, «L’investissement industriel pourrait reculer de 4 % au cours de l’année 2002», Martine Orange).

(42)

«Ensuite, la proportion des fonds notés entre 3 et 5 étoiles est restée stable, proche de 30 %. C’est d’ailleurs l’un des principaux enseignements des classements Eurofonds: trimestre après trimestre, la part des fonds bien notés ne bouge quasiment pas. Au passage, ce constat est plutôt négatif. Il signifie qu’un investisseur qui achète un fonds européen au hasard à moins d’une chance sur trois de tomber sur un bon produit. François Chavet, président de FundClass, incite d’ailleurs à ne pas tirer de conclusions trop hâtives: “Les BONS produits ne sont pas devenus MAUVAIS. Ils continuent d’être bien notés. En fait, ils sont juste un peu moins BRILLANTS qu’auparavant’» (Le Monde 08/05/2010, «Palmarès Eurofonds: les gérants stars sont décimés», Jérôme Porier).

Dans les énoncés (40) à (42), la coprésence d’antonymes prédicatifs exerce également une fonction de reclassement, mais, contrairement aux autres énoncés, l’un des antonymes exerce directement ou indirectement une fonction argumentale par rapport à l’autre.

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Dans l’énoncé (40), l’un des antonymes entretient une relation de dépendance prédicative directe avec l’autre: relâchement est un substantif déverbal prédicatif dont tension est l’argument. Dans cet énoncé, le référent qui subit un reclassement est désigné par l’un des antonymes, tension. L’un des antonymes exprime le passage de l’état désigné par l’autre antonyme à l’état contraire. La réalisation de ce passage est totale: la tension disparaît.

Fig. 51

Dans les deux énoncés suivants, l’un des antonymes entretient une relation de dépendance indirecte avec l’autre dans la mesure où c’est le syntagme formé par l’un des antonymes et son argument qui joue une fonction argumentale par rapport à l’autre antonyme. Les antonymes qui apparaissent en coprésence dans cette configuration sémantico-syntaxique sont des adjectifs ou des participes passés employés comme adjectifs. Ils ont le même argument. Cette fonction argumentale est exercée par une ou deux occurrence(s) d’un même substantif. Pour actualiser le second des prédicats antonymes dans ces énoncés, les verbes supports devenir et être sont employés. Lorsque c’est le verbe être qui est employé (41), les prédicats antonymes doivent être accompagnés de compléments de temps différents pour éviter un paradoxe. Lorsque c’est le verbe devenir qui est employé (42), ce verbe indiquant lui-même une évolution, la présence de compléments temporels n’est pas nécessaire.

Fig. 52

Dans l’énoncé (42), la négation du verbe support devenir implique la négation du reclassement du référent de produits de la classe des bons produits à celles des mauvais produits. En revanche, l’emploi de brillant dans la dernière phrase de l’énoncé sous-tend un reclassement. Ce

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reclassement est graduel et non oppositif, en raison du fait que les adjectifs qui permettent de définir les deux classes (bons, brillants) ne sont pas des antonymes, mais dénotent différents degrés d’une même propriété.

Fig. 53

1.3.4. Synthèse La coprésence d’antonymes sous-tend le reclassement du référent d’un lexème de leur cotexte d’une classe référentielle à une autre dans trois cas de figure: (1) l’un des antonymes seulement est nié directement ou indirectement en tant qu’argument d’un prédicat nié, (2) l’actualisation temporelle de deux antonymes prédicatifs dont l’un est argument de l’autre ou dont tous les arguments sont communs n’est pas la même, (3) les antonymes sont le support d’une comparaison d’infériorité ou de supériorité. Dans ces configurations, le reclassement est oppositif car ce sont les antonymes qui définissent l’intension des classes de départ et d’arrivée du référent reclassé. Lorsque les lexèmes qui sous-tendent le reclassement dénotent des degrés d’une même propriété, le reclassement est non oppositif (42). Lorsque les antonymes sont l’objet d’une interrogation, ils exercent une fonction proche de la fonction de reclassement, que nous avons appelée fonction de classement, l’interrogation servant précisément à déterminer dans quelle classe le référent du lexèmeargument des antonymes doit être rangé (énoncés (37) et (38)). Le mécanisme sémantico-référentiel de (re)classement regroupe trois fonctions identifiées par Jones et Jones et al. (III, 2.1.1): (1) l’antonymie transitionnelle, qui exprime le passage de l’état ou de la qualité désigné(e) par un des antonymes à l’état ou à la qualité contraire, ce que nous appelons le reclassement, (2) l’antonymie de négation, qui consiste à nier l’un des termes d’une paire antonymique pour renforcer l’autre, nous considérons que la négation d’un des deux antonymes est l’une des conditions de possibilité du reclassement, (3) l’antonymie interrogative, dans laquelle les antonymes coprésents sont employés dans une phrase interrogative, nous disons que l’interrogation sous-tend un classement.

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À ces trois fonctions, on peut ajouter l’antonymie extrême, qui consiste à mettre en relation les extrêmes opposés d’une échelle antonymique, cette mise en relation sert un reclassement dans l’énoncé (41). 1.4. Fonction d’anaphore À côté des fonctions d’expression de l’exhaustivité et de reclassement, nous avons identifié une autre fonction de la coprésence antonymique dans une simple mise en relation, la fonction d’anaphore. L’un des deux antonymes peut être utilisé dans une construction qui reprend anaphoriquement l’autre antonyme. Dans cette construction, l’un des antonymes est associé à un ou plusieurs lexèmes qui en se combinant avec lui le rende synonyme de l’autre antonyme. Ainsi dans (43), réduire l’écart est sémantiquement équivalent à rapprochement, ce qui permet à rapprochement d’être employé comme anaphore. (43)

«Il en a avancé quatre: 1) il faut que l’ÉCART entre le potentiel des deux plus grandes puissances et l’arsenal national ait été considérablement réduit, sans que le chef de l’Etat français ait quantifié précisément leur RAPPROCHEMENT; 2) il faut que les déséquilibres classiques en Europe, par l’intermédiaire de la Conférence sur la réduction des forces conventionnelles (CFE), aient été sensiblement atténués; 3) il faut que l’arme chimique ait été éliminée, et l’impulsion en a été donnée par la récente conférence de Paris; 4) il faut que cesse la compétition internationale dans les domaines des défenses anti-missiles, anti-satellites et anti-sousmarine» (Le Monde 31/07/1991, «La signature du traité Start. Vers un nouveau ‘round’ de négociations?», Jacques Isnard).

Fig. 54

1.5. Fonction de définition Lorsque la coprésence antonymique participe à une simple mise en relation, les antonymes peuvent exercer une fonction méta-lexicale réflexive, centrées sur eux-mêmes, que nous appelons fonction de définition.

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Deux antonymes, qu’ils soient des substantifs élémentaires ou des prédicats dont les arguments ne sont pas exprimés, peuvent être des arguments de même rang des prédicats être le contraire de ou s’opposer à dans des structures de type X est le contraire de Y, X s’oppose à Y. Ils peuvent également être employés de part et d’autre de la préposition par opposition à dans une structure de type X par opposition à Y157. Sur le plan sémantico-référentiel, l’un des antonymes coprésents permet de préciser le sens et/ou de caractériser le référent de l’autre antonyme par opposition, comme dans les exemples (44) à (49). Dans l’énoncé (44), une paire de suffixes antonymes est employée. Ces suffixes sont des antonymes conventionnels mais non canoniques en raison du fait qu’ils sont des morphèmes liés et non des lexèmes libres (II, 2.1). Le sens de ces suffixes est indiqué entre parenthèses dans l’énoncé. La structure X par opposition à Y permet de souligner l’antonymie entre ces suffixes et leur sens ainsi que de préciser le sens de phile. (44)

«Le suffixe “PHILE” vient du grec philos (ami), par opposition à PHOBE (crainte, obsession, rejet)» (Le Monde 08/07/2004, «Repères», s.a.).

Dans l’énoncé (45), l’opposition entre les antonymes français ne permet pas de préciser le sens de l’un des deux antonymes en référence à l’autre mais de définir le sens des antonymes bear et bull, empruntés à l’anglais et relevant d’un lexique de spécialité. (45)

«Moins littéraire mais tout aussi bear (‘PESSIMISTE’, dans le jargon des marchés par opposition à bull, ‘OPTIMISTE’), Albert Edwards figure également parmi ces analystes qui jouissent d’un nouveau crédit après avoir été longtemps dénigrés par la communauté financière» (Le Monde 05/11/2010, «Chers oiseaux de mauvais augure», Claire Gatinois et Marie de Vergès).

Dans les deux énoncés ci-dessus, aucune indication n’est donnée quant à la référence des antonymes, seul leur sens est défini: dans l’énoncé (44), les lexèmes entre parenthèses sont des traductions définitoires des antonymes alors que ce sont les antonymes qui sont les traductions définitoires dans (45).

157 Ces cas doivent être distingués de l’intégration de deux antonymes dans une séquence du type la différence entre X et Y, illustrée par l’énoncé (5) (VI, 1.1). Dans cette séquence, les antonymes apparaissent en usage et ne jouent pas de rôle méta-linguistique.

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Dans les énoncés (46) à (49), l’un des antonymes permet de définir le sens de l’autre mais aussi de caractériser son référent. (46)

«Le saccage est immense, mais le fait qu’il ait été mille fois décrit n’ôte rien à l’angoisse qu’il devrait susciter chez tout esprit sensé et doué d’un certain souci de l’ÉCONOMIE (au sens qui s’oppose au GASPILLAGE)» (Le Monde 26/05/1991, «Déréliction anticipée», Bruno Frappat).

(47)

«La PAIX s’entend donc, non plus comme le contraire de la GUERRE, ou comme un état permanent d’absence de GUERRE, mais comme un état (potentiellement instable) portant en lui les germes d’un futur acceptable pour les populations» (Le Monde 17/12/2010, «Quelle paix pour les crises actuelles?», Philippe Gaucher).

(48)

«D’après M. Bollen ‘l’indice de calme semble bien prédire si le Dow Jones ira à la hausse ou à la baisse’. Lors d’un entretien sur la chaîne de télévision CNBC, il a expliqué que ‘l’humeur de l’opinion, telle que l’expriment des millions de gens sur Twitter quotidiennement, fluctue. (….) Ces fluctuations, au moins l’une des indications que nous suivons, en l’occurrence l’humeur, le CALME par opposition à la NERVOSITÉ, est corrélée aux valeurs de clôture du Dow Jones’» (Le Monde 21/10/2010, «Twitter, devin des marchés», AFP).

(49)

«Tel est le cas de Juli Zeh, une des signatures qui est apparue sur la scène allemande au tournant des années 1990-2000 et dont les fictions constituent autant d’anticipations inquiètes des tendances liberticides de notre modernité. Elle a ainsi redonné vie avec talent au genre de la DYSTOPIE (le contraire de l’UTOPIE) sous l’inspiration du 1984 de George Orwell et du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley» (Le Monde 11/09/2010, «Gare à ‘l’Etat préventif’», Nicolas Weill).

Dans les énoncés (46) et (47), les syntagmes au sens qui s’oppose à et s’entendre comme indiquent que c’est le sens de l’un des antonymes que le locuteur entend préciser grâce à l’emploi de l’autre antonyme. Toutefois l’emploi de l’article défini est l’indice d’une ambiguïté entre l’emploi des antonymes en mention et en usage. Leur emploi en usage implique que gaspillage et guerre permettent également de caractériser le référent de économie et paix. Dans l’énoncé (47), les syntagmes contraire de la guerre et absence de guerre sont sémantiquement équivalents en raison du fait que paix et guerre sont des antonymes du type 1: l’un dénote une propriété ou un état alors que l’autre dénote l’absence de cette propriété ou de cet état (II, 3.4.3). Ces syntagmes permettent donc tous deux de définir paix. Dans les énoncés (48) et (49), en l’absence de toute précision, on peut considérer que l’emploi de nervosité et de utopie permet au locuteur de donner des indications quant au sens et à la référence de calme et de dystopie.

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2. Double mise en relation: deux lexèmes différents non antonymes comme paire B Après avoir envisagé les fonctions de la coprésence antonymique dans une simple mise en relation, nous pouvons décrire les fonctions de la coprésence antonymique dans une double mise en relation. Lorsque deux antonymes sont employés ensemble dans la même phrase ou le même groupe de phrases et qu’ils permettent de mettre en relation deux autres lexèmes ou groupes de lexèmes qui constituent une paire B, on peut considérer qu’il s’agit d’une double mise en relation. Tous les énoncés classés dans cette section 2 ont en commun de contenir une paire, homo- ou hétérocatégorielle, formée par des antonymes. Ces antonymes sont arguments/actualisateurs de deux lexèmes prédicatifs ou ont pour arguments deux lexèmes ou syntagmes (paire B), prédicatifs ou non, qui ont quatre caractéristiques: (1) B1 et B2 sont différents sur le plan formel, (2) B1 et B2 ne sont pas des antonymes, (3) B1 et B2 ne désignent pas les mêmes référents, (4) B1 et B2 ne peuvent être remplacés l’un par l’autre en conservant le sens de l’énoncé dans lequel ils s’insèrent. Dans ces énoncés, extraits de notre corpus, les membres de la paire antonymique, A1/A2, et de la paire B, B1/B2, sont répartis deux à deux (A1B1, A2B2) dans deux structures prédicatives, le plus souvent parallèles, et qui sont juxtaposées, coordonnées ou subordonnées l’une à l’autre. Les antonymes y jouent un rôle prédicatif, argumental et/ou d’actualisation (comme actualisateur ou comme circonstant). L’analyse des énoncés classés dans cette section permettra de définir la fonction sémantico-référentielle que la coprésence antonymique exerce dans chacun d’eux. Cette analyse sera développée sur deux plans. Sur le plan sémantico-syntaxique, nous décrirons les relations de chacun des membres de la paire B avec chacun des membres de la paire A. Nous mettrons cette structure sémantico-syntaxique en relation avec les mécanismes syntaxiques de surface qui lient deux à deux les membres de la paire A et de la paire B en fonction de leur appartenance catégorielle à une partie du discours (VI, 2.1). Sur le plan sémantico-référentiel, grâce à la description de la diversité des structures sémantiques et syntaxiques dans lesquelles les membres des paires A et B peuvent être employés en coprésence, nous définirons la fonction sémantico-référentielle que la coprésence antonymique exerce dans l’ensemble de ces structures (VI, 2.2).

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2.1. Structures sémantico-syntaxiques Nous allons maintenant décrire les structures sémantico-syntaxiques qui mettent en relation les membres de la paire d’antonymes (A) et de la paire B, A1/A2 et B1/B2, au sein de chacune des propositions dans lesquelles ils sont employés. Comme dans la section précédente, nous avons formalisé chacune de ces structures dans un encadré. Dans ces formules, A 1/A 2 sont les membres de la paire d’antonymes alors que B1/B2 sont les lexèmes par rapport auxquels les antonymes exercent une fonction. Par convention, nous avons considéré que la séquence qui contient A1/B1 et celle qui contient A2/B2 sont juxtaposées et reliées par un point. Dans les énoncés que nous avons analysés, ces séquences peuvent être juxtaposées et reliées par d’autres signes de ponctuation, coordonnées ou subordonnées l’une à l’autre. Nous avons classé ces structures en premier lieu selon la fonction élémentaire (fonction prédicative, argumentale ou d’actualisation) que les antonymes y exercent et, en second lieu, selon la ou les fonction(s) élémentaire(s) de B1 et B2. 2.1.1. Antonymes dans une fonction prédicative Lorsque les antonymes exercent une fonction prédicative, les membres de la paire B, mis en relation par les antonymes, peuvent être (1) leurs arguments (VI, 2.1.1.1 et 2.1.1.2), (2) l’ensemble formé par deux prédicats différents exerçant une fonction argumentale par rapport aux antonymes et leurs arguments ou actualisateurs non communs (VI, 2.1.1.3), (3) les arguments d’un prédicat ou de deux prédicats identiques enchâssé(s), argument(s) des antonymes (VI, 2.1.1.4), (4) les actualisateurs des antonymes (VI, 2.1.1.5). 2.1.1.1. B1 et B2: arguments élémentaires A1(B1). A2(B2): A1 et A2 exercent une fonction prédicative par rapport aux lexèmes non prédicatifs B1 et B2, tous les autres arguments de même rang des antonymes étant communs. Dans cette configuration, les antonymes peuvent être des verbes, des adverbes, des adjectifs ou des substantifs. Nous allons illustrer chacun de ces cas par des exemples et nous analyserons les structures qui soustendent la coprésence des antonymes relevant de chaque partie du discours.

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 Verbes antonymes (50)

«Bloch ABANDONNE l’aventure pour quelque temps, et Potez POURSUIT seul l’entreprise» (Le Monde 31/05/2011, «Henry Potez et ses machines volantes», Jacques-Marie Vaslin).

Les verbes prédicatifs antonymes, employés dans l’énoncé (50), requièrent deux arguments. Ils sont tous deux exprimés. Les arguments arg2 des antonymes sont aventure et entreprise. Comme l’indique le contexte élargi de cet énoncé, ces substantifs sont co-référents et désignent la construction d’avions au sein de la Société d’études aéronautiques, fondée en 1916 par Bloch et Potez. Le substantif aventure «entreprise dont l’issue est incertaine» peut être considéré comme un hyponyme de entreprise (Grand Robert 2001). Les substantifs aventure et entreprise sont donc formellement différents, sémantiquement proches et référentiellement identiques. En revanche, les arguments arg1 des verbes antonymes, Bloch et Potez, sont formellement, sémantiquement et référentiellement distincts. Ces noms propres peuvent donc être considérés comme les constituants d’une paire B (V, 4.3). Dans les schémas associés aux énoncés, comme le schéma ci-dessus, nous indiquons le rapport entre les membres de la paire B par une double flèche en pointillés.

Fig. 55

Dans l’énoncé (50), la coprésence antonymique permet d’opposer deux individus en regard de leur comportement par rapport à la Société d’études aéronautiques après sa fondation (dimension de l’opposition): l’un des deux dirigeants est resté à la Société et l’autre l’a quittée. Cette opposition ne naît que de la coprésence antonymique: si les verbes abandonner et poursuivre sont remplacés par d’autres qui ne sont pas antonymes, la phrase perd alors toute dimension contrastive (comparer avec Bloch finance l’aventure pour quelque temps, et Potez dirige seul l’entreprise). Seuls les deux verbes antonymes sont porteurs de l’opposition. Cette opposition lexicale entre les verbes abandonner et poursuivre n’est pas mise en évidence explicitement par la structure syntaxique, c’est-à-dire

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par un connecteur oppositif fort (comparer avec Bloch abandonne mais Potez poursuit; Au contraire de Bloch qui abandonne, Potez poursuit; Potez poursuit contrairement à Bloch, etc.). Lorsque la coprésence antonymique met en contraste les membres d’une paire B, nous dirons qu’elle exerce une fonction sémantico-référentielle d’ancillarité (au sens strict) pour la distinguer de la fonction d’ancillarité décrite par Jones (2002), plus large, car elle comprend notamment aussi la coprésence de deux paires antonymiques (VI, 4). Lorsque les antonymes exercent une fonction d’ancillarité (au sens strict), les référents des membres de la paire B, bien que distincts, sont liés. Dans l’énoncé (50), il s’agit des deux ingénieurs fondateurs de la Société d’études aéronautiques comme l’indique le contexte. Les référents des membres de la paire B entretiennent donc un rapport de contiguïté dans un même cadre référentiel. En raison du fait que toute opposition nécessite un fond commun (II, 2.1.3 et 2.2), la mise en relation de deux prédicats antonymes, qui ont pour arguments des unités qui désignent les mêmes référents (arguments communs) et des unités qui désignent deux référents différents (arguments non communs), suscite une recherche spontanée, de la part du destinataire, d’un cadre référentiel qui relie les arguments non communs. Ainsi, pour un lecteur qui ne connaît pas Bloch et Potez, ces noms pourraient référer à deux joueurs de tennis inscrits au même tournoi, à deux navigateurs en tête du Vendée Globe, à deux historiens qui se sont engagés dans la Résistance, etc. Ce cadre référentiel peut être supposé connu par le destinataire comme dans l’exemple cité par Jones, Kennedy DEAD is more interesting than Clinton ALIVE (Jones 2002: 49), ou doit être précisé si le locuteur juge que son destinataire n’a pas les clés suffisantes pour cerner le cadre référentiel comme dans l’article qui contient l’énoncé (50). Sur le plan pragmatique, dans cet énoncé, la différence de comportement entre Bloch et Potez peut être un simple constat factuel ou peut impliquer un jugement de valeur de l’énonciateur. Ce jugement peut être interprété en raison du fait que la coprésence antonymique, non seulement présuppose l’existence d’un cadre référentiel commun qui subsume les individus désignés par Bloch et Potez, mais aussi les range dans deux classes référentielles définies par les comportements que les antonymes désignent: la classe des personnes qui abandonnent et celle des personnes qui poursuivent. Si l’énonciateur a associé à ces classes, comme le choix des lexèmes aventure et entreprise peut le laisser penser, une connotation, positive ou négative, elles peuvent servir un jugement de valeur.

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L’énoncé (50) peut ainsi signifier que Bloch est lâche alors que Potez est particulièrement courageux, que Bloch est idéaliste alors que Potez est opportuniste ou que Bloch n’a pas été assez optimiste alors que Potez l’était, selon ce que l’énonciateur souhaite exprimer et quels mécanismes il met en place autour de cet énoncé pour permettre au destinataire d’interpréter ce jugement. L’effet perlocutoire atteint par ce type de structure en contexte nécessiterait un examen approfondi qui n’est pas l’objet de cet ouvrage. (51)

«Le satiriste, le Flaubert ou l’Aristophane contemporain, pose sa plume, ÉTEINT son ordinateur et ALLUME sa télévision avec jalousie» (Le Monde 25/05/2011, «Le Bronx contre la place des Vosges», Marc Weitzmann).

Les arguments non communs aux antonymes peuvent occuper la position argumentale arg1 comme dans l’énoncé (50), mais aussi la position argumentale arg2 comme dans l’énoncé (51). Ce sont les unités ordinateur et télévision qui exercent une fonction argumentale arg2 par rapports aux antonymes. Ces unités désignent des objets qui représentent, par métonymie, les pratiques anciennes et modernes de la satire. En revanche, aucun argument arg1 n’est exprimé dans les SPU coordonnées dans lesquelles les prédicats antonymes s’insèrent. Pour les interpréter, il faut considérer que satiriste, qui exerce une fonction argumentale arg1 par rapport à poser dans la SPU précédente, est également l’argument arg1 de éteindre et allumer. C’est, en effet, l’identité de l’argument arg1 de poser, éteindre et allumer qui permet de ne pas l’exprimer devant éteint et allume.

Fig. 56

Les verbes antonymes coprésents éteindre et allumer relèvent du cinquième type d’opposition (II, 3.4.3). Ce type regroupe les prédicats dénotant des procès qui vont d’un état initial à un état final et inversement. Le fait que les antonymes possèdent deux arguments arg2 différents annule le rapport inverse entre ces deux verbes. Les actions qu’ils expriment peuvent donc être simultanées.

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À l’inverse, si les arguments arg2 des antonymes prédicatifs du type 5 sont identiques ou si ces antonymes ne requièrent pas d’argument arg2, les actions qu’ils expriment ne peuvent être que successives dans le temps comme dans l’exemple suivant, dans lequel aucune paire B ne peut être identifiée: «Depuis le 11-Septembre, Ben Laden incarne ce héros solitaire, qui APPARAÎT et DISPARAÎT à sa guise, narguant la plus grande puissance mondiale, un Clint Eastwood arabe, un Robin des bois musulman qui prétend venger les souffrances du peuple palestinien» (Le Monde 14/05/2011, «Un crime parfait», Christian Salmon).

Dans un énoncé comme Paul adore et déteste son ordinateur où les verbes antonymes relèvent du type 3 et dénotent donc la réalisation de deux procès dont l’un peut être défini comme étant exactement ce que l’autre n’est pas et inversement, la succession temporelle n’est pas la seule interprétation possible, les procès peuvent être simultanés. Dans ce cas, ils ne peuvent avoir la même cause ou concerner la même partie ou la même qualité de l’objet désigné par l’argument arg2: par exemple, Paul aime son ordinateur parce qu’il (ou: quand il) est efficace et il le déteste parce qu’il ne l’est pas toujours, Paul aime l’efficacité de son ordinateur mais déteste son manque de fiabilité. Deux antonymes coprésents qui sont des prédicats dont tous les arguments sont identiques ne seront donc pas interprétés de la même manière selon le type d’antonymie dont ils relèvent. Les antonymes des types 3 et 4 sont des prédicats qui peuvent être appliqués simultanément au même objet. Les antonymes du premier, du deuxième et du cinquième type sont des prédicats qui ne le peuvent pas. Lorsque les verbes antonymes coprésents sont des prédicats qui ont des arguments non communs, et qu’ils participent donc à une double mise en relation, l’appartenance des antonymes à un type ou à un autre d’antonymie n’a pas d’influence sur leur rôle de mise en contraste des membres de la paire B. La coprésence antonymique dans la phrase Le satiriste DÉTESTE son ordinateur et AIME sa télévision, forgée à partir de l’énoncé (51), met en contraste ordinateur et télévision de la même façon que dans l’énoncé (51). (52)

«Un dernier élément pèse lourd: la résorption de la dette publique. L’opposition républicaine, majoritaire à la Chambre, VEUT lier le rehaussement de son plafond à un engagement préalable de Barack Obama de raboter massivement les budgets sociaux, sans aucune augmentation d’impôts parallèle. Le président REFUSE et Wall Street s’inquiète d’un risque de blocage et d’insolvabilité de l’Etat» (Le Monde 05/06/2011, «Aux Etats-Unis, l’emploi et l’immobilier font craindre un retour de la récession», Sylvain Cypel).

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Lorsqu’il est exprimé, l’argument commun des verbes antonymes peut prendre la forme d’une structure prédicative et non d’une unité lexicale simple comme dans les énoncés (50) et (51). C’est ce cas qu’illustre l’énoncé (52). L’enchaînement des phrases et le fait que le prédicat refuser nécessite au moins deux arguments permettent de comprendre que refuser et vouloir ont le même argument arg2. L’argument arg2 de refuser est donc sous-entendu. Les arguments arg1 des antonymes ne leur sont pas communs. La coprésence antonymique, qui est ici transphrastique, met en relation contrastive des hommes politiques américains, en regard de leur position par rapport à une mesure économique.

Fig. 57

Dans cet énoncé, le potentiel contrastif des éléments de la paire B, opposition républicaine et président est très grand: l’on peut, en effet, rapprocher président et gouvernement dont Le Grand Robert (2001) répertorie l’antonymie avec opposition, dans la mesure où gouvernement désigne un groupe d’hommes/femmes politiques que chapeaute le président. Dans un tel cas, le rôle contrastif des antonymes est moins important. Jones (2002: 47) emploie le terme innate opposition pour désigner l’opposition entre les membres de la paire B, indépendamment de la présence de la paire A, c’est-à-dire des antonymes. Nous lui préférons le terme potentiel contrastif de la paire B pour deux raisons: 1) le terme inné semble peu approprié lorsqu’il s’agit du sémantisme d’un lexème; 2) contrairement à Jones, nous réservons ce terme aux membres de la paire B qui ne sont pas des antonymes. Jones considère, en effet, que les membres de la paire B, lorsqu’ils sont eux-mêmes des antonymes, ont le plus haut niveau d’innate opposition. Il pose donc l’existence d’un continuum entre les cas où B1 et B2 n’ont aucune «opposition innée»

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et les cas où ils sont antonymes. Or, si nous pouvons être d’accord avec Jones sur l’existence d’un continuum entre paires de lexèmes opposés dans un contexte particulier seulement et antonymes conventionnalisés (II, 2.1.3), nous distinguons clairement, sur les plans sémantico-syntaxiques et sémantico-référentiels, les cas où les membres de la paire B sont des antonymes et ceux où ils ne le sont pas (VI, 4). Nous employons donc le terme potentiel contrastif de la paire B pour indiquer que les membres de la paire B, sans qu’ils soient pour autant des antonymes, peuvent être considérés comme plus ou moins opposés l’un à l’autre dans un ou plusieurs énoncés, indépendamment de la présence de la paire A, en raison de certains traits de leur sens ou des implications sémanticologiques qui découlent de leur sens.  Adverbes antonymes (53)

«On est AILLEURS, même si le corps reste LÀ» (Le Monde 13/05/2011, «Les transes, ces vacances mouvementées», Roger-Pol Droit).

Dans cet énoncé, les adverbes antonymes sont des prédicats de premier ordre qui indiquent une localisation (Gross 2012: 17). Cette analyse implique que l’on considère être et rester comme des verbes supports.

Fig. 58

Cet emploi de être et de rester doit être distingué de leurs emplois comme verbes attributifs, par exemple dans La maison est/reste petite, ou comme prédicats d’existence (C’est une maison, Ça reste une maison), d’identification (Cette maison est/reste ma maison) ou de subsomption (Cette villa est/reste une maison). Les adverbes prédicatifs antonymes ont un argument arg1 différent. La coprésence antonymique permet ainsi de mettre en contraste les unités on et corps. Le pronom on désigne la conscience ou l’esprit, traditionnellement opposés au corps.  Adjectifs antonymes (54)

«PRÉSENT avec succès aux Etats-Unis et en Chine alors que Renault est ABSENT de ces deux régions, Nissan vend également des véhicules à fortes marges alors que Renault a délaissé le haut de gamme pour se spécialiser

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dans les petites voitures et les véhicules à bas coûts» (Le Monde 01/06/2011, «Renault: Carlos Tavares succède à Patrick Pélata», Nathalie Brafman). (55)

«‘Tous les exemples le montrent autour de nous: quand l’État est RICHE, le pays est PAUVRE’» (Le Monde 09/06/1987, «‘Je suis ministre, je le reste; j’ai ma liberté de parole, je la garde’», compte rendu d’un discours de François Léotard, s.a.).

(56)

«Albert Quentin (Jean Gabin), propriétaire d’un hôtel dans un village de Normandie, devenu SOBRE à la suite d’un serment, va retrouver, quinze ans après la fin de la guerre, l’occasion de boire tant et plus en se liant d’amitié avec un jeune homme de passage, Gabriel Fouquet (Jean-Paul Belmondo), paumé, ALCOOLIQUE» (Le Monde 22/05/2011, Synopsis du film Un singe en hiver, s.a.).

(57)

«Intitulé Klap-Maison pour la danse, un NOUVEAU lieu sera inauguré à Marseille, dans l’ANCIEN quartier ouvrier de Saint-Mauront (3e arrondissement), le 22 septembre 2011» (Le Monde 04/06/2011, «Un nouveau lieu de production et de création ouvrira à Marseille à l’automne 2011», s.a.).

Des adjectifs antonymes qui exercent une fonction prédicative peuvent être employés dans deux séquences Sujet-Prédicat-Complément (SjPC) ou dans deux séquences Substantif-Adjectif (SubstAdj). Dans l’énoncé (54), la coprésence antonymique permet de mettre en contraste deux marques de voiture, explicitement opposées par alors que, en regard de leur implantation dans deux régions du monde.

Fig. 59

Les séquences SjPC qui contiennent les antonymes peuvent être subordonnées l’une à l’autre lorsque l’une des deux est une proposition circonstancielle. Dans l’énoncé (55), la proposition qui contient l’un des antonymes est une circonstancielle de temps introduite par quand et subordonnée à la proposition qui contient l’autre antonyme. Dans cet énoncé, les membres de la paire B sont sémantiquement proches et

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peuvent être employés comme des synonymes dans d’autres contextes. Cette particularité rend le contraste de l’énoncé (55) plus percutant. Ce contraste induit une sélection dans le continuum sémantique qui permet d’interpréter le sens de État non comme «groupement humain fixé sur un territoire déterminé, soumis à une même autorité et pouvant être considéré comme une personne morale», ce qui le rapproche de pays, mais comme «autorité souveraine s’exerçant sur l’ensemble d’un peuple et d’un territoire déterminés» (Grand Robert 2001).

Fig. 60

Lorsque les antonymes sont des adjectifs employés dans deux séquences substantif-adjectif, ils peuvent être des épithètes détachées (56) ou des épithètes liées (58). Dans l’énoncé (56), les adjectifs antonymes qualifient deux noms propres, Albert Quentin et Gabriel Fouquet. La coprésence antonymique permet de mettre en contraste deux hommes quant à leur rapport aux boissons alcoolisées, de façon à expliquer le changement de comportement de l’un au contact de l’autre (retrouver l’occasion de boire).

Fig. 61

Dans les énoncés où la co-présence antonymique exerce une fonction d’ancillarité au sens strict, cette coprésence peut exprimer un simple constat factuel si le contraste qu’elle sous-tend n’est pas exploité sur le plan pragmatique, comme cela semble être le cas dans l’énoncé (57). Dans cet énoncé, une telle exploitation pourrait exprimer soit le renouvellement salutaire d’un espace par l’adjonction d’un élément, si le contraste est conçu positivement, soit la dénaturation d’un espace par l’intrusion d’un élément, si le contraste est conçu négativement par le locuteur ou son récepteur.

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Fig. 62

Les adjectifs antonymes peuvent également constituer, avec les unités ou syntagmes qui sont leurs arguments, deux groupes nominaux en apposition à un substantif ou à un nom propre qui est co-référent de ces unités ou syntagmes, comme dans (58). Dans cet énoncé, les antonymes sont des prédicats dont les arguments sont différents, mais compte tenu de leur valeur temporelle, ils jouent également un rôle dans l’actualisation de l’énoncé. L’emploi d’antonymes dans deux appositions au même nom propre pourrait être un facteur de confusion avec les cas de reclassement (VI, 1.3). La différence entre l’énoncé (58) et ces cas est que ce sont les syntagmes-arguments des antonymes, et non les antonymes eux-mêmes, qui désignent les classes qui contiennent successivement le référent reclassé. (58)

«Roger Federer, ANCIEN leader mondial, ACTUEL n° 3, est le grand bénéficiaire de ce désintérêt passager: c’est autant de pression en moins pour le joueur suisse» (Le Monde 29/05/2011, «Roger Federer, la pression en moins», Jean-Jacques Larrochelle).

Fig. 63

L’énoncé (58) peut ainsi exprimer un reclassement référentiel même en l’absence des antonymes: Roger Federer, qui a été leader mondial puis n° 3, est le grand bénéficiaire de ce désintérêt passager. La différence avec les énoncés de la sous-section 1.3 est que, lorsque ce sont les antonymes qui désignent les classes de départ et d’arrivée d’un référent, le reclassement peut être dit oppositif dans la mesure où les définitions en intension de ces classes sont opposées.  Substantifs antonymes (59)

«Ce chœur sert les acteurs qui exaltent la VIVACITÉ des samouraïs et la du Nô» (Le Monde 16/07/2006, «Une ‘Iliade’ conceptuelle et difficile, loin de la Grèce», Brigitte Salino).

LENTEUR

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(60)

«Plus tard, Pierre Sudreau, devenu directeur de cabinet du président du conseil Edgar Faure, demande à Jacques Rigaud de le rejoindre. Celui-ci voisine alors avec Jacques Duhamel, auquel une forte AMITIÉ le liera pour toujours, et avec Valéry Giscard d’Estaing, pour lequel naît une INIMITIÉ réciproque, dont aucun des deux ne se départira jamais (Le Monde 2/07/2000, «Parcours d’un ‘honnête homme’ dans les arcanes de l’audiovisuel», Françoise Chirot).

(61)

«Ce qui est vrai, c’est l’ABSENCE de mièvrerie [dans les chansons de Michaël Jackson] et la PRÉSENCE constante de brûlots de swing et de funk» (Le Monde 29/08/7987, «‘Bad’, le nouvel album de Michaël Jackson. Le séraphin souffre douleur», Claude Fleouter).

Dans la majorité des cas, les substantifs antonymes qui permettent de mettre en contraste leurs arguments sont employés comme noyaux d’une séquence Substantif-préposition-Substantif (SpS) dans laquelle leur argument prend la forme d’un complément prépositionnel. Il arrive toutefois que, comme dans l’énoncé (60), des substantifs antonymes soient employés dans deux séquences SjPC. L’argument arg1 des antonymes peut être non commun, comme dans l’énoncé (59). Dans cet énoncé, les arguments arg1 des antonymes sont samouraïs et Nô. Ces unités désignent des référents qui appartiennent au même cadre référentiel et y entretiennent une relation de contiguïté: samouraï «guerrier japonais de la société féodale (environ du Xe siècle à la fin du XIXe), au service d’un seigneur féodal ou d’un noble (daimyō)» et Nô «drame lyrique de caractère religieux et traditionnel qui apparut, dans le théâtre japonais, au XIVe siècle» (Grand Robert 2001).

Fig. 64

Dans (60), ce sont les arguments arg2 des substantifs antonymes qui ne leur sont pas communs et sont donc mis en contraste. Les arguments arg2, non communs aux antonymes prédicatifs, sont Jacques Duhamel et Valéry Giscard d’Estaing. Les référents désignés par ces noms s’inscrivent dans le même cadre référentiel, que le syntagme cabinet du président du conseil Edgar Faure définit. La coprésence antonymique présuppose cette inscription dans un même cadre: un lecteur qui ne connaît pas Jacques Duhamel ou ne sait pas que Valéry Giscard d’Estaing

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a travaillé avec Edgar Faure peut inférer qu’ils ont tous deux été des collaborateurs d’Edgar Faure.

Fig. 65

Arrêtons-nous un instant sur la paire de substantifs désadjectivaux absence/présence. Sur le plan sémantique, elle se distingue des autres paires antonymiques en raison du fait que ses membres peuvent dénoter non seulement une qualité appliquée à un individu ou à un objet mais aussi l’(in)existence d’une autre qualité. Cette particularité sémantique a une influence sur la fonction sémantico-référentielle de la paire absence/ présence, lorsqu’elle est répartie dans deux séquences SpS dont ses membres constituent le noyau. Elle ne permet pas toujours de mettre en contraste ses arguments non communs. Lorsque l’un des membres de la paire B, ou les deux, désigne(nt) une qualité et lorsque le potentiel contrastif des membres de la paire B est élevé, comme dans l’énoncé (61), les antonymes présence et absence ne mettent pas leurs arguments arg1 non communs en contraste. En effet, mièvrerie désigne une qualité incompatible avec le contenu désigné par brûlots: un brûlot, par définition, n’est pas mièvre. Les antonymes ne mettent pas mièvrerie et brûlots en contraste mais se renforcent mutuellement: l’énoncé (61) peut ainsi être ramené à une structure du type pas X, et même Y, où X et Y sont des contraires, et être interprété comme l’équivalent de Il n’y a pas de mièvrerie dans les chansons de Michaël Jackson, c’est même le contraire, on y trouve constamment des brûlots de swing et de funk. L’emploi de constante pour qualifier présence renforce ce mécanisme.

Fig. 66

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2.1.1.2. B1 et B2: arguments prédicatifs simples A1[B1(C)]. A2[B2(C)]: A1 et A2 exercent une fonction prédicative par rapport à deux prédicats différents, B1 et B2, dont tous les arguments sont communs. Dans cette configuration, les antonymes sont toujours des adverbes employés dans deux séquences SjPC.  Adverbes antonymes (62) «A dix-huit ans, il [Raymond Devos] rêvait de faire ce métier [clown] et, certains jours encore, il aimerait l’exercer, entrer sur la piste, jongler avec les instruments de musique, avec les mots et les idées, bonimenter: ‘Mesdames et messieurs, de temps en temps j’ai des blocages parce que je pense très VITE, et parle LENTEMENT. […]’» (Le Monde 8/09/1988, «Une rencontre avec Raymond Devos. ‘L’absurde est notre condition’», Claude Fleouter). (63) «On mentionna ABONDAMMENT les auteurs [du nouveau roman], on les lut PEU» (Le Monde 19/05/1989, «Le Rhin est plus profond que jamais», Fritz Raddatz). (64)

«D’autant que les politiques de tous bords se sont emparés de ce thème [le marché unique européen] HAUTEMENT mobilisateur et PEU polémique pour s’en faire les champions» (Le Monde 15/10/1988, «Entreprises 93», Annie Kahn).

Les adverbes antonymes peuvent permettre de mettre en contraste deux prédicats différents qui exercent une fonction argumentale par rapport à eux, à condition que ces prédicats partagent tous leurs arguments. Dans les énoncés (62) à (64), les adverbes antonymes sont des prédicats qui ont pour arguments deux prédicats différents mis en contraste. Ces prédicats peuvent requérir un seul argument ((62) et (64)) ou plusieurs (63). Ces arguments, qu’ils soient exprimés ou non et quel que soit leur nombre, sont communs aux deux prédicats mis en contraste. Ces deux prédicats peuvent être des verbes ((62) et (63)) ou des adjectifs (64). Dans l’énoncé (62), les adverbes antonymes ont pour arguments deux prédicats différents dans un emploi intransitif. L’argument arg1 de ces prédicats leur est commun.

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Fig. 67

L’énoncé (63) diffère un peu du précédent en raison du fait que les prédicats mis en contraste par la coprésence antonymique requièrent deux arguments, tous deux exprimés dans cet énoncé. Ces arguments sont communs aux prédicats mentionner et lire.

Fig. 68

Dans l’énoncé (64), les prédicats arguments des antonymes sont des adjectifs qui ne requièrent qu’un argument.

Fig. 69

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2.1.1.3. B1 et B2: arguments prédicatifs complexes A1[X(C)]. A2[Y(D)]: A1 et A2 exercent une fonction prédicative par rapport à deux prédicats différents qui n’ont pas tous leurs arguments en commun. Dans cette configuration, B1 et B2 sont les ensembles X(C) et Y(D), formés par les deux prédicats et leurs arguments. Tous les autres arguments de même rang des antonymes leur sont communs. Les antonymes peuvent être des verbes, des adverbes, des adjectifs ou des substantifs.  Verbes antonymes (65)

«Le droit de manifester est ACCORDÉ, mais les protestations publiques restent INTERDITES» (Le Monde 04/05/2011, «Une intervention de l’ONU s’impose en Syrie, Naoufel Brahimi El-Mili»).

Dans l’énoncé (65), l’un des deux membres de la paire B est une séquence SpS qui contient deux prédicats dont l’un dépend de l’autre. L’autre membre est une séquence substantif-adjectif. Les arguments arg2 des antonymes sont ainsi les séquences prédicatives droit de manifester et protestations publiques qui sont formellement différentes.

Fig. 70

Sur le plan sémantique, ces séquences sont très proches: le syntagme protestations publiques peut être employé comme un quasi-synonyme de manifestation, les protestations publiques étant la manière la plus courante d’exercer le droit de manifester. La mise en contraste des éléments de la paire B au moyen de la coprésence antonymique souligne donc le paradoxe qu’il y a à accorder un droit à des citoyens mais à leur refuser la possibilité d’en user. Ce paradoxe est soutenu par le fait que les arguments arg1 des antonymes et les arguments arg1 et arg2 des prédicats enchâssés ne sont pas exprimés. Une éventuelle différence référentielle

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entre l’autorité qui accorde et l’autorité qui interdit ou entre ceux qui peuvent manifester et ceux qui ne peuvent pas protester est ainsi masquée, ce qui a pour conséquence de focaliser la mise en contraste sur droit de manifester et protestations publiques. Si deux unités lexicales différentes exerçaient la fonction argumentale arg1 par rapport aux antonymes, elles focaliseraient le contraste sur elles, conduisant à interpréter droit de manifester et protestations publiques comme des synonymes et supprimant ainsi le paradoxe: Le droit de manifester est accordé par la constitution mais les protestations publiques restent interdites par le gouvernement.  Adverbes antonymes (66)

«La question est de prévoir, à l’horizon de quelques années, ce qui se passera s’il [Fidel Castro] reste ainsi immobile: ou bien, il sera mis DOUCEMENT à la retraite par les membres les plus lucides de la “jeune garde” du régime, ou bien il sera BRUTALEMENT renversé lors d’un soulèvement sanglant» (Le Monde 01/04/1994, «Cuba. Un entretien avec l’un des principaux opposants au régime castriste. ‘La société cubaine est devenue un cocktail explosif’ nous déclare Elizardo Sanchez Santa-Cruz», Dominique Dhombres).

Dans l’énoncé (66) comme dans le précédent, les antonymes coprésents ont pour arguments deux prédicats différents dont les arguments ne sont pas communs. La coprésence antonymique permet de mettre en contraste les ensembles formés par ces prédicats et leurs arguments. Bien qu’il apparaisse comme une circonstance temporelle introduite par lors dans l’énoncé (66), soulèvement exerce une fonction argumentale arg1 par rapport au prédicat renverser en raison du fait que ce lexème indique que c’est une partie du peuple qui est à l’origine du renversement: soulèvement «mouvement massif de révolte contre un oppresseur» (Grand Robert 2001). Les procès exprimés par les deux branches de l’alternative sous-tendue par la structure ou bien X ou bien Y et par la coprésence antonymique auraient la même conséquence: la fin de la présidence de Fidel Castro à Cuba. Ce qui est mis en contraste dans cet énoncé ce sont les modalités de cette fin de règne et les individus qui en seraient la cause: certains membres du parti au pouvoir ou une partie du peuple cubain.

VI. FONCTIONS SÉMANTICO-RÉFÉRENTIELLES DE L’ANTONYMIE

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Fig. 71

 Adjectifs antonymes (67)

«Les éditorialistes soulignent qu’un pays qui se dit CAPABLE de mener deux guerres simultanées contre le Hezbollah libanais et le Hamas, qui se prépare à une offensive militaire contre le programme nucléaire de l’Iran, qui dispose de plus de 400 avions de combat ultramodernes et dont l’économie a traversé sans heurts la récession mondiale, est INCAPABLE de s’acheter un seul Canadair!» (Le Monde 07/12/2010, «L’incendie près d’Haïfa souligne la vulnérabilité d’Israël en matière de sécurité civile», Laurent Zecchini).

Dans l’énoncé (67), les adjectifs prédicatifs antonymes requièrent plusieurs arguments. Leurs arguments arg2, qui prennent la forme de deux propositions infinitives (mener deux guerres simultanées contre le Hezbollah libanais et le Hamas et s’acheter un seul Canadair), sont mis en contraste par la coprésence antonymique. Les propositions infinitives sont formellement, sémantiquement et référentiellement différentes. Les actions désignées par ces propositions poursuivent des buts différents (l’offensive militaire et la protection civile), sont d’ampleur différente et nécessitent des moyens d’importance différente. Leur mise en contraste met en doute les affirmations d’Israël (un pays qui se dit) en se fondant sur la prémisse Qui peut le plus peut le moins: si Israël ne peut même pas le moins alors a fortiori il ne peut pas le plus.

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Fig. 72

 Substantifs antonymes (68)

«Je sais, Sebastian Piñera, le nouveau président du Chili a été élu démocratiquement, le peuple a choisi, rien à dire. Mais, mes chers amis, ma TRISTESSE remonte du fond de mon corps et de mon cœur. Quand je vois le déferlement de JOIE des admirateurs d’Augusto Pinochet, je pense à mes morts, àc mes disparus, aux centres de torture, aux prisons» (Le Monde 31/01/2010, «Piñera me fait du mal», Teo Saavedra).

Un seul des deux membres d’une paire d’antonymes peut faire partie d’une séquence SpS dont il est le noyau. Ainsi, dans l’énoncé (68), l’un des deux antonymes seulement, joie, est employé dans une séquence SpS dans laquelle son argument prend la forme d’un complément prépositionnel. L’autre, tristesse, est employé sans complément prépositionnel mais avec un déterminant possessif qui indique que son argument arg1 correspond au locuteur, c’est-à-dire à Teo Saavedra. Le fait que l’énoncé (68) soit du discours direct à la première personne explique cette structure. À la troisième personne, le syntagme ma tristesse prendrait la forme de la séquence SpS la tristesse de Teo Saavedra. L’énoncé (68) illustre bien la double action des antonymes coprésents qui ont des arguments différents (paire B): la coprésence antonymique présuppose un cadre référentiel commun entre les référents des unités lexicales qui composent la paire B et les met en contraste. Dans la mesure où Teo Saavedra et les admirateurs de Pinochet sont présentés, grâce à la coprésence antonymique, comme faisant partie du même cadre référentiel tout en étant contrastés, l’énoncé permet d’inférer que Teo Saavedra n’est pas un admirateur de Pinochet. Il s’agit effectivement d’un opposant à la dictature au Chili qui a été emprisonné. L’emploi de admirateur au pluriel et de déferlement renforce le contraste avec Teo Saavedra, présenté comme étant seul contre tous.

VI. FONCTIONS SÉMANTICO-RÉFÉRENTIELLES DE L’ANTONYMIE

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Fig. 73

2.1.1.4. B1 et B2: arguments de deux prédicats identiques enchâssés A1[X(B1)]. A2[X(B2)]: A1 et A2 exercent une fonction prédicative par rapport à un prédicat ou à deux prédicats identiques dont B1 et B2 sont les seuls arguments non communs. Dans cette configuration, les antonymes sont essentiellement des adverbes, mais ils peuvent également être des verbes.  Verbes antonymes (69)

«En 2003, il avait aussi été envisagé de DIMINUER la cotisation à l’assurance chômage et d’AUGMENTER dans les mêmes proportions la cotisation vieillesse» (Le Monde 13/05/2010, «Recul de l’âge légal: les chiffrages du Conseil d’orientation des retraites», Claire Guélaud).

L’énoncé (69) illustre l’un des rares cas où des verbes antonymes, et non des adverbes, ont pour arguments d’autres prédicats identiques. On peut, en effet, considérer les syntagmes cotisation à l’assurance chômage et cotisation vieillesse comme des syntagmes construits autour du même noyau prédicatif: cotisation à l’assurance chômage (le fait que arg1 contribue à une dépense commune relative à l’assurance chômage) et cotisation vieillesse (le fait que arg1 contribue à une dépense commune relative à la retraite).

Fig. 74

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 Adverbes antonymes (70)

«Dans cette épreuve [patinage de vitesse], il a renvoyé les deux rivales dos à dos. Bonnie [Blair] est partie trop VITE, Gunda [Niemann] trop LENTEMENT. L’Allemande a fini en trombe, l’Américaine à l’agonie» (Le Monde 14/02/1992, «Les Jeux olympiques d’Albertville. Patinage de vitesse: 1 500 mètres dames. Sport à deux temps», Jérôme Fenoglio).

(71)

«L’auteur [Florence Hartmann] a su ABONDAMMENT utiliser de multiples sources PEU exploitées en Occident» (Le Monde 12/11/1999, «Le Système Milosevic», Paul Garde).

Dans les énoncés ci-dessus, les deux adverbes antonymes sont des prédicats de second ordre qui opèrent sur des prédicats identiques ou semblables dont un des arguments n’est pas commun. Ainsi, dans (70), comme l’indique le schéma ci-dessous, la coprésence de vite et lentement permet d’opposer deux patineuses de vitesse, Bonnie Blair et Gunda Niemann, engagées dans la même compétition. Les noms de ces patineuses sont les arguments arg1 des deux instanciations du prédicat partir qui est argument des antonymes. Il faut noter que les deux occurrences de trop permettent une lecture scalaire symétrique des antonymes.

Fig. 75

Par ailleurs, la dernière phrase de l’énoncé qui indique le résultat de la course conduit à une réinterprétation de la deuxième occurrence de trop qui n’est pas connotée négativement contrairement à la première occurrence. Compte tenu du résultat de la course, la stratégie de Niemann peut être rapprochée de celle de la tortue qui, dans la fable, semble partir trop lentement mais finit par l’emporter. Les adverbes antonymes peuvent avoir pour argument deux instanciations du même prédicat, comme dans l’énoncé précédent, mais aussi deux prédicats semblables, c’est-à-dire formellement différents et sémantiquement proches. Dans l’énoncé (71), ces prédicats sont les verbes synonymes utiliser et exploiter. L’une des deux SPM qui contiennent les antonymes

VI. FONCTIONS SÉMANTICO-RÉFÉRENTIELLES DE L’ANTONYMIE

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est subordonnée à l’autre: la SPM2 fonctionne comme une proposition relative dont sources, qui fait partie de la SPM1, est l’antécédent. Dans cet énoncé, Occident est employé pour désigner les auteurs occidentaux par métonymie.

Fig. 76

Lorsque les prédicats identiques ou semblables qui sont arguments des adverbes antonymes ont pour arguments d’autres prédicats, la structure sémantico-syntaxique gigogne dans laquelle les antonymes sont employés est plus complexe. Ces prédicats enchâssés peuvent être semblables (72) ou différents (73) et avoir certains arguments en commun (72) ou aucun (73). A1{X[Y(B1)]}. A2{X[Y(B2)]}: A1 et A2 exercent une fonction prédicative par rapport à un prédicat ou à deux prédicats identiques qui ont pour arguments deux autres prédicats identiques dont B1 et B2 sont les seuls arguments non communs.  Adverbes antonymes (72)

«Si le mâle est volontiers polygame, la femelle, en effet, a de la répartie: tandis qu’elle affiche OUVERTEMENT sa liaison avec un membre de l’espèce voisine, elle n’hésite pas à entretenir DISCRÈTEMENT, en parallèle, des relations plus fertiles avec un mâle de sa propre espèce» (Le Monde 06/05/2001, «Les gobe-mouches à collier préfèrent les noirs», Catherine Vincent).

Dans l’énoncé (72), les prédicats enchâssés, liaison et relations, sont semblables dans la mesure où ces substantifs sont synonymes. Nous avons considéré les prédicats arguments des antonymes, afficher et entretenir, comme des quasi-synonymes dans cet énoncé en raison du fait que

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la proposition p = X affiche une relation implique q = X entretient une relation, aucun mécanisme n’étant utilisé par le locuteur pour indiquer une non-implication, contrairement à un énoncé comme Elle affiche ouvertement une prétendue relation avec lui et entretient discrètement une relation avec un autre. Dans l’énoncé (72), l’emploi du verbe afficher, qui équivaut à «entretenir ouvertement», et du verbe entretenir, neutre en ce qui concerne la publicité de la relation, appuie l’opposition entre les adverbes antonymes dans la mesure où le sens de entretenir discrètement équivaut à «entretenir sans afficher». La coprésence antonymique permet de mettre en contraste les arguments arg2, non communs, des prédicats enchâssés semblables. Cette position argumentale est occupée par les structures prédicatives, membre de l’espèce voisine et mâle de sa propre espèce qui diffèrent essentiellement quant aux adjectifs qu’elles contiennent. Les antonymes ont pour fonction d’indiquer un contraste entre les relations amoureuses inter- et intra-spécifiques des femmes gobe-mouches à collier et gobe-mouches noirs en fonction de la publicité qu’elles en font.

Fig. 77

A1{X[Y(V)]}. A2{X[Z(W)]}: A1 et A2 exercent une fonction prédicative par rapport à un prédicat ou à deux prédicats identiques qui ont pour arguments deux prédicats différents dont tous les arguments ne sont pas communs. Dans cette configuration, B1 et B2 sont les ensembles Y(V) et Z(W), formés par les deux prédicats différents et leurs arguments.

VI. FONCTIONS SÉMANTICO-RÉFÉRENTIELLES DE L’ANTONYMIE

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 Adverbes antonymes (73)

«‘[…] Je le ressens comme une incroyable caricature’, a lancé M. Fiterman pour dénoncer la campagne dont il a été l’objet dans le parti après son intervention d’octobre qui a permis à la direction de le présenter OUVERTEMENT comme ‘quelqu’un qui est en désaccord fondamental’ avec la stratégie du PCF, et DISCRÈTEMENT comme un ‘social-démocrate qui veut rallier le PS’» (Le Monde 14/02/1990, «Le comité central du PCF. M. Charles Fiterman propose de mettre un terme au centralisme démocratique», Olivier Biffaud).

Dans l’énoncé (73), les prédicats enchâssés ne sont pas semblables et n’ont aucun argument en commun. Les antonymes permettent alors de mettre en contraste l’ensemble formé par les prédicats enchâssés et tous leurs arguments, non communs. Dans cet énoncé, les éléments de la paire B ont un potentiel contrastif indépendamment de la paire d’antonymes dans la mesure où ils dénotent des degrés d’une propriété, rallier un autre parti étant le degré ultime du désaccord avec la ligne de son propre parti.

Fig. 78

2.1.1.5. B1 et B2: actualisateurs ou circonstants A1[XB1]. A2[XB2]: A1 et A2 exercent une fonction prédicative par rapport à un prédicat ou à deux prédicats identiques qui ont tous leurs arguments en commun et dont B1 et B2 sont les actualisateurs. Les dépendants non communs à deux prédicats identiques ou semblables qui sont arguments des antonymes peuvent être des atualisateurs.

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 Adverbes antonymes (74)

«MM. Baker et Chevardnadze devraient s’y [dans le dossier de la réunification de l’Allemagne] replonger, BRIÈVEMENT avant la fin de ce week-end et plus LONGUEMENT un peu plus tard, par exemple la semaine prochaine à Copenhague où se tiendra, à l’échelon ministériel, la conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) consacrée aux droits de l’homme» (Le Monde 03/06/90, «Les suites du sommet américano-soviétique. L’Allemagne ‘reste un sujet de désaccord’», Jean-Pierre Langellier).

Dans cet énoncé, la coprésence antonymique met donc en contraste deux périodes quant au temps qui sera consacré à un dossier pendant chacune d’elles.

Fig. 79

A1 et A2 exercent une fonction prédicative par rapport à un prédicat ou à deux prédicats identiques dont tous les arguments sont communs et sont employés dans deux propositions principales auxquelles sont subordonnées les deux propositions circonstancielles B1 et B2. Les membres de la paire B peuvent être des propositions circonstancielles subordonnées à deux propositions principales parallèles construites au moyen de prédicats identiques ou semblables qui partagent tous leurs arguments et sont eux-mêmes arguments des antonymes.  Adverbes antonymes (75)

«Il faudrait lire Leo Perutz à l’endroit et à l’envers. À L’ENDROIT, pour le plaisir du suspense, de l’atmosphère envoûtante, et pour trembler. À L’ENVERS, pour voir se déployer à reculons son extraordinaire construction romanesque et repérer tous les indices qu’il met en place comme on tient un destin, avec le scrupule d’un savant… ou d’un diable» (Le Monde 01/09/1995, «Mathématicien de l’étrange», Marion Van Renterghem).

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(76)

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«Mais ce n’est sûrement pas dans le lugubre Spitfire d’aujourd’hui, fait de Formica et d’autocollants de compagnies de fret maritime, que l’on pourra évoquer l’esprit de ces chevaliers du ciel qui trinquaient BRUYAMMENT pour fêter une victoire ou buvaient SILENCIEUSEMENT quand ils perdaient un camarade» (Le Monde 20/07/2002, «Une tournée arrosée des derniers bars mythiques d’Alexandrie», Alexandre Buccianti).

Dans les deux énoncés qui illustrent ce cas de figure, l’une des deux propositions qui constituent la paire B, ou les deux, est ou sont introduite(s) par pour mais cette conjonction n’a pas la même valeur dans ces deux énoncés. Dans l’énoncé (75), les deux occurrences de pour introduisent une proposition circonstancielle de but (dont la relation avec le prédicat lire est notée c dans le schéma). Comme l’indique le schéma ci-dessous, plusieurs paires B peuvent être identifiées dans cet énoncé en raison du fait que deux fois deux propositions circonstancielles de but coordonnées dépendent de la proposition principale.

Fig. 80

Dans l’énoncé (76), les deux propositions qui constituent la paire B peuvent être considérées comme des circonstancielles de cause ou de situation158 en raison du fait que quand, comme pour, peut revêtir au moins ces 158 Sur les propositions circonstancielles de situation, qui «déterminent le cadre dans lequel s’inscrit le fait exprimé par la principale», voir Riegel et al. (1994: 847).

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deux valeurs. La proposition introduite par pour pourrait également être considérée comme une proposition de but. Cette interprétation semble devoir être écartée en raison du fait que la proposition introduite par quand ne peut pas recevoir la même interprétation. Les antonymes ont pour arguments les prédicats trinquer et boire. Ces verbes sont synonymes, mais boire est neutre sur le plan stylistique alors que les connotations festives associées à trinquer s’harmonisent parfaitement avec la SPM2 et renforcent l’opposition entre les antonymes.

Fig. 81

2.1.1.6. Paires hétérocatégorielles Les antonymes qui forment des paires hétérocatégorielles peuvent également être employés comme prédicats dans l’une des configurations que nous venons d’analyser (VI, 2.1.1.1 à 2.1.1.5). C’est le cas dans les énoncés (77) à (81).  Verbe et substantif antonymes (77)

«La critique BOUDE le film [Madame Bovary] mais la [Valentine Tessier] couvre d’ÉLOGES» (Le Monde 10/03/1991, «Océaniques: FR 3, 23 h 20. Une comédienne dans le siècle», Jean-Louis Mingalon).

Dans l’énoncé (77), la coprésence d’un verbe et d’un substantif prédicatifs antonymes permet de mettre en contraste leurs arguments non communs.

VI. FONCTIONS SÉMANTICO-RÉFÉRENTIELLES DE L’ANTONYMIE

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Fig. 82

Cet énoncé a été extrait automatiquement de notre corpus en raison de la présence de critique et éloges, qui figurent dans notre liste d’antonymes (V, 2). Or, dans cet énoncé, critique n’a pas le sens négatif dans lequel il s’oppose à éloge, «tendance de l’esprit à émettre des jugements sévères, défavorables, négatifs (la critique); jugement défavorable (une, des critiques)» (Grand Robert 2001), mais un sens neutre. On peut toutefois considérer que les prédicats bouder et éloges sont des antonymes dans cet énoncé dans la mesure où, en raison de la présence de critique comme agent de bouder, le sens de ce verbe est très proche de critiquer, décrier, désapprouver, répertoriés comme des antonymes de louer dans le Grand Robert (2001). Conformément aux conclusions des travaux de Fellbaum (1995), le substantif éloge peut entretenir les mêmes relations d’antonymie que le verbe louer, auquel il correspond. Pour que le substantif éloge puisse tenir la place du verbe dans une proposition construite comme parallèle à celle qui contient bouder, l’emploi du verbe couvrir est nécessaire. Le verbe couvrir peut en effet être considéré comme un verbe support dans cet énoncé en fonction des cinq critères établis notamment par Gross ‒ Prandi (2004: 71-73) et par Gross (2012: 157) (V, 4.1): (i) Ce n’est pas couvre mais éloges qui nécessite que l’argument arg1 soit un être animé: La neige couvre toute la surface du toit et non La neige couvre d’éloges les toits de l’hiver, qui a un caractère tropique en raison de la nature inanimée de la neige. (ii) Les verbes supports n’ont «jamais de forme nominale en tant qu’actualisateurs» (Gross ‒ Prandi 2004: 72): *la couverture d’éloges de Valentine Tessier par la critique. (iii) Le verbe support peut être effacé pour former une phrase nominale où seule manque l’actualisation: La critique couvre Valentine Tessier d’éloges peut devenir Les éloges de la critique à Valentine Tessier. (iv) Le déterminant du substantif prédicatif éloges est soumis à de fortes contraintes, alors que ce n’est pas le cas du déterminant du substantif argument nappe, par exemple: Maman couvre la table d’une nappe et Maman

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couvre la table de la nappe /avec la nappe sont valides, ce qui n’est pas le cas de *La critique couvre Valentine Tessier des éloges/avec des éloges. (v) L’interrogation en que ne peut porter sur le complément d’un verbe support: De quoi Maman couvre-t-elle Guillaume? D’un manteau et non *D’éloges. Ces deux derniers critères, appliqués à couvrir d’éloges, semblent indiquer davantage le caractère figé de cette séquence (collocation) que le statut de support que le verbe couvrir y joue. Cette interprétation est appuyée par l’emploi de éloge nécessairement au pluriel lorsqu’il accompagne couvrir. Il reste que la présence de verbes supports, mais aussi de prépositions ou de pronoms, pour permettre la translation d’un des membres d’une paire antonymique hétérocatégorielle dans la catégorie grammaticale de l’autre membre est fréquente dans les coprésences antonymiques hétérocatégorielles (cf. 78).  Verbe et adjectif antonymes (78)

«Quand Suzanne, du Tarn-et-Garonne, s’INQUIÈTE de rêver sans cesse de sa maison qui brûle, Geneviève reste CALME» (Le Monde 07/08/1994, «Radio. Mercredi 10 août. Sud-Radio: Onirologie. La psyché de Claire», Ariane Chemin).

Dans l’énoncé (78), la coprésence d’un verbe et d’un adjectif antonymes permet de mettre en contraste leurs arguments arg1. Malgré la différence catégorielle entre les deux antonymes, les structures syntaxiques dans lesquelles ils sont employés sont parallèles grâce à la présence du verbe support rester qui permet à l’adjectif calme d’être employé comme un verbe dans la séquence figée verbale rester calme. Le verbe s’inquiéter équivaut à être inquiet et n’est donc pas un processus actif mais un état comme rester calme (comparer avec s’inquiéter de l’heure d’ouverture d’un bureau où s’inquiéter signifie «se préoccuper, prendre soin, s’enquérir de», selon le Grand Robert 2001).

Fig. 83

VI. FONCTIONS SÉMANTICO-RÉFÉRENTIELLES DE L’ANTONYMIE

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 Substantif et adverbe antonymes (79)

«La mission sénatoriale est particulièrement sévère à l’encontre de l’administration centrale de la santé et des services qui lui sont rattachés: ‘L’Institut de veille sanitaire (IVS) et la direction générale de la santé (DGS), note-t-elle, se sont mobilisés avec LENTEUR alors que la crise se développait très RAPIDEMENT’» (Le Monde 12/02/2004, «Pour assurer le financement de l’APA, le gouvernement débloquera 1,7 milliard en 2004», Patrick Roger).

Dans l’énoncé (79), la translation est sous-tendue par l’emploi de la préposition avec, qui permet au substantif lenteur d’être employé comme adverbe. La paire B est constituée par les ensembles prédicat/argument arg1, L’Institut de veille sanitaire (IVS) et la direction générale de la santé (DGS) se sont mobilisés et la crise se développait.

Fig. 84

 Substantif et adjectif antonymes (80)

«Les règles du jeu commercial ont changé: le prix des biens est maintenant quelque chose d’ACCESSOIRE. L’ESSENTIEL, ce sont les conditions de paiement et de livraison, puisque payer à soixante jours peut signifier une ristourne de 50 %» (Le Monde 17/05/1989, «Hyperinflation en Argentine», Denis Guigo).

Dans l’énoncé (80), essentiel est un adjectif substantivé. La translation est sous-tendue par l’emploi du pronom quelque chose, qui permet à accessoire d’être également employé comme un substantif. Les antonymes permettent de mettre en contraste leur seul argument. Dans cet énoncé, quelque chose est argument de l’adjectif accessoire, mais ce pronom reprend le prix des biens. On peut donc considérer que prix des biens forme une paire B avec conditions de paiement et avec conditions de livraison.

Fig. 85

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Dans les énoncés (77) à (80), l’emploi d’un verbe support, d’une préposition ou d’un pronom sous-tend des mécanismes de translation, qui permettent aux paires antonymiques de dépasser leur nature hétérocatégorielle sur le plan paradigmatique pour apparaître dans des constructions parallèles sur le plan syntagmatique. Dans la plupart des coprésences de paires antonymiques hétérocatégorielles, de tels mécanismes sont mis en œuvre, mais il peut arriver que le caractère hétérocatégoriel de la paire d’antonymes soit maintenu comme dans l’énoncé (81).  Adverbe et adjectif antonymes (81)

«Son système de santé [de la Ire République en Italie] était médiocre et alourdi par une COÛTEUSE structure bureaucratique, mais il garantissait GRATUITEMENT à toute la population italienne des services essentiels» (Le Monde 19/03/1994, «Espace européen. Les élections législatives en Italie. Comme la I République était belle sous la II! Le régime qui s’en va n’avait pas que des mauvais côtés, mais il trouve peu de défenseurs. Peut-être parce que le changement n’est pas aussi profond qu’il y paraît», Sergio Romano).

Lorsque la paire d’antonymes coprésents est une paire hétérocatégorielle formée par un adjectif dans une séquence SubstAdj et un adverbe, les structures dans lesquelles les antonymes prédicatifs permettent de mettre en contraste leurs arguments non communs sont plus complexes. L’énoncé (81) illustre ce cas. Les éléments de la paire B sont donc structure bureaucratique et services essentiels, ce qui permet à l’auteur de mettre en contraste la structure du système de santé de l’Italie de la Ire République avec les effets de ce système.

Fig. 86

2.1.2. Antonymes dans une fonction argumentale Lorsque les antonymes exercent une fonction d’ancillarité (au sens strict), les membres de la paire B peuvent être des prédicats recteurs qui ont les antonymes pour arguments ou d’autres arguments des prédicats dont dépendent les antonymes.

VI. FONCTIONS SÉMANTICO-RÉFÉRENTIELLES DE L’ANTONYMIE

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2.1.2.1. B1 et B2: prédicats recteurs Dans les énoncés (82) à (85), contrairement aux précédents, la paire B ne doit pas être identifiée parmi les arguments des antonymes mais parmi les prédicats dont les antonymes sont les arguments, autrement dit ce sont les membres de la paire B qui sont des prédicats par rapport auxquels les antonymes, accompagnés de leurs éventuels arguments exprimés, exercent une fonction argumentale. Nous n’avons trouvé que des énoncés où les antonymes, employés dans cette configuration sémanticosyntaxique, sont des substantifs. Ceux-ci peuvent prendre place dans une structure SjPC dans laquelle ils sont arguments d’un prédicat, souvent verbal, ou dans une structure SpS dans laquelle ils sont employés comme compléments prépositionnels d’un substantif prédicatif. B1(A1). B2(A2): A1 et A2 exercent une fonction argumentale de même rang par rapport à deux prédicats différents, B1 et B2, dont tous les autres arguments sont communs. Dans cette configuration, les antonymes sont des substantifs employés dans une ou deux séquences SjPC (82) ou dans deux compléments prépositionnels constitutifs de deux SpS (83).  Substantifs antonymes (82)

«Sur ce terrain, la première secrétaire [Martine Aubry] a pris une longueur d’avance sur son RIVAL, multipliant depuis un an les contacts avec ses PARTENAIRES» (Le Monde 07/06/2011, «Passé de challenger à favori, François Hollande doit adapter sa course», Sophie Landrin).

(83)

«La séduction de l’ADVERSAIRE est souvent plus importante que la conservation de ses AMIS, c’est une loi de la politique» (Le Monde 08/05/2011, «‘Cessons d’attendre de la magie des politiques’», propos de Patrick Devedjian recueillis par Béatrice Jérôme et Arnaud Leparmentier).

Les antonymes peuvent exercer une fonction argumentale arg2 par rapport à deux prédicats qu’ils mettent donc en contraste (82). Dans cet énoncé, les antonymes mettent en contraste les séquences figées prédicatives, prendre une longueur d’avance et multiplier les contacts, qui ont leur autre argument (arg1) en commun et qui expriment deux attitudes différentes (consistant à s’éloigner, métaphoriquement, ou au contraire à se rapprocher) à l’encontre de deux individus ou groupes d’individus différents.

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Fig. 87

Lorsque les substantifs antonymes, qui sont arguments de deux prédicats qu’ils mettent en contraste, sont employés dans deux séquences SpS, ils en constituent le complément prépositionnel. Les substantifs prédicatifs qu’ils complètent forment la paire B. Dans l’énoncé (83), les antonymes sont les arguments de rang arg2 de deux substantifs. Les arguments arg1 ne sont pas exprimés, ce qui donne une portée générale à l’énoncé. Les substantifs prédicatifs séduction et conservation sont ainsi mis en contraste. Ils désignent deux comportements adoptés par un référent non désigné dans l’énoncé à l’égard des deux types d’individus qui ont avec lui des relations opposées. Le fait que les structures contenant les antonymes soient impliquées dans une comparaison permet d’attribuer la même qualité aux deux comportements et de comparer l’intensité de cette qualité. Cette structure comparative est une variante de celles envisagées à la sous-section VI, 1.1, mais dans laquelle la dépendance des antonymes à deux prédicats différents leur permet d’exercer une fonction sémantico-référentielle d’ancillarité.

Fig. 88

X(A1, C). Y(A2, D): A1 et A2 exercent une fonction argumentale de même rang par rapport à deux prédicats différents qui ont d’autres arguments non communs. Dans cette configuration, B1 et B2 sont les ensembles X(C) et Y(D), formés par les deux prédicats et leurs arguments (84). (84)

«Tel le crime, le théorème était presque parfait. La droite, c’est le champ du capital. Donc du capitalisme. Puisque celui-ci est en crise, la DROITE

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l’est également. La GAUCHE ne pouvait donc que gagner les élections européennes» (Le Monde 17/06/2009, «La social-démocratie, victime inattendue de la crise», Frédéric Lemaître).

Les antonymes peuvent exercer une fonction argumentale arg1 par rapport à deux prédicats qu’ils mettent donc en contraste (84). Dans cet énoncé, les prédicats dont les antonymes sont les arguments ont également d’autres arguments non communs. Les antonymes mettent alors en contraste l’ensemble formé par ces prédicats et leurs arguments non communs: être en crise et gagner les élections. Le potentiel contrastif des membres de la paire B dans cet énoncé est grand dans la mesure où ils entretiennent une relation d’implication négative: si la proposition X est en crise est vraie, il est vraisemblable que la proposition X gagne les élections soit fausse. Dans l’énoncé (84), les sujets X de ces propositions sont référentiellement différents. La vérité simultanée des deux propositions mises en contraste par les antonymes ne pose donc pas de problème logique. L’implication positive (donc), à la base du raisonnement politique, sujet à caution, présenté ici, est vérifiée.

Fig. 89

XC(A1). YD(A2): A1 et A2 exercent une fonction argumentale de même rang par rapport à deux prédicats différents dont les actualisateurs sont différents. Dans cette configuration, B1 et B2 sont les ensembles XC et YD, formés par les deux prédicats et leurs dépendants (arguments ou actualisateurs). (85)

«C’est une ville narcissique [Parme] chez qui la recherche de l’ÉLÉGANCE passe avant celle de la beauté. Il n’empêche, dans la VULGARITÉ qui déferle aujourd’hui sur l’Italie, elle apparaît un peu comme une île, en tous cas se pense telle» (Le Monde 22/06/1991, «Parme, réelle et imaginaire», Jean-Louis Perrier).

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Lorsque la combinatoire des deux prédicats dont les antonymes sont les arguments n’est pas la même, par exemple parce qu’ils n’appartiennent pas à la même partie du discours, les antonymes peuvent ne pas exercer une fonction argumentale de même rang par rapport à ces prédicats. Une telle dissymétrie peut être identifiée dans l’énoncé (85). Le substantif prédicatif recherche requiert, en effet, deux arguments alors que le verbe prédicatif déferler n’en requiert qu’un. Cette unique position argumentale est occupée par l’un des antonymes. L’autre antonyme est argument de recherche dont le premier argument est ville.

Fig. 90

L’emploi de chez qui indique, en effet, que ville est un argument et non un actualisateur de recherche, contrairement à Italie qui exerce une fonction d’actualisation par rapport au verbe intransitif déferler. La différence de combinatoire entre recherche et déferler n’empêche pas l’identification d’une paire B constituée par ces prédicats et par leurs deux seuls subordonnés (argument et actualisateur) non communs. La coprésence antonymique permet de mettre en contraste deux ensembles prédicats-arguments/actualisateurs. Les référents de ville et Italie entretiennent une relation partie-tout. L’énoncé (85) permet donc d’opposer Parme au reste de l’Italie. 2.1.2.2. B1 et B2: co-dépendants (avec les antonymes) de deux prédicats identiques X(A1, B1). X(A2, B1): A1 et A2 exercent une fonction argumentale de même rang par rapport à deux prédicats identiques qui ont B1 et B2 comme autres arguments non communs. Les antonymes peuvent exercer une fonction argumentale par rapport à deux prédicats P1 et P2 identiques ou semblables qui ont également pour arguments les membres de la paire B. Dans cette configuration, les antonymes peuvent être prédicatifs ou non et leurs éventuels arguments

VI. FONCTIONS SÉMANTICO-RÉFÉRENTIELLES DE L’ANTONYMIE

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peuvent être exprimés ou non. Par ailleurs, tous les autres arguments de P1 et P2 leur sont communs. Sur le plan sémantico-référentiel, les membres de la paire B ne désignent pas les mêmes référents. (86)

«L’ironie lui [l’écrivain] donne la certitude de se prendre pour RIEN, contrairement au reste du monde qui se prend toujours pour QUELQUE CHOSE. Puis il cherche un abri (…). Il ne trouve pas d’issue. Mais il n’y a pas d’issue, comme on le sait depuis le début» (Le Monde 12/03/2010, «‘L’Ecrivain et l’Autre’, p. 160-161», s.a.).

L’énoncé (86), dans lequel les antonymes sont employés dans des séquences SjPC, illustre ce cas de figure. Dans cet énoncé, la paire d’antonymes quelque chose / rien exerce une fonction argumentale par rapport aux deux occurrences du verbe attributif modal se prendre pour.

Fig. 91

Les structures syntaxiques qui contiennent les antonymes sont tout à fait parallèles, tous leurs éléments sont communs sauf les substantifs antonymes. L’unité lui et le syntagme le reste du monde sont formellement, sémantiquement et référentiellement différents mais les référents qu’ils désignent appartiennent à une même classe référentielle globale, celles des êtres humains. Le pronom lui ne désigne pas un individu particulier mais une sous-classe de cette classe globale dans la mesure où ce pronom annonce le syntagme l’écrivain, formé grâce à un article défini générique. La coprésence antonymique permet donc de singulariser un type d’individus au sein d’une classe. Le fait que lui et le reste du monde désignent des individus appartenant à la même classe référentielle rapproche cet énoncé de ceux qui seront analysés à la section 3. Il s’en distingue par le fait qu’un lexème, autre que les antonymes, l’écrivain, définit l’intension de l’une des deux sous-classes. 2.1.3. Antonymes dans une fonction d’actualisation Dans les énoncés (87) à (90), (92) et (93), les deux membres de la paire A exercent une fonction d’actualisation par rapport à deux prédicats,

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identiques ou différents. Les antonymes employés dans cette configuration sont essentiellement des adverbes de temps ou d’espace. Dans l’énoncé (91), les antonymes ne sont pas des actualisateurs mais ils sont au centre de deux propositions circonstancielles attachées à deux prédicats différents. Qu’ils soient actualisateurs ou circonstants, les antonymes ne peuvent être supprimés sans nuire à la cohérence de ces énoncés, ce qui témoigne du fait qu’ils y exercent une fonction contrastive essentielle qui évite la contradiction interne. Les membres de la paire B peuvent être identifiés parmi cinq types d’unités, définies par leur rôle sémantico-syntaxique. (1) Les prédicats différents que A1 et A2 actualisent, lorsque ces prédicats ont tous leurs arguments en commun: B1A1 (C). B2A2 (C), comme dans les énoncés (87) et (88). (2) L’ensemble prédicat-argument(s) que A1 et A2 actualisent, lorsque les prédicats sont différents et ont des arguments différents: XA1 (C). YA2 (D), comme dans les énoncés (89) et (90). (3) Les prédicats qui constituent, avec leurs arguments, tous communs, deux propositions principales auxquelles sont subordonnées deux propositions circonstancielles qui contiennent les prédicats A1 et A2 dont tous les arguments sont communs (91). (4) Les arguments non communs des prédicats identiques que A1 et A2 actualisent, lorsque ces prédicats sont identiques: XA1 (B1). XA2 (B2). C’est le cas dans l’énoncé (92). (5) Les actualisateurs non communs des prédicats identiques que A1 et A2 actualisent: XA1B1 . XA2B2 (93). 2.1.3.1. B1 et B2: prédicats recteurs B1A1 (C). B2A2 (C): A1 et A2 exercent une fonction d’actualisation par rapport à deux prédicats différents, B1 et B2, dont tous les arguments sont communs. Les antonymes peuvent être des adverbes spatiaux (87) ou temporels (88).  Adverbes antonymes (87)

«Comme celle de tous ceux qui vivent ICI mais sont nés AILLEURS, sa carte vitale porte le chiffre ‘99’ à l’emplacement réservé au département

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de naissance» (Le Monde 12/05/2011, «Les exigences musicales de Ray Lema», Patrick Labesse). (88)

«A la barre, Tristan, qu’elle [Isolde] a sauvé, JADIS, et qu’elle maudit que le voilà parjure et ennemi» (Le Monde 07/06/2011, «Un ‘Tristan et Isolde’ sensuel et incarné, presque au plus haut des cieux», Marie-Aude Roux).

AUJOURD’HUI

Dans l’énoncé (87), les antonymes exercent une fonction d’actualisation spatiale par rapport à deux prédicats différents qui ont tous leurs arguments en commun.

Fig. 92

Dans l’énoncé (88), les antonymes sont des actualisateurs temporels qui se rapportent, comme dans l’énoncé précédent, à deux prédicats distincts dont tous les arguments sont communs. Contrairement à l’énoncé précédent, les prédicats dans cet énoncé requièrent deux arguments.

Fig. 93

XA1 (C). YA2 (D): A1 et A2 exercent une fonction d’actualisation par rapport à deux prédicats différents qui n’ont pas tous leurs arguments en commun. Dans cette configuration, B1 et B2 sont les ensembles X(C) et Y(D), formés par les deux prédicats et leurs arguments. Les antonymes sont des adverbes temporels (énoncés (89) et (90)).

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 Adverbes antonymes (89)

«Le Parti communiste, quant à lui, voit, comme à chaque crise, se ranimer la flamme des courtisans TOUJOURS intéressés par sa dot (198 voix sur 630 à la Chambre des députés), mais JAMAIS empressés de lui proposer une alliance en bonne et due forme» (Le Monde 11/03/1987, «Italie: M. Andreotti pressenti La difficile relève de Bettino Craxi», Jean-Pierre Clerc).

(90)

«Elle [la sculpture Les lignes verticales dans la grande pente du domaine de Marly] ressemble un peu au monument érigé à Nice pour célébrer le 150e anniversaire du rattachement du comté de Nice à la France (Le Monde du 28 mai 2010). Et ce n’est pas un hasard: AUTREFOIS propriété de la présidence de la République, le domaine de Marly a été RÉCEMMENT restitué au château de Versailles. L’installation d’une telle borne est un excellent moyen pour M. Aillagon de marquer son nouveau territoire» (Le Monde 31/05/2011, «Courbes d’acier en jeu de piste à Versailles», Harry Bellet).

Dans les énoncés (89) et (90), les antonymes actualisent des prédicats différents dont les arguments sont également différents. Ainsi dans (89), la paire B est constituée par des syntagmes formés de ces prédicats et de leurs arguments: intéressés par (sa) dot / empressés de (lui) proposer une alliance.

Fig. 94

Les prédicats que les antonymes actualisent n’ont pas toujours la même combinatoire. Dans ce cas, leurs arguments communs et non communs ne sont pas forcément des arguments de même rang. Pour autant que les prédicats actualisés par les antonymes aient en commun tous leurs

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arguments sauf un, quelle que soit sa position, les antonymes permettent de mettre en contraste ces arguments non communs (90). Les prédicats être la propriété de et restituer n’ont pas la même combinatoire: être la propriété de requiert deux arguments alors que restituer en requiert trois. Ils n’ont, en outre, pas la même nature csémantique: le premier a un sens passif alors que le second a un sens actif. Ces prédicats partagent deux arguments qui occupent la même position argumentale par rapport à eux, comme l’indique le schéma ci-dessous. L’identification de présidence comme argument arg1 de restituer est déduit du sens de ce verbe. Le lexème-argument arg1 du prédicat restituer désigne nécessairement le propriétaire du bien désigné par le lexème-argument arg2 de ce prédicat. Par ailleurs, le sens de restituer indique que le syntagme château de Versailles désigne une entité propriétaire du domaine de Marly, avant et après la présidence de la République. En effet, dans cet énoncé, le syntagme château de Versailles désigne non le bâtiment mais, par métonymie, la gestion du bâtiment et de ses dépendances. Il exerce une fonction argumentale arg3 par rapport à restituer. Cet argument ne correspond à aucun argument de être la propriété de. Le syntagme château de Versailles est donc mis en contraste avec l’un des deux lexèmes ou syntagmes, arguments de être la propriété de. On peut considérer qu’il est mis en contraste avec précsidence de la République en raison du fait que ces deux syntagmes désignent deux propriétaires successifs du domaine de Marly.

Fig. 95

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A1 et A2 sont employés dans deux propositions circonstancielles subordonnées à deux propositions principales construites grâce aux prédicats B1 et B2 dont tous les arguments sont communs.  Adjectifs antonymes Au sein des propositions circonstancielles qui les contiennent, les antonymes peuvent exercer une fonction prédicative (91). (91)

«Mais, au fur et à mesure de la fourniture de preuves, l’accusé peut changer d’avis jusqu’à la date du procès et négocier une reconnaissance minorée des faits avec le procureur. Mais si ce dernier sent la défense DÉFAILLANTE, il refusera de négocier. S’il la sent FORTE, il peut s’y trouver contraint» (Le Monde 07/06/2011, «La stratégie du silence de la défense», M. V. R).

Dans cet énoncé, les adjectifs antonymes sont des prédicats qui ont leur seul argument en commun. Au sein des propositions dans lesquelles s’insèrent les antonymes, aucune paire B ne peut donc être identifiée. Il faut toutefois remarquer que les antonymes coprésents s’insèrent dans deux propositions circonstancielles qui construisent les deux branches d’une alternative. Ces propositions circonstancielles, introduites par si, expriment des hypothèses. Les propositions principales expriment des assertions qui sont validées en cas de confirmation de l’hypothèse formulée dans leur proposition subordonnée.

Fig. 96

VI. FONCTIONS SÉMANTICO-RÉFÉRENTIELLES DE L’ANTONYMIE

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Les propositions principales sont construites autour de deux prédicats distincts, refuser et être contraint à, dont tous les arguments sont communs. La paire B est constituée par ces prédicats. Leur potentiel contrastif, indépendamment des antonymes, est grand dans la mesure où l’un possède un sens actif (refuser) alors que l’autre possède un sens passif (être contraint). Par ailleurs, le sens de être contraint à négocier est équivalent au sens de ne pas pouvoir refuser de négocier. 2.1.3.2. B1 et B2: co-dépendants de deux prédicats identiques XA1(B1). XA2(B2): A1 et A2 exercent une fonction d’actualisation par rapport à un prédicat ou à deux prédicats identiques qui ont B1 et B2 comme arguments non communs.  Adverbes antonymes Dans cette configuration, les antonymes sont des adverbes. (92)

«J’ai [Danielle Darrieux] TOUJOURS joué des femmes élégantes, et JAMAIS un rôle de bonne femme qui vit tout le temps en savates, adore les animaux, la boue, la terre, la campagne… ce qui est mon cas dans la vie» (Le Monde 15/02/1987, «Danielle Darrieux ou le goût de l’imprévu», Odile Quirot).

Dans les énoncés précédents, les antonymes actualisent et mettent en contraste des prédicats différents et leurs éventuels arguments non communs. Les antonymes peuvent aussi actualiser deux instanciations d’un prédicat. Ce sont alors les arguments non communs à ces deux instanciations qui sont mis en contraste.

Fig. 97

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XA1B1. XA2B2: A1 et A2 exercent une fonction d’actualisation par rapport à un prédicat ou à deux prédicats identiques qui ont également B1 et B2 comme actualisateurs.  Adverbes antonymes (93)

«Elle [la Pologne] est aussi un contributeur-clé dans les zones de conflit, HIER en Irak, AUJOURD’HUI en Afghanistan (2 500 soldats)» (Le Monde 28/05/2011, «La Pologne accueille M. Obama en alliée moins dépendante», Piotr Smolar).

Dans l’énoncé (93), les antonymes ainsi que les membres de la paire B sont des actualisateurs de deux prédicats identiques. La coprésence antonymique permet ainsi de mettre deux lieux de guerre en contraste en fonction de l’époque où la Pologne y est active.

Fig. 98

2.1.4. Synthèse Grâce aux analyses des énoncés ci-dessus (sous-sections VI, 2.1.1 à 2.1.3), extraits de notre corpus, nous avons pu affiner la description des configurations sémantico-syntaxiques dans lesquelles les antonymes A1 et A2 sont intégrés à deux SPM / SPU juxtaposées, coordonnées l’une à l’autre ou dépendantes d’un même prédicat, où sont également présents deux lexèmes, deux syntagmes ou deux propositions différent(e)s, qui ne peuvent être remplacé(e)s l’un(e) par l’autre, qui désignent des référents différents et constituent la paire B. Dix-sept configurations sémanticosyntaxiques différentes dans lesquelles A1 et A2 entretiennent une relation sémantico-syntaxique avec B1 et B2 ont pu être identifiées. Ces configurations ont été classées selon la fonction sémantico-syntaxique (fonction prédicative, argumentale ou d’actualisation) que les antonymes y exercent. Ces configurations peuvent être rassemblées en cinq structures différentes: 1) subordination de la paire B(argt) à la paire A: A1[B1(C)]. A2[B2(C)]; A1B1(C). A2B2(C)

VI. FONCTIONS SÉMANTICO-RÉFÉRENTIELLES DE L’ANTONYMIE

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2) dépendance de la paire A(argt) à la paire B: B1[A1(C)]. B2[A2(C)]

3) dépendance des paires A(argt) et B(argt) au même prédicat: X[A1(C), B1]. X[A2(C), B2]

4) subordination de B1 et B2 à un même prédicat argument de A1 et A2: A1[X(B1)]. A2[X(B2)]; A1[XB1]. A2[XB2]

5) fonction d’actualisation de la paire A par rapport à B1 et B2 ou à des prédicats auxquels B1 et B2 sont subordonnés: B1A1 (C). B2A2 (C); XA1 (B1). XA2 (B2); XA1B1 . XA2B2.

Le tableau ci-dessous fait la synthèse des sous-sections VI, 2.1.1 à 2.1.3. A1 et A2

Prédicat

Argument

Actualisateur

B1 et B2 Prédicat

Argument

(82) […] la première (63) On mentionna ABONDAMMENT les secrétaire a pris une auteurs, on les lut PEU. longueur d’avance sur son RIVAL, multipliant depuis un an les contacts avec ses PARTENAIRES […].

(87) […] tous ceux qui vivent ICI mais sont nés AILLEURS […]

(Structure 1)

(Structure 2)

(Structure 5)

(50) Bloch ABANDONNE l’aventure pour quelque temps, et Potez POURSUIT seul l’entreprise.

(86) L’ironie lui donne la certitude de se prendre pour RIEN, contrairement au reste du monde qui se prend toujours pour QUELQUE CHOSE.

(92) J’ai [Danielle Darrieux] TOUJOURS joué des femmes élégantes, et JAMAIS un rôle de bonne femme qui vit tout le temps en savates […].

(Structure 1)

(Structure 3)

(Structure 5)

Actualisateur (74) MM. Baker et Chevardnadze devraient s’y replonger, BRIÈVEMENT avant la fin de ce week-end et plus LONGUEMENT un peu plus tard […] (Structure 4)

(93) Elle est aussi un contributeur-clé dans les zones de conflit, HIER en Irak, AUJOURD’HUI en Afghanistan […].

(Structure 5)

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2.2. Fonction sémantico-référentielle d’ancillarité (au sens strict) Dans toutes les configurations décrites ci-dessus, les deux paires d’antonymes coprésents exercent une fonction sémantico-référentielle que nous appelons fonction d’ancillarité au sens strict pour la distinguer de l’antonymie ancillaire, décrite par Jones (2002), qui rassemble des cas où la coprésence antonymique exerce d’autres fonctions (VI, 4). 2.2.1. Contraste entre B1 et B2 selon la dimension d’opposition A1 - A2 Dans tous les énoncés analysés dans cette section, la coprésence antonymique exerce une triple action sur les éléments de la paire B. (1) La coprésence antonymique permet la mise en relation contrastive des éléments de la paire B. (2) La coprésence antonymique indique la dimension sémantique sur laquelle les éléments de la paire B sont mis en contraste. (3) La mise en relation des éléments d’une paire B grâce à la coprésence antonymique présuppose l’inscription des référents des membres de la paire B dans un cadre référentiel commun. Cette troisième action doit être précisément définie. C’est l’objet de la sous-section VI, 2.2.2. 2.2.2. Cadre référentiel commun aux référents de B1 et B2 Pour définir la troisième action que les antonymes exercent sur les membres de la paire B, partons de deux phrases citées par Kibédi Varga (1977): i) Les prix montent, les voyageurs descendent. ii) La bière est bonne, l’argument est mauvais. Selon Kibédi Varga, «l’absence de rapport» entre prix et voyageurs et entre bière et argument peut être utilisée à des fins comiques (Kibédi Varga 1977: 203). L’analyse des énoncés classés sous 2.1 permet de nuancer ce propos. L’absence de rapport relevée par Kibédi Varga n’est qu’apparente. Le rapport entre les membres de la paire B est fourni par l’inscription de leurs référents dans le même cadre référentiel. L’absence de contexte élargi pour i) et ii) rend plus difficile l’identification de ce cadre référentiel commun, c’est ce qui produit l’effet comique. Cette identification est toutefois possible. Ainsi, dans i) l’inscription des référents de prix et

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voyageurs dans un cadre référentiel lié à un moyen de transport peut être inférée grâce à voyageurs. Le fait que voyageurs soit au pluriel et sujet de descendent permet de conclure que le moyen de transport dont les voyageurs descendent est un moyen de transport en commun, ce qui est tout à fait compatible avec la première partie de l’énoncé dans la mesure où les transports collectifs sont souvent payants. On pourrait ainsi paraphraser i) comme suit: Les prix des voyages en train/bus/tram/avion/etc. augmentent donc les voyageurs descendent de ces moyens de transport, ils ne les utilisent plus. Quant à l’énoncé ii), il pourrait être prononcé dans un bar par des amis qui discutent de politique, par exemple, ou par des collaborateurs qui sont allés boire un verre ensemble pour discuter du recrutement d’un nouvel associé, etc. La recherche systématique, par le destinataire d’énoncés comme i) et ii), d’un cadre référentiel commun aux référents de B1 et B2 résulte de la présence des antonymes. Celle-ci présuppose l’existence d’un tel cadre, et ce en vertu de deux principes: (1) Si B1 et B2 sont mis en contraste c’est que leur opposition en regard de la dimension fournie par les antonymes est possible et a du sens, (2) toute opposition a besoin d’un fond commun. (1) Lorsqu’un énoncé est produit, son récepteur suppose que le locuteur cherche à communiquer du sens. Comme l’ont montré Sperber et Wilson (1989) ou Grice (1989), ce calcul inférentiel est inhérent à tout énoncé. Les énoncés i) et ii), qui reposent sur une mise en contraste de deux lexèmes par les antonymes dont ils sont les arguments, doivent donc avoir un sens. Dans ces énoncés, l’effet comique résulte de ce calcul inférentiel. En effet, si la production d’un énoncé ne poussait pas son récepteur à lui trouver un sens, c’est-à-dire à comprendre une certaine opposition entre prix et voyageurs ainsi qu’entre bière et argument dans i) et ii), l’absence de rapport apparent entre les référents de ces unités ne produirait pas d’effet comique. Cet effet n’est donc pas dû à l’absence d’un rapport mais à la difficulté d’un trouver un hors de tout contexte. (2) Pour pouvoir opposer deux idées, deux qualités, deux choses, il faut qu’elles aient un point commun. Ce point commun est nécessaire à la mise en relation de deux antonymes mais plus généralement à toute opposition (II, 2.1.3 et 2.2). Il est donc également nécessaire au contraste entre les membres de la paire B. Faute de fond commun sémantique entre ces lexèmes, le point commun qui sert de toile de fond à leur opposition doit être trouvé sur le plan référentiel. La similarité référentielle se manifeste par un rapport de contiguïté ou d’inclusion entre les référents de la paire B au sein d’un même cadre référentiel.

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Le mécanisme général de la communication, qui veut que tout énoncé communique un sens, joint à la connaissance par les locuteurs du français de la relation sémantique in absentia entre monter et descendre ainsi qu’entre bon et mauvais conduit ainsi le destinataire de i) et ii), et plus généralement de tout énoncé qui contient une coprésence antonymique, à chercher un lien sémantique et/ou référentiel entre les unités qui dépendent des antonymes. À l’inverse, quand un énoncé ou son contexte élargi définit clairement un cadre référentiel, cette définition fournit des informations sur les référents de la paire B (Bloch et Potez dans l’énoncé (50) par exemple). 2.2.3. Ancillarité et univers de croyance À chaque énoncé, qu’il contienne ou non des antonymes coprésents, peut être attribuée une valeur de vérité qui est toujours conditionnée à un univers de croyance. Cette notion est définie par Martin (2004) par «ensemble des propositions, énoncées ou non, auxquelles le locuteur, au moment où il parle, est en état d’attribuer une valeur de vérité» (Martin 2004: 124). Les énoncés ne sont pas vrais en soi, ils sont vrais pour un locuteur et/ou son destinataire à un moment donné. Ainsi dans l’énoncé (94), les propositions p = La corruption va diminuer et q = Les recettes fiscales vont augmenter sont vraies dans l’univers de croyance de Georges Papandréou mais pas forcément dans d’autres univers de croyance. Le syntagme à l’entendre indique, en effet, que la proposition qui suit est une quasi-citation des propos de Georges Papandréou. (94)

«À l’entendre [Georges Papandréou], la corruption va DIMINUER et les recettes fiscales AUGMENTER» (Le Monde 30/01/2010, «La crise grecque met l’euro sous pression», Frédéric Lemaître).

Le fait que la valeur de vérité des propositions qui contiennent les antonymes dans cet exemple soit circonscrite, ou non, à l’univers de croyance de Georges Papandréou n’a aucune influence sur le fait que les antonymes mettent en contraste corruption et recettes fiscales dans la mesure où les deux propositions qui contiennent les antonymes ont la même valeur de vérité dans un univers de croyance donné. Lorsque cela n’est pas le cas ou si les deux propositions dans lesquelles les antonymes sont employés ne sont pas modalisées de la même manière,

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la coprésence antonymique sous-tend un contraste entre les valeurs de vérité ou les modalités des propositions qui contiennent les antonymes au-delà de la mise en contraste des éléments de la paire B, quand ils sont identifiables. Ainsi, dans l’énoncé (95), la coprésence antonymique permet d’opposer les référents de Serbie et Yougoslavie en fonction du traitement que Tito leur a imposé mais aussi les valeurs de vérité de deux propositions. Le syntagme sous prétexte de indique, en effet, que le locuteur met en doute la relation d’implication invoquée par Tito pour justifier son action en Serbie. Le locuteur considère donc que la proposition Tito voulait fortifier la Yougoslavie est fausse alors que la proposition Tito voulait affaiblir la Serbie est vraie. Ces valeurs de vérité sont attribuées par le locuteur et/ou son destinataire. (95)

«Après sa mort (avant, on n’osait pas trop), il fut vivement reproché à Tito d’avoir opéré le découpage territorial en se souciant d’AFFAIBLIR la Serbie sous prétexte de FORTIFIER la Yougoslavie» (Le Monde 17/04/1999, «Il était une fois la Yougoslavie», Bernard Feron).

Dans l’énoncé (96), aucune paire B n’est identifiable mais la coprésence antonymique sous-tend tout de même la mise en contraste des propositions dans lesquelles les antonymes s’insèrent. En effet, la proposition p = Le PRI obtient une large victoire dont la vérité était espérée (s’attendait) est fausse alors que la proposition q = Le PRI a perdu deux, voire trois États est vraie. La coprésence antonymique sous-tend donc un contraste entre les attentes du PRI et les résultats réels des élections. (96)

«Le PRI s’attendait à une large VICTOIRE comme pour les législatives de 2009. Mais il va PERDRE deux, voire trois États très peuplés qu’il gouvernait jusqu’ici» (Le Monde 07/07/2010, «Au Mexique, le PRI sort renforcé par les élections locales», Frédéric Saliba).

Après avoir analysé des énoncés dans lesquels les antonymes coprésents permettent de mettre en contraste deux autres lexèmes ou groupes de lexèmes formellement, sémantiquement et référentiellement différents, exerçant ainsi une fonction sémantico-référentielle d’ancillarité au sens strict, nous nous proposons d’analyser des énoncés dans lesquels les membres de la paire B sont des unités formellement identiques et/ou sémantiquement proches qui désignent des référents différents appartenant à une même classe référentielle.

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3. Double mise en relation: deux lexèmes identiques non antonymes comme paire B Tous les énoncés classés dans les sous-sections VI, 3.1 à 3.3 ont en commun de contenir une paire d’antonymes qui ont pour arguments — ou qui dépendent de deux prédicats identiques qui ont pour arguments — 1) deux occurrences ou deux instanciations d’un même lexème ou 2) des lexèmes synonymes, ou 3) deux lexèmes dont l’un est hyperonyme de l’autre ou 4) un lexème et le pronom qui le remplace. Ces formes, qui ne sont pas des antonymes, constituent la paire B. Elles ont une référence actuelle différente mais désignent des référents appartenant à la même classe référentielle. Cette différence référentielle entre les membres de la paire B justifie l’identification d’une double mise en relation (V, 4.3). 3.1. Structures sémantico-syntaxiques Décrivons maintenant les structures sémantico-syntaxiques qui mettent en relation les membres de la paire d’antonymes (A) et de la paire B dans des énoncés relevant des quatre cas de figure identifiés ci-dessus, ce qui permettra de définir la fonction sémantico-référentielle que la coprésence antonymique exerce dans chacun d’eux. 3.1.1. Antonymes dans une fonction prédicative Lorsque les antonymes exercent une fonction prédicative, les membres de la paire B peuvent être (a) leurs arguments (VI, 3.1.1.1), (b) les arguments de prédicats identiques enchâssés, eux-mêmes arguments des antonymes (VI, 3.1.1.2), (c) les actualisateurs des antonymes (VI, 3.1.1.3). Nous isolerons les énoncés dans lesquels les antonymes constituent une paire hétérocatégorielle (VI, 3.1.1.4). 3.1.1.1. B1 et B2: arguments élémentaires A1(B1). A2(B2): A1 et A2 sont des prédicats qui ont pour arguments de même rang les lexèmes B1 et B2, tous leurs autres arguments étant communs. Dans cette configuration, les antonymes peuvent être des verbes ou des adjectifs dans deux propositions relatives, des adjectifs dans des séquences SubjAdj ou des substantifs dans des séquences SpS. Dans les

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énoncés (97) à (110), les antonymes sont des prédicats qui ont pour arguments un ou plusieurs lexèmes qui désignent des référents différents mais qui appartiennent à la même classe. Les autres arguments éventuels des prédicats antonymes leur sont communs, c’est-à-dire qu’il s’agit de lexèmes qui désignent les mêmes référents.  Verbes antonymes (97)

«Eliette Abécassis, dont je ne partage pas l’approche de la maternité, dit une chose juste: il y a deux sortes de femmes, celles qui AIMENT à se retrouver en femelles mammifères, et celles qui DÉTESTENT cela, ne veulent pas en entendre parler» (Le Monde 13/02/2010, «Cessons d’avoir une idée unique de la gent féminine», propos d’Elisabeth Badinter recueillis par Josyane Savigneau).

(98)

«Dialoguons, échangeons. Assouvissons une curiosité de plus en plus forte de ces pays sur l’histoire, les institutions, les lettres: l’actualité parisienne du cinéma et du jazz, etc. Découvrons ce qui nous SÉPARE encore ou ce qui nous RAPPROCHE…» (Le Monde 10/05/1990, «La diffusion de RFI et de la SEPT dans les pays de l’Est. Radio-France-internationale et ‘Gazeta’ projettent de créer ensemble une radio FM en Pologne», Annick Cojean).

Dans les énoncés (97) et (98), les antonymes coprésents sont des verbes dont les sujets sont des pronoms relatifs qui ont pour antécédent deux occurrences d’un même pronom. Sur le plan référentiel, ces occurrences, constituant la paire B, réfèrent à deux sous-ensembles d’une même classe référentielle globale. Dans les schémas ci-dessous, nous notons cette proximité référentielle par une barre horizontale. La différence entre les énoncés (97) et (98) réside dans le fait que l’expression de la bipartition de cette classe globale en deux sousensembles est explicite dans (97) alors qu’elle ne l’est pas dans (98). Ainsi dans l’énoncé (97), la division de la classe des femmes en deux sous-classes est explicitée par il y a deux sortes de femmes mais la définition de l’intension de ces deux sous-classes et donc de leur principe organisateur ne repose que sur la coprésence antonymique. Dans ce cas, nous donnons à la fonction de la coprésence antonymique le nom de fonction de sous-classement. Comme l’indique la figure 99, dans l’énoncé (97), le syntagme se retrouver en femelles mammifères, repris par cela, exerce une fonction argumentale arg2 par rapport aux verbes antonymes. Ces verbes ont les deux occurrences du pronom celles pour argument arg1. Ces deux occurrences désignent toutes deux le même type de référents, c’est-à-dire des référents appartenant à une même classe référentielle, celle des femmes. En revanche, les deux occurrences de

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celles n’ont pas exactement les mêmes référents dans cet énoncé et ce sont les antonymes qui spécifient cette référence. Il n’y a pas d’autre élément que les antonymes qui indique de quelles femmes sont constituées les deux sous-classes que l’énoncé établit. C’est dans ce cas seulement que nous dirons que les antonymes exercent une fonction de sous-classement.

Fig. 99

Si une détermination de niveau différent était ajoutée, la coprésence antonymique exercerait alors une fonction d’ancillarité et la présence d’un syntagme comme il y a deux sortes de femmes serait conditionnée à une situation d’énonciation particulière. Ainsi, dans une phrase comme Dans le spectacle, il y a deux sortes de femmes, les femmes de théâtre qui aiment prendre des risques et les femmes de cinéma qui détestent cela, la proposition relative dans laquelle sont employés les antonymes détermine l’ensemble formé par le substantif et le complément prépositionnel qui l’accompagne. Dans cette phrase, la coprésence antonymique permet d’opposer deux sous-classes de femmes qu’elle ne détermine pas elle-même. Les propositions relatives qui contiennent les antonymes ne constituent pas une détermination sélective de femmes, comme dans l’énoncé (97), mais une détermination parenthétique (voir Martinet 1985: 113). Ces propositions ne sont pas indispensables à la détermination de femmes, elles pourraient être mises entre parenthèses ou effacées. Dans l’énoncé (98), les deux sous-classes dont l’intension est définie par les antonymes ne sont pas explicitement séparées mais rapprochées grâce à la dépendance des deux occurrences de ce, arguments des antonymes, au même prédicat découvrir. Cette dépendance commune permet aux antonymes d’exprimer le fait que deux sous-classes de choses (ce) exercent toutes sortes d’influence sur la distance entre les référents

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identiques désignés par nous. Dans ce cas, nous dirons que les antonymes, outre une fonction de sous-classement, exercent aussi la fonction d’expression de l’exhaustivité (VI, 1.2). Nous aborderons la spécificité de l’expression de l’exhaustivité portée par un sous-classement au terme de la sous-section VI, 3.3. Une autre interprétation est possible si l’on considère que les deux occurrences de ce sont strictement co-référentielles. Selon cette interprétation, les antonymes exercent une fonction d’expression de l’exhaustivité qui ne s’appuie pas sur un sous-classement de la même façon que dans les énoncés analysés sous VI, 1.2. Cette interprétation semble peu probable en raison de la répétition de la structure ce qui et de la conjonction ou (comparer avec Découvrons ce qui nous sépare et nous rapproche)159.

Fig. 100

Deux verbes antonymes peuvent être employés dans des séquences SjPC qui ne constituent pas des propositions relatives. Les énoncés (99) et (100) ne contiennent pas de proposition relative apparente. En revanche, ces énoncés peuvent être paraphrasés au moyen d’un prédicat d’existence de sorte que les verbes antonymes sont le centre d’une proposition relative: Il y a certains aliments qui doivent être supprimés et d’autres qui doivent être ajoutés (99) et Il y a des pays qui réduisent leur contribution, d’autres qui ne la versent plus et beaucoup qui rechignent à l’augmenter (100). (99)

[à propos des aliments] «Il faut simplement en SUPPRIMER certains et en AJOUTER d’autres, indiquent les chercheurs» (Le Monde 07/05/2011, «Pour se sentir mieux dans son assiette», Pascale Santi).

(100) «Au moment où des pays (l’Espagne, les Pays-Bas) RÉDUISENT leur contribution au Fonds, d’autres ne la VERSENT PLUS (l’Italie), et beaucoup, dont

159 Il faut noter que les prédicats antonymes, employés dans des propositions relatives dont les membres de la paire B sont les antécédents, peuvent théoriquement être aussi des adjectifs et pas seulement des verbes comme dans les énoncés (97) et (98). Nous n’avons malheureusement pas pu trouver d’exemples de ce cas dans notre corpus.

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la France, rechignent à l’AUGMENTER» (Le Monde 05/06/2011, «Sida: maintenir l’indispensable effort financier», s.a.).

Dans l’énoncé (99), ce ne sont pas les lexèmes arguments arg1 (voir (97) et (98)), mais les arguments arg2 des verbes antonymes qui constituent la paire B et réfèrent donc à des sous-classes différentes d’une même classe globale grâce à la présence des antonymes.

Fig. 101

Dans cet énoncé, comme dans les précédents, les prédicats opposés n’ont qu’un seul argument non commun dans la mesure où l’on peut supposer que les arguments arg1 non exprimés renvoient à la même personne, au même groupe de personnes ou plus probablement à la même classe globale de personnes. Lorsque les prédicats opposés ont plusieurs arguments non communs, même si les lexèmes qui exercent certaines de ces fonctions argumentales renvoient à des sous-classes d’une classe globale, la fonction de sous-classement de la coprésence antonymique s’efface au profit de la fonction d’ancillarité (VI, 5.1.1). Des structures du type Certains X… d’autres…, comme celle utilisée dans l’énoncé (99), ou Il y a des X qui… et d’autres qui… produisent un sous-classement, même sans la présence d’une coprésence antonymique comme dans Certains [aliments] sont déconseillés aux diabétiques et d’autres sont trop gras. Dans cette phrase, comme dans l’énoncé (99), ce sont les prédicats dont certains et autres sont les arguments qui permettent de délimiter les sous-classes référentielles mais, contrairement à (99), le sous-classement dans cette phrase n’est pas une réelle dichotomisation, c’est-à-dire la division d’une classe référentielle en deux sousclasses seulement. On pourrait ainsi ajouter à cette phrase beaucoup d’autres propositions qui réfèrent à d’autres sous-classes, par exemple: Certains [aliments] sont déconseillés aux diabétiques, d’autres sont trop gras, d’autres encore sont particulièrement allergisants, d’autres

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contiennent des colorants et des conservateurs. L’emploi de d’autres indique que ce ne sont pas les mêmes aliments qui ont ces caractéristiques. Dans une phrase comme celle-ci, la structure Certains X et d’autres ainsi que les différents prédicats qui s’y insèrent permettent de délimiter des sous-classes que l’énoncé présente comme incompatibles, c’est-à-dire entre lesquelles il crée un contraste, mais qui n’épuisent pas la classe référentielle dont elles relèvent. À l’énoncé (99), une seule autre proposition peut être ajoutée, c’est une proposition formée à partir d’un prédicat neutre par rapport aux antonymes: Il faut en supprimer certains, en ajouter d’autres et en garder d’autres. La structure Il y a les X qui … et les autres / le reste produit une réelle dichotomisation de la même manière que la coprésence antonymique, et ce même si le lexème prédicatif exprimé ne possède pas d’antonyme. Le lexème prédicatif non exprimé équivaudra alors à la négation du lexème prédicatif exprimé: Il y a les aliments bios et les autres (qui ne sont pas bio). Les sous-classes que cette structure permet de délimiter sont donc les deux seules possibles160. Par ailleurs, une dichotomisation peut être construite explicitement par un énoncé. C’est le cas dans Il y a deux sortes d’aliments: ceux qui contiennent des produits chimiques et ceux qui contiennent trop de sucre. Dans un tel exemple, le sous-classement binaire diffère de celui qui repose sur la coprésence antonymique en raison du fait que (a) la dichotomisation est créée et assumée par le locuteur; (b) elle peut être contestée facilement; (c) elle n’est pas forcément contrastive dans la mesure où les deux sous-classes peuvent être définies en regard de la même polarité et donc concourir à l’expression d’une totalité polarisée: ici, tous les aliments sont mauvais pour la santé161. Aux antonymes coprésents, qui exercent une fonction de sousclassement, peut s’ajouter un terme neutre ou intermédiaire par rapport aux antonymes (100).

160 Dans d’autres langues, comme l’espagnol, deux unités différentes, otros et los demás, traduisent la différence sémantico-référentielle entre d’autres, qui permet de désigner un sous-ensemble d’une classe référentielle, et les autres, qui permet de désigner l’un des deux seuls sous-ensembles possibles d’une classe référentielle. En français, cette différence est portée seulement par la différence de détermination (article défini versus indéfini). 161 Sur le rôle des antonymes dans l’expression d’une totalité, voir les sous-sections VI, 1.2 et 3.3.

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Dans l’énoncé (100), trois classes de pays européens sont délimitées grâce à la coprésence antonymique de réduire/augmenter et à la négation syntaxique du verbe verser qui s’oppose à chacun des antonymes. Sur le plan sémantico-formel, ne plus verser est très différent des exemples classiques de «terme intermédiaire», formés par une négation toujours lexicale (II, 3.3). Les trois éléments de quantification, des, d’autres, beaucoup, rapprochent le terme neutre de l’un des deux antonymes. Le non-versement n’est alors pas présenté comme l’absence de versement, plus ou moins important qu’auparavant, mais comme le degré ultime de la réduction. Les unités pays, d’autres [pays] et beaucoup [de pays], qui sont les arguments arg1 des prédicats réduire, ne pas verser et augmenter, réfèrent à trois sous-ensembles d’individus qui appartiennent à une même classe globale. Les deux sous-ensembles déterminés par les antonymes épuisent la classe qui correspond à la dimension sémantique sur laquelle les antonymes s’opposent: la classe des pays qui versent une contribution au Fonds contre le Sida. Ces deux sous-classes jointes à la troisième épuisent complètement la classe globale des pays: chaque pays, sans exception, doit appartenir à l’une de ces trois sous-classes.

Fig. 102

L’analyse que nous venons de présenter pour l’énoncé (100) est fondée sur l’interprétation du syntagme rechigner à augmenter comme signifiant (arg2 cause, en montrant de la mauvaise volonté, que arg1 augmente). Si ce syntagme devait être interprété comme (arg2 montre de la mauvaise volonté au point de ne pas causer que arg1 augmente), autrement dit si l’emploi de rechigner est considéré comme un moyen de nier augmenter, alors la coprésence antonymique ne remplirait pas une fonction de sous-classement mais indiquerait qu’aucun pays n’augmente

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sa participation au Fonds, certains allant même jusqu’à la réduire ou ne plus la verser (VI, 3.3). En revanche, si les deux verbes antonymes sont niés, ils exercent une fonction de sous-classement. Ainsi les antonymes dans l’énoncé suivant, forgé à partir de (100), exercent la même fonction que les antonymes dans (100): Au moment où des pays (l’Espagne, les Pays-Bas) ne RÉDUISENT pas leur contribution au Fonds, d’autres ne la versent plus (l’Italie), et beaucoup, dont la France, ne l’AUGMENTENT pas. Dans l’énoncé (100), d’autres éléments que les seuls antonymes viennent préciser le contenu des sous-classes: Espagne, Pays-Bas, Italie et France. Le rôle de ces éléments semble illustratif plutôt que déterminatif dans cet énoncé, ce qui justifie qu’il ne soit pas classé parmi les exemples d’ancillarité. En effet, deux indices nous conduisent à considérer que ces éléments ne permettent pas de déterminer le contenu des différentes sous-classes mais seulement de l’exemplifier: (1) la présence des parenthèses et des virgules; (2) le fait que l’Italie ne soit pas le seul pays à ne plus verser sa participation au Fonds (d’autres) et que la France ne soit pas le seul pays à l’augmenter (dont).  Adjectifs antonymes (101) «Voici vingt ans que l’argent SALE cohabite avec l’argent PROPRE» (Le Monde 05/09/1989, «Colombie: attentat contre le quotidien ‘El Espectador’. La mafia de la drogue poursuit sa campagne de terreur», Charles Vanhecke). (102) «Peut-on affirmer pour autant que 40 % de vos lecteurs sont ‘PRO’, 60 % sont ‘ANTI’?» (Le Monde 24/05/2011, «Paroles de lecteurs», Jean Günther Lyon). (103) «A défaut d’imposer des sujets, c’est une manière de voir et de faire que, peu à peu, le service public autant qu’Arte imposent aux auteurs. Fini les plans LONGS, il convient que chaque scène soit la plus COURTE et la plus tendue possible, que de plus en plus de commentaires se superposent au discours des images, que les langues étrangères soient doublées et non sous-titrées, que les archives de guerre soient toutes colorisées, les images muettes sonorisées, etc. Je viens de finir pour Arte un documentaire sur l’écrivain américain Philip Roth, qui n’accorde quasiment jamais d’entretien» (Le Monde 05/06/2011, «Haro sur le diktat de l’audience», Martine Delahaye). (104) «Ecoutons en tout cas Aimée Mullins, mannequin et actrice amputée des deux jambes à l’âge d’un an. Elle n’échangerait plus aujourd’hui ces prothèses pour ses deux jambes ‘NATURELLES’. Les membres ARTIFICIELS qu’elle porte depuis le plus jeune âge n’ont que des avantages, selon

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l’actrice: pas besoin de refaire son vernis à ongle ni de s’épiler» (Le Monde 05/06/2011, «Un homme presque parfait», Olivier Zilbertin). (105) «Les paléolithiciens s’efforcent aujourd’hui de remplacer les EFFRAYANTS ‘tableaux vivants’ qu’on affectionnait à l’orée du siècle par des reconstitutions plus modestes, mais plus fidèles et RASSURANTES» (Le Monde 27/03/1993, «Parcours. Cocagne et Cro-Magnon», Christian Colombani). (106) «Il faut avoir appris à distinguer la faille ACTIVE de celles, définitivement ENDORMIES, qui sillonnent une région» (Le Monde 13/10/1993, «Inde. Le surprenant séisme du Maharashtra», Jean-François Augereau).

Comme dans les énoncés précédents, les lexèmes qui exercent une fonction argumentale par rapport à chacun des prédicats antonymes et constituent la paire B peuvent être (a) deux occurrences d’un même lexème; (b) deux lexèmes synonymes; (c) un lexème et son hyperonyme; (d) un lexème et un pronom qui le reprend. (a) Deux occurrences ou deux instanciations d’un même lexème. Dans l’énoncé (101), les deux occurrences du substantif argent exercent une fonction argumentale de même rang par rapport aux adjectifs antonymes sale et propre.

Fig. 103

Les ensembles formés par les adjectifs antonymes et leur argument exercent une fonction argumentale de même rang par rapport au prédicat à construction réciproque cohabiter. Si l’on considère que le sens de cohabiter implique nécessairement la coexistence de deux entités qui ne sont, en principe, pas faites pour vivre ensemble, on peut envisager ce verbe comme un élément qui appuie le sous-classement. Une seule occurrence du lexème argument des antonymes peut être exprimée, l’autre devant être explicitée pour rendre possible l’interprétation de l’énoncé. Dans (102), les indications de pourcentage n’empêchent pas les antonymes de distinguer deux sous-classes à l’intérieur d’une classe globale dans la mesure où elles permettent simplement de chiffrer

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l’extension des sous-classes de lecteurs dont les adjectifs antonymes seuls définissent l’intension.

Fig. 104

(b) Deux lexèmes synonymes. Les deux lexèmes qui exercent une fonction argumentale par rapport aux antonymes ne sont pas toujours identiques. Ils peuvent être différents mais synonymes ou (quasi-)synonymes comme dans l’énoncé (103). Ainsi, plan «prise de vue effectuée sans interruption» et scène «séquence de film» (Grand Robert 2001) sont des quasisynonymes dans le contexte du documentaire télévisé dont il est question.

Fig. 105

(c) Un lexème et son hyperonyme. Dans l’énoncé (104), les adjectifs antonymes qualifient deux substantifs dont l’un est l’hyperonyme de l’autre. L’hyperonyme reprend anaphoriquement son hyponyme ce qui a pour conséquence que la coprésence antonymique permet de diviser la classe désignée par l’hyponyme en deux sous-classes. L’hyperonyme est employé comme une anaphore d’identité dont l’interprétation repose sur une restriction de sens.

Fig. 106

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Deux sous-classes de jambes sont distinguées selon leur nature et comparées implicitement en fonction du ressenti d’Aimée Mullins. Pour que les adjectifs antonymes puissent distinguer deux sous-classes dans une classe globale, il faut que l’hyperonyme, qui est l’argument de l’un des antonymes, désignent des référents strictement de même type que ceux de son hyponyme. Dans (105), même si le lexème reconstitutions est un hyperonyme de tableaux vivants, les référents de l’hyperonyme ne sont pas exclusivement de même type que les référents de l’hyponyme. La coprésence antonymique exerce, dès lors, une fonction d’ancillarité entre deux sousclasses de reconstitutions dont l’une est clairement définie par tableaux vivants. Ce ne sont donc pas les antonymes qui définissent seuls l’intension de ces deux sous-classes.

Fig. 107

(d) Un lexème et un pronom qui le reprend. Dans (106), l’un des membres de la paire B est également employé comme anaphore de l’autre. À la différence des énoncés précédents, la paire B est constituée d’un lexème et d’un pronom. Dans cet énoncé, l’un des membres de la paire B seulement désigne une classe référentielle, l’autre désigne un objet unique, mais appartenant à la même classe globale. Le propos de cet énoncé est de distinguer explicitement (distinguer) cet objet au sein de sa classe.

Fig. 108

On peut dire que (106) illustre un cas hybride entre la fonction d’ancillarité, caractérisée par le fait que les membres de la paire B désignent le plus souvent un objet unique, et la fonction de sous-classement, caractérisée par le fait que les membres de la paire B désignent toujours des sous-classes d’une même classe globale.

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 Substantifs antonymes (107) «Il y a bien du bon sens à substituer aux primes d’ENCOURAGEMENT des primes de DÉCOURAGEMENT» (Le Monde 3/10/2000, «Cochonneries», Jacques Gaillard).

Dans cet énoncé, les antonymes sont des substantifs prédicatifs employés dans des séquences de type SpS. Ces séquences peuvent être paraphrasées par des propositions relatives semblables à celles des énoncés (97) et (98). Ainsi, les syntagmes primes d’encouragement et primes de découragement peuvent être paraphrasés en primes qui encouragent et primes qui découragent. Les substantifs antonymes sont des prédicats par rapport auxquels les deux occurrences de primes exercent une fonction argumentale arg1. La séquence primes d’encouragement peut être considérée comme figée alors que ce n’est pas le cas du syntagme primes de découragement formé grâce à l’antonyme de l’un des constituants de cette SF.

Fig. 109

3.1.1.2. B1 et B2: arguments de deux prédicats identiques enchâssés A1[X(B1)]. A2[X(B2)]: A1 et A2, lorsqu’ils sont des adverbes, ont pour arguments de même rang un prédicat ou deux prédicats identiques dont les lexèmes B1 et B2 sont également des arguments de même rang, tous les autres arguments de ces prédicats étant communs, de même que tous les arguments des antonymes.  Adverbes antonymes (108) «Parallèlement, on étudie l’avenir des espèces qui ont été importées VOLONTAIREMENT (lapins, chats, rennes, mouflons et, tout récemment, salmonidés aux Kerguelen, bovins, à Amsterdam) ou INVOLONTAIREMENT (mouches bleues, rats et souris), et qui sont souvent redoutables pour les milieux naturels» (Le Monde 20/09/1987, «Un colloque d’experts à Strasbourg. La valeur scientifique des iles subantarctiques françaises», Yvonne Rebeyrol).

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(109) «Il y a des opérations HAUTEMENT commerciales comme celle-ci, respectables donc, et d’autres BASSEMENT commerciales» (Le Monde 01/10/1996, «Jacobs peut-il avoir des héritiers?», Yves-Marie Labé).

Dans les énoncés (108) et (109), les antonymes sont des prédicats qui ont pour argument un autre prédicat ou deux prédicats identiques. Ces prédicats peuvent avoir pour argument soit deux occurrences ou instanciations d’un même lexème, soit deux lexèmes synonymes, soit un lexème et son hyperonyme, soit un lexème et un pronom, qui ne désignent pas les mêmes différents. Leurs éventuels autres arguments leur sont communs. Les antonymes qui entrent dans cette configuration sont essentiellement des adverbes, employés dans des séquences SjPC. Dans (108), comme l’indique la figure 110, les adverbes antonymes ont pour argument le prédicat importer qui a lui-même pour argument le substantif espèces. La coprésence antonymique permet donc de distinguer deux sous-classes d’espèces animales. Les noms d’espèces entre parenthèses caractérisent l’extension de deux sous-classes dont l’intension est définie par les antonymes.

Fig. 110

Les adverbes antonymes peuvent avoir pour arguments des prédicats qui ne sont pas des verbes (108) mais des adjectifs (109). Le propos de l’énoncé (109) est de distinguer explicitement deux sous-classes d’opérations. Sur le plan sémantico-syntaxique, cette distinction repose, comme le montre la figure 111, 1) sur le rôle argumental joué par les deux occurrences de l’adjectif commerciales par rapport aux antonymes, 2) sur la présence du pronom autres qui reprend opérations, 3) sur le rôle argumental joué par opérations et autres, qui désignent des référents appartenant à la même classe référentielle, par rapport aux deux occurrences de l’adjectif prédicatif.

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Fig. 111

3.1.1.3. B1 et B2: actualisateurs A1B1. A2B2: A1 et A2, lorsqu’ils exercent une fonction prédicative, sont actualisés sur le plan spatial ou temporel notamment par les lexèmes B1 et B2, tous leurs arguments étant communs. Les membres de la paire B peuvent être des actualisateurs des antonymes prédicatifs, comme dans l’exemple (110), dans lequel les trois appariements antonymiques, décliner/stagner, progresser/stagner et décliner/progresser, sont employés dans des propositions relatives introduites par les deux occurrences de où. Les antécédents de cette conjonction sont pays et d’autres, qui reprend pays. Ces unités constituent la paire B. (110) «Le phénomène [la pauvreté] a touché aussi bien des pays où le revenu moyen A DÉCLINÉ (Panama, Pérou) – parfois FORTEMENT (Venezuela, Argentine) – sur la période, que d’autres où il A seulement STAGNÉ, voire LÉGÈREMENT PROGRESSÉ, comme le Mexique ou le Brésil» (Le Monde 05/05/1993, «Une décennie de pauvreté et d’inégalité croissantes», Guy Herzlich).

Comme l’indique la figure 112, les antonymes de la paire décliner/ progresser permettent de distinguer deux sous-classes de pays sud-américains en fonction de l’évolution du revenu moyen de leur population. L’opposition entre stagner «être inerte, languir, en rester au même point, ne pas évoluer» (Grand Robert 2001) et les deux membres de la paire décliner/progresser, dont le sémantisme comprend le trait /évolution/, permet de définir une troisième sous-classe de pays. L’emploi de seulement indique que cette troisième sous-classe n’est pas présentée comme parfaitement neutre par rapport aux antonymes, mais est rapprochée de décliné. La stagnation est présentée comme le degré 0 du déclin, conçu

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comme négatif, par opposition à la progression, qui est un changement positif.

Fig. 112

Les noms des pays mentionnés dans l’énoncé exemplifient le contenu de chaque sous-classe, qui détermine leur extension. Le processus de sous-classement auquel participent les antonymes s’inscrit dans une comparaison d’égalité entre des pays sud-américains quant à l’impact de la pauvreté sur chacun d’eux. Cette comparaison véhicule l’information inattendue ou paradoxale selon laquelle diverses sous-classes de pays, même celles définies par une progression du revenu moyen de leur population, sont touchées par la pauvreté. La présence de trois sous-classes, qui épuisent la totalité des possibilités d’évolution du revenu moyen (évolution dans les deux sens et absence d’évolution c’est-à-dire degré 0), permet de considérer que la coprésence des verbes antonymes exprime que la pauvreté touche tous les pays sud-américains quelle que soit l’évolution du revenu moyen de leur population (VI, 1.3 et 3.3). Par ailleurs, la présence des adverbes antonymes permet à la coprésence antonymique de créer une corrélation entre le sens (vers le haut ou vers le bas) et le degré de l’évolution du revenu moyen (VI, 4). 3.1.1.4. Paires hétérocatégorielles (111) «Or, si ces publications établissent que les enfants d’IMMIGRÉS connaissent plus de difficultés scolaires que les élèves “AUTOCHTONES”, selon les termes de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), aucune ne corrobore les affirmations du ministre de l’intérieur et de l’immigration» (Le Monde 27/05/2011, «Des études sur les enfants d’immigrés contredisent M. Guéant», Philippe Jacqué).

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Les lexèmes qui constituent la paire B peuvent également désigner, grâce aux antonymes, deux sous-classes qui ne sont pas seulement distinguées mais aussi comparées par rapport à une propriété commune comme dans l’énoncé (111). Dans cet énoncé, la paire antonymique hétérocatégorielle formée d’un adjectif et d’un substantif a pour argument les substantifs enfants et élèves. Le substantif enfants peut être considéré comme un hyperonyme qui annonce cataphoriquement son hyponyme élèves. Comme l’indique le schéma ci-dessous, l’interprétation de la séquence SpS requiert l’explicitation d’un prédicat sous-entendu, noté en grisé.

Fig. 113

3.1.2. Antonymes dans une fonction argumentale X[A1(C), B1]. X[A2(C), B2]: A1 et A2, lorsqu’ils sont des substantifs ou des adjectifs, exercent, avec leurs éventuels arguments exprimés, une fonction argumentale de même rang par rapport à un prédicat ou à deux prédicats identiques dont les lexèmes B1 et B2 sont également des arguments de même rang, tous les autres arguments de ces prédicats étant communs.  Adjectifs antonymes (112) «À ceux qui invoquent Pierre Mendès France et ses ‘mains PROPRES’ en politique, ou qui, au contraire, se recommandent de François Mitterrand et de ses ‘mains SALES’, on répondra qu’est en train d’émerger, entre ces deux caricatures – l’une est trop flatteuse et l’autre injuste, – une nouvelle génération politique» (Le Monde 20/12/1987, «Le vote du budget de la région Champagne-Ardenne Le PS bousculé par l’effet Le Pen», Jean-Yves Lhomeau).

Deux antonymes adjectivaux dont les lexèmes-arguments constituent la paire B peuvent dépendre de deux prédicats semblables dont les autres arguments sont des unités lexicales qui désignent des référents appartenant à une même classe (112). Les adjectifs propre et sale ont pour seul

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argument les deux occurrences du lexème mains et permettent donc de distinguer deux sous-classes de mains. Comme le montre le schéma ci-dessous, les antonymes et leurs arguments dépendent de deux prédicats semblables dont les autres arguments désignent des référents différents appartenant à la même classe.

Fig. 114

Les antonymes permettent donc de distinguer deux sous-classes de mains et par conséquent deux sous-classes de personnes en fonction de la sous-classe de mains à laquelle elles adhèrent, les sous-classes de mains représentant deux conceptions de la politique. Ces deux conceptions sont explicitement opposées par l’énoncé (au contraire). En outre, la coprésence antonymique dans cet énoncé exerce également une fonction d’ancillarité. Aux deux manières de faire de la politique sont en effet associées deux personnalités désignées par les noms Pierre Mendès France et François Mitterrand, que la coprésence antonymique met en contraste.  Substantifs antonymes (113) «Désireux de percer les raisons profondes des étranges habitudes ‘altruistes’ observées chez certains animaux, Martin Nowak (Institut de mathématiques de l’université de Vienne, Autriche) et Karl Sigmund (département de zoologie de l’université d’Oxford, Grande-Bretagne) ont imaginé de détourner un modèle numérique fondé sur la ‘théorie du jeu’ qui avait été développée à l’origine par les économistes pour analyser les tendances des marchés financiers (Le Monde du 6 juin) et de l’utiliser pour simuler l’évolution de trois types de sociétés animales. La première était composée de purs ÉGOÏSTES; la seconde d’ALTRUISTES s’entraidant

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sans conditions; dans la troisième, seuls les individus réputés serviables recevaient aide et assistance» (Le Monde 25/06/1998, «La loi du plus fort démentie par les mathématiques», Jean-Paul Dufour). (114) «Puis il [Cornelius Hertling] nous parle d’histoire et du mot allemand même qui désigne l’histoire, ‘Geschichte’: ‘Dans Geschichte, dit-il, il y a Schicht, la couche, au sens archéologique du terme, mais aussi sociologique’. Il y a, oui, les couches du SOUVENIR, mais il y a aussi les couches de l’OUBLI» (Le Monde 26/12/1991, «L’avenir incertain de l’architecture à Berlin. Spéculations», Frédéric Edelmann).

Dans les énoncés (113) et (114), les antonymes et leurs éventuels arguments dépendent d’un prédicat dont dépendent également les membres de la paire B. Ainsi dans (113), les antonymes sont les arguments arg1 du même prédicat composer. Les syntagmes la première et la seconde, qui désignent chacun une société animale, sont les arguments arg2 des deux instanciations de ce même prédicat. La coprésence antonymique permet de caractériser deux sous-classes de sociétés animales visées par l’étude de Nowak et Sigmund. Une troisième sous-classe est envisagée dans l’étude. Elle peut être définie par opposition aux deux autres: elle n’est pas composée d’individus égoïstes qui ne s’entraident pas du tout, ni d’individus altruistes qui s’entraident sans conditions, mais d’individus dont les rapports sont fondés sur la réciprocité.

Fig. 115

Les antonymes qui exercent une fonction de sous-classement peuvent être employés dans deux séquences SpS dans lesquelles les substantifs antonymes sont les compléments de deux occurrences d’un même substantif (114). Les syntagmes SpS formés grâce aux antonymes reposent sur la présence d’un prédicat sous-entendu que l’on peut expliciter par caractériser et qui a pour arguments les antonymes ainsi que les substantifs qu’ils déterminent, comme l’indique la figure 116. La coprésence

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antonymique permet donc de distinguer deux sous-classes de couches de connaissance historique.

Fig. 116

3.1.3. Antonymes dans une fonction d’actualisation XA1 (B1). XA2 (B2): A1 et A2 exercent une fonction d’actualisation par rapport à un prédicat ou à des prédicats identiques dont les lexèmes B1 et B2 sont des arguments de même rang et dont tous les autres arguments sont communs. (115) «Pour Yann Moulier Boutang, professeur de sciences économiques à l’université de technologie de Compiègne, l’économiste et l’abeille symbolisent les deux tendances du capitalisme, celui d’HIER et celui de DEMAIN» (Le Monde 01/06/2010, «Pollinisation», Philippe Arnaud).

Dans cet énoncé, les antonymes exercent une fonction d’actualisation par rapport à deux prédicats s identiques dont les membres de la paire B sont les arguments. Comme l’indique la figure 117, les deux prédicats identiques sous-entendus peuvent être explicités par exister. L’énoncé (115) distingue explicitement (deux tendances) deux sous-classes de capitalisme en fonction de l’époque à laquelle elles existent.

Fig. 117

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3.1.4. Synthèse Grâce aux analyses des énoncés ci-dessus (sous-sections VI, 3.1.1 à 3.1.3), extraits de notre corpus, nous avons pu affiner la description des configurations sémantico-syntaxiques dans lesquelles les antonymes A1 et A2 sont intégrés à deux SPM / SPU juxtaposées, coordonnées l’une à l’autre ou dépendantes d’un même prédicat, dans lesquelles sont également présents les membres d’une paire B, qui désignent des référents différents appartenant à la même classe référentielle. Les membres de la paire B peuvent être soit deux occurrences ou instanciations d’un même lexème, soit deux lexèmes synonymes, soit deux lexèmes dont l’un est hyperonyme de l’autre, soit un lexème et un pronom qui le reprend. Au sein des énoncés analysés, nous avons pu identifier quatre structures sémantico-syntaxiques différentes dans lesquelles A1 et A2 entretiennent une relation sémantico-syntaxique avec B1 et B2. Ces structures ont été classées selon la fonction sémantico-syntaxique (fonction prédicative, argumentale ou d’actualisation) que les antonymes y exercent: 1) subordination de la paire B(argt) à la paire A: A1(B1). A2(B2); A1B1(C). A2B2(C)

2) dépendance des paires A(argt) et B(argt) au même prédicat: X[A1(C), B1]. X[A2(C), B2]

3) dépendance de B1 et B2 à un même prédicat argument de A1 et A2: A1[X(B1)]. A2[X(B2)]

4) fonction d’actualisation de la paire A par rapport à des prédicats dont B1 et B2 sont les arguments: XA1 (B1). XA2 (B2).

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Le tableau ci-dessous fait la synthèse des sous-sections 3.1.1 à 3.1.3. A1 et A2

Prédicat

Argument

Actualisateur

B1 et B2 Prédicat

Argument

(109) Il y a des opérations HAUTEMENT commerciales […] et d’autres BASSEMENT commerciales.

(113) La première était composée de purs ÉGOÏSTES; la seconde d’ALTRUISTES s’entraidant sans conditions […].

(115) […] les deux tendances du capitalisme, celui d’HIER et celui de DEMAIN.

(Structure 3)

(Structure 2)

(Structure 4)

Actualisateur (110) […] des pays où le revenu moyen A DÉCLINÉ (Panama, Pérou) – parfois FORTEMENT (Venezuela, Argentine) – sur la période, que d’autres où il A seulement STAGNÉ, voire LÉGÈREMENT PROGRESSÉ

[…] (Structure 1)

3.2. Fonction sémantico-référentielle de sous-classement Dans les énoncés analysés sous VI, 3.1, les antonymes coprésents exercent une fonction sémantico-référentielle que nous avons appelée fonction de sous-classement. Nous pouvons maintenant définir précisément cette fonction. 3.2.1. Des antonymes qui définissent seuls l’intension d’une classe Dans les quatre structures sémantico-syntaxiques que nous avons identifiées (VI, 3.1.4), les antonymes coprésents permettent de distinguer, à l’intérieur de la classe référentielle à laquelle appartiennent les référents des lexèmes B1 et B2, deux sous-classes référentielles dont ils définissent l’intension.

VI. FONCTIONS SÉMANTICO-RÉFÉRENTIELLES DE L’ANTONYMIE

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La division d’une classe référentielle en deux sous-classes par les antonymes est strictement binaire en regard de la dimension sur laquelle les antonymes s’opposent. Elle repose uniquement sur la coprésence antonymique et, éventuellement, sur des déterminants ou des pronoms qui jouent également un rôle dichotomisateur (les autres, d’autres, le reste, par exemple), mais non sur une détermination à un autre niveau. Les antonymes coprésents sont donc les seuls éléments de l’énoncé à fournir le principe organisateur des sous-classes qu’ils définissent. D’autres éléments, parenthétiques et supprimables (exemples ou explicitations), peuvent éventuellement être employés pour caractériser l’extension de ces deux sous-classes. Aux deux sous-classes définies par les antonymes peut s’ajouter une troisième sous-classe, dont l’intension est définie par opposition à la dimension sur laquelle les antonymes s’opposent (voir énoncés (100) et (110)). Cette sous-classe, désignée grâce à la présence d’un terme intermédiaire ou neutre par rapport aux antonymes, peut être présentée comme plus proche de l’une des deux classes opposées que de l’autre. La présence de trois sousclasses dans un énoncé épuise complètement la totalité d’une classe globale. Nous pouvons donc définir la fonction de sous-classement exercée par les antonymes coprésents comme la dichotomisation, c’est-à-dire la division strictement binaire, d’une classe référentielle en deux sousclasses référentielles que l’ensemble formé par les antonymes, qui en définissent l’intension, et les membres de la paire B (substantifs ou pronoms) permettent de désigner. Compte tenu de la définition que nous venons de donner de la fonction de sous-classement, il est logique que la structure syntaxique de surface dans laquelle les antonymes exercent cette fonction le plus généralement soit la proposition relative du type B1 (B2) qui A1 (A2) ou des séquences SpS, SubjAdj et parfois SjPC qui peuvent toujours être paraphrasées en propositions relatives. 3.2.2. Sous-classement et exploitation pragmatique Examinons à présent les énoncés (116) et (117). Ces énoncés illustrent des emplois de la coprésence antonymique dans une fonction de sousclassement qui peuvent servir une visée manipulatoire. Dans l’énoncé (116), trois sous-classes d’amis sont délimitées par la coprésence antonymique de aimer/haïr et la négation du verbe se soucier de.

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(116) «Relisons Chamfort (1741-1794), moraliste féroce aimant à se brûler à force de lucidité. Que disait-il sur l’amitié? «Dans le monde, vous avez trois sortes d’amis: vos amis qui vous AIMENT, vos amis qui ne se soucient pas de vous, et vos amis qui vous HAÏSSENT» Il suffit de le savoir!» (Le Monde 02/09/2008, «Dans le monde, vous avez trois sortes d’amis…», Laurent Greilsamer).

Dans cet énoncé, le syntagme verbal ne pas se soucier de peut être interprété comme étant opposé à chacun des antonymes aimer et haïr si l’on considère qu’il signifie (ne pas s’intéresser à x) et par conséquent (ne pas éprouver de sentiment particulier pour x) (II, 3.3). Les verbes aimer, haïr et ne pas se soucier de ont le même argument arg2 dans la mesure où les trois occurrences de vous désignent le ou les même(s) référent(s). Les trois occurrences du substantif amis exercent une fonction argumentale arg1 par rapport aux antonymes mais désignent des sous-classes référentielles dont l’intension est différente grâce à la présence des antonymes.

Fig. 118

Les deux sous-ensembles déterminés par aimer et haïr épuisent la classe qui correspond à la dimension sémantique sur laquelle s’opposent les antonymes: la classe des amis qui éprouvent un sentiment. Ces deux sous-classes jointes à la troisième épuisent complètement la classe globale des amis, autrement dit, chacun des amis que l’on peut avoir doit être rangé dans l’une des trois sous-classes. Or, l’existence, affirmée par Chamfort, d’une classe d’amis indifférents et a fortiori celle d’une classe d’amis haineux est paradoxale en raison du sens du lexème ami qui ne le rend compatible comme agent qu’avec l’amour: «celui, celle qui est lié(e) d’amitié [sentiment d’affection ou de sympathie d’une personne pour une autre]» (Grand Robert 2001). Ces paradoxes ainsi que l’emploi du déterminant possessif vos conduisent à interpréter le syntagme vos amis comme inscrit dans l’univers de croyance du destinataire seulement: vos amis désigne tous les individus que le destinataire croit être ses amis

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alors que ceux d’entre eux qui ne s’en soucient pas ou le haïssent ne se considèrent sans doute pas eux-mêmes comme tels. Dans des énoncés dans lesquels le paradoxe ne permet pas de réinterpréter l’existence d’une classe comme circonscrite à un univers de croyance, le sous-classement explicite mis en œuvre peut devenir manipulateur. Dans l’énoncé (117), les sous-classes dont les antonymes définissent l’intension ne sont pas des sous-classes paradoxales. En revanche, c’est l’association des classes définies par les antonymes avec deux autres classes qui permet l’expression de sous-classes paradoxales. (117) «Dans le domaine de la maternité, on voit tout: des femmes qui ADORENT être enceintes et ne s’occupent pas de leurs enfants, et d’autres qui DÉTESTENT être enceintes et AIMENT élever leurs enfants» (Le Monde 14/05/2011, «‘La maternité n’est pas obligatoire’», propos de René Frydman recueillis par Josyane Savigneau).

Dans cet énoncé, outre la coprésence détester/aimer qui remplit une fonction d’ancillarité en mettant en contraste être enceintes et élever leurs enfants, une deuxième coprésence antonymique, adorer/détester qui remplit une fonction de sous-classement peut être identifiée. Ce sousclassement n’est pas sous-tendu uniquement par la coprésence antonymique adorer/détester. Comme l’indique la figure 119, il repose également sur la présence de d’autres qui reprend anaphoriquement des femmes, argument arg1 des antonymes, et dont le sens indique que ce ne sont pas les mêmes femmes qui ressentent les sentiments exprimés par les antonymes.

Fig. 119

L’existence d’une troisième sous-classe, celle des femmes qui n’ont rien ressenti de particulier par rapport à leur grossesse, est négligée voire occultée par l’énoncé grâce à la conjonction de deux mécanismes sémantico-référentiels: (1) la coprésence antonymique qui définit une dimension sémantique d’opposition en regard de laquelle se constituent

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deux sous-classes mais non la troisième qui ne correspond pas à cette dimension; (2) l’emploi de dans le domaine de la maternité qui écarte du champ de l’énoncé un ensemble de femmes, celles qui n’ont jamais été enceintes et qui constituent forcément une partie de la classe des femmes qui n’ont pas de ressenti particulier par rapport à la grossesse. Dans cet énoncé, deux autres sous-classes de femmes sont identifiables. Leur distinction n’est pas portée par la coprésence antonymique mais par d’autres verbes: ne pas s’occuper de et aimer élever. On peut considérer que ces syntagmes, sans être lexicalement antonymes, ont des sens opposés dans la mesure où aimer élever implique s’occuper de. On peut donc dire que les propositions qui contiennent ces verbes sont contradictoires et délimitent deux sous-classes. Les propositions qui désignent les quatre sous-classes de femmes qui ont été enceintes et ont un ressenti par rapport à leur grossesse peuvent être combinées de quatre manières différentes dont deux seulement sont retenues dans l’énoncé (117): 1) des femmes qui adorent être enceintes et ne s’occupent pas de leurs enfants; 2) des femmes qui adorent être enceintes et s’occupent de leurs enfants; 3) des femmes qui détestent être enceintes et aiment élever leurs enfants; 4) des femmes qui détestent être enceintes et n’aiment pas élever leurs enfants. Les combinaisons 2) et 4) sont absentes de l’énoncé (117). Le pronom tout peut être interprété comme équivalent à toutes sortes de choses ou de tout. Il annonce que les cas qui vont suivre sont extrêmes ou paradoxaux. Toutes les possibilités ne sont donc pas envisagées. L’analyse de l’intention, éventuellement manipulatoire, d’un locuteur qui souhaite ne mettre en exergue que les classes paradoxales en ignorant les autres, comme dans l’énoncé (117), dépasse le cadre de la présente étude mais les mécanismes sémantico-référentiels décrits peuvent être exploités par des analystes des discours pour montrer comment la coprésence antonymique sert une visée manipulatoire. 3.2.3. Réfuter un sous-classement: une dimension sémantique non applicable Lorsque deux antonymes, le plus souvent des adjectifs, qui sous-tendent un sous-classement, dépendent d’un prédicat d’existence nié, leur coprésence indique que la dimension sur laquelle s’opposent les antonymes ne

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s’applique pas à la situation décrite par l’énoncé et donc que ce sousclassement n’a pas lieu d’être. Dans l’énoncé (118), les adjectifs antonymes sont deux prédicats qui ont alliés pour argument arg1162. (118) «‘Il n’y a pas de NOUVEAUX ou d’ANCIENS alliés, il n’y a que des alliés, et chacun doit avoir une confiance absolue dans l’engagement que nous avons pris pour sa défense’, a ajouté Mme Sherwood-Randall, en présentant le voyage» (Le Monde 24/05/2011, «M. Obama effectue une tournée en Europe à l’heure des révoltes arabes», Corine Lesnes).

Fig. 120

L’énoncé réfute l’application de la dimension DURÉE D’UNE RELATION aux alliés: par rapport à des alliés, la question de la durée, plus ou moins longue, de l’alliance et donc de la date où les alliés ont acquis ce statut, ne doit pas être posée. Mme Sherwood-Randall refuse donc le sous-classement que les antonymes pourraient sous-tendre. L’inapplicabilité de la dimension sur laquelle les antonymes s’opposent peut aussi être exprimée en l’absence d’un sous-classement lorsque deux antonymes niés dépendent du prédicat d’attribution être. La réfutation porte alors sur l’attribution d’une des deux qualités contraires au référent des lexèmes arguments des antonymes. (119) «Si le capitalisme n’est ni MORAL ni AMORAL, les patrons sont innocents, y compris quand ils licencient massivement pour faire plaisir aux actionnaires» (Le Monde 24/03/2004, «Où va le capitalisme français?»)

Ainsi, dans l’énoncé (119), la coordination des antonymes indique que la dimension MORALITÉ n’est pas applicable au capitalisme.

162 Compte tenu de leur signification temporelle, ces prédicats participent également à l’actualisation de alliés, à la manière d’adverbes: les alliés de longue date et les alliés de date récente.

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Fig. 121

Lorsqu’un troisième terme est associé aux antonymes, leur négation simultanée peut renvoyer à ce troisième terme. Dans l’énoncé (120), le troisième terme tiède est également explicitement exprimé. (120) «L’Apocalypse ne dit-elle pas: ‘Puisque tu es tiède c’est-à-dire puisque tu n’es ni CHAUD ni FROID je te vomirai de ma bouche’ (3 16)» (Le Monde 18/01/1995, «Le Vatican trébuche à Évreux», Henri Fesquet).

Si la négation du troisième terme est jointe à la négation simultanée des antonymes, l’énoncé indique l’inapplicabilité de la dimension: Le plat n’était ni chaud, ni froid, ni tiède163, il est indescriptible sur la dimension TEMPÉRATURE. Dans l’énoncé (121), contrairement aux précédents, les antonymes permettent bien de distinguer deux sous-classes de postures dont le bienfondé n’est pas contesté par l’énoncé. (121) «Le simple bon sens encourage à penser que s’élever contre les attaques ‘au faciès’ ne constitue ni une posture de DROITE ni une posture de GAUCHE» (Le Monde 02/04/2010, «Je persiste et signe: l’humour a ses frontières», Jean Luc Hees).

L’ensemble formé par les antonymes et leur argument exerce une fonction argumentale par rapport à un prédicat qui n’est pas un prédicat d’existence mais un prédicat d’identification (constituer). Ce prédicat est nié, ce qui indique que le fait de s’élever contre les «attaques au faciès» ne peut appartenir à aucune des deux sous-classes définies par les antonymes.

Fig. 122 163 Nous remercions Bruno Courbon de nous avoir communiqué cet exemple entendu dans une conversation.

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Dans ce cas, contrairement aux énoncés précédents, la coprésence antonymique exprime l’exhaustivité (VI, 1.2): lutter contre le racisme n’est pas une posture orientée, cette lutte concerne tous les hommes politiques, quelle que soit leur orientation. Nous allons maintenant définir précisément l’expression de l’exhaustivité qui s’appuie sur un sous-classement. 3.3. Fonction sémantico-référentielle d’expression de l’exhaustivité par rétroclassement La fonction d’expression de l’exhaustivité (VI, 1.2) peut être exercée par des antonymes dont la coprésence exerce également une fonction de sous-classement. L’expression de l’exhaustivité peut alors être considérée comme la résultante d’un processus de recomposition, défini comme l’inverse du processus de division qui produit un sous-classement. Nous donnons à ce processus le nom de processus de rétroclassement. Ces deux processus inverses sont illustrés par les schémas ci-dessous.

Fig. 123

Nous allons maintenant définir la fonction d’expression de l’exhaustivité exercée par des antonymes coprésents qui exercent également une fonction de sous-classement et identifier les marqueurs qui permettent de déterminer laquelle de ces deux fonctions est la plus saillante dans chaque énoncé (VI, 3.3.1). Nous décrirons ensuite le rôle de la négation dans la fonction d’expression de l’exhaustivité pour définir la nullité avec rétroclassement (VI, 3.3.2). 3.3.1. Définir l’exhaustivité par rétroclassement Pour définir précisément l’expression de l’exhaustivité par rétroclassement, prenons les énoncés (122) à (126) pour exemple. (122) «Cette nouvelle chaîne musicale destinée aux 11-35 ans a construit sa programmation autour des tubes D’HIER et D’AUJOURD’HUI: vidéoclips, classements de titres les plus en vogue» (Le Monde 30/03/2005, «Nouvelles chaînes, nouveaux programmes», Guillaume Fraissard et Macha Serry).

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(123) «La méthode n’est pas sans risque. L’avantage fiscal accordé au contribuable ne compense parfois pas la perte qu’il subit quand les sociétés dont il est devenu DIRECTEMENT ou INDIRECTEMENT actionnaire échouent» (Le Monde 14/12/2008, «Dernière ligne droite pour investir», A. Kahn). (124) «Tout citoyen ACTIF ou RETRAITÉ, PAUVRE ou RICHE, JEUNE ou VIEUX peut être ainsi humilié dans une froide cellule sans savoir pourquoi» (Le Monde 07/01/2010, «Nicolas Sarkozy a mis la justice aux ordres», Dominique Barella). (125) «Confortable pour un film plutôt documentaire, qui renvoie à la vie, aux photos et aux films de Depardon, qui mêle des images ANCIENNES et RÉCENTES, ANIMÉES et FIXES» (Le Monde 14/05/2011, «Raymond Depardon tourne un film à Cannes», Michel Guerrin). (126) «Le coup porté au marché de l’art français serait tout aussi rude, alors même que des signes timides de reprise ont été enregistrés et encouragés par les pouvoirs publics. L’équilibre déjà précaire des prélèvements en vigueur lors de l’achat et de la vente d’œuvres d’art en France (taxation des plus-values de cession d’œuvres, taxe sur la valeur ajoutée lors de l’importation d’œuvres en Europe, droit de suite appliqué aux ventes d’œuvres d’artistes VIVANTS ou MORTS depuis moins de soixante-dix ans…) serait remis en question» (Le Monde 07/06/2011, «Ne pas taxer les œuvres d’art à l’ISF», Guillaume Cerutti).

Dans ces cinq énoncés, les paires d’antonymes exercent une fonction de sous-classement en définissant l’intension de deux sous-classes de référents. Dans l’énoncé (122), le substantif tubes est l’argument de deux prédicats sous-entendus dont l’explicitation est nécessaire à l’interprétation de la séquence SpS dans laquelle les antonymes s’insèrent.

Fig. 124

Dans l’énoncé (123), les adverbes antonymes sont des prédicats du second ordre qui opèrent sur le prédicat actionnaire actualisé par le verbe support devenir et qui a pour argument sociétés. Les antonymes permettent de distinguer deux sous-ensembles dans la classe des sociétés

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dont un contribuable peut être actionnaire. La proposition relative introduite par dont permet de définir l’extension de cette classe.

Fig. 125

Dans l’énoncé (124), les trois paires d’adjectifs prédicatifs antonymes ont toutes citoyen pour unique argument. Le syntagme tout citoyen pourrait renvoyer à tous les citoyens du monde mais il ne désigne dans cet énoncé que la classe des citoyens français. Ici, ce sont le contexte élargi et le paratexte attaché à cet énoncé qui caractérisent l’extension de cette classe. Les trois paires d’antonymes permettent donc chacune de diviser la classe des citoyens français en deux sous-classes.

Fig. 126

Dans l’énoncé (125), déjà analysé sous V, 4.3, les antonymes coprésents permettent de définir deux fois deux sous-classes d’images.

Fig. 127

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L’énoncé (126) peut être rapproché des énoncés (122) et (123) dans la mesure où le syntagme depuis moins de soixante-dix ans définit l’extension de la classe des artistes dont les antonymes sous-tendent la dichotomisation. Ce syntagme indique que la classe globale dans laquelle les antonymes distinguent deux sous-classes est la classe des artistes dont les œuvres ne sont pas encore dans le domaine public. La coprésence antonymique permet ainsi d’exprimer que les droits de suite sont appliqués aux ventes d’œuvres de tous les artistes qui touchent, ou dont les héritiers touchent, des droits d’auteurs, que ces artistes soient encore vivants ou non.

Fig. 128

Sur le plan sémantique, la coprésence antonymique dans ces cinq énoncés permet de dénoter la totalité de la dimension sémantique sur laquelle les antonymes s’opposent. Cette totalité est définitoire de la fonction d’expression de l’exhaustivité exercée par les antonymes, avec ou sans rétroclassement (VI, 1.2). Lorsque les antonymes exercent cette fonction, leur coordination, par et / ou, est toujours paraphrasable par une concessive extensionnelle de type quel(le) que soit X, où X représente la dimension: quel que soit le MOMENT où les tubes ont été créés (122), quelle que soit la MANIÈRE dont le contribuable est devenu actionnaire (123), quels que soient l’ACTIVITÉ PROFESSIONNELLE, la RICHESSE et l’ÂGE du citoyen français (124), quel que soit le MOMENT DE LA PRISE DE VUE et le DEGRÉ D’ANIMATION des images (125), quel que soit le STATUT VITAL des artistes (126). Sur le plan référentiel, la coprésence antonymique permet au substantif qui exerce directement une fonction argumentale par rapport aux antonymes (citoyen dans (124) et artistes dans (126)) ou, à défaut, au substantif qui exerce une fonction argumentale par rapport à un prédicat qui est argument des antonymes (société dans (123)) ou dont les antonymes participent à l’actualisation (tubes dans (122)) de désigner une classe référentielle globale définie en regard de la dimension sémantique sur laquelle les antonymes s’opposent.

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L’étendue référentielle de cette classe n’est pas déterminée par la coprésence antonymique mais par les éléments de détermination du substantif qui la désigne. De ce point de vue, les cinq énoncés ci-dessus diffèrent. Dans l’énoncé (122), le substantif tubes est précédé d’un article contracté des, formé de la préposition de et de l’article défini les qui détermine tubes. La portée généralisante de ce déterminant permet à tubes de désigner une classe référentielle dont l’extension est maximale. La coprésence antonymique définit ainsi l’intension de deux sous-classes de tubes et permet d’exprimer qu’absolument toutes les chansons à succès, de tous temps (dimension de l’opposition), constituent la programmation de la nouvelle chaîne musicale dont parle l’énoncé. Dans l’énoncé (123), le substantif sociétés est également précédé d’un article défini mais la proposition relative qui l’accompagne permet d’opérer une réduction de la classe globale des sociétés à la sous-classe des sociétés dont un contribuable peut être actionnaire. Au sein de cette sous-classe, la coprésence antonymique permet de distinguer deux sousclasses qu’elle rassemble pour exprimer l’exhaustivité, une exhaustivité circonscrite par la proposition relative introduite par dont: l’avantage fiscal accordé au contribuable ne compense parfois pas la perte qu’il subit quand échouent toutes les sociétés dont il est devenu actionnaire, quelle que soit la manière dont il l’est devenu. L’énoncé (124) correspond au même schéma en dépit de la présence de l’indéfini singulier totalisant tout qui a toujours une valeur de concession extensionnelle: tout équivaut à n’importe quel. Cette totalité est réduite par le contexte qui la limite aux citoyens français. La coprésence antonymique permet donc de distinguer deux sous-classes de citoyens français et d’exprimer l’exhaustivité: peut être humilié n’importe quel citoyen français, quels que soient ses activités professionnelles, sa richesse et son âge. Dans l’énoncé (125), le substantif images est précédé de l’article indéfini des. Cette détermination, qui réduit l’extension de la classe globale des images, ne permet pas au processus de rétroclassement d’être complètement réalisé. L’exhaustivité que le substantif images exprime ne peut s’abstraire des sous-classes dont les antonymes définissent l’intension. La totalité visée par l’énoncé (125) n’est donc pas une totalité absolue globalisante (tous les x), éventuellement circonscrite à un sous-ensemble déterminé (tous les x du sous-ensemble r), mais une totalité, que l’on peut appeler relative et qui englobe les sous-classes définies par les antonymes sans pouvoir les dépasser complètement (toutes sortes de x). La coprésence antonymique permet ainsi d’indiquer que le documentaire de Raymond Depardon comporte, non pas toutes les images mais toutes

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sortes d’images, quels que soient le moment de leur prise de vue et leur degré d’animation. L’énoncé (126) est semblable au précédent dans la mesure où le substantif artistes est précédé d’un article indéfini (comparer ventes d’œuvres d’artistes vivants ou morts depuis moins de soixante-dix ans et ventes d’œuvres des artistes vivants ou morts depuis moins de soixante-dix ans). Il faut toutefois remarquer qu’il peut également être rapproché des énoncés (123) et (124) en raison de la présence du syntagme depuis moins de soixante-dix ans qui permet d’opérer une réduction de la classe globale des artistes à la sous-classe des artistes dont les œuvres ne sont pas dans le domaine public. Au sein de cette sous-classe, les antonymes distinguent deux autres sous-classes, celle des artistes vivants et celle des artistes morts. La totalité visée par l’énoncé (126) est donc une totalité relative et circonscrite à un sous-ensemble déterminé (toutes sortes de x du sous-ensemble r). Contrairement au processus de sous-classement par lequel les antonymes sous-tendent la dichotomisation d’une classe référentielle, dans le cadre du processus inverse de rétroclassement, ce n’est plus cette dichotomisation qui importe mais la réunion des deux sous-classes pour reformer la classe référentielle globale. Les configurations sémantico-référentielles dans lesquelles les antonymes exercent une fonction de sous-classement et une fonction d’exhaustivité pouvant être les mêmes, il est essentiel d’identifier des marqueurs d’exhaustivité ou, à tout le moins, dans les cas ambigus, des indices d’exhaustivité, pour distinguer les cas où les antonymes coprésents exercent une fonction de sous-classement et les cas où ils exercent une fonction d’expression de l’exhaustivité. 3.3.1.1. Marqueurs d’exhaustivité Des marqueurs syntaxiques, permettant de déterminer si c’est le sousclassement ou le rétroclassement qui est le processus saillant, peuvent être établis. (1) L’exhaustivité est explicitement sous-tendue par la présence d’un déterminant qui exprime une totalité (tout, tous) et/ou par une conjonction (le plus souvent formée de que) qui introduit une hypothèse extensionnelle (qu’il soit x ou y) ou par une proposition concessive extensionnelle (quel que soit) (VI, 1.2). Cette explicitation de l’exhaustivité a pour corollaire évident l’absence d’éléments de dichotomisation explicite (d’autres, les autres, le reste).

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Dans l’énoncé (127), un déterminant de totalité explicite l’exhaustivité164. (127) «Il fallait s’y attendre, le scélérat a encore frappé. Et tous les communicateurs, les PETITS et les GRANDS, seront atteints, puisque tel est, à l’évidence, l’objet de cette nouvelle agression» (Le Monde 05/05/1991, «Du coton sur les mots», André Laurens).

Le lexème qui exerce une fonction argumentale par rapport aux adjectifs antonymes est déterminé par tous. La coprésence antonymique permet donc de renforcer la totalité exprimée par ce déterminant en indiquant la dimension en regard de laquelle cette totalité est définie: sont atteints tous les communicateurs, quelle que soit leur ENVERGURE. L’emploi des antonymes comme épithètes détachées de leur argument, déterminé par le déterminant totalisant tout, indique que les antonymes peuvent être supprimés sans nuire à la structure sémantico-syntaxique de l’énoncé. La coprésence antonymique est donc employée pour renforcer le déterminant tout, qui exprime seul une totalité, en indiquant la dimension en regard de laquelle est définie cette totalité.

Fig. 129

La dimension sémantique par rapport à laquelle la totalité d’une classe référentielle est définie est toujours exprimable par une concessive extensionnelle de type quel(le) que soit X, où X représente la dimension. Le plus souvent, cette concessive n’est pas explicitée, elle est simplement une paraphrase possible de la coordination des antonymes, mais il peut arriver qu’elle se superpose à la coprésence antonymique comme dans l’énoncé (128). (128) «Ils [les sénateurs] ont rendu obligatoire le tatouage, quel que soit le mode de cession d’un animal (GRATUIT ou ONÉREUX)» (Le Monde 22/04/1989, «Un projet de loi adopté à l’unanimité au Sénat Les animaux domcestiques devront être tatoués», Anne Chaussebourg).

164 Voir également l’énoncé (124) dans lequel tout est employé en l’absence d’autres déterminants.

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Dans cet énoncé, le lexème mode est employé dans un sens générique pour désigner la dimension sur laquelle s’opposent les adjectifs antonymes. Les antonymes permettent de préciser quels sont les pôles de cette dimension mais ils ne sont pas indispensables à l’expression de l’exhaustivité. La concessive extensionnelle seule suffit pour exercer cette fonction.

Fig. 130

Dans les énoncés (129) et (130), la coprésence antonymique est employée dans une structure de type que + argument (+ prédicat) + antonymes. (129) «Françoise Bettencourt est l’enfant de sa mère. Elle est fille unique et, comme tous les enfants, elle éprouve parfois quelques doutes sur ce que sa mère lui aura transmis. Dans ce domaine, rien n’est jamais suffisant, que l’on soit RICHE ou PAUVRE» (Le Monde 24/06/2010, «Les Bettencourt sont des gens très ordinaires», Jérôme Pellerin). (130) «Qu’elles proviennent d’AMATEURS ou de PROFESSIONNELS, les images captées sur le vif se ressemblent, estime le réalisateur et producteur marocain Ali Essafi: ‘Au Maroc, on a filmé le mouvement qui est né le 20 février. […]’» (Le Monde 11/05/2011, «Montrer les révolutions du Maghreb, un défi pour les cinéastes et producteurs», Clarisse Fabre).

Les énoncés (129) et (130) illustrent l’emploi de constructions de l’hypothèse extensionnelle dans lesquelles des antonymes adjectivaux ou substantivaux sont employés. Dans l’énoncé (129), le pronom on exerce une fonction argumentale par rapport aux adjectifs antonymes. Le caractère indéfini de ce pronom permet aux antonymes de participer à un sous-classement en raison du fait que ses deux instanciations renvoient à deux sous-classes de référents animés et humains dont les antonymes définissent l’intension. La coprésence antonymique permet également d’exercer une fonction d’expression de l’exhaustivité en indiquant que la proposition rien n’est jamais suffisant est vraie pour toute personne quelle que soit sa fortune.

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Fig. 131

Dans l’énoncé (130), les substantifs antonymes exercent une fonction argumentale par rapport au prédicat provenir dont elle, pronom cataphorique qui annonce images, est également un argument. La coprésence antonymique permet de distinguer deux sous-classes d’images en fonction de leur provenance et d’exprimer, grâce à la structure de l’hypothèse extensionnelle, la totalité de la classe référentielle des images en regard de la dimension STATUT DU PHOTOGRAPHE.

Fig. 132

(2) Même en l’absence d’un déterminant ou d’une conjonction explicitant l’exhaustivité, celle-ci est marquée par le fait que chacun des membres de la paire d’antonymes, ainsi que leurs éventuels arguments exprimés, exercent une fonction argumentale par rapport au même prédicat, à condition que ce prédicat ne soit pas un prédicat d’alternative comme choisir, privilégier, préférer ou se concentrer sur. Comme lorsque des antonymes prédicatifs exercent une fonction de sous-classement, les deux lexèmes prédicatifs antonymes ont pour arguments des lexèmes qui désignent des référents appartenant à la même classe référentielle. Contrairement aux cas où la coprésence antonymique exerce une fonction de sous-classement, le deuxième membre de la paire B est le plus souvent sous-entendu. Ainsi dans l’énoncé (131), les antonymes sont des prédicats par rapport auxquels la seule occurrence exprimée de riverains exerce une fonction argumentale. (131) «Au sommet des immeubles qui encerclent la place Gribowski se dressent des croix et flottent les oriflammes aux couleurs du Vatican et de la

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Pologne. Mais au pied, sous les porches, pour des contrôles de sécurité qui auraient dû être plus discrets, les policiers fouillent les riverains qui ENTRENT et SORTENT» (Le Monde 10/06/1987, «‘Je voudrais vous embrasser tous’», Henri Tincq).

Deux interprétations sont possibles pour cet énoncé: 1) on peut considérer que les antonymes ont des arguments co-référentiels, autrement dit que ce sont les mêmes riverains qui entrent et sortent; 2) on peut considérer que les arguments des antonymes ne sont pas co-référentiels, autrement dit que les riverains qui entrent ne sont pas forcément les mêmes que ceux qui sortent. Si l’on adopte la première interprétation, les antonymes ne sous-tendent pas de sous-classement, alors que c’est le cas si l’on adopte la deuxième interprétation.

Fig. 133

Avec ou sans rétroclassement, les antonymes expriment une totalité: les policiers fouillent tous les riverains, quel que soit le mouvement qu’ils effectuent sur une direction horizontale donnée qui joint les deux côtés d’un seuil, constitué très à propos par les portes des immeubles de la place Gribowski. C’est le fait que l’ensemble formé par les antonymes et leur argument exerce une fonction argumentale par rapport à fouiller (comparer avec Les policiers fouillent les riverains qui entrent et laissent passer ceux qui sortent) qui permet d’identifier avec certitude cette fonction d’expression de l’exhaustivité. Dans l’énoncé (132), les antonymes et leurs arguments exercent une fonction argumentale par rapport au prédicat classer. Ce prédicat explicite un sous-classement, au sein de chacune des sous-classes définies par les antonymes, entre deux sous-ensembles de supports en regard de l’étendue du public auquel ils s’adressent. Ce second sous-classement n’est pas sous-tendu par la coprésence antonymique contrairement à la dichotomisation de la classe des supports en regard de leur STATUT

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LÉGAL. L’interprétation de ce sous-classement gigogne nécessite l’analyse de la phrase typographique dans laquelle les antonymes sont coprésents mais également de la phrase typographique suivante, en raison du fait que ces deux phrases, que la ponctuation sépare, forment un ensemble sur le plan sémantique. (132) «L’unanimité du monde médical sur l’absurdité de fonder des différences sur le degré des boissons simplifie le problème: il faut renoncer à des possibilités de publicité variant avec la concentration en alcool. En pratique, les supports AUTORISÉS ou INTERDITS peuvent être classés en deux groupes. Ceux qui s’adressent ou s’imposent à tous les publics (radio, télévision, affichage, salles de spectacle) et ceux qui s’adressent à un public défini (publi-postage, presse écrite)» (Le Monde 05/04/1987, «La publicité et l’alcool. Des messages à mieux distiller», Claude Got et Gérard Dubois).

La coprésence antonymique exerce une fonction d’expression de l’exhaustivité car elle permet d’exprimer que le classement en deux sousgroupes concerne tous les supports, quelle que soit la position de la loi par rapport à eux.

Fig. 134

Dans l’énoncé (133), les ensembles formés par les antonymes et leur argument exercent une fonction d’actualisation par rapport à un même prédicat, fasciner. (133) «Déjà en tête des ventes, quelques jours à peine après sa sortie, Mafia II [jeu vidéo] prouve que le monde de la Mafia continue de fasciner sur GRAND ou PETIT écran» (Le Monde 19/09/2010, «Dans les pas de Vito, petite frappe de la mafia», Guillaume Fraissard).

Les séquences grand écran et petit écran sont figées et désignent le cinéma et la télévision. La coprésence antonymique permet d’exprimer que la Mafia fascine quelle que soit le média visuel sur lequel elle apparaît.

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Fig. 135

3.3.1.2. Indices d’exhaustivité À côté de ces deux marqueurs qui imposent une interprétation d’exhaustivité, on peut relever, comme indices d’exhaustivité, des caractéristiques généralement identifiables dans les énoncés où la coprésence antonymique exerce une fonction d’expression de l’exhaustivité, mais qui ne suffisent pas à elles seules à assurer l’interprétation totalisante. (1) L’emploi des antonymes comme épithètes détachées du lexème qui est leur argument est un indice d’exhaustivité. C’est le cas dans les énoncés (134) et (135). Dans ces énoncés, les antonymes peuvent être supprimés, mais sont les seules unités qui sous-tendent l’expression d’une totalité. (134) «Qui ouvre ce livre doit s’attendre à faire d’étranges rencontres: une escouade de prophètes, les FAUX et les VRAIS, ceux-ci reconnaissables à leur goût prononcé pour les catastrophes; quelques fantômes réclamant réparation, comme la silhouette casquée qui se dresse sur le rempart d’Elseneur; un marchand de cercueils, croisé chez Pouchkine, cerné tout à coup par les morts qu’il a mis en bière; un brave parmi les braves qui se couvre de ridicule dans la nuit noire en exterminant des moutons (Ajax); un physicien qui, en cherchant à rejoindre le monde idéal où les morts ressuscitent, participe à la découverte bien réelle des fusées; un vieux père qui souffre et fait souffrir mille morts en tentant de régler sa succession (Lear); un jeune dandy qui arbitre un fatal concours de beauté (Paris)» (Le Monde 10/09/2010, «La revanche de l’irrationnel», Mona Ozouf). (135) «Au service des urgences de Sainte-Marguerite, les malades, GRAVEMENT ou LÉGÈREMENT atteints, doivent traverser la salle d’attente des familles et ils sont souvent transférés des brancards des pompiers à ceux de l’hôpital, sous les regards de tous» (Le Monde15/09/1999, «Les personnels des services des urgences marseillais mènent une grève pour protester contre l’insécurité», Michel Samson).

Dans l’énoncé (134), les adjectifs antonymes faux et vrai sont substantivés grâce à la présence d’un déterminant défini et ont pour argument commun prophètes. La valeur générique des articles définis est atténuée

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par la présence de escouade qui permet d’isoler un sous-ensemble dans l’ensemble de tous les prophètes. Grâce à la dépendance au prédicat rencontres (marqueur 2, voir VI, 3.3.1.1), la coprésence antonymique permet donc non seulement de distinguer deux sous-classes de prophètes mais aussi d’indiquer que toutes sortes de prophètes, quelle que soit leur authenticité, peuvent être rencontrés.

Fig. 136

Dans l’énoncé (135), les adverbes antonymes opèrent sur le prédicat atteint dont l’argument est malades. Les antonymes sont employés dans une construction en apposition à ce substantif. Contrairement à l’énoncé précédent, les antonymes sont coordonnés par ou et pas par et, ce qui indique que les propositions sémantico-logiques qui les contiennent sont disjointes.

Fig. 137

(2) Le fait que les antonymes fassent partie d’une liste peut être un indice d’exhaustivité. Cette liste peut prendre deux formes différentes. La première, la plus courante, est illustrée par les énoncés (124) (voir ci-dessus) et (136). (136) «Dans ce désert plein de dangers, un certain Kader Bel Kader est, si l’on peut dire, comme un poisson dans l’eau. Ce Robin des sables, bien équipé, vend de la protection à grande échelle. Il fournit des gardes du corps, des vivres, des cigarettes de contrebande, des appareils électroniques et naturellement des armes de tout acabit. “Il avait surtout une inépuisable provision d’histoires, LONGUES ou COURTES, ANCIENNES ou RÉCENTES, VRAIES ou FAUSSES. Grâce à elles, le désert devenait un village”» (Le Monde 30/04/2010, «Fiction diplomatique», Robert Solé).

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Un même énoncé peut ainsi contenir plusieurs paires d’antonymes dont les membres sont coordonnés l’un à l’autre et qui font partie d’une énumération. L’emploi de l’adjectif inépuisable renforce cette énumération. Comme l’indique la figure 132, les membres de toutes les paires antonymiques ont le même argument.

Fig. 138

La deuxième forme de liste est illustrée par l’énoncé (137). Contrairement au précédent, les membres des trois paires d’antonymes dans cet énoncé, large/serré, large/moyen et serré/moyen, sont simplement juxtaposés dans une énumération et ces paires sont formées grâce à la présence d’un lexème intermédiaire, qui peut être défini par opposition aux deux antonymes large et serré (II, 3.3). Dans cet énoncé, le lexème intermédiaire est présenté comme sémantiquement équidistant par rapport aux antonymes. (137) «‘Plans LARGES, plans MOYENS, plans SERRÉS, champ, contrechamp: il faut filmer de façon découpée, cinématographique. Garder aussi des caméras fixes pour voir des lutins entrer à droite dans le cadre et en sortir à gauche, comme dans les bandes dessinées de Goude’» (Le Monde 09/07/1989, «Jean-Paul Goude filme Jean-Paul Goude. La Marseillaise», Ariane Chemin)165.

Cette énumération, l’absence de déterminant et la présence, outre la paire d’antonymes large/serré, du troisième terme moyen permettent à la coprésence antonymique d’exprimer une exhaustivité absolue, c’est-àdire la totalité de la dimension sur laquelle les antonymes s’opposent et la totalité de l’échelle sémantique en regard de laquelle leur opposition peut être décrite: il faut filmer grâce à toutes les sous-classes possibles de plans définies en regard de la dimension TAILLE DE CADRAGE.

165 La paire de lexèmes champ/contrechamp qui pourrait être considérée comme une paire d’antonymes, en regard notamment de la définition que le Grand Robert (2001) donne de contrechamp «Prise de vue dans le sens opposé au champ; plan ainsi filmé», n’est pourtant pas répertoriée comme telle dans nos dictionnaires de référence, raison pour laquelle elle n’est pas indiquée en petites majuscules.

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Fig. 139

(3) Les arguments éventuels non identiques des antonymes et/ou des substantifs qui en dépendent restent non exprimés, ce qui permet à l’énoncé de conserver un haut niveau de généralité. Dans l’énoncé (138), l’absence de déterminant participe également à cet effet de généralité. (138) «Dans son nouveau livre, La République, la pantoufle et les petits lapins (éd. Desclée de Brouwer, 150 p., 17,90 euros), André Glucksmann revendique l’athéisme en politique: liberté d’APPROUVER, liberté de CONTESTER» (Le Monde 13/05/2011, «Sarkozy et les intellectuels; La rupture», Marion Van Renterghem).

Les antonymes exercent une fonction argumentale par rapport aux deux occurrences du prédicat liberté. Les arguments arg1 de chacune de ces occurrences et les arguments arg1 et arg2 des antonymes approuver/ contester ne sont pas exprimés. L’on peut toutefois supposer que la fonction argumentale arg1 de ces trois prédicats pourrait être remplie par n’importe quelle unité ou séquence d’unités désignant un être humain et la fonction argumentale arg2 des antonymes par n’importe quelle unité ou séquence d’unités désignant une décision politique. Cette indétermination des arguments, potentiellement différents, jointe à la construction parallèle et énumérative sans relateur, permet à la coprésence antonymique de dépasser sa fonction de sous-classement pour exprimer l’exhaustivité: l’athéisme politique permet toute liberté en regard de la dimension EXPRIMER UN AVIS. Si deux arguments arg1 ou arg2 non communs aux deux occurrences de liberté et aux deux antonymes avaient été exprimés, la coprésence antonymique aurait exercé une fonction d’ancillarité (VI, 2). C’est le cas dans des exemples forgés tels que Tu as la liberté d’approuver, moi j’ai la liberté de contester ou J’ai la liberté d’approuver les décisions du gouvernement et j’ai la liberté de contester tes prises de position.

Fig. 140

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Les marqueurs et les indices que nous venons d’identifier permettent, dans la plupart des énoncés, de distinguer les cas où la coprésence antonymique exerce une fonction de sous-classement et les cas où ce sousclassement est subsumé par une expression de l’exhaustivité. Certains énoncés peuvent toutefois être plus complexes à analyser. L’énoncé (139) est un bel exemple de jeu sur le sous-classement et l’exhaustivité. (139) «M. Mitterrand a répondu, en outre, aux récents commentaires suscités par la comparaison de son projet avec les programmes de ses principaux adversaires: ‘J’entends souvent en ce moment: tous ces candidats disent la même chose. Pour les Français, c’est un rébus. C’est vrai… Les mots sont les mêmes… Mais pas les choses! On est tous pour la recherche: il y en a qui AUGMENTENT les crédits et d’autres qui les BAISSENT; on est tous pour la culture: il y en a qui font MONTER les crédits, et il y en a qui les font BAISSER. Pour la musique: il y en a qui CRÉENT des chaines musicales et il y en a qui les SUPPRIMENT! On est tous pour l’environnement: il y a des crédits en HAUSSE et d’autres en BAISSE. Pour l’éducation: on voit des crédits MONTER et on voit des crédits DESCENDRE. Pour l’Europe: il y en a qui disent OUI et il y en a qui font NON. Pour la paix et le désarmement: il y en a qui vont VITE et d’autres LENTEMENT. On est tous contre l’apartheid: il y en a qui fréquentent et d’autres qui ne fréquentent pas!’ (Applaudissements nourris)» (Le Monde 10/04/1988, «‘Nous, nous n’exclurons personne…’», s.a.).

Dans cet énoncé, l’énumération et les différentes occurrences de tous pourraient faire penser que les antonymes ont pour fonction d’exprimer l’exhaustivité. Il faut toutefois remarquer que le deuxième marqueur n’est pas présent. Les structures il y a A1 et il y a A2 ou il y a A1 et d’autres A2 sous-tendent un sous-classement qui n’est pas dépassé par une fonction d’exhaustivité: comparer On est tous pour la recherche: il y en a qui augmentent les crédits et d’autres qui les baissent avec On est tous pour la recherche, ceux qui augmentent les crédits et ceux qui les baissent. La phrase Les mots sont les mêmes… Mais pas les choses! permet de guider l’interprétation d’un processus de sous-classement.

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Fig. 141

La fonction de la coprésence antonymique n’est pas d’exprimer la totalité de la classe des partisans de différents arts, idées ou organisations (on est tous pour x), mais de distinguer deux sous-classes parmi ces partisans. La deuxième de ces sous-classes est toujours paradoxale: par exemple, si un individu est partisan de la recherche, il ne fait en principe pas partie de la classe de ceux qui baissent les crédits à la recherche. Les classes paradoxales permettent de réinterpréter les structures On est pour x comme équivalentes à On prétend qu’on est pour x dans l’univers de croyance des individus membres de la classe paradoxale. Cette dichotomisation permet à l’orateur (Mitterrand) et à son groupe (le gouvernement socialiste) de se revendiquer implicitement de l’une des sousclasses, celle qui n’est pas paradoxale.

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3.3.1.3. Exhaustivité sans rétroclassement apparent Dans la section précédente, nous avons analysé des énoncés dans lesquels les antonymes coprésents exercent une fonction d’expression de l’exhaustivité par rétroclassement, c’est-à-dire par inversion du processus de sous-classement que les antonymes sous-tendent. Dans ces cas, les lexèmes qui constituent la paire B désignent des classes référentielles différentes dont les antonymes définissent l’intension. Dans la sous-section VI, 1.2, nous avons analysé des énoncés dans lesquels les antonymes exercent une fonction d’expression de l’exhaustivité sans rétroclassement. Dans ce cas, aucune paire B ne peut être identifiée. Lorsque les antonymes sont des substantifs, la distinction entre expression de l’exhaustivité avec et sans rétroclassement est plus difficile à établir. Ainsi, dans les énoncés (140) et (141), les antonymes n’ont pas pour arguments des lexèmes qui désignent des référents différents inscrits dans une même classe référentielle globale. Ils ne dépendent pas non plus de prédicats qui ont pour arguments de tels lexèmes. Apparemment, l’exhaustivité que l’on peut identifier dans ces énoncés ne repose donc pas sur un rétroclassement. (140) «Ses travaux s’inscrivent dans une longue tradition: l’écholocation humaine est en fait étudiée depuis les années 1940, essentiellement aux Etats-Unis, tant chez les VOYANTS que chez les AVEUGLES» (Le Monde 28/05/2011, «Voir avec les oreilles», Hervé Morin).

Fig. 142 (141) «Déjà, ses ‘CAMARADES’ relèvent ses premières maladresses, cette photo de lui [François Hollande] en scooter, casque sur la tête à la ‘une’ du Parisien le 1er juin, pour illustrer une grande interview. ‘Peu présidentiable’, ont raillé ses ADVERSAIRES qui brocardent à l’envi son slogan de ‘candidat normal’» (Le Monde 07/06/2011, «Passé de challenger à favori, François Hollande doit adapter sa course», Sophie Landrin).

Fig. 143

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Dans ces deux énoncés, il faut toutefois remarquer que l’exhaustivité repose bel et bien sur un sous-classement dans la mesure où l’on peut considérer les antonymes coprésents comme des lexèmes qui désignent des référents appartenant à deux sous-classes d’une même classe. Une paire B sous-entendue ou contenue dans le sens des antonymes peut en effet être explicitée dans chacun de ces énoncés: personnes voyantes et personnes aveugles (140), ceux qui sont ses camarades et ceux qui sont ses adversaires166 (141). Les membres de la paire antonymique, qui définissent l’intension de ces deux sous-classes qu’ils désignent eux-mêmes, exercent une fonction d’expression de l’exhaustivité par rétroclassement en exprimant la totalité d’une dimension sémantique et la totalité d’une classe référentielle qui peut être désignée par les membres sous-entendus de la paire B. Ainsi, dans l’énoncé (140), dans lequel les substantifs antonymes sont impliqués dans des comparaisons d’égalité, la coprésence antonymique permet d’exprimer que les capacités d’écholocation ont été étudiées pour tous les humains167 quelles que soient leurs capacités visuelles. La classe référentielle des humains, dont les antonymes désignent des sous-classes en regard de la dimension sémantique CAPACITÉ VISUELLE, est désignée dans sa globalité par l’énoncé. Dans l’énoncé (141), la fonction d’expression de l’exhaustivité remplie par la coprésence antonymique est moins manifeste que dans les exemples précédents. Les substantifs antonymes sont les arguments des prédicats relever et railler dont les autres arguments sont non communs. Des structures sémantico-syntaxiques de ce type ont été décrites sous VI, 2 166 Il faut noter que l’opposition camarades/adversaires est moins prototypique que l’opposition amis/adversaires. Le choix de camarades, plutôt que de son synonyme amis, est dû au fait que les membres du parti socialiste se désignent entre eux par ce terme. L’emploi des guillemets qui entourent camarades pourrait être expliqué de deux manières différentes. Il peut être dû au fait que camarades soit une appellation propre aux socialistes (et aux communistes) entre eux, les guillemets indiqueraient alors que cette appellation est une citation, qu’elle est employée par des individus pour se désigner eux-mêmes. Cet emploi pourrait également être lié au fait que la présence de camarades crée une «surprise» sur le plan pragmatique dans la mesure où les adversaires sont par définition critiques alors que ce n’est pas le cas des camarades (Jones 2002: 65). Serait alors exploité principalement le sens littéral de camarades, les guillemets indiqueraient que cette appellation est usurpée, qu’elle est employée à tort par des individus qui adoptent une attitude critique par rapport au groupe auquel ils se disent appartenir. Elle équivaut alors à «ceux qui se disent ses camarades» ou «ses prétendus camarades». 167 Une part significative des humains suffit pour pouvoir employer l’article défini. Dans ce contexte, la totalité n’est vraisemblablement pas absolue (tous les humains n’ont pas été testés) mais l’expression de la totalité indique qu’un grand nombre d’humains ont été testés quant à leur capacité d’écholocation.

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comme des cas dans lesquels les antonymes coprésents exercent une fonction d’ancillarité qui permet de mettre en contraste les arguments non communs à deux prédicats différents dont les antonymes sont les arguments ainsi que ces prédicats eux-mêmes. Dans l’énoncé (141), contrairement à ces cas, les prédicats et leurs arguments mis en contraste peuvent être considérés comme semblables dans la mesure où ils impliquent tous l’expression d’une critique plus ou moins forte à l’égard de François Hollande. La coprésence antonymique dans cet exemple ne semble donc pas avoir pour fonction de mettre en contraste des éléments d’une paire B mais d’exprimer que François Hollande est critiqué par tous ceux qui entretiennent avec lui une relation particulière définie par des prises de positions politiques similaires ou opposées aux siennes. Une expression de l’exhaustivité par rétroclassement avec paire B sousentendue, comme celle des énoncés (140) à (141), est plus facilement identifiable lorsque les antonymes sont des adjectifs substantivés (142). (142) «Mais Bocharova fait oublier Borodina en quelques secondes: présence captivante et voix capiteuse, AIGUS et GRAVES faciles, diction plus que satisfaisante» (Le Monde 15/05/2011, «Les bigarrures savamment dosées de ‘Samson et Dalila’», Renaud Machart).

Les arguments de ces adjectifs substantivés sont sous-entendus et peuvent être explicités par sons. La coordination des antonymes dans cet énoncé permet donc d’exprimer qu’Elena Bocharova produit sans effort toutes les notes.

Fig. 144

L’emploi, comme argument des antonymes ou d’un prédicat dont les antonymes sont des subordonnés, d’un lexème qui désigne apparemment un référent unique peut occulter la présence d’un sous-classement sous-tendu par les antonymes (143). Dans cet énoncé, Afrique du Sud désigne le même référent unique dans toutes ses fonctions argumentales par rapport aux quatre adjectifs, antonymes deux à deux, mais son emploi est synecdochique. On peut en effet interpréter le syntagme toute l’Afrique du Sud comme tous les habitants d’Afrique du Sud. L’emploi d’un lexème désignant un tout permet de renvoyer à l’une de ses parties (synecdoque généralisante). On peut donc considérer que,

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contrairement aux apparences, les antonymes exercent une fonction de sous-classement. (143) «Toute l’Afrique du Sud, NOIRE, BLANCHE, RICHE, PAUVRE, semble souffler dans la même vuvuzela, la trompette en plastique qui, il y a quelques mois encore, était l’objet de critiques si féroces» (Le Monde 12/06/2010, «L’Afrique, l’arc-en-ciel et les miracles du football», s.a.).

La présence de toute permet aux antonymes de dépasser ce sousclassement pour exprimer l’exhaustivité: tous les habitants d’Afrique du Sud participent à l’ambiance de la Coupe du Monde, quelle que soit la couleur de leur peau ou leur richesse.

Fig. 145

3.3.2. Définir l’exhaustivité négative ou nullité Après avoir défini l’exhaustivité par rétroclassement, passons à la définition de la nullité par rétroclassement. Comme en ce qui concerne l’exhaustivité positive, l’expression de la nullité par rétroclassement est sous-tendue par des structures sémantico-syntaxiques différentes de celles qui sous-tendent l’expression de la nullité sans rétroclassement (VI, 1.2). 3.3.2.1. Nullité par rétroclassement L’emploi de la négation ne permet aux antonymes coprésents d’exprimer la nullité par rétroclassement que dans le cas où la portée de la négation s’étend aux deux prédicats identiques dont les antonymes sont les subordonnés. Si la négation ne porte que sur l’un de ces prédicats, elle renforce l’opposition entre les antonymes (pas A1 mais A2). C’est le cas dans l’énoncé suivant, forgé à partir de l’énoncé (98). «Dialoguons, échangeons. Assouvissons une curiosité de plus en plus forte de ces pays sur l’histoire, les institutions, les lettres: l’actualité parisienne du cinéma et du jazz, etc. Découvrons ce qui nous SÉPARE encore et non ce qui nous RAPPROCHE…» (Le Monde 10/05/1990, «La diffusion de RFI et de la SEPT dans les pays de l’Est. Radio-France-internationale et ‘Gazeta’ projettent de créer ensemble une radio FM en Pologne», Annick Cojean).

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Si la négation porte directement sur l’un des antonymes seulement (A1 et ¬A2), deux cas de figure sont possibles: la négation neutralise l’opposition entre les antonymes soit en rendant équivalents A1 et A2 s’ils sont des contradictoires (volontairement/involontairement), soit en rapprochant leur sémantisme s’ils sont des contraires (séparer/rapprocher). Les deux énoncés ci-dessous, forgés à partir des énoncés (108) et (98), illustrent ces deux cas de figure. «Parallèlement, on étudie l’avenir des espèces qui ont été importées, VOLONTAIREMENT (lapins, chats, rennes, mouflons et, tout récemment, salmonidés aux Kerguelen, bovins, à Amsterdam) ou pas INVOLONTAIREMENT (mouches bleues, rats et souris), et qui sont souvent redoutables pour les milieux naturels»168. «Dialoguons, échangeons. Assouvissons une curiosité de plus en plus forte de ces pays sur l’histoire, les institutions, les lettres: l’actualité parisienne du cinéma et du jazz, etc. Découvrons ce qui nous SÉPARE encore ou ce qui ne nous RAPPROCHE pas…».

 Verbes antonymes (144) «Ils [les contrôleurs] n’inspecteraient pas l’intérieur des véhicules ENTRANT ou SORTANT, mais, un peu à la manière de ce qui se passe aujourd’hui dans les aéroports, ils les feraient passer par des dispositifs de détection» (Le Monde 16/05/1987, «Désarmement: le casse-tête de la vérification», Michel Tatu).

Les antonymes coprésents qui expriment la nullité par rétroclassement peuvent être des verbes (144). Les verbes antonymes sont des participes présents qui jouent par rapport à véhicules qui est leur argument arg1 un rôle de détermination semblable à celui d’une proposition relative. Les antonymes permettent donc de distinguer deux sous-classes de véhicules en fonction de leur mouvement.

168 Un tel énoncé est extrêmement rare en raison du fait qu’un lexème et la négation de son antonyme contradictoire sont synonymes. Cette redondance dans un même énoncé va à l’encontre de la maxime de quantité de Grice (1975).

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Fig. 146

Les antonymes et leur seul argument exprimé exercent une fonction argumentale par rapport au prédicat nié inspecter, ce qui est un marqueur de nullité comme d’exhaustivité. Par conséquent, la coprésence antonymique exprime la nullité: les contrôleurs ne seront censés inspecter l’intérieur d’aucun véhicule, quel que soit le sens de son mouvement horizontal par rapport à un seuil constitué par l’entrée des usines où l’on fabrique des engins nucléaires.  Substantifs antonymes (145) «British Airways a décidé, ‘par précaution’, de n’assurer aucun vol au DÉPART ou à l’ARRIVÉE de Londres, mardi, ‘qui ARRIVE en Écosse avant 13 heures ou PARTE d’Écosse avant 13 heures GMT’» (Le Monde 25/05/2011, «Le volcan islandais Grimsvötn perturbe le trafic aérien dans le nord de l’Europe», Hervé Morin et Jean-Michel Normand). (146) «Personne ne s’échappe de ce peloton, composé de FEMMES et d’HOMMES, qui n’abrite ni MAILLOT JAUNE ni LANTERNE ROUGE» (Le Monde 17/06/2009, «Petite reine mais grande évasion», Yves Bordenave). (147) «Le rire de Gabrielle n’épargne personne, ni les GRANDS, ni les PETITS, ni les RICHES, ni les PAUVRES, ni même les chiens» (Le Monde 06/07/1990, «Les mini-odyssées de Gabrielle Rolin», Jacqueline Piatier).

Dans l’énoncé (145), à la paire de verbes antonymes exprimant la nullité est associée une paire de substantifs antonymes, formée à partir des verbes et qui exprime également la nullité par rétroclassement. En effet, dans cet énoncé, les deux paires d’antonymes parallèles sont des paires de prédicats dont l’argument arg1 est vol. La présence du déterminant aucun devant vol est un marqueur de nullité. Les arguments arg2 des deux paires d’antonymes ne sont pas les mêmes: il s’agit de Londres pour les substantifs prédicatifs et de Écosse pour les verbes prédicatifs.

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La présence de ces deux paires d’antonymes indique que les vols concernés par l’annulation sont les vols Londres-Écosse, dans les deux sens, et permet d’exprimer la nullité: aucun vol ne sera assuré jusqu’à 13h, quel que soit le sens dans lequel il relie Londres et l’Écosse.

Fig. 147

Dans l’énoncé (146), les antonymes sont également des substantifs. La paire d’unités polylexicales maillot jaune et lanterne rouge appartient à la terminologie du cyclisme. Par contre, l’opposition premier/dernier qu’elle encapsule est beaucoup plus générale (II, 4.1.2).

Fig. 148

L’emploi des antonymes dans une structure ni A1 ni A2 permet aux antonymes d’indiquer qu’il n’y a ni premier ni dernier et, par conséquent, que toutes les places intermédiaires ne sont pas attribuées non plus. Dans le peloton formé par les prisonniers et leurs gardiens dans une course cycliste organisée pour encourager les prisonniers de Loos à la réinsertion, le classement (premier/dernier) n’a pas d’importance: tous les participants à la course sont neutres par rapport au classement auquel renvoient les antonymes. Il faut noter que la coprésence de femmes et hommes permet d’exprimer l’exhaustivité positive. Dans l’énoncé (147), les adjectifs substantivés antonymes participent également à un sous-classement mais celui-ci est occulté par le fait qu’ils

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sont substantivés et que leur argument commun n’est pas exprimé (VI, 3.3.1.3). Les adjectifs substantivés antonymes sont employés deux à deux dans des structures de type ni A1 ni A2 dans lesquelles ils sont tous les deux niés. Les antonymes, parce qu’ils dépendent du prédicat épargner, expriment que ce prédicat ne s’applique à aucun individu (personne), quelle que soit son importance (ou son âge) et sa richesse. Dans cet énoncé, en effet, la dimension sur laquelle s’opposent grand et petit, qui n’est pas nécessairement la même dans tous les emplois de ces adjectifs (II, 2.2.2), peut être IMPORTANCE ou ÂGE.

Fig. 149

 Adjectifs antonymes (148) «Ainsi, M. Laurent Fabius a critiqué la ‘timidité’ des autres prises de position. Pour lui, il faut avoir ‘une idée claire sur le grand futur car les étapes RAPIDES ou LENTES importent peu s’il n’y a pas d’accord sur l’objectif à long terme’» (Le Monde 06/03/1987, «Les travaux de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale. Faut-il un président pour l’Europe?», Thierry Bréhier).

Les antonymes coprésents qui expriment la nullité par rétroclassement peuvent être des adjectifs. Ainsi dans l’énoncé (148), les antonymes rapide et lent sont des prédicats qui ont pour argument le lexème étapes.

Fig. 150

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La coprésence antonymique permet ainsi de distinguer deux sousclasses d’étapes. En raison du fait que les antonymes et leur argument exercent une fonction argumentale par rapport au prédicat importer peu, équivalent à ¬importer, la coprésence antonymique permet également d’exprimer la nullité: aucune des étapes, quelle que soit la vitesse à laquelle elles se déroulent, n’a d’importance.  Adverbes antonymes (149) «La mère de Bob a quitté la maison quand il avait 4 ans, son père est mort quand il en avait 8. Recueilli par une famille de Kliptown, il a grandi ici. ‘Jamais plus un enfant, D’ICI ou D’AILLEURS, ne devrait vivre ce que j’ai vécu’, dit-il» (Le Monde 31/05/2002, «Chômage, misère, sida: le nouvel apartheid des “oubliés” de Kliptown, en Afrique du Sud», Fabienne Pompey).

Les antonymes coprésents qui expriment la nullité par rétroclassement peuvent être des adverbes comme dans l’énoncé (149). Dans cet énoncé, les adverbes antonymes indiquent l’origine et peuvent être considérés comme exerçant une fonction argumentale par rapport à un prédicat sousentendu dont enfant est également un argument. La coprésence antonymique permet d’exprimer une totalité négative définie en regard de la dimension ORIGINE.

Fig. 151

3.3.2.2. Paires hétérocatégorielles Les antonymes dont la fonction sémantico-référentielle est d’exprimer une totalité négative peuvent former des paires hétérocatégorielles.  Adjectifs et adverbes antonymes (150) «Les questions sont nombreuses: pourquoi se regrouper aujourd’hui en tribus, RÉELLES ‘ou FICTIVEMENT reconstruites’?» (Le Monde 28/04/2001, «Le retour des tribus», Gilles Paris).

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Dans l’énoncé (150), les ensembles formés par les antonymes et leur argument exercent une fonction argumentale par rapport au prédicat se regrouper. Le lexème tribu, argument des antonymes, apparaît dans un emploi indéfini. La totalité exprimée n’est donc pas absolue mais seulement relative (VI, 3.3.1). Les deux membres de la paire d’antonymes, un adjectif et un adverbe, sont des prédicats. Le substantif tribus exerce une fonction argumentale par rapport à l’adjectif et par rapport au prédicat reconstruire qui est l’argument de l’adverbe. La coprésence antonymique indique que l’on se regroupe dans toutes sortes de tribus, quel que soit leur degré de réalité.

Fig. 152

Dans les deux énoncés suivants, les ensembles A1(argt) et A2(argt) exercent une fonction argumentale par rapport à des prédicats qui ne font qu’indiquer que les sous-classes que les antonymes définissent existent en même temps dans le même espace, voire forment un tout (mélanger dans (151), se côtoyer (152)).  Adjectifs et substantifs antonymes (151) «Cette liste ne révèle pas grand-chose. Elle mélange les anciens informateurs de la SB [Służba Bezpieczeństwa, ‘service de sécurité’] et leurs victimes, les collaborateurs VOLONTAIRES et ceux qui l’ont fait par FAIBLESSE ou sous la CONTRAINTE, sans que l’on ait les moyens de faire le tri» (Le Monde 11/03/2005, «Une liste de l’ex-police politique diffusée sur Internet sème le trouble en Pologne», Christophe Châtelot).

Dans l’énoncé (151), les ensembles formés par les antonymes et leurs arguments exercent une fonction argumentale par rapport à un même prédicat, mélanger. L’adjectif de la paire d’antonymes est un prédicat dont l’argument est collaborateurs alors que le substantif exerce une fonction d’actualisation par rapport au prédicat faire qui, dans cet énoncé, est employé en lieu et place de collaborer. Les séquences dans lesquelles sont employés les antonymes peuvent en effet être paraphrasées comme

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suit: Elle mélange ceux qui ont collaboré VOLONTAIREMENT et ceux qui ont collaboré par FAIBLESSE ou sous la CONTRAINTE. Le pronom ceux qui reprend collaborateurs exerce une fonction argumentale arg1 par rapport à faire. Les antonymes coprésents permettent ainsi de distinguer trois sous-classes de collaborateurs et d’exprimer l’exhaustivité: dans la liste se trouvent tous les collaborateurs de la SB quel que soit le degré de contrainte avec lequel ils ont collaboré. À l’appariement volontaires/sous la contrainte peut en effet être ajouté un appariement volontaires/par faiblesse, repéré par lecture directe, en raison du fait que faiblesse peut être défini par «manque de force morale» (Grand Robert 2001).

Fig. 153

 Adjectifs et substantifs antonymes (152) «Les Corrompus met en scène un journaliste, ‘paresseux snob’ bien introduit dans les cercles du pouvoir, acceptant de faire le ‘nègre’ au profit d’un secrétaire d’Etat désireux de signer une biographie de Barbey d’Aurevilly. Ce canevas sert de prétexte à l’auteur pour dresser, avec un cynisme certain, un portrait-charge du microcosme culturel et politique parisien, où personnages de FICTION et personnalités RÉELLES se côtoient» (Le Monde 19/11/1998, «Le prix Interallié à Gilles Martin-Chauffier», s.a.). (153) «L’ADN a fini par parler: le coupable est bien M. Tuberculosis. Cela n’a au fond rien de surprenant: il n’épargnait ni les JEUNES ni les personnes ÂGÉES, quel que soit leur statut social, dans l’Ancienne Egypte» (Le Monde 03/10/2009, «Cette Egyptienne est morte de la tuberculose il y a 2 600 ans», H.M.).

Dans l’énoncé (152), les antonymes sont des prédicats qui ont pour arguments personnages et personnalités. Ces lexèmes ne peuvent être considérés comme des synonymes dans cet énoncé dans la mesure où personnage n’est pas employé dans le sens «personne qui joue un rôle social important et en vue» (Grand Robert 2001) similaire à celui de personnalité «personne en vue, remarquable par sa situation sociale, son activité» (ibid.) mais dans le sens «être humain représenté (dans une œuvre d’art)» (ibid.)169. L’emploi de ces deux lexèmes de sens différent 169 Le syntagme œuvre d’art employé dans cette définition semble pouvoir désigner toute œuvre artistique (tableau, pièce de théâtre, roman, etc.).

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permet d’appuyer l’opposition entre fiction et réel. Ces lexèmes désignent toutefois des référents appartenant à la classe des personnes. Le fait que fiction soit précédé de la préposition de sous-tend une translation et permet à fiction d’être employé comme un adjectif dans une construction parallèle à celle qui contient réel.

Fig. 154

Les antonymes coprésents permettent de distinguer deux sous-classes de personnes et d’exprimer l’exhaustivité: dans le microcosme parisien décrit par l’auteur se côtoient toutes sortes de personnes, quel que soit leur DEGRÉ DE RÉALITÉ. Si un adverbe comparatif était ajouté à l’énoncé (152), l’expression de l’exhaustivité ne serait pas atténuée: Ce canevas sert de prétexte à l’auteur pour dresser, avec un cynisme certain, un portrait-charge du microcosme culturel et politique parisien, où personnages de FICTION et personnalités plus RÉELLES se côtoient. Cela est dû au fait que l’adjectif réel «ce qui existe en fait» (Grand Robert 2001), même s’il peut être construit comme scalaire en contexte, est un contradictoire de fictif ou fiction «qui n’existe qu’en apparence» (ibid.), de sorte que qualifier quelqu’un de plus réel équivaut à le qualifier de réel (II, 3.2.4). Dans l’énoncé (153), les deux antonymes permettent d’exercer une fonction de sous-classement mais l’argument de l’un des deux seulement est exprimé. L’emploi de la séquence figée personnes âgées est plus politiquement correct que l’emploi de vieux qui est l’antonyme canonique de jeune. La coprésence antonymique permet donc d’exprimer que le prédicat épargner ne s’applique à aucun individu, quel que soit son âge.

Fig. 155

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3.4. Synthèse Les analyses que nous avons menées dans cette section ainsi que sous 1.2 pour déterminer dans quelles conditions les antonymes coprésents exercent les fonctions d’expression de l’exhaustivité et de la nullité, avec ou sans rétroclassement, peuvent être résumées par la figure 156. Pour illustrer les différents cas de figure, nous y avons associé un numéro correspondant, selon la légende sous la figure, à l’un des énoncés analysés, que nous reproduisons ici sous forme typisée. Dans tous ces cas de figure, la relation d’opposition entre les antonymes est subsumée par un mécanisme sémantique et référentiel d’expression d’une totalité.

Fig. 156 [1] Qu’elle l’ACCABLE ou qu’elle le LIBÈRE, l’ancien premier ministre ne manquera pas de transformer cette décision en moment politique. (9) (VI, 1.2.1). [2] Le capitalisme n’est ni MORAL ni AMORAL. (119) (VI, 3.2.3). [3] Elle n’est pas ANNULÉE, mais elle n’est pas non plus CONFIRMÉE. (16) (VI, 1.2.4.1). [4] Il n’y a pas de NOUVEAUX ou d’ANCIENS alliés. (118) (VI, 3.2.3). [5] La Mafia continue de fasciner sur GRAND ou PETIT écran. (133) (VI, 3.3.1.1). [6] Jamais plus un enfant, D’ICI ou D’AILLEURS, ne devrait vivre ce que j’ai vécu. (149) (VI, 3.3.2.1).

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4. Double mise en relation: paire B antonymique Lorsque deux paires d’antonymes sont employées ensemble dans la même phrase ou le même groupe de phrases, on peut considérer qu’il s’agit d’une double mise en relation, les quatre lexèmes antonymes étant mis en relation deux à deux. Cette double mise en relation peut concerner deux paires d’antonymes, homo- ou hétérocatégorielles, qui relèvent de la même partie du discours ou, plus souvent, de parties du discours différentes. Les coprésences de deux paires d’antonymes peuvent être classées en deux grandes catégories toutes deux illustrées par l’exemple suivant: (1) les paires coprésentes dont les membres occupent le même rang hiérarchique deux à deux et (2) les paires dont les membres occupent des rangs différents. (154) «Les dirigeants du G20 ont préféré se consacrer au symbolique (bonus, paradis fiscaux) et à l’institutionnel (réforme des quote-parts du FMI). Plutôt que d’essayer, pendant qu’il est encore temps, de prévenir l’éclatement des nouvelles bulles qui sont en train de se former sous nos yeux et d’empêcher le déclenchement des guerres monétaires qui se profilent. INTRAITABLES et INTARISSABLES sur l’ACCESSOIRE, INCONSISTANTS et MUETS sur l’ESSENTIEL» (Le Monde 27/09/2009, «Les G20 passent, l’horloge tourne», Pierre-Antoine Delhommais).

Dans cet exemple, trois paires d’antonymes sont employées. Deux sont des paires adjectivales, intraitable/inconsistant et intarissable/muet170. La troisième est une paire de substantifs, accessoire/essentiel.

Fig. 157

Les deux paires d’adjectifs sont deux paires prédicatives qui occupent le même rang hiérarchique au sein de la phrase dans laquelle elles s’insèrent, ce qui permet à l’une des deux paires d’être supprimée sans altérer 170 Ces deux paires d’adjectifs ne figurent pas dans notre liste. Nous les avons toutefois identifiés comme des antonymes en raison du fait que le Grand Robert (2001) répertorie silencieux, synonyme de muet, comme antonyme d’intarissable et ferme, synonyme de intraitable, comme antonyme de inconsistant.

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la structure de cette phrase (catégorie 1). Les membres de ces paires adjectivales, coordonnés par et, ont tous leurs arguments en commun deux à deux. Les substantifs antonymes exercent par rapport à eux une fonction argumentale arg2. Les membres de la paire substantivale n’occupent donc pas le même rang sémantico-syntaxique que les paires adjectivales (catégorie 2). Dans les coprésences appartenant à la première catégorie (1), la mise en relation des deux paires n’exerce pas de fonction sémantico-référentielle particulière, c’est pourquoi nous nous concentrerons ici sur les coprésences appartenant à la deuxième catégorie (2). Dans les énoncés relevant de cette deuxième catégorie, les membres des deux paires antonymiques, A1/A2 et B1/B2, sont répartis deux à deux dans deux structures prédicatives (A1B1, A2B2) et y jouent un rôle actualisateur, prédicatif et/ou argumental. Comme dans les sections précédentes, nous allons analyser ces énoncés sur deux plans. Sur le plan sémantico-syntaxique, nous décrirons les relations de dépendance que chacun des membres d’une des deux paires d’antonymes entretient avec chacun des membres de l’autre et avec les autres éléments de leur co-texte d’emploi. Nous mettrons cette structure sémanticosyntaxique en relation avec les mécanismes syntaxiques de surface qui lient deux à deux les membres des deux paires antonymiques et dépendent de leur appartenance catégorielle à une partie du discours (VI, 4.1). Sur le plan sémantico-référentiel, grâce à la description de la diversité des structures sémantiques et syntaxiques dans lesquelles deux paires d’antonymes peuvent être employées en coprésence, nous définirons la fonction sémantico-référentielle que la mise en relation des deux paires d’antonymes exerce dans ces structures (VI, 4.2). 4.1. Structures sémantico-syntaxiques Après avoir décrit les structures sémantico-syntaxiques de mise en relation des deux antonymes avec deux lexèmes non antonymes, qui constituent une paire B, nous pouvons décrire les structures qui mettent en relation les membres des deux paires antonymiques, A1/A2 et B1/B2, au sein de chacune des phrases dans lesquelles ils sont employés. 4.1.1. Antonymes dans une fonction prédicative Dans cette section, comme dans les précédentes, nous avons classé les énoncés analysés selon la fonction primaire que les antonymes y exercent.

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Dans ces énoncés, les membres de la paire A et de la paire B sont des antonymes. Lorsque deux paires d’antonymes sont employées dans les configurations que nous allons décrire maintenant, il ne semble pas possible de déterminer quelle est la paire A et quelle est la paire B. Si l’une des deux paires d’antonymes exerce une fonction prédicative, nous avons rangé l’énoncé dans cette sous-section VI, 4.1.1. Dans les énoncés repris sous VI, 4.1.2 et 4.1.3, les deux paires antonymiques exercent une fonction argumentale ou d’actualisation. 4.1.1.1. B1 et B2: arguments prédicatifs simples A1[B1(C)]. A2[B2(C)]: A1 et A2, lorsqu’ils sont des verbes, des adverbes, des adjectifs ou des substantifs, peuvent exercer une fonction prédicative par rapport à des substantifs, des verbes ou des adjectifs antonymes, B1 et B2, ainsi qu’à leurs éventuels arguments communs exprimés.  Verbes et substantifs antonymes (155) «Les organismes tolèrent en effet des mutations à condition qu’elles ne perturbent pas leur fonctionnement. La MAJORITÉ des mutations est ainsi ÉLIMINÉE par la sélection naturelle. Une MINORITÉ, avantageuse, est SÉLECTIONNÉE» (Le Monde 02/11/1996, «Des chercheurs américains doublent l’âge des vertébrés», Christiane Galus). (156) «Si demain les Français, lecteurs ou électeurs, nous accusent une nouvelle fois d’avoir gardé un secret entre soi, d’avoir ACCEPTÉ chez les PUISSANTS ce que nous REFUSONS aux HUMBLES, que leur répondronsnous?» (Le Monde 17/05/2011, «L’étrange omerta des médias sur le cas DSK», Christophe Deloire).

Dans l’énoncé (155), l’argument arg1 des verbes antonymes est le même, mais il n’est pas exprimé en ce qui concerne sélectionner en raison du fait qu’il est présupposé par le sens de ce verbe. Sur le plan référentiel, l’énoncé (155), grâce à la coprésence antonymique, établit une corrélation entre l’appartenance des référents du lexème mutations à l’une des deux classes définies par le nombre (majorité/minorité) et le traitement que leur réserve la sélection naturelle. Chacune des deux paires d’antonymes permet également de distinguer deux sous-classes de mutations, définies précisément en fonction de leur nombre ou de leur traitement par la sélection naturelle (VI, 3).

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Fig. 158

L’établissement de cette corrélation est la fonction sémantico-référentielle de la coprésence antonymique dans cet énoncé. Nous appelons cette fonction fonction de double classement. Les deux SPM dans lesquelles sont employés deux à deux les membres des deux paires d’antonymes ne se trouvent pas toujours au même rang hiérarchique (155). Dans (156), la première SPM est la principale alors que la seconde est une proposition subordonnée relative introduite par que dont l’antécédent est le pronom démonstratif ce. Par ailleurs, les deux SPM dans lesquelles sont employées les deux paires d’antonymes font partie d’une proposition conditionnelle introduite par si, subordonnée à la principale que leur répondrons-nous? et construite autour du prédicat accuser dont accepter est l’argument arg3: accuser (Français, nous, accepter).

Fig. 159

Dans cet énoncé, les substantifs antonymes exercent une fonction argumentale en position arg3 par rapport aux verbes antonymes dont

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ils sont les seuls arguments non communs. Sur le plan référentiel, le contexte élargi de cet énoncé indique que les deux occurrences co-référentielles de nous désignent des journalistes alors que ce désigne des mœurs comparables à celles de Dominique Strauss-Kahn.  Verbes et adverbes antonymes (157) Si on ne rapproche pas le moment final de l’adoption des textes du moment où l’on commence à les discuter, on aura une période de désorganisation des esprits et éventuellement de la justice. C’est pourquoi je crois que, même si l’on COMMENCE LENTEMENT, il faudra TERMINER plus RAPIDEMENT» (Le Monde 17/05/1989, «Le contrôle de l’application des lois. Un entretien avec M. Michel Sapin. Des ‘députés poil à gratter’ pour stimuler le gouvernement», Pierre Servent).

Lorsque ce sont une paire de verbes et une paire d’adverbes prédicatifs qui sont employées ensemble dans une séquence de type SjPC, les adverbes sont des prédicats du second ordre qui opèrent sur les verbes antonymes. Dans ce cas, les verbes antonymes exercent donc une fonction argumentale par rapport aux adverbes antonymes comme le montre l’énoncé (157). Les verbes antonymes terminer et commencer ont une valeur aspectuelle par rapport à un autre procès (discuter) dont ils dénotent la borne initiale et la borne terminale.

Fig. 160

Dans cet énoncé, ils ont les mêmes arguments. La fonction argumentale arg1 est exercée par le pronom personnel on dont le contexte permet de comprendre qu’il désigne les législateurs français. En ce qui concerne le prédicat terminer, cet argument non exprimé est remplacé par une construction impersonnelle qui permet d’actualiser le prédicat et de le modaliser en indiquant que sa réalisation est conçue par le locuteur, Michel Sapin (je crois), comme une obligation (il faudra). L’argument qui occupe la position arg2 pour les deux prédicats opposés n’est pas exprimé au sein de la phrase complexe dans laquelle ces prédicats sont employés mais dans la phrase précédente par discuter.

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Les deux premiers membres des paires antonymiques sont employés dans une proposition conditionnelle introduite par si. L’une des deux propositions qui contiennent les antonymes est donc subordonnée à l’autre, comme dans l’exemple précédent. Les adverbes prédicatifs ont pour seul argument les deux verbes antonymes sur lesquels ils opèrent. Ils permettent d’indiquer la manière dont les procès opposés pourraient et devraient être réalisés. Le fait que les adverbes antonymes soient des adverbes de manière formés par l’adjonction du suffixe -ment à deux adjectifs comparatifs susceptibles d’être employés de manière scalaire permet à l’adverbe rapidement d’être modulé par l’adverbe comparatif plus, qui induit une lecture scalaire. Cette lecture scalaire atténue l’opposition entre les adverbes antonymes dans ce contexte, dans la mesure où le syntagme plus rapidement peut être appliqué à un processus qui reste lent171.  Adjectifs et verbes antonymes (158) «Il faut être conscient du risque que cela comporte: DIMINUER la dépense PUBLIQUE ne fera pas automatiquement AUGMENTER la dépense PRIVÉE» (Le Monde 22/06/2010, «La rigueur à contretemps», Martin Wolf). (159) «‘Il est FACILE, dit-il [Jassem El Qatami], d’INTRODUIRE les grandes puissances dans le Golfe, mais il sera beaucoup plus DIFFICILE de les en DÉLOGER. Nous sommes tous des Arabes et, par conséquent, nous ne sommes pas contre l’Irak. Mais fallait-il pour autant se livrer à des déclarations tonitruantes contre l’Iran qui a les moyens de détruire nos installations pétrolières et avec lequel nous sommes condamnés à coexister?’» (Le Monde 12/08/1987, «Un an après la dissolution du Parlement Le Koweit, émirat despotique», Jean Gueyras).

Dans l’énoncé (158), les verbes antonymes diminuer et augmenter sont des prédicats par rapport auxquels l’ensemble formé par les adjectifs prédicatifs et leur unique argument, commun, exerce une fonction argumentale arg1, comme l’indique la figure 161. Les verbes antonymes et leurs arguments sont dépendants du verbe faire. Le fait que ce verbe soit nié permet de nier l’implication entre les antonymes. Le propos de l’énoncé est ainsi d’affirmer l’absence de causalité entre les procès opposés.

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Nous reviendrons sur cette atténuation du contraste entre les antonymes sous VI, 5.2.

VI. FONCTIONS SÉMANTICO-RÉFÉRENTIELLES DE L’ANTONYMIE

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Fig. 161

Dans l’énoncé (159), ce sont les adjectifs antonymes qui sont des prédicats dont les verbes antonymes sont les arguments arg1. Les verbes antonymes sont également des prédicats dont tous les arguments sont communs comme l’indique la figure 162. Les verbes introduire et déloger ne sont pas répertoriés comme antonymes dans le Grand Robert (2001). Les définitions que donne ce dictionnaire pour ces deux verbes indiquent, toutefois, clairement leur opposition de sens: introduire «faire entrer (qqn) dans un lieu», déloger «faire sortir (qqn) du lieu qu’il occupe» (Grand Robert 2001).

Fig. 162

 Substantifs antonymes (160) «Les Etats-Unis doivent créer en moyenne 100 000 emplois par mois pour compenser l’accroissement de leur population. Or, la plupart des analystes attendaient 170 000 CRÉATIONS d’EMPLOIS et une légère RÉSORPTION du CHÔMAGE. Le nombre des chômeurs de longue durée ne se résorbe pas et

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les inscriptions hebdomadaires aux caisses d’indemnités repartent depuis plusieurs semaines à la hausse» (Le Monde 05/06/2011, «Aux Etats-Unis, l’emploi et l’immobilier font craindre un retour de la récession», Sylvain Cypel). (161) «‘Si je préfère la NON-VIOLENCE à la VIOLENCE, je préfère la VIOLENCE de la LIBERTÉ à la NON-VIOLENCE de l’ESCLAVAGE’, rappelle une intervenante, citant le pandit Nehru» (Le Monde 13/06/1991, «Grand angle. Femmes algériennes en lutte», Armelle Cressard).

Deux paires d’antonymes dépendantes l’une de l’autre peuvent également être employées ensemble dans une séquence formée d’un substantif et de son complément prépositionnel, lorsque les deux paires d’antonymes sont des paires de substantifs. Ainsi, dans l’énoncé (160), les substantifs déverbaux emplois et chômage exercent une fonction argumentale par rapport aux prédicats créations et résorption respectivement. Les substantifs création et résorption ne sont pas répertoriés comme des antonymes par le Grand Robert (2001), mais peuvent toutefois être considérés comme tels en raison de leur sens: création «action de faire, d’organiser (une chose qui n’existait pas encore)», résorption «disparition progressive» (Grand Robert 2001). Le prédicat création peut être l’objet ici de deux interprétations différentes. L’une, qui correspond à celle du verbe pronominal se créer, peut être schématisée comme suit: création (emplois). L’autre peut être schématisée comme suit: création (arg1, emplois). Dans cette deuxième interprétation, la position argumentale des substantifs emplois et chômage ne serait pas la même par rapport à leurs prédicats respectifs: création (arg1, emplois) et résorption (chômage). Une telle dissymétrie, bien que possible, est inhabituelle dans la mesure où la plupart des antonymes prédicatifs possèdent le même schéma argumental. Le fait que l’argument arg1 du prédicat création ne soit pas exprimé permet de penser que le contexte d’emploi de création rend plus saillante la première interprétation comme création (emplois), ce qui évite la dissymétrie. Par ailleurs, les substantifs emplois et chômage sont des prédicats qui n’ont pas non plus le même schéma argumental: emplois requiert deux arguments alors que chômage n’en requiert qu’un. La nonexpression de leurs arguments minimise la portée de cette différence. Les SPM dans lesquelles sont employées les deux paires d’antonymes exercent en outre la même fonction argumentale par rapport au prédicat attendre.

VI. FONCTIONS SÉMANTICO-RÉFÉRENTIELLES DE L’ANTONYMIE

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Fig. 163

Lorsque deux paires de substantifs antonymes sont employées ensemble, les membres de l’une des paires exerçant une fonction argumentale par rapport aux membres de l’autre paire, les substantifs prédicatifs antonymes peuvent être des substantifs désadjectivaux (161). Les substantifs liberté et esclavage sont les arguments arg1 des substantifs prédicatifs, comme l’indique la figure 164. Ils pourraient également être considérés comme des circonstances de ces prédicats (dans des situations de liberté/d’esclavage). Les substantifs liberté et esclavage exercent, par ailleurs, une fonction argumentale arg2 et arg3 par rapport au prédicat préférer: préférer (je, liberté, esclavage). La coprésence antonymique dans la concessive introduite par si n’exerce pas de fonction sémanticoréférentielle particulière (VI, 1.1).

Fig. 164

Sur le plan référentiel, la coprésence de deux paires antonymiques établit une corrélation entre violence et liberté ainsi qu’entre nonviolence et esclavage selon le schéma référentiel suivant: soit le référent R désigné par l’une des paires de substantifs, si R est la liberté alors R peut être caractérisé par la violence et si R est l’esclavage alors R peut être caractérisé par la non-violence. Cette corrélation n’est pas conventionnelle et l’enjeu de l’énoncé est précisément d’indiquer que, si l’esclavage peut être non violent et la liberté violente, la liberté est quand même préférée.

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 Adjectifs et substantifs antonymes (162) «Ses ingénieurs [du DCNS] ont aussi retenu l’énergie thermique des mers, qui utilise les échanges de température entre l’eau CHAUDE de la SURFACE et l’eau FROIDE remontant des PROFONDEURS» (Le Monde 16/04/2010, «DCNS veut prendre la tête d’une filière industrielle des énergies marines», Jean-Michel Bezat). (163) «Dans la série de deux émissions de Gérard Chouchan diffusée par Antenne 2 mercredi et jeudi – GLOIRE au service PUBLIC, HONTE aux chaînes PRIVÉES, dont le quasi-mutisme après la mort de Dolto dit l’exact niveau atteint par le ‘mieux-disant culturel’ qui fut cher à François Léotard! – série baptisée ‘Il était une fois Françoise Dolto’, un malentendu risquait de germer» (Le Monde 04/09/1988, «Dolto», Bruno Frappat).

Deux substantifs antonymes peuvent ne pas être employés dans deux séquences SpS parallèles. Ainsi dans l’énoncé (162), l’un des substantifs antonymes seulement est employé dans une séquence SpS. L’interprétation de la séquence l’eau chaude de la surface nécessite l’explicitation du prédicat sous-entendu être: l’eau chaude qui est à la surface. L’autre membre des paires d’adjectifs et de substantifs antonymes est employé dans une structure de type SjPC construite autour du prédicat remonter. Dans les deux cas, c’est la provenance de l’eau qui est visée. Comme l’indique le schéma ci-dessous, les adjectifs antonymes ont pour arguments les deux occurrences du substantif eau. Le substantif profondeur exerce une fonction argumentale en regard du prédicat par rapport auquel l’ensemble formé par les adjectifs antonymes et leur argument exerce également une fonction argumentale. Sur le plan sémantico-référentiel, la seule présence des adjectifs antonymes permet de définir l’intension de deux sous-classes d’eau (VI, 3) alors que la coprésence des deux paires antonymiques établit une corrélation entre le niveau auquel se trouve l’eau des mers et sa température.

Fig. 165

Les deux séquences formées par deux substantifs et les adjectifs antonymes qui les qualifient peuvent également s’insérer dans une séquence SjPC construites autour, non pas de deux verbes prédicatifs, mais de deux

VI. FONCTIONS SÉMANTICO-RÉFÉRENTIELLES DE L’ANTONYMIE

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substantifs prédicatifs. Ainsi dans (163), les interjections gloire et honte sont des prédicats dont l’argument obligatoire est respectivement service public et chaînes privées.

Fig. 166

Les substantifs qualifiés par les adjectifs antonymes ne sont pas identiques, mais on peut considérer, dans ce contexte, que le syntagme figé service public est une abréviation de chaîne(s) de service public. Les syntagmes service public et chaînes privées désignent de ce fait des référents qui appartiennent à la même classe globale (VI, 3). Les énoncés (155) à (163) montrent que (a) deux antonymes qui exercent une fonction argumentale par rapport aux membres d’une paire d’antonymes prédicatifs occupent la même position argumentale en regard de chacun des membres de cette seconde paire; (b) les antonymes, arguments d’autres antonymes, peuvent occuper diverses positions argumentales (arg1, arg2, arg3); (c) les arguments de deux antonymes prédicatifs, pour autant qu’ils ne soient pas des antonymes, leur sont communs; (d) la fonction de double classement se combinent souvent à la fonction de sous-classement. 4.1.1.2. B1 et B2: arguments de deux prédicats différents enchâssés A1[X(B1)], A2[Y(B2)]: A1 et A2 exercent une fonction prédicative par rapport à l’ensemble formé de B1 et B2, de leurs éventuels arguments exprimés, et des prédicats dont ils dépendent.  Substantifs et adverbes antonymes (164) «Parvenant DIFFICILEMENT à trouver ses marques dans les RÉALITÉS positives de l’ordre international, il [l’inconscient collectif français] se laisse

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griser par le FANTASME d’une grandeur retrouvée» (Le Monde 28/08/2002, «Développement durable et stabilité internationale», Karim Dahou).

Dans l’énoncé (164), les membres des deux paires d’antonymes sont employés deux à deux dans des séquences SjPC dont l’une est subordonnée à l’autre. Le schéma ci-dessous indique que les adverbes antonymes sont des prédicats dont l’unique argument est constitué par d’autres prédicats qui ont pour arguments les substantifs antonymes. Sur le plan sémantico-référentiel, la coprésence antonymique permet d’établir une corrélation entre le degré de réalité d’une situation et le degré de difficulté du rapport de l’inconscient collectif français à cette situation. En raison de la différence des verbes prédicatifs dont les substantifs antonymes sont les arguments, on peut également considérer que ces substantifs exercent une fonction d’ancillarité en mettant en contraste ces deux verbes (VI, 2). Il faut toutefois remarquer que le potentiel contrastif de ces deux séquences figées, se laisser griser par et trouver ses marques dans, est élevé, en raison du fait que le sens de se laisser griser peut être décrit notamment grâce au trait /absence de maîtrise/ alors que le sens de trouver ses marques peut être décrit notamment par le trait /maîtrise/.

Fig. 167

4.1.1.3. B1 et B2: actualisateurs ou circonstants A1B1(C). A2B2(C): A1 et A2 peuvent avoir pour actualisateur temporel, spatial ou modal, respectivement B1 et B2. Dans les énoncés (165) à (168), les membres de l’une des deux paires d’antonymes exercent directement une fonction d’actualisation par rapport aux membres de l’autre paire.

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 Adjectifs et adverbes antonymes (165) «JADIS MORIBONDE, l’entreprise allemande est AUJOURD’HUI FLORISSANTE, avec un bénéfice de 35 millions d’euros en 2010, et un délai de six mois pour satisfaire les commandes» (Le Monde 31/05/2011, «Un Leica de 1923, l’appareil photo le plus cher du monde», Joëlle Stolz, Vienne, correspondante). (166) «Au contraire, les équipes de M. Jean-Marcel Jeanneney estiment que ‘la déduction fiscale sur investissement exerce un effet d’incitation beaucoup plus important et à un moindre coût budgétaire’. Mais, et la remarque est importante sur le plan politique, si les effets de telles aides sont FAVORABLES À LONG TERME, ils sont DÉFAVORABLES À COURT TERME» (Le Monde 16/07/1987, «L’aide fiscale à l’investissement. L’onction présidentielle», Erik Izraelewicz).

Cette actualisation peut être temporelle quand les adverbes antonymes participent à l’actualisation des adjectifs prédicatifs antonymes (165). Dans cet énoncé, les adverbes actualisateurs ne peuvent pas être supprimés sans rendre la phrase asémantique.

Fig. 168

Comme l’indique la figure 168, les adjectifs antonymes n’ont qu’un seul argument, qui leur est commun. Cette identité implique, sur le plan sémantico-référentiel, que les adjectifs antonymes exercent une fonction de reclassement par rapport au référent désigné par le lexème qu’ils ont pour argument (VI, 1.3). La présence des adverbes antonymes associe cette fonction à celle de double classement en établissant une corrélation entre une période temporelle et le degré de santé de l’entreprise Leica. Une paire d’antonymes dans une fonction d’actualisation par rapport à une autre paire d’antonymes, même si elle est supprimable sans nuire à la structure syntaxique de l’énoncé, ne peut être supprimée sous peine de nuire à la sémanticité de l’énoncé. Ce fait est un argument pour considérer cette paire comme la paire A, dans une perspective inspirée de celle de Jones (2002), où la paire A est au service de la paire B, parce que c’est elle qui

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assure la validité sémantique de l’énoncé en empêchant le clash produit par l’attribution de deux qualités contraires ou de deux actions contraires au même individu. Cette attribution est possible grâce à la plupart des paires antonymiques mais elle doit être prise en charge par le locuteur qui annonce la contradiction et/ou la résout explicitement: L’entreprise allemande peut être considérée comme à la fois moribonde et florissante selon que l’on compare sa situation actuelle aux années 2000 ou aux années 1950. Dans l’énoncé (166), la paire à long terme/à court terme permet de résoudre explicitement la possible contradiction en indiquant que deux qualités contraires sont attribuées à des moments différents, et non en même temps, au même référent. Si cette paire est retirée, aucun autre dispositif qui explicite la contradiction et annonce sa résolution n’ayant été mis en place, l’énoncé exprime un sens contradictoire: comparer *si les effets de telles aides sont FAVORABLES, ils sont DÉFAVORABLES et les effets de telles aides sont à la fois FAVORABLES et DÉFAVORABLES. Dans (166), les adjectifs prédicatifs antonymes sont également actualisés temporellement par les membres de l’autre paire d’antonymes. Dans cet énoncé, contrairement au précédent, les membres de la deuxième paire d’antonymes ne sont pas des adverbes simples mais des séquences figées, formées de deux adjectifs antonymes et d’un substantif.

Fig. 169

 Verbes et adverbes antonymes (167) «Car, si la croissance devait être moins forte, les recettes fiscales le seraient aussi et, pour tenir l’objectif de réduction du déficit, il faudrait REGAGNER AILLEURS ce qui serait PERDU LÀ» (Le Monde 06/05/2011, «M. Baroin s’attend à un budget 2012 ‘difficile’», Pierre Jaxel-Truer et Philippe Le Cœur).

L’actualisation d’une paire d’antonymes par l’autre peut être spatiale, comme dans l’énoncé (167), dans lequel les adverbes antonymes ont pour

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fonction d’indiquer dans quel cadre spatial les procès exprimés par les verbes antonymes sont réalisés. Comme l’indique la figure 170 et comme c’est le cas dans les énoncés déjà analysés et dans les suivants, les verbes antonymes ont tous leurs arguments exprimés en commun. En ce qui concerne les arguments non exprimés, on peut supposer soit qu’ils sont également communs aux deux verbes, soit que leur éventuelle différence importe peu.

Fig. 170

 Substantifs antonymes (168) «Pour la faiblesse insigne de l’interprétation, à l’exception peut-être du rôle du méchant; mais surtout pour le véritable contre sens (par rapport aux films ‘canoniques’) que de faire de Zorro / Don Diego un bravache de jour comme de nuit, à visage découvert ou masqué. Car ce qui fait la force et la prégnance du personnage, c’est justement la contradiction entre sa LÂCHETÉ (ou si l’on préfère, sa frivolité) le JOUR et son AUDACE la NUIT» (Le Monde 13/05/1990, «Cabou Cadin: CANAL +, 17 h 25. Duncan Reglehr et E. Lindner. Un Zorro pointé», Claude Aziza).

Dans l’énoncé (168), les deux paires de substantifs antonymes sont employées dans une séquence qui peut être assimilée au type SpS – la préposition pendant étant sous-entendue – et au sein de la structure la contradiction entre X et Y. Comme l’indique la figure 171, les substantifs prédicatifs antonymes, lâcheté et audace, ont pour argument personnage, qui désigne Zorro, et pour actualisateurs les substantifs antonymes, jour et nuit. La présence du substantif frivolité, qui ne s’oppose pas à audace, permet d’atténuer l’affirmation de la lâcheté de Zorro. Les deux paires d’antonymes coprésents permettent d’établir une corrélation entre le degré d’audace de Zorro et le moment du jour où il agit.

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Fig. 171

Contrairement aux énoncés précédemment analysés, les substantifs antonymes dans un rôle d’actualisation peuvent être supprimés de cet énoncé sans nuire à sa sémanticité en raison du fait que les antonymes lâcheté et audace sont employés dans la structure la contradiction entre X et Y, qui explicite leur antonymie et désamorce la bizarrerie qui résulte de l’attribution de deux qualités contraires au même individu. Cette attribution est possible pour les paires dont l’opposition relève des types 3 et 4 (lâcheté/audace, par exemple), mais impossible pour celles dont l’opposition relève des types 1, 2 et 5 (vide/plein, par exemple) (II, 3.4.3). Lorsqu’elle est possible, elle nécessite une prise en charge par le locuteur qui signale l’apparente contradiction (à la fois X et Y, la contradiction entre X et Y) et donne, le plus souvent, les moyens de la résoudre: différence de temporalité, de mode ou de cause. Zorro peut ainsi être dit à la fois lâche et audacieux mais pas au même moment comme dans l’énoncé (168), dans des univers de croyance différents (on le croit lâche alors qu’il est audacieux) ou pour des raisons différentes (il est audacieux parce qu’il combat les soldats mais lâche parce qu’il ne le fait pas à visage découvert).  Adjectifs et substantifs antonymes (169) «GRAVE dans la LÉGÈRETÉ, LÉGER dans la GRAVITÉ, voilà Demy» (Le Monde 08/10/1995, «Jacques Demy, le goût du bonheur», Valérie Cadet).

Les membres d’une paire d’antonymes peuvent être employés pour indiquer les circonstances de deux prédicats opposés. Dans l’énoncé (169), les substantifs antonymes indiquent, en effet, dans quels types de situations abstraites, ou en regard de quels types d’objets/de sujets, les prédicats grave et léger sont actualisés. Au vu du contexte élargi, on peut supposer que les substantifs antonymes renvoient à des sujets ou à des thématiques filmées par Demy. Compte tenu de cette interprétation et de la figure 172, l’énoncé (169) peut être paraphrasé comme suit: Lorsqu’il

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s’agit de sujets caractérisés par leur légèreté, Jacques Demy est grave, lorsqu’il s’agit de sujets graves, il est léger. Sur le plan sémanticoréférentiel, la coprésence antonymique établit ainsi une corrélation entre le degré de gravité d’un sujet et le degré de gravité de Jacques Demy le filmant. Cette corrélation est inverse de celle qui est attendue dans la mesure où elle fait coexister deux qualités contraires dans une même situation mais sur des plans différents, le sujet traité et son traitement.

Fig. 172

 Verbes et substantifs antonymes (170) «Je [Raymond Barre] dis comme M. Guizot: ‘ENRICHISSEZ-vous par le TRAVAIL et par l’ÉPARGNE’. À l’heure actuelle, on dit: ‘APPAUVRISSEZ-vous par le REPOS et par la DÉPENSE…’» (Le Monde 17/03/1987, «Le voyage de M. Barre aux Antilles ‘Enrichissez-vous par le travail et par l’épargne’», Daniel Carton).

Dans l’énoncé (170), les substantifs travail/repos et épargne/dépense permettent de constituer des propositions subordonnées de moyen. La coprésence antonymique sous-tend donc une double corrélation entre évolution du capital et travail d’une part, entre évolution du capital et gestion du capital d’autre part.

Fig. 173

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A1(C), B1(C). A2(C), B2(C): A1 et A2 peuvent avoir un argument commun, le plus souvent de même rang, ou un circonstant commun avec B1 et B2, lorsque la SPU ou SPM qui contient A1 (/A2) est subordonnée ou coordonnée dans une relation d’implication explicite à celle qui contient B1 (/B2) Dans les deux énoncés suivants, les deux paires d’antonymes sont des paires prédicatives qui partagent au moins un argument. Cet argument est généralement commun aux quatre lexèmes opposés deux à deux mais peut également n’être commun qu’à deux d’entre eux seulement selon un schéma du type A1(C), B1(C). A2(D), B2(D).  Substantifs antonymes (171) «Avec Demjanjuk, l’Allemagne a su surmonter ses doutes. Ceux d’un procès “injuste” impliquant un ancien gardien étranger alors que tant de nazis allemands sont passés à travers les mailles du filet. Ceux aussi où les juges risquaient d’être critiqués pour leur “ARROGANCE”, en cas de CONDAMNATION de l’accusé, ou pour leur “LÂCHETÉ”, en se prononçant pour l’ACQUITTEMENT» (Le Monde 04/06/2011, «Le procès de John Demjanjuk, une victoire sur le temps», Nicolas Bourcier).

Dans l’énoncé (171), les quatre lexèmes opposés ont un argument en commun. Sur le plan syntaxique, A1 et A2 sont employés dans des SPM de rang hiérarchique différent par rapport aux SPM dans lesquelles B1 et B2 sont employés. Les membres de la paire de substantifs déverbaux permettent ainsi de construire des propositions subordonnées par rapport aux propositions principales dans lesquelles sont employés les membres de l’autre paire d’antonymes. Le substantif juges exerce une fonction argumentale arg1 par rapport aux deux paires de lexèmes prédicatifs antonymes. Les substantifs antonymes, condamnation et acquittement, permettent de constituer des propositions subordonnées à la proposition principale dont critiquer, qui a notamment lâcheté et arrogance comme arguments, est le verbe recteur. Ces propositions subordonnées peuvent être analysées comme des propositions temporelles (quand ils condamnent / acquittent), causales (parce qu’ils condamnent / acquittent) ou conditionnelles (s’ils condamnent / acquittent). La figure 174 représente la structure de cet énoncé selon l’interprétation temporelle.

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Fig. 174

Sur le plan sémantico-référentiel, la coprésence antonymique dans cet énoncé établit une corrélation entre la décision prise par les juges et le motif pour lequel ils sont critiqués. Dans cet énoncé, on peut également considérer que la paire condamnation/acquittement a pour fonction d’exprimer l’exhaustivité dans la mesure où les juges sont critiqués quel que soit leur verdict sur la culpabilité de l’accusé (VI, 3).  Verbes antonymes (172) «Représentant, en compagnie de MM. Jean Tibéri et Roger Romani, les élus RPR de Paris, M. Edouard Balladur a expliqué que ‘le vrai choix est entre une France ISOLÉE en Europe, et donc AFFAIBLIE, et une France ASSOCIÉE à ses partenaires dans l’Europe, et donc FORTIFIÉE’» (Le Monde 16/09/1992, «La campagne pour le référendum. Giscard d’Estaing: ‘voter oui pour sauver l’image de la France’», s.a.).

L’énoncé (172) comporte quatre verbes résultatifs, antonymes deux à deux, qui ont tous France comme argument arg2. La présence de et donc établit un rapport d’implication entre les propositions dans lesquelles sont employés les membres des deux paires d’antonymes, qui forment les branches d’une alternative introduite par la structure choix entre X et Y.

Fig. 175

A1(XB1). A2(XB2): A1 et A2 peuvent avoir pour argument un prédicat actualisé par B1 et B2.  Adverbes antonymes (173) «Et pourtant, il suffit d’observer une terrasse de café dans la capitale pour voir que, face à l’uniformisation européenne qui menace, beaucoup d’Espagnoles font de la résistance. Comme le dit, amusée, Lourdes Fernandez Ventura, ‘c’est la deuxième révolution! AVANT, l’Espagnole

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disait “non”, BRUYAMMENT, au modèle imposé par la dictature; MAINTENANT elle dit “non”, mais plus DOUCEMENT, à la standardisation’» (Le Monde 11/09/1999, «L’Espagne de la mode se pique de classicisme», Marie-Claude Decamps).

L’énoncé (173) illustre un troisième cas de figure, dans lequel des prédicats identiques sont actualisés par les membres d’une des deux paires d’antonymes et exercent une fonction argumentale par rapport aux membres de l’autre paire. Les adverbes prédicatifs ont pour argument le prédicat dire. Ce verbe, dans ses deux occurrences, est conjugué à des temps différents et a pour arguments les unités l’Espagnole et elle ayant la même référence actuelle, la femme espagnole en général. Les membres de la paire d’adverbes temporels antonymes actualisent chacune des occurrences du prédicat dire.

Fig. 176

La coprésence des deux paires d’adverbes antonymes permet d’établir une corrélation entre le moment et l’intensité de la réaction de la femme espagnole à deux modèles. Par ailleurs, on pourrait considérer que les antonymes exercent une fonction d’ancillarité par rapport aux unités au modèle imposé par la dictature et la standardisation. Ni le co-texte immédiat, ni le contexte plus large ne permettent de déterminer avec certitude que le modèle imposé par la dictature espagnole, caractérisé par une forme d’uniformisation politique, linguistique et artistique, est rapproché par l’auteur de la standardisation européenne de la mode. Seul le comparatif plus est un indice pour considérer que les syntagmes (au) modèle imposé par la dictature et (à) la standardisation désignent des entités abstraites suffisamment similaires pour que l’on puisse comparer

VI. FONCTIONS SÉMANTICO-RÉFÉRENTIELLES DE L’ANTONYMIE

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deux réactions à leur encontre. Si ces syntagmes sont employés par l’auteur comme des synonymes, les adverbes prédicatifs antonymes peuvent être considérés comme exerçant une fonction d’exhaustivité (VI, 3): la femme espagnole refuse, toujours et quel que soit le volume sonore par lequel elle manifeste son refus, que lui soit imposé un standard vestimentaire. 4.1.1.4. Paires hétérocatégorielles (174) «‘Pour l’instant, cet éventuel ASSOUPLISSEMENT a un caractère OFFICIEUX car, OFFICIELLEMENT, c’est d’un DURCISSEMENT de l’embargo qu’il s’agit’, souligne Ricardo Alarcon, le président de l’Assemblée nationale de Cuba, en expliquant que les États-Unis ont renforcé les pouvoirs du bureau du Trésor installé à Miami pour mieux contrôler les déplacements des Américano- Cubains, les seuls actuellement autorisés à se rendre dans l’île» (Le Monde 11/07/2000, «Cuba se prépare à l’assouplissement de l’embargo», Serge Marti). (175) «Le processus de correction peut être RAPIDE et AISÉ, et l’atterrissage (le landing) se fera EN DOUCEUR, ou plus LONG et DUR à obtenir, et le landing sera alors plus BRUTAL» (Le Monde 19/09/2000, «Pourquoi des cycles?», Jean-Paul Betbèze).

L’une des deux paires d’antonymes employées ensemble dans le même contexte peut être une paire hétérocatégorielle. Dans l’énoncé (174), l’une des paires d’antonymes comporte ainsi un adverbe, officiellement, et un adjectif, officieux. Les membres de cette paire sont des prédicats du second ordre qui portent sur des prédicats opposés qui ne sont pas des verbes mais des substantifs antonymes. Le syntagme avoir un caractère officieux équivaut à être officieux, avoir un caractère étant un verbe support. Les substantifs antonymes sont des prédicats qui partagent les mêmes arguments. Leur argument arg1 est embargo. Les substantifs antonymes désignent ici le même référent, également désigné par c’ dans c’est. Ils participent donc à un reclassement de ce référent.

Fig. 177

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Dans l’énoncé (175), les propositions qui contiennent chacun des antonymes se situent toutes au même niveau hiérarchique sur le plan syntaxique: il s’agit de propositions simples coordonnées. La coprésence antonymique permet toutefois d’exercer une fonction sémantico-référentielle de double classement en raison de l’implication de SPM3 et SPM6 par SPM1 / SPM2 et SPM4 / SPM5. Cette implication unidirectionnelle peut être, comme la corrélation bidirectionnelle, considérée comme définitoire de la fonction de double classement. L’implication est le seul élément qui permet à la coprésence antonymique d’exercer cette fonction dans l’énoncé (175). Dans cet énoncé, une paire hétérocatégorielle en douceur/brutal et deux paires homocatégorielles adjectivales, rapide/long et aisé/dur sont employées en coprésence. L’une des deux paires homocatégorielles peut être supprimée sans altérer la structure de l’énoncé. La paire hétérocatégorielle, en revanche, ne peut être supprimée en raison de la relation d’implication entre les propositions qui contiennent les membres des paires homocatégorielles et les propositions qui contiennent les membres de la paire hétérocatégorielle. Cette relation d’implication est explicitement exprimée par la conjonction et, par la conjugaison des verbes supports faire et être au futur ainsi que par l’adverbe alors. Elle permet à la coprésence antonymique d’exercer une fonction de double classement. Les deux paires homocatégorielles sont composées de lexèmes prédicatifs coordonnés entre eux et qui partagent leur seul argument. Les membres de la paire hétérocatégorielle, comme les membres des paires homocatégorielles, sont des prédicats – grâce au verbe support se fera, nécessaire à l’actualisation du substantif prédicatif – par rapport auxquels les synonymes landing et atterrissage exercent une fonction argumentale arg1.

Fig. 178

Sur le plan sémantico-référentiel, compte tenu de la différence entre les arguments arg1 de la paire hétérocatégorielle et des paires homocatégorielles, la coprésence antonymique ne peut être considérée comme établissant une seule implication comme dans les exemples précédents.

VI. FONCTIONS SÉMANTICO-RÉFÉRENTIELLES DE L’ANTONYMIE

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Dans cet exemple, il y a deux référents doublement classés, le classement du second dépendant de celui du premier: R1 est rapide et aisé implique que R2 sera doux; R1 est long et dur implique que R2 sera brutal. Sur le plan sémantico-logique, l’énoncé (175) permet d’illustrer à la fois (a) l’emploi d’antonymes dans deux propositions qui ne sont pas vraies en même temps comme en témoigne la différence de temps entre peut être et se fera ou sera, (b) l’emploi d’antonymes dans deux propositions disjointes comme le montre le relateur ou et (c) l’emploi d’antonymes dans deux propositions implicatives dans la mesure où la vérité des propositions p = Le processus de correction peut être RAPIDE et AISÉ et p’ = Le processus de correction peut être plus LONG et DUR implique la vérité des propositions q = L’atterrissage (le landing) se fera en DOUCEUR et q’ = Le landing sera alors plus BRUTAL. 4.1.2. Antonymes dans une fonction argumentale X[A1(C), B1]. X[A2(C), B2]: A1 et A2 exercent, avec leurs éventuels arguments communs exprimés, une fonction argumentale de même rang par rapport à des prédicats semblables dont B1 et B2 sont également les arguments.  Verbes et substantifs antonymes (176) «Ma TÊTE me disait que je [Ballesteros] devais ARRÊTER [le golf], mais mon CŒUR me poussait à POURSUIVRE» (Le Monde, 11/05/2011, «Severiano Ballesteros», Jean-Louis Aragon).

Dans l’énoncé (176), les substantifs tête et cœur – les pronoms possessifs qui les accompagnent indiquant que leurs référents sont constitutifs du corps désigné par je – sont les arguments arg1 de deux prédicats dire et pousser. Ces prédicats sont sémantiquement proches, en raison du fait que «dire à X que X doit …» équivaut sémantiquement dans ce contexte à «X incite X à …», proche de pousser. Dans cet exemple, la structure «dire à X que X doit …» est paraphrasable par «dire à X de …». Comme la modalisation d’arrêter par devoir ne modifie pas fondamentalement les relations prédicatives, dans un souci de clarté, c’est cette deuxième structure (à valeur directive) qui est représentée dans la figure 179.

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Fig. 179

Les substantifs tête et cœur peuvent être considérés comme des antonymes dans la mesure où ils sont employés métaphoriquement pour raison et sentiments dont l’antonymie est canonique. Les deux occurrences du pronom me exercent une fonction argumentale arg3 par rapport à dire et arg2 par rapport à pousser. Ces occurrences sont co-référentielles, elles renvoient au même individu, Severiano Ballesteros. Les verbes antonymes sont des prédicats qui exercent un rôle argumental arg2 par rapport à dire et arg3 par rapport à pousser. La différence de rang entre les arguments communs et non communs aux deux prédicats paraît s’expliquer par la différence combinatoire entre dire et pousser. Sur le plan sémantico-référentiel, la coprésence antonymique établit une corrélation entre l’attitude de Ballesteros par rapport au golf et ce sur quoi il se fonde pour adopter cette attitude.  Substantifs antonymes (177) «Dans leur majorité, les enfants ont attribué aux BLANCS toutes les qualités positives (la BEAUTÉ, la sympathie, l’ARDEUR au travail, etc.), tandis qu’à plus de 80 % ils ont identifié le NOIR avec la bêtise, la LAIDEUR, la PARESSE, la saleté» (Le Monde 12/05/1988, «Le centenaire de l’abolition de l’esclavage. L’immense frustration des Noirs brésiliens», Charles Vanhecke).

A1/A2 et B1/B2 peuvent être deux paires de substantifs. Dans l’énoncé (177), ces substantifs exercent une fonction argumentale par rapport aux prédicats attribuer et identifier. Les verbes attribuer et identifier sont proches sémantiquement dans la mesure où l’on peut considérer qu’identifier dénote un degré maximal d’attribution d’une qualité à un objet ou à un individu: attribuer «considérer comme propre à, supposer (un caractère, une qualité) à qqn ou à qqch.» et identifier «considérer comme identique, comme assimilable à autre chose (identité qualitative)» (Grand Robert 2001).

VI. FONCTIONS SÉMANTICO-RÉFÉRENTIELLES DE L’ANTONYMIE

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Les lexèmes ils et enfants sont co-référentiels. Les prédicats attribuer et identifier ont donc le même argument arg1. Les substantifs antonymes occupent les deux autres positions argumentales mais les membres de chacune des deux paires ne sont pas des arguments de même rang. Cette différence est due à la différence combinatoire entre les verbes attribuer et identifier. L’énumération entre parenthèses de substantifs co-hyponymes du même hyperonyme qualités positives permet de conclure que chacun de ces substantifs exerce une fonction argumentale par rapport à attribuer. L’emploi de Noir au singulier, tandis que Blancs est employé au pluriel, crée une ambiguïté entre deux sens possibles de Noir dans ce contexte: «couleur», «individu désigné par sa couleur de peau».

Fig. 180

La différence combinatoire entre les verbes attribuer et identifier n’affecte pas la fonction de double classement qu’exerce la coprésence antonymique et qui établit une corrélation entre une couleur et le caractère positif ou négatif de la qualité attribuée par les enfants à cette couleur. Il faut toutefois signaler que l’antonymie entre blanc et noir, qu’ils soient substantifs ou adjectifs, est moins nette que l’opposition entre beauté et laideur ou ardeur et paresse dans la mesure où blanc et noir sont co-hyponymes et entretiennent donc des relations d’incompatibilité avec d’autres lexèmes – comme rouge et jaune, s’ils qualifient la peau d’un être humain ou s’ils désignent cet individu par rapport à sa couleur de peau.  Adjectifs et substantifs antonymes (178) «Matt Sponheimer (université du Colorado à Boulder) et ses collègues ont constaté que les spécimens les plus MASSIFS, supposés être des MÂLES, présentaient un ratio isotopique caractéristique de la zone dolomitique d’une trentaine de km2 entourant les deux grottes. Les individus les plus PETITS, considérés comme des FEMELLES, avaient grandi dans un environnement différent» (Le Monde 04/06/2011, «Immémorial échange des femmes», Hervé Morin).

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Dans l’énoncé (178), Les adjectifs antonymes qualifient des substantifs quasi-synonymes, spécimens et individus. Pour cette raison, on peut considérer qu’outre la corrélation entre la taille et le sexe, les adjectifs antonymes exercent une fonction de sous-classement en distinguant deux types d’individus (VI, 3).

Fig. 181

 Adverbes antonymes (179) «Personne, c’est vrai, n’a le monopole du cœur. Ni en 1981 ni en 1988. Mais certains ont tout de même le secret des mesures qui blessent. Comme la suppression de l’autorisation de licenciement, l’augmentation des cotisations sociales ou le remboursement à taux réduit des médicaments dits ‘de confort’. Mais certains ont tout de même pour constant réflexe de demander BEAUCOUP à ceux qui ont PEU, et PEU à ceux qui ont BEAUCOUP» (Le Monde 04/05/1988, «Majorité démocrate», Roger Schwartzenberg).

Dans l’énoncé (179), les membres de la deuxième paire d’antonymes sont employés dans une proposition subordonnée relative dont l’antécédent appartient à la proposition principale dans laquelle les membres de la première paire d’antonymes sont employés. Le cas illustré par cet énoncé est particulier pour deux raisons. (1) Il contient deux fois la même paire antonymique. Ces deux occurrences de peu/beaucoup participent à une double mise en relation de la même façon que deux paires antonymiques différentes dans la mesure où les membres de la première paire exercent la même fonction argumentale par rapport à demander alors que les membres de la seconde exercent également la même fonction argumentale mais par rapport à avoir. (2) A1/A2 et B1/B2 dépendent de deux prédicats différents, qui ne peuvent être considérés comme semblables. Sur le plan sémantico-référentiel, on peut donc dire que la coprésence antonymique permet de mettre en contraste ces deux verbes prédicatifs (VI, 2).

VI. FONCTIONS SÉMANTICO-RÉFÉRENTIELLES DE L’ANTONYMIE

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Fig. 182

Comme l’indique la figure 182, les deux propositions relatives, construites autour des deux occurrences du lexème prédicatif avoir qui a pour argument chacun des membres de la deuxième paire d’antonymes, sont subordonnées à deux propositions principales dans lesquelles les membres de la première paire d’antonymes exercent une fonction argumentale. Le contexte élargi permet de comprendre que l’antécédent non exprimé de certains dans l’énoncé (179) peut l’être par le syntagme hommes politiques, le pronom ceux désignant les citoyens français. La paire d’adverbes antonymes peu/beaucoup peut être considérée comme une paire prédicative dont les arguments ne sont pas exprimés. Ils peuvent l’être par des lexèmes qui désignent l’argent: certains demandent beaucoup d’argent / de contributions financières à ceux qui ont peu d’argent. Sur le plan sémantico-référentiel, la coprésence antonymique permet d’établir une corrélation inversement proportionnelle entre le degré de participation financière qui est demandé par certains hommes politiques aux Français et les moyens dont ces Français disposent. 4.1.3. Antonymes subordonnés à des prédicats semblables (actualisateurs, arguments) XA1(B1). XA2(B2): A1 et A2, exercent une fonction d’actualisation par rapport à un prédicat ou à deux prédicats semblables dont B1 et B2 sont les arguments. L’énoncé (180) illustre le cas de figure dans lequel les membres de l’une des deux paires sont les arguments de prédicats que les membres de l’autre paire actualisent. (180) «On regrette SOUVENT d’AVOIR PARLÉ, RAREMENT de S’ÊTRE TU» (Le Monde 15/11/1991, «Le drame du silence», Albert Memmi).

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Dans cet énoncé, les adverbes antonymes exercent tous deux une fonction d’actualisation par rapport au prédicat regretter, non répété, dont les verbes prédicatifs antonymes parler et se taire sont les arguments, comme le montre la figure 183.

Fig. 183

Sur le plan sémantico-référentiel, les deux paires d’antonymes établissent une corrélation entre la fréquence des regrets et l’acte de parole / ou de silence que l’on regrette. 4.1.4. Synthèse Grâce aux analyses des énoncés ci-dessus (sous-sections VI, 4.1.1 à 4.1.3), extraits de notre corpus, nous avons pu affiner la description des configurations sémantico-syntaxiques dans lesquelles deux paires antonymes A1/A2 et B1/B2 sont coprésentes. Les membres de deux paires d’antonymes coprésents, qu’ils soient prédicatifs ou non, peuvent exercer une fonction argumentale par rapport à un même prédicat. Dans ce cas, les membres des deux paires d’antonymes, et leurs éventuels arguments exprimés, exercent une fonction argumentale par rapport à deux instanciations d’un même lexème prédicatif ou à deux lexèmes prédicatifs quasi-synonymes dans leur contexte d’emploi. Les membres d’une paire d’antonymes sont toujours des arguments de même rang par rapport au prédicat dont ils dépendent, lorsque la combinatoire de ce prédicat le permet, et peuvent occuper toutes les positions argumentales (arg1, arg2, arg3). Les membres de deux paires d’antonymes, A1/A2 et B1/B2, peuvent être employés dans deux fois deux propositions de niveau hiérarchique différent sur le plan syntaxique, de sorte que la proposition qui contient B1 (ou B2) est subordonnée à la proposition qui contient A1 (ou A2). Lorsque les antonymes sont des lexèmes prédicatifs, ils ont tous leurs arguments, en dehors des positions argumentales occupées par l’autre paire antonymique, en commun. La fonction de double classement est souvent combinée à une fonction de sous-classement.

VI. FONCTIONS SÉMANTICO-RÉFÉRENTIELLES DE L’ANTONYMIE

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Au sein des énoncés analysés, nous avons pu identifier quatre structures sémantico-syntaxiques différentes dans lesquelles A1 et A2 entretiennent une relation sémantico-syntaxique avec B1 et B2. Ces structures ont été classées selon la fonction sémantico-syntaxique (fonction prédicative, argumentale ou d’actualisation) que les antonymes y exercent: 1) subordination d’une paire à l’autre: A1[B1(C)]. A2[B2(C)]; A1B1(C). A2B2(C)

2) dépendance d’une paire et du prédicat dont elle dépend à l’autre paire: A1[X(B1)], A2[Y(B2)]; A1(XB1). A2(XB2)

3) dépendance d’un même subordonné aux paires A et B: A1(C), B1(C). A2(C), B2(C)

4) subordination de A(argt) et B(argt) au même prédicat: X[A1(C), B1]. X[A2(C), B2]; XA1(B1). XA2(B2)

Le tableau ci-dessous fait la synthèse des sous-sections VI, 4.1.1 à 4.1.3. A1 et A2

Prédicat

Argument

Actualisateur

B1 et B2 Prédicat

(172) Le vrai choix est (155) Une MAJORITÉ entre une France ISOLÉE des mutations est ÉLIMINÉE, une MINORITÉ en Europe, et donc AFFAIBLIE, et une France est SÉLECTIONNÉE. ASSOCIÉE à ses partenaires dans l’Europe, et donc FORTIFIÉE.

Argument

(164) Parvenant (176) Ma TÊTE me DIFFICILEMENT à trouver disait que je devais ARRÊTER, mais mon ses marques dans les RÉALITÉS positives de CŒUR me poussait à l’ordre international, il POURSUIVRE. se laisse FACILEMENT griser par le FANTASME d’une grandeur retrouvée.

(Structure 3)

(Structure 2)

(Structure 1)

(Structure 4)

(180) On regrette d’AVOIR PARLÉ, RAREMENT de S’ÊTRE TU. SOUVENT

(Structure 4)

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A1 et A2

Prédicat

Argument

Actualisateur

B1 et B2 Actualisateur (165) JADIS MORIBONDE, l’entreprise allemande est AUJOURD’HUI FLORISSANTE. (Structure 1)

4.2. Fonction sémantico-référentielle: le double classement Dans tous les énoncés de cette section, les deux paires d’antonymes coprésents exercent une fonction sémantico-référentielle que nous appelons fonction de double classement. Suite aux analyses des exemples repris sous VI, 4.1, nous pouvons maintenant définir précisément cette fonction. 4.2.1. Établir une corrélation ou une implication entre la paire A et la paire B Dans toutes ces configurations, la coprésence antonymique permet d’établir une corrélation référentielle (de A à B et de B à A) entre la réalisation des procès dénotés par l’une des paires d’antonymes ou les circonstances qu’elle exprime et la réalisation des procès dénotés par l’autre ou l’existence de la classe référentielle qu’elle désigne. Dans les cas où A2 et B2 font partie d’une proposition qui est dans un rapport d’implication explicite avec la proposition qui contient A1 et B1, la coprésence antonymique n’a pas pour fonction d’établir une corrélation référentielle bidirectionnelle mais une implication référentielle unidirectionnelle (de A à B) entre la réalisation des procès dénotés par l’une des paires d’antonymes ou les circonstances qu’elle exprime et la réalisation des procès dénotés par l’autre ou l’existence de la classe référentielle qu’elle désigne. Nous donnons le nom de double classement à la fonction sémanticoréférentielle grâce à laquelle la coprésence de deux paires d’antonymes établit une corrélation ou une implication en raison du fait que, sur le plan référentiel, les deux paires d’antonymes fournissent le principe de classement d’un référent, désigné par les membres de l’une des deux paires d’antonymes ou par leurs arguments, dans chaque fois deux classes référentielles d’individus, de procès ou de circonstances, le classement

VI. FONCTIONS SÉMANTICO-RÉFÉRENTIELLES DE L’ANTONYMIE

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de ce référent dans les deux classes désignées par l’une des deux paires d’antonymes étant corrélé au classement de ce référent dans les deux classes désignées par l’autre paire. 4.2.2. Double classement et généralisation: un mécanisme de manipulation Dans l’énoncé (181), les substantifs antonymes exercent une fonction argumentale par rapport aux verbes antonymes. (181) «On retrouve encore le clivage entre les GARÇONS qui boivent pour AUGMENTER leur sociabilité et les FILLES pour DIMINUER leurs angoisses» (Le Monde 30/04/2010, «‘Aujourd’hui, être ensemble, c’est picoler’: Marie Choquet», Propos de Marie Choquet recueillis par Marc Dupuis).

Comme l’indique la figure 184, ces substantifs sont, par ailleurs, les arguments du prédicat boire qui dénote un procès dont les propositions qui contiennent les antonymes verbaux expriment le but. L’argument non exprimé de ce prédicat peut l’être par boissons alcoolisées dans la mesure où l’emploi de boire sans argument arg2 exprimé équivaut à boire de l’alcool.

Fig. 184

Dans cet exemple, le référent R que les antonymes permettent de classer doublement est exprimé directement par les substantifs antonymes: l’énoncé, grâce à la coprésence antonymique, permet d’établir une corrélation entre le sexe de R, c’est-à-dire son appartenance à la classe référentielle des garçons ou à celle des filles, et les raisons pour lesquelles R boit, c’est-à-dire l’appartenance des intentions de R à l’une des classes d’actions définies par les verbes antonymes. L’emploi du déterminant défini devant garçons et filles généralise cette corrélation à tous les référents R possibles car chacun d’eux doit obligatoirement faire partie de l’une des deux catégories désignées par garçons et filles. Or, cette vision est réductrice dans la mesure où l’on peut supposer, par exemple, que certaines filles ne boivent pas pour diminuer leurs angoisses mais pour augmenter leur sociabilité, pour vaincre leur timidité et leurs inhibitions, pour faire comme les autres ou pour se mettre en conformité avec une certaine conception de la fête,

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etc. L’emploi des antonymes coprésents et de l’article défini peut ainsi servir un mécanisme proche de la manipulation en attribuant à toutes les personnes du même sexe le même motif de boire alors que cette généralisation n’est pas fondée et que la détermination par le sexe des raisons pour lesquelles une personne boit est elle-même discutable. Le même procédé conjuguant la coprésence antonymique et l’article défini a été utilisé dans un but clairement subversif par Michel Fugain dans la chanson Les gentils, les méchants dont voici les deux premiers couplets. «Qui c’est qui est très gentil (les gentils) Qui c’est qui est très méchant (les méchants) Qui a tous les premiers prix (les gentils) Qui roupille au dernier rang (les méchants) Qui fait des économies (les gentils) Et qui gaspille son argent (les méchants) Qui c’est qui vend des fusils (les gentils) Qui c’est qui se retrouve devant (les méchants)»

Dans le deuxième couplet, les deux premiers vers contiennent deux paires d’antonymes coprésents: gentil/méchant et faire des économies/ gaspiller. Les substantifs antonymes sont les arguments arg1 des prédicats exprimés par les verbes antonymes. Dans les deux vers suivants, la paire gentil/méchant apparaît à nouveau mais avec deux verbes non antonymes. La coprésence antonymique exerce alors une fonction d’ancillarité par rapport à ces verbes. La corrélation entre les verbes et les substantifs fonctionne toutefois de la même façon que la coprésence antonymique dans les strophes précédentes grâce à qui c’est qui: l’action menée par R est corrélée à la qualité morale de R. Cette corrélation est subversive dans la mesure où, si tout le monde peut être d’accord avec la corrélation entre gaspillage et méchanceté, par exemple, la corrélation entre vente d’armes et gentillesse est beaucoup moins évidente. Le fait que ces deux corrélations soient mises sur le même plan dans des structures parallèles permet d’atténuer la non-conventionnalité de la deuxième corrélation en la rapprochant de la première, plus conventionnelle et communément admise. Dans cette chanson, Fugain, grâce à la coprésence antonymique, fait passer pour évidentes des idées qui ne le sont pas du tout pour faire réfléchir au fait que précisément elles ne vont pas de soi. La coprésence de deux paires antonymiques peut donc servir une visée manipulatoire qui répond à des objectifs assez nobles ou moins purs.

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5. Questions transversales Avant de dresser un bilan des fonctions sémantico-référentielles que nous avons identifiées dans les quatre sections précédentes, nous allons traiter deux questions transversales: (1) celle de la combinaison de plusieurs fonctions pour une même paire d’antonymes dans un énoncé donné et de la difficulté d’identifier quelle est la fonction la plus saillante (VI, 5.1); (2) celle de la modulation par le contexte de l’antonymie entre deux lexèmes (VI, 5.2).

5.1. Combinaison de fonctions Outre les rapports privilégiés déjà évoqués entre sous-classement et double classement, nous avons identifié des cas de combinaison surtout entre l’ancillarité et les autres fonctions. 5.1.1. Ancillarité et sous-classement Lorsque les antonymes coprésents exercent deux fonctions sémanticoréférentielles distinctes dans le même énoncé, il convient d’indiquer laquelle des deux prédomine. (182) «Vous allez me mettre le linge SALE au panier et sortir le PROPRE du placard» (Le Monde 2/04/1992, «Sur le vif. Politique passion», Claude Sarraute). (183) «‘Je voulais explorer les idées de destin et d’évolution’, explique la jeune femme. La façon dont les forces INTERNES du sang, l’héritage physique et psychologique, entrent en conflit avec les forces EXTERNES liées au territoire, au pouvoir, aux circonstances ou à la religion. Âgée de 36 ans, cette Américaine est aujourd’hui l’une des jeunes photographes les plus recherchées par les musées internationaux et des mieux cotées sur le marché de l’art» (Le Monde 31/05/2011, «Taryn Simon dissèque en images les liens du sang», Claire Guillot).

Ainsi dans l’énoncé (182), c’est le contraste entre mettre au panier et sortir du placard qui semble être prédominant par rapport à la distinction, assez évidente, entre deux sous-classes de linge. Les antonymes, seuls éléments de détermination de linge et de le qui reprend linge, exercent bien une fonction de sous-classement telle que nous l’avons définie en dichotomisant une classe référentielle mais ils permettent aussi de mettre en contraste les seuls éléments non communs aux deux propositions coordonnées par et dans lesquelles ils sont employés. En ce

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sens, ils exercent aussi et surtout une fonction d’ancillarité, qui renforce le contraste entre deux prédicats dont le potentiel contrastif est déjà fort.

Fig. 185

L’ancillarité prédominante dans (182) n’interfère pas avec le sous-classement en raison du fait que mettre au panier et sortir du placard ne déterminent pas linge et le. Dans l’énoncé (183), par contre, il est difficile de savoir si les syntagmes substantif-adjectif, forces internes et forces externes, constituent des nœuds déterminés par les syntagmes du sang et liées au territoire ou si c’est la détermination par les antonymes qui est secondaire. Ces syntagmes permettent d’expliciter le sens des antonymes, mais ils pourraient être mis entre parenthèses ou effacés. Ils pourraient être considérés comme les membres d’une seconde paire B, par rapport auxquels les ensembles substantif-adjectif exercent une fonction d’ancillarité. Compte tenu du caractère parenthétique de ces syntagmes, cette fonction d’ancillarité semble secondaire par rapport à la fonction de sous-classement par laquelle les antonymes sous-tendent une distinction entre deux types de forces. Si l’on considère que c’est la détermination par les antonymes qui est parenthétique, les antonymes coprésents n’exercent pas de fonction de sous-classement mais permettent de mettre en contraste deux sous-classes de forces définies par des unités non antonymes (fonction d’ancillarité).

Fig. 186

VI. FONCTIONS SÉMANTICO-RÉFÉRENTIELLES DE L’ANTONYMIE

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5.1.2. Ancillarité et exhaustivité négative Dans de rares cas, la coprésence antonymique peut exprimer la nullité sans que les antonymes ou les prédicats dont ils dépendent soient niés. Ainsi dans l’énoncé (184), les verbes antonymes font partie de deux propositions subordonnées qui permettent de construire des hypothèses. Les propositions principales dont dépendent ces subordonnées n’ont aucun élément en commun. La coprésence antonymique exerce donc une fonction d’ancillarité entre ces propositions en les mettant en contraste (VI, 2). Il faut toutefois remarquer que le contenu de ces deux hypothèses est défavorable au cardinal Lustiger (je). (184) «Il [le cardinal Lustiger] a notamment parlé de ‘chantage’ et de ‘terrorisme’ à propos de ceux qui lui ont reproché d’avoir condamné le film [La dernière tentation du Christ] sans l’avoir vu: ‘Si je PARLE, on me reproche de lui faire de la publicité, a dit le cardinal Lustiger. Si je me TAIS, je suis complice d’une mauvaise action: je ne dis pas la vérité qui est due aux hommes et aux femmes qui attendent de moi une parole. […]’» (Le Monde 27/09/1988, «L’archevêque de Paris au ‘Club de la presse’ d’Europe 1. Le cardinal Lustiger ne patronnera aucune manifestation contre le film de Scorsese», s.a.).

On peut dès lors considérer que la coprésence antonymique exprime le fait que le cardinal Lustiger n’a aucun moyen, qui lui soit favorable, de réagir au film La dernière tentation du Christ, ni par la parole ni par le silence.

Fig. 187

5.1.3. Ancillarité et double classement (185) «Après le grand élan de solidarité auquel a donné lieu l’inondation de 1993 pourrait bien venir le temps des polémiques. Car d’autres digues

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ont été percées, çà et là. Pour soulager la pression sur la grande ville du Missouri, la séduisante Saint-Louis (du nom du bon roi Louis IX), ou d’autres localités? L’eau DESCEND, PEUT-ÊTRE; les questions MONTENT, ASSURÉMENT» (Le Monde 08/08/1993, «Furieux Mississippi Les dégâts de la crue sont estimés à 10 milliards de dollars», Alain Frachon).

Dans (185), contrairement aux énoncés analysés sous VI, 4, les verbes antonymes n’ont pas les mêmes arguments. Sur le plan sémanticoréférentiel, les antonymes exercent de ce fait une fonction d’ancillarité par rapport aux unités eau et questions qui sont leurs arguments. Les référents de ces unités appartiennent au même cadre référentiel, celui de la lutte contre les inondations dans le Missouri. Outre cette fonction d’ancillarité, la présence de deux adverbes antonymes permet à la coprésence antonymique d’exercer une fonction de double classement, l’actualisation de l’une des paires étant assurée par l’autre. En indiquant la différence de modalité entre les deux verbes antonymes, les adverbes antonymes permettent d’établir une corrélation entre le sens du mouvement de l’eau et des questions et la modalité selon laquelle ce mouvement peut être décrit172.

Fig. 188

5.1.4. Double classement et reclassement (186) «FMI et UE devraient donc remettre la main à la poche puisque Athènes ne pourra pas emprunter sur les marchés en 2012, comme initialement prévu. UN TEMPS ÉVOQUÉE, une restructuration de la dette est DÉSORMAIS ÉCARTÉE: la BCE s’y oppose fermement. Depuis des semaines, les capitales européennes réfléchissent aussi à la façon d’associer les banques» (Le Monde 05/06/2011, «Grèce: plus d’aide en échange de plus d’austérité», Marie de Vergès et Alain Salles).

172 Cet énoncé est très similaire à l’énoncé Les prix montent, les voyageurs descendent, analysé sous VI, 2.2.2.

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Les actualisateurs temporels qui permettent à des antonymes d’exercer une fonction de reclassement peuvent être des adverbes ou des locutions adverbiales elles-mêmes antonymes comme un temps (durée limitée dans le passé jusqu’au présent) et désormais (durée illimité dans le futur à partir du présent). Dans (186), le reclassement s’appuie sur un double classement.

Fig. 189

5.1.5. Double classement et sous-classement (187) «Un long délai supplémentaire pourrait ainsi être donné aux pays à TVA ÉLEVÉE pour ABAISSER leurs taux et aux pays à TVA FAIBLE (la RFA par exemple) pour ÉLEVER les leurs» (Le Monde 28/04/1989, «La volteface de la RFA sur la taxation de l’épargne L’Europe fiscale en panne», Alain Vernholes).

Dans (187), deux paires antonymiques, employées ensemble, permettent d’établir une corrélation entre l’action à accomplir (abaisser/ élever) et le taux de TVA des pays. Ce double classement est sous-tendu par un sous-classement, la paire faible/élevée permettant de distinguer deux sous-catégories de pays.

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Fig. 190

5.2. Modulation de l’antonymie en discours Dans les trois sous-sections suivantes, nous identifierons les facteurs qui atténuent ou renforcent la relation d’antonymie entre deux lexèmes dans le contexte des énoncés dans lesquels ils sont coprésents. 5.2.1. Appariement multiple (188) «Les économistes travaillent BEAUCOUP, publient ABONDAMMENT, mais ils pensent PEU» (Le Monde 22/11/1994, «Débats. Un entretien avec François Rachline. ‘Aujourd’hui, l’économie est une science qui ne pense pas’», Roger-Pol Droit). un peuple et l’AFFAIBLIT. C’est la DÉCOLOle FORTIFIE» (Le Monde 09/10/1988, «La complicité de deux hommes de terroir», Alain Rollat). COLONIALISME défigure NISATION qui le GRANDIT et

(189) «Le

(190) «SALE, POLLUANTE, elle [l’industrie métallurgique] est moins attirante que les services, plus PROPRES, plus NETS, plus proches de l’univers scolaire d’où sortent les adolescents» (Le Monde 22/01/1992, «Premier travail. A la recherche de l’entreprise… Les débutants et les professionnels doivent s’apprivoiser», Liliane Delwasse).

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Un même lexème peut être apparié à deux antonymes différents au sein du même énoncé. Ainsi, dans l’énoncé (188), l’adverbe peu fait partie de deux appariements antonymiques: beaucoup/peu et abondamment/peu. L’emploi des adverbes beaucoup et abondamment permet de mettre en contraste travailler/penser et publier/penser. Ce double appariement renforce l’opposition de chacune des paires et le contraste, soutenu par la structure syntaxique de surface (X mais Y), entre le travail (travailler, publier) et la réflexion (penser) chez les économistes.

Fig. 191

Le même phénomène est identifiable dans l’énoncé (189) dans lequel les antonymes participent à un double classement. Trois appariements antonymiques peuvent être identifiés: colonialisme/décolonisation, affaiblir/ grandir et affaiblir/fortifier. Comme l’indique la barre simple dans la figure 192, l’emploi de défigurer dans une construction parallèle à celle dans laquelle figurent les antonymes tend à opposer défigurer et grandir, qui ne sont pas des antonymes. Les différents appariements identifiables dans cet énoncé contribuent à la mise en place d’un maillage oppositif dense qui renforce le contraste entre les deux propositions contenant les antonymes. L’autre particularité de cet énoncé est la thématisation de l’un des antonymes dans une structure c’est x qui dont l’effet est également d’accentuer l’opposition entre les propositions qui contiennent les deux paires d’antonymes.

Fig. 192

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Comme l’indique la figure 193, l’auteur de l’énoncé (190) n’emploie pas deux paires antonymiques sémantiquement indépendantes l’une de l’autre, ni deux paires antonymiques dont un des membres peut être considéré comme opposé à l’un des membres de l’autre paire, mais quatre lexèmes qui peuvent chacun entrer dans deux appariements différents, autrement dit quatre paires d’adjectifs qui partagent chacune un membre avec deux des trois autres paires. Cette construction renforce le contraste entre elle et services qui désignent deux professions possibles pour les jeunes. Il est intéressant de noter que la paire polluant/net — dont les membres semblent bien être des opposés en vertu de leur antonymie avec sale et propre respectivement et dont l’opposition est mise en évidence par le parallélisme de construction entre les quatre SPU — n’est répertoriée ni dans le Grand Robert (2001), ni dans Antidote.

Fig. 193

La figure 193 indique également la modulation d’un des membres de chaque paire par l’adverbe comparatif plus, ce qui est un indice du fait que le sens des adjectifs ainsi modulé peut être conçu comme scalaire (II, 3.2.4). La présence du comparatif atténue l’opposition entre les adjectifs antonymes dans la mesure où un objet qualifié de plus propre / plus net n’est pas forcément propre / net, son degré de propreté / netteté peut être très faible. Le maillage oppositif mis en place par l’énonciateur permet toutefois au contraste entre les deux types de professions de garder sa force. 5.2.2. Modulation par des adverbes La modulation par l’adverbe de comparaison plus peut également atténuer un sous-classement. (191) «Certains [ministères] se sont montrés AMBITIEUX, d’autres plus MODESTES: leur contribution à la journée a été évaluée par le comité, qui a élaboré un “Idahomètre” classant les ministères en fonction de l’importance des propositions» (Le Monde 18/05/2011, «Homosexualité: les droits avancent, la répression persiste», Anne Chemin).

Dans l’énoncé (191), la présence de cet adverbe a pour effet de construire une lecture scalaire de l’adjectif sur lequel il porte. La coprésence

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antonymique permet de distinguer deux sous-classes de ministères qui sont comparés selon leur degré d’ambition. L’emploi de l’adverbe comparatif implique que le degré zéro de l’ambition peut n’être atteint par aucun ministère dans la mesure où plus modestes ne signifie pas forcément «modestes». Le contraste entre les deux sous-classes que les antonymes définissent est donc minimisé comme c’est le cas lorsque l’adverbe plus accompagne des antonymes qui exercent une fonction d’ancillarité (190).

Fig. 194

D’autres adverbes, comme quasi dans l’énoncé (192), ont le même effet d’atténuation du contraste entre les antonymes. (192) «Après avoir insisté sur le fait que le président avait laissé à M. Powell ‘le maximum de flexibilité’, M. Fleischer a eu des propos extrêmement ÉLOGIEUX pour Ariel Sharon et exprimé une quasi CONDAMNATION du président de l’Autorité palestinienne» (Le Monde 13/04/2002, «Les ÉtatsUnis peinent à trouver le ton juste», Patrick Jarreau).

Comme dans les précédents, dans les deux énoncés suivants, l’un des deux antonymes seulement est modulé par un adverbe. Celui-ci a pour effet de neutraliser l’expression de la nullité. (193) «Pour sa première sortie à l’Ouest depuis dix-huit ans, M. Alexandre Dubcek, le ‘héros du printemps de Prague’, comme on le présente ici, n’a pas voulu se TAIRE ni trop en DIRE» (Le Monde 15/11/1988, «Italie: Alexandre Dubcek accueilli en héros à Bologne Les deux discours de l’ancien dirigeant du ‘printemps de Prague’», Patrice Claude). (194) «Ni ADMIRATIF ni ouvertement CRITIQUE, ce documentaire doit être vu pour l’intéressant malaise qu’il provoque» (Le Monde 29/05/2011, «Mère Teresa, la folie de Dieu», Martine Delahaye).

Lorsque deux antonymes sont niés, il peut arriver qu’un élément de modulation empêche les antonymes d’exprimer la nullité. Dans l’énoncé (193), l’adverbe trop joue un rôle de neutralisation car il ne module que l’un des deux antonymes seulement. La coprésence antonymique ne permet donc pas d’exprimer la nullité: Dubcek ne se tait pas, il parle mais pas trop.

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Fig. 195

Lorsque les antonymes coprésents sont des adjectifs, l’un d’entre eux peut également être modulé de sorte que l’expression de la nullité est neutralisée (194). Dans cet énoncé, l’adverbe ouvertement module l’un des deux antonymes seulement. Sa présence a pour effet de neutraliser l’expression de la nullité dans la mesure où le documentaire, s’il ne l’est pas ouvertement, peut quand même être qualifié de critique.

Fig. 196

Si l’adverbe ouvertement n’était pas présent, la coprésence antonymique pourrait exprimer que le documentaire sur Mère Teresa ne contient pas de jugement. En raison du fait que les antonymes admettent un troisième terme, le documentaire pourrait alors être qualifié de neutre. Cet adjectif dénote une propriété qui ne s’inscrit pas dans la dimension sur laquelle admiratif et critique s’opposent. Il peut être défini, par opposition à ces adjectifs, comme «absence de jugement». 5.2.3. Multiplication des paires B Dans l’énoncé (195), les verbes antonymes n’ont aucun argument commun. On peut alors considérer qu’il y a deux paires B. (195) «Partenaire naturelle du cinéma, la musique classique a toutefois moins d’atomes crochus avec la publicité, hors l’industrie du luxe (Rolex, MontBlanc). Si le pianiste Alexandre Tharaud peut, sans rougir, ACCEPTER de jouer son propre rôle dans le prochain film de Michael Haneke, Amours [sic], une grande chanteuse française a REFUSÉ la représentation d’une marque de lingerie vendue en grande surface» (Le Monde 29/05/2011, «Les nouveaux terrains de chasse du disque classique», Marie-Aude Roux).

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A1[X(C, D)]. A2[X(E, F)]: A1 et A2 exercent une fonction prédicative par rapport à deux prédicats identiques qui ont plusieurs arguments non communs. La première paire B est constituée par Alexandre Tharaud et une grande chanteuse française alors que la seconde est formée de la proposition infinitive jouer son propre rôle dans le prochain film de Michael Haneke et de la séquence SpS prédicative la représentation d’une marque de lingerie vendue en grande surface. Une hiérarchie entre les deux paires B peut être établie: le second contraste est plus important que le premier. En effet, trois éléments appuient cette conclusion: 1) la phrase qui contient les antonymes permet d’expliciter la phrase précédente qui met en opposition le cinéma et la publicité, 2) le nom de la chanteuse d’opéra n’est pas mentionné, 3) Alexandre Tharaud et la grande chanteuse française sont deux interprètes classiques français auxquels on demande des prestations médiatiques différentes. Le contraste entre les arguments arg2 des antonymes permet donc d’indiquer que deux interprètes classiques français, dont les similitudes sont mises en évidence plus que leurs différences, ont tous deux adopté des attitudes différentes face au cinéma et à la publicité.

Fig. 197

Dans l’énoncé (196), les substantifs antonymes ont plusieurs arguments arg2 non communs. La paire B est formée par les deux ensembles d’unités qui exercent cette fonction argumentale. (196) «En sièges, enfin, le PC gagne deux nouveaux conseillers généraux. Ce résultat est en réalité le solde de quatre GAINS: Cusset-Nord (Allier), La Seyne (Var), Beausoleil (alpes maritimes [sic]) et Picquigny (Somme) et de deux PERTES: Saint-Dier-d’Auvergne (Puy-de-Dôme) et La Ciotat (Bouches-du-Rhône)» (Le Monde 11/03/1987, «Un an d’élections cantonales partielles. La droite garde l’avantage», Jérôme Jaffré et Jean-Luc Parodi).

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Ces unités sont des noms de cantons que la coprésence antonymique met en contraste en fonction du résultat électoral que le parti communiste y a obtenu. Ces noms peuvent également être considérés comme mis en contraste deux à deux (Le PC a gagné Cusset-Nord alors qu’il a perdu La Ciotat). Le contraste est donc démultiplié, comme l’indique le schéma ci-dessous.

Fig. 198

5.2.4. Synthèse Le contraste entre les antonymes peut être atténué par (a) la présence, devant l’un des deux antonymes seulement, d’un adverbe de comparaison comme plus, qui réduit l’écart sémantique des antonymes sur l’échelle en vertu de laquelle ils s’opposent (énoncés (190) et (191)), de l’adverbe quasi, qui affaiblit le sens de l’un des antonymes (192) ou d’autres adverbes comme trop (énoncés (193) et (194)); (b) le fait que plusieurs arguments de rang différent soient non communs aux deux antonymes, ce qui a pour conséquence la multiplication des paires B (195). Dans ce cas, les différentes paires B peuvent être hiérarchisées en fonction de leur rôle sémantico-syntaxique ou de leur degré de contraste, déterminé grâce aux éléments qui, dans l’énoncé, mettent l’accent sur les points communs des référents des membres des paires B ou sur leurs différences. Le contraste entre les antonymes peut être renforcé par (a) une opposition explicite indiquée par une conjonction ou un prédicat d’opposition (188) (b) la thématisation de l’un des antonymes dans une structure c’est x qui (189); (c) la coordination de deux ou plusieurs paires antonymiques, A1/A2 et A1’/A2’, lorsque A1 et A1’ ainsi que A2 et A2’ ont les mêmes arguments. Ces paires peuvent être indépendantes sémantiquement ou participer à la construction d’un maillage contrastif dense sous-tendu par le fait qu’elles partagent certains de leurs membres (190).

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À ces facteurs de renforcement du contraste entre les antonymes étudiés sous VI, 5.2, on peut ajouter: (d) la présence, devant l’un des deux antonymes, d’un adverbe qui indique le plus haut degré comme le plus qui augmente l’écart sémantique des antonymes sur l’échelle en vertu de laquelle ils s’opposent (41); (e) le potentiel contrastif de la paire B (182), à condition que la paire A ne soit pas absence/présence (61); (f) la non-expression d’éventuels arguments non communs aux antonymes, autres que les membres de la paire B (65).

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Dans cette Deuxième partie, ont été établis les paramètres qui permettent non seulement de distinguer six fonctions sémantico-référentielles de la coprésence antonymique en contexte, mais aussi de décrire précisément les conditions nécessaires pour que les antonymes puissent les exercer. Nous pouvons en faire la synthèse (VII, 1). Nous pouvons également apporter une réponse aux trois questions soulevées à la fin de la Première partie (VII, 2).

1. Six fonctions sémantico-référentielles des antonymes coprésents Les six fonctions sémantico-référentielles de la coprésence antonymique dans une simple ou une double mise en relation ont retenu l’essentiel de notre attention en raison du fait que les antonymes, lorsqu’ils exercent ces fonctions, jouent un rôle fondamental dans la structuration sémantico-référentielle des unités qui constituent leur co-texte. Parmi ces six fonctions, l’expression de l’exhaustivité a la particularité de faire partie des fonctions exercées par des antonymes qui participent à une simple mise en relation (Qu’elle l’accable ou qu’elle le libère, il tirera parti de la décision, (9), VI, 1.2) et des fonctions exercées par des antonymes qui participent à une double mise en relation (Tous les communicateurs, les petits et les grands, seront atteints, (127), VI, 3.3). Malgré une finalité commune – l’expression d’une totalité – qui leur permet de constituer deux faces d’une même fonction, nous avons choisi de distinguer l’exhaustivité/nullité sans rétroclassement (simple mise en relation) et l’exhaustivité/nullité par rétroclassement (double mise en relation), car elles nous sont apparues comme le résultat de deux mécanismes très différents. Ces mécanismes, tant en ce qui concerne l’exhaustivité positive que l’exhaustivité négative, avec ou sans rétroclassement, sont plus complexes que la coordination de surface X et/ou Y, à laquelle Jones (2002) et Jones et al. (2012) associent l’exhaustiveness, parce qu’ils se situent à un niveau plus profond de structuration de l’énoncé, le niveau sémantico-syntaxique. La prise en compte de ce niveau sémanticosyntaxique pour l’analyse des coprésences antonymiques donne également toute sa cohérence à la fonction de reclassement qui dépasse le cadre de

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l’antonymie transitionnelle (Jones 2002) et peut être sous-tendue par des structures syntaxiques de surface aussi diverses que des propositions contenant des marques temporelles différentes (L’hôtel de Râon-l’Étape a fermé ses portes en 1998, il est de nouveau ouvert, (31), VI, 1.3), des constructions négatives (L’épargne doit augmenter, pas diminuer, (27), VI, 1.3), des comparaisons (Le vacancier est plus actif que passif, (36), VI, 1.3) et des interrogations (La politique de Gorbatchev est-elle à notre avantage ou à notre désavantage? (37), VI, 1.3). L’analyse sémanticosyntaxique des coprésences antonymiques nous a enfin permis de distinguer clairement, dans des énoncés correspondant à ceux que Jones rassemble dans l’antonymie ancillaire, deux fonctions sémantico-référentielles différentes, la fonction d’ancillarité au sens strict (Bloch abandonne l’aventure et Potez la poursuit, (50), VI, 2) et la fonction de double classement (Une majorité est éliminée, une minorité est sélectionnée, (155), VI, 4). À côté de ces deux fonctions, nous avons défini la fonction de sous-classement dont Jones donne des exemples, mais qu’il n’isole pas comme telle (Il faut supprimer certains aliments et en ajouter d’autres, (99), VI, 3.1). Pour distinguer les configurations dans lesquelles les antonymes coprésents exercent chacune de ces six fonctions sémantico-référentielles et permettre leur identification, trois paramètres doivent être envisagés: (a) le rôle sémantico-syntaxique des antonymes, (b) l’identité ou la différence référentielle des subordonnés des antonymes et/ou des prédicats dont ils dépendent et (c) la structure d’accueil dans laquelle chacun des antonymes est employé avec ses subordonnés ou le prédicat dont il est argument. (a) Les antonymes coprésents peuvent exercer un rôle prédicatif et/ou un rôle argumental par rapport à un (autre) prédicat. Ils peuvent également être employés comme actualisateurs ou circonstants d’un prédicat. L’exercice de ces trois rôles par les antonymes est compatible avec l’exercice de la quasi-totalité des fonctions sémantico-référentielles que nous avons définies. Seule la fonction de reclassement fait exception. Les antonymes ne peuvent exercer cette fonction s’ils jouent un rôle d’actualisation. Un reclassement est toutefois possible, mais il est alors supporté non par les antonymes mais par les prédicats non antonymes qu’ils actualisent (Federer, ancien leader mondial, actuel n°3, (58), VI, 2). Par ailleurs, les antonymes dans une fonction de reclassement n’exercent une fonction argumentale que l’un par rapport à l’autre ou par rapport à deux prédicats identiques dont l’un est nié.

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Lorsque deux paires antonymiques sont employées ensemble dans le même énoncé, le rôle sémantico-syntaxique des antonymes permet de distinguer les cas où ces deux paires exercent une fonction de double classement (Une majorité est éliminée, une minorité est sélectionnée, (155), VI, 4) et les cas où leur mise en relation n’exerce pas de fonction particulière (Intraitables et intarissables, inconsistants et muets, (154), VI, 4). En effet, pour que deux paires d’antonymes puissent exercer une fonction de double classement, leurs membres doivent entretenir deux à deux une relation de dépendance l’un par rapport à l’autre ou exercer deux à deux des fonctions argumentales de rang différent par rapport au même prédicat. À l’inverse, lorsque les membres des deux paires d’antonymes occupent la même position argumentale deux à deux de sorte que l’une des deux paires peut être retirée tout en préservant le schéma prédicatif dont elles font partie, ces paires n’exercent pas de fonction sémanticoréférentielle particulière. (b) Les fonctions sémantico-référentielles des antonymes coprésents peuvent être distinguées en regard de l’identité ou de la différence sémantique et référentielle des subordonnés des antonymes ou des prédicats dont ils dépendent. Lorsque tous les arguments des antonymes sont co-référentiels — le plus souvent exprimés une seule fois — et lorsque les antonymes sont des arguments de même rang ou des actualisateurs d’un même prédicat, la coprésence antonymique exerce une fonction d’expression de l’exhaustivité (Qu’elle l’accable ou qu’elle le libère, il tirera parti de la décision, (9), VI, 1.2). Aucune paire B ne peut être identifiée. Lorsque les antonymes sont des prédicats qui ont tous leurs arguments en commun (Les documents éclairent l’œuvre ou plutôt l’assombrissent, (28), VI, 1.3.) ou qu’ils sont arguments l’un de l’autre (Les secteurs les plus dépensiers sont devenus les plus économes, (41), VI, 1.3), la coprésence antonymique exerce une fonction de (re)classement. Aucune paire B ne peut être identifiée. Lorsque les arguments de même rang des antonymes ou leurs actualisateurs sont des lexèmes, prédicatifs ou non, formellement, sémantiquement et référentiellement différents (Bloch abandonne l’aventure et Potez la poursuit, (50), VI, 2), la coprésence antonymique exerce une fonction d’ancillarité et met en relation les membres d’une paire B simple. C’est également le cas lorsque les antonymes sont des arguments de même rang ou des actualisateurs de deux prédicats différents dont tous les arguments sont communs ou non exprimés (La séduction de l’adversaire est plus importante que la conservation des amis, (83), II, 2).

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Lorsque les antonymes ont pour arguments ou sont arguments / actualisateurs de prédicats différents dont les (autres) arguments ou actualisateurs sont différents (Si la gauche est en crise, alors la droite gagne les élections, (84), VI, 2), la paire B est étendue, elle ne se limite pas à un lexème. Elle est constituée par les ensembles prédicats-arguments/actualisateurs subordonnés aux antonymes ou dont ils sont dépendants. Lorsque les antonymes ont pour arguments ou sont arguments/ actualisateurs de deux instanciations d’un prédicat ou de deux prédicats identiques dont les arguments ou actualisateurs sont différents, la paire B est constituée par ces arguments ou actualisateurs (Bonnie est partie trop vite et Gunda trop lentement, (70), VI, 2). Elle est en relation indirecte avec les antonymes. Le fait que les antonymes ou les prédicats dont ils dépendent ou les prédicats qui en dépendent aient plusieurs arguments différents conduit à une multiplication des paires B (Alexandre Tharaud accepte de jouer dans un film tandis qu’une grande chanteuse refuse de représenter une marque de lingerie, (195), VI, 5.2). Lorsque les antonymes ont pour arguments/actualisateurs des lexèmes qui désignent des référents différents appartenant à une même classe, lorsqu’ils ont pour arguments des prédicats identiques qui ont euxmêmes pour arguments de tels lexèmes ou lorsqu’ils sont arguments ou actualisateurs de prédicats identiques qui ont pour arguments ou actualisateurs ces lexèmes, la coprésence antonymique exerce une fonction de sous-classement (Il faut supprimer certains aliments et en ajouter d’autres, (99), VI, 3.1) ou une fonction d’expression de l’exhaustivité par rétroclassement (Tous les communicateurs, les petits et les grands, seront atteints, (127), VI, 3.3) au sein d’une double mise en relation. Même en l’absence d’un déterminant ou d’une conjonction explicitant l’exhaustivité, celle-ci est marquée par le fait que chacun des membres de la paire d’antonymes, ainsi que leurs éventuels arguments exprimés, exercent une fonction argumentale par rapport au même prédicat, à condition que ce prédicat ne soit pas un prédicat d’alternative comme choisir, privilégier, préférer ou se concentrer sur. Contrairement aux cas où la coprésence antonymique exerce une fonction de sous-classement, le deuxième membre de la paire B est le plus souvent sousentendu. Lorsque deux paires antonymiques coprésentes ont tous leurs subordonnés en commun, lorsque les membres de ces deux paires sont subordonnés au même prédicat et lorsque les membres de l’une des deux paires sont subordonnés aux membres de l’autre, la coprésence antonymique exerce une fonction de double classement, dans une double mise en relation (Une majorité est éliminée, une minorité est sélectionnée, (155), VI, 4)

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(c) La structure syntaxique de surface qui accueille chacun des antonymes et leurs subordonnés et/ou les prédicats dont ils dépendent permet de distinguer les fonctions sémantico-référentielles qui reposent, partiellement ou totalement, sur les mêmes structures sémantico-syntaxiques: reclassement et exhaustivité, sous-classement et exhaustivité par rétroclassement. Ainsi, les structures syntaxiques qui sous-tendent le reclassement – structures négatives de type pas A1 (mais) A2 et A1 (mais) pas A2; structures fondées sur une différence temporelle entre deux propositions qui sont coordonnées l’une à l’autre ou dont l’une est subordonnée à l’autre; structures comparatives de type plus A1 que A2; structures interrogatives dans lesquelles les antonymes constituent les deux branches d’une alternative – ne sont pas compatibles avec l’expression de l’exhaustivité. Le co-texte des antonymes fournit également des indices et des marqueurs pour distinguer la fonction de sous-classement et l’expression de l’exhaustivité par rétroclassement: présence d’un déterminant qui exprime une totalité (tout, tous), présence d’une conjonction (le plus souvent formée de que) qui introduit une hypothèse extensionnelle (qu’il soit x ou y), emploi des antonymes dans une proposition concessive extensionnelle (quel que soit), absence d’éléments de dichotomisation explicite (d’autres, les autres, le reste), emploi des antonymes en apposition au lexème qui est leur argument ou emploi des antonymes dans une liste. Nos analyses ont également mis en évidence le fait que deux autres structures d’accueil des antonymes et de leurs subordonnés permettent de distinguer les différentes fonctions sémantico-référentielles de la coprésence antonymique: l’implication explicite et la séquence SpS. L’emploi de deux paires antonymiques en coprésence dans des séquences dont l’une implique l’autre explicitement permet ainsi à ces paires d’exercer une fonction de double classement même si les antonymes occupent le même rang hiérarchique dans ces séquences, l’implication unidirectionnelle entre les antonymes étant, comme la corrélation bidirectionnelle, définitoire de la fonction de double classement. Lorsque les membres d’une paire B, non antonymes, exercent une fonction argumentale par rapport aux prédicats A1 et A2 au sein d’une séquence SpS, deux cas de figure sont possibles. Dans le premier cas de figure, les substantifs antonymes constituent le premier élément de la séquence SpS. Si leurs compléments sont différents, les antonymes exercent alors une fonction d’ancillarité, comme dans l’énoncé ci-dessous. Si leurs compléments étaient identiques, ils exprimeraient l’exhaustivité sans rétroclassement.

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«Ce chœur sert les acteurs qui exaltent la VIVACITÉ des samouraïs et la LENTEUR du Nô» (Le Monde 16/07/2006, «Une ‘Iliade’ conceptuelle et difficile, loin de la Grèce», Brigitte Salino).

Dans le deuxième cas de figure, les substantifs antonymes constituent les compléments prépositionnels de deux autres substantifs. Les antonymes exercent alors une fonction de sous-classement ou d’expression de l’exhaustivité par rétroclassement. 2. Trois réponses Nous pouvons à présent tenter de répondre aux trois questions soulevées à la fin de la Première partie. 2.1. Affinités entre structures de surface et fonctions discursives des antonymes L’emploi de deux antonymes dans des propositions qui entretiennent une relation de conjonction simple, une relation de conjonction à laquelle s’ajoute une dimension temporelle, une relation de disjonction exclusive ou une relation d’implication est compatible avec l’exercice de la quasitotalité des fonctions sémantico-référentielles que nous avons définies. Seule l’exhaustivité avec et sans rétroclassement a un fonctionnement particulier sur le plan sémantico-logique. Elle ne peut être exprimée par des antonymes employés dans des propositions qui entretiennent une relation d’implication, celle-ci étant incompatible avec des structures dans lesquelles des antonymes prédicatifs ont les mêmes arguments et exercent éventuellement une fonction argumentale par rapport à un même prédicat. Une implication entre des structures de ce type créerait un énoncé paradoxal. La conjonction simple ou la disjonction non-exclusive sont les relations les plus fréquentes entre deux propositions qui contiennent des antonymes exprimant l’exhaustivité / la nullité (Tous les communicateurs, les petits et les grands, seront atteints (127), VI, 3.3). Même si la relation de conjonction à laquelle s’ajoute une dimension temporelle permet aux antonymes d’exprimer l’exhaustivité, la différence temporelle entre les propositions qui contiennent les antonymes n’est jamais clairement marquée sauf si elle est sous-tendue par les antonymes eux-mêmes (de jour comme de nuit, (14), VI, 1.2). Lorsque l’expression de l’exhaustivité est sous-tendue par une relation de disjonction exclusive (Tout citoyen pauvre ou riche peut être ainsi humilié, (124), VI, 3.3) entre les propositions qui contiennent les antonymes, la structure X ou Y

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a toujours une valeur d’hypothèse extensionnelle (qu’il soit X ou Y). Il faut noter qu’en ce qui concerne la fonction de reclassement, qui peut être sous-tendue par la même structure sémantico-syntaxique que l’exhaustivité sans rétroclassement, la disjonction exclusive ne peut relier les propositions qui contiennent les antonymes que dans le cadre d’une interrogation (La politique de Gorbatchev est-elle à notre avantage ou à notre désavantage?, (37), VI, 1.3), tandis que la conjonction temporelle, explicitement marquée, est la relation dominante entre les propositions contenant les antonymes (L’hôtel de Râon-l’Étape a fermé ses portes en 1998, il est de nouveau ouvert, (31), VI, 1.3). Cette répartition de la disjonction exclusive et de la conjonction temporelle entre reclassement (différence temporelle omniprésente et disjonction rare) et exhaustivité (différence temporelle discrète et disjonction fréquente), appuie la distinction entre ces fonctions et contribue à éviter l’ambiguïté en discours. Sur le plan syntaxique de surface, les antonymes peuvent être employés dans des propositions juxtaposées, dans des propositions coordonnées ou dans des propositions dont l’une est subordonnée à l’autre. Lorsqu’elles sont dans un rapport de coordination ou de subordination, ces propositions peuvent être reliées par un connecteur d’opposition explicite (mais, si, au contraire, a contrario, contrairement à, tandis que, etc.). Ces connecteurs, lorsqu’ils sont présents, viennent renforcer l’opposition entre les antonymes. La présence des antonymes permet toutefois le plus souvent de se dispenser de leur emploi. Lorsque les antonymes expriment l’exhaustivité avec ou sans rétroclassement, ces connecteurs sont toujours absents, ce qui permet à l’opposition entre les antonymes d’être dépassée pour exprimer la totalité d’une dimension sémantique. Une dernière affinité peut être soulignée entre le sous-classement et la subordonnée relative qui est la structure par excellence dans laquelle les antonymes exercent cette fonction. Les antonymes apparaissent ainsi, dans la plupart des énoncés que nous avons analysés, dans des propositions relatives ou dans des structures qui peuvent être paraphrasées par des propositions relatives dont les membres de la paire B sont les antécédents (Il faut supprimer certains aliments et en ajouter d’autres, (99), VI, 3.1). 2.2. Affinités entre parties du discours et fonctions discursives des antonymes L’appartenance des antonymes coprésents à la catégorie des verbes, des substantifs, des adjectifs ou des adverbes est compatible avec l’exercice de la quasi-totalité des fonctions sémantico-référentielles que nous avons

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définies. En revanche, les antonymes qui ne jouent aucun rôle de structuration sémantico-référentielle sont toujours des substantifs en raison du fait que ceux-ci sont essentiellement employés dans une fonction argumentale (Un mouvement ne naît jamais de l’immobilité, (4), VI. 1.1). La partie du discours dont relèvent les antonymes détermine le type de structure d’accueil dans lesquels ils sont employés avec leurs subordonnés ou les prédicats dont ils dépendent: les substantifs sont ainsi employés dans des séquences SpS, les adjectifs dans des séquences SubstAdj, les adverbes, les verbes, mais aussi les substantifs et les adjectifs substantivés, dans des séquences SjPC. Lorsque les antonymes sont des adverbes prédicatifs, à une séquence SjPC simple peut correspondre une structure sémantico-syntaxique plus complexe. Lorsque les adverbes prédicatifs ont eux-mêmes pour arguments d’autres prédicats, les antonymes constituent, en effet, le premier niveau d’une structure sémantico-syntaxique gigogne fondée sur l’enchâssement d’une structure prédicative insérée dans une structure prédicative d’extension plus grande (Tandis qu’elle affiche ouvertement sa liaison avec un membre de l’espèce voisine, elle n’hésite pas à entretenir discrètement des relations avec un mâle de sa propre espèce, (72), VI, 2). Des structures de ce type peuvent être identifiées uniquement lorsque les antonymes coprésents sont des adverbes en raison du fait que les adverbes sont des prédicats du second ordre qui opèrent sur d’autres prédicats. Les deux membres d’une paire antonymique ne sont pas toujours employés dans le même type de structure syntaxique ou sémanticosyntaxique. Cela peut être le cas lorsque les antonymes constituent une paire hétérocatégorielle. L’analyse des coprésences d’antonymes hétérocatégoriels permet de préciser la notion d’hétérocatégorialité. Deux lexèmes antonymes relevant de parties discours différentes ne sont jamais associés l’un à l’autre par des locuteurs dans des tests d’association spontanée. On peut donc considérer que les paires hétérocatégorielles ne sont pas des paires lexicalisées qui constituent des unités de mémoire au même titre que les paires homocatégorielles. La formation de paires hétérocatégorielles serait alors un phénomène discursif. Or, notre analyse a montré que la plupart des contextes de coprésence de deux lexèmes antonymes appartenant à deux catégories grammaticales différentes, tendent à neutraliser la différence morpho-lexicale entre ces lexèmes grâce à des mécanismes de translation qui ont pour effet donner à l’un des deux termes un emploi similaire à celui de l’autre. Ainsi lorsqu’un verbe et un substantif antonymes sont employés ensemble, par exemple, le substantif sera le plus souvent accompagné d’un verbe support qui lui

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permet d’être employé comme un verbe (La critique boude le film mais couvre Valentine Tessier d’éloges, (77), VI, 2). L’hétérocatégorialité n’est donc pas un phénomène discursif. Les paires antonymiques hétérocatégorielles ne sont pas des paires antonymiques lexicales mais résultent de l’association dans un énoncé de deux lexèmes opposés sémantiquement et dont l’emploi en coprésence tend à gommer la différence de nature morpho-lexicale. 2.3. Affinités entre types d’opposition et fonctions discursives des antonymes L’appartenance de deux antonymes coprésents à chacun des cinq types d’opposition est compatible avec les six fonctions sémantico-référentielles que nous avons définies. Le type d’opposition entre les antonymes a toutefois un impact sur la possibilité pour les antonymes d’être employés dans des propositions dont la vérité est simultanée ainsi que sur la possibilité qu’un même énoncé contienne des appariements multiples entre lexèmes opposés, qu’ils soient ou non dus à la présence d’un lexème intermédiaire ou neutre. Ainsi l’attribution au même individu ou au même objet de deux qualités contraires ou la réalisation par un même individu ou un même objet de deux actions contraires est possible pour les paires dont l’opposition relève des types 3 et 4 mais impossible pour celles dont l’opposition relève des types 1, 2 et 5. En effet, un être humain peut ressentir un sentiment mêlé de joie et de tristesse (type 3), ou être à la fois grand et petit (type 4), alors qu’il ne peut être à la fois mort et vivant (type 1), pas plus qu’il ne peut à la fois monter et descendre une route (type 5), ou qu’un verre ne peut être à la fois vide et plein (type 2). Autrement dit, joyeux et triste ainsi que grand et petit peuvent avoir le même argument arg1 dans deux propositions simultanément vraies alors que ce n’est pas le cas de mort et vivant, de monter et descendre ou de vide et plein. Lorsqu’elle est sémantiquement possible, la dépendance simultanée d’un même argument arg1 à deux antonymes nécessite toutefois une prise en charge par le locuteur qui signale l’apparente contradiction (à la fois X et Y, la contradiction entre X et Y) et donne, le plus souvent, les moyens de la résoudre par une différence de cause ou de point de comparaison. Dans un énoncé comme Paul est à la fois joyeux et triste, les procès peuvent être simultanés. Dans ce cas, ils ne peuvent avoir la même cause: par exemple, Paul est joyeux parce que c’est son anniversaire et triste parce que tous ceux qu’il aime ne peuvent assister à la fête. De même l’énoncé Paul est

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à la fois grand et petit est possible si la taille ou l’importance de Paul est définie en référence à deux points de comparaison distincts. Deux antonymes, qui relèvent des types d’opposition 1, 2 et 5, peuvent être coprésents dans un énoncé constitué de deux propositions simultanément vraies lorsqu’ils n’ont pas le même argument arg1 (ou arg2). Ainsi, les procès dénotés par les verbes antonymes monter et descendre, par exemple, peuvent se produire simultanément si la présence d’arguments arg1 ou arg2 différents pour ces deux verbes annule le rapport inverse entre eux. En revanche, si les arguments de ces antonymes sont identiques, les procès qu’ils dénotent ne peuvent être que successifs dans le temps. Le type d’opposition dont relèvent les antonymes détermine la possibilité de les employer en contexte en présence d’autres lexèmes grâce auxquels ils forment des appariements multiples. Ces appariements multiples, à distinguer de la coprésence de plusieurs paires antonymiques indépendantes, relient un lexème avec son antonyme mais aussi avec (a) un quasi-synonyme de celui-ci, (b) un lexème qui dénote un autre degré de la même propriété ou encore (c) un lexème intermédiaire ou neutre par rapport aux deux antonymes. Pour que les antonymes puissent entrer dans un appariement multiple avec l’un de ces deux derniers types de lexèmes, il faut que le sens des antonymes soit conceptualisable comme scalaire (b) ou que leur opposition autorise leur négation simultanée (c). Notre analyse a permis de mettre en évidence que les termes intermédiaires ou neutres entre deux antonymes constituent un stock lexical plus vaste et plus diversifié que les exemples classiques de la littérature (II, 3.3). Nous y avons ajouté notamment des unités comme stagner ou coup d’arrêt. Les termes intermédiaires ou neutres peuvent également prendre la forme d’un syntagme composé d’un prédicat nié: ne pas se soucier, ne pas verser, ne pas bouger, ne pas s’exprimer, etc. Nous avons montré qu’un terme intermédiaire ou neutre en coprésence avec deux antonymes peut être sémantiquement équidistant des deux antonymes ou être rapproché par le contexte de l’un des deux, par exemple lorsqu’il (E) est employé dans une structure de type X ou E voire Y, où X et Y sont des antonymes.

VIII. CONCLUSIONS

En guise de conclusion, retraçons le cheminement qui a guidé les deux volets de cet ouvrage vers la définition de la relation lexicale d’antonymie et la description des fonctions sémantico-référentielles de la coprésence antonymique en français.

1. Une relation lexico-sémantique en langue Dans la Première partie, après avoir proposé une brève histoire des termes antonyme et antonymie ainsi qu’une première distinction entre ces termes et les termes proches contraire et opposé (II, 1), nous avons défini l’antonymie en tant que relation sémantique et lexicale grâce aux notions de conventionnalité, de canonicité et de prototypicité (II, 2). Nous avons ainsi pu établir un continuum qui s’étend depuis l’opposition de deux lexèmes non antonymes dans une situation de communication particulière jusqu’à l’opposition conventionnelle, c’est-à-dire non limitée à une situation de communication particulière, entre deux lexèmes antonymes qui répondent parfaitement au canon de l’antonymie et qui sont particulièrement représentatifs de la catégorie associée au terme antonymie, en passant par l’opposition entre des antonymes non canoniques et non prototypiques. Après avoir défini le caractère à la fois sémantique et lexical de la relation d’antonymie, nous avons envisagé les liens entre l’antonymie et d’autres relations lexicales et/ou sémantiques. Nous avons ainsi distingué l’antonymie et la synonymie sur la base d’un rapport similarité/opposition inverse dans la définition de ces deux relations. La similarité nécessaire à toute opposition antonymique est assurée non par une relation de co-hyponymie entre les antonymes, mais par l’existence d’une dimension sémantique en regard de laquelle est définie leur opposition. Cette dimension est inscrite dans un temps donné et dans une culture donnée. L’identification de polysèmes qui ne sont antonymes que dans certains de leurs sens et d’homonymes qui n’entrent pas dans les mêmes appariements antonymiques nous a permis d’identifier les facteurs selon lesquels on peut déterminer que deux lexèmes apparaissent ou non en contexte dans l’emploi dans lequel ils sont antonymes.

VIII. CONCLUSIONS

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À l’issue d’un examen critique des définitions logiques et sémantiques de l’opposition entre deux antonymes, nous avons dégagé les notions de graduation, de graduabilité, de scalarité, de borne et de seuil. Grâce à ces notions, nous avons défini cinq types d’opposition sémantique binaire entre deux lexèmes antonymes, qu’ils soient adjectifs, substantifs, adverbes ou verbes (II, 3). Nous avons également précisé le statut des termes neutres ou intermédiaires par rapport aux paires antonymiques. Nous avons ensuite identifié les lexèmes antonymes (a) en les distinguant de trois types de lexèmes non antonymes mais souvent opposés (les conversifs, les lexèmes opposés par le genre et les paires culturelles), (b) en déterminant leurs caractéristiques morphologiques et (c) en présentant les thésaurus et dictionnaires qui les répertorient (II, 4). Après avoir envisagé l’antonymie en langue, nous avons présenté les modèles qui rendent compte des interactions entre la relation lexicale d’antonymie et son déploiement syntagmatique, avant d’aborder les rapports entre l’antonymie et la rhétorique pour distinguer la visée d’un discours et les moyens lexicaux au service de cette visée (III, 1). Parmi les différents travaux sur l’antonymie en discours, nous avons choisi de présenter plus en détail l’étude de Jones (2002) sur les fonctions discursives des coprésences antonymiques, étude à partir de laquelle nous avons construit notre propre analyse, présentée dans la Deuxième partie. Nous avons également indiqué dans quel cadre théorique nous avons envisagé la mise en relation de deux antonymes en contexte, d’une part, la mise en relation de ces antonymes avec les unités qui constituent leur co-texte, d’autre part (III, 2). Ce cheminement nous a permis de définir l’antonymie comme une relation multiforme qui touche des unités très différentes sur les plans sémantique et morpho-syntaxique, mais dont l’unicité réside dans une opposition binaire fondamentale enracinée lexicalement. Nous avons ainsi dépassé la simple distinction entre contraires et contradictoires pour entrer dans la fascinante diversité de l’opposition et montrer comme les notions de graduation, de graduabilité, de scalarité, de borne et de seuil se combinent pour forger l’identité sémantique de chaque paire, la rapprocher ou la distinguer des autres. Grâce à l’analyse empirique que nous avons menée dans la Deuxième partie, nous avons montré que la coprésence antonymique en contexte s’appuie pour faire sens sur les relations antonymiques inscrites dans la mémoire linguistique des locuteurs où sont fortement associés la forme et le sens des antonymes. Nous avons enfin pu constater que l’existence de ces paires lexicales opposées sémantiquement permet à la langue de projeter sa structuration sur les réalités

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du monde en étendant les paires antonymiques à de nouveaux emplois que le sens des lexèmes qui les composent ne permet pas de justifier par lui-même, comme en témoigne la productivité de la paire blanc/noir, par exemple.

2. Un rôle majeur d’organisation sémantico-référentielle en discours Dans la Deuxième partie, après avoir présenté notre corpus de travail, justifié les raisons de ce choix et détaillé les étapes grâce auxquelles nous avons extrait de notre corpus des énoncés contenant deux lexèmes répertoriés dans une liste d’antonymes tirés du Grand Robert (2001) (V, 1 et 2), nous avons appliqué les critères identifiés dans la Première partie pour déterminer si les énoncés extraits de notre corpus par nos outils de traitement contiennent bien deux antonymes, c’est-à-dire deux lexèmes apparaissant dans l’emploi dans lequel ils sont opposés (V, 3). Nous avons ensuite établi des critères sémantico-syntaxiques de distinction entre les énoncés dans lesquels les antonymes participent à une simple mise en relation et ceux où ils participent à une double mise en relation (V, 4). L’analyse des cas de simple mise en relation nous a permis de définir quatre fonctions sémantico-référentielles de la coprésence antonymique: l’expression de l’exhaustivité (VI, 1.2), le reclassement (VI, 1.3), l’anaphore (VI, 1.4) et la définition (VI, 1.5). Ces deux dernières fonctions diffèrent des autres dans la mesure où le rôle sémantique et référentiel des antonymes ne s’exerce pas sur une autre unité de l’énoncé, mais sur les antonymes eux-mêmes, qui fonctionnent en quelque sorte en vase clos. À côté des énoncés dans lesquels la coprésence antonymique exerce une fonction sémantico-référentielle, nous avons extrait de notre corpus des énoncés dans lesquels des substantifs antonymes sont des arguments de rang différent d’un même prédicat ou des arguments de même rang d’un prédicat à construction réciproque et ne jouent aucun rôle de structuration sémantico-référentielle (VI, 1.1). Ils constituent le sujet et l’objet de ces prédicats, comme le feraient n’importe quelles autres unités dans la même configuration sémantico-syntaxique. Nous avons ensuite analysé les énoncés dans lesquels les antonymes participent à une double mise en relation. Ceux-ci ont été classés en trois groupes en fonction de la nature des membres de la paire B qui peuvent être des lexèmes non antonymes différents, des lexèmes non antonymes identiques, ou des lexèmes antonymes. Au sein des énoncés appartenant

VIII. CONCLUSIONS

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à chacun des trois groupes, nous avons décrit (a) les structures syntaxiques de surface qui mettent en relation les propositions dans lesquelles les antonymes coprésents sont employés, (b) les schèmes sémanticosyntaxiques qui mettent en relation les antonymes et leurs subordonnés ou les prédicats dont ils dépendent. Ces deux descriptions nous ont permis de définir quatre fonctions sémantico-référentielles exercées par la coprésence antonymique dans une double mise en relation: l’ancillarité au sens strict (VI, 2), le sous-classement, l’exhaustivité par rétroclassement (VI, 3) et le double classement (VI, 4). Nous avons ensuite traité deux questions transversales: la combinaison de plusieurs fonctions pour une même paire d’antonymes dans un énoncé donné; la modulation contextuelle de l’antonymie (VI, 5). Nous avons enfin décrit les affinités entre les structures de surface qui mettent en relation deux propositions qui contiennent des antonymes, les parties du discours dont relèvent les antonymes coprésents, les types d’opposition qui les relient et les fonctions sémantico-référentielles qu’ils exercent (VII, 2). Ce cheminement nous a permis de décrire le déploiement syntagmatique de la relation lexicale d’antonymie dans des énoncés journalistiques. Nous avons montré comment la plongée de deux antonymes dans un contexte d’emploi peut moduler leur opposition et la définition du lexème neutre ou intermédiaire, lorsqu’il existe. Les antonymes coprésents, grâce aux rôles sémantico-syntaxiques qu’ils peuvent jouer, contribuent à la structuration des énoncés dans lesquels ils sont employés parce qu’ils organisent les unités qui les entourent sur le plan sémantico-référentiel. Le contexte dans lequel les antonymes sont employés permet d’exploiter explicitement leur opposition, de la renforcer, de l’atténuer ou de la transcender pour exprimer l’exhaustivité.

Ancillarité au sens strict

Sous-classement

(Re)classement

Simple mise en relation

Sans rétroclassement

Exhaustivité / nullité

Double classement

Paire B antonymique

Par rétroclassement

B1 et B2 identiques

Paire B non antonymique

B1 et B2 différents

Emplois antonymiques

Double mise en relation

Emplois non antonymiques

FORMES

Anaphore

Définition

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ANNEXES

Annexes accessibles sous la forme d’un fichier Excel via le lien ou le code suivants: http://hdl.handle.net/2268/240656

Extraits: Feuille 1 – 1159 lignes regroupant des paires homocatégorielles et hétérocatégorielles (début de la liste)

400

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Feuille 2 – 35 116 paires antonymiques (début de la liste)

INDEX DES NOTIONS

antonyme(s) bons ‒ 5, 9, 20, 23, 120-121, 165, 167 ‒ bornés vs non bornés 71, 78-82, 84-88, 90-91, 95-101, 206, 333, 385 ‒ canoniques vs non canoniques 20, 26-28, 42, 60, 62-64, 77, 81, 84, 93, 99-100, 116, 121, 151, 157158, 166, 180, 222, 327, 352, 384 ‒ comparatifs vs non comparatifs → comparaison

‒ contradictoires / complémentaires 2-3, 15, 18, 42-53, 65-70, 81, 85-86, 90-92, 97-101, 106-107, 113, 122, 124, 127, 129, 131, 158, 260, 296, 320, 327, 342-344, 382, 385 ‒ contraires 1-3, 9, 15, 17-19, 29-30, 42-53, 67, 70, 80-81, 85, 90, 92, 94, 98-99, 101, 107-108, 117118, 122, 124-125, 139, 158, 219-220, 222-223, 236, 297, 320, 342, 344-345, 382, 384-385 ‒ conventionnels vs opposés non conventionnels 4-5, 8, 16, 20, 24, 26-29, 34, 36, 42, 107, 109-110, 113, 127, 133-135, 140, 142, 146, 157, 222, 231, 337, 360, 384 ‒ de chevauchement vs équipollents 75-77 ‒ gradable complementaries 68 ‒ graduables, gradables vs non graduables, non gradables (graduabilité) 52-59, 64-72, 81-82, 87-88, 92, 102, 121, 158, 382, 385 impure opposites 107 ‒ lexicalisés 10, 24, 26-27, 39, 116, 121, 133-134, 169, 183, 381 ‒ lexicaux vs grammaticaux 114115

‒ morphologiques vs non morphologiques 114-115, 117, 124, 136, 145 ‒ objectifs vs subjectifs 58-65 ‒ parfaits, contrary antonyms, symétriques vs imparfaits, asymmetric contraries, asymétriques 52, 92-93 ‒ polaires / polarité 6-7, 10, 29-30, 54-55, 73-78, 99-100, 276-277 ‒ primaires vs secondaires 5-6, 83-85, 87, 89, 98, 114 ‒ propres vs impropres 107-110 ‒ prototypiques vs périphériques 9, 20-24, 26-29, 42, 64, 85, 102, 120-121, 151, 157-158, 165, 167, 317, 384 quasi-antonymes 23, 146 ‒ scalaires vs non-scalaires → scalarité

‒ symétriques vs asymétriques 91

antonymie ‒ ancillaire (ancillary antonymy) 7-8, 136-137, 139, 141-144, 147, 184, 214, 268, 375 ‒ au sens large vs au sens restreint 18, 43, 54, 87, 98-99, 136 ‒ comparative (comparative antonymy) 138, 147, 190, 215 ‒ coordonnée (coordinated antonymy) 137-138, 140-141, 144, 147, 374 ‒ de négation (negated antonymy) 137, 139, 147, 220 ‒ de simultanéité (simultaneity) 140141 ‒ distinctive (distinguished antonymy) 138, 147 ‒ extrême (extreme antonymy) 139, 141, 147, 221 ‒ idiomatique (idiomatic antonymy) 139, 142 ‒ interrogative (interrogative antonymy) 139, 141, 216, 220

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‒ partielle vs absolue 120, 125 ‒ transitionnelle (transitional antonymy) 139, 147, 220, 374-375

carré et hexagone logiques 45-48, 51 contraste(s) / contrastif(s) – contrastive(s) ‒ vs similarité / minimum contrast rule 30 ‒ cycliques vs sériels 31 mise en ‒ des membres d’une paire B 137, 143, 157, 184, 211, 215, 226-227, 229-242, 246-248, 250, 252-258, 260, 262-263, 265-266, 268-271, 277, 288, 295, 318, 334, 340, 354, 361-363, 367-373 potentiel ‒ de la paire B 230-231, 236, 247, 257, 265, 340, 362, 373 renforcement vs atténuation du ‒ 334, 368-373 structures ‒ 133, 137, 145

comparaison / comparatif(s) – comparative(s) 55, 60, 63-66, 71-77, 80, 84, 86, 88-89, 91, 95, 98-99, 103, 138, 183, 189, 327, 334, 348, 368-369, 372 graduation 6-7, 10, 43-44, 53-57, 59-66, 81-82, 87, 92, 98-101, 158, 382-383, 385 pseudo-comparatifs vs vrais comparatifs 72-73, 76-77, 88 structures – 56, 59, 64-67, 72-73, 103, 138, 142, 144, 147, 190, 208-209, 215, 256, 375, 378 terme de comparaison, norme, moyenne 52-57, 59-65, 70, 74, 81, 84, 89, 96, 100, 382-383

construction antonymique 133-134 dimension sémantique / similarité 31-35, 42, 90-91, 93, 95-96, 99100, 105, 107, 116, 119, 123, 133, 144, 157-158, 192-193, 199, 201-202, 204, 206-207, 217, 226, 268-269, 278, 293-298, 302-303, 305-307, 312-313, 317, 323-324, 328, 370, 380, 384

figure(s) rhétorique(s) antéisagoge 129 antilogie 131 antinomie 131 antithèse 3, 16, 126-131 distinguo 129 oxymore 3, 10, 127-131 paradoxe 3, 10, 67, 127, 130, 140, 219, 239-240, 260, 286, 294-296, 315, 379

fonction(s) sémantico-référentielle(s) de l’antonymie anaphore 187, 221, 386 ancillarité au sens strict 227, 233, 254, 256, 268-271, 274, 276, 279, 282, 288, 295, 313, 318, 340, 348, 361-364, 369, 375-376, 378, 387 classement 217, 220, 376 définition 187, 221-223, 386 double classement 332, 339, 341, 350, 353, 356, 358-361, 363-368, 375-378, 387 expression de l’exhaustivité 47, 67, 138, 141-142, 144, 187, 190191, 193-199, 203, 205, 207209, 216, 221, 275, 299, 302314, 316-319, 321-322, 326-328, 347, 349, 363, 374, 376-380, 386-387 expression de la nullité / de l’exhaustivité négative 144, 199-209, 299, 319-324, 328, 363, 369-370, 374, 379 reclassement 187, 208-211, 213-216, 218-221, 234, 341, 349, 364-365, 374-375, 378, 380, 386 rétroclassement 299, 302-304, 308, 316-321, 323-324, 328, 374, 377380 sous-classement 185, 198, 259, 273282, 284-290, 292-304, 306-320, 322, 325-327, 331, 338-339, 354, 356, 361-362, 365, 368-369, 375, 377-380, 387

fonction(s) primaire(s) ‒ argumentale 37-39, 102-104, 172174, 176-183, 185-192, 194-196,

INDEX DES NOTIONS

199-211, 213, 215-220, 222, 224231, 234-248, 250-269, 272-276, 278, 280-285, 287-292, 294-295, 297-298, 300-302, 305-313, 316318, 320-321, 323-327, 330-341, 343, 346-360, 364, 370-373, 375379, 381-383, 386 ‒ d’actualisation, actualisateur 176179, 185-186, 191, 197-199, 206209, 213-215, 220, 224-225, 234, 247, 251, 257-261, 265-267 ‒ prédicative 37-39, 46, 51-53, 91, 94, 102-104, 149, 158-159, 165, 172-183, 185-192, 194-211, 213, 215-220, 222, 224-232, 234-235, 237-241, 243-251, 253-267, 272278, 280, 283-285, 287-292, 296298, 300-302, 306-309, 311, 313, 316-319, 321, 323-327, 329-344, 346-360, 362-363, 371-372, 375379, 381, 383, 386-387 substantif élémentaire 177, 179, 222

mise en relation sémantico-syntaxique antonymie transphrastique vs endophrastique 148-154, 230 double ‒ 7-8, 10-11, 142-143, 159, 183-184, 187, 224, 229, 272, 329, 354, 374, 377, 386-387 hypothèse extensionnelle 192-193, 302-307, 378, 380 paire B 7-8, 137, 139, 142-143, 184-186, 190, 199, 214-215, 224227, 229-232, 236, 239, 242, 247-249, 253-260, 262, 264-273, 275-276, 280, 282, 285, 287, 289-291, 293, 307, 316-318, 328331, 341, 358, 362, 371, 373, 376-378, 380, 386 patrons syntaxiques 4, 145-146, 148152, 154-155 simple ‒ 11, 159, 183-184, 187, 190, 221, 224, 374, 386 structures comparatives → comparaison

structures interrogatives 139, 141142, 178, 194, 208-209, 216-217, 220, 252, 375, 378, 380 structures négatives → négation

403

négation ‒ lexicale / négativité 2, 10, 16, 50, 56-58, 73, 75, 80, 82, 85, 88, 91-100, 117, 119, 122, 129-130, 192, 195, 200-202, 217, 251, 277-278, 286, 353 ‒ logique 10, 44-47, 51-53, 257 ‒ polémique / discursive 3, 227, 233, 244 ‒ syntaxique / structures négatives 10, 50, 67, 74, 92, 98-100, 119, 130, 138, 192, 195, 199-201, 203-204, 207-210, 219-220, 278, 293, 298-299, 319-320, 375, 378, 383

opposables non antonymes ‒ converses, conversifs / réciproques 43, 101-105, 119, 124, 166, 385 ‒ culturels 101, 107, 109-110, 119, 124, 157, 166, 385 ‒ de genre 101, 105-107, 119, 124, 157, 166, 385

partie(s) du discours adjectif 5-6, 10, 15-16, 32-36, 38, 40-41, 44, 47-49, 51, 53-57, 5969, 71, 73, 75, 78-86, 88, 92, 98, 103, 109-110, 112, 117, 120-122, 126, 136, 138, 140, 158, 170, 172, 177-181, 185, 191, 194-197, 202204, 209-211, 213, 215, 219-220, 231-234, 236-239, 241, 246, 252254, 264, 272, 275, 279-282, 284, 287, 296-297, 301, 305-306, 310, 312, 318, 322-327, 329-331, 334335, 337-339, 341-342, 344, 349350, 353-354, 362, 368, 370, 380381, 385 adverbe 6, 39, 50, 54-55, 58, 65, 67, 78-82, 85-88, 103, 112, 117, 121, 130, 136, 177-180, 183, 189, 191, 193-198, 205, 207, 209-211, 231, 237, 240, 243-248, 252-254, 260262, 265-266, 283-284, 286, 297, 300, 311, 324-325, 331, 333-334, 339-343, 347-351, 354-356, 364373, 380-381, 385 figement / séquence figée / unité polylexicale 79, 87, 97, 110-114,

404

M. STEFFENS

117, 119, 123-124, 128, 142, 157, 171, 177, 183, 197, 213, 252, 255, 283, 309, 322, 327, 339-342 ‒ hétérocatégorielles vs homocatégorielles (paires ‒) 23, 41, 123, 130, 132, 148, 151-153, 160, 166167, 182, 224, 250, 252, 254, 272, 286-287, 324, 329, 349-350, 381-382 préposition 82-83, 103, 112, 115, 173-174, 177, 179, 213, 222, 235, 242, 252-253, 255-256, 274, 303, 327, 336, 343, 379 substantif 6, 18, 33-34, 37-41, 54-55, 57, 83-85, 102-103, 112, 117, 121122, 130, 136, 138, 143, 170, 172, 174-175, 177-179, 181, 187191, 195-197, 203-204, 213, 215, 219, 225-226, 232-236, 239, 242, 245, 250-251, 253, 255-256, 258259, 272, 274, 280-281, 283-284, 287-289, 293-294, 300, 302-304, 306-307, 311, 313, 316-318, 321323, 325-326, 329-332, 335-340, 342-346, 349-354, 359-360, 362, 371, 378-381, 385-386 verbe 5-6, 17, 21, 29, 33, 37-39, 5455, 65, 68-69, 82-83, 87-92, 9899, 102-103, 112-113, 117, 121122, 130, 136, 142-143, 152, 158, 166, 170-174, 177-182, 185, 189, 191-193, 200-204, 206, 209-210, 213-214, 217, 219, 225-231, 237, 239-240, 243-244, 246, 250-255, 258-259, 263, 272-279, 284, 286, 293-294, 296, 300, 320-321, 331336, 338, 340, 342-354, 356, 359360, 363-364, 370, 380-383, 385

relation(s) sémantique(s) et lexicale(s) classes d’objets 35, 37-39, 41-42, 172-173 co-hyponymie 9, 20, 29, 31-34, 39, 106, 108-109, 116, 158, 353, 384 homonymie 20, 29, 39-41, 169-170, 384 hypo-hyperonymie 31-34, 106, 132, 146, 158, 210, 226, 272, 280-282, 284, 287, 291, 353

polysémie 20, 29, 35-40, 49, 85, 120, 125, 157-158, 169-170, 384 relation paradigmatique vs syntagmatique 1-2, 5, 31, 113-114, 126, 132-134, 157, 254, 385 synonymie 17-18, 20-21, 29-31, 37, 39, 68, 84, 86-88, 106, 117, 122123, 131, 146-147, 165, 173, 175, 183, 189, 202, 206, 221, 233, 239-240, 244-245, 250, 272, 280281, 284, 291, 317, 320, 326, 329, 349-350, 354, 356, 383-384

relation(s) sémantico-référentielle(s) cadre référentiel / thème discursif 25, 39, 109-110, 134, 227, 235, 242, 268-270, 343, 364 ‒ de contiguïté 25-26, 227, 235, 269 ‒ de corrélation 331-332, 337-338, 340-341, 343, 345, 347-348, 350, 352-356, 358-360, 364-365, 378 ‒ d’implication 45, 53, 88, 102-105, 154, 156, 197, 219, 227, 231, 246, 257, 271, 280, 296, 318, 334, 346347, 350-351, 358, 369, 378-379 ‒ d’inclusion 25-26, 269-270

scalarité / échelle(s) sémantique(s) échelle binaire 70 échelle unidirectionnelle 70, 82 seuil, cut 57-59, 64, 70, 77, 81-82, 89, 91-92, 99-101, 158, 308, 321, 385 systèmes biscalaires 71, 75, 78, 98 systèmes monoscalaires 71-72, 78 similarité → dimension sémantique / similarité

terme à polarité négative 73 terme(s) médian(s) / tertium 91-93, 98 faux tertium 91, 97-98 terme intermédiaire 43-44, 51, 58, 67, 86, 92, 94-101, 138-139, 160, 169, 213, 277-278, 293, 298, 312, 322, 382-383, 385 terme neutre 51, 57, 67, 91-92, 94101, 160, 169, 204, 213, 246, 251, 277-278, 285, 293, 322, 382 tertium datur 92 tertium non datur 45, 70, 90, 92

translation 182, 213, 252-254, 327, 381

INDEX DES AUTEURS ACKERMANN, Paul 15-17, 29, 122-123, 126, 131 AMSILI, Pascal 31, 93, 102 ANSCOMBRE, Jean-Claude 96 APOTHÉLOZ, Denis 6, 90 APULÉE 44 ARISTOTE 1, 17, 44 AŠIĆ, Tijana 83 AUGÉ, Claude 16

DAVIES, Matt 3 DEESE, James 2, 5, 23, 121, 132, 172 DESAGULIER, Guillaume 133 DESORMES, Émile 29 DIK, Simon 60 DUBOIS, Jean 1, 31-32, 43, 99 DUCHÁČEK, Otto 93, 107-109, 114-115 DUCROT, Oswald 96 DUPUIS, Hector 29, 106

BAILLY, Anatole 17 BARRÉ, Louis 29 BASILE, Adrien 29 BENVENISTE, Émile 17, 40 BERBINSCHI, Sonia 3, 114, 127 BERTAUD DU CHAZAUD, Henri 29, 106 BLANCHÉ, Robert 46-49, 93 BLANCHE-BENVENISTE, Claire 188 BLANK, Andreas 30 BOISTE, Pierre-Claude-Victor 15, 129 BOUQUIAUX, Laurence 154, 156 BOURIGAULT, Didier 163 BOUSSINOT, Roger 29, 106, 123, 129 BRUNET, Étienne 8, 133, 169 BUVET, Pierre-André 37

FABRE, Cécile 145, 163 FELLBAUM, Christiane 8, 23, 121, 251 FILLMORE, Charles 68 FRANÇOIS, Frédéric 3 FRANÇOIS, Jacques 133 FRAZIER, Lyn 54, 61 FUCHS, Catherine 40

CADIOT, Pierre 36 CHAFFIN, Roger 93 CHANSON, Joseph 15 CHARAUDEAU, Patrick 8, 25 CHARLES, Walter 2, 132-133 CHÉSUROLLES, Désiré 29 CLARK, Herbert 2, 30 CLIFTON, Charles 54, 61 COMBETTES, Bernard 1, 50, 54 CONSTANTIN DE CHANAY, Hugues 49 COSERIU, Eugenio 31-32 CROFT, William 2, 34, 66, 68-76, 78, 93 CRUSE, Alan 1-2, 5, 21-22, 30, 34, 43, 54, 57, 66-78, 80, 86, 93, 99, 101103, 106-107 CULIOLI, Antoine 22

GARCÍA-PAGE SÁNCHEZ, Mario 113 GAUDEAU, Lucien 15 GECKELER, Horst 6, 30, 34, 43, 54, 85, 114, 117, 119 GIERMAK-ZIELIŃSKA, Teresa 6, 43, 54, 67, 91 GIRARD, Gabriel 29 GLESSGEN, Martin-Dietrich 164 GREIMAS, Algirdas Julien 32 GREVISSE, Maurice 1, 106 GREZKA, Aude 37 GRICE, Paul 269, 320 GROSS, Derek 21, 114 GROSS, Gaston 37-38, 111, 176-181, 231, 251 GSELL, Otto 54 GUÉNOT, Marie-Laure 3 GUÉRIN, Paul 15-16 GUILBERT, Louis 115-116 HABOURY, Frédéric 29 HARRIS, Zellig 176 HERRMANN, Douglas 20-21, 27, 93 HEYNA, Franziska 118 HORN, Laurence 44-46

406

M. STEFFENS

ISONO, Maho 135 JAKOBSON, Roman 2 JEFFRIES, Lesley 3 JONES, Steven 2-4, 6-8, 10, 20-21, 23-24, 26-27, 31, 34-35, 37, 50, 54, 61, 78, 102-103, 106, 119, 121, 133, 134-149, 151-152, 154, 159, 184, 188, 190, 193, 214-216, 220, 227, 230-231, 268, 318, 341, 374-375, 385 JUSTESON, John 2, 8, 133 KASTOVSKY, Dieter 31-32 KATZ, Jerrold 1, 93 KATZ, Slava 2, 8, 133 KEMPSON, Ruth 101-102 KENNEDY, Christopher 54, 61 KERBRAT-ORECCHIONI, Catherine 3 KIBÉDI VARGA, Áron 268 KLEIBER, Georges 6, 21-22, 24, 32, 34, 54, 57, 59-63, 66-67, 73, 211 KLEIN, Jean-René 6, 84 KNOBLOCH, Johann 17 KOTSCHI, Thomas 54, 87 LA CHÂTRE, Maurice 16 LANDHEER, Ronald 3, 127 LANG, Ewald 139 LAROUSSE, Pierre 15-16 LARUE-TONDEUR, Josette 36 LE FUR, Dominique 29, 123 LE PESANT, Denis 37 LECLERCQ, Bruno 154, 156 LEECH, Geoffrey 60-61 LÉGARÉ, Romain 29, 106 LEHMANN, Alise 40 LEHRER, Adrienne 1, 54, 92-93 LEHRER, Keith 1, 54, 92-93 LIDDELL, Henry 17 LIN, Dekang 146 LJUNG, Magnus 1 LOBANOVA, Anna 146 LYONS, John 1, 30-32, 43-44, 50, 52-54, 57, 66, 90, 98, 106 MAINGUENEAU, Dominique 8, 25 MAROUZEAU, Jules 1

MARTIN, Robert 1, 43-44, 50-52, 112, 170, 270 MARTIN-BERTHET, Françoise 40 MARTINET, André 43, 115, 274 MASSERON, Caroline 1 MATHIEU-COLAS, Michel 37 MAYAFFRE, Damon 8, 132 MCNALLY, Louise 54, 61 MEJRI, Salah 111-112, 176-177 MEL’ČUK, Igor 116 METTINGER, Arthur 4, 31-32, 34, 54, 106, 121, 136, 138-140, 145, 146147 MFOUTOU, Jean-Alexis 29 MILLER, George 2, 132-133 MILLER, Katherine 21 MOESCHLER, Jacques 3 MOLINIÉ, Georges 128-130 MONTE, Michèle 3 MORANDINI D’ECCATAGE, Ferdinand 16 MORLANE-HONDÈRE, François 4, 23, 145-148, 151-152, 154 MUEHLEISEN, Victoria 2, 135 MULLER, Charles 8, 132 MULLER, Claude 73, 192-193 MURPHY, Lynne 2, 20, 26, 30, 54, 106107, 114, 135 NELLESSEN, Horst 6, 17, 29, 54, 83, 87-91, 114, 122, 131 OGDEN, Charles Kay 54-55, 57-59, 64, 66, 92, 106 PALMA, Silvia 73 PARADIS, Carita 2, 54, 136 PETER, Max 117, 122 POHL, Jacques 5, 20-21, 120, 132 POITEVIN, Prosper 16, 29 POLGUÈRE, Alain 101, 103-104 POTTIER, Bernard 32, 164 PRANDI, Michele 178, 251 PUCKICA, Jérôme 133 PUPIER, Paul 75 RAYMOND, François 15 REBOUL, Olivier 130

INDEX DES AUTEURS

RÉCANATI, François 40 REY, Alain 118 REY-DEBOVE, Josette 6, 28, 34, 85, 106 RIEGEL, Martin 102, 173-174, 180181, 188, 249 RIVARA, René 6, 53-54, 66, 71, 73, 93 ROBRIEUX, Jean-Jacques 26, 128-131 ROSCH, Eleanor 21 SAEED, John 31, 101 SAPIR, Edward 32, 53-57, 59, 61, 66, 92 SAUSSURE, Ferdinand de 134 SCHWAB, Didier 2 SCOTT, Robert 17 SFAR, Inès 176 SMITH, Charles 17 SMITH, Paul 3 SPERBER, Dan 269 STAIB, Bruno 83 STATI, Sorin 54, 57, 61 STOLTERFOHT, Britta 54, 61

407

TAMBA, Irène 32, 34 TESNIÈRE, Lucien 183 THUN, Harald 112-113 TOGIA, Pagona 2, 54, 66, 71, 75 TRACY, Leland 22, 36 TROUBETZKOY, Nikolaï 75 TROUSSET, Jules 16 VANDELOISE, Claude 83, 105 VAN DIJK, Teun 25 VAN OVERBEKE, Maurice 1, 34, 43, 50, 53-54, 57, 60, 62-63, 66, 74-75, 92-93, 99, 102 VARO VARO, Carmen 133 VERHAGEN, Arie 119 WARCZYK, Richard 54 WILLNERS, Caroline 2, 135-136 WILSON, Deirdre 269 WINTHER, André 6, 84 YANNICK MATHIEU, Yvette 133 YORKE, Mantz 54, 70, 93-94

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