Du sauvage au domestique: Les débuts de la grande conversion néolithique en Europe (French Edition) 9782140354946, 214035494X

Au fil des chapitres de ce livre, le lecteur va découvrir l'incroyable épopée de ces colons venus du Levant qui, à

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Table of contents :
AVANT-PROPOS
INTRODUCTION
CHAPITRE I Délimitations géographiques et chronologiques de l’étude
CHAPITRE II Le contexte environnemental en Europe pendant la période Atlantique
CHAPITRE III État des populations humaines avant le IXe millénaire en Europe, au Proche et au Moyen-Orient
CHAPITRE IV Les causes des migrations
CHAPITRE V Les migrations
CHAPITRE VI La rencontre entre les autochtones et les arrivants
CHAPITRE VII Les grandes étapes de la colonisation vers l’Europe
CHAPITRE VIII Bilan des premiers impacts de la colonisation
CONCLUSION
SOURCES BIBLIOGRAPHIQUES
TABLE DES MATIÈRES
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Du sauvage au domestique: Les débuts de la grande conversion néolithique en Europe (French Edition)
 9782140354946, 214035494X

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Historiques

Historiques

Au fil des chapitres de ce livre, le lecteur va découvrir l’incroyable épopée de ces colons venus du Levant qui, à partir du VIIe millénaire, ont installé progressivement leurs fermes et leur bétail sur quasiment toute l’Europe. Les groupes locaux semi-nomades ont fini par adopter, non sans résistance, leur mode de vie sédentaire où la chasse, la pêche et la cueillette sont devenues des activités marginales remplacées par des productions végétales et animales contrôlées par l’homme. Le sauvage a ainsi reculé devant le domestique le long des deux grandes voies de migration à savoir les côtes de la Méditerranée et la vallée du Danube. Malgré le succès de cette révolution technique, économique et culturelle, l’homme ne peut toutefois pas oublier son passé, même lointain, et le besoin de sauvage refait surface actuellement chez bon nombre de nos concitoyens européens qui lui ouvrent de nouvelles perspectives, réservant pour les années à venir bien des surprises. Bernard Bachasson, docteur en biologie, est ancien membre du Conseil scientifique régional du patrimoine naturel Auvergne-Rhône-Alpes et membre associé de l’Académie delphinale de Grenoble. Il a enseigné les sciences de la nature en BTS à l’ISETA d’Annecy et à l’Université de Lyon III. Les riches données scientifiques rassemblées sur la transition Mésolithique/Néolithique éclairent d’un jour nouveau la conversion définitive des Européens au mode de vie sédentaire où règne la loi de la domestication.

Bernard Bachasson

DU SAUVAGE AU DOMESTIQUE Les débuts de la grande conversion néolithique en Europe

DU SAUVAGE AU DOMESTIQUE

DU SAUVAGE AU DOMESTIQUE Les débuts de la grande conversion néolithique en Europe

Bernard Bachasson

série Travaux

Collection « Historiques » dirigée par Vincent Laniol, avec Bruno Péquignot et Denis Rolland

Illustration de couverture : © Benoît Clarys ISBN : 978-2-14-035494-6

25 €

Historiques

Travaux

DU SAUVAGE AU DOMESTIQUE

Historiques Collection dirigée par Vincent Laniol avec Bruno Péquignot et Denis Rolland La collection « Historiques » a pour vocation de présenter les recherches les plus récentes en sciences historiques. La collection est ouverte à la diversité des thèmes d'étude et des périodes historiques. Elle comprend trois séries : la première s’intitulant « travaux » est ouverte aux études respectant une démarche scientifique (l’accent est particulièrement mis sur la recherche universitaire) tandis que la deuxième intitulée « sources » a pour objectif d’éditer des témoignages de contemporains relatifs à des événements d’ampleur historique ou de publier tout texte dont la diffusion enrichira le corpus documentaire de l’historien ; enfin, la troisième, « essais », accueille des textes ayant une forte dimension historique sans pour autant relever d’une démarche académique. Série Travaux Dernières parutions

Guy BRUNET, Le plateau de Millevaches en Limousin. Société et économie, des années 1870 à la Première Guerre mondiale, 2023. Guy BRUNET, Vivre et travailler sur le plateau de Millevaches. Crises et évolutions d’une société rurale au XXe siècle, 2023. Jean Jacques TOMASSO, Mariages en révolution, Les mariages irréguliers avant la mise en œuvre de l’état civil laïc en 1793, et ceux de Pierre Sylvain Maréchal et de Jacques René Hébert, 2023. Jean-Luc CARTRON, Le massacre de Gardelegen, En avril 1945, 1016 déportés sont exterminés, par les nazis dans l’incendie d’une grange, 2023. Jean-Pierre GASC, Histoire naturelle du geste, 2023.

Bernard Bachasson

DU SAUVAGE AU DOMESTIQUE Les débuts de la grande conversion néolithique en Europe

© L’Harmattan, 2023 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-14-035494-6 EAN : 9782140354946

AVANT-PROPOS

Cette nouvelle publication fait suite à la parution, en 2020, du livre Les archers préhistoriques de la grande forêt européenne et s’attache à comprendre ce qui s’est passé sur notre continent européen au cours de la deuxième partie de la période Atlantique, à savoir la rencontre des chasseurs-cueilleurs nomades avec les agropasteurs réputés sédentaires, originaires du sud-est des Balkans. Elle n’a pas l’ambition d’être un travail d’archéologue, mais s’appuie sur suffisamment de résultats de fouilles et de données bibliographiques pour éclairer le début de cette transition technique, sociologique et culturelle qui a conduit les habitants du Vieux Continent de la fin du Mésolithique à s’intégrer au monde des colonisateurs néolithiques pratiquant le pâturage et l’agriculture au sein de petites communautés villageoises dans lesquelles vont apparaître progressivement des inégalités sociales. Notre propos n’est pas ici de raconter l’histoire de la colonisation néolithique, largement étudiée et décrite dans de nombreux ouvrages parfaitement documentés. Mais de tenter de saisir ce qui s’est passé au moment de ce contact finalement imprévu entre des groupes humains si différents qui ne pouvaient imaginer les effets si importants consécutifs à leur mise en relation. En effet, cette rencontre tout à fait particulière et généralisée entre le monde des chasseurs-cueilleurs et celui des agropasteurs a conduit certains auteurs à parler, pour les populations autochtones, d’acculturation, d’intégration, voire d’assimilation. Suivant les lieux et les moments, ces phénomènes se sont évidemment bien produits. Mais en les regardant 7

avec le recul de l’histoire, il semble que c’est bien plus que cela. Une véritable conversion au cours de laquelle les hommes ont changé de paradigme en considérant que la nature ne suffit plus à assurer tous leurs besoins. Ils ont alors choisi de se prendre en charge pour produire eux-mêmes leur propre nourriture végétale et animale. Ils ont quitté ainsi le monde du « Sauvage » pour entrer dans celui d’un univers maîtrisé par leurs soins, le monde du « Domestique ». Ainsi, la prodigalité de la nature, source d’émerveillement et de gratitude, laisse alors place dans l’esprit des néolithiques à une maîtrise du vivant auquel on demande des résultats, tant pour les récoltes que pour la productivité du troupeau. L’homme s’installe ainsi au centre du jeu d’une nature sous contrôle, bien destiné à imposer la transformation de son environnement à son avantage pour le meilleur… mais aussi pour le pire ! C’est le tout début de cette extraordinaire aventure technique et humaine, entreprise au cours de la fin de la période Atlantique sur la quasi-totalité de l’Europe, que nous allons aborder dans ces pages. À l’instar de la grande épopée américaine, cette « conquête de l’Ouest », engagée près de 7000 ans plus tôt, a profondément modifié la nature et la culture du Vieux Continent dans lequel vont s’activer bon nombre de nos ancêtres.

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INTRODUCTION

Disserter sur la fin du Mésolithique et le début du Néolithique est une gageure, car malgré le remarquable travail des archéologues, les découvertes récentes et prometteuses, les artefacts restent épars sur le Vieux Continent et souvent difficiles à interpréter, car le temps a fait son œuvre. Les sépultures sont généralement dégradées, les objets associés détériorés et les restes de campements fréquemment ensevelis par des sédiments qu’il faut patiemment retirer pour pouvoir tenter de reconstituer l’histoire des activités humaines qui s’y sont déroulées. Si les vestiges des chasseurs-cueilleurs nomades sont souvent ténus, ceux des colons sont toutefois plus riches en informations, car les sédentaires laissent généralement plus de traces sur l’emplacement de leurs cabanes ou de leurs maisons. Quoi qu’il en soit, les quelques milliers de sites exploitables actuellement en Europe permettent de localiser la plupart des lieux de rencontre entre ces deux mondes et d’avoir une idée assez précise de l’avancée du front de colonisation des agropasteurs qui correspond approximativement à la ligne de recul des chasseurscueilleurs. Notre curiosité nous pousse évidemment à imaginer ce qui s’est passé lors de ce « télescopage » de deux peuples de cultures si différentes. Pour ce faire, nous ferons appel aux indispensables résultats de fouilles, mais aussi aux connaissances que nous avons aujourd’hui de la vie de ces rares communautés qui ressemblent encore, mais de loin bien sûr, à celles de la période Atlantique. Il nous faudra donc mobiliser toutes les données scientifiques disponibles, mais aussi faire preuve d’un peu d’imagination pour tenter de reconstituer les échanges, 9

généralement pacifiques, mais dans certains cas cependant violents, qui ont jalonné ces quelques milliers d’années. Après avoir situé notre étude dans l’espace et le temps, nous proposerons une brève description des modes de vie des chasseurs-cueilleurs installés sur le continent et une présentation des occupants sédentarisés du Proche et du Moyen-Orient qui devaient fournir, par la suite, les plus importants contingents de migrants en route vers le nord-ouest. Aux environs du IXe millénaire avant notre ère, le contexte environnemental s’avérait particulièrement favorable au déplacement massif de populations qui avaient choisi de suivre une voie évidemment maritime pour la colonisation des îles de la Méditerranée et une autre résolument continentale le long du cours du Danube et de ses affluents. Ces groupes humains, de culture si différente de celle des autochtones, ont conduit à la rencontre de deux mondes condamnés à s’entendre ou à s’affronter. Cette aventure que nous allons suivre par étape va mettre en place une nouvelle population d’Européens responsables d’une première transformation profonde de nos traditions et de nos paysages insulaires et continentaux. Les chasseurs-cueilleurs vont ainsi s’effacer progressivement devant la dynamique des agropasteurs. Le Sauvage va céder irrémédiablement la place au Domestique et façonner pour toujours le visage du Vieux Continent.

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CHAPITRE I Délimitations géographiques et chronologiques de l’étude

A – Délimitations géographiques La migration des agropasteurs en direction du continent européen s’est faite à partir de populations installées initialement au Moyen-Orient et au Proche-Orient, c’est-à-dire les pays qui portent actuellement les noms Irak, Syrie, Liban, Israël, Jordanie et Turquie. Ces groupes, représentant probablement plus d’un million de migrants, se sont déplacés à l’ouest pour plusieurs raisons identifiées ci-après, mais dont certaines restent obscures. Ce qui est certain, c’est que ces mouvements de pasteurs et/ou d’agriculteurs ont changé progressivement, mais radicalement le mode de vie de nos chasseurs-cueilleurs désormais enclins à abandonner les pratiques de cueillette et de chasse signant le crépuscule d’une « civilisation » millénaire qui, des Néandertaliens aux Sapiens, avait su s’adapter aux conditions climatiques très changeantes du continent européen. À la même époque, d’autres mouvements de populations se sont produits soit à l’est vers l’Asie, soit au sud en limite du Sahara, mais dans le cadre de notre travail, nous nous sommes limités à l’Europe politique actuelle, celle qui va du Portugal et de l’Irlande à l’ouest ; à la Pologne, à l’Ukraine et à la Roumanie à l’est ; et de Chypre et de Sardaigne au sud jusqu’aux confins du Grand Nord… un territoire de plus de 10 millions de km2 parcouru en quelques millénaires par nos migrants, avant que d’autres surgissent un peu plus tard d’Asie centrale. 11

B – Délimitations chronologiques Des migrations successives ont eu lieu bien avant le Mésolithique puisque des groupes d’individus venus d’Afrique ont atteint le Moyen-Orient puis l’Europe du Sud, l’Europe de l’Est et l’Asie il y a plus d’un million d’années. À la faveur de périodes interglaciaires, certains d’entre eux ont pris le chemin de l’ouest pour s’installer dans les Balkans, en Italie, en Espagne puis dans le sud de la France il y a environ 450 000 ans (Tautavel). Les Prénéandertaliens puis les Néandertaliens se sont avancés dans les secteurs septentrionaux du continent à la faveur des améliorations relatives du climat, mais ont dû rejoindre les franges sud dès l’avancée des glaciations. C’est à l’occasion de la dernière, celle du Würm, qu’ils ont rencontré au Moyen-Orient les Sapiens qui ont fini par les supplanter, il y a environ 40 000 ans. Ces derniers, organisés en petits groupes bien adaptés à leur environnement, semblent être restés seuls jusqu’à l’arrivée des colons du Levant qui ont progressé à partir du Xe millénaire avant notre ère, en direction des îles de la Méditerranée et à partir du VIIe millénaire à travers l’Anatolie, la Grèce puis, au-delà des montagnes des Balkans, par la vallée du Danube et son réseau hydrographique. Les nouveaux arrivants se sont donc « mélangés » avec des autochtones aux traditions millénaires et au mode de vie bien typique des semi-nomades.

C – Synthèse Le tableau qui suit propose de présenter les correspondances entre les différentes époques de ces quelques millénaires, les évolutions environnementales et les mouvements de populations.

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Ère

Holocène

Période

Mésolithique Néolithique

Période pollinique

Boréal Atlantique

Culture

Mésolithique I – Mésolithique II – Néolithique européen

Évolution continentale

Délimitations des plaines, collines et zones humides dans leur conformation actuelle

Évolution marine

Stabilisation des niveaux marins jusqu’au niveau actuel

Évolution végétale

Densification de la couverture forestière. Défrichements et mises en culture

Évolution faunistique

Développement des ongulés de forêt… puis des espèces domestiques

Migrations des Sapiens

Voie méditerranéenne Voie continentale Voie des steppes

Datation en années - 9500 - 7000 - 6500 - 6000 - 5500 - 4800 - 3800 - 3300 (repères correspondant à la carte des migrations jointe) av. J.-C.

Frise chronologique des 6000 ans de migrations préhistoriques en Europe antérieures à l’âge du bronze européen (- 2700 ans av. J.-C.).

Ces derniers qui nous intéressent dans ce travail s’étalent donc sur une très longue période qui s’achève aux environs de 3300 ans avant notre ère, un moment charnière pendant lequel a lieu l’invention de l’écriture en Mésopotamie et en Égypte. Commence alors l’Âge du bronze et le début de la métallurgie qui devaient modifier encore plus profondément les comportements sociaux (guerres) et les paysages de notre continent européen.

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CHAPITRE II Le contexte environnemental en Europe pendant la période Atlantique

A – Le climat de la période Atlantique Au sortir de la dernière glaciation du Würm, l’Europe a connu une longue période globalement froide et sèche, et a bénéficié ensuite, à partir de - 8 000 ans avant notre ère (Pion, 2004), d’un réchauffement significatif étalé sur 5 000 ans environ. Les températures moyennes ont dépassé de un degré au moins les températures actuelles, l’Europe du Nord profitant d’une élévation supérieure à l’Europe du Sud dont la thermique est restée relativement stable. Les forêts de montagne ont donc gagné en altitude, les boisements de plaine se sont diversifiés et la faune sauvage associée s’est trouvée favorisée. Ce climat, désormais doux et humide, grâce à la plus grande régularité des vents d’ouest, a offert aux chasseurs-cueilleurs une ambiance environnementale bénéfique que les chercheurs ont qualifiée « d’optimum climatique ». Toutefois, les auteurs ne sont pas tous d’accord sur les limites cet optimum. « Il n’aurait duré que 4000 ans, soit de 7000 à 3000 av. J.-C., avec néanmoins un intermède particulier autour de 6200 ans av. J.-C. » (Debret, 2008). La température moyenne de l’Europe aurait pu dépasser de 1,5°C la température actuelle et celle du Grand Nord bénéficier d’une augmentation de 4°C, ce qui bouleverse complètement l’équilibre initial de ces régions désormais conquises par les formations boisées résineuses ou feuillues initialement cantonnées plus au sud. 15

D’autres climatologues pensent que si cette période a bien duré 4000 ans, elle a été plus tardive et aurait débuté il y a 6000 av. J.-C., se poursuivant jusqu’aux temps historiques, c’est-à-dire environ 2000 ans avant notre ère. Quant à « l’épisode 6200 », il correspond pour tous à une baisse significative des températures avant un net réchauffement autour des années 5500 avant notre ère. Les forêts feuillues gagnent alors de vastes territoires vers le nord et, en montagne, la lisière boisée s’élève de près de 800 à 900 m. D’une façon générale, un climat tempéré relativement chaud et humide s’installe pour longtemps en Europe. Les forêts feuillues se sont alors étendues au détriment des forêts boréales qui trouvent refuge plus au nord ou dans les zones de montagne (subalpin). En plaine, l’association chêne, orme, tilleul connaît un développement maximum. C’est justement à ce moment-là, entre le VIIe et le Ve millénaire avant J.-C., que les migrations s’annoncent en Europe du Sud. Un moment stratégique pendant lequel va s’opérer, dans les sociétés autochtones, la transition entre le Mésolithique et le Néolithique, le passage d’une période de pratiques de chasse et de cueillette, au développement de systèmes de production basés sur des plantes et/ou des animaux domestiqués. Les territoires européens, très peu occupés par l’homme, ont offert des espaces favorables aux cultures et à l’entretien des troupeaux domestiques. Mais si le climat était favorable pour tous, ces espaces très vastes et encore peu habités (1 à 2 hab. aux 1000 hectares en moyenne à la fin du Mésolithique ; Bachasson, 2020) pouvaient devenir des lieux de concurrence dans l’exploitation des milieux et conduire à des conflits de voisinage dès les débuts du Néolithique, avec une population peut-être dix fois plus nombreuse, surtout sur certains secteurs d’installation très convoités, car bien pourvus en terres riches, en points d’eau ou en sites de pêche et de chasse.

B – La situation des îles et des littoraux « La sortie des temps glaciaires a été un phénomène très progressif qui débute vers – 12 700 avant notre ère » (Ghesquière & Marchand, 2010). Il a eu pour conséquence une remontée du niveau des mers de plus de 100 m. Il était encore 16

dix mètres en dessous du niveau actuel à l’Atlantique ancien vers - 5500 ans avant notre ère (Larsonneur, 1977). Vers - 4780, au large de Palavas, il était encore à - 8 m et le maximum de la transgression n’a eu lieu qu’au cours de la pleine période Atlantique pendant laquelle la mer s’est élevée bien au-dessus du niveau actuel. Finalement, entre le VIe et le Ve millénaire, les côtes ont vu les plages fortement régresser et les flots battre le pied des falaises de tout le littoral méditerranéen. De nombreux territoires qui étaient encore rattachés au continent s’en sont trouvés séparés comme les îles ioniennes ou celles de la mer Égée. Les détroits ont gagné en largeur (Messine), ce qui a rendu plus difficiles les échanges entre le continent et les secteurs insulaires. Cette avancée marine sur presque tous les littoraux des Balkans, de l’Italie et de l’Espagne a eu aussi pour conséquence l’installation de courants marins plus près des côtes et tous n’étaient pas favorables au sens de navigation souhaité par les aventuriers des mers qui devaient aussi affronter des vents contraires et parfois des tempêtes fatales aux frêles embarcations de l’époque comme les radeaux ou pirogues monoxyles. Au niveau des estuaires, la situation n’était guère plus favorable, car les fleuves et les rivières avaient incisé fortement leur lit dans la partie basse des vallées suite à la forte baisse du niveau marin pendant la glaciation. Le transit latéral le long des rivages était donc rendu plus difficile par la profondeur des estuaires et, pour la voie terrestre, par l’encaissement des vallées creusées bien antérieurement. En revanche, les cours d’eau laissaient sur leurs bordures de larges terrasses alluvionnaires riches que les pionniers pouvaient désormais mettre à profit par des cultures, voire des plantations.

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CHAPITRE III État des populations humaines avant le IXe millénaire en Europe, au Proche et au Moyen-Orient

« La compréhension du processus de néolithisation ne peut se faire sans la connaissance du substratum mésolithique » (Kourtessi-Philippakis, 2008), c’est-à-dire l’histoire des peuples et des évènements qui ont précédé l’arrivée des migrants.

A – État des populations en Europe 1 – Un continent sous-peuplé « À l’est du continent, les populations qui étaient séparées de celles de l’ouest à cause de la glaciation du Würm, il y a 45 000 ans, ont vu leur isolement prendre fin. Elles sont entrées ensuite en contact avec des populations venues du sud (mer Noire et Balkans) et leur ont transmis une portion de leur génome » (Jones et al., 2015). Toutefois, ces contacts n’ont pas donné lieu à une forte croissance démographique tant que ces nomades sont restés chasseurs-cueilleurs. Il a fallu attendre plusieurs milliers d’années plus tard pour voir ces groupes faire mouvement vers le nord à la faveur du réchauffement climatique, occuper les steppes pontiques puis devenir éleveurs, plus ou moins sédentarisés, de moutons ou de chevaux. Plus à l’ouest, à la fin du Pléistocène (vers - 10 000 ans av. J.-C.) et donc de la dernière période glaciaire, les peuples de

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chasseurs-cueilleurs réfugiés au sud-ouest de la France, en Espagne, en Italie, dans les Balkans et en Grèce ont pu également remonter progressivement vers le nord pour occuper une grande partie des territoires européens en voie de colonisation forestière. La grande majorité de ces Sapiens est restée nomade, mais quelques groupes ont réussi à se sédentariser, au moins provisoirement, dans des sites particulièrement favorables où il était possible de pêcher et de collecter de coquillages marins. Ainsi, se sont installés les Maglemosiens sur les côtes du Danemark et les tout premiers campements permanents aux « Portes de Fer », le long du défilé du Danube. Avant que les premiers colons débarquent en Grèce et sur les côtes de la Méditerranée, autour des années 6500 av. J.-C., les populations de chasseurs-cueilleurs sont, sauf dans certains secteurs bien particuliers (estuaires, lacs, bords de cours d’eau), très clairsemés. Il n’y aurait pas plus d’1 à 3 habitants aux 1000 ha en moyenne sur le continent européen. De quoi laisser de vastes espaces pour l’installation de futurs petits groupes d’agropasteurs à la tête de troupeaux limités et de modestes installations agricoles. Le monde sauvage est alors omniprésent et le monde domestique une exception. Ce monde sauvage, c’est un monde dans lequel les hommes et les animaux se déplacent librement, les espèces végétales disséminent leurs graines au hasard des vents et ces dernières s’installent et se développent dès que les stations rencontrées leur sont favorables. Un monde où la concurrence entre les plantes et les animaux favorise le plus fort ou le mieux adapté. Les ruisseaux et les rivières étalent librement leurs tresses dans les vallées au moment des crues. Les incendies dus à la foudre s’arrêtent quand le vent se retourne ou que la pluie se déclenche. Un monde où les paysages changent au gré des accidents géologiques (glissements de terrains et avalanches) ou climatiques (tempêtes et crues). Au regard des autochtones, la nature est perçue comme omniprésente et toute puissante. Les hommes prélèvent ce dont ils ont besoin sur la flore et le faune dont les gisements de ressources paraissent inépuisables, pour peu que les hommes se déplacent dès que les ressources locales se raréfient. La sédentarisation est occasionnelle et le semi-nomadisme la règle. 20

2 – Les systèmes d’exploitation du territoire européen par les chasseurs-cueilleurs à la fin du Mésolithique « Entre le IXe et le VIIe millénaire avant J.-C., le continent européen reste le domaine des chasseurs-cueilleurs » (Guilaine, 2019). La densité démographique était vraisemblablement plus faible dans les zones intérieures occupées par la grande forêt feuillue que sur les secteurs les plus favorables du littoral atlantique (Portugal, Bretagne), de la mer Baltique (Danemark) ou de la mer Noire. L’occupation des bords de cours d’eau est aussi recherchée comme le site des chutes du Dniepr, en Ukraine, ou les Portes de Fer le long du Danube, ce qui ne manquera pas de poser problème lors de l’arrivée des agropasteurs demandeurs de terres cultivables. Comme les chasseurs-cueilleurs ne disposaient pas d’animaux domestiques donc de lait, ils étaient condamnés en tant qu’omnivores à se procurer des « produits dits charnus (fruits, racines, chairs d’animaux) qui sont dispersés dans la nature » (Demoule, 2022) et contraints à se déplacer constamment à la recherche de nourriture avec pour conséquence de mener, comme il a été mentionné précédemment, une vie semi-nomade.

La réparation de flèches après la chasse. Illustration de Benoît Clarys.

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Pour ce faire, « leurs habitations étaient des huttes parfois semi-enterrées qui indiquaient des hébergements provisoires. Ils se déplaçaient à l’intérieur d’un territoire limité et pouvaient revenir au même endroit régulièrement selon les saisons, par exemple. La sédentarisation n’est donc pas un phénomène historique, mais plutôt une tendance dont l’action s’est fait sentir pendant des millénaires et où les habitations précaires (mésolithiques ou néolithiques) ont été progressivement remplacées par des structures plus solides mieux adaptées à un séjour permanent » (Treuil, 2021). Avant l’intrusion des groupes néolithiques, les autochtones avaient perfectionné leur mode de vie, surtout ceux qui respectaient des phases de sédentarisation. Ils pratiquaient alors le stockage des ressources alimentaires : séchage de la viande, fumage du poisson ou mise en réserve de noisettes, de glands, de châtaignes ou d’olives. « La découverte de céréales domestiques dans le régime alimentaire des chasseurs-cueilleurs signifie que ces derniers avaient établi localement des échanges avec les premières communautés néolithiques au moins 500 ans plus tôt que ne le pensaient les archéologues » (Cristiani, 2016). Si la mise en culture de céréales n’a véritablement débuté qu’avec l’intervention des fermiers, « les chasseurs-cueilleurs du continent savaient déjà, il y a au moins 30 000 ans, utiliser des meules et des pilons sur lesquels on a trouvé des traces d’amidon provenant de racines, de tiges et de feuilles destinées à en extraire des farines végétales » (Le Monde, 2022). Des prérequis bien utiles par la suite ! Vers la fin du Mésolithique, comme il a été dit plus haut, les chasseurs-cueilleurs ont vu arriver sur les différents territoires européens des migrants originaires du Proche et du MoyenOrient, et plus tard des plaines de l’Europe centrale. Ces nouveaux « intrus », au regard des autochtones, étaient imprégnés de modes de vie et de cultures bien différents des leurs. Les pasteurs étaient attachés à leurs troupeaux et les agriculteurs à un secteur bien défini, au milieu duquel ils avaient installé leurs habitations. Cette colonisation a sans doute éveillé chez les autochtones des sentiments partagés : de l’intérêt, voire de la curiosité, mais aussi des craintes et peut-être de la méfiance.

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La question se pose alors de savoir si tous ces habitants d’origines diverses étaient susceptibles de cohabiter sur des territoires majoritairement forestiers. Ce type de couvert est en effet réputé hostile (prédateurs) et peu productif (en futaie dense, le sous-bois est pauvre). C’est peut-être l’occasion de s’intéresser à ce qui s’est passé, en d’autres temps et d’autres lieux, dans une grande forêt d’Amérique du Sud où la présence humaine a longtemps été réputée impossible. 3 – Une comparaison est-elle possible avec l’histoire de la forêt amazonienne ? Presque tous les archéologues du siècle passé considéraient cet immense territoire vallonné et parcouru par une multitude de cours d’eau comme un espace inhabité. Les premiers explorateurs arrivés en Amérique du Sud vers 1490 avaient décidé que la forêt amazonienne ne pouvait entretenir de communautés humaines tant le milieu paraissait inapproprié à leur survie. D’autant que « les tentatives avortées d’implantation des Européens en Amazonie… convainquirent beaucoup de chercheurs qui acceptèrent finalement l’idée que ce désert vert était impropre à héberger des populations prospères » (Rostain, 2021). N’oublions pas que sur notre continent, à défaut de trouver des traces significatives de campements, on en était arrivé à conclure à un « hiatus de peuplement » dans notre forêt européenne ! Et pourtant, dans cet enfer vert du continent sud-américain, « l’occupation humaine commença avec les premiers peuples paléolithiques, il y a plus de 12 000 ans, lorsqu’ils manipulèrent des espèces végétales, en favorisant certaines d’entre elles tout en limitant le développement de beaucoup d’autres. L’Amazonie était en réalité beaucoup moins sauvage qu’elle n’y paraissait » (Rostain, 2021). Les pétroglyphes dessinés sur les rochers de certains points hauts de l’Amazonie sont datés, pour les plus anciens, de 12 000 ans et témoignent d’une présence humaine très précoce (Arte, 2022). « Cette immense étendue verte n’était pas occupée par des tribus uniformes puisqu’on y trouvait des chasseurs, des pêcheurs, des cultivateurs ou des combinaisons de ces différentes pratiques et 23

entre 6000 et 4500 avant notre ère, les Amazoniens s’essayaient déjà à la terre cuite » (Rostain, 2021). Le même auteur mentionne qu’au fil des investigations de terrain des nouveaux archéologues, on s’est rapidement aperçu que « l’espace sous contrôle d’un groupe amazonien a toujours été minutieusement organisé et géré ». « Au moment de la conquête espagnole, au XVe siècle, c’étaient quelque 7 à 8 millions d’habitants qui se répartissaient sur un territoire boisé de plus de 7 millions de kilomètres carrés » (Rostain, 2021), une surface finalement assez voisine de celle couverte par les formations arborées d’Europe. La densité d’habitants au premier millénaire de notre ère se trouvait donc assez proche de celle estimée au début du Néolithique en Europe, soit environ un habitant au kilomètre carré. On y parlait probablement plus de 600 langues ou dialectes… peut-être comme en Europe ? ! « Les explorateurs européens découvrirent dans l’intérieur de la Guyane de très larges chemins sur lesquels auraient pu trotter quatre chevaux de front (et dans certains secteurs), des carrefours en étoile et des routes parfaitement rectilignes » (Rostain, 2021). Ces « sauvages » amérindiens étaient finalement fort civilisés ! Le profane voit l’Amazonie comme un territoire exclusivement forestier avec des arbres de plus de 60 m de hauteur et de ce fait un sous-bois obscur. En fait, « La terre ferme, non sujette aux inondations fluviales, représente près de 90 % de l’Amazonie » (Rostain, 2021). Il était donc possible de mettre en valeur cette mosaïque bien arrosée par des pluies abondantes et régulières et facilement desservie par de multiples ruisseaux et cours d’eau plus ou moins grands. Il fallait toutefois s’arranger pour faire parvenir la lumière au sol, un facteur clef dans la croissance végétale. Les Amérindiens ont donc déboisé avec des haches de pierre de vastes clairières et utilisé le feu pour les agrandir. On suppose que la pratique des incendies volontaires a débuté avec « le peuplement initial de la région qu’on date des environs de 11 000 av. J.-C. Le paysage amazonien était vraisemblablement moins boisé à l’époque, de grandes savanes alternant avec des espaces forestiers en divers endroits » (Rostain, 2021). « On peut ainsi déchiffrer dans les données paléobotaniques que les 24

feux n’ont fait qu’augmenter en milieu sylvicole depuis le début de l’Holocène et que le brûlis a été pratiqué il y a au moins 4000 av. J.-C. dans l’immense forêt tropicale » ; « Ce décor partiellement ouvert a dû faciliter la pénétration de petits groupes paléolithiques nomades qui ont dérivé dans la savane… et ont aussi bien occupé des abris sous roche que des espaces en plein air » (Rostain, 2021). Ces pionniers ont ainsi mis en valeur les sites les plus favorables sans abandonner les pratiques de chasse et de pêche. Les « cultures » ont consisté à favoriser les plantes nourricières sans pour cela que les pratiques « agricoles » soient pérennes en un même lieu, d’autant que les sols de cette forêt sont pauvres en éléments minéraux et très riches en humus qui, une fois brûlé, provoque une baisse drastique de la productivité végétale. Les « cultures » étaient donc condamnées à être itinérantes, laissant derrière elles l’installation d’une forêt secondaire. Ainsi, « sans être véritablement cultivé, l’ancien champ forestier n’est pas non plus devenu totalement sauvage » (Rostain, 2021). L’ethnologue Claude Lévi-Strauss (2001) avait d’ailleurs constaté « qu’il n’est pas toujours facile de distinguer entre des espèces sauvages et cultivées en Amérique du Sud, car il y a beaucoup d’étapes intermédiaires entre l’utilisation des plantes dans leur état sauvage et leur véritable culture ». Et Stéphen Rostain confirmait « qu’en Amazonie, bien plus qu’ailleurs, la frontière entre le sauvage et le domestique est floue ». On ne peut s’empêcher de penser à nos chasseurs-cueilleurs d’Europe qui, derrière les feux provoqués ou des défrichements, récoltaient des céréales sauvages ou des baies d’arbrisseaux (mûres, cynorhodons) provenant de la reconquête forestière. Ces produits restaient bien sauvages, mais l’homme était cependant directement intervenu dans leur production. En Amérique du Sud, bon nombre d’innovations sont venues de la forêt. « L’archéologie récente a prouvé le rôle primordial des basses terres amazoniennes dans le développement humain du continent ainsi que dans les évènements cruciaux qui s’y sont déroulés comme l’apparition de la céramique, la complète sédentarisation et la domestication des plantes » (Rostain, 2021). Sur ce continent, le même auteur conclut que « les humains ont appris de l’exubérance végétale et dès la fin du 25

Pléistocène, ils se sont mutuellement domestiqués. Aujourd’hui, les anthropologues et les archéologues sont nombreux à s’accorder sur le fait que les populations nomades de chasseurscueilleurs ont posé les bases d’une interaction intime entre humains et nature, tout comme les prémices de la domestication du paysage. » Toutefois, même si le lien avec la nature était intime, les peuples de la forêt maintiennent bien le distinguo entre ce qui est du domaine de l’humain de ce qui demeure du domaine des territoires non contrôlés, c’est-à-dire non anthropisés. Dans leur univers mental, « les Amérindiens placent au centre de tout, ce qui est très connu : la maison, le jardin, le village. Autour apparaissent des espaces en cercles concentriques de moins en moins maîtrisés au fur et à mesure de la distanciation. Le premier concerne l’aire cultivée, le second le territoire de chasse et de pêche et enfin l’inconnu. L’ensemble est en outre ponctué de lieux sacrés » (Rostain, 2021). Une façon de voir qui n’est finalement pas sans ressembler à la perception que devaient avoir nos chasseurs-cueilleurs européens de leurs territoires et explique l’évolution de nos paysages boisés d’Europe entrecoupés de clairières bordées de landes de pâtures. Une des conclusions à tirer, peut-être, de cette comparaison entre deux colonisations originales séparées par l’Atlantique et donc par plusieurs milliers de kilomètres et aussi par plusieurs milliers d’années, c’est que la domestication végétale et animale et les avancées technologiques sont possibles en milieu forestier. Les premières installations européennes (Erteböllel au Danemark et Starcevo le long du Danube) en étaient déjà des preuves. Quant aux aspects culturels, ils montrent des évolutions très comparables. Les nombreuses décorations peintes sur des poteries attestent que les animaux du sous-bois (jaguars, serpents ou oiseaux) sont représentés sous une forme humanisée, ce qui laisse à penser que les Amérindiens ne séparaient pas le monde animal du monde des humains comme il est habituel de le faire dans nos sociétés occidentales. Nos chasseurs-cueilleurs européens ont produit aussi des statuettes mi-homme mianimal (thérianthropes) qui montrent bien le lien entre ces deux groupes du vivant que nos préhistoriques avaient perçu comme ayant une origine commune (Le Quellec, 2023). La pensée ani26

miste perçoit une grande unité dans le monde vivant et chaque représentant de la chaîne alimentaire est doté d’une force vitale puissante commune à tous. Pour conclure sur cette comparaison, on ajoutera que les peuples des forêts ne semblaient pas spécialement souffrir des conditions de vie réputées pourtant difficiles à cause de la présence d’humidité, d’insectes et de prédateurs. Ils pouvaient déjà atteindre un âge respectable au Mésolithique. « L’étude des urnes funéraires trouvées dans certains campements de la forêt amazonienne a montré que les occupants amérindiens pouvaient vivre jusqu’à 50 ou 60 ans » (Arte, 2022), et même si la mortalité juvénile était forte, l’espérance de vie n’était pas forcément courte, comme en témoigne aussi la longévité des chasseurscueilleurs actuels de Bornéo.

B – État des populations au Proche et au MoyenOrient 1 – Les Précurseurs (XIIIe – XIe millénaire av. J.-C.) Revenons à nos préoccupations européennes et à la situation des populations du Proche et du Moyen-Orient d’où sont issus nos pionniers plusieurs millénaires avant notre ère. Les fouilles toutes récentes viennent de révéler qu’une véritable civilisation était déjà en place 8000 ans av. J.-C. dans le sud-ouest de l’Iran où les premières tentatives de culture et de domestication ont vu le jour (Morgan, 1895). Les chasseurscueilleurs de cette région s’étaient donc déjà regroupés en villages et auraient peut-être imaginé une autre façon de se procurer de la nourriture que par la simple prédation sur le milieu naturel. La mise au jour de cabanes et de restes d’activités domestiques (graines carbonisées) laisse à penser que la collecte, voire la production de céréales et de légumineuses, remonterait au XIIIe millénaire av. J.-C., qualifiant ce secteur du Croissant fertile de véritable berceau de la néolithisation. Mais les tout premiers signes d’une maîtrise des productions végétales se manifestent, au Levant, dès « le Natoufien (12 000 – 10 000 av. J.-C.) durant lequel se pratiquent le stockage et le traitement des substances amylacées des plantes, ce qui conduit 27

au regroupement et à la sédentarisation des habitants » (Vaquer, 2021). On assiste alors à un début de domestication des plantes. Certains groupes fréquentaient encore les cavernes ou abris sous roche, mais d’autres vivaient déjà dans des installations de plein air, principalement dans les territoires de la Jordanie, de la Palestine, d’Israël et du Liban. Compte tenu de la variété des sites, les Natoufiens ne menaient évidemment pas tous le même mode de vie entre plaine et montagne. Mais dans tous les cas, on a pu mettre en évidence des sites de stockage qui laissent penser qu’ils pratiquaient des récoltes de céréales sauvages probablement et peut-être des cultures.

La glaneuse à la faucille. Illustration de Benoît Clarys.

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Ils étaient sûrement cueilleurs sans mériter véritablement le qualificatif d’agriculteurs. Ils représentent à coup sûr des précurseurs dans l’utilisation des premiers blés, lentilles et pois. Les fouilles montrent qu’ils pratiquaient aussi régulièrement la pêche et se consacraient à une chasse éclectique, en prélevant les gibiers sauvages très abondants sur ces territoires à l’époque. On n’est pas certain que les Natoufiens disposaient de l’arc, mais l’abondance des restes de gazelles dans leur régime alimentaire laisse à penser qu’ils capturaient assez facilement cette espèce capable pourtant d’une course très rapide. Certains chercheurs pensent même qu’ils enfermaient de petits troupeaux dans des parcs pour constituer une réserve de venaison tout au long de l’année. Il ne semble pas que ces pratiques aient toutefois conduit les Natoufiens à réussir la domestication des gazelles qui, comme le chevreuil chez nous, supportent très mal la vie en enclos. « L’absence de tout indice d’agriculture et d’élevage dans les premiers établissements natoufiens fut une découverte importante en montrant qu’au Levant, la sédentarisation en village avait précédé la production de subsistances » (Lichardus et al., 1985). À partir du Xe millénaire, au moment où se développe au Levant la civilisation natoufienne, le Croissant fertile connaît un degré de chaleur et d’humidité comparable à nos températures actuelles de l’ouest, c’est-à-dire bien plus favorable aux activités agricoles que la semi-aridité actuelle. « Les différentes étapes de cette nouvelle façon d’exploiter les milieux naturels se sont alors déroulées par la suite du Xe au Ve millénaire av. J.C., au Proche-Orient et c’est là que l’on trouve les traces des plus anciennes civilisations agropastorales. Ce processus est perçu comme lent et progressif » (Marquieira, 2004). Chez les Natoufiens, les archéologues ont découvert au début que de petites stations subsistent, sans structures construites ni mobilier lourd, encore interprétées comme « des campements éphémères », mais elles côtoient aussi des installations plus importantes et plus stables pouvant atteindre 2 000 à 3 000 m2, dites « camps de base » qui précèdent les premiers villages que l’on connaît (Lichardus et al., 1985). Malgré le très faible rendement de la collecte des céréales sauvages qui offrent peu de grains par épis et de grosses pertes à la récolte, les habitants 29

de ces régions parvenaient à fabriquer du pain (Curry, 2021) et même de la bière par fermentation des produits amylacés. « Les manipulations des légumineuses (lentilles, pois) et des céréales (blé amidonnier, orge) sont effectives vers 9000 av. J.-C. La domestication des chèvres débute vers 8000 av. J.-C. et se poursuit par celle des moutons, des bovins et des porcs. Le cortège des plantes cultivées s’est enrichi (engrain, lin, seigle, pois chiche) et l’expansion a commencé en direction de l’Anatolie et de Chypre. La généralisation de la céramique semble un phénomène secondaire » (Vaquer, 2021). Reste que les causes de l’apparition de l’agriculture demeurent mystérieuses. On peut déjà suspecter qu’elles sont nombreuses et les recherches sur le sujet montrent que c’est le cas, mais elles ne peuvent se réduire à des pressions environnementales ou démographiques. « Il faut peut-être évoquer des raisons socioculturelles, le résultat d’un changement révolutionnaire dans la psychologie humaine, une révolution des symboles » (Cauvin, 1994). Les villageois auraient choisi ces pratiques pour régler les problèmes de tensions internes qui apparaissent quand la collectivité atteint son seuil critique. Elle aurait alors mis en place de nouveaux rapports sociaux associés à un autre mode de vie. Dès lors, l’agriculture serait davantage une adaptation de la société humaine à elle-même plutôt qu’à son milieu extérieur (Cauvin, 1994). Ainsi et quelles qu’en soient les causes, sur ces territoires finalement assez limités, le monde « domestique » s’installe pour longtemps. C’est un monde dans lequel l’homme maîtrise la reproduction et le développement de ses semences et de son cheptel, et qui ne s’éloigne jamais très loin de sa cabane où s’active sa famille. C’est un territoire circonscrit sur lequel les cultures choisies étouffent les herbes folles que l’agriculteur va qualifier de mauvaises herbes. Les accrus naturels de la forêt sont arrachés, voire brûlés. La dynamique de la végétation naturelle est bloquée. Par le déboisement, l’homme repousse les lisières de la forêt. L’agrandissement des clairières s’effectue sous la pression du pâturage. Les sources sont captées, les ruisseaux dérivés pour arriver dans des bassins ou des jardins irrigués. Les rivières sont endiguées et des retenues d’eau s’accumulent derrière des barrages. Dans ce cadre largement contrôlé, les 30

animaux sauvages sont indésirables et en cas d’intrusion, ils sont repoussés, voire tués. Toute atteinte au troupeau ou aux cultures est attribuée aux « nuisibles ». L’accès au territoire est réglementé et le paysage prend des formes géométriques. Il est « anthropisé » et l’homme s’habitue à le voir ainsi ! Mais « la néolithisation a un sens différent selon que l’on se trouve dans des zones où les protonéolithiques ont mis en œuvre des domestications ou bien dans des zones secondaires, où les espèces cultivées et domestiques ont été introduites ou adoptées, en tout cas acclimatées » (Vaquer, 2021). Il faut remarquer que « le Néolithique précéramique qui précède le Néolithique ancien, riche en poteries de bonne qualité, n’est pas forcément exempt de tessons » (Marquieira, 2004). Il peut représenter une période de transition pendant laquelle on observe un certain niveau de sédentarisation et de présence d’animaux d’élevage, donc un début de domestication. La caractéristique d’une véritable néolithisation est attestée par l’importation d’animaux d’élevage qui n’ont pas de progéniteurs sauvages in situ. Quant à la poterie, comme il a été mentionné plus haut, elle serait apparue au Proche-Orient vers Xe millénaire, mais bien plus tôt dans d’autres régions du monde et elle n’est pas forcément corrélée à des formes de sédentarisation ou d’agriculture. 2 – Le Néolithique ancien (Xe – VIIIe millénaire av. J.-C.), antérieur à la poterie La progression de la néolithisation devait ensuite gagner des territoires bien plus vastes au nord et à l’est du Levant. Le couvert végétal était alors constitué d’une steppe semi-aride (entre 500 et 250 mm de pluie par an) à forêt clairsemée de chênes et de pistachiers, décrit depuis le Sinaï jusqu’au Khouzistan iranien, à travers le fossé du Jourdain, la haute Djezireh syrienne et les piémonts du Taurus et du Zagros. « Dans cet arc de cercle, la présence de céréales sauvages et d’ongulés domesticables a véritablement constitué une “zone nucléaire” pour la sédentarisation des derniers chasseurs-cueilleurs locaux et le développement initial de la production de subsistances » (Lichardus et al., 1985). Il est courant de nommer ce vaste ensemble « le Croissant fertile ». 31

« C’est dans cette Asie antérieure que, plus précoce et mieux étalée dans le temps, cette “révolution” apparaît véritablement comme un processus progressif. Les caractères constituants de la néolithisation, qui sont l’apparition des premiers villages, la domestication des plantes et des animaux, les techniques nouvelles comme le polissage de la pierre et la céramique et plus tard la métallurgie, voire les cultes religieux et des modes de pensée nouveaux, s’y ordonnent en étapes successives qui rendent plus intelligible l’ensemble du changement entre le Xe et le IVe millénaire avant notre ère » (Lichardus et al., 1985). C’est sans doute à des conditions biogéographiques exceptionnellement favorables que l’Asie antérieure a dû son rôle de centre évolutif dans le processus de néolithisation et la particulière précocité de celui-ci. « Entièrement situé dans la bande tempérée boréale, elle constitue en outre le point de rencontre et de passage entre trois domaines biogéographiques différents : la zone dite « paléo arctique » au nord, la zone « éthiopienne » (africaine) au sud et la zone « orientale » (asiatique) au sud-est, dont les espèces animales et végétales propres lui assurent, en se chevauchant sur leurs limites, une particulière variété en ressources naturelles » (Lichardus et al., 1985). C’est au premier domaine qu’appartiennent le bœuf, le cerf, le chevreuil et le daim ; au second, la gazelle ou l’ibex ; au troisième, l’hémione ou le daim de Mésopotamie, toutes espèces que poursuivent dès le Paléolithique supérieur les chasseurscueilleurs du Proche-Orient. On y trouve surtout à l’état sauvage la gamme presque entière des espèces végétales (céréales et légumes tels que pois et lentilles) ou animales (caprinés, bovidés, suidés) qui pourront gagner, une fois domestiquées, l’Europe néolithique. « Elles n’y seront donc pas indigènes (ainsi les céréales, le mouton et la chèvre), mais deviendront toutefois la base des productions dans notre civilisation agropastorale d’Occident » (Lichardus et al., 1985). La sédentarisation se traduit par la construction, en Mésopotamie par exemple, de maisons très simples faites en torchis, un mélange d’argile, de paille et de roseaux et par la suite de briques constituées d’alluvions argileuses cuites (Arte, 2021). Dans les maisons rondes de Palestine, datées de 7800 av. J.-C., on a trouvé les toutes premières poteries connues. Parfois, 32

certaines habitations étaient souterraines. Le développement de Jéricho, où on récoltait des figues, a apporté le premier témoignage d’une architecture collective.

Pièce à provision d’une maison au Néolithique ancien. Illustration de Benoît Clarys.

La domestication des végétaux semble avoir précédé la domestication des animaux. Une protoagriculture a vu le jour sur l’Euphrate où l’on a retrouvé des grains de céréales d’aspect « domestique », c’est-à-dire différent du sauvage. En effet, l’engrain (ou petit épeautre) a été cultivé pour sa valeur très nutritive et sa richesse en protéines complètes. Le grain reste dans l’épi, mais le cycle de végétation est très long (11 mois), ce qui est un handicap, car il retarde la récolte. Par contre, il convient aux terrains pauvres qui bordent les zones alluviales. Toutefois, cet engrain (triticum boeoticum) est une céréale présente à l’état sauvage en Anatolie et en Mésopotamie qui aurait 33

été déjà récoltée (voire cultivée) il y a 8000 ans avant notre ère par des populations plus ou moins sédentarisées qui ont fini par domestiquer l’espèce, ce qui a permis d’obtenir des tiges qui ne perdent pas leurs épillets à maturité, donc se prêtent à la récolte avec un meilleur rendement d’autant que les grains sont alors plus gros (Heun, 1997). Les manipulations des légumineuses (lentilles, pois) et des céréales (blé amidonnier, orge) sont effectives vers 9000 av. J.-C. (Vaquer, 2021). À ce sujet, il faut savoir que domestiquer une plante n’est pas une chose facile. Pour les céréales, par exemple, il a fallu retenir les souches qui conservent leurs graines comestibles assez longtemps pour être récoltables et transportables en écartant celles qui pouvaient avoir un goût amer. Pour les lentilles, par exemple en Syrie, les premiers agriculteurs ont dû réussir à briser la dormance des semences qui, normalement chez beaucoup d’espèces sauvages, ne germent pas la première année. Avant d’obtenir des rendements plus ou moins réguliers, de nombreuses tentatives ont sûrement eu lieu avant de disposer effectivement de « cultures pionnières » réellement fondatrices du Néolithique. Le seigle, adapté aux terrains pauvres, a aussi fait l’objet de tentatives avortées. « Il a été cultivé puis abandonné en Anatolie au Néolithique pour finir par être domestiqué des milliers d’années plus tard » (Weiss, 2006). Pour être complet, ajoutons que toutes ces espèces présentaient des variétés aux exigences légèrement différentes que les fermiers ont sélectionnées pour trouver celles qui donnaient de bons rendements sur les terres aux caractéristiques bien différentes et qu’ils ont cherché à mettre en valeur tout au long du parcours de près de 3000 km en Europe. Ces énormes efforts d’adaptation se sont bien sûr ajoutés aux difficultés d’installation inhérentes à tous ceux qui sont migrants. Quant à la domestication animale, elle semble venir un peu plus tard. « Au Moyen-Orient, la station la plus ancienne où de l’élevage semble avoir été reconnu dans un site précéramique est Zawi-Chemi, dans le nord de l’Irak, où l’on trouve du mouton dans une couche datée de 8800 ans av. J.-C. » (Roux et al., 1964). « Les débuts de l’élevage dans les stations précéramiques du Moyen-Orient se situent entre 8800 et 7000 av. J.C. » (Roux et al., 1964). Précisons que pour domestiquer, il faut 34

d’abord capturer des juvéniles à la chasse ou recevoir des juvéniles d’un voisin qui en possède. Il faut donc anticiper et prévoir quelle destinée on envisage pour ces jeunes animaux et donc organiser la famille ou le village pour les garder, les nourrir et éventuellement les faire se reproduire. Finalement, penser toute une stratégie d’organisation domestique pérenne et transmissible d’une génération à l’autre. 3 – Le Néolithique tardif anatolien (VIIe – IVe millénaire av. J.-C.) Le climat a sensiblement varié au Levant au cours des millénaires et a offert des conditions très favorables au Néolithique ancien, ce qui explique, sans doute, le développement de l’agropastoralisme. Mais par la suite, le Croissant fertile a connu une période plus sèche suivie, entre 5500 et 4000 av. J.C., d’un épisode particulièrement humide, « le pluvial néolithique », pendant lequel, l’Anatolie et, en Palestine, les bords du lac Houlé, ont connu un remarquable essor forestier. Des marécages ont alors envahi au Liban la plaine de la Béqua (Lichardus et al., 1985). Cet épisode humide pourrait peut-être expliquer le départ de certains agropasteurs chassés par le développement des marécages, l’extension des lacs et le débordement des rivières. « La première phase de la néolithisation proche-orientale, celle qui fut marquée par l’invention de l’agriculture au début du VIIIe millénaire, ne s’est pas étendue immédiatement à l’Anatolie. Celle-ci reste à peu près vide d’habitants et lorsque le Néolithique y apparaît, il n’est pas indigène. Ce sont des populations venues de Syrie du nord vers 7400 av. J.-C. qui ont remonté le cours supérieur du Tigre et de l’Euphrate qui sont venus coloniser le Taurus oriental. On utilise alors l’obsidienne (un verre volcanique), mais il n’y a pas encore de céramique. Sur le plateau anatolien proprement dit, il n’y a toujours pas d’agriculture » (Cauvin et al., 2021). « Dès le IXe millénaire av. J.-C., on constate une extension vers le nord de la culture qui s’était développée sur les bords du Moyen-Euphrate et on voit apparaître alors des installations humaines en Anatolie, sur les pentes du Taurus, dans les hautes vallées de l’Euphrate et sur le 35

plateau du sud-est de l’Anatolie occupé par une steppe-forêt clairsemée où existaient le blé et l’orge ainsi que les ovicaprinés et les bovidés sauvages et domesticables » (Marquieira, 2004). « Au début du VIIe millénaire, les domestications se font sur place et survient alors l’installation des premiers villages dans lesquels on pratique l’agriculture et on y consomme une grande variété d’animaux sauvages. En même temps, la diffusion des espèces domestiques s’opère vers la Grèce et la Crète » (Marquieira, 2004). Pendant le millénaire qui suit, les colons se déplacent vers le nord-ouest de l’Anatolie puis vers le monde égéen et vers la Crète (Marquieira, 2004). À la même époque apparaît un nomadisme pastoral essentiellement moutonnier qui semble avoir joué un rôle important dans la progression du Néolithique, mais un Néolithique dépourvu des objets qui n’étaient pas indispensables à la vie itinérante comme certaines poteries. Il est difficile de savoir depuis combien de millénaires les hommes sont parvenus à travailler l’argile pour fabriquer des objets décoratifs ou des contenants à usage culinaire. Les premières preuves de cette « découverte » remontent à la culture « Jomon » au Japon, il y a 10 000 ans av. J.-C. Produire de simples poteries en terre exige de trouver des argiles assez pures et de construire des fours assez performants pour les cuire. Or, dans les déplacements des populations vers l’ouest, l’approvisionnement en bois de chauffe ne posait pas de problème majeur, car les îles de la Méditerranée ainsi que l’Anatolie et le continent européen étaient couverts de forêts bénéficiant d’un climat chaud et humide (optimum climatique). Mais les carrières d’argiles fines étaient plus rares. En terrains granitiques, certains affleurements riches en feldspaths pouvaient localement donner des résidus exploitables. Par contre, en terrains calcaires, les couches accessibles étaient souvent trop riches en calcium ou magnésium (marnes) et souvent impropres à fabriquer des objets résistants aux chocs ou au feu. Il fallait par ailleurs cuire les poteries fraîchement moulées à 700 ou 800 degrés avec un contrôle de l’élévation de température de 50°C par heure pour éviter l’éclatement. Autant dire que ces poteries, si elles s’avéraient très utiles, étaient aussi assez rares et précieuses, surtout pendant les phases de migrations où 36

l’élaboration restait artisanale. Une fois les populations sédentarisées, des productions en série devenaient possibles et le coût de fabrication pouvait alors s’abaisser.

L’extraction de la bonne argile : le premier travail du potier. Illustration de Benoît Clarys.

Les toutes premières céramiques découvertes chez nos futurs migrants l’ont été au Proche-Orient. Elles présentaient un fond plat et des parois épaisses, probablement pour s’assurer de leur bonne résistance. Il a fallu attendre encore quelques millénaires pour que les fours se perfectionnent et puissent dépasser les mille degrés indispensables à la cuisson des grès (argiles riches en silice et alumine) et plus tard des faïences et des porcelaines. À la fin du Mésolithique, les céramiques (du grec « keramos » signifiant « argile ») n’étaient donc que des poteries rustiques néanmoins souvent décorées (Rubané, Cardial et Impressa) dont les tessons laissés dans les campements ont permis de suivre la progression de nos colons. Pour revenir au trajet des migrants, les fouilles de nombreux sites anatoliens datés de 6000 et 5600 av. J.-C. ont montré que 37

les squelettes d’animaux consommés correspondaient plus à des espèces capturées dans la nature et stockées en parcs, c’est-àdire finalement à l’exploitation d’un troupeau « sauvage » que des bêtes parfaitement domestiquées donc plus petites et plus dociles. « On serait ainsi passé d’une chasse sélective très évoluée à l’appropriation de troupeaux, c’est-à-dire à un véritable élevage » (Ducos et Helmer, 1980). Dans les communautés en déplacement, l’élevage ne s’est donc imposé que progressivement, peut-être parce qu’il demande beaucoup de soins, de temps et de risques et offrait, sans doute, moins d’avantages que la capture dans un environnement où la faune sauvage était encore abondante. Une fois l’Anatolie occupée, certains groupes de colons ont migré plus rapidement que d’autres et se sont enfoncés parfois assez loin en Europe, comme en témoignent les artéfacts de la grotte de Carihuela au sud-est de l’Espagne (courant méditerranéen) ou les installations des Portes de Fer le long du Danube (courant danubien). Au cours de la période subpluviale du Néolithique qui a duré de - 8000 à - 4000 av. J.-C., le Sahara et les territoires du Levant formaient un biome beaucoup plus riche que l’actuel avec des forêts claires et des plaines herbeuses parcourues par des cours d’eau poissonneux qui ont permis, comme on vient de le voir, le foisonnement de la vie rurale et donc l’augmentation des effectifs des familles et de la densité des habitants en équilibre avec les potentialités productives de l’époque. Mais la réduction progressive de la pluviosité, qui était environ trois fois plus élevée que l’actuelle, a transformé, une deuxième fois, ces étendues riches en brousse beaucoup plus pauvre, entraînant des déplacements de populations vers des secteurs moins arides comme la vallée du Jourdain, du Tigre et de l’Euphrate et même du Nil, apportant avec elles les techniques de travail de l’argile (poteries à lignes ondulées) qu’elles avaient acquises au contact des populations africaines. Au même moment, le reflux vers le nord des pasteurs nomades du Grand Sud, privés de leurs meilleurs pâturages, a probablement participé aux mouvements des agropasteurs du Proche et du Moyen-Orient en direction de l’Europe comme on le verra plus tard.

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4 – Le Néolithique final (IVe – IIIe millénaire av. J.-C.) Ce Néolithique très particulier, développé à l’est et bien audelà de la mer Caspienne, intéresse le continent européen, car il a fourni des cohortes successives de migrants peu enclins à l’agriculture, car généralement semi-nomades. Ces derniers maîtrisaient par contre parfaitement l’élevage et le contrôle du cheval, une espèce bien adaptée à ces herbages de steppes. Il y a 3500 ans av. J.-C., en effet, était implantée au centre du Kazakhstan une population d’éleveurs de chevaux qui parquaient leurs bêtes dans des enclos où l’on a retrouvé de nombreux squelettes d’équins et surtout des poteries qui portaient encore des traces de graisses issues du lait de juments… les animaux étaient donc obligatoirement domestiqués (Orlando, 2021). Un peu plus tard, de 3600 à 2300 ans av. J.-C. et à partir de ces contrées orientales, s’est développée la culture Yemna ou « culture des tombes en fosses » dans le secteur des steppes pontiques, c’est-à-dire dans les grandes plaines de l’Ukraine et de la Russie. Elle correspond à des populations essentiellement nomades, des peuples cavaliers pratiquant, à l’occasion, un peu de culture le long des fleuves et construisant quelques résidences fortifiées (castros). Depuis les années 2000, plusieurs études génétiques ont montré qu’une migration très importante s’est produite à partir du IIIe millénaire av. J.-C. depuis ces territoires vers le centre de l’Europe et même beaucoup plus loin en direction du nord-ouest. Ces populations pratiquaient l’inhumation dans des tumulus, des sacrifices d’animaux (et peut-être d’humains ?) et disposaient de chars à roues… toutes évolutions qui auraient été déjà acquises, à cette époque, par les chasseurs-cueilleurs est-européens et les chasseurs-cueilleurs caucasiens. En 2015, une étude d’ADN fossile a pu étayer l’idée que les cavaliers yemnayas s’étaient effectivement répandus dans une grande partie de l’Europe du Nord, au début du IIIe millénaire av. J.-C., et qu’ils seraient à l’origine des peuples dits de la « céramique cordée », installés précisément dans la partie septentrionale du continent où ils auraient répandu l’usage des langues indo-européennes. Par la suite, les échanges entre les provinces de l’est et de l’ouest se sont multipliés et le com39

merce est devenu très actif, y compris dans les régions beaucoup plus au sud. Ainsi, « des produits de macération d’orge et/ou de raisins qui étaient déjà consommés en Mésopotamie depuis plus de 3000 ans av. J.-C. ont été exportés vers le continent et particulièrement en direction de la Grèce » (Le Monde, 2023).

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CHAPITRE IV Les causes des migrations

Que ce soit au sud-est du continent européen ou sur son flanc est, de nombreux peuples ont donc été amenés à se déplacer sur de grandes distances sans être retenus par les reliefs, les cours d’eau et même les mers. Ils ont apporté avec eux de nouvelles techniques de domestication des plantes et des animaux et un mode de vie quasiment sédentaire organisé autour de villages plus ou moins importants et parfois fortifiés, une véritable révolution au pays des chasseurs-cueilleurs semi-nomades qui occupaient depuis des millénaires les immenses espaces encore boisés de l’Europe profonde. Le Domestique est ainsi venu au contact du Sauvage… et pour longtemps ! Même si certaines causes ont déjà été rapidement évoquées, on est en droit de se demander ce qui a bien pu pousser ces peuples du Levant vers le nord-ouest alors que les conditions de vie ne semblaient pas forcément beaucoup plus faciles que celles de leurs régions d’origine. À y regarder de plus près, de nombreux changements de natures très diverses, survenus entre le VIIe et le IVe millénaire, ont présidé à ces déplacements. Certains événements ont été facilitateurs alors que d’autres, plus brutaux, ont carrément provoqué leur départ.

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A – Évolutions en zones littorales 1 – Les tremblements de terre et le tsunami de - 6000 ans av. J.-C. Les récents travaux des chercheurs de l’Union européenne sur les territoires du Moyen-Orient (Cordis, 2022) ont montré que la faille de la mer Morte a occasionné au cours des dix derniers millénaires de multiples séismes plus ou moins violents qui ont dû affecter les populations locales et en particulier les sédentaires qui ont vu s’effondrer les premières maisons en torchis et se détériorer les nombreux systèmes d’irrigation mis en place laborieusement dans ces contrées où les pluies restaient assez rares. Des catastrophes comparables se sont probablement produites aussi en Anatolie, une vaste province de près d’un million de kilomètres carrés parcourue, au nord et au sud, par deux immenses failles toujours en fonctionnement et qui expliquent d’ailleurs le séisme de février 2023. Le contact entre la plaque arabique et la plaque africaine est émaillé d’une douzaine de volcans (Le Monde, 2022) plus ou moins actifs à l’origine de secousses telluriques occasionnelles. Un séisme n’a que peu d’impact sur des nomades (chasseurscueilleurs ou pasteurs) vivant sous tente, ce qui n’est pas le cas de sédentaires disposant d’installations fixes, mais fragiles (cabanes, maisons en terre, abris ou canaux d’irrigation) qui peuvent être endommagées gravement, voire détruites par les secousses initiales et les répliques. Par ailleurs, ces tremblements qui arrivent brutalement sont terrifiants pour les habitants qui, évidemment à l’époque, ne trouvaient aucune explication si ce n’est une malédiction divine. Le manque de données ne permet pas de se faire une idée de la fréquence de ces événements ni des tsunamis consécutifs à ces séismes qui ont pourtant ravagé occasionnellement les côtes du Levant et de l’Anatolie. Ils ont inévitablement entraîné des mortalités sur les populations installées sur le littoral et ont repoussé, au moins pour un temps, les autochtones loin des rivages. Pour seul exemple, le violent tsunami, causé par une éruption de l’Etna, il y a 6000 ans av. J.C., qui a ravagé toutes les côtes la Méditerranée orientale alors bien colonisées par des pêcheurs et des commerçants.

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Dans ces conditions, les autochtones pouvaient se sentir menacés par des forces occultes, surtout si ces évènements devaient se répéter à brève échéance. De bonnes raisons pour chercher des terres plus hospitalières, surtout pour ceux qui souhaitaient se sédentariser et construire en dur ! 2 – L’élévation du niveau des mers pendant la période Atlantique À ces phénomènes dévastateurs, s’ajoute un problème plus discret, mais néanmoins important concernant le littoral. Au cours des trois premiers millénaires de la période qui nous intéresse (9000 à 5000 av. J.-C.), le niveau des mers est passé de 60 m environ à - 4 m sous le niveau actuel. L’élévation n’a pas été régulière, mais néanmoins importante, allant jusqu’à 1,4 m par siècle (Rohdes, 2007). Il y a 7000 ans av. J.-C., ce niveau était encore inférieur de 10 m environ au-dessous du niveau actuel. En quelques siècles, les occupants des rivages sur les côtes du Levant ou d’Anatolie ont donc vu leurs espaces destinés à la collecte des produits de la mer, au pâturage ou à l’installation de campements se réduire significativement, surtout en secteur à faible déclivité et dans les estuaires les plus généreux en proies de toutes sortes. Un repli à l’intérieur des terres a donc été nécessaire, mais sans doute parfois difficile, car occupé par des agropasteurs déjà en surnombre sur les bordures du Levant (Israël et Liban), de la mer Rouge ou du Golfe persique. Il est impossible de savoir, sur ces quelques milliers de kilomètres de littoral, combien d’occupants ont été contraints de se replier sur les bordures des côtes ou carrément migrer. Sans doute quelques dizaines de milliers, qui ont pu encore grossir les vagues de déplacés vers l’intérieur de la Turquie, de la Grèce et des îles de la Méditerranée. 3 – Le remplissage de la mer Noire Il y a 6000 ans avant notre ère, la mer Noire n’était qu’un lac d’eau douce, situé 150 m au-dessous du niveau général des mers, approvisionné par plusieurs cours d’eau en provenance des Carpates et du Caucase, mais surtout par trois grands fleuves à savoir le Dniepr, le Danube et la Volga. Leurs deltas 43

et les rives du lac présentaient des biotopes très riches favorables au pâturage et même à l’agriculture qui commençait à se développer sur ces terres fertiles. Le climat pontique (proche de la mer Noire), une variante transitionnelle du climat tempéré, avec des caractéristiques méditerranéennes, mais aussi continentales au nord et subtropicales au sud, était très propice à une forte productivité végétale. C’est pourquoi il a été colonisé très tôt par les agropasteurs qui s’y sont installés en nombre. Au moment du passage des premières migrations, les détroits du Bosphore et des Dardanelles n’étaient probablement pas encore ouverts et le transit des agropasteurs venus du sud s’en était trouvé grandement facilité. Mais quelques siècles plus tard, l’élévation du niveau de la Méditerranée, que l’on a évoqué précédemment, a enclenché un débordement des eaux salées par-dessus les isthmes des Dardanelles et du Bosphore qui représentaient jusqu’alors un barrage contre l’intrusion des eaux de la mer Égée. « Le remplissage du lac initial, caractérisé par une faune typiquement dulçaquicole, aurait été brutal, voire cataclysmique » (Pitman & Ryan, 1998). D’autres chercheurs, qui ont travaillé sur cet événement régional majeur, l’estiment toutefois plus progressif avec des périodes de déversements multiples. Quoi qu’il en soit, le niveau de la mer Noire s’est alors élevé de 180 m provoquant l’inondation, sur ces secteurs à faible déclivité, de plus de dix millions d’hectares initialement exploités par des milliers d’agropasteurs condamnés à fuir en Anatolie, en Bulgarie, en Roumanie ou dans les plaines d’Ukraine. Ces évènements que certains chercheurs n’hésitent pas à qualifier de « déluge » ont contribué à « accélérer la diffusion de l’agriculture le long des principales vallées de l’Europe du Sud-Est » (Marinval, 1998). « Cent ans après cette catastrophe, on voit d’ailleurs la charrue et l’irrigation apparaître brusquement en Transcaucasie (Azerbaïdjan, Arménie, Géorgie), en Moldavie et en Roumanie » (Pitman & Ryan, 1998). 4 – Développement des techniques de navigation Les évènements mentionnés ci-dessus ont donc largement modifié le trait de côte d’une grande partie de la Méditerranée 44

orientale et de la mer Noire. Bien des territoires précédemment d’accès facile se sont trouvés éloignés les uns des autres. Pour les relier, il a fallu développer des moyens de navigation plus ou moins perfectionnés. Toutefois, les occupants de ces régions avaient déjà accumulé une solide expérience de cabotage, voire de navigation en haute mer. Certains aventuriers du Mésolithique étaient déjà parvenus à s’installer sur des îles parfois éloignées de plusieurs dizaines de kilomètres du continent. Et les archéologues se sont demandé avec quels moyens ils ont réussi à le faire. Le plus énigmatique tient à la découverte, sur l’île de Crête, d’outils en pierre datés de 130 000 ans, ce qui atteste d’une présence néandertalienne et pose la question de l’accès à ce territoire pourtant distant de 150 km des côtes les plus proches, même pendant la période où la Méditerranée était au plus bas (- 120 m). Pour le professeur C. Runnels (2014), « cette découverte repousse à plus de 100 000 ans l’histoire de la navigation en Méditerranée et a eu des répercussions sur la dispersion des pré-humains ». Une autre constatation en mer Tyrrhénienne tient à la découverte de « la plus ancienne présence humaine mésolithique en Corse et en Sardaigne, datée du milieu du VIIIe millénaire av. J.-C., voire de la fin du IXe millénaire, ce qui atteste de traversées prénéolithiques de l’ordre de 40 km au moins » (Costa et al., 2003). Les descendants de migrants partis du ProcheOrient vers 9500 av. J.-C. sont finalement arrivés en Espagne autour de 5600 av. J.-C. On peut supposer qu’ils ont trouvé des côtes hospitalières et des îles intermédiaires facilitant leur progression… mais ils ont en tout cas prouvé une certaine maîtrise de la navigation sur ces eaux exposées aux tempêtes, aux vents contraires et aux courants défavorables. Pour en savoir un peu plus sur l’aptitude des Sapiens à coloniser les îles, le professeur japonais Yosuke Kaïfu (2019), intrigué par la découverte de squelettes humains datés de 20 000 à 27 000 ans sur l’île d’Ishigaki, située à une centaine de kilomètres au large de Taïwan, a tenté une expérience originale en procédant, avec son équipe, à la construction de radeaux en roseaux puis d’une pirogue monoxyle assez grande pour emporter plusieurs rameurs. Il en a conclu que les radeaux avancent très lentement en mer et sont ballotés par les courants. Ils 45

pourraient expliquer l’échouage au hasard de petits groupes humains sur des territoires peu éloignés de la côte, mais il est probable que beaucoup d’autres se sont noyés ou sont morts de faim au large, car il faut emporter à bord beaucoup de vivres et d’eau pour résister à un voyage de quelques semaines. Par contre, avec une pirogue monoxyle (creusée dans un seul tronc d’arbre), il est possible d’atteindre 5 à 6 km/h, ce qui rend un trajet de 100 km tout à fait possible en une ou deux journées en s’aidant d’un guidage au soleil. La difficulté réside dans la construction de l’embarcation. Pour abattre un arbre d’un mètre de diamètre avec une hache en pierre, il faut une bonne semaine et pour l’évider, au moins deux autres. Toutefois, ces difficultés ont été surmontées dans l’expérience précédente, ce qui conduit alors à penser que pour les Sapiens d’il y a 30 000 ans, et raison de plus nos migrants, il était déjà possible de se déplacer en pleine mer avec un certain succès. Si on connaît mal les types d’embarcations utilisées à cette époque et qui n’ont pu se conserver jusqu’à nous, des fouilles plus récentes ont quand même mis à jour de vrais bateaux. Parmi ceux-ci, « celui trouvé en Hollande et qui remonte à 6315 av. J.-C. permet de penser que les transports furent loin d’être exceptionnels dès les Ve et IVe millénaires » (Roux et al., 1964). Une autre « épave de bateau attestant d’une navigation côtière a été trouvée sur le site de Dokos, dans le golfe de Sardonique, en Grèce. Elle a été datée de 2500 av. J.-C., mais des indices indirects permettent d’affirmer que les hommes avaient commencé à naviguer dans cette région bien plut tôt comme en témoignent les obsidiennes de l’île de Mélos utilisées en Argolide aux environs de 9500 av. J.-C. » (Vigne & Cucci, 2005). Au final, les cours d’eau, les lacs, les estuaires, la mer et même la haute mer n’ont pas constitué des frontières infranchissables pour ceux qui voulaient gagner à tout prix de nouveaux territoires. L’ingéniosité de ces hommes préhistoriques n’avait d’égal que leur courage… mais tous ne sont vraisemblablement pas arrivés à destination !

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B – Évolutions en zones continentales 1 – L’attractivité du continent européen Le continent africain a hébergé pendant plusieurs millions d’années de nombreux groupes du genre Homo qui se sont dispersés et métissés depuis l’est du Rift jusqu’au Maroc. Pendant ce temps, et malgré les avancées et les reculs successifs des glaciations, le continent européen est resté quasiment vide d’occupants et donc disponible pour une colonisation. Se sont alors succédé Homo erectus (ergaster), puis Homo neandertaliensis et bien plus tard Homo sapiens. Tous n’ont trouvé que peu d’obstacles lors de leurs déplacements vers le continent grâce à un niveau de la mer particulièrement bas. Peu avant la disparition des Néandertaliens, les hommes modernes sont arrivés plus nombreux, bien décidés à s’installer sur tout le continent. Un mouvement qui devait changer la face de l’Europe et que J. P. Demoule (2022) qualifie à juste titre de « migrations de peuplement ». La présence des hommes de Cro-Magnon est restée toutefois très discrète, car « les humains n’étaient cependant qu’un à deux millions sur la planète, il y a environ 12 000 ans, ce qui correspond à une densité d’environ 0,01 personne par kilomètre carré » (Demoule, 2022) et pour être plus explicite, en Europe, un seul habitant sur plusieurs communes actuelles ! À ce sujet, il est difficile d’avancer des chiffres sur la densité réelle en l’Europe, 6000 ans plus tard, au moment de la transition Mésolithique/Néolithique. Pour la France continentale, les chiffres fournis par l’Atlas archéologique universel (1978) et la Préhistoire française (1976) donnent un total voisin de 12 000 à 13 000 individus pour le Mésolithique et 36 000 à 20 000 individus pour le début du Néolithique. Ainsi, la densité serait passée de 2,3 habitants à la fin du Mésolithique à 36, voire 65 habitants aux 1000 hectares au Néolithique, ce qui traduit une croissance relativement forte si on la compare à la moyenne des époques précédentes. « Cette évolution s’est produite avec des vagues importantes de migrants venus de l’Est qui ont à chaque fois effacé un peu plus le fond génétique antérieur » (Wikipédia, 2021).

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L’attractivité du continent européen tient à ses vastes plaines fertiles (lœss) bien irriguées par de nombreux cours d’eau et à la diversité des terrasses fluviales limoneuses très favorables à la culture. Ces dernières se sont en effet individualisées suite à l’incision du lit des rivières pendant la baisse du niveau de la mer (- 100 000 ans) et n’ont pas été affectées par sa remontée. Le climat tempéré doux et humide est un atout supplémentaire auquel on peut ajouter l’abondance de la grande faune sauvage. Dans ces conditions, les fermiers pouvaient exploiter de nombreuses situations favorables et continuer de chasser. Mais au final, « la dynamique de la colonisation aurait (surtout) été possible grâce à l’accroissement démographique que permettait l’agriculture » (Besse, 2021). 2 – La surpopulation au Proche et Moyen-Orient Face à un continent initialement très peu occupé par l’homme au Mésolithique, le Levant connaissait une situation bien différente. En lisant dans l’ADN des populations actuelles, il est possible de vérifier qu’il y a bien eu une croissance démographique forte dans le passé des populations de la Méditerranée orientale. L’adoption précoce de nouvelles méthodes de production aurait effectivement permis l’augmentation significative du nombre d’enfants par famille contrairement aux populations restées chasseurs-cueilleurs. Mais le plus surprenant réside dans le fait que le début de cette croissance démographique est en fait antérieur aux différentes transitions néolithiques. Ainsi, c’est la croissance démographique qui a en quelque sorte amené ces hommes vers l’agriculture qui ellemême a provoqué un essor du peuplement humain. En effet, l’analyse des données ADN dit « ancien » d’humains ayant vécu en Anatolie avant que ne se fasse la transition néolithique montre qu’ils étaient déjà plus nombreux que ceux vivants dans les régions où elle ne s’est pas produite. Ces hommes étaient vraisemblablement dans des situations environnementales favorables et avaient adopté une forme de sédentarité qui leur a permis de se développer puis de domestiquer plantes et animaux. Et une fois ce nouveau mode de vie mis en place, leur croissance démographique s’est fortement intensifiée. 48

Une des hypothèses retenues suppose que dans les sociétés reposant sur l’agriculture et l’élevage, une nourriture plus régulière aurait permis un raccourcissement de l’intervalle entre les naissances. Les nombreux sites archéologiques attestent bien qu’à partir de cette période, les groupes humains qui pratiquent l’agriculture-élevage bénéficient d’une forte augmentation des naissances. L’humanité serait alors passée de moins d’un million d’individus à plusieurs millions. La sédentarité aurait aussi joué un rôle bénéfique. Les enfants, mieux nourris, auraient été surtout mieux protégés et soignés que chez les populations semi-nomades soumises à des conditions de vie plus instables. Au final, et malgré les gains de productivité de l’agropastoralisme, des pénuries et des conflits sont apparus. Une certaine proportion d’individus arrivés à l’âge adulte ont dû se séparer de leurs parents et trouver une solution à leurs problèmes en migrant. À une époque beaucoup plus récente, le départ d’une partie de la population irlandaise vers les ÉtatsUnis et d’une frange importante d’Italiens vers la France s’explique, toutes choses égales par ailleurs, par ces mêmes causes. Pour revenir au Néolithique, « on sait qu’à partir du milieu du VIIe millénaire, les environs du lac Konya, en Anatolie centrale, étaient peuplés de façon très dense. L’agriculture y était particulièrement active puisqu’on y cultivait du seigle, quatre espèces de blé, deux espèces d’orge, des lentilles, des fèves et même des fruits » (Maquieira, 2004), et pourtant une partie des habitants de la région a choisi de conquérir des terres plus au nord-ouest en direction du Bosphore puis de la Grèce. Toutefois, la concentration humaine ne peut tout expliquer et il faut chercher d’autres causes aux déplacements des agriculteurs toujours très attachés à leurs terres et qui ne les quittent que contraints et forcés. 3 – L’épuisement des sols Pour revenir sur les questions de productivité agricole, avant l’Âge des Métaux, les agropasteurs ne disposaient que de haches en pierre et n’avaient pas d’outils suffisamment tranchants pour défricher les surfaces indispensables à la mise en 49

production et à l’entretien des terres les plus riches (alluvions ou lœss). Le moyen le plus simple et le moins coûteux en travail était donc le déboisement par le feu, en fait la mise en culture sur brûlis. Mais cette pratique conduit à réduire en cendres l’humus forestier et la matière organique disparaît avec le vent ou les pluies, induisant une perte de productivité à court terme. Dans toutes les régions où l’écobuage est la règle, la culture est itinérante, car les sols s’épuisent en quelques années, ce qui pousse les cultivateurs à allonger les rotations de cultures, voire à migrer pour gagner sur les forêts plus éloignées et finalement, en cas de forte croissance démographique, à déplacer les habitations. Les sédentaires se transforment ainsi en migrants et chaque génération doit trouver un territoire nouveau à exploiter et donc généralement à déboiser. Ajoutons aussi que le troupeau, associé à la maison, se nourrissait en nomadisant et les colons ne disposaient donc que de très peu de fumier pour fertiliser les terres de cultures. Ces deux réalités « obligent à déplacer l’aire des terres arables » (Marquieira, 2004) et poussent, sauf cas particulier, les cultivateurs à une fuite en avant qui expliquerait, pour une part, la progression des colons vers les nouveaux territoires encore vierges du nord-ouest de l’Europe. 4 – Les évolutions climatiques du VIIe millénaire En Afrique, le climat était beaucoup plus humide il y a 10 000 ans avant notre ère grâce à un renforcement de la mousson en Afrique de l’Ouest. Le subpluvial néolithique qui a suivi est resté une période à climat encore humide et pluvieux sur le nord de l’Afrique et de la péninsule Arabique, s’étendant d’environ 8000 à 4000 ans avant notre ère. Il a donc impacté le Moyen et le Proche-Orient où étaient installées des populations plus ou moins sédentarisées. Pendant les premiers millénaires de cette période, le nord de la péninsule arabique ainsi que le Proche et le Moyen-Orient avaient donc bénéficié d’un climat particulièrement favorable, doux et humide grâce à des pluies de moussons régulières, ce qui a permis un développement d’une forêt claire associée à de riches pâturages autorisant l’élevage d’ovins et de caprins domestiques. Les cours d’eau et lacs nombreux présentaient des possibilités d’irrigation et donc 50

une sédentarisation des populations qui commençaient à s’organiser en villages qui ont connu un fort développement démographique. Mais pendant les deux millénaires qui ont suivi, les précipitations se sont donc raréfiées et une sécheresse sévère a contraint une partie de la population à migrer vers le nord, poussant les agropasteurs qui y étaient installés à trouver de nouveaux espaces en Anatolie puis dans les îles de la mer Égée ou de la Méditerranée. Autour des années 6200 av. J.-C., le déversement dans l’Atlantique d’un immense lac glaciaire présent au nord du Canada est sans doute responsable d’une modification momentanée du climat de l’hémisphère nord impliquant une sécheresse encore plus sévère des régions du Proche-Orient. Les récoltes de céréales et la qualité des pâturages ont été impactées, obligeant les agropasteurs à se déplacer vers le continent européen où les pluies étaient restées relativement plus régulières. « C’est plus assurément vers 6400 av. J.-C., que débute la véritable néolithisation du continent européen. Une seconde vague de migrants, chronologiquement très rapprochée vers 6400-6200, s’est produite pendant cet intervalle de temps correspondant à une nette aridification de l’Anatolie » (Özdogan, 2011). « Il s’agit d’une sécheresse sévère et prolongée qui serait aussi à l’origine de la migration des peuples de la mer » (Litt, 2017). L’introduction d’animaux domestiques dans le nord du continent africain, il y a environ 6000 ans avant notre ère, et la détérioration du couvert végétal, a aggravé la situation de « cette bande de territoire désormais soumis aux conditions arides du Sahara » (Wright, 2017)… et de la péninsule Arabique. La suite a été encore plus difficile et « voilà que vers 2900 ans av. J.-C., le Sahara est passé abruptement du vert au jaune » (Mauguit, 2013). Pendant ces épisodes climatiques défavorables, les populations du Proche et du Moyen-Orient ont alors été affectées à la fois par le manque de pluie, mais aussi par l’arrivée des pasteurs du sud à la recherche de nouveaux pâturages. Toutes évolutions qui sont sans doute à l’origine de la surpopulation suspectée dans ces contrées et une cause sérieuse de la migration des résidents vers le nord-ouest. Cette évolution concernant la Méditerranée orientale ne tient pas forcément compte des situations locales. « La période hu51

mide est présentée comme s’étant terminée brutalement en certains endroits et plus lentement ailleurs » (Lézine et al., 2011). Certains reliefs ont pu garder un relatif niveau de nébulosité et quelques plaines des possibilités d’irrigation très productives. Mais la plupart des espaces ont été pâturés intensément et la « dé-végétalisation par les troupeaux a été galopante, transformant les collines herbeuses en brousse, la régression de la végétation entraînant un effet en cascade sur les écosystèmes et le climat » (Wright, 2017). L’agropastoralisme reste un système fragile sur le long terme, qui résiste difficilement à des périodes de froid prolongé, de pluies surabondantes ou de sécheresses qui dévastent les récoltes et ne permettent plus de nourrir des familles devenues nombreuses. En cas de dégradations climatiques, ce système d’exploitation implique plus de rendements des cultures, plus de surfaces à cultiver et un plus grand troupeau, finalement une fuite en avant parfois fatale. En regard, l’exploitation de la faune sauvage par des chasseurs-cueilleurs, qui limite la croissance démographique, fonctionne sur une base de sobriété (pas forcément heureuse !), est cependant un gage de plus de résilience sur le long terme. Reste que cette explication climatique, un peu commode, ne peut justifier la colonisation de Chypre datée du IXe millénaire, donc bien antérieure aux perturbations précédemment mentionnées. 5 – Les raisons socio-économiques À ces causes environnementales s’ajoutent, sans doute, des raisons que l’on pourrait qualifier de socio-économiques. Selon Renfrew (1990), en effet, « l’économie agropastorale serait plus productive que l’économie de prédation… et expliquerait son adoption par les chasseurs-cueilleurs ». Mais elle pose, comme toute activité sédentaire, la question de la succession. Les arrivants installaient, pour la plupart d’entre eux, des fermes de taille modeste, car pendant cette migration, leur famille n’avait sans doute pas eu le temps d’accumuler beaucoup de richesses. En conséquence, dès que les enfants, plus nombreux dans la maisonnée au Néolithique, atteignaient l’âge adulte, ils ne pouvaient plus cohabiter avec leurs parents sur l’exploitation deve52

nue trop petite et il fallait que certains la quittent pour assurer sa pérennité, d’où la nécessité d’aller trouver un peu plus loin un nouveau site pour se nourrir, s’émanciper et construire une nouvelle cellule familiale. À ce rythme, tous les 20 ans environ, le front de colonisation pouvait avancer de quelques dizaines de kilomètres. C’est cette vitesse de progression, toutefois pleine d’aléas, que l’on constate pendant les VIe et Ve millénaires et qui a conduit les fermiers d’origine anatolienne jusqu’aux confins de l’Écosse. 6 – Les raisons de politique locale Dès le milieu du VIIIe millénaire, de nombreuses cités du Moyen-Orient ou du Proche-Orient comptaient plusieurs milliers d’habitants et devaient poser divers problèmes de cohabitation entre elles : compétition dans la gestion de l’eau (sources et irrigation), des pâturages et du foncier agricole, mais aussi entre habitants de ces mêmes cités. À l’époque, la vie collective n’était pas encore régie par des textes de lois (Le Code d’Hammourabi date de 1750 av. J.-C. !) et les engagements verbaux pouvaient être « oubliés », donnant lieu à des litiges, voire des conflits plus ou moins sévères, susceptibles de remettre en cause la cohésion des entités urbaines. C’est probablement la raison pour laquelle, « pendant un temps, on ne retrouvera plus, dans toutes ces régions, d’importantes agglomérations, mais des villages de taille réduite » (Demoule, 2022). 7 – Les raisons idéologiques L’économie agricole est née au Levant à la suite d’un long processus de sédentarisation et d’un événement « idéologique » que J. Cauvin (1992) appelle « la Révolution des symboles », qui précède la néolithisation elle-même. En effet, depuis leur arrivée au Levant, il y a environ 40 000 ans, les Sapiens ont évolué en sculptant des figurines, en peignant des parois de grottes et en laissant des signes géométriques sur des rochers. « Cet intérêt pour la figuration, tout comme le tracé des signes abstraits complexes est indéniablement le symptôme d’une pensée qui se complexifie. Ne plus se vivre comme immergé dans 53

la nature, mais en prendre le contrôle semble bien aller dans le même sens » (Demoule, 2022). L’homme se considère alors comme un être autonome qui s’est découvert comme pouvant avoir prise sur son environnement, à commencer par les êtres vivants qui l’entourent. Il est donc désormais en mesure de maîtriser le développement des plantes et des animaux, en somme, de passer du Sauvage au Domestique pour son intérêt immédiat. Cette révolution lui a donné de la force, de la confiance en lui et de l’assurance dans ses possibilités de créer et de se déplacer. C’est peut-être cette « surpuissance » qui explique son désir de conquête. Toutefois, chez l’homme, on sait fort bien que les raisons de son comportement n’ont rien de toujours rationnel et il y a une part d’imprévu dans ses décisions. L’une d’entre elles pourrait tenir à son souhait de voir du nouveau, et comme le faisait remarquer J.-P. Demoule (2022), « ne serait-ce pas tout simplement la curiosité, sinon le goût de l’aventure qui pousserait certains humains à reconnaître de nouvelles terres, voire à s’y installer ». Si « l’homme est le seul singe migrateur » (Picq, 2016), il n’est pas le seul mammifère à se déplacer parfois sur de longues distances et ceci sans raison apparente. Dans les troupeaux d’ongulés, cerfs et chamois par exemple, certains individus se transforment en migrants et quittent leurs congénères pour voir « si l’herbe est plus verte ailleurs » ! Une « loi de la nature » qui participerait à la dispersion animale, une des conditions de la survie à long terme des espèces, dont celle de l’Homme ! 8 – La domestication du cheval Pour tenter d’être complet sur les causes des migrations, il faut évoquer, comme il a été dit plus haut, la grande révolution qui s’est produite à l’est, à savoir la domestication du cheval. Selon Orlando (2021), dans les steppes du Kazakhstan, on a découvert de nombreux squelettes très regroupés de chevaux, accompagnés de leurs excréments, ce qui témoigne de la présence d’enclos. De plus, des poteries associées à ces sites, datés de 3500 av. J.-C., ont gardé sur leurs parois des traces de lait de jument. Tout porte donc à croire à l’existence d’une domestica54

tion du cheval qui pourrait d’ailleurs être bien antérieure à cette date. La découverte de la roue, associée à l’usage des équidés pour le transport, aurait permis à ces nomades de transiter vers l’ouest pour constituer au contact des Européens du bassin du Dniepr et de la Volga des populations comprenant 20 % d’autochtones (venus précédemment d’Anatolie !) et 80 % de migrants. Ces derniers, venus de Mongolie, étaient organisés en familles nucléaires autour d’un chef. Ils ont migré en quelques siècles, vers l’ouest, sur 5000 km et ont apporté avec eux une grande maîtrise dans l’élevage et l’usage du cheval. Ces cavaliers avaient la peau claire. Ils se sont mélangés avec les populations autochtones de l’Europe du Nord qui avaient plutôt la peau sombre. On peut parler de « tournant génétique » pour les populations septentrionales de l’Europe, car dans beaucoup de secteurs ils ont quasiment remplacé les populations locales ravagées par des épidémies de peste. Les causes des migrations ne se sont pas forcément manifestées en même temps. Elles ont toutefois mis en mouvement sur plusieurs siècles des masses de population importantes accompagnées de leurs animaux domestiques et porteuses de leurs modes de vie et de leurs dialectes.

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CHAPITRE V Les migrations

Les causes de cette vaste migration originaire du Levant sont donc multiples. Nous n’avons pas de données suffisantes pour affirmer lesquelles ont joué un rôle déterminant. Il semble toutefois que la poussée démographique consécutive au développement des pratiques agropastorales initiées au Levant, combinée à la disponibilité des espaces colonisables sur le continent européen, aient mis en mouvement ces fermiers qui semblaient bien renseignés sur les opportunités offertes par les territoires du nord-ouest. En effet, le commerce de nombreuses denrées, dont l’obsidienne de l’île de Mélos, et les allers-retours des marins entre la mer Égée et le Levant renseignaient probablement avec force détails les habitants de cette région sur la situation de l’Anatolie, du littoral grec et même roumain. Le choix de partir s’appuyait donc sur des informations suffisamment sûres pour convaincre les fermiers à quitter leur maison avec leurs troupeaux.

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A – Cartographie des migrations

Diffusion de la révolution néolithique (d’après J.-P. Demoule, 2010) – Datations av. J.-C.

« La diffusion du mode de vie néolithique à partir du Proche-Orient n’était pas un évènement instantané, mais une suite d’évènements nombreux et variés qui se sont étendus sur une longue période. On peut parler d’une migration extrêmement éparse de petites communautés qui s’est maintenue jusqu’à environ la moitié du VIIe millénaire et a duré plus d’un millier d’années suivant des trajectoires différentes et en augmentant sa vitesse avec le temps » (Ozdogan, 2008). Si les voies suivies ont été diverses, deux d’entre elles sont principales, mais « le courant danubien, comme le courant méditerranéen sont en réalité le fait d’une seule et unique population colonisatrice d’une issue commune qui a conquis la majeure partie de l’Europe presque sans mélange avec les chasseurscueilleurs rencontrés sur le chemin, même longtemps après la séparation des deux courants, et ce jusqu’à son arrivée sur les côtes atlantiques » (Olalde et al., 2015). Toutefois, la chronologie des déplacements sur les deux grandes voies du sud et du nord n’est pas synchrone puisque la toute première colonisation des îles de la Méditerranée a commencé presque 2000 ans avant 58

l’entrée sur le continent des premiers agropasteurs en Grèce, à savoir les tentatives d’installations au IXe millénaire sur l’île de Chypre. Un décalage est également observable suivant les étapes de cette avancée vers l’Ouest entre l’installation des premiers intrus que l’on peut, à juste titre, qualifier de pionniers, l’arrivée des pasteurs, des agriculteurs et la production de poterie. Le Sauvage a donc reculé inégalement dans l’espace et dans le temps devant le Domestique sans qu’on en connaisse toujours les raisons et les moments. Malgré les progrès des techniques de datation, les résultats des fouilles ne donnent pas toujours des indications très précises sur ces progressions. Comment expliquer alors la diminution des populations de chasseurs-cueilleurs devant l’avancée des migrants ? On ne peut évoquer les difficultés d’approvisionnement en gibier, car sous un climat désormais favorable, doux et humide, la grande faune (bisons, aurochs, cerfs, chevreuils et sangliers) s’est beaucoup développée dans les vastes forêts feuillues de plaine et la chasse était vraisemblablement très productive. Le développement des communautés de fermiers semble plutôt dû à la dynamique propre d’installation des colons et à l’intégration des autochtones au nouveau système de production sachant que de toute façon, ils étaient peu nombreux à occuper le territoire. Il est possible aussi que la présence de ces « étrangers » ait conduit les chasseurs à s’éloigner des vallées vers l’intérieur des terres plus ou moins vierges d’occupants. Au final, on sait désormais que ces groupes se sont peu métissés puisque « la population ancienne du Néolithique d’Anatolie était bien plus proche des Européens actuels que de la population actuelle de cette partie du territoire turc. Elle était très étroitement apparentée aux premiers fermiers européens du Néolithique dont le vestige le plus proche sont les actuels Sardes qui, à leur entrée dans l’Europe, n’ont connu, en réalité qu’un mélange limité (7 à 11 %) avec les chasseurs-cueilleurs européens, avant de coloniser et peupler une grande partie de l’Europe dont l’actuel territoire français » (Lazaridis et al., 2015).

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B – Migration des hommes et diffusion des connaissances Il faut rester prudent lorsqu’on parle de « néolithisation », car il peut s’agir effectivement d’un déplacement de population avec installation d’une communauté loin de son lieu d’origine, mais aussi d’une diffusion de techniques agropastorales suite au contact entre Mésolithiques et Néolithiques. Toutefois, la première explication semble la plus probable puisque « la génétique des populations a pu détecter, dans toute l’Europe, un apport ethnique du Proche-Orient » (Marquieira, 2004). Pour confirmation, le même auteur a pu montrer que « les effets sur la composition génétique actuelle (des populations locales) vont s’atténuant au fur et à mesure que l’on s’éloigne du point de départ ». Si le phénomène fut lent, un certain niveau d’assimilation a donc bien eu lieu à mesure que la colonisation progressait vers l’ouest. Quoi qu’il en soit, si on intègre à ces mouvements l’arrivée des pasteurs des steppes, la durée de colonisation de l’Europe s’est étalée sur pas moins de 5000 ans, laissant le temps aux chasseurs-cueilleurs des forêts d’Europe de s’intégrer aux nouveaux arrivants. « Il semble que toute la population autochtone n’ait pas réagi de la même façon à cette arrivée imprévue “d’Orientaux” puisque le processus de néolithisation en Europe du Sud-Est apparaît dépendant de la hiérarchie sociale des communautés de chasseurs-cueilleurs, de l’intensité des réseaux sociaux et des dynamiques de transformations structurelles régionales. C’est un processus de longue durée concernant de nombreux mouvements de populations régionales de petite échelle » (Budja, 2008). Il est impossible d’offrir une présentation globale des premières formes d’agriculture étant donné la diversité des solutions mises en œuvre : agriculture de type horticole, c’est-à-dire sur de petites surfaces cultivées de façon intensive, mais également culture itinérante sur abattis-brûlis des milieux boisés, agriculture de décrue, cultures irriguées ou élevage pastoral sur espaces herbagés. Malgré cette diversité de pratiques, on n’a pas retrouvé, jusqu’alors, de trace de l’usage de l’araire tirée par des humains et à plus forte raison de culture attelée utilisant la

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force animale pour travailler la terre. Le joug et la roue sont venus renforcer les performances de l’agriculture bien plus tard. Depuis la découverte de nombreuses sépultures datant de cette transition, on peut affirmer que la sédentarisation et l’augmentation de la densité de population qui l’accompagne ont eu un impact négatif sur la santé des agriculteurs-éleveurs. Les squelettes de cette époque en témoignent : la stature a tendance à diminuer, les caries apparaissent et les épidémies se répandent. Certains gènes impliqués dans une adaptation à une alimentation riche en carbohydrates (glucides de céréales et des légumineuses) et en produits laitiers ont été sélectionnés et repérés par les chercheurs. La mutation génétique conduisant au maintien de la lactase de l’enfant chez l’adulte a permis de mieux utiliser le lait dans toutes les communautés et on sait combien cette consommation est utile, voire indispensable dans les sociétés agraires. Au cours de ces mouvements de populations, les caractéristiques des fermiers ont donc évolué pour s’adapter aux nouvelles conditions de vie. Il est vraisemblable que les individus n’ayant pas acquis ces mutations ont tout simplement disparu, ce qui pourrait expliquer, au moins en partie, la mortalité croissante des jeunes chez les nouveaux arrivants.

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CHAPITRE VI La rencontre entre les autochtones et les arrivants

Hormis quelques communautés sédentarisées sur des secteurs particulièrement riches en ressources naturelles, les groupes de Sapiens qui occupaient l’Europe avant l’arrivée des fermiers menaient une vie de chasseur-cueilleur semi-nomade. Ils prélevaient leur nourriture aux dépens de la flore et de la faune sauvage qu’ils rencontraient au gré de leurs expéditions nourricières. Ils se comportaient donc en prédateurs positionnés au sommet de la chaîne alimentaire en concurrence plus ou moins directe avec l’ours et le loup, un maillon dominant du monde sauvage bien loin du monde domestique à venir. C’est le moment de préciser ce que recouvrent ces deux qualificatifs particulièrement lourds de sens quand on évoque la transition du Mésolithique au Néolithique.

A – Le Sauvage et le Domestique Le qualificatif de « sauvage » semble d’un usage relativement récent. En effet, « La sauvagerie n’est ni un concept grec, ni romain. Les Anciens ne connaissaient que la barbarie. Le grec Hérodote (Ve siècle av. J.-C.) dit des Scythes : “Ce ne sont pas des agriculteurs, mais des nomades et dans ce schéma dichotomique, le nomade constitue une des formes de la sauvagerie. Il exerce à ce titre une nette fascination et la vie nomade demeure aux yeux des anciens, figée dans la primitivité” » 63

(Wolff, 2004). Pour Aristote (IVe siècle av. J.-C.) aussi, « le mode de vie nomade est le moins élaboré ». Chez l’écrivain romain Varron (Ier siècle av. J.-C.), le nomadisme n’est pas envisagé en tant que type d’organisation humaine. Il représente un état précédant chronologiquement l’agriculture. Pour le naturaliste et écrivain latin Pline l’Ancien, « hors de la Cité, il n’y a que des nomades », c’est-à-dire des groupes qui font paître leurs troupeaux et recherchent constamment de nouveaux pâturages. Étymologiquement, le mot grec nomos signifie effectivement pâturage. Finalement, la dénomination « sauvage » pourrait remonter au Haut Moyen Âge, car il est hérité du latin silva, mot désignant la forêt et par extension, les plantes et les animaux qui ne sont pas cultivés et, pour les habitants, ceux qui vivent dans les bois donc pour les auteurs de l’époque, « les hommes loin ou hors de la civilisation » (Wolff, 2004). Plus près de nous et selon le dictionnaire (Larousse), les sauvages sont « les êtres vivants qui ne sont pas apprivoisés et qui se développent en dehors des règles », ce qui revient à exclure ceux qui fréquentent les secteurs urbanisés (urbs : la ville) et sont, pour cela, tenus à des comportements contrôlés par la collectivité qu’elle soit humaine ou animale. Finalement, le sauvage est perçu comme un être libre… de faire ce qui lui plaît et de se déplacer au gré de ses besoins et de ses intentions, qu’ils soient hommes ou bêtes. Par opposition, est qualifié de « domestique » l’homme ou la bête qui vit près de la maison. Pour atteindre ce stade, il est fréquent que l’animal ait d’abord été apprivoisé. Il en a été ainsi du loup qui au fil des générations est devenu un fidèle compagnon de l’homme. Pour parvenir à une domestication, il convient de capturer des juvéniles sauvages (sangliers, lapin) et de les habituer à la présence de l’homme… mais ce n’est pas toujours possible. Les aigles chasseurs des cavaliers kirghizes par exemple sont apprivoisés sans devenir domestiques… D’ailleurs, ces derniers leur rendent la liberté quand ils prennent de l’âge ! Les chèvres et les moutons, qui ont des ancêtres sauvages, ont fini par accepter, au fil des générations et par élimination des sujets trop turbulents, à se rassembler en troupeau

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contrôlé par un berger. Car le « domestiqué » obéit à son maître, le pasteur pour le troupeau et le chef pour le village ou la ville. Certains auteurs pensent que le passage du Sauvage au Domestique aurait pu se faire aussi par le biais de nomades plus riches (rois, seigneurs ou chefs de clans) qui se seraient sédentarisés pour s’entourer, par la suite, d’animaux domestiques véritables « signes extérieurs de richesse ». Une voie possible d’accumulation de biens sous forme de troupeaux autorisant un troc, voire un commerce fructueux, et dans certains cas, le paiement d’une dot au moment des mariages. Finalement, au cours de la migration des fermiers à travers des espaces toujours occupés par des chasseurs-cueilleurs, les systèmes d’exploitation des territoires d’Anatolie puis d’Europe présentaient probablement une grande variété de situations résultant en fait de combinaisons entre quatre modes de vie hérités du passé des occupants.

Combinaisons des pratiques pour l’exploitation d’un territoire au cours de la transition Mésolithique/Néolithique.

En pratique, ces dernières offrent cinq options possibles : « la prédation-nomadisme » représentée par l’activité des chasseurs-cueilleurs mésolithiques sur une grande partie du territoire européen ; « la prédation-sédentarité » avec le cas des chas65

seurs-cueilleurs installés à demeure sur des sites riches en ressources floristiques et faunistiques (estuaires, lacs, fleuves) ; « la prédation-production » pour les pasteurs ou les agropasteurs qui continuent de chasser en pratiquant aussi la culture et l’élevage ; « le nomadisme-production » dans lequel les pasteurs tirent l’essentiel de leur richesse de leurs troupeaux ; et enfin le système « sédentarité-production », le cas des agropasteurs qui associent la culture à l’élevage, qui est peut-être le plus efficace et en tout cas le plus durable puisqu’il a donné jusqu’à présent, dans toute l’Europe, mais aussi dans le monde, la polyculture-élevage. À l’intérieur même de ces systèmes d’exploitation peut se décliner une infinité de variantes parfaitement adaptées au cours du temps aux situations de plaines, de collines, de montagnes ou de régions sèches ou humides. Ce qui était certainement le cas chez nos populations d’Europe pendant la transition néolithique. Une illustration en est donnée chez une peuplade du sud-est asiatique, maintenant bien connue des archéologues. Ainsi, « chez les Punan, les groupes de chasseurs-cueilleurs nomades de l’île de Bornéo se distribuent actuellement selon un continuum qui va du nomadisme à la sédentarité, de la chasse et de la cueillette à la culture du riz et de l’égalité sociale à des systèmes formalisés de stratification sociale. Les groupes d’agriculteurs punans installés dans les plaines ou les vallons désignent les nomades comme les gens de l’amont ou les gens des montagnes ou les gens de la forêt » (Sercombe, 2006). Il n’est pas exclu qu’en Europe, la situation ne soit pas comparable, car les pionniers occupaient prioritairement les basses terres (de culture), les pasteurs, les pentes ou les plateaux plus ou moins défrichés (landes), et les chasseurs le reste du territoire boisé. Dans ces conditions, au moment de l’arrivée des colons sur le continent européen occupé par les chasseurs-cueilleurs, on pourrait croire que les deux principales communautés sédentaires et nomades n’avaient rien à échanger. Or, à y regarder de plus près, les autochtones avaient déjà domestiqué le chien et parfois de petits animaux de compagnie (sanglier), et se rassemblaient régulièrement pour des fêtes, à point fixe. Les colons, pour leur part, pratiquaient un nomadisme local avec leur troupeau, voire une transhumance en montagne et continuaient 66

de chasser, à l’occasion, du gibier sauvage. Il existait donc certaines activités communes. Une base d’échanges pour une future assimilation. Dans ce contexte nouveau probablement très diversifié, ce que l’on désigne par « néolithisation » recouvre en fait plusieurs innovations : l’élevage avec la domestication animale, la production de poteries avec la maîtrise de la cuisson des céramiques et l’agriculture avec la maîtrise de la culture des plantes. Mais celles-ci ne sont pas arrivées en même temps sur les différents territoires de l’Europe (Roux et al., 1964). Le recul des chasseurs-cueilleurs, confrontés à ces nouveautés, n’a pas été brutal, mais progressif en fonction de l’arrivée des différents groupes de colons dont les premières vagues étaient, selon de nombreuses sources archéologiques, des pasteurs. Pour cette raison, certains auteurs ont proposé de qualifier cette période de transition entre ce que l’on pourrait appeler le Mésolithique vrai et le Néolithique vrai, de « Proto-néolithique » (Roux et al., 1964). Il est présomptueux de vouloir reconstituer les dialogues entre les communautés de cette époque, car nous ne disposons malheureusement ni de leur langue et encore moins de leur écriture. Il reste l’imagination et la volonté de faire un peu revivre ces échanges qui n’ont pas manqué d’avoir lieu au fil des rencontres occasionnelles, voire organisées pour que chacune d’elles trouve un modus vivendi qui préserve des conflits. Nous évoquerons donc quatre situations bien différentes.

B – Les rencontres entre chasseurs-cueilleurs nomades et pasteurs Le pasteur, toujours en transit et à la recherche de riches pâturages, avait de multiples occasions de rencontrer le chasseur dans les paysages ouverts, plus fournis en herbages et donc plus attractifs pour les troupeaux sauvages ou domestiques que les sous-bois sombres et peu nutritifs. La rencontre restait sûrement délicate, non dépourvue de méfiance et le comportement des chiens ne facilitait probablement pas l’affaire ! Une certaine concurrence était donc inévitable, mais on peut penser que la densité des occupants était suffisamment faible pour que les 67

disponibilités alimentaires soient accessibles à tous sans déclencher d’escarmouches, voire de conflits dont il ne reste évidemment aucune trace. Le déplacement périodique des camps, obligatoire mais à des rythmes bien différents dans les deux communautés, ne dispensait pas du maintien de l’artisanat consistant à traiter les peaux (de chèvres, de moutons ou de sauvagine) et le tissage indispensables à la fabrication des vêtements ou des nattes, tous les produits susceptibles d’être troqués à l’occasion de rencontres fortuites ou organisées. Chasseur et pasteur restaient tous deux soumis aux rigueurs de l’hiver. La mauvaise saison devait donc se passer en plaine pour tous et la belle saison plus en altitude. Pour ce faire, chacun devait emprunter les mêmes sentiers de montagne escarpés et qui se terminent souvent par des « pas » très étroits où on ne peut que se voir de près ! L’accès aux plateaux des bergers avec leurs chiens perturbait probablement la chasse aux bouquetins qui, de nos jours encore, ont plus peur des canidés accompagnant les troupeaux que des humains qui les conduisent.

Troupeau de moutons au pâturage sur les Hauts Plateaux du Vercors. Photographie de Bernard Bachasson.

Pour le chasseur, le gibier est « res nullius ». Il n’est pas un être identifié alors que le troupeau domestique a un propriétaire 68

qui en dépend pour vivre. Chaque animal d’élevage a deux géniteurs, des « frères et sœurs », et parfois des descendants. C’est, en quelque sorte, un membre de la tribu et le berger lui donne souvent un prénom, car l’éleveur connaît toutes les têtes de son troupeau et toute leur histoire. On peut évoquer à ce sujet l’aventure des reporters d’Arte, immergés au milieu du désert des Afars, qui faisaient remarquer à un éleveur que tous ses chevreaux se ressemblaient, mais lui, disait le contraire. Il affirmait qu’ils étaient tous différents, car il les distinguait par des taches de couleur discrètement différentes sur leur pelage et l’histoire de leur naissance n’était jamais la même. Pour le chasseur, au contraire, le gibier n’est pas identifié par sa position dans une famille, car même s’il vit dans une harde, on sait rarement quelle est sa lignée, et de plus beaucoup de mâles adultes (cerf, chevreuil ou sanglier) vivent seuls et ne peuvent être identifiés comme géniteurs. Au moment d’abattre un animal, le ressenti est donc bien différent, car le chasseur tue un gibier qu’il ne connaît pas. Même s’il le respecte en tant qu’animal sauvage et libre. S’il réussit à se l’approprier, il en tire satisfaction sans état d’âme. Le pasteur tue (ou vend) un animal domestique qu’il connaît bien puisque, souvent, il l’a aidé à venir au monde. Il l’a nourri, soigné, caressé et il doit pourtant le sacrifier pour lui et sa famille. Il en perçoit un sentiment partagé de réussite de son élevage, mais une tristesse à se séparer d’un compagnon de vie. Il est plus facile de tuer un gibier, car la flèche tue loin du chasseur alors que le couteau tue de la main de l’éleveur. Si bien des aspects les séparent, le chasseur et l’éleveur menaient toutefois la même vie nomade. Le premier à la poursuite des troupeaux sauvages, le second à la recherche de pâturages pour son troupeau domestique. Dans les deux cas, il fallait se satisfaire d’un habitat sous tente et, à l’occasion, bénéficier d’un abri-sous-roche, voire d’une grotte occupée brièvement en cas de mauvais temps. Dans les deux cas, le camp itinérant nécessitait une surveillance constante assurée probablement par les femmes et très certainement par des chiens qui pouvaient avertir de l’arrivée d’un intrus, d’un ours, d’un loup et même d’un renard. Ces nomades disposaient donc, comme les chasseurs, de javelots et d’arcs et dépendaient de l’approvisionnement en 69

silex rarement disponible sur place. Il fallait veiller aussi à l’approvisionnement du feu en bois mort (et si possible sec !), ce qui suppose une participation de toute la famille et en particulier des enfants chez les deux communautés. Chasseurs et pasteurs étaient aussi obligatoirement cueilleurs. La collecte des fruits sauvages, des racines, des graines ou des œufs restait pour les deux parties indispensable pour compléter la ration alimentaire de la famille. Finalement, au regard de deux systèmes d’exploitation du territoire, la vie des deux communautés n’était pas si éloignée. Il faut toutefois considérer que, par d’autres aspects, chasseurscueilleurs et pasteurs n’avaient pas les mêmes contraintes. Les pasteurs consacrent en effet une grande partie de leur temps et de leurs soins au troupeau, un cheptel qui exige une alimentation régulière. De l’herbe pour les ovins (paisseurs) et des pousses pour les caprins (brouteurs). Ces derniers, plus entreprenants, facilitent le déplacement du troupeau et fournissent le lait à la famille du berger qui dispose ainsi d’une certaine sécurité alimentaire que n’ont pas les chasseurs. En contrepartie, ces animaux domestiqués doivent être protégés des prédateurs nombreux à l’époque (ours, loup, lynx, hyène) par des chiens et un gardien attentif… une lourde contrainte, y compris nocturne, absente chez les chasseurs-cueilleurs qui prélèvent selon leurs besoins sur un cheptel sauvage sans maître. Au rythme de travail du berger s’oppose la liberté d’action du chasseur qui choisit ses expéditions. Il faut aussi au berger des compétences particulières pour trouver les bons pâturages et veiller qu’au printemps, les agneaux et les cabris s’alimentent régulièrement auprès de leur mère. Souvent, des animaux se blessent et il faut les soigner. Des maladies menacent aussi : tuberculose, brucellose, parasites intestinaux. Si le milieu est assez riche en herbage, l’introduction de bovins domestiqués permet de disposer de trois espèces au lieu de deux et d’augmenter ainsi la productivité du troupeau, surtout en laitage et donc en sécurité alimentaire. Mais il faut absolument trouver de l’herbe en quantité sur des territoires où l’avancée de la forêt est rapide et comme en sous-bois, elle est plutôt rare, le recours à l’incendie est inévitable pour ramener la prairie. Si, pour les chasseurs-cueilleurs, le cheptel sauvage est généralement abon70

dant et semble inépuisable, pour le berger, le cheptel domestique est toujours restreint pour rester contrôlable. Quelques dizaines d’animaux au minimum sont nécessaires pour la survie d’une famille consacrée à sa garde et à ses soins. Le berger vit donc une relation de proximité avec ses bêtes, bien loin de celle qui existe entre le chasseur et son gibier. Ajoutons enfin que le contrôle du troupeau installe une maîtrise de l’homme sur l’animal, parfaitement étrangère au chasseur. Pendant les derniers millénaires du Mésolithique, les chasseurs-cueilleurs et les pasteurs se sont donc côtoyés et rencontrés. Ils ont échangé occasionnellement des objets (silex, fourrures) et de la nourriture (venaison, viande ou laitage) et tissé des relations plus étroites en observant que leurs modes de vie n’étaient pas si éloignés et que chacun pouvait avoir besoin de l’autre. Le troc s’accompagne toujours de gestes et de paroles. Même s’ils n’avaient pas la même langue, des liens sont certainement nés de la curiosité et de la nécessité, deux voies pour un début d’intégration.

C – Les rencontres entre chasseurs-cueilleurs nomades et agropasteurs Il faut imaginer la ferme du début du Néolithique comme un système d’exploitation quasi autarcique, censé produire tout ce dont la famille a besoin : la viande, le lait, les céréales, les légumes. La partie pastorale correspond plutôt à une activité de gardien de troupeaux, car celui-ci s’éloigne peu des habitations et revient chaque jour aux enclos. Pris par le travail quotidien, les fermiers quittent peu leurs cabanes ou leurs maisons entourées de jardins, de cultures et de pâtures. En conséquence, un territoire bien défini est donc occupé de façon permanente, excluant l’intrusion de chasseurs qui ont vu leur espace de chasse amputé de quelques hectares. Un obstacle à leurs déplacements qu’ils ont dû ressentir comme une « agression »… surtout si ces implantations nouvelles se sont multipliées dans les vallées rendant difficile le franchissement des vallons ou des rives des fleuves. Les chasseurs-cueilleurs, habitués à se déplacer sur des espaces qui, dans leur esprit, n’étaient la propriété de personne, devaient avoir du mal à com71

prendre que des secteurs se trouvaient « privatisés » et donc inaccessibles aux autochtones. Par ailleurs, les jardins et les cultures étaient surveillés jour et nuit pour éviter l’intrusion des déprédateurs comme les sangliers ou les cervidés attirés par la présence de céréales appétentes. Le troupeau, rassemblé au crépuscule près des habitations, était convoité par les renards, les loups, les ours et les lynx qui ne manquaient pas à cette époque. La pression du milieu extérieur devait être très forte comme souvent chez les colons qui investissent de nouveaux milieux non contrôlés tant du côté de la forêt, de la faune que des populations autochtones.

La pression des prédateurs sur les installations permanentes des agropasteurs. Illustration de Bernard Bachasson.

Les caprins, ovins et bovidés, tous domestiques et « importés », représentaient sans doute des animaux bien étranges pour les chasseurs. Quant aux porcs, probablement encore bien semblables aux sangliers sauvages, leur proximité d’avec les humains avait de quoi surprendre. En effet, dans la nature, cette espèce conserve toujours une distance de fuite devant l’arrivée d’un humain. À ce sujet, « les dernières recherches montrent qu’il est difficile de tracer une frontière entre domestique et sauvage, car, au fil des millénaires, les échanges se sont faits dans les deux sens » (Orlando, 2021) et les caractéristiques

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génétiques actuelles sont des mixages successifs difficiles à reconstituer, que ce soit pour les suidés, les bovidés ou les équidés. Il en est de même pour la notion d’espèce qui est, certes, pratique à utiliser dans la nomenclature, mais, en fait, délicate à fixer. Des espèces considérées comme différentes sont en réalité fertiles (âne et cheval, par exemple). Pour les chercheurs, dans l’avenir, on s’achemine donc vers l’usage du concept de « populations » plus conforme à l’histoire des animaux… comme des humains d’ailleurs ! Mais le plus surprenant pour les chasseurs devait être surtout la mise en culture de lopins de terre enrichis par l’apport de fertilisants (feuilles, mousses, humus forestier et déjections animales récupérés dans les enclos de contention du bétail). Les céréales, activement protégées, étaient récoltées et stockées sous les toits, à l’abri des oiseaux et des rongeurs, une gageure à l’époque. La présence de moutons dans le troupeau autorisait aussi la fabrication de vêtements chauds, inconnus des chasseurs qui ne travaillaient que la fibre végétale à l’origine d’habits beaucoup moins confortables, même si les fourrures offraient une solution assez efficace contre le froid d’hiver. À ce sujet, ajoutons que les moutons des premiers colons ne fournissaient pas une laine commode à travailler en filature et il a fallu attendre les effets d’une sélection d’animaux à toisons plus fournies donnant des fils plus aptes à être tissés pour produire des équipements de laine. Après une phase de méfiance et peut-être d’hostilité, ces sédentaires avaient de quoi attirer la curiosité et sans doute aussi l’intérêt, car ils conservaient autour d’eux une réserve de nourriture végétale et animale importante qui n’avait, sans doute, pas échappé à nos chasseurs. Donc malgré les hésitations, au fil du temps, des liens se sont installés pour échanger de la viande, des peaux et peut-être aussi des poteries. Car l’arrivée des récipients en argile cuite était sûrement ce qui manquait le plus aux chasseurs dans l’impossibilité de « cuisiner » des liquides ou des bouillies sur le feu. Toutefois, pour un nomade, un objet lourd est toujours difficile à transporter et souvent considéré comme inutile ! C’est peut-être les femmes qui, plus pratiques, ont imposé la poterie aux chasseurs ? ! Que pouvaient proposer 73

ces derniers en échange ? Des pointes de flèches en silex, des racloirs, des harpons, des fourrures, des sacs en peau, des tissages végétaux ou des arcs, des bâtons à feu ou des instruments de musique, et à l’occasion de la venaison si la chasse avait été bonne ! Le plus visible était les colliers de coquillages, les pendeloques ou les bijoux en pierres précieuses (jade, ambre) que les chasseurs, grands voyageurs, mettaient en évidence sur leurs habits. Et on sait par les sépultures que les fermiers utilisaient aussi ces pendentifs en en faisant sûrement commerce avec les semi-nomades. Concernant le stockage, un mystère demeure. Comment les chasseurs-cueilleurs nomades parvenaient-ils à faire et à entretenir du feu alors qu’ils ne disposaient pas d’abri pour faire sécher le bois ? Ils ramassaient certes du bois mort, mais celuici est rarement sec en forêt. Ils devaient probablement amorcer leur feu avec des brindilles ou de la mousse et ensuite ajouter des branches de plus en plus grosses qui se déshydrataient en brûlant. Un procédé qui produit beaucoup de fumée et… peu de chaleur ! En revanche, les agropasteurs sédentaires pouvaient accumuler des bois morts à l’abri de leurs cabanes et disposer d’un foyer plus calorique. Pour peu qu’ils disposent de poteries, les bouillies de céréales ou de racines parvenaient réellement à cuire, un avantage déterminant pour une bonne assimilation de l’amidon. Tous ces détails de la vie quotidienne des fermiers finissaient pas être connus des chasseurs qui y voyaient sans doute des avantages et le fait que les fermiers menaient une vie un peu moins précaire et difficile que la leur. D’où le projet de l’adopter ! La pratique de l’agriculture oblige certes à stocker les récoltes, gérer les réserves, les redistribuer, mais il faut en garder une partie pour l’ensemencement de l’année suivante. En d’autres termes, disposer d’un système de prévision, voire d’une structure hiérarchique imposant en cas de famine de fin d’hiver des restrictions de consommation. « Une forme d’administration qui accentue l’interdépendance entre les individus » (Monet & Vos, 2012). Dans tous les cas, « le mode de vie sédentaire oblige les individus à travailler beaucoup plus et il n’a pas été toujours perçu positivement » (Monet & Vos, 2012), ce qui expliquerait la réticence des autochtones à s’y engager et le 74

« retard » que certains groupes locaux auraient pris au début du Néolithique. Nos chasseurs-cueilleurs avaient bien vu que « la production agricole nécessitait une dépense d’énergie supérieure à la cueillette ! » (Bowles, 2011). Toutefois, la néolithisation a progressé au fil des siècles de colonisation et finalement, « sans preuves de massacres archéologiquement avérées, il semble que les chasseurs-cueilleurs n’aient pas opposé de résistance notable à la progression des agriculteurs » (Démoule, 2022). On arguera que sur certains sites néolithiques anciens (Fontbrégoua dans le Var), des pratiques cannibales ont été notées (Villa et al., 1986), mais on n’a pas la preuve que ce sont bien des agriculteurs qui ont ingéré des chasseurs ou l’inverse ! L’hypothèse que ce soit les sédentaires entre eux qui aient réglé leurs comptes paraît la plus vraisemblable. Des témoignages de savoir-faire, voire de collaboration, sont attestés entre ces deux communautés. Par exemple, la ressemblance entre les pointes de flèches utilisées par les chasseurscueilleurs et les agropasteurs laisserait à penser à des échanges dans les procédés de fabrication et J.-P. Demoule (2022) va jusqu’à parler de « transfert de technologie », ce qui attesterait d’une cohabitation plutôt pacifique entre les deux groupes. Par ailleurs, « certains Mésolithiques ont peut-être appris à fabriquer des pots en céramique comme ceux du site de la Hoguette en Normandie et les flèches de type Monclus, tirées par les Néolithiques furent vraisemblablement fabriquées avec des techniques mésolithiques » (Archeologia, 2022). D’autres témoignages vont dans le même sens. « Indices de contacts, certains héritages du monde des chasseurs sont adoptés par les agriculteurs tel l’usage de colliers de coquillages méditerranéens (colombelles) ou de flèches de type de Monclus » (Guilaine, 2019). Mais à propos de poteries, on n’oubliera pas que le mode de vie peut changer l’intérêt pour des objets qui n’ont pas la même valeur selon leur poids chez le sédentaire que chez le nomade, car ce dernier doit les transporter sur son dos en plus des armes de chasse, des pièges, de la tente et du nourrisson. Les objets en terre cuite n’ont probablement pénétré chez les nomades que progressivement pour cette simple raison. Ils se sont sans doute

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multipliés au sein de la famille quand le nomade est devenu sédentaire. Dans le domaine de l’alimentation, on sait désormais que les chasseurs-cueilleurs savaient conserver à l’automne les baies d’airelles et de myrtilles, les framboises, les mûres, les noix qu’ils faisaient sécher. À la manière des Amérindiens, peut-être faisaient-ils aussi brûler les feuilles de certaines plantes aromatiques pour obtenir une cendre salée et parfumée qui permettait d’assaisonner leurs viandes. Il faut aussi imaginer que nos chasseurs et nos fermiers appréciaient peut-être les saisons plus finement que nous pour mieux coller aux changements de temps sur l’année. « Les Algonquins d’Amérique du Nord, par exemple, suivaient un calendrier à six saisons avec un préprintemps et un préhiver afin de bénéficier pleinement de la nourriture disponible dans leur environnement » (Larivière, 2013). On ignore si cette façon de diviser l’année était en pratique à l’époque. Malgré l’exploitation de zones assez vastes pour les deux communautés, il pouvait apparaître des conflits d’usage, car les troupeaux sauvages se mélangent difficilement avec les troupeaux domestiques, ne serait-ce qu’à cause des chiens affectés à la garde de ces derniers. Par ailleurs, « on a remarqué aussi que les agriculteurs ont occupé d’abord les fonds de vallées fertiles, comme dans le Bassin parisien, laissant les plateaux boisés aux chasseurs, avant de les occuper à leur tour » (Demoule, 2022). La cohabitation connaissait donc des limites, mais aurait pu se faire « à la longue », laissant un délai suffisant pour que les deux communautés apprennent à se connaître et éventuellement à s’apprécier. Comme les agropasteurs pratiquaient aussi la cueillette et dans une moindre mesure la chasse, ces deux mondes ne pouvaient se côtoyer sans un jour se rencontrer. La difficulté majeure pour échanger était, sans doute, le parler. Les dialectes des chasseurs restant étrangers à ceux des agropasteurs… mais il reste le langage des gestes ! Il faut aussi penser que les conflits de territoires n’avaient pas forcément lieu d’être aigus, car les chasseurs ne faisaient que passer sur un territoire et la densité de populations se limitait, en début de colonisation, à quelques individus aux 1000 hectares rendant la cohabitation supportable. Par ailleurs, pour faire vivre une famille (cinq per76

sonnes, par exemple) le chasseur-cueilleur avait besoin d’une surface moyenne de 1000 ha (soit une commune actuelle), alors que l’agropasteur pouvait se limiter, avec ses cultures et son troupeau, à moins de 50 ha, soit 20 fois moins, ce qui pourrait expliquer un certain niveau d’acceptabilité des autochtones pour les colons. Finalement, passer d’un mode de vie nomade à un mode de vie sédentaire a demandé, pour toutes les raisons évoquées précédemment, un long délai, car ce passage a dû s’accompagner d’une adaptation dans tous les détails du quotidien et une volonté d’apprendre et d’intégrer les nouvelles techniques. Reste un aspect plus discret, mais non moins important, les transformations physiologiques comme l’acquisition de la lactase permettant d’assimiler le sucre du lait et les mutations génétiques associées à cette transition. « Les études génétiques semblent montrer (en effet) que l’avènement de l’agriculture et les changements consécutifs dans l’exposition aux agents pathogènes auraient radicalement changé les gènes immunitaires chez les premiers agriculteurs » (Immel et al., 2019). Et il est probable que le génome des chasseurs a également évolué concomitamment. Les transformations occasionnées par cette néolithisation ont donc largement influencé le comportement des deux communautés, mais modifié aussi en profondeur le génome même des individus. Un métissage visiblement bénéfique en regard de la croissance démographique qui a suivi.

D – Rencontre entre chasseurs-cueilleurs sédentarisés et les agropasteurs Sur les territoires les plus riches des marges de l’Europe (Portes de Fer le long du Danube, littoral de la mer Noire, estuaires atlantiques ou côtes de la mer Baltique), des groupes de Sapiens séjournaient visiblement plus longtemps au même endroit que ceux de l’intérieur du continent puisqu’on trouve dans les fouilles une abondance de coquillages, d’ossements de gibiers et de nombreux outils en silex. Mais aussi, et c’est une indication très signifiante, des nécropoles, les premières du continent, particulièrement bien pourvues en sépultures. Ils avaient donc de multiples raisons de ne pas abandonner ces 77

sites, et par conséquent de les défendre contre d’éventuels intrus en quête d’installations nouvelles. « Cet esprit de possession, même dans les régions de moindre densité démographique, n’a pu a priori qu’engendrer des situations conflictuelles avec les agriculteurs » (Guilaine, 2019). Malheureusement, les traces laissées par ces affrontements ont été vraisemblablement recouvertes par les épais limons des fleuves en crue ou la montée du niveau des mers, ce qui rend très aléatoires les découvertes de preuves. En zone continentale, pour ces deux communautés, le travail de l’argile est pris comme un indicateur de sédentarité puisqu’il faut des fours pour obtenir des objets en terre cuite et ces derniers se sont en général conservés. Les poteries produites étaient à usage domestique, mais également échangées avec des populations semi-nomades ou des individus de passage qui se livraient à du commerce terrestre ou fluvial. Des travaux de fouilles dans des stations de l’est de l’Europe de la fin du Mésolithique indiquent que « là où des chasseurs-cueilleurs ont pu résider de manière sédentaire grâce à l’abondance des ressources naturelles, ils ont souvent fabriqué des poteries, comme en Sibérie ou le long des grands fleuves russes ou ukrainiens » (Demoule, 2022). Précisons que pour produire de la céramique (keramos signifie « argile » en grec), il faut trouver une pâte relativement pure et avoir un foyer dans lequel on peut brûler un bois bien sec pour disposer d’une braise susceptible d’atteindre 800 °C. Ces conditions sont plus faciles à obtenir évidemment dans des installations permanentes, ce qui explique le développement de cette activité chez des groupes de Sapiens sédentarisés. Si des objets en terre ont été échangés, il est probable que les différentes techniques de leur fabrication aient aussi été diffusées dans les campements voisins qui ont trouvé avantage à l’usage de ces contenants facilitant la conservation des graines (céréales) ou des corps gras (huiles ou graisses) et indispensables à la préparation des bouillons cuits sur les braises. De tels atouts ont sans doute poussé à la sédentarisation ceux qui étaient encore nomades, et aux échanges de plus en plus réguliers entre fermiers. La poterie se prête aussi aux échanges de cadeaux entre familles qui peuvent déboucher sur des liaisons plus du78

rables comme les mariages. Car à part quelques exceptions, l’exogamie est toujours la règle. Les hommes trouvent toujours plus « attirantes » les femmes des groupes étrangers, ce qui ne semble pas propre aux humains vu que, comme le fait remarquer J.-P. Demoule (2020), nos cousins les chimpanzés et les bonobos se lient facilement avec des femelles extérieures à leur bande et que celles-ci les acceptent volontiers ! Ajoutons que les échanges peuvent aussi concerner les hommes des communautés de chasseurs-cueilleurs sédentarisés qui deviennent les conjoints de filles d’agropasteurs soit par affinité, soit par intérêt (force de travail) ou soit par nécessité (décès). Par la suite, les naissances sont susceptibles de rapprocher encore les deux familles et finalement les deux communautés. La mortalité étant forte à cette époque, les « remariages » devaient être fréquents, ne serait-ce que par obligation, car la quantité de travail quotidien à réaliser (garde du troupeau, traite des animaux, ou cueillette et chasse, mais aussi traitement des peaux et vannerie) nécessitait la participation indispensable d’au moins un couple. Toutes ces activités pouvaient donner lieu à des échanges de produits alimentaires (viande ou venaison, lait ou farine, vêtements ou tissages) ou de services (ramassage du bois de chauffage, défrichement, travail du sol) ; de bonnes occasions pour faciliter l’intégration des deux traditions. Dès l’instant où les habitations sont à poste fixe, les troupeaux sont parqués autour des maisons et des échanges d’animaux reproducteurs sont alors facilités. Car pour éviter la consanguinité dans l’élevage, le berger prend soin d’échanger des béliers ou des boucs avec ses voisins. Ils peuvent aussi échanger des juvéniles pour renforcer leur cheptel. Tous commerces susceptibles de développer les rencontres et d’engager une reconnaissance mutuelle. Comme la traite des chèvres et des brebis est une dure contrainte journalière, les voisins pouvaient aussi se remplacer… Une autre façon de faire connaissance.

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Le parcage des chèvres et la traite. Illustration de Benoît Clarys.

E – Rencontre entre pasteurs et agriculteurs Les pasteurs se déplacent régulièrement pour trouver les pâturages les plus riches, mais ils séjournent toutefois plusieurs jours, voire plusieurs semaines, au même endroit et ils regroupent généralement leur troupeau le soir dans des petits enclos entourés de murs de pierre sèche ou de branches pour assurer une certaine protection contre les prédateurs. Le bétail qui y séjourne produit des déjections qui s’accumulent. Le berger dispose donc régulièrement d’un engrais organique de très bonne qualité dont il peut faire bénéficier les agriculteurs qui, eux, n’ont généralement pas suffisamment de fertilisants avec les quelques animaux domestiques de leur ferme. Ils accumulent, en revanche, une réserve de céréales. Il s’organise alors un système d’échange à intérêt réciproque, qui a peut-être pu se mettre en place au Néolithique. Ce type de troc existe toujours dans certains territoires montagneux du désert d’Oman au sudest de la péninsule Arabique où pasteurs et maraîchers échangent des fertilisants contre des légumes. À propos de fertilisant, les pratiques agricoles des premiers fermiers ne conduisaient à intégrer de toute façon, comme on l’a vu précédemment, que très peu de matières organiques au 80

sol. Pour remédier à cette carence, les paysans allaient ramasser l’humus en forêt pour l’ajouter à la terre des jardins. Cette pratique était encore en cours au siècle passé, dans certaines de nos campagnes et c’étaient les enfants qui étaient chargés de la corvée. Il est possible que les premiers néolithiques aient découvert cette façon d’amender un sol de culture. Les occupants précolombiens de l’Amazonie avaient d’ailleurs mis au point, bien avant l’arrivée des colons espagnols, « un compost constitué de leurs déchets de cuisine (fragments d’os, arrêtes de poissons, résidus de viande), de fragments de poterie et de charbon de bois leur permettant d’obtenir une terre noire (la terra preta) indispensable à la culture du maïs, du manioc, des haricots ou des courges » (Rostain, 2021) au sein d’une forêt à sol très pauvre. Mais cette pratique ne semble pas avoir eu cours en Europe, étant entendu qu’elle laisse très peu de traces dans les stations fouillées par les archéologues. Les possibilités d’échanges et de rencontres ne manquaient donc pas entre nomades et sédentaires. Il est probable toutefois, comme c’est le cas encore aujourd’hui en zone sahélienne par exemple, que les agriculteurs aient montré un certain mépris envers les pasteurs nomades qui ne labouraient pas, ne mangaient pas de pain, n’habitaient pas de maisons, n’avaient ni villages, ni lois, ni gouvernement. Pour les sédentaires, les nomades ne travaillent pas. Certes, le pasteur doit suivre en permanence son troupeau, mais, selon Aristote, « il s’assure de quoi subsister sans avoir à produire un quelconque effort et parmi la grande diversité dans le genre de vie des hommes, les moins actifs sont les nomades ». À croire que notre célèbre auteur grec n’a jamais connu les affres de la vie de berger ! Les échanges de biens, de services et d’idées entre autochtones et migrants ont donc eu de multiples occasions de se manifester, à chaque étape de la colonisation. Ils ont transformé en profondeur les modes de vie, les paysages et les hommes de ces deux millénaires décisifs pendant lesquels s’est opérée cette conversion radicale que l’on peut suivre dans sa progression à travers l’Europe.

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CHAPITRE VII Les grandes étapes de la colonisation vers l’Europe

Les migrations engagées entre le VIIe et le Ve millénaire av. J.-C., qui nous intéressent ici, ne sont pas les premiers déplacements de l’homme en direction de l’Europe (Néandertaliens et premiers Sapiens), mais probablement les plus importantes en nombre d’individus mobilisés. Avant les travaux récents de génétique, on pouvait croire que la néolithisation aurait pu tenir à la diffusion d’un simple courant « civilisationnel » sans déplacement « physique » des hommes du Levant. Mais l’étude de l’ADN mitochondrial a montré que « les chasseurs-cueilleurs mésolithiques portaient des séquences appartenant au complexe de l’haplogroupe U qui n’était pas présent parmi les agriculteurs migrants et qui ont disparu rapidement avec l’arrivée du Néolithique rubané lorsque les nouveaux haplogroupes sont apparus » (Brandt et al., 2023). Il y a donc bien eu un transit de familles (et d’animaux) par l’Anatolie, et dans une moindre mesure par les côtes de la Méditerranée orientale jusque dans les Balkans.

A – Voies et vitesses de colonisation Les grandes voies de colonisation Les travaux de recherche évoqués par Perles (2008) sur la génétique des populations humaines de pionniers montrent, sans aucun doute, qu’elles sont originaires du Proche-Orient et du 83

Moyen-Orient, mais les voies de pénétration vers l’Europe posent encore problème. Il est toutefois possible, à l’heure actuelle, d’argumenter en faveur de deux voies principales de pénétration distinctes : l’une continentale de l’Anatolie vers la Grèce, la Bulgarie et la Roumanie, l’autre plus maritime vers les Cyclades, la Crète et les îles ioniennes. On ne sait pas exactement comment se sont entrecroisées, en mer Égée, les vagues successives de migrants, mais on peut affirmer qu’elles venaient toutes du sud-est de la Turquie et se sont séparées à l’entrée dans les Balkans. Les uns s’engageant dans la vallée du Danube et de ses affluents, les autres choisissant les côtes de la mer Adriatique. Vitesses moyennes d’avancée du front de colonisation « Sur la totalité du trajet du Proche-Orient à l’Angleterre, la vitesse moyenne de la colonisation néolithique est voisine de 1 km/an » (Ammerman et al., 2014), chiffre confirmé par les travaux de Marquieria (2004). Dans ces conditions, « la céramique décorée n’est plus, tant s’en faut, le seul marqueur culturel permettant de suivre le déplacement des groupes que l’on étudie aussi bien par les pratiques agricoles, les outils de moisson, l’approvisionnement en matières premières, les techniques de montage de la poterie » (Perlès, 2011), sans oublier les emprunts faits aux chasseurs comme les particularités des pointes de flèches et les techniques de pêche. Une première façon de suivre l’avancée des pionniers consiste à observer la néolithisation sous l’angle de la diffusion des formes d’habitats depuis le point de départ du ProcheOrient entre 12 000 et 10 000 av. J.-C. Comme il a été mentionné précédemment, « depuis plusieurs millénaires, les chasseurs-cueilleurs du Levant, les Natoufiens, s’étaient plus ou moins sédentarisés et habitaient des bâtiments circulaires dont la base était construite en pierre. La maîtrise de la construction a donc précédé la transformation de l’économie » (Gernignon, 2016). Toutefois, si « la morphologie de l’habitat reste le plan circulaire, les types de bâtiments varient en fonction des activités spécialisées » (Gernignon, 2016). « Vers 8500 avant notre ère, les plans circulaires sont progressivement remplacés par 84

des plans quadrangulaires et rectangulaires » (Özdogan, 2010), et ce dernier type devient presque exclusif dans tout le Levant, la Mésopotamie ou le sud de l’Anatolie. « C’est peu après 7000 av. J.-C., que le Néolithique s’étend au-delà de sa zone nucléaire. Les premiers villages néolithiques des rivages de la Méditerranée sont très probablement fondés par des populations venues d’Anatolie centrale à la faveur de la crise de la fin du PPNB (Prepottery Neolithic B) qui voit l’abandon de la plupart des sites d’Anatolie centrale et l’appauvrissement de ceux d’entre eux qui continuent d’être habités » (Gernignon, 2016). On retrouve encore sur le continent européen des habitations circulaires, mais elles se font rares avec l’avancée du front de colonisation et les structures rectangulaires finissent par s’imposer en Europe centrale. Une deuxième manière d’apprécier la progression néolithique consiste à étudier l’expansion de la culture du blé : datée de plus de 7000 ans av. J.-C. au Levant, autour de 6000 ans en Anatolie, près de 5000 ans en Grèce, 4500 ans en Italie (Bilancino près de Florence), un peu plus de 4000 ans en République tchèque (Pavlov VI) et 4000 ans dans l’Ouest français et en Irlande (Le Monde, 2022), c’est-à-dire une vitesse de progression de la culture céréalière voisine aussi d’un kilomètre par an. La plupart des archéologues qui évaluent l’avancée des critères de néolithisation dans les populations adoptant les nouvelles techniques font remonter le Néolithique grec à l’arrivée des colons vers 6500 av. J.-C et le Néolithique normand à 4800 av. J.-C., il s’est donc écoulé 1700 ans pour une distance parcourue par le front de colonisation de 2500 km soit, dans ce cas, environ 1,5 km/an, c’est-à-dire 40 km par génération de 30 ans. Le délai est censé séparer l’installation par les enfants d’une nouvelle ferme distincte de celle de la famille d’origine. En suivant la voie « exclusivement » marine, du Néolithique syrien daté de 9500 av. J.-C au Néolithique espagnol daté de 5600 ans av. J.-C., il s’est écoulé 3900 ans pour une distance parcourue (en ligne directe d’une île à l’autre !) de 3200 km, donc une vitesse moyenne de colonisation (par mer) de 0,8 km/an.

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Ces estimations sont évidemment entachées de bien des approximations. Elles semblent traduire cependant une avancée maritime plus rapide que l’avancée continentale. Faut-il y voir un frein dû au rôle des chasseurs-cueilleurs probablement plus nombreux sur le continent que dans les îles de la Méditerranée ? ! En tout cas, à l’arrivée sur les côtes de l’Ouest français, les Méditerranéens seraient arrivés les premiers… mais de quelques siècles seulement ! Les à-coups On a beaucoup parlé de moyennes de progression, mais dans les faits, l’avancée n’a pas été régulière. Selon Guilaine (2019), « elle a connu un premier arrêt en Anatolie centrale vers 8500 av. J.-C., puis en Grèce vers 6300 av. J.-C. et 6000 av. J.-C. sur le Danube. Un nouveau départ a entraîné l’expansion du Néolithique jusqu’au cours inférieur du Rhin autour de 5000 av. J.-C. Mais la plaine du Nord de l’Europe et la Scandinavie ne seront progressivement touchées qu’à compter de 4500 av. J.-C. et les îles britanniques vers 4000 av. J.-C. » Et le Grand Nord est resté à l’écart. Pour expliquer ces à-coups dans la « conquête de l’Ouest », on peut évoquer la résistance des autochtones à accepter une incursion sur leurs territoires de chasse, une difficulté à cultiver certaines terres, le développement de maladies infectieuses chez les villageois et même des accidents climatiques (périodes de pluie abondante, sécheresse prolongée ou coups de froid). Toutes ces explications gardent leur valeur, mais les données archéologiques manquent pour estimer leurs véritables impacts. « Ce sont des flux répétés par voie maritime et par voie terrestre que mettent en évidence tant les données archéologiques qu’archéogénétiques. Le modèle d’une expansion continue, la vague d’avancée, est mis à mal par l’observation d’avancées rapides entrecoupées de stases, et par les discontinuités spatiales des premières implantations néolithiques » (Perles, 2008). Le Néolithique se serait développé en Europe par vagues successives relativement rapides entrecoupées par des arrêts de parfois plusieurs siècles qu’on explique par un temps d’adaptation des espèces végétales et animales aux climats régionaux. Ce « dé86

veloppement arythmique » (Guilaine, 2004) a sûrement aussi pour cause la résistance des populations autochtones à l’installation des fermiers qui auraient pu se traduire par des conflits locaux, des vols de bétail ou des dégradations d’installations, sans compter l’impact des maladies transmises par la présence d’animaux domestiques (tuberculose, brucellose) ou par les nouveaux arrivants en transit (peste). En voulant être synthétique, « autour de 5500 avant notre ère, une grande barrière (théorique) transcontinentale allant du Portugal à la mer Noire matérialiserait cette zone nord de résistance à la néolithisation qui marque à cette époque un coup d’arrêt à la progression de cette révolution » (Archeologia, 2022). Les évolutions en cours de migrations « L’expansion par voie terrestre des Balkans vers l’Europe centrale puis occidentale, qui concernait essentiellement des zones peu favorables aux chasseurs-collecteurs, s’est d’abord faite de façon indépendante de ces derniers, avant que, quelques siècles plus tard, descendants de colons et chasseurs-cueilleurs ne s’intègrent dans des communautés mixtes » (Perlès, 2008). La durée d’intégration a quand même demandé une dizaine de générations à se réaliser et probablement un peu plus en périphérie, comme le pense le même auteur pour qui, « sur les marges de ces zones de néolithisation initiales, des groupes autochtones ont eux aussi adopté, plus ou moins complètement, l’économie et le mode de vie néolithiques entraînant leur diffusion au sein de communautés proches et créant des foyers de néolithisation secondaires ». « Si on ajoute à ces phénomènes (de métissage), la nécessaire adaptation des cultivars et des espèces animales à des milieux naturels de plus en plus éloignés de leur milieu d’origine, il en résulte un paysage culturel et économique d’une très grande diversité qui ne fera que s’accroître au cours du Néolithique selon les trajectoires sociopolitiques différentes de ces communautés agropastorales » (Perlès, 2008). Au cours de cette migration massive des VIIe et VIe millénaires, les troupeaux domestiques se sont donc répandus dans le 87

sud-est européen et ensuite vers l’ouest, mais les populations autochtones qui pouvaient les exploiter ne disposaient pas forcément initialement de l’enzyme lactase permettant de digérer le lait et ses dérivés. « Il semble qu’une mutation génétique apparue dans l’Oural vers 6000 av. J.-C. et transmise par des populations en déplacement vers l’Ouest » (Le Monde, 2022) ait finalement été diffusée chez les éleveurs, là encore par métissage, leur permettant de bénéficier complètement des produits laitiers, un gage de survie à cette époque. À propos de ce métissage, « les cartes dressées par les chercheurs montrent que celui-ci est très faible entre 14 000 et 6000 av. J.-C., et limité aux Portes de fer en Roumanie et à la région de la grotte de Carihuela en Andalousie alors qu’il est inexistant ailleurs » (Rivollat et al., 2020). Par contre, entre 6000 et 5500 av. J.-C., il est massif dans les Balkans, mais pas encore en Europe de l’Ouest où il devient manifeste entre 5000 et 4500 avant notre ère. Ainsi, la colonisation du vieux continent apparaît comme presque complète en un peu plus de 1500 ans, excepté certains secteurs moins favorables aux pionniers comme les régions les plus pauvres (terrains sableux, caillouteux ou montagnes). La néolithisation n’a donc pas connu un succès foudroyant puisqu’il a fallu des générations pour qu’elle soit adoptée par les populations locales. Mais sur le long terme, la grande majorité des autochtones s’y sont conformés, preuve qu’ils y trouvaient un intérêt, à moins que ce ne soit par nécessité avec la raréfaction de la faune sauvage qui a justement commencé à décliner à partir des premiers millénaires de ce Néolithique.

B – Voies marines et voies terrestres Comme on l’a indiqué précédemment, « les deux courants de migration sont issus d’une seule et même source commune ayant connu un mélange mineur avec les chasseurs-cueilleurs rencontrés sur le chemin, probablement dans les Balkans, en amont de leur séparation » (Olalde et al., 2015). Examinons un peu plus en détails ce qui s’est passé sur ces deux parcours maintenant bien identifiés.

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1 – Les voies marines Avant la grande migration en direction des îles de la Méditerranée au VIIe millénaire, beaucoup de marins pratiquaient déjà le cabotage sur les côtes de l’Europe. « Les premiers indices consistants de circulation par voie d’eau proviennent de Norvège, dans les derniers siècles du Xe millénaire av. J.-C. » (Glorstad, 2016). « On enregistre alors, juste après l’oscillation froide du Préboréal, la colonisation rapide et uniforme du littoral, par un corridor à peine dégagé des glaces, qui livre un chapelet de sites en contexte côtier ou insulaire » (Philippe, 2018). En Méditerranée, J.-D. Vigne (2009) postule que pour le trajet vers Chypre, « les marins auraient employé une propulsion à la voile, dès la fin du IXe millénaire ». Les engins de navigation sont sommaires et utilisent les matériaux trouvés sur place. « La pirogue monoxyle de Pesse (Pays-Bas) est la plus ancienne embarcation connue en Europe. Elle a été construite dans un tronc de pin sylvestre évidé et daterait de 8200 à 7600 av. J.-C. Des expérimentations ont attesté ses capacités nautiques » (Philippe, 2018). D’autres pirogues très anciennes ont également été retrouvées par la suite, mais aussi des radeaux datant d’environ 6000 ans av. J.-C. (Histoire, 2020). Pour passer d’un bassin-versant à un autre, les chasseurs ou les pêcheurs ont besoin de franchir à l’occasion la ligne de partage des eaux (souvent une colline) et procéder alors à un portage des canots qui demande aussi une bonne connaissance des lieux et un matériel léger. « Les bateaux de peaux de bœuf sur charpente légère (bois de saule), facilement transportables, sont parfaitement adaptés aux courts déplacements en eaux intérieures, en particulier pour traverser les rivières ou permettre la pêche. Il est possible de postuler qu’ils ont pu coexister avec les pirogues monoxyles, voire même être utilisés avant celles-ci » (Philippe, 2018). Pour chasser, les Sapiens pouvaient dévaler les cours d’eau pour atteindre les estuaires plus riches en faunes, mais remonter à contre-courant pour rapporter leurs gibiers. Ils connaissaient donc parfaitement les stratégies de navigation locale que les colons néolithiques avaient besoin de s’approprier pour s’approvisionner en bois de chauffage ou pour construire leurs maisons, ce qui représentait une opportunité de collaboration. Il en était de même dans les estuaires où « le 89

mouvement vertical de la marée biquotidienne transforme les mouvements d’eau en courants alternatifs : le flot à marée montante et le jusant à marée descendante » (Philippe, 2018), avec tous les remous et tourbillons qui affectent les zones bordelières et qu’il faut anticiper et intégrer dans les plans de navigation. Avant l’arrivée des fermiers, les autochtones avaient donc déjà une bonne maîtrise de la navigation côtière et des équipements adaptés à la navigation dans tous les milieux aquatiques continentaux. Par la suite, la construction de bateaux a été de plus en plus sophistiquée. « L’équarrissage et l’assemblage par tenons et mortaises étaient déjà parfaitement maîtrisés au VIe millénaire av. J.-C. » (Philippe, 2018). Les progrès de la construction navale autorisent désormais des voyages plus lointains. « Alors que l’archipel britannique est pleinement séparé du continent, on relève des traces de contacts précoces de populations néolithiques avec les chasseurs-cueilleurs insulaires sur la façade ouest de l’Irlande dès le troisième quart du Ve millénaire av. J.-C. » (Philippe, 2018). « Des indices qui pourraient témoigner de navigations de pleine mer hors de vue de la terre » (Pailler et Sheridan, 2009). Toutefois, la navigation marine préhistorique s’est généralement limitée à du cabotage à proximité des côtes que les marins ne perdaient rarement de vue. Ils en mémorisaient les contours, car il fallait presque chaque soir s’abriter dans des criques plus sûres et se ravitailler en eau et en nourriture. « Le soleil, le déplacement des nuages, le vol des oiseaux et les courants marins pouvaient aussi servir de repères » (Philippe, 2018). La navigation de nuit imposait de se guider aux étoiles avec un risque accru de s’égarer en pleine mer sous l’effet des vents ou des courants défavorables. Quoi qu’il en soit, les échanges se sont développés sur les littoraux de toute l’Europe et les accostages répétés ont entraîné l’installation de petites localités protégées des tempêtes dans des criques abritées, ce qui laissait le temps aux populations de se rencontrer et de créer des liens. « Lors de ces avancées, l’assimilation de groupes locaux, ou plus précisément de femmes, semble avoir été plus importante dans les colonisations par voie maritime » (Perles, 2008). Pour des trajets plus difficiles au large, qui nécessitaient le transport des vivres, des ani90

maux vivants, des graines et des équipements d’habitation, il fallait plutôt compter sur des équipages d’hommes jeunes et résistants chargés du délicat problème de la navigation côtière semée d’embûches. En effet, les marins, privés de cartes, ne pouvaient compter que sur leur connaissance des lieux pour éviter que les vents ou les courants de bordure ne provoquent des échouages sur les plages ou, plus grave, sur les récifs difficiles à repérer au raz des flots. 2 – Les voies terrestres Sur terre, les migrants se déplaçaient évidemment à pied avec toute leur famille. Ils ne disposaient pas de charriot, l’invention de la roue étant beaucoup plus tardive. Peut-être avaient-ils construit des traîneaux, mais il ne semble pas qu’ils eussent des bovins suffisamment dociles pour les tirer. Le portage se faisait donc à dos d’homme (ou de femme !), car on n’a retrouvé sur les parcours aucune trace d’âne censé porter un bât, ni à plus forte raison de cheval dont la domestication est venue là aussi plus tardivement de l’est. « Les routes naturelles empruntées par les peuplades danubiennes étaient représentées par les fleuves, les rivières et les sentiers qui, sur chaque rive, longeaient les cours d’eau. Parfois aussi, les pistes empruntées par les troupeaux de bisons, d’aurochs, d’élans ou de sangliers » (Danthine, 1954). Les rivières étaient traversées à gué. Quant au franchissement du Bosphore et/ou des Dardanelles, il aurait eu lieu, suivant les auteurs, autour des années 6500 av. J.-C. Il n’est pas dit qu’à cette époque, la mer de Marmara ait été un obstacle aussi large qu’à notre époque, car le niveau de la mer était un peu plus bas. Par la suite, « entre 7000 et 6700 av. J.-C., apparaissent des témoignages d’agriculture sur les îles grecques et dans le Péloponnèse » (Perlès, 2009). Dans les siècles qui suivent, « les premiers villages de pionniers, venus de Turquie asiatique, se répandent rapidement dans tous les Balkans, dès 6000 avant notre ère. Ils couvrent toute la Bulgarie, la Thrace, la Macédoine et la Thessalie » (Gernignon, 2016). Plus tard, le mouvement de migration semble avoir marqué une pause. Les régions septentrionales de la moyenne Europe allant du nord de la France jusqu’à la Pologne, bien 91

pourvues en faune sauvage, avaient peut-être moins besoin des apports de l’agriculture, ce qui expliquerait la résistance des chasseurs-cueilleurs à se convertir à cette pratique. Toutefois, « l’avancée n’a pas cessé et s’est opérée, en fait irrégulièrement, à raison de 20 ou 30 km par génération, sur le continent, poussée par la surpopulation des villages et l’épuisement des sols appauvris par la culture sur brûlis » (Marquieria, 2004). « Il faut donc imaginer qu’à chaque fois, au bout d’une ou deux générations, une partie de la population quittait son village pour aller un peu plus loin vers l’ouest » (Demoule, 2022). Selon le même auteur, « le fait de scinder les communautés agricoles en petits villages limités à 100 et 200 personnes aurait été un choix des agropasteurs pour limiter les problèmes de gestion ». Il expliquerait la vitesse relativement rapide de leur progression vers l’ouest où s’offraient des territoires disponibles. Les pionniers se rangeaient probablement chez les jeunes adultes qui occupaient provisoirement les nouvelles concessions avec des tentes plus faciles à transporter. En abattant des arbres alentour, ils parvenaient ensuite à construire des cabanes en bois puis des maisons en torchis. Bien plus tard, il en était toujours ainsi, des « moines défricheurs » du MoyenÂge qui occupaient les clairières dans des abris de fortune puis travaillaient dur pour entretenir leur troupeau afin de réussir finalement à construire des bâtiments en pierre. Avec les migrants néolithiques, « il ne faut pas imaginer des caravanes d’êtres humains en route vers des terres meilleures ni des exodes de masse partant de régions inhospitalières. Plutôt une lente avancée, de génération en génération, de groupes se déplaçant de campement en campement à même de nourrir 25 à 30 individus adultes à l’image du nombre composant les tribus de chasseurs-cueilleurs actuels. En déplaçant ses lieux d’installation de quelques kilomètres à chaque génération, une petite population peut se diffuser sur de nouvelles terres en quelques milliers d’années seulement, sans avoir besoin d’organiser une quelconque migration déterminée » (Le Monde, 2022). Dès que les fermes étaient installées, les occupants travaillaient l’argile, car ils étaient habitués à disposer d’objets en terre pour cuisiner ou conserver les aliments. Ce front de colonisation n’a cependant pas toujours compté, durant la fin de la 92

période mésolithique, pour l’usage d’une poterie parfaitement élaborée (céramique décorée). Comme on l’a précisé plus haut, dans les fouilles, « aucun niveau dit acéramique, n’est (pourtant) exempt de tessons » (Perlès, 1989), ce qui laisserait à penser que ces poteries « précédaient » les sites où les artisans en assuraient la fabrication.

C – Les étapes de la voie méditerranéenne Ces espaces maritimes, déjà familiers aux hommes du Mésolithique, ont été investis semble-t-il assez facilement par les colons qui pouvaient s’y déplacer en toutes saisons, car l’hiver y était beaucoup moins rude qu’en zone continentale et le climat nettement plus doux tout le reste de l’année. Aux cultures littorales protégées des gels s’ajoutaient les revenus de la pêche côtière, mais aussi de la chasse fructueuse à l’époque dans les forêts très diversifiées et non encore dégradées à l’arrivée des premiers migrants. Dans ce cadre, « le courant impresso-cardial est considéré comme étant à l’origine du développement des sociétés néolithiques de la Méditerranée occidentale et de ses marges. Sa diffusion a été extrêmement rapide, depuis la Grèce (- 6500 av. J.-C.), il a atteint le sud de l’Italie vers 6000 avant notre ère puis a longé l’ouest de la péninsule jusqu’à gagner le golfe de Gêne et le midi de la France vers 5800, les côtes espagnoles puis portugaises vers 5600-5400 avant notre ère » (Binder, 2013). Au final, « ce Néolithique se manifeste, à partir de 5500-5400 avant notre ère, par une adoption généralisée, sur tout le littoral méditerranéen, de l’usage de la céramique, de la pratique de l’agriculture et de l’élevage » (Binder, 2013). « Les continuités dans le style des armatures de flèches montrent que ce sont des populations autochtones qui intègrent à leur mode de vie ces nouveaux usages » (Valdeyron et al., 2013), et ces évolutions ne correspondent pas uniquement à des groupes qui migrent, mais à la diffusion d’une culture qui visiblement intéresse des populations déjà en place. En décrivant, dans les pages qui suivent, les étapes successives de cette conquête marine vers l’ouest, nous pourrons mieux approcher les péripéties et les difficultés d’implantations 93

de nos pionniers sur les différentes côtes et îles de la Méditerranée et leur rencontre avec les occupants locaux. Une partie au moins de ces populations a fait souche en donnant des descendants toujours présents sur ces territoires littoraux et insulaires. 1 – Chypre L’île de Chypre, située seulement à 64 km de la Turquie et 95 km de la Syrie, a été probablement le premier point de contact entre l’Orient et l’Occident. Compte tenu des distances relativement limitées d’avec le continent, il est possible de voir à l’œil nu, par très beau temps, les sommets de la chaîne du Troghodos (presque 2000 m) à partir des reliefs du sud anatoliens qui dominent Anamur. Les chasseurs-cueilleurs nomades de cette région pouvaient donc être tentés de rejoindre ces terres qu’ils pensaient être très favorables à la chasse ou au pastoralisme. « La découverte du site d’Aetokremnos a révélé une présence humaine épipaléolithique dès le milieu du XIe millénaire » (Vigne et al., 2015). Il faut savoir que « les fluctuations du niveau marin au Pléistocène supérieur n’ont jamais réduit la distance minimale qui sépare l’île des côtes anatoliennes à moins de 40 à 60 km. Son peuplement est donc resté tributaire d’une longue traversée maritime par l’entremise d’un radeau naturel (bois flotté) ou par une navigation active » (Costa et Vigne, 2005), c’est-à-dire à l’aide d’une pirogue. De plus, « des courants de surface parcourent d’est en ouest la mer qui sépare l’île du continent. Ils ont dû probablement emporter au large plus d’un aventurier préhistorique et de nombreuses tentatives suspectées se sont probablement terminées par des naufrages » (Costa et Vigne, 2005). En fait, autour du Xe millénaire, les grands mammifères qui avaient survécu sur l’île, tels l’éléphant de Chypre et l’hippopotame pygmée, avaient depuis longtemps été chassés (site d’Akrotiri sur l’île de Santorin avant son explosion) et, pour cette raison, avaient disparu. La faune locale comportait des oiseaux et le littoral fournissait des coquillages. Le chien attestait de cette toute première présence humaine. Mais « les conditions alimentaires n’étaient peut-être plus suffisantes pour que les expéditions entreprises par la mer donnent alors lieu à 94

une occupation humaine durable » (Le Brun, 2001). Cependant, « un établissement néolithique précéramique est attesté à Klimonas, au sud de l’île, daté de 9000 ans environ avant notre ère. Les villageois, qui habitaient déjà dans des maisons en pierre, cultivaient alors des céréales introduites depuis le Levant, mais la viande provient du seul ongulé sauvage présent : un petit sanglier indigène. Par la suite sont introduits des daims sauvages et des moutons domestiques » (Guilaine et al., 2003). Cette découverte montre donc que des fermiers ont réussi à s’installer sur l’île peu de temps après le début de l’agriculture. Mais le mystère demeure sur l’effondrement de cette première expérience de colonisation précéramique de pasteurs et d’agriculteurs (culture d’orge domestique). Il n’est pas impossible que quelques groupes de sédentaires aient survécu et soient revenus pour un temps à la vie nomade sans laisser apparemment de traces. Le Domestique a dû se résoudre à retourner au Sauvage en attendant des circonstances plus favorables. Finalement, « dans la seconde moitié du IXe millénaire, les premiers colons se sont résolus à débarquer de leurs radeaux et/ou de leurs pirogues avec cinq espèces d’ongulés n’ayant aucun ancêtre autochtone à Chypre, à savoir le mouton domestique, la chèvre aegagre, le sanglier (sus crofa), le bœuf et le daim de Mésopotamie » (Vigne et Cucchi, 2005), et probablement le cerf. Les arrivants semblent avoir rencontré peu de concurrence avec les éventuels autochtones, ce qui a, sans doute, permis un développement rapide de communautés (Khirokitia) sur le littoral de l’île (Andreas Kastros, Tenta, Ais Yorkis, Troulli), mais aussi au centre (Kataliondas) de ce « cailloux » dominant la mer. « À la charnière entre le IXe et le VIIIe millénaire av. J.-C., l’occupation de Chypre par plusieurs vagues de colonisation implique de nombreux trajets maritimes de 70 à 90 km de distance (Vigne et al., 2013), une aventure risquée avec des embarcations chargées d’hommes et d’animaux. À ce sujet, « à Chypre, les variations de taille des herbivores introduits permettent de recenser au moins une douzaine de vagues de cheptels importés durant le Néolithique précéramique » (Vigne, 2009).

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Plus tard, « au VIe millénaire, le même destin s’est abattu sur la deuxième phase de colonisation attribuée à la culture céramique Sotira, qui a périclité à son tour, traduisant les difficultés de passer d’une économie de prédation à une économie de production et les habitants se sont finalement reconvertis dans l’exploitation du cerf » (Lacovou et al., 2008). Enfin, « après une période plus courte cette fois au Chalcolithique, la culture d’Erimi a marqué le véritable début du peuplement durable de Chypre » (Le Brun, 2001), soit plus de 4000 ans après les premières tentatives d’incursions néolithiques. Une réflexion menée par plusieurs chercheurs spécialistes de l’histoire de l’île aboutit à l’idée que les premiers échecs de la colonisation humaine de Chypre ne seraient pas dus à la concurrence avec les chasseurs-cueilleurs autochtones, mais auraient plutôt pour cause la dégradation des conditions écologiques liées à la sécheresse (accident climatique de 6200 av. J.-C.), les maladies contagieuses et/ou l’impossibilité pour les animaux domestiques de s’adapter aux nouvelles conditions de milieu, d’autant alors que le daim de Mésopotamie, espèce sauvage importée, s’est, lui, maintenu sur l’île. Ainsi, l’île la plus proche des foyers d’agropasteurs du Levant a-t-elle connu une néolithisation bien plus compliquée et tardive que d’autres îles de la Méditerranée alors que ce territoire ne paraissait pas, a priori, plus défavorable que ces dernières ? 2 – Les Cyclades Selon le géographe grec Strabon (Ier siècle), les Cyclades ne se composaient que d’une douzaine d’îles, mais peut-être ne comptait-il que les plus importantes ! L’archipel comprend en réalité actuellement environ 250 îles, îlots et îlots-rochers en mer Égée méridionale. Mais pendant la dernière glaciation, avec un niveau marin beaucoup plus bas, certaines d’entre elles étaient en communication, d’où leur nombre initial peut-être plus réduit. Leur occupation par les Sapiens fut assez précoce puisque les premières traces d’activité humaine datent du XIe millénaire. « Ces terres émergées étaient suffisamment proches les unes des autres pour permettre, dès la fin du Xe millénaire 96

avant notre ère, un trafic maritime déjà bien développé comme le prouve la distribution généralisée de l’obsidienne en provenance de l’île de Mélos » (Maquieira, 2004). « Dès le IXe millénaire av. J.-C., la diffusion de l’obsidienne des îles de Mélos et de Gyali à travers la mer Égée, soutient l’hypothèse qu’il existait des routes maritimes pérennes en Méditerranée orientale » (Sampson, 2014). « Les navigateurs utilisaient des bateaux à rames, sans voile et à proue relevée » (Orrieux et al., 1995). L’obsidienne et son commerce ont donc enrichi les habitants de l’Île de Melos comme quelques millénaires plus tard, avec la même roche volcanique locale et sur un autre continent, ceux de Teotihuacan, l’extraordinaire capitale de la Mésoamérique. Toutefois, tous ces territoires insulaires n’étaient pas occupés régulièrement et les chasseurs-cueilleurs, installés sur les plus étendus d’entre eux, procédaient à des incursions cynégétiques qui pouvaient aller jusqu’au continent grec ou turc. Ils se sont donc familiarisés très précocement grâce à la navigation marine, avec le circuit des courants, le régime des vents et la construction d’embarcations probablement bien adaptées au trafic en mer Égée. Mais il en reste, malheureusement, peu de traces. Ce n’est guère avant le VIIe millénaire que des groupes semblent s’être installés de façon permanente à l’instar de ceux qui avaient déjà atteint la Crète, précisément au moment où des colons arrivaient d’Anatolie. À ce moment-là, « il existait déjà dans les Cyclades de nombreux liens avec les cultures précéramiques du Proche-Orient et par ailleurs, les fouilles ont montré une diversification de l’économie, puisqu’à côté de la chasse, la collecte des végétaux et des mollusques commence à jouer un rôle important. La pêche devient une activité de premier ordre pour l’alimentation, surtout dans les sites côtiers évidemment. L’ouverture vers la mer pourrait expliquer, entre 7000 et 6500 avant J.-C., le peuplement de certaines îles de la mer Égée » (Kaczanowska et al., 2008). Pour certains auteurs, et selon « le modèle diffusionniste », les groupes de chasseurs-cueilleurs en viennent au contact de communautés agropastorales, à acquérir les plantes et les animaux domestiques ainsi que les techniques exogènes (Maquieria, 2004). Finalement, la mise en valeur de cet archipel, malgré ses sols parfois ingrats, assura une prospérité à ses habitants dès le Néolithique. 97

Toutefois, dans ce secteur de la mer Égée, « Il faut faire la distinction entre occupation et utilisation des îles » (Maquieira, 2004), car beaucoup d’îlots sont rocheux et peu propices à une activité agricole pérenne. « Les communautés agropastorales ont (toutefois) apporté les graines et les animaux domestiques. Quant aux groupes mésolithiques autochtones, ils disposaient de la connaissance des territoires des sources de matières premières (obsidienne), des parcours de circulation en mer Égée, des points de mouillage et des techniques pour construire des embarcations. Fortes de ces connaissances, pendant plusieurs millénaires, « sur l’île de Santorin, comme partout dans les Cyclades, les populations sédentarisées élevaient des chèvres et des moutons. Elles ne pouvaient imaginer quel sort était réservé à ce territoire qui ne présentait évidemment pas encore de caldeira » (France 5, 2021). Les chasseurs-pêcheurs-commerçants des Cyclades semblent donc avoir adopté assez rapidement les pratiques des pionniers venus d’Anatolie et l’archipel connu dès le début du Néolithique bénéficia d’une grande prospérité qui se diffusa dans tout le bassin de la mer Égée, mais celui-ci fut malheureusement ravagé plus tard par une explosion gigantesque (1650 av. J.-C.) qui dispersa des cendres sur tous ces territoires insulaires dont les littoraux et toutes les colonies qui s’y trouvaient (pêcheurs, éleveurs et marins) furent anéantis par un terrible raz-de-marée dont la vague principale aurait atteint plus d’une vingtaine de mètres de hauteur ! 3 – La Grèce Au Mésolithique, la Grèce était couverte d’une forêt claire très favorable à la grande faune sauvage exploitée par les chasseurs-cueilleurs qui ont laissé quelques traces de leur occupation très ancienne. « Les fouilles de la grotte Franchti, en Argolide, ont prouvé des activités de chasse aux cerfs et aux chevaux, il y a 28 000 ans. Par la suite, il semble que le grand gibier se soit raréfié, puisque la proportion de mollusques et de plantes a augmenté au Mésolithique (- 7500 à - 6.000 av. J.-C.) jusqu’à être remplacée par des poissons et des coquillages au début du Néolithique » (Marquieira, 2004). « Dans certaines 98

contrées de la Grèce continentale (Thessalie et Apulie), la présence mésolithique était réduite et le processus de colonisation a été rapide, marqué par la fondation de nombreux établissements, sans doute en liaison avec des processus migratoires » (Guilaine, 2019). À partir de 9700 av. J.-C., les populations conservent un mode de vie semi-nomade et chassent avec des arcs et des flèches jusqu’au début de la culture d’Argissa en Thessalie vers 6400 avant notre ère, laquelle développe l’agropastoralisme. Pour le reste, « le Mésolithique, en Grèce continentale, dure environ 3000 ans. Il cède la place au Néolithique vers 6500 ans av. J.-C. quand les populations venues d’Anatolie commencent à se diffuser dans les Balkans. Elles forment ainsi l’origine de l’ensemble des premiers agriculteurs européens » (Hofmanova et al., 2016). En Thessalie, ces derniers développent la culture d’Argissa vers 6400 av. J.-C. qui s’appuie sur la domestication du bétail et la mise en place d’une agriculture bien structurée. Les investigations de plusieurs sites confirment que « les pratiques d’élevage atteignent les zones intérieures dans la moitié du VIIe millénaire » (Roux et al., 1964). En Macédoine centrale, les fouilles du village de Nea Nikomedeia ont mis en évidence la présence d’une colonie d’agropasteurs habitant des maisons carrées bâties en bois et en torchis rappelant les constructions d’Anatolie et précédemment du Levant. Ils chassaient encore le cerf, le sanglier, les tortues et les oiseaux, mais pratiquaient surtout l’élevage et l’agriculture. Les restes de céréales (orge nue, blé amidonnier) et de légumineuses (lentille, pois et vesce amère) ont été datés de 6200 à 6000 avant J.-C. Les ressources provenaient donc du monde sauvage et également des acquis de la domestication des plantes et des animaux. Sur ce site, on peut parler d’un « Néolithique complet avec mouton, chèvre, chien, porc et céramique déjà réalisé en 6100 av. J.-C. » (Roux et al., 1964).

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Troupeau de moutons de race rustique au pâturage sur une lande du bord de mer en Grèce continentale. Photographie de Bernard Bachasson.

En Thessalie, aucun niveau mésolithique n’a été reconnu et le choix d’implantation des sites, l’habitat, le type d’économie et la technologie montrent que le Néolithique apparaît en rupture avec la tradition mésolithique. « En Argolide, par contre, la néolithisation s’effectue en continuité culturelle avec la population mésolithique » (Perlès, 1989). Beaucoup d’auteurs considèrent que l’agriculture et l’élevage auraient été importés directement d’Anatolie et initialement du Levant. Toutefois, on a découvert récemment un Néolithique acéramique à Argissa en Thessalie et aussi à Knossos en Crète qui dateraient du VIe et même du VIIe millénaire, soit une ancienneté comparable à celle des niveaux analogues d’Anatolie et du Proche-Orient (Treuil, 2021). La progression de cette colonisation pourrait donc être moins simple que celle annoncée. 4 – La Crète Par beau temps, la chaîne des montagnes de Crète est visible depuis les hautes terres de Mélos et, plus au sud, de Santorin. Par ailleurs, « les courants et les vents soufflant du nord qui prédominent dans la partie sud de l’Égée peuvent faciliter la 100

traversée de groupes humains en provenance des Cyclades » (Maquieira, 2004). Deux bonnes raisons pour les marins de l’archipel de tenter l’aventure et de franchir la centaine de kilomètres qui les séparaient de cette île dont la taille pouvait paraître attirante. L’accès était aussi possible du côté du Péloponnèse en faisant étape sur l’île de Cythère et surtout d’Anticythère, distante, avec un niveau marin plus bas aux temps anciens, de quelques dizaines de kilomètres seulement. Selon certains auteurs (Strasser, 2010), la Crète aurait été occupée très anciennement par des Néandertaliens et peut-être même antérieurement par des descendants d’Homo ergaster (Le Monde, 2022), mais l’absence de restes humains dans les nombreuses fouilles pourtant entreprises jusque-là ne permet pas de confirmer pour l’instant cette hypothèse. L’occupation de l’île n’est attestée qu’à partir du Mésolithique, entre 9700 et 7000 ans av. J.-C. par des Sapiens suffisamment rompus à la navigation en mer pour franchir les quelques dizaines de kilomètres qui séparent ce territoire des îles voisines du continent (Cythère ou Kasos à l’est). « Les chasseurs-cueilleurs insulaires d’alors ne vivaient pas isolés puisqu’ils étaient ravitaillés en obsidienne » (Vassilakis, 2000) par des marins aguerris qui s’approvisionnaient dans la carrière de l’île de Milos, imposant une traversée en pleine mer de plus de 150 km. Les tout premiers occupants, qui pouvaient accéder à l’Île plus facilement grâce à un niveau de la mer beaucoup plus bas et une traversée en pirogue relativement aisée à partir du Péloponnèse, chassaient alors des mammifères (hippopotames, éléphants, chevaux et cerfs) plus petits que ceux que l’on connaît actuellement et conformes à ce que l’on sait de beaucoup de populations sauvages insulaires atteintes de nanisme. Mais jusqu’à maintenant, aucun ossement de cette faune endémique n’a été retrouvé dans les sites néolithiques, ce qui tend à prouver qu’elle avait totalement disparu avant l’arrivée des colons. Elle n’a pas laissé derrière elle beaucoup de gibiers pour les chasseurs à part des populations de cerfs, de blaireaux et de martres inféodées aux forêts encore bien présentes à l’époque. « Les premiers colons sont sans doute venus à partir du VIIe millénaire, d’Anatolie » (Willetts, 2004). Ils ont construit des 101

maisons rudimentaires en briques crues sur socles de pierre. Leur mode de vie, très différent de celui des autochtones, s’est traduit par l’arrivée de troupeaux (chèvres, moutons, porcs) et de pratiques culturales (céréales et légumes) qui assuraient une subsistance suffisante pour ne pas rentrer en concurrence directe avec les chasseurs locaux. Le faible nombre de ces derniers ou l’intérêt qu’ils ont trouvé à collaborer avec eux explique probablement le fait que ces implantations, non seulement se sont maintenues, mais se sont développées jusqu’à donner, au IIIe millénaire, la riche société minoenne à l’origine des célèbres constructions de la Crète.

L’entrée des gorges de la Samaria : un étroit passage du littoral marin au plateau crétois par lequel transitaient les premiers occupants de l’île. Photographie de Bernard Bachasson.

Toutefois, les chasseurs-cueilleurs du Mésolithique de Crète se sont maintenus, au début du Néolithique, en marge des agriculteurs et des éleveurs. Ainsi, « de nombreuses grottes étaient encore occupées alors qu’apparaissaient les premiers villages et 102

certaines d’entre elles l’ont été jusqu’à l’époque minoenne prépalatiale » (Alexiou, 1969). Même au Néolithique final, beaucoup d’installations de l’arrière-pays n’étaient que des habitations saisonnières et des huttes, preuves qu’un certain nomadisme s’est maintenu et que domestication ne rimait pas forcément avec sédentarisation. À propos d’élevage, selon les dernières recherches génétiques, l’agrimi n’est pas, comme on le pensait auparavant, une sous-espèce distincte de la chèvre sauvage, mais un caprin provenant des premiers troupeaux de chèvres domestiques de Méditerranée orientale introduites autour de 8000-7500 av. J.-C. et réensauvagées par marronnage vers 1500-1000 avant notre ère. Comme on sait que ces animaux étaient encore chassés au Néolithique, on peut imaginer que les traditions de prédation propres aux chasseurs-cueilleurs n’avaient pas complètement disparu ! Pour être complet sur ce point, précisons que « l’ancêtre de la chèvre est une chèvre sauvage que les anglophones nomment plus précisément bezoar ibex et qui se rencontre dans les montagnes d’Asie mineure et du Moyen-Orient. Sa domestication a commencé il y a 11 000 ans environ. « L’espèce a été ensuite introduite dans les îles de la mer Égée et en Crète non sous sa forme sauvage, mais plus probablement sous sa forme domestique, puis des animaux sont devenus “marrons” et ont fini par former des populations réensauvagées stables » (Chansigaud, 2020), comme celles présentes encore aujourd’hui dans les gorges de la Samaria. En Crète, « les premiers fermiers sont donc venus probablement d’Anatolie, mais peut-être aussi de Cilicie et même de Palestine » (Willetts, 2004). « En plus des chèvres, ils ont importé des moutons, des cochons et des chiens, mais également des céréales et des légumes particulièrement dans la région de Knossos dont l’occupation date précisément du VIIe millénaire avant notre ère » (Braudel, 1998), « une période pendant laquelle on ne trouve pas encore de traces d’une production de céramique » (Willetts, 2004). « Pendant ce Néolithique précéramique, l’habitat se présente toujours sous formes de huttes en pieux de bois » (Vassilakis, 2000), avec un sol en terre battue, mais comme il a été dit plus haut, « beaucoup de grottes sont occupées dans les régions les plus montagneuses » (Willetts, 103

2004). La chasse a donc cohabité avec l’élevage et l’agriculture pendant des millénaires. Le Sauvage a résisté au Domestique. Pour preuve actuelle, ce vieux fusil que l’on trouve encore aujourd’hui, dans beaucoup de maisons de paysans crétois, exposé en bonne position au-dessus de la cheminée autour de laquelle se rassemble régulièrement la famille ! 5 – Les îles Ioniennes Du canal d’Otrante au Péloponnèse, une série d’îles et d’îlots bordent les côtes grecques de la mer ionienne. « Bon nombre d’entre eux étaient réunis au continent à la fin de la dernière glaciation, ce qui aurait permis une occupation humaine prénéolithique » (Maqueira, 2004). Avec un niveau des mers plus bas de quelques dizaines de mètres au VIIe millénaire, la communication avec le continent pouvait se faire à pied sec pour la plupart d’entre eux. Leurs criques étaient surtout favorables pour abriter les pêcheurs côtiers ou les piroguiers qui faisaient du cabotage en zone littorale. Ils menaient une vie semi-nomade et exploitaient le gibier abondant à l’intérieur des terres. Les premiers colons auraient pu venir d’Arcadie ou de Crète, deux territoires qui fournissaient des marins aguerris susceptibles de transporter dans leurs bateaux des migrants, mais aussi des animaux domestiques et, à l’occasion, des techniques bien affirmées de production de poteries. « Le courant culturel de la céramique imprimée apparaît dans le site de Sidari, sur l’île grecque de Corfou, en mer Ionienne, vers 6200 avant notre ère puis à partir de 6000-5900 av. J.-C. dans des sites d’Albanie et du sud de la Dalmatie » (Guilaine et al., 1991). « En Dalmatie, justement, la plupart des vestiges d’habitats découverts correspondent à des maisons de formes ovales ou circulaires qui évoquent une origine orientale de ces populations, mais l’utilisation de la pierre dans le fonctionnement des foyers est, au contraire, un signe de filiation possible avec les populations mésolithiques » (Gernignon, 2016). Les résultats de fouilles laissent donc penser que sur ces territoires, en un millier d’années, les deux traditions mésolithiques et néolithiques se sont rencontrées, chacune ayant apporté des améliorations bénéfiques aux occupants de ces villages côtiers. 104

6 – Malte Cette petite île de 316 km2 semble ne pas avoir été habitée antérieurement à 5200 avant notre ère. Elle a été pourtant rattachée pendant longtemps au continent par l’intermédiaire de la Sicile, ce qui explique la présence d’une grande faune sauvage (éléphants, hippopotames et cervidés) qui a connu une tendance au nanisme quand l’île s’est trouvée isolée par la remontée du niveau marin. Il n’est pas impossible que des chasseurs-cueilleurs soient venus s’y installer au moins provisoirement, mais ils n’ont apparemment laissé aucune trace détectée à ce jour. Le mystère subsiste quant aux causes de « la disparition de ce cortège faunistique qui ne serait pas dû à une chasse intensive, mais à un changement climatique trop rapide qui ne lui aurait pas permis de s’adapter à son nouvel environnement » (Guilaine, 2001). Dès le début du VIe millénaire, des colons venus de Sicile ont introduit des plantes et du bétail permettant un développement rapide d’une civilisation originale capable d’ériger des monuments imposants dont le temple de Skorba, le plus vieux site monumental au monde, antérieur au Cairn de Barnenez dans le Finistère et plus encore aux premières pyramides d’Égypte. 7 – La Sicile La Sicile n’est séparée de la botte italienne que par les quelques kilomètres du détroit de Messine et est donc facilement accessible, même avec des embarcations sommaires. Cette situation explique, sans doute « une colonisation très précoce par des hommes modernes, il y a environ 30 000 ans » (Holloway, 1995). « Les gravures de la grotte de l’Addaura sur le mont Pellegrino, les peintures murales de la grotte du Genovese, datées du Xe millénaire (Tusa, 1999) et les sépultures découvertes dans celle de San Teodoro attestent d’une occupation au Paléolithique supérieur, ce qui n’exclut pas une présence humaine au Paléolithique inférieur » (Lévêque, 1989). Anciennement, l’île devait héberger une faune abondante puisque les fouilles ont mis à jour un squelette d’éléphant nain, une espèce présente dans beaucoup d’îles de la Méditerranée. 105

« On y trouvait aussi l’hippopotame nain, la hyène et le loir géant » (Tusa, 1999) et « à l’Aurignacien, l’aurochs et le cerf » (Chilardi, 1996). « Dans l’une des grottes se trouve un vaste et riche complexe de gravures datant du Gravettien et du Mésolithique. Un large groupe de bovidés, chevaux sauvages et cervidés y est représenté » (Guilaine, 2000), attestant la présence de grands mammifères comme le sanglier probablement chassé par les premiers mésolithiques. Les Sapiens qui collectaient aussi leur nourriture sur le littoral consommaient beaucoup de coquillages. Les chasseurs nomades de l’Epigravettien (17 000 - 9000 ans av. J.-C.) fréquentaient occasionnellement les nombreuses grottes des côtes siciliennes dans lesquelles ils pratiquaient la cuisson des aliments et le traitement des peaux, du bois, des os et de la pierre. Il semble que, par la suite, les groupes de chasseurs aient utilisé surtout des campements à ciel ouvert. « Les fouilles de la grotte d’Uzzo ont mis en évidence une séquence comprise entre la moitié du IXe et le début du Ve millénaire av. J.-C. qui commence avec une intense fréquentation mésolithique suivie d’une activité de pêche régulière et de captures récurrentes de cétacés. L’agriculture et l’élevage du début du Néolithique n’ont pas ralenti un très fort développement de la pêche » (Costantini, 1983). Plus tard, les résidents ont vu débarquer « les colons originaires du Proche-Orient depuis l’Italie méridionale par le détroit de Messine » (Lévêque, 1989). Ce dernier passage, un peu moins large à cette époque que le détroit actuel (3,3 km), restait cependant délicat à traverser à cause des courants violents qui le parcouraient. « L’agriculture, l’élevage et la poterie n’apparaissent toutefois pas avant 5000 ans av. J.-C., suite à une probable incursion de colons venus, comme il a été indiqué précédemment, par le sud de l’Italie » (Nicoletti, 2003). Il s’ensuit « l’installation de villages côtiers plus ou moins fortifiés qui utilisaient le silex et importaient l’obsidienne du continent » (Lévêque, 1989).

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Troupeau de chèvres rustiques dans les pentes d’une colline de Sicile : un cheptel indispensable à la survie des pasteurs insulaires préhistoriques. Photographie de Bernard Bachasson.

Les fouilles entreprises à Lipari ont montré que cette île était aussi un centre d’extraction de l’obsidienne, une pierre rare et très recherchée dans tout le bassin de la Méditerranée et le point de départ d’un commerce poursuivi par les premiers colons qui s’y sont installés autour du VIe millénaire av. J.-C. « Ces implantations ne semblent pas avoir été remises en cause par l’hostilité des autochtones puisque les populations se sont développées et organisées collectivement pour parvenir à maîtriser, dès 3000 ans av. J.-C., la métallurgie du cuivre » (Lévêque, 1989), et plus tard du bronze. 8 – La Corse Au Paléolithique, avec un niveau de la mer plus bas qu’actuellement, le complexe Corso-Sarde était relativement facile à atteindre à partir de la Toscane, d’autant que l’île d’Elbe offrait un relais commode pour les premiers navigateurs à la recherche de nouveaux territoires de chasse. Celle-ci était habitée au début de l’Holocène, comme en témoignent les découvertes d’outils en pierre sur de nombreux sites : Marciana 107

Marina et Colle di Santa Lucia par exemple, puis au Néolithique par la mise à jour d’objets en pierre et en obsidienne telles des haches, des pointes de flèches et des lames retrouvées sur la Massif du Monte Capanne (Bellin, 2020). Les échanges très anciens tiennent sûrement au fait que l’île n’était finalement éloignée des côtes de Toscane (Piombino) que d’une dizaine de kilomètres à l’époque, grâce au relais de l’île d’Elbe, et pouvait recevoir aussi des fournitures de la Sardaigne toute proche. Si la Corse est actuellement éloignée de 170 km de Nice, elle n’est située en direct qu’à 80 km des côtes toscanes et seulement 50 km de l’île d’Elbe, elle-même séparée du continent que par le détroit de Piombino large d’à peine 10 km. C’est dire si, au moment où le niveau de la mer était plus bas, la traversée était facile même pour de frêles embarcations. Une fois l’accostage réussi sur cette première île, les Sapiens pouvaient apercevoir les sommets de la Corse culminant à plus de 2500 m. La présence de ces reliefs explique sans doute aussi « la colonisation précoce de ce territoire insulaire par les premiers chasseurs-cueilleurs présents en Sardaigne, il y a environ 20 000 ans » (Costa, 2004), et qui pouvaient rejoindre l’île à pied sec à cette époque. La faune locale devait comprendre depuis longtemps des cervidés puisque cette espèce a permis une accumulation de bois datés de 60 000 ans sur le site de Macinaggio à l’est du cap Corse. Un petit mammifère, le lapinrat, probablement facile à chasser à l’arc, était suffisamment abondant pour permettre le maintien d’une occupation humaine jusqu’à l’arrivée des colons au VIe millénaire. On ne sait rien du nombre des indigènes présents dans ces montagnes, mais on peut penser qu’ils étaient peu nombreux au regard des rares vestiges laissés en place. Les campements étaient peut-être plus fréquents sur les rivages, mais la transgression marine les a engloutis et il faudra attendre les investigations des plongeurs sous-marins pour redécouvrir les plus accessibles. « Il est possible que des groupes paléolithiques se soient installés dans certaines régions côtières de la Corse comme sur la plaine orientale ou les Bouches de Bonifacio, mais certains de ces sites ont probablement aussi été submergés par la transgression marine de la fin de la glaciation » (Costa, 2004). Ils reposeraient 108

alors à faible profondeur et seront sûrement fouillés dans la décade qui s’annonce, malgré les difficultés d’une telle exploration. « C’est à la charnière entre le IXe et le VIIIe millénaire que le massif Corso-Sarde connaît son premier peuplement par des groupes mésolithiques » (Costa, 2004), après une traversée d’environ 55 km. « Ils ont développé, principalement sur le littoral, des activités de pêche et de cueillette, la chasse étant limitée par l’absence de grande faune. (Costa, 2004). Certains chercheurs parlent d’un « hiatus archéologique » de la fin du Mésolithique qui peut être interprété soit par un manque de données de fouilles (ennoyage des sites côtiers), soit par « un évènement climatique (6200 av. J.-C.), soit encore par une raréfaction des groupes de chasseurs qui auraient eu des difficultés à se maintenir (démographie trop faible). La question reste entière. « La plus ancienne présence humaine mésolithique en Corse et en Sardaigne, maintenant bien datée du milieu du VIIIe millénaire av. J.-C., voire de la fin du IXe, atteste de traversées prénéolithiques de l’ordre de 40 km au moins » (Vigne & Cucchi, 2005). « Les cas d’occupation sous abris ou en grotte, dont les dimensions sont souvent exiguës, suggèrent l’installation de groupes de taille restreinte. De plus, l’irrégularité d’occupation de ces abris démontre la mobilité des groupes » (Costa et al., 2003) et pourrait laisser penser que l’île aurait été vide d’habitants pendant diverses périodes. Toutefois, « les zones littorales présentaient un potentiel alimentaire quantitativement et qualitativement plus important que l’intérieur de l’île, notamment grâce aux apports de la mer » (Costa, 2004). Les occupants parvenaient à l’exploiter en se déplaçant par cabotage d’une crique à l’autre. « Les analyses isotopiques réalisées sur quelques ossements humains trouvés au Monte Leone, indiquent que la part des ressources marines ne représentait que 25 % de l’alimentation. Il fallait donc la compléter par la capture au piège ou au filet (et peut-être à l’arc ?) du pika, heureusement abondant sur l’île » (Costa et al., 2003). En l’absence de critères techniques définissant habituellement le Mésolithique, notamment les microlithes géométriques, les chercheurs avaient qualifié cette période de « Prénéolithique » et, plus récemment, de « Néolithique insulaire », tant 109

ce délai s’avérait particulier à plus d’un titre. « Ce n’est qu’à partir du VIe millénaire, plus précisément vers 5700 av. J.-C., que la colonisation de la Corse devient pérenne. Le site de Filitosa, en Corse du sud, a été habité par la suite pendant plus de 5000 ans » (Guide archéo., 2016).

Une vue des Bouches de Bonifacio : zone de transit entre la Corse (à l’horizon) et la Sardaigne (au premier plan) pour les hommes du Mésolithique et du Néolithique. Photographie de Bernard Bachasson.

Les productions matérielles de ces communautés ne montrent pas de continuité réelle les unes avec les autres, ce qui traduit probablement des difficultés de peuplement et des échecs à s’installer sur l’île qui ne dispose pas d’une vraie grande faune sauvage. Les habitants ne pouvaient donc compter que sur les animaux importés et domestiqués pour maintenir des communautés humaines sur le long terme. Quoi qu’il en soit, « les premiers villages s’établissent vers 5700 ans av. J.-C., et produisent des « poteries de styles céramiques structurées du Cardial et de l’Impressa » (Binder & Guilaine, 2020) avec des caractéristiques très proches de celles découvertes en Toscane. Une constatation indiquant, comme pour les premiers chasseurs-cueilleurs nomades, l’origine continentale probable de ces arrivants. On peut alors imaginer qu’ils

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pratiquaient, comme sur ces territoires continentaux, une langue que les spécialistes rattachent au sous-groupe tyrrhénien. « Les premiers occupants néolithiques découvrent une terre pauvre, un gibier rare et une végétation peu diversifiée qui ont poussé les populations de colons à introduire de nombreuses espèces animales et végétales et à réussir finalement une anthropisation de l’île » (Costa, 1999). « Les colons du VIe millénaire ont apporté avec eux des céréales et des animaux domestiques dont le chien, les ovins, les caprins et les porcins, mais malheureusement aussi des rongeurs et des petits prédateurs qui sont, sans doute, à l’origine de l’extinction de la faune endémique » (Costa, 2004). « La Sardaigne et la Corse ont reçu un afflux initial de populations d’ascendance néolithique puis sont restées relativement isolées des expansions du Néolithique tardif et de l’âge du bronze. Les habitants se trouvent donc plus proches des individus néolithiques d’Europe continentale que de toutes les populations européennes actuelles » (Marcus et al., 2019), qui ont été mixées avec d’autres migrants venus de diverses steppes pontiques. 9 – La Sardaigne La Sardaigne a été reliée à la Corse jusqu’à la fin de la glaciation, il y a environ 14 000 ans, date à laquelle le niveau de la mer a commencé à remonter. Elle a donc été pendant longtemps relativement accessible de la côte toscane grâce au relais supplémentaire de l’île d’Elbe. C’est pourtant la Sardaigne qui semble avoir été colonisée en premier par des humains puisque certains auteurs pensent qu’elle a abrité des Néandertaliens. Une collection de phalanges d’aigles utilisée habituellement par ces derniers a en effet été trouvée dans la grotte de Corbeddu près d’Oliena sur le versant est de l’Île. Il est possible qu’ils aient aussi chassé le mammouth nain de Sardaigne qui pesait environ 500 kg (Acconci, 1881), une proie plus accessible que ses congénères du continent ! « La Vénus de Macomer, une statuette d’un peu plus de 13 cm à tête de pika, découverte dans la petite grotte de Marras, daterait du Paléolithique supérieur » (Mussi, 2012). Une occu111

pation beaucoup plus tardive de Sapiens a été révélée par la découverte d’ossements humains sur le site de Porto-Leccio (Tozzi, 1996) et de Su Coloru (Fenu, 2000). « Une phalange trouvée dans une couche datée d’environ 20 000 ans révèle la plus ancienne trace directe de l’homme en Sardaigne » (Melis, 2018). « La mise à jour d’un squelette quasiment complet, daté de la fin du Mésolithique, dans la grotte de Su Coloru de Laerru à Arbus, au sud-ouest de l’île, confirme la présence d’hommes modernes probablement peu nombreux à cette époque » (Costa, 2004). « Ils travaillaient le calcaire silicifié, le silex, le quartz et la goethite. Ce type d’activités, comparables à celles qu’on pouvait trouver au même moment sur le continent, sont à rattacher à l’Epigravettien, une des dernières cultures des chasseurscueilleurs du Paléolithique supérieur » (Banks et al., 2008). Ces nomades ont donc occupé de façon discontinue le littoral des deux îles actuelles depuis plus de 10 000 ans sans s’aventurer réellement à l’intérieur des terres difficiles d’accès à cause du relief et de la végétation très dense (maquis). La faune sauvage de la Sardaigne comptait « un cervidé endémique corso-sarde dénommé “cerf de Caziot” (Megaloceros casioti) qui a vraisemblablement disparu lors de la transition Tardiglaciaire-Holocène » (Vigne, 1990). Quant au cerf sarde actuel, sa lignée montre une diminution progressive de sa taille avec le temps, ce qui est une constante pour la plupart des mammifères insulaires. Chez les carnivores endémiques, le dhole de Sardaigne, identifié dans plusieurs localités de l’Île, n’a pas résisté à la présence humaine à la différence du lynx insulaire dont la disparition est récente, autour de 1900. « Il convient de signaler les découvertes de la grotte Corbeddu d’Oliena (province de Nuoro) où ont été trouvés de nombreux ossements du cerf de Caziot caractérisés par des traces de manipulations par l’homme et datées de 12 600 à 10 000 ans av. J.C. » (Melis, 2018). « La Corse et la Sardaigne étaient totalement dépourvues de grande faune terrestre lorsque les groupes du Mésolithique y ont accosté » (Costa, 2004). Ceci explique le très fruste équipement en pointes de flèche de ces chasseurs qui devaient plutôt utiliser des pièges ou des filets pour attraper les lapins-rat très abondants si l’on en croit les nombreux squelettes de ces rongeurs 112

dans les multiples grottes de ces territoires insulaires. Les rations alimentaires des hommes modernes étaient par contre riches en coquillages, en poissons et éventuellement en oiseaux. L’absence de grands ongulés explique sans doute la faible occupation humaine et son incapacité à s’installer durablement avant que n’arrivent les agropasteurs venus de l’est au VIe millénaire accompagnés cette fois d’animaux domestiques, gages d’un approvisionnement en viande et en lait complété par les ressources d’une cueillette locale (baies, glands) visiblement réalisée très près des abris. Ces derniers ont apporté avec eux des chèvres, des moutons et des porcs et sans doute aussi des rongeurs concurrents des pikas autochtones. L’installation de colons sur le littoral ne semble pas avoir laissé de traces de conflits. Leurs poteries sont décorées, comme dans toute la Méditerranée, par des empreintes de coquilles de cardium. Jusqu’au Néolithique moyen, cette population a montré une grande proximité génétique avec les habitants de l’Europe continentale de l’époque (Marcus et coll., 2020). « Dans la phase postglaciaire appelée Mésolithique, de 10 000 à 6000 av. J.-C., on assiste à une présence sporadique de peuples qui à différentes périodes, se sont temporairement installés en Sardaigne. Il s’agissait certainement de navigateurs experts puisque l’île était déjà séparée du continent. Ils étaient vraisemblablement attirés par la recherche des mollusques, mais aussi par l’abondance du pika sarde » (Melis, 2018). Pour ce même auteur, « il est presque certain que les peuples mésolithiques n’ont pas rencontré les groupes humains qui avaient fréquenté l’île au Paléolithique et ont trouvé une Sardaigne complètement dépeuplée ». « Le squelette mésolithique le plus complet de Sardaigne a été trouvé sur la plage de Costa Verde, près d’Arbus, au sud-est de l’île, mais à cette époque, l’île n’était pas densément peuplée » (Ozcelebi, 2012).

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Site de Sur Pistoccu sur le rivage de la Costa Verde où a été découvert le squelette le plus complet daté de la transition Mésolithique/Néolithique. Photographie de Bernard Bachasson.

Si le milieu naturel n’avait rien de très attirant pour les migrants, il restait cependant « la précieuse ressource extraite du Monte Arci, depuis au moins le Mésolithique, à savoir la fameuse obsidienne, un verre volcanique rare qui sera exporté dans de nombreux territoires de la mer Tyrrhénienne au Néolithique tardif » (Ozcelebi, 2012). « À partir du Néolithique ancien, l’obsidienne commence à être exportée en Corse, dans le centre-nord de la péninsule italienne et même dans le sud de la France » (Melis, 2018). « Au début du VIe millénaire, la Sardaigne voit arriver les agropasteurs avec leurs ovins, caprins, bovins et porcs qu’ils parviennent à transporter en bateau par la mer » (Melis, 2018)… ce qui n’est pas évident ! « Au Néolithique ancien, les populations installées en Sardaigne vivaient d’une économie agropastorale, complétée par la chasse, la pêche (congre et mérou), la cueillette des fruits sauvages (figues, mûres et arbouses) et de mollusques marins. Les premières céréales étaient des blés, en particulier l’engrain et l’amidonnier associés à des légumineuses (grotte de Filiestru-Mara et abri de Su CarropuCarbonia) » (Melis, 2018). « Au Néolithique moyen (4900-4300 114

av. J.-C.), les cavités naturelles continuent à être les lieux d’habitation les plus utilisés » (Melis, 2018). La céramique facilite alors la conservation des graines, le transport des produits alimentaires et des liquides (lait, eau, huile). « Les tentatives d’implantations dans ces îles sont restées limitées, les populations n’ayant probablement pas trouvé les conditions requises pour une installation sur le long terme, en raison notamment d’un réel déficit en ressources carnées » (Costa, 2004). Ce constat pourrait par-là même expliquer qu’une véritable occupation durable ne pouvait avoir lieu qu’après l’introduction d’un cheptel domestique qui, en plus d’une réserve de viande, apportait aussi du lait et, à l’occasion, de la laine. Au niveau des croyances magiques, les chasseurs insulaires avaient produit une statuette à tête de pika, la Venus Macomer, qui mélange l’élément humain et animal, une caractéristique des groupes animistes. Puis plus tard, « au Prénéolithique apparaissent les premières croyances d’une vie après la mort dans laquelle les dépouilles sont recouvertes d’ocre et parées de colliers de coquillages. Le défunt retrouverait ainsi le liquide vital (le sang rouge signe de l’espoir d’une vie après la mort) et les objets personnels dont il aurait besoin » (Melis, 2018). Au Néolithique ces pratiques se poursuivent sans discontinuité, mais s’enrichissent d’une « entité supérieure génératrice de fertilité et de fécondité : la Déesse Mère ou Mère Nature » en relation avec la productivité que les hommes attendaient de leurs cultures et probablement aussi de leurs troupeaux. « Le séquençage de l’ADN ancien de 70 individus provenant de 21 sites archéologiques sardes couvrant le Néolithique moyen jusqu’à la période médiévale montre que ces individus étaient étroitement liés aux gens de l’Europe continentale » (Marcus et coll., 2020), à l’image d’Ötzi, un chasseur daté de 5300 ans av. J.-C., découvert sur un glacier autrichien et qui avait des origines sardes. À l’origine, cette population insulaire ancienne provenait donc très probablement de Toscane ou peutêtre de régions plus à l’intérieur de la péninsule italienne. Le sanctuaire actuel du Monte d’Accoddi-Sassari date de l’âge du cuivre, mais il a été érigé sur un site plus ancien (4300 ans avant notre ère) où se dressaient des huttes et même certaines cabanes 115

ovoïdes vraisemblablement construites pendant la transition du Mésolithique au Néolithique.

Le sanctuaire du Monte d’Accodi près de Porto Torres (Sardaigne). Photographie de Bernard Bachasson.

10 – La côte nord Adriatique De la mer Ionienne jusqu’au fond du golfe de la mer Adriatique, les territoires littoraux, mais aussi les montagnes de l’intérieur furent occupés très tôt par les Néandertaliens, car ils offraient des conditions climatiques beaucoup plus clémentes et de véritables refuges pendant les périodes d’avancée des glaciers du Riss et du Wûrm. Leur disparition a laissé place aux Sapiens installés en petites colonies dans les abris sous roche et les grottes puis dans les campements de plein air que l’on découvre progressivement dans les estuaires et les petites vallées adjacentes où ils se livraient à la chasse, à la pêche et à la cueillette des ressources forestières et marines (coquillages). En Albanie, ces chasseurs-cueilleurs mésolithiques ont occupé les zones bordelières, mais aussi beaucoup de rives de cours d’eau (Vjosa) et même parfois l’intérieur des terres. Ce sont toutefois « les installations les plus récentes positionnées près des rivages qui ont bénéficié le plus de la présence d’estuaires très riches » (Galaty, 2008). Il est probable que cer116

taines d’entre elles au moins s’expliquent par l’arrivée d’embarcations par la mer, car une petite pièce d’obsidienne a été trouvée dans un de ces campements et transportée probablement par des marins spécialisés dans le cabotage et l’échange de cette pierre volcanique si précieuse pour armer les flèches. « Au début du Néolithique, la côte Adriatique n’a été colonisée que de façon sporadique. Les sites les plus importants étaient, cette fois, installés à l’intérieur des terres » (Cakran et Konispol). Mais « les céramiques retrouvées indiquent que les habitants communiquaient vers l’Épire au sud, mais aussi vers le nord de la Dalmatie probablement par la mer, ce qui n’exclut pas des échanges avec la Macédoine située plus à l’est » (Korkuti et al., 1995). « Au Monténégro, un peu plus au nord, « des traces de premières communautés humaines, datées de 5000 à 4000 av. J.-C., ont été découvertes dans la grotte Vranjaj au-dessous du sommet Radostak dans l’arrière-pays Herceg-Novi, en bordure de la mer Adriatique » (Musée H.N., 2021). En Bosnie-Herzégovine, « il est évident que la composante de Starcevo a pénétré par le nord jusqu’à Obre en Bosnie en venant d’une vaste région danubienne. Ce processus a eu lieu vers la moitié du Ve millénaire et on pourrait considérer cette époque comme la plus ancienne période de l’établissement des rapports culturels et autres entre les Balkans du nord-ouest et le Bassin danubien à l’époque post-paléolithique » (Benac, 1990). « L’actuel territoire de la Bosnie-Herzégovine a été peuplé d’abord par des agriculteurs peut-être matriarcaux » (Gimbutas, 1991). Ils ont laissé les traces de la culture de Butmir, apparentée aux civilisations danubiennes de la péninsule Balkanique, vénérant les cycles de la nature et les déesses de la fécondité. On ne sait pas si cette culture danubienne a correspondu à des déplacements massifs de migrants venus de l’intérieur du continent en direction de la mer, mais peut-être tout simplement d’une influence culturelle transmise suite aux échanges (trocs) avec des populations de montagnes pratiquant le pastoralisme et donc le nomadisme sur de grandes distances. La Croatie a hébergé, comme beaucoup de ces territoires littoraux, l’homme de Néandertal puis des groupes de Sapiens dont certains, suite à la déglaciation, sont remontés au nord et se 117

sont dispersés en Europe. Ceux qui sont restés sur ce territoire ont toujours communiqué avec les côtes de l’Adriatique, mais aussi avec les Carpates en utilisant les basses terres du nord qui ouvrent sur le bassin du Danube. « Ce couloir a été largement utilisé par les premiers agriculteurs migrants de l’ouest de l’Anatolie en passe de coloniser autant les plaines de la Slavonie que les zones littorales de l’Adriatique » (Freilich et al., 2021). Sur ces espaces se sont donc rencontrées la culture de Starcevo, inféodée à la zone danubienne, et la culture de la céramique imprimée propre aux rives de la Méditerranée, environ 6000 ans avant notre ère. La Slovénie, quant à elle, est un carrefour exceptionnel qui fait communiquer la plaine de Vénétie au bassin de la Save et aux rives de la mer Adriatique. Des migrants ont de tout temps parcouru ce pays : en premier lieu les Néandertaliens puis les chasseurs-cueilleurs du Mésolithique et plus tard les migrants issus du courant danubien à la rencontre des fermiers de culture « Impressa » méditerranéenne. Les échanges ne semblent pas avoir donné lieu à de sévères confrontations puisque la néolithisation s’est développée rapidement sur ce territoire riche de son agropastoralisme et de ses forêts. La diversité des groupes de peuplement explique que « les Slovènes parlent actuellement 35 dialectes » (Mursic, 2012), mais aussi l’anglais, ce qui n’entame en rien la réussite économique de ce melting-pot européen. 11 – La botte italienne Comme dans toute l’Europe du Sud, à la fin de la dernière glaciation, le climat de l’Italie était favorable à l’installation des chasseurs-cueilleurs et ces derniers se sont répandus dans toute la Péninsule, mais de façon peu homogène. En effet, entre 7000 et 6000 av. J.-C, les Sapiens sont moins nombreux au sud et se concentrent préférentiellement dans les provinces du nord. Pour quelles raisons, il est très difficile de le savoir. Peut-être une plus grande abondance de la faune sauvage forestière, mais aussi piscicole avec ses nombreux lacs et vallées, telle celle du Pô et de ses multiples affluents. « Vers 6000 av. J.-C., les agropasteurs venus des Balkans par l’est de la Méditerranée occupent le bas de la Botte et diffu118

sent la céramique cardiale » (Guilaine, 1998). Puis, ce courant se développe, au nord des Apennins, et une interaction est repérable entre chasseurs-cueilleurs indigènes et agriculteurs entrants. La néolithisation s’intensifie ensuite au cours d’une deuxième phase, dans les zones à plus forte densité de chasseurs-cueilleurs, c’est-à-dire l’Apennin tosco-émilien et la plaine du Pô. Selon les données de la génétique, « les populations qui en résultent ont une très faible ascendance indigène et une plus grande affinité pour les groupes d’Europe centrale, ce qui met en évidence la dynamique démographique des pionniers venus des Balkans et installés au nord des Apennins et une contribution active des indigènes aux changements techniques et culturels » (Rivolat et al., 2020). Au sud de cette chaîne de montagnes, on relève, par contre, une influence tyrrhénienne très marquée dont l’origine est inconnue, peut-être une colonisation venue directement cette fois des îles de la Méditerranée ? « La carte de diffusion du Néolithique montre que l’Italie n’a pas été seulement atteinte par le nord, une fois occupée toute la côte balkanique de l’Adriatique, mais aussi directement depuis les côtes de la Grèce actuelle par le détroit d’Otrante, voie maritime la plus courte vers l’Italie » (Demoule, 2022). Les vagues successives de migrants n’ont donc pas utilisé les mêmes parcours et probablement aussi les mêmes moyens de déplacement (à pied ou en bateau) pour atteindre la Botte. Lorsqu’on superpose la carte des conditions environnementales de la fin du Mésolithique à celle des migrations, on constate que « les fermiers se sont installés préférentiellement à l’intérieur de l’aire du climat méditerranéen » (Demoule, 2022), ce qui expliquerait leur choix préférentiel pour les contours de l’Adriatique, de la botte italienne puis de la plaine du Pô et par la suite des rivages languedociens et espagnols et une colonisation plus tardive au nord de l’Italie. En un millénaire environ, toute la péninsule italienne est finalement colonisée par les pionniers qui construisent des maisons en dur, utilisent la céramique « impressa », pratiquent l’élevage ovin et caprin et mettent en culture les terres les plus fertiles en reléguant les quelques groupes de chasseurs-cueilleurs à des zones marginales pauvres et souvent des territoires

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forestiers ou de montagnes. Le monde sauvage régresse alors devant l’avancée du monde domestique et ce n’est qu’un début ! 12 – Le littoral ouest-méditerranéen « En Méditerranée de l’Ouest, la néolithisation s’opère en deux temps : d’abord, des groupuscules issus de l’Italie du Sud vont fonder par mer, entre 5900 et 5600 av. J.-C. sur tout l’arc occidental, de petits établissements côtiers de durée éphémère. C’est une colonisation très sélective de type leap frog (c’est-àdire par bonds successifs). Après 5600-5500 av. J.-C., la conquête des terres intérieures s’organise : les sites agricoles gagnent les espaces continentaux. Leur impact progressif va contribuer à l’acculturation des sociétés de chasseurs » (Guilaine, 2019). « Cependant, tous ces migrants n’ont pas choisi la même stratégie puisqu’une partie des colons se contentent de suivre les côtes septentrionales de la Méditerranée jusqu’au détroit de Gibraltar sans trop pousser vers l’arrièrepays puis certains groupes remontent les côtes de l’actuel Portugal où ils arrivent vers 5500 environ » (Demoule, 2022). La péninsule Ibérique a donc connu une colonisation que l’on pourrait qualifier de « périphérique » et il a fallu attendre quelques millénaires encore pour que les installations nouvelles gagnent l’intérieur des terres en remontant préférentiellement les grands cours d’eau, c’est-à-dire l’Èbre, le Guadalquivir ou le Tage. Ici comme ailleurs, les animaux domestiques ont tous une origine étrangère à la péninsule. Ce sont bien ces migrants qui ont importé la chèvre et le mouton. Le développement des fermes d’élevage a conduit à l’accroissement du nombre de troupeaux dont le besoin en herbe a entraîné la pratique de l’incendie. De cette époque commence la mise à mal de la couverture boisée de la péninsule encore occupée par les derniers chasseurs-cueilleurs. 13 – La liaison Méditerranée/Atlantique par le sud-ouest français Pour étudier cette liaison, une centaine de sites, occupés par des groupes du Mésolithique final, ont été fouillés dans la Grande Lande du Sud-ouest. Ils ont montré une forte activité de 120

chasse (cerf, chevreuil, sanglier et aurochs) et de pêche (chevesne, barbeau, truite, brochet en anguille) jusqu’à la fin du VIe millénaire. Les installations étaient situées sur les berges des cours d’eau, préférentiellement dans les cours amonts. Le chêne pédonculé et le noisetier fournissent alors des fruits riches en énergie. Les flèches sont équipées d’armatures à trapèze héritées des techniques de fabrication du Sauveterrien final (vers 6000 ans av. J.-C.). L’utilisation du chien comme auxiliaire de chasse a dû jouer un rôle majeur pendant les derniers millénaires avant l’arrivée de l’agriculture. « À partir de 5700 av. J.-C., les premières traces d’agriculture et d’élevage apparaissent dans cette région du sudouest de la France » (Merlet et al., 2017). La question se pose de savoir par où ont transité les agropasteurs venus de la Méditerranée. Même si toutes les fouilles au nord des Pyrénées n’ont pas donné de résultats, il est possible d’affirmer qu’« une voie de pénétration est attestée à partir de l’Hérault, de l’Aveyron, du Lot et de la Dordogne (Rouffignac) jalonnée par la découverte de restes de chiens, de moutons, de chèvres et de bœufs datés du Tardenoisien, antérieur au premier niveau de la poterie » (Roux et al., 1964). On a pu montrer que « les pionniers ont aussi remonté le cours inférieur de l’Aude atteignant, par le seuil du Lauragais la vallée de la Garonne, et finalement la côte Atlantique du centre-ouest de la France aux alentours de 5000 ans avant notre ère » (Demoule, 2022). Si les migrants semblent avoir avancé lentement à l’intérieur des terres en Espagne, il semble que cela soit aussi le cas au nord des Pyrénées. La traversée de la Méditerranée à l’océan a donc duré près d’un millénaire pour une distance parcourue de 400 km, une vitesse de colonisation finalement plus lente que celle estimée dans les Balkans. La présence des chasseurscueilleurs locaux bien implantés et depuis très longtemps, n’y est peut-être pas pour rien !? 14 – La vallée du Rhône Dans le quart sud-est de la France, les sites du second Mésolithique attribués au Castelnovien (6600-5600 av. J.-C.) sont limités à la basse vallée du Rhône. Quelques autres im121

plantations ont été découvertes le long de la Saône et dans la haute vallée du Tarn et de l’Allier (Perrin, 2010), mais les chasseurs-cueilleurs ne semblent pas avoir investi les montagnes (Monts du Lyonnais et Montagne noire). Au VIIe millénaire, par exemple, les Cévennes étaient vides d’hommes avant que la transhumance ne s’installe avec son cortège de moutons venus du Languedoc. Le long du sillon rhodanien, « l’occupation mésolithique castelnovienne de la plaine alluviale est datée de 6200-6000 av. J.-C. Les derniers chasseurs-cueilleurs s’implantent alors dans un contexte forestier stable dans une partie de la plaine surélevée » (Berger, 2001). Mais « à partir de 6200 av. J.-C., le climat plutôt sec jusqu’alors devient rapidement très contrasté. Les incendies favorisent alors la pinède au détriment de la chênaie et des épisodes pluvieux très concentrés provoquent des crues dévastatrices » (Berger, 2001). L’occupation des berges du fleuve et de ses affluents devient alors problématique. « L’abondance des charbons, révélateurs de nombreux incendies, pose même la question d’une possible gestion de l’espace naturel par le feu, conduite par les chasseurs-cueilleurs mésolithiques » (Brochier et al., 2001). Ces derniers installent des tentes, mais aussi des cabanes de forme ronde et « on sait que les plans circulaires , sans être exclusifs, sont ceux qu’adoptent le plus volontiers les peuples nomades, mobiles ou récemment fixés » (Beeching, 2001). En plus de la chasse, les hommes pratiquent la cueillette et de façon intensive celle des escargots en particulier. « La consommation de gastéropodes fut constante dans la Préhistoire puisque cette pratique des chasseurs-cueilleurs fut poursuivie pendant la naissance de l’agriculture comme en témoignent les amas conséquents de coquilles mis au jour à Roynac dans la vallée de la Valdaine, en moyenne vallée du Rhône » (Beeching, 2001). Le même auteur précise que « le processus de néolithisation que l’on peut placer en France méridionale et la vallée du Rhône entre 6000 et 5000 av. J.-C. » a laissé d’assez nombreuses traces que les archéologues découvrent progressivement. « En Provence, la faune est bien conservée puisque la consommation de gibier comprend du sanglier, du cerf, du renard, du chevreuil et du chamois et la proportion d’animaux 122

domestiques ne dépasse pas un tiers de la ration, mais dans certaines stations, vraisemblablement plus pourvues en élevage, elle peut atteindre les deux tiers des espèces animales consommées » (Nicol-Pichard, 2021). Les prémices de l’avancée néolithique se confirment un peu avant les années 5000 av. J.-C. « La discontinuité entre les derniers groupes de chasseurscueilleurs et les premiers agriculteurs est assez prononcée dans le sud de la France, en raison des différences stylistiques marquées des dernières industries à lames et trapèzes et des premiers ensembles d’outils néolithiques. Ces écarts plaident en faveur d’un changement culturel et démographique. Des assemblages mixtes successifs, où de rares récurrences mésolithiques au sein des séquences néolithiques n’apparaissent que dans les Alpes du Sud, au moins trois siècles après la colonisation pionnière des côtes méditerranéennes » (Rivollat, 2020). Avant d’atteindre la moyenne vallée du Rhône, « les premiers colons sont signalés en Provence dès 5800 avant notre ère » (Demoule, 2022). À Châteauneuf-les-Martigues (Bouches-du-Rhône), les fouilles réalisées dans un niveau tardenoisien sous-jacent au premier cardial, ont mis en évidence des squelettes de « moutons dont l’âge et le nombre ne laissent aucun doute sur leur domestication » (Roux et al., 1964). Au VIe millénaire, la chênaie à feuilles caduques et les essences thermophiles progressent dans la vallée, mais les paléosols noirs découverts dans ce couloir montrent que de nombreuses prairies sont présentes et « les premiers paysans néolithiques qui arrivent au milieu de ce millénaire n’ont pas à déboiser une immense forêt vierge pour s’y installer » (Brochier et al., 2001). Le même auteur constate qu’« à la fin du VIe millénaire, une très forte érosion liée à un épisode climatique à pluies concentrées provoque de fortes crues et il se demande dans quelle mesure l’extension des néolithiques et leurs déboisements n’en auraient pas accru les effets possibles ». Passé cet épisode tumultueux, le climat s’améliore et cette nouvelle période favorable à la sédentarisation pourrait expliquer l’abondance des installations de colons (site de Lalo) dans ce secteur de la moyenne vallée du Rhône. « Au Ve millénaire, les zones cultivées sont nombreuses (céréales et lentilles), mais le pastoralisme a tenu une place importante, ce qui pourrait expli123

quer que la sédentarisation totale en villages ne semble pas encore acquise » (Brochier et al., 2001). « Bien que partiellement arasées et peu spectaculaires, ces phases d’occupation montrent une présence précoce et continue de l’homme néolithique en conquête vers le nord, une progression de peu postérieure à celle de la bande littorale méridionale » (Beeching, 2001)… mais si l’avancée a été relativement rapide, la transition semble avoir été longue pour atteindre le mode de vie sédentaire en village, comme le pense ce dernier auteur. « La conception d’une installation précoce (avant 5400) jusqu’à la hauteur de Valence au moins peut maintenant être admise. Des sites relevant de phases moyennes à récentes du Néolithique ancien dans la banlieue lyonnaise montrent que la diffusion s’est poursuivie du sud vers le nord, jusqu’à rencontrer en Auvergne, sud Bourgogne, et plus problématiquement le Jura, les courants danubiens du nord de la France » (Beeching, 2001). Pour cet archéologue, ces derniers seraient arrivés avec un certain retard sur ceux du sud. En marge du sillon, « dans les Alpes, d’autres contacts, peut être beaucoup plus précoces (avant 5400 av. J.C.) s’établissaient avec la plaine du Pô ». Pour revenir au Rhône, les fouilles de Courthézon, dans le Vaucluse, ont mis à jour « le plus ancien village de plein air du Cardial où les habitants pratiquaient l’agriculture (faucilles, meules), mais consommaient encore 30 à 40 % de viande de chasse » (Courtin, 1974). Sur ce même secteur, « les fouilles du Moure de Pradel sur le site du Baratin ont mis en évidence l’installation en plaine, au VIe millénaire, de cabanes près desquelles les habitants commencent à pratiquer l’élevage et l’agriculture après avoir abandonné les grottes et les abris des environs. « Il faudra attendre encore près d’un millénaire pour qu’ils s’intègrent aux pratiques des Chasséens qui, eux, sont à 90 % des agriculteurs » (Courtin, 2015). « Les fouilles engagées dans la partie méridionale de la Valdaine, au confluent du Jabron et de la Citelles, ont permis d’identifier des cabanes à plans ovalaires datées de 5200 à 5000 av. J.-C. Elles étaient vraisemblablement destinées à abriter une petite tribu encore semi-nomade qui les utilisait comme campement hivernal de longue durée ou comme première tentative de sédentarisation » (Beeching, 2001). 124

« Dans la Drôme, le Néolithique commence vers 5000 av. J.C. L’élevage remplace progressivement la chasse, et l’agriculture la cueillette. La poussée démographique, consécutive à l’arrivée des migrants venus en trois étapes successives des rivages de la Méditerranée, amène les premiers conflits entre tribus. Les premiers défricheurs ont laissé de rares vestiges dans le Diois. Ils sont éleveurs et agriculteurs, mais continuent toutefois de pratiquer aussi la chasse et la pêche » (Couriol, 1989). « En Basse Provence, vers 5000 ans av. J.-C., le climat plutôt doux et humide favorise le développement des chênes, mais aussi du tilleul et même du hêtre et du sapin. On commence toutefois à trouver du plantain, car les hommes défrichent pour installer des parcelles de cultures, faisant ainsi reculer l’espace boisé. Ils pratiquent une transhumance de proximité et le couvert forestier prend, localement, un aspect de garrigue. Les céréales, les légumineuses, mais aussi les animaux domestiques ont tous des origines proche-orientales. La chasse prend désormais une autre place dans la vie des communautés : elle n’est plus nécessaire et devient, peut-être, une activité qui valorise les hommes ? » (Nicol-Pichard, 2021). La néolithisation s’est développée plus tard en éventail dans toutes les directions, autant vers les Vosges que vers le bassin Parisien ou l’Auvergne. Les pionniers ont laissé des vestiges de maisons datés de 4600-4300 à Vertaizon, près de Clermont-Ferrand, dans le Puy-de-Dôme. Au final, une bonne partie de la France du Sud s’est donc convertie au nouveau mode de vie proposé, et peut-être parfois imposé, par la colonisation cardiale. 15 – L’Espagne L’Espagne a été occupée par Homo erectus depuis au moins 800 000 ans et des restes ont été identifiés à Soria et Madrid. Les Néandertaliens y étaient installés depuis au moins 200 000 ans et « les dernières populations auraient disparu vers 40 000 ans » (Wragg Sykes, 2022), peu de temps après que les Sapiens aient fait leur apparition. Mais la découverte d’une mandibule d’un des derniers néandertaliens, dans une grotte de Gibraltar (Hublin et. al, 1998), atteste d’une cohabitation avec les 125

hommes modernes dans le sud de la péninsule, probablement pendant quelques milliers d’années (Haws, 2020). De nombreux vestiges attestent de la présence, à l’Aurignacien, au Gravettien, au Solutréen et au Magdalénien, de ces Sapiens qui avaient trouvé refuge en Espagne alors que le nord de l’Europe connaissait un climat particulièrement froid durant la glaciation du Würm. Il n’est donc pas surprenant que la péninsule Ibérique abrite de nombreux sites préhistoriques du Paléolithique inférieur (Atapuerca) au Paléolithique supérieur (Parpallo). Le site Magdalénien d’Altamira offre un exemple spectaculaire d’art pariétal dû aux Sapiens et datant d’au moins 12 000 ans av. J.C. Le Mésolithique proprement dit est d’abord représenté par le Sauveterrien puis au nord et à l’est par le Tardenoisien. « Les conditions de vie restaient très difficiles à cause de changements climatiques graduels, mais aussi très soudains », ce qui fait dire à Isabelle Schmitt (2022) que « certaines populations régionales, en fait très peu nombreuses au nord de l’Espagne, car limitées à quelques centaines d’individus, se sont éteintes à plusieurs reprises », mais ont toujours réussi à se reconstituer, ce qui traduit une forte résilience des groupes de chasseurscueilleurs du sud-ouest européen. Malgré leur très faible densité (environ 0,13 personne/km2), et un climat très changeant, ces autochtones ont réussi à se maintenir des milliers d’années jusqu’à l’arrivée des colons qui ont assuré par la suite « une croissance démographique rapide » (François, 2019), qui laisse supposer des relations relativement pacifiques sans exclure toutefois quelques conflits locaux. Avec le retour de conditions plus clémentes à l’Atlantique, la forêt se développe et fournit aux mésolithiques une abondance de gibiers (cervidés ou caprins) et les produits de la mer prennent une place plus importante en zone côtière. « Au VIe millénaire av. J.-C., l’Andalousie voit l’arrivée des premiers agriculteurs originaires d’Anatolie qui introduisent des céréales et des légumineuses, mais apparemment pas d’animaux domestiqués… peut-être trop difficiles à transporter en bateau ? Ils consomment du sanglier, du lapin et de grandes quantités d’olives, tous produits vraisemblablement sauvages » (Cerda, 1986). « Les vestiges typiques de cette époque sont des poteries 126

de style La Almagra qui sont assez diversifiées » (Cerda et al., 1986). À ce sujet, les résultats de l’étude botanique et de l’analyse au C14 des céréales trouvées dans le même silo préhistorique conduisent à penser à « l’existence de relations directes entre la Méditerranée orientale et la péninsule Ibérique dès le Néolithique supérieur » (Fontaine, 1967), ce qui laisserait à penser que les liaisons étaient fréquentes et directes par la mer. « Tout ce que nous savons des origines de la culture des céréales au Moyen-Orient, induit à penser que le commerce entre la Méditerranée orientale et la Péninsule (ibérique) aurait existé vers le Ve millénaire av. J.-C. » (Fontaine, 1967). « Des économies de production et de prédation ont ainsi coexisté de manière perceptible du VIe au IVe millénaire dans le nord de l’Espagne et dans le sud du Portugal » (Marchand, 2005). « Ce Néolithique, arrivé en Andalousie durant la deuxième moitié du VIe millénaire avant notre ère, fait partie du courant de néolithisation méditerranéen. La première phase de colonisation, ou Néolithique ancien, est à rattacher au Néolithique cardial méditerranéen bien que certaines céramiques donnent des datations un peu plus anciennes. « L’agriculture est pratiquée dans les zones de plaine et le système agropastoral plus fréquent avec une dominance des ovicaprinés en régions montagneuses » (Desideri, 2012). Comme un peu partout en Europe, l’intérieur des terres et les secteurs plus montagneux ne sont touchés que très tardivement par le développement de l’agriculture, probablement à cause de conditions climatiques et édaphiques plus difficiles, mais aussi, peut-être, par la présence de chasseurscueilleurs hostiles à l’occupation de leurs territoires de parcours. « Parallèlement, la chasse et la cueillette restent relativement importantes » (Martin Socas et al., 1998). « Les premières études ADN portant sur des sujets du Néolithique ancien de Catalogne montrent un mixage de gènes masculins (chromosomes Y) de souche orientale et de gènes féminins (mitochondriaux) autochtones : conséquences de mariages d’intrus fermiers avec des femmes indigènes » (Gamba et al., 2012 et Lacan et al., 2014 in Guilaine, 2019). Ce type de remplacement des hommes autochtones par des individus migrants mâles venant de l’est aurait été encore plus manifeste à l’âge du Bronze selon plusieurs chercheurs qui ont travaillé sur 127

l’ADN de ces populations d’Ibères. « Bien que les archives archéologiques n’apportent pas de preuves manifestes d’un éclatement de violence au cours de cette période » (Olalde, 2015), il est peu probable que de tels bouleversements touchant la structuration des familles se soient faits dans la sérénité et le calme ! Au final, il semble possible d’affirmer que, « dans la péninsule Ibérique, le remplacement des chasseurs par les agropasteurs n’aurait duré qu’un millénaire » (Cabanilles et Marti, 2002). 16 – Le Portugal Le Portugal actuel, comme toute la péninsule Ibérique, a été occupé très anciennement par l’homme. Les Prénéandertaliens puis les Néandertaliens ont utilisé les abris sous roche et les grottes, principalement entre l’Estrémadure et l’Alentejo, mais aussi au nord du Douro. « Ils ont cohabité quelques milliers d’années avec les hommes modernes » (Labourdette, 2000), installés sur les rivages et particulièrement aux débouchés des grands fleuves, les biotopes les plus riches de la zone littorale. Ces groupes consommaient visiblement beaucoup de mollusques à tel point que l’on qualifie « cette période de l’Épipaléolithique, datée de 7500 ans av. J.-C., de cultures des amas coquillers » (Zilhao, 1988). Des outils adaptés au prélèvement de ces coquillages auraient été mis au point par les fourrageurs du littoral. Ils prennent la forme des « pics asturiens » que l’on trouve aussi sur la côte nord de l’Espagne particulièrement riches en ressources marines. Ces groupes ont laissé aussi de nombreuses gravures sur rochers dont les plus anciennes remontent à près de 20 000 ans. C’est dire si ces Sapiens ont été actifs sur ces rivages atlantiques. « Au VIe millénaire, après la colonisation de l’Andalousie, les premiers agriculteurs atteignent le Portugal comme en témoignent les résultats de fouilles du site de Muge, près de Lisbonne, où l’on a découvert des restes de chien et de mouton datés de la fin du Mésolithique, aux environs de 5400 av. J.-C. » (Roux et al., 1964). « Les premières poteries cardiales apparaissent vers 5000 av. J.-C. » (Zilhao, 1988) et témoignent d’un véritable mouvement de néolithisation. 128

« La grotte de l’Escoural, qui a fourni beaucoup d’information sur le Paléolithique moyen et supérieur de cette région de l’Alentejo, a finalement été abandonnée en tant qu’habitat par les premières communautés d’agriculteurs et de bergers qui ont choisi de la réserver à leurs besoins de sépultures funéraires » (Richter, 2019), montrant ainsi une rupture d’avec les habitudes des chasseurs-cueilleurs mésolithiques. Par la suite, et sans que l’on trouve jusqu’à ce jour des traces de conflits entre chasseurs-cueilleurs et fermiers, les occupants s’aventurent plus à l’intérieur des terres. « Dans la Gruta do Caldeirao, plusieurs datations sur des restes humains donnent des âges compris entre 4900 et 2900 av. J.-C. » (Zilhao, 1988). « Les recherches génétiques entreprises sur les populations lusitaniennes pourraient laisser penser à des intrusions venues du nord, et particulièrement des Alpes, après le VIIe millénaire. Mais il ne pourrait s’agir que des effets d’une domination celte plus tardive qui expliquerait cette ascendance » (Lambrino, 1957). Le peuplement du Portugal s’est donc construit à partir de groupes venus de la mer, de la péninsule Ibérique, mais aussi du continent. Il ne semble pas que la rencontre de ces migrants d’origines si diverses ait occasionné beaucoup de conflits, car, jusqu’ à ce jour, il n’y a que peu de traces de morts violentes.

D – Les étapes de la voie continentale Il est impossible de savoir pourquoi une partie importante des migrants ont choisi la voie continentale. Les raisons pouvaient être pratiques (la Thrace était toute proche de l’Anatolie), géographiques (ils venaient du nord de ce territoire), techniques (ils ne disposaient pas de bateaux) ou humaines (ils connaissaient déjà des migrants installés dans la vallée du Danube). Quoi qu’il en soit, la traversée des détroits de Turquie ou des grands fleuves (Danube ou Dniepr), limitée à quelques kilomètres, avait plus de chance de succès qu’une aventure marine, bien plus longue et risquée. À la différence de la voie méditerranéenne, « la colonisation du continent européen par la voie du Danube semble avoir drainé la majorité des migrants » (Demoule, 2022), dont le déplacement restait quand même plus facile à opérer sur la terre 129

ferme qu’en mer, d’autant que les esquifs utilisés rendaient la réussite des accostages très aléatoires. Malgré cette facilité, ce courant migratoire a démarré avec quelques siècles de retard sur celui des côtes de la Méditerranée. Arrivés sur le continent autour de 6500 ans av. J.-C., les premières vagues de pionniers ont emprunté tout naturellement la vallée du Danube (2850 km !) et de ses affluents qui présentaient de vastes et riches terrasses cultivables, les zones de tresses les plus près du fleuve, étant soumises à des inondations régulières, ne pouvaient servir qu’aux parcours occasionnels des troupeaux. Cette arrivée massive a donné lieu à l’apparition de nombreuses cultures plus ou moins apparentées (complexes culturels à céramique rubanée) et imbriquées (certaines d’entre elles ont plus ou moins fusionné). Progressivement, les regroupements de migrants se sont organisés en villages parfois fortifiés. Ces derniers attestent d’un certain niveau de productivité agricole autorisant l’accumulation de richesses qu’il fallait à tout prix protéger. Dans ce contexte, le métissage avec les chasseurs-cueilleurs est resté très limité, surtout en début de migration pour des raisons probablement culturelles, car les modes de vie et de pensée étaient très éloignés. 1 – La basse vallée du Danube Dans cette partie avale du fleuve s’étaient déjà sédentarisés plusieurs groupes de chasseurs-pêcheurs qui exploitaient les zones délaissées du cours d’eau, les marécages et les embouchures bien pourvues en poissons (cyprinidés, ésocidés et salmonidés), avifaune locale (hérons, poules d’eau) et migratrice (oies, canards). À l’instar des locaux, les nouveaux arrivants ont continué à pratiquer la chasse et la pêche, deux sources complémentaires de protéines « gratuites » permettant d’épargner l’abattage d’une partie du bétail si précieux pour les modestes fermes. Mais en quelques siècles, ces communautés ont connu, dans cet environnement particulièrement favorable, un développement démographique rapide autorisant une structuration sociale forte (chefferies de village) et un niveau d’échange élevé entre communautés, malgré le handicap de la langue ou plutôt des 130

dialectes pratiqués par des populations d’origines aussi diverses. Les autochtones ne se comprenaient pas forcément entre eux et les migrants ne venaient pas forcément des mêmes régions d’Anatolie aux parlers différents. La privatisation des terres de cultures ou de pâtures a occasionné des conflits qui ont laissé des traces. « Un certain nombre de sujets, découverts dans des sépultures le long des rives du Danube, ont été visiblement tués par des flèches » (Guilaine, 2019). Il semble probable que ces assassinats, bien que peu nombreux, résultent de rixes provoquées par l’appropriation des terres dans lesquelles les chasseurs-cueilleurs n’étaient probablement pas concernés. Malgré ces difficultés, le mixage entre ces hommes si différents a tellement bien réussi que « les cultures archéologiques du bassin inférieur du Danube ont fourni la base génétique des premiers agriculteurs d’Europe centrale comme l’atteste la culture Starcevo » (6200 à 5600 av. J.-C.). La Macédoine Le pays est actuellement partagé entre Macédoine du Nord (indépendante) et Macédoine grecque. Ces deux territoires, relativement montagneux, font toutefois correspondre par leurs réseaux hydrographiques (l’Axios et le Moravia) la côte de la mer Égée (golfe de Salonique) et la plaine du Danube (Belgrade). Ils ont été parcourus très anciennement par les chasseurs-cueilleurs semi-nomades attirés par ces espaces très giboyeux (cerf, chevreuil et sanglier). Une des premières installations néolithiques a été identifiée dans la plaine orientale de Grama (Dikili Tash). Le tell, assez imposant, car constitué de nombreux vestiges d’habitations, a fourni des artefacts datés de 5450 à 5350 av. J.-C., ce qui semble conforme aux arrivées successives de pionniers venus d’Anatolie. Mais des implantations plus anciennes datées de 6400 à 6200 av. J.-C. posent la question d’une « néolithisation plus précoce » (Treuil, 2014) dans ce territoire finalement assez près de la mer. La Bulgarie L’homme est présent en Bulgarie depuis 1,5 million d’années. Les Néandertaliens, quant à eux, ont laissé des outils 131

datés de plus de 200 000 ans et c’est dans ce pays qu’ils ont côtoyé les nouveaux arrivants, en l’occurrence les Sapiens qui ont investi les bordures de la mer Noire dès 45 000 ans. En effet, les fouilles de Bacho Kiro ont révélé que les hommes modernes ont atteint ces territoires probablement bien avant que les Néandertaliens ne disparaissent puisqu’une des méthodes utilisées, basée sur l’analyse de l’ADN mitochondrial extrait des ossements de ces derniers, donne une datation comprise entre 44 830 et 42 616 ans (L’Express, 2020). Leur rencontre est donc très probable, mais « comme dans le reste de l’Europe, les Homo sapiens entrent en contact avec des populations néandertaliennes en déclin et les remplacent » (Hublin et al., 2020). Les causes tiennent probablement au très faible effectif de ces dernières et la même domination a dû se répéter lorsque les migrants anatoliens sont arrivés en masse sur le territoire des chasseurs-cueilleurs, présents pourtant depuis des milliers d’années en ces lieux. « À partir des plaines grecques, très favorables à la culture et à l’élevage grâce à un climat particulièrement clément, ce mode de vie néolithique va se diffuser à l’ouest vers les Balkans ou à l’est depuis la mer de Marmara, en passant par la Bulgarie, la Roumanie et jusqu’au sud de l’Ukraine » (Otte, 2002). De 6000 à 5000 av. J.-C., dans toute cette région fertile, « l’économie de la culture Karanovo est basée sur l’agriculture (pois, orge, amidonnier) et l’élevage (bœufs, porcs, ovicaprins). La chasse, qui reste active, ne semble pas avoir un but véritablement alimentaire, mais paraît plutôt destinée à retirer les peaux et les ossements des gibiers qui seront utilisés pour les activités artisanales, à moins que les motivations soient sociales ou rituelles » (Otte, 2002). Les fouilles entreprises sur le site de Provadia-Solnitsata, au nord-est de la Bulgarie, ont mis en évidence une cité spécialisée, dès le Ve millénaire, dans l’exploitation du sel, « denrée extrêmement précieuse à cette époque » (Nikolov, 2012). Les chasseurs-cueilleurs nomades qui auraient pu aussi utiliser ce produit de conservation des aliments ne semblent pas avoir « défendu » cet approvisionnement. Traditionnellement, ils se contentaient probablement de faire sécher ou fumer la viande pour des périodes courtes alors que les fermiers sédentaires stockaient les denrées à plus long terme, et surtout manifestaient 132

un besoin impérieux de ce chlorure pour eux-mêmes (ils étaient plus nombreux) et pour leurs troupeaux de chèvres et de moutons. À l’est de l’Europe, avant et pendant les migrations, il semble que le commerce se soit toujours montré très actif avec une circulation des denrées sur de longues distances, de la Mésopotamie à la mer d’Azov en passant par les bords de la mer Noire, un littoral riche et accueillant grâce à son climat quasiment méditerranéen. En témoigne « la découverte de jetons plats percés d’un trou central attribués à la culture de Cucuteni-Tripolje présente de la Roumanie à l’Ukraine aux environs de 4800 à 3000 ans avant notre ère » (Le Monde, 2022). « Ces jetons, véritable monnaie d’échange, auraient été inventés bien antérieurement par les Mésopotamiens qui en avaient l’usage dès le IXe millénaire av. J.-C. » (SchmandtBesserat, 2022). L’auteur pense que « ces pièces ont servi progressivement à faire des calculs dont les résultats, reportés sur des tablettes d’argile, auraient joué un rôle majeur dans la naissance des premières écritures, notamment celle du cunéiforme d’Uruk ». La Roumanie La frontière entre la Bulgarie et la Roumanie suit sur plus de 500 km le cours du Danube, mais celui-ci représente aussi, approximativement, la limite nord du climat méditerranéen. Ceci expliquerait le fait que, « dans un premier temps, les pionniers proche-orientaux se répandent assez vite dans l’ensemble de la péninsule Balkanique jusqu’à ce fleuve qu’ils ne dépassent guère pendant plusieurs siècles, car c’est dans ces conditions particulièrement clémentes qu’ils ont développé leur mode de vie » (Demoule, 2022). Le fleuve est aussi une grande voie de passage ouverte aux nouvelles techniques et au commerce. Deux matières premières ont accru encore la richesse de ce territoire décidément béni des Dieux : l’or extrait des mines de Transylvanie qui a été retrouvé jusqu’en Crète, et le sel extrait des mines des Carpatu au nord-est de la Roumanie, utilisé dès le début du Néolithique, 6000 ans av. J.-C. et peut-être bien plus tôt par les Mésolithiques ; mais de cet usage, il n’en reste 133

jusqu’à ce jour aucune trace. Forte de ces atouts, il n’est donc pas surprenant que « dès la préhistoire, la région du Danube soit l’une des premières à connaître la révolution néolithique. Au milieu du VIIe millénaire avant notre ère, s’y installe, en effet, un nouveau mode de vie venu du Proche-Orient, caractérisé par la sédentarisation, l’élevage, l’architecture, l’artisanat et de nouvelles pratiques funéraires » (Otte, 2002). Lors de la progression vers la Transylvanie, les migrants ont rencontré obligatoirement, dans le défilé des Portes de fer, des groupes depuis longtemps sédentarisés qui pratiquaient la chasse, mais surtout la pêche, car le fleuve était très poissonneux. Les autochtones semblent avoir été submergés par les vagues migratoires puisque « l’arrivée de l’agriculture dans le bassin des Carpates (et en Europe centrale) s’est accompagnée d’une forte réduction des caractéristiques de l’ADN mésolithique » (Szecsenyi-Nagy et al., 2015). Une partie des colons proche-orientaux se sont alors répandus en Europe centrale en remontant le bassin du Danube et ce sont eux à qui on doit le premier grand complexe culturel (Starcevo-Korös) développé ensuite dans toute la zone balkanique. Ces communautés du bassin inférieur du Danube ont donc fourni la base génétique des premiers agriculteurs de ces territoires. L’organisation sociale et les productions artisanales du début du Néolithique (6200 à 5600) représentent « un jalon majeur de la néolithisation de l’Europe centrale » (SzécsényiNagy et al., 2015). En dehors de la vallée elle-même, « les embouchures des fleuves se jetant dans la mer Noire forment aussi de vastes plaines cultivables à l’instar de la Valachie en Roumanie au nord du Danube » (Otte, 2002). Toutefois, malgré ces conditions édaphiques et climatiques favorables, les migrants n’ont pas tous adopté l’agriculture puisque certains groupes ont opté pour le pastoralisme, comme les Valaques du sud de la Roumanie. Quant aux Saracatsanes, « ils appartenaient à une confrérie de bergers (plus tard hellénophones) nomades qui, jusqu’au début du XXe siècle, vivaient en transhumance permanente à travers la péninsule des Balkans, pratiquant le mariage à l’intérieur de la communauté et ne se mêlant pas aux populations sédentaires environnantes » (Demoule, 2022). 134

Tous les archéologues ne sont pas d’accord sur les relations que pouvaient entretenir les migrants avec les populations autochtones. Pour certains, « des interactions complexes semblent avoir eu lieu entre les chasseurs-cueilleurs locaux et les nouveaux agriculteurs d’ascendance anatolienne dans le bassin du Danube » (Litt, 2017), et pour d’autres, le mixage s’avère plutôt limité puisque « L’étude de plusieurs lignées masculines et féminines d’ADN mitochondriale a montré qu’elles correspondent à celles trouvées chez les premiers agriculteurs européens du Néolithique. Les données génomiques confirment l’homogénéité génétique des premiers agriculteurs européens sur de grandes distances géographiques » (Szecsenyi-Nagy et al., 2015). Même si des relations de troc ont bien eu lieu entre ces populations d’origines si différentes, le mode de vie, la langue et les croyances ont mis des siècles à s’interpénétrer. La Moldavie Comme indiqué précédemment, plusieurs mines de sel sont mentionnées dans la littérature à proximité des Carpates. Parmi celles-ci, « la plus ancienne exploitation de sel connue à ce jour en Europe a été découverte et datée par les chercheurs du Laboratoire de chronoécologie et du Musée roumain d’histoire et d’archéologie de Piatra Neamt, sur le site moldave de Poiana Slatinei » (Weller, 2021). C’est à partir d’un impressionnant monticule de charbon de trois mètres de haut que la datation au C14 a pu attester d’une exploitation continue entre 6050 et 5500 av. J.-C. La méthode consistait, à partir d’une source salée, à évaporer l’eau grâce à un feu de bois, et recueillir les précieux cristaux dans des récipients en terre cuite. Le sel pouvait alors servir à conserver la viande et le poisson aussi bien chez les chasseurs-cueilleurs autochtones que chez les pionniers sédentarisés arrivés du sud qui trouvaient là une opportunité d’organiser, entre communautés, de fructueux échanges commerciaux. Ceci dit, la plaine moldave n’a pas toujours offert des conditions climatiques favorables à ses occupants. Les environs de la mer Noire bénéficient en effet d’un climat doux, mais la vaste plaine ukrainienne au nord a connu des périodes de grande sé135

cheresse d’été pendant lesquelles la continentalité se traduit par un fort ensoleillement et un manque de pluies sévère n’autorisant que le maintien d’une steppe pauvre. Les chasseurs-cueilleurs qui s’y trouvaient ont donc connu des périodes à climat contrasté. Pendant les phases humides, la forêt s’est développée et ils ont pu en tirer parti tandis qu’en périodes sèches, la végétation se limitait à une steppe à chardons. Les agropasteurs qui sont venus s’y installer au VIe millénaire ont dû s’adapter à ces fluctuations et se cantonner en bordure de cours d’eau, voire migrer sur les contreforts de Carpates un peu mieux arrosés (Postica, 1995). L’Ukraine À la fin du Mésolithique, le sud de l’Ukraine était occupé par des chasseurs-cueilleurs qui exploitaient un territoire très riche en ongulés sauvages (aurochs, cheval sauvage) inféodés à la forêt claire, en avifaune (oies et canards) associée aux milieux humides et en ressources aquatiques (cyprinidés et mollusques) offertes par les très nombreux lacs, rivières, délaissés de cours d’eau et marécages. « Bien que beaucoup de terres soient riches en alluvions et très favorables à l’agriculture, les nouveaux migrants venus d’Anatolie ont diversifié leur approvisionnement en nourriture et finalement perpétué la tradition des autochtones qui pratiquaient la chasse, la pêche et la cueillette » (Peregrine, 2001). De cette rencontre est née une culture originale, intéressante de vastes Territoires du Nord-Ouest de la mer Noire et une intégration, semble-t-il rapide des migrants venus du sud. « De 5000 à 4500 ans avant notre ère, la culture Boïan s’étend (donc) du nord de la Bulgarie au sud de la Russie en passant par la plaine de Valachie et du Danube. L’économie est basée sur l’agriculture (l’orge, le blé, le millet), l’élevage (le bœuf et le mouton). La chasse et la pêche continuent à être pratiquées » (Otte, 2002). Mais ces deux dernières activités ne devaient apporter qu’un complément protéique, car les récoltes de céréales semblaient particulièrement bonnes puisque certains villages disposaient déjà de silos à grains. Durant le VIe et le Ve millénaire, plusieurs autres populations d’agropasteurs ont occupé les régions plates, fertiles et 136

bien irriguées de l’Ukraine contemporaine. La culture DnieprDonets (5000 à 4200 av. J.-C.) est une culture de type mésolithique qui s’est développée au nord de la mer Noire et de la mer d’Azov, entre les fleuves Dniepr et Donetz. Elle se caractérisait par la présence de villages de pêcheurs semi-sédentaires le long des rivières, spécialement le long des rapides du Dniepr. Quasiment au même moment, la culture Cucuteni-Trypilla (5100 à 2750 av. J.-C.), cette fois typiquement néolithique (rubanée), centrée sur la Moldavie actuelle, s’étendait à l’est jusqu’à la vallée du Dniepr. Elle se caractérisait par une agriculture de subsistance. Ces deux cultures ont donc représenté la rencontre entre le monde des nomades et des sédentaires, mais la première qui a duré moins de huit siècles a, sans doute, été absorbée par la dynamique des colons qui trouvaient dans ces étendues particulièrement propices (terres noires) un biotope très favorable aux systèmes agropastoraux, d’autant que le climat connaissait aussi une évolution plus clémente. « Les analyses génétiques confirment le fait que les populations de cette dernière culture descendent notamment des premiers agriculteurs du Néolithique qui migrèrent d’Anatolie vers l’Europe ainsi que des populations locales » (Mathieson et al., 2018). Pendant cette transition, des établissements plus petits ne se maintenaient pas forcément plus d’un siècle en un même lieu et conservaient, pourrait-on dire, un certain niveau de nomadisme puisqu’ils changeaient de site, une fois les ressources locales épuisées. En dehors de ce véritable « Croissant fertile européen », la situation était beaucoup moins favorable pour des raisons climatiques, mais peut-être aussi à cause de la présence plus fournie de groupes semi-nomades. On a constaté en effet que « plus on va au nord et à l’est de l’Europe, moins l’expansion démographique des agriculteurs anatoliens pèse dans la propagation du Néolithique. Les chercheurs ne savent pas dire si les fermiers d’ascendance anatolienne étaient inadaptés aux nouveaux climats ou si les chasseurs-cueilleurs ont su résister plus efficacement dans ces régions nord-orientales » (GonzalesFortes et al., 2017).

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2 – La moyenne vallée du Danube Avec la remontée des migrants le long du Danube, « le Néolithique entre dans la zone de la grande forêt tempérée de l’Europe centrale et occidentale : le bœuf prend de plus en plus d’importance en regard des ovicaprins. De grandes maisons rectangulaires très typées remplacent les habitations balkaniques plus réduites » (Guilaine, 2019). Les colons s’installent préférentiellement dans les vallées à sols limoneux et/ou lœssiques, plus riches et faciles à travailler, ce qui ne devait empiéter que faiblement sur les territoires de chasse des autochtones. Toutefois, avec l’essor démographique de ces agropasteurs des années 5600 à 4900 av. J.-C., leurs intrusions dans les forêts avoisinantes pour se procurer du bois et pour faire paître leurs troupeaux ne pouvaient qu’occasionner des conflits de territoires. « De 6000 à 4800 ans av. J.-C., la culture Starcevo-Cris s’étend sur un vaste territoire de la Macédoine vers les plaines hongroises, de la Transylvanie aux Carpates et vers les Balkans en passant par la plaine danubienne » (Otte, 2002). Sur ces espaces, grands comme une bonne moitié de la France, les pionniers vont élever du mouton, de la chèvre, du bœuf et du porc. Il est probable que dans cet environnement plus humide et forestier, la chasse ait gardé une place importante au sein de petits villages aux maisons rectangulaires faites de bois et d’argiles souvent installées sur des tertres. Vers 5500 avant notre ère, l’architecture des maisons évolue pour parer à un climat plus contrasté et les toits sont à deux pans pour mieux résister à la présence de la neige. « De 5000 à 4500 ans avant notre ère, la civilisation Vinça, qui prend ses origines dans la culture Starcevo, s’étend à l’ouest et au nord des Balkans ainsi qu’en Roumanie et dans le bassin du Danube. L’élevage est centré sur les bovidés, mais la pêche reste cependant très importante alors que la chasse est vraiment devenue secondaire » (Otte, 2002). L’avancée du front de colonisation a éloigné définitivement les migrants de l’ambiance méditerranéenne à étés secs et hivers doux. Les conditions climatiques se sont alors durcies et ils ont dû faire face à un climat plus contrasté à étés chauds et hivers rigoureux pendant lesquels le gel et l’enneigement obligeaient les fermiers à faire des réserves de bois, de foin pour approvi138

sionner les troupeaux qu’il fallait mettre à l’abri l’hiver. Les maisons, précédemment de taille modeste, sont alors plus grandes et les habitants se regroupent en villages parfois fortifiés.

Un village du début du Néolithique. Illustration de Benoît Clarys.

« Certaines maisons ont pu atteindre une cinquantaine de mètres de longueur, ce qui indique qu’elles abritaient plusieurs familles. Elles contrastent avec les petites maisons du Néolithique méditerranéen qui ne dépassaient pas quelques mètres de côté » (Demoule, 2022). Les soubassements sont généralement en pierres et les murs en torchis dans lesquels l’argile est renforcée par des poteaux en bois et des branchages. La poterie est 139

systématiquement associée à cette vie sédentaire qui pouvait intéresser les chasseurs-cueilleurs encore présents en petit nombre sur ces territoires. Du point de vue des dates, « c’est seulement dans la dernière moitié du VIe millénaire que les groupes restés dans les Balkans commencent à leur tour à essaimer dans l’ensemble de l’Europe tempérée, de la mer Noire à l’Atlantique, et des Alpes à la Baltique, une fois humains, animaux et plantes progressivement acclimatés à des conditions environnementales différentes » (Demoule, 2022). Pour cet auteur, « l’avancée de ces pionniers ne s’est pas faite de manière régulière, mais elle a permis l’implantation, à chaque génération, de nouveaux villages, un peu plus loin vers l’ouest, mais également vers l’est jusqu’à l’Ukraine actuelle et la vallée du Dniepr, et toujours par l’ouverture à la hache de pierre de la forêt vierge primaire qui recouvrait à ce moment-là quasiment toute l’Europe ». Dans les siècles qui suivent, la culture rubanée se diffuse dans toutes les Carpates et jusqu’en Pologne en donnant des styles de poteries très variés dont des amphores globulaires et des vases à entonnoir. Les agriculteurs qui progressent vers le nord-ouest continuent à rechercher systématiquement les sols de lœss, profonds, faciles à travailler et productifs. Ils maintiennent une pratique de chasse, de pêche et de cueillette, adoptant souvent les équipements des semi-nomades qui, eux-mêmes, progressivement, s’intègrent aux pratiques de l’agropastoralisme qui gagne le nord-ouest de l’Europe centrale. Kosovo Le Kosovo, petit territoire enclavé, mais passage incontournable au centre des Balkans, a hébergé aussi des groupes néandertaliens puis des hommes modernes qui ont chassé une faune locale foisonnante où se côtoyaient le cerf, le sanglier et l’ours. Les premières communautés ont participé dès le VIIe millénaire à la culture Starcevo que l’on a déjà évoquée, puis, à partir du VIe millénaire, à la culture Vinça sous l’influence conjuguée des peuples du Danube, mais aussi des migrants venus de l’Adriatique. Le site de Runik a laissé des traces de huttes renforcées de poutrelles en bois qui ont laissé place ensuite à des 140

maisons en pierre, voire à des fortifications impressionnantes. « La colonisation par les pionniers originaires d’Anatolie a progressivement installé les pratiques agricoles dans les vallées, le long des cours d’eau et des traditions pastorales en limite des zones forestières » (Hajdari, 2018). Serbie La Serbie, dont le cœur historique est au Kosovo, a vu se succéder plusieurs cultures dont la plus ancienne (Lepenski Vir) remonte, selon les indications de l’Office du tourisme de Belgrade, à environ 7000 ans av. J.-C. Les habitations en forme de huttes disposaient d’emplacement pour le feu et de petits hôtels dédiés à leurs dieux. À partir du Néolithique, se développe la culture de Starcevo, non loin de Pancevo, sur la rive gauche du Danube, caractérisée par la présence de pots en céramique ornés de figures géométriques et anthropomorphiques, mais aussi d’outils en pierre et en os qui rappellent le passé mésolithique des habitants. Plusieurs archéologues ont travaillé sur les VIe et Ve millénaires de ce secteur du bassin du grand fleuve européen où s’est produite une évolution culturelle originale très riche en innovations techniques et sociales. « Sur les bords du Danube, le processus de transformation des pêcheurs-cueilleurs et leur intégration dans le processus de Néolithisation se sont conduits selon deux étapes. La première couvre la période de prospérité du site de Lepenski Vir. Les changements observés ici semblent être liés à une restructuration de la communauté mésolithique, qui tout en restant réceptive aux nouveaux contacts néolithiques, a préservé de nombreuses traditions, notamment dans le domaine mortuaire. Cette communauté a activement participé aux nouveaux réseaux d’échanges et d’acquisitions des biens exotiques qui ont remplacé ceux qui avaient prévalu depuis des siècles dans les Balkans. La deuxième étape est marquée par un changement dans le schéma d’implantation des sites d’habitat avec l’apparition de nouveaux sites à courte durée d’occupation, implantés dans de nouvelles niches écologiques. À ce momentlà, les premiers animaux domestiques font leur apparition à Lepenski Vir et une nouvelle vague d’habitants arrive dans la 141

région dont certains ont été inhumés dans ce site selon un rituel typiquement néolithique. Le processus de transformation dans les gorges du Danube a été graduel. La coexistence entre les pêcheurs-cueilleurs et les groupes du Néolithique ancien aurait duré au moins deux à trois cents ans » (Boric, 2008). Pendant plus de deux millénaires, « la culture de Starcevo (6000 à 4800 av. J.-C.) est marquée par une période de prospérité démographique dans la région grâce à une pratique plus développée de l’agriculture. On y a trouvé de nombreux villages bien organisés, des poteries, des figurines en argile anthropomorphes ou zoomorphes et des artefacts présentant de nombreux signes qui pourraient former la plus ancienne des proto-écritures connues » (Chapman, 2010). Une autre culture connaît son apogée dans cette même région, à savoir la culture Vinca (5000 à 4500 ans av. J.-C.), déjà précédemment mentionnée et qui aurait été une des plus avancées au monde. Les fouilles ont découvert des outils et des armes en pierre et en os, des vases et des ornements faits de matériaux rares et précieux ainsi qu’un grand nombre de statues dont la célèbre Vénus de Vinça. Les cultures successives de la Serbie, positionnées comme un carrefour important le long des voies du Danube et de ses affluents, ont largement été diffusées en Europe centrale, tant en direction de la Roumanie et de la Hongrie, mais aussi au-delà des Carpates, et au sud, jusqu’aux littoraux de l’Adriatique. Les occupants de ces régions, bien que d’origines très diverses, ont réussi à s’organiser collectivement pour atteindre un haut niveau de technicité dans le domaine de l’agriculture, mais aussi du travail de la pierre, ce qui explique leur rayonnement dans toute l’Europe centrale et même sur ses marges. Hongrie La culture de Starcevo du début du Néolithique que l’on vient d’évoquer a joué un rôle majeur dans la néolithisation de l’Europe du Sud-Est. Elle s’étendit de la Serbie actuelle à la partie occidentale du bassin des Carpates, englobant les régions actuelles du nord de la Croatie et du sud-ouest de la Hongrie de 6000 à 5400 av. J.-C. « Des recherches archéologiques ont dé142

crit une zone d’interaction entre des groupes autochtones de chasseurs-cueilleurs et d’agriculteurs de l’extrême nord de la culture Starcevo en Transdanubie qui aurait pu donner naissance à la culture rubanée » (Szécsényi-Nagy et al., 2015). Et cette dernière a fondamentalement marqué tout le courant de colonisation de l’Europe continentale jusqu’aux plaines du nord de la France, de la Belgique et des Pays-Bas. Il faut remarquer que peu d’obstacles s’opposent à la traversée de la Hongrie. Les fermiers ont suivi la vallée du Danube pour accéder à la Slovaquie, celle de la Tisza pour atteindre la Pologne et les rives du lac Balaton pour entrer en Autriche. Les populations de la grande plaine hongroise ont beaucoup développé le pastoralisme bien adapté à l’élevage ovin dans ces vastes espaces probablement maintenus en prairies par une pratique régulière de l’incendie et qui expliquerait le déboisement massif de la chênaie mixte initiale. Car dans ces conditions climatiques et à cette altitude (une centaine de mètres), la formation climacique (finale) est un couvert feuillu plus ou moins continu parsemé de clairières, bien différent des paysages ouverts imposés, comme souvent, par les pratiques d’élevage.

Troupeau de moutons à cornes torsadées de race « racka » dans la plaine hongroise (Puszta) et son berger, lointain descendant des pasteurs des steppes. Photographie de Bernard Bachasson.

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« Les analyses génétiques soutiennent une diffusion démique des premiers agriculteurs et agricultrices dans l’ouest de la Hongrie (couloir du Danube) et démontrent l’importance primordiale de cette région en tant que couloir préhistorique de la migration » (Széscényi-Nagy et al., 2015). Dans ce cas, ce sont donc bien les hommes qui ont apporté avec eux leur culture alors que dans d’autres cas, la culture a pu se propager d’un groupe à un autre suite aux échanges personnels et aux trocs. Les deux voies de transmission du mode de vie néolithique ont probablement joué de façon complémentaire, car il faut bien expliquer la conversion progressive à l’agropastoralisme de la plupart des chasseurs-cueilleurs au cours de ce long transit sur la voie danubienne. Slovaquie La Slovaquie a été occupée par des humains depuis au moins 200 000 ans puisqu’on y trouve des vestiges datant du Paléolithique inférieur et supérieur. « À la fin de la glaciation, cette région hébergeait les communautés les plus efficaces et les plus organisées au monde » (Wymer, 1982). La rencontre des migrants venus d’Anatolie avec les autochtones s’est produite avec un retard d’environ un millénaire sur la colonisation de la basse vallée du Danube. Les premiers agriculteurs sont donc présents en Slovaquie, entre 5000 et 4000 av. J.-C. Ils utilisent des haches en pierre, des coins et des pots que des fouilles ont mis à jour dans la Grotte Domica. Dans celle-ci, des traces de suie, étudiées en laboratoire, ont permis, grâce aux techniques nouvelles, de révéler que des feux ont été entretenus, à plusieurs époques, par les Sapiens qui utilisaient ce site comme refuge occasionnel. C’est là qu’a été trouvé le plus vieux peigne d’Europe, un souvenir visiblement laissé par les premiers néolithiques. Moravie Cette région de la Tchéquie actuelle a toujours été très giboyeuse, ce qui explique probablement la concentration très ancienne d’hommes modernes. Au Gravettien, il y a plus de 20 000 ans, les chasseurs-cueilleurs étudiés par M. Otte (2022) 144

disposaient déjà d’habitation en dur et l’auteur pense qu’une partie seulement de la population était semi-nomade et l’autre « sédentaire peut-être par période ». À l’appui de cette assertion, les fouilles ont révélé la présence de fours à céramique dans lesquels les potiers faisaient cuire des récipients de cuisine, mais aussi des statuettes (Venus) qui sont, grâce à ce procédé, parvenues jusqu’à nous. Quelques milliers d’années plus tard, l’arrivée des fermiers n’a donc peut-être pas beaucoup surpris les autochtones qui connaissaient déjà un haut niveau de développement et représentaient « un véritable berceau civilisationnel » (Otte, 2022), qui rayonnait d’ailleurs dans toute l’Europe moyenne. La richesse et le niveau de technicité atteints par ces populations plus ou moins sédentaires s’expliquent par « la réussite des cultures sur ces terrains à lœss carbonaté très profonds ou ces chernozems connus pour être bien fournis en matière organique et qualifiés de « terres agricoles les plus riches du monde » (Mauduit, 1949). Tchéquie La Tchéquie, dont fait partie la Moravie, a été habitée par les hommes modernes depuis au moins 40 000 ans, comme l’atteste l’étude des génomes de trois squelettes de Sapiens extraits de la grotte de Koneprusy près de Prague. Ces chasseurs-cueilleurs probablement déjà collecteurs sont rentrés en contact au courant du VIe millénaire avec les fermiers qui apportaient leur tradition de polyculture basée, pour chaque famille, sur un modeste cheptel domestique, c’est-à-dire quelques cochons, chèvres et moutons, accompagnant un bovidé si la capacité nourricière en herbage des lieux le permettait. Car pour maintenir en vie ces animaux et avoir des naissances au printemps, encore faut-il passer l’hiver. Comme le fourrage était rare à cause d’une pratique limitée du fauchage, il fallait prévoir en fin d’été et avant la chute des feuilles d’accumuler dans un endroit sec des fagots de branchage (chêne, hêtre, frêne ou saule) distribués parcimonieusement aux caprins durant la mauvaise saison. Les cochons se nourrissaient de glands ou de faînes collectés à l’automne, mais une bonne partie était abattue à l’entrée de l’hiver pour limiter leur besoin en nourriture au moment des grands frimas. 145

Les produits de découpe étaient conservés au froid, dans l’huile, par fumage ou plus rarement par salage, mais les précieux cristaux restaient très difficiles à se procurer et demeuraient probablement très coûteux. En plaine, les habitations n’étaient pas toutes approvisionnées en eau par une source ou un ruisseau obligeant les fermiers à rechercher, en profondeur, le précieux liquide indispensable à la maisonnée, mais aussi au jardin et au troupeau. C’est ainsi qu’on a découvert, en Bohême orientale près de Pardubice, un puits en bois vieux de près de 7000 ans (av. J.-C.). Ces pratiques, que l’on peut facilement imaginer à défaut d’avoir des preuves directes, n’étaient sûrement pas très différentes de celles en usage, dans nos campagnes, au siècle dernier, les outils métalliques en moins. Il ne fait pas de doute qu’elles ont permis à nos anciens de survivre à des périodes difficiles (hivers longs et rigoureux, épidémies, etc.), et même d’assurer une croissance démographique soutenue pendant plusieurs millénaires. En Tchéquie, « comme dans le reste de l’Europe centrale, l’agriculture coïncide avec l’apparition du complexe de la culture rubanée (5400-4700 ans av. J.-C.) marquant la transition vers le début du Néolithique et le développement de nombreuses cultures successives jusqu’à celle des productrices des amphores globulaires » (Papac et al., 2021), à la fin du IVe millénaire. Pologne Les premières traces humaines datent de 500 000 ans, mais l’occupation a été intermittente à cause des avancées des glaciers pendant la fin du quaternaire. Si les Néandertaliens ne semblent pas avoir laissé beaucoup de traces, on sait qu’ils ont été remplacés par des Sapiens. Ces derniers ont étendu leurs activités de prédation dans les forêts plus ou moins marécageuses installées sur les moraines du retrait würmien. La Poméranie et la Mazurie sont alors occupées par des groupes de chasseurs nomades, semble-t-il, très bien organisés. Les caractéristiques des silex taillés de cette vaste frange du nord de l’Europe qui va de la Belgique à la Russie traduisent l’existence de nombreuses aires culturelles repérables qui se 146

sont adaptées à des conditions environnementales souvent difficiles, car les sols et le climat n’autorisaient pas une installation durable. Toutefois, « les archéologues ont mis à jour quelques premiers sites d’habitats sédentaires, de culture swidérienne, aux alentours du Xe millénaire. Les groupes mésolithiques qui ont habité ensuite la plaine polonaise auraient été constitués, en fait, de nouveaux arrivants venant de l’ouest, c’est-à-dire du nord de l’Allemagne » (Kobusiewicz, 2002). La néolithisation a toutefois débuté avec l’arrivée, au VIe millénaire, de fermiers originaires du Levant. « L’introduction de l’agriculture a eu lieu dans le centre de la Pologne vers 5400 avant notre ère, à partir du courant danubien, ce qui coïncide avec l’apparition du complexe de la culture rubanée marquant la transition vers le début du Néolithique. La population de chasseurs-cueilleurs vivant à proximité des régions de cette culture a maintenu ses modes de vie pendant près d’un millénaire durant lequel la dispersion du Néolithique s’est arrêtée. « On observe néanmoins des contacts entre les groupes d’agriculteurs et les populations de chasseurs-cueilleurs jusque dans la région de la Cujavie, en limite de la Vistule qui a longtemps représenté la limite nord des communautés agricoles » (Linderholm et al., 2020). Il faut dire qu’au-delà, les sols sont gelés en hiver, boueux au printemps et souvent trop humides en été, ce qui explique le maintien des seuls chasseurs-pêcheurs semi-nomades de traditions mésolithiques. « Au cours du millénaire suivant, c’est-à-dire vers 4000 ans avant notre ère, les modes de vie énéolithiques se dispersent dans la majeure partie des régions polonaises. Les pionniers se mélangent alors avec les populations de chasseurs nomades liés à ceux de l’ouest et les différentes cultures néolithiques elles-mêmes finissent par fusionner dans les millénaires qui suivent » (Juras et al., 2021). Pays baltes Les trois Pays baltes sont des territoires de très basse altitude en bordure de la mer Baltique tardivement libérée des glaces. Dès leur retrait, la toundra se développe puis la forêt résineuse à base de bouleaux et de saules colonise les zones émergées, laissant les vallons et les dépressions occupés par de nombreux lacs 147

(Tchoud), marais et délaissés de rivières. Ce fut un terrain de parcours de prédilection pour les chasseurs-cueilleurs du Mésolithique qui se déplaçaient en pirogues et profitaient de ces étendues très giboyeuses. Même si certains terrains s’avéraient riches, les conditions climatiques n’étaient en rien propices à l’agriculture. Si « les plus anciennes traces d’occupation humaine en Estonie remontent à 9000-8500 av. J.-C., elles ne se rapportent qu’à des groupes semi-nomades qui vivaient de chasse, de pêche et de cueillette. L’agriculture n’apparaît que vers 4000 av. J.-C. » (Minaudier, 2007). « En Estonie, le début du Néolithique est marqué par l’apparition, autour de 4900 av. J.C., des céramiques dites de Narva, une ville tout au nord du pays, où les forêts ont remplacé la toundra. Le berceau des Estoniens modernes, que l’on situait jusqu’à récemment vers la Sibérie ou au pied de l’Oural, serait plutôt localisé, selon les dernières données basées sur l’analyse de l’ADN, dans la région de la steppe pontique. Ces ancêtres, venus du sud, s’étaient alors mélangés de manière spécifique selon le sexe, avec les premiers agriculteurs européens d’origine anatolienne » (Saag et al., 2017). « La Lettonie est libérée des glaces vers 14 000 av. J.-C., mais ce n’est que vers 9000 av. J.-C. que les premiers humains pénètrent son territoire et vivent, là aussi, de chasse, de pêche et de cueillette puis se sédentarisent et deviennent agriculteurs » (Champonnois et al., 2004). La Lituanie, située plus au sud que les deux autres États baltes, a été occupée très tôt, dès le retrait glaciaire. Aux IXe et au VIIIe millénaires, des chasseurs-cueilleurs parcourent le pays en exploitant, par la chasse, les ressources abondantes de ces plaines giboyeuses où vivent bisons, chevaux sauvages puis cerfs, chevreuils et sangliers. Les rivières, nombreuses, sont très poissonneuses et fournissent truites, brochets et cyprinidés (vallée de la Neris). La culture kunda se développe au Mésolithique et un commerce s’installe à partir de l’ambre de la Baltique (riche en inclusions d’insectes), distribuée comme « bijou » dans toute l’Europe et même au-delà. La néolithisation se traduit par la sédentarisation des populations qui pratiquent une polyculture à base de céréales et de pois combinée à l’élevage d’ovins, de caprins et de bovins. L’artisanat produit des tissus en lin dont la fibre est 148

extraite par rouissage, puis treillage. Les villages s’agrandissent puis se protègent grâce à des fortifications dont on peut observer encore aujourd’hui les vestiges, comme sur le site archéologique de Kernavé près de la capitale (Musée national de Vilnius, 2022). 3 – La haute vallée du Danube Autriche Dans ce secteur amont du Danube, les zones de plaine sont rares. Les migrants ont toutefois poursuivi leur progression le long du fleuve et ont fini par coloniser des territoires plus montagneux sous le climat plus rude qui sévit dans les Alpes autrichiennes. En un millier d’années environ, au fil des générations, ils se sont adaptés au froid et à l’existence d’hivers longs et rigoureux que leurs lointains ancêtres n’avaient pas à subir sur les rives de la Méditerranée. Il a donc fallu trouver des solutions pour se protéger des intempéries, mettre leurs troupeaux à l’abri et stocker des provisions pour la mauvaise saison. Il est probable qu’ils se soient inspirés des stratégies mises au point par les chasseurs-cueilleurs autochtones pour complémenter leur alimentation carnée en provenance du troupeau par la chasse et le ramassage des escargots, mais aussi la collecte des fruits et des graines. Les groupes semi-nomades pouvaient leur fournir des fourrures, des armes de chasse, des pièges et peut-être aussi leur indiquer les sentiers pour conduire leurs bêtes vers les pelouses de montagnes en été. Ce début de transhumance, obligatoire pour épargner le fourrage des plaines indispensable à l’alimentation du bétail en hiver, s’est ensuite répandu dans tous les reliefs de l’arc alpin. Un avantage décisif s’est également offert dans ce pays, à savoir la possibilité d’exploiter les mines de sel de la région d’Hallstatt. Ce complément alimentaire est autant utile pour la nourriture humaine que pour celle du bétail et très commode pour la conservation du poisson et des viandes. Un atout capital pour ces populations condamnées à faire des réserves pour l’hiver et qui pouvaient aussi, il y a plus de 5000 ans avant notre ère, monnayer ce sel à tous ceux qui en avaient besoin, et il y en avait sûrement beaucoup ! On ne peut pas oublier d’évoquer 149

dans cette conquête le personnage d’Ötzi qui a vécu dans ces montagnes 3500 ans avant notre ère, donc bien plus tard que la date d’arrivée des premiers agropasteurs. Ses ascendants venaient aussi de loin puisqu’il avait des origines sardes. On l’a considéré longtemps comme un chasseur de montagne, mais les dernières découvertes ont révélé qu’il avait des taches de sang de plusieurs individus sur ses armes et ses vêtements et une pointe de flèche dans son omoplate, beaucoup de signes témoignant d’une vie pour le moins agitée ! Le complexe à céramique rubanée s’est donc décliné en de multiples cultures et n’a cessé de s’enrichir au cours de l’avancée des migrants qui ont apporté, dans ces Alpes centrales, les techniques d’élevage et d’agriculture qu’ils ont su adapter au contexte local. Allemagne L’Allemagne était habitée dès le Paléolithique inférieur par Homo heidelbergensis comme en témoigne la découverte d’une mandibule découverte à Mauer. Des chasseurs-cueilleurs se sont ensuite déplacés, au Paléolithique moyen, dans toute l’Europe centrale et orientale. La présence de groupes aurignaciens puis gravettiens est attestée dans les grottes de Geissenklösterle et de Hohle Fels dans le sud de l’Allemagne. On identifiera ensuite des groupes de Magdaléniens qui attestent du repeuplement de l’Europe après la dernière glaciation. Puis, différentes cultures se développent dans les plaines du Nord de l’Allemagne dont l’Ahrensbourgien et, au Mésolithique, la miniaturisation des silex insérés au sommet des pointes de flèches indique que ces groupes s’adonnaient activement à la chasse jusqu’à l’arrivée des pionniers qui débutèrent les mises en culture sans abandonner l’activité de prédation, source non négligeable d’alimentation carnée. En Allemagne, des vestiges du Néolithique ancien (4800 av. J.-C.) ont été identifiés grâce à l’archéologie aérienne. Trois cercles concentriques constitués de terre et de pieux seraient en fait un observatoire astronomique permettant, selon Schlosser et Cierny (1997), aux premiers agriculteurs de la région de connaître avec précision le calendrier de leurs travaux, en 150

particulier les semailles et les moissons. Mais dans des maisons voisines, faites de bois et d’argile, on a trouvé, de plus, une grande variété de grains et la preuve de la domestication des chèvres, des moutons, des porcs et des bovins, entreprise par les fermiers quelque 500 ans avant la construction de ces cercles de Groseck, donc au début du Ve millénaire avant notre ère. Ces villageois pratiquaient aussi la taille de pierre, la cuisson de céramiques et le tissage, ce qui semble indiquer une utilisation du lieu sur une longue période. Toujours en Allemagne, les victimes trouvées dans les fosses communes de Talheim ou dans les fossés de Herxheim ont été considérées initialement comme des chasseurs-cueilleurs éliminés, voire consommés, par des agriculteurs en pleine conquête territoriale. Mais « il semblerait plutôt qu’il s’agisse de confrontations entre sédentaires, car c’est au sein des localités d’agriculteurs que l’on trouve les pires traces de massacres » (Guilaine, 2019). Les armatures de flèches ou des céramiques trouvées dans ces régions montrent des caractéristiques hybrides issues des deux cultures Mésolithique et rubanée qui traduiraient, selon Golitko (2015), des contacts intermariages. Quant aux haches dites « formes de bottier » de la culture rubanée, on les retrouve dans les communautés de chasseurs (Guilaine, 2019). Les autochtones et les fermiers ont donc échangé des procédés de fabrication qui ne se limitaient pas, sans doute, à l’artisanat, mais aussi au domaine culturel et au troc de nourriture : venaison contre céréales ? À propos de rencontre, il faut signaler que « la zone de contact entre les deux courants de colonisation méditerranéenne et danubienne se situe, en Allemagne, entre le Neckar et le Danube, c’est-à-dire dans la région du Jura souabe » (Musée de Strasbourg, 2017), une zone de transit déjà largement utilisée par les Sapiens au Mésolithique. À la faveur de bonnes récoltes dans les plaines fertiles de Bavière ou du Palatinat, les groupes de migrants qui intègrent progressivement les autochtones connaissent une rapide croissance démographique. Les villages s’agrandissent et l’habitat s’adapte à cette situation nouvelle. « Certaines maisons ont pu atteindre une cinquantaine de mètres de longueur. Elles abritaient donc plusieurs familles. Elles contrastent, là aussi, avec les petites maisons du Néolithique méditerranéen » (Demoule, 2022). 151

L’acculturation des chasseurs-cueilleurs semble toutefois avoir pris du temps. J. Guilaine fait remarquer « qu’en Europe rhénane, le codage funéraire typique du Rubané n’est pas toujours respecté, car au lieu de présenter des corps fléchis, jambes rabattues sur le côté gauche, orientation à l’est, certains sujets néolithiques sont en position allongée, orientation à l’ouest ». Cette « anomalie » pourrait résulter de la résurgence de pratiques mésolithiques, sans doute à la suite de « mixages » entre intrus et autochtones (Jeunesse, 2011). Les façons de faire nouvelles n’auraient donc pas réussi à s’imposer immédiatement aux traditions locales, signe d’une résistance culturelle, au moins dans ce domaine. 4 – L’Europe du Nord Scandinavie En Scandinavie, dès le retrait des glaces, des marins pratiquant le cabotage auraient installé des campements sur les côtes de Norvège puis de Suède sans coloniser cependant l’intérieur des terres (France 5, 2023). « Vers 10 000 av. J.-C., ce territoire reçoit des chasseurs-cueilleurs-pêcheurs vraisemblablement venus du sud. Ils utilisaient le silex et des barques en peau à armatures de bois » (Boyer, 2021).

La relève d’une nasse à poissons. Illustration de Benoît Clarys.

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Au cours du VIIe millénaire av. J.-C., une fois que les rennes et les chasseurs eurent migré vers le nord de la Scandinavie, les forêts s’installèrent dans le pays. De 9000 à 6500 av. J.-C., la culture des maglemosiens s’est développée au Danemark et au sud de la Suède. « Au nord, en Norvège, et dans la plus grande partie de la Suède ainsi qu’en Finlande, les populations vivaient surtout en lisière de forêt. Les chasseurs suivaient les migrations des saumons et des troupeaux de rennes, vers le sud pendant l’hiver et vers le nord à nouveau pendant l’été » (Günter et al., 2018). Cette civilisation se démarquait de ses voisines en ensevelissant les morts en position allongée. « En Finlande, les archéologues ont trouvé des traces de la colonisation de l’âge de pierre dans des sites malheureusement submergés dans le sud-est du territoire, le niveau de la mer ayant remonté pendant cette période pour finir par se stabiliser vers 6000 av. J.-C. Ensuite, de nouveaux venus en provenance du sud-est arrivent sur ces territoires riches en lacs, deltas et marais. De 6000 jusqu’à 3000 av. J.-C., ils développent la civilisation d’Ertebölle au Danemark qui a laissé beaucoup d’amoncellements de coquillages et de restes de gibiers. Ils ont repoussé vers le nord les Sami qui ont continué de pratiquer leurs migrations saisonnières » (Boyer, 2021). Au Danemark, la culture Ertebölle (5200-4000 av. J.-C.) a correspondu à des peuplades plus ou moins sédentarisées qui vivaient, entre autres, des produits de la mer (amoncellement de coquillages) et c’est elle qui a laissé sa place à la culture des vases à entonnoir, c’est-à-dire aux premiers agriculteurs néolithiques. « Au cours du VIe millénaire av. J.-C., le sud de la Scandinavie était couvert de forêts mixtes (résineux et feuillus). La faune comportait des aurochs, des bisons d’Europe, des élans et des cerfs. Ces peuples chassaient le phoque et pratiquaient la pêche. Vers la fin du millénaire, la culture d’Ertebölle, évoquée précédemment, remplace les précédentes coutumes et se développe surtout à partir des ressources marines qui autorisent, 500 ans avant l’arrivée de l’agriculture, une forte augmentation démographique » (Lewis et al., 2020). « Au cours du Ve millénaire av. J.-C., les populations de cette nouvelle culture apprennent les techniques de poterie des populations voisines plus au sud qui avaient commencé à cultiver la 153

terre et à élever des animaux. Toutefois, les premiers indices d’animaux domestiqués et de plantes cultivées n’apparaissent que vers 4000 av. J.-C. « Contrairement à d’autres régions d’Europe, l’exploitation du gibier terrestre sauvage et la pêche continuent d’être économiquement importantes » (Cubas et al., 2020). « Des économies de production et de prédation ont (donc) coexisté de manière perceptible du VIe au IVe millénaire » (Marchand, 2005). « Au cours du IVe millénaire (justement), certaines populations (île de Gotland) semblent passer d’une subsistance de type agricole à une subsistance basée sur la pêche, ce qui aurait arrêté la progression des agriculteurs vers le nord et les aurait même repoussés vers le sud » (Frazer et al., 2018). La majorité des populations sont par la suite devenues éleveurs, une activité aux revenus sans doute moins aléatoires que ceux de l’agriculture en situation difficile dans ces contrées au climat rude. L’extension, au Néolithique, de l’agriculture sédentaire aurait pu mettre fin au mode de vie nomade que menaient jusquelà la plupart des sociétés de chasseurs-cueilleurs dont seules quelques-unes ont survécu jusqu’à nos jours, en général dans les contrées les plus inhospitalières. Mais devant le manque de rendement de l’agriculture (excès de pluie, de nébulosités ou gels), les habitants ont dû développer un nouveau nomadisme, pastoral, cette fois plus apte à assurer la subsistance des fermiers qui ont trouvé là les limites des cultures céréalières. La néolithisation de ces territoires s’est donc caractérisée, sous ces climats difficiles, par la mise en place de cultures agricoles limitées en surface, l’introduction de la poterie et le maintien d’une forte activité de prédation facilitée par l’abondance des faunes sauvages terrestres et aquatiques. Le pastoralisme, déjà pratiqué en Scandinavie comme on l’a vu, s’est imposé comme seule activité possible sous des latitudes extrêmes (65e parallèle). Le renne est alors le seul animal à se maintenir à l’état sauvage et une fois apprivoisé, le seul capable de constituer des troupeaux « gérables », plus ou moins nomades, qui fournissent du lait, de la viande et des peaux. Certains sujets domestiqués acceptent alors d’être attelés pour faciliter, avec les chiens de traîneaux, le déplacement des éleveurs contraints à des migrations régulières. 154

Le Grand Nord Sur ces territoires brièvement libres de neige en été, la végétation se limite à des lichens et parfois des saules. Après le retrait des glaces, les premiers aventuriers étaient obligatoirement des chasseurs. Ils prélevaient à l’occasion les petits mammifères et les œufs de l’avifaune. Ce Grand Nord est peuplé depuis la préhistoire par les Samis, un peuple venu de l’est qui parle une des langues finno-ougriennes utilisées par les habitants installés de la Baltique jusqu’à l’Oural et le Don. Vers 7000 av. J.-C., les chasseurs de rennes, de bœufs musqués et d’ours polaires se sont avancés aussi loin qu’il était possible au nord de la Sibérie et sur les rives de la mer Blanche. Ils vivaient aussi du prélèvement des petits rongeurs terrestres (lemmings) ou de mollusques marins (moules). « Ils ont laissé de nombreux vestiges de pointes de flèches obtenues par la nouvelle technique de débitage microlaminaire par pression » (Plumet, 2006). Ces mongoloïdes nomades de l’est de l’Europe n’ont pas connu la concurrence des agropasteurs venus du sud, car ces derniers ne pouvaient pas acclimater leur troupeau aux conditions extrêmes du Grand Nord et se trouvaient surtout dans l’impossibilité, évidemment, de pratiquer l’agriculture vivrière. « Ces peuplades, parfaitement adaptées aux grands froids, auraient occupé le Grand Nord de l’Europe puis la Sibérie. Certaines auraient ensuite franchi plus tard (- 2000 ans av. J.C.) le détroit de Behring pour s’installer sur le continent nordaméricain, c’est du moins ce que laissent supposer les investigations réalisées sur Inuk (un chasseur du Groenland), dont le génome est plus proche de celui des actuels Sibériens que de celui des indigènes américains et des Inuits, les premiers colonisateurs de l’Amérique (Le Monde, 2022). « Les peuples du Grand Nord sont restés très longtemps nomades et certains le sont toujours. Ils continuent de chasser, mais sont surtout des éleveurs. Ils se déplacent, avec leurs troupeaux de rennes et leurs chiens entre les pâturages d’été et ceux d’hiver. Ils dressent des tipis en peau de renne pour se protéger du froid et continuent de chasser, à l’occasion, les individus de cette espèce restés sauvages » (Lacaze, 2017). « Comme cette source carnée est d’une grande valeur nutritionnelle, ce gibier constitue toujours un mets très apprécié des peuples de ces ré155

gions » (Chansigaud, 2020). Ces derniers mènent donc un mode de vie proche des mésolithiques, n’ayant concédé au Néolithique que l’usage de la poterie et du tissage. La véritable domestication du renne est bien plus tardive puisqu’elle ne daterait que du XVe siècle. En Europe du Nord et du Nord-Est, les populations ont donc conservé un mode de vie de pasteurs semi-nomades enrichi de fournitures (poteries) et de pratiques (domestication) véhiculées par les migrants du sud alors que l’agriculture était déjà bien installée dans le reste de l’Europe sous des latitudes plus basses. 5 – L’Europe de l’Ouest Dans des conditions climatiques beaucoup plus clémentes, les migrants issus des deux grandes voies de colonisation méditerranéenne et danubienne ont développé un agropastoralisme actif et provoqué assez rapidement l’intégration des chasseurscueilleurs locaux. Sans doute par intérêt (ils y voyaient des avantages) ou par obligation (la dynamique des arrivants les a submergés). Malgré ces atouts, la néolithisation a mis du temps à conquérir le littoral atlantique. « La poterie et l’élevage apparaissent presque deux millénaires plus tard dans les régions les plus septentrionales de l’Europe atlantique par rapport à celles du sud » (Cubas, 2020). Si les pratiques d’élevage sont, en effet, attestées dans la moitié du VIIe millénaire en Grèce, « elles n’atteignent l’ouest de l’Europe qu’au début du Ve millénaire » (Roux et al., 1964). Et tout au long de cette colonisation, « des économies de production et de prédation ont coexisté de manière perceptible en Écosse, en Irlande, en Belgique, en Bretagne du VIe au IVe millénaire » (Marchand, 2005). Aux Pays-Bas, des groupes de Néandertaliens étaient installés il y a près de 150 000 ans dans la province de la Drenthe au nord-est du territoire où les ressources faunistiques terrestres et marines étaient abondantes. Les hommes modernes n’ont pu s’y cantonner, car le territoire a été envahi par les eaux suite à la remontée du niveau marin. Ils ont en revanche parcouru les landes et les forêts humides des rivages de la mer du Nord parsemés de langues de terre et d’îlots soumis aux fortes marées qui découvraient de nombreux coquillages et favorisaient le 156

développement d’une avifaune très diversifiée dont on pouvait exploiter les œufs, les oisillons et piéger les adultes. Au Mésolithique, le niveau de la mer remonte encore un peu et ennoie les basses terres. « Les découvertes archéologiques de Hoetmansmeer montrent qu’une peuplade nomade du territoire de Groningue a dû quitter la région à cause de l’extension des marécages et des conditions insalubres qui en découlent » (Guide PB, 2021). La sédentarisation de pionniers, qui a eu lieu plus tardivement, a laissé de nombreux vestiges de chemins très anciens, noyés dans la tourbière de Bourtange par exemple, qui permettaient le transport des produits de la mer. Plusieurs corps momifiés ont été dégagés de ce marais qui s’étend d’ailleurs jusqu’à la frontière allemande. Sous ces latitudes encore hautes, la réussite des cultures de céréales restait aléatoire et les occupants ont surtout exploité les ressources marines et dulçaquicoles (poissons et crustacés) complétées par un élevage bovin. Les techniques de fabrication de la poterie ont commencé à se développer au Ve millénaire, mais les débuts de la néolithisation n’ont pas donné lieu, dans cet environnement rude, à une rapide croissance démographique. Belgique La Belgique, riche en forêts et en gibiers, avait attiré des chasseurs-cueilleurs par ailleurs toujours peu nombreux, peutêtre quelques centaines au total, sur ce territoire. Le relief, peu marqué, semble avoir facilité les échanges avec les arrivants issus des deux courants danubien et méditerranéen. « Au Mésolithique, vers 5300 ans av. J.-C., l’élevage et l’agriculture sont introduits dans le sud du pays quand les pionniers s’installent sur les terres fertiles du Limbourg méridional » (belge). Toutefois, « les animaux domestiques, en particulier les bovins, et les céréales ne semblent pas apparaître antérieurement à 4700 et 4300 avant J.-C. Durant toute cette période, ces activités n’évincent pas la chasse et la pêche qui restent importantes » (Guide PB, 2021). Près de Liège, dans la Hesbaye par exemple, on constate que les agriculteurs sont regroupés sur les terres les plus riches « pour mieux résister, selon Keeley (1996), 157

aux incursions des pillards mésolithiques ». Mais Golitko (2015) fait remarquer que, plus au nord, sur cette même bande de lœss très favorable, les premières implantations de fermiers, vers 5200 av. J.-C., semblent se faire sans confrontation. Par contre, 200 ans plus tard, à la suite d’un probable important développement démographique, on peut relever des signes de tensions avec une augmentation des fortifications. « Dans l’ouest de la Belgique pendant la deuxième moitié du VIe et jusqu’à la fin du Ve millénaire av. J.-C., les contacts entre chasseurs-cueilleurs et agropasteurs se sont limités à la périphérie immédiate des territoires rubanés et ont probablement conduit, dans quelques cas, à l’assimilation d’individus et/ou de groupes d’individus au sein de la société rubanée » (BurnezLanotte, 2008). « Par la suite, les contacts vont se multiplier pour atteindre des régions éloignées de plusieurs dizaines, voire même de centaines de kilomètres de zones occupées par les communautés agropastorales. Il faudra attendre la fin du millénaire pour qu’ils provoquent d’importants changements dans la culture matérielle des sociétés autochtones » (Burnez-Lanotte, 2008). Le même auteur mentionne les découvertes récentes en basse Belgique, en particulier dans la vallée de l’Escaut, qui démontrent la persistance des communautés de chasseurscueilleurs longtemps après l’installation des premiers groupes agropastoraux dans la région limoneuse de la moyenne Belgique (plus à l’est), et ceci jusqu’à la fin du Ve millénaire av. J.-C. Des échanges d’outils semblent avoir eu lieu dans une frange de quelques dizaines de kilomètres entre les deux communautés et certains types d’armatures possèdent des traits mésolithiques et des traits néolithiques. « Il y aurait eu fusion des traditions mésolithiques et des traditions rubanées dans les secteurs de la Moselle et du Rhin supérieur, comme semblent en témoigner certaines pointes de flèches ou certaines poteries non rubanées apparues dans des sites rubanés » (Burnez-Lanotte, 2008). Par contre, le constat du transport sur de grandes distances de quantités importantes de silex et le gaspillage au moment du débit des rognons ne sont pas habituels chez les chasseurs-cueilleurs et pourraient s’expliquer par le travail de nouveaux arrivants peu expérimentés. Il semble également probable que les 158

produits d’extraction du quartzite de Wommersom, exploités depuis longtemps par les chasseurs-cueilleurs, aient fait l’objet d’échanges avec les agropasteurs qui avaient besoin de ce matériau pour continuer de chasser ou de racler leurs peaux. Le fait de trouver dans cette région des haches en bois de cerf perforées laisse penser que les chasseurs-cueilleurs ont acquis cette technique auprès des néolithiques puisqu’on ne connaît pas cette innovation avant 5100-5000 av. J.-C. La fréquence des échanges attestés entre nomades et sédentaires traduit donc l’imbrication des cultures de traditions pourtant si différentes. Mais les migrants, désormais installés en Belgique, s’étaient probablement déjà « frottés » aux autochtones pendant le long déplacement de leurs ancêtres dans le bassin du Danube ou du Rhône et on peut supposer que ces acquis ont facilité la fusion progressive des communautés soucieuses toutefois de conserver certaines de leurs habitudes alimentaires ou culturelles. En zone de montagne, ces dernières paraissent plus affirmées. 6 – La région alpine La région alpine fut occupée très tôt par les Néandertaliens (grotte Mandrin) qui remontaient la vallée du Rhône dès que le front glaciaire reculait en fin de glaciation. Au terme de celle du Würm, ce sont les hommes modernes qui ont repris ce chemin en occupant les basses vallées du Rhône, de la Saône et de leurs affluents. Malgré le réchauffement en cours au Mésolithique, les zones d’altitudes du Jura, de la Suisse et de l’arc alpin ne permettaient pas, en hiver, le maintien de groupes humains. Ils représentaient en revanche des zones de chasse très favorables en été (bouquetins, chamois, marmottes et lièvres), sources de venaisons, de graisses, mais aussi de fourrures. Les mouvements pendulaires entre la plaine et la montagne se sont donc imposés très tôt chez les chasseurs-cueilleurs dont les traditions ont eu le temps de s’affirmer entre le XIIe et le VIIe millénaire. L’arrivée dans les Alpes du Castelnovien est datée de 6000 av. J.-C., c’est-à-dire en pleine période Atlantique. Cette culture, qui vient du sud (Provence et Italie), correspond à un mode de vie basé sur la chasse (aurochs, sangliers) et la pêche en eau vive ainsi que la cueillette des fruits et plantes sauvages. 159

Mais il apporte des innovations concernant les armatures et probablement aussi des modes de vie influencés par l’arrivée sur le littoral méditerranéen des colons venus du Levant. « Elle précède et peut-être accompagne la néolithisation qui émergera en différents points dans la seconde moitié du VIe millénaire av. J.-C. » (Erica, 2008). À cette époque, l’arrivée des fermiers ne semble pas avoir été bien perçue par les populations montagnardes qui n’ont pas facilité l’installation des migrants désireux aussi d’exploiter les herbages d’altitude pour leurs troupeaux, un bétail très dérangeant pour la quiétude des gibiers d’altitude si précieux pour les autochtones. Préalpes Les fouilles en périphérie des massifs (piémonts du Jura et du Vercors) ont montré que les premiers néolithiques ont occupé surtout les vallées alpines et pratiqué tardivement l’agriculture et l’élevage, peut-être parce qu’ils pouvaient compter sur les revenus de la chasse compte tenu de l’abondance des gibiers sur les versants et en montagne, mais peut-être aussi à cause de la concurrence des autochtones qui voulaient préserver leurs zones de prédation. On fait donc le constat que « les néolithiques s’installent prioritairement en plaine (cultures), exploitent aussi les pentes (troupeaux), mais, contrairement aux chasseurs-cueilleurs, délaissent les montagnes » (Bintz, 2022). « Dans le quadrilatère limité par le Rhône à l’ouest, la frontière française à l’est, le Léman au nord et la Durance au sud, les archéologues ont mis à jour, entre la fin du Paléolithique supérieur et le Néolithique ancien, près de 120 sites occupés pour moitié en grottes ou abris et pour le reste en campements de plein air » (Bernard, 2020), ce qui traduit une occupation relativement dense des territoires préalpins visiblement attractifs pour ces populations de la transition Mésolithique/ Néolithique. Pour entretenir leurs maisons et le cheptel d’animaux domestiques, les colons ont dû s’attaquer aux boisements des versants en exploitant le bois pour le chauffage et la construction et les branchages destinés à fournir des fagots de feuillages 160

consommés par les caprins en hiver. Ainsi, « les tout premiers indices d’une déforestation anthropiques datent, dans les régions des Alpes, de ce Néolithique ancien, vers - 5500 ans avant notre ère » (Bintz et al., 2011). Dans le haut bassin rhodanien, après une lacune culturelle, on assiste au milieu de l’Atlantique à la mise en place d’un Néolithique ancien mixte marqué par l’apparition des premiers animaux domestiques (Balme Rousse), de la céramique (Grotte du gardon, Pas de la Charmate, La Grande Rivoire, l’Aulpt du seuil). Ces groupes, dont l’activité de chasse reste prédominante, utilisent des armatures trapézoïdales évoluées, appelées flèches tranchantes qui restent d’inspiration mésolithique. « La carte de répartition des sites montre une continuité d’occupation du Mésolithique au Néolithique ancien attestée par de nombreuses stations de plaine et d’altitude. On peut penser que le phénomène de néolithisation, du moins dans un premier temps, procède davantage d’une acculturation progressive des groupes mésolithiques que d’une colonisation. Ces groupes devaient entretenir des contacts avec des populations déjà néolithisées, bien implantées dans le sud de la région et remontant le couloir rhodanien » (Erica, 2008). Au Néolithique, l’abri de la Grande Rivoire (près de Grenoble) servait de lieu de parcage provisoire des animaux domestiques au moment de la transhumance vers les pelouses d’altitude qui n’étaient pas encore des « alpages ». « Les bergers préféraient, pour s’alimenter, aller chasser la faune sauvage, autour du site, plutôt que se servir sur les troupeaux. Car on a pu montrer que les restes osseux du site étaient composés à 80 % d’animaux sauvages et simplement 20 % de chèvres et de moutons » (Bintz et al., 2011). La transhumance ne paraissait pas généralisée puisqu’« au Néolithique ancien, les traces de pastoralisme d’altitude restent faibles, voire douteuses, dans le Massif alpin. Toutefois, cette activité semble s’être développée assez tôt dans le Diois et des études anthracologies (sur bois carbonisés) ont attesté des déboisements par le feu sur les hauts plateaux du Vercors » (Carrier et al., 2010). Il a fallu probablement attendre quelques siècles, voire un millénaire, pour voir les bovins domestiques passer l’été en montagne, car à cette altitude moyenne, les pelouses n’étaient 161

naturellement pas très étendues à cause de la dynamique forestière, et ce sont les bergers qui ont déboisé ou mis le feu, deux techniques classiques pour ramener des couverts herbagers que l’on appelle actuellement, et peut-être improprement, des « alpages ». « Les plus anciens restes de faune domestique trouvés dans les Alpes occidentales françaises (Balme Rousse à Choranche) est une molaire de bœuf datée de 4000 ans avant notre ère » (Bintz et al., 2011). On ne dispose pas encore de données précises sur le pastoralisme en Chartreuse qui est peutêtre plus tardif. Par contre, on sait que « le Jura méridional s’enrichit de vagues (de pionniers) venues d’Orient dès le VIe millénaire. Ils se sédentarisent et pratiquent l’élevage et l’agriculture parfois jusque dans la Haute chaîne » (Menjucq, 1986). Alpes centrales « Aux temps néolithiques, les vallées alpines n’étaient pas enclavées et les grands cols constituaient déjà des voies de passage bien fréquentées, car, au pastoralisme et à l’agriculture, s’ajoutaient l’activité minière (roches vertes et cristaux) et le commerce » (Carrier et al., 20210). « À la fin du VIe millénaire, la culture de la céramique dite “cardiale” se fait sentir jusque dans le Valais central et le Tessin. Ce qui caractérise le Néolithique alpin, c’est que les sites d’implantation permanente s’établissent dans les fonds ou sur les premières pentes des vallées et les défrichements semblent relativement tardifs, c’est-àdire au mieux du IVe au IIIe millénaire » (Carrier et al., 2010). « Les Mésolithiques avaient remonté les vallées alpines jusqu’au cœur des massifs, aussi bien du côté français que du côté piémontais des Alpes occidentales. Le passage du Mésolithique récent au Néolithique ancien qui marque la mise en place des économies agropastorales s’effectue au cours de la seconde moitié du VIe millénaire. Les Alpes occidentales sont ainsi prises en tenaille entre deux courants du Néolithique ancien affirmé qui se développe dans les zones de basse altitude : au sud le cardial remontant la vallée du Rhône, au nord le Rubané en provenance du Danube » (Erica, 2008). « En montagne, on voit apparaître sur les mêmes sites occupés par les 162

Mésolithiques, des faciès mixtes qui mélangent les traditions mésolithiques avec des éléments échangés ou empruntés au Néolithique ancien : ovins ou bœufs domestiques, céramiques, indices d’activités agricoles. On peut parler alors d’un Néolithique ancien montagnard. Versant italien, les évolutions semblent comparables à celles des Préalpes » (Erica, 2008). La Suisse En Suisse, « l’abri de Châble-Croix, en bordure de plaine, atteste d’une présence de chasseurs-cueilleurs mésolithiques vers 6420-6120 av. J.-C. Ils pratiquaient sur place la chasse (cerf, sanglier, chevreuil, chamois et bouquetin), la pêche (truites) et la cueillette, mais s’approvisionnaient aussi en objets de régions très lointaines comme les coquillages d’origine méditerranéenne » (Wagner, 1997). C’est probablement la présence d’aurochs qui explique le maintien de ces chasseurs dans la plaine du Valais, pourtant très à l’intérieur du massif alpin. Plusieurs pièces archéologiques (microlithes) datant du Sauveterrien (7500-5500 av. J.-C.) et du Tardenoisien (55004500 av. J.-C.) ont été mises à jour, mais les principaux vestiges datent du Néolithique et de l’introduction de l’agriculture au VIe millénaire avant notre ère (Furtwängler et al., 2020). Il est vraisemblable que « le peuplement par les migrants du Valais central, probablement inoccupé au début du Mésolithique, soit le fait de populations originaires d’Italie septentrionale parvenues dans la Haute-vallée du Rhône par les cols alpins avec tout leur accompagnement d’animaux domestiques. Mais cette colonisation n’a pas dépassé, semble-t-il, la région de Sion qui a connu, un peu plus tard, l’arrivée des pionniers venus du bassin rhodanien » (Wagner, 1997). Ce Néolithique ancien rhodanien est daté de 5500-4800 av. J.-C. et a contribué largement au développement de l’agriculture en Suisse. « Les tout premiers établissements agricoles trouvés en Valais, au Tessin et dans le Jura remontent à la période 5800-5000 av. J.-C., ce qui est relativement tardif par rapport au reste du continent » (Besse, 2021). « Les fouilles entreprises dans la zone Jura et Plateau suisse (Abri-sous-roche de Lutter) ont montré que la transition entre le Mésolithique final et le début des productions de pote163

ries se situe vers 5500 et 5300 av. J.-C. Les occupants successifs ont employé des armatures exclusivement trapézoïdales puis des armatures évoluées avant de passer à des céramiques indigènes » (Mauvilly et al., 2015). Entre Cardial et Rubané, le « groupe de Bavans » (55005300 av. J.-C.), qui occupait un vaste territoire de montagne du Léman au lac de Constance et des Alpes Bernoises jusqu’au Jura, est resté un peu à l’écart des grands courants de néolithisation, en conservant son originalité (Arbogast et al., 2019). De nouvelles séries de datations au radiocarbone ont confirmé sa perduration jusque dans les années 4500-4400 av. J.-C. Ceci laisse penser que les communautés agraires ont peu modifié les traditions des populations autochtones à l’instar de certains territoires des Pays-Bas (Swifterband), du Danemark (Ertebölle) ou d’Allemagne (Narva). « Une forme de résistance à l’expansion danubienne durant la première moitié du Ve millénaire » (Jeunesse, 2019). Pendant cette période, d’une façon générale, « en Suisse, les hommes délaissent progressivement les tentes et construisent les premières maisons au cours du VIe millénaire déjà. Les restes de bâtisses de 30 ou 40 m2 remontent à 5300-5200 av. J.-C et ont été découverts à Schaffhouse près du lac de Constance » (Besse, 2021), que le courant danubien atteint vers 5250 av. J.-C. environ. En plaine, « la lente diminution du pin sylvestre et de la chênaie mixte est attribuable à l’action humaine. La présence de pollens de céréales atteste de la pratique de l’agriculture, en Valais, dès le Néolithique ancien, vers 5000 av. J.-C. Un peu plus tard, une présence humaine est attestée en altitude par des défrichements (traces d’incendies) et une exploitation des prairies de montagne pour la pâture du bétail (Wagner, 1997). Finalement, « c’est clés en main que les Suisses préhistoriques acquièrent l’agriculture, car toutes les composantes de cette révolution majeure sont importées : blé, orge, chèvre, mouton, porc, bœuf. On passe directement des espèces animales et végétales sauvages à celles domestiquées, sans passer par les stades hybrides intermédiaires qu’exige, en principe, cette évolution » (Besse, 2021). Cette conversion à l’agropastoralisme a produit les mêmes effets démographiques qu’ailleurs en Europe, à savoir que « la population humaine a enregistré une nette aug164

mentation pendant le Néolithique même si on n’a pas trouvé partout, à ce jour, de sites d’occupation au Néolithique ancien » (Wagner, 1997). Dans ce domaine helvétique, la chasse est restée une activité constante et soutenue. Ötzi avait mangé du bouquetin et les vêtements de Schnidi (2800 ans av. J.-C.) étaient typiques des équipements d’un chasseur de montagne (France 5, 2022) ; deux témoignages bien limités qu’il faut prendre toutefois pour de précieux indices ! 7 – La France On a déjà évoqué l’arrivée des courants méditerranéens et danubiens dans l’hexagone. Il reste à préciser comment s’est déplacé le front de colonisation dans quelques grandes régions où les fouilles ont donné des résultats probants. La rencontre entre les pionniers et les autochtones s’est évidemment effectuée en de nombreux points, mais, en fait, « on ne connaît que de rares sites occupés en alternance par des chasseurs mésolithiques ou des pasteurs comme la grotte du gardon dans l’Ain » (Guilaine, 2019). En effet, « celle-ci a été occupée en alternance par des semi-nomades jurassiens et des néolithiques éleveurs originaires de Provence entre les années 5500 et 4800 av. J.C. » (Voruz, 1991). Il semble que la pratique de l’élevage soit arrivée très tôt en France, avant la pratique de l’agriculture et l’usage de la poterie, ce qui expliquerait bon nombre de défrichements précoces de la période Atlantique. Pour des pionniers, il semble en effet plus facile d’occuper un territoire avec un troupeau plutôt qu’installer une exploitation agricole avec des habitations en dur. Si on ne sait rien de leur véritable mode de vie, on est sûr de leur origine puisque tous « ces premiers fermiers néolithiques présents sur le territoire français sont une population très homogène venue d’Anatolie » (Olalde et al., 2015).

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Bovins de race rustique au phénotype proche des bovins néolithiques. Marais de Lavour (Savoie). Photographie de Bernard Bachasson.

France du Nord-Est « L’occupation danubienne a suivi les fleuves et les rivières ainsi que les sentiers qui, sur chaque rive, longeaient les cours d’eau, et les traversées se faisaient évidemment à gué. La progression a pu aussi emprunter les pistes de troupeaux sauvages (bisons, aurochs) qui transitaient, depuis des milliers d’années, à la recherche de zones nourricières. Les trouvailles archéologiques attestent que ce “front danubien” atteignit, par exemple, la vallée de la Moselle jusqu’à Épinal ainsi que ses affluents, les vallées de la Seille et de la Sarre » (Danthine, 1954). Les cours d’eau étaient bien sûr régulièrement utilisés à l’époque comme voies de communication grâce à l’usage de pirogues monoxyles. Sur le versant est des Vosges, « on trouve dans les tombes néolithiques d’Alsace, des parures en coquillages dont certains viennent de l’océan Atlantique, alors que ce dernier n’a pas encore été atteint par les pionniers. Il faut donc supposer que des échanges de proche en proche ont eu lieu avant l’arrivée des 166

migrants et qu’ils n’ont pu se faire que par l’intermédiaire des peuples mésolithiques » (Demoule, 2022). Les études ADN menées dans le sillon alsacien montrent que « certains individus du Néolithique moyen situés immédiatement à l’ouest du Rhin affichent une proportion élevée de la composante d’ascendance chasseurs-cueilleurs contrairement aux sites rubanés à l’est du Rhin. Les hommes d’Obernai, par exemple, portent exclusivement les haplogroupes attribués aux chasseurs-cueilleurs de la région » (Rivollat, 2020). Des informations qui laissent à penser que les autochtones ont largement intégré les groupes de migrants. Plus à l’ouest, « la moitié orientale du Bassin parisien s’est déjà sensiblement démarquée de la sphère culturelle danubienne et développe un faciès original. Ces paysans, de la vallée de l’Aisne, habitent de grandes maisons. Bien que la chasse ne soit pas dédaignée, la culture des céréales (blé, orge) constitue désormais l’activité majeure. On pratiquait alors une agriculture temporaire sur brûlis de forêt. La palynologie (science des pollens) montre parallèlement le rôle important de la déforestation. « L’élevage du bœuf et du porc dans une aire où ils étaient largement implantés au Paléolithique pose le problème d’une possible domestication autochtone au moins pour certains d’entre eux » (Guilaine, 2021). « Le Rhin sera franchi dès le Ve millénaire par ces colons de la civilisation rubanée » (Guilaine, 2021), alors que la remontée des pionniers du cardial est déjà bien avancée au sud du bassin Parisien. Dans tout ce quart nord-est de la France, « la répartition des sites obéit à trois critères principaux : la présence de riches terres agricoles sur lœss, l’installation préférentielle en rebord de talus à proximité immédiate de la plaine inondable du Rhin et la présence voisine d’un cours d’eau » (Musée de Strasbourg, 2017). « La zone de contact entre les deux courants de colonisation se situe au niveau de Colmar. La Basse-Alsace est essentiellement colonisée par des populations venues de la région du Neckar et qui seraient peut-être passées par le Palatinat, tandis que la Haute-Alsace est peuplée par des groupes qui ont suivi la voie du Danube » (Musée de Strasbourg, 2017).

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France du bassin Parisien Dans le bassin Parisien proprement dit, « il semble que le front agricole le plus exposé ait été jalonné par des sites fortifiés, indice des difficultés rencontrées par les migrants dans leur progression sur les terres des autochtones. Ces protections sont des fossés sans doute complétés par des levées de terre ou de palissades » (Bogucki, 2000). « Une sépulture du Rubané final a été mise au jour sur les bords de l’Oise. La tombe, mal conservée, apparaît typique de la période (5231-4980 av. J.-C.), aussi bien par la position du squelette que par les éléments de parure en coquillage qui lui sont associés (Pecqueur et al., 2015). « À la différence d’autres pays d’Europe, la proportion d’ascendance chasseurs-cueilleurs en France y est plus élevée dans l’ensemble, tant pour le courant méditerranéen que pour le courant danubien. Pour le premier, il n’est pas exclu que le mélange chasseurs-cueilleurs/néolithiques ait pu se produire dans la péninsule Italienne. Pour le second, les individus du Néolithique moyen montrent aussi une composante d’ascendance chasseurs-cueilleurs plus élevée à l’ouest du Rhin » (Rivollat et al., 2020). Il est actuellement difficile de dire où a pu se produire cet autre métissage, car les rencontres ont sûrement été multiples pendant ce long trajet de presque 3000 kilomètres. Quoi qu’il en soit, l’arrivée des migrants a eu un effet considérable sur la densité des habitants puisque « l’essor de la population sur le territoire français commence dès le début du Néolithique » (Dupâquier, 1988). À croire que les groupes de diverses origines ont bien « collaboré » sans donner lieu à des conflits meurtriers. Les couples se sont montrés très « productifs », l’arrivée du « sang frais » des migrants a redynamisé la natalité assez faible chez les autochtones. Quant aux maladies qu’auraient pu apporter les migrants, il semble qu’elles n’aient eu que peu d’effet sur la mortalité des locaux. Il faut toutefois rester prudent, car les épidémies laissent peu de traces dans les sépultures, et par ailleurs l’augmentation de la population s’est produite sur quelques siècles pour lesquels nous n’avons pas d’étude démographique assez fine sur cette transition. Ajoutons enfin que toutes les populations indigènes qui sont passées à l’agropastoralisme ont vu leur natalité augmenter grâce aux 168

apports amylacés réguliers et à la consommation du lait du troupeau permettant de rapprocher les naissances et d’élever ainsi une famille plus nombreuse. France de l’Ouest Dans l’extrême-ouest du continent (Bretagne), le courant de migration en provenance de la vallée du Danube a rejoint celui du sud, entraînant un développement rapide des activités agropastorales, autour des années 4800 - 5000 av. J.-C., avec défrichements et mises en valeur par des cultures de céréales. Cette rencontre semble avoir été pacifique et de toute façon fructueuse puisqu’elle a donné lieu à une effervescence technique et culturelle particulière, à l’origine de « la culture de Carnac » (Marchand, 2022). Certains groupes du littoral atlantique avaient trouvé le moyen d’extraire le sel à partir des efflorescences déposées par les marées en haut des plages à faible déclivité. Après rinçage du sable ainsi enrichi et évaporation du filtrat salé, le commerce des précieux cristaux a pu se mettre en place assurant la prospérité de toute une région durant plusieurs siècles au cours du Ve millénaire. Malheureusement, l’élévation du niveau de la mer, qui était encore de plusieurs mètres audessous du niveau actuel au VIe millénaire, a ruiné cette spéculation et provoqué l’envahissement du golfe du Morbihan à l’origine du déclin de cette colonie bretonne. « Sur ces terres, l’élevage est attesté sur plusieurs îles, au Mésolithique, bien avant l’apparition de toute poterie » (Roux et al., 1964). Il y a donc bien eu importation et domestication très précoces du mouton dans cette région de l’extrême-ouest où s’est développé par la suite et progressivement une mosaïque de cultures (blé, orge, légumineuses), source de richesse pour une population rurale en fort accroissement. Bien plus au sud, au Pays basque comme pour le reste du territoire français, les populations autochtones ont vu arriver au Néolithique les agriculteurs venus d’Anatolie par les Balkans. Ils se sont métissés avec les chasseurs-cueilleurs. « Les populations actuelles de langues basques comportent en effet une plus forte ascendance de fermiers néolithiques que les populations voisines et certaines particularités communes avec les popula169

tions sardes » (Marcus, 2020). Ces données laissent à penser que les migrants arrivés dans le piémont pyrénéen sont passés par les îles et/ou le littoral de la Méditerranée. 8 – Les Îles britanniques Les tout premiers occupants des Îles britanniques auraient foulé le territoire il y a 700 000 ans. Mais les glaciations successives ont conduit les hommes à ne revenir à cette latitude que pendant les interglaciaires. Suite au retrait des dernières glaces würmiennes, les hommes modernes ont colonisé l’Angleterre il y a environ 10 000 ans en traversant, à pied sec, ce qui allait devenir la Manche (Desideri, 2010). En Écosse, « un foyer d’habitation daté de 8500 av. J.-C. a été trouvé à Cramond près d’Édimbourg. Des fosses et des traces de trous faits par des pieux suggèrent l’existence de campements de chasseurs-cueilleurs. Les outils de pierre trouvés sur le site sont antérieurs à ceux du même style trouvés en Angleterre. La plupart des campements sont situés près du littoral ou le long des lochs ou rivières ainsi que de nombreux abris troglodytes » (Scottish History, 2009). Ces groupes sont nomades et s’adonnent à la pêche et à la cueillette des coquillages en complément de la chasse. Ils s’aventurent à l’intérieur des terres pour traquer le daim, en particulier. Bien que l’accès par terre soit possible à l’époque, il est probable que ces groupes d’aventuriers soient arrivés par la mer qu’ils ont peu quittée au fil des millénaires. Des objets en silex, datés de 6000 à 8000 ans, viennent d’être découverts près de Catterick dans le Yorkshire du Nord. « Des chasseurs-cueilleurs venus du continent (Scarre, 2005) ont donc utilisé ce même passage pour venir exploiter la grande faune sauvage de ces zones insulaires. Il semble même que certains groupes aient commencé à défricher certains secteurs de la forêt mixte bien adaptée à ce climat doux et pluvieux » (Morrisson, 1980). Car même si la population n’était pas très nombreuse, 3000 à 20 000 personnes selon T. Darvil (1987), les besoins en matériaux de construction, bois de chauffage et clairières pour les troupeaux, ont fini par être importants et le paysage a commencé à s’ouvrir avec l’installation de clairières qui seront très 170

largement agrandies dans les millénaires suivants (Celtes). Autour des années 5000 av. J.-C., avec la montée du niveau des eaux, le « Channel » a bloqué le passage des animaux sauvages et aussi des hommes qui ont dû recourir à des pirogues pour accéder aux plages du Kent, ce qui pourrait expliquer l’arrivée tardive de petits groupes de néolithiques sur l’île. « Certains chercheurs vont jusqu’à penser que le nombre de migrants danubiens aurait été très réduit et ce serait les chasseurs-cueilleurs locaux eux-mêmes qui auraient adopté le récent mode de vie en développant l’élevage bovin, ovin, caprin et porcin. Cette évolution accompagnant, autour des années 4000 av. J.-C., la production des poteries de facture très particulière à ce nouveau territoire » (Weale et al., 2002). « Sur la façade atlantique, l’apparition abrupte d’animaux domestiques en Angleterre dans les premiers siècles du IVe millénaire av. J.-C. est un constat qui permet d’évoquer le transport par la mer de cheptel accompagnant les migrants vers l’archipel britannique » (Tresset, 2002). Si l’agropastoralisme a mis longtemps à atteindre tout le territoire (les chercheurs évoquent près de 2000 ans), son développement local semble, ensuite, avoir été rapide. Avec l’arrivée tardive de l’agriculture, les premières maisons permanentes en pierre ont été construites il y a environ 6000 ans av. J.-C., comme à Knap of Howar, dans les Orcades ou sur l’île du Jura, au débouché du canal calédonien (Moffat, 2005). En Écosse comme en Angleterre, « l’arrivée de l’agriculture au Néolithique a contribué à l’extension des habitations permanentes et, dans leur proximité, au développement des pratiques de déboisement » (Lomond Books, éd. 2009). Le recul de la forêt dans l’archipel britannique est donc très ancien. Il s’est accentué avec la métallurgie de la civilisation celte et a connu son paroxysme avec le développement, au XVIIe siècle, de la marine, grande consommatrice de bois et de l’industrie qui, en l’absence de cette dernière ressource, a dû finalement compter sur le charbon. En Irlande, malgré un accès plus difficile par la mer, les néolithiques se sont aussi attaqués aux domaines boisés pour leurs besoins domestiques et leurs troupeaux. « La première déforestation serait antérieure à 3500 av. J.-C., mais les chiens

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et les moutons y étaient déjà signalés au Mésolithique » (Roux et al., 1964). 9 – Quelques réflexions sur l’avancée des migrants en Europe « La paléogénétique montre dans les premières générations néolithiques de très faibles mélanges avec les indigènes, mais leur présence génétique augmente ensuite, indiquant qu’ils ont été de plus en plus assimilés, ce, pendant que leurs traces archéologiques disparaissent » (Demoule, 2022). Toutefois, les situations sont très diverses et la réussite de la néolithisation n’a été complète que sur le long terme, car il faut du temps pour que les communautés se rencontrent puis se connaissent et enfin décident de collaborer. Le courant danubien s’est propagé à travers toute l’Europe centrale en suivant le fleuve et ses affluents, conduisant les pionniers à pratiquer la culture sur brûlis qu’ils introduisent sur tout le continent. Les Rubanés ont fabriqué une partie de leur outillage en silice, en roches volcaniques ou métamorphiques. Sur des lames de faucille en silex, on trouve parfois des brins de céréales qui attestent d’une activité agricole, mais aussi des pointes de flèches, témoins d’une activité de chasse. En ce début de période Atlantique, la vie rurale était rude et s’apparentait probablement souvent à des phases de survie en cas d’hiver long ou d’été très sec, ou au contraire très pluvieux. Pour installer leurs fermes, il était donc nécessaire de choisir très soigneusement le site, c’est la raison pour laquelle l’habitat des Rubanés est souvent situé sur des terrains plats, près des cours d’eau, mais en zones non inondables et à moins de 400 m d’altitude, ce qui dénote un choix judicieux pour l’agriculture (blé, orge, petits pois et lentilles), ce qui n’empêche pas une activité de chasse dans les forêts environnantes. Mais les installations ne sont pas complètement pérennes, car on observe des périodes d’abandon de villages, peut-être à cause de l’épuisement des sols ou des ressources locales (fruits, gibiers). Les restes d’ossements montrent que l’alimentation animale des humains était composée pour 80 % de bovins, de caprins, d’ovins et de porcs. Comme gibier, ces migrants avaient au 172

menu du sanglier, du cerf, du chevreuil et de l’aurochs. Les fermiers étaient donc des sédentaires, mais au fil des générations, les installations avançaient de quelques kilomètres pour trouver de nouvelles terres encore fertiles. On peut penser qu’ils occupaient la même vallée près de leur communauté à la différence des campements de chasseurs-cueilleurs toujours très mobiles. Quant au courant méditerranéen, sa progression ne s’est pas réalisée sans difficultés, même si les conditions climatiques du sud de l’Europe étaient en moyenne plus clémentes que celles du nord. Les principaux problèmes pouvaient venir des incendies non maîtrisés, des sécheresses prolongées ou des orages violents, sans parler des pirates toujours prêts à quelques razzias sur le littoral de la Grande Bleue ! Dans tous les cas, la durée de vie moyenne des individus restait faible, peut-être voisine de 30-35 ans, ce qui posait de sérieux problèmes de transmission d’une génération à l’autre. Au Mésolithique, comme au début du Néolithique, un enfant connaissait en principe son père, au mieux son grand-père, mais probablement jamais son arrière-grand-père. En l’absence d’écrit, la transmission, par oral, des savoirs et des savoir-faire n’était donc pas d’une grande fiabilité et efficacité. Quant à la mémoire familiale, elle restait inévitablement limitée dans le temps. Comme les colons des deux courants ont migré en moyenne d’un kilomètre par an, c’est-à-dire approximativement de 30 km par génération, ils étaient obligés de s’adapter à de nouvelles conditions de vie. Leur environnement changeait et leurs fréquentations aussi. Ce qui contribue à faire oublier les habitudes passées pour se consacrer à régler les problèmes du présent. Même si les pratiques de culture, d’élevage ou de vie domestique maintenaient des constantes au cours du temps, dans ces situations nouvelles, des innovations s’imposaient pour trouver des solutions aux problèmes du moment et du lieu : transhumance en montagne, nécessité d’abriter et de nourrir le troupeau en hiver, par exemple, déplacement des brûlis, etc. Le fait d’appartenir à cette « caste de migrants » a certainement conduit les intéressés à intégrer la notion d’adaptation, une des bases du « progrès » à la fois technique et culturel, une notion totalement 173

nouvelle et étrangère aux chasseurs-cueilleurs qui n’en voyaient sûrement pas la nécessité. Combinée au métissage, cette conversion, mâtinée d’innovations, explique, sans doute, l’augmentation des rendements des fermes et, par conséquent, la croissance démographique. Ces hommes modernes ne connaissaient pas l’écriture qui est le moyen pourtant irremplaçable pour conserver, au fil des générations, les prénoms, les noms, les coutumes, les règlements et les croyances qui structurent une société humaine. Pour compliquer l’affaire, ces migrants ne parlaient pas le même dialecte que les autochtones qui les entouraient. Il fallait donc à chaque déplacement apprendre un minimum de mots pour communiquer avec eux en s’aidant bien sûr de la gestuelle. Toutefois, une langue s’apprend relativement vite, en quelques années, surtout chez des individus jeunes comme le prouvent les acquisitions rapides réalisées par les migrants d’aujourd’hui. Dans ce domaine, comme d’en d’autres, les arrivants étaient condamnés, là aussi, à un gros effort d’adaptation. Leur « refuge » était probablement la maisonnée dans laquelle ils pouvaient s’exprimer librement et transmettre leurs peurs, leurs craintes et leurs projets. Le village était aussi une entité rassurante imprégnée de la même culture transmise de génération en génération, mais ouverte aux nouvelles opportunités. Toutes ces adaptations, évolutions, innovations et transformations ont été intégrées par les villageois, transmises au fil des millénaires pour mettre en place un nouveau mode de vie rural, radicalement différent de celui des chasseurs-cueilleurs, et qui s’est perpétué avec bien sûr de multiples différences, jusqu’à nous.

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CHAPITRE VIII Bilan des premiers impacts de la colonisation

Il est maintenant acquis que la sédentarisation n’est pas une conséquence de l’agriculture, mais qu’elle l’a au contraire précédée à l’instar des Natoufiens, généralement sédentaires, qui ont récolté les céréales et les légumineuses sauvages présentes dans leur environnement (Harlan, 1967) avant de les cultiver pour en tirer pleinement parti (Flannery, 1965) dans des régions où elles étaient très dispersées à l’état naturel. Ce nouveau mode de vie, évoqué précédemment et généralisé à toute l’Europe, a profondément modifié la flore, la faune, mais aussi les caractéristiques des populations autochtones du continent, et ceci, en un peu moins de trois millénaires.

A – Impacts sur les milieux naturels 1 – Impacts sur la flore sauvage et les paysages À la différence des chasseurs-cueilleurs qui n’avaient pas un besoin indispensable de produire de l’herbe, les agropasteurs ne pouvaient pas s’en passer pour alimenter leurs moutons et surtout leurs bovins, les chèvres pouvant se contenter des pousses des arbrisseaux des landes ou du sous-bois forestier. Il fallait donc détruire le couvert boisé pour amener de la lumière au sol et favoriser les plantes de la famille des poacées et des fabacées. Trois solutions s’avéraient disponibles au Mésolithique : la coupe des arbres et arbustes, l’écorçage des troncs les plus gros et la pratique du « petit feu ». À ce sujet, S. Rostain (2021), qui 175

a beaucoup étudié cette pratique en Amazonie, distingue « l’essartage » qui consiste à « ouvrir une clairière dans la forêt pour y cultiver de façon définitive », du « sartage », qui correspond à « un défrichement suivi d’un brûlis pour cultiver temporairement », et c’était probablement cette dernière pratique qui était utilisée par nos fermiers. Les outils disponibles étant rudimentaires, nos défricheurs ne pouvaient couper facilement que des tiges de diamètre modeste (10 à 20 cm), car les haches en pierre polie (silex ou roches vertes) sont peu performantes et ne peuvent trancher que du bois frais… le bois sec étant beaucoup trop dur. Pour s’attaquer aux arbres les plus gros, une solution est d’écorcer le tronc sur sa circonférence avec une largeur de quelques dizaines de centimètres, ce qui conduit en principe à la mort de l’arbre en quelques années. La disparition du feuillage, en été, autorise la croissance des herbes au sol. La pratique du « petit feu », déjà en vigueur depuis longtemps chez les Indiens de la forêt tropicale au Moyen-Âge (Arte, 2021) et toujours en cours dans nos forêts méditerranéennes, conduit au brûlage du sous-bois sans consumer les houppiers. Sur les cendres d’hiver, la repousse printanière de l’herbe est alors active. Mais la maîtrise du feu devait être difficile à l’époque et le risque grand de voir se propager de vastes incendies. Mais au Mésolithique, ces derniers étaient sûrement vus comme bénéfiques, car ces espaces attiraient les aurochs, les bisons et les cervidés recherchés par les chasseurs-cueilleurs et les troupeaux domestiques qui exploitaient avantageusement cette végétation tendre. L’entretien et même l’extension des clairières sont certainement le fait du pâturage des faunes sauvages et domestiques qui ont limité l’installation des accrus et la conservation de milieux ouverts dans le vaste manteau boisé du début du Néolithique. Par ailleurs, « en avançant, les pionniers agriculteurs déboisaient systématiquement la forêt pour créer des champs et obtenir du bois de construction, une agression pour les chasseurs-cueilleurs indigènes. Il n’y a pourtant pas, du moins jusqu’à présent, de preuves de massacres sinon de génocides » liés à ces pratiques (Demoule, 2022). Une étude parue en 2020 suggère que les premiers agriculteurs ont finalement peu modifié le paysage européen qui a surtout été transformé par l’arrivée des peuples de la steppe 176

(culture yamna). Le déclin des forêts feuillues, l’extension des pâturages, des prairies et des zones de cultures sont en effet concomitants du déclin des effectifs des chasseurs-cueilleurs et peuvent être associés aux mouvements rapides des peuples de la steppe pendant l’âge du bronze (Racimo et al., 2020). Il faut dire que la métallurgie naissante à cette époque a mis à disposition des outils performants permettant d’augmenter considérablement l’efficacité du défrichement des forêts claires (serpes, houes) et des zones boisées (haches), transformées en champs cultivés sans cesse agrandis au service d’une croissance démographique forte et d’une métallurgie naissante. Il est vraisemblable que l’abattage des arbres épargnait les espèces « intéressantes » pour les deux communautés de chasseurs et d’agriculteurs, à savoir le chêne pédonculé, le châtaignier et surtout le noisetier dont les fruits étaient récoltés avec soin depuis des millénaires. Ainsi, la composition en essences des forêts s’est trouvée modifiée, surtout à proximité des villages et s’est accentuée avec la croissance démographique responsable de l’augmentation du rayon d’intervention des habitants. En ce qui concerne les champs cultivés, il est probable aussi que les céréales domestiquées introduites par les migrants (blé, orge) se soient propagées dans l’environnement des fermes puis hybridées avec les espèces sauvages et répandues dans les clairières alentour. Mais la pression de sélection du milieu sur ces variétés introduites a toutefois limité leur extension et permis finalement le maintien des souches locales (avoine sauvage et orge sauvage, par exemple). Dans le domaine de la gestion de l’eau, l’installation de retenues puis de véritables systèmes d’irrigation ont largement favorisé certains agents pathogènes comme la malaria. De fait, la transition néolithique est bien une révolution technique, mais aussi une transition épidémiologique avec des impacts importants sur les populations humaines et la faune sauvage associée. 2 – Impact sur la faune sauvage Avec l’arrivée des migrants, la faune européenne s’est enrichie de nouvelles espèces comme les chèvres et les moutons qui n’avaient pas sur le continent d’ancêtres sauvages. Certains 177

sujets ont fini par s’échapper des troupeaux et ont repris la vie sauvage avec l’aide des hommes, comme en Corse par exemple, où le mouton domestique a redonné par marronnage un mouflon sauvage. En Grèce, comme on l’a déjà signalé, la chèvre domestique a permis la constitution de petits troupeaux de chèvres sauvages qui ont même fait l’objet de chasse dans les montagnes de Crète. Le bison d’Europe, qui proviendrait d’un croisement entre mâles de bisons des steppes et femelles d’aurochs (Arte, 2023), initialement inféodé à la prairie, s’était adapté dès le réchauffement climatique au retour de la forêt. Avec les défrichements néolithiques, il a dû s’accommoder à nouveau de milieux ouverts, mais surtout de la prédation humaine et ses effectifs ont commencé à diminuer jusqu’à risquer l’extinction au siècle passé. Le cheval sauvage (equus ferus) était présent dans toute l’Europe au Mésolithique. Les troupeaux vivant au nord des Pyrénées n’ont pas survécu à l’occupation humaine (sur chasse) alors que ceux d’Espagne et du Portugal se sont maintenus plus longtemps sans que les migrants s’attachent à domestiquer cette espèce. Cette opération a été entreprise plus tard par des éleveurs de l’est de l’Europe. « Le cheval a été, en effet, domestiqué il y a 3500 ans av. J.-C. dans les steppes d’Asie centrale entre l’Oural et le Kazakhstan, à l’époque où prospérait la culture de Botaï, c’est-à-dire durant l’âge du cuivre » (Chansigaud, 2020). La domestication du sanglier s’est produite très tôt, en plusieurs points de l’Asie, mais n’a eu lieu que tardivement en Anatolie, probablement vers 4000 ans av. J.-C. Il n’est pas impossible que les premiers colons européens aient apprivoisé de jeunes sangliers capturés à la chasse et commencé leur élevage en parc, ce qui n’est pas très compliqué, car on trouve beaucoup d’os de suidés dans les rebuts de cuisine sans pouvoir dire si l’animal était d’origine sauvage ou domestique. La présence de chat domestique, très difficile à distinguer par le squelette trouvé dans les fouilles, provenant du chat sauvage forestier qui a été apprivoisé au Levant, serait « l’une des conséquences du développement de l’agriculture dans le Croissant fertile » (Chansigaud, 2020). Cette espèce au départ tolérée puis activement favorisée est devenue indispensable aux humains avec le 178

développement des populations de souris proliférant aux dépens des réserves de céréales. Mais « ces rongeurs semblent s’être adaptés à une première phase de sédentarisation humaine, il y a 15 000 ans, bien avant l’apparition de l’agriculture » (Chansigaud, 2020). En dehors de son rôle de prédateur domestique, on ne sait si ce félin était utilisé aussi par les fermiers comme auxiliaire de chasse, à l’instar de ce qui se pratiquait en Égypte où une illustration d’une fresque murale de la XVIIIe dynastie montre le félin attrapant un oiseau. « Les abeilles, que l’on peut difficilement apparenter à des animaux domestiques, sont exploitées depuis plus de 8000 ans comme en témoigne une fresque découverte dans la grotte espagnole de Cuevas de la Arana. Les indications de production de miel au Néolithique sont nombreuses » (Chansigaud, 2020). « La domestication s’accompagne très souvent, dans les premiers temps, d’une forte diminution de la taille. Celle-ci peut se réduire de près de 30 % chez le bœuf ou le cochon. Chez le cochon et, dans une moindre mesure, chez le chien, il y a réduction des os de la face crânienne et apparition de profils concaves » (Bintz et al., 2011). À part le chien, domestiqué il y a près de 16 000 ans selon G. Larson (2012), ou encore plus anciennement selon C. Vila (1997), la réduction de la taille est manifeste surtout si on la compare à l’ancêtre du Mésolithique, un loup sauvage particulièrement impressionnant. Les principaux animaux de la ferme ont été domestiqués au Levant et importés par les pionniers sur les îles de la Méditerranée ou sur le continent européen aux environs du VIe millénaire. Ainsi, se sont multipliés les troupeaux de chèvres domestiques (capra hicus) issus de chèvres sauvages (capra aegagrus), les troupeaux de moutons (ovis aries) issus de mouflons sauvages (ovis orientalis), et ceux de cochons (sus domesticus) issus de sangliers sauvages (sus scrofa). Au fil des générations, les éleveurs ont conservé les souches les plus intéressantes pour leur viande, la production de lait, mais aussi leur docilité. La faune sauvage est vecteur de nombreuses maladies (tuberculose et brucellose) et parasitoses (vers intestinaux). La concentration dans des parcs des troupeaux domestiques a inévitablement favorisé le développement de ces affections qui ont pu décimer les élevages ou même revenir contaminer les populations sau179

vages du début du Néolithique. La raréfaction de la grande faune, commencée à cette époque, pourrait s’expliquer en partie pour cette raison. Mais il n’en reste malheureusement aucune preuve. Un retour peut-être particulièrement néfaste du Domestique sur le Sauvage ! 3 – Impact sur les animaux domestiques « La domestication est une sélection opérée par l’être humain produisant sur une espèce un ensemble de modifications dites phénotypiques, comme l’apparence du corps, la physiologie et le comportement » (Chansigaud, 2020). En prenant l’exemple de la chèvre, issue de différentes populations sauvages et domestiquée en plusieurs fois, « les analyses génétiques de l’ADN conservé dans les restes archéologiques de caprins indiquent que la sélection humaine a modifié la couleur de la robe, réduit la taille des animaux, augmenté la fréquence de la reproduction et la production de lait » (Daly et al., 2018). « À propos du mouton, sa domestication a eu lieu dans la région du Croissant fertile, à partir du mouflon sauvage (ovis orientalis) il y a environ 8500 ans av. J.-C. L’objectif était alors de produire de la viande. Ce n’est que plus tard que les néolithiques ont cherché à tirer parti de son lait puis de sa peau pour les vêtements, et bien plus tard encore, à l’âge du bronze, pour sa laine à tisser » (Chansigaud, 2020). La sélection par les éleveurs a donc suivi plusieurs voies selon les besoins locaux et les époques en modifiant profondément les performances de la souche sauvage. Dans le même temps, les bergers ont sélectionné certains chiens plus aptes à participer à la garde et/ou à la conduite des troupeaux. En fait, pendant la transition Mésolithique/Néolithique, la domestication a surtout porté sur la chèvre et le mouton capables de s’adapter à tous les milieux, même les plus pauvres et les plus secs. Car entretenir un bovin exige beaucoup plus de fourrage, surtout pendant la mauvaise saison, une difficulté probablement insurmontable pour les fermiers limités dans le stockage du foin. Le fait d’élever plusieurs espèces (caprin, ovin, bovin) avait l’avantage de fournir des produits variés à consommer, mais aussi des peaux destinées à la fabrication des 180

vêtements ou des tentes. C’est aussi une garantie de ne pas voir le cheptel décimé par une épidémie qui ne passe, heureusement, pas toujours d’une espèce à l’autre. D’une façon générale, la mise sous contrôle du bétail a pour but de tirer plus d’avantages des animaux d’élevage au service des besoins des fermiers. Les espèces sont donc plus « productives », mais aussi plus « dépendantes » des humains pour la nourriture en particulier. C’est la raison pour laquelle une espèce domestique a beaucoup de mal à revenir à la vie sauvage. Les cas de réadaptation sont finalement peu nombreux (chèvres ou moutons marron). Quoi qu’il en soit, au fil des siècles, les herbages de plaine ont été accaparés par les cheptels domestiques qui ont repoussé sur les marges les troupeaux sauvages parfois décimés par les maladies des élevages, la chasse et plus souvent encore par le braconnage. On a eu l’habitude de dire que « l’essor de l’agriculture et de l’élevage, il y a environ 11 000 ans, avait pour but de pallier la réduction des effectifs de faune sauvage » (Chansigaud, 2020), mais c’est peut-être l’inverse qui s’est produit localement, car le développement de l’élevage fait reculer systématiquement la faune sauvage perçue comme une concurrence dans l’accès à l’herbe. Concernant les cheptels d’élevage, les restes de squelettes trouvés dans les fosses abandonnées près des campements préhistoriques permettent de se faire une idée des vocations affectées à chaque espèce ou individus. « La détermination des classes d’âge d’abattage des animaux domestiques permet de préciser le type d’élevage. Dans le cas d’élevages orientés vers la production de viande, les courbes de mortalité montrent un pic important pour les jeunes adultes, qui ont atteint leur maximum de rendement. Si l’élevage est destiné à la production de lait, la courbe présente un premier pic pour les très jeunes individus (moins de 6 mois) et un deuxième pic pour les animaux âgés mis à la réforme. S’il s’agit d’un élevage orienté vers l’exploitation de la laine ou au travail de trait, ce sont surtout les animaux de réforme qui sont abattus. Ceci dit, il peut y avoir aussi des élevages mixtes : production de viande et de lait ou viande et travail. Dans ce cas, la courbe est plus complexe » (Bintz et al., 2011).

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« Les analyses génétiques récentes montrent que les espèces animales et végétales domestiquées des plus anciens sites néolithiques d’Europe sont originaires du Proche-Orient. Par ailleurs, hormis dans quelques régions, le passage au Néolithique n’est pas progressif, mais soudain, ce qui n’est pas cohérent avec un développement local, car le processus de domestication des plantes et des animaux est nécessairement long » (Wikipédia, 2021). Les éleveurs ont dû subir de nombreux revers dans la pratique de la domestication qui impose de la réflexion, de l’innovation et de la continuité sur le long terme pour aboutir. Toutes qualités pas forcément dévolues aux chasseurs peu soucieux du lendemain ! La néolithisation a eu besoin d’un homme nouveau qui n’a cessé de s’imposer à la nature. Le fait que beaucoup d’espèces animales aient été déplacées hors de leur aire d’origine a dû poser de sérieux problèmes d’adaptation (régime alimentaire, froid, maladies) et la domination absolue de l’homme sur l’animal n’a sûrement pas été indemne de maltraitance. Certes, les bergers aiment leurs bêtes, mais ils les traitent parfois rudement et sans ménagement. Au regard de la vie libre et sans contrainte des espèces sauvages, le passage du Sauvage au Domestique a peut-être sonné aussi la fin du bien-être animal ! Pour le meilleur ou pour le pire, reconnaissons que ce modèle d’agropastoralisme a réussi, puisqu’il s’est étendu à toute l’Europe. Bien que disposant de grain et d’herbe, « nos fermiers n’avaient pas de basse-cour et donc pas de poulets, d’oies, de canards en début de colonisation et pas de clapier, car le lapin n’était pas encore domestiqué » (Chansigaud, 2020), ce qui pourrait expliquer le maintien de la cueillette orientée vers le ramassage des œufs d’oiseaux sauvages, et de la chasse aux anatidés. En fait, les autochtones avec leurs pratiques et compétences traditionnelles de prédation évoquées ci-dessus avaient donc leur place dans les familles de fermiers, mais il semble en revanche qu’ils n’aient rien apporté en termes de cultures et d’élevage, car ces derniers ont colonisé le territoire européen en conservant systématiquement le cheptel initialement domestiqué au Levant et les pratiques adaptées à son maintien. Le chien, animal domestique par excellence, avait très probablement pour mission, comme de nos jours, la garde de la 182

maison et des troupeaux. Il était également un auxiliaire de chasse, mais pouvait devenir en cas de besoin une proie facile pour les agropasteurs comme le montrent les vestiges osseux datés du Néolithique final du site de Herxheim découverts en Rhénanie-Palatinat. « Les marques de découpes des carcasses et les traces de cuisson par grillade ne laissent pas de doute sur la consommation de cette espèce » (Arbogast, 2016). Le chien avait donc plusieurs « fonctions » chez les néolithiques, mais probablement aussi chez les chasseurs-cueilleurs, car l’espèce se reproduit assez rapidement et il est probable que tous les chiots n’aient pas été élevés jusqu’à l’âge adulte, ce qui rendait possible leur consommation, surtout en période de disette. On peut se demander aussi pourquoi les chiens ne se sont pas multipliés et dispersés dans l’environnement des camps, car ils n’étaient, sans doute, pas attachés. La raison tient sûrement au fait que les loups, nombreux à cette époque, ne supportent pas la concurrence de leurs cousins errants et les tuent systématiquement comme de nos jours. Le chien est donc resté inféodé aux humains sans grande possibilité de retrouver la vie sauvage.

B – Impacts sur les populations humaines d’Europe L’arrivée des agropasteurs en Europe a modifié en profondeur les différents modes de la vie des chasseurs-cueilleurs, mais aussi des migrants, créant en deux millénaires environ dans toute l’Europe des communautés humaines plus ou moins fortement métissées, mais en tout cas bien différentes de celles de départ. De nouvelles générations bien intégrées dans leurs territoires, mais aussi porteuses d’innovations techniques et de perspectives culturelles. 1 – Démographie « La démographie des agriculteurs était bien supérieure à celle des chasseurs qui ne devaient pas dépasser initialement quelques dizaines de milliers d’individus face à quelque deux millions d’agriculteurs des sociétés néolithiques européennes, une fois l’Atlantique atteint » (Demoule, 2022), une densité de population multipliée peut-être par cent en un peu plus de 2000 183

ans. « Le nombre d’enfants par femme a augmenté très sensiblement, les maternités se succédant tous les deux ans au lieu de 4 chez les chasseurs-cueilleurs » (Arte, 2022). La multiplication des formes d’agropastoralisme bien adaptées à chaque territoire a donc déclenché un boom démographique sans précédent. On a pu le constater dans l’évolution de la structure des habitats sédentaires qui passent de quelques maisons regroupées à de grands villages pouvant accueillir plusieurs centaines, voire quelques milliers de résidents. Si les conditions de vie expliquent pour une bonne part la forte croissance démographique du début du Néolithique, le simple fait du croisement entre individus d’origines très différentes est aussi une cause de la dynamique des populations, car le métissage est reconnu comme un accélérateur de l’évolution humaine. 2 – Le grand remplacement « La rencontre entre les derniers chasseurs-cueilleurs du Mésolithique européen et les colons néolithiques venus du Proche-Orient montre que le remplacement des premiers par les seconds fut moins rapide qu’on ne le pensait » (Archeologia, 2022). « À leur entrée en Europe, les premiers agriculteurs n’ont connu qu’un mélange limité (7 à 11 %) avec les chasseurs-cueilleurs européens avant de coloniser et de peupler une grande partie de l’Europe » (Rivollat et al., 2020). La relative lenteur du métissage est confirmée par les travaux de B. Secher (2015) qui attestent que « les premières vagues de pionniers, que ce soit par la Méditerranée ou par le bassin du Danube, se sont installées presque sans mélange avec les chasseurs-cueilleurs autochtones qui ont simplement été évincés. Toutefois, ceux qui avaient survécu en zones retranchées connaîtront une petite résurgence et un mélange léger avec les premiers fermiers au Néolithique moyen et récent ». Les recherches récentes de C. Dina (2020) confirment par ailleurs qu’au fil des millénaires, « une première population de chasseurs-cueilleurs du Mésolithique, qui s’était répartie il y a environ 10 000 ans (av. J.-C.) dans toute la région qui correspond aujourd’hui à la France, a été remplacée partiellement par deux autres populations. L’une est issue d’Anatolie pendant le 184

Néolithique, il y a à peu près 8000 ans, l’autre des plaines du nord de l’Eurasie pendant l’âge du bronze il y a près de 4000 ans (Dina, 2020). Toutefois, « en France, comme dans le reste de l’Europe, on observe une augmentation de l’ascendance des chasseurs-cueilleurs durant le Néolithique. C’est en particulier le cas des individus du début du Néolithique des sites du sud du pays. Ces derniers ont donc maintenu une certaine présence parmi les individus de la céramique imprimée de la région Adriatique » (Rivollat et al., 2020). « On observe toutefois des variations régionales majeures lors de l’expansion néolithique » (Rivolat et al., 2020). « Une chronologie un peu fine des occupations montre qu’il y a eu localement un bref temps de cohabitation entre les nouveaux arrivants et les indigènes chasseurs-cueilleurs, avant que le mode de vie de ces derniers ne disparaisse. Mais leurs habitats vont toutefois subsister un peu plus longtemps dans les arrièrepays, que ce soit dans le nord de l’Italie, en bordure du Massif central ou en certains points de la péninsule Ibérique » (Demoule, 2022). On peut donc affirmer que « l’arrivée des colons néolithiques ne fonctionna pas comme un grand remplacement, qui aurait fait table rase des précédents occupants » (Allentoft et al., 2022), mais les effectifs bien supérieurs des migrants ont quand même submergé à la longue les groupes d’autochtones en provoquant une évolution profonde des modes de vie et aussi du génome des futurs Européens. 3 – Habitation et territorialité À cause des contraintes d’un déplacement à pied en tout terrain, le chasseur-cueilleur pouvait s’éloigner, en une journée, de quelques kilomètres seulement de son campement. Il exploitait donc un territoire d’une centaine d’hectares environ. Au bout de quelques semaines, le rendement en gibiers et en cueillette commençait à baisser. Il lui fallait donc changer de place, quitte à revenir au même endroit plus tard. Il n’était donc pas porté à se sentir propriétaire de son territoire dont les frontières assez floues jouxtaient celles d’autres groupes nomades comme le sien. Il en était tout autrement des fermiers qui vivaient près de leur ferme pendant au moins une génération et exploitaient une 185

surface bien moindre, peut-être une vingtaine d’hectares. En effet, le travail au jardin, au champ et le soin du troupeau ne laissent que peu de temps pour divaguer et comme il devait se défendre contre les intrus de toutes natures qui ne manquaient pas de l’agresser, il devait développer un sentiment aigu de propriété dont le contrôle était un gage de survie. Ces deux modes de vie se sont donc côtoyés pendant quelques siècles avant que les nomades ne se sédentarisent, acceptant un changement radical de comportement. Finalement, le territoire de l’Europe s’est « privatisé », surtout les vallées où l’agriculture était possible. Si la maisonnée, avec ses dépendances (parc animalier, abri à bois et jardin) est restée une entité restreinte gérée par la famille, il ne pouvait en être de même pour les terrains de culture et les pâturages gagnés sur la forêt. Le travail de défrichement, long, pénible et qu’il faut renouveler régulièrement à cause de la dynamique d’embroussaillement, ne peut se pratiquer que collectivement. Il en était probablement de même pour la conduite des troupeaux regroupés entre villageois et confiés à un berger choisi pour son expérience à s’occuper des animaux. Cette délégation permettait aux hommes de se consacrer aux travaux des champs à la houe, qui demandaient beaucoup de main-d’œuvre pour les semailles, le désherbage et la récolte. On peut imaginer aussi que les femmes avaient la mission de cultiver le jardin, de soigner les jeunes animaux (agneaux et cabris) et les porcs que l’on nourrissait avec des glands, des faînes ou des châtaignes ramassés en forêt. Les villages ou les hameaux se sont donc structurés en parties privatives et parties collectives, un mode de gestion qui a perduré au fil du temps puisqu’on le retrouve chez les Gaulois des millénaires plus tard. Une pratique devenue rare dès l’application du droit romain… mais il ne fallait pas perdre la bataille d’Alésia ! 4 – Mobilité Il faut relativiser le nomadisme des chasseurs-cueilleurs, car certains groupes se déplaçaient très peu dans le cas où les ressources étaient abondantes sur place, à proximité, par exemple, 186

des estuaires ou des délaissés de rivières riches en coquillages, en poissons et en avifaune. D’autres changeaient régulièrement l’implantation de leurs campements de quelques kilomètres. Mais dans les deux cas, il existait des individus, peut-être plus jeunes et plus aventureux, qui avaient pour mission de ravitailler la communauté en silex, une pierre indispensable pour fabriquer leurs armatures et leurs racloirs. Ils pourvoyaient aussi le camp en coquillages, pierres semi-précieuses ou ocres qu’il fallait aller quérir toujours plus loin. Les mêmes besoins se sont perpétués dans les villages néolithiques où quelques individus se chargeaient de ces missions qui donnaient lieu à des échanges locaux ou à longue distance, et accès à des réseaux d’approvisionnement imposants ; de toute façon, de longues marches à pied non dépourvues de dangers.

Le Pas des Bachasson en Vercors (1903 m). Un passage et une source fréquentés par les chasseurs de marmottes et de bouquetins depuis le Mésolithique. Au fond : le Mont Aiguille. Photographie de Bernard Bachasson.

Certains fermiers qui pratiquaient aussi la chasse devaient également se déplacer pour trouver de gros gibiers. La sédentarité concernait leur famille. Mais il fallait des « brigades mobiles » pour assurer tous les besoins. Il est probable qu’à certains moments, en début d’hiver par exemple quand les récoltes étaient rentrées, des petits groupes de deux ou trois villageois pouvaient partir en expédition quelques jours avec leurs 187

arcs et leurs flèches et ramener de la venaison, plus facile à conserver en période froide. À défaut de sel, le fumage de quartier de viande dans la cheminée pouvait être pratiqué pour une mise en réserve de quelques mois. Ainsi donc, la sédentarité de ces nouveaux néolithiques plus ou moins métissés restait relative et leur mode de vie moins autarcique qu’on aurait pu l’imaginer. 5 – Alimentation et santé À partir du moment où le fermier se nourrit en grande partie de ses productions domestiques, la défense des cultures et du troupeau s’impose. La plupart des animaux sauvages deviennent des nuisibles, car ils s’attaquent aux champs de céréales (cerf, chevreuil, sanglier, blaireau), aux grains récoltés (souris, oiseaux granivores) ou au troupeau (ours, loup, lynx, renard). Cette faune sauvage, source de nourriture généreuse et appréciée par les chasseurs-cueilleurs, est devenue indésirable pour le sédentaire. Ce qui est domestiqué devient plus important que ce qui est sauvage et peu à peu, ce qui était gratuit, inépuisable et nourricier devient hostile. La nature même est redoutée, car elle apparaît comme une réserve d’agresseurs et l’homme est contraint de se battre contre elle… un redoutable changement d’attitude lourd de conséquences pour les millénaires suivants ! La consommation de viande chez les chasseurs-cueilleurs est difficile à déterminer tant les situations étaient diverses au Mésolithique, mais elle a toujours été élevée (35 à 65 % suivant les auteurs). « L’apparition de l’agriculture et de la domestication animale change complètement la donne. La consommation de viande diminue alors drastiquement à la fois en quantité et en variété tandis que celle de sucres augmente… et on observe une détérioration de l’état de santé des premières populations agricoles probablement à cause de périodes de malnutrition et de l’apparition de nouvelles maladies infectieuses » (Chansigaud, 2020). « Le passage du mode de vie nomade de chasseurscueilleurs à un mode de vie sédentaire d’agropasteurs s’est traduit par une diminution de la taille moyenne des individus adultes qui est passée de 1,72 à 1,60 m et un plus mauvais état

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dentaire, plus d’arthrose et d’usure des articulations et aussi une espérance de vie plus courte » (Arte, 2022). D’autres modifications accompagnent la néolithisation et la consommation systématique de céréales. « Bien que le blé comprenne un précurseur de la vitamine D, l’ergostérol, qui se transforme en vitamine sous l’action des rayons solaires, la consommation massive et régulière de céréales pauvres en vitamine D3 pourrait expliquer la présence d’une peau claire chez les Européens » (Le Monde, 2022). Le passage d’un régime alimentaire de chasseurs riche en viande rouge à un régime de céréales à teneur réduite en fer a probablement entraîné une augmentation de l’incidence de l’anémie ferriprive, en particulier chez les femmes en âge de procréer (Naugler, 2008), un facteur aggravant en cas d’hémorragies consécutives à l’accouchement. « Même si la sédentarisation ne semble pas avoir augmenté la fréquence des maladies aux proportions épidémiques » (Fuchs et al., 2019), la proximité des hommes et des animaux a, sans doute, exposé les fermiers à de nombreuses maladies : une liste où figurent la grippe, la variole, la rougeole, la lèpre, le mal de Pott, les salmonelloses, la typhoïde, le charbon et la syphilis (Zammit, 2020), sans oublier la malaria. De quoi limiter sérieusement l’espérance de vie des premiers villageois ! L’adoption d’une alimentation plus molle (cuisson) conduit à la réduction de la taille des dents et des mâchoires et aussi de la stature qui serait due à une plus faible consommation de viande, mais aussi à des rations mal équilibrées. Comme les animaux domestiques ont moins d’activité que les animaux sauvages, ils produisent une chair plus grasse, ce que recherchent par ailleurs les éleveurs néolithiques pour qui cet apport est très important pour assurer la dépense calorique de leurs pénibles travaux domestiques. Ces derniers semblent toutefois avoir peu de répercussions sur le squelette puisque « les peuples agricoles montrent moins de maladies articulaires que les chasseurs nomades » (Chansigaud, 2020). À ce sujet, pour les problèmes articulaires, les points de vue ne sont pas convergents puisque les informations données par Arte sont en contradiction avec celles fournies par V. Chansigaud (voir plus haut) qui affirme que les agriculteurs du Néolithique auraient eu moins 189

d’affection de ce type que les nomades du Mésolithique. Affaire à suivre ! Avec l’arrivée de la révolution néolithique, les animaux sont plus nombreux et au contact permanent des humains qui vivent en communauté villageoise. Des conditions qui favorisent le développement des maladies infectieuses, à commencer par la rage transmise par le chien et les rongeurs, mais aussi la toxoplasmose qui affecte l’embryon humain. Le tétanos, présent dans les sols que travaillaient les néolithiques, est aussi véhiculé par les animaux domestiques bien avant avec l’arrivée du cheval dans les fermes. La densité humaine plus forte favorise inévitablement la transmission de la tuberculose qui peut passer de l’animal à l’homme comme d’ailleurs les parasites intestinaux, les ténias par exemple. Le fait d’utiliser les mêmes couchages et les mêmes vêtements est source de prolifération des tiques, poux et puces, tous agents de transmission de maladies. 6 – Évolutions génétiques Les travaux sur la génétique des populations de l’Europe ne sont pas encore très nombreux, mais beaucoup sont en cours ou à venir. Il est toutefois possible de tirer d’ores et déjà quelques conclusions sur les effets de cette rencontre entre les VIIe et Ve millénaires qui a modifié en profondeur le génome des Européens. Un premier constat indique que les autochtones semi-nomades ne formaient pas une population homogène sur tout le continent. En effet, « les toutes dernières comparaisons des génomes des populations mésolithiques et néolithiques, combinées à des datations précises, confirment que les mésolithiques de l’est étaient assez différents de ceux de l’ouest du continent » (Allentoft et al., 2022). L’arrivée des migrants a bouleversé le génome des autochtones de ces deux ensembles géographiques de mésolithiques, car cette colonisation a introduit un nouveau pool génétique homogène d’origine étrangère qui s’est diffusé dans tous les groupes existants, mais de façon différenciée. « Les échantillons d’ADN issus des fermiers européens de Hongrie, d’Allemagne, d’Espagne, de Suède ou d’Irlande sont tous très semblables génétiquement et forment une seule et 190

même population génétique » (Lazaridis et al., 2013). Ce cluster est très différencié génétiquement vis-à-vis des anciens chasseurs-cueilleurs du Mésolithique, qui ont donc persisté un moment à côté des fermiers (Torsten et al., 2016) avant de s’intégrer plus tardivement à eux. « À l’ouest d’une limite allant de la mer Noire à la Baltique, le remplacement des chasseurscueilleurs semble complet comme au Danemark, tandis qu’à l’est une plus grande variété subsiste jusque vers 4000 avant notre ère, sans doute due au dynamisme des cultures mésolithiques locales qui ont mieux résisté comme par exemple celle de Lepenski Vir en Serbie » (Allentoft et al., 2022). Aussi surprenant que cela paraisse pour des peuples d’éleveurs, « ces (premiers) agriculteurs néolithiques n’étaient pas encore capables de digérer le lait frais, car il leur manquait une mutation dans le gène qui code pour l’enzyme permettant la digestion du sucre du lait, le lactose. La capacité à digérer le lait frais semble augmenter dans la population européenne seulement après l’âge du bronze avec un gradient allant du nord vers le sud où les populations avaient la plus haute fréquence de personnes pouvant boire du lait frais » (Geigl, 2020). Une autre caractéristique récemment découverte indique que « peu d’individus néolithiques étaient porteurs des gènes associés à la réponse immunitaire innée de l’organisme contre les affections bactériennes, comme celle de la lèpre ou de la tuberculose » (Giegl, 2020). Ce qui pourrait expliquer les fortes mortalités provoquées par ces deux maladies quand elles ont atteint les villages déjà très peuplés des sédentaires au Néolithique moyen. Quant à l’aspect physique de ces nouveaux occupants, il semble qu’ils aient été encore peu dépigmentés. « Les néolithiques français, par exemple, possédaient à haute fréquence un variant génétique dans un gène impliqué dans la pigmentation. Il est possible qu’il y ait des individus à la peau claire parmi, probablement, une majorité d’individus à la peau plus sombre. Un variant génétique associé à la couleur claire des yeux et des cheveux n’était pas encore très répandu dans la population néolithique » (Geigl, 2020). Sur ces aspects, tous les chercheurs ne partagent pas exactement le même point de vue puisque pour certains d’entre eux, « les gènes codant pour une peau claire, des cheveux et des yeux foncés étaient déjà présents chez les 191

chasseurs-cueilleurs, quoique faiblement répartis. De même, les gènes de la tolérance au lactose que l’on pensait apportés par les Yamnayas des steppes existaient déjà chez certaines populations de chasseurs-cueilleurs » (Allentoft et al., 2022). Les caractéristiques physiques des migrants n’étaient donc vraisemblablement pas si différentes de celles des autochtones, bien que ces derniers, habitant les régions plus septentrionales de l’Europe, aient disposé de quelques millénaires pour voir la couleur de leur peau s’éclaircir. D’autres analyses génétiques ont confirmé le distinguo mentionné plus haut entre les mésolithiques de l’ouest et de l’est et leur différence avec les nouveaux intrus. « La comparaison des génomes de quelques chasseurs-cueilleurs d’un site mésolithique en Charente, datés de 5100 ans avant notre ère, avec ceux d’agriculteurs néolithiques en Alsace et en Champagne, a montré que ces individus appartenaient à deux populations génétiquement distinctes. En effet, ces chasseurs-cueilleurs mésolithiques se sont avérés être d’un côté des descendants de chasseurs-cueilleurs mésolithiques ayant habité l’Europe occidentale, il y a environ 10 000 à 4000 ans av. J.-C., et d’un autre côté, ils étaient mélangés avec d’autres populations de chasseurs-cueilleurs plus à l’est. Les agriculteurs néolithiques, par contre, étaient des descendants des premiers agriculteurs néolithiques anatoliens. L’analyse de ces génomes a montré qu’il y avait eu métissage entre ces premiers agriculteurs néolithiques et les chasseurs-cueilleurs autochtones mésolithiques ainsi que leurs descendants. Ce phénomène, plus global, a aussi été décrit dans d’autres régions de l’Europe » (Geigl, 2020). Pour tenter d’expliquer les différences génétiques constatées entre les chasseurs-cueilleurs de l’ouest et de l’est de l’Europe, il faut peutêtre remonter à la dernière glaciation du Würm qui a contraint les groupes de l’interglaciaire européen à se réfugier soit dans le sud-ouest français, voire espagnol, soit dans le sud-est des Balkans ou de la mer Noire. Ces deux entités ont évolué pour leur propre compte pendant des milliers d’années pour reprendre ensuite une conquête vers le nord avec le recul de la calotte, il y a environ 12 000 ans av. J.-C., une période où les rencontres ont pu se faire à nouveau en Europe moyenne.

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D’une façon générale, « la lignée la plus commune des chromosomes trouvée dans la population européenne masculine du Néolithique provient d’une source unique en Anatolie qui s’est répandue sur le Vieux Continent au début du Néolithique. En revanche, l’ADN mitochondrial, transmis exclusivement par les femmes, est plus diversifié et comporte une proportion plus significative de gènes des chasseurs-cueilleurs du Mésolithique. Ces résultats soutiennent l’hypothèse selon laquelle les agriculteurs masculins ont, à leur arrivée, accaparé les femmes des populations indigènes » (Monnet & Vos, 2012). Les résultats de travaux plus récents semblent donner corps à cette hypothèse. Puisque « la lignée la plus commune des chromosomes Y trouvée dans la population européenne masculine actuelle proviendrait, selon toute vraisemblance, d’une source unique en Anatolie et qui se serait répandue sur le Vieux Continent durant le Néolithique. En revanche, l’analyse de l’ADN mitochondrial, transmise uniquement par les femmes, ne correspond pas du tout à ce scénario. Ce qui soutient l’hypothèse selon laquelle l’agriculture a été apportée principalement par des hommes qui ont ensuite fait des enfants, de manière amoureuse ou violente, aux femmes des populations indigènes » (Besse, 2021). Mais toutes les régions d’Europe ne sont pas métissées de la même façon, voire au même rythme. « Quand les chercheurs ont comparé des populations anciennes avec des modernes en utilisant l’analyse en composante principale pour faire ressortir leur proximité, ils ont constaté que les Sardes actuels représentent la population la plus proche des agriculteurs néolithiques arrivés il y a 7000 ans en Europe à partir du Proche-Orient suivis par les Français du sud et les Espagnols. C’est donc en Europe du Sud que les populations proche-orientales ont laissé une empreinte qui n’a pas été trop perturbée ensuite par d’autres apports génétiques, lui permettant ainsi d’être encore visible à l’heure actuelle » (Garcia & Le Bras, 2017). En comparant l’ADN des populations européennes avant et après la transition néolithique par les méthodes de l’ADN ancien, il a pu être démontré que de nouveaux individus sont arrivés à cette période, car on observe un changement génétique net entre les deux moments. La technologie a donc bien été apportée par des mi193

grants eux-mêmes et non par diffusion culturelle. Au fil des générations, les chasseurs-cueilleurs présents sur place se sont finalement mêlés à eux, puis sont devenus à leur tour agriculteurs. Ainsi, dans le génome actuel des Européens, une partie provient des chasseurs-cueilleurs autochtones et une partie des agriculteurs venus du sud de la Turquie, en Anatolie. Mais ces deux composantes n’expliquent pas tout. En étudiant l’ADN des populations européennes, les paléogénéticiens en ont mis en évidence une troisième. Elle est issue d’un apport, à partir de l’âge du bronze, il y a quelque 5000 ans av. J.-C., de populations originaires des steppes pontiques, au nord de la mer Caspienne de culture yamna. Ce métissage par les Yamnayas s’est réalisé dans des proportions différentes selon les populations installées à cette époque en Europe. La rapidité de cette colonisation s’explique probablement par le fait que ces migrants de l’est, eux-mêmes d’origines mixtes, disposaient d’attelages de chevaux et de charriots à roues facilitant leurs déplacements vers l’ouest. Pour des raisons encore inconnues, « au Néolithique moyen, on observe une résurgence de l’ascendance des chasseurs-cueilleurs, couverte par l’arrivée d’une troisième vague originaire d’Europe centrale, avec une migration massive à l’âge du bronze, des pasteurs et des cavaliers des steppes pontiques qui ont introduit la métallurgie » (Garcia & Le Bras, 2017). « Concernant les migrants, on peut se poser la question de savoir si les deux courants culturels (danubien et méditerranéen) qui sont entrés en contact dès le Néolithique ancien, entre 6000 et 4700 av. J.-C., ont conduit à provoquer un mixage génétique avec la totalité des populations autochtones de l’est de la France. Il semble qu’il n’en soit rien si l’on en croit les résultats d’un travail de thèse portant sur deux sépultures collectives du Mont Aimé, dans le bassin Parisien, datées de 3500 - 3000 av. J.-C. Ils montrent en effet que les lignées, tant paternelles que maternelles, ne permettent pas de rattacher ces groupes d’individus à des populations de migrants danubiens ou méditerranéens. Ils démontrent la persistance d’un groupe d’hommes encore génétiquement non-assimilés à la fin du Néolithique » (Ruales, 2021), ce qui suppose que le mixage des populations à 194

l’est du bassin Parisien a mis, sur certains secteurs au moins, un temps assez long pour se produire. « Les indigènes européens, les descendants des grottes Chauvet ou de Lascaux, se sont donc intégrés peu à peu au fil des générations aux colons, au point que les Européens actuels partagent dans leur patrimoine génétique, en proportion variable, des gènes de ces pionniers agriculteurs tout comme des gènes des chasseurs-cueilleurs indigènes » (Demoule, 2022). La transition entre les modes de vie mésolithique et néolithique s’est donc produite parfois brutalement et parfois progressivement et de façon très variable d’une région à l’autre… Certains groupes ont résisté longtemps à cette transformation, préférant conserver, dans certaines régions montagneuses, par exemple, leurs traditions peut-être mieux adaptées à leur environnement ou à leur culture. Quoi qu’il en soit, l’évolution s’est faite à l’avantage des migrants qui se sont finalement imposés par leur nombre et peut-être aussi par la force sur les groupes autochtones plus dispersés et à effectifs plus réduits. 7 – Évolutions culturelles pendant la transition Mésolithique/ Néolithique Un grand mystère plane au sujet des dialectes parlés par les autochtones et les migrants. En l’absence d’écriture, les échanges oraux de cette époque nous seront malheureusement à jamais inconnus. Un des aspects peut-être les plus surprenants de cette conversion néolithique tient au fait que les populations inféodées au continent européen ont fini par s’interpénétrer avec celles des migrants d’origines très diverses et qui n’avaient avec eux que peu de choses en commun. En effet, que pouvait partager un chasseur-cueilleur de la péninsule Espagnole avec un colon arrivé des Balkans qui ne parlait pas la même langue, menait un mode de vie sédentaire protégé par des dieux parfaitement étrangers au semi-nomade de l’Ouest méditerranéen ? ! De même, qu'est-ce qu'il y avait de commun entre un pêcheur semi-nomade du Danemark et un fermier des bords de la mer Noire ? Pour compliquer le tout, les autochtones du continent ne parlaient pas tous le même dialecte. Si dans la forêt amazo195

nienne on parle encore 300 langues indigènes et qu’autrefois on en parlait le double (Rostain, 2021), il est très probable que « la mosaïque ethnique » européenne était aussi riche que celle d’Amérique du Sud. Et pourtant, cette « multitude linguistique » n’a pas empêché le développement de relations de plus en plus étroites entre les autochtones et les migrants sans déboucher forcément sur des conflits d’ampleur. En fait, les intérêts vitaux et réciproques pour les deux camps ne sont pas apparus radicalement incompatibles. Chacun a finalement trouvé chez l’autre certains avantages à collaborer malgré une incompréhension linguistique initiale. À ce sujet, l’expérience actuelle des migrants venus d’Afrique francophone montre qu’un apprentissage sommaire d’une nouvelle langue est finalement assez rapide. Pendant la dernière Grande Guerre, de nombreux paysans français prisonniers ont appris l’allemand en quelques années et de même pour certains soldats germaniques qui ignoraient les langues latines ! Dès l’instant où les hommes se rencontrent et pratiquent des trocs, la gestuelle aidant, les interlocuteurs finissent par se comprendre et finalement tissent des liens d’intérêt, voire d’affection, source de futurs métissages. Pour brosser un tableau complet de ce télescopage linguistique, il faut comprendre que sur les deux grandes voies de migration, les agropasteurs ont rencontré, sur leur chemin, des groupes aux locutions très diverses et qu’ils ont dû s’y adapter. Même s’ils ont gardé leur dialecte d’origine, le fait d’être sédentaire au moins pour un temps et parfois plusieurs générations conduit à échanger des idées, voire des sentiments réciproques et peut donner l’occasion de se marier ! S’il ne reste rien de concret du parler et de la gestuelle des hommes de cette transition néolithique, il est possible toutefois d’en trouver un faible écho chez les aborigènes du Queensland d’Australie qui échangeaient des informations en s’aidant des positions des doigts des mains. Ces dernières permettaient de désigner, entre chasseurs et sans parler, une cinquantaine d’espèces animales différentes par le simple jeu des signes manuels facilitant l’approche discrète des gibiers choisis (Roth, 1897). Une pratique qui aurait fort bien pu être employée par nos préhistoriques qui passaient beaucoup de temps à la traque

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des bêtes sauvages et qui aurait pu aussi servir à évoquer ces animaux entre groupes humains aux dialectes trop différents. À propos de cérémonies et de décorations corporelles, « les analyses menées à partir de résultats de fouilles de sépultures en Espagne et en Allemagne ont montré que les pratiques ornementales développées par les sociétés mésolithiques et du début du Néolithique sont dynamiques et changeantes dans l’espace et le temps. Durant cette période, plusieurs stratégies d’approvisionnement des supports utilisés pour la confection des ornements ont été combinées pour l’élaboration de la parure d’un groupe. « Elles incluent l’exploitation de ressources locales par acquisition directe (comme les dents pharyngiennes de gardon) ou des matériaux d’origine allochtone (coquillages marins de type columbella) ayant voyagé sur de grandes distances, le long de réseaux de circulation et d’échanges complexes » (Rigaud, 2011). La composition de ces parures a conduit à proposer l’hypothèse d’une participation active des chasseurs-cueilleurs à la néolithisation de la Méditerranée occidentale et de l’Europe centrale alors que celles propres au sudest des Balkans suggèrent une perduration des traditions des groupes néolithiques en place au sud des Balkans, c’est-à-dire sans influence repérable des chasseurs nomades. Mais c’est aussi dans ce quart sud-est des Balkans que la densité de colons était la plus forte et avait donc une plus grande influence sur le choix et le port des bracelets, des pendeloques, des bijoux et même la décoration des sépultures. « Il ressort de cette synthèse que, à l’exclusion du bassin égéen, les pratiques ornementales néolithiques (en Europe) semblent se construire sur un substrat mésolithique. Ainsi, une partie de l’identité des groupes serait héritée des chasseurs-cueilleurs. On est donc bien loin du remplacement total et passif des dernières sociétés de chasseurscueilleurs par les premiers groupes d’agriculteurs. Vu sous cet angle, « la néolithisation ne doit pas être considérée comme un simple processus de remplacement abrupt des populations et, par là même, de leurs traditions, mais doit être repensée comme un syncrétisme en mosaïque résultant d’une transition en pente douce » (Rigaud, 2011). Dans un autre domaine et pour approcher « le mental » des Sapiens de cette époque, il est utile d’avoir une idée de leurs 197

relations à l’animal. « Les travaux consacrés à la place que tiennent les animaux dans les pratiques funéraires du Mésolithique européen montrent que ces derniers jouent un rôle considérable. Ce qui transparaît derrière les différents types de dépôts, c’est plutôt la traduction, dans les gestes funéraires, d’un discours mythologique qui définit les règles de la cohabitation entre les hommes et les animaux. L’homogénéité dans le temps et dans l’espace des pratiques identifiées nous autorise à parler, sur ce point, d’une idéologie commune à l’ensemble de l’Europe mésolithique. Et on peut en conclure qu’au cours des VIe et Ve millénaires, l’imaginaire des chasseurs reste bien vivace au sein des sociétés agricoles du Néolithique » (Jeunesse, 2008). Beaucoup d’archéologues, à l’instar de J.-L. Le Quellec (2022), pensent que le mythe fondateur des hommes de la préhistoire a son fondement dans le fait que « les animaux et les humains ont une origine commune et vivaient tous en paix sous terre avant de sortir de la caverne originelle et de peupler la planète ». Cette « émergence primordiale » aurait soudé un destin commun aux animaux et aux hommes complètement intégrés à la nature et donc à la vie sauvage. Un paradigme à vrai dire fécond, bien loin malheureusement de nos concepts modernes ! Quant à l’art néolithique, il est extrêmement diversifié dans ses expressions. Les artistes s’expriment à travers la décoration des objets utilitaires (céramiques, haches polies), mais aussi par la réalisation de sculptures de parures et d’œuvres rupestres avec une abondance des figures géométriques qui témoigne d’une certaine capacité d’abstraction, voire d’un besoin ou d’un souhait de s’affranchir du naturel pour aller vers le surnaturel. Elie Faure, grand connaisseur de l’art néolithique, résume ainsi l’évolution artistique pendant la transition Mésolithique/Néolithique : « Au début, tout, pour le primitif est naturel et le surnaturel n’apparaît qu’avec le savoir. » Avec l’apprentissage des techniques de cultures, d’élevage et la production de poteries, le Néolithique s’est tourné résolument vers les savoirs et les savoir-faire. Il ne reproduit plus ce qu’il voit, mais imagine des objets nouveaux pour ses besoins domestiques et apprend à prévoir ses semailles, ses récoltes et ses mises en réserves pour passer l’hiver. Et en toutes saisons, il devient capable de gérer son troupeau : quelles sont les bêtes à réfor198

mer, quand prévoir les accouplements, quels pâturages choisir au cours de la saison… Un véritable travail de gestionnaire rural méthodique et besogneux, bien différent du chasseur « insouciant » qui prélève ce que la nature lui offre ! « Quand on passe, en effet, d’une économie de prédation à une économie de production, il est nécessaire de planifier le travail, stocker les récoltes, gérer les réserves, les redistribuer, garder une partie pour l’ensemencement de l’année suivante. Ces anticipations nécessitent la mise en place d’une structure hiérarchique. Une forme d’administration qui accentue l’interdépendance entre les individus » (Besse 2021), mais peut déboucher aussi sur une soumission à un chef, un grand risque pour les civilisations à venir. Les multiples figurines féminines trouvées dans les fouilles de très nombreux sites néolithiques ne prouvent pas que la société des fermiers était forcément matriarcale et fondée sur des valeurs obligatoirement pacifistes. Elles avaient peut-être plutôt, comme le pense J. Guilaine, des fonctions magiques à usage domestique pour accompagner les accouchements ou les décès, un côté pratique en somme ! Finalement, pendant la transition néolithique, l’homme est passé d’une pensée animiste dans laquelle tous les êtres vivants ont une âme réceptrice d’une force vitale impulsée par la nature, en la croyance en ses propres capacités. Une révolution, certes, mais plus encore une conversion radicale qui fait dire à M. Otte (2008) : « Avec la néolithisation, les dieux ont pris l’image des hommes. » 8 – La violence Pour F. Boas (1938), « L’Homme n’est pas une forme sauvage, mais doit être comparé aux animaux domestiques. Il est un être autodomestiqué ». Il est vrai que l’homme s’est domestiqué en domestiquant les plantes et les animaux puisqu’il s’est astreint à respecter des règles de culture et d’élevage, s’est soumis à des obligations d’anticipation et s’est contraint à un travail quotidien, en ayant même choisi un chef de village à qui obéir pour assumer les servitudes de la vie de la cité. Mais s’il est un domaine qui le différencie des animaux, c’est bien celui de la violence qui, malheureusement, lui est propre ! En effet, les animaux sont parfois en situation de concurrence et ils 199

s’affrontent, mais on ne trouve pas chez eux une volonté de se détruire. C’est pourtant le cas chez les humains. Tant que les hommes vivent libres et dispersés dans la nature, ils peuvent être amenés à s’affronter comme les animaux sauvages. De nos jours, par exemple, les peuplades d’Amazonie, d’Indonésie ou d’Afrique connaissent, à l’occasion, des conflits sur les marges de leurs territoires d’approvisionnement. Mais dès qu’il y a des blessés et surtout des morts, les combattants se retirent sur leur territoire, un peu comme dans le monde des animaux sauvages. Bien avant la néolithisation, il est très vraisemblable que « la violence et les confrontations existaient dans les sociétés de chasseurs » (Guilaine, 2019), mais sans volonté de se détruire comme dans les guerres qui ont suivi aux temps historiques. Ces dernières impliquent la présence de soldats et d’armes adaptées au combat et une intention préalable de s’entretuer, ce qui n’est pas manifeste dans les sociétés primitives, comme le souligne J. Guilaine (2019). « Malgré les nombreuses fouilles de l’INRAP et jusqu’à ce jour, les champs de bataille sont introuvables. » Il est donc plus judicieux pour les sociétés de la fin du Mésolithique et, comme le conseille cet archéologue, de parler de violence qui, elle, ne fait pas de doute ! Celle-ci s’est manifestée déjà chez les Néandertaliens qui ont fourni des sujets porteurs de traumatismes avérés à La Ferrassie, La Chapelle-aux-Saints et Saint-Césaire. Malgré les données archéologiques très parcellaires sur cet aspect de la vie de nos ancêtres, les traces de conflits sont rares et ne concernent qu’un nombre très limité d’individus. Par ailleurs, il est possible que les squelettes mutilés soient le résultat de règlements de comptes entre individus d’une même famille ou de sacrifices rituels dont l’histoire nous échappe. « On peut se demander d’ailleurs pourquoi, sur un territoire français qui comptait moins de 100 000 habitants, des groupes épars de chasseurs-cueilleurs se seraient cherché noise alors que leur environnement pourvoyait amplement à leurs besoins ? » (Dufay, 2008). Cependant, des charniers ont été mis à jour en Europe sans qu’on puisse expliquer les causes de leur existence. Au VIIIe millénaire, à Agris en Charente, le massacre de huit individus dont trois enfants, littéralement découpés en mor200

ceaux, traduit une scène d’horreur. Des indications de massacres, avec décapitation, sont aussi attestées en Allemagne (grotte d’Ofnet), en Morbihan (Tièvec) et dans quelques autres sites où des crânes montrent des traumatismes imputables à des coups portés volontairement pour tuer. J. Guilaine (2019) mentionne les 34 individus de la fosse commune de Talheim en Bade-Wurtenberg, datée de 5000 av. J.-C., massacrés à coups de hache ou les soixante-sept individus abandonnés sans sépulture et après avoir subi de multiples traumatismes, sur un site de Basse-Autriche à peu près à la même époque. L’archéologue en conclut que « les derniers chasseurs-cueilleurs connaissaient donc la violence et la guerre ». Mais l’une des raisons de ces confrontations pourrait être liée aux tendances à la sédentarisation alors manifestées par les populations. L’appropriation des meilleurs espaces où se concentraient plusieurs niches écologiques à même de nourrir des communautés tout au long de l’année aurait pu engendrer de tels affrontements. Deux chercheurs russes (Balakin et Nuzhnyi, 1995) qui ont travaillé à l’est de l’Europe arrivent aux mêmes conclusions. Mais dans tous les cas, les découvertes ont été faites sur des populations en voie de sédentarisation où l’appropriation des biens commençait à se développer. Concernant l’esclavage, « on peut raisonnablement supposer qu’il n’était pas présent dans ce type de sociétés paléolithiques » (Demoule, 2022). Toutefois, le même auteur affirme que « l’esclavage a existé chez certains chasseurs-cueilleurs, du moins ceux qui, vivant dans un système favorable, peuvent être sédentaires et stocker des denrées voire des formes de richesses ». Il ajoute qu’« avec la mise en place des villages et le développement des activités agricoles très demandeuses de bras, il est probable que disposer d’une main-d’œuvre servile ait commencé à prendre de l’intérêt surtout dans les sociétés à chefferies plus inégalitaires du Chalcolithique, 4500 ans avant notre ère ». Par ailleurs, le même auteur mentionne que « des conflits locaux ont pu conduire à des enlèvements de femmes qui ultérieurement ont été prises pour épouses et intégrées par la suite dans le système de parenté sans que cela puisse être considéré juridiquement comme des esclaves ».

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La violence a été repérée aussi très précocement chez les Natoufiens du Levant, où certains squelettes montrent des indices de blessures ou de traumatismes. Au Néolithique, en se limitant uniquement à des découvertes situées sur le continent européen, J. Guilaine (2019) signale « des sujets tués par des projectiles dans des nécropoles ukrainiennes des bords du Dniepr, roumaines sur les rives du Danube, mais aussi nordiques en Suède (Vedbaek, Skateholm) et au Danemark (Bogebakken) ». Si des conflits n’ont pas épargné les populations nomades, les premiers agriculteurs n’étaient donc pas à l’abri des violences que l’on a identifiées dans de nombreux cas, chez des sédentaires sans qu’on puisse savoir si des groupes de chasseurs-cueilleurs (résiduels ?) y étaient pour quelque chose. « À la fin du Rubané, sur le site de Herxheim en RhénaniePalatinat (Allemagne), d’importantes accumulations d’ossements humains (1000 cadavres !) dont l’état de fragmentation, les nombreuses traces de désarticulation et de prélèvement des chairs, les traces de mâchouillage laissent fortement soupçonner des pratiques de cannibalisme » (Arbogast, 2016). « La découverte récente de Schöneck-Kilianstädten en Hesse, en pleine période Néolithique à céramique rubanée, de 26 individus aux crânes et jambes brisées, traduit une élimination systématique des enfants et des jeunes adultes épargnant les jeunes femmes et les adolescents qui auraient pu être emmenés en captivité » (Meyer et al., 2015). Une autre scène a été découverte dans la grotte de Fontbrégoua, à Salernes dans le Var, où des ossements humains mélangés à des restes d’animaux sauvages dans une fosse à détritus évoquent, encore là, un repas cannibale. Mais pour la spécialiste anglaise des Néandertaliens, « Il faut toutefois rester prudent sur ces interprétations toujours difficiles même si des traces de décarnation sont repérables sur les os » (Wragg-Sykes, 2022). Plus tard, au Néolithique moyen, les analyses très sophistiquées sur Ötzi ont révélé la présence de quatre sangs différents trouvés sur son poignard, sa cape et ses flèches témoignant d’une scène de corps-à-corps probablement mortel. Selon plusieurs auteurs, dont Lévi-Strauss et Leroi-Gourhan, la révolution néolithique correspondrait à l’apparition de véri202

tables écarts de richesses qui pourraient être la cause de conflits provoqués par la convoitise (appropriation des biens des agropasteurs), la nécessité de se nourrir (en cas de raréfaction de la faune chassable) ou la volonté de se procurer des femmes (ce qui pourrait pousser aussi les agropasteurs à « se ravitailler » en épouse auprès des groupes nomades). Il n’y a donc aucune raison pour que la violence ait disparu momentanément pendant la transition néolithique. Avec ce que les archéologues nous ont appris des autres sociétés primitives, il n’est pas pensable de considérer que l’installation de milliers de migrants sur les terrains de chasse, de pêche et de cueillette sur des territoires occupés depuis des milliers d’années par les semi-nomades autochtones n’ait pas entraîné des escarmouches plus ou moins meurtrières et même des conflits localisés sur les limites que chaque groupe considérait comme intangibles. Sur ces questions de violence, il n’est pas possible de « ramener les causes de conflits à de simples motifs économiques, car c’est n’avoir qu’une vision matérialiste des affrontements humains. Or, on sait que les causes des guerres peuvent être très variées : environnementales, psychologiques, sociales, démographiques, compétitions entre populations, etc. » (Guilaine, 2019). « Qu’il s’agisse d’actes guerriers ou de rites sacrificiels, il est évident que pendant la néolithisation, l’Europe est alors secouée par une crise profonde, contemporaine de l’arrivée de l’agriculture » (Besse, 2021). Pour le professeur Peter Tochin (2020), « c’est la période de sédentarisation qui a été la plus meurtrière de toute l’histoire de l’humanité ». Si les actes de violence sont bien démontrés, il est par contre impossible de se faire une idée de la proportion de morts violentes au Néolithique, les très nombreux squelettes de cette période mis à jour ne portent pas souvent de traces de coups et finalement, il ne semble pas que ces sociétés préhistoriques soient forcément plus violentes que les nôtres dans lesquelles le taux de criminalité est loin d’être négligeable.

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C – Conséquences économiques et sociologiques 1 – Les changements dans l’approvisionnement alimentaire Le besoin d’échanger est censé éviter les « conflits de voisinage » et le troc permettre de satisfaire les manques en objets et/ou nourriture de deux camps. C’est ce qu’on attend actuellement, avec quelques désillusions, des effets du « libreéchange » ! Au Néolithique, même si nous ne disposons pas de chiffres crédibles, il semble évident que les relations se sont intensifiées entre les communautés au désavantage des chasseurs-cueilleurs devenus rares, surtout à proximité des grandes voies de colonisation. Ces derniers ont donc trouvé un intérêt à devenir agropasteurs, un mode de vie autorisant une meilleure sécurité alimentaire en été, mais surtout en hiver, période pendant laquelle il est possible de vivre sur les réserves de céréales, de viande (sacrifices d’animaux) et surtout grâce à la consommation de lait, un breuvage stratégique, à condition de pouvoir le digérer. Il a sûrement fallu attendre quelques siècles, voire quelques millénaires, pour que les chasseurs dépourvus de lactase à l’âge adulte puissent à nouveau en disposer pour assimiler les nutriments de cette production si précieuse. Toutefois, le confinement des agropasteurs dans leurs maisons et des animaux dans leurs enclos offrait un risque important de contamination, au moins sporadique, par des maladies virales (peste bovine), bactériennes (tuberculose, brucellose) ou parasitaires (trichinose) capables de décimer la colonie. La vie sédentaire offre donc une sécurité relative, mais ce fut quand même le choix du plus grand nombre puisque ce sont les chasseurscueilleurs qui se sont acculturés. Une autre raison pourrait aussi expliquer la disparition progressive des chasseurs, c’est tout simplement « la réduction de la densité de la faune sauvage » (Larsen, 2000) qui supportait à la fois la pression de chasse de ces derniers, mais aussi celle des fermiers qui devenaient de plus en plus nombreux et ne manquaient pas non plus de tuer des sangliers et des cervidés, et à l’occasion des bisons et des aurochs. Des proies « gratuites » finalement assez nonchalantes en situation normale et qu’il était assez facile d’approcher sans négliger toutefois les risques en204

courus par les tireurs une fois les bêtes blessées. Sans provoquer un changement radical dans l’alimentation des communautés humaines, la néolithisation a cependant modifié en profondeur la proportion des produits amylacés (céréales et racines) dans la ration journalière. L’apport énergétique s’en est trouvé augmenté, mais le taux de protéines animales et de graisses réduit. Un déficit potentiellement néfaste pour des enfants, de plus en plus nombreux, en pleine croissance. 2 – Les évolutions sociétales Les analyses et les interprétations fournies par les chercheurs et basées sur résultats actuels de fouilles lèvent un coin du voile sur la vie de nos hommes modernes pendant la transition Mésolithique/Néolithique, il semble que l’on puisse risquer alors quelques conclusions. L’absence de témoignages et de preuves matérielles rend très difficile la description des étapes de la disparition quasi totale des chasseurs-cueilleurs devenus progressivement des agropasteurs. La connaissance des évolutions dans d’autres groupes de sociétés primitives plus près de nous conduit à penser qu’il y a eu d’abord « acculturation », c’est-à-dire « changements dans les cultures originelles des deux groupes ou de l’un d’eux » (Redfield et al., 1936). Comme l’échange d’individus étrangers (probablement de femmes) entre les groupes a modifié les pratiques et même les concepts de chacun d’eux, on peut considérer qu’il y a eu aussi « inter-culturation » au sens de Z. Guerraoui (2009), c’est-à-dire interpénétration des cultures. À partir du moment où ces personnes se sont attachées à leur nouvelle communauté, on peut parler « d’intégration », c’est-à-dire que l’entrée dans un groupe conduit à « un développement harmonieux » de ce dernier (Larousse, 2022). Au fil des générations, il se produit ainsi une convergence des comportements et des représentations qui caractérise une véritable « assimilation », visiblement, dans notre cas, en faveur des agropasteurs. Les entrants deviennent alors semblables à ceux qui accueillent. D’autant que les données récentes montrent que, dans notre cas, « ce ne sont pas les savoir-faire qui ont bougé, mais bien les gens avec leurs animaux domestiqués » (Orlando, 205

2021), et leurs techniques, et ce sont eux qui, au final, « ont supplanté les autochtones » (Garcia & Le Bras, 2017). On peut se demander toutefois si ces nouveaux savoir-faire (néolithiques) ne se sont diffusés que par contacts et échanges de connaissances de village à village ou, comme il a été affirmé plus haut, s’ils ont été apportés directement par les migrants eux-mêmes, venus d’Orient et qui se sont installés dans les territoires occupés jusque-là par des chasseurs-collecteurs ? Pour M. Besse (2021), « la vérité se trouve peut-être au milieu ? ». Il est probable que les deux voies de transmission aient existé et qu’elles se soient montrées efficaces puisque la conversion au nouveau mode de vie a été quasiment complète. « Cette nouvelle économie à rendement différé (agriculture, élevage), en opposition à l’économie à rendement immédiat (chasse, cueillette itinérante), lorsqu’elle concerne les espèces domestiques, confère aux sociétés néolithiques une incontestable faculté d’expansion qui fonde leur supériorité. La régulation entre population et milieu ne se pose plus en termes d’adaptation, mais en termes de contrôle de la société sur ellemême. Les modes de représentation sociale et les idéologies sont repensés. Avec la propriété privée, les inégalités deviennent possibles, imposant de nouvelles règles de comportement et de nouvelles valeurs spirituelles qui confèrent la primauté du culturel sur le naturel : ainsi, la domestication des ressources va de pair avec une domestication de l’homme lui-même » (Vaquer, 2021). Cette évolution vers un nouveau mode de vie, qui a été très générale en Europe et qui a semblé partout inexorable, a connu toutefois des limites puisque dans quelques régions riches (Danemark), montagneuses (groupe de Bavans dans les Alpes) ou littorales (milieux côtiers, lagunaires ou bordures de grands fleuves), les chasseurs-cueilleurs ont, semble-til, incité les agriculteurs à « passer leur chemin » pour quelques siècles au moins ! Par la suite, « l’assimilation se serait faite (alors) non plus par colonisation, mais par acculturation et peu à peu, le mode de vie agricole s’est répandu dans le nord comme dans l’est de l’Europe » (Demoule, 2022). Si certains groupes ont résisté un temps à cette néolithisation généralisée par ailleurs dans toute l’Europe, les peuples du Grand Nord ont continué à chasser, pendant encore quelques millénaires, le renne 206

(Nenets de Sibérie) ou le phoque (Inuits nord-américains). Ils ont donc échappé (à) ou peut-être refusé cette révolution. Il faut dire que dans ces contrées, il est impossible de pratiquer l’agriculture. Seule la cueillette reste possible. Ces communautés se sont ainsi marginalisées par rapport au puissant courant de néolithisation tout en adoptant cependant quelques innovations particulièrement utiles comme la poterie par exemple. Ce qui explique que « l’on trouve encore, de nos jours, des communautés vivant exclusivement de chasse et de cueillette en Europe du Nord » (Leroi-Gourhan, 1994). « Alors que l’aspect unitaire du Rubané a suscité une abondante littérature, la variabilité régionale n’a que peu retenu l’attention. L’exemple développé dans le sud de la Plaine du Rhin supérieur montre pourtant que la signification du phénomène de régionalisation va bien au-delà de la facette styles céramiques dans laquelle on l’avait cantonnée jusque-là. Certains se confondent avec les limites des groupes stylistiques, d’autres obéissent à une logique différente. C’est à propos de ces derniers qu’est évoqué le rôle éventuel des contacts avec les groupes de la composante autochtone. Il semble en effet de plus en plus qu’un profond mouvement d’acculturation ait, très précocement, interféré avec le phénomène de colonisation » (Jeunesse, 2008). Les communautés se sont ainsi renouvelées et, pour tout dire, diversifiées dans leurs pratiques et leur organisation sociale. « L’ADN des squelettes à travers l’Europe a révélé (aussi) aux chercheurs que les paysans néolithiques se mélangeaient beaucoup plus avec les chasseurs-cueilleurs locaux partout où leur progression était ralentie. Si leurs productions alimentaires ne fonctionnaient plus de manière fiable et déclinaient, les fermiers revenaient d’eux-mêmes à la chasse et à la cueillette. Échangeant des marchandises avec les chasseurs-cueilleurs locaux, ils ont appris à apprécier leurs connaissances des circonstances locales » (Betti et al., 2020) et des stratégies adaptées à leur survie. Devant des difficultés passagères ou permanentes, le mouvement de néolithisation a pu s’inverser, ce qui a facilité l’intégration des migrants aux sociétés de chasseurs-cueilleurs. Ainsi, certains pionniers, dont les ancêtres avaient probablement pratiqué l’agriculture au cours de leur 207

migration à travers l’Europe, ont été conduits à s’installer dans des secteurs de montagne peu propices à cette activité (bords du lac de Zurich). « La chasse, qui ne représentait que 5 % à peine des ressources carnées des fermiers de plaine, a pu désormais en fournir près de 80 % » (Demoule, 2022). En situation écologiquement difficile, les migrants ont donc retrouvé les anciennes pratiques des chasseurs-cueilleurs, sans doute « plus rentables » économiquement, d’autant que leurs milieux naturels étaient très riches en faunes sauvages, moins sensibles que les animaux domestiques aux frimas des montagnes. « Aux alentours de 4000 ans avant notre ère, une grande partie de l’Europe était donc occupée par les pionniers agriculteurs partis du Proche-Orient un peu plus d’un millénaire auparavant » (Demoule, 2022). « On considère aujourd’hui que l’avènement de l’agriculture est un progrès. Mais était-il perçu ainsi par tous les Cro-Magnon de l’époque ? On estime que le chasseur-cueilleur travaillait en moyenne trois à quatre heures par jour pour assurer sa subsistance et celle de sa famille. Avec le Néolithique qui suppose la préparation des semailles, le désherbage, la récolte, le soin des bêtes ou encore la construction, l’entretien de la maison et la corvée de bois, cette durée augmente considérablement, probablement plus du double et peutêtre du triple. « Dès lors, sans même parler d’un éventuel attachement à un mode de vie ancestral, on peut imaginer que cette évolution n’a pas été toujours perçue positivement » (Besse, 2021). Dans les faits, les données récentes de la génétique ont montré qu’il y a eu, malgré ces conditions de vie laborieuses, beaucoup d’unions fécondes et, par conséquent, beaucoup de descendants promis à « une assimilation progressive des groupes de chasseurs jusqu’à leur disparition en tant que culture » (Demoule, 2022). Sur ce point, les généticiens savent maintenant que « du point de vue évolutif, pour s’acclimater à un milieu, il est beaucoup plus rapide de se croiser avec des personnes déjà adaptées à cet environnement que d’attendre que la sélection naturelle nous prépare à ce nouveau contexte ! » (Quintana-Murci, 2021). La réussite relativement rapide du mouvement de néolithisation pourrait aussi tenir en partie aux effets dynamiques de ce mixage entre hommes et femmes d’origines ethniques si diffé208

rentes. Redouté par certains et promu par d’autres dans nos sociétés européennes actuelles, « ce métissage qui est pourtant la règle » (Boas, 1963) a prouvé son efficacité technique et aussi démographique au cours de la transition néolithique. Ainsi, notre chasseur-cueilleur s’est éloigné physiquement et culturellement de la nature, certains diront de l’état sauvage, pour se projeter dans des sociétés plus structurées et hiérarchisées où il devait se profiler plus d’un danger. Pour beaucoup d’historiens, la réalité est implacable : « l’Homme du Néolithique est sorti de la sauvagerie pour entrer dans la barbarie, stade qui précède et prépare l’émergence de la civilisation » (Morgan, 1877). Au regard des évènements qui ont suivi, reconnaissons qu’il est difficile de le contester !

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CONCLUSION

Aux termes de l’évocation de cette vaste épopée colonisatrice, il convient de s’interroger sur cet épisode déterminant de notre histoire humaine et savoir si le qualificatif de « révolution néolithique » est véritablement approprié, d’autant qu’elle n’a pas été toujours brutale ni forcément violente. Alain Testart a un avis encore plus tranché, puisqu’il considère qu’elle n’est « ni une révolution, ni néolithique parce qu’il existait déjà des sociétés de chasseurs-cueilleurs sédentaires, parce que ces sociétés pratiquaient un stockage alimentaire important, enfin parce que ces sociétés non agricoles maîtrisaient les techniques de poterie et de repiquage qui ne seront mobilisées que bien plus tard ». À cet égard, « la révolution néolithique » ne porte donc pas très bien son nom, car elle n’a été dans beaucoup de régions, comme le soulignent encore d’autres chercheurs, « ni brutale, ni simultanée » (Leclerc et Tarrête, 1988). Elle a donc été principalement progressive, ce qui a permis aux populations autochtones de l’adopter si elles y trouvaient des avantages ou de la refuser si elle n’apportait pas des intérêts substantiels pour des groupes qui vivaient pour la plupart correctement de la chasse et de la cueillette. Finalement, l’adoption volontaire pourrait donc avoir été la règle et la contrainte l’exception. À part le cas d’une réduction à l’état d’esclave, ce qu’il ne faut pas exclure, comment, en effet, transformer un nomade en fermier sans son accord ? Son choix a sûrement beaucoup dépendu de l’intérêt qu’il y trouvait. Au sortir de la période transitoire entre le Mésolithique et le Néolithique, les Européens ont donc adopté un mode de vie nouveau qui a finalement perduré jusqu’à nos 211

jours. La sédentarité est devenue la règle alors qu’elle était, avec les chasseurs-cueilleurs, l’exception. Les habitants se sont regroupés en villages dans des maisons en dur alors qu’ils vivaient auparavant en petits groupes sous tentes. Les ressources alimentaires ont été désormais produites par les fermes et non pas prélevées sur la nature environnante qui offrait une réserve de produits végétaux et animaux sauvages perçue, depuis des millénaires, comme inépuisable. Le chasseur a toujours compté sur la générosité de la nature, le fermier sur le résultat de son travail. Le chasseur voyait un esprit animer chaque composant de la nature, le fermier a été amené à ne croire qu’en lui-même. Il y a donc bien eu un changement complet du mode de vie et de pensée chez les autochtones qui ont accompagné cette révolution technique. S’en est suivi une conversion complète à un nouvel univers dominé par l’homme, désormais placé au centre du jeu. Arrivés sur un territoire donné, les pionniers se sont installés et ont adopté certaines traditions des autochtones (taille des silex, modes de chasse), qui eux-mêmes ont intégré les techniques néolithiques (mises en cultures, poteries, tissage). Ils ont fini par constituer des communautés mixtes capables de s’adapter à leur environnement particulier, qu’il soit méditerranéen, continental ou nordique. Ainsi sont nés, à partir de 5000 av. J.-C. environ, des villages modestes, mais capables d’exploiter au mieux leur milieu et de s’ancrer dans celui-ci. Ainsi, ces nouvelles sociétés néolithiques ont trouvé au fil des siècles leur équilibre social, économique et culturel, finalement leur originalité et nous les désignerons beaucoup plus tard comme de véritables « sociétés paysannes » (Gernignon, 2016). Le mouvement ne pouvait de toute façon se produire que par étapes, car un nomade doit tout apprendre pour devenir un fermier. Le matériel vivant n’est pas le même, le rythme journalier différent, comme la succession des activités sur l’année. Il y a bien « révolution » dans les manières de vivre, mais simplement évolution dans les pratiques qui ne se sont d’ailleurs pas mises en place simultanément, l’élevage pouvant précéder la culture des plantes et la sédentarité, la poterie. Dans de nombreux pays, beaucoup d’agronomes ont tenté de transformer les pasteurs en agriculteurs et les multiples tentatives de sédentarisation ont 212

souvent échoué. Même avec une aide matérielle et financière, de nombreux gouvernements actuels n’en sont pas venus à bout. Ce qui a peut-être manqué dans ces expériences, c’est la prise en compte du temps. Et chez nos préhistoriques, c’est bien ce facteur qui a autorisé finalement la conversion, adoptée par petites étapes au fil des générations. Mais l’avancée du monde domestique a provoqué aussi un fort recul des espaces naturels avec son lot de déboisements, de mises en culture, de « privatisation » des terres agricoles et des points d’eau. Progressivement, une volonté de domination s’est fait jour, tant sur la nature elle-même que sur les femmes et les enfants. Ce basculement dans l’équilibre domestique n’est pas étranger à la mise en place d’un patriarcat qui générera une panoplie de souffrances sur les plus faibles ainsi que des conflits de territoires souvent suivis de véritables guerres. « La révolution néolithique a (donc) inauguré dans ces nouvelles sociétés sédentaires le sens de la propriété privée par possession et sécurisation des terres, entraînant une augmentation démographique sans précédent » (Le Monde, 2022) et des tensions entre communautés agraires prêtes à tout pour garder leurs terres de cultures durement arrachées à la friche. On a bien montré précédemment que les chasseurs-cueilleurs n’étaient pas des groupes indemnes de violence, mais la concentration des pouvoirs dans quelques mains de possédants a offert aux plus autoritaires des occasions de développer des convoitises sur le bétail des voisins, ses territoires, voire ses femmes. Les Homo que nous sommes, qualifiés avec insistance de « Sapiens Sapiens », c’est-à-dire « intelligents, sages, raisonnables et prudents », avons bien souvent transgressé les limites de l’acceptable en nous convertissant à une idéologie du « toutprogrès » qui porte en germe des potentialités fructueuses, mais parfois aussi destructrices. « Les modélisations démographiques montrent qu’avec, au départ, moins d’un millier de couples donc quelques milliers d’individus au total au milieu du VIe millénaire avant notre ère, on a pu atteindre en un demi-millénaire près de deux millions d’habitants sur l’ensemble de l’Europe tempérée » (Dubouloz et al., 2021). La pression sur les terres ou les pâturages d’ailleurs n’a pas été la même partout. Elle s’est concentrée, dès 213

le commencement de la transition, sur les espaces les plus productifs, donc les plus convoités. Par la suite, les causes d’affrontements n’ont fait que s’accentuer. En quelques millénaires, mais ce n’est pas l’objet de notre étude, la croissance de cette privatisation des espaces couplée à la densification du tissu villageois ont induit des conflits multiples qui expliquent sans doute le point de vue très sévère des écrivains grecs pour qui, « hors de la cité, ne régnait que la barbarie » (Wolff, 2004). D’une certaine façon, le passage du Sauvage au Domestique a produit des hommes différents au moins pour certains d’entre eux, pas forcément tous animés de bonnes intentions et capables du pire. Plus d’un historien a vu dans cette évolution l’entrée dans un temps de barbarie réputée précéder la phase de civilisation. Il est inutile d’insister sur les conflits plus ou moins ravageurs des millénaires suivants qui ont traumatisé tant de générations, dont celles de nos parents. Il a fallu tant de souffrances pour qu’enfin se dessine progressivement un semblant d’organisation et de paix sur le continent, indispensable à une prise en compte des dégâts causés par l’homme et une tentative de les réparer au moins pour certains d’entre eux ! La prise de conscience, par un nombre de plus en plus important de citoyens européens et du monde, autorise toutefois quelques espoirs de limiter la surexploitation des espaces, des ressources et des êtres vivants de la planète. Après le « tout-domestication », une voie s’ouvre enfin avec le retour du Sauvage sur certains territoires qui offrent aujourd’hui cette possibilité, et il n’en manque pas. En effet, dans bon nombre de pays d’Europe, l’exode rural se poursuit et libère de vastes surfaces peu productives pour l’agriculture intensive… mais favorables à la grande faune d’autrefois. L’espoir devient alors possible de franchir la frontière entre le Sauvage et le Domestique, mais en sens inverse cette fois ! Pour revenir au Sauvage, il faut d’abord s’appuyer sur ce qu’il reste en nous de Sauvage : le plaisir de cueillir au printemps des morilles, des pousses de houblons au bord des rivières, des champignons à l’automne après une bonne pluie ou déterrer avec son chien des truffes à Noël pour parfumer un pâté de lapin de garenne, toutes productions qui n’ont jamais été cultivées ! Traquer la fario le long d’un ruisseau envahi par les 214

branchages et agrémenté des tourbillons du courant. Regarder, au-dessus de sa tête, migrer les oies et les grues qui poursuivent leur long voyage vers le sud. Profiter de la beauté des paysages de montagne dans les petites vallées perdues, en marge des sentiers à touristes. Parcourir des espaces abandonnés par l’agriculture où les clairières n’ont plus de barrières et les ruisseaux plus de ponts pour les traverser. Voir les trouées de nos forêts à nouveau agrémentées par les cervidés sauvages qui pâturent dans la brume matinale. En somme, voir fonctionner une nature libérée de la tutelle de l’homme et profiter de ses bienfaits étrangers à son activité. Une nature qui se construit toute seule, par sa dynamique propre avec ses pousses fraîches en bordure de clairière, ses ombrages d’été, le camaïeu de ses couleurs d’automne et ses arbres morts. Au fond du cerveau humain, il reste, à n’en pas douter, une petite séquence du génome qui a mémorisé ces étendues sauvages où l’homme se déplaçait librement au gré de ses choix, tant sur l’océan que sur le continent et qui explique, peut-être, le succès dans les médias des émissions consacrées aux expéditions en terres lointaines peu affectées par l’homme ! Si les espaces agricoles ont un côté rassurant, la nature sauvage a un côté attirant, car elle permet la découverte d’un monde naturel élaboré par lui-même. Pour l’apprécier, il faut déprogrammer dans nos têtes notre volonté d’interventionnisme à tout crin profondément ancrée depuis le début du Néolithique. Malheureusement, il faut rester réaliste et constater qu’une multitude d’obstacles se dressent devant les initiatives visant à revenir au Sauvage. Et en premier lieu, le fait que le Sauvage fait peur à beaucoup de nos concitoyens. Il comprend, en effet, une part d’inconnu, d’imprévisibilité, de surprise. L’Homo domesticus est désormais habitué, de nos jours, à prévoir toutes les situations, à s’assurer contre tous les risques et à ne faire confiance qu’aux productions humaines et non à celles de la nature qui lui paraissent souvent suspectes comme, par exemple, les produits ramassés dans la forêt ou les gibiers tués à la chasse. À la différence des cultures intensives, le sauvage a besoin pour s’épanouir de grands espaces qui sont rarement disponibles dans ou à proximité des villes. Et même dans les campagnes, la mise en réserve biologique est souvent redoutée, 215

car elle conduit au retour des déprédateurs comme les cervidés qui broutent les cultures, les sangliers qui détériorent les champs de maïs, les loups qui attaquent les moutons, les ours qui s’en prennent aux veaux, les bouquetins qui sont taxés de transmettre la brucellose au bétail des alpages. Quant aux plus grosses bêtes, comme les bisons, les élans ou les aurochs reconstitués, elles attirent les touristes tant qu’elles sont parquées, mais inquiètent dès qu’elles sont en liberté, car le touriste fantasme vite dès que la nature lui offre des concurrents à sa mesure. Il préfère une nature contrôlée et qu’il a choisie sans risques. Même « la forêt en libre évolution » est dénigrée, car considérée comme mal entretenue. Rien n’est mieux perçu qu’un bon carré d’épicéas plantés et « propre », en regard d’un vallon broussailleux impénétrable. Des nuées de techniciens veulent exploiter, gérer, labourer et replanter pour obtenir des produits standards faciles à vendre. La forêt n’est plus alors un écosystème, mais une « usine à bois », la grande faune qui devrait l’habiter devient alors nuisible. Par ailleurs, sur le plan économique qui préoccupe beaucoup nos concitoyens, le Sauvage est censé ne rien rapporter. Il n’offre pas de retour sur investissement, du moins immédiatement ! Comme la beauté, la gratuité est difficilement commercialisable ! En agriculture, la friche est considérée comme une confiscation inutile des terres et en forêt, une clairière, un espace perdu pour la sylviculture. On est bien loin de la pensée des Amérindiens pour qui, il n’y a pas de nature au sens où on l’entend actuellement, c’est-à-dire séparée des hommes, mais des êtres vivants végétaux et animaux qui sont autant de « partenaires des hommes » (Descola, 2022). Le même auteur ajoute que les peuples de la forêt n’envisagent d’ailleurs pas une conquête du Sauvage sur le Domestique ni, à l’inverse, une prédominance du Domestique sur le Sauvage. La dynamique de la nature est acceptée, la place de l’homme en son sein est limitée et respectée. En fait, les hommes dits « modernes » n’arrivent plus à voir la puissance de la dynamique végétale, sa capacité à produire de la diversité, de la beauté, de la sérénité et ceci sans bruit et gratuitement… un véritable don du ciel ! Une néolithisation radicale est passée par là et il n’y a guère de place pour la pensée animiste de nos chasseurs-cueilleurs qui perce216

vaient cette force vitale en tous lieux. Comme le disait si bien Roger Bastide (1975), « des métamorphoses ont transformé le sacré sauvage en sacré domestique ». Dans ces conditions, tout réensauvagement est classé comme suspect. Toutefois quelques illuminés s’y consacrent quand même… et c’est un espoir ! Une des plus remarquables tentatives de réensauvagement d’une espèce a lieu actuellement aux Pays-Bas avec la réintroduction de « l’aurochs reconstitué » à partir de races domestiquées, mais rustiques. En effet, avec la mort du dernier aurochs sauvage en Pologne au XVIIe siècle, le génome de l’espèce a été perdu, mais le séquençage a pu cependant être entrepris à partir de l’ADN d’une mâchoire d’un squelette en bon état découvert récemment. Les chercheurs du laboratoire de génétique de l’Université de Wagenningen, en Hollande, connaissent donc depuis peu l’enchaînement précis des bases du génome initial de cette espèce et travaillent à le reconstituer à travers des croisements de races domestiquées, par exemple celle de la vache de Sayaguesa qui a repris une vie en liberté dans les landes espagnoles. Avec l’aide de l’association Taurus, des individus phénotypiquement très près de l’espèce initiale commencent à s’acclimater dans la grande réserve de Lika sur le haut plateau croate et parviennent à s’organiser en troupeaux stables capables de résister à la prédation des loups bien présents sur ce territoire (Arte, 2023). Il semble donc que, dans ce cas particulier, l’homme puisse faire revivre une espèce disparue et passer ainsi progressivement du Domestique au Sauvage, une frontière qui n’a pas été franchie depuis longtemps dans ce sens ! Une belle réussite en tout cas qui demande beaucoup de moyens et de ténacité de la part des chercheurs impliqués dans cette aventure. Si, pour le comte de Buffon, « la plus belle conquête de l’homme est le cheval », sa plus belle reconquête pourrait bien être prochainement celle de l’aurochs !

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Femelle et mâle d’aurochs reconstitué dans une lande de l’Isère. Photographie de Bernard Bachasson.

La situation de notre grande faune sauvage n’est donc pas désespérée, d’autant que les expériences de réensauvagement se sont multipliées en Europe, depuis quelques décades, avec les lâchers de bouquetins, de cerfs, de chevreuils, de chamois et de lynx complétés par le retour du loup, de l’ours, des bisons, des tarpans, du gypaète barbu, en attendant l’arrivée de l’élan dont les populations progressent à l’est du continent. À mesure que se libèrent des espaces de cultures agricoles et de pâturages, estimés à « un million d’hectares par an en Europe » selon Arte (2023), la faune sauvage qui a agrémenté nos paysages reprend patiemment et localement ses droits pour offrir aux citadins le spectacle d’une nature riche, vivante et préservée ! Souhaitons à l’Homo domesticus que nous sommes de pouvoir encore, chaque fois qu’il le souhaitera, respirer le parfum enivrant des grands territoires sauvages qu’ont côtoyé nos valeureux ancêtres ! *

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TABLE DES MATIÈRES

AVANT-PROPOS ..............................................................................7 INTRODUCTION ..............................................................................9 CHAPITRE I Délimitations géographiques et chronologiques de l’étude ...........11 A – Délimitations géographiques ...................................................11 B – Délimitations chronologiques ..................................................12 C – Synthèse...................................................................................12 CHAPITRE II Le contexte environnemental en Europe pendant la période Atlantique .........................................................15 A – Le climat de la période Atlantique ..........................................15 B – La situation des îles et des littoraux .........................................16 CHAPITRE III État des populations humaines avant le IXe millénaire en Europe, au Proche et au Moyen-Orient .....................................19 A – État des populations en Europe ...............................................19 1 – Un continent sous-peuplé.....................................................19 2 – Les systèmes d’exploitation du territoire européen par les chasseurs-cueilleurs à la fin du Mésolithique .................21 3 – Une comparaison est-elle possible avec l’histoire de la forêt amazonienne ? ..........................................................23 B – État des populations au Proche et au Moyen-Orient................27 1 – Les Précurseurs (XIIIe – XIe millénaire av. J.-C.) ................27

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2 – Le Néolithique ancien (Xe – VIIIe millénaire av. J.-C.), antérieur à la poterie ..................................................................31 3 – Le Néolithique tardif anatolien (VIIe – IVe millénaire av. J.-C.).....................................................................................35 4 – Le Néolithique final (IVe – IIIe millénaire av. J.-C.)............39 CHAPITRE IV Les causes des migrations ................................................................41 A – Évolutions en zones littorales ..................................................42 1 – Les tremblements de terre et le tsunami de - 6000 ans av. J.-C.......................................................................................42 2 – L’élévation du niveau des mers pendant la période Atlantique ..................................................................................43 3 – Le remplissage de la mer Noire ...........................................43 4 – Développement des techniques de navigation .....................44 B – Évolutions en zones continentales ...........................................47 1 – L’attractivité du continent européen ....................................47 2 – La surpopulation au Proche et Moyen-Orient ......................48 3 – L’épuisement des sols..........................................................49 4 – Les évolutions climatiques du VIIe millénaire .....................50 5 – Les raisons socio-économiques............................................52 6 – Les raisons de politique locale .............................................53 7 – Les raisons idéologiques ......................................................53 8 – La domestication du cheval .................................................54 CHAPITRE V Les migrations...................................................................................57 A – Cartographie des migrations ....................................................58 B – Migration des hommes et diffusion des connaissances ...........60 CHAPITRE VI La rencontre entre les autochtones et les arrivants .......................63 A – Le Sauvage et le Domestique ..................................................63 B – Les rencontres entre chasseurs-cueilleurs nomades et pasteurs.......................................................................................67

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C – Les rencontres entre chasseurs-cueilleurs nomades et agropasteurs................................................................................71 D – Rencontre entre chasseurs-cueilleurs sédentarisés et les agropasteurs ..........................................................................77 E – Rencontre entre pasteurs et agriculteurs ..................................80 CHAPITRE VII Les grandes étapes de la colonisation vers l’Europe......................83 A – Voies et vitesses de colonisation .............................................83 B – Voies marines et voies terrestres .............................................88 1 – Les voies marines ................................................................89 2 – Les voies terrestres...............................................................91 C – Les étapes de la voie méditerranéenne ....................................93 1 – Chypre .................................................................................94 2 – Les Cyclades ........................................................................96 3 – La Grèce ..............................................................................98 4 – La Crète .............................................................................100 5 – Les îles Ioniennes ..............................................................104 6 – Malte ..................................................................................105 7 – La Sicile .............................................................................105 8 – La Corse .............................................................................107 9 – La Sardaigne ......................................................................111 10 – La côte nord Adriatique ...................................................116 11 – La botte italienne .............................................................118 12 – Le littoral ouest-méditerranéen ........................................120 13 – La liaison Méditerranée/Atlantique par le sud-ouest français ..........................................................120 14 – La vallée du Rhône ..........................................................121 15 – L’Espagne ........................................................................125 16 – Le Portugal.......................................................................128 D – Les étapes de la voie continentale .........................................129 1 – La basse vallée du Danube.................................................130 2 – La moyenne vallée du Danube ...........................................138 3 – La haute vallée du Danube.................................................149 4 – L’Europe du Nord..............................................................152

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5 – L’Europe de l’Ouest...........................................................156 6 – La région alpine .................................................................159 7 – La France ...........................................................................165 8 – Les Îles britanniques ..........................................................170 9 – Quelques réflexions sur l’avancée des migrants en Europe .................................................................................172 CHAPITRE VIII Bilan des premiers impacts de la colonisation..............................175 A – Impacts sur les milieux naturels ............................................175 1 – Impacts sur la flore sauvage et les paysages ......................175 2 – Impact sur la faune sauvage ...............................................177 3 – Impact sur les animaux domestiques .................................180 B – Impacts sur les populations humaines d’Europe....................183 1 – Démographie......................................................................183 2 – Le grand remplacement .....................................................184 3 – Habitation et territorialité...................................................185 4 – Mobilité .............................................................................186 5 – Alimentation et santé .........................................................188 6 – Évolutions génétiques ........................................................190 7 – Évolutions culturelles pendant la transition Mésolithique/ Néolithique................................................................................195 8 – La violence.........................................................................199 C – Conséquences économiques et sociologiques........................204 1 – Les changements dans l’approvisionnement alimentaire...204 2 – Les évolutions sociétales ...................................................205 CONCLUSION ...............................................................................211 SOURCES BIBLIOGRAPHIQUES .............................................219

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Historiques

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Au fil des chapitres de ce livre, le lecteur va découvrir l’incroyable épopée de ces colons venus du Levant qui, à partir du VIIe millénaire, ont installé progressivement leurs fermes et leur bétail sur quasiment toute l’Europe. Les groupes locaux semi-nomades ont fini par adopter, non sans résistance, leur mode de vie sédentaire où la chasse, la pêche et la cueillette sont devenues des activités marginales remplacées par des productions végétales et animales contrôlées par l’homme. Le sauvage a ainsi reculé devant le domestique le long des deux grandes voies de migration à savoir les côtes de la Méditerranée et la vallée du Danube. Malgré le succès de cette révolution technique, économique et culturelle, l’homme ne peut toutefois pas oublier son passé, même lointain, et le besoin de sauvage refait surface actuellement chez bon nombre de nos concitoyens européens qui lui ouvrent de nouvelles perspectives, réservant pour les années à venir bien des surprises. Bernard Bachasson, docteur en biologie, est ancien membre du Conseil scientifique régional du patrimoine naturel Auvergne-Rhône-Alpes et membre associé de l’Académie delphinale de Grenoble. Il a enseigné les sciences de la nature en BTS à l’ISETA d’Annecy et à l’Université de Lyon III. Les riches données scientifiques rassemblées sur la transition Mésolithique/Néolithique éclairent d’un jour nouveau la conversion définitive des Européens au mode de vie sédentaire où règne la loi de la domestication.

Bernard Bachasson

DU SAUVAGE AU DOMESTIQUE Les débuts de la grande conversion néolithique en Europe

DU SAUVAGE AU DOMESTIQUE

DU SAUVAGE AU DOMESTIQUE Les débuts de la grande conversion néolithique en Europe

Bernard Bachasson

série Travaux

Collection « Historiques » dirigée par Vincent Laniol, avec Bruno Péquignot et Denis Rolland

Illustration de couverture : © Benoît Clarys ISBN : 978-2-14-035494-6

25 €

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