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French Pages [273]
Bernard Bachasson
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endant les sept millénaires qui ont suivi la dernière déglaciation, les petites communautés de chasseurs-cueilleurs cantonnées au sud de l’Europe ont progressivement occupé, en remontant vers le nord, tout le continent, accompagnant ainsi le retour des couverts boisés. Leur mode de vie semi-nomade avait laissé jusque-là peu de traces mais les récentes fouilles d’archéologie préventive de pleine nature ont levé le voile sur la réalité de ces groupes familiaux spécialisés dans la chasse à l’arc.
Autant de questions auxquelles l’auteur apporte les réponses que permettent les données scientifiques disponibles à ce jour. Une plongée dans le monde de ces « hommes des bois » experts dans l’art d’utiliser les ressources de leur milieu sans les surexploiter ni les polluer. Une existence faite de sobriété, forcément difficile au sein d’une nature à la fois généreuse, hostile et parfois cruelle. Mais leur adaptabilité associée à leur solidarité leur ont permis non seulement de survivre, mais de voir leur population augmenter jusqu’à ce que, au début du Néolithique, les agro-pasteurs venus de l’est bouleversent leurs pratiques et finissent par les assimiler. Un livre clair et passionnant sur nos origines !
Bernard Bachasson, docteur en biologie, est membre du Conseil scientifique régional du Patrimoine naturel Auvergne-Rhône-Alpes. Il a enseigné pendant une quarantaine d’années les sciences de la nature en BTS à l’ISETA d’Annecy et à l’Université de Lyon III. Il est spécialisé dans la connaissance des forêts, de la flore et de la faune sauvages qui s’y trouvent. Les données scientifiques qu’il a rassemblées sur les archers du Mésolithique permettent de se faire une idée plus précise des relations que l’homme de cette époque a entretenues avec son environnement.
Illustration de couverture : L’approche des cerfs en sous-bois © aquarelle de Benoît Clarys.
ISBN : 978-2-343-19886-6
28 €
LES ARCHERS PRÉHISTORIQUES DE LA GRANDE FORÊT EUROPÉENNE
Qui étaient-ils ? Comment vivaient-ils ? De quoi se nourrissaient-ils ? Quelles stratégies ont-ils développées pour s’adapter à des milieux si différents ? Que sait-on de leur vie sociale et culturelle ?
Bernard Bachasson
LES ARCHERS PRÉHISTORIQUES DE LA GRANDE FORÊT EUROPÉENNE
Les archers préhistoriques de la grande forêt européenne
Bernard Bachasson
Les archers préhistoriques de la grande forêt européenne
© L’Harmattan, 2020 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-343-19886-6 EAN : 9782343198866
À mon épouse Françoise, passionnée comme moi par la découverte de la vie de ces archers, pour son soutien tout au long de la rédaction de cet ouvrage qu’elle a relu avec soin et assiduité.
AVANT-PROPOS
Cet ouvrage n’a pas l’ambition d’être un travail d’archéologue. Mais il s’appuie sur suffisamment de résultats de fouilles et de témoignages scientifiques pour entraîner le lecteur dans une véritable découverte d’un monde disparu où les hommes occupaient, dans toute l’Europe, du Paléolithique final au terme du Mésolithique, une place discrète au sein d’un écosystème forestier omniprésent. Ces « fourrageurs » ont su s’adapter à des espaces très diversifiés de façon extraordinaire en modifiant leurs stratégies de chasse, de cueillette et de déplacements dans des sous-bois parfois clairièrés où les rencontres avec la grande faune n’étaient pas dépourvues de danger. D’où venaient-ils ? Qui étaient-ils ? Où vivaient-ils ? Quel était leur quotidien ?… et leurs pratiques ?… Quels impacts ont-ils laissés sur leur environnement ? Si, malgré quelques coups de froid, le climat qu’ils ont connu n’a cessé de s’améliorer, ils ont sans doute été obligés de batailler ferme pour collecter assez de nourriture et assurer ainsi la survie de leur famille dans ces milieux à la fois riches et hostiles. Comment ont-ils pu se maintenir dans cet « enfer vert » pendant les sept millénaires qui séparent l’Azilien, - 12 000 ans avant notre ère, de la colonisation néolithique, - 5 000 ans environ avant JésusChrist ? Autant de questions que se posent les chercheurs et tous ceux qui s’intéressent à cette période où le couvert boisé s’est installé en maître de l’océan Atlantique aux marges de la Russie. Si les fouilles anciennes, les découvertes récentes de sites de plein air et les nouvelles techniques d’investigation ont déjà apporté de multiples réponses, il reste de vastes lacunes sur le mode de vie de ces Sapiens car les vestiges restent rares et limités aux objets que le temps a bien voulu conserver. Dans les années qui viennent, les travaux de l’archéologie préventive (INRAP) feront certainement avancer très substantiellement les connaissances. À défaut de pouvoir connaître un jour leurs visages, leurs langages et bien sûr leurs pensées, attachons-nous à approcher leur intimité avec ce que nous savons d’eux aujourd’hui… car ce sont, pour bon nombre d’entre nous, nos « ancêtres locaux directs » parfaitement intégrés aux forêts primaires dont il ne reste que quelques lambeaux épargnés par l’avancée inexorable du pâturage, de l’agriculture, de la sylviculture et de l’urbanisation. 9
Réussir à survivre dans des conditions aussi délicates ne peut que forcer l’admiration et il n’est pas dit que notre humanité actuelle, embarquée dans un développement effréné à la durabilité incertaine, puisse résister pendant autant de millénaires ! Ils ont donc, sans doute, quelques leçons à nous transmettre. Nous, les « civilisés » qui, à quelques exceptions près, avons quitté les grands espaces sauvages pour nous réfugier dans nos maisons bien chauffées et nous agglutiner dans les villes, lieux privilégiés de confinement, de promiscuité et de pollution ! La découverte de cette vie sauvage magnifie une forme de liberté, de sobriété et de beauté qui fait souffler un grand bol d’air pur sur cette période encore entourée de bien des mystères !
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INTRODUCTION
Si vous demandez à un passant, au coin d’une rue de Paris, de vous décrire un chasseur préhistorique, il va certainement vous parler d’un homme trapu, chaudement vêtu, revenant d’une chasse collective avec sa lance d’une main, tenant de l’autre un gros quartier de mammouth et pressé d’atteindre sa caverne pour y trouver un feu réconfortant… Mais notre Parisien, influencé par les nombreuses représentations qui circulent dans les médias, ne peut savoir que le trappeur du Mésolithique n’est pas spécialement trapu, ni chaudement vêtu, qu’il utilise rarement la lance, ne chasse plus en groupe, ne rencontre plus de mammouth et ne fréquente plus les cavernes… Une réalité quelque peu renversante pour le commun de nos concitoyens ! Et pourtant, ce sont bien ces Sapiens qui ont occupé, après la dernière déglaciation, notre grande forêt européenne et se sont, par la suite, littéralement « fondus » dans les populations de migrants venus de l’est, provoquant leur quasi-disparition dans les comptes-rendus des archéologues des siècles passés. Il a fallu les toutes récentes découvertes des chercheurs actuels pour les tirer véritablement de l’oubli et faire revivre ces seminomades qui n’ont pas manqué de nous transmettre, à nous les Européens, une belle panoplie de gènes ! Après avoir précisé le cadre chronologique et géographique de nos investigations, nous tenterons de décrire les nouvelles contrées qu’ont progressivement colonisées nos aventuriers à mesure que le retrait des glaces découvrait, vers le nord, d’immenses étendues vierges successivement occupées par la steppe, puis les forêts claires, et plus tard les futaies fermées. Il est intéressant de voir comment les Sapiens sont parvenus à tirer parti de ces milieux aussi différents qui nécessitaient chacun une adaptation particulière aux conditions environnementales souvent changeantes. Les versants de montagne, les clairières forestières, les berges de cours d’eau ou le littoral marin ne se laissent pas apprivoiser aussi facilement, surtout pour des groupes humains paraissant aussi démunis. Mais leur travail et leur ingéniosité ont eu raison des difficultés rencontrées. Et même si les relations hiérarchiques n’avaient pas encore vu le jour, ils étaient suffisamment bien organisés pour subvenir à tous leurs besoins principaux et développer une vie sociale et culturelle qui, par chance, a laissé quand même quelques indices. 11
Ces grands chasseurs à l’arc étaient aussi d’efficaces pêcheurs et de remarquables cueilleurs puisque tous les restes humains découverts à ce jour attestent de squelettes bien formés laissant imaginer des hommes en bonne santé, même si tous ne vivaient pas très vieux… mais n’est-ce pas déjà exceptionnel dans une ambiance aussi rustique ? Il est temps de s’immerger dans ces millénaires sauvages qui vont nous révéler bien des surprises, mais conserver aussi plus d’un mystère que, faute d’informations, nous ne pourrons percer.
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I. DÉLIMITATIONS GÉOGRAPHIQUES ET CHRONOLOGIQUES
La dernière glaciation du Würm s’est terminée par un réchauffement brutal du climat, il y a un peu moins de 13 000 ans avant Jésus-Christ (A.C.), c’est-à-dire au Bölling. Jusqu’au plein épanouissement de l’optimum climatique, aux environs de - 5 000 ans A.C., il s’est donc écoulé un délai de sept millénaires que les chercheurs ont tenté de diviser le plus judicieusement possible en fonction de leur spécialité et donc de leur compétence particulière : il s’ensuit une difficulté quant aux terminologies employées pour ces subdivisions, car celles des climatologues ne correspondent pas toujours à celles des sociologues, des archéologues ou des palynologues ! Il y a donc lieu d’apporter, dans la suite de ces pages, des explications complémentaires suffisamment éclairantes pour suivre correctement les aventures de nos chasseurs-cueilleurs ! Pour corser le tout, les frontières physiques de l’Europe qui nous intéressent ont sensiblement changé, puisque le niveau de la mer est remonté de plus de 120 m dans cet intervalle postglaciaire, d’où une modification très variable du trait de côte selon que l’on se trouve en zone de falaises ou de plateau continental à faible déclivité. Quoi qu’il en soit, le territoire occupé par nos chasseurs-cueilleurs va s’étendre, aux corrections mentionnées précédemment, de la péninsule Ibérique et de la Bretagne à l’ouest jusqu’aux rebords de l’Oural à l’est, du littoral de la mer Méditerranée, de la mer Noire et de la mer Caspienne au sud aux bordures septentrionales de la mer du Nord et de la mer de Barents. Le tableau qui suit présente une première correspondance entre les principaux évènements remarquables de ce moment de la préhistoire souvent mal connu, car longtemps très avare de restes fossiles identifiables :
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ÈRE Période Périodes polliniques Cultures
Pléistocène
Holocène
Paléolithique final
Mésolithique
Alleröd
Dryas III
Azilien
Préboréal
Boréal
Atlantique
Premier Mésolithique Second Mésolithique
Néolithique
Évolution continentale
Sortie de la glaciation
Identification des plaines, collines, zones humides et estuaires
Évolution marine
Remontée des océans
………….
Évolution végétale
Retour de la forêt
Évolution faunistique Datation A.C.
Stabilisation des niveaux marins
Colonisation forestière
Disparition Développement des ongulés de forêt de la mégafaune - 12 000
- 8 000
Défrichements Régression faunistique - 5 000
Frise chronologique des 7 000 ans de préhistoire (postérieure au Bölling), de l’Azilien au Néolithique (d’après Marchand, 2014).
La rareté des découvertes attribuables à la transition entre la pierre taillée (Paléolithique) et la pierre polie (Néolithique) avait même conduit à imaginer une période de discontinuité ou d’interruption dans le peuplement humain de l’Europe, un « hiatus » en somme qui s’est révélé être simplement, comme l’avait bien prédit J.-G. Rozoy (1978), « une (simple) lacune dans nos connaissances ». En 7 000 ans, les situations ont bien sûr évolué et il n’est pas toujours possible de disposer d’informations suffisamment fournies à chaque étape de l’étude, d’autant que les fouilles entreprises par les archéologues depuis plusieurs siècles n’ont permis de mettre à jour que de rares objets (silex, restes carbonisés, objets en os), parfois très difficiles à dater. Il faut donc se montrer très prudent et modeste pour tenter de reconstituer « la vie qu’ont menée nos ancêtres ou plutôt le peu qu’il est possible d’en rétablir » (Rozoy, 1978). Les hommes qui ont arpenté l’Europe pendant les temps qui nous concernent étaient initialement des « Paléolithiques » puis des « Mésolithiques », mais comme ils utilisaient tous très majoritairement l’arc pour chasser, nous les appellerons tout simplement « les archers », d’autant qu’à la fin de cette longue période, la chasse a perdu quelque peu de son importance avec l’arrivée des colons néolithiques qui passaient moins de temps à courir les bois avec l’arme de prédilection de leurs prédécesseurs ! Le Paléolithique final est assez difficile à cerner et il ne peut être question de fixer des limites temporelles, géographiques ou climatiques très précises à cette transition, sachant que les coups de froid (du Dryas III en particulier) ont parfois contraint les humains à revenir en partie aux pratiques antérieures en cours chez les Magdaléniens (par exemple la chasse au renne). C’est en fait l’invention et l’usage courant de l’arc chez ces derniers qui a mis fin à cette culture en modifiant de façon radicale le mode de tir (usage réduit de la lance) et de chasse avec des conséquences directes sur la vie sociale, 14
désormais organisée autour de petits groupes familiaux… et ceci dès l’Azilien. J.-G. Rozoy (1978), qui a beaucoup travaillé sur cette période, considère que le Mésolithique correspond au moment où « l’ensemble des industries microlithiques sont abondantes ». Il n’est que le prolongement de la dernière période du Pléistocène et, à ce titre, mérite plutôt le nom d’Épipaléolithique. D’autres auteurs considèrent que c’est le début de la déglaciation (- 16 000 ans A.C.) qui est à souligner et préfèrent désigner la période qui suit par le terme de Tardiglaciaire. Ce dernier comprend alors la fin du Magdalénien et l’Épipaléolithique, donc l’Azilien. Pour Taute (1973), « est Mésolithique ce qui est postglaciaire et Paléolithique ce qui se déroule pendant la glaciation ». Si, pour Marchand (2014), le Mésolithique est bien « calé » entre le Paléolithique final et le Néolithique (tableau ci-dessus), certains archéologues souhaitent subdiviser cette période en deux phases distinctes : une phase ancienne ou Épipaléolithique, de - 10 000 A.C. à - 8 000 A.C. environ, et une phase plus récente commençant vers - 8 000 A.C., appelée Mésolithique, entendu au sens strict (Thévenin, 1982). Quoi qu’il en soit, « le Mésolithique est (bien) une périodisation de la Préhistoire qui succède aux cultures du début du réchauffement. Entre - 9 000 et - 7 000 ans A.C. (Premier Mésolithique), de nombreux changements économiques et sociaux sont liés notamment au développement généralisé de la forêt en Europe qui se poursuit durant au moins trois millénaires pour s’achever aux environs de - 5 000 A.C., avec le début du Néolithique » (Bouvry, 2007). Demoule (2018) confirme que « le Mésolithique est une terminologie essentiellement propre à l’Europe qui désigne la période comprise entre la toute fin de la dernière glaciation et l’apparition de l’agriculture et de l’élevage, c’est-à-dire le Néolithique ». Le Mésolithique est donc la continuation du mode de vie paléolithique fondé sur la chasse et la pêche, mais dans un environnement différent, où les glaces ont reculé, la forêt a regagné du terrain partout et les espèces animales, adaptées au froid comme les rennes et les mammouths, ont fait place « aux espèces animales dites tempérées (cerfs, chevreuils, sangliers, aurochs) » (Demoule, 2018). Tous les auteurs sont d’accord sur le fait que « le Mésolithique s’achève avec le début des économies de production, soit vers - 6 000 A.C. dans le sud de l’Europe, vers - 4 000 A.C. dans l’est de la France, la Belgique et la Hollande… et vers - 3 500 A.C. dans certaines régions plus éloignées de l’Europe du Nord » (Bridault, 1994). Les Homo sapiens sapiens, présents en très petit nombre (peut-être 50 000 ?) sur cet immense territoire (Europe de l’Ouest, Europe centrale, Europe du Nord, Europe du Sud et Europe de l’Est) estimé à 10 millions de km2, ont dû s’adapter à des conditions nouvelles en rupture avec l’ancien monde des steppes et des très grands herbivores qui les parcouraient. Toutefois, ils ont continué à pratiquer la chasse des grands animaux, la pêche et aussi la cueillette… et le mode de vie n’a, semble-t-il, pas radicalement changé puisqu’ils sont restés chasseurs-cueilleurs. À ce titre, la filiation avec 15
les hommes du Paléolithique est évidente, d’autant qu’on observe aucune trace de « production » ou présence de céramique, indicateurs d’un « comportement néolithique ». Désigner ce passage vers le Néolithique d’« Épipaléolithique » comme le conseille J.-G. Rozoy (1978) semble à ce titre logique. Mais l’outillage utilisé n’est plus le même. Les armatures microlithiques (des flèches d’arc) se sont en effet substituées massivement aux lames magdaléniennes du Paléolithique et conduisent à identifier cette transition comme une période assez homogène, située en position intermédiaire et qui mérite, pour la plupart des chercheurs actuels, le nom de Mésolithique. On pourrait aussi l’appeler « l’âge des archers préhistoriques ». Ceci dit, sur un territoire aussi étendu et pendant une période aussi longue, les Sapiens ont évidemment diversifié leur mode de vie, et l’homogénéité dont on a parlé précédemment a ses limites, ce que constatait déjà J.-G. Rozoy en parlant « d’une vaste époque où foisonnaient les groupes et les faciès ». Ainsi, au cours de la période Atlantique, certains chasseurscueilleurs ont développé des cultures originales influencées par les intrusions des agropasteurs venus de l’Est et le Tardenoisien représente par exemple une phase finale du Mésolithique que l’on peut considérer aussi comme le Prénéolithique. Les explications qui précèdent ne laisseront peut-être pas au lecteur une idée très claire des subdivisions de ces sept millénaires de préhistoire, mais il faut comprendre la difficulté des archéologues à cerner toutes les évolutions techniques et culturelles car les vestiges déjà découverts dans les fouilles ne sont pas, loin s’en faut, faciles à identifier ou à dater et ne cessent d’être complétés par les travaux remarquables de l’archéologie préventive (INRAP), très active ces dernières années. Mais revenons à nos archers dispersés sur le continent européen et penchons-nous maintenant sur leur environnement, le climat qu’ils ont subi et la flore et la faune sauvages qu’ils étaient susceptibles de rencontrer.
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II. LE CADRE NATUREL
Pour comprendre l’évolution du cadre naturel dans lequel ont évolué ces « hommes des bois », il faut revenir à la situation antérieure à la déglaciation, aux causes de celle-ci puis à ses manifestations. Le dernier maximum glaciaire, vers - 21 000 A.C., est une période par définition froide, caractérisée par d’importantes calottes de glace qui descendaient jusqu’au sud de l’Angleterre, de la Belgique et à proximité du cinquantième parallèle en Europe centrale (Ukraine). La totalité de l’arc alpin et une grande partie des Pyrénées étaient également englacées. L’atmosphère se trouvait moins riche en gaz carbonique, avec un degré hygrométrique particulièrement bas. À la périphérie, les vents froids transportaient des poussières (le lœss) et n’autorisaient que l’installation d’un vaste croissant de steppe couvrant la Cornouaille, le nord de la France, le sud de l’Europe centrale et jusqu’au Kazakhstan. Les parties libres de glace du continent se trouvaient plus grandes qu’actuellement par le fait que le niveau de la mer se situait à 120 m plus bas que l’actuel, le trait de côte se trouvant alors bien plus au large que le littoral d’aujourd’hui. Les chasseurs du Solutréen puis du Magdalénien qui parcouraient ces étendues herbeuses spécialisaient leurs chasses sur deux espèces abondantes et relativement faciles à capturer : le cheval et surtout le renne, parfaitement adaptés à ce climat froid et sec. Un premier réchauffement très rapide se produisit vers - 12 700 A.C. La température du Groenland augmente alors de plus de 10°C. C’est le début du Bölling. Les espèces végétales (arbustes et arbres) qui étaient jusqu’alors cantonnées au sud (Espagne et Italie) commencent à remonter vers le nord, comme en témoignent les relevés polliniques relatifs à l’intervalle - 13 000 à - 12 000 A.C. Au début du réchauffement, le recul du front glaciaire a donc été très rapide et aurait pu atteindre, selon les lieux, 300 m/an (Barbaza, 1999). Le même auteur donne une explication à cette évolution : « deux phénomènes complétaient leurs effets pour augmenter de manière sensible le flux d’insolation reçu par la terre : le surcroît radiatif, renouvelé annuellement pendant des siècles jusqu’à une valeur supérieure à 11 % des bilans actuels, résulte pour l’essentiel du fort excédent calorique au solstice d’été, alors que les solstices d’hiver ne connaissent qu’un déficit modeste. Il y eut ainsi, 17
pendant plusieurs millénaires, coïncidence entre, d’une part, une obliquité particulièrement forte de l’axe des pôles et, d’autre part, le passage de la terre qui décrivait une ellipse très excentrée, au plus près du soleil. Le premier phénomène a été responsable, dans la suite des saisons, d’un allongement de plus de dix minutes de la durée du jour estival, le second, d’un flux de radiations solaires beaucoup plus intense précisément aux environs du solstice d’été de l’hémisphère boréal ». « La fin des temps glaciaires a ainsi été caractérisée par des hivers légèrement plus froids qu’actuellement, mais surtout par des étés nettement plus chauds. Les bilans cryo-nivaux systématiquement déficitaires ont engendré la déglaciation et la réorganisation de la dynamique climatique. Lumière, chaleur et vraisemblablement nébulosité poussèrent devant elles les frondaisons nouvelles » (Barbaza, 1999). Pendant l’Alleröd (entre - 12 000 et - 11 000 A.C.), les glaces continentales se retirèrent moins vite car la température moyenne était alors un peu plus basse, mais d’immenses espaces dénudés se sont alors progressivement couverts d’une végétation plus ou moins fournie (landes ou bosquets selon les territoires) évoluant à terme vers la forêt. La fonte de l’inlandsis, joint à l’apport d’eau douce consécutif à l’augmentation de la pluviosité, a conduit à une élévation du niveau de l’océan Atlantique, des mers associées (Méditerranée et Baltique) et à un recul des rivages existants qui se stabilisèrent au Dryas récent sous l’effet d’un bref mais sévère coup de froid. Celui-ci va quand même durer un bon millénaire jusqu’aux environs de - 9 800 A.C. Il s’ensuit l’installation de vastes estuaires et de multiples zones humides à l’intérieur des terres. Le réchauffement « final » qui a lieu vers - 9 700 A.C. marque la fin de la dernière glaciation et coïncide avec la disparition progressive de la mégafaune européenne (mammouth laineux, rhinocéros laineux, cerf géant et ours des cavernes). Dans les Alpes, le retrait glaciaire a également été très rapide et les grandes vallées du Rhône, de l’Isère, du Pô, du Rhin et du Danube, pour parler des plus connues, se trouvèrent alors accessibles. Une nouvelle opportunité de colonisation s’est donc offerte aux groupes humains cantonnés jusque-là dans les basses plaines. Mais la déglaciation, qui a amené des volumes considérables d’eau douce dans l’Atlantique nord, a provoqué des perturbations importantes des courants océaniques à l’origine de la succession des coups de froid qui sévirent encore pendant le réchauffement global de cet hémisphère nord. L’élévation thermique, plus lente mais relativement régulière, a entraîné une inexorable remontée du niveau de la mer. Pendant les millénaires qui suivent, du Dryas III au Préboréal et au Boréal en particulier, les hauts-fonds du plateau continental vont donner de nombreuses îles, le long du littoral de l’Atlantique et de la Baltique. La communication entre l’Angleterre et l’Europe est encore possible, mais la remontée simultanée du niveau de la mer y met fin autour des années - 6 000 18
A.C. Ce fut, pourrait-on dire, le premier Brexit ! « Les vallées de la Seine et de la Tamise s’élargissent puis la transgression flandrienne massive (- 5 000 ans A.C.) voit le niveau des mers monter à environ 4 cm au-dessus du niveau actuel » (Thiébault, 2010)… La plupart des fleuves et cours d’eau d’Europe présentent alors un engorgement généralisé de leurs basses vallées. Ils doivent se frayer un chemin jusqu’à la mer à travers d’immenses lacs et marais qui seront mis à profit par des groupes de chasseurs-pêcheurs parfaitement adaptés à ces biotopes difficiles. Dès l’Azilien (- 12 000 à - 11 000 avant notre ère), les paysages steppiques du Magdalénien se boisent donc et un manteau forestier pratiquement continu se met en place sur une grande partie du continent européen. Malgré « l’accident climatique du Dryas III », il ne cessera de se densifier durant le Préboréal puis le Boréal et surtout à l’Atlantique, donc finalement pendant tout le Mésolithique, jusqu’aux défrichements massifs du Néolithique liés à la colonisation des agro-pasteurs venus de l’Est. Cette évolution climatique favorable, entrecoupée de quelques accidents thermiques « passagers », va expliquer les installations successives des vastes ensembles paysagers du Postglaciaire au sein desquels vont évoluer désormais nos petits groupes de chasseurs-cueilleurs.
A. L’ÉVOLUTION DES GRANDS ENSEMBLES NATURELS DU POSTGLACIAIRE 1. Les grandes zones côtières « À la fin du Paléolithique supérieur, un mouvement aussi général que rapide de remontée des eaux amène le niveau de la mer à l’équilibre actuel en moins de 10 000 ans » (Cleyet-Merle, 1990). Cette élévation s’est faite par étape avec une célérité particulière pendant les trois millénaires du Paléolithique final. Par la suite, le réchauffement étant plus progressif, l’aspect du littoral a changé plus lentement sans pour autant décourager les chasseurs-cueilleurs d’installer, près des grèves, leurs campements qui se trouvent actuellement sous plusieurs dizaines de mètres d’eau. L’avancée de la mer « ne donnant sa pleine ampleur que tard dans le courant du Ve millénaire avant notre ère », il a fallu attendre la période Atlantique pour observer un état presque identique à celui que nous connaissons aujourd’hui » (Cauwe, 2001). Pendant le brutal réchauffement du Bölling, avec un niveau des mers encore très bas (- 100 m), il faut imaginer des grèves immenses le long desquelles les derniers magdaléniens venaient capturer des poissons, chasser les oiseaux de mer, ramasser leurs œufs, collecter une grande diversité de coquillages et exploiter, à l’occasion, les mammifères marins qui auraient eu la malchance de s’échouer sur le littoral. Pendant l’Alleröd et le Dryas III, la surface de ces grèves régresse puisqu’au début du Préboréal (vers - 9 500 ans A.C.), « le niveau est déjà 19
remonté à - 60 m, à - 20 m (vers - 7 500 A.C. au Boréal) et - 10 m vers - 5 500 ans A.C., à l’Atlantique ancien » (Larsonneur, 1977). En une génération, disons en 30 ans, les « coureurs de grève » ont pu voir de leurs propres yeux ce changement puisque le niveau moyen s’est alors élevé de près de 45 cm (1,5 cm/an) et a modifié très sensiblement le trait de côte, donc les repères visuels de ce dernier. Les plages paléolithiques qui s’étendaient parfois sur plusieurs kilomètres loin du rivage actuel, ont été recouvertes progressivement par les eaux, engloutissant bon nombre d’installations humaines que l’on aura bien du mal à fouiller, car malheureusement trop profondes et ensevelies sous plusieurs mètres de vase marine. « À la fin de la déglaciation, les changements climatiques ont eu d’importantes répercussions sur la répartition des territoires habitables. Certains ont disparu sous les eaux, comme mentionnés précédemment, mais d’autres se sont ouverts à la colonisation. C’est ainsi que pendant la séquence mésolithique (de - 9 500 à - 5 500 A.C.), la fonte des glaciers et le retour de la forêt ont permis l’occupation totale de la Grande-Bretagne, de la Norvège, de la Suède, de la Finlande et de la péninsule de Kola. Les hautes vallées des Pyrénées et des Alpes ont pu (alors) être occupées » (Bouvry, 2007). Trois grands secteurs méritent d’être étudiés en détail : Au Nord, vers - 10 000 ans A.C., la glace bloquait encore les eaux de l’Oder, de la Vistule et du Niémen, d’où l’installation de vastes marais (Djindjian et al., 1999). Le retrait de l’inlandsis a laissé la place à l’eau salée et comme dans toute l’Europe du Nord, la mer n’a atteint son niveau actuel que vers - 6 000 A.C., beaucoup de sites littoraux, plus ou moins marécageux, ont été occupés par les chasseurs-cueilleurs-pêcheurs de la culture de Maglemose. S’ils sont actuellement très difficiles à fouiller, ils ont toutefois l’avantage de nous avoir livré de nombreux objets en bois qui y ont été abandonnés et ont été parfaitement conservés. C’est une mine de renseignements précieuse pour cette culture si particulière des hommes de la Baltique. Le nord-est du Danemark a connu, quant à lui, un relèvement du socle (scandinave) soulagé du poids des glaces. Il peut donc nous donner aujourd’hui une idée de l’occupation humaine des rivages alors que la plupart des côtes de l’océan Atlantique, de la mer Baltique et de la mer du Nord, qui n’ont pas bénéficié de ce mouvement, sont, avec les sites mésolithiques, sous les eaux. La régression de la banquise marine a libéré, dans toute la partie ouest et nord du continent européen, des milliers de kilomètres de côtes désormais constituées de zones rocheuses (Bretagne, Norvège), de plages (Pays-Bas, Pays Baltes, etc.) ou de vastes estuaires (Seine, Rhin, Vistule, etc.). Avec la remontée du niveau des mers, ce littoral a évolué au cours des millénaires qui ont suivi. Les plages de sable soumises aux vents d’ouest ont vu se constituer des dunes, généralement mobiles, qui ont recouvert les 20
campements des chasseurs-cueilleurs et leurs ateliers de silex. C’est une des raisons qui a laissé supposer que ces côtes n’étaient que rarement fréquentées par les Sapiens alors que l’arrière-pays était riche en occupations humaines (Bohmers, 1960/1962). Au final, cette transgression flandrienne a donc recouvert en six ou sept millénaires d’immenses plages et îlots rocheux que les Sapiens avaient pu occuper pendant la période froide antérieure. Plus à l’est, les plaines allemandes, le vaste bassin de la Haute Volga et les basses terres de Nentsy, au pied de l’Oural septentrional, sont restés émergés mais parsemés d’une myriade de lacs, d’estuaires et de rivières que, malgré les difficultés propres à ces milieux hostiles, des hommes fort ingénieux ont réussi à coloniser. « Le secteur du Grand Ouest (Bretagne), tout en ayant des hivers longs et rigoureux, ne fut jamais envahi par les glaces. La banquise a cependant occupé dans son extension maximale, tout le nord de l’Europe jusqu’à l’actuelle frontière belge. Par ailleurs, les massifs montagneux (Alpes, Pyrénées, Massif Central, Jura et Vosges) étaient nettement couronnés de très larges glaciers » (Gouraud, 1996) et les hommes n’avaient donc accès qu’aux basses collines. Pendant l’Alleröd, le niveau de la mer est passé de - 85 m à - 65 m sous le niveau actuel (Marchand, 2014). La ligne d’eau s’est alors rapprochée de quelques dizaines de kilomètres sur beaucoup de secteurs du plateau continental atlantique. « Entre - 10 000 et - 8 000 A.C., dans la région de Bordeaux, il faut chercher le rivage à plus de 30 km de l’actuel, à une centaine de kilomètres à l’embouchure de la Loire, et 150 km au large de la Bretagne » (CleyetMerle, 1990). Plus tard, le niveau de la mer se situe à - 50 m au Préboréal. Le plateau continental, aujourd’hui immergé, mais largement dégagé alors, constituait une vaste zone de chasse et d’occupation préhistorique dont il ne subsiste naturellement plus aucune trace… avec de très grandes disparités suivant les régions, ainsi « le plateau est très large face à la Vendée mais inexistant au Pays basque » (Gouraud, 1996). « À la fin du Préboréal, vers - 7 850 A.C., le littoral devait se situer à - 36 m (au-dessous du niveau actuel) au large d’Arromanches. Il est remonté rapidement aux alentours de - 6 500 A.C., pour atteindre - 20/25 m au Havre. Il semble qu’en baie de Seine, la transgression flandrienne ait été interrompue par deux épisodes légèrement régressifs, l’un vers - 6 000 A.C., l’autre huit siècles plus tard. L’Angleterre était alors coupée momentanément du continent à cette période » (Cleyet-Merle, 1990), et plus précisément vers - 6 500 A.C. selon Ters (1973), c’est-à-dire au milieu de l’Atlantique ancien. L’île de Guernesey s’est trouvée en pleine mer bien avant, vers - 9 200 A.C. lorsque la Manche a atteint le niveau - 60 m. Mais le bras de mer n’était sûrement pas très large, vers - 7 500 A.C., date de la première colonisation mésolithique. Elle est restée sans doute relativement accessible pendant quelques millénaires avec des embarcations sommaires capables d’assurer 21
un trajet de l’ordre de 10 à 20 km. Un peu plus tard, les autres îles encore plus proches du littoral ont vu leur distance à la côte augmenter jusqu’à la fin du Mésolithique où le niveau de la mer était encore inférieur de 10 m à l’actuel. Le pré-continent breton, riche en campements humains, a été envahi par la mer au Boréal et il n’apparaît actuellement qu’un chapelet d’îles allant des Glénan à Hoëdic. Une situation comparable a intéressé la baie de Bourganeuf qui, pendant plusieurs milliers d’années, a vu se mélanger les eaux douces et salées très favorables à la production de coquillages, de poissons et d’oiseaux : des ressources abondantes et faciles d’accès pour les cueilleurs du Mésolithique. Au Boréal, le niveau s’établissait à - 30 m. En Bretagne et en Vendée par exemple, le rivage était donc encore souvent à plusieurs kilomètres de la côte actuelle. Certains sites mésolithiques suffisamment élevés ont été préservés, et donc fouillés. Même si de nos jours ils apparaissent comme des îles, à l’époque, ils étaient situés en forêt continentale ! D’ailleurs, de nombreuses sépultures comportaient des bois de cervidés, preuves qu’ils étaient reliés à la terre ferme. Les occupants ne manquaient ni de venaison (Téviec) ni de coquillages (moules ou escargots), mais ces derniers ne pouvaient constituer qu’un complément d’alimentation. La situation de ces franges océaniques a donc évolué très différemment de celles du Danemark et de la Suède où le relèvement eustatique a suivi le retrait des glaciers, épargnant ainsi les camps du Boréal, et même parfois du Préboréal, du recouvrement par la mer. « Au Mésolithique, l’Angleterre s’est peu à peu séparée du continent par un élargissement progressif des vallées de la Seine et de la Tamise » (Ghesquière & Marchand, 2010). On peut dire que vers - 6 000 avant notre ère, la Manche qui a mis quand même quelques siècles à trouver sa largeur, est véritablement en place ! Plus au sud, les grands estuaires de la Charente, de la Loire, de la Vilaine et du Blavet, ont ensuite été envahis par la mer dont les marées ont reflué loin à l’intérieur des terres. Si la côte marine méditerranéenne n’était soumise à cette époque et comme aujourd’hui, qu’à de faibles marées, il n’en était pas de même sur le littoral Atlantique où la battance atteignait plusieurs mètres au Portugal et plus de dix mètres en Manche (13 m au Mont-Saint-Michel). Suivant la disposition du plateau continental, les estrans découverts pouvaient donc se compter en dizaines, voire en centaines d’hectares, et offrir des ressources alimentaires à la fois variées et abondantes. Au sud, les mers chaudes ont vu corrélativement leur niveau remonter et le trait de côte se modifier considérablement, coupant ainsi certains territoires du littoral méditerranéen (Corse, Sardaigne, Sicile). La transgression “versilienne” (pour le sud de la France), maintenant bien connue, a fait passer le niveau de la mer de - 85 m vers - 11 850 A.C. à - 70 m vers - 10 000, puis - 60 m en - 8 530 et - 40 m en - 6 450 A.C. Le niveau se serait établi à - 8 m au large de Palavas vers - 4 780 A.C. En Languedoc, le maximum transgressif paraît être atteint au début de la 22
période Atlantique puisque les populations chasséennes étaient installées sur le littoral actuel de la Grande Motte » (Cleyet-Merle, 1990). L’évolution du niveau de la mer Tyrrhénienne explique « le fait qu’aucun occupant prénéolithique n’a été trouvé en Corse, en Sardaigne, aux Baléares et à Malte » (Grosjean, 1974). Quant à la Sicile, son occupation est plus ancienne et tient au fait que le détroit de Messine n’est pas très large et que le cabotage littoral était vraisemblablement couramment pratiqué sur le littoral italien. Même si la navigation en haute mer restait rare avant le Néolithique, sa réalité a été quand même attestée dès le Préboréal (Rozoy, 1078). Pour revenir au littoral français, « les mouvements eustatiques du Boréal compliquent les données… la région de Marseille, par exemple, se serait affaissée d’une vingtaine de mètres à la fin de la transgression versilienne, alors que la côte demeurait stable en Languedoc-Roussillon… la Méditerranée franchissait sans doute le seuil de l’étang de Berre (-25 m) en 7 800 A.C. puisque les habitants du grand abri de Châteauneuf-lesMartigues récoltaient déjà les mollusques de l’étang » (Cleyet-Merle, 1990). La remontée du niveau des eaux marines a, comme on l’a vu, largement modifié le cours et le régime de beaucoup de fleuves et de rivières. « Les chances sont donc quasi nulles de retrouver des sites de pêche antérieurs à l’Holocène en bordure des parties en aval des cours d’eau » (Cleyet-Merle, 1990). Pour ces raisons, il est probable que l’activité halieutique ait été sousestimée par les archéologues, car nos archers n’étaient probablement pas que chasseurs de gibiers terrestres. 2. Les grandes zones continentales Suite au retrait du front glaciaire, l’intérieur du continent européen a connu aussi des modifications significatives des topographies locales. Passé le Paléolithique final, cette fonte a mis en mouvement des quantités d’eau douce considérables auxquelles se sont ajoutés les effets du retour des pluies océaniques abondantes et régulières. Le flux d’air humide en provenance de l’ouest, absent pendant la période froide, s’est mis en place, apportant, comme de nos jours, des précipitations soutenues et un adoucissement du climat désormais beaucoup plus favorable à la colonisation humaine. La fonte des neiges en montagne et des glaciers continentaux en plaine ont induit une dynamique hydraulique puissante et généralisée. Les ruisseaux, les rivières et les fleuves ont alors vu leur cours s’élargir et leur courant se répartir dans les vallées dans un système de tresses mouvantes où les dépôts d’alluvions se sont accumulés en bancs successifs à l’origine de nombreux terrasses et cordons fluviaux que nous pouvons encore voir aujourd’hui (vallée du Pô, du Rhin et du Danube par exemple). Ces reliefs, relativement modestes (quelques mètres ou dizaines de mètres au-dessus des lits mineurs), étaient pourtant suffisamment marqués pour accueillir des camps de plein air près desquels l’eau, les poissons et les gibiers, mais aussi, et c’était stratégique, des galets de 23
silex étaient disponibles. Toutefois, les débits restaient soumis aux variations saisonnières (étiages d’hiver ou d’été et crues de débâcles au printemps), qui obligeaient parfois les archers à déménager pour quelque temps. Dans ces conditions, les vallées n’étaient que très périodiquement accessibles pendant les basses eaux et l’intérieur des montagnes se trouvait faiblement peuplé, car coupé des plaines une bonne partie de l’année. Le long de l’Isère, par exemple, un lac occupait le fond de la vallée du Grésivaudan et ne laissait qu’un passage réduit entre les rives et le bas des montagnes alentour… suffisant toutefois pour autoriser le passage des chasseurs de la région qui venaient traquer le castor et en été (il y a environ - 9 000 ans A.C.) le bouquetin et la marmotte dans les massifs de Belledonne, de la Chartreuse ou du Vercors (Bocquet, 1969). « Lors des glaciations, comme le niveau des mers était bas, les vallées fluviales étaient profondes, les rivières possédaient un lit sur-creusé au cours le plus direct possible de l’amont vers l’aval. Le courant était très rapide du fait de la situation de la mer. Avec l’Holocène, l’océan et les mers remontent rapidement et le cours des rivières se ralentit progressivement. Les vallées se comblent, ou plutôt s’empâtent, les sédiments n’étant pas aussi vite entraînés vers l’océan. Les méandres se multiplient dans ces nouvelles basses vallées, donnant de multiples bras-morts et de très nombreux marécages. L’élément liquide suinte partout. Les sources nombreuses permettent au sous-sol de laisser échapper une grande partie de l’eau présente jusqu’alors dans ses couches, fournissant ainsi des rivières imposantes, beaucoup plus larges qu’actuellement » (Gouraud, 1996). La remontée du niveau des mers a conduit à un recouvrement partiel de la Camargue et les premiers remplissages alluviaux fins pendant le Préboréal s’accumulent dans la moyenne vallée du Rhône et les Préalpes. On peut alors parler de « paludification des fonds de vallées » (Marchand, 2014) qui impose le transfert des campements sur les berges ou les collines proches. Par la suite, se manifeste, entre le VIIe et le VIe millénaire, une réduction de l’alluvionnement consécutive à la densification de la couverture forestière des massifs montagneux. « Dans le Bassin parisien, le réchauffement de l’Alleröd conduit à la formation d’un sol bien caractérisé dans lequel les sites aziliens trouvent place » (Marchand, 2014). Dans toute l’Europe, les couches de calcaires durs (Urgonien, Purbeckien, Titanique) mises en place au cours du plissement alpin ont continué de s’éroder sous l’effet du vent et surtout de l’eau surgissant à leur base au contact de couches plus argileuses. Les cavités déjà bien individualisées depuis des dizaines de milliers d’années se sont encore approfondies, constituant des grottes utilisées au moins occasionnellement par les chasseurs-cueilleurs comme haltes de chasse ou refuges pendant la mauvaise saison. Celles qui se situaient au niveau des plaines se sont parfois trouvées remblayées par les alluvions des cours d’eau gonflés par la fonte des neiges, des glaces et des pluies abondantes de la période Atlantique. 24
Au maximum de l’extension würmienne, les glaciers, qui atteignaient Sisteron dans la vallée de la Durance, recouvraient en grande partie les Alpes et le Jura sans atteindre toutefois Lyon. Dès le Bölling, ces masses imposantes qui avaient occupé les grandes vallées ont fondu et les premiers peuplements humains ont pu s’installer à partir de - 11 000 A.C. (Bintz, 1994). Elles ont laissé de très longs cordons morainiques riches en cailloux siliceux souvent exploités par nos chasseurs à la recherche permanente de quartzites (Birsmatten ou Chambaran) ou de silex à tailler. Les vastes reliefs du Massif Central, constitués par les grands ensembles volcaniques en place depuis des dizaines de milliers d’années (Cantal, Mont d’Or), ou plus récemment (Chaîne des Puys), ont perdu leurs langues glaciaires et leurs névés, découvrant des reliefs en plateau (planèzes) ou en vallées encaissées au pied de versants escarpés (falaises basaltiques) que nos archers ont rapidement parcourus à la recherche de nombreuses espèces de gibiers abondants dans ces paysages sauvages. Au final, en Europe, suite à la déglaciation, le bilan des disponibilités en territoires s’est trouvé largement positif, permettant une répartition des chasseurs dans les plaines, les plateaux, les versants, et même les vallées les plus reculées. Le travail des masses d’eau, tant marines que continentales, a remodelé sensiblement les topographies locales sans modifier radicalement les grands ensembles paysagers que nous connaissons aujourd’hui. Par contre, les conditions climatiques ont beaucoup évolué pendant ces millénaires et il y a lieu d’en brosser un rapide tableau, car nos chasseurs n’ont pas eu d’autres choix que de s’y adapter. Il faut bien imaginer les efforts qu’ils ont dû développer et les souffrances qu’ils ont endurées pour assurer leur survie dans cette nature aussi généreuse que rude.
B. L’ENVIRONNEMENT CLIMATIQUE Compte tenu des données scientifiques disponibles, assez rares reconnaissons-le, et d’un peu de bon sens, essayons d’imaginer les conditions de vie de nos chasseurs-cueilleurs exposés aux caprices du temps. Soumis aux contraintes de la vie en plein air, ils devaient supporter toutes les perturbations climatiques, parfois brutales, et donc surmonter les effets du froid, de la pluie et, à l’occasion, des tempêtes. Ceci dit, les conditions n’ont cessé d’évoluer au cours de la période qui nous intéresse. Selon Ghesquière & Marchand (2010), « la sortie des temps glaciaires a été un phénomène très progressif, qui débute vers - 12 700 avant notre ère ». Cette phase d’élévation thermique a été toutefois entrecoupée d’accidents climatiques : deux coups de froid durant le Bölling, un pendant l’Alleröd et un pendant l’Atlantique ancien (in Marchand, 2014). Mais le plus sévère est connu sous le nom de Dryas récent (ou Dryas III). Il voit le retour de conditions climatiques nettement plus rudes, entre - 11 000 et
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- 9 660 avant notre ère, qui ne vont pas toutefois, jusqu’à permettre un retour durable sur le territoire français, des espèces arctiques. Le réchauffement de l’Holocène démarre ensuite, de manière assez brusque, semble-t-il, et signe la toute fin de la déglaciation. On peut estimer, selon Rozoy (1978), que « le peuplement (humain) paléolithique, interrompu pendant les très grands froids du Pléniglaciaire (désert polaire sans végétation), reprend vers - 11 300 A.C., au début de l’épisode Bölling, ou peut-être un peu avant ». Mais le Tardiglaciaire doit être considéré comme une transition difficile pour les hommes de ces temps anciens à cause de l’instabilité des conditions thermiques et de la pluviosité. Ce que résume Marchand (2014) en affirmant que « si, à une large échelle de temps, l’Holocène a été une période de stabilité relative du climat, sa mise en place entre - 15 000 et - 9 000 ans environ avant notre ère fut particulièrement chahutée ». Et G. Pion (2004) confirme que « les conditions climatiques analogues à celles d’aujourd’hui démarrent, en fait, à partir du plein Holocène, c’est-à-dire vers - 8 000 A.C. environ ». Pour s’approcher un peu plus des ambiances subies par nos archers, il est possible d’apporter quelques précisions sur chaque facteur climatique du tableau chronologique évoqué précédemment : 1. Les vents Au cours du Paléolithique moyen, la calotte glaciaire couvre une partie de l’Europe du Nord et les vents continentaux évidemment très froids parcourent le reste du continent, maintenant une végétation de steppe ponctuée de « pins et de bouleaux contenus dans des isolats plus ou moins bien protégés du vent glacial » (Gouraud, 1996). Durant le Paléolithique final et le début du Mésolithique, c’est-à-dire du Bölling au Préboréal soit presque 5 000 ans, les masses d’air ont été soumises à des mouvements très changeants et pour tout dire imprévisibles. Les courants venant du nord ou de l’est, du sud ou de l’océan mettaient nos Sapiens à rude épreuve, les soumettant à des périodes de froid intense suivies de coups de chaleur, de fortes pluies entrecoupées de sécheresses sévères qui provoquaient des modifications de la végétation et des déplacements de la faune sauvage sur laquelle comptaient pourtant nos archers pour se nourrir au quotidien. Nous constatons bien nous-mêmes de nos jours que, lorsque la circulation d’ouest ne tempère plus nos contrées européennes, nous souffrons de coups de froid brutaux venant de Sibérie ou de coups de chaleur et de sécheresse en provenance du Sahara (Sirocco)… et nous nous plaignons alors bien vite des « caprices du temps » ! Ces millénaires ont dû être autrement difficiles à vivre pour nos archers et occasionner des mortalités non négligeables qui expliqueraient d’ailleurs la faible progression de la population de cette époque.
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« À partir du Boréal, plus chaud et sec, les vents sont orientés majoritairement au nord-est puis à la période suivante, au sud-ouest, installant un climat doux et humide » (Gouraud, 1996). Cette circulation, désormais (et enfin !) océanique, va amener une ambiance bien plus constante et agréable dont nous-mêmes bénéficions encore, avec quelques variations, aujourd’hui. Toutefois, les contrastes thermiques resteront plus marqués en Europe de l’Est (continentale) qu’en Europe de l’Ouest où l’influence océanique est toujours plus prégnante. 2. Les températures Au cours de la déglaciation, comme nous venons de le mentionner, l’instabilité du climat s’est traduite par des amplitudes thermiques très importantes et imprévisibles. Ainsi, « entre - 13 000 et - 7 500 A.C., le réchauffement est (véritablement) chaotique puis les températures seront identiques aux actuelles » (Ghesquière, 2015). Durant ces premiers millénaires difficiles, « les chasseurs s’épanouissaient alors dans un environnement de toundra/steppe caractérisé par des températures certes plus froides que celles que nous connaissons actuellement, mais avec un ensoleillement beaucoup plus important qui permettait le développement de ressources végétales et herbeuses importantes, fondamentales pour la subsistance des grands troupeaux d’herbivores qui pullulaient à cette époque » (Teyssandier, 2019). Sur les sept millénaires considérés, l’élévation thermique moyenne a été voisine de 2,6 degrés/1 000 ans… avec un début de réchauffement très rapide (15° C en 3 000 ans), mais parsemé de plusieurs coups de froid (dont le Dryas III). Toutefois, à partir du Préboréal, le gradient était plus modéré (2,5° C en 2 000 ans) et ensuite plus faible à l’Atlantique (1° C au cours des 2 000 ans suivants). « C’est vers - 9 200 avant notre ère, depuis la fin du Dryas récent, que le climat a connu un changement radical (c’est-à-dire) une série d’oscillations fraîches dans un ensemble tempéré (qui) a succédé à la série d’oscillations tempérées dans un ensemble encore froid (quoique tendant à se réchauffer) qui était de mise depuis la fin de l’interstade de l’Alleröd » (Mehu, 2004). La plupart des climatologues parlent d’un réchauffement très rapide à partir du Bölling, d’autres évoquent « une oscillation tempérée du Bölling » (Gouraud, 1996). Tous constatent la baisse des températures pendant l’Alleröd et surtout le Dryas récent. Les « chaleurs » d’été ne dépassaient guère 12-13° C dans la région de Liège où le renne, qui ne supporte pas une température plus élevée, était omniprésent. S’en est suivie une remontée thermique rapide au Préboréal et ensuite une élévation progressive et régulière pendant l’Atlantique pour atteindre des températures voisines de celles que l’on connaît actuellement (Ghesquière, 2014). Au Dryas III, comme d’ailleurs à l’Alleröd, en Basse Provence, il faisait véritablement froid en hiver puisque les températures moyennes mensuelles 27
ne dépassaient pas les 2 à 3° C et pas très chaud en été puisque celles de juillet n’atteignaient que 20° C (Fabre, 1971). Le caractère tempéré de l’Alleröd était donc assez relatif ! Concernant les dégradations climatiques, « la mieux connue a eu lieu vers - 6 200 ans avant notre ère, à cause de la rupture d’un gigantesque lac glaciaire nord-américain qui, en se déversant dans l’actuelle Baie d’Hudson et donc dans l’océan Atlantique, en aurait considérablement refroidi la température et le climat mondial par conséquent » (Demoule, 2018)… et pour ne rien arranger, cet accident climatique s’est accompagné d’une sévère aridité dans tout le sud de l’Europe. Il faut toutefois relativiser les effets de ces variations sur les populations humaines, car beaucoup d’entre elles se sont déroulées sur un temps assez long sans dépasser 0,5°/siècle. Les archers avaient donc la possibilité de s’adapter. Le réchauffement que nous connaissons actuellement est finalement bien plus rapide ! 3. La pluviosité Dans son ouvrage sur L’histoire du Lubéron (2004), J. Mehu nous donne une description relativement précise de l’évolution des précipitations durant la période qui nous intéresse. « Le contexte était donc à l’instabilité (des températures et des pluies) pour les premiers temps du Postglaciaire… Il semble que les entrées d’air océanique aient alors été très faibles, ce qui a profité à la circulation méridienne. Cette dernière assure les remontées d’air tropical tout autant que les coulées d’air polaire. Or, à cette époque, le front polaire qui correspond à la zone de contact entre l’air polaire et l’air tropical oscillait entre le nord de la Méditerranée occidentale et notre arc côtier sur lequel il débordait fréquemment. On comprend alors la violence qu’ont pu revêtir, dans le Midi, les orages de cette période, lorsque les masses d’air polaire très sec venaient soudainement coiffer l’air chaud qui stagnait sur les rives de la mer après s’être chargées d’humidité au-dessus de celle-ci ! Quelques grottes situées à des hauteurs impressionnantes ont conservé de ces temps le souvenir de crues dantesques, comme en témoignent les traces observables dans les sites surplombant les gorges du Verdon ou celles d’Auriolles, au-dessus de la Beaume, affluent de l’Ardèche », et il ajoute que « pour les précipitations (en particulier), une combinaison de sécheresses et d’orages extrêmement violents s’est imposée par à-coups, avec de plus en plus d’insistance à partir de la fin du Xe millénaire… mais le phénomène avait débuté bien avant ». Selon le même auteur, « c’est seulement parvenu presque au terme du Mésolithique que le climat s’est (véritablement) modifié vers - 7 000/- 6 900 avant notre ère. Les entrées d’air océanique se sont alors renforcées, pénétrant loin en Europe. En outre, la nouvelle augmentation des températures a fait remonter le front polaire bien au-delà de notre région (méditerranéenne), libérant progressivement celle-ci des orages qui l’avaient 28
meurtrie pendant une partie du Paléolithique final et du Mésolithique. L’air tropical chargé d’humidité au-dessus de la Méditerranée est devenu source de précipitations douces et régulières qui sont venues compléter les entrées d’air océanique ». La vie en plein air n’a donc pas été, pendant des millénaires, une partie de plaisir ! Heureusement, pourrait-on dire, malgré les pluies orageuses de l’Épipaléolithique, la hauteur des précipitations est restée faible en moyenne jusqu’à la fin du Boréal. Pour l’ensemble de l’Europe, le niveau d’humidité est allé ensuite croissant et à l’Atlantique, il pleut donc beaucoup plus et la forêt s’épaissit. Vers - 5 800 à - 5 500 A.C., elle devient dense. Le sous-bois forestier est plus touffu et les périodes de brouillard plus nombreuses, ce qui complique probablement la chasse en rendant plus difficiles l’orientation et le repérage des animaux. Toutefois, dans certaines circonstances, cette nébulosité peut faciliter l’approche. Si on essaye de se mettre à la place de nos archers, on peut se demander comment ils « vivaient » ces chutes brutales de pluies qui n’apportaient a priori que des désagréments. Un éleveur ou un agriculteur souhaite la pluie qui fait verdir ses pâturages ou pousser ses cultures… mais pour un chasseur, quel intérêt ?! De nos jours encore, le chasseur n’aime pas beaucoup la pluie qui contrarie ses opérations cynégétiques. Ceci dit, les produits de la cueillette (développement des plantes comestibles, pousse des champignons, etc.) dépendaient bien des précipitations et nos archers avaient sûrement constaté leur effet. L’évaporation des flaques sur les rochers humides après l’orage par exemple, était probablement source d’étonnement et la constitution des nuages un mystère… Quant au cycle de l’eau ! 4. L’enneigement Pendant ces sept millénaires, les hivers et les coups de froid (au moins cinq du Bölling à l’Atlantique ancien selon G. Marchand, 2014) ont régulièrement apporté de la neige qui arrivait parfois, comme la pluie, en tempêtes, mais avec des recouvrements probablement assez modestes, car le climat a été longtemps plutôt sec. Pour des hommes vivant en pleine nature, ce manteau neigeux devait sérieusement compliquer l’approvisionnent en nourriture végétale (cueillette) et même animale (déplacements plus difficiles). Toutefois, dans la neige, il est plus aisé de suivre les traces de gibiers et la poursuite est plus silencieuse. Les approches sont donc plus efficaces. Le piégeage est également plus productif. C’est si vrai que de nos jours, il est interdit, en général, de chasser par temps de neige, car le gibier est plus vulnérable. Les expéditions devenaient toutefois plus périlleuses, car en cas de tempêtes, beaucoup de repères disparaissaient et les chasseurs pouvaient se perdre dans les tourbillons de neige. Si, pendant le Mésolithique, la circulation d’ouest des masses d’air s’est stabilisée progressivement, pendant les trois derniers millénaires, installant des saisons mieux marquées, il n’en était pas de même, comme il a été dit plus haut, pendant les quatre millénaires précédents au cours desquels des 29
hivers longs et rigoureux ont limité la survie de nombreux groupes seminomades incapables de résister aussi longtemps à de si sévères privations. Ce mode de vie ne permet pas, en effet, de stocker de la nourriture au-delà de quelques semaines. Comme les loups d’aujourd’hui, nos archers ont probablement dû marcher souvent le ventre vide ! Pour corser le tout, cette neige, associée à un froid plus ou moins intense, devait provoquer de douloureuses morsures, des crevasses aux mains, des gélivures aux pieds et des craquelures sur la peau, donc des moments de grandes souffrances. Comme pour la pluie, l’arrivée de la neige devait être une source d’étonnement pour les Mésolithiques qui ignoraient évidemment comment se fabriquaient les flocons à partir de l’eau des nuages. En revanche, ils avaient dû vérifier comment ces mêmes flocons se transformaient en eau dès que la température s’élevait. 5. Les autres intempéries Les archers ne connaissaient évidemment pas les raisons qui expliquent les vents et les tempêtes, mais il est probable qu’en fins connaisseurs de l’état du ciel, ils avaient acquis une expérience suffisante pour prévoir le temps quelques jours à l’avance… et c’était préférable avant d’engager de longues marches pour chasser ou visiter d’autres groupes éloignés. Nos paysans du siècle passé, privés de météo, savaient aussi quand arrivaient la pluie et parfois l’orage. Ils sentaient venir la neige ou le gel. Mais reconnaissons que pour des sédentaires, le risque vital était moindre que pour des nomades ! Dans toute l’Europe, nos archers vivaient près des rivières, des lacs et souvent des marais qui occupaient les délaissés des cours d’eau et les bords d’estuaires. Lorsque la glace recouvrait ces étendues aquatiques, ils ne pouvaient plus pêcher et l’accès à l’eau devenait difficile, voire impossible, par très grands froids. Il fallait donc faire fondre de la glace (ou de la neige) pour pouvoir boire, à moins que le camp ne soit situé près d’une source. Mais cette dernière pouvait aussi s’assécher en cas de gel et, bien sûr, en été, comme nous le constatons encore aujourd’hui. La survie du groupe dépendait donc aussi sur ce point de l’expérience et des choix d’installation des anciens qui, ayant vu ces phénomènes se répéter, avaient la responsabilité de ne pas se tromper de lieu pour passer l’hiver. Nos archers savaient parfaitement que l’eau peut geler en cas de froid vif, mais ils devaient avoir du mal à comprendre, et bien sûr expliquer, la chute de grêle (et donc de glace) en pleine chaleur à la fin du printemps ou en début d’été. Même si les plus âgés avaient vu le phénomène se répéter plusieurs fois au cours de leur existence, cette énigme devait persister dans leur esprit aussi perspicace que le nôtre ! Comme dans toutes les forêts du monde, la foudre provoque occasionnellement des incendies qui peuvent parcourir d’immenses territoires comme en Australie, en Californie, en Amérique du Sud, et 30
parfois en Asie… Ils se sont très vraisemblablement produits en Europe, durant les étés secs, provoquant l’éclatement des arbres et des mises à feu multiples susceptibles de ravager des territoires entiers, ceux-là mêmes qui abritaient des petits groupes humains installés dans les clairières. Les anciens, avertis par les fumées, tentaient sûrement de sauver leurs familles en fuyant… mais comment choisir la bonne direction quand les vents sont tournoyants ? Pour ceux qui randonnent en pleine montagne actuellement et à plus forte raison pour les archers vivant en pleine nature, les grondements du tonnerre et les zébras des éclairs ont quelque chose de terrifiant. Il n’est pas surprenant que de nombreuses peuplades redoutent encore aujourd’hui la fureur des cieux. Selon M. Pathou-Mathis (2007), « les San du Kalahari (qui ne connaissent pas non plus les causes des orages et de la foudre), ont très peur du tonnerre ». « Le feu du ciel » était donc certainement vécu avec crainte. Quant aux mises à feu par l’homme, elles n’étaient peut-être pas si rares. Au Mésolithique, certains chercheurs suspectent l’éclaircissement volontaire des forêts par des incendies volontaires de broussailles en période hivernale (sécheresse de fin d’hiver) ou estivale (août ou septembre) pour installer des herbages favorables aux cerfs ou aux aurochs. Il n’y a pas de raisons que nos premiers Européens n’aient pas découvert l’intérêt de ces pratiques, régulièrement utilisées par certains peuples amérindiens, pour attirer les grands herbivores… mais la question sera abordée plus loin.
C. LES PERTURBATIONS GÉOLOGIQUES Même si leur occurrence se produisait sur un pas de temps bien différent, d’autres événements naturels pouvaient effrayer nos archers, et en particulier les éruptions volcaniques. 1. Les éruptions volcaniques Pendant la déglaciation, plusieurs régions d’Europe ont connu une activité volcanique soutenue. Des éruptions importantes ont eu lieu, il y a environ - 12 000 ans A.C., dans la région des Champs Phlégréens près de Naples en Italie où des groupes humains étaient installés depuis longtemps. La dernière éruption du Panarea date de - 8 000 ans A.C. Les volcans, parmi les plus actifs durant la période qui nous intéresse, en Europe, sont sans doute ceux de la Chaîne des Puys. Le paroxysme d’activité de certains d’entre eux, selon J.-M. Bardintzeff (1989), a en effet eu lieu entre - 10 000 et - 8 000 ans B.P. (c’est-à-dire au Boréal et à l’Atlantique) au milieu d’un vaste manteau forestier qui couvrait le département du Puy-de-Dôme et en présence des chasseurs-cueilleurs « auvergnats » qui ont dû alors connaître de grosses frayeurs ! Les projections ont recouvert des milliers d’hectares et des cendres provenant de ces éruptions successives ont été trouvées jusqu’en 31
Suisse. À Volvic, non loin de Clermont-Ferrand, un os de bovidé (probablement un aurochs) a été retrouvé dans la lave. Le complexe Pavin-Estivadoux a connu des éruptions pendant presque 5 000 ans et le soubassement du lac du même nom est encore très chaud ! Le Puy de Montchal ne date que de 6 000 ans et celui de Montcineyre est resté actif depuis 3 500 ans jusqu’à l’ère chrétienne. Au cours du Mésolithique, d’autres éruptions ont bien eu lieu dans la Chaîne des Puys, mais ces épisodes ont été relativement brefs et ont concerné des régions finalement limitées. Elles ne semblent pas, en tout cas, avoir été suffisamment dissuasives pour empêcher les archers de s’installer dans ces montagnes, d’autant que, pendant ce délai, le Mont d’Or et le Cantal sont restés « très calmes » si l’on en croit F. Surmely (2003). En Grèce et au Portugal, les volcans ne se sont pas manifestés durant la période récente, mais il n’en a pas été de même pour ceux d’Espagne qui sont restés actifs jusqu’au Paléolithique final (- 13 550 à - 10 000 ans A.C.). 2. Les tremblements de terre L’activité volcanique en Europe, bien que localisée à certaines parties du continent, s’est inévitablement accompagnée de tremblements de terre plus ou moins violents, suivis d’inévitables répliques. Pour les humains, ces grondements venant de la terre devaient être ressentis comme mystérieux, inquiétants et occasionnellement terrifiants. Même si la végétation, la faune sauvage ou les communautés de chasseurs réfugiées dans leurs cabanes n’étaient pas exposées directement aux dangers de ces séismes, certains effets pouvaient créer des peurs comme les éboulements de falaise ou les mouvements d’eau de certains lacs… alpins, par exemple. 3. Les tsunamis Sur ce dernier point justement, il est évident que toutes les vagues géantes qui ont envahi le très long littoral marin de l’Europe (200 000 km de côtes environ) durant le Mésolithique n’ont pas été répertoriées et ne le seront probablement jamais. On sait toutefois qu’au nord de l’Europe, une catastrophe naturelle d’envergure s’est produite vers - 6 100 A.C. consécutivement à un tremblement de terre suivi d’un glissement de terrain. Un tsunami géant a balayé tout le pourtour de la mer du Nord. Des vagues de 12 à 15 m, et peut-être de plus de 20 m, ont dévasté les côtes de la Norvège, du Danemark, des îles Shetland, mais aussi de l’Angleterre et de l’Écosse. Il a causé la disparition d’une bonne partie des populations locales installées sur le littoral ou à proximité. Au sud, en 7 000 ans, il est probable que des phénomènes semblables ont eu lieu en Méditerranée, détruisant les campements côtiers souvent installés très près du rivage, et ceci dès la remontée du niveau de la mer au Bölling. Il semble qu’il ne soit rien resté de ces événements tragiques dans la mémoire
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collective des occupants rescapés qui, par la suite, se sont installés à nouveau près des côtes. En l’absence d’écritures et de documents enregistrés (sur parchemin ?), les pêcheurs ne pouvaient prévoir ou même imaginer ce type de catastrophes, d’autant que les données véritablement précises de la mémoire humaine ne peuvent se transmettre efficacement que pendant quelques générations seulement. Les intervalles entre ces épisodes étaient probablement trop grands pour que les groupes attirés par le littoral poissonneux, mais exposé à ces cataclysmes, puissent se méfier à l’avance du danger. Au Néolithique, on sait maintenant que l’explosion du Santorin (en - 1 650 A.C.) a produit un tsunami dévastateur en Méditerranée orientale, qui a anéanti de nombreuses communautés de pêcheurs et la civilisation minoenne en particulier.
D. LA VOÛTE CÉLESTE Elle devait apparaître comme un « immense couvercle bombé » à nos hommes préhistoriques. C’est toujours l’impression que l’on a de nos jours par une nuit très claire dans une campagne très sombre ! … Au Mésolithique, le ciel nocturne était très pur (de toute pollution) et la nuit parfaitement noire ! Pour des hommes de la nature, cette voûte céleste était sans doute familière, car ils étaient amenés à la contempler de l’aube où les rayons sont encore rasants jusqu’au couchant alors frangé de couleurs rougeoyantes. À partir du moment où la terre était considérée comme plate, la voûte ne pouvait être perçue que comme recouvrante et parsemée, dès l’obscurité venue, d’étoiles incrustées à sa surface. Impossible d’imaginer la profondeur du système solaire et l’infinie petitesse de notre planète. Beaucoup de chasseurs-cueilleurs, parce que nomades, savaient que le continent européen était bordé par des mers. Ils venaient eux-mêmes parfois du littoral ou rencontraient des compagnons de voyage qui l’avaient vu. Ils se doutaient bien que certains coquillages échangés ne venaient pas de l’eau douce, car ils n’en avaient jamais trouvé lors de leurs pérégrinations continentales. Ils devaient en conclure que leur univers avait la forme d’une demi-sphère à fond plat fermée par des océans. Ils étaient sans doute remplis d’admiration, mais aussi de questionnements sur ce « couvercle illuminé » qui, pour eux, enfermait la terre plate qu’ils habitaient. Si l’on a dormi au moins une fois dans le désert, on peut se faire une idée de l’impression ressentie par ce spectacle extraordinaire tout à la fois « envoûtant » (c’est le cas de le dire !), mais aussi « inquiétant » (car quelque part oppressant), source d’interrogation, de réflexion, voire de méditation. De nos jours, il est bien difficile de connaître une nuit sans aucun bruit d’avions, d’automobiles, de trains ou de radios ! Le silence devient rare. Il est réparateur, mais ne convient pas forcément à ceux qui, toujours en action, ne supportent guère le calme !
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Comment nos archers pouvaient-ils expliquer, le matin, l’arrivée de la lumière au Levant, quelques heures avant l’apparition du soleil et le maintien d’une clarté crépusculaire après son coucher ? Ils avaient probablement compris que le défilé des nuages expliquait la baisse de luminosité diurne, mais ne pouvaient imaginer que la clarté de la lune était due au soleil. Et comment comprendre que ce disque lumineux restait suspendu dans le ciel, changeait de forme (pleine lune et quartiers) pour revenir enfin à son cycle initial tous les 28 jours ? Les ethnologues ont montré que les cycles solaires (saisons) et lunaires (mois) ont rythmé au Postglaciaire, et sans doute bien avant, la vie domestique et les fêtes collectives toujours en vigueur chez les peuples premiers. Plus récemment, les célébrations dites païennes puis chrétiennes en ont gardé le souvenir. À défaut d’autres « distractions », le mouvement des astres « animait » donc l’existence des hommes. Ils percevaient d’ailleurs ces derniers disques célestes comme vivants, puisque changeants. De plus, ils en voyaient les effets : le soleil réchauffe la terre, fait évaporer l’eau et pousser les plantes. Finalement, les Indiens Kogis de la Sierra Nevada de Santa Maria n’ont-ils pas raison de dire que « le soleil travaille » ?! Mais l’homme est un être à part puisqu’il est capable de prolonger en quelque sorte la durée du jour en s’attardant près du feu le soir et en créant de la lumière en allumant un brasier avant la fin de la nuit. Ce « compagnon incandescent », inséparable des humains depuis au moins 500 000 ans, a permis de s’affranchir de cette nuit noire et redoutée imposée par la nature, et même de tenter des intrusions dans les cavernes où régnait, pour certains, l’esprit des morts. Pour qui vit dans la nature, la nuit reste obsédante et inquiétante. À part le rougeoiement des braises protectrices du foyer, l’environnement des camps apparaissait hostile, car déchiré par le cri des loups et des rapaces nocturnes et parfois le souffle chaud de l’ours ! Dès que la luminosité tombe, à la différence de celle des humains, l’activité de beaucoup d’animaux s’accélère (herbivores et prédateurs) et laisse à penser que le monde vivant appartient désormais à la vie sauvage nocturne. L’homme, mammifère diurne s’il en est, n’est alors pas forcément le bienvenu ! Une raison pour laquelle, comme de nos jours, l’aube était et reste toujours attendue avec soulagement ! Pour les groupes humains qui avaient suivi les troupeaux de rennes au Grand Nord, un autre spectacle stupéfiant s’imposait : les aurores boréales. Une manifestation céleste toujours interprétée par les Inuits comme « un signe envoyé par les morts aux vivants ».
E. L’ENVIRONNEMENT VÉGÉTAL Au début du réchauffement, le front glaciaire et la steppe froide qui l’entourait se sont déplacés simultanément vers le nord, libérant des territoires rapidement colonisés par les associations végétales initialement
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cantonnées dans les zones refuges du sud de la Méditerranée (Italie), de la mer Noire (Turquie) à climat plus doux et de la façade ouest (Espagne et Portugal) directement influencée par l’ambiance océanique. Deux auteurs ont brossé à leur façon les transformations qui ont suivi : À partir du Paléolithique final, « des évolutions climatiques limitées dans le temps ont entraîné une oscillation latitudinale des formations végétales : autour des années - 10 000 A.C., en effet, un refroidissement sévère (Dryas III) a provoqué aux Pays-Bas, en Belgique (et probablement en Allemagne) une disparition de la forêt de l’Alleröd » (Rozoy, 1978) et « un recul des arbres au sud des Alpes » (Leroi-Gourhan, 1971), alors qu’au Préboréal puis au Boréal et surtout au début de la période Atlantique (- 7 000 à - 6 000 A.C.), un réchauffement sensible a facilité la remontée du chêne et du charme vers le nord. « Sous nos latitudes, les vastes étendues de graminées et de Cichoriées (Astéracées) de la fin du Paléolithique furent remplacées vers - 8 050 A.C. (Boréal) par le commencement d’une propagation continue des arbres tempérés à travers toute l’Europe. Les premiers arbres à se propager et à occuper de grands espaces durant les 2 à 3 premiers millénaires, dont témoignent les grandes quantités de pollens retrouvés dans les sédiments, sont le noisetier, le chêne et accessoirement l’orme. D’autres arbres dont le frêne, le tilleul apparaissent plus tardivement à l’intérieur d’une forêt mixte encore dominée par le chêne et le noisetier. L’aulne envahit les dépressions humides » (Bouvry, 2007). Après cette présentation rapide et pour bien cerner l’état du couvert végétal que nos archers ont fréquenté durant ces sept millénaires, il y a lieu de décrire les étapes successives de l’évolution de sa composition herbacée, arbustive et arborescente. 1. L’évolution de la végétation de la fin du Pléistocène à l’Holocène Avant le Bölling, « au cours du dernier maximum glaciaire, vers - 21 000 A.C., le niveau de la mer est situé à - 120 m au-dessous du niveau actuel. La surface de l’Europe de l’époque est alors supérieure à celle que l’on connaît actuellement, même si une partie est sous la glace. La végétation principale est formée par la toundra, c’est-à-dire par des lichens que les rennes du Paléolithique supérieur aiment brouter. La péninsule Ibérique, comme l’Italie et la Grèce, est principalement couverte d’une steppe herbacée à armoise où quelques arbres (pins et bouleaux) arrivent à subsister » (Thiébault, 2010). La taïga (forêt résineuse) est confinée à quelques régions montagneuses du sud de l’Arc alpin et des Carpates. Des îlots à chêne et à noisetier occupent le sud de l’Italie et de l’Espagne. Avec le réchauffement qui s’amorce, le passage de la toundra et/ou de la steppe à des formations boisées a provoqué une augmentation progressive et significative de l’offre alimentaire pour la grande faune qui se diversifie, et donc pour les chasseurs, mais aussi les cueilleurs. 35
Pendant le Bölling (- 12 750 à - 12 000 A.C.), en Suisse, dans la vallée de la Birse, les archéologues ont bien identifié une période froide initiale où la toundra occupe encore de vastes territoires en cours de déglaciation, mais de grandes étendues de l’Europe moyenne, désormais épargnées par le climat périglaciaire, se recouvrent progressivement d’une steppe périarctique à saule, à genévrier et à bouleau. De nombreux terrains, devenus marécageux suite au dégel, sont colonisés par des boulaies à roseaux (Phragmites) et des brousses à joncs.
Aspect d’une formation à bouleau et à roseau sur marais basique. « La petite Sibérie » – Les Rousses – Jura français. Photo : B. Bachasson.
Plus au sud, en Dordogne, une première installation de genévrier et de bouleau est constatée. Ces deux espèces sont aussi présentes dans les landes, mais le pin et l’argousier forment localement des îlots un peu plus fournis. Pendant l’Alleröd, à partir de - 12 000 ans A.C., des températures plus clémentes en moyenne facilitent une colonisation de la steppe par des buissons puis des bouquets d’arbres, dont le pin. Ce paysage en mosaïque persiste jusque vers - 9 800 ans A.C. (Patou-Mathis, 2013). C’est au cours de l’Alleröd que s’effectue la colonisation de nombreux territoires par le pin (Leroyer, 2018) qui se trouve alors souvent en mélange avec le bouleau. Avec l’élévation thermique, il progresse par la suite aux dépens de cette dernière espèce. À l’Azilien, le couvert végétal est donc surtout composé de pins et de bouleaux. 36
Dans le sud des Pays-Bas, « l’épisode Alleröd débute, sous climat continental, avec bouleau dominant et par la suite l’ambiance devient plus océanique et c’est le pin qui domine » (De Jong, in Rozoy, 1978). Les pollens d’arbres atteignent près de 90 % du total des pollens identifiés. Se constitue alors une forêt que l’on peut déjà considérer comme « tempérée »… près de l’océan. Les saules sont toujours présents en faible quantité, mais l’armoise, les cypéracées et les graminées se raréfient… ce qui exclut « dans ces conditions, que le renne ait pu persister et le cerf l’a certainement remplacé » (Hammen, 1951, 1957). Dans le Midi de la France, le réchauffement de l’Alleröd est très rapide et on constate une forte poussée de la forêt (Rozoy, 1978). En Basse Provence, le pin sylvestre est alors associé au pin d’Alep. On repère quelques phases de récurrence froide, mais au global, le climat de l’Alleröd y est relativement plus doux. On observe même l’apparition d’essences thermophiles qui ont laissé une grande diversité de pollens bien identifiables. « Dans tout le Midi, l’épisode Alleröd se présente, dès le début, comme une époque de forêt dense où le chêne et le noisetier sont dominants » (Leroi-Gourhan, 1971). On y détecte encore (grâce à l’étude pollinique), du tilleul et du pin sylvestre, mais aussi du chêne kermès indiquant que le peuplement est, au moins par endroit et/ou par moment, ouvert et s’apparente donc à une garrigue (sur substrat calcaire) ou un maquis (sur sol acide). Avec l’accélération de la déglaciation, ces ensembles vont remonter vers le nord et la forêt a recolonisé les boulaies à pin qui, elles-mêmes, se sont installées à la place des steppes initiales. Une bonne partie des plaines et collines européennes se sont donc couvertes de futaies plus ou moins denses qui allaient se maintenir pendant une bonne partie du Mésolithique. Pendant l’Azilien, dans le Périgord, la chênaie mixte s’est enrichie du noisetier, du tilleul et du nerprun. Elle a régressé en partie avec le coup de froid du Dryas III, mais des arbres en bouquets se sont toutefois maintenus (Rozoy-1, 1978). Sur la façade Atlantique, le réchauffement de l’Alleröd a permis (comme indiqué plus haut) le développement des pins qui ont remplacé le bouleau, mais le paysage est resté très ouvert. Par la suite, le chêne a fait son retour avec (comme dans le Périgord) des phases de régressions au cours du Dryas récent, dans le centre-ouest (Marchand, 2014). Pendant le Dryas récent, le refroidissement est marqué. Le niveau de la mer est à - 60 m. Les forêts de pins et de bouleaux, installées dans une bonne partie de l’Europe, régressent. La toundra se déplace à nouveau vers le sud. Le coup de froid a ramené une steppe à armoise, parsemée de quelques bouquets de pins et de bouleaux. Au nord de l’Allemagne, certains résineux atteignaient toutefois 40 cm de diamètre et dominaient des sous-bois riches en saules. De rares pollens de chêne, d’aulne et d’épicéa indiquent qu’une forêt plus dense existait vers le sud. Dans les Pays-Bas, les pollens d’arbres sont moins abondants (Hammen, 1951, 1967) et la steppe à armoise semble donc omniprésente. 37
En Basse Provence, le Dryas III paraît avoir été très froid et assez humide avec une raréfaction très forte des arbres. Le paysage ressemblait donc à une steppe froide. Plus bas en latitude, une steppe sèche occupe la moitié sud de l’Espagne, le nord de l’Italie et les Balkans. Dans le sud de l’Europe, en Espagne comme au Portugal, la forêt mixte s’était développée à la faveur du réchauffement de l’Alleröd. Mais au Dryas récent, « plus froid et sec, le chêne connaîtra un déclin au profit des pins et un développement des zones ouvertes parsemées d’arbustes méditerranéens : oliviers et pistachiers » (Marchand, 2014). Par la suite, le chêne est revenu, mais le boisement s’est diversifié sous l’effet de périodes plus chaudes et sèches (- 8 200 et - 5 800 A.C.). Durant la transition entre le Dryas récent et le Préboréal (- 9 700 A.C.) régnaient encore à Istres (abri Cornille) le pin et le chêne vert associés au genévrier, au pistachier et à la philaire. Mais la forêt semble ensuite avoir régressé comme peau de chagrin (sécheresse ?) pour ne plus occuper, dans le courant du IXe millénaire, que le bord des rivières (ripisylve) et quelques zones privilégiées (abri des bœufs à Aix-en-Provence). « La proportion des arbres est alors tombée de 80 à 10 % des essences végétales. L’ensemble des plantes subsistantes conservaient cependant une teinture très méditerranéenne » (Méhu, 2004). Pendant le Préboréal, les graminées, omniprésentes avant cette période, se sont trouvées localisées dans les clairières forestières ou sur les pentes rocailleuses et les terrains trop pauvres (sables, arènes granitiques, etc.) pour porter une forêt fermée. Le bouleau devient plus rare alors que le pin connaît une forte extension relayée par le noisetier. Les espèces mésophiles commencent alors à s’installer (Leroyer, 2018). La forêt s’est densifiée progressivement avec des espèces à feuilles caduques et la présence marquée du noisetier. Mais les clairières étaient nombreuses si l’on en croit l’abondance des graminées détectées dans les diagrammes polliniques. Par la suite s’ajoutent l’orme et le chêne vert et tout le cortège des mésothermophiles qui vivent en milieu tempéré chaud. « Au début de l’Holocène, vers - 8 000 A.C., le niveau de la mer est à - 20 m. Les formations littorales initiales régressent avec un trait de côte qui se rapproche de l’actuel. La forêt tempérée, majoritairement composée par le chêne à feuillage caduc, accompagné de l’orme, de l’érable, du noisetier, se développe sur l’ensemble de l’Europe » (Thiébault, 2010). La taïga colonise le nord-est du continent et la végétation méditerranéenne s’installe au sud-est de l’Espagne, de la botte italienne et de la Sicile ainsi qu’en Corse, en Sardaigne. Toutefois, cette répartition latitudinale s’est trouvée modifiée, à l’est, par le retour des influences océaniques plus clémentes qui ont fait « remonter » plus au nord les bandes de végétation, et à l’ouest ces dernières se situent en position encore plus franchement septentrionale à cause d’une influence marine nettement affirmée.
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À la fin du Préboréal, à Birsmatten (canton de Berne en Suisse), la végétation est composée de 50 % de pins et il y a une abondance des herbacées (Rozoy, 1978). Au même moment, la Normandie était recouverte de forêts (Richard, 2004). Dans l’Ain, près de Sermoyer, la station des Charmes installée sur les sables dunaires de la Seille a révélé l’abondance des coquilles de noisettes carbonisées « ce qui permet de rattacher ce site à la fin du Préboréal/début du Boréal avec transition de la sylve de conifères (pins) à la sylve caducifoliée » (Bereiziat G. & Cartonnet M., 2017). Plus au sud, en Dordogne, la forêt est riche en chênes, aulnes, pins et ormes. Dans toute l’Europe, le noisetier est associé à la plupart des formations forestières et se trouve particulièrement abondant à l’ouest où les archers font grande consommation de ses fruits. Si la température s’élève régulièrement pendant tout le Préboréal, des oscillations froides (vers - 8 800 et - 9 500 « PBO » A.C.) et d’ampleur limitée se sont toutefois produites (Bandi et coll., 1954), modifiant durant parfois moins d’un siècle la composition des boisements. Pendant le Boréal, les conditions climatiques deviennent encore plus favorables et autorisent le développement d’un couvert boisé fourni qui verra son apogée à l’Atlantique. Une véritable futaie (les cernes des charbons de bois trouvés sont serrés) caducifoliée mixte de pin, d’orme, de tilleul et de chêne occupe alors le nord de l’Espagne jusqu’en Europe centrale, sans toutefois montrer un couvert continu, pour preuve la présence de pollens de noisetier, mais aussi de graminées qui révèlent l’existence de milieux non forestiers. La question est de savoir s’ils sont dus à des tempêtes, des incendies accidentels (foudre ou braises abandonnées) ou volontaires (mise à feu pour la chasse). La présence de cigognes témoigne de l’existence de milieux ouverts riches en zones humides (Rozoy-1, 1978). L’extension des feuillus et surtout le développement généralisé du noisetier représentent une aubaine pour les cueilleurs de fruits. L’épicéa ne se répandra véritablement qu’à l’Atlantique récent. La chênaie mixte fait régresser partout le pin et se maintiendra encore pendant tout l’Atlantique ancien, période où le sapin et le hêtre commenceront aussi leur colonisation (d’après le diagramme pollinique de H. Richard & J.-C. Rougeot, 2004). Cette forêt tempérée recouvre alors les plaines et collines d’Europe du Nord jusqu’en Russie, les montagnes se boisent. Le littoral méditerranéen se couvre d’une végétation thermophile. En Basse Provence (Châteauneuf-les-Martigues), les espèces végétales sont toutes xérothermiques. Elles supportent la sécheresse et ont besoin de chaleur. « Les charbons des foyers montrent du genévrier, le pin est rare » (Vernet, 1971). Les pollens des arbres sont peu abondants, mais indiquent cependant la présence du pin d’Alep, du tilleul, un peu de bourdaine et très peu de chênes (pédonculé et kermès). C’est donc un paysage très ouvert, mais on sait que depuis la fin de la glaciation, la forêt n’y a jamais été très dense. À son début, la période Atlantique n’est pas beaucoup moins sèche, le pin dominant le chêne kermès. On peut dire que le climat méditerranéen 39
s’installe dès le début du Boréal. Ensuite, à l’Atlantique, une humidité marquée retarde l’apparition de la classique association : chêne kermèsoléacée-pistachier-noyer-cyprès. Au début de l’Atlantique, l’avancée de la chênaie s’est faite à partir de deux noyaux « résiduels » du Tardiglaciaire. Le premier originaire d’Espagne qui a donné la chênaie atlantique et le deuxième originaire des Balkans qui s’est étendu en Europe centrale et orientale dès le Boréal. Le fruit du chêne, très lourd, n’est pas propice à une dissémination rapide, mais la nature a « commis » plusieurs agents responsables de la conquête de cette formation, à savoir le pigeon ramier et surtout le geai qui transporte beaucoup de glands, oublie à l’occasion de les manger et les disperse ainsi loin des lisières forestières… un gain de 500 m par an vers le nord tout de même, selon les dernières estimations des forestiers. Les forêts de chênes primaires en zone tempérée font partie des formations végétales à biomasse élevée (40 kg/m2 selon Binford, 2001) et à forte productivité (1,2 kg/m2/an selon Ramade, 2009), bien au-dessus des performances des steppes et des toundras. Les estuaires et les marécages sont connus pour être très productifs également (entre 1,5 et 2 kg/m2/an). Quant aux forêts secondaires (dégradées par l’incendie ou la surexploitation animale ou humaine), leurs performances sont évidemment plus modestes, car la biomasse productive y est plus faible. À l’ouest, la forêt mixte a colonisé le centre de l’Europe et la forêt à feuilles caduques fait transition avec la forêt boréale qui occupe la Finlande, la Suède et la Norvège. En pleine période Atlantique (- 4 500 à - 4 200 A.C.), la végétation de la Belgique était forestière avec domination du tilleul et la prédominance de la forêt est évidente près du Mont-Saint-Michel (Richard, 2004). Sur le site de la Sablonnière (Aisne), les charbons de bois provenaient du chêne alors que celui-ci était peu abondant dans la forêt datée de - 6 240 ans A.C. Pendant la phase très humide de l’Atlantique, en Suisse, à Birsematten, la forêt semble à couvert continu alors que dans la période suivante plus chaude et humide, le paysage paraît plus ouvert avec des prés et des marais, d’où l’abondance des batraciens dans l’alimentation de nos archers. « Toujours dans la vallée de la Birse, le pin, daté probablement du début de l’Atlantique (- 5 300 ans A.C.), est encore abondant, mais on trouve aussi la chênaie mixte à noisetier avec beaucoup de fougères » (Rozoy, 1978). À l’est de l’Europe, pendant le Second Mésolithique, l’Anatolie et le Caucase sont couverts d’une végétation de montagne alors que l’est de la mer Noire est occupé par une steppe sèche. La forêt-steppe, qui constitue une frange de plusieurs milliers de kilomètres à travers l’Ukraine et le Kazakhstan, borde au sud la grande forêt boréale russe qui s’étend approximativement, au nord, jusqu’au 65e parallèle. Au-delà, la forêt s’éclaircit pour laisser place à la toundra. Dans le Midi, « au terme du Mésolithique, en corollaire à une augmentation des fougères, le couvert forestier a alors très rapidement 40
regagné le terrain perdu. Mais aux essences méditerranéennes se sont alors associées la chênaie de type atlantique et diverses espèces tels le tilleul, le noyer ou l’orme » (Méhu, 2004). Dans la moyenne vallée du Rhône et les Préalpes, beaucoup de stations de collines et de plaines de l’Atlantique ancien montrent des paléosols développés sous couvert herbacé, ce qui indique la présence de clairières dont on ignore pour l’instant l’étendue. « En Provence on trouve le buis, le genévrier, le nerprun, le noyer sauvage, le chêne vert, le frêne, le pin maritime, le cyprès et l’amandier » (Barbaza, 1999). Il faut considérer toutefois que la faune chassable (cerf, sanglier, aurochs, élan, bison) n’exploite pas la totalité de cette biomasse en bonne partie ligneuse ou souterraine. Elle est plutôt favorisée par des peuplements ouverts (riches en lisières et en clairières) qui offrent un accès facile et abondant aux pousses ligneuses et à l’herbe. Ce fut, semble-t-il, le cas à l’Azilien et au Préboréal. Comme de nos jours, la futaie fermée sert plutôt de refuge et les gagnages (pour l’alimentation des herbivores) sont constitués par les formations arbustives ou les prairies de recolonisation après les incendies et/ou les tempêtes. Les forêts mixtes méditerranéennes présentaient aussi ces mêmes caractéristiques. Il n’y a donc pas lieu de penser que les ongulés traqués par nos archers étaient moins nombreux au début du Mésolithique que pendant la période Atlantique. Ils semblent avoir été toujours abondants durant les sept millénaires, puisque chassés partout. Croire que « l’homme a été rejeté à la côte par le développement des forêts », comme l’ont affirmé certains archéologues du siècle passé, est donc absurde, car il trouvait dans ces dernières et sur leurs marges, tout ce qu’il fallait pour se nourrir. 2. La répartition de la végétation en fonction de l’altitude Dans les plaines d’Europe, le retrait des glaces a laissé un peu partout, depuis la fin du Paléolithique, des dépressions rapidement comblées par des lacs (Bourget, Annecy, Léman, Constance, Balaton, Ladoga, Onega) et d’innombrables marais (franges du nord de l’Allemagne) bordés par des ceintures végétales à forte productivité en matière organique, responsables de la constitution de tourbières à sphaignes ou à roseaux suivant l’acidité des lieux. Les archers se trouvaient ainsi souvent au contact de zones humides prodigues en fournitures de toutes sortes (plantes comestibles, poissons, batraciens, oiseaux aquatiques, etc.). Sur les premières collines, deux arbres sur trois étaient des noisetiers ou des chênes avec, dans le sud et sur les sols acides, des châtaigniers. D’une façon générale, « en région de basse altitude, sous régime océanique le chêne pubescent et le saule pouvaient trouver des conditions favorables » (Barbaza, 1999). Plus haut, le Causse de Sauveterre à 850 m d’altitude, n’était semble-t-il que partiellement boisé (chênaie mixte à noisetier) puisqu’on y trouvait, à la fin du Boréal (- 6 800 A.C.), des brouteurs tels l’aurochs et le cheval (Rozoy, 41
1978) qui ont besoin aussi de beaucoup d’herbe. Par contre, « à l’Atlantique, vu les caractéristiques des charbons découverts dans l’abri de Puechmargues, le Causse noir était vraisemblablement densément occupé, avec une forte présence du chêne pubescent et du pin » (Vernet, 1968). Suite à la reconquête forestière, « les plaines et collines étaient riches en futaies, mais pas forcément les plateaux et les montagnes » (Ghesquière, 2015), car sur les stations à sols jeunes (déglaciation récente) pauvres et secs (arènes granitiques ou pentes caillouteuses), le couvert pouvait se limiter à des landes ou prés-bois et donc offrir des milieux ouverts. Sur le plateau suisse, par exemple, à 670 m d’altitude, on rencontrait vers - 6 600 A.C. : chêne, noisetier, sorbier, frêne, pin, cornouiller. Un peu plus tard, vers - 5 200 A.C., à 700 m d’altitude, le coudrier était associé à la tillaie mixte. Par la suite, la proportion d’arbres indiquée par les pollens va baisser, laissant penser à « un défrichement très modéré » (Leroi-Gourhan & Girard, 1977) et à un développement des fougères, plus abondantes avec l’augmentation de l’humidité de l’Atlantique. En Haute-Loire, à 900 m d’altitude, étaient installés, au Tardenoisien II (Boréal) : bouleau, pin, aulne, chêne, tilleul, orme, noisetier et sapin. En s’appuyant sur la présence de grains de pollen, qui sont particulièrement gros et repérables chez le sapin blanc, on a pu constater « le recul de cette espèce qui, il y a 7 500 ans, poussait à basse altitude dans le Tessin italien » (Schwab, 2006), et s’est donc installée plus haut en altitude avec l’élévation thermique de l’Holocène. Les montagnes d’Europe ont été colonisées avec un certain décalage par rapport aux plaines puisqu’il a fallu attendre que les glaciers puis les névés se retirent pour qu’un étagement végétal s’installe, avec des feuillus dans l’étage collinéen, une futaie mixte résineux/feuillus dans l’étage montagnard (800 m/1 600 m), et des résineux dominants dans le subalpin. Avec un abaissement thermique de près d’un demi-degré par tranche de 100 m d’altitude. La plaine pouvait connaître une température moyenne annuelle de 15° C alors que sur les sommets proches de 2000 m, elle ne dépassait pas 4 à 5 ° C… des conditions qui n’autorisent localement que le maintien de quelques espèces résistantes comme le pin à crochets ou le mélèze. Une situation finalement assez voisine de celle d’aujourd’hui.
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Pendant l’optimum climatique, à l’Atlantique, vers - 6 000 A. C., la couverture arbustive pouvait atteindre 2 400, voire 2 700 m d’altitude. Illustration de F. Griot-Bachasson.
L’histoire des Alpes est un peu particulière, car le réchauffement brutal du Bölling a dégagé de vastes territoires morainiques rapidement colonisés par des graminées, des bosquets d’arbustes (saules) et des lisières de pins et de bouleaux. Mais « le refroidissement du Dryas III a provoqué l’abaissement de la limite supérieure de la végétation forestière de 200 à 300 m » (Bintz, 1994). Par la suite, au Préboréal, le pin, le bouleau puis la chênaie mixte remontent les versants jusqu’à 1 800 m. Le Boréal, plus sec, voit « l’extension brutale du noisetier et la couverture forestière atteint 2 000 m. La période Atlantique, plus humide, permet une diversification des essences de montagne. On trouve des prés-bois jusqu’à 2 200 m d’altitude et en plaine apparaissent des espèces thermophiles » (Bintz, 1994). Le gradient thermique va donc imposer sur le flanc des montagnes d’Europe une stratification des séries de végétation bien caractérisées qui vont offrir autant de biotopes favorables à des cortèges faunistiques diversifiés (chamois, bouquetin et marmotte) que nos archers vont exploiter à la faveur d’expéditions estivales fructueuses en graisses et venaisons. 3. Les espaces littoraux Le front de l’inlandsis a quitté le littoral sud de ma mer Baltique après - 11 000 A.C. … mais il bloquait encore à cette époque les eaux de l’Oder, de la Vistule et du Niémen, noyant une grande partie de la Poméranie et de la Lituanie (Pion, 2004). Pendant la fin du Paléolithique et au début du 43
Mésolithique, le trait du rivage se trouvait, comme on l’a déjà signalé, beaucoup plus loin des côtes actuelles (plusieurs centaines de mètres à plusieurs kilomètres). Les boisements d’arbustes (Atriplex) installés en zone plus ou moins salée ont disparu et la chênaie mixte a reculé. Les campements de pêcheurs ou de cueilleurs ont été recouverts par les vases marines. Les estuaires de faibles profondeurs plus fournis en plancton offraient alors un potentiel de productivité primaire très élevée. La Baltique était ainsi plus riche que beaucoup de secteurs à falaises de Bretagne. Les estuaires ont tous été largement exploités comme le montrent les travaux de G. Marchand (2014) sur la façade atlantique de la France. En revanche, les zones paludéennes envahies par l’eau douce, bien que riches, étaient des réserves de moustiques et probablement de maladies et donc fréquentées seulement le jour à partir de campements installés sur les hauteurs avoisinantes à l’abri des insectes. La forêt marécageuse de l’estuaire de la Canche occupait de vastes espaces avant la transgression flandrienne qui s’est accélérée il y a environ - 10 000 ans A.C. et en a recouvert une grande partie. Le campement de Kerhillio, près de Lorient, actuellement voisin de la plage, était installé, au Boréal, en forêt relativement loin de la mer, ce qui explique peut-être l’absence de coquillages abandonnés par les occupants visiblement plus chasseurs que pêcheurs. Le site de Malvant (près de Belle-Île) était à moins à 2 km de la mer au Boréal alors qu’il est situé sur une île actuellement (Ters, 1973)… ce qui expliquerait peut-être aussi la rareté des produits de la mer trouvés sur place. Dans le Morbihan, il y a - 4 600 ans A.C., les vestiges de grande faune indiquent la présence d’une forêt qui s’étendait plus loin que le littoral actuel et devait être assez riche si l’on en croit la taille des bois de cerf trouvés dans les tombes (Hoëdic). À Téviec (Morbihan), les analyses de charbons (Pequart et al., 1937) confirment la présence d’un couvert forestier composé de chênes, poiriers et bourdaines bien représentés par ailleurs, plus tard, à l’Atlantique. En Italie, dans les Pouilles, au début des derniers temps glaciaires (Dryas récent), la mer Adriatique était encore réduite et ne pouvait pas assurer son rôle de régulateur thermique. On a donc sur les sommets des genévriers piqués de pins et vers le bas une forêt de chênes, d’ormes et de peupliers. Globalement, on sait que la productivité primaire des écosystèmes marins décroît du nord au sud. La mer Baltique reste plus riche que la Méditerranée. Les populations du Danemark pouvaient donc récolter plus de mollusques, de crustacés et de poissons que celles du golfe du Lion, d’autant que les marées découvraient beaucoup plus le rivage. Il est probable aussi que les grands estuaires (Rhin, Seine, Loire et Garonne) fournissaient plus d’opportunités alimentaires que ceux du Rhône ou de l’Èbre.
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4. Évolution du couvert boisé pendant le Mésolithique Durant la fin du Paléolithique, la remontée progressive du niveau de la mer de - 80 m à - 10 m du niveau actuel a évidemment provoqué une intrusion des eaux salées dans les estuaires et une élimination des formations arborescentes initiales à base de chênes et de pins sylvestres connues pour ne pas supporter le sel. En secteur intermédiaire, où les nappes d’eau douce s’écoulent au-dessus des eaux salées, vont s’installer des landes à atriplex ou à salicorne et tamaris dans le sud de l’Europe (type Camargue). Au cours du Mésolithique, à l’intérieur des terres, la forêt mixte à base de chênes sessiles, chênes pédonculés, érables, sorbiers occupe la majorité des plaines et collines, mais ne constitue pas toujours des futaies fermées, car certaines espèces d’oiseaux (cigognes) et d’herbivores (chevaux, bisons et aurochs) sont abondantes et indicatrices de la présence d’espaces ouverts plus ou moins marécageux ou prairiaux, vraisemblablement entretenus par cette même grande faune sauvage. Clairières « naturelles » et clairières « provoquées » Dans les grands massifs forestiers, les futaies fermées se renouvellent régulièrement grâce à l’apparition de clairières dans lesquelles les espèces héliophiles, comme les chênes et les érables, peuvent se régénérer. Les causes de ces trouées plus ou moins importantes sont multiples : des coups de vent renversent les arbres de la canopée, la sécheresse fait dépérir les plus fragiles, la foudre tue certains sujets dominants et met le feu aux boisements les plus inflammables, le vieillissement entraîne la mort de bouquets entiers de semenciers sénescents, etc. La lumière qui arrive alors au sol autorise le développement des vignes, néfliers, aubépines, sureaux, églantiers, prunelliers, noisetiers, framboisiers, fraisiers, ronces et bruyères, toutes espèces bien représentées au Mésolithique suivant les types de stations et les différentes régions du continent européen. Les archers y trouvaient des provisions et des gibiers. L’installation de ces espaces ouverts est donc parfaitement naturelle et indispensable à la perpétuation des principales espèces dominantes des forêts caducifoliées mixtes. Il serait étonnant toutefois que l’homme ne soit jamais intervenu dans ces cycles, même de façon accidentelle. Des incendies ont certainement eu lieu puisqu’on en trouve la trace sous forme de niveaux charbonneux s’étendant très largement dans certains remplissages postglaciaires (De Jong, 1967) ou d’amas de coquilles de noisettes brûlées sans industrie associée (Montbani). La foudre était sûrement responsable de certains d’entre eux (comme actuellement), mais le fonctionnement de foyers domestiques ouverts et mal éteints ou la perte malencontreuse de braises au cours du transport, pouvaient aussi être des causes de départ de feu. Vu la densité « naturelle » d’animaux dans les forêts de l’époque, on ne voit pas pourquoi les archers auraient pratiqué des mises à feu volontaires qui auraient, au moins pour un
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temps, éloigné la grande faune de leur secteur de chasse et fait également courir des risques aux campements de proximité. « Les études paléoenvironnementales menées à partir des années 1980 n’ont guère laissé de doute (au sujet des incendies), car leur occurrence a été signalée « dans toute l’Europe boréale, tempérée et méditerranéenne tant au Mésolithique qu’au Néolithique » (Marchand, 2014). Toutefois, on peut se demander pourquoi nos archers, si peu nombreux sur le territoire, auraient initié des mises à feu alors qu’ils n’avaient pas besoin de clairières supplémentaires ni de bois mort (pour leurs foyers) toujours abondant dans les forêts primaires. Les clairières ne devaient pas être rares du fait des incendies provoqués par la foudre et les tempêtes qui surviennent encore régulièrement de nos jours. Pratiquer des brûlis pour augmenter les sites de pâture pour les grands herbivores reste possible, mais vu la densité d’ongulés présents, était-ce bien judicieux et certains de nos archers n’ignoraient pas les ravages d’un feu courant, y compris pour leur propre sécurité. Il y a quand même « d’une manière générale, corrélation entre ces signaux d’incendies forts, l’augmentation de 14° C dans l’atmosphère, les bas niveaux des lacs et des étés chauds et secs » (Marchand, 2014), ce qui ne démontre pas l’intervention humaine sans l’exclure. Des travaux récents (Edwards & Wittington, 2000) attestent que « des mises à feu étaient pratiquées pour la chasse ou la cueillette pendant le Mésolithique ». On ajoutera que les chasseurs-cueilleurs d’Amérique du Nord, mais aussi d’autres régions du globe (Amérique du Sud et Afrique) pratiquent de cette façon pour assainir des marais ou chasser des gibiers… donc pourquoi pas aussi nos archers ?! On ne dispose encore que de peu de données sur les incendies qui ont parcouru le vaste continent européen… mais les investigations déjà réalisées attestent que « les feux ne sont pas un phénomène récent » (Thiébault, 2010). Dans le bassin moyen du Rhône, une analyse quantitative fondée sur plus de 200 datations montre une occurrence de feux quasiment continue entre - 10 000 et - 5 000 A.C. et des pics de fréquence repérés de l’Épipaléolithique jusqu’au Néolithique ancien (Thiébault, 2010). Finalement, il est donc tout à fait possible que les hommes aient périodiquement éclairci la forêt par des incendies volontaires, pour permettre la repousse d’une végétation basse propice à la croissance d’espèces végétales comestibles (poacées), mais aussi à la consommation de feuilles d’arbustes (appétentes) pour les herbivores, favorisant par là même leur reproduction. « Dans les dépôts sédimentaires des tourbières, des lacs ou des fonds de vallées, ces niveaux d’incendies sont souvent attribués à l’homme, mais comment distinguer son intervention des facteurs climatiques ou de la foudre ? » (Ghesquière & Marchand, 2010). « Si la question des incendies est discutée, il semble qu’il n’y ait pas eu, en Europe moyenne pendant l’Azilien et l’Épipaléolithique, la moindre trace de déforestation au sens de la coupe d’arbres, même locale, qui traduirait des mises en culture (avec les outils indispensables aux producteurs). Les armes 46
de chasse, par contre, sont présentes en masse » (Rozoy, 1993)… Si des incendies volontaires ont été provoqués pour ouvrir des clairières à gibier, il ne semble pas que des défrichements s’y soient ajoutés pour produire des céréales. Les indices polliniques traduisant les premiers signes véritables d’anthropisation, avec déboisements partiels et incendies, n’ont été confirmés qu’à partir de - 5 000 A.C. environ, en pleine période Atlantique. La question des déboisements « tardifs » Les colonies de pêcheurs plus ou moins sédentarisées sur les côtes atlantiques, au Danemark ou en Irlande (North Wall), ont vraisemblablement procédé à des coupes fréquentes de feuillus en bordure de cours d’eau pour construire des pièges à poissons migrateurs découverts dans plusieurs fouilles de campements littoraux… de là à conclure qu’ils ont réalisé des déboisements importants, il y a un pas ! À l’intérieur des terres, c’est au donc au Ve millénaire que l’on peut véritablement suspecter des défrichements volontaires (Roux et LeroiGourhan, 1964) liés vraisemblablement aux premières pratiques d’élevage. Au début de l’Atlantique, entre - 7 000 et - 6 500 A.C., on trouve quelques traces de déboisement dans la basse vallée de l’Orne et les marais de Carentan (Richard, 2004). « Les graphiques polliniques sont très rarement perturbés et il ne s’agit pas de déforestation systématique ou maintenue. Tout au plus, trouve-t-on quelques plantes de lumière et surtout de fumier (nitrophiles), comme les chénopodes et les orties, dans la clairière même fréquentée par les chasseurs et non pas de plantes de prairies défrichées comme les plantains ou l’oseille qui n’apparaîtront vraiment qu’avec les mises en culture » (Iversen, 1949). « L’influence de l’homme sur le milieu est (donc) pratiquement nulle » (Churchill, 1962). Même constatation en Angleterre autour de Dartmoor (Simmons, 1970). En fait, les défrichements dûment signalés (Elhaï, 1960, Gachon, 1963 et Mordazek-Kerfourn, 1969) concernent tous la seconde moitié de l’Atlantique et sont donc attribuables très normalement au début du Néolithique. « Il ne peut donc être question d’affirmer l’existence de défrichements dus à un élevage prénéolithique, mais bien de constater que les Néolithiques ont commencé ces pratiques vers - 4 000 A.C., et certainement plus tôt sur la Côte méditerranéenne » (Rozoy, 1978). À partir de - 4 000 A.C., justement, sur le plateau suisse, on constate, après une raréfaction des pollens d’arbres (défrichement modéré), une apparition de pollens de céréales qui pourraient venir des cultivateurs danubiens venus s’installer sur ce territoire (Rozoy, 1978). Certains auteurs ont publié, entre 2004 et 2006, des articles sur la néolithisation en France et ont émis l’hypothèse que l’agropastoralisme se serait installé dans les massifs forestiers bien avant - 6 000 A.C. et peut-être - 7 000 A.C., car ils ont trouvé des pollens de cerealia, des drupes de noyers et des akènes de sarrasin dans plusieurs points du territoire. Mais ces 47
découvertes n’ont pas été confortées par un constat d’extension des cultures qui auraient inévitablement laissé de nombreuses autres traces. Sauf nouveaux témoignages indiscutables de cette colonisation agropastorale, on doit s’en tenir au fait que la néolithisation « véritable » avec son cortège de déboisements et d’incendies n’a véritablement débuté que vers - 5 500 A.C. en France et que l’anthropisation des écosystèmes naturels a ensuite duré plusieurs millénaires… et jusqu’à nos jours ! Au final, et contrairement à ce qu’on a cru et écrit pendant longtemps, les forêts de l’Europe étaient très diversifiées. Certains massifs plus denses que d’autres étaient séparés par de vastes clairières résultant du passage de tempêtes et d’incendies, ou tout simplement de l’action des grands herbivores qui maintenaient ouvertes les prairies et les landes installées par la nature (Arte, 2019) et les pollens de Poacées n’étaient donc pas rares en beaucoup de points du continent. La forte densité de paisseurs (bisons et aurochs) et de brouteurs (chevreuils et cerfs) entretenait une intense activité de la microfaune du sol approvisionnée par les déjections et les cadavres d’animaux. Ces apports massifs de matières organiques contribuaient à une accélération des cycles végétatifs grâce aux suppléments d’azote et de phosphore qui dynamisent la pousse végétale des herbacées, mais aussi la régénération des peuplements forestiers. Pour être complet sur ces questions, signalons que les toutes dernières recherches en paléoécologie tiennent compte bien sûr de l’impact des facteurs naturels susceptibles de justifier la présence des milieux ouverts en Europe, mais ne suffisent visiblement pas à expliquer leur importance, car, selon J. Kaplan (2007), depuis plus de 20 000 ans, la carte des pollens indique une Europe nettement moins boisée que ne laisse supposer la carte des forêts obtenue à partir des facteurs classiques de température, d’humidité, d’ensoleillement et de CO2. « Il manque » donc des forêts… et le chercheur ajoute que « pour moi, le seul facteur qui aurait pu avoir un impact si global et si puissant sur les paysages d’Europe était l’homme, avec le feu ». Mais, est-ce si surprenant ? Les Sapiens ne vivaient pas dans les futaies sombres, ils recherchaient les clairières… comme tous les peuples premiers. Nous soutenons l’idée que « l’homme est un animal de lisières » (Bachasson, 2015). S’il les recherche, c’est qu’il y trouve son intérêt, car il a découvert depuis très longtemps, et bien avant que les écologues n’en parlent, que l’écotone est l’interface la plus riche en diversité biologique… une aubaine pour un prédateur omnivore aussi exigeant que lui !
F. L’ENVIRONNEMENT FAUNISTIQUE La diversité de la faune ne peut être confirmée, dans les sites de fouille, que par les restes d’ossements identifiables après une dizaine de milliers d’années d’exposition aux intempéries. Or, l’opération ne donne des résultats
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que dans les gisements calcaires (Rozoy, 1978). En milieux acides (massifs anciens granitiques, plaines sableuses ou dunes littorales), en effet, le phosphate de calcium des squelettes des proies se dissout progressivement et il n’en reste quasiment rien. La « reconstitution » de la diversité de la faune sauvage du Postglaciaire s’appuie donc sur les découvertes des ossements identifiables, mais nécessite aussi une interprétation délicate en fonction des territoires concernés. Pendant une première partie du Pléistocène, la faune froide relativement limitée en espèces (rennes) a dominé puis s’est diversifiée progressivement avec l’arrivée de conditions climatiques plus favorables (Alleröd). Par la suite, il semble que la faune de la fin du Pléistocène ne soit finalement pas très différente de celle du début de l’Holocène. Elle ne correspond pas toujours à des milieux forestiers fermés, comme en témoigne la présence de la cigogne, de l’autour et du busard à la fin du Mésolithique (site de Birsmatten). Bien que nous ne disposions pas de données significatives sur cette période de transition de l’Azilien, nous pouvons nous référer à nos connaissances actuelles indiquant que « le nombre d’espèces présentes est voisin de 82 dans une lande arctique, mais de 131 dans la prairie et de 140 dans le “parc” qui correspond approximativement à la forêt claire du Boréal » (Elton, 1950). Quant à la densité de gibier, elle est encore plus difficile à estimer pour plusieurs raisons : les carnivores de tout poil n’ont pas hésité à emporter loin des camps les restes laissés par les chasseurs semi-nomades. Par ailleurs, une partie des os a été utilisée par ces derniers pour fabriquer des objets disséminés par la suite dans la nature, et pour compliquer la tâche des archéologues, l’abondance des squelettes en zones calcaires contraste fortement avec celle des restes trouvés en zones acides… et c’est une partie non négligeable de l’Europe ! Les différents naturalistes qui travaillent sur les forêts du Postglaciaire et les chercheurs qui tentent de reconstituer la grande faune associée à ces dernières pensent qu’en Europe, la densité en grands herbivores n’était probablement pas si éloignée de celle qu’on trouve dans la savane africaine actuelle par exemple. Il n’y aurait donc pas eu au Mésolithique de paysages vides d’animaux comme on le constate souvent aujourd’hui dans nos campagnes cultivées ! Le prélèvement par la chasse à l’arc n’était donc pas forcément très difficile, d’autant que cette pratique n’effarouche pas les animaux, car elle est silencieuse et discrète. Les distances de fuite, propres à chaque espèce, étaient donc suffisamment courtes pour permettre le succès de la plupart des tirs. On pourrait supposer que pour les archers, tout ce qui se promenait à quatre pattes était potentiellement chassable parce que mangeable ! Mais les résultats de fouilles montrent un tableau de consommation sensiblement différent de cette assertion, car ces derniers avaient généralement « le choix du menu » et tenaient compte, certes, du rendement en carcasse des prises (voire dans la suite), mais aussi de la qualité gustative des venaisons, qui 49
malgré un assaisonnement probable aux herbes, n’étaient visiblement pas toutes appréciées de la même façon puisqu’on constate une nette préférence pour le cerf et le sanglier ! La rusticité du convive n’enlève rien à la finesse de son palais… un cuisseau de marcassin a toujours été meilleur qu’un gigot d’un vieux bouc de chamois… ou de bouquetin ! 1. Description de la faune sauvage du Postglaciaire exploitée par l’homme La grande faune Plusieurs espèces (ou sous-espèces) de bisons ont occupé le continent. Le bison d’Europe (Bison bonasus), plus forestier que celui d’Amérique, était un bovidé abondant surtout au Préboréal, dans toutes les grandes plaines d’Europe. Son sauvetage après la dernière guerre n’a été dû qu’à de sérieux efforts de protection. Il est puissant, rapide et se montre dangereux dès qu’il se sent traqué et surtout une fois blessé. Les mâles adultes, qui atteignent facilement 800 kg, étaient convoités, car leur rendement en carcasse approchait les 65 % (540 kg de venaison !) et leur cuir s’avérait très utile pour servir de couverture aux cabanes provisoires de chasseurs nomades. En effet, les peaux roulées pouvaient être facilement transportées d’une implantation à l’autre.
Un couple de bisons d’Europe dans un parc de la forêt d’Orient – Photo : B. Bachasson.
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Pour se protéger du froid (les bons connaisseurs trouvent les bisons frileux !), les individus se rassemblent en petits groupes dans les buissons ou sous des branches enneigées pour limiter les pertes caloriques. Dès que le soleil est présent, ils s’installent dans les touées ou clairières forestières et vont même jusqu’à choisir, à l’occasion, les terrains sableux qui se réchauffent plus vite au printemps. Selon les données bibliographiques, une espèce voisine, le bison des steppes (à grandes cornes, Bison priscus), était présente dans toute l’Europe jusqu’à la fin du Tardiglaciaire, et peut-être au Mésolithique, mais son aire s’est réduite au Néolithique (Patou-Mathis, 2013). Il y avait encore des bisons dans le Bassin suisse il y a 2 300 ans puisqu’on a trouvé une corne dans un marais, au-dessus de Divonne-les-Bains (74). On sait que les archers du Mésolithique ont chassé ces animaux de taille et de poids supérieurs à ceux que nous connaissons aujourd’hui (Patou-Mathis, 2013). Quant au bison du Caucase (Bos bonasus caucasicus), il a aussi été traqué activement et n’aurait disparu de cette région qu’en 1825 (Pascal et al., 2000). Les bisons maintenus en parc semblent souvent placides (forêt d’Orient ou parc de Lozère), mais ils deviennent très méfiants dès qu’ils sont poursuivis et chassés (Michelot, 2017). Les troupeaux du Mésolithique, probablement assez dispersés, devenaient difficiles à approcher dès qu’ils avaient subi les tirs des chasseurs, ce qui obligeait ces derniers à déplacer leurs campements, non pas parce qu’il n’y avait plus de gibier, mais parce qu’ils ne pouvaient plus les mettre à distance de tir… Remarquons qu’il en est de même avec bon nombre de prédateurs dont le lynx qui doit changer de secteur de chasse pour surprendre les chevreuils, ces derniers se montrant plus méfiants en cas d’attaques répétées. Les hardes de bisons semblent peu disposées à se déplacer si le milieu leur convient (forêt de Bieszczady en Pologne et réserve privée en Allemagne), et ce sont les femelles qui guident le groupe. Toutefois, certains sujets peuvent migrer sur de grandes distances. Récemment, un bison a ainsi traversé toute la Pologne avant d’être abattu en Allemagne. Les chasseurs des steppes du nord de la mer Noire misaient essentiellement sur le bison pour se nourrir, mais les populations du sud en prélevaient aussi comme en témoignent les restes, associés à ceux des chevaux, trouvés dans plusieurs sites archéologiques de la vallée du Rhône (Arte, 2017). Même si ces animaux sont très rustiques et donc résistants au froid et à la privation de nourriture (neige), il arrive que les pertes soient importantes, même dans les troupeaux présents aujourd’hui en Europe. Les fluctuations inévitables de ces populations étaient probablement compensées par l’abondance momentanée des aurochs, un autre « herbivore de poids » bien représenté au Boréal (Rozoy, 1993). L’aurochs (Bos primigenius), disparu en 1627, était représenté dès l’Azilien dans les plaines du Jura et durant le Mésolithique, dans toutes les basses collines et les moyennes montagnes de l’Europe (jusqu’à 1 300 m d’altitude au moins – Vestiges de l’Ain). Il fréquentait surtout les clairières 51
forestières, les espaces découverts par les tempêtes ou les incendies, les bords des rivières, des fleuves ou des marais… car l’animal est un paisseur qui cherche les poacées (graines) et les fabacées riches en azote. En automne, il s’engraisse avec des glands, mais peut manger aussi des rameaux, des bourgeons, des feuilles sèches et… des aiguilles de pin (Steenstrup, 1869).
Femelle et mâle d’aurochs (reconstitués) dans un parc de la ferme de Cours-et-Buis (38). Photo : B. Bachasson.
L’aurochs occupait des régions plus tempérées, voire plus chaudes (Midi et sud-ouest) que le bison. Son aire de répartition s’étendait de l’Europe moyenne jusqu’aux rives de la Méditerranée puisqu’on en a retrouvé des vestiges chez les Natoufiens du Moyen-Orient. À la différence du bison d’Europe qui fréquente les secteurs plus ou moins boisés, l’aurochs apprécie surtout les herbages et donc les clairières. « La forêt dense ne correspond pas à ses exigences écologiques » (Michelot, 2018). « Son habitat semble devenir de plus en plus forestier pendant l’Holocène comme en témoignent les analyses isotopiques menées sur des restes osseux du Néolithique moyen de Normandie »… ce qui pourrait s’expliquer par « une augmentation de la pression anthropique de la chasse et/ou du pâturage des bovins domestiques » (Pascal et al., 2000). « L’aurochs était présent au Danemark, mais pas dans les autres pays scandinaves, car il préfère un climat peu rigoureux et humide » (Patou52
Mathis, 2013). C’était un animal haut sur pattes (2 m au garrot) puissant et lourd. Les plus gros mâles pouvaient peser près d’une tonne. Il consommait aussi bien les herbacées que les pousses des arbustes des landes ouvertes. En automne, il mange des fruits forestiers et des bourgeons en hiver. En toutes saisons, il reste très dépendant de l’eau. Les mâles avaient la réputation d’être farouches et rapides, ce qui rendait les individus blessés très dangereux et explique que sa chasse était plus occasionnelle que celle du cerf. Les parties de squelette, trouvées à Biache-Saint-Vaast dans le Pas-deCalais et à Livernon dans le Lot, sont en tout cas beaucoup moins nombreuses que celles du cervidé. Compte tenu des dangers encourus, la traque de l’aurochs était peut-être aussi une chasse de prestige qui rehaussait la valeur du chasseur qui en venait à bout ou permettait à un jeune archer de rentrer dans le camp des adultes, une cérémonie initiatique comparable à celle qu’accomplissent les jeunes Masaï capables de terrasser un lion. « Dès le début de l’Holocène, l’aurochs devient de loin le principal grand bovidé sauvage, en France notamment, où il est un des gibiers privilégiés des archers mésolithiques, dans le sud comme dans le nord du pays » (Pascal et al., 2000). On imagine la crainte qui envahissait les chasseurs à l’arc obligés d’approcher à une vingtaine de mètres ces redoutables herbivores dans des plaines où, en cas de charges furieuses, les refuges (arbres ou rochers) étaient plutôt rares. Venir à bout d’un animal de cette taille nécessitait de chasser en meute que l’on soit loup ou Sapiens, avec, dans les deux cas, une stratégie d’attaque bien confirmée. Le bison et l’aurochs ont la réputation de ne pas faire bon ménage et « on ne peut les garder ensemble dans les parcs à gibiers, car ils se livreraient alors des combats acharnés » (Ostrorog, 2013), surtout en septembre au moment du rut. On peut en déduire que les troupeaux de ces deux espèces se tenaient à distance dans les vastes plaines de l’Europe. Depuis la disparition de l’espèce originelle et donc de son ADN, des espèces férales, provenant de croisements de bovidés rustiques, ont donné lieu à la reconstitution de troupeaux à phénotype proche de l’espèce initiale (photo ci-dessus) et que l’on peut voir représentée sur les parois de certaines grottes (Lascaux, Chauvet). Ces animaux sont actuellement maintenus en captivité dans différents parcs d’Europe (forêt d’Orient en France). Mais le génotype de ces bovins, même réputés rustiques, est largement mâtiné du génome importé des animaux domestiqués des colons anatoliens du Néolithique. Une description plus précise de l’espèce a été donnée par M. Michelot (2018) : « La taille de l’aurochs était impressionnante puisque les mâles pouvaient dépasser 1,8 m au garrot (jusqu’à deux mètres) pour un poids d’une tonne alors que les femelles atteignaient 1,6 m et 800 kg (venaison voisine de 500 kg). Le cornage, qui mesurait jusqu’à 80 cm, était dirigé vers l’avant pour les mâles et vers le haut (en lyre) chez les femelles. La robe des mâles était noire et celle des femelles, fauve, rougeâtre, plus ou moins charbonnée ». La taille et la puissance de l’aurochs ont depuis des 53
millénaires impressionné les civilisations les plus anciennes, et les chercheurs pensent que le mythe grec du Minotaure, espèce hybride mihomme mi-taureau a, en fait, pour origine la chasse et la capture des aurochs sauvages, relativement abondants à l’époque sur le pourtour méditerranéen et en Crète. Cet animal aurait par la suite été utilisé dans des arènes par les Minoens pour pratiquer les fameux exercices de voltige représentés sur les fresques du Palais de Cnossos. Le bœuf musqué (Ovibos moschatus) a une allure de bovidé, mais l’espèce est à classer dans les caprinés, c’est-à-dire les « chèvres ». Il vivait dans le nord de l’Europe au cours de la déglaciation, mais s’est retranché actuellement dans la zone circumpolaire en Alaska et au Groenland. Il atteint 1,2 à 1,4 m au garrot pour un poids maximum de 350 kg pour les mâles. La laine est d’excellente qualité. L’espèce ne supporte ni l’humidité ni une neige trop épaisse et se cantonne donc à des toundras très froides et sèches. Les vestiges d’ovibos sont très rares dans les sites préhistoriques européens (Patou-Mathis, 2013), probablement par le fait qu’ils n’ont été présents que « sporadiquement », n’étaient pas très nombreux et que leur chair, à forte odeur de musc au moment du rut, n’était peut-être pas très appréciée de nos archers qui avaient, semble-t-il, le palais très fin ! « Une espèce fossile voisine était présente de façon occasionnelle, lors des forts refroidissements des deux dernières glaciations, en Europe septentrionale et occidentale jusqu’au nord de l’Espagne. Le bœuf musqué d’Alaska a persisté en Sibérie sous forme de troupeaux résiduels jusque vers - 4 000 ans A.C. » (PatouMathis, 2013). La surchasse du bœuf musqué depuis la préhistoire explique sa disparition du nord de l’Europe. Sa réintroduction relativement récente en Norvège (Gessain, 1981) semble donner de bons résultats. Le petit bœuf (Bos taurus brachyceros) appelé aussi « bœuf des tourbières », était un bovidé de taille plus modeste que l’aurochs, avec un poids voisin de 600 kg, pour une venaison de 360 kg… de quoi nourrir quand même une famille d’archers pendant un bon mois ! Sa relative petite taille le désignerait, pour certains auteurs, comme un animal « domestiqué », mais on ne dispose d’aucun autre critère sérieux de domestication. Le petit bœuf de Romanello, daté de l’Azilien dans la grotte Colomb et identifié par Bouchud (1956), serait donc sauvage. La dimension modeste des os pourrait aussi tenir au fait qu’il s’agit d’une femelle du Grand Bos (Jewell, 1962). Au Proche-Orient, les Natoufiens (-12 500 à -10 000 A.C.) qui n’auraient pratiqué que la domestication du chien en vue de l’activité cynégétique, chassaient le petit bœuf et la gazelle… sauvages. La domestication du petit bœuf sauvage n’aurait démarré en Hongrie que vers - 7 000 à - 6 000 A.C., c’est-à-dire à l’Atlantique. Le cerf géant (Megaloceros giganteus) était un cervidé, surtout abondant à l’Alleröd et dont quelques restes ont été découverts dans l’abri Morin en Gironde. Il offrait une stature impressionnante, avec une taille au garrot voisine de 1,6 m, ses bois pouvant atteindre 3,5 m d’envergure. Malgré une venaison substantielle voisine de 330 kg, « il a été peu chassé 54
par les hommes préhistoriques probablement à cause de sa rareté, mais aussi de sa dangerosité » (Patou-Mathis, 2013). Sa résistance au froid et son cantonnement aux plaines mouilleuses le conduisaient à fréquenter l’élan qu’il dominait par sa taille. Il aurait disparu vers - 9 000 ans A.C. (Préboréal), mais quelques paléontologues affirment que de petites hardes auraient survécu en Italie et en Europe centrale jusqu’à - 2 500 ans A.C.… parfois sous des formes naines et endémiques. En effet, des ossements correspondant à ces dernières ont été trouvés dans plusieurs îles de la Méditerranée. Les chasseurs du Mésolithique ne l’ont donc pas exterminé, mais ont fort bien pu réduire ses populations dans une grande partie du continent. L’élan d’Europe (Alces alces) est un cervidé à longues pattes, essentiellement brouteur, donc amateur de pousses forestières, de plantes de clairières, mais aussi de végétaux aquatiques des bordures des lacs ou des tourbières. Pour les chasseurs du Mésolithique, ce gibier représentait non seulement une proie conséquente puisqu’il pouvait peser, selon les sujets, de 300 à 800 kg (venaison de 240 kg chez l’adulte), mais fournissait aussi une peau de grande envergure propre à la confection de vêtements ou de chaussures. Sa chasse n’est pas sans danger, car le mâle en rut peut se montrer brutalement agressif et une fois blessé, charger sans avertissement. « Ses sabots sont grands et ses doigts extensibles, ce qui lui donne une adaptation parfaite aux terrains enneigés ou marécageux. Il se déplace beaucoup pour trouver sa nourriture préférée (bois tendres, feuilles, branches fraîches et plantes aquatiques). C’est au début du réchauffement climatique qu’il devient, pour les hommes préhistoriques, un gibier de choix » (PatouMathis, 2013). Il vit plus au nord que le cerf élaphe, mais plus au sud que le renne et fréquente depuis plus de 10 000 ans les taïgas d’Eurasie où sa rencontre est toujours fortuite, car il est très peu sédentaire. L’élan occupait les forêts claires du Jura dès l’Azilien. Depuis cette époque, « sa présence est marquée en Europe du Nord » (Marchand, 2014). « Ses populations ont beaucoup régressé au début de l’Holocène et surtout au Néolithique » (Pascal et al., 2000), mais retrouvent actuellement une certaine dynamique dans les pays de l’Est, et même en Allemagne, grâce à des mesures de protection systématiques.
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Élan d’Europe et tarpan en forêt d’Orient – Photo : V. Vignon.
Le groupe des chevaux sauvages (Equus ferus), qui inclut plusieurs sous-espèces, est originaire d’Amérique du Nord. Les animaux ont utilisé le couloir asséché du détroit de Béring pour pénétrer dans la toundra russe et coloniser progressivement la Sibérie puis les plaines d’Europe de l’Ouest. Les étendues découvertes de ces immenses territoires relativement secs lui convenaient parfaitement puisque « les chevaux ont besoin de beaucoup moins d’eau que les ruminants et les prairies fournissaient en abondance, une herbe riche en matières nutritives » (Reichholf, 1991)… car les chevaux peuvent se comporter en brouteurs (dans les landes), mais ce sont plutôt des paisseurs (de prairies), leur régime alimentaire étant composé essentiellement d’herbacées. Les chevaux étaient présents dans tout l’hémisphère Nord depuis le début du Paléolithique et de nombreuses espèces ont occupé les forêts, les prairies ou les steppes. « Chassés de façon intensive, ils ont tous quasiment disparu au Néolithique, sauf le cheval de Przewalski, à la robe brun clair, qui a retrouvé actuellement une vie à l’état sauvage dans les steppes de Mongolie » (Patou-Mathis, 2013). Au Mésolithique, les ancêtres des tarpans actuels, à la robe grise, occupaient les secteurs forestiers en compagnie d’autres équidés de petite taille (Equus hydruntinus) qui ont laissé quelques restes (voir plus loin) dans certains sites d’Europe et de Crimée. La présence de ces ânes, attestée au début de l’Holocène en Provence, ne semble pas avoir été confirmée à l’Atlantique en France par suite de la réduction de leurs habitats ouverts et d’une probable pression anthropique sur des populations déjà fragmentées et fragilisées (Crees & Ruvey, 2014). Bien que 56
méfiants, rapides et grégaires, les chevaux ont payé un lourd tribut aux battues dévastatrices des Sapiens qui couraient, il est vrai, moins de risques, qu’avec un troupeau de bisons ou d’aurochs. Les ossements trouvés indiquent que les poulains étaient capturés en priorité, car moins bien défendus par leur mère que les jeunes des deux espèces précédentes, et c’est peut-être ce qui explique leur raréfaction. « Le cheval sauvage européen ne constitue pas une espèce bien identifiée par les paléontologues. Sa systématique reste à ce jour très confuse et très controversée du fait, notamment, de la pauvreté du matériel prénéolithique disponible » (Michelot, 2015). Selon les études du chercheur polonais Tadeusz Vetulani, il existait bien au Mésolithique un « cheval primitif européen » représenté par deux sous-espèces (au moins) : un « tarpan sylvestre » et un « tarpan des steppes » ostéologiquement différent du précédent. Cet équidé, fréquemment représenté sur les parois des grottes depuis l’Aurignacien, se caractérisait par une crinière courte et dressée (Equus ferus ferus) et un poids compris entre 250 et 350 kg. « La viande de cheval est plus riche en glucides que celle des ruminants, ce qui lui donne un goût sucré particulier » (Bourre, 2003) et explique peut-être aussi l’intérêt cynégétique pour cette espèce qui offre, chez l’adulte, une venaison de 210 kg environ et un risque d’accident de chasse plus limité.
Petit groupe de tarpans dans un parc de la forêt d’Orient – Photo : B. Bachasson.
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La domestication du cheval intervient beaucoup plus tard que celle d’autres animaux sauvages, vraisemblablement « au cours du troisième millénaire A.C. » (Drower, 1969) et « n’est pas attestée, de façon sûre avant le Bronze ancien » (Poulain, 1976). « L’ours brun (Ursus arctos) est signalé dans les gisements du Pléistocène moyen d’Europe occidentale et attesté au Tardiglaciaire dans les deux tiers méridionaux de la France continentale (Pascal et al., 2000). Il était déjà présent dans le Jura souabe, il y a 30 000 ans (Munzel, 2002) et se trouvait abondant dans toutes les forêts européennes (Patou-Mathis, 2013) de montagne et de plaine, y compris en Charente-Maritime au Mésolithique. Il manquait toutefois dans les îles Britanniques à l’Holocène. L’ours brun peut se montrer dangereux, car, selon les trappeurs du Grand Nord, il ne lui faut que 6 à 7 secondes pour faire 100 m ! Il court donc plus vite qu’un homme (même un champion !), surtout s’il y a de la végétation au sol ou un peu de neige. Heureusement en plein hiver, il hiberne ! Les mâles en rut sont d’un tempérament très susceptible et certains sujets blessés ou malades qui n’arrivent pas à « dormir » peuvent aussi se monter très agressifs en fin d’automne ! La femelle défend avec acharnement ses petits (un à trois selon les portées). Un ours à la mâchoire déformée par un lien, et donc probablement capturé jeune, a semble-t-il été « apprivoisé » par les occupants de l’abri-sous-roche de la Grande Rivoire dans l’Isère. Malgré une venaison intéressante (120 kg environ), l’ours brun ne semble pas avoir été beaucoup chassé… peut-être à cause de sa dangerosité (il grimpe aux arbres et nage facilement !), mais aussi parce que les archers avaient constaté que sa dépouille ressemble étrangement à celle d’un homme. Ses dents, que l’on retrouve assez souvent disposées en pendentifs et dans les sépultures, pourraient avoir été récupérées sur des animaux morts trouvés en forêt ou tués au cours de chasse de prestige, ce qui expliquerait la valeur des trophées offerts aux disparus. « En France continentale, seules deux espèces de phoques ont été identifiées : le phoque marbré (Phoca hispida) dans le site de Castanet en Haute Garonne, daté de l’Aurignacien et le phoque du Groenland (Phoca groenlandica) dans le site de Raymonden, daté du Magdalénien. Un seul cétacé, le grand cachalot (Physeter macrocephalus) est signalé dans le site du Mas d’Azil en Ariège (Pascal et al., 2000). Le phoque gris (Halichoerus grypus), attesté dans l’île de Houat à l’Atlantique, est toujours présent actuellement sur les côtes du nord de l’Europe. Ces carnivores ont toujours été chassés pour leur fourrure, leur graisse et leur chair (venaison de 125 kg), traditionnellement mangée crue par les Esquimaux. On peut penser que nos archers en faisaient de même. Des restes ont été trouvés dans des gisements de l’Holocène (précoce) des Pays-Bas et d’Angleterre (Pascal et al., 2000). L’adulte est difficile à approcher sur la grève. Le tir des animaux à terre est donc compliqué, mais la récupération des sujets blessés par des flèches l’était encore plus ! C’est sans doute la mer qui ramenait, au bout de longues heures d’attente, le butin. Comme les femelles laissent leurs petits seuls 58
pendant leurs longs séjours de pêche au large, la chasse des juvéniles est beaucoup plus aisée, et des vestiges de ces derniers ont été identifiés dans plusieurs îles de Bretagne. Ces animaux se regroupent dans certaines criques pour la mue en hiver et ensuite pour la mise-bas que les chasseurs préhistoriques devaient suivre de près ! Le phoque commun (Phoca vitulina), comme le précédent, représentait une proie de choix pour les chasseurs (venaison de 105 kg environ) qui luttaient contre la faim et le froid sur les côtes nordiques. Comme aime à le signaler un archéologue de renom, « tout est bon chez le phoque : outre une viande et une peau de qualité, la graisse fournit l’huile sans doute utilisée comme combustible dans les lampes dont on a retrouvé de nombreux exemplaires préhistoriques. Ses ossements interviennent aussi dans la fabrication des harpons. Ses dents perforées seront portées en amulettes ou agrémenteront le vêtement d’une femme dans la nécropole mésolithique de Vasterbjers » (Cleyet-Merle, 1990). Seuls quatre restes squelettiques de phoque moine (Monachus monachus) ont été trouvés en Corse au Mésolithique, ce qui peut paraître surprenant puisque cette espèce était présente sur une bonne partie du littoral de la Méditerranée à cette époque et ne pouvait échapper à la traque des Sapiens. Les populations de veaux marins, abondantes au Mésolithique, laissaient probablement, comme de nos jours, un certain nombre de sujets malades ou morts sur le rivage où les archers locaux s’activaient pour dépecer les individus les mieux conservés en pratiquant un charognage de circonstance. Le cerf élaphe (Cervus elaphus) a vu ses populations se développer dès le début du réchauffement climatique et le retour de la forêt. Les hardes de cerfs, cantonnées au sud du continent par le froid, se sont répandues, dès l’Alleröd, dans toute l’Europe jusqu’en Scandinavie et en Sibérie. Pour des raisons encore mal expliquées, elles semblent avoir disparu d’Irlande à la fin du Tardiglaciaire, mais des sujets ont été réintroduits au Néolithique. Au Boréal, le cerf était, avec le sanglier, l’ongulé sauvage le plus abondant en Europe (Pascal et al., 2000)… et le plus chassé. Les femelles de cerfs vivent en harde d’une dizaine de bêtes et sont plus difficiles à approcher que les mâles solitaires. La capture des faons en début d’été devait être planifiée par les Sapiens car les jeunes, cachés au sol dans la végétation, sont très vulnérables. Les forêts peu denses du Préboréal et du Boréal, riches en herbacées, convenaient parfaitement au cerf qui était donc présent partout. Les futaies sombres de l’Atlantique lui étaient moins favorables… mais il y avait des clairières. Comme le cerf rumine pendant la journée, il était possible de le surprendre dans les fourrés, à faible distance. Cependant, l’ouïe et l’odorat du cervidé étant très développés, il faut beaucoup d’expérience pour l’approcher, sauf si on arrive à prendre sa voie en repérant les traces fraîches de ses sabots au sol et de ses crottes (fumées). La biche ne donne naissance qu’à un seul faon par an. La croissance des populations est donc plus lente que celles du chevreuil et une surchasse peut rapidement faire baisser les effectifs. Les archers de l’époque, qui avaient 59
probablement conscience de ce risque, déplaçaient leurs territoires de chasse lorsque les rencontres avec le cervidé devenaient moins fréquentes. Ils pouvaient d’autant mieux le faire que les zones montagneuses ne rebutent pas l’espèce qui était capable de coloniser les secteurs d’altitude dans les Ardennes, le Massif Central et les Pyrénées. En été, les chasseurs n’hésitaient pas à le traquer jusqu’à 2 000 m dans les Alpes. Ce fut, pour nos archers, le gibier idéal par le poids de sa venaison (105 kg en moyenne), la qualité de sa peau et donc de son cuir et l’usage multiple que l’on pouvait faire de ses os et de ses bois (percuteurs, harpons et sculptures). Comparé aux risques encourus dans la chasse au bison ou à l’aurochs, il était beaucoup moins dangereux de s’attaquer à cette espèce et nos archers avaient bien compris que le bénéfice/risque était à leur avantage. Le cerf commun était chassé à l’arc dans toute l’Europe au Mésolithique. Pour preuves, les fouilles d’un site danois, daté de - 8 850 ans A.C., qui ont mis à jour des ossements de cerf ayant reçu des impacts de flèches (NoeNyggard, 1974). Comme pour toutes les populations de grands herbivores, la densité du cervidé était soumise à des variations cycliques causées par le prélèvement des prédateurs (loups et hommes), l’occurrence des maladies (tuberculose) et les rigueurs du climat (hivers très longs, froids et humides). Il y avait donc sûrement des « bonnes années à cerf et de moins bonnes ». Il semble qu’avec une pression de chasse probablement assez faible en moyenne, la densité de cerfs avoisinait les 4 à 8 individus au 100 ha, pouvant aller jusqu’à une vingtaine dans des landes relativement pauvres (Clutton-Brock, 2002). Et J.G. Rozoy (1993), qui avait travaillé aussi sur les Magdaléniens, faisait remarquer qu’en forêt claire, « 4 à 8 cerfs au km2, cela fait entre 420 et 840 kg de viande » disponible alors que dans la toundra, « 5 rennes aux 100 ha ne représentent (sur la même surface) que 250 kg de venaison » (Rozoy, 1993) ! Ajoutons, pour aller dans le même sens, qu’il est plus aisé d’approcher un cerf sous couvert forestier qu’un renne sauvage à découvert sur la toundra !
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Deux matériaux très utilisés par les archers : à gauche le bois de renne, à droite le bois de cerf. Photo : B. Bachasson.
Le renne (Rangifer tarandus) était surtout abondant en Europe pendant le Bölling puis l’Alleröd. Par la suite, « le réchauffement du climat a entraîné l’émigration du renne, mais pas du bison » (Rozoy, 1993). Les rennes se sont alors cantonnés aux franges du nord de l’Europe, mais ont opéré des retours plus au sud à la faveur du refroidissement du Dryas récent et des coups de froid du Préboréal et de l’Atlantique ancien. En France, au début de l’Holocène, il est probable que quelques petites hardes se sont maintenues dans les Alpes. Le recoupement des données issues de milliers de sites mésolithiques fouillés en Europe de l’Ouest autorise à tirer quelques résultats probants sur la densité des gibiers de ce Postglaciaire. On sait que les changements de faunes ont été très progressifs depuis le Magdalénien jusqu’à l’Atlantique. La toundra a connu des fluctuations importantes avec un recul en direction du nord à l’Alleröd et une avancée significative au Dryas III, impliquant des migrations massives de rennes en latitude. Les boisements « en mosaïques » qui ont suivi ont également obligé le cerf à s’adapter à ces changements, car il n’est pas connu comme un amateur de lichens ! Il ne semble y avoir aucune raison pour que la densité de rennes en zone froide ou de cerfs en climat tempéré soit différente de celle que l’on connaît de nos jours sur des territoires « sauvages », c’est-à-dire comme il a été mentionné, 5 par km2 pour le premier et 4 à 8 au km2 pour le second (Leroi-Gourhan, 1955). Mais 61
au sud, s’ajoutaient les populations de chevreuil, de sanglier et de daim qui pouvaient facilement doubler le cheptel sauvage en place et offrir des ressources plus abondantes et accessibles que les territoires du nord. Toutefois, les rennes en troupeaux représentent des proies relativement faciles à chasser et peu dangereuses, surtout au moment des migrations qui les conduisent, par des trajets connus, des régions boisées de la taïga en hiver aux pâturages à lichens de la toundra en été où ils sont plus épargnés par les insectes qui pullulent au dégel. Les archers parvenaient, à l’approche et contre le vent, à tirer à l’arc les animaux regroupés en petites hardes, l’hiver en utilisant le couvert forestier clairsemé, malgré leur vue médiocre. Ils savaient aussi se poster sur les trajets de migrations au printemps (gué, bordures de lac ou de cours d’eau, vallons étroits…) pour bénéficier d’une distance de tir réduite. Il était plus compliqué de les surprendre dans la toundra (découverte) d’autant qu’ils disposent d’un odorat bien développé et d’une ouïe très fine. L’opération n’étant pas sans danger, car les mâles (mais aussi les femelles) sont « armés et farouches et lorsqu’ils sont attaqués, ils frappent des épois » (Patou-Mathis, 2009). Évidemment, toutes les solutions devaient être employées pour les abuser : déguisement en peau et utilisation d’urine (de renne) pour cacher l’odeur de l’homme. Cette dernière technique était systématiquement utilisée par les Indiens d’Amérique pour approcher les bisons. Le rabattage avait lieu en été ou en début d’automne (Vésinet, 1979) vers des tireurs postés ou des filets. Même si le renne représentait une capture moins importante que le cerf, son exploitation était fort intéressante, car on pouvait profiter de sa venaison (80 kg environ), mais aussi des bois, des dents, de la peau, des tendons, des ligaments et de la caillette. Ces multi-usages expliquent sans doute que les Magdaléniens dépendaient très directement de son abondance et que certaines tribus n’aient pas hésité à suivre ces troupeaux en zones nordiques où elles ont fini par à les exploiter sous leur forme domestiquée. Même s’il reste des populations sauvages de rennes que l’on chasse toujours, les Nenets et les Samis « travaillent » avec des troupeaux bien contrôlés. Des fossiles d’âne sauvage (Equus hydruntinus) ou Hydrontin, se rapportant à l’Azilien, ont été identifiés dans l’Abri Morin en Gironde et d’autres, datés de la fin du Pléistocène, en Italie méridionale, mais l’espèce préexistait en Europe du Sud bien avant le Tardiglaciaire. Elle s’est maintenue pendant l’Épipaléolithique puis au Mésolithique, période pendant laquelle, « en Provence, un équidé plus petit (que le cheval) a permis d’évoquer l’âne » (Méhu, 2004). L’espèce n’aurait en fait disparu qu’au cours de l’Atlantique ancien vers - 6 000 ans A.C. Est-ce dû à l’extension des futaies denses et/ou à une surchasse systématique ? Mais dans ce dernier cas, on devrait trouver nombre de ses vestiges dans les campements de l’Holocène… ce qui n’est pas du tout le cas. La chair de l’âne sauvage (venaison de 70 kg environ) est encore appréciée de nos jours par les chasseurs qui traquent ces animaux en Asie ou en Afrique. Les équidés, qui vivent en troupeaux, sont très méfiants et 62
difficiles à approcher, surtout dans les milieux plus ou moins steppiques qui leur conviennent bien. Cette particularité pourrait expliquer aussi la rareté des ossements trouvés dans les fouilles puisque ces étendues sèches ont quasiment disparu avec l’extension, à l’Atlantique, d’un climat doux et humide favorable à la forêt. Bien que présent depuis presque 200 000 ans en Europe, le sanglier (Sus scrofa) a été peu chassé avant le réchauffement climatique. Il faut dire que l’espèce n’apprécie pas les grands froids ni les peuplements trop riches en résineux. Elle devait être assez rare en secteurs nordiques. « Elle montre de fortes affinités pour le climat tempéré et abonde seulement dans la moitié méridionale de la France lors des phases froides du Tardiglaciaire. Son invasion sur l’ensemble du territoire était toutefois achevée dès le début de l’Holocène » (Pascal et al., 2000). Le sanglier a été activement tiré à l’arc, par la suite, comme l’attestent les impacts de flèches observés sur les os découverts dans plusieurs sites archéologiques (Patou-Mathis, 2013). Sa chasse s’appuie, depuis toujours, sur le repérage des traces au sol (pour chaque pied, deux sabots à l’avant et deux « pointes » souvent à peine marquées à l’arrière), des couches, des souilles, des « boutis » et des « laissées » (crottes). La capture des vieux mâles faisait prendre beaucoup de risques au chasseur à l’épieu qui devait embrocher la bête débouchant des buissons sur une coulée initialement tracée par ses passages répétés. Si l’animal s’écarte du passage, ses défenses peuvent lacérer les jambes du chasseur qui meurt en quelques minutes d’hémorragie fémorale… et plus d’un mésolithique a dû succomber à la charge de ces bolides ! Le tir à l’arc est moins risqué quoique dangereux, car un solitaire ou une laie, une fois blessés, se transforment immédiatement en « fauves » et les coups de nez ou les morsures peuvent occasionner de très graves blessures. La combativité de l’animal est exemplaire et légendaire. La pratique de la chasse à l’arc sur cette espèce est formellement confirmée par une peinture rupestre du Levant espagnol (Obermaier, 1922), où l’on distingue les sangliers atteints par plusieurs flèches. La capture des marcassins est possible, mais il faut courir vite, car ils sont très agiles dès les premières semaines de vie et la laie en assure une protection rapprochée ! Le sanglier est un excellent nageur. Il peut donc coloniser facilement les îlots des tresses de rivières ou de fleuves et les îles marines distantes de quelques kilomètres (une laie avec ses petits a été vue traversant tranquillement le lac d’Annecy !). Son alimentation omnivore lui permet de se nourrir dans tous les milieux, à condition que le sol ne soit pas trop enneigé et surtout gelé. Son aire d’extension est donc limitée aux basses montagnes et aux plaines de l’Europe moyenne. Sa prolifération dépend surtout de l’abondance des fruits forestiers (glands, faînes, pommes, poires, etc.) qui augmentent significativement l’apport calorique et autorisent les femelles à avoir deux portées par an… mais il faut la présence d’une forêt bien pourvue en chênes, hêtres et fruitiers, ce qui était le cas au Mésolithique. Sur le pourtour nord de 63
la Méditerranée, la présence du châtaignier complète localement, depuis la préhistoire, l’apport de fruits forestiers très énergétiques. En condition favorable, une laie peut donner dix à douze petits par an, donc un renouvellement de la population très rapide. La densité avoisine alors les 10 à 15 bêtes/100 ha. Les archers pouvaient ainsi prélever allégrement des individus dans les troupeaux, à condition de choisir les plus jeunes, sans risque immédiat d’appauvrir les populations de ce suidé, ce qui n’est pas le cas avec le cerf qui se multiplie beaucoup plus lentement. Le sanglier constitue un mets de choix malgré une quantité de venaison relativement modeste (60 kg chez l’adulte). À défaut de pouvoir préparer des ragoûts longuement mijotés, les Mésolithiques dégustaient sans doute régulièrement d’excellentes grillades aromatisées aux herbes ! Les bouquetins (Capra ibex), celui des Alpes et des Pyrénées (dont les cornes ont des formes sensiblement différentes), ont connu un fort développement à la fin de la dernière glaciation puis se sont cantonnés dans les massifs montagneux et les régions périphériques suite au réchauffement climatique et à leur chasse systématique. « Au cours du Tardiglaciaire, le bouquetin des Alpes s’est réfugié en altitude. Dans le Massif Central, l’espèce a été identifiée dans le site de Kéraval, daté de - 8 000 ans A.C. environ et un isolat géographique, connu en Basse Provence, s’est maintenu pendant le Boréal » (Pascal et al., 2000). L’espèce est peu farouche et donc facile à tirer, voire à décimer ! Elle recherche les pelouses des prés-bois et la végétation rase des vires et des bordures de falaises qui lui servent de refuge en cas de danger. Les archers l’ont beaucoup traquée, surtout l’été lors de leurs excursions en montagne. Pour certains groupes, ce fut une activité quasi exclusive. Sa peau est de belle qualité et ses cornes sont aptes à de multiples usages, mais la chair des sujets âgés (venaison de 54 kg environ chez le mâle adulte) n’est pas très goûteuse aux dires des braconniers du siècle passé ! … ce qui ne semble pas avoir été l’avis des Aurignaciens ou des chasseurs du Mésolithique qui en faisaient grande consommation. La chèvre égagre (Capra aegagrus), originaire de Turquie, a été introduite sur le littoral méditerranéen depuis plus de 5 000 ans A.C. (Pascal et al., 2000), et aurait donc pu être chassée à la toute fin du Mésolithique. Le mouflon (Ovis aries) a son origine dans les populations d’argalis eurasiatiques présentes en Anatolie et en Sibérie méridionale (Patou-Mathis, 2013). La forme domestique du mouflon d’Asie mineure, importé par les colons du Moyen-Orient, n’était évidemment pas connue en Europe au Paléolithique. Mais le mouflon a toujours été présent en France sous sa forme sauvage au Moustérien, à l’Épipaléolithique jusqu’au Néolithique. « Les souches sauvages, attestées au Pléistocène, auraient pu parvenir en Europe en suivant la bande de steppes herbeuses qui longeaient la limite sud des glaciers » (Zeuner, 1963). Au Mésolithique, il semble avoir été plus abondant dans le Midi où le paysage était plus ouvert (il lui faut surtout de l’herbe !) et le climat plus doux. « Une forme voisine du mouflon méditerranéen actuel, Ovis antiqua, a longtemps été présente en Europe 64
occidentale et donc en France, durant le Pléistocène moyen » (Michelot, 2018 b). Bien que sa chair soit agréable au goût, il semble qu’il ait été peu chassé par les archers, peut-être parce qu’il était rare ou que son poids de venaison (25 kg) était jugé trop faible. Le chamois (Rupicapra rupicapra) des Alpes et l’isard des Pyrénées (Rupicapra pyrenaïca) se sont différenciés dès le début de l’avant-dernière glaciation où ils occupaient déjà leurs aires géographiques actuelles. « En France, à l’extrême fin du Tardiglaciaire, les chamois étaient encore présents en Dordogne et sur les contreforts méridionaux des Cévennes. Leurs présences sont attestées tout au long du Mésolithique dans le Massif alpin, les Pyrénées et le Jura (Pascal et al., 2000), mais aussi dans le Cantal sur le site des Baraquettes où le chamois semblait très abondant (Vazelle, 2020). D’origine asiatique, les chamois sont en fait des cousins des gazelles qui vivent dans les collines pourvues de falaises-refuges et qui montent dans les pelouses d’altitude en été pour échapper aux fortes chaleurs, d’autant qu’ils sont équipés de sabots parfaitement adaptés à la vie rupicole. « Très craintifs et trop agiles, les chamois ont été peu chassés par les hommes préhistoriques » (Patou-Mathis, 2013). Le castor européen (Castor fiber) a donné beaucoup d’ossements dans les fouilles des campements installés le long des cours d’eau ou des lacs de toute l’Europe. Même au sud, ses restes sont généralement plus abondants que ceux du lapin. Il faut dire que sa chair est d’excellente qualité et sa fourrure très remarquable. Les fourrageurs le capturaient à l’aide de piègesassommoirs pour ne pas abîmer sa peau, par destruction de ses « cabanes », à la foëne à partir des rives ou à l’arc. Cette dernière technique est encore utilisée de nos jours par les trappeurs du nord de l’Amérique. Même si la prise d’un castor reste une proie de taille modeste (15 kg vif), le fait qu’on puisse le capturer en été, mais aussi en hiver augmente considérablement son intérêt pour des populations en manque de nourriture durant la mauvaise saison. Sa graisse était bien utile contre le froid et son cuir, très épais et résistant, servait à fabriquer des chaussons après avoir été tanné avec la cervelle du même animal. Le daim (Dama dama) s’est retiré d’Europe occidentale dès les premiers grands froids würmiens pour ne plus y revenir durant tout le Pléistocène supérieur et le Tardiglaciaire. Il était donc rare au début de l’Holocène et constituait peut-être une petite population relique dans le sud de l’Italie durant les phases climatiques tempérées, dans les forêts des basses collines plutôt sèches. Il vivait en hardes plus ou moins importantes et ne se maintient actuellement qu’en parcs ou en zones protégées. Il ne semble pas avoir été un gibier de choix pour les hommes préhistoriques, comme d’ailleurs le chevreuil. Pourtant, sa chair est d’excellente qualité gustative. Le chevreuil (Capreolus capreolus) était très répandu dans les prés-bois résineux, les clairières et les forêts caducifoliées de toute l’Europe, avec une densité probablement voisine de 10 à 20 bêtes/100 ha. Comme la femelle donne naissance à deux petits en moyenne par an, la dynamique de ses 65
populations est nettement plus élevée que celle du cerf. Il ne semble pas avoir eu les faveurs des archers puisqu’on trouve peu de restes dans les campements du Mésolithique. A-t-il été boudé pour le poids trop modeste de sa venaison (13 kg) ou le goût un peu trop marqué de sa chair ? On ne le saura sans doute jamais et sa sous-consommation restera un mystère ! Il est vrai que de nos jours, les chasseurs « méprisent » toujours ce gibier pour s’adonner, probablement comme nos archers, à la traque plus « enivrante » du sanglier !
Femelle de chevreuil de l’année. Illustration de N. Pissier.
L’antilope saïga (Saïga tatarica) était installée autrefois dans toute l’Europe et de la mer d’Aral aux steppes de Russie, de Mongolie et de Chine. Ce petit bovidé, au nez en trompe, a fait une dernière incursion à la fin de la glaciation du Würm en Europe de l’Ouest, mais a régressé rapidement devant l’avancée des forêts tempérées. « Rare dans les gisements d’Europe occidentale et centrale, l’espèce abonde dans ceux d’Europe orientale » (Patou-Mathis, 2013). Comme elle vit en grande harde en milieux découverts, et qu’elle est très méfiante, il était probablement très difficile, pour les Sapiens, de l’approcher, ce qui expliquerait la rareté de ses vestiges osseux… et pourtant les Néanderthaliens en consommaient ?!
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Les petits mammifères La marmotte alpine (Marmota marmota) a occupé pendant les épisodes les plus froids de la période glaciaire würmienne les régions de basse altitude comme le Morvan et la Bretagne. Son aire était encore très vaste au Bölling et à l’Alleröd, mais aussi pendant les coups de froid (Dryas récent). « Suite au réchauffement climatique et au retour de la forêt, elle a été confinée aux seuls massifs montagneux » (Pascal et al., 2000), puis a été activement chassée par les hommes préhistoriques, notamment à la fin de la dernière glaciation dans les Alpes et le Jura. Sa chair, sa graisse et surtout sa fourrure étaient très recherchées (Patou-Mathis, 2013). Absente des pentes enneigées durant les longs mois d’hiver, elle n’était accessible aux chasseurs qu’au printemps (mois de mai) alors qu’elle a beaucoup perdu de poids pendant son hibernation. Sa capture n’était donc véritablement intéressante qu’en fin d’été, voire en automne (venaison de 4 kg), période pendant laquelle les archers organisaient des excursions en altitude et installaient des camps provisoires (Plateaux du Vercors) à partir desquels ils traquaient aussi le bouquetin et éventuellement le chamois. Le glouton (Gulo gulo), espèce omnivore à tendance carnivore, occupait de vastes territoires dans la taïga d’Eurasie pendant le Tardiglaciaire. Avec le réchauffement climatique, il s’est réfugié au nord du continent en compagnie du renne et du bœuf musqué. Il reste actif pendant l’hiver, ce qui permettait aux archers de le piéger ou de le chasser pour sa fourrure, en particulier ce que font encore les trappeurs du Grand Nord canadien. Les lièvres, qui sont représentés par trois espèces en Europe, ont laissé des vestiges, d’ailleurs peu nombreux, dans les rebuts de cuisine des chasseurs du Mésolithique : le lièvre variable (Lepus timidus), abondant en plaine au Tardiglaciaire, vit actuellement en altitude et adopte une robe blanche en hiver. Le lièvre commun (Lepus europeus), au pelage brun, occupe depuis le Mésolithique jusqu’à nos jours les plaines et les basses montagnes d’Europe. Quant au lièvre siffleur (Ochotona pusillana), appelé également « Pikas », plus petit que les deux espèces précédentes, il était assez abondant au Tardiglaciaire en France. Il creuse des terriers profonds et tolère bien la neige. Avec le réchauffement général du climat, il s’est replié dans les steppes de l’est de la Volga. Il a été « remplacé » en plaine par le lièvre brun et en montagne par le lièvre variable. Ce dernier était un concurrent des deux autres espèces à plus basse altitude pendant les phases froides du Dryas et du Préboréal. Les squelettes assez ténus de ces lagomorphes ont laissé de rares traces dans les terrains acides (sables ou granites), ce qui ne signifie pas qu’ils aient été boudés par nos archers qui pouvaient assez facilement les assommer avec un gourdin au gite, les tirer à l’arc ou les capturer avec des collets tressés en fibres végétales et posés sur des passages régulièrement fréquentés à travers les bosquets, par exemple. Les lapins rats. Deux espèces (et peut-être une seule ?) endémiques de la Corse (Prolagus corsicanus) et de la Sardaigne (Prolagus sardus) étaient assez bien représentées sur ces deux « îles » qui, à la faveur d’un niveau de 67
la mer plus bas qu’aujourd’hui, n’en faisaient qu’une. Les premiers colons les chassaient activement comme en témoignent « les restes très abondants trouvés dans le site mésolithique du Monte Leone près de Bonifacio » (Pascal et al., 2000). Leurs descendants d’ailleurs pourraient être tenus pour responsables de leur extinction, corrélativement à l’introduction du chien et du renard roux autour de - 5 600 A.C. (Pascal et al., 2000). La capture s’effectuait, comme pour le lapin, au collet ou au tir à l’arc avec un rendement de venaison assez faible puisque cette dernière ne dépassait guère 2,7 kg par sujet. Le lapin de Garenne (Oryctolagus cuniculus), originaire d’Europe du Sud-Ouest et probablement circonscrit pendant la glaciation au sud de l’Espagne, aurait occupé épisodiquement la France depuis 700 000 ans, mais son aire a régressé puis progressé en fonction des refroidissements et des réchauffements successifs, car il lui faut un climat doux, voire chaud et des terrains secs et meubles. « Les populations françaises chassées par nos archers étaient toutes issues de la lignée du nord du Portugal et de l’Espagne » (Pascal et al., 2000). « Pendant l’Alleröd, en Basse Provence, dans beaucoup d’abris, on trouve plus d’os de lapin que de terre ! » (Escalon, 1956). Il aurait donc constitué l’essentiel du régime alimentaire des populations du sud de l’Hexagone entre le VIIIe et le VIIe millénaire. Dès le Préboréal, on a constaté « le fort développement de l’espèce dans le sud de l’Europe et autour du bassin méditerranéen » (Marchand, 2014). D’une façon générale, il demeure toutefois assez peu présent dans les restes de cuisine de tous les sites fouillés. Il ne semble pas avoir été exploité en rapport avec son abondance locale… ce qui laisse à penser que nos archers avaient largement de quoi se nourrir et dédaignaient ce petit rongeur (venaison voisine de 1 kg), « indigne » d’un chasseur au gros ! Les spermophiles (Spermophilus sp), petits rongeurs de prairies, sont représentés par plusieurs espèces qui vivent actuellement dans tout le nord de l’Eurasie. Ils devaient coloniser de très vastes surfaces à l’époque où les steppes étaient bien développées sur le vieux continent. Il y en avait encore, à la fin du Paléolithique, en Gironde (Abri Morin). Comme les individus creusent des terriers, il était facile de les piéger et même de les déterrer, d’autant qu’ils entrent en hibernation pendant la mauvaise saison… Malheureusement, on ne saura jamais quelles étaient les techniques employées par les Mésolithiques pour se procurer ces petits sciuridés, proies de choix des renards du Grand Nord ! Il ne reste quasiment rien des autres petits mammifères vraisemblablement abondants dans les prairies, les bosquets, les lisières et les futaies de cette époque. La présence du loir et de l’écureuil est toutefois attestée dans le Jura au Mésolithique, ce qui laisse à penser que presque partout, cette petite faune s’activait dans tous les écosystèmes du continent. Les plus récentes pratiques de fouilles, avec tamisage systématique et fin des couches de terrains exploitées, livreront sans doute beaucoup de
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renseignements sur ces rongeurs discrets qui pouvaient à l’occasion finir en brochette sur un foyer familial ! Tous ces animaux chassés, gros ou petits, étaient donc sauvages puisque « dans les espaces continentaux, les preuves de domestication animale au Mésolithique ont toutes été révoquées » (Marchand, 2014). Les carnivores forestiers Le loup (Canis lupus), plus grand que l’actuel au Mésolithique (Marchand, 2014) et adaptable à tous les milieux autant steppiques que forestiers, occupait, au Tardiglaciaire comme aujourd’hui, les plaines et les montagnes du vieux continent. Ses proies comprenaient principalement des rennes, au Bölling et à l’Alleröd, et plus tard, du cerf, du sanglier, du chevreuil, voire de petits rongeurs en cas de besoin ! « Le loup, qui peut s’attaquer à tous les grands mammifères, était (donc) présent partout en Europe. Il existait en Corrèze au Préboréal et devait consommer des marcassins, des faons de cervidés, et même des adultes de bisons et d’aurochs dès lors qu’il chassait en meute » (Martin & Le Gall, 1987). Il est toujours difficile de savoir quelle est la densité actuelle de loups, car c’est un animal sujet à de nombreux déplacements en fonction des proies disponibles et des saisons. Pour approcher celle qui aurait pu exister au Mésolithique, on est contraint de se référer aux données scientifiques les plus récentes. Dans le nord de l’Europe, les meutes comportent généralement plusieurs dizaines d’individus alors qu’en France, elles ne dépassent que rarement 5 à 6 sujets, même dans des secteurs riches en faune pour un territoire de chasse voisin de 50 000 ha. Toutefois, au Mésolithique, les proies étaient présentes sur la totalité de l’espace européen et se trouvaient ainsi beaucoup plus abondantes et bien réparties pour ce grand prédateur qui s’accommode de tous les milieux. Il y avait donc probablement plusieurs milliers de loups en France et plus de 100 000 en Europe… La réserve alimentaire ne manquait pas, si l’on en croit les estimations avancées par Arte (2019) qui parlent d’un million d’aurochs de l’Atlantique à l’Oural… et les autres herbivores cités précédemment complétaient le tableau ! Des ossements de loups se rencontrent assez souvent dans les fouilles de campements datés de l’Azilien et du Mésolithique où certains squelettes de taille plus réduite laissent à penser que certains individus avaient déjà été apprivoisés pour donner des races de chiens. « Les résultats récents de la génétique confirment que sa domestication était intervenue pendant la période comprise entre - 13 000 et - 9 000 ans A.C., soit bien plus tôt que celle de toute autre espèce animale » (Pascal et al., 2000). Les loups sauvages sont toujours de taille bien supérieure à nos compagnons canins… À ce propos, le dernier squelette retrouvé congelé dans le permafrost de Russie témoigne de l’existence, il y a 40 000 ans, de sujets bien plus impressionnants que les loups actuels du Grand Nord.
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Les vestiges de squelettes attribués au lynx sont, par contre, beaucoup plus rares dans les fouilles et ne permettent pas toujours de savoir s’ils appartiennent au lynx boréal (Lynx lynx) ou au lynx pardelle (Lynx pardinus), de taille plus modeste. Toutefois, la présence de cette dernière espèce est formellement attestée en Provence aux environs du VIIIe millénaire A.C., dans le Var, les Bouches-du-Rhône, mais aussi la Montagne Noire, les Corbières et les piémonts du Roussillon (Pascal et al., 2000). Quant au lynx boréal, « il était commun au Pléistocène supérieur dans toute l’Europe. Au Tardiglaciaire, ses restes fossiles sont cantonnés dans l’est de la France, mais l’espèce devient plus fréquente à l’Holocène » (Pascal et al., 2000). Dans les régions bien pourvues en forêts, en clairières, en cavités naturelles (tanières) et en proies disponibles (chamois, chevreuil, lièvre), la densité de lynx devait avoisiner, comme dans le Massif jurassien actuel, un individu aux 10 000 ha (FDCA, 2018). Des ossements de lynx ont été trouvés, dès le Préboréal, dans le Midi de la France (Martin & Le Gall, 1987). Dans le sud-est, c’est le lynx pardelle qui était le plus abondant, ce qui n’a rien de surprenant, car il vit essentiellement aux dépens du lapin, bien représenté au Mésolithique dans cette région. « Au cours de la Préhistoire, les lynx semblent avoir été chassés surtout pour leur fourrure » (Rozoy, 1978). Le renard polaire (Alopex lagopus) était présent en Gironde à l’Azilien (abri Morin) et a cohabité ensuite avec le renard roux (Vulpes vulpes), toujours cantonné plus au sud que l’espèce précédente. Le renard roux, ainsi que le blaireau, étaient absents d’Irlande. Selon les archéologues, ils ont tous été chassés pour leur fourrure comme l’hermine et le putois d’Europe. Le chat sauvage (Felis silvestris) est une espèce autochtone de l’Europe, mais il existait de nombreuses sous-espèces dont certaines fréquentaient les forêts du littoral méditerranéen. Elles ont sans doute beaucoup souffert du retour du froid au Dryas récent (Pascal et al., 2000). Elles présentaient toutes un intérêt pour leur fourrure. Bien que la présence du chat forestier soit attestée dans les villages de chasseurs-cueilleurs proche-orientaux avant le Xe millénaire A.C. (Pascal et al., 2000), il ne semble pas avoir été apprivoisé par nos archers qui devaient plutôt le considérer comme un gibier. Les rongeurs qu’il consomme n’étaient sans doute pas spécialement abondants près des tentes de nos semi-nomades qui ne stockaient pas de céréales ! Ses ossements sont devenus plus fréquents dans les fouilles depuis le réchauffement du climat au Mésolithique. La martre est attestée à cette époque, comme le castor et le chat sauvage, en Angleterre et en France, mais pas en Espagne et au Portugal. La loutre, par contre, présente dans la péninsule Ibérique et dans le sud-ouest de la France, n’était pas connue dans le nord de l’Hexagone (Marchand, 2014). En Europe, la martre s’est trouvée plutôt surreprésentée dans les tableaux de chasse des petits carnivores, probablement à cause de l’intérêt porté à sa fourrure. Comme preuve, les traces laissées sur les os de la tête de l’animal par dépeçage au silex pour récupérer un maximum de peau. 70
Il est très vraisemblable que les insectivores comme la chauve-souris et le hérisson fréquentaient les grottes, les abris-sous-roche et les bosquets au Mésolithique. Ils faisaient sûrement partie des petits gibiers consommés, car leur capture est relativement facile, mais leurs squelettes, très ténus, n’ont en général pas résisté à l’épreuve du temps. Toutefois, les récentes analyses de génétiques moléculaires ont montré que, à l’instar des humains, le hérisson a reconquis ses territoires septentrionaux à la fin de la dernière glaciation à partir de ses refuges du sud-ouest et du sud-est de la France, mais aussi de l’Italie (Pascal et al., 2000). Les oiseaux L’avifaune des steppes froides du début de la déglaciation était relativement pauvre avec, cependant, deux espèces remarquables en zone continentale : le lagopède des saules (Lagopus lagopus) et le harfang des neiges (Nyctea scandiaca). Une espèce littorale particulière, le grand pingouin (Pinguinus impennis), incapable de voler, a été activement chassée sur toutes les côtes d’Europe occidentale sans disparaître pour autant. De nombreux restes ont été trouvés, au Mésolithique final, dans des débris de cuisine en Bretagne, mais aussi en Provence, en Espagne et également en Italie (Pascal et al., 2000). Dès le réchauffement, ce cortège s’est enrichi de nombreux oiseaux et sa composition au Mésolithique n’était pas si différente de celle que l’on connaît de nos jours. En Suisse, dès la remontée du couvert boisé (site de Birsmatten), les populations d’oiseaux forestiers offraient une grande diversité : geai, grosbec, chardonneret, bouvreuil, bec-croisé, pinson du hêtre, bruant, grive litorne, grive draine, merle, rouge-gorge, effraie, canard et harle bièvre. Le busard, autour et cigogne, qui ont besoin de zones ouvertes, paraissaient assez abondants, les clairières n’étaient donc pas rares. Dans son article sur « La chasse pendant la Préhistoire », C. MourerChauvire (1979) confirme la présence d’une avifaune très riche : « perdrix grise, bartavelle, caille, canards (surtout colvert et siffleurs), sarcelles d’hiver, chocard, pigeon biset, lagopède, tétras, vanneau, cygne, grande outarde, grues (dont une de très grande taille aujourd’hui éteinte : Grus primigenius), cigogne, vautour moine et vautour fauve, gypaète barbu, aigle royal, faucon et même au début du réchauffement climatique l’aigle à queue blanche (Pygargue) dans les Pays scandinaves ». La présence de la chouette hulotte et du pigeon colombin est attestée, à la fin du Boréal, en Corrèze (Martin & Le Gall, 1987). En Bretagne, au Mésolithique, la chasse prélevait des proies dans de nombreuses populations d’oiseaux puisqu’à Téviec, par exemple, 21 espèces ont été consommées. Une bonne partie de cette avifaune, citée précédemment, niche au sol ou dans des arbres facilement accessibles. Les œufs devaient donc faire l’objet d’un ramassage systématique au printemps ou en début d’été par les femmes et les enfants qui connaissaient parfaitement les emplacements propices à 71
l’installation des nids. Les oisillons étaient sans doute également prélevés avant leur envol, une pratique qui a perduré dans nos contrées européennes jusqu’au siècle dernier (cueillette des œufs de cormorans sur le littoral, de pigeons ou de corbeaux dans nos campagnes). Les oiseaux étaient d’abord chassés pour leur chair, mais aussi pour leurs plumes. Les os creux des volatiles les plus gros servaient à faire des flûtes, des flacons à ocre, des appeaux et des pendeloques (Patou-Mathis, 2013). Si, généralement, les produits aviaires semblaient peu représentés dans les menus des archers, c’est sans doute que la quantité de chair des oiseaux était jugée trop faible en regard de l’effort de chasse entrepris. Mais la sousévaluation des prises par les archéologues pouvait aussi venir du fait que les squelettes assez fins de ces derniers ont disparu rapidement, surtout dans les terrains acides du littoral (Bretagne) ou des massifs anciens (Scandinavie, Vosges, Massif Central). Les batraciens et les reptiles Dans les bosquets, le long des lisières forestières, près des mares et des ruisseaux, nos collecteurs capturaient certainement des reptiles (cistude, lézards, vipères, couleuvres, orvets) qui, une fois passés au feu, agrémentaient les menus des Sapiens. On sait que les tortues sont particulièrement « goûteuses » et que les reptiles sont régulièrement consommés chez les peuples premiers. Les grenouilles, vertes et rieuses, bien représentées dès cette époque (Pascal et al., 2000), devaient abonder dans les zones humides qui, pendant la déglaciation, couvraient de très vastes territoires. Les cueilleuses n’hésitaient probablement pas à les ramasser et à les passer sur la braise pour améliorer l’ordinaire en cas de chasse au gros infructueuse ! Crustacés et mollusques Le littoral rocheux est toujours riche en crabes, abondants surtout pendant la belle saison. Par ailleurs, les amas considérables, en nombre et en volume, de coquillages trouvés près des estrans, pourraient laisser penser que les mollusques étaient la nourriture principale des collecteurs du littoral. Mais les calculs de rations alimentaires et surtout de rations caloriques indiquent que pendant le délai de leur accumulation, l’apport n’aurait finalement représenté qu’une proportion faible des besoins des occupants et de leur famille. Pour nourrir une personne active, il faut, selon les espèces, de 300 à 1 000 coquillages par jour ! À y regarder de plus près, les chercheurs ont fini par reconnaître que ces amas contenaient aussi de nombreux restes de gros animaux (herbivores, phoques, etc.) qui expliquaient en fait le maintien d’une population côtière de cueilleurs… mais aussi de chasseurs. Les moules de mer (Mythilus sp), patelles et huîtres sont plus faciles à ramasser que les crabes. Si la valeur nutritive de ces animaux n’était pas très élevée non plus,
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ils pouvaient cependant « caler » pour quelque temps l’estomac des coureurs de grève toujours plus ou moins affamés ! En zone continentale, les moules d’eau douce (Unio sp.) devaient être très abondantes dans les rivières (il y en a encore dans le Massif Central et en Bretagne !) et fournir une nourriture facile à prélever en toute saison. Quant aux escargots, leur valeur nutritive est également faible et « il faudrait en consommer 2 000 par jour pour nourrir une famille de 5 personnes » (Rozoy, 1978). Si nos chasseurs ne dédaignaient pas déguster des hélicidés, ils avaient bien compris qu’ils ne devaient pas oublier la chasse au gros pour assurer leur survie… surtout pendant l’hiver où on ne trouve pas trace de coquilles ! En dehors de l’information culinaire relative aux régimes alimentaires des Sapiens, la découverte dans les fouilles archéologiques des nombreuses espèces d’escargots a surtout pour intérêt de connaître, avec une bonne précision, le climat du site à l’époque considérée. Poissons En zone littorale comme au Danemark, on a consommé relativement plus de poissons de mer qu’ailleurs en Europe. En Bretagne, les archéologues ont remarqué que « Les milandres (ou requins Hâ) sont présents en nombre dans les amas coquillers » (Marchand, 2014). Ils étaient sans doute appréciés pour leur chair et surtout pour leur foie très riche en vitamine A. En Provence, les fouilles de H. de Lumley (1956) ont mis à jour des restes de daurades, datés de l’Azilien, dans la grotte de La Crouzade à Gruissan. En zones d’estuaires et de fleuves, dès le retrait des glaces qui s’accentue vers - 17 000 ans A.C., la partie avale des cours d’eau est recolonisée au Bölling et à l’Alleröd par les salmonidés qui ne peuvent toutefois pas vivre dans les zones en amont des rivières trop froides et surtout trop pauvres du point de vue trophique. « Durant le Tardiglaciaire et le début de l’Holocène, la remontée de l’anguille vers le nord de l’Europe témoigne d’un réchauffement progressif des eaux océaniques puis de la mise en place du Gulf Stream avec individualisation des trois branches de la dérive nordatlantique : méridionale, centrale puis septentrionale » (Dachary et al., 2013). Au Préboréal, à la faveur d’un climat plus favorable et du développement des boisements terrestres riches en microfaune, les torrents et les rivières de montagne sont plus approvisionnés en nourriture. Les salmonidés remontent donc en altitude et laissent la place, plus en aval, aux associations piscicoles à base de cyprinidés. Le Danube, le Pô, le Rhône et le Rhin ainsi que tous les grands fleuves et rivières s’enrichissent de communautés piscicoles très diversifiées qui seront exploitées plus régulièrement par de petits groupes de fourrageurs jamais exclusivement pêcheurs. Des restes de saumon atlantique ont été identifiés un peu partout en Europe dans les campements installés le long des grands cours d’eau et de leurs affluents (Stoll, 1931). L’absence de déformations rachitiques chez les 73
occupants de ces sites laisse à penser que nos pêcheurs faisaient un usage au moins saisonnier de poissons issus de la mer dont le foie est riche en vitamine D. La capture de ces migrateurs, aux points d’arrivée sur les frayères, est relativement facile. Les riverains, habitués à ces déplacements saisonniers, plaçaient des nasses pour retenir les jeunes saumons de printemps ou d’été, et plus tard pour les grands saumons d’hiver. En zone continentale, pendant le Paléolithique final, le climat étant plus sec, les cours d’eau étaient moins approvisionnés et la faune piscicole plus réduite. À cause des températures basses, les salmonidés se trouvaient favorisés et il n’est pas étonnant que les espèces ayant laissé le plus de vestiges osseux soient le saumon et la truite fario. Avec l’augmentation de la pluviosité (Boréal et surtout Atlantique) et de la température moyenne en Europe, les rivières ont vu leur débit augmenter et leur faune piscicole se développer au profit des cyprinidés, des percidés et des ésocidés dans les parties avales des cours d’eau : l’ablette, le carassin, le barbeau, la tanche, la brème, l’aspe, l’ide, le chevesne, la perche et surtout le brochet se sont répandus dans le réseau hydrographique, autorisant des captures plus diversifiées et étalées dans les saisons, car ces espèces sont plus ou moins migratrices et se reproduisent à des moments sensiblement différents, ce dont tiraient profit les pêcheurs préhistoriques. Le brochet, par exemple, dont l’aire immense va de la Sibérie jusqu’aux contreforts des Pyrénées en passant par le lac Baïkal, la mer d’Aral, la mer d’Azov, la mer Caspienne et la mer Noire (Pascal et al., 2000), était activement pêché comme au Danemark (Desse, 1974) et dans beaucoup de rivières ou de bordures de lacs de l’Europe du Nord. Dans les sites mésolithiques fouillés du Jura, les archéologues ont identifié une faune piscicole sensiblement identique à celle que l’on trouve actuellement dans nos rivières : truite, ombre, brochet, barbeau, gardon, chevaine, perche, anguille et lotte de rivière (Cupillard in Bintz, 1994). Des restes de truites ont été découverts dans les campements installés le long de la rivière du Doubs (Desse, 1974). Plus à l’ouest, on a trouvé des ossements de truite et de vandoise dans les fouilles du cirque de la Doue en Corrèze (Martin & Le Gall, 1987). En Dordogne, à l’Azilien, les pêcheurs capturaient à la nasse : chevaine, anguille, brochet et quelques rares salmonidés. Compte tenu de la taille des poissons, il semble que l’on ait affaire à des pêches spécialisées (Cravinho, 2018). En Charente-Maritime, le gardon et le goujon ont fait l’objet de captures par les pêcheurs du Mésolithique. Le long du Rhône, l’abondance des squelettes de lotte d’eau douce dans les niveaux mésolithiques de la grotte des Romains (défilé de Pierre-Châtel) laisse à penser que l’espèce était bien représentée dans le fleuve et faisait l’objet d’une capture sélective parfaitement au point avec, peut-être, l’usage d’appâts pour faciliter l’entrée des poissons dans les nasses. En Ariège, des restes de salmonidés datant de 10 000 ans et pêchés en hiver ont été trouvés dans la grotte d’une église toute proche du cours d’eau (Cleyet-Merle, 1990). L’absence de la carpe dans ce panel d’espèces sauvages n’a rien de 74
surprenant puisque ce poisson est originaire d’Asie (fleuve Amour) et n’aurait été introduit en Europe que bien plus tard, par les Romains. Cet inventaire de faune sauvage relativement complet, mais toutefois non exhaustif, ne comprend évidemment pas certaines espèces pourtant présentes en Europe, mais malheureusement difficilement identifiées à cause de la fragilité de leur squelette, par exemple certains micromammifères (rongeurs) ou passereaux (pinsons, bruants, etc.)… sans parler des insectes. Puisque les informations les plus abondantes concernent la grande faune sauvage, il est possible de se faire une idée (mais simplement une idée !) de la façon dont elle s’est installée sur notre continent au cours des sept millénaires qui ont suivi le réchauffement. Avant de l’aborder, notons que d’importantes lacunes dans les données archéozoologiques laissent une imprécision sur le nombre d’espèces de vertébrés qui auraient disparu ou seraient apparues pendant le Mésolithique. Une synthèse a toutefois été tentée sur un intervalle de temps un peu décalé (- 9 200 à - 3 000 ans A.C.) indiquant que ce nombre s’établit à 10 pour les espèces éteintes ou disparues et à 11 pour celles reconnues comme invasives à cette époque en France (Pascal et al., 2000). Le bilan n’a donc rien de catastrophique et nos archers ne semblent pas avoir réduit significativement la diversité biologique du début de l’Holocène qui comptait environ, selon le même auteur, plus de 580 espèces de vertébrés autochtones dans l’Hexagone… de quoi diversifier les menus ! 2. Répartition de la grande faune sauvage dans le temps et l’espace Au Tardiglaciaire, en Dordogne, des fouilles du pont d’Ambon attestent que le renne était abondant et a cohabité progressivement avec le cheval, le cerf, le sanglier et accessoirement le chevreuil. Le bison est resté rare. Dès le début du Bölling, la taille du renne diminue et sa raréfaction s’accentue à la période suivante sans que l’espèce ne parvienne à se maintenir, plus en altitude, dans les Pyrénées (Leroyer, 2018), comme cela s’est produit dans les Alpes où elle a fini quand même par disparaître. Plus au sud, à part quelques espèces dont l’aurochs aujourd’hui absent d’Europe, la faune de mammifères, d’oiseaux et de poissons de l’Aquitaine était très voisine de celle que l’on rencontre actuellement (Delpech, 2015). À cette époque, en Italie, sous climat moins rigoureux, le sanglier et l’aurochs sont déjà abondants dans les Pouilles. « À la fin du Magdalénien, dans la région de Valence en Espagne on chassait le cerf, un peu le sanglier, mais aussi le cheval, le bouquetin et l’aurochs » (Barbaza, 1999). « Durant l’oscillation du Bölling, les mammouths ou les rhinocéros laineux abondants au Paléolithique disparaissent ou migrent vers le Grand Nord, laissant la place à des espèces adaptées à des milieux ouverts, rennes et chevaux. Les premiers disparaissent avant l’interstade de l’Alleröd, les seconds ne quitteront le nord de la France qu’au Dryas récent » (Ghesquière & Marchand, 2010). Par la suite, l’aurochs s’installe durablement dans le sud-est de la France. « Les animaux emblématiques du Pléniglaciaire 75
(mammouth, rhinocéros laineux, bison, renne et antilope saïga) n’étaient pas présents tout le long de la façade atlantique, mais seulement au nord des Pyrénées. En péninsule Ibérique, les changements de faune apparaissent alors moins drastiques, car la prédation humaine est restée centrée sur le cerf et le bouquetin. En revanche, au nord des Pyrénées, au début du Bölling, l’antilope saïga n’est plus représentée, mais le renne, le cheval et le bison sont chassés, ainsi que le bouquetin et le chamois en montagne » (Marchand, 2014). « À la fin du Bölling, les (derniers) groupes de Magdaléniens ont continué à traquer le renne, malgré sa rareté » (Pion, 2004). Certains d’entre eux ont suivi ses troupeaux dans le Grand Nord où ils se sont installés durablement comme éleveurs au Néolithique. À l’Alleröd, « La recomposition des cortèges de faunes qui semble s’opérer sur une période assez longue connaît une accélération et les taxons indicateurs de la période froide qui occupaient les plaines ont alors une répartition plus ponctuelle » (Cupillard et al., 1998). Le renne disparaît progressivement pour laisser la place au cerf, au chevreuil et au sanglier. À l’Azilien, la chasse au cerf devient quasiment systématique en France et il resterait du lion sur notre territoire (Bodu & Bemilli, 2000). Quelques restes de ce félin attestent de sa présence dans le nord de l’Espagne à l’Holocène, mais son aire était probablement beaucoup plus vaste puisque des populations de lions « modernes » (type d’Afrique du Nord), se sont maintenues jusqu’à l’Antiquité dans les Balkans. Par la suite, la chasse au cheval semble se réduire au profit de celle du cerf, de l’aurochs, du chevreuil et du sanglier qui reste assez rare au nord de la France, car à l’Alleröd, les futaies productrices de fruits forestiers sont peut-être encore peu nombreuses. La prédation des petites espèces (lapins, lièvres, oiseaux et poissons) qui aurait existé depuis le Magdalénien, a lieu avec des intensités variables au début du Mésolithique suivant les territoires, les habitudes cynégétiques et les coutumes alimentaires. Les fouilles du Rocher de l’Impératrice, à Plougastel dans le Finistère, montrent que le cheval et l’aurochs étaient présents en Bretagne dès l’Azilien ancien (Paléo, 2015). En Suisse, les fouilles du site de Neumühle dans la vallée de la Birse attestent à l’Azilien de la présence du lièvre, du renard, du cerf, du bouquetin, du lagopède et du hamster, mais le sanglier est absent. Il y a - 11 500 ans A.C., l’environnement de l’abri Campalou dans la Drôme correspondait à une steppe-toundra à bosquets de pin et de bouleau où se déplaçaient : chevaux, rennes, bisons, élans, bouquetins, loups, ours et marmottes (Bintz, 1994). Mais cette faune « froide » a régressé en plaine (surtout le renne) pendant le Préboréal au profit du cerf et du sanglier. Les bouquetins et la marmotte ont alors pris de l’altitude pour bénéficier de zones découvertes. Au début de l’Azilien, dans le Périgord actuel, la faune (en l’absence de renne) est diversifiée et comprend : cheval, bœuf, sanglier, cerf, chevreuil, castor, coq de bruyère avec une légère note froide donnée par l’hermine et le campagnol des neiges. On constate par la suite un réchauffement plus marqué avec extension de la forêt à nerprun et à tilleul et 76
la présence de la loutre, du rat d’eau et des grenouilles (Rozoy-1, 1978). À l’Épipaléolithique (Azilien et Dryas récent), on a trouvé, un peu partout en Europe, des ossements de sanglier, de cerf, mais aussi de cheval, ce qui traduit la présence de zones ouvertes offrant des pâturages à ces deux dernières espèces d’ongulés (Boboeuf & Bridault, 1997). La faune forestière a suivi l’avancée vers le nord du couvert boisé pendant cette période de réchauffement (Alleröd) et opéré un recul vers le sud lors du refroidissement du Dryas III, autorisant avec la réinstallation provisoire de la toundra un retour du renne plus au sud pendant un bon millénaire. Au Dryas récent, le retour du froid a été sévère puisque les températures ont retrouvé, pour environ 1 200 ans (ut supra), des niveaux voisins de ceux précédant le Bölling. Les formations végétales diversifiées qui s’étaient installées au nord ont régressé et la taïga et la toundra ont regagné du terrain en direction du sud. Dans cette toundra à bosquets du nord de l’Allemagne, on a retrouvé les squelettes de nombreuses espèces : corneille, hibou, brochet, grenouille, renard, loup, lynx, lièvre, castor, cheval, sanglier, élan et bison. J.-G. Rozoy (1978) confirme que « la faune de toundra comprenait aussi des taupes, des campagnols, des hamsters, des renards polaires, du blaireau, du sanglier, du chamois, du bouquetin, du renne, du cheval et des lagopèdes ». Dans la région de Liège (Belgique), le paysage de ce postAzilien se présentait comme une toundra-parc à pins et bouleaux (peut-être nains ?) où le renne était dominant. Mais on y trouvait aussi : cerf géant, bovidés (?), bouquetin, sanglier, cheval, castor, chat sauvage, renard polaire et loup. Les oiseaux identifiés étaient des lagopèdes des saules, du hibou moyen-duc et de l’aigle. Pour les chasseurs, le renne était redevenu pour quelques siècles le gibier par excellence. Mais malgré cet intermède froid, « la disparition du renne dans les Alpes aurait eu lieu vers - 10 300 A.C. » (Pion, 2004), une période qui pourtant lui semblait favorable. La Corse, qui était déjà une île au Pléistocène récent, n’a pas bénéficié d’un retour de la grande faune mammalienne qui s’est développée sur tout le reste du continent européen dès la fin de cet épisode froid, car elle n’a pu franchir la barrière du corridor marin déjà trop large à l’époque. Au Préboréal, les conditions climatiques s’améliorent nettement et favorisent le développement des grands herbivores « modernes » : plusieurs vestiges d’aurochs sont découverts sur le site d’Alizay, dans l’Eure, daté de 8 000 A.C. (Biard et al., 2015). À Valorgues, en Basse Provence, la faune comprenait : le grand bœuf, le cerf, le petit cheval, le sanglier, l’aurochs, le lièvre, beaucoup de lapins, les proies préférées du lynx pardelle (ou lynx hispanique). Le cheval et le cerf sont alors présents en Aquitaine (Paléo, 2015). Dans l’Aveyron, sur le site du Clos de Poujol, « entre - 9 800 et 6 650 A.C., les forêts d’arbres thermophiles se développent : les sangliers deviennent aussi nombreux que les cerfs. Le chevreuil, le lièvre européen et le castor sont abondants, par contre l’élan et l’aurochs ont quasiment disparu d’Europe occidentale » (Patou-Mathis, 2013). Pendant le Préboréal, on chassait les grands mammifères dans les Balkans, mais aussi en Grèce où la 77
ration alimentaire comprenait des coquillages, des légumineuses, des céréales sauvages… et on a la preuve que les pêcheurs consommaient des thons (Barbaza, 1999). Au Boréal, en Irlande, le retrait des glaces a été suivi de l’installation d’un bras de mer qui l’a coupée de l’Écosse et de l’Angleterre, la privant d’une colonisation (possible à l’époque) par l’élan, le cerf et l’aurochs. Cette dernière n’aurait débuté (mais comment ?) que vers - 7 700 ans A.C. au moment où le climat de l’Europe devient plus tempéré et se rapproche de celui que nous connaissons aujourd’hui. En Suisse, dans les environs de Birsmatten, il y avait de plus en plus de sangliers. Les périodes plus chaudes et humides ont finalement correspondu à des milieux ouverts, tout particulièrement dans les plaines et près des marais où la nourriture était plus riche et les batraciens plus nombreux (Bandi, 1963). En France, dans la plaine de Bresse, il y avait, en nombre, pendant cette même période, la plupart des ongulés déjà cités dont le cerf, le sanglier, le chevreuil et l‘aurochs, mais aussi le castor et le renard roux. En Ariège, en plein Mésolithique, on trouve du cerf et du sanglier… et beaucoup d’escargots ! Bien plus au sud du continent, le cerf et de lapin sont abondants au Portugal (Aubry et al., 1997). À l’Atlantique ancien, hormis le coup de froid assez bref de - 6 200 A.C., le climat général est devenu plus chaud et plus humide durant toute la période sur une grande partie du continent européen. Dans les Ardennes belges (La Roche-aux-faucons), on a trouvé des os d’aurochs, de chevreuil, de sanglier, de loup, de renard et de cerf. À Haguenau (Sablière Sturm), il y a du blaireau, du cerf, du sanglier et beaucoup de restes de marcassins, ce qui indique une forte activité de chasse. Dans le Morbihan, il y a - 4 600 ans A.C., il y avait toujours du sanglier, du cerf, du chevreuil, du castor, et quelques restes osseux témoignant de la présence de hérisson… et de chien. Le renard, la martre et le chat étaient sans doute chassés pour leur fourrure, comme les phoques probablement tirés à l’arc à partir du rivage. Les restes d’oiseaux indiquent (Péquart et al., 1937) une grande variété d’espèces plutôt continentales (buses, faucon pèlerin, étourneau, passereaux [sp], pigeon ramier, cigogne) ou littorales (goéland, pétrel, guillemot de Troïl, macareux arctique, petit pingouin, grand pingouin, grand cormoran), ou parfois inféodées à des marais (canard « boschas », canard siffleur, sarcelle d’hiver, petit harle)… ces derniers traduisant la présence de milieux ouverts dans le Golfe éponyme et peut-être plus rares ailleurs à l’Atlantique. Selon Barbaza (1999), « en milieu de forêt océanique tempérée les petits mammifères (blaireaux, lapins, écureuils, hérissons, renards, martres, belettes) fournissent 5 kg de venaison par hectare alors que les grands mammifères (cerfs, sangliers, chevreuils) en offrent 3 et les oiseaux, reptiles, mollusques, vers, insectes 1,5 à 2 kg ». La biomasse disponible à la consommation des archers est donc voisine de plus d’une tonne aux 100 ha… de quoi nourrir correctement une famille dotée d’un bon appétit ! En 78
futaie pleine, les disponibilités devaient être sans doute plus réduites, mais l’ambiance des sous-bois n’en traduisait pas moins une belle activité biologique avec le bruit de martèlement des pics, le cri des geais, le roucoulement des palombes, le craquement des bois morts au passage des sangliers ou des bisons, le bourdonnement des abeilles et, à l’automne, le brame du cerf, l’aboiement du chevreuil et l’impact des chutes de pommes de pin ou de glands de chêne. Le tout enveloppé par l’odeur des résineux et des fruitiers, les parfums des fleurs sylvestres et de l’humus. Et la nuit, le chuintement des rapaces nocturnes, le hurlement des loups au crépuscule… Une ambiance coutumière pour nos archers installés près des lisières et que l’on peut enfin retrouver, de nos jours, près des cabanes en bois installées dans les arbres par des logeurs imaginatifs ! Le travail des archéologues a permis de savoir que sur le Plateau suisse vers - 6 600 A.C. on trouvait, comme un peu partout en Europe : cerf, chevreuil, sanglier, blaireau, renard, martre et qu’à Birsmatten, toujours en Suisse, il y avait plus de cerfs à l’Atlantique (Bandi, 1963) que dans les périodes précédentes. En France, les recherches sur la station des Charmes (site sur sables dunaires des bords de la Seille), le Mont à Crissey et le Moulin de Droux, ont attesté la présence d’une colonie de Sapiens aux traditions communes désignée comme le « groupe de La Saône » (Ain) et datée de - 6 450 A.C. Ils chassaient le loup, le sanglier, le bœuf (?), le cheval, le lapin, le renard, le chevreuil et les oiseaux le long de la vallée de la Saône et de ses affluents. Dans le Cantal, à 900 m d’altitude, on a trouvé des dents de bouquetin dans des niveaux mésolithiques… mais l’espèce avait déjà été signalée (Bouchud, 1956) dans l’Azilien de Blassac (Haute-Loire). Pendant les périodes de réchauffement du début de l’Atlantique, la faune suisse est plus typique d’une zone forestière avec le lièvre, le castor, l’ours, le loup, le renard, la martre, le putois, le blaireau, la loutre, le chat sauvage, le cheval, le sanglier, le cerf, le chevreuil, le chamois et probablement l’aurochs. Mais le cerf et le sanglier sont à la base de l’alimentation (Rozoy, 1978). Dans ces forêts humides et fraîches, le sous-bois est toujours riche en escargots. Sur le Causse de Sauveterre (Abri de Salzets), à 850 m d’altitude, les découvertes archéologiques traduisent la présence du cheval, du cerf, de l’aurochs et du sanglier, mais témoignent aussi de l’absence de petits animaux. On peut y voir « le mépris » des archers pour le petit gibier (Maury, 1967), d’autant que les fouilles ont mis en évidence une halte de chasse spécialisée dans le gros gibier. En Dordogne (Grotte de Rouffignac), le sanglier a toujours été abondant, même s’il y a aussi du cerf, du chevreuil, du loup, du chat sauvage, du blaireau et de la martre. « Le suidé aurait été consommé toute l’année » (Barrière, 1962). Le chien était présent. Quant au bœuf et au mouton, vers 5 800 A.C., ils étaient probablement domestiques. De façon assez
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surprenante aussi, le petit gibier semble très rare… en tout cas dans les rebuts de cuisine ! En Basse Provence, vers la fin du Mésolithique, la faune est diversifiée : aurochs, sanglier, cerf, renard, blaireau, lynx pardelle, chat sauvage, hérisson, beaucoup de lapins, de petits rongeurs et… du chien. Mais le mouton fait son apparition. Les Tardenoisiens (- 8 000 à - 5 000 A.C.) consomment les jeunes agneaux, ce qui évoque plus la chasse que l’élevage (Rozoy, 1978). Si les moutons avaient été domestiques, les habitants n’auraient pas consommé autant de lapin. La présence du chat sauvage, du hérisson et du blaireau indique que les hivers étaient assez courts et doux. Peut-être entre -10° C à 0° C en janvier et 15 à 25° C en juillet avec un climat plutôt sec favorable au lapin et donc au lynx pardelle... Il y a des sangliers, mais pas de cochons domestiques. Vers - 5 000 A.C., on trouve en abondance : Bos primigenius (le petit bœuf est complètement absent), cerf, sanglier. Et par la suite, dans les couches plus récentes, apparaissent des ossements de chèvres et de moutons qui sont eux probablement « néolithiques ». À ajouter aussi la présence du cheval (Equus caballus) de petite taille et à pattes fines adapté aux sols rocailleux et Equus hydruntinus, asinien plus petit, mais dont la taille n’a pas varié depuis le quaternaire (Rozoy, 1978). Avant - 5 500 A.C., les os de bœuf et de mouton ont bien été identifiés sur quelques sites, mais ils sont très rares et proviennent probablement d’animaux sauvages ayant survécu depuis le Préboréal (Rozoy, 1978). En cette période tempérée, certaines parties de l’Europe font penser, selon Barbaza (1999), à « une sorte de parc vraisemblablement très giboyeux » constitué de vastes clairières et d’une « grande forêt avec ses chênes, charmes, hêtres, noyers sauvages et plus au sud ses érables, tilleuls frênes et aussi pins maritimes, pins sylvestres, cyprès térébinthes ». Et « la faune de grands mammifères qui s’y trouve semble se répartir de façon assez uniforme à l’échelle du continent » (Marchand, 2014). M. Barbaza (1999) pense que ce « milieu changeant », par la diversité des paysages que l’homme y rencontre durant tout le Mésolithique, a fait changer l’homme lui-même. Plus petit, plus gracile que ses ancêtres Cro-Magnon, il s’installe partout en groupes réduits et mobiles près des estuaires, des bords de lacs, des bords de rivières jusqu’aux sites montagnards où chasser le bouquetin. D. Leglu, qui commente l’ouvrage de Barbaza, montre que ces nouveaux archers « vivent autrement » que leurs ancêtres du Paléolithique et finissent donc par « penser autrement ».
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III. L’OCCUPATION HUMAINE
A. GÉNÉRALITÉS Pendant les millénaires qui ont suivi la déglaciation, une grande partie de l’Europe s’est donc trouvée occupée progressivement par des forêts plus ou moins clairièrées et une faune très abondante et diversifiée sur tout le continent, vraisemblablement plus riche en espèces que celle d’aujourd’hui, fortement perturbée pas les multiples activités humaines. Mais ces vastes espaces étaient-ils réellement habités par l’homme ? 1. Un mystère bien caché Un certain nombre de chercheurs du XIXe siècle, conscients du retour de la forêt à l’Azilien et de l’installation d’un vaste couvert boisé plus ou moins continu et parfois dense, défendaient l’idée que « l’Europe entière était devenue inhabitable » (Roujou, 1869 et Garrigou, 1874). Les vestiges fossiles, étant très rares et difficiles à dater, conduisaient donc à penser qu’il aurait existé un « hiatus de peuplement » entre le Paléolithique et le Néolithique. Mais G. de Mortillet (1874) avait pressenti que sur de tels espaces, on ne pouvait exclure une occupation humaine, fût-elle réduite et localisée. Ce soi-disant « hiatus » s’est révélé, en fait, n’être « qu’une simple lacune de nos connaissances »… et les découvertes successives du siècle qui a suivi et surtout les données des fouilles les plus récentes de l’archéologie préventive (INRAP) ont fini par donner raison à ce chercheur perspicace probablement bien au-delà de ses espérances personnelles. La sylve mésolithique était non seulement habitable, mais bel et bien habitée. Nos archers de l’Épipaléolithique et du Mésolithique méritaient bien le qualificatif « d’hommes des bois » choisi par un des meilleurs connaisseurs de cette époque, J.-G. Rozoy (1993). Il faut dire qu’avec les Néanderthaliens, les préhistoriens disposaient de nombreuses données provenant de la steppe froide, c’est-à-dire d’un milieu découvert et il était difficile d’imaginer que les successeurs de ces chasseurs de gros herbivores soient capables de s’adapter finalement assez rapidement à un milieu aussi différent que la forêt. Il n’était donc pas incongru d’envisager, comme hypothèse, que la population humaine du Magdalénien ait connu « une régression due à l’invasion de la forêt » (Clark, 1952). Dans 81
cette optique, il n’y aurait eu à coloniser que les seuls espaces libres littoraux où « les rôdeurs de grève » étaient réduits à consommer des coquillages et des escargots. La réalité devait se révéler bien différente ! En fait, « Il n’y avait pas à lutter contre la forêt, mais à s’y adapter, ce qu’ont fait nos archers. Ils y vivaient (d’ailleurs) comme des poissons dans l’eau » (Rozoy, 1993). 2. D’où venaient les archers ? Reconnaissons-le, les données archéologiques sur cette recolonisation humaine postglaciaire ne sont pas légion, car les sites de plein air ou de forêt exposés aux intempéries et à l’acidité de l’humus, laissent beaucoup moins de traces que les abris-sous-roche ou les grottes très généralement calcaires. Grâce aux découvertes récentes, il est désormais possible de confirmer quelques grands mouvements migratoires. La colonisation humaine de l’Europe de l’Ouest s’est en fait opérée dès le retrait du front glaciaire (Bölling) en direction du nord, vers l’Angleterre et la mer Baltique, par des populations magdaléniennes cantonnées dans le sudouest de la France, mais aussi en Espagne et en Italie où les conditions de vie étaient plus clémentes. Quant à l’occupation de la grande plaine du nord-est de l’Europe, elle est surtout due à la « remontée » des populations initialement installées au nord de la mer Noire (Bailey & Spikins, 2008). « Lorsque sur le territoire français, le climat s’est réchauffé, il y a douze mille ans environ, certains groupes humains ont suivi les rennes et les mammouths, d’autres sont restés sur place en s’adaptant au nouvel environnement boisé avec un mode de vie nomade, d’autres enfin ont choisi de devenir sédentaires en privilégiant les ressources aquatiques » (Demoule, 2018). Ces mouvements se sont poursuivis durant l’Alleröd où, malgré quelques coups de froid, les températures sont restées relativement favorables autorisant l’occupation du littoral de la mer Baltique et des plaines du nord de l’Europe. Mais « pendant la phase du Dryas III, le retour des conditions périglaciaires a imposé le repli vers le sud (Pays-Bas, Belgique et Rhénanie) de tous ces chasseurs typiquement septentrionaux » (Pion, 2004). Au Préboréal puis au Boréal, à la faveur de la nouvelle amélioration climatique, « des populations venues de Pologne et d’Ukraine ont occupé les côtes et les bassins lacustres de Finlande, de l’est de la Baltique et du nordouest de la Russie. C’étaient des chasseurs de mammifères marins et notamment de phoques et des pêcheurs, en particulier de brochets, qui complétaient leur alimentation par la chasse à l’élan et au castor » (Zvelebil, 1992). Pendant l’Atlantique, certaines de ces migrations ont perduré conduisant donc, dans toute l’Europe, à un mixage assez systématique de populations d’origines et de cultures très diverses condamnées à s’adapter à des milieux souvent boisés, mais aussi palustres ou littoraux. Pendant 82
plusieurs millénaires, ces arrivants, en provenance du sud-ouest, du sud et du sud-est du continent, sont parvenus à se maintenir et même à se développer durant tout le Mésolithique, mais ils étaient finalement tous déjà « européens » ! Par la suite, l’arrivée des colons néolithiques souvent anatoliens a alors largement transformé, à partir du Ve millénaire, le mode de vie de chasseurs-cueilleurs semi-nomades, par la pratique de l’agropastoralisme. 3. Qui étaient ces archers ? Pour comprendre qui étaient vraiment ces nouveaux Sapiens, il faut remonter dans le temps et revenir à la fin du tertiaire afin d’évoquer les intrusions successives en Europe des migrants, tous venus à l’origine du lointain continent africain. Les tout premiers Européens, « Homo erectus et ses variantes » selon le mot de J.-P. Demoule (2017), ont occupé un certain nombre de sites au Proche-Orient et dans le bassin de la mer Noire et quelques groupes se sont déplacés vers l’Eurasie et d’autres vers l’ouest où de vastes territoires se trouvaient vierges de toute occupation humaine durant les Interglaciaires. C’est le cas des hommes de Tautavel présents dans les collines du Languedoc il y a environ 450 000 ans. Ces groupes, peu nombreux et très dispersés, ont survécu aux périodes de froid successives. Leurs descendants, les Pré-Néanderthaliens puis les Néanderthaliens, ont occupé les steppes froides qui bordaient le front würmien. Mais quelques communautés se sont repliées près des rivages méditerranéens (Gibraltar) déjà occupés par de nouveaux arrivants. Ces derniers, les hommes modernes (ou Sapiens sapiens) se sont ensuite installés il y a 40 000 ans environ (certains disent 42 000 ans) en Europe. L’hybridation entre ces deux populations paraissait inévitable, car elles ont cohabité au Proche-Orient et dans le sud du continent, pendant plusieurs milliers d’années, et ont utilisé parfois les mêmes abris-sous-roche (grotte à Mandrin de la vallée du Rhône il y a 40 000 ans). Finalement, comme ont montré les chercheurs de l’Institut Max Planck en Allemagne, beaucoup d’Européens ont hérité d’un peu du génome néanderthalien, témoignant d’un métissage, au Pléistocène supérieur, lors de leurs migrations dans le continent ouest-européen ou eurasiatique (Garcia & Le Bras, 2017). « Les apports génétiques qui ont pu s’effectuer jusqu’à la date de disparition des Néanderthaliens (- 28 000 ans environ et peut-être 32 000 ans B.P. ?) ont apporté de la diversité, de la créativité et probablement aussi de nouvelles potentialités » (Arte, 2017) à nos populations de Sapiens qui ont engagé leurs migrations vers le nord de l’Europe, à partir de - 13 000 ans A.C., dès le réchauffement du Bölling. Il se trouve que des données récentes ont permis d’en savoir un peu plus sur ces groupes encore bien mystérieux qui ont transité par le Moyen-Orient et les surprises ne manquent pas, car les « génomes de plusieurs squelettes 83
humains anatomiquement modernes ayant vécu avant le dernier maximum glaciaire ont révélé qu’ils étaient des représentants de populations qui n’ont pas toujours laissé de descendants dans les populations actuelles » (Fu, 2014 & Posth, 2016). Ce sont ces aventures plus ou moins réussies qui ont contribué, dans certains cas, par mixage ultérieur, à donner les génomes des Européens actuels. Il est donc particulièrement ardu de savoir qui étaient véritablement les « ancêtres » de nos archers du Mésolithique. Pour compliquer l’affaire, « le séquençage du génome de deux chasseurscueilleurs paléolithiques vivant dans le Caucase a permis de comprendre que les populations de cette région se sont séparées, il y a 45 000 ans, de celles qui sont devenues les chasseurs-cueilleurs de l’Europe de l’Ouest… et se sont trouvées isolées quelques millénaires plus tard par le refroidissement climatique du Würm. Suite au réchauffement daté de -13 000 ans A.C., elles sont alors de nouveau rentrées en contact avec des populations plus à l’est, mais aussi au sud-ouest et leur ont transmis une portion de leur génome » (Garcia & Le Bras, 2017).
Chasseur à l’arc mésolithique – Illustration de Benoît Clarys.
Les Sapiens du Mésolithique étaient donc les descendants de différents groupes de chasseurs-cueilleurs du Paléolithique installés plutôt dans le sud du continent et qui avaient intégré, dans leur ADN, des gènes de 84
Néanderthaliens. Pour preuves, la découverte d’un premier crâne « hybride » trouvé récemment en Roumanie (Arte, 2017) et un autre daté de 55 000 ans présentant des caractères modernes et archaïques découvert en Israël en 2017. Et si on prend en compte le peuplement initial et très antérieur de l’Europe de l’Est, il n’est pas exclu que nos archers aient hérité aussi d’une proportion significative du génome d’Homo erectus, le tout premier Européen. 4. Migrations et métissages Finalement, les échanges importants entre groupes humains en Europe se sont surtout réalisés, selon nos connaissances actuelles, soit au Paléolithique moyen à l’occasion de la rencontre avec les Néanderthaliens, soit au Paléolithique final avec la remontée des populations du sud de la France et de la mer Noire vers le nord… Mais jusqu’au Mésolithique final, il ne semble pas qu’il y ait eu, pendant plusieurs millénaires et jusqu’au Néolithique, d’arrivées significativement importantes de contingents humains venant d’Afrique, sur le vieux continent. Par contre, les occupants de ce vaste territoire se sont déplacés localement puisqu’ils étaient, en général, semi-nomades. Ils ont donc « échangé » des hommes et surtout des femmes (mariages) au fil de quelques centaines de générations pour finalement constituer, selon les archéologues spécialistes de cette période, une population assez homogène génétiquement. Ainsi, selon Rozoy (1978), « les populations épipaléolithiques implantées depuis des millénaires, au moins depuis le Magdalénien supérieur, ont évolué sur place puisqu’il n’y a pas de preuves de migrations importantes ». Simplement, les archers sont remontés au nord quand le climat est devenu favorable, libérant d’immenses territoires abandonnés par les glaciers. Quant aux « invasions néolithiques », il semble qu’elles n’ont introduit chez ces « casaniers » qu’une part limitée du patrimoine génétique de nos concitoyens actuels. « Le taux important du facteur O (40 % de l’ensemble) parmi les groupes sanguins en France pourrait témoigner de l’ampleur souvent sousestimée de notre ascendance épipaléolithique » (Rozoy, 1978). Les travaux en cours sur la génétique des Européens nous en diront plus dans les années à venir. Trois témoignages viennent à l’appui de ces assertions : Dans la Vallée de la Birse, l’occupation humaine semble continue pendant tout le Mésolithique et les armatures à retouches inverses plates de Liesberg, datées de - 4 270 A.C., sont prénéolithiques et sans rapport avec les populations d’agriculteurs pourtant peu éloignées. Les chasseurs de cette époque, encore nombreux, réalisent des échanges entre eux et non avec les groupes sédentarisés. Toutefois, « les harpons des chasseurs ont été transmis
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aux Néolithiques sans que ces derniers apparaissent comme leurs descendants, car tout le reste de leur outillage est différent » (Rozoy, 1978). « L’effacement des arcades sourcières et un processus général de gracialisation » (Barbaza, 1999) qui ont été mis en évidence chez nos archers européens. « Au Mésolithique, les divers spécimens découverts en France semblent témoigner d’une population homogène dans ses caractéristiques anatomiques les plus déterminantes » (Barbaza, 1999). Selon le même auteur, « que ce soit à Montclus dans le Midi ou à Bonifacio en Corse, la plupart des occupants se rattachaient toujours au vieux fond de peuplement ouest-européen ». Les types anthropologiques mésolithiques identifiés par H. V. Vallois (1937/1961) en fonction de la forme du crâne seraient au nombre de cinq, mais la datation des sujets étudiés est sujette à caution. Il semble que l’on puisse parler simplement d’une race de plus petite taille (1,60 m) trouvée en Bretagne et d’un type Cro-Magnon plus grand avec un crâne légèrement plus gros que le nôtre (15 à 20 %) découvert aux Eyzies. Malgré ces différences relativement modestes (que l’on reconnaît d’ailleurs encore aujourd’hui), on constate avant tout une grande homogénéité de l’ensemble de ces populations qui traduisent une évolution, sans rupture et sur place, depuis le Paléolithique sans aucune indication d’intrusions migratoires majeures durant sept millénaires. 5. L’ADN parle Si ces populations européennes semblent relativement homogènes génétiquement, plusieurs différences phénologiques ont été découvertes avec les résultats des récents travaux sur le génome de quelques spécimens mésolithiques chez lesquels l’ADN s’est trouvé conservé. Ainsi, « les allèles de la peau claire étaient absents chez les chasseurscueilleurs européens qui avaient la peau foncée, mais les yeux bleus » (Olalde, 2014). C’est aussi l’avis de Céline Bon (MNHN, 2018), pour laquelle « les deux allèles principalement associés avec la peau claire chez les Européens apparaissent avec les premières populations néolithiques, il y a environ 8 000 à 10 000 ans B.P., dans le sud de l’Europe. Quant à la couleur des yeux, on sait que la mutation codant pour les yeux bleus est antérieure. Elle était même très répandue chez les chasseurs-cueilleurs de la fin du Paléolithique et du Mésolithique ». Les chercheurs du Musée d’histoire naturelle de Londres ont pu exploiter des restes d’ADN de l’homme de Cheddar, découvert en Angleterre en 1903 dans la grotte de Gough et dont le squelette presque entier est daté de - 8 000 ans A.C., les prélèvements extraits de son oreille interne ont permis d’en déduire qu’il avait les yeux bleus, la peau mate et les cheveux plutôt crépus… un faciès d’ancêtre mésolithique qui surprendra plus d’un Grand Breton !
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Les dernières recherches laissent à penser qu’une mutation de gène aurait conduit à donner des lignées humaines à peau plus pâle en Europe vers - 6 500 A.C. seulement. Si des Indiens d’Amérique à la peau « cuivrée » avaient débarqué en Europe, à l’époque, ils n’auraient sans doute pas trouvé, avant cette date, beaucoup de « visages pâles » ! Une équipe espagnole a séquencé pour la première fois, à partir de l’ADN d’une dent, un génome complet d’un chasseur-cueilleur européen du Mésolithique qui a vécu dans la province de Léon en Espagne, il y a environ - 5 000 ans A.C. « Il avait les yeux bleus, la peau mate et les cheveux bruns. Il était génétiquement éloigné des populations européennes actuelles, mais était cependant plus proche des Européens du nord d’aujourd’hui (Suédois et Finlandais par exemple). Jusqu’à maintenant, on considérait que la couleur de peau claire avait évolué assez tôt en Europe, au Paléolithique supérieur, en lien avec les faibles rayonnements UV en haute latitude… mais ce n’est clairement pas le cas… cette évolution est intervenue beaucoup plus tard, probablement au Néolithique, comme indiqué précédemment. L’homme était (par ailleurs) porteur de la variation génétique ancestrale produisant une intolérance au lactose… Il n’était donc pas génétiquement armé pour avoir un régime riche en produits lactés » (Lalueza-Fox, 2014). Mais pourquoi boire du lait (et se soucier de faire du fromage !) lorsqu’on peut s’assurer d’un bon festin à base de viandes rôties ! Deux crânes, cette fois plus « récents », datés de - 4 000 ans A.C., découverts récemment en Europe, ont livré des fragments d’ADN étudiés par le laboratoire Max Planck en Allemagne. Il en résulte que « l’un des individus avait la peau sombre et les yeux bleus et le deuxième, la peau claire et les yeux marron, preuve qu’un brassage génétique avait eu lieu de longue date » (Arte, 2018)… avec probablement des populations originaires d’Anatolie, d’Irak ou de Syrie. Pour compliquer l’affaire, le décodage tout récent de génomes de Néanderthaliens a mis en évidence le fait que ces derniers, qui avaient probablement initialement la peau mate puisqu’ils venaient d’Afrique, avaient acquis une peau claire puisqu’ils vivaient depuis plusieurs centaines de milliers d’années sous un climat européen à faible luminosité, et plus précisément à faible rayonnement ultraviolet capable de produire de la vitamine D. Certains de leurs gènes se sont combinés à ceux des hommes modernes… Il s’ensuit une difficulté pour savoir véritablement d’où venaient les caractéristiques de couleur de peau… mais aussi de cheveux qui auraient été vraisemblablement blonds ou roux chez les tout premiers occupants de l’Europe (TV5) ! Finalement, les archers qui ont vécu pendant des milliers d’années en Europe présentaient des faciès assez, voire très différents de la population actuelle et s’ils revenaient, on pourrait facilement les considérer comme des « émigrés » ! Pour reprendre la citation d’un préhistorien, rapportée judicieusement par J.-P. Demoule (2018), reconnaissons que « nous,
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Européens, sommes des Africains dépigmentés ». Un argument de poids susceptible de déconcerter plus d’un raciste ! 6. Caractéristiques morphologiques des populations mésolithiques Au regard de la taille, on peut dire qu’en moyenne, les archers du Mésolithique n’étaient pas très grands : l’homme de Cheddar, cité précédemment, mesurait approximativement 1,66 m. L’homme de Birsmatten (Suisse), qui daterait de la fin de l’Atlantique, était un adulte d’un peu moins de 160 cm avec un crâne de 1420 ml et des dents très usées avec beaucoup de caries (Bandi, 1963). En Ariège, le squelette de l’homme du Trou violet mesurait 160 cm et sa capacité crânienne était voisine de 1389 ml. D’autres découvertes ont donné des mensurations comparables, ce qui peut laisser penser que les hommes du Mésolithique n’étaient pas particulièrement élancés, mais en tout cas nettement moins trapus que les Néanderthaliens dont le volume du crâne était, semble-t-il, en moyenne, légèrement supérieur au nôtre. Mais attention, le « retour » aux boîtes crâniennes réduites des Australopithèques n’est pas à exclure ! Des esprits bien informés, mais sans doute mal tournés, n’hésitent pas à prédire que l’abus de pratiques informatiques pourrait nous y conduire ! Les squelettes de femme, souvent difficiles à distinguer de ceux des hommes, étaient en général plus graciles et de dimensions un peu inférieures avec des tailles proches de 150 cm. Comme on trouve plus de dépouilles d’hommes que de femmes, on peut se demander si le rapport des sexes penchait pour la gent masculine, mais de nombreuses causes d’erreurs sont susceptibles de fausser les estimations. Le squelette des femmes, moins renforcé en calcium, était sans doute plus enclin à disparaître par dissolution. Il est possible aussi que toutes les femmes n’aient pas été enterrées. Le sexratio à la naissance (50 %) n’a vraisemblablement pas varié depuis 10 000 ans, mais l’infanticide féminin sur des bébés n’est pas à exclure (Vallois, 1952), ce qui pourrait laisser supposer une moindre proportion de la gent féminine au Mésolithique. 7. Structure des populations d’archers Quant à la structure des âges dans la population, elle est très difficile à imaginer, car les causes d’erreurs sont multiples (ossification tardive des crânes, « rajeunissement » des squelettes au moment de l’interprétation de l’âge, etc.). « Il apparaît seulement comme probable que la durée de vie des archers était beaucoup plus proche qu’on ne le pensait des populations de chasseurs-cueilleurs actuels vivant dans le monde où la moitié de la population atteint 60 ans » (Rozoy, 1978). Les données disponibles sur ces dernières indiquent que le nombre d’enfants avoisinerait les 30 %, ce qui n’est pas très différent du pourcentage estimé dans les groupes du Paléolithique (Vallois, 1961), ou même dans de nombreuses sociétés
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modernes dans lesquelles les familles sont constituées de deux parents, de deux (ou trois) enfants et de deux (ou trois) grands-parents.
B. RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE DES GROUPES D’ARCHERS On ne peut pas estimer, au niveau de l’Europe mésolithique, la surface précise consacrée à l’écoumène, car les groupes humains étaient de taille réduite et n’avaient pas d’impacts significatifs repérables sur la forêt environnante. Mais un certain nombre de découvertes récentes (INRAP) permettent désormais d’approcher cette réalité. Au début du Paléolithique final, « les grands chasseurs magdaléniens n’utilisaient qu’une petite partie (probablement un quart) du territoire, des îlots dans un désert glacé. Alors que les archers de l’Épipaléolithique nous ont laissé, en nombre de sites comme en nombre d’outils, beaucoup plus (d’implantations et) de témoignages que les Paléolithiques » (Rozoy, 1993). En France et en Belgique, par exemple, « on connaît quelque 400 stations magdaléniennes », alors qu’on a repéré « plusieurs milliers, voire des dizaines de milliers de sites épipaléolithiques dispersés sur ces mêmes territoires », ce qui ne signifie pas que la population ait beaucoup augmenté, mais simplement que, dans la dernière période, les conditions climatiques étaient bien plus clémentes et les chasseurs se sont répartis sur de plus vastes espaces en revenant moins exactement aux mêmes endroits, laissant dans leurs pérégrinations les restes des ateliers de silex ou de séjours de plein air (Rozoy, 1978). « Les dernières productions magdaléniennes du Bölling sont bien attestées sur quatre sites de la basse vallée de la Sèvre nantaise lors d’un premier radoucissement du climat » (Gouraud, 1996). Les fouilles indiquent une occupation à l’Azilien en Vendée, au Préboréal en Loire-Atlantique puis au Boréal et au Mésolithique récent dans cette même région. « Dans les environs d’Évreux, mais aussi dans les Yvelines, on a identifié une industrie du silex qui montre une transition entre le Magdalénien et l’Épipaléolithique » (Rozoy, 1978). Dans le Bassin parisien, il y a des vestiges (de surface) abondants, mais les sites exploitables sont peu nombreux, car les abris sont très rares. On peut cependant affirmer que l’ensemble a été bien occupé pendant le Mésolithique et en particulier le Tardenoisien. Dans les massifs montagneux, suite au désenglacement, il est probable qu’il n’y ait pas eu d’occupation humaine pendant plusieurs milliers d’années à cause des rigueurs du climat (Surmely, 2003), ce qui ne veut pas dire que certains chasseurs n’ont pas franchi les cols récemment dégagés. Le gibier est surtout abondant dans les prés-bois et les pelouses d’altitude, mais rare dans les pierriers stériles qu’il faut pourtant franchir pour découvrir de nouvelles vallées giboyeuses. « Les hommes du Mésolithique se sont (alors) 89
lancés dans la conquête des montagnes, s’arrogeant de nouveaux territoires en altitude où ils ont fait preuve d’une réelle capacité d’innovation » (Combres, 1995). Ils ont, en effet, mis au point le kit de chasse (arc, carquois et flèches) et les provisions de viande séchée et fumée autorisant les longs déplacements pendulaires entre la plaine et les haltes de chasse des zones alpines (Bintz, 2007). Les toutes dernières découvertes du Groupe d’Archéologie glaciaire d’Innsbruck (Arte d, 2019) attestent que des Sapiens ont brièvement séjourné sur plusieurs cols des Alpes autrichiennes, il y a 10 000 ans B.P., pour se procurer du cristal de roche, chasser ou tout simplement passer d’une vallée à l’autre. À la faveur du recul actuel des glaciers, quelques objets en bois, écorce de bouleau ou cuir ont été identifiés et datés, confirmant une présence humaine à près de 3 000 m d’altitude au Premier Mésolithique. En plaine, « les futaies de la chênaie atlantique, plus fermées, étaient certainement moins favorables aux animaux et donc aux chasseurs que les boulaies ou pinèdes du Préboréal et les corylaies du Boréal où la strate herbacée et buissonnière était à portée de dents du gibier » (Rozoy, 1993). Par ailleurs, il est très difficile de savoir quelle était l’occupation humaine dans l’immense plaine nord-européenne, car il y a peu d’abris-sous-roche et de grottes. Les habitats connus sont des stations de plein air, malheureusement souvent recouvertes par des dunes de sable ou de lœss. Des précisions sur l’évolution de l’occupation humaine au cours des sept millénaires qui nous concernent tiennent aux résultats des travaux de fouilles, souvent récents, menés par des archéologues tant professionnels que bénévoles : Vers - 11 000 ans A.C., selon les informations recueillies à la Cuze de Neussargues, le Massif Central a été habité à divers stades (et probablement pendant toute la durée) de l’Épipaléolithique (Rozoy, 1978). « Les analyses environnementales sur l’occupation humaine des Préalpes de la Vénétie montrent une intensification nette du peuplement au Tardiglaciaire et à l’Holocène ancien en corrélation étroite avec le repeuplement de la forêt en altitude » (Montoya et al., 2015). Les sites habités sont plutôt positionnés en bas de versant, car les plaines étaient balayées par de puissants cours d’eau en tresses ou noyées par des marécages. Les hommes chassaient donc le cerf et le chevreuil sur les versants et, en altitude, le bouquetin, le chamois, le lièvre et la marmotte. Vers - 10 000 A.C., malgré le coup de froid du Dryas III, la colonisation du nord de la Norvège est amorcée comme le montrent les vestiges, datés de -10 000 A.C., mis à jour dans l’île de Ringvassöy bien au-delà du cercle polaire. Des peuplades constituant un ensemble culturel relativement homogène se sont installées dans les îles Britanniques, en Finlande, en Suède jusqu’en Biélorussie et ont laissé beaucoup d’objets en os et bois de cervidés (harpons à barbelures). Plus tard, vers - 7 700 à - 5 000 A.C. aux environs de Berlin, les archers ont abandonné, en plus des outils en os ou en silex, des objets en matière végétale assez bien conservés dans les marais de cette 90
plaine nordique, ce qui représente un trésor archéologique tellement rare. Sagaies, arcs, pointes de flèches, flèches, pagaies, filets de pêche et rouleaux d’écorce de bouleau, nasses, foënes et harpons sont révélateurs d’une grande activité halieutique le long des fleuves, des lacs, des marais et des estuaires de cette immense plaine septentrionale souvent mal drainée. « Même au Dryas III, presque aussi froid que le Würm final, on trouve des campements dans la plaine nord-européenne » (Taute, 1968). Autour de - 9 000 A.C., « Les derniers chasseurs, selon la dénomination de J.-G. Rozoy (1978), ont laissé leurs traces dans la tourbe en Angleterre, au Danemark, en Allemagne et aux Pays-Bas et il n’y a pas de raisons pour que leurs homologues tardenoisiens (Bassin parisien) n’en aient pas fait autant ». À Roc-la-Tour (Ardennes), le site fouillé est en hauteur (410 m) et offre un point de vue remarquable sur les environs. Ce secteur schisteux est un plateau froid et humide qui semble peu accueillant… et pourtant les Ardennes ont été occupées assez complètement (Rozoy, 1978). Vers - 8 500 A.C., les Ardenniens, point si différents des Tardenoisiens, ont campé sur tous les types de sols : schisteux à Oisy, calcaires aux Mazures, sableux à Hergenrath et à Marmelont, argilocalcaires à La Rocheaux-Faucons et à Sougné. Le long de la Vallée de la Semois et des plateaux environnants, ils ont, semble-t-il, développé une colonisation plus importante que celle du Néolithique et du Chalcolithique qui ont suivi (Rozoy, 1978), ce qui pourrait s’expliquer par la nature des terrains (acides) peu favorables à l’agriculture, mais très convenables pour la chasse. L’occupation humaine est signalée dans le bassin du Niémen aux IXe et VIIIe millénaires et dans le bassin de la Vychegda un peu plus tard vers - 7 000 et - 5 000 A.C. au pied des Monts Ouvaly, en Russie, et également entre le lac Ladoga et Onega entre - 7 000 et - 6 500 A.C. (Barbaza, 1999). Dans le Midi, pendant les épisodes chauds et secs du Préboréal (- 9 000 à - 8 000 A.C.), les campements étaient également nombreux et sûrement jamais très éloignés d’un point d’eau, comme en témoigne la source très proche de l’Abri Cornille (près d’Istres). Autour de - 8 000 A.C., en Angleterre, des trous de poteaux en pin à proximité du site de Stonehenge indiqueraient une occupation humaine dès le Préboréal. Lors de la fonte des derniers grands glaciers nordiques, vers 8 000 A.C. justement, les terres exondées ont été colonisées jusqu’à la côte ouest du Danemark par des peuples de chasseurs-cueilleurs adaptés à la vie sur le littoral. Ils ont gagné en suite l’intérieur des terres à partir de - 5 500 A.C. Le nombre total de sites répertoriés dans la partie primaire de la Belgique, rares au Paléolithique, mais aussi au Néolithique, est probablement voisin de deux à trois cents au Mésolithique. « Le gisement des Masures, dans la province de Liège, situé cette fois sur un éperon calcaire et dominant de 60 m le cours de la Vesdre près d’un petit col, pouvait être un point de passage à gibier ou un goulet vers lequel on aurait pu rabattre celui-ci… les chasseurs avaient alors l’opportunité de se poster au revers du col où il y a 91
quelques rochers » (Rozoy, 1978). La station de Sougné, toujours en Belgique, est également en bord de plateau. « La carte des sites mésolithiques mise à jour en France à la date de 2009 » (Ghesquière & Marchand, 2010) montre clairement que les archers occupaient tout le territoire avec quelques concentrations plus fortes en Bretagne, en Charente, dans l’Est et la vallée du Rhône. « Le Mésolithique correspond aussi à l’installation définitive de l’homme dans les Alpes. Dans le Haut-Adige, deux cents sites de plein air ont été découverts entre 1 900 et 2 300 m d’altitude près des cols ou des petits lacs… et le plateau du Simplon a été occupé pendant plusieurs phases à cette époque » (Galley, 2006). On a retrouvé aussi la trace de présence mésolithique dans plusieurs sites du Lubéron et « des vestiges de foyers circulaires qui ont dû servir à griller, fumer ou boucaner le gibier ou le poisson afin de le conserver » (Méhu, 2004). Bien que les groupes d’archers aient occupé les plateaux, les milieux karstiques et les bas de versants, « le fait que la majorité des occupations mésolithiques de plein air détectées se trouve en fond de vallée souligne les caractères sensibles et stratégiques de ce milieu »… et les dernières découvertes en région parisienne et à Lyon confirment également le caractère privilégié de ces bordures alluviales (Séara, 2012). Toutefois, cette situation de roche-abri avec plateforme et point de vue sur les environs a été exploitée à Saint-Pierre-lès-Nemours en Seine-et-Marne. En regard des surfaces occupées, « certains campements sont spatialement très restreints », mais d’autres sont très étendus (25 000 m2 à Ruffey-sur-Seille dans le Jura par exemple) et traduisent « une discontinuité chronologique de l’occupation » (Séara, 2012), et donc une succession de campements. On trouve au Préboréal de très nombreux sites de plein air dans le Bassin de Brive (De Mars, 2000). Les stations de la région de Beaugency (Loiret) montrent l’existence d’un groupe de populations évoluant sur place depuis le milieu du Mésolithique (Quatrehomme, 1969). « La petite superficie des habitats, leur espacement régulier sur la côte… laissent à penser à une exploitation régulière par petits groupes dans l’estuaire de la rivière Pornic (Loire-Atlantique) aujourd’hui submergé » (Marchand, 2014). Finalement, dans l’Hexagone, « les sites occupés couvrent tout le territoire, quels que soient le sol (sableux, limoneux, imperméable) et le sous-sol (calcaire ou acide) ». Certains traduisent même une occupation très longue de plus de 1 000 ans. Comme la Corse et la Sardaigne ne semblent avoir été occupées qu’à la fin du Xe millénaire et du suivant, il a bien fallu que les « migrants » de l’époque utilisent des pirogues de grande taille pour affronter la haute mer (traversée de près de 50 km à l’époque), à moins qu’ils aient construit des radeaux avec une voile modeste, mais suffisante pour bénéficier de vents favorables ? « Entre - 7 500 et - 5 800 A.C., vivaient au Danemark et en Scanie des chasseurs-cueilleurs nomades artisans d’un outillage en os, en bois de cerf 92
(harpons) et en pierre (armatures de flèches, herminette, hache). La pêche (principalement au brochet) est une de leurs activités majeures grâce à l’invention de la barque et à la diversification des engins de pêche : javelots, pointes barbelées, hameçons droits, foënes, filets, pièges à entonnoir ou verveux (vannerie). Ils pratiquent également l’oiselage, à l’aide de foënes, d’abord sur des espèces terrestres (en été) puis, à partir du Ve millénaire, d’oiseaux maritimes migrateurs (en hiver). Les escargots, les fruits de mer et les petits animaux terrestres sont de simples apports gustatifs, car ils leur préfèrent la viande de grands mammifères comme l’aurochs, l’élan, le cerf et plus tardivement le chevreuil et le sanglier. Puis, vers - 5 800 ans A.C., ils recherchent la disponibilité en ressources tout au long de l’année et s’équipent de matériels indispensables pour affronter la mer, mais aussi l’intérieur des terres en toutes saisons (bateau, ski, traîneau), ce qui autorisera leur sédentarisation » (Zvelebil, 1992). Vers - 7 000 A.C., selon J.-P. Demoule (2018), « en France, comme dans le reste de l’Europe vivaient de petits groupes de chasseurs-cueilleurs qui parcouraient la forêt tempérée dont l’ensemble du continent était alors recouvert ». Le Massif ardennais couvert de boisements devait être très giboyeux, car, comme il a été dit plus haut, bien occupé par les hommes depuis le début du Mésolithique alors que, dans cette région, le « peuplement néolithique a été peu intense et tardif » (Rozoy, 1978), probablement en raison de ses sols lourds et froids convenant mal à la mise en culture. On ne sait pas pourquoi la Hesbaye belge, à sol très riche en lœss et actuellement très urbanisée, n’était pas habitée au Mésolithique. Était-elle moins giboyeuse que le massif ardennais voisin ? Il est possible aussi, tout simplement, que les sites existants, recouverts par des dépôts, n’aient pas encore été mis à jour ! « Au milieu du VIIe millénaire A.C., nous connaissons pour la France, la Belgique et leurs marges, une vingtaine de groupes humains individualisés… et il en reste probablement dix ou vingt autres à isoler. Ces groupes vivaient dans une forêt assez sèche (pin et noisetier) et chassaient essentiellement le cerf et le sanglier qui fournissaient 95 % de la viande consommée. Sauf exception, la chasse aux petits animaux tenait une place réduite. Beaucoup de végétaux (noisettes, châtaignes, glands, mûres, airelles, fraises et champignons) étaient cependant au menu. Ces habitants étaient donc essentiellement des chasseurs de grosses bêtes » (Rozoy, 1978). En tout cas, « l’occupation dense de la France atlantique ne fait pas de doute dans les deux derniers millénaires du Mésolithique » (Marchand, 2014). Dans l’Aisne, le site de la Sablonnière a fourni 22 traces de foyers datées de 6 110 A.C. On sait que la forêt (de chênes) comprenait aussi du lierre et du tilleul, cette dernière espèce fournissant des fibres végétales commodes à tresser. À propos d’implantations de populations, notons qu’une première incursion de colons a abordé le littoral atlantique relativement tôt puisque « des hommes et des femmes du Néolithique ancien d’origine 93
méditerranéenne sont présents depuis 5 300 ans avant notre ère… sur la côte vendéenne » (Marchand, 2014). Sont-ils venus à pied ou par cabotage le long des rivages espagnols ? Les recherches ultérieures sur les migrations de ces artisans potiers nécessiteront encore bien des fouilles. Pendant ce temps (- 5 000 ans A.C.), à l’autre bout du continent européen, la Carélie, épargnée par les zéphyrs de « la douceur angevine », commence à se peupler !
C. DENSITÉ DES POPULATIONS HUMAINES Malgré les recoupements de données effectués à partir de l’inventaire des sites identifiés actuellement et mentionnés plus haut, les archéologues en sont réduits pour l’instant à proposer des fourchettes (assez larges !) de densité des populations humaines sur le vieux continent. Au début de l’Azilien (et encore bien plus tard ?), il est probable que la population était réduite, voisine de celle du Magdalénien, soit 10 à 15 000 habitants peut-être en Europe ? Certains secteurs, plus riches en ressources, présentaient sans doute des densités plus fortes, mais très inégales suivant les territoires, donc en moyenne assez faibles. En Belgique, par exemple, pour quelques dizaines de sites magdaléniens, on trouve, comme il a été dit plus haut, sur la même surface, plusieurs centaines de sites épipaléolithiques (Dewez, 1974). Une indication probable d’une augmentation sensible de la population. Selon Bailey et al. (2008), la population du continent aurait pu compter environ 500 000 personnes à la fin du Paléolithique supérieur (et donc du Post-Azilien), soit environ 0,05 ha/km2. Demoule (2018) considère que « les données archéologiques suggèrent de fait que la population mésolithique était relativement faible, sans doute quelques centaines de milliers d’individus seulement pour toute l’Europe », soit une densité voisine de celle précédemment annoncée. D’autres auteurs enfin considèrent que pour les stades anciens (Azilien), on ne dispose pas de suffisamment de données sur le couvert végétal et la densité de faune pour se faire une idée du peuplement humain. Selon Rozoy (1978), « Le réchauffement de l’Alleröd ne paraît pas avoir provoqué un essor démographique, ni le refroidissement du Dryas III un recul notable ». Mais les preuves manquent ! Au Dryas récent, « pendant l’épisode de refroidissement, la toundra-parc ne ressemblait que de très loin à celle que parcourent actuellement nos rennes nordiques. Au nord, il n’y avait pas de longues nuits polaires et les conditions de vie étaient probablement moins rudes et surtout moins inégales d’une saison à l’autre » (Rozoy, 1978). Pour l’Europe de l’Ouest, sous un climat plus privilégié, à la fin du Paléolithique final, L.R. Binford (1980) suggère une densité moyenne de 0,023 individu/km2 bien plus faible que celle annoncée par Rozoy, cité plus loin. Selon ce même auteur, « les peuples nomades qui dépendent des animaux terrestres ont la plus basse densité de population, bien plus faible que celle des cueilleurs nomades (0,10/km2) ou près de 0,20 pour les groupes
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mobiles de pêcheurs », mais supérieure toutefois à celle avancée par Binford. Le point de vue de Rozoy (1978) s’appuie sur le fait que, pour lui, l’Épipaléolithique, contrairement à ce que certains auteurs ont écrit, n’était pas une période misérable, mais au contraire, « une époque faste où la chasse est plus facile et les groupes humains s’y multiplient et s’y diversifient. Il est probable que la population a fortement augmenté, peut-être d’un facteur 4 ou 5 et peut-être même décuplé ». Au Préboréal, l’essor démographique semble avoir véritablement débuté corrélativement au net réchauffement climatique et au développement de la faune sauvage. La population aurait alors atteint son maximum au Boréal pour se stabiliser à l’Atlantique. En quelques milliers d’années, la population européenne aurait donc augmenté d’un facteur 5 et peut-être 10, ce qui reste plausible vu l’amélioration sensible des conditions climatiques et l’utilisation systématique de l’arc, arme efficace par excellence pour abattre du gros gibier. Toutefois, et sans que comparaison soit raison, « autour de - 8 500 A.C., les plus grandes colonies comme Jéricho (en Israël) ne comptaient que quelques centaines d’individus ! » (Harari, 2015). Les centres de peuplements étaient donc peu fournis ! Au début du Préboréal, les incertitudes restent très grandes, car on ne connaît pas précisément la densité de l’aurochs, du cheval sauvage et éventuellement du cerf géant. Or, ces valeurs avaient probablement une influence importante sur les ressources protéiques des populations humaines locales, et donc sur leur densité. Au Boréal, avec un climat plus sec et plus chaud, la forêt était claire avec beaucoup de végétation arbustive très favorable à la grande faune, donc à une plus grande densité potentielle d’occupation humaine… peut-être 15 ha/km2 localement ? En effet, la biodiversité, plus faible dans une toundra sèche ou une lande arctique (30 à 80 espèces) est nettement plus élevée dans une prairie et surtout dans une forêt-parc (130 à 140 espèces). « Ainsi, la densité d’occupation pourrait être dix fois plus forte qu’à la fin du Magdalénien et surtout plus uniformément répartie grâce à la mobilité de la population » (Rozoy, 1978). « Le Mésolithique est alors la première époque de l’histoire de l’humanité où l’ensemble du territoire français apparaît comme occupé simultanément ». En conséquence, J.-G. Rozoy (1978) n’hésite pas à affirmer que « les archers épipaléolithiques ont ainsi constitué une part importante de notre patrimoine génétique, culturel et même institutionnel ». En tenant compte de nombreux facteurs tels que la durée de vie, la structuration des familles, le besoin calorique moyen par personne (2500 cal. par jour en moyenne, soit 450 kg de viande/an) et la production totale de venaison par la chasse d’un pays de 550 000 km2 (soit 60 000 tonnes), il apparaît que la population maximale de la France aurait pu atteindre 135 000 habitants. Mais comme toute population « sauvage », celle-ci est soumise à de fortes fluctuations (froids, sécheresses ou périodes de pluie prolongées, épidémies, incendies, etc.) qui peuvent la réduire momentanément de 30 à 95
50 %, ce qui conduit à donner une estimation (cette fois réelle ?) comprise entre 50 000 et 70 000 habitants en France, au Mésolithique et peut-être un peu supérieure pendant le Boréal, à peu près répartie également sur le territoire (Rozoy, 1978), soit approximativement un habitant pour 1 000 ha, c’est-à-dire, pour fixer les idées, un à deux Sapiens par commune ! Pas de quoi se bousculer ! Au stade moyen et récent du Mésolithique, « les groupes reconnus (ou cultures) occupent des territoires de 100 à 300 km de diamètre environ et il est possible, d’après la capacité nutritive maximale du territoire et les rares traces d’abris, d’estimer la population à 30 à 300 groupes élémentaires de 10 à 20 personnes, soit 500 à 5 000 individus par culture (Rozoy, 1978)… soit un individu pour 1 000 hectares finalement comme indiqué à l’époque précédente… mais tout le territoire disponible n’était pas forcement exploité. Par contre, selon Arte (2017), « il faudrait 25 km2 pour assurer la survie d’un chasseur-cueilleur » et donc 4 à 5 fois plus pour une famille entière, soit 10 à 12,5 km2, soit une population pour la France métropolitaine guère supérieure à quelques dizaines de milliers d’individus. « De la faible consommation de chevreuil et d’autres petits mammifères, nous pouvons déduire pour les archers préhistoriques, qu’ils pratiquaient une régulation de leur population pour la maintenir en dessous de la capacité nutritive maximale du territoire et par conséquent une limitation de l’effectif des groupes par des procédés sociaux : interdits sur les relations sexuelles en de nombreuses circonstances, avortements, infanticides à la naissance fort répandus » (Meillassoux, 1967 ; Hayden, 1972 ; Bichieri, 1972 ; Birdsell, 1968), allongement de l’allaitement et surcroît du travail féminin. La densité moyenne se situerait alors aux environs de 30 personnes, c’est-à-dire deux familles élargies de 15 personnes par (nouveau) canton, soit une densité toujours voisine de 1 à 2 personnes pour 1 000 hectares. C’est un ordre de grandeur que l’on retrouve assez systématiquement cependant dans le reste de l’Europe (Tringham, 1971), sauf dans la steppe lœssique pauvre en gibier, au Boréal (Rozoy, 1978). Même si les archers étaient installés un peu partout en Europe, les densités étaient sans doute, comme on l’a déjà signalé, loin d’être uniformes, car dépendantes pour une large part des ressources alimentaires locales. À défaut de données plus précises, il semble qu’en moyenne le taux d’occupation ait été toujours voisin d’un habitant pour 1 000 hectares, plutôt 0,6 selon Rozoy (1978) et 3,8 selon Testard (1982), mais la diversité des situations démographiques était sûrement très grande. « À la fin du Mésolithique, on pouvait compter 5 à 8 millions de fourrageurs sur la planète » (Harari, 2015) et peut-être un à deux millions dans toute l’Europe, soit une moyenne de 0,15 habitant/km2 (ou 1,5 hab./1000 ha), des chiffres voisins de ceux annoncés plus haut. À l’Atlantique, malgré les modifications apportées sur les arcs et les flèches, l’efficacité des captures ne pouvait pas provoquer une augmentation significative des populations de chasseurs-cueilleurs. Il a fallu attendre la 96
mise en place de l’agro-pastoralisme pour observer une dynamique démographique véritable. Par ailleurs, à cette époque, les boisements se ferment et la richesse spécifique des milieux naturels est probablement plus basse, ce qui ne facilite sans doute pas l’augmentation des effectifs des communautés humaines et explique peut-être des baisses. Toutefois, certains secteurs offrent des ressources particulièrement abondantes comme certaines zones littorales ou certains estuaires. Ainsi, dans le Finistère, les deux stations (Ty Lann et Ty Nancien), datées de l’Atlantique, très vastes et très riches, situées à plusieurs kilomètres de la plage, montrent que la population était probablement assez nombreuse (Rozoy, 1978). On trouve aussi des stations dans les Côtes-du-Nord sur des petites hauteurs avec abondance de coquillages qui pourraient laisser supposer des densités assez fortes. « Le peuplement de la France pourrait alors dépasser, comme il a été mentionné plus haut, les 50 000 habitants, soit approximativement 0,10 hab./km2, ce qui correspondrait au tiers de la capacité nutritive maximale moyenne du territoire, compte tenu du mode d’alimentation tel que nous le connaissons, la pêche étant comptée pour un tiers à deux cinquièmes des apports nutritifs » (Rozoy, 1978). Cette densité est évidemment assez différente de celle admise pour les chasseurs exclusifs et donnée par Deewey (1960), soit 0,04/km2. Mais, comme on le voit, les indications manquent pour proposer des chiffres sérieux et les chercheurs en sont réduits à des hypothèses vraisemblables. Si la population dans tout le continent européen avoisinait le million d’habitants, c’est que la croissance démographique a été finalement faible, mais réelle (quelques centaines d’habitants par an pendant 7 000 ans), à défaut d’être régulière depuis l’Azilien. Actuellement et à titre de comparaison, le territoire de l’Hexagone qui est loin d’être occupé en totalité, comme au Mésolithique, par les trois espèces de grands ongulés sauvages (cerf, chevreuil et sanglier), fournit déjà plus d’un million de têtes de gibiers par an, de quoi approvisionner facilement, en protéines animales, 100 000 habitants environ, la population d’archers supposée du Boréal ! Avec l’Erteböllien, on voit ensuite apparaître ensemble culture et élevage, mais au début sans grands défrichements (Troels-Smith, 1960 et Schwabissen, 1957). Les changements de pratiques se manifestent dans le sud-est de l’Europe (Tringham, 1971) et l’accroissement démographique véritable n’intervient, en France, qu’au début du Néolithique (Rozoy, 1978). Ce qui permet de penser que, jusque vers - 5 000 A.C., les Européens sont demeurés, sauf cas particuliers, des chasseurs-cueilleurs exclusifs. Au Néolithique, avec le passage d’une densité de 0,1 à 0,3 habitant au km2 (chasse et collecte semi-nomade) à 1 à 2 au km2, les populations de chasseurs sont devenues plus ou moins sédentaires avec mise en culture de champs de céréales naturelles (« early dry farming »), mais ils ont conservé, comme les Natoufiens du Moyen-Orient (vers - 8 000 A.C.), une activité cynégétique au moins saisonnière (Flannery, 1969). La population de la France compterait alors 500 000 habitants (Riquet, 1951), soit environ 0,9 97
ha/km2 et celle de la planète sûrement plus de 10 millions. La population actuelle de l’Europe est voisine de 740 millions d’habitants pour une surface de près de 10 millions de kilomètres carrés, soit 74 ha/km2, c’est-à-dire, peut-être, 500 fois plus qu’au début de l’Atlantique.
D. ORGANISATION SOCIALE Les indices disponibles permettant d’imaginer l’organisation sociale des archers sont ténus et conduisent à formuler des hypothèses parfois contradictoires. Il faut tenir compte aussi du fait que les groupes humains présents en Europe ne connaissaient pas les mêmes conditions de vie puisque certains étaient installés dans des régions riches (estuaires, secteurs littoraux, marais) et d’autres en régions plus difficiles (pleine forêt ou montagnes). Ceci dit, la plupart des chercheurs s’accordent sur le fait qu’avec l’avancée de la forêt et la chasse systématique à l’arc, la nécessité de s’organiser en grands groupes de chasseurs n’était plus nécessaire. Ainsi, selon J.-G. Rozoy (1978), « on voit l’énorme impact de l’arc sur l’organisation sociale. Au Paléolithique supérieur (et avant le Paléolithique final), c’est le groupe qui chasse, c’est le groupe qui vit, et les individus ne sont peut-être… que des membres du groupe. Maintenant, et pour la première fois sans doute dans l’histoire de l’humanité, la cellule sociale fondamentale devient la famille nucléaire. Deux (ou trois familles ?) suffisent à former un groupe viable. La magie (ou le symbolisme) de la chasse se transforme du tout au tout et perd son caractère astreignant ». Le retour des boisements à partir de l’Épipaléolithique et le développement des futaies au cours du Préboréal pose la question, chez les chercheurs, de l’occupation effective du territoire par les archers. Selon G. Marchand (1997), « il règne en effet l’idée de groupes mésolithiques éparpillés dans la grande forêt impénétrable de l’Holocène, qui évolueraient dans un fort cloisonnement et qui subsisteraient çà et là après l’arrivée des agriculteurs. Tous les schémas évolutifs sont alors possibles, tous les isolats sont imaginables. (Mais) la vigueur des courants interculturels qui balaient le continent au Mésolithique, et dont témoignent les évolutions générales conjointes, suffit aujourd’hui à infirmer ces visions de mondes fragmentés ». Les petites unités familiales, même si elles étaient rassemblées dans des camps entourés de futaies plus ou moins denses, restaient en connexion les unes avec les autres et entretenaient des relations régulières, mais non hiérarchisées. Les vestiges de foyers datant du Mésolithique (- 8 000 à - 6 000 A.C.) découverts à La Pierre-Saint-Louis (Charente-Maritime), montrent que les cabanes pouvaient être, dans certains cas, regroupées. Étaitce pour des raisons de rencontres occasionnelles, de célébrations collectives ou tout simplement de nécessités pratiques (fumage de poissons ou de la viande) ? Le fait qu’il y ait eu des retours sur les mêmes lieux de campement
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autour de sépultures, indique de toute façon, « un fort marquage du territoire » (Marchand, 2014). Les groupes familiaux n’étaient pas des « tribus », car celles-ci sont connues pour être beaucoup plus fortement organisées (Sahlins, 1968) avec une autorité centrale, une hiérarchie basée sur la propriété du sol, des animaux et des biens. Il s’agissait plutôt, chez nos archers, d’un ensemble de « hordes » au sens de S. Condemi et F. Savatier (2018), la horde étant définie comme « la bande errante de chasseurs-cueilleurs isolée dans la nature et se coordonnant pour prospérer ». Au niveau de l’organisation sociale, les auteurs divergent quant à l’importance des groupes en zone continentale. Selon Binford (2001), ces derniers compteraient une quinzaine de personnes, c’est-à-dire 2 à 3 familles et comprendraient 4 à 5 « collecteurs opérationnels ». Pour Kelly (2007), le groupe serait constitué de 5 à 7 familles pour un nombre de collecteurs de 7 à 8 personnes « à plein temps ». Mais ces entités organiseraient des phases de regroupement à certaines périodes de l’année pour choisir des épouses, assurer des échanges d’objets ou pratiquer des cultes… Ces rencontres, outre leur intérêt « commercial » et festif, seraient aussi indispensables pour assurer la pérennité des groupes, car on sait désormais qu’en dessous de 500 individus, l’endogamie peut mettre en péril l’avenir d’une population (Schulting, 2003). Le risque de consanguinité entre ces entités réduites (comme chez les petites communautés d’aborigènes d’Australie ; Arte, 2017) est en fait limité par les « échanges » d’hommes ou de femmes (en particulier) à l’occasion des rencontres fortuites ou de pratiques de trocs des peaux, des silex, des bijoux ou de l’ocre. S’il n’y avait pas vraisemblablement de spécialisation au niveau des groupes, il existait toutefois une activité saisonnière imposée par la nature. On allait harponner la truite sur ses frayères en décembre, le saumon au moment de sa migration hivernale ou le brochet pendant sa reproduction en mars. La chasse au cerf devait mobiliser beaucoup les chasseurs pendant le brame en septembre-octobre puisque le repérage était grandement facilité. Il est très probable que les hommes étaient alors loin du camp et les femmes occupées à entretenir le feu, soigner les enfants et les vieux, gratter les peaux et collecter les plantes comestibles. Comme chez beaucoup de peuplades « primitives », ce sont les femmes qui « commandent » au camp, et la division du travail entre les sexes devait être très poussée, mais « on ne trouve aucun signe d’infériorisation de la femme » (Rozoy, 1978). Le groupe étant probablement réduit à deux ou trois familles nucléaires, le choix des femmes ne pouvait se faire en interne, d’où une pratique très probable de l’exogamie. Cette « organisation » en unités autonomes n’a pas semblé empêcher le maintien d’échanges permanents à tel point qu’« une bonne vingtaine de stations du Tardenoisien permettent de renforcer considérablement l’idée d’un groupe humain sinon unique et absolument homogène, du moins présentant une unité et une personnalité marquées, qui s’étendait sur une 99
large part du Bassin parisien et jusqu’à celui de la Saône et qui partageait certaines façons de faire de ses voisins » (Rozoy, 1978). Toutes les familles étant dans la même situation de sobriété (une tente, un peu de nourriture et quelques vêtements et aucun superflu !), il n’y avait, semble-t-il, peu de raisons de conflit et donc d’agression, voire de meurtres. Toutefois, l’homme de la tombe Schela Cladovei, en Roumanie, avait reçu deux flèches en os dans le corps (Nicolaescu-Plopso, 1976), ce qui fait beaucoup ! À ce sujet, rien ne prouve que certains terrains de chasse, sites d’extraction de silex ou points d’eau n’aient pas été « privatisés », donc défendus. Mais, en général, ce que la nature offrait était utilisable par tous et donc perçu comme des biens ou des aménités collectifs. Ajoutons aussi qu’il était difficile, dans une famille mononucléaire, d’avoir des conflits graves, car son autarcie et sa survie auraient été obligatoirement mises à mal… la coopération, voire la codécision, semble la meilleure option pour assurer, dans la stabilité, la pérennité d’un groupe réduit… Il n’y a pas de solution de rechange ! Pendant tous ces millénaires, et sauf exception, on ne trouve pas de cabanes ou de tombes plus riches que d’autres, ce qui laisserait penser à des traces de domination. En fait, dans ce cadre, « celui qui s’impose pourrait être celui qui sait persuader » (Service, 1968) et surtout organiser (les déplacements et la chasse). On retrouverait ainsi un caractère général des primates parmi lesquels les « dominants sont les plus organisateurs et non les plus belliqueux » (Jacob, 1975), car la cohésion du groupe est plus importante que la dominance. Finalement, « les hiérarchies du Mésolithique seraient restées à un niveau relativement peu différencié » (Marchand, 2014), probablement par le fait que les groupes étaient éloignés et qu’ils n’attisaient pas la convoitise en ne pratiquant pas le stockage. Suite à ses nombreux travaux sur les chasseurs-cueilleurs, M. PatouMathis (2013) nous propose la description suivante : « Le mode de vie basé sur la chasse et la cueillette se rencontre (actuellement) dans tous les milieux... Cette économie, qui repose essentiellement sur l’acquisition de ressources naturelles uniquement sauvages et leur consommation à brève échéance, introduit la notion de hasard dans l’approvisionnement en nourriture dû à leurs disponibilités incertaines dans le milieu. À quelques exceptions près, ces sociétés présentent des caractéristiques communes. L’alimentation est assurée par un travail journalier de 4 à 5 heures, ce qui laisse du temps pour d’autres activités. Le nomadisme saisonnier entraîne une culture matérielle simple et la possession de peu de biens matériels… Il existe une seule division sociale du travail, celle qui est établie entre les sexes : les femmes à la cueillette et les hommes à la chasse. Ce sont des sociétés solidaires et profondément égalitaristes généralement sans classes sociales ni aliénation des individus par le travail, ni non plus d’inégalités marquées en fonction du prestige et de la richesse. Le partage des produits de la chasse évite l’accumulation de la nourriture ou des biens par les plus 100
chanceux ou les plus doués… En outre, les conflits se résolvent par la scission du groupe, constitué de 25 à 50 personnes qui entretiennent des relations multiples avec les autres groupes. La tradition est transmise oralement ». Nous ne disposons pas d’assez d’informations pour savoir si l’organisation des archers du Mésolithique répondait exactement à cette description, mais rien n’interdit de penser qu’elle soit très proche, ce qui montrerait que ce mode d’organisation s’est perpétué avec peu de changement jusqu’à nos jours dans des populations restreintes et résiduelles dispersées sur la planète comme les Aïnous du Japon, les Papous de Nouvelle-Guinée, les Veddahs nomades du Sri Lanka ou certains Pygmées d’Afrique noire. Le retour de la forêt aurait donc fragmenté la population de l’Europe en petites unités indépendantes, alors que pendant une grande partie du Paléolithique supérieur (Aurignacien et Gravettien), la chasse, dans les steppes froides, aux très gros herbivores, était le fait « de grandes tribus exploitant de vastes territoires de l’Atlantique à l’Oural » (Condemi & Savatier, 2018). L’arrivée de la forêt aurait donc cloisonné ces tribus qui se seraient donc trouvées isolées par les massifs boisés, mais aurait gardé un sens collectif ou plutôt une culture commune malgré les distances considérables à parcourir (à pied !) par les archers pour se rencontrer. Pour reprendre les définitions de A. Testard (1982), « aux chasseurscueilleurs à distribution différée (on partage tard sous contrainte de règles sociales) qui correspondaient à des tribus chassant le mammouth aux seuls moments des migrations et qui devaient donc stocker, auraient succédé des hordes de chasseurs-cueilleurs à distribution directe (on partage tout, tout de suite sous le regard de tous), une régression imposée par le couvert boisé impénétrable et la pratique de la chasse à l’arc ». Un point de vue défendu aussi par J.-G. Rozoy. Mais passer de la tribu (collective) à la famille (individuelle) est une véritable révolution sociale qui a mis toutefois un certain nombre de siècles à se mettre en place !
E. NOMADISME ET SÉDENTARITÉ 1. Nomadisme « Deux types de stratégies ont été pratiquées par les chasseurs-cueilleurs pour acquérir les ressources dispersées dans l’espace : le déplacement de tout le groupe à proximité de la ressource ou la stabilisation plus ou moins importante dans des campements avec des expéditions logistiques menées par des groupes spécialisés » (Ghesquière & Marchand, 2010). Cette distinction entre les « foragers » et les « collectors », déjà mentionnée antérieurement par plusieurs archéologues dont Binford (1980), conduit à considérer les archers plutôt comme des semi-nomades qui occupent des sites successifs en fonction des ressources de la cueillette, mais surtout de la chasse, car c’est elle qui assure le gros des « revenus ». 101
Quoi qu’il en soit, dans les deux stratégies évoquées précédemment, les archers marchaient sûrement beaucoup. Périodiquement pour déplacer les camps, ce qui mobilisait toute la famille, mais pas forcément sur de grandes distances, car il suffisait d’occuper un territoire voisin de cinq ou dix kilomètres pour retrouver une cueillette abondante et des compagnies de sangliers ou des hardes de cervidés moins craintives. Les corvées quotidiennes d’eau, de ramassage de graines ou de fruits imposaient aux femmes des allers-retours de plusieurs kilomètres. Quant aux hommes, les randonnées de chasse les plus nombreuses avaient lieu sans doute sur la journée en « tout terrain » et contrairement à ce qu’on pourrait penser, les distances parcourues ne pouvaient pas être considérables, car il n’y avait pas de chemin et pas toujours de sentiers. Or, dans les forêts ou les landes arborées sauvages, la progression ne dépasse pas, et on peut encore le vérifier aujourd’hui, deux à trois kilomètres à l’heure, car les obstacles sont nombreux (ronces, bois morts au sol, escarpements, tourbières, passages à gué obligatoires, cascades, gorges, etc.). En une journée de 10 h de marche « lente », ils ne pouvaient donc parcourir qu’une vingtaine de kilomètres et donc s’éloigner du campement d’une dizaine de kilomètres au plus. Cette distance était déjà importante pour des marcheurs chargés de leur butin (quartiers de viande) ou de leurs pierres de silex (un bloc de 10 litres pèse en moyenne 26 kg !). À partir de leur camp de base, les archers étaient aussi amenés à se déplacer de façon continue pour aller chercher des bois pour tailler leurs arcs et leurs flèches, des plantes à fibres pour tresser des liens ou simplement visiter leurs voisins. Pour ce faire, ils devaient inévitablement se repérer à partir de la topographie des lieux où ils vivaient, car il n’y avait pas de véritables chemins et, au mieux, des sentes peu visibles, compte tenu de la très faible densité de la population et donc du trafic réduit qui ne laissait que quelques « passages » repérables. Au Mésolithique, ces passages étaient vraisemblablement étroits, sinueux, souvent escarpés et non dépourvus de risques à cause des rencontres imprévues avec des serpents, des loups, des ourses et probablement très exceptionnellement des lions. En dehors de ces accès qui devaient ressembler plutôt à des « coulées », caractéristiques du passage des animaux sauvages, les déplacements se faisaient la plupart du temps en tout terrain, plus facilement dans les prairies et très difficilement dans les landes ou les zones boisées encombrées de ronces, de troncs enchevêtrés et d’arbrisseaux qui rendent encore aujourd’hui quasiment impénétrables les rares forêts sauvages qui ont été épargnées en Europe, comme celles des zones protégées des Alpes ou des Pyrénées, les réserves naturelles de Roumanie ou la forêt de Bielowicza en Pologne, par exemple. Pour s’orienter ou se positionner sur leurs territoires, les archers ne disposaient évidemment d’aucun instrument de type boussole pour indiquer le nord, ou sextant pour déterminer la latitude. Ils pouvaient néanmoins situer l’est où le soleil de lève et l’ouest où il se couche. Restait donc à savoir là où étaient les pôles. Du Nord venaient les vents froids et aussi les 102
oiseaux migrateurs qui, en automne, descendaient vers le sud… et quand les nuages arrivaient de ce côté-ci justement, la température devenait plus douce. Au début du printemps, les canards, les oies et les grues remontaient vers les terres septentrionales, et ceci chaque année. On peut donc être certain que même sans avoir quitté leur modeste territoire de vie, ils avaient en tête le positionnement des quatre points cardinaux. De nuit, ils se basaient très probablement sur l’étoile du berger (Vénus) qui est visible à l’est à l’aube et à l’ouest au crépuscule. Lors de leurs pérégrinations, ils utilisaient vraisemblablement tous les obstacles remarquables comme les reliefs, les vallées et les vallons, les falaises, les gros blocs, les troncs d’arbres couchés, les ruisseaux et les rivières avec leurs méandres et leurs cascades devenus des repères familiers au fil des allers-retours réguliers. Pour signaler leur passage et éventuellement trouver leur chemin de retour, on peut imaginer qu’ils complétaient cette signalisation par quelques artifices que l’on utilise encore aujourd’hui : mise en place de cairns, de petit tas de cailloux, de peintures (à l’ocre ou au charbon de bois) sur les rochers, de bâtons plantés noircis au feu et tout simplement de branches cassées. Pour savoir si un homme (ou un animal) a emprunté un défilé étroit ou occupé un site d’alimentation ou de repos, les chasseurs de sangliers d’aujourd’hui positionnent encore des baguettes inclinées qui, une fois à terre, traduisent discrètement, mais très fidèlement le passage récent d’un bipède ou d’un quadrupède ! En fins connaisseurs des lieux, nos archers devaient aussi exploiter la moindre trace au sol, dans la boue, le sable des rivières, la neige ou même la rosée du matin, bon indicateur de tous les déplacements nocturnes. Les rivières ne pouvaient se traverser qu’à gué ou, pour les plus profondes, à la nage en s’aidant éventuellement d’un tronc d’arbre flottant. Dans de nombreux sites, la traversée des gorges étant impossible, le contournement devenait obligatoire, obligeant les chasseurs à des parcours dangereux, par exemple l’entrée dans la vallée du Guil dans le Queyras. En cas de missions lointaines (incursions en montagne, traques au long cours, suivi de gibier blessé), les chasseurs étaient contraints de trouver une halte pour se reposer et manger. Il en reste encore quelques traces comme le site intermédiaire de Pas de la Charmate, au-dessus du passage des Voûtes, qui permet d’accéder au plateau de l’Allier, dans le Vercors. Se déplacer faisait donc inévitablement courir des risques de tous ordres. Il fallait se méfier des cailloux tranchants, des épines, des serpents et des nids de guêpes et, dans les cavités des troncs, ceux des frelons, et éviter de se torde la cheville ou de se casser une jambe, car tout handicap pouvait entraîner un funeste destin ! Il est probable que les Mésolithiques avaient découvert l’intérêt de disposer, en hiver, de chaussons en cuir à large semelle (raquettes) ou à lames de bois permettant d’augmenter la portance des archers (souvent très chargés) sur la neige. Il ne reste rien de ces équipements périssables sauf un simple croquis sculpté sur un rocher de Norvège miraculeusement conservé et montrant à l’évidence un skieur en action (Sognnes, 2001). 103
Toutefois, il n’est pas certain que les transits ne soient dus qu’à des problèmes d’approvisionnement. Ces derniers étaient certes particulièrement prégnants et A. Testart (1982) a raison d’insister sur la relation directe entre nomadisme et absence de stockage. Mais les rencontres, les échanges entre groupes et les rassemblements pour des cérémonies pouvaient fort bien s’ajouter aux programmes de déplacements « économiquement » obligatoires. C’est l’option, dûment documentée, soutenue par M. Otte (1996) et M. Patou-Mathis (2013), deux chercheurs qui ont bien montré que la vie sociale jouait un rôle important dans les multiples mouvements des archers. Pour expliquer les migrations des groupes humains, on peut évoquer évidemment aussi, comme pour toutes populations animales, des facteurs extrinsèques : c’est le cas des variations climatiques et environnementales, des probables aspects de compétition intra et interspécifiques et des facteurs démographiques, (mais) d’autres sont propres aux humains : « leur audace, leur curiosité, leur goût de l’aventure et (bien) plus tard les motivations économiques » (Teyssandier, 2019). 2. Sédentarité Les fouilles entreprises sur certains sites de la période postglaciaire et du Mésolithique en particulier, ont montré que certaines régions ont connu des groupes d’occupants plus sédentaires, car l’environnement fournissait en abondance de quoi subvenir à leurs besoins. C’est le cas le long de la côte atlantique, en particulier au Portugal, mais aussi dans les zones septentrionales comme au Danemark ou en Irlande. D’autres régions situées plus à l’est ou au sud étaient aussi particulièrement favorables à une installation relativement permanente comme les rives du Danube ou certains sites du Proche-Orient. Comme le faisait remarquer S. De Beaune (2008), « ces populations vivant de la chasse, de la pêche et de la cueillette disposaient de suffisamment de ressources dans leur environnement proche pour s’attacher à un territoire fixe ». Dans les régions bien pourvues en ressources aquatiques tout au long de l’année, riches en poissons, en coquillages, en mammifères marins et gibiers forestiers de proximité, certains groupes avaient de bonnes raisons de s’installer durablement le long des côtes, construisant des abris plus stables et permanents que ceux des groupes semi-nomades. Mais en bordure de l’océan Atlantique et des rivages de la Baltique, beaucoup d’entre eux sont, à cause du relèvement du niveau marin, actuellement sous les eaux, donc difficiles à repérer et bien sûr à fouiller.
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IV. LES ACTIVITÉS HUMAINES
Elles étaient très diversifiées puisque répondant à toutes les nécessités du mode de vie autarcique. Les archers consacraient une partie significative de leur temps aux activités artisanales (travail du silex et des peaux), à la vie sociale (repas, relations familiales et inter familiales) et culturelle (chants, danses, sépultures), sans oublier les périodes de repos indispensables à ces hommes astreints à de multiples randonnées de chasse. C’est sans doute à cette dernière préoccupation qu’ils affectaient de longs moments de préparation et, pendant les expéditions, beaucoup d’énergie. Il ne faut pas exagérer la durée passée au « travail », car chez les communautés primitives, elle ne concerne que quelques heures par jour, deux à trois chez les Zoé d’Amazonie selon N. Hulot (2019), et tous les ethnologues qui les ont fréquentées ou les fréquentent encore, vous diront de ces peuples premiers « qu’ils ont toujours le temps » (Patou-Mathis, 2007). Mais nos écosystèmes tempérés européens sont moins riches que ceux des régions équatoriales et la saison froide qui s’étale sur trois à quatre mois complique sensiblement la collecte de nourriture, sauf pour la chasse au gros qui peut aussi se poursuivre en hiver. On peut donc rester provisoirement sur l’idée que nos archers étaient occupés « à mi-temps » pour assurer leur ravitaillement alimentaire. « Pour survivre, il leur fallait une carte mentale détaillée de leur territoire afin de maximiser l’efficacité de leur quête quotidienne de nourriture. Ils devaient se renseigner sur les cycles de croissance de chaque plante, les habitudes de chaque animal. Il leur fallait savoir quels étaient les aliments les plus nourrissants, lesquels rendaient malades ou avaient des effets curatifs. Ils devaient connaître les cycles des saisons et savoir repérer les signes précurseurs d’un orage ou d’une sécheresse » (Harari, 2015). Il était donc certainement très important pour eux de se montrer très attentifs à toutes les manifestations climatiques, floristiques et faunistiques concernant leur environnement proche. À n’en pas douter, parmi les cinq sens identifiés chez l’homme, le plus développé, car stratégique chez nos Sapiens, était sans doute la vue comme de nos jours d’ailleurs et spécialement pour ceux qui chassent. « Notre perception du monde extérieur provient à 80 % des yeux. C’est dire l’importance d’une vision sans défauts. Ne serait-ce que par le nombre de récepteurs : 135 millions dans la rétine, contre 6 millions pour 105
l’odorat, 0,7 pour le toucher et 0,03 pour l‘ouïe, la vision occupait et occupe toujours une place fondamentale, car « l’univers sensoriel de l’homme est essentiellement visuel » (Bourre, 2003) et tout particulièrement pour nos « hommes des bois » !
A. COLLECTE DE LA NOURRITURE ET ALIMENTATION Nos archers trouvaient, sur un territoire limité, peut-être l’équivalent d’un canton, le gibier indispensable à leur survie pour deux raisons au moins : La première tient au fait que les espèces les plus chassées (cerf, chevreuil, sanglier) sont sédentaires et restent inféodées à des secteurs qui leur conviennent bien (gagnages et points d’eau en particulier). Leurs déplacements n’ont lieu qu’en hiver, période pendant laquelle la neige les oblige à se concentrer dans les vallons les mieux abrités et pourvus en mortsbois appétants. Les bisons d’Europe qui exploitent les clairières forestières ne semblent pas non plus de grands migrateurs comme l’indiquent les observations des chercheurs qui suivent l’installation d’un troupeau en liberté dans la forêt du Rothaargebirge en Rhénanie du Nord-Westphalie (Allemagne), ou les comportements des troupeaux bien sédentarisés de Pologne. La deuxième raison est liée au fait que les archers semi-nomades n’hésitaient pas à déplacer leurs camps pour rester au voisinage de leurs proies, comme le font systématiquement les grands prédateurs de la savane, dont les lions. On peut donc imaginer trouver les archers la plupart du temps au contact de leurs gibiers, ce qui réduisait d’autant les efforts de traque et le « rendement » des chasses… Une différence importante en regard des Néanderthaliens condamnés à de longues marches dans la steppe froide, loins de leurs abris, à la poursuite des grands herbivores en migration. Les sociétés de chasseurs-cueilleurs semi-nomades exploitaient le territoire autour de leurs camps provisoires selon trois cercles concentriques : à l’intérieur du premier, ils prélevaient l’eau et le bois (mort) de chauffe, pratiquaient un peu plus loin la cueillette des végétaux et du gibier sédentaire (castor), et au-delà, la traque des animaux migrateurs qui se déplacent au cours des saisons (poissons en période de reproduction ou cervidés contraints par l’enneigement), et occasionnellement enfin, l’accès aux carrières d’approvisionnement en silex. Suivant les sites de campements choisis, ces espaces pouvaient évidemment se recouper ou se dissocier et au bout d’un certain temps ne plus convenir à un ravitaillement suffisant. Le groupe décide alors de se déplacer à deux ou trois heures de marche probablement. Dans d’autres conditions et sur de plus grandes distances, c’est ce que font les pasteurs du Sahel à la recherche de nouveaux pâturages pour leurs troupeaux. Et A. Gallay (2006) a bien confirmé, dans ses notes sur l’histoire des Alpes, que « la baisse de la rentabilité des chasses oblige au nomadisme ».
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1. La chasse Même si la capture des grands ongulés dans la nature connaissait des périodes plus ou moins favorables (abondance automnale/raréfaction de fin d’hiver), elle restait possible tout au long de l’année. Il en était de même des disponibilités des plus petites proies comme les oiseaux ou les poissons non migrateurs, les mollusques ou les fruits (d’après Dupont et al., 2009 in Marchand, 2014). Finalement, nos archers pouvaient assez facilement et régulièrement se nourrir en toutes saisons par prédation sur la nature environnante et compenser une source d’alimentation manquante (mortalité sur le cerf par exemple) par une autre (abondance du sanglier ou des salmonidés). Sauf concours de circonstances exceptionnelles (incendie massif ou coup de froid prolongé), les périodes de disette étaient rares, semble-t-il, grâce à une nature généreuse sous le climat tempéré de l’Europe. C’est d’ailleurs ce que laisse à penser l’état des squelettes humains trouvés dans les sépultures de tout le continent, révélant la bonne santé de nos lointains ancêtres durant leur vie de traqueurs infatigables. Quelles conditions de chasse ? De nos jours, les détonations qui suivent le tir d’un animal à la carabine effrayent le gibier alentour et celui-ci associe très rapidement ce bruit à la présence de l’homme qui représente donc pour lui un danger. C’est si vrai que la grande faune fuit dès qu’elle entend le claquement d’une culasse de fusil ! L’énorme avantage de l’arc est son usage silencieux qui n’a pas ces inconvénients. Seule l’odeur de l’archer est redoutée, car interprétée comme source d’agression possible. « La crainte des animaux à l’égard des humains était donc beaucoup moins grande qu’aujourd’hui » (Patou-Mathis, 2013). Pour deux raisons supplémentaires au moins : les rencontres entre les quelques chasseurs de passage et les gibiers étaient moins fréquentes que de nos jours. Par ailleurs, ces derniers n’avaient pas subi la sélection croissante que la chasse a exercée sur eux pendant les derniers millénaires, entraînant une augmentation sensible de la distance de fuite. Il est possible aussi que les gibiers de l’époque passaient plus de temps à se méfier des lynx, des loups ou des ourses que des hommes. Ces derniers ne traquaient apparemment pas la faune avec des chiens qui sont source de grandes frayeurs pour les animaux sauvages. Ces conditions, bien particulières à cette époque, expliqueraient le fait que les archers aient pu approcher plus facilement les animaux sauvages, augmentant ainsi les chances de réussite au moment de décocher leur flèche. À titre de comparaison, un prédateur comme le lynx doit approcher sa proie à moins de 10 m pour prétendre la capturer, alors qu’un archer peut tenter sa chance à 15 ou 20 m. « En recherchant quels étaient les biotopes les mieux représentés dans les spectres de faune à partir des fréquences en nombre des restes d’animaux chassés, corrigés en fonction du nombre d’espèces potentiellement exploitables dans chaque biotope, on constate que les zones de lisières et la 107
forêt claire sont les mieux représentées, puis les forêts profondes, enfin les pelouses et les prairies, les berges, les zones montagneuses suivies des zones rocheuses qui sont les plus anecdotiques » (Bridault, 1994). On peut donc penser que beaucoup de campements étaient installés en bordure des grands massifs forestiers puisque « le choix de tels biotopes ouverts peut avoir eu comme objectif, l’optimisation de la chasse au grand gibier » (Bridault, 1994)… Ces emplacements facilitaient aussi l’approche des grands cervidés dans le sous-bois des futaies où s’installent volontiers les cerfs pour ruminer, à l’abri des insectes, mais pas de la traque des archers ! Qui chassait ? Au Mésolithique, la chasse au gros gibier terrestre a été très majoritairement « une affaire d’hommes ». C’est le cas chez les peuples premiers, mais aussi chez nos chasseurs contemporains parmi lesquels les femmes sont peu représentées. « Les enquêtes réalisées sur 185 peuplades à travers le monde par des ethnographes et des historiens concluent que pour 139 d’entre elles, cette activité est exclusivement masculine » (Testart, 2014). Pour les 46 restantes, cette activité était partagée, voire dévolue aux femmes ! Le tir à l’arc peut fort bien être pratiqué par des femmes à la différence de la chasse à l’épieu nettement plus physique. « Les femmes chassent le grand gibier chez les Indiens Ojibwa, les Melscarlero, les Apaches, les Eastern Creen, les Copper Eskimo et les Tiwi d’Australie. Les femmes sont même comme chez les Agta des Philippines d’habiles archers » (Patou-Mathis, 2013). Pour revenir à l’Europe, « l’homme ne fait la chasse que pour autant qu’il utilise des armes de jet coupantes et perforantes… ce qui n’est pas accepté chez la femme. Celle-ci, par contre, participe aux autres formes de chasse » (Testart, 2014). Par ailleurs, la moindre mobilité de la femme pendant ses grossesses (une tous les trois ou quatre ans) la tenait éloignée des traques, des expéditions cynégétiques lointaines et du harassant transport de la venaison. Un cerf vidé représente un lourd butin à évacuer… encore faut-il le découper et le transporter en tout terrain, ce qui n’est pas une mince affaire ! Quels gibiers ? Selon Teyssandier (2019), « les humains commencent à consommer de grands gibiers à partir de 2 à 1,8 millions d’années »… La chasse au gros ne date donc pas d’hier ! Pendant longtemps, les Magdaléniens ont poursuivi leur gibier préféré avec des lances puis des flèches et « le techno-complexe à pointes pédonculées qui représente les derniers chasseurs de rennes en Europe a perduré, sur la plaine, jusqu’au début du Boréal » (Djindjian et al., 1999). Depuis le retour d’un climat plus tempéré, la diversité en espèces des
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grosses proies a bien changé, mais ce sont toujours elles qui sont choisies en priorité. « À l’Épipaléolithique, comme plus tard, les Sapiens ont chassé les plus gros animaux disponibles : bisons, aurochs quand il y en a, cerfs et sangliers… mais ils ne touchent guère au chevreuil » (Rozoy, 1993). On peut bien se demander pourquoi ? « Les résultats d’une étude sur les économies de chasses mésolithiques fondées sur une vingtaine de séries faunistiques inédites de l’Est et du nord de la France montrent que, non seulement il n’y a pas de diversification chronologique (par rapport à l’Azilien), mais que les chasseurs de ces régions pratiquaient très souvent une sorte de spécialisation vers les espèces de meilleur rapport (le cerf et le sanglier), qui témoignerait d’une situation d’abondance relative » (Bridault, 1994). En clair, on prélève le maximum de venaison avec le minimum d’effort… Une règle largement en vigueur dans le monde des prédateurs. Mais pour certains préhistoriens, dont A. Bridault (1990) et B. V. Eriksen (1991), la chasse presque exclusive aux cerfs résulterait non d’une spécialisation « forcée » causée par la rareté des autres espèces, mais d’un choix socioéconomique qui perpétuerait la tradition des derniers chasseurs du Paléolithique… Pour d’autres auteurs comme l’archéozoologue P. Auguste (1989), « la raréfaction de la faune à la transition climatique aurait obligé les chasseurs à se spécialiser sur une ou deux espèces ». Quoi qu’il en soit, un peu partout en Europe, les restes de bison, de cheval, d’âne, de cerf et de sanglier sont bien représentés dans les restes de repas, alors qu’il y avait beaucoup d’espèces plus petites et moins dangereuses à disposition (chevreuil, bouquetin, etc.) dans l’environnement. L’élan et l’aurochs, plus dangereux à chasser que les autres gibiers, ont donné peu de vestiges dans les sites fouillés. Peut-être faisaient-ils l’objet de chasse de prestige et non pas de capture « ordinaire » en raison des risques encourus ? Malgré cette réserve, on est donc porté à conclure que nos archers ont préféré le gros gibier et qu’ils méritent pleinement le qualificatif de « grands chasseurs » (Rozoy, 1978) autant que leurs ancêtres du Paléolithique. Une mention spéciale doit être réservée à la traque très risquée de l’ours capable de courir, nager, grimper aux arbres plus vite que le chasseur, ce qui laisse peu de chance de survie face à un fauve blessé. Les dangers qui ont bien été décrits pendant la période historique (récits des chasses royales, dont celles de Louis XI) étaient sans doute bien plus importants pour nos archers qui ne disposaient que de leurs arcs et de leurs lances pour en venir à bout. La crainte de cet animal reste encore si présente que les bergers des Pyrénées, au siècle passé, n’osaient pas prononcer son nom de peur qu’il l’entende, car, selon eux, « l’ours est capable de comprendre le langage des hommes » (D’Huy, 2019)… et il est donc imprudent de le provoquer. Ajoutons que l’odorat de l’ours est exceptionnel. Il peut sentir un quartier de viande à plusieurs kilomètres. Gare à ceux qui en transportent ! Les trappeurs actuels du Grand Nord qui reviennent de leurs expéditions 109
cynégétiques s’en méfient toujours, surtout au printemps lorsque l’ours sort, affamé, de son hibernation. Si les archers du Mésolithique « chassaient le gros » et tentaient de capturer les proies les plus imposantes pour en tirer, comme leurs ancêtres magdaléniens, un maximum de viande, c’est que la proportion de venaison consommable est bien inférieure au poids des gibiers adultes sur pied. Elle ne représente, la plupart du temps, que 60 % du poids vif même si, et c’est un détail d’importance, les animaux de cette époque étaient un peu plus lourds en moyenne que ceux d’aujourd’hui. « Sachant que les mâles (de cerf) atteignent leur poids quasi-définitif entre 6 et 8 ans, cette chasse aux adultes pourrait correspondre à l’exploitation des mâles au maximum de leur rentabilité en viande » (Bridault, 1994). Les archers savaient aussi que les grands ongulés mâles sont plus corpulents à l’automne qu’au sortir de l’hiver. Quant aux femelles, gravides en fin d’hiver, elles intéressaient les chasseurs à la recherche des proies les plus replètes et riches en graisses. Les données recueillies dans de nombreux sites du Jura mettent effectivement en évidence des prélèvements plus importants sur les cerfs de 6-8 ans (Cupillard et al., 1998)… ce qui dénote une sélection des individus les plus en chair, mais aussi les mieux pourvus en bois. Compte tenu des techniques disponibles actuellement pour identifier les dates d’abattage, il apparaît que, dans cette région, le cerf, le chevreuil et le sanglier présentaient des saisons de chasse distinctes (Cupillard et al., 1998), mais qu’au final les archers chassaient toute l’année… ce qui sous-tend l’idée qu’ils ne stockaient pas (ou peu) la venaison. La fréquence des ossements animaux trouvés dans les campements indique que « les grandes espèces sont généralement représentées conformément à leur rang attendu sauf pour l’aurochs qui passe après le cerf et le sanglier, parfois même derrière les petits ruminants sauvages. Ces grandes espèces forment la base de la subsistance. Il n’y a donc pas d’orientation de la prédation vers les petites espèces dites sub-optimales, ni de signe de l’intensification de la prédation vers ces dernières. Ce résultat plaide en défaveur d’un élargissement de la base de la subsistance, signe de pénurie » (Bridault, 1994). Une preuve de plus que le gibier ne manquait pas ! Les restes trouvés sur le site de Bourrouilla (Pyrénées-Atlantiques) traduisent le fait que les archers savaient capturer aussi bien les jeunes sujets que les adultes et qu’ils chassaient donc en toutes saisons (Dachary et al., 2013). Toutefois, « en ce qui concerne la chasse au sanglier, les courbes d’abattage présentent un profil tout à fait différent de celles des cerfs puisque la majorité des individus tués sont des jeunes et des adultes de moins de deux ans qui sont effectivement plus nombreux dans la population vivante » (Bridault, 1994). L’auteur a interprété ces courbes comme traduisant « une chasse orientée vers les compagnies… composées par une quinzaine d’individus maximum avec plusieurs laies suitées et quelques bêtes rousses. 110
Ces groupes ont une mobilité plus restreinte que les solitaires et sont plus facilement localisables. Cette stratégie d’abattage paraît donc très complémentaire de la chasse au cerf » (Bridault, 1994) dont les hardes sont relativement plus mobiles. Comparée au Paléolithique final, la chasse au Mésolithique indique « une augmentation des espèces chassées et exprime donc une exploitation plus intensive des biotopes » (Martin et Le Gall, 1987), sans toutefois concerner les plus petites proies. « La chasse intensive au petit gibier (canards, bécasses, perdrix), pour compenser la disparition des grands troupeaux d’herbivores des époques glaciaires, soutenue par certains archéologues, mais dénoncée en son temps par J.-G. Rozoy, est (bien) une légende, confirmée sans cesse par les études de faune ultérieures » (Marchand, 2014). Quand chassait-on ? Dans le Finistère, des indications provenant de plusieurs sites sur une centaine étudiés, laisse à penser que « la chasse au cerf, chevreuil, aurochs et sanglier, semblait se faire, de mars à novembre, pendant la belle saison » (Marchand, 2014). La période pendant laquelle l’approche des mâles est relativement plus facile correspond à celle du rut, c’est-à-dire en septembreoctobre pour le cerf et en été pour le chevreuil… mais ça ne correspond pas à celle du sanglier qui est « actif » pendant la mauvaise saison. En période d’hivernage, les hardes de cervidés se regroupent dans les vallons plus riches en arbrisseaux alimentaires et mieux protégés du vent que nos archers connaissaient forcément. Mais les plus gros mâles vivent en général isolés et leur repérage nécessite, de toute façon, une traque particulière peut-être quotidienne… ce type de trophée se mérite ! Ainsi, « la chasse restait itinérante et certains sites riches en vestiges de gibiers (lacs près de Hambourg) pouvaient correspondre à des campements d’été, les campements d’hiver se trouvant plus au sud dans des stations abritées ou des grottes » (Rust, 1943). Où chassait-on ? Les principaux territoires de chasse vont être exploités dans une grande partie de l’Europe en fonction des saisons, car, au moins pendant une partie de l’année, la neige limitait l’accès aux zones d’altitude. La chasse en plaine est attestée dès le réchauffement climatique. « Autour de - 12 000 A.C., les premiers Aziliens (à bi-pointes) occupent préférentiellement les territoires du nord de l’Aquitaine à la recherche du cheval et du cerf, tandis que les vallées pyrénéennes semblent encore occupées par les chasseurs de bouquetins magdaléniens » (Langlais, 2015). « Dans les sites des Basses Terres du Danemark et de l’Angleterre, on trouve dans les fouilles du Boréal, de l’élan et de l’aurochs qui dominent, en poids d’os, mais non en nombre, ceux du cerf et du sanglier » (Johansen, 1919).
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Même si les compagnies de cette dernière espèce se cantonnent souvent aux mêmes espaces de plusieurs centaines d’hectares parfois, à l’intérieur de ceux-ci les animaux sont erratiques et il faut parvenir à les repérer. Comme ils se déplacent surtout la nuit, les chasseurs peuvent les trouver, l’été et de jour, dans leurs bauges près des flaques, des sources ou des délaissés de rivières, car ils ont besoin de se rouler dans la boue pour se débarrasser des parasites (tiques) qui s’accrochent à leur peau. En hiver, par contre, ils sont souvent installés dans des ronciers ou des fourrés très épais qu’ils refusent de quitter, même sous la menace des chiens, ce qui donne lieu à des bagarres épiques à la fin desquelles le bras du traqueur tenant l’épieu ne devait pas trembler ! A priori, on pourrait penser que les archers ont tiré ce qu’il y avait, proportionnellement à la présence des espèces. Il semble que cela ne soit pas le cas. En effet, le chevreuil est normalement plus abondant que le cerf et le sanglier réunis. En forêt riche de plaines, « cent hectares peuvent héberger 4 cerfs ou biches, 10 chevreuils et 2 sangliers » (Anderson, 1953), et souvent les chevreuils sont plus nombreux, jusqu’à 20 ou 30/km2. Or, nulle part on ne trouve, et de loin, dans les fouilles du Mésolithique, plus d’os de cette dernière espèce que de cerf ou de sanglier. Elle ne représente souvent que quelques pourcents des os accumulés dans les campements (Birsmatten, Rouffigniac, Téviec, etc.). Pourquoi cette espèce a-t-elle été délaissée ? Le mystère, déjà signalé, s’épaissit. Toutefois, on sait que quand il y a du sanglier dans les parages, et c’est toujours vrai aujourd’hui, le chasseur « oublie » le chevreuil ! La chasse aux oiseaux (pie, caille, perdrix, pigeons, râle des genêts, outardes) était plutôt productive en clairières ou près des tourbières. Quant aux canards, oies, poules d’eau, râles d’eau, ils sont inféodés aux bordures de lacs et délaissés de rivières, beaucoup plus abondantes que de nos jours où les cours d’eau ont souvent perdu une grande partie de leurs « espaces de liberté », donc de leur biodiversité. En piémont, de nombreuses haltes de chasse ont été identifiées au bas des versants, un peu partout dans les massifs montagneux, tel le site de Laverière dans le Cantal (Surmely, 2003). Ces points d’étape se trouvaient sur le trajet des sentiers de montagne, fréquentés au printemps ou à l’automne. Ils avaient l’avantage d’échapper aux inondations des basses vallées où étaient installées de vastes forêts humides le long des fleuves et de leurs affluents, mais aussi aux enneigements d’altitude. On retrouve ces haltes parfois plus haut, à flanc de montagne, comme à La Cuze de Neussargues, dans le département du Cantal, où le site est en position intermédiaire entre le plateau basaltique et la rivière L’Allanches en contrebas. D’une façon générale, « dans le Cantal, les campements de moyenne montagne correspondraient à des haltes temporaires pour des fonctions cynégétiques » (Marchand, 2014). Leur positionnement facilitait aussi dans certains cas l’interception des hardes de cerfs ou de sangliers qui empruntent toujours les mêmes trajets entre leur aire de repos et de gagnage, 112
mais aussi pour aller boire, car ils ont un besoin impératif d’eau, à la différence des chevreuils qui trouvent une grande partie de celle-ci dans les pousses arbustives des sous-bois. Ces points de passages obligés ont toujours été utilisés par les chasseurs pour tenter de se trouver à portée de tir. C’était déjà le cas au Solutréen, avec les battues aux chevaux, au pied de la Roche éponyme. Un autre exemple est bien documenté. Pendant le Dryas récent, et malgré un retour du froid dans les contrées du nord de l’Europe, « l’aurochs est encore bien présent, en particulier sur le Causse et dans l’extrême sud de la France, comme à Sénas (Bouches-du-Rhône) où vers - 10 000 ans avant notre ère, les hommes y organisaient des chasses automnales collectives… Ils rabattaient les aurochs vers un goulet, formé par la forte pente du relief et la basse vallée voisine, où les attendaient des tireurs embusqués. Trente-et-une bêtes ont été tuées lors de plusieurs chasses successives, des mâles et surtout des femelles avec leurs jeunes. Leur viande était boucanée et leur abondante graisse récupérée » (Helmer & Monchot, 2006). En montagne, la chasse se développe à mesure que les tranches d’altitudes se libèrent de leur couverture de glace, de névés ou de neige. Les premiers chasseurs magdaléniens arrivent au pied du Massif alpin vers - 13 000 ans A.C., alors que le climat est encore froid et sec. Les troupeaux de bisons, rennes, chevaux et bœufs musqués y sont abondants. À la faveur du premier réchauffement, les archers colonisent, jusqu’à 1 000 m, les basses montagnes occupées par une pelouse où sont installés le chamois, le bouquetin et la marmotte (Bintz, 2007).
Au printemps, les chasseurs venus de la plaine du Royans (point noir et altitude de 250 m à gauche) accédaient au pas de la Charmate (flèches et photo) puis au plateau de l’Allier (triangle noir et altitude de 1 150 m) pour chasser le bouquetin, le chamois et la marmotte. Photo : B. Bachasson.
Au Magdalénien-Azilien, les conditions de vie des premiers groupes humains dans les Alpes sont encore difficiles à cause du froid et des changements climatiques rapides. Il est donc nécessaire de trouver des abris ou des grottes. Ce sont dans ces lieux que l’on va identifier des « campements de plaine qui peuvent être interprétés par la nature et la variété de leurs activités, comme des camps de base tel celui de Saint-
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Nazaire-en-Royans, au bord de la Bourne, dans la Drôme. Les incursions se font alors l’été, en altitude, au cœur des massifs des Hauts-Plateaux du Vercors » (Bintz, 1994). Au Magdalénien final et à l’Azilien, les pointes de flèches trouvées dans le sud-est sont celles des derniers chasseurs de renne des Alpes qui conservent, pendant l’Épipaléolithique, une économie de prédation fondée sur la chasse et la pêche. Mais dans la faune chassée, le renne est progressivement remplacé par le cerf et le chevreuil (Bintz et al., 1989), malgré le fait qu’à la fin de la période froide, certains troupeaux de rennes se soient réfugiés en altitude. Dans les Préalpes, à l’Azilien, on chasse le lièvre variable, la marmotte et le bouquetin. Au cours du Mésolithique, la faune de montagne s’enrichit du cerf, du chevreuil et du sanglier. Les archers les exploitent à partir de haltes d’altitude occupées durant la belle saison, mais reviennent régulièrement à leurs camps de base de plaine (Bintz, 1994)… plus « confortables » en hiver ! Les archéologues se sont beaucoup interrogés pour savoir ce qui attirait les chasseurs en altitude. Il semble que ce soit « l’abondance et la diversité des ressources alimentaires liées à la présence de biotopes très différents : sous-bois riches en myrtilles et framboises à tétraonidés, prés-bois à cervidés, rochers à chamois et à bouquetins, pelouses à marmotte » (Surmely, 2003). La montagne, avec ses versants abrupts, ses falaises, ses éboulis, ses crêtes et ses gorges offraient des espaces ouverts propices aussi à des récoltes particulières : œufs au sol (tétras, perdrix), baies (sorbiers) ou champignons (bolets, girolles) éventuellement consommables sur place. Si l’on exclut les points de percement des routes récentes et des pistes forestières d’accès aux plateaux (Vercors ou Causses, par exemple), on s’aperçoit que seuls quelques passages piétons étroits permettaient autrefois d’atteindre les forêts d’altitude, les prés-bois et les pelouses. Or, ces formations représentaient une réserve cynégétique importante d’ongulés par le fait que les grands mâles ne descendent que rarement en plaine l’hiver qui est, pour eux, une période privilégiée de quiétude. « Au Dryas récent, le cerf, le chevreuil et le sanglier qui commençaient à gagner en altitude avec la forêt, sont contraints à un retour plus près des plaines. Mais vers - 9 000 A.C., ils opèrent un retour définitif en altitude avec le radoucissement du climat qui est alors un peu plus humide » (Bintz, 2007). De nombreux campements de surface mésolithiques ont été découverts dans le Jura entre 800 et 1 600 m d’altitude (Cupillard & Richard, 1998). Dans le Vercors, cette période est caractérisée par « un semis de petites stations de plein air qui montent jusqu’à 1 800 m » (Bintz, 1994). Le Causse Méjean (1 100m d’altitude) était alors parcouru, au moins en été, par de très modestes groupes de chasseurs si on prend en compte la surprenante étroitesse des abris… ces derniers étant non occupés pendant l’hiver à cause d’une épaisseur de neige trop importante (0,5 à 1 m).
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« L’abri du Roc de Dourgne, dans la haute vallée de l’Aude, traduit une chasse au bouquetin dans les falaises d’altitude alors que plus bas, on chassait le sanglier, mais aussi l’aurochs, l’ours brun, le lièvre et le lapin et éventuellement le blaireau, les escargots et les couleuvres » (Barbaza, 1999). Il y avait « une occupation assez intense en altitude » du plateau (Longetraye) au pied du Mont Gerbier des Joncs, à 1 250 m, à la fin du Mésolithique avec présence de cerf et de sanglier. « Dans la haute vallée de l’Adige, en Italie du Nord, de nombreux campements indiquent des intrusions fréquentes dans les reliefs escarpés dominant les vallées étroites et difficilement accessibles. La prise de risque des chasseurs du IXe au VIe millénaire ne pouvait s’expliquer que par l’intérêt de la capture du chamois, du bouquetin et de la marmotte à des altitudes comprises entre 1 500 et 2 000 m » (Barbaza, 1999). « Dans la première moitié de la période Atlantique, les archers des Alpes poursuivent leur activité de prédation. Le débitage (des silex) devient plus laminaire (grottes de Choranche et de Châtelus en Isère). Il faut attendre encore plus de trois mille ans (vers - 4 000 ans A.C.) pour trouver, au sud du massif, les premiers indices d’une activité de production agricole révélée par la présence de pollens de céréales et des traces, dans la grotte de Choranche en Isère, de domestication animale » (Bintz et al., 1989). « Au Boréal et au début de l’Atlantique, certaines grandes stations sont installées sous-abris sur certaines voies de passage comme celles, déjà mentionnées dans le Vercors, du Pas de la Charmate ou de la Grande Rivoire, positions qui correspondaient à l’époque à la zone de transition entre forêt et prairie alpine, permettant ainsi un accès commode pour la chasse intensive du bouquetin » (Bintz, 1994). À l’Atlantique, la lisière forestière se relève considérablement et atteint alors 2 400 m. Devant le paysage qui se ferme, les ongulés de montagne doivent gagner les zones rocheuses et les pelouses alpines. « Les chasseurs mésolithiques installés dans les vallées alentour (Drôme, Isère et Drac) peuvent alors organiser des expéditions estivales de chasse sur les HautsPlateaux du Vercors où ils laissent de nombreux indices de leurs passages comme les silex trouvés au Pas de l’Aiguille à 1 600 m d’altitude » (Bintz, 2007). Le fait d’exploiter la faune des sommets en été permettait sans doute « d’économiser » celle de la plaine et cette « montaison cynégétique » n’est pas sans rappeler le mouvement pendulaire, bien plus tardif au Néolithique, des troupeaux en alpage, destiné à épargner les réserves de foin collectées en plaine l’été pour alimenter les animaux à l’étable l’hiver. Au nord de la Toscane, dans les Apennins, au cours de la période Atlantique, il semble que l’occupation montagnarde se réduise à mesure que la forêt colonise les versants… à croire que ces espaces d’altitudes devenaient moins intéressants… peut-être parce que la plaine offrait désormais suffisamment d’opportunités de chasse ou que les futaies denses des sommets étaient moins riches en faune ?
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Il est peut-être anachronique de se poser la question de savoir si nos archers se préoccupaient de la conservation des troupeaux sauvages chassés qui représentaient quand même leurs réserves de nourriture. Il semble que non au regard de quelques opérations connues : le massacre d’une harde entière d’une dizaine de cerfs au Levant espagnol (Obermaier et Wernert, 1919 ; Hernandez-Pacheco, 1924) et surtout la chasse active de très jeunes bêtes sur de nombreux sites (Mac Carthy, 1960 et Lee, 1968). Il n’y a, a priori, aucun indice de prévoyance à l’égard de la perpétuation du gibier. Mais comme le fait remarquer Rozoy, « les archers pouvaient se permettre cette insouciance, car la densité de chasseurs était très faible et celle du gibier forte. Et pendant ces 7 000 ans, ils n’ont (finalement) anéanti aucune espèce activement chassée ». Quelles étaient les techniques de chasse ? Les armes utilisées au Mésolithique n’étaient pas très diversifiées puisque les chasseurs disposaient, comme traditionnellement au Magdalénien, des harpons, des lances, des javelots ou des sagaies envoyées par un propulseur. La véritable innovation est venue surtout à l’utilisation progressive puis systématique durant tous ces millénaires de l’arc et de la flèche. Mais toutes ces techniques imposaient malgré tout au chasseur de se trouver assez près de son gibier pour que les projectiles puissent atteindre leur but. Les harpons, utilisés en principe pour la pêche, servaient aussi pour la chasse puisque « une pointe en os finement barbelée a été trouvée en association avec un avant-train d’élan, dans un marécage » (Clark, 1954), et une autre « fichée dans une patte arrière de cervidé, à Hight Furlong, dans le Lancashire en Angleterre » (Julien, 1982). Leur fabrication utilisait habituellement le bois de renne, mais avec la raréfaction de cet animal, il a fallu s’adapter au nouveau matériau disponible. Ainsi, « près de 400 harpons aziliens, principalement français, mais également découverts en Espagne et en Écosse, ont été confectionnés en bois de cervidés » (Cleyet-Merle, 1990), collectés sur des animaux morts ou trouvés dans les gagnages où les mâles perdent leurs trophées en hiver. Bien que ces armatures soient mobiles, elles étaient généralement munies d’une perforation circulaire permettant de les attacher par un lien à la hampe. Leur robustesse indique (grotte de la Vache en Ariège) que ces armes étaient plutôt utilisées pour la chasse que pour la pêche… ou alors pour la capture de gros poissons ! L’élan de Poulton, retrouvé dans la tourbe d’un lac anglais, avait été blessé aux pattes une ou deux semaines avant sa mort puis achevé finalement, à la poitrine et à l’abdomen, par des pointes barbelées presque certainement tirées avec des arcs. Ce sont aussi ces projectiles qui étaient venus à bout d’un grand cerf (Cervus megaceros) identifié par Ödum (1920). Les pointes de lances, de javelots ou de sagaies en silex sont restées en usage pendant le Mésolithique, mais plutôt pour achever les animaux blessés par des flèches ou pour armer des épieux. 116
« L’arc n’est pas une réponse univoque à l’environnement boisé ou à la chasse de certaines espèces animales, car ailleurs dans le monde, il sera utilisé pour chasser les grands troupeaux d’herbivores » (Marchand, 2014)… et même les grands carnivores. Les recherches ont aussi montré que « dans le centre du Bassin parisien ou en Aquitaine, les analyses isotopiques réalisées sur des ossements témoigneraient aussi d’un prélèvement des ongulés dans un milieu ouvert. Cette modification technique (l’arc) n’est donc pas strictement corrélée aux changements environnementaux, mais doit plutôt être qualifiée d’invention qui va faciliter la chasse en forêt » (Marchand, 2014). Par ailleurs, « l’arc et la flèche, couple indissociable, invention géniale, libèrent le chasseur des rabatteurs nécessaires aux précédentes méthodes » (Gouraud, 1996). Le chasseur peut donc chasser seul. Il a la possibilité d’utiliser de grands arcs pour disposer d’une puissance maximum et tirer de loin ou choisir des arcs plus petits, mais moins performants pour tirer de près, à partir d’un mirador par exemple. Quoi qu’il en soit, c’est une machine révolutionnaire, car la puissance perforante de la flèche est supérieure à celle de la lance, même envoyée par un propulseur, et surtout sa précision est bien meilleure pour un chasseur entraîné depuis son jeune âge. Les rendements des chasses de nos archers s’en sont trouvés fortement renforcés… avec peut-être quelques conséquences sur les populations de gibiers ?! La question du poison À partir du moment où l’on parle d’arcs et de flèches, on pense inévitablement au poison. Il y a bien sûr en Europe de l’Ouest des plantes renfermant des substances toxiques : Atropa bella-dona, Hyoscyamus niger, Datura stramonium, Solanum nigrum, Helleborus foetidus, Aconitum napellus, Cicuta virosa, Conium maculatum, Digitalis purpurea et Colchicum automnale ainsi que Taxus baccata. Mais il aurait fallu pouvoir concentrer les extraits de ces végétaux pour obtenir une toxicité suffisante capable de tuer un gibier presque sur place et éviter de le perdre dans la végétation. Or, nos chasseurs, à la différence des peuplades qui en usent actuellement pour la chasse, ne disposaient pas de récipients pour faire réduire ces potions et obtenir des concentrations létales. Mais finalement, pourquoi se compliquer la vie alors que des flèches bien placées traversent souvent l’animal et sont donc rapidement mortelles ? Il n’existe pas sous nos latitudes de poisons suffisamment violents comparables au curare. Seules les amatoxines de certains champignons (Amanites) sont mortelles à faible dose, mais elles n’agissent qu’au bout de plusieurs heures… et c’est beaucoup de kilomètres pour un cervidé qui s’enfuit ! « En Europe, le suc d’aconit, le venin de serpent ou des extraits de glandes cutanées de crapaud ou de salamandre ont pu être prélevés… mais ils ne laissent, malheureusement, aucune trace archéologique » (Patou-Mathis, 2013). On a bien trouvé, près de certains foyers, des graines d’aconit sans savoir si elles servaient 117
d’hallucinogène ou de poison à ajouter sur les flèches… Le mystère reste donc entier pour l‘instant ! La mise à disposition de ces armes ne dispensait pas les archers de maîtriser parfaitement les techniques de chasse qui sont, depuis la nuit des temps, reconnaissons-le, un peu toujours les mêmes. C’est à dire : l’affût, l’approche, le rabattage, la poursuite et le piégeage. L’affût consiste à s’embusquer à proximité d’un passage à gibier (coulée), d’un point d’eau en été (le cerf vient boire et le sanglier se souiller), d’une place de brame pour le cerf ou d’un affleurement salé (sels de sodium) que les animaux viennent lécher. Le lever et le coucher du soleil sont les moments privilégiés pendant lesquels les gibiers transitent et fréquentent ces lieux. Le poste est alors choisi sur un rocher en surplomb, une butte ou un arbre. La distance de tir étant généralement réduite (10-15 m), il est probable que les chasseurs utilisaient un arc plus petit et moins encombrant dont certains exemplaires ont été d’ailleurs trouvés dans des fouilles. Les attentes peuvent alors durer des heures (aube ou crépuscule), voire des jours… mais nos archers savaient sûrement patienter ! L’approche consiste à repérer le gibier à la trace, voire à l’odeur, pour le sanglier. Il faut alors une grande connaissance du terrain et des habitudes animales pour approcher au plus près les proies les plus convoitées. Il y a d’abord les empreintes au sol bien différentes entre un aurochs, un cheval, un cerf, un chevreuil ou un sanglier. Mais aussi les excréments de ces espèces qui confirment les traces au sol. Ces deux données informent les poursuivants sur la direction choisie par l’animal, mais aussi sur son jour et même sur son heure approximative de passage grâce à la « fraîcheur » des indices. Les archers, fins connaisseurs des animaux comme les San du Kalahari, pouvaient connaître aussi le sexe, l’âge, l’état de santé et même de fatigue de l’animal. Pour prétendre à un succès de tir, à moins de 20 m, il fallait évidemment, près du but, contourner le gibier pour s’approcher sous le vent afin de cacher son odeur et se dissimuler dans la végétation basse.
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Fin de chasse à l’aurochs – Illustration de Benoît Clarys.
Une technique d’approche bien connue des Amérindiens consistait à s’équiper d’un masque puis se recouvrir d’une peau (de loup ou de renard) pour leurrer les animaux et atteindre les troupeaux jusqu’à se trouver en bonne position de tir. La chasse des deux espèces emblématiques du Mésolithique était sans doute particulièrement fructueuse pendant le brame du cerf et le rut du sanglier, comme le laissent à penser les ossements découverts dans « le gisement de la Doue, halte de chasse fréquentée assidûment à l’automne et à l’entrée de l’hiver » (Martin & Le Gall, 1987). Il faut alors accéder au plus près de l’animal sans donner l’éveil et donc progresser contre le vent (le cerf et le sanglier ont un odorat très fin), profiter du couvert du sous-bois ou des herbes hautes (la vue n’est pas très performante chez ces ongulés), progresser pendant que l’animal s’alimente ou boit et se camoufler éventuellement grâce à des déguisements. Ce procédé, comme il a été dit plus haut, largement utilisé par les Indiens en Amérique du Nord (avec des peaux de loup badigeonnées d’urine de bison), est aussi pratiqué par les peuplades de chasseurs-cueilleurs actuelles (les San « déguisés » en autruche). Des masques de cerfs ont été d’ailleurs trouvés à Star Carr (Clark, 1954, 1972), Hohen Viecheln (Schuldt, 1961) et à Biesdorf (Reinbacher, 1956), ce dernier datant du Boréal. Au moment décisif de l’approche, l’arc est alors armé et la flèche décochée. Il arrive que certains animaux ne réagissent pas à un impact de flèche. Le chasseur peut alors en viser d’autres de la même harde. En fait, comme l’affirme Rozoy (1978), « l’arc est un élément décisif généralisant l’approche pour les grands mammifères » et l’efficacité des chasses, comme on l’a déjà dit, s’en est trouvée considérablement augmentée. 119
Les chasseurs disposaient probablement d’une panoplie de flèches à terminaisons suffisamment différentes pour un usage spécifique : pointues pour la perforation des grands herbivores, en massue pour casser les ailes des oiseaux, à trois pointes pour la capture des poissons, etc., un peu à la manière des Zoé d’Amazonie qui partent toujours à la chasse avec une gamme de flèches adaptées aux proies rencontrées (Hulot, 2019). Pour les petits mammifères (lapin, lièvre) et les oiseaux, on utilisait aussi des bâtons ou des massues de jet dont certaines pièces ont été découvertes en Braband (Mathiassen, 1948) et à Wis (Bourov, 1973). Le rabattage consiste à faire passer les gibiers à proximité de tireurs embusqués. Les peintures rupestres du Levant espagnol semblent confirmer cette technique, même si ces œuvres sont plus tardives. Les battues pourraient fort bien avoir été pratiquées par les hommes du Mésolithique. L’effectif des groupes de chasseurs étant probablement réduit à cette époque (5 à 20 personnes), il ne pouvait s’agir que de « poussées silencieuses » (toujours en vigueur de nos jours) au cours desquelles les animaux sont rabattus à bon vent et sans les effrayer (pas de chien) sur un parcours qu’ils connaissent (coulées, cols, défilés) et « acceptent » d’emprunter. Ils arrivent alors en marchant ou en trottinant, ce qui facilite un tir précis… et éventuellement répété. Même dans une plaine forestière à très faible déclivité topographique et qui semble uniforme, il existe toujours des obstacles (cours d’eau, terrasses alluviales, rochers apparents, buttes) qui canalisent la grande faune et la guident vers des points de passage préférentiels repérés par les chasseurs qui, par les traces et les fèces, y observaient une fréquentation plus importante. Ces coulées ou sentes étaient aussi des zones d’affût pour le tir à l’arc ou de piégeage (fosses, collets). Leur accès était donc précieux, mais malheureusement aussi convoité. Les archers étaient certainement portés à installer leur campement à proximité pour s’y rendre facilement… mais toutefois suffisamment loin du site pour ne pas perturber la circulation des ongulés. C’est aussi sur ces « passages » que l’on poste encore aujourd’hui « les fusils » à l’occasion des battues… des emplacements restés fonctionnels depuis 10 000 ans, car la topographie locale et le couvert boisé n’ont pas forcément beaucoup changé. Le rabattage en direction de falaises, la mise en place de palissades de contention ou d’enclos d’abattage restent des pratiques hypothétiques qui n’ont, en tout cas, pas laissé de traces évidentes… jusqu’à ce jour. Le témoignage le plus renseigné sur la chasse en montagne est fourni par les fouilles d’un abri-sous-roche, à la Balma de la Magineda en Andorre à près de 1 000 m d’altitude, dédié presque exclusivement à la traque du bouquetin, de l’Azilien à la période historique. Cette chasse, probablement en battue, se déroulait à l’automne quand les bêtes sont les plus replètes. On pratiquait sur place le travail de boucherie, des peaux et de l’os. Avec le réchauffement climatique du Préboréal, du Boréal puis de l’Atlantique, la forêt claire à pin sylvestre associé au genévrier a été remplacée par une formation plus dense 120
(hêtraie-sapinière vraisemblablement) et les expéditions se sont donc déplacées en altitude. La chasse au filet est une variante de la battue. Les petits gibiers sont dirigés vers des tresses végétales (cachées par des herbes) dans lesquelles les lièvres et lapins viennent s’emmêler. Ils sont alors assommés avec des massues ou capturés à la main. Ces systèmes de chasse ont laissé quelques vestiges dans les tourbières nordiques (Tomsen et Jessen, 1904) et sont toujours pratiqués par les communautés des forêts équatoriales, comme les Pygmées d’Afrique, aux dépens des rongeurs du sous-bois. Selon C.M. Turnbull (1961/1968), « ces procédés pouvaient prendre de l’importance et mobiliser 40 à 80 personnes, soit 7 à 30 familles alors que la chasse à l’arc n’était pratiquée que par deux à quatre familles, soit 2 à 5 hommes chassant ensemble ». La poursuite ne peut donner des résultats qu’avec l’appui de chiens, car le cerf et le sanglier courent beaucoup plus vite (50 km/h) que l’homme, même si sur de longues distances, ce dernier peut finir par prendre l’avantage sous climat très chaud (Bachasson, 2016). La poursuite était plutôt pratiquée au Mésolithique sur un animal blessé par une flèche. Dans ce cas, le suivi se fait « à la trace » ou « au sang », mais, selon le mot de La Fontaine, « rien ne sert de courir », il faut patienter, car l’animal finit par s’effondrer suite à une hémorragie interne. Le piégeage donne lieu à des montages parfois complexes et fort astucieux. « Sans que l’on en ait de traces archéologiques, des pièges à lacets ont pu être utilisés pour la capture du petit gibier, voire des chevreuils » (Ghesquière & Marchand, 2010). Des collets en torsades de crin de cheval ou fibres végétales étaient positionnés sur des passages à renard, blaireau ou lièvre. Quand l’animal tire sur le lacet, il déclenche le redressement du baliveau qui était retenu par une simple encoche dans une tige de proximité et provoque la pendaison (par le cou en général) provoquant l’étranglement de l’imprudent ! Par un procédé comparable, on peut « armer » un baliveau (mise sous tension avec une corde) qui décocherait une flèche au passage d’un animal. Cet équipement est attesté à Wis, dans le nord de l’Europe (Bourov, 1973). Il était peut-être couramment utilisé, car on le sait très efficace… mais il faut que le trappeur ait bien la mémoire du lieu d’installation ! Pour capturer les oiseaux (grives), d’ingénieux systèmes présentent des fruits accessibles uniquement à travers de fins lacets en crin de cheval. Au moment de s’envoler, les oiseaux restent captifs et sont « récoltés » par les piégeurs qui surveillent leurs arceaux. Ces pièges, faciles à construire et peu coûteux pour les « hommes des bois », sont toujours en usage actuellement chez certains braconniers ! La glue est difficile à fabriquer sans récipients. Par contre, la résine de bouleau (ou de pin) aurait pu être utilisée pour capturer des oiseaux de petite taille par positionnement d’un appât au sommet d’un poteau par exemple. Tous ces systèmes devaient être plus ou moins régulièrement installés par les
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jeunes enfants ou les vieux chasseurs de la famille… Le problème est qu’il n’en reste rien. Les pièges à pierre (ou tendelle) servent à capturer les oiseaux ou les mammifères au sol. Une tige en équilibre instable retient une dalle qui referme une boîte dans laquelle est placé un appât. Les hommes de la préhistoire qui consommaient, à l’occasion, des rongeurs et des hérissons avaient probablement mis au point ces installations et sûrement beaucoup d’autres qui n’ont pas laissé de traces. L’existence de fosses-pièges au Mésolithique fait l’objet de débats. Certains préhistoriens suggéraient que les ongulés puissent être capturés dans ces excavations (équipées éventuellement de pieux acérés), mais il aurait fallu que nos chasseurs creusent des trous imposants (le cerf peut faire un saut de 2 m de hauteur pour en sortir !), et on n’a jamais trouvé de traces convaincantes de ce type de fosses. Il y aurait en outre plusieurs raisons à cette situation : la chasse à l’arc « classique » suffisait à nourrir les familles. Par ailleurs, les Sapiens ne disposaient pas d’outils (« pelle et pioche ») adaptés à ce type d’opération (les sépultures même sont peu profondes !). L’effort et le temps nécessaires pour cette réalisation seraient aussi bien trop importants et peu judicieux pour des archers qui déplacent leurs camps au bout de quelques semaines. Il faut avoir une « mentalité de sédentaires » pour s’astreindre à cette besogne… inimaginable pour des « coureurs des bois » ! Toutefois, en France et en Allemagne, la découverte de fosses de 2 à 3 mètres de profondeur disposées en quinconce laisse à penser qu’il pourrait s’agir de pièges pour la capture de grands mammifères, d’autant que cette technique a été utilisée aussi à l’âge du bronze et même jusqu’au siècle dernier puisque des fosses à ours sont encore visibles dans les Alpes (Courtin, 1983). À ce sujet, le fait de ne trouver que peu d’ossements d’ours dans les campements des chasseurs pose la question des relations que ces derniers entretenaient avec cet animal. Il est possible qu’ils ne se soient pas attaqués à lui à cause de sa dangerosité, mais l’utilisation de l’arc aurait permis de le tirer à distance donc de limiter les risques. Par ailleurs, les archers n’hésitaient pas à chasser l’aurochs qui représente un gibier trois à quatre fois plus lourd et bien aussi redoutable. Il faut peut-être chercher une autre explication qui tiendrait à l’admiration que les Sapiens auraient eue pour ce fauve omnivore qui, dressé sur ses pattes arrières, a la silhouette d’un homme et une fois mort et dépecé, lui ressemble encore plus. Bien qu’encombrant et à l’occasion dangereux, cet animal devait être perçu par nos fourrageurs comme le compagnon sauvage respecté et finalement épargné dans l’environnement de la communauté humaine. Un comportement qui n’a peut-être rien de rare. Parmi les bergers Masaï, par exemple, qui souffrent pourtant des attaques des lions, les éleveurs ne cherchent pas à les détruire et chez les villageois du sud de l’Ethiopie, les hyènes ne sont « vengées » que lorsque ces dernières attaquent leur troupeau. 122
Plus près de nous, bon nombre de bergers des montagnes européennes ne sont-ils pas partisans de la régulation des loups sans souhaiter leur éradication ? Quelles spécialisations ? Les archéologues ne disposent actuellement que de quelques cas de chasses spécialisées révélées par l’abondance de restes de gibier appartenant à la même espèce. Les chasseurs du nord de la France, par exemple, montraient, au Beuronien (vers - 8 000 A.C.), une prédilection pour le tir du sanglier. Quant à la station de pied de coteau à Sénas, au bord de la Durance, on y trouve les traces d’une chasse spécifique à l’aurochs, plus abondant dans le sud-est de la France, au début du Boréal. Elle indiquait « l’abattage d’un groupe de femelles avec juvéniles et d’un groupe de mâles solitaires à la fin de l’automne, pendant ou juste après le rut » (Marchand, 2014). Il semble que ce soit aussi le cas pendant le Mésolithique récent à la station de Ruffey-sur-Seille (Jura) qui a livré de nombreux restes d’aurochs (Séara, 2012). « La chasse spécialisée aux lapins apparaît comme une orientation particulière à La Font-des-Pigeons (Bouches-du-Rhône), puisqu’ils représentent près de 80 % du nombre de restes déterminés » (Marchand, 2014). À croire que les archers, dans cette région, préféraient cette venaison ou peut-être qu’elle était pour eux plus facile à obtenir que celle des grands ongulés. « Dans l’immense majorité des cas, les chasses n’étaient pas sélectives et orientées sur un seul animal, car deux ou trois espèces étaient régulièrement prélevées, montrant que nos Sapiens pratiquaient systématiquement la diversification des ressources animales terrestres » (Rozoy, 1978)… avec une dominante cependant pour le cerf chaque fois que cette espèce était bien représentée localement. Quelle pression de chasse ? Nous ne disposons évidemment d’aucune statistique fiable concernant la densité des populations de grands gibiers au Mésolithique, d’autant que la densité était vraisemblablement très variable d’une région à l’autre et aussi d’une année à l’autre. Toutefois, dans plusieurs articles scientifiques, il est fait mention du cheptel disponible à deux heures de marche des camps, soit 10 km environ. Sur « une telle surface, voisine de 30 000 ha, se trouverait en moyenne quelques 1 200 cerfs, 600 sangliers et 3 000 chevreuils » (SPPN, 1972), soit une quinzaine de gros gibiers au 100 ha, une densité finalement assez proche de celle rencontrée dans nos forêts actuelles peu chassées, en domanial par exemple. Nos archers pouvaient donc y réaliser des incursions tous les deux ou trois jours sans trop éveiller la méfiance des animaux ni affaiblir significativement le cheptel par le prélèvement de quelques dizaines de sujets. Le cerf, roi des forêts tempérées, était, et on en a donné les preuves, la proie préférée des chasseurs. En dehors de son intérêt alimentaire
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(une bonne centaine de kilos de viande pour les mâles), les bois étaient particulièrement appréciés pour fournir des percuteurs (à éclater les silex), les tendons extraits pour fabriquer les cordes des arcs et les os utilisés comme matériaux à tailler ou à graver. Il n’existe pas d’arguments archéologiques montrant que la pression de chasse avait un impact sur la densité de la faune. Pendant les 7 000 ans qui ont suivi la déglaciation, aucune espèce régulièrement chassée n’a disparu et, par ailleurs, les archers ont continué à chasser le gros, sans se rabattre sur le gibier plus petit qui aurait pu laisser penser à une situation de disette. À ce titre, les squelettes humains trouvés dans les sépultures ne montrent pas de signes de carence alimentaire. Ils disposaient donc d’une abondante nourriture, au moins une bonne partie de l’année, sans que l’on puisse affirmer qu’ils n’aient jamais traversé quelques périodes difficiles, surtout l’hiver. On sait par ailleurs qu’un prédateur comme le loup ou le lion ne prélèvent que quelques pourcents du cheptel sauvage en place et lorsque l’efficacité de leur chasse diminue, ils déplacent leurs zones d’intervention. « Il n’y a pas de raison pour que notre archer épipaléolithique n’ait pas été un prédateur comme les autres » (Rozoy, 1978) et n’ait pas pratiqué « une chasse durable » qui semble d’ailleurs avoir duré, à l’identique, pendant plusieurs millénaires ! Quels modes de transport ? Comme l’accès aux terrains de chasse ne pouvait se faire au mieux que par des sentiers plus ou moins bien repérables, les archers transportaient les quartiers de viande à pied en tout terrain et, dans certains cas, accrochés sur une barre de bois portée à deux hommes comme on le voit souvent dans les illustrations des revues archéologiques. Ces pratiques devaient être systématiques et en tout cas très probables sur trois sites étudiés : « Dans le Doubs et le Haut-Rhin, des cerfs et des sangliers ont été découpés dès leur abattage et les os brisés pour une consommation de la moelle sur place. L’absence des côtes et des vertèbres indiquerait un transport hors du site après séchage ou fumage » (Marchand, 2014). « L’ensemble osseux de la fosse de Bourrouilla dans les PyrénéesAtlantiques n’évoque pas un stockage de viande, mais semble plutôt correspondre au dépôt de déchets de boucherie » (Dachary et al., 2013). La découpe et le raclage des carcasses étaient donc probablement suivis d’un transport des parties les plus charnues. « Les fouilles du gisement du cirque de la Doue en Corrèze, datées de 7 000 A.C. environ, indiquent que les gros gibiers étaient découpés sur place et les quartiers les plus charnus transportés dans des campements plus éloignés de cette halte de chasse, car on ne trouve pas, in situ, de vestiges des ossements propres à ces pièces de viande » (Martin & Le Gall, 1987). Les chasseurs étaient donc parfaitement organisés et ne transportaient que « les parties utiles » des gibiers… Il faut dire, pour l’avoir pratiquée, que 124
cette besogne est des plus « éreintantes », particulièrement en tout terrain et sur de longues distances. C’est une des raisons pour lesquelles les camps étaient déplacés, évitant ainsi ces transferts coûteux en temps et en énergie. Pour chaque cerf ou sanglier tué, il fallait compter évacuer plusieurs dizaines de kilos de venaison, ce que ne pouvait assumer un homme seul. Les expéditions de chasse se pratiquaient donc obligatoirement à plusieurs pour battre, certes, un territoire plus vaste, mais surtout pour rapatrier une grande partie du lourd butin et ne laisser sur place que les sabots ou certains os qui ne présentaient aucun intérêt pour le groupe. Chaque fois que le site se prêtait au transport par voie d’eau, la venaison était sans doute acheminée par pirogue monoxyle, ce qui incitait les chasseurs à installer des campements près des rives à l’instar des archers Micmac au Québec ou Selk’nam en Amérique du Sud dont il reste miraculeusement quelques photos. Ces trappeurs naviguaient le long des rivages, chassaient encore le guanaco en Terre de feu au début du XXe siècle et rapportaient leurs butins grâce au cabotage. La densité du réseau hydrographique pendant la déglaciation offrait de nombreuses facilités pour accéder aux territoires de chasse, mais aussi pour rapatrier plus aisément les gibiers les plus lourds. Quelles utilisations pour la venaison ? Suite au travail d’équarrissage, les abats étaient vraisemblablement consommés de suite comme le font encore beaucoup de peuples premiers dont les San du Kalahari. Il faut dire que ces parties molles supportent très mal le transport, surtout par temps de grosses chaleurs. De nos jours, il est encore fréquent que le cœur et le foie des chevreuils, cerfs ou sangliers soient consommés dès la fin de la journée, en barbecue, à la cabane de chasse. Pour le reste, « le respect de l’animal tué à la chasse est une constante que l’on observe chez tous les peuples chasseurs-cueilleurs… Il se manifeste, par exemple, par l’interdit, pour le chasseur, de consommer son gibier réservé au reste de la communauté » (Ghesquière & Marchand, 2010). On constate à cette occasion que « l’Homme est un animal social. Le partage du butin de chasse, en renforçant les liens entre individus, est une pratique égalitaire qui assure la cohésion sociale du groupe et permet au plus faible de survivre » (Patou-Mathis, 2013). Même si la consommation de viande jouait un rôle stratégique au Mésolithique, « à l’exception des plus nordiques, aucun peuple ne dépend à plus de 50 % de la chasse » (Lee & De Vore, 1968). « Ce pourcentage varie en fonction de la biomasse disponible et du rapport végétal/animal accessible localement » (Patou-Mathis, 2013). Il est généralement compris entre 20 et 40 % et, comme la consommation de viande augmente de l’Équateur aux pôles au détriment de celle des végétaux, on peut considérer que sous nos latitudes européennes (et nos climats tempérés), il devait se situer en
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moyenne entre 30 et 40 %, sachant que chaque groupe d’archers avait ses habitudes… et ses goûts alimentaires propres ! 2. Le charognage Il est impossible de disposer de preuve directe de cette pratique, mais chez de nombreux chasseurs-cueilleurs actuels (notamment les Bushmen du Kalahari), elle est toujours en usage. Ils s’appuient sur le comportement des oiseaux charognards qui facilitent le repérage des carcasses. Dans l’Europe préhistorique, les carnivores laissaient inévitablement une partie au moins de leurs proies à disposition de ceux qui pouvaient en profiter rapidement, car ces dernières ne restent pas plus de un à deux jours sans candidats à l’élimination complète. Ainsi, le lynx abandonnait des restes de chevreuils, le loup ou l’ours quelques quartiers de cerfs ou de bouquetins immédiatement localisés par les vautours et les grands corbeaux qui ne manquaient pas à l’époque. Leurs tournoiements dans le ciel étaient un signal pour nos fourrageurs de se dépêcher sur place et se ravitailler à bon compte sur les restes les plus intéressants. Le loup, par exemple, ne s’attaque pas forcément de suite aux gigots, mais plutôt aux côtes… à condition de faire vite et de parvenir à écarter les félins ou les canidés responsables de la capture, il y avait de bons morceaux à saisir ! Avec l’ours, qui ne laisse pas échapper facilement sa proie, mieux valait se monter poli ! 3. La pêche Les produits de la pêche ont laissé très peu de vestiges (vertèbres par exemple) dans les gisements mésolithiques, ce qui paraît très paradoxal au regard de la présence très fréquente de ces derniers en bordure de mer ou en fond de vallée, donc près des cours d’eau riches en poissons. Mais les ichtyo-squelettes sont très tenus et le carbonate et le phosphate de calcium ne résistent pas longtemps à la dissolution par les eaux d’infiltration, surtout en région à substrat acide. C’est évidemment très dommageable pour le recueil des informations archéologiques sur cette activité humaine très complémentaire de la chasse et probablement très sous-estimée. Les archéologues disposent toutefois d’un certain nombre de sites privilégiés dans lesquels de précieuses informations ont pu être collectées. La pêche maritime Le long du littoral, des enfilades de piquets soutenant des palissades à claire-voie, datant de l’Atlantique, ont été mises à jour en Norvège, en Finlande et au Danemark. Elles sont considérées comme des pièges puisque terminées par des nasses dans lesquelles les poissons venaient s’enfermer au moment de la marée descendante. De tels systèmes pouvaient aussi être utilisés dans les estuaires des rivières pour capturer des sujets en migrations (anguilles, saumons et même truites). Mais tous ces systèmes exigent des 126
visites régulières, un entretien constant et ne sont pas commodément transportables, donc peu compatibles avec le nomadisme. Une sédentarité, au moins saisonnière, devait s’imposer au Mésolithique récent, car « plusieurs habitats de l’Ertebölle danois et scandinave indiquaient que la pêche s’octroyait le premier rôle dans les activités de subsistance » (CleyetMerle, 1990). D’autres découvertes récentes, à Dublin en Irlande dans l’estuaire de la Liffey, montrent également des aménagements assez sophistiqués datant de - 6 000 ans A.C., comprenant des clayonnages, des pieux et des nasses destinés à récupérer des poissons au cours du reflux. De telles installations, malheureusement englouties sous plusieurs mètres d’eau par le fait de la remontée du niveau marin, ont aussi été trouvées autour de la mer Baltique. En France, plusieurs centaines d’installations en pierre, à vocation similaire, ont été détectées sur les estrans bretons (Marchand, 2014). Dans les campements littoraux, on pratiquait donc régulièrement la pêche en eau salée, mais aussi la chasse aux mammifères marins. On sait, par exemple, grâce à l’étude de certains isotopes minéraux extraits de ses dents, que de l’Homme de Kennwick (- 7 000 ans A.C.) découvert en Amérique du Nord consommait du phoque (Arte, 2017). La pêche continentale La pêche est plutôt une activité de sédentaires qui s’accommode difficilement à la vie semi-nomade, car pour être efficace, il faut bien connaître les biotopes aquatiques locaux et la biologie des animaux qui y vivent. Est-ce la raison pour laquelle « la pêche, qui aurait pu suppléer à une défaillance d’autres ressources, était une pratique inconnue dans certains sites de l’est de la France ainsi que dans la vallée de la Somme » ? (Marchand, 2014). Nous n’avons pas la réponse. Cette activité apparaît souvent comme limitée dans beaucoup de territoires. « Concernant les poissons, les oiseaux et les amphibiens, éventuelles ressources nouvellement exploitées de façon systématique, l’analyse qualitative des données bibliographiques évoque une prédation aléatoire. Il est donc difficile d’affirmer qu’il y ait eu, dans le nord et l’est de la France, une intensification reposant, en partie, sur une exploitation assez systématique des oiseaux et des poissons comme on le constate dans les sites mésolithiques de Scandinavie » (Bridault, 1994). Quoi qu’il en soit, « l’apparition de ressources à des périodes différentes de l’année fut (probablement) très profitable aux hommes et aux femmes particulièrement en l’absence de stockage qui atténue ces effets » (Marchand, 2014). « La consommation abondante de l’anguille, des cyprinidés (chevesne, vandoise et ablette) et des truites est attestée, à l’Azilien, au Bois-Ragot dans l’ouest français » (Marchand, 2014). Elle semble plus réduite au Dryas récent à cause d’un refroidissement très marqué du climat et donc une réduction significative du débit des cours d’eau de l’Ouest européen. La 127
croissance des poissons a dû probablement s’en ressentir, car cette dernière est très dépendante de la température. On peut ainsi repérer sur les écailles et même sur les vertèbres des poissons, les « cernes » d’été, plus clairs, et d’hiver, plus sombres, qui s’ajoutent au fil des saisons, ce qui permet d’avoir une idée du moment où ils ont été pêchés… à condition bien sûr que l’état de conservation soit bon, ce qui n’est pas toujours le cas. Comme pour la chasse, les techniques de pêche se sont diversifiées dès le réchauffement : La pêche à la main ou le détournement d’un bras de rivière pour assécher le lit n’ont évidemment laissé aucune trace, mais sont faciles à exécuter, surtout l’été quand le débit de l’eau est faible. De la pêche à la ligne, il n’est resté que quelques hameçons en os retrouvés par dragage dans la Somme ou la Seine. Leur taille prouve que les pêcheurs capturaient de gros poissons, sans doute des brochets ou des truites. La fabrication des cannes se faisait à partir de tiges de noisetier ou de frêne et le fil provenait probablement de crins de cheval. Avant la dernière guerre et l’invention du nylon, il n’y a donc pas si longtemps, c’est ainsi qu’on capturait encore les truites dans les ruisseaux (Bachasson, 1982). Les harpons de pêche en os ont été utilisés dès l’Azilien et par la suite les mêmes instruments plats, à perforation ronde cette fois et équipés de barbelures tirées de bois de cerf, ont servi à capturer les poissons qui fréquentaient les eaux de surface, soit à l’occasion de leurs migrations (saumons atlantiques ou anguilles), soit à l’occasion de leur reproduction sur les platières des rivières (truites), dans les herbiers des marais (brochets) ou sur les gravières des lacs (gardons). « Des harpons en bois de renne, à armatures barbelées et de tailles modestes (50 à 220 mm), ont visiblement été utilisés il y a - 11 000 ans A.C., en Ariège, pour capturer des saumons ou des truites en période de frai » (Cleyet-Merle, 1990). On en a trouvé aussi de même facture dans le Nord-Brabant datés du Dryas récent. Certains exemplaires, montés sur des flèches, semblent avoir tenu la place des (armatures à) trapèzes (Egloff, 1967). « La pêche à vue a donc aussi été pratiquée à l’arc avec des flèches à silex géométriques dotées de barbelures » (Cupillard in Bintz, 1994). La preuve en serait donnée par une gravure sur dalle rocheuse représentant « le saumon lardé de flèches de la station de Gourdan en Haute-Garonne » (Cleyet-Merle, 1990). Ce même auteur ne conteste pas qu’au Mésolithique, « les microlithes ont assurément connu de multiples usages, mais leur adaptation (systématique) à la pêche reste à démontrer, d’autant plus qu’il existe parallèlement des engins spécialisés beaucoup plus performants » (Cleyet-Merle, 1990). Pourtant, en Amazonie, comme ailleurs, beaucoup de peuples premiers pêchent à l’arc. Les nasses ont visiblement beaucoup servi pour capturer les poissons, mais aussi peut-être les crustacés ou les batraciens. Le site de Noyen-surSeine a fourni beaucoup de restes de poissons (anguilles, perches, ablettes, brochets et tanches) datés d’environ - 6 000 ans A.C., mais son plus grand 128
intérêt vient de la découverte de « fragments de nasses dans un état de conservation satisfaisant » (Cleyet-Merle, 1990). « Un réseau de paléochenaux de la Seine a livré des vestiges organiques exceptionnels (- 7 300 ans A.C.) au lieudit Le Haut-des-Nachères (en Seine-et-Marne), à savoir six nasses en troène et une pirogue monoxyle en pin. Des couches plus récentes (- 5 800 ans A.C.) contenaient beaucoup de restes de brochets et même d’anguilles qui auraient été prélevés par harponnage » (Marchand, 2014). À la Balma de la Margineda en Andorre, dès l’Azilien, la pêche à la truite se pratiquait par piégeage à la nasse, probablement à l’automne puis tout au long de l’année, et ceci durant tout le Mésolithique (Le Gall, 1995). Le ramassage des escargots de forêt accompagnait aussi cette récolte. La pêche de rabat complétait ces façons de faire. Elle consiste à effrayer les poissons par des chocs ou mouvements sur les berges ou dans l’eau qui les conduisent à remonter ou dévaler le courant dans lequel on a mis des nasses de divers types. Cette technique est attestée dans de nombreuses stations d’Europe du Nord (Troels-Smith, 1941 ; Becker, 1941 ; Clark, 1948 ; Kapel, 1969). Plusieurs nasses, datées du Boréal (Mathiassen, 1948), mais aussi de l’Atlantique traduisent une pratique courante à cette époque. La nasse trouvée à Kattegat au Danemark mesurait 4 m de long pour 0,9 m de large. D’une façon générale, ces nasses en vannerie sont très « pêchantes », mais capturent plutôt des poissons de taille moyenne.
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L’homme à la nasse. Illustration de Benoît Clarys.
Des filets destinés à capturer de gros poissons (saumons ?) ont été trouvés dans le Brabant. Les mailles de 5 cm de côté étaient constituées de ficelles doubles torsadées. D’autres à mailles plus fines ont été découverts à Wis ainsi que des flotteurs en écorce de pin (Bourov, 1973). On a exhumé aussi de nombreuses figurations de filets gravées sur os ou bois de cerf et qui proviennent de l’Est de la Baltique, mais aussi sur ivoire de mammouth dans le bassin de la Desna en Russie (Clark, 1975). Malgré la disparition d’une grande partie de ces tresses en fibres végétales très périssables, on peut affirmer que nos archers étaient aussi d’assidus pêcheurs dotés d’équipements diversifiés parfaitement adaptés aux différents biotopes aquatiques de leur environnement, y compris les lacs dans lesquels, selon J.G.D. Clark (1946/1948), ils s’adonnaient à la pêche en bateau. Certains amateurs passionnés de vie sauvage pensent que, au vu de ce qui se pratique chez beaucoup de peuples premiers, nos Sapiens connaissaient parfaitement l’efficacité des poisons, assez faciles à utiliser en milieu aquatique. En Europe, des broyats de graines de muflier permettraient, selon eux, d’anesthésier ou de tuer les poissons présents dans des petits ruisseaux
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ou délaissés de rivière. Mais les preuves manquent pour conclure sur l’usage, par nos archers, de ces toxiques. Même si les engins de pêche ne sont que rarement retrouvés, les fouilles de nombreux sites attestent d’une activité halieutique soutenue. « Au Magdalénien moyen, dans l’abri du Bois des Brousses (Gorges de l’Hérault), les pêcheurs étêtaient et équeutaient déjà leurs poissons avant de les ramener dans leur habitation » (Cleyet-Merle, 1990). Dans le droit fil des Magdaléniens, selon le même auteur, « les Aziliens continuent à pêcher uniquement le saumon et la truite dans les torrents de l’Ariège (site de Rhodes II). Mais à plus basse altitude, cyprinidés, salmonidés et surtout truites voisinent dans des gisements comme Le Peyrat (Dordogne) ou Rochedane (Doubs) ». La recherche des installations des chasseurs-pêcheurs le long des cours d’eau de l’Ouest français a permis de constater que « les sites postérieurs à l’Azilien étaient proches des principaux méandres des grands cours d’eau, plus particulièrement dans la rive concave, là où la profondeur importante crée des fosses appréciées des poissons migrateurs » (Naudinot, 2010). « Dans les Pyrénées, les représentations de poissons (saumons ?) sont plus nombreuses en altitude que dans la moyenne vallée de la Dordogne ou de la Vézère et absentes de la zone girondine » (CleyetMerle, 1990), ce qui s’explique par le fait que les salmonidés étaient plus faciles à repérer et aussi à pêcher dans les faibles hauteurs d’eau des frayères, à l’amont des cours d’eau. Par la suite, avec le réchauffement climatique, « l’hégémonie des cyprinidés est totale (ablette, chevesne, vandoise et gardon), mais on compte aussi des brochets et des anguilles… l’importance de la part alimentaire fournie par les poissons est, de toute évidence, essentielle » (Cleyet-Merle, 1990). Tant au Pont d’Ambon (Dordogne) qu’au Bois Ragot (Vendée), les espèces sont à peu près les mêmes. « Peu de sites de l’époque mésolithique ont livré, lorsque les conditions s’y prêtaient, une ichtyofaune relativement abondante (mais) la certitude d’une activité de pêche courante y est acquise » (Cleyet-Merle, 1990). Selon le même auteur, les fouilles de la Baume de Montclus (Gard) semblent indiquer que « l’alimentation y apparaît fondée sur le poisson dont les ossements pullulent », mais la présence d’une vaste cendrière laisserait supposer que le site était aussi une station de fumage. La fosse de Bourrouilla (Pyrénées-Atlantiques) recelait 134 vestiges de poissons (Dachary et al., 2013) : quelques truites, brochets et anguilles avec une forte dominante de cyprinidés (chevesne, vandoise, barbeau fluvial et méridional) indiquant la présence de rivières à courant plus ou moins rapide. L’étude des vertèbres de ces sujets laisse à penser que, pour au moins certains d’entre eux, la capture s’était faite au moment des migrations de reproduction. Le long du Danube, entre Serbie et Roumanie, beaucoup de sites montrent la complémentarité alimentaire entre les ressources forestières de la montagne et celles du fleuve dans lequel étaient capturés les mollusques d’eau douce, et surtout les différentes espèces de poissons autochtones ou migrateurs originaires de la mer Noire. « L’occupation était continue et les 131
établissements humains permanents » (Barbaza, 1999). « L’esturgeon semble même avoir fait l’objet d’une pêche très spécialisée dans certains campements mésolithiques danubiens, comme le complexe d’abris-sousroche des Portes de Fer, en Roumanie » (Cleyet-Merle, 1990). 4. La cueillette Il est probable qu’elle était surtout assurée par les femmes et les enfants. La récolte comportait des végétaux, mais aussi de menus produits forestiers et de petits animaux. On ne sait pas précisément combien d’espèces de plantes sauvages existaient en Europe au Mésolithique. Beaucoup ont été importées depuis avec l’arrivée des agropasteurs du Proche-Orient, des nombreuses vagues d’envahisseurs d’Asie centrale et des migrants d’Afrique du Nord ou d’Amérique. Ceci dit, « la flore de l’Europe comporte actuellement plus de 12 000 espèces dont 1 600 environ sont comestibles » (Couplan, 2017). Selon nos investigations, réalisées espèce par espèce à partir de l’Encyclopédie des plantes sauvages comestibles, du même auteur, il en existait au moins 270 sur le continent européen (du sud de l’Espagne à la Scandinavie et de l’Irlande à l’Oural et aux Balkans) à cette époque, avant les invasions végétales évoquées plus haut. Compte tenu de leurs exigences écologiques, elles n’occupaient évidemment que certains domaines biogéographiques (méditerranéen, nordique, etc.) et, au final, nos groupes d’archers ne disposaient chacun probablement guère plus d’une centaine de plantes à consommer crues. En hiver, ils ne pouvaient extraire que quelques racines (carotte sauvage, salsifis, panais) ou du cambium d’arbres (tilleuls, saules, peupliers). Au printemps, par contre, les jeunes pousses de la plupart des espèces (pissenlit, ails, anthrisque), les fleurs (tussilage, mâche, primevère) et certaines tiges (alliaire, peucédan, panais, berce, chénopode) se mangeaient en salade. En fin d’été, les graines (avoine, orge, blés), les fruits (merises, pommes, mûres de ronces, alises, sorbes, noisettes, noix, glands) se trouvaient accessibles en abondance, certains d’entre eux se bonifiant après les premiers gels (néfles, cynorrhodons). Toutefois, des concurrents sérieux comme les sangliers, les renards, les blaireaux, les corvidés et les grives pouvaient se « servir » avant le passage des Sapiens qui ne trouvaient alors que les restes de leurs repas ! Mais si nos archers ne disposaient pas d’un odorat aussi performant que les chapardeurs à quatre pattes cités précédemment, ils avaient sur eux un avantage indubitable, à savoir l’aptitude à voir les couleurs… et pour trouver des fruits et juger de leur maturité, c’est quand même très efficace ! « Les statistiques chez les chasseurs-cueilleurs traditionnels montrent que la cueillette des cueilleuses apporte en réalité plus de 70 % de la nourriture, alors que la chasse des chasseurs, bien plus médiatisée et prestigieuse, n’en fournit que 30 % » (Demoule, 2018). Il semble que les adolescents jouaient un rôle très actif dans le ramassage, en explorant tous les milieux, même les 132
plus reculés, car leur corps souple et mince leur permettait d’accéder aux secteurs rocheux et de se glisser dans la moindre infractuosité parfois riche en petits gibiers (Bailey et al., 2008). « Les collectes de graines sauvages font partie normalement du mode de vie des chasseurs-cueilleurs » (Rozoy, 1993) et on ne doit pas en déduire forcément que ces dernières traduisent une avancée de l’agriculture. La découverte de céréales grillées près des foyers de campements n’a donc rien de surprenant. Ajoutons que les archers adultes devaient se méfier de certaines plantes toxiques, voire mortelles (cigüe, jusquiame, muguet, gui, aconit). Il était impérieux que leurs enfants mémorisent progressivement toutes ces données pour prendre les précautions d’usage et éviter les accidents au cours de leur vie de cueillette. En zones continentales Les produits végétaux Pendant l’Azilien, les baies de raisin d’ours et de genévrier étaient consommées. Mais dès le début du Mésolithique, les cueilleurs ont ramassé des graines de gesse ou de vesce (grotte du Minervois) et probablement aussi des graminées (folle avoine), mais de ces dernières, il ne reste aucune preuve. La vesce ou la gesse donnent donc des graines intéressantes. « Elles ne seront (pourtant) jamais cultivées par la suite » (Demoule, 2018). Par contre, le petit épeautre (Triticum monococcum) a été cultivé très tôt (- 6 000 A.C.) dans les Balkans et consommé par des populations considérées encore comme chasseurs-cueilleurs. Leurs ancêtres ramassaient probablement, dans les clairières, l’espèce sauvage originelle encore plus ancienne (Triticum baeoticum) qui, elle, a été domestiquée par la suite. Plusieurs plantes aériennes ou racines sont charnues et consommables après passage au feu, tels « les artichauts, les cirses, l’armoise, la bardane ou le salsifis » (Couplan, 1985). Les racines de carotte sauvage sont mangeables crues. Au sol, après les pluies sous les chênaies, poussent de nombreuses espèces de champignons comestibles comme les cèpes ou les giroles et au printemps les morilles qui doivent être impérativement cuites. Il est possible aussi de déterrer des bulbes d’ail des ours ou d’oignons. Près des zones humides, il est aisé de ramasser les pousses de houblon au printemps qui sont bonnes grillées et dans les marais, à l’automne, il y a abondance de graines de « lys d’eau » (nénuphars jaunes) plus ou moins farineuses. On ne sait pas si les Sapiens consommaient les pois ou les graines de crucifères (moutarde), mais ils mangeaient sûrement les fraises des bois, les myrtilles et les faînes de hêtre. Dans le Midi s’ajoutaient les amandes sauvages qui, malgré la présence d’amygdaline toxique pour l’homme, sont très riches en huiles, protéines, glucides et vitamines, ce qui explique qu’elles aient été ramassées depuis la Paléolithique supérieur, notamment dans le bassin amont du Jourdain et probablement aussi dans une bonne partie du bassin méditerranéen. 133
Les noisettes, particulièrement abondantes dans les restes de cuisine de la station de Rouffignac en Dordogne, ont été une ressource alimentaire d’appoint pendant tout le Préboréal, car elles apportent beaucoup de lipides (60 %), mais aussi des protéines et des glucides. Elles sont donc très énergétiques et ont vraisemblablement permis à beaucoup d’archers de passer l’hiver, période pendant laquelle on peut les conserver. Les restes de coquilles (plus ou moins carbonisées parfois) ont été trouvés aussi dans les campements de Bretagne, mais aussi en Allemagne du Nord, en Irlande et dans tout le sud de la France. « On suppute, en Europe tempérée, un entretien des taillis de noisetiers, au Premier Mésolithique, pour en améliorer la rentabilité » (Marchand, 2014). Le noisetier est devenu ensuite moins abondant avec l’avancée des chênes et la constitution de futaies plus fermées dans lesquelles l’espèce, dominée dans le sous-bois, est beaucoup moins fructifère. Quant aux glands, il ne reste aucune trace directe de leur consommation. Il faut dire qu’ils sont impropres à une digestion telle quelle par l’homme, à cause de leur forte concentration en tanin. Il a fallu attendre que les colons du Néolithique disposent de récipients pour les débarrasser de leurs toxines (trempage) et les utiliser en farine ou galettes, surtout pendant les périodes de disette comme le mentionne bien plus tard Pline l’Ancien. Pendant la période de pleine extension de la chênaie à noisetier, « à raison d’une production de 10 kg de glands par arbre et 500 kg de noisettes à l’hectare, une zone boisée de moins de 10 ha constituait une réserve nettement suffisante pour nourrir 50 personnes » (Ghesquière, 2015), soit quelques familles. Mais « pour trouver une alimentation végétale suffisamment diversifiée, le même groupe avait besoin de se ravitailler sur 500 à 3000 ha » (Ghesquière, 2015). Reste l’extraction de sève qui est probable, mais non prouvée. Il n’est pas exclu que les archers aient exploité, en pratiquant au printemps une incision sous l’écorce, la sève de bouleau sucrée et très riche en minéraux que l’on trouve à nouveau de nos jours dans certaines boutiques spécialisées ! La cueillette végétale ne se limitait cependant pas aux produits comestibles, mais aussi à ceux qui étaient utiles à la communauté, c’est-àdire aux saules ou aux joncs pour la vannerie, aux carex pour le tissage et à la résine et aux goudrons pour les collages (flèches). Les produits animaux Les circuits de collecte offraient l’occasion de ramasser des larves dans les troncs d’arbres pourris ou au fond des ruisseaux, des œufs dans les nids, parfois même des juvéniles d’oiseaux (pigeons ou passereaux), dans les cavités des arbres secs, des chauves-souris et au sol des insectes, des batraciens ou des reptiles. « On consommait des grenouilles à Rouffignac en Périgord et des tortues à la Crouzade dans l’Aude » (Cleyet-Merle, 1990). « Dans les contreforts des Pyrénées, les escargots ont été collectés de 134
manière intensive depuis l’Azilien jusqu’à l’Atlantique et leurs coquilles se comptent par millions dans des dizaines de sites » (Barbaza, 1999). Mais il ne faut pas trop se fier à l’abondance des coquilles… car « les farouches chasseurs d’escargots mangeaient surtout de la grosse bête (sanglier) comme à la grotte de Rouffignac, en Dordogne » (Rozoy-1, 1978). Lors de leurs pérégrinations, nos archers pouvaient aussi trouver les lapereaux dans une rabouillère, les faons de chevreuil ou de cerf dans les hautes herbes et éventuellement les cadavres de petits mammifères tués par des prédateurs. Comme chez beaucoup de peuples premiers, la recherche du miel était probablement très active. Pour se protéger de la piqûre des abeilles qui défendent leur bien, les collecteurs utilisent des touffes d’herbes sèches enflammées. L’enfumage permet d’accéder à la cire, comme l’attestent les découvertes de Villabruna, une province de Bunello en Italie ou les peintures du Levant espagnol (Dams, 1977). Car chez ces populations autarciques, le miel est un aliment riche et très précieux qui sert aussi d’antiseptique pour soigner les plaies et faciliter la cicatrisation des coupures ou des blessures consécutives à des fractures. La cueillette était aussi l’occasion de s’approvisionner en argiles de couleur (ocre, vert, jaune) destinées aux soins du corps et à la décoration. On ramassait aussi les phanères d’animaux (cornes, bois de cervidés, sabots et os abandonnés en forêt), indispensables à la fabrication des objets domestiques. En zone du littoral marin Les fouilles de nombreux sites côtiers ont permis de vérifier que les Sapiens exploitaient toute la diversité des ressources fournies par la mer ou les estuaires, tant en mer du Nord qu’en Atlantique ou en zone méditerranéenne. Au Portugal, au sud de Lisbonne, par exemple, l’exploitation des fonds d’estuaires est attestée de la fin du VIIe et du VIe millénaire par l’existence de nombreuses tombes près de Muge et le long du Sado. Dans la grotte de Papagaïo, à plusieurs dizaines de kilomètres de la côte, les vestiges du début du Postglaciaire montrent que « les ressources de la forêt environnante ont été complétées par celles prélevées sur un estran lointain » (Barbaza, 1999)… ce qui traduit le besoin d’une alimentation complémentaire des occupants et aussi leur grande mobilité déployée pour s’approvisionner. En Espagne, une occupation comparable est attestée sur la basse vallée de l’Ebre. Produits végétaux Les algues marines, même si elles n’apportaient que peu d’énergie, pouvaient être mangées crues comme certaines plantes du littoral du genre Suaeda ou Salicornia dégustées en salades. Quant à la récolte du sel, elle est suspectée dans les très nombreuses installations de pierre sur les estrans
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bretons. Elle consistait à conserver de minces couches des hautes eaux aptes à déposer du sel par évaporation tout en profitant aussi d’une récolte facilitée de poissons et de coquillages. Produits animaux Sur le rivage, les cueilleurs devaient chercher les œufs de goélands, de cormorans et d’autres oiseaux de mer, une tradition qui a perduré jusqu’à nos jours dans les pays nordiques. C’est aux marées d’équinoxe, sur le littoral atlantique, que la pêche à pied est la plus productive avec la collecte de couteaux, palourdes, crabes, vers, seiches, vieilles, tacauds, tourteaux. « À Hoëdic (Morbihan), les occupants (- 4 600 ans A.C.) ont ramassé : troques, moules, coques, petits bigorneaux, patelles, huîtres (ostrea edulis) et huîtres portugaises (gryphea angulata), escargots des sables, raies et pétoncles » (Marchand, 2014). Le site de SaintGildas près de Pornic, daté de la fin du Mésolithique, a fourni plusieurs mètres cubes de coquilles de patelles, littorines, bigorneaux, huîtres, buccins et beaucoup de coques. « En Méditerranée, on ramassait des oursins, des crabes, des seiches et des araignées de mer à Châteauneuf-les-Martigues ou au Cap Rognon » (Cleyet-Merle, 1990). On a pu mettre en évidence, sur le littoral portugais, le transport de coquillages marins sur 30 km, le long de la rivière Mondego, jusqu’au site mésolithique de Buraca Grande qui domine un de ses affluents (Aubry et al., 1997). Les mollusques sont les rares proies animales à contenir des hydrates de carbone qui permettent de diversifier une alimentation par ailleurs très riche en protéines (Marchand, 2014). Mais les fourrageurs du littoral pouvaient difficilement se nourrir exclusivement de coquillages, car « il faut 10 000 grosses moules pour équivaloir à un cerf moyen et 80 000 moyennes pour un aurochs respectable. Il faudrait donc entre 300 et 1 000 coquillages (selon les espèces) par jour et par personne » (Cleyet-Merle, 1990) pour assurer les besoins énergétiques de chacun. Autant dire que la chasse restait déterminante pour nos archers, ainsi que l’affirmait J.-G. Rozoy (1978). Toujours au Portugal, que ce soit le long du Tage, du Sado ou du Mira, les campements ont laissé des restes mêlés d’animaux marins ou d’estuaires (huîtres, couteaux, crabes, bars, daurades, brèmes de mer, raies et requins) et des fragments d’os de mammifères terrestres (cerfs, sangliers, aurochs, chevreuils, lièvres, lapins, loutres et même lynx)… ce qui confirme la diversité des approvisionnements, même en zone littorale. À Téviec (Quiberon), s’ajoutaient des murex et des sèches. Compte tenu des restes identifiés, les poissons traduisaient « une pêche sans quitter le rivage » (Péquart et al., 1937). Dans les restes de consommation des sites littoraux, on trouve, en effet, beaucoup d’os pharyngiens de Labridés, poissons mangeurs de coquilles (Péquart, 1937). Les cueilleurs devaient donc les attraper dans les flaques laissées par le retrait de la marée. Il est probable que de nombreux animaux marins (baleines, cachalots, rorquals, 136
phoques, dauphins et marsouins) ont été exploités par les habitants du littoral, car les échouages, que l’on a observés pendant les derniers siècles (407 animaux sur les côtes anglaises entre 1913 et 1926 par exemple selon Cleyet-Merle, 1990), ont dû se produire aussi pendant les millénaires précédents. Ce charognage est « la seule pratique envisageable pour expliquer la présence de dents de cachalot dans le gisement mésolithique de Téviec et dans tous ceux de Scandinavie » (Cleyet-Merle, 1990). « En Écosse, en Allemagne et surtout en Scandinavie, la capture de mammifères marins revêt un aspect de plus en plus fondamental. À la fin du Mésolithique, il s’agit encore d’une activité d’appoint, très occasionnelle chez les Obaniens du nord de l’Écosse ou chez les populations d’Ertebölle (- 5 000 ans A.C.) chez lesquelles ces restes sont associés à une faune terrestre classique… Progressivement, « dès le sub-Boréal, la chasse au phoque connaît un grand essor » (Cleyet-Merle, 1990). À ce sujet, « d’après les découvertes de harpons dans des tombes essentiellement masculines, on peut déduire que la chasse au phoque était réservée aux hommes (sépultures de Vasterbjers) sur l’île de Gotland » (Cleyet-Merle, 1990). Bien que riche en fournitures diverses, une portion limitée du littoral peut rapidement s’épuiser, surtout si les occupants sont plus ou moins sédentarisés. C’est peut-être la raison pour laquelle ils ont, un jour, décidé d’aller au large pour se ravitailler… à moins que ce soit simplement (ou aussi) par curiosité (Arte, 2017) ?! 5. Alimentation et physiologie humaines Généralités Un premier constat. « L’homme a passé 99,9 % de son histoire et de son évolution au régime alimentaire préhistorique et le patrimoine génétique n’a pratiquement pas bougé depuis 40 000 ans, faute de temps et de raisons » (Bourre, 2003). Depuis la fin du Magdalénien « jusqu’au VIe millénaire, les habitants de l’Europe de l’Ouest sont toujours restés des chasseurs-pêcheurs exclusifs » (Rozoy, 1978), avec une consommation importante de viandes. Les pratiques culinaires étant vraisemblablement très limitées en l’absence de récipients pour cuire, la place dévolue au cru était prépondérante, permettant ainsi un approvisionnement très varié et abondant en vitamines. La diversité de l’alimentation des fourrageurs par rapport aux populations du Néolithique, condamnées à manger presque exclusivement la même céréale (blé, orge ou riz), explique leur bon état de santé repérable sur les squelettes mésolithiques exhumés des fouilles. Ajoutons que les végétaux et les proies, fraîchement récoltés, émettaient de multiples odeurs reconnues par les Sapiens qui pouvaient ainsi juger de la qualité et de la comestibilité, excluant les plantes jugées toxiques. « L’olfaction et la gustation étaient, sans doute, deux sens chimiques très développés chez les archers qui mangeaient surtout du cru, mais c’est le premier qui était le plus déterminant, car au moins 10 000 fois 137
plus sensible que le second » (Bourre, 2003). Ils choisissaient sans doute très attentivement leurs aliments, un peu comme le font les animaux qui, dans la nature, se déplacent lentement en prélevant çà et là soigneusement les pousses ou les graines qui leur plaisent le mieux, en faisant surtout usage de leur odorat (chevreuil, lièvre) ou de leur goût (baies pour les grives, par exemple). Le fait de consommer peu de sucre (rare dans le nature) évitait probablement un encombrement nasal, très handicapant de nos jours où le saccharose est omniprésent dans l’alimentation. Et que dire de cette dernière malbouffe « bien trop différente de celle pour laquelle notre corps a été programmé » ! (Bourre, 2003). Les groupes humains vivant à cette époque, contrairement à ce que certains archéologues avaient affirmé, représentaient donc des « sociétés d’abondance originelles » (Harari, 2015) disposant d’une alimentation de qualité « contenant, non seulement des protéines en quantité suffisante (ingérées matin, midi et soir), mais aussi de composition variée avec des acides aminés indispensables en bonne proportion » (Bourre, 2003). Alimentation végétale Comme on l’a déjà mentionné, si l’apport végétal peut représenter les deux tiers de la ration chez les peuplades équatoriales actuelles, il est voisin de zéro chez les Inuits et pourrait donc avoisiner les 20 à 30 % chez nos archers du Mésolithique. Et J.-G. Rozoy (1978) confirme que « la part des végétaux dans l’alimentation ne paraît pas avoir été très importante ». « Les observations de primitifs actuels montrent que lors de tout déplacement et une bonne partie de la journée, ils sont à la recherche et en cours d’observation de tout ce qui peut être utile et particulièrement de tout végétal comestible » (Rozoy, 1978). Et ce repérage, comme on l’a dit précédemment, prend du temps. Dans les pays tropicaux ou subtropicaux, la consommation de végétaux (racines, tubercules, fruits) est importante, car ils sont disponibles en principe toute l’année. Il n’y a rien de comparable sous nos climats tempérés à hiver froid où l’accès aux plantes est fortement réduit, même si on trouve en Europe environ près de 300 espèces comestibles. Parmi celles-ci, on compte déjà la moitié d’espèces de champignons à la valeur nutritive modeste. À titre de comparaison (mais peut-on comparer ?), « les Aborigènes australiens savaient identifier 300 plantes dont ils mangeaient les fruits, les racines ou les tubercules » (Delluc, 1994). Les sucres accessibles à l’homme sont rares dans la nature. En été, les baies (fraises, framboises, myrtille, mûres) étaient très probablement récoltées dans les clairières et les lisières et aussi en forêt où on trouve des merises et des alises, mais leur teneur en sucres ne dépasse guère 15 %. Le glucose était présent dans les feuilles d’épinards, par exemple, et les fruits, comme les poires et les pommes sauvages qui n’en contiennent guère plus de 10 %. Le seul produit véritablement riche en sucres provenait des ruches de 138
forêt que les « hommes des bois » avaient l’habitude de repérer. Dans la Cava de Arana, une scène représentant une récolte de miel a été identifiée parmi les peintures du Levant espagnol. « Chez les Aïnous, la sève de bouleau était consommée fraîche ou fermentée (au printemps) et les racines, bulbes et fruits secs étaient récoltés avant que le manteau blanc ne s’étende à nouveau pour des mois » (Leroi-Gourhan et al., 1989). Le mode de vie paléolithique puis mésolithique imposait donc un régime hypoglycémiant que plus d’un diabétique actuel est obligé de suivre à la lettre sous peine d’être réprimandé par son médecin traitant ! Ceci dit, « du temps de CroMagnon, il ne faisait pas bon être en hypoglycémie lors de la visite inopinée d’un gros prédateur ! » (Bourre, 2003). Les Sapiens étaient donc à l’abri des excès de sucres qui font courir de multiples risques pathologiques aux humains. C’est pourtant ce qui se passe dans une grande partie du monde soumise à « ces fameuses maladies dites de civilisations (pathologies cardiovasculaires, cancers, hypertension, diabètes, obésité) qui explosent de nos jours chez les populations de chasseurs-cueilleurs des îles du Pacifique par exemple » (Bourre, 2003) qui ont modifié leurs habitudes alimentaires. L’amidon est, par contre, abondant dans les tissus de réserve, en particulier les tubercules et les racines, celles du lis sauvage ou des rhizomes comestibles de fougères disponibles par tonnes au kilomètre carré (Barbaza, 1999)… mais il est peu digeste, donc faiblement glycémiant. En hiver, la récolte ne pouvait être que mince. Quelques bulbes d’ail des ours, des noisettes ou des glands difficilement consommables, car très astringents. « La consommation des glands de chêne est attestée dans toute l’Europe jusqu’en Asie orientale, du Néolithique jusqu’au XVIIIe siècle » (LeroiGourhan, 1971)… et peut-être au Mésolithique. Mais le manque de contenant pour les faire bouillir était un sérieux handicap et les preuves de leur usage restent, comme on l’a déjà souligné, particulièrement ténues. « La découverte de céréales domestiques dans le régime alimentaire des chasseurs-cueilleurs signifie que ces derniers avaient établi des échanges avec les premières communautés néolithiques au moins 500 ans plus tôt que ne le pensaient les archéologues » (Cristiani, 2016), et donc avant l’arrivée des agropasteurs. Les plaquettes lissées trouvées dans certains campements sont trop petites, trop lisses et trop minces pour être considérées comme des meules à céréales toujours lourdes et rugueuses pour faciliter le broyage des grains. Mais les peuples premiers d’Asie font cuire les tubercules broyés dans des tiges de bambou. Nos archers pouvaient donc très bien en faire de même pour attendrir des racines ou des graines en les enfermant, sous les braises, dans des tubes en écorce de saule ou de bouleau. Mais là aussi, les preuves manquent ! Les huiles sont abondantes dans certaines graines comme « les faînes de hêtre ou les pignes de pin pignon qui offraient une abondante ressource alimentaire pour les populations mésolithiques » (Ghesquière & Marchand, 2010). Les noix ou les noisettes sèches contiennent, grâce à leurs huiles, deux fois plus d’énergie (660 kcal/100 g) que les graines de vesce ou les 139
châtaignes. Dans le Midi, on disposait aussi des olives et dans le nord de l’Europe, les « noix » de la châtaigne d’eau. Le soin particulier porté à la collecte des noisettes qui sont souvent retrouvées en quantité importante dans les campements s’explique par le fait qu’elles sont très énergétiques et surtout facilement transportables. De plus, à Montclus (Gard), on a trouvé parmi des coquilles de moules dentelées (Unio), des pépins de raisins calcinés de Vitis sylvestris (Vernet, 1972), des graines de vesce, des feuilles d’amélanchier et… un charbon de chêne sessile, ce qui n’a rien de surprenant ! Les fibres sont indispensables à la bonne digestion des aliments et la ration des archers n’en manquait pas puisqu’ils consommaient des salades d’algues ou de feuilles, des végétaux ligneux (pousses tendres de plantes comestibles) et des fruits. « L’alimentation française apporte actuellement 15 à 20 g de fibres par jour… mais les normes recommandées par l’AFSSA sont environ deux fois supérieures » (Bourre, 2003). Les archers soignaient donc leurs intestins et se trouvaient finalement en avance sur les mauvaises habitudes alimentaires de nos concitoyens plus amateurs de nouilles que de poireaux ! Concernant l’alcool, il n’est pas dit que des baies ou des fruits n’aient pas été mis à fermenter dans des outres en peau pour produire de l’alcool, car on rencontre peu de groupes humains anciens ou actuels qui aient réussi à s’en passer ! Il n’est pas pensable que les Mésolithiques aient échappé à la consommation d’alcool, car il suffisait d’abandonner des fruits (pommes, poires ou merises) ou des baies (myrtilles, canneberges) dans un gousset de cuir humide pour découvrir que leur fermentation donnait au bout de quelque temps un breuvage enivrant. Ajoutons que de par le monde, les humains ont toujours eu l’habitude de « machouiller » des herbes plus ou moins toxiques (coca), voire hallucinogènes (cannabis), et nos archers avaient probablement leur recette en produits coupe-faim ! À titre d’anecdote, mentionnons la découverte, par un archéologue suédois, « du plus vieux chewing-gum du monde constitué d’un morceau de résine de bouleau vieux de 9 000 ans qui portait encore les traces des dents de son consommateur ! » (Bourre, 2003). Alimentation mixte L’étude des restes humains datant de 9 000 ans, trouvés dans les fouilles de Vlasac (Gorges du Danube dans les Balkans), ont montré que « le régime alimentaire des hommes du Mésolithique de la région était (certes) en grande partie constitué de ressources riches en protéines (viande et poisson)… (mais) que des granules d’amidon conservés dans le tartre dentaire traduisaient la consommation de céréales provenant probablement d’espèces domestiques telles que le blé (Triticum monococcum, Triticum dicoccum) et l’orge (Hordeum distichon), cultivés par les communautés du Néolithique ancien en Europe du Sud ». Par ailleurs, « les microfossiles présentent des 140
fissures qui sont susceptibles d’être le résultat d’une activité de broyage, confirmée par la présence sur le site de pierres ayant pu être utilisées pour obtenir une farine grossière » (Cristiani, 2016). Des informations sur l’alimentation des Sapiens aux périodes antérieures (Paléolithique final et Mésolithique ancien) sont fragmentaires et non significatives. Malgré l’état de ces connaissances, selon plusieurs auteurs, le rapport de l’alimentation d’origine animale sur l’alimentation d’origine végétale aurait été voisin de 35 à 65 %, car la chasse apportait certes des protéines et des graisses, mais de façon irrégulière, et c’est la cueillette qui aurait fourni le plus gros contingent de nourriture. Dans tous les cas, l’apport glucidique était limité (peut-être autour de 15 %), car les graines et les végétaux non cuits restaient difficilement assimilables. En revanche, comme les graisses ne manquaient pas, l’organisme des archers devait faire appel au mécanisme bien connu de la néoglucogenèse qui permet de transformer métaboliquement les chaînes d’acides gras en sucres pour satisfaire une forte dépense musculaire consommatrice de glucose. En cas de disette sévère, les réserves de graisse de l’organisme étant épuisées, ce sont les protéines donc les muscles qui fournissent l’énergie vitale, autant dire que la situation est alors très inquiétante, car le corps apparaît « décharné » au sens strict, une situation métabolique qui devait laisser peu de chance de survie à un Sapiens ! Alimentation animale Les archéologues sont partagés sur la qualité et l’abondance de la nourriture dont pouvaient disposer nos archers… mais cela n’a finalement rien d’étonnant, car comment connaître la nature et la valeur calorique de leurs menus quotidiens et au fil de l’année, avec si peu de données fiables ? Certains pensent que les produits de la chasse n’étaient pas forcément très conséquents, car « pendant la plus grande partie du Mésolithique, il ne faut pas imaginer une abondance de grands mammifères : sans doute la rudesse du climat a-t-elle imposé sa loi. Les festins de nos ancêtres se composaient de campagnols, de mulots (Rives du Coulon près d’Apt) et de milliers d’escargots, traduisant, comme à la fin de l’Épipaléolithique, la pénurie de gros gibier, au moins à certaines périodes » (Méhu, 2004). Mais d’autres auteurs font remarquer, et nous l’avons déjà vu, que dans une forêt parc, il n’est pas possible que la grande faune soit rare… ce qui ne veut pas dire qu’elle était toujours abondante, car les conditions climatiques et les maladies pouvaient affecter sa densité. Toutefois, le principal argument en faveur de sa richesse tient au fait que les archers pouvaient se permettre de prélever surtout du cerf ou du sanglier en « négligeant » le chevreuil. Par ailleurs, s’ils avaient souffert de la faim, des traces de carences auraient été trouvées sur les squelettes humains… or, jusqu’à nouvel ordre, il n’en est rien. Le fait d’axer l’alimentation sur les revenus de la chasse (et accessoirement de la pêche) tient aussi au fait que l’approvisionnement en 141
végétaux est difficile en hiver dans nos contrées, alors qu’il est bien plus facile et régulier en région chaude (Amazone, Kalahari, etc.) en cette saison. Nos archers pouvaient heureusement chasser par temps de neige, période pendant laquelle le gibier est plus facile à localiser (regroupement des ongulés en hivernage dans les vallons), à suivre (traces bien visibles dans la neige) et donc à surprendre. La qualification d’omnivore est certes parfaitement justifiée pour l’espèce humaine, puisque sa dentition et la longueur relativement faible de son intestin l’attestent. Mais depuis au moins deux millions d’années, la ration journalière de viandes s’est maintenue à un niveau élevé, favorisant le développement des muscles et surtout du cerveau. Pour cette raison, beaucoup de chercheurs pensent que « la carnivorie fut une composante importante du processus d’hominisation » (Teyssandier, 2019). Ces archers omnivores à tendance carnivore du Mésolithique plaçaient probablement (Il n’existe pas d’exemple probant) une partie de leur venaison dans des « caches à viande » (Delluc et al., 1995), un lieu sec et exposé au froid… à la manière des Inuits et des Amérindiens qui, quelques millénaires plus tard, constituaient des réserves de cette façon à l’entrée de l’hiver. Après fumage, les trappeurs actuels du Yukon et de l’Alaska, qui choisissent de vivre isolés dans les forêts boréales, ne pratiquent pas différemment. Ils stockent toutefois leurs provisions dans de solides abris en rondins à l’écart des ours et ils ont des armes à feu pour les défendre, ce qui n’était pas le cas des archers. En dehors de la viande, les protéines animales auraient pu venir du lait, mais les hommes préhistoriques n’en disposaient évidemment pas (ni évidemment de beurre !), sauf dans le cas où ils tuaient une femelle de gibier allaitante. Auraient-ils pu le digérer ? Rien n’est moins sûr ! « L’homme de la Brana (province de Léon en Espagne), daté de 7 000 ans B.P., était porteur de la variation génétique ancestrale produisant une intolérance au lactose… et (de plus) il n’était pas génétiquement armé pour avoir un régime riche en amidon » (Lalueza-Fox, 2014). Le petit-déjeuner lacté, riche en céréales, qui fait le fonds de commerce des publicités d’aujourd’hui, n’était donc pas conseillé pour nos archers ! Heureusement, ces derniers pouvaient se procurer des œufs. « Les expérimentations sur l’homme et l’animal démontrent aisément que la composition optimale pour la nourriture est celle de la protéine d’œuf. Elle constitue une valeur étalon, car elle est la meilleure pour l’apport global d’acides aminés essentiels » (Bourre, 2003). Comment pourrait-il d’ailleurs en être autrement puisqu’elle représente la seule et unique réserve disponible pour le développement du poussin ? Quant aux poissons, ils n’étaient pas rares, sauf en zone continentale sèche (plateaux ou versants) où l’approvisionnement restait délicat, ces animaux se conservant difficilement une fois morts. Parmi tous les aliments d’origine animale, c’est le saumon qui fournit le plus d’énergie (200 kcal/100 g), suivi du renne et du cerf (120 kcal/100 g), mais l’œuf entier est 142
très riche (160 kcal/100 g) selon G. Delluc (1995). Ceci explique la recherche intensive supposée entreprise par les Mésolithiques sur les nids d’oiseaux construits au sol (oie, canard, perdrix, etc.). Quelques millénaires plus tard, cette collecte d’œufs restait stratégique chez toutes les populations rurales de l’Europe. « Les comparaisons ethnographiques montrent que tous les peuples chasseurs-cueilleurs actuels sont friands de ces produits de l’avifaune » (Delluc et al., 1995). Il est certain que « l’exploitation des rivières et des estuaires, donc des poissons, des coquillages et donc des œufs, a fourni à l’Homo ces acides gras qui ont permis l’accroissement des capacités de son cerveau et l’ont fait devenir Homo Sapiens » (Bourre, 2003). Malheureusement, « la difficulté à repérer les squelettes (disloqués et plus ou moins érodés) de poissons dans les fouilles fait qu’il est, actuellement, tout à fait impossible de se prononcer sur la part de la pêche dans l’alimentation de nos archers » (Rozoy, 1978). Entre 25 et 75 % peut-être selon les situations ?! On a réussi à montrer cependant que les archers ont passé pas mal de temps à traiter le poisson, c’est-à-dire à le vider et à l’écailler avec une lame de silex puis à le sécher, le saler et le fumer. À Montclus (Gard), on a trouvé un site de fumerie de poisson révélé par la pratique des feux étouffés volontairement qui laissent de gros charbons (Escalon, 1966) et produisent beaucoup de fumées. En zone continentale, les populations mangeaient peu ou pas de poisson, mais ce n’était pas le cas en secteurs côtiers. « L’analyse isotopique des os humains donne à penser que, sur le littoral atlantique, les apports terrestres et marins étaient équilibrés... mais dans les îles, le taux de protéines marines était voisin de 80 % » (Marchand, 2014). Origines des viandes Hors de la zone méditerranéenne et des Causses où l’aurochs fournit le plus de viande, c’est donc le cerf et le sanglier qui assurent 80 à 90 % des animaux consommés, « le cerf étant plus fréquent à l’Atlantique qu’au Boréal où le sanglier est bien représenté » (Rozoy, 1978). Les calculs sophistiqués des quantités de viandes disponibles pour les chasseurs (Rozoy, 1978) montrent partout une forte prépondérance de la viande de gros animaux, les plus gros existants dans la région, à l’époque et comme dans le reste de l’Europe (Mathiassen, 1943 ; Bosinski, 1974), c’est-à-dire le bison, l’aurochs, le cerf et le sanglier. En regard des besoins qualitatifs, on sait que « la viande des animaux sauvages est moins riche en graisses, mais plus riche en divers protides que celle des animaux domestiques » (Delluc et al., 1995). La composition des muscles des humains est très voisine de celle des gibiers donc pour les Sapiens, comme pour nous actuellement, « le meilleur moyen de faire du muscle est de manger des protéines d’animaux terrestres, des œufs ou des produits laitiers qui apportent directement les bons éléments, dans les bonnes proportions » (Bourre, 2003). L’Homme est un mammifère comme les 143
autres ! Selon le même auteur, « biologie oblige : l’homme omnivore doit consommer des produits animaux. C’est le prix à payer, la seule voie capable de maintenir sa complexité biologique. Il doit absorber et intégrer le savoirfaire d’autres formes de vie pour assurer et préserver la sienne. Situé au sommet de la chaîne alimentaire, il doit assumer cette sujétion naturelle. S’il a des doutes, c’est dans sa tête et non dans sa physiologie ! Le refus de viandes (aériennes, maritimes et terrestres) bride le cerveau, intellectuellement et physiquement » (Bourre, 2003). On se demande bien pourquoi notre société ne fait rien pour promouvoir la viande d’animaux sauvages ?! Il faut dire que, dans le contexte actuel, personne ne se risquerait à payer de la publicité pour ce type de venaison pourtant parfaitement « bio » ! Les archers ne consommaient que de la viande de gibier trois à cinq fois plus riche en acides gras polyinsaturés que la viande de bétail. Par ailleurs, beaucoup d’entre eux, installés en Europe du Nord avaient accès (sur le littoral et le long des fleuves) aux poissons des mers froides également bien pourvus en « bonnes graisses ». On peut donc en conclure qu’une grande partie de ces Européens devaient être épargnés par les risques d’accidents vasculaires (Delluc et al., 1995). Ainsi, à Montclus dans le Gard et sous une belle forêt de chênes, on mangeait, il y a - 6 000 ans, du cerf, du sanglier et beaucoup de poissons (Rozoy, 1978)… et rien ne dit que les repas étaient accompagnés de cinq fruits et légumes ! En regard des besoins quantitatifs, on sait actuellement que « pour un homme adulte de 70 kg, l’apport protéique de sécurité (exprimé en protéines alimentaires usuelles) est d’environ 70 g par jour » (Bourre, 2003)… mais cela signifie un poids bien supérieur de venaison qui contient toujours de la peau, des graisses et de l’eau, mais aussi des os et des tendons bien peu digestes. En tenant compte de cette remarque, les archéologues ont montré que les chasseurs-cueilleurs consommaient malgré tout quatre fois plus de protéines que nous, à l’image des Indiens d’Amérique, il y a 13 000 ans (Arte, 2017). Ce régime est susceptible d’entraîner la production excessive d’acide urique à l’origine de la « maladie de la goutte »… mais nos archers ne mourraient sûrement pas assez vieux pour en souffrir ! Concernant la préparation des viandes, les pièces les plus charnues étaient probablement, comme nous l’avons déjà vu, les seules à être rapportées au camp, car, pour des raisons de commodité, « les gros gibiers étaient dépecés et débités sur place. On ne trouve que rarement des vertèbres, mais souvent les os des pattes, rapportés près des foyers, avec la viande » (Bonifay, 1968). La venaison, coupée en morceaux ou en lamelles, était ensuite brièvement passée au feu, dans la flamme ou sur la braise. « Sous l’effet de la chaleur, la valeur calorique et la teneur en protides des pièces rôties augmentent d’environ 20 % tandis que les lipides restent au même chiffre (mais une partie est à décompter), car la graisse fond et se trouve perdue » (Delluc et al., 1995). Le même auteur avance une preuve de la cuisson à la braise en expliquant que « les os longs étaient souvent brûlés au 144
niveau des épiphyses seulement, les diaphyses ayant été protégées par la chair mise au feu » (Delluc et al., 1995). Les archers ne disposaient pas de récipients en terre pour faire cuire la viande (et les végétaux), mais pouvaient probablement les remplacer en utilisant, comme contenant, la peau recousue d’un gibier dans laquelle on introduit des galets brûlants… le tout exposé aux braises du foyer. Cette pratique toujours en cours chez les Mongols semi-nomades est une spécialité de fête connue sous le nom de « boodog » qui donne à la viande, selon les dires de certains invités privilégiés, un goût original particulièrement savoureux ! La venaison des grands gibiers supporte bien quelques jours de « maturation » que l’on respecte toujours actuellement… à condition qu’il ne fasse pas trop chaud ! Si cette dernière est prolongée, la décomposition débute avec un inconvénient, l’apparition d’odeurs et la détérioration du goût et un petit avantage tout de même, car « le faisandage des viandes équivaut alors, dans une certaine mesure, à une cuisson » (Bourre, 2003). La consommation récurrente de la moelle de la plupart des os longs est attestée sur tous les sites (du nord et de l’est de la France) tandis que les soupes d’os (bouillon gras) de parties spongieuses ont certainement été pratiquées, mais n’ont pas laissé de traces. La recherche de moelle ne semble pas forcément constituer un indice de disette, mais peut tout simplement tenir au fait qu’elle avait bon goût pour les archers. Ils avaient aussi sûrement remarqué qu’elle était, grâce à ses graisses et ses globules rouges, très énergétique. On retrouve assez souvent, dans les foyers mésolithiques, particulièrement dans le sud de la France, des restes de fausses baies que les carpologues attribuent au genévrier. Il est probable que cette constatation puisse s’expliquer par l‘usage des branches de cette espèce pour alimenter les feux, mais certaines concentrations de « cônes », séchés et stockés à la manière des Indiens de Californie, laissent à penser qu’ils étaient utilisés comme condiments (Delluc et al., 1995). La conservation de la viande est relativement facile en hiver. Elle peut rester consommable plusieurs semaines au voisinage de zéro degré ou plus longtemps aux températures négatives surtout si elle a été fumée ou salée, une situation de privilège pour les populations du bord de mer. En été, il était possible de la sécher une fois coupée en fines lanières et de compléter, à l’occasion, le traitement par un fumage ou une cuisson partielle sur la braise. On a découvert, près de Liège en Belgique, des carcasses de rennes du Dryas récent, lestées de pierres et immergées dans un lac peu profond. « Ce pourrait être le résultat d’un rite magique ou religieux, mais peut-être tout simplement une technique de conservation de la viande à l’abri des loups » (Rozoy, 1978). Le métabolisme des protéines mérite quelques explications, car nos archers étaient, comme leurs prédécesseurs les Néanderthaliens, « des mangeurs de viandes » (Patou-Mathis, 2009). Dans l’organisme, une partie 145
de ces protéines sera remaniée pour servir à reconstituer chaque jour une fraction du stock qui, selon J.-M. Bourre (2003), est voisin d’une douzaine de kilos. Une seconde partie devra être démantelée pour produire de l’énergie. Mais cette transformation nécessite une désamination indispensable pour évacuer l’azote qu’elle contient et ce « déchet », émis par le foie, passe par le sang puis le rein et se retrouve dans les urines sous forme d’acide urique en particulier. La consommation d’un excès de protéines animales peut ainsi conduire à un certain niveau de toxicité du milieu interne et parfois un dépôt de composés azotés dans les articulations qui deviennent douloureuses et réduisent sérieusement l’envie des chasseurs à gros appétit de courir dans les bois ! Mais surprise, « malgré l’apport considérable de gibier et le caractère réputé hyperuricémiant de sa chair, on ne connaît pas d’observation permettant d’évoquer la maladie goutteuse (arthropathie et calculs uratiques) au Mésolithique » (Delluc et al., 1995)… il faut dire, comme on l’a déjà évoqué plus haut, que nos archers ne vivaient pas assez longtemps pour souffrir de cette affection qui a handicapé les rois de France, grands consommateurs de venaisons ! À la différence de ces derniers, nos chasseurs connaissaient des épisodes de jeûne, en cas de raréfaction de la faune ou d’impossibilité de chasser (vent, froid, neige). C’est peut-être ces phases de privation qui leur évitaient la maladie de la goutte. Compte tenu des captures de proies toujours aléatoires à la chasse et des résultats plus ou moins fructueux de la cueillette, il est très probable que les Mésolithiques manquaient occasionnellement de nourriture (fins d’hiver, journées d’orage, épisodes de tempêtes, etc.) et se trouvaient donc soumis à des privations, comme on l’a déjà dit, plus ou moins prolongées. Cette situation, qui ne nous est pas actuellement habituelle (repas réguliers), ne présente pas que des inconvénients, même si avoir faim n’est jamais agréable ! Les chercheurs en médecine ont montré tout récemment que le jeûne préalable augmente l’efficacité de certains médicaments. Des lots de souris cancéreuses ayant jeûné guérissent plus facilement de la maladie si elles n’ont rien consommé avant le traitement. On peut ajouter aussi que beaucoup de régimes alimentaires actuels ou de pratiques chamaniques ou religieuses incitent à se priver de nourriture régulièrement. En dehors de toute croyance, ces comportements ont peut-être aussi une justification physiologique héritée des peuples premiers qui pratiquaient ces restrictions… involontairement ! Actuellement, le métabolisme de base de nos concitoyens est voisin de 1 600 kcal/jour chez l’homme et 1 300 kcal chez la femme en situation « normale ». Mais il peut s’abaisser en cas de jeûne long ou de malnutrition, ce qui devait se produire pendant la mauvaise saison et surtout en fin d’hiver quand l’apport végétal devenait également difficile (rareté des graines, des fruits et faible rendement de la cueillette en cas de neige). Comme la conservation d’aliments était limitée chez les semi-nomades, les archers devaient alors puiser dans leurs réserves de graisse corporelle pour assurer leurs fonctions vitales (cérébrales, digestives, circulatoires et lutte contre le 146
froid). Mais la perte de graisse sous-cutanée limite la protection contre le froid. C’est alors que l’entretien d’un foyer dans les huttes pouvait jouer un rôle décisif dans la survie des communautés. Toutefois, les besoins énergétiques de ces chasseurs étaient évidemment bien supérieurs aux nôtres au cours de l’année, car même par mauvais temps, les hommes devaient sortir pour chasser et les femmes assurer un supplément indispensable si elles étaient enceintes ou allaitaient leurs enfants. Dans les conditions de vie mésolithique, les chercheurs pensent qu’un minimum de 3 000 kcal était nécessaire pour les hommes et 2 500 kcal pour les femmes (Delluc et al., 1995). Pour les jeunes adultes, en croissance et plus actifs à la chasse et à la cueillette, les besoins devaient avoisiner 4 000 kcal/jour… Même pour de petites communautés, la pression de prédation sur l’environnement proche était donc inévitablement forte, ce qui pourrait aussi expliquer la nécessité d’un certain niveau de nomadisme. Les graisses étaient sans doute mangées crues, mais M. Patou-Mathis (2013) affirme qu’« avant l’apparition de récipients résistants au feu, des pierres chauffées étaient jetées dans des sacs en peau contenant l’eau, la graisse et des os » (Patou-Mathis, 2013). Le fameux « bouillon gras » était donc déjà à l’honneur ! ... Et pourquoi pas avec une pincée d’herbes sauvages ! Ces préparations dépendaient de l’embonpoint des gibiers qui ont un stock de graisse maximal à certains moments de l’année : le bison et le renne avant le rut (en automne), leurs femelles pendant la gestation (en fin d’hiver) et l’ours avant son hibernation (Delluc et al., 1995). Une autre raison de bien prévoir les périodes de chasse. Sur la question des vitamines, J.-M. Bourre (2003) fait remarquer que « les produits animaux constituent les principales sources vitaminiques sauf pour les vitamines C, E et K. Pour la B12, ils en sont même la source presque exclusive »… ce qui fait dire à cet auteur que « l’omnivorisme s’impose et le carnivorisme est de rigueur »… On pourrait ajouter « chez les Sapiens du Mésolithique », car actuellement on peut obtenir un développement satisfaisant des enfants qui ne mangent pas de viandes, à condition d’ajouter justement de la vitamine B12 aux rations alimentaires, ce que ne pouvaient pas faire nos anciens. Il suffisait toutefois de consommer des œufs, des escargots ou du poisson pour éviter les carences. Le cas de la vitamine D est un peu particulier, car « la peau blanche peut synthétiser 50 à 100 fois plus de vitamine D que la peau noire… et celle d’un homme de 20 ans en produire 20 fois plus que celle d’un homme de 80 ans » (Bourre, 2003). À l’Épipaléolithique, la plupart des jeunes chasseurs avaient la peau sombre et se trouvaient donc désavantagés par rapport à ceux qui avaient la peau claire… Heureusement, ils étaient jeunes en moyenne ! Au fil des millénaires, sous nos latitudes, cet atout pourrait expliquer, au moins en partie, le développement plus rapide des « visages pâles » qui, à l’abri du rachitisme, ont fini par occuper toute l’Europe actuelle. Beaucoup de chasseurs-cueilleurs consomment toujours le foie cru de leurs gibiers qui contient de nombreuses vitamines. Peut-être le faisaient-ils 147
par goût et parce que cet abat est tendre, ou par nécessité puisqu’il se conserve mal… Mais il n’est pas dit qu’ils aient eu, par expérience, conscience de sa valeur nutritive et gardé le souci de transmettre à leurs descendants cette bonne pratique qui n’a pas complètement disparu. L’apport de sel (chlorure de sodium) par les produits de la chasse, de la pêche et de la cueillette suffit, en principe, à satisfaire les besoins quotidiens de l’homme (environ 2 g/jour)… il n’y a donc pas nécessité d’en rajouter dans la ration, mais comme c’est un exhausteur de goût et un conservateur efficace, nous en usons et abusons actuellement dans notre alimentation moderne, ce qui nous vaut bien des soucis (hypertension, insuffisance rénale, etc.) inconnus des Mésolithiques ! Il n’est toutefois pas impossible que les hommes du littoral aient pris l’habitude de saler leurs aliments ou qu’ils aient préparé leur bouillon gras à l’eau de mer ! Selon les données de B. et G. Delluc (1995), les hommes du Paléolithique supérieur consommaient 6 fois plus de fibres, mais aussi 6 fois moins de sel que les Américains d’aujourd’hui, tout en menant une vie parfaitement normale ! Ajoutons aussi que les viandes crues ont peu de goût, les archers des zones continentales les assaisonnaient donc probablement avec des herbes aromatiques à défaut d’avoir du sel marin, mais cela pouvait suffire à compléter, en oligoéléments, la valeur nutritive de leur ration indispensable à leur intense activité physique. Enfin, pour terminer sur cette question de l’alimentation, il faut évoquer les dernières découvertes d’une équipe de chercheurs de l’université de Lübeck (Allemagne) qui ont montré qu’un groupe de sujets ayant consommé régulièrement des rations alimentaires riches en protéines et pauvres en glucides se sont montrés plus tolérants et partageurs qu’un autre groupe qui avait mangé des rations plus riches en glucides et plus pauvres en protéines. Selon les auteurs de la publication scientifique, « une même personne prendrait donc des décisions différentes suivant le type de collation ingérée… peut-être un héritage (supplémentaire) de nos archers qui chassaient en (petit) groupe et devaient donc se partager la viande » ? (Guion, 2020).
B. HABITATS ET VIE DOMESTIQUE 1. Localisation des habitats Pour l’habitat comme pour le reste et à la différence de nos communautés actuelles, « les sociétés d’archers s’adaptent à la nature ambiante et n’adaptent pas cette nature à leurs caprices » (Rozoy, 1978). Alors que les habitats néolithiques sont installés près des zones cultivables, les camps des chasseurs-cueilleurs peuvent se trouver partout, mais toutefois jamais très éloignés d’un point d’eau comme le site de Rouffignac, en Dordogne, où coule une petite rivière. Mais ce cas est, en fait, assez particulier puisqu’il concerne une grotte. Or, au vu des résultats de 148
fouilles, il semble que les archers aient peu utilisé les abris-sous-roche ou les cavités des falaises. Quand c’était le cas, ces refuges étaient toujours parfaitement bien exposés au sud-est, au sud ou au sud-ouest, comme à la Grande Rivoire dans l’Isère ou l’abri de la Colombière dans l’Ain. Dès le retour du soleil, ils pouvaient donc se réchauffer après leurs déplacements sous la pluie au printemps ou en automne et dans la neige en hiver. Les campements provisoires, parfois de simples bivouacs pour ces seminomades, étaient généralement installés sur des sites de plein air et « la majorité des fouilles a montré que ce sont des emplacements au sec, mais en bordure de cours d’eau, qui ont été privilégiés ou souvent en pied de versant » (Ghesquière & Marchand, 2010). Ce positionnement rend le travail des archéologues difficile, car pendant des milliers d’années, « les processus sédimentaires propres aux milieux ouverts : colluvionnement, alluvionnement et accumulations aériennes restent actifs » (Buisson-Catil et al., 2004), et il faut parfois dégager plusieurs mètres de matériaux pour atteindre les niveaux d’occupation mésolithiques. Détaillons quelques exemples pour illustrer le propos. Les sables Parmi les nombreux sites découverts en région parisienne, il semble que nos archers choisissaient volontiers de s’installer sur sable. Le sol y est toujours sec, il n’y a jamais de boue, il est relativement plus chaud qu’un sol humide. Par ailleurs, les zones sableuses sont pauvres et la forêt est généralement plus claire, donc plus giboyeuse. Cet avantage s’est exagéré du Boréal à l’Atlantique, période pendant laquelle la pluviosité était plus forte et les massifs boisés plus denses sur les terrains les plus riches. « Les données collectées sur de nombreux emplacements mésolithiques dans le nord et l’est de la France montrent qu’il n’y a pas d’indices de sédentarité, même si certains sites présentent des traces d’occupation plus longues que d’autres. L’organisation de l’exploitation du territoire semble s’articuler autour de camps saisonniers de chasse. L’existence de telles installations appelle une notion complémentaire qui est celle de camps de base occupés par un nombre de personnes plus important pour des durées éventuellement plus pérennes. La pratique des transferts entre les deux catégories de camps pourrait évoquer une organisation de type logistique » (Bridault, 1994).
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Site dunaire de plein air des Charmes sur les bords de la Seille à Sermoyer (Ain). Carte IGN – Ech. : 1/125 000. Photos : B. Bachasson.
Sur ce site des Charmes (photo ci-dessus), les archers de la fin du Préboréal ont laissé beaucoup d’armatures en silex de formes triangulaires puis de type scalènes et enfin de formes en segments de cercles. Ils ont installé des foyers pour se chauffer, cuisiner (noisettes, os et coquilles carbonisés) et peut-être pour fumer les poissons venant de la Seille ou de la Saône, deux cours d’eau tout proches. Les rochers Les pieds de falaises ou les abris-sous-roche n’étaient donc occupés que passagèrement et choisis seulement si leur accès était facile et se trouvaient à 150
proximité d’un cours d’eau ou d’un point d’eau. C’est le cas de l’abri de Sous-Balme à Culoz dans l’Ain qui surplombait de 12 m environ la plaine du Rhône. Il a permis la découverte de nombreux silex et coquillages et surtout de deux squelettes se rapportant probablement à la période sauveterrienne (8 500 A.C.). Dans une grande partie du territoire européen, on ne peut pas dire que les points hauts attiraient spécialement les archers qui ne semblaient pas trouver un intérêt à disposer d’une vue imprenable sur les vastes forêts alentour… peut-être, tout simplement, parce que c’étaient justement les boisements qui cachaient les mouvements des gibiers… et éloignaient aussi les chasseurs d’un accès commode à l’eau. Mais il y a des exceptions. « Dans la péninsule bretonne, beaucoup de sites du début du Boréal sont installés en position haute avec un point de vue remarquable sur les vastes plages du littoral (l’océan était 30 à 40 m plus bas), mais aussi sur les territoires de l’arrière-pays occupés par une steppe parsemée de bouquets de noisetiers (en extension) et de pins (en régression), un paysage finalement très ouvert où le repérage de la grande faune était facile » (Marchand, 2014). « Ce positionnement n’était pourtant pas systématique puisqu’on trouve dans le Morbihan des sites proches des ruisseaux où l’accès à l’eau était considérablement plus aisé que sur les crêtes, car le transport du précieux liquide ne pouvait se faire que par des outres en peau, des récipients en écorces ou en bois » (Marchand, 2014). Les bords de rivière Dès le début de la déglaciation, les chasseurs se sont installés le long des cours d’eau qui représentaient, ne l’oublions pas, la seule voie de communication à travers les fourrés souvent très difficiles à pénétrer à cause des bois morts enchevêtrés parsemés d’épines vulnérantes. Au pied du Vercors, pendant l’Azilien, les chasseurs occupent la grotte de Thaïs et l’abri de Campalou sur les bords de la Bourne et de l’Isère, dans le Royans, d’où ils traquent les troupeaux de rennes, de chevaux et de bisons. Pendant le Second Mésolithique, de nombreuses stations ont été découvertes le long des rivières importantes de Bretagne (L’Ellé, Le Blavet, l’Aulne) sur les basses terrasses, mais à l’écart des crues. On y chassait l’aurochs, le cerf et pratiquait, selon G. Marchand (2014), des rassemblements importants que l’auteur dénomme « les grandes occupations » et qui pouvaient s’apparenter à des fêtes ou à des stations de débitage et/ou de fumage des viandes. Les sites de plein air Dans l’ouest de la France, « les habitats de plein air sont la norme pour le Premier Mésolithique… autant en position dominante qu’en fond de vallon » (Marchand, 2014). Ils semblent les plus nombreux, mais sont aussi très dispersés. Ils correspondent bien à une vie semi-nomade au cours de laquelle les archers changeaient de lieux pour traquer leurs gibiers dans de nouveaux
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territoires où les animaux étaient moins méfiants et peut-être plus nombreux, quitte à revenir au même endroit au bout de quelques mois. Dans les Préalpes, dès l’Azilien, les chasseurs s’installent dans l’abri de Bobache à Saint-Martin-en-Vercors ou à proximité de la grotte des Freydières à SaintAgnan pour accéder aux rennes, bouquetins et marmottes abondants sur les Hauts-Plateaux. Les conditions climatiques plus favorables leur permettent ensuite d’installer des camps de plein air sur tout le massif : Plateau d’Ambel, Fontaine de la Baume, Font-d’Urle et Pré Peyret (Bintz, 2007). On constate partout la miniaturisation des silex destinés à armer les flèches. Il faut dire qu’une carrière d’extraction importante et stratégique avait été ouverte à Vassieux, en plein massif, qui facilitait grandement l’approvisionnement en éclats divers. Les sites de bords de mer Pendant le Premier Mésolithique, les camps n’étaient pas installés très près du rivage, mais plutôt sur les premières hauteurs dominant le trait de côte, ce qui a permis d’en retrouver un nombre respectable malgré la remontée du niveau de la mer. Ce choix d’emplacement permettait de collecter des coquillages, voire des poissons, mais aussi de pratiquer la chasse au gros, seule recette pour assurer une ration alimentaire confortable. Le fait de dominer la plaine littorale éloignait aussi les humains des secteurs marécageux à moustiques. Pendant le Second Mésolithique, ce sont toujours les hauteurs du littoral qui sont occupées, à l’exclusion des reliefs trop exposés aux vents. Il pouvait y avoir aussi des bivouacs sur le rivage, mais la remontée du niveau de l’océan a fait disparaître toutes traces exploitables. Les bords de plateaux Certains sites disposant d’un point de vue ont été fréquentés comme par exemple La Roche-aux-Faucons, mais beaucoup de ceux qui présentent ces caractéristiques ne l’ont pas été. Et finalement les « sans points de vue » sont les plus nombreux. On est donc conduit à penser que ces lieux particuliers du Massif Central ou des Alpes étaient plutôt intéressants comme passages (ou « pas ») à gibier que les archers occupaient au moins occasionnellement aux moments privilégiés où les animaux se déplacent. Au printemps, à la remontée quand la neige quitte les hauteurs, en fin d’automne à la descente quand le froid devient sévère en altitude, ou simplement le matin ou le soir, à l’occasion d’un mouvement pendulaire qui s’impose pour atteindre les sources du bas des pentes ou des falaises. Les bordures de marais Il reste peu de traces des emplacements occupés par les chasseurs aziliens, mais il semble toutefois qu’ils aient eu une prédilection (Marchand, 2014) pour le haut des bordures des marais (Langazel) ou des rivières (Le 152
Bois Ragot) qui permettait un accès facile à l’eau, au gibier venu s’abreuver et aux voies de communication qui empruntaient les rives dégagées de la végétation en période d’étiage. Ce positionnement correspond également au site d’Haguenau étudié par E. Dillmann (1974). Plus au nord, en bordure des zones humides ou des estuaires, les archers mésolithiques ont laissé des traces multiples, comme en témoignent les résultats de fouilles réalisées au siècle passé par les Anglais (Clark et al., 1950), les Danois (Petersen, 1973) ou les Hollandais (Van Zeist, 1957). En fond de vallées Les rives des grands fleuves ont été aussi régulièrement occupées (Les Maizières en bord de Saône et Lautereck sur le Danube). Les sites devaient être nombreux, mais malheureusement souvent recouverts actuellement par un ou deux mètres de dépôts alluvionnaires sur les rives, consécutifs aux défrichements bien plus récents du Néolithique et tout particulièrement ceux du Moyen-Âge. Pour preuves, les découvertes faites à l’occasion d’éboulements, de travaux de recalibrage des lits ou d’ouvertures de carrières, comme à Belloy, sur une terrasse de la Somme. Ces campements étaient donc installés sur des zones de transit le long des berges, à proximité des gués ou tout simplement sur des lieux de pêche favorables : délaissés de rivières ou goulets propices à la pose de nasses. Les sites de montagne On en connaît à la Cuze-de-Neussargues dans le Cantal à 900 m d’altitude, à Longetray en Haute-Loire à 1 200 m et sur d’autres plateaux du Massif Central et des Préalpes (Vercors). Les Italiens en signalent un à 1 950 m (Bagolini, 1972). Ajoutons ceux du Vercors préalablement cités. Les derniers chasseurs ont donc occupé tous les terrains de plaine comme de montagne, dans toute l’Europe, en choisissant les secteurs les plus à même de leur procurer de la nourriture en continu, leur approvisionnement ne pouvant être que local. Une forme de « circuits courts », en somme ! Le cas des grottes et abris-sous-roche Contrairement à ce que beaucoup de lecteurs peuvent penser, les hommes préhistoriques n’ont jamais habité dans les grottes, mais plutôt sur les parvis des grottes. Ces derniers sont le plus souvent orientés à l’est, plein sud ou au sud-ouest, des expositions donc bien ensoleillées, chaudes, protégées de la neige ou des pluies froides amenées par les vents du nord. Le couvert d’une forêt pouvait limiter certains de ces avantages, mais on peut supposer que les archers déboisaient alors les abords immédiats de ces habitats pour les rendre plus confortables. Il ne faudrait pas en déduire que nos Sapiens ne sont jamais rentrés dans ces cavités puisque des peintures, maintenant bien connues, y ont été faites il 153
y a bien longtemps : 36 000 ans environ dans les profondeurs de la grotte Chauvet en Ardèche ou de Lascaux en Dordogne. Des incursions récemment datées d’environ 176 000 ans sont même attestées dans la grotte de Bruniquel dans le Tarn-et-Garonne. Mais nos Mésolithiques n’y vivaient sûrement pas et semblaient avoir très peu fréquenté les parties obscures des grottes. Au Mésolithique, par contre, les abris-sous-roche semblent avoir été occupés de façon provisoire en alternance avec les camps de plein air.
Abri-sous-roche de la Colombière à Neuville-sur-Ain. Photo : B. Bachasson.
Ils étaient aménagés par des peaux tendues sur des poteaux appuyés contre la falaise. Les foyers et les occupants étaient ainsi protégés du soleil, du vent et surtout de la pluie. Ces refuges ont délivré beaucoup de vestiges (silex ou squelettes humains) et sont pour cela très célèbres, mais ils ne correspondent pas aux sites mésolithiques les plus nombreux installés un peu partout en plein air, que les archéologues de l’INRAP mettront encore de nombreuses décades à découvrir. À titre de confirmation, mentionnons qu’« il est de nombreuses régions d’Europe sans calcaires ni cavités. Pensez par exemple aux immenses plaines qui vont de la Grande-Bretagne à l’Ukraine ou des terres steppiques de Sibérie jusqu’au lac Baïkal. Dans ces lieux, de nombreux sites paléolithiques sont documentés alors qu’il n’y a pas une grotte ou presque à l’horizon » (Teyssandier, 2019). Caractéristiques des huttes et des cabanes Les bons connaisseurs du Paléolithique affirment que « Néandertal ne dormait pas dehors, sans abri et en pleine nature » (Teyssandier, 2019). Il
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construisait donc des structures pour se protéger des intempéries et accessoirement des bêtes sauvages tenues à l’écart par la présence d’un feu. Cette pratique s’est maintenue chez les Aurignaciens et les Magdaléniens qui ont vraisemblablement transmis les techniques de construction aux Aziliens dont les modèles de huttes sont passés aux Mésolithiques. Mais les matériaux utilisés, surtout en bois, ont bien sûr tous disparu. À peine trouve-t-on quelques indices d’emplacements de poteaux ou des restes d’aménagements intérieurs qui permettent de deviner la forme de l’installation. La plus sommaire reste une « couverture » en peaux cousues attachée aux arbres environnants qui ne laissent évidemment aucune trace au bout de 10 000 ans ! Ce système, le plus facile à transporter, n’avait pas pu échapper à la sagacité des Sapiens… et il a depuis fait ses preuves puisqu’il est toujours utilisé, en particulier, par certains nomades de la zone sahélienne. Les tentes, recouvertes de peaux « tanées » et fixées au sol, étaient des abris portatifs démontables à deux pans que l’on dresse en plein air. Elles présentaient une forme carrée ou rectangulaire. Il existait aussi des installations comparables, mais de forme ronde (tipis), toujours utilisées par les Indiens d’Amérique ou les Micmac du Québec qui les recouvrent d’écorces de bouleau. Comme cet arbre était très répandu pendant une bonne partie de l’Épipaléolithique, il eut été surprenant que nos archers n’en aient pas imaginé l’usage.
Tente ronde couverte en peaux de bêtes, facilement démontable, en lisière de forêt : l’habitat le plus courant chez nos archers. Dessin d’A. Marthelot.
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Les huttes, faites de branchages et de terre, demandaient plus de travail et ne pouvaient être déplacées. On en attribue la construction à des groupes semi-nomades, voire sédentaires. « Selon certains chercheurs, le caractère imposant de certaines de ces cabanes, la quantité de matériaux qu’elles demandaient et l’ampleur de la tâche sont révélateurs d’une forme de sédentarité dès le Paléolithique récent, du moins à partir de la culture du Gravettien où ces constructions se multiplient » (Teyssandier, 2019). Toutefois, à part ces cas finalement assez particuliers, aucune des huttes identifiées ne donne l’impression d’installations permanentes qui viendraient contrer l’idée de la mobilité des groupes d’archers. Les chasseurs-cueilleurs du Mésolithique passaient vraisemblablement une grande partie de leur existence en dehors de leurs abris parce qu’ils devaient se déplacer pour chasser, récolter, se ravitailler en eau, cuisiner ou confectionner leurs outils (travail des peaux, vannerie, travail du silex)… mais aussi parce que leur habitation était de taille très modeste : de 5 à 28 m2 pour plusieurs huttes dépistées par M. Escalon (1966), 16 m2 de moyenne pour trois huttes accolées (Leroi-Gourhan et al., 1966) et 12 m2 pour une hutte simple (Hinout, 1967). On peut supposer que dans ces conditions, la famille s’y réfugiait pendant la nuit, en cas de pluie ou pendant l’hiver afin d’y maintenir du feu. Les vestiges d’implantations étudiées par M. Escalon (1966) à Valorgues et à La Valduc en Basse Provence, indiquent donc des huttes de très petites tailles : parfois 2,60 m de diamètre. Mais comme à l’Alleröd, il faisait bon, les campements de plein air étaient probablement la règle et « l’exiguïté des cabanes pourrait indiquer que l’on vivait surtout dehors » (Rozoy, 1978), comme mentionné plus haut. Beaucoup d’abris étaient donc de faible diamètre (3 à 4 m), mais devaient quand même permettre de se tenir debout (2,5 à 3 m de hauteur), et il fallait évacuer les fumées du foyer quand celui-ci était à l’intérieur (en hiver). Si la couverture était en peau, il est probable que le poids soutenu par des branchages devait avoisiner les 250 ou 300 kg (une vingtaine de peaux de cerfs). Un fardeau assez difficile à transporter par une famille de 5 à 7 personnes. On peut donc supposer que le transfert du camp ne devait pas se faire tous les jours ! ... mais au bout de quelques semaines suite à l’accumulation des déchets (restes de venaison ou excréments humains) et des besoins de la chasse. Certains auteurs pensent que des huttes, toujours circulaires (de 10 m2), à toit de branches ou de roseaux, complétaient le dispositif du camp de base et pouvaient être facilement érigées selon les besoins des déplacements. Il s’agirait alors de camps d’été (provisoires). Les constatations de J. Hinout (1967) sur l’emplacement de La Bayette, dans le Bassin parisien, confirment la légèreté de l’abri puisque ce dernier était installé sur du sable de décomposition (20 cm d’épais) d’une dalle de grès où il ne pouvait être question d’enfoncer profondément de gros poteaux. « En Grande-Bretagne, les empreintes de huttes, délimitées par des trous de poteaux, mesuraient entre 5 et 6 m de diamètre. Les abris comparables découverts en France (Montclus), en Suisse ou en Andorre présentaient un 156
diamètre encore plus restreint » (Ghesquière & Marchand, 2010). Ils étaient probablement temporaires, mais on peut supposer que leurs occupants revenaient camper périodiquement sur les mêmes lieux, qui correspondaient peut-être à des nécropoles. Des cabanes, un peu plus confortables que les huttes de fortune des zones continentales, ont été construites sur des sites littoraux durablement occupés au Mésolithique par les « mangeurs de coquillages ». Afin d’en montrer un exemplaire au public, une reconstitution, en terre et poteaux de bois, a été tentée sur l’amas coquiller d’Erteböll au Danemark. Certaines installations avaient une forme carrée ou rectangulaire et mesuraient plusieurs mètres de long (4 à 5 le plus souvent) comme au VIe millénaire A.C. en Carélie. Il n’y avait, de toute façon, de places que pour 10 à 15 personnes au maximum. Il fallait alors fixer plus solidement des pieux dans le sol. « À Vitow, à l’Alleröd, toutefois, on trouve des vestiges de structures de 15 x 5 m, ce qui suppose la présence d’un groupe plus important ». « Ces emplacements pourraient correspondre à des regroupements de plusieurs petits abris à partir desquels, les hommes pratiquaient des chasses au filet qui exigent plus de monde » (Turnebull, 1968). D’autres unités d’habitation étaient rondes avec un diamètre de 3 à 4 m ou, plus rarement, de forme ovale avec des mensurations de 6 x 4 m. Il ne reste que les emplacements de poteaux de ces structures en bois découvertes à Ulkestrup au Danemark et datées du VIIe millénaire A.C. Les cabanes trapézoïdales de Lepenski Vir, dans les Portes de Fer le long du Danube, sont datées du VIIe millénaire A.C. et correspondraient à des populations ayant déjà acquis un certain niveau de sédentarisation (Cauwe, 2001). Dans des cas assez rares, des alignements de cailloux en arc de cercle ou des petits murs semblent avoir été construits pour caler le bas des cabanes ou protéger peut-être les campements de l’eau ou de la poussière. La grande majorité des constructions citées plus haut, n’avaient probablement pas demandé un gros travail d’installation et présentaient un caractère visiblement provisoire, même si certaines étaient susceptibles de rester un peu plus longtemps en place pour être utilisées plusieurs fois à l’occasion d’un retour des groupes de chasseurs. Les foyers Avant l’invention de la poterie et surtout de la métallurgie, il semble que le feu ait toujours eu les mêmes fonctions. « Entre 400 000 et 250 000 ans, période où son usage répété est attesté, le feu éclaire, cuit, fume, protège, chasse les insectes et parasites, renforce la cohésion et la convivialité » (Teyssandier, 2019). Concernant l’approvisionnement, « les foyers étaient alimentés au bois, mais aussi, assez souvent, avec des os » (Delluc et al., 1995). Les foyers mésolithiques découverts à ce jour peuvent être classés en plusieurs types :
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- des foyers « à plat », les plus fréquents, dans lesquels le feu est installé à même le sol, sans aménagements rocheux ; - des foyers « à sole empierrée qui servaient soit à isoler le combustible du sol, soit à limiter le feu, soit encore comme plaques chauffantes après balayage des braises » (Marchand, 2014). « Ces foyers pouvaient parfois être dallés ou tapissés de pierres » (Delluc et al., 1995) ; - des foyers « à pierres chauffantes » dans lesquels les dalles étaient disposées sur les braises (Séara, 2012) et pouvaient ensuite être déplacées dans la cabane. Dans le site de la Sablonnière (Aisne), par exemple, on a trouvé des cailloux détériorés par le feu qui pourraient avoir servi de dalles chauffantes. Les foyers matérialisés par des couches de cendres ou de charbon se trouvaient dans ou en dehors de la hutte. On y découvre parfois des pierres chauffantes ou des galets rougis au feu. Il n’y a jamais de foyers solidement construits, mais simplement constitués de matériaux trouvés sur place et disposés en cercle (Sonchamp et Montclus), ce qui laisse à penser que les occupants ne restaient pas longtemps au même endroit ; - des foyers en fosse, plus rares, d’un mètre de diamètre environ, pouvant être considérés comme des « foyers culinaires » (Péquart et al., 1937). Ainsi, les grands foyers empierrés du Vallon de la Pierre-Saint-Louis, en CharenteMaritime, ou les foyers en fosse sur le site des Escabasses dans le Lot. Si les fosses creusées dans le sol sont rares en France, elles sont plus fréquentes en Angleterre, Pays-Bas, Allemagne et Europe centrale. En France, certaines semblent associées à des sépultures (L’Allée Tortue en ChampagneArdenne), d’autres à des emplacements de foyers (cabane de Capeau en Provence), et d’autres enfin à des dépôts de silex au Mont Pigeon (Parent, 1962). « D’une façon générale, on peut dire que les Épipaléolithiques creusaient très peu, ce qui va de nouveau dans le sens de leur grande mobilité » (Rozoy, 1978). À ce sujet, on a pensé pendant longtemps que les hommes du Mésolithique ne creusaient pas le sol, car trop « préoccupés » par leur nomadisme et leur installation très fugace en un lieu donné. Pourtant, de nouvelles découvertes montrent que ces « structures en creux » sont finalement assez nombreuses à cette époque (Parc du Château en Eureet-Loire). Elles sont interprétées suivant les cas comme étant « des sépultures, des calages massifs de poteaux ou des fosses de stockage » (Verjux, 2004). Le bon sens voudrait que les foyers sans aménagement n’aient servi qu’à des groupes de passage et ceux qui en disposaient à des périodes d’occupation plus longues, mais la trop grande rareté des informations complémentaires des sites conduit à la plus grande prudence dans les interprétations, car les archers pouvaient très bien préparer soigneusement des foyers importants pour des fêtes qui ne duraient que quelques jours ! Dans les sites où on trouve plusieurs foyers (jusqu’à 22 à Montbani), on ne sait pas si les chasseurs en ont utilisé plusieurs en une saison ou un seul pour plusieurs saisons. Compte tenu des outils trouvés, beaucoup de campements
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semblent avoir été occupés pendant quelques mois seulement, qu’il s’agisse d’abris ou de sites de plein air (Rozoy, 1978). Dans la Baume de Montclus (dans la vallée de la Cèze-Gard), on a identifié des restes de cendres et de beaucoup de poissons en provenance de la rivière. Ce site était probablement un campement du début de l’été, période la plus favorable à la pêche (Rozoy, 1978) et au fumage. Les couches supérieures contiennent des restes de poteries cardiales et tous les signes d’une néolithisation sur place (Rozoy, 1978). Certains de ces foyers, de 60 cm de diamètre, étaient limités par des galets sur chant encadrant quantité de charbons de bois résiduels. De tels « foyers à l’étouffé produisent beaucoup de fumées, permettent d’éloigner les mouches et de sécher puis de garantir la conservation des poissons capturés dans la rivière toute proche » (Escalon, 1970). Regroupement des habitats Sur le site de Moli del Salt, dans la région de Barcelone, deux chercheurs ont découvert une plaque de schiste sur laquelle semble représenté un campement de sept huttes en forme de dômes, à base circulaire et entrée basse, à la manière de celles que construisent actuellement d’autres populations nomades dans le monde. « Les ossements de bouquetin, cerf, sanglier et lapin, datés d’environ - 11 000 ans A.C. et abandonnés à proximité, confirment que l’on avait bien à faire à des archers aziliens pratiquant des chasses itinérantes » (Garcia-Diaz et Vaquero, 2015). « Ces gros sites restent cependant énigmatiques. Trois interprétations sont couramment proposées : des sites constitués d’une agglomération de petites stations durant des millénaires, des camps d’agrégations périodiques de plusieurs communautés humaines ou des camps occupés longuement, par exemple à la mauvaise saison, et servant de base à des expéditions logistiques pour la chasse ou la cueillette » (Ghesquière & Marchand, 2010). Mais il n’y a généralement pas assez d’indices pour savoir à quel moment de l’année étaient occupés ces emplacements. C’est la raison pour laquelle J.-G. Rozoy (1978) faisait remarquer que « nous ne pouvons distinguer, pour l’Épipaléolithique européen, des camps d’hiver et des camps d’été ». Fonctionnement des camps À l’instar des grands mammifères sauvages qui satisfont leurs besoins vitaux en exploitant plusieurs secteurs indispensables à leur maintien sur un territoire donné, les petits groupes de chasseurs–cueilleurs avaient besoin de plusieurs aires voisines que nous pensons indispensables à la survie d’un clan.
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Aire de refuge
Aire de cueillette
Campement
Aire de repos
temporaire Aire de chasse
Point d'eau
Les cinq espaces indispensables à l’installation d’un campement.
L’aire de refuge peut être une grotte, un abri-sous-roche ou un surplomb difficile d’accès dans une falaise, est utilisé en cas d’attaque d’un intrus, un voisin malveillant, un ours ou un lion menaçant. L’aire de repos, jamais très loin de l’aire de refuge, se distingue de cette dernière par le fait qu’elle ne joue pas directement un rôle de protection des individus, mais convient à leur bien-être. Ce peut être un emplacement au soleil pour se sécher après la pluie, se chauffer au soleil pendant l’hiver, se mettre à l’abri du vent ou à l’ombre durant les chaudes journées d’été, et éventuellement cuisiner. Dans beaucoup de tribus africaines, le couvert d’un grand arbre (plus ou moins sacré) sert de lieu de réunion et de palabre et on pense que nos archers, comme beaucoup de peuples premiers, passaient beaucoup de temps à discuter et à délibérer en un lieu réservé… pourquoi pas sous un chêne remarquable ? Saint Louis aurait alors perpétué cette lointaine tradition ! L’aire de chasse correspond à un territoire suffisamment vaste pour offrir, sur une période déterminée, les gibiers indispensables à l’approvisionnement de la famille. L’aire de cueillette, une zone plus restreinte, est riche en petites proies, fruits, graminées et pousses comestibles. Le point d’approvisionnement en eau est une source, un ruisseau, une rivière ou un lac. Les secteurs salés sont plutôt intégrés aux zones de cueillette ou de chasse. On comprend que, dans ces conditions, les membres de la communauté soient constamment en train de marcher puisqu’il faut parfois se réfugier, régulièrement se reposer, collecter des végétaux comestibles, chasser et se ravitailler périodiquement en eau de boisson à l’aide d’outres en peau, assurer sa toilette, pratiquer le lavage des aliments, des peaux, etc. Le choix initial du site décidé probablement par les Sapiens les plus expérimentés et la permanence du campement tiennent, en grande partie, à la disponibilité et à la qualité de ces cinq aires stratégiques et lorsque l’une 160
d’elles disparaît, le groupe peut être contraint de déplacer le campement. L’exigence la plus prégnante était sans doute la proximité immédiate d’un point d’eau. Mais il fallait aussi collecter le bois mort pour entretenir le feu et maintenir une quantité suffisante de braises qui servaient à chauffer les bouillons et précuire les viandes. La cueillette nécessitait aussi beaucoup d’allers-retours et la chasse, des excursions souvent longues. Beaucoup d’activités étaient liées à la saisonnalité : collecte des bois de cervidés en fin d’automne ou en hiver, chasses aux rennes, chevaux ou bisons sur les voies de migrations, captures des poissons en phase de reproduction (en hiver pour les salmonidés ou en été pour les cyprinidés), collecte des œufs d’oiseaux en mai-juin, ramassage des fruits à l’automne (pommes, poires, faînes ou glands) et en hiver (sorbes, cynorhodons)… Toutes modifications susceptibles de justifier le déplacement des camps et la contrainte de se plier à une vie semi-nomade pour « coller au mieux » à la satisfaction des besoins du groupe. 2. L’artisanat mésolithique On a de bonnes raisons de penser que les fourrageurs travaillaient moins que la plupart de nos concitoyens actuels puisque leurs besoins se limitaient à la production de quelques outils (arcs, flèches, bâtons à feu), récipients à braises, ocre et potions ; vêtements (fourrures et chaussures) et tentes (peaux et lacets). Il est probable qu’ils ne s’activaient que quelques heures par jour, surtout dans des forêts généreuses en approvisionnements diversifiés. Dans des conditions beaucoup plus difficiles, « les San du Kalahari ne chassent qu’un jour sur trois et ne glanent que trois à six heures par jour » (Harari, 2015). Concernant justement le « travail », qui n’a souvent pas de sens et se trouve rarement désigné par un mot chez les chasseurs-cueilleurs actuels, le temps qui lui est consacré semble, aux dires des ethnologues immergés dans ces tribus, particulièrement restreint, car les besoins en équipements domestiques s’avèrent très limités et, au Mésolithique, chacun faisait probablement « un peu tout ce qu’il y avait à faire » ! Qu’il s’agisse de la construction des cabanes, de la cueillette ou des instruments de chasse ou de pêche. Au regard des vestiges découverts sur les campements, on n’a pas l’impression qu’il existait une spécialisation dans les tâches domestiques, ce qui tenait sans doute aux faibles dimensions des groupes et à la polyvalence des archers. Le travail des peaux est une activité pénible. La découpe se faisait sur un billot de bois à l’aide d’une lame de silex (Rozoy, 1978). Pour couper le « cuir », les hommes, mais probablement aussi les femmes, disposaient de tranchets obtenus à partir d’un éclat de silex à bord très affûté. La peau des grands herbivores est en effet très résistante (cerf, aurochs), mais celle du chevreuil beaucoup plus fine. Quant à celle du sanglier, elle convient plutôt pour confectionner la semelle des chaussons, car elle est très épaisse et se découpe toujours difficilement, de nos jours, même avec un couteau 161
métallique bien aiguisé ! « Les spatules (ou lissoirs) en os que l’on a retrouvées ont vraisemblablement servi au travail des peaux, y compris l’écorchage, mais surtout l’ablation des poils, peut-être aussi à la finition du grattage de la graisse à la face profonde » (Rozoy, 1978). Les peaux d’animaux sauvages, une fois raclées et séchées, étaient imprégnées de graisse avec un lissoir en os (côte de bison, d’élan, ou d’aurochs) qui facilitait la pénétration du produit et les rendait imperméables (Arte, 2017). Ce procédé est d’ailleurs toujours utilisé aujourd’hui en sellerie. On ne sait pas si les peaux étaient tannées, c’est-à-dire véritablement trempées dans des bains d’écorces pour leur donner résistance, souplesse et durabilité. On sait, par contre, que chez les premiers Sapiens, elles étaient traitées à l’ocre qui a des effets antiputrides. « Certaines haches sont décrites comme des écorçoirs pour récupérer justement du liber de chêne (ou de châtaignier). Ce dernier emploi impliquerait un tannage effectif des peaux. Une hypothèse plausible, mais dont il n’est aucune preuve positive » (Rozoy, 1978). Quoi qu’il en soit, les cuirs ainsi obtenus autorisaient la fabrication de sacs plus ou moins grands qui servaient à transporter les armes (lances, arcs et carquois pour les flèches), les silex (racloirs, perçoirs, pointes de flèches, tressages) et les aliments séchés (noisettes, fruits et végétaux…) ou fumés (viandes, poissons). Chez les Sioux, les peaux étaient nettoyées à l’eau, étirées sur un cadre de bois, grattées pour enlever les graisses, traitées avec de la cervelle, rincées, étirées et grattées à nouveau puis fumées. Chez les Kung du Botswana, le tannage utilisait la poudre d’écorce de Mokwa. Les trappeurs du Grand Nord américain tannent toujours la peau de castor raclée avec la cervelle (riche en graisse) du même animal. Ils l’exposent ensuite au vent pour la faire sécher et l’ameublir puis la passent au fumage pour assurer sa conservation définitive. Chez les Aborigènes, les ligaments et les tendons étaient enroulés autour d’un gros morceau de bois pour éviter qu’ils ne se rétractent. Passés dans des aiguilles à chas, fabriquées, bien avant l’Azilien, à partir d’os creux d’aigle ou de héron. Elles permettaient de coudre les peaux débarrassées de leur graisse et de leurs poils grâce à l’usage des racloirs en os ou en silex. Toutes techniques probablement héritées de procédés très anciens qui pourraient certainement remonter à plus de 10 000 ans ! La fabrication des vêtements ne fait aucun doute, mais il ne reste presque rien de ce qui habillait les chasseurs, car le cuir, le tissu et les fils de couture se décomposent rapidement à l’humidité. La seule indication à ce sujet tient à la découverte dans le Haut-Brabant (Belgique) d’un retouchoir gravé représentant une (supposée) « danseuse » portant un cache-sexe (ou un étui pénien ?!) et des vêtements courts, puisque limités par des traits transversaux sur les bras et les jambes. Il est difficile de croire que cet accoutrement finalement très léger puisse convenir à une femme qui vivait au Dryas III connu pour son climat rigoureux ! Il ne reste donc pratiquement aucun vestige de l’habillement épipaléolithique. Comme il n’est pas attesté de tissage ni de collecte de lin (qui est une plante de lumière), il est 162
pratiquement certain que nos archers se vêtaient principalement de peaux de bêtes. D’ailleurs, la chasse au loup, renard et mustélidés n’avait certainement pas pour objectif la recherche de venaison, mais plutôt de fourrures chaudes et souples une fois dégraissées et traitées avec de la cendre et de la fumée pour assurer leur conservation. Les fourrures les plus souples, les plus légères et les plus chaudes étaient sans conteste celles du chevreuil, du loup, du renard et des mustélidés. La fourrure des animaux sauvages est une protection extrêmement efficace… et légère contre le froid. C’est particulièrement vrai avec celle du chevreuil qu’il faut avoir manipulée et essayée (en couverture par exemple) pour s’en persuader. « Le caractère très isolant de la toison du renne » (Delluc et al., 1995) est évidemment exceptionnel aussi, même si elle doit être débarrassée de la couche de graisse adhérente qui, sur l’animal vivant, augmente ses performances. Les poinçons fabriqués à partir d’andouillers de cerf appointés étaient destinés à perforer les peaux et passer des cordons végétaux, des lacets de cuir, des tendons assez gros ou encore des boyaux connus pour être très résistants. Les aiguilles à chas, mises au point il y a, semble-t-il, 17 000 ans selon Hayden (1972), étaient fabriquées à partir d’os longs de lièvre, de cygne, d’oie ou d’aigle (Galley, 2006). D’autres auteurs pensent qu’elles sont encore bien plus anciennes. Pour N. Tessandier (2019), « Les premières aiguilles à chas sont en os parfois en ivoire et les plus vieilles découvertes ont plus de 30 000 ans… En Europe occidentale, un peu avant 20 000 ans B.P., nous sommes certains qu’elles étaient régulièrement utilisées… le fil (à coudre) pouvait être issu de tendons d’animaux, de fibres végétales tressées ou même de crins de chevaux ». Pour d’autres archéologues encore, l’aiguille à chas, inventée au début du Magdalénien, a disparu totalement dès le début de l’Azilien et ne sera pas réintroduite avant la Protohistoire. L’explication pourrait tenir au fait que cette aiguille permettait de coudre les vêtements avec des tendons de renne, seuls capables de résister au froid intense, à la neige et à la glace. Mais ce procédé encore utilisé par les Lapons (Frison-Roche, 1962) ne se justifiait plus dès lors que le réchauffement climatique était engagé. Beaucoup plus tard, la production de fils de lin a, de nouveau, conduit à utiliser cette invention si utile. Il semble toutefois raisonnable de penser, au final, que l’aiguille à chas a régulièrement été utilisée, car « au cours du Paléolithique récent, les femmes et les hommes étaient en mesure de confectionner des vêtements, des pantalons, des bottes et des moufles indispensables à la survie dans ces environnements glaciaux » (Teyssandier, 2019), et comment le faire sans aiguille ? Quant aux stylets en os, finement travaillés, retrouvés dans les tombes sur le thorax des défunts, il faut les considérer avant tout comme de grandes épingles à vêtements (Péquart et al., 1937).
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Le travail de la fibre végétale La production de nombreux équipements indispensables à la vie domestique dépend de l’aptitude à fabriquer des liens : cordes, lacets, filets, tresses, ceintures. Mais « la disparition (quasi) totale des fibres végétales ne nous permet pas d’aborder facilement le problème de leur existence et de leur utilisation » (Cleyet-Merle, 1990). Toutefois, le travail des ces liens, qui était suspecté par les archéologues depuis longtemps, a finalement été confirmé par la découverte en 1959/1961, à Lascaux par l’abbé Glory, de fragments de cordes et surtout de petits torons qui pouvaient fort bien être utilisés, dès le Solutréen, comme lignes ou filets de pêche dans la mesure où ils étaient tressés (Cleyet-Merle, 1990). Le même auteur ajoute que la production de filets est attestée par la découverte de Korpilathi, en 1913, dans la zone la plus occidentale du lac Ladoga. L’instrument, daté du Boréal, est quasiment complet… Il s’agissait en fait d’une senne d’environ 30 m de long et de près d’un mètre cinquante de haut, équipée de flotteurs en bois de pin et lestée de galets, que l’on devait tirer à plusieurs en travers d’une rivière ou sur un littoral de lac. D’autres trouvailles plus fragmentaires ont été révélées en Écosse, en Suède, en Estonie et au Danemark… au Boréal et à l’Atlantique… ce qui prouve que le tressage de la fibre végétale était parfaitement maîtrisé à cette époque. La découverte d’arcs, d’hameçons et d’une trace de lien capable de retenir un ours (La Grande Rivoire) montre que les Mésolithiques disposaient des matériaux et techniques pour fabriquer des attaches très résistantes. Il est vraisemblable qu’ils tressaient habilement des tiges d’ortie ou du liber de tilleul suffisamment ligneux pour résister à tous les étirements. La production de lacets, « ficelles » et cordes à l’usage des harpons « détachables » de la hampe, d’hameçons, d’arcs, de ligatures de pointes de flèches, de sagaies ou de foënes, nécessitait des liens très performants qui ne pouvaient pas tous être d’origine animale (tendons, boyaux, cheveux et crins de cheval). N’oublions pas qu’entre les deux guerres, on pêchait encore la truite avec ces « bas de lignes » rustiques. Pour fabriquer des objets en vannerie (cages, nasses, sacs), il faut disposer de brins végétaux choisis parmi de jeunes rameaux qui se prêtent à la torsion, comme les pousses d’osier ou de viorne lantane. On sait que les tiges de saules de l’année sont très souples et servent encore de nos jours à cet usage. Leurs écorces, découpées en lanières et retrempées dans l’eau, autorisent aussi la production d’attaches solides, même si elles ne sont pas très résistantes dans le temps. Il en est de même des fibres d’écorce de tilleul ou du liber d’orme qui offrent des lanières très longues et souples. La pratique de la vannerie, attestée dès le Magdalénien, s’est donc maintenue par la suite et explique la fabrication de nasses dont certains fragments ont été identifiés çà et là en Europe. C’est probablement cette pêche passive qui a fonctionné au pont d’Ambon en Dordogne (Le Gall, 1981/1984). Il n’est pas impossible aussi que les archers aient construit, de la même façon, des cages pour conserver des oisillons de corbeaux ou de pigeons et même des 164
petits gibiers capturés à la chasse, une habitude courante chez les peuples premiers qui n’avaient pas forcément le souci du « bien-être animal » ! On ne sait rien de la façon dont nos archers extrayaient, découpaient et traitaient les fibres végétales qui demandent pourtant, et c’est toujours vrai aujourd’hui, une préparation soigneuse (choix de l’âge des tiges, date du prélèvement, trempage, etc.). Reste un témoignage bien lointain qui évoque l’ingéniosité des humains à trouver une solution à leurs problèmes. L’observation attentive de l’usure en biseau excessive des dents d’une mâchoire d’Aborigène datant de 40 000 ans. Dans ce cas particulier, il semble que « cet homme mâchonnait des végétaux dans le but supposé d’en extraire les fibres pour fabriquer des tissus, des filets ou des cordes » (Arte, 2017)… pourquoi pas nos archers 30 000 ans plus tard ?! Le travail du bois Plutôt que parler de « l’âge de la pierre », qui a précédé « l’âge des métaux », il aurait mieux valu parler de « l’âge du bois », tant ce matériau a été utilisé massivement par les centaines de générations de chasseurscueilleurs qui avaient besoin de construire des abris, des armes et beaucoup d’objets usuels. Malheureusement, le bois est rapidement périssable et le temps ne nous a laissé, de cette époque, que quelques vestiges conservés par miracle. « Le travail du bois a certainement été quotidien pour les derniers chasseurs qui vivaient dans la forêt » (Rozoy, 1978). Il assurait la production de sagaies, d’arcs, de flèches, de poteaux pour les huttes, de canots, de pagaies et de rames, etc. Quelques fragments d’outils en bois ont été trouvés dans l’estuaire de la Severn au Pays de Galles et les rouleaux d’écorce de bouleau (Clark, 1949) de Star Carr et de Mullerup ont probablement servi à faire des boîtes ou des récipients, comme le laissent penser aussi les vestiges découverts à l’ouest de l’Oural septentrional, à l’Atlantique ancien. Une partie des armes étaient faites en bois avec des parties durcies au feu. Ce sont ces dernières qui se sont parfois conservées à l’instar des bases des poteaux qui supportaient les tentes ou les cabanes. Ainsi, les Maglemosiens, qui étaient pour la plupart des nomades et vivaient de - 9 000 à - 6 500 A.C. dans des milieux forestiers de l’Europe du Nord, utilisaient-ils habilement le bois pour construire des huttes en écorce, mais aussi des arcs et des flèches, des pagaies et des pirogues. La plus ancienne pagaie épipaléolithique vient de Star Carr et date du Préboréal (Clark, 1975). Deux autres embarcations datées du Boréal et deux autres encore de l’Atlantique constituent des découvertes exceptionnelles (Schwabedissen, 1957). Dans le nord des Pays-Bas, fut mise à jour une pirogue monoxyle en pin, datée de - 6 500 A.C., creusée non à la hache, mais en brûlant et en grattant le brûlis. Son usage devait être local, car son poids rendait son transport difficile. Par contre, il est possible que des
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canots en écorce, en peau (de phoque) ou en cuir, bien plus légers, aient été construits puis à jamais perdus, car rapidement biodégradés. Une découverte récente, près de l’île de Wight en mer du Nord, atteste de l’existence, il y a - 6 000 ans A.C., d’un véritable chantier de construction de « bateaux » en bois, actuellement immergé sous plus de 10 m d’eau. Les commentaires du Maritime Archaeological Trust (MAT, 2019) font ressortir l’ingéniosité des hommes du Mésolithique à mettre au point des embarcations suffisamment robustes pour effectuer un cabotage maritime, et peut-être un début de navigation hauturière. On peut s’interroger sur l’aptitude des archers à couper puis à creuser des troncs. Il suffit en effet d’insérer une pierre polie dans une ramification de branche pour fabriquer une hache, mais il est impossible de s’attaquer à des troncs de gros diamètre. Et avec ce type d’outils, on ne peut travailler que le bois frais. Celui qui est sec est trop dur. Ces haches devaient plutôt servir à sectionner de jeunes tiges ou débiter des arbres morts destinés au feu. Les hommes du Mésolithique n’abattaient guère les arbres et le cas de Star Carr en Angleterre est une exception (Clark, 1954). Les haches en silex ou en os étaient donc rares et servaient plutôt à formater les poteaux de tentes ou fractionner le bois mort pour le feu. On a constaté que leur nombre a augmenté à l’Atlantique, période où la forêt était plus épaisse. Sur cette même station de Star Carr (Yorkshire) au IXe millénaire, nos chasseurspêcheurs étaient parvenus à construire un caillebotis d’embarquement. Et dans le marais de Wis (bassin de la Petchora), on a trouvé des skis et des patins de traîneau (Bourov, 1973) indispensables aux déplacements dans la neige. Sur les sites de campements, près des foyers, ont été abandonnés des charbons de bois qui, eux, se conservent très longtemps. Pour les mêmes raisons, certaines parties du « mobilier » des tentes qui ont brûlé partiellement par accident ou se sont retrouvées immergées dans l’eau stagnante ont été épargnées par la décomposition et on en découvre des restes identifiables après plusieurs milliers d’années. Une illustration en est donnée par les fragments de planchers de hutte en écorce de bouleau, datés du VIIIe millénaire, et découverts au Duvensee en Allemagne du Nord (Cauwe, 2001). Le travail des pierres Pour la chasse ou les besoins domestiques, les hommes ont utilisé des galets depuis au moins de 1,7 million d’années (culture oldowayenne). Quant à la production des bifaces, elle ne date pas des Sapiens car « les formes abouties semblent apparaître en Afrique à partir de 800 000 ans et demandent un apprentissage soutenu par des concepts de communication, qu’ils soient gestuels ou verbaux » (Tessandier, 2019). « La plupart des inventions (armatures, lamelles, micro burins) attribuées au Mésolithique ont été réalisées (bien) auparavant sur la planète, leur apparition en Europe 166
occidentale n’étant souvent que l’effet d’une diffusion » (Ghesquière & Marchand, 2010). Ces pièces bien particulières, destinées à s’insérer à la pointe des flèches, ont été obtenues par « débitage au percuteur dur au Premier Mésolithique puis à la percussion indirecte ou à la pression au Second Mésolithique » (Marchand, 2014). Mais toutes les pierres ne peuvent pas donner les éclats qui conviennent. Seules certaines étaient considérées comme « utiles » et à l’époque les gisements étaient difficiles à repérer à cause de l’épais couvert forestier. Il fallait donc les trouver dans les lits des cours d’eau, au flanc des terrasses de rivières ou des falaises, sur les grèves ou sur des versants dégarnis par l’érosion ou les incendies. Les archers devaient, dans certains cas, aller les chercher très loin de leur lieu d’utilisation. Les carrières de silex étaient finalement rares pour nos chasseurs, ce qui explique qu’« en règle générale, il semble que les hommes et les femmes du mésolithique se soient satisfaits de roches locales » (Marchand, 2014), même si elles donnaient des résultats peu probants. Il n’est pas toujours facile de savoir à quoi servaient les outils en pierre. Certains avaient l’allure de grattoirs et permettaient sans doute le nettoyage des peaux, d’autres une forme en burin pour graver sur la roche, le bois ou le cuir et d’autres enfin des pointes acérées qui auraient pu servir de tarauds et de perçoirs pour faire des orifices dans les peaux… mais il faut rester prudent, car « la forme d’un outil ne conditionne pas son efficacité et il est donc impossible qu’elle puisse indiquer de façon certaine quelle est son utilisation » (Péquart et al., 1938). Une chose paraît sûre, les outils trouvés dans les stations du Mésolithique ne permettent pas de travailler le sol pour « cultiver ». De toute façon, le mode de vie nomade ou semi-nomade rend cette dernière activité inutile, car si on cultive, il faut protéger ses cultures, donc rester sur place. En fait, le travail des pierres fournissait des outils à usage domestique surtout destinés à fabriquer des armes et à travailler les produits animaux. Ils n’apparaissent pas très abondants dans les fouilles et devaient donc être précieux. « Les perçoirs étaient particulièrement rares à l’Épipaléolithique et pourtant si utiles pour fabriquer des vêtements ou des tentes. Il est donc logique de penser qu’ils étaient conservés dans des poches ou des sacs et systématiquement utilisés en cas de besoin. On sait aussi que les traces relevées sur les gros perçoirs attestent d’un travail par rotation » (Rozoy, 1978). Le travail du silex La roche la plus adaptée aux besoins des Mésolithiques, mais aussi de leurs ancêtres, était bien évidemment le silex. Ce dépôt géologique de silice plus ou moins pur a la propriété de donner des éclats tranchants qui peuvent dans certains cas couper comme un rasoir… Mais il s’émousse à l’usage et on ne peut pas l’aiguiser ! Il faut donc le renouveler et refaire des éclats à partir de nucléus (blocs) de qualités très variables.
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Les Sapiens utilisaient un silex noir dans les Ardennes (Roc La Tour) où le front de taille est d’environ 10 m de large, un silex gris moucheté à Chaville près de Paris et blond translucide à Belloy sur la Somme. Dans le Tardenois, les chasseurs avaient à disposition dix à quinze qualités de silex, donc se déplaçaient ou échangeaient beaucoup pour disposer de la pierre qui leur était indispensable. Se ravitailler en silex devait être un souci permanent, d’autant que certaines régions en étaient mal pourvues. Les archéologues n’hésitent pas à parler de « pénurie de silex dans le Massif armoricain » (Marchand, 2014). « Dans le Finistère, les galets de silex trouvés sur le littoral ont été transportés à l’intérieur des terres sur des distances de plusieurs dizaines de kilomètres, mais ailleurs sur le versant ouest du Massif Central par exemple, certaines pièces de silex blond provenaient du Berry à plus de 300 km et dans la Bresse jurassienne, les pierres à tailler ont parcouru 180 km » (Marchand, 2014). Le bassin du Pô et celui du Rhône représentaient, au Mésolithique, des secteurs où l’on pouvait trouver de très bons silex indispensables à la production d’armatures de très petite taille dont les trapèzes… et les chasseurs castelnoviens et tardenoisiens du sud-est de la France étaient conduits à ne pas trop s’éloigner de ces secteurs d’approvisionnement stratégiques (Buisson-Catil et al., 2004). « La découverte de plusieurs milliers de silex sur le site de Choisey dans le Jura montre que, contrairement à ce qui a pu être écrit parfois sur l’approvisionnement en ce matériau, les hommes du Mésolithique ancien n’ont pas hésité comme ceux du Paléolithique supérieur, à se déplacer très loin (jusqu’à 120 km) pour se procurer des pierres de bonne qualité destinées à fabriquer les armatures à leur convenance. Mais au Mésolithique moyen et final, la proportion de pierres de qualité moins bonne apparaît plus élevée » (Cupillard in Bintz, 1994). Dans les Landes, les Mésolithiques de Gaillèbes2 s’approvisionnaient (en silex) sur le littoral et en Chalosse, sources distantes de 45 km (Merlet & Miqueou, 2009). Les gisements de silex ayant chacun leurs caractéristiques propres (composition minéralogique et couleurs), il est possible, dans un certain nombre de cas, de connaître par exemple l’origine des pointes de flèches découvertes dans un campement donné. On a ainsi appris que les chasseurs de bouquetins de Chartreuse (site de l’Aulp du Seuil) venaient de la forêt de Chambaran où se trouvait leur carrière de quartzite. Beaucoup de tailleurs étaient condamnés à utiliser les matériaux trouvés sur place et ceux-ci n’étaient pas toujours de bonne qualité (galets siliceux des ruisseaux, quartzite impur, silex grenu, etc.). Compte tenu des besoins, ils ne pouvaient pas toujours s’approvisionner aux carrières les plus intéressantes (Wommersom en Belgique ou Cologne en Allemagne, par exemple) car trop éloignées. Ils étaient donc condamnés « à faire flèche de tout bois, ou du moins armature de tout silex » (Rozoy, 1978). Les ateliers de taille fournissaient des pièces très diverses : lames, lamelles, éclats, débris, nucléus, éclats d’avivage, chute de burin, etc. Seuls 168
les objets retouchés (ou usés par suite d’utilisation prolongée) peuvent être considérés comme des « outils ». Il y avait généralement beaucoup de déchets pour que nos anciens parviennent à faire les outils dont ils souhaitaient disposer (Rozoy, 1978). Ceci montre qu’ils se donnaient beaucoup de mal pour arriver à donner à ces objets les formes qu’ils avaient conçues avant de commencer leur fabrication, ce qui traduit, au passage, un niveau d’abstraction indéniable ! Dans les fouilles, on a pu identifier une certaine proportion de silex chauffés qui avaient pour origine des dépôts géologiques du Jurassique, mais parfois aussi du Crétacé. Cette pratique de taille à la chaleur facilitait le débit de lames dans de meilleures conditions. Le chauffage avant la taille est attesté par un rougissement superficiel sur une partie des lamelles ou éclats (Rozoy, 1978). Ces ateliers pourtant stratégiques où l’on travaillait le silex se limitaient, en fait, à des surfaces réduites (10 m x 10 m), comme en témoignent les fouilles de Milhesse relatées par ce même auteur. Lorsque les éclats ont été visiblement obtenus à partir d’un seul nucléus bien individualisé, il est parfois possible de pratiquer « le remontage » des pièces abandonnées sur le chantier de taille et de mettre ainsi en évidence les lamelles manquantes vraisemblablement emportées par l’artisan. On peut donc se faire une idée de la forme et des dimensions des pièces les plus recherchées à cette époque. L. Séara (2012) mentionne ainsi le cas d’un bloc de 740 g reconstitué avec 91 pièces sur le site de Dammartin-Marpain dans le Jura. « Certaines lames épaisses ont dû être brisées au cours du travail… ce qui indique un geste de percussion assez violent » (Rozoy, 1978). « Le fait de trouver, dans le même gisement (site de Vessem au Nord-Brabant), des pièces à dos et aussi à troncatures atteste de la diversité et de l’inventivité des tailleurs locaux » (Rozoy, 1978). Concernant l’évolution du travail du silex dans le temps, on est amené à constater que la production de pointes de flèches en silex de petite taille est antérieure à la déglaciation. « Le microlithisme est constitué dès le Dryas II, en pleine glaciation. Au Dryas III, les flèches étaient armées par la technique de la troncature oblique. Un siècle ou deux avant l’Atlantique, les trapèzes s’associent aux triangles de Montclus » (Rozoy, 1993). Le même auteur fait remarquer que « presque toute la microlithique ultérieure a donc été essayée (à la gare de Couze) dès le Dryas II, c’est-à-dire au Magdalénien, mais de façon surprenante, car sans suite, et il faudra la réinventer ultérieurement » (Rozoy, 1978)… pendant le Mésolithique. « Les pointes aziliennes (en silex) se rencontrent sur plus de 2 000 km » (Marchand, 2014) et montrent que les techniques de production ont été diffusées dans toute l’Europe. « L’Azilien et les cultures apparentées (Tjongérien)… doivent être considérées comme des cultures de transition à cause d’un outillage spécial qui n’existait pas auparavant et qui s’est progressivement substitué au précédent… ce qui est nouveau, c’est l’emploi systématique et généralisé des armatures microlithiques » (Rozoy, 1978). « Pendant que certains Tjongériens chassaient des cerfs dans une forêt avec 169
des moyens très paléolithiques, les Ahrensbourgiens chassaient les rennes dans une toundra avec des moyens pleinement épipaléolithiques » (Rozoy, 1978). « L’arrivée de cette technique nouvelle ne peut donc être attribuée qu’à leur esprit inventif et non à une pression des incidences climatiques » (Rozoy, 1978). Mais, toujours selon le même auteur, « l’Azilien a produit (aussi) toute une série de pointes à dos qui sont généralement à la limite entre le micro et le macrolithisme ». Les populations du tout début du Mésolithique (Tjongériens de la période Alleröd), qui bénéficiaient d’un climat nettement tempéré et vivaient donc en forêt riche en cerfs, n’avaient pas pour autant opté, comme on l’a dit plus haut, pour des flèches à armature microlithique et utilisaient encore un outillage dérivé du Magdalénien (sagaies) pour chasser, ce qui montre que, dans ce domaine comme d’en d’autres, les traditions ont la vie dure ! (Bohmers & Wouters, 1956). « Au Premier Mésolithique, on produisait des lames relativement irrégulières alors qu’au Second Mésolithique, l’utilisation d’un élément médian (le punch) a permis de détacher des lames régulières idéales pour la fabrication d’armatures standardisées » (Ghesquière & Marchand, 2010). Dans le Lubéron a été mise à jour une industrie sauveterrienne réalisée sur lamelles et petits éclats. La microlithisation a alors atteint ses limites puisque, à Bonnieux, « certaines pièces ne mesuraient pas plus de 4 mm » (Méhu, 2004). On peut penser que l’objectif était alors d’économiser la matière première, mais aussi de disposer de pointes de flèches légères, faciles à transporter par des archers restés de purs nomades. La matière siliceuse recensée comportait huit catégories différentes, toutes originaires de gisements disponibles à moins de 20 km, ce rayon d’action pouvant être interprété comme limitant un territoire occupé, au moins provisoirement (halte de chasse ?) par un groupe humain de passage. Le travail du silex fait appel à de multiples techniques parfois très sophistiquées qui ne peuvent être pratiquées que par des artisans très habiles disposant d’un coup de main remarquable, telles les retouches des bordures des lames et même des microlamelles ou la fabrication de pointes à soie facilitant la fixation de la base de la pointe dans la flèche. Même si chaque région présentait quelques originalités, « le style de débitage nous apprend surtout que l’Europe occidentale entière doit être considérée comme une unité. Les styles diffèrent assez peu de région à région » (Rozoy, 1978). « Le fait à retenir est la microlithisation des outils de silex, et surtout des armatures. On peut distinguer chronologiquement trois étapes : les pointes à dos (pointes aziliennes et autres) avec divers autres essais, puis les premières armatures faites par troncatures obliques de fines lamelles, puis les trapèzes ou apparentés. Chacune de ces trois phases débute avant le changement climatique correspondant » (Rozoy, 1993). Il ne semble donc pas y avoir de concordance entre les évolutions du climat (et de la végétation) et les pratiques de taille, comme on l’a déjà laissé entendre plus haut.
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« Au cours du Mésolithique, il y a plus de dix mille ans, est inventé le punch, ou chasse-lame : pour débiter un bloc de silex, au lieu de le frapper directement comme pendant toute la période Paléolithique, on place un objet intermédiaire, souvent en bois de cerf, entre le marteau et le bloc. Cette technique, toujours utilisée par les sculpteurs, mais aujourd’hui avec un ciseau en fer, permet des coups beaucoup plus précis. C’est ce que l’on appelle la percussion indirecte » (Demoule, 2018). À partir du Second Mésolithique, les nouvelles armatures de flèches sont de forme trapézoïdale en France. « Entre - 8 200 et - 7 800 A.C., dans la vallée de l’Adige (Italie) comme dans une grande partie de l’Europe, apparaissent (aussi) ces armatures à trapèzes qui constituent l’élément caractéristique du Mésolithique final » (Barbaza, 1999). C’est ce type d’armatures que l’on rencontre avec quelques modifications jusqu’en Tchécoslovaquie et en Pologne. L’époque heureuse des « tailleurs sans frontières » ! Concernant les ateliers de taille justement, les données archéologiques sont (pour l’instant) assez rares. Les fouilles méticuleuses d’un site mésolithique, de culture janislavice, en Pologne (Polésie de Lublin) ont permis cependant de montrer que « deux tailleurs de pierre étaient visiblement assis l’un à côté de l’autre » (Boron, 2013) pour préparer des pointes de flèches au sein d’un atelier spécialisé où l’on travaillait aussi l’os et les peaux. « Un modèle hiérarchisé de fabrication d’outils consistait à produire d’abord des lames qui étaient ensuite transformées en microlithes » (Boron, 2013). L’existence de ces ateliers pose plusieurs questions : correspondaient-ils à des camps de spécialisation ? Y avait-il des camps d’été et des camps d’hiver ? Des camps de marécages et de hauteurs ? Nous n’avons pas de réponse. On a ainsi la preuve que ce travail très sophistiqué du silex s’était donc développé dans toute l’Europe à partir de - 12 000 ans A.C. Mais en Afrique du Nord, épargnées par la glaciation, les toutes premières pointes de flèche en silex, qui traduiraient l’usage de l’arc, seraient bien plus anciennes. Elles dateraient de 50 000 ans et auraient été trouvées dans les montagnes du sud de la Tunisie. Il n’est donc pas dit que les pratiques de taille aient été inventées sur place en Europe. Elles auraient pu être véhiculées par des chasseurs venus du sud… Un beau « cadeau » des migrants nord-africains aux Européens ! Le travail du grès-quartzite Les grès-quartzites sont des roches siliceuses très dures qui donnent, quand on arrive à les briser (parfois c’est le manche du marteau qui casse !), des débits esquilleux à arêtes très coupantes. Elles peuvent donc remplir des rôles voisins de ceux des silex, mais la pâte de la roche est moins fine et les bordures, par conséquent, moins régulières. « Vers - 7 000 ans avant notre ère, en Belgique et aux Pays-Bas, le quartzite de Wommerson connaît une 171
diffusion sur une aire de 200 km de diamètre » (Ghesquière & Marchand, 2010). Cette pierre très recherchée a permis aussi de fabriquer une grande meule et une hache polie trouvées à Sougné en Belgique. Quant aux grès à rainures fines rencontrés à plusieurs dizaines d’exemplaires, ils servaient visiblement à lisser les hampes de flèches. Les pièces à rainures plus larges permettaient de polir les hampes de javelines qui sont apparues dès la fin du Dryas II et servaient toujours, à l’occasion, au Mésolithique. Les véritables grès, pourtant abondants, dans le Bassin parisien, n’ont jamais donné lieu à la fabrication de meules ou de pierres à écraser, ce qui confirme l’idée que nos archers ne broyaient pas les graines et ne produisaient donc pas de farine à partir des céréales sauvages collectées dans les clairières. Travail des autres pierres Au Mésolithique moyen et final, les archers du Massif Central ont utilisé aussi d’autres roches très diverses : ultramylonites et phtanites selon F. Surmely (2003) ou grès, calcédoines, jaspes selon G. Marchand (2014) dans les cas où le silex était trop difficile à se procurer ou inexistant dans la région. Des lames de lances ou des pointes de flèches provenaient parfois d’éclats de « cataclasites, cornalines, dolérites, grès éocènes, microgranites, microquartzite, quartz cristallins, quartz filonien, quartzites silcrètes, tufs kératophyriques » (Gouletquer, 1971), en fait, les seuls matériaux disponibles de proximité. Les fouilles, pourtant nombreuses, n’ont permis, à ce jour de trouver qu’un seul exemplaire de pierre typique à mixer les poisons (Allchin, 1966), mais on ne peut affirmer que certaines plaquettes lissées, découvertes dans quelques campements d’Europe, avaient le même usage. Dans la vallée suisse, sur le site de Birsmatten, un polypier a été débarrassé de la craie qui le recouvrait et un fragment de brèche oolithique a été fortement lissé sur une face, mais on n’a pas pu déterminer l’usage de ces objets. Il en était de même pour les galets à plaquettes lissées et galets à cupules de La Rocheaux-Faucons en Belgique. Au Mésolithique, « tous les groupes possédaient quelques outils lourds (tranchoirs, outils prismatiques, choopers) qui servaient à couper des branches et à faire des piquets enfoncés dans le sol (Rouffignac) et peut-être des broches à rôtir (Rozoy, 1978). Certaines pierres creuses trouvées à Birsmatten (Bandi, 1963) et à La Roche-aux-Faucons (Gob, 1975) auraient pu servir de lampes à huile (ou à graisse ?). Finalement, les roches sédimentaires siliceuses ont été beaucoup utilisées alors que les roches métamorphiques (schistes, micaschistes, gneiss) ne semblent pas avoir eu les faveurs des archers sauf pour certains « débitages discoïdes à plans de clivage parallèles » mentionnés par Marchand (2014).
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Le travail de l’os Dans les pays nordiques, l’usage de l’os a été plus important en raison d’une plus grande difficulté à se fournir en silex et aussi une plus grande facilité à se procurer des bois de renne et plus tard de cerf. « Travaillant l’os, le bois de renne et éventuellement l’ivoire avec des outils “premiers” en silex, l’homme préhistorique a réussi à façonner dans ces matériaux, une gamme étendue d’engins et d’ustensiles “seconds” très diversifiés » (CleyetMerle, 1990). Jusqu’à la fin du Bölling, le renne est encore présent dans une bonne partie de l’Europe et les archers utilisent des sections des bois de mue pour fabriquer des percuteurs destinés à débiter le silex. Un double rainurage dans la ramure permet aussi de détacher des baguettes qui serviront à fabriquer des harpons ou des pointes de lances (Cupillard in Bintz, 1994). Malgré l’élévation thermique générale, le Paléolithique final a été marqué par des coups de froid et les archers en ont profité pour exploiter, un peu plus longtemps encore, les ramures ou les os de cette espèce qui ont donné beaucoup d’objets à conservation bien plus longue que ceux fabriqués en bois. « Sur le site de Stellmoor (Hambourg), on a trouvé, par exemple, de nombreux harpons en bois de renne présentant des barbelures et certains d’entre eux comportaient des élargissements permettant la fixation d’un lien » (Rust, 1943).
L’apprentissage du travail d’un bois de cerf. Dessin de Benoît Clarys.
À partir du Préboréal, le cerf devenant plus abondant, ses bois sont débités en tronçons par percussion transversale avec un silex tranchant ou coupés grâce au sciage à la ficelle sablée (Cupillard in Bintz, 1994). Les bois de cerf, appointés d’un côté et évidés de l’autre, étaient emmanchés au bout
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d’un bâton pour constituer des lances. « Chez le cerf, les mésolithiques utilisaient surtout la base des bois pour fabriquer des percuteurs, les andouillers antérieurs pour tailler des pointes de lances, les côtes et les os longs des pattes pour sculpter des harpons alors que chez l’aurochs, ils utilisaient les omoplates pour obtenir des racloirs ou des peignes » (Andersen in Bailey et al., 2008). Les craches de cerf perforés (Birsmatten) se trouvaient souvent associés à des coquillages pour constituer des pendentifs. Sur le site de Vaenget, au nord du Danemark, « autour du foyer, dans la partie centrale du campement, on travaillait le bois de cervidé tandis que sa périphérie était réservée au travail des peaux » (Jensen & Petersen, 1985). À Birsmatten encore, une lame d’os aurait pu servir d’écorçoir, une omoplate de cerf d’enclume et un autre os long de hache. Quant aux défenses acérées des sangliers, elles avaient plutôt pour vocation de donner des poinçons (Ludin, 1960). En Ariège (Le Trou violet), on a identifié des alènes taillées dans des défenses de sanglier qui dateraient de la fin de l’Azilien. « En Aquitaine, après l’usage systématique du bois de renne puis de cerf, l’introduction de la canine de sanglier en tant que nouvelle matière technique marque, au Mésolithique, une rupture… » (Marquebielle, 2015). L’avancée de la forêt a donc modifié sensiblement la composition de la grande faune et donc la disponibilité des « matériaux » d‘origine biologique. La diversité des objets qui en sont issus montre l’habileté et l’ingéniosité des tailleurs d’os. « À l’inverse des soi-disant harpons magdaléniens pour lesquels nous avions émis de sérieux doutes, les armatures barbelées maglemosiennes découvertes en Estonie, Suède et Prusse orientale, étaient de véritables engins de capture parfaitement adaptés à la pêche au gros, en l’occurrence au brochet » (Cleyet-Merle, 1990). Elles constituaient en fait les pièces de foënes qui étaient lancées, à partir d’une pirogue, sur des brochets de belle taille, immobiles à faible profondeur, comportement bien connu de ces prédateurs à l’affût dans les herbiers. Selon les restes trouvés dans les campements à proximité, les sujets étaient étêtés, le corps comme les œufs probablement séchés, salés (?) et fumés, ce qui permet, à partir des pêches d’été, une conservation de plusieurs mois. Pendant l’hiver, le brochet vit plus en profondeur et c’est la raison pour laquelle, les habitants utilisaient de gros hameçons (retrouvés sur place) couverts par un appât et reliés à un flotteur bien repérable. Nos pêcheurs, qui par ailleurs étaient aussi chasseurs, faisaient probablement commerce de ces produits de qualité assez faciles à transporter. « Ces pointes barbelées en bois de cerf étaient certes utilisées pour la pêche au brochet, mais aussi pour la chasse des oiseaux volants en groupe (oies tirées à l’arc par exemple) ou même l’attaque des gros mammifères comme l’élan blessé par un harpon et daté de - 7 500 A.C. environ à Poulton-le-Fylde » (Barnes et al., 1971). Les protoharpons (ou foënes) étaient aussi des objets en os ou bois de renne très perfectionnés, car équipés de fines barbelures d’un seul côté puisqu’ils étaient montés par deux en opposition et permettaient de coincer les poissons et de les retenir entre 174
les deux branches. La finesse du travail laisse à penser qu’ils devaient servir régulièrement et donc que la pêche était une activité permanente dès le Magdalénien supérieur et probablement aussi plus tard à l’Épipaléolithique. Les harpons sont en fait constitués de trois parties : la pointe barbelée avec dispositif de retenue, la hampe généralement très grande (2 à 3 m) et la ligne (corde ou ficelle attachée à la pointe) qui servira à haler l’animal, mais évite le bris de la pointe quand le poisson se débat (Leroi-Gourhan, 1965). Dans certains cas, il y avait peut-être aussi un flotteur, suspecté à cause de la forme de la base, mais jamais retrouvé. Ces armes de pêche auraient disparu à la fin du Magdalénien (changement des modes de pêche ? Tir à l’arc ?), puis on les retrouve au Mésolithique récent. Il est hors de doute que ces harpons ont servi essentiellement à la chasse ou à la pêche d’animaux aquatiques, et en particulier d’animaux marins. D’après S.H. Andersen (1971), leur nombre serait 30 à 50 fois plus élevé que ceux retrouvés. Ils ont été utilisés aussi bien en mer pour la chasse au phoque (Mohl, 1970) qu’en lacs (harpons suisses) ou qu’en rivières moyennes pour capturer des truites, des brochets ou des saumons. Il est probable aussi que les archers les aient utilisés dans les cours d’eau de petite dimension pour « une pêche à la fourchette » en fouillant sous les pierres et les racines (Leroi-Gourhan, 1965). Finalement, ces engins ont servi plus ou moins régulièrement pendant les sept millénaires qui nous intéressent puisque « en Haute-Garonne (La Tourasse), on a trouvé des harpons aziliens en os à trou rond » (Célérier, 1998) et à Liesberg, dans la vallée de la Birse, une douzaine d’exemplaires, la plupart à barbelures alternées, datés de - 4 200 ans A.C. « Les harpons étaient de dimensions très variables (50 à 220 mm) et présentaient souvent une protubérance basilaire ou une perforation circulaire qui suggère un montage mobile et la présence d’un lien lâche » (CleyetMerle, 1990). Ils servaient, à l’Azilien, à la capture de poissons de belle taille et, à l’occasion, de projectiles pour la chasse puisqu’on en a retrouvé dans quelques cadavres d’élans au Danemark et en Angleterre. Ce double usage n’a rien d’étonnant, car « tout porte à croire que l’homme préhistorique n’établissait pas entre la pêche et la chasse, les mêmes barrières que nous »… et, en l’absence de réglementation, c’est bien connu, il n’y a pas de braconnage ! La fabrication des hameçons a aussi donné lieu à un concours d’ingéniosité. Mais les petits hameçons courbes en os ont été très rarement retrouvés. Pour assurer une certaine efficacité et surtout une bonne résistance, ils ne pouvaient être que gros et donc destinés à la capture de très gros poissons. Des pointes de Sauveterre auraient pu être utilisées pour attraper des sujets de plus petite taille, le « fil » étant fabriqué avec les boyaux de petits mammifères. Nos chasseurs, qui étaient aussi de fins pêcheurs, avaient finalement mis au point quatre types d’hameçons : • Les hameçons droits en os (ou bois ou silex) constitués par un losange à deux pointes effilées attachées en leur centre par un lien en fibres ou 175
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en tendon. L’appât couvre le losange et le lien. Il peut-être avalé facilement par un poisson… mais dès que l’on tire sur le lien, une des deux pointes s’accroche à la paroi de la gorge et le losange se place en travers de celle-ci permettant de soulever l’animal. Des objets de ce type en silex ont été trouvés dans plusieurs sites préhistoriques anciens, en Périgord notamment (Cleyet-Merle, 1990) et il y a peu de chance pour que nos archers aient perdu cette technique si astucieuse ; L’hameçon d’épine est fabriqué à partir d’une tige fine et courte d’aubépine qui comporte une épine acérée. Le lien est fixé au rameau caché par un appât avalé par le poisson. Ce procédé est encore utilisé de nos jours sur la côte atlantique française pour capturer certains poissons de mer comme les anguilles (De La Blanchère, 1926) ; Les hameçons « spiniformes » constitués d’un petit os (quelques centimètres) taillé en deux ou trois pointes comparables à des barbelures qui, cachées par un appât, peuvent facilement être avalées par le poisson, mais qui s’accrochent à la bouche dès que le pêcheur tire, en sens inverse, sur la ligne préalablement fixée. Cette dernière ayant disparu au cours du temps, ces expansions bifides ou trifides ont pu être confondues avec de petites foënes. Toutefois, « la gravure sur bois de renne provenant de Fontarnaud (Gironde) qui montre un poisson s’apprêtant à mordre un hameçon de ce type » (Cleyet-Merle, 1990) laisse peu de doute sur son usage dès le Magdalénien ; Un autre type, que l’on pourrait appeler mixte, est constitué d’une tige fine en bois, dont l’extrémité fendue retient un éclat d’os (ou de silex) fixé par une attache collée à la résine, donnant à l’ensemble la forme d’un hameçon recourbé. Là aussi, un appât assez volumineux est censé couvrir le montage ; Enfin, un véritable hameçon recourbé en os de forme très voisine de nos hameçons métalliques actuels, mais évidemment beaucoup moins robuste et particulièrement délicat à fabriquer. Des exemplaires en bois de cerf, en forme de crochet grossier et reproduisant la véritable forme d’un hameçon (sans barbillon !) ont été découverts dans le Brandebourg allemand et dateraient du Boréal (Chollet, 1979).
« En Europe, l’usage de différentes formes d’hameçons en os, en bois de cervidés ou plus rarement en ivoire est très ancien puisqu’il remonterait à 35 000 ans avant notre ère (La grotte des Fées en Gironde), mais ils abondent surtout à partir de - 17 500 ans A.C. » (Cleyet-Merle, 1990). Selon le même auteur, les « véritables hameçons à crochet, toujours en os, apparaissent vers - 12 000 ans A.C. Ils portaient généralement un appât ou un leurre. Il est probable que ces hameçons de formes très variées servaient aussi à capturer les oiseaux aquatiques… ou terrestres ». Nos derniers « Raboliot » n’ont d’ailleurs jamais hésité à le faire… avec des hameçons métalliques, il est vrai !
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Il n’est pas exclu non plus que nos archers aient fabriqué des leurres dès le Solutréen à l’instar des peuples boréaux qui, encore de nos jours, attirent les saumons en faisant tournoyer au bout d’un lien des lamelles brillantes en os ou en ivoire (Saint-Perier, 1928). Certaines parties de squelettes des gibiers ont été largement utilisées pour fabriquer aussi des haches nordiques en os avec perforation (Schwabedissen, 1958), des manches d’outils en bois évidé de cervidés, des bâtons percés en bois de cerf et plus rarement en bois de chevreuil qui permettaient de tenir solidement une baguette d’os ou de bois que l’on chauffait pour la redresser (Olsen, 1973). Les tubes creux des os de rapaces servaient à projeter de l’ocre, contenir de la poudre (ou de la potion magique ?!) ou fabriquer des flûtes perforées dont les plus anciennes dateraient de - 35 000 ans. « Les étuis cornés des bovidés devenaient des contenants, des instruments de musique… ou de la colle, comme chez les Néanderthaliens ou les premiers hommes modernes qui s’en servaient pour maintenir les ligatures des pointes emmanchées » (Patou-Mathis, 2013). Quelques exemplaires, par contre, laissent perplexes les chercheurs comme cette phalange d’aurochs à trou borgne et dessins géométriques (De Loe, 1928)… Qui sait ? Les chamans en étaient peut-être les destinataires ? Quelques objets en os auraient servi aussi à l’ornementation comme « le lissoir décoré dans la plus pure tradition du Paléolithique supérieur de Rouffignac qui pourrait avoir fini en pendeloque et une spatule en os, le tout daté de - 6 700 A.C. » (Barrière, 1962). À Stellmoor, en secteur marécageux et décidément très riche en objets domestiques, quelques os ornementés d’élan ont été recueillis. Ils montrent des traits rectilignes, en chevrons ou zigzags… des gris-gris pour les chasseurs ? La production des armes de chasse Les armes de chasse étaient en bois et les projectiles terminés par des pointes en silex ou parfois en os. Exposées à l’air et à l’humidité, elles ont pratiquement toutes disparu, ne laissant que les extrémités en pierre. Certaines d’entre elles, immergées dans des eaux anoxiques, ont pu se conserver au moins partiellement, laissant entrevoir leurs caractéristiques et donc leur usage. L’arc La date d’apparition de l’arc est discutée. Plusieurs archéologues considèrent que l’arc était connu dès le Solutréen (vers - 21 000 ans A.C.), mais il aurait été abandonné puis remis en service à la fin du Paléolithique et surtout très utilisé à l’Épipaléolithique et au Mésolithique. Cette arme est « à l’origine d’une révolution technologique et cynégétique » (Cupillard in Bintz, 1994). « La date précise de l’apparition de l’arc est (donc) incertaine, de même que l’appartenance culturelle de son inventeur » (Patou-Mathis,
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2013). Certains préhistoriens parlent du Paléolithique final (Bordes, 1971), d’autres d’une période allant de - 12 000 ans ou - 17 000 ans (Rosendahl et al., 2006), et certaines armatures de flèches révéleraient son usage il y a - 26 000 ans. Toutefois, sa mise en service s’est véritablement développée avec le réchauffement climatique et le retour de la forêt. L’arc a l’énorme avantage d’être polyvalent (utilisable dans tous les milieux et pour tous les types de gibiers), léger (de l’ordre du kilo), silencieux (on peut tirer plusieurs flèches à la suite), très performant (la flèche est propulsée à 150 km/h) et précis (un bon tireur place sa flèche dans un disque de 50 cm de diamètre à 50 m). Il donne aussi beaucoup d’indépendance à l’archer qui peut chasseur seul, ce qui facilite l’approche du gibier. Son usage pourrait expliquer l’organisation sociale en famille mononucléaire (Rozoy, 1978). « Si l’invention de l’arc date de la fin du Magdalénien » (Bordes, 1969), « il a fallu quand même mille ans pour que son usage soit courant » (Rozoy, 1993). Ce délai coïnciderait avec l’arrivée de la forêt (Alleröd) qui impose une approche en sous-bois et un tir entre les branches (Bourdier, 1967). Mais son utilisation au Dryas III pour chasser les rennes dans la toundra contredit cette assertion. La toute première représentation d’un arc apparaît sous forme d’un croquis gravé sur une dalle de pierre dans la grotte des Trois frères en Ariège. Il est tenu par un sorcier et pourrait avoir plusieurs usages : l’art musical, le foret à feu ou le bois recourbé pour les pièges. Avant d’être désigné en latin par le mot « arcus » qui évoque la notion de courbure, l’arc portait le nom de « toxon », terme souvent employé par le poète grec Homère. Faut-il y voir un emprunt aux peuples autochtones installés antérieurement en Grèce, peut-être les Pélasges, venus par la mer, dès le XVIIIe siècle avant notre ère ? (Delaubert, 2018). Quoi qu’il en soit, son étymologie évoque le fait que cette arme permettait de tirer des traits empoisonnés puisqu’en grec, le terme « toxikon » désigne « le poison pour les flèches » (Martin H. & O. Le Gall, 1987). Mais si les hommes de la Protohistoire maîtrisaient le poison en réussissant à réduire les potions toxiques sous forme de pâte dans des récipients en terre cuite (céramiques), rien ne prouve que les archers du Mésolithique aient été capables de faire de même, eux qui ne disposaient d’aucun creuset résistant au feu. Concernant les découvertes, un fragment d’armature en silex fiché dans une vertèbre cervicale d’ours brun (grotte du Bicon) atteste de l’utilisation de l’arc dès l’Azilien dans le massif du Jura. Une pointe de flèche, fichée dans une vertèbre de jeune loup à Stellmoor (Rust, 1943), est révélatrice de son usage pour la chasse. En Europe, des vestiges de parties d’arc, datant du Xe millénaire avant notre ère, ont été trouvés dans les fouilles de Manheim en Allemagne, du marais d’Holmegaard au Danemark et dans celles de Stellmoor près de Hambourg (Rust, 1943). Alors que cette arme était d’un usage courant et généralisé sur le continent, la rareté des restes s’explique par les conditions très particulières de conservation, essentiellement des marais anoxiques où le bois et les cordes avaient une chance de ne pas se 178
décomposer trop vite. À Holmegaard (Seeland, Danemark), les archéologues ont mis à jour deux arcs de type simple en bois d’orme (Patou-Mathis, 2013). Dans les mêmes fouilles, l’identification de « pierres à rainures destinées à polir les flèches confirme l’usage de l’arc » (Rust, 1958). « Les arcs étaient confectionnés à partir de bois de pin, de frêne, d’orme ou d’if et étaient de grand gabarit avec des flèches de 50 à 90 cm de longueur » (Cupillard in Bintz, 1994). Mais l’if n’apparaît qu’à la fin du Mésolithique, ce qui explique que son bois, pourtant très prisé, n’ait pas été utilisé avant les années - 5 500 A.C. « La corde pouvait être préparée à partir de tiges d’ortie, de liber de tilleul, mais plus généralement de tendons d’animaux soigneusement torsadés » (Olsen, 1973). Deux arcs trouvés au Danemark et au nord-est de la Russie, datés de la fin du Boréal, sont en bois d’orme à cernes très serrés. Les arbres sélectionnés avaient donc poussé à l’ombre. Ces armes mesuraient 150 à 160 cm de long, celui qui équipait Ötzi (plus tardif car daté du Chalcolithique) atteignait 182 cm. On en a trouvé d’autres en pin, en frêne ou en épicéa. La plupart à simple courbure, mais parfois quelques exemplaires à double courbure (Bourov, 1973). On n’a pas la preuve que les Mésolithiques disposaient d’arcs à double courbure et il semble que ces derniers ne soient pas plus puissants que l’arc simple (Hamilton, 1972). Les chasseurs du Kalahari, experts dans ce type de chasse, utilisent d’ailleurs des arcs à simple courbure.
Arc à simple courbure, en cœur de cytise et corde de chanvre. Flèches empennées en noisetier avec armature en silex collé à la résine de pin. Photo : B. Bachasson.
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Il est probable que nos Mésolithiques utilisaient donc prioritairement des arcs à simple courbure en bois de différentes espèces d’arbres qui impriment aux flèches (de différents poids) des vitesses très variables, mais proches de 40 à 50 m/s. Le projectile met donc, à ces distances, environ une seconde pour atteindre son but et on comprend que l’animal n’ait pas le temps de s’enfuir, même s’il perçoit le bruit très discret du tir. En regard du lancer d’une sagaie, l’efficacité est incomparable. Des armatures plus grandes et donc plus lourdes correspondraient à des flèches plus grosses et donc des arcs plus puissants. Le débitage de Montbani (Aisne) et ses trapèzes désigneraient l’existence, vers - 6 000 ans A.C., des arcs à double courbure (Rozoy, 1978). Quoi qu’il en soit, l’arc est en fait la première machine qui succède à celle du levier, mais, à la différence de cette dernière, elle accumule de l’énergie et cela est complètement nouveau et même révolutionnaire au regard des performances observées. La puissance des arcs était considérable puisque les flèches pouvaient traverser non seulement la peau, mais aussi les muscles, les côtes ou les os plats des grands herbivores, comme en témoignent les omoplates de renne transpercées de Stellmoor (Rust, 1943). Si on compare l’énergie cinétique d’un javelot de 500 g lancé à la main à 1 m/s à une flèche de 30 g lancée par un arc à 25 m/s, on s’aperçoit que cette dernière arrive au but avec un impact 40 fois plus puissant. Elle pénètre plus que les plombs de chasse et peut traverser 5 cm de planche de chêne. Même avec des arcs artisanaux en bois, la plupart des flèches peuvent traverser un cerf de part en part. Le fait d’avoir une pointe tranchante ajoute à l’efficacité de pénétration dans les gibiers, mais celle-ci diminue toutefois avec la distance de tir. La perte de puissance est estimée à 50 % entre 10 et 45 m. La portée maximale des arcs primitifs était de l’ordre de 100 à 200 m (Pope, 1962). Si la flèche est empennée (plumes), elle tourne sur elle-même et assure ainsi sa stabilisation de trajectoire et donc sa précision. La rigidité est également très importante, ce qui explique que les archers de l’Épipaléolithique taillaient leurs hampes dans le bois de cœur (plus dur) des arbres, souvent du pin. Les archers préhistoriques ne savaient pas que la pénétration d’un trait dans un gibier dépend de son énergie cinétique (E = 1/2 m V2) à l’impact. Mais les Magdaléniens, très pragmatiques, comptaient bien sur l’augmentation de la masse de leurs projectiles pour être efficaces. Toutefois, la vitesse de leurs lances restait limitée par la force du bras, éventuellement complétée par l’usage d’un propulseur. Par ailleurs, les trois inconvénients majeurs de cette pratique étaient le risque d’effaroucher le (gros) gibier par les mouvements repérables du corps, la relativement faible force de pénétration des javelots atteignant la bête qui s’enfuit et la faible précision du tir sur un animal qui bouge et se trouve déjà éloigné. Les archers du Mésolithique ont donc opté, avec l’usage de l’arc, pour une stratégie d’élévation de la vitesse de la flèche. Pour une approche identique, les trois inconvénients cités plus haut disparaissent. Nos ancêtres (non physiciens !) ont donc résolu un problème crucial pour leur survie d’autant 180
qu’ils ont fini par trouver expérimentalement un optimum d’efficacité avec des flèches de 90 à 100 cm de long, une masse de 20 à 30 g pour la hampe de 8 à 10 mm de diamètre et une pointe en silex de quelques grammes. Mais il faut, dans ce cas, que les armatures soient de faible poids pour ne pas déséquilibrer le projectile. Les expérimentations pratiquées par J. Browne (1938/1939) ont montré que les chances d’atteindre et de tuer un bison, à 25 m, avec un arc, sont infiniment plus élevées qu’avec une javeline lancée par un propulseur. « L’arc et la flèche sont, en fin de compte, les éléments caractéristiques et essentiels de l’Épipaléolithique et différencient ce dernier du Paléolithique supérieur. Ils déterminent toute la vie de cette époque, la vie sociale (des groupes d’archers ne s’organisent pas comme des groupes de lanciers piétons) et la vie tout court (ravitaillement alimentaire) » (Rozoy, 1978). Entre le Paléolithique et le Néolithique (Campignien), les trois stades d’évolution des techniques de taille des silex traduisent « l’usage généralisé de l’arc et de la flèche comme moyen essentiel et presque unique de chasse et donc de subsistance » (Rozoy, 1993). Pour des raisons d’efficacité, l’approche des troupeaux sauvages devait se faire à deux ou trois chasseurs seulement, ce qui conduit à penser que les groupes familiaux ne devaient compter que de 10 à 20 personnes. Au vu des squelettes de gibiers trouvés dans les fouilles, ces arcs redoutables servaient donc à chasser les plus grands gibiers existant sur le territoire : chevreuil, cerf, sanglier, aurochs, élans et éventuellement ours. À l’instar des praticiens comme Pope (1962) et Olsen (1973), les chasseurs à l’arc actuels affirment qu’il faut bien connaître son arc personnel pour être performant au tir. Aujourd’hui, comme autrefois, cette arme était donc le compagnon inséparable du chasseur et n’avait rien d’un outil interchangeable. On peut ainsi saisir un peu mieux « la personnalité » du chasseur épipaléolithique qui soignait et peut-être « chérissait » son matériel de chasse. « L’habileté des archers » se combinait donc avec « la haute technicité de la chasse à l’Épipaléolithique » (Maury, 1967). Les flèches et armatures méritent une mention spéciale. « Les flèches en bois étaient armées d’une terminaison en silex tranchant de 1 à 5 g fixée grâce à de savants mélanges de goudron végétal, de résine et de cire lentement épaissis à la chaleur » (Barbaza, 1999). Pendant le Mésolithique, on en compte une bonne soixantaine de types qui se distinguaient par leurs terminaisons, caractéristiques des cultures des groupes qui les avaient taillées. Les formes pouvaient varier à l’infini, mais les plus originales sont certainement les pointes de Fontenay, les pointes de Chaville, les feuilles de gui et les trapèzes de Téviec. La base des flèches portait une fente destinée à l’emprise de la corde, mais aussi, comme dans celles de Stellmoor, un empennage de plumes favorisant la stabilité du projectile. Les flèches trouvées étaient quasiment toutes en bois de pin (à cernes de 0,5 mm), mais il pouvait exister aussi des flèches en roseau qui ne se sont pas conservées. Elles étaient toutes soigneusement lissées et polies (sur les grès à rainures ?) 181
et présentaient souvent une longueur de 90 cm pour un diamètre de moins d’un centimètre. Les hampes étaient sans doute précieusement récupérées, même si les pointes étaient perdues ou cassées. La ligature assurée par un tendon et le collage à la bétuline (ou brai de bouleau) obtenue par distillation de l’écorce fraîche de cet arbre. Mais comment les archers l’obtenaient-ils ? Cette résine, très efficace pour les collages, ne peut être extraite qu’au moyen d’un petit « four » rudimentaire (présenté au musée de Tende) dont on n’a pas retrouvé trace dans les fouilles du Mésolithique… Toutefois, les archers étaient peut-être capables d’en fabriquer en utilisant de simples foyers domestiques ? « Grâce à leur conservation dans des tourbes, on a pu constater que certaines pointes de flèche, qui avaient transpercé un aurochs et un renne, portaient effectivement des traces de goudron ou de fixation à la résine » (Mathiassen, 1948). Quant aux armatures, elles révèlent aussi une longue histoire. « Les premières armatures de flèches étaient en os et surtout en pierre, notamment en silex, comme les plus anciennes à pédoncule et à ailerons, découvertes dans des sites de la péninsule Ibérique datés de 19 000 et 17 000 ans B.P. » (Patou-Mathis, 2013). Les armatures microlithiques vont de pair avec l’invention de l’arc. « Seul le stade très ancien (Azilien) peut présenter un panorama monotone des armatures correspondant probablement à une phase d’adaptation à ce mode de chasse. Dès cette adaptation effectuée, commence la diversification des formes du silex terminal » (Rozoy, 1978). Du point de vue balistique, les armatures de l’Azilien et les cultures parallèles durant l’Alleröd conviennent pour l’arc. Pour ces deux périodes, la microlithisation était donc déjà en marche. Les armatures microlithiques ont été utilisées abondamment pendant tout le Mésolithique, mais leur invention date de bien avant le réchauffement de l’Alleröd, en fait dès le Dryas II. Leur usage ne serait pas directement lié aux modifications climatiques puisque les Ahrensbourgiens, comme on l’a déjà signalé, chassaient ainsi les rennes dans la toundra au début du Dryas III alors que les Tjongériens, « leurs pères », chassaient les cerfs dans une forêt claire avec des moyens encore très paléolithiques (Rozoy, 1978). L’apparition des pointes à dos courbe à la fin de la période Paléolithique vers -12 000 ans A.C. et peut-être un peu plus tôt vers -13 000 ans A.C., est attestée en basse vallée du Rhône (Thévenin, 2008). Elles sont « remplacées » ensuite par la fabrication de pointes de Malaurie plus petites et à base rétrécie de l’Azilien, et finalement des bitroncatures rectangulaires ou trapézoïdales. Dans la production des armatures, « il n’apparaît aucune déterminante climatique, et en particulier l’apparition des trapèzes typiques précède, partout où elle est datée, le passage à l’époque Atlantique. Les pointes à troncature apparaissent à Rémouchamps pendant le froid du Dryas III pour être employées tout autant au Préboréal et même au Boréal » (Leroi-Gourhan et al., 1977). « Il n’apparaît pas non plus de détermination selon les gibiers chassés, ni les types d’habitats (sables en plein air ou grottes calcaires). La multiplication des armatures ne tient pas encore au milieu ambiant puisque 182
les Sauveterriens, en plaine, en font peu tandis que les Caussenards sur plateaux calcaires ou cristallins et les Tardenoisiens en plaine, en font beaucoup. La diversité considérable des industries pour des milieux très semblables, comme leur analogie étroite pour des milieux assez différents, sont de très forts arguments contre toute détermination par les changements des milieux ambiants » (Chavaillon et al., 1978). « Les changements survenant dans les industries à l’Épipaléolithique apparaissent donc comme liés au développement interne des groupes humains (sous la pression permanente du milieu et non en fonction de ses variations), et particulièrement aux inventions technologiques adaptées localement dans le cadre des traditions et des styles propres à chaque groupe. Tout se passe comme si, sur le fond d’une technique nouvelle utilisant des matériaux périssables (arc et flèches), chaque groupe humain plus particulariste qu’au Paléolithique, faisait preuve d’une capacité d’invention et de renouvellement jamais connue précédemment » (Rozoy, 1978). On a déjà évoqué plus haut la question du poison. Des ethnologues font remarquer que « certains peuples indiens des grandes plaines d’Amérique du Nord ou des chasseurs de l’Asie du Sud-Est semblent n’avoir jamais empoisonné leurs flèches » (Patou-Mathis, 2013), ce qui laisse supposer que la perforation du trait peut suffire à tuer la proie, ou du moins la blesser suffisamment pour parvenir à capturer le gibier. À cause de sa puissance et de son efficacité, l’arc était, sans doute, bien plus qu’une « machine de chasse », mais un objet sacré doué d’un pouvoir magique, car il était capable de donner la vie en autorisant la récolte de la venaison nourricière, mais aussi la mort en tuant les gibiers, les fauves, voire les ennemies. L’arc prolonge les gestes du tireur. Il fait mieux que la lance ou même le propulseur. Il donne un pouvoir extraordinaire, voire magique, à son détenteur, ce qui peut expliquer la relation très intime de l’archer à son arme que l’on retrouve sous des traits évidemment quelque peu différents chez les utilisateurs actuels, qu’ils soient compétiteurs sportifs ou chasseurs de gros gibier. Autres armes de chasse L’épieu, un long bâton de deux mètres environ, est sûrement la plus vieille arme de chasse. Elle aurait plus de 400 000 ans ! Avec sa pointe durcie au feu, elle permettait de s’attaquer aux gros mammifères (bisons, aurochs, cerfs, sangliers), mais surtout de les achever lorsqu’ils étaient déjà blessés par plusieurs lances ou flèches et donc affaiblis par la poursuite. En Europe, au Postglaciaire, « la pointe était en ivoire de mammouth puis en bois de cervidé » (Patou-Mathis, 2013). Il n’est rien resté évidemment de la plupart des épieux utilisés pour la chasse au sanglier. Toutefois, des pointes durcies au feu ont été trouvées dans le marais de Satrup en Allemagne (Schwabedissen, 1957).
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Les gourdins avec un renflement terminal pouvaient servir à assommer les lapins cachés dans l’herbe, les lièvres au gîte, les castors sur les rives embroussaillées ou les très jeunes cervidés déposés par leur mère dans les herbes hautes. Certaines massues retrouvées dans des fouilles semblaient destinées à être lancées… peut-être dans les pattes de jeunes cervidés ? Parmi les « armes de proximité », on a trouvé aussi des poignards à lame courte en silex, en os ou en bois de cervidés. Quant à la lance, elle serait apparue, comme l’épieu, il y a environ 400 000 ans, et aurait été déjà utilisée par Homo erectus (Patou-Mathis, 2013). Parmi les armes à lancer, on trouve la javeline, à tige plus fine, expédiée par un propulseur qui peut atteindre 110 km/h et comme elle est plus lourde qu’une flèche, sa force de pénétration est grande. La sagaie (ou javelot) qui pèse environ 200 g peut toucher une cible à 30 m. « Elle est utilisée depuis au moins 30 000 ans dans toute l’Europe depuis l’océan Atlantique jusqu’aux grandes plaines russes » (Patou-Mathis, 2013). Compte tenu de son pouvoir perforant, elle convenait mieux pour tuer de petits cervidés (chevreuil, faon, daim) que de gros bovins (bison, aurochs) au cuir plus épais. Certaines sagaies présentaient une lame de silex emmanchée sur un bois léger qui lui-même était enquillé sur une tige de roseau (Arte, 2017). D’autres types se terminaient par un os appointé ou tranchant. Le propulseur muni d’un crochet ou d’une gouttière, prolonge le bras du lanceur et augmente la force et la précision du jet d’une sagaie ou d’un harpon. Il était très répandu en Europe durant la Préhistoire récente. Celui de Combe-Saunière, trouvé en Dordogne, daterait de 18 500 ans (Patou-Mathis, 2013), mais il a été détrôné définitivement par l’arc au début du Mésolithique. Les décorations ou les sculptures aux motifs d’animaux sauvages (bouquetins, bisons, chevaux ou cervidés) attestent que « le propulseur était un objet personnel et probablement précieux » (PatouMathis, 2013). Son utilisation, qui nécessite un apprentissage dès le plus jeune âge et un entraînement régulier, permet à un chasseur expérimenté d’atteindre un gros mammifère à plus de 40 m, lui infligeant une blessure suffisante pour le neutraliser par la suite, car la force de pénétration du trait (armé d’une pointe en silex), moins importante que celle d’une flèche, reste toutefois redoutable. « À la fin du Magdalénien (vers -12 000 A.C.), les propulseurs se raréfient considérablement au sein des groupes de chasseurs de même culture et de mêmes traditions, à cause, probablement, de l’usage de l’arc qui les rend inutiles » (Rozoy, 1978). Il n’est pas exclu que les chasseurs du Mésolithique aient utilisé des frondes qui projettent des cailloux ronds propulsés par rotation rapide d’un étui de tissu à deux brins dont l’un est libéré au moment du tir… car « cet engin est probablement très ancien » (Patou-Mathis, 2013). L’utilisation de « bolas » (deux boules réunies par un lien) n’est pas attestée au Mésolithique, mais il serait surprenant que l’usage de cet équipement ait été « oublié » par nos archers puisque les Néanderthaliens s’en servaient pour assommer ou entraver des animaux sauvages (Stodiek, 1993). 184
Parmi les armes à lancer figure le boomerang en usage chez les peuples premiers d’Australie. En Europe, un boomerang mésolithique a été mis au jour dans les fouilles d’Oblazowa en Pologne et une pièce de bois trouvée dans le site de Braband, au Danemark, aurait eu le même usage (Mathiassen, 1948). « Il était confectionné dans le bois d’un vieil érable et mesurait 41 cm. Sa datation, fixée à - 6 000 ans B.P., en fait le plus ancien et vrai boomerang trouvé en Europe » (Patou-Mathis, 2013). La foëne est un petit harpon (1 m) à une ou plusieurs pointes munies de barbelures qui peut être lancé, à partir d’une berge ou d’une pirogue, à la main ou par un propulseur pour capturer des poissons, des batraciens, des reptiles aquatiques ou des oiseaux d’eau. « Plusieurs exemplaires ont été découverts dans des sites préhistoriques européens, notamment en GrandeBretagne, en Allemagne, en France, en Espagne cantabrique et en Moravie, datés de - 14 000 et - 13 000 ans A.C. » (Patou-Mathis, 2013). Ces armes sont toujours constituées de deux parties : une tête détachable en bois, en os ou exceptionnellement en ivoire, équipée de barbelures et une hampe en bois reliée à la tête par un cordon de fibres tressées, de cuir ou de tendons, comme celui, en bois de cerf, de Lortet dans les Hautes-Pyrénées, ce qui augmentait l’efficacité de la capture. On n’a pas trouvé, en Europe, des vestiges de sarbacanes, une arme pourtant très utilisée pour tirer les oiseaux et les singes en Asie, Afrique et Amérique. Il faut dire que notre continent manque de végétaux à tige creuse indispensables à leur réalisation. Les pièges La diversité des pièges connus actuellement dans le monde est sans limites, tant l’imagination des chasseurs, mais souvent aussi des braconniers, est féconde ! On peut émettre quelques hypothèses sur l’usage de certains d’entre eux que nos Sapiens étaient susceptibles de fabriquer compte tenu des fournitures dont ils disposaient. La glu (ou brai, ou parfois goudron) était certainement utilisée par les archers du Mésolithique, car ce produit est la plus ancienne colle au monde puisque les Néanderthaliens s’en servaient déjà il y a 200 000 ans (Mazza et al., 2006). Son extraction à partir de l’écorce de bouleau (abondant à l’Azilien et au Mésolithique) peut être obtenue par plusieurs méthodes sans qu’il soit nécessaire de disposer de pots en céramique (inconnus chez nos archers) pour la préparer ni qu’il soit besoin de contrôler précisément la température (Kozowyk, 2017). Ce mélange servait donc à fixer les pointes de flèches, mais aussi probablement à capturer les oiseaux sur des supports préparés (rochers, branches ou piquets) agrémentés d’un appât. Le nœud coulant peut se fabriquer en crins de queue de cheval, en fibres végétales tressées ou en tendons d‘animaux. Les collets permettaient, et permettent toujours de capturer les lapins à l’entrée de leur terrier, les lièvres sur leur passage (galerie) à travers les buissons ou les oiseaux qui nichent 185
dans des cavités. Avec des tresses qui s’apparentent à de véritables « câbles », certains trappeurs préhistoriques fabriquaient même des « nœuds coulants pour les gros gibiers, notamment pour la capture de l’élan en Scandinavie » (Patou-Mathis, 2013). Les trappes à déclic disposaient d’un système de bâtonnets à l’équilibre qui déclenchait la chute d’un couvercle sur une petite fosse dans laquelle se trouvaient enfermés des oiseaux ou de petits mammifères. Des pièges plus gros fonctionnaient comme des assommoirs qui tuent l’animal ou le retiennent prisonnier sous un gros bloc. Avec ces systèmes, il est possible de capturer des grives (tendelles), des martres et même des ours (technique des Micmac du Québec). Les fosses, plus ou moins profondes selon le gibier ciblé, étaient plutôt l’œuvre de populations sédentaires qui peuvent « amortir », grâce aux captures répétées, le travail de creusement toujours pénible. Elles ne semblent pas avoir été utilisées par les chasseurs du Mésolithique qui déplaçaient souvent leur camp. Jules César rapporte dans La guerre des Gaules, donc bien plus tard, que des fosses étaient utilisées pour piéger les aurochs… Mais, il paraissait impossible de dégager un volume de 20 m3 de terre avec une pioche en bois de cerf ! À la différence de la pêche, la chasse au filet n’a laissé aucune trace au Mésolithique, ce qui ne veut pas dire qu’elle était inconnue. Selon Xénophon, les Gaulois et les Romains, quelques millénaires après il est vrai, la pratiquaient (encore ?) avec l’aide de leurs chiens. Il n’est pas impossible aussi que l’enfumage des terriers ait été en usage pour faire sortir les animaux de leur cache (renard, blaireau)… mais les preuves sont évidemment parties depuis longtemps… en fumée ! 3. Quelques aspects de la vie domestique « Jusqu’à peu encore, la définition des activités (sur les sites fouillés) ne prenait en compte que la nature des vestiges et les usages implicitement liés à la typologie lithique, ce qui conduisait à conclure presque toujours à une gamme d’activités assez peu diversifiées et tournées presque exclusivement vers la chasse. Mais c’est en fait une assez grande diversité des tâches qui a dominé la vie de ces campements. Les fragments d’ocre, de coquilles de noisettes brûlées, de galets, d’outils massifs en grès ou en silex le corroborent. La durée du séjour (d’un camp) apparaît généralement courte, allant de quelques jours à quelques semaines tout au plus » (Séara, 2012). Même si le camp devait changer de place périodiquement et modifier quelque peu le rôle de chaque occupant obligé de s’adapter à la nouvelle situation, la vie domestique présentait sûrement quand même un côté routinier dans la mesure où beaucoup de corvées se répétaient inévitablement pour le transport de l’eau, du bois mort, de la nourriture provenant de la cueillette et de la chasse ainsi que la préparation des gibiers (dépeçage), sans oublier l’entretien du feu et la production d’objets 186
indispensables comme les vêtements et les armes. Mais ne l’oublions pas, les archers disposaient vraisemblablement de beaucoup de temps libre pour s’adonner à la discussion, au chant, à la danse ou tout simplement à la rêverie et au repos, tout en assurant une surveillance du camp, surtout la nuit. Le gardiennage du campement Un des premiers soucis de ces petites communautés immergées dans une nature sauvage était sans doute la surveillance du camp. Car les archers avaient de bonnes raisons de se méfier d’un environnement hostile à plusieurs titres : les déchets ménagers laissés à proximité pouvaient attirer les renards, les loups, les ours et les disponibilités en nourriture, des Sapiens malintentionnés ! Il est donc probable qu’au sein des regroupements de cabanes, un homme adulte au moins assurait la veille… les autres ne dormant que d’une oreille, ce qui, selon les dires de beaucoup d’ethnologues, est une habitude fort répandue chez de nombreuses communautés primitives des forêts d’Asie, d’Afrique ou d’Amazonie. À ce sujet, les Malbris de Thaïlande, appelés aussi « feuilles jaunes », car ils construisent leurs abris provisoires en feuilles de bananiers plus ou moins décolorées, dorment toujours sur la terre battue de leur cabane une oreille collée à même le sol pour être avertis d’une approche suspecte au cours de la nuit. Parmi les veilleurs attitrés, les chasseurs pouvaient aussi compter sur leurs chiens qui bénéficiaient des rebuts de venaisons et assuraient, comme dans beaucoup de communautés primitives, une surveillance efficace grâce à leur ouïe, et surtout leur odorat très développé. Le compagnonnage des chiens « Le chien (Canis familiaris) est le premier animal qu’Homo sapiens ait domestiqué » (Harari, 2015), depuis 12, 15 et peut-être 20 000 ans. « Pour de nombreux chercheurs, la domestication du chien daterait de 15 000 ans B.P. et correspondrait à une utilisation comme auxiliaire de chasse dans l’intensification de l’exploitation des petits gibiers » (Teyssandier, 2019). Ce chien, dont les races étaient beaucoup moins nombreuses que de nos jours, ressemblait très vraisemblablement beaucoup à un loup. On en trouve les traces dans les sépultures au côté des humains. Mais sa taille s’est toujours révélée être inférieure à celle de son ancêtre sauvage. Les fouilles du pont d’Ambon (Dordogne) ont permis de découvrir des restes de canidés de petit gabarit, donc de chien (domestiqué), dès le Paléolithique final vers - 10 000 A.C. (Celerier, 1998). Au Boréal, les ossements de canidés découverts à Star Carr (- 7 500 A.C.) sont attribuables à des chiens. On n’a jamais pu prouver que le chien aurait été un jour « sauvage », ni qu’il aurait été chassé comme gibier… même si en période de disette passagère, on peut imaginer qu’il soit consommé et fournisse une fourrure. Des restes de canidés de plus petite taille que le loup (donc
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probablement de chiens) ont été trouvés en plusieurs sites de Bretagne, du Périgord, mais aussi au Danemark, au Mésolithique récent et il n’en a pas été découvert auparavant sauf au pont d’Ambon dans l’Azilien (cité plus haut), alors que des restes d’ossements de loup, plus grands, sont assez fréquents aux stades ancien, moyen et récent. « Comme on ne connaît actuellement aucun grand chien qui soit aussi grand qu’un petit loup » (Degerböl, 1974), il paraît donc probable que les restes en litiges proviennent bien de chiens. Si c’étaient des petits loups, on en trouverait sur toute la période et il n’est pas signalé de diminution de la taille du loup entretemps. Au Mésolithique, le fait de trouver des ossements de canidés de taille moyenne ou petite (Châteauneuf-les-Martigues, Téviec) laisse à penser qu’il s’agissait bien d’animaux descendants de loups domestiqués et qui vivaient au contact des humains de façon beaucoup plus systématique qu’au Paléolithique où la compagnie de cet animal semblait bien plus rare. D’autres fouilles ont également montré que le chien était aussi présent à Saint-Hippolyte dans le Doubs et Ruffey-sur-Seille dans le Jura à la fin du Mésolithique (Cupillard et al., 1998). Par la suite, ce fidèle compagnon de l’homme a vu ses populations se multiplier, surtout au Néolithique où sa collaboration à la garde des troupeaux est devenue indispensable. Les chiens les plus performants disposent, avec leurs cavités nasales très profondes, d’un capital de cellules olfactives voisin de 300 millions d’unités, alors que les humains actuels n’en ont que quelques millions. Les chasseurs préhistoriques, avec un nez guère plus volumineux que le nôtre, utilisaient probablement beaucoup aussi leur odorat pour choisir leurs nourritures, détecter les traces du passage d’un autre groupe humain (résidus de cuisine, déjections…) ou de gibiers, mais leur capital olfactif restait limité à une dizaine de millions de cellules spécialisées. Dans ces conditions, ils avaient donc intérêt à profiter des services de leurs chiens. Ces derniers « nouvellement issus des loups apportaient aussi une protection, tandis que les campements humains, avec leurs feux fournissaient chaleur et nourriture aux chiens. Ce fut un processus gagnant-gagnant » (Demoule, 2018). On ne peut affirmer que les chiens étaient systématiquement utilisés à la chasse, car une bonne partie des tirs sur les gibiers étaient effectués à l’approche et il aurait fallu que le dressage ait produit des chiens d’arrêt, ce qui est peu probable. Il reste que ces compagnons pouvaient s’avérer très utiles pour suivre la trace d’un animal blessé… mais à cette époque il est peu vraisemblable, là aussi, que les chasseurs aient eu le temps de sélectionner des races de « chiens de sang » bien identifiées de nos jours. La participation aux battues paraît également possible, mais comme de nos jours encore, la fuite trop rapide des proies devant le canidé n’avantageait pas le tir des chasseurs à l’arc postés qui avaient intérêt à voir venir des gibiers à allure lente, sauf si le rabattage se faisait en direction de filets ou de fosses, ce qui reste envisageable… comme les Jarawa de l’archipel des Andaman aux Indes qui chassent toujours les gros rongeurs ou les cochons sauvages avec leurs chiens. Au Néolithique, en revanche, la situation change et on dispose 188
de nombreux témoignages montrant qu’« on utilisait les chiens pour la chasse et le combat, mais aussi pour donner l’alarme contre les bêtes sauvages et les intrusions humaines » (Harari, 2015). Quoi qu’il en soit, les liens de commensalisme qui se sont tissés entre l’animal et l’homme dans son espace domestique sont très anciens, nous venons de le voir. « La présence de chats auprès des habitants du Levant dès le IXe millénaire A.C. » (Vigne, 2015) confirme cette propension à s’attacher aux animaux pour des raisons pas forcément utilitaires. Par la suite, le maintien, dans l’environnement des communautés primitives, d’autres mammifères sauvages capturés très jeunes, est fréquent chez les peuples d’Amazonie, d’Afrique ou de Nouvelle-Guinée et pour ne pas dire systématique dans beaucoup de tribus de chasseurs-cueilleurs. Depuis des millénaires, les Mongols apprivoisent des aigles avec lesquels ils chassent le lièvre, le renard ou le loup puis rendent la liberté à ces rapaces auxquels ils vouent une véritable admiration. Dans ces contrées, de nombreux indices de fouilles attestent d’un début de domestication du loup dès l’Épipaléolithique, comme indiqué plus haut. La littérature signale que « des populations plus ou moins sédentarisées ont élevé des gazelles goitreuses (Gazella marica) sur les bords de la Méditerranée et transporté des chèvres sauvages sur de grandes distances » (Vigne, 2015), dans l’idée d’exploiter leurs populations pour la production de lait et de viande. Il est fort probable que nos archers aient été tentés, au moins occasionnellement par ces pratiques, à partir de jeunes cervidés, bovidés ou suidés inévitablement récupérés à l’occasion des chasses, et ceci bien avant le début de la néolithisation. « Les chiens les plus attentifs aux sentiments et aux besoins de leurs compagnons humains recevaient des soins et de la nourriture supplémentaire, et ils avaient les meilleures chances de survivre… dans le même temps, les chiens apprirent à manipuler les hommes pour satisfaire leurs besoins » (Harari, 2015). Au fil d’une vie, des rapports de confiance entre l’homme et le chien se confortent et, autrefois comme aujourd’hui, le maître « aime » son chien et lui voue une admiration sans bornes, parfois même une dévotion… ce qui explique, sans doute, l’inhumation côte à côte d’un archer et de son compagnon dans les sépultures de l’abri Morin en Gironde ou de Mallaha au nord d’Israël, et dans bien d’autres sites sur le territoire européen. Ceci dit, au Mésolithique, on ne sait finalement pas exactement quel était le statut du chien : gibier, provision de viande, protecteur de la famille, auxiliaire de chasse ou même animal de compagnie. La seule chose non contestable vient du fait que « les traces laissées sur certains de ses ossements prouvent qu’à l’occasion, il a été mangé » (Rozoy, 1978)… mais c’est toujours le cas, actuellement, pour certaines races de chiens en Chine. Le chien s’est donc rendu très tôt indispensable auprès des communautés humaines, car il protégeait les personnes, mais aussi les réserves alimentaires. 189
Le stockage des denrées Les archers n’avaient pas l‘habitude de stocker beaucoup de surplus de nourriture. Ils devaient toutefois disposer de quelques réserves pour passer la mauvaise saison ou assurer des randonnées lointaines (ravitaillements en silex, expéditions de chasse en altitude ou opérations de troc). Mais à cette époque, la conservation des denrées s’avérait particulièrement difficile, car elles étaient exposées à la pourriture (bactéries et champignons pour la viande et le poisson séchés), aux attaques d’insectes (vers), à la convoitise des rongeurs pour les fruits (noisettes), à la prédation des carnivores (renard, martre, fouine, loup et rapaces) qui pouvaient s’introduire assez facilement dans les huttes, de jour comme de nuit. Le plus gros souci venait sans doute de l’agression des ours qui sont capables (toujours aujourd’hui !) de détecter un jambon à plusieurs kilomètres ! La seule solution efficace est de pendre les pièces de viande en hauteur à distance du camp, mais pas trop loin pour pouvoir les surveiller en continu. La nourriture, péniblement arrachée à la nature, demandait donc une attention constante, d’où l’habitude d’en conserver le moins possible ! Et donc de se ravitailler journellement avec le risque de rupture d’approvisionnement… le vieux problème commercial du « flux tendu » ! Les glands étaient, semble-t-il, conservés par torréfaction (Ghesquière, 2015) pour la mauvaise saison ou immergés dans des fosses remplies d’eau que l’on renouvelait régulièrement et pendant une quinzaine de jours pour éviter le pourrissement. Ils perdaient ainsi une partie de leur tanin. On pouvait ensuite les stratifier dans des cavités naturelles entre des lits de feuilles, si possible à l’abri des rongeurs ! Cette technique, probablement très ancienne, encore utilisée par nos grands-parents au siècle dernier, permettait de conserver efficacement les châtaignes… mais nos archers ne disposaient pas de récipients en terre ni en bois, ce qui rendait probablement l’opération bien plus difficile. Les tâches domestiques De permanence au camp, les femmes et les vieillards avaient sûrement pour mission première d’assurer l’entretien du feu ou au moins la conservation des braises. Le maintien en activité du foyer permettait non seulement de se chauffer, de griller les viandes et de précuire certains végétaux, de préparer des bouillons de graisse, mais aussi de sécher et de fumer les peaux fraîchement raclées.
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La femme à l’enfant.Illustration : Benoît Clarys.
Pour alimenter le feu, les archers avaient dû remarquer qu’ils pouvaient utiliser aussi de la tourbe séchée, facilement accessible dans les nombreux campements installés à proximité des marais. À l’instar des peuples premiers qui vivent en pleine nature, la cuisson des aliments s’effectuait en direct sur les braises, à la broche ou sur « pierrade », ou indirectement, pourrait-on dire, à l’étouffée sous la cendre ou dans un enrobage d’argile. Des « récipients » en cuir ou en écorce de bouleau contenaient un bouillon gras chauffé avec des galets brûlants à la manière des Amérindiens qui consommaient encore cette « soupe » au début du XIXe siècle (Garretson, 1939). À propos de récipients, nos chasseurs-cueilleurs ont mis longtemps à mettre au point la cuisson de l’argile et donc la fabrication de poteries. Les premières, connues et déjà décorées, sont apparues bien avant la pratique de l’agriculture, ce qui fait dire à N. Cauwe (2001) que « dans le nord du continent, au Danemark, avec la civilisation d’Erteböll, force est de constater qu’on n’a guère attendu de se lancer dans la culture des céréales ou des légumineuses pour produire un art céramique ». À propos de végétaux, on trouve actuellement sur notre territoire une centaine de plantes médicinales et une quinzaine de plantes toxiques (Gründ, 1989). Une grande partie d’entre elles étaient disponibles dès le Mésolithique (salicaire, bourdaine, sureau noir, frêne, etc.) pour une 191
consommation à l’état frais ou séché par ingestion ou par application. Il est possible de les reconnaître à leur aspect extérieur, mais aussi à leur odeur, un sens forcément très développé chez nos archers qui devaient, sans se tromper, distinguer les « bonnes » plantes des « mauvaises » franchement toxiques, voire mortelles. Ceci dit, ces derniers parvenaient difficilement à produire des décoctions, toujours à cause du manque de récipients. Pour cette même raison, ils ne pouvaient pas non plus faire réduire les infusions, ce qui limite la concentration et donc l’efficacité des substances actives. Il n’est pas impossible que les archers aient mis au point un aliment très énergétique adapté à leurs pérégrinations parfois lointaines, comme avaient réussi à le faire, plus tard, les Amérindiens à la poursuite des troupeaux de bisons. Ce fameux « pemmican », composé de viande séchée, de moelle, de graisses animales et de baies (canneberges), avait fait ses preuves chez ces chasseurs nomades, mais aussi plus récemment auprès des aventuriers des premières expéditions polaires. La recette de ce pâté à longue conservation devait probablement contenir de la chair pilée et de la graisse de cerf, d’élan ou de sanglier agrémentée de fruits d’amélanchier, de cerises et de groseilles sauvages. Ce type de « rations de survie », qui ne moisit pas, représentait probablement un ultime recours nutritif pour celui qui s’était malheureusement égaré au cours d’une randonnée hivernale. Les multifonctions de l’ocre Les observations fines des sites d’occupations mésolithiques ont confirmé que nos archers utilisaient régulièrement de l’ocre. Les roches argileuses, riches en oxydes de fer (ocre rouge à hématite, ocre jaune à limonite) étaient très recherchées pour les usages domestiques : maquillage des visages et/ou des corps, pulvérisations murales, rituels de sépultures, etc. Cette poudre servait aussi à délimiter des territoires (de chasse ?) à partir de marques sur les rochers ou à décorer les entrées de huttes. Les fouilles du Brabant ont permis d’attester « l’abondante présence de l’ocre qui relie l’Épipaléolithique au Paléolithique supérieur » (Rozoy, 1978). Ce produit faisait l’objet d’un commerce entre groupes voisins, mais aussi à longue distance (plus de 100 km), comme cela se pratique encore en Afrique chez les Peuls par exemple. Les quantités trouvées sont parfois très limitées comme sur « le site de Flönnes (près d’Aix-la-Chapelle) où deux petites tablettes d’oligiste (hématite rouge) de 10 et 35 g ont pu être isolées » (Hubert, 1967). Cette découverte, souvent répétée en d’autres lieux, montre que cette poudre était très précieuse et transportée dans un petit sac en peau ou en cuir, dans lequel pouvaient aussi se mélanger des lames, des galets ou des coquilles qui se trouvaient ainsi colorés, peut-être à l’insu du propriétaire, un détail qui n’échappe pas toutefois à un repérage par les archéologues. Ces argiles plus ou moins teintées et mélangées à l’eau constituaient une sorte de pâte répartie comme un enduit sur tout le corps et servaient aussi de protection contre les brûlures du soleil et l’installation des 192
parasites qui ne manquaient pas d’abonder à cette époque. Son utilisation est toujours de mise chez les Masaï de Tanzanie. Les parasites Tous les mammifères sauvages sont exposés aux attaques fongiques (mycoses cutanées ou pulmonaires) et parasitaires (tiques) que l’on découvre d’ailleurs toujours aujourd’hui sur les gibiers provenant de la chasse… et les hommes préhistoriques n’échappaient pas à ces agressions. Certains d’entre eux souffraient donc d‘inconfort permanent et même de lésions graves (et difficiles à soigner) aux pieds en particulier, ce qui devait poser de sérieux problèmes de déplacement. La littérature laisse à penser qu’ils subissaient aussi des piqûres de puces et de poux, sources de démangeaisons et de rougeurs cutanées. Certaines puces, déjà abondantes sur la peau des dinosaures (Poinard, 2012), ne se raréfiaient que pendant la saison froide. Quant aux poux, trouvés dans les restes de cheveux d’une dépouille datant de 9 000 ans B.P. (Raoult et al., 2008), ils surmontaient sans encombres les très grands froids (Bachasson, 1980) et retrouvaient de la vigueur dès que nos chasseurs approchaient de la chaleur du feu. Les vêtements de fourrure représentaient un réservoir inépuisable de vermines quasiment impossibles à éradiquer, d’autant qu’ils ne pouvaient pas être changés trop fréquemment. Le trempage dans l’eau finissait par tuer les adultes, mais n’éliminait pas les œufs des parasites toujours prêts à éclore pour engager une nouvelle invasion. Les tiques et les punaises hématophages n’étaient, sans doute, pas plus rares que de nos jours où on les trouve en abondance sur les chevreuils et les sangliers. Ces agresseurs devaient être très difficiles à supporter et ne manquaient pas d’occasionner des maladies graves, rares actuellement, mais bien plus fréquentes au Mésolithique (maladie de Lyme détectée chez Ötzi, trichinose, filaires péritonéales, etc.). Le fait de manger de la venaison partiellement cuite autorisait l’installation de vers dans le tube digestif (ténias) et de kystes dans les muscles. La trichinose passait inévitablement du sanglier à l’homme et la tuberculose bovine du cerf à son prédateur. Comment les Sapiens parvenaient-ils à éloigner ou éliminer ces agresseurs ? En pratiquant probablement l’épouillage, comme le font soigneusement les peuples premiers, mais aussi les primates et les gorilles en particulier. Il faut dire que ces derniers ont une longue pratique et « un temps d’avance » pourrait-on dire, puisque, selon certains chercheurs, preuves ADN à l’appui, ce serait eux qui nous auraient transmis les poux… un cadeau bien encombrant de nos lointains cousins ! Nos archers disposaientils de « médicaments » récoltés dans la nature pour soigner leurs maladies… ? C’est probable, si l’on en croit les archéologues qui ont trouvé dans les objets transportés par Ötzi (- 5 300 ans B.P.) un champignon bien particulier, le polypore du bouleau, connu pour ses propriétés antiseptiques
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et antidouleurs bien utiles pour cet infatigable marcheur atteint d’arthrose (Arte e). Pour le reste, nous ne pouvons que nous référer aux pratiques des communautés « primitives » actuelles qui s’enduisent le corps avec des mélanges d’ocre (éleveurs de Tanzanie), pratiquent des bains de boue (tribus de Bornéo) ou se lavent régulièrement et soigneusement dans les rivières (Indiens d’Amazonie), encore faut-il que la température le permette ! À défaut de pommade, beaucoup de tribus utilisent aussi de la cendre de bois connue pour son rôle de désinfection et de protection. Dans ces conditions d’hygiène sommaire, rester longtemps en bonne santé représentait une véritable gageure ! Les apports en vitamines Toutefois, et comme on l’a déjà fait remarquer, les Sapiens du Mésolithique mangeaient surtout du cru et parvenaient à « contrer » les affections diverses par une alimentation très riche en vitamines à la différence des Néolithiques condamnés, la plupart du temps, à ne consommer que des céréales carencées en ces substances pourtant indispensables à la bonne marche de l’activité métabolique et à la croissance. À ce sujet, les squelettes de nos archers adultes n’ont jamais montré des signes de rachitisme, ce qui prouve déjà un bon ravitaillement en vitamine D. Comme les archers vivaient dehors, exposés aux rayons solaires, ceux qui avaient la peau claire risquaient peu ce type de carence, surtout s’ils avaient l’habitude de pêcher et de consommer du saumon, de la truite ou du brochet de rivière qui en contenaient en quantité. De même ceux qui avaient la chance d’accéder au littoral marin le long duquel ils récoltaient des coquillages et parfois des poissons marins qui en sont bien pourvus. Ceux qui avaient la peau sombre, les plus nombreux à cette époque, semble-t-il, et qui chassaient en zone continentale, présentaient plus de risques de ne pas pouvoir atteindre la ration journalière de cette vitamine qui se situe aux environs de 15 microgrammes pour un adulte, à moins qu’ils n’aient l’habitude de consommer beaucoup d’œufs, de foie cru de gibier ou de champignons, la viande n’étant pas une source suffisante. Mais là aussi, les cas de rachitisme, faciles à détecter sur les squelettes d’enfants, semblent très rares. Pour le reste, cette consommation de produits frais et crus les mettait aussi à l’abri d’une carence en vitamine C abondante dans les pousses végétales, les plantes aquatiques ou les graines, et également en vitamine B12 présente dans les produits d’animaux terrestres (viandes, abats, œufs) et les fruits de mer (crabes, coquillages, poissons), pour ceux qui y avaient accès.
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Les maladies « La plupart des maladies qui ont infesté les sociétés agricoles puis industrielles (variole, rougeole, tuberculose) trouvent leur origine parmi les animaux domestiques et n’ont été transmises à l’homme qu’après la Révolution agricole » (Harari, 2015). Le fait de n’être en contact qu’avec des animaux sauvages obligatoirement en bonne santé (même s’ils étaient parasités) était sans aucun doute un atout pour nos chasseurs. Toutefois, selon les toutes dernières recherches sur les Néanderthaliens, il s’avère que les hommes modernes (nos archers) auraient justement véhiculé la tuberculose occasionnant de fortes mortalités chez les « autochtones » initialement épargnés par cette bactériose et qui connaissaient déjà une démographie en déclin (TV5). Nos Sapiens n’étaient donc pas indemnes de maladies, mais se montraient plus ou moins résistants et se trouvaient protégés de ces affections par le fait qu’ils vivaient en pleine nature relativement éloignés les uns des autres, donc peu enclins aux contaminations. Nous ne savons rien des maladies virales auxquelles ne pouvaient échapper les archers, d’autant qu’ils étaient très directement en contact avec la faune sauvage, réserve inépuisable de microbes. En l’absence d’hygiène et de gestes-barrière qui font notre actualité, les mortalités étaient inévitables, mais peut-être moins importantes que prévues grâce au confinement de fait lié à la répartition des familles isolées en forêt, et surtout la faible densité d’occupation du territoire qui est quand même le principal frein aux pandémies. La peste qui a fait d’immenses ravages dans les populations sédentarisées du Néolithique est véhiculée par les rats inféodés aux stocks de céréales et aux décharges de détritus des villages, inexistants chez les seminomades. On n’a pas de preuve indiquant que la peste ait pu occasionner de la mortalité chez les archers mésolithiques, mais « l’analyse des génomes de quelques individus de l’Âge du Bronze indique que certains portaient des traces de la bactérie (Yersinia pestis) qui la provoque » (Rasmunsen, 2015). Cette affection devait donc exister bien antérieurement, au moins de façon latente. Restaient cependant les infections pulmonaires liées à des coups de froid et qui dégénéraient en septicémies généralisées responsables de mortalités rapides qui laissent, malheureusement, peu de traces sur les squelettes. Les anthropologues qui s’intéressent beaucoup aux dents ont depuis longtemps remarqué que les caries étaient rares chez les chasseurs du Pléistocène (un Homo sapiens de Zambie et un sujet en Europe font toutefois exceptions !), probablement parce qu’ils ne mouraient pas très vieux, mais aussi à cause de leur alimentation diversifiée et très pauvre en sucre. On a trouvé cependant sur certains crânes, datés du Mésolithique, des dents en mauvais état qui pourraient expliquer la mortalité de certains sujets. Sur ce point, « la première trace repérable de soins dentaires concerne une dent cariée retrouvée sur le site de Riparo Villabruna, en Vénétie, au nord-est de
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l’Italie » (Teyssandier, 2019). Elle montre que la population de Sapiens n’échappait pas complètement au mal de dent ! Par ailleurs, sur certains squelettes, quelques lésions graves ont pu être détectées comme, par exemple, la griffe cubitale lépreuse connue pour son évolution lente. Elles montrent que « les handicapés n’étaient pas abandonnés » (Rozoy, 1978) et que les familles acceptaient de les nourrir éventuellement très longtemps, malgré des maladies qui les rendaient dépendants du groupe. Dans ce contexte, quels services apportaient les chamanes à ces familles dispersées sur le territoire et contraintes à une autarcie pour l’alimentation, mais aussi pour les soins ? Impossible de le dire ! En se référant aux habitudes des peuples premiers encore présents dans le monde, on peut imaginer qu’ils soulageaient les souffrances physiques (en cas d’accidents ou de maladies), mais aussi psychologiques lorsque des conflits interfamiliaux ou interethniques apparaissaient inévitablement dans ou entre ces groupes de chasseurs-cueilleurs, certaines personnalités ne pouvant sans doute pas rester intégrées à la harde sans difficulté. Le chamane était alors un médiateur. Quant aux diagnostics et soins « médicaux », on ne peut rien conclure, si ce n’est de s’appuyer sur les témoignages rapportés par les ethnologues sur les capacités surprenantes de ces guérisseurs de brousse qui proposent toujours un traitement, mais sans pouvoir évidemment toujours assurer une guérison. Selon le professeur Elkin (1968), « les chamanes aborigènes d’Australie se révèlent capables de diagnostiquer les maladies avec une grande précision en voyant, à travers la peau, les organes du corps. Les maladies apparaissent en couleurs rouge, gris et blanc. Ces dernières délimitent des zones au sein du cœur et du foie, lesquels sont de couleur noire. Lorsque la cavité stomacale et les intestins sont clairs, la personne est en bonne santé », et il ajoute qu’ils peuvent aussi « fouiller l’esprit des patients (télesthésie) tel qu’il est au moment de l’investigation, mais aussi tel qu’il était dans le passé ». Les accidents Le mode de vie des archers nécessitait de nombreux déplacements par le fait qu’ils étaient nomades (changements de camp), mais aussi à cause de la corvée d’eau, de ramassage (cueillette) et des opérations de chasse. Les sentiers, mais aussi les parcours « tout terrain » les plus nombreux, provoquaient inévitablement des chutes (fractures), des plaies (frottements) et des piqûres (épines, insectes ou occasionnellement scorpions ou vipères). De retour au camp, il fallait soigner les blessures qui, une fois lavées, étaient recouvertes de miel ou de plantes désinfectantes. Sur les squelettes mis à jour, les archéologues n’ont trouvé que de rares cas de fracture, moins nombreux que sur une population actuelle montrant que « la vie épipaléolithique était en fin de compte moins dangereuse que la nôtre » ! (Rozoy, 1978).
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La démographie Les données très fragmentaires, que nous avons déjà évoquées plus haut, sur les densités de populations humaines en Europe et les causes de croissance ou de diminution de celles-ci, ne permettent pas de se faire une idée précise de l’évolution de l’occupation des territoires par nos Sapiens. On peut avancer toutefois, au mieux, quelques affirmations sur la démographie de cette époque. « L’ethnologie nous montre que les chasseuses-cueilleuses avaient en moyenne un enfant tous les trois ans » (Demoule, 2018). Par ailleurs, « on a constaté, à partir de l’étude des sépultures, que les populations mésolithiques étaient à l’abri de la plupart des causes de décès post-infantile et présentaient une espérance de vie assez importante, proche de populations primitives actuelles ayant accès à une médecine moderne de prévention et de soins de maladies. De ce fait, moins de 20 % de la population avait entre 50 et 60 ans » (Ghesquière, 2015). Les femmes avaient mis au monde en moyenne 5 ou 6 enfants à 30 ans, mais une proportion non négligeable d’entre elles mouraient en couches. Comme elles étaient par ailleurs soumises aux mêmes risques que les hommes (maladies et accidents), il est probable qu’elles étaient moins nombreuses qu’eux dans la population d’archers et qu’il existait, de façon latente comme chez les premiers Américains, « une concurrence pour les femmes » (Arte, 2018 b), ce qui pouvait conduire à des conflits entre familles. Même si les femmes d’archers mangeaient à leur faim, ce que semble indiquer l’état de leur squelette, « leur régime faiblement calorique n’a pas permis à ces populations de développer un taux de natalité conduisant à concurrencer l’expansion des populations néolithiques dont la durée de vie plus faible assurait une forte proportion de jeunes. Cette différenciation dans la pyramide des âges a, sans aucun doute, participé à la supériorité des populations d’agriculteurs lors de leur conquête du continent européen. La propagation probable de maladies épidémiques aux populations mésolithiques lors de la rencontre des deux cultures a sans doute (aussi) drastiquement réduit cette espérance de vie » (Ghesquière, 2014). Les archers consommaient, pour des raisons différentes (saisons, disponibilités de la flore et de la faune, etc.), une nourriture variée très riche en éléments minéraux et vitamines et bien pourvue en protéines et surtout, dès l’enfance, une longue période d’allaitement, d’où un très bon niveau de défenses immunitaires et ainsi une relativement faible mortalité infantile. C’est le remplacement de cette alimentation bien adaptée aux humains, mais aussi la promiscuité des habitants des villages, qui a conduit les anciens chasseurs-cueilleurs devenus agriculteurs à subir la propagation des maladies infectieuses des derniers millénaires avant notre ère et à connaître des mortalités parfois massives. Avec tous ces aléas et dangers de la vie domestique, la survie du groupe était conditionnée par une bonne organisation, une entraide systématique et une bonne entente, car il n’y avait, à l’extérieur de lui, aucun salut pour une 197
personne seule. Sans cette cohésion sociale, plus ou moins forcée évidemment, les communautés de Sapiens n’auraient jamais pu survivre dans cette nature, certes généreuse, mais aussi exigeante, voire hostile. Les ethnologues qui ont vécu au sein de peuples premiers ont tous constaté leur aptitude à surmonter les difficultés à force de solidarité, cette valeur de fond de notre humanité.
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V. UNE APPROCHE DE LA VIE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE
A. TRAVAIL, ABONDANCE ET PÉNURIE Travail Les anthropologues qui ont décrit l’activité de certains peuples premiers actuels nous permettent de mieux comprendre ce qui fait l’originalité de ce mode de vie. « Il semble que les chasseurs-collecteurs puissent fort bien, à l’occasion, s’affranchir de tous soucis économiques. Le groupe de Fish Creek étudié sur le territoire d’Arnhem, au nord de l’Australie, par les deux chercheurs Mc Carthy et Mc Arthur (1960), entretenait presque à plein temps un artisan, un homme de 35 à 45 ans dont la véritable spécialité semble avoir été de se tourner les pouces… (car) il n’allait jamais à la chasse… et passait le plus clair de son temps à bavarder, à manger et à dormir (Sahlins, 1976). Chez les Bochimans d’Afrique du Sud, « l’activité de chaque adulte se limite à environ deux jours de travail par semaine auxquels il faut ajouter la préparation des aliments et l’entretien ou la fabrication des outils et ustensiles divers » (Sahlins, 1976). « Les gens s’adonnent la plus grande partie du temps à d’autres occupations telles que se reposer ou rendre visite au camp voisin » (Lee, 1969). « Tout compte fait, l’activité de subsistance des Bochimans est probablement très proche de celle des aborigènes australiens » (Sahlins, 1976). Quant aux Hadza de Tanzanie, qui vivent dans une région giboyeuse de la Rift Valley, « ils passent la moitié de l’année (saison sèche) à jouer et consacrent probablement moins de deux heures par jour, en moyenne, à se procurer de la nourriture » (Woodburn, 1968). « Les Yamana d’Amérique du Sud sont incapables de fournir quotidiennement un effort soutenu… Ils travaillent plutôt par à-coups et déploient, à l’occasion, une énergie considérable, après quoi ils manifestent le besoin de prendre un repos extraordinairement prolongé et traînent sans rien faire et sans apparence de vraie fatigue » (Gusinde, 1961). Chez les Bochimans Kung, la chasse et la cueillette ne demandent pas de gros efforts, semble-t-il, puisqu’ils s’approvisionnent facilement « sans solliciter l’aide des jeunes qui souvent ne font pas grandchose jusqu’à l’âge de 25 ans » (Sahlins, 1976). « Que penser de ces aborigènes australiens, les Yir Yiront, qui ne distinguent pas entre le travail 199
et le jeu ? » (Sharp, 1954). En fait, « Les aménagements économiques (des chasseurs-collecteurs) s’inspirent de la profusion originelle, de la foi en la munificence de la nature et de l’abondance de ses ressources et non du désespoir né d’une conscience de l’insuffisance des moyens humains » (Sahlins, 1976). Une remarque tout de même. Tous ces peuples premiers vivent sous des climats favorables, ce qui limite beaucoup les contraintes nécessaires pour se vêtir, se chauffer et passer la mauvaise saison… Difficile donc d’en tirer des conclusions fiables pour nos archers pour qui, une bonne moitié du temps disponible devait être consacrée, sous nos climats tempérés, aux obligations domestiques. Abondance et pénurie Remarquons d’abord que les notions de pénurie et d’abondance concernent plus spécialement les économies de marché (ou d’échanges). La première sévit lorsque les denrées de première nécessité n’arrivent plus aux consommateurs pour cause de baisses de productions ou de conflits. La seconde se manifeste en cas d’excédents alimentaires généralement consécutifs à des conditions climatiques favorables. Les chasseurs-cueilleurs vivaient largement à l’abri de ces risques, car, chaque année, sous des climats tempérés, la nature leur fournissait à peu près les mêmes quantités d’approvisionnements de proximité très diversifiés en produits végétaux et animaux. Les difficultés étaient plutôt liées à la saison, et plus spécialement à la baisse de rendement des cueillettes pendant et en fin d’hiver, les proies animales restant accessibles par la chasse et à niveau constant. Sauf accident climatique sévère (froid intense ou excès de neige), le cheptel sauvage adulte baisse en effet assez peu en février/mars, mais rarement de façon drastique. Il pouvait cependant arriver que, dans certaines contrées, des maladies décimaient les troupeaux d’herbivores et dans ce cas, les grosses proies devenaient plus rares. C’est la raison pour laquelle A. Bridault (1994) pense que « la gestion de la pénurie et de l’abondance peuvent avoir été des stratégies locales, utilisées sur des échelles de temps relativement courtes, au rythme des fluctuations saisonnières ou annuelles ». Il faut considérer aussi que vivre une pénurie en pays riche est insupportable alors qu’elle est mieux « acceptée » en pays pauvre, même si elle est tout autant douloureuse. Dans le premier cas, les habitants cherchent, en toutes circonstances, « à satisfaire leurs besoins (élevés) en produisant beaucoup », dans le second cas, à supporter la situation « en désirant moins » (Sahlins, 1976). Le même auteur croit pouvoir affirmer qu’« en adoptant une stratégie de type Zen, un peuple peut jouir d’une abondance matérielle sans égale avec un bas niveau de vie. Tel est, je crois, le cas des chasseurs. Ignorant cette obsession de la rareté qui caractérise les économies de marché, les économies de chasse et de cueillette peuvent miser systématiquement sur l’abondance » (Sahlins, 1976). Il reste que pour nos archers, certaines périodes devaient être très difficiles et qu’ils passaient un certain nombre de 200
jours avec la faim au ventre. Confirmation donnée là encore par le point de vue de Sahlins (1976) qui précise : « nous n’entendons nullement nier que les économies préagricoles sont assujetties à de sévères contraintes. Nous voulons seulement insister sur le fait qu’elles parviennent généralement à trouver une solution d’adaptation, comme en témoigne l’exemple des chasseurs-collecteurs. L’accès aux richesses naturelles est aussi direct que possible. Chacun y puise à volonté. À cela s’ajoute la généreuse coutume du partage pour laquelle les chasseurs sont, à juste titre, renommés. De sorte que tout le monde participe à la prospérité générale telle qu’elle se présente. Je dis bien telle qu’elle se présente, car il n’en reste pas moins que cette prospérité s’appuie sur un niveau de vie objectivement modeste » (Sahlins, 1976). Pour revenir à nos archers, constatons que dans nos forêts d’Europe de l’Ouest, la densité de grands gibiers peut avoisiner plus d’une vingtaine d’animaux au 100 ha (cerf, chevreuil, sanglier et bison ou aurochs) qui produisent chaque année, en moyenne, une bonne quinzaine de jeunes, c’està-dire une trentaine d’ongulés sur une surface de 250 ha environ, soit un gros gibier à prélever tous les 10 à 12 jours environ… ce qui est bien confirmé par le point de vue de M. Sahlins (1976) qui considère que « la pleine utilisation de la reproduction animale suffirait à nourrir cinq personnes au mille carré (259 hectares) sans compromettre les ressources naturelles ». Or, dans les contrées du Mésolithique, la densité de population humaine ne dépassait pas, semble-t-il, en moyenne, 1 habitant au 1 000 ha. Ce dernier disposait donc de quoi ripailler sérieusement avec sa famille ! À partir de données collectées en Afrique orientale où la faune pourrait avoir une densité voisine de celle de nos forêts européennes de l’époque, C. Clark et M. Haswell (1964) évaluent « la production annuelle de viande à 40 fois celle nécessaire pour nourrir une population de chasseurs dont la densité serait d’un habitant pour 20 km2 et qui subsisterait exclusivement sur des nourritures animales ». Ce point de vue vient corroborer le précédent. Donc même si des périodes de disette n’étaient pas à exclure, nos archers se nourrissaient parfaitement bien, comme en témoigne l’absence (déjà évoquée) de carences relevées sur les squelettes humains de cette époque. Un autre aspect à considérer tient au fait que nos archers n’étaient pourvus que de très peu de biens matériels et « nous avons tendance à penser que les peuples de chasseurs-collecteurs sont pauvres parce qu’ils n’ont rien ; mieux vaut peut-être les considérer, pour cette même raison, comme libres » et insouciants de leur approvisionnement en nourriture, donc finalement « riches » de leur confiance en la prodigalité de la nature environnante. « Le chasseur semi-nomade, est-on tenté de dire, est l’homme non économique… du moins en ce qui concerne les produits non alimentaires » (Sahlins, 1976). « La quantité très limitée de leurs biens matériels les soulage de tous les soucis de la vie quotidienne et leur permet de jouir de l’existence » (Gusinde, 1961). Toutefois, une contrainte de taille pèse sur ce Sapiens, « le seul singe migrateur » de P. Picq (2016). C’est le 201
fait qu’après avoir beaucoup pérégriné depuis l’Afrique, il a encore l’obligation de se déplacer pour trouver sa nourriture et reste condamné à la vie semi-nomade avec pour conséquences : « le mouvement, condition première du maintien de la production à un niveau suffisant et la suppression des vieillards, la pratique de l’infanticide, l’abstinence sexuelle pendant l’allaitement, etc., autant de pratiques régulièrement attestées chez les chasseurs-collecteurs » (Sahlins, 1976). Si en Europe actuelle, la richesse est très liée à l’accumulation de biens, en particulier immobiliers, ce n’est pas du tout le cas chez certains peuples premiers qui semblent ne manifester aucun intérêt pour ces derniers. En effet, chez les Murngin, aborigènes chasseurs-cueilleurs nomades d’Australie, le caractère portatif d’un objet est un critère décisif de sa valeur. « Les biens de dimensions réduites sont préférables aux biens encombrants… car la valeur suprême est la liberté de mouvement » (Warner, 1958). Ainsi, de toute évidence chez les semi-nomades, « le stockage a pour inconvénient d’aviver les contradictions entre richesse et mobilité » (Sahlins, 1976) et nos archers, comme nous l’avons mentionné précédemment, optaient visiblement pour la mobilité !
B. LES MOBILITÉS AU COURS DU MÉSOLITHIQUE Les très nombreux sites mésolithiques fouillés en Europe conduisent à penser que nos archers déplaçaient souvent leur camp, car il est rare de trouver des sites d’occupation permanente qui fournissent en même temps une grande quantité de rebuts de silex, des ossements d’animaux consommés et des sépultures multiples. Par ailleurs, à partir de leur nouvelle installation, ils opéraient des déplacements localisés autour du campement. Aux abords de celui-ci, ils travaillaient le silex, fabriquaient des armes de chasse, découpaient la venaison pour le fumage ou le séchage. On y trouve des pointes de flèches, des têtes de gibiers avec les bois ou les cornes. Plus loin, à quelques kilomètres, se trouvaient des postes de chasse où l’on collectait des informations sur les gibiers et peut-être aussi sur les voisins ! Mais ces sites proches d’un col, d’un défilé ou d’un gué n’ont évidemment depuis laissé quasiment aucune trace archéologique. Il y avait aussi certainement des caches dans lesquelles ils stockaient provisoirement de la venaison grossièrement débitée où l’on trouve alors des vertèbres, des côtes et des os de gigots. Entre ces trois emplacements, les allers-retours devaient être fréquents et il fallait toujours marcher ! Les chasseurs connaissaient bien leur terrain puisqu’ils le parcouraient régulièrement pour se ravitailler. La nécessité de transférer leur camp ne les empêchait pas de revenir au même point de départ de temps en temps, comme les archéologues ont pu le prouver à la Sablonnière de Coincy ou à Star Carr. Leur nomadisme n’avait rien à voir avec une errance au hasard, mais des retours plus ou moins fréquents en un même lieu qui devaient
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probablement porter un nom… impossible à retrouver pour nous, leurs lointains descendants ! Les disponibilités alimentaires montrent que, dans certains cas, nos chasseurs auraient pu vivre en sédentaires, mais on aurait alors trouvé des accumulations importantes d’outils ou d’os, ce qui s’est avéré très rare. Le semi-nomadisme serait donc avant tout, et finalement, un fait culturel comme on le constate chez les Kung Bushmen (De Vore, 1968) ou les Ba Mbutis qui se déplacent « parce qu’ils sont là depuis trop longtemps » ! (Turnbull, 1961). C’est bien ce que confirme G. Marchand (2014) en soulignant que « L’examen des peuples subactuels montre que la sédentarité est rare, voire absente des sociétés à économie de chasse ». 1. Les déplacements locaux Les déplacements littoraux La navigation sur les cours d’eau, les estuaires et le littoral marin local, en pirogue monoxyle, était courante au Mésolithique. Les fouilles l’attestent. Le fait que des Sapiens aient traversé, il y a plus de 50 000 ans, les 100 km d’océan qui séparaient, à l’époque, l’Indonésie de l’Australie (Arte, 2017) laisse à penser que les « marins » du Mésolithique avaient les capacités de voyager, 40 000 ans plus tard, tout le long des côtes européennes et même coloniser certaines îles ! Et en effet, « c’est au Mésolithique que les Baléares, la Corse, La Sardaigne, les îles de la mer Égée, les Orcades ou les Shetland furent conquises par l’Humanité » (Cauwe, 2001). Pour le littoral atlantique, G. Marchand (2014) parle d’un « corridor côtier et donc d’un nomadisme marin de la Vilaine à la Pointe du Raz. Les habitants savaient aussi naviguer le long des abers en utilisant les mouvements montants de la marée et les courants descendants d’eau douce. Les vestiges de bateau et de rames extraits des tourbes du nord de l’Europe ne laissent aucun doute sur la réalité d’une navigation, au moins en rivières et sur lacs côtiers, dès le Préboréal. « Les marais actuels étaient, à l’époque, des voies probablement très fréquentées, ce qui expliquerait la présence, dans les vases organiques, des objets de navigation perdus accidentellement » (Rozoy, 1978). En Europe et dans le monde, les zones côtières ont toujours fait l’objet d’un trafic plus ou moins intense qui se justifierait pour des raisons économiques (échanges locaux), mais aussi par la volonté de migrer et de conquérir de nouveaux espaces, ce qui semble avoir été le cas le long de la presqu’île arabique ou entre les nombreuses îles d’Indonésie. « Chez les San d’Afrique du Sud, par contre, le nomadisme était plus limité sur le littoral qu’à l’intérieur des terres » (Patou-Mathis, 2007). À part quelques cas particuliers cités plus haut, il semble que les occupants des côtes se soient rarement aventurés en haute mer, sans doute à cause du fait qu’ils ne disposaient pas d’embarcations adaptées à la pêche lointaine ou au commerce véritablement marin. En tous cas, « en Bretagne, les preuves de la navigation hauturière sont nulles » (Marchand, 2014).
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Tous les groupes ne se déplaçaient pas forcément et systématiquement loin des côtes puisque les analyses isotopiques des ossements humains découverts dans les sépultures littorales indiquent une consommation locale de gibiers et de coquillages soulignant « l’inféodation de ces populations à la bordure marine » (Marchand, 2014). Toutefois, « certains individus (préférentiellement des femmes) présentaient des rapports isotopiques différents du reste de la population, ce qui pourrait s’expliquer par des mariages avec des épouses qui étaient issues de l’intérieur des terres et non pas du littoral » (Marchand, 2014). Ajoutons que des connexions aquatiques entre le littoral et l’arrière-pays ont bien été mises en évidence par ce même auteur qui précise : « en Loire-Atlantique, elles concerneraient le territoire sur une trentaine de kilomètres de profondeur et sembleraient plus manifestes qu’en Bretagne ». Les déplacements fluviaux Pris transversalement, les grands fleuves ont représenté, malgré les capacités à naviguer décrites plus haut, des « barrières » très difficilement franchissables au Premier Mésolithique. Ainsi, la Seine soulignerait la limite entre la culture des pointes à retouche couvrante (au nord) des pointes de Sauveterre (au sud), et le Rhône aurait borné l’extension du Castelnovien à l’ouest (Marchand, 2014). Toutefois, en période de basses eaux (l’été), il était possible de traverser les cours d’eau avec des radeaux, plus simples à construire que les pirogues, mais qui ne laissent aucune trace une fois disloqués par les courants. Les chasseurs pouvaient aussi passer par des gués, mais beaucoup n’étaient praticables que quelques semaines par an comme celui de Bourg-de-Péage dans la Drôme, sur le cours plus ou moins torrentueux de l’Isère. Restait aussi les déplacements à la nage « instinctive » en s’aidant d’un tronc d’arbre flottant, mais… difficile de faire traverser toute la famille ! Il était évidemment impossible de franchir les fleuves ou les grandes rivières pendant la période des crues au risque de se noyer. Pendant une bonne partie de l’année, les camps restaient donc sur une des deux rives en attendant de pouvoir atteindre l’autre… d’où des choix stratégiques à assumer pour des clans qui devaient prévoir bien à l’avance des périodes de franchissement leur permettant d’accéder à des territoires de chasse en montagne, par exemple. Et comme en plein hiver, les cols étaient bloqués par la neige… les groupes humains se trouvaient donc cantonnés, par obligation, sur des territoires de plaine bien limités (abri de Campalou dans la Drôme) durant toute la mauvaise saison. Pris longitudinalement, par contre, les cours d’eau étaient systématiquement utilisés comme voie de circulation. Au moment des étiages, les berges exondées offraient une « route » facilement accessible où la vue était dégagée et les dangers plus faciles à détecter. Ces parcours, outre qu’ils offraient en continu de l’eau pour boire et se laver et éventuellement 204
des poissons ou coquillages (moules) pour se nourrir, leur permettaient de se repérer plus facilement et d’éviter les sentiers forestiers sur lesquels ils pouvaient tomber nez à nez avec des loups enragés ou affamés, ou des ourses occasionnellement agressives (présence d’oursons avec la mère) ! Les grands fleuves à courant lent (Seine, Danube par exemple) facilitaient la descente des vallées et même la remontée, avec des pirogues (ou canots ?) exploitant les contre-courants présents le long des berges (Loire, Rhin, Escaut). Pour preuve, la découverte en bord de Seine d’une pirogue monoxyle de 8 m de long sur 0,5 m de large, datée du VIIe millénaire. Toutefois, la navigation à contre-courant de ces lourdes embarcations le long de beaucoup de rivières à courant souvent rapide paraissait très difficile (Allier, l’Isère), voire impossible. Il fallait donc se limiter à des trajets locaux. Mais d’un camp rivulaire à l’autre, au fil des étapes, les groupes avaient l’opportunité de se déplacer et de migrer… parfois sur de très longues distances au fil des siècles. On sait, par exemple, qu’en Asie, la pénétration des hommes modernes s’est faite le long des réseaux hydrographiques (Arte, 2017). En zone de confluence, sur des « nœuds fluviaux », des fouilles ont mis en évidence des vestiges d’activités festives. Il en était ainsi à Vaise, sur la terrasse de la rive droite de la Saône, tout près du Rhône ou à proximité de la Trouée de Bâle (et du Jura souabe), qui fait correspondre la vallée du Rhin à celle du Rhône (par le Doubs et la Saône) et du Danube. La diversité des pointes de flèches témoigne alors de l’intense activité d’échanges que connaissaient ces sites très stratégiques. D’autres stations fouillées le long des affluents de la Seine ont montré, par la découverte de microburins, que « cette technique (de taille de silex) a migré des plaines du Bassin parisien jusque dans le Brabant » (Rozoy, 1978). Toutefois, ces échanges semblaient porter essentiellement sur ces outils stratégiques en non pas sur un commerce régulier de fournitures domestiques comme de nos jours. La nourriture, l’habillement, le logement et les armes de chasse restaient des productions locales… une mouture préhistorique et prémonitoire du « commerce de proximité » ! Les déplacements en milieu terrestre boisé Nous avons vu que nos chasseurs suivaient préférentiellement les bords des grands cours d’eau, mais aussi ceux de leurs affluents, car, comme on l’a déjà fait remarquer, l’intérieur du territoire était occupé durant une grande partie du Mésolithique par des landes, des forêts claires ou des boisements denses très difficiles à pénétrer. Pour cueillir ou chasser, il fallait donc se faufiler sur les pistes ouvertes par les sangliers, les chevreuils ou les cerfs qui ont l’habitude de passer toujours au même endroit, dégageant des « coulées » dans lesquelles les hommes pouvaient éviter les épines et les ronces aux piquants vulnérants. Les passages les plus commodes étaient tracés par les chevaux ou les aurochs qui installaient des sentiers plus larges 205
et avaient aussi l’avantage, à l’occasion, de conduire directement aux gibiers de fortes corpulences, les plus convoités. Quelques données chronologiques Une autre raison de se déplacer tenait au besoin de se procurer des blocs indispensables à la fabrication des points de flèches. En Anjou, au Tardiglaciaire déjà, les petits groupes humains transitaient régulièrement pour se procurer des silex à tailler et les vestiges des campements indiquent des séjours courts (Marchand, 2014) caractéristiques d’un semi-nomadisme assez systématique. Pendant le Bölling puis l’Alleröd, les formations végétales n’étaient pas très denses dans la plupart des régions d’Europe et les Sapiens ne devaient pas avoir trop de mal à franchir les fruticées, les forêts-galeries ou les futaies claires. Dans la période qui a suivi, ces formations ont régressé devant le retour de la steppe froide et, selon G. Marchand (2014), il semble que l’on puisse alors détecter « l’indication d’une plus grande mobilité des groupes pendant le coup de froid du Dryas récent ». Deux mille ans plus tard, à proximité des Préalpes, dans l’abri sous Balme de Culoz, dans l’Ain, un des deux squelettes découverts disposait d’un collier de « douze coquilles perforées de type Colombella rustica, typiquement méditerranéennes » (Vilain, 2017), qui avait donc transité, pendant la fin du Boréal, depuis la mer le long du Rhône sur plus de 300 km. Pendant la période Atlantique, on n’a pas la preuve que les archers se déplaçaient sur de très longues distances, mais ce n’était pas impossible puisque, à l’Âge du Bronze, 3 000 ans plus tard il est vrai, dans des massifs boisés très compacts et comparables, les chercheurs ont pu montrer, grâce aux caractéristiques isotopiques de ses cheveux, que la « fille d’Egtved » avait déjà fait, à 18 ans, plusieurs milliers de kilomètres aller-retour entre sa région d’origine, la Forêt-Noire, et le Danemark (Arte, 2018). Malgré les dangers à s’aventurer dans les sous-bois des futaies denses, les chasseurs ne semblaient pas hésiter à les traverser. Pour des raisons de sécurité, ils devaient probablement se déplacer en petits groupes et avaient confiance en leurs armes pour dissuader les ourses ou les loups de les attaquer. Un des meilleurs connaisseurs de la préhistoire des régions de l’Ouest français a pu déduire de ses recherches qu’il était effectivement difficile, par contre, de se déplacer dans les « forêts-galeries touffues » du Mésolithique (Marchand, 2014). Quelques portions résiduelles de ces écosystèmes très riches en biodiversité (ripisylves) ont été conservées sur certains secteurs de cours d’eau, comme le long du Rhin par exemple, et sont quasiment impossibles à atteindre, même de nos jours à cause de la présence de marais, de joncs, de roseaux, de saules et de ronces à travers lesquels les seuls sangliers sont aptes à se frayer un chemin. Par contre dans le sud de l’Europe, mais aussi dans les plaines plus ou moins clairiérées du continent, « les travaux récents sur les industries à 206
trapèze laissent à penser… que les écosystèmes méditerranéens et tempérés (moins denses) n’ont pas engendré d’obstacles insurmontables aux déplacements humains durant le VIIe millénaire » (Marchand, 2014). Déplacements journaliers Des moyennes calculées sur de nombreuses régions du monde et qui ne sont pas forcément applicables à l’Europe peuvent toutefois donner une idée des déplacements pratiqués par des Sapiens semi-nomades. « Les femmes parcourant des distances inférieures à celles des hommes… et en cumulant les données disponibles à l’échelle de la planète, tous genres associés, le rayon de déplacement (autour des campements) serait de 8,5 km, soit une surface couverte de 22 500 ha » (Binford, 1990), c’est-à-dire à peu près celle d’une quinzaine de communes. Pour les hommes, consacrés à la chasse, « un trajet aller-retour quotidien de 20 à 30 km semble être la distance maximale parcourue chez la majorité des peuples de chasseurs-cueilleurs » (Kelly, 2007). Déplacements des camps En plaine, les groupes familiaux auraient pratiqué une « mobilité résidentielle » au sens de Binford (1980). Ils se seraient déplacés assez souvent au cours de l’année en parcourant un territoire limité dans un rayon donné. Une fois cette « aire d’acquisition » exploitée et devenue moins productive, ils auraient eu l’habitude de déplacer leur camp de base pour en parcourir une nouvelle. Ces groupes qui ne stockent aucune provision peuvent être classés dans les « fourrageurs » (foragers) dénommés ainsi par nos amis québécois. Selon certaines données bibliographiques, « la distance entre deux implantations successives serait voisine de 17 km »… mais, selon G. Marchand (2014), « cela reste une approximation mathématique et assez formelle ». D’autres groupes auraient pratiqué une « mobilité logistique » autour de camps de base moins souvent déplacés à partir desquels ils accèdent à des postes de chasse (affûts) assez éloignés où ils peuvent effectuer aussi une première découpe des carcasses, laissant sur place les bois et les cornes. Une partie de la venaison est alors entreposée dans des « caches » qui sont repérables par les archéologues grâce à des restes de vertèbres, de côtes et d’os de gigots. Ces pièces de viande sont ensuite ramenées au camp où réside la famille qui assure les travaux domestiques. Cette pratique du stockage « provisoire » conduit à identifier ces groupes comme des « collecteurs » (ou collectors selon Binford, 1980), et nous en avons donné déjà quelques exemples. Si ces hypothèses peuvent se vérifier ici ou là, bon nombre de déplacements resteront toujours inaccessibles à notre connaissance, car les vestiges datant de 10 000 ans sont rares, d’autant que selon les différents
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environnements naturels et les cultures, une combinaison de ces options reste possible ! Au final, « les distances pour les déplacements de l’habitat sont plus importantes dans les systèmes à mobilité logistique (collectors) que dans ceux à mobilité résidentielle (foragers)… et dépendent beaucoup des ressources disponibles et du système d’exploitation adopté » (Marchand, 2014). Le rythme de mobilité des « fourrageurs » cité par différents chercheurs semble voisin d’un mois, mais il serait plus important en zone à faibles ressources (steppe et absence de zones de pêche) qu’en secteur riche (forêts tempérées clairiérées). La disponibilité en biomasse alimentaire n’était sûrement pas le seul critère de décision des archers pour transférer leur campement, car ils devaient aussi entretenir leurs alliances, prévoir des mariages, des cérémonies et assurer des échanges (parures, pierres semiprécieuses, silex, coquillages). Dans le nord de l’Europe, au Mésolithique, ce « commerce » s’étendait sur plusieurs centaines de kilomètres, alors qu’il semble beaucoup plus réduit dans l’ouest près des côtes (Marchand, 2014). Déplacements pendulaires En zones de montagne (Alpes, Pyrénées, Carpates, etc.), les chasseurscueilleurs se seraient dispersés, pendant l’été, en altitude pour accéder aux cerfs, chamois, bouquetins et marmottes et se seraient regroupés en hiver dans les plaines. La découverte de haltes de chasse à mi-pente sur les chemins des cols tendrait à prouver que « ces déplacements pendulaires étaient effectivement pratiqués un peu partout… mais il serait imprudent de généraliser ce modèle un peu trop commode » (Spikins, 2000). Il est probable que nos archers déplaçaient leur campement en fonction des saisons comme on l’a déjà dit : en plaine pendant la saison froide et dans les collines en été, « puisqu’il est évident qu’on ne peut pas vivre à cette altitude (400m !) en hiver », selon Clark (1972). Mais ce point de vue est contesté par d’autres chercheurs qui font remarquer que si certains ateliers de silex sont plus riches en armatures en plaine (Bassin parisien), il en est d’autres qui sont plus fournis sur les plateaux (Causses). Repérages Pour se repérer dans ce réseau compliqué de traces animales et de parcours anthropiques susceptibles de se recouper et d’égarer les chasseurs, il est probable que ces derniers positionnaient des cairns (amas de pierres) comme on le fait encore sur les Hauts-Plateaux du Vercors ou de la Margeride et dans beaucoup de régions d’Europe. Ces derniers facilitaient les repérages en tout terrain, mais servaient visiblement aussi à « signaler les sites remarquables comme à Téviec (Quiberon) sur les points de sépultures au-dessus des foyers rituels » (Péquart, 1939). Mais les archers pouvaient
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aussi utiliser l’ocre projeté sur des rochers, des piquets noircis au feu ou des branches cassées à hauteur d’homme qui sont faciles à identifier. Regroupements Les données archéologiques ne sont pas suffisantes, en Europe, pour comprendre précisément comment les entités familiales se répartissaient et se déplaçaient dans une « région culturelle » donnée au cours du temps, mais suffisantes pour suspecter des périodes de regroupement (site de La Montagne à Sénas au bord de la Durance) et de dispersion. Ces mouvements semblaient corrélés surtout aux saisons, à l’abondance des proies et aux rites cultuels. Rien de surprenant au regard des déplacements saisonniers de certains peuples semi-nomades comme les Eskimos du Grand Nord canadien ou les Hadza de Tanzanie qui se rassemblent aussi à l’occasion de chasses collectives ou de fêtes rituelles (Maus & Beuchat, 1905). 2. Les grandes migrations de la fin du Mésolithique « L’histoire de l’humanité et en particulier de l’Europe est une histoire de migrations et de métissages tout au long du Pléistocène supérieur et de l’Holocène » (Geigl, 2017). Rappelons ici quelques réalités sur cette colonisation humaine de l’Europe déjà abordée dans cet ouvrage à propos de l’origine des archers. À l’est du continent, les premiers humains à s’installer il y a plus d’un million d’années, étaient des Homo erectus dont une branche a survécu durablement dans les Monts de l’Altaï. Quelques vestiges ont été trouvés dans la grotte de l’ermite Denis. Certains de ces Dénisoviens se sont par la suite hybridés avec des Sapiens arrivés beaucoup plus tard (vers - 60 000 ans peut-être ?) d’Afrique également. Certains gènes propres à ces primooccupants se seraient transmis à des populations de montagnes qui montrent des capacités exceptionnelles à vivre et surtout à travailler en altitude, dans une ambiance pauvre en oxygène… mais l’installation de ces dernières, au Tibet par exemple, s’est déroulée pendant l’Atlantique tardif au moment où le front des glaciers a opéré un recul significatif dans les montagnes durant l’optimum climatique, bien au-dessus de 2 000 m, comme dans les contreforts de l’Himalaya. À l’ouest du continent se sont installés les Pré-néanderthaliens (- 450 000 ans) à l’origine du développement des populations néanderthaliennes qui ont survécu jusqu’aux alentours des années - 28 000 A.C., le dernier groupe ayant été identifié à Gibraltar. Comme les Sapiens avaient déjà atteint le Proche-Orient depuis quelques milliers d’années, des hybridations ont là aussi été possibles. Et il y a peu, les chercheurs de l’Institut Max Planck en Allemagne ont pu mettre en évidence la présence de quelques pourcents de gènes néanderthaliens dans le génome d’une majorité d’Européens actuels et donc, à coup sûr, dans celui de nos archers mésolithiques.
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Il n’y avait évidemment aucune raison pour que ces derniers sachent qu’ils venaient d’Afrique, même si beaucoup d’entre eux avaient la peau sombre et que certains sujets installés depuis longtemps en zone nordique commençaient à présenter une peau plus claire. Le déplacement de ces populations vers le nord a suivi le recul du front glaciaire, car elles y ont trouvé des espaces d’installation et de chasse particulièrement favorables dès le Bölling. Et la majorité des Sapiens qui venaient d’Afrique ne sont finalement pas restés autour de la Méditerranée où la température était pourtant bien plus clémente et les hivers beaucoup moins longs et rigoureux ! La disponibilité en grands espaces et les opportunités de chasse ont été plus fortes et expliquent probablement la dispersion de ces petites communautés jusqu’aux environs de - 5 000 ans A.C. Au cours de la période Atlantique, « la vallée du Danube a été une réelle voie d’intrusion des populations de la mer Noire vers les zones continentales de l’Europe comme en témoigne la bonne trentaine de sites mésolithiques et prénéolithiques découverts le long du fleuve » (Bailey, 2008). Plus au sud, « sur la côte méditerranéenne, le Cardial débarque avec ses moutons et ses plantes vers - 6 000 à - 5 500 ans A.C. Mais au même moment, on connaissait déjà sur le continent quelques groupes de chasseurs qui utilisaient la céramique (Rozoy, 1993)… ce qui ne veut pas dire qu’ils pratiquaient l’agriculture ! Les vagues de colonisation se sont succédé par la suite toujours en provenance de l’est, principalement de Turquie. « Les nomades-cavaliers des steppes pontiques semblent être, plus tard, la source de certains phénotypes européens, à savoir une peau claire, des cheveux et des yeux foncés et une grande taille » (Geigl, 2017). Ils auraient aussi apporté, au début du Néolithique, la persistance de la lactase chez l’adulte, inconnue chez les archers, qui ne consommaient du lait de leur mère que dans le très jeune âge. Les recherches ont depuis confirmé ces trajectoires de migrations. « La paléo génomique a mis en évidence que les premiers paysans anatoliens ont colonisé l’Europe. En effet, plusieurs études ont apporté la preuve que ces derniers se sont répartis sur ce continent et ont supplanté les chasseurs-cueilleurs autochtones » (Geigl, 2017). Selon le même auteur, « c’est en Europe du Sud que les populations néolithiques proche-orientales ont laissé une empreinte qui n’a pas été trop perturbée, par la suite, par d’autres apports génétiques, lui permettant d’être ainsi encore nettement visible à l’heure actuelle ». Le courant de néolithisation « méditerranéen » a atteint finalement la façade atlantique de l’Europe selon trois canaux : par le sud du Portugal et une remontée (par la mer ?) jusqu’au Pays basque (vers - 5 500 A.C.), par le nord de l’Espagne et la vallée de l’Ebre pour le centre-ouest (vers - 5 300 A.C.), et par la vallée de la Garonne peut-être au même moment (Marchand, 2014). Par ailleurs, les colons ont aussi pénétré l’Hexagone par la vallée du Rhône et, comme il a été dit précédemment, par la vallée du Danube pour se rejoindre dans le nord-est de la France. Aussi paradoxal que cela paraisse, la sédentarisation de la fin du Second Mésolithique n’a pas arrêté les 210
migrations… une réalité qui s’est encore souvent vérifiée dans les millénaires qui ont suivi. L’étude de l’ADN d’Ötzi a démontré qu’il avait une origine sarde. Lui aussi venait du sud il y a -3 300 ans A.C. … et ce n’était pas le dernier !
C. ÉCHANGES ET TROCS Selon toute vraisemblance, les archers vivaient en petits groupes familiaux généralement dispersés sur le territoire européen, ce qui ne les empêchait pas de se rencontrer pour conserver leurs liens de filiation et assurer des échanges de cadeaux, de produits rares, voire stratégiques. Mais seuls quelques objets épars trouvés dans certaines fouilles, susceptibles de témoigner des échanges passés, sont parvenus jusqu’à nous. Il s’agit généralement de pointes en silex, d’objets en os ou éventuellement de coquillages venus de contrées lointaines. Il ne faudrait pas imaginer que ce « commerce » se limitait à des affaires purement matérielles, car ces rencontres étaient l’occasion de se voir, de s’apprécier et de garder des liens de bon « voisinage », voire d’entretenir une amitié de longue date. Car « le système du don et du contre-don, engage les individus au-delà d’eux-mêmes dans des relations à caractère quasi obligé, durable et renouvelable » (Mauss, 1924). Ceci dit, chaque groupe avait régulièrement besoin de pierres à tailler indispensables pour garantir la réussite de ses chasses, et donc l’approvisionnement en venaison. La plupart du temps, ce commerce était « local » puisque certains affleurements de silex se trouvaient qu’à un ou deux jours de marche des camps. Ainsi, « les fouilles du site belge de Ruiterskuil ont montré que le matériau travaillé avait été extrait de la carrière de grès-quartzite située à 45 km de là » (Rozoy, 1978). D’autres recherches dans les Ardennes (Roc La Tour) indiquent que les chasseurs du Mésolithique se déplaçaient de près de 50 km pour s’approvisionner en silex. La cartographie de détail (Rozoy, 1978) d’une dizaine de campements concernant le sud-ouest du Massif ardennais confirme que les archers épipaléolithiques sont allés chercher la pierre qui leur convenait à 30 et parfois plus de 50 km dans des gisements du Bassin parisien. L’utilisation du grès-quartzite par un seul groupe humain sur le site de Lummel en Belgique tend à prouver que le déplacement des archers ne dépassait cependant pas, dans ce cas, 60 à 80 km de rayon. « Au Sauveterrien, la circulation du silex entre le Limousin et le Périgord était parfaitement organisée, mais obligeait à effectuer un trajet d’une centaine de kilomètres » (colloque de Besançon, 1998) avec, peut-être, des « comptoirs-relais » dans lesquels on échangeait les blocs à tailler. Quant au grès-quartzite de Wommersom, il nécessitait probablement des transferts de groupe à groupe sur plus de 100 km. Au Mésolithique moyen et final, les archers du Massif Central disposaient, à l’occasion, de silex blond en provenance du Bassin parisien, ce qui implique
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des échanges entre groupes sur plusieurs centaines de kilomètres. Ces derniers vivaient donc en autonomie pour leur ravitaillement alimentaire, mais non en autarcie. « Ils étaient visiblement très bien organisés socialement et territorialement avec une planification assez remarquable des déplacements » (Surmely, 2003). « Par contre, dans l’immensité de la plaine russo-balte, les gisements en question étaient tellement loins que les chasseurs ont dû s’en passer et ont donc développé une industrie de l’os » (Indreko, 1964). Les indications qui précèdent ne disent pas si les échanges se faisaient sur de grandes distances par un seul individu (coquillages de Méditerranée trouvés à Culoz dans l’Ain) ou par des individus successifs qui transmettaient de main en main des objets rares et recherchés. Une pointe à soie en silex de Pologne trouvée aux Pays-Bas aurait ainsi parcouru 1 000 km… mais elle aurait pu, comme le fait remarquer finement J.-G. Rozoy, faire ce voyage dans l’arrière-train d’un sanglier ! Comme les trappeurs du Mésolithique devaient déjà marcher beaucoup pour assurer les tâches quotidiennes, on pourrait penser qu’ils se cantonnaient, autant que faire se peut, à des territoires bien définis. Mais il est possible que certains individus du clan, que l’on pourrait qualifier de « commerçants », se déplaçassent sur de grandes distances comme le laisse supposer la présence de coquillages marins identiques retrouvés dans toute l’Europe. Mais cette « découverte » n’en est pas vraiment une, car, cent mille ans plus tôt, on trouvait d’autres coquillages, mais d’espèces identiques, dans quasiment toute l’Afrique (Arte, 2017). Ces objets décoratifs, destinés à orner les pendentifs et qui ne pouvaient avoir un usage « utilitaire », restent le témoignage d’échanges réguliers. Dans la région de Liège, par exemple, des coquilles (fossiles tertiaires) venaient de la région de Reims, et donc d’un transport voisin de 200 km. Les coquilles de Columbella rustica trouvées dans la Baume de Montclus (Gard) proviennent soit de récoltes en bord de mer (100 km), soit d’échanges et il n’est pas rare de constater que les importations de ces ornements marins très recherchés nécessitaient un voyage de 100, 200 et même 300 km (Rozoy, 1978). Plus extraordinaire enfin, la découverte dans des sites mésolithiques suisses d’ambre de la Baltique ! « La perméabilité des frontières et la grande vitesse de circulation des inventions nous montrent (aussi) que les cultures épipaléolithiques ne constituaient pas des entités fermées, mais bien au contraire des groupes très ouverts, aux limites assez floues, et il est probable qu’il y a eu entre groupes humains une circulation importante des objets, mais aussi des personnes (que ce soit par intermariages ou trocs) impliquant très probablement des relations amicales et pacifiques, au sein d’une communauté linguistique dont on retrouve les traces (Errezain, 1975) dans quelques langues modernes (Rozoy, 1978). L’importance et la dynamique des échanges ne reposaient probablement que sur le déplacement d’un nombre limité d’individus qui n’ont pas perturbé le fonctionnement en place de groupes de même tradition 212
culturelle. La continuité des industries lithiques du Limbourgien (Belgique), du Sauveterrien (sud-ouest français) comme du Birsmattien (Suisse) conduisent à penser qu’il y a eu « des entités autonomes de populations qui se sont maintenues avec une grande stabilité sur leur territoire traditionnel pendant plusieurs millénaires » (Rozoy, 1978).
D. LES PRÉMICES DE LA NÉOLITHISATION Selon le dictionnaire encyclopédique Larousse, la néolithisation se caractérise par « une phase du développement technique des sociétés préhistoriques correspondant à une accession à une économie productive »… Pour parler plus directement, cette révolution véritable passe par une mainmise de l’homme sur le vivant, qu’il soit végétal ou animal. Ce nouveau comportement, originaire des riches plaines irrigables du Tigre et de l’Euphrate, a débuté au Moyen-Orient il y a plus de dix mille ans et s’est répandu ensuite en Europe dans le courant du VIe millénaire. Il a conduit à l’installation de petites cités bien organisées, mais déjà convoitées par des bandes armées spécialisées en matière de poliorcétique. Les Natoufiens (- 12 500 à - 10 000 A.C.), installés dans les territoires actuels du Liban et de la Syrie, représentent une tentative de chasseurscueilleurs ayant entrepris un premier essai de sédentarisation. Ils récoltaient des céréales sauvages à la faucille et avaient domestiqué le chien utilisé pour la chasse… à l’aurochs, abondant sur ce territoire dès l’Azilien. Mais le coup de froid du Dryas récent aurait conduit certains villageois disposant déjà de petites maisons circulaires à redevenir, pour un temps, des chasseurs seminomades. Alors que ces espèces étaient inconnues à l’état sauvage en Europe, quelques restes de chèvres et de moutons datant de - 6 800 et - 6 550 A.C., ont été mis à jour chez les Castelnoviens du site de Gramari dans le Vaucluse (Méhu, 2004), ce qui conduit à penser que la domestication était déjà amorcée à cette époque sur le littoral méditerranéen. Dans la première moitié du VIIe millénaire, les Castelnoviens apparaissent (donc) comme les pionniers de l’élevage des ovicapridés puisqu’on trouve aussi, dans les campements de Châteauneuf-les-Martigues, de nombreux ossements de chèvres et de moutons. Par ailleurs, l’abondance des restes de graminées et de légumineuses suggère qu’ils devaient s’adonner à la « végéculture », une pratique consistant à favoriser la venue en pleine nature de plantes comestibles et donc à arracher les mauvaises herbes qui pouvaient les étouffer. Toutefois, « ces petites communautés continuaient à vivre prioritairement de la chasse (aurochs, cerf et lapin) et de la cueillette » (Méhu, 2004). En Basse Provence, la domestication aurait débuté vers 5 500 ans A.C. et se serait répandue finalement lentement puisque « le décalage est de 1 000 ans entre la côte et l’intérieur des terres pour le passage au Néolithique » (Rozoy, 1978). Sur le pourtour de la Méditerranée, à partir de - 5 500 ans A.C., des groupes néolithiques ont occupé des vallées
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et certains points du littoral. Pourtant, les chasseurs-cueilleurs de la région n’ont pas adopté leurs pratiques nouvelles immédiatement. Peut-être « un défaut d’échanges avec des étrangers qu’on ne fréquente guère ». On peut se demander « pourquoi, l’élevage et la culture ont-ils été acceptés vers - 4 000 A.C. et refusés vers - 5 500 A.C. ? » (Rozoy, 1978). « Cette transformation radicale du mode de vie a touché aussi le bassin de la mer Noire puisqu’il y avait déjà des maisons en torchis à Stara Zagora, en Bulgarie, vers - 5 600 ans avant notre ère » (Demoule, 2018), dans la vallée de la Maritsa. Les habitants sédentarisés pratiquaient alors l’agropastoralisme sans forcément abandonner complètement la chasse. Les données pouvant traduire le type de relations entre chasseurscueilleurs autochtones et agropasteurs nouveaux arrivants sont, on peut s’en douter, très difficiles à mettre en évidence. Des chercheurs britanniques et américains ont pu toutefois démontrer, en s’appuyant sur le ratio des isotopes du strontium des dents, que non seulement ces deux populations s’étaient bien rencontrées dans les Gorges du Danube, vers - 6 000 ans A.C., mais qu’en plus, elles avaient cohabité « pacifiquement » pendant au moins 200 ans, jusqu’à pratiquer « le mélange des sépultures » (Boric & Price, 2013). Mais dans cette région, ouverte aux migrations, les rencontres avaient peut-être plus des chances de bien se passer, surtout quand il s’agissait d’échanger des femmes ! La progression ne s’est pas limitée à la vallée du Danube et du Rhône puisque des fouilles ont révélé « l’introduction de Cerealia (graminée cultivée), Fagopyrum (sarazin) et Juglans (noyer) dans le bassin du Val de Loire vers - 6 000 ans A.C., laissant penser à une agriculture pré-domestique » (Richard, 2004). En dehors des sites de néolithisation du sud-est de l’Europe (mer Noire, Grèce, etc.), « le centre de domestication le plus proche, au nord, paraît être celui du Danemark et de l’Allemagne septentrionale, dans la culture d’Erteböll-Ellerbeck, à la fin de l’Atlantique (Schwabdissen, 1957 ; Nobis, 1962). Il est difficile de dire si ces pratiques sont apparues in situ, si elles ont subi l’influence de cultures plus anciennes de l’est de la Méditerranée ou si elles ont atteint ces territoires par la mer en contournant le détroit de Gibraltar ?! Pendant l’Atlantique moyen (vers - 5 500 ans), les conditions climatiques plus favorables (température plus douce et pluviosité plus forte) combinées aux effets d’un excès de chasse (raréfaction du grand gibier) ont pu conduire à produire de la nourriture et donc à cultiver (des céréales) et à domestiquer certaines espèces d’animaux (bovins, chèvres et moutons) pour assurer une alimentation régulière (Delluc, 1995). La colonisation venant de l’est a sans doute mis en mouvement, à la fin du Mésolithique, plusieurs millions d’individus, dont « deux millions d’agriculteurs pour la seule culture céramique linéaire, au moment de sa plus forte expansion, vers - 5 000 ans avant notre ère » (Demoule, 2018)… Elle a donc absorbé assez rapidement, en quelques siècles, le faible effectif des chasseurs-cueilleurs locaux qui n’ont « résisté » que très localement dans des régions difficiles peu convoitées par les cultivateurs-éleveurs. La 214
domestication conduit à consommer du lait de bovins, de caprins ou d’ovins. Or, « les récentes analyses génétiques ont bien montré… qu’au Néolithique, les Proches-Orientaux et les Européens adultes étaient intolérants au lait, ou plus exactement au lactose (glucide du lait) comme le sont encore aujourd’hui beaucoup d’Asiatiques et d’Africains. Cette intolérance n’a diminué que beaucoup plus tard, progressivement à partir du IIe millénaire avant notre ère, par suite de mutations génétiques. « La production de lait n’a donc pas pu être un motif initial de domestication » (Demoule, 2018). « On peut suivre le front de colonisation agricole de l’Europe d’un bout à l’autre du continent, de - 6 500 à - 4 500 environ avant notre ère, à un moment où les différences sont fortes avec les objets des populations indigènes de chasseurs-cueilleurs » (Demoule, 2018). « On est frappé par la relative rapidité de progression du front de colonisation, depuis les rives du Bosphore et de la mer Égée jusqu’à celles de l’océan Atlantique… soit un kilomètre et demi par an (en moyenne)… pour aboutir à une densité moyenne d’environ un habitant au kilomètre carré en Europe » (Demoule, 2018). D’autres auteurs avancent des chiffres de progression plus modestes : A.J. Ammerman & L. Cavalli-Sforza (1979) pensent que « l’avancée de l’agriculture du Proche-Orient vers l’Europe serait voisine de 30 km par génération », sachant que les agropasteurs pouvaient être des colons ou des chasseurs-cueilleurs locaux qui ont adopté l’agriculture par effet de voisinage. « Dans l’ouest de la France, le processus de néolithisation aurait duré près de 700 ans » (Marchand, 2014). L’impact sur les paysages s’est dessiné très progressivement. Le passage à l’agropastoralisme conduisit à l’installation de clairières et à l’exploitation plus soutenue des forêts dans lesquelles les plantations ont déjà modifié le couvert forestier en fonction des besoins des hommes. Ainsi, la néolithisation « véritable » a donc suivi une phase d’anthropisation initiale, c’est-à-dire une transformation de la structure et de la composition floristique des milieux naturels et par voie de conséquence, celle du fonctionnement des groupes humains qui ont assuré désormais une production de nourriture par l’élevage et l’agriculture. Cette anthropisation, déjà perceptible assez tôt au Mésolithique en Picardie et au Nord-Pas-deCalais (Richard, 2004), avait toutefois laissé peu de traces. Concernant les animaux, « de nombreux types de domestication très variés montrent que la frontière entre le domestiqué et le sauvage est fort poreuse, sinon parfaitement floue » (Demoule, 2018)… C’est le cas des abeilles, des pigeons et des sangliers qui vivaient près des humains… à différencier des animaux « apprivoisés » comme les rapaces de chasse qui, chez les Mongols, retournent à la vie sauvage après un séjour plus ou moins prolongé au service des cavaliers. Pour conserver une réserve alimentaire, il est (même) possible que les premiers hommes modernes du sud-ouest de la France aient parqué momentanément des animaux vivants, en particulier des rennes (Patou-Mathis, 2013), mais il ne s’agissait pas visiblement de domestication. Il ne faut pas confondre non plus « apprivoisement » (rapaces 215
chasseurs) et « domestication » (moutons, caprins et bovins) qui asservit les troupeaux aux besoins de leurs maîtres, ces derniers, intervenant directement sur la reproduction des animaux en élevage. Concernant les végétaux, « l’ethnologie nous montre que beaucoup de sociétés de chasseurs-cueilleurs connaissaient le principe de la reproduction des plantes. Ils s’en servaient parfois pour des besoins cultuels (sépultures) ou comme cultures d’appoint… dans des petits jardins près des habitations » (Demoule, 2018). Tous les groupes installés sur le continent n’ont pas adopté immédiatement l’agropastoralisme pour preuve, dans les Alpes, la néolithisation ne débute pas avant - 4 000 A.C. Elle est plus tardive dans le nord des massifs que dans le sud (Bintz, 1994). Le passage à la mise en culture et à l’élevage semble très lié à l’amélioration des conditions climatiques de la fin de l’Atlantique et sans doute aussi à l’augmentation de la population que les archers ne pouvaient plus nourrir avec les apports de la chasse. Tant que cette dernière ressource est abondante, les chasseurs la conservent. Comme le fait très justement remarquer J.-P. Demoule (2018) dans son ouvrage sur le Mésolithique, « les Indiens des plaines nordaméricaines avaient à disposition de nombreux troupeaux de bisons, ceux du Canada d’abondantes populations de saumons et ceux enfin de la forêt amazonienne la riche faune des sous-bois où vivaient de nombreux tapirs. Il aurait été (alors) déraisonnable de se donner le mal de domestiquer » ! Comment s’est faite l’intégration des chasseurs locaux à ces nouvelles pratiques ? On n’en sait trop rien, mais on a la preuve que les petits groupes d’archers ont été submergés par l’arrivée massive des colons de l’Est et de leurs pratiques. « Les analyses génétiques pratiquées sur des ossements humains découverts et étudiés en Europe, bien qu’encore en petit nombre, indiquent qu’en grande majorité les agriculteurs néolithiques du continent proviennent du Proche-Orient et que, parmi eux, l’apport génétique des chasseurs-cueilleurs reste très modeste » (Demoule, 2018). Il est certain que « lorsque, au VIe millénaire avant notre ère, les sociétés agropastorales vont se développer en France, elles ne pourront le faire qu’en synergie avec ces populations mésolithiques, certes peut-être un peu moins dynamiques du point de vue démographique, mais très bien adaptées à tous les écosystèmes. L’acculturation, l’assimilation ou la décimation expliquent peut-être aussi partiellement cet effacement des groupes de chasseurscueilleurs » (Ghesquière & Marchand, 2010). Même si la grande majorité de ces archers a fini par opter pour l’agropastoralisme, certains groupes ethniques, pour diverses raisons (climat, persécutions, cultures, etc.), ont décidé de revenir à la chasse et à la cueillette comme « certaines communautés amérindiennes repoussées dans la forêt amazonienne ou plus récemment la civilisation de Frémont (dans l’Utah) au XIIIe siècle » (Demoule, 2018). Mais nous n’avons pas d’exemples probants à fournir en Europe continentale. Le passage de la chasse à l’élevage ne s’est donc pas réalisé en tous lieux, partout à la même vitesse et pas forcément de façon définitive pour des 216
raisons variées, mais ce qui est sûr, c’est que la coévolution de l’homme avec les animaux sauvages s’est quand même largement transformée en une coévolution de l’homme avec des animaux domestiqués, voire asservis à ses besoins… une transformation à l’origine de bien des souffrances animales poussées à leur paroxysme de nos jours dans les élevages intensifs que certains contestent à juste titre. La relation entre le chasseur et son gibier, c’est-à-dire entre deux êtres libres, a laissé la place à une relation de domination dans laquelle l’homme et l’animal ont perdu une bonne partie de leur autonomie. Finalement, le prix à payer pour ce changement est lourd, ce qui fait dire à l’archéologue F. Bon (2019) : « au fond, avec le Néolithique, la domestication est d’abord celle de l’homme par l’homme qui se soumet à un rythme de travail et à des contraintes que beaucoup de chasseurscueilleurs considéraient sans doute comme parfaitement asservissantes et contre-nature ».
E. VIOLENCES ET MORTALITÉS Dans les écrits du XVIIIe siècle de J.-J. Rousseau, connus pour évoquer « l’âge d’or du bon sauvage », on trouve cette description assez personnelle des hommes préhistoriques : « Ces temps de barbarie étaient le siècle d’or, non pas que les hommes étaient unis, mais parce qu’ils étaient séparés… Les hommes s’attaquaient dans la rencontre, mais ils se rencontraient rarement. Partout régnait l’état de guerre et toute la terre était en paix ». Comme l’auteur ne disposait que de données très réduites sur la vie de ces Sapiens, il ne pouvait apporter de preuves convaincantes aux savants de l’époque, mais son intuition ne manquait pas de perspicacité, car il avait bien compris que la dispersion des groupes humains était cause d’une certaine « paix sociale » qui n’excluait pas des conflits occasionnels. Nos connaissances se sont depuis enrichies, mais il semble qu’il ait eu finalement raison pour l’essentiel, car on n’a pas trouvé jusqu’à présent, au Mésolithique, de charniers qui traduiraient des faits de guerre, ce qui est le cas au Néolithique… Il pouvait y avoir, bien entendu, des escarmouches ou une guérilla localisée qui n’ont pas laissé beaucoup de traces, car peu de combattants y étaient impliqués. À ce sujet, il faut d’abord considérer que les populations de l’Europe mésolithique étaient constituées d’individus d’origines très différentes, donc de faciès dissemblables (couleurs de peau) susceptibles de développer chez certains groupes un rejet, voire un racisme, cause de discordes, de maltraitances ou de meurtres. Il serait étonnant que ces problèmes, qui n’ont pas encore disparu aujourd’hui, n’aient jamais existé dans le passé ! Par ailleurs, et malgré le fait que nous n’ayons que peu de vestiges relatant la fin de vie de nos chasseurs nomades, il est certain qu’ils déplaçaient leur camp régulièrement, ce qui posait en particulier le problème de l’accompagnement des individus les plus faibles : enfants malades, adultes handicapés ou
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vieillards. Tous ne pouvaient suivre donc survivre. Il n’est pas impossible qu’ils aient été abandonnés à l’écart, comme chez les San du Kalahari ou éliminés par un coup de massue comme le faisait encore les Aché de la jungle du Paraguay qui tuaient « furtivement », il n’y a encore pas si longtemps, ceux qui ne pouvaient accompagner la bande (Harari, 2015). Entre groupes de chasseurs-cueilleurs, les causes de conflits ne devaient pas manquer (territoires de chasse, appropriations des gibiers, conquêtes de femmes, etc.). Il en est une, passée longtemps inaperçue des archéologues, c’est l’existence du stockage. En effet, si nos archers accumulaient peu comme nous l’avons vu précédemment, ils avaient néanmoins trouvé des solutions pour conserver les viandes et même le poisson par séchage et fumage. Or, « du nord au sud de la planète et d’est en ouest, il a existé dès la préhistoire et plus exactement dès le Mésolithique, une multitude de sociétés de chasseurs-cueilleurs plus ou moins sédentaires (Californie et Sibérie par exemple) où le stockage était systématiquement pratiqué » (Testart, 1982), et la cueillette aurait été tout aussi importante que la chasse. Il est donc tout à fait possible que certains groupes européens semi-nomades aient accumulé des vivres, ne serait-ce que pour passer la mauvaise saison. La pratique du don et de la répartition des biens, attestée chez tous les chasseurs nomades, connaissait probablement des exceptions et pouvait donc créer des inégalités, sources de conflits potentiels. « L’exploitation du travail d’autrui » pourrait donc remonter à une période bien antérieure à la révolution néolithique des agropasteurs que Lévi-Strauss et Leroy-Gourhan ont toujours considérée comme le début de l’apparition des véritables écarts de richesse. On serait donc passé, selon Testart, de « la dépossession par le partage à la dépossession par le propriétaire » (peut-être le chef ?). Il est raisonnable de penser que l’accumulation de nourritures chez certains groupes a attisé très tôt la convoitise des voisins, invalidant la thèse « évolutionniste » jusque-là indiscutée. La violence mésolithique a donc bel et bien existé puisqu’on a découvert d’assez nombreux cas de fractures sur des crânes par des objets contondants, des pointes de flèches fichées au niveau du thorax, des traces de dépeçage ou d’enlèvement de chair sur des os humains, etc. Il y a lieu de les distinguer des fractures ressoudées qui pourraient correspondre à des accidents domestiques ou de chasse qui ont donné lieu à des soins de la part des proches des blessés. Au final, « il n’est pas certain qu’il a pu exister à cette époque des batailles réglementées » (Boulestin, 1999), mais plutôt des conflits locaux dus à des litiges de territoires (de chasse ?), des vols (de venaisons ?), des rapts (de femmes ?) ou des règlements de comptes entre chefs rivaux. « À la fin du Paléolithique, puis au Mésolithique, on constate (sur une quinzaine de sites étudiés) une augmentation du nombre de squelettes d’hommes, de femmes et d’enfants, qui portent des blessures dues à des impacts de projectiles ou à des coups violents portés à la tête. Cette augmentation semble corrélée à un changement de structure 218
socioéconomique des sociétés de chasseurs-cueilleurs » (Patou-Mathis, 2013). Toutefois, cette évolution paraît concerner surtout les populations en voie de sédentarisation du Moyen-Orient où les conflits de territoires apparaissent avec l’accroissement de la démographie comme semblent en témoigner les constats de « massacres » découverts dans la nécropole de Jebel Sahaba en Égypte méridionale, celle de Vasylivka en Russie ou plus tard, en Europe (vers - 4 000 ans A.C.), celle de Roaix dans le Vaucluse. Pendant ce temps, en Europe de l’Ouest, grâce au développement de la grande faune sédentaire, les chasseurs continuent pendant quelques millénaires à pratiquer le semi-nomadisme plus ou moins forestier, sans doute moins générateur de conflits. Les traces de mort violentes ne sont pas nombreuses dans les sépultures du Mésolithique atlantique, mais elles existent (Téviec) cependant. On ne peut toutefois pas en tirer de conclusions générales, car dans ce cas précis, les populations du littoral étaient peut-être plus inféodées à des espaces restreints qu’ils devaient défendre plus ardemment. À Téviec (Morbihan), un squelette humain a révélé un scalène de silex fiché dans une vertèbre (après avoir traversé la poitrine et l’aorte). Cette situation ne pouvant être attribuée qu’à la puissance de pénétration d’une flèche (Péquart, 1937). Deux enquêtes, portant sur 400 squelettes mésolithiques découverts au Portugal et également 400 autres, de la même époque, dans la vallée du Danube, indiquent qu’une vingtaine de sujets au total, étaient morts suite à des violences, ce qui porterait à 2,5 % la moyenne des individus massacrés. « Cela peut paraître peu, mais c’est en fait beaucoup, si on compare, mais peut-on comparer, à la moyenne mondiale actuelle qui se situe aux environs de 1,5 % » (Harari, 2015). Selon ce même auteur, « dans la grotte d’Ofnet, en Bavière, la moitié des squelettes portaient des traces claires d’impacts de gourdins ou de couteaux ». Quant aux squelettes découverts dans le réseau karstique de Hohlenstein-Stadel près d’Ulm en Allemagne également, les traces de coups violents portés sur les crânes, les corps décapités et les têtes enfouies conduisent à affirmer qu’ils ont tous été assassinés. Reste le problème récurrent du cannibalisme que le grand public a tendance à associer aux sociétés préhistoriques et parfois à certains peuples premiers actuels. On prendra la précaution de distinguer ce dernier de l’anthropophagie qui est un acte individuel identifié comme une déviance sociale, alors que le cannibalisme correspond à un phénomène socioculturel complexe aux rituels codés. « Le cannibalisme peut être nutritionnel, de survie ou diététique, rituel, voire pathologique » (Teyssandier, 2019), peutêtre « funéraire » et même, selon certains chercheurs, « gastronomique » ! Savoir si les Sapiens ont mangé de la chair humaine a fait l’objet, aux siècles derniers, de multiples débats, mais depuis, des techniques très fines ont permis d’affirmer que « la pratique du cannibalisme a été clairement démontrée dans plusieurs sites préhistoriques, paléolithiques et néolithiques, en France et à l’étranger » (Patou-Mathis, 2013)… ce qui n’a rien de surprenant puisque ce comportement a perduré au Moyen-Orient (chez les 219
Perses), en Amérique centrale (chez les Précolombiens), en Afrique et en Océanie jusqu’à une période assez récente (XIXe siècle). Le cannibalisme peut prendre des formes très diverses, comme nous l’évoque avec d’abondants détails Marylène Patou-Mathis dans son livre sur les Mangeurs de viande. Au long de l’histoire de l’humanité, cette pratique a pu être : une nécessité (en cas de famine), un besoin de subsistance (en cas de rareté de viande), une recherche de gourmandise (la viande humaine serait savoureuse !), une option thérapeutique (il pourrait guérir certaines maladies), un choix de purification sociale (victime expiatoire), un rituel (à l’occasion d’un décès), une pratique sacrificielle (pour renforcer le lien avec les ancêtres) ou de vénération (le fils mange le père magnifié), un comportement de guerrier (manger son ennemi par vengeance), une forme de violence éthique (par haine de l’autre) ou tout simplement, pourrait-on dire, un travers pathologique (cas de déviance sociale donc d’anthropophagie). Compte tenu des contraintes alimentaires et des rites propres à la multitude des groupes d’archers en Europe, il est très possible que le cannibalisme au Mésolithique emprunte à ces différentes options que l’on ne pourra jamais mettre en évidence, bien sûr. Un autre exemple complète ce tableau assez sombre qui met à mal l’idée que nos archers auraient été « non violents ». « À Agris, en Charente, à la grotte des Perrats, le niveau mésolithique a livré des restes osseux d’au moins huit personnes… qui semblent avoir subi des actions de dépeçage et de décarnisation… Les os longs, fragmentés par percussions violentes et dispersés au sein d’os d’animaux, suggèrent que les humains auraient fait l’objet de cannibalisme »… c’est aussi une suspicion sur le site de Vedback Boggebakken au Danemark (Barbaza, 1999). « L’étude fine de ces restes humains de la fin du VIIIe millénaire, parfois brûlés et cassés pour en extraire la moelle, conduit à penser à l’existence de repas cannibales » (Boulestin, 1999). Quant à savoir s’il s’agissait de comportements rituels ou de famine, il est impossible de le dire. Pour conclure sur cette controverse, on peut faire confiance au point de vue de P. Shepard (2013) qui a beaucoup travaillé sur tous les aspects de la vie sauvage. Il confirme que « les sociétés de chasseurs-cueilleurs ne sont (donc) pas toujours pacifistes même si elles ne connaissent ni armées de métier ni guerres organisées. Elles ne sont pas non plus dépourvues de vices humains ordinaires et surtout pas de violence. Dans tel ou tel groupe, la cruauté, les vengeances, l’infanticide, l’incapacité ou le refus de mettre fin à des querelles font partie de la vie, de même que les conflits avec d’autres tribus » (Shepard, 2013).
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VI. L’UNIVERS MENTAL DES ARCHERS
A. GÉNÉRALITÉS Avec un cerveau en tout point comparable au nôtre (1 400 g dont 250 g de purs neurones selon Bourre, 2003), nos hommes modernes disposaient, à n’en pas douter, d’autant de potentialités d’adaptation et d’aptitudes intellectuelles que nous. Le fait d’arriver à survivre en pleine nature est déjà, en soi, un exploit que beaucoup d’entre nous ne parviendraient pas à surmonter aujourd’hui. Quant aux rares objets, gravures ou graffitis pariétaux laissés dans leurs campements, « ils témoignent d’une réelle élévation dans les capacités d’abstraction » (Rozoy, 1993). Il est sans doute très prétentieux de vouloir reconstituer l’univers mental de nos archers, car il ne nous reste aucune trace de langage, d’écriture et à peine quelques objets domestiques et dessins, ce qui est bien insuffisant pour cerner ce monde de la « pensée sauvage » chère à C. Lévi-Strauss et P. Shepard. Il est possible toutefois de s’appuyer sur le témoignage des archéologues ou sociologues qui ont vécu avec les chasseurs-cueilleurs qui existent encore, heureusement, sur la planète. « Nous ne pouvons certes pas affirmer que les anciennes cultures se répètent à l’identique dans le présent, mais il est légitime de supposer qu’il existe des points communs entre des peuples de chasseurs-cueilleurs archaïques et ceux de l’époque moderne, dès lors que leur modes de vie sont comparables » (Shepard, 2013). Ce que l’on peut déjà dire sans se tromper, c’est que nos archers n’avaient pas l’esprit « encombré » par toute une série de préoccupations fort envahissantes pour notre cerveau : les contraintes du travail nécessaire pour « gagner sa vie », l’inquiétude lancinante de le garder, la nécessité de l’exercer avec « efficacité », le souci de prévoir son devenir. Les impératifs de l’économie domestique obligent aussi à une gestion régulière de l’argent du foyer, des déficits et des fins de mois difficiles. Les exigences religieuses qui, pour beaucoup, imposent des rites, des codes et une morale. Le poids de l’éducation « formatée » imposée aux enfants dès le plus jeune âge. Le déterminisme des modes, des références préfabriquées (arts), des valeurs préchoisies, du prêt-à-penser. Le confinement spatial des individus dans les villes, le métro, les trains, les voitures et les « boîtes » (dénoncées par P. Rahbi) où le silence est impossible à trouver. L’impact des pollutions (bruits,
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fumées, odeurs, etc.) qui embrument le cerveau à longueur de journée. La tyrannie de l’heure omniprésente sur les montres, les horloges, les écrans, bousculant le rythme biologique propre à chaque individu. La finitude de notre monde que l’on a presque entièrement expliqué, disséqué et qui ne renferme plus beaucoup de mystères. Sans compter l’exposition permanente aux réclames distillées à la radio, à la télévision et sur les panneaux publicitaires. Dans ces conditions, « le temps disponible de cerveau » (Le Lay, TF1) est réduit au minimum, laissant peu d’espace à la réflexion et tout simplement à la liberté de ne rien faire. Évacuer ces turpitudes de notre mental pour revenir à la « pensée sauvage » paraît quasiment impossible. C’est pourtant à l’abri de ce brouillage de la pensée qu’ont vécu nos ancêtres pendant des centaines de milliers d’années avec, et cela peut paraître un peu surprenant, un cerveau parfois un peu plus gros que le nôtre ! Si l’on en croît les aventuriers, ethnologues et archéologues qui ont fréquenté les peuples premiers actuels, tous affirment qu’ils ne sont pas encombrés par des préoccupations immédiates, qu’ils ont le temps de vivre l’instant présent, de sentir, de ressentir, de respirer. Déchargés des grandes illusions de notre époque : la consommation, le progrès, le paradis, la crainte fabriquée de l’avenir (vous allez mourir, vous serez jugé, il faut mériter le paradis, etc.), ils disposent de plus de temps consacré aux relations humaines qu’aux actions. Du temps pour la transmission active et personnelle des émotions et des connaissances d’un membre du groupe à l’autre, l’apprentissage des enfants se réalisant naturellement par mimétisme des adultes. Chez eux, le temps n’avait pas de sens, mais il en a un, depuis qu’on a dit que l’Histoire avait un sens. Le temps était cyclique (jour/nuit, quartiers de lune, saisons). La sexualité devait leur paraître déconnectée de la procréation. Les archers ne faisaient pas forcement la relation entre l’accouplement et les naissances, car chez les animaux sauvages qu’ils fréquentaient, l’écart entre le rut et la mise bas est souvent très différent d’une espèce à l’autre et cette relation est donc difficilement identifiable. Il faut entrer dans de nouveaux paradigmes pour comprendre la pensée de ces peuples premiers : chez les Indiens d’Amérique, par exemple, l’étude des modes de perception fait apparaître « une codification non linéaire de la réalité » (Lee, 1950). « L’espace ne se définit pas en termes de distances par rapport à une échelle uniforme… le langage n’a ni temps grammatical ni causalité… Le changement n’est pas un avenir mesuré, mais une autre façon d’être » (Shepard, 2013). Chez les Inuits, selon O’Brien (1979), « les objets se définissent avant tout par leur caractère transitoire. La position dans l’espace est fondamentalement relationnelle et dépend de l’action en cours… ce mode d’orientation entièrement relatif est une façon profondément différente d’interpréter l’espace ». Si les objets ont une existence fugace, c’est qu’ils sont perçus comme « animés » par une force vitale subtilement ressentie et intériorisée. Finalement, n’ont-ils pas raison ? … et nos archers n’étaient-ils pas plus près de la réalité que nous ? Tout ce qui est vivant est
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éphémère, même le rocher, réputé inerte, finit par se décomposer… C’est une affaire de temps ! Des travaux récents montrent que « l’homme moderne (actuel) n’est pas plus rationnel que l’homme primitif. Tous deux adoptent sans réflexion des préjugés dictés par leurs traditions, tous deux savent aussi faire preuve de jugements critiques lorsqu’ils sont confrontés à un problème. La seule différence est que l’homme moderne a acquis au cours des siècles une culture qui, elle, est scientifique » (Dortier, 2000). À propos de temps, « aucun groupe sur terre ne dispose d’autant de temps libre que les chasseurs et les cueilleurs » (Hole & Flannery, 1967). La raison tient peut-être au fait que pour eux, le temps est circulaire et non linéaire, ce qui peut s’expliquer par la répétition des cycles facilement observables par des hommes qui vivaient surtout dehors : marée haute/marée basse, jour/nuit, lune/soleil, hiver/printemps et comme tout est recommencement, à la fois nouveau, mais ancien, il semble évident que le temps ne s’écoule pas, mais se répète… Une façon de percevoir l’existence que l’on retrouve chez les Yogis. Le rythme lent de la vie sauvage, attesté par tous ceux qui fréquentent les ermites, les communautés marginales (trappeurs) ou les peuples primitifs, s’inscrit dans le calme et une certaine sérénité. Ceci laisse des espaces à la contemplation du soleil, de la nuit, des fleurs, des oiseaux, des mammifères, de l’eau qui coule ou du feu qui crépite. Cette attitude était probablement facilitée par les sens très aiguisés de nos ancêtres : la vue, l’ouïe et l’odorat. S’ils étaient conscients de leur finitude, leurs pensées n’étaient pas « aspirées » par les notions préfabriquées de consommation, de progrès et de paradis et de devenir qui occupent notre univers mental actuel imprégné des illusions politiques ou religieuses. Nos archers restaient toutefois influencés par un certain nombre de croyances chamaniques. Ce temps cyclique (nycthéméral, lunaire, saisonnier), pour ceux qui habitaient près du littoral ou des estuaires, le rythme des marées devait présenter un cadre de vie paisible, rassurant et sécurisant. Les plantes herbacées se fanaient en fin d’automne et la forêt caducifoliée perdait alors ses feuilles, donnant l’impression d’un déclin, voire d’une « mort hivernale ». L’arrivée du printemps devait être vécue comme un renouveau attendu après les frimas (froids, pluies et neiges) et surtout les privations de nourriture inhérentes à la mauvaise saison. Pour celui qui vit cette alternance chaque année, le temps est bien cyclique et les années ne se suivent pas, elles se ressemblent ! Quant à la forêt primaire qui occupe à cette époque une bonne partie du paysage, elle semble ne pas changer. Les boisements sont défeuillés chaque hiver et reverdissent chaque été, un rythme annuel immuable. Certains arbres sénescents meurent, mais sont remplacés par leurs voisins plus jeunes. La canopée des massifs boisés reste la même, le couvert s’entrouvre à peine quand un arbre malade perd son feuillage, mais se referme en quelques années. Cette constance de
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l’écosystème forestier donne l’impression que le temps ne s’écoule pas et que le milieu naturel se régénère indéfiniment. Leur existence personnelle se positionnait bien entre celle de leurs parents (et ancêtres) et celle de leurs enfants, mais, sans écriture et documents conservés au fil du temps, ils pouvaient difficilement concevoir un sens à l’Histoire, d’autant que leurs dessins et gravures sur os (ou bois) avaient des formes géométriques peu révélatrices et qui n’évoquent nullement, semble-t-il, le temps qui passe. C’est l’horloge puis la montre et enfin l’écran qui fractionnent notre temps et le divisent en heures, minutes et même secondes, mais nos archers vivaient probablement cette notion bien différemment. Comme l’a écrit très justement P. Shepard (2013), « une touffe d’herbe courbée qui revient lentement à sa position initiale peut donner une idée du temps écoulé depuis qu’elle a été foulée. Un cri distant sur une portion de territoire connu montre que c’est là-bas et non ici, qu’il faut être vigilant. Dans la prairie, les grandes proies mobiles peuvent fuir aisément, c’est pourquoi les prédateurs dangereux doivent recourir à des stratégies d’anticipations élaborées à distance ». C’est donc les observations ou les expériences pratiques qui permettaient de caler mentalement le temps qui vient de passer ou celui qui est à venir et non un instrument destiné à le mesurer. Sa maîtrise ne dépendait donc que des capacités humaines, sans recours à un artifice rassurant. Sur ce point, comme sur d’autres, l’homme se trouvait donc complètement responsable de ses actions et décisions, bien loin des programmations qui nous assaillent actuellement (horaires de bureau, de transports, de rendez-vous, etc.). Une liberté que nous avons perdue ! À ce stade de la réflexion, attardons-nous sur quelques aspects importants de cet imaginaire propre à nos archers. Et d’abord, la nature. Pour P. Shepard (2013), « les chasseurs-cueilleurs connaissent assez la nature et sa complexité pour mesurer le peu qu’ils en maîtrisent réellement. Leur humilité est grande ». Ils la perçoivent comme animée, puissante et généreuse, mais parfois aussi cruelle. Les peuples premiers le savent et ils en tirent de la gratitude. Selon le même auteur, « généralement, les humains qui vivent en petits groupes sont modestes. Ils sont sensibles aux saisons et se singularisent par un admirable respect envers l’univers avec lequel ils entretiennent une relation spirituelle pleine d’humilité ». Ainsi, la volonté de dominer la nature devait leur être étrangère, car pour eux, non seulement ce n’était pas possible, mais aussi certainement pas souhaitable, car inutile et même aberrant puisque cette nature leur fournissait tout ce dont ils avaient besoin. La chasse. « Nos ancêtres aimaient passionnément la chasse, car elle leur permettait d’assurer leur survie, mais aussi parce qu’elle inspire des émotions intenses et le sentiment d’un mystère au cœur de l’existence. C’est une transformation cathartique (de purification) qui rapproche (l’homme) du monde » (Shepard, 2013). Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la chasse n’était peut-être pas l’apanage des hommes, car dans certaines sociétés primitives actuelles, les femmes piègent les petits animaux (chez les 224
San), participent aux décisions concernant les stratégies de chasse (chez les Bushmen), ou envoient les hommes chasser quand elles ont envie de manger de la viande (chez les Sharanahua d’Amérique du Sud). Rien n’empêchait d’ailleurs les femmes de participer aux opérations de rabattage pour la chasse aux gros gibiers ou de réussir la taille de pointes de flèches très sophistiquées qui demandent plus d’adresse et de savoir-faire que de force. Compte tenu du fait que nous avons vécu plusieurs millions d’années en prédateurs omnivores plus ou moins nomades, et adaptés « génétiquement » à cette évolution, il n’est pas déplacé de maintenir, pour notre espèce, « un mode de vie humain authentique, en harmonie avec les exigences de l’espèce. Le degré de validité de l’expérience humaine est conçu en rapport avec la chasse, c’est-à-dire la nécessité inévitable et formidable de tuer » (Shepard, 2013). C’est la raison pour laquelle les archers se sentaient sans doute « très bien dans leur peau » en vivant cette existence libre, autarcique, mais prédatrice. Est-il si judicieux de sortir de cette voie programmée depuis des millénaires ? Surtout lorsqu’on voit nos contemporains « déprimer » dans la ville-prison polluée où la nourriture préfabriquée ne dit plus rien sur son origine ! Et C.H.D. Clark ajoute : « la chasse représente, aussi bien du point de vue individuel que de celui de l’évolution, la source de ces instincts de survie qui rappellent notre responsabilité vis-à-vis du monde vivant ». « Il n’est pas injuste de tuer et d’être tué (les archers pouvaient occasionnellement devenir des proies) dans ce jeu de la chasse, dans la mesure où les transformations de la vie et de la mort sont intégrées dans l’ordre généreux du cosmos. Chacun reçoit, chacun donne et, à sa dernière heure, chacun restitue et transmet ce qui lui avait été donné. C’est quand cette évidence se brouille que la chasse devient monstrueuse, ainsi d’ailleurs que toute la nature, et que nous finissons par confier les massacres aux bouchers des abattoirs » (Shepard, 2013). L’animisme. « C’est la croyance selon laquelle presque chaque lieu, chaque animal, chaque plante, chaque phénomène naturel a une conscience et des sentiments » (Harari, 2015). Le monde environnant de nos archers était donc « animé », au sens premier. Dans ce cas, « aucune barrière ne sépare les humains des autres êtres. Tous peuvent communiquer directement par la parole, le chant, la danse et les cérémonies » (Harari, 2015). C’est probablement une des raisons pour lesquelles les archers consacraient de si longs moments à ces activités et qui donnent aux visiteurs des peuples premiers l’impression « qu’ils ont toujours le temps » ! « Le vent, la lumière, la température, le profil végétal, les minéraux et la végétation jouent tous un rôle, ils ne se contentent pas d’être simplement là comme pour le touriste ou le botaniste, ils fonctionnent, ils agissent » (Ortega Y Gasset, 2006). Si on suit la démarche de C. Lévi-Strauss (1984), « la pensée civilisée » essaie de simplifier et de niveler le monde alors que « la pensée sauvage » ne craint pas de se perdre dans sa complexité. Il s’agit d’une perception globale, instantanée et de plus animée des végétaux et des animaux avec la conscience que ce monde vivant est en transformation, parce qu’en 225
croissance et en développement, mais aussi en étroite relation par la consommation (herbivores) ou la prédation (carnivores). Avec cette façon de voir, comment ne pas être « animiste » ? Or, pour entreprendre une chasse et surtout la réussir, les acteurs doivent donc « débrouiller cette complexité », réfléchir en groupe (avec les femmes ?) et passer beaucoup de temps à en discuter avant d’intervenir. On comprend mieux alors « les centaines d’heures consacrées chaque année par beaucoup de peuples primitifs (ex. : les San) à préparer leurs expéditions » (Lee, 1979). La poursuite des gibiers est en fait une rencontre privilégiée avec d’autres êtres vivants. Les Yakoutes de Sibérie, éleveurs, pêcheurs et chasseurs semi-nomades, imprégnés de chamanisme, considèrent qu’ils partagent l’esprit des animaux et qu’ils descendent du cheval. Les nomades du Kalahari pensent qu’au commencement, « les animaux étaient des hommes qui appartenaient à la race ancienne des San » (Patou-Mathis, 2007). Ainsi, pour nos archers, le monde environnant est totalement vivant et aucune barrière ne sépare les humains des autres êtres ! Les Veddas de la jungle du Sri Lanka, par exemple, considèrent qu’ils « appartiennent » à la forêt. Généralement, « les chasseurs-cueilleurs se perçoivent souvent comme une espèce animale parmi d’autres, se donnent des animaux totems comme ancêtres et se pensent à travers les animaux, comme le montrent les peintures des grottes préhistoriques » (Demoule, 2018). Le même auteur ajoute que « certaines sociétés traditionnelles sont organisées en clans ou groupes, chacun portant le nom d’un animal, qui peut parfois être l’ancêtre mythique de ce groupe, certains ethnologues parlent alors (comme évoqué plus haut) de totem ». « L’ethnologie confirme que les sociétés très peu différenciées de chasseurs-cueilleurs vivent dans un monde peuplé d’entités surnaturelles de toutes sortes où les pratiques magiques et les mythes abondent, mais fort différemment des religions historiques » (Demoule, 2018). Les chamanes ont assuré les pratiques rituelles, inhérentes aux activités collectives des groupes humains, durant tout l’Épipaléolithique et le Mésolithique. Elles ne pouvaient être qualifiées de « religions », car le nomadisme ne favorisait pas le regroupement de grandes collectivités et donc la mise en place de cérémonies régulières et de dogmes suffisamment fixés. Il a fallu attendre le VIe millénaire A.C. pour trouver les traces de sites cultuels bien identifiés (mégalithes en cercle de Nabta Playa en Égypte) pouvant laisser penser à l’émergence d’une toute première religion pratiquée, certes par des chasseurs, mais qui étaient aussi des éleveurs (sacrifices de vaches) donc déjà probablement sédentarisés (Arte, 2018). La culture des céréales et le développement de villages ont ensuite permis l’essor de ce qu’il est convenu d’appeler une « civilisation » (égyptienne en l’occurrence). Un certain nombre de chercheurs (Clottes et al., 2001) considèrent que les groupes d’archers comprenaient des chamanes qui guidaient leurs semblables dans beaucoup de domaines de leur vie quotidienne : chasse, rites domestiques, fêtes, etc., ce qui est très probable puisque leur présence est avérée au Paléolithique, connue au Néolithique et encore dans les 226
peuplades actuelles. De nos jours, d’ailleurs, les chamans des steppes mongoles se comportent encore en guides spirituels, guérisseurs et protecteurs de leur communauté nomade. Ces chamanes pratiquent des exercices d’isolement, de privation, de danses ou d’intoxication qui permettent, selon eux, d’accéder à l’au-delà et aux esprits qui s’y trouvent. Ils absorbent à l’occasion des substances psychotropes issues de différentes plantes dont certaines de la famille des Solanacées disponibles, au Mésolithique, dans leur environnement : la belladone, la jusquiame ou la mandragore (le datura a été introduit beaucoup plus tard sur le Vieux Continent). Les alcaloïdes, issus de macérations, conduisent à des états de conscience modifiés (hallucinations) associés à des transes pendant lesquelles les visions expriment des métamorphoses d’homme en animal (lycanthropie) et expliqueraient les représentations observées sur les parois des abris-sous-roche ou des cavernes. « Les chamanes sont ceux qui, dans les sociétés de chasseurs-collecteurs, pratiquent des rites particuliers. Ils accèdent à un état de conscience altérée pour atteindre les buts multiples mentionnés, tels que guérir les malades, prédire l’avenir, rencontrer les esprits animaux, modifier le temps et contrôler les animaux réels par des moyens surnaturels » (Clottes et al., 2001). « Au cours des trois étapes reconnues de l’état de conscience altérée par les drogues actuelles (alcaloïdes, LSD, cocaïne), on peut voir des points, des zigzags, des grilles, des ensembles de lignes ou de courbes parallèles ou des méandres », et c’est justement ce type de dessins que l’on trouve au Mésolithique gravés sur des galets, des os, des bois de cerf… Faut-il y reconnaître l’œuvre des chamanes qui ornaient les objets domestiques ou les trophées de chasse de ces sculptures ? Pour les rendre « magiques », car on ne leur voit pas un autre usage utilitaire. « D’autres conditions sont susceptibles d’induire des états de conscience altérée comme l’absence de lumière, de bruit et de stimulation physique (isolement dans une grotte), la douleur intense, la danse exténuante, des sons insistants et rythmiques (tambour) ou des chants psalmodiés » (Clottes et al., 2001). On retrouve ces particularités chez bon nombre de tribus « primitives » (les San d’Afrique du Sud) chez lesquelles les danses se terminent souvent par des transes. Nous avons eu l’opportunité d’assister à une de ces réunions « secrètes » en Algérie dans une « Kouba » (sommet d’une colline) où certaines femmes s’adonnent à ces pratiques très surprenantes plus ou moins tolérées d’ailleurs par les autorités locales, ce qui prouve que ces « exercices magiques » perdurent même dans les sociétés actuelles censées fonctionner sur la raison. « Les sociétés de chasseurs-cueilleurs pensent habituellement que les effets et les hallucinations du stade (ultime) de la transe résultent d’une perte de l’âme, c’est-à-dire que l’esprit du chamane quitte son corps. La perte d’âme est fréquemment ressentie comme un envol (pour les Bouriates de Sibérie) ou, au contraire, un voyage sous terre (pour les Tungus sibériens). Dans beaucoup de cas, l’homme se transforme alors en animal » (Clottes et 227
al., 2001). Pour nos archers qui n’échappaient sans doute pas aux pratiques chamaniques attestées depuis au moins plusieurs dizaines de milliers d’années, la proximité d’avec la faune sauvage était évidente tant du point de vue physique (ils vivaient au milieu d’elle) que psychologique (ils la comprenaient de l’intérieur), et même probablement « spirituelle » (ils partageaient sa force vitale). Car il faut bien expliquer les gravures mihomme, mi-animal, du « Dieu cornu » ou celui du « Petit sorcier à l’arc musical » de la grotte des Trois-frères en Ariège. Ces pratiques, encore très répandues même chez les peuples premiers convertis aux religions « modernes », autorisent à parler de « l’ubiquité du chamanisme dans les communautés de chasseurs-collecteurs » (Clottes et al., 2001). L’organisation sociale de nos archers correspondait probablement à « des familles de langage, des tribus ou encore des bandes » (Newel et al., 1990)… mais de taille toujours modeste, permettant à tous les membres de se connaître et d’entretenir des liens étroits. Ces conditions leur évitaient une hiérarchisation. Comme le souligne P. Shepard (2013), « les sociétés non occidentales et non industrialisées de tradition orale (donc anhistoriques) sont égalitaires et fondées sur un pouvoir pluriel. L’autorité dynamique, émergente et dispersée n’y est jamais monopolisée par un chef. Même dans le cas où on les devine sous-tendus par un principe créateur unique, les univers polythéistes excluent l’omniscience. Il n’existe en leur sein ni hiérarchie unique ni autorité pyramidale qui dicte les croyances des individus et leur mode de vie. La culture de ces peuples est à la fois souple et stable. Elle demeure intacte malgré les humeurs du climat et les revers de l’existence » (Shepard, 2013). On peut supposer que cette organisation était parfaitement adaptée aux conditions de vie difficiles et, pour tout dire, précaires qui ont perduré pendant des milliers d’années. La cohésion du groupe est à la base de sa pérennité. Le cas des Bochiman est éloquent : « aucun d’entre eux n’ambitionne de devenir un personnage, mais Toma (le chef de bande) poussait plus loin encore que d’autres la démarche contraire. Il ne possédait pratiquement rien et donnait tout ce qui lui passait entre les mains. Mais c’était diplomatie de sa part, car cette pauvreté délibérément provoquée lui valait le respect et l’adhésion de tous » (Sahlins, 1972). « L’univers des Aborigènes est bien différent du nôtre puisqu’ils se passent de dualisme moral, d’espoir de paradis ou de menace d’enfer, ils n’ont besoin ni de prophètes ni de saints, de grâce ou de rédemption » (Shepard, 2013). Selon W.E.H. Stanner (1979), « leur grande réussite réside dans la structure sociale » qu’ils ont mise en place, « une structure aussi complexe que celle d’un régime parlementaire, fondée sur une superbe métaphysique de l’assentiment et de la constance ». Toujours à propos de ces peuples premiers, « si on considère l’implication volontaire de chacun dans les relations humaines à la fois affectives et efficaces, les primitifs sont en avance sur nous » (Turnbull, 1983). Et P. Shepard d’ajouter : « le cercle autour du feu devrait continuer à exister dans notre monde moderne comme la métaphore centrale du rassemblement et du partage humain ». Mais est-ce 228
possible de le maintenir dès lors qu’il s’agit du fonctionnement de communautés de millions, et même de milliards d’humains ? À propos de « conscience », il faut suspecter le fait que nos archers restaient actifs au moins une partie de la nuit pour se protéger des bêtes sauvages, piéger ou chasser. Ils développaient ainsi leur vision périphérique, assurée dans la rétine par les bâtonnets. « Et si, comme certains le pensent, l’information périphérique est directement branchée sur l’inconscient » (Shepard, 2013), nos archers avaient peut-être plus de facilité à accéder à leur monde intérieur et peut-être à leur conscience, à la différence de nos contemporains au cortex saturé en informations « inutiles » ! Pour compléter l’approche de l’univers mental de nos archers, il faut parler de liberté. Si notre « culture » nous contraint à vivre actuellement, à forte densité, dans des villes agitées, bruyantes et polluées, il n’en reste pas moins que « nous sommes (génétiquement) des hominidés du Pléistocène, constitués de façon extrêmement précise pour une vie omnivore en petits groupes sur les lisières des forêts et des plaines au cœur de la nature sauvage où devrait s’exprimer notre sauvagerie » (Shepard, 2013), c’est-à-dire une existence libre au milieu d’animaux libres. Un rêve pour certains d’entre nous, une réalité peut-être pour nos archers. « Car nous n’avons pas encore été privés de l’élégance d’une biologie sauvage par des croisements contrôlés. La pensée sauvage est en nous. (Souvenons-nous que) le contraire de sauvage n’est pas civilisé, mais domestiqué » (Shepard, 2013).
B. QUELQUES ASPECTS CULTURELS Les archéologues font tous le constat d’un changement culturel, entre le Magdalénien et l’Azilien, au sein des groupes de Sapiens car les représentations figuratives (animalières) propres à la période antérieure s’estompent progressivement. « Ce passage se traduit par une raréfaction relative des outils en os ou bois de cerf, mais le plus révélateur est la disparition (quasi complète) de l’art animalier figuratif » (Rozoy, 1978). « La statuette d’El Castillo en Espagne, datée de la fin du Magdalénien (environ -13 000 ans A.C.), modelée à partir d’une colonne stalagmitique, figure une tête et un corps de bison portés par des jambes et des pieds humains » (Patou-Mathis, 2013). Les silhouettes humaines évoquées sont beaucoup plus nombreuses partout en Europe du Nord que les représentations animalières, ce qui représente un grand changement en regard de l’art paléolithique antérieur. L’art figuratif du Levant espagnol fait aussi la part belle aux humains présentés de façon simplifiée dans leurs formes pour exagérer les effets de mouvements. Pendant l’Épipaléolithique, « l’action humaine est (donc) maintenant au premier plan » (Rozoy, 1978), mais chaque grande région (ou culture) garde cependant son originalité en Europe. Ce qui est sûr, c’est que l’art animalier réaliste a disparu en France dès l’Azilien. Il a été « remplacé » par des gravures abstraites où les motifs
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géométriques dominent. En fait, la tradition figurative (du Magdalénien) ne disparaît pas totalement, mais devient exceptionnelle (cheval sur fragment osseux azilien au Pont d’Ambon à Bourdeilles en Dordogne, biche gravée sur galet azilien de l’abri Murat dans le Lot, figures animalières sur bloc calcaire romanellien dans les Pouilles en Italie). Sur le versant atlantique, G. Marchand (2014) confirme « la rupture technique dès le début de l’Azilien qui s’accompagne d’une expression graphique renouvelée, en phase avec ce que l’on observe ailleurs en France ». C’est aussi l’avis de M. Barbaza (1999), pour qui « les hommes de la fin des temps glaciaires ont renouvelé à l’Azilien leur système iconographique » en gravant sur des os ou des galets des figures géométriques (traits, croisillons, chevrons, ponctuations) qui coïncident avec « un affranchissement des figures naturelles peintes (gibiers), traduisant probablement une révolution des mentalités qui a peutêtre précédé, voire préparé, la grande révolution néolithique ». La grande question est de savoir quelle était la ou les causes de ces changements culturels. La modification environnementale majeure est évidemment, à ce moment charnière, le retour des espaces boisés. « La repousse de la forêt a ainsi cloisonné les territoires et l’unité stylistique des Venus paléolithiques qui s’étendait du Périgord à l’Ukraine, a disparu au profit des styles régionaux très divers, et très diversement connus » (Demoule, 2018). Le passage à des motifs géométriques serait-il lié à la multiplication des arbres, dont les troncs sont autant de bâtonnets s’offrant à la vue des humains ? C’est possible, mais rien ne le prouve. Pour M. PatouMathis (2013) qui cite C. Lévi-Strauss (1984), « la pensée sauvage repose sur les expériences que les hommes ont de leur environnement et sur les propriétés sensibles qu’ils y repèrent. Cette pensée est une science du concret qui met de l’ordre dans le monde auquel il appartient ». La culture épipaléolithique pourrait se définir de la façon dont « le groupe social utilise et perçoit la nature ambiante ainsi que les relations de ses membres entre eux et avec d’autres groupes » (Rozoy, 1978). Mais nos Sapiens n’ont pas fait que dessiner ce qu’ils voyaient, car « dans les sociétés sans écritures, les artes imprègnent toutes les manifestations de la vie quotidienne. Ils sont présents dans toutes les sphères de la vie et dépassent les simples nécessités fonctionnelles. Ils sont chargés d’une signification symbolique et culturelle ». Selon le mot de B. Perronne-Moise (2005), ce sont des « objets sociaux totaux ». Et F. Bouvry (2007) confirme que « dans ces sociétés, l’art n’est pas affaire de spécialistes, séparé de la vie de tous les jours… l’objet condense des représentations que tout le monde partage : représentation du cosmos, les étapes de de la vie, de la mort ». Selon J.-G. Rozoy (1978), « les changements idéologiques entre le Paléolithique et l’Épipaléolithique sont donc majeurs puisque le degré d’abstraction atteint s’est considérablement accru à cette dernière période ». Il est difficile de savoir si c’est l’arrivée de la forêt, l’usage de l’arc ou une puissante élévation mentale qui est la cause ou la conséquence de cette évolution… mais il y a eu en tout cas d’énormes mutations sociales assimilables à une « révolution » avec la mise en place de 230
la famille nucléaire, nouvelle base de la société des archers. À ce stade, il y a lieu de s’attarder un peu sur cette transition finalement mal expliquée entre un art figuratif puis un art géométrique. L’art figuratif s’est exprimé de différentes manières. En premier lieu, un art que l’on pourrait qualifier de « pariétal » résultant de pulvérisations, frottements, incisions, percussions sur des parois ou des dalles rocheuses. Les traces de mains « négatives » conservées dans certaines grottes ont été précisément étudiées. Elles laissent supposer que, « selon l’indice de Manning (rapport entre la taille de l’index et de l’annulaire), 75 % d’entre elles seraient l’œuvre de femmes artistes (Morello, 2019). En France, la découverte toute récente, près d’Angoulême, d’une dalle de grès datée de 12 000 ans A.C. et portant les silhouettes gravées de cinq animaux dont un cheval, souligne que l’art figuratif propre au Paléolithique n’a pas disparu à l’Azilien. La sculpture très sophistiquée du « faon aux oiseaux » du Mas d’Azil (Ariège) daterait d’environ - 11 000 ans A.C. Un os gravé d’une tête de cheval a été trouvé dans la « grotte de Robin des Bois ». Ce « cheval ocre » daterait du Mésolithique (- 9 000 à - 11 000 ans A.C.). En Angleterre (Nottinghamshire), des gravures représentant des animaux (bisons) et probablement des oiseaux, ont été identifiées récemment sur les murs et plafonds de certaines grottes (Creswell Crags). L’occupation du site daterait du Tardiglaciaire (- 13 000 à - 11 000 ans A.C.). En Italie (Val Camonica), les premières gravures dateraient, selon l’archéologue Emmanuel Anati, du Mésolithique (VIIIe au VIe millénaire A.C.). Elles seraient l’œuvre de chasseurs nomades de passage qui suivaient les migrations animales. Quant aux pétroglyphes colorés des monts de l’Altaï en Chine qui ont plus de 10 000 ans (B.P.), ils représentent des animaux et des « skieurs » (Arte, 2018). Ce type de « souvenirs » laissés par des chasseurs et plus tard par des bergers s’est maintenu pendant des millénaires puisqu’on en retrouve des exemples dans la vallée des Merveilles, datés de l’âge du Bronze. L’art figuratif bien développé au Magdalénien (sur parois, sur plaquettes calcaires ou schisteuses et sur os) est beaucoup plus réduit à l’Épipaléolithique. Il s’est estompé. Il faut tenir compte du changement de mode de vie des archers qui, menant une vie semi-nomade, ont conservé moins d’objets d’art qui ont subi une dégradation plus intense une fois soumis aux intempéries et à la dispersion. La représentation des animaux, qui témoignerait de la « magie de la chasse », semble avoir perdu de son importance, car, avec l’arc, il est devenu beaucoup plus facile de prélever de grands ongulés… la chasse semble être devenue plus « banale ». Affranchi de cette exigence symbolique, mais néanmoins bien concrète, l’art est devenu plus abstrait. Ce sont les traits et les figures géométriques qui ont servi le dessin comme moyens d’expression. Même les statuettes retrouvées sont stylisées et le sculpteur a préféré représenter les principales caractéristiques du visage (Chaillexon d’après Tschumi, 1938) ou du corps (Gaban d’après Graziosi, 1975), plutôt que des détails très réalistes. Selon nos critères actuels, ces 231
œuvres méritent pleinement le qualificatif d’« abstraites ». C’est encore plus marqué avec les décors géométriques danois ou nord-allemands (Clark, 1975). Un parallèle, peut-être un peu risqué (?!), pourrait être avancé entre cette évolution et celle des enfants qui représentent souvent maladroitement dans leur enfance leurs parents, leur chat et leur maison, puis élaborent des dessins plus compliqués avec des carrés, des rectangles, des triangles et des croix, puis des motifs plus ou moins sophistiqués qu’ils inventent comme des tirés, des zigzags ou des guirlandes à motifs répétitifs qu’ils trouvent jolis. Et ces modifications vont de pair avec leur potentiel intellectuel et conceptuel qui se développe, s’éloigne du concret. Cette évolution est peutêtre à rapprocher du saut artistique que l’on découvre à l’Azilien. Quoi qu’il en soit, « la période des archers est (bien) un très grand progrès, un stade décisif de l’évolution des cultures » (Rozoy, 1993). Comme l’avait pressenti ce même auteur, « la mort de l’art (figuratif) n’est peut-être que l’abandon d’une forme inutile et sa transformation vers un plus haut degré d’abstraction » (Rozoy, 1978). L’art géométrique a bien pris le relais du précédent car « durant l’Azilien, on considère que les expressions graphiques sont essentiellement abstraites ou géométriques et qu’elles investissent des supports bruts (galets de rivière) ou peu élaborés (fragments osseux). Pourtant, comme on l’a déjà souligné, l’art figuratif se maintient encore discrètement dans les premiers temps de l’Azilien ainsi que nous le montrent les productions de Gouy (76), Pincevent (77), Murat et Pégourié (46), Rochereil (24), Gay (01) et du Rocher de l’Impératrice (29) » (Paillet et al., 2015). Toutefois, M. Barbaza (1999) fait remarquer que « l’œuvre est rare à l’Épipaléolithique et au Mésolithique… elle est peu expressive, dispersée et diverse ». On ne trouve que quelques graffitis sur des parois de grès en forêt de Fontainebleau. À Stellmoor, la décoration se limite à des os en bois de renne (haches de Lyngby) ou des côtes d’élan ornées de motifs géométriques (Rust, 1953). Les archers de l’Azilien ont surtout peint ou gravé des galets (Rochedane dans le Doubs ou la Colombière dans l’Ain), des rochers (Fontainebleau) ou des os (Remouchant en Belgique), choisissant « volontairement une démarche non figurative. Cette signature tout à fait caractéristique (lignes, grilles, points et triangles) s’est perpétuée jusqu’au Mésolithique final » (Ghesquière & Marchand, 2010). « Les galets anthropomorphes du VIIe millénaire de la vallée du Danube (Lepenski Vir) représentent des visages très expressifs accompagnés par des décorations annexes souvent en stries ou chevrons qui ne dépareraient pas dans un musée d’art moderne » (MüllerKarpe, 1968). De nombreux objets en os (astragale de Capridés utilisée comme dés à jouer, côte décorée de traits comme aide-mémoire dans des jeux de hasard, bois de cerf scarifié et percé servant de marqueur de résultat de jeu ?) laissent à penser que nos ancêtres s’adonnaient à des activités ludiques basées sur des notions abstraites, peut-être divinatoires, qui faisaient en tout 232
cas appel à des capacités cérébrales comparables aux nôtres. Les quadrillages, les damiers, les chevrons, les lignes ondulées, les cercles gravés sur galets, les décors pointillés sont des dessins géométriques qui tranchent avec les pratiques des temps précédents où la représentation réaliste dominait. Sous ses nombreux aspects, l’art épipaléolithique a fait faire, pour l’humanité, « un pas de plus sur la route de l’abstraction » (Bordes, 1971). F. Bouvry (2007) apporte une confirmation à cette évolution de la façon suivante : « à la fin du Glaciaire, la représentation réaliste-naturaliste appartenant à l’ère des chasseurs du Paléolithique supérieur semble disparaître définitivement d’Europe. À la fin du Tardiglaciare, au passage du Mésolithique (que certains auteurs nomment Épipaléolithique), une nouvelle représentation figurative des animaux fait son apparition (La Borie del Rey en Aquitaine). Puis au Mésolithique sensu stricto, dans la phase ancienne (Préboréal) du nord au sud de l’Europe, nous avons été intrigués par la systématisation du décor géométrique, le style non figuratif qui envahit la représentation (abri Pagès en Midi-Pyrénées). Au Mésolithique final, nous avons été frappés par la représentation figurative schématique (simplifiée) narrative qui apparaît en Europe comme en Afrique où l’homme entre en scène (Gorges de la Valltorta – Castellön en Espagne). Cette évolution est sans doute « une rupture avec les objectifs d’une époque » (Bouvry, 2007). Le même auteur fait remarquer que « lorsqu’on y ajoute la microlithisation des armatures, les évolutions familiales et la pratique de la vie semi-nomade, il n’est peut-être pas exagéré d’admettre une identité, une civilisation mésolithique européenne ». Au regard de la répartition géographique de ces productions artistiques sur l’ensemble du territoire, on peut parler de « mosaïques d’entités stylistiques… avec une structure en réseau » (Marchand, 2014), et le plus extraordinaire réside dans l’expansion rapide de ce nouveau style artistique que l’on retrouve aussi bien dans le Doubs (Rochedane), qu’en Ligurie (Arene candide), en Calabre ou en Sicile. Reste une question concernant les sculptures ou décorations sur bois ou sur os. Pourquoi beaucoup de ces objets travaillés, portant des traces de carbonisation, ont-ils été jetés au feu ? Était-ce pour s’en débarrasser, pour les proposer aux divinités à titre d’offrandes ou pour le plaisir de réaliser un geste symbolique ? Le mystère demeure entier ! Une des formes d’art s’exprime aussi chez les archers par l’usage de décorations corporelles ou de pendentifs. Les décorations corporelles sont présentes de façon systématique chez tous les peuples premiers. L’usage de l’ocre ou de la cendre facilite les reconnaissances entre membres d’un même groupe ou entre groupes différents. Il peut aussi faire ressortir une originalité dans les choix des couleurs et exprimer ainsi une personnalité, ce qui est toujours de mode aujourd’hui. Les tatouages remplissent une fonction comparable et paraissent aussi très anciens : il y a plus de 5 000 ans B.P., « Ötzi était déjà tatoué de simples signes en bâtonnets » (Demoule, 2018), et tout récemment, les chercheurs ont découvert sur sa peau des croix ou des 233
tirés, au total 61 signes, qui semblent correspondre à des points douloureux de notre « homme des glaces » souffrant d’arthrose. L’usage d’une aiguille en os permettant d’intégrer du carbone (noir) sous la peau à proximité des organes sensibles pourrait correspondre alors à un « tatouage thérapeutique » (Arte e). De très nombreux vestiges de pendentifs ont été trouvés dans les fouilles du Paléolithique final et du Mésolithique. « Des études microscopiques ont permis de préciser que ces perles avaient été enfilées, les traces d’usure ainsi révélées étant compatibles avec un frottement contre un fil, contre la peau ou contre d’autres perles. De même, les coquilles assemblées, cousues à des vêtements ou portées en colliers ou bracelets étaient donc faites pour être vues » (Teyssandier, 2019). Les bijoux, dans le passé comme de nos jours, véhiculent en fait des codes pour des personnes qui ne sont pas de la famille et ne connaissent pas trop bien la personne qui les porte. Les étrangers ne peuvent pas non plus comprendre les messages véhiculés par ces pendentifs. Mais ceux qui sont les plus à même de les interpréter sont « probablement les individus du même contexte culturel, mais qui ne connaissent pas le porteur personnellement » (Teyssandier, 2019)… par exemple, les habitants (ou les habitantes) d’un campement voisin. « La connotation esthétique et probablement symbolique (de ces bijoux) est évidente, car la plupart de ces coquilles sont impropres à la consommation » (Cleyet-Merle, 1990). Il semble que chez nos archers (et peut-être surtout chez les femmes !), les éléments de parure (et peut-être aussi les habitudes vestimentaires !) revêtaient une grande importance. « Pendant tout le Paléolithique supérieur, la mode est aux gastéropodes de formes arrondies et globuleuses (littorines, cyprées et natices)… et brusquement, sans que ce phénomène soit vraiment imputable à une mutation climatique, certaines disparaissent au profit de nouvelles : les nasses, plus renflées, semblent largement supplantées, dans la parure, par les colombelles plus allongées » (Cleyet-Merle, 1990). C’est aussi le constat effectué par les chercheurs du CNRS sur le site du Ksar ‘Aqil au Liban (Inizan, 1978), qui ont vu cette mutation s’opérer. Certaines pendeloques, en hématite et d’autres ornées de bâtonnets taillés de couleurs vives, ont été trouvées dans la série de Geldtrop, dans le NordBrabant et datées du Dryas III. Des canines percées de blaireau et/ou de marcassin étaient souvent portées sur la poitrine comme celles découvertes dans la station de Vic sous Thil, le long de la Saône. À Birsmatten, on a identifié une dent de cerf perforée, une coquille perforée et une côte animale décorée sur les deux faces d’un quadrillage incisé comme pouvant appartenir à un collier (Bandi, 1963). Depuis le Paléolithique, la représentation des poissons se limite souvent au saumon et au brochet, espèces considérées visiblement comme « nobles ». D’autant que « les seules vertèbres perforées, manifestement portées comme éléments décoratifs, appartiennent à ces deux seules espèces. Cette habitude, née au Paléolithique supérieur, semble (dans ce cas) se perpétuer jusqu’à l’époque historique » (Cleyet-Merle, 1990).
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Les pendentifs accompagnent souvent les sépultures et ce sont généralement des coquilles percées qui constituent des colliers. « Les hommes portent surtout des Trivia avec peu de Litorina et les femmes des Litorina avec peu de Trivia » (Taborin, 1974). On trouve aussi souvent d’autres coquillages (Columbella rustica, Unio, etc.), des coquilles fossiles, des croches de cerf percées, des canines (blaireau, sanglier, renard), et très rarement des perles (Star Carr), dont certaines en ambre de la Baltique (Clark, 1954). Et certains de ces coquillages rares sont découverts dans des sépultures éloignées de 500 km de la mer ! Les bracelets ont fait partie de la collection trouvée à Hoëdic (Morbihan) dans les sépultures avec de l’ocre, des anneaux de jambe et des agrafes de vêtements. Les sépultures d’homme portaient plus de Trivia europea et celles de femme de Litorina obtusata. S’ils n’hésitaient pas à offrir ces bijoux à leurs morts, c’est qu’ils les considéraient comme un dernier hommage à leurs proches qu’ils aimaient et pour lesquels ils tenaient à maintenir avec eux, pour leur dernier voyage, « un lien sous forme d’objets pour lesquels on a investi du temps, des efforts et un savoir-faire, au-delà de la stricte utilité matérielle » (Boas, 2003). Les Jarawa de l’archipel des Andaman aux Indes passent une partie de leur journée à s’amuser et à rêver. Les femmes et les hommes, qui vivent nus, prennent grand soin de leur beauté corporelle en s’équipant de colliers de fleurs ou de feuilles et des pendentifs en coquillages. Ils partagent équitablement tout ce qui arrive au campement (produits de la chasse, de la pêche sur le littoral et de la cueillette). Ils chantent la nuit « en dormant ». Il est probable que nos archers savaient aussi se mettre en valeur avec des fleurs et des feuilles colorées, voire chatoyantes, mais malheureusement pour nous, on ne peut que les imaginer, car il reste bien peu de choses de ces ornements magnifiques, mais hélas périssables et des tresses en feuillages bigarrés qui couvraient sans doute leur tête. De bien belles ornementations qui devaient agrémenter, de leurs éclats, leurs vêtements bruns ou fauves en peau de bêtes ! Certains objets en bois, destinés à couvrir le visage, ont été épargnés par miracle. « C’est vers - 8 000 ans avant notre ère qu’ont été datés les plus anciens masques, une douzaine en tout, découverts principalement en territoire israélien. Leur existence suggère que la confection de ces objets a pu être bien plus ancienne encore… mais tous ceux qui étaient fabriqués en matières périssables (bois, cuir, textile, plume) ont évidemment disparu depuis » (Demoule, 2018). Sur le continent européen, l’Épipaléolithique a livré toutefois une collection de masques (21 pièces à Star Carr), principalement des têtes de cerfs (l’os résiste assez bien à l’érosion), mais ce n’est pas surprenant, car c’était l’espèce la plus recherchée. Ils servaient probablement à approcher les grands ongulés sans se faire repérer à la manière des Indiens d’Amérique qui se déguisaient pour approcher les bisons (Verlinden & Janti, 1960). Il n’y a pas de preuve que ces masques aient eu une autre fonction qu’utilitaires, mais il n’est pas exclu non plus 235
qu’ils aient été utilisés pour des cérémonies ou des danses comme le font nombre de sociétés tribales encore aujourd’hui en Afrique. 1. La question de la filiation Au Mésolithique, il n’est pas certain que les hommes aient saisi la relation entre les accouplements (probablement assez fréquents ?!) et l’arrivée, 9 mois plus tard, d’un enfant. En outre, l’observation des animaux sauvages ne permettait pas non plus de faire facilement la corrélation entre rut et naissance. Alors, comme le suggère Jacques Dupuis, « celle-ci aurait été reconnue seulement, il y a 9 000 ans, par les premiers éleveurs qui pouvaient au jour le jour suivre l’évolution biologique de leurs bêtes » et constater les effets des rencontres entre les mâles et les femelles. À défaut de ces connaissances, « dans les sociétés traditionnelles, la filiation matrilinéaire étant la seule perçue, le système matriarcal régna pendant des millénaires » (Patou-Mathis, 2013). Il était très probablement en vigueur chez nos archers et contribuait à « l’équilibre des pouvoirs », déjà évoqué, entre l’homme et la femme au sein des familles nucléaires. Les archers ne pouvaient donc pas faire commodément la relation entre l’accouplement et les naissances puisque chez l’animal, le message est « brouillé », pourrait-on dire ! En effet, il ne s’écoule que quelques semaines entre ces deux évènements pour les lièvres et les lapins, mais plusieurs mois pour le sanglier ou le cerf et presque un an pour le chevreuil avec une diapause embryonnaire hivernale impossible à détecter pour nos Sapiens. Par contre chez les oiseaux, ils pouvaient observer la présence des œufs et voir éclore les poussins, donc se succéder les générations. Quant aux petits mammifères et aux insectes, la multiplication des jeunes devait tenir de « la génération spontanée » tant elle semblait discrète et pourtant explosive. Si la filiation n’était peut-être pas toujours évidente à suivre chez nos archers, les « outils » de la copulation n’étaient pas cachés… bien au contraire ! Les rares représentations humaines de ces sept millénaires montrent des graffitis très expressifs concernant les organes sexuels : vulves bien développées et pénis en pleine érection ! Ce qui fait dire à J.-P. Demoule (2018) que « la sexualité semble fortement présente dans les préoccupations de ces sociétés de chasseurs-cueilleurs ». 2. Les groupes culturels L’hypothèse selon laquelle « derrière chaque culture archéologique, il y aurait un groupe ethnique distinct » n’est pas forcément vérifiée. Pour prendre un seul exemple, il serait surprenant en effet que les galets aziliens décorés de motifs géométriques que l’on trouve dans une grande partie de l’Europe aient été réalisés par un seul groupe ethnique. On sait en effet qu’ils étaient très nombreux sur ce territoire. « En France, Belgique et Pays-Bas, la densité de points de fouilles bien étudiés est presque partout très insuffisante
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pour délimiter, avec certitude, les groupes humains préhistoriques, mais on peut toutefois individualiser cinq ou six cultures au moins sur ces territoires pendant l’Épipaléolithique » (Rozoy, 1978). « Entre - 8 500 et - 6 500 ans avant notre ère, une dualité culturelle domine tout au long du Premier Mésolithique avec des armatures associant des triangles isocèles puis des triangles scalènes au nord de la Loire (Beuronien) et les mêmes formes, mais plus effilées associées à des pointes fusiformes en secteur méridional (Sauveterrien)… sans qu’on puisse dire que ces différences correspondent à des populations ethniquement différentes… car il manque d’autres critères distinctifs indispensables pour l’affirmer… d’autant que pour tout simplifier, il existe une bande médiane dont les industries ont pour particularité d’associer des caractères sauveterriens et beuroniens » (Rozoy, 1978). Selon le même auteur, « à partir des nombreuses fouilles réalisées en Belgique, la qualité du travail du silex comme les produits qui en dérivent, confirment fortement les différences régionales entre les cultures et justifient leur isolement. Au final, « même très simplifiée, la géographie culturelle de l’Europe mésolithique apparaît d’une très grande complexité » (Barbaza, 1999). Concernant les « espaces stylistiques du Mésolithique », basés sur la taille et la forme des silex (c’est-à-dire une « tradition »), il semble se dessiner, selon S.K. Kozlowski (1980), trois types de territoires, plus ou moins emboîtés, de 30-50 km, 100-200 km et 300 km de diamètre… qui répondent bien aux observations faites en Bretagne (Marchand, 2014), mais souvent aussi sur le reste du territoire français. Sans risquer de généraliser une hypothèse encore fragile (rareté des informations), les premiers espaces de 70 000 à 200 000 ha apparaissent comme révélateurs d’une culture lithique homogène (de proximité ?), emboîtée dans des territoires plus vastes où les pratiques se ressemblent encore beaucoup. « Au-dessus du groupe élémentaire, il existe une unité sociale d’un ordre plus élevé que l’on peut appeler cultures, caractérisées par des lots d’outillages et des techniques diverses, très analogues entre elles et différentes de celles des cultures voisines. Chaque culture occupe un espace défini, assez stable au cours des millénaires. Ces territoires, d’un diamètre variant de 80 à 300 km, peuvent nourrir 30 à 300 groupes élémentaires de 10 à 20 personnes, soit 500 à 5 000 individus par culture » (Rozoy, 1978). En France, le nombre de cultures n’aurait pas dépassé 3 à 5 au Magdalénien alors qu’il semble avoir atteint 30 ou 40 à l’Épipaléolithique. Cette diversification tient probablement à l’augmentation de la population en place, mais surtout à sa répartition plus uniforme sur le territoire. « Les changements qui interviennent dans les industries (lithiques) sont progressifs, corrélatifs et indépendants » (Rozoy, 1978). C’est le « changement en mosaïque » mentionné par Chavaillon et al. (1978). Et « les groupes apparaissent comme égaux entre eux » (Rozoy, 1978). Au début du siècle passé, de nombreux chercheurs considéraient que des tribus, munies du tranchet et de la hache, n’étaient que des miséreux errants 237
en quête perpétuelle de nouveaux territoires (Breuil, 1937) et que manger des escargots était l’attribut de « rodeurs de grèves » d’une extrême pauvreté destinés à une disparition pure et simple (Childe, 1963). La survie de ces « attardés » (Barrière, 1955) semblait tenir du miracle. En fait, les fouilles plus récentes ont amené à « l’identification de groupes régionaux bien définis et repérés à des stades d’évolution différents » (Rozoy, 1978)… bien loin des descriptions catastrophistes évoquées plus haut. L’industrie du silex donne lieu à quantité de tours de main et de particularités de détails qui, si on en fait une étude fine, « peut parfaitement suffire à caractériser la présence de cultures épipaléolithiques » (Rozoy, 1978). Pour illustrer le propos, « La forêt de l’Alleröd était fréquentée par de véritables paléolithiques dont l’outillage spécialisé passe de la lamelle à bord abattu à des pointes à dos courbe marquant une forte tendance à la microlithisation » (Rozoy, 1978). « Durant l’Alleröd et le Dryas récent, de - 12 000 à - 9 600 avant notre ère, plusieurs grands groupes culturels coexistent en Europe, parmi lesquels l’Ahrensbourgien et le Swidérien dans les régions septentrionales et beaucoup plus à l’est, les peuples de traditions ouralo-sibériennes » (Ghesquière & Marchand, 2010). « Le triangle isocèle apparaît… comme l’armature emblématique de ces débuts du Mésolithique (Préboréal), de la Loire à la Méditerranée » (Marchand, 2014). Au Boréal, S.K. Kozlovski (1980), cité plus haut, a distingué « trois grands technocomplexes définis d’après les formes et les styles caractéristiques des outils : un nord-oriental, entre la Pologne et l’Oural, un septentrional englobant toutes les rives de la mer Baltique jusqu’au Royaume-Uni et un occidental en Europe de l’Ouest ». Par la suite, « en France, se développe le Beuronien au nord et le Sauveterrien au sud remplacé par le Montclusien qui lui-même voit se propager, à la fin du Mésolithique, une culture castelnovienne dans le sud-est » (Ghesquière & Marchand, 2010). Selon J.N. Hill (1972), « les migrations ou les influences culturelles seraient insuffisantes en elles-mêmes pour expliquer le changement ». Il pourrait résulter, en effet, de réponses systématiques à de possibles variables environnementales. Mais « les constatations convergentes des spécialistes de l’Épipaléolithique tendent, en tout cas, à exclure comme causes principales les changements climatiques ou faunistiques » (Odell, 1974). L’hypothèse selon laquelle les raisons seraient donc internes aux populations locales (inventions, évolutions sociales, etc.) n’est pas à exclure et mérite d’attendre quelques découvertes prochaines pour être vérifiée. Pour maintenir ces traditions, il fallait entretenir un flux permanent de groupe à groupe (Turnbull, 1968). Il est hautement probable que « les membres d’un groupe passaient environ un tiers de leur temps à recevoir des visiteurs, un tiers à aller en visite chez les autres et seulement le troisième tiers entre eux » (Lee, 1968). D’où des mariages exogamiques pour le groupe et des pratiques endogamiques pour la culture et forcément un particularisme de langage, ciment de la cohésion culturelle. Malgré cette diversité locale, « L’Europe occidentale, tant dans sa partie méridionale que 238
septentrionale présente une certaine unité » (Barbaza, 1999). On trouve des pointes de flèches à trapèze jusqu’au Danemark. « La diversité ethnique et culturelle des anciens chasseurs-cueilleurs était (donc) impressionnante » (Harari, 2015), à tel point que G. Marchand (2014) parle du « kaléidoscope ethnique du Mésolithique ». Plus tard, rien de surprenant, cette même diversité s’est propagée aux « 5 à 8 millions de fourrageurs qui peuplaient le monde à la veille de la Révolution agricole, se trouvaient divisés en milliers de tribus séparées, avec des milliers de langues et de cultures différentes » (Harari, 2015). Nos archers du Mésolithique ne constituaient ni des « bandes », au sens de Service (1968), ni des « tribus », au sens de Moscovici (1972), mais plutôt des groupes mobiles, non hiérarchisés, plutôt pacifiques, certainement sobres par obligation et ouverts à la collaboration, donc aux échanges sympathiques ; un petit côté « cool », oserait-on dire, « zadiste » en somme... la chasse en plus ! 3. La question du langage La découverte, dans les années 1980, d’un os hyoïde intact sur le site de Kebara en Israël, est venue montrer que les Néanderthaliens avaient, il y a plus de 60 000 ans, une conformation laryngée très proche de la nôtre. De plus, la découverte toute récente du gène Fox p2, indispensable au langage, dans leur ADN, confirme cette aptitude à parler. Pour certains chercheurs, « cela signifie qu’ils étaient capables d’articuler comme nous le faisons » (Teyssandier, 2019). Mais pour D. Lieberman (2007), « l’anatomie pleinement moderne de la parole n’interviendra qu’aux alentours de 50 000 ans chez les populations anatomiquement modernes ». Le langage des Néanderthaliens était probablement différent de celui des « hommes modernes »… ils ont toutefois réussi à se comprendre puisque des unions sont attestées, grâce à la composition de l’ADN de leurs descendants ! On ajoutera qu’au langage véritable et très élaboré a probablement précédé d’un proto-langage accompagné d’une langue des signes qui s’est perfectionnée au Mésolithique puisqu’il a permis de faire fonctionner des petites communautés qui échangeaient visiblement de nombreuses informations avec leurs voisins concernant la chasse, le troc d’objets et la transmissions des cultures qui se sont répandues dans toute l’Europe en quelques milliers d’années. On ne sait pas, et on ne saura sans doute jamais évidemment, quels dialectes parlaient nos archers, mais ils devaient être nombreux compte tenu de la diversité et de la répartition très éclatée des groupes sur le vaste territoire européen. Il est très probable qu’au fil des millénaires, ces dialectes aient été remplacés, à la faveur des migrations venant de l’Est, par un langage « commun » qui serait né vers - 6 000 ans A.C., peut-être en Arménie actuelle ou au sud du Caucase, deux régions identifiées depuis comme le berceau des futures langues indo-européennes (Arte, 2018). Pour solutionner les problèmes du quotidien : localisation des gibiers, des fruits ou précaution à prendre pour la consommation des champignons (bons 239
ou mauvais), les archers ne pouvaient compter que sur leur mémoire, individuelle et collective, car il n’y avait pas de documents écrits ni de cartes évidemment. Et il fallait transmettre l’information par le langage. Ce dernier a dû se complexifier au cours du temps, car on sait que les peuples premiers passent de longues heures à discuter et nos archers n’échappaient sûrement pas à la règle, tout simplement pour maintenir la cohésion du groupe que l’on a évoquée précédemment. Il ne reste, bien sûr, aucune preuve directe de cette évolution, mais les archéologues ont trouvé, à Hoëdic en Bretagne, dans les amas coquillers près du littoral, des aires dallées de 5 à 6 m de diamètre qualifiées « d’aires de palabre » ou, en tout cas, des lieux qui se prêtaient parfaitement aux échanges verbaux. Au moment du regroupement des camps, attesté par plusieurs sites de fouilles, les débats devaient aller bon train. Des sociologues ont développé à ce sujet « la théorie du commérage » selon laquelle « la taille naturelle maximale d’un groupe lié par le commérage est d’environ 150 individus » (Harari, 2015), ce qui pourrait parfaitement s’appliquer à nos concentrations d’archers. De plus, « l’ethnologie nous montre que dans la majorité des sociétés traditionnelles, avant l’apparition des états centralisés et des langues unifiées, la plupart des gens étaient multilingues et pratiquaient donc plusieurs langues en raison de la petite taille des groupes humains (initiaux) et de fréquents échanges matrimoniaux » (Demoule, 2018). Une autre forme de communication passait, sans doute, par l’usage des instruments de musique. On sait qu’il existait des sifflets et des flûtes en os et probablement aussi des tambourins constitués d’un tronc creux recouvert d’une peau tendue. Ce type d’instruments, commun chez tous les peuples premiers, donne un rythme aux danses, mais sert aussi à transmettre des messages à longues distances (plusieurs kilomètres) pour signaler sa position ou avertir d’un danger. En milieux découverts, ce type de communication est possible et efficace, mais en forêt, c’est beaucoup moins le cas. Ainsi, « dans les environnements forestiers, proches de l’équateur et saisonnièrement stables, cette situation a conduit au maintien de groupes locaux relativement isolés les uns des autres, qui ne se comprennent pas nécessairement alors même qu’ils ne vivent qu’à quelques kilomètres les uns des autres » (Teyssandier, 2019), et c’était peut-être le cas de nos archers de l’Holocène. 4. Les drogues Les ethnologues constatent que chez les peuples premiers, la consommation de drogues est quasi systématique. « On admet, généralement, que l’usage de plantes psychoactives a précédé la consommation de boissons alcoolisées, les premières étant ingérées sous leur forme naturelle alors que le processus de fermentation demande des développements technologiques qui n’ont pas été mis en place, semble-t-il, avant le Néolithique » (Teyssandier, 2019). Il reste toutefois un doute, car pour certains chercheurs dont M. Carrigan (2015), une mutation vieille de 10 240
millions d’années aurait permis aux ancêtres des humains et des grands singes d’assimiler l’éthanol quarante fois plus rapidement qu’avant et d’échapper, après un bon repas de fruits mûrs déjà fermentés, à un état d’ébriété peu compatible avec un séjour dans les arbres ! Dans beaucoup de régions d’Europe, les drogues naturelles ne manquaient pas. « Des restes de pavot à opium sont connus dès le VIe millénaire avant notre ère sur le site de La Marmotta en Italie » (Teyssandier, 2019), et l’amanite fausse-oronge est un champignon « stupéfiant » consommé par les populations sibériennes. En France, on peut fumer différentes feuilles sèches ou lianes, la clématite en particulier. Il serait finalement étonnant que nos archers n’aient jamais fumé « un petit joint » le soir après la chasse, car c’est une habitude chez beaucoup de chasseurscueilleurs dans le monde, chez les Yanomani en particulier. Nos chasseurs actuels terminent rarement une grande battue sans « arroser » la fin du cassecroûte ! Nos archers savaient aussi, sans doute, qu’il valait mieux le faire après qu’avant ! En conclusion… Dans son livre sur les Bushmen du Kalahari, M. Patou-Mathis (2007), qui a vécu quelque temps avec eux, nous donne une description assez précise et saisissante de leur mode de vie : « ils sont regroupés en bandes d’une quinzaine de familles apparentées qui ont leur territoire propre et il y a moins d’un habitant aux 1000 ha. Leurs abris sont des petites huttes destinées à une seule famille. Le foyer est à l’extérieur simplement limité par de grosses pierres. Ils sont semi-nomades et se déplacent plusieurs fois par an et parfois se rassemblent lors de fêtes ou de l’abattage d’une grosse proie consommée collectivement. Les hommes chassent avec un arc simple et se déplacent toujours avec leur bâton à feu. Les femmes et les jeunes se chargent de la cueillette, de la construction des abris, du raclage, du tannage des peaux et de la fabrication des filets en fibres végétales. Les hommes travaillent l’os, la corne, le bois (étuis) et éventuellement la pierre. Les carapaces de tortues sont utilisées comme récipients. L’eau est transportée dans des outres en peau ou en estomac de gibier. Les vêtements de peaux sont cousus avec des ligaments de gibier. La viande est rôtie à même la flamme ou grillée sur la braise. Les chiens sont mal considérés et sont plus des utilitaires (réduction des déchets et surveillance du camp) que de véritables animaux de compagnie qui les protègent cependant, comme le feu, des fauves. Les deux sexes se peignent le corps de couleurs vives et portent des colliers et des bracelets de coquilles percées ou des pendentifs de bijoux. Ils parlent une langue à clics avec de nombreux dialectes et comptent jusqu’à trois, considérant qu’après « ça fait beaucoup » ! Les San sont profondément pacifistes et n’aiment ni les conflits, ni la violence. Ils aiment par-dessus tout la liberté. Ils n’ont aucun souci du lendemain et une notion peu développée du présent, du passé et de l’avenir. Ils ne voient pas la nécessité d’une 241
connaissance temporelle précise tout en respectant quelques évènementsrepères. Ils disposent de beaucoup de temps libre qu’ils passent à discuter, à fumer, à danser et à chanter. Les deux tiers de leur vie se passent à visiter les proches. La bande respecte l’exogamie, mais fait peu de cas de la naissance d’un enfant, peut-être parce que la mortalité infantile est forte. Toutefois, les enfants tètent jusqu’à trois ou quatre ans, ce qui espace fortement les naissances. Les morts sont souvent enterrés près des huttes dans une fosse peu profonde et disposés en position fœtale ou assise. Tous les objets personnels sont déposés près du défunt souvent recouvert d’ocre ou de graisse fondue et souvent la hutte est brûlée sur la sépulture ». Voilà une description d’une population du sud de l’Afrique qui semble correspondre en tout point à la vie de nos archers d’il y a 10 000 ans, avec toutefois une différence de taille liée aux saisons, car l’ambiance d’hiver devait sans doute être moins festive ! On peut ajouter que chez les San, les jeux des enfants les préparent à leur vie future : chasse, cueillette, adresse. « Les règles sont strictes et ritualisées. Il n’y a aucune pression sociale visant à assumer spécifiquement le rôle d’un sexe »… mais toutefois, « les filles ont tendance à pratiquer des jeux (de balle) coopératifs et les garçons des jeux d’exploration, de combat et de compétition » (Patou-Mathis, 2007). La même auteure témoigne du fait qu’à l’occasion des rencontres entre bandes, « les San s’adonnent à des danses extatiques, mais aussi à des ripailles suivies de luxure dans la danse des femmes libérées par exemple ». Rien n’exclut donc que nos archers aient organisé aussi des « partouzes » préhistoriques ! Cette vie sociale sympathique près de la nature, empreinte d’égalitarisme, de modestie, de dénuement, ne peut manquer de nous évoquer « la sobriété heureuse » chère à Pierre Rahbi… mais il faudrait la vivre pleinement pour en parler savamment ! Ceci dit, il est certain que toutes les communautés ne connaissaient pas la même ambiance, car la diversité des situations pouvait pousser certaines d’entre elles à plus de hiérarchisation. Ainsi, chez les peuples chasseurs-cueilleurs de la Baltique, « avec le développement de la sédentarisation, l’idéologie égalitaire qui prévalait jusqu’alors commence à se fissurer comme l’attestent les cimetières où apparaît une différenciation sociale marquée par la présence de tombes riches et de tombes pauvres. La mutation vers un autre type d’économie, celle des agropasteurs, est (alors) engagée » (Patou-Mathis, 2013).
C. LES VIVANTS ET LES MORTS On sait que les hommes enterrent leurs morts depuis au moins 120 000 ans (grotte de Tabun au Moyen-Orient). Les Néanderthaliens pratiquaient donc déjà des rites funéraires, mais « les biens d’accompagnement sont rares chez ces derniers ». Par la suite, « les garnitures déposées auprès des morts et interprétées comme des offrandes sont communes chez les Sapiens »
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(Teyssandier, 2019). Les différences considérables des cultures sur le continent européen vont de pair avec le fait que « l’attitude des Mésolithiques envers les morts fut d’une extrême diversité, allant peut-être jusqu’au cannibalisme », comme le montrent les sépultures de Noyen-surSeine et de la grotte des Perrats en Charente. Il n’est pas rare que les corps soient remaniés plusieurs années après les mises en terre et N. Cauwe (2001) interprète « ce dynamisme (des morts qui) renvoie apparemment à des conceptions élaborées du rôle des anciens ». Par contre, à la surface du sol, il ne semble pas que les archers aient laissé des pierres ou des blocs qui pourraient s’apparenter à des stèles ou des cénotaphes à l’image des Géwada du sud de l’Éthiopie qui, bien plus tard, allaient jusqu’à ériger d’impressionnants phallus sculptés en pierre sur les promontoires sacrés dédiés à leurs morts. Durées de vie des archers Selon les données collectées dans les nécropoles danoises, au Mésolithique final, moins de 5 % de la population dépassait les 60 ans, mais certains individus pouvaient atteindre 75 ans. Les fouilles de plusieurs stations mésolithiques du Morbihan indiquent une mortalité de jeunes importante et une surmortalité infantile manifeste… mais bon nombre de sujets parvenaient toutefois à atteindre un âge supérieur à 50 ans, car on trouve quelques lésions de rhumatisme chronique. Au vu des accessoires déposés près des squelettes (silex, dents, bois de cerf), « les rôles respectifs des deux sexes apparaissent faiblement différenciés » (Péquart, 1937). Les caries semblent rares, mais les dents sont souvent très usées, ce qui pourrait s’expliquer par la présence de sable dans les aliments (Masset, 1973). Les squelettes d’individus adultes découverts en Bretagne confirment que « les hommes mesuraient environ 1,6 m et les femmes 1,5 m. La forme du crâne, de la face et des membres atteste que le type de Téviec ne doit pas être considéré fondamentalement distinct de la grande majorité des races européennes. Une évolution sur place, sans métissage, depuis le Paléolithique jusqu’au Néolithique paraît être l’hypothèse la plus probable » (Vallois, 1977). Pendant les 7 000 ans qui nous intéressent, les apports démographiques extérieurs à l’Europe étaient donc, semble-t-il, très réduits et la colonisation des zones septentrionales s’est donc faite, comme évoqué précédemment, à partir des populations autochtones du sud du continent (Espagne, sud-ouest français, Italie, Grèce et mer Noire)… sans qu’on puisse savoir si ces dernières se caractérisaient par une durée de vie inférieure aux suivantes. Localisation des sépultures « Globalement, les sépultures de l’Épipaléolithique connues, en France et aussi en Europe, sont soit isolées une à une, soit groupées en nécropoles de
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quelques dizaines d’inhumations. Mais les mobiliers funéraires comme les caractéristiques anthropologiques sont communs aux deux groupes » (Rozoy, 1978). Le même auteur a constaté « la présence de nombreux silex dans l’environnement des tombes, ce qui permet d’affirmer qu’on enterrait ses morts dans le camp lui-même, que celui-ci soit d’ailleurs permanent ou périodique ». Dans les régions balkaniques, les restes de défunts sont souvent sous les habitats traduisant « la proximité des vivants et des morts dans l’idéologie mésolithique » (Marchand, 2014), mais on trouve aussi des sépultures loin des campements, c’est du moins ce que l’on pense, car il est possible que ces derniers, très provisoires, n’aient pas laissé de traces. Les fouilles d’un site daté du Premier Mésolithique, vers - 8 200 A.C., ont mis à jour « une réunion de sépultures sur un espace restreint d’un versant peu incliné de la Boutonne » (Marchand, 2014) à distance, semble-t-il, des campements. Au fil des millénaires, malgré un nombre de découvertes archéologiques assez limité, il apparaît que les sépultures ont été de plus en plus regroupées. À l’est, dès le XIe millénaire, apparaissent des cimetières en Ukraine et dans le nord de la plaine russe, à l’écart des habitations. L’existence de ces sites funéraires, à l’Holocène, est perçue comme une innovation par rapport au Paléolithique supérieur. L’augmentation progressive de la population européenne pourrait, peut-être, expliquer cette nouvelle pratique. Mode de mise en terre La vie semi-nomade de nos archers conduit à penser que les morts, comme on l’a déjà dit plus haut, pouvaient être abandonnés sur place ou recouverts d’une simple couche de branches ou de terre, car les outils disponibles ne permettaient pas de creuser facilement le sol. Pour ces raisons, « les tombes ne sont jamais profondes, mais par contre assez bien protégées des prédateurs par des dalles ou des amas de cailloux, ou même de grosses pierres, voire des coffrages en cailloux ou des encadrements en bois de cerf… en fait une cavité suffisante pour que le défunt y repose en paix » (Rozoy, 1978), mais sans pierres dressées ou stèles facilement repérables. La position contractée (jambes repliées) des défunts est difficile à interpréter. Est-ce la peur les voir revenir parmi les vivants ou le souci de redonner au mort une position fœtale ? Difficile de conclure… d’autant que beaucoup de sépultures groupées ou isolées, en France ou plus généralement en Europe, placent aussi les corps en position allongée (Quechon, 1971). Dans certaines sépultures individuelles ou multiples, les morts ont été installés en chien de fusil ou en position assise comme à Auneau en Eure-etLoir. Ils sont parfois enterrés ou incinérés en nécropole comme à Téviec, Hoëdic et la Verne. Finalement, chaque groupe de Sapiens semble avoir eu sa coutume pour positionner les corps en fonction des croyances locales et du moment.
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« Les nombreuses sépultures doubles (et même triples), sans réinhumations, posent question. La disparition du père (ou de la mère) condamnait-elle leur enfant, particulièrement dans le cas où c’était un nourrisson ? Serait-ce « un sacrifice rituel qui conduirait à donner à la mort un autre mort, comme on le connaît chez les Achés Guayakis… La victime alors choisie serait-elle un enfant ? » (Clastres, 1972)… ou un mode de régulation de la population par élimination des individus plus jeunes ? En tout cas, comme le fait remarquer J.-G. Rozoy, « il y a beaucoup trop de tombes doubles (ou triples) pour que cela soit naturel ». Toutefois, cette pratique n’a rien de très nouveau puisqu’elle existait déjà au Paléolithique supérieur (Sonneville-Bordes, 1963). Une autre façon d’inhumer laisse aussi perplexe : « l’introduction de nouveaux corps dans des fosses sépulcrales déjà occupées ». Mais ce devait être, sans doute, « une façon d’asseoir des filiations, biologiques ou non » (Ghesquière & Marchand, 2010)… une façon d’installer un caveau familial, en sorte ?! Accompagnements funéraires Certains chasseurs du Mésolithique (IXe et VIIe millénaires A.C.) de Carélie ont été enterrés avec leurs chiens et ces derniers étaient équipés d’un riche mobilier conduisant à penser qu’ils « faisaient partie de la famille » et étaient donc domestiqués. De même à Skateholm, dans le sud de la Suède, où certains humains reposaient près de leur compagnon à quatre pattes, mais on trouve aussi des fosses où des chiens seuls ont bénéficié d’ornements assez précieux, par exemple un marteau décoré de qualité exceptionnelle. Un archer, qui avait peut-être apprivoisé un aigle, avait près de lui les serres d’un pygargue à queue blanche dans sa sépulture de Bretagne. Toutefois, dans la grande majorité des cas, les morts sont simplement accompagnés de bijoux personnels. Compte tenu de l’usure des coquilles percées, il est probable que les colliers déposés sur les morts avaient été portés par les vivants et il s’agissait bien de parures de fête, car il est peu probable que les chasseurs se soient chargés d’objets aussi encombrants dans la vie courante. D’autres signes laissent à penser qu’il s’agit d’offrandes symboliques, magiques ou des messages phylactériques. Le mobilier funéraire n’est toutefois jamais très abondant et se compose d’outils en silex, bois de cerf, stylets et poinçons, galets peints en rouge, coquilles percées, croches de cerf percées, pioches ou haches en bois de cerf, lissoirs, etc. Bien que ces objets soient d’un usage courant à cette époque, il semble bien qu’il y ait eu « équipement systématique du défunt en outils »… très semblables à ceux de la vie quotidienne, donc « croyance en une vie future » très semblable à celle qu’a connue le défunt » (Rozoy, 1978). Cette tradition semble s’être perpétuée dans les millénaires qui suivent puisque les pharaons d’Égypte emportaient aussi, avec eux dans la tombe, tous les objets dont ils étaient censés avoir besoin dans l’au-delà.
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Dans les tombes de Téviec, les objets accompagnant les squelettes ne sont pas exactement les mêmes pour les hommes que pour les femmes. Ces dernières, comme déjà mentionné, ont plus de coquillages de type littorines sur leurs colliers que les hommes qui disposaient de plus de cyprées. Ils étaient aussi mieux pourvus en objets utilitaires (armatures microlithiques, grattoirs, galets de schistes), à croire qu’ils s’en servaient plus que les femmes. Mais les différences restent minces et rien n’évoque des différences de richesse ou de considération entre les sexes. Ces sépultures donnent l’impression que ces individus appartenaient à un même groupe non hiérarchisé où l’accompagnement mobilier dépendait plus de l’habileté ou de la personnalité individuelle que du rang social… d’où l’idée de groupes familiaux « égalitaires ». Et si les enfants étaient enterrés avec leur mère (ou leur père), c’est que la communauté pensait ne plus pouvoir les nourrir en cas de disparition de leurs parents. Manipulations des morts Beaucoup de restes humains datés de l’Épipaléolithique comportent des crânes ou des os de la tête séparés du corps et visiblement conservés par les archers… ce qui semble déjà indiquer que la personnalité humaine était perçue comme essentiellement céphalique. Certaines parties du corps au moins n’étaient pas laissées à l’abandon et les crânes bénéficiaient d’une préservation particulière que l’on pourrait attribuer à un culte des ancêtres, à des pratiques « religieuses » ou de magie. Il n’est pas impossible même que certains crânes aient été conservés dans les campements ou certaines parties du corps sur les vêtements des archers en tant qu’amulettes. Les Sapiens ne voulaient peut-être pas se séparer complètement de leurs défunts ou imaginaient qu’ils leur porteraient chance dans la vie de tous les jours. Par ailleurs, « à travers tout le Mésolithique occidental, la capacité à manipuler les cadavres se maintiendra… et la continuité avec la période précédente est flagrante… mais les sujets inhumés deviennent pléthoriques » (Cauwe, 2001), ce qui devait poser un problème pratique, surtout pour des archers qui se déplaçaient régulièrement ! « La manipulation des morts est attestée à la grotte Margaux (près de Dinant en Wallonie et datée de - 8 000 A.C.), ou l’habitat du Petit Marais à la Chaussée-Tirancourt dans la Somme (- 6 000 A.C.), ou à Oirschot V, à Best, aux Pays-Bas où le regroupement accrédite l’idée d’un lieu particulier consacré aux morts, mais il s’agit d’inhumations secondaires, soit après réduction du squelette, soit après incinération » (Barbaza, 1999). « En Scandinavie, même les chiens qui ont reçu des sépultures identiques à celles des hommes, ont subi des manipulations post-inhumatoires » (Cauwe, 2001)… Il faut croire que ces « soins » aux morts venaient du fait que les vivants pensaient régulièrement à leurs ancêtres, ils avaient sans doute pour eux beaucoup de respect et sentaient le devoir de s’en « occuper » un peu comme on va de nos jours, à la Toussaint, fleurir nos morts dans les cimetières. Mais dans le monde 246
actuel, les pratiques de manipulation post-inhumatoires n’ont rien d’exceptionnel et n’ont pas disparu. Elles sont habituelles, par exemple, chez les villageois de plusieurs régions de Madagascar. « Dans le courant du IXe millénaire, la façon de traiter les morts est à peu près la même partout, mais l’originalité de chaque région s’affiche par nombre de détails… On en revient (donc) au constat d’une indépendance relative des groupes » (Cauwe, 2001), « une certaine diversité de pratiques dans une réelle unité de culture » pourrait-on dire ! Au final, reconnaissons que « le repos éternel » de bon nombre de nos Sapiens était quand même bien agité ! Démembrements De nos jours, le maintien de l’intégrité des morts semble une exigence pour tous, mais il n’en a pas toujours été de même comme nous venons de le voir. Les Mésolithiques ne faisaient en fait que perpétuer les coutumes de leurs ancêtres. Les Magdaléniens, en effet, avaient déjà l’habitude de désarticuler les crânes de leurs morts pour en faire des sculptures ou des bols (grotte du Placard en Charente) ou des pendentifs (Polignac en Haute-Loire) composés de dents humaines (Bédeilhac en Ariège). Ce qui fait dire à N. Cauwe (2001) que les hommes préhistoriques « s’intéressaient peu à préserver l’intégrité des dépouilles… le côtoiement des morts par les vivants appartient plus à la norme que la relégation des trépassés au fond d’une sépulture ». Mais pendant la période historique, et au Moyen-Âge en particulier, on sait que les dépouilles des saints ou des hommes célèbres ont été souvent éparpillées aux quatre coins du monde, chacun voulant avoir « une part » de la notoriété des reliques… acquises, dans certains cas, au prix fort ! Incinération « Les premières crémations commencent à être attestées à partir du Mésolithique, il y a douze mille ans (B.P.), comme à Concevreux dans l’Aisne, mais resteront longtemps minoritaires » (Demoule, 2018). Si « l’incinération des corps est effectivement pratiquée durant toute cette période, elle tend à disparaître à la fin du Mésolithique » (Ghesquière & Marchand, 2010), du moins en Europe, car en Asie, et particulièrement aux Indes, cette pratique est millénaire. En conclusion, on pourrait dire que les pratiques funéraires du Mésolithique montrent une certaine continuité avec celles, plus anciennes, du Paléolithique. Les vivants ont le souci de leurs ancêtres. Ils ne les laissent pas voyager dans l’au-delà sans leurs parures ni parfois leurs outils. « Plutôt qu’une révolution dans le traitement des morts, on assiste à un accroissement de leur visibilité… les animaux sombrent dans l’oubli et les morts prennent du galon ! » (Cauwe, 2001).
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CONCLUSION
Au terme de ce voyage au pays des archers préhistoriques, le lecteur peut avoir l’impression d’avoir vécu un temps à jamais disparu qui n’a plus rien à voir avec notre mode de vie actuel… et pourtant ! Il va nous rester en mémoire « une période opulente où l’homme possède tout ce que la nature lui propose » (Ghesquière, 2015). « Cette vie stable des archers, basée sur la chasse presque exclusive des gros animaux, est florissante. Elle est en équilibre avec leur milieu dont ils sont les maîtres incontestés. Ils occupent tout le terrain, ce que nulle culture humaine ne paraît avoir fait avant eux » (Rozoy, 1978). Et « nos chasseurs-cueilleurs n’ont pas modifié de manière stratégique leur écosystème et n’auront pas altéré le pool génétique des ressources qu’ils exploitent » (Marchand, 2014). Leur aventure a laissé « des traces de progrès techniques et un essor démographique important » (Ghesquière & Marchand, 2010) avec pour seule « pollution » les éclats de silex, témoins bien inoffensifs de leurs sobres activités et de leur passage sur cette terre qu’ils ont si bien connue et probablement beaucoup aimée. Une source de méditation et peut-être d’inspirations pour nos sociétés modernes trop souvent dévastatrices. Pendant ces sept millénaires d’occupation de l’Europe, aucune des grandes espèces de mammifères (aurochs, bison, élan, cerf, sanglier, chevreuil), pourtant activement chassées, n’a disparu du continent, ce qui ne veut pas dire que la densité de leurs populations n’a pas pâti de la prédation humaine. Le contraire serait d’ailleurs surprenant si l’on en croit l’article de N. Herzberg (2018) qui laisse à penser que dès l’apparition de l’Homme sur un continent (Amérique, Australie et Europe), la faune sauvage a été affectée… reste à savoir avec quelle intensité. L’Épipaléolithique a été la culture de l’arc, comme le Magdalénien celle du propulseur. C’est une grande époque de progrès et de sécurité matérielle assurés justement par cette arme tant contre les fauves que contre la faim. Nos Sapiens se sont aussi affranchis de la protection des grottes contre la pluie et le froid, comme en témoignent « la multiplicité des petits campements de plein air et le peu d’intérêt pour les abris » (Rozoy, 1978). Ces archers, qui ont montré une extraordinaire adaptabilité à des territoires nouveaux et variés, n’avaient pas de lieux affectés à des tâches particulières et le degré de spécialisation du travail était faible. Il s’agissait de véritables 249
chasseurs polyvalents ! Ils avaient de bonnes raisons d’être insouciants puisqu’ils n’avaient pas de toit à réparer, de récolte à protéger, de bétail à surveiller. Ils nous apparaissent comme maîtres de leur temps, sans obligation de travail, libres socialement sans contrainte de sacrifier leur vie personnelle à la collectivité et probablement psychologiquement disponibles pour décider de leurs choix : chasser où l’on veut et visiter qui on veut et quand on veut ! Finalement, disposer de son temps pour jouir pleinement des journées qui passent en s’accommodant d’une sobriété imposée. « Avoir moins pour vivre plus », la maxime de Pierre Rabhi vient peut-être du fond des âges ! Ajoutons aussi que nos archers étaient, à l’instar des Indiens d’Amérique, et selon le point de vue de P. Clastres (1974), « sans Foi, sans Loi et sans Roi » ? Ils n’obéissaient donc à personne… On en rêve ! Même si la diversité des groupes humains de cette époque était grande et leurs techniques très diversifiées, « l’unité du Mésolithique européen pourrait donc venir de cet intérêt nouveau pour la condition humaine, préoccupation traduite de mille façons selon les régions et les moments » (Cauwe, 2001). Les Sapiens semblent avoir voulu désormais se mettre au centre de l’Histoire et ne plus compter comme un simple maillon dans le vaste écosystème forestier tout puissant… Mais cette nouvelle attitude de l’homme en regard de lui-même n’est-elle pas une véritable révolution culturelle à l’origine d’une recherche de prise en main de la nature qu’il souhaite désormais dominer, c’est-à-dire cultiver (les céréales) et domestiquer (les animaux)… Dans ces conditions, l’aventure du Néolithique devenait alors possible ! « Elle a été préparée par une révolution des mentalités, cette transformation, justement, se déroulant au Mésolithique » (Cauvin, 1994). Cette « réussite mésolithique », selon M. Barbaza (1999), s’est construite sur des « sociétés sans richesses » » qui ont évolué progressivement en organisation de « stockeurs » (au sens d’A. Testart), puis en agropasteurs et enfin en agriculteurs sédentaires. Mais « le contrôle de l’environnement autour des villages (néolithiques) est resté basé sur la chasse » (Marchand, 2014). « Le passage du Mésolithique au Néolithique est un changement radical de système, irréversible » (Marchand, 2014). Mais les hommes qui l’ont connu, s’ils ont modifié leur comportement, n’ont pas véritablement changé physiologiquement. « Aujourd’hui encore, à en croire les spécialistes, nos cerveaux et nos esprits sont adaptés à une vie de chasse et de cueillette. Nos habitudes alimentaires, nos conflits, notre sexualité sont tous le fruit de l’interaction de nos esprits de chasseurs-cueilleurs avec notre environnement post-industriel actuel avec ses mégalopoles, ses avions, ses téléphones et ses ordinateurs » (Harari, 2015). Beaucoup de naturalistes, voire d’écologistes, ont « opposé vie urbaine et vie rurale alors que les deux ne forment en réalité qu’une même entité. Elles participent en effet d’un même rêve (apparu au début du néolithique), « celui d’une maîtrise du monde naturel transcendé par l’esprit humain » (Shepard, 2013). J.-G. Rozoy (1993) avait bien pressenti que « la conscience de la domination sur les animaux, qui est 250
apparue à l’Épipaléolithique, traduit la distanciation par rapport à la Nature et prépare les capacités ultérieures à domestiquer plantes et bêtes ». « Sur notre planète, les mammifères sont actuellement représentés, en nombre, par 60 % d’animaux d’élevage, 36 % d’êtres humains et 4 % d’animaux sauvages. Les humains représentent 0,01 % de la biomasse des mammifères terrestres » (Milo, 2018). Ils ont pourtant une influence considérable et grandissante sur leur milieu. En 2020, il ne restera plus beaucoup de groupes de chasseurs-cueilleurs et les derniers semblent voués à disparaître si l’on en croit les ethnologues. Il n’y a pas lieu de s’en réjouir, car une grande partie de cette culture seminomade d’hommes parfaitement intégrés à la grande forêt va disparaître et toutes les connaissances accumulées au fil des millénaires avec eux, car, sans écriture ni représentation symbolique systématique, la tradition orale ne peut survivre très longtemps. Mais on ne peut pas vivre de regrets et quelques indices nous incitent à l’optimisme pour les temps futurs, malgré les discours démoralisants des « collapseurs » ! En Europe, nos forêts ont été en partie défrichées, nos campagnes et nos milieux aquatiques souillés par les polluants chimiques, mais des bonnes volontés se sont, depuis quelques décades, prises en main pour relever le défi. Un peu partout sur notre continent se sont constituées des réserves biologiques, installées des zones protégées et se sont mises en places des pratiques de cultures biologiques. Et pour ne parler que de la grande faune, en Espagne, au Portugal, en France, en Angleterre, en Allemagne et en Pologne, des chercheurs et des bénévoles travaillent à reconstituer (rewilding) à partir de territoires de quelques milliers d’hectares, des espaces qui pourraient ressembler à s’y méprendre à ceux du Mésolithique (Arte c, 2019). Dans les années qui viennent, l’exode rural va certainement se poursuivre en Europe et selon certaines sources, 30 millions d’hectares se trouveraient disponibles dans les décades qui viennent… de quoi « libérer » des territoires sauvages où la nature et particulièrement la grande faune aurait toute sa place. On y retrouvera, et on y retrouve déjà, nos grands herbivores (élans, bisons, aurochs, tarpans, cerfs), qui auto-entretiennent de vastes clairières ou des landes désormais façonnées par ce cortège animal malheureusement décimé depuis le Néolithique. Quelques paysages ruraux actuellement presque vides d’animaux, commencent déjà à se « réensauvager » avec ces herbivores et retrouver ainsi l’intégralité de leurs acteurs naturels et, plus tard, on peut le souhaiter, l’intégrité de leur biodiversité. Si les humains s’aventurent à quelques incursions discrètes dans ces espaces et y trouvent même l’occasion d’y faire quelques prélèvements parcimonieux par la chasse, nous aurons enfin retrouvé les riches contrées de nos « hommes des bois », maintenant un peu mieux connus. Nous avons suffisamment asservi et détruit la nature à notre profit pour accepter qu’en Europe, sur les territoires qui conviennent, nous nous montrions bien plus discrets et beaucoup moins interventionnistes. Soyons 251
patients ! Laissons la grande faune redevenir ce formidable « architecte des paysages ». Nous savons maintenant que partout où la nature reprend ses droits, elle reste exigeante pour l’homme, mais elle sait aussi produire du beau et du merveilleux. Nous pourrons en bénéficier comme nos archers l’ont fait bien avant nous !
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TABLE DES MATIÈRES
AVANT-PROPOS .................................................................................................... 9 INTRODUCTION .................................................................................................. 11 I. DÉLIMITATIONS GÉOGRAPHIQUES ET CHRONOLOGIQUES ........... 13 II. LE CADRE NATUREL .................................................................................... 17 A. L’ÉVOLUTION DES GRANDS ENSEMBLES NATURELS DU POSTGLACIAIRE........................................................................................ 19 1. Les grandes zones côtières ........................................................................... 19 2. Les grandes zones continentales .................................................................. 23 B. L’ENVIRONNEMENT CLIMATIQUE ......................................................... 25 1. Les vents ...................................................................................................... 26 2. Les températures .......................................................................................... 27 3. La pluviosité ................................................................................................ 28 4. L’enneigement ............................................................................................. 29 5. Les autres intempéries ................................................................................. 30 C. LES PERTURBATIONS GÉOLOGIQUES ................................................... 31 1. Les éruptions volcaniques ............................................................................ 31 2. Les tremblements de terre ............................................................................ 32 3. Les tsunamis ................................................................................................ 32 D. LA VOÛTE CÉLESTE ................................................................................... 33 E. L’ENVIRONNEMENT VÉGÉTAL................................................................ 34 1. L’évolution de la végétation de la fin du Pléistocène à l’Holocène ............. 35 2. La répartition de la végétation en fonction de l’altitude .............................. 41 3. Les espaces littoraux .................................................................................... 43 4. Évolution du couvert boisé pendant le Mésolithique ................................... 45 F. L’ENVIRONNEMENT FAUNISTIQUE ........................................................ 48 1. Description de la faune sauvage du Postglaciaire exploitée par l’homme ... 50 2. Répartition de la grande faune sauvage dans le temps et l’espace ............... 75 III. L’OCCUPATION HUMAINE........................................................................ 81 A. GÉNÉRALITÉS .............................................................................................. 81 1. Un mystère bien caché ................................................................................. 81 2. D’où venaient les archers ? .......................................................................... 82
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3. Qui étaient ces archers ? .............................................................................. 83 4. Migrations et métissages .............................................................................. 85 5. L’ADN parle ................................................................................................ 86 6. Caractéristiques morphologiques des populations mésolithiques ................ 88 7. Structure des populations d’archers ............................................................. 88 B. RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE DES GROUPES D’ARCHERS ............ 89 C. DENSITÉ DES POPULATIONS HUMAINES .............................................. 94 D. ORGANISATION SOCIALE ......................................................................... 98 E. NOMADISME ET SÉDENTARITÉ ............................................................. 101 1. Nomadisme ................................................................................................ 101 2. Sédentarité ................................................................................................. 104 IV. LES ACTIVITÉS HUMAINES .................................................................... 105 A. COLLECTE DE LA NOURRITURE ET ALIMENTATION ...................... 106 1. La chasse.................................................................................................... 107 2. Le charognage............................................................................................ 126 3. La pêche ..................................................................................................... 126 4. La cueillette ............................................................................................... 132 5. Alimentation et physiologie humaines....................................................... 137 B. HABITATS ET VIE DOMESTIQUE ........................................................... 148 1. Localisation des habitats ............................................................................ 148 2. L’artisanat mésolithique ............................................................................ 161 3. Quelques aspects de la vie domestique ...................................................... 186 V. UNE APPROCHE DE LA VIE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE ............... 199 A. TRAVAIL, ABONDANCE ET PÉNURIE ................................................... 199 B. LES MOBILITÉS AU COURS DU MÉSOLITHIQUE ............................... 202 1. Les déplacements locaux ........................................................................... 203 2. Les grandes migrations de la fin du Mésolithique ..................................... 209 C. ÉCHANGES ET TROCS .............................................................................. 211 D. LES PRÉMICES DE LA NÉOLITHISATION............................................. 213 E. VIOLENCES ET MORTALITÉS ................................................................. 217 VI. L’UNIVERS MENTAL DES ARCHERS .................................................... 221 A. GÉNÉRALITÉS ............................................................................................ 221 B. QUELQUES ASPECTS CULTURELS ........................................................ 229 1. La question de la filiation .......................................................................... 236 2. Les groupes culturels ................................................................................. 236 3. La question du langage .............................................................................. 239 4. Les drogues ................................................................................................ 240 C. LES VIVANTS ET LES MORTS ................................................................. 242 CONCLUSION ..................................................................................................... 249 SOURCES DOCUMENTAIRES ........................................................................ 253
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Bernard Bachasson
P
endant les sept millénaires qui ont suivi la dernière déglaciation, les petites communautés de chasseurs-cueilleurs cantonnées au sud de l’Europe ont progressivement occupé, en remontant vers le nord, tout le continent, accompagnant ainsi le retour des couverts boisés. Leur mode de vie semi-nomade avait laissé jusque-là peu de traces mais les récentes fouilles d’archéologie préventive de pleine nature ont levé le voile sur la réalité de ces groupes familiaux spécialisés dans la chasse à l’arc.
Autant de questions auxquelles l’auteur apporte les réponses que permettent les données scientifiques disponibles à ce jour. Une plongée dans le monde de ces « hommes des bois » experts dans l’art d’utiliser les ressources de leur milieu sans les surexploiter ni les polluer. Une existence faite de sobriété, forcément difficile au sein d’une nature à la fois généreuse, hostile et parfois cruelle. Mais leur adaptabilité associée à leur solidarité leur ont permis non seulement de survivre, mais de voir leur population augmenter jusqu’à ce que, au début du Néolithique, les agro-pasteurs venus de l’est bouleversent leurs pratiques et finissent par les assimiler. Un livre clair et passionnant sur nos origines !
Bernard Bachasson, docteur en biologie, est membre du Conseil scientifique régional du Patrimoine naturel Auvergne-Rhône-Alpes. Il a enseigné pendant une quarantaine d’années les sciences de la nature en BTS à l’ISETA d’Annecy et à l’Université de Lyon III. Il est spécialisé dans la connaissance des forêts, de la flore et de la faune sauvages qui s’y trouvent. Les données scientifiques qu’il a rassemblées sur les archers du Mésolithique permettent de se faire une idée plus précise des relations que l’homme de cette époque a entretenues avec son environnement.
Illustration de couverture : L’approche des cerfs en sous-bois © aquarelle de Benoît Clarys.
ISBN : 978-2-343-19886-6
28 €
LES ARCHERS PRÉHISTORIQUES DE LA GRANDE FORÊT EUROPÉENNE
Qui étaient-ils ? Comment vivaient-ils ? De quoi se nourrissaient-ils ? Quelles stratégies ont-ils développées pour s’adapter à des milieux si différents ? Que sait-on de leur vie sociale et culturelle ?
Bernard Bachasson
LES ARCHERS PRÉHISTORIQUES DE LA GRANDE FORÊT EUROPÉENNE