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French Pages 437 [441] Year 2018
ÉTUDES BIBLIQUES
LA PÉDAGOGIE DE LA « VISITE » (ἐπισκοπή ) DE DIEU CHEZ LUC par Marie DE LOVINFOSSE
PEETERS
LA PÉDAGOGIE DE LA « VISITE » (ἐπισκοπή) DE DIEU CHEZ LUC
ÉTUDES BIBLIQUES (Nouvelle série. No 76)
LA PÉDAGOGIE DE LA « VISITE » (ἐπισκοπή) DE DIEU CHEZ LUC par Marie DE LOVINFOSSE
PEETERS LEUVEN – PARIS – BRISTOL, CT 2018
ISBN 978-90-429-3745-1 eISBN 978-90-429-3746-8 D/2018/0602/104 A catalogue record for this book is available from the Library of Congress. © 2018, Peeters, Bondgenotenlaan 153, B-3000 Leuven, Belgium
REMERCIEMENTS Pour leurs témoignages de solidarité et de confiance, pour leur accompagnement, ainsi que pour leurs corrections et suggestions inspirantes, j’exprime ma vive gratitude à Didier Caenepeel o.p., Emmanuel Durand o.p., Odile Flichy, Michel Gourgues o.p., Francine Landreville CND, Michèle et Dominique de Lovinfosse, Jean-Jacques Pérennès o.p., ainsi qu’aux sœurs de la Congrégation de Notre-Dame de Montréal, aux membres de ma famille de sang et de cœur, aux professeurs du Collège universitaire dominicain d’Ottawa, aux professeurs de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem, aux Amis canadiens de l’École biblique et aux professeurs de l’Institut Polis de Jérusalem. À Dieu, en action de grâce pour ses entrailles de compassion.
INTRODUCTION
D’UNE VISITE DIVINE À L’AUTRE I. UN
TRÉSOR INEXPLORÉ
La présente recherche porte sur un motif mis en relief de façon originale en Lc-Ac dans deux œuvres rédigées en grec par un même auteur, Luc, et communément datées de la haute antiquité chrétienne, dans la deuxième moitié du Ier siècle1. Ce thème s’y exprime à travers le verbe grec ἐπισκέπτομαι et le substantif correspondant, ἐπισκοπή, que les traductions rendent le plus souvent en français par le terme « visite ». Dans son évangile (Lc) et dans le récit des commencements de l’Église (Ac), Luc mentionne à cinq reprises une « visite » divine, en quatre passages qui couvrent des périodes-clés de la vie de Jésus et de la mission confiée à ses apôtres : Lc 1,68.78 ; 7,16 ; 19,44 ; Ac 15,14. Les cinq attestations de l’ἐπισκοπή sont situées dans quatre péricopes évoquant successivement l’enfantement de Jésus, son ministère en Galilée, son arrivée ultime à Jérusalem, ainsi que le rassemblement des apôtres et des anciens, dans cette même ville, pour trancher un conflit concernant le salut des incirconcis (Ac 15,1). Le choix de cet axe d’étude répond à une double intuition. D’abord, le constat que l’ἐπισκοπή divine n’ait encore jamais fait l’objet d’une recherche systématique en Lc-Ac laisse espérer la fécondité 1 Pour le texte grec du N.T., nous avons utilisé l’édition de Barbara ALAND – Kurt ALANDetal. (éds.), NovumTestamentumGraece[Nestle–Aland], édition revue, Stuttgart, Deutsche Bibelgesellschaft, 201228. Nous avons consulté les corrections apportées dans les différentes impressions de NTG28 dont la dernière a été publiée en 2016. Celles-ci n’affectent pas la présente étude. Voir INSTITUT FÜR NEUTESTAMENTLICHE TEXTFORSCHUNG, « Nestle–Aland, 28th edition. Corrections 5th printing 2016 », in WestfälischeWilhems-UniversitätMünster [en ligne], http://intf.uni-muenster.de/NA28/ files/NA28-5.Druck-Korrekturen.pdf, (page consultée le 9 janvier 2017). Les références aux textes grec et hébreu de l’A.T. renvoient respectivement à Alfred RAHLFS (éd.), Septuaginta, Stuttgart, Deutsche Bibelgesellschaft, 2006, et à Karl ELLIGER – Wilhelm RUDOLFetal. (éds.), BibliaHebraicaStuttgartensia, Stuttgart, Deutsche Bibelgesellschaft, 19975. Nous suivons l’usage de la tradition qui attribue à Luc la rédaction du troisième évangile et des Actes des Apôtres. Consciente du processus long et complexe qui sous-tend la formation des livres bibliques, nous recourons à l’appellation « Luc » en la considérant comme un raccourci de langage pour désigner l’ensemble des personnes éventuellement impliquées dans la rédaction de Lc-Ac.
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INTRODUCTION
d’un investissement dans cette direction. À notre connaissance, aucune monographie n’a traité ce motif lucanien et les articles scientifiques à ce sujet se comptent sur les doigts d’une main. De plus, aucun des commentateurs de Luc que nous avons consultés ne prête une attention particulière à ce vocabulaire, après l’avoir simplement relevé et relié aux autres occurrences en Lc-Ac. À l’examen, il semble difficile de considérer notre thème comme insignifiant. Nous sommes en présence d’un trésor inexploré de la théologie lucanienne. En outre, les connotations fondamentales du thème possèdent une pertinence particulière en rapport avec des enjeux actuels. Chez Luc, la « visite » évoque des rapprochements, des initiatives et des rencontres, en vue de relations vivifiantes à créer ou à restaurer entre des personnes. Ces réalités humaines sont facilement compromises et mises au défi dans un monde fragilisé par l’isolement, l’anonymat et l’individualisme. Dans la perspective lucanienne, la « visite » renvoie aussi essentiellement à l’initiative de Dieu. Nous mènerons nos analyses avec, en perspective, les questions suivantes : quels sont le sens et la portée du thème de l’ἐπισκοπή divine chez Luc ? Les traductions en langues modernes expriment-elles au mieux le sens que l’auteur donne à ce terme ? Quels traits spécifiques de la « visite » de Dieu sont inspirants pour discerner les modalités de l’action de Dieu aujourd’hui ? Une approche des péricopes à étudier exige au préalable un examen des diverses attestations et acceptions du thème de l’ἐπισκοπή dans le Nouveau Testament et dans la Septante. 1. L’ἐπισκοπή dans le Nouveau Testament Le vocabulaire lié à ἐπισκέπτομαι, incluant l’autre verbe de même racine (ἐπισκοπῶ)2 et le substantif dérivé (ἐπισκοπή), appartient au langage typique de la Septante, dont le Nouveau Testament a gardé quelques traces. Dans le grec attique, les verbes σκοπῶ et σκέπτομαι forment un même paradigme. Σκοπῶ était utilisé exclusivement pour les formes au présent et à l’impafait ; σκέπτομαι, principalement pour les autres. Il en va de même pour les mots dérivés ἐπισκοπῶ et ἐπισκέπτομαι. Dans la LXX et le N.T., cela demeure vrai pour σκοπῶ, ἐπισκοπῶ et σκέπτομαι (absent dans le N.T.), alors que ἐπισκέπτομαι s’y conjugue aussi au présent. Voir Friedrich BLASS – Albert DEBRUNNERetal., AGreekGrammar oftheNewTestamentandOtherEarlyChristianLiterature:ATranslationandRevision oftheNinth-TenthGermanEditionIncorporatingsupplementaryNotesofA.Debrunner, Cambridge – Chicago, Cambridge University Press – University of Chicago Press, 1961, p. 54-55. 2
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D’UNE VISITE DIVINE À L’AUTRE
ἐπισκέπτομαι A.T. 153 fois
ἐπισκοπῶ 4 fois
2 fois N.T. 11 fois Mt 25,36.43 ; Lc 1,68.78 ; He 12,15 ; 1 P 5,2. 7,16 ; Ac 6,3 ; 7,23 ; 15,14.36 ; He 2,6 (citant Ps 8,5) ; Jc 1,27.
ἐπισκοπή 40 fois 4 fois Lc 19,44 ; Ac 1,20 (citant Ps 108,8 LXX) ; 1 Tm 3,1 ; 1 P 2,12 (citant Is 10,3).
Dans le Nouveau Testament, ἐπισκέπτομαι apparaît onze fois, dont sept dans l’œuvre de Luc (trois en Lc et quatre en Ac). Dans les deux occurrences de Mt, le « Fils de l’homme » (25,31) est l’objet de ce verbe, à travers la figure du roi dans la parabole du jugement dernier (25,31-46). Dans la Septante, une figure transcendante n’est jamais l’objet d’ἐπισκέπτομαι. Pour cinq des dix-sept occurrences du vocabulaire lié à ἐπισκέπτομαι / ἐπισκοπῶ / ἐπισκοπή dans le Nouveau Testament, Dieu (θεός) est le sujet explicite : trois dans l’œuvre de Luc (Lc 1,68 ; 7,16 ; Ac 15,14), une en He 2,6 (citant Ps 8,5) et une en 1 P 2,12 (citant Is 10,3). En Lc, deux emplois d’ἐπισκέπτομαι ont un sujet dont l’identification n’est pas évidente : le « levant[ἀνατολή] » (1,78) et « letempsdetavisite [ὁ καιρὸς τῆς ἐπισκοπῆς σου] » (19,44). Dans le dernier cas, le pronom σου renvoie à Jérusalem (19,41), sans préciser par qui elle a été visitée. En Lc, le bénéficiaire de l’action exprimée par ἐπισκέπτομαι ou son substantif, est « son peuple [ὁ λαὸς αὐτοῦ] » (1,68 ; 7,16), « nous » (1,78) ou « Jérusalem » (19,44). Par contre, en Ac 15,14, un changement apparaît. Les « nations / païens [ἔθνη] » sont concerné(e)s et deviennent « unpeupleàsonnom [λαὸς τῷ ὀνόματι αὐτοῦ] ». Les cinq emplois du vocabulaire lié à l’ἐπισκοπή divine chez Luc s’enracinent dans l’histoire d’Israël, où Dieu est désigné comme « Seigneur,leDieud’Israël[κύριος ὁ θεὸς τοῦ Ἰσραήλ] » (Lc 1,68), et débouchent sur l’accueil de païens comme peuple consacré à Dieu (Ac 15,14). Posons déjà quelques jalons. 1) Une première « visite » du « Seigneur, le Dieu d’Israël » (Lc 1,68) à son peuple est reconnue par Zacharie dans la première partie de son cantique (1,68-75) : « Béni le Seigneur, le Dieu d’Israël, parce qu’ilvisitaetdélivrasonpeuple [ὅτι ἐπεσκέψατο καὶ ἐποίησεν λύτρσιν τῷ λαῷ αὐτοῦ], et suscita [ἤγειρεν] une corne de salut
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2)
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INTRODUCTION
pour nous dans la maison de David, son serviteur. » (1,68-69) Le salut vise la délivrance de la main des ennemis (1,71.74), ainsi que le culte rendu à Dieu dans la justice et la sainteté (1,74-75). Que symbolise la « corne de salut » ? À quoi fait-elle écho ? La seconde partie du cantique de Zacharie (Lc 1,76-79) annonce une autre « visite » au futur3 : « nousvisiteralelevantd’enhaut [ἐπισκέψεται ἡμᾶς ἀνατολὴ ἐξ ὕψους] » (1,78). Une promesse est ainsi formulée au début de l’évangile. La finalité de cette « visite » demeure le salut. Cependant, celui-ci prend forme dans la rémission des péchés (1,77), sur « le chemin de la paix » (1,79). Comment comprendre ce changement de perspective par rapport à Lc 1,68-75 ? À quoi renvoie l’image du « levant [ἀνατολή] » ? Le troisième emploi du vocabulaire lié à l’ἐπισκοπή divine chez Luc intervient dans le récit de la rencontre entre Jésus et la veuve de Naïn (Lc 7,16). Cette « visite » présente-t-elle des affinités avec le Benedictus ? Si oui, s’inscrit-elle davantage dans le prolongement de la première « visite » du cantique de Zacharie (1,68) ou dans l’avènement de la seconde (1,78) ? Lors de son entrée à Jérusalem et à l’aube de sa passion et de sa mort, Jésus pleure sur la ville : « tu n’as pas reconnu le temps detavisite [τῆς ἐπισκοπῆς σου] » (19,44). Le lecteur est témoin d’un rendez-vous manqué. Les questions soulevées à propos de Lc 7,16 résonnent à nouveau. Lors de l’assemblée à Jérusalem convoquée pour élucider la situation des non-Juifs embrassant la foi au Christ, Pierre partage son expérience auprès des païens (Ac 15,7-11). Il se fait porte-parole de « Dieu qui […] a témoigné en leur faveur 4 » (15,8). En effet, l’Esprit Saint leur a été donné « commeànous [καθὼς καὶ ἡμῖν] » (15,8) et « il n’a fait aucune distinction entre eux et nous, puisqu’il a purifié leur cœur par la foi » (15,9). Pierre termine son discours par une affirmation d’appartenance commune à la même « grâce du Seigneur Jésus » par qui « nous croyons être sauvés, exactement comme eux [καθ᾿ ὃν τρόπον κἀκεῖνοι] » (15,11). Jacques fait
3 Pour l’emploi de l’indicatif futur et non de l’aoriste à propos du verbe principal en Lc 1,78, voir la critique textuelle proposée dans le point 1.1 de la section II de l’introduction générale. 4 En Ac 15,8, le verbe principal ἐμαρτύρησεν est à l’indicatif aoriste et se traduit donc littéralement par un passé simple en français. Toutefois, pour accommoder la lecture, nous avons opté ici pour un passé composé, comme dans la plupart des éditions. Cet usage se reproduit occasionnellement ailleurs dans notre présent travail.
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D’UNE VISITE DIVINE À L’AUTRE
alors écho au témoignage de Pierre en disant (15,13-17) : « Frères, écoutez-moi. Syméon a exposé comment, dès le début, Dieuest intervenu pour choisir parmi des païens un peuple [qui soit] à sonNom [ὁ θεὸς ἐπεσκέψατο λαβεῖν ἐξ ἐθνῶν λαὸν τῷ ὀνόματι αὐτοῦ]. » (15,13-14) Cette déclaration de Jacques bouclerait-elle la boucle, avec la reconnaissance d’une « visite » de Dieu (15,14) à Jérusalem, en conformité avec « les paroles des prophètes » (15,15 // Lc 1,70) concernant les païens ? Les particularités de chacune des mentions de l’ἐπισκοπή de Dieu et leurs liens éventuels sont l’objet de la présente recherche. 2. L’ἐπισκοπή dans la Septante Quel usage la Septante fait-elle du verbe ἐπισκέπτομαι et du vocabulaire qui lui est lié5 ? Après avoir parcouru l’ensemble des occurrences, nous avons perçu cinq catégories de sens. Catégories de sens 1) Examiner, éprouver, recenser, etc.
ἐπισκέπτομαι ἐπισκοπῶ
ἐπισκοπή
101
(66%)
3 (75%)
14 (42%)
2) Manifester sa bienveillance, prendre soin, etc.
28
(18%)
1 (25%)
12 (30%)
3) Punir, sévir, etc.
19
(12%)
0 (0%)
9 (25%)
4
(3%)
0 (0%)
1 (3%)
1
(1%)
0 (0%)
0 (0%)
4) Confier un mandat, désigner, etc. 6
5) Rendre visite Total
153
(100%) 4 (100%) 36 (100%)7
5 L’exploitation du thème dans des écrits juifs extra-bibliques, notamment les manuscrits de la mer Morte, sera retracée dans les chapitres suivants, lors de l’étude des textes de Lc-Ac qui mentionnent une « visite » divine. Voir en particulier « Résurrection des morts et «visite» de Dieu dans les manuscrits de la mer Morte », au point 3.3.3 de la section II du chapitre premier. 6 Si 7,35 (à l’égard des malades). En partant du présupposé non unanimement admis que Luc est médecin, Delebecque rapproche les emplois d’ἐπισκέπτομαι en Lc-Ac avec ceux du grec classique où il signifie « rendre visite à un malade ». Voir Édouard DELEBECQUE, LesActesdesApôtres(Collection d’Études Anciennes), Paris, Les Belles Lettres, 1982, p. 74. 7 Ne sont pas prises en considération les quatre mentions où ἐπισκοπή est aussitôt suivi d’ἐπισκέπτομαι (Gn 50,24.25 ; Ex 3,16 ; 13,19). Celles-ci reflètent une construction propre à l’hébreu biblique (verbe à l’infinitif suivi aussitôt du même verbe à la forme personnelle) et sont déjà comptabilisées dans les occurrences du verbe ἐπισκέπτομαι en Lc 7,16.
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INTRODUCTION
Dans toutes ses catégories de sens, ἐπισκέπτομαι, ἐπισκοπῶ et ἐπισκοπή s’inspirent principalement du verbe hébreu פקדet de son substantif פּ ֻק ָדּה. ְ Cependant, ces termes n’ont pas été considérés par les auteurs de la Septante comme de parfaits synonymes. En effet, פקד apparaît 303 fois dans l’ensemble de la Bible hébraïque, soit deux fois plus que l’ensemble des mentions d’ἐπισκέπτομαι / ἐπισκοπῶ dans la Septante8. En outre, dans l’Ancien Testament, le mot hébreu correspondant à ἐπισκέπτομαι n’est pas exclusivement פקד9. Force est de constater que « visiter » / « visite » au sens courant du terme ne rend pas bien compte de la signification du vocabulaire lié à ἐπισκέπτομαι. En effet, hormis l’unique occurrence de la cinquième catégorie, ce verbe et son substantif évoquent l’action d’une personne ayant autorité sur d’autres ou sur un peuple10. En français, le sens de « visiter » est lui-même multiple, sans correspondre pour autant à l’ensemble des catégories énumérées ci-dessus et sans impliquer nécessairement une responsabilité à l’égard de la personne visitée. La traduction de ְפּ ֻק ָדּה/ פקדet d’ἐπισκέπτομαι / ἐπισκοπῶ / ἐπισκοπή par « visiter / visite » a été influencée par Jérôme qui les a souvent associés aux termes latins visitare/visitatio11. Qu’en est-il des passages de l’Ancien Testament où le vocabulaire lié à ἐπισκέπτομαι est relatif à l’action de Dieu ? Ces passages représentent un peu moins de la moitié de l’ensemble. Comparé au verbe ἐπισκέπτομαι, le substantif présente plus facilement un caractère théologique. D’ailleurs ἐπισκοπή est absent dans les écrits de Flavius Josèphe et de Philon d’Alexandrie, bien qu’ἐπισκέπτομαι y figure plus d’une fois12. Concernant le substantif פּ ֻק ָדּה, ְ il figure 32 fois dans l’A.T. ; ἐπισκοπή, 36 fois. Dans l’A.T., voici les autres mots hébreux associés à ἐπισκέπτομαι, ἐπισκοπῶ et ἐπισκοπή : בקר, « chercher » (Lv 19,20 ; Nb 16,5 ; Ez 34,11 ; Ps 27,4 TM) ; שׂושׂ, « se réjouir » (Jr 32,41) ; דרשׁ, « chercher » (Ez 20,40 ; 1 Ch 26,31 ; 2 Ch 24,6) ; בחן, « tester » (Ml 3,10) ; נחם, « réconforter » (Jb 2,11) ; ידע, « connaître » (Est 2,11) ; צפן, « cacher » (Ez 7,22) ; יִ ְראָה, « crainte » (Jb 6,14) ; תּ ְפ ָלה, ִ « malédiction » (Jb 24,12) ; סוֹד, « conseil » (Jb 29,4) ; סכן, « être utile » (Jb 34,9) ; רצה, « être favorable » (Jb 34,9) ; אור, « donner la lumière (piel) » (Pr 29,13). 10 Jean-Claude MARGOT, « Les “visites” de Dieu », in Cahiers de traduction biblique 30 (1998) 10-15. 11 Visitare / visitatio sont présents dans 128 versets de l’A.T. ; ἐπισκέπτομαι, ἐπισκοπῶ et ἐπισκοπή, dans 193 versets. Ne signifiant jamais « désigner / mandat » ou « recenser / recensement », les mots visitare/visitatioont un usage plus restreint qu’ἐπισκέπτομαι, ἐπισκοπῶ et ἐπισκοπή. 12 8 fois chez Flavius Josèphe et 17 fois chez Philon d’Alexandrie. En revanche, chez ce dernier apparaît 11 fois le substantif ἐπίσκεψις qui est considéré par la LXX comme un équivalent de ἐπισκοπή en Nb 26,22 pour signifier « revue », 8 9
D’UNE VISITE DIVINE À L’AUTRE
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Les emplois divins d’ἐπισκέπτομαι / ἐπισκοπῶ / ἐπισκοπή dans la Septante peuvent être classés selon les mêmes catégories de sens évoquées précédemment, hormis la dernière, « rendre visite », qui reste inutilisée13. Quand Dieu est le sujet de l’action visée par ἐπισκέπτομαι / ἐπισκοπῶ / ἐπισκοπή, celui-ci ne signifie jamais « recenser14 » ou « rendre visite », rarement « désigner » (3 fois), très occasionnellement « examiner » (11 fois), principalement « accorder sa faveur15 » ou « punir16 » (67 fois). Le vocabulaire lié à l’acte divin d’ἐπισκέπτομαι / ἐπισκοπῶ / ἐπισκοπή est l’indice d’une théologie de l’histoire. Dieu est maître de celle-ci et intervient dans le cours de la vie individuelle ou collective. L’idée fondamentale qui se dégage dans la Septante lorsque Dieu est le sujet de ces termes, se résume de cette manière : Dieu se manifeste auprès d’une personne ou d’un groupe, afin de voir attentivement ce qui se passe, d’accorder sa faveur ou de punir17. L’ἐπισκοπή divine est donc associée au jugement de Dieu qui décrète et intervient. Le sens principal du vocabulaire lié à ἐπισκέπτομαι subit un déplacement selon le sujet. Si c’est un être humain, l’usage de ce vocabulaire correspond davantage à son étymologie, « sur-veiller [ἐπι-σκοπῶ] », axée sur la vision (première catégorie). Si Dieu est le sujet, l’accent est mis sur son action dans l’histoire (deuxième et troisième catégories). Dans l’emploi d’ἐπισκοπή dans la Septante, la dichotomie entre le sens théologique et le sens profane est encore plus prononcée que dans le cas du verbe ἐπισκέπτομαι. En effet, pour les occurrences appartenant aux deuxième et troisième catégories (intervention en faveur ou contre, bienveillance ou châtiment), seul Dieu est le sujet de l’action représentée par ἐπισκοπή.
« recensement », etc. Voir la note sur Nb 26,18 dans Gilles DORIVAL (éd.), Les Nombres (La Bible d’Alexandrie, IV), Paris, Cerf, 1994, p. 471. 13 Voir les deux tableaux dans l’annexe 1. 14 Cependant, Dieu est parfois concerné indirectement en tant que, par exemple, il confie à Moïse des directives pour le recensement (Ex 30,12). 15 23 fois ἐπισκέπτομαι (ex : Gn 21,1), 12 fois ἐπισκοπή et 1 fois ἐπισκοπῶ. Le verbe ἐπισκέπτομαι est alors employé surtout au futur, dans l’énoncé d’une promesse, mais aussi au passé, pour faire mémoire, ou de manière exhortative (notamment par l’usage de l’impératif), dans l’espérance du secours de Dieu. 16 19 fois ἐπισκέπτομαι (ex : Ex 32,34), 9 fois ἐπισκοπή et 0 fois ἐπισκοπῶ. Dans cette catégorie de sens dont le sujet est toujours Dieu, ἐπισκέπτομαι est majoritairement au futur et dans les livres dits « prophétiques ». 17 Euan FRY, « He (God) Has Visited His People (Lk 1:68,78; Acts 15:14) », in BibleTranslator 50 (1999) 135-155, 288-312, 446-482, p. 446.
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INTRODUCTION
En Lc-Ac, le contexte d’utilisation d’ἐπισκέπτομαι / ἐπισκοπῶ / ἐπισκοπή conduit à interpréter ces termes comme une manifestation de bienveillance. Concentrons-nous sur les trente-six passages vétérotestamentaires de cette catégorie ayant Dieu pour sujet. Le complément d’objet du verbe est, dans la moitié des cas, le peuple d’Israël ; occasionnellement, l’un de ses membres ou de ses ascendants18 ; sporadiquement, les êtres humains et la création19. « Lesnations/païens [τὰ ἔθνη] » ne sont jamais présentées dans la Septante comme bénéficiaires de la « visite » bienveillante de Dieu. Quand il a comme complément d’objet lesnations[τὰ ἔθνη], ἐπισκέπτομαι signifie « punir20 ». Ac 15,14 marque ainsi une nouveauté puisqu’il y est reconnu que des nations peuvent recevoir la faveur de Dieu. Un témoignage favorable aux païens a déjà été exprimé en Esd 1,2 où Cyrus est celui que Dieu « lui-même adésigné [ἐπεσκέψατο] pour lui bâtir une maison à Jérusalem qui est en Juda ». Toutefois, cette action de Dieu demeure orientée par sa bienveillance envers le peuple d’Israël. À la différence du verbe ἐπισκέπτομαι, le substantif ἐπισκοπή, pour évoquer une action de Dieu, est davantage utilisé dans les écrits poétiques et sapientiaux de la Septante, que dans le Pentateuque (une attestation) et les écrits dits historiques (aucune mention)21. Cette prépondérance affecte le sens général de l’ἐπισκοπή divine dans la Septante de deux manières. Tout d’abord, dans quatre passages du livre de Job22, l’ἐπισκοπή divine se révèle comme une action permanente et imperceptible en raison de son caractère intime et presque naturel, en relation à l’acte créateur (Jb 10,9). Selon le témoignage de Job exprimé aposteriori, c’est-à-dire quand il ne perçoit plus l’ἐπισκοπή divine, celle-ci lui donnait de « garder[son]souffle [ἐφύλαξέν μου 18 Sara (Gn 21,1) et Anne (1 S 2,21) à qui Dieu donne d’enfanter ; Jérémie (Jr 15,15) qui espère être vengé de ses persécuteurs ; Judith (Jdt 13,20) à qui Ozias adresse une bénédiction divine ; l’humble en prière (Si 35,18 LXX) qui aspire à la justice du Très-Haut ; le(s) juste(s) / saints (Sg 2,20 ; 3,7 ; 4,15) à qui Dieu manifeste sa bienveillance y compris durant la persécution et qui rayonne(nt) de sa lumière. 19 L’être humain qui se reconnaît créé par Dieu (Ps 8,5), qui ne peut échapper au jugement de Dieu (Jb 34,9 bis ; Sg 3,13) et qui ne doit prêter attention qu’aux oracles, aux augures ou aux songes envoyés par Dieu (Si 34,6) ; la terre (Ps 64,10 LXX) qui est abreuvée d’eau et comblée de richesses. 20 Voir Ps 58,6 (LXX). 21 Concernant l’ἐπισκοπή divine, 17 utilisations sur 25 sont situées dans des livres poétiques ou sapientiaux, alors qu’on en dénombre 12 sur 50 pour le verbe ἐπισκέπτομαι. 22 Jb 6,14 ; 7,18 ; 10,12 ; 29,4.
D’UNE VISITE DIVINE À L’AUTRE
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τὸ πνεῦμα] » (10,12), c’est-à-dire de demeurer bien vivant. Job associe l’ἐπισκοπή divine à la vie [ζωή] et à la miséricorde [ἔλεος] prodiguées par Dieu (10,12 ; 6,14 respectivement), à son aide vitale [βοήθεια], à sa lumière qui permet de marcher dans les ténèbres (29,3). Elle est l’expression par excellence de « Dieu[quile]garde [ὁ θεὸς ἐφύλαξεν] » (29,2) ; qui prend soin dans la durée ; qui est gardien de la vie du juste, dans le quotidien ordinaire comme dans les épreuves. Ensuite, plusieurs attestations de livres poétiques et sapientiaux manifestent que les faveurs de l’ἐπισκοπή divine ne sont pas nécessairement conditionnées par une appartenance au peuple d’Israël, mais par une attitude juste aux yeux de Dieu23. Même si, dans la Septante, l’ἐπισκοπή divine véhicule encore une théologie de l’histoire, elle évoque aussi la bienveillance divine en termes de faveur naturelle et une attention spéciale aux justes éprouvés. Le vocabulaire lié à ἐπισκέπτομαι porte l’empreinte de la Septante mais également de la culture gréco-romaine24. Déjà au VIIIe siècle avant Jésus Christ, une conception religieuse primitive de visitations divines est identifiable chez les Grecs dans l’Iliade (XXII,255) d’Homère25. Dans la mythologie grecque, le champ sémantique du vocabulaire lié à l’ἐπισκέπτομαι demeure limité à la vision et non à une action suscitant une transformation visible. Un verset en particulier atteste avec force que Luc connaissait bien la conception religieuse grecque des visitations divines : « À la vue de ce que Paul venait de faire, la foule s’écria, en lycaonien : “Les dieux, sous forme humaine, sontdescendus [κατέβησαν] parmi nous !” » (Ac 14,11)26 La réflexion d’Adelbert Denaux a le mérite de mettre en lumière que Lc-Ac fait place à plusieurs visitations divines, même dans des péricopes où le vocabulaire lié à ἐπισκέπτομαι est absent. Celles-ci s’inspirent fort probablement de ces modèles de visitations divines de type grec où l’hospitalité et le dévoilement final du dieu en question sont 23 Jb 34,9 bis ; Sg 2,20 ; 3,7 (expresssion presque identique à Lc 19,44 : ἐν καιρῷ ἐπισκοπῆς) ; 3,13 ; 4,15 ; Si 34,6. 24 Hermann W. BEYER, « ἐπισκέπτομαι, ἐπισκοπέω, ἐπισκοπή, ἐπίσκοπος, ἀλλοτριεπίσκοπος », in Gerhard KITTEL (éd.), Theological Dictionary of the New Testament, traduit par Geoffrey W. BROMILEY, Grand Rapids MI, Eerdmans, 1964, Vol. II (Δ-Η), 599-622, p. 600-601. 25 Ce constat va à l’encontre d’une affirmation de Fitzmyer pour qui le sens religieux d’ἐπισκέπτομαι n’est pas attesté dans la littérature grecque extra-biblique. Voir Joseph A. FITZMYER, TheGospelAccordingtoLukeI–IX(The Anchor Yale Bible, 28), Garden City NY, Doubleday, 1981, p. 383. 26 Voir aussi Ac 10,25-26 ; 28,6.
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INTRODUCTION
deux aspects récurrents27. L’Ancien Testament a sans doute été marqué lui aussi, par une compréhension religieuse similaire de la manifestation de Dieu auprès des êtres humains. Pensons à ces passages évoquant Dieu comme celui qui, par exemple, descend sur la terre en prenant la figure d’un ange ou d’un autre messager, comme dans la révélation de Dieu à Mambré (Gn 18,1-16) ou à l’Horeb (Ex 3,2)28. 3. Méthode et démarche Notre approche de la « visite » de Dieu chez Luc consiste en une étude approfondie des quatre passages de Lc-Ac où une « visite » divine est attestée, en vue de discerner à chaque fois le sens particulier de celle-ci. Pour l’exploration de chaque péricope, nous mettons en œuvre une analyse littéraire ajustée à la question maîtresse de notre ouvrage. Primo, nous cherchons avant tout le sens littéraire et théologique du thème de l’ἐπισκοπή divine, telle que celle-ci se présente dans l’œuvre de Luc (Lc-Ac). Secundo, notre enquête porte sur un thème pour lequel l’arrière-fond de la Septante et, plus largement, de la culture juive s’avère décisif. Tertio, puisque les quatre péricopes concernées ne présentent aucun parallèle et couvrent divers genres littéraires, la méthode choisie doit permettre de les embrasser dans une même étude. Notre démarche se rattache à une approche intertextuelle de Lc-Ac. Elle s’est avérée en affinité avec celle pratiquée par Richard B. Hays29. Le principal présupposé de celle-ci est que les écrits du Nouveau Testament sont ancrés dans un monde symbolique façonné par l’Ancien Testament. L’intertextualité se déploie à travers des aller-retours de l’interprète entre le texte de Luc, l’ensemble de la Bible, la littérature 27 Denaux a distingué sept moments clés de ces visitations divines de type grec, et les a repérés dans le récit des disciples d’Emmaüs (Lc 24,13-35) qu’il considère ainsi comme une visitation divine. Voir Adelbert DENAUX, « A Stranger in the City. A Contribution to the Study of the Narrative Christology in Luke’s Gospel », in LouvainStudies 30 (2005) 255-279, p. 264-265. 28 En Ex 3,2, il s’agit d’un « ange du Seigneur [qui] sefitvoir [ὤφθη] » à Moïse. En Ex 3,16, Moïse est invité par le Seigneur à dire aux anciens des fils d’Israël : « Seigneur, le Dieu de vos pères, s’estfaitvoir [ὦπταί] à moi ». De plus, le Seigneur lui dit : « 7 J’ai vu […]. J’ai entendu […] ; oui, je connais ses angoisses. 8 Je suis descendu [κατέβην / ]וָ ֵא ֵרדpour le délivrer de la main des Égyptiens » (Ex 3,7-8 ; repris en Ac 7,34). Voir aussi Ps 17,10 (LXX). 29 Voir Richard B. HAYS, EchoesofScriptureintheGospels, Waco TX, Baylor University Press, 2016. Nous avons pris connaissance de cet ouvrage récent alors que notre recherche était achevée.
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juive extra-biblique et des œuvres classiques. Pour chacun de ces corpus, nous sommes particulièrement attentifs aux richesses portées par la langue de ses témoins les plus anciens. L’investigation des rapprochements possibles et féconds entre différents textes suit un ordre de priorité objective des cadres d’intertextualité : d’abord, le corpus Lc-Ac ; puis, la totalité du canon biblique ; les autres traditions et documents relevant du monde juif ; ceux afférents à la culture grécoromaine. Au cas par cas, nous nous référons à la manière dont des écrits antiques postérieurs au Nouveau Testament ont interprété certains versets liés à notre recherche : apocryphes chrétiens et écrits patristiques. Par exemple, les Pseudo-clémentines apportent un éclairage sur les directives de Ac 15. Les relations intertextuelles ne sont pas nécessaires, en première instance, pour comprendre une péricope de Luc dans sa logique littéraire et dans sa signification immédiate. Cependant, en seconde instance, elles confèrent au texte un arrière-fond ou une résonnance qui permettent au lecteur de saisir, sur une trame plus longue, les déplacements, les recompositions et les enjeux des événements racontés. L’intertextualité fonctionne à la fois par mode de ressemblances et de dissemblances révélatrices. Le travail de mise en relation des textes entre Lc-Ac et l’Ancien Testament se situe le plus souvent au niveau de la réception du texte lucanien par l’interprète, sans que cela engage de soi une intention au niveau de la production du texte en question. Avec Hays, nous distinguons trois catégories de références intertextuelles : 1) la citation est le plus souvent introduite par une formule ; 2) l’allusion reprend soit plusieurs mots d’un texte vétérotestamentaire, soit une figure ou un événement ; 3) l’écho, moins facile à discerner et toujours discutable, repose sur un seul terme ou une simple phrase30. Cependant, le nombre de mots en commun ne suffit pas à établir une connexion intertextuelle. Ce premier critère – dit « de volume » – est pertinent dans la mesure où il est consolidé au moins par un ou plusieurs autres. Hays en nomme six autres : la « cohérence thématique » (la similitude des circonstances entre la source vétérotestamentaire et le texte étudié), la « satisfaction » (la nécessité de la référence vétérotestamentaire pour comprendre les enchaînements du passage en question), la « récurrence » (la mention du récit ou de la figure vétérostestamentaire ailleurs dans le livre du Nouveau Testament concerné), la « disponibilité » (la connaissance de la source vétérotestamentaire 30
Richard B. HAYS, EchoesofScriptureintheGospels, p. 10.
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INTRODUCTION
par l’auteur), la « plausibilité historique » (la capacité du lecteur de l’époque à saisir la référence vétérotestamentaire) et l’« histoire de l’interprétation » (la mention du même écho vétérotestamentaire chez d’autres auteurs anciens ou modernes)31. Par rapport aux citations rencontrées chez les autres évangélistes, qui recourent surtout à la voix du narrateur, celles qui interviennent chez Luc sont le plus souvent mises dans la bouche des acteurs du récit. Le lecteur est alors invité à interpréter ces citations dans la dynamique de l’« intrigue32 » (plot). D’après notre analyse des occurrences d’ἐπισκέπτομαι et d’ἐπισκοπή dans le corpus lucanien, en relation à l’action de Dieu, le récit est commandé par la résolution progressive d’une énigme concernant l’identité de Jésus et la forme concrète de salut que ce dernier transmet. À travers notre exégèse de Lc-Ac, nous sommes attentive à discerner trois instances avec leurs décalages ou leurs convergences : la parole des acteurs dans les récits, la voix du narrateur et les messages du rédacteur. L’intertextualité s’avère particulièrement pertinente pour interpréter les motifs christologiques de Lc-Ac, car, à deux reprises, Jésus ressuscité explique à ses disciples que « toutes les Écritures » sont indispensables pour accéder à la pleine signification de son parcours et de son identité (Lc 24,27 ; repris en 24,44). Notre méthode d’analyse est sous-tendue par plusieurs présupposés quant à la nature du texte et de l’interprétation. Primo, dans la relation entre le texte et l’interprète, la parole du texte est porteuse d’une altérité dont l’accueil ne va pas de soi, car le propre de l’être humain est d’écouter en projetant ses propres références. L’accueil de l’altérité de la parole du texte n’est possible que moyennant un apprivoisement du texte par étapes successives et en ouverture à tout le texte. Cela inclut le contexte et le « pré-texte », c’est-à-dire l’ambiance culturelle, socio-politique et religieuse dans laquelle le texte a émergé. 31 L’exigence des sept critères de Hays, là où peu d’auteurs explicitent les leurs, nous conduit à les considérer au cas par cas. Voir Richard B. HAYS, EchoesofScripture in the Letters of Paul, New Haven CT, Yale University Press, 1989, p. 2933. Nous complèterons les critères de Hays par ceux d’Allison. Voir Dale C. ALLISON, TheNew Moses.AMattheanTypology, Minneapolis MN, Fortress Press, 1993, p. 1923. 32 Richard B. HAYS, Echoes of Scripture in the Gospels, p. 192. Dans notre ouvrage, les termes « intrigue », « acteur », « personnage », « narrateur » et « lecteur » sont entendus au sens courant de la langue française. Leur usage ne relève pas des spécificités de l’analyse narrative, telle qu’elle est formalisée, notamment, par Daniel MARGUERAT – Yvan BOURQUIN (éds.), Pour lire les récits bibliques. Initiation à l’analysenarrative, Paris – Genève, Cerf – Labor et Fides, 20043.
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Secundo,la formation du texte biblique est le fruit d’un long processus de maturation humaine et spirituelle au sein d’une communauté, à la croisée de plusieurs réseaux (cultures grecque, juive et chrétienne). En amont de la mise par écrit interviennent de multiples résonnances en dialogue, en transformation. Une façon de recevoir le texte consiste à y « entrer » en prêtant attention à ces résonnances, sans les forcer, ni les négliger. D’où l’apport des recherches intertextuelles. Une analogie peut être tirée de l’expérience courante de la communication orale avec une personne de culture étrangère. La comprendre de mieux en mieux suppose de s’intéresser aux différentes étapes de son parcours et de la situer dans ses réseaux. Cela permet de la découvrir avec plus de profondeur, de finesse et de surprises, que si cette même personne est isolée de son parcours et de ses réseaux. Tertio, une fois que l’auteur, les auteurs ou les éditeurs ont transmis leur texte, celui-ci devient une réalité en elle-même. Livré à ses lecteurs, le texte s’avère porteur de sens qui ne se limitent pas aux intentions de l’auteur. En revanche, les données du texte imposent des limites à ses interprétations légitimes. Dans une communication, il y a au minimum trois réalités distinctes : celui qui parle, celui qui écoute et la parole véhiculée. Quand la communication est écrite, la parole véhiculée se distingue davantage de l’auteur qui ne peut plus la transformer pour clarifier sa pensée. Dans le cas du texte biblique, reçu comme inspiré par les croyants, il est reconnu que l’inspiration passe par les auteurs ou les éditeurs du texte transmis. Mais elle les dépasse aussi. Elle accompagne le texte dans son ensemble, dans le cadre du canon biblique et au sein de la communauté de foi qui en recueille la cohérence fondamentale. Concrètement, d’un chapitre à l’autre, l’analyse se déroule en deux phases. La première porte sur la délimitation du texte, les variantes textuelles pertinentes pour l’exégèse, le contexte littéraire, la structure et le genre littéraire. La seconde phase procède à l’exégèse proprement dite et à l’interprétation du texte. Nous employons plusieurs outils : la concordance des termes et les spécificités qui s’en dégagent, la syntaxe en ses récurrences et en ses particularités, la comparaison des péricopes étudiées avec d’autres passages du même genre littéraire, l’inscription des péricopes dans l’intrigue qui se développe à l’échelle du corpus lucanien, ainsi que la géographie de la grande Judée. Dans les bilans intermédiaires, nous offrons des reprises et des prolongements théologiques.
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INTRODUCTION
Ayant déjà exploré longuement, dans un travail antérieur, les deux premières occurrences de la « visite » dans le cadre du Benedictus, notre recherche est plus développée pour les trois autres attestations qui interviennent dans des unités narratives33. 4. Fécondité anticipée Quels bénéfices pouvons-nous déjà entrevoir au moment d’entreprendre cette recherche ? À ce stade, contentons-nous d’ouvrir deux pistes d’interrogation relatives à différents registres. Explorer la « visite » chez Luc invite d’abord à chercher une cohérence d’ordre littéraire, reflet de la vie – pas seulement des intentions – qui anime une communauté, d’une main à l’autre, au fil du processus de formation de Lc-Ac. D’une occurrence à l’autre, l’ἐπισκοπή de Dieu témoigne d’une intrigue spécifiquement lucanienne à l’intérieur de la narration et du même coup aux yeux du lecteur. L’enjeu est de reconnaître dans sa dimension la plus profonde tant l’identité de Jésus que le salut dont il est porteur. Le cantique de Zacharie parle de deux « visites » différentes, l’une proclamée comme accomplie et l’autre annoncée comme à venir. Vers quel événement celle-ci pointe-t-elle ? Ou encore : comment se fait-il qu’en Lc 19,44 Jésus déclare que la « visite » n’a pas été reconnue, alors qu’en Lc 7,16, elle a été confessée en sa présence par une foule immense ? Chaque proclamation de la « visite » de Dieu est accompagnée dans son contexte immédiat de la déclaration d’un aspect singulier de l’identité de Jésus. Nous serons attentifs à discerner deux niveaux dans la désignation de Jésus en son identité : de la part des acteurs à l’intérieur des récits, en termes de reconnaissances, et de la part du narrateur, sous forme d’appellations. L’ἐπισκοπή divine chez Luc se rencontre en des contextes de mort ou de fermeture. D’un côté, le deuil est au point de départ de la rencontre de Jésus avec la veuve de Naïn. De l’autre, la fermeture est sensible à travers les larmes de Jésus sur Jérusalem et lors du conflit d’Antioche, élément déclencheur de l’assemblée de Jérusalem. Déjà, dans le cantique de Zacharie, l’opprobre de la stérilité et le refus de croire composent le terrain sur lequel Dieu « visite » son peuple. Dans la mesure où l’ἐπισκοπή divine est modulée de façon différente en ses diverses attestations, il paraît possible de dépasser telle 33
Voir la note 34 de la section II de l’introduction générale.
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ou telle configuration particulière, comme le deuil ou la stérilité, pour envisager une interprétation analogique de l’ἐπισκοπή et son application à des contextes similaires. À ce stade, les modulations précises restent à dégager, mais nous pouvons déjà entrevoir qu’une herméneutique de la « visite » de Dieu sera en prise avec l’existence humaine exposée au risque de la fermeture et à la mort. Au fil du parcours se dégage une certaine pédagogie de la « visite » de Dieu, propre à inspirer et à soutenir la vie chrétienne. II. LES
DEUX
« VISITES »
DU
BENEDICTUS (LC 1,68.78)
Dans cette section, nous livrons les résultats de notre recherche antérieure sur le premier texte lucanien, de genre hymnique, où intervient notre objet d’étude34. Traditionnellement appelé Benedictus, le cantique de Zacharie (Lc 1,68-79) célèbre une double « visite » divine (1,68.78). L’interprétation de la seconde attestation (1,78) suscite des divergences depuis les premiers siècles de notre ère, d’après les variantes mises en évidence par la critique textuelle35. Vers quel événement pointe l’ἐπισκοπή divine en Lc 1,78 ? Est-ce une simple reprise de celle qui a été énoncée en Lc 1,68 ? Ou le nouveau champ sémantique entourant Lc 1,78 indique-t-il non seulement une autre perspective, mais aussi un horizon différent ? Notre démarche comporte trois phases : une étude préliminaire du texte, suivie de l’analyse exégétique de l’ἐπισκοπή divine en Lc 1,68 et en Lc 1,78. Étant donné les limites de l’espace disponible, nous nous concentrons surtout sur l’exégèse de la seconde « visite » (1,78) qui, par rapport à la première, est plus discutée par les commentateurs. Par une étude littéraire, nous aboutissons à identifier l’ἐπισκοπή divine de Lc 1,68 à l’avènement du Fils de Dieu dans le contexte des attentes messianiques du Ier siècle de notre ère, et celle de Lc 1,78 à 34 Les principaux éléments de cette section concernant Lc 1,77-79 ont été publiés dans notre article : Marie de LOVINFOSSE, « L’événement visé par la seconde “visite” du Benedictus d’après le champ sémantique entourant Lc 1,78 », in ScienceetEsprit 69 (2017) 361-379. Une recherche exhaustive sur les deux premières occurrences de l’ἐπισκοπή divine en Lc-Ac a été conduite dans notre mémoire pour l’obtention de la maîtrise ès arts en théologie au Collège universitaire dominicain d’Ottawa (octobre 2014). Voir Marie de LOVINFOSSE, « La double “visite” de Dieu dans le Benedictus : étude exégétique de Lc 1,68.78 », Mémoire de licence canonique, in Collègeuniversitairedominicain(Ottawa) [en ligne], http://www.udominicaine.ca/bibliotheque, 2014, (page consultée le 3 avril 2016). 35 Voir le point 1.1 de la présente section.
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INTRODUCTION
l’exaltation de Jésus par Dieu, de laquelle résulte le don de l’Esprit Saint (Ac 2,33) et l’envoi des disciples proclamant la conversion et la rémission des péchés (2,38-39). 1. Vue d’ensemble sur la péricope de Lc 1,68-79 Dans cette section, sont retenus les éléments les plus pertinents pour l’interprétation des deux « visites » du Benedictus : la critique textuelle, le contexte immédiat, le genre littéraire et la structure. La délimitation de la péricope est assez évidente : elle est signalée par la prise de parole de Zacharie après qu’il eut retrouvé l’usage de la voix. 1.1. Critiquetextuelleàproposdelaseconde« visite »(Lc1,78) Parmi les différents passages de Lc 1,68-79 qui présentent des variantes, un seul affecte de façon majeure l’interprétation du texte36. En Lc 1,78, certains scribes ont écrit ἐπεσκέψατο (indicatif aoriste moyen, troisième personne du singulier) et d’autres ἐπισκέψεται (indicatif futur moyen, troisième personne du singulier), conjugaison retenue par Nestle–Aland etal. Les critères de critique externe favorisent la formulation au futur car elle est attestée par des témoins plus anciens, quoique moins nombreux, notamment trois manuscrits grecs du IVe siècle et de tradition alexandrine primaire dont la qualité supérieure est notable : deux onciaux, le Sinaïticus avant correction et le Vaticanus, ainsi que la minuscule Freerianus appelée aussi Washingtonius. Se rattache à la même tradition le papyrus p4 (fin du IIe siècle)37. 36
La démarche adoptée pour la critique textuelle des différentes péricopes est celle de Bruce M. METZGER – Bart D. EHRMAN, TheTextoftheNewTestament:Its Transmission,Corruption,andRestoration, London, Oxford University Press, 20054, p. 305-315. À moins d’une indication contraire, notre recherche de critique textuelle est basée sur la liste des témoins donnée par GNT5, celle-ci étant plus complète que celle qui est fournie par NTG28 pour le verset étudié. Nous nous conformons au système de numérotation des manuscrits de Gregory–Aland, instauré par Caspar René Gregory and Kurt Aland, et utilisé par NTG28, tout comme par GNT5. Pour l’identification des traditions représentées par les manuscrits, voir Bruce M. METZGER – Bart D. EHRMAN, The Text of the New Testament, p. 305-315 ; Barbara ALAND – Kurt ALANDetal., TheTextoftheNewTestament:AnIntroductiontotheCriticalEditions and to the Theory and Practice of Modern Textual Criticism, Grand Rapids MI – Leiden – Boston MA, Eerdmans – Brill, 19892, p. 107-140. Pour Lc 1,68-79, voir l’apparat critique de Barbara ALAND – Kurt ALANDetal. (éds.), TheGreekNewTestament, Stuttgart, Deutsche Bibelgesellschaft, 20145, p. 109-110 ; Barbara ALAND – Kurt ALANDetal. (éds.), NovumTestamentumGraece[Nestle–Aland], p. 182-183. 37 Voici d’autres témoins attestant ἐπισκέψεται en Lc 1,78 : certains manuscrits latins des versions anciennes de la Vulgate ou de Pères de l’Église qui diffèrent de
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Or, l’un de ses fragments laisse entrevoir les deux premières lettres du verbe avec certitude (ΕΠ), suivies de la moitié de la troisième lettre qui ressemble davantage à la forme d’un iota qu’à celle d’un epsilon38. Quant à la variante à l’aoriste, ses témoins les plus anciens parmi les manuscrits grecs datent du Ve siècle et aucun d’eux n’appartient à la tradition alexandrine primaire39. Les deux critères de critique interne portent à voir dans la variante à l’aoriste une correction. Premièrement, au niveau de l’activité de transcription du scribe avec sa part d’erreurs, intentionnelles ou non, il est possible de discerner dans la conjugaison à l’aoriste en 1,78 un souci d’harmonisation avec l’occurrence du même verbe à l’aoriste au début de l’hymne (1,68)40. Deuxièmement, la cohérence interne du texte fait pencher en faveur d’ἐπισκέψεται en 1,78. En effet, dans la seconde partie du Benedictus(1,76-79), les deux autres verbes à l’indicatif sont au futur, alors que dans la première partie (1,68-75), les cinq verbes à la version officielle de la Vulgate (vgmss, IIIe – Ve siècles, tradition occidentale ou byzantine), la version Syrus Sinaiticus du Vieux Syriaque (syrs, IIIe – IVe siècles, occidentale) et la Peshitta(syrp, Ve siècle, byzantine), les versions coptes sahidiques et bohaïriques (cosa.bo, à partir du IIIe siècle, alexandrine) ; parmi les citations anciennes, la moitié des attestations de Lc 1,78 dans les œuvres de GRÉGOIRE DE NYSSE avec des adaptations contextuelles négligeables (IVe siècle, byzantine), de même que les écrits de JÉRÔME (IVe – Ve siècles, occidentale). 38 Selon une étude de première main sur le papyrus p4 à partir d’une image fournie par CENTER FOR THE STUDY OF NEW TESTAMENT MANUSCRIPTS, « Manuscript Search », in Center for the Study of New Testament Manuscripts [en ligne], http://csntm.org/ Manuscript, (page consultée le 19 février 2016). Comfort aboutit à la même conclusion. Voir Philip W. COMFORT, New Testament Text and Translation Commentary: CommentaryontheVariantReadingsoftheAncientNewTestamentManuscriptsand HowTheyRelatetotheMajorEnglishTranslations, Carol Stream IL, Tyndale, 2008, p. 169. 39 L’Alexandrinus (02, Ve siècle, tradition byzantine), l’EphraemiRescriptius (04, Ve siècle, alexandrine secondaire) et le BezaeCantabrigiensis(05, Ve siècle, occidentale) et le Sinaïticus après correction, ainsi qu’un bon nombre d’autres témoins des traditions occidentales, byzantines ou alexandrines secondaires, notamment plusieurs versions de la Vieille Latine, l’ensemble de la tradition liée à la Vulgate (hormis les manuscrits mentionnés parmi les témoins de l’autre variante), la version Harklensis (Syrh, VIIe siècle, byzantine) et la version palestinienne (Syrpal, VIe siècle, byzantine) du Vieux Syriaque ; parmi les citations anciennes, des écrits latins d’IRÉNÉE DE LYON (IIe – IIIe siècles, occidentale), la moitié des attestations de Lc 1,78 dans les œuvres de GRÉGOIRE DE NYSSE avec des adaptations contextuelles négligeables (IVe siècle, byzantine), des œuvres de Pères de l’Église du IVe – Ve siècles, affiliés à la tradition alexandrine secondaire (DIDYME L’AVEUGLE, CYRILLE D’ALEXANDRIE, PROCLUS DE CONSTANTINOPLE, HÉSYCHIUS DE JÉRUSALEM) ; enfin, AMBROISE DE MILAN et AUGUSTIN D’HIPPONE (Ve siècle, occidentale). 40 Tel est l’argument principal de Metzger en faveur d’ἐπισκέψεται (Lc 1,78). Voir Bruce M. METZGER, ATextualCommentaryontheGreekNewTestament, Stuttgart, Deutsche Bibelgesellschaft, 19942, p. 110.
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l’indicatif sont à l’aoriste. En Lc 1,78, Raymond E. Brown défend la forme passée (ἐπεσκέψατο) au nom des témoins majoritaires de cette variante et du principe de la lectiodifficilior 41.Toutefois, il donne davantage de poids à la quantité qu’à la qualité des témoins. De plus, en Lc 1,78, la formulation au futur (ἐπισκέψεται) est-elle vraiment une lecture plus facile ? 1.2. Contexte littéraire immédiat (Lc 1,57-80) et genre littéraire de Lc1,68-79 Lors de la circoncision de son fils, huit jours après la naissance, Zacharie prononça le nom de l’enfant, donné par l’ange. Aussitôt, « il semitàparlerenbénissantDieu [ἐλάλει εὐλογῶν τὸν θεόν] » (Lc 1,64). Luc précise qu’alors Zacharie « fut rempli de l’Esprit Saint et prophétisa » (1,67). Cet hymne qui a une portée particulière, car il est placé sous le signe de l’Esprit Saint (1,67), est présenté comme une prophétie (1,67) et précède le récit de la naissance de Jésus (2,1-7). Le Benedictus appartient au genre littéraire de l’hymne. L’évangile de Luc en compte quatre, voire cinq, principalement dans les récits de l’enfance (Lc 1–2)42. Tout d’abord, Luc ouvre son évangile par quatre cantiques de louange qui lui sont propres, qui sont tous situés dans ses récits de l’enfance et qui sont chantés par des voix diversifiées : Marie (Lc 1,46-55), Zacharie (1,68-79), les anges (2,14) et Syméon (2,2932). Ces cantiques se rapportent tous à un enfant : Jésus (pour Marie, les anges et Syméon) et Jean (pour Zacharie). Ces enfants sont accueillis comme une bonne nouvelle suscitant une joie supérieure à celle 41
Raymond E. BROWN, « The Birth and Naming of John the Baptist; Zechariah’s Prophecy (Luke 1:57-80) », in TheBirthoftheMessiah:ACommentaryontheInfancy Narratives in the Gospels of Matthew and Luke (The Anchor Bible Reference Library), éd. rev., New York NY, Doubleday, 1993, p. 373. Wolter soutient également la variante à l’aoriste en raison de la similitude de forme syntaxique avec l’occurrence du même verbe en Lc 1,68. Voir Michael WOLTER, DasLukasevangelium (HNT, 5), Tübingen, Mohr Siebeck, 2008, p. 116. Selon Benoît, la forme verbale du verbe en Lc 1,78 à l’aoriste (ἐπεσκέψατο) trahirait la présence d’une source. Le futur (ἐπισκέψεται) résulterait du travail rédactionnel de Luc. Il aurait ajusté le temps du verbe à ceux des deux versets (1,77-78) qu’il aurait ajoutés. Voir Pierre BENOÎT, « L’enfance de Jean-Baptiste selon Luc 1 », in NewTestamentStudies 3 (1957) 169-194, p. 185. 42 Le nombre d’hymnes identifiés en Lc 1–2 varie selon les auteurs. Pour la présentation de différentes hypothèses, voir Thomas P. OSBORNE, « Les “hymnes” du récit de l’enfance de l’évangile de Luc. Première partie : cinq thèses sur la fonction des hymnes de Lc 1–2 », in Daniel GERBER – Pierre KEITH (éds.), Les hymnes du Nouveau Testament et leurs fonctions (Lectio divina, 225), Paris, Cerf, 2009, 281294, p. 281.
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habituellement liée à une naissance. Ils deviennent signes de Dieu qui se révèle et, du même coup, une révélation. Ensuite, l’expression de la reconnaissance de Jésus envers le Père, du moins dans la première partie où il s’adresse directement à lui (10,21), a de bonnes raisons d’être également considérée comme un hymne. Une étude minutieuse de ces cinq différents hymnes montre qu’ils gravitent tous autour de deux thèmes chers à Luc : la dynamique de dévoilement, ainsi que les enfants, les petits, à qui et par qui Dieu se révèle avec prédilection. 1.3. Structurebipartite :leDieud’Israëletlepetitenfant Trois critères permettent d’identifier deux parties dans le cantique de Zacharie : Lc 1,68-75 et 1,76-79. Primo, la syntaxe des verbes est différente. Parmi les huit verbes principaux, c’est-à-dire conjugués à l’indicatif, les cinq premiers (1,68-73) sont à l’aoriste de la troisième personne du singulier et les trois derniers verbes (1,76-78) au futur, à la deuxième personne du singulier, sauf le dernier, à la troisième personne du singulier (1,78). Secundo, la forme varie également. La première partie (1,68-75) commence par bénir « le Seigneur, le Dieu d’Israël » (1,68). La seconde partie (1,76-79) s’ouvre par une adresse emphatique – « Ettoi [Καὶ σὺ δέ] petit enfant » – dont la force d’interpellation étonne, puisque l’enfant n’a encore que huit jours. Un phénomène similaire se présente chez Virgile, quarante ans avant la naissance de Jésus : « Quantàtoi,enfant [Attibiprima,puer] […]43 ». L’identité de cet enfant est enveloppée d’un mystère puisque son nom n’est pas explicité par Virgile. Tertio, le contexte immédiat du Benedictusfavorise encore cette division bipartite. La première partie fait écho à la mention de la bénédiction de Zacharie aussitôt qu’il eût recouvré la voix (Lc 1,64) et la seconde, à la question de l’entourage : « Que sera donc ce petit enfant ? » (1,66)44. 43 VIRGILE, « Bucoliques. IV : Pollion », in René PICHON (éd.), Œuvrescomplètes (Collection d’auteurs latins d’après la Méthode historique), Fribourg, Hatier, 1916, 40-45, p. 41-42. Cette œuvre est considérée comme « le généthliaque antique par excellence […], poème (ou discours) de circonstance célébrant ou commémorant une naissance, […] genre littéraire peu attesté dans l’Antiquité, mais qui connaît un relatif succès chez les néo-latins ». Selon le plan-type du généthliaque mis en œuvre par Virgile, le poète s’adresse à l’enfant, après avoir appelé les dieux. Voir Aline SMEESTERSLELUBRE, Auxrivesdelalumière :lapoésiedelanaissancechezlesauteursnéolatins des anciens Pays-Bas entre la fin du XVe siècle et le milieu du XVIIe siècle (Supplementa Humanistica Lovaniensa, XXIX), Bruxelles, Leuven University Press, 2011, p. 32, 517. 44 Michel GOURGUES, « Prier les hymnes du Nouveau Testament », in Cahiers Évangile 80 (2000) 3-68, p. 23.
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INTRODUCTION
Une attention au sujet de chaque « visite » développée dans chacune des deux parties du cantique de Zacharie aboutit à la structure suivante : 1) la « visite » réalisée par le Seigneur, le Dieu d’Israël (1,6875) et 2) la « visite » annoncée du levant d’en haut en lien avec la mission future du petit enfant (1,76-79). 2. Exégèse de Lc 1,68-79 Chacune des deux « visites » mentionnées dans le cantique de Zacharie est accompagnée d’une image : « la corne de salut » (Lc 1,69) et le « levant d’en haut » (1,78). D’une « visite » à l’autre, nous serons particulièrement attentifs à deux aspects : le sens de l’image spécifique qui lui est associée et la conception du salut qui l’entoure. 2.1. La« visite »réalisée(Lc1,68-75) 2.1.1. La corne de salut (Lc 1,69) L’ἐπισκοπή divine de Lc 1,68 est mise en relation avec l’émergence de la « cornedesalut [κέρας σωτηρίας] dans la maison de David, son serviteur » (1,69). Introuvable ailleurs dans le Nouveau Testament, l’expression « corne de salut [κέρας σωτηρίας] » figure seulement deux fois dans la Septante, dans un chant de David adressé au Seigneur (2 S 22,3 ; par. Ps 17,3 LXX) : « Le Seigneur est mon gardien, je serai en confiance avec lui, mon défenseur et ma corne de salut [κέρας σωτηρίας μου]. » (2 S 22,3) La même expression « corne de salut » est familière aux oreilles d’un juif, car elle apparaît également dans le ShemonehEsreh(« Dixhuit [bénédictions] »),appelé aussi « laprière []ה ְתּ ִפ ָלּה ַ ». En effet, il était récité trois fois par jour et était placé au centre de la liturgie synagogale. Les similitudes de Lc 1,68-75 avec la quinzième bénédiction dédiée à la royauté de la maison de David sont frappantes. Suscite [ = ַת ְצ ִמ ַיחἐξανατελεῖς] bientôt le rejeton [ = ֶצ ַמחἀνατολή] de David ton serviteur [ = ָדּוִ ד ַע ְב ְדָּךΔαυὶδ παιδὸς σου], et exalte sa corne [ = וְ ַק ְרנוֹ ָתּרוּםὑψώσεις τὸ κέρας αὐτοῦ] par ton salut [ישׁוּע ֶתָך ָ = ִבּἐν σωτηρίᾳ σου] car c’est ton salut que nous espérons tout le jour. Béni es-tu, Seigneur [ ָאַתּה יְ י ָ ]בּרוְּך, ָ qui est en train de susciter [= ַמ ְצ ִמ ַיח ἐξανατέλλων] la cornedusalut [שׁוּעה ָ ְ = ֶק ֶרן יκέρας σωτηρίας].45 45
Pour la version hébraïque de cette prière juive, voir Stephen MARLER (éd.), Readings&PrayersForJewishWorship, Altamonte Springs FL, OakTree Software,
D’UNE VISITE DIVINE À L’AUTRE
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Cette attestation manifeste que la « corne du salut » pouvait non seulement être associée à Dieu, comme en 2 S 22,3 et en Ps 17,3 (LXX), mais aussi au Messie. Zacharie déclare ainsi exaucée par Dieu la demande de l’envoi du Messie davidique, formulée de façon récurrente. 2.1.2. Le salut : la délivrance de la main des ennemis (Lc 1,71.74) Dans le Nouveau Testament, l’expression « maindesennemis [χείρ ἐχθρῶν] » est introuvable en dehors du Benedictus. En revanche, dans la Septante, elle apparaît dans près de cinquante versets. Trois d’entre eux contiennent également le verbe « délivrer [ῥύομαι] » et la préposition « de [ἐκ] » devant « la main des ennemis » : Ps 17,1 (LXX) déjà évoqué précédemment en raison de la mention de la « corne de salut » (17,3)46 ; Ps 30,16 (LXX) et Mi 4,10. En outre, les trois attestations sont associées à la figure de David. Le dernier passage présente des affinités supplémentaires avec le Benedictus puisqu’il contient dans son environnement immédiat l’annonce de l’avènement du prince messianique qui sortira de Bethléem (Mi 5,1) et qui « délivrerad’Assour [ῥύσεται ἐκ τοῦ Ασσουρ] » (5,5) Israël. Une telle conception du Messie et du salut demeure essentiellement matérielle, plus exactement socio-politique. Le même phénomène se retrouve au niveau des attentes projetées sur Jésus tout au long de son parcours, avant sa mort et sa résurrection, et même après, du moins jusqu’au moment de son ascension. Ceci est particulièrement frappant chez les acteurs qui figurent dans le troisième évangile, y compris les disciples. Pensons d’abord aux récits de guérison. Dès le début du ministère de Jésus, de grandes foules viennent « pour l’écouter et se faire guérir de leurs maladies » (Lc 6,18). Quand il accomplit une guérison à un autre niveau de profondeur, ses auditeurs, en particulier les scribes et les Pharisiens, murmurent contre lui (5,21 ; 7,39.49). Ensuite, regardons les disciples. Même si Pierre déclare une fois que Jésus est 2000. La rédaction finale du Shemoneh Esreh revient à Rabban Gamaliel II, vers 90 après Jésus Christ. Cependant, les trois dernières bénédictions, y compris la quinzième remonteraient à l’époque des Maccabées, c’est-à-dire au IIe siècle avant Jésus Christ. Voir Simon C. MIMOUNI, « La BirkatHa-Minim : une prière juive contre les judéo-chrétiens », in RevuedesSciencesReligieuses 71 (1997) 275-298, p. 278. 46 David rend grâce à Dieu « le jour où leSeigneurledélivra delamaindetous sesennemis [ἐρρύσατο αὐτὸν κύριος ἐκ χειρὸς πάντων τῶν ἐχθρῶν αὐτοῦ] et de la main de Saül » (Ps 17,1). Dans le parallèle de 2 S 22,1, le verbe utilisé est « tira [ἐξείλατο] » au lieu de « délivra ». Les enenmis visés sont les Philistins (2 S 21,1522).
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INTRODUCTION
« le Messie de Dieu » (9,20), le lecteur comprend par la suite que, comme bien d’autres fois, notamment lors de la Transfiguration de Jésus, « il ne savait pas ce qu’il disait » (9,33 ; absent dans les parallèles de Mc 9,6 et de Mt 17,4). Lors de son arrivée ultime à Jérusalem, une grande foule de ses disciples l’acclament : « Béni soit celui qui vient, le roi, au nom du Seigneur ! » (19,38), mais ils le font en raison de « toutes les actions puissantes qu’ils avaient vues » (19,37 ; absent dans les parallèles de Mc 11,9 et de Mt 21,9). Après la mort et la résurrection de Jésus, deux disciples quittent Jérusalem, tellement ils sont déçus car ils avaient « tant espéré que lui, [ce prophète puissant en action et en parole devant Dieu et devant tout le peuple], était celui qui allait délivrer Israël » (24,20 avec insertion du v. 19 ; propre à Luc). Enfin, juste avant son ascension, des disciples demandent à Jésus « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le royaume pour Israël ? » (Ac 1,6) Si la première occurrence de la « visite » du Benedictus est solidaire d’une conception socio-politique du salut, qu’en est-il de la seconde ? 2.2. La« visite »annoncée(Lc1,76-79) 2.2.1. Le « levant d’en haut » (Lc 1,78) En Lc 1,78, que signifie l’ἀνατολή et qui désigne-t-il ? La compréhension de l’ἀνατολή dans ce verset est discutée au point d’être considérée comme une crux interpretum47. Il est difficile d’en éclairer le sens à partir de sa seule autre mention dans l’ensemble de l’œuvre de Luc, où elle est déclinée au pluriel après une préposition indiquant une origine : « Alors il en viendra dulevantetducouchant [ἀπὸ ἀνατολῶν καὶ δυσμῶν], du nord et du midi, pour prendre place au festin dans le royaume de Dieu » (13,29). Les autres occurrences de l’ἀνατολή dans le Nouveau Testament ne fournissent pas plus d’indices, car elles sont précédées d’une préposition ou suivies d’un complément, ce qui n’est pas le cas en Lc 1,78. La compréhension de l’ἀνατολή en Lc 1,78 s’éclaire par l’étude du verbe ἀνατέλλω à travers le Nouveau Testament48, plus spécialement dans une des trois occurrences de Matthieu. En effet, Mt 4,16 fait écho à un passage d’Isaïe annonçant la naissance 47 Joseph A. FITZMYER, Luke I–IX, p. 387. Voir aussi Heinrich SCHLIER, « ἀνατέλλω, ἀνατολή », in Gerhard KITTEL (éd.), TheologicalDictionaryoftheNewTestament, traduit par Geoffrey W. BROMILEY, Grand Rapids MI, Eerdmans, 1964, Vol. I (Α-Γ), 351-353, p. 352. 48 Six dans les évangiles : trois en Mt (4,16 ; 5,45 ; 13,6), deux en Mc (4,6 ; 16,2), une en Lc (12,54). Les trois autres occurrences sont situées en He 7,14 ; Jc 1,11 ; 2 P 1,19.
D’UNE VISITE DIVINE À L’AUTRE
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d’un prince messianique (Is 8,23–9,1). Évoquant la lumière comme symbole du salut associé à la naissance du Messie, la dernière partie de la prophétie (Is 9,1) est partiellement incluse en Lc 1,79 où sont formulés les bienfaits de la « visite » future de l’ἀνατολή en Lc 1,78. 823 Fais-le en premier, fais-le vite, région de Zabulon, terre de Nephtali, [sur la] route de la mer, et les autres [vous] qui habitez la rive de la mer et au-delà du Jourdain, Galilée des Nations, les parts de Judée. 91 [Vous]le peuplequimarchezdansl’obscurité [ὁ λαὸς ὁ πορευόμενος ἐν σκότει], voyez une grande lumière ; ceuxquidemeurentdanslarégionetl’ombre de la mort [οἱ κατοικοῦντες ἐν χώρᾳ καὶ σκιᾷ θανάτου], une lumière brillerasur [λάμψει ἐφ᾿] vous. (Is 8,23–9,1 LXX)49
La forme originale de l’ἀνατολή en Lc 1,78, en tant que réalité personnifiée, est connue de la Septante (Za 3,8 ; 6,12 ; Jr 23,5) où elle est un titre messianique. Le sens littéral de l’ἀνατολή est double : tantôt le « lever » ou le « levant » d’un être céleste comme une étoile ou le soleil (d’où la possibilité de signifier aussi « l’orient »), tantôt le « germe » ou la « pousse » d’une plante. La Septante utilise un même mot (ἀνατολή) pour ces deux champs sémantiques, là où la Bible hébraïque a maintenu une distinction : זֶ ַרחou ( נֹגַ הּle « levant ») et ֶצ ַמח (le « germe »). En Za 3,8 ; 6,12 et Jr 23,5, le terme hébraïque correspondant à l’ἀνατολή est צ ַמח,ֶ le « germe ». Par contre, en Lc 1,78-79, le champ sémantique est bien celui de la lumière et porte à interpréter ἀνατολή comme « levant ». L’« étoile [ἄστρον / ]כּוֹכב ָ » qui va « s’élever[ἀνατέλλω / קוםou » ]דרך, dont il est question en Nb 24,7, est mentionnée avec un sens messianique et eschatologique dans des manuscrits de Qumrân et des pseudépigraphes d’Ancien Testament en grec50. 49 Au lieu de « brillersur [λάμπω ἐπί] » (Is 9,1 LXX), Mt 4,16 utilise le verbe « selever [ἀνατέλλω] ». 50 DocumentdeDamas (CD VII 18-19 = 4Q269 5 2-3), le Rouleaudelaguerre des Fils de Lumière contre les Fils des Ténèbres (1Q33 11 6) et le Testimonia (4Q175 12), tous trois situés entre le IIe et le Ier siècles avant Jésus Christ, ainsi que le TestamentdeLévi 18,3 et le TestamentdeJuda 24,1. Concernant ces deux derniers ouvrages, la datation de l’original grec est complexe et incertaine (entre 100 avant Jésus Christ et 300 après Jésus Christ) car, non seulement l’original grec n’est qu’indirectement accessible par des copies du Xe siècle ou plus, mais il est aussi le résultat évident de multiples strates rédactionnelles. Voici les éditions de ces cinq documents : Joseph M. BAUMGARTEN – Joseph Thaddée MILIK et al. (éds.), Qumrân Grotte4•XIII :leDocumentdeDamas(4Q266-4Q273) (Discoveries in the Judaean Desert, XVIII), London, Oxford University Press, 1996 p. 128 (CD VII 18-19 = 4Q269 5 2-3) ; Eleazar L. SUKENIK (éd.), TheDeadSeaScrollsoftheHebrewUniversity, Jerusalem, Hebrew University Press, 1955, planche 26 ; John M. ALLEGRO – Arnold A. ANDERSON (éds.), QumrânGrotte4•I(4Q158-4Q186) (Discoveries in the Judaean Desert, V), London, Oxford University Press, 1968 p. 58 (4Q175 12) ;
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INTRODUCTION
Il n’est donc pas nécessaire de restreindre l’interprétation messianique aux occurrences où l’ἀνατολή signifie « germe » / « pousse », comme le fait Joseph A. Fitzmyer51. En Lc 1,78, le complément « d’en haut [ἐξ ὕψους] » confère à l’ἀνατολή un caractère tout à fait singulier, en l’occurrence divin. La Septante l’utilise toujours en relation à Dieu quand il se présente au sens symbolique52. Dans le Nouveau Testament, cette expression se retrouve uniquement chez Luc, au début et au terme de son évangile (Lc 1,78 ; 24,49)53, formant ainsi une inclusion. Elle est rattachée dans les deux cas à une promesse en suspens et voilée. Jésus promet à ses disciples la « forced’enhaut [ἐξ ὕψους δύναμιν] » (24,49) après leur avoir ouvert « l’esprit à l’intelligence des Écritures » (24,45) et leur avoir confié le mandat de « proclamer en son nom le repentir pour la rémission des péchés » (24,47). En Ac 1,4-5, juste avant son ascension, Jésus dévoile l’objet de « la promesse du Père » qu’il avait évoquée en Lc 24,49, et se réfère pour cela au baptême dans l’Esprit Saint annoncé par Jean (Lc 3,16) et réalisé à la Pentecôte : « Jean a donné le baptême d’eau, mais vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici quelques jours. » La seconde partie du cantique de Zacharie présente le même Jean, « petit enfant » (1,76), ainsi que sa mission de « préparer les chemins [du Seigneur] pour donner la connaissance du salut à son peuple dans la rémission des péchés » (1,76). À l’ouverture des Ac, il s’avère que cette finalité se réalisera en Jésus Christ exalté répandant l’Esprit Saint sur ses disciples qui se mettront à « proclamer en son nom le repentir pour la rémission des péchés » (24,47). La signification de l’ἀνατολή en Lc 1,78 est typiquement lucanienne tout en s’inspirant de la tradition. Contrairement aux occurrences de la Septante quand elle recourt à ce substantif en tant que titre messianique, l’ἀνατολή appartient chez Luc au champ sémantique de la lumière et non à celui du germe. En Lc 1,78, la représentation de Marinus de JONGE – Harm W. HOLLANDERetal. (éds.), TheTestamentsoftheTwelve Patriarchs:ACriticalEditionoftheGreekText (Pseudepigrapha Veteris Testamenti Graece, 1/2), Leiden – Boston MA, Brill, 1978 p. 46-48 (TestamentdeLévi 18,3) et p. 76-77 (TestamentdeJuda 24,1). 51 Joseph A. FITZMYER, LukeI–IX, p. 387. 52 Six mentions : toutes au sens figuré, plus spécifiquement divin (Ps 17,17 LXX ; 101,20 LXX ; 143,7 LXX ; Si 16,17 LXX ; Lm 1,13), sauf une au sens littéral (2 S 22,17). 53 Le même terme au génitif, mais selon la forme du superlatif (« du Très-Haut [ὑψίστου]), renvoie toujours à Dieu et est plus fréquent dans le N.T., surtout en Lc-Ac : Mc 5,7 (par. Lc 8,28) ; Lc 1,32.35.76 ; 6,35 ; Ac 16,17 ; He 7,1.
D’UNE VISITE DIVINE À L’AUTRE
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l’ἀνατολή se distingue aussi de celle de la Septante et des écrits de la mer Morte, car elle fait référence à une figure messianique d’origine divine et non pas humaine. Elle diffère également de la représentation de Matthieu (4,16-17), l’ἀνατολή n’étant pas seulement un signe avantcoureur du Messie, mais sa figure symbolique. De plus, chez Luc, Jésus est manifesté de façon singulière comme Messie, non pas dès le temps de sa prédication du royaume, mais à partir de son exaltation, comme en témoigne le discours de Pierre à la Pentecôte (Ac 2,33) : « Exalté à la droite de Dieu, ayant reçu du Père la promesse de l’Esprit Saint, il a répandu celui-ci que vous voyez et entendez. » Notre interprétation de l’ἀνατολή en Lc 1,78 en tant que signe lumineux, le « levant », s’écarte de celles de plusieurs commentateurs. Fitzmyer préfère maintenir l’ambiguïté du terme ἀνατολή, tout en accordant une priorité à la signification de « germe54 ». Cyprian P. Lyngdoh et I. Howard Marshall optent pour une jonction des deux images messianiques dans l’interprétation de l’ἀνατολή : celle du « germe de David55 » et celle de « l’astre de Jacob » (Nb 24,17)56. Darrell L. Bock et François Bovon appuient cette dernière hypothèse tout en affirmant que l’image du soleil levant domine57. Quelques commentateurs défendent une hypothèse similaire à la nôtre58. Parmi les interprétations disponibles de Lc 1,78, la nôtre rejoint sur un point 54
Joseph A. FITZMYER, LukeI–IX, p. 387-388. Jr 23,5 en lien avec la « souche de Jessé » en Is 11,1. 56 Cyprian P. LYNGDOH, « “God Visiting His People” in the Lucan Texts », in IndianJournalofSpirituality 18 (2005) 135-155, 288-312, 446-482, p. 297 ; I. Howard MARSHALL, The Gospel of Luke (New International Greek Testament Commentary), Grand Rapids MI, Paternoster, 1978, p. 95. Lyngdoh appuie son hypothèse sur Ap 22,16 : « Moi, Jésus, […]. Je suis lerejetonetlalignéedeDavid [ἡ ῥίζα καὶ τὸ γένος Δαυίδ], l’étoilebrillantedumatin [ὁ ἀστὴρ ὁ λαμπρὸς ὁ πρωϊνός]. » Toutefois, le terme ἀνατολή y est absent. De plus, l’écriture de l’Apocalypse est postérieure à celle du troisième évangile. L’argument est donc faible. Pour garder le double sens, Meynet propose de traduire en Lc 1,78 ἀνατολή par « celui-qui-point », tout en l’évoquant aussi comme l’astre. Voir Roland MEYNET, L’évangiledeLuc(Rhétorique sémitique, 8), Pendé, Gabalda, 2011, p. 98-105. 57 Darrell L. BOCK, Luke.Volume1(1:1–9:50) (Baker Exegetical Commentary on the New Testament, 3A), Grand Rapids MI, Baker Book, 1994, p. 192 ; François BOVON, L’Évangile selon saint Luc. Vol. I (1,1–9,50) (Commentaire du Nouveau Testament. Deuxième Série, IIIa), Genève, Labor et Fides, 1991, p. 109. 58 Richard J. DILLON, « Benedictus(Luke 1:68-79) », in TheHymnsofSt.Luke: LyricismandNarrativeStrategyinLuke1–2 (Catholic Biblical Quarterly-Monograph Series, 50), Washington DC, The Catholic Biblical Association of America, 2013, 49-95, p. 78-79 ; David E. GARLAND, Luke(Zondervan Exegetical Commentary on the New Testament, 3), Grand Rapids MI, Zondervan, 2011, p. 107 ; Michael WOLTER, Das Lukasevangelium, p. 116-117. 55
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INTRODUCTION
celle de Rindoš : il considère la possibilité d’un lien avec la promesse de l’Esprit Saint59, sans mentionner le moment de l’exaltation. De plus, son étude de Lc 1,78 porte surtout sur l’ἀνατολή, sans s’attarder au verbe ἐπισκέψεται. Nous avons montré également que l’ἀνατολή de Lc 1,78 désigne le Messie60, non pas Dieu61, et encore moins Jean62. Les interprètes pour qui Lc 1,78 renvoie à une action de Jean, « le prophète du Très-Haut » (1,76), ou de Dieu, le « Très-Haut », considèrent uniquement l’indication « d’enhaut[ἐξ ὕψους] » sans prendre suffisamment en compte l’image de l’ἀνατολή qui, dans la LXX, ne désigne à aucun moment Dieu ou un prophète mais parfois le Messie (Jr 23,5 ; Za 3,8 ; 6,12). De plus, dans le contexte immédiat (le cantique de Syméon), le symbole de la « lumière » est appliqué à Jésus de manière anticipée (Lc 2,32). En effet, dans la suite de Lc et dans les Ac, quand la lumière renvoie à Jésus, celui-ci est ressuscité et manifesté comme Seigneur et Christ63. 2.2.2. Le pardon des péchés et la connaissance du salut (Lc 1,77) Dans la seconde partie du Benedictus, la « rémission des péchés [ἄφεσις ἁμαρτιῶν] » (Lc 1,77) est annoncée comme l’expérience concrète (« connaissance ») du salut, dans sa dimension « négative », ou pour le dire autrement, libératrice. Dans les évangiles, il est peu question de « rémission des péchés64 », si ce n’est chez Luc où le thème est attesté à six reprises, dont la moitié lui sont propres et sont répartis d’un bout à l’autre de son évangile (1,77 ; 7,47-49 ; 24,47). 59
Rindoš suggère de mettre en parallèle les cinq passages suivants : Lc 1,77-78 ; 3,3.6 ; 3,16 ; 24,47.49 ; Ac 1,4-5. Voir Jaroslav RINDOŠ, « The Canticle of Zechariah (Luke 1:68-79) », in He of Whom It Is Written: John the Baptist and Elijah in Luke (Österreichische Biblische Studien), Frankfurt, Peter Lang, 2010, 77-99, p. 9495. 60 Position défendue entre autres par Michael WOLTER, Das Lukasevangelium, p. 117 ; Darrell L. BOCK, Luke. Volume 1 (1:1–9:50), p. 192 ; François BOVON, L’ÉvangileselonsaintLuc.Vol.I(1,1–9,50), p. 109 ; Joseph A. FITZMYER, LukeI–IX, p. 387 ; I. Howard MARSHALL, TheGospelofLuke, p. 94 . 61 Pour Rindoš, l’ἀνατολή représente à la fois le salut de Dieu et le Messie. Voir Jaroslav RINDOŠ, « The Canticle of Zechariah (Luke 1:68-79) », p. 91-97. 62 Selon Dillon, la source baptiste qui aurait inspiré le Benedictus, conduirait à interpréter l’ἀνατολή en Lc 1,78 comme une image attribuée à Jean, que Luc aurait christianisée. Voir Richard J. DILLON, « Benedictus(Luke 1:68-79) », p. 80 et 94. 63 Le Seigneur ressuscité se manifestant à Paul (Ac 9,3 ; 22,6.9.11 ; 26,13), le Christ proclamé par Paul au peuple et aux nations (Ac 26,23). 64 La recherche de concordance porte sur le substantif (ἄφεσις ἁμαρτιῶν) et sur le verbe (ἀφίημι ἁμαρτίας).
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D’UNE VISITE DIVINE À L’AUTRE
Récits où la rémission des péchés est annoncée tantôt de façon générale, tantôt comme un don à venir, tantôt donnée au présent65
Lc
Mc
Mt
Jn
Ac (donnée)
Benedictus (à venir)
1,77
–
–
–
2,38
Ministère de Jean (à venir)
3,3
1,4
–
–
5,31
Paralytique (donnée)
5,20.21.23.24
2,5.7.9.10
9,2.5.6
–
10,43
Pécheresse (donnée)
7,47.48.49
–
–
–
13,38
(6,12)
–
26,18
Pater (demandée)
66
11,5
–
–
3,28
12,31
–
absent en 22,20
absent en 14,24
26,28
–
24,47
–
–
–
Pierre (à venir)
–
–
–
20,33
Total
6
3
3
1
Blasphème contre l’Esprit (général) Dernier repas (à venir) Mission des disciples (à venir)
5
Dans les évangiles, la plupart de ces mentions sont situées dans une perspective d’avenir, sauf deux récits. Tout d’abord, lors de la guérison du paralytique, Jésus reçoit ce dernier en commençant par lui dire « tes péchés sont remis67 ». Ce texte est commun aux synoptiques. Ensuite, dans un récit propre à Lc, Jésus accueille une femme pécheresse en déclarant à Simon puis à celle-ci, que ses péchés sont remis (Lc 7,47.48). Dans les évangiles, ce témoignage est singulier : la femme vient à Jésus en tant que pécheresse, et non en raison d’une maladie corporelle. Dans les deux cas, l’attitude de Jésus est occasion de perplexité, voire d’accusation de blasphème68. La rémission des péchés est présentée par Jésus à ses disciples comme étant liée à un don à recevoir du Père, à concrétiser dans les relations humaines69 et à annoncer « à toutes les nations, en commençant par Jérusalem » (24,47). En Ac, la rémission 65 Les références qui appartiennent à des récits propres à un évangéliste sont en gras, celles qui relèvent d’une parole de Jésus sont soulignées et celles dont les récits parallèles n’ont pas la mention sont en italique. 66 « Dettes [ὀφειλήματα] » au lieu de « péchés [ἁμαρτίας] ». 67 Mc 2,5.7.9.10 ; par. Mt 9,2.5.6 et Lc 5,20.21.23.24. 68 Lc 7,49 (propre à Luc) ; Mc 2,7 (par Lc 5,21 et Mt 9,3). 69 Voir la demande dans la prière du Pater(Lc 11,4 ; par. Mt 6,12) et l’exhortation au sujet de la correction fraternelle (Lc 17,3-4 ; par. Mt 18,21-22).
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INTRODUCTION
des péchés n’est plus principalement proclamée comme un don à venir, elle est désormais donnée ouvertement en Jésus Christ. Les Actes achèvent le dévoilement en déclarant que Dieu donne le salut dans la rémission des péchés, par Jésus, en l’exaltant et en le manifestant ainsi comme sauveur (Ac 5,30-32). Qu’en est-il de la rémission des péchés avant sa manifestation ultime en Jésus Christ ? Bien que l’expression « rémission/pardon despéchés [ἄφεσις ἁμαρτιῶν] » soit introuvable dans la Septante, sa forme verbale est plus courante70. Les deux seules mentions qui visent un futur et concernent une collectivité sont proclamées par Is (33,24 ; 55,7) et ont une portée eschatologique. Elles introduisent une dynamique nouvelle de relation entre Dieu et son peuple, tout comme les attestations de « pardonner [ » ]סלחdans les écrits de la mer Morte71. Or, la seconde partie du Benedictus(Lc 1,76-79) est également au futur et adressée à « nous » / « son peuple ». Nous sommes donc autorisés à interpréter Lc 1,77 dans la même perspective. Pour les chrétiens du XXIe siècle, la rémission des péchés par Dieu « à son peuple » (1,77) peut être perçue comme un don facilement accessible, en particulier à travers les sacrements. Cette expérience chrétienne de la rémission des péchés est sans doute davantage célébrée fréquemment que désirée longuement. Or, pour le judaïsme ancien et contemporain de Jésus, la rémission des péchés n’était pas assurée de la même manière. Les Écritures rapportent des moments où Dieu aurait décidé de ne pas pardonner à son peuple ou aurait hésité, même si par la suite il se reprend72. Dans le judaïsme contemporain de Jésus, la rémission des péchés est plutôt demandée qu’identifiée comme une réalité accomplie et présente73. De plus, elle était liée à des institutions profondément ancrées 70 Dans la LXX, « remettre/pardonnerlepéché [ἀφίημι ἁμαρτίας] » se rencontre vingt fois : deux attestations l’évoquent comme une action humaine (Gn 50,17 ; Si 28,2 LXX). 71 Les seules mentions de סלחau yiqtol pour exprimer un futur sont situées dans le rouleau du Temple (11Q19) dont la portée est collective dans trois cas (18 8 ; 26 10 ; 27 2) en lien avec les sacrifices d’expiation. La visée est alors eschatologique. Voir Elisha QIMRON – García M. FLORENTINO (éds.), TheTempleScroll:ACritical Edition with Extensive Reconstructions (Judean Desert Studies), Beer Sheva, BenGurion University of the Negev Press, 1996, p. 28, 40-41. 72 Exemple : 2 R 24,4. Jr 5,7 présente Dieu en train de demander comment il pourrait pardonner son peuple, pour finalement choisir de le faire (Jr 38,34 LXX). 73 Dans la LXX, l’action divine de « pardonnerlespéchés [ἀφίεναι ἁμαρτίας] » est le plus souvent le résultat d’une demande exprimée par la médiation de sacrifices (Lv 4,20.26.35 ; 5,6.10.13 ; 19,22 ; Nb 15,25) ou du prophète Moïse (Ex 32,32 ;
D’UNE VISITE DIVINE À L’AUTRE
29
dans un lieu et un espace défini : le Temple, lieu du sacrifice et des grandes célébrations, notamment le Jour annuel du Grand Pardon (Lv 16)74. La prophétie de Zacharie, annonçant que « la connaissance du salut par la rémission des péchés » sera donnée à tout le peuple, est ainsi reçue par ses contemporains comme une grande nouvelle. Bilan : le Benedictus et l’intrigue de la « visite » dans l’œuvre de Luc À l’aube de la naissance de Jésus, la première partie du Benedictus (Lc 1,68-75) célèbre la « visite » de Dieu dans l’avènement du Messie davidique. En même temps, elle reflète l’attente religieuse de milieux juifs du Ier siècle, telle qu’elle sera projetée sur Jésus par les acteurs du récit de Lc, habités par les promesses messianiques et par l’espoir d’une délivrance socio-politique. La seconde partie du Benedictus (Lc 1,76-79) donne la perspective à laquelle Luc conduit le lecteur, grâce à une autre « visite » qui pointe vers l’exaltation de Jésus répandant l’Esprit Saint. Alors sera pleinement révélée l’identité divine du Messie qui relie la fragilité de l’existence humaine marquée par le péché et la mort, aux « entrailles de miséricorde de notre Dieu » (1,78). Le cantique de Zacharie annonce ainsi l’intrigue de l’œuvre de Luc en regard de la « connaissance du salut » (Lc 1,77). Les deux parties mettent en exergue le décalage entre les attentes des contemporains de Jésus et la foi post-pascale de l’évangéliste. D’abord, durant le temps pré-pascal, les personnes qui côtoient Jésus ou qui cheminent avec lui sont incapables de reconnaître le sens et la portée de la « visite » salvifique de Dieu, au point que Jésus pleurera sur Jérusalem en lui disant : « tu n’as pas connu le temps de ta visite » (19,44). Nb 14,19). Six mentions ne précisent pas de démarches préalables et la présentent comme une déclaration dont la portée est individuelle et particulière (Ps 31,1.5 LXX) ou générale (accomplie ou présente : Ps 84,3 LXX et Si 2,11 LXX ; future : Is 33,24 et 55,7). Voir aussi James H. CHARLESWORTH – John S. KSELMAN, « Forgiveness: Old Testament and Early Judaism », in David N. FREEDMAN (éd.), TheAnchorBibleDictionary, New York NY, Doubleday, 1992, Vol. II, 831-835. 74 Pour la communauté de Qumrân détachée du Temple de Jérusalem, la promesse de la rémission des péchés du peuple était associée au Temple idéal, eschatologique, qui serait bâti par Dieu avec une collaboration humaine. Voir Eric W. BAKER, « The Eschatological Role of the Jerusalem Temple in the Temple Scroll of Qumran », in TheEschatologicalRoleoftheJerusalemTemple:AnExaminationofJewishWritings Datingfrom586BCEto70CE, Hamburg, Anchor Academic Publishing, 2015, 268311, p. 293-294, 303-304.
30
INTRODUCTION
Cette difficulté est plus d’une fois soulignée par Luc, y compris chez les disciples. Pensons à la troisième annonce de la passion et de la résurrection de Jésus (18,31-33; par. Mc 10,33-34 et Mt 20,18-19), où Luc est le seul à préciser que les disciples « ne comprirent rien à cela ; et cette parole était cachée d’eux, et ils ne savaient pas ce qui était dit » (18,34). Ou encore, aux disciples désespérés quittant Jérusalem après la mort de Jésus et ses premières manifestations pascales (24,1335; propre à Luc) : « leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître » (24,16). Ensuite, grâce à la « visite » de Jésus exalté accompagnée du don de l’Esprit Saint, non seulement les yeux de ses disciples s’ouvrent, mais aussi l’intelligence de leur cœur et leur langue. Ils peuvent désormais proclamer la singularité du don de Dieu en Jésus Christ « à toutes les nations, en commençant par Jérusalem » (Lc 24,47). Certains témoignages sporadiques, comme celui de Zacharie (1,67-79), des anges à la naissance (2,11), de la femme pécheresse (7,36-50), sont des anticipations du dévoilement qui viendra avec l’exaltation de Jésus et le don de l’Esprit.
CHAPITRE PREMIER
L’ἐπισκοπή DIVINE À LA PORTE DE NAÏN (LC 7,16) I. VUE D’ENSEMBLE SUR LA PÉRICOPE DE LC 7,11-17 Notre attention se porte sur le profil contextuel et littéraire du récit où intervient la troisième occurrence de la « visite » de Dieu en Lc-Ac. Seront ici traités les aspects suivants du texte : la délimitation de la péricope, la critique textuelle, le contexte tant immédiat qu’élargi, la structure, ainsi que le genre littéraire1. 1. Délimitation du texte La délimitation du récit qui contient le verset de notre étude (Lc 7,16) est guidée par des critères objectifs d’ordre littéraire. 1.1. Bornesupérieure :Lc7,11 Pour déterminer la borne supérieure de l’unité littéraire à laquelle s’intègre Lc 7,16, des indices d’ordre narratif se laissent percevoir de manière manifeste au verset 11 : changement de lieu (Ναΐν) et de temps (ἐν τῷ ἑξῆς), arrivée de nouvelles figures par rapport au récit précédent (les disciples de Jésus, une veuve, son fils unique et une foule de Naïn), tandis que d’autres disparaissent dans l’environnement immédiat (le centurion, son serviteur, ses amis et des anciens parmi les Juifs). À partir du verset 11, l’action est en lien avec la mort, tout comme en 7,1-10. En 7,12, il s’agit d’un fils décédé et déjà presque enterré, alors qu’en 7,2, il est question d’un serviteur encore vivant, quoique sur le point de mourir. Le changement de contenu repérable à partir du verset 11 se confirme au niveau de la forme. Relevons la présence d’une formule introductive, 1 Il a été établi clairement dans l’introduction générale que l’étude porte sur le texte de Luc tel qu’il se présente et s’en tient à sa teneur littéraire et théologique, sans aborder la question des sources et de l’historicité. Pour une étude qui aborde le même texte selon ces deux derniers points de vue, voir par exemple John P. MEIER, AMarginalJew:RethinkingtheHistoricalJesus.VolumeII:Mentor,Message,andMiracles (The Anchor Bible Reference Library), New York NY, Doubleday, 1994, p. 788-798, avec bibliographie abondante en notes, p. 850-860.
32
CHAPITRE PREMIER
de même qu’un déplacement sur deux plans : le style des prises de parole et le vocabulaire. Premièrement, les premiers termes du verset 11 – « Et il arriva après [Καὶ ἐγένετο ἐν τῷ ἑξῆς] » – sont une clause introductive reproduite de façon presque similaire en Lc 9,37, seul autre témoin d’une telle figure de style dans la Bible : « Orilarrivalejoursuivant [Ἐγένετο δὲ τῇ ἑξῆς ἡμέρᾳ] ». En réalité, le début de l’expression « Etilarriva [Καὶ ἐγένετο] est déjà une formule d’introduction, en plus d’être une expression usuelle chez Luc, tout comme « orilarriva [ἐγένετο δέ] » qui a un sens équivalent. L’une et l’autre expressions (καὶ ἐγένετο / ἐγένετο δέ) suivies d’un verbe à l’indicatif non précédé de καί ou d’une autre conjonction de coordination, constitue un septuagintisme reflétant une construction hébraïque2. Deuxièmement, en Lc 7,11-17 tout comme en 7,1-10 et en 7,18-23, les prises de parole sont au nombre de trois. En 7,1-10 et en 7,11-17, elles sont de même type, en tant qu’elles ne suscitent aucun dialogue. Cependant, dans le récit de Lc 7,11-17, à la différence de ceux de 7,110 et 7,18-23, l’initiative de la parole revient à Jésus. Ses paroles sont concises, limitées à un verbe à l’impératif (7,13.14) exprimant le cœur de l’action du récit3. Troisièmement, plusieurs éléments de vocabulaire sont caractéristiques de Lc 7,11-17 ou, plus largement, de l’œuvre de Luc. Termes et expressions présents en Lc 7,11-174
Ailleurs dans le Nouveau Testament
Ancien Testament (LXX)
Exclusivement lucaniens (absents dans le Nouveau Testament, en dehors de Lc-Ac) ἑξῆς (7,11)
Lc 9,37 ; Ac 21,1 ; 25,17 ; 27,18
6 fois
ἀνακαθίζω (7,15)
Ac 9,40
Absent
ὅλη ἡ Ἰουδαία (7,17)
Lc 23,5 ; Ac 9,31 ; 10,37
Absent
2 ְ וַ יְ ִהי ]…[ ו. Selon Fitzmyer, ce procédé est attesté 22 fois en Lc, soit trois fois plus que dans les trois autres évangiles réunis : 5 fois en Mt (au terme de cinq grands discours : Mt 7,28 ; 11,1 ; 13,53 ; 19,1 ; 26,1) ; 2 fois en Mc (1,9 ; 4,4), mais est absent en Jn et en Ac. Voir Joseph A. FITZMYER, LukeI–IX, p. 119. Bien que cette formule soit empruntée à la LXX, Delebecque expose comment elle demeure typiquement lucanienne à travers ses multiples variantes qui contrastent également par rapport aux cinq attestations figées de Mt. Voir Édouard DELEBECQUE, Étudesgrecquessurl’évangiledeLuc (Collection d’Études Anciennes), Paris, Les Belles Lettres, 1976, p. 123-165. 3 En Lc 7,14, nous traitons le verbe λέγω comme une figure de style. 4 À moins d’une indication contraire, la recherche de concordance des termes ou expressions ne tient pas compte de la forme grammaticale adoptée en Lc 7,11-17.
L’ἐπισκοπή DIVINE À LA PORTE DE NAÏN (LC 7,16)
Termes et expressions présents en Lc 7,11-17
Ailleurs dans le Nouveau Testament
33
Ancien Testament (LXX)
Typiquement lucaniens sans être exclusifs à Luc 5 ἐγένετο (7,11) à l’indicatif 116 autres fois dans les évangiles 784 fois aoriste, troisième personne du (sur 202 dans le Nouveau Testament) dont 69 en Lc (54 en Ac), 18 en Mc, singulier 17 en Jn et 13 en Mt πορεύομαι (7,11)
98 autres fois dans les évangiles (sur 1.116 fois 153 dans le Nouveau Testament) dont 50 en Lc (37 en Ac)
καλῶ (7,11)
74 autres fois dans les évangiles (sur 448 fois 148 dans le Nouveau Testament) dont 43 en Lc (18 en Ac), 26 en Mt, 4 en Mc et 2 en Jn
συμπορεύομαι (7,11)
3 autres fois dans les évangiles (absent 25 fois ailleurs dans le Nouveau Testament) dont 2 en Lc (14,25 ; 24,15) et 1 en Mc (10,1)
ἐγγίζω (7,12)
27 autres fois dans les évangiles (sur 148 fois 42 dans le Nouveau Testament) dont 17 en Lc (6 en Ac), 7 en Mt et 3 en Mc
χήρα (7,12)
11 autres fois dans les évangiles (sur 66 fois 26 dans le Nouveau Testament) dont 8 en Lc, mais pas dans l’environnement immédiat de Lc 7,12
ἱκανός (7,12)
14 autres fois dans les évangiles (sur 46 fois 39 dans le Nouveau Testament) dont 7 en Lc (18 en Ac), 3 en Mc, 3 en Mt et absent en Jn
φόβος (7,16)
13 autres fois dans les évangiles (sur 177 fois 47 dans le Nouveau Testament) dont 6 en Lc mais pas dans l’environnement immédiat de Lc 7,16
δοξάζω τὸν θεόν (7,16)
10 autres fois dans les évangiles (sur Absent (en prenant 19 dans le Nouveau Testament) dont l’expression de façon 6 en Lc mais pas dans l’environne- stricte) ment immédiat de Lc 7,16
5 Une expression est ici considérée comme étant d’usage typiquement lucanien sans que celui-ci soit exclusif à Luc, lorsqu’elle est présente au moins trois fois en Lc-Ac et que le nombre de ses occurrences en Lc dépasse la moitié de celui des évangiles.
34
CHAPITRE PREMIER
Termes et expressions présents en Lc 7,11-17
Ailleurs dans le Nouveau Testament
Ancien Testament (LXX)
Typiquement lucaniens sans être exclusifs à Luc (suite) ἐν ἡμῖν (7,16)
4 autres fois dans les évangiles (sur 26 27 fois dans le Nouveau Testament) dont 2 en Lc (2 en Ac) et 2 en Jn
ἐπισκέπτομαι (7,16)
4 autres fois dans les évangiles (sur 153 fois 11 dans le Nouveau Testament) dont 2 en Lc mais pas dans l’environnement immédiat de Lc 7,16
ὁ λαός αὐτοῦ (7,16)
3 autres fois dans les évangiles (2 en 166 fois Lc et 1 en Mt) sur 9 dans le Nouveau Testament
ἡ περίχωρος (7,17)
7 autres fois dans les évangiles (sur 9 dans le Nouveau Testament) dont 4 en Lc (1 en Ac) mais pas dans l’environnement immédiat de Lc 7,17 ; 1 en Mc ; 2 en Mt et absent en Jn Présents en Lc 7,11-17 mais rares en Lc-Ac 6
τεθνηκώς (7,12) au participe
2 autres fois dans les évangiles, en Jn 52 fois (11,44 ; 19,33) ; aussi 1 en Ac (25,19)
μονογενής (7,12)
6 autres fois dans les évangiles dont 2 8 fois en Lc (8,42 ; 9,38) ; 4 en Jn ; absent en Mt et en Mc ; aussi 1 en He et 1 en 1 Jn
σπλαγχνίζομαι (7,13)
11 autres dans le Nouveau Testament, 1 fois : 2 M 6,8 exclusivement dans les évangiles dont 2 autres occurrences en Lc (10,33 ; 15,22)
ὁ λόγος en tant que sujet du 2 autres occurrences dans le Nouveau 1 fois : Is 2,3 verbe ἐξέρχομαι (7,17) Testament : Jn 21,23 et 1 Co 14,36 Présents en Lc 7,11-17 mais introuvables ailleurs dans le Nouveau Testament πύλη τῆς πόλεως (7,12)
Absent
15 fois
ἐκκομίζω (7,12)
Absent
Absent
6 Une expression est classée comme présente en Lc 7,11-17 mais rare en Lc, si elle ne satisfait pas aux critères de la catégorie précédente et si les autres occurrences en Lc ne dépassent pas trois, sans être absentes ailleurs dans le Nouveau Testament.
L’ἐπισκοπή DIVINE À LA PORTE DE NAÏN (LC 7,16)
Termes et expressions présents en Lc 7,11-17
Ailleurs dans le Nouveau Testament
35
Ancien Testament (LXX)
Présents en Lc 7,11-17 mais introuvables ailleurs dans le Nouveau Testament (suite) σορός (7,14)
Absent
2 fois
βαστάζοντες en tant que parti- Absent cipe substantivé (7,14)
Absent
προφήτης μέγας (7,16)
1 fois (avec l’article défini : Si 48,22)
Absent
Un examen des termes et expressions présents en Lc 7,11-17 révèle les résultats suivants : trois sont d’usage exclusivement lucanien ; treize sont d’usage typiquement lucanien sans que celui-ci soit exclusif à Luc ; quatre sont rares en Lc mais présents en Lc 7,11-17 et cinq sont introuvables ailleurs dans le Nouveau Testament, voire dans la Bible. Les seize expressions d’usage typiquement ou exclusivement lucanien sont concentrées principalement dans la narration de deux moments : huit aux versets 11-12 et sept autres aux versets 16-17 (plus une au verset 15). Le premier moment (versets 11-12) décrit le point de départ du récit situé à Naïn, à la porte de la ville, dans la mise en terre d’un fils unique dont la mère est veuve et accompagnée d’une foule immense. Le second (versets 16-17) correspond au dénouement du récit. La crainte et la louange à Dieu éclatent chez tous les acteurs présents à la suite de l’intervention de Jésus dont le rayonnement se répand dans toute la Judée et au delà. Dans les deux cas, le public est large et connaît un accroissement exponentiel au second moment. Les neuf termes qui ne se trouvent que rarement en Lc ou jamais ailleurs dans le Nouveau Testament, mais bien en Lc 7,11-17, sont presque majoritairement rassemblés au verset 12. L’action décrite présente un caractère singulier dans l’œuvre de Luc et dans le Nouveau Testament. 1.2. Borneinférieure :Lc7,17 La délimitation de la fin du récit est également repérable grâce aux critères de contenu, surtout en ce qui concerne les personnages. À partir du verset 18, la scène fait intervenir Jean et ses disciples, sans plus mentionner la veuve et son milieu. De plus, comme nous l’avons déjà signalé, un élargissement s’opère aux versets 16 et 17 et produit un effet d’apothéose conclusif.
36
CHAPITRE PREMIER
Du point de vue spatial, la présence de Jean en Lc 7,18 renvoie à 3,19 où il avait été mis en prison. La scène commencée en Lc 7,18 se déroule ainsi en deux lieux : auprès de Jean en prison (7,18-19) et puis autour de Jésus, sans indice géographique jusqu’à 8,1. En Lc 7,11-17, Jésus se tenait à la porte de la ville de Naïn. L’a-t-il ensuite franchie, est-il demeuré sur le seuil ou a-t-il poursuivi sa route ailleurs ? La même question se pose à propos du récit suivant, en Lc 7,36 : Jésus est invité par le Pharisien Simon à manger chez lui et une « femme qui était pécheresse dans la ville » (7,37) le rejoint. Jésus est ainsi entré dans une ville. Sans indication de changement de lieu, la logique narrative laisse habituellement sous-entendre que l’histoire se déroule au même endroit. Toutefois, si nous tenons compte du fait que Lc 7,11-17 est un récit propre à Luc et si nous envisageons que celui-ci a peut-être choisi aposteriori de l’insérer entre la rencontre avec le centurion à Capharnaüm (7,1-10) et la réponse aux disciples de Jean sur son identité, la recherche du lieu implicite de Lc 7,18-50 devient triviale, du point de vue de la rédaction du texte. L’essentiel repris dans le point de suture à l’ouverture du récit en Lc 7,18 réside dans l’action qui vient de se dérouler. Le récit se distingue également du point de vue de l’action. Celleci consiste en un témoignage sur l’identité de Jésus (Lc 7,18-23) et de Jean (7,24-28), et non pas en une intervention thaumaturgique, même s’il en est question aux versets 21 et 22. Au niveau de la forme, les considérations déjà faites au sujet du vocabulaire lors de la délimitation de la borne supérieure valent aussi pour la borne inférieure. Les trois prises de parole en Lc 7,18-23 présentent une structure différente de celle qui se dégage en 7,11-17, car elles constituent un dialogue. De plus, elles se distinguent par le fait que Jésus est sollicité et ne prend donc pas l’initiative de la parole, ainsi que par leur longueur. 2. Critique textuelle En Lc 7,11-17, l’apparat critique d’Aland et al., ainsi que le commentaire de Metzger signalent des variantes en deux endroits situés au verset 117. Dans la première partie de ce verset, les variantes portent sur des circonstances d’ordre temporel. Nestle–Aland etal.retiennent 7
Barbara ALAND – Kurt ALANDetal. (éds.), TheGreekNewTestament, p. 224 ; Bruce M. METZGER, ATextualCommentaryontheGreekNewTestament, p. 119.
L’ἐπισκοπή DIVINE À LA PORTE DE NAÏN (LC 7,16)
37
la formule « Etilarrivaaprès [Καὶ ἐγένετο ἐν τῷ ἑξῆς] », défendue par la grande majorité des exégètes. L’article défini τῷ sous-entend le « temps [χρόνος] ». Dans un certain nombre de manuscrits, l’article au datif figure au féminin (τῇ ἑξῆς) en référence au « jour [ἡμέρα] », pour ainsi signifier « le lendemain ». Ce type de variante se présente sous différentes formes : avec ou sans ἐγένετο, avec ou sans la préposition ἐν. Dans la seconde partie du verset 11, des variantes portent sur le nombre de disciples de Jésus marchant avec lui vers Naïn. Le texte de Nestle–Aland etal.se lit comme suit : οἱ μαθηταὶ αὐτοῦ. La majorité des exégètes optent pour la même formulation. Certains manuscrits contiennent un adjectif supplémentaire : ἱκανοί, avec ou sans le pronom αὐτοῦ. Dans leur analyse plus détaillée, Nestle–Aland et al. présentent quatorze variantes. L’une d’elles porte sur les divers noms donnés à la ville. Enrichie par les données du CenterforNewTestamentTextualStudieset du CenterfortheStudyofNewTestamentManuscripts, une critique textuelle de ces noms est intéressante pour comprendre l’étymologie hébraïque de Naïn (« belle/agréable [)]נָ ִעים, même si elle n’a pas une influence décisive sur notre interprétation8. En fin de compte, aucune des quatorze variantes répertoriées n’affecte l’interprétation du texte de façon significative, sauf une. Nous nous concentrerons sur le passage concerné en Lc 7,11. Faut-il intégrer ou non l’adjectif ἱκανοί pour qualifier les disciples marchant avec Jésus vers Naïn ? La critique externe favorise l’absence de ἱκανοί pour deux raisons. Il y a d’abord l’ancienneté des témoins de la version brève. Parmi eux, au moins quatre manuscrits grecs remontent au IIIe ou au IVe siècle, en plus de certaines versions anciennes de la Vieille Latine – hormis celles qui sont signalées en faveur de l’autre variante – et de la tradition copte sahidique et bohaïrique9. Les manuscrits attestant la présence de ἱκανοί sont en général 8 Marie de LOVINFOSSE, « Naïn ou Naïm (Lc 7.11) : une différence révélatrice », in NewTestamentStudies 64 (2018) 20-32, p. 21-28. 9 Voici les témoins les plus anciens attestant l’absence de l’adjectif ἱκανοί : le papyrus p75 (IIIe siècle, tradition alexandrine primaire) ; les onciaux Sinaïticus (01, IVe siècle, alexandrine primaire), Vaticanus (03, IVe siècle, alexandrine primaire), Freerianusappelé aussiWashingtonius(032, IVe – Ve siècles, alexandrine primaire) ; la version Vercellensis (a, IVe siècle, occidentale) et d’autres postérieures de la Vieille Latine, l’ensemble de la tradition liée à la Vulgate (IVe – Ve siècles, occidentale), ainsi que la version SyrusSinaiticus(syrs, IIIe – IVe siècles, occidentale) et la version palestinienne (Syrpal, VIe siècle, byzantine) du Vieux Syriaque, la Peshitta(syrp, Ve siècle, byzantine), les versions coptes sahidiques et bohaïriques (cosa.bo, à partir du IIIe siècle,
38
CHAPITRE PREMIER
plus tardifs. Ensuite, la leçon brève est attestée chez un plus grand nombre de témoins des traditions alexandrine ou occidentale. La critique interne, attentive à l’activité de transcription du scribe, ne permet pas de trancher. En effet, selon le principe lectiobrevior probabilior, il serait étonnant qu’un scribe ait volontairement supprimé ἱκανοί s’il s’y trouvait au départ. L’inverse se comprend plus facilement : ἱκανοί aurait été ajouté par souci d’harmonisation avec le verset suivant10 : « unefouledelaville,importante [ὄχλος τῆς πόλεως ἱκανός] » (Lc 7,12). Cependant, une omission non-intentionnelle de ἱκανοί, telle une haplographie, serait envisageable dans le cas des manuscrits en écriture onciale (papyri et onciaux). En effet, dans les manuscrits où il est présent, IKANOI est suivi de la conjonction et d’un omicron (ΚΑΙΟ), ce qui pourrait expliquer un saut visuel. Du point de vue de la cohérence interne, la critique textuelle peut encore aider à clarifier les choses. Très fréquent chez Luc, l’adjectif ἱκανός s’y retrouve à vingt-sept reprises, soit plus des deux-tiers des attestations néo-testamentaires11. Toutefois, en dehors de l’éventuelle occurrence en Lc 7,11, jamais il ne sert à qualifier des disciples (μαθηταί). La réalité des nombreux disciples est pourtant signifiée en d’autres termes ailleurs, notamment en Lc 6,17, peu avant notre épisode : […] une foule nombreuse de ses disciples et une multitude nombreuse dupeuple [ὄχλος πολὺς μαθητῶν αὐτοῦ, καὶ πλῆθος πολὺ τοῦ λαοῦ] de toute la Judée et de Jérusalem et du littoral de Tyr et de Sidon […] vinrent l’entendre et se faire guérir de leurs maux. (Lc 6,17)12
Deux passages ultérieurs en témoignent également : Or, après cela, le Seigneur [en] désigna soixante-douze autres et il les envoya deux par deux devant sa face, en toute ville et lieu où lui-même devait aller. (Lc 10,1 ; propre à Luc) alexandrine). Aucun témoin connu soutenant la présence de l’adjectif ἱκανοί n’est antérieur au Ve siècle, moment à partir duquel on le rencontre dans les onciaux Alexandrinus (02, Ve siècle, byzantine) et EphraemiSyriRescriptius(04, Ve siècle, alexandrine secondaire) ; dans la version Veronensis de la Vieille Latine (b, Ve siècle, occidentale), ainsi que dans d’autres documents plus tardifs. 10 Marshall favorise pour le même motif l’absence de ἱκανοί en Lc 7,11. Voir I. Howard MARSHALL, TheGospelofLuke, p. 284. 11 9 en Lc (contre 3 en Mt, 3 en Mc et aucune en Jn) et 18 en Ac, sur 39 dans le N.T. 12 La mention des disciples est absente dans le parallèle de Mt 4,25. Dans celui de Mc 3,7, les disciples sont mentionnés sans que leur nombre soit précisé. De plus, ils sont déjà auprès de Jésus, et non comme en Lc 6,17, en marche vers lui avec « une multitude nombreuse du peuple ».
L’ἐπισκοπή DIVINE À LA PORTE DE NAÏN (LC 7,16)
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Or, tandis qu’il approchait déjà de la descente du mont des Oliviers, toutelamultitudedesdisciples [ἅπαν τὸ πλῆθος τῶν μαθητῶν], joyeux, commença à louer Dieu d’une voix forte pour toutes les actions puissantes qu’ils avaient vues, disant : « Béniceluiquivient, le roi, aunom duSeigneur ! ». (Lc 19,37-38)13
Lc 19,37-38 présente des affinités par rapport à Lc 7,11-17 : un mouvement de marche ou, mieux encore, de procession, étant donné le nombre de personnes impliquées (7,11; 19,37) ; la proximité d’une ville, Naïn (7,12) et Jérusalem (19,37)14 ; une louange à Dieu pour ses actions éclatantes (7,16; 19,37) ; une parole de reconnaissance de l’identité de Jésus, tantôt comme « un grand prophète » (7,16), tantôt comme « celui qui vient, le roi, au nom du Seigneur » (19,38). De plus, présent dans le récit de Naïn en Lc 7,16, le verbe ἐπισκέπτομαι se retrouvera en Lc 19,44, dans l’environnement de 19,37-40. Ainsi, la précision en Lc 7,11 du nombre élevé des disciples contribuerait encore à accentuer le parallélisme entre les deux récits. Un tel renforcement a-t-il été effectué par Luc ou par des scribes ? Revenons aux deux autres évocations des nombreux disciples de Jésus (Lc 6,17 ; 10,1). Tout d’abord, en Lc 6,17 est précisé le contexte du discours inaugural de Jésus (6,20–7,1), adressé tout spécialement à « ses disciples » (6,20) : une « foule nombreuse de ses disciples » étaient venus à lui pour l’« entendre et se faire guérir de leurs maux » (6,17-18). Ensuite, après avoir envoyé en mission les Douze (9,16) et avoir commencé à marcher vers Jérusalem (9,51), Jésus « en désigna soixante-douze autres » (10,1). En suivant la logique narrative de Luc, il est donc possible, mais non nécessaire, que les disciples en 7,11 aient été plus de douze puisque cela a été observé par intermittence avant (6,17–7,1) et après (10,1-12). Cependant, même si tel est le cas, Luc peut ne pas avoir reconnu le besoin de le mentionner.
13 Dans les parallèles de Mc 11,9 et de Mt 21,9, aucune mention n’est faite des disciples. 14 En Lc 7,12, Jésus « futproche [ἤγγισεν] de la porte de la ville » de Naïn. En Lc 19,37, il « approchait [ἐγγίζοντος] déjà de la descente du mont des Oliviers » (absent dans les parallèles de Mc 11,8 et de Mt 21,8). Il suffit d’avoir marché à travers le mont des Oliviers pour comprendre qu’une telle précision indique que Jésus était tout près de la ville de Jérusalem. En Lc 19,41, aussitôt terminé le récit de 19,27-40, il sera d’ailleurs précisé : « quand ilfutproche[ἤγγισεν], au moment où il vit la ville [Jérusalem], il pleura sur elle ».
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CHAPITRE PREMIER
Les trois récits de Luc mettant en présence de nombreux disciples sont situés à des étapes charnières de la mission de Jésus : son premier long discours (Lc 6,20–7,1), sa marche à Jérusalem (9,51) et son entrée ultime dans la ville sainte (19,29-40). Par conséquent, si la suite de l’analyse de Lc 7,11-17 manifeste que le récit du passage de Jésus à Naïn constitue lui aussi un moment-clé dans la mission de Jésus, il serait encore moins surprenant que Luc y ait placé de nombreux disciples. Aussi, du point de vue de la cohérence interne du récit lucanien, divers indices invitent à rester en éveil au sujet de la valeur accordée par Luc à Lc 7,11-17 dans le parcours de Jésus. Puisqu’en Lc 7,11, la formulation sans ἱκανοί rencontre un appui de taille dans des manuscrits qui sont les plus anciens et qui appartiennent à des traditions bien accréditées, nous en déduisons que le terme était absent à l’origine, bien qu’il puisse avoir été fortement sous-entendu. Dans ce cas, les scribes qui l’ont ajouté, ont explicité le sens du texte – peut-être inconsciemment, par souci d’harmonisation avec la mention du même adjectif en Lc 7,12 – sans introduire une précision non conforme à ce dernier. 3. Contexte littéraire : un ensemble de récits proclamant l’identité de Jésus L’interprétation du récit de Lc 7,11-17 sera d’autant plus signifiante qu’elle sera éclairée par son contexte élargi et immédiat. 3.1. Contexteélargi :Lc7,1-50 3.1.1. Perspective littéraire : une série d’activités singulières de Jésus La délimitation du contexte élargi est établie d’abord d’un point de vue littéraire. Pour une part, on observe en Lc 7,1 le passage, explicitement mentionné, de l’enseignement à la narration. Celle-ci porte sur une série d’activités singulières de Jésus, dont le récit se terminera en 7,50. À partir de Lc 8,1, on constate un changement. Pour une part, le sommaire de Lc 8,1-3 marque le passage de la narration d’une série d’activités épisodiques de Jésus à l’évocation de son activité en général. Par la suite, en Lc 8,4-18, on revient de nouveau à l’enseignement, en paraboles en l’occurrence. Ce phénomène n’est pas spécifique à cet ensemble littéraire. Luc a tendance à faire alterner des unités littéraires consacrées aux miracles de Jésus avec d’autres centrées sur ses enseignements. Il leur confère une importance égale et complémentaire,
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alors que Matthieu ordonne sa narration de façon à subordonner les actions de Jésus à ses discours. Chez Luc, le témoignage « d’autorité [ἐν ἐξουσίᾳ] » (4,32.36) de Jésus est manifesté en parole et en acte15. 3.1.2. Perspective théologique : l’identité de Jésus proclamée ou questionnée On remarque également que Lc 7 est dominé, du point de vue thématique, par la proclamation de l’identité de Jésus ou par le questionnement à ce sujet. L’angle d’approche est alors théologique, à partir de l’identité de Jésus reconnu en Lc 7,16 comme « grand prophète » par sa parole. Celle-ci ramène à la vie et témoigne de l’intervention déterminante de Dieu au cœur de son peuple. Aucun des récits situés avant Lc 7,16 ne contient une parole humaine attestant l’identité singulière de Jésus comme envoyé de Dieu, même s’il en avait déjà été question sous trois modalités différentes. Premièrement, certains démons l’avaient préalablement désigné comme « le Saint de Dieu » (4,34), « le Fils de Dieu » (4,41). Deuxièmement, des questions avaient aussi surgi sur son identité, comme par exemple, celle qui fut posée par des scribes et des pharisiens : « Qui est-il celui-là, qui profère des blasphèmes ? Qui peut remettre les péchés, sinon Dieu seul ? » (5,21) Troisièmement, à l’occasion d’une question empreinte de perplexité à son sujet – « n’est-il pas [le] fils de Joseph, celui-là ? » (4,22) – Jésus s’était implicitement identifié à un prophète : « […] aucun prophète n’est reçu dans sa patrie. » (4,24) Il faut donc attendre le passage de Jésus à Naïn en Lc 7,11-17, pour entendre des voix humaines proclamer un aspect de son identité singulière d’envoyé de Dieu, en l’occurrence « un grand prophète » médiateur de l’intervention de Dieu au cœur de son peuple (7,16). Toutefois, juste avant, en Lc 7,6-8, le centurion avait déjà confessé, avec des mots empruntés à son expérience militaire, la haute dignité de Jésus et le pouvoir de sa parole – trait typique du prophète – avant même de le voir accomplir sa demande. Le centurion devient la première personne dont Jésus loue la foi (7,9), selon le troisième évangile. Avant le centurion, des personnes ou des groupes se sont montrés, tantôt hostiles, tantôt fascinés, par Jésus. C’est ainsi que des gens s’interrogeaient sur l’autorité de sa parole (4,36), tandis que d’autres diffusaient sa renommée dans la région (4,37 ; 15 Pour une étude détaillée, voir Paul J. ACHTEMEIER, « The Lucan Perspective on the Miracles of Jesus: A Preliminary Sketch », in JournalofBiblicalLiterature 94 (1975) 547-562, p. 550-551.
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CHAPITRE PREMIER
5,15) et que d’autres encore louaient Dieu à son sujet en s’étonnant de ses actions extraordinaires (5,26). Personne cependant ne confessait quelque chose au sujet de son identité ou de son pouvoir, comme cela se fait à partir de 7,1. Après avoir déterminé le commencement du contexte élargi de Lc 7,11-17, il reste maintenant à en fixer le terme. Du point de vue littéraire, avons-nous vu, celui-ci se présente en 7,50, ce que vient confirmer l’attention au contenu et à la thématique. Lc 7,18-35 et 7,3650 continuent en effet de mettre en relief la question de l’identité de Jésus. Le récit de Lc 7,18-35 appartient au moins pour trois raisons au contexte élargi entourant 7,11-17. Premièrement, en Lc 7,19.20, Jean soulève la question de l’identité singulière de Jésus. Cette interrogation se comprend à la lumière des dernières paroles de Jean prononcées avant son emprisonnement, alors que « le peuple étaitdansl’attente [προσδοκῶντος] et que tous se demandaient en leur cœur, à propos de Jean, si lui ne serait pas le Christ » (3,15). C’est sans doute à ce dernier que Jean fait référence en évoquant, dans la question qu’il adresse à Jésus, « celuiquivient [ὁ ἐρχόμενος] » et que « nousattendons [προσδοκῶμεν] » (7,19.20). En effet, les deux verbes ἔρχομαι et προσδοκῶ se retrouvent, l’un, dans sa réponse à ceux qui le prenaient pour le Christ – « Moi, je vous baptise avec de l’eau, mais vient [ἔρχεται] le plus fort que moi […] » (3,16)16 – et l’autre, dans la description de ces gens (3,15). Deuxièmement, la réponse de Jésus adressée à Jean (7,22-23) fait partiellement écho au passage d’Isaïe 61,1 tel qu’il a été proclamé dans la synagogue de Nazareth (4,18-19). À cette occasion, Jésus s’était implicitement identifié à un prophète17. Parmi les signes évoqués par Jésus figure celui des « morts[qui]selèvent [νεκροὶ ἐγείρονται] » (7,22). Il était donc logique de trouver avant cet épisode des faits à l’appui de son affirmation, notamment le récit d’un retour à la vie (7,11-17). Troisièmement, Jésus poursuit en portant témoignage à Jean comme prophète et plus qu’un prophète (7,26), comme celui dont parle Ml 3,1 16
Voir aussi les versets parallèles : Ac 1,5 ; 11,16 ; 13,25 ; 19,4. La liste des catégories de personnes guéries en Lc 7,22 a deux points en commun avec celle qui est mentionnée en Lc 4,18-19 citant Is 61,1 (même s’il s’agit d’une recomposition plus complexe) : les aveugles et les pauvres. En revanche, elle ne contient pas les captifs, ni les personnes opprimées, mais ajoute les boîteux (Is 35,5), les lépreux, les sourds (Is 29,18 ; 35,5 ; 42,18) et les morts (Is 26,19). 17
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(cité en Lc 7,27) et comme le plus grand parmi les êtres humains (7,28). En dehors des récits de l’enfance (Lc 1–2), cette parole de Jésus est la seule en ce sens dans le troisième évangile18. Il en est de même de l’exclamation de 7,16 à propos de Jésus, à lire en relation avec la question de Jean à son sujet peu après en 7,19.20. Jésus est ainsi reconnu comme étant plus qu’un simple prophète. Lc 7,39 est le seul autre passage où Jésus est appelé prophète, avant sa mort19. Il est alors de passage chez Simon, le Pharisien, et rencontre la femme pécheresse (7,36-50 ; propre à Luc)20. À la différence de ce qui est décrit dans d’autres récits lucaniens de guérison, la femme n’est pas affligée d’un mal physique mais elle est « pécheresse » (7,37.39). Celle-ci exprime un acte de foi inédit en regard de l’identité de Jésus. En effet, elle s’approche de Jésus avec la conviction qu’elle peut recevoir quelque chose de lui, bien que remettre les péchés ait été considéré comme une impossibilité humaine dans la mentalité juive de l’époque (5,21). Avant même d’avoir reçu de lui une parole de confirmation et sans prononcer une seule syllabe, elle se tient près de lui, à ses pieds, dans un geste et un toucher témoignant d’un accueil en plénitude21. Jésus confirmera sa foi en lui disant « tes péchéssontremis [ἀφέωνταί σου αἱ ἁμαρτίαι] » (7,48), tout comme 18 Le troisième évangile atteste en Lc 20,6 que le peuple considérait Jean comme prophète sans pour autant manifester qu’il le déclarait ouvertement. 19 Il faut cependant reconnaître que l’épisode de la pécheresse pardonnée, qui constitue la dernière partie du chapitre 7 (v. 36-50), est dépourvu en son début d’une formule de liaison semblable à celles qu’a utilisées Luc pour relier les épisodes de la première partie du chapitre (7,1-35) : « ensuite [ἐν τῷ ἑξῆς] » (7,11), « les disciples annoncèrent à Jean toutes ces choses » (7,18), « les messagers de Jean étant partis » (7,24). 20 Un parallèle large se trouve en Mc 14,3-9, en Mt 26,6-13 et en Jn 12,1-8. Il s’agit également d’une femme qui oint les pieds de Jésus dans la maison d’un homme appelé Simon (Mc 14,3 ; par. Mt 26,6), mais ce dernier est présenté comme « Simon le lépreux » vivant à Béthanie. De plus, aucune allusion n’est faite à la condition pécheresse de la femme, ni à la parole de Jésus lui confirmant que ses péchés ont été remis comme en Lc 7,37.39 et 7,47-48. L’accent est mis sur l’anticipation de l’onction octroyée à Jésus en vue de son envelissement (Mc 14,8 ; par. Mt 26,12 ; Jn 12,7). 21 Luc décrit son geste en sept actions : « ayant apporté un vase en albâtre de parfum / et se tenant en arrière, à ses pieds, / pleurant, / elle commença à lui arroser les pieds de ses larmes / et [les] essuyait avec les cheveux de sa tête, / et embrassait ses pieds / et [les] oignait de parfum. » (Lc 7,37-38). Luc utilise ailleurs un tel procédé littéraire pour exprimer une action pleine et totale. Le soin apporté par Luc pour relater la bienveillance du bon Samaritain (Lc 10,29-37) constitue un exemple typique puisque la série des sept actions est doublée (v. 33-34 et v. 35). Voir Michel GOURGUES, LesparabolesdeLuc :d’amontenaval, Montréal, Médiaspaul, 1997, p. 22-23.
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CHAPITRE PREMIER
il l’a dit à l’homme paralysé, en voyant la foi des gens qui le portent (5,20). Dans les deux cas, une telle parole suscite questionnement et scandale de la part de scribes et de Pharisiens. Les scribes et les Pharisiens commencèrent à raisonner, disant : « Qui est-il, celui-là qui blasphème ? Qui peut remettre les péchés sinon Dieu seul ? » (Lc 5,21) Et ceux qui étaient à table avec [Simon] commencèrent à dire en euxmêmes : « Qui est celui-ci, qui remet même les péchés ? » (Lc 7,49)
Le récit se conclut par une seconde parole de Jésus à la femme pécheresse : « ta foi t’a sauvée, pars en paix. » (Lc 7,50)22 Ainsi donc, pour la femme comme pour le centurion (7,9), la foi est à l’origine de la démarche effectuée auprès de Jésus et du bienfait obtenu de celui-ci. Le récit de la femme pécheresse (Lc 7,36-50) est suivi d’un sommaire sur l’entourage féminin de Jésus (8,1-3), puis d’un enseignement de Jésus, soit la parabole du semeur et son explication (8,4-15), suivie de la parabole de la lampe (8,16-18). La question de l’identité de Jésus, présente de diverses manières tout au long du chapitre 7, ne s’y trouve plus posée. Elle ne reviendra qu’au chapitre suivant, quand Jésus lui-même demandera à ses disciples : « Qui disent les foules que je suis ? […] Mais vous, qui dites-vous que je suis ? » (9,18.20). Pierre répondra « le Christ de Dieu [τὸν χριστὸν τοῦ θεοῦ] » (9,20). Ainsi, le contexte élargi en Lc 7,1-50 est axé sur les premiers balbutiements humains concernant l’identité singulière de Jésus comme envoyé de Dieu et témoigne d’un cheminement. Premièrement, le centurion confesse la puissance de la parole de Jésus capable de guérir son serviteur mourant (7,6-8). Deuxièmement, les gens auprès de la veuve de Naïn ont vu son fils mort revenir à la vie grâce à la parole et au geste de Jésus. Devant un tel prodige, ils témoignent de l’intervention de Dieu à travers Jésus en qui ils reconnaissent un grand prophète (7,16). Troisièmement, Jean ne peut s’empêcher de demander à Jésus s’il est « celui 22 La même parole de Jésus à la femme pécheresse, « tafoit’asauvée [ἡ πίστις σου σέσωκέν σε] », a également été adressée à la femme hémorroïsse (Lc 8,48 ; par. Mc 5,34 ; Mt 9,22) ; à l’un des dix lépreux, revenu remercier Jésus (Lc 17,19 ; propre à Luc) et à l’aveugle de Jéricho (Lc 18,42 ; parole présente dans le parallèle de Mc 10,52 et absente dans celui de Mt 20,34). Parmi les trois mentions, « vaen paix [πορεύου εἰς εἰρήνην] » apparaît seulement en Lc 8,48 (parole présente dans le parallèle de Mc 5,34, avec toutefois le verbe ὕπαγε pour exprimer « va », et absente dans le parallèle de Mt 9,22).
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qui vient » (7,19.20), le Christ. Quatrièmement, la femme pécheresse chez Simon exprime, par son onction sur les pieds de Jésus, son attente d’un relèvement par lui (7,37-38.48.50), alors que le pouvoir de remettre les péchés est réservé à Dieu seul (5,21) et dépasse les signes « de celui qui vient », rapportés à Jean (7,22-23). Le contexte élargi de Lc 7,11-17 axé sur la reconnaissance de l’identité singulière de Jésus est porteur d’un parallèle Jean-Jésus. En effet, en Lc 7,24-30, Jésus rend témoignage à Jean en le déclarant prophète et plus qu’un prophète. 3.1.3. Perspective littéraire et thématique : hommes et femmes, en interaction Une autre piste à explorer en faveur de Lc 7 comme contexte élargi de Lc 7,11-17 tient à la fois du point de vue littéraire et thématique. Luc a l’art de faire alterner à l’occasion un récit centré sur une figure masculine avec un autre faisant intervenir un personnage féminin (ou inversement)23. Cela se vérifie-t-il à travers les quatre péricopes de Lc 7 dont un des personnages principaux est successivement un homme et une femme : le centurion (7,1-10), la veuve de Naïn (7,11-17), Jean (7,18-35) et la femme pécheresse (7,36-50) ? Comme le fait remarquer Michel Gourgues, il est difficile de trouver suffisamment d’indices manifestant un rapprochement littéraire entre la guérison du serviteur du centurion et la réanimation du fils de la veuve de Naïn24. Cependant, il est possible de repérer dans le regroupement des quatre épisodes une autre forme de jumelage homme-femme, assez singulière chez Luc : une paire d’hommes et une paire de femmes, en interaction25. 23 Voici des exemples propres à Luc : annonce d’un ange aboutissant à un hymne, chez Zacharie (Lc 1,5-25.67-79) et chez Marie (1,26-38.46-55) ; guérison un jour de sabbat, de la femme courbée (13,10-17) et d’un homme hydropique (14,1-6) ; paraboles de la brebis perdue par un homme (15,1-7 ; par. large Mt 18,12-14) et de la drachme perdue par une femme (15,8-10) ; paraboles de la veuve importune (18,1-8) et celle de l’ami importun (11,5-8). Voir Michel GOURGUES, « Nihommenifemme ». L’attitude du premier christianisme à l’égard de la femme. Évolutions et durcissements(Lire la Bible, 175), Montréal, Médiaspaul, 2013, p. 13-14, 18-23. 24 Michel GOURGUES, « Nihommenifemme », p. 20. Selon lui, le récit de la guérison du fils épileptique, situé deux chapitres plus loin (Lc 9,37-43), offre davantage d’indices de jumelage par rapport au récit de Naïn. Green et Meynet prétendent le contraire. Voir Joel B. GREEN, « Gospel of Luke », in Joel B. GREEN – Jeannine K. BROWNetal. (éds.), DictionaryofJesusandtheGospels (The IVP Bible Dictionary), Downers Grove IL, Inter-Varsity Press (IVP), 20132, 540-552, p. 548 ; Roland MEYNET, L’évangiledeLuc, p. 314-315. 25 Ailleurs en Lc, nous n’avons pas trouvé de trace de cet autre type de parallélisme homme-femme.
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CHAPITRE PREMIER
La paire masculine formée du centurion et de Jean est mise en évidence par quatre points communs qui les relient chez Luc. Premièrement, l’un comme l’autre s’est senti « indigne [ἱκανός] » face à Jésus (Lc 7,6 et 3,16, respectivement). Deuxièmement, aucun d’eux ne s’est jamais adressé directement à Jésus mais « envoya ([ἀπέστειλεν] en 7,3 et 7,20 ; [ἔπεμψεν] en 7,6 et 7,19) » auprès de lui des intermédiaires pour exprimer une demande26. Troisièmement, les deux ont exprimé un aspect de l’identité de Jésus qui est lié à leur expérience et sera développé ultérieurement. Le centurion a proclamé le pouvoir de la parole de Jésus à la lumière de la parole d’autorité dont luimême jouit à l’égard de ses subalternes, en se considérant inférieur à Jésus (7,6-8). Après la mort de Jésus, les deux disciples en route vers Emmaüs le décriront comme « un homme prophète puissant en actes et en paroles » (24,19). Jean a balbutié, dans l’expression d’un doute, l’identité messianique de Jésus (7,19.20), que les foules projetaient sur lui-même (3,15)27 et qui sera confessée avec force seulement après la Pentecôte. Quatrièmement, Jésus fera publiquement l’éloge de chacun d’eux au superlatif : le centurion, pour sa foi sans pareille en Israël (7,9) et Jean, pour sa grandeur inégale parmi les êtres humains (7,26-28 ; par. Mt 11,9-11). La paire féminine constituée par la veuve de Naïn et la femme pécheresse s’appuie sur au moins trois points de convergence. Premièrement, au long du récit, les deux femmes sont sans paroles, les yeux mouillés de larmes ([κλαῖε] en Lc 7,13 et [κλαίουσα] en 7,38). Le 26 Contrairement aux autres évangélistes, Luc ne dit pas explicitement que Jésus a été baptisé par Jean (Lc 3,21a ; à comparer avec les parallèles de Mc 1,9 et de Mt 3,13-15). De plus, Luc est le seul à raconter que la voix du ciel a retenti alors que Jésus était en prière et non aussitôt après qu’il fut baptisé (Lc 3,21b-22 ; à comparer avec les parallèles de Mc 1,10-11, de Mt 3,16-17 et de Jn 1,32). Dans les récits parallèles à Lc 7,1-10, le centurion s’adresse directement à Jésus (Mt 8,5-6 ; Jn 4,47). En revanche, l’envoi des disciples par Jean auprès de Jésus en Lc 7,19.20 est également relaté en Mt 11,2 (πέμψας). 27 La mention de l’attente du peuple qui se demandait si Jean ne serait pas le Christ (Lc 3,15) est absente dans le parallèle de Mt 3,11-12. En outre, la question de Jean sur l’identité de Jésus, posée deux fois en Lc 7,19.20 est intégrée dans le parallèle de Mt 11,3 sans toutefois être répétée. Est-il juste d’interpréter la question de Jean (Lc 7,19.20 ; par. Mt 11,3) comme une confession plutôt qu’un manque de foi ? Jean semble bel et bien être passé par un doute sans pour autant sombrer dans un manque de foi. En effet, son initiative d’envoyer deux de ses disciples auprès de Jésus pour lui poser sa question manifeste qu’il ne peut s’empêcher de croire et qu’il reconnaît avoir besoin de la parole de Jésus pour être fortifié dans l’épreuve. Le témoignage de Jésus sur la grandeur de Jean (Lc 7,28), juste après avoir répondu à sa question, le confirme. Pierre sera le premier à confesser avec force l’identité messianique de Jésus après la Pentecôte (Ac 2,36).
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troisième évangile contient un seul autre passage, qui lui est également propre, mettant en scène des femmes en pleurs (23,28 bis), mais de manière alors anonyme et collective. Deuxièmement, avant la résurrection de Jésus, son identité comme prophète ne sera confessée ou remise en question qu’à deux moments situés dans ces deux récits (7,16.39)28. La paire masculine (le centurion et Jean) et la paire féminine (la veuve de Naïn et la pécheresse) sont en interaction dans un jumelage hommes-femmes marqué d’une progression. En effet, par rapport à la guérison du serviteur du centurion (Lc 7,1-10), l’intervention de Jésus auprès du fils de la veuve de Naïn (7,11-17) est plus frappante, puisqu’il s’agit d’une réanimation. En regard de l’attente messianique exprimée dans la question de Jean (7,19-20), Jésus reçoit de la femme pécheresse (7,36-50) un témoignage de foi qui va plus loin. 3.2. Contexteimmédiat :lesmiraclesdesmortsetl’identitédeJésus (Lc7,1-23) Le contexte immédiat de Lc 7,11-17 se rattache à la guérison du serviteur du centurion (7,1-10) et au témoignage de Jésus en réponse à Jean (7,18-23). Ces trois péricopes relient avec une intensité croissante la question de l’identité de Jésus à son pouvoir de ramener des morts ou des mourants à la vie. Les deux premières unités littéraires (7,1-10.1117) relatent une victoire sur la mort, menaçante en 7,2 et effective en 7,12. Entre les deux récits de victoire sur la mort, outre leurs points communs, des différences s’observent et permettent de mieux saisir la qualité d’être de Jésus : il intervient en faveur d’une fille d’Israël29, démunie et sans parole, comme auprès d’un païen, riche et animé de foi en la parole de Jésus. Le dialogue de Jésus avec les messagers de Jean (Lc 7,18-23) permet au lecteur d’approfondir sa compréhension de l’identité de Jésus, en lien notamment avec son action auprès de morts ou de mourants dont il a été question dans les deux récits précédents (7,1-10.11-17). À la question de Jean transmise par ses messagers, « es-tu celuiquivient [ὁ ἐρχόμενος] ? » (7,19.20), Jésus rappelle plusieurs bienfaits reçus par des personnes éprouvées corporellement et socialement, notamment 28 En Lc 9,19, l’identité de Jésus comme prophète est seulement évoquée, sans faire l’objet d’un témoignage direct. 29 Le récit ne le dit pas explicitement, mais le langage religieux vétérotestamentaire de l’acclamation unanime en Lc 7,16 est une expression de la tradition juive. Voir le point 2 de la section I de l’introduction générale.
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CHAPITRE PREMIER
par des « morts[qui]selèvent [νεκροὶ ἐγείρονται] » (7,22). Des affinités de vocabulaire sont particulièrement frappantes avec le récit de Naïn. Jésus s’adressa au fils défunt en lui disant : « […] soisréveillé [ἐγέρθητι] » (7,14) et aussitôt, « lemort [ὁ νεκρός] se dressa sur son séant et commença à parler » (7,15). Jésus se présente ainsi comme « celui qui vient ». Cependant, la réponse de Jésus contraste avec la description donnée par Jean à propos du Christ, au « peuple qui était dans l’attente » et à « tous ceux qui se demandaient si lui, [Jean], ne serait pas le Christ » (Lc 3,15) : 16
Il vient [ἔρχεται] le plus fort que moi […] lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu [πυρί] 17 [tenant] dans sa main la pelle à vanner, pour nettoyer son aire et rassembler le blé dans son grenier ; quant aux bales, il les brûlera au feu [πυρί] inextinguible. (Lc 3,16-17 ; v. 17 absent dans les parallèles de Mc 1,8 et de Mt 3,12)
La figure du Christ proclamée par Jean est mise en relation avec un jugement divin sans pitié, alors que le témoignage de Jésus en actes et en paroles révèle avant tout la compassion de Dieu : « Devenez compatissants comme votre père est compatissant. » (Lc 6,36)30 Catégories de signes évoqués en Lc 7,22
Témoignages avant Lc 7,22
Témoignages après Lc 7,22
« desaveuglentvoient * le sommaire de Lc 7,21 (absent * le récit de l’aveugle de Jéricho qui crie en appelant Jésus « Fils de David » [τυφλοὶ ἀναβλέπουσιν] » dans le parallèle de Mt 11,3). (Lc 18,38-39 : par. Mc 10,47-48 et Mt 20,30-31). « des boiteux marchent * la guérison de l’homme paralysé – [περιπατοῦσιν] » à qui Jésus commence par dire « tes péchés te sont remis », puis « lève-toi et marche [περιπάτει] » (Lc 5,20.23-24 ; par. Mc 2,5.9-11 et Mt 9,2.5-6). « deslépreuxsontpurifiés * le récit du lépreux implorant [λεπροὶ καθαρίζονται] » Jésus « si tu veux, tu peux me purifier [καθαρίσαι] » (Lc 5,12 ; par. Mc 1,41 et Mt 8,2).
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* les dix lépreux que Jésus rencontre en marchant vers Jérusalem et dont l’un d’eux était Samaritain (Lc 17,1119 ; propre à Luc).
Le parallèle de Mt 5,45 contient l’adjectif « parfait [τέλειος] » au lieu de « compatissant [οἰκτίρμων] ».
L’ἐπισκοπή DIVINE À LA PORTE DE NAÏN (LC 7,16)
Catégories de signes évoqués en Lc 7,22
Témoignages avant Lc 7,22
« des sourds [κωφοί] [qui] – entendent31 » « des morts se lèvent »
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Témoignages après Lc 7,22 –
* le rétablissement du serviteur * le retour à la vie de la fille de Jaïre mourant du centurion (Lc 7,1-10 ; (Lc 8,40-56 ; par. Mc 5,21-43 et par. Mt 8,5-13 et Jn 4,46-54) ; Mt 9,18-26). * le retour à la vie du fils de la veuve de Naïn (Lc 7,11-16 ; propre à Luc).
« des pauvres [πτωχοί] * la proclamation d’Isaïe à Nazasont évangélisés » reth (Lc 4,18 ; propre à Luc) ; * la première béatitude (Lc 6,20 ; par. Mt 5,3).
* l’introduction et la parabole des invités à un grand dîner (Lc 14,1224 ; propre à Luc) ; * la parabole du pauvre Lazare (Lc 16,19-31 ; propre à Luc) ; * l’exhortation de Jésus au notable (Lc 18,22 ; par. Mc 10,21 et Mt 19,21) ; * l’admiration de Jésus devant le geste de la pauvre veuve au Temple (Lc 21,34 ; par. Mc 12,43-44).
Mise à part l’évangélisation des pauvres, les quatre premières catégories de signes évoqués par Jésus en Lc 7,22 sont concentrés surtout avant sa rencontre avec les deux messagers de Jean : cinq passages en Lc 4–7 et trois en Lc 8–18. Luc accorde une attention particulière au miracle des morts ou des mourants qui retrouvent vie. 4. Structure : Jésus et la mère du fils unique Une analyse préliminaire de la syntaxe de Lc 7,11-17 met en évidence plusieurs aspects. Jésus est la seule personne mentionnée dans chaque phrase / verset et il est nommé de trois manières différentes : « il », c’est-à-dire « Jésus » (7,9) à qui renvoient deux verbes à la troisième personne du singulier en 7,11-12 ; « le Seigneur » (7,13), sujet de sept verbes en 7,13-15 et « un grand prophète » (7,16) qui est le sujet d’un verbe en 7,16 et à qui fait référence le pronom « lui [αὐτοῦ] » en 7,17. Prêtons attention à l’enchaînement des actions du 31 Chez Luc, hormis en Lc 7,22, le terme κωφός signifie « muet », « incapable de parler » pour qualifier Zacharie qui était devenu incapable de parler en raison de son manque de foi dans la parole de l’ange du Seigneur (Lc 1,22 ; propre à Luc) et l’homme possédé par un démon qui le rendait « muet [κωφός] » (Lc 11,14 ; propre à Luc).
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CHAPITRE PREMIER
personnage principal (grille « Actions »). À chacune des trois dénominations correspond un certain type d’action, ce qui permet d’opérer une division du texte autour de l’intervention centrale du Seigneur auprès de la mère du fils unique. 1. La marche de Jésus jusqu’à la porte de Naïn (Lc 7,11-12) 2. L’intervention du Seigneur auprès de la mère du fils unique mort (Lc 7,13-15) 3. L’acclamation d’un grand prophète (Lc 7,16-17) L’analyse de l’intervention des différents personnages (grille « Personnages ») confirme et affine la division tripartite du texte. En effet, ceux-ci ne sont pas identiques d’une partie à l’autre. En Lc 7,12b, l’expression « etvoici [καὶ ἰδού] » constitue un signal linguistique annonçant l’enjeu du récit : la mort d’un fils unique de sa mère, une veuve, qu’une foule nombreuse vient entourer. 1. Les disciples et la foule accompagnant Jésus (7,11-12a) 2. Le fils défunt et sa mère entourée par une foule importante de la ville (7,12b-15) 3. « Tous » : les témoins de l’intervention de Jésus (7,16) et ceux qui en sont informés (7,17) Cette division met en évidence une croissance exponentielle des témoins : « une foule importante » (Lc 7,11), « une foule de la ville, [en grand nombre] » (7,12b), « dans toute la Judée et la région alentour » (7,17). Pour l’exégèse, nous adopterons la structure tripartite de la grille « Actions » en suivant la division des versets affinée par la grille « Personnages ». Une telle structure suit le cadre habituel des récits bibliques de retour à la vie32. 5. Genre littéraire : un récit de retour à la vie En raison de son objet, de son élément déclencheur et de son dénouement, Lc 7,11-17 se rattache à un genre littéraire peu attesté dans la Bible, à savoir un récit de retour à la vie33. 32 L’agencement général est également en trois étapes : 1) circonstances, 2) intervention du thaumaturge et 3) rappel de tous après la résurrection. Voir Maurice CARREZ, L’héritagedel’AncienTestament, in Xavier LÉON-DUFOUR (éd.), LesmiraclesdeJésus : selonleNouveauTestament(Parole de Dieu, 16), Paris, Seuil, 1977, 45-58, p. 48-49. 33 Le genre littéraire de retour à la vie est généralement considéré comme un cas extrême d’un miracle de guérison. Telle est la position notamment de Blomberg, de
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5.1. Objetdel’intervention :unevictoiresurlamort L’objet de l’intervention de Jésus en Lc 7,11-17 est le mal physique total : la mort, l’état par excellence de non-retour, l’ultime limite de tout espoir de l’être humain aspirant à vivre. Les évangiles et les Actes des Apôtres contiennent cinq différents miracles de retour à la vie. L’un d’eux possédant un parallèle dans les trois évangiles synoptiques, un total de sept récits représente l’ensemble de toutes les traditions évangéliques en ce sens34. Ce genre est le mieux attesté chez Luc : l’évangile et les Actes rendent compte de quatre expériences de retour à la vie35, dont les bénéficiaires sont à part égale des personnes des deux sexes. En effet, dans le troisième évangile, Jésus ramène à la vie un jeune homme, le fils unique d’une veuve de Naïn (Lc 7,1117) et la fille unique (12 ans) de Jaïre, chef de la synagogue (8,4056)36. Dans les Actes, grâce à l’intervention de Pierre, Tabitha, une Fitzmyer, de Nolland, de Marguerat et de Steffek. Blomberg décrit le genre littéraire de Lc 7,11-17 comme une réanimation. Voir Craig L. BLOMBERG, « Form Critizism », in Joel B. GREEN – Jeannine K. BROWNetal. (éds.), DictionaryofJesusandtheGospels (The IVP Bible Dictionary), Downers Grove IL, Inter-Varsity Press (IVP), 20132, 288-294, p. 244. Fitzmyer et Nolland utilisent le terme anglais de resuscitation pour présenter le genre littéraire de Lc 7,11-17. Voir Joseph A. FITZMYER, LukeI–IX, p. 656 ; John NOLLAND, Luke 1–9:20 (Word Biblical Commentary, 35A), Grand Rapids MI, Zondervan, 1989, p. 320. Marguerat et Steffek parlent d’une « revivification de morts ». Une telle expression a l’inconvénient d’être ambiguë tout comme la « résurrection ». En effet, le phénomène se distingue de la résurrection des morts confessée par les chrétiens. Voir Daniel MARGUERAT – Emmanuelle STEFFEK, « Évangile selon Luc », in Camille FOCANT – Daniel MARGUERAT (éds.), LeNouveauTestamentcommenté :texte intégral, traduction oecuménique de la Bible, Montrouge, Bayard, 2014, 246-398, p. 293. Bultmann comme Taylor préfèrent considérer Lc 7,11-17 comme un miracle de guérison, sans précision supplémentaire. Voir Rudolf BULTMANN, HistoryoftheSynopticTradition, Oxford, Blackwell, 19682, p. 215 ; Vincent TAYLOR, Formationofthe GospelTradition, London, Macmillan, 1949, p. 120. 34 Mc 5,21-43 (par. Mt 9,18-26 et Lc 8,40-56) ; Lc 7,11-17 ; Jn 11,1-44 ; Ac 9,3643 ; 20,7-12. Dans le récit de guérison de l’enfant épileptique relaté par Marc (Mc 9,14-29), l’enfant est dit « commemort [ὡσεὶ νεκρός] » au point que « beaucoup disaient : “ilestmort [ἀπέθανεν]” » (Mc 9,26 ; absent dans les parallèles de Lc 9,42 et de Mt 17,18). Cependant, le texte en parle comme d’une apparence et non comme d’une réalité. 35 Fitzmyer ne s’oppose pas à ceux qui intègrent Ac 20,7-12 dans la liste des récits de retour à la vie, bien que lui-même s’en abstienne. Voir Joseph A. FITZMYER, LukeI–IX, p. 656. 36 En Lc 8,42, la jeune fille – dont Luc seul précise qu’elle est fille unique – « se mourait [ἀπέθνῃσκεν] » et en 8,49, « elleestmorte [τέθνηκεν] ». Lc contient ainsi deux récits de retour à la vie formant une paire féminin / masculin, voire un chiasme mère-fils / père-fille. Mary J. OBIORAH, « “Do Not Weep” (Luke 7:13): In the Footstep of the Compassionate Jesus », in OpenJournalofPhilosophy 4 (2014) 207-215, p. 213.
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CHAPITRE PREMIER
femme parmi les disciples de Joppé (9,36-43), revient à la vie et, grâce à Paul, Eutyque, un jeune homme vit une expérience similaire à Troas (20,7-12). Dans l’œuvre de Luc, les quatre récits de retour à la vie sont situés avant la montée à Jérusalem, tant dans le cas de Jésus (Lc 9,51) que dans celui de Pierre (Ac 11,2) et de Paul (Ac 21,5). Or la montée à Jérusalem, à laquelle Luc accorde une importance particulière dans le cas de Jésus comme dans celui de Paul, marque pour l’un et l’autre une étape décisive de leur mission respective. Plaçant chacun des récits de retour à la vie dans ce contexte, Luc voulait-il souligner leur valeur significative, non seulement pour les bénéficiaires, mais également pour Jésus et pour Paul, éventuellement pour Pierre ? Il s’agirait alors d’un signe fortifiant sur le chemin de fidélité qui les mènerait éventuellement jusqu’à la mort. Au sujet de Pierre, les Actes gardent le silence sur son sort après qu’il eut prononcé son discours lors de l’assemblée de Jérusalem (Ac 15,1-29). Selon des écrits apocryphes chrétiens, Pierre aurait terminé sa vie, crucifié, la tête en bas, à Rome37. Concernant l’unique récit johannique de retour à la vie de Lazare (Jn 11,1-44), il est placé peu avant la dernière Pâque de Jésus et joue un rôle différent par rapport aux récits de même genre chez Luc. Dans le contexte immédiat du quatrième évangile, l’accent est mis sur la précipitation de la condamnation à mort de Jésus provoquée par son action auprès de Lazare et les conversions résultantes. En effet, un tel signe ravive la peur des grands prêtres et des Pharisiens de voir un soulèvement du peuple autour de lui et, par conséquent, des représailles romaines qui occasionneraient la suppression du Lieu saint et de la nation juive (Jn 11,45-54)38. L’Ancien Testament compte seulement trois récits de retour à la vie, tous situés dans le contexte du ministère des prophètes Élie et Élisée : le retour à la vie du fils de la veuve de Sarepta avec Élie (1 R 17,1724), celui du fils de la Shounamite avec Élisée (2 R 4,8-37) et celui de l’homme déposé dans la tombe d’Élisée (2 R 13,20-21). Un quatrième texte vétérotestamentaire évoque symboliquement, dans une 37 En versions grecques : Martyre du saint apôtre Pierre (11,2), Martyre des saintsapôtresPierreetPaul (58,5 ; 60,1), ActesdePierreetPaul (79,5 ; 81,1). Voir Richard A. LIPSIUS (éd.), Acta Apostolorum Apocrypha. Acta Petri – Acta Pavli – ActaPetrietPavli–ActaPavlietTheclae-ActaThaddaei, Lipsiae, Hermann Mendelssohn, 1890, p. 98-99, 168-171, 212-215. 38 Voir aussi Jn 12,10-11.
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perspective collective, une expérience similaire : la vision des ossements desséchés qui se remettent à vivre (Ez 37,1-14). Des témoins de l’Antiquité grecque attestent également des « résurrections39 ». Comme il s’agit davantage de pseudo-résurrections ou de récits postérieurs au Ier siècle, nous ne nous y attarderons pas. 5.2. Élémentdéclencheur :l’initiativedeJésus Parmi les sept récits bibliques de retour à la vie, Lc 7,11-17 se distingue par son élément déclencheur. En effet, Jésus prend l’initiative d’intervenir, sans avoir reçu de demande, sans avoir d’obligation envers la veuve et sans avoir été relié de quelque manière à ce qui a occasionné la mort40. Parmi les récits lucaniens de guérisons réalisées par Jésus, seules trois ont été opérées sur son initiative : en faveur de l’homme à la main sèche (Lc 6,6-11 ; par. Mc 3,1-6), de la femme voûtée (Lc 13,10-17 ; propre à Luc) et de l’homme hydropique (Lc 14,1-6 ; propre à Luc)41. Les guérisons rapportées dans ces trois récits ont en commun d’être effectuées le jour du sabbat. Au moment où il est arrêté, Jésus prend encore l’initiative de guérir le serviteur du grand prêtre après que l’un de ceux qui le suivent lui eut tranché l’oreille (Lc 22,51)42. Ainsi donc, le plus souvent, l’intervention de Jésus, à la différence de celle qui est décrite en Lc 7,13-14, vient répondre à une demande qui lui est faite. Dans les Actes des Apôtres, la situation est inversée. Dans les deux récits de retour à la vie, les apôtres sont pressés d’intervenir par des personnes (Ac 9,36-43) ou par les circonstances (20,7-12). En revanche, 39
Pour une présentation détaillée de différents témoins de miracles de « résurrection » chez les Grecs, voir Jean-Marie VAN CANGH, « Santé et salut dans les miracles d’Épidaure, d’Apollonius de Tyane et du Nouveau Testament », in Julien RIES – Yvonne JANSSENSetal. (éds.), Gnosticismeetmondehellénistique.Actesdu ColloquedeLouvain-la-Neuve(11-14mars1980) (Publications de l’Institut Orientaliste de Louvain, 27), Louvain – Paris, Université de Louvain – Institut orientaliste, 1982, 263-277. 40 Dans les autres récits de retour à la vie, Jésus a été sollicité par Jaïre en faveur de sa fille (Mc 5,22-23 ; par. Mt 9,18 et Lc 8,41-42) et par les deux sœurs de Lazare (Jn 11,3). Pierre l’a été par les disciples en faveur d’une des leurs, Tabitha (Ac 9,36-43). En Ac 20,9, Paul se pencha sur le jeune Eutyque, tombé du troisième étage après s’être endormi en écoutant la longue prédication de Paul en pleine nuit. 41 Lors des guérisons d’un démoniaque (Mc 1,23-28 ; par. Lc 4,33-37 ; Mc 5,120 ; par. Mt 8,29-9,1 et Lc 8,26-39), Jésus est interpellé par la personne affligée et, même si elle ne demande pas la guérison, il l’accomplit. 42 Ce fait est absent dans les récits parallèles de Mc 14,47, de Mt 26,54 et de Jn 18,11.
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CHAPITRE PREMIER
dans les trois récits de guérison43, ce sont les apôtres qui prennent l’initiative d’intervenir. Cela est sans doute à comprendre à la lumière d’une prière qu’ils ont faite au cœur de la persécution et qui a été rapportée antérieurement (4,29-30). Luc ne rapporte nulle part une prière semblable de la part de Jésus « pour que se produisent des guérisons » (4,30). Ainsi, l’attitude de ce dernier en Lc 7,11-17 apparaît étonnante pour trois raisons. Premièrement, quand Jésus prend l’initiative de guérir l’homme à la main sèche (6,6-11), la femme voûtée (13,10-17), l’homme hydropique (14,1-6) ou encore des personnes aux prises avec un démon (4,33-37 ; 8,26-39), il les rencontre dans le cadre de ses activités : enseignement dans une synagogue (4,31-33 ; 6,6 ; 13,10), repas chez un chef des Pharisiens (14,1) ou déplacement à travers le lac de Galilée (8,26). Or, en Lc 7,11, Luc écrit que Jésus « partit pour une ville appelée Naïn », mais sans ajouter la visée de ce voyage44. Deuxièmement, si l’on tente de retracer l’itinéraire de Jésus tel que Luc le représente aux chapitres 7 et 8, on est amené à discerner les étapes suivantes : tout d’abord un mouvement vers le sud, de Capharnaüm à Naïn ; puis, la traversée de « villes et villages » (8,1) et ensuite, une remontée vers le lac de Galilée (8,22). Pourquoi Jésus est-il descendu jusqu’à Naïn, une ville inconnue du reste des évangiles et de l’ensemble de la Bible ? 5.3. Dénouement :l’interventionpubliqueetl’exclamation L’issue des deux retours à la vie opérés par Jésus dans le troisième évangile (Lc 7,11-17 ; 8,40-56) est contrastée, en ce qui concerne l’attitude de Jésus et l’expression des témoins. Dans le premier cas, Jésus intervient publiquement. Tous sont saisis de crainte et glorifient Dieu en s’exclamant « Un grand prophète s’est levé parmi nous, et Dieu a visité son peuple. » (7,16) De plus, la nouvelle retentit largement (7,17). Dans le second cas, Jésus agit dans l’intimité45. Aux parents stupéfaits devant leur enfant revenu à la vie, Jésus demande de n’en parler 43 Ac 3,1–4,22 (l’impotent) ; 9,32-35 (le paralytique) ; 14,8-18 (l’infirme de naissance). Le récit de l’appel de Paul relate aussi l’expérience d’une guérison par les mains d’Ananie envoyé par le Seigneur (Ac 9,1-19). 44 Selon Campbell, Jésus ainsi que ses disciples et la foule étaient en chemin vers Jérusalem en vue de la Pâque. Voir Donald K. CAMPBELL, « The Prince of Life at Nain », in BibliothecaSacra 115 (1958) 341-347. Puisque Luc garde silence, le motif sur lequel il veut mettre l’accent est à chercher ailleurs, dans le déroulement du récit. 45 Lc 8,51 ; par. Mc 5,37.40 et Mt 9,25.
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à personne46. Aucun événement particulier relaté entre les deux récits ne permet de comprendre un tel changement d’attitude de la part de Jésus. On soupçonne qu’une telle solennité, jointe au silence sur la raison du déplacement vers l’obscur village de Naïn, doit obéir à un motif d’ordre théologique qu’un examen plus approfondi du récit devrait permettre de découvrir. Étant propre au troisième évangile, Lc 7,11-17 a plus de chances de refléter la théologie lucanienne que Lc 8,40-56. Bilan : un retour à la vie aboutissant à un dévoilement de l’identité de Jésus La première section a mis en lumière quelques éléments fondamentaux de la singularité du récit de Lc 7,11-17, qui serviront de points de repère à son interprétation. L’unité littéraire contenant l’occurrence d’ἐπισκέπτομαι en Lc 7,16 a été délimitée autour de Lc 7,11-17. L’histoire se déroule à Naïn, un lieu qui sort des espaces communs aux récits bibliques, un lieu à part, et Jésus y est confronté à un mort pour la première fois. Du point de vue littéraire, aux versets 11-12 et 16-17, la péricope témoigne de la concentration d’un vocabulaire dont l’usage est typiquement ou exclusivement lucanien. La présence d’un large public mis en valeur aux deux moments fortement lucaniens (7,1112.16-17) donne une force de frappe au récit. Lc 7,11-17 se distingue aussi par la présence de trois prises de parole circonscrites inaugurées par Jésus. Dans l’étape de critique textuelle, nous avons abordé un segment de Lc 7,11 qui présente des variantes significatives pour l’interprétation. L’étude des variantes au sujet du nombre de disciples qui marchaient avec Jésus a permis de souligner un trait lucanien. En effet, Luc mentionne explicitement la présence de nombreux disciples – en recourant à d’autres termes que ἱκανοί – à trois moments charnières dans le ministère de Jésus : au seuil de son discours inaugural dans la plaine de Galilée (Lc 6,17 ; absent dans les parallèles de Mc 3,7 et de Mt 4,25), au début de sa montée à Jérusalem (Lc 10,1 ; propre à Luc) et lors de son entrée dans la ville, à l’approche de sa passion (Lc 19,3738 ; absent dans les parallèles de Mc 11,9 et de Mt 21,9).
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Lc 8,56 ; par. Mc 5,43. L’exigence de garder le secret est absente dans le parallèle de Mt 9,26.
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CHAPITRE PREMIER
Le contexte élargi de Lc 7,11-17 est établi à trois niveaux. Premièrement, dans la perspective littéraire, Lc 7,1-50 est caractérisé par la narration de rencontres ponctuelles vécues par Jésus. Deuxièmement, du point de vue thématique, à travers les épisodes qu’il a regroupés au chapitre 7, Luc rend compte des premiers balbutiements humains concernant l’identité de Jésus comme envoyé de Dieu et de leur progression. À l’image des récits de l’enfance (Lc 1–2), le contexte élargi de Lc 7,11-17 est porteur d’un parallèle avec la reconnaissance de Jean comme prophète et plus qu’un prophète. Troisièmement, d’un point de vue à la fois littéraire et thématique, Lc 7 regroupe quatre épisodes comportant un parallélisme masculin (le centurion et Jean) et un autre féminin (la veuve de Naïn et la femme pécheresse), tout deux en interaction progressive. Le contexte immédiat (Lc 7,1-23), contient deux récits d’une victoire sur la mort, d’abord imminente (7,1-10), puis advenue (7,11-17). Le premier est mis en mouvement par un homme, centurion, riche et païen, habité d’un sentiment d’indignité face à Jésus ; le second, par une femme, veuve et fille d’Israël, en larmes. Jésus agit en faveur de l’un à cause de sa foi, et de l’autre, après avoir été remué aux entrailles en la voyant. En Lc 7,18-23, les différents miracles, dont celui des morts qui reviennent à la vie, que Jésus donne comme signes de « celui qui vient » (7,19.20), permettent au lecteur d’approfondir l’identité de Jésus. Lc 7,11-17 se structure en trois temps (7,11-12 ; 7,13-15 ; 7,16-17) aussi bien à partir de la grille « Actions » que de la grille « Personnages ». À chaque étape, Jésus est désigné d’une façon différente : « il » (« Jésus » en 7,9), « le Seigneur » et « un grand prophète ». Lc 7,11-17 appartient au genre littéraire des récits de retour à la vie et porte trois traits distinctifs. L’intervention de Jésus opère une victoire sur la mort. Cependant, parmi les sept récits de retour à la vie contenus dans le Nouveau Testament, Lc 7,11-17 est le seul à être déclenché par l’initiative de Jésus. De plus, le miracle s’opère publiquement et donne lieu à une reconnaissance humaine de l’identité singulière de Jésus comme envoyé de Dieu. La manière dont le texte relate l’intervention de Jésus à Naïn attise la curiosité du lecteur. Quel motif a amené Jésus à se diriger vers Naïn depuis Capharnaüm, alors qu’il remonte ensuite vers le lac de Galilée ? Pourquoi une grande foule marche-t-elle avec lui (Lc 7,11) ? Le silence du texte invite à être spécialement attentifs à l’éventuelle portée théologique que Luc confère au récit de retour à la vie du fils de la veuve de Naïn.
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II. EXÉGÈSE DE LC 7,11-17 1. La marche de Jésus jusqu’à la porte de Naïn (Lc 7,11-12a) Lc 7,11-12a est constitué de trois énoncés centrés sur Jésus. Dans le premier et le dernier (« marcha [ἐπορεύθη] » et « s’approcha [ἤγγισεν] »), Jésus est le sujet du verbe. Dans le deuxième (« marchaientaveclui [συνεπορεύοντο] »), en position centrale, il est complément d’objet du verbe ayant pour sujet les disciples. La singularité de l’action de Jésus est marquée par les deux verbes à l’indicatif aoriste (ἐπορεύθη, ἤγγισεν), alors que le verbe à l’imparfait (συνεπορεύοντο) inscrit l’action des disciples et d’une foule importante dans une continuité47. On observe également une progression dans la démarche de Jésus : « ilmarcha [ἐπορεύθη] vers une ville » et « ils’approcha [ἤγγισεν] de la porte de la ville ». Un effet de suspens est ainsi créé. Que va-t-il se passer ? La question à laquelle il nous faut d’abord faire face est la suivante : est-il possible de savoir quelque chose, tout au moins sur un plan général, concernant les raisons amenant Jésus à Naïn ? Bien qu’elles ne soient pas explicites, nous allons les découvrir en examinant les données de la première partie du récit (7,1112a). 1.1. LamiseenroutedeJésusverslavilledeNaïn(Lc7,11a) 1.1.1. Une marche décisive Le premier verbe du récit de Naïn, « ilpartit / marcha [ἐπορεύθη] », est typique du langage de Luc, ce géographe de la parole de Dieu, sensible au fait que celle-ci se découvre en marchant et met ses auditeurs en chemin48. L’usage de l’aoriste en Lc 7,11 donne à l’action 47 Les deux verbes ἐπορεύθη et ἤγγισεν sont ici des aoristes ingressifs, puisqu’ils expriment « le commencement d’une action qui a duré dans le passé ». De la même manière, leur conjugaison à l’aoriste qui « est le temps historique par excellence » signifient qu’ils constituent le fil de l’histoire, alors que « les autres temps (présent historique, imparfait, plus-que-parfait) indiquent ordinairement les faits secondaires, les circonstances ». Voir Félix-Marie ABEL, Grammairedugrec biblique(Études bibliques. Ancienne Série, 21), Paris, Gabalda, 19272, p. 255 (pour la citation ci-dessus concernant l’aoriste) et p. 252 (pour l’imparfait). 48 Πορεύομαι apparaît 51 fois en Lc (37 en Ac). Si l’on étend l’analyse au même verbe augmenté d’un préfixe, le compte s’élève à 69 occurrences en Lc (52 en Ac, 36 en Mt, 29 en Mc et 19 en Jn), dont un tiers (23) renvoie à Jésus comme sujet, parfois indirectement. Voir « les paroles de grâces qui sortaient [ἐκπορευομένοις]
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un caractère décisif. D’ailleurs, on ne trouve πορεύομαι à l’indicatif aoriste que dans cinq passages de Lc, dont trois avec Jésus comme sujet : une fois pour rejoindre un lieu désert (4,42), une fois pour se rendre dans un autre village après le mauvais accueil reçu en Samarie (9,56), une fois pour aller « comme de coutume au mont des Oliviers » (22,39 en écho à 21,37). Dans les trois cas, l’action de Jésus exprimée par πορεύομαι à l’indicatif aoriste possède une portée théologique. Regardons de plus près. (1) En Lc 4,42, Luc ne précise pas le motif conduisant Jésus dans un endroit désert, alors que Marc (1,35) évoque la prière. Dans la Bible, le désert est un lieu symbolique, voire théologique, renvoyant encore à d’autres expériences que la prière. Cela se vérifie en Lc à travers les dix mentions que l’on y trouve de « désert [ἔρημος] ». Outre Lc 4,42, trois autres renvoient à l’expérience de Jésus : sa prière (5,16), ses tentations (4,1) et sa multiplication des pains (9,12). Ces deux derniers passages font allusion au séjour du peuple hébreu dans le désert à l’occasion de la sortie d’Égypte, où il fut tenté49 et bénéficiaire de la manne de Dieu50. (2) En Lc 9,56, l’action de Jésus et de ses disciples qui « partirent [ἐπορεύθησαν] pour un autre village » fait écho à la parole de Jésus : « Aux autres villes aussi il me faut annoncer la bonne nouvelle du royaume de Dieu, parce que j’ai été envoyé pour cela. » (Lc 4,43 ; par. Mc 1,38) (3) En Lc 22,39, quand Jésus « partit [ἐπορεύθη] comme de coutume au mont des Oliviers », il est surprenant de voir πορεύομαι à l’aoriste, alors que l’imparfait est le mode par excellence pour exprimer une action habituelle. Deux informations dans la suite immédiate du récit dévoilent la portée solennelle et théologique du moment : l’appel de Jésus aux disciples à se plonger dans la prière pour ne pas entrer en tentation (22,40), ainsi que la prière de Jésus lui-même (22,41-42) réconforté par un ange (22,43). (4) On pourrait ajouter à la liste des occurrences de πορεύομαι à l’indicatif aoriste, un verset particulièrement signifiant où le verbe de la bouche [de Jésus] » (Lc 4,22 ; propre à Luc) et « le Fils de l’homme part [πορεύεται] selon ce qui a été arrêté » (Lc 22,22 ; propre à Luc). 49 Voir les allusions à Dt 6–8 en Lc 4,1-13. 50 Lc 9,12 renvoie à Ex 16,1-3. Voir David W. PAO – Eckhard J. SCHNABEL, « Luke », in Gregory K. BEALE – Donald A. CARSON (éds.), CommentaryontheNew TestamentUseoftheOldTestament, Grand Rapids MI, Baker Academic, 2007, 251414, p. 310.
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πορεύομαι à l’infinitif dépend d’un verbe à l’indicatif aoriste : « Orilarriva,comme [Ἐγένετο δὲ ἐν τῷ] s’accomplissaient les jours de son ascension, que lui fut déterminé à partir [πορεύεσθαι] pour Jérusalem. » (Lc 9,51 ; propre à Luc) Comme Lc 7,11, seuls 9,51 et 17,11 (deux versets également propres à Luc) contiennent le verbe πορεύομαι et la formule introductive Ἐγένετο accompagnée de la préposition ἐν. Or, Lc 9,51 et 17,11 sont deux versets lucaniens décrivant la montée de Jésus à Jérusalem51. En Lc 17,11, il est précisé que Jésus « passait entre Samarie et Galilée ». Naïn est justement situé à la frontière entre la Samarie et la Galilée. Ces affinités incitent à voir en Lc 7,11 un premier indice d’une association entre la montée de Jésus à Jérusalem et son passage à Naïn. 1.1.2. Une marche en vue du royaume de Dieu En Lc 7,11, voici donc Jésus en partance vers une « ville [πόλις] ». Tout comme les autres évangélistes, Luc parle moins souvent de « village [κώμη] ». Cependant, il insiste plus que ces derniers pour situer dans des villes les passages de Jésus, en particulier son annonce de la bonne nouvelle52. Le fait que Lc-Ac renferme la moitié des occurrences du terme « ville [πόλις] » dans le Nouveau Testament et qu’il soit le 51 πορεύομαι est le verbe de prédilection de Luc pour exprimer la montée de Jésus à Jérusalem : Lc 9,51.53 ; 13,22.33 ; 17,11 ; 19,28. Chez Luc, le mouvement de montée à Jérusalem s’enracine dans l’expérience familiale de Jésus, en lien avec la Pâque : « Et ses parents partaient [ἐπορεύοντο] chaque année pour [εἰς] Jérusalem à la fête de la Pâque » (Lc 2,41 ; propre à Luc). Dans la section relatant la montée à Jérusalem (Lc 9,51–19,28), le même verbe sert aussi à rendre compte de la marche en avant de Jésus, sans faire explicitement mention de Jérusalem, en au moins quatre autres passages : 9,56.57 ; 10,38 ; 14,25. Ce dernier verset en particulier présente une ressemblance frappante par rapport à 7,11 : Συνεπορεύοντο δὲ αὐτῷ ὄχλοι πολλοί. 52 Le verbe « proclamer [κηρύσσω] » apparaît accompagné de πόλις deux fois en Lc (8,1.39), deux fois en Ac (8,5 ; 15,21), deux fois en Mt (9,35 ; 11,1) et une fois en Mc (1,45). Le même verbe en présence du substantif κώμη figure seulement une fois en Lc (8,1) et une fois en Mt (9,35). De la même manière, il est question d’« annoncerlabonnenouvelle [εὐαγγελίζω] » dans les villes deux fois en Lc (4,43 ; 8,1) et deux fois en Ac (8,40 ; 14,21), jamais dans les autres évangiles, et du même verbe dans les villages, deux fois en Lc (8,1 ; 9,6) et une fois en Ac (8,25). Au total, les mentions de la prédication (κηρύσσω) ou de l’annonce de la bonne nouvelle (εὐαγγελίζω) dans les villes s’élèvent à quatre occurrences en Lc (quatre en Ac), contre deux en Mt, une en Mc et sont absentes en Jn. La mention de la même activité dans les villages figure trois fois en Lc (une en Ac), une fois en Mt alors qu’elle est absente en Mc et en Jn. Luc donne le statut de ville à presque tous les villages de Galilée ; voir Chester C. MCCOWN, « Gospel Geography Fiction, Fact, and Truth », in JournalofBiblicalLiterature 60 (1941) 1-25, p. 14.
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seul évangéliste à évoquer le statut de « citoyens [πολῖται]53 » témoigne de cette sensibilité urbaine de Luc. Celui-ci projette sans doute dans le temps de Jésus l’ancrage urbain du christianisme primitif de son époque54. Au moins deux références (Lc 4,43 ; 8,1) présentent des affinités par rapport à Lc 7,11. 42
Or le jour venu, il sortit et partit [ἐπορεύθη] dans un lieu désert. Et les foules [ὄχλοι] le cherchaient et vinrent jusqu’à lui, et elles le retenaient pour ne pas qu’ilparte [πορεύεσθαι] loin d’elles. 43 Mais il leur dit : « Aux autres villes [πόλεσιν] aussi il me faut annoncer la bonne nouvelle du royaume de Dieu, parce que c’est pour cela que je fus envoyé. » (Lc 4,4243 ; par. Mc 1,35-38)
Nous avons déjà croisé plus haut Lc 4,42-43 (par. Mc 1,35-38) parmi les cinq autres versets où l’on trouve, comme Lc 7,11, le verbe πορεύομαι à l’indicatif aoriste. Au lieu de πόλις, le récit parallèle de Mc (1,35-38) fait intervenir un hapaxlegomenon : « grosbourgs [κωμοπόλεις] » (Mc 1,38). De plus, Lc 4,42 évoque les « foules [ὄχλοι] » auprès de Jésus. Mc 1,35 contient une précision surlignée ici en italique et omise en Lc : « il sortit et s’en alla dans un lieu désert etlàilpriait ». Il est étonnant de ne pas retrouver une telle information chez Luc qui, ailleurs, est souvent le seul à la mentionner55. L’accent de Lc 4,42 porte ainsi davantage sur l’urgence vécue par Jésus d’annoncer la bonne nouvelle du royaume de Dieu « aux autres villes » (4,43), ou encore, « par ville et village » (8,1). Et il arriva ensuite [Καὶ ἐγένετο ἐν τῷ καθεξῆς] qu’il faisait route [διώδευεν] parvilleetvillage [κατὰ πόλιν καὶ κώμην], prêchant et annonçant la bonne nouvelle du royaume de Dieu ; et les Douze [étaient] avec lui [σὺν αὐτῷ], 2 et certaines femmes qui avaient été guéries d’esprits mauvais et de maladies […]. (Lc 8,1-2 ; propre à Luc)56 1
Lc 8,1 contient la formule introductive la plus proche de celle qui est présente en Lc 7,1157. Alors que Lc 7,11 garde silence sur la 53 Lc 15,15 ; 19,14 ; Ac 21,39. Le seul autre emploi de πολίτης dans le N.T., He 8,11, signifie « voisin ». 54 François BOVON, L’ÉvangileselonsaintLuc.Vol.I(1,1–9,50), p. 220. 55 Voir Lc 5,16 (absent dans le parallèle de Mc 1,45) ; 6,12 (absent dans les parallèles de Mc 3,13 et de Mt 5,1). 56 Le profil pèlerin et missionnaire de Jésus est également évoqué dans les autres évangiles, sans faire mention de l’entourage féminin de Jésus. Voir notamment Mt 9,35 et Mc 6,6b. 57 Voir la critique textuelle au point 1.1 de la section II de l’introduction générale.
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raison du voyage de Jésus vers la ville de Naïn, Lc 4,42 et 8,1 indiquent un motif général pour lequel Jésus passe « à travers ville et village » : l’annonce de la bonne nouvelle du royaume de Dieu. Cette motivation fondamentale est-elle indiquée pour expliquer le passage de Jésus à Naïn ? Une telle question demande d’élucider au préalable en quoi consiste chez Luc l’expérience de Jésus « annonçantlabonnenouvelle [εὐαγγελιζόμενος] duroyaumedeDieu [τὴν βασιλείαν τοῦ θεοῦ] » (8,1). En dehors de Lc 4,43 et 8,1, l’expression n’apparaît qu’une seule fois chez Luc dans une parole de Jésus (16,16) qui ne permet pas davantage d’en donner une interprétation concrète. Si l’on s’en tient aux termes « royaumedeDieu [βασιλεία τοῦ θεοῦ] » en référence à l’expérience de Jésus, deux passages suggèrent une piste d’interprétation concrète. En effet, en Lc 9,11, il est dit que Jésus « leurparlaitduroyaumede Dieu [ἐλάλει αὐτοῖς περὶ τῆς βασιλείας τοῦ θεοῦ] et renditlasanté [ἰᾶτο] à ceux qui avaient besoin de guérison [θεραπείας]58 ». En Lc 11,20 (par. Mt 12,28), Jésus lui-même affirme que l’expulsion des démons qu’il opère par le doigt de Dieu est le signe de la venue du royaume de Dieu. Le visage de Jésus prêcheur du royaume de Dieu est ainsi associé à celui de Jésus thaumaturge59. Si l’on examine les occurrences du verbe « annoncerlabonnenouvelle [εὐαγγελίζομαι] » en rapport avec Jésus60, deux versets s’inspirant de prophéties d’Isaïe sont particulièrement éclairants : Lc 4,18, lors de la proclamation par Jésus d’un passage d’Isaïe, et surtout Lc 7,22. Ainsi, à Jean qui demande par l’intermédiaire de ses disciples « Es-tu celui qui vient ou [en] attendons-nous un autre ? » (7,19), Jésus fait dire : Partez annoncer à Jean ce que vous avez vu et entendu : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts se lèvent [νεκροὶ ἐγείρονται], les pauvres sont évangélisés [πτωχοὶ εὐαγγελίζονται] (Lc 7,22 ; par. Mt 11,4-5)61 58 Les parallèles de Mc 6,34 et de Mt 14,14 mentionnent l’activité de guérison de Jésus sans l’associer à l’annonce du royaume de Dieu. 59 Ces deux facettes sont également présentes dans la mission des disciples : Lc 9,2 (présentes dans le parallèle de Mt 10,7-8 et absentes dans celui de Mc 6,8) et Lc 10,9 (propre à Luc). 60 εὐαγγελίζω apparaît 10 fois en Lc (15 en Ac ; 1 fois en Mt ; absent en Mc et en Jn) : 6 fois en lien avec Jésus (4,18.43 ; 7,22 ; 8,1 ; 16,16 ; 20,1) ; 2 fois en relation aux anges (1,19 ; 2,10) ; 1 fois au sujet de Jean (3,18) et 1 fois pour les disciples (9,6). 61 Voir Is 26,19 ; 29,18-19 ; 35,5-6 ; 61,1. Toledo Ledezma relie Lc 7,11 aussi à Lc 4,18-21, mais non à Lc 7,22, pour évoquer le motif animant la marche de Jésus
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Ici également, l’annonce de la bonne nouvelle est mise en relation avec des guérisons précises et même avec la réanimation des morts. Ce verset situé dans la péricope qui suit celle de Naïn fait clairement référence au retour à la vie opéré par Jésus auprès du fils de la veuve. En Lc 7,22, nous avons la confirmation que le passage de Jésus à Naïn possède une portée théologique. Elle consiste à annoncer cette bonne nouvelle de « celui qui vient » (7,19.20) se manifester par des actions thaumaturgiques : « LeroyaumedeDieuestproche [ἤγγικεν ἡ βασιλεία τοῦ θεοῦ]62 ! » 1.2. L’accompagnement de Jésus auprès des disciples et des foules (Lc7,11b-12a) 1.2.1. Jésus, les disciples et la foule En Lc 7,11, le verbe πορεύομαι est d’autant plus significatif qu’il apparaît une seconde fois dans le même verset, cette fois-ci accompagné du préfixe σύν en relation avec les disciples de Jésus et une foule nombreuse qui « marchaient avec lui [συνεπορεύοντο αὐτῷ] ». C’est le seul cas où le verbe πορεύομαι incluant ses composés a pour sujet les « disciples [μαθηταί] », si ce n’est implicitement dans le récit d’Emmaüs (Lc 24,13.28)63. 13 Et, voici, deux d’entre eux, en ce même jour, marchaientvers [ἦσαν πορευόμενοι εἰς] un village éloigné de soixante stades de Jérusalem, du nom d’Emmaüs […]. 15 Etilarriva,pendant [καὶ ἐγένετο ἐν τῷ] qu’ils conversaient et discutaient ensemble, que Jésus lui-même, s’étantapproché [ἐγγίσας], marchaitaveceux [συνεπορεύετο αὐτοῖς], 16 mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. […] 28 Et ils approchèrent [ἤγγισαν] du village vers lequel ils marchaient [ἐπορεύοντο], et il fit semblant de marcher [πορεύεσθαι] plus loin. (Lc 24,13.15-16.28 ; propre à Luc)
Dans le récit d’Emmaüs (Lc 24,13-35), πορεύομαι se rapporte aussi à deux reprises à Jésus (24,15.28) qui à son tour « marchait vers Naïn. Voir Edgar A. D. TOLEDO LEDEZMA, « “Al verla, el Señor se compadeció por ella” : una lectura semiótica de Lc 7,11-17 », in José L. D’AMICO – Claudia MENDOZA (éds.), “Lapalabraestámuycercadeti,entubocayentucorazón...” (Dt30,14).FS.GabrielNápole (Suplementos a la Revista bíblica, 1), Buenos Aires, Asociación Bíblica Argentina, 2015, 265-290, p. 272. 62 Voir la recommandation de Jésus à ses disciples (Lc 10,9.11) ou le kérygme de Jésus en Mc (1,15). 63 Le récit commence en mettant en scène « deux d’entre eux » (Lc 24,13). À la lumière de la péricope précédente, on comprend qu’il s’agit de deux disciples.
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avec eux [συνεπορεύετο αὐτοῖς] » (24,15), pour leur ouvrir les yeux au sens des Écritures, dans le contexte de l’événement pascal. Ce compagnonnage entre Jésus et des disciples exprimé par la paire πορεύομαι – συμπορεύομαι est propre à Lc 7,11 et à 24,13.15 et renforce un certain parallélisme que nous avons déjà observé entre le récit de Naïn et le récit d’Emmaüs64. Parmi les personnes marchant avec Jésus, il y avait non seulement « ses disciples » mais aussi « une foule nombreuse ». Dans un seul autre verset de Lc sans équivalent dans les autres évangiles, l’action de la foule est décrite en recourant au même verbe συμπορεύομαι (14,25). Dans ce passage, Jésus fait part de deux conditions pour être son disciple : haïr ses plus proches et même sa propre vie (v. 26), ainsi que porter sa croix et venir derrière lui (v. 27). Dans quelle mesure est-il permis de reconnaître à travers le verbe « marcheravec [συμπορεύομαι] » en Lc 7,11-17, comme en 14,25-27 et en 24,13-35, un effet de l’accompagnement de Jésus auprès des disciples et des personnes qui envisagent de le devenir ? 1.2.2. Le souci pastoral de Jésus Une recherche approfondie met en évidence neuf versets en Lc où la « foule [ὄχλος] » est sujet d’un verbe muni du préfixe « avec [σύν] » dont Jésus est l’objet explicite ou implicite. Les six premières occurrences en Lc de la construction « sujet [ὄχλος] + σύν-verbe + objet Jésus », sont situées dans des récits où il est question de guérison65. Un trait se dégage des synoptiques, avec une intensité particulière en Lc : les foules sont attirées par Jésus et cherchent à être physiquement en sa présence. Lc 5,15, la première occurrence de la liste, 64 Dans l’analyse du contexte élargi au point 3.1 de la section I du présent chapitre, une affinité a été soulignée entre les deux récits au niveau de la reconnaissance de Jésus comme prophète hors du commun, « grand » (Lc 7,16) et « puissant » (24,19). 65 « […] des foules nombreuses seréunissaient [συνήρχοντο] […] » (Lc 5,15 ; absent dans le parallèle de Mc 1,45) ; « […] ses disciples et une foule importante de la ville marchaientavec [συνεπορεύοντο] lui » (Lc 7,11 ; propre à Luc) ; « comme seréunissait [Συνιόντος] une foule nombreuse et que de chaque ville on s’acheminait vers lui […] » (Lc 8,4 ; autre verbe muni du préfixe σύν dans les parallèles de Mc 4,1 et de Mt 13,2) ; « les foules l’étouffaient [συνέπνιγον]. » (Lc 8,42 ; autre verbe muni du préfixe σύν dans le parallèle de Mc 5,24) ; « […] “Maître, les foules te serrent [συνέχουσίν] et te pressent” » (Lc 8,45 ; présent dans le parallèle de Mc 5,31 et absent dans celui de Mt 9,22) ; « […] une foule nombreuse vintàsa rencontre [συνήντησεν] » (Lc 9,37 ; absent dans les parallèles de Mc 9,14 et de Mt 17,14).
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en signale le double motif, absent dans le récit parallèle de Mc 1,45 : « pourl’entendreetsefaireguérirdeleursinfirmités [ἀκούειν καὶ θεραπεύεσθαι ἀπὸ τῶν ἀσθενειῶν αὐτῶν]66 ». Repris en Lc 6,17-18, le même motif pousse les foules à toucher Jésus « parce qu’une force sortait de lui et les guérissait [ἰᾶτο] tous » (6,19). Durant la montée à Jérusalem, Jésus propose d’aller plus loin : écouter la parole de Dieu et s’engager. Tel est le message des septième et huitième attestations de « sujet [ὄχλος] + σύν-verbe + objet Jésus » en Lc67. En 12,1, Jésus met en garde contre l’hypocrisie des Pharisiens, pour ensuite exhorter à le reconnaître devant les êtres humains (12,8). En 14,25, il fait état d’exigences pour qui vient à lui et désire devenir son disciple. La dernière occurrence où se trouve aussi la dernière mention du terme ὄχλος en Lc, est située dans un verset, également propre à Luc, du récit de la mort de Jésus (Lc 23,44-49) : « Et touteslesfoulesqui étaient venues assister [πάντες οἱ συμπαραγενόμενοι ὄχλοι] à ce spectacle, ayant vu ce qui s’était passé, s’en retournaient ensefrappantlapoitrine [τύπτοντες τὰ στήθη ὑπέστρεφον]. » (23,48) L’expression « se frapper la poitrine » est exclusive à Luc et ne se retrouve qu’une fois ailleurs dans le Nouveau Testament, soit en Lc 18,13, où le publicain se reconnaît pécheur devant Dieu et implore son pardon. Chez Luc, le cheminement des foules est marqué d’un attrait, fort, mais encore intéressé et fragile à l’égard de Jésus. Cela aboutit au repentir face à sa mort. Il faut attendre le temps post-pascal où, dans les Actes, le terme ὄχλος renverra aux croyants rejoints par Jésus Christ, appelés « frères [ἀδελφοί]68 ». Qu’en est-il de la construction « sujet μαθηταί + σύν-verbe + objet Jésus » ? D’une attestation à l’autre, on voit se dessiner un parcours en quatre étapes. D’abord, les disciples marchent avec Jésus vers Naïn (Lc 7,11). Témoins de sa puissance – en l’occurrence celle de ramener un mort à la vie – ils le reconnaissent comme un grand prophète (7,16). Plus tard, « quand [Jésus] était en train de prier à l’écart, les disciples étaient avec [συνῆσαν αὐτῷ οἱ μαθηταί] lui et il les 66 « Une foule nombreuse de ses disciples et une multitude nombreuse du peuple […] vinrent l’entendreetsefaireguérirdeleursmaux [ἀκοῦσαι αὐτοῦ καὶ ἰαθῆναι ἀπὸ τῶν νόσων αὐτῶν] » (Lc 6,17-18 ; motif absent dans les parallèles de Mc 3,8 et de Mt 4,25). 67 « […], la foule s’étant rassemblée [ἐπισυναχθεισῶν] […], il commença à dire […]. » (Lc 12,1 ; propre à Luc) ; « faisaientrouteavec [Συνεπορεύοντο] lui des foules nombreuses […]. » (Lc 14,25 ; propre à Luc) 68 Voir Ac 1,15, la première occurrence de ὄχλος en Ac.
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interrogea disant : “Qui disent les foules [ὄχλοι] que je suis ?” […] “Et vous, qui dites-vous que je suis ?” » (9,18.20)69 Les disciples rapportent l’opinion des foules qui le considèrent comme un prophète et Pierre l’acclame à titre personnel comme « le Christ de Dieu » (9,1920). Alors, pour la première fois, Jésus annonce à ses disciples sa passion, sa mort et sa résurrection (9,22). À l’heure de la mort de Jésus, associés à ses « connaissances », les disciples se tiennent à distance « ainsi que des femmes qui le suivaient [συνακολουθοῦσαι]70 depuis la Galilée » (23,49)71. Une telle attitude rejoint celle dont fait part le récit de l’agonie où intervient la dernière mention de μαθηταί : « assoupis de tristesse » (22,45), n’ayant plus la force de veiller avec toi. Quand, enfin, après sa résurrection, Jésus « marchaitavec [συνεπορεύετο] » deux d’entre eux (24,15), il les écoute, les interpelle et leur rappelle qu’il fallait « que le Christ souffrît […] et [ainsi] entrât dans sa gloire » (24,26). Cette étude portant sur les foules et les disciples révèle leur fragile et lent cheminement, ainsi que l’accompagnement persévérant de Jésus à l’égard des personnes proches ou lointaines pour les amener à le suivre en prenant leur croix et à s’ouvrir au don ultime du salut. Lc 7,11 témoigne des débuts du parcours de la foule et des disciples auprès de Jésus. C’est le temps de la réception, marqué par l’écoute de sa parole et le témoignage des guérisons. 1.2.3. Au centre de l’activité publique Nous avons déjà montré que l’expression « portedelaville [πύλη τῆς πόλεως] », introuvable ailleurs dans le Nouveau Testament, se trouve cependant dans l’Ancien Testament (quinze fois)72. Dans le monde du Proche-Orient ancien, la porte de la ville constitue le centre de l’activité publique, car elle se présente comme une aire ouverte et 69 La construction « sujet μαθηταί + σύν-verbe + objet Jésus » est absente dans les parallèles de Mc 8,27 et de Mt 16,13. 70 Ce verbe est présent dans sa formulation simple (συνακολουθῶ) dans le parallèle de Mt 27,55 et absent dans celui de Mc 15,40. 71 Il y a tout lieu de comprendre que ces connaissances incluent les disciples dont il a été question jusqu’au début de sa passion (Lc 22,39.45). La seule autre mention de γνωστός dans le troisième évangile se trouve en Lc 2,44. Alors que Lc 2,44 fait appel à deux termes distincts pour parler des « parents [συγγενής] » et des « connaissances [γνωστός] », le même adjectif substantivé γνωστός inclut les deux groupes en Lc 23,49. Voir Rudolf BULTMANN, « γνωστός », in Gerhard KITTEL (éd.), Theological Dictionary of the New Testament, traduit par Geoffrey W. BROMILEY, Grand Rapids MI, Eerdmans, 1964, Vol. I (Α-Γ), 689-719, p. 718. 72 Voir le point 1.1 de la section I du présent chapitre.
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le lieu le plus fréquenté d’une ville73. La porte de la ville est ainsi l’endroit de prédilection pour publier des informations d’importance publique (de vive voix ou par des inscriptions). La porte de la ville est également un lieu pour rendre justice74, tenir conseil75, conclure des accords76 et faire du commerce77. La porte sert également de point stratégique militaire offensif et défensif78 ou encore d’entrée triomphale de gens illustres79. En agissant à la porte de la ville, Jésus rend d’autant plus public son geste et facilite ainsi sa publication (Lc 7,17). Le terme « porte [πύλη] » est lui aussi peu utilisé dans le Nouveau Testament. Il apparaît quatre fois en Mt, notamment à l’intérieur de prises de parole de Jésus80 et est absent ailleurs dans les autres évangiles. En revanche, il se trouve quatre fois dans des récits des Ac. Le mot y désigne deux fois la porte d’une ville, Damas (Ac 9,24) et Philippes (16,13), et deux autres fois la porte du Temple (3,10) ou de la prison (12,10). Ailleurs dans le Nouveau Testament, seul He (13,12) y recourt pour rappeler que Jésus a souffert en dehors des murs de Jérusalem. 2. Le Seigneur et la mère éplorée par la mort du fils unique (Lc 7,12b-15) La partie centrale (Lc 7,12b-15) contient plusieurs éléments littéraires invitant le lecteur à prendre le temps de s’arrêter pour contempler l’action en train de se dérouler. Tout d’abord, l’attitude du Seigneur est décrite à travers sept verbes. Dans le récit de la rencontre de Jésus avec la femme pécheresse (7,37-38), nous avons déjà évoqué ce procédé littéraire visant à exprimer une action pleine et totale81. Cet effet est amplifié par une polysyndète qui atteint une intensité accrue en Lc 7,12b-1582. Cette figure de rhétorique vise à ralentir le rythme 73 Jeffrey H. TIGAY, Deuteronomy (The JPS Torah Commentary), Philadelphia PA, Jewish Publication Society, 1996, p. 79. 74 Dt 22,24 ; Am 5,10. 75 Les anciens se tiennent ainsi à la porte de la ville (Jdt 10,6.9 ; 13,12). 76 Gn 34,20.24 ; 2 R 7,1.18 ; Rt 4,1.11. 77 Gn 23,10.18 ; Jr 17,24. 78 Jg 9,35.44 ; 16,2.3 ; 2 R 7,10 ; 23,8. 79 Jr 17,25. 80 Mt 7,13(bis).14 ; 16,18. 81 Voir l’étude du contexte élargi au point 3.1 de la section I du présent chapitre. 82 Lc 7,11-17 contient dix-sept καί, dont quinze placés en début d’une proposition verbale et parmi ceux-ci dix figurent en 7,12b-15. Voir Mary J. OBIORAH, « “Do Not Weep” (Luke 7:13) », p. 211.
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du récit afin d’attirer l’attention sur son contenu et de lui conférer un caractère solennel, voire sacré. 2.1. Le contexte de Naïn : un deuil particulièrement dramatique (Lc7,12b) 2.1.1. Un effet couperet καὶ ἰδού… « Et voici » ce qui se déroule à la porte de la ville. Tel que cela a été présenté lors de l’étude de la structure de Lc 7,11-17, la tournure καὶ ἰδού est un signal linguistique annonçant des données nouvelles, en l’occurrence une mise en terre, et a ici un effet couperet83. Jésus était en route, accompagné d’une foule nombreuse et des disciples, vers un lieu charmant. Et puis, soudain, le lecteur est confronté à une ambiance tout autre : l’enterrement du fils d’une veuve, qui plus est son unique. Un spectacle d’une détresse humainement insurmontable, qui interpelle par la présence d’une grande foule auprès de la veuve. Dans le Nouveau Testament, l’expression καὶ ἰδού est occasionnellement suivie directement par un verbe84. Dans deux cas seulement, le verbe qui vient juste après καὶ ἰδού est à l’indicatif imparfait (Lc 7,12 ; Mt 9,2)85. L’usage de l’imparfait étonne puisque l’adverbe signale l’arrivée d’un élément nouveau dans le récit, alors que l’imparfait met l’accent sur la durée d’une action déjà commencée86. Dans les deux cas, le verset précédent parle de Jésus et de son activité au moyen d’un verbe à l’indicatif aoriste. Ainsi, l’usage de l’imparfait pour le verbe introduit par καὶ ἰδού signale que l’élément nouveau annoncé par l’adverbe ne réside pas d’abord dans une action qui se produit, mais plutôt dans la confrontation de Jésus avec une situation en cours, ici un enterrement, et la rencontre des personnes impliquées. Cette rencontre est présentée comme une coïncidence87. 83 Voir le point 4 de la section I du présent chapitre. Dans ce cas-ci, καί n’affecte pas ἰδού, mais porte sur le verbe principal qui le suit directement : « ilétaitmisen terre [ἐξεκομίζετο] » (Lc 7,12b). Voir Édouard DELEBECQUE, Étudesgrecquessur l’évangiledeLuc, p. 131, 136. 84 16 fois sur 75 (20 pour cent). 85 Dans le parallèle lucanien de Mt 9,2, la construction est différente : « Etvoici des gens portant [καὶ ἰδοὺ ἄνδρες φέροντες] sur une couche un homme qui était paralysé […]. » (Lc 5,18). 86 Il est significatif qu’en Lc 8,41, l’arrivée de Jaïre auprès de Jésus soit exprimée par un verbe à l’indicatif aoriste : « Etvoici :vint[καὶ ἰδοὺ ἦλθεν] un homme dont le nom [était] Jaïre […]. » 87 Walter VOGELS, « A Semiotic Study of Luke 7:11-17 », in ÉgliseetThéologie 14 (1983) 273-292, p. 282.
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CHAPITRE PREMIER
Par rapport au début du récit, trois figures supplémentaires sont évoquées en Lc 7,12b : un fils défunt, une veuve qui est sa mère, ainsi qu’une foule de la ville. La longue phrase dépendant de καὶ ἰδού est scandée par deux autres καί mettant l’accent sur la veuve dont il est question dans les trois propositions en Lc 7,12b. 2.1.2. Échos à la mort et à l’ensevelissement de Jésus Le verbe ἐκκομίζω signifie littéralement « emporter hors de / soustraire à », et dans un contexte mortuaire, « porter en terre88 ». Il est introuvable ailleurs dans la Bible. En revanche, des termes de même racine apparaissent douze fois dans le Nouveau Testament89 où le contexte est également funéraire, notamment en Ac 8,2, autour de la mort d’Étienne. Le verbe συγκομίζω qui y figure insiste non sur le lieu, mais sur le rassemblement90. En Lc 7,12, le verbe ἐκκομίζω met plutôt l’accent sur l’éloignement, implicitement par rapport à la porte de la ville (πύλη) dont il vient d’être question. Cette nuance possède-t-elle une portée significative ? Le verbe ἐκκομίζω au passif dans un contexte d’ensevelissement est connu chez des auteurs classiques tels Polybe et Plutarque91, tout comme chez Flavius Josèphe qui, lui aussi, situe le mouvement de l’action en référence à la porte de la ville. En ces jours-là, Mannée, fils de Lazare, s’enfuit près de Titus et lui raconta qu’on avait fait passer [ἐκκεκομίσθαι] par une seule porte [πύλης] dont on lui avait confié la charge cent quinze mille huit cent quatre-vingt cadavres [νεκρῶν] depuis le jour où Titus avait établi son 88
Anatole BAILLY (éd.), Dictionnairegrec-français, Paris, Hachette, 1963, p. 620. Deux autres fois κομίζω dans les évangiles (Mt 25,27 ; Lc 7,37) et une fois συγκομίζω en Ac 8,2. 90 Jb 5,26, seul autre verset de la Bible contenant συγκομίζω l’illustre bien : « Tu entreras dans la tombe comme du grain mûr qui est moissonné, comme un tas de grains battus récoltés [συγκομισθεῖσα] en son temps ». La même réalité est exprimée à travers l’expression « êtreréunià [προσετέθη πρός] sonpeuple [τὸν λαὸν αὐτοῦ] / sa parenté [τὸ γένος αὐτοῦ] / ses pères [τοὺς πατέρας αὐτῶν] », à la mort d’Abraham (Gn 25,8), Ismaël (Gn 25,17), Isaac (Gn 35,29), Jacob (Gn 49,29.33), Moïse (Dt 32,50), la génération de Josué (Jg 2,10), Manassé (Jdt 16,22), Mattathias (1 M 2,69), Darius (Dn 6,29). Voir David J. A. CLINES, Job1–20(Word Biblical Commentary, 17), Nashville TN, Thomas Nelson, 1989, p. 153. 91 POLYBE [POLYBIUS], TheHistories.TomeVI:Books28–39, édité par William R. PATON – Frank W. WALBANKetal., éd. rev., Cambridge MA, Harvard University Press, 2012, p. 390-391 (Histoires, 35.6.2) ; PLUTARQUE, Vies. Tome XII : Démosthène–Cicéron (Universités de France), édité par Robert FLACELIÈRE – Émile CHAMBRY, Paris, Les Belles Lettres, 1976 p. 115 (Cicéron, 42.4). 89
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camp, c’est-à-dire le quatorzième jour du mois Xanthicos jusqu’à la nouvelle lune de Panemos. (GuerredesJuifs,V 567)92
Le verbe ἐκφέρω exprime une réalité similaire en Ac 5,6.10, lors de l’ensevelissement d’Ananie et de Saphire, son épouse. Or, dans le témoignage de Flavius Josèphe sus-mentionné et dans celui de Ac 5,6.10, la mort des personnes décédées est considérée comme une conséquence de leur fermeture à Dieu93. Chez Polybe comme chez Plutarque, les sujets du verbe ἐκκομίζω au passif sont des personnes décédées qui subissent une humiliation dans leur mort ou sont du moins peu considérées. Ainsi, même si l’ensevelissement des morts à l’extérieur de la ville faisait partie des coutumes juives de l’époque94, l’exprimer à l’aide du verbe ἐκκομίζω surprend dans le contexte de Lc 7,12. En effet, rien ne laisse percevoir dans le récit de Naïn que la mort du fils de la veuve soit marquée d’une humiliation ou d’un péché. Selon une loi juive (Lv 24,14), les blasphémateurs sont condamnés à l’exécution à mort en dehors du camp. Des traditions tardives du Nouveau Testament témoignent que Jésus a subi le même sort : « 17 Et, chargé lui-même de sa croix, ilsortit [ἐξῆλθεν] vers le lieu dit du Crâne […] 18 où ils le crucifièrent […]. 20 […] le lieu où Jésus fut crucifié était proche de la ville. » (Jn 19,17-18.20)95 La lettre aux Hébreux donne une précision sur le lieu d’exécution de Jésus, qui présente des affinités par rapport à Lc 7,12, en référence avec la porte de la ville : « Jésus, pour sanctifier le peuple par son propre sang, a souffert endehorsdelaporte [ἔξω τῆς πύλης]. » (He 13,12) Cette information constitue l’une des rares allusions de la lettre aux Hébreux à la vie de Jésus. On en perçoit un reflet dans les 92 FLAVIUS JOSÈPHE, Guerre des Juifs (Universités de France), édité par André PELLETIER, Paris, Les Belles Lettres, 1982, Vol. III (Livres IV–V), p. 194-195 (V 567). 93 FLAVIUS JOSÈPHE, GuerredesJuifs,Vol. III (Livres IV–V), p. 194-195 (V 566) : « […] Je pense que si les Romains avaient tardé à punir ces misérables ou bien la terre se serait ouverte pour engloutir cette ville, ou bien elle eût été détruite par une inondation ou elle aurait connu, elle aussi, les tonnerres de Sodome, car elle portait en elle une génération encore plus impie que celles qui jadis subirent ces fléaux. Ce qu’il y a de sûr, c’est que la folie de ces gens-là a entraîné la perte de tout le peuple. » Voir aussi Ac 5,9. 94 Voir Amy-Jill LEVINE – Marc ZVI BRETTLER (éds.), TheJewishAnnotatedNew Testament, London, Oxford University Press (ouvrage électronique), 2011, paragraphe 2061 ; I. Howard MARSHALL, The Gospel of Luke, p. 284 ; John NOLLAND, Luke1–9:20, p. 322. Tel fut le cas de Paul qu’on avait lapidé et qu’on « traîna hors delaville [ἔξω τῆς πόλεως] » (Ac 14,19), car on le croyait mort. 95 Les récits parallèles (Mc 15,22 ; Mt 27,33 ; Lc 23,33) parlent du même lieu du Crâne, sans mettre en évidence son emplacement à l’extérieur de la ville.
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CHAPITRE PREMIER
trois synoptiques, plus précisément dans la parabole des vignerons qui jettent le fils (l’héritier) « horsdelavigne [ἔξω τοῦ ἀμπελῶνος] » et le tuent96. Faut-il pour autant voir dans l’emploi du verbe ἐκκομίζω en Lc 7,12 une évocation de la mort et de l’ensevelissement de Jésus en dehors de la ville ? Notre réponse comportera trois moments. Premièrement, le verbe ἐκκομίζω fait partie d’un rituel de funérailles absent des autres récits bibliques où un retour à la vie est opéré par l’intervention d’une personne vivante97. Dans les autres récits de retour à la vie du Nouveau Testament, à l’exception de Jn 11,1-44, la personne vient à peine de mourir et le rituel de funérailles n’a pas vraiment commencé98. Il en va de même pour les récits de retour à la vie contenus dans l’Ancien Testament, excepté 2 R 13,20-21. Deuxièmement, dans les narrations des évangiles, y compris celles qui ne traitent pas d’un retour à la vie, il est très peu question de sépulture, sauf au sujet de Jésus. Ce constat est encore plus frappant chez Luc : il ne fait pas allusion à l’ensevelissement de Jean comme Mc 6,29 (par. Mt 14,12) et, à la différence des autres évangélistes99, il ne rapporte pas l’onction de la femme à Béthanie, qui préfigure l’ensevelissement de Jésus. On trouve un récit similaire en Lc 7,36-50, mais il ne joue pas le même rôle pour deux raisons. D’abord, il est placé avant la montée à Jérusalem et non au terme. Ensuite, l’accent y porte sur l’anticipation, non pas de la sépulture de Jésus, mais de la rémission des péchés découlant de la foi en lui. En dehors des récits de la passion de Jésus et du récit de Naïn, la réalité de l’ensevelissement est à peine évoquée chez Luc, à travers deux parolesde Jésus : un appel à le suivre en laissant « les morts enterrer [θάψαι] leurs propres morts » (Lc 9,60 ; par. Mt 8,22), ainsi que la parabole du pauvre et du riche 96 En voyant l’héritier, les vignerons « l’ayant jeté hors de la vigne [ἔξω τοῦ ἀμπελῶνος], […] [le] tuèrent. » (Lc 20,15 ; par. Mt 21,39) ou encore, « ils le tuèrent et le jetèrent horsdelavigne [ἔξω τοῦ ἀμπελῶνος] » (Mc 12,8). Voir Harold W. ATTRIDGE, TheEpistletotheHebrews(Hermeneia, 79), Minneapolis MN, Augsburg Fortress Press, 1989, p. 398. 97 En 2 R 13,20-21, l’homme mort revient à la vie après avoir été mis en contact avec les ossements d’Élisée. 98 Concernant le récit de retour à la vie de Lazare (Jn 11,1-44), il était déjà dans le tombeau depuis quatre jours quand Jésus se rendit auprès de lui (Jn 11,17). Rien n’est dit sur son ensevelissement, ni sur ses funérailles. 99 Mc 14,3-9 ; par. Mt 26,6-13 et Jn 12,1-11. Le récit johannique met aussi l’onction de la femme en lien avec l’ensevelissement de Jésus, non pas comme une préfiguration, mais comme une invitation à garder le parfum pour son ensevelissement (Jn 12,7).
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(Lc 16,19-31 ; propre à Luc)100. Bref, en Lc, on échappe, pour ainsi dire, à l’ensevelissement. Il en est davantage question en Ac101. Le récit de Ac 5,1-11 et celui de l’ensevelissement de Jésus montrent que, dans la culture juive, la sépulture de l’époque se faisait d’ordinaire rapidement après la mort102. À l’exception du récit de Ac 5,1-11 évoquant la mort d’Ananie et de Saphire, survenue par suite de leur mensonge (5,2-4), les trois autres passages des Ac en rapport avec la sépulture de David et celle d’Étienne, font écho à la résurrection de Jésus Christ (Ac 2,31 ; 13,37) ou à sa mort103. Un tel constat renforce la crédibilité de l’hypothèse selon laquelle en Lc 7,12, le verbe ἐκκομίζω ferait allusion à la mort et à l’ensevelissement de Jésus en dehors de la ville. Cependant, des indices supplémentaires sont encore nécessaires pour être en mesure de l’affirmer avec assurance. Lc 7,12 présente-t-il des affinités par rapport au récit de l’ensevelissement de Jésus ? Si l’on rassemble les données des quatre évangiles, la sépulture de Jésus est traitée en deux moments, l’un antérieur et l’autre postérieur à sa mort. Le premier – absent en Lc – prend la forme d’une préfiguration par le geste d’une femme à Béthanie (Mc 14,3-9 ; par. Mt 26,6-13 et Jn 12,1-8). Le second décrit son déroulement en sept actions dont la dernière – celles des aromates apportés par les femmes – ouvre sur le témoignage de la résurrection104. Ces deux moments sont 100 Lc 16,22 distingue le sort du riche de celui du pauvre après la mort. En effet, le pauvre « fut emporté par les anges dans le sein d’Abraham ». Le riche « futenterré [ἐτάφη], et, dans l’Hadès, ayant levé ses yeux, se trouvant dans les tourments, il voit Abraham de loin, et Lazare en son sein ». Le pauvre échappe ici à l’ensevelissement et va directement auprès d’Abraham. 101 À l’occasion de deux discours à propos de David qui « aétéenseveli [ἐτάφη] » (Ac 2,29) ou encore, qui « aétémisauprèsdesespères [προσετέθη πρὸς τοὺς πατέρας αὐτοῦ] » (Ac 13,36) [προστίθημι]) ; dans des récits évoquant le corps d’Ananie que « les jeunes gens enveloppèrent [συνέστειλαν] et emportèrent pour l’enterrer [ἐξενέγκαντες ἔθαψαν] » (Ac 5,6 ; voir aussi 5,9), puis celui de sa femme, Saphire, que « les jeunes gens […] emportèrentpourl’enterrer [ἐξενέγκαντες ἔθαψαν] au près de son mari » (Ac 5,10), ainsi qu’Étienne que « des hommes pieux ensevelirent [συνεκόμισαν] » (Ac 8,2). 102 Selon le témoignage de la Mishna, si quelqu’un laisse passer une nuit sans ensevelir un proche qui vient de décéder, il transgresse la Loi (Sanhédrin 6,5). La rapidité de l’ensevelissement s’explique en partie par la faible pratique de l’embaumement, limité aux aromates dans le meilleur des cas, notamment, pour des rois (Asa en 2 Ch 16,14). Voir Richard N. JONES, « Embalming », in David N. FREEDMAN (éd.), TheAnchorBible Dictionary, New York NY, Doubleday, 1992, Vol. II, 490-496, p. 495-496. 103 Les deux dernières paroles d’Étienne (Ac 7,59.60) reprennent, dans l’ordre inverse, celles de Jésus (Lc 23,46.34), avec toutefois une différence significative : Étienne s’adresse à Dieu tandis que Jésus se tournait vers le Père. 104 Voici la façon dont nous avons découpé en sept étapes les récits évangéliques de la sépulture de Jésus après sa mort : 1) achat du linceul (Mc 15,46a ; absent dans
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CHAPITRE PREMIER
marqués par la présence active de femmes. Évoqué en Lc 7,12 par le verbe ἐκκομίζω, les funérailles du fils de la veuve correspondent à l’étape centrale – la quatrième – de l’ensevelissement de Jésus, celle de la mise au tombeau, qui deviendra le lieu de la manifestation de sa résurrection. Troisièmement, la suite du récit de Naïn contient d’autres parallèles avec le récit de la mort et de la résurrection de Jésus, notamment à travers le verbe θνῄσκω (Lc 7,12) qui, sous la forme d’un participe, est très rare105, tout comme son composé (ἀποθνῄσκω)106. En Lc-Ac, l’unique autre mention de θνῄσκω au participe se trouve en Ac 25,19 à propos de Jésus, dans le discours de Festus exposant au roi l’affaire de Paul : « un certain Jésus, qui est mort [τεθνηκότος], et que Paul affirme être en vie ». Une telle coïncidence est un appui supplémentaire renforçant le parallèle entre la situation du fils de la veuve en Lc 7,12 et la mort de Jésus. Ces indices amènent une question : le récit de Naïn serait-il une préfiguration pascale ? Cette intuition se retrouve dans la réception de ce récit par ses lecteurs chrétiens, notamment Cyrille d’Alexandrie107. 2.1.3. La mort d’un fils unique : type vétérotestamentaire d’une détresse extrême Le côté dramatique de la scène est signalé par l’atmosphère de « mort[τεθνηκώς] » et par la condition du défunt : « lefilsuniquede samère [μονογενὴς υἱὸς τῇ μητρὶ αὐτοῦ] » (Lc 7,12)108. les parallèles), 2) prise du corps (Mc 15,46b ; par. Lc 23,53a ; Mt 27,59a ; Jn 19,40a), 3) enveloppement dans le linceul (Mc 15,46c ; par. Lc 23,53b ; Mt 27,59b ; Jn 19,40b), 4) mise au tombeau (Mc 15,46d ; par. Lc 23,53c ; Mt 27,60a ; Jn 19,42), 5) roulement de la pierre (Mc 15,46e ; par. Mt 27,60b ; absent dans les parallèles de Lc et de Jn), 6) préparation des aromates avant le sabbat ou achat des aromates après le sabbat (Mc 16,1a ; par. Lc 23,55 ; absent dans les parallèles de Mt et de Jn), 7) transport des aromates par les femmes après le sabbat (Mc 16,1b ; par. Lc 24,1 ; Mt 28,1 ; Jn 20,1). 105 Quatre mentions de θνῄσκω au participe dans le N.T. : Lc 7,12 (le fils unique de la veuve) ; Jn 11,44 (Lazare) ; Jn 19,33 (Jésus) ; Ac 25,19 (Jésus). Le verbe θνῄσκω y est toujours au temps parfait dont le propre est de mettre l’accent sur la persistance des conséquences d’une action passée. 106 Une attestation dans les évangiles : Mc 12,20 (ἐτελεύτησεν dans le parallèle de Mt 22,25 ; ἐτελεύτησεν dans celui de Lc 20,29). 107 CYRILLE D’ALEXANDRIE [S. CYRILLI ALEXANDRINI], « Sermon 36 (Lc 7.1116) », in Jean-Baptiste CHABOT (éd.), CommentairesurLuc[commentariiinLucam]I (Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium, 70 - Scriptores Syri 27), Louvain, Imprimerie orientaliste L. Durbecq, 1954, 67-73, p. 68. 108 Le participe « mort [τεθνηκώς] » sert à désigner « le fils unique de sa mère » (Lc 7,12), et non l’inverse, comme le font notamment Benoît et Boismard,
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En dehors de Lc 7,12, l’adjectif « unique[μονογενής] » ne se rencontre dans le troisième évangile qu’en 8,42, dans un autre récit de retour à la vie qui concerne une fille, et en 9,38, dans le récit de guérison du fils épileptique. Dans les deux cas, la mention μονογενής est absente dans les récits parallèles. Si l’on considère les autres emplois de μονογενής dans le Nouveau Testament, on observe que Luc est le seul à ne pas l’appliquer à Jésus109. Cependant, ces emplois appartiennent à des traditions plus tardives et non aux synoptiques. Augustin George voit dans l’adjectif μονογενής appliqué au fils de la veuve, un point de contact avec le texte hébreu de 1 R 17110. Bien que celui-ci utilise toujours le singulier à propos du fils de la veuve, il ne le qualifie cependant jamais comme fils unique, en joignant au substantif υἱός l’adjectif μονογενής ou un équivalent. En revanche, dans le langage vétérotestamentaire, lorsqu’on cherche à exprimer une détresse profonde, voire extrême, on recourt notamment à l’image du deuil d’un « fils unique111 », tel que cela est signifié en en considérant le participe comme un subtantif. Voir Pierre BENOÎT – Marie-Émile BOISMARD, Synopsedesquatreévangilesenfrançaisavecparallèlesdesapocryphes et des Pères, Paris, Cerf, 20138, Vol. I, p. 93. Sans toutefois donner d’explication, Lagrange signale que τεθνηκώς en Lc 7,12 ne peut être pris comme un substantif. Voir Marie-Joseph LAGRANGE, ÉvangileselonsaintLuc (Études bibliques. Ancienne Série, 15), Paris, Gabalda, 19273, p. 210. En règle générale, le participe substantivé est précédé de l’article. Voir Félix-Marie ABEL, Grammairedugrecbiblique, p. 322 (no 72d). De plus, les autres éléments qui font partie du complément d’objet direct du verbe ἐξεκομίζετο se rapportent à υἱός et l’entourent : τεθνηκὼς μονογενὴς υἱὸς τῇ μητρὶ αὐτοῦ (Lc 7,12). 109 Jn 1,14.18 ; 3,16.18 ; He 11,17 ; 1 Jn 4,9. Parmi ces mentions, trois ont également le terme υἱός : Jn 3,16.18 ; 1 Jn 4,9. 110 Quatre attestions sont mentionnées. Dans les trois premières, le texte hébreu diffère de la LXX : « pourmonfils [ « » ]וְ ִל ְבנִ יpourmesenfants [τοῖς τέκνοις μου] » (1 R 17,12), « pour ton fils [ « » ]וְ ִל ְבנֵ ְךpour tes enfants [τοῖς τέκνοις σου] » (17,13), « samaison []וּב ָיתהּ ֵ » >< « sesenfants [τὰ τέκνα αὐτῆς] » (17,15), « le fils de la femme [ן־ה ִא ָשּׁה ָ ]בּ ֶ / ὁ υἱὸς τῆς γυναικός] » (17,17). Voir Augustin GEORGE, « Le miracle dans l’œuvre de Luc », in Xavier LÉON-DUFOUR (éd.), Lesmiraclesde Jésus :selonleNouveauTestament (Parole de Dieu, 16), Paris, Seuil, 1977, 249-286, p. 252-253. 111 Le « fils unique » est exprimé en hébreu par l’adjectif substantivé יָ ִחידdont on trouve deux équivalents dans la LXX : ἀγαπητός, « bien-aimé » (sept fois : Gn 22,2.12.16 ; Jr 6,26 ; Am 8,10 ; Za 12,10 ; ἀγαπώμενος en Pr 4,3) et μονογενής, « unique » (quatre fois : Jg 11,34 ; Ps 21,21 LXX ; Ps 24,16 LXX ; Ps 34,17 LXX). Pour parler d’un enfant unique et très cher, le terme ἀγαπητός (« bien-aimé ») semble donc être utilisé de préférence. Voir Ethelbert STAUFFER, « ἀγαπάω, ἀγάπη, ἀγαπητός », in Gerhard KITTEL (éd.), TheologicalDictionaryoftheNewTestament, traduit par Geoffrey W. BROMILEY, Grand Rapids MI, Eerdmans, 1964, Vol. I (Α-Γ), 21-56, p. 37. On retrouve ἀγαπητός notamment en Gn 22,2.12 à propos du fils unique d’Abraham. Cependant, comme en hébreu, l’écriture des deux adjectifs, « bien-aimé
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CHAPITRE PREMIER
Am 8,10, Jr 6,26 et Za 12,10112. Même si dans ces trois passages de l’Ancien Testament, l’adjectif utilisé est ἀγαπητός et non μονογενής, c’est en référence à la même réalité (l’unique) qui est explicitée dans la version hébraïque ()יָ ִחיד. 2.1.4. La veuve : une figure révélatrice en Lc Le personnage important dont il est question dans cette partie centrale (Lc 7,12b-15) est la veuve113. Selon les usages de l’époque, la mère du défunt marche devant le cercueil114. Cet accent sur la veuve est manifeste. En effet, si le fils était la personne située au cœur du récit, il suffisait de dire qu’il était « un fils unique », sans devoir ajouter « pour sa mère115 ». Nulle part ailleurs on n’observe la présence d’une expression similaire en parlant d’un enfant unique, sauf en Tb 3,15 pour mettre l’accent sur le père : « jesuisfilleuniquepourmonpère [μονογενής εἰμι τῷ πατρί μου] ». De plus, Luc écrit « etelleétaitveuve [καὶ αὐτὴ ἦν χήρα] » (7,12b). Le pronom personnel « il/elle [αὐτός / αὐτή] » est abondamment utilisé en Lc, plus que dans les autres évangiles, de même que la [ » ]יָ ִדידet « unique [ » ]יָ ִחידest visuellement très proche, il est donc facile de confondre l’un avec l’autre. 112 Bock, Garland, Harbarth, Marshall et d’autres, commentent l’événement décrit en Lc 7,12 à la lumière d’Am 8,10, Jr 6,26 et Za 12,10. Voir David E. GARLAND, Luke, p. 302 ; Darrell L. BOCK, Luke. Volume 1 (1:1–9:50), p. 649-650 ; I. Howard MARSHALL, TheGospelofLuke, p. 285 ; Anita HARBARTH, “GotthatseinVolkheimgesucht”: Eine form- und redaktionsgeschichtliche Untersuchung zu Lk 7,11-17: “Die Erweckung des Jünglings von Nain”, Heidelberg, Universität Heidelberg: Doctor Dissertationem, 1978, p. 37. Pour le deuil du fils unique comme expression de la plus grande peine, voir le commentaire d’Am 8,10 par Shalom M. PAUL, Amos (Hermeneia, 30), Minneapolis MN, Augsburg Fortress Press, 1990, p. 263 ; Francis I. ANDERSEN – David N. FREEDMAN, Amos(The Anchor Yale Bible Commentaries, 24A), Garden City NY, Doubleday, 1989, p. 822. 113 Selon Parsons, l’importance conférée à la veuve distingue Lc 7,11-17 des récits similiaires de réanimations dans le monde gréco-romain. Voir Mikael C. PARSONS, Luke (Paideia), Grand Rapids MI, Baker Academic, 2015, p. 122. Vogels s’étonne que peu de titres donnés à Lc 7,11-17 reflètent l’importance que le texte donne à la veuve. Voir Walter VOGELS, « A Semiotic Study of Luke 7:11-17 », p. 278-279. 114 Craig S. KEENER, Luke(The IVP Bible Background Commentary), Downers Grove IL, Inter-Varsity Press (IVP), 20142, p. 207. 115 Nous interprétons le datif τῇ μητρί (Lc 7,12) en relation à l’adjectif μονογενής – tout comme c’est clairement le cas en Tb 3,15 – et non au substantif υἱός. Il s’agit donc d’un « datif d’intérêt », non pour marquer l’idée de possession déjà exprimée par le pronom αὐτοῦ, mais pour désigner « la personne à l’avantage ou au désavantage de laquelle l’action se fait (dativuscommodietincommodi) », ou encore d’un « datif d’accompagnement » qui « se trouve avec les verbes, les adjectifs, les adverbes et même les substantifs qui expriment une association quelconque ». Voir Félix-Marie ABEL, Grammairedugrecbiblique, p. 196-199.
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formulation « etil [καὶ αὐτός] ». Sur les douze mentions de αὐτός en Lc 7,11-17, celle du verset 12 est la seule à être précédée de καί. Il s’agit d’un καὶ αὐτή circonstantiel visant à souligner « un fait digne de remarque116 ». Dans ce cas, le verbe qui fait l’objet de la remarque est toujours à l’imparfait. En Lc 7,12, le narrateur attire l’attention du lecteur sur le fait que le défunt laisse derrière lui sa mère dans une douleur déchirante et, implicitement, et dans une insécurité économique, car elle est désormais dépouillée de la seule ressource qui lui restait117. Cette femme était ainsi confrontée à un vide presque complet, du point de vue économique et affectif. Dans les appels répétés de l’Ancien Testament à secourir les personnes les plus démunies, les veuves sont souvent nommées explicitement118. Dieu le premier se montre leur défenseur119. Cet accent mis sur la veuve ne surprend pas, puisque χήρα est un terme d’usage typiquement lucanien, absent en Mt et en Jn. Les trois mentions qu’en fait Mc se retrouvent en Lc120. Deux traits typiques se dégagent du profil des veuves en Lc-Ac : leur pauvreté et leur engagement. Les deux dernières mentions placées dans le récit de l’obole de la veuve (21,1-4), que Lc a en commun avec Mc (12,41-44), l’illustrent bien. Cette veuve est « indigente [πενιχράν] », (Lc 21,2), « pauvre [πτωχή] » (21,3), et pourtant, « de son indigence, elle a jeté toutela subsistance [πάντα τὸν βίον] qu’elle avait » (Lc 21,4 ; par. Mc 12,44) dans le Trésor du Temple. Ce témoignage du don total est placé, en Lc comme en Mc, entre la controverse sur l’identité davidique du Messie (Lc 20,41-44) et le discours eschatologique (21,5-38). Il se situe donc juste avant la passion de Jésus et sa mort sur une croix (Lc 22–23), qui donnera lieu à l’ultime révélation de Dieu en sa personne121. L’offrande au Trésor du Temple accomplie par la veuve préfigure le don total que Jésus se prépare lui-même à vivre. 116 Édouard DELEBECQUE, Étudesgrecquessurl’évangiledeLuc, p. 149. Lagrange y voit aussi « une manière de mettre en relief la personnalité de Jésus, manière qui pouvait s’étendre par analogie et par habitude à quelques autres personnes ». Voir Marie-Joseph LAGRANGE, ÉvangileselonsaintLuc, p. cxv. 117 Joseph A. FITZMYER, LukeI–IX, p. 658. 118 Par ex. Dt 10,18 ; 14,29 ; 16,11 ; 24,17.19.20.21 ; 26,12.13 ; 27,19 ; Ps 145,9 (LXX) ; Is 1,17.23 ; Jr 7,6 ; 22,3 ; 49,11 ; Za 7,10 ; Ml 3,5. 119 Ps 68(67),6 ; 146(145),9 ; Pr 15,25 ; Ml 3,5. 120 Mc 12,40 (par. Lc 20,47) ; Mc 12,42.43 (par. Lc 21,2.3). 121 Voir le premier discours de Pierre à la Pentecôte : « Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous, vous avez crucifié. » (Ac 2,36)
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CHAPITRE PREMIER
Placé dans un récit propre à Luc, le premier emploi de χήρα en Lc (2,37) est non moins signifiant. Il est intégré à une proposition – « etelle[était]veuve [καὶ αὐτὴ χήρα] » – qui ne se retrouve nulle part ailleurs dans la Bible, hormis en Lc 7,12. Cette veuve est appelée Anne et présentée comme une « prophétesse [προφῆτις] » (2,36). Elle est la seule dans le Nouveau Testament à être ainsi qualifiée authentiquement122. En Lc, elle est la première à confesser explicitement que Jésus est celui en qui Dieu réalise sa promesse de délivrance (2,38). Le terme χήρα apparaît aussi deux fois (Lc 4,25.26) dans la première prédication de Jésus à Nazareth (4,16-30). Nous y reviendrons après avoir parcouru les autres mentions de χήρα chez Luc. Celui-ci a également introduit dans son évangile une parabole (18,1-8 ; propre à Luc) centrée sur l’attitude d’une veuve auprès d’un juge. Jésus vise par là à encourager ses disciples à « toujours prier et ne pas se lasser » (18,1) et conclut par deux questions. 7
Mais Dieu ne ferait-il pas justice à ses élus qui crient vers lui jour et nuit, et patiente-t-il envers eux ? 8 Je vous dis qu’il leur fera justice rapidement. Pourtant leFilsdel’homme,quandilseravenu [ὁ υἱὸς τοῦ ἀνθρώπου ἐλθών], trouvera-t-il la foi sur la terre ? (Lc 18,7-8 ; propre à Luc)
La parabole de la veuve contient des points de convergence avec les deux aspects que nous avons évoqués dans les attestations précédentes : l’intervention de Dieu en faveur d’une veuve, ainsi que l’accueil croyant à l’égard de son envoyé, présenté ici comme le Fils de l’homme. En Lc 20,47, Jésus interpelle l’hypocrisie et la vanité des scribes et des pharisiens. Il la dénonce notamment en affirmant qu’ils « dévorent les maisons des veuves et, en apparence, prient longuement ». Un regard porté sur les différents emplois de χήρα dans le troisième évangile manifeste que Luc reprend la figure de la veuve à peine effleurée en Mc dans un enseignement de Jésus (Mc 12,40) et dans un récit (Mc 12,41-44), et la développe comme une figure révélatrice. En effet, les veuves révèlent le don de Dieu en Jésus par leurs paroles (Anne en Lc 2,36-38) et leurs actes (la veuve et son obole en Lc 21,14). De la même manière, le don de Dieu en Jésus se révèle à son peuple auprès d’elles (Lc 7,11-17) et à travers elle (Lc 18,1-8).
122
Dans la seule autre mention du terme dans le N.T. (Ap 2,20), le Fils de Dieu reproche à l’Église à Thyatire de tolérer Jézabel qui se déclare à tort prophétesse.
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2.1.5. L’écho de 1 R 17,17-24 en Lc 7,11-17 Revenons à la première prédication de Jésus à la synagogue de Nazareth (Lc 4,16-30 ; propre à Luc), où intervient le terme « veuve [χήρα] » (4,25.26). Cette péricope lucanienne traite de deux thèmes communs à Lc 7,11-17 : l’accueil d’un prophète en sa qualité de prophète (4,24), ainsi que le retour à la vie du fils d’une veuve, à la suite de l’intervention d’Élie (4,25-26). Celui-ci est implicitement présenté comme prophète. En effet, en Lc 4,24, il vient d’être question du prophète en général et en 4,27, du disciple d’Élie désigné comme « Élisée le prophète ». En Lc 4,16-30, Jésus s’identifie indirectement comme prophète en évoquant la difficulté pour un prophète d’être reconnu comme tel dans sa patrie (4,24). Pour l’illustrer, il fait mémoire d’Élie et d’Élisée, en rappelant leur intervention respective auprès d’une veuve de Sarepta au pays de Sidon (4,25-26) et auprès du lépreux syrien, Naaman (4,27). Le rapprochement entre Jésus et Élie en Lc 4,2526 invite à lire le retour à la vie du fils de la veuve de Naïn à la lumière de 1 R 17,17-24. Nous avons ici l’application du critère de « récurrence » parmi les sept proposés par Richard B. Hays pour discerner un renvoi vétérotestamentaire dans un texte néotestamentaire. Cet écho à 1 R 17,17-24 en Lc 4,25-26 répond également à un autre critère de Hays, celui de « disponibilité », car nous avons ici la preuve que Luc connaissait le récit vétérotestamentaire de l’intervention d’Élie auprès de la veuve à Sarepta. En parcourant le récit d’Élie à Sarepta mis en parallèle avec celui de Naïn, on découvre plusieurs affinités au niveau du vocabulaire. 1 R 17,8-24123
Lc 7,11-17
[…] ἐπορεύθη εἰς Σαρεπτα (17,10)
[…] ἐπορεύθη εἰς […] Ναΐν (7,11)
εἰς τὸν πυλῶνα τῆς πόλεως (17,10)
ὡς δὲ ἤγγισεν τῇ πύλῃ τῆς πόλεως (7,12a)
καὶ ἰδού […] (17,10)
καὶ ἰδού […] (7,12b)
γυνὴ χήρα (17,10)
αὐτὴ ἦν χήρα (7,12b)
Καὶ ἐγένετο μετὰ ταῦτα (17,17a)
Καὶ ἐγένετο ἐν τῷ ἑξῆς (7,11)
ὁ υἱὸς τῆς γυναικός (17,17b)
μονογενὴς υἱὸς τῇ μητρὶ αὐτοῦ (7,12b)
123
En gras, nous avons souligné les mots identiques en commun, et en encadré pointillé, une réalité similaire exprimée dans un vocabulaire différent.
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CHAPITRE PREMIER
1 R 17,8-24
Lc 7,11-17
καὶ ἦν ἡ ἀρρωστία αὐτοῦ κραταιὰ σφόδρα, ἕως τεθνηκώς (7,12b) οὗ οὐχ ὑπελείφθη ἐν αὐτῷ πνεῦμα (17,17c) καὶ εἶπεν Ηλιου πρὸς τὴν γυναῖκα (17,19a)
καὶ εἶπεν αὐτῇ· (7,13)
ἔλαβεν αὐτὸν ἐκ τοῦ κόλπου αὐτῆς (17,19b)
ἐξεκομίζετο (7,12b)
κύριε […] τὸν κύριον (17,20-21)
ὁ κύριος (7,13)
21 22
καὶ ἐνεφύσησεν τῷ παιδαρίῳ τρὶς […] καὶ εἶπεν· νεανίσκε , σοὶ λέγω, ἐγέρθητι. (7,14) […] καὶ ἀνεβόησεν τὸ παιδάριον (17,21-22)
καὶ ἔδωκεν αὐτὸν τῇ μητρὶ αὐτοῦ (17,23)
καὶ ἔδωκεν αὐτὸν τῇ μητρὶ αὐτοῦ (7,15)
ἄνθρωπος θεοῦ εἶ σύ (17,24)
ὅτι προφήτης μέγας ἠγέρθη ἐν ἡμῖν καὶ ὅτι ἐπεσκέψατο ὁ θεὸς τὸν λαὸν αὐτοῦ. (7,16)
Ainsi se vérifie le critère de « volume », selon l’appellation de Hays, ou encore, selon Dale C. Allison, de « phrases ou mots clés », et plus particulièrement de « citation implicite » pour la reprise verbatim de l’expression « et il le remit à sa mère [καὶ ἔδωκεν αὐτὸν τῇ μητρὶ αὐτοῦ] » (Lc 7,15 ; 1 R 17,23). En outre, les récits se recoupent également au niveau de la trame narrative, notamment autour de leur double finalité, et satisfont ici à un autre critère d’exégèse typologique, celui de « cohérence thématique » selon Hays ou de « circonstances similaires » selon Allison. Le retour à la vie opéré par Élie à Sarepta, comme celui accompli par Jésus à Naïn, se concluent par une reconnaissance d’un grand prophète suscité par Dieu (Lc 7,16) ou, selon la désignation de 1 R 17,24, d’un « homme de Dieu124 ». Cependant, dans le récit de Naïn, la reconnaissance 124 Le titre d’« homme de Dieu [ἄνθρωπος θεοῦ / ֹלהים ִ ]אישׁ ֱא ִ » attribué à Élie par la veuve de Sarepta (1 R 17,24) met l’accent sur son pouvoir surnaturel en tant que prophète. En Israël, le pouvoir d’intercéder auprès de Dieu était considéré comme don caractéristique d’un prophète (Gn 20,7). Voir le commentaire de 1 R 17,24 par Adele BERLIN – Marc ZVI BRETTLER, TheJewishStudyBible, Altamonte Springs FL, OakTree Software, 2004, paragraphe 5094. Une telle interprétation est confirmée dans le Targum de Jonathan : « Et la femme dit à Élie : “Maintenant je sais ceci, tu es le prophète du Seigneur []נְ ִביָ יא ַדיוי.” » (1 R 17,24) Voir Alexander SPERBER (éd.), TheBibleinAramaic(basedonoldmanuscriptsandprintedtexts).VolumesI-III: ThePentateuchaccordingtoTargumOnkelos–TheformerProphetsaccordingto TargumJonathan-ThelatterProphetsaccordingtoTargumJonathan, Leiden – Boston MA, Brill, 20043. Les autres références aux targumim renvoient au même ouvrage.
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émane d’une foule nombreuse125, alors que dans le récit de Sarepta, elle provient de la veuve, seul témoin de l’événement. En comparant les actions et les paroles de Jésus et de la veuve de Naïn, d’une part, avec celles d’Élie et de la veuve de Sarepta, d’autre part, des différences supplémentaires apparaissent. Premièrement, la veuve de Naïn joue un rôle par sa seule présence, sans prononcer aucune parole ni poser aucun geste. Elle n’est sujet d’aucun verbe dans la narration, contrairement à la veuve de Sarepta à qui sont attribuées trois séries d’actions126 et trois prises de parole127 en interaction avec Élie. D’ailleurs, dans le récit du retour à la vie en 1 R 17,17-24, la parole de la veuve est l’élément déclencheur de l’intervention d’Élie qui se voit interpellé par elle (1 R 17,17). À Naïn, Jésus prend l’initiative auprès de la veuve qui ne lui a rien demandé. Ce caractère discret de la veuve de Naïn est étonnant quand on sait combien Luc peut animer ses personnages, en particulier les femmes, y compris les veuves, dans les récits qui lui sont propres128. Deuxièmement, le caractère discret de la veuve va de pair avec la sobriété des actions et des paroles de Jésus par comparaison avec l’attitude extravertie d’Élie. Jésus en Lc 7,11-17 et Élie en 1 R 17,1724 accomplissent en interaction avec la veuve sept ou six actions, respectivement129. 125 La parole exprimée en Lc 7,16 émane de tous les témoins, c’est-à-dire les disciples de Jésus et la foule nombreuse qui l’accompagne (7,11), ainsi que la foule de la ville (7,12). 126 « Elle ramassait du bois » (1 R 17,10). « Et elle allait chercher [la cruche] » (17,11). « Et elle alla et fit [comme avait dit Élie] » (17,15). 127 « Elle répondit : “Le Seigneur ton Dieu vit, si j’ai un pain, mais il y a seulement une poignée de farine dans une jarre et un peu d’huile dans la cruche, et voici que je ramasse deux bouts de bois, et je rentrerai et je [le] préparerai pour moi et mes enfants, et nous mangerons et nous mourrons.” » (1 R 17,12) « Elle dit à Élie : “Qu’y a-t-il entre toi et moi, homme de Dieu ? Tu es venu chez moi pour rappeler mes iniquités et pour faire mourir mon fils !” » (17,18) « La femme dit à Élie : “Maintenant je sais que tu es un homme de Dieu et que [la] parole du Seigneur dans ta bouche est vérité !” » (17,24) 128 Pensons aux paroles de Marie (Lc 1,26-38 ; 2,48), d’Élisabeth (1,39-66), de la veuve et prophétesse Anne (2,36-38), de la femme courbée puis guérie glorifiant Dieu (13,13). Rappelons-nous aussi les gestes de la femme pécheresse (7,36-38), des femmes de Jérusalem sur le chemin de croix de Jésus, qui « se frappaient [la poitrine] et se lamentaient sur lui » (23,27), ainsi que le témoignage de Marthe avec Marie (10,38-40) et des femmes revenues du tombeau vide (24,9b-11). Dans les paraboles, nous avons également la femme cherchant sa drachme perdue (15,8-10) et la veuve intervenant avec insistance auprès du juge (18,1-8). Toutes ces expressions féminines appartiennent à des récits propres à Luc ou sont absentes dans les récits parallèles. 129 Dans la LXX, Élie pose six actions au lieu de sept comme dans le TM où le verbe « prit [ » ]וַ ַיִּקּחen 1 R 17,23 n’a pas d’équivalent dans la version de la LXX considérée ici.
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CHAPITRE PREMIER
Paroles (indiquées en gras) et actions de Jésus (Lc 7,11-17) 13a
Et ayant vue [la veuve],
13b
le Seigneur fut ému de compassion pour elle […].
13c
[…] lui dit : « Ne pleure pas. » […]
14a
et quand il fut proche,
il toucha le cercueil […]. 14b 15
[…] il dit : « Jeune homme, je te dis, lève-toi. »
[…] et il le donna à sa mère.
Paroles (indiquées en gras) et actions d’Élie (1 R 17,17-24 LXX) 19a
Il dit [à la veuve] : « Donne-moi ton fils ! »
19b
il le prit du sein [de la veuve],
19c
le monta dans la chambre haute où il habitait,
19d
le coucha sur son lit. […]
20
Et Élie cria et dit : « Ah, Seigneur, le témoin de la veuve, chez qui je demeure, tu as apporté le mal en faisant mourir son fils. »
21a
Et trois fois il insuffla de l’air à l’enfant,
21b
[…] et invoqua le Seigneur et il dit : « Seigneur, mon Dieu, que l’âme de cet enfant revienne en lui ! »
23a
et il le descendit de la chambre haute dans la maison,
23b
et il le donna à sa mère […].
23c
[…] Élie dit [à la veuve] : « Regarde, ton fils est vivant. »
Les trois verbes par lesquels il est signifié que Jésus se tourne vers la veuve expriment une intensité émotionnelle progressive130. En revanche, les trois verbes décrivant l’attitude de Jésus à l’égard du fils ne manifestent pas autant de proximité. Le seul contact direct entre Jésus et le fils est vécu conjointement avec sa mère131. Chez Élie, on observe le contraire. En effet, la première et la dernière actions d’Élie en 1 R 17,17-24 sont dirigées vers la veuve et celles-ci sont purement 130 « Et, l’ayantvue[ἰδών], le Seigneur futémudecompassion [ἐσπλαγχνίσθη] pour elle […] etilleremit[ἔδωκεν]àsamère. » (Lc 7,13.15) 131 « Et quand il fut proche, il toucha le cercueil […] etilleremitàsamère » (Lc 7,14.15).
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factuelles132. L’engagement de sa personne s’exprime plutôt à travers les six gestes qu’il pose auprès du fils et à travers sa double invocation à Dieu (1 R 17,20.21) au cœur du récit. Au lieu d’invoquer Dieu, Jésus parle à la personne décédée en lui adressant une simple parole, non « suppliante, mais impérative et performative133 » : « Jeune homme, je te dis, lève-toi » (Lc 7,14), tout comme dans l’autre récit de retour à la vie commun aux trois synoptiques : « Enfant, lèvetoi » (8,54)134. Les ressemblances et les différences entre 1 R 17,17-24 et Lc 7,1117, laissent percevoir non seulement un écho au niveau narratif, mais également une imitatio, technique littéraire spécifique, connue dans le monde gréco-romain de l’Antiquité. Elle consiste à s’approprier et transformer un texte classique, en dramatisant et en clarifiant, en vue de promouvoir une nouvelle inculturation, en l’occurrence une christianisation d’un thème ancien, l’action de Dieu manifestée à travers la présence d’un prophète135. Une autre différence se situe dans les deux paroles d’Élie adressées à la veuve et centrées sur son fils en vue d’une action à poser (1 R 17,19.23). Disant à peine deux mots à la veuve, Jésus se montre touché par ce qu’elle vit, ses larmes (Lc 7,13). Élie ne fait que répondre à la veuve, dont l’interpellation devient la question du récit : Est-il vraiment un homme de Dieu ? Quel est le sens de sa venue auprès d’elle ? L’exclamation de la veuve en conclusion de l’épisode manifeste qu’Élie est reconnu dans son identité d’homme de Dieu et dans sa mission de porte-parole du Seigneur qui réalise ce qu’il dit. Une telle énigme est absente à l’ouverture du récit de Naïn qui se conclut pourtant en Lc 7,16 par une exclamation similaire à celle de 1 R 17,24. Serait-ce le signe que l’intrigue sous-jacente est à chercher en amont, dans ce qui précède le récit de Naïn ? 132 « Il prit [le fils] du sein [de la veuve] » (1 R 17,19b) ; « et le remit à sa mère » (17,23a). 133 Ko JOOSSE – Gérard LUKKEN et al., « La résurrection du fils de la veuve (Luc 7,11-17) », in Louis PANIER (éd.), Letempsdelalecture (Lectio Divina, 155), traduit par Nicole DHAYNAUT – Jeanne VAN DE MOLENGRAFT, Paris, Cerf, 1993, 254266, p. 265. 134 « “Talitha koum”, ce qui se traduit : “Fillette, je te dis, éveille-toi.” » (Mc 5,41 ; parole absente dans le parallèle de Mt 9,25). 135 Pour un exposé développé de l’imitatioappliqué en Lc 7,11-17 par rapport à 1 R 17,17-24, voir Thomas L. BRODIE, « Towards Unravelling Luke’s Use of the Old Testament: Luke 7.11-17 as an Imitatio of 1 Kings 17.17-24 », in New Testament Studies 32 (1986) 247-267, p. 249-259. Brodie intègre aussi dans son étude Lc 7,110.
82
CHAPITRE PREMIER
2.1.6. L’intrigue sous-jacente au récit de Naïn : une question d’identité Le récit de guérison du démoniaque à Capharnaüm un jour de Sabbat (Lc 4,31-37) contient plusieurs affinités de vocabulaire par rapport à la question initiale de la veuve (1 R 17,18) et une partie de son exclamation finale (1 R 17,24). Lc 4,31-37
1 R 17,17-24 Uneinterpellationinitialeprovocante
delapartdudémoniaque
delapartdelaveuve
Qu’ya-t-ilentrenousettoi[τί ἡμῖν καὶ σοί], Jésus le Nazarénien ?
18a
34b
Es-tuvenu [ἦλθες] pour nous perdre ?
18c
Tuesentré [εἰσῆλθες] chez moi pour rappeler mes iniquitiés et faire mourir mon fils.
34c
leSaintdeDieu [ὁ ἅγιος τοῦ θεοῦ].
18b
34a
18b
Qu’ya-t-ilentretoietmoi [Τί ἐμοὶ καὶ σοί], homme de Dieu ?
hommedeDieu [ἄνθρωπε τοῦ θεοῦ] ?
Uneexclamationfinaledereconnaissance delapartdetouslestémoins
delapartdelaveuve 24a
36
Maintenant je sais que tu es un homme de Dieu
24b
[…] Quelle [est] cette parole [λόγος], qu’avec et que [la] parole [ῥῆμα] du Seigneur dans ta autorité et puissance il ordonne aux esprits impurs, bouche est vérité. et ils sortent !
L’hypothèse d’un écho de 1 R 17,18.24 en Lc 4,34.36 repose ainsi sur au moins quatre critères de l’exégèse typologique, si l’on s’en tient à ceux que propose Hays : le « volume » – ou les « phrases et mots clé » selon Allison –, la « cohérence thématique », la « disponibilité » et la « récurrence ». Signalons que la construction formée du pronom interrogatif τί suivi du pronom personnel au datif de la première personne du singulier ou du pluriel (τί ἐμοί / τί ἡμῖν), puis de καί accompagné du pronom personnel à la deuxième personne du singulier au datif (σοί), apparaît quatre fois dans la Septante136 et six fois dans le Nouveau Testament137. Parmi les occurrences de la Septante, l’interrogation de 1 R 17,18 est la seule à être suivie de la proclamation d’un titre propre à un envoyé de Dieu – en l’occurrence 136
Jg 11,12 ; 1 R 17,18 ; 2 R 3,13 ; 2 Ch 35,21. Les occurrences concernent deux guérisons de démoniaques, l’une accomplie à Capharnaüm en Mc 1,24 (par. Lc 4,34) et l’autre à Gérasa en Mc 5,7 (par. Mt 8,29 et Lc 8,28) ; ainsi que les noces à Cana en Jn 2,4 (propre à Jean). 137
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« homme de Dieu » – ainsi que du verbe « aller [ἔρχομαι] » (ou un dérivé) accompagné d’une proposition à l’infinitif porteuse d’un sens négatif138, tout comme en Lc 4,34. Au terme de Lc 4,31-37, on perçoit ainsi une énigme. L’autorité et la puissance de la parole de Jésus sont reconnues, mais son identité demeure un mystère, comme le souligne la péricope précédente, lors de sa prédication à Nazareth : « Et tous lui rendaient témoignage et s’étonnaient devant les paroles de grâce qui sortaient de sa bouche. Et ils disaient : « N’est-il pas fils de Joseph, celui-ci ? » (Lc 4,22 ; propre à Luc) Dès le début du ministère de Jésus, une question émerge chez tous les témoins. Ne serait-ce pas une intrigue fondamentale qui traverse Lc-Ac : qui est-il, ce Jésus ? En plaçant la prédication de Jésus à Nazareth comme point de départ du ministère de Jésus, contrairement à Marc et à Matthieu, quitte à forcer la logique du récit139, Luc la présente comme une expérience fondatrice soulevant une question sur l’identité de Jésus. En effet, après avoir proclamé un extrait du livre d’Isaïe et avoir ajouté « Aujourd’hui s’est accomplie cette Écriture à vos oreilles » (Lc 4,21), tous les témoins s’émerveillent devant « les paroles de grâce sortant de sa bouche » (4,22) et s’exclament : « Celuici n’est-il pas le fils de Joseph [οὐχὶ υἱός ἐστιν Ἰωσὴφ οὗτος] ? » (4,22 ; propre à Luc) Posée comme une exclamation, voire une requête, sans réponse immédiate140, ce type de question concernant Jésus surgit six autres fois sous la forme « quiest-il [τίς ἐστιν] ? », de façon singulière en Lc, et trace ainsi, à partir de ces sept points, une ligne dans l’évangile141. Depuis Nazareth (4,22) jusqu’à Jéricho (19,3), puis au Temple (20,2), à travers la Galilée (5,21 et 7,49) jusqu’aux oreilles d’Hérode Antipas (9,9), tétrarque de Galilée et de Pérée, personne ne semble avoir échappé à la question, y compris les disciples de Jésus (8,25).
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Dans le cas de 1 R 17,18 : « rappeler mes iniquités et faire mourir mon fils ». Lc 4,23 fait écho à « tout ce […] qu’il s’est passé à Capharnaüm » (absent dans les parallèles de Mc 6,3 et de Mt 13,56) alors que le premier récit en rapport avec Capharnaüm dans le troisième évangile vient juste après. 140 En Mt 21,10, lors de l’entrée ultime de Jésus à Jérusalem, résonne également une question similaire : « Et comme il entrait à Jérusalem, toute la ville trembla, disant : “Qui est-ce ?” » Cependant, aussitôt après, « les foules disaient : “C’est le prophète Jésus, celui de Nazareth en Galilée.” » (Mt 21,11). Cette interrogation et sa réponse sont absentes dans les parallèles de Mc 11,11 et de Lc 19,45. 141 Voir le tableau dans l’annexe 2. 139
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CHAPITRE PREMIER
2.2. LacompassionduSeigneuraucentredurécit(Lc7,13-14) 2.2.1. Être remué aux entrailles Dans le récit de l’obole de la veuve (Lc 21,1-4) que Lc a en commun avec Mc (12,41-44), on retrouve cette attitude de Jésus, spécifique à la version lucanienne : « il vit [εἶδεν] une certaine veuve » (Lc 21,2a). En Lc 21,2 comme en 7,13, la relation entre Jésus et la veuve commence par le regard. Jésus ne reste pas un simple observateur extérieur face aux foules. Plus d’une fois, il entre en relation avec des personnes de la foule. En Lc 21,2, il est précisé ce que Jésus voit en regardant la veuve : elle est indigente et jette dans le Trésor deux leptes. En Lc 7,13, rien n’est dit sur ce que Jésus contemple ou observe en voyant la veuve. L’accent porte plutôt sur sa réaction : « il futremuéauxentrailles [ἐσπλαγχνίσθη] » (7,13). Nulle part ailleurs dans le troisième évangile, Jésus est dit être ainsi bouleversé en voyant quelqu’un. Dans la comparaison entre Lc 7,11-17 et 1 R 17,17-24, il a été montré que l’attitude de Jésus diffère de celle d’Élie à ce propos. En effet, elle est décrite sous un angle émotionnel plutôt que factuel ; elle est centrée d’abord sur la mère et non sur l’enfant. Dans les autres récits de retour à la vie des synoptiques et des Actes, l’émotion décrite est celle de l’entourage dont rien n’est dit en Lc 7,11-17, si ce n’est à travers la parole de Jésus à la veuve (7,13)142. En revanche, dans l’unique récit de retour à la vie rapporté dans le quatrième évangile, l’émotion de Jésus est également décrite, même abondamment143. Toutefois, en Lc 7,11-17 à la différence de Jn 11,146, rien ne permet de penser que Jésus connaissait la veuve de Naïn ou son fils. Jésus est intérieurement remué en voyant une personne qui lui est initialement inconnue. Deux autres versets propres à Luc montrent Jésus affecté émotionnellement par une situation où il est explicitement ou implicitement concerné. Les deux scènes se déroulent à l’aube de sa passion, l’une à l’entrée de Jérusalem et l’autre à Gethsémani. 142 Lors de la mort de la fille de Jaïre, « tous pleuraient [ἔκλαιον] et sefrappaient lapoitrine [ἐκόπτοντο] » (Lc 8,52). C’était « le tumulte [θόρυβον], et [les gens] pleuraient [κλαίοντας] et poussaientbeaucoupdecris [ἀλαλάζοντας πολλά] » (Mc 5,38). Par rapport à Tabitha, « toutes les veuves se tenaient […] enpleurs [κλαίουσαι], montrant [à Pierre] les tuniques et les manteaux » (Ac 9,39). En Mt 9,23, on voit « les joueurs de flûte et la foulefaisantdutumulte [τὸν ὄχλον θορυβούμενον] ». En Ac 20,10, Paul interpelle les gens autour du mort : « Ne vous agitez [θορυβεῖσθε] pas ! ». 143 « 33 Jésus […] frémit en lui-même et se troubla [ἐνεβριμήσατο τῷ πνεύματι καὶ ἐτάραξεν ἑαυτὸν]. […] 35 Jésus pleura [ἐδάκρυσεν]. […] 38 Jésus, frémissantde nouveauenlui-même [ἐμβριμώμενος ἐν ἑαυτῷ], vient au tombeau. » (Jn 11,33.35.38 ; propre à Jean).
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1941 Et commeilfutproche [ὡς ἤγγισεν], aumomentoùilvit [ἰδών] la ville, ilpleura [ἔκλαυσεν] sur elle. […] 2244 Et, en proie à l’anxiété [ἀγωνίᾳ], il priait plus intensément. Et sa sueur devint comme des gouttes de sang tombant à terre. (Lc 19,41 et 22,44 ; propres à Luc)
Qu’en est-il des autres emplois de σπλαγχνίζομαι en Lc ? Le verbe apparaît dans deux autres versets situés dans des paraboles qui lui sont propres. Premièrement dans la parabole du bon Samaritain, celui-ci « fut remuéauxentrailles [ἐσπλαγχνίσθη] » (Lc 10,33) en voyant l’homme « àdemimort [ἡμιθανῆ] » (10,30). Deuxièmement, dans la parabole du père des deux fils, celui-ci « futremuéauxentrailles [ἐσπλαγχνίσθη] » (15,20) en voyant revenir à la maison son fils qui était à ses yeux « mort [νεκρός] » et « perdu [ἀπολωλώς] » (15,24). Dans les trois mentions de σπλαγχνίζομαι en Lc, le contexte est marqué par la mort et ouvre à un retour inattendu à la vie. Cependant, l’occurrence de σπλαγχνίζομαι en Lc 7,13 porte un caractère singulier. L’objet de la compassion n’est pas la personne touchée par la mort comme en Lc 10,33 et 15,20, mais sa mère. Le substantif « entrailles [σπλάγχνα] » apparaît dans un seul verset des évangiles, plus précisément dans le cantique de Zacharie : « grâce aux entrailles [σπλάγχνα] de miséricorde de notre Dieu, dans lesquelles nous visitera [ἐπισκέψεται] le levant d’en haut, pour resplendir sur ceux qui habitent les ténèbres et l’ombre de la mort [θανάτου], pour conduire nos pas vers le chemin de la paix [εἰρήνης] » (Lc 1,78-79 ; propre à Luc). On retrouve les mêmes éléments identifiés pour les attestations de σπλαγχνίζομαι en Lc : un contexte initial de mort et un bienfait qui prend la forme d’une vie nouvelle, plus précisément de la paix. De plus, comme en Lc 7,13, les entrailles sont associées à la « visite » (1,78). Cependant, dans ce dernier passage, les entrailles sont celles de Dieu et non de Jésus. Nulle part ailleurs dans la Bible il est question des « entrailles de miséricorde de Dieu ». Col 3,12 contient une expression semblable, mais celle-ci renvoie au croyant et non à Dieu144. En revanche, dans des écrits de la mer Morte du Ier siècle avant Jésus Christ, une confession similaire se retrouve145. 144 « Puisque vous êtes élus, sanctifiés, aimés par Dieu, revêtez-vous donc d’entrailles decompassion [σπλάγχνα οἰκτιρμοῦ], de bienveillance, d’humilité, de douceur, de patience. » (Col 3,12). 145 ManueldeDiscipline (1QS I 22 : ; חסדי רחמיםII 1 : )ורחמי חסדו, Cantiquespour l’holocaustedusabbat (4Q403 1 i 23 : ; ֯ר]חמי[ חסדיוcorrespondant à 4Q405 3 ii 15 : )רחמי חסדו. Voir Millar BURROWS – John C. TREVERetal. (éds.), TheDeadSeaScrolls
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CHAPITRE PREMIER
Dans les autres évangiles, il est également attesté que Jésus est remué aux entrailles, mais dans des situations différentes où il n’est pas question de mort. Force est de constater que dans l’ensemble des évangiles, l’usage de σπλαγχνίζομαι est lié à Jésus. On le trouve tout d’abord dans les paroles du narrateur décrivant l’attitude de Jésus146. Ensuite, le verbe apparaît aussi dans la bouche d’une personne éprouvée implorant l’intervention de Jésus147. Finalement, Jésus lui-même y recourt dans une parabole148. À Naïn, Jésus a été « remuéauxentrailles [ἐσπλαγχνίσθη] » (7,13) pour une personne spécifique, et non pour une foule, comme c’est surtout le cas en Mt et en Mc149. ofSt.Mark’sMonastery.VolumeII,Fascicule2:PlatesandTranscriptionofthe Manual of Discipline, New Haven CT, American Schools of Oriental Research, 1951, planche I (ligne 22) et II (ligne 1) ; Esther ESHEL – Hanan ESHELetal. (éds.), QumrânGrotte4•VI :textespoétiquesetliturgiques.Premièrepartie (Discoveries in the Judaean Desert, XI), London, Oxford University Press, 1998, p. 257-261 (4Q403 1 i 23), 319-320 (4Q405 3 ii 15). Les deux termes ( ַר ֲח ִמיםentrailles / compassion / miséricorde) et ( ֶח ֶסדbonté / miséricorde / fidélité / amour) sont associés dans la Bible hébraïque sous forme de substantifs juxtaposés, sans reproduire l’expression telle qu’on la trouve en Lc 1,78 : Jr 16,5 (ת־ה ַר ֲח ִמים ָ ת־ה ֶח ֶסד וְ ֶא ַ ֶא, pas d’équivalent dans la LXX), Os 2,21 (וּב ַר ֲח ִמים ְ וּב ֶח ֶסד ְ / καὶ ἐν ἐλέει καὶ ἐν οἰκτιρμοῖς), Za 7,9 ( וְ ֶח ֶסד וְ ַר ֲח ִמים/ καὶ ἔλεος καὶ οἰκτιρμόν), Ps 51(50),3 ( ְכּ ַח ְס ֶדָּך ְכּר ֹב ַר ֲח ֶמיָך/ κατὰ τὸ μέγα ἔλεός σου καὶ κατὰ τὸ πλῆθος τῶν οἰκτιρμῶν σου), Dn 1,9 (וּל ַר ֲח ִמים ְ ְל ֶח ֶסד/ autre version dans la LXX : τιμὴν καὶ χάριν). Voir aussi Ps 25(24),6 ; 40(39),12 ; 69(68),17 ; 103(102),4. 146 Devant « les foules […] comme des brebis qui n’ont pas de berger » (Mt 9,36 ; propre à Matthieu même si l’expression figure également en Mc 6,34 mais dans un autre contexte) ; devant « une nombreuse foule » (Mc 6,34a ; ἐσπλαγχνίσθη présent dans le parallèle de Mt 14,14a et absent dans celui de Lc 9,11) qu’il « guérit de leurs maladies » (Mt 14,14b) ou à qui il se mit à « enseigner beaucoup de choses » (Mc 6,34b) ; devant les gens de la foule qui « n’ont pas de quoi manger » alors qu’ils sont auprès de Jésus depuis trois jours (Mc 8,2 ; par. Mt 15,32) ; devant les deux aveugles de Jéricho demandant à Jésus de retrouver la vue (Mt 20,34 ; ἐσπλαγχνίσθη absent dans les parallèles de Mc 10,52 et de Lc 18,42) ; devant un lépreux le suppliant de le purifier (Mc 1,40-41; ἐσπλαγχνίσθη absent dans le parallèle de Lc 5,13). Bovon explique l’usage parcimonieux d’ἐσπλαγχνίσθη chez Luc par des raisons philologiques et non doctrinales. Les trois mentions du verbe en Lc auraient déjà été présentes dans ses sources spécifiques et il aurait choisi de garder le verbe pour des raisons théologiques. Voir François BOVON, L’ÉvangileselonsaintLuc.Vol.I (1,1–9,50), p. 353. Par conséquent, l’usage du verbe chez Luc repose sur des considérations pas seulement philologiques, mais aussi théologiques. Bovon semble s’être contredit. 147 Le père de l’enfant épileptique (Mc 9,22 ; ἐσπλαγχνίσθη absent dans les parallèles de Mt 17,17 et de Lc 9,42). 148 La parabole du débiteur impitoyable (Mt 18,23-35 ; propre à Matthieu) pour parler de l’attitude du maître (Mt 18,27) après avoir reçu la demande de son serviteur lui demandant de prendre patience avec lui. 149 Trois fois sur quatre chez Mt (9,36 ; 14,14 ; 15,32) et deux fois sur trois chez Mc (6,34 ; 8,2).
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Les autres occurrences de σπλαγχνίζομαι en Lc permettent-elles de mieux comprendre la signification du verbe en Lc 7,13 ? En Lc, les trois attestations du verbe σπλαγχνίζομαι et du substantif dérivé σπλάγχνα occupent toujours une position centrale dans l’ensemble de la péricope ou dans la partie concernée. Elle peut être mesurée comme telle d’après le nombre de mots ou de syllabes, de formes verbales ou de substantifs150. Les entrailles sont présentées comme l’enracinement corporel où se loge la compassion et à partir duquel une personne est mue ou émue devant des situations de détresse apparemment irréversible. Luc fait de ce mouvement intérieur de compassion un moteur crucial de l’action de miséricorde. De plus, plusieurs points de convergence relient 7,13 et 10,33. En effet, contrairement au père des deux fils en 15,20, Jésus, tout comme le bon Samaritain ἐσπλαγχνίσθη (7,13 ; 10,33), est ému devant une personne qui ne lui est pas familière. En outre, après avoir vu et avoir été remué aux entrailles, le premier geste que pose chacun consiste à s’approcher (προσελθών : 7,14 ; 10,34). Ensuite, il touche, soit le cercueil du défunt (7,14), soit le corps de l’homme à demi-mort dont « il banda les plaies, versant dessus de l’huile et du vin » (10,34)151. La conclusion de la parabole du bon Samaritain (10,36-37) illustre du même coup le témoignage de Jésus : en se laissant remuer aux entrailles et mouvoir à travers des gestes simples et audacieux, Jésus est « celuiquiafaitmiséricorde [ὁ ποιήσας τὸ ἔλεος] » (10,37) à cette femme et qui s’est révélé « avoir été le prochain [πλησίον] » (10,36) de la veuve. La présence de la miséricorde implicite en Lc 7,11-17 est clairement mentionnée dans le premier passage lucanien qui atteste une « visite » divine, à savoir le cantique de Zacharie évoquant les « entraillesdemiséricordedenotre Dieu [σπλάγχνα ἐλέους θεοῦ ἡμῶν] » (1,78). 2.2.2. Jésus présenté comme « le Seigneur » Une autre donnée renforce la solennité du moment où Jésus est remué aux entrailles en Lc 7,13. Luc prend soin de révéler qu’il s’agit du « Seigneur [κύριος] ». Ce terme est très courant en Lc-Ac152. 150 Pour une analyse détaillée, voir Martinus MENKEN, « The Position of σπλαγχνίζεσθαι and σπλάγχνα in the Gospel of Luke », in NovumTestamentum 30 (1988) 107-114. 151 Deux mouvements similaires (s’approcher et toucher) sont également présents dans l’attitude du père prodigue : le père « courut » à la rencontre de son fils, puis « se jeta à son cou et l’embrassa » (Lc 15,20). 152 Ac (107 fois) ; Lc (104 fois) ; Mt (80 fois) ; Jn (52 fois) et Mc (18 fois).
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CHAPITRE PREMIER
Dans le troisième évangile, il désigne Dieu (39 fois)153, Jésus (39 fois) ou le maître d’un domaine (26 fois)154. Lc 7,13 est le premier passage où le narrateur désigne Jésus en tant que ὁ κύριος. Dans les récits synoptiques se rapportant à la mission pré-pascale de Jésus, cet usage est exclusivement lucanien155. Le premier discours de Pierre à la Pentecôte porte sur « la résurrection du Christ » (Ac 2,31), en la personne de Jésus qui « n’a pas été abandonné à l’Hadès » (Ac 2,31). La prédication de Pierre se conclut par cette reconnaissance officielle : « Que toute la maison d’Israël le sache donc avec certitude : Dieu l’a fait et Seigneur [κύριον] et Christ [χριστόν], ce Jésus que vous, vous aviez crucifié. » (Ac 2,36) La reconnaissance de Jésus par ses contemporains comme Seigneur, au sens absolu du terme, est ainsi l’aboutissement d’un long parcours couronné par le don de l’Esprit Saint répandu par Jésus ressuscité et exalté. Bénéficiant de ce dévoilement final lié à la Pentecôte (Ac 2,36), Luc, par la bouche du narrateur, utilise toujours au sens fort – post-pascal – le titre « leSeigneur [ὁ κύριος] » quand il l’attribue à Jésus. Il manie alors la rétroprojection. Ce phénomène est courant lorsqu’un auteur retrace la vie d’un grand personnage qu’il n’a pas rencontré de son vivant, dont la fin a été particulièrement révélatrice et qui est devenu une figure fondatrice, y compris pour l’auteur156. Dans les relations humaines qui présentent un caractère exclusif tel le mariage, si l’épouse est vraiment unique aux yeux de l’époux et si celui-ci appelle sa bienaimée d’un nom qui peut avoir un sens fort et un sens commun, comme par exemple « ma sœur », il l’utilisera toujours au sens fort et de façon exclusive avec son épouse. Une telle pratique est également typique de la relation entre le croyant et son Seigneur. Cela se vérifie chez Luc : 153 Même si leur interprétation est discutée, nous avons ici inclus les occurrences de Lc 1,17.76. 154 Lc 6,5 (« Le fils de l’homme est seigneur [κύριός] du sabbat. ») a été classé dans cette catégorie. 155 Darrell L. BOCK, Luke.Volume1(1:1–9:50), p. 650. Par contre, dans le quatrième évangile, on rencontre cette pratique deux fois (Jn 6,23 ; 11,2) durant la période pré-pascale de Jésus, contre quatorze en Lc (7,13.19 ; 10,1.39.41 ; 11,39 ; 12,42a ; 13,15 ; 17,5.6 ; 18,6 ; 19,8 ; 22,61 bis). 156 Pensons à une biographie de sainte Marguerite Bourgeoys à l’origine de la Congrégation de Notre-Dame, écrite par l’une de ses soeurs. Même si Marguerite a été publiquement reconnue sainte seulement après sa mort, la sœur biographe risque plus d’une fois de raconter les événements de sa vie en la désignant comme « notre sainte mère », surtout si elle n’a connu Marguerite qu’après sa mort, lorsqu’elle est communément désignée comme telle. C’est fort probablement le cas de Luc qui aurait connu Jésus dans le temps post-pascal, alors que ce dernier était déjà célébré comme « leSeigneur [ὁ κύριος] ».
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en vertu de la foi pascale, le narrateur emploie ὁ κύριος seulement pour désigner Dieu et Jésus. Quand ὁ κύριος est à interpréter au sens faible en Lc, ce titre est prononcé par des acteurs du récit ou de la parabole. Luc sera enclin à désigner Jésus comme « le Seigneur » dans des récits manifestant avec force un aspect de son identité qui sera pleinement reconnu après sa mort et auquel Luc est particulièrement sensible157. Pensons à la singularité de la parole de Jésus qui est le fondement de la vocation des disciples (Lc 10,1) et une dimension essentielle de leur vie après Pâques (10,39.41)158 ; à la puissance de sa parole qui remet chaque personne dans la vérité159 et qui est en mesure d’accroître la foi (17,5), ainsi qu’à sa qualité relationnelle inédite capable de rejoindre l’autre à l’intime pour consoler l’inconsolable (7,13) et pour pardonner l’impardonnable (19,8 ; 22,61a)160. De plus, il n’est pas anodin que Luc ait choisi d’appeler pour la première fois Jésus « leSeigneur [ὁ κύριος] », au moment où il se révèle vainqueur de la mort et maître de la vie. En outre, cet événement est mis en lien avec un témoignage public que Jésus donne en réponse à un doute émis sur sa personne (7,18-23). Dans ce cadre, Luc le désigne également comme « leSeigneur [τὸν κύριον] » (7,19). La guérison de la femme voûtée un jour de sabbat (Lc 13,10-17 ; propre à Luc) est le seul autre miracle en Lc où Jésus sera également présenté par le narrateur comme « le Seigneur [ὁ κύριος] » (13,15). On retrouve les mêmes éléments : Jésus est manifesté avec force comme « seigneur du sabbat161 », ouvertement, au milieu d’une foule (13,14.17), par son geste d’imposition des mains (13,13), par sa parole de guérison (13,12) et par sa déclaration en réponse aux objections (13,15-16). 157 Onze des quatorze désignations de Jésus par le narrateur comme « leSeigneur [ὁ κύριος] » sont situées dans des récits propres à Luc ou dans des versets absents dans les récits parallèles. Dans certains cas, le titre peut être reçu comme une simple rétroprojection de la façon dont Jésus sera appelé après Pâques, mais dans les deux récits de miracle où Jésus est désigné comme « le Seigneur » par le narrateur (tous deux propres à Luc : le retour à la vie à Naïn en Lc 7,11-17 ; la guérison de la femme courbée en Lc 13,10-17), le dévoilement de l’identité de Jésus franchit un cap. Hays souligne aussi le minutieux talent rédactionnel de Luc dans son usage du titre « Seigneur » attribué à Jésus pour permettre au lecteur d’approfondir sa compréhension de l’identité divine de Jésus. Voir Richard B. HAYS, EchoesofScriptureintheGospels, p. 253. 158 Ac 4,29 ; 8,25 ; 13,44.48.49 ; 15,35.36 ; 16,32 ; 19,10.20 ; 20,35. 159 Lc 7,19 ; 11,39 ; 12,42 ; 13,15 ; 17,6 ; 18,6 ; 22,61b. Voir Ac 13,12.48. 160 Voir Ac 7,60 ; 8,22 ; 10,43. 161 Jésus avait déclaré en Lc 6,5 que « le fils de l’homme est seigneur [κύριός] du sabbat ».
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CHAPITRE PREMIER
Notre interprétation du titre « leSeigneur [ὁ κύριος] », employé par Luc en Lc 7,13, en rapport avec le Seigneur ressuscité qui se dévoile comme maître de la vie, rejoint celles de Fitzmyer et d’autres162. Elle va à l’encontre de celle soutenue notamment par Ignace de La Potterie dans une perspective spécifiquement messianique : « Le fait que Jésus vient de rappeler un mort à la vie est présenté ici comme une de ses œuvres messianiques (cf. Mt 11,2 : τὰ ἔργα τοῦ Χριστοῦ) qui authentifient sa mission163. » Il est étonnant que La Potterie s’appuie sur l’expression « lesœuvresduChrist [τὰ ἔργα τοῦ Χριστοῦ] », utilisée par le narrateur en Mt 11,2, alors que, dans le parallèle de Lc 7,18, Luc parle plutôt de « toutcela [πάντων τούτων] ». La Potterie fonde aussi sur la réponse de Jésus – présenté à nouveau comme « leSeigneur [τὸν κύριον] » (Lc 7,19) – à Jean (7,18-23) pour appuyer son interprétation messianique du titre « leSeigneur [ὁ κύριος] » en Lc 7,13.19. Dans cette même perspective, certains auteurs proposent d’interpréter l’attitude de compassion exprimée – à travers le verbe σπλαγχνίζομαι – par Jésus en Lc 7,13 et ailleurs dans les synoptiques, comme un trait messianique164, sans fonder leur hypothèse. 162 Michael WOLTER, DasLukasevangelium, p. 275 ; D. M. VAN DE LINDE, « De geschiedenis eindigt met een lofzang n.a.v. Lucas 7:11-17 », in Theologia Reformata 36 (1993) 84-90, p. 84 ; John NOLLAND, Luke 1–9:20, p. 323-324 ; Joseph A. FITZMYER, LukeI–IX, p. 659 et la note p. 200-202 ; I. Howard MARSHALL, The GospelofLuke, p. 285 ; Augustin GEORGE, « Le miracle dans l’œuvre de Luc », p. 253 ; Jacques DUPONT, « A Ressurreiçao do Môco de Naim (Lc 7,11-16) », in Simao VOIGT – Frederico VIER et al. (éds.), Atualidades Bíblicas, traduit par Francisco C. ROLIM, Petrópolis, Editora Vozes, 1971, 487-492, p. 491. 163 Ignace de LA POTTERIE, « Le titre Κύριος appliqué à Jésus dans l’Évangile de Luc », in Albert DESCAMPS – André de HALLEUX (éds.), Mélanges bibliques. FS.BédaRigaux, Gembloux, Duculot, 1970, 117-146, p. 125-126. Voir aussi François BOVON, L’ÉvangileselonsaintLuc.Vol.I(1,1–9,50), p. 354 ; Gérard ROCHAIS, « La résurrection du fils de la veuve de Naïn (Lc 7,11-17) », in Lesrécitsderésurrection desmortsdansleNouveauTestament (Society for New Testament Studies Monograph Series, 40), Cambridge, Cambridge University Press, 1981, 18-38, p. 25. 164 Helmut KÖSTER, « σπλάγχνον, σπλαγχνίζομαι, εὔσπλαγχνος, πολύσπλαγχνος, ἄσπλαγχνος », in Gerhard FRIEDRICH (éd.), Theological Dictionary oftheNewTestament, traduit par Geoffrey W. BROMILEY, Grand Rapids MI, Eerdmans, 1971, Vol. VII (Σ), 548-559, p. 555 ; Gustav STÄHLIN, « χήρα », in Gerhard FRIEDRICH (éd.), TheologicalDictionaryoftheNewTestament, traduit par Geoffrey W. BROMILEY, Grand Rapids MI, Eerdmans, 1974, Vol. IX (Φ-Ω), 440-465, p. 450. Dans le même sens, Bovon présente le message chrétien de l’événement évoqué en Lc 7,12-15, en déclarant « Jésus, le Messie qui guérit, fait face à toutes les situations, puisqu’il n’a pas reculé devant celle-là ». Voir François BOVON, L’Évangile selon saintLuc.Vol.I(1,1–9,50), p. 353 (voir aussi p. 354). Une telle interprétation messianique de Lc 7,11-17 est typique des Pères de l’Église. Voir CYRILLE D’ALEXANDRIE [S. CYRILLI ALEXANDRINI], « Sermon 36 (Lc 7.11-16) », p. 68-70.
L’ἐπισκοπή DIVINE À LA PORTE DE NAÏN (LC 7,16)
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Même si à partir de la Pentecôte, Jésus est reconnu comme le Messie, au sens fort du terme, il semble abusif, dans le cadre d’une étude exégétique d’un texte du Nouveau Testament, de qualifier comme messianique chaque geste de Jésus. Il devient légitime de le faire pour ceux qui sont considérés comme tels par les personnages figurant dans les récits évangéliques ou par les évangélistes. Or, Lc 7,11-17 ne donne aucun indice évident dans ce sens. Jésus est reconnu par les témoins de l’événement comme « ungrandprophète [προφήτης μέγας] » (7,16), et non comme « leChrist [ὁ χριστός] », après avoir été présenté par le narrateur comme « leSeigneur[ὁ κύριος] » (7,13). Dans l’épisode des messagers de Jean (Lc 7,18-23), par le jeu des acteurs, en l’occurrence par la réponse de Jésus, Luc n’apporte-t-il pas surtout un correctif à l’acclamation des foules reconnaissant Jésus comme un grand prophète (7,16), plutôt qu’une interprétation du titre « le Seigneur » annoncé par le narrateur (7,13)165 ? Au niveau rédactionnel, le titre « le Seigneur [ὁ κύριος] » embrasse tous les titres qui sont attribués à Jésus depuis la Pentecôte : non seulement Messie, mais aussi Prophète et Serviteur (Ac 2,36 ; 3,12-26). Aux yeux de Luc, c’est donc Jésus, reconnu à partir de la Pentecôte comme étant le Seigneur, Messie, Prophète et Serviteur, qui est remué aux entrailles en Lc 7,13. Luc le fait sciemment pour évoquer son autorité166, ancrée dans un mouvement de compassion et donc de vulnérabilité. 2.2.3. Un signe de la consolation eschatologique de Dieu L’exhortation de Jésus adressée à la veuve en Lc 7,13 constitue la première parole rapportée dans le récit de Naïn167. Malgré le drame, aucune expression n’est mentionnée, ni pour exprimer la détresse, ni pour consoler, ni pour demander à Jésus d’intervenir. Ce silence du narrateur dans la description de la situation intiale contraste avec celle qui est élaborée dans les autres récits bibliques de retour à la vie168. 165 Ce procédé de « correctif » sera décrit en finale du point 3.2 de la présente section. 166 Darrell L. BOCK, Luke.Volume1(1:1–9:50), p. 650. 167 Aspect mis en évidence par Roland MEYNET, L’évangiledeLuc, p. 313. 168 Avant l’intervention de l’homme de Dieu, les personnes parlant en premier sont les suivantes : la veuve (1 R 17,18), l’enfant (2 R 4,18), le père (Lc 8,41 ; par. Mc 5,22-23), les sœurs de Lazare (Jn 11,3), deux hommes envoyés par les disciples (Ac 9,38). En 2 R 13,20-21, aucune parole n’est prononcée. En Ac 20,7-12, la parole de Paul est tellement abondante qu’elle se prolonge jusque dans la nuit, au point de faire tomber de sommeil le jeune homme, Eutyque, et le faire basculer par-delà la fenêtre. Dans la vision des ossements desséchés (Ez 37,1-14), les seuls interlocuteurs sont Ezéchiel et Dieu qui prend l’initiative de la parole.
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CHAPITRE PREMIER
Par rapport aux veuves des différents récits de Lc, celle de Naïn est la seule à qui Jésus adresse une parole (7,13). Dans le Nouveau Testament, « nepleurepas [μὴ κλαῖε] » ou « ne pleurezpas [μὴ κλαίετε] » apparaît seulement en Lc, toujours dans la bouche de Jésus. Les deux autres mentions se trouvent dans le récit de retour à la vie de la fille de Jaïre (8,52)169 et lors de la rencontre de Jésus avec les filles de Jérusalem (23,28)170, sans équivalent dans les récits parallèles. Par la thématique des pleurs, Luc établit un lien entre ses deux récits de réanimation (7,11-17 ; 8,40-56) et l’expérience de Jésus marchant vers sa propre mort (23,26-32). En Lc 7,13, l’usage de l’impératif présent dans une tournure négative est une exhortation à cesser une action en cours, et non un précepte général qui défend de pleurer171. Il ne s’agit donc pas d’une invitation à refouler les émotions liées au deuil, mais une manière de dire : « Ne pleure plus… » ou, pour le dire autrement, « Tu peux maintenant cesser de pleurer car je vais agir ». La suite du texte (7,14) le confirme. À la lumière de l’autre récit de retour à la vie commun aux synoptiques172, cette parole de Jésus exprimée juste avant d’intervenir surprend pour trois raisons. Elle est au singulier, sans développement et sans appel à la foi. Premièrement, cette parole fait allusion exclusivement aux larmes de la mère, sans y inclure celles des gens qui l’accompagnent. Il en va autrement dans les autres récits de retour à la vie contenus dans les évangiles173. Deuxièmement, la parole de Jésus en Lc 7,13 est succincte. Elle accroît le réalisme de son émotion profonde (ἐσπλαγχνίσθη). Cette sobriété des paroles contraste avec les mots de Jésus dans la maison de Jaïre accablé par le deuil de sa fille174. Ce dernier passage correspond à la deuxième occurrence de μὴ κλαῖε ou μὴ κλαίετε. En Lc 23,28, la parole de Jésus exhortant les femmes à ne pas pleurer est particulièrement longue. Elle s’étend jusqu’au verset 31. 169 Dans le parallèle de Mc 5,39, Jésus dit « Pourquoi [τί] […] pleurez-vous [κλαίετε] ? », et dans le parallèle de Mt 13,24, il n’est pas question de pleurs. 170 Les parallèles de Mc 15,31, de Mt 27,32 et de Jn 19,16-17 ne rapportent pas cette rencontre de Jésus durant son chemin de croix. 171 Daniel B. WALLACE, GreekGrammarBeyondtheBasics :AnExegeticalSyntax oftheNewTestament, Grand Rapids MI, Zondervan, 19964, p. 724. Voir aussi Joseph A. FITZMYER, LukeI–IX, p. 659 ; Marie-Joseph LAGRANGE, ÉvangileselonsaintLuc, p. 210. 172 Mc 5,21-43 ; par. Lc 8,40-56 et Mt 9,18-26. 173 Mc 5,38.39 (par. Lc 8,52) ; Jn 11,33. 174 « Ne pleurez plus [μὴ κλαίετε], car elle n’est pas morte, mais elle dort » (Lc 8,52).
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Troisièmement, l’intervention de Jésus en Lc 7,13 ne fait pas appel à la foi, qu’elle soit en parole ou en acte175. Parmi les récits de guérisons et d’exorcismes opérés par Jésus en Lc, au moins six portent cette caractéristique. Les actions rapportées sont accomplies auprès d’une personne possédée par un démon et/ou durant le sabbat176. Elles deviennent une interpellation sur le sens du sabbat (6,9 ; 13,15-16 ; 14,3.5) et révèlent l’autorité de Jésus, comme « seigneur du sabbat » (6,5) et comme supérieur à Béelzéboul (11,22). Elles manifestent aussi qu’« est arrivé pour vous le royaume de Dieu » (11,20). De la même manière, Lc 7,11-17 vise à manifester la puissance de Jésus – en l’occurrence sur la mort – et à établir ainsi son autorité. Fitzmyer y voit la marque d’un récit hagiographique177. Sans nier cet aspect, on peut repérer dans le texte des indices permettant de discerner en Lc 7,11-17 une profonde révélation. L’hypothèse selon laquelle la parole de Jésus adressée à la veuve est une révélation pourrait trouver un fondement dans des prophéties d’Isaïe annonçant que Dieu lui-même viendra essuyer les larmes sur tous les visages (Is 25,8) et faire grâce, de sorte qu’il n’y aura plus à pleurer (30,18-19). Dieu en personne vient ainsi se révéler. Est-il légitime de considérer que l’oracle de salut d’Is 25,6-9 éclaire l’élaboration du thème de l’ἐπισκοπή divine en Lc-Ac, en particulier en Lc 7,11-17 ? Reprenons les critères émis par Hays pour discerner l’écho d’un passage vétérotestamentaire dans le Nouveau Testament, déjà mentionnés dans le parallèle entre 1 R 17,17-24 et Lc 7,11-17. Tout d’abord, la cohérence thématique entre Is 25,8 et Lc 7,11-17 est vérifiée. En effet, le salut promis par Dieu est décrit en termes d’une double libération : celle des larmes sur tout visage marqué par le deuil et celle de l’opprobre de son peuple à travers toute la terre. Dans sa force, la mort a englouti [κατέπιεν ὁ θάνατος ἰσχύσας], et à nouveau Dieu aôté [ἀφεῖλεν] toute larme [πᾶν δάκρυον] sur tout [παντός] visage ; il aôté [ἀφεῖλεν] de toute [πάσης] la terre l’opprobredupeuple [ὄνειδος τοῦ λαοῦ], car la bouche du Seigneur a parlé. (Is 25,8 LXX) 175 Dans le récit de retour à la vie de la fille de Jaïre, Jésus dit à Jaïre : « N’aie pas peur ; crois seulement. » (Mc 5,36 ; par. Lc 8,50) Luc ajoute « et elle sera sauvée ». 176 Lc 4,31-37 (un démoniaque, le jour du sabbat ; par. Mt 7,28-29 et Mc 1,21-28) ; Lc 6,6-11 (un homme à la main paralysée ; guérison le jour du sabbat ; par. Mt 12,9-14 et Mc 3,1-6) ; Lc 8,26-39 (un démoniaque ; par. Mt 8,28-34 et Mc 5,1-20) ; Lc 11,1423 (un démoniaque ; par. Mt 9,32-34; 12,22-30 et Mc 3,22-27) ; Lc 13,10-17 (une femme possédée par un esprit qui la rendait infirme ; guérison le jour du sabbat ; propre à Luc) ; Lc 14,1-6 (un hydropique ; guérison le jour du sabbat ; propre à Luc). 177 Joseph A. FITZMYER, TheGospelAccordingtoLukeI–IX, p. 657-658.
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Or, ce double objet du salut annoncé en Is 25,8 est présent dans le contexte des deux premiers récits de l’ἐπισκοπή divine chez Luc (Lc 1,68-79 ; 7,11-17). Premièrement, en amont du cantique de Zacharie (1,68-79), Dieu est intervenu en faveur de celui-ci en donnant à sa femme, Élisabeth, de devenir enceinte. Celle-ci affirme alors : « le Seigneur […] aenlevémonopprobre [ἀφελεῖν ὄνειδός μου] parmi les hommes » (1,25)178. À partir de cette expérience personnelle et du cheminement de foi qui l’entoure, Zacharie prophétise que « le Seigneur, le Dieu d’Israël, […] avisité [ἐπεσκέψατο] et délivré son peuple [τῷ λαῷ αὐτοῦ] » (1,68). Deuxièmement, en Lc 7,11-17, par sa compassion, sa parole et son geste miraculeux, Jésus essuie les larmes de la veuve de Naïn. Dans les deux cas, le rayonnement de l’action du Seigneur rejaillit sur « tous » (Lc 7,16.17 ; Is 25,8). L’oracle de salut se conclut en Is 25,9 par l’annonce d’une réponse humaine sous forme de profession de foi, tout comme les exclamations de Lc 1,68.78 et 7,16 reconnaissant une ἐπισκοπή divine : « Et l’on dira ce jour-là : “Voici notre Dieu, en lui nous espérions et nous exultions et nous nous réjouirons, à cause de notre salut.” » (Is 25,9 LXX) En revanche, le volume de mots et de syntagmes d’Is 25,8 en Lc 7,11-17 est pauvre, même si la réalité exprimée se recoupe sur plusieurs points énoncés ci-dessus. Ensuite, la récurrence d’Is 25,6-9 dans le Nouveau Testament, ainsi que sa disponibilité pour Luc et les premiers destinataires de son évangile, sont assurées. En effet, Is 25,8 est une référence-clé non seulement dans la tradition rabbinique pour évoquer la promesse divine de la victoire sur la mort179, mais déjà aussi dans un passage du corpus proto-paulinien (1 Co 15,54). Quand donc cet être corruptible aura revêtu l’incorruptibilité et que cet être mortel aura revêtu l’immortalité, alors se réalisera la parole de l’Écriture : 178 C’est également ce qu’exprima Rachel lorsqu’elle devint enceinte après un long temps de stérilité (Gn 30,23) : « Dieuenlevamonopprobre [Ἀφεῖλεν ὁ θεός μου τὸ ὄνειδος] ». 179 Exemples d’écho à Is 25,8 (version hébraïque) : Mishna Moed Katan 3,9 ; MidrashRabbah sur Ex 15,21 ; 30,3 ; MidrashRabbah sur Dt 2,30 ; MidrashRabbah sur Lm 1,41. Pour l’édition en hébreu de la Mishna et sa traduction, voir respectivement : Martin G. ABEGG (éd.), Kaufmann Mishna A50 Manuscript, Altamonte Springs FL, OakTree Software, 2014 ; Jacob NEUSNER (éd.), TheMishnah:ANewTranslation, New Haven CT – London, Yale University Press, 1988; Martin G. ABEGG (éd.), Kaufmann MishnaA50Manuscript, Altamonte Springs FL, OakTree Software, 2014. Pour les références de chaque MidrashRabbah : voir Harry FREEDMAN – Maurice SIMONetal. (éds.), MidrashRabbah.Vol.III:Exodus, London, The Soncino Press, 19613; Harry FREEDMAN – Maurice SIMONetal. (éds.), MidrashRabbah.Vol.VII:Deuteronomy– Lamentations, London, The Soncino Press, 19613. Même si la littérature rabbinique est postérieure à Lc-Ac, elle reflète des traditions qui la précèdent.
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Lamortaétéengloutiedanslavictoire [κατεπόθη ὁ θάνατος εἰς νῖκος]. (1 Co 15,54 ; en référence à Is 25,8)180
Is 25,8 fait partie des textes prophétiques véhiculant la conviction que Dieu consolera son peuple et que le temps eschatologique de son salut sera accompagné d’une joie éclatante181. Le renvoi à Is 25,8 ou plus fondamentalement aux traditions qui l’animent, permet de mieux saisir le signe de Naïn annonçant que Dieu inaugure en Jésus le temps eschatologique du salut. Le critère de satisfaction est donc rempli. L’écho d’Is 25,8 en Lc 7,11-17 dans l’histoire de l’interprétation est ténu. John T. Carroll propose de voir une référence indirecte par la médiation de la troisième béatitude lucanienne (Lc 6,21) dont il considère que Lc 7,11-17 serait une actualisation182. Cependant, ses appuis sont faibles. Lui-même constate que les affinités textuelles reposent surtout sur le premier membre de la béatitude, en réalité sur un seul mot : « pleurant [κλαίοντες] ». Il résout rapidement cette difficulté en faisant appel à notre imagination183. Revenons au texte de Lc 7,1117. Premièrement, ce récit partage plusieurs liens sémantiques et narratifs avec l’environnement immédiat d’Is 25,8, qui appartient à un faisceau de textes orientés vers une consolation eschatologique. Or, une espérance similaire anime également la béatitude adressée à ceux qui pleurent : « Heureux ceux qui pleurent [κλαίοντες] maintenant, car vous rirez [γελάσετε]. » (Lc 6,21) L’arrière-fond vétérotestamentaire de la consolation divine est d’autant plus manifeste dans la version mathéenne : « Heureux les affligés [πενθοῦντες], car ils seront consolés [παρακληθήσονται]. » (Mt 5,4) En effet, dans la Septante, « rire [γελῶ] » est rarement utilisé pour évoquer la joie du salut184, bien que le verbe reflète de façon éloquente son expression 180 L’allusion à Is 8,25 en 1 Co 15,54 se rapproche surtout de la version syriaque, avec la mention de la victoire. Le N.T. contient aussi une référence à Is 25,8 en Ap 21,4, plus tardive par rapport à 1 Co 15,54 : « Et [Dieu] essuieratoutelarmede leursyeux [ἐξαλείψει πᾶνδάκρυον ἐκτῶνὀφθαλμῶναὐτῶν]. La mort ne sera plus. Il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni souffrance, car le monde ancien a disparu. » Déjà en Ap 7,17, cette même parole avait retenti : « Et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux [ἐξαλείψειὁθεὸςπᾶνδάκρυον ἐκτῶνὀφθαλμῶναὐτῶν]. » 181 Est 9,22 ; Ps 125,2 (LXX) ; Is 9,2 (LXX) ; 61,2-3 ; Jr 38,13 (LXX) ; Jl 2,21 ; Za 3,14-17 ; 9,9. 182 John T. CARROLL, Luke (The New Testament library), Louisville KY, Westminster John Knox Press, 2012, p. 163, 166, 167. 183 […] notthatmuchimaginationisrequiredtofillthisgap.Voir John T. CARROLL, Luke, p. 167. 184 Sur les douze mentions de γελῶ dans la LXX, deux expriment la joie : Qo 3,4 (καιρὸς τοῦ κλαῦσαι καὶ καιρὸς τοῦ γελάσαι) et Jb 22,19. Seul le second présente
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concrète. Ainsi, Lc 6,21 et Lc 7,13-17 reposeraient sur un fondement commun dont chacun tirerait un éclairage différent. La béatitude se concentre sur les bénéficiaires de l’action salvifique de Dieu, tandis que le récit de Naïn pointe sur Dieu qui se manifeste en Jésus, d’après l’exclamation en Lc 7,16. Rien n’est dit de la veuve à partir du moment où son fils revient à la vie et où Jésus le lui redonne (7,15). En Lc 7,11, Jésus est en train d’« annoncer le royaume de Dieu », en se faisant proche des personnes souffrantes que Dieu vient à travers lui guérir et libérer. En ce sens, Lc 7,11-17 est une actualisation des paroles de Jésus proclamant le royaume de Dieu, parmi lesquelles figurent non seulement les béatitudes (6,20-21), mais aussi sa prédication à Nazareth (4,18) et la réponse qu’il donnera à Jean (7,22). Finalement, Luc puise rarement dans un seul passage vétérotestamentaire, même quand il cite explicitement un texte185. Nous avons des bonnes raisons de penser que Luc ou sa source se sont inspirés des traditions animant Is 25,8, en interaction avec d’autres prophéties, pour décrire l’ἐπισκοπή divine, en particulier dans le contexte de deuil spécifique à Lc 7,11-17. 2.2.4. Une approche qui interrompt le cours naturel Dans le troisième évangile, Lc 7,14 est la seule mention du verbe « s’avancer/s’approcher[προσέρχομαι] » avec Jésus comme sujet du verbe186. Il en est l’objet implicite dans les autres187, sauf en Lc 10,34, explicitement la joie comme un fruit de l’action salvifique Dieu, sans toutefois faire partie d’un corpus prophétique. 185 Pensons à la proclamation d’Isaïe par Jésus dans la synagogue de Nazareth, dont Luc reproduit un extrait presque verbatim(Lc 4,18-19), celui d’Is 61,1-2 (LXX), avec toutefois deux omissions et une insertion (Is 58,6). La liberté de Luc est d’autant plus flagrante dans les hymnes des récits de l’enfance, qui lui sont propres : le cantique de Marie (Lc 1,46-55), celui de Zacharie (1,68-79), celui de Syméon (2,2932). Concernant la variété des échos vétérotestamentaires dans ces trois hymnes, voir David W. PAO – Eckhard J. SCHNABEL, « Luke », p. 261-265, 271-273. 186 Deux fois ailleurs dans les évangiles, Jésus est sujet du verbe προσέρχομαι : auprès des disciples témoins de la transfiguration (Mt 17,7) et auprès de la belle-mère de Pierre (Mc 1,31). Mt 17,7 et Mc 1,31 ont en commun avec Lc 7,14 non seulement προσέρχομαι, mais aussi ἐγείρω et en Mt 17,7, ἅπτομαι. Dans ces trois épisodes, l’autorité de Jésus s’exprime par un mouvement de rapprochement vers les personnes et de toucher, ainsi qu’une parole. Selon Bock, Lc 9,42 constitue une autre occurrence de προσέρχομαι où Jésus serait le sujet. Darrell L. BOCK, Luke. Volume 1 (1:1–9:50), p. 651. Il semble l’un des rares commentateurs de Lc 9,42 à défendre cette interprétation qui va à l’encontre de la logique de la narration. En effet, le verset précédent se termine avec l’exhortation de Jésus adressée au père : προσάγαγε ὧδε τὸν υἱόν σου (Lc 9,41). On s’attend donc à ce que ce soit le fils qui s’approche. 187 Lc 8,24 (les disciples ; verbe présent dans le parallèle de Mt 8,25 et absent dans celui de Mc 4,38) ; Lc 8,44 (une femme malade ; verbe présent dans le parallèle
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dans la parabole du bon Samaritain. À Naïn, Jésus prend ainsi l’initiative non seulement de la parole, mais aussi du geste : « quand il fut proche,iltoucha [προσελθὼν ἥψατο] le cercueil188 » (7,14). Dépendant d’un verbe principal également à l’aoriste (ἥψατο), le participe aoriste προσελθών joue ici une fonction temporelle et indique qu’il s’agit de deux actions simultanées, comme en 7,12189. Dans l’autre récit de retour à la vie, une femme désirant être sauvée pose le même mouvement à l’égard de Jésus : « quandellefutproche [προσελθοῦσα] […] elle toucha [ἥψατο] la frange de son manteau190 ». Dans le Nouveau Testament, le verbe « toucher [ἅπτομαι] » apparaît principalement dans les synoptiques191. Jésus y est toujours impliqué, comme sujet ou objet, en vue d’une guérison (au sens large) ou d’une bénédiction192. En dehors des synoptiques, le verbe est accompagné d’une négation193. Le pouvoir de guérison de Jésus passe par une rencontre tactile, telle qu’exprimée en Lc 6,19 : « 19a Et toute la foule de Mt 9,20 et abrégé [ἐλθοῦσα] dans celui de Mc 5,27) ; Lc 9,12 (les Douze ; présent dans les parallèles de Mc 6,35 et de Mt 14,15) ; Lc 9,42 (le fils malade ; différent dans le parallèle de Mc 9,20 et absent dans celui de Mt 17,17) ; Lc 13,31 (des Pharisiens ; propre à Luc) ; Lc 20,27 (des Sadducéens ; verbe présent dans le parallèle de Mt 22,23 ; abrégé [ἔρχονται] dans celui de Mc 12,18) ; Lc 23,36 (des soldats ; absent dans les parallèles de Mc 15,32 et de Mt 27,43) ; Lc 23,52 (Joseph ; verbe présent dans le parallèle de Mt 27,58 ; abrégé [ἐλθών] dans celui de Mc 15,43). En Lc 23,52, Jésus est l’objet indirect du verbe : Joseph s’approche de Pilate pour demander le corps de Jésus. 188 En Lc 7,14, Schneider interprète προσέρχομαι comme le premier pas d’une action messianique, sans donner les fondements de son hypothèse. Voir Johannes SCHNEIDER, « ἔρχομαι », in Gerhard KITTEL (éd.), TheologicalDictionaryoftheNew Testament, traduit par Geoffrey W. BROMILEY, Grand Rapids MI, Eerdmans, 1964, Vol. II (Δ-Η), 666-684, p. 684. Voir aussi I. Howard MARSHALL, TheGospelofLuke, p. 286. Or, nous l’avons déjà précisé (voir « Jésus présenté comme le Seigneur » au point 2.2.2 de la présente section), le texte ne fournit aucun indice évident permettant de discerner une perspective messianique en Lc 7,11-17, ni de la part du narrateur, ni de la part des acteurs du récit, si ce n’est dans le correctif apporté dans la péricope suivante (7,18-23). 189 « Aumomentoùillavit,leSeigneurfutremuéauxentrailles [καὶ ἰδὼν αὐτὴν ὁ κύριος ἐσπλαγχνίσθη] ». Voir Daniel B. WALLACE, GreekGrammarBeyondthe Basics, p. 623-625. 190 Lc 8,44 ; par. Mc 5,27-28 et Mt 9,20-21. 191 Mc (11 fois) ; Lc (10 fois) ; Mt (9 fois) ; Jn (1 fois sous forme négative) ; Ac (0 fois) ; ailleurs (4 fois sous forme négative). 192 Lors de la transfiguration, Jésus touche les disciples saisis de peur (Mt 17,7 ; geste absent dans les parallèles de Mc 9,6 et de Lc 9,34, même si ceux-ci évoquent la peur des disciples). En Lc 18,15 (par. Mc 10,13), on présente à Jésus des petits enfants « pour qu’il les touche [ἅπτηται] », sans préciser l’intention. Dans le parallèle de Mt 19,13, la réalité exprimée à travers deux verbes est la même et laisse sous-entendre une bénédiction : « pour qu’il imposât [ἐπιθῇ] les mains et priât [προσεύξηται] ». 193 Jn 20,17 ; 1 Co 7,1 ; 2 Co 6,17 ; Col 2,21 ; 1 Jn 5,18.
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cherchait à le toucher [ἅπτεσθαι], 19b parce qu’une force sortait de lui et [les] guérissait tous. » (Lc 6,19)194 Hormis les occurrences qui concernent une collectivité195, Luc se distingue des autres synoptiques en restreignant l’emploi de ἅπτομαι aux rencontres où Jésus se rendrait impur selon la loi juive : un lépreux196, un mort porté dans un cercueil (Lc 7,14 ; propre à Luc), une femme pécheresse (7,39 ; propre à Luc) et une femme ayant des écoulements de sang197. Dans le récit de retour à la vie opéré à partir des os d’Élisée, on retrouve le même verbe (2 R 13,21). Toutefois, en Lc 7,14, « le Seigneur » est celui qui pose le geste de toucher. Ceci est unique dans le Nouveau Testament. Dans la Septante, le même phénomène se retrouve en rapport avec Dieu, dans trois passages dont un seul contient le verbe au sens propre198. Le toucher de Dieu sur la bouche de Jérémie devient l’expression d’un don intime en vue d’une mission de « prophète pour les nations » (Jr 1,5). Isaïe vit une expérience similaire (Is 6,7a), si ce n’est que le geste est posé par un séraphin, et non directement par le Seigneur, et qu’il a une visée purificatrice (Is 6,7b). En Lc 7,14, Jésus se rend au contraire impur en touchant le cercueil, d’après Nb 19,16.18 stipulant qu’un être humain devient impur pas seulement en touchant un mort ou ses ossements, mais également sa tombe, c’est-à-dire l’objet contenant le cadavre199. Le fait que Jésus pose un geste non conforme aux usages est reçu par les témoins comme 194 Le verset 19b est absent dans les parallèles de Mc 3,10 et de Mt 4,25. Dans les guérisons à Gennésaret, on retrouve une mention similaire. Voir Mc 6,56 ; par. Mt 14,36. 195 Lc 6,19 (la foule) ; 18,15 (les enfants). 196 Lc 5,13 (par. Mc 1,41 et Mt 8,3). 197 Lc 8,44.45.46.47 (par. Mc 5,27.28.30.31 et Mt 9,20.21). 198 1 S 10,26 ; 2 R 15,5 ; Jr 1,9 : « Le Seigneur […] toucha[ἥψατο] ma bouche ». 199 Le judaïsme de l’époque considérait que toucher un cadavre – ou le cercueil ouvert qui le contient – était la pire impureté qu’on puisse contracter et à laquelle seules les personnes les plus proches du défunt étaient autorisées à être exposées. Voir Craig S. KEENER, Luke, p. 207. Nous l’avons vérifié dans un des six traités de la Mishna, les Taharot regroupant des lois relatives à la pureté et à l’impureté rituelle. Sa rédaction remonte au IIIe siècle après Jésus Christ et se fait l’écho d’une tradition orale qui s’est développée entre le Ier siècle avant et le IIe siècle après Jésus Christ. L’un de ces documents, les Ohalot, s’attarde spécifiquement aux différents cas de contacts directs ou indirects avec un cadavre, en cherchant à interpréter Nb 19,16. Si la personne touche le cercueil, et non pas la personne décédée, l’impureté est contractée dans la majorité des cas, même si des exceptions subsistent selon la forme du cercueil et le lieu où il est touché. Voir Ohalot 9,15 dans Joseph BONSIRVEN (éd.), Textesrabbiniquesdesdeuxpremierssiècleschrétiens.Pourserviràl’intelligence duNouveauTestament, Milan, Institut Biblique Pontifical, 1955, p. 678. Voir aussi
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un signe que quelque chose de tout à fait spécial est en train de se passer. L’essentiel ne réside pas dans la transgression d’une loi de pureté rituelle, mais dans l’interprétation de ce geste par les acteurs du récit. En tant que Seigneur, Jésus transmettra au fils de la veuve la puissance de se réveiller de la mort, telle qu’exprimée par sa parole (Lc 7,14). Le toucher du Seigneur devient l’annonce d’un don. Certains auteurs interprètent le toucher de Jésus en Lc 7,14 comme un geste visant à arrêter la procession funèbre en cours200. Cette vision cherche à rationaliser l’effet magique parfois perçu dans le toucher de Jésus201. Une telle hypothèse ne tient pas compte de trois éléments202. Primo, dans les récits évangéliques de guérison (au sens large), le toucher est toujours le mode de transmission de la puissance libératrice qui émane de Jésus Christ. L’arrêt de la procession est une conséquence du toucher et non sa visée. Secundo, dans l’autre récit de retour à la vie en Lc (8,40-56), la merveille s’accomplit par ces deux médiations. Jésus saisit la main de la jeune fille et lui parle (8,54). Cela confirme une donnée anthropologique. Lors d’une rencontre empreinte de gravité et de compassion, l’être humain va souvent chercher à entrer en contact avec l’autre par le langage non verbal. Par ailleurs, en Lc 7,14, le geste de Jésus est sobre : il touche le cercueil et non pas directement le corps203. Christine PRIETO, « L’esclave du centurion de Capharnaüm ; le fils de la veuve de Naïn ; question de Jean le Baptiste à Jésus (Lc 7,1-23) », in Jésusthérapeute.Quels rapports entre ses miracles et la médecine antique ? (Le Monde de la Bible, 69), Genève, Labor et Fides, 2014, 241-284, p. 264. 200 David E. GARLAND, Luke, p. 302 ; François BOVON, L’Évangile selon saint Luc.Vol.I(1,1–9,50), p. 354-355 ; John NOLLAND, Luke1–9:20, p. 323 ; I. Howard MARSHALL, TheGospelofLuke, p. 286. 201 Bovon affirme que οἱ δὲ βαστάζοντες ἔστησαν est un ajout rédactionnel en vue de changer le sens initial du toucher de Jésus en tant que transmission d’une force divine, et y introduire une « rationalisation dirigée contre la magie ». Voir François BOVON, L’Évangile selon saint Luc. Vol. I (1,1–9,50), p. 354-355. Le fondement de cette hypothèse présentée par Bovon paraît mal assuré, et par conséquent, peu convaincant en regard des autres emplois de ἅπτομαι et de ἵστημι en Lc. Selon Lagrange, le geste de Jésus serait un ordre adressé aux porteurs. Voir Marie-Joseph LAGRANGE, ÉvangileselonsaintLuc, p. 211. 202 Dans une perspective similaire à la nôtre, Achtemeier reconnaît que le monde hellénistique auquel Luc appartient est animé de croyances magiques et qu’il leur accorde davantage d’importance que les autres évangélistes, sans pour autant modeler la foi chrétienne sur elles. Voir Paul J. ACHTEMEIER, « The Lucan Perspective on the Miracles of Jesus », p. 560. 203 Dans l’autre récit de retour à la vie, commun aux synoptiques, Jésus est en contact direct avec le corps de la fille de Jaïre, en lui saisissant [κρατήσας] la main (Mc 5,41 ; par. Lc 8,54 et Mt 9,25). Utilisé très parcimonieusement en Lc (8,54 ;
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Tertio, le toucher de Jésus suscite une réaction immédiate : « les porteurs s’arrêtèrent [ἔστησαν] » (Lc 7,14). L’emploi du verbe ἵστημι à l’aoriste est fréquent chez Luc. Quand il se présente sans complément, il signale un arrêt dans le récit en vue d’une nouvelle étape manifestée par une parole ou un geste, venant de Jésus ou reçus par lui. Pensons à Jésus devant les cris de l’aveugle de Jéricho (18,40), à Zachée quand il reçut Jésus chez lui (19,8), aux disciples d’Emmaüs interrogés par Jésus (24,17). Dans aucun de ces trois passages, il ne s’agit d’un arrêt commandé de l’extérieur. Les personnes s’arrêtent d’elles-mêmes, saisies par l’inattendu qui se manifeste devant elles. Ce constat renforce notre objection à l’hypothèse selon laquelle le toucher de Jésus vise simplement à arrêter la procession. La mention du « cercueil [σορός] » (7,14) constitue un hapaxlegomenondans le Nouveau Testament204. On le trouve deux fois dans la Septante, en rapport avec la mort de Joseph (Gn 50,26) et celle du méchant (Jb 21,32). Le terme désigne à l’origine une urne – le plus souvent en pierre – pour déposer les os ou les cendres d’un défunt et puis, dans des textes hellénistiques d’une période plus tardive, un cercueil ouvert où l’on dépose le cadavre205. Lc 7,14 serait l’attestation la 24,16), le verbe κρατῶ manifeste davantage un sens dominateur, par rapport à ἅπτομαι qui peut notamment exprimer un contact simple et non moins intime entre personnes (1 Co 7,1). En effet, dans des récits où il est question de saisir ou d’arrêter Jésus, le verbe utilisé est κρατῶ par Matthieu (Mt 21,46 ; 26,4.48.50.55.57) et par Marc (Mc 3,21 ; 12,12 ; 14,1.44.46.49), jamais par Luc qui l’exprime autrement : « le saisir [ἀπολέσαι] » (Lc 19,47), « mettrelamainsurlui [ἐπιβαλεῖν ἐπ᾿ αὐτὸν τὰς χεῖρας] » (Lc 20,19), « tu livres [παραδίδως] le Fils de l’homme » (Lc 22,48), « vousportezla mainsurmoi [ἐξετείνατε τὰς χεῖρας ἐπ᾿ ἐμέ] » (Lc 22,53), « l’ayantpris [Συλλαβόντες] » (Lc 22,54). En Mc, on voit Jésus « saisissant les mains » non seulement de la fille de Jaïre, mais aussi de la belle-mère de Pierre (Mc 1,31) et de l’enfant épileptique (Mc 9,27), contrairement aux récits parallèles (Mt 8,15 et Lc 4,39 ; Mt 17,18 et Lc 9,42). 204 Cette présence atypique suscite différentes interprétations. Par exemple, Gafner met en relation le cercueil avec la rosée de la résurrection à partir du Ps 133,2-3 (TM). Voir Philippe GAFNER, « Le cercueil et la rosée – le mot σορός en Luc 7.14 », in BiblischeNotizen 87 (1997) 13-16, p. 16. Il nous semble difficile de voir dans le texte lui-même, comme le prétend Gafner, que le mot σορός (cercueil) en Lc 7,14 renvoie à ( ֲארוֹןcercueil) et donc à אַהר ֹן ֲ (Aaron) mentionné en Ps 133,2 (TM). Veyron-Maillet reconnaît une ambiguïté dans le terme σορός qui échappe sans doute à Luc. En effet, σορός peut désigner autant un cercueil qu’une vieille femme. Dans cette perspective, Jésus s’approcherait de la mère, la toucherait et ceux qui la « soutiennent[βαστάζοντες] » s’arrêteraient. Voir Marie-Laure VEYRON-MAILLET, « Polysémie d’un texte : analyses narrative et psycho-anthropologique de Luc 7,11-17 », in Étudesthéologiquesetreligieuses 82 (2007) 179-191, p. 185-186. 205 Voir le commentaire de σορός (Lc 7,14) dans Cleon L. ROGERS JR. – Cleon L. ROGERS III, TheNewLinguisticandExegeticalKeytotheGreekNewTestament, Grand Rapids MI, Zondervan, 1998, p. 124.
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plus ancienne de ce dernier sens206. Cet usage s’est perpétué jusqu’à l’époque contemporaine, notamment chez les Juifs de Jérusalem207. 2.2.5. Une parole de miséricorde qui rend la vie Jésus poursuit son approche en s’adressant au mort, alors qu’il n’existe plus aucune raison humaine de croire qu’il puisse entendre et encore moins lui répondre. Cette parole opère le basculement. Dans les récits vétérotestamentaires de retour à la vie, l’homme de Dieu invoque le Seigneur, mais ne s’adresse jamais au mort (1 R 17,20-21 ; 2 R 4,33), sauf Ezéchiel, dans sa vision des ossements desséchés208. Toutefois, dans ce dernier cas, le prophète le fait sur l’ordre du Seigneur dans le contexte d’une vision et non d’un fait réel. Dans les évangiles, Jésus va aussi parler à la fille décédée de Jaïre (Mc 5,41 ; par. Lc 8,54) et à Lazare dans son tombeau (Jn 11,43). Dans ce dernier cas, Jésus commence toutefois par prier (Jn 11,41-42). À Tabitha décédée, Pierre va également adresser une parole après avoir d’abord prié (Ac 9,40). Communiquer directement avec le défunt fait ainsi partie de la singularité du comportement de Jésus attesté dans deux récits de retour à la vie des évangiles209. Il se révèle « l’initiateur de la vie » (Ac 3,15) et le manifestera pleinement quand lui-même sera ressuscité des morts, non pas simplement revenu à la vie : « L’initiateurdelavie [ἀρχηγὸν τῆς ζωῆς] que vous avez fait mourir, Dieu leressuscitades morts [ὁ θεὸς ἤγειρεν ἐκ νεκρῶν], ce dont nous sommes témoins. » (Ac 3,15) L’appel de Jésus en Lc 7,14 présente des affinités et des différences par rapport à l’exhortation exprimée à la fille de Jaïre : « Enfant, éveille-toi [ἡ παῖς, ἔγειρε] » (Lc 8,54). En effet, dans ce dernier cas, le verbe « éveiller/faireselever[ἐγείρω] » se présente à l’impératif présent actif, alors qu’il est à l’impératif aoriste passif en Lc 7,14 (ἐγέρθητι). Quoique plus développée, la parole adressée à la fille de Jaïre dans le parallèle de Mc 5,41 contient le même verbe à l’impératif présent actif : « “Talitha koum”, c’est-à-dire, étant traduit : “Fillette,je tedis, éveille-toi [τὸ κοράσιον, σοὶ λέγω, ἔγειρε].” » Étant à l’aoriste 206
Joseph A. FITZMYER, LukeI–IX, p. 659. Marie-Joseph LAGRANGE, ÉvangileselonsaintLuc, p. 210-211. 208 Le Seigneur invite Ezéchiel à adresser une prophétie aux ossements (Ez 37,47) et ensuite à l’esprit (37,9-10). 209 Lc 7,14 et Mc 5,41 (par. Lc 8,54). En Mt, il existe également le récit du retour à la vie de la fille d’un chef dont le nom est gardé sous silence (9,18-26). Toutefois, Jésus n’y adresse aucune parole à l’enfant décédée. Il se limite au geste (9,25). 207
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CHAPITRE PREMIER
et au passif, le verbe ἐγέρθητι dans la parole que Jésus adresse au défunt (Lc 7,14) se distingue des autres récits de retour à la vie des évangiles210. Regardons de plus près cette double singularité. Premièrement, il est frappant de constater que les vingt mentions d’ἐγείρω à l’impératif dans le Nouveau Testament sont conjuguées au présent, à l’exception de Lc 7,14 et de Mt 17,7 (parole de Jésus aux disciples à la transfiguration). Parmi ces dix-huit attestations à l’impératif présent, douze appartiennent à des récits de guérison (au sens large) où ἐγείρω apparaît toujours sous la forme active (ἔγειρε)211. Lc 7,14 apparaît donc comme une exception par rapport à cet usage, bien que selon la logique aspectuelle de l’aoriste, l’impératif aoriste soit le mode approprié pour exprimer une « demande ponctuelle, extraordinaire212 ». En dehors des récits de guérison, les six autres attestations à l’impératif présent sont de forme active, quand il s’agit d’un singulier (ἔγειρε)213, ou de forme moyenne, quand le nombre est pluriel (ἐγείρεσθε)214. Deuxièmement, en plus d’être à l’aoriste, le verbe ἐγέρθητι figure au passif en Lc 7,14. Or, dans le Nouveau Testament, il n’existe qu’un seul autre emploi d’ἐγείρω à l’impératif de forme passive, le même évoqué dans le paragraphe précédent : Mt 17,7 (ἐγέρθητε également à l’aoriste, mais au pluriel)215. L’emploi d’ἐγείρω à l’impératif 210 Dans un autre récit de retour à la vie propre à Luc, la parole de Pierre à Tabitha – « Tabitha, lève-toi [ἀνάστηθι] » (Ac 9,40) – se présente également à l’impératif aoriste (ici second). 211 Le paralytique : Mc 2,9.11 (par. Lc 5,23.24 ; Jn 5,8 ; Mt 9,5 alors que la mention en Mt 9,6 est au participe aoriste passif) ; l’homme à la main droite sèche : Mc 3,3 (ἔγειρε présent dans le parallèle de Lc 6,8 et absent dans celui de Mt 12,10) ; la fille de Jaïre : Mc 5,41 (ἔγειρε présent dans le parallèle de Lc 8,54 et absent dans celui de Mt 9,25) ; l’infirme au temple : Ac 3,6. Lors de la guérison de l’aveugle de Jéricho, des gens lui transmettent l’appel de Jésus, en « lui disant : “Confiance ! Lèvetoi [ἔγειρε], il t’appelle !” » (Mc 10,49 ; absent dans les parallèles de Mt 20,32 et de Lc 18,40) 212 Sur la logique aspectuelle de l’aoriste, voir Christophe RICO, « L’aspect verbal dans le Nouveau Testament : vers une définition », in Revuebiblique 112 (2005) 385416, p. 386-387, 409-410. D’ailleurs, dans des récits de guérison où figure ἐγείρω à l’impératif présent actif de sens intransitif, on trouve d’autres occurrences du même verbe conjugué à l’aoriste et de sens intransitif, mais dans ce cas, non à l’impératif. Exemples : le paralytique en Mt 9,6.7 (ἐγερθείς) et la fille de Jaïre en Mt 9,25 (ἠγέρθη). 213 Mt 10,8 (seul emploi transitif de ἐγείρω à l’impératif dans le N.T., dans un discours de Jésus aux Douze) ; Ep 5,14 (hymne chrétienne primitive) ; Ap 11,1. 214 Mt 26,46 ; Mc 14,42 ; Jn 14,31. 215 En Mt 17,7 Jésus s’adresse à Pierre, Jacques et Jean après la manifestation de la voix dans la nuée lors de la transfiguration. Le verbe ἐγέρθητε est absent dans les parallèles de Mc 9,7 et de Lc 9,36. Trois autres attestations situées aussi en dehors
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aoriste de forme passive y est donc particulièrement rare. Dans l’étude d’ἐγείρω en Lc 7,14, David E. Garland se concentre sur la distinction entre les emplois à l’actif et ceux au passif. Il considère que l’usage du passif en Lc 7,14 exprime une exhortation à passer de la position assise ou couchée à la stature debout, c’est-à-dire à se lever, ce qui correspond au sens habituel de la voix moyenne216. Pourtant, sans donner aucune explication, il reconnaît que Luc recourt à la voix active dans d’autres récits de guérison où Jésus s’adresse à la personne malade ou décédée en lui disant alors : « Lève-toi [ἔγειρε]217 ». Signalons qu’en Lc-Ac, quand le verbe ἐγείρω est à l’aoriste et sans objet, il est toujours au passif. Une difficulté se présente : faut-il dans ce cas le comprendre comme un passif non seulement de forme, mais aussi de sens, ou comme un passif de forme qui aurait la force d’un intransitif, ce que reflète habituellement la voix moyenne ? Fitzmyer a opté pour la seconde option d’interprétation, concernant ἐγέρθητι en Lc 7,14218. Bien qu’elle ne se présente pas de la même manière, il traite l’attestation de Lc 7,14 à l’impératif aoriste passif, dans le même sens que celles en Lc à l’impératif présent actif intransitif (ἔγειρε). Étant donné que Lc 7,11-17 se distingue déjà plus d’une fois des autres récits similaires, y compris en Lc, cette proposition ne semble pas suffisamment tenir compte des caractéristiques littéraires de cette péricope. Voici deux indices supplémentaires en faveur du sens passif d’ἐγέρθητι en Lc 7,14. Tout d’abord dans le récit lui-même, la consigne adressée au fils défunt vient à la suite d’une série de verbes qui, tous, servent à souligner l’initiative de Jésus. Le passif « sois réveillé » demeure dans le même climat alors que l’intransitif « réveille-toi » opère un déplacement, comme si l’initiative se transportait du côté du bénéficiaire. De plus, en Lc 7,22, dans la suite immédiate de notre épisode, Jésus de Lc-Ac, sont à l’impératif présent moyen dont la forme est alors identique à celle de la voix passive : ἐγείρεσθε en Jn 14,31 (propre à Jean ; Jésus à ses disciples au terme de son dernier discours avant sa passion), ἐγείρεσθε en Mc 14,42 (présent dans le parallèle de Mt 26,46 et absent dans ceux de Lc 22,46 et de Jn 18,1 ; Jésus à Pierre, Jacques et Jean à la fin de son moment de prière à Gethsémani). Ces quatre occurrences appartiennent à des récits comportant un rapprochement avec la mort et la résurrection de Jésus. 216 David E. GARLAND, Luke, p. 302. 217 Lc 5,23.24 ; 6,8 ; 8,54 ; Ac 3,6. Dans ce dernier cas, la présence d’ἔγειρε est disputée, car ce verbe est absent dans certains manuscrits tels le Sinaiticus, le Vaticanus et le BezaeCantabrigiensis. 218 Joseph A. FITZMYER, Luke I–IX, p. 659. Voir aussi Daniel MARGUERAT – Emmanuelle STEFFEK, « Évangile selon Luc », p. 292 ; John NOLLAND, Luke1–9:20, p. 323.
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confie aux disciples de Jean la réponse à leur maître. L’allusion à ce que Jésus vient d’accomplir à Naïn est retracée entre deux autres évocations où le verbe est au passif et ne peut être compris au sens intransitif : « les lépreux sontpurifiés [καθαρίζονται] », et non se purifient, « les pauvres sontévangélisés [εὐαγγελίζονται] », et non s’évangélisent. Il doit en être de même pour la proclamation intermédiaire, elle aussi au passif, « les morts sontrelevés [ἐγείρονται] », et non se relèvent. Bref, d’après notre étude d’ἐγείρω à l’impératif dans le Nouveau Testament, il est étonnant de voir le verbe ἐγέρθητι à l’impératif de forme passive et en plus à l’aoriste en Lc 7,14, au lieu de l’impératif présent de forme active. Dans la Septante, ἐγείρω à l’impératif présent de forme active est introuvable. De plus, ce verbe à l’impératif de forme active a toujours un sens transitif et se présente alors à l’aoriste219. L’intransitif est signifié à l’impératif présent par la forme moyenne (ἐγείρου, ici au singulier)220 et à l’impératif aoriste par la forme passive (ἐγέρθητε, ici au pluriel)221, tout comme c’est clairement le cas en Mt 17,7. On comprend pourquoi la majorité des traductions et des commentateurs interprètent ἐγέρθητι en Lc 7,14 comme un intransitif : « lève-toi / réveilletoi222 ». À la lumière de ces observations sur la Septante, ce n’est plus tant ἐγέρθητι en Lc 7,14 qui paraît une forme exceptionnelle du verbe pour exprimer l’intransitif à l’impératif, mais les quatorze attestations du Nouveau Testament à l’impératif présent actif. D’ailleurs, dans le Nouveau Testament, l’emploi intransitif d’ἐγείρω n’est exprimé à l’actif que pour l’impératif à la deuxième personne du singulier. Un élargissement de notre champ de vision à l’ensemble de la littérature grecque ancienne, en nous limitant du VIIIe siècle avant Jésus Christ au Ve siècle après, permet de remarquer que le verbe ἐγείρω à l’impératif présent actif de sens intransitif avant la période des écrits du Nouveau Testament est très rare. À partir du ThesaurusLinguaeGraecae223, nous avons trouvé seulement trois attestations : l’une, dans une fable ἔγειρον en Jdt 14,13 (LXX) et en Si 36,6.14 (LXX), ainsi qu’ἐγείρατε en Jr 28,12 (LXX). 220 Ez 21,33 (LXX) dans un oracle du Seigneur qu’Ézéchiel est appelé à prononcer. 221 1 Ch 22,19 lors d’une parole de David aux chefs d’Israël pour constuire le sanctuaire du Seigneur et Tb 6,18 (LXX) lors des instructions de l’archange Raphaël à Tobias avant de s’unir à Sara. 222 Voir aussi Buist M. FANNING, VerbalAspectinNewTestamentGreek(Oxford Theological Monographs), London, Oxford University Press, 1990, p. 348-349. 223 THESAURUS LINGUAE GRAECAE, « A Digital Library of Greek Literature » [en ligne], http://stephanus.tlg.uci.edu, 2009, (page consultée le 16 mai 2016). 219
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d’Ésope (VIIe – VIe siècles) ; l’autre, dans une œuvre poétique et lyrique d’Euripide (Ve siècle), et une troisième, dans une comédie d’Aristophane (Ve – IVe siècles)224. Entre le Ier et le IIIe siècles après Jésus Christ, le ThesaurusLinguaeGraecae signale neuf mentions d’ἐγείρω à l’impératif présent actif de sens intransitif, en dehors des quatorze occurrences du Nouveau Testament dans des genres littéraires variés225. Ces neuf attestations du IIe et du IIIe siècles renvoient à des ouvrages de Pères grecs citant Ep 5,14226. Le phénomène est accentué aux IVe et Ve siècles, avec au moins trente-sept cas recensés, tous situés dans des ouvrages chrétiens. En effet, durant cette période, les citations de passages du Nouveau Testament contenant ἐγείρω à l’impératif présent actif de sens intransitif, se multiplient et se diversifient227. De plus, on voit apparaître au moins vingt utilisations de cette forme verbale d’ἐγείρω, sans nécessairement et explicitement faire référence à un verset spécifique du Nouveau Testament. Nous sommes donc témoins d’une évolution linguistique qui conduit à recourir à la forme active 224 Ὅμως ἔγειρε, καὶ τεύξῃ τῆς ὑγείας. Voir ÉSOPE [AESOPI], « Fable 14 aliter “La poule et la belette [Ὄρνις καὶ αἴλουρος]” », in Émile CHAMBRY (éd.), Fables [Fabulae]. Tome I (Nouvelle Collection de textes et documents), Paris, Les Belles Lettres, 1925, 56-57, p. 57 (ligne 5). Τέκνον, καθεύδεις πωλικῷ δαμεὶς ὄχῳ ; ἔγειρ᾽ ἀδελφῆς ἐφ᾽ ὑμέναιον εὐτυχῶς. Voir EURIPIDE, TomeVII/1 :Iphigénieà Aulis (Universités de France), édité par François JOUAN, Paris, Les Belles Lettres, 1983, p. 84. ἔγειρε· φλογέας ἐν χερσὶ γὰρ ἥκεις τινάσσων, Ἰακχ᾽, ὦ Ἰακχε, νυκτέρου τελετῆς φωσφόρος ἀστήρ. Voir ARISTOPHANE, Tome IV: Les thesmophories.Lesgrenouilles (Universités de France), traduit et annoté par Hilaire VAN DAELE, édité par Victor COULON, Paris, Les Belles Lettres, 1928, p. 102 (Lesgrenouilles, 340). 225 Pour rappel : dans douze récits de guérison, un hymne et une apocalypse. 226 Voir CLÉMENT D’ALEXANDRIE, LeProtreptique (Sources chrétiennes, 2), édité par Claude MONDÉSERT – André PLASSART, Paris, Cerf, 19492, p. 151 (IX 84,2) ; ORIGÈNE [ORIGENIS], « Selecta in Psalmos, Ps. III », in Jean-Paul MIGNE (éd.), Œuvres complètes [Opera omnia] (Patrologiae Graecae, XII), Paris, Migne, 1857, col. 1128 ligne 14 ; ORIGÈNE [ORIGEN], Documents.TheCommentaryofOrigenupontheEpistle to the Ephesians (Journal of Theological Studies, III), édité par John A.F. GREGG, 1902, p. 563 (la citation d’Ep 5,14 et son commentaire contenant quatre mentions d’ἔγειρε, aux lignes 5, 8, 12 et 16); HIPPOLYTE DE ROME, HippolytusWerke.Erster Band: Exegetische und homiletische Schriften: Ester Hälfte: Die Kommentare zu Daniel und zum Hohenliede (GCS, 1), édité par Nathanael BONWETSCH – Hans ACHELIS, Leipzig, Hinrichs, 1897, p. 328 (IV 56,4); HIPPOLYTE DE ROME, Hippolyt’skleinereexegetischeundhomiletischeSchriften (GCS, 1.2), édité par Nathanael BONWETSCH – Hans ACHELIS, Leipzig, Hinrichs, 1897, p. 45 (DeAntechriste, LXV 8). 227 Au moins 43 citations renvoyant à Ep 5,14 (au moins 19 fois), à Ac 3,6 (au moins 14 fois), à la guérison du paralytique par Jésus, selon la version de Jn 5,8 (au moins 8 fois), à l’appel de Matthieu (au moins 1 fois) et à Jn 14,31 (au moins 1 fois). Dans les deux derniers cas, ἔγειρε n’apparaît pas dans les passages bibliques en question et a donc été ajouté.
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CHAPITRE PREMIER
d’ἐγείρω à l’impératif présent pour exprimer un sens intransitif, sans obéir à la logique aspectuelle du présent, ni à celle de la forme active228. Cette forme verbale existait au moins depuis le VIe siècle avant Jésus Christ et a connu une expansion à partir des écrits du Nouveau Testament. Toutefois, celle-ci est demeurée concentrée principalement à l’intérieur des ouvrages chrétiens. Luc suit cette tendance à plusieurs reprises, mais non en Lc 7,14 où il recourt à l’aoriste passif. Cela relève-t-il simplement d’une variation stylistique ? Il est vrai que les nuances entre le présent et l’aoriste sont parfois très subtiles. Par ailleurs, les annonces de la résurrection en Lc, exprimées de manière anticipée229 ou réalisée230 sont toujours à l’aoriste. De plus, Luc est le seul parmi les évangélistes à exprimer explicitement et à sept reprises que « Dieuressuscita [ὁ θεὸς ἤγειρεν]231 » Jésus, et non pas seulement que « Jésus futressuscité [ἠγέρθη] ». La présence de la première expression où le verbe est à l’actif (ἤγειρεν) et où le sujet de l’action est explicite (ὁ θεός), justifie d’interpréter la seconde comme un aoriste de forme passive et de sens passif. Les autres allusions à l’évènement ultime de la vie de Jésus en Lc 7,11-17 et le caractère unique d’ἐγείρω à l’impératif aoriste en Lc 7,14, sont un appui pour voir un rapprochement rédactionnel entre la résurrection de Jésus et le retour à la vie du fils de la veuve de Naïn232. De plus, 228 Oepke considère qu’ἔγειρε dans un emploi intransitif a la valeur de l’interjonction « up [debout] ! ». Voir Albrecht OEPKE, « ἐγείρω, ἔγερσις, ἐξεγείρω, γρηγορέω (ἀγρυπνέω) », in Gerhard KITTEL (éd.), TheologicalDictionaryoftheNewTestament, traduit par Geoffrey W. BROMILEY, Grand Rapids MI, Eerdmans, 1964, Vol. II (Δ-Η), 333-339, p. 334 et note de bas de page 80 (p. 660). Nous gardons pour des recherches ultérieures l’origine de ce phénomène et une comparaison avec d’éventuelles fonctions similaires jouées par l’équivalent hébreu קוּם. 229 Première annonce de la passion de Jésus : Lc 9,22 (ἐγερθῆναι dans le parallèle de Mt 16,21 et ἀναστῆναι dans le parallèle de Mc 8,31). Dans les deuxième et troisième annonces de la passion de Jésus, Matthieu (17,23 et 20,19) recourt à ἐγείρω conjugué alors au futur pour évoquer la résurrection, tandis que Luc (18,33) et Marc (9,31 ; 10,34) utilisent ἀναστήσεται également à l’indicatif futur. 230 Lc 24,6 (par. Mc 16,6 et Mt 28,6) ; Lc 24,34 (propre à Luc). Les annnonces de la résurrection en Ac où figure ἐγείρω sont aussi à l’aoriste mais elles se présentent à la voix active et nomment explicitement ὁ θεός comme sujet : Ac 3,15 ; 4,10 ; 5,30 ; 10,40 ; 13,30.37. 231 Dans des discours prononcés par Pierre (Ac 3,15 ; 4,10 ; 5,30 ; 10,40) et par Paul (Ac 13,30.37 ; 26,8). 232 Le même raisonnement peut difficilement s’appliquer pour ἀνάστηθι en Ac 9,40. En effet, il est vrai qu’ἀνίσταμαι est toujours à l’aoriste lorsqu’il signifie la résurrection réalisée de Jésus. Voir Ac 2,24.32 ; 3,26 ; 10,41 ; 13,33.34 ; 17,3.31. Cependant, quand le verbe figure à l’impératif, il est toujours à l’aoriste et situé dans les Actes (8,26 ; 9,6.34.40 ; 10,26 ; 12,7 ; 14,10 ; 26,16). Nolland s’oppose à
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dans le troisième évangile, la première occurrence d’ἐγείρω à l’aoriste aussi bien que celle de « le Seigneur [ὁ κύριος] » en référence à Jésus, se présente en Lc 7,13-14. Dans les deux cas, la dernière attestation survient en Lc 24,34 dans la bouche des disciples à Jérusalem disant : « il futréellementressuscité,leSeigneur [ὄντως ἠγέρθη ὁ κύριος], et fut vu par Simon ». En Lc 7,14, il y a donc au minimum un jeu de mot rédactionnel en ἠγέρθη, puisque cette forme passive de l’aoriste d’ἐγείρω est habituellement utilisée au sens moyen (« lève-toi / réveilletoi »). Cependant, par les rapprochements avec la mort et la résurrection de Jésus en Lc 7,11-12, nous pouvons aussi l’interpréter à la voix passive et reconnaître l’action déterminante de Dieu dans ce fait. En Lc, on trouve deux autres emplois de l’impératif aoriste passif dans le cadre d’une parole prononcée par Jésus lors d’une guérison : l’une concernant une personne démoniaque, « silence [φιμώθητι] » (4,35), l’autre un lépreux, « sois purifié [καθαρίσθητι] » (5,13)233. Dans les deux cas, l’autorité et la puissance de Jésus sont manifestées d’une façon particulière et il en résulte que sa réputation s’accroît largement (4,36-37 ; 5,15), tout comme en 7,17. En outre, en Lc 4,35, l’ordre de Jésus à l’homme animé d’un esprit impur est introduit par le verbe « ilenjoignit [ἐπετίμησεν] », dévoilant qu’il est Seigneur234. L’impératif aoriste passif est notamment le mode utilisé pour manifester la solennité et l’efficacité de la parole de Dieu créateur dans le premier récit de la création235. Le titre de « Seigneur » attribué à Jésus par le narrateur en Lc 7,13 invite à comprendre qu’en 7,14 sa parole exprimée par l’impératif aoriste passif revêt un caractère souverain. toute forme d’interprétation d’ἐγέρθητι en lien avec la résurrection. John NOLLAND, Luke 1-9:20, p. 323. Son argumentation se limite à rappeler que la voix passive d’ἐγέρθητι peut avoir la force d’un actif intransitif (« lève-toi / réveille-toi »), sans remarquer que ce verbe en Lc 7,14 est la seule mention à l’impératif aoriste dans les récits de guérison du N.T. Rochais explique l’usage de l’aoriste passif en Lc 7,14 « pour montrer qu’il s’agit d’une véritable résurrection ». Voir Gérard ROCHAIS, « La résurrection du fils de la veuve de Naïn (Lc 7,11-17) », p. 26. Cependant, il remarque lui-même que l’impératif aoriste est non seulement utilisé par Luc pour le retour à la vie de Tabitha en Ac 9,40 (ἀνάστηθι), mais également pour des guérisons en faveur de personnes déjà vivantes en Ac 9,34 (ἀνέστη) et en Ac 14,10 (ἀνάστηθι). De plus, pour l’autre récit de retour à la vie en Lc 8,54, Luc recourt à l’impératif présent actif (ἔγειρε), non à celui de l’aoriste passif. 233 La même parole figure aussi dans les parallèles de Mc 1,41 et de Mt 8,3. 234 Ethelbert STAUFFER, « ἐπιτιμάω », in Gerhard KITTEL (éd.), TheologicalDictionaryoftheNewTestament, traduit par Geoffrey W. BROMILEY, Grand Rapids MI, Eerdmans, 1964, Vol. II (Δ-Η), 623-627, p. 625. 235 Gn 1,3.6.9(bis).14 (LXX). L’usage du passif concentre toute la puissance de l’action sur la parole qui fait être.
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CHAPITRE PREMIER
Afin de souligner que l’auteur premier de l’action est Dieu ou le Seigneur, on propose de traduire ἐγέρθητι en Lc 7,14 non par « réveilletoi » ou « lève-toi », mais par « sois réveillé » ou « laisse-toi mettre debout236 ». La formule « àtoijedis [σοὶ λέγω] » en Lc 7,14 donne à la parole de Jésus un caractère solennel. On la retrouve accompagnée de l’impératif « éveille-toi [ἔγειρε] » en Mc 5,41, dans l’autre récit de retour à la vie commun aux synoptiques, où elle est absente dans le parallèle de Lc 8,54. Dans le Nouveau Testament, l’expression « àtoijedis/ je dis à toi [σοὶ λέγω / λέγω σοί]» est placée uniquement dans la bouche de Jésus et est absente en dehors des évangiles. En Lc, elle se trouve aussi dans le récit de guérison du paralytique (5,24), suivie d’ἔγειρε237 ; dans l’accueil de Jésus témoigné à la femme pécheresse (7,47 ; propre à Luc) et au bon larron (23,43)238 ; dans la parabole sur la réconciliation avant le jugement (12,59 ; par. Mt 5,26) et dans l’annonce du reniement de Pierre239. En Lc, l’emploi de σοὶ λέγω ou λέγω σοί sert ainsi à refléter l’autorité des paroles de Jésus manifestant sa miséricorde, y compris ses exigences (12,59). Lc 7,14 se présente comme une parole de miséricorde qui est le fruit de l’action du Seigneur remué aux entrailles (7,13). Jean et Matthieu recourent à σοὶ λέγω (Mt 16,18) ou λέγω σοί (Jn 21,18) pour les paroles de Jésus instituant le ministère de Pierre. Le Seigneur interpelle le fils décédé en l’appelant « jeunehomme [νεανίσκε] » (Lc 7,14). Nulle part ailleurs dans le troisième évangile ne se retrouve le terme, même s’il apparaît à quatre reprises en Ac : dans le rappel de la prophétie de Joël par Pierre lors du discours de Pentecôte (2,17), dans le récit relatant la mort d’Ananias et de Saphira, son épouse (5,10), ainsi que dans celui du complot des Juifs contre Paul (23,18.22). Dans ce récit, νεανίσκος et νεανίας (23,17) désignent la même personne et sont interchangeables. Or, « un jeune homme [νεανίας], nommé Eutyque » (Ac 20,9) fait lui aussi l’expérience de la mort à la vie, dans un autre récit lucanien de réanimation. Il est également question de lui comme « le garçon [τὸν παῖδα] » (20,12). De la même manière, Jésus avait dit à la fille de Jaïre : « Enfant [ἡ 236 Cette dernière traduction est proposée par Veyron-Maillet. Voir Marie-Laure VEYRON-MAILLET, « Analyses narrative et psycho-anthropologique de Luc 7,11-17 », p. 180, 182. 237 Présent dans le parallèle de Mc 2,11 et absent dans celui de Mt 9,6. 238 Absent dans les parallèles de Mc 15,32 et de Mt 27,44. 239 La seule occurrence se présente dans les quatre évangiles : Mc 14,30 ; Mt 26,34 ; Lc 22,34 ; Jn 13,38.
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παῖς], éveille-toi. » (Lc 8,54) Cependant, cette appellation dans la bouche de Jésus avait déjà été évoquée trois versets précédents : « le père del’enfant [τῆς παιδός] et la mère » (8,51). La particularité de la mention de νεανίσκος en Lc 7,14 réside dans le fait que le mot apparaît dans le récit pour la première fois. En tant que dérivé de l’adjectif « nouveau[νέος] », faut-il l’interpréter comme le signe d’un appel à une vie nouvelle ? Le retour à la vie se manifeste par deux gestes corporels. Tout d’abord, « le mort sedressasursonséant [ἀνεκάθισεν] ». Le verbe ἀνακαθίζω est introuvable dans l’Ancien Testament et présent seulement dans deux récits lucaniens de retour à la vie (Lc 7,15 ; Ac 9,40), tous deux à l’indicatif aoriste. Il est cependant connu par des auteurs classiques, tels Hippocrate, le père de la médecine240. Ce verbe traduit un redressement qui se termine dans la position assise. Il reflète le réalisme et la finesse du langage de Luc. Au lieu de répéter ἐγείρω, il utilise un verbe qui concrétise le mouvement logique d’une personne allongée qui se réveille. Dans les synoptiques, les narrateurs n’emploient le verbe καθίζω qu’à propos de Jésus241. En Lc 7,15, la seconde action du mort revenu à la vie consiste à « parler [λαλεῖν] », ce qui se rapproche de l’expérience du fils de la veuve de Sarepta, qui « cria [ἀνεβόησεν] » (1 R 17,22 LXX)242. Cependant, dans l’action de parler, une sérénité se dégage, contrairement au fait de crier. Dans les autres récits de retour à la vie, le signe de vie se manifeste par les yeux243 ou encore par la mobilité du corps244. Dans le fait que le fils de la veuve se met à parler, faut-il, à l’instar de 240 « Que le malade veuille setenirassis [Ἀνακαθίζειν] quand la maladie est à son point culminant est mauvais dans toutes les maladies aiguës et très mauvais dans les péripneumonies. » Voir HIPPOCRATE, Œuvres. Tome III. 1ère partie, Pronostic (Universités de France. Série grecque, 500), édité par Jacques JOUANNA – Anargyros ANASTASSIOUetal., Paris, Les Belles Lettres, 2013, p. 12 (Pronostic, 3.6). 241 Dans les synoptiques, on voit Jésus assis pour enseigner (Lc 4,20 ; 5,3 ; Mt 5,1), pour appeler les Douze (Mc 9,35), pour entrer à dos d’âne dans Jérusalem (Mc 11,7 ; Mt 21,7), pour contempler la foule au temple (Mc 12,41), pour être placé à la droite de Dieu (Mc 16,19). Quant au verbe κάθημαι, le narrateur de chaque évangile y a recours non seulement pour Jésus, mais aussi pour d’autres acteurs des récits. 242 L’action de parler est absente dans la version hébraïque (1 R 17,22) qui évoque plutôt le retour du souffle de l’enfant et la vie qui en découle : « et le souffle de l’enfant revint en lui, ilfutvivant [» ]וַ יֶּ ִחי. Le même verbe « vivre » apparaît en Ez 37 (v. 5.6.9.10.14) comme le fruit du don de l’esprit. 243 2 R 4,35 ; Ac 8,40. 244 2 R 13,21 ; Ez 37,10 ; Mc 5,42 (par. Lc 8,55) ; Jn 11,44. Voir aussi Ac 8,40. En Ac 20,10, rien n’est dit sur la forme des premiers signes de vie exprimés par la personne qui était morte.
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CHAPITRE PREMIER
Bovon, voir simplement un « signe de l’existence humaine245 » ? Chez Luc, la parole est aussi un signe de l’action de Dieu auprès d’une personne, qui n’est pas exclusif à la guérison d’un muet (Lc 11,14). Le récit de Zacharie offre une illustration signifiante. Parce qu’il n’a pas cru dans les paroles de l’ange du Seigneur, il est devenu « incapable de parler [λαλῆσαι] » (1,20.22). Quand la prédiction fut accomplie et que Zacharie y eut adhéré par un acte concret, « il parlait [ἐλάλει], bénissant Dieu » (1,64) « et il prophétisa » (1,67). D’ailleurs, la même expression « il commença à parler [ἤρξατο λαλεῖν] » (7,15) dans son équivalent au pluriel est utilisée en Ac 2,4 – et nulle part ailleurs dans le Nouveau Testament – pour exprimer le premier signe du don de l’Esprit aux disciples lors de la Pentecôte : « Ils furent tous remplis d’Esprit Saint et semirentàparler [ἤρξαντο λαλεῖν] d’autres langues, comme l’Esprit leur donnait de s’exprimer. » Plus on médite le témoignage de Lc-Ac, plus il apparaît que chez Luc, l’Esprit Saint est celui qui fait parler d’une manière à la fois déconcertante et signifiante246. Cependant, contrairement au récit de Zacharie et à celui de Pierre, rien n’est dit en Lc 7,15 sur le contenu des paroles prononcées par le jeune homme. Le texte ne donne pas suffisamment d’indices permettant de reconnaître, même implicitement, la présence de l’Esprit chez ce jeune homme qui revient à la vie, comme cela sera le cas chez les disciples à la Pentecôte. En Lc 7,15, le sujet des deux verbes manifestant la vie est « lemort [ὁ νεκρός] ». Cela est surprenant pour deux raisons. Tout d’abord, ce terme apparaît pour la première fois en Lc 7,11-17 et même dans l’ensemble du troisième évangile. Ensuite, la personne en question vient d’être appelée « jeunehomme [νεανίσκε] » (7,14). On se serait donc attendu à la reprise du même mot en Lc 7,15, comme par exemple en Mc 5,41-42247. On trouve un phénomène similaire dans la réponse de Jésus à Jean par l’intermédiaire de ses disciples : « Partez annoncer à Jean ce que vous avez vu et entendu : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, et les sourds entendent, 245 François BOVON, L’Évangile selon saint Luc. Vol. I (1,1–9,50), p. 335. Voir aussi Joseph A. FITZMYER, LukeI–IX, p. 659. 246 Michel GOURGUES, LesdeuxlivresdeLuc :clésdelecturedutroisièmeévangileetdesActes(Connaître la Bible, 7/8), Bruxelles, Lumen Vitae, 1998, p. 46-51. 247 Jésus dit « Fillette[τὸ κοράσιον], je te dis, éveille-toi » (Mc 5,41) et « aussitôt la fillette [τὸ κοράσιον] se leva » (Mc 5,42). Dans le parallèle de Luc, le terme utilisé par Jésus est également repris à travers l’emploi du pronom personnel : « “Enfant [ἡ παῖς], éveille-toi.” […] et elle se leva » (Lc 8,54-55). Voir aussi Ac 9,40.
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les mortsseréveillent [νεκροὶ ἐγείρονται], les pauvres sont évangélisés. » (Lc 7,22 ; par. Mt 11,5) Jésus peut affirmer ouvertement à Jean que « lesmortssontréveillés [νεκροὶ ἐγείρονται] » (Lc 7,22) parce qu’à Naïn, une foule nombreuse l’a vu de ses yeux. Lc 7,22 s’inspire de prophéties vétérotestamentaires, en particulier d’Isaïe248. Seule la guérison des lépreux n’y trouve pas d’ancrage évident. En dehors d’Is 26,19, nul autre verset de l’Ancien Testament ne contient l’adjectif substantivé « mort [νεκρός] » ou encore le verbe « (re)lever / (r)éveiller [ἐγείρω / ἀνίστημι] » pour annoncer : « Lesmortsseront réveillés [ἀναστήσονται οἱ νεκροί], et ceux qui sont dans les tombeaux serontrelevés [ἐγερθήσονται]. » (Is 26,19 LXX) Dans le récit d’Is, cette promesse introduit une épiphanie de Dieu en réponse aux souffrances exprimées par des Judéens espérant le secours divin (26,118). Is 26,19 appartient à l’ensemble littéraire d’Is 20–27 où l’action surnaturelle de Dieu est la solution envisagée pour sortir de l’impasse, jusqu’à oser croire qu’il puisse donner la vie quand frappe la mort (Is 25–27)249. En Is 25,8, déjà évoqué, se trouve une promesse similaire à Is 26,19. 2.3. LedonduSeigneuràlamère(Lc7,15) La mère du fils unique est une figure de la prédilection de Dieu pour les pauvres. Nous avons déjà remarqué que la phrase καὶ ἔδωκεν αὐτὸν τῇ μητρὶ αὐτοῦ est une citation de 1 R 17,23 et donc une reprise du geste d’Élie auprès de la veuve de Sarepta250. Aux yeux de Lagrange, « le jeune homme rendu à sa mère est une circonstance si naturelle et si touchante que Luc n’avait pas besoin de l’emprunter à 1 R 17,23251 ». Toutefois, le parallèle entre 1 R 17 et Lc 7 ne repose pas sur cette seule affinité de vocabulaire. Nous l’avons vérifié précédemment grâce aux critères de Hays et d’Allison. À l’instar des autres évangélistes, Luc puise des éléments dans des sources dont il dispose et les intègre dans sa trame narrative propre. En effet, il utilise l’équivalent paternel de la proposition finale de 7,15 dans le récit de guérison du fils épileptique 248 Is 26,19 ; 29,18-19 ; 35,5-6 ; 61,1. En Is 61,2-3, Dieu promet de « consoler tous les endeuillés [πενθοῦντας] » (61,2). 249 John D. W. WATTS, Isaiah 1–33 (Word Biblical Commentary, 24), éd. rev., Nashville TN, Thomas Nelson, 2005, p. 400. 250 Dans le récit de retour à la vie suscité par la médiation d’Élisée, celui-ci a une attitude similaire à 1 R 17,23 : « etilleportaàsamère [καὶ ἦρεν αὐτὸν πρὸς τὴν μητέρα αὐτοῦ] » (2 R 4,20). 251 Marie-Joseph LAGRANGE, ÉvangileselonsaintLuc, p. 211.
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CHAPITRE PREMIER
et met ainsi en lumière un autre parallèle masculin-féminin, père (9,42) - mère (7,15) : « et il le remit à son père [καὶ ἀπέδωκεν αὐτὸν τῷ πατρὶ αὐτοῦ] » (9,42)252. Cette expression associée à un adjectif commun, lui aussi absent dans les parallèles, pour qualifier l’enfant, « unique [μονογενής] » (7,12 ; 9,38), suggère que le Jésus de Luc se montre particulièrement attentif aux parents d’un enfant unique. En Lc 7,15, le geste posé par Jésus auprès de la mère permet de mieux comprendre la signification de l’émotion profonde que Jésus a vécue « au moment où il la vit [ἰδὼν αὐτήν] » (7,13). Dans les passages de Mt et de Mc où Jésus est « remuéauxentrailles [ἐσπλαγχνίσθη] » pour une personne (un lépreux en Mc 1,41) ou deux (les aveugles en Mt 20,34), il accomplit en leur faveur un geste de guérison accompagné d’une parole, et la rencontre se termine ainsi. Ou encore, dans le cas du lépreux guéri en Mc 1,42, Jésus « l’ayant rudoyé, […] le chassa aussitôt » (Mc 1,43) en lui demandant de ne rien dire à personne, mais de se montrer au prêtre (1,44). Chez Luc, au contraire, non seulement Jésus ramène à la vie le fils de la veuve, mais il pose aussi un geste supplémentaire : « etilledonnaàsamère [καὶ ἔδωκεν αὐτὸν τῇ μητρὶ αὐτοῦ]. » (Lc 7,15) Jésus donne la vie à la mère qui l’avait perdue dans la mort de son fils unique253. En Lc 7,13, la manifestation de la compassion est complète254. En Lc 7,15, l’expression « à sa mère [τῇ μητρὶ αὐτοῦ] », qui conclut la deuxième partie du récit de Naïn, était déjà présente en Lc 7,12 et forme ainsi une inclusion dans la partie centrale du récit (7,12b-15). « Sa mère » est la personne visée par Jésus. Elle est celle qu’il voit à travers la foule considérable, et à l’égard de laquelle il est remué jusqu’aux entrailles (7,12), alors qu’elle n’a rien demandé. Elle est celle à qui il s’adresse en premier (7,13) et vers qui est orientée la dernière action de Jésus à Naïn (7,15). Qu’a-t-elle de particulier pour recevoir une telle importance aux yeux de Jésus ? Est-ce sa condition de mère qui attire Jésus ? Le troisième évangile contient onze autres 252
Mention absente dans les parallèles de Mc 9,27 et de Mt 17,18. En Lc 9,42, le verbe utilisé est « remettre [ἀποδίδωμι] », qui est plus naturel selon la logique narrative que « donner [δίδωμι] » (Lc 7,15). 253 Cet aspect a été particulièrement souligné par Herman HENDRICKX, « The Raising of a Widow and Her Son (Lk 7:11-17) », in MaryhillSchoolofTheologyReview 2 (1998) 36-52 ; Christoph SCHNYDER, « Zum Leben befreit: Jesus erweckt den einzigen Sohn einer Witwe vom Tode (Lukas 7,11-17); Eine Totenerweckung », in Anton STEINER (éd.), WunderJesu, Basel, Friedrich Reinhardt Verlag, 1978, 77-87, p. 82-83. 254 Voir les sept verbes décrivant l’attitude du Seigneur en Lc 7,12-15, tels qu’ils sont mis en valeur dans l’introduction du point 2 de la section II du présent chapitre.
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mentions de « sa / ta / ma mère255 » : deux fois au sujet d’Élisabeth en relation avec Jean (1,15.60), trois fois de façon générale et donc anonyme (8,21 ; 14,26 ; 18,20), ainsi que six fois à propos de Marie en relation avec Jésus256. Parmi ces occurrences, si l’on se limite à celles qui relèvent du narrateur, seules Lc 7,12.15 et 8,51 gardent l’anonymat sur le nom de la femme visée par « sa mère », mais celle qui est mise en scène en 8,51 ne joue pas un rôle déterminant. Tel est le cas aussi concernant l’homme désigné comme « son père » (9,42), mais la mention de celui-ci ne forme pas une inclusion. Un tel silence laisse-t-il pressentir un rôle symbolique ? Si oui, serait-ce celui de Marie, la mère de Jésus ? En effet, bien que, dans les évangiles, le nombre d’occurrences de « mère [μήτηρ] » pour évoquer Marie, la mère de Jésus, batte les records chez Matthieu en fréquence absolue, Luc l’utilise plus que les autres synoptiques en fréquence relative257. En méditant Lc 7,11-15, dans son commentaire sur le Diatessaron de Tatien, Éphrem le Diacre évoque la présence de Marie dans l’attitude qui anime Jésus : « lefilsdelaviergearencontrélefilsdelaveuve [Áüäàs Ä ÀĀà{Ā ü À{z ñÆò]258 ». Cependant, en Lc 7,11-17, le texte ne fournit aucun indice clair permettant de savoir l’identité réelle de cette veuve ou de reconnaître une allusion à Marie, la mère de Jésus. Ce silence invite à écouter plus loin le message du texte, là où il fait signe. Lc 7,11-17 décrit à travers trois éléments la personne par qui Jésus est touché à Naïn : elle est veuve, mère d’un fils unique, mort (7,12), et elle pleure (7,13). Pour rappel, le veuvage aussi bien que le deuil d’un fils unique sont considérés dans l’Ancien Testament comme une situation de détresse extrême, à laquelle Dieu n’est pas indifférent et qui appelle aussi la communauté à la solidarité. Nous avons déjà vu également qu’en Lc 7,11-17, l’attitude de Jésus, le Seigneur, est l’actualisation de ses paroles annonçant le royaume de Dieu, à savoir sa prédication à Nazareth « proclamantune 255 Les deux occurrences de ce type en Ac (3,2 ; 14,8) appartiennent à une même expression (« depuisleventredesamère [ἐκ κοιλίας μητρὸς αὐτοῦ] »), également présente en Lc 1,15. Celle-ci vise à évoquer une étape de vie, la naissance, et non pas une personne. 256 Lc 2,33.34.48.51 ; 8,19.20. Marie est aussi présentée explicitement comme « sa / ta / ma mère » en rapport avec Jésus, en Mt (1,18 ; 2,11.13.14.20.21 ; 12,46.47 ; 13,55), en Mc (3,31.32), en Jn (2,5.12 ; 19,25(bis).27). 257 7 fois sur 17 en Lc, 9 sur 26 en Mt, 2 sur 17 en Mc, mais 10 sur 11 en Jn. 258 ÉPHREM LE DIACRE [SAINT ÉPHREM], Commentairedel’Évangileconcordant, texte syriaque (manuscrit Chester Beatty 709), folios additionnels (Chester Beatty Monographs, 8), édité par Louis LELOIR, Leuven, Peeters, 1990, p. 82-83 (no 6.23).
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bonnenouvelleauxpauvres [εὐαγγελίσασθαι πτωχοῖς] […] » (4,1819.21), son discours dans la plaine appelant « heureux les pauvres [πτωχοί], […] heureux ceux qui pleurent [κλαίοντες] maintenant » (6,20-21) et la réponse qu’il donnera à Jean (7,22)259. Dans ce sens, la compassion du Seigneur en Lc 7,11-17 est associée d’une façon spéciale aux personnes en détresse pour lesquelles le troisième évangile montre une attention récurrente260. Les deux premières prédications de Jésus mentionnées ci-dessus (Lc 4,18-19.21 et 6,20-21) en sont le signe et portent la marque de Luc. En effet, le message de « consolation eschatologique261 » de la première série de béatitudes chez Luc (6,20-21) se distingue de la perspective de Matthieu mettant l’accent sur l’attitude exemplaire des bénéficiaires du royaume de Dieu262. Luc souligne ainsi le caractère inconditionnel de la compassion de Dieu révélée en Jésus à l’égard des personnes profondément affectées263. La foi n’est pas un prérequis à l’action divine. En Lc 7,12-15, nous expérimentons en Jésus la compassion de Dieu, ou, pour le dire 259 Garland voit également dans le geste de Jésus en Lc 7,15 un écho à la prophétie d’Isaïe annonçant la bonne nouvelle aux pauvres et la libération aux captifs, telle que proclamée par Jésus dans la synagogue de Nazareth (Lc 4,18). Mais il s’en tient à cet unique passage, sans indiquer sur quoi il fonde son hypothèse, ni évoquer 1 R 17,23. Voir David E. GARLAND, Luke, p. 302. 260 En Lc, voici des exemples de renversement de situation en faveur des « pauvres [πτωχοί] », grâce à Dieu : Lc 1,46-55 (propre à Luc) ; 4,18-19 (propre à Luc) ; 6,20-22 (version différente dans le parallèle de Mt 5,3-10) ; Lc 7,22 (par. Mt 11,5) ; Lc 14,13 (propre à Luc) ; 14,21 (verset absent dans le parallèle de Mt 22,8) ; Lc 16,2022 (propre à Luc). Voir aussi Mary J. OBIORAH, « “Do Not Weep” (Luke 7:13) », p. 210. En Lc 7,11-17, la veuve de Naïn fait partie de ces pauvres en faveur de qui Dieu intervient d’une façon privilégiée. En Lc 21,3, une « veuve [χήρα] » est explicitement qualifiée « pauvre [πτωχή] », tout comme dans le récit parallèle de Mc 12,43. 261 George BERTRAM – Friedrich HAUCK, « μακάριος, μακαρίζω, μακαρισμός », in Gerhard KITTEL (éd.), TheologicalDictionaryoftheNewTestament, traduit par Geoffrey W. BROMILEY, Grand Rapids MI, Eerdmans, 1967, Vol. IV (Λ-Ν), 362370, p. 368. Certains auteurs interprètent le geste de Jésus à l’égard de la mère en Lc 7,15 comme une réintégration de la veuve dans la communauté. Voir Mikael C. PARSONS, Luke, p. 122 ; Joel B. GREEN, TheGospelofLuke(New International Commentary on the New Testament), Grand Rapids MI, Eerdmans, 1997, p. 289290. Bien que cet aspect soit cohérent en regard de la situation socio-politique de l’époque, tel n’est pas l’enjeu mis en valeur dans le récit de Naïn. En Lc 7,15, Meynet voit en Jésus redonnant l’enfant à sa mère, « l’Époux qui ressuscite l’espérance et assure l’avenir de son peuple ». Voir Roland MEYNET, L’évangilede Luc, p. 313. Il est difficile de trouver un fondement textuel à cette interprétation nuptiale. 262 Sur les huit premiers μακάριοι de Matthieu, un seul s’adresse à des gens à cause de leur état de souffrance, indépendamment de leur disposition, et présente un certain parallèle avec celui de Lc 6,21b : « Heureuxlesaffligés,carilsseront consolés [μακάριοι οἱ πενθοῦντες, ὅτι αὐτοὶ παρακληθήσονται] » (Mt 5,5). 263 Mary J. OBIORAH, « “Do Not Weep” (Luke 7:13) », p. 212, 214.
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autrement, « les entraillesdemiséricorde [σπλάγχνα ἐλέους] de notre Dieu » à propos desquelles Zacharie avait prophétisé en ces termes : « en [elles] nous visitera[ἐπισκέψεται] le levant d’en haut, pour resplendir sur ceux qui habitent dans les ténèbres et l’ombre de la mort [θανάτου], pour conduire nos pas vers le chemin de la paix. » (1,7879) En Lc 7,16, tous les témoins l’expriment à leur manière. L’analyse de Lc 7,12b-15 confirme et approfondit les conclusions tirées de Lc 7,11-12a, en rapport avec l’événement ultime de la vie de Jésus (passion, mort et résurrection). La singularité de Luc y est particulièrement mise en évidence, par rapport aux autres récits bibliques de retour à la vie. Des allusions à la mort et à l’ensevelissement de Jésus en dehors de la ville sont contenues dans plusieurs termes de Lc 7,12b15. Premièrement, en 7,12b, le verbe choisi pour exprimer la mise en terre (ἐκκομίζω) met l’accent sur un éloignement, en référence à la portedelaville (πύλη) dont il vient d’être question (7,12a). Ce verbe marqué du préfixe « hors de [ἐκ] » est habituellement réservé à des situations de morts humiliantes auxquelles le contexte de Lc 7,11-17 semble étranger. Cette mise en terre inscrit le récit de Naïn dans un contexte de funérailles, absent dans les autres récits bibliques de retour à la vie opéré par l’intervention d’une personne vivante. Or, en dehors des récits de la passion et de la mort de Jésus, il est très peu question d’enterrement dans les évangiles, en particulier en Lc qui n’évoque ni la sépulture de Jean, ni l’onction de Marie à Béthanie en préfiguration de l’ensevelissement de Jésus. En revanche, l’inverse s’observe en Ac où il est question de la sépulture de David (Ac 2,29 ; 13,36) et de celle d’Étienne (8,2), qui sont mises en relation avec la résurrection de Jésus Christ (2,31 ; 13,37) ou avec sa mort (7,59.60). Deuxièmement, en Lc-Ac, le participe parfait de θνήσκω utilisé en Lc 7,12b est attesté uniquement en Ac 25,19 pour désigner Jésus. Troisièmement, la présence d’une « foule nombreuse de la ville » (7,12b) rassemblée autour de Jésus deviendra le second motif de le condamner lors de sa comparution devant Pilate (23,2.5 ; propres à Luc). Quatrièmement, Jésus se montre « remué aux entrailles » (7,13). En Lc, il sera émotionnellement affecté seulement à deux autres moments liés à sa passion (19,41 ; 22,44). Ces deux versets sont propres à Luc. Finalement, la résurrection est aussi reflétée dans plusieurs expressions, notamment dans le titre « le Seigneur » (7,13) attribué à Jésus pour la première fois en Lc par le narrateur, ainsi que dans l’impératif aoriste « soisréveillé [ἐγέρθητι] » (7,14).
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CHAPITRE PREMIER
3. ACCLAMATION D’UN GRAND PROPHÈTE (LC 7,16-17) Nous parvenons au terme de notre péricope. Une extension étonnante est conférée à la rencontre imprévue de Jésus avec la veuve de Naïn. Ce n’est pas le seul récit de miracle, ni de retour à la vie dans le troisième évangile. Comment se fait-il que l’action de Jésus en Lc 7,11-17 ait une telle répercussion en termes de dévoilement, de reconnaissance et de foi ? Un premier indice est la plénitude évoquée dans la dernière partie (Lc 7,16-17). En effet, quatre verbes sur cinq sont à l’indicatif aoriste, mettant ainsi l’accent sur l’action dans son accomplissement et non dans sa durée. L’unique verbe à l’imparfait – « ilsglorifiaient [ἐδόξαζον] Dieu » (7,16b) – exprime la continuité d’un effet provoqué par la manifestation de cette plénitude. En outre, au début (7,16a) comme à la fin (7,17) de cette partie finale, l’adjectif tout (πᾶς) apparaît comme objet du verbe. Tous sont ainsi rejoints. Il n’y a plus deux groupes – l’un qui marche avec Jésus pour annoncer le règne de Dieu (7,11) et l’autre qui accompagne la veuve pour enterrer son fils mort (7,12) – mais un seul qui glorifie Dieu (7,16). Au cours de l’exégèse de cette partie finale, nous tenterons de déceler ce qui est en jeu du point de vue narratif et théologique dans l’expression de cette plénitude. Un second indice interpellant se dégage également aux deux extrémités de Lc 7,16-17. En effet, la crainte (φόβος) et la parole (λόγος) interviennent, comme si elles étaient des personnes agissantes. Littéralement, la « crainte prend tous » (7,16a) et la « parole […] sort dans toute la Judée et tout le pays alentour » (7,17). Une force est ainsi à l’œuvre et soulève les personnes qui se mettent à parler. L’ensemble 7,16-17 est formé de trois propositions principales où trois actions s’enchaînent : une émotion (la crainte saisissant tous), une parole (l’action de grâce rendue à Dieu)264, et la communication de cette exclamation à l’extérieur de la ville, à travers toute la région. Le processus est similaire à celui qui s’observe en 7,13-15 : Jésus est profondément touché (7,13), il prononce deux paroles, l’une adressée à la mère (7,13), l’autre à son fils défunt (7,14) qui se met alors à bouger et à parler (7,15). 264 Formée de deux propositions, l’acclamation est introduite par λέγοντες ὅτι. La présence du καί devant le second ὅτι montre que la seconde proposition est principale comme la première et non subordonnée à celle-ci. Joseph A. FITZMYER, LukeI–IX, p. 659.
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Lc 7,16-17 constitue l’un des deux pôles265 où sont concentrées des expressions et des réalités récurrentes chez Luc : « la crainte saisit tous », « tous glorifièrent Dieu », « prophète », « Dieu a visité son peuple », « une parole au sujet de Jésus se répand ». Une analyse minutieuse permettra de découvrir que chacune d’elles marque une étape charnière dans le cheminement des contemporains de Jésus et leur accueil du don de Dieu en Jésus. 3.1. L’émerveillementdetousenversDieu(Lc7,16ab) 3.1.1. Avec crainte et émerveillement À partir du regard de Jésus remué aux entrailles, la vie se communique par une parole et un toucher : en premier lieu auprès du mort qui se redresse et parle [λαλεῖν] (Lc 7,15). Puis, « une crainte [φόβος] saisit tous [πάντας] » et ils se mettent à « parler [λέγοντες] » en glorifiant Dieu. Le drame initial s’est transformé en louange unanime à Dieu. Le terme « crainte [φόβος] » est d’usage typiquement lucanien, tout comme le verbe de même racine266. En Lc, les mentions de φόβος se distinguent par leur nombre élevé, mais aussi par leur forme car elles se présentent une fois sur deux au nominatif, tout comme dans certains passages de la Septante, plus particulièrement dans les livres poétiques et sapientiaux267. En outre, lorsque la « crainte [φόβος] » concerne « tous [πᾶς ou un dérivé] », on est assuré d’être devant un passage de Lc ou des Ac268. Chez Luc, la crainte acquiert ainsi un caractère rassembleur. 265
Pour rappel, l’analyse des termes de Lc 7,11-17 a mis en valeur deux moments où sont concentrés des termes d’usage spécifiquement lucanien : le début (7,11-12) et la fin (7,16-17) de la péricope. Voir l’étude de la délimitation du texte, au point 1 de la section I du présent chapitre. 266 « Avoirpeur/craindre [φοβοῦμαι] » se trouve en Lc (23 fois), en Mt (18 fois), en Mc (12 fois) et en Jn (5 fois). 267 Lc 1,12.65 ; 7,16. En Ac, le ratio est plus élevé (4 fois sur 5) : Ac 2,43 ; 5,5.11 ; 19,17. En dehors de Lc-Ac, la « crainte [φόβος] » ne se présente jamais au nominatif dans les autres évangiles, mais en Rm (2 fois), 2 Co (1 fois), 2 Jn (2 fois) et Ap (1 fois). Face aux actions merveilleuses de Dieu, Luc a tendance à mettre l’accent sur le fait que les gens sont saisis et qu’ils le sont tous. Cela est suscité par l’activité de Jésus, comme l’indique Joseph A. FITZMYER, LukeI–IX, p. 524, 659. Sur les 177 occurrences de φόβος dans la LXX, 81 sont au nominatif, dont 47 dans les livres poétiques et saptientiaux : Jb (16 fois), Si (16 fois), Ps (9 fois) et Pr (9 fois). 268 Lc 1,65 ; 5,26 ; 7,16 ; 8,37 ; Ac 2,43 ; 5,5.11 ; 19,17. Une exception subsiste en 2 Co 7,15, quoique l’accent de « tout [πᾶς] » porte sur « l’obéissance [ὑπακοή] » et non sur la « crainte [φόβος] ». Dans la LXX, « tout[πᾶς] » n’est jamais l’objet d’un verbe dont la « crainte [φόβος] » est le sujet, comme en Lc 7,16.
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CHAPITRE PREMIER
Des emplois de φόβος dans les évangiles, il ressort que la crainte survient face à quelqu’un ou à un événement dont la puissance est manifestée de façon inattendue. Deux types d’expériences sont évoquées : l’une écrasante, l’autre vivifiante. Tout d’abord, la crainte peut être écrasante. Elle s’accompagne alors d’un besoin de se protéger par l’éloignement ou par la discrétion269. Quand il ne semble pas y avoir d’échappatoire, elle met les personnes dans un état accablant270. Cependant, la crainte peut aussi présenter un caractère bienfaisant. Elle est alors accompagnée d’un questionnement empreint d’étonnement271, d’une communication à grande échelle272, d’une vénération animée de reconnaissance273, ou encore d’une conduite droite274 ou empressée275. Dans certains cas, la crainte commence par être terrassante et devient vivifiante grâce à une parole rassurante, telle « ne crains plus [μὴ φοβοῦ] » ou « necraignezplus [μὴ φοβεῖσθε]276 ». Chez Luc, la crainte est souvent stimulante277. Il est le seul à témoigner de façon récurrente que la crainte et la reconnaissance vont de pair dans le cadre d’un même événement, et parfois, chez un même sujet individuel ou collectif, comme en Lc 7,16. Les cinq occurrences répertoriées sont toutes situées dans un contexte de miracle. Quatre d’entre elles appartiennent à des récits propres à Luc278. Un déplacement 269 Lc 8,37. Les trois mentions en Jn (7,13 ; 19,38 ; 20,19) concernent toutes « la crainteàl’égarddesJuifs [τὸν φόβον τῶν Ἰουδαίων] », vécue tantôt par les foules, tantôt par les disciples. 270 En Lc 21,26, la crainte fait redouter l’approche d’un événement au point de « défaillir [ἀποψυχόντων] ». En Mt 28,4, les gardes saisis de crainte deviennent « commemorts [ὡς νεκροί] ». 271 Mc 4,41 (« peureux [δειλοί] » en Mt 8,26 ; « ayanteupeur [φοβηθέντες] » en Lc 8,25). 272 Lc 1,65 (propre à Luc) ; 7,16 (propre à Luc). 273 Lc 5,26 (présent dans le parallèle de Mt 9,8 avec le verbe « eurent peur [ἐφοβήθησαν] » ; mention absente dans le parallèle de Mc 2,12) ; 7,16 (propre à Luc), Ac 2,43 (voir aussi 2,47) ; 19,17. En Ac 2,43, la crainte est accompagnée de témoignages de solidarité (2,44-45), de prière (2,46) et de louange à Dieu (2,47). En Lc 5,26, le lien entre la crainte et la gloire rendue à Dieu n’est pas aussi direct comparativement aux autres références de cette catégorie et au parallèle de Mt (9,8). 274 Ac 2,43 (voir note précédente) ; 9,31. 275 Mt 28,8. 276 Lc 1,12 (propre à Luc) ; Mt 14,26 (absent dans le parallèle de Mc 6,49). Le verbe « craindre [φοβοῦμαι] » à l’impératif, précédé de μή apparaît principalement en Lc (sept fois) et en Mt (six fois), et rarement en Mc (deux fois), en Jn (deux fois) et en Ac (deux fois). 277 En Lc, l’étude des emplois de φοβοῦμαι le confirme également. 278 Pour rappel : Lc 1,65 (propre à Luc) ; Lc 5,26 (ἐφοβήθησαν en Mt 9,8 ; mention absente en Mc 2,12) ; Lc 7,16 (propre à Luc) ; Ac 2,43 ; 19,17.
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s’accomplit progressivement et permet de distinguer cinq phases de la crainte exprimée en synergie avec une reconnaissance. (1) Avant la naissance de Jésus, Luc évoque l’épisode d’un prêtre nommé Zacharie (1,5-80 ; propre à Luc). À cause de son manque de foi dans le message annoncé par l’ange du Seigneur, il est réduit au silence (1,20). Après avoir retrouvé l’usage de la parole, Zacharie « parlaitbénissantDieu [ἐλάλει εὐλογῶν τὸν θεόν] » (1,64 ; propre à Luc) et « unecrainteadvintcheztouslesvoisins [ἐγένετο ἐπὶ πάντας φόβος τοὺς περιοικοῦντας] » (1,65 ; propre à Luc)279. (2) Dans les quatre autres passages, la crainte survient devant un miracle réalisé par la médiation de Jésus. Peu après l’appel des premiers disciples (Lc 5,1-11), Jésus guérit un paralytique (5,17-26). Les témoins « furent remplisdecrainte [φόβου] » et « glorifiaientDieu [ἐδόξαζον τὸν θεὸν] » (5,26)280. Leur exclamation reste profane : « Nous avons vu d’étrangeschoses [παράδοξα] aujourd’hui ». (3) Dans un épisode ultérieur, à Naïn, un même cas de figure se présente. Cependant, ici ceux qui ont vu se prononcent sur l’identité de Jésus et reconnaissent l’action de Dieu (7,16 ; propre à Luc). (4) Au début des Actes, la louange à Dieu (Ac 2,47) est un trait caractéristique des disciples de Jésus formant communauté à Jérusalem et éprouvant une crainte devant les signes accomplis non plus par Jésus, mais par les apôtres (2,43) « au nom de Jésus Christ » (2,38 ; 3,6). (5) Finalement, devant les miracles que « Dieu opérait par les mains de Paul […] [au] nom du Seigneur Jésus [τὸ ὄνομα τοῦ κυρίου Ἰησοῦ] » (Ac 19,11.13), la crainte suscite une vénération dont l’objet n’est plus seulement Dieu, mais le Seigneur Jésus : « lenomduSeigneurfut magnifié [ἐμεγαλύνετο τὸ ὄνομα τοῦ κυρίου Ἰησοῦ] » (19,17)281. Lc 7,16 est situé dans la phase centrale de ce processus de crainte mêlée d’une louange adressée à Dieu et se rapportant à Jésus. 279 En Lc 1,65, la bénédiction exprimée à Dieu par Zacharie précède la crainte ressentie par tous. Dans ce cas-ci, ceux qui ont peur ne sont pas ceux qui rendent gloire à Dieu, comme en Lc 7,16. 280 Dans les parallèles de Mc 2,12 et de Mt 9,8, les témoins rendent également gloire à Dieu. En Mc 2,12, « tousétaientstupéfaits [ἐξίστασθαι πάντας] » et en Mt 9,8, « lesfouleseurentpeur [οἱ ὄχλοι ἐφοβήθησαν] ». La version lucanienne combine ces deux émotions en les exprimant à travers un substantif : « Et la stupeurlessaisit tous [ἔκστασις ἔλαβεν ἅπαντας] […] et ilsfurentremplisdecrainte [ἐπλήσθησαν φόβου] » (5,26). 281 Il est significatif qu’en Lc-Ac, la première mention de « magnifier [μεγαλύνω] » est située dans la bouche de Marie qui magnifie Dieu après avoir connu la crainte (Lc 1,30) : « mon âme magnifie [Μεγαλύνει] le Seigneur » (1,46).
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CHAPITRE PREMIER
3.1.2. Gloire à Dieu à cause de Jésus L’emploi du verbe « glorifier [δοξάζω] » dont l’objet est « Dieu [τὸν θεόν] », est d’usage typiquement lucanien et scande le troisième évangile. On peut aussi discerner les étapes d’un cheminement. Dès le début du troisième évangile, la gloire de Dieu résonne déjà avec une intensité particulière282. Pour le dire de façon imagée et raccourcie, elle tombe du ciel. Un ange du Seigneur apparaît auprès des bergers qui alors « eurentpeurd’unegrandepeur [ἐφοβήθησαν φόβον μέγαν] » (Lc 2,9). Il leur annonce « unegrandejoie [χαρὰν μεγάλην], qui sera pourtoutlepeuple [παντὶ τῷ λαῷ] » (2,10). L’identité de Jésus leur est pleinement révélée : « Sauveur,quiestChrist,Seigneur [σωτὴρ ὅς ἐστιν χριστὸς κύριος] » (2,11). S’unissent alors l’ange et « une multitude de l’armée céleste pour louer[αἰνούντων] Dieu : “Gloireau plushaut[descieux]àDieu [δόξα ἐν ὑψίστοις θεῷ] […]!” » (2,1314) Les bergers vont contempler l’enfant nouveau-né (2,16). Après avoir « tout […] entendu et vu, comme il leur avait été dit » (2,20), eux-mêmes « glorifientetlouentDieu [δοξάζοντες καὶ αἰνοῦντες τὸν θεόν] ». Jumelé à la première pleine révélation de l’identité de Jésus, ce premier retentissement de la gloire rendue à Dieu est comme un ferment dans l’œuvre de Lc-Ac, en vue d’ouvrir tout le peuple à l’accueil de ce grand don divin, au fil des actions de Jésus. L’expression « ilsglorifièrentDieu [ἐδόξαζον τὸν θεόν] » apparaît ensuite lors de la guérison du paralytique (Lc 5,25.26), qui avait aussi provoqué la « crainte [φόβος] » (5,26). Les récits parallèles font part de la glorification de Dieu par tous283, mais ne disent rien concernant celle exprimée par le paralytique. En Lc 5,25-26 tout comme en Lc 7,15-16, Luc met en évidence une contagion dans la parole suscitée par la parole de Jésus qui accomplit un miracle. Des affinités de vocabulaire et de thème relient Lc 5,17-26 et 7,11-17. Lc 7,11-17 (propre à Luc)284
Lc 5,17-26 (par. Mc 2,1-11 et Mt 9,1-8)
« Etilarriva[Καὶ ἐγένετο ἐν]ensuite 17a « Et il arriva [Καὶ ἐγένετο ἐν] un […] » des jours […] »
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282 Lc 2,8-20 (propre à Luc) contient trois emplois du vocabulaire lié à la gloire : deux fois δόξα et une fois δοξάζω. Une telle concentration ne se trouve dans aucune autre péricope du troisième évangile. 283 Mc 2,12 ; Mt 9,7. 284 La traduction est littérale, pour mettre en évidence les points de contact entre les deux récits.
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Lc 5,17-26 (par. Mc 2,1-11 et Mt 9,1-8)
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« Et […] le Seigneur fut remué aux 17b « Et la puissanceduSeigneur [δύναentrailles [ὁ κύριος ἐσπλαγχνίσθη] » μις κυρίου]285 était à l’œuvre pour lui faire opérer des guérisons » « Et voici [καὶ ἰδού] qu’était mis en 18 « Etvoici [καὶ ἰδού] des hommes porterre […] un fils unique […] 14 […] les tant [φέροντες] sur une civière un être porteurs [βαστάζοντες] […] » humain […] »
12b
[…] et une foule [ὄχλος] importante 19 […] à cause de la foule [τὸν ὄχλον] […]. 12 […] et une foule [ὄχλος] de la […] ville en grand nombre […]
11
« Etl’ayantvue [καὶ ἰδὼν αὐτὴν] […] 20 « Et ayant vu leur foi [καὶ ἰδὼν τὴν illuidit [εἶπεν αὐτῇ] » πίστιν αὐτῶν], ildit[εἶπεν] […] »
13
16
« en disant [λέγοντες] : “un grand 21 « en disant [λέγοντες] : “qui est-il prophète fut suscité parmi nous […]” » celui-ci ?” » 14 « jetedis [σοὶ λέγω], soislevé[ἐγέρθητι] ».
24
« jetedis [σοὶ λέγω], lève-toi [ἔγειρε]
15
« ilsedressasursonséant [ἀνεκάθι- 25 « se levant [ἀναστάς] […] rendant σεν] […] et commença à parler » gloire à Dieu »
16a
26a « alorsunecraintelessaisittous « etlastupeurlessaisittous [ἔλαβεν δὲ φόβος πάντας] [καὶ ἔκστασις ἔλαβεν ἅπαντας] et ils glorifièrent Dieu [καὶ ἐδόξαζον et ils glorifiaient Dieu [καὶ ἐδόξαζον τὸν θεόν] τὸν θεόν] et ils furent remplis de crainte [ἐπλήσθησαν φόβου] endisant [λέγοντες ὅτι] […] » endisant[λέγοντες ὅτι ] […] »
La proximité entre les deux récits se vérifie dans leur finale (5,26 ; 7,16) qui contiennent trois expressions communes, en plus du terme « crainte [φόβος] » : « saisittous [ἔλαβεν (ἅ)παντας] », « etilsglorifièrent Dieu [καὶ ἐδόξαζον τὸν θεόν] », « en disant [λέγοντες ὅτι] ». Cependant, en Lc 5,26b l’objet des paroles d’émerveillement reste limité à ce que « nous avons vu », sans dépasser la perception de « choses inédites [παράδοξα] », sans entrer dans la profondeur révélée. Un double dépassement caractérise l’attitude des gens de Naïn : ils proclament une parole de foi (7,16b) et répandent la nouvelle en dehors de la ville (7,17). Quelques chapitres plus loin, Jésus guérit un jour de sabbat une femme voûtée qui « se tint droite et glorifiait Dieu [καὶ ἐδόξαζεν 285
En Lc 5,17b, le terme « Seigneur [κύριος] » désigne Dieu et non Jésus.
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CHAPITRE PREMIER
τὸν θεόν] » (Lc 13,13 ; propre à Luc). À cette occasion, Luc attribue une nouvelle fois à Jésus le titre de « leSeigneur [ὁ κύριος] » (13,15), alors qu’il se révèle comme maître du sabbat devant la foule (13,14). Bien qu’une opposition surgisse de la part du chef de la synagogue (13,14), la conclusion témoigne de l’autorité de Jésus vis-à-vis de « tous ses adversaires » et de la joie qu’il sème chez « toute la foule » par ses actions merveilleuses (13,17). Lors de la guérison des dix lépreux (Lc 17,11-19 ; propre à Luc), seul le samaritain « retourna englorifiantDieu [δοξάζων τὸν θεόν] à haute voix » (17,15). Nous avons déjà noté un rapprochement entre l’introduction de ce récit (17,11) et celui de Naïn (17,11) : la formule introductive « etilarrivapendant [Καὶ ἐγένετο ἐν τῷ] » et le fait que Jésus était en train de « faireroute [πορεύεσθαι] […] entre Samarie et Galilée ». En Lc 17,11-19, Jésus est explicitement en chemin vers Jérusalem. Grâce à la parole de Jésus (Lc 18,42), l’aveugle de Jéricho retrouva la vue « et il le suivait englorifiantDieu [δοξάζων τὸν θεόν] » (18,43b). Les récits parallèles (Mc 10,52 ; Mt 20,34) évoquent l’engagement de l’aveugle guéri à la suite de Jésus, mais ne parlent ni de l’action de grâce qui l’anime, ni de celle de « tout le peuple » (Lc 18,43). Dans le troisième évangile, la dernière attestation de l’expression « glorifiantDieu [δοξάζων τὸν θεόν] » conduit à la mort de Jésus (Lc 23,44-49) et est absente dans les récits parallèles286. La parole est prononcée par un païen et trouve un écho auprès de « toutes les foules […] se frappant la poitrine » (23,48). 47a
Mais le chef-de-cent, ayantvu [Ἰδών] 47b ce qui était arrivé glorifiait Dieuendisant [ἐδόξαζεν τὸν θεὸν λέγων] : «Vraimentcethommeétait juste [ὄντως ὁ ἄνθρωπος οὗτος δίκαιος ἦν].» 48 Et touteslesfoulesqui étaientvenuesassister [πάντες οἱ συμπαραγενόμενοι ὄχλοι] à ce spectacle, ayantvu [θεωρήσαντες] ce qui s’était passé, s’en retournaient en se frappant la poitrine. (Lc 23,47-48 ; v. 47b-48 absents dans les récits parallèles)
Lc 7,16 est particulièrement proche de Lc 23,48-49 : le contexte de la mort, la glorification de Dieu accompagnée du dévoilement d’un aspect partiel de l’identité de Jésus (« ungrandprophète [προφήτης μέγας] » en 7,16 et « unjuste [δίκαιος] » en 23,47), avec l’implication de toutes les foules.
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Mc 15,35-41 ; Mt 27,45-56 ; Jn 19,28-30.
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En Lc, les miracles de Jésus amènent les témoins à se tourner vers Dieu et non pas à mettre en exergue l’accomplissement des prophéties vétérotestamentaires287. Nous constaterons aussi que Luc n’a pas orienté ses récits de miracles pour valider l’identité de Jésus comme prophète, même si cette dimension est présente. Son motif est surtout théologique (au sens strict de ce qui se rapporte en propre à Dieu), plutôt que christologique288. Cette première étape de notre analyse met en valeur les éléments caractéristiques de Lc 7,16 et son rôle dans la narration du troisième évangile : la crainte et la glorification de Dieu suscitent une parole contagieuse de reconnaissance. Celle-ci porte sur l’action de Dieu en Jésus et sur un aspect fondamental de son identité, qui a une retombée auprès de tous les témoins. Seulement deux autres passages propres à Lc présentent ces différents traits et renvoient à deux moments forts de l’existence de Jésus : sa naissance où il est proclamé par les anges « Sauveur,qui estChrist,Seigneur [σωτὴρ ὅς ἐστιν χριστὸς κύριος] » (2,11), et sa mort où un païen le reconnaît « juste [δίκαιος] » (23,47b48). Il reste à vérifier le sens et la portée de la parole prononcée en Lc 7,16cd. 3.2. L’avènementd’ungrandprophète(Lc7,16c) L’exclamation en Lc 7,16 sera prononcée par « tous », rassemblant les disciples et une foule qui marchent avec Jésus, ainsi qu’une autre « foule immense [ἱκανός]289 » (7,12) qui accompagne la veuve. Même 287 Paul J. ACHTEMEIER, « The Lucan Perspective on the Miracles of Jesus », p. 561-562. Nous verrons par la suite dans l’analyse de Ac 3,12-26, que Luc situe l’accomplissement des prophéties essentiellement dans les souffrances, la mort, la résurrection et l’exaltation de Jésus. 288 David E. GARLAND, Luke, p. 303 ; François BOVON, L’ÉvangileselonsaintLuc. Vol.I(1,1–9,50), p. 356 ; John NOLLAND, Luke1–9:20, p. 323 ; Leon MORRIS, Luke (Tyndale New Testament Commentaries, 3), Downers Grove IL, Inter-Varsity Press (IVP), 1988, p. 161 ; Joseph A. FITZMYER, LukeI–IX, p. 660; I. Howard MARSHALL, TheGospelofLuke, p. 287. 289 Garland fait remarquer que ἱκανός en Lc 7,12b peut signifier « important (en nombre) », mais aussi « suffisant » pour porter le corps du défunt. Voir David E. GARLAND, Luke, p. 302. La logique narrative du texte et le style lucanien suggèrent de comprendre qu’il s’agit d’une foule nombreuse. En effet, il semble étonnant de parler d’une « foule [ὄχλος] » pour porter le corps d’un jeune homme. Ailleurs, pour désigner les personnes qui portent le paralytique auprès de Jésus (Mc 2,3 ; par. Lc 5,18 et Mt 9,2), ni Marc, ni Luc, ni Matthieu ne font appel au terme ὄχλος. En Mc 2,3 et Mt 9,2, le sujet est implicitement « on ». En Lc 5,18, il est dit : « voici des gens [ἄνδρες] portant sur une couche un homme qui était paralysé […] ». En outre, sur les cinq mentions de ὄχλος qualifié de ἱκανός (dont quatre en Lc-Ac), cet adjectif est toujours interprété au sens de « nombreux ».
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CHAPITRE PREMIER
si ces personnes qui accompagnent la veuve sont en grand nombre, elles constituent un ensemble hétérogène (propre aux foules), formé de quelques gens proches mais aussi d’autres lointains. La présence d’une « foule [ὄχλος] » – et de surcroît double (7,11.12) – en présence de laquelle Jésus accomplit le miracle est un élément significatif qui distingue le récit de Naïn de celui de Sarepta et de l’autre retour à la vie commun aux synoptiques (8,40-56). En Lc 7,11-17, les foules ne sont pas de simples spectateurs. Luc leur donne le mot de la fin (7,16) et leur confère ainsi un rôle spécifique. Le même phénomène se présente non seulement dans les récits de la passion de Jésus, où Luc accentue l’influence des foules, mais aussi tout au long de son évangile290. En Lc 7,16, elles donnent une première réponse humaine au questionnement sur l’identité de Jésus. 3.2.1. Un nouvel Élie ? Cette reconnaissance de la présence d’un grand prophète en la personne de Jésus peut sembler réductrice aux lecteurs chrétiens. Cependant, à l’époque de Jésus marquée par l’absence de prophète291, une 290 Lc 22,6 manifeste le rôle spécifique des foules durant la passion de Jésus. Pour une étude comparative des 41 mentions d’ὄχλος en Lc, par rapport à celles qui se trouvent dans les autres évangiles (50 en Mt, 38 en Mc, 20 en Jn), et la mise en évidence des fonctions singulières de la foule en Lc, voir Marie de LOVINFOSSE, « Priorité et fonctions singulières des foules chez Luc », in Revue biblique 125 (2018) 29-56. Notre compréhension du caractère public de l’action de Jésus à Naïn diffère de celle d’Achtemeier et de Fitzmyer qui y voient une façon de dissocier les miracles de Jésus des pratiques de magiciens hellénistiques. Voir Joseph A. FITZMYER, LukeI–IX, p. 659 ; Paul J. ACHTEMEIER, « The Lucan Perspective on the Miracles of Jesus », p. 557. 291 L’absence de prophète est exprimée explicitement en 1 M 9,27 (LXX) et en Ps 73,9 (LXX), et indirectement, à travers l’attente d’un prophète, en 1 M 4,46 (LXX) et en 14,41 (LXX). Voir aussi FLAVIUS JOSÈPHE, ContreApion (Universités de France), édité par Léon BLUM – Théodore REINACH, Paris, Les Belles Lettres, 19722 p. 10 (no I 41) : « DepuisArtaxerxèsjusqu’ànosjourstouslesévénementsontétéracontés,maisonn’accordepasàcesécritslamêmecréancequ’auxprécédents,parceque lesprophètesnesesontplusexactementsuccédés [ἀπὸ δὲ Ἀρταξέρξου μέχρι τοῦ καθ᾿ἡμᾶς χρόνου γέγραπται μὲν ἕκαστα, πίστεως δ᾿οὐχ ὁμοίας ἠξίωται τοῖς πρὸ αὐτῶν διὰ τὸ μὴ γενέσθαι τὴν τῶν προφητῶν ἀκριβῆ διαδοχήν] ». Selon Barclay, Josèphe ne dit pas pour autant qu’il n’y a plus de prophète, mais que l’historiographie prophétique n’a plus le même poids. Cependant, Barclay admet que Josèphe parle peu de prophéties ou de prophètes de son époque. Voir FLAVIUS JOSÈPHE, Contre Apion[AgainstApion] (Flavius Josephus: Translation and Commentary, 10), édité par John M. G. BARCLAY, Leiden – Boston MA, Brill, 2013 p. 30-31 (no I 41 et commentaire). On peut donc en déduire que, dans la mentalité du judaïsme de la période antérieure au christianisme, il n’y avait certainement plus de grand prophète, si l’on comprend que le ministère prophétique ne se limitait pas à la parole et à une vie
L’ἐπισκοπή DIVINE À LA PORTE DE NAÏN (LC 7,16)
125
telle exclamation avait une portée non négligeable. Pourquoi soudainement reconnaître Jésus comme un « grand prophète » ? Dans les récits vétérotestamentaires de retour à la vie, ceux-ci résultent tous de l’intervention d’un prophète. De plus, les affinités de vocabulaire entre Lc 7,11-17 et 1 R 17,17-24 invitent à faire des rapprochements entre le passage de Jésus à Naïn et celui d’Élie à Sarepta. Sous cet angle, il n’est pas étonnant que tous les témoins présents à Naïn puissent reconnaître en Jésus un prophète. Cependant, ils ont vu en lui pas seulement un prophète, mais « un grand prophète » (7,16). Que signifie une telle exclamation ? En comparant le récit de Sarepta (1 R 17,17-24) avec celui de Naïn, l’approche de Jésus est empreinte d’une autorité plus grande que celle d’Élie. Un simple geste et une brève parole ont suffi. Faut-il en déduire que tous à Naïn voyaient en Jésus un nouvel Élie ? Pour défendre cette thèse, on pourrait ajouter aux éléments déjà mentionnés un passage du Siracide parlant d’Élie (Si 48,1-11), comme « un prophète [προφήτης] » qui « surgit [ἀνέστη] » et qui « fit se lever un défunt [ὁ ἐγείρας νεκρόν] ». LeprophèteÉlieseleva [ἀνέστη Ηλιας προφήτης] comme un feu, et saparole [ὁ λόγος αὐτοῦ] brûlait comme une torche. […] 5 Toiqui as fait lever un défunt de la mort [ὁ ἐγείρας νεκρὸν ἐκ θανάτου] et du séjour des morts par la parole du Très-Haut [ἐν λόγῳ ὑψίστου]. (Si 48,1.5) 1
Certes, ce passage (Si 48,1.5) permet de mesurer l’ampleur du rayonnement d’Élie dans les milieux juifs du temps de Jésus, puisque plusieurs traditions vétérotestamentaires font son éloge292. Cependant, ces quelques rapprochements sémantiques entre Si 48,1.5 et Lc 7,116 sont-ils suffisants pour reconnaître en Lc 7,16 un écho à Si 48,1.5, ou plus fondamentalement une référence à Élie, comme l’estiment plusieurs exégètes293 ? vertueuse, mais impliquait l’accomplissement de signes concrets de délivrance. Voir aussi Rebecca GRAY, PropheticFiguresinLateSecondTempleJewishPalestine:The EvidencefromJosephus, London, Oxford University Press, 1993, p. 164-167 ; Joseph A. FITZMYER, LukeI–IX, p. 214-215. Cette donnée est confirmée dans les manuscrits de la mer Morte. Voir George J. BROOKE, « Prophets and Prophecy in the Qumran Scrolls and the New Testament », in Ruth A. CLEMENTS – Daniel R. SCHWARTZ (éds.), Text,Thought,andPracticeinQumranandEarlyChristianity, Leiden – Boston MA, Brill, 2009, Vol. 84, 31-48, p. 39-40. 292 1 R 17–19 ; 20 ; 2 R 1-3 ; 9–10 ; 2 Ch 21 ; Si 48 ; 1 M 2 ; Ml 3. 293 Nous les mentionnerons plus bas, dans la conclusion de notre analyse de προφήτης μέγας en Lc 7,16.
126
CHAPITRE PREMIER
3.2.2. « Un grand prophète », expression singulière Commençons par regarder de plus près l’expression « grandprophète [προφήτης μέγας] » en Lc 7,16. Elle est un hapaxlegomenon dans l’ensemble de la Bible, excepté en Si 48,22 où elle se présente avec l’article défini, à propos d’Isaïe, et non pas d’Élie : « Isaïe,le grandprophète [Ησαιας ὁ προφήτης ὁ μέγας] et véridique en ses visions ». Des expressions similaires à Si 48,22 se retrouvent dans la Légendegrecqueà propos d’Isaïe : « Isaïe,legrandprophète [ὁ μέγας προφήτης Ἡσαΐας] (1,6 ; 3,8.12) ; « Isaïe,legrandprophètedeDieu [ὁ μέγας τοῦ θεοῦ προφήτης Ἡσαΐας] » (1,11) ou simplement « le grandIsaïe [τὸν μέγαν Ἡσαΐαν] » (1,3)294.Les trois premiers chapitres de la Légendegrecqued’Isaïe (Xe siècle) s’inspirent très fortement d’un écrit apocryphe chrétien, l’Ascension d’Isaïe dont l’original grec (début du IIe) siècle a été perdu, puis en partie retrouvé295. Cependant, il semble très hypothétique de s’appuyer sur la Légende grecque pour percevoir un reflet de la pensée des contemporains de Jésus, ou encore celle de Luc ou des milieux chrétiens de son temps. En effet, nous sommes restreints à un accès indirect, partiel, tardif et donc très hypothétique, à l’Ascensiond’Isaïe. Ensuite, contrairement aux attestations présentes en Si 48,22 et dans la Légendegrecque, Lc 7,16 présente le substantif προφήτης comme n’étant pas défini, ni par un article, ni par la présence d’un nom propre. De plus, ni la Bible, ni aucun document de l’époque parmi ceux auxquels nous avons accès, 294 La première section de l’Ascensiond’Isaïe(chapitres I–V) trouve des échos dans les chapitres I et III de la Légendegrecque et relate le martyre d’Isaïe (1,1– 3,12 ; 5,1-16). Le texte original de la Légendegrecque est inconnu. Seule une copie a été retrouvée dans un manuscrit (XIIe siècle) de la Bibliothèque nationale de Paris, publié par Oscar von Gebhardt en 1878. Ce manuscrit permet d’avoir accès indirectement et partiellement à la première section de la version grecque de l’Ascensiond’Isaïe. Voir Enrico NORELLI, « Ascension d’Isaïe », in François BOVON – Pierre GEOLTRAIN (éds.), Écritsapocrypheschrétiens (Bibliothèque de la Pléiade, 442), Paris, Gallimard, 2006, Vol. I, 501-545, p. 503-505 ; Eugène TISSERANT, « Légende grecque », in Ascension d’Isaïe : traduction de la version Éthiopienne avec les principalesvariantesdesversionsgrecque,latinesetslave, Paris, Letouzey & Ané, 1909, p. 39-42 (étude) et p. 217-226 (traduction). L’Ascention d’Isaïe (ouvrage considéré comme chrétien) est également présenté en relation avec le Martyred’Isaïe (écrit juif) dans Albert-Marie DENIS, « Les fragments grecs du Martyre d’Isaïe », in Introductionauxpseudépigraphesgrecsd’AncienTestament (Studia in Veteris Testamenti Pseudepigrapha, I), Leiden – Boston MA, Brill, 1970, 170-176, p. 170173. 295 Papyrus Amherst I (Ve – VIe siècles). Le texte correspond à la version éthiopienne 2,4–4,4, avec des lacunes.
L’ἐπισκοπή DIVINE À LA PORTE DE NAÏN (LC 7,16)
127
ne contiennent aucune trace permettant de laisser présager un retour d’Isaïe, comme dans le cas d’Élie296. Dans les évangiles et les Actes, une analyse des occurrences de « prophète [προφήτης] » au singulier permet de distinguer trois catégories chronologiques de prophète. Primo, quand il s’agit d’un prophète du passé dont la parole s’accomplit, l’usage des évangélistes est de le désigner comme « leprophète [ὁ προφήτης] », avec297 ou sans298 nom explicite. Secundo, une personne reconnue comme prophète au présent sera mentionnée comme προφήτης sans article défini299 – sauf dans cinq versets300, tous en dehors de Lc-Ac – et, le plus souvent, sans autres précisions, excepté chez Luc. Tertio, en Ac 3,22 et 7,37, Luc est le seul à faire référence explicitement à une troisième catégorie chronologique : un prophète attendu, en relation avec une promesse divine, en l’occurrence vétérotestamentaire, annoncée par la bouche de Moïse (Dt 18,15.18)301. Sans toutefois recourir au substantif « prophète 296
Voir Ml 3,22 (LXX) ; Si 48,10. « Isaïe,leprophète [Ἠσαΐας ὁ προφήτης] » (Mc 1,2 ; Mt 3,3 ; 4,14 ; 8,17 ; 12,17 ; Lc 3,4 ; Ac 8,30 ; 28,25 ; Jn 1,23 ; 12,38), « leprophète,Isaïe [ὁ προφήτης Ἠσαΐας] » (Lc 4,17 ; Ac 8,28), « Jérémie, le prophète [Ἰερεμίας ὁ προφήτης] » (Mt 2,17 ; 27,9), « Jonas,leprophète [Ἰωνᾶς ὁ προφήτης] » (Mt 12,39), « Daniel,le prophète [Δανιὴλ ὁ προφήτης] » (Mt 24,15), « Élisée,leprophète [Ἐλισαῖος ὁ προφήτης] » (Lc 4,27), « leprophète,Joël[ὁ προφήτης Ἰωήλ] » (Ac 2,16), « Samuel,le prophète [Σαμουὴλ ὁ προφήτης] » (Ac 13,20). 298 En référence à Isaïe (Mt 1,22 ; Ac 7,48 ; 8,34), à Osée (Mt 2,5.15), au psalmiste (Mt 13,35) et à Zacharie (Mt 21,4). En Ac 2,30, « prophète [προφήτης] » se présente sans article défini pour parler de David. Toutefois, celui-ci est explicitement nommé au verset précédent (2,29). De plus, la mention présente en Ac 2,30 ne renvoie pas à l’une de ses paroles, mais à sa capacité, en tant que prophète, de connaître le dessein de Dieu. 299 À propos de Jésus : Mc 6,4 (par. Mt 13,57 ; Lc 4,24 ; Jn 4,44) ; Mc 6,15 (par. Lc 9,8 ; absent dans le parallèle de Mt 14,2) ; Mc 8,28 (par. Mt 16,14 ; Lc 9,19) ; Lc 7,16 (propre à Luc) ; Lc 7,39 (propre à Luc) ; Lc 13,33 (propre à Luc) ; Lc 24,19 (propre à Luc) ; Mt 21,46 (absent dans les parallèles de Mc 12,12 et de Lc 20,19) ; Jn 4,19 (propre à Jean) ; Jn 6,14 (absent dans les parallèles de Mc 6,44, de Mt 14,21 et de Lc 9,17) ; Jn 7,40 (propre à Jean) ; Jn 7,52 (propre à Jean) ; Jn 9,17 (propre à Jean). Concernant Jean : Mc 11,32 (par. Mt 21,26 et Lc 20,6) ; Mt 11,9 (par. Lc 7,26) ; Mt 14,5 (absent dans le parallèle de Mc 6,20) ; Lc 1,76 (propre à Luc) ; Jn 1,21.25 (propre à Jean). Au sujet d’Agabus : Ac 21,10 (propre aux Actes). En regard de l’accueil témoigné à un prophète en général : Mt 10,41 (propre à Matthieu). 300 Mt 21,11 (« leprophète,Jésus,deNazarethenGalilée [ὁ προφήτης Ἰησοῦς ὁ ἀπὸ Ναζαρὲθ τῆς Γαλιλαίας] ») ; Jn 1,21.25 (« le prophète [ὁ προφήτης] ») ; Jn 6,14 (« leprophète,celuiquivientdanslemonde [ὁ προφήτης ὁ ἐρχόμενος εἰς τὸν κόσμον] ») ; Jn 7,40 (« leprophète [ὁ προφήτης] »). 301 En Lc 11,49 (par. Mt 23,34), Jésus évoque une parole de Dieu, bien qu’il soit difficile de trouver une équivalence dans l’A.T : « La sagesse de Dieu a dit : “Je leur enverrai des prophètes et des apôtres [ἀποστελῶ εἰς αὐτοὺς προφήτας καὶ ἀποστόλους].” » Un parallèle large se trouve en Mt 23,34 : « j’envoieversvousdes 297
128
CHAPITRE PREMIER
[προφήτης] », le Nouveau Testament fait aussi allusion à la venue d’Élie302, que nous avons déjà évoquée comme figure ancienne associée à l’attente d’un prophète. Voici un tableau qui récapitule les trois catégories chronologiques des attestations de « prophète[προφήτης] » (au singulier) dans les évangiles et dans les Actes. TROIS CATÉGORIES CHRONOLOGIQUES de « prophète [προφήτης] » (singulier)303
dans les évangiles et dans les Actes
du PASSÉ
Lc
Total
reconnu dans le PRÉSENT À VENIR
Jésus
Jean
Autres
3
7
3
–
–
13
Ac
8
3
–
1 (Agabus)
2 (comme Moïse)
14
Mt
13
4
3
1 (en général)
–
21
Mc
1
3
1
–
–
5
Jn
2
6
2
Total
27
– 34
23
9
–
10
2
63
2
Contrairement à Lc et à Jn, le premier évangile et dans une moindre mesure, les Actes, ont plus tendance à utiliser « prophète[προφήτης] » (singulier) pour évoquer l’un ou l’autre prophète du passé, et surtout l’accomplissement d’une de leurs prophéties. Chez Luc et Jean, le phénomène inverse se produit pour la reconnaissance d’un prophète dans le présent, en particulier de Jésus. Dans les Actes (3,22 ; 7,37), Luc prendra soin d’expliciter quel type de prophète Jésus a été, voyant alors en lui l’actualisation des grandes prophéties. prophètes et des sages et des scribes [ἐγὼ ἀποστέλλω πρὸς ὑμᾶς προφήτας καὶ σοφοὺς καὶ γραμματεῖς] ». Cependant, dans les deux cas, « prophète[προφήτης] » est au pluriel, et non au singulier comme en Lc 7,16. 302 En référence à Jean : Mc 9,11-13 (par. Mt 17,10-13 ; Ml 3,22 LXX), Mt 1,10 (par. Lc 7,27 ; Ml 3,1), Mt 11,14 (absent dans le parallèle de Lc 7,30 ; Ml 3,22 LXX), Lc 1,17 (propre à Luc ; Ml 3,23 LXX), Jn 1,21.25 (propres à Jean). À propos de Jésus : Mc 6,15 (présent dans le parallèle de Lc 9,8 et absent dans celui de Mt 14,2 ; Ml 3,22 LXX) et Mc 8,28 (par. Mt 16,14 et Lc 9,19 ; Ml 3,22 LXX). 303 Nous incluons deux mentions de « prophète[προφήτης] » au pluriel, mais précédées de l’adjectif numéral cardinal « un [εἷς] », en Mc 8,28 (« un des prophètes [εἷς τῶν προφητῶν] ») et Mt 16,14 (« undesprophètes [ἕνα τῶν προφητῶν] »).
L’ἐπισκοπή DIVINE À LA PORTE DE NAÏN (LC 7,16)
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3.2.3. Un prophète comme Moïse ? Dans le Nouveau Testament, nous avons en Ac 3,22 et en 7,37 la mention la plus explicite au sujet de l’attente d’un prophète, ainsi que son point d’ancrage vétérotestamentaire304. 22
Moïse d’abord a dit : « Le Seigneur Dieu suscitera pour vous, d’entre vosfrères,unprophètecommemoi [προφήτην ὑμῖν ἀναστήσει κύριος ὁ θεὸς ὑμῶν ἐκ τῶν ἀδελφῶν ὑμῶν ὡς ἐμέ] ; vousl’écouterezentoutce qu’il vous dira [αὐτοῦ ἀκούσεσθε κατὰ πάντα ὅσα ἂν λαλήσῃ πρὸς ὑμᾶς]. 23 Ettoutepersonnequin’écouterapasceprophèteseradoncretranchéedupeuple [ἔσται δὲ πᾶσα ψυχὴ ἥτις ἐὰν μὴ ἀκούσῃ τοῦ προφήτου ἐκείνου ἐξολεθρευθήσεται ἐκ τοῦ λαοῦ]. » (Ac 3,22-23 ; en référence à Dt 18,15.18-19) C’est lui, Moïse, qui a dit aux Israélites : « Dieuvoussusciterad’entrevos frèresunprophètecommemoi [προφήτην ὑμῖν ἀναστήσει ὁ θεὸς ἐκ τῶν ἀδελφῶν ὑμῶν ὡς ἐμέ]. » (Ac 7,37 ; en référence à Dt 18,15.18)
Luc connaît ainsi au moins deux versets de la Septante qui témoignent de l’espérance de voir Dieu « susciter [ἀναστῆναι] un prophète [προφήτης] ». Unprophèteparmitesfrères,commemoi,leSeigneurtonDieuferase leverpourtoi [προφήτην ἐκ τῶν ἀδελφῶν σου ὡς ἐμὲ ἀναστήσει σοι κύριος ὁ θεός σου] ; vousl’écouterez [αὐτοῦ ἀκούσεσθε]. (Dt 18,15) Jeferaiseleverpoureuxunprophèteparmileursfrères,commetoi, [προφήτην ἀναστήσω αὐτοῖς ἐκ τῶν ἀδελφῶν αὐτῶν ὥσπερ σὲ] etjeluidonneraimaparoledanssabouche,etilleurparleracommeje[le]luicommanderai [καὶ δώσω τὸ ῥῆμά μου ἐν τῷ στόματι αὐτοῦ, καὶ λαλήσει αὐτοῖς καθότι ἂν ἐντείλωμαι αὐτῷ]. (Dt 18,18)305
Exprimé par Pierre, puis par Étienne, ce double témoignage contenu en Ac 3,22 et en 7,37 est ainsi empreint d’autorité pour affirmer que la promesse divine proclamée en Dt 18,15.18 est réalisée en Jésus. Il est bien « prophète comme [Moïse] ». Le lien entre cette prophétie 304 On peut également percevoir en Jn 1,45 une référence à Dt 18,15.18, mais il s’agit alors d’une allusion qui implique une connaissance de la Torah et des Prophètes. En effet, il est question de Jésus comme ὃν ἔγραψεν Μωϋσῆς ἐν τῷ νόμῳ καὶ οἱ προφῆται. Or, ces deux ensembles scripturaires contiennent plusieurs annonces dont l’objet varie : un prophète, un messie, un serviteur, etc. S’il fait écho à Dt 18,15.18, Jn 1,45 n’est pas univoque puisque quelques versets auparavant (Jn 1,41), Jésus est reconnu comme Messie. 305 L’attente d’un prophète est aussi formulée ailleurs dans la LXX, comme en 1 M 4,46 (« jusqu’à ce que vienne un prophète [μέχρι τοῦ παραγενηθῆναι προφήτην] ») et en 1 M 14,41 (« jusqu’à ce que se lève un prophète fidèle [ἕως τοῦ ἀναστῆναι προφήτην πιστὸν]).
130
CHAPITRE PREMIER
deutéronomiste et Jésus est explicite dans le discours de Pierre en Ac 3,22. Nous verrons également comment il se laisse découvrir dans celui d’Étienne en Ac 7,37. Ac 3,22 et 7,37 (citant Dt 18,15.18) présentent des affinités de vocabulaire par rapport à Lc 7,16 : προφήτης / προφήτην ; ἠγέρθη / ἀναστήσει306 ; ἐν ἡμῖν / ὑμῖν ; ὁ θεός. Don
Action
Destinataires
Dieu
Lc 7,16
grandprophète [προφήτης μέγας] futsuscité [ἠγέρθη]
aumilieudenous Dieu [ἐν ἡμῖν] [ὁ θεός]
Ac 3,22
prophète [προφήτην] […] parmi suscitera vosfrères[ἐκτῶνἀδελφῶνὑμῶν] [ἀναστήσει] commemoi[ὡςἐμέ]
pournous [ὑμῖν]
leSeigneur, votre Dieu [κύριος ὁ θεὸςὑμῶν]
Ac 7,37
prophète [προφήτην] d’entre vos suscitera frères [ἐκ τῶν ἀδελφῶν ὑμῶν] [ἀναστήσει] commemoi[ὡςἐμέ]
pournous [ὑμῖν]
Dieu [ὁθεός]
Dt 18,15 prophète [προφήτην] d’entre tes suscitera pourtoi frères [ἐκ τῶν ἀδελφῶν σου] [ἀναστήσει] [σοι] commemoi [ὡς ἐμέ]
leSeigneur, ton Dieu [κύριος ὁ θεός σου]
Dt 18,18 prophète [προφήτην] d’entre jesusciterai poureux leurs frères [ἐκ τῶν ἀδελφῶν [ἀναστήσω] [αὐτοῖς] αὐτῶν] commetoi [ὥσπερ σέ]
leSeigneur [κύριος] (18,17)
Les rapprochements entre Lc 7,16 et Ac 3,22 (par. 7,37) invitent à interpréter « un grand prophète fut suscité parmi nous [προφήτης μέγας ἠγέρθη ἐν ἡμῖν] » comme une action implicite de Dieu. Cela est confirmé par ce qui précède et ce qui suit Lc 7,16. En effet, Dieu est l’objet de l’introduction à cette exclamation – « ils glorifièrentDieu [τὸν θεόν]en disant » – et il est sujet dans la suite immédiate – « Dieu [ὁ θεός] a visité son peuple ». En Lc 7,16, Luc a choisi d’écrire « un […] prophète fut suscité [ἠγέρθη] », en utilisant le verbe ἐγείρω à l’indicatif aoriste passif, alors qu’ailleurs, dans des expressions similaires, il recourt au verbe 306 Les deux verbes sont souvent considérés comme des synonymes. Voir Albrecht OEPKE, « ἀνίστημι, ἐξανίστημι, ἀνάστασις, ἐξανάστασις », in Gerhard KITTEL (éd.), TheologicalDictionaryoftheNewTestament, traduit par Geoffrey W. BROMILEY, Grand Rapids MI, Eerdmans, 1964, Vol. I (Α-Γ), 368-372, p. 369.
L’ἐπισκοπή DIVINE À LA PORTE DE NAÏN (LC 7,16)
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ἀνίστημι, conformément à Dt 18,15.18 qu’il a pris soin de citer à deux reprises307. Ce constat suggère de voir un lien rédactionnel avec la parole du Seigneur adressée au mort où ἐγέρθητι (Lc 7,14) se présente à l’impératif aoriste passif de façon singulière308. Tous deux (Lc 7,14.16) sont à comprendre comme des véritables passifs faisant allusion à Dieu comme sujet de l’action309. Il convient donc de traduire : « Jeune homme, je te dis, soisréveillé/levé [ἐγέρθητι] » (7,14) et « Un grand prophète futsuscité/levé [ἠγέρθη] parmi nous » (7,16). Nous remarquons également une affinité supplémentaire entre Lc 1,68-69 et 7,16, en plus de l’acclamation « Dieuavisitésonpeuple [ἐπεσκέψατο ὁ θεὸς τὸν λαὸν αὐτοῦ] ». Béni le Seigneur, leDieu [ὁ θεός] d’Israël, parce qu’ilavisité [ἐπεσκέψατο] et délivré sonpeuple [ἐποίησεν λύτρωσιν τῷ λαῷ αὐτοῦ], 69 et nous suscita [ἤγειρεν […] ἡμῖν] une corne de salut dans la maison de David, son serviteur […]. (Lc 1,68-69)310 68
307 Le verbe ἀνίστημι est accompagné du substantif προφήτης au singulier en Ac 3,22 et 7,37, ainsi qu’en Lc 9,8 (verbe absent dans les parallèles de Mc 6,15 et de Mt 6,2) et Lc 9,19 (verbe absent dans les parallèles de Mc 8,28 et de Mt 16,14). Dans le N.T., le substantif προφήτης associé au verbe ἀνίστημι est uniquement trouvable en ces quatre versets de Lc-Ac. Concernant la corrélation entre προφήτης et ἐγείρω dans le N.T., elle n’apparaît qu’en Lc 7,16 et en Jn 7,52. 308 D’autres interprètent également ἠγέρθη (Lc 7,16) en relation avec ἐγέρθητι (7,14) et pas seulement avec la parole du Seigneur à Jean à propos des morts : νεκροὶ ἐγείρονται (7,22). Voir John T. CARROLL, Luke, p. 167 ; Marie-Laure VEYRON-MAILLET, « Analyses narrative et psycho-anthropologique de Luc 7,11-17 », p. 180 ; François BOVON, L’ÉvangileselonsaintLuc.Vol.I(1,1–9,50), p. 356 ; Cleon L. ROGERS JR. – Cleon L. ROGERS III, TheNewLinguisticandExegeticalKey, p. 124. De façon inattendue et peu développée, Fitzmyer associe ἠγέρθη (Lc 7,16) à l’occurrence du même verbe en Lc 11,31 à propos de la reine du Midi, sans évoquer celles qui sont plus proches. Voir Joseph A. FITZMYER, LukeI–IX, p. 660. 309 Cette hypothèse concernant ἠγέρθη (Lc 7,16) est également défendue par d’autres auteurs dont la plupart ne l’appliquent toutefois pas à ἐγέρθητι (7,14). Darrell L. BOCK, Luke.Volume1(1:1–9:50), p. 653 ; Joseph A. FITZMYER, LukeI–IX, p. 660. Cependant, De Santis relie ἠγέρθη (Lc 7,16) à ἐγέρθητι (7,14), ainsi qu’à ἐγείρονται (7,22) et les considère chacun comme un passivumdivinum. Voir Massimo DE SANTIS, « La visita di Dio alla vedova di Nain (Lc 7,11-17) e la risurrezione di Gesù (Lc 24) », in Rivistabiblica 62 (2014) 49-74, p. 64. Veyron-Maillet est une des rares auteurs à mettre en relation ἐγέρθητι (Lc 7,14) et ἠγέρθη (7,16). Elle en déduit même « la possibilité d’identification du jeune homme et de Jésus », qui « fait de ce fils revenu à la vie une préfiguration de ce que [Jésus] va vivre ». Voir Marie-Laure VEYRON-MAILLET, « Analyses narrative et psycho-anthropologique de Luc 7,11-17 », p. 190. 310 Voir aussi Ac 13,22 : Dieu « suscita [ἤγειρεν] pour eux David comme roi ». Luc connaît bien les deux significations du verbe : « lever / réveiller » (d’où « ressusciter ») ou « susciter ».
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CHAPITRE PREMIER
Cette affinité consolide notre hypothèse selon laquelle « Dieu [ὁ θεός] » est l’auteur implicite du verbe « futsuscité [ἠγέρθη] » en Lc 7,16. Nous reviendrons sur la comparaison entre Lc 1,68-69 et 7,16. Regardons de plus près le lien entre la prophétie de Dt 18,15.18 et Jésus, tel qu’il est manifesté dans le discours de Pierre en Ac 3,22 de façon explicite et qu’il se laisse découvrir dans celui d’Étienne en Ac 7,37. 3.2.4. Jésus en Lc 7,16 et la figure de Moïse en Ac 7,37 En Ac 7,37, Étienne retrace l’histoire du salut, depuis Abraham jusqu’à Salomon (7,2-50), et interpelle ses auditeurs sur leur fermeture à l’Esprit Saint et à la Loi reçue (7,51-53). À la différence de l’allocution de Pierre en Ac 3,12-26, le grand exposé d’Étienne reste sobre sur Jésus. Sans être nommé, ce dernier est évoqué dans une phrase parlant du « Juste [ὁ δίκαιος] » (7,52). Cependant, au niveau rédactionnel, un parallèle évident est tracé entre Jésus et la figure de Moïse, la plus fortement mise en relief dans la harangue d’Étienne. Tout d’abord, c’est de Moïse qu’Étienne parle le plus longuement. Ensuite, Moïse est introduit dans le discours de façon solennelle, en termes d’accomplissement de la promesse de Dieu à Abraham : « Comme approchait [ἤγγιζεν] le temps de la promesse que Dieu avait faite à Abraham […] » (7,17). Enfin, cinq fois d’affilée, à la manière d’un refrain, la figure de Moïse est introduite par l’emploi du pronom démonstratif « celui-ci [οὗτος]311 » en début de phrase. Or, ce qui est ainsi souligné à son propos renvoie à Jésus, en particulier les trois premières affirmations reprises dans le tableau ci-dessous. Moïse en Ac 7,2-53
Jésus en Lc-Ac
« CeMoïse [Τοῦτον τὸν Μωϋσῆν] qu’ils En Ac, les trois autres occurrences de avaientrejeté [ἠρνήσαντο] » (Ac 7,35a) « nier/repousser/refuser [ἀρνοῦμαι] » dont l’objet est également une personne visent Jésus312. « C’est lui [τοῦτον] que Dieu a envoyé Ac 7,35b est la seule occurrence de comme chef et libérateur [λυτρωτήν] » « libérateur [λυτρωτής] » dans le N.T. En Lc-Ac, les termes de même famille (Ac 7,35b) renvoient à Dieu ou à Jésus313. 311 Le pronom démonstratif οὗτος est alors placé en début de phrase : Ac 7,35(bis). 36.37.38. 312 Ac 3,13.14 ; 4,16. Voir aussi en Lc 12,9 ; 22,57.
313 Les trois seules mentions de λύτρωσις ou de λυτρῶ dans les évangiles et les Actes sont situées en Lc. La première vise Dieu (Lc 1,68), avant la naissance de Jésus, et les deux autres, ce dernier (2,38 ; 24,21).
L’ἐπισκοπή DIVINE À LA PORTE DE NAÏN (LC 7,16)
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Moïse en Ac 7,2-53
Jésus en Lc-Ac
« C’est lui [οὗτος] qui les a fait sortir d’Egypte enopérantdesprodigesetdes signes [ποιήσας τέρατα καὶ σημεῖα] » (Ac 7,36)
« Jésus le Nazôréen, homme que Dieu avait accrédité auprès de vous enopérant par lui […] des prodiges et des signes [τέρασιν καὶ σημείοις οἷς ἐποίησεν δι᾿ αὐτοῦ ὁ θεός] au milieu de vous » (Ac 2,22, discours de Pierre à la Pentecôte)314.
« C’estlui [οὗτός], Moïse, qui a dit aux Israélites : Dieu vous suscitera d’entre vosfrèresunprophètecommemoi [προφήτην ὑμῖν ἀναστήσει ὁ θεὸς ἐκ τῶν ἀδελφῶνὑμῶνὡςἐμέ] »(Ac 7,37, citant Dt 18,15.18)
Est-il permis de voir en Lc 7,16 un même écho au nouveau Moïse annoncé en Dt 18,15.18 ? Telle est la question que nous sommes en train d’étudier.
« C’est lui [οὗτός] qui, lors de l’assemblée audésert [ἐν τῇ ἐρήμῳ] […] c’est lui qui reçut des paroles de vie pour nous les donner. » (Ac 7,38)
Dans le récit des tentations de Jésus « au désert [ἐν τῇ ἐρήμῳ]315 », Jésus répond au diable en s’appuyant sur des paroles adressées par Moïse au peuple d’Israël durant l’Exode316.
Finalement, en Ac 7,2-53, deux autres expressions se rapportant à Moïse trouvent un écho en Lc au sujet de Jésus : Moïse en Ac 7,2-53
Jésus en Lc
« Moïse […] était puissant en ses « Jésus […] fut un homme prophète parolesetensesactions [δυνατὸς ἐν puissant en œuvre et parole [δυνατὸς λόγοις καὶ ἔργοις αὐτοῦ] » (7,22) ἐν ἔργῳ καὶ λόγῳ] (24,19)317 « Qui t’a établi chef et juge sur nous « Qui m’a établi juge ou partageur [τίς σε κατέστησεν ἄρχοντα καὶ δικα- sur vous [τίς με κατέστησεν κριτὴν στὴνἐφ᾿ἡμῶν] ? »(7,27.35) ἢ μεριστὴν ἐφ᾿ ὑμᾶς] ? » (12,14)318 314 L’expression ποιῶ τέρατα καὶ σημεῖα est propre aux Actes. En plus de Ac 2,22 et de 7,36, on la retrouve en Ac 6,8 (à propos d’Étienne) et en 15,12 (concernant Paul et Barnabas). La particularité des occurrences de Ac 2,22 et de 7,36 est de placer explicitement la réalisation des signes et des prodiges comme la manifestation du choix de Dieu : ἄνδρα ἀποδεδειγμένον ἀπὸ τοῦ θεοῦ (Ac 2,22) et ὁ θεὸς ἄρχοντα καὶ λυτρωτὴν ἀπέσταλκεν (Ac 7,35b). 315 Mc 1,12-13 (par. Mt 4,1-11 et Lc 4,1-13). Seuls Mt 4,1-11 et Lc 4,1-13 présentent le contenu des tentations et la façon dont Jésus les a traversées. 316 Dt 8,3 en Lc 4,4 (par. Mt 4,4), Dt 6,13 en Lc 4,8 (par. Mt 4,10) et Dt 6,16 en Lc 4,12 (par. Mt 4,7). 317 Nul autre verset du N.T. ne contient ces trois mots assemblés : δυνατός, λόγος, ἔργον. 318 Il n’existe pas d’autres parallèles pour l’expression suivante : τις + pronom personnel + καθίστημι.
134
CHAPITRE PREMIER
3.2.5. Ac3,13-26etl’actiondeDieuenJésus Qu’en est-il de Ac 3,22, l’autre citation de Dt 18,15.18 dans le Nouveau Testament ? L’attestation présente en Ac 3,22 fait partie d’une proclamation solennelle de Pierre (Ac 3,12-26) révélant en sept propositions l’action de Dieu (ὁ θεός) manifestée en Jésus. Sept actions de Dieu marquant sept étapes dans le discours de Pierre (Ac 3,13-26)319 1
Dieu [ὁθεός] […] a glorifié son Serviteur [τὸν παῖδα αὐτοῦ] Jésus que vous, vous aviez livré et que vousaviezrefusé [ἠρνήσασθε] […]. 14 Vous avezrefusé [ἠρνήσασθε] le Saint et le Juste [τὸν ἅγιον καὶ δίκαιον], […].
2
15 L’initiateur de la vie [τὸν δὲ ἀρχηγὸν τῆς ζωῆς] que vous aviez fait mourir, Dieu [ὁ θεός] le ressuscita des morts [ἤγειρεν ἐκ νεκρῶν] – nous en sommes les témoins. […]
3
18
4
21 que le ciel doit accueillir [ὃν δεῖ οὐρανὸν μὲν δέξασθαι] jusqu’aux temps où sera restauré [χρόνων ἀποκαταστάσεως] tout ce dont Dieu [ὁ θεός] a parlé parlabouchedesessaintsprophètesd’autrefois [διὰ στόματος τῶν ἁγίων ἀπ᾿ αἰῶνος αὐτοῦ προφητῶν].
5
22
Moïse d’abord a dit : LeSeigneurDieususciterapourvous [ὑμῖνἀναστήσει κύριοςὁθεός] , d’entre vos frères, un prophète [προφήτην] comme moi ; vous l’écouterez en tout ce qu’il vous dira.23Ettoutepersonnequin’écouterapasceprophèteseradoncretranchéedupeuple.24 Et touslesprophètes [πάντες δὲ οἱ προφῆται] depuis Samuel et ses successeurs ont, à leur tour, parlé pour annoncer les jours que nous vivons.
6
25
7
Pour vous d’abord Dieu [ὁ θεός] suscita [ἀναστήσας] et envoya [ἀπέστειλεν] son Serviteur [τὸν παῖδα αὐτοῦ], pour vous bénir [εὐλογοῦντα] en détournant chacun de vous de ses méfaits.
13
Dieu [ὁ δὲ θεός], lui, avait d’avance annoncé parlabouchedetousles prophètes [διὰ στόματος πάντων τῶν προφητῶν ] que son Messie souffrirait [παθεῖν τὸν χριστὸν αὐτοῦ] et c’est ce qu’il a accompli. 19 Convertissez-vous donc et revenez à Dieu, afin que vos péchés soient effacés : 20 ainsi viendront les moments de fraîcheur accordés par le Seigneur, quand il enverra [ἀποστείλῃ] [celui] qui vous est destiné, le Christ Jésus [χριστὸν Ἰησοῦν],
C’est vous qui êtes les fils des prophètes et de l’alliance que Dieu [ὁ θεός] a conclue avec vos pères, lorsqu’il a dit à Abraham : En ta descendance, touteslesfamillesdelaterreseront bénies. 26
319
Nous avons mis en gras les expressions en relation avec Jésus et souligné chaque mention de ὁ θεός.
L’ἐπισκοπή DIVINE À LA PORTE DE NAÏN (LC 7,16)
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Des mots identiques aux deux extrémités (3,13.26) mettent en lumière un procédé d’inclusion axé sur ce que « Dieu [ὁ θεός] » a fait en « son Serviteur [τὸν παῖδα αὐτοῦ] ». « Dieu […] a glorifié son Serviteur Jésus que vous, vous aviez livré et […] refusé. » (3,13) « Pour vous d’abord […] Dieu suscita et envoya son Serviteur, pour vous bénir. » (3,26)
Les sept actions de Dieu en Ac 3,13-26 ont non seulement deux pôles sémantiques, reliés par un vocabulaire commun, mais aussi un centre (ligne 4) entouré par une expression identique, « tous les prophètes » (lignes 3 et 5) en Ac 3,18.24. À l’intérieur de ce noyau sont situées trois figures sur lesquelles se cristallise l’attente religieuse : le Messie (3,18), un prophète comme Moïse (3,22) et une troisième, implicite, Élie. En effet, en Ac 3,21, figurent deux ensembles de termes, « le Christ Jésus, que leciel [οὐρανόν] doit accueillir [δέξασθαι] » et « temps de restauration[ἀποκαταστάσεως] », qui font allusion à Élie. Le premier, « le Christ Jésus, que leciel [οὐρανόν] doit accueillir [δέξασθαι] », renvoie à l’ascension de Jésus (Lc 24,50-53 ; Ac 1,6-11), en écho à l’ascension d’Élie dont nous avons au moins trois témoins vétérotestamentaires : « Élie futenlevé [ἀνελήμφθη] auciel [εἰς τὸν οὐρανόν] dans la tempête » (2 R 2,11)320 ; « Élie, pour avoir brûlé du zèle de la Loi, futenlevé [ἀνελήμφθη] au ciel [εἰς τὸν οὐρανόν] » (1 M 2,58) ; « lui qui fut enlevé [ὁ ἀναλημφθείς] dans un tourbillon de feu, dans un char aux chevaux de feu » (Si 48,9)321. Luc est le seul à considérer l’ascension de Jésus comme un point ultime de son parcours au point d’en faire une clef de voûte de son récit. En effet, Luc conclut son évangile par le récit de l’ascension (Lc 24,50-53) et introduit les Actes par le même événement raconté d’une façon nouvelle (Ac 1,6-11)322. Ensuite, l’ouverture de la section centrale relatant la montée de Jésus à Jérusalem (Lc 9,51-56 ; propre à Luc), est placée dans la perspective de son ascension et porte l’influence des traditions liées à Élie : « Or il arriva, comme s’accomplissaient les jours de son ascension [ἀναλήμψεως], que lui 320 Dans les deux récits de l’ascension de Jésus (Lc 24,50-53 ; Ac 1,6-11), « auciel [εἰς τὸν οὐρανόν] » apparaît à cinq reprises (Lc 24,51 ; Ac 1,10 quater) et le verbe « enlever [ἀναλαμβάνω] », une fois (Ac 1,11). Luc recourt en plus à deux autres verbes : « emporter [ἀναφέρω] » (Lc 24,50) et « élever[ἐπαίρω] » (Ac 1,9). 321 Voir aussi Si 48,9. Le même livre parle aussi de l’ascension d’Enoch (Si 49,14). 322 Voir aussi Ac 1,2.22.
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CHAPITRE PREMIER
fut décidé à partir pour Jérusalem. » (Lc 9,51 ; propre à Luc)323 Une telle insistance contraste avec le silence ou, exceptionnellement, la simple mention observable sur ce point dans le reste du Nouveau Testament324. En Ac 3,21, la seconde expression, « temps de restauration[ἀποκαταστάσεως] », présente des affinités par rapport à la prophétie de Ml 3,22-23 (LXX) évoquant Élie325. 22 Et voici que moi, jevous envoie [ἀποστέλλω] Élie, le Tishbite, avant que vienne le jour du Seigneur, jour grand et manifeste : 23.ilrestaurera [ἀποκαταστήσει] le cœur d’un père à l’égard d’un fils et le cœur d’un homme à l’égard de son prochain […]. (Ml 3,22-23 LXX)
Cependant, est-il possible pour autant de voir en Ac 3,21 une allusion à Ml 3,22-23 (LXX) ? En Ac 1,6, au début du récit de l’ascension de Jésus (Ac 1,6-11), où nous avons déjà mis en évidence un écho à Élie, les apôtres avaient posé une question à Jésus, dans laquelle se trouve une expression similaire à celle de Ac 3,21, « temps de restauration [χρόνων ἀποκαταστάσεως] » : « Seigneur, est-ce maintenant letemps où tuvasrétablir [ἐν τῷ χρόνῳ τούτῳ ἀποκαθιστάνεις] leroyaumepour Israël [τὴν βασιλείαν τῷ Ἰσραήλ] ? » (Ac 1,6) Force est de constater que les affinités de vocabulaire entre Lc 7,16 et Ac 3,22 sont assez nombreuses pour reconnaître une allusion rédactionnelle à la figure du nouveau Moïse en Lc 7,16, tout autant qu’à 323 Lc 9,52 fait écho à Ml 3,1 (LXX). Plusieurs affinités relient Lc 9,51-56 à 2 R 1,1–2,6. Pour plus de détails, voir Thomas L. BRODIE, « The Departure for Jerusalem (Luke 9,51-56) as a Rhetorical Imitation of Elijah’s Departure for the Jordan (2 Kgs 1,1-2,6) », in Biblica 70 (1989) 96-109. 324 Mc 16,19 ; 1 Tm 3,16. 325 Ml 3,23 (LXX) contient le verbe « restaurer [ἀποκαθίστημι] » dont dérive le substantif « restauration [ἀποκατάστασις] ». Ce dernier ne se trouve qu’une fois dans le N.T., en Ac 3,21. Le verbe ἀποκαθίστημι figure aussi en Mc 9,12 (par. Mt 17,11) au sujet d’Élie. En Lc-Ac, on trouve une autre référence à Ml 3,24 TM (3,23 LXX), encore plus explicite qu’Ac 3,21. En effet, au début du troisième évangile, l’ange du Seigneur annonce à Zacharie à propos de son fils, Jean : « et lui-même marchera devant lui avec l’esprit et la puissance d’Élie, pour ramenerlescœursdespères versleursenfants [ἐπιστρέψαι καρδίας πατέρων ἐπὶ τέκνα] » (Lc 1,17). En citant Ml 3,24 TM (3,23 LXX) en Lc 1,17, Luc est plus proche de la version du TM que ֵ et non ἀποκαταde celle de la LXX, en raison du verbe choisi (ἐπιστρέψαι []ה ִשׁיב στήσει), du pluriel pour « pères » (πατέρων [ ]אָבוֹתet non πατρός) et pour « enfants » (τέκνα []בּנִ ים ָ et non υἱὸν). Au lieu d’interpréter Lc 1,17 comme une identification entre Jean et Élie, Pao et Schnabel comprennent cette mention comme le signe de l’ouverture d’une ère eschatologique, marquée par des actions prophétiques qui manifestent le renouvellement de la puissance de Dieu au milieu de son peuple. Voir David W. PAO – ECKHARD J. SCHNABEL, « Luke », p. 258.
L’ἐπισκοπή DIVINE À LA PORTE DE NAÏN (LC 7,16)
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Élie, en particulier en 7,15326. Notre hypothèse, que nous ne sommes pas seule à défendre327, va plus loin que celle de Fitzmyer et d’autres qui interprètent l’acclamation d’un « grand prophète » comme une référence d’abord à Élie et éventuellement au nouveau Moïse328, ou encore comme une parole inadéquate329. Voici de façon plus détaillée un échantillon de diverses interprétations de « grand prophète [προφήτης μέγας] » en Lc 7,16 : un renvoi à Élie qui doit venir (Ml 3,22 LXX), sans évoquer le nouveau Moïse330 ; un écho à 1 R 17,18-24, mais pas nécessairement à la figure eschatologique d’Élie (Ml 3,22 LXX) et encore moins au nouveau Moïse (Dt 18,15-18)331 ; un prophète supérieur à Élie en comparant les gestes et les paroles de Jésus en Lc 7,12-15, et ceux d’Élie en 1 R 17,19-21, sans tenir compte de ce que Luc insinue par ailleurs332 ; un prophète égal à Élie et non comme « le Prophète attendu pour les derniers temps, ni comme un nouveau Moïse333 » ; une référence au nouveau Moïse (Dt 18,18), et non à Élie ou d’autres figures prophétiques334. D’autres y reconnaissent une allusion au Messie335. Nous ne 326 Voir plus haut l’analyse exégétique de « etelleétaitveuve [καὶ αὐτὴ ἦν χήρα] » (Lc 7,12) avec l’écho de 1 R 17,17-24 perçu en Lc 7,11-17, en particulier dans la citation verbatim de 1 R 17,23 en Lc 7,15. 327 David W. PAO – Eckhard J. SCHNABEL, « Luke », p. 299 ; François BOVON, L’Évangile selon saint Luc. Vol. I (1,1–9,50), p. 356 ; Luke T. JOHNSON – Daniel J. HARRINGTON, TheGospelofLuke(Sacra Pagina Series, 3), Collegeville MN, The Liturgical Press, 1991, p. 119 ; Jacques DUPONT, « A Ressurreiçao do Môco de Naim (Lc 7,11-16) », p. 489-490 ; Donald K. CAMPBELL, « The Prince of Life at Nain », p. 344. 328 Joseph A. FITZMYER, LukeI–IX, p. 659-660; Robert H. STEIN, Luke(The New American Commentary, 24), Nashville TN, Broadman & Holman, 1992, p. 223. 329 Massimo DE SANTIS, « La visita di Dio alla vedova di Nain (Lc 7,11-17) », p. 65 ; Leon MORRIS, Luke, p. 161. Or, d’après le discours de Pierre en Ac 3,12-26, la proclamation en Lc 7,16 est vraie, même si elle demeure partielle. « “Prophète”, n’est pas le dernier mot de la christologie lucanienne. » Voir Daniel MARGUERAT, « Jésus le prophète », in Jacques VERMEYLEN (éd.), LesprophètesdelaBibleetlafindestemps : XXIIIe congrès de l’Association catholique française pour l’étude de la Bible (Lille, 24-27août2009) (Lectio Divina, 240), Paris, Cerf, 2010, 273-297, p. 290-291. 330 Daniel MARGUERAT – Emmanuelle STEFFEK, « Évangile selon Luc » ; Heinz SCHÜRMANN, DasLukasevangelium.1.Teil:KommentarzuKap.1,1–9,50(HTKNT, 3), Freiburg, Herder, 19822, p. 402. 331 Michael WOLTER, DasLukasevangelium, p. 276 ; Mary J. OBIORAH, « “Do Not Weep” (Luke 7:13) », p. 213 ; John NOLLAND, Luke1–9:20, p. 323-324 ; I. Howard MARSHALL, TheGospelofLuke, p. 286-287. 332 Mikael C. PARSONS, Luke, p. 122. 333 Gérard ROCHAIS, « La résurrection du fils de la veuve de Naïn (Lc 7,11-17) », p. 28. 334 David E. GARLAND, Luke, p. 303. 335 John T. CARROLL, Luke, p. 166 ; François BOVON, L’ÉvangileselonsaintLuc. Vol.I(1,1–9,50), p. 357.
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CHAPITRE PREMIER
voyons pas quelle donnée textuelle justifie ici cette dernière lecture pourtant clairement exprimée dans certains manuscrits de Qumrân. 3.2.6. L’attente d’un prophète dans les manuscrits de la mer Morte La reconnaissance de Jésus en tant que prophète s’inscrit dans le contexte d’une attente religieuse. Celle-ci est également attestée dans les manuscrits de Qumrân336. L’attente d’un prophète eschatologique figure explicitement dans au moins trois manuscrits : 1QS IX 11 (Règledela communauté)337 où la venue du prophète est associée à celles des messies d’Aaron et d’Israël ; 4Q158 6 6 (RéécrituredelaGenèseetdel’Exode)338 qui constitue une reprise d’Ex 20,19-21, avec des développements faisant écho à Dt 5,28-29 et à 18,18-20.22, ainsi que 4Q175 5-8 (Testimonia)339 qui contient le renvoi le plus explicite à Dt 18,18 (Ex 20,21 du texte samaritain). Le seul fragment du rouleau 4Q175, auquel nous avons accès jusqu’à présent, témoigne de l’espérance en « l’avènement d’un prophète comme Moïse, d’un rejeton du roi David pour triompher au combat et d’un vrai grand prêtre. Tous trois pouvaient prétendre au titre de “Messie” car chacun devait être “oint” par Dieu340. » Ces trois attestations sont en dépendance directe ou indirecte de Dt 18,15.18. Nous reviendrons sur le rouleau 4Q175 dans l’analyse de la seconde partie de l’exclamation de Lc 7,16. Au moins deux autres manuscrits reflètent implicitement – sans recourir au terme נביא – l’espérance de la venue d’un prophète. Tout d’abord, 4Q558 51 ii 4 (4QpapVisionbar)341 évoque le retour d’Élie en faisant allusion à Ml 3,23. 336 Pour une analyse approfondie, voir l’étude de « prophète [ » ]נביאdans les manuscrits de Qumrân : George J. BROOKE, « Prophets and Prophecy in the Qumran Scrolls and the New Testament », p. 38-39. 337 Pour l’édition du texte, voir Millar BURROWS – John C. TREVERetal. (éds.), TheDeadSeaScrollsofSt.Mark’sMonastery, planche IX. Pour la traduction, voir Martin G. ABEGG – Edward M. COOKetal. (éds.), LesmanuscritsdelamerMorte, p. 161 (1QS IX 11). 338 Pour l’édition du texte, voir John M. ALLEGRO – Arnold A. ANDERSON (éds.), 4Q158-4Q186, planche I, p. 3 (4Q158 6 6). 339 Pour l’édition du texte, voir John M. ALLEGRO – Arnold A. ANDERSON (éds.), 4Q158-4Q186, planche XXI, p. 58-59 (4Q175 5-8). En plus de l’espérance de la venue d’un prophète comme Moïse, explicite à la ligne 5 citant Dt 18,18 (Ex 20,21 du texte samaritain), 4Q175 évoque l’espérance d’un rejeton du roi David, implicite à la ligne 9 reprenant Nb 24,15, et d’un grand prêtre explicite à la ligne 14, en écho à Dt 33,8. 340 Voir Martin G. ABEGG – Edward M. COOKetal. (éds.), Lesmanuscritsdela merMorte, Paris, Plon, 2001, p. 274-277. 341 Pour l’édition du texte, sa traduction et son analyse, voir Émile PUECH (éd.), Qumrân Grotte 4 • XXVII : textes araméens. Deuxième partie, 4Q550-4Q575a, 4Q580-4Q587etappendices (Discoveries in the Judaean Desert, XXXVII), London,
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Ensuite, 4Q521 (Apocalypse messianique) parle d’un משׁיחcomme d’une figure eschatologique qui renverrait à un prophète futur, éventuellement à Élie redivivus342. En bref, selon le témoignage des manuscrits de la mer Morte, durant les derniers siècles avant Jésus Christ et au début de l’ère chrétienne, l’espérance en l’avènement d’un prophète eschatologique est bien présente, mais aussi plurielle, et ce dernier est désigné comme « Messie ». Cette pluralité dans l’expression de l’attente religieuse se perçoit à travers deux passages des synoptiques qui offrent une synthèse à propos de l’opinion des gens sur Jésus (Lc 9,7-9 et 9,18-19 incluant leurs parallèles)343. Ces deux témoignages rapportent, à travers les disciples et Hérode, l’opinion des gens à propos de Jésus. Ils éclairent notre question sur le sens de l’expression « un grand prophète » en Lc 7,16. En effet, nous constatons que Jésus a été identifié à Élie par ses contemporains, mais jamais de façon unanime et exclusive344. Malgré la diversité des opinions sur Jésus, ses contemporains se rejoignent pour reconnaître en lui un prophète, en raison de « tout ce qui arrivait » (9,7)345. Nous avons de bonnes raisons de penser que l’acclamation de tous, considérant Jésus comme « un grand prophète » (7,16), est du même ordre346. En effet, en Lc 9,8.19, à la différence des deux récits parallèles, Luc reprend les deux termes de la prophétie de Dt 18,15.18 citée en Ac 3,22 et en 7,37 (« unprophète [προφήτης] […] seleva [ἀνέστη] »). De même, il utilise l’expression « ilfutréveilléd’entrelesmorts [ἠγέρθη ἐκ νεκρῶν] » pour évoquer Jean (Lc 9,7)347. La singularité de la version Oxford University Press, 2009, planche XII, p. 215. Voir aussi Émile PUECH, LacroyancedesEsséniensenlaviefuture :immortalité,résurrection,vieéternelle ?Histoire d’unecroyancedanslejudaïsmeancien(Études bibliques. Nouvelle Série, 22), Paris, Gabalda, 1993, Vol. II, p. 676-681. 342 Émile PUECH (éd.), Textes hébreux (4Q521-4Q528, 4Q576-4Q579), p. 1-2. Voir 4Q521 2 ii + 4 1 ; 2 iii 2 (références repises au point 3.3.3 du présent chapitre). 343 Mc 6,14-16 ; 8,27-28 ; Mt 14,1-2 ; 16,13-14. 344 Élie est absent dans le parallèle de Mt 14,1-2. 345 Lagrange explique cette reconnaissance d’un prophète par les foules de façon naturelle : celles-ci « cherchent dans le passé où l’on avait vu des prophètes ressusciter des morts ». Cependant, il va plus loin en ajoutant : « Aucun cependant ne l’avait fait d’une parole ; aussi regarde-t-on Jésus comme un grand prophète, celui qu’on attendait au temps marqué pour le salut. » Voir Marie-Joseph LAGRANGE, Évangileselonsaint Luc, p. 211. 346 Toutefois, en Lc 7,16, les foules ne peuvent pas voir en Jésus un nouveau Jean « réveillé d’entre les morts » (9,7). En effet, d’après la péricope suivante (7,18-23), ce dernier est toujours vivant quand Jésus est reconnu « grand prophète » (7,16) à Naïn. 347 ἐγείρω et νεκρῶν sont également présents dans les parallèles de Mc 6,14 et de Mt 14,2, en présentant des différences au niveau de la conjugaison du verbe ou de la préposition introduisant νεκρῶν.
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CHAPITRE PREMIER
lucanienne en Lc 9,7-9.18-19 présente donc des affinités de vocabulaire avec Lc 7,16, en plus de la mention des foules348. En guise de rappel, la multitude présente à Naïn est notamment formée par « sesdisciplesetunefouleimportantequimarchaitaveclui [συνεπορεύοντο αὐτῷ οἱ μαθηταὶ αὐτοῦ καὶ ὄχλος πολύς] » (7,11). Nous avons vu que l’usage de l’imparfait exprime une continuité dans l’action. Une bonne partie des témoins présents à Naïn étaient donc déjà avec Jésus avant d’arriver dans cette ville. Ils ont pu voir d’autres prodiges accomplis par lui dans la région, et même l’entendre. Leur perception de Jésus repose ainsi sur un assemblage de faits. De plus, même la foule importante de Naïn a sans doute eu connaissance de la guérison du démoniaque à Capharnaüm (Lc 4,31-37) et de celle du lépreux (5,12-16), car dans les deux cas la nouvelle s’est répandue dans les alentours (4,37 ; 5,15). Si l’on tient compte de la diversité de prodiges que les foules à Naïn peuvent mettre sur le compte de Jésus, rien ne justifie qu’elles voient en lui exclusivement Élie. En Lc 7,16, il est donc inutile de chercher, du point de vue des acteurs du récit, un rapprochement avec une seule et unique figure prophétique349, ni avec Moïse, ni avec Élie, ni avec un autre prophète, même si du point de vue rédactionnel, c’est le cas350. 3.2.7. « Parmi nous », processus d’auto-identification Dans l’expression « parmi nous [ἐν ἡμῖν] » (Lc 7,16), qui est concerné ? Cette formulation typiquement lucanienne est peu fréquente dans les évangiles351. Quand le verbe dont elle dépend manifeste une action réellement passée, en insistant sur son accomplissement (aoriste ou parfait) et non sur sa durée (imparfait), un seul autre cas se présente en Lc-Ac, en plus de Lc 7,16 : Lc 1,1352. Puisque beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements accomplis parminous [ἐν ἡμῖν] πραγμάτων […]. (Lc 1,1) 348
Nous avons souligné ces affinités de vocabulaire en gras dans le tableau. Darrell L. BOCK, Luke.Volume1(1:1–9:50), p. 653. 350 Rares sont les commentateurs qui font clairement la distinction entre les niveaux littéraire et rédactionnel. Parmi les exceptions, voir I. Howard MARSHALL, TheGospel ofLuke, p. 287. La perspective littéraire s’en tient aux témoignages des acteurs du récit et à la voix du narrateur, tandis que la perspective rédactionnelle prend en considération le message que l’auteur laisse sous-entendre au lecteur, par sa façon de relater le récit. 351 Lc 1,1 ; 7,16 ; 24,21 ; Jn 1,14 ; 17,21. Aussi en Ac (1,17 ; 2,19) et 19 fois ailleurs dans le N.T. 352 Une autre situation similaire se produit en Jn 1,14 : Καὶ ὁ λόγος σὰρξ ἐγένετο καὶ ἐσκήνωσεν ἐν ἡμῖν […]. 349
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Le verset est situé dans l’introduction de l’évangile et fait référence au temps de l’avènement du Fils de Dieu. Or, Luc parle « des événements accomplis parmi nous » (Lc 1,1), et laisse entendre aussitôt que lui-même n’a pas été témoin oculaire des événements de la vie de Jésus (1,2). Il est assez manifeste que l’occurrence de « parminous [ἐν ἡμῖν] » en Lc 1,1 appartient à un style rhétorique d’auto-identification353. Il invite les lecteurs à recevoir la manifestation de Jésus Christ, accomplie en un temps et en un lieu précis, comme une expérience toujours actuelle dans le temps et le lieu qui sont les leurs. Tel a été vraisemblablement le chemin par lequel Luc a rencontré Jésus Christ et sur lequel il propose à ses lecteurs d’avancer. Est-il pour autant légitime d’interpréter dans le même sens l’expression « parmi nous [ἐν ἡμῖν] » en Lc 7,16 qui est une parole mise dans la bouche des témoins à Naïn et non du narrateur, comme c’est le cas en Lc 1,1 ? Dans le cantique de Zacharie (1,68-79), l’usage du pronom personnel à la première personne du pluriel a une fonction d’auto-identification pour le lecteur354. Les affinités de vocabulaire entre l’acclamation finale de la foule à Naïn et le cantique de Zacharie (en particulier v. 68-69) sont un appui en faveur d’une interprétation du « nous » en Lc 7,16 dans le même sens. En outre, dans l’analyse de l’expression « grand prophète » (7,16), nous avons déjà perçu que ce titre déborde l’événement de Naïn et englobe au moins plusieurs événements. Cependant, en comprenant le « nous » comme une collectivité qui dépasse les personnes présentes à Naïn, nous faisons un pas de plus. Celui-ci est justifié par la finale (7,17) dont le verbe « sortit/serépandit [ἐξῆλθεν] » et les adjectifs « entier [ὅλος] » et « tout [πᾶς] » expriment un élargissement holistique : « Et ce propos serépandit [ἐξῆλθεν] à son sujet dans toute [ὅλῃ] la Judée et toute [πάσῃ] la région alentour. » (7,17)355 353 Bovon parle d’une « affirmation auto-implicative ». François BOVON, L’Évangile selonsaintLuc.Vol.I(1,1–9,50), p. 356. 354 Il en va de même pour les deux autres passages en Lc où une telle concentration de « nous » se rencontre : le Pater(Lc 11,3 ; six fois) et le récit des disciples d’Emmaüs (24,20-32 ; dix fois). Pour une argumentation détaillée de la fonction d’auto-identification du « nous » en Lc 1,68-79, voir Marie de LOVINFOSSE, « La double “visite” de Dieu dans le Benedictus », p. 52-53. 355 Le passage de la première à la troisième personne pour désigner les destinataires peut être perçu comme un emprunt au style des prières juives. Voir Frédéric MANNS, « Une prière juive reprise en Luc 1,68-69 », in EphemeridesLiturgicae 106 (1992) 162166, p. 165.
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CHAPITRE PREMIER
L’usage du pronom personnel à la première personne du pluriel, avec ou sans la préposition « dans/parmi [ἐν] », est très répandu en Lc et encore davantage en Ac356. À la lumière de notre analyse, cette caractéristique littéraire traduit dans plusieurs cas une sensibilité pastorale et un souci pédagogique de la part de Luc. En conclusion, la veuve de Naïn est devenue un « symbole d’universalité », expression empruntée à Beauchamp commentant le procédé de Dieu dans son élection d’Abraham357. Ce que Dieu accomplit pour une personne en particulier devient le signe concret d’un don pour tous. Pour rappel, le deuil d’un fils unique est une métaphore biblique qui évoque une douleur profonde, voire extrême358. Celle-ci devient ultime quand elle est vécue par une veuve. Déjà la mort d’un proche est une souffrance irréductible devant laquelle l’être humain se sent complètement impuissant. Si Dieu intervient dans une telle impasse auprès de cette femme, il peut également le faire dans toute situation, auprès de tous les autres. Il restera à déterminer s’il s’agit d’une universalité relative (en relation au peuple d’Israël et donc confinée aux Juifs) ou absolue (incluant toute personne qui s’ouvre à Dieu dans la foi). 3.2.8. Un procédé rédactionnel de « correctif » Le choix qu’a fait Luc de situer immédiatement après le récit de Naïn l’épisode des messagers de Jean (Lc 7,18-23) peut-il être invoqué comme un indice que, même assortie du qualificatif « grand », la reconnaissance de Jésus comme prophète apparaît insuffisante aux yeux de Luc ? Dans sa réponse aux envoyés de Jean, en effet, Jésus manifeste qu’il possède l’identité unique de « celui qui vient » (7,19.20) et compte parmi les signes celui qu’il a juste accompli : « les morts sont relevés » (7,22). Dans le prolongement de cette réponse sur sa propre identité, il indique par surcroît que Jean lui-même est « plus qu’un prophète » (7,26). Ainsi, en faisant suivre le récit de Naïn (7,11-17) de la proclamation par Jésus de son identité unique en réponse à la question de Jean (7,18-23), Luc apporte un correctif, en quelque sorte, à la reconnaissance partielle et encore imparfaite des foules rapportée en 7,16. Aurions-nous là un indice supplémentaire de l’utilisation par Luc d’une source, qu’il respecterait dans la 356 357 358
69 fois en Lc (125 en Ac), 49 en Mt, 49 en Jn, 23 en Mc. Paul BEAUCHAMP, Cinquanteportraitsbibliques, Paris, Seuil, 2000, p. 16. Am 8,10 ; Jr 6,26 ; Za 12,10.
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proclamation qu’elle rapportait concernant Jésus mais dont il s’empresserait de montrer le caractère insuffisant, en situant à la suite 7,18-23 ? En tout cas, il est frappant de constater que le même procédé du « correctif » est encore présent chez Luc en d’autres endroits où se trouve affirmée l’identité de Jésus comme prophète. Ainsi, dans la suite du même chapitre, dans un récit propre à Luc, Jésus sera de nouveau qualifié de façon dubitative comme prophète par Simon le pharisien (Lc 7,39). Or, dans le même récit, Jésus annonce à la femme pécheresse que ses péchés ont été remis (7,48), ce qui amène les témoins à s’interroger sur sa véritable identité (7,49), la rémission des péchés étant l’apanage de Dieu seul (5,21). Semblablement, en Lc 13,33, encore dans un passage propre à Luc, Jésus affirme qu’« il ne convient pas qu’un prophète périsse hors de Jérusalem ». Or, Luc situe immédiatement après l’apostrophe de Jésus à Jérusalem, où il insinue de nouveau quelque chose de son identité unique en s’appliquant à lui-même la proclamation du Ps 117,26 (LXX) : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. » (Lc 13,35) Dans l’épisode d’Emmaüs, le même procédé se laisse encore vérifier. Après que les disciples aient qualifié Jésus comme « un prophète puissant » (24,19) en exprimant leur dépit par suite de sa disparition, Jésus les interpelle et manifeste ainsi que leur reconnaissance reste bien en deçà de la réalité : « Ne fallait-il pas que le Messie souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? » (24,26)359 3.3. L’interventionsalvifiquedeDieupoursonpeuple(Lc7,16d) 3.3.1. Une action salvifique de Dieu La première partie de l’exclamation, portant sur la reconnaissance de Jésus comme un prophète, est un premier élément surprenant à une époque où le peuple juif estimait qu’il n’y avait plus de grands prophètes. La seconde partie prise dans son ensemble, tout comme dans ses éléments particuliers, renforce la solennité du moment : le verbe (ἐπεσκέψατο) et son objet collectif (τὸν λαὸν αὐτοῦ). Quelle est leur signification dans le contexte de notre péricope ? 359 Dans la scène inaugurale de la prédication à Nazareth (Lc 4,16-30), Jésus luimême, face à l’opposition de ses auditeurs, s’était présenté indirectement comme prophète : « Aucun prophète n’est bien reçu dans sa patrie. » (4,24). Cette fois, le correctif serait signalé d’avance, dans l’application à lui-même qu’avait faite Jésus de l’oracle d’Isaïe : « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce qu’il m’aoint[ἔχρισέν] » (4,18). Plus qu’un prophète, Jésus est l’Oint de Dieu.
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CHAPITRE PREMIER
Parmi les mentions d’ἐπισκέπτομαι dans la Septante, considérons celles qui ont Dieu pour sujet, le peuple comme complément d’objet du verbe et un prophète comme médiateur de l’action divine, afin de découvrir si au moins l’une d’entre elles trouve une résonnance en Lc 7,16. Six versets remplissent les trois conditions et concernent deux prophètes360 : Moïse361 et Samuel (Si 46,14). Concernant l’occurrence d’ἐπισκέπτομαι liée à Samuel en Si 46,14, il est peu probable qu’elle trouve un écho spécifique en Lc 7,16, même si c’est une figure connue en Ac362. En effet, les actions de Samuel, à travers lesquelles Dieu « visite » son peuple, diffèrent de celles de Jésus dans le contexte de Naïn : « ilaétablilaroyauté [κατέστησεν βασιλείαν] » (Si 46,13a), « ilaointdeschefs [ἔχρισεν ἄρχοντας] » (46,13b), « ilajugéles assemblées [ἔκρινεν συναγωγήν] » (46,14). Lc 7,16 comporte plusieurs points communs avec Ex 4,31 qui fait suite à Ex 3,16-17. Ces textes sont fondamentaux dans l’exégèse juive. Ex 4,31 (ἐπεσκέψατο ὁ θεός) fait écho à la parole de Dieu en Ex 3,16 (Ἐπισκοπῇ ἐπέσκεμμαι / )פּקֹד ָפּ ַק ְד ִתּי, ָ de même qu’à l’intervention de Dieu annoncée par Joseph en Gn 50,24 (ἐπισκοπῇ δὲ ἐπισκέψεται / יִפקֹד ְ )פּקֹד ָ et en Gn 50,25 (Ἐν τῇ ἐπισκοπῇ, ᾗ ἐπισκέψεται / ָפּקֹד )יִפקֹד, ְ telle qu’elle est rappelée en Ex 13,19 (Ἐπισκοπῇ ἐπισκέψεται / )פּקֹד ָפּ ַק ְד ִתּי. ָ Les quatre derniers versets présentent une formule originale qui combine le verbe ἐπισκέπτομαι et le substantif de même racine, ἐπισκοπή. Il s’agit d’une tentative de traduction d’une construction propre à l’hébreu biblique (verbe à l’infinitif suivi aussitôt du même verbe à la forme personnelle), visant à renforcer la certitude de ce qui est affirmé363. Selon une tradition juive sur le « secret de la rédemption », dont témoignent un texte de GenèseRabbah (97.6 sur Gn 48,21), repris et développé dans ExodeRabbah (3.8 sur Ex 3,16-18), « toutsauveur quiutiliseleterme פקידהdemanièreredoubléeestreconnucomme 360 En Jdt (4,15 ; 8,33 ; 13,20), il est aussi question de l’intervention (ἐπισκέπτομαι) de Dieu en faveur de son peuple, grâce à Judith. Cependant, celle-ci n’est pas considérée comme prophète et les trois occurrences d’ἐπισκέπτομαι sont exprimées sous forme de souhait ou d’annonce, et non d’un constat comme en Lc 7,16. De plus, aucune allusion n’est faite à Judith en Lc-Ac, ni dans le N.T. Cependant, la victoire suscite une double bénédiction, l’une adressée à Dieu (Jdt 13,17.18b) et l’autre à Judith (13,18a) que Dieu « aconduite [κατεύθυνέν] ». 361 Ex 3,16 ; 4,31 ; 13,19 en écho à Gn 50,24.25. 362 Ac 3,24 ; 13,20. 363 Paul JOÜON, AGrammarofBiblicalHebrew(Subsidia Biblica, 27), traduit par Takamitsu MURAOKA, Roma, Pontificio Istituto Biblico, 20082, p. 391 (§ 123d et 123e).
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levraisauveur [שכל גואל שיבוא ואמר להם פקידה כפולה הוא גואל של ]אמת364 ». Ce signe évoqué dans ExodeRabbah avait d’abord été décrit dans GenèseRabbah, comme ayant été transmis par les patriarches à leurs descendants, pour reconnaître le vrai sauveur365. Est-ce une pure coïncidence que le premier passage de Lc-Ac parlant de l’ἐπισκοπή divine soit situé dans un hymne messianique (Lc 1,68-79) contenant une double mention du verbe ἐπισκέπτομαι (1,68.78) ? D’après les analyses de Michel Remaud, un rapprochement avec ce procédé littéraire juif n’est pas improbable car « Luc connaît les traditions juives anciennes366 ». À travers la double ἐπισκοπή divine, le cantique de Zacharie annonce ainsi la venue du vrai rédempteur. 3.3.2. Affinités entre Lc 7,16 et Ex 4,31 (en relation à Ex 3,16-17) Entre Lc 7,16 et l’environnement d’Ex 4,31, quels sont les liens narratifs et sémantiques367 ? Premièrement, Dieu agit par la médiation de Moïse et d’Aaron, parce qu’« ilavu [εἶδεν] la misère [des fils d’Israël] » (Ex 4,31). Déjà au buisson ardent, ce regard revêt de l’importance dans la parole du Seigneur (κύριος) à Moïse et s’accompagne d’un déplacement. J’aibienvu [ Ἰδὼν εἶδον / יתי ִ ָ]ראֹה ָר ִאla souffrance de monpeuple [τοῦ λαοῦ μου] en Égypte et j’ai entendu leur cri à cause des surveillants des travaux. Je connais en effet leur peine. 8 Et je suis descendu [κατέβην] pour les enlever [ἐξελέσθαι] de la main des Égyptiens […] 9 Etmaintenant [καὶ νῦν ἰδοὺ], voici que le cri des fils d’Israël estvenujusqu’àmoi [ἥκει πρός με] et j’aivu [ἑώρακα] l’oppression dont les Égyptiens les oppriment. 10 Etmaintenant,va,[καὶ νῦν δεῦρο], laisse-moi t’envoyer à Pharaon le roi d’Égypte et tu feras sortir [ἐξάξεις] mon peuple [τὸν λαόν μου], les fils d’Israël, du pays d’Égypte. (Ex 3,7-10) 7
364 Maurice MERGUI (éd.), Le Midrash Rabba sur l’Exode. Vol. I (chap. 1–14) (Textes fondateurs de la tradition juive, 2/1), Paris, Objectif transmission (OT), 2007, p. 78-79 (no 3.8 sur Ex 3,16-18). 365 Michel REMAUD, ÀcausedesPères.Le« méritedesPères »danslatradition juive(Collection de la Revue des Études Juives, 22), Leuven, Peeters, 1997, p. 69-74. 366 Remaud appuie son affirmation sur deux exemples. Pour plus de détails, voir Michel REMAUD, Évangileettraditionrabbinique(Le livre et le rouleau, 16), Bruxelles, Lessius, 2003, p. 71-72. 367 En Lc 7,13, devant « le Seigneur qui voit, qui s’émeut et qui agit », Prieto reconnaît également un écho à Ex 3,7-8, sans pour autant le développer, ni en poser les fondements. Voir Christine PRIETO, « L’esclave du centurion de Capharnaüm ; le fils de la veuve de Naïn ; question de Jean le Baptiste à Jésus (Lc 7,1-23) », p. 261. La même situation se présente chez Dupont. Voir Jacques DUPONT, « A Ressurreiçao do Môco de Naim (Lc 7,11-16) », p. 488.
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CHAPITRE PREMIER
De la même manière, le retour à la vie du jeune homme de Naïn s’accomplit sans aucune demande préalable. Jésus « partit pour […] Naïn » et « voyant[ἰδών] » (Lc 7,13) la mère du fils décédé, s’adressa à l’un et à l’autre. À partir de ce regard posé sur elle, Jésus est présenté comme « leSeigneur [ὁ κύριος] » (7,13) par Luc. Deuxièmement, Ex 4,30-31 donne une synthèse de la dynamique du récit d’Ex 3–4 en trois temps. Primo, Dieu appelle Moïse à travers le buisson ardent (3,4), se révèle à lui comme « leDieudetonpère, leDieud’Abraham,leDieud’IsaacetleDieudeJacob [ὁ θεὸς τοῦ πατρός σου, θεὸς Αβρααμ καὶ θεὸς Ισαακ καὶ θεὸς Ιακωβ] » (3,6) et lui dévoile son projet de libération pour son peuple (3,7-10). Secundo, il lui donne le pouvoir d’accomplir des « signes [σημεῖα] » auprès des fils d’Israël (4,2-9) et des « prodiges[θαυμάσια / τέρατα] » auprès des Égyptiens (3,20 ; 4,21). Dieu manifeste ainsi sa propre puissance : il peut rendre lépreux368 ou purifié (4,6-9), « sourd [δύσκωφον] » ou « dur d’oreille [κωφόν] » (4,11), « clairvoyant [βλέποντα] » ou aveugle (4,11). En outre, il peut donner une bouche et « susciter laparole [λαλῆσαι] » (4,12), « provoquerlamort[ἀποκτενῶ] » du fils premier-né du pharaon (4,23), voire celle de Moïse (4,24), aussi bien que laisser ce dernier en vie (4,26). Tertio, devant les « signes [σημεῖα] » (4,30), les fils d’Israël croient que Dieu s’est fait voir à Moïse et qu’« ilasouci [ἐπεσκέψατο] d’eux » (4,31), et « ilsse prosternent [προσεκύνησεν] », alors que le cœur de pharaon s’endurcit (4,21). On peut établir des rapprochements avec le parcours de Jésus depuis son baptême et son séjour au désert (Lc 3,21–4,13), jusqu’à son passage à Naïn (7,11-17). Primo, juste après son baptême, « une voix, du ciel » (3,22) s’adresse à lui en l’appelant « tu es mon Fils ». Dieu se révèle ainsi implicitement comme étant d’abord « son Père », et non plus uniquement « leDieudetonpère [ὁ θεὸς τοῦ πατρός σου]369 ». 368 En Ex 4,6, la LXX indique « commeneige [ὡσεὶ χιών] » alors que le TM écrit « devenuelépreuse []מצ ַֹר ַעת ְ ». Selon Harl, « l’omission est volontaire, pour effacer un soupçon répandu dans la littérature antijuive depuis Manéthon : Moïse, lépreux luimême, aurait conduit hors d’Égypte une grande foule de victimes de la lèpre et d’autres maladies. » Voir la note d’Ex 4,6 par Alain LE BOULLUEC – Pierre SANDEVOIR (éds.), L’Exode (La Bible d’Alexandrie, II), Paris, Cerf, 1986, p. 97. Josèphe Flavius lui-même confirme qu’il s’agit d’une critique non fondée. Voir FLAVIUS JOSÈPHE, Antiquités Juives, édité par Étienne NODET, Paris, Cerf, 19922, Vol. I (Livres I–III), p. 198-199 (III 265-268). 369 Dans le N.T., l’expression ὁ θεὸς τῶν πατέρων est présente seulement en Ac (3,13 ; 5,30 ; 7,32 ; 22,14) et ὁ θεὸς Ἀβραὰμ καὶ Ἰσαὰκ καὶ Ἰακώβ en Mt 22,32 ; Mc 12,26 ; Lc 20,37 ; Ac 3,13 ; 7,32.
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Dans la synagogue de Nazareth, Jésus proclame un extrait du livre d’Isaïe (Lc 4,18-19) et déclare « aujourd’hui s’est accomplie » (4,21) cette parole d’onction de l’Esprit sur le serviteur de Dieu, envoyé pour annoncer la bonne nouvelle « aux pauvres [πτωχοῖς] » incluant les « captifs [αἰχμαλώτοις] », les « aveugles [τυφλοῖς] », les « opprimés [τεθραυσμένους] » (4,18). Secundo, il accomplit des guérisons auprès de personnes variées370. Tertio, chaque signe et chaque parole suscitent des réactions diverses, de fascination ou d’hostilité. À Naïn, tous les témoins non seulement glorifient Dieu, mais reconnaissent pour la première fois qu’un grand prophète leur a été envoyé et que Dieu a pris leur cause en main (7,16). Les affinités littéraires et narratives en Lc 7,16 et Ex 4,31, ici dégagées, permettent d’interpréter l’attitude de Jésus par comparaison avec l’action de Dieu et avec celle de Moïse durant l’Exode. Nous ne prétendons pas que Luc ait perçu ou voulu ces rapprochements, mais nous cherchons à comprendre quels sont les points de convergence et de différence entre l’action de Jésus en Lc 7 et la figure de Moïse transmise par le Pentateuque. Cela est d’autant plus pertinent qu’un rapprochement entre Moïse et Jésus se rencontre en Ac 3,22 et en Ac 7,37. Toutefois, tout comme il a été observé dans le parallèle entre Jésus et Élie (1 R 17,17-24), Jésus dépasse Moïse : en Lc 7,13, Jésus désigné comme « le Seigneur [κύριος] » « voit [ἰδών] » et agit directement alors qu’en Ex 3,7, le « Seigneur [κύριος] », Dieu, « voit [ἰδών] » et agit en envoyant Moïse. Les sept critères de Hays et d’Allison déjà mentionnés sont confirmés, bien qu’aucune citation n’apparaisse explicitement. Le langage de l’ἐπισκοπή divine employé dans l’exclamation en Lc 7,16 exprime ainsi la conviction que Dieu est en train d’accomplir ses promesses371 et qu’il vient sauver son peuple pour l’ouvrir à une vie nouvelle, alors que celui-ci passait par une grande épreuve372. 370 Jésus guérit un démoniaque dans la synagogue de Capharnaüm (Lc 4,33-37), la belle-mère de Pierre en proie à la fièvre dans la maison de ce dernier à Capharnaüm (4,38-39), les foules (4,40-41.44 ; 6,17-19), un homme « couvertdelèpre [πλήρης λέπρας] » dans une ville (5,12-16), un paralytique qui reçoit aussi le pardon de ses péchés (5,17-26), un homme à la main sèche dans une synagogue durant le sabbat (6,611), le serviteur mourant du centurion à Capharnaüm, le fils décédé de la veuve de Naïn (7,11-17). Il opère aussi une pêche miraculeuse (5,1-11) et parle avec autorité, même en dehors d’une occasion de miracle (4,31-32 ; 5,3.33-39 ; 6,1-5.6.20-49). 371 Robert H. STEIN, Luke, p. 224. 372 C’est aussi le sens donné par Darrell L. BOCK, Luke. Volume 1 (1:1–9:50), p. 654.
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CHAPITRE PREMIER
3.3.3. Résurrection des morts et « visite » de Dieu dans les manuscrits de la mer Morte Par ailleurs, le recours à ἐπισκέπτομαι ou à l’un de ses équivalents hébreux – פקדou – בקרpour décrire l’intervention de Dieu en faveur de son peuple, est aussi usuelle dans le judaïsme contemporain de Luc tel qu’il est attesté dans les écrits de Qumrân et divers pseudépigraphes d’Ancien Testament373. L’Apocalypsemessianique (4Q521), un manuscrit hébreu découvert dans la grotte 4 à Qumrân et déjà mentionné précédemment374, est particulièrement intéressant pour l’étude de Lc 7,11-17. En effet, il évoque la résurrection de morts que Dieu accomplira aux temps du Messie. Étant donné qu’aucun texte de l’Ancien Testament ne contient explicitement une telle conviction, ce document est particulièrement important375. Après une analyse minutieuse de 4Q521, Puech conclut : « À notre connaissance, aucun autre manuscrit retrouvé ne traite aussi clairement des bienfaits eschatologiques et de la résurrection, en lien avec la venue du Nouveau Prophète et du Messie.376 » De plus, cette promesse recourt au langage de la « visite » de Dieu. En effet, dans 373 L’index des Écrits intertestamentaires, ou pour le dire de façon plus juste selon l’expression proposée par Puech, des « Écrits péritestamentaires »,atteste que la mention de la « Visite (divine) » apparaît au moins 43 fois et que le DocumentdeDamas est celui qui en manifeste l’usage le plus abondant. Voir André DUPONT-SOMMER – Marc PHILONENKO (éds.), La Bible. Écrits intertestamentaires (Bibliothèque de la Pléiade, 337), Paris, Gallimard, 20022, p. 1896. 374 Voir l’étude de « L’attente d’un prophète dans les manuscrits de la mer Morte » au point 3.2.6 de la section II du présent chapitre. 375 Les recherches de Grelot ont montré que l’interprétation messianique de la réponse de Jésus à la question de Jean « es-tu celuiquivient [ὁ ἐρχόμενος] » (Lc 7,1920 ; par. Mt 11,3) n’est pas si évidente alors que, traditionnellement, elle est considérée comme un renvoi aux signes messianiques. Or, les passages vétérotestamentaires auxquels fait écho Lc 7,22 relatent des actions de Dieu lui-même, sans être explicitement liées à un âge messianique, en particulier Is 35,5-6 (guérison des aveugles, des boiteux et des sourds), à lire à la suite d’Is 35,4. Pierre GRELOT, « “Celui qui vient” (Mt 11, 3 et Lc 7,19) », in Raymond KUNTZMANN (éd.), CeDieuquivient (Lectio Divina, 159), Paris, Cerf, 1995, 275-290. 376 Émile PUECH, « Une Apocalypse messianique (4Q521) », in RevuedeQumrân 15 (1992) 475-522, p. 518-519. Puech évoque la figure du « Nouveau prophète » dans 4Q521 qu’il commente ainsi : « Dieu seul ouvre les tombeaux, même si ce manuscrit mentionne le Nouvel Élie en 2 iii 1s, car on sait qu’Élie s’est vu confier un moment la clé de la résurrection, Babli,Sanh113a, et MidrashPs78,5, voir MishnaSota9,15. Élie réveille les morts. En règle générale, les clés de la naissance, de la pluie et de la résurrection ne sont pas confiées à un envoyé divin. » (p. 506) Par conséquent, la figure du Nouvel Élie dans 4Q521 se présente comme un écho, fait dans un fragment (2 iii 2) citant un passage commun à Ml 3,24 (TM) et à Si 48,10 (hébreu) : « Elleest sûre :“Lespères(re)viennentverslesfils []…[ ]נכו֯ ן ֺ בׁאים אבׁות על בנים.” »
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deux fragments du 4Q521 (2 ii + 4 ; 7 + 5 ii), Dieu agira en faveur des morts de deux manières377. D’une part, lors de la venue du Messie (2 ii + 4 1) associée au temps de la « visite[ » ]יבקרde Dieu (ligne 5), « lesmortsilferarevivre [( » ]ומתים יחיהligne 12), tout comme il libérera les prisonniers, rendra la vue aux aveugles, redressera les courbés (ligne 8) et évangélisera les pauvres (ligne 12). D’autre part, lors du jugement eschatologique, « levivificateur[ressus]citeralesmorts desonpeuple [( » ]יקי[ם המחיה את מתי עמו7 + 5 ii 6). Dans le premier cas, le verbe utilisé évoque une revivification et, dans le second, une résurrection378. D’après les critères paléographiques, la copie du rouleau dont témoignent ces fragments du 4Q521 se rapproche du type d’écriture formelle hasmonéenne et daterait du premier quart du Ier siècle avant Jésus Christ. Son original, demeuré à ce jour introuvable, pourrait remonter à la deuxième moitié du IIe siècle379. Ce texte, ou du moins les traditions qui le sous-tendent, serait un fondement-clé de la réponse de Jésus aux envoyés de Jean (Mt 11,4-5 ; par. Lc 7,22). 3.3.4. Dieu est reconnu comme l’auteur premier du bienfait accordé Par rapport aux autres récits de guérison, qu’apporte d’original, ou du moins de particulier, la parole « Dieuavisitésonpeuple [ἐπεσκέψατο ὁ θεὸς τὸν λαὸν αὐτοῦ] » ? Ailleurs dans les autres évangiles, en l’occurrence en Jn, des paroles et des gestes de Jésus ont amené des personnes à le reconnaître comme prophète380. Cependant, jamais 377 Émile PUECH (éd.), QumrânGrotte4•XVIII :texteshébreux(4Q521-4Q528, 4Q576-4Q579) (Discoveries in the Judaean Desert, XXV), London, Oxford University Press, 1998, p. 10-11, 23-24. Des affinités de vocabulaire avec Mt 11,4-5 (par. Lc 7,22) sont présentes en 4Q521, en particulier à la ligne 12 de la deuxième colonne du fragment 2 joint au fragment 4 (4Q521 2 ii + 4 12) : « Ilguérirales(mortellement) blessés[ ]ירפא חלליםet lesmortsIlferarevivre []ומתים יחיה, leshumblesIlévangélisera []ענוים יבשר. » 378 Cette précision a été apportée par Puech lors d’une entrevue personnelle avec lui le 9 octobre 2015, à l’École biblique et archéologique française de Jérusalem. 379 Émile PUECH, « Some Remarks on 4Q246 and 4Q521 and Qumran Messianism », in Donald W. PARRY – Eugene ULRICH (éds.), TheProvoInternationalConferenceonthe DeadSeaScrolls, Leiden – Boston MA, Brill, 1999, 545-565. La datation par comptage du carbone 14 résiduel situe les fragments actuels de 4Q521 (copie de l’original) entre 35 avant Jésus Christ et 59 de notre ère (avec une marge statistique à 1 sigma, donc avec une probabilité de 68 pour cent) et entre 93 avant et 80 après (avec une marge statistique à 2 sigma, c’est-à-dire avec une probabilité de 95 pour cent). Voir A. J. Timothy JULL – Douglas J. DONAHUEetal., « Radiocarbon Dating of Scrolls and Linen Fragments from the Judean Desert », in Atiqot:EnglishSeries 28 (1996) 85-91, p. 86. 380 La Samaritaine quand Jésus lui parle de ses maris (Jn 4,19 ; propre à Jean), les personnes ayant mangé grâce à la multiplication des pains (Jn 6,14 ; absent dans
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CHAPITRE PREMIER
cette reconnaissance d’un prophète n’est accompagnée d’un témoignage rendu à l’action de Dieu. Le même constat se pose dans les autres récits de retour à la vie. En 1 R 17,23, la parole de la veuve adressée à Élie prend la forme d’une validation de la mission prophétique de ce dernier, sans action de grâce spécifique à Dieu. En 2 R 4,37, la mère se prosterne devant Élisée sans prononcer aucune parole. En 2 R 13,20, aucune forme de reconnaissance n’est exprimée, tout comme en Lc 8,55381. En revanche, en Jn 11,45 et en Ac 9,42, « beaucoup [πολλοί] » de témoins « crurent [ἐπίστευσαν] » en Jésus (Jn 11,45) ou, plus profondément au Seigneur (Ac 9,42). La particularité de Lc 7,16 réside dans son accent théologique (au sens strict du terme) et non christologique. Celui-ci est implicite dans la première partie de l’exclamation à travers le verbe au passif (« aétésuscité [ἠγέρθη] »), tandis qu’il est explicite dans la seconde partie (« Dieu a visité son peuple ») et dans l’introduction (« tous glorifièrent Dieu »)382. Lc 7,11-17 devient ainsi un « récit sacramentel383 » de l’action salvifique de Dieu manifestée dans la venue de Jésus, son regard, ses paroles et ses gestes. 3.3.5. Le peuple auquel Dieu a accordé sa faveur En Lc 7,16, qui fait partie de « son peuple » ? Le substantif λαός apparaît deux fois plus en Lc que dans l’ensemble des autres évangiles384. À six reprises, Luc utilise le terme λαός quand les récits parallèles parlent de la foule (ὄχλος ou un terme équivalent)385. Lors de la comparution devant Pilate, la mention des « foules [ὄχλοι] » en les parallèles de Mc 6,44, de Mt 14,21 et de Lc 9,17), la foule écoutant la prédication de Jésus (Jn 7,40 ; propre à Jean) et l’aveugle guéri (Jn 9,17 ; propre à Jean). 381 En Lc 8,55, les parents de la fille « furentsaisisdestupeur [ἐξέστησαν] » et en restent là. Le même phénomène se produit dans le parallèle de Mc 5,42, alors qu’aucune émotion ni aucune parole des parents n’est exprimée en Mt 9,26. En Ac 20,12, l’entourage futsoulagé [παρεκλήθησαν] de voir Eutychus revenu à la vie. 382 Pour Parsons et Wolter, l’accent du récit de Naïn est principalement christologique. Voir Mikael C. PARSONS, Luke, p. 122 ; Michael WOLTER, Das Lukasevangelium, p. 277. Le signe est christologique, mais la réalité visée est théologique. 383 Ko JOOSSE – Gérard LUKKENetal., « La résurrection du fils de la veuve (Luc 7, 11-17) », p. 261. 384 36 fois en Lc (48 fois en Ac), 14 fois en Mt, 3 fois en Jn, 2 fois en Mc. 385 Lc 6,17 (πλῆθος en Mc 3,7 ; ὄχλοι Mt 4,25), Lc 7,1 (ὄχλοι en Mt 7,28), Lc 19,48 (ὄχλος en Mc 11,18), Lc 20,6 (ὄχλον en Mc 11,32 et en Mt 21,26), Lc 20,19 (ὄχλον Mc 12,12 ; ὄχλους Mt 21,46), Lc 20,45 (ὄχλος en Mc 12,37 ; ὄχλοις Mt 23,1). Pour les différents sens de λαός en Lc-Ac, voir Marie de LOVINFOSSE, « Priorité et fonctions singulières des foules chez Luc », p. 41-42.
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Lc 23,4 et celle de λαόν en 23,13 montrent clairement que les deux termes sont parfois utilisés comme des synonymes par Luc, tout comme par Matthieu386. Cependant, en Lc 7,16, il s’agit de « son peuple [λαὸς αὐτοῦ] », premier emploi du terme λαός dans le récit de Naïn. Luc emprunte cette expression à la Septante dont la première occurrence, selon l’ordre canonique des livres, est située en Ex 3,7, quand Dieu se révèle pour la première fois à Moïse au buisson ardent. Nous l’avons déjà évoqué précédemment. Dans l’histoire biblique, les fils d’Israël sont devenus, à leurs yeux et pour Dieu, « son peuple », depuis qu’il a vu leur souffrance et est intervenu pour les « enlever/délivrer [ἐξελέσθαι] » (Ex 3,8). Selon l’ordre des livres rassemblés dans la Septante, Ex 3,7, la première attestation de « son peuple », est associée à la première mention de l’ἐπισκοπή divine en faveur d’une collectivité, qui s’actualise par l’envoi de Moïse reconnu par ailleurs comme un prophète exceptionnel (Dt 34,10)387. L’expression λαὸς αὐτοῦ est d’usage typiquement lucanien. Les deux autres occurrences en Lc sont situées dans le cantique de Zacharie (1,68.77). En Lc 7,16, l’acclamation se présente ainsi comme un refrain. Dans le Nouveau Testament, la construction « sujet ὁ θεός + verbe ἐπεσκέψατο + objet λαός » survient trois fois, toujours en Lc-Ac. Références
Sujet
Verbe
Objet du verbe
Lc 1,68
« son peuple [τῷ λαῷ « Le Seigneur, le Dieu « avisité d’Israël [κύριος ὁ θεὸς [ἐπεσκέψατο] » αὐτοῦ] » τοῦ Ἰσραήλ] »
Lc 7,16388
« Dieu [ὁ θεός] »
« avisité « son peuple [τὸν λαὸν [ἐπεσκέψατο] » αὐτοῦ] »
Ac 15,14
« Dieu [ὁ θεός] »
« choisirparmilesnations « aprissoin [ἐπεσκέψατο] » païennesunpeuple àson nom [λαβεῖν ἐξ ἐθνῶν λαὸν τῷ ὀνόματι αὐτοῦ] »
D’une occurrence à l’autre, on observe un déplacement : d’abord au niveau du sujet, puis de l’objet. En Lc 7,16 et Ac 15,14, le sujet est désigné comme « Dieu [ὁ θεός] » et non « leSeigneur,leDieud’Israël 386 Matthieu utilise λαός et ὄχλος comme synonymes notamment en 27,24-25 (termes absents dans les parallèles de Mc 15,14 et de Lc 23,23). 387 Dt 18,15.18 repris en Ac 3,22 et en 7,37 ; Jg 6,8. 388 En Lc 7,16, le verbe ἐπεσκέψατο précède le sujet ὁ θεός.
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CHAPITRE PREMIER
[κύριος ὁ θεὸς τοῦ Ἰσραήλ] ». L’appellation « Dieu d’Israël » apparaît à peine cinq fois dans le Nouveau Testament389, et « Seigneur Dieu d’Israël » trois fois. Cette dernière expression est courante dans la Septante390. En Lc, le substantif Ἰσραήλ se présente autant de fois qu’en Mt (douze attestations). Cependant, les emplois sont dispersés d’un bout à l’autre en Mt et concentrés au début en Lc391. Après l’épisode de Capharnaüm (7,1-10), il faut attendre la fin du troisième évangile pour voir réapparaître le terme, à peine deux fois. Dans la bouche de Jésus, Ἰσραήλ a toujours une connotation péjorative en Lc : tantôt pour refléter un manque d’accueil à l’égard des prophètes (4,25.27) ou une foi qui n’égale pas celle du centurion (7,9), tantôt dans une perspective de jugement (22,30). Dans les Actes, le Seigneur prononce une seule fois le mot « Israël [Ἰσραήλ] », mais il est alors associé à celui des « païens [ἐθνῶν] », à l’occasion de la parole adressée à Ananie concernant Saul (9,15). En Lc-Ac, après le témoignage de la foi du centurion à l’égard de Jésus (Lc 7,6-8), il n’est donc plus question d’Israël en tant que peuple auquel Dieu accorde au présent sa faveur de façon exclusive392. Le récit du centurion de Capharnaüm (Lc 7,1-10) assure une fonction proleptique par rapport à celui du centurion de Césarée (Ac 10,1–11,18)393. En Lc 7,16, faut-il pour autant interpréter « son peuple » au-delà d’Israël, donc 389 Mc 12,29 (« Écoute, Israël [Ισραήλ], le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur [κύριος εἷς] ») dans une citation de Dt 6,4-5 (les parallèles de Mt 22,37 et de Lc 10,27 reprennent Dt 6,5 seulement, et laissent ainsi tomber l’adresse à Israël et l’affirmation que « le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur ») ; Mt 15,31 (propre à Matthieu) ; Lc 1,16 (« et il ramènera de nombreux fils d’Israël [Ισραήλ] au Seigneur leur Dieu » ; propre à Luc) dans la bouche de l’ange s’adressant à Zacharie ; Lc 1,68 (propre à Luc) dans le cantique de Zacharie ; Ac 13,17 lors de la prédication de Paul à la synagogue d’Antioche de Pisidie. 390 129 fois dont 4 fois avec les deux articles définis (2 M 9,5 ; Ez 4,13 ; 44,2 ; Ml 2,16), tel qu’en Lc1,68, et 125 fois avec un seul ou aucun article défini, en particulier dans les livres historiques qui compte 95 occurrences, les plus fréquentes se trouvant en 2 Ch (22 fois), en 1 R (17 fois) et en Jos (13 fois). 391 Quatre occurrences en Lc 1, trois en Lc 2, deux en Lc 4, une en Lc 7 et deux en Lc 22–24. 392 Après Lc 7,9, le terme est utilisé dans un contexte de jugement (Lc 22,30), dans la bouche de disciples d’origine juive pour exprimer leur attente religieuse (Lc 24,21 ; Ac 1,6), dans la mention de l’assemblée des anciens d’Israël (Ac 5,21), ainsi que dans des discours de Pierre ou de Paul s’adressant aux Juifs, pour faire mémoire du passé et montrer comment le salut divin accordé en Jésus Christ s’inscrit dans le prolongement de l’histoire d’Israël (douze emplois sur quinze dans Ac). 393 Voir Michel GOURGUES, « Du centurion de Capharnaüm au centurion de Césarée : Luc 7,1-10 et sa fonction proleptique par rapport à Actes 10,1–11,18 », in Christoph NIEMAND (éd.), ForschungenzumNeuenTestamentundseinerUmwelt.FS.AlbertFuchs (Linzer Philosophisch-Theologische Beiträge, 7), Frankfurt am Main, Peter Lang, 2002, 259-270.
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au-delà du sens que l’expression revêt en Lc 1,68 où elle figure avec le même verbe ἐπεσκέψατο ? Il est vrai qu’en Lc 7,10, Jésus s’exclame devant la foi d’un païen, en la personne du centurion, et accomplit en sa faveur un miracle. Cependant, la médiation à laquelle le centurion a recouru pour présenter sa demande à Jésus, ainsi que les propos persuasifs tenus à ce dernier (huit versets sur dix) suggèrent que l’intervention de Jésus auprès du centurion n’était pas gagnée d’avance. Par l’attitude de Jésus auprès de ce païen à Capharnaüm, un déplacement s’accomplit, même si cela n’affecte pas immédiatement la composition traditionnelle du peuple de Dieu en référence à Israël. Pour le moment, en Lc 7,16, aucun indice dans le texte ne permet d’interpréter « son peuple » dans un sens qui dépasse les frontières d’Israël394. 3.4. Laparolediffuséelargement(Lc7,17) 3.4.1. Le rayonnement étendu de Jésus par la puissance de l’Esprit Le dernier verset de la péricope décrit un renversement. La morphologie du texte grec permet de le mettre en évidence. Lorsque Jésus « se mit en route vers [εἰς] Naïn » (7,11), un mort « étaitmisenterre àl’extérieur[delaville] [ἐξεκομίζετο] » (7,12). Après l’intervention de Jésus, ce n’est plus un mort mais une parole qui « sortit [ἐξῆλθεν] » (7,16). « Cepropos-ci [ὁ λόγος οὗτος] […] àsonsujet [περὶ αὐτοῦ] » (7,16) qui circule est grammaticalement ambigu. ὁ λόγος οὗτος fait écho à ce qui vient d’être dit, c’est-à-dire l’acclamation introduite par le participe « disant [λέγοντες] » (7,16). Mais à qui renvoie le pronom αὐτοῦ ? Grammaticalement, quatre options sont possibles en regardant les substantifs contenus dans ce cri d’émerveillement : « lepeuple [ὁ λαός] », « Dieu [ὁ θεός] », ce « grandprophète [προφήτης μέγας] » reconnu en Jésus ou l’ensemble de l’événement ? Dans le contexte d’un récit de miracle et, plus largement, du parcours de Jésus, il est logique d’interpréter περὶ αὐτοῦ comme une référence à Jésus qui ne laisse jamais indifférents les personnes et les groupes rencontrés. Lc 7,3 en témoigne : « ayantentendu[parler]deJésus [ἀκούσας δὲ περὶ τοῦ Ἰησοῦ] ». Cette interprétation est majoritairement acceptée, mais non unanimement. En effet, pour Marshall, ὁ λόγος οὗτος (7,17) signifie « le récit 394 Dans le même sens, Nolland et Marshall reconnaissent en Lc 7,16b un langage entièrement vétérotestamentaire, sans évoquer un élargissement par rapport au refrain similaire en Lc 1,68. Voir John NOLLAND, Luke1–9:20, p. 323; I. Howard MARSHALL, TheGospelofLuke, p. 287.
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CHAPITRE PREMIER
de cet événement » dans son ensemble et non spécifiquement « la parole » qui vient d’être prononcée. Cependant, il ne précise aucun appui textuel à son hypothèse395. D’après les études de Günther Bornkamm, quand λόγος signifie « événement » ou « affaire » dans le Nouveau Testament et qu’il est accompagné de l’article démonstratif οὗτος, il faut comprendre plus précisément « affaire » ou « événement » dont on vient de parler ou qu’on va immédiatement annoncer396. Bornkamm donne comme exemples Ac 8,21 et 15,6 où λόγος renvoie à l’objet du discours qui précède397. Les différentes attestations de ὁ λόγος οὗτος dans les évangiles confirment cette hypothèse398. En Lc 7,17, λόγος est suivi de l’article démonstratif οὗτος. Par conséquent, si l’on interprète λόγος au sens d’« événement » ou d’« affaire », il faut le comprendre comme l’« événement qui vient d’être annoncé », c’est-à-dire le contenu de la parole en Lc 7,16. Que l’on comprenne ὁ λόγος οὗτος en Lc 7,17 comme « cette nouvelle », « cette affaire », « cet événement » ou « cette parole », λόγος fait écho dans tous les cas au contenu de l’exclamation de Lc 7,16, plus précisément, en raison de la présence de περὶ αὐτοῦ, à la partie qui concerne Jésus reconnu « un grand prophète399 », et non pas à l’événement dans son ensemble. Dans les évangiles, toutes les mentions de ὁ λόγος οὗτος situées avant la passion de Jésus font écho à une parole en lien avec Jésus, le plus souvent prononcée par lui400 et, en Lc 7,17, 395
I. Howard MARSHALL, TheGospelofLuke, p. 287. Günther BORNKAMM, « λέγω, λόγος, ῥῆμα, λαλέω », in Gerhard KITTEL (éd.), TheologicalDictionaryoftheNewTestament, traduit par Geoffrey W. BROMILEY, Grand Rapids MI, Eerdmans, 1967, Vol. IV (Λ-Ν), 69-136, p. 104. Il est étonnant que Bornkamm mette Lc 5,15 (ὁ λόγος περὶ αὐτοῦ) et 7,17 dans la même catégorie de sens (« rumeur »). Voir Günther BORNKAMM, « λέγω, λόγος, ῥῆμα, λαλέω », p. 102. Même si Lc 5,15 et 7,17 présentent plusieurs affinités de vocabulaire, il semble difficile d’interpréter λόγος de la même manière dans les deux cas, car la présence de οὗτος en Lc 7,17 le confine à désigner « cette parole » ou sinon l’objet d’une parole qui vient d’être prononcée, ce qui n’est pas nécessairement le cas en Lc 5,15. 397 Le pouvoir de donner l’Esprit Saint par l’imposition des mains (Ac 8,19) et l’obligation pour les païens d’être circoncis (15,5), respectivement. 398 Ὁ λόγος οὗτος apparaît sept fois en Mt, cinq fois en Jn et cinq fois en Lc (sept fois en Ac), alors qu’il est absent en Mc. Une parole est présente dans l’environnement immédiat de ὁ λόγος οὗτος. Le plus souvent, elle le précède. 399 Tel que cela fut déjà signalé auparavant, les deux comptes rendus des diverses opinions sur Jésus le présentent toujours en rapport à une figure de prophète de grande envergure. Voir Lc 9,7-8.19 (par. Mc 6,14-15 ; 8,29 ; Mt 14,2 ; 16,14). 400 Lc 4,36 (cf. 4,35 ; différent dans le parallèle de Mc 1,27 : τί ἐστιν τοῦτο) ; Lc 9,28 (cf. 9,22-27 ; absent dans les parallèles de Mc 9,2 et de Mt 17,1) ; Lc 9,44a (cf. 9,44b ; absent dans les parallèles de Mc 9,31 et de Mt 17,22) ; Lc 24,17 (cf. 24,14 et repris en 24,19-24 ; propre à Luc) ; Mt 7,24 (cf. 5,3-7,23 ; presque pareil 396
L’ἐπισκοπή DIVINE À LA PORTE DE NAÏN (LC 7,16)
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au sujet de lui. Si l’on intègre les trois mentions des évangiles situées dans les récits de la passion, de la mort et de la résurrection de Jésus401, ainsi que les sept contenues dans les Actes402, il ressort que ὁ λόγος οὗτος exprime une certaine autorité, ou du moins une certaine gravité, à propos de l’objet de la parole auquel l’expression renvoie et dont les répercussions sont fortes. 3.4.2. La géographie historique de la Judée Il peut sembler étonnant de lire en Lc 7,17 que la parole se diffuse « danstoutelaJudée [ἐν ὅλῃ τῇ Ἰουδαίᾳ] », car nous avons vu que Naïn est situé en Galilée. Pour rappel, en Lc-Ac, la Judée (Ἰουδαία) a un double sens qui renvoie à la politique du temps de l’empire romain : spécifique403 (région distincte de la Galilée), mais aussi inclusif 404 (pays occupé majoritairement par les Juifs, incluant la Galilée et d’autres régions, gouverné indirectement puis directement par Rome). Le second dans le parallèle de Lc 6,47 : τῶν λόγων) ; Mt 7,26 (cf. 5,3-7,23 : absent mais implicite dans le parallèle de Lc 6,49) ; Mt 7,28 (cf. 5,3-7,27, dit autrement dans le parallèle de Lc 7,1 : πάντα τὰ ῥήματα αὐτοῦ) ; Mt 19,1 (cf. 18,2-35 ; absent dans le parallèle de Mc 1,12) ; Mt 19,11 (cf. 19,4-9 ; propre à Matthieu) ; Mt 26,1 (cf. 24,1-25,46 ; absent dans les parallèles de Mc 14,1 et de Lc 22,1) ; Mt 28,15 (cf. 28,13-14 ; propre à Matthieu) ; Jn 6,60 (cf. 6,26-58 ; propre à Jean) ; Jn 7,36a (cf. 7,34 repris juste après dans 7,36b ; propre à Jean) ; Jn 7,40 (cf. 7,37-38 ; propre à Jean), Jn 10,19 (cf. 10,118 ; propre à Jean) ; Jn 19,13 (cf. 19,12 ; absent dans les parallèles de Mc 15,14, de Lc 23,22 et de Mt 27,23). Chaque attestation est ainsi unique, même si elle fait partie d’un récit dont on trouve un parallèle dans les autres évangiles. 401 Deux pendant la passion (Mt 28,15 qui renvoie à la consigne des grands prêtres en 28,13-14, en particulier 28,13 sur ce qui est à dire à propos du corps de Jésus déposé dans le tombeau ; Jn 19,13 qui fait écho aux paroles des autorités juives à Pilate en 19,12, concernant Jésus et le traitement que Pilate va donner à Jésus, « car quiconque se fait roi, se déclare contre César ») et l’autre après (Lc 24,17 ; voir la note précédente). 402 Ac 2,22a (cf. 2,22b-36, le discours de Pierre sur « Jésus de Nazareth » en 2,22b), dont la conclusion est une révélation : « Dieu l’a fait et Seigneur et Christ, ce Jésus que vous, vous aviez crucifié »), 5,5 (cf. 5,3-4, les paroles de Pierre à Ananias en lui déclarant que par son action il a menti à l’Esprit Saint et à Dieu), 5,24 (cf. 5,23, le rapport des serviteurs du Sanhédrin), 7,29 (cf. 7,27-28, les menaces adressées à Moïse), 8,21 (cf. 8,19, déjà mentionné), 15,6 (cf. 15,5, déjà évoqué) et 16,36a (cf. 16,36b, la sentence communiquée par le geôlier à Paul). 403 Lc 1,65 ; 2,4 ; 3,1 ; 5,17 ; 21,21 (?) ; Ac 1,8 (?) ; 8,1 (?) ; 9,31 (?) ; 11,1.29 ; 12,19 ; 15,1 ; 21,10 ; 28,21. Parmi les mentions en Mc (3), en Mt (8) et en Jn (6), aucun élément déterminant ne permet d’interpréter une seule fois Ἰουδαία au sens inclusif pour l’induire ensuite dans d’autres versets éventuels. 404 Lc 1,5 ; 4,44 (?) ; 6,17 (?) ; 7,17 (?) ; 23,5 ; Ac 2,9 ; 10,37 ; 26,20. En dehors des évangiles et des Actes, les noms de Γαλιλαία et de Σαμάρεια sont absents, alors que Ἰουδαία apparaît à quatre reprises (Rm 15,31 ; 2 Co 1,16 ; Ga 1,22 ; 1 Th 2,14) et a donc fort probablement un sens inclusif.
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CHAPITRE PREMIER
cas renvoie à ce que nous appelons la grande Judée, par souci de clarification. L’appellation inclusive n’est pas propre à Luc. Parmi les auteurs classiques contemporains de Luc qui adoptent le même usage, on peut citer Strabon (63 avant Jésus Christ - 23 après Jésus Christ) et Flavius Josèphe (37-100)405. Attestée dès la période hellénistique406, « laJudée [ἡ Ἰουδαία] » – et non pas « laPalestine [ἡ Παλαιστίνη] » – a été le nom officiel durant la domination romaine et a perduré en tant que tel jusqu’à la révolte de Bar Kokhba (132 - 135), à partir de laquelle le nom « province de Syrie Palestine » a pris le pas, puis progressivement « la Palestine407 ». Revenons à notre péricope. L’expression ὅλη ἡ Ἰουδαία est d’usage exclusivement lucanien408 et présente seulement une autre fois dans le 405 STRABON, « Chrestomathiae e Strabonis geographicorum libris I–XVII », in Charles MÜLLER (éd.), Geographi graeci Minores (grec / latin), Paris, Ambrosio Firmin Didot, 1882, Vol. II, 529-636, p. 647 (no 16.2.21) ; FLAVIUS JOSÈPHE, Antiquités Juives[JewishAntiquities] (Loeb Classical Library, 365), édité par Marcus RALPH, Cambridge, Harvard University Press, 1986, Vol. VII (Livres XII–XIV), p. 118-119 (XII 333). 406 Vers 300 avant Jésus Christ, dans les écrits de Hécatée d’Abdère (cité par Diodore de Sicile), Manéthon de Sebennytos et Cléarque de Soles (tous deux cités par Flavius Josèphe). Voir Frederick J. MURPHY, « Palestine and Israel, Terminology for », in Katharine D. SAKENFELD – Samuel E. BALENTINEetal. (éds.), TheNewInterpreter’s DictionaryoftheBible, Nashville TN, Abingdon, 2008, Vol. IV (Me - R), 358-359, p. 358. ῾Η Ἰουδαία est appelée ainsi car ses habitants sont surtout οἱ Ἰουδαῖοι. Ceuxci furent ainsi dénommés après l’Exil car les premiers Israélites à monter de Babylone pour revenir au pays appartenaient à la tribu de Juda (Ἰούδας). Voir l’explication de FLAVIUS JOSÈPHE, AntiquitésJuives, édité par Étienne NODET, Paris, Cerf, 2010, Vol. V (Livres X–XI), Vol. V, p. 125 (XI 173). 407 David E. GARLAND, Luke, p. 64 ; Anson F. RAINEY, « Palestine », in David N. FREEDMAN – Allen MYERSetal. (éds.), EerdmansDictionaryoftheBible, Grand Rapids MI, Eerdmans, 2000, 998-1004, p. 998 ; Chris J. SEEMAN, « Judea », in Dictionary of New Testament Background (A Compendium of Contemporary Biblical Scholarship, Series), New, Downers Grove IL, Inter-Varsity Press (IVP), 2000, 616625, p. 616. Les monnaies permettent de clarifier l’appellation officielle et commune qui est propre aux différentes étapes historiques, même si l’usage peut précéder ces périodes et se prolonger au delà. Voir le chapitre consacré aux monnaies concernant la JudaeaCapta, couvrant les périodes des différents empereurs romains, depuis Vespasien jusqu’à Hadrien, c’est-à-dire depuis la première guerre judéo-romaine (66-73) jusqu’à la révolte de Bar Kokhba (132-135) : David HENDIN, GuidetoBiblicalCoins, New York NY, Amphora, 20014, p. 301-345. Les mentions de Judaea Capta sur les monnaies durant ces différents empires attestent que l’appellation officielle Judaea était comprise au sens inclusif et qu’elle était déjà en vigueur au moins entre 66 et 135 – et même avant, car si elle est devenue captive, elle a d’abord existé – et donc durant la période où Luc écrit son évangile. 408 Quatre occurrences dans le Nouveau Testament : Lc 7,17 (ἐν ὅλῃ τῇ Ἰουδαίᾳ περὶ αὐτοῦ καὶ πάσῃ τῇ περιχώρῳ), Lc 23,5 (καθ᾿ ὅλης τῆς Ἰουδαίας, καὶ ἀρξάμενος ἀπὸ τῆς Γαλιλαίας ἕως ὧδε), Ac 9,31 (καθ᾿ ὅλης τῆς Ἰουδαίας καὶ Γαλιλαίας καὶ Σαμαρείας) et Ac 10,31 (très proche de Lc 23,5 : καθ᾿ ὅλης τῆς Ἰουδαίας, ἀρξάμενος ἀπὸ τῆς Γαλιλαίας).
L’ἐπισκοπή DIVINE À LA PORTE DE NAÏN (LC 7,16)
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troisième évangile, plus précisément au terme de la comparution devant Pilate (23,5), dans un des deux motifs de condamnation de Jésus : « il soulève lepeuple [τὸν λαόν]409, enseignant partoutelaJudée [καθ᾿ ὅλης τῆς Ἰουδαίας], et ayant commencé par la Galilée jusqu’ici ». Le sens de ἡ Ἰουδαία est ici clairement inclusif. À la lumière des autres mentions de Ἰουδαία au sens inclusif en Lc-Ac, cette interprétation est d’autant plus probable lorsque Ἰουδαία est accompagné de l’adjectif ὅλη, sans mentionner la Galilée ou la Samarie sur le même pied. C’est sous cette forme que Ἰουδαία se présente en Lc 7,17. Il s’agit donc de la grande Judée, incluant la Galilée410. Cette position n’est pas partagée par tous les commentateurs411, mais elle s’impose à nous au terme de nos recherches. 3.4.3. La région alentour : un mouvement géographique et théologique La nouvelle se répand « dans toute la Judée […] ettoutelarégion alentour [καὶ πάσῃ τῇ περιχώρῳ] » (Lc 7,17). Puisque la Judée est à comprendre au sens inclusif, comme l’ensemble du territoire occupé majoritairement par les Juifs, la communication dans « toute la région alentour » manifeste un rayonnement particulièrement étendu. Certains l’interprètent comme une ouverture à l’universalité, au delà des frontières du peuple d’Israël412. Le terme περίχωρος désigne davantage un mouvement vers les périphéries413. Tout le peuple juif est ainsi rejoint. L’universalité demeure relative aux Juifs, et non absolue. 409 Nous avons déjà montré que λαός et ὄχλος sont parfois utilisés comme des synonymes en Lc. Voir Lc 23,4.13. 410 Darrell L. BOCK, Luke.Volume1(1:1–9:50), p. 654 ; Robert H. STEIN, Luke, p. 73 ; François BOVON, L’ÉvangileselonsaintLuc.Vol.I(1,1–9,50), p. 355 (note de bas de page no 53), 357 ; John NOLLAND, Luke1–9:20, p. 323 ; Heinz SCHÜRMANN, DasLukasevangelium.1.Teil, p. 29 (note de bas de page no 12), 403 ; I. Howard MARSHALL, TheGospelofLuke, p. 287. 411 Joseph A. FITZMYER, LukeI–IX, p. 660 ; Marie-Joseph LAGRANGE, Évangile selonsaintLuc, p. 211-212. 412 Voir Ko JOOSSE – Gérard LUKKENetal., « La résurrection du fils de la veuve (Luc 7, 11-17) », p. 257 ; John NOLLAND, Luke1–9:20, p. 323 ; Thomas L. BRODIE, « Luke 7.11-17 as an Imitatio of 1 Kings 17.17-24 », p. 258, 260 ; Heinz SCHÜRMANN, DasLukasevangelium.1.Teil, p. 404 ; Gérard ROCHAIS, « La résurrection du fils de la veuve de Naïn (Lc 7,11-17) », p. 28. De plus, Bovon voit à partir de la seule expression ἡ περίχωρος (Lc 7,17) un écho à Gn 13,5-18, le récit du partage de la terre entre Lot et Abraham à qui Dieu promet l’ensemble de la terre pour ses descendants. « Selon Luc, la réunion d’une terre pauvre, mais sainte (la Judée), et d’une terre voisine, riche mais païenne, est donc préfigurée dans l’Écriture. » François BOVON, L’Évangileselon saintLuc.Vol.I(1,1–9,50), p. 357. Les appuis textuels de cette hypothèse sont limités. 413 Voir l’article « περίχωρος » dans Franco MONTANARI, TheBrillDictionaryof AncientGreek, édité par Madeleine GOH – Chad SCHROEDERetal., Leiden – Boston MA, Brill, 2015, p. 1653.
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CHAPITRE PREMIER
La finale de Lc 7,17 s’harmonise bien avec l’introduction du récit suivant (7,18-23). Peut-on en déduire que Lc 7,17 est une simple touche rédactionnelle de transition narrative ? Ou encore supposer que Luc savait que Jean avait été emprisonné à Machéronte414, à l’est de la mer Morte, au sud de la région de Pérée ? Les données textuelles sont insuffisantes et laissent la seconde question ouverte415. De plus, la logique du texte ne dépend pas de cette information précise. Le fait qu’une parole à propos de Jésus soit diffusée largement suffit pour comprendre la suite (Lc 7,18-23). L’accent de ce mouvement géographique est d’abord théologique, comme l’ensemble de la géographie en Lc-Ac. Dans une lecture a posteriori, on peut entrevoir dans le troisième évangile une préparation à l’universalité absolue de la bonne nouvelle de Jésus, qui deviendra manifeste dans les Actes. En effet, dès le début de son ministère en Galilée, Jésus rappelle qu’Élie et Élisée furent envoyés opérer des guérisons en dehors d’Israël (Lc 4,25-27). Peu après, « une multitude nombreuse du peuple [λαοῦ], de toute la Judée [ἀπὸ πάσης τῆς Ἰουδαίας] et de Jérusalem et du littoral de Tyr et de Sidon » (6,17), deux villes païennes, viennent à Jésus « pour l’entendre et se faire guérir de leurs maladies » (6,18). En Lc 7,1-10, « ayant entendu parler de Jésus », un centurion (païen) lui demande la guérison de son serviteur mourant et Jésus se laisse toucher par la foi de cet homme païen. Ces passages ainsi que la mention de Lc 7,17 constituent des étapes du processus qui aboutira à l’annonce aux Juifs, mais aussi plus largement, de la bonne nouvelle de Dieu manifestée en Jésus. Depuis la naissance de Jésus, une parole à son sujet se communique, dans des cercles, d’abord restreints, puis de plus en plus étendus, jusqu’au passage de Jésus à Naïn416. La dernière partie de la péricope (Lc 7,16-17) est surprenante et produit l’effet d’un déploiement inattendu. Deux noms apparaissent pour la première fois dans le récit : « Dieu » et « son peuple » (7,16). 414
Voir Darrell L. BOCK, Luke.Volume1(1:1–9:50), p. 654. Marie-Joseph LAGRANGE, Évangile selon saint Luc, p. 212. Le N.T. garde silence sur l’emplacement de l’emprisonnement de Jean. Flavius Josèphe le situe à Machéronte (Μαχαιροῦς). Voir FLAVIUS JOSÈPHE, AntiquitésJuives[JewishAntiquities] (Loeb Classical Library, 433), édité par Louis H. FELDMAN, Cambridge, Harvard University Press, 1965, Vol. XII (Livres XVIII–XIX), p. 84-85 (XVIII 119). Bock considère que Luc devait connaître que Jean avait été emprisonné à Machéronte. 416 Lc 2,17.33.38 ; 4,14.23b.37a ; 5,15 ; 7,17. Ces références montrent également combien, chez Luc, la réputation de Jésus est davantage fondée sur ses actions merveilleuses que sur son enseignement. Paul J. ACHTEMEIER, « The Lucan Perspective on the Miracles of Jesus », p. 559. 415
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En Lc 7,16-17, Dieu est manifesté et devient le personnage principal, alors que Jésus est mis en second plan. Qu’advient-il de lui ? On ne sait pas, mais on parle de lui en le reconnaissant comme « un grand prophète » (7,16) et « cette parole au sujet de lui se répand » (7,17). Même en Lc 7,16, la part de l’exclamation qui concerne Jésus est exprimée en référence à Dieu qui entre en scène de façon progressive : comme complément d’objet du verbe ἐδόξαζον, « tous […] glorifiaient Dieu », puis comme complément d’agent implicite du verbe passif ἠγέρθη, « un grand prophète futsuscité au milieu de nous », et finalement comme sujet du verbe ἐπεσκέψατο, « Dieu visita son peuple ». Cette action de Dieu fait advenir « son peuple ». Une identité nouvelle est conférée à l’ensemble des personnes auprès de qui Dieu intervient. Bilan : épiphanie et ἐπισκοπή, marquées au sceau de la compassion divine Lc 7,11-17 est théologiquement chargé. Sous plusieurs angles, il laisse entrevoir une épiphanie417. Lc 7,11-17 contient une première parole de reconnaissance d’un aspect de l’identité de Jésus, « grand prophète » (7,16), par ses contemporains, en réponse à une question récurrente en Lc : « qui est-il ? ». Aucun autre récit de miracle ne se conclut par l’affirmation d’un titre christologique et d’une action spécifique de Dieu (ἐπεσκέψατο). Le passage de Jésus à Naïn, de sa propre initiative, présente des affinités avec les grandes actions salvifiques de Dieu dans l’histoire, par lesquelles celui-ci agit en un lieu et un temps inattendus, d’une façon non moins déconcertante. Nous avons remarqué plusieurs parallèles en particulier avec l’Exode, en fonction d’une ἐπισκοπή divine annoncée (Gn 50,24.25), réalisée (Ex 3,16) et célébrée (Ex 4,31 ; 13,19), par la médiation de Moïse. En Lc 7,11-17, le narrateur témoigne d’un accomplissement en cours de prophéties eschatologiques. Premièrement, les pauvres seront évangélisés et les attristés, consolés. Isaïe l’a annoncé (Is 25,6-8 ; 61,1-2) 417 De Santis et Bovon parlent aussi d’épiphanie en raison du titre ὁ κύριος, de son initiative, de l’exclamation (Lc 7,16) et de la réponse de Jésus à Jean (7,22-23). Voir Massimo DE SANTIS, « La visita di Dio alla vedova di Nain (Lc 7,11-17) », p. 50-51, 53, 64 ; François BOVON, L’Évangile selon saint Luc (1,1–9,50), p. 350-351. VeyronMaillet voit une quasi-épiphanie dans les mouvements de verticalité suscités par la parole de Jésus. Voir Marie-Laure VEYRON-MAILLET, « Analyses narrative et psychoanthropologique de Luc 7,11-17 », p. 182.
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CHAPITRE PREMIER
et Jésus l’a proclamé (Lc 4,18-19 ; 6,20-21). Deuxièmement, un prophète sera envoyé (Moïse, Dt 18,15.18 ; Élie, Ml 3,22 LXX). Après la Pentecôte, Pierre en reconnaîtra publiquement la réalisation en Jésus (Ac 3,20-22). À Qumrân, évoquant « les bienfaits eschatologiques que Dieu réalisera aux temps messianiques418 », l’Apocalypsemessianique (4Q521) annonce trois actions divines, conjointes nulle part dans l’Ancien Testament, et pourtant présentes en Lc 7,11-17 : sa « visite » (2 ii + 4 5), le réveil des morts (2 ii + 4 12) et l’envoi d’un prophète, ici Élieredivivus(implicite en 2 iii 2). Le miracle de Naïn est porteur d’un signe eschatologique419 et messianique que Jésus rapporte à Jean (Lc 7,22). Lc 7,11-17 est également une préfiguration de la victoire pascale de Dieu lors de la mort et de la résurrection de Jésus. Un parallèle entre le fils unique et Jésus est établi en particulier à travers le même verbe qui est conjugué à l’aoriste passif dans les deux cas – ἐγέρθητι à (7,14) et ἠγέρθη (7,16) – et qui sera repris sept fois en Ac pour annoncer explicitement : « Dieu ressuscita [ἤγειρεν] Jésus ». Le sens de l’ἐπισκοπή divine à Naïn devient plus clair par corrélations et par contrastes grâce aux trois textes majeurs auxquels Lc 7,1117 fait écho (1 R 17,17-24 ; Ex 3,16-17 ; 4Q521), spécialement les deux derniers où une ἐπισκοπή divine est attestée. Commençons par les corrélations. Dans les trois cas comme à Naïn, la situation initiale avant l’action divine est celle d’une détresse inéluctable : tantôt la mort, tantôt l’oppression vécue en Égypte. À Naïn, la douleur est renforcée car il s’agit d’une veuve qui vit le deuil de son fils unique, figure biblique d’une souffrance extrême. Dans 4Q521, l’action de Dieu redonnant la vie aux morts a une portée eschatologique. Elle signifie non seulement la fin provisoire d’une situation de détresse spécifique vécue par une personne ou un groupe, mais le commencement de la fin d’une période dominée par la souffrance et le mal, en vue d’une ère nouvelle de paix intégrale et universelle, du moins pour les justes. Cette eschatologie inaugurée est perceptible dans le miracle de Lc 7,11-17, en raison de ses affinités avec d’autres textes lucaniens. En effet, dès le début du ministère de Jésus, lors de la lecture d’Isaïe dans la synagogue de Nazareth (Lc 4,18-19), sa prédication annonce l’intervention décisive de 418
Émile PUECH (éd.), Texteshébreux(4Q521-4Q528,4Q576-4Q579), p. 1. Jacques DUPONT, « A Ressurreiçao do Môco de Naim (Lc 7,11-16) », p. 491. 419
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Dieu dans l’histoire « aujourd’hui » (4,21)420. Dans les béatitudes prononcées par Jésus, le « maintenant » porte sur l’expérience des affamés et de ceux qui pleurent, des repus et de ceux qui rient (6,20.25). Le retournement de leur situation est exprimé au futur, comme un renversement eschatologique421. En Lc 7,11-17, une mère en pleurs (7,13) est désormais consolée. Son deuil a disparu. Son fils est vivant. Cet événement saisit les témoins et devient un signe pour tous (7,1617). Lc 7,11-17 contient aussi des contrastes par rapport aux trois récits indiqués. Une intime interaction se perçoit entre Dieu et son envoyé, Jésus, « le Seigneur » (7,13). Celui-ci révèle Dieu par sa présence humaine, par son regard et sa compassion, ainsi que par la force vivifiante de sa parole accompagnée de gestes simples, surprenants et transformateurs. Le deuil se change en jaillissement collectif de vie, elle aussi exprimée par la parole qui se communique personnellement (le mort en 7,15), unanimement (tous en 7,16) et largement (7,17). Il est trompeur de qualifier l’événement d’un retour à la vie, au sens d’un retour comme avant, qui ne concernerait que le fils unique. Tous et chacun sont rejoints et transformés. À la lumière de Lc 7,11-17, l’ἐπισκοπή divine se présente ainsi comme l’intervention salvifique et eschatologique de Dieu inséparable de la personne de Jésus. Elle est le fruit de son initiative motivée par sa compassion pour son peuple, en commençant par les personnes les plus démunies. Elle suscite une expression inattendue de vie et les rejoint tous, jusqu’aux périphéries. Cet événement se situe entre les deux perspectives de l’ἐπισκοπή divine proclamée dans le cantique de Zacharie (Lc 1,68.78). En Lc 1,68-69 comme en 7,16, « Dieu […] avisité [ἐπεσκέψατο] […] son peuple et afaitlever [ἤγειρεν] une corne de salut pour nous [ἡμῖν] ». Toutefois, en Lc 7,16, Dieu est « Dieu », plutôt que « Dieu d’Israël » (1,68). De plus, à Naïn, le salut est exprimé en termes de consolation et de jaillissement de vie, là où la mort semblait avoir triomphé. Or, en Lc 1,68, l’ἐπισκοπή divine vise le « salut de nos ennemis et de tous ceux qui nous haïssent » (1,71 repris en 1,74). En Lc 1,78-79 comme en 7,13-16, Dieu est manifesté à partir des « entrailles de miséricorde [σπλάγχνα ἐλέους] […] pour resplendir sur ceux qui habitent dans les ténèbres et l’ombre de la mort [θανάτου] ». Cependant, à Naïn, le salut de Dieu en Jésus 420 421
Joseph A. FITZMYER, LukeI–IX, p. 149-150, 154. Joseph A. FITZMYER, LukeI–IX, p. 633-634.
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CHAPITRE PREMIER
pour son peuple n’est pas encore reconnu « dans la rémission de leurs péchés » (1,77)422. À Naïn, le bienfait de l’ἐπισκοπή divine demeure concret, mais lié à une expérience existentielle profonde, non plus une délivrance politique (Ex 3,16 ; Lc 1,68-75) et pas encore une purification spirituelle (1,77-79). Il est donc difficile d’appuyer Luke T. Johnson et Daniel J. Harrington affirmant que Luc a emprunté tel quel le vocabulaire de l’ἐπισκοπή divine à la Septante pour évoquer une intervention de Dieu dans l’histoire423. Si Dieu est intervenu pour sauver son peuple et pas seulement la veuve endeuillée, comment rendre compte de la portée collective de l’intervention de Dieu ? Un rapprochement avec le passage du Magnificatest possible. Celui-ci proclame d’abord que Dieu « a porté son regard sur son humble servante » (Lc 1,48)424, puis la perspective s’élargit : en agissant ainsi, Dieu intervient en même temps en faveur de « tous ceux qui le craignent » (1,50) et d’« Israël son serviteur » (1,54). Un élargissement semblable se rencontre en Lc 2,29-32 : Dieu renvoie son « serviteur » Syméon, puis s’engage en faveur de « [son] peuple » (2,32) et de « tous les peuples » (2,31). Est-ce un pressentiment, une annonce ? En consolant une pauvre à Naïn par l’intermédiaire de Jésus, Dieu laisse entrevoir quelque chose du salut offert à grande échelle en faveur de « son peuple ». Cela est renforcé par l’évocation en Lc 7,11-17 de la résurrection à venir de Jésus, qui constitue, pour Luc, avec l’exaltation à laquelle elle conduit, l’événement salvifique par excellence.
422 Selon De Santis, la manifestation de la « visite » de Dieu en Jésus, annoncée en Lc 1,77 en termes de « rémission des péchés », commence à Naïn et sera complète à Jérusalem. Cependant, il ne donne aucun fondement textuel à son affirmation. Voir Massimo DE SANTIS, « La visita di Dio alla vedova di Nain (Lc 7,11-17) », p. 70. 423 Luke T. JOHNSON – Daniel J. HARRINGTON, TheGospelofLuke, p. 45. 424 ἐπιβλέπωn’est pas loin de ἐπισκέπτομαι.
CHAPITRE II
L’ἐπισκοπή NON RECONNUE PAR JÉRUSALEM (LC 19,44) I. VUE D’ENSEMBLE SUR LA PÉRICOPE DE LC 19,41-44 Après avoir expérimenté les bénéfices d’une analyse préparatoire à l’exégèse dans l’étude de Lc 7,16, nous reprenons la même démarche pour la péricope de Lc 19,44. L’intrigue autour de l’identité de Jésus est sensible à travers plusieurs traits récurrents du contexte élargi, diversement modulés. La définition du genre littéraire fait apparaître des similitudes avec d’autres paroles prophétiques concernant Jérusalem (intra et extra bibliques). Celles-ci permettent aussi de souligner la façon déconcertante avec laquelle le Jésus de Luc conjugue compassion et jugement. Cette première exploration de l’ἐπισκοπή en Lc 19,44 signale déjà son importance dans le projet d’ensemble de Luc. 1. Délimitation du texte et critique textuelle 1.1. UnelamentationsurJérusalem,àlavuedelaville Pour délimiter la péricope dans laquelle s’insère le verset de notre étude (Lc 19,44), nous appliquons les critères d’ordre littéraire déjà utilisés pour le récit de Lc 7,16. Au verset 41, la phrase est introduite par une formule dont l’usage est typiquement lucanien « Et quand [Καὶ ὡς] ». Apriori il est difficile de repérer dans les onciaux le début d’une nouvelle phrase, pour deux raisons : l’absence de ponctuation et, sauf exception, d’espace entre les mots, ainsi que l’écriture en majuscule pour l’ensemble des lettres. Cependant, en 19,41, les manuscrits les plus anciens ont ΚΑΙΩΣ, soit après un espace vide (Vaticanus), soit au début d’une nouvelle ligne (Sinaiticus, Alexandrinus,Bezae)1. La 1 Voir CENTER FOR THE STUDY OF NEW TESTAMENT MANUSCRIPTS, « Manuscript Search », [en ligne pour le Sinaiticus] http://csntm.org/manuscript/View/GA_01?OSIS= Luke.19.41, [en ligne pour l’Alexandrinus], http://csntm.org/manuscript/View/GA_02? OSIS=Luke.19.41, [en ligne pour le Vaticanus], http://csntm.org/manuscript/View/GA_ 03?OSIS=Luke.19.41, [en ligne pour le Bezae], http://csntm.org/manuscript/View/ GA_05?OSIS=Luke.19.41, (pages consultées le 15 octobre 2016).
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CHAPITRE II
même démarcation est opérée en 19,45. Ailleurs dans les évangiles, Luc est le seul à utiliser καὶ ὡς au commencement d’une phrase2. Elle a alors comme fonction soit d’introduire une nouvelle péricope (comme en Lc 19,41)3 ou l’une de ses parties4, soit de la conclure5. En Lc 19,41-44, le lieu de l’action est spécifique. En effet, en 19,29, Jésus « approcha de [ἤγγισεν] Bethphagé et de Béthanie, au mont […] des Oliviers ». En 19,41, il « approcha [ἤγγισεν] » de nouveau, au point de « voirlaville [ἰδὼν τὴν πόλιν] », vers laquelle il marche, comme le narrateur le rappelle depuis Lc 9,51. Le contexte de la parole de Jésus (19,42-44) indique qu’il s’agit de Jérusalem. Jésus a donc dépassé Béthanie et Bethphagé ; il se trouve sur le versant ouest du mont des Oliviers6. En 19,45, « étantentrédans [εἰσελθών εἰς] » le Temple, il est désormais à l’intérieur de Jérusalem. Une autre caractéristique littéraire de cette péricope est la concentration frappante du pronom personnel de seconde personne. Jésus évoque Jérusalem en s’adressant directement à elle, le « toi [σύ] » revenant pas moins de douze fois en trois versets (v. 42-44), tantôt au nominatif, tantôt à l’accusatif, au génitif ou au datif 7. Ailleurs dans le Nouveau Testament, un tel emploi du pronom personnel « toi [σύ] » répété au moins sept fois d’affilée à dix mots d’intervalle ne se rencontre que dans le discours matthéen de Jésus sur la montagne (vingt-huit mentions en vingt-et-un versets, Mt 5,23-43) et en 2 Tm (neuf occurrences en quatre versets, 2 Tm 1,3-6). Ces deux passages sont marqués d’une intensité liée à un moment fort. Le premier renvoie à l’enseignement inaugural de Jésus s’adressant à un large public, en présence de ses disciples qu’il vient d’appeler (Mt 4,18-22). Le second fait partie 2 Lc 2,39 ; 19,5 ; 22,66 ; 23,26 ; Ac 1,10. Dans les autres livres du N.T., en dehors des évangiles, seul He 7,9 contient καὶ ὡς en début de phrase. 3 Tel est le cas aussi pour la péricope de Jésus devant le Sanhédrin (Lc 22,66-71) et pour celle du chemin de croix (23,26-32). 4 En Lc 19,5, καὶ ὡς signale une nouvelle partie dans le récit de Zachée (19,1-10) et n’est pas détaché de ce qui précède dans l’écriture des scribes, comme dans les cas où cette expression marque le début d’une nouvelle péricope. 5 Voir le récit de la présentation de Jésus au Temple (Lc 2,22-39) et celui de l’ascension (Ac 1,6-11). 6 En Lc 19,37, Jésus « approchait déjà de la descente du mont des Oliviers ». Voir aussi Scott T. CARROLL, « Bethphage », in David N. FREEDMAN (éd.), The Anchor BibleDictionary, New York NY, Doubleday, 1992, Vol. I, 715. 7 Une telle concentration ne se retrouve pas ailleurs en Lc, alors qu’elle est très fréquente en araméen et laisse ainsi deviner la présence d’une source. Voir Jacques DUPONT, « Il n’en sera pas laissé pierre sur pierre (Mc 13,2 ; Lc 19,44) », in Études sur les Évangiles Synoptiques (présentées par F. Neirynck) (BETL, 70-A), Leuven, Peeters, 1984, 434-455, p. 445.
L’ἐπισκοπή NON RECONNUE PAR JÉRUSALEM (LC 19,44)
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d’une lettre qui se présente comme la dernière de Paul avant sa mort (2 Tm 4,6-8). Dans l’Ancien Testament, ce procédé se retrouve surtout dans le Pentateuque et les livres prophétiques, spécialement en Dt et Ez. En Lc 19,42-44, l’usage répété du pronom « toi » dans la bouche de Jésus reflète l’intensité de son engagement à l’égard de Jérusalem et accroît le caractère pathétique des catastrophes annoncées8. Toutefois, aucun élément de la narration ne laisse entrevoir un témoin des larmes de Jésus sur la ville, ni des paroles qu’il lui adresse. Il est le seul à parler et à agir. Juste avant (19,40), Jésus répond à des Pharisiens lui demandant de faire taire ses disciples (19,39) qui viennent de l’acclamer (19,38). Et juste après (19,45), Jésus fait face aux vendeurs du Temple. 1.2. Un vocabulaire représentatif de l’histoire contemporaine du peuplejuif Lc 19,41-44 se distingue aussi par son vocabulaire. Voici un tableau récapitulatif. Termes et expressions présents en Lc 19,41-449
Ailleurs dans le Nouveau Testament
Ancien Testament (LXX)
A. Exclusivement lucaniens (absents dans le Nouveau Testament, en dehors de Lc-Ac) κλαίω ἐπί (19,41)
Lc 23,28 bis10
ἐν τῇ ἡμέρᾳ ταύτῃ (19,42)
seulement au pluriel ailleurs : Lc 1,39 ; 29 fois (3 fois au 6,12 ; 24,18 ; Ac 1,15 pluriel)
12 fois
B. Typiquement lucaniens sans être exclusifs à Luc11 καὶ ὡς (19,41)
8
10 autres fois dans les évangiles (sur 21 dans 218 fois dont 46 en le Nouveau Testament) dont 9 en Lc et 1 en Is et 37 en Si Mc (10,1)
Mikael C. PARSONS, Luke, p. 285. La recherche de concordance des termes ou expressions ne tient pas compte de la forme grammaticale adoptée en Lc 19,41-44, sauf indication contraire. 10 En dehors des évangiles, le N.T. contient trois autres occurrences où le verbe κλαίω est suivi de la préposition ἐπί, mais avec un autre verbe entre les deux : Jc 5,1 ; Ap 18,9.11. 11 Une expression est ici considérée comme étant d’usage typiquement lucanien sans que celui-ci soit exclusif à Luc, lorsqu’elle est présente au moins trois fois en Lc-Ac et que le nombre de ses occurrences en Lc dépasse la moitié de celui des évangiles. 9
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CHAPITRE II
Termes et expressions présents en Lc 19,41-44
Ailleurs dans le Nouveau Testament
Ancien Testament (LXX)
B. Typiquement lucaniens sans être exclusifs à Luc (suite) ἐγγίζω (19,41)
27 autres fois dans les évangiles (sur 42 dans 148 fois dont 23 en le Nouveau Testament) dont 17 en Lc (6 en Is Ac), 7 en Mt et 3 en Mc
τὰ πρός (sous cette forme) 2 autres fois dans les évangiles (sur 17 dans 32 fois (19,42) le Nouveau Testament) dont 1 en Lc (14,32) et 1 en Mc (2,2), aussi 5 en Ac εἰρήνη (19,42)
24 autres fois dans les évangiles (sur 92 dans 260 fois dont 29 fois le Nouveau Testament) dont 13 en Lc (7 en en Is, 24 en Ps, 20 en 1 M, 24 en Jr Ac), 6 en Jn, 4 en Mt et 1 en Mc
ἐπὶ σέ / ἐφ᾿ ὑμᾶς (19,43)
11 autres fois dans les évangiles (sur 32 dans 338 fois le Nouveau Testament) dont 8 en Lc (9 en Ac), 3 en Mt
ἐχθρός (19,43)
15 autres fois dans les évangiles (sur 32 dans 413 fois le Nouveau Testament) dont 7 en Lc, 7 en Mt et 1 en Mc
συνέχω (19,43)
6 autres fois dans les évangiles (sur 12 dans le 47 fois Nouveau Testament) dont 5 en Lc et 1 en Mt
τὰ τέκνα σου / ὑμῶν (19,44)
5 autres fois dans les évangiles (sur 11 dans 32 fois le Nouveau Testament) dont 3 en Lc (1 en Ac) et 2 en Mt
ἀνθ᾿ ὧν (19,44)
2 autres fois dans les évangiles (sur 5 dans 105 fois le Nouveau Testament), exclusivement en Lc (1,20 ; 12,3), ainsi qu’une fois en Ac (12,23) C. Présents en Lc 19,41-44 mais rares en Lc12
πάντοθεν (19,43)
2 autres fois dans le Nouveau Testament : 5 fois Mc 1,45 et He 9,4
λίθος ἐπὶ λίθον / λίθῳ (19,44) 3 autres dans le Nouveau Testament, exclu- 1 fois : Ag 2,15 sivement dans les évangiles : Lc 21,6 ; Mc 13,2 ; Mt 24,2 γινώσκω suivi de καιρός 2 autres occurrences dans le Nouveau Testa- 5 fois : 1 Ch 12,33 ; comme complément du verbe ment : Mt 16,3 et Ac 1,7 Qo 8,5 ; 9,12 ; (19,44) Jb 19,1 ; Jr 8,7 ἐπισκοπή (19,44)
3 autres dans le Nouveau Testament : 40 fois Ac 1,20 ; 1 Tm 3,1 ; 1 P 2,12
12 Une expression est classée comme présente en Lc 19,41-44 mais rare en Lc, si elle ne satisfait pas aux critères de la catégorie précédente et si les autres occurrences en Lc ne dépassent pas trois, sans être absentes ailleurs dans le Nouveau Testament.
L’ἐπισκοπή NON RECONNUE PAR JÉRUSALEM (LC 19,44)
Termes et expressions présents en Lc 19,41-44
Ailleurs dans le Nouveau Testament
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Ancien Testament (LXX)
D. Présents en Lc 19,41-44 mais introuvables ailleurs dans le Nouveau Testament ὁρῶ τὴν πόλιν (19,41)
Absent
2 fois : Gn 11,5 ; 1 R 9,12
εἰ ἔγνως à l’indicatif aoriste Absent (19,42)
2 R 2,3.5 ; Jb 39,1
κρύπτω ἀπὸ (τῶν) ὀφθαλμῶν Absent (19,42)
4 fois : Si 17,15 ; 39,19 ; Os 13,14 ; Jr 16,17
ἥκω suivi directement du sujet Absent13 ἡμέρα (19,43)
7 fois14 mais nul s’il n’y a pas d’article devant ἡμέρα
παρεμβάλλω (19,43)
Absent
183 fois dont 81 en Nb, 41 en 1 M
χάραξ (19,43)
Absent
14 fois
περικυκλῶ (19,43)
Absent
16 fois
ἐδαφίζω (19,44)
Absent
6 fois
Un examen des termes et expressions présents en Lc 19,41-44 révèle les résultats suivants : deux sont d’usage exclusivement lucanien ; neuf sont d’usage typiquement lucanien sans que celui-ci soit exclusif à Luc ; quatre sont rares en Lc mais présents en Lc 19,41-44, et huit sont introuvables ailleurs dans le Nouveau Testament. Les onze expressions d’usage typiquement ou exclusivement lucanien sont réparties de façon homogène à travers le récit. En revanche, les termes rares en Lc, voire introuvables ailleurs dans le Nouveau Testament, sont concentrés dans l’énoncé du verdict (19,43-44) et dépassent légèrement le vocabulaire d’usage typiquement ou exclusivement lucanien. Bien que Lc 7,11-17 et 19,41-44 soient deux récits propres à Luc et que le second soit environ deux fois plus court que le premier, les termes atypiques (catégories C et D) en 19,41-44 représentent quatre tiers (133%) par rapport à ceux de la même catégorie en 7,11-17. Or, la première partie du verdict (19,43) est celle où les mots typiques ou atypiques (catégories A à D) 13 Dans le N.T., il existe une seule occurrence où ἡμέρα est le sujet du verbe ἥκω, mais avec un mot situé entre les deux et un complément à ἡμέρα : « LejourduSeigneur viendracommeunvoleur [Ἥξει δὲ ἡμέρα κυρίου ὡς κλέπτης] » (2 P 3,10). 14 Ps 36,13 (LXX) ; Os 9,7 ; Is 7,17 ; Jr 27,27.31 (LXX) ; Ez 21,30.34.
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CHAPITRE II
trouvent presque tous (sept sur huit)15 un correspondant dans les écrits de Flavius Josèphe, en particulier dans les AntiquitésJuives et la Guerre desJuifs, deux ouvrages consacrés aux révoltes juives (66-74 après Jésus Christ). Ce même verset 43 est aussi celui qui trouve le plus d’échos vétérotestamentaires. Lc 19,43 contient donc des termes qui sont particulièrement représentatifs de l’histoire passée et contemporaine du peuple juif. 1.3. Critiquetextuelle En Lc19,41-44, l’apparat critique d’Aland etal., ainsi que le commentaire de Metzger, signalent deux variantes au verset 4216. Toutefois, celles-ci n’affectent pas l’interprétation du texte de façon majeure17. Elles donnent toutes deux plus ou moins de poids au pronom personnel « toi ». Dans la première série, les mots « toiaussi [καὶ σύ] » sont placés tantôt après l’expression « encejour [ἐν τῇ ἡμέρᾳ ταύτῃ] », tantôt avant. Dans ce dernier cas, plusieurs manuscrits comportent des termes supplémentaires : certains, « également [καί γε] » à la suite de « toiaussi [καὶ σύ] », et d’autres, « detoi [σου] » après « en ce jour [ἡμέρᾳ] ». La seconde série de variantes porte sur le mot « paix [εἰρήνην] ». Des témoins attestent la présence du pronom personnel « toi », au génitif [σου] ou au datif [σοι]. Les deux éditions critiques consultées retiennent la formule suivante défendue par la grande majorité des exégètes : « situavaisconnuencejour,toiaussi,ce [qui conduit] àlapaix [εἰ ἔγνως ἐν τῇ ἡμέρᾳ ταύτῃ καὶ σὺ τὰ πρὸς εἰρήνην] » (19,42). 2. Contexte littéraire élargi (Lc 18,31–19,44) et immédiat (19,11-44) 2.1. Perspectivegéographique :lamontéedeJésusversJérusalem En Lc 9,51.53 et dans un autre passage (17,11) également propre à Luc, le lecteur est informé que Jésus marcheversJérusalem [πορεύεσθαι εἰς Ἰερουσαλήμ]. D’ailleurs, la plupart des études exégétiques du troisième évangile considèrent Lc 9,51 comme l’introduction de 15 Dans le tableau, le seul terme de Lc 19,43 qui ne figure pas dans les écrits de Flavius Josèphe est le verbe ἥκω suivi directement du sujet ἡμέρα, expression typique des oracles vétérotestamentaires. Voir note précédente. 16 Barbara ALAND – Kurt ALANDetal. (éds.), TheGreekNewTestament, p. 284285 ; Bruce M. METZGER, ATextualCommentaryontheGreekNewTestament, p. 145. 17 Le même constat s’impose pour l’analyse plus détaillée de NTG28 qui présentent six variantes.
L’ἐπισκοπή NON RECONNUE PAR JÉRUSALEM (LC 19,44)
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la section centrale de Lc, appelée communément « la montée vers Jérusalem ». L’expression « marcherversJérusalem [πορεύομαι εἰς Ἰερουσαλήμ / Ἱεροσόλυμα] » est propre à Luc18. Elle est introuvable ailleurs dans le Nouveau Testament, sauf en Rm 15,25 au sujet de Paul. À partir de la troisième annonce de sa passion et de sa résurrection (Lc 18,31-34), Jésus entame une nouvelle étape de son chemin vers Jérusalem. Il dit alors aux Douze : « Voicique nousmontonsàJérusalem [ἰδοὺ ἀναβαίνομεν εἰς Ἰερουσαλήμ]. » (18,31) La même parole de Jésus est présente dans les récits parallèles dont les introductions évoquent déjà la montée à Jérusalem19. Contrairement aux autres synoptiques, Luc place le récit de la guérison de l’aveugle près de Jéricho (Lc 18,35-43)20, juste après la troisième annonce de la passion et de la résurrection. Située à 250 mètres en-dessous du niveau de la mer, Jéricho est le point le plus bas de la terre21. Est-ce une pure coïncidence ? Lors de l’approche solennelle de Jésus à Jérusalem (Mc 11,1-10 et par.), Luc, et lui seul, rappelle la montée à Jérusalem : « Et ayant dit ces choses, ilmarchait [ἐπορεύετο] devant, montantàJérusalem [ἀναβαίνων εἰς Ἱεροσόλυμα]22. » (Lc 19,28) Il serait donc plus cohérent, en s’en tenant aux indications de Luc lui-même, de réserver à Lc 18,31–19,44 l’appellation « montée de Jésus à Jérusalem » et d’intituler la section centrale de Lc (9,51–19,44) « marche de Jésus vers Jérusalem ». Celle-ci se termine en 19,4423. En effet, au verset suivant, « entrantdans[εἰσελθών 18 Lc 2,41 ; 9,51.53 ; 17,11 ; 19,28 ; Ac 19,21 ; 20,22 ; 25,20. Les cinq occurrences en Lc concernent Jésus, excepté la première (Lc 2,41) où il s’agit de « ses parents [οἱ γονεῖς αὐτοῦ] ». Les trois mentions en Ac portent sur Paul. 19 Mc 10,32.33 ; Mt 20,17.18. À la différence de Marc et de Matthieu, Luc écrit Ἰερουσαλήμ (Lc 18,31) et non Ἱεροσόλυμα (Mc 10,33 ; Mt 20,18). Dans le verset introductif de Mc (10,32), le verbe « monter [ἀναβαίνω] » concerne Jésus ainsi que les disciples, et dans celui de Mt (20,17), Jésus seul. 20 Entre ces deux péricopes, le lecteur trouve chez Mt et chez Mc la demande des fils de Zébédée, suivie de l’exhortation de Jésus à devenir serviteur et esclave de tous (Mc 10,35-45 ; par. Mt 20,20-28). 21 Thomas A. HOLLAND – Ehud NETZER, « Jericho », in David N. FREEDMAN (éd.), The Anchor Bible Dictionary, New York NY, Doubleday, 1992, Vol. III, 724-740, p. 724. 22 Verset absent dans les récits parallèles (Mc 11,1-10 ; Mt 21,1-9 ; Jn 12,12-19). 23 Parmi ceux qui partagent cette même hypothèse figure Parsons. Plusieurs commentateurs ont d’autres points de vue. Certains considèrent que la marche vers Jérusalem se termine en Lc 19,10 (Marshall). D’autres en Lc 19,27 (Stein, Fitzmyer). Cependant, Fitzmyer admet que les péricopes situées en 19,28-48 sont une transition et pourraient aussi être considérées comme l’apogée de la section de la marche de Jésus vers Jérusalem. Voir Mikael C. PARSONS, Luke, p. 163 ; Robert H. STEIN, Luke, p. 477 ; Joseph A. FITZMYER, The Gospel According to Luke X–XXIV (The Anchor Yale Bible,
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CHAPITRE II
εἰς] » (19,45) le Temple, Jésus est arrivé à destination. En 19,41, désormais en mesure de voir la ville, Jésus se trouve sur le versant ouest du sommet central du mont des Oliviers qui atteint 820 mètres, plus de 30 mètres au-dessus de Jérusalem. Cet emplacement offre le panorama sans doute le plus impressionnant sur la ville, plus encore à l’époque, avec la vue directe sur la façade dorée du Temple au delà de la porte de Nicanor24. Une fois que Jésus a dépassé cet endroit, il entame la descente. La montée vers Jérusalem se conclut avec ce point de vue panoramique25. En plus de recourir au verbe « monter [ἀναβαίνω] », Luc insiste d’une autre façon sur l’intensification de la marche de Jésus vers Jérusalem, à partir de Jéricho. En effet, entre 18,35 et 19,41, il répète à cinq reprises que Jésus s’approche[ἐγγίζειν], qu’il est près [ἐγγύς] de Jérusalem ou d’un lieu avoisinant26. Cette indication est également spécifique à Luc. 28A), New York NY, Doubleday, 1985 ; Robert H. STEIN, Luke, p. 1242 ; Joseph A. FITZMYER, LukeI–IX, p. 167 ; I. Howard MARSHALL, TheGospelofLuke, p. 401. 24 Robert L. ALDEN, « Mount of Olives », in Moisés SILVA (éd.), The Zondervan EncyclopediaoftheBible, Revised Full-Color Edition, Grand Rapids MI, Zondervan, 2009, Vol. IV, 335-338, p. 335 ; Bargil PIXNER, WithJesusinJerusalem:HisFirstand LastDaysinJudea, Jérusalem, Corazin, 1996, p. 64-65 ; Warren J. HEARD, « Olives, Mount of (Place) », in David N. FREEDMAN (éd.), TheAnchorBibleDictionary, New York NY, Doubleday, 1992, Vol. V, 13-15, p. 13. 25 D’après le témoignage de Lc 19,41, il serait approprié de faire mémoire de cette page d’évangile à proximité de l’église actuelle du Pater Noster, située au sommet central du mont des Oliviers, à moins de 500 mètres à pied plus haut que l’église DominusFlevit. Cette église est à mi-chemin entre l’église du PaterNoster et l’église de Gethsémani, l’une est l’autre situées au sommet et au pied du mont des Oliviers. Le lieu actuel de la mémoire de Lc 19,41-44 est donc placé au milieu de la descente du versant ouest du mont des Oliviers. Avant l’époque des Croisés, aucune tradition connue jusqu’à ce jour n’a associé le lieu aux larmes de Jésus sur Jérusalem (Lc 19,41). De plus, les fouilles archéologiques dirigées par le franciscain Bellarmino Bagatti (1953-1955) sur le lieu actuel de l’église DominusFlevitont attesté qu’à cet emplacement s’étendait la nécropole de l’est de Jérusalem, déjà à l’époque du Bronze récent II (1400 avant Jésus Christ), puis entre le IIe siècle avant et le IVe siècle après Jésus Christ. Certaines tombes pourraient être attribuées à des chrétiens ayant vécu à l’époque constantinienne et même apostolique. À partir du Ve siècle, une église byzantine a été érigée à cet endroit et dédiée à la prophétesse Anne (Lc 2,36-38). Voir Hanan ISACHAR – David RAPP, ChurchesinIsrael, traduit par Heidi GLEIT, Altamonte Springs FL, Oak Tree Software, 2013, par. 1470-1474 ; Sylvester J. SALLER, TheExcavationsatDominusFlevit (Mount Olivet, Jerusalem). Part II: The Jebusite Burial Place (Collectio Maior, 13.2), Jerusalem, Studium Biblicum Franciscanum, 1964, p. 8-9 ; Bellarmino BAGATTI – Joseph T. MILIK, Gliscavidel“DominusFlevit”(MonteOliveto–Gerusalemme).ParteI :La necropolidelperiodoromano(Collectio Maior, 13.1), Jerusalem, Studium Biblicum Franciscanum, 1958, p. 169-179. 26 Lc 18,35 (verbe absent dans les parallèles de Mc 10,46 et de Mt 20,29) ; Lc 19,11 (verset absent dans les parallèles de Mc 13,34 et de Mt 25,14) ; Lc 19,29
L’ἐπισκοπή NON RECONNUE PAR JÉRUSALEM (LC 19,44)
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2.2. Perspectivethématique :crierl’identitédeJésusoufairetaire sestémoins Lc 18,31–19,44, le contexte élargi de Lc 19,41-44, se distingue aussi du point de vue thématique. En effet, à deux reprises dans cet ensemble littéraire, un nouvel aspect de l’identité de Jésus est proclamé par des êtres humains : « fils de David » et « roi ». Dans le premier cas, près de Jéricho, un aveugle reconnaît en Jésus le « fils de David » (18,38.39). Cet élément est également repris dans les récits parallèles27. Dans le second cas, « tandis que [Jésus] approchait déjà de la descente du mont des Oliviers, toute la multitude des disciples, joyeux, commença à louer Dieu » (19,38a) en acclamant Jésus comme roi : « Béniceluiquivient, leroi [εὐλογημένοςὁ ἐρχόμενος, ὁ βασιλεύς], au nom du Seigneur ! Paix dans le ciel et gloire au plus haut [des cieux] » (19,38b). La partie centrale de cette exclamation – « Béni celui qui vient […] au nom du Seigneur ! » – est commune aux synoptiques (Mc 11,9 ; Mt 21,9) et s’inspire du Ps 117,26 (LXX). Le motif de la royauté est également présent en termes différents dans les parallèles : Marc précise « Béni leroyaumequivient[εὐλογημένη ἡ ἐρχομένη βασιλεία], de notre père David ! » (Mc 11,10c), et Matthieu, « Hosanna [ὡσαννά] au fils de David ! » (Mt 21,9b) De plus, quelques versets auparavant, comme Jean (Jn 12,15), Matthieu rappelle une parole inspirée de Za 9,9 : 4
Or ceci arriva pour que fût accompli ce qui fut dit par le prophète, disant : DitesàlafilledeSion :Voiciquetonroivientàtoi[ὁβασιλεύςσουἔρχεταίσοι] ;douxetmontésuruneânesse,etsurunânon,petitd’unebête desomme [cf. Za 9,9]. (Mt 21,4-5)28 5
Au sujet des deux titres, « fils de David » et « roi », la singularité de Luc est de les recevoir d’abord dans une révélation divine à propos de Jésus. En effet, dès le début de l’évangile, l’ange du Seigneur avait annoncé à Marie : (verbe présent dans les parallèles de Mc 11,1 et de Mt 21,1, mais au pluriel pour évoquer Jésus et ses disciples) ; Lc 19,37 (verbe absent dans les parallèles de Mc 11,8 et de Mt 21,8) ; Lc 19,41 (propre à Luc). 27 Mc 10,47.48 ; Mt 20,30.31. Cependant, chez Matthieu, la reconnaissance de Jésus comme « fils de David » a déjà eu lieu dans d’autres récits précédents celui de la guérison des deux aveugles de Jéricho (Mt 20,29-34), par deux autres aveugles (Mt 9,27 ; propre à Matthieu) et une femme cananéenne (Mt 15,22 ; mention absente dans le parallèle de Mc 7,25). 28 Verset absent dans les parallèles de Mc 11,3 et de Lc 19,31. Sans être aussi explicite qu’en Mt 21,5 et en Jn 12,15, un écho à Za 9,9 se trouve en Lc 19,35.38 (souligné par nous) : 35 ἐπὶ τὸν πῶλον ἐπεβίβασαν τὸν Ἰησοῦν […] 38 […] εὐλογημένοςὁ ἐρχόμενος, ὁ βασιλεὺς ἐνὀνόματικυρίου […].
172
CHAPITRE II
31
Et voicique tu concevrasdanstonseinetenfanterasunfils, et tu appellerassonnom [cf. Is 7,14] : Jésus. 32 Celui-ci […] sera appelé fils [υἱὸς] du Très-Haut, et le Seigneur Dieu lui donnera le trône deDavidsonpère [Δαυὶδ τοῦ πατρὸς αὐτοῦ] 33 et ilrègnera [βασιλεύσει] sur la maison de Jacob pour les siècles et son règne [βασιλείας] n’aura pas de fin. (Lc 1,3233 ; propre à Luc)
Ce qui avait été révélé de la part du Seigneur dans une humble demeure de Nazareth avant la naissance de Jésus, a été reconnu pour la première fois, quoique partiellement29, lors de sa montée ultime à Jérusalem, d’abord par un individu, un aveugle près de Jéricho (Lc 18,38.39), puis par « toute la multitude des disciples » à l’entrée de Jérusalem (19,37-38). La situation est différente dans les autres synoptiques. Chez Marc, dans les deux récits parallèles (Mc 10,47.48 ; 11,9-10), les deux titres attribués à Jésus, aussi mentionnés pour la première fois, n’ont pas été révélés d’avance par un messager, comme chez Luc. Chez Matthieu, l’identité de Jésus comme fils de David a également été annoncée d’emblée, à l’ouverture de l’évangile (Mt 1,1.20), mais par le narrateur. De plus, avant la version matthéenne de la guérison de l’aveugle près de Jéricho (Mt 20,29-34), Jésus a déjà été reconnu à trois reprises comme fils de David, par deux aveugles (Mt 9,27 ; propre à Matthieu), par toutes les foules (Mt 12,23 ; propre à Matthieu) et par une femme cananéenne (Mt 15,22 ; absent dans le parallèle de Mc 7,25). L’identité de Jésus comme roi a également été affirmée avant l’entrée solennelle de Jésus à Jérusalem : d’abord par les mages (Mt 2,2 ; propre à Matthieu) ; puis par la mère des fils de Zébédée (Mt 20,21)30. À l’approche de Jérusalem (Lc 18,38.39 ; 19,38), non seulement deux titres, « fils de David » et « roi », ici de portée messianique31, sont-ils proclamés et même criés (κράζω / φωνῇ μεγάλῃ) pour la première fois, mais en plus, certains réprimandent(ἐπιτιμῶ) les témoins et cherchent à les faire taire (σιγῶ / σιωπῶ). 1837 On lui annonça que Jésus le Nazaréen passe. 38 Et ils’écria [ἐβόησεν], disant : « Jésus, fils de David, aie pitié de moi ! » 39 Et ceux qui allaient en tête le réprimandaient [ἐπετίμων] pour qu’il setaise [σιγήσῃ] ; mais 29 Aucun élément du texte ne permet d’affirmer que l’aveugle (Lc 18,38.39) comme les disciples (19,38) ont acclamé non seulement l’identité royale de Jésus, mais aussi son être divin. 30 La mention du royaume de Jésus n’est pas explicite dans le parallèle de Mc 10,37. 31 Sur la portée messianique de ces deux titres, voir Mikael C. PARSONS, Luke, p. 276, 283 ; Michael WOLTER, DasLukasevangelium, p. 609, 631.
L’ἐπισκοπή NON RECONNUE PAR JÉRUSALEM (LC 19,44)
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lui criait [ἔκραζεν] beaucoup plus : « Fils de David, aie pitié de moi ! ». (Lc 18,37-39) 1937 Or, tandis qu’il approchait déjà de la descente du mont des Oliviers, toute la multitude des disciples, joyeux, commença à louer Dieu d’unevoix forte [φωνῇ μεγάλῃ] pour toutes les actions puissantes qu’ils avaient vues, 38 disant : « Béni celui qui vient, le roi, au nom du Seigneur !Paix dans le ciel et gloire au plus haut [des cieux] ! » 39 Et quelques-uns des Pharisiens, de la foule, lui dirent : « Maître, réprimande[ἐπιτίμησον] tes disciples. » 40 Et, répondant, il dit : « Je vous dis, si eux setaisent [σιωπήσουσιν], les pierres crieront [κράξουσιν]. » (Lc 19,37-40)
Ainsi donc, tant du point de vue thématique que géographique, une intensification est discernable en Lc 18,31–19,44. Cet effet est propre à Lc, car la tension entre crier et taire l’identité royale de Jésus, présente dans le parallèle de Lc 18,37-39, s’avère absente dans ceux de 19,37-40. En Lc 18,31–19,44, un troisième titre de Jésus, ὁ κύριος (avec l’article), est également exprimé pour la première fois par l’un des acteurs humains du récit, en l’occurrence Jésus lui-même lorsqu’il donne ses instructions à ses disciples concernant l’ânon à aller chercher : « Et si l’on vous interroge : “Pourquoi [le] détachez-vous?” vous direz ainsi : “Parce que leSeigneurenabesoin [ὁ κύριος αὐτοῦ χρείαν ἔχει].” » (Lc 19,31 ; par. Mc 10,3 et Mt 21,3)32 Luc est le seul à répéter une seconde fois cette parole de Jésus, au moment où les disciples la prononcent (19,34). Il lui donne ainsi un accent particulier et fait un jeu de mot car la même expression en grec sert à signifier « le maître / seigneur » et aussi « le Seigneur ». Cette seconde interprétation n’est pas celle qui a prévalu chez les disciples car, dans leur acclamation de Jésus, ils le distingueront du « Seigneur », bien qu’ils le relient au Seigneur : « celui qui vient, le roi, aunomduSeigneur [ἐνὀνόματι κυρίου] » (19,38). En rassemblant les perspectives géographique et thématique, une structure se dégage autour de la parabole des mines ou, pour le dire autrement, la parabole du roi33. 32 ὁ κύριος a déjà été employé par le narrateur plus d’une fois, en commençant par le récit de Naïn (Lc 7,13). 33 Meynet et Denaux présentent une structure similaire, sans évoquer le contenu de la dernière colonne de notre tableau. Voir Roland MEYNET, L’évangiledeLuc, p. 707 ; Adelbert DENAUX, « The Parable of the King-Judge (Lk 19,12-28) and Its Relation to the Entry Story (Lk 19,29-44) », in ZNW 93 (2002) 35-57, p. 4344.
174 Versets
CHAPITRE II
Genre littéraire
Mentions géographiques
Premières acclamations de ce type
18,31-34 prophétie sur l’avenir de Jérusalem (18,31) Jésus 18,35-43 récit de la guérison de Jéricho (18,35) l’aveugle 19,1-10
Fils de David (18,38.39)
récit de la rencontre avec Jéricho (19,1) Zachée
19,11-28 parabole des mines
Jérusalem (19,11.28)
19,29-36 récit des derniers prépa- le mont des Oliviers ratifs avec l’ânon (19,29) 19,37-40 récit de l’arrivée ultime à le mont des Oliviers celui qui vient, le roi, au Jérusalem (19,37) nom du Seigneur (19,38) 19,41-44 prophétie sur l’avenir de la ville (19,41) Jérusalem
Le contexte élargi (18,31–19,44) défini aux niveaux géographique (montée vers Jérusalem) et thématique (reconnaissance « criante » de Jésus comme fils de David et comme roi, soumise aux tensions ambiantes) apporte un premier éclairage sur Lc 19,41-44. En effet, Jésus pose le constat d’un non-accueil par Jérusalem du message de paix, à la différence de l’accueil manifesté par d’autres (19,42). De surcroît, il parle en juge (19,43-44) et confirme ainsi la réalité de la royauté qui lui a été conférée, à l’image du roi de la parabole qui intervient en juge : « De ta bouche je te jugerai [κρινῶ], mauvais serviteur34. » (19,22) La dernière séquence (19,41-44) de l’ensemble littéraire renverse l’annonce de la condamnation anticipée dans la première séquence (18,31-34). Est pris qui croyait prendre… Sont condamnés ceux qui croyaient condamner. Le contexte immédiat peut être délimité autour de Lc 19,11-44. En effet, tant du point de vue géographique que thématique, Lc 19,41-44 présente plus d’affinités avec 19,11-40 qu’avec la première partie du contexte élargi (18,31–19,10). En Lc 19,11-44, Jésus est proche de Jérusalem35. De plus, la figure du roi et l’emblème de la paix, tous deux accueillis par certains et non reconnus par d’autres, traversent cet ensemble littéraire36. 34 Le verbe κρινῶ est absent dans le parallèle de Mt 25,26, même si la réalité du jugement est présente. 35 Voir Lc 19,11.41, de même que 19,29.37 par rapport au mont des Oliviers. 36 Voir Lc 19,12.14.15.27.38 et 19,39.42, respectivement.
L’ἐπισκοπή NON RECONNUE PAR JÉRUSALEM (LC 19,44)
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3. Structure : Jésus et la ville Lc 19,41-44 comprend une introduction (19,41-42a) et une parole (42b-44). Même si Jésus n’est pas explicitement mentionné, le sujet des quatre verbes de 19,41-42a fait clairement référence à lui, « Jésus [ὁ Ἰησοῦς] », dont la dernière mention remonte à 19,35 (double). Le verbe principal est « ilpleura [ἔκλαυσεν] ». Une attention à la syntaxe de 19,42b-44, en particulier aux verbes, permet de distinguer trois parties dans l’intervention de Jésus. Dans la première (19,42b), les deux verbes sont à l’indicatif aoriste, l’un à l’actif et à la deuxième personne du singulier (ἔγνως), l’autre au passif et à la troisième personne du singulier (ἐκρύβη). Dans la deuxième partie (19,43-44a), les six verbes sont à l’indicatif futur, tous à la troisième personne du pluriel37. Dans la dernière partie (19,44b), l’unique verbe – « tuconnus [ἔγνως] » – est identique au premier utilisé dès le début de la prise de parole (19,42b). Il se présente de la même manière, à l’indicatif aoriste de la deuxième personne du singulier, mais est précédé de la négation « ne…pas [οὐκ] », au lieu de la conjonction de subordination « si[εἰ] ». La première (19,42c) et la dernière parties (19,44b) posent un constat, tandis que la deuxième en décline les effets (19,43-44a). Deux « figures » sont concernées du début à la fin de 19,41-44 : Jésus et la ville. En effet, Jésus s’approche, voit la ville, pleure (19,41) et parle (19,42b-44). En contrepartie, la ville est la figure sur laquelle Jésus pleure (19,41) et à laquelle il s’adresse à la deuxième personne du singulier (19,42-44), tantôt comme sujet d’une action passée (19,42b.44b), tantôt comme objet d’actions futures (19,43-44a) ou accomplies (19,42c). Dans ces deux derniers cas, les sujets renvoient à des nouveaux personnages, à savoir « tes ennemis » en référence à la ville et Dieu implicitement mentionné à travers un passif divin (ἐκρύβη). L’analyse par les « Personnages » permet de proposer la structure ci-dessous en cinq parties. 1. 2. 3. 4.
Larmes de Jésus sur la ville (Lc 19,41-42a) Complainte sur la ville qui aurait pu reconnaître (Lc 19,42b) Voilement divin (Lc 19,42c) Annonce d’une destruction totale par l’intervention des ennemis (Lc 19,43-44a) 5. Complainte ultime sur la ville qui ne reconnut pas (Lc 19,44b) ἥξουσιν, παρεμβαλοῦσιν, περικυκλώσουσίν, συνέξουσίν, ἐδαφιοῦσίν, ἀφήσουσιν. 37
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CHAPITRE II
Un processus d’inclusion autour du verbe « tureconnus [ἔγνως] » marque la parole de jugement et met ainsi un accent sur la cible manquée. Après avoir d’abord exprimé un regret, « si tu avais reconnu [εἰ ἔγνως] » (19,42), Jésus constate l’échec : « tu ne reconnus pas [οὐκ ἔγνως] » (19,44b). L’ensemble de la péricope est centré sur un voilement divin qui pose une énigme pour la suite du récit : Dieu va-til dévoiler à Jérusalem ce qui conduit à la paix? Une prise en compte de la syntaxe contribue à simplifier en trois parties la structure cidessus. En effet, introduite par le participe « disant [λέγων] » (19,42), la parole de Jésus contient à deux reprises la conjonction de subordination ὅτι (19,42.43) et permet de distinguer deux parties : 19,42bc et 19,43-44. 4. Genre littéraire : un oracle de jugement dans un apophtegme En Lc 19,41-44, l’attribution d’un genre littéraire se joue à deux niveaux : l’ensemble (19,41-44) et le noyau (19,42-44). L’ensemble (19,41-44) est majoritairement constitué d’une parole de Jésus (19,4244), introduite par une brève mise en scène (19,41). Celle-ci est formée de deux actions indépendantes de celle du discours, s’approcher et pleurer, et encadre la parole, comme la pointe de l’unité littéraire. Ces éléments sont caractéristiques d’un apophtegme38. Quant à la parole proprement dite (19,42-44), elle appartient aux oracles de jugement que nous allons maintenant approfondir39. Elle commence par une complainte ou lamentation (19,42) typique chez les prophètes40. 38 Bultmann classe Lc 19,41-44 parmi les apophtegmes de type biographique. Il distingue aussi deux autres catégories d’apophtegmes : les dialogues de controverses et les dialogues didactiques. Bovon rejette la qualification d’apophtegme, en s’appuyant sur les arguments de Barrett. Voir François BOVON, L’ÉvangileselonsaintLuc.Vol.IV (19,28–24,53)(Commentaire du Nouveau Testament. Deuxième Série, IIId), Genève, Labor et Fides, 2009, p. 39. Cependant, la réflexion de Barrett concernant le rejet d’un apophtegme porte sur Mc 11,15-17 (par. Lc 19,45-48 et Mt 21,10-17) et non sur Lc 19,41-44. Voir Charles K. BARRETT, « The House of Prayer and the Den of Thieves », in E. Earle ELLIS – Erich GRÄSSER (éds.), JesusundPaulus.FS.Werner G. Kümmel, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1975, p. 18. De plus, l’argument utilisé pour Mc 11,15-17 est difficilement applicable à Lc 19,41-44, à savoir que l’accent porte sur l’action et non sur les paroles. 39 Bultmann qualifie Lc 19,42-44 de prophétie apocalyptique. Voir Rudolf BULTMANN, L’histoiredelatraditionsynoptique, traduit par André MALET, édition revue (complément de 1971), Paris, Seuil, 1973, p. 159. Parmi les différentes catégories de « paroles du Seigneur », Bultmann n’évoque pas celle des paroles de jugement, même s’il parle de « paroles de menace » ou de « prophétie apocalyptique ». Quels éléments spécifiquement apocalyptiques Bultmann discerne-t-il en Lc 19,42-44 ? Il est difficile de les reconnaître à la lumière de son étude « Histoire et eschatologie dans le Nouveau
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4.1. Illustration :laparoledel’angeGabrielàZacharie(Lc1,20) La parole de Lc 19,43-44 recèle les trois éléments fondamentaux d’un oracle de jugement : un message proclamé au nom de Dieu, pour constater un manquement et déclarer le verdict qui en résulte. Commençons par étudier les deux derniers éléments tels qu’ils se présentent en 19,43-44. La parole adressée par l’ange Gabriel à Zacharie reflète une structure similaire : « 20a Et voici : tu seras [ἔσῃ] en silence et ne pouvant parler jusqu’au jour où ces choses arriveront, 20b puisquetu n’aspascru [ἀνθ᾿ ὧν οὐκ ἐπίστευσας] à mes paroles qui s’accompliront en leur temps. » (Lc 1,20 ; propre à Luc) Dans la première partie (1,20a), un verbe à l’indicatif futur évoque les effets négatifs à venir, comme en 19,43-44a. Ensuite (1,20b), l’expression « puisque…ne… pas [ἀνθ᾿ ὧν οὐκ] » accompagné d’un verbe à l’indicatif aoriste à la deuxième personne du singulier établit quelle est l’action passée sur laquelle porte la culpabilité, comme en 19,44b. La première partie au futur prend ainsi l’allure d’une punition ou, du moins, d’une correction. Une telle structure est introuvable ailleurs dans le Nouveau Testament, alors qu’elle est courante dans l’Ancien Testament. Quand elle caractérise l’annonce par un être humain d’événements futurs précis en relation avec une faute commise, il s’agit d’oracles prophétiques de jugement41. Toutefois, Lc 19,43-44 se distingue de 1,20 sur deux points. Premièrement, les effets négatifs annoncés par Gabriel surviennent immédiatement – « Etvoici [καὶ ἰδού] » – alors qu’en 19,43, l’indication temporelle demeure vague : « desjoursarriveront sur toi [ἥξουσιν ἡμέραι ἐπὶ σέ] ». En outre, la parole de l’ange signale un terme à la Testament », dans Rudolf BULTMANN, Foietcompréhension.Vol.2 :Eschatologieet démythologisation, traduit par André MALET, Paris, Seuil, 1969, p. 112-128. 40 Par exemple : la longue lamentation funèbre sur la « vierge d’Israël » en Am 5,117. En s’appuyant sur les travaux de Gunkel et de Westermann, Campbell refuse de considérer Lc 19,42 comme une lamentation ou complainte de type vétérotestamentaire. Bien que cette parole exprime une déception, elle n’est pas adressée à Dieu, ne véhicule pas une demande de changement face à une épreuve et ne correspondrait donc pas à la définition d’une lamentation ou complainte de style vétérotestamentaire. Voir D. Keith CAMPBELL, « NT Scholars’ Use of OT Lament Terminology and Its Theological and Interdisciplinary Implications », in BulletinforBiblicalResearch 21 (2011) 213-225, p. 217-219. Cependant, en Am 5,1-17, l’oracle est présenté comme « une lamentation[θρῆνον] sur la maison d’Israël » (Am 5,1), alors qu’elle ne satisfait pas à la définition exposée par Campbell, car il ne s’agit pas d’une parole adressée au Seigneur Dieu, mais par lui. 41 Voici quelques exemples tirés du Pentateuque : Lv 26,43 (Moïse) ; Dt 8,20 ; 28,47.62 (Moïse) ; 2 S 12,7.10 (Nathan).
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CHAPITRE II
correction infligée : « jusqu’au jour où ces choses arriveront ». En 19,43-44, la destruction semble totale et irréversible, sans entretenir une lueur d’espoir qu’une vie nouvelle puisse jaillir des cendres. Faut-il vraiment l’entendre ainsi ? Cette question sera débattue dans l’exégèse de Lc 19,41-44. Une autre question émerge à ce stade-ci de notre réflexion. Dans le cas du message de Gabriel à Zacharie, la première phrase indique la teneur d’un oracle : « Je […] me tiens devant Dieu, et j’ai été envoyé pour te parler et t’annoncer cette bonne nouvelle. » (1,19) En quoi la déclaration de Jésus en 19,42-44 est-elle un oracle, c’est-à-dire un message au nom de Dieu, et non une simple parole humaine ? Dans la péricope précédente, l’arrivée solennelle de Jésus à Jérusalem (19,2940) a donné lieu à l’acclamation « Béniceluiquivient, le roi, aunom du Seigneur [cf. Ps 117,26 LXX] ! » (19,38) Juste avant, dans la parabole des mines, Jésus a évoqué la figure d’un maître couronné roi en train d’exercer sa fonction de juge, explicitée en 19,22 : « De ta bouche, je te jugerai, mauvais serviteur ». À son tour, en 19,42-44, Jésus prononce un jugement en tant que « celui qui vient, le roi, au nom du Seigneur ». Il ne se présente pas comme un porte-parole de Dieu. Il parle à la manière d’un roi exerçant sa fonction de jugement. 4.2. LesparolesdejugementdeJésusenLcetleurfonction Jésus n’a pas attendu d’être reconnu roi et donc juge, au nom du Seigneur, pour commencer à se manifester comme tel. En effet, le troisième évangile contient d’autres paroles de jugement dans la bouche de Jésus, qui font état de conséquences négatives formulées au futur, par suite d’un comportement présent, passé ou éventuel. Nous en avons recensé au moins vingt dont la moitié sont spécifiques à Luc (dix) et quatre concernent Jérusalem : non seulement Lc 19,42-44 (propre à Luc), mais aussi Lc 13,4-5 (propre à Luc) ; Lc 13,34-35 (par. Mt 23,3739) et Lc 23,28-31 (propre à Luc). Voici un récapitulatif selon les sections lucaniennes de la vie adulte de Jésus. MinistèreenGalilée(4,12–9,50)
2 (1 propre à Luc) dont 0 sur Jérusalem42
MarcheversJérusalem(9,51–19,44) 15 (8 propres à Luc) dont 3 sur Jérusalem (2 propres à Luc)43 42 Lc 6,25 (malédictions ; propre à Luc), Lc 9,26 (exigences et rétribution du renoncement ; présent dans le parallèle de Mc 8,38 et absent dans celui de Mt 16,26). 43 Lc 10,10-12 (envoi des soixante-douze ; par. large Mt 10,14-15), Lc 10,13-15 (malheur aux villes des bords du lac ; par. Mt 11,21-23), Lc 11,29-32 (demande de
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MinistèreàJérusalem(19,45–21,38) 2 (0 à Luc) dont 0 sur Jérusalem44 Passion(22,1–23,56)
1 (1 à Luc) concernant Jérusalem (propre à Luc)45
RésurrectionetAscension(24,1-53) 0 Total
20 (10 propres à Luc) dont 4 sur Jérusalem (3 propres à Luc)
Sur les vingt paroles de jugement de Jésus que nous avons répertoriées en Lc, les trois quarts (quinze) sont situées dans la section centrale (Lc 9,51–19,44) et la moitié de celles-ci (huit) sont propres à Luc. Concernant les sept autres paroles pour lesquelles les autres synoptiques offrent des parallèles, les péricopes ne sont pas regroupées dans une même section narrative comme chez Luc. La concentration des paroles de jugement ou d’avertissement, prononcées par Jésus au milieu de sa marche vers Jérusalem (9,51–19,44), éclaire-t-elle le sens de celleci ? Plus précisément, n’y a-t-il pas un parallèle à établir avec Isaïe et d’autres livres prophétiques vétérotestamentaires (Osée, Amos, Michée, Jérémie) ? Dans ces écrits, les oracles de jugement sont principalement prononcés avant un grand malheur – prise de Jérusalem par Sennachérib en 701 et par Nabuchodonosor en 586 – pour exhorter à la conversion, alors que les oracles de salut le sont après la catastrophe signes ; par. Mt 12,39-42), Lc 11,51 (Jésus contre les légistes ; propre à Luc), Lc 12,910 (encouragement à confesser Jésus sans crainte ; par. large Mt 10,33 et 12,32), Lc 12,45-46 (parabole de l’intendant fidèle ou infidèle ; par. Mt 24,48-51), Lc 12,4748 (précision sur la parabole précédente ; propre à Luc), Lc 12,58-59 (appel à se réconcilier avant le jugement ; par. Mt 5,25-26), Lc 13,3.5 (invitation à la conversion ; propre à Luc), Lc 13,6-9 (parabole du figuier improductif ; propre à Luc), Lc 13,28 (exhortation à s’efforcer d’entrer par la porte étroite ; absent dans le parallèle de Mt 25,23), Lc 13,34-35 (complainte sur Jérusalem ; par. Mt 23,37-39), Lc 14,24 (parabole sur les invités qui se dérobent ; absent dans le par. de Mt 22,10), Lc 17,26-30 (le jour du Fils de l’homme ; v. 28-30 propres à Luc ; par. large Mt 24,37-39), Lc 18,17 (Jésus accueillant les petits enfants ; par. Mc 10,15 et Mt 18,3), Lc 19,42-44 (Jésus pleurant sur Jérusalem ; propre à Luc). 44 Lc 20,15-16.18 (parabole des vignerons homicides ; v. 18 propre à Luc ; par. Mc 12,9-11 et Mt 21,40-43), Lc 20,46-47 (hypocrisie des scribes ; présent dans le parallèle de Mc 12,40, mais pas dans celui de Mt 23,12). Signalons aussi Lc 21,6 (discours sur la ruine du Temple, par. Mc 13,2 et Mt 24,2), Lc 21,20-24 (jours terribles pour Jérusalem ; par. Mc 13,14-20 et Mt 24,15-22), Lc 21,25b-26a (manifestation glorieuse du Fils de l’homme ; v. 25b-26a propre à Luc). Ces trois références en Lc 21 ne contiennent pas d’accusation portant sur des faits réels ou propables, mais la description des événements catastrophiques présente des affinités avec les paroles de jugement, en particulier en Lc 21,6.20-24, avec Lc 19,43-44. Nous les retenons pour l’exégèse de Lc 19,43-44. 45 Lc 23,27-31 (Jésus s’adressant aux filles de Jérusalem ; propre à Luc).
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CHAPITRE II
pour donner courage aux survivants dispersés. Cette thèse a été défendue encore récemment par Jacques Vermeylen à propos d’Is, sans renier que le livre d’Isaïe, ainsi que chacune des trois parties qui lui sont communément reconnues, ne forment pas un ensemble homogène, notamment en raison du travail de réécriture étendu sur plusieurs siècles46. Un certain nombre de données plaident en faveur d’une lecture similaire en Lc-Ac, en particulier si l’on considère la progression qui se dessine au fil des quatre paroles de jugement concernant Jérusalem, puis les grandes annonces de salut qui sont proclamées à partir de Jérusalem, depuis la Pentecôte (Ac 2,14-40), telles qu’elles sont prédites par Jésus (Lc 24,47-48 ; propre à Luc). Avant d’entamer l’exégèse de la parole de jugement que Jésus adresse à Jérusalem en pleurant (Lc 19,41-44), regardons de plus près les trois autres paroles du même genre en Lc. 4.3. LatourdeSiloé,lapouleetleboissec(Lc13,4-5 ;13,34-35 ; 23,28-31) La première parole de jugement de Jésus concernant Jérusalem (Lc 13,4-5) est occasionnée par l’annonce qui lui est faite de Galiléens mis à mort par Pilate. Il pose alors une question inattendue à laquelle il répond de but en blanc. 2
[…] Pensez-vous que ces Galiléens fussent pécheurs plus que tous les Galiléens parce qu’ils ont souffert cela ? 3 Nonpasdutout,jevousdis [οὐχί, λέγω ὑμῖν] ; maissi vousnevousrepentezpasvouspérireztouspareillement [ἀλλ᾿ ἐὰν μὴ μετανοῆτε πάντες ὁμοίως ἀπολεῖσθε]. (Lc 13,2-3 ; propre à Luc)
Puis, changeant de contexte, Jésus renchérit et évoque Jérusalem : 4
Ou ces dix-huit sur qui est tombée la tour à Siloé et elle les a tués, pensezvous qu’ils fussent débiteurs plus que tous les hommes qui habitent Jérusalem ? 5 Nonpasdutout,jevousdis [οὐχί, λέγω ὑμῖν] ; maissivousnevous repentez pas, vous périrez tous de même [ἀλλ᾿ ἐὰν μὴ μετανοῆτε πάντες ὡσαύτως ἀπολεῖσθε]. (Lc 13,4-5 ; propre à Luc)
Après ce double avertissement pour exhorter à la conversion (13,3.5), Jésus poursuit avec la parabole du figuier improductif. 46 Jacques VERMEYLEN, « Ésaïe », in Thomas C. RÖMER – Jean-Daniel MACCHI etal. (éds.), Introductionàl’AncienTestament (Le Monde de la Bible, 49), Genève, Labor et Fides, 2011, 410-425 ; Jacques VERMEYLEN, Lelivred’Isaïe :unecathédrale littéraire(Lectio Divina, 264), Paris, Cerf, 2014.
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6
Un homme avait un figuier planté dans sa vigne, et il vint chercher du fruit sur lui et n’en trouva pas. 7 Il dit au vigneron : « Voici trois ans que je viens chercher du fruit sur ce figuier, et que je n’en trouve pas. Coupe-le. Pourquoi rend-il aussi la terre improductive ? 8 Celui-ci répondit : « Seigneur, laisse-le encore cetteannée [τοῦτο τὸ ἔτος], jusqu’à ce que je creuse autour de lui et mette du fumier ; 9 ets’ilproduisait [ἂν μὲν ποιήσῃ] du fruit dans l’avenir ! Sinon [εἰ δὲ μή γε], tu le couperas ». (Lc 13,6-9)
Dans les parallèles larges de Mt 21,19 et de Mc 11,13, il n’est pas question de vigneron et, encore moins, d’un plaidoyer auprès du propriétaire du figuier pour demander un temps de sursis en faveur de l’arbre improductif, avant de procéder à son élimination totale. Des affinités relient 13,1-9 et 19,42-44 : une espérance, là envisagée pour « cetteannée [τοῦτο τὸ ἔτος] » (13,9a), ici déçue « encejour [ἐν τῇ ἡμέρᾳ ταύτῃ] » (19,42) ; une sanction fatale, là repoussée par le vigneron (13,9b), ici incontournable (19,43-44). L’image de la vigne présente dans la parabole du figuier improductif (Lc 13,6-9), proclamée durant la marche de Jésus vers Jérusalem, revient une seconde fois en Lc, dans la parabole des vignerons homicides (20,9-19)47 au terme de la section du ministère final de Jésus à Jérusalem. Dans le second cas, le temps du sursis est passé et fait place au jugement exprimé encore au futur. Ces agencements spécifiquement lucaniens ne sont sans doute pas le fruit du hasard puisque Luc s’est engagé à « écrire avec ordre » (1,3). L’une et l’autre paraboles comportent des résonnances par rapport au « chant du bien-aimé pour sa vigne » improductive (Is 5,1-2). Son explication (Is 5,3-7) s’adresse à « hommedeJudaethabitantsdeJésuralem [ἄνθρωπος τοῦ Ιουδα καὶ οἱ ἐνοικοῦντες ἐν Ιερουσαλημ] » (5,3), sous forme d’oracle de jugement. Après avoir attendu qu’ils produisent des fruits de justice (5,4.7), Dieu menace de les abandonner (5,5-6). D’autres oracles d’Isaïe reprennent l’image de la vigne pour annoncer le jugement dans le Proto-Isaïe et le salut dans le Trito-Isaïe48. Qu’en est-il de la complainte sur Jérusalem en Lc 13,34-35 (par. Mt 23,37-39) ? 34a
Jérusalem, Jérusalem, qui tue les prophètes et lapide ceux qui lui ont été envoyés, 34b combiendefois j’aivoulu rassembler tesenfants [ποσάκις ἠθέλησα ἐπισυνάξαι τὰ τέκνα σου], à la manière dont une poule [rassemble] ses poussins sous ses ailes, et vousn’avezpasvoulu [οὐκ ἠθελήσατε]. 47 48
Par. Mc 12,1-12 et Mt 21,33-46. Is 1,8 ; 3,16 ; 7,23 ; 16,8-9 ; 16,10 ; 24,7 ; 27,2 ; 34,4 ; 61,5 ; 65,21.
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CHAPITRE II
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Voici, votre maison vous estlaissée [ἀφίεται]. 35b Or, je vous dis, vous ne me verrez plus jusqu’à ce que vienne [le moment] où vous direz : 35c BéniceluiquivientaunomduSeigneur[cf. Ps 117,26 LXX] ! (Lc 13,3435)
Lc 13,34-35 contient plusieurs affinités avec 19,41-44. Primo, la finale (13,35c) contient un renvoi explicite au contexte de l’oracle de jugement en 19,41-44, plus précisément à 19,38. Secundo, l’expression « tesenfants [τὰ τέκνα σου] » est commune aux deux (13,34 ; 19,44), tout comme dans la dernière parole de jugement adressée à Jérusalem (23,28). Tertio, la parole de Jésus est chargée d’émotion. En effet, « le redoublement (typiquement sémitique) Ἰερουσαλὴμ Ἰερουσαλήμ annonce que la tonalité passe de la colère prophétique à la tristesse49 ». Quarto,une espérance déçue est exprimée de part et d’autre (13,34b ; 19,42). En Lc 13,34b, que signifie précisément « Combien de fois j’aivoulu rasssembler [ἠθέλησα ἐπισυνάξαι] tes enfants […] et vous n’avez pasvoulu [οὐκ ἠθελήσατε] » ? En Lc, les deux autres occurrences de ἐπισυνάγω (12,1 ; 17,37)50 offrent une première piste d’interprétation de 13,34. En Lc 12,1a, « la foule étaitrassemblée [ἐπισυναχθεισῶν] par dizaines de mille » autour de Jésus. Il dit alors en s’adressant d’abord à ses disciples : « Prenezgardepourvous-mêmes [προσέχετε ἑαυτοῖς] au levain – qui est l’hypocrisie – des Pharisiens. » (12,1b) Jésus est donc déjà parvenu à rassembler un grand nombre, mais il est conscient que cet attrait peut facilement être grevé par l’influence et l’hypocrisie des Pharisiens. Il met en garde la foule et, de façon prioritaire, ses disciples (12,1b). Il les invite à ne pas avoir peur « de ceux qui tuent le corps et après cela n’ont rien de plus à faire » (Lc 12,4 ; par. Mt 10,28a), mais à craindre « celui qui, après avoir tué, a pouvoir de jeter dans la géhenne » (Lc 12,5 ; par. Mt 10,28b). Il ajoute aussi « quiconque me reconnaîtrait [ὁμολογήσῃ] devant les hommes, le Fils de l’homme aussi le reconnaîtra [ὁμολογήσει] devant les anges de Dieu. Mais celui qui m’a renié devant les hommes, sera renié devant les anges de Dieu » (Lc 12,8-9 ; par. Mt 10,32-33). Or, en 19,37-38, dans un 49 Daniel MARGUERAT, Le jugement dans l’évangile de Matthieu (Le Monde de la Bible, 6), Genève, Labor et Fides, 1981, p. 367. Nous appliquons à Lc 13,34 la réflexion de Marguerat sur le verset parallèle de Mt 23,37. Dans certaines variantes, notamment le codex Vaticanus, l’oracle de jugement d’Is 29,1-6 offre un exemple similaire où Jérusalem, sous le nom d’Ariel [Αριηλ], est nommée deux fois (29,1). 50 Le contenu de Lc 12,1a est absent dans les parallèles larges de Mc 8,15 et de Mt 16,6. Concernant Lc 17,37, il trouve un parallèle en Mt 24,28.
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mouvement similaire à 12,1a, « toutelamultitudedesdisciples [ἅπαν τὸ πλῆθος τῶν μαθητῶν] » acclame Jésus. Anticipée par Jésus dans sa complainte sur Jérusalem (13,35c), l’acclamation en 19,38 manifeste une profonde discordance. En effet, au moment de la condamnation de Jésus, « ils poussèrent des cris tous ensemble, disant : “Saisis celuici [Jésus] ! Mais relâche-nous Barabbas.” » (23,18). Personne n’éleva la voix pour prendre la défense de Jésus. Comme des « vautoursrassemblés [οἱ ἀετοὶ ἐπισυναχθεισῶν] » autour de son corps (Lc 17,37 ; par. Mt 24,28) ? En annonçant la bonne nouvelle du royaume que Dieu « [son] Père a disposé pour [lui] » (Lc 22,29), Jésus a voulu rassembler Jérusalem et ses enfants. Mais au moment du procès de Jésus, ils n’ont pas voulu qu’il règne sur eux, puisqu’ils ont condamné à mort (23,18) « le roi des Juifs » (23,3.37.38), celui-là même qu’ils avaient acclamé en disant : « Béni celui qui vient, le roi, au nom du Seigneur. » (19,38) Un autre indice plaide en faveur de l’interprétation du désir de « rassembler » (13,34) comme l’effet escompté par Jésus à travers l’annonce du royaume de Dieu. En effet, Lc 13,31-35 est précédé de péricopes où Jésus parle du royaume de Dieu. D’abord à travers deux paraboles, il présente le royaume de Dieu en le comparant à un grain de sénevé (Lc 13,18-19 ; par. Mc 4,30-32 et Mt 13,31-32) et à du levain (Lc 13,20-21 ; par. Mt 13,33)51. Puis (Lc 13,22-30 ; propre à Luc), il avertit les gens rencontrés de la difficulté d’entrer par la porte étroite, avant que le maître de maison ne ferme celle-ci et fasse voir à ceux qui seront jetés à l’extérieur « Abraham et Isaac et Jacob et tous les prophètes dans le royaume de Dieu » (13,28). Le verbe ἐπισυνάγω (Lc 13,34) renvoie ainsi au rassemblement dans le royaume de Dieu que Jésus est venu annoncer et instaurer. La teneur eschatologique du terme remonte à la Septante où il sert occasionnellement à exprimer le retour des Juifs dispersés ou le rassemblement des nations à la fin des temps52. Par conséquent, dans ce contexte 51
Dans ces deux paraboles, le royaume de Dieu présente un caractère rassembleur. Le grain « est devenu un arbre et les oiseauxduciels’abritèrentdanssesbranches [cf. Dn 4,12.21 LXX] » (Lc 13,19 ; par. Mc 4,32 et Mt 13,32). Dans la seconde parabole, l’effet rassembleur est moins évident. Toutefois, nous pouvons remarquer que grâce au levain, les « trois mesures de farine » sont devenues « un tout levé » (Lc 13,21 ; par. Mt 13,33). 52 Dans la LXX, au moins 7 sur 41 mentions d’ἐπισυνάγω et du substantif dérivé ἐπισυναγωγή en témoignent : 2 M 1,27 ; 2,7.18 ; Ps 105,47 (LXX) ; 146,2 (LXX) ; Ha 2,5 ; Is 52,12 ; Za 12,3. Voir aussi Wolfgang SCHRAGE, « ἐπισυναγωγή », in Gerhard FRIEDRICH (éd.), TheologicalDictionaryoftheNewTestament, traduit par
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CHAPITRE II
Jérusalem et ses enfants visent au moins l’ensemble du peuple d’Israël. L’image de la poule qui rassemble sous ses ailes ses poussins ajoute au verbe un aspect maternel. L’emploi de cette image pour évoquer un rassemblement maternel est original. Nous ne l’avons trouvé dans aucun passage de la Septante, ni aucun écrit d’auteurs classiques, ni aucun ouvrage de Flavius Josèphe ou de Philon d’Alexandrie. Habituellement, quand l’Ancien Testament représente une action divine par un oiseau, il se réfère à l’aigle, figure masculine53, ou à l’expression « sous ses ailes », symbole de protection divine54. Il recourt parfois à l’image de « la mère bienfaisante et protectrice qui ramasse ses petits et les serre contre son ventre55 ». Mais il puise alors dans le champ sémantique lithique ou montagneux : un creux du rocher dans lequel Dieu couvre [σκεπάζω] Moïse (Ex 33,22), un mur de feu par lequel Dieu rassemble [συνάγω] (Za 2,9-10), des montagnes autour de Jérusalem comme le Seigneur autour [κύκλῳ] de son peuple (Ps 124,2 LXX). En Lc 13,34, si Jésus recourt à l’image spécifique de la poule, il vise un aspect spécifique (rassemblement). Le verdict qui suit est clair : « Voici, votre maison vous est laissée [ἰδοὺ ἀφίεται ὑμῖν ὁ οἶκος ὑμῶν]. » (Lc 13,35) Cette parole de Jésus trouve un écho dans celle qu’il prononce en entrant dans le Temple, juste après avoir prononcé son oracle de jugement contre Jérusalem (19,42-44) : « Il est écrit : Et mamaisonsera une maisondeprière[cf. Is 56,7] mais vous, vous en faites unrepairedebrigands[cf. Jr 7,11] ! » (Lc 19,46 ; par. Mc 11,17 et Mt 21,13). Une maison privée de son roi devient ainsi un repaire de brigands et ses habitants se retrouvent sans feu ni lieu. N’ayant pas accueilli Jésus et son projet rassembleur, Jérusalem est livrée à ellemême. Geoffrey W. BROMILEY, Grand Rapids MI, Eerdmans, 1971, Vol. VII (Σ), 841-843, p. 842. 53 Ex 19,4 ; Dt 32,11. Pour l’étude du symbole divin de l’aigle dans l’A.T., voir Marc GIRARD, Symbolesbibliques,langageuniversel :pourunethéologiedesdeux Testamentsancréedanslesscienceshumaines, Paris – Montréal, Médiaspaul, 2016, Vol. I, p. 842. 54 Rt 2,12 ; 1 R 8,6 ; Ps 90,4 (LXX). Dans son étude du symbole biblique des ailes, Girard fait également mention de Lc 13,34 (par. Mt 23,37) en évoquant la fonction de protection « des ailes déployées mais immobiles », sans faire référence à la fonction de rassemblement. Voir Marc GIRARD, Symboles bibliques, Vol. I, p. 840. 55 Marc GIRARD, Symbolesbibliques, Vol. I, p. 487. Sans la développer, Girard mentionne l’image de la poule dans son étude de la pierre comme symbole matriciel et/ou de verticalité, plus particulièrement dans la section consacrée au symbole de la protection divine en comparaison avec la mère bienfaisante et protectrice.
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Lc 23,28-31, la dernière parole de jugement adressée à Jérusalem, sans parallèle dans les autres évangiles, présente des affinités avec Lc 19,41-44. En effet, Jésus se tourna vers les « femmes qui se frappaient [la poitrine] et se lamentaient sur lui » (23,27) et leur dit : « Filles de Jérusalem, nepleurezpassurmoi [μὴ κλαίετε ἐπ᾿ ἐμέ], pleurez plutôtsurvous-mêmesetsurvosenfants [ἐφ᾿ ἑαυτὰς κλαίετε καὶ ἐπὶ τὰ τέκνα ὑμῶν]. » (23,28) En 19,41, « au moment où il vit la ville, Jésus pleurasurelle [ἔκλαυσεν ἐπ᾿ αὐτήν] » et annonça les catastrophes à venir la concernant, elle et « [ses]enfants [τὰ τέκνα σου] » (19,44a). Cette identité de vocabulaire sera exploitée dans l’exégèse de ce verset. Isaïe avait lui aussi interpellé des femmes d’une façon similaire, bien que dans un autre contexte : 9
Femmes [Γυναῖκες] riches, levez-vous et écoutez ma voix ! Filles [θυγατέρες] dans l’espoir, écoutez mes paroles ! […] 11 Soyez bouleversées, soyez tristes [λυπήθητε], vous qui avez confiance, dévêtez-vous, soyez nues, ceignez vos reins de sacs 12 et frappez-vouslesseins [ἐπὶ τῶν μαστῶν κόπτεσθε], pour un champ désirable et pour le fruit de la vigne. 13 La terre de mon peuple montera en épines et en herbe, et de toute maison la joie sera ôtée : ville riche ! (Is 32,9.11-13)
L’oracle d’Isaïe (32,9-20) se conclut par une annonce de salut qui marquera la fin du deuil : « […] jusqu’à ce que viennesurvous [ἐπέλθῃ ἐφ᾿ ὑμᾶς], un souffle deshauteurs [ἀφ᾿ ὑψηλοῦ]. […] et le droit reposera dans le désert, et la justice habitera le Karmèl ; et les œuvres de la justice seront la paix et la justice trouvera le repos. Confiance pour l’éternité ! » (32,15-17) 4.4. SingularitédesparolesdejugementprononcéesparJésus Jésus n’a pas été le premier à prononcer un oracle de jugement concernant Jérusalem. Ce genre littéraire est enraciné dans l’Ancien Testament et est attesté à l’égard de Jérusalem dans le judaïsme contemporain. Signalons dans la Septante, les manuscrits de la mer Morte et les écrits de Flavius Josèphe, quelques oracles de jugement adressés à Jérusalem, qui présentent le plus d’affinités avec Lc 19,41-4456. Commençons par le livre d’Isaïe. Plusieurs points communs relient ce dernier et l’œuvre de Luc, y compris Lc 19,41-44. D’abord, la première 56 Pour une recension plus large des annonces de la destruction de Jérusalem et en particulier de son Temple, voir Craig A. EVANS, « Predictions of the Destruction of the Herodian Temple in the Pseudepigrapha, Qumran Scrolls, and Related Texts », in JournalfortheStudyofPseudepigrapha 10 (1992) 89-147, p. 92-103.
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accusation d’Is 1,2-4 se situe au niveau de la non-reconnaissance (οὐκ ἔγνω), comme en Lc 19,42.44b (οὐκ ἔγνως). 2
Écoute, ciel, et sois attentive, terre, car le Seigneur a parlé : J’ai engendré et élevé des fils, mais eux m’ont rejeté. 3 Le bœuf connaît [ἔγνω] son propriétaire, et l’âne, la mangeoire de son seigneur ; mais Israël nemeconnaît pas [δέ με οὐκ ἔγνω], et le peuple ne m’a pascompris [οὐ συνῆκεν]. 4 Malheur, nation pécheresse, peuple plein de péchés, descendance mauvaise [σπέρμα πονηρόν], fils non respectueux de la loi : vousavezabandonné [ἐγκατελίπατε] le Seigneur et provoqué la colère du Saint d’Israël. (Is 1,2-4)
Ensuite, le verdict (Is 1,7-8) porte sur la destruction de Jérusalem par des étrangers, c’est-à-dire des ennemis, et ressemble ainsi à celui de Lc 19,43-44. Enfin, tous deux font de Jérusalem un point central de leur déclaration. D’ailleurs, l’introduction de l’ensemble de la vision d’Isaïe affirme clairement que celle-ci est : « contre la Judée et contre Jérusalem sous le règne d’Ozias, de Iôatham, d’Achaz et d’Ézékias, qui régnèrent sur la Judée » (Is 1,1). Les oracles de jugement contre Jérusalem sont principalement concentrés dans le Proto-Isaïe (1–39)57. Durant son « activité à Jérusalem de la dernière année d’Ozias (date discutée, entre 740 et 734) au siège de la ville par Sennachérib en 70158 », le prophète reproche à Jérusalem et à ses dirigeants d’avoir cherché secours auprès de l’Assyrie lors des attaques des armées syrienne et éphraïmite, puis auprès de l’Égypte lors de la tutelle assyrienne, au lieu de mettre sa confiance dans le Seigneur. Édités autour du Ve siècle, les oracles de jugement du Proto-Isaïe ont été réinterprétés en fonction de la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor. Le prophète Jérémie, « un des prêtres résidant à Anatoth » (Jr 1,1), proche de Jérusalem, a exercé son activité de 627 à 587 avant Jésus Christ, c’est-à-dire « au temps de Josias, fils d’Amôn, roi de Juda, la treizième année de son règne, […] jusqu’à la déportation de Jérusalem » (1,2-3). Ses oracles de jugement adressés « aux hommes de Juda et aux habitants de Jérusalem » (4,4) sont surtout rassemblés dans les chapitres 2 à 25. Les affinités sont frappantes avec Lc 19,41-44 et les autres paroles lucaniennes de jugement concernant Jérusalem. Primo, Jérémie pleure sur son peuple (Jr 8,23 LXX // Lc 19,41) et invite les femmes à pleurer (Jr 9,16-20 LXX // Lc 23,28-30). Secundo, le 57 Signalons en particulier Is 2,6–4,1 ; 5,1-7 ; 28,14–29,24. Même en Is 1–39, les oracles de jugement sont scandés par des oracles de salut. 58 Jacques VERMEYLEN, « Ésaïe », p. 416.
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châtiment de Jérusalem se réalise « parlamaindesesennemis [εἰς χεῖρας ἐχθρῶν αὐτῆς] » (Jr 12,7 ; 20,5 ; 21,7 // Lc 19,43-44), avec toutefois comme différence l’action explicite de Dieu comme cela est attesté en Jr 20,5. Tertio, les accusations portent sur différents faits, notamment ne pas avoir connu le Seigneur (Jr 5,4 ; 9,2 ; 22,16 // Lc 19,42.44) ; « avoirraidilanuque [ἐσκλήρυναν τὸν τράχηλον αὐτῶν], ne voulant pas écouter [les] paroles » (Jr 19,15 // Ac 7,51)59 du Seigneur, qui ont retenti quand « il vous a envoyé tous ses serviteurs les prophètes, inlassablement » (Jr 7,25 ; 25,4 // Lc 11,49 ; 13,34) ; avoir fait de « mamaison [ὁ οἶκός μου] sur laquelle mon nom a été invoqué, unecavernedebandits [σπήλαιον λῃστῶν] » (Jr 7,11 // Lc 19,46). Quarto, Jérémie associe le temps du jugement de Jérusalem et de Juda, au « tempsdeleurvisite[ἐν καιρῷ ἐπισκοπῆς αὐτῶν] » (Jr 6,15). Quinto, parmi les oracles de salut parsemés à travers les paroles de jugement, au moins deux évoquent des thèmes liés à l’ἐπισκοπή divine annoncée dans la seconde partie du cantique de Zacharie : la venue de l’astre [ἀνατολή] (Jr 23,5 // Lc 1,78) identifié en Jr 23,5 à un roi (// Lc 19,38) qui établit le jugement et la justice, le don de la connaissance du Seigneur (Jr 16,21 ; 24,7 // Lc 1,77) et la grâce de devenir son peuple (Jr 24,7 // Ac 15,14). Dans une vision de Dn (9,26-27 LXX), l’ange Gabriel révèle à Daniel le sens de l’oracle de Jr 25,11-14. Ce passage associe de façon unique la destruction de Jérusalem au sort fatal « duoint[τοῦ χριστοῦ] » (Dn 9,26). De la même manière, le contexte élargi (Lc 18,31–19,44) est encadré par une parole de Jésus annonçant deux destins tragiques : celui de Jésus lui-même montant à Jérusalem (18,31-34) et celui de Jérusalem (19,41-44)60. Le livre de Daniel marque son influence en Lc, car il associe des prophéties de destruction (écho de Dn 12,7 en Lc 21,24) avec la venue glorieuse du Fils de l’homme (écho de Dn 7,13 en Lc 21,27)61. Cependant, Lc 19,41-44 ne contient pas de reflet explicite de Dn. Voir aussi Jr 7,26 ; 17,23. L’expression « raidirlanuque [σκληρύνω τὸν τράχηλον] » est attestée dans la LXX en quatre versets supplémentaires : 2 Ch 30,8 ; 36,13 ; Ne 9,16.17. Ac 7,51 y fait écho par l’adjectif « nuquesraides [σκληροτράχηλοι] ». Ce vocabulaire ne figure nulle part ailleurs dans le N.T. 60 Cet aspect a aussi été mis en évidence par Meynet. Toutefois, il englobe dans le récit de « l’annonce du destin de Jérusalem » l’entrée de Jésus au Temple (19,45-46). Voir Roland MEYNET, L’évangiledeLuc, p. 707. 61 Pour l’influence de Dn sur les prophéties de destruction de Jérusalem en Lc, voir Étienne NODET, « Prophéties de Jésus sur Jérusalem (Luc) », in Dossiersd’Archéologie 279 (2003) 134-141, p. 138-140. 59
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Le verdict annoncé par Jésus en Lc 19,43-44a rejoint aussi ce qui était véhiculé dans différents milieux de son époque62. Tout d’abord, un manuscrit de la mer Morte du Ier siècle avant Jésus Christ, le Pesher d’Habaquq (1QpHab IX 6-7), interprète Ha 2,8 comme l’annonce de la prise de Jérusalem par l’armée des Kittim, c’est-à-dire par les Romains, « auxderniersjours [» ]ולאחרית הימים63. Ce témoignage atteste la corruption vécue dans le Temple déjà à l’époque hasmonéenne, tel que cela sera aussi rapporté au premier siècle après Jésus Christ par des sources postérieures64. Ensuite, dans LaGuerredesJuifs(VI 300-304, 309), Flavius Josèphe relate des paroles de menace prononcées par un autre Jésus, au Temple, quatre ans (en 62) avant la première révolte juive contre les Romains. Le vocabulaire et le style de ce Jésus, tels qu’ils sont décrits par Flavius Josèphe, donnent l’impression d’une réminiscence des oracles de Jérémie65. Nous sommes en mesure de dégager quelques singularités de Jésus par rapport aux prophètes vétérotestamentaires ou à des témoins contemporains. Premièrement, dans aucun verset de Lc, Jésus n’introduit son interpellation par des formules typiques des oracles prophétiques, telles « LeSeigneuraparlé [κύριος ἐλάλησεν]66 », « Ainsi parleleSeigneur [Τάδε λέγει κύριος]67 », etc. Il s’exprime directement à la première personne : « jete/vousdis [λέγω σοι / ὑμῖν]68 ». Lorsqu’il s’adresse au défunt à Naïn pour le ramener à la vie, Jésus recourt à ces mêmes mots (Lc 7,14). Un passage fait exception, lorsque Jésus interpelle les légistes (11,46-52), il précise : « C’estpourquoi aussi la Sagesse de Dieu a dit [διὰ τοῦτο καὶ ἡ σοφία τοῦ θεοῦ εἶπεν] » (11,49). Cette parole est absente dans le parallèle de Mt 23,34. Cependant, Jésus conclut par ces mots : « Oui,jevousdis [ναὶ λέγω 62
Robert H. STEIN, Luke, p. 484 ; Joseph A. FITZMYER, LukeX–XXIV, p. 1255. Millar BURROWS – John C. TREVER et al. (éds.), The Dead Sea Scrolls of St. Mark’sMonastery, planches LV–LXI, ici planche LIX ; William H. BROWNLEE (éd.), TheMidrashPesherofHabakkuk (Society of Biblical Literature – Monograph Series, 24), Missoula MT, Scholars Press, 1979, p. 145. 64 Dirigé contre les prêtres de Jérusalem, le verdict contient un verbe au passif dont la teneur est théologique : « leur richesse incluant leur butin seradonnée []ינתן aux mains de l’armée des Kittim » (1QpHab IX 6-7). Voir aussi Craig A. EVANS, « Predictions of the Destruction of the Herodian Temple », p. 131. 65 Dans la LXX : Jr 7,34 ; 13,27 ; 16,9 ; 25,10. 66 2 S 3,18 ; 1 R 22,23 ; 2 Ch 18,22 ; Jl 4,8 ; Ab 18 ; Is 1,2.20 ; 21,17 ; 22,25 ; 24,3 ; 25,8 ; 40,5 ; 58,14 ; Jr 13,15. 67 Expression courante, en particulier chez Ezéchiel (126 fois), Jérémie (64 fois), Isaïe (26 fois), Zacharie (20). 68 Parmi les paroles de jugement mentionnées précédemment, voir Lc 10,12(bis) ; 12,59 ; 13,3.5.35 ; 18,17. 63
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ὑμῖν], il en sera demandé compte à cette génération » (Lc 11,51; par. Mt 23,36). Les autres évangiles témoignent de la même autorité de Jésus dans ses oracles de jugement. Son autorité est sans ambages. Deuxièmement, bien que son langage soit parfois acerbe et sans demi-mesure, Jésus témoigne simultanément d’une profonde compassion. Ce trait est accentué chez Luc. La parabole du figuier improductif (Lc 13,6-9 ; propre à Luc) l’illustre éloquemment à travers l’attitude du vigneron proposant une année de sursis pour entourer de soins supplémentaires le figuier et lui donner ainsi une autre chance de porter du fruit69. Pourtant, la sentence prévue n’est pas moins totale : « Sinon, tu le couperas » (13,9b), en écho à « Sinon, vous périrez tous de même » (13,3.5). Chez Luc, la compassion dont témoigne Jésus en prononçant un oracle de jugement est particulièrement soulignée quand il s’adresse à Jérusalem. Jésus l’interpelle quatre fois avec un crescendo dans l’énoncé du verdict et dans l’expression de l’émotion. Celle-ci culmine lors de son face-à-face avec la ville au sommet du mont des Oliviers : ses larmes, l’usage intensif du « toi » et la phrase inachevée en Lc 19,4270. Dans la formulation de l’oracle de jugement, signalons deux éléments qui reflètent l’absence d’émotion négative de la part de Jésus et de Dieu. Primo, le verdict futur n’est jamais présenté comme émanant de l’action directe de Dieu qui viendrait battre, écraser ou faire périr. Jésus dit plutôt : « vous périrez » (13,3.5) ou « tes ennemis t’écraseront » (19,44). Tel n’est pas toujours le cas dans les paraboles de jugement ou d’avertissement : « Sinon tu le couperas » (Lc 13,9 ; propre à Luc) ; « Égorgez-les devant moi » (Lc 19,27 ; absent dans le parallèle de Mt 25,30) ; « Il fera périr ces vignerons » (Lc 20,16 ; par. Mc 12,9 et Mt 21,41). Cependant, le propre des paraboles n’est-il pas d’exagérer les traits pour mettre en évidence leur message de fond, en l’occurrence, le rappel que tous auront à rendre compte devant Dieu de leurs actions et de leurs omissions, pour en assumer les conséquences ? D’ailleurs, le jugement du roi à l’égard du mauvais serviteur le renvoie d’abord à lui-même : « De ta bouche je te juge [κρινῶ] » (Lc 19,22 ; absent dans le parallèle de Mt 25,26). Secundo, l’énoncé du verdict lucanien de Jésus, même s’il peut être radical, demeure limité aux faits 69 Dans la parabole de l’ivraie (Mt 13,24-30 ; propre à Matthieu), il existe aussi un temps de sursis (13,29). Cependant, l’objectif est d’éviter d’arracher le blé en voulant retirer l’ivraie et non pas de permettre une transformation. 70 Ce dernier élément appelé aussi « aposiopèse » sera développé au point 2.1 intitulé « Une parole chargée d’émotion », dans la section II du présent chapitre.
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et s’étend rarement aux sentiments éprouvés, contrairement à ce que l’on trouve chez Matthieu. En effet, ce dernier recourt régulièrement à une expression particulière que Luc n’emploie qu’une seule fois : « làilyauradespleursetdesgrincementsdesdents[ἐκεῖ ἔσται ὁ κλαυθμὸς καὶ ὁ βρυγμὸς τῶν ὀδόντων]71 ». Troisièmement, dans plus de la moitié des cas, le reproche porte directement ou indirectement sur l’attitude adoptée à l’égard de Jésus. C’est notamment le cas dans deux des quatre paroles lucaniennes de jugement concernant Jérusalem (13,34-35 ; 23,28-30). Dans les oracles vétérotestamentaires de jugement, l’accusation concerne principalement les relations à Dieu et au prochain72. Quatrièmement, les individus et les groupes particuliers auxquels Jésus adresse une parole de jugement ont comme point commun d’être des nantis autosuffisants, sans donner leur vie en retour. Toutefois, contrairement aux oracles vétérotestamentaires de jugement, les nations ne sont jamais spécifiquement concernées73. Trois types de détenteurs sont le plus souvent visés dans ces accusations spécifiques, selon trois niveaux de biens : (1) les possessions matérielles – les riches74 –, (2) les responsabilités à l’égard des gens – Hérode75, les Pharisiens et 71
Mt 8,12 (rencontre du centurion, expression présente dans le parallèle large de Lc 13,28), Mt 13,42 (explication de la parabole de l’ivraie, propre à Matthieu), Mt 13,50 (parabole du filet, propre à Matthieu), Mt 22,13 (parabole des invités qui se dérobent, expression absente dans le parallèle large de Lc 14,24), Mt 24,51 (parabole de l’intendant fidèle, expression absente dans le parallèle large de Lc 12,46), Mt 25,30 (parabole des talents, expression absente dans le parallèle large de Lc 19,26). 72 Voici quelques exemples de reproches contenus dans des oracles de jugement concernant Jérusalem. En 2 R 22,17, Houlda, une femme prophétesse à Jérusalem, au temps du règne de Josias en Judée (640-609 avant Jésus Christ) dénonce le polythéisme. Isaïe reproche à Jérusalem de ne pas connaître le Seigneur (Is 1,3) et d’avoir abandonné le Seigneur pour compter sur des appuis humains (1,4). À son tour, Jérémie accuse le peuple de ne pas connaître le Seigneur (Jr 5,4), d’avoir profané le Temple (7,11), de ne pas écouter les prophètes envoyés par le Seigneur (7,25). Michée s’adresse surtout aux élites (Mi 3,9.11) en dénonçant leur conduite malhonnête et insouciante. Sophonie interpelle Juda et les habitants de Jérusalem (So 1,4), plus spécialement la classe dirigeante (1,8) de Juda en raison de ses pratiques idolâtriques (1,4-7), mais aussi de sa négligence dans le domaine de la justice sociale (3,3-4). Dans le Pesherd’Habaquq (1QpHab IX 6-7), il est reproché à Jérusalem d’avoir pillé beaucoup de nations (viii 15) et aux prêtres de Jérusalem, d’être rebelles et d’avoir abrogé les commandements de Dieu (viii 17). Dans la parole de Jésus, fils d’Ananias (LaGuerre desJuifsVI 300-304, 309), la raison du malheur sur Jérusalem n’est pas évoquée. 73 Voici des exemples d’oracles de jugement contre les nations, retransmis dans deux grands livres prophétiques déjà mentionnés : Is 14,24–23,18 ; Jr 26–28 (LXX). 74 Lc 6,24-26 (propre à Luc). Nous pouvons aussi ajouter le sort réservé au riche à sa mort, en opposition à celui de Lazare (Lc 16,22-23 ; propre à Luc). 75 Lc 13,32 (propre à Luc).
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les légistes76, les scribes et les grands prêtres77 –, (3) l’annonce de la bonne nouvelle – les villes ou cette génération qui ont reçu la prédication de Jésus ou de ses disciples78, ses disciples qui l’auront renié ou qui n’auront rien préparé alors qu’ils connaissaient la volonté de leur maître79. Une analyse comparative avec les autres synoptiques montre que la première catégorie – contre les riches – est plus développée chez Luc, alors que la deuxième – contre les responsables – l’est davantage chez Matthieu et chez Marc80. Par contre, Matthieu manifeste une sensibilité particulière envers ceux qui s’en prennent aux « petits », considérés comme tels sur les plans spirituel (Mt 18,6)81 et matériel (Mt 25,40.45-56)82. Ceci vise indirectement les riches autosuffisants. Tel qu’il a été montré auparavant, Luc insiste plus que les autres évangélistes sur Jérusalem dans les paroles de jugement prononcées par Jésus83. Bilan : un témoignage inédit de compassion et de jugement Au terme de l’analyse préparatoire à l’exégèse de la péricope qui contient Lc 19,44, le profil spécifiquement lucanien de celle-ci s’est clarifié. Des critères littéraires ont permis de la délimiter (Lc 19,4144), en la situant dans un lieu spécifique, le versant ouest du mont des 76
Lc 11,52 (la mention des légistes est absente dans le parallèle de Mt 23). Lc 20,15-18 (par. Mc 12,9-11 et Mt 21,40-43), Lc 20,46-47 (présent dans le parallèle de Mc 12,40 et absent dans celui de Mt 23,12). 78 Lc 10,12 (par. Mt 10,15), Lc 10,13-16 (par. Mt 11,21-23), Lc 11,19 (par. Mt 12,27 ; absent dans le parallèle de Mc 3,26), Lc 11,29-32 (par. Mt 12,39-42), Lc 13,25-28 (par. Mt 25,10-12 ; 7,22-23 ; 8,11-12). 79 Lc 12,9-10 (par. Mt 10,33 ; 12,32 et Mc 3,23), Lc 12,47-48 (propre à Luc). Jésus a également prononcé une parole de malheur à l’égard de Judas, sans le nommer : « Mais voici, la main de celui qui me livre [est] avec moi sur la table. Parce que le Fils de l’homme part selon ce qui a été décrété, mais malheur à cet homme-là par qui il est livré » (Lc 22,21-22). Les parallèles de Mc 14,21 et de Mt 26,24 ajoutent : « Mieux eût été pour lui qu’il ne naisse pas, cet homme-là ! » 80 Mt 21,28-32 (parabole propre à Matthieu, adressée aux « grands prêtres et anciens du peuple » 21,23). De plus, en Mc 7,1-13 et en Mt 15,1-9, Jésus fait des vifs reproches aux Pharisiens et aux scribes de Jérusalem. 81 Le parallèle de Mc 9,42 est similaire alors que celui de Lc 17,2 n’a pas après l’expression « undecespetits » le complément « qui croient en moi ». Il se réfère donc à ce qui précède, à savoir la parabole de Lazare et du riche en Lc 16,19-31. 82 La parabole du jugement dernier est propre à Matthieu. Ici aucune dimension spirituelle n’est précisée à propos des « petits ». Dans le contexte de Mt 25,31-46, ils sont ceux qui dans leur chair ont faim et soif, sont nus, infirmes ou en prison. 83 Voir aussi Wesley G. OLMSTEAD, « Judgment », in Joel B. GREEN – Jeannine K. BROWNetal. (éds.), DictionaryofJesusandtheGospels, Downers Grove IL, InterVarsity Press (IVP), 20132, 458-463, p. 461. 77
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Oliviers, et en l’inscrivant dans la relation particulière entre Jésus et Jérusalem à qui il s’adresse en direct, avec une profonde émotion. Les variantes textuelles signalées accordent plus ou moins de poids supplémentaire à cette adresse directe par l’usage du pronom personnel « toi », sans toutefois affecter l’interprétation de façon majeure. Le vocabulaire du verdict (19,43-44) est représentatif de l’histoire du peuple juif. Le contexte élargi (Lc 18,31–19,44) a été abordé selon deux perspectives. Sur le plan géographique, Jésus monte à Jérusalem par approches successives. Au niveau thématique, deux figures de l’identité messianique de Jésus (fils de David et roi) avaient été révélées personnellement à Marie par un messager de Dieu avant la naissance de l’enfant et sont pour la première fois clamées ouvertement. En même temps, certains cherchent à faire taire les témoins de Jésus. Le contexte immédiat se concentre sur l’approche de Jérusalem. La structure bipartite est formée de deux éléments apparemment contradictoires : la compassion et le jugement. Il s’agit bien d’un oracle de jugement dont le sens se dégage en relation avec les autres paroles de jugement prononcées par Jésus, en particulier quatre concernant Jérusalem, dont trois propres à Luc. Celles-ci éclairent la portée de la montée de Jésus à Jérusalem, en parallèle avec la tonalité de châtiment observable dans des prophéties vétérotestamentaires (en particulier Is et Jr) prononcées avant de grandes catastrophes (siège de Jérusalem par Sennachérib en 701 et par Nabuchodonosor en 587). Un phénomène tout à fait original se produit. En prononçant un oracle de jugement, Jésus parle en son nom propre, sans recourir aux formules usuelles d’un porte-parole envoyé par Dieu, comme le faisaient les prophètes vétérotestamentaires. Jésus est non seulement plus qu’un prophète, mais aussi plus qu’un roi terrestre, car celui-ci peut ordonner des actes correctionnels, mais non pas annoncer des événements majeurs à venir. Seul Dieu en a la compétence. II. EXÉGÈSE DE LC 19,41-44 1. Larmes de Jésus sur la ville (Lc 19,41-42a) 1.1. Uneapprocheexprimantunaccomplissementdel’ordredusalut « Et comme il fut proche [ὡς ἤγγισεν] […] » (Lc 19,41). La conjonction ὡς introduit ici une subordonnée temporelle signalant que Jésus est sur le point d’arriver. Après avoir été avisé à maintes
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reprises et depuis plus de dix chapitres que Jésus marche vers Jérusalem, puis s’en approche, le lecteur est ainsi mis en alerte. En effet, depuis Jéricho, Jésus s’approche par étapes successives de Jérusalem. La mention de celles-ci crée un effet de ralentissement et de dramatisation84. Sur les cinq occurrences d’ἐγγίζω retraçant la progression de ce parcours85, Lc 19,41 ouvre la dernière étape dont l’importance est signifiée de trois manières. Primo, le verbe figure à l’indicatif aoriste et exprime ainsi un accomplissement. Dans le contexte élargi (18,31– 19,44), le seul autre cas se trouve au début de la péricope précédente, quand Jésus « futproche [ἤγγισεν] de Bethphagé et de Béthanie, au mont […] des Oliviers » (19,29). Secundo, avant la mort et la résurrection de Jésus, 19,41 constitue la dernière mention d’ἐγγίζω dont Jésus est le sujet. Tertio, le verbe se présente sans complément. En Lc, les six autres attestations de forme affirmative et intransitive s’appliquent à des réalités abstraites liées à l’économie du salut86. Dans l’ensemble du Nouveau Testament, 19,41 est le seul cas de figure où ce verbe à l’indicatif, de forme affirmative et sans complément, a pour sujet une personne. Dans la Septante, ce phénomène apparaît quatorze fois, dont la moitié dans les livres prophétiques, en lien avec le jugement et la justice de Dieu87. Peut-être Luc suggère-t-il que, quand Jésus 84 Gerber met en contraste « la triple répétition du motif de l’approche de Jérusalem par Jésus (19,29.37.41) » en Lc et l’absence de notice signalant l’entrée de Jésus dans la ville, contrairement à Mc (11,11) et à Mt (21,10). Voir Daniel GERBER, « Luc 19,41-44 : la mise en perspective d’un oracle de Jugement », in Claude COULOT (éd.), Lejugementdansl’unetl’autreTestament.Vol.II :FS.JacquesSchlosser (Lectio Divina, 198), Paris, Cerf, 2004, 219-236, p. 225. L’effet de ralentissement est aussi souligné par Matteo CRIMELLA, « La conclusione del viaggio verso Gerusalemme : panoramica su Lc 15,1–19,44 », in Paroledivita 55 (2010) 4-8, p. 8. 85 Voir la perspective géographique du contexte élargi au point 2.1 de la section I du présent chapitre. 86 « Le royaume de Dieu » (Lc 10,11 ; absent dans les parallèles larges de Mc 6,11 et de Mt 10,15), « le temps » de l’accomplissement qui sera proclamé par beaucoup de faux messies (Lc 21,8 ; absent dans les parallèles de Mc 13,6 et de Mt 24,5), « la désolation » de Jérusalem (Lc 21,20 ; absent dans les parallèles de Mc 13,14 et de Mt 24,15), la « délivrance » (Lc 21,28 ; absent dans les parallèles de Mc 13,27 et de Mt 24,31), « la fête des Azymes celle [qui est] dite “Pâque” » (Lc 22,1 ; absent dans les parallèles de Mc 14,1 et de Mt 26,1). Les quatre premières sont placées dans la bouche de Jésus et la dernière, sous la plume du narrateur. 87 « Votrejugementapproche [Ἐγγίζει ἡ κρίσις ὑμῶν], dit le Seigneur Dieu » (Is 41,21). « Puisqueceluiquim’aproclaméjusteestproche,quelestceluiquientre enjugementavecmoi [ὅτι ἐγγίζει ὁ δικαιώσας με· τίς ὁ κρινόμενός μοι] ? Qu’il se place en face de moi, ensemble. Etquelestceluiquientreenjugementavecmoi [καὶ τίς ὁ κρινόμενός μοι] ? Qu’ils’approchedemoi [ἐγγισάτω μοι] ! » (Is 50,8). « Ma justice approche vite [ἐγγίζει ταχὺ ἡ δικαιοσύνη μου] et mon salut jaillira comme la lumière » (Is 51,5). « La fin est arrivée sur toi, habitant de la terre, letemps
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s’approche en 19,41, il ne s’agit pas simplement d’un déplacement physique, mais d’un accomplissement de l’ordre du salut, avec sa part de jugement88. 1.2. Unregardsuscitantdeslarmesdeprofondecompassion Jésus s’approche et se place dans la dynamique d’un face à face : « Etcommeilfutproche,aumomentoùilvitlaville[Καὶ ὡς ἤγγισεν ἰδὼν τὴν πόλιν] […] » (19,41). Après avoir marché longuement vers Jérusalem, maintenant il la voit. C’est un moment fort connu des pèlerins qui se dirigent depuis des semaines, voire des mois, avec une intention spéciale, vers un lieu précis hautement symbolique. L’expression « voir la ville » rappelle l’épisode de la construction de la tour de la ville (Gn 11,1-9), nommée « Babel []בּ ֶבל ָ » ou encore « Confusion [Σύγχυσις] » : « Et le Seigneur descendit voir la ville [κατέβη κύριος ἰδεῖν τὴν πόλιν] et la tour qu’édifiaient les fils des hommes. » (Gn 11,5)89 Dans les deux cas (Gn 11,5 ; Lc 19,41), la vision de la ville précède une parole de jugement. Toutefois, Lc 19,41 se distingue de Gn 11,5 notamment sur deux points. Primo, pour voir la ville, Jésus « monta [ἀνέβη] » vers Jérusalem (18,31 ; 19,4.28). Du point de vue théologique, cette montée manifeste l’humilité du Seigneur, alors que le mouvement anthropomorphique de Dieu est habituellement représenté de haut en bas90. Après avoir accompli la montée, alors seulement Jésus commencera « la descente [καταβάσει] du mont des Oliviers » (19,37). Secundo, « aumomentoùilvitlaville,ilpleurasur elle[ἰδὼν τὴν πόλιν ἔκλαυσεν ἐπ᾿ αὐτὴν]. » (19,41)91 estarrivé [ἥκει ὁ καιρός], lejourestproche [ἤγγικεν ἡ ἡμέρα] » (Ez 7,4 LXX). « Le jugementdelavilleestproche [Ἤγγικεν ἡ ἐκδίκησις τῆς πόλεως] » (Ez 9,1). « Les joursetlaparoledetoutevisionapprochent [Ηγγίκασιν αἱ ἡμέραι καὶ λόγος πάσης ὁράσεως] » (Ez 12,23). Les autres références évoquent l’approche des jours de la mort, sans la présenter explicitement comme un châtiment : Gn 47,29 ; Dt 15,9 ; 31,15 ; 1 R 2,1 ; 1 M 2,49 ; 9,10 ; Lm 4,18 (LXX). Une exception demeure : Ps 54,22 (LXX) parlant du cœur de l’homme méchant qui s’approche. 88 L’interprétation de Fitzmyer se cantonne au sens spatial du verbe ἐγγίζω en Lc 19,41 comme en 7,12 (à Naïn). Voir Joseph A. FITZMYER, LukeI–IX, p. 658. 89 L’expression ὁρῶ τὴν πόλιν (Lc 19,41) est non seulement introuvable ailleurs dans le N.T., mais rare dans la LXX où elle est attestée deux fois : Gn 11,5 ; 1 R 9,12. 90 Voir la conception religieuse grecque des visitations divines, à la fin du point 2 de la section I de l’introduction générale. 91 Dépendant d’un verbe principal également à l’aoriste (ἔκλαυσεν), le participe aoriste (ἰδών) indique ici que les deux actions sont simultanées, comme nous l’avons vérifié précédemment en Lc 7,13.14.
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Pourquoi Jésus pleure-t-il sur la ville ? Est-ce parce qu’il est arrivé à la destination de sa longue marche ? Est-ce par anticipation de la passion pressentie et maintenant imminente92 ? Ou pour le dire autrement, est-ce parce qu’il perçoit qu’il sera bientôt durement rejeté et méprisé, n’étant pas reconnu de Jérusalem93 ? Le texte précise qu’il « pleura surelle [ἐπ᾿ αὐτήν] », la ville de Jérusalem, et non sur luimême. Marie-Joseph Lagrange commente ce point de façon saisissante : « Jésus pleure sur la ville, telle qu’elle est, rebelle à sa tendresse, et parce qu’elle sera châtiée94. » Dans le troisième évangile comme ailleurs dans le Nouveau Testament, l’usage de « pleurer [κλαίω] » ou des « pleurs [κλαυθμός] » est l’expression d’une émotion forte et manifeste95, le plus souvent dans un contexte de repentir ou de deuil, l’un et l’autre allant parfois de pair96. Jésus pleure, non pas sur sa propre mort, mais sur la mort et la désolation qui attendent Jérusalem. Les larmes de Jésus sur la ville sont l’expression d’une profonde compassion selon le sens donné à ce terme par le Jésus lucanien. Telle est notre hypothèse de travail. En voici les fondements. Le mot « compassion [οἰκτιρμός] » ou ses dérivés – « compâtir [οἰκτίρω] », « compatissant [οἰκτίρμων] » – n’apparaissent qu’une seule fois chez Luc et plus largement dans les évangiles, lors du premier grand discours lucanien de Jésus : « Devenez compatissants [οἰκτίρμονες] comme votre père est compatissant [οἰκτίρμων]. » (Lc 6,36)97 Cette exhortation conclut un appel insistant à aimer les ennemis : Aimez vos ennemis, faites du bien [καλῶς ποιεῖτε] à ceux qui vous haïssent, 28 bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous maltraitent. […] 35 Aimez vos ennemis et faitesdubien [ἀγαθοποιεῖτε] et prêtez sans rien attendre en retour et votre récompense sera grande et
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92 Durant sa marche vers Jérusalem, Jésus a annoncé à trois reprises sa passion : Lc 9,18-22 (par. Mc 8,27-31 et Mt 16,13-21), Lc 9,43b-45 (par. Mc 9,30-32 et Mt 17,22-23) et Lc 18,31-34 (par. Mc 10,32-34 et Mt 20,17-19). 93 Telle est l’interprétation défendue par certains : Michael WOLTER, DasLukasevangelium, p. 633 ; Karl H. RENGSTORF, « κλαίω, κλαυθμός », in Gerhard KITTEL (éd.), Theological Dictionary of the New Testament, traduit par Geoffrey W. BROMILEY, Grand Rapids MI, Eerdmans, 1965, Vol. III (Θ-Κ), 722-726, p. 726. 94 Marie-Joseph LAGRANGE, ÉvangileselonsaintLuc, p. 501. 95 Horst BALZ, « κλαίω », in Horst BALZ – Gerhard SCHNEIDER (éds.), Exegetical DictionaryoftheNewTestament, Grand Rapids MI, Eerdmans, 1979, Vol. II, 293-294. 96 Voici un exemple pour les trois contextes mentionnés : Lc 7,38 ; 8,52 ; 13,28, respectivement. 97 Dans le parallèle de Matthieu, l’adjectif est différent : « Vous serez donc parfaits [τέλειοι] comme votre père céleste est parfait [τέλειός]. » (Mt 5,48) En dehors des évangiles, les termes οἰκτιρμός, οἰκτίρω et οἰκτίρμων apparaissent huit fois.
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vous serez fils du Très-Haut, car lui est bon [χρηστός] pour les ingrats et les méchants. 36 Devenez compatissants, comme votre père est compatissant. (Lc 6,27-28.35-36)98
Dans ce passage, l’expression « vos ennemis » est à comprendre au sens large. Sont visés ceux qui ne sont pas identifiés à « ceux qui vous aiment » (6,32), à « ceuxquivousfontdubien [τοὺς ἀγαθοποιοῦντας] » (6,33) et à « ceux dont vous espérez recevoir » (6,34). Chez Luc, la compassion est présentée comme une caractéristique particulière de la bonté divine, que l’être humain est invité à cultiver lui-même. À la lumière de ce passage, la compassion du Jésus lucanien ne se réduit pas à une simple émotion spontanée. Elle implique pour Jésus un engagement à aimer concrètement ou, pour le dire autrement, à « faire du bien », en particulier aux personnes qui n’agissent pas de la même manière envers lui. Dans l’Ancien Testament, l’équivalent hébreu de « compassion [οἰκτιρμός] » est ר ֲח ִמים.ַ Ce mot renvoie littéralement aux « entrailles ». Lors de l’exégèse de Lc 7,13, il a déjà été souligné que les entrailles (σπλάγχνα) sont plus d’une fois mentionnées dans les textes bibliques comme le lieu corporel où se loge la compassion99. En outre, à propos du cantique de Zacharie et de la parabole du bon Samaritain (1,6879 ; 10,29-37, propres à Luc)100, il a été montré que la compassion – signifiée ici par son enracinement corporel (σπλάγχνα) – et la miséricorde (ἔλεος) sont explicitement associées, comme dans plusieurs passages de l’Ancien Testament101. Dans ces deux récits lucaniens, la miséricorde est l’expression en acte de la compassion qui mobilise une personne à partir de ses entrailles. Lors de son arrivée ultime à Jérusalem, les larmes de Jésus sont-elles l’expression corporelle d’une attitude de compassion ? Est-il possible de reconnaître des signes extérieurs de la compassion, que nous avons relevés plus haut autour de la mention d’οἰκτίρμων en Lc 6,36 ? Devant la ville, Jésus pose le constat d’un non-accueil (19,42.44b). Néanmoins, il ne se replie pas sur lui-même ; il est témoin désolé 98 Mt 5,43-44.46 constitue un parallèle large à Lc 6,27-28.32, mais la répétition en Lc 6,35 est absente en Mt 5,47. 99 Voir le titre « Être remué aux entrailles » au point 2.2.1 de la section II du chapitre premier. 100 Voir l’expression « entrailles de miséricorde [σπλάγχνα ἐλέους] de notre Dieu » (Lc 1,78) et le Samaritain qui « a été remué aux entrailles [ἐσπλαγχνίσθη] » (10,33) et qui s’avère être « celuiquiafaitmiséricorde[ὁ ποιήσας τὸ ἔλεος] » (10,37). 101 Exemples d’association d’οἰκτιρμός et d’ἔλεος : Jr 16,5 ; Os 2,21 ; Za 7,9 ; Ps 24,6 (LXX) ; 39,12 (LXX) ; 50,3 (LXX) ; 68,17 (LXX) ; 102,4 (LXX).
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du manque de paix éprouvé par Jérusalem. Quelle est la connotation de l’annonce de la destruction complète de Jérusalem (19,43-44a) ? Considéré dans l’ensemble littéraire de sa marche vers la ville, où se concentrent des paroles de jugement, tout comme en Is et en Jr avant de grandes catastrophes en vue d’appeler au repentir, l’oracle que Jésus prononce en 19,43-44 s’inscrit dans une perspective de miséricorde. La manière dont Jésus vivra sa passion et sa mort y apposera le sceau, en particulier par l’une de ses dernières paroles sur la croix : « Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font. » (23,34)102 Un point commun entre 6,27-36 et 19,41-44 consiste à « faire du bien » à des personnes qui agissent mal ou sans reconnaissance. L’identité de vocabulaire entre Lc 19,41-44 et la troisième parole de jugement adressée par Jésus à Jérusalem (23,28) incline à interpréter les larmes de Jésus comme une anticipation de celles que les femmes de Jérusalem seront appelées à verser, non pas sur Jésus au seuil de sa mort, mais sur elles-mêmes et sur leurs enfants103. Jésus pleure sur Jérusalem qui va à sa perte, alors qu’il a cherché plus d’une fois à la rassembler (13,34) et à la conduire vers la paix (19,42). Énoncé dans ce contexte, le jugement (19,43-44) intervient comme un ultime cri du cœur. La réaction de compassion de Jésus présente des similitudes avec celle qu’il a vécue à Naïn envers la veuve qui pleure la mort de son fils unique. Chaque mot de 19,41 figure en 7,12-13, quoique dans un contexte différent : Orcommeilfutprochedelaportedelaville [ὡς δὲ ἤγγισεν τῇ πύλῃ τῆς πόλεως], et voici, était porté en terre, mort, un fils unique pour sa mère et elle était veuve […]. 13Aumomentoùillavit,leSeigneurfutremué jusqu’auxentraillesàproposd’elleetluidit :« Nepleureplus. » [καὶ ἰδὼν αὐτὴν ὁ κύριος ἐσπλαγχνίσθη ἐπ᾿ αὐτῇ καὶ εἶπεν αὐτῇ· μὴ κλαῖε]. (Lc 7,13 ; propre à Luc) 12
De part et d’autre, Jésus est proche de l’entrée d’une ville ; il voit une figure féminine, tantôt la veuve (7,13), tantôt la ville (19,41) ; il est affecté émotionnellement de façon unique au moment où il la voit, tantôt en étant remué jusqu’aux entrailles (7,13), tantôt en pleurant 102
Absent dans les parallèles de Mc 15,24 ; Mt 27,35 ; Jn 19,18. Les affinités de vocabulaire entre Lc 19,41-44 et 23,28-31, la dernière parole de jugement adressée à Jérusalem, ont été mentionnées au terme du point 4.3 de la section I du présent chapitre. Pour rappel, l’expression « pleurersur [κλαίω ἐπί] » est d’usage exclusivement lucanien et n’apparaît que dans ces deux passages (Lc 19,41 ; 23,28). 103
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(19,41) ; et il s’adresse à elle, sans recevoir de réponse. Toutefois, à Naïn, les larmes sont versées par la veuve et celle-ci est consolée par Jésus qui lui parle et intervient en sa faveur. À l’approche de Jérusalem, Jésus pleure et le narrateur ne rapporte aucune consolation ou réaction qui lui soient offertes en retour. En Lc 19,41-44, le lecteur a ainsi l’impression que Jésus est laissé seul. Cette absence de réaction est aussi une caractéristique des oracles de jugement contenus dans les livres prophétiques vétérotestamentaires104. Quand Dieu juge, il a le premier et le dernier mot. Sa parole poursuit ensuite son œuvre. Dans la Bible, rares sont les prophètes pleurant sur la personne ou la collectivité envers lesquelles ils prononcent une parole de jugement. Les larmes de Jésus aux portes de Jérusalem sont uniques pour deux raisons : c’est la seule attestation des pleurs de Jésus chez Luc – et même dans les synoptiques105 –, et ils sont versés dans un contexte de jugement. Dans sa chair, Jésus révèle de façon ultime la compassion inédite de Dieu à l’intérieur même de son action royale de jugement. Parmi les prophètes de l’Ancien Testament, Élisée pleure au moment où il annonce au nom du Seigneur des changements malheureux à venir (2 R 8,11-12). Il proclame à Hazaël ce que le Seigneur lui a fait voir : la mort de Ben-Hadad, roi d’Aram ; puis, les douleurs qui seront infligées aux fils d’Israël par Hazaël, ainsi que l’arrivée d’Hazaël sur le trône d’Aram. Cependant, contrairement à Jésus, Élisée ne pleure pas sur la personne à qui l’oracle est adressé (Hazaël), mais sur les fils d’Israël. En revanche, le témoignage de Jérémie s’apparente à celui de Jésus : « Qui donnera de l’eau à ma tête et une source de larmes à mes yeux, et jepleureraimonpeuple [κλαύσομαι τὸν λαόν μου τοῦτον], jour et nuit, les blessés de la fille de mon peuple ? » (Jr 8,23 LXX) De plus, Jérémie enjoint les femmes de pleurer (Jr 9,16-20), comme Jésus auprès des « filles de Jérusalem » (Lc 23,28-31). Cependant, chez Jésus, la compassion est sans fin, jusqu’à son dernier souffle. Comme nous l’avons déjà souligné, après avoir été crucifié, Jésus dit : « Père, 104 Voir les oracles de jugement concernant Jérusalem, évoqués précédemment, en particulier ceux d’Is et de Jr. Dans ces deux livres prophétiques, les oracles se succèdent sans donner lieu à une interaction. Même quand l’un d’eux – comme par exemple Is 7,13-25 – est introduit par un dialogue (7,10-12), aucune réponse humaine n’est rapportée à la fin de l’oracle. De la même manière, quand Jérémie parle à Dieu – comme par exemple en Jr 20,7-18 –, il ne réagit pas à un oracle du Seigneur qu’il vient de prononcer (20,3-6), mais épanche son cœur devant lui. 105 Chez Jean, à l’occasion de la mort de Lazare, Jésus « pleura[ἐδάκρυσεν] » (Jn 11,35).
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remets-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. » (Lc 23,34 ; absent dans les parallèles) Quant à Jérémie, alors que certains complotent contre lui, sa prière est la suivante : « Toi, Seigneur, tu connais tout leur dessein envers moi pour me tuer ; ne les absous pas de leur injustice et ne laisse pas s’effacer devant toi leurs péchés. » (Jr 18,23) Jérémie en appelle à la justice de Dieu contre ses persécuteurs, tandis que Jésus intercède pour le pardon des siens. 1.3. Lavillequiaperdusasainteté En Lc 19,41, Luc utilise pour la première fois le nom commun « la ville [ἡ πόλις] » pour désigner Jérusalem. Cet usage surprend pour deux raisons. En Lc 19,41 et ailleurs, pourquoi Luc écrit-il « la ville » en lien avec Jérusalem, et jamais « la ville sainte » ou « ville du grand Roi », comme le fait Matthieu et avant lui, la Septante, notamment Isaïe106 ? Dans des livres plus récents du Nouveau Testament, la « ville sainte » ou la « ville du Dieu vivant » désignent la « Jérusalem céleste », c’est-à-dire eschatologique107. L’attestation biblique la plus ancienne de l’appellation « ville sainte » remonte à Isaïe et aurait connu une utilisation croissante durant la période du Second Temple, à travers des expressions variées : habituellement, ἡ πόλις ἡ ἁγία (ou ἡ ἁγία πόλις) ; mais aussi ἱερὰ πόλις chez Flavius Josèphe ou encore ἱερόπολις chez Philon d’Alexandrie108. La façon lucanienne de désigner Jérusalem comme « la ville » semble à première vue contraster non seulement avec ce courant, mais aussi avec l’importance que Luc accorde à Jérusalem dans ses deux livres, ainsi qu’avec la splendeur qu’elle avait à l’époque. En effet, en Lc-Ac, Jérusalem est le lieu ultime de la manifestation de Dieu à travers la mort, la résurrection, l’exaltation de Jésus Christ et l’envoi de l’Esprit Saint109. De plus, les travaux commandés par Hérode avaient fait du mont du Temple le site le plus prestigieux parmi les lieux saints de l’Antiquité. Durant le règne d’Hérode et jusqu’au siège romain en 70, Jérusalem a connu le sommet 106
Mt 4,5 ; 5,35 ; 27,53 ; Ne 11,1 ; Tb 13,10 (LXX) ; 1 M 2,7 ; 2 M 1,12 ; 3,1 ; 9,14 ; 15,14 ; Jl 4,17 (LXX) ; Is 48,2 ; 52,1 ; 66,9(LXX).20. 107 He 12,22 ; Ap 11,2 ; 21,2.10 ; 22,19. 108 David E. AUNE, Revelation 6–16 (Word Biblical Commentary, 52B), Nashville TN, Thomas Nelson, 1998, p. 608-609. 109 En revanche, Luc est le seul dans le N.T. à parler de la « citédeDavid [πόλις Δαυίδ] », mais en relation à Bethléem (Lc 2,4.11). Cet usage s’explique sans doute par le souci de mettre en valeur l’accomplissement des prophéties messianiques auxquelles il a été fait écho dans l’annonce de l’ange à Marie (Lc 1,27.32) et la bénédiction de Zacharie (1,69).
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de sa splendeur, en raison de sa beauté architecturale, de sa vie culturelle, ainsi que de son culte religieux attirant des pèlerins juifs. Une affluence particulière marquait (aujourd’hui encore) les trois grandes fêtes de pèlerinage durant lesquelles des Juifs venaient par centaines de milliers à travers toute la Judée110. Les disciples avaient de quoi s’extasier face au Temple111. Dans sa DélégationàCaius,Philon d’Alexandrie, un contemporain de Jésus, présente la beauté sans pareille du Temple de Jérusalem, « la villesainte [ἱερόπολις]112 ». 294
[…] Marcus Agrippa, ton grand-père maternel, à peine arrivé en Judée, […] a tenu à monter depuis la mer jusqu’à notre capitale [μητρόπολιν] située à l’intérieur des terres. 295 Or, quand il vit le sanctuaire, la tenue des prêtres, la dévotion des habitants, il fut dans le ravissement, car il estima avoir vu quelque chose de sublime et de supérieur à tout ce qu’on en peut dire […]. (DélégationàCaius,294-295)113
Bien qu’il s’agisse d’un ouvrage de propagande, les propos de Philon offrent une certaine image de l’influence notoire de la Jérusalem du temps de Jésus et des larges retombées que pouvait susciter une action stratégique en ce lieu. Pourtant, aux yeux de Jésus et des évangélistes, sauf Matthieu, Jérusalem a perdu son titre de « ville sainte ». La première scène de Jésus à l’intérieur de la ville en témoigne de façon éloquente. Loin de s’émerveiller devant les belles pierres, Jésus chasse les vendeurs et prononce une parole sévère : « Il est écrit : Etmamaisonsera une maisondeprière[cf. Is 56,7] mais vous, vous en faites unrepairedebrigands[cf. Jr 7,11] ! » (Lc 19,46 ; par. Mc 11,17 et Mt 21,13) Ainsi, dans la bouche de Jésus, l’image associée à Jérusalem, n’est pas celle de « la ville sainte » mais, en référence au Temple, « ma maison », c’est-à-dire la maison du Seigneur, « maisondeprière [οἶκοςπροσευχῆς] », qui est devenue un « repairedebrigands [σπήλαιον λῃστῶν] ». À douze ans, lors du pèlerinage de la Pâque, après avoir 110 Concernant les trois fêtes de pèlerinage (Pessa’h ou Pâque ou fête des azymes ; Chavouot ou Pentecôte ou fête de la moisson, Souccot ou Tabernacles ou fête de la récolte), voir Ex 23,14-17 ; Dt 16,16. Sur le développement du Temple durant le règne d’Hérode, voir Meïr BEN-DOV, Historical Atlas of Jerusalem, London, Continuum, 2002, p. 103-105 ; Dan BAHAT – Chaim T. RUBINSTEIN, TheIllustratedAtlasof Jerusalem, traduit par Shlomo KETKO, Jerusalem, Carta, 1996, p. 40-44. 111 Mc 13,1 ; par. Lc 21,5 et Mt 24,1. 112 Ce terme grec semble avoir été introduit par Philon. Il y recourt au moins neuf fois dans ses œuvres toujours en référence à Jérusalem. 113 PHILON D’ALEXANDRIE, DélégationàCaius[LegatioadCaium] (Les Œuvres de Philon d’Alexandrie, 32), édité par André PELLETIER, Paris, Cerf, 1972, p. 268271.
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été retrouvé au Temple par ses parents, Jésus soutenait qu’il lui fallait être « chez [son] père [ἐν τοῖς τοῦ πατρός μου] » (Lc 2,49). Cette dernière appellation se rapproche de celle de Jn dans son parallèle large : « Ne faites plus de lamaisondemonPère [τὸν οἶκον τοῦ πατρός] une maison de commerce » (Jn 2,16). Quand le Temple est profané, toute la ville devient souillée. Dans la suite de notre étude, nous découvrirons quels ensembles de personnes et de groupes représente Jérusalem, contre laquelle l’oracle de jugement est prononcé114. Nous comprendrons d’autant mieux pourquoi il est difficile d’appeler ville sainte la Jérusalem qui tue son roi comme dans la parabole des vignerons homicides (Mc 12,1-12 ; par. Lc 20,9-19 et Mt 21,33-46). 1.4. LavilleoùestannoncéelaproximitéduroyaumedeDieu En Lc 19,41, pourquoi Luc écrit-il pour la première fois « la ville » et non pas « Jérusalem », alors que ce verset correspond au moment où Jésus la voit enfin après avoir longuement marché vers elle, et qu’il n’y est pas encore entré ? Faut-il y voir un usage anodin ou un renvoi à d’autres passages ? En Lc-Ac, sur les sept attestations de « laville [ἡ πόλις] » pour désigner Jérusalem, six sont propres à Luc115. Lc 19,4144 présente des affinités avec Lc 10,5-12 (envoi des soixante-douze dans les maisons et les villes). Avant d’étudier les points de convergence entre ces deux récits, un passage par l’une des tentations de Jésus s’impose. Lorsque celui-ci voit Jérusalem depuis le faîte du Temple, il écarte l’offre de soumettre la ville par la puissance (4,9-11). Cette attitude demeure une constante à travers tout le ministère de Jésus116. Au 114
Voir le point 2.11 de la setion II du présent chapitre. Le narrateur recourt au terme « la ville » pour désigner Jérusalem dans trois autres passages : Lc 23,19 (émeute associée à Barabbas ; la mention de πόλις est absente dans les parallèles de Mc 15,11 et de Mt 27,20), Ac 7,58 (lapidation d’Étienne hors de la ville ; propre à Luc), Ac 12,10 (libération miraculeuse de Pierre qui avait été arrêté en prison et pour qui la porte donnant sur la ville s’ouvre toute seule ; propre à Luc). Jésus lui-même parle de « la ville » en référence à Jérusalem à deux reprises. En Lc 22,10 (aussi dans les parallèles de Mc 14,13 et de Mt 26,18), il invite ses disciples à entrer dans la ville pour préparer la Pâque qu’il a « désiré d’un grand désir manger avec [ses disciples] avant de souffrir » (Lc 22,15 ; verset absent dans les parallèles de Mc 14,22 et de Mt 26,26). Après la résurrection, il leur recommande de rester dans la ville pour recevoir « la promesse [du] Père, […] la force d’en-haut » (Lc 24,49 ; propre à Luc). Il reste une septième occurrence dans la bouche des disciples faisant mémoire de la mort de Jésus des suites du grand complot de tous dans la ville (Ac 4,27). 116 Dès sa première prédication à Nazareth, Jésus est confronté à l’adversité : « tous, dans la synagogue, furent remplis de fureur […] et […] ils le jetèrent lors de la ville et lemenèrent [ἤγαγον αὐτὸν] jusqu’à un escarpement de la montagne sur lequel leur ville était bâtie, pour le précipiter enbas [κατακρημνίσαι] » (Lc 4,28-30 ; 115
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lieu de chercher à prouver par un tour de force qu’il est le Fils de Dieu, Jésus prononce une parole exprimant son engagement à poursuivre sa mission jusqu’au bout. La même conduite est enseignée par Jésus à ses disciples, en particulier aux soixante-douze (Lc 10,1-12 ; propre à Luc), en quelque ville où ils ne seront pas accueillis : sortir sur ses places et avertir les gens (10,10b-11), avec le jugement de Dieu à l’esprit (10,12). Signalons les développements et les ajustements dont témoignent les recommandations données d’abord aux Douze (9,4-5), puis aux soixantedouze (10,5-12). Lc 10,5-7
Lc 10,8-12 8a
Lc 9,4-5
LIEU
5a
Recommandation
5b
RÉPONSE POSITIVE
6a et s’il y a unfilsdepaix [υἱὸς εἰρήνης],
Effet
6b sur lui reposera votre paix [εἰρήνη], […]
Recommandation
7 4b Mais demeurez dans la demeurez là, et de là même maison [οἰκίᾳ], sortez. mangeant et buvant ce [qui 8c mangez ce qui vous sera présenté ; 9 et sera servi] chez eux […] guérissez les malades et dites-leur : « Le royaume de Dieu s’est approché [ἤγγικεν] de vous. »
RÉPONSE NÉGATIVE
6c
En quelque maison Et en quelque ville [πόλιν] que vous En quelque maison [οἰκίαν] que vous entriez, entriez [οἰκίαν] que vous entriez, dites d’abord : « Paix [εἰρήνη] à cette maison »,
sinon,
8b
et qu’ils vous accueillent,
10a Mais en quelque ville [πόλιν] que 5a et tous ceux qui ne vous vous entriez et qu’ils ne vous accueillent accueilleront pas, pas, 10b étant sortis sur [ἐξελθόντες εἰς] ses places, dites : 11a « Même la poussière qui s’est collée de votre ville [ἐκ τῆς πόλεως ὑμῶν] à nos pieds, nous l’essuyons survous [ἀπομασσόμεθα ὑμῖν]. 11b Pourtant, sachez [γινώσκετε] ceci, que le royaume de Dieu s’estapproché [ἤγγικεν]. »
Recommandation
Effet
4a
6d
elle reviendra sur vous.
5b
sortant de cette ville-là [ἐξερχόμενοι ἀπὸ πόλεως ἐκείνης], secouez [ἀποτινάσσετε] la poussière de vos pieds [ἀπὸ τῶν ποδῶν ὑμῶν] en témoignage contre eux.
12 Je vous dis que pour Sodome en ce jour-là [ἐν τῇ ἡμέρᾳ ἐκείνῃ] ce sera plus supportable que pourcetteville-là [τῇ πόλει ἐκείνῃ].
propre à Luc). Ces versets présentent des affinités avec le compte rendu de la dernière tentation (4,9) : Jésus fut emmené vers un point présentant une forte pente pour être jeté (ou se jeter) en bas.
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En Lc 10,5-12, Jésus distingue deux lieux d’évangélisation : les maisons (10,5-6) et les villes (10,8-12). En Lc 9,4-5, les deux sont confondus : « 4a en quelque maison que vous entriez […] 5a sortant de cette ville-là ». En cas de non-accueil, Jésus avait exhorté les Douze à « sortirde [ἐξερχόμενοι ἀπό] cette ville-là » (9,5b) en secouant silencieusement la poussière de leurs pieds. En revanche, aux soixante-douze, il suggère de « sortirsur [ἐξελθόντες εἰς] les places [de la ville] » (10,10), ce qui signifie se rendre au cœur de la ville. Là, ils ont à proclamer une parole comportant à la fois un volet négatif et un volet positif. D’abord, « la poussière qui s’est collée de votre ville à nos pieds nous l’essuyons sur vous » (10,11a). Alors que les Douze avaient à « secouer [ἀποτινάσσετε] » la poussière « deleurspieds[ἀπὸ τῶν ποδῶν ὑμῶν] » (9,5), les soixante-douze ont maintenant à l’« essuyersur[lesgensdelaville] [ἀπομασσόμεθα ὑμῖν] » (10,11), c’est-à-dire à l’« imprimer » sur eux117. L’accent est ainsi mis sur un retour à la ville : sa poussière lui revient pour ainsi dire en plein visage. Ensuite, il incombe aux soixantedouze d’annoncer envers et contre tout que « le royaume de Dieu est proche » (10,11b). Finalement, Jésus éveille ses disciples au jugement futur attendant cette ville qui ne les aura pas accueillis (10,12). Cependant, ce jugement ne fait pas partie du contenu de la prédication. Nous disposons de suffisamment d’éléments pour reconnaître en Lc 19,41-44 un écho à Lc 10,5-12. Primo, Jésus se rend ensuite au mont du Temple, le cœur de la ville. Là, en chassant les vendeurs (19,45), il pose un geste non moins fort que celui de sortir sur la « place publique » et de secouer la poussière de ses pieds. D’après des fouilles archéologiques réalisées le long du mur austral du mont du Temple, la vente d’objets et d’animaux pour les offrandes avait lieu sous le portique royal, au seuil du parvis des Gentils. Cette stoaroyale était par excellence l’endroit pour rencontrer un grand public et pour organiser des activités diversifiées, telles l’école des scribes et la réunion quotidienne des membres du Sanhédrin118. Secundo, très probablement dans ce Le verbe ἀπομάσσω à l’actif a un triple sens : essuyer, nettoyer, balayer ; niveler (en râclant) ou imprimer. Voir l’article « ἀπομάσσω » dans Franco MONTANARI, TheBrillDictionaryofAncientGreek, p. 260. Luc utilise ce verbe introuvable dans la LXX et dans les écrits de Flavius Josèphe, pourtant connu des auteurs classiques tels Platon et Théocrite. La présence en Lc 10,11 d’un complément au datif (ὑμῖν) porte à comprendre ἀπομάσσω selon le troisième sens (imprimer), comme chez Platon. Voir PLATON, Timée.TomeX (Universités de France), édité par Albert RIVAUD, Paris, Les Belles Lettres, 1925, p. 169 (no 50e). 118 Randall PRICE, Rose Guide to the Temple, version étendue, Torrance CA, Rose, 2012, p. 41. 117
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même espace, « chaque jour, il enseignait dans le Temple » (19,47a). C’est pourquoi, il était facile pour les grands prêtres et les scribes de le repérer rapidement et de chercher « à le faire périr » (19,47b). Lc 20,1 précise la teneur des enseignements quotidiens de Jésus dans le Temple : « ilannonçaitlaBonneNouvelle [εὐαγγελιζομένου] ». Or, tout au long de son ministère, la Bonne Nouvelle annoncée par Jésus est liée au royaume de Dieu (4,43 ; 8,1 ; 16,16). Un rapprochement est ainsi perceptible avec la proclamation de la proximité du royaume de Dieu, que Jésus avait recommandée à ses disciples, y compris dans les villes qui ne les accueillent pas (10,11). D’ailleurs, juste avant sa Passion, lors de son discours eschatologique (21,5-36), il le dira explicitement : « Quand vous verrez cela arriver, sachez que le royaume de Dieu est proche119. » (21,31) Cependant, un élément majeur distingue Lc 19,41-44 et 10,8-12. Dans le premier cas, Jésus n’est pas encore entré dans la ville. Comment pourrait-il alors réagir à une attitude de non-accueil ? Nous chercherons à élucider la question dans la suite de la présente section, au point 2.11 portant sur l’identité exacte de la « Jérusalem » concernée par quatre paroles de jugement en Lc120. Récapitulons. En Lc 19,41, quand Jésus est proche et voit la ville, sa montée à Jérusalem est achevée et marque l’accomplissement du salut avec sa part de jugement. Ses larmes sur la ville manifestent une compassion inédite envers elle dans le deuil et la désolation qu’elle aura à vivre, conformément au jugement qu’il va prononcer. L’appellation « ville » au lieu de « ville sainte » reflète le don qu’elle a perdu au point d’être devenue un « repaire de brigands », et permet aussi d’établir un lien avec les recommandations qu’avait données Jésus aux soixante-douze en cas de non-accueil dans les villes où ils devaient entrer. 2. Complainte sur la ville et voilement divin (Lc 19,42bc) 2.1. Uneparolechargéed’émotionencetaujourd’hui,momentcharnière Les premières paroles de Jésus lors de son arrivée à proximité de Jérusalem expriment une espérance déçue : « situavaisreconnu en cejour,toiaussi,ce[quiconduit]àlapaix [εἰ ἔγνως ἐν τῇ ἡμέρᾳ 119 L’expression « royaume de Dieu » est absente dans les parallèles de Mc 13,29 et de Mt 24,33. 120 Lc 13,4-5 ; 13,34-35 ; 19,41-44 ; 23,28-31.
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ταύτῃ καὶ σὺ τὰ πρὸς εἰρήνην] ! » (Lc 19,42a) La construction de cette phrase, introduite par la conjonction « si [εἰ] » suivie d’un verbe à l’indicatif, exprime une condition qui peut être de première ou de seconde classe121. En Lc 19,42, il s’agit d’une condition de seconde classe et en l’occurrence, d’un souhait inaccompli122. En effet, nous avons déjà souligné le procédé d’inclusion avec le verbe ἔγνως au début et à la fin de l’intervention de Jésus (19,42.44). La première fois, il figure comme une condition et, à la fin, comme une affirmation négative. Il faut donc comprendre dans ce sens le début de la parole de Jésus : « Si tu avais reconnu, mais tu ne reconnus pas… ». En Lc 19,42, la première phrase contient une autre particularité : l’aposiopèse (ellipse de l’apodose) qui traduit une expression de modestie ou une émotion forte123, ce qui est le cas ici à travers les larmes de Jésus (19,41). « Encejour [ἐν τῇ ἡμέρᾳ ταύτῃ]… » De quel jour Jésus parle-til ? L’expression est d’usage exclusivement lucanien. En effet, en dehors de Lc-Ac, elle est absente du Nouveau Testament. Les autres références en Lc-Ac sont au pluriel124. En revanche, dans la Septante, elle apparaît trois fois : deux au pluriel (Za 8,9.15) et une au singulier (Jr 51,22 LXX). Dans ce dernier cas, elle renvoie à « en ce jour-ci », c’est-à-dire à « aujourd’hui » au sens d’abord qualitatif et durable du terme, et non pas exclusivement quantitatif et circonscrit (« le nième jour du nième mois de la nième année »)125. Cette interprétation trouve un appui dans la conclusion de la parole de Jésus (Lc 19,44) où « tu reconnusletemps [ἔγνως τὸν καιρόν] » fait écho à « tureconnusen 121
Pour la logique de l’argumentation, l’interlocuteur présume que la protase est vraie dans le cas d’une condition de première classe et contraire à la réalité dans l’éventualité d’une condition de seconde classe. Daniel B. WALLACE, GreekGrammar BeyondtheBasics, p. 696. 122 Friedrich BLASS – Albert DEBRUNNER et al., A Greek Grammar of the New TestamentandOtherEarlyChristianLiterature, § 359.1, p. 181. 123 Friedrich BLASS – Albert DEBRUNNER et al., A Greek Grammar of the New Testament and Other Early Christian Literature, § 482, p. 255 ; Félix-Marie ABEL, Grammairedugrecbiblique, § 82d, p. 365. Lagrange rejette la présence d’une aposiopèse et interprète la proposition comme « l’expression d’un regret : “Que n’as-tu connu ! La connaissance eût dû être préparée dans le passé, pour avoir des fruits en ce jour.” » Voir Marie-Joseph LAGRANGE, ÉvangileselonsaintLuc, p. 501. Il semble difficile de soutenir une telle hypothèse après avoir étudié les occurrences de γινώσκω en Lc. 124 Lc 1,39 (propre à Luc), Lc 6,12 (expression absente dans les parallèles de Mc 3,13 et de Mt 5,1), Lc 24,18 (propre à Luc) ; Ac 1,15 (propre à Luc). 125 L’interprétation de Delebecque va dans le même sens. Voir Édouard DELEBECQUE, ÉvangiledeLuc, Nouvelle édition (revue et corrigée), Paris, Klincksieck, 1992, p. 122.
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ce jour [ἔγνως ἐν τῇ ἡμέρᾳ ταύτῃ] » (19,42). Or, tel que nous le découvrirons dans l’analyse de Lc 19,44, καιρός revêt ici un sens théologique et donc qualitatif. Par l’usage du terme σήμερον, le troisième évangile contient d’autres occurrences d’un « aujourd’hui » à portée qualificative. Luc est le seul parmi les évangélistes à y recourir dans sept récits qui lui sont propres et qui relatent une manifestation explicite du salut de Dieu en Jésus, à travers les différents aspects de son ministère en parole et en acte, depuis sa naissance jusqu’à sa mort126. Les six mentions en dehors des récits de l’enfance se retrouvent dans des paroles de Jésus et dans un contexte marqué par une opposition, personnelle ou collective, à son égard127, nonobstant l’accueil que lui témoignent parfois des individus, comme Zachée en 19,8 et le bon larron en 23,40-42. Par conséquent, la désolation de Jésus devant la non-reconnaissance « en ce jour » n’a rien d’étonnant. Les termes « toi aussi » indiquent que certains ont reconnu « ce qui[conduit]àlapaix [τὰ πρὸς εἰρήνην] ». Il est vrai que καὶ σύ peut signifier également « même toi128 ». Toutefois, le contexte et l’usage de Luc consistant à mettre en parallèle deux types d’attitudes opposées129 appuient l’interprétation de « toi aussi130 » au 126 Sa naissance (Lc 2,11) ; sa prédication inaugurale à Nazareth (4,21 en relation à 4,18-19) ; son ministère auprès des personnes démoniaques, des malades (13,32 repris aussi en 13,33) et d’un homme pécheur (19,5.9), ainsi que le pouvoir qu’il manifeste sur la croix d’admettre en son royaume (23,43 en réponse à la demande exprimée en 23,42). En Ac, on ne trouve qu’une seule attestation du même ordre en référence à la résurrection de Jésus (Ac 13,33 citant Ps 2,7). 127 De la part de tous les témoins dans la synagogue de Nazareth (Lc 4,28-29), Hérode (13,31), tous les spectateurs à Jéricho (19,7), les chefs, les soldats et l’un des malfaiteurs crucifiés (23,35-39). 128 Tel est le point de vue adopté par Bovon. Le premier argument invoqué laisse à désirer : « on comprend mal avec qui Jésus compare Jérusalem ». Il ajoute aussi « on rappelle discrètement les privilèges de la ville sainte ». Cette possibilité est évoquée par Marshall, sans certitude. Luc fait-il état ailleurs des prérogatives de Jérusalem qui aurait dû savoir ? Voir François BOVON, L’ÉvangileselonsaintLuc. Vol.IV(19,28–24,53), p. 41. Voir aussi David E. GARLAND, Luke, p. 773 (sans argumentation) ; Joseph A. FITZMYER, Luke X–XXIV, p. 1253 (sans argumentation) ; I. Howard MARSHALL, TheGospelofLuke, p. 718. Parsons propose une troisième alternative pour l’interprétation de καὶ σύ (Lc 19,42), sans la justifier : « oui, toi ». Voir Mikael C. PARSONS, Luke, p. 285. 129 Marie qui croit (Lc 1,38.45) et Zacharie qui a d’abord de la difficulté à croire (1,18-20) ; les sages et les petits (Lc 10,21 ; par. Mt 11,25) ; les femmes à la résurrection et les disciples (Lc 24,22-25 ; propre à Luc). 130 Perspective aussi défendue par John NOLLAND, Luke18:35–24:53(Word Biblical Commentary, 35C), Grand Rapids MI, Zondervan, 1993, p. 929 ; Marie-Joseph LAGRANGE, ÉvangileselonsaintLuc, p. 501.
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sens d’une comparaison entre l’ignorance de Jérusalem et la reconnaissance de quelqu’un d’autre. De quelle reconnaissance peut-il s’agir ? Les livres prophétiques vétérotestamentaires contiennent au moins trois exemples de complaintes dont la formulation est similaire à celle de Lc 19,42. On trouve en effet la conjonction de subordination « si [εἰ] » suivie d’un verbe à l’indicatif aoriste en Is 48,18, en Jr 23,22 et en Ba 3,13. Toutefois, dans ces trois passages, la paix figure dans l’apodose (Is 48,18 ; Ba 3,13) et non dans la protase, laquelle porte sur les paroles ou le chemin du Seigneur. Il n’y a donc pas de question en suspens comme en Lc 19,42. Que serait-il arrivé si la condition avait été remplie ? Quels sont les éléments conduisant à la paix qui n’ont pas été reconnus ? Telle est la question que nous voulons maintenant chercher à élucider. 2.2. Lapaix :nouveautéetambiguïté Le mot « paix [εἰρήνη] » est d’usage typiquement lucanien. Son usage est singulier en Luc pour quatre raisons. Tout d’abord, le terme est présent dans douze péricopes. Ensuite, celles-ci sont parsemées d’un bout à l’autre de l’évangile131. Puis, contrairement aux autres évangiles, la proclamation de la paix n’est pas faite seulement par Jésus, mais encore par des anges (Lc 2,14) et par des êtres humains (1,79 ; 2,29 ; 19,38). Enfin, les occurrences du terme « paix » en Mc et en Mt ont toutes un parallèle dans le troisième évangile. Luc a donc déployé ce thème à partir d’une tradition commune partagée avec les autres synoptiques. Dans les évangiles et surtout chez Luc, la notion de paix couvre deux registres, et comporte par moment de l’ambiguïté, comme c’est le cas en Lc 19,38 et en 19,42. Le tableau ci-dessous propose un classement des attestations du mot « paix [εἰρήνη] » en Lc132. Les mots indiqués à la suite de chaque référence reflètent le contexte et justifient notre classement dans l’une ou l’autre colonne, où ne figurent pas les deux occurrences de 19,38 et de 19,42, dont la signification demeure encore ambiguë à ce stade.
131 Le mot « paix » figure dans deux péricopes de Mt concentrées au chap. 10 (v. 13 bis et 34 bis), une de Mc (5,34) et trois des récits johanniques de la passion et de la résurrection (Jn 14,27 bis ; 16,33 ; 20.19.21.26). 132 Les références bibliques en gras indiquent les paroles prononcées par Jésus.
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Paix comme absence de violence
Paix comme présence tangible
Lc 11,21 (absent dans les par. de Mc 3,27 Lc 1,79 (propre à Luc) : connaissance du et de Mt 12,29) : biens en sécurité salut et rémission des péchés (1,77), « visite » du levant d’en haut (1,78) Lc 12,51 (par. Mt 10,34 bis) : conscience Lc 2,14 (propre à Luc) : petit enfant (2,12) de Jésus d’apporter la division et non la reconnu Sauveur, Christ et Seigneur (2,11) paix Lc 14,32 (propre à Luc) : soumission au Lc 2,29 (propre à Luc) : petit enfant pris plus fort dans les bras (2,28), salut (2,30), signe en butte à la contradiction et dévoilement des pensées secrètes (2,34-35) Lc 7,50 (propre à Luc) : toucher du corps de Jésus (7,38-39.44-46), rémission des péchés (7,48), salut et foi (7,50) Lc 8,48 (par. Mc 5,34) : toucher du vêtement de Jésus (8,44-47), guérison (8,44.47), salut et foi (8,48) Lc 10,5.6 bis (par. Mt 10,13 bis) : royaume de Dieu tout proche (10,9.11), repos intérieur (10,6)133 Lc 24,36 (par. Jn 20,19) : toucher du corps de Jésus (24,39), retour aux Écritures pour relier la souffrance et la résurrection du Christ en vue de la rémission des péchés (24,44-47)
Les trois références lucaniennes où la paix consiste dans la mise à l’écart de la violence se succèdent (Lc 11,21 ; 12,51 ; 14,32) et sont regroupées dans la section décrivant la marche de Jésus vers Jérusalem. Les deux suivantes (19,38.42) sont ambiguës et elles sont les dernières avant le récit de la passion. Au fil de la marche de Jésus vers Jérusalem, le sens de la paix devient ambivalent. Il n’est donc pas étonnant que Jésus déclare en 19,42 que la paix n’est pas reconnue. En revanche, la paix qui se reçoit à travers une présence tangible, celle de Dieu en Jésus, encadre l’évangile, avec une concentration particulière dans les récits de l’enfance où elle est proclamée par les anges (2,14) et par deux 133 « S’il y a un fils de la paix, votre paix reposera [ἐπαναπαήσεται] sur lui » (Lc 10,6). L’expression « fils de la paix » illustre la dimension relationnelle de la paix absente dans le parallèle de Mt 10,13 : « si cette maison est digne [ἀξία], que vienne [ἐλθάτω] votre paix sur elle ».
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hommes animés de l’Esprit Saint, Zacharie (1,79) et Syméon (2,29). En cherchant à mieux comprendre la notion de « paix » d’une attestation à l’autre de l’évangile de Luc, il deviendra possible d’en éclairer la signification en 19,42. 2.3. Deuxproclamationsjumelles :delacrècheàladescentedumont desOliviers Commençons par la mention la plus proche de Lc 19,42, à savoir 19,38. À la venue du roi messianique acclamé en la personne de Jésus, « toute la multitude des disciples, joyeux, commença à louer Dieu [ἤρξαντο ἅπαν τὸ πλῆθος τῶν μαθητῶν χαίροντες αἰνεῖν τὸν θεόν] […] en disant : paix aucieletgloireauplushaut[descieux] [ἐν οὐρανῷ εἰρήνη καὶ δόξα ἐν ὑψίστοις] ! » (19,38) Une association semblable de la paix et de la gloire ne se rencontre qu’en Lc 2,14, dans « lalouangeàDieu [αἰνούντων τὸν θεὸν] » de la part de la « multitudedel’arméecéleste[πλῆθος στρατιᾶς οὐρανίου] » (2,13) : « Gloire auplushaut[descieux]àDieuetsurlaterrepaixauxhommesde[sa] bienveillance [δόξα ἐν ὑψίστοις θεῷ καὶ ἐπὶ γῆς εἰρήνη ἐν ἀνθρώποις εὐδοκίας] ! » Ainsi, de Bethléem à Jérusalem, de la crèche à la descente du mont des Oliviers, une multitude (πλῆθος), celle de l’armée céleste puis des disciples, se met à louerDieu (αἰνεῖν τὸν θεόν) pour la manifestation de sa gloire (δόξα) et de sa paix (εἰρήνη), en Jésus. Le premier groupe reconnaît en lui « un Sauveur, qui est Christ,Seigneur [χριστὸς κύριος] » (2,11) et le second, « celui qui vient, le roi, au nom du Seigneur » (19,38). Dans les deux cas, cette paix est manifestement accueillie comme un don divin, lié à Jésus. Ce constat implique un paradoxe. Tout se passe comme si, à la manière des anges à Bethléem, un grand nombre de disciples accueillaient Jésus à son approche de Jérusalem. Alors pourquoi Jésus prononce-t-il une parole de jugement contre Jérusalem, donnant ainsi l’impression de ne pas être reconnu dans le don qu’il apporte ? Regardons de plus près. Les anges annoncent aux bergers la naissance du « Sauveur […] Christ, Seigneur » et leur donnent comme « signe […] un nouveau-né enveloppé de langes et couché dans une crèche » (Lc 2,11). Quant aux disciples, ils reconnaissent en Jésus le roi messianique à travers « toutes les actions puissantes qu’ils ont vues [πασῶν ὧν εἶδον δυνάμεων] » (19,37). N’y a-t-il pas un décalage entre le témoignage des anges et la reconnaissance exprimée par les disciples, même si dans les deux cas l’identité messianique de Jésus est acclamée ? La puissance de Jésus, évoquée avec joie par les disciples
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en 19,37, le sera de nouveau par deux d’entre eux après la mort et la résurrection, mais cette fois sous le mode de la déception. 19
Ce qui concerne Jésus le Nazarénien, qui fut un homme prophète puissantenœuvreetenparole [δυνατὸς ἐν ἔργῳ καὶ λόγῳ] devant Dieu et tout le peuple, 20 et comment l’ont livré nos grands prêtres et nos chefs pour être condamné à mort et l’ont crucifié. 21 Or, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël [λυτροῦσθαι τὸν Ἰσραήλ] […]. (Lc 24,19-21 ; propre à Luc)
La puissance de Jésus en parole et en acte avait été reconnue par les disciples et par les foules à l’occasion de guérisons, comme en témoigne à diverses reprises la mention singulière de cette puissance en Lc : Quelle [est] cette parole [τίς ὁ λόγος οὗτος], qu’avec autorité et puissance [ἐξουσίᾳ καὶ δυνάμει] il ordonne aux esprits impurs, et ils sortent ! (Lc 4,36 : guérison d’un homme démoniaque)134 Et il arriva, un de [ces] jours, et lui enseignait […] et il y avait unepuissanceduSeigneurpourqu’ilguérisse [δύναμις κυρίου ἦν εἰς τὸ ἰᾶσθαι αὐτόν]. (Lc 5,17 : guérison d’un homme paralytique porté par des gens)135 19a Et toute la foule cherchait à le toucher, 19b parce qu’unepuissancesortaitdeluiet[les]guérissaittous [δύναμις παρ᾿ αὐτοῦ ἐξήρχετο καὶ ἰᾶτο πάντας]. (Lc 6,19 : guérisons multiples auprès des foules)136
Or Jésus dit : « Quelqu’un m’a touché, car j’ai reconnu une puissance [δύναμιν] sortir de moi. (Lc 8,46 : guérison de la femme hémoroïsse)137
Cependant la puissance émanant de Jésus ne semble pas avoir provoqué les effets qu’il aurait souhaités, sauf dans le dernier cas sur lequel nous reviendrons. En effet, sur le chemin d’Emmaüs, après avoir écouté la déception des deux disciples (Lc 24,19-24), il leur dira : O[hommes]inintelligentsetaucœurlentàcroire [ὦ ἀνόητοι καὶ βραδεῖς τῇ καρδίᾳ τοῦ πιστεύειν] tout ce qu’ont dit les Prophètes ! Ne fallait-il pasqueleChrist souffrîtcelaet[ainsi]entrâtdanssagloire [οὐχὶ ταῦτα ἔδει παθεῖν τὸν χριστὸν καὶ εἰσελθεῖν εἰς τὴν δόξαν αὐτοῦ] ? (Lc 24,2526 ; propre à Luc) 134 Le parallèle de Mc 1,27 ne contient pas le mot « puissance [δύναμις] », ni « parole [λόγος] » : « Qu’est-cequecela [τί ἐστιν τοῦτο] ? Un enseignement nouveau [donné avec] d’autorité ! Il ordonne même aux esprits impurs et ils lui obéissent ! » 135 Cette mention est absente dans le parallèle de Mc 2,2. 136 La seconde partie (Lc 6,19b) est absente dans les parallèles de Mc 3,10 et de Mt 4,25. 137 Cette parole de Jésus ne figure pas dans les parallèles de Mc 5,31 et de Mt 9,22.
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Ici, Jésus interpelle ses disciples en leur montrant la relation intrinsèque, non pas entre sa puissance de guérison et sa gloire, comme ils le pensaient (Lc 19,37-38), mais entre sa souffrance et son entrée dans la gloire (24,26). Même si finalement « leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent » (24,31), ils n’avaient manifestement pas encore intégré le sens de la mission de Jésus et de sa gloire en lien avec le royaume de Dieu. En effet, au moment de l’ascension, ils lui demanderont : « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas rétablirle royaumepourIsraël [ἀποκαθιστάνεις τὴν βασιλείαν τῷ Ἰσραήλ] ? » (Ac 1,6) La gloire de Jésus, la paix qu’il apporte et le fondement de son identité messianique, sont attestés par sa manière de venir humblement partager la condition humaine, jusque dans la souffrance, et d’accorder, de sa propre initiative, la rémission des péchés. Tel est l’aspect que les disciples, et a fortiori les autres contemporains de Jésus, n’ont pas reconnu avant, pendant et après sa passion et sa résurrection, jusqu’à la Pentecôte. Alors seulement sera proclamé : « Que toute la maison d’Israël le sache donc avec certitude : Dieu l’a fait et Seigneur et Christ, ce Jésus que vous, vous aviez crucifié. » (Ac 2,36) Certains exégètes soulignent, non pas l’incompréhension profonde des disciples au sujet de Jésus, y compris au moment de l’acclamer à son arrivée à Jérusalem (Lc 19,38), mais leur témoignage lumineux opposé à l’aveuglement des responsables religieux138. Ce genre d’interprétation semble se limiter à la forme et ne pas tenir compte de l’aveuglement explicite des disciples, mis en scène par le récit d’Emmaüs (Lc 24,13-35). Au centre de celui-ci résonne l’interpellation de Jésus à leur endroit : « O [hommes] inintelligents [ἀνόητοι] et au cœur lent à croire [πιστεύειν] tout ce qu’ont dit les Prophètes ! » (24,25) Ainsi, sur la descente du mont des Oliviers, même si les disciples ont vu en Jésus le roi messianique attendu (19,38)139, et que les 138 Voir Matteo CRIMELLA, Luca :introduzione,traduzioneecommento(Nuova versione della Bibbia dai testi antichi, 39), Balsamo, San Paolo, 2015, p. 302 ; Daniel GERBER, « Luc 19,41-44 : la mise en perspective d’un oracle de Jugement », p. 235236 ; Oyin ABOGUNRIN, Luke(The International Bible Commentary), édité par William R. FARMER – Sean MCEVENUEetal., Collegeville MN, Liturgical Press, 1998, p. 1422 ; Darrell L. BOCK, Luke(The NIV Application Commentary), Grand Rapids MI, Zondervan, 1996, p. 495 ; John NOLLAND, Luke18:35–24:53, p. 932. Pour une interprétation de l’acclamation des disciples en Lc 19,38 comme le signe d’un profond décalage, voir Mikael C. PARSONS, Luke, p. 283 ; William HENDRIKSEN, Exposition of the GospelaccordingtoLuke (New Testament Commentary), Grand Rapids MI, Baker Academic, 200712, p. 878, 885. 139 Pierre avait aussi reconnu en Jésus « le Christ de Dieu » (Lc 9,20), sans communier à la réalité singulière de ces mots concernant Jésus.
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responsables religieux n’ont pas voulu l’accepter comme tel (22,67) et l’ont condamné pour sa prétention messianique (23,2), les uns comme les autres, ne l’ont pas reconnu en vérité pour qui il est vraiment. La difficulté des disciples a été persistante. Déjà, durant sa marche vers Jérusalem, Jésus les avait préparés en leur parlant à trois reprises de sa passion et de sa résurrection. Or, même la troisième fois, les disciples « nesavaientpascequiétaitdit [καὶ οὐκ ἐγίνωσκον τὰ λεγόμενα] » (18,34 ; absent dans les parallèles). Le verbe γινώσκω précédé de la négation pour évoquer une action passée n’apparaît qu’à trois reprises dans les synoptiques et uniquement en Lc140 : à propos des disciples (18,34 ; absent dans les parallèles), de Jérusalem (19,44 ; propre à Luc) et de Jésus aux yeux des disciples (24,18 ; propre à Luc). L’ironie de Luc se laisse ici percevoir. En effet, sur le chemin d’Emmaüs, les deux disciples diront à Jésus « Toi seul séjournes à Jérusalem et ne sais pas ce qui y est arrivé [καὶ οὐκ ἔγνως τὰ γενόμενα ἐν αὐτῇ] ces jours-ci ! » (24,18), alors que ce sont eux qui « nesavaientpascequiétaitdit [καὶ οὐκ ἐγίνωσκον τὰ λεγόμενα] » quand Jésus leur annonçait sa mort et sa résurrection (18,34). Ainsi, quand Jésus dit « si en ce jour tu avais reconnu, toi aussi, ce [qui conduit] à la paix » (Lc 19,42), le « aussi » renvoie, au niveau de la forme, au cri des disciples proclamant l’identité messianique de Jésus, avec la paix et la gloire qui l’accompagnent (19,38). Mais le « aussi » fait remonter plus haut encore, au niveau du fond, jusqu’à l’acclamation des anges au début de l’évangile (2,14)141. En effet, dans le dénuement de Jésus, « nouveau-né enveloppé de langes et couché dans une crèche » (2,12), ils ont reconnu la révélation de la gloire de Dieu et le don de sa paix à l’humanité. « Ce qui conduit [les êtres humains] à la paix » réside dans leur accueil de Jésus, Sauveur et Roi, Christ et Seigneur, au cœur du dépouillement paradoxal, celui du nouveau-né impuissant comme celui de l’homme rejeté et compté pour rien. Cela, ni les disciples ni les autres ne l’ont reconnu. 140 En Jn, le phénomène est récurrent avec dix attestations échelonnées à travers l’évangile : 1,20 ; 3,10 ; 8,27.43.55 ; 10,6 ; 12,16 ; 14,9 ; 16,3 ; 17,25. 141 Selon certains auteurs, le « toi aussi » se réfère fondamentalement à l’acclamation des disciples en Lc 19,38, sans considérer le décalage entre leur proclamation et celle des anges (2,14). Voir Michael WOLTER, DasLukasevangelium, p. 633 ; Édouard DELEBECQUE, ÉvangiledeLuc, p. 122 ; Marie-Joseph LAGRANGE, Évangileselonsaint Luc, p. 501.
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2.4. LapaixdeDieudonnéeenJésus,encontradictionavecl’attente humaine Jésus avait prévenu ses contemporains : « Pensez-vous [δοκεῖτε] que jesoisvenudonner lapaixsurlaterre [εἰρήνην παρεγενόμην δοῦναι ἐν τῇ γῇ] ? Pas du tout, je vous dis, mais bien la division [διαμερισμόν] » (Lc 12,51 ; par. Mt 10,34). Cette question témoigne d’un décalage entre la paix de Dieu donnée en Jésus et la paix attendue par ses contemporains. Pourtant, à la naissance de Jésus, les anges avaient annoncé la « paixsurterre [ἐπὶ γῆς εἰρήνη] ». Dans le quatrième évangile, Jésus exprime clairement ce décalage : « Jevous laisselapaix,jevousdonnelapaix[Εἰρήνην ἀφίημι ὑμῖν, εἰρήνην τὴν ἐμὴν δίδωμι ὑμῖν]. Je ne vous [la] donne pas comme le monde [la] donne. » (Jn 14,27 ; propre à Jean) Un passage lucanien évoque la même réalité en d’autres mots. Il s’agit de la bénédiction que Syméon adresse à Dieu, puis à Joseph et à Marie, en se tournant vers celle-ci (Lc 2,27-35). En recevant dans ses bras le petit enfant Jésus, Syméon contemple le salut de Dieu. Syméon goûte à la paix et voit la gloire pour le peuple d’Israël. En même temps, il perçoit d’avance la contradiction que suscitera le témoignage de Jésus et le glaive qui traversera la vie de Marie. Ainsi, devant Jésus petit enfant, la paix et la gloire de Dieu ont été chantées non seulement par les anges (Lc 2,14), mais aussi par un être humain habité de l’Esprit Saint (2,25.26). La paix de Syméon s’inscrit dans une double relation, celle du vieillard avec le petit enfant Jésus qu’il reçoit dans ses bras (2,28) et celle du serviteur avec son maître (2,29). D’ailleurs, dans le cantique de Syméon se déploie la présence du « tu142 » à l’adresse du « Maître souverain ». Les anges comme Syméon ont reconnu l’accomplissement des promesses de Dieu dans l’humilité de l’humanité que le Christ a connue. Le décalage entre la paix de Dieu donnée en Jésus et la paix attendue par ses contemporains est relatif à la manière dont ils se représentaient la rédemption d’Israël. Dès le début du troisième évangile, celleci est chantée par Zacharie, comme un fruit de l’ἐπισκοπή de Dieu : « Béni le Seigneur, le Dieu d’Israël, parce qu’il a visitéetdélivréson peuple [ἐπεσκέψατο καὶ ἐποίησεν λύτρωσιν τῷ λαῷ αὐτοῦ] (1,68 ; propre à Luc). De la même manière, lors de la présentation de Jésus 142 En Lc 2,29-30, la deuxième personne du singulier est soulignée à cinq reprises : trois fois à travers le pronom personnel au génitif, « detoi [σου] », et deux fois à travers le verbe, « tulaissesaller [ἀπολύεις] » et « tupréparas [ἡτοίμασας] ».
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CHAPITRE II
au Seigneur, dans le Temple de Jérusalem, la prophétesse Anne « louait Dieu et parlait de [l’enfant Jésus] à tous ceux qui attendaient la délivrance [λύτρωσιν] de Jérusalem » (2,38 ; propre à Luc). Comme nous l’avons mentionné précédemment, l’espérance d’une délivrance socio-politique projetée sur Jésus est fondée sur la mémoire du prophète Moïse à travers qui Dieu avait délivré les fils d’Israël de l’esclavage subi en Égypte. En Ac 7,22-25, l’évocation qui est faite de Moïse dans le discours d’Étienne contient des affinités avec la parole prononcée par Jésus à Jérusalem (Lc 19,42-44). 22
Moïse fut initié à toute la sagesse des Égyptiens, et il était puissant en ses paroles et en ses actions. 23 Quand il eut quarante ans accomplis, l’idée lui vint de visiter [ἐπισκέψασθαι] ses frères, les Israélites. 24 Voyant l’un d’eux mis à mal, il en prit la défense et, pour venger ce frère maltraité, il frappa l’Égyptien. 25 Il pensait que ses frères comprendraient [συνιέναι] que Dieu, par sa main, leur apportaitlesalut [δίδωσιν σωτηρίαν] ; mais ils ne le comprirent pas [οὐ συνῆκαν]. (Ac 7,22-25)
Le don de Dieu déployé à travers l’ἐπισκοπή de Moïse n’a pas été reconnu. Jésus est confronté à une expérience similaire, comme l’exprime Lc 19,44 : « parce que tu n’as pas reconnu le temps de ta visite [ἐπισκοπῆς] ». La parole de Jésus en 19,42-44 contient un élément supplémentaire permettant de comprendre la « paix [εἰρήνην] » (19,42). En effet, l’inclusion du verbe « tuconnus [ἔγνως] » (19,42.44) amène à situer « ce[quiconduit]àlapaix [τὰ πρὸς εἰρήνην] » dans la même perspective que « letempsdetavisite [τὸν καιρὸν τῆς ἐπισκοπῆς σου] » et renvoie ainsi au don du salut de Dieu en Jésus, qu’avait annoncé le cantique de Zacharie (1,68-79). Déjà celui-ci faisait écho au double registre de la paix – et du type de salut qui en découle – telle qu’elle est évoquée dans les évangiles : d’une part, une paix qui est sécurité et absence de violence, d’autre part, la paix de Dieu donnée en Jésus, consistant en une présence tangible et transformante143. En effet, dans la première partie du Benedictus(1,68-75), le salut est présenté en termes de délivrance par rapport aux ennemis et de culte rendu à Dieu dans la justice et la sainteté, conformément aux promesses 143 Faute de discerner ce double registre de la paix, certains auteurs interprètent au sens spirituel la double évocation que fait le Benedictusdu salut à l’égard des ennemis (Lc 1,71.74), car sinon elle contredirait l’action désastreuse des ennemis annoncée en Lc 19,43-44. Voir David E. GARLAND, Luke, p. 774. Dans ce cas, ce sont les ennemis qui seraient à interpréter selon un double registre : tantôt spirituel, tantôt politique. Nous ne voyons pas sur quoi appuyer ce double registre chez Luc.
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vétérotestamentaires annonçant le Messie davidique. La seconde partie, elle, témoigne d’une expérience inédite du salut en Jésus Christ, exprimée dans un langage nouveau qui sera explicité à partir de la Pentecôte : la rémission des péchés et le don de l’Esprit, découlant de l’exaltation de Jésus à la droite de Dieu (Ac 2,33 ; 5,31), pour « guider nos pas sur le chemin de la paix » (Lc 1,79)144. Peu auparavant, Zacharie avait aussi prophétisé l’action salvifique de Dieu, celle « qu’il avait annoncée par la bouche de ses saints prophètes, depuistoujours [ἐλάλησεν διὰ στόματος τῶν ἁγίων ἀπ᾿ αἰῶνος προφητῶν αὐτοῦ] » (Lc 1,70), comme le rappellera Jésus ressuscité (24,25.44 ; propre à Luc)145. C’est bien cette paix qu’évoque la seconde partie du cantique de Zacharie. 76
Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut, car tu marcheras devant le Seigneur pour lui préparer les voies, 77 pour donnerla connaissancedusalut [δοῦναι γνῶσιν σωτηρίας] à son peuple, dansla rémission de leurs péchés [ἐν ἀφέσει ἁμαρτιῶν αὐτῶν], 78 grâce aux entrailles de miséricorde de notre Dieu en lesquelles nous visitera le levant d’en haut, 79 afin d’illuminer ceux qui habitent les ténèbres et l’ombredelamort,afindeconduire [cf. Ps 106,10 LXX ; Is 9,1] nos pas verslechemindelapaix [εἰς ὁδὸν εἰρήνης]. (Lc 1,75-79 ; propre à Luc) 144 Voir la synthèse des résultats de notre étude du Benedictus (Lc 1,68-79), présentée à la section II de l’introduction générale. Quant au sens de la paix en Lc 19,42, nous ne pouvons pas nous rallier à l’interprétation de Lloyd GASTON, « The Fall of Jerusalem as a Political Event in Luke-Acts », in NoStoneonAnother: StudiesintheSignificanceoftheFallofJerusalemintheSynopticGospels (Supplements to Novum Testamentum, XXIII), Leiden, Brill, 1970, 244-369. À la p. 336, l’A. soutient que la venue de Jésus signifie principalement la venue de la paix sur terre pour Israël. Cette paix est alors comprise du point de vue politique. Pour l’affirmer, l’A. se fonde sur le Cantique de Zacharie, en établissant un parallèle entre « le chemin de la paix » (Lc 1,79) et le salut de « la main de nos ennemis » (1,71.74). Ces deux passages (Lc 1,67-79 ; 19,41-44) sont rapportés au Proto-Lc, qualifié comme un témoin de la prédication chrétienne aux habitants de Jérusalem dans les années 40-50. Comme l’A. interprète la paix au sens politique, le drame dont il est question en Lc 19,43-44, c’est-à-dire le siège de Jérusalem en 70, aurait pu être évité. Cette interprétation de la paix s’avère unilatérale. Elle ne tient pas compte du processus, cher à Luc, de voilement-dévoilement du don de Dieu. Notre analyse des paroles de jugement (voir le point 3 de la section II du présent chapitre) conduit à un discernement différent de celui de l’A. L’enjeu de la parole de Jésus n’est pas une éventuelle accommodation d’Israël avec Rome pour éviter la catastrophe annoncée (p. 341). 145 À partir de la Pentecôte, les disciples aussi reviendront au témoignage des prophètes pour interpréter l’événement Jésus Christ. Les attestations exclusivement lucaniennes du verbe λαλῶ et du substantif προφήτης (sujet du verbe ou sa cause instrumentale) sont les suivantes : Ac 3,21.24 ; 26,22 ; 28,25.
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CHAPITRE II
Fondé dans les « entrailles de miséricorde de notre Dieu » (Lc 1,78), « le chemin vers la paix » (1,79) prophétisé par Zacharie transcende la paix socio-politique, ou encore la pax romana. Bref, la paix de Dieu offerte en Jésus peut aller à l’encontre de la paix socio-politique en ravivant la division (12,51), étant donné la liberté conférée aux êtres humains d’accueillir ou non le salut de Dieu en Jésus « dans la rémission de leurs péchés » (1,77). La paix de Dieu est liée au salut (1,77 ; 2,30) qu’il a préparé en Jésus (2,30), provoquant la chute des uns et le relèvement des autres (2,34), ainsi que le dévoilement des pensées intimes qui traversent les cœurs (2,35). 2.5. LapaixdeJésus :troisrarestémoignagesd’unerencontreinattendueetdésirée Quand il se manifeste après sa résurrection, Jésus commence par s’adresser à ses disciples en leur disant : « Paix à vous [εἰρήνη ὑμῖν] ! » (Lc 24,36) À la suite de sa condamnation à mort sur une croix et de sa passion traversée surtout dans le silence, le mot « paix » prononcé par Jésus est maintenant moins ambigu et met davantage en lumière sa singularité paradoxale par rapport à l’acception courante du terme. Au lendemain de la résurrection, Jésus commence par se faire reconnaître dans l’humilité de son corps : Jésus invite ses disciples à le toucher et demande à manger (24,39-43). Puis, à la lumière des Écritures, il jette un regard sur le passé – sa passion et sa résurrection – et sur l’avenir – la mission de proclamer la rémission des péchés venant de lui (24,45-47). La paix de Dieu se révèle dans la relation à Jésus fondée sur la précarité à deux niveaux. Tout d’abord, Jésus a été exposé à un certain dépouillement d’un bout à l’autre de sa vie, en particulier à sa naissance et à sa mort. Il a été à l’encontre des projections nourries par l’attente d’un messie davidique et d’un prophète comme Moïse. Ensuite, la pauvreté est constitutive de l’être humain pécheur et l’acceptation de celle-ci n’est rendue possible que dans l’humilité. L’être humain accède à la paix de Dieu donnée en Jésus, tantôt en contemplant l’action de Dieu en Jésus humble, tantôt en se présentant à Jésus comme pécheur dans la foi en son pouvoir de rémission (1,77 ; 24,47). Déjà, en deux rares occasions de son ministère pré-pascal, Jésus annonce la paix à une femme venue le toucher : « Tafoit’asauvée,va enpaix [ἡ πίστις σου σέσωκέν σε· πορεύου εἰς εἰρήνην]. » (Lc 7,50 ; 8,48) Ces deux récits sont les seuls en Luc où une personne prend l’initiative de le toucher, sans attendre une permission ou une invitation
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en ce sens146. Dans le premier cas, la femme était « pécheresse » (7,37 ; propre à Luc) et, dans l’autre, « en écoulement de sang depuis douze ans » (Lc 8,43a ; par. Mc 5,25 et Mt 9,20). Concernant cette dernière, Luc est le seul à mentionner qu’elle « n’avait pu être guérie par personne » (Lc 8,43b). Toutes deux étaient considérées par leurs contemporains comme impures et intouchables, à l’écart de la communauté et délaissées. Elles s’approchent de Jésus par derrière. Pourtant, toutes deux croient que, même impures, elles peuvent toucher Jésus et être libérées par lui de leur mal. Elles sont sauvées et reçoivent la paix à cause de leur foi en Jésus, exprimée par une démarche tangible auprès de lui, bien que celle-ci l’expose à devenir lui-même impur selon la loi juive. Dans la narration, Jésus est le seul à leur adresser la parole et lui-même en prend l’initiative, après avoir été touché. La rencontre par le toucher et par la parole permet désormais à chacune des deux femmes d’aller en paix, rétablies dans la relation aux autres, et non plus tenues à distance. Être en paix devient le signe d’une dynamique relationnelle rendue à nouveau – ou pour la première fois – possible. Cela se vérifie dans les deux autres récits lucaniens où Jésus dit : « tafoit’asauvé [ἡ πίστις σου σέσωκέν σε]147 », sans ajouter « va en paix ». En effet, dans les deux cas, les personnes concernées sont déjà en relation. Tout d’abord, le lépreux qui reçoit cette parole – « ta foi t’a sauvé » – est venu auprès de Jésus, non pas seul, mais avec neuf autres lépreux (17,12), et les dix appellent ensemble Jésus (17,13). Ensuite, avant d’être guéri, l’aveugle communique avec son entourage pour savoir qui est en train de passer (18,36-37)148 et il reçoit une réponse. La paix apportée par Jésus n’est pas l’absence de conflit, mais une traversée de l’épreuve et une rénovation du lien avec lui, fondé sur l’humilité, celle de Jésus et celle de l’être humain. Bien que cette notion de paix soit nouvelle, elle trouve un fondement dans les écrits bibliques sapientiaux. Par exemple, en Sg 3,3, la paix ne signifie pas une absence de mal, en l’occurrence 146 En Lc 6,19 (par. Mc 3,10), il est dit que « la foule cherchait à le toucher », et non qu’elle le toucha. Dans les autres occurrences de « toucher [ἅπτομαι] », Jésus est celui qui touche la main d’un lépreux (Lc 5,13 ; par. Mc 1,41 et Mt 8,3), le cercueil du fils unique mort (Lc 7,13 ; propre à Luc), les enfants (Lc 18,15 ; par. Mc 10,13 et Mt 19,13) et l’oreille blessée du serviteur du grand prêtre (Lc 22,51 ; absent dans les parallèles de Mc 14,47 et de Mt 26,54). 147 Lors de la guérison de dix lépreux entre Samarie et Galilée (Lc 17,19 ; propre à Luc) et de la guérison de l’aveugle à l’approche de Jéricho (Lc 18,42 ; parole de Jésus présente dans le parallèle de Mc 10,52 et absente dans celui de Mt 20,34). 148 L’échange entre l’aveugle et les gens autour est propre à Luc. Dans les parallèles de Mc 10,47 et de Mt 20,30, il n’interroge pas son entourage mais entend que « c’est Jésus le Nazarénien » / « Jésus passe ».
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CHAPITRE II
la mort, mais une façon de vivre « entre les mains de Dieu » (Sg 3,1), en sa présence. Le discours de Pierre aux païens rassemblés chez Corneille (Ac 10,3443) apporte au moins trois éléments supplémentaires pour éclairer le sens de la paix en Lc 19,42, en intégrant les deux annonces de la paix par Jésus avant Pâques (Lc 7,48 ; 8,48). Pierre témoigne de « la bonne nouvelle de la paix par Jésus Christ » (10,36). Cette parole de Pierre révèle deux points intéressants pour notre étude. Tout d’abord, la paix est la synthèse de la bonne nouvelle de Jésus Christ. Ne pas accueillir sa paix équivaut à ne pas recevoir en vérité l’essentiel de son message. Ensuite, cette « bonne nouvelle de la paix par Jésus Christ » (10,36), « oint d’Esprit Saint et de puissance » (10,38), a été annoncée à travers deux types de signes : les guérisons de Jésus (10,38) et la rémission des péchés par la foi en lui (10,43)149. La paix est-elle associée aux guérisons et à la rémission des péchés ? En Lc 7, les deux signes avaient déjà été présentés avec un soin particulier à travers deux récits de rencontres (propres à Luc) entre Jésus et une femme en larmes : l’une endeuillée (7,11-17) et l’autre pécheresse (7,36-50). Ces deux péricopes ont également comme point commun l’identité de Jésus comme prophète, reconnue dans la première (7,16), mais non accueillie dans la seconde (7,39). La bonne nouvelle de Dieu en Jésus est ainsi annoncée à travers les guérisons qu’il accomplit et la rémission des péchés qu’il accorde. Cependant, à la femme endeuillée, Jésus dit « Ne pleure plus » (7,13), et non pas « Paix à toi », ni « Va en paix », comme à la femme pécheresse. Ces deux récits de Lc 7 attestent que la paix est davantage associée à la rémission des péchés qu’aux guérisons. À la femme hémorroïsse, Jésus dit : « Fille, ta foi t’a sauvée, va en paix. » (8,48) La paix peut donc aussi se manifester lors de certaines guérisons. Cependant, de toutes les guérisons réalisées par Jésus, celle-ci est la seule où la paix est proclamée. Par rapport aux deux types de signes de la Bonne Nouvelle annoncée par Jésus, la paix accompagne la foi en Jésus qui peut accorder la rémission des péchés et qui peut guérir de maladies interdisant – selon les usages juifs de l’époque – tout contact avec les autres, si ce n’est en cachette. Dans un cas comme dans l’autre, la paix est associée à la foi en Jésus qui donne accès à une relation restaurée avec Dieu et avec les autres. Tel est l’objet de la paix et donc aussi de l’ἐπισκοπή 149
Jean-Noël ALETTI, L’artderaconterJésusChris.L’écriturenarrativedel’évangiledeLuc(Parole de Dieu, 27), Paris, Seuil, 1989, p. 102-104.
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de Dieu en Jésus, qui n’a pas été reconnue (Lc 19,42.44)150. En Lc 7,16, les gens affirment à Naïn que « Dieu intervintpoursauver [ἐπεσκέψατὀ] son peuple », mais cette déclaration s’avère a posteriori partielle, car fondée sur la « crainte [φόβος] » (7,16) devant le spectacle : le mort qui se relève, se met à parler et est donné à sa mère (7,15). La faveur accordée se situe dans le domaine des réalités temporelles. Aucune transformation profonde n’est relatée, même s’il va sans dire que les témoins n’ont pu s’empêcher de parler largement de cet événement (7,17). Tel n’est pas le cas pour les deux femmes à qui Jésus adresse une parole de paix : « Ta foi t’a sauvée, va en paix » (7,50 ; 8,48). Elles sont sorties de l’ombre et parlent ouvertement, en gestes ou en mots. La paix prononcée par Jésus est une confirmation de leur foi en son pouvoir de les sauver et de les restaurer, dans un contexte où de véritables relations aux autres sont devenues impossibles pour divers motifs. 2.6. Lapaixdugrandroi L’expression « ce [qui conduit] à la paix [τὰ πρὸς εἰρήνην] » (Lc 19,42) est également présente dans une autre parole de Jésus, chez Luc (14,32)151 et nulle part ailleurs dans la Bible, ni chez Flavius Josèphe, ni chez Philon d’Alexandrie, mais bien une fois dans un pseudépigraphe grec, le TestamentdeJuda. Dans ce dernier, alors que Juda et ses frères ont assiégé la ville fortifiée des fils d’Ésaü, ceux-ci « [leur] demandèrentquellesétaientlesconditionsdepaix [αἰτοῦσι ἡμᾶς τὰ πρὸς εἰρήνην]152 ». Revenons à la mention τὰ πρὸς εἰρήνην de Lc 14,32 qui conclut la parabole du roi guerrier dont voici le texte : Ou quelroi,partantfairelaguerreàunautre roi [τίς βασιλεὺς πορευόμενος ἑτέρῳ βασιλεῖ συμβαλεῖν εἰς πόλεμον], s’étant assis, ne délibère d’abord [pour voir] s’il est capable, avec dix mille [hommes] d’aller à la rencontre de celui qui vient contre lui avec vingt mille ? 32 Sinon [εἰ δὲ μή γε], celui-ciétantencoreloin [ἔτι αὐτοῦ πόρρω ὄντος], lui ayant envoyé une ambassade, ildemande les[conditions]delapaix [ἐρωτᾷ τὰ πρὸς εἰρήνην]. (Lc 14,31-32 ; propre à Luc) 31
150 Ces deux versets emploient le verbe γινώσκω à propos de l’absence de connaissance de Jérusalem. 151 Il s’agit d’une variante, le plus souvent retenue sans hésitation. Voir Philip W. COMFORT, NewTestamentTextandTranslationCommentary, p. 215. 152 Testament de Juda 9,7. Voir André DUPONT-SOMMER – Marc PHILONENKO (éds.), LaBible.Écritsintertestamentaires, p. 862.
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Ici, l’expression ἐρωτᾷ τὰ πρὸς εἰρήνην appartient au langage militaire et diplomatique ; elle signifie un acte de soumission à celui qui est plus puissant. L’occurrence du TestamentdeJuda(9,7) l’illustre également. Bien que Jésus ne parte pas en guerre vers Jérusalem, la catastrophe annoncée en Lc 19,43-44 s’apparente à un contexte belliqueux, tant par le sujet, « tes ennemis », que par les actions décrites : « ils t’environneront de retranchements […], t’encercleront et te presseront […], t’écraseront […] et ne laisseront pas en toi pierre sur pierre ». Faut-il pour autant interpréter l’expression τὰ πρὸς εἰρήνην en Lc 19,42 dans un sens socio-politique, comme celle de 14,32 ? L’étude des diverses péricopes lucaniennes où il est question de paix, conduit à l’hypothèse suivante : bien que l’expression τὰ πρὸς εἰρήνην soit empruntée à un langage militaire, le sens que Jésus lui donne à son arrivée ultime à Jérusalem est lié à la singularité de sa personne. Dans le troisième évangile, Jésus n’a jamais agi ou parlé comme celui qui vient délivrer son peuple de l’oppression socio-politique vécue à l’époque, même si une telle attente a souvent été projetée sur lui (24,21). De plus, il a été présenté comme celui par qui Dieu délivre son peuple. Ne pas reconnaître ce qui conduit à la paix, c’est ne pas reconnaître la véritable puissance du roi qui arrive à Jérusalem, dont la manifestation ultime réside dans la rémission des péchés. 2.7. Dans la Septante : τὰ εἰς εἰρήνην, une formulation grecque hébraïsante La Septante contient une expression presque pareille à celle de Lc 14,32 : ἐρωτῶ τὰ εἰς εἰρήνην. La seule différence est la préposition : « dans[εἰς] » et non « vers [πρός] ». La phrase ἐρωτῶ τὰ εἰς εἰρήνην est attestée cinq fois dans des livres historiques153 et une fois en Ps 121,6 (LXX). Les mentions situées dans les livres historiques traduisent littéralement l’expression hébraïque « saluer []שׁאַל ְל ָשׁלוֹם ָ », c’est-à-dire « demander [si l’autre va] bien », au sens premier du mot שׁלוֹם, ָ le bien-être d’une personne incluant sa santé et sa prospérité. Bien 153 1 S 10,4 (ἐρωτήσουσίν σε τὰ εἰς εἰρήνην / ; )וְ ָשׁ ֲאלוּ ְלָך ְל ָשׁלוֹם1 S 25,5 (ἐρωτήσατε αὐτὸν ἐπὶ τῷ ὀνόματί μου εἰς εἰρήνην / )וּשׁ ֶא ְל ֶתּם־לוֹ ִב ְשׁ ִמי ְל ָשׁלוֹם ְ ; 1 S 30,21 (ἠρώτησαν αὐτὸν τὰ εἰς εἰρήνην) ; 2 S 8,10 (ἐρωτῆσαι αὐτὸν τὰ εἰς εἰρήνην / )ל ְשׁאָל־לוֹ ְל ָשׁלוֹם ִ ; 1 Ch 18,10 (ἐρωτῆσαι αὐτὸν τὰ εἰς εἰρήνην / )ל ְשׁאָל־לוֹ ְל ָשׁלוֹם ִ ; Ps 121,6 LXX (ἐρωτήσατε δὴ τὰ εἰς εἰρήνην τὴν Ιερουσαλημ / ַשׁ ֲאלוּ ְשׁלוֹם ִרוּשׁ ָלם ָ ְ)י.
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que l’expression figure onze fois dans la Bible hébraïque154, la Septante ne la rend pas toujours de la même manière. Par exemple en Jg 18,15, elle utilise le verbe grec communément admis pour dire « saluer » : « ilslesaluèrent [ἠσπάσαντο αὐτόν / ]וַ יִּ ְשׁ ֲאלוּ־לוֹ ְל ָשׁלוֹם155 ». Par contre, en Ps 121,6 (LXX), la Septante écrit également ἐρωτήσατε δὴ τὰ εἰς εἰρήνην τὴν Ιερουσαλημ, alors que l’expression en hébreu diffère par l’absence de lamed devant le mot ַשׁ ֲאלוּ ְשׁלוֹם – ָשׁלוֹם ִרוּשׁ ָלם ָ ְ – יet signifie dans le contexte d’une prière, « demander la paix de Jérusalem », et non pas « saluer Jérusalem ». En Ps 121,6 (LXX), la paix de Jérusalem se présente de façon singulière comme le fruit d’une prière à Dieu, non pour soi-même, mais pour les autres, « mes frères et mes voisins » (121,8 LXX). Le fait que l’expression ἐρωτῶ τὰ εἰς εἰρήνην soit absente dans les écrits de Flavius Josèphe et de Philon d’Alexandrie laisse penser que cette formulation grecque est hébraïsante. La construction εἰς εἰρήνην (sans article) si usuelle dans la Septante constitue une singularité, alors que la formulation πρὸς εἰρήνην (avec ou sans article) ne s’y rencontre jamais. D’après la base de données du ThesaurusLinguaeGraecae, entre les VIe et IIe siècles avant Jésus Christ, le seul témoin, en dehors de la Septante, qui recourt à la préposition εἰς devant εἰρήνην est Xénophon156, tout en écrivant aussi ailleurs πρὸς εἰρήνην, la forme communément admise. Les auteurs du Nouveau Testament suivront l’usage de la Septante, y compris Luc157, sauf en Lc 14,32 et en 19,42. Il faut attendre le IIe siècle après Jésus Christ pour que εἰς εἰρήνην devienne une expression courante dans les ouvrages classiques. Nous sommes ainsi témoin d’une évolution linguistique. 2.8. Témoinsjuifsextra-bibliquesetcontemporainsdeLuc Au Ier siècle après Jésus Christ, « Verslapaix [πρὸς εἰρήνην] » se rencontre aussi dans des écrits de Flavius Josèphe et de Philon 154 Gn 43,27 ; Ex 18,7 ; Jg 18,15 ; 1 S 10,4 ; 17,22 ; 25,5 ; 30,21 ; 2 S 8,10 ; 11,7 ; Jr 15,5 ; 1 Ch 18,10. 155 Voir la note de 1 S 10,4 (ἐρωτήσουσίν σε τὰ εἰς εἰρήνην / )וְ ָשׁ ֲאלוּ ְלָך ְל ָשׁלוֹם dans Michel LESTIENNE – Bernard GRILLETetal. (éds.), PremierlivredesRègnes (La Bible d’Alexandrie, IX.1), Paris, Cerf, 1997, p. 212 : « Si ἀσπάζομαι exprime la “salutation” avec une connotation chaleureuse, “interroger avec les/des paroles de paix”, y introduit une connotation pacifique. » 156 XÉNOPHON, Helléniques (Universités de France), édité par Jean HATZFELD, Paris, Les Belles Lettres, 1939, Vol. II (livres IV-VII), p. 72 (V.29) : « […] ils étaient, eux aussi, très favorables àlapaix [εἰς τὴν εἰρήνην] ». 157 Mc 5,34 (par. Lc 8,48) ; Lc 7,50 ; Ac 7,26.
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d’Alexandrie. Chez eux, la paix est mise en opposition à la guerre et aux ennemis158. La réflexion de Philon va plus loin. Tout d’abord, la paix est considérée comme une aspiration naturelle159. Cependant, Philon proclame ailleurs que « Dieu seul est la paix [εἰρήνη] totalement exempte de mensonge, authentique, et que la substance sujette à la naissance et à la destruction n’est que guerres[πόλεμος]160 ». À cause de cela, l’être humain doit tendre « de toutes ses forces à se libérer [καταλιπεῖν] de la guerre[πόλεμον], de la contrainte, de la génération et de la mort, et à passerdanslecamp [αὐτομολῆσαι] de l’inengendré, de l’impérissable, du consentement, delapaix [πρὸς εἰρήνην]161 ». De plus, la paix rend possible l’amitié162. Toutefois, un décalage par rapport au témoignage de Jésus est sensible. La paix que celui-ci annonce n’est pas associée à une absence de conflit. Il a même affirmé qu’il apportait la division (Lc 12,51). La paix de Jésus n’est pas non plus le fruit d’une vertu, mais une grâce de salut. Elle n’est pas une condition pour une relation harmonieuse, mais le fruit d’une relation restaurée par la foi en Jésus qui peut accorder la rémission des péchés (7,48) et guérir d’une maladie rendant impossible tout contact (8,48). Un manuscrit de la mer Morte fait mention de la paix en l’associant à la figure d’un roi : 4QApocryphedeDanielar (4Q246, appelé aussi l’Apocalypse araméenne). Ce manuscrit s’inscrit « dans la ligne des textes de l’attente traditionnelle du Messie davidique, depuis 2 S 7,14 ; Ps 2,7 ; 89,27-30 [TM] ; 110 [TM] ; Za 9,9-10163 ». Il présente un intérêt 158 FLAVIUS JOSÈPHE, Guerre des Juifs, Vol. III (Livres IV–V), p. 20 (IV 58) ; PHILON D’ALEXANDRIE, De l’ivresse. De la sobriété [De ebrietate. De Sobrietate] (Les Œuvres de Philon d’Alexandrie, 11-12), édité par Jean GOREZ, Paris, Cerf, 1962, p. 64-65 (no 100). 159 PHILON D’ALEXANDRIE, ContreFlaccus[InFlaccum] (Les Œuvres de Philon d’Alexandrie, 31), édité par André PELLETIER, Paris, Cerf, 1967, p. 78-79 (no 48). 160 PHILON D’ALEXANDRIE, Des rêves [De somnis] I-II (Les Œuvres de Philon d’Alexandrie, 19), édité par Pierre SAVINEL, Paris, Cerf, 1962, p. 224-225 (II 253). Voir aussi PHILON D’ALEXANDRIE, Desrécompensesetdespeines.Desmalédictions [Depraemiisetpoenis.Deexsecrationibus] (Les Œuvres de Philon d’Alexandrie, 27), édité par André BECKAERT, Paris, Cerf, 1961, p. 86-87 (no 92). 161 PHILON D’ALEXANDRIE, Desrêves, p. 224-225 (II 253). 162 PHILON D’ALEXANDRIE, Des vertus [De virtutibus] (Les Œuvres de Philon d’Alexandrie, 26), édité par Roger ARNALDEZ, Paris, Cerf, 1962, p. 88-89 (no 109). 163 Pour une lecture révisée de 4Q246, avec sa traduction et son interprétation, voir Émile PUECH, « Le fils de Dieu, le fils du Très-Haut, messie roi en 4Q246 », in Eberhard BONS (éd.), Lejugementdansl’unetl’autreTestament.Vol.I :FS.RaymondKuntzmann (Lectio Divina, 197), Paris, Cerf, 2004, 271-286, p. 286. Pour la première édition officielle du texte, voir Émile PUECH, « 246. 4Q Apocryphe de Daniel ar (Planche XI) », dans George J. BROOKE – John J. COLLINSetal. (éds.), QumrânGrotte4•XVII :textes parabibliques. Troisième partie (Discoveries in the Judaean Desert, XXII), London,
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particulier pour notre recherche car cet écrit manifeste une affinité avec la parole de Gabriel à Marie (Lc 1,32-35 ; propre à Luc) qui a déjà été évoquée dans l’étude du contexte élargi. Nous avons alors relevé que deux titres, « fils de David » et « roi », d’abord annoncés dans une révélation à propos de Jésus avant sa naissance (1,32-33), sont ensuite partiellement reconnus pour la première fois en Lc 18,35–19,40. En 4Q246, le roi annoncé sera « grand sur la terre » (i 7), « son règne éternel » (ii 5), « sa domination éternelle » (ii 9) ; « lesroisferont lapaixaveclui [( » ]]מלכיא שלם עמה י[עבדוןi 8) ; « il sera dit le fils de Dieu et le fils du Très-Haut on l’appellera » (ii 1) ; « il jugera la terre dans la vérité et tous feront la paix [( » ]וכלא יעבד שלםii 5-6). La paix est ici présentée de façon singulière comme le fruit d’une reconnaissance des nations et des autres rois face à ce grand roi eschatologique, de filiation divine, Messie et juge de la terre. Or, dans les textes bibliques traditionnels annonçant le Messie davidique, la paix est considérée comme l’effet immédiat de sa présence164. Par rapport à cette perspective de paix, Lc 19,42 se rattache davantage au courant de pensée de 4Q246 qu’à celui des passages vétérotestamentaires sus-mentionnés. Toutefois, la paix annoncée par Jésus n’est pas seulement pour un temps futur détaché du présent. Elle est donnée dans le présent de la relation avec lui. 2.9. LedondeDieucachéauxsagesetauxsavants Une expression tranchante figure en 19,42 : νῦν δέ165. Comment faut-il la comprendre ? Au sens temporel, « mais maintenant166 », ou non, « mais en fait » ? Les deux autres occurrences lucaniennes de νῦν δέ s’inscrivent dans le registre temporel pour indiquer par ces deux mots la fin d’une étape et le commencement d’une nouvelle, celle d’un retournement inattendu. Clarendon, 1996, p. 165-184. Une étude paléographique permet de dater le manuscrit autour de l’an 25 avant Jésus Christ. Il reflète la mentalité juive du premier siècle avant et aussi après Jésus Christ, d’après les emprunts évidents dans le récit de l’Annonciation, en particulier en Lc 1,32-35. 164 « […] Je te donnerai le repos face à tous tes ennemis [ἀναπαύσω σε ἀπὸ πάντων τῶν ἐχθρῶν σου] » (2 S 7,11). « […] [Il y aura]abondanceetpaixdelapart desnations[πλῆθος καὶ εἰρήνη ἐξ ἐθνῶν] » (Za 9,10). 165 Introuvable en Mt et en Mc, l’expression est présente en Jn (sept fois) et ailleurs dans le N.T. (quinze fois). 166 Voir la traduction de David E. GARLAND, Luke, p. 773 ; Roland MEYNET, L’évangiledeLuc, p. 738 ; François BOVON, L’ÉvangileselonsaintLuc.Vol.IV(19,28–24,53), p. 41 ; Joel B. GREEN, TheGospelofLuke, p. 690 ; John NOLLAND, Luke18:35–24:53, p. 929 ; Luke T. JOHNSON – Daniel J. HARRINGTON, TheGospelofLuke, p. 295.
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Abraham dit [au riche] : « Enfant, rappelle-toi que tu as reçu tes biens pendant ta vie, et Lazare, pareillement, les maux ; maismaintenant [νῦν δέ], ici il est consolé, mais toi tu es torturé. » (Lc 16,25 ; propre à Luc) 66
Et quand il fit jour, se rassembla le conseil des anciens du peuple, grands prêtres et scribes, et on emmena [Jésus] à leur Sanhédrin, 67 disant : « Si tu es le Christ, dis-nous. » Il leur dit : « Si je vous dis, vous ne croirez pas ; 68 si je vous interroge, vous ne répondrez pas. 69 Maisàpartirde maintenant [ἀπὸ τοῦ νῦν δὲ] lefilsdel’hommesera siégeantàladroite de la puissance deDieu [cf. Dn 7,13 ; Ps 109,1 LXX]. (Lc 22,66-69)167
Cependant, tel n’est pas le cas en Lc 19,42, car ce verset contient la conjonction « si [εἰ] ». L’opposition indiquée par δέ ne porte donc pas sur un avant comparé à un après, mais sur une situation hypothétique confrontée à la réalité168. En Lc 19,42, les deux verbes explicitent l’antithèse : « si en ce jour-ci tuavaisconnu [ἔγνως] toi aussi […] mais en fait, il fut caché à tes yeux [ἐκρύβη ἀπὸ ὀφθαλμῶν σου] ». Faut-il interpréter le second verbe (« il fut caché ») comme un passif théologique, c’est-à-dire pointant vers l’action de Dieu exprimée ailleurs à l’actif (Lc 10,21 ; par. Mt 11,25)169 ? Dieu lui-même aurait-il plongé Jérusalem dans l’aveuglement ? Mais alors la ville ne serait pas pleinement responsable de son manquement ? Nous touchons ici un thème cher à Luc. En effet, son évangile est traversé par une dynamique de voilement et de dévoilement. Voici un tableau des 167 Le parallèle de Mc 14,62 ne donne aucune indication temporelle et celui de Mt 26,64 contient « àpartirdemaintenant[ἀπ᾿ ἄρτι] ». 168 Telle est aussi l’option prise par Gustav STÄHLIN, « νῦν », in Gerhard KITTEL (éd.), TheologicalDictionaryoftheNewTestament, traduit par Geoffrey W. BROMILEY, Grand Rapids MI, Eerdmans, 1967, Vol. IV (Λ-Ν), 1106-1123, p. 1109. Cependant, Stählin appuie son hypothèse sur la présence de l’expression temporelle, « encejour [ἐν τῇ ἡμέρᾳ ταύτῃ] », rendant impossible une antithèse temporelle. L’argument déterminant n’est-il pas plutôt la présence de la conjonction « si [εἰ] », ainsi que l’opposition entre le verbe introduit par εἰ et celui par νῦν δέ ? Tel est aussi le cas dans le N.T. pour les autres occurrences de εἰ suivi de νῦν δέ : Jn 9,41 ; 15,22.24 ; 18,36. Ce type de construction est absente dans la LXX et figure au moins une fois dans les écrits de Flavius Josèphe. Voir FLAVIUS JOSÈPHE, GuerredesJuifs,Vol. III (Livres IV–V), p. 55-56 (IV 302). 169 Telle est l’interprétation envisagée par plusieurs commentateurs. Voir notamment David E. GARLAND, Luke, p. 773 ; Robert H. STEIN, Luke, p. 485 ; Michael WOLTER, Das Lukasevangelium, p. 633 ; I. Howard MARSHALL, The Gospel of Luke, p. 718 ; Joseph A. FITZMYER, LukeX–XXIV, p. 1258. De façon assez surprenante et sans donner d’appui textuel, Nolland interprète l’aveuglement évoqué en Lc 19,42, comme une action satanique. Voir John NOLLAND, Luke 18:35–24:53, p. 931, 932. Parmi ceux qui attribuent à la liberté humaine le fait que « cela fut caché » (19,42) : François BOVON, L’ÉvangileselonsaintLuc.Vol.IV(19,28–24,53), p. 41.
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attestations des verbes « cacher [κρύπτω] / voiler [καλύπτω] » et « dévoiler [ἀποκαλύπτω]170 ». Cacher [κρύπτω] / Voiler [καλύπτω]
Dévoiler [ἀποκαλύπτω] 34
Et Syméon […] dit à Marie, sa mère : « Voici : celui-ci est placé pour la chute [πτῶσιν] et le relèvement [ἀνάστασιν] d’un grand nombre en Israël, et pour [être] un signe en butte à la contradiction, 35 – et toi-même, un glaive te passera à travers l’âme – afin que soient révélées les réflexions d’un grand nombre de cœurs [ὅπως ἂν ἀποκαλυφθῶσιν ἐκ πολλῶν καρδιῶν διαλογισμοί]. » (Lc 2,34-35 ; propre à Luc) « 17a rien n’est caché [κρυπτόν] […] 17c ni encachette [ἀπόκρυφον]
17b
qui ne devienne manifeste [φανερόν], […] 17d qui ne sera connuet 17enevienneà êtremanifeste [γνωσθῇ καὶ εἰς φανερὸν ἔλθῃ]. » (Lc 8,17)171
45a Or ils ne comprenaient pas cette parole [οἱ δὲ ἠγνόουν τὸ ῥῆμα τοῦτο], 45b et [καί] elle était cachée d’eux [παρακεκαλυμμένον ἀπ᾿ αὐτῶν], afin qu’ils ne la saisissent [αἴσθωνται] pas, 45c et [καί] ils craignaient de l’interroger sur cette parole. (Lc 9,45)172 21a À cette heure même il exulta par l’Esprit Saint et dit : « je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, parce que tucachascelaàdessagesetàdes savants[ἀπέκρυψας ταῦτα ἀπὸ σοφῶν καὶ συνετῶν] […]
21b
et que tu révélas cela à des petits. Oui, Père, car tel fut ton bon plaisir. 22 Tout me futremis[παρεδόθη] par mon Père, et personne ne connaît [γινώσκει] qui est le Fils, si ce n’est le Père, et qui est le Père, si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils veut bien [le] révéler [ἀποκαλύψαι]. » (Lc 10,21-22 ; par. Mt 11,25-27)
170 Dans le tableau qui suit, chaque ligne est consacrée à une péricope. Quand celle-ci contient les deux verbes « cacher » et « dévoiler », elle s’étend alors sur les deux colonnes consacrées à ces deux verbes. Les versets (ou les mots) soulignés en gras sont propres à Luc. 171 Voir les parallèles de Mc et de Mt indiqués pour Lc 12,2. 172 Le contenu de Lc 9,45 est complètement absent dans le parallèle de Mt 17,23. Par contre, la version marcienne (Mc 9,32) contient l’équivalent de Lc 9,45a et de 9,45c, mais pas la partie centrale (9,45b) signalant que la parole de Jésus est cachée des disciples.
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CHAPITRE II
Cacher [κρύπτω] / Voiler [καλύπτω] 2a
Dévoiler [ἀποκαλύπτω] 2b
qui ne sera dévoilé [ἀποκαλυφθήσε« rien n’est voilé [συγκεκαλυμμένον] […] ται], […] 2c 2d caché [κρυπτόν] […] qui ne sera connu [γνωσθήσεται]. (Lc 12,2)173 « De même [en] sera-t-il le jour où le Fils de l’homme sera révélé [ἀποκαλύπτεται]. » (Lc 17,30 ; propre à Luc) « Et eux [καὶ αὐτοί] ne comprirent [συνῆκαν] rien à cela ; et [καί] cette parole était cachée d’eux [κεκρυμμένον ἀπ᾿ αὐτῶν], et [καί] ils ne savaient pas ce qui était dit [οὐκ ἐγίνωσκον τὰ λεγόμενα]. » (Lc 18,34)174 « Si en ce jour tu avais reconnu [ἔγνως], toi aussi, ce [qui conduit] à la paix. Mais non! Il fut caché [ἐκρύβη] à tes yeux. » (Lc 19,42 ; propre à Luc)
Le tableau permet de faire plusieurs constats. Le contexte élargi (Lc 18,31–19,44) de l’oracle de jugement contre Jérusalem présente une inclusion. En effet, les deux verbes « cacher [κρύπτω] » et « ne pas (re)connaître [γινώσκω] » sont placés dans la première et la dernière péricopes de cet ensemble littéraire. Les disciples et Jérusalem font une expérience semblable d’incompréhension à propos de réalités différentes. Quelque chose demeure caché et non reconnu : l’événement pascal de Jésus aux oreilles des disciples et ce qui conduit à la paix aux yeux de Jérusalem. Les deux sont profondément liés dans l’accueil du dénuement où Dieu révèle de façon ultime et intime sa puissance de vie et de salut. Dès le récit de l’enfance (Lc 2,35), un dévoilement est annoncé par Syméon et porte sur καρδιῶν διαλογισμοί. Le sens premier de διαλογισμός est « équilibrage des comptes », d’où les sens secondaires de « calcul », « raisonnement » ou encore « débat » des coeurs175. Ce 173 Marc et Matthieu l’expriment chacun une fois à leur manière, sans avoir d’équivalent pour Lc 8,17d (« qui ne sera connu ») : « rien n’est caché [κρυπτόν] sinon pour qu’ilsoitmanifesté [φανερωθῇ], ni [rien] n’est devenucaché [ἀπόκρυφον] mais pour qu’il vienne à [être] manifeste [φανερόν] » (Mc 4,22) ; « rien n’est voilé [κεκαλυμμένον] qui ne seradévoilé [ἀποκαλυφθήσεται] et caché [κρυπτόν] qui ne seraconnu [γνωσθήσεται] » (Mt 10,26). 174 Ce dernier verset ne figure pas dans les parallèles de Mc 10,34 et de Mt 20,19. 175 Voir l’article « διαλογισμός » dans Franco MONTANARI, TheBrillDictionary ofAncientGreek, p. 495 et dans Henry G. LIDDELL – Robert SCOTT, AGreek-English
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type de paroles intérieures ou verbalisées sont donc aux antipodes des paroles amorçant et cultivant une véritable rencontre, où chaque partie se laisse rejoindre et toucher par l’autre. Le mot διαλογισμός est d’usage spécifiquement lucanien. Non seulement il figure surtout dans le troisième évangile176, mais Luc est le seul à signaler par ce terme la capacité de Jésus à discerner ce que les personnes vivent dans leur for interne et à le leur signifier177. Les personnes visées sont les scribes et les Pharisiens, ainsi que les disciples. En leur adressant la parole, Jésus les exhorte à s’ouvrir à la rencontre et au dévoilement qui en découle, car ce qui demeure chez eux à l’état de διαλογισμοί reste caché à leurs yeux. Une illustration de ce phénomène se trouve en Lc 9,45 et en 18,34178, quand pour la deuxième et troisième fois Jésus annonce aux disciples la passion, la mort et la résurrection du Fils de l’homme. La réaction des disciples est décrite de façon similaire dans les deux cas : ils ne comprenaient [συνῆκαν et ἐγίνωσκον (18,34) / ἠγνόουν (9,45)] pas et cette parole étaitcachéeàleursyeux [κεκρυμμένον ἀπ᾿ αὐτῶν (18,34) / παρακεκαλυμμένον ἀπ᾿ αὐτῶν (9,45)]. En Lc 9,45, une précision est ajoutée : « ils craignaient de l’interroger sur cette parole ». Ils n’ont donc pas osé ouvrir à la rencontre ce qu’ils portaient à l’intérieur comme question, perplexité ou réflexion. De plus, il est dit que « cette parole […] était cachée d’eux, afin qu’ils ne la saisissent pas. » Dans trois passages qui lui sont propres, Luc note qu’une parole ou qu’une réalité est cachée (Lc 9,45 ; 18,34 ; 19,42). Est-il permis d’interpréter les verbes (παρακεκαλυμμένον, κεκρυμμένον et ἐκρύβη) Lexicon, édité par Henry S. JONES – Roderick MCKENZIE, London, Oxford University Press, 19409, p. 402. 176 Six mentions en Lc, une en Mt, une en Mc, aucune en Jn et en Ac. 177 « 21 Les scribes et les Pharisiens commencèrent à réfléchir [διαλογίζεσθαι], disant : “Qui est-il, celui-ci qui parle [avec] blasphèmes ? Qui peut remettre les péchés, sinon Dieu seul ?” 22 Mais Jésus, se rendant compte de leurs réflexions[διαλογισμούς], prit la parole : “Pourquoi réfléchissez-vous [διαλογίζεσθε] dans vos cœurs ?” » (Lc 5,21-22 exprimé en d’autres termes dans les parallèles de Mc 2,6-7 et de Mt 9,3-4) « Or les scribes et les Pharisiens l’épiaient [pour voir] s’il guérissait durant le sabbat, afin de trouver à l’accuser. Mais lui connaissait leurs réflexions [διαλογισμούς]. » (Lc 6,7-8 ; Lc 6,8 absent dans les parallèles de Mc 3,2 et de Mt 12,10). « 46 Or une discussion [διαλογισμός] commença parmi [les disciples] : [pour savoir] qui d’entre eux était le plus grand. Or Jésus, sachant la discussion[διαλογισμόν] de leurs coeurs » (Lc 9,46 auquel fait suite 9,47a, absent dans les parallèles de Mc 9,35 et de Mt 20,27). « [Jésus] dit [aux disciples] : “Pourquoi êtes-vous troublés et pourquoi des discussions [διαλογισμοί] montent-elles dans votre cœur ?” » (Lc 24,38 ; absent dans le parallèle de Jn 20,20). 178 Le contenu de Lc 18,34 ne figure pas dans les parallèles de Mc 10,34 et de Mt 20,19.
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comme des « passifs divins » – Dieu étant l’agent sous-entendu – comme en Lc 10,21 où cela est explicite dans la parole de Jésus prononcée au retour des soixante-douze disciples ? Alors que les disciples se réjouissent en « disant : “Seigneur, même les démons nous sont soumis en ton nom !” » (Lc 10,17 ; propre à Luc), Jésus les invite à un déplacement : « Ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont soumis, mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont inscrits dans les cieux. » (Lc 10,20 ; propre à Luc) Aussitôt après, Jésus partage la profondeur de sa joie. 21a
À cette heure même il exulta par l’Esprit Saint et dit : « je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, parce que tucachascelaàdessagesetà des savants et que tu révélas cela à des petits [ἀπέκρυψας ταῦτα ἀπὸ σοφῶν καὶ συνετῶν καὶ ἀπεκάλυψας αὐτὰ νηπίοις]. 21b Oui, Père, car tel fut ton bon plaisir. 22 Tout me fut remis[παρεδόθη] par mon Père, et personne ne connaît [γινώσκει] qui est le Fils, si ce n’est le Père, et qui est le Père, si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils veut [le] révéler [ἀποκαλύψαι]. » (Lc 10,21-22 ; par. Mt 11,25-27)
« Des sages et des savants » (Lc 10,21) sont des personnes qui approchent la révélation au niveau de la cogitation ou, pour le dire autrement, du διαλογισμός. Celles-ci ont de la difficulté à s’ouvrir à la rencontre de Jésus pour être en mesure de comprendre les paroles et les gestes qui expriment sa singularité : la rémission des péchés (5,21), les guérisons le jour du sabbat (6,7), sa mort et sa résurrection (9,45 ; 18,34). La connaissance de Jésus et, du même coup, celle du Père dont il est le Fils, sont alors voilées. En effet, celles-ci ne peuvent être données et reçues que dans la relation propre « aux petits ». Ces derniers savent ne rien posséder qu’ils n’aient reçu et être démunis tant qu’ils sont laissés à eux-mêmes. En même temps, ils croient éperdument à la miséricorde de Dieu en Jésus. Tel est en particulier le témoignage de Marie à l’Annonciation (1,26-38). Celle-ci a ouvert à l’ange la question qu’elle portait en elle dans une attitude d’humble « servante du Seigneur » (1,38.48) : « Comment cela sera-t-il ? » (1,34) À travers la rencontre, elle a reçu la révélation du mystère de l’avènement du Fils du Très-Haut. Comme Jésus (10,21), elle exulta [ἠγαλλιάσατο]179 (1,47) et fit mémoire de la miséricorde de Dieu (1,50.54).
Lc 1,47 et 10,21 sont les deux seules occurrences du verbe ἀγαλλιῶ dans le troisième évangile. 179
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Dans les trois passages mentionnés plus haut évoquant une réalité cachée (Lc 9,45 ; 18,34 ; 19,42), il semble partiel d’interpréter le voilement comme étant uniquement une action implicite de Dieu qui cache. Certes, à des sages et à des savants, Dieu cache les trésors du salut ; à des humbles et à des petits, il les révèle. Cependant, les sages et les savants, ainsi que les humbles et les petits sont des catégories pour désigner des attitudes et non pas des personnes prédéfinies180. L’être humain peut à tout moment s’endurcir dans l’attitude des sages et des savants, ou développer celle des humbles et des petits. Les trois versets (9,45 ; 18,34 ; 19,42) manifestent surtout l’attitude implicite des personnes concernées qui sont à ce moment-là dans leur habit de sages et de savants. Ainsi, quand Jésus déclare à Jérusalem que « ce qui conduit à la paix […] est caché à tes yeux » (19,42), il lui reproche d’être repliée dans ses débats intérieurs et de ne pas avoir osé se laisser rencontrer jusque-là. Ce processus de connaissance n’est-il pas celui-là même dont il est question en Gn 2–3 ? Le Seigneur Dieu invite l’être humain à manger de tous les arbres du jardin, sauf celui « delaconnaissance[τοῦ γινώσκειν] du bien et du mal » (2,17), sinon il mourra. « Ce que Dieu ne donne pas tout de suite, ce n’est pas qu’il se le réserve : il attend le moment le plus favorable181 », celui de la rencontre humble et confiante de personne à personne. Telle est la pédagogie de la révélation divine qui est mise en œuvre selon le rythme d’ouverture de chaque être humain. 2.10. Lafonctiondujugement :vérité,miséricordeetrencontre Luc, et lui seul parmi les évangélistes, répète que « rien n’est caché [κρυπτόν] […] qui ne seraconnu [γνωσθῇ / γνωσθήσεται] » (Lc 8,17a ; 12,2), au sens de « qui ne vienne à [être] manifeste [φανερόν] » (8,17b). Ceci signifie qu’en Lc 19,42-44, le jugement auquel Jérusalem ne peut désormais plus échapper sera l’occasion par excellence de lui donner de reconnaître ce qu’elle n’a pas reconnu. Le jugement a ainsi une fonction de miséricorde pour rendre possible la rencontre qui ouvre à la connaissance de Jésus et qui conduit à la paix. 180 En Lc 10,21, il n’y a pas d’article défini devant « sages », « savants » et « tout petits » : « tucachasceschosesàdessagesetàdessavantsetrévélasceschosesà destoutpetits [ἀπέκρυψας ταῦτα ἀπὸ σοφῶν καὶ συνετῶν καὶ ἀπεκάλυψας αὐτὰ νηπίοις] ». 181 Philippe LEFÈBVRE, « Connaître Dieu. Que disent les premières pages des livres de l’Ancien Testament ? », in MélangesdeScienceReligieuse 63 (2006) 19-32, p. 22.
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Dans le verset qui suit Lc 18,17, Jésus exhorte à être attentifs à « commentvousécoutez [πῶς ἀκούετε] » (8,18), alors que dans la version parallèle de Marc il est écrit : « cequevousécoutez [τί ἀκούετε] » (Mc 4,24). La portée du message de Jésus peut être cachée en raison d’une mauvaise écoute liée à un endurcissement du cœur, comme le montre le fondement vétérotestamentaire de Lc 8,10, ou encore en raison d’un aveuglement dû à une lenteur à croire (Lc 24,16.25). 9 Or ses disciples l’interrogeaient sur ce que pouvait être la parabole [du semeur]. 10a Et il dit : « À vous il a été donné de connaître [γνῶναι] les mystères du royaume de Dieu, mais aux autres [c’est] en paraboles, afin que, 10b regardant,ilsneregardentpas,et,entendant,ilsnecomprennent pas [βλέποντες μὴ βλέπωσιν καὶ ἀκούοντες μὴ συνιῶσιν]. » (Lc 8,910 ; par. Mc 4,10-12 et Mt 13,10-15)
Des mauvaises dispositions intérieures empêchent ainsi de se laisser rencontrer et de « connaître les mystères du royaume de Dieu » (Lc 8,10a). Cette réflexion fait écho à notre étude des διαλογισμοί et à leur caractère d’enfermement182. La suite du verset (8,10b) s’inspire d’Is 6,9-10 repris explicitement par Matthieu juste après (Mt 13,1415) et par Luc, en conclusion des Actes (28,26-27), dans un discours de Paul à Rome. 9
Et [le Seigneur] dit : « Va et dis à ce peuple : “Vous aurez beau écouter et vous ne comprendrez pas ; vous aurez beau regarder et vous ne verrez pas [Ἀκοῇ ἀκούσετε καὶ οὐ μὴ συνῆτε καὶ βλέποντες βλέψετε καὶ οὐ μὴ ἴδητε].” 10a Oui, le cœur de ce peuple s’est épaissi, et de leurs oreilles ils ont eu de la difficulté à entendre et ils ont fermé leurs yeux, de sorte qu’ils ne voient de leurs yeux, ni entendent de leurs oreilles, ni comprennent dans leur cœur et ne se convertissent – 10b et je les guérirai. » (Is 6,9-10)
À la lumière de la prophétie d’Isaïe rappelée par Luc et Matthieu, une certaine incompréhension du message de Dieu est liée à une fermeture (Is 6,10a) qui est souvent symbolisée chez Luc par l’image de l’aveuglement183. C’est également ce que laisse sous-entendre la parole de Jésus à Jérusalem : cela « fut caché à tes yeux » (19,42). Dieu répond alors par une promesse de guérison (Is 6,10b) qui se réalise à travers le jugement, avec sa part de dépouillement intégral et recréateur (Is 6,1113). En Lc-Ac, avant la Pentecôte, rares sont les êtres humains à avoir 182
Voir le point 2.9 de la section II du présent chapitre. Des yeux qui ne voient pas : Lc 6,41-42 (par. Mt 7,3-5) ; Lc 19,42 (propre à Luc) ; Lc 24,16 (propre à Luc) ; Ac 9,8 ; 28,27. Des yeux qui soudain voient : Lc 2,30 (propre à Luc) ; Lc 10,23 (par. Mt 13,16) ; Lc 24,31 (propre à Luc) ; Ac 9,18 ; 26,18. 183
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vraiment saisi et accueilli la portée de la mort et de la résurrection de Jésus Christ, en relation à son annonce de la bonne nouvelle du royaume de Dieu. Certains l’ont accueillie mais sans aller jusqu’au bout, d’autres ont récriminé ou sont restés sur la réserve. Cette difficulté est présente dès le début du troisième évangile. Prêtre en service au Temple (Lc 1,5.8), Zacharie commence par ne pas croire en la parole de l’envoyé divin (1,18.20), tandis qu’une jeune fille de Nazareth, Marie, l’accueille (1,38.45). L’exemple de Zacharie montre la corrélation sémantique entre « connaître [γινώσκω] » et « croire [πιστεύω] ». Il avait rétorqué à l’ange : « À quoiconnaîtrai-je[γνώσομαι] cela ? Car je suis vieux et ma femme [est] vieille dans ses jours. » (1,18) Et l’ange lui répondit : « Tu n’as pas cru [οὐκ ἐπίστευσας] à mes paroles. » (1,20) Toutefois, Dieu demeure à l’œuvre et donne à chacun les moyens de passer d’une attitude de non-foi à un témoignage de reconnaissance184. En effet, après avoir reçu un oracle de jugement – dans le Temple de Jérusalem – et avoir été réduit au silence (1,63-64.67-79), la langue de Zacharie se délie. Il bénit Dieu et prophétise en reconnaissant une double ἐπισκοπή (1,68.78), l’une accomplie (ἐπεσκέψατο) et l’autre à venir (ἐπισκέψεται), dont les effets sont de l’ordre de la « connaissance [γνῶσιν] du salut […] dans la rémission des péchés […] par les entrailles de miséricorde de notre Dieu […] surlechemin delapaix [εἰς ὁδὸν εἰρήνης] » (1,77-79 ; propre à Luc). Ces trois versets qui commencent par la « connaissance [γνῶσιν] » et se termine par la « paix [εἰρήνης] » ne viennent-ils pas expliquer en détail ce petit mot τὰ contenu dans l’expression « si tuavaisconnu [ἔγνως] […] leschoses [quiconduisent]àlapaix [τὰ πρὸς εἰρήνην] » (19,42) ? Connaître ce qui conduit à la paix, c’est expérimenter la rémission des péchés, par les entrailles de miséricorde de notre Dieu. Tel est le signe de la « visite » du levant d’en haut. Comme l’illustre le parcours de Zacharie, le jugement a pour fonction de rendre possible la conversion – c’est-à-dire le passage de la nonfoi à la connaissance de ce qui conduit à la paix – alors même qu’elle semble humainement bloquée185. Une telle conception du jugement 184 Dans son cantique, Zacharie prophétise en bénissant le Seigneur, le Dieu d’Israël, et sa louange va au delà de l’objet de son manque de foi initial, à savoir l’exaucement de sa prière demandant que sa femme puisse lui donner un enfant (Lc 1,13). En effet, il reconnaît maintenant l’accomplissement de ce « que [Dieu] avait parlé par la bouche de ses saints prophètes, depuis toujours » (Lc 1,70). 185 Meynet interprète dans le même sens la parole de Jésus en Lc 19,42-44. Toutefois, il fonde sa réflexion sur Am 5,1-17 et non sur le témoignage lucanien. Voir Roland MEYNET, L’évangiledeLuc, p. 739.
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CHAPITRE II
n’est pas l’annonce d’une rétribution qui viendrait de l’extérieur, sans lien particulier avec la logique interne à l’action186. 2.11. Jérusalem :tousceuxquicondamnerontJésusàmort Chez Luc, que recouvre Jérusalem, « la ville » à laquelle Jésus s’adresse en Lc 19,42-44 ? S’il s’agit des habitants de la cité sainte, il est curieux, voire maladroit, comme nous l’avons déjà souligné, que Jésus leur reproche leur non-accueil, alors qu’il n’a pas encore franchi le seuil. De plus, en Galilée, parmi les groupes de personnes se rassemblant autour de Jésus pour l’entendre et se faire guérir, certains provenaient de Jérusalem (6,17). Jésus a reçu d’eux un témoignage favorable à sa personne et à son message. En contrepartie, ceux qui récriminent régulièrement contre Jésus, à savoir les Pharisiens et les docteurs de la loi, ne viennent pas seulement de Jérusalem mais aussi « de tous les villages de la Galilée et de Judée » (5,17 ; verset absent dans le parallèle de Mc 2,2). Ce triple constat incite à interpréter « la ville » en Lc 19,41 et le pronom personnel « toi » en 19,42-44, l’un et l’autre visant « Jérusalem », non seulement au sens littéral (les habitants de la cité sainte), mais aussi de façon élargie. À quel ensemble s’étend la figure de Jérusalem ? Nous le découvrirons à partir de la première complainte de Jésus sur Jérusalem (13,34-35) qui présente dans sa finale un renvoi explicite au contexte de 19,41-44, plus précisément à 19,38. Durant sa marche vers Jérusalem, des Pharisiens encouragent Jésus à fuir en lui disant : « Hérode veuttetuer [θέλει σε ἀποκτεῖναι] » (Lc 13,31). Jésus répond d’abord à Hérode par l’intermédiaire des Pharisiens, et lui signifie sa détermination à poursuivre son ministère d’exorciste et de guérisseur, « parce qu’il ne convient pas qu’un prophète périsse [ἀπολέσθαι] hors de Jérusalem » (13,33). Puis, il interpelle la ville pour trois raisons précises (13,34-35) : elle tue [ἀποκτείνουσα] les prophètes, lapide ceux qui lui sont envoyés et n’a pas voulu que Jésus rassemble ses enfants. Jérusalem représente Hérode, mais aussi tous ceux qui vont contribuer à tuer Jésus et se retrouver à Jérusalem lors de sa condamnation à mort. En effet, dans la version lucanienne de la passion, un nombre particulièrement impressionnant de personnes et de groupes sont rassemblés à Jérusalem. Jésus est envoyé par Pilate devant 186
La rétribution est pourtant évoquée par Carroll dans l’interprétation de Lc 19,4244 en lien avec 13,34-35. Voir John T. CARROLL, Luke, p. 387.
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« Hérode qui était lui aussi à Jérusalem en ces jours-ci » (Lc 23,7), alors que chez Marc et chez Matthieu, Hérode ne figure pas dans les récits de la passion de Jésus. De plus, à partir de ces événements, un lien d’amitié se noue entre Hérode et Pilate, auparavant ennemis (23,12 ; propre à Luc). Luc insiste sur l’acte unanime de tous les protagonistes lorsqu’ils condamnent à mort Jésus, en recourant à un hapaxlegomenon dans la Bible : « toutelamultitudeensemble [παμπληθεί]187 ». 13
Or Pilate, ayant convoqué les grands prêtres et les chefs et le peuple, leur dit : « Vous m’avez amené cet homme comme excitant le peuple à la révolte, et voici, moi, l’ayant examiné devant vous, je n’ai trouvé en cet homme aucune des raisons pour lesquelles vous l’accusez, 15 mais pas Hérode […] 16 L’ayant donc châtié, je le relâcherai. ». […] 18 Ils s’écrièrent tousensemble [παμπληθεί], disant : « Saisis celui-ci [Jésus], mais relâchenous Barabbas. » (Lc 23,13-16.18) 14
Cette convocation des grands prêtres, des chefs et du peuple autour de Pilate, ainsi que le cri unanime rassemblant les différentes couches sociales, ne figurent ni chez Marc ni chez Matthieu. Dans le procès lucanien de Jésus et sa mise à mort, sont associés à Jérusalem tout à la fois Pilate, Hérode, les grands prêtres, les chefs, le peuple, « toutes les foules venues assister à ce spectacle » (Lc 23,48 ; verset propre à Luc) et même les nations (Ac 4,27)188. Ce dernier groupe est impliqué dans la condamnation de Jésus, d’après la prière que Pierre, Jean et leurs compagnons adressent à Dieu. 25
toi qui as mis par l’Esprit Saint ces paroles dans la bouche de notre père David, ton serviteur : Pourquoi des nations [ἔθνη] se sont-elles mises en colèreetdespeuples[λαοί]complotent-ilsenvain ? 26 Lesroisdelaterre se sont levés et les chefs se sont assemblés pour ne faire plus qu’un [συνήχθησανἐπὶτὸαὐτό]contreleSeigneuretcontresonMessie [cf. Ps 2,12]. 27 « Oui, ils se sont vraiment assemblésencetteville [συνήχθησαν […] ἐν τῇ πόλει ταύτῃ], Hérode et Ponce Pilate, avec lesnationsetlespeuples d’Israël [ἔθνεσιν καὶ λαοῖς Ἰσραήλ], contre Jésus, ton saint Serviteur, que tu avais oint. […] ». (Ac 4,25-27) Παμπληθεί est un adverbe formé de πάς (« tout ») et de πλῆθος (« multitude »). L’adjectif παμπληθής figure une seule fois dans la LXX : en 2 M 10,24 (παμπληθεῖς), au féminin pluriel. Il est présent chez des auteurs classiques, notamment chez Dion Cassius dans un contexte militaire : « avançantavecunearméeliguée en force [στρατεύσαντες παμπληθεί] ». Voir DION CASSIUS [CASSII DIONIS], Histoireromaine[Cocceianihistoriarumromanarumquaesupersunt], édité par Ursulus Ph. BOISSEVAIN, Berlin, Apud Weidmannos, 1901, Vol. III, p. 346 (LXXV.9.1). 188 Rares sont les auteurs à interpréter la figure de la ville de Jérusalem en Lc 19,4144. Pour Nolland, il s’agit surtout des Pharisiens ; pour Stein, des responsables de Jérusalem. Voir John NOLLAND, Luke18:35–24:53, p. 931 ; Robert H. STEIN, Luke, p. 485. 187
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CHAPITRE II
L’oracle de jugement de Jésus prononcé contre Jérusalem s’adresse à eux tous. Ils n’ont pas « connu ce [qui conduit] à la paix », eux qui condamneront Jésus comme un homme « excitant notre nation à la révolte [διαστρέφοντα τὸ ἔθνος ἡμῶν], et empêchant de donner les tributs à César, et se disant être Christ, roi » (Lc 23,2 ; propre à Luc). Le premier motif est répété deux autres fois : « ilsoulèvelepeuple [ἀνασείει τὸν λαόν] […] ilexcitelepeupleàlarévolte [ἀποστρέφοντα τὸν λαόν] » (23,5.14 ; propre à Luc). Finalement, Jésus a été condamné à mort par suite d’un διαλογισμός collectif. Le témoignage de Philon d’Alexandrie sur l’hégémonie de Jérusalem au delà des frontières, en tant que métropole (μητρόπολις), offre un appui supplémentaire à notre interprétation de Jérusalem comme un ensemble plus large que les citoyens confinés à un secteur géographique189. 281
Sur la Ville Sainte [ἱεροπόλεως], il m’incombe de dire ce qu’il convient. Cette ville, comme je l’ai dit, est ma patrie mais aussi la capitale [μητρόπολις], non pas du seul territoire de Judée, mais encore de la plupart des autres territoires, à cause des colonies qu’elle a envoyées, suivant les époques, dans les pays limitrophes […] ; d’autres dans des régions plus lointaines. […] 283 De sorte que, si ma patrie a quelque part à ta bienveillance, ce n’est pas une seule ville qui en ressentira le bienfait, mais des myriades d’autres qui sont situées dans toutes les régions de l’univers, en Europe, en Asie, en Libye, sur les continents et les îles, sur les côtes ou dans l’intérieur des terres. (DélégationàCaius,281 et 283)190
À la figure géographique de Jérusalem fait écho la figure chronologique de « cettegénération [ἡ γενεὰ αὕτη] ». En effet, les reproches que Jésus adresse à celle-ci s’apparentent à ceux qu’il exprime à l’égard de Jérusalem : absence de joie et de repentir devant la prédication de Jean le Baptiste et celle du Fils de l’homme (Lc 7,31-35 ; par. Mt 11,1619), incrédulité et perversion (Lc 9,41 ; par. Mc 9,19 et Mt 17,17), recherche aveugle d’un signe, défaut d’écoute et de repentir (Lc 11,2932 ; par. Mt 12,39-42), responsabilité « du sang de tous les prophètes répandu depuis la fondation du monde […] depuis le sang d’Abel jusqu’au sang de Zacharie » (Lc 11,50-51). En Lc 17,25, Luc fait peser sur « cette génération » la culpabilité de la souffrance et du rejet infligés au Fils de l’homme, alors que les parallèles de Mc (8,31) et de Mt (16,21) évoquent de façon plus restrictive les anciens, les grands 189 En Lc 19,44, l’expression « toi et tes enfants » fait également allusion à la ville en tant que mère, c’est-à-dire « capitale [μητρόπολις] ». 190 PHILON D’ALEXANDRIE, DélégationàCaius, p. 262-265.
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prêtres et les scribes. Après avoir annoncé les jours terribles qui arriveront à Jérusalem (Lc 21,20-24) – la ville étant nommée seulement dans la version lucanienne – Luc précise que « cette génération » sera témoin de ces événements (21,32)191. Chez Luc, cette génération est associée à Jérusalem, comme deux facettes d’une même entité. Ce stade-ci de l’analyse permet d’aboutir à une première interprétation du début de la parole de Jésus (Lc 19,42) dans la ligne suivante : « si aujourd’hui tu avais cru, mais tu ne le fis pas, en celui qui est plus puissant que toi, ainsi que dans la bonne nouvelle du royaume de Dieu : le salut par la rémission des péchés… Mais en fait, ton cœur est endurci. » Jésus s’adresse à Jérusalem, c’est-à-dire à l’ensemble des groupes et des personnes qui bientôt, dans la ville, s’associeront pour le condamner à mort. Ils seront nombreux puisque ces événements se vivront durant la Pâque. Par rapport aux autres fêtes juives, celle-ci attire le plus de pèlerins. Sont ainsi concernées non seulement la grande Judée, plus particulièrement ses responsables religieux et politiques que Jésus a accusés de tuer les prophètes, mais aussi les nations. Le même phénomène se produit chez Philon d’Alexandrie qui parle de Jérusalem pour évoquer la Judée et des régions plus lointaines. En Lc 19,42, la paix apportée par Jésus a le même profil que le royaume de Dieu : elle n’équivaut pas à l’absence de violence192. Mais Jésus la donne par sa présence accueillante des personnes qui s’approchent de lui dans un dénuement193. Celui-ci devient alors facteur de transformation. Cette paix ne correspond pas à une aspiration naturelle, mais à une grâce déployée dans la rencontre de Jésus Christ. Elle n’est pas octroyée pour un temps futur actuellement inaccessible, quand tout sera accompli, mais pour aujourd’hui où Dieu offre à l’être humain d’aller en paix et d’annoncer ainsi la proximité du royaume : « Reconnaissez [γινώσκετε] que le royaume de Dieu est proche. » (10,11) 191 Ni les parallèles de Mc 13,14-20 et de Mt 24,15-22, ni leur environnement ne mentionnent Jérusalem. Quant à « cette génération », elle est présente en Mc 13,30 et en Mt 24,34. 192 Certains auteurs défendent qu’en Lc 19,42 la paix est à comprendre aussi comme absence de guerre et d’hostilité, à la lumière du verdict (19,43-44). Voir David E. GARLAND, Luke, p. 773 ; Joseph A. FITZMYER, LukeX–XXIV, p. 1256-1257. 193 En Lc 19,42, Bovon comprend la paix comme « l’harmonieuse relation avec Dieu », sans vraiment préciser. Voir François BOVON, L’Évangile selon saint Luc. Vol.IV(19,28–24,53), p. 41. Morris interprète la « paix » mentionnée en Lc 19,42 dans le prolongement de la compréhension de l’A.T. en termes de relation avec Dieu, sans percevoir la nouveauté de la paix donnée par Dieu en Jésus Christ. Voir Leon MORRIS, Luke, p. 297.
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En Lc 19,42, la complainte sur Jérusalem contient un jeu de mots. En effet, bien que la première étymologie de Jérusalem soit incertaine, elle est probablement d’origine sémitique (cananéenne). Dans sa forme hébraïque, il est possible de reconnaître le verbe ירהqui peut signifier notamment « jeter / ériger », et le mot שׁ ֵלם, ָ « Shalem », un dieu sémitique sous le patronage duquel la ville aurait été placée et dont le nom lui-même est de la même racine que ָשׁלוֹם, « paix194 ». He 7,2 atteste que cette étymologie populaire juive, sans doute inspirée du Ps 121,6 (LXX), était familière au moins dans certaines communautés chrétiennes. Ainsi la ville qui, par son nom, porte le « fondement de la paix », ne reconnaît pas ce qui la conduit à la paix. 3. Annonce d’une destruction totale et ultime complainte sur la ville (Lc 19,43-44) Les deux derniers versets de la péricope énoncent à première vue un verdict de destruction totale. Reste à savoir comment l’interpréter. L’annonce de la destruction est-elle une menace de rétribution divine ou répond-elle à une autre forme de constatation ? ὅτι ἥξουσιν ἡμέραι ἐπὶ σὲ καὶ παρεμβαλοῦσιν οἱ ἐχθροί σου χάρακά σοι καὶ περικυκλώσουσίν σε καὶ συνέξουσίν σε πάντοθεν, 44a καὶ ἐδαφιοῦσίν σε καὶ τὰ τέκνα σου ἐν σοί, καὶ οὐκ ἀφήσουσιν λίθον ἐπὶ λίθον ἐν σοί, 44b ἀνθ᾿ ὧν οὐκ ἔγνως τὸν καιρὸν τῆς ἐπισκοπῆς σου. 43
Lc 19,43-44, la dernière partie de notre péricope, est formée de sept verbes. Les six premiers au futur figurent au pluriel, appartiennent à des propositions simples, c’est-à-dire sans conjonction de subordination195, et s’enchaînent grâce à la conjonction de coordination « et [καί] ». Le verdict (19,43-44a) est ainsi traversé d’une parataxe polysyndétique. Cette figure de style vise à ralentir le rythme du récit afin d’attirer l’attention sur la densité de signification de son contenu. Le septième verbe est introduit par une expression (ἀνθ᾿ ὧν) jouant le rôle d’une conjonction de subordination « parce que ». Il se présente 194 Philip J. KING, « Jerusalem », in David N. FREEDMAN (éd.), TheAnchorBible Dictionary, New York NY, Doubleday, 1992, Vol. III, 747-766, p. 751. 195 Au début du verset 43, la conjonction de subordination ὅτι sert à délimiter les deux parties de la prise de parole rapportée dans le récit, en relation avec le premier ὅτι placé en 19,42, juste après le participe présent λέγων.
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à l’indicatif aoriste de la deuxième personne du singulier. La répétition lexicale du lexème « toi », placé en finale de chaque proposition, figure d’abord comme complément du verbe et finalement en tant que sujet. Ce « toi » confère ainsi à l’interpellation une densité. De plus, la proposition centrale (quatrième) se termine par « toide toutepart [σε πάντοθεν] » et confirme l’étendue de l’ensemble des personnes visées par « toi », Jérusalem, tel que nous l’avons signalé précédemment196. Commencer l’étude du verdict (Lc 19,43-44a) par sa finale permet d’éclairer l’ensemble : « […] et [tes ennemis] t’écraseront [ἐδαφιοῦσίν] toi et tes enfants en toi, et ils ne laisseront[ἀφήσουσιν] pas pierre surpierre [λίθον ἐπὶ λίθον] en toi. » (19,44a) Le champ sémantique des deux phrases appartient à la sphère de la construction. C’est évident dans la seconde proposition évoquant « pierre sur pierre ». Dans la première proposition, le verbe ἐδαφίζω signifie aussi bien « paver, garnir d’un pavé », que « niveler au ras du sol, d’où raser, détruire de fond en comble197 ». Le second sens ici l’emporte étant donné le contexte. Une telle destruction totale fait écho à de multiples avertissements de Jésus qui ont jalonné son parcours. Nous proposons d’étudier maintenant ceux-ci afin de mieux comprendre le sens de la destruction annoncée en Lc 19,44. Nous chercherons en particulier à répondre à deux questions. L’écroulement est-il définitif ? Les ennemis sont-ils instrumentalisés pour réaliser un effondrement dont Dieu serait l’auteur premier ? 3.1. LesannoncesdedestructiontotaledurantleministèreenGalilée Le premier avertissement de destruction totale prononcé par Jésus remonte à son premier et grand discours dans la plaine. 46
Pourquoi m’appelez-vous « Seigneur, Seigneur », et ne faites-vous pas ce que je dis ? 47 Tout [être humain] qui vient à moi et qui écoute mes paroles et qui les pratique, je vous montrerai à qui il est comparable. 48a Il est comparable à un homme qui bâtit une maison : 48b ilcreusaetallajusqu’aufond etposalesfondations [ὃς ἔσκαψεν καὶ ἐβάθυνεν καὶ ἔθηκεν θεμέλιον] 48c surleroc [ἐπὶ τὴν πέτραν]. Unecrue [πλημμύρης] étant arrivée, le torrent [ποταμός] se rua contre cette maison et il ne put pas l’ébranler [σαλεῦσαι], car elle avait été bien bâtie. 49 Mais celui qui écouta et ne pratiqua pas est comparable à un homme qui avait bâti une maison surlaterre,sans 196
Voir le point 2.11 de la section II du présent chapitre. Voir l’article « ἐδαφίζω », dans Anatole BAILLY (éd.), Dictionnaire grecfrançais, p. 577. 197
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fondation [ἐπὶ τὴν γῆν χωρὶς θεμελίου], contre laquelle se rua le torrent, et aussitôt elles’écroula[συνέπεσεν] et la ruine [ῥῆγμα] de cette maison fut grande. (Lc 6,46-49 ; par. Mt 7,21.24-27)
Jésus enseigne que les paroles de reconnaissance exprimées à son égard, tout comme l’écoute de ses propres paroles, ne sont pas suffisantes pour garantir une véritable adhésion à son message. En Lc 19,38, l’acclamation des disciples à l’arrivée solennelle de Jésus à Jérusalem l’illustre. En effet, même si les mots employés sont presque identiques à l’acclamation des anges (2,14), un profond décalage distingue ces deux affirmations198. La différence entre l’homme qui bâtit sa maison sur le roc et celui qui l’a posée sur la terre se joue à deux niveaux. Premièrement, l’une est munie de « fondations [θεμέλιος] » et l’autre, non. Luc insiste spécialement sur cet aspect, en précisant de façon expresse que la fondation est présente dans le premier cas (Lc 6,48) et absente dans le second (6,49)199. Quant à Matthieu, il y fait mention seulement une fois et a posteriori, après la description de la construction de la maison bâtie sur le roc, au moment de faire état des effets de la tempête sur celle-ci (Mt 7,25 ; par. Lc 6,48)200. Chez Matthieu, la distinction entre les deux types de construction est davantage située au niveau du matériau sur lequel la maison est directement posée : « surleroc [ἐπὶ τὴν πέτραν] » (Mt 7,25) ou « surlesable [ἐπὶ τὴν ἄμμον] » (7,26). La perspective de Luc est ancrée dans l’action : il sensibilise le lecteur à la nécessité d’un travail préalable pour bâtir sur le roc. Une telle précision témoigne d’un grand réalisme, car le roc est rarement à ciel ouvert sur l’ensemble de la surface d’un terrain où la maison est à édifier. L’opération est manifestement laborieuse car Luc la décrit en trois étapes : l’homme « creusa et alla jusqu’au fond et posa les fondations » (Lc 6,48b ; absent dans le parallèle de Mt 7,25). 198 Voir notre étude des « deux proclamations jumelles : de la crèche à la descente du mont des Oliviers », au point 2.3 de la section II du présent chapitre. 199 Dans les évangiles, Luc est le seul à parler de « fondations [θεμέλιος] ». Il mentionne aussi ce terme dans un passage qui lui est propre et que nous avons déjà évoqué en rencontrant les deux paraboles jumelles, le bâtisseur de tour (Lc 14,28-30) et le roi guerrier (14,31-33). Dans la première, il est aussi question de construction, cette fois-ci d’une tour (14,28) et de quelqu’un qui n’irait pas jusqu’au bout de son projet : « De peur que, s’ilaposélesfondations [μήποτε θέντος αὐτοῦ θεμέλιον] et ne peut terminer, tous ceux qui [le] voient ne commencent à se moquer de lui » (14,29). 200 « […] elle n’a pas croulé car elle était fondée [τεθεμελίωτο] sur le roc » (Mt 7,25). Le verbe θεμελιῶ ne figure nulle part ailleurs dans les évangiles.
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Deuxièmement, en Lc 6,48-49, les deux types de maison connaissent un sort différent. En effet, bien que les calamités surviennent sur l’une comme sur l’autre, les effets sur chacune sont à l’extrême opposé. La maison du premier n’a pas pu être ébranlée, tandis que celle du second s’est complètement effondrée. D’ailleurs le verbe « ébranler [σαλεύω] » (6,48)201 figure aussi dans le discours eschatologique pour décrire les événements qui accompagneront la venue glorieuse du Fils de l’homme. 25a
Et il y aura des signes dans le soleil et la lune et les étoiles 25b et, sur la terre, une angoisse des nations, dans l’inquiétude dubruitdelameret desflots[θαλάσσηςκαὶσάλου][cf. Ps 64,8 LXX], 26a les hommes expirant de peur et d’attente de ce qui survient à l’univers, 26b car lespuissancesdescieuxserontébranlées [σαλευθήσονται] [cf. Is 34,4 LXX ms. B]. 27 Et alors ils verront leFilsdel’hommevenantdansunenuée[cf. Dn 7,13] avec puissance et grande gloire. (Lc 21,25-27 ; par. Mc 13,24-26 et Mt 24,29)
Si même les puissances des cieux seront ébranlées, qui sera en mesure de ne pas l’être ? Celui qui aura bâti sa maison sur le roc, après avoir creusé en profondeur (Lc 6,48), c’est-à-dire celui qui aura écouté les paroles de Jésus et les aura mises en pratique (6,47). Un passage des Actes contenant également le verbe σαλεύω contribue à compléter l’interprétation de la parole de Jésus en Lc 6,46-49. 22
Israélites, écoutez mes paroles : Jésus le Nazôréen, homme que Dieu avait accrédité auprès de vous […], 23 […] vous l’avez livré et supprimé [ἀνείλατε] en le faisant crucifier par la main des impies ; 24 mais Dieu l’a ressuscité en le délivrant des douleurs de la mort, car il n’était pas possible que la mort le retienne en son pouvoir. 25 David en effet dit de lui : JevoyaisconstammentleSeigneurdevantmoi,carilestàmadroite pourquejenesoispasébranlé[σαλευθω].26Aussimoncœurétait-ildans lajoieetmalangueachantéd’allégresse.Bienmieux,machairreposera [κατασκηνώσει]dansl’espérance,27cartun’abandonneras[ἐγκαταλείψεις] pasmavieauséjourdesmortsettunelaisseraspastonsaintconnaître ladécomposition. 28Tum’asfaitconnaître[ἐγνώρισάς]lescheminsdela vie,tumeremplirasdejoiepartaprésence[cf. Ps 15,8-11 LXX].(Ac 2,2228)
Dans son discours de Pentecôte, Pierre établit un parallèle entre l’espérance chantée par David dans le Ps 15,8-11 (LXX) et l’expérience de Jésus passant par la mort et la résurrection. Comme chaque être humain, Jésus est passé par la mort, rendue cruelle par la violence. Il n’a pas cherché à éviter celle-ci et n’a pas promis non plus à ses 201
Dans le parallèle de Mt 7,25, le verbe corespondant est « tomba [ἔπεσεν] ».
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disciples d’en être préservés, mais les a exhortés et formés à ne pas avoir peur 202. Le non-ébranlement est le fruit d’une relation intime : « JevoyaisconstammentleSeigneurdevantmoi,carilestàmadroite pourquejenesoispasébranlé[σαλευθω]. » (Ac 2,25) Ce fondement relationnel du non-ébranlement correspond à notre interprétation de la paix octroyée par Dieu en Jésus. La petite parabole des deux maisons (Lc 6,48-49) met en lumière un aspect original de l’enseignement de Jésus. La personne qui parvient à accueillir son message dans le concret au quotidien, a entrepris préalablement un travail en profondeur. Elle n’est pas épargnée des situations angoissantes, mais elle est en mesure de les traverser sans être anéantie. Paul en témoigne de façon éloquente dans sa seconde lettre aux Corinthiens. 8
Pressés de toute part, nous ne sommes pas écrasés ; dans des impasses, mais nous arrivons à passer ; 9 pourchassés, mais non rejoints ; terrassés, mais non achevés ; […] 16 C’est pourquoi nous ne perdons pas courage et même si, en nous, l’homme extérieur va vers sa ruine, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour. 17 Car nos détresses d’un moment sont légères par rapport au poids extraordinaire de gloire éternelle qu’elles nous préparent. 18 Notre objectif n’est pas ce qui se voit, mais ce qui ne se voit pas ; ce qui se voit est provisoire, mais ce qui ne se voit pas est éternel. (2 Co 4,89.16-18)
À la lumière de Lc 6,48-49, le verdict annoncé par Jésus à son arrivée à Jérusalem ne signifie pas nécessairement que l’action malfaisante des ennemis aurait pu être évitée, mais il souligne l’effet d’anéantissement total. En Lc 6,48-49, la tempête est tombée sur les deux maisons avec la même intensité, mais les conséquences ont différé selon la construction. L’originalité de la parole de Jésus ne consiste pas à prédire le siège de Jérusalem que bien d’autres avaient déclaré avant lui203, mais à attirer l’attention de Jérusalem sur l’absence de fondations qui provoque l’écroulement complet en cas d’adversité, par le fait de ne pas avoir reconnu ce qui conduit à la paix donnée par Dieu en Jésus (19,42). En Lc 19,44a, le verbe employé dans la première proposition, 202 « 4 Ne craignez [rien] de ceux qui tuent le corps et après cela n’ont rien de plus à faire. 5 Je vous suggérerai qui vous avez à craindre : craignez celui qui, après avoir tué, a pouvoir de jeter dans la géhenne. Oui, je vous dis : celui-ci craignez-le. 6 Est-ce que cinq moineaux ne se vendent pas deux as ? Et pas un d’eux n’est oublié devant Dieu. 7 Mais même les cheveux de votre tête sont tous comptés. N’ayez pas peur : vous valez mieux que beacoup de moineaux. » (Lc 12,4-7 ; par. Mt 10,28-31). 203 Voir l’étude des paroles de jugement concernant Jérusalem, en dehors des évangiles, au point 4.4 de la section I du présent chapitre.
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à savoir ἐδαφίζω, est dérivé du substantif ἔδαφος, « fondement » (du sol, d’une maison, etc.)204. Ainsi, il serait plus juste de traduire la première proposition de 19,44a : « [tes ennemis] te réduiront, toi et tes enfants, jusqu’au fondement ». En Lc 6,48-49, la maison qui a connu un tel sort, est celle qui était bâtie « sur la terre, sans fondations » (6,49). L’écroulement qui aurait pu être évité est la conséquence directe de la négligence humaine. La ruine de Jérusalem sera-t-elle pour autant définitive ? Pour le moment, la question demeure. 3.2. Lesannoncesdelamortdetous,enmarcheversJérusalemet danslaville Il faut attendre la marche de Jésus vers Jérusalem et son dernier séjour dans la ville pour voir se multiplier dans la prédication de Jésus les annonces de destruction totale. À partir de Lc 13, Jésus annonce ou rappelle à quatre reprises un fait inéluctable dans un contexte particulier, à savoir que tous périront ou ont péri205. Trois fois sur quatre, Luc recourt alors à un verbe très prisé dans son évangile : « perdre/faire périr / ruiner [ἀπόλλυμι]206 ». Ce type de paroles révèle la liberté et l’autorité de Jésus. En effet, elles sont prononcées dans un contexte où « les grands prêtres et les scribes cherchaient à le fairepérir [ἀπολέσαι], et les premiers du peuple aussi » (19,47)207. Ceux-ci ne se rendent pas compte qu’ils courent ainsi à leur propre perte. Une ironie narrative est manifeste. Le premier passage où Jésus annonce la mort de tous en recourant au verbe ἀπόλλυμι fait partie d’une parole d’avertissement concernant Jérusalem (Lc 13,4-5 ; propre à Luc) que nous avons déjà rencontrée. La finale résonne comme un refrain par rapport à ce que Jésus vient d’affirmer : « sivousnevousrepentezpas [ἐὰν μὴ μετανοῆτε], vous périreztouspareillement [πάντες ὁμοίως ἀπολεῖσθε] » (13,5 ; identique en 13,3). La parabole du figuier illustre ce propos et se conclut de façon radicale : « s’ilproduisaitdufruit [κἂν μὲν ποιήσῃ καρπὸν] dans l’avenir. Sinon, tulecouperas [ἐκκόψεις αὐτήν] » (13,9). Périr est ici mis en opposition à « seconvertir/serepentir [μετανοῶ] » et 204 Voir l’article « ἔδαφος », dans Anatole BAILLY (éd.), Dictionnaire grecfrançais, p. 577. 205 Lc 13,3.5.9 (propre à Luc) ; Lc 17,26-30 (v. 26-27 : par. Mt 24,37-39, mais pas de parallèle pour Lc 17,28-30) ; Lc 19,27 (absent dans le parallèle de Mt 25,30) ; Lc 20,17-18 (v. 17 : par. Mc 12,10 et Mt 21,42, mais pas de parallèle pour Lc 20,18). 206 27 mentions en Lc, 19 en Mt, 10 en Mc, 10 en Jn et seulement 2 en Ac. 207 Verbe présent dans le parallèle de Mc 11,18, mais absent dans celui de Mt 21,15.
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dans la parabole qui suit, cette attitude est associée à « produire du fruit [ποιήσῃ καρπόν] » (13,9)208. Dans le troisième évangile, aucun passage ne contient le verbe μετανοῶ ou le substantif dérivé μετάνοια pour attester un repentir qui a eu lieu, alors que ces deux termes sont d’usage spécifiquement lucanien209. Avant la passion de Jésus, le seul témoignage de repentir, vécu au delà des mots, est celui de la femme pécheresse et de l’homme pécheur, Zachée (7,36-50 ; 19,1-10 ; propres à Luc). La pointe de la parabole du figuier est la patience du vigneron et sa créativité mise en œuvre pour que le figuier puisse finalement porter du fruit et ainsi éviter d’être coupé. Le deuxième passage où Jésus évoque la mort de tous en recourant au verbe ἀπόλλυμι contient également une répétition propre à Luc : « illesfittouspérir[ἀπώλεσεν πάντας] » (Lc 17,27.29)210, en référence aux « jours de Noé » (17,26) et aux « jours de Lot » (17,28). Ici le sujet de « faire périr » est « le déluge » (17,27), ainsi que « feu et soufre du ciel » (17,29), alors que dans les récits vétérotestamentaires, Dieu est présenté comme celui qui extermine. Voici que moi, j’apporte le déluge, l’eau, sur la terre pour détruire [καταφθεῖραι] toute chair dans laquelle il y a un souffle de vie sous le ciel ; et tout ce qui est sur la terre mourra [τελευτήσει]. (Gn 6,17 LXX) 24
EtleSeigneurfitpleuvoirsurSodomeetGomorrhedusoufreetdufeu, d’auprèsduSeigneur,depuisleciel[καὶ κύριος ἔβρεξεν ἐπὶ Σοδομα καὶ Γομορρα θεῖον καὶ πῦρ παρὰ κυρίου ἐκ τοῦ οὐρανοῦ], 25 et ildétruisit [κατέστρεψεν] ces villes et tout le voisinage et tous ceux qui habitaient dans les villes et tout ce qui germait de cette terre. (Gn 19,24 LXX)211
Lc 17,29 fait écho à Gn 19,24 : ἔβρεξεν πῦρ καὶ θεῖον ἀπ᾿ οὐρανοῦ καὶ ἀπώλεσεν πάντας. Cependant, les mots de Gn 19,24 qui renvoient au Seigneur ne figurent pas en Lc 17,29. Rien dans le contexte de Lc 17,29 ne permet de supposer que le sujet du verbe ἔβρεξεν soit 208 L’introduction à la petite parabole des deux maisons est du même ordre : « Pourquoi m’appelez-vous “Seigneur, Seigneur”, et nefaites-vouspascequejedis [οὐ ποιεῖτε ἃ λέγω] ? » (Lc 6,46) 209 Le substantif μετάνοια se rencontre cinq fois en Lc (six en Ac), deux fois en Mt, une fois en Mc et est absent en Jn ; le verbe μετανοῶ, neuf en Lc (cinq en Ac), cinq en Mt, deux en Mc et absent en Jn. 210 Parallèle de Lc 17,27, Mt 24,39 contient un autre verbe : « il [les] emporta [ἦρεν] tous ». Lc 17,28-30 n’a pas de parallèle. En Lc 17,29, le sujet étant deux substantifs dont le genre est neutre – « feu et souffre [πῦρ καὶ θεῖον] » –, le verbe en grec est au singulier et donc l’expression est identique à celle de 17,27 : « il les fit périr tous [ἀπώλεσεν πάντας] ». 211 Dans le même sens : Gn 18,23-25.28-32 ; 19,13-14.
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implicitement le Seigneur212. Dans l’exégèse de Lc 17,27.29, il est donc difficile de soutenir que Dieu est l’auteur direct du déluge, ainsi que de la destruction de Sodome et de Gomorrhe. Les troisième et quatrième mentions de la mort comme sanction affectant un ensemble de personnes sont situées en finale d’une parabole, celle des mines (Lc 19,11-28 ; par. Mt 25,14-30) et celle des vignerons homicides (Lc 20,9-19 ; par. Mc 12,1-12 et Mt 21,333-46). Tout d’abord, considérons le dernier verset de la parabole des mines : « quant à ces [gens], mes ennemis, qui n’ont pas voulu que je règne sur eux, amenez-les ici et égorgez-les [κατασφάξατε αὐτούς] devant moi ! » (Lc 19,27 ; absent dans le parallèle de Mt 25,30). Une telle conclusion de la parabole surprend, d’autant plus qu’elle est propre à Luc, l’évangéliste de la compassion et de la miséricorde. Plusieurs éléments invitent à déceler la fonction de cette parole dans le récit213. Ainsi Luc témoigne de ce que Jésus aurait eu la légitimité d’exprimer à la multitude qui a participé à sa condamnation à mort, en l’accusant d’avoir la prétention d’« être Christ, roi » (Lc 23,2 ; propre à Luc). Il aurait eu le droit et le pouvoir sur la croix de s’écrier, en reprenant à son compte la conclusion de la parabole : « Père, tous ceux qui n’ont pas voulu que je règne sur eux, égorge-les tous devant moi ! » Cependant, quand Jésus est crucifié (23,34) et expérimente la souffrance ultime dans toutes les dimensions de son être, Luc et lui seul partage cette prière de Jésus qui atteint les sommets de la compassion : « Père, remets-leur » et il ajoute encore « car ils ne savent pas ce qu’ils font » (23,34). Par cette prière, Jésus met en application une parole prononcée dans son premier grand discours introduit par les béatitudes : l’amour des ennemis (Lc 6,27-36)214. Ce passage confirme le type de paix que Jésus est venu annoncer et donner215. Cette paix 212 Quand Jésus exhorte à l’amour des ennemis (Mt 5,44 ; par. Lc 6,27.35), le motif diffère dans la version matthéenne et dans la version lucanienne. Matthieu écrit : « de sorte que vous deveniez fils de votre Père des cieux car […] ilfaitpleuvoir [βρέχει] sur les justes et les injustes » (Mt 5,45). Luc n’a pas d’équivalent mais affirme : « et vous serez fils du Très-Haut car lui est bon pour les ingrats et les méchants » (Lc 6,35). 213 Notre interprétation va à l’encontre de celle de Laurie qui considère que le massacre annoncé par Jésus en 19,44 actualise celui de 19,27. Voir Guy LAURIE, « The Interplay of the Present and Future in the Kingdom of God (Luke 19:11-44) », in TyndaleBulletin 48 (1997) 119-137, p. 123. 214 Lc 6,27-36 a déjà été développé au point 1.2 de la section II du présent chapitre. 215 Sur le lien entre « le chemin de la paix » (Lc 1,79) et l’amour des ennemis (6,27.35), voir Thomas P. OSBORNE – Rudolf PESCHetal., DielebendigsteJesuserzählung:dasLukasevangelium, Stuttgart, Kath. Bibelwerk, 2009, p. 212.
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trouve son fondement à l’intérieur de l’être humain, et non à l’extérieur, dans un regard porté sur la fidélité et la gratuité de Dieu. Une telle reconnaissance suscite un engagement à aimer, à prier et à bénir, ainsi qu’à devenir compatissants comme lui (6,36). Ensuite, dans la parabole des vignerons homicides, Jésus déclare : 15 « Et, l’ayant jeté hors de la vigne, [les vignerons] tuèrent [le fils bien-aimé du seigneur de la vigne]. Que leur fera donc le seigneur de la vigne ? 16 Il viendra et ferapérir [ἀπολέσει] ces vignerons et donnera la vigne à d’autres. » (Lc 20,15-16 ; par. Mc 12,9 et Mt 21,40-41) La suite permet de mieux saisir la pointe de cette parole : 17
[…] la pierre [λίθον] qu’avaient rejetée les bâtisseurs [οἰκοδομοῦντες], est devenue pierredefaîte [κεφαλὴν γωνίας] [cf. Ps 117,22 LXX]. 18 Tout [être humain] qui tombera sur cette pierre [λίθον] serafracassé [συνθλασθήσεται], et [celui] sur qui elle tombera, elle l’écrasera [λικμήσει]. (Lc 20,17-18)
En prenant appui sur la parole de Lc 20,18, absente dans les parallèles de Mc et de Mt, il paraît inévitable que le rejet de Jésus et de ce qu’il représente se retourne contre ceux qui ne l’ont pas reconnu, comme conséquence directe de leur propre refus. En effet, un bâtiment dont la pierre angulaire n’a pas été intégrée à la construction est condamné tôt ou tard à s’écrouler sur lui-même et de lui-même. 3.3. AbandonetruinedeJérusalem :annoncesetsignesavant-coureurs Jésus a également annoncé de façon particulière l’abandon et la ruine de Jérusalem et de son Temple, deux fois dans des passages communs aux synoptiques (Lc 13,35 ; 21,6) et deux fois de façon singulière chez Luc (19,43-44 ; 21,20). Trois fois sur quatre, deux termes sont utilisés simultanément – « laisser [ἀφίημι] » et « pierre [λίθος] » – et d’un verset à l’autre, le sens se précise. D’abord, durant sa marche vers Jérusalem, Jésus commence par dire : « 34 Jérusalem, Jérusalem, qui tue les prophètes et lapide [λιθοβολοῦσα] ceux qui t’ont été envoyés […]. 35 Voici votre maison vous estlaissée [ἀφίεται]. » (13,3435) Une telle affirmation présente une réalité similaire à Ez 10,18 : « lagloireduSeigneursortitdelamaison [ἐξῆλθεν δόξα κυρίου ἀπὸ τοῦ οἴκου] ». Ensuite, à son arrivée à Jérusalem, Jésus atteste que non seulement la gloire divine abandonne le sanctuaire, mais la ville sera complètement rasée : « et[tesennemis]nelaisserontpaspierresur pierreentoi [καὶ οὐκ ἀφήσουσιν λίθον ἐπὶ λίθον ἐν σοί] » (19,44 ; propre à Luc). Puis, pour introduire son discours eschatologique, Jésus
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reprend mot à mot la même affirmation en réponse à ceux qui admirent la beauté esthétique du Temple : « Ce que vous regardez, desjours viendrontoù ilneserapaslaissépierresurpierrequineseradétruite [ἐλεύσονται ἡμέραι ἐν αἷς οὐκ ἀφεθήσεται λίθος ἐπὶ λίθῳ ὃς οὐ καταλυθήσεται]. » (Lc 21,6 ; par. Mc 13,2 et Mt 24,2) Finalement, le même discours eschatologique contient un autre passage qui traite de la destruction de Jérusalem (21,20-24). Cette mention de « Jérusalem encerclée de campements » (21,20) fait également écho à Lc 19,43 et est absente dans les parallèles de Mc 13,14 et de Mt 24,15. 20a
Mais quand vous verrez 20b Jérusalem encercléed’armées [κυκλουμένην ὑπὸ στρατοπέδων], alors sachez qu’est proche 20c sa ruine [γνῶτε ὅτι ἤγγικεν ἡ ἐρήμωσις αὐτῆς]. […] 22 Car ce sont des jours de vengeance [ἡμέραιἐκδικήσεωςαὗταίεἰσιν], pour que soit accompli toutcequiaété écrit [cf. Dt 32,35 ; Ez 9,1 LXX ; Jr 25,13, etc.]. 23 Malheur à celles qui sont enceintes et à celles qui allaitent encesjours-là [ἐν ἐκείναις ταῖς ἡμέραις]. Car ce sera une grande détresse sur la terre et une colère contre ce peuple. 24 Et ils tomberont au fil de l’épée et ils seront emmenés captifs dans toutes les nations, et Jérusalemsera fouléeauxpieds[πατουμένη] parlesnations[cf. Za 12,3] jusqu’à ce que soient accomplis les temps des nations. (Lc 21,20.22-24 ; par. Mc 13,14.17-19 et Mt 24,15.19.21)
Deux versets de ce passage (Lc 21,22.24), absents dans les parallèles de Mc et de Mt, sont particulièrement éclairants pour l’étude de Lc 19,43-44. Primo, Lc 21,22. En évoquant « ce qui a été écrit », le lecteur est invité à comprendre « les jours de vengeance » (21,22) à la lumière de Dt 32,35 qui contient plusieurs affinités avec Lc 19,4144 : « Aujourdelavengeanceje[leur]rendraileurdû [ἐν ἡμέρᾳ ἐκδικήσεως ἀνταποδώσω] ; aumomentdécisif,lorsqueglisseraleur pied [ἐν καιρῷ, ὅταν σφαλῇ ὁ ποὺς αὐτῶν], carestprochelejour deleurperte [ὅτι ἐγγὺς ἡμέρα ἀπωλείας αὐτῶν] et ce qui a été préparé pour vous est présent. » Ici l’acte de la « vengeance » de Dieu n’est autre qu’un avertissement des conséquences de l’action humaine, exprimé avec compassion. En effet, le verset suivant (Dt 32,36) précise que « le Seigneur jugera[κρινεῖ] son peuple, et pour ses serviteurs ilselaisserafléchir [παρακληθήσεται] ; car il les a vus défaits, abandonnés en détresse et délaissés [παρειμένους] », non pas indépendamment de leur conduite, mais par « leurs dieux, ceux en qui ils avaient mis leur confiance » (Dt 32,37). Secundo, Lc 21,24 apporte un terme à la ruine qui adviendra sur Jérusalem : « jusqu’àcequesoient accomplislestempsdesnations [ἄχρι οὗ πληρωθῶσιν καιροὶ ἐθνῶν] » et que se manifeste « leFilsdel’hommevenantdansunenuée [cf.
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Dn 7,13] avec puissance et grande gloire » (Lc 21,27 ; par. Mc 13,26 et Mt 24,30). Nous avons maintenant la réponse aux deux questions posées au début. La destruction annoncée en Lc 19,43-44 est la conséquence directe de la négligence de l’action humaine216. De plus, le siège fatal de Jérusalem ne constitue pas le mot de la fin (21,9), tout en appartenant aux temps eschatologiques217. Celui-ci sera donné par la venue glorieuse du Fils de l’homme. Cependant, contrairement aux prophéties vétérotestamentaires de restauration, notamment Ez 40–48, le lecteur ne trouve aucune promesse d’un Temple nouveau ou d’une Jérusalem nouvelle en Lc-Ac. 3.4. « Desjoursarriveront » :dramesd’uneabsencequirenvoieà Jésus « Des jours arriveront sur toi [ἥξουσιν ἡμέραι ἐπὶ σέ]… » (Lc 19,43) Les premiers mots du verdict donnent le ton : après avoir partagé sa déception et sa compassion, Jésus annonce maintenant un jugement divin. En effet, bien qu’elle soit absente ailleurs dans le Nouveau Testament, sauf en 2 P 3,10, la proposition formée du verbe « venir [ἥκω] » et du sujet « jour [ἡμέρα] », figure à sept reprises dans la Septante en référence au jugement de Dieu. Cependant, il est possible de trouver dans les synoptiques des expressions similiaires avec d’autres verbes (le plus souvent « venir[ἔρχομαι] »), particulièrement dans le troisième évangile où ce type de formulation au futur se présente à sept reprises, toujours comme une parole prononcée par Jésus en train d’évoquer une destruction. La première mention de l’expression des « jours viendront » (Lc 5,35 ; par. Mc 2,20 et Mt 9,15) apparaît dans le cadre du récit de l’appel de Lévi, appelé « Jacques » en Mc 2,14 et « Matthieu » en Mt 9,9. 34
Est-ce que vous pouvez faire jeûner les compagnons de l’époux pendant que l’époux est avec eux ? 35 Mais viendront des jours [ἐλεύσονται δὲ ἡμέραι], et quand l’épouxleurseraenlevé [ἀπαρθῇ ἀπ᾿ αὐτῶν ὁ νυμφίος], alors ils jeûneront en ces jours-là [ἐν ἐκείναις ταῖς ἡμέραις]. (Lc 5,3435 ; par. Mc 2,19-20 et Mt 9,15) 216 Pour une interprétation dans le même sens, sans toutefois en préciser les fondements, voir Leon MORRIS, Luke, p. 298. Par contre, l’hypothèse d’une « logique » de l’action divine répondant au refus par un désastre, est défendue par Bovon. Voir François BOVON, L’ÉvangileselonsaintLuc.Vol.IV(19,28–24,53), p. 42. 217 Voir les affinités de vocabulaire soulignées plus haut entre Lc 19,43-44 et deux passages du discours eschatologique de Jésus (21,6.20).
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Par cette parole, Jésus répond aux Pharisiens et aux scribes qui s’étonnent de voir ses disciples manger et boire (Lc 5,30.33). Il poursuit par « une parabole » (5,36), ou plutôt par deux sentences qui juxtaposent l’ancien et le nouveau pour montrer leur incompatibilité218. Dans les deux cas, se produit une brisure – vêtement déchiré (5,36) et outres éclatées (5,37) – qui entraîne une perte totale, implicite dans le premier cas et explicite dans le second : « les outres serontperdues [ἀπολοῦνται] » (5,37). Luc est le seul à conclure par cette affirmation de Jésus : « Personne, ayant bu du vieux, ne veut [θέλει] du nouveau. On dit en effet : le vieux est bon. » (5,39) Étant donné le contexte de la discussion des Pharisiens et des scribes avec Jésus, le « nouveau » se réfère à celui-ci et à sa bonne nouvelle. Dès le début de son ministère, Jésus fait l’objet d’une résistance de ses contemporains à son égard et à l’égard de l’alliance nouvelle dont il est le fondement. En effet, ce récit constitue le seul passage dans les synoptiques où figure le terme « époux [νυμφίος] », en plus de la parabole des dix vierges (Mt 25,1-12 ; propre à Matthieu). Cette figure de l’époux est présentée par Jésus comme étant la sienne. Deuxièmement, alors que sa marche vers Jérusalem est déjà bien avancée, Jésus annonce à ses disciples : « Desjoursviendront [ἐλεύσονται ἡμέραι] où vous désirerez voir un des jours du Fils de l’homme et vous ne verrez pas. » (Lc 17,22 ; propre à Luc) Dans ce passage comme dans le précédent, quelqu’un devient absent : non plus l’époux enlevé, mais le Fils de l’homme rejeté, tous deux associés à Jésus. Ce vide est accompagné de drames comparés au déluge du temps de Noé (17,27), ainsi qu’à la pluie de feu et de soufre du temps de Lot (17,2829.32). De façon surprenante, le contexte d’absence et de tragédie devient l’espace de la révélation du Fils de l’homme (17,30). Cette finale rejoint un des résultats de notre étude : le mot de la fin ne réside pas dans le siège fatal de Jérusalem, bien qu’il soit évoqué comme une destruction totale en 19,43-44, mais sera donné par la venue glorieuse du Fils de l’homme (21,27). La troisième occurrence de l’expression « des jours arriveront » est située en Lc 19,43, le passage de notre étude. Nous y reviendrons après l’analyse des autres mentions. Les quatrième, cinquième et sixième attestations sont placées dans le discours eschatologique (21,1-36) et sont absentes dans les récits parallèles. Un élargissement 218
L’une des deux sentences recourt à l’image de la pièce d’étoffe et l’autre, à celle du vin (Lc 5,36-39 ; par. Mc 2,21-22 et Mt 9,16-17).
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est repérable dans l’espace concerné par ces jours qui viendront : d’abord, le Temple (21,5-7)219 ; puis, Jérusalem (21,20-24)220 ; et finalement, toute la terre (21,34-36)221. Les atrocités annoncées sont suivies de la mention de la venue du Fils de l’homme (21,27.36) comme une « délivrance [ἀπολύτρωσις] » (21,28). La septième et dernière attestation lucanienne de l’expression « des jours viendront » (Lc 23,29) est contenue dans une autre parole de jugement contre Jérusalem que nous avons déjà abordée maintes fois dans différentes perspectives. Ici aussi, il est question de Jésus, non seulement de façon indirecte, à travers l’image du « boisvert [τῷ ὑγρῷ ξύλῳ] » (23,31), mais aussi directe à travers le pronom personnel à l’accusatif, « moi [ἐμέ] » (23,28). La référence à Jésus est ainsi posée comme une inclusion en regard de sa déclaration (23,28-31). De plus, ce sont ici les gens eux-mêmes qui annonceront leur malheur : « on dira […] » (23,29) et « on commencera à dire […] » (23,30). La finale – « si l’on fait cela du bois vert, qu’arrivera-t-il du sec ? » (23,31) – confirme notre hypothèse sur la portée du jugement prononcé par Jésus contre Jérusalem en Lc 19,42-44 : les catastrophes vues d’avance sont la suite logique des actions humaines. En effet, si « on », c’est-à-dire des êtres humains contemporains de Jésus, a condamné Jésus à mort alors qu’il est innocent, voire exempt de tout péché, comment seront traités tous les autres humains par leurs propres vis-à-vis ? Dans les sept paroles lucaniennes que nous venons de parcourir, attestant l’expression du type « des jours viendront », Jésus est toujours mis en relation – de façon directe ou indirecte – avec la destruction évoquée. Par conséquent, il est fort probable que tel soit aussi le cas en Lc 19,42-44 à travers deux réalités : la paix (19,42) et la « visite » (19,44), exprimant deux facettes du don de Dieu en Jésus. En refusant que Jésus règne sur eux, les êtres humains se mettent sous l’emprise d’un mal qui tôt ou tard leur tombe dessus de façon terrassante. Par contre, en accueillant que Jésus règne sur eux, ils se mettent sous l’étendard de sa paix. Dans ce dernier cas, même si des malheurs 219 « Desjoursviendront [ἐλεύσονται ἡμέραι] où il ne sera pas laissé pierre sur pierre. » (Lc 21,6 ; expression absente dans les parallèles de Mc 13,2 et de Mt 24,2). 220 « Car ce sont desjours [ἡμέραι] de vengeance, pour que soit accompli tout ce qui a été écrit. » (Lc 21,22 ; absent dans les parallèles de Mc 13,16 et de Mt 24,18). Ici l’expression figure sans le verbe « venir [ἣκω / ἔρχομαι] ». 221 « Que ne survienne [ἐπιστῇ] sur vous, à l’improviste, ce jour-là [ἡ ἡμέρα ἐκείνη] comme un filet. Car il s’abattra [ἐπεισελεύσεται] sur tous ceux qui habitent la face de toute la terre. » (Lc 21,34-35 ; propre à Luc).
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s’abattent sur eux, aucun mal ne peut vraiment les anéantir, comme ce fut le cas pour la maison bâtie sur le roc (6,48), pour Jésus lors de la passion (20,19 ; voir aussi 22,52.53) et pour les disciples lors des persécutions (21,12). 3.5. Arrière-fondvétérotestamentairedesparolesduverdict Dans la Septante, parmi les sept attestations de la proposition formée du verbe « venir [ἥκω] » et du sujet « jour[ἡμέρα] », cinq sont au singulier et deux au pluriel222. Conjuguées à l’indicatif présent ou parfait, celles-ci sont inscrites dans un temps réel, sauf deux (Ps 36,13 LXX et Is 7,17), dans un temps non encore advenu (indicatif futur), comme en Lc 19,43. Un regard attentif sur ces deux versets permet de discerner si l’un d’eux offre une piste pour éclairer l’interprétation de Lc 19,43. Tout d’abord, Ps 36 est directement applicable à tous et chacun, en tout temps, puisqu’il ne vise aucune personne ou entité particulière, ni aucun événement spécifique. Il est donc difficile d’interpréter Lc 19,43 à partir de ce psaume. Ensuite, l’expression « des jours viendront » contient une autre singularité. En effet, le substantif « jour » est accompagné non pas d’un complément au génitif, comme c’est le cas en Ps 36,13 (LXX), mais de deux mots, « surtoi [ἐπὶ σέ] ». Ceux-ci sont également présents dans la conclusion du célèbre oracle de l’Emmanuel (Is 7,10-17). Mais Dieuamènerasurtoietsurtonpeupleetsurlamaisondetonpère desjours [ἐπάξει ὁ θεὸς ἐπὶ σὲ καὶ ἐπὶ τὸν λαόν σου καὶ ἐπὶ τὸν οἶκον τοῦ πατρός σου ἡμέρας] quinesontjamaisvenus,depuislejour [αἳ οὔπω ἥκασιν ἀφ᾿ ἧς ἡμέρας] où il a ôté Éphraïm de Juda – le roi des Assyriens. (Is 7,17)
Face aux menaces d’Aram et d’Israël qui donnèrent lieu à la guerre syro-éphraïmite (734 à 732 avant Jésus Christ), Achaz avait mis sa foi dans l’Assyrie et non dans le Seigneur. Isaïe avertit Achaz que le signe de l’Emmanuel s’accomplira, mais qu’un châtiment s’abattra sur lui, Achaz, et sur toute la Judée, par la médiation du roi d’Assyrie. Or, une trentaine d’années après, s’ensuit le siège de Jérusalem par l’armée assyrienne (701 avant Jésus Christ) qui fit des ravages importants, même si elle finit par se retirer. Outre les affinités de vocabulaire entre Is 7,17 et Lc 19,43, ces deux versets partagent aussi des points communs au niveau de leur contexte respectif. Le verdict annoncé 222
Au singulier (Ps 36,13 LXX ; Jr 27,27.31 LXX ; Ez 21,30.34) et au pluriel (Os 9,7 ; Is 7,17).
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CHAPITRE II
concerne Jérusalem et se réalisera par l’intervention de ses adversaires : ses ennemis (Lc 19,43) et le roi des Assyriens (Is 7,17). De plus, dans les deux cas le drame annoncé résulte d’un manque d’enracinement en Dieu. En Lc 19,43, Luc ou sa source font au moins partiellement écho à Is 7,17, en interaction avec d’autres passages vétérotestamentaires que nous allons maintenant approfondir. En Lc 19,43-44, l’action des ennemis est décrite par cinq propositions concises, en crescendo : 43a
[…] ils construiront des palissades contre toi [παρεμβαλοῦσιν […] χάρακά σοι] 43b et ilst’encercleront [περικυκλώσουσίν σε] 43c et ilstepresserontdetoutepart [συνέξουσίν σε πάντοθεν] 44a et ils t’écraseront toi et tes enfants en toi [ἐδαφιοῦσίν σε καὶ τὰ τέκνα σου ἐν σοί], 44b et ilsnelaisserontpaspierresurpierreentoi [οὐκ ἀφήσουσιν λίθον ἐπὶ λίθον ἐν σοί] […]. (Lc 19,43-44)
Le processus s’apparente à celui d’un siège militaire contre une ville fortifiée. En effet, d’autres passages bibliques présentent de façon similaire différents sièges que Jérusalem a vécus, notamment ceux que menèrent le roi assyrien Sennachérib en 701 avant Jésus Christ (2 Ch 32,1) puis le roi babylonien Nabuchodonosor II en 587 avant Jésus Christ (2 R 25,1 ; Jr 52,4)223. Luc ou sa source ont-ils puisé leur inspiration dans un texte vétérotestamentaire pour la rédaction du verdict (Lc 19,43-44a) ? Luc ne semble pas citer un témoin en particulier, mais réaliser une composition originale rassemblant des expressions bibliques empruntées à différents prophètes et à d’autres livres bibliques224. Nous proposons de regarder les passages qui présentent le plus d’affinités avec Lc 19,43-44. Et après ces événements et cette vérité, le roi des Assyriens, Sennachérib, vint et il vint contre Juda et campa[παρενέβαλεν] contre les villes fortifiées, et dit qu’il prendrait possession d’elles. (2 Ch 32,1) Et la neuvième année du règne [de Sédécias], le dixième mois, Nabuchodonosor, roi de Babylone, arriva avec toutes ses troupes devant Jérusalem. Ilcampacontreelle [παρενέβαλεν ἐπ᾿ αὐτήν], et construisit unmurtout autour [περίτειχος κύκλῳ] (2 R 25,1) 223 Les passages vétérotestamentaires concernés ne renvoient pas uniquement au siège babylonien de 587 dont résulta l’exil, comme l’affirme Joel B. GREEN, TheGospel ofLuke, p. 691. 224 Telle est aussi la position de David W. PAO – Eckhard J. SCHNABEL, « Luke », p. 357.
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Et uneruine [ἀπώλεια] surgira au milieu de ton peuple, et toutes tes places fortifiées disparaîtront, comme le chef Shalmân de la maison de Yeroubbaal aux jours du combat [où] l’onécrasait [ἠδάφισαν] la mère sur [ses] fils. (Os 10,14 LXX) Et la neuvième année du règne [de Sédécias], au dixième mois, le dix du mois, Nabuchodonosor, roi de Babylone, arriva avec toutes ses troupes devant Jérusalem ; ilsl’entourèrentdecampsretranchés[περιεχαράκωσαν αὐτήν] et construisirent unmurdepierresauxquatrefaçades, tout autour [τετραπέδοις λίθοις κύκλῳ]. (Jr 52,4) 1
Et toi, fils d’homme, prends pour toi-même une brique et mets-la devant toi et dessine dessus une ville, Jérusalem 2 et installe des remparts autour de la ville, construis des fortifications contre elle, établisdesretranchements contre elle [περιβαλεῖς ἐπ᾿ αὐτὴν χάρακα], installe des camps [παρεμβολάς] et place des béliers toutautour [κύκλῳ]. (Ez 4,1-2)
L’oracle d’Isaïe contre Jérusalem (Is 29,1-6) est un des rares passages vétérotestamentaires qui présente autant de correspondances avec Lc 19,43-44, non seulement pour chacune des cinq actions des ennemis, mais aussi pour la mention de l’ἐπισκοπή dans la finale. Dans le tableau ci-dessous, les mots de même racine sont soulignés en gras et les mots désignant une réalité similaire sont soulignés d’un trait. Is 29,1-6 1
Lc 19,43-44 225
Malheur, ville d’Arièl , à laquelle David fit la guerre ! […].
3b
je placerai autour de toi des camps 43a […] ils établiront des camps retranretranchés [βαλῶ περὶ σὲ χάρακα] et chés le long de toi [παρεμβαλοῦσιν j’établirai autour de toi des tours, […] χάρακά σοι] 3a
Et je ferai un cercle [κυκλώσω], 43b et ils t’encercleront [περικυκλώcomme David, autour de toi [ἐπὶ σὲ], σουσίν σε] Car j’opprimerai [ἐκθλίψω] Arièl, et 43c et ilstepresseront[συνέξουσίν σε] sa force et sa richesse seront à moi. de toute part
2
[…] et jusqu’au sol [πρὸς τὸ ἔδαφος] 44a et ils t’écrasonttoiettesenfantsen ta voix s’affaiblira. toi [ἐδαφιοῦσίν σε καὶ τὰ τέκνα σου ἐν σοί],
4
225 L’oracle d’Isaïe interpelle Jérusalem en la nommant « Arièl [Αριηλ] ». Le terme vient d’un mot hébreu (יאל ֵ )א ִר ֲ polysémique. Dans le contexte d’Is 29,1-6, il désigne fort probablement le « foyer de l’autel ». En effet, le texte massorétique reprend l’image en Is 29,2 – « je presserai Ariel ; elle ne sera plus que plainte et gémissement, elle sera pour moi commeunariel [יאל ֵ ]כּ ֲא ִר ַ » – et mentionne en Is 29,6 « la flamme dévorante d’un feu ». Cependant un jeu de mot n’est pas improbable pour évoquer aussi le « lion de Dieu ». Voir John D. W. WATTS, Isaiah1–33, p. 448.
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CHAPITRE II
Is 29,1-6
Lc 19,43-44
Et commelapoussière [ὡς κονιορτός] et ilsnelaisserontpasentoipierre [soulevée] par la roue sera la richesse des sur pierre [οὐκ ἀφήσουσιν λίθον ἐπὶ impies, et commeunduvetemporté [ὡς λίθον ἐν σοί] […]. χνοῦς φερόμενος], et ce sera comme un instant, soudain, 6a [venu] du Seigneur Sabaoth. 5
44b
6b Car il y aura une visite [ἐπισκοπή], 44c parce que tu n’as pas reconnu le avec tonnerre, secousse et voix forte ; temps detavisite [τῆς ἐπισκοπῆς σου] un ouragan emporté et la flamme dévorante d’un feu.
Ce tableau montre des affinités, mais aussi des différences. Tout d’abord, Is 29,2-5 ne présente pas en crescendo les actions des ennemis comme le fait Lc 19,43-44. Ensuite, dans l’oracle d’Is 29 (contrairement à celui d’Is 7 abordé précédemment), le châtiment est décrit comme l’intervention directe de Dieu dans l’histoire humaine, alors qu’en Lc 19,43-44, il se réalise par une médiation. Nous reviendrons sur l’attestation de l’ἐπισκοπή. Cependant, Luc ou sa source s’est fort probablement aussi inspiré de l’expérience du siège de Jérusalem (70 après Jésus Christ) pour la formulation du verdict prononcé par Jésus à son arrivée devant la ville226. Ceci se laisse percevoir dans le soin apporté aux cinq étapes successives décrivant la destruction. Les vestiges de Massada présentent une forme concrète de ces stratégies militaires du premier siècle de notre ère, à l’occasion du siège par les Romains – en 73 après Jésus Christ, trois ans après le siège de Jérusalem – contre la dernière faction de Zélotes réfugiés en ce lieu227. En effet, sur l’emplacement actuel de 226 Pour une position dans le même sens, voir Joseph A. FITZMYER, LukeX–XXIV, p. 1255. Nous n’entrons pas ici dans la question d’historicité autour du « vaticinium exeventu » que Bultmann et d’autres ont défendu à propos de la prophétie de destruction de Jérusalem en Lc 19,42-44. Voir Rudolf BULTMANN, L’histoiredelatradition synoptique, p. 55. La plupart des études récentes soutiennent que, dans l’Ancien Testament, les oracles bibliques de jugement concernant Jérusalem ont été édités après la catastrophe qui a suivi la proclamation de l’oracle. Cette hypothèse se vérifie lorsque la rédaction de l’oracle se calque sur l’horreur récente vécue sur le moment comme la pire abomination. 227 Située à l’ouest de la mer Morte, la falaise de Massada a d’abord été transformée en forteresse naturelle par Alexandre Jannée, roi hasmonéen de Judée et grand prêtre (103-76 avant Jésus Christ). Ensuite, elle fut reconstruite par Hérode le Grand (35 avant Jésus Christ), puis occupée par des Zélotes durant la grande révolte juive (66-73 après Jésus Christ). Voir Ehud NETZER, « Masada », in David N. FREEDMAN (éd.), TheAnchorBibleDictionary, New York NY, Doubleday, 1992, Vol. IV, 585-586.
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Massada, des archéologues ont trouvé des traces de huit camps romains placés autour de la forteresse et reliés par un mur, ainsi qu’une rampe en vue de l’assaut228. Les écrits de Flavius Josèphe, en particulier la GuerredesJuifs, offrent une relecture des événements, dix ans plus tard (79-81 après Jésus Christ). 275
Le général romain vint en conduisant ses armées contre Eléazar et les Sicaires qui occupaient avec lui Massada. Il se saisit rapidement de toute la région, installa des garnisons dans les endroits les plus avantageux, 276 construisitunmuralentour [τεῖχος δὲ περιέβαλε κύκλῳ] de toute la citadelle pour qu’aucun des assiégés ne s’échappe facilement, et il plaça des gardiens. […] 310 En même temps, Silvas, qui avait fait construire un grand bélier, ordonna que des coups répétés soient faits à la muraille ; non sans mal, il détruisit une partie et l’abattit. […] 375 Mais où est la grande cité, la métropole de toute la race juive […] ? 376 Où est-elle allée celle dont nous avions cru qu’elle avait Dieu pour fondateur ? Elle a été complètement arrachée de ses fondations et il ne reste seulement d’elle comme souvenir le camp de ceux qui l’ont détruite et qui demeurent sur ses ruines. (GuerredesJuifs, VII 275-276, 310, 375-376)229
La formulation du verdict de Lc 19,43-44 s’inspire de plusieurs passages vétérotestamentaires qui se réfèrent à deux grands sièges contre Jérusalem (701 et 587 avant Jésus Christ). Cependant, le développement minutieux de l’action des ennemis laisse deviner le choc vécu par Luc et ses contemporains lors de la capture de Jérusalem par l’armée romaine en 70. Cette hypothèse est soutenue par la majorité des commentateurs230. Manifestement, Luc « préfère le langage biblique 228 Jodi MAGNESS, « Masada. Arms and the Man », in Biblical Archaeology Review 18 (1992) 58-67, p. 65. 229 Pour le texte grec : FLAVIUS JOSÈPHE, GuerredesJuifs[TheJewishWar] (Loeb Classical Library, 210), édité par Henry St. John THACKERAY, Cambridge, Harvard University Press, 1990, Vol. III (Books IV-VII), p. 582-583, 592-593, 610-611. 230 Joseph A. FITZMYER, LukeX–XXIV, p. 1255. Parmi ceux qui prétendent que Lc 19,43-44a s’inspire uniquement de sources vétérotestamentaires et aucunement du siège de 70, voir Bo I. REICKE, « Synoptic Prophecies on the Destruction of Jerusalem », in David E. AUNE (éd.), Studies in New Testament and Early Christian Literature:EssaysinhonorofAllenP.Wikgren (Supplements to Novum Testamentum, 33), Leiden, Brill, 1972, 121-134, p. 121-123 ; Charles H. DODD, « The Fall of Jerusalem and the “Abomination of Desolation” (1947) », in MoreNewTestament Studies, Manchester, Manchester University Press, 1968, 69-83, p. 74-79. Reicke et Dodd considèrent que la description des étapes de destruction correspond aux tactiques guerrières usuelles de l’Antiquité, sans être influencée par le drame de 70. Toutefois, aucun d’eux ne cite un texte présentant une telle description systématique. Ne fallait-il pas en avoir été témoin de près ou de loin pour en avoir une telle conscience affinée ? De plus, ils estiment que tout le vocabulaire-clé de Lc 19,43-44 est propre à la LXX. Or, nous avons vu dans notre analyse que les termes et expressions de ces deux versets sont particulièrement présents dans les écrits de Flavius Josèphe décrivant les guerres
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au reportage historique […] ; il renonce aux détails et aux précisions231 ». D’ailleurs, la destruction totale, sans laisser « pierre sur pierre » (Lc 19,44) n’est pas applicable au siège romain de Jérusalem en 70232. En Lc 19,43-44, il n’est pas possible de déceler une allusion évidente à un événement spécifique de l’histoire – biblique ou extrabiblique – de Jérusalem233. L’essentiel du message de Jésus n’est pas d’annoncer un drame ponctuel, mais de lancer une interpellation existentielle valable pour tous les temps jusqu’à la fin ultime234 : « Sans m’accueillir et me reconnaître, moi, Jésus, qui suis venu te conduire vers le chemin de la paix, tu vas droit à ta perte totale. » Cet enjeu fondamental de vie ou de mort – compris dans le sens intégral, au delà de la mort corporelle – fait partie intégrante de l’ἐπισκοπή divine. 3.6. Enjeuduκαιρόςlucanien :croireetreconnaître Jésus conclut sur le ton de la complainte : « parcequetun’aspas reconnu le temps de ta visite [ἀνθ᾿ ὧν οὐκ ἔγνως τὸν καιρὸν τῆς ἐπισκοπῆς σου] » (Lc 19,44b). Les termes de la première partie ont juives autour de 70. Dans la même ligne que nos réflexions, Focant fait remarquer qu’entre Lc 19,43-44 et les références de la LXX qui présentent un vocabulaire commun, « le parallélisme verbal manque de netteté ». Voir Camille FOCANT, « La chute de Jérusalem et la datation des évangiles », in RevuethéologiquedeLouvain 19 (1988) 17-37, p. 30. 231 François BOVON, L’Évangile selon saint Luc. Vol. IV (19,28–24,53), p. 42. Dans le même sens, Focant souligne la différence de point de vue entre Flavius Josèphe et Luc, en précisant : « Lc écrit son évangile en référence aux événements de 70 qu’il a connus, mais […] ses allusions restent discrètes et voilées, comm il sied à un “historien” de son genre. » Voir Camille FOCANT, « La chute de Jérusalem et la datation des évangiles », p. 30-31. Selon lui, l’allusion lucanienne la plus forte aux événements de 70 est Lc 21,20 (p. 36). La prise en compte de la perspective propre de Luc permet de comprendre pourquoi, dans aucun passage de ses deux tomes, Luc n’associe explicitement les « ennemis » aux Romains, alors que Reicke en fait un argument en faveur d’une datation de Lc avant 70. Voir Bo I. REICKE, « Synoptic Prophecies on the Destruction of Jerusalem », p. 122-123. Or, Jésus a invité ses disciples à aimer leurs ennemis (Lc 6,27.35) et en Ac, les deux attestations du terme « ennemi [ἐχθρός] » sont clairement spiritualisées (2,35 ; 13,10). 232 Amy-Jill LEVINE – Marc ZVI BRETTLER (éds.), The Jewish Annotated New Testament, paragraphe 2478. 233 Michael WOLTER, DasLukasevangelium, p. 634. 234 Selon Gerber et Borg, la perspective de la catastrophe prédite par Jésus en Lc 19,42-44 est historique et non eschatologique. Voir Daniel GERBER, « Luc 19,4144: la mise en perspective d’un oracle de Jugement », p. 231 et 234 ; Marcus J. BORG, « Luke 19:42-44 and Jesus as Prophet? », in Forum:AJournaloftheFoundationsand FacetsofWesternCulture 8 (1992) 99-112, p. 102, 109. Or, un événement historique peut aussi avoir une fonction d’anticipation ou de signe eschatologique avant-coureur. En Lc 19,42-44, l’accent porte sur ce signe qui peut être actualisé d’une situation historique à une autre.
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déjà été étudiés235. Il reste à considérer la dernière partie et non la moindre puisqu’elle contient le terme ἐπισκοπή. Mais avant de nous concentrer sur celui-ci, cherchons à clarifier le sens de καιρός dans cette proposition, parmi les différentes possibilités d’interprétation à visée temporelle : un moment propice pour une activité humaine (notamment liée aux saisons), un moment critique marqué par l’action divine (un temps fixé par Dieu) ou une simple période de temps mise en relation avec une autre236. Ces trois sens peuvent en certains cas être reliés : un moment de manifestation divine appelle une réponse de l’être humain, qui s’inscrit dans le temps présent avant un autre moment significatif. Dans chaque cas, l’essentiel est de regarder sur quel sens porte l’accent. Le tableau ci-dessous propose un classement des vingt-huit occurrences de καιρός dans les synoptiques, selon les trois catégories de sens définies ci-dessous, en prêtant attention aux accents discernables à partir des indices donnés dans l’environnement immédiat de chaque mention. En Lc 19,44, le genre littéraire (oracle de jugement), le vocabulaire de la première partie de la complainte (19,42) et de la seconde (19,44b) qui se répondent l’une l’autre autour d’un verbe commun (ἔγνως), le contexte marqué des pleurs de Jésus, tous ces éléments portent à interpréter le καιρός de ce verset comme un moment critique en relation avec l’action divine (catégorie B). Occurrences totales Temps propice dans chaque pour une activité synoptique humaine (A) Lc : 13237
3
Moment critique lié à l’action divine (B)
Période de temps en relation à une autre (C)
6
4
235 Pour l’étude de l’expression ἀνθ᾿ ὧν chez Luc et dans la LXX, voir le point 4.1 de la section I du présent chapitre ; pour une analyse complémentaire des mots οὐκ ἔγνως, voir le point 2.9 de la section II du présent chapitre. 236 Voir l’article « καιρός », dans Franco MONTANARI, The Brill Dictionary of AncientGreek, p. 1011-1012. 237 Voici les occurrences selon les trois catégories de sens temporel de καιρός : (A) Lc 12, 42 (par. Mt 24,45) ; Lc 20,10 (par. Mc 12,2 et Mt 21,34) ; Lc 21,36 (propre à Luc) ; (B) Lc 1,20 (propre à Luc) ; Lc 4,13 (terme absent dans les parallèles de Mc 1,13 et de Mt 4,11) ; Lc 8,13b (terme absent dans les parallèles de Mc 4,17 et de Mt 13,21) ; Lc 12,56 (différent dans le parallèle de Mt 16,3 : « lessignesdestemps [τὰ δὲ σημεῖα τῶν καιρῶν] ») ; Lc 19,44 (propre à Luc) ; Lc 21,8 (absent dans les parallèles de Mc 13,6 et de Mt 24,5) ; (C) Lc 8,13a (par. Mc 4,17 et Mt 13,21) ; Lc 13,1 (propre à Luc) ; Lc 18,30 (terme présent dans le parallèle de Mc 10,30 et absent dans celui de Mt 19,29) ; Lc 21,24 (verset absent dans les parallèles de Mc 13,20 et de Mt 24,22).
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CHAPITRE II
Occurrences totales Temps propice dans chaque pour une activité synoptique humaine (A) Mc : 5 238 Mt : 10
239
Moment critique lié à l’action divine (B)
Période de temps en relation à une autre (C)
2
2
1
3
4
3
Le troisième évangile contient le maximum d’attestations de καιρός. Le nombre de celles qui appartiennent à la catégorie B est aussi plus élevé que les autres, non seulement de façon absolue (6 mentions), mais aussi relative (46 pour cent). De plus, Luc se singularise en inscrivant le καιρός dans des contextes où intervient une double difficulté : celle de croire et de discerner / reconnaître. Tout d’abord, Zacharie a éprouvé de la difficulté à croire les paroles du Seigneur transmises par son messager qui lui affirme que celles-ci « s’accompliront enleurtemps [πληρωθήσονται εἰς τὸν καιρὸν αὐτῶν] » (Lc 1,20). Ensuite, dans l’explication de la parabole de la semence identifiée à « la parole de Dieu » (8,11), Jésus montre la difficulté pour ceux qui « n’ont pas de racine » (8,13) de persévérer dans la foi « aumoment delamiseàl’épreuve[ἐν καιρῷ πειρασμοῦ] [et] s’éloignent [ἀφίστανται] » (8,13). Cela se vérifiera lors de la grande épreuve : la mort de Jésus sur la croix (23,49). En 8,13, l’absence de racine trouve un écho dans la petite parabole des deux maisons, plus spécifiquement avec celle qui était dépourvue de fondations et donc incapable de tenir solidement durant la tempête (6,49). Trois termes de Lc 8,13, présents seulement dans la version lucanienne, et non dans les parallèles de Mt et de Mc, apparaissent également dans la version lucanienne du récit des tentations de Jésus : « Et ayant achevé toute tentation [πειρασμόν], le diable s’éloigna [ἀπέστη] de lui, jusqu’au temps [marqué] [καιροῦ]. » (4,13) Or, juste avant ce verset, en vue de chercher à provoquer Jésus pour une troisième fois, le diable recourt à la 238 (A) Mc 11,13 (absent dans le parallèle de Mt 21,19) ; Mc 12,2 (par. Lc 20,10 et Mt 21,34) ; (B) Mc 1,15 (expression absente dans les parallèles de Lc 4,14 et de Mt 4,17) ; Mc 13,33 (propre à Marc) ; (C) Mc 10,30 (terme présent dans le parallèle de Lc 18,30 et absent dans celui de Mt 19,29). 239 (A) Mt 24,45 (par. Lc 12, 42) ; Mt 21,34 (par. Lc 20,10 et Mc 12,2) ; Mt 21,41 (expression absente dans les parallèles de Mc 12,9 et de Lc 20,16) ; (B) Mt 8,29 (expression absente dans les parallèles de Mc 3,7 et de Lc 8,28) ; Mt 13,30 (propre à Matthieu) ; Mt 16,3 (par. Lc 12,56) ; Mt 26,18 (expression absente dans les parallèles de Mc 14,14 et de Lc 22,11) ; (C) Mt 11,25 (différent dans le parallèle de Lc 10,21 : « àcetteheuremême [ἐν αὐτῇ τῇ ὥρᾳ] ») ; Mt 12,1 (différent dans les parallèles de Mc 2,23 et de Lc 6,1 : « il arriva que [ἐγένετο] ») ; Mt 14,1 (expression absente dans les parallèles de Mc 6,14 et de Lc 9,7).
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parole de Dieu (Ps 90,11-12 LXX en Lc 4,10-11 ; par. Mt 4,6). Une mise à l’épreuve de la confiance en la parole de Dieu se présente comme une dimension du καιρός. Ensuite, Jésus met en garde ses disciples contre ceux qui viendront en se présentant comme le Christ et qui diront : « “C’est moi” et “Le tempsestproche [ὁ καιρὸς ἤγγικεν].” » (Lc 21,8) Le fait qu’il prenne la peine de les avertir témoigne de leur difficulté à reconnaître avec justesse en qui et comment s’accomplit le temps messianique. Déjà, durant sa marche vers Jérusalem, Jésus expose l’incapacité à « discerner cetemps-ci [τὸν καιρὸν δὲ τοῦτον] » (12,56), de même qu’à reconnaître « letemps detavisite [τὸν καιρὸν τῆς ἐπισκοπῆς σου] » (19,44), celle qui concerne Jérusalem. Les paroles de Jésus en 19,44 et 12,56 ne s’éclairent-elles pas mutuellement ? Ne peut-on pas lire l’apostrophe à Jérusalem en ce sens : tu es passée à côté de ce temps-ci « parce que tun’[y]aspasreconnuletempsdetavisite[οὐκ ἔγνως τὸν καιρὸν τῆς ἐπισκοπῆς σου] » (19,44) ? En plus de leurs affinités de style, les deux passages sont reliés par une interpellation de Jésus concernant la paix. En effet, l’occurrence de καιρός en Lc 12,56 vient juste après une autre parole de Jésus (12,49-53 ; propre à Luc) formulant cette question désarçonnante : « Pensez-vous que je suis venu donner la paix sur la terre ? Non, je vous dis, mais la division. » (12,51) Or, dans le contexte de Lc 19,44, il est aussi question du message de paix qui n’a pas été reconnu et qui, nous l’avons vu, n’exclut pas les divisions (19,42). Les contemporains de Jésus ont manifestement été incapables de discerner le véritable don de Dieu apporté par Jésus. L’association entre l’occurrence de καιρός en 12,56 et celle en 19,44 est un appui supplémentaire pour interpréter « le temps de ta visite » (19,44) comme un événement sur le long cours, la vie et la mission de Jésus, et non un fait ponctuel, tel l’arrivée ultime de Jésus à Jérusalem240. De plus, à la lumière de la parabole du figuier (13,6-9 ; propre 240 Notre interprétation rejoint celle de Keener et de Nolland, mais va à l’encontre de celle de Rowe et de Kinman. Voir Craig S. KEENER, Luke, p. 230 ; C. Kavin ROWE, EarlyNarrativeChristology:TheLordintheGospelofLuke(BZNW, 139), Berlin, Walter de Gruyter, 2006, p. 166 ; John NOLLAND, Luke18:35–24:53, p. 932. Quant à Kinman, il admet que l’ἐπισκοπή évoquée en Lc 19,44 couvre l’ensemble du ministère de Jésus, tout en défendant que la non-reconnaissance de celle-ci a atteint un sommet lors de l’arrivée de Jésus à Jérusalem (19,27-40). Son point de vue s’appuie sur trois éléments. D’abord, il interprète « en ce jour » (19,42) au sens d’« aujourd’hui ». Ensuite, il met en opposition l’acclamation des disciples avec l’absence des autorités religieuses et des autres citoyens. Puis, tout en reconnaissant l’absence d’un vocabulaire explicite, il perçoit derrière la scène un affront aux usages gréco-romains antiques visant à exprimer la bienvenue aux figures d’autorité entrant dans une ville.
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à Luc), il serait étonnant que la parole de jugement prononcée par Jésus en 19,42-44 repose sur un fait ponctuel, sans avoir donné à Jérusalem un temps prolongé pour le reconnaître. Dans la parabole, le vigneron laisse au figuier trois ans, et même une quatrième année de surcroît, pour lui permettre de porter du fruit (13,7). D’un bout à l’autre du troisième évangile, le καιρός se trouve non seulement associé à une mise à l’épreuve de la foi en la parole de Dieu, mais aussi à la paix au cœur même du conflit et à la venue du Christ. Contrairement à Marc et à Matthieu, Luc ne parle pas du καιρός en termes d’un accomplissement241 (Mc 1,15 ; Mt 26,18) ou encore d’un jugement (Mt 8,29 ; 13,30). Même si Marc et Matthieu signalent chacun brièvement la difficulté de reconnaître le καιρός (Mc 13,33 ; Mt 16,3), Luc insiste abondamment sur ce point et associe le καιρός à des réalités non évoquées par les autres : la paix (Lc 12,51.56), le Christ (21,8), la mise à l’épreuve de la foi (8,13) et l’ἐπισκοπή divine (19,44). Ces éléments, ainsi que la mention du καιρός en regard des paroles du Seigneur transmises par son messager, sont présents dans le cycle de Zacharie (1,5-79 ; propre à Luc) où se situent les deux premières occurrences de l’ἐπισκοπή divine (1,68.78). Il est vrai que le mot « épreuve [πειρασμός] » n’y figure pas. Cependant, la réalité est bien manifeste. Zacharie a été éprouvé dans sa foi en recevant l’annonce de l’ange Gabriel et il est clairement passé par une incapacité à croire (1,20). Au moment d’exprimer ouvertement sa foi dans les paroles reçues du messager à propos de son fils, Zacharie donne à ce dernier le nom révélé par l’ange. Au même instant, il reconnaît l’ἐπισκοπή divine pour la faveur accordée, non pas à lui et sa femme par la naissance de son fils, mais au peuple de Dieu par l’envoi du Messie (1,68-79). 3.7. FoidanslesparolesduSeigneuretreconnaissancedel’ἐπισκοπή messianique Dans le cycle de Zacharie, un lien étroit existe entre la foi dans les paroles du Seigneur qui annoncent une joie concrète, impliquant aussi une conversion des personnes concernées, et la reconnaissance de l’ἐπισκοπή messianique du Seigneur au milieu de son peuple. Voir Brent R. KINMAN, « Parousia, Jesus’ “A-Triumphal” Entry, and the Fate of Jerusalem (Luke 19:28-44) », in JournalofBiblicalLiterature 118 (1999) 279-294. Pour une perspective assez similiaire, voir Guy LAURIE, « The Interplay of the Present and Future in the Kingdom of God (Luke 19:11-44) », p. 124-125, 134-136. 241 Sauf en Lc 21,24 : « jusqu’à ce que soient accomplis les temps des nations [πληρωθῶσιν καιροὶ ἐθνῶν] ». Mais il s’agit alors d’un pluriel (καιροί).
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Est-il permis d’interpréter dans le même sens la non-reconnaissance de l’ἐπισκοπή de Lc 19,44 ? Pour le dire autrement, le troisième évangile fait-il état d’une non-foi exprimée par Jérusalem à l’égard de Jésus ? Si oui, sur quoi porte cette incroyance ? Au moins cinq passages, dont quatre sont spécifiques à Luc, attestent la difficulté de croire dans le don de Dieu manifesté en Jésus lors de son arrivée à Jérusalem, et même après. Les groupes concernés sont non seulement celui des grands prêtres, des scribes et des anciens (20,5 ; 22,67b-68a), qui peinent à croire en l’autorité singulière dont Jésus a été investi pour enseigner et en son identité messianique. Mais les disciples eux-mêmes et afortiori l’ensemble du peuple juif ont manqué de foi en relation à la personne de Jésus (18,8 ; 22,32 ; 24,25). Commençons par le manque de foi attesté chez les responsables religieux du temps de Jésus. Alors que Jésus enseigne dans le Temple, les grands prêtres, les scribes et les anciens l’interrogent : « Dis-nous par quelle autorité [ἐξουσίᾳ] tu fais cela, ou qui est-ce qui t’a donné cette autorité [ἐξουσίαν] ? » (Lc 20,2 ; par. Mc 11,28 et Mt 21,23) Jésus leur renvoie la question à propos du baptême de Jean : « était-il du ciel ou des hommes ? » (Lc 20,4 ; par. Mc 11,30 et Mt 21,25). Les adversaires de Jésus reconnaissent en eux-mêmes qu’ils n’ont pas cru dans l’autorité de Jean (Lc 20,5 ; par. Mc 11,31 et Mt 21,25) et, à plus forte raison, dans celle de Jésus. Plus tard, lors de son procès devant le Sanhédrin, ils lui disent : « Si tu es le Christ, dis-[le] nous. » (22,67a) Il commence par leur répondre : « Si je vous dis, vous ne croirez pas. » (22,67b)242 Les responsables religieux de l’époque à Jérusalem sont incapables de croire que Jésus puisse être le Christ. Qu’en est-il du manque de foi vécu par les disciples, spécifique au troisième évangile ? Premièrement, au moment de conclure la parabole du juge et de la veuve (Lc 18,1-8) adressée à ses disciples243, Jésus s’exprime à travers la figure du Fils de l’homme pour partager un souhait dont la réalisation effective est empreinte d’incertitude. 6
Écoutez ce que dit le juge injuste. 7 Mais Dieu ne ferait-il pas justice à ses élus qui crient vers lui jour et nuit, et patiente-t-il envers eux ? 8 Je vous dis qu’il leur fera justice rapidement. Pourtant leFilsdel’homme,quand ilseravenu,trouvera-t-illafoisurlaterre [ὁ υἱὸς τοῦ ἀνθρώπου ἐλθὼν ἆρα εὑρήσει τὴν πίστιν ἐπὶ τῆς γῆς] ? (Lc 18,6-8 ; propre à Luc) 242
Absent dans les parallèles de Mc 14,62 et de Mt 26,64. L’introduction à la parabole commence de la manière suivante : « Or il leur disait une parabole […] » (Lc 18,1). Ce « leur » renvoie de fil en aiguille aux disciples dont il est explicitement question en 17,22 dans le récit du Fils de l’homme (17,22-37 ; propre à Luc) : « Or il dit aux disciples ». 243
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Deuxièmement, lors de son dernier repas avant la passion, Jésus s’adresse à Pierre dont le nom symbolise la solidité. Pourtant, il l’appelle ici « Simon », le nom qu’il portait jadis jusqu’au jour où Jésus vint personnellement à sa rencontre (Lc 5,1-10). Devant le miracle de la pêche abondante accompli par Jésus, Simon avait demandé à Jésus de s’éloigner de lui, parce qu’il se reconnaissait « unhomme pécheur [ἀνὴρ ἁμαρτωλός] » (5,8). C’est alors que Jésus l’appela à sa suite (5,10). En Lc 22,31, Jésus le nomme Simon en répétant son nom et manifeste de la sorte une émotion. À ce moment, Pierre ne dit pourtant plus à Jésus qu’il se reconnaît pécheur, mais plutôt prêt à le suivre jusqu’à la mort (22,33). Jésus lui annonce son triple reniement (22,34) et nomme maintenant « Pierre » celui en qui lui, Jésus, met sa confiance à l’heure même de l’outrage. Le passage du nom de Simon à celui de Pierre reflète une profonde compassion et une miséricorde inattendue244. Elles s’expriment concrètement par la prière de Jésus pour Pierre et la mission que Jésus lui confie en reconnaissant d’avance sa fragilité ainsi que sa conversion : « consolide [στήρισον] tes frères » (22,32). « Simon, Simon [Σίμων Σίμων] voici que Satan vous a réclamés pour [vous] cribler comme le froment. 32 Maismoij’aipriépourtoi,afinqueta foinedisparaissepas [ἐγὼ δὲ ἐδεήθην περὶ σοῦ ἵνα μὴ ἐκλίπῃ ἡ πίστις σου]. Et toi, quand tu seras converti, consolide tes frères [καὶ σύ ποτε ἐπιστρέψας στήρισον τοὺς ἀδελφούς σου]. » 33 Il lui dit : « Seigneur, je suis prêt à partir avec toi et en prison et à la mort. » 34 Mais il dit : « Je te dis, Pierre [Πέτρε], le coq ne chantera pas aujourd’hui que trois fois tu n’aies renié me connaître [εἰδέναι]. » (Lc 22,31-34 ; v. 31-32 absents dans les parallèles) 31
Jésus prépare Pierre à être éprouvé dans sa foi. Cela ne l’empêchera pas de tomber dans le reniement et, ensuite, de seconvertir (ἐπιστρέφω). Sa foi a été ébranlée sans pour autant s’éteindre, grâce à la prière de Jésus et au regard qu’il a posé sur Pierre à l’instant où celui-ci le renia pour la troisième fois (Lc 22,61)245. Et Pierre « pleura amèrement » (22,62). Pour la première fois il se laisse rencontrer par Jésus en tant que pécheur. Maintenant, il ne demande pas à Jésus de s’éloigner de lui comme lors de la pêche miraculeuse (5,8). L’expérience nouvelle que Pierre vit durant la passion de Jésus témoigne de façon rétroactive de son attitude à l’égard de Jésus pendant tout son ministère : le pécheur 244 Ce jeu de noms est absent dans les parallèles qui n’en mentionnent aucun. Voir Mc 14,27-31 ; Mt 26,31-35 ; Jn 13,36-38. 245 Absent dans les parallèles de Mc 14,72, de Mt 26,74 et de Jn 18,27.
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n’avait pas encore fait l’expérience de la miséricorde de Jésus avant sa passion. C’est vrai de Pierre comme de toute la multitude qui a suivi Jésus. Troisièmement, sur le chemin de Jérusalem vers Emmaüs, Jésus interpelle deux disciples désabusés après la passion et la mort de Jésus. 25
[…] Et il leur dit : « O [hommes] inintelligents [ἀνόητοι] et aucœurlent àcroire[πιστεύειν]toutcequ’ontditlesProphètes [βραδεῖς τῇ καρδίᾳ τοῦ πιστεύειν ἐπὶ πᾶσιν οἷς ἐλάλησαν οἱ προφῆται] ! 26 Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela et [ainsi] entrât dans sa gloire ? » 27 Et commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur interpréta dans toutes les Écritures ce qui le concernait [ἐν πάσαις ταῖς γραφαῖς τὰ περὶ ἑαυτοῦ]. (Lc 24,25-27 ; propre à Luc)
Dans ce troisième passage, l’objet de la difficulté à croire est explicite : « tout ce qu’on dit les prophètes » (Lc 24,25), c’est-à-dire « ce qui concernait [Jésus] dans toutes les Écritures » (24,27). Dans le Nouveau Testament, un seul autre passage qui se trouve également être une parole de Jésus à ses disciples, contient l’expression « toutes les Écritures » au sujet de « ce qui concerne [περί] » Jésus : Lc 24,44. 44
[Jésus] dit [à ses disciples] : celles-ci sont mes paroles que je vous ai dites quand j’étais encore avec vous : il faut que soit accomplitoutcequi aétéécrit[πάντα τὰ γεγραμμένα] àmonsujet [περὶ ἐμοῦ] dans la Loi de Moïse et les prophètes et les psaumes. 45 Alors il ouvrit leur esprit pour comprendre les Écritures [τὰς γραφάς]. 46 Ainsi ilaétéécrit [γέγραπται] : le Christ souffrirait et ressusciterait des morts le troisième jour, 47 et en son nom, la conversion en vue de la rémission des péchés serait prêchée à toutes les nations, en commençant par Jérusalem. 48 Vous [êtes] les témoins de ces choses. (Lc 24,44-48 ; propre à Luc)
Cette péricope dévoile le double contenu visé par les paroles des prophètes, voire de l’ensemble des Écritures, – et par conséquent, le manque de foi des disciples – auxquelles Jésus a fait allusion avant et après l’événement de sa mort-résurrection. D’une part, le Messie souffrirait avant de ressusciter des morts le troisième jour et d’entrer dans sa gloire (24,46 déjà signalé en 24,26). D’autre part, la rémission des péchés serait reçue en son nom, à partir d’un appel à la conversion (24,47). Jérusalem et, avec elle, l’ensemble du peuple d’Israël incluant les disciples de Jésus, espéraient le salut de Dieu face aux ennemis. En annonçant le siège de Jérusalem (Lc 19,43-44a) comme d’autres l’avaient fait avant lui, Jésus confirme que Jérusalem ne peut échapper, même au nom de son héritage spirituel, aux aléas et à la logique de l’histoire socio-politique. En effet, Dieu veut donner en Jésus
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le salut de façon plus intégrale, dans la rémission des péchés, sur le chemin de la paix véritable, y compris au milieu des situations angoissantes. Le salut de Dieu en Jésus Christ dépasse le domaine sociopolitique et, en même temps, s’y inscrit dans la façon de vivre cette réalité de façon intègre, sans se laisser anéantir. Ainsi, la complainte ultime de Jésus en Lc 19,41-44 fait écho, avec toutefois une compassion singulière, à la prédication de Jean « prêchant un baptême de conversion pour la rémission des péchés » (3,3) : 7
[…] Engeance de vipères, qui vous a suggéré d’échapper à la colère prochaine ? 8 Faites donc des fruits dignes de la conversion et ne commencez pas à dire en vous-mêmes : « Nous avons pour père Abraham. » (Lc 3,7-8 ; par. Mt 3,7-9)
Or, d’après le jugement de Jésus lui-même, la prédication de Jean tout comme celle de Jésus n’ont pas eu les effets escomptés (Lc 7,3135 ; par. Mt 11,16-19). En effet, dans les récits des évangiles précédant la passion, rares sont les attestations d’expériences de conversion en vue de la rémission des péchés, comme celle de la femme pécheresse (7,36-50 ; propre à Luc)246. Ce petit nombre de répondants contraste avec l’appel que Jésus a exprimé dès le début de son ministère : « Je ne suis pas venu appeler les justes mais lespécheursàlaconversion [ἁμαρτωλοὺς εἰς μετάνοιαν]. » (5,32)247 Tout au long de son parcours, Jésus est exposé à un manque de foi alimenté par une profonde incompréhension, de la part de ses contemporains (incluant ses disciples et les figures d’autorité de son temps), au sujet de son identité de Christ et Seigneur, et de la mission singulière qui en résulte. Quand une reconnaissance est exprimée à son endroit, elle est partielle et s’avère à moyen terme en décalage par rapport au don ultime de Dieu en sa personne. Le signe salvifique ou, pour le dire en termes lucaniens, l’ἐπισκοπή divine manifestée en Jésus n’a pas été reconnue. La non-reconnaissance s’exprime aussi en acte par un non-accueil, et donc par un rejet, qui atteindra son sommet lors de la condamnation à mort de Jésus248. 246 Voir aussi Lc 19,1-10 (également propre à Luc), la rencontre de Jésus chez Zachée, « un homme pécheur » (19,7). Sans être explicitement exprimée comme en Lc 7,48, la rémission des péchés est célébrée et confirmée par la parole de Jésus : « Aujourd’hui, le salut est advenu pour cette maison » (19,9). 247 L’expression « au repentir [εἰς μετάνοιαν] » est absente dans les parallèles de Mc 2,17 et de Mt 9,12. 248 Pour l’interprétation de la non-reconnaissance (Lc 19,42.44) comme un rejet, voir aussi Wilfried ECKEY, DasLukasevangelium:unterBerücksichtigungseinerParallelen.TeilbandII:Lk11,1–24,53, Neukirchen-Vluyn, Neukirchener, 2006, p. 808.
L’ἐπισκοπή NON RECONNUE PAR JÉRUSALEM (LC 19,44)
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3.8. RésonnanceinéditedusubstantifἐπισκοπήenLc19,44 Tel que nous l’avons relevé précédemment, plusieurs autres paroles de jugement concernant Jérusalem dans la Septante249 recèlent des affinités avec Lc 19,44, en particulier deux oracles contre Jérusalem où figure également le terme ἐπισκοπή : Is (29,1-6) et Jr (6,13-15 ; 8,7) que nous n’avons pas encore cités. 13
Parce que du plus petit au plus grand, tous commirent l’injustice, du prêtre jusqu’au faux prophète, tous réalisèrent un mensonge 14 et ils guérissaient la blessure de mon peuple avec mépris en disant : « Paix !Paix ! Mais où est la paix [Εἰρήνη εἰρήνη· καὶ ποῦ ἐστιν εἰρήνη] ? » 15 Ils furent déshonorés parce qu’ils faillirent, mais ils ne rougirent pas comme ils [auraient dû] rougir et ils ne reconnurent pas leur déshonneur [τὴν ἀτιμίαν αὐτῶν οὐκ ἔγνωσαν]. C’est pourquoi ils chuteront dans leur chute et autempsdeleurvisiteilsmourront[ἐν καιρῷ ἐπισκοπῆς αὐτῶν ἀπολοῦνται], dit le Seigneur. (Jr 6,13-15 LXX)
Même la cigogne dans les airs connutsontemps[ἔγνω τὸν καιρὸν αὐτῆς], la tourterelle, l’hirondelle et le moineau des champs se souvinrent des temps de leurs retours [ἐφύλαξαν καιροὺς εἰσόδων αὐτῶν], mais mon peuple ne connut pas les jugements du Seigneur [οὐκ ἔγνω τὰ κρίματα κυρίου]. (Jr 8,7 LXX)
Les attestations d’Is 29,6 et de Jr 6,15 révèlent une constante vétérotestamentaire de l’ἐπισκοπή et en même temps sa singularité en Lc 19,44. Primo, dans les livres prophétiques de la Septante, l’ἐπισκοπή est l’expression même du jugement et non la cause de celui-ci, comme c’est le cas en Lc 19,44 et nulle part ailleurs dans la Bible250. Dans le Nouveau Testament, mis à part Lc 19,44, l’unique autre attestation du substantif ἐπισκοπή entendu au sens divin (1 P 2,12) se rattache à l’usage de la Septante, tandis que les deux autres mentions du même terme (Ac 1,20 ; 1 Tm 3,1) désignent une fonction de responsable dans la communauté chrétienne. Ainsi, même si Lc 19,44 ressemble à des passages de l’Ancien Testament où il est question d’ἐπισκοπή, tels Is 29,6 et Jr 6,15 – expression presque identique à Lc 19,44 : ἐν καιρῷ ἐπισκοπῆς αὐτῶν (aussi en Jr 10,15 et en Sg 3,7) –, et d’autres 249 Voir le point 4.4 de la section I du présent chapitre, ainsi que l’étude de l’arrière-fond vétérotestamentaire de Lc 19,43-44 au point 3.5 de la section II. 250 Le livre de Jérémie et d’Isaïe contiennent quatre autres occurrences du substantif ἐπισκοπή placés dans différents oracles de jugement : contre les dirigeants (Is 10,3), en faveur de Tyr et de sa restauration après la désolation (Is 23,17), contre les rois de la terre (Is 24,22) et contre les idoles (Jr 10,15). Par contre, le verbe ἐπισκέπτομαι ou ἐπισκοπῶ est introuvable en Is.
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oracles, le parallélisme s’arrête à la forme251. Secundo, en Lc 19,44, Luc est le seul à associer l’ἐπισκοπή à γινώσκω, un verbe pourtant prisé en Is et en Jr252. Tertio, dans la Septante, l’ἐπισκοπή est présentée comme une action divine flagrante à travers laquelle une faveur est accordée ou un châtiment infligé. En Lc-Ac, elle prend soudainement une forme qui échappe de prime abord aux yeux humains, comme dans certaines attestations en Jb (10,12 ; 29,4). C’est alors le signe d’une faveur divine accordée, jamais d’un châtiment253. Quarto, à aucun moment la Septante n’associe l’ἐπισκοπή aux temps messianiques, contrairement aux manuscrits de la mer Morte, notamment l’Apocalypse messianique (4Q521), qui évoque la résurrection de morts que Dieu accomplira aux temps messianiques254. Sur quelle base repose l’interprétation messianique de l’ἐπισκοπή en Lc 19,44 ? Cette interrogation soulève une question intermédiaire. Jusqu’à présent nous avons considéré le pronom personnel « detoi [σου] » dans l’expression τῆς ἐπισκοπῆς σου (19,44), comme un génitif objectif. Est-ce vraiment le cas ? Indique-t-il bel et bien l’objet sur lequel s’exerce l’action exprimée par le substantif ? Plusieurs éléments sont en faveur d’une interprétation de ce type en Lc 19,44. Tout d’abord, par le redoublement du verbe « tuconnus [ἔγνως] » (19,42b.44b), les compléments d’objet se répondent : « encejourtoiaussice[qui conduit] à la paix [ἐν τῇ ἡμέρᾳ ταύτῃ καὶ σὺ τὰ πρὸς εἰρήνην] » (19,42b) et « letempsdetavisite [τὸν καιρὸν τῆς ἐπισκοπῆς σου] » (19,44b), plus particulièrement « ce[quiconduit]àlapaix [τὰ πρὸς εἰρήνην] » et « tavisite [τῆς ἐπισκοπῆς σου] ». Or, notre recherche a montré qu’en 19,42 la paix représente implicitement un don de Dieu offert par son roi messianique, Jésus, à une Jérusalem dont la portée est étendue à l’ensemble du peuple juif, sans exclure les nations (Ac 4,27). 251 Peu d’auteurs soulignent la différence de fond. Parmi ceux qui l’évoquent : John NOLLAND, Luke18:35–24:53, p. 932. 252 Sur les 666 attestations de γινώσκω dans la LXX, 71 apparaissent en Ps, 59 en Is, 58 en Ez et 46 en Jr. 253 Selon certains auteurs, l’ἐπισκοπή divine (Lc 19,44) présentée initialement comme l’expression d’une faveur devient aussi un châtiment en raison du refus. Voir Joel B. GREEN, TheGospelofLuke, p. 690 ; Darrell L. BOCK, Luke.Volume2(9:51– 24:53)(Baker Exegetical Commentary on the New Testament, 3B), Grand Rapids MI, Baker Book, 1996, p. 1561 ; Robert H. STEIN, Luke, p. 486 ; Luke T. JOHNSON – Daniel J. HARRINGTON, The Gospel of Luke, p. 299. Ce double sens de l’ἐπισκοπή divine en 19,44 ne repose sur aucun fondement. 254 Voir la présentation de ce manuscrit dans l’étude sur « la résurrection des morts et la “visite” de Dieu dans les manuscrits de la mer Morte » au point 3.3.3 de la section II du chapitre I.
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Telle est donc aussi la perspective de τῆς ἐπισκοπῆς σου en 19,44 où seul le sujet de l’action demeure implicite : la « visite » de Dieu à travers la venue de son roi messianique, Jésus, chez toi, Jérusalem. En 19,44, l’ἐπισκοπή possède un caractère christologique et théologique255. En effet, il s’agit d’une manifestation salvifique de Dieu luimême en la personne du roi messianique, Jésus, voire d’une pleine interaction entre Dieu et celui qui, à partir de la Pentecôte, sera appelé « Jésus Christ256 ». Cet accent hybride de l’ἐπισκοπή est déjà présent dans la péricope de Naïn. En Lc 7,16, Dieu est glorifié parce qu’il « estintervenupoursauversonpeuple [ἐπεσκέψατο ὁ θεὸς τὸν λαὸν αὐτοῦ] ». Dans la perspective des acteurs du récit, l’ἐπισκοπή de Lc 7,16 est avant tout théologique, même si elle implique la reconnaissance de la médiation du grand prophète Jésus. Pourtant, au moment où les actions de ce dernier font basculer les événements, il est présenté par le narrateur comme « leSeigneur [ὁ κύριος] ». Une reconnaissance de l’ἐπισκοπή manifestée en Jésus, limitée aux actions de puissance irréfutable déployées par Jésus en tant que simple médiateur de Dieu, demeure partielle et, à vrai dire, passe à côté de l’essentiel. Une autre question surgit. Pourquoi Luc recourt-il ici au substantif ἐπισκοπή pour parler de l’action de Dieu en Jésus, alors qu’ailleurs, il utilise le verbe ἐπισκέπτομαι257 ? Par rapport au verbe, la présence du substantif apporte-t-elle une nuance ou une connotation particulière à l’action décrite ? En Lc 7,16, cette intervention exprimée par le verbe renvoie d’abord à un moment spécifique, à savoir l’action de Jésus à Naïn, même s’il peut en englober d’autres, tels les passages antérieurs où Jésus témoigne de la consolation et de la miséricorde de Dieu pour son peuple. Or, la paix donnée par Dieu en Jésus n’est pas reliée à un événement particulier. Il en est porteur à tout moment. Dans l’accueil de sa présence humblement puissante et désarçonnante, 255 Selon C. Kavin ROWE, EarlyNarrativeChristology:TheLordintheGospelof Luke, p. 166 : « l’ἐπισκοπή lucanienne de Lc 19,44 est ambiguë car elle est inclusive à la fois de Dieu et de Jésus. La visitation de Jésus est la présence de Dieu venant à Jérusalem comme κύριος » (traduit par nous). Est-il légitime de parler d’ambiguïté ? Dans le même sens, sans pour autant développer sa réflexion, Wolter situe la non-reconnaissance du temps de l’ἐπισκοπή au niveau de l’identité de l’envoyé divin (Jésus) en qui Dieu lui-même vient sauver son peuple. Voir Michael WOLTER, Das Lukasevangelium, p. 635. Sans justifier sa position, Dormeyer considère que l’ἐπισκοπή de Lc 19,44 est à mettre en relation non seulement avec Jésus, mais aussi avec Jean. Voir Detlev DORMEYER, DasLukasevangelium, Stuttgart, Katholisches Bibelwerk, 2011, p. 223. 256 Ἰησοῦς Χριστός (ou Χρισὸς Ἰησοῦς) figure seize fois en Ac, alors qu’il est absent en Lc. 257 Lc 1,68.78 ; 7,16 ; Ac 15,14.
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CHAPITRE II
cette paix est reçue par les être humains. Depuis sa naissance jusqu’à sa résurrection, elle est proclamée par les anges (2,14), par Jésus luimême (24,36), puis par ses disciples (Ac 10,36), sans que les destinataires puissent reconnaître un terme au don de sa paix. La paix de Dieu en Jésus et, du même coup, la « visite » de Dieu en Jésus, sont associées au temps (καιρός) inédit et continu de la présence de Dieu en Jésus depuis sa venue au monde. Ce dernier élément présente un point commun avec deux témoignages de l’ἐπισκοπή divine en Jb (10,12 ; 29,4) déployée au fil du quotidien, de façon presque imperceptible. Cependant, dans le cas de Jésus, l’enjeu de sa « visite » est plus que le simple maintien en vie ; c’est le salut. Il a cherché à rejoindre non « pas les justes mais les pécheurs » (Lc 5,32 ; par. Mc 2,17 et Mt 9,13). Élargissons un instant le champ d’investigation aux écrits péritestamentaires. Le substantif ἐπισκοπή y figure à six reprises, dont quatre fois pour désigner une action divine258. L’une d’elles est particulièrement intéressante pour notre étude de Lc 19,44, car elle parle de la « visite d’un prophète unique ». Dans la Septante, l’ἐπισκοπή divine est l’acte même de Dieu et jamais de son envoyé. Le Temple de Dieu sera dans votre partie, et le dernier sera plus glorieux que le premier ; les douze tribus seront rassemblées là-bas avec aussi toutes les nations, jusqu’àcequeleTrès-Hautenvoiesonsalutparlavisited’un prophète unique [ἕως οὗ ὁ ὕψιστος ἀποστείλῃ τὸ σωτήριον αὐτοῦ ἐν ἐπισκοπῇ μονογενοῦς προφήτου]. (TestamentdeBenjamin 9,2)259
Cependant, la datation de ce texte grec est incertaine et contient des interpolations chrétiennes. Certains éléments pourraient remonter au IIe siècle avant Jésus Christ, sans qu’on puisse les isoler avec certitude260. Au terme de notre analyse, il semble difficile d’identifier dans la Septante ou dans les écrits péritestamentaires une occurrence de l’ἐπισκοπή divine à laquelle ferait écho celle de Lc 19,44, dont la singularité repose sur l’interaction de plusieurs éléments : une action dans la durée, fondée sur l’humilité ; le contexte d’une parole de jugement attestant la nonreconnaissance d’une ἐπισκοπή ; la venue du Messie ; le bienfait de l’ordre du salut, en lien avec une paix non identifiable à l’absence de violence. 258
TestamentdeBenjamin 9,2 ; PsaumesdeSalomon 10,4 ; 11,1.6. Pour le texte grec, voir Marinus de JONGE – Harm W. HOLLANDERetal. (éds.), TheTestamentsoftheTwelvePatriarchs, p. 175. 260 John P. MEIER, AMarginalJew:RethinkingtheHistoricalJesus.VolumeII, p. 262. 259
L’ἐπισκοπή NON RECONNUE PAR JÉRUSALEM (LC 19,44)
267
Bilan : la rencontre à domicile, espace nouveau de l’ἐπισκοπή divine en Jésus Les larmes et la complainte de Jésus sur Jérusalem dévoilent une nouvelle façon de concevoir l’ἐπισκοπή de Dieu à travers quatre signes connexes qui prennent une signification ultime en Jésus : la compassion, la paix, le jugement et le royaume de Dieu. Le jugement divin comporte deux aspects. Tout d’abord, il est exprimé comme un cri de compassion. Ce n’est pas une démarche de jugement qui se trouve vécue avec compassion mais, ici, le jugement lui-même découle de la compassion. Ensuite, le jugement constitue ici un acte de miséricorde, pour rendre possible la conversion, c’est-à-dire le passage de la non-foi à la reconnaissance de ce qui conduit vers la paix. Une telle présentation du jugement est aux antipodes de la conception selon laquelle il interviendrait comme une rétribution extrinsèque à la logique de l’action humaine. Chez Luc, la conversion consiste à se laisser rencontrer par Jésus dans un certain dénuement et ainsi accueillir la bonne nouvelle du royaume de Dieu. La rencontre ouvre à la connaissance de Jésus et conduit à la paix. Deux niveaux de rencontre avec Jésus sont discernables. Le premier est celui des guérisons, que l’initiative vienne des bénéficiaires ou de Jésus lui-même. Ce n’est pas vraiment à ce niveau-là que la paix est donnée et reçue. Le second niveau, d’une plus grande profondeur, est celui de la rémission des péchés, à laquelle peu de personnes accèdent dans l’évangile de Luc. Avant la passion, les rares personnes qui manifestent à Jésus, non verbalement, une conscience de leur impureté ou de leur péché, c’est-à-dire la femme aux écoulements et la femme pécheresse, reçoivent le don de la paix. Le jugement découle de la compassion et vise une rencontre dont la profondeur est la rémission des péchés qui conduit à la paix, c’est-à-dire au royaume de Dieu261. La paix est un thème très cher à Luc, dont il développe la singularité et le paradoxe d’un bout à l’autre de son évangile, en jouant sur deux registres : une paix cherchée dans l’absence de violence, et une paix donnée dans la présence tangible de Jésus. Les attestations de la 261 Parmi les paroles prononcées par Jésus, la rémission des péchés et le royaume de Dieu sont intégrés dans la proclamation des Douze envoyés en mission (Lc 9,2 ; 24,47) et dans la prière du Pater(la deuxième demande dans la partie où les impératifs sont à la troisième personne et la deuxième demande dans la partie où les impératifs sont à la deuxième personne : 11,2.4). Il en va de même pour le royaume de Dieu et la paix, dans la proclamation des soixante-douze disciples envoyés en mission (Lc 10,5-6.9.11) et lors des manifestations de Jésus ressuscité (Lc 24,36 ; Ac 1,3).
268
CHAPITRE II
première forme de paix sont concentrées dans la section de la marche de Jésus vers Jérusalem. À ce stade, la paix est bien ambivalente (Lc 19,38.42). Les attestations de la seconde forme de paix sont rares en dehors des récits de l’enfance, où la proclamation de la paix est connexe à la reconnaissance du Christ (χριστός) en la personne de Jésus262. Elles interviennent après la mort et la résurrection, lorsque le mot « paix » est moins ambigu (24,36), et dans le ministère prépascal de Jésus, lors de deux rencontres isolées (7,50 ; 8,48). Les deux femmes ici rencontrées sont impures, intouchables et marginales. Elles accomplissent pourtant une démarche qui témoigne de leur foi en lui : bien qu’impures, elles touchent Jésus, convaincues qu’elles peuvent être libérées par lui. La paix devient alors le signe d’une dynamique relationnelle rendue à nouveau possible. Il y a un profond décalage entre la paix apportée par Jésus et celle que les gens attendaient de sa puissance, à partir de ses guérisons et de sa domination sur les forces adverses (4,36 ; 19,38 ; 24,19). À travers la manifestation de Jésus ressuscité à ses disciples (24,36), le don de la paix se révèle comme un appel à accueillir Jésus comme Christ dans le dépouillement du Crucifié et, pour l’être humain, dans l’humilité de sa condition de pécheur. Cette puissance de Dieu dans le dénuement constitue précisément ce qui n’a pas été reconnu par Jérusalem au temps de la « visite ». Les deux dimensions de la paix se retrouvent dans le sens de l’ἐπισκοπή. Dans le cantique de Zacharie, la première « visite » est de l’ordre d’une délivrance des ennemis (Lc 1,71.74), tandis que la seconde relève de la rémission des péchés (1,77). Fondamentalement, le don qui n’a pas été reconnu par Jérusalem, c’est Jésus lui-même dans sa façon singulière d’être Christ et Roi. Puisque la « visite » accomplie par Dieu en Jésus n’est pas de l’ordre d’une délivrance des ennemis, Jérusalem demeure exposée aux siens sans avoir la force de traverser l’épreuve, alors qu’elle aurait pu le faire si elle avait accueilli la « visite » telle qu’elle fut vraiment donnée. La non-reconnaissance de la « visite » de Dieu en Jésus laisse totalement démuni face à la mort. L’enjeu de vie et de mort, lié à la « visite » divine, joue non seulement en amont (la « visite » de Dieu libère l’être humain de la mort et l’ouvre à la vie, dans l’accueil d’une identité nouvelle), comme il a été montré en Lc 7,11-17, mais aussi en aval (le refus de la « visite » de Dieu conduit l’être humain à sa perte totale, jusqu’à ses fondements). Ce dernier élément est propre 262
Voir le témoignage des anges (Lc 2,11.14) et celui de Syméon (2,26.29).
L’ἐπισκοπή NON RECONNUE PAR JÉRUSALEM (LC 19,44)
269
à Lc 19,41-44. Notre interprétation demeure ici guidée par la parabole des deux maisons, avec ou sans fondations. En Lc 19,44, l’ἐπισκοπή divine n’est plus seulement une intervention salvifique de Dieu, Maître (κύριος) souverain dans l’histoire de son peuple. Elle se révèle également comme une véritable rencontre salvifique de Dieu en Jésus, Christ (χριστός) désarçonnant par sa manière de regarder chaque personne avec compassion et de se laisser toucher en donnant la paix. Une intervention divine n’appelle pas nécessairement de réponse humaine pour s’accomplir. Mais quand Dieu prend l’initiative d’une rencontre, celle-ci n’atteint son aboutissement qu’avec la participation de l’être humain. Elle peut donc être vouée à l’échec, au moins momentanément, comme l’illustre Lc 19,44. Celuici s’exprime par un aveuglement. Alors que Jésus voit la ville (19,41), elle ne le reconnaît pas : « ce qui conduit à la paix […] est caché à [ses] yeux » (19,42). Par l’emprunt d’un terme vétérotestamentaire, celui de l’ἐπισκοπή divine, Luc inscrit la manifestation de Dieu en Jésus comme une intervention salvifique dans l’histoire de son peuple, dont l’exode marque une étape fondatrice. En même temps, Luc a trouvé dans la polysémie de ce vocabulaire la possibilité d’exprimer la nouveauté de la manifestation salvifique de Dieu en Jésus Christ : une rencontre à domicile. L’ἐπισκοπή divine de Lc 19,44 s’est manifestée à travers la vie de Jésus, non seulement dans ses interventions hors de l’ordinaire auprès de plusieurs personnes affectées, mais aussi dans son partage de la condition humaine au fil des jours, en toute humilité. Comme la non-reconnaissance de l’ἐπισκοπή divine est constatée dans un oracle de jugement (Lc 19,44) et que celui-ci, en Jésus, vise une rencontre de conversion, le lecteur est en droit de s’attendre à une nouvelle rencontre d’initiative divine dépassant l’échec de la première. Celle-ci trouvera-t-elle un répondant humain ? Luc a-t-il pris soin d’en faire le récit ?
CHAPITRE III
L’ἐπισκοπή DISCERNÉE À JÉRUSALEM (AC 15,14) I. VUE D’ENSEMBLE SUR LA PÉRICOPE DE AC 15,13-21 Dans l’analyse préparatoire à l’exégèse, nous découvrons plusieurs traits originaux de la « visite » de Dieu proclamée en Ac 15,14. Notre étude de Lc 19,44 sert de premier point de comparaison, alors que le passage de Ac 15,14 ne possède pas de parallèle, si ce n’est Ga 2 relatant la conduite de Paul dans un contexte similaire. 1. Délimitation du texte et critique textuelle 1.1. LediscoursdeJacques :l’accomplissementdelapromessedivine Pour la délimitation de l’unité littéraire dans laquelle s’insère le verset de notre étude (Ac 15,14), un premier élément saute aux yeux : la présence expressive de « Jacques [Ἰάκωβος] » (15,13), « le frère du Seigneur » (Ga 1,19), dont le nom a simplement été mentionné une première fois en Ac 12,171. Ce dernier passage marque une double étape charnière. D’abord, Pierre est identifié au Christ dans sa passion et sa résurrection. Ensuite, les anciens succèdent aux apôtres : « La communauté de Jérusalem change de chefs et de mode de représentation2. » En effet, sorti miraculeusement de prison, Pierre se rend à la porte de la maison de Marie où se trouve une assemblée en prière (12,12). Après avoir été finalement reconnu (12,13-16), il leur partage comment le Seigneur l’a conduit hors de prison et leur demande de « l’annoncer à Jacques et aux frères » (12,17). Il faut attendre la rencontre de Paul avec les anciens à Jérusalem avant son incarcération, pour entendre à nouveau parler de ce même Jacques dans l’œuvre de Luc (21,18). 1 En Ac 1,13 et en 12,2, il s’agit de Jacques le Majeur, c’est-à-dire le frère de Jean, tous deux fils de Zébédée. Pour la distinction entre les différents Jacques du N.T., voir Régis BURNET, Lesdouzeapôtres :histoiredelaréceptiondesfiguresapostoliques danslechristianismeancien(Judaïsme ancien et origines du christianisme, I), Turnhout, Brepols, 2014, p. 317, 591-593. L’importance de Jacques, frère du Seigneur, dans l’église de Jérusalem est également rapportée en Ga 1,19 ; 2,9.12. 2 Régis BURNET, Lesdouzeapôtres, p. 181.
L’ἐπισκοπή DISCERNÉE À JÉRUSALEM (AC 15,14)
271
Cependant, dans les deux autres passages évoqués (12,17 ; 21,18), aucune parole de Jacques n’est rapportée. En 15,13-21, le discours de Jacques représente une pièce unique dans l’œuvre de Luc3. Ensuite, Ac 15,13 commence par une proposition temporelle introduite par la préposition « après [μετά] » suivie d’un infinitif. Une nouvelle séquence est ainsi annoncée, comme en 15,22 avec l’adverbe « ensuite [τότε] ». Par ailleurs, un changement d’action est manifeste : l’intervention de Jacques vient après le silence de Barnabas et Paul (15,13), et avant la décision des apôtres et des anciens unis à toute l’Église (15,22). Quant au lieu du discours de Jacques, à savoir Jérusalem, il appartient à un ensemble plus large et n’est pas spécifique à 15,13-21. Quatre éléments de syntaxe distinguent le discours de Jacques de son environnement immédiat. Primo, Ac 15,13-21 est marqué par l’absence du pronom personnel « nous », alors qu’en Ac 15, il figure quatre fois avant le discours de Jacques et cinq fois après, toujours pour désigner les apôtres et les anciens rassemblés, sauf pour une éventuelle attestation : « notre Seigneur Jésus Christ » (15,26)4. Secundo, aucun verbe ne figure à la deuxième personne du pluriel en 15,13-21, si ce n’est dans l’adresse introductive pour inviter à écouter (15,13). Ailleurs en Ac 15, ce type de verbe foisonne en visant tantôt les païens, tantôt les apôtres et les anciens5. Tertio, la première personne du singulier est employée dans cinq verbes du discours de Jacques6. Quatre d’entre eux sont concentrés surtout en 15,16 où est rappelée une promesse de Dieu transmise par « les paroles des prophètes » (15,15). Le cinquième verbe à la première personne du singulier figure en 15,19, au moment où Jacques s’engage personnellement en prononçant son jugement : « C’estpourquoijejuge [διὸ ἐγὼ κρίνω] […] » (15,19). Quarto, Jacques parle en recourant plus que les autres à l’indicatif présent de la troisième personne7. Elle désigne « les paroles des prophètes » 3 En Lc 9,54 (propre à Luc), devant le non-accueil d’un village samaritain, Jacques et Jean s’adressent à Jésus : « Seigneur, veux-tu que nous disions au feu de descendre du ciel et de les consumer ? » Cependant, cette parole concerne un autre Jacques, le frère de Jean, fils de Zébédée. En Ac, Pierre est une figure d’autorité pour les premières communautés chrétiennes, mais c’est à Jacques, entouré des apôtres et des anciens, que celles-ci se réfèrent. 4 Ac 15,8.9.10(bis).24.25(bis).26.28. 5 Ac 15,1.7.10.29. 6 Ailleurs en Ac 15, aucun verbe ne présente cette caractéristique. 7 En dehors du discours de Jacques, Ac 15 contient deux verbes à l’indicatif présent de la troisième personne, de façon impersonnelle (15,5) ou en référence aux frères de toute ville (15,36).
272
CHAPITRE III
(15,15), « le Seigneur » (15,17) ou encore « Moïse » (15,21). À la lumière de ces éléments de syntaxe, il ressort que Jacques, se situant au-dessus de la mêlée, se fait témoin de la promesse que Dieu accomplit dans le moment présent et tranche personnellement. 1.2. Unvocabulairequitémoigned’unévénementinédit L’analyse des termes et des expressions présents en Ac 15,13-21 est aussi révélatrice. Termes et expressions présents en Ac 15,13-218
Ailleurs dans le Nouveau Testament
Ancien Testament (LXX)
A. Exclusivement lucaniens (absents dans le Nouveau Testament, en dehors de Lc-Ac) ἄνδρες ἀδελφοί (15,14)
13 autres fois en Ac et 0 en Absent Lc
ἀπ᾿ αἰῶνος (15,18)
1 autre en Ac (3,21) et 1 en 9 (pas de concentration) Lc (1,70), dans les deux cas au singulier également9
πνικτός (15,20)
2 autres fois en Ac (15,29 ; Absent 21,25) et 0 en Lc B. Typiquement lucaniens sans être exclusifs à Luc10
σιγῶ (15,13)
2 autres fois en Ac (12,17 ; 16 (5 en Ps) 15,12) et 3 en Lc (9,36 ; 18,39 ; 20,26). Aussi 3 en 1 Co et 1 en Rm
ἀκούω à l’impératif aoriste 4 autres fois en Ac (2,22 ; 162 (29 en Jr et 26 en Is) 7,2 ; 13,16 ; 22,1), 2 en Lc (15,13) (16,29 ; 18,6), 2 en Mt (13,18 ; 21,33), 1 en Mc (7,14) et 0 en Jn
8 La recherche de concordance des termes ou expressions ne tient pas compte de la forme grammaticale adoptée en Ac 15,13-21, sauf indication contraire. 9 L’expression avec l’article (ἀπὸ τῶν αἰώνων) figure toutefois en Ep 3,9 et Col 1,26, dans les deux cas au pluriel, ainsi que seize fois dans la LXX (dont six en Ps), toujours au singulier. 10 Une expression est ici considérée comme étant d’usage typiquement lucanien sans que celui-ci soit exclusif à Luc, lorsqu’elle est présente au moins trois fois en Lc-Ac et que le nombre de ses occurrences en Lc-Ac dépasse le double de celui de Mt et Mc.
L’ἐπισκοπή DISCERNÉE À JÉRUSALEM (AC 15,14)
Termes et expressions présents en Ac 15,13-21
Ailleurs dans le Nouveau Testament
273
Ancien Testament (LXX)
B. Typiquement lucaniens sans être exclusifs à Luc (suite) Συμεών (15,14)
1 autre fois en Ac (13,1) et 3 53 (13 en Nb et 11 en Gn) en Lc (2,25.34 ; 3,30). Aussi 1 en 2 P et 1 en Ap
ἐξηγοῦμαι (15,14)
3 autres fois en Ac (10,8 ; 8 15,12 ; 21,19), 1 en Lc (24,35) et 1 en Jn (1,18) ; absent ailleurs dans le Nouveau Testament
ὁ θεός (15,14.19)
151 autres fois en Ac, 107 en 2638 (420 en Ps et 387 en Lc, 61 en Jn, 44 en Mc et 40 Dt) en Mt
ἐπισκέπτομαι (15,14)
3 autres fois en Ac (6,3 ; 153 fois (49 en Nb, 19 en 7,23 ; 15,36), 3 en Lc Jr) (1,68.78 ; 7,16), 2 en Mt (25,36.43), 0 en Mc et Jn
ἔθνος au pluriel (15,14)
32 autres fois en Ac, 12 en 685 (97 en Ez, 87 en Is, 70 Mt, 9 en Lc, 4 en Mc et 0 en en Ps) Jn
λαός au singulier (15,14)
45 autres fois en Ac, 35 en 1776 Lc, 14 en Mt, 3 en Jn et 2 en Mc
ὁ κύριος (15,17)
68 autres fois en Ac, 45 en Lc, 1189 (206 en Ps) 26 en Mt, 16 en Jn et 6 en Mc
ἐπικαλῶ (15,17)
19 autres fois en Ac, 1 en Mt 173 (30 en Ps) (10,25), 0 en Lc, Mc et Jn
γνωστός (15,18)
9 autres fois en Ac, 2 en Lc, 2 19 (5 en Ps) en Jn, 0 en Mc et Mt ; aussi 1 en Rm
διό (15,19)
7 autres fois en Ac, 2 en Lc 20 (7 en 2 M, 7 en Jb) (1,35 ; 7,7), 1 en Mt (27,8), 0 en Mc et Jn
ἐπιστρέφω (15,19)
10 autres fois en Ac, 7 en Lc, 4 492 (46 en 2 R, 40 en Ps, 40 en Mt, 4 en Mc, 1 en Jn en Jr)
ἀρχαῖος (15,21)
2 autres fois en Ac (15,7 ; 21,6), 25 (6 en Ps, 6 en Is) 2 en Lc (9,8.19) et 2 en Mt (5,21.33)
274
CHAPITRE III
Termes et expressions présents en Ac 15,13-21
Ailleurs dans le Nouveau Testament
Ancien Testament (LXX)
B. Typiquement lucaniens sans être exclusifs à Luc (suite) πόλις (15,21)
42 autres fois en Ac, 39 en Lc, 1429 (153 en Is, 123 en Jr) 27 en Mt, 8 en Mc et 8 en Jn
συναγωγή (15,21)
18 autres fois en Ac, 15 en 213 (89 en Nb) Lc, 8 en Mc et 2 en Jn.
σάββατον (15,21)
9 autres fois en Ac, 20 en Lc, 13 128 (21 en Lv) en Jn, 12 en Mc et 11 en Mt C. Présents en Ac 15,13-21 mais rares en Ac11
τῷ ὀνόματι αὐτοῦ [sous 0 ailleurs en Ac, 1 en Lc 14 (5 en Dt, 3 en Ps) cette forme] (15,14) (24,47), 1 en Mt (12,21) et 1 en Jn (10,31) συμφωνῶ (15,15)
1 autre fois en Ac (5,9), 3 en 3 (Gn 14,3 ; 2 R 12,9 ; Mt (18,19 ; 20,2.13), 1 en Lc Is 7,2) (5,36), 0 en Mc et Jn ; absent ailleurs dans le Nouveau Testament
καθὼς γέγραπται (15,15)
1 autre fois en Ac (7,42), 3 en 612 Mc (1,2 ; 9,13 ; 14,21), 1 en Lc (2,23), 1 en Mt (26,24) et 0 en Jn
πεπτωκυῖαν (15,16) participe parfait
au 0 ailleurs en Ac et dans les 29 (pas de concentration) évangiles ; aussi en Ap 9,1
κατασκάπτω (15,16)
0 ailleurs en Ac et dans les 33 (pas de concentration) évangiles ; aussi en Rm 11,3
ἀναστρέφω (15,16)
1 autre fois en Ac (5,22) et 0 104 (17 en 1 S, 11 en Jr, 12 en Lc en 1 R)
ἀνορθῶ (15,16)
0 ailleurs en Ac, 1 en Lc 16 (pas de concentration) (13,13) ; aussi en He 12,12
ἐκζητῶ à l’actif (15,17)
0 ailleurs en Ac et dans les 128 (31 en Ps) évangiles ; aussi 2 en He, 1 en Rm et 1 en 1 P
ὅπως ἄν (15,17)
1 autre en Ac (3,20), 1 en Lc 33 (16 en Ps) (2,35) ; aussi en Rm 3,4
11 Une expression est classée comme présente en Ac 15,13-21 mais rare en Ac, si elle ne satisfait pas aux critères de la catégorie précédente et si les autres occurrences en Ac ne dépassent pas trois, sans être absentes ailleurs dans le Nouveau Testament. 12 2 R 14,6 ; 23,21 ; 2 Ch 23,18 ; 25,4 ; Est 9,23 ; Tb 1,6.
L’ἐπισκοπή DISCERNÉE À JÉRUSALEM (AC 15,14)
Termes et expressions présents en Ac 15,13-21
Ailleurs dans le Nouveau Testament
275
Ancien Testament (LXX)
C. Présents en Ac 15,13-21 mais rares en Ac (suite) εἴδωλον (15,20)
1 autre en Ac (7,41) ; aussi 9 86 (12 en Ez, 10 en 2 Ch) fois en dehors des Ac et des évangiles
D. Présents en Ac 15,13-21 mais introuvables ailleurs dans le Nouveau Testament λαμβάνω ἐκ au sens de – « prendre parmi [des personnes] » (15,14)
713
οἱ λόγοι τῶν προφητῶν – (15,15) [les deux substantifs au pluriel]
3 (Jr 23,16 ; 34,16 ; Ba 1,21)
ἀνοικοδομῶ (15,16 bis)
–
20 (pas de concentration)
σκηνή Δαυίδ (15,16)
–
2 (Am 9,11 ; Is 16,5)
οἱ κατάλοιποι τῶν ἀνθρώ- – πων (15,17)14
1 (Am 9,12)
παρενοχλῶ (15,19)
–
14 (pas de concentration)
ἀλίσγημα (15,20)
–
Absent
Les termes d’usage typiquement ou exclusivement lucanien (catégories A et B) sont concentrés au début (Ac 15,13-14) et à la fin (15,1721) de la péricope, alors que le vocabulaire atypique (catégories C et D) est situé surtout entre ces deux extrémités (15,15-17). Concernant les trois expressions d’usage exclusivement lucanien – ἄνδρες ἀδελφοί (15,14), ἀπ᾿ αἰῶνος (15,18), πνικτός (15,20) – elles se révèlent plus précisément « actiennes », c’est-à-dire propres à Ac, non seulement en regard des autres livres du Nouveau Testament, mais aussi de la Bible et d’écrits extra-bibliques, tels les pseudépigraphes, ainsi que les ouvrages de Flavius Josèphe et de Philon d’Alexandrie. En outre, le verset de notre étude (15,14) se distingue par sa densité de vocabulaire d’usage typiquement lucanien, dont trois termes sur six – ὁ θεός, ἔθνος au pluriel, λαός au singulier – sont particulièrement attestés dans la Septante, comme dans les trois types d’écrits extra-bibliques que nous venons de mentionner. Ces trois termes font référence aux acteurs mis en relation avec le verbe ἐπισκέπτομαι. Or, nulle part ailleurs dans 13 14
Dt 1,15.23; 1 Ch 18,11; Jdt 3,6; Am 2,11; Ez 24,16; 33,6. L’adjectif κατάλοιπος (ici substantivé) est également absent ailleurs dans le N.T.
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CHAPITRE III
les écrits consultés le même verbe ne met en relation ὁ θεός, ἔθνος et λαός. Un événement tout à fait singulier est proclamé par Jacques. Tel est l’objet du présent chapitre. Cette singularité n’émerge pas ex nihilo.Dans la conclusion de l’oracle contre l’Égypte en Is 19,25, Dieu bénit cette nation et l’appelle « mon peuple » selon le texte massorétique : « Béni[est]monpeuple,l’Égypte []בּרוְּך ַע ִמּי ִמ ְצ ַריִם ָ ». Cependant, la LXX présente une autre version : « Béni[est]monpeuplequiest en Égypte [Εὐλογημένος ὁ λαός μου ὁ ἐν Αἰγύπτῳ] ». Les deux variantes attestent que l’idée était à la fois déjà en germe dans l’Ancien Testament et difficilement acceptable. Dans la troisième vision du prophète Zacharie, se côtoient deux actions antithétiques de Dieu à l’égard des nations. La première correspond à un oracle contre les nations. Le Seigneur affirme : « je porte la main contre [les nations qui vous ont dépouillés], et ellesserontdesdépouillespourleursesclaves [ἔσονται σκῦλα τοῖς δουλεύουσιν αὐτοῖς] » (Za 2,9 LXX = 2,13 TM). La seconde émerge de façon inattendue. Il est annoncé que « beaucoupdenationsseréfugieront [καταφεύξονται ἔθνη πολλά] auprès du Seigneur ce jour-là et ellesluiserontunpeuple [ἔσονται αὐτῷ εἰς λαόν] » (Za 2,11 LXX = 2,15 TM). Ce dernier verset sera abondamment commenté par les Pères de l’Église pour illustrer la nouveauté apportée par la venue de Jésus Christ : les nations deviennent le peuple de Dieu15. 1.3. Critiquetextuelle En Ac 15,13-21, l’apparat critique d’Aland et al., ainsi que le commentaire de Metzger, signalent cinq endroits où apparaissent des variantes16. Trois concernent les recommandations pratiques (15,20) et alimentent plusieurs débats, notamment sur le nombre d’éléments à retenir (trois ou quatre), ainsi que sur l’ordre dans lequel ils figurent17. Plusieurs manuscrits de la tradition occidentale se distinguent par l’absence du terme « cequiestétouffé [τοῦ πνικτοῦ] » et par la mention de la Règle d’or : « tout cequ’onneveutpasqu’iladvienneàsoi-même, 15 Michel CASEVITZ – Cécile DOGNIEZetal. (éds.), LesDouzeProphètes.Aggée, Zacharie (La Bible d’Alexandrie, XXIII.10-11), Paris, Cerf, 2007, p. 197-200. 16 Barbara ALAND – Kurt ALANDetal. (éds.), TheGreekNewTestament, p. 465467. 17 Pour un exposé de ce débat, voir Bruce M. METZGER, ATextualCommentary ontheGreekNewTestament, p. 379-384 ; Édouard DELEBECQUE, « Deux études de critique littéraire sur les deux versions du Concile de Jérusalem en 49 », in Études surleGrecduNouveauTestament, Marseille, Éditions de l’Université de Provence, 1995, 199-224.
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nelefaitespasauxautres [ὅσα μὴ θέλουσιν ἑαυτοῖς γίνεσθαι ἑτέροις μὴ ποιεῖτε]18 ». Toutefois, ces variantes sont situées en dehors du verset de notre étude (15,14) et n’affectent pas l’interprétation de la « visite » de Dieu (ἐπεσκέψατο) de façon majeure19. 2. Contexte littéraire élargi (Ac 14,27–15,40) et immédiat (Ac 15,429) Le contexte élargi peut être abordé à travers différentes perspectives, tant géographique que thématique. 2.1. L’aller-retourAntioche-Jérusalem,d’uneconfrontationàl’autre Ac 14,24-26 relate l’arrivée de Paul et de Barnabas à Antioche, leur lieu de destination et aussi « leur point de départ, où ils avaient été remis à la grâce de Dieu pourl’œuvrequ’ilsaccomplirent [εἰς τὸ ἔργον ὃ ἐπλήρωσαν] » (14,26)20. En effet, « dans l’Église à Antioche […], pendant qu’ils célébraient le culte du Seigneur et jeûnaient, l’Esprit Saint dit : “Mettez à part Barnabas et Saul pour moi, envuedel’œuvre àlaquellejelesappelle [εἰς τὸ ἔργον ὃ προσκέκλημαι αὐτούς].” » (13,1-2) Ainsi s’achève en Ac 14,26 ce qui est traditionnellement désigné comme « le premier voyage missionnaire de Paul » (13,4– 14,26). Le nouveau séjour de Paul et Barnabas à Antioche commence par un témoignage au sujet de « tout ce que Dieu fit avec eux et comment il ouvrit aux païens la porte de la foi » (14,27). Ce partage fraternel suscite l’éclatement du « différend [στάσεως] » (15,2) qui oppose Paul et Barnabas à certains gens de Judée (15,1). L’Église à Antioche 18 Voir le codex BezaeCantabrigensis(D, Ve siècle) ; avec des adaptations contextuelles négligeables, son parallèle, la version Cantabrigiensis de la Vieille Latine (d, Ve siècle), la version ar de la Vieille Latine (IXe siècle), l’ensemble de la tradition sahidique (IVe – Ve siècles), l’ensemble de la tradition éthiopienne (Ve – VIe siècles), le lectionnaire 1178 (XIe siècle) ; un manuscrit de la tradition slavone (IXe), une citation latine d’IRÉNÉE DE LYON dans la marge de la minuscule 1739 (Xe siècle), ainsi que les minuscules 945 (XIe siècle), 1739 et 1891 (Xe siècle). 19 Le même constat s’impose pour l’analyse plus détaillée de NTG28 qui présentent dix variantes. Voir Barbara ALAND – Kurt ALANDetal. (éds.), NovumTestamentumGraece[Nestle–Aland], p. 365-366. 20 Selon les recherches de Kolb dans les années 90, les fouilles archéologiques fournissent peu d’indications sur les éléments culturels et ethniques qui permettraient de mieux saisir le témoignage des Actes au sujet des chrétiens vivant à Antioche aux Ier et IIe siècles. Voir Frank KOLB, « Antiochia in der frühen Kaiserzeit », in Hubert CANCIK (éd.), Geschichte-Tradition-Reflexion.GriechischeundrömischeReligion. FS.MartinHengel, Tübingen, J.C.B. Mohr (Paul Siebeck), 1996, 97-118, p. 105.
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mandate Paul et Barnabas avec quelques autres, pour « monter [ἀναβαίνειν] à Jérusalem » et ouvrir aux apôtres et aux anciens ce « débat [ζήτησις] » (15,2)21. La rencontre a lieu (15,4-30) et se conclut par la décision d’envoyer à Antioche des délégués accompagnés de Paul et de Barnabas (15,22), pour « communiquer de vive voix les directives » (15,27) présentées aussi par écrit dans une lettre (15,23-29). Selon les perspectives géographique et thématique, le contexte immédiat du discours de Jacques est délimité par le séjour de Paul et de Barnabas à Jérusalem (15,4-29) où se déroule le débat de l’assemblée (15,6-21), avec ses préliminaires (15,4-5) et son résultat final (15,22-29). En Ac 15,35, Paul et Barnabas sont à nouveau à Antioche, avant de reprendre le large, chacun de son côté, par suite d’un profond désaccord entre eux, sur le choix de prendre avec eux Marc, alors que celui-ci « les avait quittés en Pamphylie et ne les avait pas accompagnés envuedel’œuvre [εἰς τὸ ἔργον] [à accomplir] » (15,38). L’arrivée de Paul et de Barnabas à Antioche commence par un conflit qui provoque un voyage à Jérusalem. Leur retour à Antioche se solde par une autre confrontation qui suscite deux départs dans des directions différentes (Chypre, la Syrie et la Cilicie) et deux nouveaux tandems missionnaires : Barnabas et Marc d’un côté, Paul et Silas de l’autre (15,39-40). Ainsi commence le deuxième voyage missionnaire de Paul. Le contexte de Ac 15,14 considéré dans une perspective géographique trouve plusieurs points de similitude avec le contexte de Lc 19,44 : la montée de Jésus vers Jérusalem et la proclamation de l’action de Dieu en lui, le Messie Roi, que certains cherchent à faire taire, tels les Pharisiens (19,39), et de façon fatale, les grands prêtres, les scribes et les anciens des Juifs22. En Ac 15, l’histoire ne se répète pas, car l’assemblée des anciens et des apôtres à Jérusalem a une façon singulière d’assumer la confrontation. 2.2. Lesapôtresetlesanciens La montée à Jérusalem vécue par Paul, Barnabas et ceux qui les accompagnent a comme objectif d’aller rencontrer « lesapôtresetles anciens [τοὺς ἀποστόλους καὶ πρεσβυτέρους] » (Ac 15,2). Absente 21 En Ac 15,2, le codex BezaeCantabrigensis est plus polémique. Des Juifs chrétiens de Jérusalem qui étaient venus à Antioche, envoient Paul et Barnabas à Jérusalem afin qu’« ilssoientjugés [κριθῶσιν] sur cette question » par les apôtres et les anciens. Voir Ian M. ELLIS, « Codex Bezae at Acts 15 », in IrishBiblicalStudies 2 (1980) 134140, p. 135-136. 22 Lc 19,47 ; 20,1.19 ; 22,2.4.51.52.54.66 ; 23,4.10.13.
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ailleurs dans la Bible, cette expression figure uniquement dans le cadre de la question débattue en Ac 15 : cinq fois dans cette unité littéraire23 et une fois en relation à ce récit (16,4). L’institution des apôtres et des anciens réunis à Jérusalem fait écho à celle « deschefs,des anciensetdesscribes [τοὺς ἄρχοντας καὶ τοὺς πρεσβυτέρους καὶ τοὺς γραμματεῖς] » qui avait la même habitude de se réunir à Jérusalem (4,5). Dans les deux cas, la question porte sur l’attitude à adopter par rapport à un groupe considéré comme marginal par le groupe dominant : d’un côté, Pierre et Jean face aux Juifs qui n’ont pas adopté la foi en Jésus Christ (Ac 4) et de l’autre, les chrétiens d’origine païenne face aux chrétiens d’origine juive (Ac 15). Toutefois, la façon de délibérer des apôtres et des anciens appartenant au mouvement chrétien du judaïsme, se distingue nettement de celle des chefs, des scribes et des anciens du judaïsme institutionnel de Jérusalem. Primo, un espace est créé pour écouter chacun s’exprimant de sa propre initiative : avant l’assemblée, les croyants issus du pharisaïsme (15,5) ; puis, lors de l’assemblée, Pierre (15,7-11), Paul et Barnabas (7,12), ainsi que Jacques (15,13-21). Secundo, lors de l’assemblée (15,6-30), les intervenants, du moins les quatre dont le texte rapporte la position, parlent en retraçant l’action de Dieu en rapport avec la question traitée et les personnes impliquées24. Dans les prises de parole durant l’assemblée, Dieu[ὁ θεός] est quatre fois nommé comme sujet de plusieurs actions. […] depuis les temps anciens, chez vous, Dieuchoisit [ἐξελέξατο ὁ θεός] que de ma bouche les païens entendent la parole de l’évangile et croient. 8 Et Dieu,quiconnaîtlescœurs,leurrendittémoignage [ὁ καρδιογνώστης θεὸς ἐμαρτύρησεν αὐτοῖς], en leur donnant l’Esprit Saint, comme aussi à nous. 9 Il ne fit aucune discrimination entre eux et nous, en purifiant leurs cœurs par la foi. (Ac 15,7-9) 7
Toute l’assemblée garda silence et écouta Barnabas et Paul expliquer touslessignesetlesprodigesqu’àtraverseux,Dieufitchezlespaïens [ὅσα ἐποίησεν ὁ θεὸς σημεῖα καὶ τέρατα ἐν τοῖς ἔθνεσιν δι᾿ αὐτῶν]. (Ac 15,12) Syméon expliqua comment dès le début, Dieuintervintpourchoisird’entre lespaïensunpeupleàsonnom [ὁ θεὸς ἐπεσκέψατο λαβεῖν ἐξ ἐθνῶν λαὸν τῷ ὀνόματι αὐτοῦ]. (Ac 15,14) 23
Ac 15,2.4.6.22.23. Cette façon d’intervenir n’est pas partagée par les croyants issus du parti des Pharisiens (Ac 15,5), qui toutefois ne participent pas à l’assemblée des apôtres et des anciens. 24
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Tertio, la décision est prise à l’unanimité « avec toute l’Église » (15,22 ; aussi 15,25), sous la guidance de l’Esprit Saint (15,28). De plus, cette unité se traduit dans la lettre des apôtres et des anciens qui se présentent comme « frères » aux païens sauvés « par la grâce du Seigneur Jésus » (15,11), et qui appellent ces derniers « frères » également (15,23). Les apôtres et les anciens, [vos] frères, aux frères d’origine païenne à Antioche,enSyrieetenCilicie :salut [Οἱ ἀπόστολοι καὶ οἱ πρεσβύτεροι ἀδελφοὶ τοῖς κατὰ τὴν Ἀντιόχειαν καὶ Συρίαν καὶ Κιλικίαν ἀδελφοῖς τοῖς ἐξ ἐθνῶν χαίρειν]. (Ac 15,23)
Ac 15,23 est le seul passage biblique où la même appellation « frères » est appliquée de façon inclusive, c’est-à-dire tant aux croyants d’origine païenne qu’à ceux d’origine juive25. En Ac 4, les chefs, les scribes et les anciens des Juifs procèdent à un interrogatoire (4,7). Leur préoccupation est d’éviter un soulèvement du peuple (4,17.21), tout en maniant habilement la menace (4,17-18). Dans le processus de mise en place du gouvernement des premières communautés chrétiennes, l’institution des apôtres et des anciens constitue une étape de transition, puisqu’il n’en sera plus question après dans les Ac, ni ailleurs dans le Nouveau Testament. D’après le compte rendu des questions spécifiques traitées dans les Ac, le gouvernement des premières communautés chrétiennes est centralisé à Jérusalem, d’où elles tirent leur origine, et il est d’abord exercé surtout par Pierre comme premier des apôtres26, puis par les Douze27, ensuite par les apôtres et les anciens autour de Jacques (Ac 15,6-30)28, et 25
Signalons aussi Ac 15,1 où le mot « frères [ἀδελφοὺς] » sert à désigner les personnes d’Antioche à qui les gens de Judée s’adressent. D’après le contexte de leur parole (« Si vous ne vous faites pas circoncire selon la règle de Moïse, vous ne pouvez pas être sauvés »), les personnes visées sont des païens. Cependant, en Ac 15,1, l’appellation « frères » n’est pas employée de façon inclusive comme en Ac 15,23. 26 Pour l’adjonction de Matthias aux onze apôtres (Ac 1,15-26) ; les prises de parole à la Pentecôte (2,14-36.38-39.40) ; l’interpellation à Ananias (5,3-4), puis à sa femme (5,8) ; la réponse au grand prêtre (5,29-32). 27 Pour l’institution des Sept (Ac 6,1-6). 28 Selon Burnet, le témoignage de Ga (1,18-19 ; 2,9-10) et des Ac (12,17) révèlent que « vers les années 34-35, deux hommes comptent à Jérusalem : Pierre et Jacques, et pas seulement Pierre », et qu’au moment de l’emprisonnement de Pierre (Ac 12,3), « les Apôtres sont supplantés par les Anciens […] centrés autour de Jacques, le frère du Seigneur ». Voir Régis BURNET, Lesdouzeapôtres, p. 172-173. La substitution complète des apôtres par les anciens n’est-elle pas postérieure à Ac 15 ? Sinon, lors de l’assemblée de Jérusalem, pourquoi parler encore des « apôtres et des anciens » de Jérusalem (15,2.4.6.22.23 ; 16,4) et non pas seulement des « anciens » de Jérusalem, comme ce sera le cas plus tard (21,18) ? Il est vrai qu’en Ac 11,30, il est question
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finalement par les anciens dont Jacques demeure la tête (21,17-26). En Ac, après l’assemblée à Jérusalem, il ne sera plus question ni de Pierre, ni de Barnabas, ni des apôtres. Le même Jacques sera encore évoqué une fois, en compagnie des anciens (21,18). Par contre, Paul occupera l’avant-scène. Pour bien saisir la dynamique particulière de l’assemblée des apôtres et des anciens à Jérusalem dans les Actes, il convient de se rappeler qu’au Ier siècle du christianisme jusqu’au IIe ou IIIe siècles, les premières communautés, d’origine judéenne ou grecque, constituent un courant à l’intérieur du judaïsme qui, à l’époque du Second Temple, était pluriel29. L’assemblée des apôtres et des anciens dont il est question en Ac 15, se définit comme une instance profondément juive de tendance chrétienne30. des « anciens » de Jérusalem, sans mentionner les apôtres, mais il s’agit alors d’une responsabilité d’ordre matériel : recevoir le fruit de la collecte pour les frères en Judée. 29 Simon C. MIMOUNI, « Quelques remarques épistémologiques et méthodologiques sur le judaïsme et le christianisme de l’Antiquité classique et tardive », in Laval théologiqueetphilosophique 703 (2014) 413-423, p. 419-420. Diverses données textuelles de Lc-Ac concernant le sabbat, les prescriptions alimentaires et la circoncision, invitent à considérer que ce récit alimente à plusieurs égards cette hypothèse historique sur l’émergence des premières communautés chrétiennes à l’intérieur du judaïsme ancien. Telle est l’hypothèse de lecture de Lc-Ac (aussi de Mt) proposée et argumentée par Isaac W. OLIVER, TorahPraxisafter70CE:ReadingMatthewandLuke-Actsas JewishTexts(WUNT. II Reihe, 355), Tübingen, Mohr Siebeck, 2013, p. 1-4. Un de premiers à avoir proposé un tel renversement de perspective par rapport à la conception traditionnelle est Jervell dans les années 1970. Voir Jacob JERVELL – Nils A. DAHL, LukeandthePeopleofGod:ANewLookatLuke-Acts, Minneapolis MN, Augsburg, 1972. Même si aujourd’hui, la plupart des auteurs s’entendent pour reconnaître une continuité indéniable entre le judaïsme ancien et les premières communautés chrétiennes, des divergences demeurent dans la considération de la part de nouveauté théologique et pratique de celles-ci au Ier siècle. Voir l’état de la question dans Simon BUTTICAZ, L’identitédel’ÉglisedanslesActesdesapôtres :delarestaurationd’Israël àlaconquêteuniverselle (BZNW, 174), Berlin – New York NY, Gruyter, 2011, p. 6-26, 52-53. 30 Pour chercher à éviter tout anachronisme, nous utiliserons que très rarement l’expression « Église primitive » pour parler du groupe des chrétiens du Ier siècle dont il est question en Ac. En effet, même si le terme ἐκκλησία figure en Ac, la réalité signifiée est différente de ce que nous entendons aujourd’hui par « Église », en tant qu’institution non plus constitutive mais indépendante du judaïsme, ayant développé une Tradition et des rites qui reflètent sa propre singularité, tout en demeurant reliée au judaïsme dans ses racines et dans son souci de communion en vue du royaume de Dieu. Tel que le signale Dunn, la perspective de la solution apportée par l’assemblée de Jérusalem, en réponse au débat initial (Ac 15,1-2.5) demeure fondamentalement juive. Voir James D. DUNN, TheActsoftheApostles(Epworth Commentaries), Peterborough, The Epworth Press, 1996, p. 206-207. Gourgues souligne que dans les Ac, les Juifs qui ne partageaient pas la foi chrétienne considéraient les adhérents à celle-ci comme un « parti[αἵρεσις] » (Ac 24,5.14 ; 28,22) à l’intérieur de leur propre religion, c’est-à-dire un courant particulier, tout comme c’était le cas pour les Pharisiens
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2.3. Macro-contexte :ledébatautourdelapureté En Ac, le vocabulaire lié à la pureté est concentré dans les récits liés en amont ou en aval à l’assemblée de Jérusalem31. Il commence à foisonner dans l’unité littéraire autour du séjour de Pierre chez Corneille (Ac 10–11)32. Lors de l’assemblée de Jérusalem, il réapparaît dans le discours de Pierre (15,9) qui manifestement fonde son témoignage sur sa rencontre avec Corneille. Après, lors du troisième voyage de Paul à Jérusalem, il est spécifiquement question de sa purification rituelle, à la demande des anciens entourant Jacques, pour contrer des rumeurs circulant au milieu des Juifs (21,24.26, évoqué en 24,18). Dans ce récit, les quatre directives de l’assemblée de Jérusalem sont également rappelées (21,25). L’enjeu de la pureté est aussi présent en filigrane dans le « débat [ζητήσεως] » (15,2) qui a été suscité par la confrontation à Antioche. Ac 15 constitue le seul témoignage biblique d’un « débat [ζήτημα / ζήτησις] » à l’intérieur de l’Église primitive en devenir, avec, en plus, la description de la façon dont il a été traité33. L’objet de la controverse qui a éclaté à Antioche et qui est discuté à Jérusalem n’est pas le moindre. Il comporte une double perspective, théologique et pastorale, ou, pour le dire autrement, formelle et informelle. Sur le plan théologique (niveau formel), quelles sont les conditions concrètes du salut pour les païens (15,1)34 ? Plus précisément, la circoncision, conformément à la règle de Moïse35 (15,1), et l’observance de la Loi de Moïse (15,5), y compris ses exigences de pureté, sont-elles nécessaires ou non pour être sauvés ? Pour le dire autrement, est-il nécessaire pour être sauvés que les païens soient pleinement (15,5 ; 26,5) et les Sadducéens (5,17). Michel GOURGUES, « L’Évangile aux païens (Actes des Apôtres 13–28) », in CahiersÉvangile 67 (1989) 5-68, p. 40-42. 31 καθαρός, ά, όν (adj) : « pur » ; ἀκάθαρτος, ον (adj) : « impur » ; καθαρίζω : « purifier » ; κοινός, ή, όν (adj) : « commun / profane » ; κοινῶ : « profaner » ; ὁ ἁγνισμός : « la purification rituelle » ; ἁγνίζω : « purifier rituellement ». 32 Ac 10,14 (// 11,8) ; 10,15 (// 11,9) ; 10,28. 33 Ac 6,1-6 présente également une difficulté rencontrée par l’Église primitive. Mais la situation est déclenchée par un « murmure [γογγυσμός] » et ne suscite pas vraiment de débat. Il s’agit avant tout d’une difficulté pratique amenant à des ajustements dans l’organisation, et du même coup, à l’institution de nouveaux services. 34 La question de l’éventuel salut des païens a déjà trouvé une réponse dans le récit du passage de Pierre chez Corneille (Ac 11,18). 35 Depuis Moïse, les fils d’Israël et les prosélytes doivent être systématiquement circoncis le huitième jour après la naissance (Lv 12,3) ou du moins, dans certains cas spécifiques, pas au delà du douzième jour (Mishna Shabbat 19,5). Pour les esclaves et les immigrés, la circoncision était une condition pour être autorisés à manger la Pâque (Ex 12,44.48).
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assimilés au peuple d’Israël ? Hors du judaïsme point de salut ? Quels sont les signes identitaires du peuple choisi par Dieu36 ? Au Ier siècle, déjà avant la naissance des premières communautés chrétiennes, des pressions sociales du contexte gréco-romain existaient contre la circoncision et suscitaient chez les Juifs des réactions variées. Certains demeuraient convaincus de l’importance de la circoncision en cherchant à consolider les raisons théologiques de celle-ci ou à en rendre compte aux Grecs à partir d’arguments profanes. D’autres la négligèrent37. Désormais, l’enjeu social devient ecclésial. Sur le plan pastoral (niveau informel), dans quelle mesure des Juifs chrétiens, fidèles à la Loi de Moïse, peuvent-ils interagir avec des païens chrétiens sans crainte d’impureté ? Ce défi pastoral ne se situe pas seulement sur un plan pratique, dans une tentative d’aboutir à un compromis viable ; mais aussi sur un plan intellectuel, en raison d’une difficulté à comprendre38. Les reproches adressés par des Juifs chrétiens de Jérusalem, à l’encontre de Pierre après son passage chez Corneille, l’illustrent bien : « Tu es entré chez des hommes incirconcis et tu as mangé avec eux ! » (Ac 11,3) Des Juifs chrétiens et des païens chrétiens avaient besoin d’être apaisés39. La compréhension des notions de pureté et d’impureté telles qu’elles sont véhiculées dans le judaïsme ancien est fondamentale pour le lecteur des Ac, afin de le préserver de soutenir, même à son insu, une 36 Bockmuehl formule la question différemment concernant le statut halakhique des païens qui croient au Christ : devraient-ils être traités comme des prosélytes ou comme des noahides ? Voir Markus N. A. BOCKMUEHL, JewishLawinGentileChurches: Halakhah and the Beginning of Christian Public Ethics, Edinburgh, T & T Clark, 2000, p. 164. 37 Voir Robert G. HALL, « Circumcision », in David N. FREEDMAN (éd.), The AnchorBibleDictionary, New York NY, Doubleday, 1992, Vol. I, 1025-1031, p. 10271029. 38 Notre perspective d’abord intellectuelle (avec des répercussions évidemment pratiques) concernant ce second enjeu de l’assemblée de Jérusalem s’écarte de celle de la majorité des auteurs. Voir par exemple : Gerhard A. KRODEL, Acts(Augsburg Commentary on the New Testament), Minneapolis MN, Augsburg Publishing House, 1986, p. 279. Krodel comme Talbert distinguent la parole des frères de Judée à Antioche (Ac 15,1) et celle des Pharisiens à Jérusalem (15,5). Dans la première, ils discernent l’enjeu des conditions de salut des païens et dans la seconde, la question des mesures à trouver pour permettre aux Juifs chrétiens et aux païens chrétiens d’interagir ensemble. Voir Charles H. TALBERT, ReadingActs:ALiteraryandTheologicalCommentaryontheActsoftheApostles(Reading the New Testament Series), New York NY, Crossroad, 1997, p. 137-138. 39 Cet aspect est également souligné par Simon J. KISTEMAKER, Exposition of the Acts of the Apostles (New Testament Commentary), Grand Rapids MI, Baker Academic, 2007, p. 557.
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interprétation biaisée par la projection de sa propre culture40. La mentalité du lecteur chrétien contemporain est surtout façonnée par la théologie paulinienne du pur et de l’impur 41, qui se démarque nettement de la conception de ces notions dans le judaïsme ancien. Une difficulté supplémentaire s’ajoute du fait de l’évolution que connurent les notions de pur et d’impur à l’intérieur du judaïsme, selon trois grandes étapes dont on trouve des échos dans des écrits spécifiques : la période avant l’exil (Lv et Nb), celle après l’exil (Esd, Ne, manuscrits de la mer Morte, pseudépigraphe des Jubilés) et enfin, celle de l’essor du judaïsme rabbinique (Talmud). L’œuvre de Luc se situe dans la transition de la deuxième vers la troisième étape où les changements se cristallisent. Dans les limites du présent travail, il n’est pas possible d’entrer dans la complexité des notions de pur et d’impur, de profane et de sacré, et de leur évolution dans le judaïsme ancien. Toutefois, voici quelques repères permettant de garder en éveil la conscience du lecteur. La profanation, ou la désacralisation, est simplement la transformation de ce qui est saint en ce qui est commun. L’objet devenu commun n’est pas nécessairement impur, à moins que la désacralisation ait été suscitée par le contact avec une source d’impureté. La souillure est la transformation de ce qui est pur en ce qui est impur, et si l’objet était auparavant saint, il sera nécessairement commun ou profane par suite de la souillure. La profanation d’un sanctuaire, bien que sérieuse, n’est pas aussi grave qu’une véritable souillure d’un sanctuaire.42
Les notions de pur et d’impur, de saint et de profane apparaissent dans la Bible à partir du moment où Dieu fait alliance avec son peuple au Sinaï : « Tu es un peuple saint pour le Seigneur ton Dieu [λαὸς ἅγιος εἶ κυρίῳ τῷ θεῷ σου] et le Seigneur ton Dieu t’achoisi [ἐξελέξατο] afin que tu deviennes pour lui unpeupleprécieux [λαὸν περιούσιον], par rapport à toutes les nations qui sont sur la surface de la terre. » (Dt 7,6) Les prescriptions liées au pur et à l’impur sont codifiées principalement dans le Lévitique. Celles-ci peuvent être classées 40
Nous reprenons ici certains éléments de notre contribution : Marie de LOVIN« Ac 10–11 : les sept étapes d’un commencement », in Maxime ALLARD – Emmanuel DURAND –Marie de LOVINFOSSE (éds.), Finsetcommencements :renvois etinteractions.FS.MichelGourgues(Biblical Tools and Studies, 35), Leuven, Peeters, 2018, 231-245. 41 Essentiellement morale, mise en relation avec la vie dans le Christ, sous la conduite de l’Esprit. Voir en particulier Ga 5,13-25 ; Col 3,1-17. 42 Christine E. HAYES, Gentile Impurities and Jewish Identities: Intermarriage and Conversion from the Bible to the Talmud, Oxford (UK), Oxford University Press, 2002, p. 230-231 (traduit par nous). FOSSE,
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en deux grandes catégories types, bien que la Bible ne fasse pas cette distinction aussi explicitement : la pureté rituelle (Lv 12–15) et la pureté morale qui est un thème majeur de la Loi de sainteté (Lv 17–26). Lors du retour d’exil à Jérusalem émerge une troisième catégorie : la pureté généalogique qui consiste à préserver la sainteté de la lignée en interdisant des mariages avec des non-Juifs43. Dans la Torah, les païens sont intrinsèquement profanes, mais non pour autant impurs, et peuvent devenir moralement impurs par leurs actes, en particulier en pratiquant l’idolâtrie, l’impudicité et l’homicide. Parce qu’ils sont facilement associés à l’idolâtrie et à l’impudicité, certains milieux juifs peuvent avoir tendance à les considérer a priori moralement impurs. Les païens ne sont pas assujettis aux prescriptions de pureté rituelle, sauf dans deux cas particuliers : le contact avec un cadavre (Nb 19,11-22) et la consommation d’une bête crevée ou d’une proie prise à la chasse (Lv 17,15-16). L’impureté morale n’est pas contagieuse, contrairement à l’impureté rituelle. La considération juive de l’impureté rituelle liée aux relations avec des païens n’émerge que progressivement et sera déclarée dans le judaïsme rabbinique, à partir de la fin du Ier siècle après Jésus Christ44. En Ac 10,28, la parole de Pierre témoigne de cette évolution en cours (10,28a) et en même temps, d’un nouveau regard qu’il a reçu sur un païen dont il parle désormais en le désignant comme un « être humain » (10,28b). Concernant la relation entre les Juifs et les païens dans la grande Judée du Ier siècle après Jésus Christ, les clivages afférents au pur et à l’impur se renforcent dans la culture socio-religieuse et affectent le mouvement chrétien. Au même moment, la « visite » de Dieu opère une remise en question fondamentale de ces délimitations entre le pur et l’impur. Mais – notre analyse le montrera –, aussi bouleversante 43 Lv 21,13-15 concernant seulement le grand prêtre ; Esd et Ne concernant tout le peuple. Meier distingue une quatrième catégorie d’impureté, alimentaire en y assignant notamment la kashrout. Voir John P. MEIER, AMarginalJew:Rethinkingthe HistoricalJesus.VolumeIV:LawandLove(The Anchor Bible Reference Library), New Haven CT – London, Yale University Press, 2009, p. 344-348. Cependant, la kashrout constitue un système halakhique qui ne peut pas être confondu avec celui de la pureté, même si les deux présentent des affinités. Les prescriptions alimentaires du Lv autres que celles qui concernent la nourriture kasher relèvent du système halakhique de pureté rituelle. Ainsi, dans la kashrout, la viande de porc est un aliment interdit, mais non pas impur au sens strict du terme, ou, pour le dire autrement, impur de façon permanente. En effet, l’impureté alimentaire est dite rituelle et donc temporaire. Voir Isaac W. OLIVER, TorahPraxisafter70CE, p. 293-294. 44 Jonathan KLAWANS, « Notion of Gentile Impurety in Ancient Judaism », in AssociationforJewishStudies 20 (1995) 285-312, p. 289-292, 300-311.
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CHAPITRE III
soit-elle, la nouveauté sera intégrée de façon seulement partielle quant à ses conséquences pratiques pour les chrétiens d’origine païenne. Tant en aval qu’en amont de la reconnaissance de l’intervention de Dieu, la problématique du pur et de l’impur s’avère décisive pour percevoir la portée de la « visite » en Ac 15. La « visite » de Dieu non reconnue en Lc 19,44, par Jérusalem, en particulier par ses responsables religieux, est désormais en Ac 15,14 proclamée à Jérusalem par les figures d’autorité du mouvement chrétien, soucieuses de discerner comment intégrer les païens, en cherchant à reconnaître l’action de Dieu au milieu d’eux. Même si les Actes ne contiennent qu’une seule mention de la « visite » de Dieu (15,14), une importance cruciale lui est accordée, car elle est placée à l’occasion de l’assemblée de Jérusalem. Or, tant du point de vue de sa longueur que de son contenu, en rapport avec la compréhension spécifiquement chrétienne du salut et des signes identitaires du peuple de Dieu, le récit de l’assemblée de Jérusalem en Ac 15 se présente comme le témoin majeur d’une étape charnière45. Dans le contexte d’un débat épineux autour de la pureté ségrégative, la profession de la « visite » de Dieu à Jérusalem en Ac 15,14 a pour implication que les Juifs chrétiens comme les païens chrétiens deviennent les uns pour les autres des frères. 3. Structure : le plan de salut de Dieu pour les païens et leur engagement Un regard attentif posé sur les verbes permet de mettre en évidence deux parties dans le discours de Jacques, après son adresse initiale exhortant à écouter (Ac 15,13). Le signe distinctif de la première partie (15,14-18) réside dans les verbes à l’aoriste et au futur ; celui de la seconde (15,19-21), dans les verbes au présent de la première ou troisième personne du singulier. Les deux parties contiennent des verbes au présent de la troisième personne du pluriel. Deux figures apparaissent d’une partie à l’autre : Dieu et les païens. Dans la première partie, Dieu est sujet de l’action dont les païens sont l’objet. L’inverse se produit dans la seconde partie. Dans chacune, le verbe qui caractérise l’attitude de Dieu et celui qui décrit celle des païens est formé du préfixe « sur [ἐπί] » – intervenir [ἐπισκέπτεσθαι] (15,14), 45
Cet aspect est particulièrement développé par Simon BUTTICAZ, L’identité de l’ÉglisedanslesActesdesapôtres, p. 303-304.
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avec également appeler [ἐπικαλεῖν] (15,17), et setourner [ἐπιστρεφείν] (15,19) – dont le sens premier vise à indiquer un appui ou une fondation46, en rapport avec le salut (15,1). Trois autres parallèles se dégagent entre les deux parties : une référence aux prophètes, « les paroles des prophètes » (15,15), et à Moïse (15,21) ; deux figures d’autorité à Jérusalem pour les communautés chrétiennes, Syméon (15,14) et Jacques qui se prononce personnellement (15,19) ; des actions futures, sous forme de promesses désormais réalisées (15,16-18) et d’engagements concrets à demander aux païens (15,20). Voici la structure de Ac 15,13-21 qui se dégage en tenant compte des actions et des acteurs. 1. Introduction à la prise de parole de Jacques invitant les frères à écouter (15,13) 2. Déclaration théologique reconnaissant l’intervention de Dieu qui appelle des païens à lui (15,14-18) 3. Recommandations aux Juifs et aux païens du mouvement chrétien (15,19-21) À l’examen, la première partie de cette péricope n’apporte rien de décisif pour l’interprétation de l’ἐπισκοπή. Aussi l’exégèse sera-telle centrée sur les deux parties suivantes. 4. Genre littéraire : un discours de jugement délibératif En Ac 15,13-21, le discours de Jacques appartient au genre délibératif. En effet, sa finalité est d’aboutir à prendre des orientations spécifiques engageant le futur, inspirées par des expériences passées. Il se distingue du genre judiciaire visant à juger une personne innocente ou coupable, à partir de faits passés, avec des implications pour l’avenir 47. Dans les deux cas, la prise de décision peut être précédée de l’écoute de témoins, ce qui est le cas lors de l’assemblée de Ac 15 : d’abord, Pierre (15,7-11), puis, Paul et Barnabas (15,12). Quand Jacques intervient, il prononce le jugement : « moi, je juge 46 J. Harris MURRAY, PrepositionsandTheologyintheGreekNewTestament:An Essential Reference Resource for Exegesis, Grand Rapids MI, Zondervan, 2012, p. 137. 47 En Ac, un exemple de discours de jugement judiciaire se trouve dans la prise de parole du gouverneur romain de Judée, Festus (25,24-27), en particulier quand il dit : « Je n’ai trouvé aucun fait qu’il ait commis et qui mérite la mort, mais comme il en a appelé à l’Empereur, j’aidécidé [ἔκρινα] de [le lui] envoyer » (25,25).
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CHAPITRE III
[ἐγὼ κρίνω] » (15,19). Il procède en deux temps que l’étude de la structure du discours a permis de délimiter : d’abord, l’argumentation sur la base de fondements théologiques soutenus par deux figures d’autorité, l’une présente, Syméon (15,14), l’autre passée, les prophètes (15,15-18) ; ensuite, la décision pratique (15,20) avec le principe pastoral qui l’anime (15,19) et l’expression d’un souci de cohérence avec Moïse (15,21), en réponse implicite aux croyants issus du pharisaïsme (15,5). Le point culminant d’un discours de jugement délibératif se trouve dans la décision pratique à laquelle il aboutit. En effet, celle-ci est la seule partie de l’intervention de Jacques, qui est rappelée ailleurs en Ac, sous forme de citation (15,29 ; 21,25) ou d’allusion (16,4). Selon John W. Bowker, Ac 15,13-21 s’apparente à une homélie synagogale qui, dans le judaïsme rabbinique, sera appelée ( יְ ַל ְמּ ֵדנוּyelammedenu) – « Quenotremaîtrenousenseigne []יְ ַל ְמּ ֵדנוּ ַר ֵבּנוּ48 ». En effet, plusieurs éléments caractéristiques de ce type d’homélie synagogale se retrouvent dans le discours de Jacques. Sa parole est suscitée par une question halakhique, c’est-à-dire légale (15,1.5) ; elle fait appel à des événements passés, ceux que vient d’évoquer Pierre dans son exposé (15,14 en référence à 15,7-11), et recourt aux Écritures, en l’occurrence « les paroles des prophètes » (15,15-18). En outre, elle aboutit à une ( ַתּ ָקּנָ הtaqqanah) ou, pour le dire autrement, à l’octroi d’un amendement de la Torah, à un groupe spécifique de personnes se trouvant dans des circonstances particulières (15,19-20). La péricope de Ac 15,13-21 et son contexte élargi (14,27–15,40) ne possèdent pas de parallèle strict ailleurs dans le Nouveau Testament. Ga 2 relate une rencontre à Jérusalem, suivie aussitôt à Antioche d’une interpellation vigoureuse de Paul à l’égard de Céphas (Pierre). Toutefois, en Ga 2, la seule prise de parole est celle de Paul (et non celle de Jacques). Elle contient deux niveaux : l’un général, sous forme de lettre écrite à la première personne du singulier, et l’autre spécifique, rapportant une parole adressée à Céphas (2,14). Dans aucun cas, il ne s’agit d’un discours de jugement délibératif, mais plutôt d’un témoignage prononcé par Paul lui-même, voire d’une apologie de « la vérité de l’Évangile » (2,5.14). Voici un tableau comparatif des deux récits. 48 John W. BOWKER, « Speeches in Acts: A Study in Proem and Yelammedenu Form », in NewTestamentStudies 14 (1967-1968) 96-111, p. 107-108. L’auteur est conscient que la rédaction des Actes est antérieure aux homélies rabbiniques. Toutefois, celles-ci reposent sur des traditions et des procédés qui les précèdent.
L’ἐπισκοπή DISCERNÉE À JÉRUSALEM (AC 15,14)
Ac 15 Ordre
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Ga 2
Confrontation à Antioche (15,1-2) ; Rencontre à Jérusalem (2,1-10) ; puis, puis, rencontre à Jérusalem (15,3-30). confrontation à Antioche (2,11-21).
• Intervention de Dieu en faveur des païens pour en faire un peuple à son nom (15,14). • Accomplissement des paroles de prophètes annonçant que le Seigneur reconstruira la tente de Théologie David et que le reste de l’humasous-jacente nité et les nations le rechercheront (15,15-18). ➔ Accent théologique, sans négliger son expression christologique49 : l’action de Dieu « depuis toujours » (15,17).
• Justification par la foi en Jésus Christ et non par les œuvres de la Loi (2,16.21). • Appel à vivre dans la liberté qui vient de Jésus Christ et non dans l’esclavage (2,4).
➔ Accent anthropologique et christologique : l’agir humain exigé par la nouveauté du Christ.
Confrontation à Antioche Venue de gens de Judée cherchant à Hypocrisie de Céphas (et d’autres) Élément endoctriner les frères (15,1). dans sa relation aux païens (2,13), déclencheur manifestée par la venue de « gens envoyés par Jacques » (2,12).
Enjeu
Résultats
Nécessité ou non pour le salut des chrétiens d’origine païenne, d’être circoncis et d’observer la Loi de Moïse (15,1.5).
Importance pour les chrétiens (ici ceux d’origine juive) de marcher droit selon la vérité de l’Évangile (2,14) et de ne pas rendre inutile la grâce de Dieu (2,21).
Débat en raison duquel l’Église d’An- Confession de Paul à propos de sa vie tioche décide d’envoyer Paul et Bar- présente dans la chair, vécue « dans nabas avec quelques autres, auprès la foi au Fils de Dieu » (2,20). des apôtres et des anciens de Jérusalem (15,2). RencontreàJérusalem
Élément Confrontation à Antioche et décision Révélation reçue par Paul qui le déclencheur de l’Église locale (15,2). pousse à aller à Jérusalem (2,1). Enjeu
Voir l’enjeu de la confrontation à Confirmation de l’Évangile prêché Antioche. par Paul parmi les païens (2,2).
49 Durant l’assemblée de Jérusalem en Ac 15, le Seigneur Jésus est mentionné à deux reprises : dans le témoignage de Pierre (15,11), ainsi que dans la lettre des apôtres et des anciens (15,26), sans y occuper une place centrale.
290
CHAPITRE III
Ac 15
Ga 2
RencontreàJérusalem(suite)
Résultats
• Reconnaissance par Jacques que les païens qui se tournent vers Dieu sont devenus un peuple à son nom (15,14). • Recommandations pratiques par Jacques, au nom des apôtres et des anciens (15,19-20.28-29 ; 16,4), « de s’abstenir des souillures de l’idolâtrie, de l’impudicité, de la viande étouffée et du sang » (15,20 ; 21,25). ➔ Accent sur la recommandation pratique répétée trois fois en Ac (15,20.29 ; 21,25).
• Reconnaissance par Jacques, Céphas et Jean de « la grâce donnée » à Paul. Expression de leur communion à Paul et à Barnabas, dans leur mission « vers les païens, eux vers les circoncis » (2,9). • Recommandation pratique pour Paul de se souvenir des pauvres (2,10). ➔ Accent sur la reconnaissance de la mission de Paul.
Ces deux témoins de sources et de formes différentes (Ac 15 ; Ga 2) attestent que les premières communautés chrétiennes ont très probablement connu au moins une controverse autour de la circoncision des païens devenant chrétiens et qu’elles y ont répondu par une ouverture à ces derniers, sans les obliger à être circoncis50. Bilan : les deux signes de la « visite » de Dieu en faveur des païens L’étape préparatoire à l’exégèse permet de commencer à découvrir plusieurs caractéristiques propres à Ac 15,14 en ce qui concerne la mention de la « visite » de Dieu. Primo,elle est proclamée par une figure d’autorité des premières communautés chrétiennes, Jacques, dans le seul discours que le Nouveau Testament contient de lui. L’importance du jugement délibératif 50 Selon Burnet, les contradictions entre les deux récits s’expliquent par l’opposition entre le but de Paul (défensif) et la stratégie lucanienne (conciliatrice). Voir Régis BURNET, Lesdouzeapôtres, p. 174-176. Selon Schnabel, Ga 2 renvoie à un événement antérieur (le deuxième séjour de Paul à Jérusalem après sa conversion, à l’été 48) à celui auquel se réfère Ac 15 (le troisième séjour de Paul à Jérusalem, à l’automne 48). En effet, lorsque des prophètes descendent de Jérusalem à Antioche pour annoncer une grande famine dans le monde entier, les disciples d’Antioche décident de donner une contribution aux frères de Judée et l’adressent aux anciens de Jérusalem, par l’intermédiaire de Paul et de Barnabas (Ac 11,27-30). Voir Eckhard J. SCHNABEL, Acts(Zondervan exegetical commentary on the New Testament, 5), Grand Rapids MI, Zondervan, 2012, p. 620-621. Dans le même sens, voir le tableau chronologique de Witherington qui met en parallèle les lettres du corpus paulinien et les épisodes des Ac : Ben WITHERINGTON, TheActsoftheApostles:ASocio-RhetoricalCommentary, Grand Rapids MI, Eerdmans, 1998, p. 445-449, en particulier p. 446.
L’ἐπισκοπή DISCERNÉE À JÉRUSALEM (AC 15,14)
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officiel prononcé par Jacques est soulignée par la place centrale qu’il occupe en Ac. Secundo,son style se distingue des témoignages qui l’entourent, tant au niveau du contenu que du contenant. En s’appuyant sur le rapport de Pierre, Jacques déclare : « Depuis le commencement, Dieu intervintenfaveur [ἐπεσκέψατο] des païens pour en faire un peuple à son nom. » (Ac 15,14) Du même coup, il affirme ce qui n’avait jamais été reconnu avant lui dans la Bible et dans les écrits extra-bibliques auxquels nous avons accès. En effet, dans la Septante, quand les païens sont objet du verbe ἐπισκέπτομαι, celui-ci signifie « punir », jamais « intervenir en faveur de ». Jacques appuie sa parole sur celles des prophètes. Après avoir parlé de Dieu à la troisième personne du singulier, il rappelle une promesse divine transmise par les prophètes, en laissant le Seigneur s’exprimer à la première personne. Jacques exhorte ses frères à « écouter » (15,13) et à fixer toute leur attention sur la parole du Seigneur. L’action du Seigneur consiste à venir reconstruire la tente de David et à la rétablir (15,16). Après la prédiction en Lc 19,42-44 de la destruction de la ville de Jérusalem, relative à la non-reconnaissance de la « visite » divine, celle-ci est désormais associée à une nouvelle reconstruction par Dieu lui-même. Sa « visite » a des répercussions sur l’action humaine : une recherche universelle tendue vers le Seigneur (Ac 15,17). La « visite » de Dieu en faveur des païens est ainsi assortie de deux signes dont la manifestation annoncée autrefois par les prophètes s’accomplit : l’un divin, la restauration de la tente de David, et l’autre humain, la conversion de tous les êtres humains vers le Seigneur. La parole de Jacques émerge dans un contexte de confrontation, d’abord à Antioche puis à Jérusalem. Ce conflit aux enjeux théologiques et pastoraux, à propos de la circoncision, de l’observance de la Loi de Moïse et, plus fondamentalement, de la pureté est perçu par les communautés chrétiennes comme une exhortation à se rassembler à Jérusalem autour des apôtres et des anciens, et à se laisser questionner à partir de la reconnaissance de l’action de Dieu. II. EXÉGÈSE DE AC 15,13-21 L’éxégèse de 15,13-21 permet de découvrir la singularité de la voix de Jacques, tout comme son caractère polyphonique. Luc présente l’assemblée de Jérusalem comme une symphonie marquée au premier plan par deux voix : Pierre et Jacques. En Ac 15,14, Jacques
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CHAPITRE III
s’appuie explicitement sur le discours de Pierre. Avant d’étudier en détail l’intervention de Jacques, en particulier sa mention de l’intervention salvifique de Dieu (15,14), une étude comparative s’impose avec la parole de Pierre en Ac 15,7-11, pour mieux saisir la part d’influence de celle-ci51. Les deux discours ont une structure similaire en trois grandes parties, avec des accents spécifiques. Ac 15,7-11
Ac 15,13-21
Introductionàlaparole(15,7a) / (15,13a) 7a
Comme le débat prenait de l’ampleur, Pierreselevaetleurdit [ἀναστὰς Πέτρος εἶπεν πρὸς αὐτούς] :
13a
Après qu’ils se furent tus, Jacquesrépliqua [ἀπεκρίθη Ἰάκωβος λέγων] :
Adresse(15,7b) / (15,13b) 7b
« Frères,voussavez [ἄνδρες ἀδελφοί, ὑμεῖς ἐπίστασθε]
13b
« Frères,écoutez-moi [ἄνδρες ἀδελφοί, ἀκούσατέ μου] »
Premièrepartie :Affirmationthéologique insistant sur la réponse des païens (15,7c) / sur l’action de Dieu (15,14) 7c
que depuislesjoursanciens [ἀφ᾿ ἡμερῶν ἀρχαίων], aumilieudevous Dieuchoisit[ἐν ὑμῖν ἐξελέξατο ὁ θεὸς] qu’à travers ma bouche lesnationsécoutentlaparoledel’Évangileetcroient [ἀκοῦσαι τὰ ἔθνη τὸν λόγον τοῦ εὐαγγελίου καὶ πιστεῦσαι].
14 Syméon expliqua commentenpremier [καθὼς πρῶτον], Dieuintervint [ὁ θεὸς ἐπεσκέψατο]
etreçutparmidesnationsunpeupleàsonnom [λαβεῖν ἐξ ἐθνῶν λαὸν τῷ ὀνόματι αὐτοῦ].
Deuxièmepartie :Fondement sur le témoignage de Dieu à travers le don de l’Esprit Saint et la purification (15,8-9) / sur les paroles des prophètes annonçant l’action de restauration de Dieu (15,15-18) 8 etDieuquiconnaîtlescœurstémoigna[καὶ ὁ καρδιογνώστης θεὸς ἐμαρτύρησεν αὐτοῖς] en leur donnant l’Esprit Saint comme aussi à nous [καθὼς καὶ ἡμῖν] 9 etilnefitaucunediscrimination [καὶ οὐθὲν διέκρινεν] entre nous et eux, ayant purifiéleurcœurparlafoi [τῇ πίστει καθαρίσας τὰς καρδίας αὐτῶν].
15 et les paroles des prophètes sont en symphonie avec ceci [καὶ τούτῳ συμφωνοῦσιν οἱ λόγοι τῶν προφητῶν] comme il est écrit : 16 « Après cela, je reviendrai et je restaurerai la tente de David qui est tombée et ce qui est complètement détruit en ellejerestaureraietjelarétablirai. 17 Desorteque cherchentleSeigneur[τὸν κύριον]lesautresêtres humains, c’est-à-dire toutes les nations sur lesquelles mon nom a été invoqué, dit le Seigneur [κύριος]quifaitceschoses 18 connues depuis toujours.
51 Dans le tableau sont reproduits les termes grecs qui expriment une réalité similaire ou du moins un parallèle, et ceux qui sont communs à l’intervention de Pierre et à celle de Jacques sont soulignés en gras par nous.
L’ἐπισκοπή DISCERNÉE À JÉRUSALEM (AC 15,14)
Ac 15,7-11
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Ac 15,13-21
Troisième partie : Interpellation aux frères d’origine juive (15,10-11) / Recommandations aux Juifs et aux païens du mouvement chrétien (15,19-21) 10 Maintenant donc pourquoi mettez-vous Dieu à l’épreuve [νῦν οὖν τί πειράζετε τὸν θεὸν] enposantunjougsurl’épauledesdisciples [ἐπιθεῖναι ζυγὸν ἐπὶ τὸν τράχηλον τῶν μαθητῶν] que ni nos pères ni nous-mêmes n’avons été capables de porter?
19 C’est pourquoi moi, je juge [bon] [διὸ ἐγὼ κρίνω] denepassurchargerceuxparmilesnationsquise tournentversDieu [μὴ παρενοχλεῖν τοῖς ἀπὸ τῶν ἐθνῶν ἐπιστρέφουσιν ἐπὶ τὸν θεόν],
mais c’est par la grâce du Seigneur Jésus que 20 maisdeleurécrire [ἀλλ᾿ ἐπιστεῖλαι αὐτοῖς] de nous croyons être sauvés [ἀλλὰ διὰ τῆς χάριτος s’abstenir des souillures des idoles et de l’impudiτοῦ κυρίου Ἰησοῦ πιστεύομεν σωθῆναι], exacte- cité et de la viande étouffée et du sang. 21 Eneffet, depuis des générations anciennes [Μωϋσῆς γὰρ ment comme eux. ἐκ γενεῶν ἀρχαίων], dans chaque ville, Moïse a des prédicateurs qui le proclament dans les synagogues, à tous les sabbats. 11
Le discours de Jacques comme celui de Pierre sont chacun, de façon singulière, autant de type pastoral que théologique52. L’un et l’autre se prononcent sur le dessein de Dieu au milieu des païens, à deux niveaux. Tout d’abord, comment Dieu est-il intervenu en leur faveur ? Ensuite, que leur demande-t-il pour signifier concrètement leur accueil du salut prodigué ? De manière corrolaire, quelles sont les attentes légitimes des Juifs chrétiens à l’égard des païens chrétiens en vue de permettre aux uns et aux autres de cheminer ensemble, sans hésitation ni trouble ? Dans l’ensemble, l’intervention de Pierre et celle de Jacques se distinguent au moins sur trois points. D’abord, le vocabulaire de Jacques en 15,13-21 n’est pas spécifiquement chrétien, bien que sa déclaration en 15,14 soit complètement inédite. Quant à Pierre, chacune de ses phrases contient une expression dont l’accent est chrétien : « la parole de l’Évangile »(15,7), « l’Esprit Saint » (15,8) et « la grâce du Seigneur Jésus » (15,11). Ensuite, il insiste sur l’importance de la foi en soulignant celle des païens (15,7.9.11). Enfin, Pierre ne mentionne le terme « païens [ἔθνη] » (15,7) qu’une seule fois au début de 52 La qualification de Bossuyt concernant le discours de Jacques et celui de Pierre est plus restrictive : pastoral pour le premier et prophétique pour le second. Voir Philippe BOSSUYT – Jean RADERMAKERS, TémoinsdelaParoledelaGrâce :lesActes des Apôtres. I : texte (Collection de l’Institut d’études théologiques, 16), Bruxelles, Institut d’Études Théologiques, 1995, p. 57-59.
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CHAPITRE III
son discours (15,7-11). Après, il parle d’eux en recourant au pronom personnel « eux [αὐτοῖς / αὐτῶν] » (15,8.9 bis) ou au substantif « disciples[μαθητῶν] » (15,10). Par sa façon de parler des chrétiens d’origine païenne, Pierre montre clairement que, tout en reconnaissant leur différence d’origine, ils sont désormais devenus à ses yeux membres à part entière du peuple de Dieu. Il en a fait l’expérience vivante. Jacques utilise trois fois le substantif « païens [ἔθνη] » (15,14.17.19) et une fois le pronom personnel « eux [αὐτοῖς] » (15,20). Les similitudes et les différences spécifiques à chaque partie du discours seront exploitées à l’intérieur de chaque partie de l’exégèse de Ac 15,13-21. L’introduction du narrateur au discours de Jacques signale que Paul et Barnabas « firentsilence [σιγῆσαι] » (15,13a). Le même verbe était déjà mentionné au verset précédent pour signaler, après le témoignage de Pierre, que « toute l’assemblée fitsilence [Ἐσίγησεν] » (15,12). En Ac 15, les apôtres et les anciens témoignent d’une nouvelle forme de silence. En Lc-Ac, quatre attestations du substantif « silence [σιγή] » ou du verbe « fairesilence [σιγῶ] » servent à formuler un constat53. Il ne s’agit pas d’une admonition au silence, comme c’était le cas dans le contexte de Jésus pleurant sur Jérusalem, où certains cherchent à amener à « faire silence [σιγῶ / σιωπῶ] » ceux qui proclament son identité messianique (18,39 ; 19,39-40). Durant leur rencontre de discernement, les apôtres et les anciens apprennent à passer du débat houleux au silence (15,7.12), tout comme de la prise de parole au silence (15,13), et à cultiver celui-ci entre chaque intervention, pour se disposer ainsi à écouter. Leur silence devient le signe d’un accueil actif, prémices d’une possible décision unanime porteuse d’une grâce inattendue (15,22.28). 1. Reconnaissance de l’intervention de Dieu en faveur de païens (Ac 15,14-18) Jacques fonde sa déclaration sur « lesparolesdesprophètes [οἱ λόγοι τῶν προφητῶν] » (15,15), en citant un extrait rapportant la promesse d’une intervention de Dieu (15,16-18). Lors de l’assemblée 53 Lc 9,36 ; 20,26 ; Ac 15,12.13. Le vocabulaire d’usage typiquement lucanien du silence (σιγή / σιγῶ) est absent dans les autres évangiles. Ailleurs dans le N.T., les occurrences figurent sur le ton exhortatif (1 Co 14,28.30.34 ; comme en Lc 18,39 ; Ac 12,17 ; 21,40) ou à propos de réalités non humaines (Rm 16,25 ; Ap 8,1), mais pas comme un constat relatif à l’attitude de personnes.
L’ἐπισκοπή DISCERNÉE À JÉRUSALEM (AC 15,14)
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de Jérusalem, Pierre fait part de deux signes de l’action de Dieu en faveur de païens. Ces deux signes sont d’autant plus éloquents qu’il en a été directement témoin : le don de l’Esprit Saint aux païens (15,8), déjà affirmé comme tel par Pierre aux apôtres et aux frères de Jérusalem (11,17), et la purification de leur cœur par la foi (15,9). À propos du second signe, Pierre va plus loin que ce dont il avait fait part dans son premier témoignage aux apôtres et aux frères de Jérusalem. Il avait alors évoqué la voix du ciel qu’il avait entendue avant de rencontrer Corneille : « Ce que Dieu apurifié [ἐκαθάρισεν], toi,ne leconsidèrepasprofane [σὺ μὴ κοίνου] » (Ac 10,15 ; repris en 11,9). En arrivant chez Corneille il avait compris qu’il s’agissait de ces païens : « Vous savez que pour un homme juif, il est illicite [ἀθέμιτόν] de s’unir à une personne étrangère [ἀλλοφύλῳ] ou d’entrer [chez elle]. Mais à moi Dieu apprit ànedéclareraucunêtrehumainprofane ouimpur [μηδένα κοινὸν ἢ ἀκάθαρτον λέγειν ἄνθρωπον]. » (10,28) Lors de l’assemblée de Jérusalem, Pierre déclare que cette purification opérée par Dieu se réalise grâce à la foi et elle atteint jusqu’au cœur la personne. Pierre interprète ces deux faits divins comme la confirmation de deux qualités de Dieu : il est « celuiquiconnaîtlescœurs [καρδιογνώστης]54 » (15,8) et « iln’établitaucunedistinction[οὐθὲν διέκρινεν] » (15,9) selon l’origine juive ou païenne. Dieu est ainsi en mesure de discerner la qualité de la foi qui constitue, pour la part de l’être humain, l’élément crucial du salut. De plus, il agit envers les païens comme envers les Juifs, et inversement55. 1.1. LetémoignagedePierrecommemotifderecherchethéologique Après son introduction, Jacques s’appuie sur la parole de « Syméon [Συμεών] ». Il renvoie manifestement à « Pierre [Πέτρος] » en 15,711 dont l’intervention et celle de Jacques sont les deux seules à être rapportées dans le récit de l’assemblée de Jérusalem. Une nouvelle fois, Luc manifeste une sensibilité et une aptitude à souligner dans le discours d’un personnage du récit, en l’occurrence Jacques, une 54 Le substantif καρδιογνώστης est exclusif à Ac. La Bible contient seulement une autre occurrence : Ac 1,24, lors de la prière des frères ayant à remplacer Judas parmi les Douze. 55 Le même traitement divin envers les Juifs et envers les païens est souligné à trois reprises : « àeux[…]commeànous [αὐτοῖς […] καθὼς καὶ ἡμῖν] » (Ac 15,8), « entrenouseteux [μεταξὺ ἡμῶν τε καὶ αὐτῶν] » (15,9), « nous croyons être sauvés, commeeuxaussi [καθ᾿ ὃν τρόπον κἀκεῖνοι] » (15,11).
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interprétation surprenante d’une action actuelle de Dieu, en conformité aux prophéties scripturaires56. « Syméon [Συμεών] » est un nom d’usage typiquement lucanien57. Il correspond à la translitération grecque du nom araméen ou hébreu ()שׁ ְמעוֹן. ִ Pourquoi avoir changé de nom pour désigner une même personne à l’intérieur de cette unité littéraire, alors que Pierre n’est jamais appelé de cette manière ailleurs dans les Ac et dans les évangiles58 ? De plus, quand un autre nom est donné à Pierre, c’est habituellement « Simon [Σίμων]59 » et parfois « Céphas [Κηφᾶς]60 ». Un phénomène similaire se produit ailleurs et uniquement en Ac, pour désigner par trois noms différents l’autre acteur principal du livre : « Paul [Παῦλος]61 », « Saul [Σαῦλος]62 » et, de façon circonstancielle, « Saoul [ ָשׁאוּל/ Σαούλ]63 ». En Lc-Ac, « Syméon [Συμεών] » sert à désigner quatre personnes : un homme de Jérusalem « juste et pieux [qui] attendait la consolation d’Israël » (Lc 2,25.34) et qui a reçu Jésus enfant dans ses bras ; un « fils de Juda » (Lc 3,30) mentionné dans la généalogie lucanienne de Jésus ; l’un « des prophètes et des hommes chargés de l’enseignement » (Ac 13,1) à Antioche, « appelé Niger » ; et finalement, Pierre, le premier répondant parmi les apôtres. Or, le « Syméon » qui figure au commencement du troisième évangile, bénit Dieu en reconnaissant la révélation de son salut aux nations. […] mes yeux ont vu tonsalut [τὸ σωτήριόν σου], 31 que tu as préparé à la face detouslespeuples [πάντων τῶν λαῶν], 32 lumièrederévélation pourlesnationsetgloiredetonpeupleIsraël [φῶς εἰς ἀποκάλυψιν ἐθνῶν καὶ δόξαν λαοῦ σου Ἰσραήλ]. (Lc 2,30-32 ; propre à Luc)
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La rencontre avec Syméon se déroule au moment où Jésus à peine circoncis [περιτεμεῖν] (Lc 2,21) est présenté par ses parents au 56 Voici des exemples trouvés dans plusieurs passages proprement lucaniens : Lc 1,68-75 ; 16,29.31 ; 18,31 ; 24,25.27.44 ; Ac 3,18.21.24 ; 10,43 ; 13,27 ; 28,23. 57 Trois attestations en Lc (2,25.34 ; 3,30), deux en Ac (13,1 ; 15,14), aucune dans les autres évangiles, ainsi que deux ailleurs dans le N.T. (2 P 1,1 ; Ap 7,7). 58 C’est toutefois le cas en 2 P 1,1, mais il est alors accompagné du nom par lequel il est communément connu : « SyméonPierre [Συμεὼν Πέτρος] ». En revanche, le nom de « Pierre [Πέτρος] » figure 56 fois en Ac. 59 Sur les treize occurrences de « Simon[Σίμων] » en Ac, cinq se réfèrent à Pierre (10,5.17.18.32 ; 11,13). Dans les trois derniers versets, il est même explicité que « Simon[est]surnomméPierre [Σίμων ὁ ἐπικαλούμενος Πέτρος] ». 60 Jn 1,42 ; 1 Co (quatre fois) et Ga (quatre fois). 61 À partir de Ac 13,7 jusqu’à la fin des Ac. 62 Depuis Ac 7,58 jusqu’à 13,9. 63 Uniquement dans les trois récits de vocation de l’apôtre : Ac 9,4.17 ; 22,7.13 ; 26,14. Le même nom sert également pour parler du roi Saül (Ac 13,21).
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Seigneur (2,22). Ces éléments communs permettent-ils de supposer qu’en Ac 15,14, Jacques se référerait au Syméon du Nuncdimittis et non à Pierre, comme le suggère Chrysostome en le désignant comme « celuiqui prophétisaenLuc [ὁ ἐν τῷ Λουκᾷ προφητεύσας] » (Homélie XXXIII)64 ? Une autre solution consiste à discerner dans les points communs entre le Syméon de Lc 2 et celui de Ac 15, un effet de parallèle auquel Luc est sensible65. L’affirmation théologique de Pierre (Ac 15,7c) comme celle de Jacques (15,14) renvoient à un exposé préalable de Pierre. En toute rigueur, Jacques se réfère à la parole que Pierre vient de prononcer (15,711), puisqu’il commence en disant : « Syméon exposa[ἐξηγήσατο] » (15,14). Or, en s’exprimant ainsi, il renvoie à une intervention antérieure de Pierre (11,5-17) quand il raconta aux apôtres et aux frères de Jérusalem sa rencontre chez un incirconcis66. En effet, dans les quatre 64 JEAN CHRYSOSTOME, « InActaApostolorumHomiliae, XXXIII », in Bernard de MONTFAUCON (éd.), Operaomnia, Paris, Gaume Fratres, 1837, Vol. IX, 279-288, p. 280 (D). Cette position se défend difficilement en raison du verbe « exposa[ἐξηγήσατο] » (Ac 15,14) qui convient mieux pour qualifier un compte rendu comme celui de Pierre, et non une parole prophétique. Pour l’étude de ce passage particulier de l’homélie de Chrysostome et de son hypothèse, voir Edgar R. SMOTHERS, « Chrysostom and Symeon (Acts XV,14) », in HarvardTheologicalReview 46 (1953) 203-215, p. 205212. 65 Il suffit de penser à la foi du centurion de Capharnaüm (Lc 7,1-10), qui émerveille Jésus et à laquelle fait écho en Ac (10,1-48) l’accueil de Corneille à l’égard de l’ange de Dieu, de Pierre et de l’Esprit Saint. Il semble difficile de justifier la substitution du nom « Syméon » (Ac 15,13) à celui de « Pierre » (15,7), exclusivement par « en effet de style destiné à donner un tour sémitique au discours de Jacques », sans reconnaître un effet de parallèle avec le cantique de Syméon (Lc 2,29-32). Voir Régis BURNET, Lesdouzeapôtres, p. 137 ; Maria NEUBRAND, Israël,dieVölkerunddie Kirche:eineexegetischeStudiezuApg15(Stuttgarter biblische Beiträge, 55), Stuttgart, Katholisches Bibelwerk, 2006, p. 118-130. Dans la même veine, Johnson considère que le changement de nom en Ac 15,14 pourrait refléter le goût de Luc pour un style archaïsant. Luke T. JOHNSON, TheActsoftheApostles(Sacra Pagina, 5), Collegeville PA, Liturgical Press, 1992, p. 264. Selon Fitzmyer, le nom de Syméon serait emprunté à une des sources antiochiennes sous-jacentes à Ac 15,3-33. Voir Joseph A. FITZMYER, TheActsoftheApostles(The Anchor Yale Bible, 31), New York NY, Doubleday, 1998, p. 540, 553. Si tel est le cas, Luc a choisi de garder le nom parce qu’il y voyait un sens particulier. D’autres relient la figure de « Syméon » en Ac 15,14 à celle du grand prêtre Siméon le juste, décrit par Ben Sira (Si 50). Voir Jenny READ-HEIMERDINGER, « Who is “Simeon” in James’ Speech to the Jerusalem Meeting (Acts 15.14)? », in EstudiosBíblicos 64 (2006) 631-645, p. 634-638 ; Josep RIUS-CAMPS – Jenny READHEIMERDINGER, « The Variant Readings of the Western Text of the Acts of the Apostles, XXII, Acts 14:28–15:41 », in FilologíaNeotestamentaria 23 (2010) 175-200, p. 186187. Étant donné l’importance accordée par Luc au récit de la rencontre de Pierre chez Corneille, une telle explication paraît artificielle. 66 Selon Boismard, le document primitif des Ac (« Doc P ») situait le récit de l’assemblée de Jérusalem (Ac 15,5-12a.13-21) dans la suite immédiate de l’unité
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autres attestations en Lc-Ac, ἐξηγοῦμαι, verbe d’usage spécifiquement lucanien, sert à rendre compte d’une expérience vécue à travers laquelle Dieu s’est manifesté de façon inattendue67. Et[lesdeuxdisciples]racontèrentce[quis’étaitpassé]surlecheminet comment [Jésus] fut reconnu par eux à la fraction du pain [καὶ αὐτοὶ ἐξηγοῦντο τὰ ἐν τῇ ὁδῷ καὶ ὡς ἐγνώσθη αὐτοῖς ἐν τῇ κλάσει τοῦ ἄρτου]. (Lc 24,35) Quand l’ange qui lui parlait partit, [Corneille] ayant appelé deux des serviteurs et un soldat pieux parmi ses intendants, etleurayanttoutraconté [ἐξηγησάμενος ἅπαντα αὐτοῖς], les envoya à Joppé. (Ac 10,8) Toute l’assemblée garda le silence et écoutait Barnabas et Paul raconter touslessignesetlesprodigesqueDieufitparmilespaïensàtraverseux [ἐξηγουμένων ὅσα ἐποίησεν ὁ θεὸς σημεῖα καὶ τέρατα ἐν τοῖς ἔθνεσιν δι᾿ αὐτῶν]. (Ac 15,12) Et après les avoir salués, [Paul] racontaendétailcequeDieufitparmiles païensàtraverssonministère [ἐξηγεῖτο καθ᾿ ἓν ἕκαστον, ὧν ἐποίησεν ὁ θεὸς ἐν τοῖς ἔθνεσιν διὰ τῆς διακονίας αὐτοῦ]. (Ac 21,19)
En introduisant son affirmation théologique par la proposition « Syméon exposa » (Ac 15,14), Jacques tient à préciser qu’il tire ses propos d’un témoignage de vie, en l’occurrence celui de Pierre, qui a déjà été accrédité de bien des manières par Dieu, en particulier lors de sa sortie miraculeuse de prison (12,3-23). La déclaration de Jacques n’est donc pas le fruit d’élucubrations intellectuelles. L’expérience d’une personne digne de confiance est mise en valeur par le chef de l’Église primitive en devenir, qui perçoit dans ce témoignage un motif de recherche théologique. Étant donné qu’après l’assemblée de Jérusalem la figure de Pierre – quel que soit son nom – passera sous silence, son intervention en 15,7-11 constitue son testament, et 15,14, un ultime hommage rendu à son égard par Jacques.
littéraire concernant la conversion de Corneille (10,1–11,18). Voir Marie-Émile BOISMARD – Arnaud LAMOUILLE, LesActesdesdeuxApôtres.III :analyseslittéraires (Études bibliques. Nouvelle Série, 14), Paris, Gabalda, 1990, p. 198-201. 67 En plus de « exposer », « révéler », « interpréter », « prescrire » ou « ordonner », le verbe ἐξηγοῦμαι peut également signifier « guider », « conduire » ou « gouverner », mais cette seconde catégorie de sens n’est pas explorée dans le N.T. Voir Franco MONTANARI, TheBrillDictionaryofAncientGreek, p. 723 ; Hermann M. F. BÜCHSEL, « ἡγέομαι, ἐξηγέομαι, προηγέομαι, διήγησις », in Gerhard KITTEL (éd.), TheologicalDictionaryoftheNewTestament, traduit par Geoffrey W. BROMILEY, Grand Rapids MI, Eerdmans, 1964, Vol. II (Δ-Η), 907-909, p. 908.
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Pour introduire le premier exposé de Pierre aux apôtres et aux frères de Jérusalem (11,5-17), Luc recourt à un verbe synonyme d’ἐξηγοῦμαι : « Pierreleurexposa[l’affaire]defaçonordonnée [Πέτρος ἐξετίθετο αὐτοῖς καθεξῆς] » (11,4). Dans ce verset, le verbe revêt une importance spéciale par la présence de l’adverbe d’usage exclusivement lucanien, καθεξῆς, qui est également utilisé dans l’introduction de son évangile68. 1
Puisque beaucoup ont entrepris de composer un récit [διήγησιν] des événements accomplis parmi nous, […] 3 il m’a paru bon à moi aussi, qui m’étais informé avec précision de tout depuis les origines, de t’en écrire avec ordre [καθεξῆς], illustre théophile, 4 afin que tu te rendes bien compte de la solidité des paroles que tu as reçues. (Lc 1,3-4 ; propre à Luc)
Par la similitude phonétique et sémantique des deux actions de Pierre (ἐξετίθετο en Ac 11,4 ; ἐξηγήσατο en 15,14), Luc invite le lecteur à interpréter l’introduction de Jacques comme un renvoi non seulement à la parole que Pierre vient de prononcer (15,7-11), mais aussi à son premier exposé bien ordonné sur le sujet devant les apôtres et les frères de Jérusalem (11,5-17). L’intervention salvifique de Dieu reconnue en 15,14 – ὁ θεὸς ἐπεσκέψατο – auprès des païens, est à interpréter à la lumière de trois passages qui rapportent le témoignage de Pierre relatif à l’action de Dieu en faveur de certains païens : sa rencontre avec Corneille (10,1-48), le rapport qu’il en donne aux frères de Jérusalem (11,5-17), ainsi que son exposé lors de l’assemblée de Jérusalem (15,7-11). Une étude attentive des deux premiers textes (10,1-48 ; 11,5-17) – dont le troisième (15,7-11) constitue une synthèse théologique – permet de dégager dans le don du salut à des païens une pédagogie de Dieu, à travers laquelle se manifeste l’ἐπισκοπή divine (15,14). Le don du salut à ces païens – et donc l’ἐπισκοπή divine (15,14) – a impliqué non seulement pour eux, mais aussi pour des chrétiens d’origine juive, une conversion. Le témoignage de Pierre (11,5-17) met l’accent sur la transformation qu’il a vécue personnellement et qui devient un appel aussi pour les chrétiens d’origine juive. 68 L’adverbe καθεξῆς se traduit par « de suite » ou « de façon ordonnée ». Sur les cinq attestations en Lc-Ac, seules Lc 1,3 et Ac 11,4 sont à comprendre au sens de « de façon ordonnée ». Le substantif « récit [διήγησις] » (Lc 1,1) et le verbe ἐξηγοῦμαι (Ac 15,14) ont la même racine : ἡγοῦμαι.
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1.2. Particularitésdel’interventiondeDieuenfaveurdespaïens 1.2.1. L’initiative de Dieu en vue d’une élection inclusive « Syméon a partagé comment, en premier, Dieu est intervenu pour choisirparmidespaïensunpeupleàsonnom [πρῶτον ὁ θεὸς ἐπεσκέψατο λαβεῖν ἐξ ἐθνῶν λαὸν τῷ ὀνόματι αὐτοῦ]. » (15,14) L’adverbe « en premier [πρῶτον] » souligne l’initiative de Dieu, dont Pierre (Syméon) vient de témoigner dans l’ouverture de son discours en évoquant le choix de Dieu : « Dieu choisit [ἐξελέξατο] » (15,7). En Lc-Ac, quand l’objet du verbe ἐκλέγομαι vise des personnes et que le sujet est Dieu ou Jésus, le terme signifie une « élection69 », c’est-à-dire non pas un simple mandat temporaire mais un appel marquant l’identité des individus choisis. Tel est le cas en Ac 15,7 : Dieu élit les païens et leur confère une identité nouvelle dont l’accueil est manifesté par leur écoute de la parole de l’Évangile et par leur foi. Jacques le confirme en les reconnaissant graciés par Dieu comme un « peuple à son nom » (15,14), alors qu’ils ne sont pas circoncis et que ni Pierre, ni Paul, ni Barnabas n’ont cru bon de leur demander de l’être. L’adverbe « en premier » prend aussi une couleur particulière à la lumière du récit de la rencontre de Pierre et de Corneille. Dieu se manifeste d’abord à Corneille en envoyant un ange dans sa maison, et puis à Pierre qui entrera à son tour chez Corneille. L’adverbe « en premier » revêt un double sens. Primo, l’initiative de la rencontre des païens revient à Dieu et non à des êtres humains. Secundo, Dieu envoie d’abord son messager auprès du païen, puis auprès du chrétien d’origine juive qui est appelé à une profonde transformation et qui se trouve trois jours plus tard chez ce même païen. Ce second point constitue un renversement par rapport à la façon dont est décrite habituellement la manifestation divine : d’abord aux Juifs, puis aux païens70. Dans sa manière de « visiter » les personnes qu’il établit comme son peuple, le protocole de Dieu n’est pas celui des êtres humains. Avec Dieu, les derniers deviennent les premiers, pour se reconnaître graciés les uns comme les autres, ensemble. La pleine reconnaissance de Dieu se vit, pour Corneille et pour Pierre, de façon simultanée, lors de leur rencontre. 69 Jésus choisit les Douze (Lc 6,13) et les apôtres (Ac 1,2). Dieu choisit « mon Fils » (Lc 9,35), ainsi que l’un des deux candidats comme apôtre (Ac 1,24), « nos pères » (13,17) et les païens (15,7). Il en va de même pour tout le groupe des disciples lors de l’élection des Sept (6,5). Par contre, quand les apôtres et les anciens choisirent des hommes à envoyer à Antioche (15,22.25), il s’agit d’un mandat temporaire. 70 Par exemple, dans les démarches missionnaires auprès des païens, ceux-ci sont habituellement rencontrés après les Juifs. Voir Ac 13,46 ; 26,20.
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Cette divine façon de procéder renverse la logique qui avait prévalu jusqu’à ce moment-là dans l’interprétation de l’élection du peuple juif. Dieu ne fait pas de différence entre les êtres humains. L’élection divine est inclusive de toute personne. Le verbe διακρίνω le souligne particulièrement. Il apparaît comme un verbe-clé dans le contexte de l’assemblée de Jérusalem et des événements qui y conduisent, puisqu’il n’apparaît pas ailleurs en Ac. Il y est employé uniquement dans le cadre de relations entre des gens d’origine juive et d’autres d’origine païenne. Il peut signifier à l’actif comme au moyen « séparer », « discerner », « juger », « hésiter » (aussi possible à la voix passive)71. Le mot est employé à quatre reprises : d’abord, dans l’exhortation de l’Esprit à Pierre au moment où arrivent les trois hommes envoyés par Corneille : « va avec eux sansaucunehésitation [μηδὲν διακρινόμενος] » (Ac 10,20). En 11,12, la même injonction est rappelée en recourant également au verbe διακρίνω, conjugué cette fois à la voix active (μηδὲν διακρίναντα). En 11,2, les frères du groupe des circoncis « critiquaient [διεκρίνοντο] » Pierre. Durant l’assemblée de Jérusalem, Pierre confesse le caractère non discriminant de Dieu : « ilnefitaucune différence [οὐθὲν διέκρινεν] entre nous et eux » (15,9). Sur les quatre attestations de διακρίνω en Ac, les trois qui présentent une formulation négative sont une parole divine – en l’occurrence, de l’Esprit Saint (10,20 ; 11,12) – ou une parole sur Dieu (15,9). La seule mention de forme affirmative sert à décrire l’attitude des croyants circoncis de Jérusalem (11,2). L’intervention salvifique de Dieu (ὁ θεὸς ἐπεσκέψατο) découle de son initiative. Les concentrations de manifestations divines dans le récit du passage de Pierre chez Corneille (Ac 10–11) l’attestent fortement. Dieu non seulement crée du neuf en instaurant une élection inclusive des païens, mais il le fait de façon nouvelle en s’adressant d’abord au païen, puis au Juif. 1.2.2. Une alliance participative L’action de Dieu consiste à « λαβεῖν » des païens. Il s’agit d’un infinitif épexégétique, c’est-à-dire explicatif. En Ac 15,14, il vient développer le sens du verbe principal, plus précisément le but de l’intervention salvifique de Dieu, après les différents témoignages de Pierre, de Paul et de Barnabas sur la manière dont Dieu s’est manifesté auprès des païens. Comment traduire « λαβεῖν » dans le contexte 71
Franco MONTANARI, TheBrillDictionaryofAncientGreek, p. 492.
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de Ac 15,14 ? Le verbe λαμβάνω a deux significations possibles avec des accents habituellement différents : l’un exprime davantage une initiative et une action entreprise (« prendre ») ; l’autre, un mouvement de réponse et un accueil (« recevoir »). Ailleurs dans la Bible, l’expression λαμβάνω ἐκ avec Dieu comme sujet et avec des personnes comme objet, est utilisée pour exprimer un choix en vue non seulement d’une fonction particulière72, mais aussi d’une élection comme celle d’Abraham et celle des Hébreux. Cet élément confirme ce qui a déjà été souligné à travers l’expression « Dieu choisit [ἐξελέξατο] » (15,7). 2
Abraham dit au serviteur le plus ancien de sa maison […] : 7 « Le Seigneur le Dieu du ciel et le Dieu de la terre […]m’aprisdelamaisondemonpère etdelaterre [ἔλαβέν με ἐκ τοῦ οἴκου τοῦ πατρός μου καὶ ἐκ τῆς γῆς] où je suis né […]. » (Gn 24,2.7a) Moi, je [suis] le Seigneur et jevousconduiraihorsde [ἐξάξω ὑμᾶς ἀπό] la domination des Égyptiens et je vous délivrerai de la servitude et je vous rachèterai par un bras levé et un grand jugement ; 7 et jevousprendrai pourmoi-mêmecommeunpeupleàmoi [λήμψομαι ἐμαυτῷ ὑμᾶς λαὸν ἐμοί] et je serai votre Dieu, et voussaurez [γνώσεσθε] que moi, je [suis] le Seigneur, votre Dieu, quivousaiconduitshorsde [ὁ ἐξαγαγὼν ὑμᾶς ἐκ] l’oppression des Égyptiens ; 8 et jevousconduiraidans [εἰσάξω ὑμᾶς εἰς] le pays vers lequel j’ai tendu ma main pour le donner à Abraham et à Isaac et à Jacob, et je vous le donnerai en héritage ; moi, je [suis] le Seigneur ! » (Ex 6,6-8) 6
Situé dans un oracle de salut, le verbe λαμβάνω ἐκ en Ex 6,7 présente des affinités avec la parole de Jacques à Jérusalem. L’objet direct du verbe est « peuple [λαόν] » comme en Ac 15,14 ; et l’objet indirect, « àmoi [ἐμοί] » auquel fait écho « àsonnom [τῷ ὀνόματι αὐτοῦ] » en 15,14. Dans les deux cas, c’est à Dieu qu’il est fait référence. La même formulation est utilisée pour l’action d’un homme épousant une femme ou cherchant une épouse pour un autre homme : « prendre femme [λαμβάνω γυναῖκα]73 », littéralement. En 15,14, l’affirmation pose ainsi un constat de salut en faveur de païens et une déclaration d’alliance de Dieu avec eux, qui les établit « peuple [λαόν] à son nom ». 72 Par exemple : devenir responsables du peuple (Dt 1,15 ; 2 S 7,8 ; par. 1 Ch 17,7), prophète (Am 2,11), grand prêtre (He 5,1), etc. 73 Par exemple : « […] sa mère prit pour lui une femme de la terre d’Égypte [ἔλαβεν αὐτῷ ἡ μήτηρ γυναῖκα ἐκ γῆς Αἰγύπτου] » (Gn 24,7b) ; « […] tuprendras pourmonfilsunefemmedemonclanetdelamaisondemonpère [λήμψῃ γυναῖκα τῷ υἱῷ μου ἐκ τῆς φυλῆς μου καὶ ἐκ τοῦ οἴκου τοῦ πατρός μου] » (Gn 24,40).
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Cependant, en Ac 15,14, l’événement à travers lequel se réalise l’élection divine ne consiste pas pour Dieu à « faire sortir » d’une terre ou d’une maison, pour « faire entrer » dans une terre ou une maison nouvelles, comme ce fut le cas pour Abraham (Gn 24,7), pour les Hébreux (Ex 6,6-8) et pour des femmes choisies en mariage (Gn 24,7.40). Dans le cas de Corneille, ce dernier ne bouge pas, mais reçoit dans sa maison la manifestation de Dieu à travers son ange puis à travers Pierre qui vient à lui, tel que cela fut demandé par l’ange. Pour cette raison, il s’avère plus juste de traduire λαβεῖν (15,14) par « choisir » qui met l’accent sur une nouvelle appartenance sans impliquer un déplacement dans l’espace, comme c’est le cas du verbe « prendre » : « Dieu intervint pour choisir parmi des païens un peuple à son nom ». Dans le contexte de l’oppression des Hébreux, Dieu intervient parce qu’il « a vu leur misère » (Ex 3,7), sans faire état d’aucune participation de leur part, si ce n’est à s’engager désormais dans son alliance. 4
« Vous avez vu vous-mêmes tout ce que j’ai fait aux Égyptiens, et je vous aiélevé [ἀνέλαβον] comme sur des ailes d’aigles, et vousai conduitsvers moi [προσηγαγόμην ὑμᾶς πρὸς ἐμαυτόν]. 5 Et maintenant, si vousécoutez vraiment ma voix [ἀκοῇ ἀκούσητε τῆς ἐμῆς φωνῆς] et si vous gardez mon alliance, vousserezpourmoi unpeupleéluparmitouteslesnations [ἔσεσθέ μοι λαὸς περιούσιος ἀπὸ πάντων τῶν ἐθνῶν] ; car toute la terre est à moi. 6 Et vous, vous serez pour moi un corps royal de prêtres et une nationsainte [ἔθνος ἅγιον]. » Ces paroles tu les diras aux fils d’Israël. […] 8 Tout le peuple répondit unanimement et ils dirent : « Tout ce qu’a dit Dieu, nous le ferons et nous l’écouterons [ἀκουσόμεθα]. » Et Moïse rapporta les paroles du peuple à Dieu. 9 Le Seigneur dit à Moïse : « Voici que moi je viens vers toi dansunecolonnedenuée [ἐν στύλῳ νεφέλης], afin que le peuple m’entende parler avec toi et qu’en toi ils croient pour toujours. » (Ex 19,4-6.8-9)
Depuis l’exode, l’écoute attentive de Dieu constitue l’attitude par excellence que celui-ci demande à ses élus pour concrétiser leur appartenance à lui en tant que membre de son peuple, celui avec lequel il a conclu une alliance. À partir de la prédication de Jésus, l’accueil de la parole de Dieu et de son salut se mesure plus explicitement, non seulement à travers l’écoute, mais aussi à travers une foi profonde. Ces deux dimensions de la réponse humaine à Dieu sont particulièrement soulignées en Lc-Ac, notamment dans l’explication de la parabole du semeur74. Dans le récit de la venue de Pierre chez Corneille, « l’Esprit 74
Dans le N.T., six occurrences sur dix des verbes « écouter » et « croire » en relation à Dieu ou à Jésus sont situées en Lc 8,12-13 (le verbe πιστεύω est absent
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Saint tomba sur tous ceux qui écoutaient la parole » (Ac 10,44). Dans les relectures de cette expérience par Pierre, le lecteur comprend que c’est par la foi en Jésus Christ que les païens ont accédé au don de Dieu (11,17) : l’Esprit Saint, la purification du cœur (15,9) et le salut (15,11). Déjà, dans son discours chez Corneille, Pierre avait déclaré que « toute personne qui croit en [Jésus Christ] reçoit le pardon des péchés en son nom » (10,43). De plus, dans le cas de Corneille, Dieu l’appelle à envoyer des hommes pour amener Pierre chez lui (Ac 10,5.32 ; 11,13). Corneille participe ainsi à l’action divine tant dans sa préparation, par ses prières et par ses aumônes (10,4.31)75, que dans sa réalisation, en envoyant quelqu’un chercher Pierre. « Dieuintervintpoursauver [ὁ θεὸς ἐπεσκέψατο] » (Ac 15,14), non pas unilatéralement, mais de façon interactive. Il fait alliance en associant à son projet de façon personnelle et mutuelle, Corneille, le nouveau membre reçu par Dieu, et Pierre, l’un des premiers disciples, renouvelé par la voix venue du ciel. Les deux attitudes fondamentales de participation à l’alliance de Dieu, signifiée par le don de l’Esprit Saint et la purification des cœurs, sont l’écoute de l’Évangile et la foi en Jésus Christ. 1.2.3. Le salut par l’hospitalité divine et fraternelle à la manière de Jésus À travers son ange – « l’ange de Dieu entra [εἰσελθόντα] chez [Corneille] » (Ac 10,3) –, puis en la personne de Pierre – « Après que Pierre futentré [εἰσελθεῖν], Corneille le rencontra, tomba à ses pieds et se prosterna » (10,25)76 –, Dieu entre en quelque sorte chez Corneille. des parallèles de Mc 4,15 et de Mt 13,19), dans l’explication de la parabole du semeur, et en Ac (4,4 ; 13,48 ; 15,7 ; 18,8). Voir aussi Jn 4,42 (propre à Jean, mais ici l’action de croire en Jésus précède celle de l’écouter en direct) ; Jn 5,24 (propre à Jean) ; Rm 10,14 ; Ep 1,13. 75 Lors son discours chez Corneille, Pierre prend conscience du fait qu’« en toute nation, celui qui craint [Dieu] et pratique la justice est reçu de lui [δεκτὸς αὐτῷ ἐστιν] » (10,35). 76 La combinaison des deux verbes « tomber [πίπτω] » et « vénérer / adorer [προσκυνέω] » indique une attitude de révérence de la part de Corneille à l’égard de Pierre et de reconnaissance de la présence de Dieu à travers lui. Voir les autres occurrences du N.T. : Mt 2,11 ; 4,9 ; 1 Co 14,25 ; Ap 4,10 ; 5,14 ; 7,11 ; 11,16 ; 19,4.10 ; 22,8. Dans la parabole du débiteur impitoyable, le serviteur pose le même geste devant le roi (Mt 18,26). Voir aussi le comportement de la shounamite en retrouvant son fils qu’Élisée a ramené à la vie : « elle tomba aux pieds [d’Élisée] et se prosterna à terre [ἔπεσεν ἐπὶ τοὺς πόδας αὐτοῦ καὶ προσεκύνησεν ἐπὶ τὴν γῆν] » (1 R 4,37).
L’ἐπισκοπή DISCERNÉE À JÉRUSALEM (AC 15,14)
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Pierre entre à la manière du Jésus pré-pascal qui « mange avec [συνεσθίει] » des personnes qu’il ne convient pas, selon les usages juifs, de fréquenter, en particulier les pécheurs (Lc 15,2). Or, tel est l’objet du reproche fait à Pierre par des frères circoncis : « Tu es entré chez des hommes incirconcis et tu as mangé avec eux [συνέφαγες αὐτοῖς]. » (Ac 11,3) Dans les deux cas, l’accent du reproche porte sur le profil des personnes dont Pierre a partagé la table à la suite de Jésus, et non sur ce qu’il a mangé avec eux. Dans son discours à Corneille et aux gens de sa maison, Pierre présente les témoins de la résurrection de Jésus comme ceux qui « [ont]mangéetbuaveclui [συνεφάγομεν καὶ συνεπίομεν αὐτῷ] » (10,41). Pierre s’est ainsi reconnu appelé à vivre avec les païens la même démarche que lui et les autres disciples avaient posée avec Jésus ressuscité et à travers laquelle celui-ci s’était fait reconnaître à eux (Lc 24,29-32.41-48). D’autres verbes dotés du préfixe « avec [σύν] » sont également présents en Ac 10–11. Dans le Nouveau Testament, les attestations de la préposition « avec [σύν] », en elle-même ou comme préfixe, sont concentrées en Lc et surtout en Ac, plus particulièrement dans le chapitre 24 de Lc (avec cinq occurrences dans le récit des disciples d’Emmaüs), ainsi que dans les chapitres 10, 11 et 15 des Ac77. Parmi ces verbes comportant le préfixe « avec », l’un indique d’un mot la clé du récit : συνομιλῶ, un hapaxlegomenondans toute la Bible78, situé en plein milieu du récit de la rencontre de Pierre avec Corneille (Ac 10,1-48). « Conversant [συνομιλῶν] avec lui, il entra et trouva un grand nombre rassemblé. » (10,27) Le verbe traduit une vérité universelle. En effet, il existe bien des groupes sociaux où la communication adextra entre les personnes est difficile, en raison du type de compréhension que chacun a de l’autre. Cependant, quand deux individus de deux groupes différents prennent chacun le temps et les moyens de se laisser questionner sur les fondements de leur propre 77 σύν (Lc 24,10.21.24.29.33.44 ; Ac 10,2.20.23 ; 11,12 ; 15,22.25), συγκαλῶ (Ac 10,24), συμπαραλαμβάνω (Ac 15,37.38), συμπίνω (Ac 10,41), συμφωνῶ (Ac 15,15), συνάγω (Lc 24,28 ; Ac 11,26 ; 15,6.30), συναντῶ (Ac 10,25), συνέρχομαι (Ac 10,23.27.45 ; 11,12 ; 15,38), συνεσθίω (Ac 10,41 ; 11,3), συνομιλῶ (Ac 10,27). 78 Il est attesté aussi dans trois œuvres du Ier siècle après Jésus Christ : la Guerre desJuifs(V 533) de Flavius Josèphe, et la Tabula(XIII) de Cébès de Tèbes, ainsi que 1 P 3,7 selon la variante du Sinaïticus. Mais dans ces trois cas, le verbe signifie « s’associer avec » et non « converser avec ». Voir FLAVIUS JOSÈPHE, GuerredesJuifs,Vol. III (Livres IV–V), p. 188 ; CÉBÈS DE THÈBE, Tabula (Graeco-Roman Religion Series, 7), édité par John T. FITZGERALD – L. Michael WHITE, Chico CA, Scholars Press, 1983, p. 80-81.
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CHAPITRE III
identité et sur les points de rencontre possibles au cœur de leurs différences, leur conversation de personne à personne devient une révélation mutuelle. L’usage répété de la préposition « avec » en Ac 10,11 et 10,15, ainsi que l’emploi de l’hapaxlegomenon « conversant [συνομιλῶν] » (10,27), signalent que l’intervention de Dieu (ὁ θεὸς ἐπεσκέψατο) est don du salut par l’hospitalité divine et fraternelle. Celle-ci est signalée par la séquence des verbes « entrer [εἰσέρχομαι] » (Ac 10,3.25) et « demeurer [ἐπιμένω] » (10,48). Ce fut déjà le cas pour Zacharie qui reconnut l’intervention salvifique de Dieu après que Marie « futentrée [εἰσῆλθεν] » (Lc 1,40) dans sa maison et y « aitdemeuré [ἔμεινεν] » (1,56) trois mois. Un cas similaire se retrouve dans un autre récit propre à Luc, celui des deux disciples en chemin vers Emmaüs, dont les yeux s’ouvrirent (24,31) après avoir invité Jésus à demeurer avec eux. « Et il entra [εἰσῆλθεν] pour demeurer [μεῖναι] avec eux » (24,29). 1.2.4. Une révélation de Dieu, de Jésus et de l’Esprit Saint En Ex 19,5, le lien entre écouter la voix de Dieu et devenir « un peuple élu pour [lui] » permet de mettre en relation la première phrase du discours de Pierre à Jérusalem (Ac 15,7) avec celle de Jacques (15,14). L’un et l’autre évoquent une initiative de Dieu. En 15,7, Pierre rappelle que par sa bouche, Dieu a voulu que les païens puissent écouter « la parole de l’Évangile [τὸν λόγον τοῦ εὐαγγελίου] » (15,7). En retraçant chez Corneille l’itinéraire de Jésus, Pierre defacto a déjà adressé aux païens « laparole[…]annonçantl’Évangile [λόγον […] εὐαγγελιζόμενος] » (10,36). Jacques peut donc reconnaître l’action de Dieu établissant un peuple « àsonnom [τῷ ὀνόματι αὐτοῦ] » au milieu des païens (15,14). Sa déclaration théologique est inédite : l’écoute de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ fait désormais entrer dans le peuple de Dieu. Cette écoute implique et suscite la foi en Jésus Christ (10,43), ainsi que le don de l’Esprit Saint (10,44 ; 11,15), scellé par le baptême « aunomdeJésusChrist [ἐν τῷ ὀνόματι Ἰησοῦ Χριστοῦ] » (10,48). Être personnellement marqué du nom de Jésus équivaut à être intégré au peuple porteur du nom de Dieu. Le lien entre l’écoute et l’appartenance au peuple est également présent dans une prophétie de Moïse rappelée par Pierre lors de son discours au Portique de Salomon, après la guérison d’un homme infirme. 19
Convertissez-vous donc et revenez, afin que vos péchés soient effacés, quand viendront les temps de fraîcheur du Seigneur et qu’il enverra le Christ qui vous est destiné, Jésus, 21 que le ciel doit accueillir jusqu’aux 20
L’ἐπισκοπή DISCERNÉE À JÉRUSALEM (AC 15,14)
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moments de la restauration de tout ce dont Dieu a parlé par la bouche de ses saints prophètes d’autrefois. 22 Moïse d’abord a dit : « Le Seigneur votre Dieu suscitera pour vous, parmi vos frères, un prophète comme moi ;vousl’écouterez[ἀκούσεσθε]entoutcequ’ilvousdira. 23 Ettoute viequin’écouterapas[μὴἀκούσῃ]ceprophèteseraretranchéedupeuple [ἐξολεθρευθήσεταιἐκτοῦλαοῦ][cf.Dt18,18-19] ». (Ac 3,19-23)
La référence à Dt 18,18-19 permet d’approfondir la nouveauté de l’intervention salvifique de Dieu (ὁ θεὸς ἐπεσκέψατο) reconnue par Jacques (Ac 15,14), à partir du témoignage de Pierre. Dt 18 met l’accent sur l’éventualité d’être retranché du peuple de façon prévisible ; Ac 15, sur le fait d’y être intégré d’une manière inattendue. Le critère déterminant est l’écoute, d’un côté (Dt 18,18-19), du messagerprophète, le nouveau Moïse, et, de l’autre (Ac 15,17), du message de l’Évangile, Jésus Christ. À Naïn, Jésus a été identifié comme un grand prophète suscité par Dieu (Lc 7,16), à la suite, non pas d’une parole qu’il aurait proclamée, mais de « l’action puissante » qu’il a accomplie en rendant la vie à un mort79. Chez Corneille et lors de l’assemblée de Jérusalem, Jésus n’est plus désigné ainsi, mais comme « Jésus Christ » (Ac 10,48), « Jésus Christ qui est Seigneur de tous » (10,36), « Seigneur » (11,16), « Seigneur Jésus » (15,11), « Seigneur Jésus Christ » (11,17 ; 15,26). Le salut de Dieu signifié aux païens à travers la venue de Pierre chez Corneille constitue l’un des rares récits dévoilant explicitement celles que la tradition chrétienne postérieure désignera comme les trois personnes de la Trinité80, non seulement en les nommant, mais aussi en révélant leurs actions respectives et mutuelles. L’Esprit Saint invite Pierre à aller avec les hommes venus le chercher (Ac 10,19 ; 11,12), se répand sur tous ceux qui écoutent la parole de l’Évangile chez Corneille (10,44 ; 11,15) et guide le discernement des apôtres et des anciens (15,28). Dieu s’est souvenu de la prière de Corneille et de ses aumônes (10,4.31), envoie son ange auprès de Corneille (10,3), purifie ce qui était considéré profane (10,15), enseigne à Pierre à ne considérer personne profane ou impur (10,28), constitue l’élément rassembleur des gens venus chez Corneille (10,33), donne l’Esprit Saint 79 Voir aussi l’objet de l’exclamation des disciples lors de l’arrivée solennelle de Jésus à Jérusalem (Lc 19,37). 80 Celles-ci sont encore mentionnées et montrées à l’œuvre, pour ainsi dire, dans le récit de la rencontre de Marie et d’Élisabeth, vécue dans le prolongement de l’Annonciation à Marie (Lc 1,26-56), ainsi que dans le récit du baptême de Jésus, mais leur action n’y est pas aussi explicite et développée que dans le cas de la venue de Pierre chez Corneille, incluant la préparation vécue chez lui par les siens.
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CHAPITRE III
(11,17 ; 15,8) et la conversion qui conduit à la vie (11,18). C’est fondamentalement Dieu qui agit à travers chacun (15,4.12) et qui prend l’initiative (15,7.14). En prenant conscience de ce fait, Pierre pose la question à lui-même, ainsi qu’aux apôtres et aux anciens : pourquoi tenter de s’opposer à Dieu (11,17) ou de le mettre à l’épreuve (15,10) ? Quant à Jésus, il est présenté comme celui à travers qui la grâce de Dieu est conférée : le baptême est octroyé en son nom (10,48), le don de l’Esprit est donné par Dieu grâce à la foi en Jésus (11,17) et le salut s’opère par son entremise (15,11). Dans le discours de Pierre chez Corneille, le salut de Dieu est présenté en synergie avec Jésus et l’Esprit Saint (10,34-43). Luc a donné une touche « trinitaire » supplémentaire au récit de la venue de Pierre chez Corneille (10,1-48), ainsi qu’aux deux passages qui en font une relecture (11,1-18) et une synthèse théologique (15,7-11.14-18). En effet, dans la perspective de Luc, le titre « Seigneur [κύριος] » est attribué à Dieu81, à Jésus82 et à l’Esprit Saint83. En outre, la manifestation « trinitaire » est perceptible à travers des échos au récit lucanien du baptême de Jésus. Alors que Pierre est en prière (Ac 10,9 ; 11,5), le ciel s’ouvre (10,11) et une voix retentit (11,9). Le même phénomène se produit une fois dans les synoptiques, lors du baptême de Jésus : « pendantque[Jésus]priait,leciel s’ouvrit [προσευχομένου ἀνεῳχθῆναι τὸν οὐρανόν] […] et unevoixdu ciel [φωνὴν ἐξ οὐρανοῦ] advint84. » Ces affinités de vocabulaire invitent à interpréter la voix du ciel qui s’entretient avec Pierre à Césarée comme celle de Dieu85. Le baptême de Jésus constitue un événement fondateur 81 Par Jacques (Ac 15,17 bis) et aussi fort probablement par Pierre sans nécessairement en être conscient (10,14 ; par. 11,8). 82 Par Pierre (Ac 10,36 ; 11,16 en relation à 1,4-5 ; 11,17 ; 15,11). 83 Par Corneille sans le savoir (Ac 10,4 ; par. 10,33). En effet, l’Esprit révèle à Pierre que les hommes arrivés à sa porte sont envoyés par lui (10,20). Ce dernier est donc derrière l’ange de Dieu ou l’homme demandant à Corneille d’envoyer des hommes chercher Pierre (10,5.32). 84 Lc 3,21-22. Le parallèle de Mc 1,11 contient la mention de la voix du ciel ; celui de Mt 3,16-17 également, ainsi que l’évocation de l’ouverture du ciel. Mais aucun des deux ne parle de la prière de Jésus. 85 Selon Rowe, la voix du ciel ne serait pas celle de Dieu car elle parle de lui (ὁ θεός) à la troisième personne. Rowe opte pour reconnaître dans la voix du ciel la manifestation de Jésus. Voir C. Kavin ROWE, EarlyNarrativeChristology:TheLordin theGospelofLuke, p. 238. Cependant, dans la suite du récit, Pierre fait un rapprochement avec le message de la voix venue du ciel – « Ce que Dieu purifia, toi, ne le profane pas » (Ac 10,15) – et le présente comme une révélation de Dieu : « MaisDieu memontra [κἀμοὶ ὁ θεὸς ἔδειξεν] de ne déclarer personne profane ou impur » (10,28). En outre, dans l’A.T., il arrive que Dieu parle de lui à la troisième personne, comme par exemple avec Moïse en Ex 4,5.
L’ἐπισκοπή DISCERNÉE À JÉRUSALEM (AC 15,14)
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et une étape inaugurale dans son parcours. Ne se produit-il pas aussi quelque chose du même ordre en Ac 10 ? De même que lors du baptême de Jésus s’exprime initialement l’« adoption » de Jésus comme « Fils bien-aimé », de même, lors de l’assemblée de Jérusalem, l’événement de Césarée est relu comme l’« adoption » par Dieu des païens comme « peuple à son nom » (15,14). Les événements de la Pentecôte et de l’assemblée de Jérusalem présentent une même singularité. En effet, le livre des Ac contient deux moments où l’Esprit Saint se répand sur des personnes avant qu’elles n’aient été baptisées : lors de la Pentecôte à Jérusalem, sur des disciples d’origine juive (Ac 2,4), et lors de la venue de Pierre chez Corneille à Césarée, sur des païens (10,44). Pierre ne se lasse pas de s’exclamer que les païens ont reçu l’Esprit Saint comme les premiers frères d’origine juive86. La prophétie de Joël, qu’il avait reprise lors de son discours de Pentecôte, s’accomplit : « Ilarrivera danslesderniersjours [ἐν ταῖς ἐσχάταις ἡμέραις], dit Dieu, quejerépandrai[ἐκχῶ]87mon Espritsurtoutechair. » (Ac 2,17, citant Jl 3,1) L’intervention salvifique de Dieu (ὁ θεὸς ἐπεσκέψατο) est associée à une révélation « trinitaire », qui permet de mieux saisir l’action singulière de Dieu, de Jésus et de l’Esprit Saint. Elle se manifeste, après la résurrection et l’exaltation de Jésus par Dieu, dans le don de l’Esprit Saint. En écho au baptême de Jésus, elle devient un événement fondateur d’un « peuple à son nom ». 1.2.5. Une identité nouvelle Que signifie être reçu par Dieu comme « un peuple à son nom » (Ac 15,14) ? Avant l’assemblée de Jérusalem, les récits de Lc-Ac s’incrivent dans le prolongement de la formule deutéronomiste de réciprocité (Dt 26,16-19) : le « peuple [λαός] » élu à qui Dieu accorde ses bienfaits est le peuple juif, de sorte que Dieu peut être appelé « Dieu d’Israël » et Israël considéré comme « son peuple ». La première occurrence de l’ἐπισκοπή divine (Lc 1,68) le rappelle avec force : « Béni [soit] le Seigneur, le Dieu d’Israël car ilestintervenuetadélivré son peuple [ἐπεσκέψατο καὶ ἐποίησεν λύτρωσιν τῷ λαῷ αὐτοῦ] ». Selon Dt 26,18-19, les nations ont un statut marginal et inférieur, par comparaison à celui d’Israël à qui Moïse déclare : 86
Ac 10,47 ; 11,15.17 ; 15,8. En Ac 10,45, un verbe de même famille (ἐκχύννω) est utilisé pour parler du don de l’Esprit Saint versé sur les païens chez Corneille. 87
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CHAPITRE III
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Et le Seigneur t’a choisi aujourd’hui pourquetudeviennessonpeuple, précieux [γενέσθαι σε αὐτῷ λαὸν περιούσιον], comme je t’ai dit, pour garder tous ses commandements, 19 pourquetusoisau-dessusdetoutesles nations [εἶναι σε ὑπεράνω πάντων τῶν ἐθνῶν], comme il t’a fait célèbre et objet de fierté et glorieux, pourquetusoisunpeuplesaintauSeigneur tonDieu [εἶναι σε λαὸν ἅγιον κυρίῳ τῷ θεῷ σου]. (Dt 26,18-19)
En Lc-Ac, le statut des nations dans le plan du salut divin subit une transformation progressive, déjà commencée dans l’Ancien Testament et atteignant un nouveau seuil de déploiement en Ac 15,1488. Avant l’assemblée de Jérusalem (Ac 15), comme dans l’Ancien Testament, la bienveillance de Dieu ne se restreint pas aux limites du peuple d’Israël, ni dans les faits, comme en témoigne la guérison en faveur du centurion (Lc 7,1-10), ni dans les prophéties, comme le reflète le cantique de Syméon (Lc 2,29-32)89. Regardons de plus près ces deux passages. Premièrement, dans le cas du centurion romain, l’initiative vient de lui (Lc 7,3) et ses amis ont exercé des pressions sur Jésus en insistant sur la générosité du centurion envers les Juifs (7,5) : « Ce qui frappe dans ce récit, c’est que Jésus n’y a de contact direct ni avec le bénéficiaire de la guérison ni avec le demandeur90. » Ce trait est spécifique à la version lucanienne où il est question de deux délégations envoyées par le centurion auprès de Jésus. Dans les parallèles, Jésus parle face à face avec le centurion qui s’avance vers lui91. Deuxièmement, concernant la bénédiction adressée à Dieu par Syméon, ce dernier annonce la révélation salvifique, y compris aux nations qu’il mentionne en les distinguant d’« Israël, [son] peuple » (Lc 2,32). Situés à proximitié d’une reconnaissance de l’ἐπισκοπή divine (1,68.78 ; 7,16), le centurion et Syméon attestent le caractère non limitatif du salut divin, comme en témoignaient déjà des prophéties 88 Pour une étude vétérotestamentaire de la dialectique entre nationalisme et universalisme, ainsi que des transformations majeures perçues dans certains oracles contre les nations à partir des guerres de conquête de Nabuchodonosor II avec Juda (605-585), voir Duane L. CHRISTENSEN, « Nations », in David N. FREEDMAN (éd.), The Anchor BibleDictionary, New York NY, Doubleday, 1992, Vol. IV, 1037-1049, p. 1044-1046. 89 Pour l’étude du passage progressif en Lc-Ac, de l’annonce et de la préfiguration de l’universalité du salut (en Lc) vers son actualisation (en Ac) qui devient décisive dans la rencontre de Pierre et de Corneille (Ac 10), voir Daniel MARGUERAT – Emmanuelle STEFFEK, « Luc-Actes et la naissance du Dieu universel », in Études théologiquesetreligieuses 87 (2012) 35-55. 90 Michel GOURGUES, « Du centurion de Capharnaüm au centurion de Césarée », p. 261. 91 Mt 8,5-9 ; Jn 4,47.49-50.
L’ἐπισκοπή DISCERNÉE À JÉRUSALEM (AC 15,14)
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vétérotestamentaires, notamment celles qui sont reprises dans des discours qui accompagnent en Ac le don de l’Esprit Saint92. En Ac 15,14, un pas de plus s’accomplit dans la reconnaissance du statut des nations dans le plan de salut divin, après le passage de Juifs chrétiens chez des païens. Jacques pose une affirmation paradoxale pour la foi juive en appliquant le vocabulaire de l’élection à des païens93. Il déclare que, non seulement Dieu sauve des païens, mais encore il les reçoit comme peuple lié à son nom. En Ac 15,14, le peuple de Dieu reçoit une définition nouvelle, non plus fondée sur l’ethnie marquée du sceau de la circoncision, mais sur la foi marquée du sceau de l’Esprit94. Le contraste avec Dt 26,18-19 est désormais flagrant. Dans les évangiles, quand λαός, terme d’usage spécifiquement lucanien, se présente au singulier et qu’il est mis en relation avec Dieu, il renvoie habituellement à Israël, sauf en Ac 15,14 et en 18,10 où il est directement appliqué à des païens devenus chrétiens, en raison de l’initiative divine. Dans ces deux versets, l’absence de l’article devant λαός sert à signaler que des païens sont reçus par Dieu et partagent désormais le même statut théologique que les Juifs – sans prendre la place de ces derniers – comme membres à part entière du peuple de Dieu95. Ces païens graciés par Dieu ne constituent ni un nouveau peuple, ni simplement des gens consacrés à Dieu96. Un processus de profondes transformations identitaires est inauguré et continuera à se déployer dans la suite des Ac. Que signifie être membre d’un peuple (λαός) de Dieu qui intègre désormais des païens (ἔθνη) ? Quelles sont les signes distinctifs d’un mouvement 92 Jl 2,28-32 en Ac 2,17-21 ; Am 9,11-12 en Ac 15,16-17. Parmi les prophéties annonçant le salut donné aux nations, voir Is 52,10 ; Za 2,11 (LXX) ; 8,20-23 ; So 3,9 ; Ml 1,11 ; ainsi que l’expression « la lumière [donnée] aux nations » (Is 42,6 ; 49,6 ; 51,4), qui est reprise en Lc 2,32. Un relief singulier est donné en Ac à Is 49,6, dont le programme de la mission chrétienne en Ac 1,8 emprunte la formule et qui est cité explicitement en Ac 13,47, quand Paul et Barnabé expriment la résolution de se tourner vers les païens. 93 Daniel MARGUERAT, LesActesdesapôtres(13–28)(Commentaire du Nouveau Testament. Deuxième Série, 5b), Genève, Labor et Fides, 2015, p. 98. 94 Luke T. JOHNSON, TheActsoftheApostles, p. 264. 95 Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres (13–28), p. 99 ; Simon BUTTICAZ, L’identitédel’ÉglisedanslesActesdesapôtres, p. 317 ; Jacques DUPONT, « Un Peuple d’entre les Nations (Actes 15.14) », in NewTestamentStudies 31 (1985), p. 328329. 96 Comme représentants de chacune de ces deux positions extrêmes figurent Roloff pour la première et Jervell pour la seconde. Voir Jacob JERVELL, DieApostelgeschichte.I : Auflage dieser Auslegung (KEK, 3), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1998, p. 394-395 ; Jürgen ROLOFF, DieApostelgeschichte(Das Neue Testament Deutsch, 5), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 198117, p. 232.
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CHAPITRE III
chrétien (ἐκκλησία) où ne cheminent plus seulement des Juifs ? Quel est le rapport entre le peuple de Dieu et l’Église97 ? En quoi un Juif chrétien est-il différent d’un païen chrétien ? En Lc-Ac, les expressions du « nom de Dieu » ou « son nom » en référence à Dieu sont rares en comparaison du « nom » de Jésus ou des titres « Christ » et « Seigneur »98. En Ac, ces mentions du « nom de Dieu » sont concentrées dans le discours de Jacques lors de l’assemblée de Jérusalem (15,14.17)99. 14 Syméon a partagé comment en premier Dieu est intervenu pourchoisir d’entrelespaïensunpeupleàsonnom [λαβεῖν ἐξ ἐθνῶν λαὸν τῷ ὀνόματι αὐτοῦ]. 15 Et les paroles des prophètes sont en symphonie avec ceci comme il est écrit : 16 « Après cela, je reviendrai […] 17 desortequelesautres êtres humains cherchent le Seigneur, c’est-à-dire toutes les nations sur lesquelles mon nom a été invoqué [ἐφ᾿ οὓς ἐπικέκληται τὸ ὄνομά μου ἐπ᾿ αὐτούς], ditleSeigneurquifaitceschoses [cf. Am 9,12 LXX]. » (Ac 15,1415.17)
L’expression hébraïsante « invoquer mon nom sur quelqu’un [ἐπικαλεῖται τὸ ὄνομα μου ἐπί τινα] » est empruntée à l’usage profane pour exprimer une nouvelle appartenance100. En Ac 15,17 (Am 9,12), elle peut donc aussi être traduite comme suit : « le reste des êtres humains, c’est-à-dire toutes les nations, que j’ai appelées miennes », c’est-à-dire « consacrées à moi101 ». Le datif ὀνόματι connote dans ce 97 Pour une synthèse des différentes études sur cette question dans le parcours narratif des Ac, voir Maria NEUBRAND, Israël,dieVölkerunddieKirche, p. 46-79. 98 Les attestations du substantif ὄνομα en référence à Dieu sont au nombre de 4 en Lc et de 2 en Ac. Celles du nom de Jésus s’élèvent à 9 en Lc et à 31 en Ac. 99 Dans son discours de Pentecôte, Pierre cite la prophétie de Jl 2,32 : « EtilarriveraquequiconqueinvoqueralenomduSeigneurserasauvé [καὶ ἔσται πᾶς ὃς ἂν ἐπικαλέσηται τὸ ὄνομα κυρίου σωθήσεται] ». Le « Seigneur » ainsi invoqué, qui désigne Dieu dans la prophétie, désigne bien Jésus dans l’intervention de Pierre. En effet, dans la conclusion, Pierre parle de Jésus comme « Seigneur » (Ac 2,36). Puis, il exhorte chacun à se convertir et à être baptisé « au nom de Jésus Christ » (2,38) en vue de la rémission des péchés. Peu de temps après, Pierre affirmera devant le Sanhédrin que le salut est dans le nom de Jésus Christ et dans aucun autre nom donné à un être humain sous le ciel (4,10.12). Jl 2,32 (Ac 2,21) est également cité en Rm 10,13 et son contexte invite à interpréter l’invocation du nom du Seigneur en référence à Jésus (10,9). 100 Par exemple : 2 S 12,28 à propos de la ville de Rabba qui deviendrait la propriété de Joab ; Is 4,1 à propos de femmes désirant s’attacher à un seul homme. Dans le cadre d’une consécration à Dieu : l’arche (2 S 6,2 ; 1 Ch 13,6), la maison bâtie pour le Seigneur (1 R 8,43 ; 2 Ch 6,33), le peuple (2 Ch 7,14 ; Is 63,19). Dans la Septante, le verbe utilisé est καλεῖται dans un contexte profane, et ἐπικαλεῖται en relation à Dieu. 101 Lars HARTMAN, « ὄνομα », in Horst BALZ – Gerhard SCHNEIDER (éds.), ExegeticalDictionaryoftheNewTestament, Grand Rapids MI, Eerdmans, 1979, Vol. II, 519-522, p. 520.
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cas la possession ou l’attribution102. Ce type de déclaration scelle une relation nouvelle, en l’occurrence entre Dieu et les nations, fondée sur l’expérience de Dieu se révélant à celles-ci103. Interprétée en ce sens, la prophétie d’Am 9,12 (LXX) est sans précédent dans l’Ancien Testament, car nul autre texte n’évoque l’invocation du nom de Dieu sur des païens104. Le texte massorétique présente une autre version que celle de la Septante : « le reste d’Edom » (au lieu du « reste des êtres humains ») que les Juifs (sujet implicite) « posséderont » (et non qui « chercheront le Seigneur »)105. Cependant, la mention de « toutes les nations sur lesquelles mon nom a été invoqué » figure dans la version du texte massorétique comme dans celle de la Septante.
102 En plus du sens donné à l’expression « à mon nom » dans son enracinement vétérotestamentaire rappelé en Ac 15,17 citant Am 9,12, il semble incongru de parler d’un datif d’intérêt pour Dieu. Voir Cleon L. ROGERS JR. – Cleon L. ROGERS III, The NewLinguisticandExegeticalKey, p. 266. Dahl qualifie les termes « peuple à son nom » d’idiome targumique. Sa démonstration repose sur l’hypothèse que dans les targumim, notamment à propos de Za 2,15, les mots « devantmoi [ » ]קדמיont remplacé « àmonnom [ «( » ]לשמיàmoi [ » ]ליdans le TM et « àlui [αὐτῷ] » dans la LXX). Voir Nils A. DAHL, « “A People for his Name” », in NewTestamentStudies 4 (1958) 319-327, p. 323-324. 103 Karl L. SCHMIDT, « καλέω – ἐπικαλέω », in Gerhard KITTEL (éd.), Theological Dictionary of the New Testament, traduit par Geoffrey W. BROMILEY, Grand Rapids MI, Eerdmans, 1965, Vol. III (Θ-Κ), 496-500, p. 498. 104 Jacques DUPONT, « Un Peuple d’entre les Nations (Actes 15.14) », p. 324. 105 Selon Gelston, les différences textuelles entre la LXX et le TM en Am 9,12 résultent de fautes accidentelles d’un scribe qui aurait confondu une consonne, en lisant « possèdent [ » ]יירשוcomme étant « cherchent [» ]ידרשו, et une voyelle, en interprétant אדםcomme « humanité » au lieu de « Édom ». Voir Anthony GELSTON, « Some Hebrew Misreadings in the Septuagint of Amos », in VetusTestamentum 52 (2002) 493-500, p. 498. Cette hypothèse est remise en question par Glenny qui élargit l’éventail des causes possibles, pas simplement involontaires, mais aussi intentionnelles, de portée théologique, selon différents principes herméneutiques juifs, notamment celui de l’analogie, la ( גזרה שוהgezerahshavah). Celle-ci consiste à expliquer un texte biblique par un autre – tels Za 8,22 et 14,2.9.16 – qui contient des expressions identiques. W. Edward GLENNY, « Hebrew Misreadings or Free Translation in the Septuagint of Amos? », in VetusTestamentum 57 (2007) 524-547, p. 545-547. Selon Meek, en Am 9,12 (TM), la possession des nations ne signifie pas une dépossession, mais une incorporation dans la bénédiction divine. De plus, le champ sémantique du « reste d’Edom » est double : au sens propre, il renvoie à Edom, et au sens symbolique (représentatif), à toutes les nations, selon la règle exégétique juive de l’afortiori, le ( קל וחומרqalwahomer). Ce même phénomène se produit avec l’Égypte et l’Assyrie en Is 19,23-25 ; avec l’Égypte en Za 14,18-19 ; ainsi qu’avec Rahab, Babylone, la Philistie, Tyre et l’Éthiopie en Ps 86,4 (LXX). Voir James A. MEEK, TheGentileMissioninOldTestamentCitationsinActs:Text,HermeneuticandPurpose(Journal for the Study of the New Testament Supplement Series, 385), London, T&T Clark, 2008, p. 72-73. Dans ce cas, la lecture proposée par la LXX exprimerait en langage concret ce qui était symbolique et implicite.
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CHAPITRE III
Desortequ’ilsposséderontlerested’Edomettouteslesnationssurlesquelles monnomaétéinvoqué [ל־הגּוֹיִם ֲא ֶשׁר־נִ ְק ָרא ְשׁ ִמי ַ ת־שׁ ֵא ִרית ֱאדוֹם וְ ָכ ְ ְל ַמ ַען יִ ְירשׁוּ ֶא ]ע ֵל ֶיהם, ֲ oracle du Seigneur qui va faire ceci. (Am 9,12 TM)
Malgré leurs différences de vocabulaire, les deux versions impliquent l’intégration des nations dans le peuple de Dieu106. Dans la perspective du discours de Jacques parlant de l’action de Dieu en vue de constituer un « peuple à son nom » (Ac 15,14), l’expression « toutes les nations sur lesquelles mon nom a été invoqué » constitue la pointe d’Am 9,12. Une question émerge au sujet de l’étendue des nations concernées dans la parole prophétique : « de sorte quele reste des êtres humains cherchent le Seigneur, c’est-à-dire touteslesnations [πάντατὰἔθνη] sur lesquelles mon nom a été invoqué, dit le Seigneur qui fait ces choses. » (Ac 15,17 citant Am 9,12). La proposition « toutes les nations » estelle à comprendre dans un sens universel (« le Seigneur invoque son nom sur toutes les nations ») ou partitif (« le Seigneur invoque son nom sur certaines nations et toutes celles-ci le cherchent ») ? Dans la logique narrative des Ac, le Seigneur voudrait-il être cherché seulement par une partie des nations ? L’invocation de son nom serait-elle limitée à un sous-ensemble ? Lc-Ac contient-il ailleurs un passage qui traite de la volonté salvifique de Dieu aussi clairement qu’en 1 Tm 2,34 : « Dieu, notre sauveur, […] veut que touslesêtreshumains [πάντας ἀνθρώπους] soientsauvés [σωθῆναι] » ? En Ac, il est possible d’observer une évolution à travers les trois attestations de « toutes les nations » ou « toute nation » dans des discours traitant du salut. Primo, dans son discours de Pentecôte, Pierre explique l’événement en cours en rappelant la prophétie de Joël : « et 106 Billy K. SMITH – Frank S. PAGE, Amos,Obadiah,Jonah(The New American Commentary, 19B), Nashville TN, Broadman & Holman, 1995, p. 167. Cette position n’est pas partagée par tous les commentateurs d’Amos. Cependant, les arguments opposés ne sont pas pour autant convaincants. Selon Andersen, une telle interpretation contredit Is 63,19 et est donc à rejeter. Voir Francis I. ANDERSEN – David N. FREEDMAN, Amos, p. 890. Quant à Stuart, l’expression « sur qui j’ai invoqué mon nom » est à comprendre comme un contrôle de Dieu sur les nations, selon sa promesse annoncée en Dt 30,7 et en Lv 26,36-39 (où l’expression est absente). Voir Douglas STUART, Hosea– Jonah(Word Biblical Commentary, 31), Grand Rapids MI, Zondervan, 1988, p. 398. La paraphrase exégétique d’Am 9,12 dans le Targum du livre d’Amos évite toute ambiguïté et tout paradoxe en explicitant le sujet – « la maison d’Israël » – et en le plaçant avant l’expression « sur qui mon nom a été invoqué » : « de sorte que la maisond’Israëlsurquimonnomaétéinvoqué [תק ִרי ְשׁ ִמי ֲע ֵליהוֹן ְ ]בית יִ ְשׂ ָר ֵאל ְד ִא ֵ possède le reste d’Edom et toutes les nations[…]. » Voir Alexander SPERBER (éd.), TheBible inAramaic, p. 431.
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ilarrivera [καὶ ἔσται] dans les derniers jours, dit Dieu, que je répandrai mon Esprit sur toute chair […] etilarriveraquetoute[personne] qui [καὶ ἔσται πᾶς ὃς ἂν] invoquera le nom du Seigneur serasauvée [σωθήσεται]. » (Ac 2,17.21) Cette parole de Pierre est adressée à « des Juifs, des hommes pieux, de toutes les nations [ἀπὸ παντὸς ἔθνους] [qui sont] sous le ciel » (2,5). Dans le contexte littéraire du récit de la Pentecôte, la prophétie de Joël était comprise dans un sens partitif par Pierre en voyant « des Juifs et des prosélytes » (2,11) venus de partout, même si pour les lecteurs chrétiens (d’origine juive ou païenne) auxquels Luc s’adresse, son sens est devenu universel. Secundo, dans la maison de Corneille, Pierre déclare : « Je réalise en vérité que Dieu n’est pas partial, mais qu’entoutenation [ἐν παντὶ ἔθνει], celui qui le craint et accomplit la justice est reçu de lui. » (Ac 10,34-35) Pierre a vécu une transformation de mentalité : Dieu reçoit chaque personne, juive ou non, à travers toutes les nations, dans la mesure où celle-ci se montre ouverte en esprit et en acte. Tertio, en Ac 15,14, le discours de Jacques reprend cette même conviction et la complète par sa référence à Am 9,12. « Le Seigneur fait toutes ces choses » (Ac 15,17 // Am 9,12), c’est-à-dire il restaure la tente de David (Ac 15,16 // Am 9,11), « pour que les autres êtres humains, c’est-à-dire toutes les nations sur lesquelles son nom a été invoqué le cherchent ». Le Seigneur Dieu donne à tous les païens de le chercher, en invoquant son nom sur eux107. Cependant, même si tous sont appelés, leur réponse n’est pas simultanément unanime : certains se tournent vers Dieu (Ac 15,19), manifestement pas tous, ou du moins, pas encore. En Ac, le discours de Jacques constitue une première déclaration officielle avec preuve à l’appui, sur l’universalité du salut offert, incluant explicitement les païens, ainsi que sur la manière dont ce don s’articule dans l’histoire d’Israël, dans la restauration du royaume de Dieu et dans le quotidien du mouvement chrétien de l’époque108.
107
Dans le même sens, Is 49,6 cité en Ac 13,47 : « Je t’ai établi lumière des nations, pour que tu apportes le salut aux extrémités de la terre. » 108 Meek opte pour une compréhension partitive de « toutes les nations » en Ac 15,16 (Am 9,12), en raison de Ac 13,48-50 (certains païens croient, d’autres non) et 15,14 (« parmi des nations »). Voir James A. MEEK, TheGentileMissioninOld TestamentCitationsinActs, p. 86. Ne convient-il pas de distinguer l’offre universelle du salut et la réponse de foi qui n’est pas universellement unanime pour autant ? Comme témoins de l’interprétation inclusive de « toutes les nations » en Ac 15,16 (Am 9,12), c’est-à-dire du « choix divin d’universalisation du salut », voir Daniel MARGUERAT, LesActesdesapôtres(13–28), p. 100-101.
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CHAPITRE III
L’interprétation inclusive de « toutes les nations » en Ac 15,16 (Am 9,11) trouve un écho dans le MidrashRabbahsurlaGenèse où Am 9,11 est relu en considérant Dieu qui n’oublie pas l’ensemble de l’humanité. Pour expliquer Gn 40,23 où il est écrit que « le grand échanson ne se souvint pas de Joseph », l’auteur du GenèseRabbah proclame la fidélité de Dieu en acte. Il s’appuie sur différents passages bibliques témoignant de la bienveillance indéfectible et surprenante de Dieu. Parmi ceux-ci figure Am 9,11 suivi de So 3,9 : Qui aurait pu espérer que le Saint, béni soit-il, relèverait la hutte de David effondrée, comme il est dit : « En ces jours-là, je relèverai la hutte branlante de David » (Am 9,11) ? Qui aurait pu espérer que le monde entier devienne une seule assemblée, comme il est dit : « Oui, je ferai alors aux peuples des lèvres pures, pour qu’ils puissent tous invoquer le nom de Yahvé et le servir sous un même joug » (So 3,9)109 ?
Dans l’Ancien Testament, invoqué sur une maison ou sur un peuple, le nom du Seigneur est d’abord le signe de sa présence en ce lieu ou de son empreinte auprès de ces personnes, qui amène celles-ci à le « chercherardemment [ἐκζητήσωσιν] » (Ac 15,17 // Am 9,12). Invoqué sur une maison ou sur un peuple, le nom du Seigneur est aussi le sceau de sa miséricorde, dont le peuple fait mémoire et sur lequel il s’appuie comme sur une promesse110. Ces deux aspects du nom du Seigneur se vérifient dans la rencontre de Pierre et de Corneille. En effet, dans la mouvance de l’Esprit, Corneille envoie trois hommes « chercher [ζητοῦντές] » Pierre (Ac 10,19-21), pour écouter les paroles de salut qu’il prononcerait (11,14). Dieu lui-même s’est ainsi rendu présent à des païens, à travers son ange, la parole de l’Évangile proclamée par Pierre et l’Esprit Saint qui leur est donné comme aux disciples d’origine juive. Il en résulte des fruits de miséricorde chez ces païens – la rémission des péchés (10,43), la conversion (11,18), la purification de leur cœur (15,9) – qui sont bel et bien sauvés (15,11). Par son intervention salvifique auprès des païens, Dieu leur confère une identité nouvelle et les reçoit comme « peuple à son nom » (15,14). La référence à « son nom » (Ac 15,17 // Am 9,12) en donne le sens : non seulement, les païens appartiennent au Seigneur Dieu et le cherchent ardemment, mais il est présent au milieu d’eux et se manifeste à eux 109 Maurice MERGUI (éd.), LeMidrashRabbasurlaGenèse.TomeIV(chap.78– 100) (Textes fondateurs de la tradition juive), Paris, Objectif transmission (OT), 2007, p. 108-109 (no 88.7 sur Gn 40,23). 110 Par exemple : 1 S 12,22 ; 1 R 8,16.27.33-34 ; Si 36,11 ; Is 63,16 ; Jr 14,9.
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par des actes de miséricorde. Une telle reconnaissance constitue un point charnière dans l’histoire biblique de Dieu avec son peuple en regard des païens. 1.2.6. L’accomplissement inédit de plusieurs prophéties Jacques ne se limite pas à Am 9,12 pour fonder et déployer son affirmation théologique (Ac 15,14). Il inclut aussi Am 9,11, mais dans une version différente de celle de la Septante qui est pourtant intégralement reprise dans la citation d’Am 9,12. Quels éléments apportent de plus l’inclusion d’Am 9,11 à la parole de Jacques ? En Ac 15,16 et en Am 9,11 (LXX), deux figures sont mises en scène : Dieu comme sujet des verbes et « latentedeDavid [τὴνσκηνὴν Δαυίδ] » comme objet de ceux-ci. Commençons par la tente de David dont le nom ne figure pas dans les récits relatifs au passage de Pierre chez Corneille et lors de l’assemblée de Jérusalem111. L’expression « tente de David » est rare et serait post-exilique112. Dans la Bible, en plus de Ac 15,16 et d’Am 9,11, elle est attestée seulement dans un troisième passage (Is 16,5), comme un synonyme de « maison de David », mais en référence à un état si pitoyable que le terme « maison » n’est plus approprié et devient « tente », ou plus exactement « cabane113 ». Comme Am 9,11, Is 16,5 reflète l’espoir d’une restauration éventuelle de la dynastie davidique, auquel le troisième évangile fait écho. En effet, la « maison de David [οἶκος Δαυίδ] », image d’usage exclusivement lucanien, est mentionnée dans trois passages propres à Luc, concentrés dans les récits de l’enfance. Primo, dans la partie initiale du cantique de Zacharie où est affirmée et développée la première attestation de l’ἐπισκοπή divine, il est fait mention de la « corne du salut » – image messianique – que Dieu a suscitée « dans la maison de David » (Lc 1,69). Secundo, celle-ci a été mentionnée au préalable dans le récit de l’annonce de l’ange Gabriel à Marie, où Joseph 111
David a été évoqué par Paul dans son discours à Antioche de Pisidie (Ac 13,22). Joseph BLENKINSOPP, Isaiah1–39(The Anchor Yale Bible, 19), New York NY, Doubleday, 2000, p. 300. 113 Étant donné les verbes dont σκηνή est l’objet en Ac 15,16-17 (Am 9,11-12) et qui gravitent autour de la construction, il serait plus cohérent de traduire σκηνή par « cabane », comme dans la version du TM d’Am 9,11 ()ס ָכּה, ֻ et non par « tente ». Voir Jacques DUPONT, « “Je rebâtirai la cabane de David qui est tombée” (Ac 15,16 = Am 9,11) », in Erich GRÄSSER – Otto MERK (éds.), GlaubeundEschatologie.FS.Werner G.Kümmel, Tübingen, Mohr (Paul Siebeck), 1985, 19-32, p. 26. Cependant, par cohérence pour les quelques rares emplois de σκηνή en Ac (7,43.44) également liés à une référence à Am, nous préférons maintenir le terme « tente ». 112
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CHAPITRE III
est présenté comme étant « de la maison de David » (1,27). Tertio, ce lignage de Joseph est rappelé lors de la naissance de Jésus (2,4). En outre, l’ange Gabriel révèle à Marie qu’en Jésus se réalisera la prophétie prononcée par Nathan à David (2 S 7,12-13) : le « trône de David » – autre expression d’usage exclusivement lucanien – sera donné par Dieu à Jésus, Fils du Très-Haut, et son règne n’aura pas de fin (Lc 1,32-33). Dans son discours à la Pentecôte, en s’inspirant de Ps 131,11 (LXX) et de 2 S 7,12-13, Pierre évoque à nouveau le « trône de David » (Ac 2,30) pour annoncer la résurrection et l’exaltation de Jésus à la droite de Dieu. En le ressuscitant et en l’exaltant, Dieu a accompli l’annonce de l’ange Gabriel à Marie : il a donné à Jésus le trône de David et même davantage. En effet, Jésus est plus que « fils de David ». Il est désormais dévoilé comme « exalté à la droite de Dieu » (Ac 2,33), « Seigneur et Christ » (2,36), et donc il règne à jamais114. Lors de l’assemblée de Jérusalem, Jacques en décline les effets. En établissant Jésus sur le trône de David comme Seigneur et Christ, Dieu renouvelle « la tente de David » (15,16). Comment le comprendre dans le contexte de Lc-Ac et plus particulièrement de l’assemblée de Jérusalem ? Nous avons déjà souligné l’attente projetée sur Jésus, depuis sa naissance jusqu’à son ascension, en termes de « délivrancedeJérusalem [λύτρωσιν Ἰερουσαλήμ] » (Lc 2,38), en vue de « délivrerIsraël [λυτροῦσθαι τὸν Ἰσραήλ] » (Lc 24,21) et de « rétablir le royaume d’Israël [ἀποκαθιστάνεις τὴν βασιλείαν τῷ Ἰσραήλ] » (Ac 1,6). Alors que les deux premières expressions peuvent renvoyer au nouveau Moïse attendu (Dt 18,15.18 // Ac 3,22 et 7,37), la troisième évoque clairement un roi. Or, en Lc-Ac, une telle espérance était fondée sur la figure de David. D’ailleurs, au terme de sa montée vers Jérusalem, Jésus a été acclamé comme « fils de David » (Lc 18,38.39) et comme « celui qui vient, le roi, au nom du Seigneur » (19,38). Mais il s’est avéré que le témoignage de Jésus, roi messianique, n’a pas été reconnu à sa juste valeur (19,42.44). N’y a-t-il pas en Ac 15,16 un dévoilement qui s’opère ? En Jésus, acclamé avant sa passion comme « fils de David » et « roi », révélé « Seigneur et Christ » après sa résurrection, Dieu a rétabli le règne de David, d’une façon qui renverse et dépasse toute attente. Par la vie, la mort, la résurrection et l’exaltation de Jésus, le règne de Dieu 114
Paul rappelle également la promesse de Dieu à David, réalisée en Jésus (Ac 13,22-23).
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est advenu115. Le salut n’arrache pas Israël de la main de ses ennemis (Lc 1,71.74), associés le plus souvent aux païens, mais adjoint ceuxci, moyennant leur disposition d’ouverture, au peuple de Dieu. Tel est le signe que Dieu a restauré la tente de David, en établissant sa propre souveraineté et son royaume. C’est parce que Dieu règne que des païens deviennent à part entière membres de son peuple. En Ac 15,16, « la tente de David » connaît deux grandes lignes d’interprétation parmi les exégètes contemporains : « le peuple » dont la teneur varie selon les auteurs, ou « le trône de David » sur lequel Jésus Christ siège depuis sa résurrection et son exaltation. Selon Jacob Jervell, « la tente de David » correspond au peuple d’Israël restauré, c’est-à-dire aux Juifs qui ont accueilli en Jésus le Christ116. Dans la ligne d’interprétation du peuple de Dieu, Fitzmyer considère que le renouvellement de la tente de David se concrétise dans le peuple de Dieu renouvelé par l’accueil des païens (perspective collective et ecclésiologique, au sens large de ce dernier terme), grâce à l’événement Jésus Christ (perspective individuelle et christologique)117. L’interaction des deux perspectives est également défendue par Simon Butticaz. Celui-ci interprète la tente de David comme Israël que Dieu rassemble et restaure, « présupposé indispensable à l’ouverture de l’alliance aux païens118 ». La compréhension de « la tente de David » en tant que « peuple juif » se heurte à la logique narrative. Dans le récit de Corneille, la conversion des païens et la transformation des Juifs chrétiens se fait de façon interactive et non successive. D’autres auteurs, comme Eckhard J. Schnabel, traduisent « la tente de David » mentionnée par Jacques, en termes de temple eschatologique. Ce temple eschatologique est à leurs yeux la communauté de tous ceux, païens et Juifs, qui croient en Jésus comme Christ et Seigneur d’Israël119. En Ac 15,16-18, la construction de la phrase exige de distinguer la restauration de la tente de David et la conversion des païens au Seigneur.
115
En Ac 8,12 et 28,31, le « royaume de Dieu » et Jésus Christ vont de pair dans une même proclamation. 116 Jacob JERVELL, DieApostelgeschichte, p. 395. 117 Joseph A. FITZMYER, TheActsoftheApostles, p. 556. 118 Simon BUTTICAZ, L’identité de l’Église dans les Actes des apôtres, p. 320, 327. 119 Eckhard J. SCHNABEL, Acts, p. 638-641. Voir aussi Richard I. PERVO, Acts(Hermeneia), Minneapolis MN, Fortress, 2009, p. 375 ; Simon J. KISTEMAKER, Acts, p. 554 ; I. Howard MARSHALL, TheActsoftheApostles(Tyndale New Testament Commentaries, 5), Leicester, Inter-Varsity Press (IVP), 1980, p. 267.
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CHAPITRE III
En Ac 15,16, la désignation de « la tente de David » en référence au « royaume de Dieu » non seulement trouve un fondement textuel en Lc-Ac, mais se rapproche aussi de paraphrases exégétiques d’Am 9,11 dans des textes juifs anciens dont certains sont postérieurs à la rédaction de Lc-Ac, mais dont les traditions qu’elles représentent ne sont pas si tardives120. Primo, parmi les manuscrits de la mer Morte, 4Q174 (Florilegium), du Ier siècle avant Jésus Christ, est particulièrement pertinent pour notre étude. Commentant la promesse de Dieu à David (2 S 7,11-14) à partir de Jr 23,5 et d’Am 9,11, l’auteur confère à la restauration de la tente de David une perspective messianique : 10
« [Et] le Seigneur te [dé]clare qu’il te bâtira une maison » et que « je susciterai [ ]והקימותיton descendant après toi et j’établirai le trône de son règne 11 [pour tou]jours. Je serai pour lui un père et il sera pour moi un fils. » (2 S 7,11-14) Celui-ci est « lerejetondeDavid[( » ]צמח דוידJr 23,5) qui se lèvera avec l’interprète de la Loi, et qui 12 [se manifestera] à Si[on durant les Der]niers Jours, comme il est écrit : « Etjerelèverailatentede Davidquiesttombée []והקימותי את סוכת דויד הנופלת. » (Am 9,11) Celleci est la tente 13 de David qui est tomb[ée et q]u’il relèvera pour sauver Israël. (4Q174 1-2 i 10-13)121
120 Parmi les auteurs contemporains interprétant la tente de David en Ac 15,16 en lien avec le royaume de Dieu, voir notamment W. Edward GLENNY, « The Septuagint and Apostolic Hermeneutics: Amos 9 in Acts 15 », in BulletinforBiblicalResearch 22 (2012) 1-25, p. 16-18 ; James A. MEEK, TheGentileMissioninOldTestamentCitations inActs, p. 68-69 et 83 ; Maria NEUBRAND, Israël,dieVölkerunddieKirche, p. 137182 ; Charles K. BARRETT, ACriticalandExegeticalCommentaryontheActsofthe Apostles.VolumeII:ActsXV–XXVIII(International Critical Commentary), Edinburgh, T & T Clark, 1998, p. 725-726 ; Mark L. STRAUSS, TheDavidicMessiahinLuke-Acts: ThePromiseanditsFulfillmentinLukanChristology(Journal for the Study of the New Testament Supplement Series, 110), Sheffield, Sheffield Academic Press, 1995, p. 190191 ; Luke T. JOHNSON, TheActsoftheApostles, p. 265 ; John B. POLHILL, Acts(The New American Commentary, 26), Nashville TN, Broadman & Holman, 1992, p. 329330 ; Jacques DUPONT, « “Je rebâtirai la cabane de David qui est tombée” (Ac 15,16 = Am 9,11) », p. 30-32. 121 4Q174 date de la fin du Ier siècle avant Jésus Christ. L’extrait est tiré de John M. ALLEGRO – Arnold A. ANDERSON (éds.), 4Q158-4Q186, p. 53-54. Le Documentde Damas, mentionne également Am 9,11 dans une perspective d’eschatologie messianique. Toutefois, l’auteur de ce manuscrit considère que « la tente de David » renvoie aux « livres de la Loi » qui sera à nouveau vénérée par les fils d’Israël après leur désobéissance et l’exil consécutif. Voir CD VII 16 dans David HAMIDOVIĆ (éd.), L’Écrit de Damas. Le manifeste essénien (Collection de la Revue des Études juives, 51), Paris – Louvain – Walpole MA, Peeters, 2011, p. 44-49, ainsi que son parallèle dans un manuscrit de la mer Morte (4Q266 3 iii 17) dans Joseph M. BAUMGARTEN – Joseph Thaddée MILIKetal. (éds.), TheDamascusDocument(4Q266-4Q273), p. 44-45. Cette interprétation se prête moins au contexte de Ac 15.
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Interpréter Am 9,11 – auquel se réfère Jacques (Ac 15,16) – à partir des prophéties de Nathan (2 S 7), insinuées dès l’ouverture du troisième évangile dans le message de Gabriel à Marie (Lc 1,32-33), est une pratique attestée dans le judaïsme contemporain des premières communautés chrétiennes, en dehors des Ac. Secundo, dans le Targum du livre d’Amos, il est écrit : « À ce moment-là, je relèverai leroyaumedela maisondeDavid [לכוּתא ְד ֵבית ָדוִ יד ָ ]מ ַ 122 ». L’exégèse de 4Q174 a manifestement un caractère traditionnel dans le judaïsme123. Après l’assemblée de Jérusalem, le nom de David ne sera plus mentionné dans les Actes. Désormais ce qui a été annoncé à son sujet est accompli. Que viennent préciser les quatre actions spécifiques de Dieu en Ac 15,16 à l’égard de la tente de David ? Deux verbes sur quatre figurent en Am 9,11, quoique dans un ordre différent124. Ac 15,16 contient trois verbes différents, dont un qui est répété en position centrale Après cela, je reviendrai [ἀναστρέψω]
Am 9,11 contient deux verbes différents, qui sont répétés en alternance Au dernier jour, je relèverai [ἀναστήσω] la tente de David quiesttombée [τὴν πεπτωκυῖαν]
et je restaurerai [ἀνοικοδομήσω] et je restaurerai [ἀνοικοδομήσω] la tente de David quiesttombée [τὴν πεπτωκυῖαν] cequiesttombé [τὰ πεπτωκότα] chez elle et cequiestcomplètementdétruit [τὰ κατεσκαμμένα] d’elle et cequiestcomplètementdétruit [τὰ κατεσκαμμένα] d’elle je restaurerai [ἀνοικοδομήσω] je relèverai [ἀναστήσω] et je larétablirai [ἀνορθώσω αὐτήν].
et jelarestaurerai [ἀνοικοδομήσω αὐτήν] comme aux jours d’autrefois.
Puisqu’Am 9,12 est repris intégralement en Ac 15,17, le vocabulaire commun à Ac 15,16 et à Am 9,11 est suffisant pour reconnaître un écho à ce dernier125. Par rapport à la version de la Septante, le texte lucanien d’Am 9,11 manifeste une « qualité oratoire126 » accrue, par 122
Voir Alexander SPERBER (éd.), TheBibleinAramaic, p. 431. Jacques DUPONT, « “Je rebâtirai la cabane de David qui est tombée” (Ac 15,16 = Am 9,11) », p. 29. 124 Le TM d’Am 9,11 est proche de la LXX. La tente de David est l’objet des quatre verbes et non pas seulement des trois derniers, comme dans Ac 15,16. L’équivalent du verbe « jerelèverai []אָקים ִ » figure en première et en troisième places également. Les deuxième et quatrième verbes sont différents, tout en appartenant au champ sémantique de la construction : « etjeconstruiraiunmur [ ]…[ ]וְ גָ ַד ְר ִתּיetjelabâtirai [יה ָ ]וּבנִ ִית ְ ». 125 Sur les dix-huit mots de Ac 15,16, quatorze sont communs à Am 9,11 (LXX) et quatre sont différents. 126 Jacques DUPONT, « “Je rebâtirai la cabane de David qui est tombée” (Ac 15,16 = Am 9,11) », p. 24-25. 123
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sa brièveté et par sa structure en chiasme. Celle-ci souligne davantage la progression, non seulement au niveau des verbes, mais aussi de leur objet127. Bien que partiellement identiques, tous les verbes de ces deux passages (Ac 15,16 ; Am 9,11 LXX) contiennent le préfixe ἀνά et soulignent ainsi l’importance du sens qui lui est attaché. Il peut exprimer aussi bien un mouvement vertical vers le haut, qu’un retour, un renouveau ou encore un perfectionnement128. En Ac 15,16, ces quatre nuances sont rassemblées et qualifient Dieu : il est celui qui revient, élève et renouvelle, en menant à la perfection, non pas seulement « en ce jour-là » (Am 9,11 LXX), au jour eschatologique, mais « après cela » (Ac 15,16), c’est-à-dire dans le présent de l’histoire en cours129. En Ac 15,16, l’absence totale du verbe ἀνίστημι qui est pourtant présent en Am 9,11 n’est pas étonnante. En Lc-Ac, quand Dieu est le sujet de ce verbe, l’objet renvoie explicitement ou implicitement à Jésus et sert à exprimer deux actions spécifiques : « ressusciter130 » Jésus ou accomplir en lui la promesse de « susciter » un prophète comme Moïse (Ac 3,22 ; 7,37). Or, en Am 9,11, l’objet de ce verbe est « la tente de David ». Même si celle-ci a un lien avec Jésus, elle ne le désigne pas. Deux autres verbes remplacent en Ac 15,16 la double mention d’ἀνίστημι en Am 9,11 : ἀναστρέφω et ἀνορθῶ. Qu’apporte chacun de ces deux verbes, pour comprendre la déclaration de Jacques (Ac 15,14) ? En Ac 15,16, ἀναστρέψω revêt un sens intransitif – « je reviendrai » – comme c’est clairement le cas en Ac 5,22, l’unique autre occurrence de ce verbe à l’actif dans le Nouveau Testament131. Dans la 127 Le verbe κατασκάπτω signifie au sens propre « creuser en dessous », et au sens figuré « détruire de fond en comble ». Voir Anatole BAILLY (éd.), Dictionnaire grec-français, p. 1051. 128 J. Harris MURRAY, PrepositionsandTheologyintheGreekNewTestament, p. 48. 129 Daniel MARGUERAT, LesActesdesapôtres(13–28), p. 99. 130 Ac 2,24.32 ; 3,26 ; 13,33.34 ; 17,31. 131 Selon Bertram, en Ac 15,16, ce verbe est à interpréter en relation avec celui qui le suit directement (ἀναστρέψω καὶ ἀνοικοδομήσω) car ils constituent ensemble une double traduction du verbe אָקים ִ trouvé dans la version hébraïque d’Am 9,11. Dans cette perspective, il considère que la tente de David est aussi l’objet du verbe ἀναστρέψω : « God will turn the overthrow of the house of David and build up its lowliness. » Cependant, à la phrase suivante, il parle de Dieu qui promet de revenir, semant ainsi la confusion dans l’interprétation d’ἀναστρέψω : lui confère-t-il un sens intransitif – Dieu revient – ou non – Dieu retourne la tente de David ? Voir George BERTRAM, « ἀναστρέφω », in Gerhard FRIEDRICH (éd.), TheologicalDictionaryofthe NewTestament, traduit par Geoffrey W. BROMILEY, Grand Rapids MI, Eerdmans, 1971, Vol. VII (Σ), 715-717, p. 716. Tout d’abord, comment Bertram peut-il justifier que la version d’Am 9,11 dont Luc ou sa source dispose est celle de la version hébraïque et non de la LXX ? En outre, si ἀναστρέψω καὶ ἀνοικοδομήσω constituent une double
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Septante, les trois mentions où le verbe a un usage transitif véhiculent une idée d’abandon à l’égard de personnes, ce qui ne correspond pas au contexte de Ac 15,14 que le verset 16 vient éclairer132. Le verbe ἀναστρέφω est propre à l’allusion à Am 9,11 en Ac 15,16 par rapport à la version de la Septante. La présence de ce verbe revêt un sens particulier dans le contexte de Ac 15. L’annonce d’un retour présuppose un départ antérieur. Dieu s’est-il éloigné dans le passé pour désormais proclamer « je reviendrai » ? À l’indicatif futur avec Dieu comme sujet, le verbe ἀναστρέφω est introuvable ailleurs dans le Nouveau Testament et même dans la Septante, si ce n’est en Gn 18,14 dans la figure d’un des trois hommes reçus par Abraham : « Une parole venant de Dieu est-elle irréalisable ? À cette date, jereviendraiverstoi [ἀναστρέψω πρὸς σέ], l’année prochaine, et Sara aura un fils133. » Habituellement, quand Dieu dit « je reviendrai », la Septante utilise ἐπιστρέφω qui est formé du même verbe, στρέφω, mais avec le préfixe ἐπί134. Ce retour de Dieu prend un sens particulier en rapport avec la première parole de jugement de Jésus à Jérusalem : « Jérusalem, Jérusalem, […], combien de fois j’ai voulu rassembler tes enfants […]. Voici, votre maison vous estlaissée [ἀφίεται]. » (Lc 13,34-35 ; par. Mt 23,3738) Voyant Jérusalem depuis le mont des Oliviers, Jésus pleure sur la ville et annonce que ses ennemis écraseront même ses enfants et « ne laisseront [ἀφήσουσιν] pas pierre sur pierre » (Lc 19,44 ; propre à Luc)135. Témoin que Dieu a accueilli des païens comme son peuple, Jacques reconnaît son retour, porteur d’une fécondité nouvelle. En Ac 15,16, la promesse du retour de Dieu qui est rappelée dans une parole inspirée d’Am 9,11-12, revêt un sens particulier en relation à la seule autre référence à Am en Ac, située dans le grand discours d’Étienne devant le Sanhédrin. 38 C’est lui […] qui reçut des paroles vivantes à leur donner, 39 lui à qui nos pères ne voulurent pas devenir obéissants, mais repoussèrent au loin et retournèrent [ἐστράφησαν] dans leur cœur en Égypte. […]
traduction du verbe אָקים, ִ pourquoi le second אָקים ִ du même verset n’a-t-il pas été traduit de la même manière ? Enfin, cette explication ne tient pas compte du fait que le nombre de verbes en Am 9,11 demeure identique en Ac 15,16. 132 Jdt 1,11.13 ; Si 33,12. 133 La même parole avait déjà été exprimée en Gn 18,10 avec le verbe ἐπαναστρέφω. 134 Voir Jr 12,15 ; Os 5,15 ; Jl 4,1 ; Za 1,3.16 ; 8,3 ; Ml 3,7. 135 Plus tard, Jésus répète qu’« ilneserapaslaissé [οὐκ ἀφεθήσεταἰ] pierre sur pierre » (Lc 21,6 ; par. Mc 13,2 et Mt 24,2)
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CHAPITRE III
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En ces jours-là, ils firent un veau et apportèrent un sacrifice à l’idole et se réjouissaient des œuvres de leurs mains. 42a Alors Dieu sedétourna [ἔστρεψεν] [d’eux] et les livra [παρέδωκεν] à leur culte qu’ils rendaient à l’astre du ciel, comme il est écrit dans le livre des prophètes : 42b « Des victimes et des sacrifices, m’en avez-vous apportés pendant les quarante années dans le désert, maison d’Israël ? 43 Mais vousavezrepris latentedeMolochetl’étoiledevotredieuReiphan [ἀνελάβετετὴνσκηνὴν τοῦ Μόλοχ καὶ τὸ ἄστρον τοῦ θεοῦ ὑμῶν Ῥαιφάν], les images que vous avez faites pour vous prosterner devant elles. Aussi je vous déporterai [μετοικιῶ] au delà de Babylone. » (Ac 7,38-39.41-43 ; v. 42b-43 citant Am 5,25-27)
Les deux renvois lucaniens à Am en Ac et leur environnement présentent plusieurs affinités136. Primo, l’une et l’autre sont introduites par une même formule qui n’apparaît pas ailleurs en Ac : « commeilest écrit [καθὼς γέγραπται] » (Ac 7,42 et 15,15). Secundo, en Ac 7,39, les fils d’Israël « retournèrent [ἐστράφησαν] dans leur cœur en Égypte », alors Dieu « se détourna [ἔστρεψεν] » (7,42a). En Ac 15,16, Dieu dit « aprèscela [μετὰ ταῦτα], jereviendrai [ἀναστρέψω] » (15,16). Dans ce verset, la proposition temporelle « après cela » apporte une modification à l’expression « en ce jour-là » (Am 9,11), pour laquelle les différents manuscrits vétérotestamentaires ne présentent aucune variante137. En Lc-Ac, bien que la mention « après cela » demeure une indication chronologique peu précise, elle apparaît toujours en référence à un objet concret138. Vers quel événement pointe-t-elle en Ac 15,16, 136 Selon certains, la présence des deux mêmes références à Am dans le Document deDamas et en Ac, laisse penser que Luc s’est inspiré d’une tradition juive ancienne, à partir de la LXX. Voir Gert J. STEYN, « Notes on the Vorlage of the Amos quotations in Acts », in Cilliers BREYTENBACH – Jens SCHRÖTER et al. (éds.), Die ApostelgeschichteunddiehellenistischeGeschichtsschreibung.FS.EckhardPlümacher (Ancient Judaism and Early Christianity - AGJU, 57), Leiden – Boston MA, Brill, 2004, 59-81, p. 78-79. Pour une étude sur les deux passages d’Am en Ac, voir aussi Pierre-Antoine PAULO, Le problème ecclésial des Actes à la lumière de deux prophéties d’Amos (Recherches. Nouvelle Série, 3), Montréal, Bellarmin, 1985, p. 47-51 ; Earl RICHARD, « The Creative Use of Amos by the Author of Acts », in NovumTestamentum 24 (1982) 37-53, p. 49-50. 137 Joseph ZIEGLER (éd.), Duodecimprophetae (Septuaginta. Vetus Testamentum Graecum, XIII), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1984, p. 146. 138 Lc 5,27 (après la guérison d’un paralysé : 5,17-26) ; 12,4b (après avoir tué le corps : 12,4a) ; 17,8b (après que le maître eut mangé et bu : 17,8a) ; Ac 7,7b (après avoir jugé la nation dont ils étaient esclaves : 7,7a) ; 13,20b (après 450 ans : 13,20a) ; 18,1b (après avoir quitté Athènes : 18,1a). Il semble difficile de considérer qu’il s’agit d’une « formule passe-partout » comme le propose Dupont. En effet, en Lc-Ac, l’expression « après cela » exerce une fonction de liaison à un élément qui précède, en l’occurrence l’unique autre renvoi à Am en Ac (7,42-43). Jacques DUPONT, « “Je rebâtirai la cabane de David qui est tombée” (Ac 15,16 = Am 9,11) », p. 25.
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sinon vers l’unique autre référence d’Am en Ac (7,42-43)139 ? Tertio, en Ac 7,43 (Am 5,26), les fils d’Israël « avaientrepris [ἀνελάβετε] la tentedeMoloch [τὴνσκηνὴντοῦΜόλοχ] », faite de mains humaines, sombrant à nouveau dans l’idolâtrie, alors que « latentedutémoignage [Ἡ σκηνὴ τοῦ μαρτυρίου] » (Ac 7,44), construite selon le plan divin, les accompagnait. En Ac 15,16 (Am 9,11), le Seigneur « restaurera [ἀνοικοδομήσω] latentedeDavid [ὴνσκηνὴνΔαυὶδ] ». Quarto, en Ac 7,43, Dieu déporte les fils d’Israël par suite de leur idolâtrie. En Ac 15,17 (Am 9,12), le reste de l’humanité se met à chercher le Seigneur grâce à son œuvre de restauration. Dans le DocumentdeDamas (CD VII 14-15.16), les deux prophéties d’Am (5,25-27 ; 9,11-12) avaient déjà été rassemblées140. En Ac 15,16, l’image de « la tente de David » en tant que règne de Dieu, renouvelé par la résurrection et l’exaltation de Jésus, s’approfondit en parallèle à « la tente de Moloch », symbole du pouvoir des fausses représentations divines. Après avoir été non reconnu (Lc 19,44) et délaissé par les siens, Dieu revient. Il rétablit non seulement son règne, mais aussi donne à toute personne de le chercher. Dans le troisième évangile, les reconnaissances de l’intervention salvifique de Dieu (ὁ θεὸς ἐπεσκέψατο) s’inscrivent dans un contexte où des êtres humains vivent une forme d’abandon ou de vide existentiel : Élisabeth n’avait pas d’enfant et la veuve de Naïn pleurait la mort de son fils unique. En Ac, Dieu intervient pour sauver son peuple après avoir lui-même été l’objet d’un abandon par son peuple infidèle à son alliance.
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Strauss interprète la mention « après cela » (Ac 15,16) en référence au jugement divin, c’est-à-dire aux passages qui précèdent Am 9,11 dans le livre d’Amos. Voir Mark L. STRAUSS, TheDavidicMessiahinLuke-Acts, p. 186-187. Puisque les termes « aprèscela [μετὰ ταῦτα] » en Ac 15,16 marque une différence par rapport à la formulation vétérotestamentaire d’Am 9,11 (« encejour-là [ ַבּיּוֹם ַההוּא/ ἐν τῇ ἡμέρᾳ ἐκείνῃ] »), pourquoi interpréter cette expression en relation à Am, indépendamment des Ac ? 140 David HAMIDOVIĆ (éd.), L’Écrit de Damas, p. 44-49. Dans le parallèle de la colonne VII du DocumentdeDamas dans le manuscrit de la mer Morte correspondant (4Q266 3 iii), les lignes 7 à 17 font défaut, mais ont de fortes chances de renvoyer aux lignes 6 à 16 de la colonne VII du DocumentdeDamas (CD VII 6-16). Voir Joseph M. BAUMGARTEN – Joseph Thaddée MILIKetal. (éds.), TheDamascusDocument(4Q266-4Q273), p. 44-45. Pour une comparaison détaillée entre les références à Am en Ac et dans les traditions qumrâniennes (4Q174 et 4Q266), ainsi que dans le DocumentdeDamas, voir Martin STOWASSER, « Am 5,25-27; 9,11 f. in der Qumranüberlieferung und in der Apostelgeschichte: Text- und traditionsgeschichtliche Überlegungen zu 4Q174 (Florilegium) III 12/CD VII 16/Apg 7,42b-43; 15,16-18 », in ZNW 92 (2001) 47-63.
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Une autre singularité de l’allusion à Am 9,11 en Ac 15,16 se trouve dans le verbe « jerétablirai [ἀνορθώσω]141 ». Il est également présent deux fois dans la prophétie de Nathan (2 S 7,13.16) : « je(r)établirai [ἀνορθώσω] son trône pour l’éternité. […] son trône sera (r)établi [ἔσται ἀνωρθωμένος] pour l’éternité ». Le Nouveau Testament contient seulement deux autres occurrences de ce verbe (He 12,12 ; Lc 13,13) dans un sens corporel et non immobilier. Le verbe ἀνορθῶ implique la présence d’un but préexistant vers lequel viser « droit [ὀρθός] ». Même si Dieu peut sembler impuissant dans certaines tragédies de l’histoire, au point de laisser les êtres humains détruire son œuvre et occulter sa souveraineté au milieu d’eux, Dieu demeure Dieu pour réaliser l’accomplissement de son plan de salut, en toute circonstance, selon sa volonté divine. En Ac 15,16 comme en Am 9,11, Dieu déclare aussi : « jerestaurerai [ἀνοικοδομήσω] » la tente de David. Une analyse du verbe, « bâtir [οἰκοδομῶ] », dans le Nouveau Testament montre que chez Luc (Ac 15,16 ; 20,32) et lui seul, Dieu est explicitement celui qui bâtit et non pas Jésus qui demeure la « pierre de faîte » (Mc 12,10 ; par. Mt 21,42 et Lc 20,17)142. En Ac 15,16, la tente de David que Dieu construit de façon nouvelle, s’édifie pour accueillir des païens comme un « peuple à [son] nom » (Ac 15,14). L’attestation du verbe οἰκοδομῶ en Ac 20,32 s’inscrit dans une perspective similaire, lorsque Paul formule ses adieux aux anciens d’Éphèse : « Et maintenant, je vous remets à Dieu et à sa parole de grâce, quiestenmesuredebâtir [τῷ δυναμένῳ οἰκοδομῆσαι] et de donner l’héritage parmi tous les sanctifiés. » Juste avant, Paul parle de « l’Église de Dieu » (20,28), en recourant aussi 141 Il est présent dans une variante d’Am 9,11 attestée dans la minuscule 764. Toutefois, celle-ci étant assez tardive (XIIIe – XIVe siècles), il est plus probable que ce soit elle qui ait été influencée par Ac 15,16 et non l’inverse. Voir l’analyse détaillée de l’apparat critique de Joseph ZIEGLER (éd.), Duodecimprophetae, p. 204. 142 À deux reprises dans les autres synoptiques et une fois en Jn, Jésus déclare qu’il va bâtir. Voir Mc 14,58 rappelé en 15,29 (« Nous l’avons entendu dire : Moi,jedétruirai [ἐγὼ καταλύσω] ce Temple fait de mains humaines et en trois joursjebâtirai [οἰκοδομήσω]un autre non fait de mains humaines. ») et son parallèle en Mt 26,61 rappelé en 27,40 (« Celui-ci a dit : Jepeuxdétruire[δύναμαι καταλῦσαι]le Temple de Dieu et en trois jours [le]bâtir [οἰκοδομῆσαι]. ») Dans les parallèles de Lc (22,66 ; 23,35), cette parole est absente. Le quatrième évangile atteste que Jésus a prononcé une parole similaire après avoir chassé les vendeurs du Temple, mais que la destruction de celui-ci ne procède pas de son action : « Détruisez [λύσατε] ce Temple et en trois joursjelerelèverai [ἐγερῶ αὐτόν]. » (Jn 2,19) En Mt (16,18), un autre verset montre Jésus qui bâtit, en l’occurrence son Église sur Pierre. Dans trois lettres du N.T. où le verbe οἰκοδομῶ figure au passif, il est possible d’y reconnaître Dieu comme sujet implicite : Ep 2,20.22 ; Col 2,7 ; 1 P 2,5.
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à l’image du troupeau (20,28-29). La description de Ac 15,16 prolonge celle de Lc 19,43-44 : à la destruction totale de Jérusalem succède la pleine restauration de la tente de David. Les actions de Dieu en Ac 15,16 s’éclairent également par un parallèle avec un autre mot comportant le préfixe ἀνά, dont Zacharie avait prophétisé l’intervention salvifique : « […] dans les entrailles de miséricorde de notre Dieu interviendra pour nous sauver [ἐπισκέψεται ἡμᾶς] le levantd’enhaut [ἀνατολὴ ἐξ ὕψους]. » (Lc 1,78) Le verset précédent en précise le but : « pour donner la connaissance du salut à son peuple [τῷ λαῷ αὐτοῦ] par la rémission de leurs péchés [ἐν ἀφέσει ἁμαρτιῶν αὐτῶν] » (1,77). D’après le discours de Pierre à la Pentecôte, cette connaissance du salut par la rémission des péchés se réalise à partir de la résurrection et de l’exaltation de Jésus à travers lesquelles Dieu le fait asseoir sur le trône de David (Ac 2,30-31)143. 32
Ce Jésus, Dieu l’éleva [ἀνέστησεν], nous tous en sommes témoins, exalté [ὑψωθείς] donc à la droite de Dieu, recevant du Père la promesse de l’Esprit Saint, il répandit celui-ci que vous voyez et entendez. […] 36 Que toute la maison d’Israël connaisse [γινωσκέτω] donc avec assurance que Dieu fit aussi Seigneur [κύριον] et Christ ce Jésus que vous avez crucifié. […] 38 Convertissez-vous et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus Christ en vue de la rémission de vos péchés [εἰς ἄφεσιν τῶν ἁμαρτιῶν ὑμῶν] et vous recevrez le don de l’Esprit Saint. (Ac 2,3233.36.38) 33
L’affirmation théologique de Ac 15,14 marque l’accomplissement non seulement de la prophétie d’Amos (9,11-12) reprise en Ac 15,1617, mais aussi de la prophétie de Zacharie (Lc 1,77-79) et de l’annonce de Gabriel à Marie (Lc 1,32-33), en relation à la promesse de Nathan à David (2 S 7,12-13.16). À travers « le levant d’en haut » (Lc 1,78), Jésus élevé et exalté, Dieu accomplit dans le don de l’Esprit Saint, sa promesse de retour et de restauration de son royaume (Ac 15,16 // Am 9,11). Celui-ci se manifeste de façon singulière par la connaissance du salut dans la rémission des péchés (Lc 1,77) et par l’acheminement vers la paix (1,79). Ce dernier verset du cantique de Zacharie prend un relief nouveau à la lumière de l’assemblée de Jérusalem, elle-même relue dans l’axe de la parole de jugement de Jésus à Jérusalem. Celle-ci était encadrée par ces deux phrases « 42 si tu avaisreconnu [εἰ ἔγνως] […] ce [qui conduit] à la paix […] 44 […] tu nereconnuspas [οὐκ ἔγνως] le temps de ton ἐπισκοπή. » (Lc 19,42.44). 143
Voir le point 2.2 de la section II de l’introduction générale.
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CHAPITRE III
Selon l’étude de Lc 19,41-44 que nous avons menée, la paix de Dieu en Jésus est reçue par l’être humain quand ce dernier croit que Jésus peut le sauver et le restaurer, dans un contexte où de véritables relations sont impossibles ou brisées144. En l’occurrence, comme le rappelle Pierre à son entrée chez Corneille, des gens d’origine juive n’étaient pas autorisés à rencontrer de façon personnelle des païens (Ac 10,28). Cependant, un païen, Corneille, obéit à la parole de l’ange de Dieu et envoie des hommes amener chez lui Pierre, croyant qu’à travers ses paroles, il sera sauvé ainsi que toute sa maison (11,13-14). La rencontre impossible devient possible grâce à l’initiative de Dieu, ainsi qu’à la foi de Corneille dans le message reçu du Seigneur et à celle de Pierre dans la parole de Dieu par qui toute personne devient pure (10,28). La référence aux « paroles des prophètes » (Ac 15,15) se conclut par une phrase dont la finale est absente en Am 9,11-12 : « dit le Seigneur qui fait ces choses connuesdepuistoujours [ποιῶνταῦτα γνωστὰ ἀπ᾿ αἰῶνος]145 » (Ac 15,17-18). Qui est sujet de l’action de connaître ? Si c’est le Seigneur, pourquoi préciser une chose évidente ? Ne seraitce pas plutôt les êtres humains, et plus particulièrement les Juifs qui sont dépositaires de cette promesse de Dieu rappelée en Ac 15,1618 ? Ce serait alors une manière de dire : « Aussi inattendu que cela puisse paraître, ce que Dieu accomplit aujourd’hui était déjà annoncé depuis lontemps par les paroles des prophètes. Alors pourquoi être surpris146 ? » La précision apportée en Ac 15,18 rejoint une sensibilité lucanienne qui est reflétée dans deux autres passages (Lc 1,70 ; Ac 3,21), avec la même expression « depuistoujours [ἀπ᾿ αἰῶνος] » (absente en Am 9,11-12) et avec la référence à la parole des prophètes. Une insistance similaire se trouve dans l’introduction du discours de Pierre lors de l’assemblée de Jérusalem : « Frères, vous savez que depuis lesjoursanciens [ἀφ᾿ ἡμερῶν ἀρχαίων] […] » (Ac 15,7). L’étude des actions de Dieu dans la référence singulière à Am 9,11 en Ac 15,16 a permis d’approfondir l’interprétation de l’intervention salvifique de Dieu (ἐπεσκέψατο) en Ac 15,14, dans son accomplissement « des paroles des prophètes » (15,15). Celles-ci incluent 144 Voir le point 2.5 intitulé « La paix de Jésus : trois rares témoignages d’une rencontre inattendue et désirée », dans la section II du chapitre II. 145 Fitzmyer y voit plutôt un écho possible à Is 45,21, même s’il ne s’agit pas d’une citation verbatim : « quifitceschosesentenduesdepuislecommencement [τίς ἀκουστὰ ἐποίησεν ταῦτα ἀπ᾽ ἀρχῆς] ». Cependant, il n’en déduit rien ; voir Joseph A. FITZMYER, TheActsoftheApostles, p. 556. Ac 15,18 serait une simple glose selon Charles K. BARRETT, ActsXV–XXVIII, p. 728. 146 Dans le même sens, voir Ben WITHERINGTON, TheActsoftheApostles, p. 460.
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Am 9,11 et d’autres textes bibliques insinués dans la façon singulière dont ce passage est cité en Ac 15,17-18. Luc ou sa source procède à une interprétation de la version grecque d’Am 9,11-12, comme cette dernière le fit en regard de son texte de référence hébreu, selon le principe herméneutique juif de l’analogie, la ( גזרה שוהgezerah shavah). Quels éléments permettent de fonder une telle hypothèse de lecture ? Plusieurs mots ou expressions ajoutés ou modifiés dans le renvoi à Am 9,11-12 en Ac 15,16-18 par rapport à la version de la LXX sont contenus dans d’autres textes bibliques dont le contexte est similaire à celui d’Am 9,11-12. Selon le principe mentionné, ces modifications apportées par le traducteur ou le transmetteur peuvent viser à clarifier des renvois implicites qu’il perçoit dans la référence biblique principale. Ainsi, « après cela » (Ac 15,16) ferait écho à Os 3,5 dans le contexte d’un règne davidique ; « je retournerai [ἀναστρέψω] » (Ac 15,16), à Jr 12,15 et à Za 8,3 après un temps de jugement, dans une manifestation de miséricorde divine ; « je redresserai [ἀνορθώσω] », à 2 S 7,13.16, lors de la prophétie de Nathan à David ; « fait ces choses [connues] depuis [toujours] », à Is 45,21 révélant la souveraineté et l’unicité de Dieu qui sauve et qui rassemble. Certes, cette hypothèse repose à chaque fois sur une seule et brève expression qui est en plus adaptée : ἀναστρέψω au lieu d’ἐπιστρέψω (Jr 12,15 ; Za 8,3) ; γνωστὰ ἀπ᾿αἰῶνος en place d’ἀκουστὰ […] ἀπ᾽ ἀρχῆς (Is 45,21). Cependant, en Ac 15,15, la formule d’introduction à la parole des « prophètes » au pluriel, encourage à chercher une multiplicité de sources. Celles-ci prennent d’autant plus de sens à partir de l’expérience présente, en particulier du témoignage de Pierre après son passage chez Corneille. Ac 15,1518 devient le reflet d’une exégèse vivante qui relit les Écritures d’une façon renouvelée à partir d’événements actuels et qui, grâce aux Écritures, discerne dans ceux-ci une manifestation inédite de Dieu147. L’évocation de la restauration de la « tente de David » (Ac 15,16 // Am 9,11) répond aux attentes religieuses d’un roi messianique – « es-tu entrainde rétablir [ἀποκαθιστάνεις] le royaume d’Israël ? » – (Ac 1,6) et rend désormais actuelle d’une façon inédite l’annonce de l’ange Gabriel à Marie à propos de Jésus (Lc 1,32-33), en écho à 2 S 7,12-13. 147 W. Edward GLENNY, « The Septuagint and Apostolic Hermeneutics: Amos 9 in Acts 15 », p. 11-16 ; Michel GOURGUES, « L’Évangile aux païens (Actes des Apôtres 13– 28) », p. 44.
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CHAPITRE III
À travers l’inclusion des païens et à travers la manière dont celle-ci se manifeste d’après le témoignage de Pierre, le discours de Jacques confère un sens nouveau au royaume de Dieu par rapport aux attentes suscitées par les promesses davidiques148. Par la mort, la résurrection et l’exaltation de Jésus Christ, Dieu fait advenir son propre royaume qui rassemble des Juifs et des païens, en reconnaissant ces derniers comme un peuple à son nom. À travers son intervention salvifique (ἐπεσκέψατο), Dieu se révèle comme celui qui revient, à la suite d’une expérience humaine d’abandon ; celui qui restaure ce qui était perdu, d’une façon surprenante, dans une perspective relationnelle, ainsi que celui qui mène à la perfection. Dieu tient toujours parole. 2. Recommandations aux Juifs et aux païens du parti chrétien (Ac 15,19-21) Pour bien mesurer jusqu’où la « visite » de Dieu a été reconnue dans ses implications, il convient d’approfondir l’enjeu des quatre directives (15,20) liées à la pureté, ainsi que le principe pastoral qui les anime (15,19) et l’expression d’un souci de cohérence avec Moïse (15,21). Bien que l’assemblée de Jérusalem ait été audacieuse dans l’intégration des conséquences de la « visite » de Dieu, l’examen des recommandations pratiques qui en découlent révèle que le processus d’accueil de la nouveauté demeure inachevé. 2.1. DéplacementdesfrontièresdupeupledeDieu La finale des deux discours, celui de Pierre (Ac 15,10-11) et celui de Jacques (15,19-21), comportent deux parties. La première se présente comme une recommandation, adressée aux anciens et aux apôtres, de ne pas écraser les païens. Chacun l’exprime à sa manière, l’un par une interrogation, l’autre par un jugement. Pierre formule une question interpellante qu’il a d’abord reçue pour lui-même149 : « Maintenant donc pourquoi tentez-vous [πειράζετε] Dieu en posantunjoug surlesépaules [ἐπιθεῖναι ζυγὸν ἐπὶ τὸν τράχηλον] des disciples, que 148
James A. MEEK, The Gentile Mission in Old Testament Citations in Acts,
p. 90. 149 En Ac 11,17, dans son témoignage aux apôtres et aux frères de Jérusalem, Pierre avait rappelé comment il s’était laissé interroger : « Si donc Dieu a donné le même don à eux comme aussi à nous, après avoir cru au Seigneur Jésus Christ, étais-je moi quelqu’un capabledem’opposer [δυνατὸς κωλῦσαι] à Dieu ? »
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ni nos pères, ni nous-mêmes n’avons été capables de porter150 ? » (15,10) Quant à Jacques, il reconnaît que l’heure est venue d’exercer son autorité et de trancher, dans le prolongement de ce qu’il vient de déclarer. Il affirme « C’estpourquoimoi, jediscerne [διὸ ἐγὼ κρίνω] » (15,19), non pas en divisant (διακρίνω), mais en cherchant à rassembler harmonieusement les différences, aussi bien entre les frères d’origine juive et ceux qui sont venus du paganisme, que parmi les divers courants de pensée à l’intérieur du groupe des apôtres et des anciens. Le jugement pratique prononcé par Jacques est cautionné par l’ensemble des apôtres et des anciens. En effet, au moment d’être communiquées, les décisions seront présentées comme « ayantétédiscernées [κεκριμένα] par les apôtres et les anciens de Jérusalem » (Ac 16,4). La déclaration finale rassemble plus largement « toute l’Église » (15,22), avec en tête l’Esprit Saint (15,28). Un tel consensus, voire une telle unanimité, reflète l’enjeu fondamental aux yeux de Jacques : rassembler dans l’unité de l’Esprit Saint, sans laisser personne de côté. Les recommandations de Jacques sont d’abord adressées aux Juifs chrétiens : ne pas « surcharger [παρενοχλεῖν] les païens qui setournent [ἐπιστρέφουσιν] vers Dieu » (Ac 15,19). Dans le Nouveau Testament, cette mention constitue la seule occurrence d’ἐπιστρέφω à l’indicatif présent, à côté de sept mentions à l’indicatif aoriste, dont cinq dans un même contexte de mouvement vers Dieu151. Dans ce verset, le temps présent du verbe souligne le caractère progressif de la conversion à Dieu. Jacques comme Pierre souhaitent ne pas en imposer trop aux païens alors que ceux-ci sont déjà investis dans un processus de conversion à Dieu. La même préoccupation est exprimée dans la lettre des apôtres et des anciens adressée aux païens : « nepasvousimposer davantagedefardeau [πλέον ἐπιτίθεσθαι ὑμῖν βάρος] en dehors de ces exigences incontournables » (15,28). Ce souci laisse transparaître un changement de regard. En effet, plus d’une fois dans l’histoire biblique, les païens étaient considérés par les membres du peuple de Dieu comme une cause d’oppression et suscitaient facilement la peur d’être écrasés152. 150 Cette interpellation fait allusion au reproche de Jésus à propos des scribes et des Pharisiens (Mt 23,2-4) et aux légistes (Lc 11,46). La question de Pierre est interprétée comme une affirmation selon laquelle « la Loi n’est plus voie de salut » par Simon BUTTICAZ, L’identitédel’ÉglisedanslesActesdesapôtres, p. 313, 330. L’interprétation semble précipitée, sans être nuancée en distinguant ce qui vaut pour les païens devenus chrétiens et les Juifs chrétiens. 151 Ac 9,35 ; 11,21 ; 1 Th 1,9 ; 1 P 2,25 ; Ap 1,12. 152 Dans la Bible grecque, les nations et les païens sont appelés de la même manière : ἔθνη.
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CHAPITRE III
Jusqu’à preuve du contraire, Israël avait tendance à percevoir les nations comme une menace153. La seconde partie de la conclusion de Jacques contraste avec celle de Pierre qui met en valeur les éléments fondamentaux du salut de Dieu selon la foi chrétienne : la grâce de Jésus Christ accessible à tous par la foi (Ac 15,11). Un tel vocabulaire est complètement absent dans l’ensemble du discours de Jacques154. Ceci n’est pas étonnant en tenant compte du genre littéraire apparenté à une homélie synagogale155. Par contre, dans la lettre des apôtres et des anciens communiquant les directives pratiques que Jacques vient de formuler (15,20), figure la mention du « nom de notre Seigneur Jésus Christ » (15,26). Jacques conclut en se tournant vers les païens par une lettre à leur écrire au nom des apôtres et des anciens, leur demandant de « s’abstenir [ἀπέχεσθαι] » de quatre éléments. En voici une première traduction littérale : « des souilluresdesidolesetdel’impudicitéetdecequiestétoufféetdusang [τῶν ἀλισγημάτων τῶν εἰδώλων καὶ τῆς πορνείας καὶ τοῦ πνικτοῦ καὶ τοῦ αἵματος] » (15,20). Avant de formuler les quatre directives (Ac 15,29), la lettre annonce que les apôtres et les anciens ont choisi d’envoyer à Antioche deux hommes (Judas et Silas) avec Paul et Barnabas, en vue de communiquer de vive voix aux païens devenus chrétiens les directives (15,22.25-27). Selon le texte grec établi par Nestle–Aland, l’énoncé des quatre directives monopolise le tiers des mots de la description des envoyés dans la lettre. Cette proportion indique l’importance accordée par les apôtres et les anciens à la tradition orale pour la bonne compréhension des orientations. Comment interpréter aujourd’hui les directives de Ac 15,20.29 dont l’énoncé est lapidaire, sans avoir accès aux explications de Judas et de Silas, de Barnabas et de Paul ? Parmi les apocryphes chrétiens, un témoin se révèle pertinent : les Pseudo-clémentines appartenant « au milieu le plus proche de l’Église de Jérusalem qui nous soit connu par la littérature chrétienne en dehors du Nouveau Testament156 ». Les 153
Dans les oracles de jugement contre Israël ou contre Jérusalem, les nations / païens (appelés aussi « ennemis ») sont présentés plus d’une fois comme ceux par qui le châtiment survient : Am 6,14 ; Is 22,6-7 ; Ez 21,26-27 ; Jr 12,7 ; 20,5 ; 21,7 ; Dn 9,26, etc. La dernière péricope étudiée en témoigne également : Lc 19,43-44. 154 Barrett estime probable qu’en Ac 15,17, « le Seigneur » renvoie au Christ et non à Dieu. Voir Charles K. BARRETT, Acts XV–XXVIII, p. 727. Cependant, il ne donne aucun fondement textuel pour appuyer cette hypothèse. 155 John W. BOWKER, « Speeches in Acts », p. 109. 156 Einar MOLLAND, « La circoncision, le baptême et l’autorité du décret apostolique (Actes XV,28 sq.) dans les milieux judéo-chrétiens des Pseudo-Clémentines »,
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deux écrits principaux des Pseudo-clémentines, à savoir les Homélies (conservé en grec) et les Reconnaissances(conservé en latin, partiellement en syriaque et de façon très fragmentaire en grec), seraient originaires du IVe siècle, en Syrie. Bien que plusieurs débats littéraires demeurent non unanimement résolus, les chercheurs s’entendent habituellement sur l’existence d’un écrit de base (Grundschrift) qui aurait été composé autour de 220 par un Juif chrétien de Syrie. Il est possible de trouver un écho aux directives de Ac 15,20.29 dans au moins quatre passages des Pseudo-clémentines dont trois sont des exhortations à des catéchumènes païens157. Bien que postérieurs à l’assemblée de Jérusalem, ces écrits anciens ont le mérite d’être des témoins de traditions qui remontent jusqu’à la période apostolique et de fournir des indications sur la manière dont les décisions de l’assemblée de Jérusalem ont été reçues dans certains milieux judéo-chrétiens du IIe et du IIIe siècles158. La distinction entre « cultuel » (ou « rituel ») et « éthique » (ou « moral »), que font la plupart des auteurs à propos de l’objet des quatre directives en Ac 15,20 est secondaire, voire trompeuse, pour saisir l’enjeu de l’assemblée de Jérusalem, qui porte d’abord sur des questions de pureté et non sur ce qui est exigé ou prohibé159. La vision in StudiaTheologica 9 (1955) 1-39, p. 38. Pour les versions en grec des Homélies et en latin des Reconnaissances, nous recourrons aux éditions de Bernhard REHM – Georg STRECKER (éds.), Die Pseudoklementinen I: Homilien (GCS, 42), Berlin, Akademie Verlag, 19923 ; Bernhard REHM – Georg STRECKER (éds.), DiePseudoklementinenII: RekognitioneninRufinsÜbersetzung (GCS, 51), Berlin, Akademie Verlag, 19942. 157 Dans les Pseudo-clémentines, le passage le plus célèbre pour la réception des directives de Ac 15,20.29 est Homélie VII,8 car il présente le plus d’affinités de vocabulaire. D’autres le complètent : Homélies VII,4 ; VIII,19.23 (par. Reconnaissances IV,36). Dans Homélie VII,4 figure la règle d’or : « Les biens que chacun veut pour soi-même, qu’il les veuille aussi pour [son] prochain. Ainsi, chacun de vous concevrait le bien, s’il se disait à lui-même ces choses : “Tu ne veux pas être tué : ne tue pas l’autre. Tu ne veux pas que ta femme soit objet d’adultère par un autre : ne commets pas l’adultère avec l’épouse d’un autre. Tu ne veux pas être volé de l’une de tes possessions : ne vole rien aux autres.” » La règle d’or est également formulée en d’autres termes dans des passages des Pseudo-clémentines qui ne présentent pas de lien direct avec Ac 15,20.29. Voir Homélies II,6 (par. Reconnaissances VIII,56) ; XII,32. Ce double constat (mention de la règle d’or plusieurs fois dans les Pseudo-clémentines, mais seulement dans un seul passage offrant un écho à Ac 15,20.29) constitue un appui supplémentaire pour l’hypothèse selon laquelle la présence de la règle d’or en Ac 15,20 est un ajout et non un reflet original. 158 Pour une présentation de l’état actuel de la recherche sur les Pseudo-clémentines, voir F. Stanley JONES (éd.), Pseudoclementinaelchasaiticaqueinterjudaeochristiana: CollectedStudies (Orientalia lovaniensia analecta, 203), Leuven, Peeters, 2012, p. 3-49. 159 Selon Witherington, les quatre recommandations sont cultuelles et visent des activités se déroulant lors de fêtes dans des temples païens, comme en 2 M 6,4-5. Voir
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CHAPITRE III
de Pierre avant d’aller chez Corneille le manifeste clairement. Son premier refus de manger les animaux qui sont apparus sur la toile tombée du ciel est expliqué par des raisons de pureté : « jamais rien de profane et d’impur n’est entré dans ma bouche » (Ac 10,14 // 11,8). Le débat autour de la nécessité de la circoncision et de l’observance de l’ensemble de la Loi de Moïse (Ac 15,5) porte sur la question suivante : quelles sont les prescriptions de la Loi, en regard de la pureté rituelle et morale, qu’il convient d’exiger explicitement des païens qui deviennent chrétiens160 ? Même si les différents courants de pensée représentés lors de l’assemblée de Jérusalem reconnaissent la pertinence de la pureté morale pour tous les membres du peuple de Dieu, la question demeure : quelles sont les orientations morales qui, aux yeux des Juifs chrétiens, vont de soi pour les païens devenant chrétiens, et quelles sont celles qui nécessitent d’être explicitées ? Dans la mentalité juive de l’époque, un païen pouvait facilement être associé à l’idolâtrie comme à l’impudicité, et donc être considéré moralement impur, voire passible de rendre rituellement impur un Juif en contact avec lui. Il n’était pas évident pour Pierre, avant son passage chez Corneille, de ne pas « déclarer [apriori] une personne profane ou impure » (10,28). Dans l’Homélie XIII des Pseudo-clémentines, Pierre affirme à Mattidie, la mère de Clément, païenne : Nous ne vivons pas comme ceux-ci de façon indifférente : nous ne partageons pas la table des païens [τραπέζης ἐθνῶν], attendu que nous ne pouvons pas non plus cohabiteraveceux [συνεστιᾶσθαι], à cause de la vie impure qu’ils mènent. Mais, quand nous les avons persuadés de se conformer aux [exigences] de la vérité et que nous les avons baptisés avec une invocation trois fois bienheureuse, alors nousvivonsaveceux [συναλιζόμεθα]. (HomélieΧΙΙΙ,4)161
Ben WITHERINGTON, The Acts of the Apostles, p. 461-464. Comme le soulignent à juste titre Barrett et Taylor, les considérations rituelles et morales sont intrinsèquement liées dans la Torah comme en Ac 15,20.29. Il est donc simpliste d’opposer les unes aux autres. Voir Charles K. BARRETT, ActsXV–XXVIII, p. 736 ; Justin TAYLOR, LesActesdesdeuxApôtres.V.Commentairehistorique(Act.9,1–18,22)avecunexcursusparM.-É.Boismard(Études bibliques. Nouvelle Série, 23), Paris, Gabalda, 1994, p. 210. 160 Dans le même sens, voir Isaac W. OLIVER, TorahPraxisafter70CE, p. 450 ; Markus N. A. BOCKMUEHL, JewishLawinGentileChurches, p. 166. L’enjeu de l’assemblée de Jérusalem ne porte donc pas seulement sur l’étendue des prescriptions de pureté rituelle de la Loi, comme le considère notamment James A. MEEK, TheGentile MissioninOldTestamentCitationsinActs, p. 78. 161 Pour le texte en grec, voir Bernhard REHM – Georg STRECKER (éds.), DiePseudoklementinenI:Homilien, p. 194-195.
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La réaction de Mattidie confirme l’impureté morale qui avaient tendance à être imputée aux païens de la part des Juifs. Aussitôt après la parole de Pierre, elle demande ce qui l’empêche d’être baptisée aujourd’hui, en affirmant que déjà elle s’est détournée des faux dieux et de l’adultère (XIII,5). En Ac 15,20, un premier élément saute aux yeux : l’absence de l’exigence de la circoncision pour les païens devenus chrétiens. Pour la première fois dans le grand récit biblique, la circoncision ainsi que l’observance de l’ensemble de la Loi de Moïse ne sont implicitement pas exigées des païens comme marque de pleine appartenance au peuple de Dieu. Or, selon le témoignage du Pentateuque, la circoncision était le signe d’alliance perpétuelle entre Dieu et Abraham, ainsi que toute sa maison et sa descendance après lui (Gn 17,10-13.19), le peuple d’Israël, au point que tout homme qui demeurait incirconcis était susceptible d’être retranché des siens (17,14). De la même manière, toute la Loi de Moïse découle de l’événement central de l’alliance avec les Hébreux dont Dieu a fait son peuple après les avoir libérés de l’oppression vécue en Égypte. Déclarer que, dans le cas des païens qui se tournent vers Dieu, les signes identitaires du peuple de Dieu ne sont plus nécessairement la circoncision et l’observance de l’ensemble de la Loi de Moïse, est renversant pour des personnes qui ont grandi dans la culture juive depuis leur naissance. Le sommet de l’alliance de Dieu n’est plus projeté de façon univoque sur Abraham et sur Moïse mais se déplace progressivement vers le « nom de notre Seigneur Jésus Christ » (Ac 15,26) dont il sera question dans la lettre. Au centre des Ac est ainsi ratifié un processus de déplacement du sommet de l’alliance de Dieu avec son peuple. Comme en témoignent les Pseudoclémentines, le baptême « au nom trois fois bienheureux » (HomélieIX,23) devient une nécessité absolue et est l’unique rite d’initiation qui soit mentionné dans les exhortations aux païens désireux de devenir chrétiens162. Cela était déjà insinué en Ac 10,47-48 dans la maison de Corneille. En Ac 15,20, la parole de Jacques se révèle non pas conservatrice – même s’il pouvait avoir tendance à l’être –, mais plutôt pédagogique pour annoncer avec fermeté et bienveillance un changement fondamental de perspective. 162 Einar MOLLAND, « La circoncision, le baptême et l’autorité du décret apostolique (Actes XV,28 sq.) dans les milieux judéo-chrétiens des Pseudo-Clémentines », p. 8-25. Ces éléments concordent avec le discours de Pierre à la Pentecôte, invitant ceux qui étaient rejoints par ses paroles, à la conversion et au baptême (Ac 2,38).
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CHAPITRE III
Ailleurs en Ac, la même liste que celle de Jacques figure dans une transcription du contenu de la lettre en question (Ac 15,29) et dans un rappel de celle-ci (21,25), quoique l’ordre diffère pour les trois derniers points, ainsi que la désignation du premier – « offrandessacrifiéesaux idoles [εἰδωλοθύτων] » – et le passage du singulier au pluriel concernant « cequiestétouffé [πνικτοῦ / πνικτῶν] ». Ces deux autres attestations permettent de comprendre que « lessouilluresdesidoles [τῶν ἀλισγημάτων τῶν εἰδώλων] » (15,20) font allusion implicitement aux « offrandessacrifiéesauxidoles [εἰδωλοθύτων] » (15,29 ; 21,25), ou que cette précision apportée par l’ensemble des apôtres et des anciens vient restreindre le champ sémantique initial de la proposition de Jacques163. Le terme εἰδωλόθυτος n’est pas mentionné dans la Septante, mais dans un passage de la littérature péritestamentaire (4 M 5,2) où la scène se passe à Jérusalem (4,22), ainsi que dans deux autres livres du Nouveau Testament en des contextes extérieurs à la Judée et dans les Pseudo-clémentines164. Dans les trois cas, l’enjeu porte sur le refus de consommer des aliments sacrifiés aux idoles. Peu avant l’assemblée de Jérusalem, à Lystres, lors de la guérison d’un infirme de naissance grâce à la médiation de Paul et de Barnabas, la foule les prend pour 163 Bien que dans la LXX, le substantif « souillures [ἀλίσγημα] » soit absent, il est attesté dans les ParalipomènesdeJérémie (7,37), rédigés entre 70 et 130 après Jésus Christ par un Juif originaire de Jérusalem et complétés par une finale d’un auteur chrétien. En outre, le mot y figure à l’intérieur d’une expression presque identique à celle de Ac 15,20 : « s’abstenirdessouilluresdespaïensdeBabylone [ἀπέχεσθαι ἐκ τῶν ἀλισγημάτων τῶν ἐθνῶν τῆς Βαβυλῶνος] » (Paralipomènes de Jérémie 7,37). Voir Albert-Marie DENIS, Introductionauxpseudépigraphesgrecsd’AncienTestament (Studia in Veteris Testamenti Pseudepigrapha, I), Leiden – Boston MA, Brill, 1970, p. 73-75. D’après le contexte de ce passage, le terme « souillures [ἀλίσγημα] des païens » n’est pas limité à l’alimentation mais renvoie à l’invocation de dieux babyloniens (7,29). En revanche, dans la LXX, le verbe « souiller [ἀλισγῶ] » apparaît dans quatre versets (Si 40,29 ; Ml 1,7.12 ; Dn 1,8), toujours en relation à de la nourriture considérée impure, sans que celle-ci soit sacrifiée aux idoles. Grammaticalement, le terme « souillures » peut viser les quatre éléments (« les idoles, l’impudicité, la viande étouffée et le sang »). Krodel défend cette hypothèse sans la justifier. Voir Gerhard A. KRODEL, Acts, p. 284. 164 La premièrelettreauxCorinthiens dans laquelle Paul aborde la question (8,113) et l’Apocalypse dans les interpellations à l’Église de Pergame (2,14) et à l’Église de Thyatire (2,20), deux villes de la Turquie actuelle. Dans les Pseudo-clémentines, il est également demandé de « s’abstenir [de consommer] cequiaétésacrifiéauxidoles [εἰδωλοθύτων] » (Homélies VII,8). Selon Marguerat, les attestations d’Ap et pas seulement celle des Pseudo-clémentines font écho au « décret apostolique », indépendamment des Ac. Voir Daniel MARGUERAT, LesActesdesapôtres(13–28), p. 89-90. Est-ce que deux mots sur quatre (πορνεῦσαι – εἰδωλόθυτα) sont suffisants pour discerner un tel renvoi ?
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des dieux et se joint au prêtre de Zeus-hors-les-murs pour leur « offrir ensacrifice [θύειν] » (Ac 14,13) des taureaux. Paul et Barnabas s’y opposent avec force en les interpellant : « Nous sommes comme vous des hommes, vous ayant annoncé la Bonne Nouvelle pour qu’en vous écartant deceschosesvaines [τούτων τῶν ματαίων], vous vous tourniez vers le Dieu vivant […]165. » (14,15) Étant donné le sens d’éloignement total exprimé par le verbe « s’abstenir [ἀπέχεσθαι] », l’interdiction d’εἰδωλόθυτος implique de renoncer à participer directement ou indirectement aux offrandes sacrifiées aux idoles, c’est-à-dire non seulement à offrir soi-même le sacrifice, mais aussi à consommer ce qui a été sacrifié par d’autres. Pour un païen nouvellement converti à la foi chrétienne, le premier renoncement est présupposé déjà réalisé, tandis que le second ne semble pas aller de soi d’après le témoignage de 1 Co 8 et des Pseudo-clémentines166. Dans le Décalogue, le commandement qui stipule le rejet des idoles – « Tu n’auras pas d’autres dieux face à moi. » (Ex 20,3 ; par. Dt 5,7) – apparaît également en premier dans la liste, comme une première exigence pour confesser l’unicité de Dieu. Ainsi, au milieu des transformations de mentalités dans l’émergence de l’identité spécifiquement chrétienne, Dieu demeure l’unique et il est fondamental d’en témoigner dans les choix concrets de la vie quotidienne. En dehors des trois passages faisant allusion à la recommandation pratique de l’assemblée de Jérusalem aux païens (Ac 15,20.29 ; 21,25), les mots utilisés, autant que les réalités qu’ils signifient, sont introuvables en Lc-Ac, si ce n’est l’« idole [εἴδωλον] » de façon exceptionnelle (7,41), 165
Dans la Bible, les deux mots « sacrifier [θύω] » et « vain [μάταιος] » n’apparaissent ensemble qu’en Lv 17,7 : « [les fils d’Israël] n’offrirontplusleursoffrandes aux êtres vains [οὐ θύσουσιν ἔτι τὰς θυσίας αὐτῶν τοῖς ματαίοις] auxquels [en marchant] derrière eux, ilsseprostituent [ἐκπορνεύουσιν]. Ce sera une ordonnance éternelle pour vous et pour vos générations. » Cette injonction s’adresse aussi aux immigrés vivant au milieu des fils d’Israël (Lv 17,3). 166 Dans les Pseudo-clémentines, les termes ἀλίσγημα et ἀλισγῶ sont absents, alors que le mot εἰδωλόθυτον y figure seulement une fois, dans Homélie VII,8 qui fait partie des passages présentant des affinités avec les directives de l’assemblée de Jérusalem. Parmi ceux-ci, le verbe « sacrifier [θύω] » figure dans les Homélies VIII,19 et XIII,5. Ces deux attestations sont situées dans des contextes avant l’engagement au baptême et illustre le premier sens évoqué (offrir soi-même le sacrifice). En revanche, Homélie VII,8, l’extrait grec des Pseudo-clémentines le plus proche de Ac 15,20.29, constitue une exhortation à des païens convertis se préparant au baptême. L’expression « cequiaétésacrifiéauxidoles [εἰδωλοθύτων] » est y associée à d’autres interdits alimentaires explicitant la prohibition de participer à « la tabledesdémons [τραπέζης δαιμόνων] ». L’usage des Pseudo-clémentines semble limiter le mot εἰδωλόθυτον au second sens (consommation de ce qui a été sacrifié par d’autres).
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CHAPITRE III
et le « sang [αἷμα] ». Mais ce dernier terme figure alors dans un contexte qui ne concerne pas une pratique à éviter167. La source d’une telle prescription est donc à chercher ailleurs. En dressant un tableau du débat qui entoure les traditions sous-jacentes aux quatre directives de Ac 15,20, Butticaz relève trois possibilités : Lv 17–18 (avec les targumim associés) ; Gn 9,3-7 (avec Jubilés168 et les targumim associés) ou la littérature rabbinique169. Justin Taylor va dans le même sens en se focalisant sur les deux premières options et en s’appuyant sur Ga 2,11-14. Selon lui, l’une aussi bien que l’autre sont valides170. Cependant, est-il légitime de recourir à Ga 2,11-14 étant donné la complexité du lien de ce passage avec Ac 15 ? Il nous semble difficile de considérer ces trois possibilités comme exclusives. Elles sont mutuellement éclairantes à partir de Lv 17–18, bien que la littérature rabbinique soit postérieure à Lc-Ac. Celle-ci ne peut donc pas influencer Lc-Ac, mais elle est indicative du développement de la pensée pharisaïque du Ier siècle171. Terrance Callan pose deux critères de sélection pour tenter de discerner, parmi les interdictions vétérotestamentaires adressées à l’Israélite et à l’immigré, celles qui ont inspiré Ac 15,20.29 : la présence de l’expression ִאישׁ ִאישׁ/ ἄνθρωπος ἄνθρωπος, c’est-à-dire « tout être humain », qui souligne l’applicabilité universelle des stipulations, ainsi que la mention de la punition d’être retranché du peuple172. 167 Pour évoquer, au sens propre, une hémorragie dont souffrait une femme guérie par Jésus (Lc 8,43-44), les gouttes de sang dont Jésus a sué durant son agonie (Lc 22,40), le nom d’un lieu, « Terre du sang » (Ac 1,19), les signes eschatologiques annoncés par Joël (Ac 2,19-20) ; au sens figuré, la vie de personnes (Lc 11,50-51 ; 13,1 ; Ac 5,28 ; 18,6 ; 20,26 ; 22,20) et la nouvelle alliance instaurée par Jésus (Lc 22,20 ; Ac 20,28). 168 Contrairement aux Jubilés qui méprisent les païens, Jacques ainsi que les apôtres et les anciens témoignent d’un regard ouvert à l’égard de ceux-ci, reconnaissant que plusieurs ont des dispositions morales et religieuses favorables, à tel point que Dieu les intégre à son peuple. 169 Simon BUTTICAZ, L’identitédel’ÉglisedanslesActesdesapôtres, p. 331. 170 Justin TAYLOR, « The Jerusalem Decrees (Acts 15.20,29 and 21.25) and the Incident at Antioch (Gal 2.11-14) », in NewTestamentStudies 47 (2001) 372-380. 171 Dans le même sens, voir Emmanuelle STEFFEK, « Some Observations on the Apostolic Decree in Acts 15:20.29 (and 21:25) », in Michael TAIT – Peter OAKES (éds.), TheTorahintheNewTestament.PapersDeliveredattheManchester–Lausanne (SeminarofJune2008)(Library of New Testament Studies, 401), London – New York NY, T & T Clark, 2009, 133-140, p. 136-137 ; Terrance CALLAN, « The Background of the Apostolic Decree (Acts 15:20,29; 21:25) », in Catholic Biblical Quarterly 55 (1993) 284-297, p. 285-288. 172 Terrance CALLAN, « The Background of the Apostolic Decree (Acts 15:20,29; 21:25) », p. 287-288.
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Cette recherche aboutit à deux passages : Lv 17–18 (où il est possible de repérer les quatre recommandations de Ac 15,20.29) et Ez 14,7-8 (auquel seule la première directive concernant l’idolâtrie peut faire écho). Callan répond ainsi à Stephen G. Wilson qui réfute l’éventuel arrière-fond de Lv 17–18 en Ac 15,20173. Selon W. Edward Glenny et Richard J. Bauckham, étant donné que les païens chrétiens auxquels s’adressent les directives de Ac 15,20 sont ceux qui sont décrits en Ac 15,16-18 (citant Am 9,11-12 avec des échos aux païens évoqués en Jr 12,16 et Za 2,11 LXX, comme « émigrés au milieu du peuple », adjoints à celui-ci au temps messianique), il est naturel qu’ils soient soumis à la partie de la Loi qui s’adresse à eux comme tels et dont la punition est le renvoi du peuple de Dieu174. Lv 17–18 a vraisemblablement inspiré la tradition rabbinique des commandements noachiques aussi bien que Ac 15,20.29175. À partir d’une recherche attentive dans les textes, une solution se dégage. Six passages du Nouveau Testament présentent des recommandations qui contiennent au moins un mot (identique ou dérivé) en commun avec la liste de Ac 15,20176. Parmi les quatre éléments cités en Ac 15,20, deux n’y apparaissent pas du tout, le « sang [αἷμα] » et « ce qui est étouffé [πνικτός] », alors que le rappel à renoncer à l’« impudicité [πορνεία] » est unanime et que la condamnation de l’idolâtrie est mentionnée une fois sur deux (Ga 5,20 ; Col 3,5 ; Ep 5,5). Quitter l’impudicité et tout lien à l’idolâtrie fait donc partie du noyau non-négociable des orientations morales des premières communautés chrétiennes. Il est significatif que Jacques commence par ces deux exigences fondamentales. 173 Stephen G. WILSON, LukeandtheLaw(Society for New Testament Studies Monograph Series, 50), Cambridge, Cambridge University Press, 1983, p. 84-102. Dans le même sens que Wilson : Ben WITHERINGTON, TheActsoftheApostles, p. 464466. 174 W. Edward GLENNY, « The Septuagint and Apostolic Hermeneutics: Amos 9 in Acts 15 », p. 20-22 ; Richard J. BAUCKHAM, « James, Peter, and the Gentiles », in Bruce D. CHILTON – Craig A. EVANS (éds.), TheMissionsofJames,PeterandPaul: TensionsinEarlyChristianity (Supplements to Novum Testamentum, 115), Leiden – Boston MA, Brill, 2005, 91-142, p. 119-120. 175 Justin TAYLOR, LesActesdesdeuxApôtres.V.Commentairehistorique(Act.9,1– 18,22), p. 211. Cependant, Bossuyt maintient que « ce qui est demandé par Jacques […] relève non de la Torah mosaïque, mais des préceptes de Noé ». Voir Philippe BOSSUYT – Jean RADERMAKERS, TémoinsdelaParoledelaGrâce :lesActesdesApôtres.II : lecturecontinue(Collection de l’Institut d’études théologiques, 16), Bruxelles, Institut d’Études Théologiques, 1995, p. 444, 448. 176 1 Th 4,1-12 ; Ga 5,13-25 ; Col 3,1-17 ; Mc 7,14-24 (par. Mt 15,10-20) ; Ep 5,1-20.
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CHAPITRE III
Concernant l’interdiction du sang en Ac 15,20, elle trouve un écho dans les prescriptions de pureté qui enjoignent de « ne pas manger du sang177 » (Lv 17,10-14) et qui s’appliquent à « tout être humain parmi les fils d’Israël ou [aux] immigrés [προσηλύτων] installés parmi [eux]178 » (17,10.12.13). Il en va sans doute de même pour l’abstention « decequiestétouffé [τοῦ πνικτοῦ] » (Ac 15,20). Bien que ni le terme πνικτός ni un dérivé ne figurent dans la Septante pour parler d’une action ou d’un élément interdit, la réalité peut se deviner sous l’obligation de ne pas consommer du gibier de la chasse, qui n’a pas été vidé de son sang (Lv 17,13-14). Il s’agit d’un cas particulier de l’interdiction de manger du sang. Lv 17 évoque une seconde possibilité qui relève de cette même interdiction : ne pas consommer « unanimal trouvémortoutuéparunebêtesauvage [θνησιμαῖον ἢ θηριάλωτον] » (17,15). Ce cas de figure ne concerne probablement pas Ac 15,20, même si les données textuelles ne sont pas suffisamment claires pour pouvoir l’écarter avec pleine assurance179. Nous nous appuyons sur le témoignage des Pseudo-clémentines où l’allusion à Lv 17,10-14 est évidente. En plus de l’abstention du « sang [αἵματος] » et des « [animaux] étouffés [πνικτῶν] », il est mentionné celle des « [animaux] morts [νεκρῶν] » ou « tuésparunebêtesauvage [θηριαλώτων]180 », comme en Lv 17,15181. Les deux derniers éléments sont ici clairement distincts de « cequiestétouffé [τοῦ πνικτοῦ] ». 177 À aucun moment en Lv 17,10-16, l’interdiction ne porte sur « boire du sang », mais bien sur « manger du sang » (sept fois). Ce qui est donc visé est la consommation de viande d’un animal qui n’a pas été vidé de son sang. Voir Walter VOGELS, Célébrationetsainteté.LeLévitique(Lectio Divina, 267), Paris, Cerf, 2015, p. 160-161. 178 Le terme προσήλυτος constitue un néologisme de la Septante et désigne d’abord un immigré qu’il soit israélite (venu d’une autre tribu ou du royaume du Nord) ou non. Dans les écrits néotestamentaires, le terme acquiert une définition proprement religieuse pour désigner les « prosélytes », c’est-à-dire des personnes nouvellement converties au judaïsme. Voir Marguerite HARL – Paul HARLÉetal. (éds.), LeLévitique (La Bible d’Alexandrie, III), Paris, Cerf, 1988, p. 46-47. 179 Les deux raisons avancées par Bauckham ne sont pas convaincantes. D’abord, en Lv 17,15, l’interdiction s’adresse à « toute personne », et non, selon la formule habituelle, à « tout immigré installé au milieu des fils d’Israël ». Or, le verset stipule explicitement « parmi les autochtones ou parmi les immigrés ». Ensuite, l’impureté encourue est rituelle et non morale, d’après la description du rituel de purification en cas de transgression (Lv 17,15-16). Voir Richard J. BAUCKHAM, « James, Peter, and the Gentiles », p. 120. 180 En Homélie VII,8, les quatre expressions sont attestées à la suite de « cequiaété sacrifiéauxidoles [εἰδωλοθύτων] », pour définir ce qui relève de la « table des démons ». 181 Cet élément n’est pas pris en considération par Steffek qui pourtant mentionne les Pseudo-clémentines et qui considère difficile de reconnaître Lv 17–18 en arrièrefond des quatre directives de Ac 15,20.29, notamment en raison du manque d’affinité au niveau du vocabulaire. Voir Emmanuelle STEFFEK, « Some Observations on the Apostolic Decree », p. 136-137.
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Faut-il inclure aussi la prohibition du meurtre dans l’interprétation de l’interdiction du sang ? Cela n’est pas explicite en Lv 17,10-16, mais bien dans un autre passage de la Torah (Gn 9,4-6) qui présente plusieurs similitudes. Après le déluge, au moment de conclure son alliance non seulement avec Noé et avec ses fils, mais avec tout être humain (9,8-17), Dieu donne notamment deux directives concernant le sang (pour la même raison évoquée en Lv 17,10-16, « le sang, c’est la vie ») : « nepasmangerlaviandeaveclesangdelavie [κρέας ἐν αἵματι ψυχῆς οὐ φάγεσθε] » (9,4), ainsi que ne pas « verser le sang de l’être humain » (9,6), sinon son propre sang sera versé en retour. Lv 19,16 présente des similitudes avec Gn 9,6 : « tu ne te dresseras pas contre le sang de ton prochain ». Ce verset appartient à une liste qui comporte différentes attitudes concrètes visant à « aimer [son] prochain comme [soi]-même » (19,18). Sans évoquer le sang, Lv 24,17-22 expose la loi du talion à laquelle est soumis « l’immigré comme l’indigène » (24,22). Selon celle-ci, un être humain qui commet un meurtre ou une blessure corporelle, devra subir le même sort en retour182. De la même manière, l’interdiction adressée aux autochtones et aux immigrés de sacrifier des enfants (Lv 18,21), est une autre façon de s’opposer aussi bien au sang versé qu’à l’idolâtrie. Commentant le récit du déluge, le pseudépigraphe des Jubilés (7,30) fait allusion à Lv 17,13 pour l’interdiction de consommation du sang, et à Nb 35,31-33 à propos du meurtre. Dans les recommandations néotestamentaires contenant au moins un mot en commun avec la liste de Ac 15,20, le meurtre est dénoncé par Jésus : explicitement avec l’impureté intérieure du cœur humain (Mc 7,21 ; par. Mt 15,19) et implicitement à travers les émotions négatives qui y conduisent (1 Th 4,6 ; Ga 5,19 ; Col 3,5). Dans l’interprétation de l’abstention du sang, aucune donnée textuelle de Ac 15 n’autorise à exclure le sang versé – incluant le meurtre, les sacrifices d’enfants et les blessures corporelles – prohibé dans la Septante non seulement aux Juifs, mais aux immigrés (Lv 18,26 ; 24,22 ; Nb 35,9-34), et dont la sanction était fatale (Lv 20,2-5 ; 24,17.21 ; Nb 35,31-33)183. Cependant, d’après les Pseudo-clémentines, le concile 182
Dans le cas du meurtre, voir aussi Nb 35,31-33. Après avoir considéré les deux sens possibles de l’interdiction du sang (versé ou mangé), Jervell ne retient que la seconde possibilité pour Ac 15,20, en justifiant son choix par la teneur des trois autres directives de ce même verset, qu’il situe uniquement sur le plan cultuel et rituel. Jacob JERVELL, Die Apostelgeschichte, p. 397. Dans les Pseudo-clémentines, l’absention portant sur le sang figure en fin de liste d’éléments à ne pas consommer, rassemblés sous l’expression « table des démons » : « ne pas participer à la table des démons, ce qui veut dire [la viande] sacrifiéeauxidoles [εἰδωλοθύτων], 183
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de Gangres en Paphlagonie (IVe siècle) et le 63e des Canonsapostoliques(fin du IVe – début du Ve siècles), l’abstention du sang vise d’abord le sang consommé et certains passages laissent percevoir un sens second, le sang versé184. Dans un commentaire des Pseudo-clémentines sur Gn 6–9 (HomélieVIII,15-17), la consommation de chair et de sang est associée à un penchant exacerbé à la férocité, manifesté d’abord par des géants (Gn 6,1-4), puis par des êtres humains, au point que les animaux vinrent à manquer et que la chair humaine devint une proie de compensation. Par suite de cette abondante effusion de sang, l’air et la terre furent souillés et Dieu provoqua le déluge pour purifier le monde et le remettre au juste Noé, que Dieu avait épargné au moyen de l’arche185. Ce commentaire perçoit dans l’opération du déluge une action divine de purification liée au sang, qui n’était pas formulée comme telle dans la Septante (Gn 6–9) : Par suite de cette abondante effusion de sang [αἱμάτων ῥύσει], l’air pur [ὁ καθαρὸς ἀήρ] futsouillé [μιανθείς] par une exhalaison impure [ἀκαθάρτῳ]. […] [Dieu] fit déborder l’eau en vue du déluge afin que, tous ayant péri, le monde purifié [κατεκκαθαρισθείς] fut remis pur[καθαρός] à celui qui fut sauvé dans l’arche pour un second commencement de la vie. (Homélie VIII,17)
En outre, le commentaire met en relation deux éléments : la corruption et l’injustice avant le déluge (Gn 6,11.13)186, dont il explicite la manifestation par l’effusion de sang, ainsi que l’interdiction divine provenant d’animaux trouvés morts, étranglés [πνικτῶν] ou tués par les bêtes sauvages, ainsi que le sang [αἵματος] » (HomélieVII,8) 184 Einar MOLLAND, « La circoncision, le baptême et l’autorité du décret apostolique (Actes XV,28 sq.) dans les milieux judéo-chrétiens des Pseudo-Clémentines », p. 3437. Pour le sens second de sang (versé), voir Homélie VIII,19 (adressé aux géants / démons) : « en participant à votre table ou en accomplissant quelque autre action qu’il ne faut pas, ou en répandantdusang [αἷμα χέων], ou en goûtant aux chairs mortes, ou aux restes d’une bête sauvage, ou à de [la chair] coupée ou étouffée [πνικτοῦ] ou à quelque autre aliment impur. » 185 Bien que l’idéal du milieu judéo-chrétien des Pseudo-clémentines soit le végétarisme, celui-ci n’est pas enseigné aux catéchumènes. Une explication possible pointe vers l’autorité des directives de l’assemblée de Jérusalem. Voir Einar MOLLAND, « La circoncision, le baptême et l’autorité du décret apostolique (Actes XV,28 sq.) dans les milieux judéo-chrétiens des Pseudo-Clémentines », p. 32-33. 186 Dans le MidrashRabbahsurlaGenèse, la corruption humaine de la terre dont il est question en Gn 6,13 est interprétée en termes d’idolâtrie, de relations sexuelles prohibées et de crime de sang. Voir Bernard MARUANI – Albert COHEN-ARAZI (éds.), MidrashRabba.GenèseRabba(traduitdel’hébreuetannoté) (Les Dix Paroles, I), Lagrasse, Verdier, 1987, p. 321 (no 31.6 sur Gn 6,13).
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de consommer ou de verser le sang, qui est proclamée après le déluge (Gn 9,4-6). D’après la tradition reflétée dans les Pseudo-clémentines, cette prohibition concernant le sang (consommé ou versé) repose sur un fondement moral : respecter la vie et promouvoir l’harmonie dans la création, en maîtrisant la violence que l’être humain exerce non seulement sur ses semblables, mais aussi sur les autres êtres vivants187. Sous des mots différents, la condamnation de l’« impudicité [πορνεία] » et, de façon plus suggestive, des « souillures des idoles » peuvent respectivement trouver un écho en Lv. Concernant l’impudicité, Lv 18 contient différents interdits sexuels adressés à « tout être humain » (18,6) : l’inceste (v. 6-18), les relations sexuelles avec une femme menstruée (v. 19), l’adultère (v. 20), l’homosexualité (v. 22) et la bestialité (v. 23). En matière d’idolâtrie, « l’indigène et l’immigré » (Lv 17,3.8 ; 18,26) sont exhortés à sacrifier toute offrande ou holocauste au Seigneur (17,8-9) – non pas à d’autres188 –, et à se garder des impuretés des nations (18,24-30)189. Le DocumentdeDamas permet de fonder sur Lv 18 une interprétation, sans doute non exhaustive, de πορνεία en vigueur pour les Juifs de la Palestine du Ier siècle avant et du Ier siècle après Jésus Christ. En effet, il donne deux cas concrets – la polygamie et l’inceste – de זְ נוּת, un équivalent en hébreu biblique de πορνεία : quand des hommes « épousent deux femmes de leur vivant » (CD IV 20-21) ou « épousent chacun la fille de son frère ou la fille de sa sœur. Or Moïse a dit : “De la sœur de ta mère, tu ne t’approcheras 187 Absente dans les autres civilisations du Proche-Orient ancien, l’interdiction spécifique du sang (Gn 9,4-6) survient juste après une permission généreuse concernant la manducation des animaux (Gn 9,2-3). Un schéma similaire de large permission et d’interdiction particulière prononcées par Dieu se retrouve dans le récit de la création (Gn 2,16-17). Voir Victor P. HAMILTON, TheBookofGenesis:Chapters1–17(New International Commentary on the Old Testament), Grand Rapids MI, Eerdmans, 1990, p. 314. 188 Le verset précédent interdit d’offrir des sacrifices aux « êtresvains [ματαίοις] » (Lv 17,7). Une ambiguïté demeure sur les groupes concernés par cette loi. Absente dans le texte massorétique, la mention « ou des immigrésinstallésparmivous [τῶν προσηλύτων τῶν προσκειμένων ἐν ὑμῖν] » (Lv 17,3) est toutefois attestée dans deux manuscrits grecs (l’Alexandrinus et le Vaticanus). Voir l’édition critique John W. WEVERS – Udo QUAST (éds.), Leviticus (Septuaginta. Vetus Testamentum Graecum, II.2), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1986, p. 195. Les avis sont partagés sur la légitimité d’intégrer ou non la mention des immigrés en Lv 17,3. Voir par exemple, les positions divergentes de Marguerite HARL – Paul HARLÉetal. (éds.), LeLévitique, p. 156 et de Jacob MILGROM, Leviticus 17–22 (The Anchor Yale Bible, 3A), New York NY, Doubleday, 2000, p. 1453. 189 En Lv, un autre passage condamne aussi de suivre des « idoles [εἰδώλοις] » (19,4), mais cette injonction est adressée aux « fils d’Israël » (19,1) uniquement, et non aux immigrés.
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pas, [c’est] la chair de ta mère elle-même.” (Lv 18,13) » (CD V 7-9)190. En 1 Co 5,1, Paul qualifie de πορνεία une relation sexuelle entre un homme et la femme de son père, faisant ainsi écho à un cas particulier d’inceste mentionné en Lv 18,8. Ailleurs, Paul semble en parler dans un sens large, sans toutefois définir le terme de façon précise191. Lc-Ac ne recourt pas à ce terme, mais à un autre de même racine, « prostituée [πόρνη] », dans la parabole du père prodigue, pour décrire l’attitude du fils cadet qui « avait lapidé les biens [de son père] avec des prostituées » (Lc 15,30). Une question demeure non résolue dans l’étude des Pseudoclémentines en relation aux directives de l’assemblée de Jérusalem : comment expliquer l’absence du terme πορνεία dans les passages qui font le plus explicitement écho à Ac 15,20.29, alors qu’il figure ailleurs192 ? Par contre, il y est question d’« adultère [μοιχεία] » de façon presque unanime193. Dans les Pseudo-clémentines, le vocabulaire lié à πορνεία est relativement rare (12 fois) par rapport à l’usage du mot « adultère [μοιχεία] » et ses dérivés (68 fois)194. Puisque l’auteur des Pseudo-clémentines était un Juif chrétien, un tel constat n’est pas étonnant car les textes législatifs de la Torah recourent peu aux termes πορνεία ou πορνεύω (sauf en Dt 23,18), contrairement à μοιχεία ou à μοιχεύω qui sont particulièrement familiers en raison de leur mention dans le Décalogue (Ex 20,13 ; par. Dt 5,17)195. Tout comme 190
David HAMIDOVIĆ (éd.), L’ÉcritdeDamas, p. 28-31. Par exemple : Ga 5,19 ; 1 Co 7,2. 192 Six attestations dans les Homéliesdont trois dans des listes de péchés à teneur générale, situées à l’intérieur d’un discours qui ne constitue pas une exhortation à des païens engagés dans le baptême : Homélies I,18 ; XIII,20 ; XV,10. Voir Georg STRECKER (éd.), Die Pseudoklementinen III: Konkordanz zu den Pseudoklementinen. Zweiter Teil: Griechisches Wortregister. Syrisches Wortregister. Index nominum. Stellenregister (GCS), Berlin, Akademie Verlag, 1989, p. 317. Sur ces six mentions, deux manifestent que le mot πορνεία peut avoir différents usages : un sens général qui inclut l’« adultère [μοιχεία] » (Homélie XIII,20) ou un sens particulier distinct de celui, en lui étant juxtaposé (Homélie III,68). 193 Homélies, VII,4 ; VIII,19.23 ; XIII,5 (par. Reconnaissances VII,30) et Reconnaissances IV,10. Quant àl’Homélie IX,23, elle promeut la « tempérance [σωφροσύνην] ». 194 Le même phénomène se produit en latin avec fornicatio comparé à adulter. Voir Georg STRECKER (éd.), DiePseudoklementinenIII:KonkordanzzudenPseudoklementinen.ErsterTeil:LateinischesWortregister (GCS), Berlin, Akademie Verlag, 1986, p. 17, 209. Dans les passages Pseudo-clémentins concernés par Ac 15,20.29, il n’est pas question d’inceste. 195 Voir aussi Lv 20,10 (quater). Bien que plausible, l’explication de Klijn semble ne pas tenir compte des références religieuses de l’auteur. En effet, selon Klijn, le mot πορνεία n’aurait pas été mentionné dans la version des directives de Jérusalem à laquelle l’auteur des Pseudo-clémentines aurait eu accès, comme celle qui est reflétée 191
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pour l’absention du sang et de la viande étouffée, l’auteur des Pseudoclémentines manifeste un souci de préciser par un vocabulaire plus spécifique ce qu’il faut entendre par la prohibition de la πορνεία. Antonyme de la tempérance, la πορνεία impliquerait dans les Pseudoclémentines de renoncer à l’adultère et de respecter les prescriptions de pureté rituelle relatives à l’acte sexuel et aux menstruations (Lv 15)196. Si tel est le cas, les Pseudo-clémentines ne se limitent pas à traduire, mais élargissent le sens des mots pour viser en plus une pureté rituelle qui, selon notre analyse, n’est pas insinuée en Ac 15,20.29. Dans les recommandations de l’assemblée de Jérusalem (Ac 15,20.29), le mot πορνεία couvre un éventail très large de pratiques impudiques, allant de la prostitution à l’inceste, à la polygamie, à l’adultère, etc. Aucune donnée du texte ne permet de restreindre son interprétation à un cas particulier, ni de l’étendre à une situation concernant une pureté rituelle. D’une façon ou d’une autre, les deux dernières directives de Ac 15,20 (« ce qui est étouffé et le sang ») vont de pair (comme en Gn 9,4-6), ainsi que les deux premières. En effet, dans la Bible, l’idolâtrie est présentée comme une forme de « prostitution [πορνεία]197 ». Dans chaque paire, l’un des éléments peut être considéré comme un cas particulier de type alimentaire (les souillures des idoles et ce qui est étouffé), tandis que l’autre est de teneur générale (l’impudicité et le sang). Il n’est pas étonnant que les deux cas particuliers concernent l’alimentation, pour deux raisons. D’abord, les restrictions alimentaires et la circoncision faisaient partie de la sensibilité de plusieurs Juifs chrétiens de Jérusalem. Les reproches des frères de Jérusalem, adressés à Pierre après son passage chez Corneille en offrent une illustration parlante : « Tuesentréchezdeshommesincirconcisettu as mangé avec eux [εἰσῆλθες πρὸς ἄνδρας ἀκροβυστίαν ἔχοντας καὶ συνέφαγες αὐτοῖς]. » (Ac 11,3) Dans le passage en Ga 2 qui présente plusieurs affinités avec Ac 15, les repas partagés avec des païens sont cause de dissension parmi des Juifs chrétiens : « En effet, avant dans la Didascalie des apôtres (IIIe siècle). Voir A. Frederik J. KLIJN, « The PseudoClementines and the Apostolic Decree », in NovumTestamentum 10 (1968) 305-312, p. 311-312. Tel est le cas aussi dans le papyrus p45 (IIIe siècle) et l’ensemble de la tradition éthiopienne (à partir du VIe siècle). Voir l’apparat critique de Barbara ALAND – Kurt ALANDetal. (éds.), TheGreekNewTestament, p. 466. 196 Voir l’Homélie VII,8 où sont rappelées les prescriptions de pureté rituelle relatives à l’acte sexuel et à la période des menstruations de la femme (Lv 15,18-24). Ceci est repris dans les Homélies XI,28.30.33 (par. ReconnaissancesVI,10.12). 197 Lv 17,7 ; 20,5-6 ; Jr 3,6 ; Ez 16,17 ; Os 1–3 ; Sg 14,12. En Col 3,5, le phénomène inverse se produit : l’impudicité et d’autres penchants mauvais sont décrits comme une forme d’idolâtrie.
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que soient venus des gens [envoyés] par Jacques, [Pierre] mangeaitavec lespaïens [τῶν ἐθνῶν συνήσθιεν] ; mais, après qu’ils furent venus, il se retira et se tint lui-même à part, craignant les circoncis. » (Ga 2,12) Jacques a trouvé dans la tradition juive (Lv 17–18) des mesures alimentaires pour des étrangers qui partagent le milieu de vie des Juifs, permettant de promouvoir la pureté morale de ces immigrés et de rassurer les Juifs qui craignaient une influence néfaste de leur part. Ensuite, le verbe « mangeravec [συνεσθίω] » est présent en Lc-Ac et absent dans les autres évangiles198. Les repas partagés constituaient un moment-clé dans la vie des communautés chrétiennes. Ils accompagnaient la « fraction du pain », c’est-à-dire l’eucharistie, qui dès le début faisait partie des quatre piliers des communautés chrétiennes (Ac 2,46). En Lc-Ac, le nombre de mentions du verbe « rompre [κλῶ] » le pain équivaut à la somme de celles que l’on trouve en Mc et en Mt199. Les repas partagés, et plus encore la fraction du pain, appartiennent à la sensibilité lucanienne. 2.2. Anciennesprescriptionsdepuretéporteusesdenouveauté En Ac 15,20.29, les quatre renoncements demandés aux païens par l’assemblée de Jérusalem ne comportent a priori rien de nouveau puisqu’ils trouvent des résonnances dans la base minimale de la Loi de Moïse, en l’occurrence la Loi de sainteté (Lv 17–26), c’est-à-dire la partie à laquelle étaient soumis les fils d’Israël et les immigrés vivant au milieu d’eux, sous peine d’« êtreretranchésdupeuple [ἐξολεθρευθήσεται ἐκ τοῦ λαοῦ]200 ». Une telle sanction indique la gravité morale de la transgression en termes d’atteinte à l’alliance de Dieu avec son 198 Lc 15,2 (Jésus avec les pécheurs) dans un reproche des Pharisiens ; Ac 10,41 (disciples avec Jésus ressuscité) dans le discours de Pierre chez Corneille ; Ac 11,3 (Pierre avec des hommes incirconcis). 199 Par Jésus (Lc 22,19 [par. Mc 14,22 ; Mt 26,26 ; 1 Co 11,24] ; Lc 24,30, propre à Luc), mais aussi, ce qui est spécifique à Luc, par les disciples (Ac 2,46 ; 20,7.11 ; 27,35). Le verbe « rompre [κλῶ / κατακλῶ] » est aussi présent dans les deux miracles de multiplications des pains réalisés par Jésus et leur rappel : Mc 6,41 (par. Mt 14,19 et Lc 9,16), Mc 8,6 (par. Mt 15,36) et Mc 8,19 (absent dans le parallèle de Mt 16,9). 200 Lv 17,4.9 (pour l’abattage qui n’est pas sacrifié au Seigneur) ; 17,10.14 (pour la consommation de sang et de gibier non vidé de son sang) ; 18,29 (pour les souillures des nations en relation à l’impudicité et aux idoles) ; 20,3.5 (pour les sacrifices d’enfants). Selon Klinghardt, le choix des quatre éléments retenus dans les directives de l’assemblée de Jérusalem s’explique en relation à la sanction correspondante d’exclusion du peuple, telle qu’elle est mentionnée dans la Loi de sainteté. Voir Matthias KLINGHARDT, GesetzundVolkGottes:DaslukanischeVerständnisdesGesetzesnach Herkunft,FunktionundseinemOrtinderGeschichtedesUrchristentums(WUNT, 32), Tübingen, Mohr (Paul Siebeck), 1988, p. 181-204.
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peuple201. La nouveauté des directives en Ac 15,20 réside dans les destinataires – les païens devenus membres du peuple de Dieu et non pas des étrangers immigrés, non pleinement incorporés au peuple – et dans ce qui est gardé sous silence, en particulier le motif de ces injonctions. Les païens qui deviennent chrétiens sont accueillis comme membres du mouvement chrétien du judaïsme. Ils sont reconnus dans leur altérité et non assimilés à des nouveaux convertis au judaïsme, tel que l’exigeaient certains frères issus du pharisaïsme (Ac 15,5). Dans la Loi de sainteté (Lv 17–26), le fondement pour les Juifs des prescriptions relatives à l’impudicité et aux idoles s’inscrit dans une perspective de pureté morale, où l’accent prépondérant est placé sur l’identité de Dieu. Les membres du peuple sont exhortés à confesser par une vie sanctifiée et purifiée la sainteté du Seigneur : « Moi, je suis le Seigneur votre Dieu [ἐγώ εἰμι κύριος ὁ θεὸς ὑμῶν]202. » En Lv 17–18, concernant les étrangers qui vivent au milieu d’eux, les interdictions liées à l’impureté morale visent à contrer leur éventuelle mauvaise influence sur les fils d’Israël203. En Ac 15,20, il semble précipité de considérer que ce genre de prescriptions étaient imposées pour rendre possible la convialité, en évitant que des Juifs en relation avec des étrangers païens deviennent rituellement impurs204. Dans les recommandations néotestamentaires que nous avons mentionnées précédemment, le motif des deux interdictions liées à la sexualité (πορνεία) et aux idoles (εἴδωλον) est fondé sur une recherche de pureté morale – et non uniquement sur un souci d’harmonie sociale –, ancrée sur l’identité nouvelle reçue de Dieu en Jésus Christ. Parce que Dieu a conféré à l’être humain une identité nouvelle, le vieil humain, comme l’exprimera la tradition paulinienne, autrefois tourné vers la terre, est désormais mort et ressuscité avec le Christ, élevé vers le haut (Col 3,1-17), reconnu enfant de Dieu, revêtu 201 Voir John P. MEIER, AMarginalJew:RethinkingtheHistoricalJesus.VolumeIV: LawandLove, p. 350. 202 Dans les passages de la Loi de sainteté auxquels peuvent renvoyer l’interdiction liée à l’impudicité et aux idoles, cette formule apparaît à trois reprises (Lv 18,6.21.30). En Lv 17–26, elle (avec ou sans le verbe εἰμι) est répétée plus de vingt fois et rappelle le début du Décalogue (Ex 20,2). Cette identité du Seigneur a des répercussions sur la vie de l’être humain : « C’est en exécutant [toutes mes injonctions et toutes mes sentences] que l’être humain trouvera en elles la vie. […] Vous serez saints parce que je suis saint, moi le Seigneur votre Dieu. » (Lv 18,5 ; 19,2) 203 Jonathan KLAWANS, « Notion of Gentile Impurety in Ancient Judaism », p. 295. 204 Ce que soutiennent John B. POLHILL, Acts, p. 330-331 et I. Howard MARSHALL, TheActsoftheApostles, p. 257. À l’inverse, voir Isaac W. OLIVER, TorahPraxisafter 70 CE, p. 367, 438 ; Jonathan KLAWANS, « Notion of Gentile Impurety in Ancient Judaism », p. 290, 300-302.
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de lumière et non de ténèbres (Ep 5,1-20), appelé à la sainteté et non à l’impureté (1 Th 4,1-12), à la liberté de l’Esprit – au service de l’amour fraternel – et non de la chair (Ga 5,13-25). La perspective est-elle la même dans le discours de Jacques et lors de l’assemblée de Jérusalem ? Dans le témoignage de Pierre durant l’assemblée, la purification est une réalité bien présente, mais elle est désormais considérée comme ayant déjà eu lieu et comme l’œuvre de Dieu. Cette purification que Dieu a accomplie concerne le cœur des êtres humains, y compris celui des païens, à cause de leur foi (Ac 15,9)205. Du témoignage de Pierre lors de l’assemblée de Jérusalem, à partir de son cheminement en interaction avec Corneille, il résulte que les chrétiens d’origine juive n’ont pas à limiter leurs relations avec les frères d’origine païenne en les considérant profanes et moralement impurs (Ac 10,28). Jacques témoigne en leur faveur en décrivant l’attitude des frères d’origine païenne : ils font partie de ceux qui « cherchent ardemment » (15,17) le Seigneur et qui « se tournent vers Dieu » (15,19). Dans sa déclaration théologique, Jacques souligne l’initiative de Dieu et l’identité nouvelle que celui-ci a donnée à des païens, en les choisissant comme membres de son peuple (15,14). Nous avons donc de bonnes raisons de penser qu’au moins les trois orientations pratiques communes aux autres recommandations néotestamentaires évoquées plus haut (l’impudicité, les souillures des idoles et le sang versé des êtres humains), s’inscrivent dans la même ligne de fond. Nous touchons maintenant les bénéfices de notre analyse des deux premières directives pour la compréhension de la « visite » de Dieu. Les chrétiens d’origine païenne sont exhortés comme ceux d’origine juive à devenir qui ils sont désormais, selon l’identité nouvelle reçue de Dieu. Dans leur façon de vivre leur sexualité, de se comporter face aux idoles et de dompter leur violence intérieure, il importe qu’ils concrétisent la grâce de Dieu dont ils sont déjà dépositaires. Cette perspective des directives de l’assemblée de Jérusalem trouve un écho dans les Pseudo-clémentines. En effet, trois des quatre passages qui présentent des affinités avec Ac 15,20.29 font partie des nombreuses exhortations adressées à des catéchumènes païens pour les inciter à garder immaculé le vêtement nuptial du baptême (Homélie VIII,22 ; 205 Le livre du Lévitique proclame également que « Moi, je [suis] le Seigneur qui vous rend saints » (Lv 20,8 ; 21,8.15.23 ; 22,9.16.32). Mais il s’agit d’une proclamation générale d’un trait de Dieu en soi, plutôt que d’une affirmation de son accomplissement actuel dans l’être humain.
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par. Reconnaissances IV,35), c’est-à-dire pour mener une vie digne de leur identité nouvelle206. Concernant les interdictions alimentaires liées au sang (αἷμα et πνικτός), la raison évoquée dans la Loi de sainteté à ce sujet (Lv 17,10-14) est également de l’ordre de la pureté morale, étant donné la sanction radicale qui y est apposée, à savoir l’expulsion du peuple (17,14)207. Dans ce passage, les injonctions alimentaires sont présentées au service du caractère sacré de la « vie/âme [ψυχή] » sous toutes ses formes, en l’occurrence animale, à laquelle le sang est identifié : « la vie [ψυχή] de toute chair, c’est son sang [αἷμα] » (17,11.14 bis). En dehors de l’assemblée de Jérusalem et de la lettre qui en émane pour les païens, aucun passage du Nouveau Testament ne traite explicitement de ces abstentions alimentaires relatives au sang. Un tel silence s’explique de trois manières : soit celles-ci ne posaient pas de difficulté, soit elles étaient devenues obsolètes, soit la cause (le sang) de l’impureté était implicite208. Les données textuelles ne sont pas suffisantes pour pouvoir trancher avec certitude. Toutefois, l’absence de πνικτός dans le codex Bezaeet dans d’autres manuscrits de la tradition occidentale, dont une citation latine d’Irénée de Lyon, laisse deviner qu’au moins à partir de la deuxième moitié du IIe siècle, l’interdiction de manger de la viande non saignée n’était plus pertinente. Imposée aux païens devenus chrétiens, les abstentions alimentaires relatives au sang sont d’abord motivées par un souci de cohérence morale avec l’élection divine. Cette intégrité morale permet à son tour une cohabitation paisible avec les chrétiens d’origine juive. En tenant compte de la présente analyse, il est réducteur d’interpréter les directives liées de Ac 15,20, y compris celles liées au sang, 206
Homélies VII,4.8 ; VIII,23 (par. Reconnaissances IV,36). En Lv 17,15, il est mentionné que non seulement l’indigène mais aussi l’immigré deviennent rituellement impurs en cas de consommation de « bête crevée ou […] tuée par un animal sauvage ». Cependant, aucune donnée textuelle, ne permet de déclarer avec pleine assurance que l’expression « le sang et ce qui est étouffé » (Ac 15,20.29) vise le même objet que celui dont il est question en Lv 17,15. Oliver accorde une certaine valeur à cette possibilité qu’il juge lui-même hypothétique. Dans ce cas, l’assemblée de Jérusalem considère comme envisageable que les païens devenus chrétiens puissent, comme les Juifs, contracter une impureté rituelle, mais dans un domaine limité : la consommation d’animaux trouvés morts ou tués par une bête sauvage. Voir Isaac W. OLIVER, TorahPraxisafter70CE, p. 451, 461462. 208 Marshall interprète la difficulté soulevée en Rm 14,13-21 concernant la consommation de certaine nourriture jugée impure, comme étant liée au sang, même si celui-ci n’est pas mentionné. Voir I. Howard MARSHALL, TheActsoftheApostles, p. 260. 207
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comme « les conditions minimales permettant à chacun de vivre ensemble209 ». Les quatre directives ne sont pas non plus présentées comme un compromis, comme le suggèrent plusieurs auteurs, notamment Gerhard Schneider et David J. Williams, mais comme les conditions non-négociables qui sont de notoriété universelle, car définies dans la Torah mosaïque, pour vivre au milieu des fils d’Israël210. Il semble également anachronique de parler de souci inter-culturel dans l’établissement des directives données aux païens qui deviennent chrétiens. Aux yeux des Juifs chrétiens, les quatre recommandations appartiennent au noyau fondamental de la Loi de sainteté qui constitue à leurs yeux plus qu’une sensibilité culturelle211. Les éléments qui entourent Ac 15,20 indiquent les deux pôles à garder en équilibre : le souci « de ne pas surcharger les païens qui se tournent vers Dieu » (15,19) et la prise en compte que « depuis des générations anciennes, dans chaque ville, Moïse a des prédicateurs qui le proclament dans les synagogues, à tous les sabbats » (15,21). Ce dernier verset stipule que, même si l’observance complète de la Loi de 209 Régis BURNET, Lesdouzeapôtres, p. 175. La majorité des auteurs interprètent également dans le même sens l’ensemble des quatre recommandations pratiques de l’assemblée de Jérusalem. Voir aussi Joseph A. FITZMYER, The Acts of the Apostles, p. 557. Schnabel est l’un de ceux qui reconnaît que ce motif est insuffisant, car la relation à Dieu est aussi à prendre en considération. Quant à Butticaz et Marguerat, ils interprètent les quatre directives non dans une perspective identitaire, morale ou sociale (modusvivendi), mais comme l’intégration des païens devenus chrétiens dans la tradition et la culture mosaïques dont l’autorité est ancienne et universelle (Ac 15,21). Cependant, Marguerat, Butticaz et Schnabel ne mettent pas celles-ci en relation à d’autres exhortations pratiques du N.T. qui ont des termes en commun avec Ac 15,20 et des fondements typiquement chrétiens bien définis. Voir Daniel MARGUERAT, Les Actesdesapôtres(13–28), p. 104-105 ; Simon BUTTICAZ, L’identitédel’Églisedans lesActesdesapôtres, p. 331-343 ; Eckhard J. SCHNABEL, Acts, p. 644. Sans expliquer les fondements de sa position, Steffek place le motif des quatre directives de Ac 15,14 sur le même pied que la déclaration de Paul en 1 Co 8,13 déclarant que tout peut être mangé dans la mesure où la foi des autres n’est pas ébranlée. Voir Emmanuelle STEFFEK, « Some Observations on the Apostolic Decree », p. 137-138. Selon Gaventa, les quatre directives de Ac 15,20.29 visent à garder les païens chrétiens de la tentation omniprésente de l’idolâtrie, et non pas à faciliter la convivialité chrétienne entre Juifs et païens lors des repas, car celle-ci aurait déjà été instaurée depuis le passage de Pierre chez Corneille (Ac 10). Voir Beverly R. GAVENTA, TheActsoftheApostles(Abingdon New Testament Commentaries), Nashville TN, Abingdon, 2003, p. 222-223. Elle ne tient pas compte de la difficulté soulevée en Ac 11,3. 210 Charles H. TALBERT, Reading Acts, p. 142 ; David J. WILLIAMS, Acts (New International Biblical Commentary, 5), Peabody MA, Hendrickson, 1990, p. 266-267 ; Gerhard SCHNEIDER, DieApostelgeschichte.KommentarzuKap.9,1–28,31(HTKNT, V.2), Freiburg, Herder, 1982, p. 174 et 182. 211 Darrell L. BOCK, Acts(Baker Exegetical Commentary on the New Testament), Grand Rapids MI, Baker Academic, 2007, p. 507.
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Moïse n’est pas demandée aux païens devenant chrétiens, elle demeure partout d’actualité212. En effet, les Juifs (y compris les Juifs chrétiens) y demeurent soumis dans son intégralité. Quant aux chrétiens païens, ils sont concernés par les prescriptions particulières que celle-ci prévoit pour des personnes de l’extérieur d’Israël qui viennent d’une certaine façon s’associer aux Juifs213. Dans le judaïsme ancien, la Torah constitue non pas une condition de salut, mais un moyen pour concrétiser et signifier l’appartenance au peuple de Dieu au milieu de nations idolâtres214. Jacques s’appuie sur les paroles des prophètes (Ac 15,15-18) et, pourtant, ne demande aux païens devenant chrétiens, ni la circoncision, ni l’observance de toute la Loi de Moïse, mais des éléments de celle-ci auxquels étaient tenus les immigrés vivant au milieu des Juifs (15,20). En Ac 15,14, les païens ne sont pas assimilés au peuple d’Israël, mais au peuple de Dieu qui, certes, contient ce dernier et néanmoins, le transcende. Le peuple d’Israël demeure le peuple de Dieu, mais le peuple de Dieu n’est pas limité au peuple d’Israël. Pour les chrétiens d’origine païenne, il importe de signifier concrètement leur alliance avec Dieu en rejetant toute forme d’union illégitime, et de vivre harmonieusement en frères, autour d’une même table où sont respectés l’adoration du Dieu unique et le caractère sacré de la vie de tout être vivant. Ces recommandations plus limitées que celles prônées par des frères issus du judaïsme (Ac 15,5) permettent également aux païens devenus chrétiens de socialiser plus facilement avec leurs contemporains non chrétiens et d’être ainsi d’autant plus avec eux, en missionnaires de l’Évangile, à la suite de Jésus215. En contrepartie, que demande l’assemblée de Jérusalem aux frères venus du judaïsme? Nous sommes renvoyés à la question qui a déclenché l’assemblée, à savoir : est-il nécessaire pour leur salut que les 212 Jusque dans sa conclusion, le discours de Jacques proclame l’accueil de païens par Dieu dans son peuple et au milieu des Juifs chrétiens comme une attitude surprenante et à la fois en continuité avec la tradition du judaïsme (la Torah et les prophètes). Voir Robert C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke-Acts: A Literary Interpretation. Volume Two: The Acts of the Apostles, Minneapolis MN, Fortress, 1990, p. 190. Sur le même thème, voir aussi Michel GOURGUES, « L’Évangile aux païens (Actes des Apôtres 13–28) », p. 40-42. 213 Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres (13–28), p. 105 ; Frederick F. BRUCE, TheActsoftheApostles, Eugene OR, Wipf and Stock publishers, 20003, p. 341. 214 William H. WILLIMON, Acts (Interpretation), Atlanta GA, John Knox, 1988, p. 131. 215 John B. POLHILL, Acts, p. 324.
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païens se fassent circoncire et observent la Loi de Moïse (Ac 15,1-2.56) ? Jacques renverse la perspective : des païens sont sauvés parce que, d’abord, Dieu est intervenu pour les choisir comme un peuple à son nom. Pour des raisons théologiques au service du bon cheminement des communautés chrétiennes formées de païens et de Juifs, la base minimale de la Loi de sainteté demeure en vigueur pour les frères qui sont venus du paganisme. Il est ainsi implicitement demandé aux chrétiens d’origine juive d’accueillir comme leurs frères des gens non circoncis, de reconnaître que ceux-ci sont sauvés grâce à l’initiative souveraine de Dieu et que les pratiques essentielles de la Loi de Moïse auxquelles ils sont tenus sont au service d’une intégrité morale en vue d’une cohabitation harmonieuse. En ce qui concerne l’abstention de l’impudicité et de ce qui a trait aux idoles, elle sert aussi à honorer la grâce de Dieu qui les a intégrés à son peuple. La finale du discours de Jacques apporte une note singulière à l’étude de l’intervention salvifique de Dieu (ὁ θεὸς ἐπεσκέψατο) déclarée au début (Ac 15,14). En effet, Dieu sauve des païens, en les constituant membres de son peuple. En même temps, Dieu sollicite la participation de tous, des frères d’origine païenne comme des frères d’origine juive, par un appel à des renoncements constructifs pour la vie quotidienne de la communauté. Aux Juifs, il est demandé de ne pas surcharger les païens. En relation à l’élément déclencheur de l’assemblée de Jérusalem, les Juifs chrétiens sont implicitement priés de renoncer à exiger des païens devenant chrétiens, une pratique qui leur semblait importante (la circoncision), mais qui s’avère en réalité non essentielle à leur salut. Quant aux païens (comme les Juifs), ils sont exhortés à s’abstenir de certaines pratiques qui pouvaient leur être coutumières (impudicité, consommation de sacrifices aux idoles, de sang et de viande étouffée). Celles-ci non seulement choqueraient leurs frères juifs, mais seraient surtout contraires à l’identité nouvelle reçue de Dieu. Quand Dieu intervient pour sauver, il établit de façon inattendue une relation d’appartenance envers lui-même et envers les autres autour de la notion de peuple. Il mise aussi sur l’implication concrète de chacun – par des renoncements inattendus – pour le déploiement de cette alliance au quotidien. Le discours de Jacques en Ac 15,13-21 présente plusieurs affinités avec l’épître de Jacques, en particulier Ac 15,13-14 et Jc 2,5 : « Écoutez, mesfrèresbien-aimés [ἀκούσατε, ἀδελφοί μου ἀγαπητοί] : n’est-ce pas Dieu qui a choisi [οὐχ ὁ θεὸς ἐξελέξατο] que les pauvres aux yeux du monde [soient] riches par la foi et héritiers du royaume qu’il
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a promis à ceux qui l’aiment216 ? » Dans les deux cas, l’objet du discours est double : la reconnaissance croyante à l’égard de Dieu qui appelle à son royaume des gens surprenants, et la manifestation de la foi à travers les œuvres. Les Juifs qui deviennent chrétiens doivent-ils nécessairement continuer à pratiquer la circoncision et à observer l’ensemble de la Loi de Moïse ? La réponse est positive d’après deux passages qui sont situés après l’assemblée de Jérusalem et qui impliquent Paul : Ac 16,1-4 et 21,17-25. Ceci est aussi confirmé dans les Pseudo-clémentines217. En Ac 21,17-25, Paul revient à Jérusalem et passe chez Jacques en présence des anciens. Après avoir écouté son témoignage sur l’œuvre de Dieu auprès des païens par son entremise, ils rendent gloire à Dieu et, en même temps, sont préoccupés de la réaction possible des nombreux Juifs qui sont d’ardents partisans de la Loi (21,20). En effet, ceux-ci ont reçu l’information selon laquelle Paul « enseigne à tous les Juifs qui vivent parmi les païens d’abandonner Moïse, en leur disant de ne plus circoncire leurs enfants et de ne plus suivre les coutumes » (21,21). Les frères réunis chez Jacques inventent un stratagème. Il vise à ce que « tous reconnaissent qu’il n’y a rien [de fondé] dans les choses communiquées au sujet [de Paul], mais que lui aussi vit en observant la Loi » (21,24). Ils demandent à Paul d’accomplir sa purification rituelle218. Une telle attitude vise à affirmer que pour les membres juifs du mouvement chrétien, la Loi de Moïse demeure en vigueur, y compris ses nombreuses prescriptions de pureté rituelle219. À cette 216 Simon J. KISTEMAKER, Acts, p. 550. Toutefois, comme nous venons de le faire remarquer, l’exhortation « écoutez-moi » n’apparaît pas seulement en Ac 15,13 et en Jc 2,5, mais aussi en Mc 7,14 et en Ac 22,1. En outre, en Jc 2,5, le pronom génitif « moi [μου] » a plus de chances de porter sur le substantif « frères » que sur le verbe « écoutez ». 217 Dans Reconnaissances IX,28, la circoncision demeure un rite en vigueur pour les Juifs. Dans une introduction aux Homélies, il est également mentionné que seul un circoncis peut être admis à l’ordination. Voir Einar MOLLAND, « La circoncision, le baptême et l’autorité du décret apostolique (Actes XV,28 sq.) dans les milieux judéo-chrétiens des Pseudo-Clémentines », p. 10-11. 218 Comme il y avait bien des occasions pour les Juifs de devenir rituellement impurs, même à leur insu, la purification rituelle faisait partie de la routine dans la vie quotidienne. Les découvertes archéologiques de divers équipements pour la purification rituelle, en particulier les bains d’immersion, l’attestent. Voir Hayah KATZ, « “He Shall Bathe in Water; Then He Shall Be Pure”: Ancient Immersion Practice in the Light of Archaeological Evidence », in VetusTestamentum 62 (2012) 369-380, p. 372. 219 Daniel MARGUERAT – Emmanuelle STEFFEK, « Luc-Actes et la naissance du Dieu universel », p. 53-55.
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CHAPITRE III
même occasion, les anciens de Jérusalem rappellent les recommandations pratiques qui avaient été discernées pour les païens devenant chrétiens (21,25 ; par. 15,20). Un phénomène similaire se produit en Ac 16,1-4 quand Paul arrive à Derbé et à Lystres. Il y trouve « un disciple nommé Timothée, fils d’une Juive devenue croyante et d’un père qui était grec » (16,1). Comme Paul voyait en lui un compagnon de mission, il « le circoncit à cause des Juifs qui étaient dans ces lieux. Ils savaient tous, en effet, que son père était grec. » (16,3) Comme l’identité de Timothée est hybride et qu’il est appelé à accompagner Paul dans la mission pour aller de ville en ville « transmettre les décisions discernées par les apôtres et les anciens de Jérusalem, [en demandant aux païens devenant chrétiens] de s’y conformer » (16,4), leur message aurait été ambigu si Timothée n’avait pas été circoncis. En revanche, si un Juif du mouvement chrétien, dont le père est païen, a été circoncis par Paul, combien plus il importe à un Juif du mouvement chrétien, dont les parents sont tous les deux juifs, de l’être220. La reconnaissance de l’ἐπισκοπή divine en Ac garde un caractère inachevé à deux points de vue : la communication et le contenu. Au niveau de la communication, la déclaration théologique de Ac 15,14, qui était pourtant première dans le discours de Jacques, n’est pas rapportée dans la lettre officielle (15,23-29), ni communiquée d’une autre manière à l’ensemble de l’Église, de Jérusalem et d’ailleurs. Les directives pratiques sont communiquées sans leurs fondements théologiques. Au niveau du contenu, le lecteur peut remarquer plusieurs silences. Tout d’abord, contrairement au Paul du corpus paulinien, notamment en Ga 5 où la pratique de l’« impudicité [πορνεία] » et de l’« idolâtrie [εἰδωλολατρία] » (5,19) est rejetée, l’assemblée de Jérusalem n’a pas pris de position théologique explicite face à la Loi de Moïse et à ses prescriptions pratiques, ni formulé des exhortations positives. 14
Car la loi entière est accomplie en cette unique parole : Tuaimeraston prochaincommetoi-même. [cf. Lv 19,18] […] 18 Mais si vous êtes conduits par l’Esprit, vous n’êtes pas sous la loi. […] 22 Mais le fruit de l’Esprit est amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, 23 douceur, maîtrise de soi ; contre de telles choses, il n’y a pas de loi. (Ga 5,14.18.2223)
220
Isaac W. OLIVER, TorahPraxisafter70CE, p. 522.
L’ἐπισκοπή DISCERNÉE À JÉRUSALEM (AC 15,14)
355
L’absence de ces deux éléments dans le discours de Jacques – exhortations positives et positionnement théologique face à la Loi de Moïse – n’a pas permis de donner à sa déclaration théologique de Ac 15,14 toute son amplitude. Il y a non seulement deux branches dans le mouvement chrétien, les frères d’origine juive qui demeurent juifs et les frères d’origine païenne, mais aussi un système à deux vitesses : le statuquo de la Loi de Moïse demeure pour les Juifs chrétiens et des recommandations limitées sont en vigueur pour les païens devenant chrétiens221. À l’égard des Juifs chrétiens, comment continuer à légitimer d’un point de vue théologique la pertinence de l’ensemble de la Loi de Moïse, y compris ses prescriptions de pureté rituelle, sans l’exiger de la part des païens accueillis comme membres du peuple de Dieu ? Dans le temps pré-pascal, la « visite » de Dieu en Jésus, qui rétablit ses bénéficiaires dans la relation avec Dieu à travers la rémission des péchés et qui conduit à la paix véritable, n’a pas été reconnue. Elle a été proclamée partiellement à Naïn, quand Jésus ramena à la vie le fils unique d’une veuve. Il en va de même dans le temps post-pascal. La profession de la « visite » de Dieu en Jésus dans l’accueil des païens comme membres du peuple de Dieu garde un caractère incomplet : les païens comme les Juifs, qui adhèrent à la foi chrétienne constituentils un seul peuple de Dieu ? Le discours de Jacques ne l’affirme pas explicitement. En outre, les déclarations de Jacques, bien qu’empreintes d’une nouveauté non négligeable sur les plans théologiques et pastoraux, sont exprimées dans un langage qui demeure profondément juif où Jésus est absent, que ce soit sous un nom ou sous une image. La nouvelle conception du salut, comme rémission des péchés accessible à tous par le nom de Jésus (Ac 10,43), est surtout formulée par Pierre, mais non reprise explicitement par Jacques. En regard de ces différents silences, l’invitation à reconnaître l’ἐπισκοπή divine demeure ouverte222… 221
Jacob JERVELL, DieApostelgeschichte, p. 396. N’y a-t-il pas un parallèle avec la finale des Ac, en regard du parcours de l’évangélisation chrétienne ? Celui-ci avait été annoncé « jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1,8). Pourtant, dans le récit des Ac, il s’arrête à Rome. Marguerat interprète ce caractère inachevé comme une invitation et une promesse : « La chrétienté est assignée à un déploiement universel de l’évangélisation qui demeure pour elle une promesse, un défi, et non un acquis dont elle aurait la maîtrise. » Voir Daniel MARGUERAT – Emmanuelle STEFFEK, « Luc-Actes et la naissance du Dieu universel », p. 42. 222
356
CHAPITRE III
Bilan : la « visite » de Dieu comme appel à lui appartenir La singularité de Ac 15,13-21 ressort de son contexte, de son genre littéraire et de son contenu. Au centre des Ac, Luc a placé un discours, en forme de jugement délibératif, sur l’intervention salvifique de Dieu en faveur d’un ensemble de païens, avec des implications théologiques et pratiques. Parmi les différents chapitres du Nouveau Testament, Ac 15 se caractérise par une concentration des trois termes suivants : « nations/païens [ἔθνη au pluriel] », « église [ἐκκλησία] » et « peuple [λαός au singulier] ». Non seulement ces vocables se rencontrent en grand nombre, mais ils sont articulés d’une façon qui redéfinit les termes. Cela induit et révèle une transformation identitaire profonde. Lorsque Dieu « visite » et « appelleàlui [ἐπικαλεῖ τὸ ὄνομά αὐτοῦ] » qui il veut pour l’intégrer à son peuple, il outrepasse complètement les catégories sociales et religieuses jusque-là normatives. En sa nouveauté, cette action de Dieu pose le fondement de l’ἐκκλησία (où s’entend « l’appel » en grec), c’est-à-dire de l’Église. D’après les échos au discours de Jacques dans le livre des Actes, la pointe de sa déclaration est située dans les quatre directives qui sont mentionnées à trois reprises (Ac 15,20.29 ; 21,25). Elles visent l’harmonie avec Dieu, les êtres humains et les animaux. Cela éclaire le sens de la « visite » de Dieu. À travers elle, Dieu inaugure un ordre nouveau et, ce faisant, restaure son royaume, la tente de David. À première vue, Jacques adopte une disposition qui abroge la Loi de Moïse. En réalité, elle l’accomplit. Jacques propose une nouvelle conception du peuple de Dieu, qui suppose une pleine reconnaissance de la souveraineté de celui-ci. En Ac 15,14, la « visite » de Dieu présente un caractère inédit sous deux aspects. Dans l’œuvre de Luc, les précédentes « visites » signifiaient des bienfaits tangibles : avènement du Messie, manifesté dans la rémission des péchés et le don de la paix (Lc 1,68-79) ; envoi d’un grand prophète par lequel advient un retour à la vie (7,11-17). Ac 15,14, la dernière « visite » mentionnée chez Luc, consiste essentiellement en une nouvelle appartenance à Dieu. Cela requalifie profondément l’identité des bénéficiaires. Son appel s’adresse désormais largement à des païens. La proclamation de la « visite » de Dieu par Jacques manifeste l’émergence d’un nouveau regard sur des personnes jusque-là extérieures au peuple de Dieu et, par conséquent, sur ce peuple et sur Dieu lui-même.
L’ἐπισκοπή DISCERNÉE À JÉRUSALEM (AC 15,14)
357
Bien qu’elle constitue un accomplissement, la « visite » de Dieu reconnue en Ac 15,14 présente un caractère inachevé, car la déclaration théologique garde le silence sur le fait que les chrétiens, qu’ils soient d’origine juive ou païenne, forment unseul peuple de Dieu. Une incertitude demeure. Or les dispositions pratiques attestent un clivage : les païens devenus chrétiens vivront suivant un régime différent de celui auquel sont tenus les Juifs chrétiens. Cet inachèvement relatif laisse apparaître que la « visite » de Dieu se déploie sous un horizon toujours ouvert, au fil de l’histoire humaine. Une invitation est lancée aux lecteurs afin qu’ils reconnaissent à leur tour comment Dieu « visite » son peuple aujourd’hui, de façon créative et fidèle.
CONCLUSION
L’ἐπισκοπή DIVINE EN LC-AC : SENS, INTRIGUE ET PÉDAGOGIE Notre observation de départ fut de reconnaître que, parmi les évangélistes, Luc est le seul à parler de l’action de Dieu en termes de « visite ». Le motif de l’ἐπισκοπή divine est employé de façon limitée et significative, en quatre passages répartis à travers la structure de Lc-Ac : le Benedictus(Lc 1,68-79) dans les récits de l’enfance, la rencontre de Jésus avec la veuve de Naïn (7,11-17) durant le ministère en Galilée, les larmes de Jésus sur Jérusalem (19,41-44) lors de son arrivée ultime à l’entrée de la ville, et enfin, le discours de Jacques (Ac 15,14-21) à l’occasion de l’assemblée des apôtres et des anciens à Jérusalem. L’étude complète de ces péricopes permet de dégager plusieurs traits singuliers de la visite de Dieu en Lc-Ac sur différents plans : exégétique, littéraire et théologique. I. UNE INTERVENTION SALVIFIQUE Le sens lucanien de la visite de Dieu se distingue de la compréhension habituelle des termes « visite / visiter », ainsi que du témoignage de la Septante. Dans l’ensemble de la Bible, la visite de Dieu est attestée en grec par les verbes ἐπισκέπτομαι et ἐπισκοπῶ, ainsi que le substantif ἐπισκοπή. Après avoir parcouru l’ensemble de leurs 193 occurrences dans la Septante, indépendamment de leur sujet, nous avons perçu cinq catégories de sens : 1) examiner, éprouver, recenser ; 2) manifester sa bienveillance, prendre soin ; 3) punir, sévir ; 4) confier un mandat, désigner et 5) rendre visite (une seule mention en Si 7,35). Dans la Septante, quand Dieu est le sujet de l’action visée par ἐπισκέπτομαι / ἐπισκοπῶ / ἐπισκοπή, la dernière catégorie (« rendre visite ») n’est pas remplie. Le sens principal du vocabulaire lié à ἐπισκέπτομαι varie selon que l’être humain ou Dieu en est le sujet. Dans le premier cas, le sens de ce vocabulaire est axé sur la vision et l’inspection (première catégorie). Dans le second cas, l’attention est portée sur l’action de Dieu dans le parcours de vie des personnes (deuxième et troisième catégories). En Lc-Ac, le champ sémantique des termes ἐπισκέπτομαι et ἐπισκοπή en relation à l’action divine se rétrécit. Sur les quatre catégories
L’ἐπισκοπή DIVINE EN LC-AC : SENS, INTRIGUE ET PÉDAGOGIE
359
de sens qui ont été relevées pour l’ἐπισκοπή divine dans la Septante, seule la deuxième est considérée : chez Luc, quand Dieu “visite”, c’est toujours pour accorder une faveur. En revanche, trois élargissements se produisent. Tout d’abord, quant à l’objet de l’intervention, il ne se situe pas seulement au niveau matériel (socio-politique ou corporel), mais surtout sur le plan relationnel (rémission des péchés, paix et intégration au peuple de Dieu). Ensuite, parmi les destinataires des faveurs accordées ne figurent pas seulement des Juifs, mais aussi des païens. Enfin, Luc ne se limite pas à attester des visites divines, mais relève aussi un cas où l’une d’elles n’est pas reconnue (Lc 19,42-44). Au terme de notre étude, la traduction majoritaire d’ἐπισκέπτομαι / ἐπισκοπή en langues modernes par « visiter / visite », héritée de la Vulgate, ne rend pas justice au sens de ces deux mots par rapport à leur usage biblique. En effet, ἐπισκέπτομαι / ἐπισκοπή implique un pouvoir mis en œuvre dans le cadre d’une relation asymétrique. De plus, lorsque Dieu est sujet de ce verbe, l’action se joue dans un contexte existentiel et social où la vie et le salut de personnes sont en jeu. Concernant les cinq mentions d’une ἐπισκοπή divine en Lc-Ac, il est préférable de l’interpréter ainsi : « intervenir pour sauver / intervention salvifique ». II. UNE INTRIGUE DE L’ŒUVRE DE LUC Un trait original de l’ἐπισκοπή de Dieu chez Luc est son insertion dans une intrigue riche et complexe. Nous l’avons décelée dans le Benedictuset elle se déploie d’un passage à l’autre de la « visite » de Dieu. L’enjeu consiste à reconnaître, dans sa dimension la plus profonde, l’identité singulière de Jésus et l’originalité du type de salut que Dieu prodigue à travers lui. Nous reviendrons sur ce second aspect au point suivant. Chaque proclamation de la « visite » de Dieu est accompagnée, dans son contexte, de la déclaration d’un aspect singulier de l’identité de Jésus. Deux niveaux sont discernables dans la désignation de Jésus en son identité : de la part des protagonistes à l’intérieur des récits, en termes de reconnaissances ; de la part du narrateur, dans l’une des quatre péricopes, sous forme d’appellation. Au niveau des paroles de reconnaissance des acteurs du récit, les cinq occurrences de la « visite » de Dieu dessinent une trajectoire1. 1
Dans l’Ancien Testament, les attestations de la « visite » dont Dieu est le sujet demeurent ponctuelles, à l’exception de trois d’entre elles (Gn 50,24-25 ; Ex 13,19).
360
CONCLUSION
La première mention de la « visite » dans le cantique de Zacharie (Lc 1,68) et celle qui conclut la rencontre avec la veuve de Naïn (7,16) sont des reconnaissances pré-pascales du don de Dieu en Jésus. Celuici est identifié comme Messie davidique et grand prophète. Lors de l’ultime arrivée de Jésus à Jérusalem (Lc 19,44), le don de Dieu se heurte à un aveuglement qui provoque les larmes de Jésus. À première vue, cela semble paradoxal car, dans le contexte de cette péricope, l’aveugle de Jéricho et la multitude des disciples appellent Jésus « fils de David » (18,38.39), capable d’opérer des guérisons physiques, et « roi » (19,38) qui réalise des actions éclatantes à leurs yeux. Cependant, la seconde partie du cantique de Zacharie avait laissé entrevoir une autre issue, annonçant une seconde « visite », encore à venir (Lc 1,78), où serait manifesté un Messie divin. Le dévoilement se réalise à partir de l’exaltation de Jésus et du don de l’Esprit à la Pentecôte. D’ailleurs, lors de l’assemblée de Jérusalem, les apôtres et les anciens confessent le « Seigneur Jésus Christ » (Ac 15,26). Dans les quatre péricopes de la « visite » de Dieu en Lc-Ac, le narrateur se prononce une fois sur l’identité de Jésus en l’appelant « le Seigneur » (Lc 7,13). Le titre par lequel le narrateur, disposant déjà par anticipation d’une lucidité pascale, a désigné Jésus à Naïn est désormais intégré par les acteurs en Ac 15. L’intrigue lucanienne souligne combien la reconnaissance de la façon dont Dieu « visite » son peuple ne va pas de soi et advient sous le mode d’un processus ouvert. En définitive, elle suppose un accueil concret – transformateur – de l’Esprit Saint et, même alors, elle demeure toujours partielle. Cela est discernable sous deux angles. Tout d’abord, dans les deux attestations pré-pascales de la « visite » de Dieu, l’essentiel du salut n’est pas perçu : Jésus n’est pas confessé comme Christ et Seigneur ; la véritable paix qu’il est venu apporter n’est pas reçue. Ensuite, lors de l’assemblée de Jérusalem, un clivage demeure entre les Juifs chrétiens et les chrétiens d’origine païenne. L’hypothèse préliminaire au sujet de l’intrigue de l’ἐπισκοπή divine en Lc-Ac décelée dans le cantique de Zacharie s’avère maintenant confirmée. À l’horizon, « le chemin de la paix » (Lc 1,79) demeure en attente d’un achèvement complet. III. LA
PÉDAGOGIE DE
DIEU
Il est essentiel aux traditions juive et chrétienne de confesser que Dieu agit dans l’histoire passée et, plus spécifiquement, dans le cadre de
L’ἐπισκοπή DIVINE EN LC-AC : SENS, INTRIGUE ET PÉDAGOGIE
361
l’élection et de l’alliance. Il est toutefois difficile d’authentifier l’action de Dieu au présent. Il est aussi complexe d’élaborer une théologie ajustée des voies de Dieu. D’où l’intérêt d’un retour à l’un des corpus du Nouveau Testament, en l’occurrence celui de Luc, qui recourt à un langage spécifique pour décrire l’action de Dieu dans l’histoire du salut. Voici quelques traits caractéristiques de la « visite » de Dieu en Lc-Ac à travers lesquels se dégage sa pédagogie pour amener les êtres humains à reconnaître la profondeur du don octroyé en Jésus. L’ἐπισκοπή de Dieu en Lc-Ac exprime une facette particulière de l’action de Dieu. Son secours ultime est déployé dans deux types de contexte où l’être humain est confronté à ses limites : lors d’une détresse humainement irréversible – tel fut le cas de la veuve de Naïn en Lc 7 – ou face à l’incapacité des êtres humains à s’ouvrir à l’expression ultime du salut de Dieu. Pensons à l’oracle de jugement prononcé par Jésus contre Jérusalem (Lc 19,41-44), au contexte de l’assemblée de Jérusalem (Ac 15), ainsi qu’au décalage entre la première et la seconde partie du Benedictusen regard du salut. La rencontre de l’incapacité humaine constitue un trait propre à la théologie lucanienne de la « visite » de Dieu, introuvable dans la Septante et dans la littérature péritestamentaire. Dans un cas comme dans l’autre, l’ἐπισκοπή de Dieu reflète la compassion active de Dieu, ainsi que sa fidélité créative. À chaque visite reconnue, le salut advient à l’initiative de Dieu, sans demande préalable. Cela déjoue une précompréhension fréquente, construite sur le schéma dominant des rencontres de Jésus avec des personnes en détresse. Le Seigneur ne répond pas simplement aux cris et aux demandes, mais il arrive qu’il prenne les devants. La veuve de Naïn était sans parole devant son fils mis en terre. Les païens n’avaient aucune raison de se projeter dans l’alliance. Certes, Dieu accomplit des prophéties qui nourrissaient de grandes attentes – prophète comme Moïse, Messie davidique, restauration du royaume, avènement de la paix –, mais de façon déconcertante, voire bouleversante. En Lc-Ac, l’intervention salvifique de Dieu se réalise par des médiations. En Lc 7, dans le temps pré-pascal, Dieu agit manifestement par Jésus, comme maître de la vie ; en Ac 15, dans le temps post-pascal, par l’Esprit Saint répandu en interaction avec Jésus (Ac 2,33), comme maître de l’alliance. Il est possible de faire un pas de plus dans la qualification du rôle propre de Jésus à proximité de la « visite » de Dieu. Jésus est présent sur la scène de l’ἐπισκοπή divine comme une sorte de « Révélateur » dans la relation entre Dieu et l’humanité. Cela joue dans les deux sens. D’abord, de Dieu vers son peuple. En Lc 7, Jésus
362
CONCLUSION
est révélateur comme celui à travers qui l’action de Dieu s’accomplit. En Lc 19, il révèle, par mode de désignation, l’offre de paix que Jérusalem n’a pas reconnue. Ensuite, la fonction révélatrice de Jésus est opératoire du peuple vers Dieu. En Lc 19 et en Ac 15, les êtres humains accueillent ou non le don de Dieu dans la mesure où ils s’ouvrent ou non, par la foi, à Jésus Christ. Coordonnés avec ces médiations, les objets de l’intervention salvifique de Dieu sont les indices d’un développement dans la dispensation du salut et d’un cheminement dans la manière dont il est accueilli. Nous retrouvons ici le second volet de l’intrigue qui porte sur le type original de don prodigué par Dieu en Jésus. En Lc 1,68-75, le salut est d’abord proclamé comme une délivrance à l’égard des ennemis et un culte rendu à Dieu dans la justice et la sainteté. En Lc 1,76-79, il est annoncé sous forme de rémission des péchés et de chemin vers la paix. En Lc 7, il est proclamé lors d’un miracle physique, un retour à la vie. En Lc 19, il n’est pas reconnu dans ce qui conduit à la paix. En Ac 15, il est discerné dans l’élection par laquelle des païens deviennent peuple de Dieu. D’une “visite” réalisée à l’autre, le bienfait accordé par Dieu à l’être humain n’est plus seulement une faveur pour lui-même, mais un don qui le transforme et qui l’ouvre à une nouvelle dynamique relationnelle avec Dieu et avec les autres. De façon corollaire, l’accueil humain de ce don divin devient plus engageant et ne va pas de soi. Chez Luc, Dieu se fait particulièrement proche de personnes marquées par une forme de marginalisation ou d’abandon. Cela se vérifie à la fois pour les individus et pour les ensembles bénéficiaires de l’ἐπισκοπή. Par l’intervention de Dieu, ces personnes sont affranchies de situations fermées. La veuve de Naïn n’a plus besoin de pleurer. Les païens sont purifiés. En revanche, Jésus est rejeté. Il verse des larmes sur Jérusalem, car Dieu lui-même est tenu à distance, dans la mesure où sa « visite » n’est pas reconnue. L’ἐπισκοπή divine reconfigure les identités en présence et suscite des déplacements inattendus. Cela est particulièrement sensible en Lc 7 et en Ac 15. Lorsque Jésus entre dans l’action par laquelle la « visite » de Dieu se révèle à la porte de Naïn, le narrateur le désigne comme « le Seigneur » et le fils unique reçoit le titre de « jeune homme ». Les deux foules, qui cheminaient en sens opposés, deviennent un ensemble unifié qui se reconnaît comme peuple de Dieu. Dans la lettre des apôtres et des anciens qui conclut l’assemblée de Jérusalem, les Juifs chrétiens et des chrétiens d’origine païenne sont appelés « frères »
L’ἐπισκοπή DIVINE EN LC-AC : SENS, INTRIGUE ET PÉDAGOGIE
363
(15,23). De plus, des païens sont désormais accueillis comme « peuple de Dieu ». Dans les deux récits (Lc 7 ; Ac 15), le renouvellement des identités s’opère au niveau interpersonnel et au niveau collectif. Pour le discernement et l’authentification de la « visite » de Dieu, la parole des prophètes joue un rôle capital. Zacharie, les gens à Naïn et Jacques à Jérusalem proclament l’ἐπισκοπή divine en accueillant, au moins partiellement, le témoignage des prophètes ou de Jésus prophète. Dans les cas de Zacharie et de Jacques qui évoquent la parole des prophètes, il est flagrant qu’il ne s’agit pas d’une annexion des prophètes, mais d’un accueil transformateur qui ouvre une perspective nouvelle dans la relation à Dieu et aux autres. Après avoir écouté Pierre témoignant du don de l’Esprit Saint et de la purification des cœurs auprès des païens, Jacques reconnaît l’intervention salvifique de Dieu auprès d’eux, en s’appuyant sur la parole de Dieu transmise par les prophètes (Ac 15,15-18), comme le fit Zacharie (Lc 1,70). Acontrario, si la médiation de la parole prophétique est refusée, la « visite » de Dieu passe inaperçue ou est rejetée. Ce critère est vérifié non seulement, mutatismutandis, dans les quatre passages lucaniens où intervient l’ἐπισκοπή divine, mais aussi plus largement dans l’ensemble de l’œuvre de Luc. Plus que les autres évangélistes, Luc insiste sur deux aspects de la parole des prophètes : elle permet aux acteurs du récit – et pas seulement au narrateur – d’interpréter l’action inédite de Dieu dans le présent, et pourtant elle n’est pas toujours écoutée. Juste avant d’annoncer la « visite » du levant d’en haut (Lc 1,78), Zacharie présente le ministère prophétique de Jean comme une préparation aux chemins de Seigneur (1,76), « pour donner la connaissance du salut par la rémission des péchés » (1,77). Durant son parcours, Jean a prêché « un baptême de conversion en vue de la rémission des péchés » (3,3). En Lc-Ac, le baptême prêché par Jean constitue un point de référence non seulement temporel mais aussi qualitatif en relation avec la mission de Jésus2. Quant à l’oracle de jugement adressé par Jésus à Jérusalem (Lc 19,41-44), il a été précédé par deux paroles du même genre (13,34-35.45). Dans le troisième évangile, certains témoignages sporadiques (comme celui de Zacharie, des anges à la naissance, de Siméon, de la femme pécheresse) sont des anticipations de la reconnaissance du don unique de Dieu octroyé en Jésus, qui se réalise à partir de le Pentecôte. 2
Lc 3,16 ; 16,16 ; Ac 1,5 ; 1,22 ; 10,37 ; 11,16 ; 13,23-25 ; 19,4.
364
CONCLUSION
En Lc 1 et Lc 7, la compassion intervient comme le motif explicite de l’intervention de Dieu. Dans la seconde partie du cantique de Zacharie, la « visite » annoncée de l’astre d’en-haut s’accomplira « grâce aux entrailles de miséricorde de notre Dieu » (Lc 1,78). Lorsqu’il vit la veuve de Naïn, Jésus fut remué jusqu’aux entrailles et cela déclencha son action (7,13). En dehors des deux paraboles du bon Samaritain (10,33) et du père prodigue (15,20), Luc réserve le vocabulaire corporel de la compassion (σπλάγχνα / σπλαγχνίζομαι) à la sphère de la « visite » de Dieu (1,78 ; 7,13). Bien que le terme ne figure pas dans la troisième péricope, à l’approche de Jérusalem, « voyant la ville, [Jésus] pleura sur elle » (19,41). Comme nous l’avons montré, par sa parole de jugement sur la ville, Jésus va jusqu’au bout de la compassion dans une pleine intégration de la vérité et l’espérance d’un ultime repentir. De ses différents traits de l’intervention salvifique de Dieu en Lc-Ac, se dégage une pédagogie hors du commun, en particulier en raison des préparations, de la progressivité dans la dispensation du don et de la prise en compte créative de la fermeture, avec une compassion à toute épreuve. Notre étude suscite également de nouvelles questions à explorer. Parmi celles-ci, nous en retenons deux qui se situent en amont et en aval de Luc. Premièrement, nous avons soulevé certaines affinités entre la « visite » de Dieu chez Luc et celle qui est mentionnée dans quelques manuscrits de la mer Morte, en particulier 4Q521 (Apocalypsemessianique). Dans celui-ci, la « visite » de Dieu au temps messianique est mise en relation avec la réanimation des morts. Comment se présente l’ἐπισκοπή divine dans l’ensemble de la littérature juive péritestamentaire ? Quels sont les points de convergence et de divergence avec Luc ? Cela demeure à découvrir. Deuxièmement, le thème lucanien de la « visite » n’a pas donné lieu à un développement théologique comparable, par exemple, à celui du motif néotestamentaire de l’envoi qui est devenu en théologie le concept-clé de mission. Comment le motif de l’ἐπισκοπή divine a-t-il été reçu dans la littérature patristique ? L’horizon de l’ἐπισκοπή divine en Lc-Ac reste ouvert, tout comme celui de la recherche à son sujet.
ANNEXES ANNEXE 1. ÉQUIVALENTS HÉBRAÏQUES D’ἐπισκέπτομαι ET D’ἐπισκοπή DANS LA SEPTANTE * ἐπισκέπτομαι Catégories de sens
Nombre d’attestations dans la LXX1
Équivalent dans le TM
Temps de conjugaison dans la LXX
Personnes ou collectivités visées
examiner, enquêter, Nb (1), Ps (1), surveiller, éprouver, Si (2), Lm (1), passer en revue, etc. (6) Ez (1).
( פקד2) ( דרשׁ1) aucun2 (3)
passé (3), présent (1), futur (2).
peuple d’Israël (3), David (1), Edom (1), corps célestes (1).
intervenir pour punir, sévir, etc. (19)
Ex (1), Jb (1), Ps (2), Jr (13), Os (1), Za (1).
( פקד19)
passé (1), présent (1), futur (16), exhortatif 3 (1).
peuple d’Israël (12), chefs d’Israël (2), Shemayahu (1), nations (2), Edom (1), toute nation et tout royaume (1).
intervenir pour manifester sa bienveillance, prendre soin, etc. (23)
Gn (3), Ex (3), Rt (1), 1 S (1), Jdt (3), Ps (4), Si (2), Jr (2), Ez (2), So (1), Za (1).
( פקד16) ( בקר1) ( שׂושׂ1) aucun4 (5)
passé (7), présent (1), futur (9), exhortatif (6).
peuple d’Israël (16), Sarah (1), Anne (1), Judith (1), Jérémie (1), les justes (1), l’être humain (1), terre (1).
désigner, confier un mandat, etc. (2)
Nb (1), Esd (1). ( פקד2)
passé (1), exhortatif (1).
homme d’Israël (1) Cyrus (1).
rendre visite (0)
1 Nous avons repris les 153 mentions d’ἐπισκέπτομαι dans la LXX et avons sélectionné les 50 d’entre elles ayant pour sujet Dieu. Les chiffres entre parenthèses indiquent le nombre d’occurrences dans les livres mentionnés. 2 Trois mentions : deux en Si (2,14 ; 46,14), livre absent dans la Bible hébraïque, et une en Nb 16,5 où la LXX a un verbe en plus par rapport à la version du TM : Ἐπέσκεπται καὶ ἔγνω ὁ θεός / בּ ֶֹקר וְ י ַֹדע יְ הוָ ה. L’apparat critique de la BHS signale qu’en Nb 16,5, la version de la LXX est l’équivalent de בּ ַקּר וַ יֵּ ַדע. ִ La LXX a donc lu בקרcomme étant le verbe correspondant, alors que le TM l’a interprété comme un substantif ( בּ ֶֹקר: matin). 3 L’« exhortatif » désigne les passages où le verbe ἐπισκέπτομαι exprime une demande. 4 Trois occurrences en Jdt et deux en Si, deux livres absents dans la Bible hébraïque.
366
ANNEXES
* ἐπισκοπή Catégories de sens
Nombre d’attestations dans la LXX5
Équivalent dans le TM
Temps de conjugaison dans la LXX
Personnes ou collectivités visées
enquête, revue, recensement, etc. (4)
Nb (1), Pr (1), Jb (2).
( פקד2) ( אור1) ( ְפּ ֻק ָדּה1)
passé (0), présent (1), futur (3).
peuple d’Israël (1), Job (1), êtres humains (2).
intervention pour punir, sévir, etc. (9)
Sg (2), Sir (1), Jr (2), Is (4).
( פקד4) ( ְפּ ֻק ָדּה2) aucun6 (3)
passé (0), présent (0), futur (9).
peuple d’Israël (2), idoles d’Israël (1), Jérusalem (1), nations (2), habitants de Sodome (1), Tyr (1), création entière (1).
intervention pour Jb (6), Sg (4), manifester sa Si (1), Ez (1). bienveillance, etc. (12)7
( ְפּ ֻק ָדּה1) ( סוֹד1) ( ָצפוּן1) aucun8 (9)
passé (4), présent (2), futur (6).
peuple d’Israël (2), Job (3), justes / saints (3), êtres humains (4).
charge, fonction (0) rendre visite (0)
5
Nous avons repris les 36 mentions d’ἐπισκοπή dans la LXX et avons sélectionné les 25 d’entre elles ayant pour sujet Dieu. Les chiffres entre parenthèses indiquent le nombre d’occurrences dans les livres mentionnés. 6 Trois mentions : deux en Sg (14,11 ; 19,15) et une Si (16,18), deux livres absents dans la Bible hébraïque. 7 Ne sont pas prises en considération les 4 mentions où ἐπισκοπή est aussitôt suivi d’ἐπισκέπτομαι (Gn 50,24.25 ; Ex 3,16 ; 13,19) qui reflètent une construction propre à l’hébreu biblique, car celles-ci sont déjà comptabilisées dans les occurrences du verbe ἐπισκέπτομαι en Lc 7,16. 8 Quatre occurrences : trois en Sg (2,20 ; 3,7.13 ; 4,15) et une en Si (34,6), deux livres absents dans la Bible hébraïque, et quatre attestations en Jb (6,14 ; 24,12 ; 34,9 bis) dont la version de la LXX diffère du TM.
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ANNEXES
ANNEXE 2. « QUIEST-IL,CELUI-CI [τίς ἐστιν οὗτος] ? », SEPT ÉTAPES EN LC PremièreprédicationàNazareth Lc 4,22
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« N’est-ilpas[le]filsdeJoseph,celuici [οὐχὶ υἱός ἐστιν Ἰωσὴφ οὗτος] ? » Paralytiqueguérietpardonné Lc 5,21
Mc 2, 7 (différent)
Mt 9,3 (différent)
« Quiest-il, celui-ci [τίς ἐστιν οὗτος] « Pourquoicelui-ciparle-t-ilainsi [τί qui blasphème ? Qui peut remettre les οὗτος οὕτως λαλεῖ] ? Il blasphème. « Celui-ci blasphème [οὗτος péchés, sinon Dieu seul ? » Qui peut remettre les péchés, sinon βλασφημεῖ]. » Dieu seul ? » Pécheressepardonnée Lc 7,49
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« Qui est celui-ci [τίς οὗτός ἐστιν], qui remet même les péchés ? » Tempêteapaisée Lc 8,25
Mc 4,41
Mt 8,27
« Quidoncest celui-ci [τίς ἄρα οὗτός « Quidoncest celui-ci [τίς ἄρα οὗτός « Quel est celui-ci [ποταπός ἐστιν], qu’il ordonne même aux vents ἐστιν], que même le vent et la mer lui ἐστιν οὗτος], que même les et à l’eau ? » obéissent ? » vents et la mer lui obéissent ? » Hérode Lc 9,9
Mc 6,16 (différent)
Mt 14,2 (aucune mention parallèle)
« Jean, moi, je [l]’ai décapité ; « Jean, que moi j’ai décapité, qui est donc celui-ci [τίς δέ ἐστιν celui-ci fut réveillé [οὗτος ἠγέρθη]. » οὗτος] à propos de qui j’entends [dire] de telles choses ? » Zachée Lc 19,3
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« Et [Zachée] cherchait à voir qui est Jésus [Ἰησοῦν τίς ἐστιν] […] » Questiondesgrandsprêtres,scribesetanciens 9 Lc 20,2
Mc 11,28 (différent)
Mt 21,23 (différent)
« Dis-nous par quelle autorité tu fais « Par quelle autorité fais-tu cela ? « Par quelle autorité fais-tu cela ? cela, ou qui est-ce [τίς ἐστιν] qui t’a Ou qui t’a donné [τίς σοι ἔδωκεν] Et quit’adonné [τίς σοι ἔδωκεν] donné [ὁ δούς σοι] cette autorité ? » cette autorité, que tu le fasses ? » cette autorité ? » 9 Dans les parallèles de Mc 11,28 et de Mt 21,23, le sens est similaire à Lc 20,2, sans toutefois contenir la formule τίς ἐστιν qui accentue la question, à la suite des autres interrogations de même style.
ABRÉVIATIONS ET CONVENTIONS Toutes les citations de textes en langues anciennes sont traduites par nous, sauf mention contraire. Les verbes grecs contractes sont typographiés sous la forme contractée, sauf dans les références à des articles de dictionnaire. Lorsqu’une référence bibliographique est répétée dans les notes de bas de page, elle est formulée au complet la première fois, puis abrégée. AGJU A.T. BETL BHS BZNW GCS GNT5 HNT HTKNT KEK LXX N.T. NTG28 ÖTKNT TM WUNT ZNW ZTK
Arbeiten zur Geschichte des Antiken Judentums und des Urchristentums Ancien Testament Bibliotheca Ephemeridum Theologicarum Lovaniensium Biblia Hebraica Stuttgartensia Beihefte zur Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft Die griechischen christlichen Schriftsteller der ersten [drei] Jahrhunderte Barbara ALAND – Kurt ALAND et al. (éds.), The Greek New Testament, Stuttgart, Deutsche Bibelgesellschaft, 20145. Handbuch zum Neuen Testament Herders theologischer Kommentar zum Neuen Testament Kritisch-exegetischer Kommentar über das Neue Testament Septuaginta Nouveau Testament Barbara ALAND – Kurt ALAND etal. (éds.), NovumTestamentumGraece[Nestle–Aland], édition revue, Stuttgart, Deutsche Bibelgesellschaft, 201228. Ökumenischer Taschenbuchkommentar zum Neuen Testament Texte massorétique Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft und die Kunde der älteren Kirche Zeitschrift für Theologie und Kirche
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GÉNÉRAUX ET DE CONSULTATION
4.1. Concordances et grammaires Martin G. ABEGG – James E. BOWLEYetal., TheDeadSeaScrollsConcordance, Leiden – Boston MA, Brill, 2003-2010, 3 vols. Félix-Marie ABEL, Grammairedugrecbiblique (Études bibliques. Ancienne Série, 21), Paris, Gabalda, 1927. ACCORDANCE 12.2.6, Concordance de la BHS, de la LXX, de la NA28, des manuscrits de Qumran, des pseudépigraphes d’Ancien Testament (grecethébreu),desécritsdeFlaviusJosèpheetdesouvragesdePhilon d’Alexandrie, Altamonte Springs FL, OakTree Software (logiciel biblique), 2018. Friedrich BLASS – Albert DEBRUNNER et al., AGreekGrammaroftheNew Testament and Other Early Christian Literature: A Translation and RevisionoftheNinth-TenthGermanEditionIncorporatingsupplementaryNotesofA.Debrunner, Cambridge – Chicago, Cambridge University Press – University of Chicago Press, 1961. Albert-Marie Denis – Yvonne JANSSENS, Concordancegrecquedespseudépigraphes d’Ancien Testament : concordance, corpus des textes, indices, Louvain, Université Catholique de Louvain, 1987. Buist M. FANNING, Verbal Aspect in New Testament Greek (Oxford Theological Monographs), London, Oxford University Press, 1990. Edwin HATCH – Henry A. REDPATH et al., AConcordancetotheSeptuagint andtheotherGreekversionsoftheOldTestament(includingtheApocryphalbooks), Grand Rapids MI, Baker, 19982. Paul JOÜON, AGrammarofBiblicalHebrew (Subsidia Biblica, 27), traduit par Takamitsu MURAOKA, Roma, Pontificio Istituto Biblico, 2008. Gerhard LISOWSKY – Hans-Peter RÜGER, Konkordanz zum Hebräischen Alten Testament : nach dem von Paul Kahle in der Biblia Hebraica ediditRudolfKittelbesorgtenMasoretischenText,unterverantwortlicher Mitwirkung von Leonhard Rost, Stuttgart, Deutsche Bibelgesellschaft, 19933. William F. MOULTON – Alfred S. GEDENetal., AConcordancetotheGreek Testament, Edinburgh, T. & T. Clark, 20026. J. Harris MURRAY, PrepositionsandTheologyintheGreekNewTestament: AnEssentialReferenceResourceforExegesis, Grand Rapids MI, Zondervan, 2012.
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INDEX DES AUTEURS I. AUTEURS
HIPPOCRATE 109, 374 HIPPOLYTE DE ROME 105, 374
AMBROISE DE MILAN 17 ARISTOPHANE 105, 373 AUGUSTIN D’HIPPONE 17 CÉBÈS DE THÈBE 305, 374 CLÉMENT D’ALEXANDRIE 105, 374 CYRILLE D’ALEXANDRIE 17, 72, 90, 374 DIDYME L’AVEUGLE 17 DION CASSIUS 233, 374
IRÉNÉE
LYON
DE
FLAVIUS JOSÈPHE 6, 68, 69, 124, 146, 156, 158, 168, 184, 185, 188, 199, 203, 219, 221, 222, 224, 253, 254, 275, 305, 371 17
HÉSYCHIUS DE JÉRUSALEM 17 II. AUTEURS ABEGG, M. G. 94, 138, 370, 388 ABEL, F.-M. 57, 73, 74, 205, 388 ABOGUNRIN, O. 211, 375 ACHELIS, H. 105, 374 ACHTEMEIER, P. J. 41, 99, 123, 124, 158, 384 ALAND, B. 1, 16, 36, 168, 276, 277, 345, 369, 370 ALAND, K. 1, 16, 36, 168, 276, 277, 345, 369, 370 ALDEN, R. L. 170 ALETTI, J.-N. 218, 384 ALLARD, M. 284, 384 ALLEGRO, J. M. 23, 138, 320, 370 ALLISON, D. C. 12, 82, 111, 147, 385 AMICO, J. L. D’ 62, 381 ANASTASSIOU, A. 109, 374
17, 277, 349, 379
JEAN CHRYSOSTOME JÉRÔME 6, 17 ORIGÈNE
ÉPHREM LE DIACRE 113, 374 ÉSOPE 105, 374 EURIPIDE 105, 374
GRÉGOIRE DE NYSSE
ANCIENS
297, 374
105, 374
PHILON D’ALEXANDRIE 6, 184, 199, 200, 219, 221, 222, 234, 235, 275, 372 PLATON 203, 374 PLUTARQUE 68, 69, 374 POLYBE 68, 69 PROCLUS DE CONSTANTINOPLE 17 STRABON VIRGILE
156, 375 19, 375
XÉNOPHON
221, 375
MODERNES
ANDERSEN, F. I. 74, 314, 378 ANDERSON, A. A. 23, 138, 320, 370 ARNALDEZ, R. 222, 372 ATTRIDGE, H. W. 70, 378 AUFFRET, P. 379 AUNE, D. E. 199, 253, 378, 387 BAGATTI, B. 170, 381 BAHAT, D. 200, 389 BAILLY, A. 68, 237, 241, 322, 389 BAKER, E. W. 29, 385 BALENTINE, S. E. 156, 389 BALZ, H. 195, 312, 389 BARCLAY, J. M. G. 124, 371 BARRETT, C. K. 176, 320, 328, 332, 334, 377, 385 BAUCKHAM, R. J. 339, 340, 385
392
INDEX DES AUTEURS
BAUMGARTEN, J. M. 23, 320, 325, 370 BAUMGARTNER, W. 389 BEALE, G. K. 58, 376 BEAUCHAMP, P. 142, 385 BECKAERT, A. 222, 372 BEN-DOV, M. 200, 389 BENOÎT, P. 18, 72, 369, 379 BERLIN, A. 78, 378 BERTRAM, G. 114, 322 BEYER, H. W. 9 BLASS, F. 2, 205, 388 BLENKINSOPP, J. 317, 378 BLOMBERG, C. L. 50, 51 BLUM, L. 124, 371 BOCK, D. L. 25, 26, 74, 88, 91, 96, 131, 140, 147, 157, 158, 211, 264, 350, 375, 377 BOCKMUEHL, M. N. A. 283, 334, 385 BOISMARD, M.-É. 72, 297, 369, 377 BOISSEVAIN, U. P. 233, 374 BONS, E. 222, 372 BONSIRVEN, J. 98, 370 BONWETSCH, N. 105, 374 BORG, M. J. 254, 381 BORNKAMM, G. 154 BOSSUYT, P. 293, 339, 377 BOURQUIN, Y. 12, 387 BOVON, F. 25, 26, 60, 86, 90, 99, 110, 123, 126, 131, 137, 141, 157, 159, 176, 206, 223, 224, 235, 246, 254, 373, 375 BOWKER, J. W. 288, 332, 384 BOWLEY, J. E. 388 BREYTENBACH, C. 324, 383 BRODIE, T. L. 81, 136, 157, 380, 384 BROMILEY, G. W. 9, 22, 65, 73, 90, 97, 106, 107, 114, 130, 154, 184, 195, 224, 298, 313, 322, 389 BROOKE, G. J. 124, 138, 222, 370, 385 BROWN, J. K. 45, 51, 191, 389 BROWN, R. E. 18, 379 BROWNLEE, W. H. 188, 371 BRUCE, F. F. 351, 377 BÜCHSEL, H. M. F. 298 BULTMANN, R. 51, 65, 176, 177, 252, 386 BURNET, R. 270, 280, 290, 297, 350, 386 BURROWS, M. 85, 138, 188, 371 BUTTICAZ, S. 281, 286, 311, 319, 331, 338, 350, 384 BUTTRICK, G. A. 389
CALLAN, T. 338, 382 CAMPBELL, D. K. 54, 137, 176, 380, 381 CANCIK, H. 277, 386 CARREZ, M. 50 CARROLL, J. T. 95, 131, 137, 232, 375 CARROLL, S. T. 164 CARSON, D. A. 58, 376 CASEVITZ, M. 276, 369 CHABOT, J.-B. 72, 374 CHAMBRY, É. 68, 105, 374 CHARLESWORTH, J. H. 29 CHILTON, B. D. 339, 385 CHRISTENSEN, D. L. 310 CLEMENTS, R. A. 125, 385 CLINES, D. J. A. 68, 378 CLIVAZ, C. 379 COHEN-ARAZI, A. 342, 372 COLLINS, J. J. 222, 370 COMFORT, P. W. 17, 219, 370 COOK, E. M. 138, 370 COULON, V. 105, 373 COULOT, C. 193, 382 CRIMELLA, M. 193, 211, 375, 381 DAHL, N. A. 281, 313, 382, 384 DE SANTIS, M. 131, 137, 159, 162, 380 DEBRUNNER, A. 2, 205, 388 DELEBECQUE, É. 5, 32, 67, 75, 205, 212, 276, 375, 377, 382 DENAUX, A. 9, 10, 173, 381, 383 DENIS, A.-M. 126, 336, 373, 388 DESCAMPS, A. 90, 384 DETTWILER, A. 379 DHAYNAUT, N. 81, 380 DILLON, R. J. 25, 26, 379 DODD, C. H. 253, 381 DOGNIEZ, C. 276, 369 DONAHUE, D. J. 149, 386 DORIVAL, G. 6, 370 DORMEYER, D. 265, 375 DUNN, J. D. 281, 377 DUPONT, J. 90, 137, 145, 160, 164, 311, 313, 317, 320, 321, 324, 380, 381, 382 DUPONT-SOMMER, A. 148, 219, 371 DURAND, E. 284, 384 ECKEY, W. EHRMAN, B. ELLIGER, K. ELLIS, E. E.
262, 375 D. 16, 370 1, 369 176, 385
393
INDEX DES AUTEURS
ELLIS, I. M. 278, 382 ESHEL, E. 86, 371 ESHEL. H. 86, 371 EVANS, C. A. 185, 188, 339, 385, 386 FANNING, B. M. 104, 388 FARMER, W. R. 211, 375 FELDMAN, L. H. 158, 371 FITZGERALD, J. T. 305, 374 FITZMYER, J. A. 9, 22, 24, 25, 26, 32, 51, 75, 90, 92, 93, 101, 103, 110, 116, 117, 123, 124, 131, 137, 157, 161, 169, 188, 194, 206, 224, 235, 252, 253, 297, 319, 328, 350, 375, 377 FLACELIÈRE, R. 68, 374 FLICHY, O. 379 FLORENTINO, G. M. 28, 373 FOCANT, C. 51, 253, 254, 376, 379, 381 FREEDMAN, D. N. 29, 71, 74, 156, 164, 169, 170, 236, 252, 283, 310, 314, 378, 389 FREEDMAN, H. 94, 371 FRIEDRICH, G. 90, 183, 322, 389 FRY, E. 7, 383 GAFNER, P. 100, 380 GARLAND, D. E. 25, 74, 99, 103, 123, 137, 156, 206, 214, 223, 235, 376 GASTON, L. 215, 382 GATHERCOLE, S. J. 379 GAVENTA, B. R. 350, 377 GEDEN, A. S. 388 GELSTON, A. 313, 386 GEOLTRAIN, P. 126, 373 GEORGE, A. 73, 90, 384 GERBER, D. 18, 193, 211, 254, 382 GIRARD, M. 184, 386 GLEIT, H. 170, 389 GLENNY, W. E. 313, 320, 329, 382, 386 GOH, M. 157, 389 GOREZ, J. 222, 372 GOURGUES, M. 19, 43, 45, 110, 281, 284, 310, 329, 351, 377, 384, 386 GRÄSSER, E. 176, 317, 382, 385 GRAY, R. 124, 386 GREEN, J. B. 45, 51, 114, 191, 250, 264, 376, 389
114, 224,
380,
339,
152, 379,
223,
GREGG, J. A. F. 105, 374 GRELOT, P. 148, 384 GRILLET, B. 221, 370 HALL, R. G. 283 HALLEUX, A. DE 90, 384 HAMIDOVIĆ, D. 320, 325, 344, 371 HAMILTON, V. P. 343, 378 HARBARTH, A. 74, 380 HARL, M. 146, 340, 343, 370 HARLÉ, P. 340, 343, 370 HARRINGTON, D. J. 137, 162, 223, 264, 376 HARTMAN, L. 312 HATCH, E. 388 HATZFELD, J. 221, 375 HAUCK, F. 114 HAYES, C. E. 284, 386 HAYS, R. B. 10, 11, 12, 77, 82, 89, 93, 111, 147, 386 HEARD, W. J. 170 HENDIN, D. 156, 386 HENDRICKX, H. 112, 380 HENDRIKSEN, W. 211, 376 HOLLAND, T. A. 169 HOLLANDER, H. W. 23, 266, 371 ISACHAR, H.
170, 389
JANSSENS, Y. 53, 388 JERVELL, J. 281, 311, 319, 341, 355, 377, 384 JOHNSON, L. T. 137, 162, 223, 264, 297, 311, 320, 376, 377 JONES, D. R. 379 JONES, F. S. 333, 373 JONES, H. S. 227, 389 JONES, R. N. 71 JONGE, M. DE 23, 266, 371 JONGELING-VOS, G. J. 389 JOOSSE, K. 81, 150, 157, 380 JOUAN, F. 105, 374 JOUANNA, J. 109, 374 JOÜON, P. 144, 388 JULL, A. J. T. 149, 386 KATZ, H. 353, 386 KEENER, C. S. 74, 98, 257, 376 KEITH, P. 18, 380 KEPLER, T. S. 389 KETKO, S. 200, 389 KING, P. J. 236
394
INDEX DES AUTEURS
KINMAN, B. R. 257, 382 KISTEMAKER, S. J. 283, 319, 353, 377 KITTEL, G. 9, 22, 65, 73, 97, 106, 107, 114, 130, 154, 195, 224, 298, 313, 389 KLAWANS, J. 285, 347, 386 KLIJN, A. F. J. 345, 382 KLINGHARDT, M. 346, 382 KÖHLER, L. 389 KOLB, F. 277, 386 KÖSTER, H. 90 KRODEL, G. A. 283, 336, 377 KSELMAN, J. S. 29 KUNTZMANN, R. 148, 222, 372, 384 LA POTTERIE, I. DE 90, 384 LAGRANGE, M.-J. 73, 75, 92, 99, 101, 111, 139, 157, 158, 195, 205, 206, 212, 376 LAMBRECHT, J. 379 LAMOUILLE, A. 297, 377 LAURIE, G. 243, 258, 382 LE BOULLUEC, A. 146, 370 LE MOIGNE, P. 370 LEFÈBVRE, P. 229, 387 LELOIR, L. 113, 374 LÉON-DUFOUR, X. 50, 73, 384, 387 LESTIENNE, M. 221, 370 LEVINE, A.-J. 69, 254, 376 LIDDELL, H. G. 226, 389 LINDE, D. M. VAN DE 90, 381 LIPSIUS, R. A. 52, 373 LISOWSKY, G. 388 LOVINFOSSE, M. DE 15, 37, 124, 141, 150, 284, 380, 383, 384, 385 LUKKEN, G. 81, 150, 157, 380 LYNGDOH, C. P. 25, 384 MACCHI, J.-D. 180, 378 MAGNESS, J. 253, 387 MALET, A. 176, 177, 386 MANNS, F. 141, 380 MARGOT, J.-C. 6, 384 MARGUERAT, D. 12, 51, 103, 137, 182, 310, 311, 315, 322, 336, 350, 351, 353, 355, 376, 377, 385, 387 MARLER, S. 20, 371 MARSHALL, I. H. 25, 26, 38, 69, 74, 90, 97, 99, 123, 137, 140, 153, 154, 157, 170, 206, 224, 319, 347, 349, 376, 377 MARUANI, B. 342, 372
MCCOWN, C. C. 59, 387 MCEVENUE, S. 211, 375 MCKENZIE, R. 227, 389 MEEK, J. A. 313, 315, 320, 330, 334, 385 MEIER, J. P. 31, 266, 285, 347, 387 MENDOZA, C. 62, 381 MENKEN, M. 87, 385 MERGUI, M. 145, 316, 372 MERK, O. 317, 382 METZGER, B. M. 16, 17, 36, 168, 276, 370 MEYNET, R. 25, 45, 91, 114, 173, 187, 223, 231, 376 MIGNE, J.-P. 105, 374 MILGROM, J. 343, 378 MILIK, J. T. 23, 170, 320, 325, 370, 381 MIMOUNI, S. C. 21, 281, 387 MOLENGRAFT, J. VAN DE 81, 380 MOLLAND, E. 332, 335, 342, 353, 382 MONDÉSERT, C. 105, 374 MONTANARI, F. 157, 203, 226, 255, 298, 301, 389 MONTFAUCON, B. DE 297, 374 MORRIS, L. 123, 137, 235, 246, 376 MOULTON, W. F. 388 MÜLLER, C. 156, 375 MURAOKA, T. 144, 388 MURPHY, F. J. 156 MURRAY, J. H. 287, 322, 388 NETZER, E. 169, 252 NEUBRAND, M. 297, 312, 320, 383 NEUSNER, J. 94, 372 NIEMAND, C. 152, 384 NODET, É. 146, 156, 187, 371, 382 NOLLAND, J. 51, 69, 90, 99, 103, 106, 107, 123, 137, 153, 157, 206, 211, 223, 224, 233, 257, 264, 376 NORELLI, E. 126, 373 OAKES, P. 338, 383 OBIORAH, M. J. 51, 66, 114, 137, 380 OEPKE, A. 106, 130 OLIVER, I. W. 281, 285, 334, 347, 349, 354, 385 OLMSTEAD, W. G. 191 OSBORNE, T. P. 18, 243, 376, 380 PAGE, F. S. 314, 378 PANIER, L. 81, 380 PAO, D. W. 58, 96, 136, 137, 250, 376
INDEX DES AUTEURS
PARRY, D. W. 149, 372 PARSONS, M. C. 74, 114, 137, 150, 165, 169, 172, 206, 211, 376 PATON, W. R. 68, 374 PAUL, S. M. 9, 53, 54, 69, 74, 91, 106, 152, 155, 378 PAULO, P.-A. 324, 383 PELLETIER, A. 69, 200, 222, 371, 372 PERVO, R. I. 319, 377 PESCH, R. 243, 376 PHILONENKO, M. 148, 219, 371 PICHON, R. 19, 375 PIXNER, B. 170, 387 PLASSART, A. 105, 374 POLHILL, J. B. 320, 347, 351, 377 POUDERON, B. 379 PRICE, R. 203, 389 PRIETO, C. 98, 145, 380 PUECH, É. 138, 139, 148, 149, 160, 222, 372 QIMRON, E. 28, 373 QUAST, U. 343, 369 RABIN, C. 373 RADERMAKERS, J. 293, 339, 377 RAHLFS, A. 1, 369 RAINEY, A. F. 156 RALPH, M. 156, 371 RAPP, D. 170, 389 READ-HEIMERDINGER, J. 297, 383 REDPATH, H. A. 388 REHM, B. 333, 334, 373 REICKE, B. I. 253, 254, 387, 389 REINACH, T. 124, 371 REMAUD, M. 145, 387 RENGSTORF, K. H. 195 RICHARD, E. 324, 383 RICHARDSON, M. E. J. 389 RICO, C. 102, 389 RIES, J. 53, 388 RINDOŠ, J. 26, 380 RIUS-CAMPS, J. 297, 383 RIVAUD, A. 203, 374 ROCHAIS, G. 90, 107, 137, 157, 381 ROGERS III, C. L. 100, 131, 313, 376 ROGERS JR. C. L. 100, 131, 313, 376 ROLOFF, J. 311, 377 RÖMER, T. C. 180, 378 ROST, L. 388, 389 ROWE, C. K. 257, 265, 308, 385 RUBINSTEIN, C. T. 200, 389
395
RUDOLF, W. 1, 369 RÜGER, H.-P. 388 SAKENFELD, K. S. 156, 389 SALLER, S. J. 170, 382 SANDEVOIR, P. 146, 370 SAVINEL, P. 222, 372 SCHENKER, A. 369 SCHLIER, H. 22 SCHMIDT, K. L. 313 SCHNABEL, E. J. 58, 96, 136, 137, 250, 290, 319, 350, 376, 378 SCHNEIDER, G. 195, 312, 350, 378, 389 SCHNEIDER, J. 97 SCHNYDER, C. 112, 381 SCHRAGE, W. 183 SCHROEDER, C. 157, 389 SCHRÖTER, J. 324, 383 SCHÜRMANN, H. 137, 157, 376 SCHWARTZ, D. R. 125, 385 SCOTT, R. 226, 389 SEEMAN, C. J. 156, 390 SILVA, M. 170, 390 SIMON, M. 94, 371 SMEESTERS-LELUBRE, A. 19, 387 SMITH, B. K. 314, 378 SMOTHERS, E. R. 297, 383 SPERBER, A. 78, 314, 321, 369 STÄHLIN, G. 90, 224 STAUFFER, E. 73, 107 STEFFEK, E. 51, 103, 137, 310, 338, 340, 350, 353, 355, 376, 383, 385 STEIN, R. H. 137, 147, 157, 169, 188, 224, 233, 264, 376 STEINER, A. 112, 381 STEYN, G. J. 324, 383 STOWASSER, M. 325, 383 STRAUSS, M. L. 320, 325, 385 STRECKER, G. 333, 334, 344, 373 STUART, D. 314, 378 SUKENIK, E. L. 23, 373 TAIT, M. 338, 383 TALBERT, C. H. 283, 350, 378 TANNEHILL, R. C. 351, 385 TAYLOR, J. 334, 338, 339, 378, 383 TAYLOR, V. 51, 387 THACKERAY, H. S. J. 253, 371 TIGAY, J. H. 66, 378 TISSERANT, E. 126, 373 TOLEDO LEDEZMA, E. A. D. 61, 62, 381 TREVER, J. C. 85, 138, 188, 371
396 ULRICH, E.
INDEX DES AUTEURS
149, 372
VAN CANGH, J.-M. 53, 388 VAN DAELE, H. 105, 373 VERMEYLEN, J. 137, 180, 186, 378, 379, 387 VEYRON-MAILLET, M.-L. 100, 108, 131, 159, 381 VIELHAUER, P. 380 VIER, F. 90, 380 VOGELS, W. 67, 74, 340, 379, 381 VOIGT, S. 90, 380 WALBANK, F. W. 68, 374 WALLACE, D. B. 92, 97, 205, 389
WATTS, J. D. W. 111, 251, 379 WÉNIN, A. 379 WEVERS, J. W. 343, 369 WHITE, L. M. 305, 374 WILLIAMS, D. J. 350, 378 WILLIMON, W. H. 351, 378 WILSON, S. G. 339, 385 WITHERINGTON, B. 290, 328, 334, 339, 378 WOLTER, M. 18, 25, 26, 90, 137, 150, 172, 195, 212, 224, 254, 265, 376 ZIEGLER, J. 324, 326, 369 ZVI BRETTLER, M. 69, 78, 254, 376, 378
INDEX DES RÉFÉRENCES Lorsqu’une référence intervient seulement dans les notes de bas de page, le numéro de la page est indiqué en caractères italiques. Les quatre péricopes (Lc 1,68-79 ; 7,1117 ; 19,41-44 ; Ac 15,13-21) qui délimitent l’objet de l’étude ne sont pas recensées dans cet index, car elles sont omniprésentes à travers l’ouvrage. I. BIBLE 1. Ancien Testament Genèse 1,3 1,6 1,9 1,14 2,16-17 6,1-4 6,11 6,13 6,17 9,2-3 9,3-7 9,4 9,4-6 9,6 9,8-17 11,1-9 11,5 17,10-13 17,14 17,19 18,1-16 18,10 18,14 18,23-25 18,28-32 19,13-14 19,24 20,7 21,1 22,2 22,12 22,16 23,10 23,18 24,2 24,7
235 235 235 235 343 342 342 342 242 343 338 341 341, 343, 345 341 341 194 167, 194 335 335 335 10 323 323 242 242 242 242 78 7, 8 73 73 73 66 66 302 302, 303
24,40 25,8 25,17 30,23 34,20 34,24 35,29 40,23 43,27 47,29 49,29 49,33 50,17 50,24 50,24-25 50,25 50,26
302, 303 68 68 94 66 66 68 316 221 194 68 68 28 5, 144, 159, 366 359 5, 144, 159, 366 100
Exode 3,2 3,4 3,6 3,7 3,7-8 3,7-10 3,8 3,16 3,16-17 3,16-18 3,20 4,2-9 4,5 4,6 4,6-9 4,11 4,12 4,21 4,23 4,24
5, 10 146 146 147, 151, 303 10, 145 145, 146 151 5, 10, 144, 159, 162, 366 144, 145, 160 144, 145 146 146 308 146 146 146 146 146 146 146
398
INDEX DES RÉFÉRENCES
4,26 4,30 4,30-31 4,31 6,6-8 6,7 12,44 12,48 13,19 15,21 16,1-3 18,7 19,4 19,4-6 19,5 19,8-9 20,2 20,3 20,13 20,19-21 20,21 23,14-17 30,3 30,12 32,32 32,34 33,22
146 146 146 144, 145, 146, 147, 159 302, 303 302 282 282 5, 144, 159,359, 366 94 58 221 184 303 306 303 347 337 344 138 138 200 94 7 28 7 184
Lévitique 4,20 4,26 4,35 5,6 5,10 5,13 17,3 17,4 17,7 17,8 17,8-9 17,9 17,10 17,10-14 17,10-16 17,11 17,12 17,13 17,13-14 17,14 17,15 17,15-16 18,5 18,6
28 28 28 28 28 28 337, 346 337, 343 343 346 340, 340, 340, 349 340 340, 340 349 340, 285, 347 343,
343 343, 345
346 349 341 341 349 340 347
18,8 18,13 18,21 18,24-30 18,26 18,30 19,1 19,2 19,4 19,16 19,18 19,20 19,22 20,2-5 20,3 20,5 20,5-6 20,8 20,10 21,8 21,13-15 21,15 21,23 22,9 22,16 22,32 24,14 24,17 24,17-22 24,21 24,22 26,38-39 26,43
344 344 341, 347 343 341, 343 347 343 347 343 341 354 6 28 341 346 346 345 344 344 348 285 348 348 348 348 348 69 341 341 341 341 314 177
Nombres 14,19 15,25 16,5 19,11-22 19,16 19,18 24,7 24,15 24,17 26,18 26,22 35,9-34 35,31-33
29 28 6, 365 285 98 98 23 138 25 7 6 341 341
Deutéronome 1,15 275, 302 1,23 275 5,28-29 138
399
INDEX DES RÉFÉRENCES
5,7 5,17 6,4-5 6,5 6,13 6,16 7,6 8,3 8,20 10,18 14,29 15,9 16,11 16,16 18,15
18,18-19 18,18-20 18,22 22,24 23,18 24,17 24,19 24,20 24,21 26,12 26,13 26,16-19 26,18-19 27,19 28,47 28,62 30,7 31,15 32,11 32,35 32,36 32,37 32,50 34,10
337 344 152 152 133 133 284 133 177 75 75 194 75 200 127, 129, 130, 131, 132, 133, 134, 138, 139, 151, 160, 318 137 127, 129, 130, 131, 132, 133, 134, 137, 138, 139, 151, 160, 318 129, 307 138 138 66 344 75 75 75 75 75 75 309 309, 310, 311 75 177 177 314 194 184 245 245 245 68 151
Juges 2,10 6,8 9,35 9,44 11,12 11,34
68 151 66 66 82 73
18,15-18 18,18
16,2 16,3 18,15
66 66 221
Ruth 2,12 4,1 4,11
184 66 66
1Samuel 2,21 10,4 10,26 12,22 17,22 25,5 30,21
8 220, 221 98 316 221 220, 221 221
2Samuel 3,18 6,2 7,8 7,11 7,11-14 7,12-13 7,13 7,14 7,16 8,10 11,7 12,7 12,10 12,28 21,15-22 22,1 22,3 22,17
188 312 302 223 320 318, 327, 329 326, 327, 329 222 326, 327, 329 220, 221 221 177 177 312 21 21 20, 21 24
1Rois 2,1 4,37 8,6 8,16 8,27 8,33-34 8,43 9,12 17,8-24 17,10 17,12 17,13 17,15 17,17
194 304 184 316 316 316 312 167, 194 77-78 77, 79 73, 79 73 73, 79 73, 79
400 17,17-24 17,18 17,18-24 17,19 17,19-21 17,20 17,20-21 17,21 17,21-22 17,22 17,23 17,24 22,23 2Rois 2,3 2,5 2,11 3,13 4,8-37 4,18 4,20 4,33 4,35 4,37 7,1 7,10 7,18 8,11-12 12,9 13,20 13,20-21 13,21 14,6 15,5 22,17 23,8 23,21 24,4 25,1 1Chroniques 12,33 13,6 17,7 18,10 18,11 22,19 26,31
INDEX DES RÉFÉRENCES
52, 77, 79, 80, 81, 82, 84, 93, 125, 137, 147, 160 79, 82, 83, 91 137 78, 81 137 81 78, 101 81 78 109 78, 79, 81, 111, 114, 137, 150 78, 79, 81, 82, 137 188 167 167 135 82 52 91 111 101 109 150 66 66 66 198 274 150 52, 70, 91 98, 109 274 98 190 66 274 28 250 166 312 302 220, 221 275 104 6
2Chroniques 6,33 7,14 16,14 18,22 23,18 24,6 25,4 30,8 32,1 35,21 36,13
312 312 71 188 274 6 274 187 250 82 187
Esdras 1,2
8
Néhémie 9,16 9,17 11,1
187 187 199
Tobie 1,6 3,15 6,18 13,10
274 74 104 199
Judith 1,11 1,13 3,6 4,15 8,33 10,6 10,9 13,12 13,17 13,18 13,20 14,13 16,22
323 323 275 144 144 66 66 66 144 144 8, 144 104 68
Esther 9,22 9,23
95 274
1Maccabées 2,7 2,49 2,58 2,69 4,46
199 194 135 68 124, 129
401
INDEX DES RÉFÉRENCES
9,10 9,27 14,41
194 124 129
2Maccabées 1,12 1,27 2,7 2,18 3,1 6,4-5 6,8 9,5 9,14 10,24 15,14
199 183 183 183 199 333 34 152 199 233 199
Job 2,11 6,14 5,26 7,18 10,9 10,12 19,1 21,32 22,19 24,12 29,2 29,3 29,4 34,9 39,1
6 6, 8, 9, 366 68 8 8 8, 9, 264, 266 166 100 95 6, 366 9 9 6, 8, 264, 266 6, 8, 9, 366 167
Psaumes 2,1-2 2,7 8,5 16(15),8-11 18(17),1 18(17),3 18(17),10 18(17),17 22(21),21 25(24),6 25(24),16 27(26),4 31(30),16 32(31),1 32(31),5 35(34),17 37(36),13
233 206, 222 3, 8 239 21 20, 21 10 24 73 86, 196 73 6 21 29 29 73 167, 249
40(39),12 51(50),3 55(54),22 59(58),6 65(64),8 65(64),10 68(67),6 69(68),17 74(73),9 85(84),3 87(86),4 89(88),27-30 91(90),4 91(90),11-12 102(101),20 103(102),4 106(105),47 107(106),10 109(108),8 110(109),1 118(117),22 118(117),26 122(121),6 122(121),8 125(124),2 132(131),11 133(132),2 133(132),2-3 144(143),7 146(145),9 147(146),2
86, 196 86, 196 194 8 239 8 75 86, 196 124 29 313 222 184 257 24 86, 196 183 215 3 224 244 143, 171, 178, 182 220, 221, 236 221 95, 184 318 100 100 24 75 183
Proverbes 15,25 29,13
75 6
Qohélet 3,4 8,5 9,12
95 166 166
Sagesse 2,20 3,1 3,3 3,7 3,13 4,15 14,11 14,12 19,15
8, 9, 218 217 8, 9, 8, 9, 8, 9, 366 345 366
366 263, 366 366 366
402
INDEX DES RÉFÉRENCES
Siracide 2,11 2,14 7,35 16,17 16,18 17,15 28,2 33,12 34,6 35,18 36,6 36,11 36,14 39,19 40,29 46,13 46,14 48,1 48,1-11 48,5 48,9 48,10 48,22 49,14
29 365 5, 358 24 366 167 28 323 8, 9, 366 8 104 316 104 167 336 144 144, 365 125 125 125 135 127, 148 35, 126 135
Isaïe 1,1 1,2 1,2-4 1,3 1,4 1,7-8 1,8 1,17 1,20 1,23 3,16 4,1 5,1-2 5,1-7 5,3 5,3-7 5,4 5,5-6 5,7 6,7 6,9-10 6,10 6,11-13 7,2 7,10-12
186 188 186 190 190 186 181 75 188 75 181 312 181 186 181 181 181 181 181 98 230 230 230 274 198
7,10-17 7,13-25 7,14 7,17 7,23 8,23–9,1 8,25 9,1 9,2 10,3 11,1 16,5 16,8-9 16,10 19,23-25 19,25 21,17 22,6-7 22,25 23,17 24,3 24,7 24,22 25,6-8 25,6-9 25,8 25,9 26,1-18 26,19 27,2 29,1-6 29,2 29,2-5 29,6 29,18 29,18-19 30,18-19 32,9 32,9-20 32,11-13 32,15-17 33,24 34,4 35,4 35,5 35,5-6 40,5 41,21 42,18 42,6 45,21 48,2
249 198 172 167, 249, 250 181 23 95 23, 215 95 3, 263 25 275, 317 181 181 313 276 188 332 188 263 188 181 263 159 93, 94 93, 94, 95, 96, 111, 188 94 111 42, 61, 111 181 182, 251-252, 263 251 252 251, 263 42 61, 111 93 185 185 185 185 28, 29 181, 239 148 42 61, 111, 148 188 193 42 311 328, 329 199
403
INDEX DES RÉFÉRENCES
48,18 49,6 50,8 51,4 51,5 52,1 52,10 52,12 55,7 56,7 58,6 58,14 61,1 61,1-2 61,2 61,2-3 61,5 63,16 63,19 65,21 66,9 66,20
207 311, 315 193 311 193 199 311 183 28, 29 184, 200 96 188 42, 61, 111 96, 159 111 95, 111 181 316 312, 314 181 199 199
Jérémie 1,1 1,2-3 1,5 1,9 3,6 4,4 5,4 5,7 6,13-15 6,15 6,26 7,6 7,11 7,34 7,25 7,26 8,7 8,23 9,2 9,16-20 10,15 12,7 12,15 12,16 13,15 13,27 14,9 15,5
186 186 98 98 345 186 187, 190 28 263 187, 263 73, 74, 142 75 184, 187, 200 188 187 187 166, 263 186, 198 187 186, 198 263 187, 332 323, 329 339 188 188 316 221
15,15 16,5 16,9 16,17 16,21 17,23 17,24 17,25 18,23 19,15 20,3-6 20,5 20,7-18 21,7 22,3 22,16 23,5 23,16 23,22 24,7 25,4 25,10 25,11-14 25,13 27,27 27,31 28,12 32,41 34,16 38,13 38,34 49,11 51,22 52,4
8 86, 196 188 167 187 187 66 66 199 187 198 187, 332 198 187, 332 75 187 23, 25, 26, 187, 320 275 207 187 187 188 187 245 167, 249 167, 249 104 6 275 95 28 75 205 250, 251
Lamentations 1,13 24 4,18 194 Baruch 1,21 3,13
275 207
Ézéchiel 4,1-2 4,13 7,4 7,22 9,1 10,18 12,23 14,7-8
251 152 194 6 194, 245 244 194 339
404
INDEX DES RÉFÉRENCES
16,17 20,40 21,26-27 21,30 21,33 21,34 24,16 33,6 34,11 37,1-14 37,4-7 37,5 37,6 37,9 37,9-10 37,10 37,14 44,2
345 6 332 167, 249 104 167, 249 275 275 6 53, 91 101 109 109 109 101 109 109 152
Daniel 1,8 1,9 4,12 4,21 6,29 7,13 9,26 9,26-27 12,7
336 86 183 183 68 187, 224, 239, 246 187, 332 187 187
Osée 2,21 3,5 5,15 9,7 10,14 13,14
196, 86 329 323 167, 249 251 167
Joël 2,21 2,28-32 2,32 3,1 4,1 4,8 4,17
95 311 312 309 323 188 199
Amos 2,11 5,1 5,1-17 5,10
275, 302 177 177,231 66
5,25-27 5,26 6,14 8,10 9,11 9,11-12 9,12
324 325 332 73, 74, 142 275, 315, 316, 317, 320, 321, 322, 323, 324, 325, 326, 327, 328, 329 311, 317, 323, 328, 329, 339 275, 312, 313, 314, 315, 316, 317, 321, 325
Michée 3,9 3,11 4,10 5,1 5,5
190 190 21 21 21
Habaquq 2,5 2,8
183 188
Sophonie 1,4 1,4-7 1,8 3,3-4 3,9
190 190 190 190 311, 316
Aggée 2,15
166
Zacharie 1,3 1,16 2,9 2,9-10 2,11 2,15 3,8 3,14-17 6,12 7,9 7,10 8,3 8,9 8,15 8,22 9,9 9,10 9,9-10
323 323 276 184 276, 311, 329 313 23, 26 95 23, 26 86, 196 75 323, 329 205 205 313 95, 171 223 222
405
INDEX DES RÉFÉRENCES
12,3 12,10 14,2 14,9 14,16 14,18-19
245, 183 73, 74, 142 313 313 313 313
Malachie 1,7 1,11 1,12 2,16 3,1 3,5 3,7 3,10 3,22 3,22-23 3,23
336 311 336 152 42, 128, 136 75 323 6 127, 128, 137, 160 129, 136 128, 136, 137, 138
2. Nouveau Testament Matthieu 1,1 1,10 1,18 1,20 1,22 2,2 2,5 2,11 2,13 2,14 2,15 2,17 2,20 2,21 3,3 3,11-12 3,12 3,13-15 3,16-17 4,1-11 4,5 4,9 4,14 4,16 4,16-17 4,18-22 4,25 5,1
172 128 113 172 127 172 127 113, 304 113 113 127 127 113 113 127 46 48 46 46, 308 133 199 304 127 22, 23 25 164 38, 55, 64, 98, 150, 210 109
5,4 5,5 5,23-43 5,35 5,43-44 5,44 5,45 5,46 5,47 5,48 6,12 7,13 7,14 7,24 7,25 7,26 7,28 8,3 8,5-6 8,5-9 8,12 8,17 8,26 8,27 8,29 9,2 9,3 9,5 9,6 9,7 9,8 9,9 9,18-26 9,20 9,22 9,23 9,25 9,26 9,27 9,35 9,36 10,8 10,13 10,26 10,41 11,1 11,2 11,3 11,4-5 11,9 11,14 11,25
95 114 164 199 196 243 22, 48, 243 196 196 195 27 66 66 154 238, 239 155 32, 150, 155 107 46 310 190 127 118 367 256, 258 27, 67, 123 367 27, 102 27, 51, 102 51, 120 118, 119 246 101 97 44, 63, 210 84 81, 99, 102 55, 150 171, 172 60 86 102 208 226 127 32 46, 90 46, 48 149 127 128 256
406 12,1 12,17 12,23 12,31 12,39 12,46 12,47 13,6 13,14-15 13,30 13,24 13,24-30 13,29 13,30 13,35 13,42 13,50 13,53 13,55 14,1 14,1-2 14,2 14,5 14,14 14,26 15,1-9 15,22 15,31 15,32 16,3 16,13-14 16,14 16,18 16,21 17,7 18,6 18,23-35 18,26 18,27 19,1 19,11 19,13 20,17 20,18 20,21 20,29-34 20,34 20,30 20,31 20,34 21,4 21,4-5
INDEX DES RÉFÉRENCES
256 127 172 27 127 113 113 22 230 256, 258 92 189 189 256, 258 127 190 190 32 113 256 139 139, 367 127 86 118 191 171, 172 152 86 166, 256, 258 139 128 66, 108 106 96, 97, 102, 104 191 86 304 86 32, 155 155 97 169 169 172 171, 172 112, 122 171, 217 171 86, 112, 122 127 171
21,5 21,7 21,9 21,10 21,11 21,19 21,23 21,28-32 21,34 21,41 21,46 22,13 22,25 22,32 23,2-4 23,34 23,37 24,2 24,15 24,28 24,34 24,39 24,45 24,51 25,1-12 25,27 25,30 25,31 25,31-46 25,36 25,40 25,43 25,45-56 26,1 26,4 26,18 26,24 26,28 26,34 26,46 26,48 26,50 26,55 26,57 26,61 26,64 27,9 27,24-25 27,32 27,33 27,40 27,53
171 109 22, 39, 171 83, 193 83, 127 181 191, 367 191 256 256 100, 127 190 72 146 331 127, 188 182 166 127, 245 182 235 242 256 190 247 68 190 3 3, 191 3, 273 191 3, 273 191 32, 155 100, 102 256, 258 191, 274 27 108 102, 103 100 100 100 100 326 224 127 151 92 69 326 199
407
INDEX DES RÉFÉRENCES
28,4 28,8 28,15
118 118 155
Marc 1,2 1,4 1,9 1,11 1,12-13 1,15 1,23-28 1,24 1,27 1,31 1,35 1,35-38 1,38 1,40-41 1,41 1,42 1,43 1,44 1,45 2,2 2,3 2,5 2,7 2,9 2,10 2,11 2,12 2,14 3,3 3,7 3,21 3,28 3,31 3,32 4,4 4,6 4,22 4,24 4,41 5,7 5,21-43 5,22-23 5,34 5,36 5,38 5,39 5,41
127 27 32 308 133 62, 256, 258 53 82 154, 210 96, 100 58, 60 60 60 86 112 112 112 112 59, 64, 166 166 123 27 27, 367 27, 102 10 102 119, 120 246 102 38 100 27 113 113 32 22 226 230 118, 367 24, 82 51, 92 53 44, 207,221 93 84, 92 92 81, 99, 101, 102, 108, 110
5,41-42 5,42 6,4 6,6 6,14 6,14-16 6,15 6,16 6,29 6,34 6,41 6,56 7,1-13 7,14 7,14-24 7,21 8,2 8,6 8,19 8,27-28 8,28 8,31 9,7 9,11-13 9,12 9,14-29 9,22 9,26 9,27 9,31 9,32 9,35 9,42 10,1 10,30 10,32 10,33 10,34 10,35-45 10,37 10,47 10,48 10,49 10,52 11,1-10 11,7 11,9 11,9-10 11,10 11,11 11,13 11,15-17
110 109, 110, 150 127 60 139 139 127, 128 367 70 61, 86 346 98 191 353 339 341 86 11, 346 11, 346 139 127, 128 106, 234 102 128 136 51 86 51 100 106 225 109 191 33 255, 256 169 169 106 169 172 171, 172, 217 171, 172 102 86, 122 169 109 39, 55, 171 172 171 83, 193 181, 256 176
408
INDEX DES RÉFÉRENCES
11,28 11,32 12,1-12 12,2 12,8 12,10 12,12 12,20 12,26 12,29 12,40 12,41 12,41-44 12,42 12,43 13,1 13,2 13,30 13,33 14,1 14,3 14,3-9 14,8 14,21 14,24 14,30 14,42 14,44 14,46 14,47 14,49 14,58 14,62 15,22 15,29 15,31 15,46 16,1 16,2 16,19
367 127 201 256 70 326 100 72 146 152 75, 76 109 75, 76, 84 75 75, 114 200 166 235 256, 258 100 43 43, 70, 71 43 191, 274 27 108 102, 103 100 100 53, 217 100 326 224 69 326 92 71, 72 72 22 109, 136
Luc 1,1 1,2 1,3 1,3-4 1,5 1,5-25 1,5-79 1,5-80 1,8 1,12
140, 141, 299 141 299 299 155, 231 45 258 119 231 117, 118
1,13 1,15 1,16 1,17 1,18 1,18-20 1,19 1,20 1,22 1,26-38 1,26-56 1,27 1,30 1,32 1,32-33 1,34 1,32-35 1,35 1,38 1,39 1,39-66 1,40 1,45 1,46 1,46-55 1,47 1,48 1,50 1,54 1,57-80 1,63-64 1,64 1,65 1,66 1,67 1,67-79 2,1-7 2,4 2,8-20 2,9 2,10 2,11 2,12 2,13 2,13-14 2,14 2,16 2,17
231 113 152 88, 128, 136 231 206 61, 178 110, 119, 166, 177, 231, 255, 256, 258 49, 110 45, 79, 228 307 199, 318 119 24, 199 172, 223, 318, 321, 327, 329 228 223 24, 58, 273 206, 228, 231 165, 205 79 306 206, 231 119 18, 96, 114 228 162, 228 162, 228 162, 228 18 231 18, 19, 110, 119 117, 118, 119, 155 19 18, 110 30, 45, 59, 215, 231 18 155, 199, 318 120 120 61, 120 30, 120, 123, 199, 206, 209, 208, 209, 268 208, 212 209 120 18, 207, 208, 209, 212, 213, 238, 266, 268 120 158
INDEX DES RÉFÉRENCES
2,20 2,21 2,22 2,22-39 2,25 2,26 2,27-35 2,28 2,29 2,29-30 2,29-32 2,30 2,30-32 2,31 2,32 2,33 2,34 2,34-35 2,35 2,36 2,36-38 2,37 2,38 2,39 2,41 2,44 2,48 2,49 2,51 3,1 3,3 3,4 3,6 3,7-8 3,15 3,16 3,16-17 3,18 3,19 3,21 3,21-22 3,30 4,1 4,1-13 4,2-9 4,4 4,6-9 4,8 4,9 4,9-11 4,10-11
120 296 297 164 213, 273, 296 213, 268 213 208, 213 207, 208, 209, 213, 268 213 18, 96, 162, 297, 310 208, 216, 230 296 162 26, 162, 310, 311 113, 158 113, 216, 273, 296 208, 225 216, 226, 254, 274 76 76, 79, 170 76 76, 119, 132, 158, 214, 318 164 59, 169 65 79, 113 201 113 155 26, 27, 363 127 26 262 42, 46, 48 24, 26, 42, 46, 363 48 61 36 46 46, 308 273, 296 58 58, 133 146 133 146 133 202 201 257
4,11 4,12 4,13 4,14 4,16-30 4,17 4,18 4,18-19 4,18-21 4,20 4,21 4,22 4,23 4,24 4,25 4,25-26 4,25-27 4,26 4,27 4,28-29 4,28-30 4,30-31 4,31-32 4,31-33 4,31-37 4,32 4,33-37 4,34 4,35 4,36 4,36-37 4,37 4,38-39 4,39 4,40-41 4,41 4,42 4,42-43 4,43 4,44 5,1-10 5,1-11 5,3 5,8 5,10 5,12 5,12-16 5,13 5,15 5,16
409 146 133, 146 255, 256 127, 158,256 76, 77, 143 127 49, 61, 96, 114, 143, 147 42, 96, 114, 147, 160, 164, 206 61 109 83, 114, 147, 161, 206 41, 58, 83, 367 83, 158 41, 77, 127, 143 76, 77, 152 77 158 76, 77 77, 127, 152 206 201 147 147 54 82, 83, 93, 140 41 53, 54, 57, 147 41, 82, 82, 83 107, 154 41, 82, 154, 210, 268 107 41, 140, 158 147 100 147 41 58, 60, 61 60 58, 59, 60, 61, 204 147, 155 260 119, 147 109, 147 260 260 48 140, 147 86, 98, 107, 217 42, 63, 107, 140, 154, 158 58, 60
410 5,17 5,17-26 5,18 5,20 5,21 5,21-22 5,23 5,23-24 5,24 5,25 5,25-26 5,26 5,27 5,30 5,32 5,33 5,33-39 5,34-35 5,35 5,36 5,36-39 5,37 5,39 6,1 6,1-5 6,5 6,6 6,6-11 6,7 6,7-8 6,8 6,9 6,12 6,13 6,17 6,17-18 6,17-19 6,18 6,19 6,20 6,20-21 6,20-49 6,20–7,1 6,21 6,24-26 6,25 6,27 6,27-28 6,27-36
INDEX DES RÉFÉRENCES
121, 155, 210, 232 119, 147, 120-121 67, 123 27, 44, 48 21, 27, 41, 43, 44, 45, 83, 143, 228, 367 227 27, 102, 103 48 27, 102, 103, 108 120 120 42, 117, 118, 119, 120, 121 324 247 262, 266 247 147 246 246 247, 274 247 247 247 256 147 88, 89, 93 54, 147 53, 54, 93 228 227 60, 102, 103, 227 93 60, 165, 205 300 38, 39, 55, 150, 155, 158, 232 64 147 21, 158 64, 97, 98, 210, 217 39, 49, 161 96, 114, 160 147 39, 40 95, 96, 114 190 161, 178 243, 254 196 197, 243
6,32 6,33 6,34 6,35 6,35-36 6,36 6,41-42 6,46 6,46-49 6,47 6,48 6,48-49 6,49 7,1 7,1-10 7,1-16 7,1-23 7,1-35 7,1-50 7,3 7,5 7,6 7,6-8 7,7 7,9 7,10 7,18 7,18-19 7,18-23 7,18-35 7,18-50 7,19 7,19-20 7,20 7,21 7,22 7,22-23 7,24 7,24-28 7,24-30 7,26 7,26-28 7,27 7,28 7,30
196 196 196 24, 196, 243, 254 196 48, 195, 196, 244 230 242 238, 239 155, 239 238, 239, 249 239, 240, 241 49, 155, 238, 241, 256 40, 150, 155 31, 32, 36, 45, 46, 47, 49, 56, 81, 152, 158, 297, 310 125 47, 56, 99, 145 43 40, 44, 56 46, 153, 310 310 46 41, 44, 46, 152 273 41, 44, 46, 49, 56, 152 153 36, 43, 90 36 32, 36, 47, 90, 91, 97, 139, 142, 143, 158 42, 45 36 42, 43, 44, 45, 46, 47, 56, 61, 62, 89, 90, 142 47, 148 42, 43, 45, 46, 47, 56, 62, 142 48 42, 48, 49, 61, 62, 96, 103, 111, 114, 131, 142, 148, 149, 160 42, 45, 159, 191 43 36 45 42, 127, 142, 238 46 43, 128 43, 46 128
INDEX DES RÉFÉRENCES
7,31-35 7,36 7,36-38 7,36-50 7,37 7,37-38 7,38 7,38-39 7,39 7,44-46 7,47 7,47-48 7,47-49 7,48 7,49 7,50 7,51-53 8,1 8,1-2 8,1-3 8,4 8,4-15 8,4-18 8,9-10 8,10 8,11 8,12-13 8,13 8,16-18 8,17 8,19 8,20 8,21 8,22 8,24 8,25 8,26 8,26-39 8,28 8,37 8,39 8,40-56 8,41 8,42 8,43 8,43-44 8,44 8,44-47
234, 262 36 79 30, 42, 43, 44, 45, 47, 50, 70, 218, 242, 262 36, 43, 68, 217 43, 45, 66 46, 195 208 21, 43, 98, 127, 143, 218 208 27, 108 39, 43 26 27, 43, 45, 143, 208, 218, 222, 262 21, 27, 44, 83, 143, 367 40, 42, 44, 45, 208, 216, 219, 221, 268 132 36, 40, 54, 59, 60, 61, 204 60 40, 44 63 44 40 230 230 256 303 255, 256, 258 44 225, 226, 229 113 113 113 54 96 83, 118, 367 54 53, 54, 93 24, 82, 256 117, 118 59 49, 51, 55, 92, 99, 124 67, 91 34, 51, 63, 67, 73 217 338 96, 97, 98, 208 208
8,45 8,46 8,47 8,48 8,51 8,52 8,54 8,54-55 8,55 8,56 9,1-6 9,2 9,4-5 9,5 9,6 9,7 9,7-9 9,8 9,9 9,11 9,12 9,18 9,18-19 9,18-22 9,19 9,19-20 9,20 9,22 9,22-27 9,26 9,28 9,33 9,35 9,36 9,37 9,37-43 9,38 9,41 9,42 9,43-45 9,44 9,45 9,46 9,51 9,51-56 9,52 9,53 9,54
411 63, 98 98, 210 98, 208 44, 208, 216, 218, 219, 221, 222, 268 54, 109, 113 84, 92, 195 81, 99, 101, 102, 103, 107, 108, 109 110 109, 150 54, 55 39 61, 267 202, 203 203 59, 61 139, 256 139, 140, 154 127, 128, 131, 139, 273 83, 367 61, 86 58, 97 44, 65 139, 140 195 47, 127, 131, 139, 273 65 22, 44, 65, 211 65, 106 154 178 154 22 300 102, 272, 294 32, 63 45 34, 73, 112 96, 234 51, 86, 96, 97, 100, 112, 113 195 154 225, 227, 228, 229 227 39, 40, 52, 59, 136, 164, 168, 169 135, 136 136 59, 168, 169 271
412 9,56 9,57 9,60 10,1 10,1-12 10,5 10,5-6 10,6 10,5-7 10,5-12 10,8-12 10,9 10,10 10,10-11 10,10-12 10,11 10,12 10,13-15 10,13-16 10,17 10,20 10,21 10,21-22 10,23 10,27 10,29-37 10,30 10,33 10,34 10,36-37 10,37 10,38 10,38-40 10,39 10,41 11,2 11,3 11,4 11,5 11,5-8 11,14 11,14-23 11,19 11,20 11,21 11,22 11,29-32 11,31 11,39 11,46 11,46-52
INDEX DES RÉFÉRENCES
58, 59 59 70 38, 39, 55, 88, 89 202 208 267 208 202 201, 202, 203 202, 204 61, 62, 267 203 202 178 62, 193, 203, 204, 267 188, 191, 202, 203 178 191 228 228 19, 206, 224, 228, 229, 256 225, 228 230 152 43, 196 85 34, 85, 87, 196, 364 87, 96 87 87, 196 59 79 88, 89, 41 88 267 141 27, 267 27 45 49, 110 93 191 61, 93 208 93 178, 191, 234 131 88, 89 331 188
11,49 11,50-51 11,51 11,52 12,1 12,2 12,3 12,4 12,4-7 12,5 12,8 12,8-9 12,9 12,9-10 12,14 12,42 12,45-46 12,47-48 12,49-53 12,51 12,54 12,56 12,58-59 12,59 13,1 13,1-9 13,2-3 13,3 13,4-5 13,5 13,6-9 13,7 13,9 13,10 13,10-17 13,12 13,13 13,14 13,15 13,15-16 13,17 13,18-19 13,19 13,20-21 13,21 13,22 13,22-30 13,25-28 13,28 13,29
127, 187, 188 234, 338 179, 189 191 64, 182, 183 225, 226, 229 166, 170 182, 324 240 182 64 182 132 179, 191 133 88, 89, 255, 256 179 179, 191 257 208, 213, 216, 222, 257, 258 22 255, 256, 257, 258 179 108, 188 338, 255 181 180 179, 180, 188, 189, 241 178, 180, 204, 241 179, 180, 188, 189, 241 179, 181, 189, 257 258 181, 184, 189, 241, 242 54 45, 53, 54, 89, 93 89 79, 89, 122, 127, 143, 274, 326 89, 122 88, 89, 122 89, 93 89, 122 183 183 183 183 58, 59, 131 183 191 179, 190, 183, 190, 195 22
INDEX DES RÉFÉRENCES
13,31 13,31-35 13,32 13,33 13,34 13,34-35 13,35 13,45 14,1 14,1-6 14,3 14,5 14,12-24 14,13 14,24 14,25 14,25-27 14,28 14,28-30 14,29 14,31-32 14,31-33 14,32 15,1-7 15,2 15,8-10 15,15 15,20 15,22 15,24 15,30 16,16 16,19-31 16,20-22 16,22 16,22-23 16,25 16,29 16,31 17,2 17,3-4 17,5 17,6 17,8 17,11 17,11-19 17,12
97, 206, 232 183 190, 206 58, 59, 127, 143, 206, 232 182, 183, 184, 187, 197, 204 178, 179, 180, 181, 182, 190, 204, 232, 244, 323, 363 143, 182, 183, 184, 188, 244 363 54 45, 53, 54, 93 93 93 49 114 179, 190 33, 59, 63, 64 63 238 238 238 219 238 166, 208, 219, 220, 221 45 277, 278, 305, 346 45, 79 60 85, 87, 364 34 85 344 61, 204, 363 49, 71, 191 114 71 190 224 272, 296 296 191 27 88 88, 89 324 59, 168, 169 48, 122 217
17,13 17,19 17,22 17,22-37 17,25 17,26 17,26-30 17,27 17,28 17,28-29 17,28-30 17,29 17,30 17,32 17,37 18,1 18,1-8 18,6 18,6-8 18,7-8 18,8 18,13 18,15 18,17 18,20 18,22 18,30 18,31 18,31-33 18,31-34 18,33 18,34 18,35 18,35-43 18,36-37 18,37-39 18,37-40 18,38 18,38-39 18,39 18,40 18,42 18,43 19,1 19,1-10 19,3 19,4 19,5 19,7 19,8
413 217 44, 217 247, 259 259 234 242 179, 241 242, 243, 247 242 247 241, 242 242, 243 226, 247 247 182, 183 76, 259 45, 76, 79, 259 88, 89, 272, 338 259 76 259 64 97, 98, 217 179, 188, 230 113 49 255, 256 169, 194, 296 30 169, 174, 187, 195 106 30, 212, 226, 227, 228, 229 170, 174 169, 174 217 173 173 171, 172, 174, 318, 360 48 171, 172, 174, 294, 318, 360 100, 102 44, 86, 122, 217 122 174 164, 174, 242, 262 83, 367 194 164, 206 206, 262 88, 89, 100, 206
414 19,9 19,10 19,11 19,11-28 19,11-40 19,11-44 19,12 19,14 19,15 19,22 19,27 19,27-40 19,28 19,28-48 19,29 19,29-36 19,29-40 19,31 19,34 19,35 19,37 19,37-38 19,37-40 19,38
19,39 19,39-40 19,40 19,45 19,45-46 19,46 19,47 19,48 20,1 20,2 20,4 20,5 20,6 20,9-19 20,10 20,15 20,15-16 20,15-18 20,16 20,17-18 20,18 20,19 20,26
INDEX DES RÉFÉRENCES
206, 262 169 170, 174 174, 243 174 168, 174 174 60, 174 174 174, 178, 189 169, 174, 189, 241, 243 39, 257 59, 169, 194 169 164, 170, 174, 193 174 40, 178 171, 173 173 171, 175 22, 39, 164, 171, 174, 193, 194, 209, 210, 307 39, 55, 172, 182, 211 39, 173, 174 22, 39, 165, 171, 172, 173, 174, 182, 183, 187, 207, 208, 209, 211, 212, 232, 238, 241, 268, 318, 360 165, 174, 278 294 165 83, 164, 165, 170, 203, 187 184, 187, 200 100, 204, 278 150 61, 204, 278 83, 259, 367 259 259 43, 127, 150 181, 201, 243 255, 256 70 179, 244 191 189, 256 241, 244 179, 241,244 100, 127, 150, 249, 278 272, 294, 338
20,27 20,29 20,37 20,41-44 20,45 20,46-47 20,47 21,1-4 21,1-36 21,2 21,3 21,3-4 21,4 21,5-7 21,5-36 21,5-38 21,6 21,8 21,9 21,12 21,20 21,20-24 21,21 21,22 21,22-24 21,24 21,25-26 21,25-27 21,26 21,27 21,28 21,31 21,32 21,34-35 21,34-36 21,36 21,37 22,1 22,2 22,4 22,6 22,10 22,15 22,19 22,20 22,21-22 22,22 22,29 22,30 22,31 22,31-34
97 72 146 75 150 179, 191 75, 76 75, 76, 84 247 75, 84 75, 114 49 75 248 204 75 166, 179, 244, 245, 246, 248, 323 193, 255, 257, 258 246 249 193, 244, 245, 254 179, 235, 245, 248 155 245, 248 245 187, 245, 255, 258 179 239 118 187, 246, 247, 248 193, 248 204 235 248 248 248, 255 58 155, 193 278 278 124 201 201 346 27, 338 191 58 183 152 260 260
INDEX DES RÉFÉRENCES
22,32 22,33 22,34 22,39 22,40 22,41-42 22,43 22,44 22,45 22,48 22,51 22,52 22,53 22,54 22,57 22,61 22,62 22,66 22,66-69 22,66-71 22,67 22,67-68 23,2 23,3 23,4 23,5 23,7 23,10 23,12 23,13 23,13-16 23,14 23,17 23,18 23,19 23,26 23,26-32 23,27 23,27-31 23,28 23,28-30 23,28-31 23,29 23,31 23,33 23,34 23,35 23,35-39 23,36
259, 260 260 108, 260 58, 65 58, 338 58 58 85, 115 65 100 53, 217, 278 249, 278 100, 249 100, 278 132 88, 89, 260 260 164, 278, 326 224 164 212 259 115, 212, 234, 243 183 151, 157, 278 32, 115, 155, 156, 157, 234 233 278 233 151, 157, 278 233 234 108 193, 233 201 164 92, 164 79, 185 179 47, 92, 165, 182, 185, 197, 248 186, 190 178, 180, 185, 197, 198, 204, 248 248 248 69 71, 197, 199, 243 326 206 97
23,37 23,38 23,40-42 23,42 23,43 23,44-49 23,46 23,47 23,47-48 23,48 23,48-49 23,49 23,52 24,6 24,9-11 24,10 24,13 24,13-35 24,15 24,15-16 24,16 24,17 24,18 24,19 24,19-21 24,19-24 24,20 24,20-32 24,21 24,22-25 24,24 24,25 24,25-26 24,25-27 24,26 24,27 24,28 24,29 24,29-32 24,30 24,31 24,33 24,34 24,35 24,36 24,38 24,39-43 24,41-48 24,44
415 183 183 206 206 108, 206 64, 122 71 122 122, 123 64, 122, 233 122 65, 256 97 106 79 305 62, 63 10, 30, 62, 63, 211 33, 62, 63, 65 62 30, 100, 230 100, 154, 155 165, 205, 212 46, 63, 127, 133, 143, 268 210 154, 210 22 141 132, 140, 152, 220, 305, 318 206, 210 305 211, 215, 230, 259, 261, 296 210 261 65, 143, 211, 261 12, 261, 296 62, 305 305, 306 305 346 211, 230, 306 305 106, 107 273, 298 208, 216, 266, 267, 268 227 216 305 12, 215, 261, 296, 305
416 24,44-47 24,44-48 24,45 24,45-47 24,46 24,47
INDEX DES RÉFÉRENCES
24,47-48 24,49 24,50 24,50-53 24,51
208 261 24 216 261 24, 26, 27, 30, 216, 267, 261, 274 180 24, 26, 201 135 135 135
Jean 1,14 1,18 1,20 1,21 1,23 1,25 1,41 1,42 1,45 2,4 2,5 2,12 2,16 2,19 3,10 3,16 3,18 4,19 4,42 4,47 4,49-50 5,8 5,24 6,14 6,23 6,60 7,13 7,36 7,40 7,52 8,27 8,43 8,55 9,17 9,41 10,6 10,19 11,1-44
73, 140 73, 273 212 127, 128 127 127, 128 129 296 129 82 113 113 201 326 212 73 61, 73 127, 149 304 46, 310 310 105 304 127, 149 88 155 118 155 127, 150, 155 127, 131 212 212 212 127, 150 224 212 155 51, 52, 70
11,1-46 11,2 11,3 11,17 11,33 11,35 11,38 11,41-42 11,43 11,44 11,45 11,45-54 12,7 12,10-11 12,15 12,16 12,38 13,38 14,9 14,27 14,31 15,22 15,24 16,3 16,33 17,21 17,25 18,36 19,13 19,16-17 19,17-18 19,20 19,25 19,27 19,33 19,38 20,17 20,19 20,21 20,26 20,33 21,18 21,23 Actes 1,2 1,3 1,4-5 1,5 1,6 1,6-11
84 88 53, 91 70 84, 92 84, 198 84 101 101 34, 72, 109 150 52 70 52 171 212 127 108 212 207, 213 102, 103, 105 224 224 212 207 140 212 224 155 92 69 69 113 113 34, 69, 72 118 97 118, 207 207 207 27 108 34 135, 300 267 24, 308 42, 363 22, 26, 136, 152, 211, 318, 329 135, 136, 164
INDEX DES RÉFÉRENCES
1,7 1,8 1,9 1,10 1,11 1,13 1,15 1,15-26 1,17 1,19 1,20 1,22 1,24 2,4 2,5 2,9 2,11 2,14-36 2,14-40 2,16 2,17 2,17-21 2,19 2,19-20 2,21 2,22 2,22-28 2,24 2,25 2,29 2,30 2,30-31 2,31 2,32 2,32-33 2,33 2,35 2,36 2,38 2,38-39 2,40 2,43 2,44-45 2,46 2,47 3,2 3,6 3,10 3,12-26 3,13 3,13-26
166 155,311, 355 135 135, 164 135 270 64, 165, 205 280 140 338 3, 166, 263 135, 363 295, 300 110, 309 315 155 315 280 180 127 108, 309, 315 311 140 338 312, 315 133, 155 239 106, 322 240 71, 115 127, 318 327 71, 88, 115 106, 322 327 16, 25, 215, 318, 361 254, 274 46, 75, 88, 91, 211, 312, 327 27, 312, 327, 335 16, 280 280 117, 118, 312 118 118, 346 118, 119 113 102, 103, 105, 312 66 91, 123, 132, 134, 137 132, 135, 146 134, 135
3,14 3,15 3,18 3,19-23 3,20 3,20-22 3,21 3,22 3,22-23 3,24 3,26 4,4 4,5 4,7 4,10 4,12 4,16 4,17 4,17-18 4,21 4,25-27 4,27 4,29 4,29-30 4,30 5,1-11 5,2-4 5,3-4 5,5 5,6 5,8 5,9 5,10 5,11 5,17 5,21 5,22 5,23 5,24 5,28 5,29-32 5,30 5,30-32 5,31 6,1-6 6,3 6,5 6,8 7,2-53
417 132 101, 106 135, 296 307 274 160 135, 136, 215, 272, 296, 328 127, 128, 129, 130, 131, 132, 134, 135, 136, 139, 147, 151, 318, 322 129, 318 135, 144, 215, 296 106, 135, 322 304 279 280 106, 312 312 132 280 280 280 233 201, 233, 264, 267 89 54 54 71 71 155, 280 117, 155 69, 71, 280 69, 71, 274 69, 71, 108 117 282 152 274, 322 155 155 338 280 106,146 28 27, 215 280, 282 3, 273 300 133 132-133
418 7,7 7,12 7,22 7,22-25 7,23 7,26 7,27 7,27-28 7,29 7,32 7,34 7,35 7,36 7,37 7,38 7,38-39 7,39 7,41 7,41-43 7,42 7,42-43 7,43 7,44 7,48 7,51 7,51-53 7,58 7,59 7,60 8,1 8,2 8,12 8,19 8,21 8,22 8,25 8,26 8,28 8,30 8,34 8,40 9,1-19 9,3 9,4 9,6 9,8 9,15 9,17 9,18 9,24
INDEX DES RÉFÉRENCES
324 279 133 214 3, 273 221 133 155 155 146 10 132, 133 132, 133 127, 128, 129, 130, 131, 132, 133, 139, 147, 151, 318, 322 132, 133 324 324 275, 337 324 324 324, 325 317, 325 317, 325 129 187 132 201, 296 71, 115 71, 89, 115 155 10, 71, 115 319 154, 155 154, 155 89 59, 83, 89 54, 106 127 127 127 59, 109 54 26 296 54, 106 230 152 296 230 66
9,31 9,32-35 9,34 9,35 9,38 9,39 9,36-43 9,40 9,42 10,1-48 10,2 10,3 10,4 10,5 10,8 10,9 10,11 10,14 10,15 10,17 10,18 10,19 10,19-21 10,20 10,23 10,24 10,25 10,25-26 10,26 10,27 10,28 10,31 10,32 10,33 10,34-35 10,34-43 10,35 10,36 10,37 10,40 10,41 10,43 10,44 10,45 10,47 10,47-48 10,48 11,1 11,1-18
32, 118, 155,156 54 54, 106, 107 331 91 84 51, 52, 53 32, 54, 101, 102, 106, 107, 109, 110 150 297, 299, 305, 308 305 304, 306, 307 304, 307, 308 296, 304, 308 273, 295, 298 308, 312 306, 308 282, 308, 334 282, 295, 306, 307, 308 296 296 307 316 301, 305, 308 305 305 304, 305, 306 9 54, 106 305, 306 282, 285, 295, 307, 308, 328, 334, 348 156, 307 296, 304, 308 307 315 218, 308 304 218, 266, 306, 307, 308 32, 155, 363 106 106, 305, 346 27, 89, 218, 296, 304, 306, 316, 355 304, 306, 307, 309 305, 309 309 335 306, 307, 308, 348 155 308
INDEX DES RÉFÉRENCES
11,2 11,3 11,4 11,5 11,5-17 11,8 11,9 11,12 11,13 11,13-14 11,14 11,15 11,16 11,17 11,18 11,21 11,26 11,27-30 11,29 11,30 12,2 12,3 12,3-23 12,7 12,10 12,12 12,13-16 12,17 12,19 13,1 13,1-2 13,7 13,9 13,10 13,12 13,17 13,20 13,21 13,22 13,22-23 13,23-25 13,25 13,27 13,30 13,33 13,34 13,36 13,37 13,38 13,44 13,46
52, 301 283, 305, 345, 346, 350 299 307, 308 297, 299 282, 308, 334 282, 295, 308 301, 305, 307 296, 304 328 316 306, 307, 309 42, 363, 307, 308 295, 304, 307, 308, 309, 330 282, 308, 316 296, 331 305 290 155 280 270 280 298 54, 106 66, 201 270 270 270, 271, 272, 280, 294 155 296 277 258, 296 296 254 89 152, 300 127, 144, 324 296 131, 317 318 363 42 296 106 106, 206, 322 106, 322 71, 115 71, 106, 115 27 89 300
13,47 13,48 13,48-50 13,49 14,8 14,8-18 14,10 14,11 14,13 14,15 14,19 14,21 14,24-26 14,26 14,27 15,1 15,1-2 15,1-29 15,2 15,3-30 15,3-33 15,4 15,4-5 15,4-29 15,4-30 15,5 15,5-6 15,5-12 15,6 15,6-21 15,6-30 15,7 15,7-9 15,7-11 15,8 15,8-9 15,9 15,10 15,10-11 15,11 15,12
419 311, 315 89, 304 315 86 113 54 106, 107 9 337 337 69 59 277 277 277 1, 155, 277, 271, 280, 282, 283, 287, 288, 289 281, 289, 352 52 277, 278, 279, 280, 282, 289 289 297 279, 280, 308 278 277, 278 278 154, 155, 271, 279, 282, 283, 288, 289, 334, 347, 351 352 297 154, 155, 279, 280, 305 278 279, 280 271, 273, 293, 294, 297, 300, 302, 304, 306, 308, 311, 328 279 4, 279, 287, 288, 292-293, 294, 295, 297, 298, 299 4, 271, 293, 294, 295, 308, 309 292 4, 271, 282, 293, 294, 295, 301, 304, 316, 348 271, 294, 308, 331 293, 330 4, 280, 289, 293, 295, 304, 307, 308, 316, 332 133, 272, 273, 279, 287, 294, 298, 308
420 15,22 15,22-29 15,23 15,23-29 15,24 15,25 15,25-27 15,26 15,27 15,28 15,28-29 15,29
15,30 15,35 15,36 15,37 15,38 15,39-40 16,1 16,1-4 16,3 16,4 16,13 16,17 16,32 16,36 17,3 17,31 18,1 18,6 18,8 18,10 19,4 19,10 19,11 19,13 19,17 19,20 19,21 20,7 20,7-12 20,9 20,10 20,11 20,12 20,22
INDEX DES RÉFÉRENCES
271, 278, 279, 280, 300, 305, 331, 332 278 279, 280, 363 278, 354 85, 271 271, 280, 300, 305 332 271, 289, 307, 332, 335, 360 278 271, 280, 294, 307, 331 290 271, 272, 288, 332, 333, 334, 336, 337, 338, 339, 340, 344, 345, 346, 348, 349, 350, 356 305 3, 86, 278 3, 86, 155, 271, 273 305 278, 305 278 354 353, 354 354 279, 280, 288, 290, 304, 331, 354 66 24 89 155 106 106, 322 324 338 304 311 42, 363 89 119 119 117, 118, 119 86 169 346 51, 52, 53, 91 53, 108 84, 109 346 108, 150 169
20,26 20,28 20,28-29 20,32 20,35 21,1 21,5 21,6 21,10 21,17-25 21,17-26 21,18 21,19 21,21 21,24 21,25 21,26 21,39 21,40 22,1 22,6 22,7 22,9 22,11 22,13 22,14 22,20 23,17 23,18 23,22 24,5 24,14 24,18 25,17 25,19 25,20 25,24-27 25,25 26,5 26,8 26,13 26,14 26,16 26,18 26,20 26,22 26,23 27,18 27,35 28,6 28,21
338 326, 338 327 326 89 32 52 273 127, 155 353 281 270, 271, 280, 281 273, 298 353 282, 353 272, 282, 288, 290, 336, 337, 354, 356 282 60 294 353 26 296 26 26 296 146 338 108 108 108 281 281 282 32 34, 72, 115 169 287 287 282 106 26 296 54, 106 33, 230 155,300 215 26 32 346 9 155
421
INDEX DES RÉFÉRENCES
28,22 28,23 28,25 28,26-27 28,27 28,31
281 296 127, 215 230 230 319
Romains 10,13 10,14 14,13-21 15,25 15,31 16,25
312 304 349 169 155 294
1Corinthiens 5,1 7,1 7,2 8,13 14,25 14,28 14,30 14,34 14,36 15,54
344 97, 100 344 350 304 294 294 294 34 94, 95
2Corinthiens 1,16 4,8-9 4,16-18 6,17 7,15 Galates 1,18-19 1,19 1,22 2,1 2,1-10 2,2 2,4 2,5 2,9 2,9-10 2,10 2,11-14 2,11-21 2,12 2,13 2,14 2,16
289 289 284, 339, 348 354 354 341, 344, 354 339 354
Éphésiens 1,13 2,20 2,22 3,9 5,1-20 5,5 5,14
304 326 326 272 339, 348 339 102, 105
Colossiens 1,26 2,7 2,21 3,1-17 3,5 3,12
272 326 97 284, 339, 347 339, 341, 345 85
1Thessaloniciens 1,9 331 2,14 155 4,1-12 339, 348 4,6 341
155 240 240 97 117 280 270 155 289 289 289 289 288 270, 280 290 290, 289 270, 289 288, 289
2,20 2,21 5,13-25 5,14 5,18 5,19 5,20 5,22-23
290 338 289, 346 289
1Timothée 2,3-4 3,1 3,16
314 3, 166, 263 136
2Timothée 1,3-6 4,6-8
164 165
Hébreux 2,6 7,1 7,2 7,9 7,14 8,11 9,4 11,17 12,12 12,15
3 24 236 164 22 60 166 73 274, 326 3
422
INDEX DES RÉFÉRENCES
12,22 13,12
199 66, 69
Jacques 1,11 1,27 2,5 5,1
22 3 352, 353 165
1Pierre 2,5 2,12 2,25 5,2
326 3, 166, 263 331 3
2Pierre 1,1 1,19 3,10
296 22 167, 246
1Jean 4,9 5,18
73 97
II. LITTÉRATURE 1. Manuscrits de la mère Morte 1.1. DocumentsdelaGrotte1 1Q33 11 6
23
1QpHab IX 6-7
188, 190
1QS I 22 1QS II 1 1QS IX 11
85 85 138
1.2. DocumentsdelaGrotte4 4Q158 6 6
138
4Q174 4Q174 1-2 i 10-13 4Q174 1-2 i 12
320, 321 320 325
4Q175 4Q175 4Q175 4Q175
138 138 23 138
5-8 9 12 14
Apocalypse 1,12 2,14 2,20 4,10 5,14 7,7 7,11 7,17 8,1 11,1 11,2 11,16 18,9 18,11 19,4 19,10 21,2 21,4 21,10 22,8 22,16 22,19
331 336 76, 336 304 304 296 304 95, 296 294 102 199 304 165 165 304 304 199 95 199 304 25 199
JUIVE EXTRA-BIBLIQUE
4Q246 4Q246 4Q246 4Q246 4Q246
i 7-8 ii 1 ii 5-6 ii 9
222 223 223 223 223
4Q266 3 iii 17 4Q266 3 iii 7-17
320 325
4Q269 5 2-3
23
4Q403 1 i 23
85,86
4Q405 3 ii 15
85,86
4Q521 4Q521 4Q521 4Q521 4Q521 4Q521
139, 148, 149, 160, 264, 364 2 iii 2 139, 148, 160 2 ii + 4 1 139, 149 2 ii + 4 5,12 149, 160 2 ii + 4 8 149 7 + 5 ii 6 149
4Q558 51 ii 4
138
423
INDEX DES RÉFÉRENCES
1.3. DocumentsdelaGrotte11 11Q19 18 8 11Q19 26 10 11Q19 27 2
28 28 28
4. Pseudépigraphes d’Ancien Testament
1.4. Écritsassimilés CD CD IV 20-21 CD V 7-9 CD VII 6-16 CD VII 14-15.16 CD VII 16 CD VII 18-19
148,324 343 344 325 325 320 23
2. Philon d’Alexandrie ContreFlaccus 48
V 567 68-69 VI 300-304, 309 188 VII 275-276, 310, 375-376 253
222
Del’ivresse.Delasobriété 100 222 DélégationàCaius 281, 283 234 294-295 200 Desrécompensesetdespeines.Desmalédictions 92 222 Desrêves II 253
222
Desvertus 109
222
3. Flavius Josèphe AntiquitésJuives III 265-268 XI 173 XII 333 XVIII 119
168 146 156 156 158
ContreApion I 41
124-125
GuerredesJuifs IV 58 IV 302 V 533 V 566
168 222 224 305 69
Jubilés 7,30
284, 338 341
4Maccabées 4,22 5,2
336 336
ParalipomènesdeJérémie 7,29.37 336 PsaumesdeSalomon 10,4 266 11,1.6 266 TestamentdesdouzePatriarches Lévi 18,3 23,24 Juda 9,7 219, 220 Juda 24,1 23,24 Benjamin 9,2 266 5. Écrits targumiques Targumd’Onqelos Gn 9,3-7 Lv 17–18
338 338
TargumdeJonathan 1 R 17,24 78 Am 9,11 321 Am 9,12 314 Za 2,15 313 6. Écrits rabbiniques 6.1. Amidah ShemonehEsreh15 20, 21 6.2. Mishna Shabbat 19,5
282
Katan 3,9
94
Sota 9,15
148
Sanhédrin 6,5
71
Ohalot 9,15
98
424
INDEX DES RÉFÉRENCES
6.3. Talmud Babli – Sanhédrin 113a 148 6.4. Midrash MidrashRabbah Genèse Rabbah Gn 6,13 Gn 40,23 Gn 48,21 Exode Rabbah Ex 3,16-18
342 316 144-145
Ex 15,21 Ex 30,3
94 94
Deutéronome Rabbah Dt 2,30
94
Lamentations Rabbah Lm 1,41
94
MidrashTehillim Ps 78,5
148
144-145 III. APOCRYPHES
CHRÉTIENS
MartyredusaintapôtrePierre 11,2 52
VIII,15-17 VIII,19
MartyredessaintsapôtresPierreetPaul 58,5 ; 60,1 52
VIII,22 VIII,23 IX,23 XI,28.30.33 XII,32 XIII,4 XIII,5 XIII,20 XV,10
342 333, 337, 342, 344 348 333, 344, 349 335, 344 345 333 334 337, 344 344 344
Reconnaissances IV,35 IV,36 VI,10.12 VII,30 VIII,56 IX,28
333 349 333, 349 345 344 333 353
ActesdePierreetPaul 79,5 ; 81,1 52 Ascensiond’Isaïe I–V Pseudo-clémentines Homélies I,18 II,6 III,68 VII,4 VII,8
126 11, 332-333, 342, 344-345 333, 353 344 333 344 333, 344, 349 333, 336, 337, 340, 342, 345, 349
TABLE DES MATIÈRES REMERCIEMENTS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
V
INTRODUCTION : D’UNE VISITE DIVINE À L’AUTRE . . . . . . . . .
1
I. Un trésor inexploré . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. L’ἐπισκοπή dans le Nouveau Testament . . . . . . . . . 2. L’ἐπισκοπή dans la Septante . . . . . . . . . . . . . . . 3. Méthode et démarche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4. Fécondité anticipée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . II. Les deux « visites » du Benedictus (Lc 1,68.78) . . . . . . 1. Vue d’ensemble sur la péricope de Lc 1,68-79 . . . . . 1.1. Critique textuelle à propos de la seconde « visite » (Lc 1,78) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.2. Contexte littéraire immédiat (Lc 1,57-80) et genre littéraire de Lc 1,68-79 . . . . . . . . . . . . . . . 1.3. Structure bipartite : le Dieu d’Israël et le petit enfant 2. Exégèse de Lc 1,68-79 . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1. La « visite » réalisée (Lc 1,68-75) . . . . . . . . . 2.1.1. La corne de salut (Lc 1,69) . . . . . . . . . 2.1.2. Le salut : la délivrance de la main des ennemis (Lc 1,71.74) . . . . . . . . . . . . . . . 2.2. La « visite » annoncée (Lc 1,76-79) . . . . . . . . 2.2.1. Le « levant d’en haut » (Lc 1,78) . . . . . . 2.2.2. Le pardon des péchés et la connaissance du salut (Lc 1,77) . . . . . . . . . . . . . . . . Bilan : le Benedictus et l’intrigue de la « visite » dans l’œuvre de Luc . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1 2 5 10 14 15 16
CHAPITRE PREMIER. L’ἐπισκοπή DIVINE À LA PORTE DE NAÏN (LC 7,16) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . I. Vue d’ensemble sur la péricope de Lc 7,11-17 1. Délimitation du texte . . . . . . . . . . . . 1.1. Borne supérieure : Lc 7,11 . . . . . . 1.2. Borne inférieure : Lc 7,17 . . . . . . 2. Critique textuelle . . . . . . . . . . . . . .
. . . . .
. . . . .
. . . . .
. . . . .
. . . . .
. . . . .
. . . . .
16 18 19 20 20 20 21 22 22 26 29
31 31 31 31 35 36
426
TABLE DES MATIÈRES
3. Contexte littéraire : un ensemble de récits proclamant l’identité de Jésus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.1. Contexte élargi : Lc 7,1-50 . . . . . . . . . . . . . 3.1.1. Perspective littéraire : une série d’activités singulières de Jésus . . . . . . . . . . . . . 3.1.2. Perspective théologique : l’identité de Jésus proclamée ou questionnée . . . . . . . . . . 3.1.3. Perspective littéraire et thématique : hommes et femmes, en interaction . . . . . . . . . . 3.2. Contexte immédiat : les miracles des morts et l’identité de Jésus (Lc 7,1-23) . . . . . . . . . . . . . . . 4. Structure : Jésus et la mère du fils unique . . . . . . . . 5. Genre littéraire : un récit de retour à la vie . . . . . . . 5.1. Objet de l’intervention : une victoire sur la mort . 5.2. Élément déclencheur : l’initiative de Jésus . . . . . 5.3. Dénouement : l’intervention publique et l’exclamation Bilan : un retour à la vie aboutissant à un dévoilement de l’identité de Jésus . . . . . . . . . . . . . . . . . . II. Exégèse de Lc 7,11-17 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. La marche de Jésus jusqu’à la porte de Naïn (Lc 7,11-12a) 1.1. La mise en route de Jésus vers la ville de Naïn (Lc 7,11a) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.1.1. Une marche décisive . . . . . . . . . . . . . 1.1.2. Une marche en vue du royaume de Dieu . . 1.2. L’accompagnement de Jésus auprès des disciples et des foules (Lc 7,11b-12a) . . . . . . . . . . . . . . 1.2.1. Jésus, les disciples et la foule . . . . . . . . 1.2.2. Le souci pastoral de Jésus . . . . . . . . . . 1.2.3. Au centre de l’activité publique . . . . . . . 2. Le Seigneur et la mère éplorée par la mort du fils unique (Lc 7,12b-15) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1. Le contexte de Naïn : un deuil particulièrement dramatique (Lc 7,12b) . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.1. Un effet couperet . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.2. Échos à la mort et à l’ensevelissement de Jésus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.3. La mort d’un fils unique : type vétérotestamentaire d’une détresse extrême. . . . . . . . . . 2.1.4. La veuve : une figure révélatrice en Lc . . . 2.1.5. L’écho de 1 R 17,17-24 en Lc 7,11-17 . . .
40 40 40 41 45 47 49 50 51 53 54 55 57 57 57 57 59 62 62 63 65 66 67 67 68 72 74 77
TABLE DES MATIÈRES
2.1.6. L’intrigue sous-jacente au récit de Naïn : une question d’identité . . . . . . . . . . . . 2.2. La compassion du Seigneur au centre du récit (Lc 7,13-14) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.1. Être remué aux entrailles . . . . . . . . . . 2.2.2. Jésus présenté comme « le Seigneur » . . . 2.2.3. Un signe de la consolation eschatologique de Dieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.4. Une approche qui interrompt le cours naturel 2.2.5. Une parole de miséricorde qui rend la vie . 2.3. Le don du Seigneur à la mère (Lc 7,15) . . . . . . 3. Acclamation d’un grand prophète (Lc 7,16-17) . . . . . 3.1. L’émerveillement de tous envers Dieu (Lc 7,16ab) 3.1.1. Avec crainte et émerveillement . . . . . . . 3.1.2. Gloire à Dieu à cause de Jésus . . . . . . . 3.2. L’avènement d’un grand prophète (Lc 7,16c) . . . 3.2.1. Un nouvel Élie ? . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.2. « Un grand prophète », expression singulière 3.2.3. Un prophète comme Moïse ? . . . . . . . . 3.2.4. Jésus en Lc 7,16 et la figure de Moïse en Ac 7,37 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.5. Ac 3,13-26 et l’action de Dieu en Jésus . . . 3.2.6. L’attente d’un prophète dans les manuscrits de la mer Morte . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.7. « Parmi nous », processus d’auto-identification 3.2.8. Un procédé rédactionnel de « correctif » . . 3.3. L’intervention salvifique de Dieu pour son peuple (Lc 7,16d) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3.1. Une action salvifique de Dieu . . . . . . . . 3.3.2. Affinités entre Lc 7,16 et Ex 4,31 (en relation à Ex 3,16-17) . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3.3. Résurrection des morts et « visite » de Dieu dans les manuscrits de la mer Morte . . . . 3.3.4. Dieu est reconnu comme l’auteur premier du bienfait accordé . . . . . . . . . . . . . . . 3.3.5. Le peuple auquel Dieu a accordé sa faveur . 3.4. La parole diffusée largement (Lc 7,17) . . . . . . . 3.4.1. Le rayonnement étendu de Jésus par la puissance de l’Esprit . . . . . . . . . . . . . . . 3.4.2. La géographie historique de la Judée . . . .
427
82 84 84 87 91 96 101 111 116 117 117 120 123 124 126 129 132 134 138 140 142 143 143 145 148 149 150 153 153 155
428
TABLE DES MATIÈRES
3.4.3. La région alentour : un mouvement géographique et théologique . . . . . . . . . . . . 157 Bilan : épiphanie et ἐπισκοπή, marquées au sceau de la compassion divine . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159 CHAPITRE II. L’ἐπισκοπή NON RECONNUE PAR JÉRUSALEM (LC 19,44) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163 I. Vue d’ensemble sur la péricope de Lc 19,41-44 . . . . . . 1. Délimitation du texte et critique textuelle . . . . . . . . 1.1. Une lamentation sur Jérusalem, à la vue de la ville 1.2. Un vocabulaire représentatif de l’histoire contemporaine du peuple juif . . . . . . . . . . . . . . . . 1.3. Critique textuelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Contexte littéraire élargi (Lc 18,31–19,44) et immédiat (19,11-44) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1. Perspective géographique : la montée de Jésus vers Jérusalem . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2. Perspective thématique : crier l’identité de Jésus ou faire taire ses témoins . . . . . . . . . . . . . . . . 3. Structure : Jésus et la ville . . . . . . . . . . . . . . . . 4. Genre littéraire : un oracle de jugement dans un apophtegme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.1. Illustration : la parole de l’ange Gabriel à Zacharie (Lc 1,20) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.2. Les paroles de jugement de Jésus en Lc et leur fonction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.3. La tour de Siloé, la poule et le bois sec (Lc 13,4-5 ; 13,34-35 ; 23,28-31) . . . . . . . . . . . . . . . . 4.4. Singularité des paroles de jugement prononcées par Jésus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Bilan : un témoignage inédit de compassion et de jugement II. Exégèse de Lc 19,41-44 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. Larmes de Jésus sur la ville (Lc 19,41-42a) . . . . . . . 1.1. Une approche exprimant un accomplissement de l’ordre du salut . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.2. Un regard suscitant des larmes de profonde compassion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.3. La ville qui a perdu sa sainteté . . . . . . . . . . . 1.4. La ville où est annoncée la proximité du royaume de Dieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
163 163 163 165 168 168 168 171 175 176 177 178 180 185 191 192 192 192 194 199 201
TABLE DES MATIÈRES
2. Complainte sur la ville et voilement divin (Lc 19,42bc) 2.1. Une parole chargée d’émotion en cet aujourd’hui, moment charnière . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2. La paix : nouveauté et ambiguïté . . . . . . . . . 2.3. Deux proclamations jumelles : de la crèche à la descente du mont des Oliviers . . . . . . . . . . . 2.4. La paix de Dieu donnée en Jésus, en contradiction avec l’attente humaine . . . . . . . . . . . . . . . 2.5. La paix de Jésus : trois rares témoignages d’une rencontre inattendue et désirée . . . . . . . . . . . 2.6. La paix du grand roi . . . . . . . . . . . . . . . . 2.7. Dans la Septante : τὰ εἰς εἰρήνην, une formulation grecque hébraïsante . . . . . . . . . . . . . . . . 2.8. Témoins juifs extra-bibliques et contemporains de Luc . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.9. Le don de Dieu caché aux sages et aux savants . . 2.10. La fonction du jugement : vérité, miséricorde et rencontre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.11. Jérusalem : tous ceux qui condamneront Jésus à mort . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. Annonce d’une destruction totale et ultime complainte sur la ville (Lc 19,43-44) . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.1. Les annonces de destruction totale durant le ministère en Galilée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2. Les annonces de la mort de tous, en marche vers Jérusalem et dans la ville . . . . . . . . . . . . . 3.3. Abandon et ruine de Jérusalem : annonces et signes avant-coureurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.4. « Des jours arriveront » : drames d’une absence qui renvoie à Jésus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.5. Arrière-fond vétérotestamentaire des paroles du verdict . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.6. Enjeu du καιρός lucanien : croire et reconnaître . 3.7. Foi dans les paroles du Seigneur et reconnaissance de l’ἐπισκοπή messianique . . . . . . . . . . . . 3.8. Résonnance inédite du substantif ἐπισκοπή en Lc 19,44 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Bilan : la rencontre à domicile, espace nouveau de l’ἐπισκοπή divine en Jésus
429
204 204 207 209 213 216 219 220 221 223 229 232 236 237 241 244 246 249 254 258 263 267
430
TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE III. L’ἐπισκοπή DISCERNÉE À JÉRUSALEM (AC 15,14) 270 I. Vue d’ensemble sur la péricope de Ac 15,13-21 . . . . . . 1. Délimitation du texte et critique textuelle . . . . . . . . 1.1. Le discours de Jacques : l’accomplissement de la promesse divine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.2. Un vocabulaire qui témoigne d’un événement inédit 1.3. Critique textuelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Contexte littéraire élargi (Ac 14,27–15,40) et immédiat (Ac 15,4-29) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1. L’aller-retour Antioche-Jérusalem, d’une confrontation à l’autre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2. Les apôtres et les anciens . . . . . . . . . . . . . . 2.3. Macro-contexte : le débat autour de la pureté . . . 3. Structure : le plan de salut de Dieu pour les païens et leur engagement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4. Genre littéraire : un discours de jugement délibératif . . Bilan : les deux signes de la « visite » de Dieu en faveur des païens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . II. Exégèse de Ac 15,13-21 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. Reconnaissance de l’intervention de Dieu en faveur de païens (Ac 15,14-18) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.1. Le témoignage de Pierre comme motif de recherche théologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.2. Particularités de l’intervention de Dieu en faveur des païens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.2.1. L’initiative de Dieu en vue d’une élection inclusive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.2.2. Une alliance participative . . . . . . . . . . 1.2.3. Le salut par l’hospitalité divine et fraternelle à la manière de Jésus . . . . . . . . . . . . . 1.2.4. Une révélation de Dieu, de Jésus et de l’Esprit Saint . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.2.5. Une identité nouvelle . . . . . . . . . . . . 1.2.6. L’accomplissement inédit de plusieurs prophéties . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Recommandations aux Juifs et aux païens du parti chrétien (Ac 15,19-21) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1. Déplacement des frontières du peuple de Dieu . . . 2.2. Anciennes prescriptions de pureté porteuses de nouveauté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Bilan : la « visite » de Dieu comme appel à lui appartenir
270 270 270 272 276 277 277 278 282 286 287 290 291 294 295 300 300 301 304 306 309 317 330 330 346 356
TABLE DES MATIÈRES
431
CONCLUSION. L’ἐπισκοπή DIVINE EN LC-AC : SENS, INTRIGUE ET PÉDAGOGIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 358 I. Une intervention salvifique . . . . . . . . . . . . . . . . . 358 II. Une intrigue de l’œuvre de Luc . . . . . . . . . . . . . . . 359 III. La pédagogie de Dieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 360 ANNEXES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 365 Annexe 1. Équivalents hébraïques d’ἐπισκέπτομαι et d’ἐπισκοπὴ dans la Septante . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 365 Annexe 2. « Qui est-il, celui-ci [τίς ἐστιν οὗτος] ? », sept étapes en Lc . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 367 ABRÉVIATIONS ET
CONVENTIONS .
. . . . . . . . . . . . . . . . . 368
BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 369 INDEX DES AUTEURS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 391 INDEX DES RÉFÉRENCES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 397
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