Du Heros Au Sauveur: Imitatio Et Aemulatio Dans Les Euangeliorum Libri IV De Juvencus (Collection Latomus, 363) (French Edition) 9042944374, 9789042944374

Faire mieux que Virgile? ou mieux que l'Evangile? Paraphrase en vers de l'evangile de Matthieu, la premiere ep

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Du Heros Au Sauveur: Imitatio Et Aemulatio Dans Les Euangeliorum Libri IV De Juvencus (Collection Latomus, 363) (French Edition)
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COLLECTION LATOMUS VOLUME 363

Du héros au Sauveur

Imitatio et Aemulatio dans les Euangeliorum libri IV de Juvencus Anne FRAÏSSE

SOCIÉTÉ D’ÉTUDES LATINES DE BRUXELLES – LATOMUS 2021

COLLECTION LATOMUS

VOL. 363

DU HÉROS AU SAUVEUR

LATOMUS www.latomus.be

La Revue Latomus, ainsi que la Collection Latomus, sont publiées par la «  Société d’études latines de Bruxelles – Latomus  », A.S.B.L. La Collection publie depuis 1939 des volumes consacrés aux différentes disciplines qui composent les études latines  : littérature, histoire, linguistique, épigraphie, archéologie, éditions et commentaires de textes  ; elle comporte à l’heure actuelle plus de 360 volumes. Président honoraire de la Société  : Carl Deroux. Conseil d’Administration de la Société  : Philippe Desy, Marc Dominicy, Emmanuel Dupraz, Alain Martin ­(trésorier), Benoît Sans (secrétaire), Sylvie Vanséveren (présidente), Ghislaine Viré. Membres de la Société  : La liste complète des membres effectifs et adhérents figure sur le site internet  : www.latomus.be/membres. Comité de rédaction de la Collection  : Emmanuel Dupraz (responsable), Alain Martin, Marc Vandersmissen, Sylvie Vanséveren, Ghislaine Viré, Arjan Zuiderhoek. Présentation des manuscrits  : Nous invitons les auteurs à se conformer aux consignes énoncées dans le document «  Recommandations aux auteurs  », accessible sur le site internet de Latomus. Les monographies et volumes collectifs seront soumis à un processus d’expertise anonyme effectuée par des pairs («  peer review  »). Contacts par courriel  : Les auteurs sont priés d’envoyer une version électronique de leurs monographies ou volumes collectifs au Prof. Emmanuel Dupraz . Commandes  : Éditions Peeters, Bondgenotenlaan 153, B-3000 Leuven, Belgique   ; site internet  : www.peeters-leuven.be. Droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés pour tous pays. © Société d’études latines de Bruxelles – Latomus, 2021

COLLECTION LATOMUS VOLUME 363

Anne FRAÏSSE

Du héros au Sauveur Imitatio et Aemulatio dans les Euangeliorum libri IV de Juvencus

SOCIÉTÉ D’ÉTUDES LATINES DE BRUXELLES — LATOMUS 2021

ISBN 978-90-429-4437-4 eISBN 978-90-429-4438-1 D/2021/0602/187 Droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays. Toute reproduction d’un extrait quelconque, par quelque procédé que ce soit et notamment par photocopie ou microfilm, de même que la diffusion sur Internet ou tout autre réseau semblable sont strictement interdites.

Table des matières Introduction............................................................................................... 1 Première partie  : Le contexte de l’œuvre Chapitre I.  Le contexte historique des Euangeliorum libri IV............ 

7

1. L’auteur et l’œuvre.................................................................................. 7 2. L’Espagne chrétienne au temps de Juvencus......................................... 8 3. Chrétiens et païens au début du IVe siècle............................................. 11 3.1. La conversion de Constantin et ses relations avec le christianisme.  11 3.2. Une situation complexe.................................................................. 16 Chapitre II.  Le contexte idéologique......................................................  21 1. La vision chrétienne triomphale d’un empire romain providentiel....... 21 2. Un transfert philosophique comme continuité de la pensée.................. 25 3. La lutte anti-chrétienne des intellectuels païens.................................... 32 Chapitre III.  Le contexte culturel et littéraire......................................  37 1. Culture païenne et christianisme  : quae uetus atque nouus congeminauit odor......................................................................................................... 37 1.1. Ambivalence des chrétiens envers les modes de pensées païens.. 37 1.2. La rhétorique au service du christianisme..................................... 43 2. La littérature chrétienne du IIIe siècle et début du IVe siècle................ 47 Deuxième partie  : Le projet de Juvencus Chapitre IV.  Préface et dédicace  : la parole de Juvencus....................  55 1. Analyse de la préface.............................................................................. 55 2. Analyse de la dédicace finale................................................................. 69 Chapitre V.  Du modèle évangélique à une dispositio personnelle....... 75 1. La structure générale de l’œuvre............................................................ 75 2. Le choix de l’Évangile de Matthieu....................................................... 81 3. Ajouts et omissions par rapport à l’Évangile de Matthieu.................... 84

VI

COLLECTION LATOMUS

Chapitre VI.  Un projet inscrit dans l’esthétique de l’époque.............  91 1. Art et littérature....................................................................................... 91 1.1. Esthétique du détail et de la stylisation  : une recherche artistique commune aux païens et aux chrétiens........................................... 92 1.2. Réutilisation des images et symbolisme........................................ 97 1.3. L’iconographie monarchique.......................................................... 100 2. Les enjeux de la poésie épique............................................................... 103

Imitatio,

Troisième partie  : la paraphrase biblique entre continuité et rupture

Chapitre VII.  De la paraphrase scolaire à la paraphrase biblique....  115 1. La paraphrase scolaire et rhétorique dans l’Antiquité classique............ 116 2. Réécriture poétique et pensée nouvelle  : les ambiguïtés d’une ­définition de genre................................................................................................... 121 Chapitre VIII.  Hypertextualité dans les Euangeliorum libri  : transformations formelles.........................................................................  127 1. Réduction................................................................................................ 128 1.1. Excision et concision (percursio).................................................. 128 1.2. Condensation.................................................................................. 132 2. Augmentation.......................................................................................... 137 2.1. Expansion....................................................................................... 138 2.2. Amplification.................................................................................. 140 Chapitre IX.  Hypertextualité dans les Euangeliorum libri  : transformations idéologiques....................................................................  143 1. Changement de point de vue et préoccupations didactiques................. 143 2. Ajouts symboliques ou psychologiques................................................. 145 3. Transtylisation......................................................................................... 149 Quatrième partie  : Aemulatio, «  l’évangile selon Juvencus  » Chapitre X.  Un évangile sous une forme poétique................................  155 1. Typologie et structure épique du récit.................................................... 155 2. Variété du vocabulaire et des tournures épiques.................................... 158 3. Réminiscences de Virgile et des poètes épiques  : de la musique au sens.162 Chapitre XI. Un évangile dans un cadre épique....................................  173 1. Paysages et descriptions......................................................................... 173 2. Le cadre temporel................................................................................... 177 3. L’humanité au cœur des Christi vitalia gesta........................................ 179



TABLES DES MATIÈRES

VII

Chapitre XII. Un évangile romain...........................................................  185 1. Construction d’un univers mental romain  : l’exemple des adversaires du Christ, symboles du mal opposé au héros......................................... 185 1.1. Tyrannus  : Hérode, le modèle du tyran......................................... 185 1.2. Polluta generatio  : le peuple juif.................................................. 190 1.3. Caecus  : le pharisien Nicodème ................................................... 192 1.4. Demens  : la foule des juifs............................................................. 193 1.5. Sceleratus et insanus  : Judas......................................................... 197 1.6. Temptator  : Satan........................................................................... 198 2. Romanisation et universalité de la Bonne Nouvelle.............................. 199 2.1. Des ajouts porteurs d’une vision du monde et d’une philosophie gréco-latine..................................................................................... 199 2.2. Du rejet du peuple juif à l’élargissement au monde...................... 206

La métamorphose

Cinquième partie  : de l’épopée  : Maro mutatus

in melius

Chapitre XIII. Du héros au Sauveur.......................................................  215 1. Le Christ, héros épique........................................................................... 218 1.1. Le caractère.................................................................................... 218 1.2. Les hauts faits du héros.................................................................. 221 1.3. La mise en scène du personnage épique........................................ 222 2. Le Christ, Dieu et homme...................................................................... 225 2.1. Le Christ Dieu................................................................................ 225 2.2. Le Christ homme............................................................................ 227 3. Le Christ Sauveur................................................................................... 229 3.1. Le Christ Lumière.......................................................................... 229 3.2. Des précisions qui esquissent une analyse christologique............ 233 Chapitre XIV. Une épopée chrétienne  : quelques notions théologiques.  237 1. Le dogme de la Trinité........................................................................... 238 1.1. Le Père............................................................................................ 238 1.2. Le Fils............................................................................................. 241 1.3. L’Esprit Saint.................................................................................. 244 2. Les commentaires théologiques.............................................................. 246 2.1. Des remarques et précisions disséminées...................................... 246 2.2. Les différents sens de l’Écriture  : vers un début d’interprétation.248 Chapitre XV. Une épopée d’Église  : une lecture chrétienne, ecclésiale et liturgique du message évangélique.....................................  255 1. Loi ancienne et loi nouvelle  : fondation de l’Église du Christ............. 255 1.1. Le Christ fondateur de l’Église...................................................... 255 1.2. Foi et solidité de l’Église............................................................... 260

VIII

COLLECTION LATOMUS

2. L’enseignement du Christ....................................................................... 263 2.1. Le Christ premier docteur de l’Église............................................ 263 2.2. L’interprétation des textes bibliques.............................................. 266 3. Le modèle chrétien  : les leçons morales de l’Évangile......................... 269 3.1. Le pouvoir du démon  : une vision du péché et de ses conséquences éternelles......................................................................................... 269 3.2. Les qualités du chrétien.................................................................. 272 3.3. Exemple de modification d’un épisode  : la tentation du Christ... 277 4. Les sacrements et la liturgie................................................................... 278 4.1. Une parole plus solennelle et sacramentelle.................................. 278 4.2. Le rôle de la prière dans la vie chrétienne..................................... 281 4.3. La symbolique de l’eau vive.......................................................... 285 Conclusion.................................................................................................. 287 Annexes Annexe I. Tableau général des concordances entre Juvencus et les Évangiles........................................................................... 297 Annexe II. Tableau comparatif du début des Évangiles de Matthieu, Luc et du poème de Juvencus.............................................. 305 Bibliographie.............................................................................................. 307 Indices Index Juvenci............................................................................................. 323 Index scriptorum antiquiorum................................................................. 327 Index scriptorum recentiorum................................................................. 329 Index verborum ad rhetoricam artem pertinentium............................. 331 Index sacrarum Scripturarum................................................................. 333

Introduction L’Antiquité tardive a longtemps été considérée comme une période de décadence, d’imitation stérile d’un classicisme perdu, de maladroite surenchère stylistique sans grand contenu, aboutissant à un foisonnement précieux vide de sens. Ce jugement a, de nos jours, cédé la place à une vision plus fine d’une époque complexe et riche, héritière d’une culture classique, sans en être un prolongement artificiel, qui multiplie les tentatives, pas toujours abouties, pour exprimer de nouvelles valeurs. L’empire, le christianisme, les bouleversements historiques et idéologiques font naître une pensée qui modifie en profondeur les cadres de la réflexion philosophique gréco-romaine et génère en littérature une très grande polyvalence symbolique. À ce sujet, J. Fontaine écrit dans un ouvrage dont le titre prouve qu’il voit dans cette période un début et non une fin  : «  Cette pluralité de lectures ouvertes à l’imagination invite constamment à allégoriser choses et faits décrits. C’est là le trait le plus profond, le plus original aussi, de ce nouvel alexandrinisme que nourrit la nouvelle religiosité. Il ne se contente point des plaisirs et des fantaisies d’un imaginaire délicat, où s’irisent formes, couleurs et souvenirs de tant de mythologies. Description y est aussi synonyme de déchiffrement. Le plaisir alexandrin de l’énigme s’approfondit ainsi en une révélation à plusieurs degrés. Les niveaux de transparence du poème reflètent des schèmes initiatiques aussi bien que culturels. Itinéraire de l’âme, mimé par celui des corps, et rythmé par les gestes des liturgies. Cette belle histoire de mort et de vie porte en soi plusieurs visions du monde, plusieurs clés de l’existence humaine et divine. À la sédimentation millénaire des variantes mythiques répond celle des méditations successives de l’homme méditerranéen sur son propre destin 1.  »

La citation ci-dessus et la métaphore du Phénix qui la sous-tend peut paraître fort éloignée dans son flamboiement baroque et sa multiplicité de sens de l’œuvre considérée comme éminemment classique de Juvencus  ; on la comprend davantage pour ses successeurs, Arator ou Sédulius, pour les métaphores, les allégories, les commentaires exégétiques dont ils font un usage répété et complexe  ; elle élucide cependant des traits qui sont encore à l’état d’ébauche dans les Euangeliorum libri  : l’imaginaire mythique et épique devient un terreau où s’épanouit la Bonne Nouvelle, la philosophie et la culture antique servent de support à un projet catéchétique, le poème n’est transparent que pour ceux qui ne veulent pas voir les choix poétiques et spirituels de l’auteur.   Fontaine (1981), p. 62.

1

2

INTRODUCTION

Ainsi, cette forme particulière d’écriture qui naît avec Juvencus, la paraphrase biblique, illustre très précisément cette évolution, cette multiplicité de sens, fruit d’une symbiose entre des traditions mystiques, religieuses et philosophiques et leur rencontre avec une forme ancienne considérée comme le mode d’expression le plus élevé donné à l’homme  : l’épopée. On peut ranger dans cette catégorie, avec différents stades d’évolution, outre les Euangeliorum libri quattuor de Juvencus, les œuvres de Sédulius (sur les Évangiles), Arator (sur les Actes), Claudius Marius Victor (sur la Genèse), Avitus (sur la Genèse et l’Exode) 2. Ces œuvres, très lues et admirées jusqu’à la Renaissance, ont par la suite été délaissées et jugées comme de moindre intérêt sous prétexte qu’elles suivraient de près, sans grande originalité, le texte qu’elles imitent. Cependant, elles nous renseignent à plus d’un titre sur les rapports des premiers temps du christianisme avec la littérature païenne, rapports faits de rejet méfiant et d’attirance ambiguë. L’utilisation de l’hexamètre, l’imitation du style païen antique, en particulier de Virgile, et la volonté souvent affirmée de leurs auteurs permettent d’y voir des épopées bibliques 3. Mais cette imitation faite d’emprunts et de juxtaposition de fragments de vers correspond aussi à un exercice pratiqué dans les écoles de rhétorique  : la paraphrase 4. Plus qu’un style, une forme noble, un état d’esprit, c’est bien une technique précise, un procédé au centre de l’apprentissage d’un art de la parole, regardé par ailleurs avec une grande méfiance, que ces écrivains chrétiens réutilisent pour mettre en valeur le texte fondateur de leur religion, et c’est souvent par ce procédé de la paraphrase plus que par leur propre projet de rivalité avec l’épopée classique qu’ils sont définis. Juvencus inaugure ce genre, mais il est à étudier comme le reflet d’une époque particulière et originale par rapport à ce qui précède et ce qui suivra. Le triomphe de Constantin a donné aux chrétiens une confiance conquérante tant  Juvencus, Evangeliorum Libri quattuor, Vienne (CSEL 24), 1891  ; Sédulius, Pascale carmen, Opera, Vienne (CSEL 10), 1885 (1 livre sur l’Ancien Testament et 4 sur l’évangile de Matthieu)  ; Arator, De actibus apostolorum, Vienne (CSEL 72), 1951  ; Avitus, De spiritalis historiae gestis, Berlin (MGH, AA 6, 2) 1883 (5 livres sur les premiers livres de la Bible)  ; Claudius Marius Victor, Alethia, Turnhout (CCL 128), 1960 (3 livres en hexamètres sur la Genèse). On peut y ajouter également le Metrum super Heptateuchum de Cyprianus Gallus, Vienne (CSEL 23, 1), 1891  ; le De laudibus Dei de Dracontius, Berlin (MGH, AA 14), 1905  ; quelques poèmes de Paulin de Nole, Vienne (CSEL 30), 1894 et ceux du pseudo-Hilaire, Vienne (CSEL 23), 1891  ; ainsi que le centon de Proba, Carmen sacrum, Vienne (CSEL 16), 1887. 3   Sur le genre de l’épopée biblique et sa définition, on pourra consulter les travaux généraux suivants  : Krüger (1919)  ; Herzog (1975)  ; Kartschoke (1975)  ; Roberts (1985b)  ; réflexions intéressantes aussi dans Fontaine (1981)  ; ainsi que les articles de Charlet (1985) et (1988)  ; Duval (1987)  ; Herzog (1984)  ; Thraede (1962). On pourra lire aussi les études dont ont fait l’objet Sédulius et Arator  : Springer (1988)  ; Deproost (1990)  ; Bureau (1997). 4   Outre les travaux de Roberts et Kartschoke cités à la n. 3 et l’ouvrage classique de Curtius (1956)  ; voir aussi Roberts (1985b), et sur les relations entre paraphrase biblique et paraphrase scolaire, Cottier (2002) et Reiff (1959). On trouvera aussi une intéressante étude sur la tradition rhétorique de la paraphrase dans Labarre (1998). 2

INTRODUCTION3

dans la romanité que dans la force vitale de leur religion, qui rejaillit sur les rapports avec la littérature païenne. Entre les attaques de Tertullien et le pessimisme d’Augustin, la préface de Juvencus et sa volonté même d’écrire une telle œuvre montrent qu’il reconnaît la valeur de l’épopée païenne de façon plus nette, moins réticente. Cette évolution ne s’est certes pas faite en un jour et s’est manifestée avec plus ou moins de justesse, d’exubérance, d’audace et de profondeur selon les talents ou le génie des premiers écrivains chrétiens et de manière très différente selon les genres concernés. C’est une tentative timide, certains disent maladroite, malgré la qualité technique de l’œuvre, mais néanmoins féconde et plus riche de lectures qu’il n’y paraît que nous allons étudier ici. Derrière la simplicité d’une paraphrase apparaît, dans la subtile utilisation de Virgile, une tension née du rapprochement de deux mondes qui vacillent entre fusion et opposition. La transparence du texte réclame un déchiffrement de sa structure, de son contenu poétique et théologique. Cette grande simplicité apparente du travail de Juvencus, non pas simplicité technique mais simplicité d’objectif, transposer en vers l’Évangile de Matthieu, a longtemps masqué la diversité des lectures possibles de son épopée biblique. Les critiques contemporains se sont intéressés tant à l’aspect rhétorique de l’œuvre, aux mécanismes de la paraphrase, à l’imitation de Virgile qu’au contenu polémique, catéchétique et théologique de cette épopée. Mais il me semble que, jusqu’ici, l’étude de cet auteur a souffert d’un certain morcellement, comme le montre assez clairement la bibliographie  ; des analyses les plus anciennes, assez critiques sur le style ou la recherche des emprunts à Virgile, on est passé à un jugement plus juste et plus nuancé de ce travail avec l’étude de toutes les techniques de la paraphrase. La lecture attentive de la préface permet de dégager les intentions de Juvencus, et celle de passages précis révèle les intentions catéchétiques de l’auteur. On trouve également des travaux qui traitent de l’épopée de Juvencus dans une vision générale des débuts de la poésie chrétienne. Mais il n’existe pas d’étude qui associe précisément les buts énoncés dans la préface et leur réalisation sur l’ensemble de l’œuvre, dans son contexte historique et culturel, dans sa structure (trop souvent considérée comme pur effet du hasard ou vague imitation de Virgile 5), et dans la lutte engagée par Juvencus et définie par les termes rhétoriques d’imitatio et d’aemulatio. C’est ce travail de synthèse que nous entreprenons ici pour montrer que le projet de Juvencus, qui métamorphose l’objet de l’épopée en le faisant évoluer «  du héros au Sauveur  » ne relève pas seulement d’un procédé destiné à prolonger la forme de l’épopée classique, mais d’une véritable mutation qui ouvre la voie à la poésie chrétienne. L’incontestable héritage poétique et rhétorique de l’antiquité gréco-romaine mêle chrétiens et païens dans une même   Seul Kirsch semble s’être intéressé à la structure des œuvres, cf. Kirsch (1979) et (1982). 5

4

INTRODUCTION

esthétique commune à cette période de la renaissance constantinienne, mais cette continuité et cette unité littéraire et artistique s’accompagnent d’une pensée religieuse nouvelle qui fait naître la poésie chrétienne. Le grand usage qui fut fait de l’œuvre de Juvencus jusqu’à la Renaissance 6 nous invite à une lecture qui s’écarte du critère romantique d’originalité poétique pour retrouver la perspective byzantine qui est celle des icônes, la recherche d’une transparence dans l’approche du sacré, d’un langage humain qui se veut lien avec Dieu et qui, au-delà de l’image qu’il présente comme une claire et lumineuse évidence, est, en lui-même, une méditation mystique. J. Fontaine utilise la mue de l’oiseau Phénix pour qualifier la poésie latine chrétienne des deux siècles après Lactance, en y voyant à la fois la métamorphose du sens, de la métempsycose à la Résurrection, et la métamorphose d’un style qui prend sa signification, selon l’esthétique du decus, dans l’harmonie secrète entre une forme ancienne et un contenu nouveau. Juvencus se situe dans cette période de naissance de la poésie chrétienne, «  à l’entrée de la vaste frontière indécise dans la traversée de laquelle la culture européenne va, elle aussi, connaître lentement la mort et la résurrection d’une métamorphose 7.  »

  Sur l’influence de Juvencus sur les travaux d’Ausone, Prosper Tiro, Orientus, Claudius Marius Victor, Paulin de Pella, Paulin de Périgueux, Ennode, Avitus, Rusticus, Helpidius, Corippe, Paulin de Nola, Prudence et Sédulius, cf. Herzog (ed.) (1993), p.  384  ; Springer (1988), p. 55 et Kirsch (2004). Sur la fortune de Juvencus au MoyenÂge et à la Renaissance, cf. Mazal (2003), p. 947-948. 7  Fontaine (1981), p. 60. 6

PREMIÈRE PARTIE

LE CONTEXTE DE L’ŒUVRE

Chapitre I

Le Contexte historique des Euangeliorum libri IV 1.  L’auteur et l’œuvre Caius Vettius Aquilinus Juvencus est le plus ancien des poètes chrétiens dont les ouvrages nous ont été transmis. Il était issu d’une noble famille hispano-romaine, comme le révèlent ses trois noms. Il a écrit son œuvre sous Constantin. Ces quelques renseignements nous sont fournis par Jérôme 1, qui enregistre son épopée biblique Euangeliorum libri IV à l’année 329-330 de sa Chronique 2 et laisse entendre qu’il a écrit également une seconde œuvre, un poème hexamétrique sur les sacrements. Juvencus lui-même confirme la date de son épopée puisqu’il précise dans les derniers vers de son poème, en une dédicace solennelle à l’empereur, qu’il l’a écrite pendant la période de paix du règne de Constantin, c’est-à-dire après 325 3. Un très ancien manuscrit hispanique porte en marge de la notice de Jérôme sur Juvencus le mot Eliberritanus, ce qui ferait de cet aristocrate devenu prêtre un habitant de l’agglomération d’Eliberri en Bétique 4. Son poème en hexamètres dactyliques est une histoire du Christ 5, qui suit principalement l’évangile de Matthieu, précédé de l’enfance de Jésus (I, 1-306) de Luc et coupé de trois péricopes johanniques dans leur ordre biblique (II, 99-346  ; II, 637691  ; IV, 306-402). Le récit commence à l’annonce de la naissance de Jean à Zacharie et s’achève avec l’apparition du ressuscité en Galilée et l’envoi en mission qui clôt l’évangile de Matthieu. Les livres du poème sont au nombre de quatre comme leurs modèles, mais de façon artificielle puisque chaque livre ne renvoie pas à un   Hier., Vir. Ill. 84  : Iuuencus nobilissimi genere Hispanus presbyter IV euangelia hexametris uersibus paene ad uerbum transferens IV libros composuit et nonnulla eodem metro ad sacramentorum ordinem pertinentia; floruit sub Constantino principe. 2   Hier., Chron. ad 329 p.c.  : Iuuencus presbyter natione Hispanus euangelia heroicis uersibus explicat. On trouve les mêmes indications dans une lettre de Jérôme au rhéteur Magnus (Hier., Ep. 70, 5  : Iuuencus presbyter sub Constantino historiam domini Saluatoris uersibus explicauit nec pertimuit euangelii maiestatem sub metri leges mittere). 3   Juvc. IV, 806-808  : haec mihi pax Christi tribuit, pax haec mihi saecli / quam fouet indulgens terrae regnator apertae / Constantinus… 4   Cf. Fontaine (1959), p. 8, n. 3. Mention du terme Eliberritanus en marge du codex 22 de la cathédrale de Léon en face de la notice du De uiris illustribus. Il s’agit probablement de la ville d’Elvire en Bétique, un des plus anciens évêchés d’Espagne où eut lieu un concile au début du IVe siècle. 5   Juvc. I, 19  : Christi uitalia gesta. 1

8

CHAPITRE I

évangéliste différent comme pourrait le faire croire la praefatio prima, qui n’est pas de Juvencus. Nous sommes bien plus près de la composition des quatre premiers livres de l’Énéide, avec un nombre de vers proches I  : 770, II  : 829, III  : 773, IV  : 812 et une structure d’épopée  : un récit précédé d’un exorde et suivi d’un épilogue. Paene ad uerbum transferens 6, dit Jérôme de ce travail. C’est en partie exact et nécessaire si l’on pense au caractère sacré du texte de départ, mais cela n’exclut pas à la fois une orientation stylistique et des visées idéologiques. Il est clair que cette œuvre, souvent présentée comme un exercice de style artificiel, scolaire et superficiel, doit, pour prendre tout son sens, être située dans un contexte idéologique propre au IVe siècle et rapprochée de la politique religieuse et culturelle de Constantin. 2.  L’Espagne chrétienne au temps de Juvencus La conquête de l’Hispania par Rome, commencée en 218 avant Jésus-Christ, se fit lentement mais s’acheva par l’installation d’une paix définitive en 19 avant Jésus-Christ. Au temps de Constantin, le diocèse d’Hispania fait partie de la préfecture des Gaules et regroupe cinq provinces  : la Bétique (capitale  : Cordoue), la Lusitanie (capitale  : Mérida), la Tarraconaise (capitale  : Tarragone), la Carthaginoise (capitale  : Carthagène) et la Galicie (capitale  : Braga) auxquelles se rajoute de l’autre côté du détroit la Maurétanie Tingitane. Saint Paul annonce (Rom. 15, 23-24 et 28) sa volonté de se rendre en Espagne, mais rien ne permet de dire qu’il a réalisé ce projet 7. Le christianisme pénétra sans doute en Espagne par le processus habituel de la romanisation  : armée, commerces et envoyés des communautés chrétiennes. En Bétique et dans le Sud-Est de la péninsule, le christianisme fit très vite et très tôt de gros progrès 8. Nous trouvons les premiers témoignages sur l’existence de chrétiens en Espagne chez Irénée 9 et Tertullien 10. La lettre 67 de Cyprien   Hier., Vir. Ill. 84.  Rm. 15, 23-24 (abréviations et traduction de la Bible de Jérusalem)  : «  Mais à présent, comme je n’ai plus d’occupation dans ces contrées et que depuis des années j’ai un vif désir d’aller chez vous quand je me rendrai en Espagne…  »  ; 28  : «  Quand donc, j’aurai terminé cette affaire et leur aurai remis officiellement cette récolte, je partirai pour l’Espagne en passant par chez vous.  » 8   Hier., Ep.  71, 1  : Apostolus Paulus scribens ad Romanos: cum in Hispaniam proficisci coepero, spero quod praeteriens uideam uos, et a uobis deducar illuc: tantis fructibus adprobauit quid de illa prouincia quaeret breui tempore ab Hierosolymis usque in Illyricum euangelii iaciens fundamenta. 9  Irén., Adv. Haer. I, 10, 2  : Nam etsi in mundo loquelae dissimiles sunt, sed tamen uirtus traditionis una et eadem est. Et neque hae quae in Germania sunt fundatae Ecclesiae aliter credunt aut aliter tradunt, neque hae quae in Hiberis sunt, neque hae quae in Celtis, neque hae quae in Oriente, neque hae quae in Aegypto, neque hae quae in Libya, neque hae quae in medio mundi sunt constitutae. 10   Tert., Iud. 7, 4 (PL 2, col. 610B), dans l’énumération des pays où l’on trouve des chrétiens  : Hispaniarum omnes termini. 6 7

LE CONTEXTE HISTORIQUE DES EVANGELIORUM LIBRI IV9



(254) 11 confirme l’existence des évêques de Merida, Saragosse et Astorga-Léon tombés lors de la persécution et révèle que le collège épiscopal est déjà important en nombre et organisé. Les actes du martyr de saint Fructueux (259) témoignent des persécutions en Espagne, en particulier de la persécution de Valérien. Mais ce sont surtout les Actes du concile d’Elvire 12 (début IVe siècle, 300 ou 309) qui constituent le document le plus précis sur le christianisme espagnol des premiers siècles. Si le christianisme, à cette époque, est implanté dans tout l’empire, il est inégalement réparti en densité  ; ainsi sur les trente-huit Églises que nous font connaître les Actes du concile d’Elvire, représentées soit par leur évêque soit par un prêtre, vingt sont situées en Bétique, dix en Carthaginoise, trois en Lusitanie, deux en Galice, deux en Tarraconaise (une troisième est attestée en 314). Ces textes nous montrent un christianisme à la fois rigide et traditionnel, incomplètement détaché du paganisme 13. Les canons 2, 3, 4, 6, 17, 55, 56, 59, qui règlent les relations avec les païens, défendent de prêter des parures en faveur d’une solennité païenne, de monter au Capitole sous prétexte de sacrifice 14. On peut également constater que la nouvelle foi s’est infiltrée peu à peu dans les différentes couches de la société, puisque ces recommandations concernent les femmes riches et nobles qui ont un rang social à tenir et les magistrats ou gouverneurs de province, c’est-à-dire le milieu dirigeant qui se mêle aux païens dans les comportements de la vie quotidienne. Le cas le plus caractéristique est celui des magistrats dont la fonction entraîne obligatoirement dans un Empire encore païen la participation aux cultes publics et aux jeux et pour lesquels de nombreuses solutions (de l’abstention au paiement d’un suppléant) semblent avoir été trouvées. Eusèbe nous dit que les empereurs   Cypr., Ep.  67  : Incipit ad plebes in Hispania constitutas de Basilide et Martiali  ; titulaires des évêchés de Léon et Mérida, Basilide et Martial furent accusés d’être libellatiques par Félix de Saragosse auprès de Cyprien. Il envoya deux de ses collègues, Félix et Sabinus, pour obtenir leur déposition. 12   Le concile d’Elvire, premier concile d’Espagne (19 évêques présents) permet de se faire une idée de l’extension du christianisme en Espagne à la fin du IIIe siècle. Pour un état récent mais plus critique de la question, voir Vilella Masana (2014). 13  Poinsotte (1979), p. 9-10  : «  À Elvire, les infiltrations païennes, si modestes soient-elles, nous sont fort précieuses pour comprendre la genèse de l’œuvre. Nous tenons là, en effet, les trois ‘facteurs’ chers au vieux déterminisme scientifique, la ‘race’, le ‘lieu’, ‘le moment’  : c’est sous le règle de Constantin, au moment où le christianisme, débarrassé des menaces que faisait naguère peser sur lui un paganisme persécuteur, peut s’ouvrir aux meilleurs valeurs de la tradition païenne  ; c’est en Espagne, terre de vieille latinité où le loyalisme politique et le patriotisme romain sont des vertus traditionnelles, dans la patrie d’Ossius de Cordoue et bientôt de Prudence, qu’un grand aristocrate célèbre l’entrée triomphante des lettres chrétiennes dans la cité romaine, en composant une œuvre qui a l’ambition de marier ce que la tradition païenne possède de plus prestigieux, l’épopée virgilienne, et ce que la tradition chrétienne comporte de plus précieux, l’Évangile.  » 14   Texte des canons (1 à 81)  : Héfélé (1907), p. 221-264. 11

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d­ ispensaient même les chrétiens gouverneurs de province de ces actes cultuels 15. Là encore les Actes du concile d’Elvire nous renseignent sur la procédure ordinaire. Si la charge de flamine est totalement proscrite, le 56e canon précise que les duumvirs doivent s’abstenir de fréquenter l’église pendant la durée de leur charge, ce qui suppose qu’il est possible d’accepter cette charge. On voit ainsi la situation paradoxale avant Constantin des chrétiens engagés en raison de leur rang et de leur richesse dans les diverses magistratures, puisque la vie officielle de l’Empire implique des actes du culte païen qui leur sont interdits par leur religion personnelle. Le concile d’Elvire réglemente aussi les relations entre chrétiens et juifs en quatre canons 16 (16, 49, 50, 70) sur les mariages mixtes, les bénédictions des récoltes par des juifs, les repas pris en commun et l’adultère qui montrent les liens que pouvaient entretenir les membres des deux communautés. À l’époque de Juvencus, d’autres témoignages montrent les interférences entre judaïsme et christianisme 17. Grégoire d’Elvire, en particulier, souligne avec éloquence la nécessaire séparation entre l’ancien Israël et le nouveau 18. Si, dans les années 330, l’ère des persécutions contre les chrétiens est close, l’Espagne connaît d’autres secousses. Peu touchée par le donatisme, l’Église espagnole participe davantage à la crise arienne  ; la vitalité du christianisme ibérique est prouvée par le nombre d’évêques qui jouent un rôle dans les querelles trinitaires de cette époque, en particulier Potamius de Lisbonne, signataire de la formule arienne de Sirmium (357), Ossius de Cordoue, conseiller ecclésiastique de Constantin et chef des anti-ariens d’Occident et Grégoire d’Elvire, violent anti-arien qui cèdera à la fin de sa vie à l’hérésie luciférienne. À la fin du IVe siècle, la paix de l’Église d’Espagne sera troublée par le priscillianisme avec ses tendances gnostiques et ses tentations d’ascétisme exagéré, de refus du mariage et de la procréation relevant d’une conception n­ égative  Eus., Hist. Eccl.VIII, I, 1.   Sur le concile d’Elvire, voir Poinsotte (1979), p. 24-25 et Winterslow Dale (1882). Canon 16  : Haeretici si se transferre uoluerint ad ecclesiam catholicam, nec ipsis catholicas dandas esse puellas; sed neque Iudaeis neque haereticis dare placuit, eo quod nulla possit esse societas fideli cum infidele: si contra interdictum fecerint parentes, abstinere per quinquennium placuit  ; Canon 49  : Admoneri placuit possessores ut non patiantur fructus suos quos a Deo percipiunt cum gratiarum actione a Iudaeis benedicere, ne nostram irritam et infirmam faciant benedictionem: si quis post interdictum facere usurpauerit, penitus ab ecclesia abiciatur  ; Canon 50  : Si quis uero clericus uel fidelis cum Iudaeis cibum sumpserit, placuit eum a communione abstineri ut debeat emendari  ; Canon 78  : Si quis fidelis habens uxorem cum Iudea uel gentili fuerit moechatus, a communione arceatur: quod si alius cum detexerit, post quinquennium acta legitima poenitentia poterit dominicae sociari communioni. 17   Hier., Ep.  71, 6  : De sabbato, quod quaeris utrum ieiunandum sit, et de eucharistia an accipienda cotidie, quod Romana ecclesia et Hispaniae obseruare perhibentur  ; cf. aussi canon 26 du concile d’Elvire  : ut omni sabbato ieiunetur. 18   Grég. Illib., Tract. Orig. 3, 4 et 8. 15

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du monde matériel. Cette hérésie violemment réprimée témoigne de la grande activité de l’Espagne en matière religieuse et de l’extension de l’Église chrétienne à toute la péninsule hispanique. Ce contexte historique appelle une interrogation sur le public de Juvencus, exclusivement chrétien selon Kirsch 19, tenté par un syncrétisme avec les païens et les juifs et donc à ramener à une orthodoxie plus stricte, ou peut-être païen à convertir selon Heinsdorff 20 dans son étude des passages de Nicodème et de la Samaritaine, qui lui paraissent comme des modèles pour une évangélisation. Seul l’aspect catéchétique de l’œuvre est suffisamment souligné pour être une certitude, ainsi que le niveau de culture que suppose la lecture de cette épopée. 3.  Chrétiens et païens au début du IVe siècle 3.1.  La conversion de Constantin et ses relations avec le christianisme 21 En 313, l’Édit de Milan 22 promulgué par Constantin proclame la liberté des cultes dans l’Empire et marque la fin des persécutions. Pour les chrétiens, il est non seulement l’affirmation d’une liberté légale de pratiquer leur culte et de le diffuser, mais aussi le début d’une série de mesures qui vont leur donner une situation privilégiée dans l’empire. L’Église, malgré quelques sursauts (le règne de Julien de 361 à 363 et l’influence des ariens à la cour de Milan), va connaître une période de paix et d’approfondissement de la recherche théologique qui s’exprime à travers les concepts philosophiques gréco-romains et sera marquée par les avancées définitives des conciles  : Nicée (325), Constantinople (381), Éphèse (431), Chalcédoine (451). À partir de la prise de position et de la conversion de Constantin, c’est l’imbrication de deux groupes sociaux dominants, la classe sénatoriale et l’Église, qui sera la garante de l’héritage culturel de l’empire romain maintenant les fondements d’une autorité à la fois historique, politique, littéraire et religieuse 23. Cette période, inaugurée par le règne   Kirsch (1989).  Heinsdorff (2003), p. 80  : «  Die bei Juvencus vergleichsweise positive Darstellung des gelehrten Juden Nikodemus, der Christus in Ehrfurcht gegenübertritt, könnte man als Tribut des Dichters an diejenigen Teile der gebideten nichtchristlichen Oberschicht werten, die seinem Gedicht, das Werke und Lehre Christi verkündet, ernsthaftes Interesse entgegenbrachten.  » 21   Sur ce sujet, cf. Cochrane (1957), p. 177-212. 22   Il y a bien des controverses sur la réalité de cet édit, qui fut sans doute un rescrit de Licinius publié en Orient cette année-là, mais il est clair que ce texte, quelle que soit son origine exacte, reflète les accords passés entre Constantin et Licinius et leur orientation envers les chrétiens. Ce qui nous importe ici, c’est la révolution intervenue dans la politique religieuse de l’empire juste avant le moment où Juvencus écrit son poème. 23   Cf. Herzog (ed.) (1993), t. V, p. 5-6  : «  Cependant, le principal apport philosophique du IIe siècle, le néo-platonisme, put jouer, lui aussi un rôle intellectuel médiateur, susceptible de ramener à un système conceptuel commun les diverses orientations de la 19 20

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de Constantin et achevée avec l’effondrement de l’empire d’Occident sous la ruée des barbares fut le siècle d’or de la littérature chrétienne  ; dans des ouvrages théologiques ou pastoraux, en prose philosophique et en poésie, les écrivains chrétiens vont célébrer les mystères de leur foi avec ferveur et enthousiasme. L’édit du 30 avril 311 avait déjà montré la communauté de vue de Constantin et de Licinius sur la nécessité de la tolérance et provoqué l’alliance de Maximin Daia et de Maxence. C’était la dislocation définitive de la tétrarchie. Constantin mène en Italie une offensive éclair contre Maxence qui s’achève par la bataille du pont de Milvius. Dans l’Histoire Ecclésiastique (IX, 9, 2), Eusèbe ne parle pas de la vision de Constantin qu’il décrit pourtant dans son ouvrage De uita Constantini (I, 27), mais il compare, en termes épiques, la lutte de Constantin contre Maxence à la victoire de Moïse sur les Égyptiens et le montre priant le Christ  : «  Après avoir invoqué comme allié dans ses prières le Dieu céleste et son Verbe, le Sauveur de tous, Jésus-Christ luimême, il s’avance avec toute son armée, en promettant aux Romains la liberté qu’ils tiennent de leurs ancêtres.  » Après la victoire, Constantin rend grâce à Dieu (IX, 9, 10-11)  : «  Mais lui, qui possédait comme naturellement la piété envers Dieu, sans se laisser le moins du monde ébranler par les cris ni exalter par les louanges, a tout à fait conscience du secours venu de Dieu. Aussitôt il ordonne de placer le trophée de la passion salutaire dans la main de sa propre statue, et tandis que les artisans la dressent, tenant dans sa main droite le signe sauveur, à l’endroit le plus fréquenté des Romains, il ordonna de graver cette inscription en propres termes dans la foi. On peut découvrir son influence dans l’ordre sénatorial à l’époque constantinienne, et encore, au temps de Macrobe et de Martianus Capella  ; après son adoption précoce par le chrétien Origène, il a facilité aux chrétiens d’occident, de Marius Victorinus à Augustin, leur insertion dans les cadres de la pensée antique. C’est donc une forme très précise de la culture traditionnelle que représente, encourage et transmet l’ordre sénatorial  : car les membres de cet ordre n’ont pas seulement continué à cultiver sans interruption, comme des ‘épigones’, une littérature et une philosophie romaines, mais ils ont rompu aussi avec elles en faisant servir ces formes antiques à la ‘réception’ de nouvelles expériences sociales et religieuses. Quand Constantin, à partir de 323 environ, chercha à s’allier toujours plus étroitement à l’aristocratie sénatoriale de la ville de Rome, il amorça une christianisation de cette classe, certes longue et lente, mais au total sans aucun heurt politique majeur. Ainsi les grandes familles des Probi, des Anicii, des Ceionii, de rang sénatorial depuis le IIIe siècle, passèrent en l’espace d’un siècle à la nouvelle foi. Ce processus s’accélère dans les dernières décennies du IVe siècle. Les lignes de front n’opposent pas tant le traditionalisme sénatorial d’un Symmaque et une Église qui tend à s’affirmer mais plutôt, à l’intérieur de la classe sénatoriale elle-même, des hommes qui partagent une forme commune de pensée religieuse propre à l’antiquité tardive  ; leur débat, par conséquent, se déplace essentiellement sur le terrain culturel  : il s’agit de l’interprétation de l’héritage romain. Le seul conflit de quelque importance entre chrétiens et païens, l’affaire de l’autel de la Victoire en 384, tourne précisément autour d’une telle image de Rome.  »

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langue des Romains  : ‘par ce signe salutaire, par cette véritable preuve de ­courage, j’ai délivré votre ville que j’ai sauvée du joug du tyran  ; et j’ai rétabli de plus le Sénat et le peuple des Romains dans leur ancienne illustration et splendeur après les avoir libérés.’  »

Il est intéressant de voir ici l’affirmation politique d’une continuité entre le christianisme et Rome, celle-là même que nous retrouvons sur le plan littéraire dans l’œuvre de Juvencus. La religion chrétienne, perçue d’abord comme une nouveauté dangereuse, devient au contraire le prolongement de la gloire de Rome 24. C’est là que se situent, pour les auteurs chrétiens de cette époque, la conversion de Constantin et son premier geste chrétien suivi du triomphe de son armée. Les récits de Lactance 25, d’Eusèbe de Césarée 26 et de Socrate de Constantinople 27 soulignent l’aide divine providentielle qui suivit le ralliement de Constantin au signe du Christ. Lactance fait de cette main de Dieu sur la mêlée l’argument décisif de son ouvrage De mortibus persecutorum. Cette vision est d’ailleurs confortée par la dédicace 28 de l’arc de Triomphe élevé à Rome sur la uia triumphalis en 315  ; l’inscription païenne souligne, en termes monothéistes et abstraits, l’importance que l’empereur attribuait à cette aide divine. C’est que la crise terrible, à la fois interne et externe, où l’empire a failli sombrer à la fin du IIIe siècle a abouti à une transformation de la structure politique soutenue par un élan religieux profondément renouvelé. Au paganisme classique qui exprime sa conception du sacré par la notion neutre de divin se substitue une conscience religieuse marquée par l’idée de Dieu, personne transcendante, créateur et fin de toute chose. Au carrefour des influences orientales et sémitiques, l’empire romain est le terrain où les chrétiens vont pouvoir diffuser leurs idées en s’insérant dans une histoire et une culture qui leur apparaît comme destinée à les accueillir. Et pourtant en ce début de IVe siècle, malgré la vision triomphale des écrivains chrétiens, il n’est pas encore acquis que le christianisme va capter tout l’apport de cette culture et de cet héritage classique pour se l’approprier.   Sur ce chapitre d’Eusèbe, cf. l’étude de Bonamente (1981).  Lact., Mort. 44. 26   Eus., Hist. Eccl. IX, 9, 2. 27   Socrate de Constantinople, Hist. Eccl. I, 3, 1, où Socrate raconte le songe de Constantin, l’apparition du Christ et la victoire obtenue grâce au trophée en forme de croix, puis évoque la politique en faveur des chrétiens  : «  L’empereur Constantin, qui était bien disposé envers le christianisme, agissait en tout comme un chrétien, en faisant reconstruire les églises et en les honorant par des offrandes de grand prix, et encore en faisant fermer et détruire les temples des Grecs ainsi qu’en confisquant les statues qui s’y trouvaient.  » (trad. P. Maraval). 28   Imp. Caes. Fl. Constantino Maximo P. F. Augusto S.P.Q.R. quod instinctu diuinitatis mentis magnitudine cum exercitu suo tam de tyranno quam de omni eius factione uno tempore iustis rem publicam ultus est armis arcum triumphis insignem dicauit. 24 25

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P. Batiffol 29 analyse très précisément l’évolution de la politique religieuse de Constantin à travers les termes des panégyristes gallo-romains  : après la bataille du pont Milvius, les adresses aux dieux païens deviennent des invocations à la mens diuina, au summus rerum sator. Alors que le panégyrique VI, contemporain du mariage de Constantin et de Fausta (307), cite les di immortales, Jupiter et Hercule, le panégyrique IX postérieur à la défaite de Maxence évoque la divinité qui a inspiré à Constantin sa tactique militaire (Quisnam te deus, quae tam praesens hortata est maiestas  ?) et réclame de cette force supérieure inconnue et toute puissante, du créateur et maître du monde, un soutien permanent pour le prince  : Quamobrem te, summe rerum sator, cuius tot nomina sunt quot gentium linguas esse maluisti (quem enim te ipse dici uelis, scire non possumus), siue tute quaedam uis mensque diuina es, quae toto infusa mundo omnibus miscearis elementis et, sine ullo extrinsecus accedente uigoris impulsu per te ipsa mouearis, siue aliqua supra omne caelum potestas se quae hoc opus tuum ex altiore naturae arce despicias: te, inquam, oramus et quaesumus ut hunc in omnia saecula principem serues.

En comparant ce texte aux dédicaces de Lactance à Constantin dans les Diuinae Institutiones, on peut voir l’évolution de la pensée de Constantin ou, du moins, de ce qu’en percevaient les contemporains. Dans la première dédicace, Lactance salue l’empereur comme primus Romanorum principum, repudiatis erroribus, maiestatem Dei singularis ac ueri et cognouisti et honorasti 30. Dans la seconde 31, il compare le sort de Constantin protégé par Dieu parce que nomen eius defendis et diligis et celui des ennemis impies qui sont remis par Dieu entre ses mains  : in manus tuas idem Deus tradidit, ut esset omnibus clarum quae sit uera maiestas. En des termes différents, le païen et le chrétien qui célèbrent les louanges de Constantin nous retracent l’évolution d’une expression religieuse qui passe d’un monothéisme philosophique à une foi exprimée en des termes chrétiens. Mais, sur un plan doctrinal, la pensée religieuse de Constantin reste plus une croyance en une divinité providentielle qu’une adhésion précise au dogme chrétien, ce qui a pu favoriser un syncrétisme aristocratique, le paganisme ayant depuis longtemps évolué, par une analyse abstraite et complexe, des dieux de l’Olympe à une divinité supérieure. Le vocabulaire religieux de l’époque de Constantin permet de supposer que l’empereur a voulu et espéré que paganisme et christianisme pourraient cohabiter, non pas en s’additionnant, ni par des possibilités de traduction, mais par le haut, en une espèce de synthèse vague autour d’une divinité non définie. Ce sont plutôt les réalisations pratiques qui révèlent combien l’empereur était favorable aux chrétiens. Les mesures de l’édit de Milan  Batiffol (1914), p. 218-220  ; voir aussi plus récemment Carrié  / Rousselle (1999), p. 217-267 (chap. 4  : «  La rupture constantinienne  »). 30  Lact., Inst. I, 1, 13. 31  Lact., Inst. VII, 26. 29

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marquent une sympathie agissante envers le christianisme  ; puis les générosités de l’empereur envers les chrétiens en Afrique et à Rome vont expliciter ce que les formules de l’édit pouvaient avoir de vague et de général. Le texte de l’empereur reconnaît la liberté de culte, mais il pose aussi comme principe du gouvernement le respect dû à la divinité supérieure, respect qui obtiendra les faveurs pour l’empire entier de cette divinité, quelle qu’elle soit  : In primis ordinanda esse credidimus quibus diuinitatis reuerentia continebatur, ut daremus et Christianis et omnibus liberam potestatem sequendi religionem quam quisque uoluisset, quo quidquid est diuinitatis in sede caelesti nobis atque omnibus qui sub potestate nostra sunt constituti placatum atque propitium possit existere 32.

Mais seuls les chrétiens sont nommés et les actes de l’empereur en leur faveur montrent vite que pour Constantin cette divinité a déjà bien un nom et que l’empire est désormais lié avec l’Église chrétienne. La conversion de Constantin en 312 a eu des conséquences immédiates  : la légitimité accordée à l’Église avec des faveurs matérielles ou honorifiques, l’hostilité croissante envers les vieilles organisations et institutions religieuses païennes 33 et une mainmise de l’Église sur le pouvoir politique qui va se développer rapidement. L’Église trouve une puissance grandissante à la fois par son extension dans les milieux urbains et politiques, par l’élaboration de plus en plus précise de sa doctrine et par l’épuisement progressif du paganisme  ; la lutte qu’elle entretient contre les anciens cultes ne sera bientôt plus une défense contre un péril doctrinal, mais un problème d’ordre pastoral, pour éviter le retour à de vieilles traditions pour lesquelles des chrétiens peu instruits conservent un attachement affectif. Dans la deuxième partie du IVe siècle, le paganisme traditionnel ne représentera plus vraiment, à l’exception de quelques penseurs vigoureux qui tenteront de le régénérer 34, un courant de pensée assez fort pour s’opposer au christianisme, mais plutôt un ensemble de coutumes qui perdurent pour des raisons qui vont de la superstition à l’attachement nostalgique pour la culture née de l’ancienne religion polythéiste. La collaboration des évêques avec les notables locaux, la récupération par l’Église du pouvoir que donnent les constructions, les aides accordées à la cité introduisent un changement de perspective et instaurent entre pauvres et riches, et avec l’empereur, une communauté non plus de citoyenneté mais d’humanité. Pour les Églises, la paix, la richesse, la grande générosité de Constantin qui fait  Lact., Mort. 48  ; cf. Eus. X, 5, 1-14.   Un siècle après, le système juridique est devenu instrument de persécution, en 391, le temple de Sérapis à Alexandrie a été rasé, en 415 Hypatie est lynchée à Alexandrie, les moines servent de troupes de choc dans la conversion des peuples, les charges réservées sont refusées aux non-chrétiens, les évêques sont investis de pouvoirs civils importants (surveillance des masses populaires, responsabilité de maintenir l’ordre public). 34   Sur ce sujet, cf. le livre classique de Labriolle (2005 [1934]). Il faut tenir compte aussi de MacMullen (1998) et de Dodds (1979). 32 33

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construire Saint Pierre, Saint Jean de Latran, la basilique d’Antioche, l’église du Saint Sépulcre à Jérusalem affichant dans la pierre la suprématie du christianisme et montrant l’alliance providentielle de l’Église et de l’Empire, sont les moyens d’édifier à une allure surprenante une position de force locale. Dès cette époque, Constantin est considéré comme le premier empereur chrétien et le travail légendaire commence quelques années après sa mort dans la Vie de Constantin 35 attribuée à Eusèbe de Césarée qui nous fournit une image idéale d’un saint empereur bien loin de la réalité historique. L’évolution de Constantin suit, d’ailleurs très exactement, la transformation sociale et philosophique des relations entre païens et chrétiens, sans qu’on puisse déterminer où est la cause et où est la conséquence, du rôle de l’empereur et du poids de l’environnement culturel. À l’image du texte que nous allons étudier et qui est le reflet de ce temps d’incertitudes, les liens entre païens et chrétiens en ce début du IVe siècle sont extrêmement complexes. 3.2.  Une situation complexe Les travaux de P. Brown 36, de P. Chuvin 37, de R. MacMullen 38 ont montré que cette époque fut marquée, au-delà de l’affrontement de deux systèmes religieux, par un réaménagement de la conception du pouvoir et de ses formes symboliques, évolution qui modifiera aussi les traditions classiques dans le domaine de l’art et de la culture. Mais ce passage du paganisme au christianisme officiel des classes dirigeantes autant que de l’empereur sera, au long de ce IVe siècle, un jeu subtil de forces en présence, un retournement des équilibres plutôt que la marche triomphante d’une vérité portée par un élan irrésistible comme nous la décrivent les auteurs chrétiens à partir du Ve siècle ou, à l’inverse, la tyrannie d’une religion imposée par la force brutale. Il faut se méfier, dans le regard que nous portons sur cette époque, autant de la réécriture des premiers historiens chrétiens que d’une vision laïque moderne qui verrait la conversion de Constantin comme une oppression sur un peuple romain majoritairement encore païen. P. Brown analyse ainsi la pensée historique des siècles précédents sur ce changement  : «  Somme toute, l’impression transmise par nombre de savants modernes selon laquelle le IVe siècle se caractérisait par un conflit généralisé et pleinement conscient entre le christianisme et le paganisme dérive en grande partie d’une habile reconstruction présentée en premier lieu au monde romain par les historiens chrétiens du Ve siècle. Ce sont eux qui choisirent d’évoquer le siècle précédent  Eus., Vit. Const.   Brown (1998b). 37   Chuvin (1990). 38   MacMullen (1998). 35 36

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par le prisme d’un conflit qui aurait rapidement pris fin grâce à toute une série de victoires mémorables de la foi chrétienne. De cette façon ils imposèrent leur interprétation tranchée de ce qu’on a pu appeler de façon plus approprié un siècle incertain 39.  »

La situation est plus complexe que ce combat bien délimité de deux religions dont l’une triompherait de l’autre. Le début du IVe siècle est un temps de cohabitation, de compromis, d’assimilation et de transition bien plus riche qu’un conflit sans nuances. Aussi, comme le dit P. Brown dans l’avant-propos d’un autre ouvrage, intitulé L’autorité et le sacré, la perspective qu’il convient d’adopter sur ce sujet pour appréhender cette époque doit être très nuancée  : «  nous avons encore à nous interroger sur les vecteurs de ce changement qui conduisirent toute une société, depuis l’Europe jusqu’au Moyen-Orient à assimiler la stabilité de son ordre social avec la progression d’une religion nouvelle et exclusive 40.  » C’est cette transition et les questions qu’elle pose qui sont la genèse de l’œuvre de Juvencus. Le passé réécrit à la lumière de l’installation durable du christianisme comme religion d’État ne rend pas compte de la réalité d’un siècle qui associe selon l’expression de Lepelley «  une rupture radicale et une étonnante continuité 41  ». La religion romaine païenne est essentiellement sociale et collective (cultes officiels, culte de l’empereur, de la cité), fortement liée au politique, et surtout rituelle. Or c’est d’abord dans l’espace privé que s’est introduit à Rome le christianisme, comme avant lui les cultes à mystères, les religions orientales et toute la pensée philosophique et mystique grecque réinterprétant l’antique religion par une lecture symbolique et allégorique. Le christianisme à ses débuts et jusqu’au début du IVe siècle n’apparaît donc pas comme une religion civique pouvant constituer l’unité de la société romaine  ; car les chrétiens de l’époque sont encore une minorité repliée sur leurs communautés rejetant un monde profondément païen et une société civique qui ne les a pas intégrés et qu’ils refusent d’intégrer. Bien après la conversion de Constantin, l’Église est encore perçue comme une «  contre-cité 42  ».

  Brown (1998a), p. 178.   Brown (1998a), p. 14. 41   Lepelley (1996), p. 5. 42   Lepelley (1996), p. 11-12  : «  Or le christianisme, on l’a dit, n’était guère préparé à prendre le relais, à se substituer comme religion civique au paganisme défaillant, à devenir le ciment religieux de la collectivité tout entière. Les chrétiens avaient, depuis les origines, constitué des groupes minoritaires, tantôt tolérés, tantôt persécutés, mais de toute manière, nullement intégrés dans la communauté civique et très repliés sur euxmêmes. Ils s’étaient donc habitués à vivre en marge de la cité et à refuser une sociabilité empreinte de paganisme. Longtemps encore après la conversion de Constantin ils persistèrent dans cette attitude et ils continuèrent à considérer le monde extérieur comme fondamentalement païen.  » 39 40

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CHAPITRE I

D’autre part, le paganisme ne donnait pas à la société une sorte de cadre vide et artificiel que le christianisme allait remplir ou valoriser, même si c’est ainsi que l’on a pu lire, pendant de nombreuses années l’histoire, l’art ou la littérature de cette période  ; il est au cœur de la vie et du pouvoir dans l’empire, mais peut-être moins comme une religion que comme «  un dispositif de formes symboliques exprimant la vraie façon de gouverner et d’illustrer son autorité 43.  » Il existe à cette époque une culture publique forte que les élites pouvaient partager sans avoir besoin de se différencier comme chrétiens ou non-chrétiens et cela peut, en particulier, s’illustrer dans la vision de l’autorité politique et de ses rapports avec la religion. Comme l’explique S. C. Mimouni 44 «  le culte impérial n’a été ni un stratagème politique ni une superstition populaire mais un système d’élaboration du pouvoir conceptualisé comme un procédé relationnel articulant le politique et le religieux afin de cimenter le monde romain.  » La variété et la complexité du paganisme, son extension dans tout l’empire et son intégration locale le rendaient résistant  ; le culte impérial et le calendrier des fêtes perdurent aux IVe et Ve siècles, le culte privé des familles garde une couleur fortement païenne en ce qui concerne les espoirs et craintes individuelles, les rites relatifs à la vie quotidienne ou à la mort. Au-delà des survivances on assiste à des phénomènes d’assimilation qui ne seront pas tous problématiques  ; on danse dans les rues pour certaines fêtes chez les chrétiens comme chez les païens, on dépose des offrandes aux morts, les pratiques commémoratives après les funérailles montrent des croyances partagées. Les traditions locales se maintiennent ainsi que les banquets funèbres, et les offrandes votives païennes se retrouvent dans le culte des saints. La littérature et l’art manifestent les mêmes tendances  : on emprunte à la symbolique impériale pour manifester la grandeur de Jésus (l’orbe, le trône, la gestuelle symbolique) et, à l’opposé le culte impérial formule en langage traditionnel la suprématie inéluctable des Romains et de leur princeps justifiée par leur lien avec le Christ. Les symboles (guirlandes, vignes, oiseaux), la pensée philosophique, 43   Brown (1998a), p. 36-37  : «  Le déploiement de formes symboliques par lesquelles les potentes de l’Empire tardif faisaient montre de leur domination était impressionnant. D’envoûtantes mosaïques postclassiques ornaient leurs villas. Des adaptations pleines d’exubérance d’anciens rituels célébraient leur puissance et leur prospérité. La cour impériale était caractérisée par un cérémonial très élaboré. Un style de poésie, de correspondance épistolaire et de rhétorique fleurissait, qui n’avait d’autre raison d’être que d’exprimer la solidarité de la classe gouvernante en agissant au titre d’emblème de leur autorité. Le réaménagement radical de tant de traditions classiques, aux fins de créer toute une nouvelle héraldique du pouvoir, fut l’une des plus grandes réussites de la période romaine tardive. Pourtant ce serait une erreur profonde de prétendre que les changements, dans ce large domaine de la vie culturelle et sociale, reflétait, de quelque façon que ce fût, un processus de «  christianisation  ». Ce qui se passa, en réalité, ce fut exactement le contraire. Nous sommes témoins, à cette époque, de la forte émergence d’une culture publique que les chrétiens autant que les non-chrétiens pouvaient partager.  » 44   Mimouni / Maraval (2006), p. 18.

LE CONTEXTE HISTORIQUE DES EVANGELIORUM LIBRI IV19



les allusions mythologiques sont repris et réutilisés au point qu’aucun épigraphiste ne s’étonne de nos jours de trouver sur une tombe chrétienne l’expression  : «  consacré aux Dieux Mânes  », pas plus qu’une allusion poétique aux Enfers païens. Les rituels du culte impérial ne sont guère bouleversés par la conversion de Constantin  ; seule la justification de ce culte évolue. Mais l’on érige une statue de Constantin en Dieu solaire, on promène une statue plus petite sur l’hippodrome, on s’agenouille devant l’empereur qu’on appelle diuinus. La célébration des calendes de janvier auxquelles le culte de l’empereur est associé donne lieu à une parade annuelle et à des danses dans les rues. Enfin, entre les lois promulguées par Constantin et leur application dans l’ensemble de l’empire, on voit naître une construction sociale et politique autant que religieuse. Le large pouvoir théorique de l’empereur est compensé par sa délégation administrative. C’est le pouvoir de persuasion discret associé à la paideia (bienséance, mesure, contrôle de soi, dignité supérieure) du gouverneur cultivé idéal qui va permettre une progressive évolution vers un christianisme installé dans le pouvoir local. D’un ensemble de territoires déjà civilisés, Rome veut faire un monde politiquement unifié autour de la cité et par le développement des institutions municipales confie cette romanisation aux élites locales. Réunis sous une même autorité politique et liés entre eux par une unité culturelle profonde, les peuples se fondent dans une civilisation gréco-romaine, relayée jusqu’aux confins de l’empire par les classes dirigeantes. Comme l’analyse justement S. C. Mimouni  : «  Cette culture de langue grecque et latine est partout présente, même si son emprise est parfois, dans certaines régions reculées ou dans les couches les plus humbles de la population, restée très superficielle. Les cadres de l’administration, les milieux dirigeants et commerçants et les classes cultivées comprennent et parlent partout au moins une des deux langues officielles et souvent les deux… Elles font naître, peu à peu, avec un sentiment d’appartenir à un même tout qui se confond dans les esprits avec le monde civilisé, un certain cosmopolitisme et ce qu’on pourrait appeler une conscience impériale 45.  »

La nécessité d’un consensus dans un réseau d’élites locales pour soutenir le gouvernement impérial empêche d’imposer par la force la conversion au christianisme  ; c’est l’alliance de nouveaux dirigeants urbains et des Églises locales qui changent la délégation de pouvoir dans les cités, car l’empire romain restauré est une société profondément ébranlée qui aspire au retour de la loi et de l’ordre et à une cohésion sociale que le christianisme lui apporte en faisant du pouvoir social un reflet du pouvoir divin  ; le monothéisme définit une autre manière de penser l’autorité  ; l’empereur est image de Dieu et ne représente plus une perfection humaine mais une inspiration divine. Car la conversion au 45

  Mimouni / Maraval (2006), p. 9.

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CHAPITRE I

christianisme passe par la transformation sociale d’une élite qui se convertit à la «  majesté quasi sacrée d’un Empire romain désormais restauré et protégé par le Dieu unique des chrétiens 46.  » Une religion juste était déjà considérée comme la gloire de l’empire et la deuotio envers l’empereur relayée jusqu’aux dernières frontières explique aussi la progression du christianisme. La révolution religieuse liée à la conversion de Constantin doit être associée à la formation d’une nouvelle classe gouvernante assurant la sécurité de l’ordre social et l’autorité de l’Empire. Et c’est également la détermination de ces élites locales qui sauvent l’art et la littérature des païens en quelque sorte laïcisés ou christianisés, les temples, les statues ne sont plus qu’ornements, réhabilités en œuvres d’art. Comme l’écrit P. Brown  : «  C’était une situation burlesque dont l’ironie désabusée du païen Palladas d’Alexandrie sut faire son profit, alors qu’il visitait la splendide galerie d’art installée dans le palais de Marina, une riche femme chrétienne  ; ‘Les habitants de l’Olympe étant devenus chrétiens, ils vivent ici sans être inquiétés  : car ici, au moins, ils échapperont au chaudron qui les aurait fait fondre pour les transformer en menue monnaie’ 47.  »

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  Brown (1998a), p. 62.   Brown (1998a), p. 114.

Chapitre II

Le contexte idéologique 1.  La vision chrétienne triomphale d’un empire romain providentiel 1 Si, historiquement, le quatrième siècle est une période d’incertitudes, ce n’est pas la vision qu’en ont eu les premiers écrivains chrétiens qui y voient le triomphe de leur religion, voulu par le Dieu Créateur depuis l’origine du monde. On ne peut négliger ce point de vue, cette réécriture de l’histoire quand on étudie l’œuvre de Juvencus, car il est clair que cet auteur s’inscrit très précisément dans cette pensée et qu’elle est même à l’origine de son œuvre. Comme l’explique P. Brown  : «  L’histoire de la christianisation pendant l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge doit commencer par une approche attentive de ce que les chrétiens euxmêmes considéraient être la ‘christianisation’. Cela suppose qu’il faille respecter les horizons imaginaires à l’intérieur desquels les chrétiens romains de l’époque tardive pensaient pouvoir agir 2.  »

L’extension du christianisme et le raffermissement du pouvoir impérial de Constantin, par leur simultanéité, deviennent pour les chrétiens le signe qu’ils vont dans le sens de l’histoire et que l’empire romain est prédestiné à devenir un empire chrétien. Avec Juvencus, nous sommes au tout début, à la fois enthousiaste et encore peu structuré dans la réflexion, d’une vision triomphante du christianisme. Mais le choix même de l’épopée pour transmettre le message du Christ pousse à voir dans la tentative de Juvencus les prémices d’une conception du monde qui va s’affermir au cours du IVe siècle. Dès 192, Tertullien proclamait l’avancée des chrétiens dans toutes les structures du pouvoir civilisateur romain comme une conquête vers l’universalité du christianisme  : Hesterni sumus, et uestra omnia impleuimus, urbes, insulas, castella, municipia, conciliabula, castra ipsa, tribus, decurias, palatium, Senatum, Forum 3. Au milieu du IIIe siècle, Origène souligne le rôle providentiel de l’empire romain en affirmant que la naissance du Christ sous Auguste réunit la 1  Péguy a repris avec lyrisme cette même conception d’un héritage universel du Christ dans son poème Ève 4, 629  : «  Les pas des légions avaient marché pour lui  ». 2   Brown (1998a), p. 46  ; voir aussi Markus (1990). 3   Tert., Apol. XXXVII, 4. Également en V, 5 il refuse de voir un persécuteur dans Marc-Aurèle et lie le destin de Rome et celui du christianisme.

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CHAPITRE II

presque totalité de l’humanité 4. Mais avec le IVe siècle va se développer un sentiment d’allégresse triomphante soutenu par une rhétorique de prédestination et de conquête victorieuse. Pour les chrétiens, le développement même de l’empire romain est une préparation providentielle à la diffusion du christianisme 5. Dans le Contre Symmaque, Prudence apostrophe ainsi les Romains  : Vis dicam quae causa tuos, Romae, labores In tantum extulerit, quis gloria fotibus aucta Sic cluat, inpositis ut mundum frenet habenis? Discordes linguis populos et dissona cultu Regna uolens sociare Deus, subiungier uni Imperio quidquid tractabile moribus esset, Concordique iugo retinacula mollia ferre Constituit, quo corda hominum coniuncta teneret Religionis amor… 6

L’empire romain est le double inversé de la tour de Babel, le lieu et le temps qui préparent l’avènement du Christ. Comment ne pas rapprocher ces vers de ceux de Virgile, de l’annonce d’Anchise à son fils lorsqu’il lui présente le futur empire romain dont le rôle est de réunir, de pacifier les nations  : Tu regere imperio populos, Romane, memento Haec tibi erunt artes pacique inponere morem, Parcere subiectis et debellare superbos. (Aen. I, 851-853) 7

  Orig., Cels. VIII, 68-74.   Sur ce sujet, voir Carrié  / Rousselle (1999), p. 439-510 (chap. 7 «  Penseurs et débats au IIIe s.  »)  ; Inglebert (1995) et (1996)  ; Thélamon (1990)  ; Paschoud (1967). 6  Prud., Sym. II, 583-591. 7   Le rapprochement est d’autant plus évident qu’Augustin, dans la Cité de Dieu, commentera aussi le passage de l’Éneide en ce sens. Aug., Ciu. V, 12  : Amore itaque primitus libertatis, post etiam dominationis et cupiditate laudis et gloriae multa magna fecerunt. Reddit eis utriusque rei testimonium etiam poeta insignis illorum; inde quippe ait: // Nec non Tarquinum eiectum Porsenna iubebat / Accipere ingentique urbem obsidione premebat; / Aeneadae in ferrum pro libertate ruebant. Tunc itaque magnum illis fuit aut fortiter emori aut liberos uiuere. Sed cum esset adepta libertas, tanta cupido gloriae incesserat, ut parum esset sola libertas, nisi et dominatio quaereretur, dum pro magno habetur, quod uelut loquente Ioue idem poeta dicit: / … quin aspera Iuno / Quae mare nunc terrasque metu caelumque fatigat, / Consilia in melius referet mecumque fouebit / Romanos rerum dominos gentemque togatam. / Sic placitum. Veniet lustris labentibus aetas, / Cum domus Assaraci Phthiam clarasque Mycenas / Seruitio premet ac uictis dominabitur Argis. / Quae quidem Vergilius Iouem inducens tamquam futura praedicentem ipse iam facta recolebat cernebatque praesentia; uerum propterea commemorare illa uolui, ut ostenderem dominationem post libertatem sic habuisse Romanos, ut in eorum magnis laudibus poneretur. Hinc est et illud eiusdem poetae, quod, cum artibus aliarum gentium eas ipsas proprias Romanorum artes regnandi atque imperandi et sujiugandi ac debellandi populos anteponerent ait [puis citation de Aen. I, 847-853]. 4

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LE CONTEXTE IDÉOLOGIQUE23

C’est une nation déjà unifiée que nous présente Prudence dans la suite de ce plaidoyer chrétien au sujet de l’affaire de l’autel de la Victoire 8  : Hanc frenaturus rabiem Deus undique gentes Inclinare caput docuit sub legibus hisdem Romanosque omnes fieri… 9

Devenus Romains, réunis par une fraternité universelle, les peuples n’avaient plus qu’un dernier pas à faire pour devenir chrétiens  : … nam sanguine mixto Texitur alternis ex gentibus una propago. Hoc actum est tantis successibus atque triumphis Romani imperii; Christo iam tunc uenienti Crede, parata uia est, quam dudum publica nostrae Pacis amicitia struxit moderamine Romae 10.

La terra aperta de la dédicace de Juvencus est cette voie unique qui réunit Virgile et le christianisme, le rôle pacificateur de l’empire romain et son rôle missionnaire, qui fait de Constantin à la fois un nouvel Auguste et le premier empereur chrétien 11. Par la suite saint Léon ira plus loin encore, ce sont les apôtres et non Romulus qui ont fondé Rome et les Romains sont le peuple élu par Dieu  : Isti sunt qui te ad hanc gloriam prouexerunt, ut gens sancta, populus electus, ciuitas sacerdotalis et regia, per sacram beati Petri sedem caput orbis effecta, 8   L’affaire, qui eut lieu vers 382, donna lieu au rapport de Symmaque, auquel répliquèrent Ambroise et Prudence, dont le poème date de 402 ou 403 (sur le contexte, voir Klein [1972] et Vera [1981], p. 12-53). Comme l’a bien noté P.  M.  Martin (2004), p. 151, Prudence ne voit pas Rome sous les traits de la vieille femme respectable qu’elle incarnait dans le rapport de Symmaque (Rel. 3, 9-10) ou la réponse d’Ambroise (Ep. 18, 7)  : «  Le miracle chrétien a fait que la vieille Rome est redevenue la jeune femme casquée des symboles monétaires de la République (…). Il ne s’agit pas ici d’une inspiration qui trouve sa source dans les vieilles conceptions millénaristes, déjà présentes chez Virgile, mais d’un nouveau souffle retrouvé par une Rome renouvelée par l’inspiration chrétienne. Rome chrétienne redevient Roma aeterna et la Pax Romana se confond avec la Pax Christiana.  » C’est bien le même souffle qui est présent chez Juvencus. 9  Prud., Sym. II, 602-604. 10  Prud., Sym. II, 617-622. 11   La poésie du début du IVe siècle adopte le ton triomphant de l’idéologie impériale, Rome l’emporte sur les Barbares, l’orthodoxie chrétienne sur le paganisme et l’hérésie. Comme l’écrit Charlet (1988), p.  77: «  Just as Augustus wanted to be the second Romulus, so the Christian emperor appears as the founder of a regenerated Rome. As F. Paschoud has written, the Virgilian and Augustan concept of Rome’s historical purpose being assigned to it by fate (Roma aeterna) finds a new strength and actuality in the fourth century, among pagans such as Claudian as well as Christians. Fourth-century poets therefore saw in Virgil not only a store of fine phrases, images and themes, but above all a powerful expression of Rome’s destiny, which was vitally relevant at a time when the Christian empire was endeavouring to restore its greatness.  »

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CHAPITRE II

latius praesideres religione diuina quam dominatione terrena. Quamuis enim multis aucta uictoriis ius imperii tui terra marique protuleris, minus tamen est quod tibi bellicus labor subdidit quam quod pax Christiana subiecit 12.

Il y a là un glissement, une récupération d’héritage qui permet à la fois de revendiquer la culture et le pouvoir romain, mais également l’histoire des juifs comme «  nation sainte  », peuple choisi. Dans la vision d’un peuple de Dieu en marche vers le salut, les Romains prennent en quelque sorte la place des juifs 13. Ces affirmations sont sur le plan religieux dans la droite ligne de la tentative littéraire et didactique de Juvencus  : christianiser l’empire romain en le détournant de la religion qui a accompagné son développement et romaniser l’héritage chrétien en le détachant sur le plan littéraire et religieux de son enracinement juif. Si le peuple romain est devenu ce peuple saint, c’est, selon Léon, par l’effet de cette même Providence qui a préparé et aplani les chemins du Seigneur et de son Église en faisant naître les conditions d’une extension rapide du christianisme  : Vt autem hujus inenarrabilis gratiae per totum mundum diffunderetur effectus, Romanum regnum diuina prouidentia praeparauit; cuius ad eos limites incrementa perducta sunt, quibus cunctarum undique gentium uicina et contigua esset uniuersitas. Dispositio namque diuinitus operi maxime congruebat, ut multa regna uno confoederarentur imperio, et cito peruios haberet populos praedicatio generalis, quos unius teneret regimen ciuitatis 14.

Ainsi dès la fin du IVe siècle il sera établi que le but de l’histoire de Rome est de fournir des exempla à dépasser, d’établir une aemulatio entre la cité de Dieu et celle de la terre qui pousserait les chrétiens à se surpasser, puisqu’ils travaillent eux pour une gloire et une vie éternelle, comme le dit Augustin 15  : Sed cum illi essent in ciuitate terrena, quibus propositus erat omnium pro illa officiorum finis incolumitas eius et regnum non in caelo, sed in terra; non in uita aeterna, sed in decessione morientium et successione moriturorum: qui aliud amarent quam gloriam, qua uolebant etiam post mortem tamquam uiuere in ore laudantium 16?

Certes ces deux penseurs chrétiens sont postérieurs à l’œuvre de Juvencus mais ils explicitent une pensée qui prend sa source au début du IVe siècle et les éléments qui ressortent de l’analyse des Euangeliorum libri trouvent tout leur sens lorsqu’ils sont replacés dans l’évolution de ce siècle.

  Léo, Serm. 69.   Sur ce point précis, voir l’étude de Simon (1994) et deux ouvrages plus généraux Simon / Benoit (1991) et Momigliano (1978). 14   Léo, Serm. 69, 2. 15  Sur ce sujet chez Augustin, voir Swift (1987) et Thraede (1979)  ; Lamotte (1962). De façon plus générale, cf. aussi Siniscalo (1977). 16  Aug., Ciu. V, 14. 12 13

LE CONTEXTE IDÉOLOGIQUE25



On retrouve cette lutte dans la préface de Juvencus mais transposée en une rivalité littéraire où triomphe le poète chrétien et qui lui vaut une gloire non pas éphémère et humaine mais éternelle car d’ordre divin. L’œuvre de Juvencus, si elle est novatrice dans le domaine de la poésie chrétienne, relève d’une idéologie qui naît avec la politique religieuse de Constantin et va trouver sa pleine expression théorique dans la seconde partie du IVe siècle. Cette conception providentielle de l’empire romain comme continuité de l’histoire sert de point de rencontre décisif entre la culture classique et le christianisme. Il y a là un processus semblable à celui qui a donné naissance à l’Énéide et, replacée dans ce contexte, l’épopée biblique de Juvencus nous apparaît tout autre qu’une tentative superficielle de déguisement épique ou qu’une nostalgique prolongation d’une technique scolaire artificielle. Elle est au cœur d’une mutation décisive, reflet littéraire d’une époque de grands bouleversements historiques et sociaux. 2.  Un transfert philosophique comme continuité de la pensée Sur un plan philosophique, l’évolution de la pensée romaine a amené les païens lettrés à un syncrétisme 17 qui prépare la diffusion du christianisme  : «  Dès ce siècle (IIe siècle) religion et philosophie portent une attention plus nette à l’expérience spirituelle du croyant et donnent également des assurances sur le salut outre-tombe. Les diverses religions, avec leurs rites et leurs cérémonies, convergent dans la satisfaction de ces deux besoins. Leur généralisation progressive transforme l’esprit du monde romain. Le polythéisme mythologique traditionnel se charge luimême de la dévotion religieuse qui s’attache à une divinité entrevue à travers ses représentations. La profusion des cultes et des enseignements, en dépit du caractère exclusif de chacun d’eux, engage à un certain syncrétisme. Il s’agit moins d’une confusion que d’une tendance à prolonger tous les cultes et toutes les religions pour en dégager les requêtes communes. C’est la tâche de la philosophie, devenue très religieuse, qui s’efforce, conformément à sa vocation, de couronner le tout en lui donnant une unité 18.  »

De plus en plus souvent au début du IVe siècle, on rencontre des dédicaces à un dieu unique  : deus aeternus, deus sanctus aeternus, deus magnus aeternus 19.   Ce terme apparaît pour la première fois chez Plutarque qui en formule la théorie en termes de monothéisme de principe et de polythéisme de fait (Isis et Osiris, 67)  : «  Il n’y a pas divers dieux pour divers peuples, il n’y a pas des dieux barbares et des dieux grecs, des dieux du nord et des dieux du sud. Mais de même que le soleil et la lune éclairent tous les hommes, de même que le ciel et la terre et la mer sont à tous, malgré la grande diversité des noms par lesquels on les désigne, de même il y a une seule Intelligence qui règne dans le monde, une seule Providence qui le gouverne, et ce sont les mêmes puissances qui agissent partout, seuls les noms changent ainsi que les formes du culte, et les symboles qui élèvent l’esprit vers ce qui est divin, sont tantôt clairs, tantôt obscurs.  » 18   Paul (1998), p. 45. 19   Dédicace africaine de 338, CIL VIII, 796  : Aeterno numini praestanti propitio sacrum. 17

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CHAPITRE II

Si l’on peut envisager dans cette évolution une influence des cultes orientaux ou du néoplatonisme, le culte du deus aeternus est surtout un culte abstrait né d’une évolution de la religion romaine traditionnelle. P. Batiffol signale très justement que, loin d’être un vague et général sentiment du divin  : «  Le syncrétisme du temps des Sévères est l’effort très conscient d’une élite cherchant à faire du polythéisme un symbolisme, chaque divinité apparente, dieu ou déesse, devenant la vertu d’une divinité diffuse dans l’univers, la multiplicité des noms voilant l’unité du numen anonyme 20.  »

Non seulement sur un plan historique, mais aussi sur un plan idéologique et philosophique, les chrétiens vont voir dans cette évolution le dessein de Dieu pour la diffusion du christianisme. Déjà, peu avant l’époque de Juvencus, le rhéteur africain Arnobe dans son ouvrage Contre les Gentils trouve dans le polythéisme une première marche qui conduit au christianisme, par la voie d’un syncrétisme qui honore le Dieu souverain, maître de tout ce qui existe 21. Pour lui il y a en chaque homme la conscience d’un Dieu souverain maître de tout  : Quisquamne est hominum qui non cum istius principis notione diem primae natiuitatis intrauerit? cui non sit ingenitum, non adfixum, immo ipsis paene in genitalibus matris non inpressum, non insitum esse regem ac dominum cunctorum quaecumque sunt moderatorem? (I, 33, 1)

La prière chrétienne qu’il insère dans le cours de ses arguments reprend les mêmes termes, faisant un lien direct entre philosophie antique et christianisme  : O maxime, o summe rerum inuisibilium procreator… Prima enim tu causa es, locus rerum ac spatium, fundamentum cunctorum quaecumque sunt, infinitus, ingenitus, immortalis, perpetuus, solus. (I, 31, 1)

Cette profession de foi chrétienne, utilisant les termes d’un monothéisme païen, explique comment les chrétiens pourront aussi s’approprier comme prémices de la Révélation l’effort de raison de la philosophie et l’élan vers la divinité 22  : Ipse est enim fons rerum, sator saeculorum ac temporum. Non enim ipsa per se sunt, sed ex eius perpetuitate, perpetua et infinita semper continuatione procedunt. (I, 34, 3)

  Batiffol (1914), p. 189.   Il y a d’ailleurs dans l’héritage biblique des éléments qui préparent l’utilisation du monothéisme païen par les chrétiens  : Melchisedech, le Dieu inconnu du discours de Paul à Athènes… 22   On peut aussi interpréter cette tendance en sens opposé, cf. Monceaux (1905), p. 266 (sur Arnobe)  : «  Il ne voit dans le christianisme qu’une philosophie supérieure  ; il le ramène à l’adoration du Dieu Suprême, révélé par le Christ.  » 20 21

LE CONTEXTE IDÉOLOGIQUE27



Les chrétiens, pour Arnobe, poursuivent le culte de ce prince suprême que cherchent à comprendre et révéler les philosophes mais eux peuvent enfin lui donner un nom  : Nihil sumus aliud christiani nisi magistro Christo summi regis ac principis ueneratores. (I, 27, 1)

Il s’agit de partir d’une évolution déjà constatée dans le paganisme et d’en tirer argument pour la défense du christianisme. Ainsi, Lactance 23 rapporte ce que fut le chant de Licinius lors de la bataille contre Maximin Daia (313)  : Summe deus, te rogamus, Sancte deus, te rogamus.

On peut rapprocher ces termes de ceux de l’édit de Milan, déjà cités  : summa diuinitas cuius religionis liberis mentibus obsequimur. Leur aspect très vague permet l’assimilation entre un monothéisme païen et l’image chrétienne du Dieu unique. Ces arguments du summus deus appartiennent très précisément à l’époque de Juvencus et ne se trouvent ni chez Tertullien, ni chez Cyprien, ni chez Minucius Felix. P. Batiffol, qui les a recensés chez Arnobe, Lactance et Firmus Maternus, les rapproche à juste titre du pouvoir monarchique  : «  La souveraineté de Dieu est un attribut qui transporte le principat politique dans la sphère divine. Le summus deus n’est pas pour rien agréé d’un temps où le principat, avec Dioclétien et Constantin, aboutit à la monarchie absolue, et où l’action personnelle de l’empereur devient ce que Mommsen a appelé ‘le véritable ressort moteur de l’énorme mécanisme de l’Empire’. Cette analogie de l’Empire et du monde, qui n’a pas échappé ni à Arnobe, ni à Lactance, confirme le caractère très romain du summus deus. Très romain et, j’insiste, pas chrétien d’origine. Il appartient à une évolution du paganisme lettré et officiel, évolution qui a sans aucun doute été précipitée par l’influence grandissante du christianisme, mais évolution qui s’est produite dans une élite préoccupée d’assurer une retraite à la religion romaine 24.  »

Cette évolution est récupérée en une sorte de transfert culturel par les chrétiens. Déjà, Méliton de Sardes écrivait à Marc-Aurèle  : «  La philosophie qui est la nôtre a fleuri d’abord chez les barbares. De ce moment, en effet, date le développement grandiose éclatant, de la puissance des Romains dont tu es et seras avec ton fils l’héritier acclamé de nos vœux, si tu laisses vivre cette philosophie qui, contemporaine d’Auguste, a été en quelque sorte la sœur de lait de l’Empire, et que les ancêtres ont respectée à l’égal des autres cultes. Et ce qui prouve bien que notre doctrine est destinée à partager la prospérité de l­’Empire, 23 24

 Lact., Mort. 46, 6.  Batiffol (1914), p. 189 et p. 199-200.

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CHAPITRE II

c’est que depuis Auguste, vous n’avez connu aucun revers, et que vous avez au contraire récolté en tout succès et gloire à souhait 25.  »

Ainsi, dans l’héritage de la pensée philosophique et religieuse comme dans l’histoire politique, sans totalement renier le lien avec le passé juif, les chrétiens vont avoir tendance à y substituer un autre passé, celui des Romains, comme chemin préparé par la Providence divine pour le triomphe du christianisme. Comme l’histoire triomphale du peuple romain, la philosophie gréco-latine va devenir un piédestal pour la diffusion du christianisme. Les auteurs chrétiens ne se contentent pas d’emprunter la forme ou les cadres de pensées des philosophes païens, ils en font, comme les prophètes préparant le chemin du Seigneur, des précurseurs dont l’intelligence s’est élevée jusqu’à l’intuition de Dieu et a ouvert la voie au Christ sous l’influence de la providence divine 26. Cette évolution se fait progressivement, d’abord par l’emprunt de concepts et de méthodes d’analyse philosophique  ; les thèmes platoniciens ou stoïciens sont utilisés pour parler de l’âme ou des rapports de Dieu et du monde, de la classification des vertus, mais dans une transposition nourrie de la pensée propre du christianisme. Le dogme même s’élabore à partir d’un vocabulaire philosophique  ; ainsi la notion de Trinité sera exprimée par les termes de «  personne  » ou de «  substance  », la divinité et l’humanité du Christ par celui de «  nature  ». Au temps de Juvencus nous sommes encore à une époque où la double utilisation d’un même vocabulaire par les païens et les chrétiens nourrit l’ambiguïté et la complexité d’une pensée qui va se clarifier et s’amplifier dans la recherche doctrinale et théologique des Pères de l’Église du IVe siècle. D’une façon générale, pour ces Pères, la vérité est éparpillée dans les systèmes philosophiques, mais aucun penseur ne peut la saisir dans son intégralité. C’est la lumière du Christ qui seule permet de rassembler tous les éléments de la vérité et de redonner l’unité manquante. La sagesse vient de Dieu, la philosophie est invention de la pensée humaine. Dans leur quête, les philosophes ont erré sur des chemins de traverse, n’ont ramassé que des fragments brillants mais incomplets. Seul le Christ est le chemin de cette vérité, capable de donner sens et direction à la vie humaine. Comme le rappelle J. Paul  : «  Intellectuellement, l’attrait qu’exerce la philosophie se marque dans l’affectation de croire que les doctrines des grands philosophes concordent sur des points essentiels avec l’enseignement de l’Écriture. Il en irait ainsi pour la doctrine des idées de Platon ou pour celle de l’incarnation de l’âme de Plotin jugées compatibles avec l’enseignement de l’Évangile de saint Jean. Les écrivains chrétiens accueillent avec trop de complaisance l’opinion de l’historien juif Joseph qui discernait chez les philosophes une influence de la Bible. Cette idée, reprise par  Eus., Hist. Eccl. IV, 26, 10.  Sur la question des rapports entre christianisme et philosophie antique  : Von Ivanka (1964)  ; Courcelle (1964), (1965) et (1984)  ; Ritter (1984)  ; Van Uytfanghe (1989). 25

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LE CONTEXTE IDÉOLOGIQUE29



Justin, est transmise par lui aux écrivains chrétiens. Ils revendiquent tous pour la Bible le privilège de l’antériorité dans la doctrine, ce qui n’est pas mince dans l’Antiquité. Le voyage de Platon en Égypte étaye ces fantaisies qui ne font que traduire le prestige de la philosophie et le secret désir des chrétiens d’en tirer quelque chose à eux 27.  »

Ce sont les textes de Lactance (260-325) qui nous permettent de cerner au plus près la pensée chrétienne sur la philosophie au temps de Juvencus  ; Les Institutions chrétiennes se présentent comme une discussion contre les philosophes, démontrant dans les trois premiers livres «  la fausse religion  », «  l’origine de l’erreur  » et la «  fausse sagesse  »  ; mais se dégage aussi de la pensée philosophique latine l’idée du salut chrétien partant de la vocation de l’homme à rechercher Dieu. Plus qu’une opposition entre fausse et vraie sagesse, paganisme et christianisme sont perçus dans le prolongement l’un de l’autre, dans un passage de l’erreur partielle par ignorance à la vérité complète révélée par le Christ  : Erant illi quidem ueritatis cognitione dignissimi, quoniam scire tanto opere cupiuerunt atque ita ut eam rebus omnibus anteponerent… Sed neque adepti sunt id quod uolebant, et operam simul atque industriam perdiderunt, quia ueritas, id est arcanum summi Dei, qui fecit omnia, ingenio ac propriis sensibus non potest comprehendi… Quod quia fieri non potuit ut homini per se ipsum ratio diuina notesceret, non est passus hominem Deus lumen sapientiae requirentem diutius errare ac sine ullo laboris effectu uagari per tenebras inextricabiles: aperuit oculos eius aliquando et notionem ueritatis munus suum fecit, ut et humanam sapientiam nullam esse monstraret et erranti ac uago uiam consequendae immortalitatis ostenderet 28.

Pour Lactance, le fait même que les philosophes grecs aient cherché la sagesse chez les Égyptiens et les Perses sans aller chez les Juifs est la marque de la divine Providence  : Quid autem putemus fuisse causae cur tot ingeniis totque temporibus summo studio ac labore quaesita non reperiretur, nisi quod eam philosophi extra fines suos quaesierunt? … Vnde equidem soleo mirari quod, cum Pythagoras et postea Plato amore indagandae ueritatis incensi ad Aegyptios et Magos et Persas usque penetrassent, ut earum gentium ritus et sacra cognoscerent (suspicabantur enim sapientiam in religione uersari), ad Iudaeos tantum non accesserint, penes quos tunc solos erat, et quo facilius ire potuissent. Sed auersos esse arbitror diuina prouidentia ne scire possent ueritatem, quia nondum fas erat alienigenis hominibus religionem Dei ueri iustitiamque notescere. Statuerat enim Deus, appropinquante ultimo tempore, ducem magnum caelitus mittere qui eam perfido ingratoque populo ablatam ceteris nationibus reuelaret 29.  Paul (1998), p. 54-55.   Lact., Inst. I, 3-6. 29  Lact., Inst. IV, 2-6. 27 28

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CHAPITRE II

Là encore se fait, à la fin de ce passage, le transfert d’héritage du peuple choisi initialement, les Juifs, aux chrétiens  ; parce qu’ils ont refusé de reconnaître le Verbe dans sa vérité, les Juifs ont perdu au profit des chrétiens leur place de peuple élu  ; les chrétiens sont au centre d’une rencontre des sages païens et des prophètes juifs. Ils unifient l’histoire de l’humanité dans un but poursuivi par Dieu depuis le commencement du monde. Cette continuité entre la pensée classique et le christianisme, oscillant entre émulation et récupération nous présente la philosophie antique comme héritage à la fois controversé et assumé qui va servir à l’organisation et l’expression de la pensée chrétienne. À la fin du IVe siècle cette conception sera clairement énoncée  ; partant du De officiis de Cicéron et reprenant les catégories philosophiques de la beauté morale et de l’utile, Ambroise explicite ce qui, dans la conception même des devoirs, le sépare de la philosophie  : Non superfluum igitur scriptionis nostrae est opus quia officium diuersa aestimamus regula atque illi aestimauerunt. Illi saeculi commoda in bonis ducunt, nos haec etiam in detrimentis 30.

Mais il n’en rapproche pas moins dans son analyse du Psaume 113, le «  connaistoi toi-même  » des philosophes grecs du nisi scias te decoram inter mulieres de Salomon pour donner l’autorité de ce précepte à la sagesse biblique 31. C’est le sens même des termes qui est transformé de l’intérieur par la vision chrétienne du monde, tandis que la vision chrétienne du monde prend forme dans les termes de la philosophie antique 32. Dans un même temps, les lettres et la philosophie profanes sont perçues en matière d’éducation comme préparation à ce qui est la tâche supérieure du chrétien, la compréhension et la méditation de l’Ancien et du Nouveau Testament. On connaît bien le texte des Confessions d’Augustin, où il présente la lecture de l’Hortensius comme l’étape décisive de

 Ambr., Off. I, 9, 29.  Ambr., In Ps. CXVIII, 2, 13-14 (CSEL, 62)  : Nosce te ipsum, quod Apollini Phythio adsignant gentiles uiri, quasi ipse auctor fuerit huius sententiae, cum de nostro usurpatum ad sua transferant et longe anterior Moyses fuerit, qui scripsit librum deuteronomii, quam philosophi qui ista finxerunt. Vnde et Salomon oraculum diuinum secutus scripsit in Canticis canticorum: “Nisi scias te decoram inter mulieres” (…). Sur ce passage, cf. Courcelle (1975), p. 117-118 et, sur l’ancienneté comme argument pour le christianisme, Fraïsse (2003). 32  Paul (1998), p. 58  : «  Un contenu chrétien se glisse dans ces cadres et en modifie subtilement le sens. Ainsi, la vertu, qui était pour Cicéron, comme pour tous les moralistes païens, le bien suprême, devient, chez saint Ambroise, le moyen d’accéder au bien suprême des chrétiens. L’altération littéraire est discrète, la transformation réelle fondamentale. C’est le parfait exemple d’une littérature de transposition qui accommode la forme littéraire, les cadres mentaux, les principes juridiques et moraux aux exigences de la révélation chrétienne. D’un certain point de vue, c’est une littérature d’imitation qui cède au conformisme rhétorique et innove discrètement sur le contenu.  » 30 31

LE CONTEXTE IDÉOLOGIQUE31



sa conversion, ou plutôt de son retour au Christ par la voie de la sagesse philosophique  : Ille uero liber mutauit affectum meum et ad te ipsum, Domine, mutauit preces meas et uota ac desideria mea fecit alia. Viluit mihi repente omnis uana spes et immortalitatem sapientiae concupiscebam aestu cordis incredibili et surgere coeperam ut ad te redirem 33.

Mêlant étroitement au paragraphe huit les avertissements de Cicéron contre les faux sages et ceux de saint Paul contre la fausse sagesse du monde 34, il rapproche la philosophie de la sagesse divine  : Quomodo ardebam, deus meus, quomodo ardebam reuolare a terrenis ad te, et nesciebam quid ageres mecum! Apud te est enim sapientia. Amor autem sapientiae nomen graecum habet philosophiam, quo me accendebant illae litterae 35.

Il présente la philosophie comme la première incitation à la recherche de la vérité et de la sagesse que l’on ne peut trouver, au prix d’un long cheminement, que dans la plénitude du Christ. Augustin voit très clairement dans cette progression la main de Dieu qui guide l’homme selon ses capacités. La philosophie ouvre l’esprit de l’homme à la conscience de l’existence de Dieu  : Sed tunc lectis Platonicorum illis libris posteaquam inde admonitus quaerere incorpoream ueritatem inuisibilia tua per ea quae facta sunt intellecta conspexi et repulsus sensi, quid per tenebras animae meae contemplari non sinerer, certus esse te… 36.

Elle lui permet de concevoir enfin la voie unique de la sagesse, le Christ, seul chemin vers un but que les philosophes désignent sans pouvoir le suivre jusqu’au bout, ayant simplement l’intuition de ce qui ne peut être que don de Dieu  : In quos me propterea, priusquam scripturas tuas considerarem, credo uoluisti incurrere, ut inprimeretur memoriae meae, quomodo ex eis affectus essem et curantibus digitis tuis contectarentur uulnera mea, discernerem atque distinguerem, quid interesset inter praesumptionem et confessionem, inter uidentes, quo eundum sit, nec uidentes qua, et uiam ducentem ad beatificam patriam non tantum cernendam sed et habitandam 37.  Aug., Conf. III, 4, 7.   De façon semblable, Eusèbe de Césarée dans sa Préparation évangélique (Eus. XIII, 3, 40), mêle Platon et la Bible (trad. É. des Places)  : «  C’est pourquoi aussi, à propos de la divine Écriture, où il est dit que Dieu inflige des maux aux hommes, il faut reprendre les expressions de Platon, ‘que Dieu faisait œuvre juste et bonne’, que, s’il infligeait à ceux qui les méritaient les horreurs que le monde regarde comme des maux, ‘ceux-là gagnaient à ce châtiment’, non seulement d’après le philosophe, mais d’après l’Écriture des Hébreux qui dit  : ‘celui qui aime le Seigneur, il le réprimande  ; il corrige tout fils qu’il accueille.’  » 35  Aug., Conf. III, 4, 8. 36  Aug., Conf. VII, 20, 26. 37   Aug., Conf. VII, 20, 26. 33

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CHAPITRE II

Ainsi, tout au long de ce IVe siècle qu’ouvre l’œuvre de Juvencus, va se développer la conscience d’un héritage philosophique qu’il ne s’agit pas d’intégrer de force ou d’utiliser mécaniquement comme un cadre intellectuel, mais qui est conçu comme une préparation voulue par Dieu à son œuvre de salut, la quête de la sagesse humaine rencontrant la révélation divine. Ce que les prosateurs et les penseurs chrétiens ont explicité dans leurs écrits se trouve, pour le domaine littéraire et plus précisément celui de l’épopée, dans l’œuvre de Juvencus. Si l’on considère l’importance, dans les cadres de pensée et d’éducation de cette époque, et de la philosophie et de la poésie épique, on comprend assurément pourquoi un auteur comme Juvencus souhaite donner à l’épopée un rôle dans la construction de la littérature chrétienne. 3.  La lutte anti-chrétienne des intellectuels païens Cette vision à la fois historique, philosophique et littéraire d’un monde antique préparant l’empire chrétien est très loin d’être acquise en ce début du IVe siècle. Les intellectuels païens vont mettre toutes leurs forces à s’opposer à cette assimilation et revendiquer une culture classique liée à la religion païenne. La réaction à la montée en puissance du christianisme a d’abord été politique, faite à la fois de mépris pour cette superstition nouvelle qui touchait les milieux populaires et paraissait synonyme d’inculture 38, et de volonté de régler la question pour maintenir la cohésion sociale nécessaire à l’unité de l’empire romain. Mais la diffusion du christianisme au sein de milieux plus cultivés et les efforts pour accorder la doctrine nouvelle aux acquis du platonisme et du stoïcisme, la culture commune qui mettait à égalité des auteurs comme Celse et Origène tant sur le plan des connaissances intellectuelles que sur celui de la dialectique, font naître une rivalité d’idées où chaque parti s’efforce de mettre en évidence les contradictions de l’autre. Dès 160 la propagande chrétienne trouve en face d’elle des philosophes païens qui réfutent en détail ses idées. Les écrits de Justin et de Tatien nous informent de controverses fréquentes entre chrétiens et païens  ; on trouve dans l’Octavius une allusion à un discours de Fronton contre les païens. Les adversaires des chrétiens attaquaient de front avec toutes les ressources de la dialectique sur ce qui étaient des divergences profondes de la pensée grecque et du christianisme  : création du monde et de l’homme ex nihilo, présence d’un médiateur entre Dieu et l’humanité, conception du monde tourné vers un but eschatologique face à un cosmos païen sans histoire et sans destin. Ainsi Celse, connu par la réfutation d’Origène datée de 248, utilise la méthode comparative pour dénoncer brutalement le christianisme en le ­réduisant au ­rang 38   Lucien parle dans le Pérégrinus du christianisme comme d’une folie inoffensive montrant à la fois une connaissance des détails de la religion chrétienne et une méconnaissance de la vie spirituelle qui la sous-tend.

LE CONTEXTE IDÉOLOGIQUE33



des fictions de l’antiquité païenne face à la connaissance ­ philosophique. Le ­néoplatonicien Porphyre, dans son grand traité en quinze livres contre les chrétiens écrit après 268 dont nous connaissons les grandes idées par ses réfutateurs chrétiens, en particulier Eusèbe de Césarée, Apollinaire de Laodicée et Augustin, dénonce une foi irrationnelle, une incarnation inacceptable dans l’ordre du cosmos, des récits bibliques absurdes, un rite eucharistique barbare. Il entreprend également de lutter, en philologue, contre le travail théologique et linguistique d’analyse de la Bible mené à la fin du IIe siècle par Tertullien, Hippolyte de Rome, Novatien, Jules l’Africain et Origène. C’est également par les polémistes chrétiens et par la littérature de réfutation philosophique et de quaestiones qui se met en place au IIIe siècle que nous connaissons d’autres adversaires du christianisme, le néoplatonicien Cornelius Labeo, Hieroclès (décrit par Lactance au livre V des Institutions) ou d’autres adversaires anonymes 39. Ces premières réfutations anti-chrétiennes montrent l’inquiétude grandissante des païens qui considèrent la culture traditionnelle comme fondation de l’empire romain et base de toute civilisation. Si les païens cultivés éprouvent un scepticisme marqué envers les mythes de la religion antique, ils veulent défendre le culte public qui leur apparaît comme la structure même de la cohésion sociale 40. Ainsi, le personnage de Caecilius dans l’Octauius de Minucius Felix plaide pour une foi reposant sur le nationalisme romain et sur le respect du mos maiorum 41. Par ailleurs comme le signale G. Boissier, à partir de Marc-Aurèle «  le paganisme essaie de se réformer sur le modèle de la religion qui le menace et qu’il combat 42.  » L’influence est donc à double sens  ; si le christianisme tente de se couler dans la pensée philosophique gréco-romaine, le paganisme entreprend une rénovation religieuse répondant aux aspirations pieuses et individuelles des Romains en quête de réponses mystiques. Le néoplatonisme s’applique à concilier le polythéisme traditionnel et le monothéisme philosophique, le paganisme s’inspire des nouvelles valeurs des cultes à mystères 43. Plus encore se ­développe   Lact., Inst. II, III, 22. Il cite également l’Asclépius du Pseudo Apulée, Inst. IV, 6, 4.   Arnobe au livre III, 6 de son ouvrage Aduersus Nationes montre jusqu’où pouvait aller l’effort anti-chrétien de cette époque  ; certains païens étaient prêts à supprimer les ouvrages de Cicéron dont le scepticisme religieux fournissait, selon eux, des armes aux chrétiens  : «  N’y-en-a-t-il pas d’autres dont je perçois les murmures indignés, et qui déclarent que le Sénat devrait porter un décret d’anéantissement contre ses ouvrages, où la religion chrétienne trouve confirmation et qui annulent l’autorité des anciennes traditions.  » 41   Les païens cultivés de ce temps auraient sans doute fait leurs les mots de Symmaque  : Instituta maiorum, patriae iura et fata defendimus, Relatio III, 2. 42  Boissier (1909), p. 18. 43   Augustin évoque encore à son époque le culte des mystères «  où s’enthousiasmait alors presque toute la noblesse romaine  », Conf., VIII, 2, 3. Cf. aussi P rud., Sym. I, 566-579. 39 40

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CHAPITRE II

une organisation parallèle à celle de l’Église qui appuie le maintien des traditions du culte païen sur l’élite des magistrats municipaux 44. Au début du IVe siècle la situation est beaucoup plus nuancée que certains écrits triomphants des chrétiens ne le laissent penser. L’enseignement reste le bastion d’éminents défenseurs du paganisme et comme le souligne P. de Labriolle  : «  Malgré ces défections, la position de la noblesse païenne restait très forte. L’État chrétien – au moins jusqu’en 408 – observait un réel libéralisme à l’égard des personnes. Il arrivait, certaines années, que presque tous les leviers de commande fussent aux mains de hauts fonctionnaires païens. D’autre part, quantité de philosophes, de sophistes, de grammairiens, de rhéteurs perpétuaient dans les écoles le culte de l’ancienne littérature et de la vieille religion, avec l’attachement obstiné du métier comme autant de Chateaubriands païens en extase devant le génie du Paganisme. En Orient surtout, leur rôle était prépondérant. Les chrétiens savaient l’influence qu’ils exerçaient sur la jeunesse et ne leur ménageaient pas les épithètes irritées… En fait, le haut enseignement resta entre les mains des païens jusqu’à la fin du Ve siècle  ; et ce fut là une des raisons les plus efficaces de la persistance de l’ancienne foi dans les classes cultivées, en dépit de tant d’édits impériaux et de mesures rigoureuses, dont certaines connivences amortissaient souvent les effets 45.  »

Cet état de fait explique la persistance de l’ancienne foi dans les classes cultivées que l’application de l’édit de Milan, dans un premier temps au moins, ne brime pas, tant demeure la liberté de culte pour tous au nom du bien public. Heurtés dans leur traditionalisme et leur admiration littéraire, les païens rejettent des textes bibliques exprimant en un langage inélégant des réalités étrangères. À l’époque de Juvencus, les discussions entre chrétiens et païens révèlent deux mentalités à la fois proches et profondément étrangères. L’analogie de pensée est celle d’une haute spiritualité 46 mais la conception du monde et de l’homme reste radicalement différente.

  De nombreux hauts fonctionnaires défendent l’hellénisme, Anatolus de Beryte, préfet d’Illyrie, Justus, préfet d’Asie, Hilarius, gouverneur de Lydie. Le milieu des lettrés, responsable de l’éducation de l’aristocratie, reste le plus imperméable aux profondes influences du christianisme. Les vies de Sophistes d’Eunape de Sardes montrent par exemple qu’au milieu du IVe siècle le paganisme garde encore des soutiens solides. 45   Labriolle (2005 [1934]), p. 341-342. 46   Voici par exemple un passage du néoplatonicien Porphyre, adversaire des chrétiens que ceux-ci n’auraient pas démenti  : Épître à Marcella, 7, 20, cité par Labriolle (2005 [1934]), p. 224  : «  La religion a quatre fondements principaux  : la foi, la vérité, l’amour, l’espérance. Il faut croire, parce qu’il n’y a pas de salut pour qui ne se tourne pas vers Dieu  ; il faut mettre tous ses soins, toute son application à connaître la vérité sur Dieu  ; quand on la connaît, il faut l’aimer, quand on l’aime, il faut nourrir son âme de nobles espérances au sujet de la vie. C’est par les nobles espérances que les bons l’emportent sur les mauvais  ; tels sont les fondements de la religion.  » 44



LE CONTEXTE IDÉOLOGIQUE35

Pour les païens de cette époque, les chrétiens ne sont plus des adversaires incultes pris par une folie étrangère, ils sont des ennemis intérieurs, partageant une même culture, une même civilisation, mais prêts à en saper les fondements religieux et littéraires 47. Peu à peu les voix de l’opposition païenne vont s’espacer et s’éteindre pour laisser la place à la vision d’un christianisme triomphant qui va réécrire l’histoire du IVe siècle en une marche conquérante vers l’unité mais sans en masquer totalement les tâtonnements que nous restituent, en particulier, les œuvres polémiques chrétiennes.

47   Libanios dénonce en ces termes la politique religieuse de Constance  : «  L’avilissement de la religion s’étendit aux lettres et cela se conçoit, car la religion et les lettres se tiennent par une étroite parenté  ; elles sont sœurs.  » (Or. 62, 8, Fürster, IV, 350).

Chapitre III

Le contexte culturel et littéraire 1.  Culture païenne et christianisme  : quae uetus atque nouus congeminauit odor 1 Cette situation d’équilibre incertain que l’on observe sur le plan historique et social, cette fusion idéologique et philosophique entre le monde gréco-romain et le christianisme, non dépourvues de luttes, de rejets réciproques et de tensions, peuvent être vues à la fois comme la continuité d’une romanité classique et l’amorce d’un monde nouveau où le christianisme jouera un rôle prépondérant. On retrouve cette oscillation entre deux mondes également dans le contexte littéraire et culturel qui voit naître l’œuvre de Juvencus. 1.1.  Ambivalence des chrétiens envers les modes de pensées païens Bien des études ont montré que l’hostilité des chrétiens envers la littérature païenne était ambivalente 2. Les causes de rejet sont évidentes et le réquisitoire de Lactance dans les Institutions divines en donne un résumé vigoureux  : stérilité verbeuse et futilité des écrivains contemporains, érudits qui n’ont plus rien ou plus grand-chose à dire mais qui le disent avec un art parfait 3, scandale d’une littérature crue parfois jusqu’à l’obscénité, affichant complaisamment raffinement de mollesse, cynisme, brûlure des passions et volupté devenue art de vivre 4  ; mais aussi, ce qui est plus grave, danger d’une parole où la technique et l’habileté peuvent l’emporter sur la vérité, où le bien et le mal peuvent varier selon leur présentation, parole reflet d’un monde perverti où l’on rougit   Arat., Ad. Parth. 76.   De façon plus générale sur ces conflits entre païens et chrétiens, on trouvera des éléments intéressants dans l’ouvrage déjà ancien de Labriolle (2005 [1934]) et dans les ouvrages plus récents de MacMullen (1998) et de Thélamon (1981). 3   Cette critique des chrétiens est parfois relayée, non sans une certaine coquetterie d’artiste, par les païens eux-mêmes. Symmaque en arrive à avouer à son frère Flavien  : quousque enim dandae ac reddendae salutationis uerba blaterabimus cum alia stilo materia non suppetat? (II, 35, 2) ou Loquax enim copia est quae in re usitata atque sollemni uerborum redundat eluuie (II, 69). 4   Voici les reproches qu’Augustin adresse à Homère (Conf. I, 16, 25)  : … fingebat haec quidem ille, sed hominibus flagitiosis diuina tribuendo, ne flagitia flagitia putarentur et ut quisquis ea fecisset, non homines perditos, sed caelestes deos uideretur imitatus. 1 2

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CHAPITRE III

d­ avantage d’enfreindre les règles de la grammaire que les préceptes de la morale 5. Mais cette charge relève plus, dans les milieux cultivés, d’une défense contre les attaques sur l’inélégance littéraire des textes bibliques et d’une difficulté à séparer littérature et religion païenne que d’une hostilité réelle envers une culture fondatrice. Lorsqu’on se tourne vers la philosophie antique, les causes d’une défiance intuitive sont évidentes. L’idée d’une pensée qui s’affirme libre, critique, capable d’atteindre ou même seulement de rechercher la sagesse suprême par les seules forces humaines, apparaît aux chrétiens comme une tentative diabolique, la manifestation d’un orgueil et d’une indépendance qui dès l’origine ont causé le malheur de l’homme face à Dieu. Comme l’écrit J. Paul  : «  L’incompatibilité est facile à mettre en lumière. Le philosophe antique est un sage dont le savoir est principe de vie et de moralité. On devient philosophe par un détachement du monde qui n’est pas sans rappeler, par ses aspects les plus visibles, la conversion chrétienne. Dès lors, il y a concurrence dans l’ambition d’expliquer le destin humain et de donner une règle de vie. L’incompatibilité est plus visible encore au niveau des doctrines. Même religieuses et mystiques, les philosophies n’admettent pas la révélation, sinon celle qui tient à l’inspiration intérieure. Elles demeurent rationnelles jusque dans leurs spéculations sur l’âme. Elles entendent également intégrer dans leurs spéculations universelles toutes les religions particulières. Certains systèmes gnostiques vont très loin dans ce sens. Les philosophes, enfin, sont les premiers à comprendre ce que signifie le christianisme et à le dénoncer dans des ouvrages rigoureux et pertinents comme celui de Porphyre “Contre les chrétiens” 6.  »

Enfin la culture traditionnelle païenne est, pour les chrétiens, tout entière vanité puisqu’elle place l’élégance de la parole avant la recherche des valeurs spirituelles. Le recours à une technique oratoire, l’attirance pour la beauté du style deviennent alors autant de trahisons envers la vérité de la parole divine 7. Mais l’attirance qu’exercent la philosophie et la rhétorique est plus subtile. Devenir un philosophe chrétien, c’est concilier l’éducation littéraire reçue et la  Aug., Conf. I, 18, 28  : … mihi imitandi proponebantur homines, qui aliqua facta sua non mala si cum barbarismo aut soloecismo enuntiarent, reprehensi confundebantur, si autem libidines suas integris et rite consequentibus uerbis copiose ornateque narrarent, laudati gloriabantur? 6  Paul (1998), p. 54. 7   Le fameux songe de saint Jérôme montre avec force qu’on ne peut servir deux maîtres  : Dieu et la littérature. Les coups de fouet punissent la mauvaise réponse de Jérôme, et ne sont pas sans rappeler les châtiments corporels des écoliers récalcitrants, ils inscrivent dans la chair de Jérôme la séparation fondamentale entre culture païenne et religion, Hiér., Ep.  XXII, 30  : Ciceronianus es, non Christianus; ubi thesaurus tuus, ibi et cor tuum… Et tanto dehinc studio diuina legisse quanto mortalia ante non legeram. Ce texte a généré, comme on le sait, nombre de commentaires, cf. Antin (1963)  ; Adkins (1984)  ; Miller (1994), p.  205-231 (chap.  8  : «  Jerome and His Dreams  »)  ; Shaw (2003), p. 546-548. 5

LE CONTEXTE CULTUREL ET LITTÉRAIRE39



nouveauté du message évangélique, revendiquer l’antériorité de la doctrine chrétienne tout en utilisant le vocabulaire et les catégories de pensée des philosophes païens. C’est particulièrement vrai pour les écrivains latins à qui le long travail d’accommodation nécessaire aux Grecs a été épargné 8. Tout au long du IVe siècle on retrouve, sur le plan littéraire, la même évolution que sur les plans historique et philosophique. Cette éducation chère au cœur des lettrés chrétiens va devenir une propédeutique à l’approfondissement de la Bible. Aussi le même Jérôme qui protestait  : Quid facit cum psalterio Horatius  ? Cum euangeliis Maro  ? Cum apostolo Cicero  ? 9, soulignant l’opposition entre ces deux univers, explique, des années plus tard, à Magnus comment il utilise la culture classique à la gloire de Dieu  : Quid ergo mirum, si et ego sapientiam saecularem, propter eloquii uenustatem et membrorum pulchritudinem, de ancilla atque captiua Israhelitin facere cupio, si quidquid in ea mortuum est idolatriae, uoluptatis, erroris, libidinum, uel praecido uel rado, et mixtus purissimo corpori uernaculos ex ea genero Domino ­sabaoth? 10

Certes, les premiers chrétiens ont parfois été tentés de rejeter complètement la culture gréco-latine en un geste de conversion radicale 11. Ainsi Tertullien proclame que la littérature et les spectacles qui en découlent ne sont que sottise aux yeux de Dieu et doivent être abandonnées comme inutiles et nuisibles par le chrétien  : Si et doctrinam saecularis litteraturae ut stultitiae apud Deum deputatam aspernamur, satis praescibitur nobis et de illis speciebus spectaculorum quae saeculari litteratura lusoriam vel agonisticam scaenam dispungunt. Quodsi tragoediae et comoediae scelerum et libidinum auctrices cruentae et lascivae, impiae et prodigae, nullius rei aut atrocis aut uilis commemoratio melior est: quod in facto reicitur etiam in dicto non est recipiendum 12.

  Labriolle (1947), p. 7  : «  Dès son aurore, la littérature latine chrétienne nous apparaît telle qu’elle continuera d’être dans la suite  : soucieuse non seulement de répandre des idées, mais aussi de les insinuer par l’art, et, selon l’image de Lucrèce, d’enduire de miel les bords de la coupe, pour corriger le breuvage parfois amer de la vérité  : … Pocula circum / Contingunt mellis dulci flauoque liquore (De natura rerum IV, 13). Il n’y a donc pas eu entre la littérature latine profane et la littérature chrétienne le divorce qui a longtemps séparé l’hellénisme chrétien et l’hellénisme païen.  » 9  Hier., Ep. XXII, 29. 10   Hier., Ep. LXX, 2. 11   Au départ de cette façon de penser des chrétiens il y a bien évidemment les paroles de saint Paul  : «  Pour moi, frères, quand je suis venu chez vous, je ne suis pas venu vous annoncer le témoignage de Dieu avec le prestige de la parole ou de la sagesse (…) et ma parole et mon message n’avaient rien des discours persuasifs de la sagesse  » (I Cor.  2,  1)  ; «  Car le Christ ne m’a pas envoyé baptiser mais annoncer l’Évangile, et sans recourir à la sagesse du langage pour que ne soit pas réduite à néant la croix du Christ.  » (I Cor. 1, 17). 12  Tert., Spect. XVII, 6-7. 8

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CHAPITRE III

Mais dans l’ensemble ils ont eu conscience de la destruction qu’une attitude aussi tranchée pouvait entraîner  ; tous les efforts des philosophes antiques pour expliquer le monde et l’homme, pour créer un cadre de pensée, toutes les tentatives des poètes pour transcender la beauté par l’imagination devaient-ils être sacrifiés à une vérité supérieure ou au contraire être mis à son service  ? Comme l’explique R. Green 13  : «  There is a danger that perceptions of his reading may be unduly influenced by such well-known attacks on classical ideals as those of Augustine’s Confessions or Jerome’s account of the night-mare in which he was beaten for preferring Cicero to Christ, comments which are not even typical of their authors. In the third century strongly divergent models of attitudes to classical culture were provided by Tertullian and Minucius Felix, and are indeed attested within a single author such as Cyprian.  »

La fin du IIIe siècle et le premier tiers du IVe siècle sont une période charnière où le christianisme va s’installer en héritier de la culture classique et passer d’un refus de principe à une véritable appropriation. Loin de mépriser les critiques des païens lettrés, les écrivains chrétiens latins de cette période les recensent soigneusement pour pouvoir les réfuter. Ces accusations sont variées autour d’un même thème  : les chrétiens ne sont qu’une secte qui ramasse des adeptes de basse extraction et sans culture 14. Ces gens-là s’autorisent à donner leur avis sur des sujets qui ne peuvent concerner que les plus grands philosophes  : Itaque indignandum omnibus, indolescendum est audere quosdam, et hoc studiorum rudes, litterarum profanos, expertes artium etiam sordidarum, certum aliquid de summa rerum ac maiestate decernere, de qua tot omnibus saeculis sectarum plurimarum usque adhuc ipsa philosophia deliberat 15.

Cette glorification de l’ignorance est un choix pervers et délibéré qui permet à quelques-uns d’avoir du pouvoir sur des foules incultes  : «  Car, de même que souvent parmi eux des hommes pervers prennent avantage de l’ignorance de gens faciles à tromper et les mènent à leur guise, ainsi en va-t-il des chrétiens. Certains, ne voulant pas même donner ni recevoir de raison sur ce qu’ils croient, usent de ces formules  : ‘n’examine pas, mais crois  ; la foi te sauvera’ 16.  »

C’est aussi un aveu d’impuissance, la preuve même que leur religion ne peut concerner que des ignorants, ce qui attire le mépris de Celse dès le IIe siècle  : «  Voici leurs mots d’ordre  : arrière quiconque a de la sagesse, quiconque a du jugement  ! Autant de mauvaises recommandations à nos yeux  ! Mais se trouve-t-il un  Green (2006), p. 12.   Minuc., Octauius VIII, 4  : de ultima faece collectis imperitioribus et mulieribus credulis sexus sui facilitate labentibus. On trouve la même accusation chez Celse d’après Origène dans son ouvrage Contre Celse III, 18. 15   Minuc., Octauius V, 4. 16  Celse d’après Origène I, 9. 13 14

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ignorant, un insensé, un inculte, un petit enfant, qu’il approche hardiment  ! En reconnaissant que de tels gens sont dignes de leur Dieu, ils montrent bien qu’ils ne veulent et ne peuvent convaincre que des gens niais, vulgaires, stupides  : esclaves, bonnes femmes et jeunes enfants 17.  »

Les chrétiens du IIIe siècle comprennent d’autant mieux la nécessité de répondre à ces accusations qu’ils partagent, pour avoir reçu la même éducation que ces païens, leur effarement devant le style de la Bible en particulier dans ses premières traductions en latin 18. À toutes ces accusations des philosophes païens s’opposent deux réponses différentes mais non contradictoires. D’abord, la simplicité inculte de l’Écriture Sainte est la marque même de la vérité  ; Arnobe répond ainsi à l’ironie de ses adversaires  : Sed ab indoctis hominibus et rudibus scripta sunt et idcirco non sunt facili auditione credenda. – Vide ne magis haec fortior causa sit cur illa sint nullis coinquinata mendaciis, mente simplici prodita et ignara lenociniis ampliare. – Triuialis et sordidus sermo est. – Numquam enim ueritas sectata est fucum nec quod exploratum et certum est circum duci se patitur orationis per ambitum longiorem 19.

Il est intéressant de noter que chrétiens comme païens jugent en fait de la même façon le style de l’Écriture  ; les uns comme les autres y voient l’œuvre d’hommes ignorants et incultes, incapables de «  rehausser  » ce qu’ils écrivent des «  séductions  » de la rhétorique. Ils divergent sur la valeur de cette simplicité, pas sur cette simplicité. Il ne leur vient pas à l’idée que cette prétendue simplicité est en fait une autre rhétorique, une autre poétique, que le style de la Bible est en réalité extraordinairement riche. Païens comme chrétiens jugent selon les mêmes valeurs, celles de la romanité que Juvencus va introduire par le biais de l’épopée en déjudaïsant l’Évangile de Matthieu. Par la suite, au fur et à mesure qu’au cours du IVe siècle se développe l’étude des textes bibliques, cette réponse se précise. Ainsi Jérôme écrit au prêtre Paulin que les textes sacrés ont plusieurs niveaux de lecture selon le degré de culture et d’instruction du lecteur. Tous y trouvent profit  : Nolo offendaris in scripturis sanctis simplicitate et quasi uilitate uerborum, quae uel uitio interpretum uel de industria sic prolatae sunt, ut rusticam contionem facilius instruerent, et in una eademque sententia aliter doctus, aliter audiret indoctus 20.   Celse d’après Origène III, 44.   Augustin lui-même reconnaît sa déception à la lecture de la Bible qu’il compare évidemment aux ouvrages de Cicéron  : Aug., Conf. III, V, 9  : Non enim sicut modo loquor, ita sensi, cum adtendi ad illam scripturam, sed uisa est mihi indigna, quam Tullianae dignitati conpararem. Tumor enim meus refugiebat modum eius et acies mea non penetrabat interiora eius. Verum tamen illa erat, quae cresceret cum paruulis, sed ego dedignabar esse paruulus et turgidus fastu mihi grandis uidebar. 19  Arn., Disp. I, 58. 20   Hier., Ep. LIII, 10. 17 18

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CHAPITRE III

Et Augustin, dans le passage où il expose son étonnement et son rejet premier d’un texte trop éloigné de sa culture classique, interprète de la même façon le style de la Bible  : Et ecce uideo rem non conpertam superbis neque nudatam pueris, sed incessu humilem, successu excelsam et uelatam mysteriis, et non eral ego talis, ut intrare in eam possem aut inclinare cericem ad eius gressus 21.

Mais à l’époque de Juvencus, c’est plutôt une autre réponse qui va être mise en œuvre  : les chrétiens peuvent faire aussi bien et même mieux que les païens, comme l’écrit Minucius Felix  : Cum Octauius perorasset, aliquamdiu nos ad silentium stupefacti intentos uultus terrebamus, et quod ad me est, magnitudine admirationis euanui, quod ea, quae facilius est sentire quam dicere, et argumentis et exemplis et lectionum auctoritatibus adornasset et quod maleuolos isdem illis, quibus armantur, philosophorum telis retudisset, ostendisset etiam ueritatem non tantummodo facilem sed et fauorabilem 22.

Quant à Lactance, il s’indigne longuement contre ceux qui «  ne croient pas aux paroles divines parce qu’elles manquent de fard 23  » ou qu’elles ne sont pas douces aux oreilles des auditeurs 24. Mais, peu après dans le même livre V des Institutions divines, il propose un véritable programme pour lutter contre l’erreur des païens et faire triompher la vérité chrétienne à partir du raisonnement des philosophes et réclame des hérauts à la hauteur de la tâche qu’il leur propose  : la défense de la sagesse et de la vérité. Il critique ainsi Cyprien de n’être accessible qu’aux seuls fidèles 25, il revendique le droit de reprendre un sujet qu’il n’a pas traité comme il aurait dû  : Non enim Scripturae testimoniis, qua mille utique uanam, fictam, commenticiam putabat, sed argumentis et ratione fuerat refellendus… huic oportebat, quia ­nondum 21  Aug., Conf. III, V, 9. Il prolonge plus loin sa réflexion en ces termes (VI, V, 8)  : Iam enim absurditatem, quae me in illis litteris solebat offendere, cum multa ex eis probabiliter exposita audissem, ad sacramentorum altitudinem referebam eoque mihi illa uenerabilior et sacrosancta fide dignior apparebat auctoritas, quo et omnibus ad legendum esset in promptu et secreti sui dignitatem in intellectu profundiore seruaret, uerbis apertissimis et humillimo genere loquendi se cunctis praebens et exercens intentionem eorum, qui non sunt leues corde… 22   Minuc., Oct. XXXIX, 1. 23  Lact., Inst. V, 1, 18  : Non credunt ergo diuinis, quia fuco carent. 24   Lact., Inst. V, 1, 15-17  : Nam haec in primis causa est cur apud sapientes et doctos et “principes huius saeculi” scriptura sancta fide careat, quod prophetae communi ac simplici sermone ut ad populum sunt locuti. Contemnuntur itaque ab iis qui nihil audire uel legere nisi expolitum ac disertum uolunt nec quicquam haerere animis eorum potest nisi quod aures blandiore sono mulcet, illa uero quae sordida uidentur, anilia inepta uulgaria existimantur. Adeo nihil uerum putant nisi quod auditu suaue est, nihil credibile nisi quod potest incutere uoluptatem: nemo rem ueritate ponderat, sed ornatu. 25  Lact., Inst. V, I, 26.

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poterat capere diuina, prius humana testimonia offerri id est philosophorum et historicorum, ut suis potissimum refutaretur auctoribus 26.

La démarche des épopées bibliques met en pratique en quelque sorte ces différentes réponses dont certaines ne seront analysées qu’après Juvencus  : les chrétiens sont capables d’écrire des œuvres nobles dignes des écrivains antiques, on peut donc en déduire que l’écriture de la Bible est simple volontairement et non par indigence, elle est simple parce qu’elle est vraie et parce que son sens multiple se dévoile avec la progression spirituelle du lecteur. Il appartient aux écrivains chrétiens, dans leurs propres œuvres, de préciser, de révéler et de mettre en valeur ces différents sens, en utilisant les formes littéraires de la culture gréco-latine et la subtilité de l’analyse philosophique. 1.2.  La rhétorique au service du christianisme Formés à la même école que les autres lettrés, entraînés aux mêmes exercices scolaires, visant un même idéal d’orateur, les écrivains chrétiens ont repris tout naturellement les formes littéraires qu’ils étudiaient depuis l’enfance, les cadres mentaux dans lesquels s’organisait leur pensée pour les adapter à la révélation chrétienne en une littérature de transposition plutôt que d’opposition 27. Durant les premiers siècles, les chrétiens ont oscillé entre rejet et volonté d’assimilation, mais toujours en voyant dans la littérature païenne un support à investir d’un contenu plus «  vrai  », plus profond. Il y a dans cette attitude des chrétiens une part de démarche volontaire et réfléchie. Il s’agit de partir par stratégie de la culture des adversaires et de les battre sur leur propre terrain. À l’erreur par défaut du paganisme se substitue la vérité révélée de l’Écriture  ; à cette pensée désormais juste, la rhétorique peut être utile comme un écrin mettant en valeur son éclat, comme un instrument de diffusion  ; ainsi Lactance qui, par ailleurs, accuse la culture païenne, voit dans sa propre formation une aide à la mise en œuvre de l’Évangile  : Multum tamen nobis exercitatio illa fictarum litium contulit, ut nunc maiore copia et facultate dicendi causam ueritatis peroremus. Quae licet possit sine eloquentia defendi, ut est a multis saepe defensa, tamen claritate ac nitore sermonis illustranda et quodammodo disserenda est, ut potentius in animos influat, et ui sua et instructa religione et luce orationis ornata 28.

 Lact., Inst. V, 4, 4.   Sur cette question, cf. entre autres Fontaine (1957), (1968) et (1978)  ; Hagendahl (1958)  ; Brown (1971), p. 300-363 (= chap. VII  : «  The Conversion of Christianity  », titre auquel J. Fontaine avait emprunté le titre de son article de 1978). 28   Lact., Inst. I, 1, 10. 26 27

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CHAPITRE III

Aussi appelle-t-il, dans le prologue du livre V des Institutions divines, les chrétiens lettrés à défendre leur foi par l’écriture et à rivaliser d’éloquence avec les païens pour soutenir la vérité de leur religion  : Ac si hortatu nostro docti homines ac diserti huc se conferre coeperint et ingenia sua uimque dicendi in hoc ueritatis campo iactare maluerint, euanituras breui religiones falsas et occasuram esse omnem philosophiam nemo dubitauerit, si fuerit omnibus persuasum cum hanc solam religionem, tum etiam solam ueram esse sapientiam 29.

et il intitule le livre VII de ce même ouvrage De uita beata à l’imitation d’un traité de Sénèque dans une démarche de concurrence clairement affichée. Chez Tertullien, l’influence des traités de Sénèque dépasse le simple titre pour reprendre la structure, les arguments, voire les métaphores de son modèle 30. De même, lorsque Ambroise voudra faire une synthèse de la morale chrétienne, il réutilisera le titre et le plan du De officiis de Cicéron, en se félicitant du bienfondé de sa démarche et en recherchant des preuves dans l’Écriture Sainte 31. C’est pour les chrétiens cultivés une démarche qui permet d’amener à la vérité des hommes d’abord attirés par la beauté et l’élégance de la parole et qu’auraient pu rebuter l’hermétisme et l’exotisme de la Bible. Par la suite dans les Confessions, Augustin nous raconte sa lente progression vers la conversion et en particulier ses premières rencontres avec Ambroise dont il admire les sermons  : Et studiose audiebam disputantem in populo, non intentione, qua debui, sed quasi explorans eius facundiam, utrum conueniret famae suae an maior minorue proflueret, quam praedicabatur, et uerbis eius suspendebar intentus, rerum autem incuriosus et contemptor adstabam et delectabar suauitate sermonis 32.

Augustin assiste aux sermons d’Ambroise comme à un cours de rhétorique, réduisant la pensée à la forme avant d’être ramené par la forme à la pensée. C’est ce but nouveau que les chrétiens vont donner à la rhétorique  : ouvrir le chemin à la parole divine, soit comme instruction préalable 33, soit comme instrument de mise en valeur des idées chrétiennes.

  Lact., Inst. V, 4, 8.    Il suffit pour s’en convaincre de lire en parallèle le De patientia de Tertullien et le De constantia ou le De uita beata de Sénèque. 31  Ambr., Off. I, 8, 25  : uideamus utrum res ipsa conueniat scribere de officiis et utrum hoc nomen philosophorum tantummodo scholae aptum sit an etiam in scripturis reperiatur diuinis. 32  Aug., Conf. V, 13, 23. 33   Dans les Confessions III, 4, 7, Augustin attribue ce rôle à l’Hortensius de Cicéron  : Ille uero liber mutiuit affectum meum et ad te ipsum, Domine, mutiuit preces meas et uota ac desideria mea fecit alia. Viluit mihi repente omnis uana spes et immortalitatem sapientiae concupiscebam aestu cordis incredibili et surgere coeperam. 29 30

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Le De doctrina christiana d’Augustin, état de la question à la fin du IVe siècle, éclaire très précisément la tentative de Juvencus en soulignant quelle aide efficace la connaissance des sciences et des techniques profanes peut apporter à l’effort de l’intellectuel chrétien pour comprendre la Bible. L’exégèse biblique hérite des techniques du grammairien profane  : lecture verset par verset, commentaire littéral, décomposition en fragments minutieusement examinés, le sermon puise dans les règles de la rhétorique, la controverse dans celles de la dialectique, la théologie reprend le matériel conceptuel de la cosmologie, de l’anthropologie, de l’éthique hérité de Platon et des stoïciens et voudrait parfois faire coïncider la doctrine des idées de Platon ou l’incarnation de l’âme de Plotin avec la révélation du Christ. Il est donc naturel que la paraphrase, élément de base de l’éducation rhétorique, devienne à son tour support de l’enseignement chrétien, élément de transmission du message évangélique, car les premiers chrétiens sont comparables aux juifs s’emparant des vases d’or égyptiens  : Cyprien, Lactance, Victorinus, Optat, Hilaire sont sortis chargés de l’or des païens pour briser le vain culte des idoles et faire passer ces dons au service du Christ 34. Dans le quatrième livre du De doctrina christiana, Augustin expose les procédés d’expression possibles pour un écrivain chrétien et propose l’usage, non de la rhétorique, mais de l’éloquence. Si l’on peut étudier les orateurs profanes, il faut chercher des exemples d’éloquence dans l’Écriture, les prophètes, saint Paul. À partir du De oratore de Cicéron, il recherche chez les orateurs sacrés des modèles de style simple, tempéré, sublime. Enfin, il décrit les caractéristiques d’une éloquence proprement chrétienne, qui plie le langage à la pensée et s’approprie une culture étrangère qu’elle fait sienne  : Sed non ipsa me plus quam dici potest in illa eloquentia delectant, quae sunt his uiris cum oratoribus Gentilium poetisue communia: illud magis admiror et stupeo, quod ista nostra eloquentia ita usi sunt per alteram quamdam eloquentiam suam, ut nec deesset eis, nec emineret in eis: quia eam nec improbari ab illis, nec ostentari oportebat; quorum alterum fieret, si uitaretur; alterum putari posset, si facile agnosceretur. Et in quibus forte locis agnoscitur a doctis, tales res dicuntur, ut uerba quibus dicuntur, non a dicente adhibita, sed ipsis rebus uelut sponte subiuncta uideantur: quasi sapientiam de domo sua, id est, pectore sapientis procedere intelligas, et tanquam inseparabilem famulam etiam non uocatam sequi eloquentiam 35.

Cette réflexion menée par les chrétiens au cours du IVe siècle justifie et explique a posteriori les tentatives d’épopées bibliques. Comme souvent en littérature, la pratique précède la théorie et l’on peut penser qu’au-delà de toute justification raisonnée, l’épopée biblique naît d’un réel creuset culturel commun entre païens 34 35

  Aug., Doctr. II, 40, 61-62.  Aug., Doctr. IV, 107, 10.

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CHAPITRE III

et chrétiens. L’exemple d’Augustin, élevé dans un milieu au moins en partie chrétien à une époque postérieure met en évidence les préoccupations qui pouvaient être celles d’un prêtre espagnol du début du siècle lorsqu’il cherche à diffuser sa religion dans un milieu encore majoritairement païen dont l’unité était assurée autant par une culture littéraire rhétorique et idéologique commune à tous que par les structures politiques de l’empire. La critique contemporaine est revenue de la séparation radicale entre la littérature païenne et chrétienne pour envisager une unité de mentalité esthétique dans un goût commun propre à l’Antiquité tardive, fait d’une éducation et d’une culture partagées. Les écrivains chrétiens sont tout à fait conscients de cet héritage qu’ils revendiquent et de la nouveauté du contenu de leur message étroitement combinés selon le jugement même de Jérôme  : qui omnes in tantum philosophorum doctrinis atque sententiis suos referserunt libros, ut nescias quid in illis primum admirari debeas, eruditionem saeculi an scientiam scripturarum 36.

En cherchant plus loin dans ce travail les buts de l’épopée chrétienne, on pourra remarquer que cette «  reconnaissance par des gens instruits  » d’une rhétorique «  servante inséparable  » utilisée comme une mise en valeur de la pensée chrétienne correspond très exactement à ce que désirent faire les écrivains chrétiens de ces épopées. Avant même qu’une réflexion théorique ait défini le bon usage de la culture antique et en ait justifié les emprunts formels ou philosophiques, Juvencus ouvre la voie à une littérature d’assimilation où imitation et originalité répondent exactement aux critères artistiques classiques. L’étude des passages où Juvencus s’éloigne de la paraphrase pour livrer une pensée personnelle, en particulier la préface et la dédicace, montrera que cette conception clairement exprimée par des auteurs plus tardifs comme Augustin et Jérôme est en germe dans les Euangeliorum libri IV. La question d’une littérature chrétienne, de sa forme et de ses buts se pose lorsque le christianisme gagne des milieux cultivés, formés à la rhétorique, pour qui la vie de l’esprit passe par des habitudes mentales qui sont celles d’un Cicéron ou d’un Virgile  ; les écrivains voient alors dans l’œuvre littéraire un moyen à la fois de faire passer leurs idées et de rivaliser dans la qualité avec les païens. Écrire avec soin, citer Virgile et présenter des idées nouvelles, c’est faire se rejoindre deux mondes, celui de l’Antiquité classique et celui du christianisme, celui des hommes et celui de Dieu comme l’écrit Juvencus  : Has mea mens fidei uires sanctique timoris cepit et in tantum lucet mihi gratia Christi, uersibus ut nostris diuinae gloria legis ornamenta libens caperet terrestria linguae. (IV, 802-805)

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  Hier., Ep. LXX, 4.



LE CONTEXTE CULTUREL ET LITTÉRAIRE47

«  Ma pensée a tiré ses forces de la foi et d’une sainte crainte et la grâce du Christ brille si vivement pour moi que, dans mes vers, la gloire de la foi divine a pris volontiers les ornements terrestres de la langue. 37  »

2.  La littérature chrétienne du IIIe siècle et début IVe siècle La littérature chrétienne primitive fut d’abord tournée vers les questions internes aux Églises  : la Doctrina apostolorum sur le modèle grec de la Didaché sert à la préparation baptismale, le «  Pasteur d’Hermas  » est la traduction latine d’un modèle grec qui exhorte à la pénitence sous une apparence apocalyptique. Les Églises ont également à leur disposition de multiples traductions latines des textes bibliques que l’on rattache à deux types, l’«  africain  » et l’«  européen  » plus récent même si l’Église de Rome utilise officiellement le grec jusqu’au milieu du IIIe siècle. Ces traductions littérales avec des transcriptions grecques servent aux lectures liturgiques et choquent par leurs incorrections et leur inélégance les fidèles cultivés. Dès la fin du IIe siècle, on voit apparaître un ouvrage qui influencera aussi Juvencus  ; le Diatessaron du syrien Tatien, peut-être adapté de modèles grecs, servait d’évangéliaire officiel de l’Église syrienne. Au IIIe siècle la prose chrétienne regroupe des formes apologétiques instaurant un dialogue avec les non-chrétiens, réponses aux questions et aux accusations, attaques contre le polythéisme, invitation à la foi chrétienne, le plus souvent sous forme de traités. On trouve également à l’usage des communautés des textes à visée parénétique et souvent morale, traités, sermons ou correspondance et enfin, dans la lutte contre les hérésies, des controverses théologiques a­ dressées aux partisans de 37   Le rapprochement de ce passage avec quatre citations du De doctrina christiana d’Augustin permet de mettre en évidence combien l’œuvre de Juvencus inaugure en poésie une attitude qui va se développer au long du IVe siècle  : L’homme ne peut pas donner son sens au message du Christ, il ne peut que le mettre en valeur (Aug., Doctr. IV, 28)  : Hoc est enim quod Apostolus ait  : “Non in sapientia verbi, ne evacuetur crux Christi.” (cf. I Cor. 1, 17). Il ne doit pas chercher la victoire dans la lutte mais le triomphe de la vérité en reprenant pour son propre compte les buts de la rhétorique  : instruire, séduire, émouvoir. Augustin écrit (Aug., Doctr. IV, 28)  : Verbis enim contendere, est non curare quomodo error veritate vincatur, sed quomodo tua dictio dictioni praeferatur alterius. Porro qui non uerbis contendit, siue submisse, siue temperate, siue granditer dicat, id agit uerbis ut ueritas pateat, ueritas placeat, ueritas moueat. Il peut utiliser la technique de la parole mais à seule fin de mettre en valeur le message qu’il est chargé de diffuser (Aug., Doctr. IV, 28)  : Quid est ergo non solum eloquenter, uerum etiam sapienter dicere, nisi uerba in submisso genere sufficientia, in temperato splendentia, in grandi uehementia, ueris tamen rebus, quas audiri oporteat adhibere? Augustin précise enfin le sens d’une éloquence chrétienne  : la littérature est un engagement, un moyen d’action efficace pour faire progresser les âmes (Aug., Doctr. IV, 25)  : non eius fine contenti, quo tantumodo delectatur auditor; sed hoc potius agentes, ut etiam ipso ad bonum quod persuadere uolumus, adiuuetur.

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CHAPITRE III

doctrines déviantes, en particulier gnostiques. Que pouvait avoir lu Juvencus de ces auteurs chrétiens  ? Il est possible qu’il ait eu accès aux œuvres apologétiques de Tertullien et à ses œuvres morales, aux lettres et aux écrits pastoraux de Cyprien, peut-être au De Trinitate de Novatien. Il appartient en tout cas à une époque où les écrivains doivent à la fois se situer par rapport aux païens, aux juifs et aux hérétiques, développer la doctrine chrétienne et mettre en place la structure et les bases morales de communautés en pleine expansion. Il paraît donc bien difficile d’envisager que l’œuvre de Juvencus soit totalement dégagée de ces préoccupations et ne s’occupe que de paraphraser avec élégance le texte des Évangiles. La littérature chrétienne du IIIe siècle va appliquer la théorie qui préconise de partir de l’argumentation et des catégories de pensée de l’adversaire pour le convaincre  ; elle répond également à la double exigence d’un ministère de la parole interne et externe qui doit utiliser à ses fins propres l’éducation et la culture classiques. Les quelques traités parénétiques adressés à la communauté chrétienne, les œuvres théologiques, dogmatiques ou antihérétiques, les traités de morale chrétienne empruntent – à l’exception des sermons de Cyprien – les formes de la rhétorique classique. Plus encore lorsqu’il s’agit de la conquête de futurs croyants ou de la défense de la nouvelle religion contre les juifs et les païens, c’est-à-dire d’ouvrages apologétiques, plaidoyers ou controverses, les auteurs chrétiens, en particulier Tertullien, puis Minucius Felix ont entrepris d’ouvrir le dialogue tantôt polémique, tantôt persuasif, avec le monde non chrétien et, pour cela d’utiliser le langage de la civilisation gréco-latine. La caractéristique dominante de cette littérature chrétienne du IIIe siècle est donc le maintien de formes traditionnelles, en lien avec le public visé. Les auteurs chrétiens font écriture commune avec les philosophes et les écrivains classiques pour se conformer aux habitudes des cercles cultivés de la moyenne et haute société auxquels ils appartiennent eux-mêmes. Les premiers écrits sont d’abord en prose, prose d’avocat, de rhéteur, de compilateur pour ce qui concerne l’apologétique, prose parfois plus simple mais cependant marquée par une parole d’école, fruit d’une culture commune avec les païens, lorsque le public est la communauté chrétienne. Ainsi l’Octavius de Minucius Felix se présente-t-il comme un dialogue dans la tradition cicéronienne de l’Hortensius en une prose classique traversée par des réminiscences de Virgile, Salluste et Sénèque. Comme le précise Jean Beaujeu, l’Octavius «  est ce que son auteur a voulu qu’il fût  : une adaptation de Tertullien à un public imbu d’érudition littéraire, de rhétorique subtile et de scepticisme ingénieux, par un esprit formé au même moule 38.  » De même le De Opificio Dei de Lactance prolonge l’anthropologie de Cicéron dans les mots mêmes du philosophe au point d’être souvent qualifié de crypto-chrétien. Il s’agit, en fait, de rencontrer les adversaires sur leur propre terrain en leur rappelant que l’héritage de l’antiquité classique ne leur est pas réservé, que l’on peut être sans contradiction romain et chrétien et qu’ils n’ont pas le monopole de la culture. 38

  Minuc., Oct., introduction de Beaujeu (1964), p. 94.

LE CONTEXTE CULTUREL ET LITTÉRAIRE49



J. Fontaine pose en ces termes le problème de l’originalité des formes linguistiques, littéraires et artistiques de l’Antiquité tardive en Occident 39  : «  Ce phénomène invite d’abord à constater deux faits qui sont comme les pôles, apparemment contradictoires, entre lesquels s’établit cette sorte de tension qui affecte toute création littéraire en ce dernier grand siècle de la littérature latine. D’une part, le terme d’Antiquité tardive indique qu’il y a lieu de considérer la production artistique et littéraire de cette période dans le cadre d’une dernière phase de l’Antiquité hellénistique-romaine. Mais, d’autre part, les traits originaux de cet ‘âge de spiritualité’ modifient de telle manière la société romaine, ses croyances et son esthétique, et donc les modalités de l’acte de parler ou de celui d’écrire pour un public, que les codes traditionnels des genres littéraires, tels que les avaient définis depuis des siècles philosophes, poètes, grammairiens et rhéteurs, n’ont pu manquer de s’en trouver gravement remis en question. Face à un traditionalisme aggravé par le renouveau et le formalisme de l’école antique tardive, la nouveauté chrétienne ébranle les assises même de la culture, en donnant d’abord à toute parole un poids religieux spécifique. Le système des genres littéraires classiques entre-t-il alors dans un processus de vieillissement et d’effacement, ou les ruptures qui lui sont imposées ne font-elles qu’accentuer et accélérer le processus vital que suggère la métaphore inhérente au mot latin de renouatio  ?  »

Ce terme de renouatio rend compte de l’image de progrès et de restauration qui d’un slogan politique s’étend au domaine de la culture  ; les formes de la création littéraire du Bas Empire sont ainsi inséparables de l’évolution générale de la civilisation romaine. Les classes supérieures de la société se retrouvent au-delà de leurs divergences religieuses dans un consensus politique, moral et intellectuel tel que le décrit J. Fontaine  : «  Dans une société à la culture de base appauvrie par l’affaiblissement des institutions scolaires publiques, mais aussi par l’élitisme des formes toujours plus raffinées de la création littéraire, surtout poétique, la reformatio in melius pare au plus pressé  : assurer une formation rentable à tous les futurs fonctionnaires, favoriser les genres littéraires propres à exalter et à diffuser une nouvelle idéologie impériale, rétablir ainsi un ordre moral après des décennies d’anarchie et d’abandon 40.  »

À travers la correspondance de Symmaque, dont les lettres d’art évoquent Pline, le prolongement de l’histoire romaine dans les Res gestae d’Ammien Marcellin, ou la poésie de Claudien et d’Ausone on perçoit le courant de tradition et la volonté d’ordre classique qui n’est pas simple immobilisme mais volonté de subsister dans une unité de civilisation où la culture est envisagée comme un front de résistance aux barbares. Certes, le christianisme bouscule par son double héritage cette tradition immuable, mais en affirmant leur lien avec le pouvoir romain et la culture classique, les chrétiens choisissent clairement 39 40

  Fontaine (1988), p. 56.   Fontaine (1988), p. 57.

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CHAPITRE III

d­ ’investir, ou plus exactement de continuer à occuper, le camp de la civilisation gréco-latine. L’accès du christianisme à une existence légale, sa conquête des couches les plus élevées de la société romaine s’accompagnent forcément d’un processus de communication qui passe par la maîtrise de l’expression littéraire et artistique de cette époque. «  Bon gré mal gré, c’est dans la ‘civilisation de la paideia’ qu’en grec, puis en latin, le christianisme devait pourtant parvenir à délivrer intelligiblement son message 41.  » Et la réutilisation des codes littéraires antiques par les chrétiens s’apparente clairement à la réutilisation en architecture de l’espace de parole qu’était la basilique antique ou, dans le domaine artistique, celle de la mosaïque, de la sculpture ou de la fresque 42. De continuités en ruptures, la génération de Lactance et de Juvencus fut celle des essais, mais d’essais qui ne doivent pas nous faire séparer les auteurs chrétiens de leurs contemporains païens, tant apparaît, au contraire dans ce début de IVe siècle l’unité fondamentale de l’époque. Comme conclut J. Fontaine au terme de cette «  esquisse de la destinée des genres littéraires antiques chez les auteurs du IVe siècle 43  »  : «  L’immobilisme résolu, et pour ainsi dire ‘résistant’, qu’on observe d’abord dans la théorie et la pratique des genres littéraires en ce siècle, ne trahit pas une impuissance, ou un dépérissement résigné. Il procède d’une volonté de maintenir et de restaurer, qui inspire ce dernier grand siècle de l’Antiquité tardive. Par l’école, par la fidélité aux exigences formelles d’une culture qui est ressentie comme la plus sûre chance de survie de la romanité, l’ensemble de ces genres littéraires s’imposent d’abord normativement – dès leur adolescence – à tous les litterari de langue latine  ; ceci, quelles que soient ensuite leurs options religieuses personnelles, dans l’unité d’un même ‘âge de spiritualité’, dont la créativité littéraire et plastique fascine les barbares qui vont en recueillir l’héritage.  »

Ainsi Juvencus écrit une épopée où certains n’ont vu que la survie artificielle d’un genre ancien alors qu’elle ouvre la voie à une écriture spécifiquement chrétienne. Plus qu’une volonté de faire revivre le genre de l’épopée, on a chez Juvencus une véritable intention de transmettre le message évangélique. Mais ce renouveau se fait sans rupture dans une continuité littéraire qui appartient à la tradition latine. Ainsi l’épanouissement du siècle d’or de la littérature chrétienne prend naissance dans ces tentatives d’assimilation de la culture païenne et, dans le domaine de la poésie, Juvencus fut un précurseur 44.   Fontaine (1988), p. 63.   Les catacombes de saint Janvier à Naples sont très caractéristiques de la réutilisation de motifs de fresques païens tels qu’on les trouve dans les villas pompéiennes  : putti, arabesques de feuillages, personnages volants en partie masqués par la conscience scrupuleuse d’un évêque postérieur. 43   Fontaine (1988), p. 72. 44   Herzog (ed.) (1993), p. 32-33  : «  Ce résultat [la réception directe des anciens genres] est acquis vers 390  ; on peut le constater dans l’œuvre de Paulin de Nole. Celui-ci a commencé, sous la direction d’Ausone, par des paraphrases scolaires, puis, 41 42



LE CONTEXTE CULTUREL ET LITTÉRAIRE51

Quelques formes particulières de la littérature chrétienne méritent d’être rapprochées de l’œuvre de Juvencus, bien qu’elles soient écrites en prose  ; les Passions (passio Perpetuae), actes des martyrs – comme les récits destinés à la communauté de Carthage –, vies des saints, soutenaient la foi des communautés chrétiennes et furent les plus anciens textes chrétiens écrits directement en latin. Ces écrits trouvent leur modèle dans le Christ et développent le souvenir des martyrs comme exempla fidei. Ils furent souvent utilisés pour les lectures liturgiques à l’anniversaire des martyrs comme en témoigne la formule doxologique finale. Cette littérature hagiographique qui va se développer au Moyen Âge présente des traits communs avec les Euangeliorum libri. Ainsi la vie de Cyprien, attribuée au diacre Pontius et datée de la fin du IIIe siècle 45 montre comment on passe des Actes des martyrs, simples témoignages, à une Vie bâtie sur le modèle rhétorique d’un discours panégyrique avec un prooemium, un choix d’informations biographiques sélectionnées en vue du but à atteindre et planifiées pour mettre en valeur la gloire de l’évêque martyr. Sa mise en forme stylistique souligne l’influence de la tradition rhétorique classique. De même les Acta disputationis Acacii où l’interrogatoire prend la forme classique de l’altercatio et s’achève sur la victoire du chrétien grâcié par l’empereur pour la pertinence et l’élégance de ses réponses. La Passio Fructuosi, Auguni et Elogii (martyrisés en 259) est la première passion localisée en Espagne  ; procès-verbal en langue simple, elle souligne les traits hagiographiques, le souci pastoral de l’évêque Fructuosus  ; des manifestations miraculeuses y ont été ajoutées mais la date de la rédaction de ces ajouts ne dépasse pas le début du IVe siècle puisque Prudence y fait allusion. après sa conversion à la vie ascétique, il s’est adonné à la paraphrase épique de la Bible telle que l’avait pratiquée Juvencus  ; mais ensuite, il a entrepris de créer des répliques chrétiennes de certains genres antiques comme l’épithalame, le propempticon, le natalicium, l’epicedion. Un tel ‘contre-programme’, dont l’ambition avouée est d’adapter tout l’éventail des genres romains – Endéléchius cultive alors la bucolique chrétienne –, répond lui aussi à une conception à la fois littéraire et théologique  : celle qu’expriment les exigences de Jérôme. C’est en conformité avec ce programme que Paulin a cherché non seulement à doter la forme païenne d’un contenu nouveau, mais encore à l’enrichir et à la développer par la forme spécifiquement chrétienne de l’exégèse biblique. Ainsi, s’opère la rupture avec les anciennes traditions poétiques  ; des productions apparaissent qui intègrent et cumulent plusieurs genres (comme, déjà, l’élégie et la satire dans les Natalicia de Paulin), et réclament une définition chrétienne de leur fonction. Chez Paulin, c’est l’hagiographie poétique  ; son contemporain Prudence achève d’explorer cette voie de manière géniale, en s’emparant indirectement des genres antiques  : il les transpose en un vaste éventail de formes authentiquement chrétiennes. Il a emprunté à Ambroise la forme lyrique de l’hymne, mais en la confrontant à la lyrique romaine dans une polymétrie savante (Cathemerinon)  ; l’invective traditionnelle est introduite dans l’apologie (Contra Symmachum), l’épopée didactique dans la controverse théologique (Apotheosis, Hamartigenia).  » 45   Das Leben Cyprians von Pontius, Leipniz, 1913 (TU 39, 3), p. 4-31.

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CHAPITRE III

Et la poésie  ? À cette époque, la poésie latine dans son ensemble est confrontée à des obstacles matériels  ; la maîtrise de la métrique traditionnelle et de la prosodie se heurte à des changements dans la langue (abrègement des syllabes longues inaccentuées, des syllabes brèves accentuées, changement des quantités traditionnelles, modification de la syntaxe). Le poète cultivé, désireux de maintenir la qualité classique de ses vers, imite plus qu’il n’invente dans une poésie savante, parfois artificielle et surtout réservée à une élite capable de la comprendre. L’aemulatio, tradition poétique romaine peut facilement passer alors pour un jeu d’écriture sans originalité. C’est un reproche que les critiques de la fin du XIXe siècle ont souvent adressé aux poètes, tant païens que chrétiens, de l’Antiquité tardive sans voir la part du renouvellement idéologique et artistique qui caractérise cette période non de transition mais de maturation. Mais il est vrai qu’il n’y a pas de grands noms de poètes au IIe et IIIe siècles et que la poésie se cantonne à la sphère privée, à l’expression individuelle de la joie ou du deuil dans des genres mineurs lyriques ou conventionnels (épithalames, épitaphes, chants de processions). Il est d’autant plus intéressant de voir que Juvencus ose se confronter à un genre majeur et se juge apte à renouveler l’épopée, sans doute parce qu’il associe à cette forme la nécessité d’un message, d’une idéologie qui en justifie l’existence. Avant lui, chez les chrétiens, quelle place a pu prendre la poésie dans ces premiers essais d’assimilation d’une culture classique  ? Tertullien atteste la présence de formes hymniques dans la pratique chrétienne de cette époque 46. Mais il ne s’agit pas encore consciemment d’œuvres d’art chrétien. Seule la poésie de Commodien de forme non classique avec des quasi-hexamètres représente un essai de poésie qui s’écarte des canons de style des auteurs classiques. Le contenu est résolument différent et chrétien  ; les Instructiones s’adressent tantôt aux païens appelés à la conversion de leur vie mauvaise, tantôt aux juifs, pécheurs endurcis qui ont perdu leur héritage au profit des disciples du Christ, tantôt aux chrétiens pour des recommandations morales à portée théologique  ; le carmen apologeticum comporte également une instruction sur l’œuvre de Dieu et du Christ, sur le refus persistant des Juifs d’accepter le salut venu du Christ, sur le rachat des païens, nouveau peuple de Dieu. La démonstration s’appuie sur le rappel des témoignages prophétiques et sur une polémique antijuive qui nous éclaire sur la pensée des communautés chrétiennes de l’époque. Juvencus choisit, lui, de garder une forme totalement classique mais dans l’infléchissement en partie volontaire que suppose toute paraphrase on retrouve les grands thèmes de son époque. Quel fut son projet littéraire dans cette tentative à la fois classique et originale  ? Il convient d’étudier les passages où s’exprime la voix personnelle de l’auteur pour mieux le cerner.

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 Tert., Apol. 39, 18.

DEUXIÈME PARTIE

LE PROJET DE JUVENCUS

Chapitre IV

Préface et dédicace  : la parole de Juvencus 1.  Analyse de la préface 1 Si le principe de la paraphrase relève dans l’Antiquité plus de l’aemulatio que de l’imitation sans originalité, il n’en est pas moins vrai que dans une tentative comme celle de Juvencus se produit un effacement du poète entre modèle biblique et modèle virgilien qui rend difficile une analyse de ses buts et de leur réalisation. À ce titre les vingt-sept vers de la préface et les onze vers de la dédicace finale sont particulièrement précieux et intéressants pour déterminer les objectifs que l’auteur s’est fixés. La préface est à la fois une déclaration d’intention et une mise en œuvre de cette intention  : imiter la poésie païenne, en particulier la poésie épique, mais sur un sujet chrétien qui en modifie profondément le sens et les objectifs. Cette préface est très structurée et procède en un raisonnement logique et bien enchaîné  : rien ne dure, ni la nature, ni les réalisations humaines  ; tout a un terme fixé. Mais les hauts faits des hommes et leurs vertus laissent un souvenir durable dans les mémoires, surtout s’ils sont relayés par la voix des poètes. Plus durable encore est la gloire de ces poètes. Et pourtant leurs récits sont entachés de mensonges. Mais le chant de Juvencus lui vaudra gloire et salut éternels à cause de son sujet  : le récit de la vie du Christ, seul objet de vérité. Le véritable créateur de son œuvre, celui qui l’inspire, c’est l’Esprit Saint, qui à la fontaine des Muses, substitue l’eau du baptême pour que l’œuvre soit digne du sujet. À première lecture, les vers semblent familiers 2  ; plus que d’emprunts précis, on pourrait parler d’échos de pensées et de philosophies diverses  : la vision du monde reprend le vocabulaire des stoïciens, l’image du poète est directement   Il existe plusieurs études détaillées de cette préface  : Carrubba (1993)  ; Van Der Nat (1973)  ; Quadlbauer (1974)  ; Murru (1980)  ; Costanza (1985a). On peut y ajouter Vélez Latorre (2001), qui compare la Praefatio de Prudence et celle de Juvencus, et Smolak (2002), qui voit dans la préface de Juvencus une source oubliée de celle de la Vita Martini. 2   Regna hominum  : Verg., Georg. II, 498  ; aurea Roma  : Ov., Ars III, 113  ; ignea sidera  : Verg., Aen. IV, 352  ; inreuocabile tempus  : Verg., Georg. III, 284, Lucr. I, 468  ; vers 5  : Ov., M. I, 256-258  ; vers 8  : Verg., Aen. VI, 478, Ov., F. III, 251  ; vers 11  : Luc., Phar. IV, 574, Mart. X, 103, 3  ; vers 14  : Ov., M. II, 70-71  ; vers 18  : Stat., Th. VIII, 760  ; vers 20, sine crimine  : Verg., Aen. IV, 550. 1

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CHAPITRE IV

inspirée des déclarations d’Horace et de Properce, la forme même est celle de l’invocation liminaire de l’épopée. Mais, au fil des vers, cette imitation se charge d’une pensée et d’une foi chrétiennes qui réutilisent la forme antique pour la détourner vers un nouveau sens affirmé comme supérieur et seul à détenir les valeurs véritables de l’écriture poétique 3. Praefatio Inmortale nihil mundi conpage tenetur, non urbes, non regna hominum, non aurea Roma, non mare, non tellus, non ignea sidera caeli. Nam statuit genitor rerum inreuocabile tempus, quo cunctum torrens rapiat flamma ultima mundum sed tamen innumeros homines sublimia facta et uirtutis honos in tempora longa frequentant, adcumulant quorum famam laudesque poetae. Hos celsi cantus, Smyrnae de fonte fluentes, illos Minciadae celebrat dulcedo Maronis. Nec minor ipsorum discurrit gloria uatum, quae manet aeterae similis, dum saecla uolabunt et uertigo poli terras atque aequora circum aethera sidereum iusso moderamine uoluet. Quod si tam longam meruerunt carmina famam, quae ueterum gestis hominum mendacia nectunt, nobis certa fides aeternae in saecula laudis inmortale decus tribuet meritumque rependet. Nam mihi carmen erit Christi uitalia gesta, diuinum populis falsi sine crimine donum. Nec metus, ut mundi rapiant incendia secum hoc opus  ; hoc etenim forsan me subtrahet igni Tunc, cum flammiuoma discendet nube coruscans Iudex, altithroni genitoris gloria, Christus. Ergo age  ! sanctificus adsit mihi carminis auctor Spiritus, et puro mentem riget amne canentis Dulcis Iordanis, ut Christo digna loquamur 4.  Fontaine (1981) écrit p. 75  : «  En Juvencus, point de partage entre le prêtre et le poète. Car il existe une relation fonctionnelle entre poésie et message. Ainsi le poète n’est-il pas venu pour abolir l’ambition – et l’espérance – antiques de s’immortaliser par la poésie, mais pour l’accomplir. Ici encore, le mot d’ordre de la reformatio in melius coïncide avec l’ambition littéraire d’une retractatio, c’est-à-dire d’une paraphrase définie comme lutte et émulation autour des mêmes pensées.  » 4  (Trad. J.-N. Michaud et A. Fraïsse)  : «  De l’assemblage de l’univers rien ne demeure immortel, ni les villes ni les royaumes des hommes ni la Rome d’or, ni la mer, ni la terre, ni les étoiles de feu dans le ciel. Car l’auteur de toute chose a fixé le moment irrévocable où un dernier incendie brûlerait et emporterait l’univers tout entier. Pourtant innombrables sont les hommes que leurs actions sublimes et l’honneur qui s’attache à leur vertu gardent illustres pour une longue période. Sur eux les poètes accumulent gloire 3



PRÉFACE ET DÉDICACE  : LA PAROLE DE JUVENCUS57

Ces vers constituent un tout  ; ils se distinguent clairement de ce qui les suit puisque le vers 1 Rex fuit Herodes… est un début typique de narration. C’est, avec la conclusion du livre IV (Has mea mens fidei uires sanctique timoris… IV, 802803), le seul passage où l’auteur s’exprime en son nom propre, la préface situant l’œuvre dans son intention spirituelle, la conclusion à sa place historique. La construction du passage en souligne l’unité en deux versants de longueur à peu près égale  : 14 et 12 vers opposent l’entreprise de l’épopée païenne et celle de l’épopée chrétienne, opposition articulée sur le quod si du vers 15 5. Cette égalité n’est pas sans signification dans la mesure où elle suggère qu’aux yeux de Juvencus la tradition philosophique et poétique du paganisme a une grande importance  : sa démarche n’est pas de rejet, de renoncement, de dépouillement, c’est dans son univers qu’il accueille le message évangélique, il ne quitte pas cet univers pour entrer dans un autre monde, il fait entrer dans son monde un message venu d’ailleurs qui va non pas détruire ce monde mais le transformer. La place faite à l’héritage païen invite à être particulièrement attentif à ce que le poète évoque dans cette tradition et à l’écart entre ce que le lecteur attend et reconnaît et ce qu’il découvre, tout ce par quoi Juvencus assume une tradition ou au contraire l’évoque pour s’en distinguer. Il y a bien sûr toute la tradition du début d’un poème, l’appel aux Muses inspiratrices et de façon générale aux forces sacrées qui permettront au poète d’aborder un sujet qui concerne l’ordre du monde et les origines de la communauté humaine et de le traiter dans le ton et éloges. Certains tirent leur célébrité des nobles chants qui coulent de la source de Smyrne, d’autres de la douceur de Virgile le fils du Mincio. Et la gloire des poètes inspirés eux-mêmes ne se répand pas moins, elle demeure comme éternelle, tant que voleront les siècles et que la ronde du ciel fera tourner autour des terres et des eaux le firmament étoilé docile à l’ordre qui lui a été fixé. Si donc des poèmes ont mérité réputation si durable en tissant aux actions des anciens les mensonges des hommes à nous une foi assurée accordera pour les siècles éternels l’honneur immortel de la louange et un salaire mérité. Car mon poème, ce sera le Christ et ses actes qui donnent la vie, don divin fait aux hommes sans l’ombre d’une tromperie. Et je n’ai pas à craindre que l’incendie du monde n’emporte avec lui cet ouvrage  ; c’est lui en effet qui m’arrachera peut-être au feu, au temps où de la nuée qui vomit des flammes descendra comme un éclair le Juge, gloire du Père qui trône dans les hauteurs, le Christ. Aussi, en avant  ! Que l’Esprit qui sanctifie m’assiste et m’inspire ce poème, et qu’il abreuve, tandis que je chante, ma pensée du flot pur du doux Jourdain afin que nos paroles soient dignes du Christ.  » 5  Carrubba (1993) propose une structure différente fondée sur un rythme ternaire, trois groupes de 10, 8 et 9 vers, coupés en deux 5-5, 4-4, 6-3  ; le premier groupe traitant de la fin de toute chose compensée par la renommée qu’apportent les poètes, le second opposant la renommée limitée qu’apportent ces poètes à celle éternelle que Juvencus espère obtenir pour son œuvre, le troisième groupe traitant de la Trinité, dans une première partie, du Christ, envoyé par le Père et sujet du poème, puis de l’Esprit Saint inspirateur de l’œuvre. Cette division, qui n’est pas contradictoire avec l’opposition entre poésie païenne et chrétienne, s’appuie également sur le regroupement par trois de certains termes  : mare, tellus et sidera caeli (3), terras, aequora, aethera siderum (13-14) et sur le sujet de la préface, la désignation de la Trinité comme objet et moteur de la création poétique.

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CHAPITRE IV

qui convient, l’aveu aussi des insuffisances du poète qui ne saurait parvenir sans l’aide des dieux à réaliser une grande ambition, un magnum opus. Le carmen épique a, d’une façon ou d’une autre, à voir avec les grandes forces qui régissent le cosmos et les cinq premiers vers y sont consacrés. Ces vers rappellent Lucrèce, non sans raison  : il y a effectivement un rapprochement textuel très net et qui s’impose 6. Mais le passage évoque le caractère provisoire de l’assemblage de l’univers (mundi compages), ce qui est un rappel de la vision épicurienne. Dès le premier vers se trouvent étroitement mêlées les réminiscences païennes et la pensée chrétienne. Les termes mundi compage évoquent la vision atomique du monde assez fréquente dans l’antiquité classique 7 de même que plus loin les vers  : et uertigo poli terras atque aequora circum / Aethera sidereum iusso moderamine uoluet. Les Anciens pensaient, à la suite d’Anaxagoras que le ciel tournait autour de la terre, que les astres étaient fixés au ciel et tournaient avec lui dans un ordre déterminé 8. Mais la conception du monde exprimée par les premiers mots (immortale nihil mundi) et reprise par les négations accumulées dans les deux vers suivants est profondément chrétienne et le début de cette préface, rapprochée des derniers vers (Christo digna loquamur), en donnent exactement le sens  : seul, au-dessus de la vanité de toute chose terrestre, demeure le Verbe, parole sacrée que le poète peut et doit relayer pour atteindre à l’éternité. Ces premiers vers apparaissent aussi comme une réponse au début du livre I de Lucrèce, où sont évoqués également tellus, mare, aether, sidera mais pour affirmer l’immortalité des atomes résistant à l’anéantissement du temps  : Omnia enim debet, mortali corpore quae sunt, infinitas aetas consumpse ante acta diesque; quod si in eo spatio atque ante acta aetate fuere e quibus haec rerum consistit summa refecta, immortali sunt natura praedita certe; haud igitur possunt ad nilum quae reuerti 9.

Au contraire pour Juvencus, le décret du créateur (statuit genitor rerum, praef. 4) va à l’encontre de l’affirmation de Lucrèce sur les atomes  : aeternum tempus potuisse manere 10 qui pense que les corps élémentaires ont pu se maintenir durant l’éternité. Immortale nihil tenetur, répond notre auteur en donnant à sa préface la solennité épique qui convient à l’annonce de l’anéantissement du monde dans la déflagration finale. Mais, si le sens de ces premiers vers est 6   En revanche, il faut noter que Lucrèce n’emploie jamais le mot compages pour qualifier la coexistence des éléments du monde. 7  Sén., Nat. VII, 9, 4  : Dissiparetur et terrae solida fortisque compages. 8   Ov., M. II, 70-77  : adsidua rapitur uertigine caelum / Sideraque alta trahit celerique uolumine torquet. 9  Lucr., De natura rerum, I, 225-237. 10  Lucr., I, 582.

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indéniablement chrétien, le vocabulaire de cette vision du monde terrestre ou céleste est emprunté tantôt à Ovide (aurea Roma) 11 tantôt à Virgile (ignea sidera) 12. Et, comme le signale Fontaine, c’est «  un éclatant désaveu au Jupiter de l’Énéide… C’est exactement l’inverse de l’imperium sine fine dedi prononcé par Jupiter au début de l’Énéide 13.  » Juvencus signifie ainsi très clairement que son œuvre commence là où finit celle de Virgile et que Dieu peut lui donner ce que Jupiter promet mensongèrement. Comment mieux dire que l’on assume un héritage tout en le renouvelant profondément  ? Ce même mélange qui détourne un vocabulaire de la philosophie qu’il exprimait, se retrouve dans l’évocation du cataclysme ultime que décrit Sénèque dans sa Consolation à Marcia 14, ou Ovide dans les Métamorphoses 15. Le vers 5 (quo cunctum torrens rapiat flamma ultima mundum) nous conduit très loin de l’épicurisme. L’histoire du monde qui se termine dans un embrasement général évoque l’ekpyrosis stoïcienne et implique une représentation de l’histoire du monde absolument différente des perspectives épicuriennes. Sans doute une œuvre comme celle de Lucrèce est intégrée dans la culture d’un Juvencus et de ses contemporains, et des références philosophiques qui, en stricte logique, seraient incompatibles, peuvent coexister dans une synthèse plus culturelle que philosophique 16. On pourrait d’autant plus facilement accepter la coexistence de références philosophiques contradictoires que Juvencus donne à l’ekpyrosis un sens tout à fait différent de celui qu’elle a dans le stoïcisme, car il s’agit pour  Ov., Ars. III, 113  : simplicitas rudis ante fuit: nunc aurea Romast.  Verg., Aen. IV, 352  : … quotiens astra ignea surgunt. 13  Fontaine (1981), p. 74. 14   Sén., Marc. 26, 5-7  : Iuuabat unius me saeculi facta componere, in parte ultima mundi et inter paucissimos gesta: tot saecula, tot aetatum contextam seriem, quicquid annorum est, licet uisere; licet surrectura, licet ruitura regna prospicere, et magnarum urbium lapsus, et maris nouos cursus. Nam, si potest solacio esse desiderii tui commune fatum, nihil quo stat loco stabit, omnia sternet abducetque secum uetustas. Nec hominibus solum (quota enim ista fortuitae potentiae portio est?), sed locis, sed regionibus, sed mundi partibus ludet. Totos supprimet montes et alibi rupes in altum nouas exprimet; maria sorbebit, flumina auertet et, commercio gentium rupto, societatem generis humani coetumque dissoluet; alibi hiatibus uastis subducet urbes, tremoribus quatiet, et ex infimo pestilentiae halitus mittet, et inundationibus quicquid habitatur obducet necabitque omne animal orbe submerso, et ignibus uastis torrebit incendetque mortalia. Et, cum tempus aduenerit quo se mundus renouaturus exstinguat, uiribus ista se suis caedent, et sidera sideribus incurrent, et omni flagrante materia, uno igne quicquid nunc ex disposito lucet ardebit. 15  Ov., M. II, 201-203. 16  Green (2006), p. 19  : «  In fact the Lucretian background of this passage has been overstated; if immortale (especially at this point in a hexameter) suggests Lucretius, another word in the first line, compages, is notably Stoic… Philosophical confrontation may also be embedded in the adjectives of the line following: the entire mundus will be destroyed (against Lucretius) and the conflagration will be final (and not cyclical, against the Stoics).  » 11 12

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lui de la fin du monde et du jugement dernier, comme l’indiquent le vers 22 (me subtrahet igni) et les vers 23-24  : Tunc, cum flammiuoma discendet nube coruscans Iudex, altithroni genitoris gloria, Christus.

Il s’agit là de l’accomplissement du jour du Seigneur décrit par Pierre  : «  En ce jour les cieux se dissiperont avec fracas, les éléments embrasés se dissoudront, la terre avec les œuvres qu’elle renferme sera consumée 17.  » Cette destruction du monde par le feu est, du reste, un thème courant chez les philosophes de l’époque gréco-romaine comme dans les apocalypses juives. Tout ce vocabulaire traditionnel est mis au service du message chrétien. Pour les stoïciens comme pour les épicuriens, il ne s’agit pas de la fin du monde mais de la fin d’un monde, fin d’un monde qui n’est pas le résultat d’une décision comme chez Juvencus (nam statuit genitor rerum…) et qui n’a rien à voir avec un jugement (iudex… Christus), mais qui est comme la pulsation d’un monde sans commencement ni fin. Tout au plus peut-on dire que, si dans une perspective platonicienne ces cataclysmes sont la conséquence de l’imperfection de tout ce qui existe, d’un point de vue stoïcien la résorption de l’univers dans le feu est comme l’épiphanie de l’univers divin. Mais, alors que l’utilisation du vocabulaire philosophique sert à un renversement et une négation de l’univers atomiste de Lucrèce, Juvencus transforme la pensée stoïcienne en mettant un nom sur l’intelligence qui donne sens au monde. L’existence de l’univers dans la perspective épicurienne est le résultat du choc aléatoire des atomes. Il n’est pas l’ensemble organisé, tendu, tenu, l’ordre imposé par la maîtrise du dieu de l’univers sur les éléments naturellement hostiles l’un à l’autre, comme l’eau et le feu. C’est de l’univers stoïcien qu’on peut dire mundi compage tenetur. L’ordre du monde stoïcien est l’œuvre d’une intelligence, celle-là même à laquelle le sage se conforme et adhère. Le monde est un assemblage, un tout composé de plusieurs pièces, et c’est cet assemblage qui fait de lui un tout, comme un édifice ou un bateau. C’est pourquoi la fin du monde est un désassemblage, un déliement  : Haec tellus caelumque super soluentur in ignes, sed mea non unquam soluentur ab ordine dicta. (IV, 161-162)

Si la parole du Christ a pour elle l’éternité que le monde n’a pas, la parole du Christ et le monde ont en commun d’être des ensembles organisés et signifiants. Le monde est un assemblage dont les éléments matériels sont comme emboîtés les uns dans les autres dans l’espace, mais il est aussi un assemblage dans le temps qui un jour sera défait  : Et tunc finis erit currentia saecula soluens (IV, 120). L’important, c’est que, contrairement à la vision épicurienne, la vision stoïcienne suppose une force qui impose sa loi au monde et aux éléments qui le 17

 2, Petr. 3, 10.

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constituent (mare, tellus, ignea sidera caeli) comme un pouvoir impose sa loi aux cités des hommes (urbes… regna hominum, aurea Roma) 18. De même qu’il transforme la fin d’un monde en fin du monde, Juvencus attribue la puissance organisatrice de l’univers, non pas au dieu démiurge de Platon, ni au divin des stoïciens, impersonnel et intérieur au monde, mais à Dieu, genitor rerum. Le monde existe et sera détruit, non pas en fonction des lois internes à tout ce qui existe, mais par une décision de la libre volonté de Dieu tout-puissant 19. On retrouve, à la fin de la préface, ce bouleversement et ce renouveau cosmique, signe du «  jour du Christ 20  », du «  jour du Fils de l’homme 21  »  : les mundi incendia, annoncent l’accomplissement dans l’ère eschatologique, inaugurée par le Christ, du «  jour de Yahvé  » annoncé par les prophètes. Cette étape ultime de l’histoire du salut sera consommée par le retour glorieux du souverain juge  : «  …au jour de colère où se révèlera le juste jugement de Dieu qui rendra à chacun selon ses œuvres  : à ceux qui par la constance dans le bien recherchent gloire, honneur et incorruptibilité 22.  »

Juvencus fait de sa description une vision inspirée de l’Apocalypse en inventant le terme flammivoma 23. Le poète a donc, au début de sa préface, opposé le monde créé, qui un jour disparaîtra, et la toute-puissance du Créateur et ainsi implicitement opposé le caractère périssable de l’univers (immortale nihil) à l’éternité divine. Si l’affirmation de la transcendance divine ne vient pas de l’univers culturel du ­paganisme, c’est à partir de cette culture, à partir de la vision stoïcienne de l’univers, elle-même héritée de Platon et des présocratiques, que le poète   Nous avons choisi de conserver le texte de C et Bb2  : urbes au lieu de orbis même si orbis peut s’entendre dans un sens semblable, l’image du monde comme une grande cité étant aussi une idée stoïcienne. 19  Fontaine (1981), p. 74  : «  Juvencus joue ici Épicure et Lucrèce, contre Platon et Aristote, avec la complicité de l’embrasement stoïcien du monde, et l’appui de la foi chrétienne en une fin de ce monde dont ‘la figure passe’  : ‘car l’auteur de la nature a fixé le temps irrévocable, où les torrents de la flamme dernière emporteront le monde tout entier’. Juvencus s’attaque ainsi d’emblée à l’un des seuls points d’incompatibilité (partielle puisque la pensée d’Épicure est clairement rejetée) entre la vision antique et la vision juive et chrétienne du monde.  » 20   Ph. 1, 6, 10. 21   Lc. 17, 24. 22   Rm. 26  ; cf. aussi Jc. 5, 8-9. 23   Ap. 14, 14  : «  Et voici qu’apparut à mes yeux une nuée blanche et sur la nuée était assis comme Fils d’homme ayant sur la tête une couronne d’or et dans la main une faucille aiguisée.  »  ; 20, 11  : «  Puis, je vis un trône blanc, très grand, et celui qui siège dessus. Le ciel et la terre s’enfuirent de devant sa face sans laisser de traces. Et je vis les morts, grands et petits debout devant le trône  ; on ouvrit des livres, puis un autre livre, celui de la vie  ; alors les morts furent jugés d’après le contenu des livres, chacun selon ses œuvres.  » 18

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c­omprend et interprète la transcendance de Yahvé. Le poète demeure dans l’univers qui est le sien et en ce sens il est profondément fidèle à l’esprit de l’Incarnation. L’univers n’est pas frappé d’insignifiance  : dans ce monde, il y a des actions sublimes (sublimia facta), il y a une force morale (virtus), il y a Achille et Hector, il y a Ulysse et Énée. Les grandes actions et la valeur qui en est la source appellent, chez ceux qui les manifestent comme chez ceux qui en sont les témoins, le désir de les faire connaître, d’en faire durer le souvenir, de les célébrer, un désir d’éternité que les poètes ont pour mission de satisfaire. La pensée de Juvencus n’est pas une adhésion béate aux valeurs du paganisme et il affirme clairement les limites de l’entreprise des grands épiques du paganisme. La critique est cependant complexe et bien éloignée d’un simplisme fanatique. La poésie païenne ne peut atteindre l’éternité mais elle atteint cependant quelque chose qui y ressemble, une image de l’éternité  : gloria… quae manet aeternae similis, une image trompeuse de l’éternité, car elle ne saurait être plus durable que les éléments de ce monde dont d’emblée a été affirmé le caractère périssable, encore souligné en clôture du premier versant de la praefatio (terras atque aequora circum aethera sidereum), suggéré aussi par le vertige du mouvement circulaire, image de l’éphémère et des limites (uertigo poli terras atque aequora circum… uoluet) et par le rappel de la dépendance (iusso moderamine). Il est frappant de noter que le ciel, qui est si souvent dans la pensée antique l’ordre immuable, devient l’image du provisoire, de l’instable et de l’éphémère. Il y a donc dans l’entreprise poétique païenne quelque chose de désespéré, une volonté de durer éternellement qui ne peut aboutir et qui prend un caractère frénétique que suggèrent les verbes frequentant et adcumulant. Le sed du vers 6 nous ramène au temps des hommes, à celui de leur gloire limitée selon la pensée même de Cicéron dans le songe de Scipion  : Tu enim quam celebritatem sermonis hominum aut quam expetendam consequi gloriam potes? 24 Car cette gloire est limitée dans l’espace  : Quis in reliquis orientis aut obeuntis solis ut imis aut aquilonis austriue partibus tuum nomen audiet? 25 et surtout dans le temps  : Quin etiam si cupiat proles illa futurorum hominum deinceps laudes unius cuiusque nostrum a patribus acceptas posteris prodere, tamen propter eluuiones exustionesque terrarum quas accidere tempore certo necesse est, non modo non aeternam, sed ne diuturnam quidem gloriam adsequi possumus. Quid autem interest ab iis qui postea nascentur sermonem fore de te, cum ab iis nullus fuerit qui ante nati sunt? Qui nec pauciores et certe meliores fuerunt uiri 26. Cette gloire humaine, certes limitée, bénéficie cependant selon Juvencus d’une extension dans le temps (in tempora longa) et l’espace (innumero, frequentant) et les termes qui l’évoquent rappellent précisement les sujets propres

  Cic., Rep. VII, 19, 20.  Cic., Rep. VII, 19, 22. 26   Cic., Rep. VII, 19, 23. 24 25

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à l’épopée (sublima facta et uirtutis honos) 27 et le rôle des poètes épiques  : célébrer par leur chant la valeur des actes accomplis, joindre une parole noble à une noble action (adcumulant quorum famam laudesque poetae, Praef. 8) 28. Et pourtant il est dit de ces poètes qu’ils sont des uates, et le mot est tout chargé de la puissance mystérieuse dont la tradition poétique romaine l’a lesté. Ce sont les mages, les voyants en contact secret avec l’ordre du monde et dont la parole est un carmen. C’est le même mot uates que le poète utilisera pour les prophètes dont la mission est de dire ce qui viendra dans la succession des temps. Le mot uates ou la mention d’un prophète est souvent associée au mot ordo, sous la forme ordine en dactyle 5e  : Hoc est, quod prisci cecinere ex ordine uates (I, 122) Vt dictum Esaiae concurreret ordine longo. (I, 412)

On comprend aisément que les prophètes soient qualifiés de uates 29  : ils sont bien en contact avec l’ordre du monde comme les uates du paganisme et leur parole a souvent la force et la solennité énigmatique du carmen 30 mais cet  Verg., Aen. I, 5 (1)  : Arma uirumque cano.  Green (2006), p. 20  : «  The carefully chosen phrase ‘similar to eternal’ to describe their renown, and the poetic development of the theme that it will last long as universe, shows further respect for, and indeed symphathy with, traditional poetry.  » 29   Jean-Baptiste (I, 132 et 348)  : uatis ad officium  ; Isaie (I, 141)  : cecinit uates uenturam…  ; I, 186  ; uatum oracula (I, 19 5)  ; Esaias uates cecinit (I, 313)  ; oracula uatum (I, 237)  ; alterius quondam praenuntia uatis (I, 275)  ; Jonas (III, 235)  ; ueteris quondam fluxit uox nuntia uatis (III, 633). 30  Il est déconcertant de constater que sont aussi dits uates les prêtres de l’ancienne Alliance. Passe encore pour Zacharie qualifié successivement de sacerdos (I, 2) et de uates (I, 4)  : Zacharie est un inspiré malgré lui mais inspiré quand même, le mutisme et sans doute la surdité qui le frappent sont des messages du Très Haut et, quand il retrouve la parole  : Completusque canit uenturi conscia dicta… (I, 116). Mais sont aussi appelés uates les chefs des prêtres aveugles ou hostiles. L’exemple le plus choquant de cet emploi est sans doute aux vers III, 290-292  : Iam lux adueniet… / Moenibusque in Solymis rabies cum prona furore / eximios uatum saturabit sanguine nostro, «  Bientôt viendra le jour… où dans les murs de Jérusalem rage déchaînée et fureur gorgeront de notre sang les plus éminents des prêtres.  » On peut comprendre que le poète utilise le même mot pour désigner Homère, Virgile et Isaïe. Mais comment admettre qu’il fasse de même pour désigner les prophètes et les prêtres qui se dressent en face de Jésus, pleins de rage et de fureur  ? Il serait tentant d’en conclure qu’il ne faut pas attribuer grande importance au choix des mots. Pourtant la violence même du vers 292, la force de l’expression saturabit sanguine, le rapprochement uatum… sanguine invite à voir dans le choix du mot uates une intention précise, une volonté délibérée. Le prophète chante (canit) et il chante l’avenir (uox nuntia uatis). Cette mission est un officium qui a un rapport avec l’ordre du temps  : ex ordine uatum (I, 4), completo ex ordine uates (I, 47) sont autre chose que de commodes fins d’hexamètres. Les prêtres, aussi aveugles ou hostiles qu’ils soient à la vérité, en sont les agents et les témoins. Agents d’un rituel antique, ils sont aussi, sans le savoir, dans leur rage féroce contre le Christ, les agents d’un nouveau rituel. Ils s’inscrivent, même malgré eux, même sans le savoir, même en faisant le mal, dans l’ordre mystérieux qui gouverne la succession des siècles et la ­relation de Dieu avec les hommes. Ils «  font du sacré  », ce qui est le sens même du mot sacerdos. 27 28

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emploi n’éclaire-t-il pas également en retour le terme uates appliqué aux poètes païens 31  ? C’est clairement ce rôle d’héritier des poètes classiques que revendique Juvencus avec les deux périphrases évoquant Homère et Virgile et cette fontaine des Muses, source de leur inspiration (de fonte fluentes)  ; si Homère et Virgile ont droit au titre de uates comme Isaïe, Jérémie ou Zacharie, c’est sans doute que leur poésie a en quelque façon prise sur le temps, parce qu’elle unit la noble hauteur (celsi cantus) et la douceur (dulcedo Maronis) 32  : aux eaux d’un fleuve, elle emprunte la douceur et la force, la puissance et la majesté. Faut-il voir dans ces vers de simples tournures précieuses destinées à donner une valeur poétique au texte  ? Ce serait refuser de voir la cohérence stylistique et intellectuelle du passage qui, malgré des emprunts variés, a une grande unité de sens. Quand on regarde le contexte des Géorgiques 33, où Virgile évoque luimême le Mincius, on voit que le poète fait allusion à une évolution de l’inspiration poétique qui de grecque va devenir latine  : Primus ego in patriam mecum modo uita supersit Aonio rediens deducam uertice Musas; primus Idumaenas referam tibi, Mantua, palmas, Et uiridi in campo templum de marmore ponam Propter aquam, tardis ingens ubi flexibus errat Mincius et tenera praetexit harundine ripas.

Le vers 11 de Juvencus rappelle également ceux de Properce III, I, 31-34  : Exiguo sermone fores nunc Ilion, et tu Troia bis Oetaei numine capta dei. Nec non ille tui casus memorator Homerus posteritate suum crescere sensit opus 34.   D’où les tentatives pour christianiser Virgile avec en particulier la lecture prophétique de la Bucolique IV. Sur ses lectures chrétiennes, cf. Courcelle (1957)  ; Chaffin (1972)  ; Fontaine (1978)  ; Benko (1980). 32   Quand Juvencus fait gloire à Virgile de sa dulcedo, il se place dans une tradition qui estime que le charme et la grâce sont les plus hautes caractéristiques de la poésie. Cf. Cic., Tusc. 2, 27  : (poetae) ita… dulces… ut ediscantur ou Verg., Georg. 2, 457  : dulces ante omnia Musae. Quadlbauer (1974), p. 190 résume ainsi ce jugement où se rencontrent chrétiens et païens  : «  Wenn Iuvencus gerade dulcedo an Vergil rühmt, steht er damit in einer Tradition, die das Reizvolle, die Anmut, als Hauptmerkmal der Poesie schätzt  ; er ist dabei vielleicht nicht unbeeinflusst davon, dass Vergil selbst, den Iuvencus als sein Leitbild in der Poesie gewählt hat, sich als Priester der innig geliebten dulces ante omnia Musae bekennt (Georg., 2, 457f). Mit dem Lob der beiden klassischen Epiker stellt sich Iuvencus in die Reihe derer, die die heidnische Literatur wegen ihrer künstlerischen Qualität achteten. Die an Vergil gelobte dulcedo liegt dabei in der Richtung jener venustas eloquii, die etwa der heilige Hieronymus in der Literatur der gentiles fand und deren Zauber er sich nicht entziehen konnte.  » 33  Verg., Georg. 3, 15. 34   Prop. III, I, 31-34. 31

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Or, c’est dans ce poème que Properce joint ce thème à celui du renouveau de la poésie et à une transposition de lieu et de genre qui leur donne un aspect sacré  : Callimachi Manes et Coi sacra Philetae, In uestrum, quaeso, me sinite ire nemus. Primus ego ingredior puro de fonte sacerdos Itala per Graios orgia ferre choros 35.

Ainsi, Juvencus suit à son tour ses modèles en passant d’une inspiration romaine à une inspiration chrétienne, en détournant l’aspect sacré de la poésie païenne pour exprimer le sacré chrétien 36. C’est une évolution semblable que prépare aussi la vision à première vue païenne du poète et de la gloire de son œuvre où l’on retrouve la conception de Properce (paruaque tam magnis admoram fontibus ora unde pater sitiens Ennius ante bibit et cecinit Curios fratres 37)  ; le rapprochement avec Properce est à plus d’un titre intéressant puisqu’on retrouve aussi l’idée du vers 11 dans la vision du poète (nec minor ipsorum discurrit gloria uatum / quae manet aeternae similis dum saecla uolabunt, Praef. 11-12) et le même enchaînement logique 38  : les œuvres humaines ne peuvent échapper à la destruction mais la gloire du génie lui apporte l’immortalité 39. Le message évangélique entraîne un retournement dans le processus qui conduit à la gloria. Dans le monde païen, c’est le poète qui est le maître du temps, c’est lui qui donne la gloire aux grandes actions des hommes et ainsi se la donne à lui-même 40. Dans le nouveau monde, le processus est inverse  : c’est ce que   Prop. III, I, 1-4.   C’est le sujet de l’article de Testard (1990), p. 3  : «  La génèse même de l’œuvre donne à penser et à attendre que Juvencus va mettre au service du sacré évangélique toutes les ressources de l’amplification et même du merveilleux épique qui, bien souvent, ont eux-mêmes pour objet l’évocation du sacré.  » 37   Prop. III, 3, 5-6  ; ou également III, 3, 50-51  : Talia Calliope, lymphisque a fonte petit / ora Philetaea nostra rigauit aqua. 38   Également chez Hor., O. III, 30, 1-6  : Exegi monumentum aere perennius / regalique situ pyramidum altius, / quod non imber edax, non Aquilo inpotens / possit diruere aut innumerabilis / annorum series et fuga temporum. / non omnis moriar multaque pars mei / uitabit Libitinam: usque ego postera / crescam laude recens… Cf. aussi Prop. II, 30, 5-8  : Non ego… obibo nec Stygia cohibebor unda. 39   Prop. III, 2, 19-26  : Nam neque Pyramidum sumptus ad sidera ducti / nec Iouis Elei caelum imitata domus / nec Mausolei diues fortuna sepulchri / mortis ab extrema condicione uacant; / aut illis flamma aut imber subducit honores, / annorum aut ictu pondere uicta ruent. / At non ingenio quaesitum nomen ab aeuo / excidet: ingenio stat sine morte decus. 40   Cf. Ov., M. XV, 871-879  : Iamque opus exegi quod nec Iouis ira nec ignis / nec poterit ferrum nec edax abolere uetustas. / Cum uolet, illa dies, quae nil nisi corporis huius / ius habet, incerti spatium mihi finiat aeui; / parte tamen meliore mei super alta perennis / astra ferar nomenque erit indelebile nostrum; / quaque patet domitis Romana potentia terris. / Ore legar populi perque omnia saecula fama, / siquid habent ueri uatum praesagia, uiuam. 35 36

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raconte le poète (les Christi uitalia gesta) qui donne vie à sa poésie 41. Cette expression vitalia gesta dépasse le seul sens de «  vie du Christ  » pour prendre une signification eschatologique surtout dans le contexte de cette préface 42. Chez les païens, les nobles chants (celsi cantus), en racontant les actions sublimes (sublimia facta), leur donnent gloire et éloges (fama laudesque hominum) et la gloire au poète. Cette gloire ne peut dépasser la durée de l’univers  : elle est réputation durable (longa fama) pour une longue période (longa tempora). Elle n’est pas éternelle, pas plus que le monde 43. C’est le chant des poètes qui donne gloire aux héros et aux poètes 44. Dans le poème chrétien, la gloire ne vient pas de la poésie, elle vient du Christ (Christi uitalia gesta). Ces actes constituent un don (diuinum populis… donum), que le poète accueille dans l’adhésion totale de la foi (certa fides) et le poème est la réponse au don divin. Parce que le poème est réponse de la foi au don divin, il peut accueillir la vie qui n’est pas soumise à la mort, qui n’est pas non plus limitée par la durée de l’univers et donc l’œuvre ne périra pas et, si Dieu le veut (forsan), l’œuvre permettra au poète d’échapper au feu de la fin du monde et du jugement. Il recevra l’immortale decus, dont le sens est peut-être davantage l’honneur de l’immortalité qu’un honneur immortel. Le rôle du carmen a changé 45  : l’ancien carmen conférait aux grandes actions celsitas et dulcedo, la grandeur qui frappe et attire, le charme qui retient.  Carrubba (1993), p. 309 le souligne clairement  : «  In contrast to the temporally limited fame of pagan poets, Juvencus professes no fear that the final conflagration will destroy his work. Indeed, this work may even save him from the flames (21-22). Charles Witke persuasively interprets this view of poetic and personal immortality as a significant departure from classical conventions. The situation of Juvencus is different from that of Homer and Vergil… and with Juvencus the situation of Christian poetry is for the first time clearly defined. The poet will not confer immortality on his subject through art; rather, the subject, the eternal truth of Christ, will bring immortality to the work as literature and on another level to the poet as a man. This is the point of lines 21ff.: the poet as a human being hopes for salvation from the fire of hell.  » 42   Voir sur ces termes l’analyse de Green (2006), p. 20. 43   On peut noter la répétition du terme inmortale au vers 18 reprenant sous une forme positive le inmortale nihil du premier vers. 44   Prop. III, I, 9  : quo me Fama leuat terra sublimis  ; Prop. III, I, 21-24  : At mihi quod uiuo detraxerit inuida turba, / post obitum duplici faenore reddet Honos; / famae post obitum fingit maiora uetustas; / maius ab exsequiis nomen in ora uenit. 45   À propos de ce changement de finalité, voir l’analyse de la préface de Juvencus dans Bureau (1997), p. 23  : «  Ainsi, il n’est pas question de modifier la nature du genre  ; Juvencus se contente fort bien d’en corriger la finalité. Tendue par ignorance vers une propagation de l’illusion, l’épopée s’accomplira pleinement en se tournant vers la célébration de la vérité. Juvencus n’entend pas se faire plus grand que Virgile ou Homère, sotte prétention que certains lui ont prêtée, il entend seulement être plus utile (et faire ainsi les bonnes œuvres qui le sauveront) en tournant vers le salut l’un ou l’autre de ces ‘petits’ qui, dans la parabole, sont les frères du Christ. Le thème de la rivière, source de Smyrne, Mincio et Jourdain, se comprend alors mieux. Au Jourdain se manifeste dans le Christ la véritable nature de l’homme, non pas simple créature, mais par le 41



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Le nouveau carmen devra conserver ces qualités mais elles seront le résultat des vertus accordées au poète par l’Esprit Saint  : la sainteté et la pureté. Est-ce pousser trop loin que de voir une correspondance précise entre celsitas et sanctitas, entre dulcedo et pureté, pureté des eaux du doux Jourdain  ? Le carmen n’est plus la source de la gloire, il est d’abord réponse au don divin. Il suffisait de la source de Smyrne ou de l’eau du Mincio pour inspirer Homère et Virgile, parce qu’ils chantaient des exploits humains, mais pour un chant qui a pour sujet «  les actes du Christ qui donnent la vie  », il faut un carminis auctor, l’Esprit Saint qui abreuve l’esprit du poète aux eaux du Jourdain. Mais entre les uates du paganisme et le nouveau uates que veut être Juvencus, il n’y a pas seulement les différences qui viennent du sujet  : non plus les exploits d’Achille, d’Ulysse ou d’Énée, mais ceux du Christ  ; le carmen païen «  tisse aux exploits des hommes d’autrefois des mensonges  ». On songe à la déclaration des Muses dans le prologue de la Théogonie 46  : les Muses savent chanter des vérités et des mensonges. Les réminiscences antiques et la parole chrétienne convergent dans des images où les aspects purement païens sont neutralisés par des connotations nouvelles dans une utilisation à la fois esthétique et thématique. Le poète inspiré (uates) devient prophète. Le passage de l’un à l’autre se fait autour d’un reproche traditionnel chez les premiers chrétiens  : la parole des poètes est parole d’homme, mensonge (hominum mendacia) alors que la parole de Dieu est vérité (falsi sine crimine). Depuis Homère, l’épopée classique commence par une invocation aux Muses, l’œuvre de Lucrèce par une invocation à Vénus  : «  Puisque … je t’appelle à mon aide pour le travail de ce poème, donne donc, ô déesse, donne à mes paroles un charme éternel 47.  » Chez Juvencus, la forme de l’invocation 48 reste la même mais le rôle de la Muse est assuré par l’Esprit Saint en un ­mouvement qui mène Christ, lui Fils Unique, fils du Créateur. Nées d’une source mortelle comme le monde, les œuvres d’Homère et Virgile ne pouvaient atteindre à la Vérité. Née à la source pure où, par le Christ l’homme se révèle dans sa nature de fils de Dieu, l’épopée de Juvencus atteindra naturellement au but naguère impossible.  » 46  Hés., Théog. 27-28  : «  Nous savons conter des mensonges tout pareils aux réalités  ; mais nous savons aussi, lorsque nous le voulons, proclamer des vérités.  » 47  Lucr. I, 24  : te sociam studeo scribendis uersibus esse  ; I, 28  : quo magis aeternum da dictis, diua, leporem. 48   Quadlbauer (1974), p. 193 précise qu’au vers 25 se trouve, dans le manuscrit B du IXe ou Xe siècle, la note de marge inuocatio qui prouve qu’on a regardé précocement la prière de Juvencus pour obtenir l’aide de l’Esprit Saint comme un équivalent de l’appel traditionnel aux Muses qui compte comme une partie intrinsèque du proœmium épique. Mais il souligne qu’au lieu de l’adresse directe habituelle, Juvencus parle de l’aide qu’il reçoit à la troisième personne. Cette façon d’éviter le «  tu  » et l’expression carminis auctor trouvent un parallèle dans une formule du Culex  : Phoebus erit nostri princeps et carminis auctor (v. 12). Cette citation implique une intentionnelle aemulatio Vergilii pleine de charme par son caractère allusif.

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CHAPITRE IV

à son terme la métamorphose chrétienne de l’épopée païenne dans ce passage qui est l’esquisse d’un nouvel art poétique. L’Esprit Saint est plus que le sanctificator de la parole, il en est l’auctor. Le poète traite un sujet certes épique mais dont le héros ne peut être que le Christ  : Christi uitalia gesta. Le double sens de l’adjectif uitalia suggère que le récit de la vie du Christ est aussi et en même temps un récit qui donne la vie 49. À cet art poétique correspond peut-être aussi une métamorphose du rôle des grands éléments du cosmos. La première partie insistait sur trois des quatre éléments du cosmos  : mare, tellus, ignea sidera mundi, repris en 13-14 terras atque aequora circum / aethera sidereum, variation qui en prépare une autre qui est davantage qu’un jeu littéraire  ; ces éléments du cosmos, créés et périssables, ne seraient-ils pas repris à la fin de la préface, non plus comme des éléments du cosmos, mais comme les moyens visibles de l’intervention divine dans la vie des hommes  : le feu de la gloire et du jugement, l’eau de la vie que donne l’Esprit Saint  ? S’il y a quelque chose de fondé dans cette remarque, on peut supposer que le doux Jourdain est beaucoup plus ou tout autre chose que le cours d’eau palestinien 50. Il est l’eau baptismale et le fleuve de la vie éternelle 51, comme le fleuve qui sort du temple dans la vision d’Ézéchiel ou le fleuve de vie de l’Apocalypse 52. Il est frappant de voir comment Juvencus reçoit dans sa culture, dans l’univers spirituel dont il est l’héritier, la nouveauté du message évangélique et biblique 53. Juvencus est profondément convaincu de la dignité de sa culture et du carmen épique. Le carmen épique raconte les origines et les fondations, son   Même thème chez Arator, cf. Fraïsse (2004).   Sur ce sujet, cf. les intéressantes remarques de Quadlbauer (1974), p. 201 sur le terme rigare et l’expression puro… amne et leur sens à la fois culturel et cultuel  ; la pureté de l’art (l’absence de fautes techniques ou esthétiques de la poésie) rejoint la pureté chrétienne du baptême. De la même façon, la douceur du Jourdain, douceur morale et religieuse répond en écho à la douceur artistique de Virgile. On trouve ainsi mêlés un ensemble de symboles christiano-éthiques et pagano-esthétiques. Le Jourdain est doux comme tout ce qui a un lien avec le Christ mais il symbolise aussi le charme d’une nouvelle poésie, la poésie chrétienne. 51   Ez. 47, 1  ; Ap. 22, 1  : «  Puis, l’Ange me montra le fleuve de Vie limpide comme du cristal qui jaillissait du trône de Dieu et de l’Agneau.  » 52  Testard (1990), p. 13 écrit à propos de l’emploi de fluminis undas (Lc. I, 222) et du rapprochement entre le Christ et César  : «  En outre, comme César frayant la voie à toute son armée, Juvencus, avec toute la tradition, verrait Jésus qui se fait baptiser pour inaugurer le baptême chrétien et qui sanctifie le baptême de Jean et les flots du Jourdain  : il entre dans l’eau le premier, pour y être suivi par des multitudes. Ainsi l’eau du baptême sera-t-elle en effet, souvent, appelée Jourdain par référence au propre baptême initial de Jésus (Prud., Cath. II, 64  ; Psych. 99  ; Paulin de Perigueux, De uita Mart. IV, 253).  » 53   Il s’agit véritablement d’une «  conversion du christianisme  » à la culture antique, selon l’expression employée par Brown (1971) et reprise par Fontaine (1978). Cf. aussi Courcelle (1984)  ; M.  Martin (1980). 49 50

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auteur doit donc être en contact avec les grandes forces de l’univers. Comment les grands poètes païens, malgré les mensonges du paganisme, étaient-ils en contact avec les grandes forces de l’univers  ? Juvencus ne répond pas à cette question et considère peut-être que la noblesse et la douceur de leurs vers prouvent qu’ils étaient d’authentiques uates. Il assume la méditation philosophique des stoïciens sur l’ordre du monde, les hauts faits des héros de son histoire, tout comme la valeur de ses grands inspirés. Mais le message évangélique entraîne comme un changement de registre  : le cosmos n’est plus l’horizon insurpassable qui enferme l’homme, ses actions et sa gloire. Il n’est plus voué à une éternelle répétition. Il y a maintenant un Dieu qui crée (genitor rerum) et qui vient chercher les hommes pour leur donner la vie qui ne passe pas (Christi uitalia gesta), un Dieu qu’on ne peut connaître et dont on ne peut parler sans être inspiré par lui-même (sanctificus Spiritus). Derrière le Christ héros, c’est la Trinité qui est au centre de l’épopée. Mais aussi chrétienne que soit la prière finale, elle reste exprimée avec les termes de la poésie païenne et le Vt Christo digna loquamur de Juvencus s’inspire directement d’un vers de l’Énéide  : quippe pii uates et Phoebo digna locuti 54. M. Testard éclaire très bien ce rapprochement entre sacré païen et chrétien, qui est loin de n’être que formel  : «  Juvencus a vécu son inspiration poétique à partir de sa foi et de la Sacra Scriptura, qui lui livraient des faits, d’une part, et de l’intuition implicite, d’autre part, que les grands poètes épiques, à travers leurs fables, s’étaient eux aussi, à leur manière, approchés du sacré, et avaient dit quelque chose du mystère ineffable 55.  »

La praefatio n’est pas cependant un élément extérieur aux Evangeliorum libri et la séparation faite traditionnellement n’est pas justifiée. Il est d’ailleurs, je crois, possible de démontrer qu’elle est effectivement dans l’œuvre, dans la mesure où elle esquisse et met en place certains thèmes importants pour le sens de l’ensemble. L’emploi d’un certain nombre de mots le suggère déjà  : des mots essentiels comme fides ou gloria, uitalia, des termes en lien avec le feu et la lumière (flammiuoma… nube coruscans) un terme plus spécifique, plus propre au poète comme donum en alternance avec munus, des termes moins riches de sens mais qu’il aime comme cunctus ou manere. 2.  Analyse de la dédicace finale Il est intéressant de rapprocher les deux passages où le poète s’exprime en son nom propre, la préface et la dédicace finale car les échos entre les deux textes peuvent nous permettre d’entrevoir certains thèmes et leur importance. 54 55

 Verg., Aen. VI, 662.  Testard (1990), p. 28.

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CHAPITRE IV

Des termes identiques reviennent  : mens, fides, gloria, digna, diuinus, saecula mais aussi des termes apparentés par l’origine  : uirtus et uires, uitalia et uita, meritum et merenti, sanctificus et sanctus ou par le sens  : donum et tribuet, flammiuoma, coruscans et luceo, lux. Si les cinq premiers vers du poème sont l’affirmation de la toute-puissance divine, à laquelle rien n’échappe (nihil mundi… cunctum… mundum), si la proclamation liminaire nous invite à être constamment attentif à cette idée de puissance et de pouvoir, la conclusion applique cette même idée au pouvoir séculier de l’empereur. Il se pourrait que dans sa réécriture de l’évangile de Matthieu, Juvencus privilégie cette idée de la toute-puissance divine. Ce n’est peut-être pas un hasard si le premier mot, après la préface, est rex, pas un hasard non plus si le poème se termine par un éloge de Constantin 56  : qui solus regum sacri sibi nominis horret imponi pondus… (IV, 809-810) «  lui qui seul des rois refuse que du nom sacré le poids lui soit imposé…  57  »

Constantin refuse avec horreur, comme un blasphème (horret), le nom sacré de roi, parce que ce nom appartient à Dieu seul et qu’il reconnaît la royauté du Christ (Christum qui in saecula regnat)  ; il mérite ainsi de recevoir la vie éternelle. Il est étonnant de voir comment Juvencus réinterprète l’antique refus   Has mea mens fidei uires sanctique timoris / cepit et in tantum lucet mihi gratia Christi, / uersibus ut nostris diuinae gloria legis / ornamenta libens caperet terrestria linguae. / Haec mihi pax Christi tribuit, pax haec mihi saecli, / quam fouet indulgens terrae regnator apertae / Constantinus, adest cui gratia digna merenti, / qui solus regum sacri sibi nominis horret / inponi pondus, quo iustis dignior actis / aeternam capiat diuina in saecula uitam / per dominum lucis Christum, qui in saecula regnat, «  Les forces de la foi et de la sainte crainte ont pénétré mon esprit et pour moi brille la grâce du Christ, assez pour que la gloire de la loi divine en nos vers veuille emprunter les ornements terrestres du langage. La paix du Christ m’a permis cela, me l’a permis la paix du siècle qu’un souverain entretient, plein d’attention pour la terre ouverte, Constantin, qu’assiste une grâce qu’il a méritée, lui qui seul refuse que du saint nom de roi le poids lui soit imposé  : ainsi, rendu plus digne encore par la justice de ses actes, qu’il reçoive la vie éternelle pour le temps de Dieu, par le Christ, Seigneur de lumière, qui règne pour les siècles.  » 57  Fontaine (1981), p. 68 écrit  : «  Déployée en une ample période poétique, chargée de vocables et de thèmes à la fois politiques, religieux et moraux, achevée en une doxologie quasi liturgique, cette solennelle dédicace situe bien le poème au cœur de la conjoncture constantinienne. Il s’agit de célébrer, dans les formes antiques, l’épopée de ce Christ dont le triomphe va de pair avec celui de Constantin. Tout désormais se passe sur la terre comme au ciel  : là-haut, le Christ ‘souverain de l’univers’ (mundi regnator, 2, 265), ici-bas, l’empereur ‘souverain de la terre ouverte’ (terrae regnator apertae, 4, 807). La ‘paix de cet âge’ correspond exactement à la ‘paix du Christ’. Une telle symétrie définit l’importance idéologique d’une tentative poétique dans laquelle Évangile et Virgile peuvent enfin rimer sans contrainte, sous le calame d’un prêtre chrétien.  » 56

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romain du titre royal, autrement dit, comment il inscrit dans la tradition romaine un univers spirituel dont les codes culturels sont différents, comment se rencontrent la vieille horreur de la République romaine pour le titre royal 58 et la polémique anti-royale des premiers chapitres du premier livre de Samuel. Juvencus dédie son poème à l’empereur 59, rapprochant ainsi son œuvre littéraire de conciliation entre l’épopée païenne et le christianisme de celle de Constantin  : la réconciliation pacifique de l’Empire romain et du christianisme. Selon J. Fontaine, à l’édit de Milan sur le plan politique, aux édifices sacrés sur le plan architectural, correspond sur le plan littéraire le poème de Juvencus  : «  Cette sorte d’épilogue célèbre la réconciliation pacifique du Christianisme et de l’empire, la gloire et les mérites d’un souverain qui a renoncé aux épithètes traditionnelles pour obtenir du seul vrai Dieu, par ses mérites, la récompense de l’éternelle vie 60.  »

L’expression terrae… apertae pour désigner l’empire que Constantin a pacifié est originale et nous montre comment fonctionnent les emprunts de Juvencus aux textes de ses prédécesseurs et l’appropriation qu’il en fait  ; on ne retrouve pas cette alliance de mots dans la littérature chrétienne, sinon pour parler du châtiment biblique de la terre qui s’ouvre pour engloutir les impies 61. Terrae… apertae est, par ailleurs, une clausule de Juvénal mais dans un tout autre contexte, celui d’une métaphore agricole évoquant les historiens dont le travail n’est pas payé 62. C’est, enfin, dans le Pro Archia poeta de Cicéron que l’on trouve l’unique sens correspondant à celui de ce texte, la puissance romaine déployée à travers le monde par les conquêtes militaires  : Populus enim Romanus aperuit Lucullo imperante Partum… nostra sunt tropaea, nostra monumenta, nostri triumphi. Quae quorum ingeniis efferuntur, ab iis populi Romani fama celebratur 63.

Mais, chez Juvencus, l’expression se charge d’un sens missionnaire, celui d’une histoire où le christianisme prolonge le rôle de l’empire romain en étendant le règne du Christ à la terre entière enfin ouverte à sa lumière 64.   Cf. P. M. Martin (1989).   Grég. de Tours, Hist. 1, 36 affirme que c’est Constantin qui avait commandé une traduction de l’Évangile en vers virgiliens  : Iuuencum praesbiterum euangelia uersibus conscribsisse rogante supradicto imperatore. 60  Fontaine (1981), p. 68. 61   Aug., Ep.  76, 108  : aperta terra uiuos absorbuit. 62  Juvc. 7, 103: Quae tamen inde seges. Terrae quis fructus apertae? 63  Cic., Pro Arch. 21. 64   Cf. ce qu’écrit Fontaine (1984b), p. 137  : «  Cette correspondance antithétique entre le règne temporel de Constantin et le règne éternel du Christ (aux vers 807-812) doit être serrée de plus près, terme à terme. Car le nom d’agent regnator, appliqué à Constantin, est un virgilianisme qui revient pour désigner Jupiter, dans l’Énéide, comme ‘regnator Olympi’  ; mais il équivaut ici exactement, pour le sens, au biblisme ‘qui 58 59

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CHAPITRE IV

Le rapprochement avec la dédicace des Institutions divines 65 de Lactance au même empereur Constantin montre les éléments caractéristiques de la conception du rôle de l’empereur face à la chrétienté en ce début de IVe siècle  : – il est soutenu et porté au sommet par la grâce de Dieu  : quo te Deus summus ad beatum imperii columen euexit (Lact.), adest cui gratia digna merenti (Juvc)  ; – il règne sur la terre entière  : orbi terrarum (Lact.), terrae apertae (Juvc.)  ; – il y ramène la paix et la justice  : salutarem uniuersis, iustitiam reducens (Lact.), pax, iustis dignior actis (Juvc.). C’est pour cette raison que les écrivains chrétiens lui dédicacent leurs œuvres. On peut noter, cependant, deux différences sensibles qui vont chez Juvencus dans le sens d’une précision affirmée du christianisme de l’empereur  : le Christ remplace le Deus summus de Lactance et la récompense obtenue par l’empereur n’est plus d’ordre politique et humain felicitatem, uirtutem, diuturnitatem, mais d’ordre eschatologique, c’est le salut et la vie éternelle qui sont promis à l’empereur  ; la justice n’est plus de même nature et, même si l’on retrouve le parallélisme entre «  paix du Christ et paix du siècle  », pour prix de ses efforts terrestres, Constantin recevra «  la vie éternelle pour le temps de Dieu  ». Cette réconciliation entre le pouvoir impérial et le christianisme est étroitement associée à celle, littéraire, de l’Évangile et de Virgile, de la parole divine et des hexamètres. Le poète, comme l’empereur, peut se présenter devant le Christ, fier de son œuvre de paix  ; Juvencus justifie, en écho à la préface, l’utilisation des hexamètres épiques. Mais, alors que dans la préface, il situait son travail en relation avec Virgile dans une aemulatio où il l’emportait sur le poète païen non par la beauté du style mais par l’assistance de l’Esprit Saint, dans les deux vers de son programme littéraire chrétien 66, il précise sa relation avec regnat’ appliqué au Christ dans le dernier vers.  » Fontaine oriente son article vers le rapprochement du titre Dominus lucis et du culte solaire impérial, p. 141  : «  Le nomen Christ de Juvencus que nous avons étudié tend à transférer déjà sur le Christ, avec précaution et, si l’on peut dire, sans erreur de parcours ni provocation envers les païens que les décisions récentes de Constantin avaient, assurément, profondément blessés, les attributs de la souveraineté solaire, et de la transcendance hénothéiste reconnue jusqu’alors au soleil, dans la titulature et dans l’iconographie impériales. Telle est la double pointe, protreptique et pastorale peut-être plus que polémique, impliquée par le titre de Dominus lucis, en un temps où les risques de confusions demeuraient encore très grands.  » 65   Lact., Inst. I, 37  : Nam cum dies ille felicissimus orbi terrarum illuxisset quo te Deus summus ad beatum imperii columen euexit, salutarem uniuersis et optabilem principatum praeclaro initio auspicatus es, cum euersam sublatamque iustitiam reducens taeterrimum aliorum facinus expiasti. Pro quo facto dabit tibi Deus felicitatem uirtutem diuturnitatem, ut eadem iustitia, qua iuuenis exorsus es, gubernaculum rei publicae etiam senex teneas, tuisque liberis, ut ipse a patre accepisti, tutelam Romani nominis tradas. 66   IV, 804-805  : Versibus ut nostris diuinae gloria legis / Ornamenta libens caperet terrestria linguae, «  Assez pour que la gloire de la loi divine en nos vers veuille emprunter les ornements terrestres du langage.  »



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l’Évangile, ou plutôt en apparence, une absence de relation avec son modèle direct, l’Évangile de Matthieu. Il semble que l’inspiration divine soit directe, un peu à la manière de celle qui touche les prophètes libens caperet et que la notion d’imitatio soit effacée et remplacée par cette inspiration directe. Si ce passage justifie l’usage de la rhétorique au service du christianisme, il reste très ambigu sur le choix de la paraphrase biblique et sur son sens véritable. Le risque de diminuer la majesté de l’Évangile en le soumettant à un langage païen, aussi beau fût-il, la dédicace de Juvencus montre à la fois qu’il l’envisage dans le parallélisme «  gloire de la loi divine  » et «  ornements de la langue terrestre  », mais surtout qu’il refuse de considérer qu’il y a conflit entre une forme conçue dans les termes mêmes de la rhétorique classique et ses ornamenta et le contenu scripturaire. Au contraire, comme l’écrit si bien J. Fontaine  : «  Filtrée par l’élégance virgilienne, la solennité épique a rendu ce mode d’expression recevable par la Gloire de Dieu (libens caperet). La symétrie entre réception humaine de la grâce divine et réception divine de la parure humaine du poème signifie une ‘synergie’ poétique… Juvencus n’emprunte pas simplement la langue de l’épopée et ses formes métriques comme une langue commune, pour ainsi dire commode et disponible en sa banalité même, détachée des ambitions de la grande poésie antique. Il entend que les résonances proprement religieuses de la grande épopée romaine soient les moyens appropriés à une communication du plus haut des messages 67.  »

Si ces deux passages sont les seuls à ne pas relever de la paraphrase biblique, ils ne sont pas les seuls à exprimer les idées de l’auteur, tant sur le but poétique de son œuvre que sur le sens de la mission du Christ. Les ajouts, les modifications de son modèle évangélique, lorsqu’on ne les considère pas seulement comme un travail formel, nous révèlent l’orientation des Euangeliorum libri. Certes, il ne peut y avoir de paraphrase neutre, puisque toute transposition reflète la culture de son auteur, mais dans l’œuvre de Juvencus, il y a plus que ce reflet inconscient. L’auteur poursuit un but à la fois littéraire et missionnaire et les ajouts qu’il fait sont extrêmement subtils et chargés d’un sens symbolique fort qui donne au texte une véritable unité. C’est cet infléchissement du sens que nous allons étudier en commençant par la structure de l’œuvre.

67  Fontaine (1981), p. 76-77. Cf. aussi Roberts (1985b), p.  16  : «  Juvencus was employing the charm (suauitas, dulcedo) of verse for Christian ends, a charm to which all educated readers were susceptible. In addition, it is very probable that the Stoic theory of poetic sublimity and of special appropriateness of poetry to express higher truths influenced Juvencus in his choice of poetry as vehicle for his Bible paraphrase.  »

Chapitre V

Du modèle évangélique à une dispositio personnelle 1.  La structure générale de l’œuvre L’œuvre de Juvencus est une suite de 3184 hexamètres distribuée en quatre livres d’environ 800 vers 1, précédée d’une préface de 27 vers. Ces indications peuvent rappeler les deux modèles suivis par Juvencus, les quatre Évangiles et l’Énéide de Virgile dont la longueur des chants est aussi de 800 vers environ 2. C’est, semblet-il, les seules raisons que trouvent les commentateurs de Juvencus 3 à ce découpage en apparence arbitraire. Comment expliquer, en effet, que le livre I s’achève sur un miracle raconté brièvement en 4 vers, la guérison de la belle-mère de Pierre, et que le livre II commence sur d’autres guérisons de possédés, alors que ces épisodes, dans les évangiles synoptiques, s’enchaînent sans rupture  ? Plus surprenante encore est la coupure entre les livres II et III qui sépare la parabole de l’ivraie et son explication et que dire de celle entre les livres III et IV qui intervient en plein milieu d’une discussion puisque le livre IV commence par les mots  : Talia dicentem  ? Peut-on cependant admettre que dans une œuvre aussi élaborée qu’une épopée en vers, la structure des livres soit due au hasard de la narration et que Juvencus qui, par ailleurs, respecte les règles de la uarietas et de l’ornatus, n’ait eu aucun souci de la dispositio qui est la marque première d’un ouvrage soigné  ? C’est évidemment peu probable, mais l’affirmer ne résout pas le problème d’une composition dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle ne saute pas aux yeux. À moins qu’il ne faille y voir encore, une imitation discrète de Virgile, puisqu’à en croire le nombre d’études sur le sujet, la composition de l’Énéide suscite de nombreuses interprétations 4.   Livre I  : 770 vers  ; livre II  : 829  ; livre III  : 773  ; livre IV  : 812.   Énéide Livre I  : 756 vers  ; livre II  : 804  ; livre III  : 718  ; livre IV  : 705  ; livre V  : 871  ; livre VI  : 901  ; livre VII  : 817  ; livre VIII  : 731  ; livre IX  : 818  ; livre X  : 908  ; livre XI  : 915  ; livre XII  : 952. 3   Cf. par exemple Opelt (1990), p. 1391-1392, qui écrit  : «  En des vers qui rappellent Virgile, le poète a choisi des scènes particulières et les a placées l’une après l’autre comme des perles, sans rien chercher d’autre qu’une suite progressive des épisodes  ; pour cette raison la division des livres est assez artificielle.  » Voir cependant les travaux de Kirsch rappelés p. 3, n. 5. 4   Voir en particulier Duckworth (1954), p. 1-15  ; Conway (1928) qui met en lumière le principe d’une alternance rythmique entre les livres  ; Winnel (1969)  ; Camps (1954). 1 2

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CHAPITRE V

R. Lesueur notamment propose une hypothèse intéressante  : plutôt que de rechercher une structure de type architectural propre aux œuvres courtes et, donc, peu adaptée aux épopées, pourquoi ne pas envisager un schéma rythmique semblable à celui des arts musicaux  : «  La composition rythmique – qui se superpose, sans bien sûr l’anéantir, à la composition rhétorique – résulte d’une succession d’obstacles à la réalisation d’un projet fondamental  : le contre-temps qui surgit, le malheur qui frappe le héros, la haine d’une divinité constituent, depuis Homère, les ressorts de toute action épique. D’autre part, la discontinuité même de ces coups, les péripéties qui nourrissent la narration forment comme les accents d’un rythme. Ce terme, il est vrai, peut prêter à confusion. Les philologues, dit Littré, le définissent comme ‘la qualité du discours qui, par le moyen de syllabes accentuées, vient frapper notre oreille à de certains intervalles’. Cependant, à poser l’équation  : obstacle – accent, il s’agit bien d’une impression plus vive, consécutive à une intensité accrue. Le rythme sera donc, dans la poésie épique, ‘la qualité du récit qui, par le moyen d’épisodes dramatiques et pathétiques, mettant en cause le projet fondamental du héros, vient frapper notre sensibilité à de certains intervalles.’ En procédant de cette manière, il est possible que nous découvrions l’existence d’un schéma rythmique propre à tel ou tel poème, c’est-à-dire un genre d’unité particulière aux arts ‘musiques’, encore si imparfaitement saisie 5.  »

C’est donc, peut-être dans les thèmes, au sens musical du terme, qui se dégagent de la paraphrase de Juvencus comme des éléments originaux par rapport aux textes évangéliques, qu’il faut chercher des possibilités de réponse à cette question de la structure générale de l’œuvre. Il me semble que deux thèmes, dont nous verrons qu’ils scandent l’œuvre de Juvencus et se complètent étroitement, peuvent donner un sens au découpage de ces quatre livres. C’est d’abord la notion d’obstacle qui amène une crise au cours des «  labores  » du héros épique, situation périlleuse, lutte contre des ennemis redoutables qui aboutit au triomphe du héros, à l’accomplissement du destin, à une ouverture vers l’avenir. Pour le Christ, l’obstacle principal est l’hostilité grandissante de ses ennemis et sa supériorité se manifeste par l’efficacité de sa parole. C’est surtout le thème de la lumière et de l’ombre qui fait du Christ, face aux forces des ténèbres, et selon le titre décerné dans le dernier vers, Dominum lucis (IV, 812). Ainsi les livres 1, 2 et 4 vont de l’ombre à la lumière alors que le livre 3, apogée de l’enseignement et des miracles du Christ mais aussi montée de l’hostilité de ses ennemis qui l’amène jusqu’à la Passion, va de la lumière à l’ombre 6.   Lesueur (1975), p. 13-14.  Thraede (1998) a bien vu l’importance, du point de vue de la composition, de deux points essentiels  : l’utilisation du temps comme cadre épique et l’association avec le symbolisme de la lumière et de la nuit appliqué au Christ et au démon, ­individualisation du mal. L’approfondissement théologique des guérisons accomplies par Jésus, aboutissement victorieux de son combat contre les forces du mal, est lié avec le surgissement de la lumière dans la nuit ténébreuse. Cette combinaison de la nuit avec le malheur se 5 6



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Le livre 1 débute par l’évocation d’Hérode le sanguinaire (Rex fuit Herodes Iudaea in gente cruentus I, 1) et du désespoir de Zacharie et de sa femme, stériles malgré leur juste vie (Gratius ut donum iam desperantibus esset I, 9). On peut justifier ce recours à l’évangile de Luc comme un choix chronologique, mais noter cependant que c’est le seul début, dans les quatre évangiles, qui donne la possibilité de créer une atmosphère et un ton dramatique 7. Le livre s’achève sur la lumière salvatrice des miracles du Christ, soulignée par les deux titres qui lui sont donnés  : Sanctus… Iesus (I, 766), Saluator Iesus (I, 769) et sur l’opposition entre les ténèbres promises aux damnés  : caecis… tenebris (I, 758) et la promesse de salut faite au centurion, qui s’exprime en termes de lumière  : Vt credis, ueniet fructus cum luce salutis (I, 762), là où l’Évangile de Mathieu (Mt. 8, 13) dit seulement  : Vade, et, sicut credidisti, fiat tibi. Ce sont les paroles du Christ qui apportent au monde la lumière de la vie et le sort de ses ténèbres  : sed ueris discite dictis (I, 754). Le livre II débute par trois vers coupant les miracles accomplis par le Christ. Juvencus utilise les quelques mots de Matthieu  : Vespere autem facto (Mat. 8, 16) pour développer une description du soir qui tombe, très caractéristique de l’épopée  : Iamque dies prono decedens lumine pontum inciderat, furuamque super nox caerula pallam sidereis pictam flammis per inane trahebat. (II, 1-3) «  Déjà la lumière baissait  ; le jour, en se retirant, plongeait dans la mer. Là-haut la nuit bleue étalait dans le vide son sombre manteau où se détachaient les feux des étoiles.  »

Il est clair que l’auteur prend plaisir, comme en d’autres occasions, à laisser à son imagination et sa mémoire la possibilité de créer en quelques vers un tableau qui rappelle au lecteur d’autres passages semblables, mais subtilement différents  ; clair aussi que les périphrases évoquant un moment de la journée sont l’une des caractéristiques du style épique et scandent fréquemment le début d’un chant ou d’un épisode. Nombreuses sont les références que signale De Wit dans son commentaire linéaire du livre II. Apulée, Stace, Ovide, Sénèque, Lucrèce, Horace sont convoqués pour cette gracieuse évocation d’une nuit drapée dans un grand manteau sombre clouté d’étoiles 8. trouve chez Lucain et Stace. Quand Juvencus s’approprie ce trait de style, il jette la semence d’une allégorisation de la nuit, qu’Ambroise reprend dans ses hymnes et que Prudence amplifie. 7   Sur l’utilisation de Lc 1, 5-80, cf. Orban (1992). 8   De Wit (1947). Furuam… pallam  : cf. Apul., Met. XI, 3 au sujet de la lune et quae longeque etiam meum confutabat optutum palla nigerrima splendescens atro nitore  ; Nos caerula pallam… trabebat  : cf. Stat, S. I, 6-85  : uixdum caerula nox subibat orbem  ; Stat., Th. II, 527  : coeperat umenti Phoebum subtexere palla / nox et caeruleam terris infunderat umbram  ; Sidereis… flammis  : cf.  Ov., M. XV, 665  : postera

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Mais il est étonnant de voir un chant débuter sur un crépuscule et non sur la description de l’aube, ce qui ne présentait aucune difficulté puisqu’au vers 9 le jour se lève à nouveau  : exorta… cum luce. Aussi faut-il prendre garde à ne pas voir seulement dans ces ajouts de simples fioritures épiques, destinées à donner un ton virgilien à l’ensemble. Juvencus est assez habile pour poursuivre plusieurs buts à la fois et l’on ne peut détacher les procédés rhétoriques de l’intention générale de l’auteur. Ce thème de la lumière très présent dans les ajouts de Juvencus, cette opposition marquée entre ombre et clarté, ce début volontairement choisi pour marquer un monde plongé dans les ténèbres et la douleur mettent en valeur la présence rayonnante du Christ. L’adjectif même qui qualifie la nuit caeca… nocte (II, 6), s’il trouve des échos dans Virgile 9, est surtout souvent employé pour définir l’aveuglement de la faction des Pharisiens 10 et montre que cette obscurité est symbolique et que le moment de la journée définit d’abord la nuit du monde dans l’attente du Messie. L’épisode final du livre II confirme cette analyse puisqu’on retrouve la même opposition entre l’obscurité symbolique des paraboles qui laissent dans le noir ceux qui refusent de les comprendre 11 et la lumière de «  ceux qui accueillent les préceptes lumineux du salut 12.  » Les derniers vers rappellent la concordance entre la parole du Christ et celle du prophète, signe de la réalisation dans le siècle du destin choisi par Dieu pour le monde et annoncé dans l’Ancien Testament  : Talia tum populo perplexis condita uerbis, promebat, ueteris quo possent dicta profetae ordine saeclorum 13 iussis concurrere rebus: sidereos aurora fugauerat ignes  ; Pictam flammis  : Sen., Med. 310  : stellisque quibus pingitur aether  ; Per inane  : cf. Lucr. I, 1102  : ne uolucri ritu flammarum moenia mundi / diffugiant subito magnum per inane soluta  ; Trahebat… pallam  : cf.  Hor., P. 215  : tibicen traxitque uagus per pulpita uestem. 9  Verg., Aen. II, 397 multaque per caecam congressi proelia noctem. Ce vers est du reste assez évocateur  ; cette réunion d’une foule dans la nuit pour marcher au combat correspond bien symboliquement à l’usage qu’en fait ici Juvencus pour montrer la lutte du Christ contre les forces du mal. 10   Voir chap. VIII, 1  : «  Les adversaires du Christ  ». 11   II, 765-766  : Idcirco obscuris coopertum ambagibus illum / perstringit populum sermonis gratia nostri, «  C’est pourquoi le peuple, gardé dans le noir par des énigmes, n’est qu’effleuré par la grâce de notre parole.  » Cf. Ov., M. XIV, 57  : et obscurum uerborum ambage nouorum… carmen demurmurat  ; Val. Max. I, 8-10  : inter obscuras uerborum ambages fata cecinit. 12   Illis qui clarae capiunt praecepta salutis (II, 791). 13   Il est peu étonnant que l’expression ordine saeclorum provienne de la Bucolique IV, 5 magnus ab integro saeclorum nascitur ordo, celle de l’avènement d’un monde nouveau de paix et de joie où les chrétiens des premiers temps ont lu l’annonce de la venue du Christ. Et os aperire renvoie aux prophéties de Cassandre Aen. II, 246  : Tunc etiam fatis aperit Cassandra futuris / ora, donnant le ton solennel de toute communication entre le domaine du sacré et la terre.

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os aperire meum dignabor, condita mundi conuoluet ructans uarii sermonis imago. (II, 824-828) «  Voilà ce qu’il révélait alors au peuple en un langage détourné afin que les paroles du prophète d’autrefois puissent s’accorder dans la succession des siècles avec les événements prescrits  : je daignerai ouvrir la bouche et mon discours fera naître des images qui recèleront les secrets de l’univers.  »

Le soir tombe sur cette parole et le livre III peut alors s’ouvrir sur l’explication de la parabole précédente, marquant ainsi la continuité mais aussi l’avènement d’un jour nouveau, celui de l’accomplissement de la parole, celui où pour les cœurs croyants la pleine lumière remplace la pénombre. Et c’est une explosion de lumière qui ouvre ce livre, celle de l’aurore d’abord illuminée d’or et de rose 14, qui annonce la clarté des paroles et de la personne même du Christ avec ce titre  : clarus… Iesus (III, 3), préfiguration de la lumière du salut promis aux justes en opposition au sort des mauvais  : Dentibus his stridor semper fletusque perennis, secretis piis ueniet lux aurea uitae, sedibus ut caeli uibrantur lumina solis. (III, 14-16) «  Pour les uns, ce sera toujours grincements de dents et pleurs sans fin, mais pour les êtres justes mis à part se lèvera la lumière dorée de la vie comme les rayons du soleil qui étincellent dans les demeures du ciel.  »

Et, comme un écho à la fin du livre précédent, la parole salvatrice du Christ (Haec docuit Seruator, III, 17) se heurte à l’opposition d’une sombre jalousie (liuore graui, III, 21). Or si l’on regarde la structure de l’Évangile de Matthieu, il n’y a pas l’intervalle d’une nuit entre la parabole de l’ivraie et son explication, seulement un retour à la maison qui restreint aux seuls apôtres le cercle des auditeurs, pas d’adjectif pour qualifier Jésus et la seule allusion à la lumière est l’évocation du royaume des cieux où les justes fulgebunt sicut sol (Mt. 13, 43). Et le rapprochement de ce thème de la lumière avec celui de la parole du Christ comme réalisation des anciennes Écritures nécessite la suppression de trois autres paraboles, celle du trésor caché, celle de la perle et celle du filet pour en arriver à l’enseignement dans la synagogue de Nazareth. Cette suppression est assez rare dans la pratique de Juvencus pour qu’on puisse en tirer un argument en faveur d’une construction délibérée de la structure des livres. Certes, Juvencus ne pouvait que choisir, pour la séparation de ces livres, les moments où ces thèmes apparaissaient ou ajouter les mots les mettant en valeur puisqu’il suivait un récit ordonné chronologiquement, mais la convergence de ces diverses modifications met en évidence une structure dramatique avec une   Fuderat in terras roseum iubar ignicomus sol (III, 1), «  Le soleil à la chevelure de feu avait répandu sur les terres sa rose lumière.  » 14

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montée vers la lumière aux livres I et II qui culmine au début du livre III pour s’enfoncer dès la fin de ce livre vers les ténèbres de la Passion et éclater en victoire définitive avec la Résurrection. C’est ce qui explique que le livre III est le seul à avoir une structure inversée qui passe de la lumière à l’ombre. La parabole du banquet de noces s’achève avec le même effet d’ombre et de lumière mais inversé  : à la joie du banquet (laetitiis thalami, III, 764) s’oppose l’attitude d’un convive qui va être jeté dans les ténèbres extérieures  : In tenebras raptum mox praecipitare profundas. Ille stridor erit uasti sine fine doloris, et semper fletus. (III, 770-773) «  … et de le jeter bien vite au plus profond des ténèbres Il y aura là-bas le grincement d’une douleur profonde et sans fin Et des pleurs pour toujours.  »

On retrouve sous une forme à peine différente l’évocation du châtiment éternel du début du livre et une parole que le Christ vient accomplir, et peut-être est-ce la volonté de commencer et de terminer ce chant sur l’enseignement du Christ par cette même évocation qui justifie la coupure entre deux livres au milieu même d’une discussion 15. Le livre IV débute sur l’hostilité des ennemis du Christ et leurs pièges (factio frendens, fraude, malignis, IV, 1-2)  ; le Seigneur lit dans ces cœurs sombres (Ille sed inspiciens saeui penetralia cordis, IV, 7), il connaît ces cœurs durs qui résistent à la parole de Dieu (Legibus et iussis Domini mens dura resistit) et qui pour cela méritent une mort affreuse (tetram… mortem, IV, 36)  ; cette dureté s’oppose à la lumière des fils de Dieu (Sed potius uitae possunt qui prendere lucem, IV, 37). Ce thème de la lumière et de l’ombre devient totalement évident lors du récit de la Passion et de la Résurrection, mais plus encore dans les ajouts de Juvencus qui accentuent très nettement ce qui est dans l’Évangile de Matthieu. Là où les pharisiens rappellent les paroles du Christ «  Post tres dies resurgam  » (Mt. 27, 63), c’est avec les termes de cette opposition que Juvencus retranscrit ces paroles  : Nunc meminisse decet: quoniam planus ille solebat vulgari semper iactans promittere plebi, e mortis sese tenebris ad lumina uitae cum trino solis pariter remeare recursu. (IV, 732-735) «  Maintenant il convient de ne pas oublier qu’il ne cessait de promettre ouvertement à la foule inculte dans sa jactance   À moins que la discussion sur l’impôt dû à César mette délibérément en relief en ouverture du livre IV la réflexion sur les relations entre Jésus, les Juifs et les Romains, totalement passées sous silence jusque-là, puisque seul l’antagonisme entre Jésus et les pharisiens était évoqué dans les précédents livres. 15

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que des ténèbres de la mort il reviendrait vers les lumières de la vie en même temps que le soleil reprendrait pour la troisième fois sa course.  »

De même l’annonce du messager 16 et l’envoi aux disciples 17 sont rendus par des termes de lumière  : Surrexit Christus aeternaque lumina uitae corpore cum sancto deuicta morte recepit. (IV, 756-757) «  Le Christ est ressuscité et en son saint corps il a vaincu la mort et retrouvé la lumière éternelle de la vie.  » Dicite praeterea celeri properoque recursu discipulis, Christum remeasse in luminis oras. (IV, 760-761) «  Et puis retournez en toute hâte dire aux disciples que le Christ est revenu aux rivages de la lumière.  »

Cette annonce est d’ailleurs confirmée par l’apparition du Christ qualifié par deux fois de clarus Iesus (IV, 767, 790) 18, terme qui n’apparaît pas à cet endroit chez Matthieu mais qui évoque l’épisode de la Transfiguration 19. Il se présente, dans la seule phrase de son discours ajoutée par Juvencus, comme la lumière du monde  : Me pater est uobis dignatus mittere lucem (IV, 792) et le dernier vers de l’œuvre lui donne le titre solaire de Dominum lucis Christum (IV, 812). Quant à la parole qui transmet la vérité, les derniers vers de la dédicace montrent que c’est l’œuvre tout entière de Juvencus, inspirée par l’Esprit Saint, qui reprend cet héritage que le Christ a laissé à ses disciples dans l’envoi final  : «  Enseignez-leur à garder mes commandements.  » 2.  Le choix de l’Évangile de Matthieu 20 Là encore, la liberté de Juvencus est restreinte, mais il convient de prendre en compte son choix d’un Évangile de départ  ; même si l’Évangile de Matthieu est sans doute le plus usité de son temps 21, si la version grecque en est ancienne et fréquemment traduite en latin, cela ne suffit pas à expliquer que la paraphrase

  Mt. 28, 6  : Non est hic; surrexit enim sicut dixit.   Mt. 28, 7  : Et cito euntes dicite discipulis eius, quia surrexit. 18   On trouvait également le même ajout dans la scène du baptême (IV, 355)  : Surgenti manifesta dei praesentia claret, «  Il se dresse et sur lui resplendit la présence manifeste de Dieu.  » 19   Mt. 27, 2  : et transfiguratus est ante eos et resplenduit facies eius sicut sol, uestimenta autem eius facta sunt alba sicut nix. 20   On trouvera en annexe un «  Tableau général des concordances entre Juvencus et les Évangiles  » et un «  Tableau comparatif du début des Évangiles de Matthieu, de Luc et du poème de Juvencus  ». 21  Cf. Massaux (1986). 16 17

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porte presque entièrement sur ce seul Évangile 22. D’autant que les ajouts, les suppressions, les recours à d’autres textes montrent que l’auteur n’hésite pas, lorsqu’il le juge utile, à prendre un passage qui lui semble nécessaire à son propos. Quelles peuvent être les qualités du récit de Matthieu qui justifient ce choix  ? Écrit, puis traduit pour un public d’Hébreux convertis, le premier Évangile est très marqué par la compréhension interne du monde juif, et sur le plan théologique la pensée dominante est la mise en valeur de la divinité et de la messianité du Christ. Contrairement aux païens de la gentilité qui, en abandonnant le polythéisme du monde gréco-romain pour demander le baptême chrétien, devaient rejeter tout leur passé religieux, dans les premières Églises de Judée, il y avait déjà des fondements posés, la loi et les prophètes. L’évangile de Matthieu développe une doctrine de la continuité  ; ce qui n’était qu’à l’état d’ébauche dans l’ancienne Loi et les prophéties est achevé dans la Révélation de Jésus Christ. Or, s’il gomme l’aspect hébraïque du texte dans ses particularités cultuelles et culturelles au profit d’une romanisation et d’une universalité du message christique, Juvencus, comme nous allons le montrer dans le choix des passages ajoutés, a décidé de cette ligne directrice pour son ouvrage  : le Christ est le Messie annoncé par l’Écriture, appelé à un destin voulu par Dieu pour réaliser son dessein sur le monde. Au-delà même du Messie de l’Ancien Testament, il est Fils de Dieu, loi vivante, parole dégagée de toute servitude. Et Matthieu affirme cette divinité avec une force lumineuse. On peut voir dans le choix de cet Évangile centré sur le Christ envoyé de Dieu un désir d’abord littéraire de se rapprocher au plus près du héros antique, demi-dieu élu pour la réalisation de la volonté divine comme Énée qui fait naître la puissance de l’empire romain. Juvencus aurait alors l’idée plus ou moins consciente d’être, par rapport à Constantin ce que Virgile avait été pour Auguste avec le sentiment d’un devoir à accomplir  : préparer l’accomplissement d’une nouvelle Rome où le Christ serait roi. Mais c’est faire passer la forme et le style de l’œuvre avant son contenu et la démarche de Juvencus relève davantage d’un choix théologique qui trouve sa propre harmonie dans une structure préexistante. C’est parce que l’auteur voit d’abord dans le Christ le Messie envoyé par son Père pour le salut des hommes et qu’il désire diffuser cette Bonne Nouvelle, qu’il choisit d’utiliser ce qui, dans la culture païenne, a servi à exprimer les notions les plus proches  ; peut-être faut-il envisager que, pour Juvencus, comme pour beaucoup de chrétiens de son époque, ce n’est pas son épopée qui a des accents virgiliens, mais Virgile qui a des accents chrétiens. Ainsi la vieille formule de R. Pichon 23, «  le Christ dans le costume d’Énée  », qui sert à stigmatiser une tentative jugée maladroite 22   Cf. Massaux (1986), en particulier p. 565-570 et p. 647-655. Sur l’usage d’un texte grec voir également Rollins (1984), p. 7 qui récapitule les travaux précédents. 23  Pichon (1903), p. 879.

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d­ ’imitation d’un style antique, serait à inverser et l’expérience de Juvencus à interpréter comme la récupération d’un héritage usurpé  ; ce n’est pas le Christ qui serait revêtu d’un habit inattendu et peut-être saugrenu, mais Énée qui porterait un vêtement revenant légitimement au Christ. Il me semble qu’il faut lire la tentative de Juvencus plutôt dans le sens d’un vrai projet théologique pris dans sa globalité que dans celui d’une volonté limitée pour maquiller «  à l’ancienne  » un texte qui échappe à la culture gréco-romaine  ; ce n’est pas tout à fait la même chose d’utiliser des lambeaux de Virgile comme une défroque empruntée, un patchwork, ou de se servir de Virgile – c’est-à-dire du plus romain des poètes – pour romaniser le christianisme. Il est probable que, suivant les moments, les deux aspects de la question se succèdent ou cohabitent, mais le choix de l’Évangile à «  virgilianiser  », s’il peut répondre aussi à des préoccupations stylistiques, doit d’abord être considéré d’un point de vue théologique. Il est clair que le choix de Juvencus s’est porté sur l’Évangile qui met le plus en relief le Messie 24, le Fils de Dieu, le Royaume de Dieu et que les emprunts qu’il fait ailleurs vont aussi dans ce sens. L’Évangile de Matthieu est également celui qui développe le plus la lutte du Christ contre les Pharisiens, contre leur hypocrisie et leur rigidité. Le message du Christ est senti comme une continuité mais sans conservatisme, avec un esprit de progrès et de rénovation religieuse qui brise les règles strictes du judaïsme et affirme l’universalité du salut 25. C’est Matthieu, plus encore que Marc ou Luc, qui présente l’entrée des païens dans le royaume de Dieu comme une conséquence de l’endurcissement des pharisiens (Mt. 28, 18, 20), une sorte de translation des droits du peuple juif vers le reste de l’univers. Tout au long du premier Évangile, on voit apparaître l’histoire tragique de l’appel de Dieu fait à tout le peuple et entendu seulement par une minorité. À la place d’Israël d’autres invités viendront au banquet du Père, non que les Gentils n’eussent pas été admis au festin messianique si les juifs étaient restés fidèles, mais ceux-ci ayant abandonné leur rôle de guides, c’est à d’autres de reprendre cette tâche. Cela n’exclut pas toute considération rhétorique ou littéraire et, de ce point de vue, l’évangile de Matthieu a des arguments certains  ; articulé en cinq parties, précédées de quelques éléments de l’enfance de Jésus et suivies par le récit   Il y a en particulier, chez Matthieu, 10 citations des prophéties de l’Ancien Testament qu’on ne trouve pas dans les autres Évangiles (1, 22-23  ; 2, 5-6, 15, 17-18, 23  ; 4, 14-16  ; 8, 17  ; 12, 17-21  ; 13, 35  ; 21, 4-5). L’histoire de Jésus ainsi éclairée par la foi des Écritures est le sommet de l’histoire du dessein de Dieu. 25  Puech (1928), p. 81  : «  On ne peut lire le sermon sur la Montagne sans comprendre que la doctrine de Jésus sur la foi au Père céleste et sur l’amour du prochain devait faire éclater le moule d’une religion strictement nationale et qu’il est impossible que Jésus, quelques ménagements naturels qu’il ait gardés d’abord pour ses compatriotes, n’ait pas imprimé lui-même à sa prédication le caractère universaliste qui a prévalu après lui.  » 24

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de la Passion et de la Résurrection, il se présente sous une forme plus dramatique que chronologique. Sur le plan littéraire, il n’enregistre pas les sensations visuelles ou tactiles des faits qu’il décrit, il est moins sensible et pittoresque que Marc. Sa sobre sérénité s’attache à la substance de l’enseignement du Christ. Par contre, il a un sens de la composition qui lui fait animer une vaste fresque où les personnages sont présentés avec une alternance de discours et d’actions et participent à la montée de la tension et du drame qui s’accomplit dans la Passion. Ce sont là des caractéristiques qui s’accordent fort au projet de Juvencus. La neutralité et la sobriété stylistique du texte donnent plus grande liberté dans l’ornatus qu’un texte qui a déjà une couleur plus marquée. La construction dramatique fournit un cadre favorable à un traitement épique. Enfin, l’une des caractéristiques de Matthieu est un grand souci de la conduite morale des chrétiens et la mise en évidence dans les paroles de Jésus de règles de conduite immédiatement applicables 26. Il n’est pas exclu que cet aspect ait eu une influence dans le choix du modèle 27. 3.  Ajouts et omissions par rapport à l’Évangile de Matthieu S’il utilise essentiellement le texte de Matthieu, Juvencus lui ajoute à plusieurs reprises des passages des autres Évangiles 28. Plus exactement, après le récit de l’enfance qui mélange des passages de Matthieu et de Luc 29, on suit le texte de Matthieu avec trois incises de Jean et une de Marc 30. Enfin dans le récit de la Passion sont ajoutés des détails de Luc et de Jean 31. L’organisation du récit semble correspondre dans un premier temps à une volonté de remise en ordre chronologique, à un désir de ne manquer aucun des épisodes de l’enfance de Jésus et de les replacer dans un ordre cohérent et correspondant à l’ordre interne des Évangiles. On trouve la même volonté dans un ouvrage antérieur, écrit vers 172, dont Juvencus s’est sans doute inspiré, le Diatessaron (les quatre Évangiles en un) de Tatien 32. 26   Si l’on compare le sermon sur la montagne chez Matthieu et Luc, on s’aperçoit que Matthieu est plus porté sur la loi dans sa précision et Luc sur le sens général  : la charité universelle. 27  D’après Simonetti Abollito (1985), Juvencus, s’adressant à une communauté où affluaient alors des prosélytes venant du paganisme, est amené à insister particulièrement sur la morale et le mode de vie. 28   Cf. annexe I. 29   Cf. Colombi (1999). 30   Jn. 1, 43-4, 54 en II, 99-346  ; Jn. 5, 19-47 en II, 637-691  ; Jn. 11, 1-46 en IV, 306-402  ; Mc. 2, 43-74 et 5, 1-20 dans la péricope du possédé gérasénien. 31   Lc. 23, 2 en IV, 615-617  ; Jn. 19, 23 en IV, 660-664. 32   Otero Pereira (2002b), situe le texte de Juvencus par rapport à d’autres tentatives d’unification des épisodes de la vie du Christ et en particulier le Diatessaron de Tatien  : «  La pluralidad y diversidad de los textos que narran los hechos de la vida de Cristo han propiciado ya en los albores de la literatura cristiana la creación de una biografia unica



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Si l’on étudie le début du récit 33, on remarque que l’alternance entre Luc et Matthieu se fait par reconstitution d’un déroulement chronologique. Le songe de Joseph est intercalé à sa place entre les passages de Luc qui correspondent au moment où il devrait se situer  ; les épisodes sont articulés autour de notations temporelles qui les organisent les uns en relation avec les autres  : interea (I. 134), sed tum forte (I. 144). Pour le retour d’Égypte, le silence de Luc est contourné par l’utilisation d’un de ces enchaînements chronologiques  ; Luc, comme Matthieu, parle d’un retour à Nazareth, mais pour le premier, il s’agit simplement du retour après la présentation au temple, alors que le second parle du retour d’Égypte. Juvencus lie par son vers 277 le récit de Matthieu et celui de Luc. Chaque épisode trouve donc sa place dans une trame chronologique reconstituée. Si l’on regarde les incises de Jean, on s’aperçoit aussi que la première est clairement insérée selon une logique chronologique. Entre Mt. 9, 1-8, qui raconte la guérison d’un paralytique, et Mt. 9, 10, le repas avec des pécheurs, se place toute une série d’épisodes qui ne se trouvent que dans Jean (1, 45)  : les noces de Cana, Jésus et la Samaritaine, et se situent après l’appel des premiers disciples. De même la troisième incise raconte la résurrection de Lazare (Jn. 11, 1- 43) après Mt. 25, 31- 46 juste avant le complot contre Jésus, ce qui est sa place aussi dans le texte de Jean (Jn. 11, 45-54). Dans l’ensemble, le récit apparaît donc comme chronologique et suit la logique interne de l’histoire d’un personnage 34. C’est cette logique qui justifierait les choix de l’auteur lorsqu’il s’écarte de son modèle premier, l’Évangile de Matthieu. Mais cette logique chronologique est-elle la seule, est-elle même principale  ? Il est clair que cette organisation temporelle est incomplète. Pourquoi Juvencus, s’il est essentiellement soucieux du déroulement chronologique, suit-il Matthieu dans une présentation raccourcie de la vie publique du Christ qui semble ne s’étendre que sur un an, alors que l’Évangile de Jean indique clairement trois Pâques célébrées par Jésus et ses disciples et plusieurs prédications à Jérusalem, ce qui implique plus de deux ans d’enseignement  ? Un épisode également, celui du suicide de Judas, prend place chronologiquement après l’annonce de la condamnation du Christ alors que dans l’Évangile, il se situe à la suite de la trahison de Judas. On peut déjà envisager une première réponse concernant la composition de l’ouvrage. La montée à Jérusalem revêt un caractère d’autant plus dramatique qu’elle est présentée comme unique et se terminant par la mort  ; de même la Pâque y coherente de la figura de Jesus.  » Dans cet article, Pereira a montré la similitude des textes de Tatien et de Juvencus, non seulement dans la construction mais aussi dans l’organisation chronologique des épisodes, ainsi que dans la mise en œuvre des détails narratifs. 33   Cf. annexe II. 34   Sur la dimension «  biographique  » du récit, voir aussi nos remarques dans Fraïsse (2007).

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CHAPITRE V

unique est celle où le Christ a donné à cette fête juive son caractère chrétien et l’a marquée de sa Passion 35. Quant au suicide de Judas, il gagne aussi en intensité en n’étant plus placé comme un détail terminant le sort d’un personnage secondaire. Mais il me semble que, sans négliger l’aspect théâtral ou épique que nous reverrons, la réponse est encore essentiellement théologique. Si Juvencus place les récits d’enfance de Luc et les incises de Jean à leur place dans le déroulement des épisodes de la vie du Christ 36, cela ne signifie pas uniquement qu’il veut compléter un récit jugé incomplet dans son déroulement chronologique, mais que ces épisodes lui apparaissent comme primordiaux pour la construction de l’œuvre qu’il entreprend. Les épisodes qui commencent l’Évangile de Matthieu et concernent Jésus avant sa vie publique, ascendance et naissance de Jésus, songe de Joseph, adoration des mages et fuite en Égypte, prédication de Jean-Baptiste, baptême du Christ et tentation au désert vont tous clairement dans le sens de l’idée dominante de son Évangile  : l’accomplissement messianique. Les récits de l’enfance de Luc ont aussi clairement le même sens et s’insèrent en toute logique dans le récit de Matthieu sans en rompre l’unité. Les incises de Jean nous rapportent des épisodes qui révèlent profondément le mystère du salut, par les signes accomplis par le Christ  ; la vocation de Nathanaël marque la prescience du Christ, les noces de Cana sont le symbole de l’ordre ancien imparfait qui fait place au nouveau, elles annoncent le vin de la dernière Cène et sans doute aussi le sacrement du baptême  ; l’expulsion des marchands du Temple permet l’annonce prophétique de la mort et de la Résurrection du Christ, la discussion avec Nicodème éclaire la nouvelle naissance, celle du baptême  ; l’épisode de la Samaritaine nous renvoie aussi à une réflexion sur le baptême et l’Esprit Saint, la guérison du fils d’un fonctionnaire royal et plus encore la résurrection de Lazare 37 démontrent avec force la puissance du Verbe de Dieu. La deuxième incise de Jean (5, 19-47) qu’aucune raison chronologique ne justifie, met en évidence le pouvoir du Père donné au Fils  ; elle prouve la volonté 35   C’est ainsi que l’ont compris les Synoptiques, cf. Harrington (1970), p. 644  : «  Ce n’est pas une falsification de l’histoire, car le but des auteurs n’est pas de faire de l’histoire. Les évangiles ne sont pas des biographies de Jésus, et les évangélistes ne s’intéressent pas réellement à la chronologie. Le plan qu’ils ont suivi correspond cependant à la réalité historique et théologique (…). Tout le dessein de ceux qui sont à l’origine de la tradition était de montrer comment le ministère de Jésus, après des débuts prometteurs en Galilée, avait abouti à la tragédie de Jérusalem, pour culminer ensuite dans la gloire de Pâques. Le reste ne les intéressait pas.  » 36   Par exemple, l’appel de Nathanaël remplace chez Matthieu l’appel de Lévi, suivant peut-être la liste de Luc (6, 15) où Matthieu est nommé à côté de Barthélémy et de Philippe. 37   Cela n’exclut pas, par ailleurs, une grande habileté dans l’insertion d’un passage étranger puisqu’à la fin de l’épisode de la résurrection de Lazare, le complot des chefs juifs pour mettre à mort Jésus est rapproché et identifié au complot contre Jésus rapporté en Mt. 26, 1-5 et permet d’enchaîner sans hiatus le récit.



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théologique de Juvencus et l’unité doctrinale qu’il entend donner à son œuvre, d’autant plus qu’il insère très habilement cette péricope dans un passage de Matthieu concernant les relations entre le Père et le Fils dont le contenu et l’expression sont typiquement johanniques. Dans l’Évangile de Jean, le passage suit la guérison de l’infirme à la piscine de Bethesda et l’indignation des Juifs devant le non-respect du sabbat et leurs réflexions sur la cause du handicap, Juvencus place cette discussion après une réflexion sur le sabbat et l’origine du mal. N’est-ce pas aussi à Jean que Juvencus emprunte les thèmes dominants de ses ajouts de mots  : dualisme entre lumières et ténèbres, vérité et mensonges, vie et mort, et son insistance sur le Christ Verbe et la réalisation de la parole de Dieu  ? Le dernier changement concernant un texte assez long est le choix de la version de Marc dans le récit du démoniaque gérasénien (Mc. 5, 1-17) au lieu de Mt. 8, 28-34. Il semble là qu’il s’agisse d’ajouts de détails pittoresques sur les symptômes du possédé ou du désir de conserver la précision sur la possibilité d’une possession multiple (Legio). De plus, cet épisode suit immédiatement celui de la tempête apaisée où Juvencus a choisi chez Marc un détail lui permettant d’évoquer Énée. Jésus, comme le héros virgilien, dort à la poupe du navire 38. En plus de ces longues incises de Jean, on peut noter quelques passages qui évoquent l’évangile de Luc, ajouts de détails mais avec un sens précis 39. Ainsi dans la scène du baptême de Jésus, M. Testard interprète l’expression corporeamque gerens speciem, au vers I, 357, comme un ajout doctrinal du poète à partir du corporali specie de Luc 3, 22 40  ; il voit, sous les mots  : hodie… ex me progenitum (I, 362-363) l’introduction d’une expression de Luc 3, 22 41  : Ego hodie genui te, destinée à souligner la filiation divine de Jésus 42. 38   II, 33  : Interea in puppi somnum carpebat Iesus  ; Verg., Aen. IV, 554-555  : Aeneas celsa in puppi iam certus eundi: carpebat somnos rebus iam rite paratis. 39   Sur l’analyse précise de certains de ces ajouts de Luc dans la parabole des deux maisons bâties sur le roc et le sable cf. Rollins (1984), p. 218-224. 40  Testard (1990), p. 16  : «  Au vers suivant 357, l’expression corporeamque gerens speciem, dont Juvencus n’avait trouvé le modèle – et pas même l’idée – dans saint Matthieu, représente certainement une intention du poète chrétien. Il entend ainsi évoquer, au-delà de l’apparence corporelle qu’assume, gerens, l’Esprit, Spiritus au début du vers suivant, la réalité divine toute spirituelle et donc invisible de cet Esprit. Juvencus est allé chercher cet élément de sa composition chez saint Luc, 3, 22 qui porte  : corporali specie, mais le poète a dû renoncer à l’adjectif corporalem pour raison métrique et adopter corpoream… Nous nous trouvons ici devant la volonté délibérée du poète de fournir une information doctrinale sur la nature spirituelle du Dieu chrétien.  » 41   Dans une version longue attestée par l’Itala. 42   Cf. Testard (1990), p. 21, n. 23  : «  Mais hodie, comme ex me progenitum en rejet au vers suivant, attestent un nouveau recours au texte de Saint Luc, 3, 22 et à une leçon longue de ce texte qui reprend le psaume 2, 7  : Ego hodie genui te. Ce recours de Juvencus à un texte de l’Évangile de Luc, qui cite ce psaume, est tout à fait remarquable. Il témoigne chez le poète d’une volonté délibérée de confesser très explicitement la filiation divine de Jésus. On peut penser que Juvencus s’exprime de cette façon par opposition à l’hérésie arienne, qui sévissait aussi dans la péninsule ibérique à cette époque.  »

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CHAPITRE V

Un autre ajout de Luc dans l’épisode de la prédication de Jean-Baptiste relève d’une intention doctrinale, conforme également à des thèmes fréquents dans les ajouts de l’auteur  : la lumière et l’universalisation du message christique  ; comme Luc 3, 6 («  Et toute chair verra le salut de Dieu  »), Juvencus prolonge la citation d’Isaïe jusqu’à l’annonce de l’universalité du salut  : Corporeisque oculis lumen tractare serenum omnibus indulget genitor Dominusque salutis. (I, 319-320) «  Et qu’aux yeux de toute chair est accordée de recevoir la claire lumière par le Père et Seigneur du salut.  »

Un autre passage comporte de même un élément tiré de Luc  ; là où Matthieu ne parle que de blasphème (9, 3) lorsque Jésus remet les péchés du paralytique, Juvencus, à la suite de Luc 5, 21 (Quis potest dimittere peccata, nisi solus Deus?) développe le raisonnement des pharisiens, pour mettre en évidence la divinité de Jésus  : Hoc dictum scribae mentis, per operta malignae carpebant, quod uerba Dei uirtute ferenda protulerat. (II, 82-84) «  Les scribes dans le secret de leur esprit malveillant, blâmaient cette parole, parce qu’il avait prononcé des mots qu’on ne peut dire qu’avec la puissance de Dieu.  »

Un autre ajout, curieux, en I, 558 («  si quelqu’un est dans le dénuement ou qu’il a l’air d’y être  ») peut être une interprétation de Luc 6, 30 («  à qui t’enlève ton bien ne réclame pas  »). Dans la structure générale, on peut noter quelques omissions  : l’absence du début de l’Évangile de Matthieu avec l’ascendance de Jésus s’explique sans doute par la difficulté de transcrire une telle liste en hexamètres  ; mais plus curieuse est l’absence de l’épisode (20, 29-34) des deux aveugles de Jéricho remplacé par un passage provenant de quelque évangile apocryphe 43. Peut-être, faut-il y voir, comme pour l’absence du dernier témoignage de Jean (3, 22-36) ou de la deuxième annonce de la passion (17, 22-23), la volonté d’éviter les redites conformément à la règle rhétorique de la breuitas.

 Voir Bible de Jérusalem, p. 1443  : «  Des témoins ajoutent ici un passage qui provient sans doute de quelque évangile apocryphe  : “mais vous, vous cherchez de petits à devenir grands, et de grands vous vous rendez petits. Lorsque vous venez à un banquet auquel on vous a invités, ne prenez pas les places d’honneur, de peur que survienne un plus digne que toi et que le maître du banquet vienne te dire  : ‘recule vers le bas’, et tu seras couvert de confusion. Mais si tu prends la place inférieure, et que survienne un moins digne que toi, le maître du banquet te dira  : ‘Avance vers le haut’ et cela te sera avantageux” (cf. Lc. 14, 8-10).  » 43



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Certains passages présentent également, non seulement des omissions, mais aussi des interprétations  : dans le texte des Béatitudes, le passage sur la justice est omis, ce qui permet une interprétation du passage voisin où l’ennemi en justice devient le corps. Le passage sur la responsabilité de l’adultère (I, 533) est une paraphrase plus claire que le texte de Matthieu qui montre sans doute un souci de pasteur. Nous glissons ainsi progressivement vers une interprétation, encore discrète chez Juvencus, parce que réduite aux procédés de la paraphrase et contenue, à ces passages près, dans le cadre du modèle mais qui, chez ses successeurs, se transformera en une analyse et une explication du texte de départ.

Chapitre VI

Un projet inscrit dans l’esthétique de l’époque 1.  Art et littérature L’épopée évangélique de Juvencus, comme l’écrit J. Fontaine  : «  …répond ainsi à un projet commun à toutes les formes d’expression de l’âge constantinien. Elle associe effectivement la poésie à une entreprise dont les équivalents se retrouvent en d’autres langages de cette civilisation romaine tardive en cours de conversion. D’une part, en une prose cicéronienne et oratoire, la catéchèse apologétique présentée par Lactance au quatrième livre de ses Institutions divines, intitulée De la vraie sagesse et de la vraie religion. D’autre part, en une langue plastique empruntée à la sculpture romaine tardive (tel ce Christ jeune, imberbe, empruntant le visage des ‘génies des saisons’), la catéchèse iconographique des sarcophages à frises d’époque constantinienne 1.  »

Elle s’inscrit très exactement dans la perspective artistique de son époque. Les Euangeliorum libri sont la première épopée chrétienne mais aussi une épopée classique dans sa structure, sa technique et son idéologie. Elle ne remplace pas, elle prolonge ou plutôt, dans un climat favorable à un nouvel épanouissement, l’épopée retrouve un sens qui s’exprime aussi dans d’autres formes d’art de la même époque. Juvencus est, certes, l’héritier d’une culture classique et il utilise la paraphrase avec toute la virtuosité artistique d’un poète formé à cette technique, mais cela reste une technique et non un projet artistique. Son projet, il l’a clairement exposé dans sa préface  : il écrit une épopée dont le sujet n’est plus un héros mais le Sauveur. Et le choix de ce sujet justifie le retour à l’épopée, expression idéologique d’une époque. De même que l’Énéide appartient à un ensemble artistique qui passe aussi par la célébration triomphale de l’empereur Auguste et de l’empire romain, c’est dans la comparaison avec les arts figurés que l’on peut percevoir les enjeux d’une tentative originale dans la littérature de l’époque mais qui trouve des échos dans les réalisations esthétiques de la même période, au-delà même de la distinction entre païens et chrétiens. Les formes restent les mêmes, les symboles aussi, ils sont simplement investis d’une signification chrétienne qui va peu à peu s’affirmer. Voici ce qu’écrit P. Brown à propos du calendrier de 354  Fontaine (1981), p. 69.

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CHAPITRE VI

p­ résenté à Valentinius, calendrier qui s’appuie sur la tradition iconographique païenne avec des figures astronomiques et des fêtes païennes alors même qu’il est destiné à un chrétien  : «  Plus nous observons un objet d’art comme celui-ci, plus nous sommes impressionnés par la façon avec laquelle les différentes parties que nous avons tendance à maintenir dans des compartiments séparés en les étiquetant de ‘classiques’ voire de ‘païennes’ en tant que formes distinctes des ‘chrétiennes’ forment un tout cohérent, elles donnent l’impression de s’imbriquer les unes dans les autres sous l’effet d’une attraction souterraine de profondes homologies 2.  »

1.1.  Esthétique du détail et de la stylisation  : une recherche artistique commune aux païens et aux chrétiens Comme l’écrit A. Grabar 3, l’art paléochrétien est un art né vieux avec peu de caractéristiques primitives car «  il n’a pas remplacé l’art antique, il en a été une branche  »  : «  L’art chrétien l’a été de facto avant de l’être de iure, et il est né non pas comme un langage artistique nouveau par des balbutiements, mais en se détachant de l’art courant du milieu qui a vu se propager la religion chrétienne, et en élargissant progressivement l’étendue de son programme. C’est ce qui fait l’originalité de ces premiers chapitres de l’histoire artistique chrétienne  : l’œuvre chrétienne n’y apparaît qu’en tant que partie d’un ensemble beaucoup plus considérable, celui de l’art antique à son déclin. Ses formes les plus anciennes n’ont rien d’élémentaire ou de «  primitif  », ce sont les mêmes qui caractérisent les monuments païens contemporains et de fonctions similaires, et l’originalité de la sensibilité chrétienne ne s’affirme que graduellement 4.  »

On ne peut séparer les premières manifestations de l’art chrétien du contexte des œuvres romaines analogues. Les décors légers ressemblent aux décorations du début du IIIe siècle païen avec des fonds blancs et des traits fins  ; le style décoratif prédomine avec ses fonds unis et ses figures volantes, putti aux ailes déployées, saisons personnifiées, effets d’ordre décoratif empruntés au répertoire courant des arts contemporains  : pêcheur à la ligne qui devient pêcheur d’âmes comme sur le sarcophage des Néréides à Rome 5, berger avec une brebis ou un troupeau dans un décor bucolique sélectionné pour symboliser le Bon Pasteur. Ainsi les mosaïques du mausolée de sainte Constanza avec ses putti vignerons, ses rinceaux de vigne, ses oiseaux au milieu de rameaux et d’objets divers s’inscrivent dans la mode artistique de l’époque.

  Brown (1998a), p. 38-39.   Grabar (1966), avant-propos, p. 2 4   Grabar (1966), avant-propos, p. 2. 5   Sarcophage du IIIe ou IVe siècle, Rome, Musée de Pretestato. 2 3

UN PROJET INSCRIT DANS L’ESTHÉTIQUE DE L’ÉPOQUE93



La réutilisation des images païennes est très visible dans la nécropole sous l’église Saint Pierre de Rome (IIIe ou IVe siècle). Elle est ornée de ceps de vigne entrelacés et d’un Christ en dieu soleil avec les attributs d’Apollon  : quadrige, chevaux  ; sept rayons de lumière éclairent la tête de cette image symbolique. Les mosaïques présentent le cycle du Bon Pasteur, le pêcheur à la ligne et Jonas jeté à la mer en reprenant des scènes mythologiques. De même dans la catacombe de Domitille une peinture murale du IIIe siècle représente le Christ sous la forme d’Orphée avec des animaux. Chez les artistes de cette période, il n’y a pas d’esthétique chrétienne mais des thèmes sans qu’on ait pensé qu’un style original ou des formes nouvelles pouvaient aussi être associés à l’expression d’idées chrétiennes. On tente de faire sentir la spiritualité surnaturelle qui émane du Christ mais dans un style traditionnel qui manifeste la monarchie céleste par les attributs de la monarchie romaine, et son rôle salvateur à travers les caractéristiques des héros ou des dieux, et non par l’expression d’idées transcendantales propres à une religion révélée. C’est exactement dans cette optique qu’il convient, je crois, d’examiner l’œuvre de Juvencus. Dans son épopée, un domaine relève particulièrement de cette comparaison avec les arts décoratifs, celui des activités humaines et d’abord le champ des métiers. On y trouve des passages où l’ornementation semble n’avoir d’autre raison d’être qu’esthétique mais se révèle porteuse d’un sens. Ainsi certaines activités agricoles, familiales ou commerciales donnent lieu à l’ajout de petits tableaux, pittoresques ou réalistes, la vente des brebis et «  des taureaux à la forte carrure 6  » dans l’épisode des vendeurs du Temple, la garde des troupeaux le soir de la Nativité «  dans l’inquiétante nuit 7  » ou leur abandon sans berger «  dans les riches pâturages 8  », la fabrication du pain 9. La culture de la vigne, sans doute parce que, comme les moissons, elle évoque le pain et le vin du sacrifice tout en permettant un recours évident au vocabulaire de la poésie virgilienne des Bucoliques et des Géorgiques, fait l’objet de développements précis sur les soins à donner à la terre ou aux sarments. Le père qui, dans l’évangile de Matthieu (Mt. 21, 28) ordonne à son fils «  uade hodie operare in uinea mea  » lui donne un travail très précis dans l’épopée de Juvencus  : Nam geminae prolis genitor maioris in aures talia dicta dedit: Vitis mihi portio maior semiputata iacet. Sed perge et robore forti nunc scrobibus nunc falce premens uineta retunde. (III, 692-695)   II, 156  : Pars uendebat oues, pars corpora magna iuuencum.   I, 158-159  : Circa sollicitae pecudum custodia noctis / Pastores tenuit uigiles per pascua laeta. 8   II, 423-424  : … cui pascua laeta / Innumerae tondent pecudes rectoris egentes. 9   II, 820-823  : Fermento par est munus caeleste salubri, / Quod magna condit mulier sub mole farinae. / Illa dehinc modico fermenti mixta calore / Conducto unius coalescit corpore massae. 6 7

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CHAPITRE VI

«  En effet le père d’une double descendance tint ces propos aux oreilles de l’aîné  : la plus grande partie de ma vigne demeure à demi-taillée. Va donc et avec toute ta force tantôt par des fossés tantôt par un élagage à la faucille rabats les pieds de vigne.  »

Juvencus expose aussi avec précision les dispositions conclues entre le maître et ses ouvriers 10 ou fermiers 11 pour travailler sa vigne. À deux reprises est évoquée aussi la fermentation du vin avec des détails absents des évangiles, aux noces de Cana 12 dans la description de l’eau qui se change en vin, ensuite lorsque le Christ répond par une comparaison détaillée aux questions des disciples de Jean-Baptiste 13. Le travail agricole présente ce double aspect, le plaisir esthétique d’un petit tableau ajouté et le sens plus grave du symbolisme chrétien. Ces petites scènes stylisées ont une signification spirituelle qui naît des détails répétés et du contexte religieux. Dans le passage sur la providence du Père, les trois verbes de Matthieu (Mt. 6, 26), non serunt, neque metunt neque congregant in horrea donnent lieu à trois petites scènes de la vie du paysan, allègrement brossées en trois vers  : Aerias spectemus aues: num uomere presso terga soli subigunt, iaciunt aut semina farris, aut segetum culmos incurua falce recidunt? (I, 634-636) «  Regardons les oiseaux dans le ciel  : pèsent-ils sur une charrue pour retourner la surface du sol, jettent-ils la semence du froment, coupent-ils avec une faucille courbe les tiges du blé  ?  »

La dernière action n’est pas la même, Juvencus privilégiant la logique des trois temps du travail du blé  : la préparation du sol, les semailles et la moisson. La forme interrogative achève de transformer des notations rapides en un texte plus rhétorique.   III, 553-555  : Conduxit iuuenum fortissima robora pactus / Vnius in lucis certa mercede laborem, / Et sua tum iussit cultu uineta polire, «  … a engagé les jeunes gens les plus robustes en convenant d’un salaire déterminé pour le travail d’une journée et il leur a alors ordonné de bien soigner sa vigne.  » 11   III, 715-716  : Cultoresque dedit fructusque locauit habendos, / Impositam statuens mercedis soluere legem, «  … y a établi des cultivateurs et leur en a concédé la production, en décidant de leur imposer et faire payer la redevance légale.  » 12   II, 142-144 (il y a là un exemple d’ecphrasis d’expression assez contournée, qui emprunte ses termes à Virgile)  : Praeceptis parent iuuenes undasque coronant / Conpletis labiis lapidum; tum spuma per oras / Conmixtas undis auras ad summa uolutat, «  À ces consignes les jeunes gens obéissent et entourent l’eau d’une couronne quand les vases de pierre sont emplis jusqu’aux lèvres  ; alors l’écume le long des bords mêle l’air à l’eau et s’élève en volutes.  » 13   II, 373-376  : … Aut utribus calidum tritis conmittere mustum / quis ruptis totum sequitur disperdere uinum? / sed rudibus rectum est utribus spumantia musta / condere: sic uinum conseruant fortia uasa, «  … ou de confier à des outres usées du moût qui fermente, si bien qu’elles éclatent et que tout le vin est perdu  ! Mais il est juste de mettre le moût écumant dans des outres neuves  : ainsi les vases solides conservent le vin.  » 10



UN PROJET INSCRIT DANS L’ESTHÉTIQUE DE L’ÉPOQUE95

Un autre passage sur la moisson permet de comprendre comment Juvencus insiste sur l’aspect symbolique déjà contenu dans le texte de l’Évangile. Lorsque le Christ appelle ces disciples à une moisson qui est, comme la pêche, une moisson d’hommes, Juvencus transcrit très fidèlement le texte de Jean dans ses trois premiers vers  ; puis, au lieu du rapprochement clair entre ad messem et fructum in uitam aeternam qui explique la comparaison, il développe cette comparaison mais sans l’expliquer sinon par l’emploi du mot uitali qui renvoie aux uitalia gesta de la préface 14. Son texte éclate de l’abondance de la récolte et de la joie des ouvriers appelés à la plus belle des moissons 15. C’est la même abondance qui est mise en évidence au livre II, 425-428 où plusieurs adjectifs sont ajoutés pour qualifier la récolte à laquelle sont appelés les moissonneurs de Dieu  : laetae, tantae 16. La parabole du semeur détaille ce que le texte de l’Évangile sous-entend, la germination puis le dessèchement sous l’effet du soleil 17 ou le lent étouffement du blé à peine germé au milieu des épines 18 et la parabole de l’ivraie évoque les différentes étapes du mûrissement du blé 19. Ces petits tableaux insistent sur 14   Jn. 4, 35-38  : Nonne uos dicitis quod adhuc quattuor menses sunt et messis uenit ecce dico uobis leuate oculos uestros et uidete regiones quia albae sunt iam ad messem. Qui metit mercedem accipit et congregat fructum in uitam aeternam ut et qui seminat simul gaudeat et qui metit. In hoc est enim uerbum ueritatis quia alius est qui seminat et alius est qui metit. Ego misi uos metere quod uos non laborastis alii laborauerunt et uos in labore ipsorum introistis. Juvc. II, 311-320  : Quattuor hinc menses laetae ad primordia messis / frugiferae aestati certe superesse putatis. / Erigite ergo oculos, albentes cernite campos, / cunctaque maturam iam rura exposcere messem. / Nunc quicumque metet, pulchri mercede laboris / vitalique dehinc gaudebit fruge redundans / et sator accipiet messorum gaudia laetus; / vos ego nunc misi grauidam succidere messem, / quae non est uestro sulcis inserta labore; / Vos aliena bonae ditabunt munera frugis, «  Vous pensez qu’il reste bien avant l’été et ses récoltes quatre mois jusqu’au début d’une abondante moisson. Levez donc les yeux, regardez les plaines qui blanchissent, déjà tous les champs arrivent à maturité et réclament la moisson. Bientôt tout homme qui moissonnera trouvera sa joie, gorgé d’une moisson de vie, dans le salaire de son beau travail, et le semeur joyeux connaîtra le bonheur des moissonneurs. Je vous ai envoyés maintenant couper la moisson mûre qui n’a pas été semée dans les sillons par votre travail. Une bonne moisson, fruit des semailles d’autrui, vous enrichira de ses dons.  » 15   Laetae, frugiferae, pulchri, uitali, gaudebit redundans, gaudia, laetus, grauidam, bonae, munera, frugis  ; Juvencus mélange poétiquement la joie de la terre et des hommes, le fruit du sol et la récompense du moissonneur. 16   II, 425-428  : Quam laetae segetes ruris per terga patescunt! / sed rarus messor frugis superatur aceruo. / Iam superest dominum segetis deposcere tantae / ut sua rura uelit numero conplere colentum. 17   II, 744  : Farra quidem uiridem depromunt germinis ortum  ; II, 746-747  : Inserto arescunt radicum fila calore, / Cunctaque mox apicum labuntur acumina leto. 18   II, 749-750  : Sentibus hic spinisque feris uelocius exit / roboris augmentum frugemque internecat angens. 19   II, 796  : Ille iacit proprio mandans bona semina ruri  ; II 799-800  : Ecce sed ad fructum culmis cum spiceus horror / Processit  ; II, 805  : Triticeusque nitor selecta sorde resistet.

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l’aspect concret du travail agricole. Là où Matthieu écrit duo erunt in agro 20, Juvencus développe les silhouettes de deux laboureurs en termes virgiliens 21  : … Nam tunc ubi iugera laeta infindent duo depresso sub uomere sulcis… (IV, 170-171) «  … Car, lorsque deux hommes enfonceront le soc dans une terre riche pour y tracer des sillons…  »

De même, en ce qui concerne l’activité hautement symbolique de la pêche, Juvencus s’attarde à décrire avec précision les gestes du pêcheur dans l’ordre de Jésus à Simon lors de l’épisode de la redevance du Temple. Aux consignes précises mais brèves de Matthieu  : uade ad mare et mitte hamum et eum piscem qui primus ascenderit tolle et aperto ore eius inuenies staterem illum sumens da eis pro me et te (Mt. 17, 26), il substitue six vers qui campent la silhouette d’un pêcheur à la ligne et détaillent ses gestes et son matériel  : En maris undisoni rupes quae prodit in altum Scandatur tibi summa, Simon, hamusque profundo Stamine saetarum conexus praecipitetur. Haeserit et curuo qui primus acumine piscis, Huius pandantur scissi penetralia uentris; Illic inuentum duplex dissolue tributum. (III, 390-395) «  Voici une roche qui s’avance au loin dans la mer et le fracas des vagues, Escalades-en le sommet, Simon, attache un hameçon À un fil fait de soies et lance-le. Le poisson qui viendra le premier se prendre à la pointe recourbée, Fends-le et ouvre-lui les profondeurs du ventre  ; Le double tribut que tu trouveras là, verse-le.  »

Le vocabulaire est spécifiquement poétique (undisoni 22, rupes, altum, curvus, penetralia)  ; la variatio permet de désigner de deux façons différentes un hameçon (humus, curuo acumine), les détails ajoutent au pittoresque de la description. D’autres passages mêlent plus clairement la description et le symbole en un enrichissement mutuel. Matthieu raconte que Jésus voit Pierre et André mittentes rete in mare erant enim piscatores (Mt. 4, 18). Il leur annonce alors qu’il fera d’eux des pêcheurs d’hommes, en reprenant le même terme  : faciam uos fieri piscatores hominum (Mt. 4, 19). Juvencus se livre à une description picturale de l’activité des futurs apôtres, qu’il montre  : … sinuosa uolumina lini piscibus insidias disponere marmoris undis. (I, 423-424)   Mt. 24, 40.   Verg., Georg. 1, 45  : depresso aratro. 22   Stat., Ach. I, 198  ; Properce, III, 21, 18. 20 21

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«  … en train de disposer les enroulements sinueux de leur filet, piège pour les poissons, dans le marbre des eaux 23.  »

Refusant d’utiliser le même terme pour décrire leur nouvelle tâche, il cherche à rendre le parallélisme par le mélange d’une évocation concrète du travail des pêcheurs et du butin qui sera désormais le leur  : Nunc, inquit, pisces capitis maris aestibus altis, sed me si libeat sectari, fortia uobis prouenient hominum praepulchra indagine lucra. (I, 425-427) «  Maintenant, leur dit-il, vous prenez des poissons dans la haute houle de la mer mais, s’il vous plaît de me suivre, un beau cercle de filets vous rapportera grande provende d’hommes.  »

La parole du Christ perd en force et en simplicité, mais peut-être, aux yeux de Juvencus, au-delà de ce qu’il ressent comme la nécessité de mieux écrire le message de Dieu, gagne-t-elle en clarté pour les fidèles, par le développement de la comparaison, le recours au style direct. L’expression contournée et les paraphrases pour exprimer la vie quotidienne relèvent d’une vision épique de cette vie valorisée et transformée en symbole. D’un point de vue formel cet agencement en petites scènes distinctes racontant des épisodes bien délimités par un cadre géographique et temporel qui scandent le récit de Juvencus trouve un écho dans la technique des sarcophages qui racontent une histoire mêlée de symboles dans des tableaux séparés par une architecture de colonnes. Par exemple, sur le sarcophage de Julius Bassus (grottes Vaticanes 24), des motifs architecturaux, colonnes, entablements, arcs, frontons, soulignent de petites scènes inscrites dans un cadre  : le Christ trônant, le Christ entrant à Jérusalem en relief de quasi ronde bosse. Cette organisation même relève d’un art pictural qui associe étroitement récit, images et symboles. 1.2.  Réutilisation des images et symbolisme Cet autre aspect de l’art paléochrétien nous intéresse dans notre comparaison avec Juvencus. C’est le début de la méthode iconographique qui va trouver son plein essor au Moyen Âge et «  qui consiste à traduire par l’image, en partant de figurations historiques tirées de l’Écriture inspirée, la réalité religieuse cachée que ces événements renferment et notamment leur valeur typologique 25.  » Comme en art, chez Juvencus, à la différence de ses successeurs, c’est au   Il en est de même peu après pour Jacques et Jean (I, 430-431)  : Post fratres Iacobum Iohanemque marinis / insidias gregibus maculoso innectere textu, «  Puis, (quand il vit) les frères Jacques et Jean qui de leur réseau de mailles tissaient un piège pour les troupeaux marins.  » 24   Sarcophage du IVe siècle, Vatican. 25   Grabar (1966), p. 38. 23

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s­pectateur à décrypter le symbole qui n’est pas explicité ni analysé. Or cette transmission par l’image de vérités religieuses dépassant l’événement historique est nouvelle et ne se trouve dans l’art gréco-latin que tardivement dans le cadre des religions à mystères comme à la basilique souterraine de la porte Maggiore à Rome ou à l’hypogée sous la via Latina où les travaux d’Hercule évoquent des idées sotériologiques. Comme l’explique fort justement P. Brown 26: «  Le message religieux du premier art chrétien est donc très différent de celui des siècles postérieurs. Pour le découvrir il ne suffit pas de se demander ce que ‘signifie’ une scène particulière, en cherchant quel épisode biblique elle représentait ou quel rite chrétien elle symbolisait. Il faut plutôt entrer dans les attitudes religieuses que ces scènes communiquaient à l’observateur par l’impression visuelle globale qu’elles produisaient. Il ne s’agit pas de faire ici appel à des considérations isolant la valeur esthétique  : ce qui est en question c’est de découvrir ce que la beauté spécifique de l’objet religieux communiquait aux fidèles d’une période éloignée.  »

Sur les sarcophages «  préfabriqués  » on trouve des réunions de philosophes symbolisant la vraie doctrine, des musiciens évoquant l’harmonie des sphères célestes et la vie dans l’au-delà, les masques des saisons, signes par leur renouvellement de l’éternité à laquelle appartient la mort, les dauphins symbolisant le voyage dans l’au-delà ou la chasse, variante de la pêche pour le Christ chasseur d’âmes. Il est possible de voir dans certains ajouts de Juvencus que nous allons étudier dans les chapitres suivants, la même esthétique avec une succession de petits tableaux décoratifs et symboliques  : la vocation des premiers disciples, les paraboles sur le berger et ses brebis. Le premier vers du sermon sur la montagne présente le Christ dans la posture d’un philosophe face à ses élèves, infléchissant le verset évangélique  : Hos populos cernens praecelsa rupe resedit Ac sic discipulis gremium cingentibus infit (I 452-453) «  Voyant ces foules, il s’assit sur une haute roche Et à ses disciples qui font cercle autour de lui, il s’adresse ainsi…  »

De même au livre IV le Christ annonce aux disciples qu’après la résurrection, il reviendra pour poursuivre son enseignement auprès d’eux  : uestros choros… docebo (IV, 465-466). On peut rapprocher cette image de la fresque du mausolée de la via latina représentant une réunion de personnages habillés en philosophes, peut-être Jésus, le vrai philosophe, avec les quatre évangélistes. Le coffret à reliques de Brescia 27 présente un Christ adolescent aux traits d’éphèbe antique mais empreints de gravité. Sur le plan des idées chrétiennes, cela signifie que Dieu incarné a été un homme idéal  ; par ailleurs, dès la fin de l’Antiquité, le Christ imberbe est symbole du Logos en dehors de l’Incarnation, sa jeunesse idéale signifiant qu’il est en dehors du temps. 26 27

  Brown (1985), p. 163.   Coffret à reliques, deuxième tiers du IVe siècle, Brescia, musée d’art médiéval.

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Certaines de ces images vont trouver des résonances particulières et devenir symboles du christianisme. Plus que par la représentation de scènes historiques, l’intervention du christianisme dans l’art se manifeste par la mise en place solennelle de figures symboliques  : le Bon Pasteur, l’Orante, Adam et Ève. Le sarcophage du IIIe siècle de Julius Achilleus 28, par exemple, comporte des scènes pastorales 29  ; c’était sans doute une pièce préfabriquée sur des thèmes fréquemment demandés  ; la scène pastorale, inspirée des Bucoliques de Virgile, symbolise l’aspiration à la paix et prend un sens chrétien à travers les textes du Bon Pasteur. Une coupe du musée du Bardo à Tunis, dans la continuité des traditions de l’entaille présente un petit temple et deux apôtres avec leurs filets, le saint Sépulcre et une voile gonflée par le vent, symbole de la nacelle de l’Église qui triomphe des tempêtes de la vie. Cette image iconographique classique des pécheurs est orientée vers une interprétation chrétienne par le rajout de deux poissons entrecroisés posés sur des pierres, symbole de communion, «  exemple suggestif de la façon dont ont procédé les imagiers chrétiens peu de temps après la paix de l’Église lorsqu’ils étendaient progressivement les thèmes chrétiens au décor des arts industriels et somptuaires 30.  » Un sarcophage du musée du Latran 31 représentant la scène de la Passion montre une croix surmontée du monogramme du Christ inscrit dans un médaillon qu’encadrent deux colombes et deux soldats, dérive chrétienne du trophée romain. Le superbe sarcophage de Brignoles 32 montre sur une même face un pécheur, un troupeau de moutons, une orante, un pasteur avec une brebis sur les épaules et un philosophe assis, auxquels s’ajoute une ancre, symbole de l’Église chrétienne. Chez Juvencus, on peut trouver, encore discrètement, cette accumulation d’images symboliques  ; par exemple, au livre III, l’ajout des vers 127-128 au lieu de transfretassent dans l’Évangile mêle trois métaphores qui désignent l’Église  : le navire, la charrue (image de la croix symbole de la paix et de la récapitulation) et l’ancre  : Transierat tandem sulcans freta feruida poppis Optatumque grauis conprenderat ancora portum. (III, 127-128) «  Enfin la nef, en labourant les flôts bouillonnants, les avait traversés Et l’ancre lourde s’était plantée dans le port désiré.  »

Dans les décors chrétiens de l’époque, certaines scènes inspirées des textes bibliques ont un fort lien avec la liturgie. Si les scènes les plus fréquemment représentées dans les nécropoles sont celles du paralytique guéri ou de Lazare  IIIe ou IVe siècle, Rome, musée des thermes.   Voir aussi le sarcophage «  le bon pasteur  », IIe ou IIIe siècle, Rome, via Salaria, musée du Latran. 30   Grabar (1966), p. 278. 31   Sarcophage, catacombe de Domitilla, IVe siècle, musée du Latran. 32   Brignole, église Saint-Sauveur, sarcophage du IIIe siècle. 28 29

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ressuscité, c’est qu’elles correspondent aux invocations des prières de l’office des morts tel qu’on le connaît depuis le haut Moyen Âge  ; dans ces prières chrétiennes héritées des prières juives, l’oraison comporte une série de rappels des prières exaucées pour des justes en danger de mort. Les épisodes de la vie du Christ sont des évocations des sacrements  ; l’adoration des Mages marque la fondation de l’Église, le baptême du Christ, le sacrement du baptême, la multiplication des pains et des poissons, le sacrement de l’Eucharistie. Les ajouts dans l’épisode du baptême du Christ le rapprochent des mosaïques fréquentes sur ce sujet, les eaux transparentes du fleuve, l’éther couleur d’or, la colombe aérienne qui sort de la nuée ne sont pas seulement des notations picturales, mais des symboles liturgiques et théologiques. On peut retrouver aussi chez Juvencus certains procédés étrangers à l’art classique et présents dans cet art chrétien naissant inspirés par une piété intériorisée  : les yeux largement ouverts sont des miroirs de l’âme et représentent la vie intérieure. Les personnages sont dépourvus de plasticité, de gestes vrais, de poids  ; cette perte de réalité matérielle n’est pas une indifférence au monde mais un lien avec l’invisible (qu’on retrouve d’ailleurs chez Plotin et sa thèse de la transparence de la réalité). C’est une particularité de la basse Antiquité, en particulier en province, que cette schématisation du dessin se concentrant sur un petit nombre de traits expressifs. Car une icône s’efforce de faire un lien entre l’événement terrestre de départ et le monde céleste des personnages qui l’ont vécu. Nous verrons par la suite l’importance que Juvencus accorde à l’intériorité des personnages principaux, à la schématisation symbolique des ennemis du Christ devenus incarnation du mal. Ainsi, Juvencus choisit l’épopée non pour ses seules qualités esthétiques, mais comme vecteur du sacré. 1.3.  L’iconographie monarchique Dans la masse des sujets possibles, les iconographes vont privilégier ceux qui s’appliquent à une vision chrétienne. Un des thèmes particulièrement utilisé va être celui de l’iconographie monarchique. La puissance montante de l’Église et de sa hiérarchie favorisée par des monarques tout-puissants va trouver dans ce thème transposé du politique au religieux l’expression de son nouveau pouvoir  ; les insignes vestimentaires des évêques, les usages ecclésiaux vont s’inspirer des costumes et de la liturgie impériale  ; l’expression artistique de la grandeur de l’empereur va servir à glorifier la puissance de Dieu, la splendeur de ses apparitions, à codifier ses rapports avec les hommes, à décorer l’Église, sa maison avec la splendeur des salles d’un palais, mosaïques somptueuses, cycles d’images triomphales, baptistères s’inspirant des fontaines monumentales ou des bains romains. «  C’est la raison pour laquelle l’imagerie chrétienne a réservé une place si ­importante à la majesté du Christ tout-puissant et à toutes les images qui glorifient la victoire du Christ ou de ses saints, les cérémonies du couronnement, de

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l­’­investiture, du souverain haranguant ses disciples… On dit généralement que cette iconographie triomphale subit l’influence de l’art impérial. Il serait préférable de s’exprimer autrement  : l’iconographie chrétienne a été créée à l’époque où les empereurs venaient de se convertir et où l’art qui les glorifiait avait atteint son sommet  ; les iconographes chrétiens se sont emparés des formules de cette iconographie des princes chrétiens pour les transposer à l’usage du christianisme. Non seulement certains thèmes essentiels comme celui de la Majesté, mais aussi leur emplacement dans des parties déterminées de l’Église ont été suggérés par la pratique des sanctuaires du culte impérial et peut-être des tribunaux impériaux 33.  »

S’inspirant de la monarchie romaine du nouvel empire chrétien fondé par Constantin, prince reflet sur terre du Roi céleste, deux images christologiques s’imposent à cette période  : celle du souverain trônant en majesté, le cosmos à ses pieds proclamant l’universalité de son royaume, celle de l’avènement (advuentus) rituel de l’entrée du prince dans sa cité. La translation des reliques des saints dans un sanctuaire reprenait le cérémonial de cette entrée solennelle. Comme l’écrit P.-A. Deproost il s’agit de  : «  …la rencontre de deux traditions triomphales  : celle, spirituelle, des triomphes du Christ dans les derniers événements de sa vie terrestre, tels qu’on avait coutume de les célébrer depuis les images diffusées par les poètes théodosiens  ; celle, politique, des triomphes de l’empereur, tels que les avait codifiés le cérémonial officiel. Il faut peut-être voir dans cette conjonction le germe d’un ‘triomphalisme romain’ qui, dans son aspect le plus discutable, aura parfois tendance à vouloir incarner dans l’histoire politique ce qui, à l’origine, ne devait être qu’une métaphore littéraire et spirituelle 34.  »

Prenons l’exemple de sarcophages chrétiens comme celui du musée du Latran  ; le Christ, imberbe, cheveux bouclés et longs, siège au-dessus d’une personnification du Cosmos, Il tient de la main gauche un rouleau et sa droite est levée en un geste majestueux mais naturel d’apaisement. Des personnages suppliants se tiennent debout autour de lui. La scène est entourée de colonnes sculptées et de scènes de vendanges avec des amours. Comparons avec l’image du Christ dans les Euangeliorum libri. Dans l’épisode de la Parousie, venue du Fils de l’homme et jugement dernier, Juvencus nous présente un Christ majestueux, maître du cosmos et juge des hommes  : Omnis item uirtus caeli conmota superni signa dabit, proles hominis quis uertice caeli clareat… (IV, 152-154) «  De même toutes les puissances du ciel élevé, ébranlées, produiront des signes, par lesquels le rejeton de l’homme au sommet du ciel resplendira…  » 33 34

  Grabar (1966), p. 33-34.   Deproost (1990), p. 221.

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Ces vers qui développent le signum Filii hominis de l’Évangile (Mt. 24, 30) montrent à la fois le bouleversement du Cosmos, insistent sur l’élévation superni, uertice caeli et sur la lumière avec la place en début de vers de clareat. Dans les églises, on retrouve le même symbolisme de l’or et de la lumière et la place habituelle dans la coupole de la représentation du Christ Juge et triomphant développe la même signification. Dans la mosaïque de l’église Sainte Pudenziana à Rome, le Christ nimbé d’or et luxueusement revêtu d’or, assis sur un trône d’or incrusté de pierres et recouvert de pourpre, enseigne ses apôtres. Deux figures féminines représentant symboliquement les païens et les Hébreux tiennent au-dessus de la tête de saint Paul et saint Pierre, les évangélisateurs des deux communautés, des couronnes triomphales. Au-dessus du Christ en majesté la croix du Golgotha ornée de pierres précieuses est entourée de monuments à colonnes représentant la Jérusalem céleste. Dans la nuée, on trouve les symboles des évangélistes. Cette composition, inspirée de l’Apocalypse de saint Jean, le geste du bras droit du Christ, le manuscrit qu’il tient font interpréter la scène comme une parousie où le Christ est présenté en juge suprême séparant les bons des méchants. Le Christ siège en majesté et convergent vers lui les peuples de toute la terre venant souvent des cités de Jérusalem et Bethléem. L’analyse de l’arc triomphal de l’abside de Sainte Praxède (plus récente, VIe siècle) permet de confirmer cette lecture d’une expression artistique de l’Apocalypse avec une insistance particulière sur la lumière et la majesté du Christ. C’est aussi ce que décrit Juvencus 35  : En hominis natus ueniet Patrisque ministris stipatus celsa iudex in sede sedebit. Tum gentes cunctae diuersis partibus orbis conuenient… (IV, 259-262) «  Voici que va venir l’Enfant de l’Homme, escorté par les serviteurs de son Père, il siègera en juge sur un trône élevé. Alors tous les peuples de tous les coins de la terre se rassembleront…  »

L’ajout des mots judex, celsa, diuersis partibus orbis, la répétition de sede, sedebit, la place de conuenient donne à la scène une solennité et une organisation dans l’espace qui rejoint celle des mosaïques paléochrétiennes. Le Christ du jugement dernier (IV 259-264) ou de la parousie «  sur ses nuées couleur de feu  » qui «  appellera les justes et les rassemblera des quatre coins du monde  » (IV, 155-158) 36 apparaît dans la majesté lumineuse que sym35   Même idée dans la préface 23-24 «  au temps où de la nuée qui vomit des flammes descendra comme un éclair, le juge, gloire du Père qui trône dans les hauteurs, le Christ.  » 36   … ueniet cum nubibus ignicoloris / maiestate potens hominis per sidera natus. / Tum tuba terrifico stridens clangore uocatos / iustos quadrifido mundi glomerabit ab axe.

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bolise l’art byzantin, lumière du monde exprimée par le développement poétique de la comparaison avec l’éclair en quatre vers de Juvencus particulièrement réussis dans leur simplicité  : Sicut enim fulgur caelum transcurrit apertum et cerni facile est cunctis orientis ab oris usque sub occiduum caeli uergentis in orbem, sic rapido aduentu clarebunt lumina Christi. (IV, 145-148) «  En effet, de même que l’éclair parcourt toute l’étendue du ciel et que tous peuvent facilement le voir depuis les régions de l’orient jusqu’à l’occident du ciel au penchant de sa courbe, de même, lors de la venue soudaine du Christ brillera la lumière.  »

Si l’on replace l’art chrétien naissant dans le contexte politique de l’empire devenant chrétien on est devant un monde de cérémonies et de spectacles qui touche à la fois la sphère politique et la sphère religieuse. Comme le dit J.-L. Charlet  : «  Fourth-century Latin poetry was deeply impregnated with the triumphant, celebratory and ceremonial atmosphere of the reigns of Constantine and Theodosius; (…) It is this which leads to the combination of neo-classicism and neo-alexandrinism in the triumphalist expression of constantino-theodosian ideology. The neo-classicism of the fourth century is rhetorical, literary and ideological 37.  »

2.  Les enjeux de la poésie épique 38 Dès le début du IVe siècle, la pénétration du christianisme dans les milieux ruraux se marque essentiellement par la destruction des lieux de culte du polythéisme gréco-romain et la construction d’églises  ; mais les conversions dans le milieu de l’aristocratie et des lettrés doivent forcer une résistance d’ordre traditionnel et intellectuel  ; l’apostasie de l’empereur Julien trouve clairement ses raisons dans les liens étroits entre paganisme et culture classique  ; les splendeurs de la littérature retiennent les lettrés dans leurs élans vers la religion des pêcheurs de Galilée. L’avancée du christianisme dans ces milieux du pouvoir et de l’aristocratie s’accompagne donc, comme nous l’avons vu précédemment, d’une confrontation ambiguë avec la pensée et l’écriture de l’antiquité classique. Certains auteurs   Charlet (1988), p. 74.   Sur ce sujet, voir entre autres Fontaine (1984a), qui souligne (p. 211) le danger qu’il y a à cloisonner chrétiens et païens d’un côté et d’un autre  : «  Il faut devenir plus sensible à la symbiose féconde entre Antiquité et christianisme, sans ‘hypostasier’ les concepts qui ne se situent d’ailleurs même pas sur le même plan (…) Nous avons encore à cerner l’unité profonde de ses contenus et de ses formes, dans les créations littéraires en langue latine.  »  ; Chadwick (1966)  ; Consolino (ed.) (2003)  ; Charlet (1986). Un des premiers à avoir étudié en parallèle l’esthétique des auteurs païens et chrétiens dans l’unité d’un goût commun propre à l’Antiquité tardive est Thraede (1965). 37 38

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s’efforcent de déconsidérer les héros antiques, comme une concurrence qui nuit à la vertu des martyrs 39, d’autres utilisent les exempla païens pour appeler à une noble émulation les chrétiens, que la vérité de leur foi et la grâce de Dieu doivent soutenir bien plus encore que le simple courage humain des héros  ; en littérature, on trouve le même rejet ou attrait pour la poésie qui a véhiculé l’image de ces héros. Cette rivalité est aussi continuité dans les termes mêmes de l’aemulatio antique, la Rome chrétienne récupère l’histoire de la Rome antique, les philosophies stoïcienne et néoplatonicienne ouvrent le chemin à l’Évangile du Christ, la littérature païenne peut s’interpréter comme prémices de la littérature chrétienne  ; lorsque Juvencus entreprend d’écrire une épopée biblique, il ne cherche pas à réduire le Christ à la taille d’Énée  ; il envisage plutôt Énée comme une image annonciatrice du Christ  ; c’est cette même perspective décalée sur le plan de l’art qui mêle dans la chapelle Sixtine les Sybilles et les prophètes. Juvencus a vu en Constantin un nouvel Auguste chargé d’ouvrir la voie au monde nouveau du christianisme 40, tout en maintenant un lien avec le passé, et il a choisi d’écrire une épopée qui, comme celle de Virgile, donnerait un sens idéologique à ce renouveau. À sa suite, d’autres poètes ont adopté la même perspective. R. Herzog souligne ce point dans l’introduction de sa littérature  : «  Les écrivains chrétiens, certes, ont d’emblée salué le tournant constantinien  ; ils ont influencé son programme théologique, politique et culturel, ils ont contribué à le soutenir et ont cherché à le réaliser par une réception des genres classiques lourde de conséquences  : ainsi Lactance, Juvencus, le poète des Laudes Domini  ; il faut aussi attribuer la création hymnique d’Hilaire à cet esprit d’ouverture des formes chrétiennes à la littérature romaine 41.  »

Une lettre à Porphyrius, attribuée faussement à l’empereur Constantin luimême, définit les critères littéraires de cette époque. Ce programme littéraire nous renseigne de façon particulièrement intéressante sur les notions d’imitatio et d’aemulatio. On ne peut rivaliser pour le style avec Virgile, mais le poète chrétien a pour supériorité l’aide divine et la valeur même de son sujet 42. C’est exactement le sens de la préface de Juvencus 43. 39  Cf. Minuc., Oct. 37, 1-6  : uiros cum Mucio uel cum Aquilio aut Regulo comparo? Pueri et mulierculae nostrae cruces et tormenta, feras… 40  Deproost (1997), p. 21  : «  Comme dans l’épopée virgilienne, le message politique est solidaire de l’ambition épique. Il s’agit de célébrer, dans les formes antiques, l’épopée du Christ et la paix de l’empereur.  » 41   Herzog (ed.) (1993), p. 57. Voir aussi Fontaine (1974) et (1978). 42   Lettre à Porphyrius 39. Herzog (ed.) (1993), p. 382, n. 10 en relève l’essentiel  : «  Pour le pondus et la grauitas, tout poète, après Homère et Virgile, ne peut que se taire  ; mais après le retour, sous Constantin, du temporum fauor, une tâche poétique conforme aux besoins de l’époque s’offre au stilus leuior  : observer la lex metris statuta en s’appuyant sur les auxilia diuina.  » 43  À la même époque, Lactance dans ses Institutions divines développe sa conception d’un art fonctionnel  ; ce qui a manqué selon lui jusque-là au christianisme ce sont «  des



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L’idéologie gouvernementale du principat d’Auguste se présentait comme un renouveau politique fondé sur le rétablissement d’une morale, d’une éducation et d’une littérature qui revenaient aux sources  ; Constantin put apparaître également à ses contemporains comme la figure du christianisme triomphant appuyé sur un ordre traditionnel, en particulier dans le domaine des lettres et des arts. Ainsi le classicisme est un trait dominant de la poésie du début du IVe siècle et les poètes chrétiens vont en faire une utilisation esthétique, c’est à dire justifier la mise en forme littéraire du message divin par la dignité de la fonction ainsi assumée. «  Un classicisme ainsi compris a conduit sous Constantin à un véritable ‘programme’ poétique officieux, où l’on ne saurait distinguer des points de vue païen et chrétien. À son élaboration ont participé Juvencus, Porfyrius Optatianus, sans doute également Lactance, et peut-être même Constantin lui-même. Il ne faut pas, cependant, surestimer la portée théorique du poème de Juvencus. Par la suite, Paulin de Nole et Prudence définiront les bases d’une poésie chrétienne autour de la notion d’unité de l’être devant Dieu et de valeur de célébration et de louange de la poésie. Il n’y a chez Juvencus ni finalité clairement exprimée pour son œuvre, ni critères justifiant le choix de paraphrase, mais, parce qu’il a conscience de la valeur intrinsèque de la poésie, son travail n’est pas une simple transposition et amorce un compromis entre deux cultures. La réorientation d’un genre mais aussi d’une idéologie ne permet pas de parler de rupture. Mais la continuité avec la littérature antique dépasse le simple aspect formel tout en ouvrant la voie à une pensée chrétienne originale. De telles réflexions peuvent contribuer à expliquer les particularités de la poésie latine tardive à ses débuts, et à faire comprendre aussi les traits qui confèrent une certaine unité à la production poétique de cette époque  : tout d’abord le formalisme et l’imitation… Cela permet également de reconnaître clairement la frontière qui le sépare de l’époque suivante  : la poésie chrétienne va progresser de l’exégèse virgilienne à l’allégorèse biblique et, par suite à partir de Paulin de Nole et Prudence, ses formes d’expression vont atteindre une diversité insoupçonnée 44.  »

Or, la mission d’Énée, fondateur tourné vers l’avenir d’une race à laquelle les dieux promettent une domination sur l’univers, sa caractéristique de pietas et le lien qu’il assure entre passé et avenir en font un précurseur parfait du Christ, comme le souligne également J. Fontaine  : «  Énée est l’exemplum de la race romaine, au sens d’une certaine attitude spirituelle. Il sauve le ‘petit reste’ des Troyens, traverse de cruelles épreuves et descend aux enfers, revient vivant de ce pays des morts, accomplit un dessein divin savants de talent et d’expérience, capables de réfuter avec vigueur et acuité les erreurs populaires et d’élaborer une défense complète de la vérité en un style orné et abondant.  » Aussi veut-il inciter ces savants à mettre leur talent au service de la religion (Lact., Inst. V, 1, 11)  : Ob eamque causam uolui sapientiam cum religione coniugere, ne quid studiosis inanis illa doctrina possit officere, ut iam scientia litterarum non modo nihil noceat religioni atque iustitiae, sed etiam prosit quam plurimum, si is, qui eas didicerit, sit in uirtutibus instructior, in ueritate sapientior. 44   Herzog (ed.) (1993), p. 256.

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et, fondateur d’une race nouvelle, réalise les prédictions prophétiques. Bref, il est déjà, sans qu’il faille en exagérer la ‘lecture’ chrétienne, le héros souffrant d’une geste de salut. Il a son heure des ténèbres, quand la divinité semble l’abandonner, il prie avant d’agir, et se remet entre les mains de la divinité qui le guide. Son itinéraire n’est plus, comme celui d’Ulysse et des héros homériques de la guerre de Troie, celui d’un ‘retour en sa chère patrie’  ; mais l’avancée vers un temps promis à un peuple élu des dieux, le commencement absolu d’une nouvelle Troie. Il vit dans la foi et l’espérance, et dans une pietas où il y a quelque trace d’une préfiguration naturelle de la charité. Il n’est pas si difficile à un chrétien du IVe siècle de relire ainsi, dans l’Énéide, quelques-unes de ses expériences religieuses. Ce que fera d’ailleurs Jérôme en 374 (Ep. 3, 3), quand il s’embarquera vers l’orient monastique  ; il exprime alors ses sentiments par le vers qui dépeignait Énée quittant, dans le déchirement, les rives où Didon était en train de se donner la mort, pour accomplir enfin sa dernière navigation vers les rives de la nouvelle Troie  : ‘maria undique et undique caelum’. (Aen. 5, 9) Jérôme justifiait ainsi, après coup et sans y penser, l’entreprise poétique de Juvencus 45.  »

La persistance d’une Rome, non plus concrète dans sa réalité politique et nationale, mais idéale dans son destin historique et littéraire, est sans doute ce qui fait l’unité de ce début du IVe siècle. C’est un moment où les formes littéraires existantes sont à la fois l’aboutissement du monde classique et le départ d’une nouvelle forme de littérature. «  La latinité tardive fait partie de ces périodes de l’histoire au cours desquelles le changement des liens politiques et sociaux conduit à une affirmation renforcée de l’identité culturelle avec le passé. Une telle identité se fonde sur la projection d’une image  ; les modifications politiques et sociales réelles entraînent généralement un résultat très fécond sur le plan culturel, car les affirmations d’identité deviennent alors précisément les nouvelles formes littéraires et artistiques. Il s’agit donc ici d’un cas exemplaire de réception culturelle  ; en ce sens, il faut considérer la latinité tardive comme la première période littéraire qui, bien qu’elle appartienne encore au monde antique, est déjà postromaine 46.  »

À la suite de E. R. Curtius 47 qui définit l’épopée biblique comme un genre «  hybride  », A. Hudson-Williams juge que le christianisme ne trouve son expression véritable que lorsqu’il se dégage des influences de l’Antiquité classique 48. K. Thraede, P. G. Van der Nat et plus récemment M. Roberts et J. F. Cottier ont analysé ces textes du point de vue des procédés rhétoriques de la paraphrase et souligné leur continuité avec les conceptions littéraires classiques. Ainsi considérées, les premières tentatives de la poésie chrétienne sont  Fontaine (1981), p. 73.   Herzog (ed.) (1993), p. 12. 47   Curtius (1956), p. 727  : «  L’épopée biblique est restée toute sa vie… un genre hybride, un genre faux  ». 48   Hudson-Williams (1966-1967), p. 71: «  Christianity never found its truest poetical expression as long as its utterances were subject to the influences of old.  » 45 46



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une impasse et ces débuts ne sont qu’une fin. Or, force est de constater que ce ne fut pas l’avis des siècles qui suivirent cette période et que les écrivains épiques chrétiens ont eu une influence et une renommée durable jusqu’à la Renaissance, ce qui invite à une lecture plus positive 49. Il me semble, comme l’affirme C. P. E. Springer dans l’introduction de son ouvrage sur Sédulius 50, que la «  paraphrase theory 51  » qui voit dans les épopées bibliques un avatar d’une pratique scolaire ou rhétorique relève d’un jugement dévalorisant sur des œuvres auxquelles on ne reconnaît plus d’originalité de forme ni de contenu et qu’on renvoie à des exercices d’écoliers 52. C’est un point de vue très attentif à l’aspect stylistique de ces œuvres mais qui néglige le projet des auteurs euxmêmes et la possible réussite de ce projet. Nous avons tous été appelés à écrire dans une dissertation de rentrée nos souvenirs de vacances ou d’enfance, à rédiger la description d’un coucher de soleil ou d’une tempête sur la mer, ce n’est pas pour cela que Chateaubriand, Mallarmé, Baudelaire ou Victor Hugo lorsqu’ils se livrent à pareil exercice, fût-ce avec les techniques de récit ou de description enseignées par leurs maîtres, sont considérés comme des héritiers d’une pratique scolaire. Springer souligne très justement les problèmes de cette approche rhétorique et scolaire  ; l’école des rhéteurs n’est pas la seule origine possible pour la technique de la paraphrase  ; l’Église chrétienne elle-même, et avant elle la tradition juive utilise diverses formes de réécritures des textes sacrés et l’on peut voir l’émergence de cette poésie chrétienne comme une suite logique de la tradition ecclésiale et de la paraphrase biblique 53. 49   Pour Wehrli (1963), p. 262, ces œuvres ne sont pas une simple curiosité littéraire mais correspondent à un vrai projet poétique qui fonde une Tradition  : «  Wir meinen, es sei damit nicht nur eine literarische Kuriosit, sondern eine echte Tradition gefasst, ein dichterisches Bemühen, das auch grundsätzlich, poetisch, ernst genommen zu werden verdient, und das vielleicht sogar gestattet andere, jüngere Erzählformen und Erzähltechniken besser zu verstehen.  » 50   Springer (1988), p. 9. 51   On trouve en particulier cette théorie développée chez Nestler (1910), qui parle de metaphrasis, Thraede (1962), Van der Nat (1963) et Roberts (1985b). Pour un rappel détaillé de l’historique de ce courant, cf. l’article de Cottier (2003), p. 245. 52   Plus riche de signification est cependant le rapprochement avec la paraphrase rhétorique qui permet des variations plus importantes et plus signficatives et des évolutions de sens, cf. Cottier (2003), p. 246  : «  Transtylisation, rendu sensu de sensu, émulation par rapport aux modèles païens, recherche du beau dans la reformulation, volonté de créer un nouveau texte pouvant au moins rivaliser avec sa source  : l’épopée biblique s’inscrit bien dans la logique de la paraphrase rhétorique et n’a plus rien à voir avec la simple paraphrase grammaticale des petits écoliers antiques. Il peut arriver toutefois que ce type de poésie passe progressivement de la paraphrase imitative, et donc dialogique, à la paraphrase exégétique, nettement interprétative et davantage monologique.  » 53  Springer (1988), p. 12-13  : «  Nor did the traditional Greek and Roman progymnasmata have exclusive rights to such common narrative techniques as abbreviation and amplification. In fact, there was a long tradition of translation and paraphrase of the Scriptures within an ecclesiastical context… Rather than looking for the origins of the

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D’autre part, c’est une chose de voir dans le type d’écriture choisie par ces poètes chrétiens une influence des techniques de leur éducation classique, ce qui est indiscutable, et une autre de penser que cela suffit à définir la totalité de leurs œuvres. La paraphrase suppose un simple travail sur la forme, même si la paraphrase rhétorique comporte des digressions, voire des analyses du texte. Or, tous ces auteurs ont un projet autre qu’ils affirment clairement  : rédiger une épopée chrétienne, et lorsqu’ils se donnent un modèle, c’est Virgile, rapproché d’Homère, c’est à dire le Virgile de l’Énéide, avec l’intention de le dépasser dans son œuvre par la valeur de leur sujet  ; c’est affirmer, au-delà d’une idée d’originalité dont nous savons qu’elle n’a pas de valeur en soi pour l’époque, une appartenance, non au domaine de la paraphrase, mais à celui de la poiesis. R. Herzog est un des premiers à avoir défendu une autre théorie, celle d’une rupture avec une longue pratique classique et de l’émergence d’une littérature nouvelle, départ et non fin  ; il part à juste titre de la revendication même de Juvencus dans son proemium qui situe son œuvre en lien avec la tradition, non comme une surenchère à la manière de Lucain mais comme une métamorphose. Sur un point cette position semble faussée  ; l’idée d’une rupture consciente et maîtrisée ne correspond pas à la réalité artistique et culturelle de l’époque  ; le rapprochement avec l’art byzantin montre combien, au contraire, est grande l’unité formelle et, sur certains points, idéologique, entre païens et chrétiens. Mais il est vrai que le processus de poétisation entrepris par Juvencus transforme l’ornatus en œuvre de rédemption plus qu’en victoire littéraire. Ce proemium revendique un genre spirituel – ou édifiant – qui fonde d’une manière non littéraire une activité d’écriture poétique et place ainsi la poésie chrétienne non pas dans la continuité de l’épopée classique mais en opposition avec elle 54. Il se situe à la fin d’une tradition qu’il abroge ou plutôt fait renaître de ses cendres pour une nouvelle vie. R. Herzog s’interroge sur ce qui peut faire passer la paraphrase biblique d’une technique scolaire à l’épopée, il cherche à définir une poétique du genre, et à préciser ce qui fait naître cette nouvelle forme d’écriture au IVe siècle. Il y voit, à juste titre, ce me semble, l’émergence d’exigences esthétiques chrétiennes qui appellent l’intégration de la poésie antique. Cherchant à montrer comment le développement de l’épopée après Virgile prépare à l’œuvre de Juvencus, il est parti du postulat que la paraphrase délimite la frontière entre poésie et traité et que l’ensemble de l’œuvre ne peut être limité à cette seule considération stylistique qui fait fi de la compréhension que l’épopée biblique biblical epic in the school exercise of paraphrasis or, as Herzog suggests, in the practice popular in the early church of quoting from pagan poets like Virgil to make apologetic points or to illuminate Scripture passages, it may be more fruitful to consider the biblical epic as an outgrowth of an ecclesiastical tradition of biblical paraphrase.  » 54  Herzog (1975), p. 49  : «  Das Proömium zu den ‘Evangelien’ proklamiert zum erstenmal eine geistliche Gattung, die literarische Betätigungnur nicht literarisch begründete, zur Literatur nur ein heteronomes Verhältnis fand.  »

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naissante a d’elle-même, il a pris alors pour base le plus petit dénominateur commun de la poésie hexamétrique, le récit 55, pour dégager l’évolution qui fait naître l’épopée chrétienne avec le passage progressif au repli du narratif derrière la réflexion et le commentaire  ; À partir de l’analyse de trois récits, la mort d’Anchise chez Virgile, la mort d’Hamilcar chez Silius Italicus et la mort de Jean-Baptiste chez Juvencus, il montre comment la mort n’est plus le destin de la victime mais a une fonction révélatrice d’un changement intérieur du narrateur chez Virgile, puis que le héros épique devient une marionnette chez Silius Italicus lorsque la personnification d’éléments spirituels amène à la frontière d’une psychomachie et enfin que la copie jusqu’à l’identité syntaxique et chronologique de l’Évangile chez Juvencus qui semble ne permettre qu’une imitation du seul langage épique, laisse pourtant la place à une réelle revendication d’une empreinte épique par l’introduction d’une méditation qui est à la fois intensification et poétisation 56. C’est dans cet écart entre la Bible et la poésie biblique, l’implication croissante de l’écrivain dans la paraphrase, que se situe la réception d’un héritage épique, la préparation d’une poésie chrétienne d’expression méditative qui naît au début du IVe siècle et double le texte sacré d’une voix poétique. La perspective d’Herzog diffère de celle des partisans d’une paraphrase héritée de l’école de rhétorique parce qu’elle permet une étude singulière de ces œuvres dans leur projet poétique, leur structure et leur développement. Elle les situe par rapport à leur postérité. Mais il faut éviter de voir une rupture là où la continuité épique s’affirme clairement dans l’habile utilisation de l’aemulatio classique. Sur ce point, l’analyse très juste de J.-L. Charlet 57, tout en nuançant le point de vue d’Herzog, met clairement en évidence ce qui est contestable dans la perspective de Curtius  : l’idée même d’une rupture avec la littérature païenne et d’une continuité littéraire qui ne serait en lien qu’avec les textes bibliques. Car les notions d’aemulatio et de retractatio que Curtius lui-même reprend à la rhétorique classique pour définir les liens avec la poésie épique de l’antiquité païenne suppose une conception artistique et une culture communes  : «  Some of Herzog’s criticisms are justifiable, especially those which concern the theories of ‘counterfeiting’, ‘substitution’, of ‘secularization’, or of the opposition between ‘Christian substance’ and pagan form’, and Herzog is right to advance  Herzog (1975), p. 60-99.  Les abstractions superbia et luxuria, les adjectifs stéréotypés qui y renvoient montrent une déformation du passage biblique de la mort de Jean-Baptiste dans le sens d’un combat du diable et de ses vices contre le Juste. L’ajout d’un sens moral, la prise de possession des personnages par les vices tire le texte vers une méditation sur le sens et la mise en œuvre du Mal dans le monde. Ces ajouts passent par une romanisation de la pensée qui sont aussi la marque de l’influence épique. Cf. l’analyse de ce passage au chapitre XII de ce travail  : Un évangile romain. 57   Charlet (1988). 55

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the concept of emulation, although this notion does not imply a break in continuity. Rivalry is only possible on an accepted common ground; if something radically different is proposed, then emulation or rivalry is not in question; and, whatever Herzog may think, aemulatio is a fundamental concept within the ancient doctrine of imitatio. Again, it is not the case that Christian poetry originated in Christian prose. Certainly, Lactantius and Juvencus have the same attitude to pagan poets; but this does not prove that Juvencus followed Lactantius. In fact, these two near-contemporaries are simply attesting to a general change of attitude among Christians towards pagan literature at the beginning of the fourth century; and there is a vital difference between Lactantius’concept of a biblical prose paraphrase, even if it included some Virgilian quotations, and Juvencus’ hexameter paraphrase which is explicitly allied to classical epic. I see no literary continuity between the form of the gospel narrative ans Juvencus’ narrative in epic hexameters. In his praefatio Juvencus alludes to Homer and Vergil. It is true that he holds himself aloof from them; but his exposition of the differences between pagan and Christian epic proves his awareness of their common ground. One seeks to differentiate oneself only from what one resembles, or from what one is descended. For Juvencus, this common ground is the epic genre. It is precisely by differentiating himself from Homer and Vergil that he enrols himself in the epic tradition. If piety alone had led to his writing poetry, he would have sought a radically new literary form, one unconnected with the classical heritage, as Augustine did in his Psalmus abecedarius. Herzog’s theory does not explain why Juvencus chose the epic hexameter at a time when the general public had cessed to understand metrical quantity. Moreover, Juvencus’ imitation of Vergil is not confined to moments of intense piety. If Juvencus chose a classical metre and Virgilian language, it was because these for him had their own ‘autonomous’ aesthetic value, and not out of piety 58.  »

Ce type de textes s’inscrit, donc, très directement, quelle que soit l’appellation retenue pour le désigner, dans la problématique de la réception par le christianisme de la culture antique 59 et de la naissance d’une poésie chrétienne. Il est, en quelque sorte, au-delà des hésitations et des méfiances, l’aboutissement littéraire d’une volonté plus générale d’acceptation d’un héritage culturel et l’affirmation d’un message chrétien dont la force ne redoute plus la confrontation avec la pensée antique. Aux termes de rupture ou de continuité, il convient, donc, sans doute, de préférer celui de réorientation. Premier exemple de ce renouveau, Juvencus se lance dans une tentative qui ne relève pas d’un genre mineur, d’un amusement poétique mais d’une véritable idéologie assumant la tradition littéraire classique. L’évangélisation d’un public cultivé, espagnol ou romain, passe d’abord par son adhésion culturelle et donc   Charlet (1988), p. 83-84.   Sur cette question en général  : Cochrane (1957)  ; Blumenberg (1959)  ; Daniélou (1961a)  ; Chadwick (1966)  ; Ellspermann (1949)  ; Markus (1974). Sur cette réception par des auteurs précis  : Marrou (1958)  ; Fontaine (1959)  ; Testard (1958). 58 59

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par l’utilisation de sa propre vision du monde 60. Mais il ne s’agit pas d’un simple calcul de pêcheur d’âmes car cette vision est aussi celle de Juvencus  : l’épopée est au cœur de l’histoire et de la littérature romaine dont il revendique l’héritage. Le texte des Euangeliorum libri ne nous donne pas d’indication directe sur son public mais sa forme traditionnelle, vecteur d’une culture «  noble  », nous révèle que Juvencus suit l’ascension sociale de la nouvelle aristocratie qu’il veut convertir au christianisme. Il serait donc dommageable d’opposer ou simplement de séparer poésie païenne et chrétienne de l’Antiquité tardive au lieu d’y rechercher, sur des sujets différents, l’expression d’une unité idéologique et stylistique de canons esthétiques qui sont la base d’un véritable dialogue entre le christianisme et la culture classique. Il ne s’agit pas de la part des poètes chrétiens d’un simple habillage esthétique pour séduire un public cultivé, où la forme serait païenne et le fond chrétien, mais d’une synthèse réelle dans le domaine de l’art, de la culture et de la spiritualité. De Némésien à Ausone, en passant par Juvencus, Claudien, Prudence, Reposianus, les poètes latins tardifs assument tous les genres de la tradition poétique. Mais l’étude de Juvencus porte également à réfléchir sur cette «  frontière  » avec l’époque suivante, qui apparaît bien mince lorsqu’on cesse de considérer son épopée comme une simple paraphrase rhétorique pour en analyser les buts et les mécanismes. On y trouve alors ce que J. McClure appelle des «  expansions interprétatives 61  », c’est à dire des ajouts explicatifs à visée pédagogique ou exégétique, éléments souvent analysés chez ses successeurs comme la marque d’une écriture originale proprement chrétienne et qui vont changer l’image du héros épique en Sauveur chrétien. Alors que dans la théorie rhétorique classique imitatio et aemulatio sont étroitement liées et s’appliquent au même modèle, l’épopée biblique a cette particularité de séparer les deux. La rivalité concerne les auteurs païens dont on imite la forme tout en refusant l’idéologie sous-jacente et qu’on surpasse non dans l’écriture mais dans le contenu inspiré par l’Esprit Saint  ; l’imitation est celle d’un texte dont le style est considéré comme inférieur à la noblesse du message mais avec lequel on peut rivaliser fort difficilement puisqu’il s’agit de la parole de Dieu. L’introduction marque clairement la volonté d’aemulatio avec les poètes épiques, la conclusion celle d’imitatio (puisque les modifications ne concernent que l’ornatus), mais imitation de quoi  ? Ni Matthieu ni aucun évangéliste ne sont mentionnés, l’imitation semble porter directement sur la parole de Dieu.   Sur le public de Juvencus, voir l’excellente analyse de Green (2006), p. 131-133  : «  It seems to emerge that Juvencus is writing for Christians rather than non-Christians. It need not be assumed, however, that he is preaching to the converted; not because he is not preaching-though there are similarities, as suggested above, and sometimes perhaps one even glimpses favorite themes of Juvencus the pastor-but because the clearcut distinction of converted and unconverted must be questioned, or at least the notion that needs were systematically distinct…  » 61  McClure (1981), p. 329-341. 60

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Mais la relation entre les deux termes est complexe. On peut définir ainsi l’orientation générale du projet de Juvencus et son intégration dans la littérature chrétienne  : l’imitatio s’applique à l’Évangile avec lequel il ne semble pas possible de rivaliser et dont on veut restituer l’intégralité du message, l’aemulatio s’applique aux auteurs anciens qu’on doit surpasser puisque leur message est caduc et qu’on peut à peine imiter pour la noblesse de l’expression et l’élégance du style. Mais l’idée même d’un semblable travail sous-tend de façon confuse et embarrassée le renversement de ces termes. Puisque l’on réécrit l’Évangile, c’est qu’on peut faire mieux, même si ce mieux ne concerne, en apparence du moins, que les «  ornements du langage  », et la lutte avec les auteurs anciens passe par l’imitation de leurs procédés, l’emprunt de leurs expressions et parfois même de façon plus insidieuse de leur mode de pensée. Entre ce que dit Juvencus et ce qu’il réalise, il y a toute l’ambiguïté qui fait de l’épopée biblique une forme inclassable. Ainsi Juvencus part de l’Évangile de Matthieu mais il modifie le récit dans sa structure générale en y incluant des péricopes de Jean, ou, de façon plus limitée, en transformant le récit par des ajouts ou des suppressions. Il recrée autour des gesta uitae Christi un cadre épique et poétique. Par les techniques de la paraphrase, il change de registre mais cette imitation n’est pas que restitution du sens dans une forme jugée plus noble. Juvencus affirme dès la préface sa supériorité sur les poètes païens, une supériorité qui lui vient de l’Esprit Saint. Peut-on parler de supériorité par rapport à Matthieu  ? Sans doute sur un plan ornemental dans la perspective de ce début du IVe siècle, mais aussi sur un plan doctrinal et catéchétique. Il convient donc d’étudier à la fois l’utilisation d’une technique rhétorique et tout ce qu’elle permet de variations et d’imitation mais aussi d’analyser comment Juvencus dépasse cette simple technique pour en faire l’outil d’une évangélisation.

TROISIÈME PARTIE

IMITATIO LA PARAPHRASE BIBLIQUE ENTRE CONTINUITÉ ET RUPTURE

Chapitre VII

De la paraphrase scolaire à la paraphrase biblique On ne peut considérer le travail de Juvencus d’un simple point de vue formel, linguistique ou esthétique, même si certains critiques ont tenté cet exercice 1. Cependant, artisan d’un nouveau genre poétique, il est héritier de ce travail rhétorique de retractatio, héritage scolaire sous la forme des exercices de réécriture, héritage de la culture antique sous la forme plus évoluée de l’aemulatio qui suppose «  d’incessants transferts culturels 2  ». Formé à la théorie et à la pratique de la rhétorique, Juvencus utilise avec aisance les opérations de réécriture d’un texte qu’elles soient quantitatives (augmentation ou réduction), qualitatives (changement d’énonciation, de ton), structurelles (inversion, permutation) ou stylistiques. Il a un choix varié d’interventions possibles et il en utilise la gamme avec naturel et à propos  ; que son travail porte sur la phrase, le paragraphe ou une partie entière, qu’il ajoute ou retranche, développe ou abrège, le résultat, à l’exception de quelques obscurités, reste assez élégant et loin de ce que seront par la suite les ouvrages métaphoriques d’Arator. Son poème, contrairement à ceux de ses successeurs, s’écarte peu vers une analyse ou un commentaire indépendant du texte de départ. Il reste un travail de réécriture qui n’évolue qu’à peine vers ce qui deviendra un genre abondant dans la littérature chrétienne  : la méditation sur l’Écriture qui, à partir d’une paraphrase explicative devient une réflexion sur le sens et les conséquences doctrinales ou morales de la parole divine 3. Avant de   Cf. l’analyse de Green (2006), p. 46-47 et son état de la question sur l’analyse des termes «  rhetorical paraphrase  » et «  biblical epic  ». 2  Goullet (2005), p. 98-99  : «  Du point de vue de la rhétorique et de la poétique latines, la réécriture relève de la retractatio, retraitement, ou tout simplement de la tractatio, définie par Alexandre Cizek comme ‘une forme (…) de transposition qui comporte un remaniement ou une réélaboration entrant en compétition à la fois avec l’expression et la matière du modèle’. Avec la (re)tractatio, on est dans la pratique conjointe de l’imitatio, adaptation libre de la matière ou du style, et de l’aemulatio, qui suppose une prise de distance encore plus grande avec le modèle, qu’il convient de renouveler, sinon de dépasser  ; la notion d’aemulatio est particulièrement importante au Moyen Âge, où l’intégration de l’héritage classique inspire d’incessants transferts culturels.  » 3   Cottier (2002), p. 94: «  Toutefois, ces productions issues de l’antique paraphrase révèlent, sous une stabilité terminologique apparente, ce que Catherine Fuchs nomme une ‘rupture conceptuelle’, et le même terme de paraphrase a fini par désigner aussi bien les simples exercices de reformulation des apprentis rhéteurs, les adaptations ou recréations de la poésie biblique, que les commentaires exégétiques d’un Themistios ou d’un Érasme, 1

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montrer que Juvencus amorce pourtant dans la paraphrase elle-même ce travail de réflexion, il convient d’analyser les procédés d’une réécriture rhétorique très bien maîtrisée et conforme aux critères classiques. 1.  La paraphrase scolaire et rhétorique dans l’Antiquité classique La première influence subie par un lecteur et peut-être la plus durable est celle de l’enseignement qu’il a reçu 4. Chez les Romains cet enseignement comportait trois degrés  : la classe du maître d’école, celle du grammairien puis celle du rhéteur, la philosophie restant un complément facultatif. Après les apprentissages premiers de la lecture, de l’écriture et du calcul, l’élève qui passait chez le grammairien commençait l’étude de la langue et de la littérature par l’explication des textes des grands écrivains et principalement des grands poètes, l’étude des historiens et des orateurs appartenant plutôt au rhéteur dans une progression qui favorisait d’abord, sur le plan de la pensée, l’imagination puis le raisonnement, et sur le plan du style l’imitation puis la création ou plutôt la recréation après assimilation des modèles. Dans la suite des études, le rôle du rhéteur était d’enseigner l’art oratoire, technique traditionnelle dont les règles complexes étaient héritées de l’école grecque. L’apprentissage était essentiellement formel et comportait l’analyse, puis l’application de procédés techniques dûment répertoriés. À l’un et à l’autre niveau, qui d’ailleurs se mêlent souvent, on trouve un penchant à la systématisation et à la réglementation  : technique de plus en plus précise, étude des modèles, exercices d’application progressifs, schémas préétablis, au point que ce qui est d’abord un système de valeurs formelles finit par devenir une esthétique de la prose d’art 5. Les études orientées d’abord, sous la République, vers le but pratique de la vie politique se tournèrent ensuite vers une éloquence d’apparat qui recherchait l’esthétique. L’enseignement, outre une partie théorique, comportait de longues séries d’exercices préparatoires, fondés essentiellement sur l’imitation. Petit à petit, l’élève composait des discours fictifs qu’il récitait de mémoire. Suétone définit voire certaines formes de traductions (…). Il semble que le terme de ‘paraphrase’ ait finalement servi à désigner deux pratiques assez différentes  : la reformulation imitative, et la reformulation explicative (…). En effet, la reformulation à visée imitative produit un nouveau texte, recherchant ses formes d’expression à partir du texte source interprété. Si différents types de situation discursives peuvent donner lieu à cette pratique, de l’exercice scolaire traditionnel jusqu’au pastiche, on voit bien qu’elle relève d’une conception ouverte, dialogique dans la production d’un texte qui devient finalement indépendant, créant parfois un nouveau genre littéraire, comme dans le cas de l’épopée biblique. Par contre, le paragraphe exégétique, dans son intention d’interpréter le texte source, cherche à le reconstruire et à expliquer son sens par l’intermédiaire d’un nouveau texte.  » 4   Outre l’ouvrage toujours de référence de Marrou (1971), on peut aussi consulter sur ce sujet Bonner (1977) et Riché (1972). Sur le point plus précis des relations entre l’Église et l’enseignement, voir l’article de Bardy (1935). 5   Cf. les travaux de Fontaine (1981) et (1980)  ; cf. aussi Witke (1971).



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ainsi le travail des grammairiens dans leurs apprentissages préparatoires aux exercices de rhétorique  : «  Les anciens grammairiens enseignaient également la rhétorique et l’on a gardé le souvenir de recueils de notes que nombre d’entre eux composèrent sur l’une et l’autre discipline. C’est par fidélité à cet usage, je pense, que leurs successeurs aussi, bien que les deux métiers fussent dès lors distincts, conservent ou créent eux-mêmes certains types d’exercices destinés à préparer à l’éloquence, tels que les problèmes, les paraphrases, les allocutions, les étiologies et d’autres semblables, cela évidemment pour éviter que les enfants n’aient un style par trop sec et aride à leur arrivée chez le rhéteur 6.  »

Parmi ces exercices scolaires pratiqués dès l’entrée chez le grammairien, puis à un degré plus élevé chez le rhéteur, un des plus fréquemment utilisés est la paraphrase. L’enseignement rhétorique, en effet, dans sa partie pratique s’appuie presque exclusivement sur l’imitation. Pour progresser dans l’art de la déclamation les élèves s’exerçaient à ces exercices préliminaires, progymnasmata 7 que Aelius Théon, rhétoricien grec du Ier siècle après J.C. 8, présente en une liste graduée  : fable, narration, chrie, sentence, éloge ou blâme, comparaison, éthopée non sous forme de création mais de reprise de thèmes déjà traités 9. Théon définissait ainsi la paraphrase  : «  La paraphrase consiste à changer la formulation tout en gardant les mêmes pensées  ; on l’appelle aussi métaphrase. La paraphrase compte quatre modes principaux  : selon la syntaxe, selon l’addition, selon la soustraction et selon la substitution 10.  » 6  Suét., De grammaticis et rhetoribus IV, 6-7  : Veteres grammatici et rhetoricam docebant ac multorum de utraque arte commentarii feruntur. Secundum quam consuetudinem posteriores quoque existimo, quanquam iuam tum discretis professionibus, nihilominus uel retinuisse uel instituisse et ipsos quaedam genera meditationum ad eloquentiam praeparandam, ut problemata, paraphrasis, adlocutiones, aetiologias atque alias hoc genus, ne scilicet sicci omnino atque aridi pueri rhetoribus traderentur. 7   Ce mot apparaît pour la première fois dans un contexte rhétorique chez le pseudo-Aristote (IVe siècle av. J.C.), Rhetorica ad Alexandrum 28 (1436). 8   Mais aussi le pseudo-Hermogène (fin du IIe-IIIe siècle), Aphthonios (IVe-Ve siècle) et Nicolas le sophiste (Ve siècle)  ; sur ce sujet, voir Cottier (2002), qui, sur l’aspect linguistique de la paraphrase, renvoie (n. 10) aux trois ouvrages récents de Fuchs (1982) et (1994)  ; Lumbelli / Garavelli (1999). 9   Voici comment les présente Suétone (XIII, 25, 8-9) en reprenant la progression de cette liste  : Sed ratio docendi nec una omnibus nec singulis eadem semper fuit, quando uario modo quisque discipulos exercuerunt. Nam et dicta praeclare per omnes figuras, per casus, et apologos aliter atque aliter exponere, et narrationes cum breuiter ac presse tum latius et uberius explicare consuerant; interdum Graecorum scripta conuertere, ac uiros illustres laudare uel uituperare; quaedam etiam ad usum communis uitae instituta tum utilia et necessaria tum perniciosa et superuacanea ostendere; saepe fabulis fidem firmare aut demere; quod genus thesis et anaskenas et kataskenas Graeci uocant; donec sensim haec exoluerunt et ad controuersiam uentum est. Veteres controuersiae aut ex ueritate ac re, si qua forte recens accidisset. 10   Théon, Progymn. 63, l, 10 (trad. M. Patillon).

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Après avoir souligné la progression nécessaire dans cet exercice pédagogique, il définit son utilité pour l’acquisition du style  : «  La paraphrase n’est pas inutile, comme certains l’ont dit ou cru  : en effet, disent-ils, on n’arrive à bien dire qu’une seule fois, deux fois, ce n’est pas possible. Mais c’est là une erreur grossière  : la pensée n’est pas ébranlée par un objet unique d’une seule manière, de sorte que la prolation de la représentation qui l’accompagne soit toujours la même, mais de plusieurs manières, et le fait d’exprimer le pensé tantôt selon le mode assertif, tantôt selon le mode interrogatif, ou percontatif, ou optatif, ou autre, n’empêche en rien d’exprimer le représenté également bien de toutes les manières. On en trouve des preuves chez les poètes (que ce soit chez un même poète ou chez des poètes différents) chez les rhéteurs et chez les historiens, et généralement parlant, il apparaît que tous les anciens ont fait de la paraphrase un excellent usage, refaçonnant non seulement leurs propres textes mais aussi ceux des autres 11.  »

Dans ses Institutions oratoires (I, 9), Quintilien prévoit l’apprentissage des premiers éléments (fable, maxime, chrie, étiologie) chez le grammaticus et le reste chez le rhéteur. Reprenant les idées de Théon, Quintilien fait de l’imitation un exercice pédagogique propre à développer chez les jeunes élèves des qualités de style et d’expressions qui leur seront nécessaires par la suite lorsqu’ils auront à créer leur propre parole 12  : Igitur Aesopi fabellas, quae fabulis nutricularum proxime succedunt, narrare sermone puro et nihil se supra modum extollente, deinde eandem gracilitatem stilo exigere condiscant: uersus primo soluere, mox mutatis uerbis interpretari, tum paraphrasi audacius uertere, qua et breviare quaedam et exornare saluo modo poetae sensu permittitur 13. Quod opus, etiam consummatis professoribus difficile, qui commode tractauerit, cuicumque discendo sufficiet 14.

Ces exercices sont un entraînement à la parole sous toutes ses formes et dans tous les domaines  : «  L’entraînement à nos exercices est absolument nécessaire, non seulement aux futurs orateurs, mais à tous ceux qui veulent partager l’art de la parole des poètes, 11   Il y a là la réponse à la critique de Crassus dans le De Oratore de Cicéron (I, 154)  : Sed post animaduerti hoc esse in hoc uiti, quod ea uerba, quae maxime cuiusque rei propria quaeque essent ornatissima atque optima, occupasset aut Ennius, si ad eius uersus me exercerem, aut Gracchus, si eius orationem mihi forte proposuissem: ita, si eisdem uerbis uterer, nil prodesse; si aliis, etiam obesse, cum minus idoneis uti consuescerem. 12   Quint., Inst. I, 9. 13   Roberts (1985b), p. 16 analyse ainsi ce passage  : «  Quintilian describes the procedure to be followed by the writer of a paraphrase. Three stages may be discerned: 1) resolution of the metrical form (versus primo solvere); 2) interpretatio – the replacement of poetic vocabulary by its simple prose equivalent (mutatis uerbis interpretari); 3) the developed paraphrase – that is, the stylistique reworking of the skeleton prose account produced by interpretatio. Two procedures of the developed paraphrase are recognized by Quintilian: abbreviation and embellishement; the writer must take care to retain the sense of the original, but will vary its language and style.  » 14   Quint., Inst. I, 9, 2.

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des historiens ou d’autres écrivains. C’est là comme le fondement de tous les genres d’expression 15.  »

Cet exercice de paraphrase continua longtemps à être la base d’un apprentissage rhétorique, puisqu’au IVe siècle Augustin dénonce en ces termes les paraphrases de Virgile qu’il dut exécuter enfant  : Sine me, Deus meus, dicere aliquid et de ingenio meo, munere tuo, in quibus a me deliramentis atterebatur (…) Sed figmentorum poeticorum uestigia errantes sequi cogebamur et tali aliquid dicere solutis uerbis, quale poeta dixisset uersibus: et ille dicebat laudabilius in quo pro dignitate adumbratae personnae irae ac doloris similior affectus eminebat uerbis sententias congruenter uestientibus 16.

Même si cet enseignement est ici critiqué, il constitue entre gens cultivés un fond commun d’éducation et de culture partagée qui dépasse les clivages religieux. Au-delà de simples exercices de reformulation des élèves du rhéteur, la paraphrase sert aussi à l’entraînement quotidien de l’orateur que décrit Crassus dans le De oratore de Cicéron  : In cotidianis autem commentationibus equidem mihi adulescentulus proponere solebam illam exercitationem maxime, qua C. Carbonem nostrum illum inimicum solitum esse uti sciebam: ut, aut uersibus propositis quam maxime grauibus aut oratione aliqua lecta ad eum finem quem memoria possem comprehendere, eam rem ipsam quam legissem uerbis aliis quam maxime possem lectis pronuntiarem 17.

Crassus associe là deux grands principes de l’éducation antique  : la mémoire et la paraphrase qui chez Juvencus vont faire le lien entre l’Évangile et Virgile, lui faisant écrire une paraphrase de l’Évangile éclairée par les souvenirs des vers épiques appris dès l’enfance et retrouver la mémoire toujours vive d’une culture qui met au service d’un message sacré rythme, émotions et images. Cela permet de concevoir comment l’on peut arriver à des ouvrages qui ne sont plus de simples exercices mais à leur tour des œuvres à part entière, où la paraphrase n’a plus un but d’éclaircissement ou d’explication lorsqu’elle est le travail du professeur, de vérification de la compréhension du texte de départ ou d’entraînement à la pratique rhétorique lorsqu’elle est réalisée par un élève, un apprenti orateur ou un homme cultivé désireux de s’instruire dans la solitude de la campagne comme le correspondant de Pline 18.  Théon, Progymn. 70, 26-30 (trad. M. Patillon).   Aug., Conf. I, 17, 27. 17   Cic., De Or. I, 15. 18   Plin., Ep. VII, 9. Il s’agit d’une traduction du grec au latin ou du latin au grec qui offre bien des avantages pour la maîtrise de la langue  : quo genere exercitationis proprietas splendorque uerborum, copia figurarum, uis explicandi, praeterea imitatione optimorum similia inueniendi facultas paratur, mais cette traduction est aussi paraphrase et exercice de mémoire  : Nihil offuerit quae legeris hactenus, ut rem argumentumque teneas, quasi aemulum scribere lectisque conferre ac sedulo pensitare quid tu, quid ille commodius. 15 16

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Encore qu’on puisse se demander si ces deux buts scolaires ne persistent pas dans les relations entre les auteurs d’épopées bibliques et leurs lecteurs  ; J. Fontaine précise la définition de la paraphrase  : «  Si l’on parle de ‘paraphrase’ à propos de Juvencus, encore faudrait-il bien voir ce que les Latins sous-entendaient à ce mot grec, et ne pas s’en tenir malignement à ses valeurs d’emploi françaises les plus péjoratives. Concrètement, elle était, dans l’instruction romaine, l’exercice de la composition littéraire. Elle supposait en effet trois exercices de rédaction, d’une indépendance croissante  : ce que nous appelons aujourd’hui la ‘contraction de texte’, ensuite une application modérée d’ornements, enfin un exercice de transposition qui consistait, sur un même contenu, à rivaliser de formes avec le texte de base, par l’utilisation des synonymes. On est donc en présence d’un véritable exercice de ‘réécriture’. Tel que le définit Quintilien, au livre 10 de son Institution oratoire, cet exercice prépare aux procédures d’une création littéraire qui, à travers toute l’Antiquité, a souvent procédé par âgon avec un auteur antérieur  : ce que les Latins appellent la retractatio. De la Chevelure de Bérénice à certaines Bucoliques, Catulle en avait usé ainsi avec Callimaque et Virgile avec Théocrite. Pourquoi ne pas apprécier avec un étalon comparable sinon identique, les Evangeliorum libri IIII, et plus généralement, l’épopée biblique chrétienne 19  ?  »

Car, ce qui distingue la création littéraire de l’exercice scolaire, c’est la volonté de faire mieux qu’un autre, de rivaliser pour le style ou le sens avec un prédécesseur et non pas seulement d’appliquer une technique de réécriture 20. Cette reformulation porte en latin sur le genre du texte, versification pour Juvencus ou Sédulius dans son Paschale Carmen, «  prosification  » dans l’Opus Paschale où Sédulius entreprend de paraphraser en prose son propre ouvrage. C’est là pour J. F. Cottier ce qui permet de distinguer la paraphrase grammaticale de l’écolier et la paraphrase rhétorique, qui «  introduit dans l’exercice le problème du style et de l’émulation 21.  » La raison de la réécriture de Juvencus ne relève pas d’un simple exercice de virtuosité stylistique mais de la volonté d’adapter le message divin à un public gêné par la forme de l’Évangile 22  : «  Car le public de lettrés que visent les écrivains chrétiens de l’époque de Juvencus reste marqué par trois principes, à la fois moyens pédagogiques d­ ’apprentissage,  Fontaine (1981), p. 71.   Cottier (2002), p. 241  : «  On en revient ainsi à la définition de la paraphrase comme reformulation d’un texte ou d’un passage de texte dans une autre forme ou avec d’autres mots en vue de l’éclairer. Dans ce sens, on peut alors ajouter que toute traduction est une paraphrase et que toute paraphrase est une sorte de traduction.  » 21   Cottier (2002), p. 243. 22   La pensée antique ne peut envisager le passage d’une culture à une autre, de la culture biblique à la culture antique, car il n’y a pour elle qu’une seule culture  ; de ce point de vue-là l’entreprise de Juvencus est une entreprise de civilisation, en donnant au mot un sens dynamique  ; il veut transformer ce qui est inculte en cultivé, assaisonner ce qui est fade selon l’image d’Augustin ou, selon l’image tibulienne de la vigne sauvage qui donne du vin, transformer les Évangiles «  sauvages  » en un «  grand cru  » virgilien. 19

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et orientation idéologique, de l’éducation qu’ils ont reçue depuis l’enfance  : l’affirmation de la suprématie du langage poétique, la nécessité de l’analyse rhétorique des textes littéraires, l’imitation du beau conçue comme une lutte entre les auteurs 23.  »

2.  Réécriture poétique et pensée nouvelle  : les ambiguïtés d’une définition de genre L’œuvre de Juvencus, et, au-delà de ce seul ouvrage, les différentes épopées bibliques relèvent de la mise en pratique rigoureuse de ces techniques d’apprentissage du discours et de l’écriture répétées à l’adolescence jusqu’à devenir un mode de pensée, mais il faut se demander s’il ne relève pas d’une certaine facilité de jugement de mettre sur le compte de l’éducation, cette forme de pensée artistique et littéraire. N’est-ce pas au contraire la profonde cohérence et la logique même de cette pensée qui produit ce mode d’éducation  ? Certes les Euangeliorum libri sont une paraphrase biblique mais l’on ne peut s’arrêter à cette unique définition sans amputer le texte d’une partie de son sens, surtout si l’on considère l’intention de Juvencus. La première interrogation qui vient à l’esprit d’un lecteur moderne devant pareil texte porte sur les motivations de son auteur. Qu’est-ce qui peut pousser un chrétien du IVe siècle à transformer un texte dont le caractère sacré de révélation divine est clairement affirmé en une épopée inspirée de modèles païens classiques  ? Qu’a-t-il l’impression d’apporter aux Évangiles par son travail  ? Et par voie de conséquence, qu’est-ce qui lui paraît manquer à la plénitude des textes apostoliques  ? C’est dans les bases d’une culture commune aux païens et aux chrétiens cultivés que nous pourrons trouver des éléments de réponse à cette question, et en particulier, comme le souligne M. Testard, dans leur approche du sacré  : «  On comprend alors que le prêtre Juvencus qui avait aussi la charge pastorale des lettrés, tant parmi ses ouailles chrétiennes que parmi les païens qui l’entouraient, ait voulu raconter l’histoire de Jésus dans une œuvre de haute tenue, qu’il ait Là encore on peut penser aux conseils qu’Augustin donnera par la suite dans son De Doctrina Christiana  : Aug., Doctr. IV, 112, 26  : sed quoniam inter se habent nonnullam similitudinem, uescentes atque discentes, propter fastidia plurimorum, etiam ipsa sine quibus uiui non potest, alimenta condienda sunt. 23   Cottier (2002), p. 243. Quintilien soulignait déjà dans son Institution oratoire que ces principes trouvaient leur réalisation dans l’exercice de la paraphrase (Quint., Inst. X, 5, 4-5)  : Nam et sublimis spiritus attollere orationem potest, et uerba poetica libertate audaciora non praesumunt eadem proprie dicendi facultatem. Sed et ipsis sententiis adicere licet oratorium robur, et omissa supplere, effusa substringere. Neque ego paraphrasin esse interpretationem tantum uolo, sed circa eosdem sensus certamen atque aemulationem. Ideoque ab illis dissentio qui uertere orationes latinas uetant, quia optimis occupatis quidquid aliter dixerimus necesse sit esse deterius.

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choisi, pour la geste du Christ, le genre littéraire de la poésie épique et qu’il ait eu l’idée, pour intéresser païens et chrétiens, de recourir à ce patrimoine commun d’éducation que représentaient à la fois les œuvres de poètes épiques antiques et la tradition de l’imitation, la mimésis 24.  »

À cette adaptation au public correspond exactement une adaptation au sujet. De même que Boileau, en disant  : «  ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement 25  », affirme un idéal classique d’écriture où la pensée et le texte sont dans une même pureté de sens et de forme sans intervalle aucun, de même, réécrivant en vers le texte des Évangiles, Juvencus montre clairement qu’il y a pour lui une correspondance de nature entre l’écriture poétique noble de l’épopée et le caractère élevé du message divin. Comme l’explique J. Fontaine  : «  Si le poète sollicite la venue de l’Esprit, c’est ‘afin de s’exprimer d’une manière digne du Christ’. Cette esthétique romaine du decus exige une adaptation à l’objet même de la parole orale ou écrite. D’où l’ambiguïté inévitable, dès lors que l’objet en est un Homme Dieu, en qui la gloire divine s’est dissimulée jusque sous les pitoyables apparences du ‘serviteur souffrant’. Sermo humilis ou sermo grandis  ? Commodien avait subi, et peut-être choisi, le premier mode d’expression. Juvencus choisit le second, moins par réaction spontanée d’aristocrate lettré que par dessein de mieux communiquer ainsi avec aristocrates et lettrés. Par conformité, aussi à l’esprit d’un temps où le signe du Christ s’identifie, sur le labarum, avec la théologie impériale de la victoire 26.  »

En quelque sorte, Dieu parle en vers ou du moins il devrait parler en vers et le poète transcripteur reprend à son compte les caractéristiques du uates inspiré. C’est ce que signifie sans doute le titre du chapitre de Fontaine, «  l’Évangile selon Juvencus  » qui l’assimile à un évangéliste et son commentaire 27  : «  Juvencus semble vouloir dire, en fait, qu’il pense avoir tenu la gageure de l’écrivain sacré  : parler ‘en nom Dieu’, et réunir à cette fin toutes les ressources d’un langage humain, tout en maintenant, autant qu’il est possible, la transparence de cette parole terrestre à la Parole céleste.  » Le poète considère que les materiae de son ouvrage sont les gesta Christi comme s’il n’y avait pas d’intermédiaire entre la parole de Dieu et lui. Avec l’aide de l’Esprit Saint, Juvencus devient un uates et va écrire un nouvel Évangile 28. Cet «  Évangile selon Juvencus  » sera une recomposition de la vie du Christ, un texte fondateur du christianisme romain.  Testard (1990), p. 27.  Boileau, Art poétique, chant I. 26  Fontaine (1981), p. 75. 27   Fontaine, (1981) p. 76. 28   On peut penser à Lactance affirmant au sujet de Cicéron (Inst. 6, 8, 1-10)  : Quod si, ut legis sanctae vim rationemque pervidit, ita illud quoque scisset aut explicasset, in quibus praeceptis lex ipsa consisteret: non philosophi functus fuisset officio, sed prophetae. 24 25



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Plus qu’une transcription, il y a une réécriture, fidèle sans doute au texte de départ par volonté de respecter le sens mais oublieuse de l’étape humaine, de l’expérience de témoignage que représente l’écriture des évangélistes. Il faut noter que dans cette perspective, les évangélistes ne sont jamais cités dans le texte de Juvencus, sinon dans un prologue qui n’est pas de lui 29. Il n’est pas certain que Juvencus ait eu conscience de ce que son œuvre comportait de transgression, c’est là une forme de critique textuelle moderne fort étrangère à sa pensée et à sa formation intellectuelle  ; au contraire, il devait même plutôt avoir l’impression de rectifier le «  scandale  » que pouvait être pour les chrétiens lettrés de son époque le style des quatre Évangiles. Mais cette contradiction n’a pas échappé à la subtilité de Jérôme, qui ajoute cette restriction dans sa présentation des Euangeliorum libri IV  : nec pertimuit euangelii maiestatem sub metri leges mittere 30. Mais, peut-être, est-ce fausser la pensée de Juvencus que de croire qu’il voulait placer son texte sur le même plan que les évangiles. Il convient plutôt de rapprocher sa tentative des divers commentaires ou méditations sur les textes saints dont le but est de mettre en valeur par des variations et des nuances les divers aspects de la parole divine, ce qui suppose plutôt un public chrétien cultivé capable à la fois de percevoir les changements apportés au texte connu de l’évangile et de saisir les résonances épiques en comparaison avec les poètes classiques. Juvencus ne nous parle pas dans sa préface de paraphrase mais d’épopée. Il a l’ambition d’être le Virgile de l’empire chrétien ou du moins d’être l’instrument par lequel l’Empire romain chrétien reçoit son texte de fondation, ce qui suppose deux choses  : à la fois tout assumer de l’héritage culturel et historique qui fait l’identité de Rome, car sans cet héritage, ce n’est pas Rome qui accueille le message évangélique, et en même temps recentrer, refonder Rome, car sans ce recentrement, Rome n’accueille pas le Christ. Juvencus a besoin de rivaliser avec Homère et Virgile, pour que son texte puisse jouer dans l’univers gréco-romain le rôle fondateur qu’Homère et Virgile y ont joué. Il voit sans doute une homologie structurelle dans leur situation respective. Juvencus serait aux évangélistes et à Constantin ce que fut Virgile à Tite Live et à Auguste. Et, en ce sens, son projet d’écrire une épopée chrétienne pour surpasser ses modèles s’inscrit dans la pensée des poètes épiques comme Lucain ou Stace qui, à partir 29   Cf. les remarques de son éditeur Huemer (1891), p. XXIV. On ne confondra pas ce prologue, qu’on appelle praefatio prima (des vers commémoratifs sur les Évangélistes) avec la préface proprement dite (praefatio)  : comme le note Herzog (ed.) (1993), p. 382, «  il faut, en fait, y reconnaître l’exorde du livre I, comme le montrent la forme et le contenu (à la différence des praefationes plus tardives, de Claudien ou de Prudence, par ex. celle-ci ne se distingue pas de l’œuvre par le mètre  ; Juvencus adapte ici le type d’exorde propre à l’épopée romaine, qui culminait dans une invocatio), ainsi que la présentation du plus ancien ms. (C) qui ne sépare pas le v. 27 du v. I, 1.  » 30   Hier., Ep. LXX, 5.

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de matériaux nouveaux prolongent l’épopée romaine. De même, il est évident qu’il n’y a aucune continuité de style entre les évangiles et l’épopée de Juvencus qui s’appuie sur la forme poétique des épopées classiques. L’ambiguïté d’une définition de genre pour l’œuvre de Juvencus relève de la présence de deux textes pouvant servir d’hypotextes de deux façons différentes. Pour définir ces deux types de transformations très différentes, Genette prend dans son ouvrage «  Palimpsestes 31  » les exemples de l’Énéide et de l’Ulysse de Joyce, comme «  deux hypertextes d’un même hypotexte  »  : «  La transformation qui conduit de l’Odyssée à Ulysse peut être décrite (très grossièrement) comme une transformation simple ou directe  : celle qui consiste à transporter l’action de l’Odyssée dans le Dublin du XXe siècle. La transformation qui conduit de la même Odyssée à l’Énéide est plus complexe et plus indirecte malgré les apparences (et la plus grande proximité historique) car Virgile ne transpose pas d’Ogygie à Carthage et d’Ithaque au Latium, l’action de l’Odyssée  : il raconte une toute autre histoire (les aventures d’Énée et non plus d’Ulysse) mais en s’inspirant pour le faire du type (génétique, c’est-à-dire à la fois formel et thématique) établi par Homère dans l’Odyssée (et, en fait, également dans l’Iliade), ou comme on l’a bien dit pendant des siècles, en imitant Homère. L’imitation est sans doute elle aussi une transformation, mais d’un procédé plus complexe, car – pour le dire ici d’une manière encore très sommaire – il exige la constitution préalable d’un modèle de compétence générique (appelons-le épique) extrait de cette performance singulière qu’est l’Odyssée (et éventuellement de quelques autres) et capable d’engendrer un nombre infini de performances mimétiques. Ce modèle constitue donc, entre le texte imité et le texte imitatif, une étape et une médiation indispensable, que l’on ne retrouve pas dans la transformation simple ou directe.  »

Il résume enfin ces deux transformations 32 «  Joyce raconte l’histoire d’Ulysse d’une autre manière qu’Homère, Virgile raconte l’histoire d’Énée à la manière d’Homère… (transformations symétriques et inverses). Cette opposition schématique (dire la même chose autrement, dire autre chose semblablement) n’est pas fausse en l’occurrence (encore qu’elle néglige un peu trop l’analogie partielle entre les actions d’Ulysse et d’Énée).  »

Il conclut en expliquant que la seconde opération est infiniment plus complexe que la première. Cette analyse éclaire les difficultés rencontrées devant l’ouvrage de Juvencus si l’on considère qu’il a simultanément deux hypotextes qui subissent chacun une transformation différente. L’Évangile de Matthieu est raconté d’une autre manière, dans un autre style (dire la même chose autrement), l’Énéide de Virgile est imitée sans que soit racontée la même histoire (dire autre chose semblablement) encore qu’il y ait des analogies soulignées 31 32

  Genette (1982), p. 13-15.   Genette (1982), p. 15.



DE LA PARAPHRASE SCOLAIRE À LA PARAPHRASE BIBLIQUE125

entre Énée et le Christ. L’imitation de Virgile relève de mécanismes plus complexes que la simple paraphrase et la rivalité poétique amène Juvencus à un travail de retractatio qui fait naître l’épopée biblique. Juvencus réécrit l’histoire du Christ en paraphrasant essentiellement l’évangile de Matthieu, tout en imitant Virgile selon les normes de l’épopée classique. Il cherche à renouveler et dépasser l’Énéide – et quelques autres poèmes épiques – sur laquelle s’exercent principalement l’imitatio et l’aemulatio. C’est donc autour de ces deux thèmes, imitatio et aemulatio, à la fois contradictoires et complémentaires que peut se construire une réflexion sur l’œuvre de Juvencus dans son aspect rhétorique de paraphrase utilisant les procédés classiques de la rhétorique antique et dans son aspect chrétien de réécriture de l’Évangile partagée entre la volonté de fidélité au message divin et la recherche d’une perfection poétique, seule digne de rendre en langage humain la beauté et la noblesse de ce message. L’épopée biblique est un genre qui, dans une certaine conception de la religion et de l’aspect sacré du message divin, n’a pas le droit d’être. Son existence même marque l’évolution qui à cette époque transforme la pensée chrétienne en lui permettant d’assumer l’héritage de la pensée et de la littérature païenne. Juvencus ouvre la porte à une longue lignée non seulement d’imitateurs de son œuvre mais surtout à toute une réflexion qu’il n’a pas menée lui-même mais que son œuvre, en osant prendre le texte de l’Évangile comme matériau littéraire, a déclenchée  : analyses, commentaires sur l’Évangile et parallèlement sur l’apport des auteurs anciens 33. L’Évangile de Juvencus n’est plus un Évangile de l’Église primitive, c’est l’Évangile d’une Église romanisée, triomphante  ; Juvencus choisit l’épopée comme l’expression du destin du christianisme à l’imitation de Virgile écrivant à la gloire de l’Empire naissant d’Auguste.

33   Il faut noter l’importance capitale pour l’évolution de la littérature chrétienne de cette possibilité de traduction, sans laquelle toute lecture du texte sacré reste figée et fixée définitivement. Deux éléments peuvent avoir joué dans ce choix d’une possible traduction  ; les évangiles n’ont pas à proprement parler de langue originale, puisque le grec est pour une large part une traduction et la littérature latine est une littérature de traduction et de transposition. Aussi, dès les origines, l’Église latine a admis traduction, réflexion, méditation sur le texte sacré.

Chapitre VIII

Hypertextualité dans les Euangeliorum libri  : transformations formelles Si une lecture selon les catégories de la rhétorique antique s’inscrit naturellement dans la nature même du texte de Juvencus, il est intéressant de lui appliquer en parallèle une autre grille de lecture, celle que M. Goullet utilise pour l’analyse des réécritures hagiographiques, à partir de la classification proposée par Genette dans son livre Palimsepstes. Cette approche permet en particulier de voir comment l’œuvre de Juvencus trouve son prolongement, non seulement dans les épopées bibliques qui suivront mais également dans une littérature hagiographique qui va s’étendre pendant tout le Moyen Âge avec une identité de formulation et une unité esthétique 1. Selon la définition de Genette, la réécriture appartient à la catégorie de l’hypertextualité définie comme «  toute relation unissant un texte B (hypertexte) à un texte antérieur A (hypotexte) sur lequel il se greffe d’une manière qui n’est pas celle du commentaire 2.  » L’hypertextualité peut recourir à des transformations purement quantitatives, à des transformations formelles non quantitatives, à des transformations conceptuelles ou sémantiques. Si l’on prend pour hypotexte des Euangeliorum libri l’Évangile de Matthieu, à la fois pour des raisons quantitatives et de similitude dans la structure détaillée des épisodes (mais nous verrons par la suite qu’il est possible de s’interroger sur le choix d’un Évangile unique et de se demander s’il n’y a pas plusieurs hypotextes) cette grille d’analyse permet des classements significatifs qui recoupent en partie ceux sur la rhétorique classique mais avec un point de vue plus précis sur la relation entre hypotexte et hypertexte  ; elle peut nous amener à nous interroger sur le public que vise Juvencus alors que la rhétorique classique, si elle donne   Selon les termes de Heinzelmann (2006), p. 37, à travers un modèle d’écriture, c’est le Christ qui devient modèle  : «  Dans la perspective particulière de la réécriture qui est la nôtre, en l’occurrence la réécriture de miracles, c’est par conséquent le Christ qui, seul, écrit l’hypotexte de tout miracle en tant que Verbe de Dieu. Ces imitateurs les saints, en se référant obligatoirement à leur modèle qui est autant source d’inspiration que de puissance, ne font que produire des hypertextes. En d’autres termes, l’hagiographie en tant que telle, c’est à dire au sens d’une écriture sur l’église du Christ, les saints et leurs miracles, constitue déjà à l’origine une réécriture, une réécriture qui correspond par son idéologie propre à la norme.  » 2   Genette (1982), p. 13. 1

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CHAPITRE VIII

les règles techniques de la paraphrase, s’interroge peu sur l’aspect idéologique de ces transformations. Les premières transformations possibles portent sur des aspects quantitatifs, réduction ou augmentation. La réduction peut prendre l’aspect de l’excision, suppression d’un bloc entier de l’hypotexte, de la concision, réduction de toutes les parties de l’hypotexte, ou de la condensation, modification du vocabulaire et réorganisation de la matière dans un ordre différent. 1.  Réduction La réduction s’explique principalement par la qualité définie comme première pour toute narration par la Rhétorique à Herennius, la breuitas  : Rem breuiter narrare poterimus si inde incipiemus narrare unde necesse erit, et si non ab ultimo initio repetere uolemus, et si summatim non particulatim narrabimus, et si non ad extremum sed usque eo quo opus erit persequemur, et si transitio nibus nullis utemur, et si non deerrabimus ab eo quod coeperimus exponere, et si exitus rerum ita ponemus ut ante quoque quae facta sint sciri possint, tametsi nos reticuerimus 3.

Si l’on reprend les chapitres précédents sur la structure de l’œuvre de Juvencus, on s’aperçoit que les changements apportés à l’ordre du texte relèvent de cette attente, il faut raconter brièvement selon le déroulement des événements, en supprimant les détails inutiles à la compréhension de l’action 4. Même s’il est possible de trouver des explications doctrinales ou morales à ces changements, il paraît évident que les modifications que fait Juvencus sur l’ensemble de son œuvre relèvent bien d’abord de règles techniques appliquées consciencieusement 5. 1.1.  Excision et concision (percursio) La breuitas utilise, en général, deux procédés  : l’omission et l’abréviation regroupées dans l’Antiquité sous le nom de percursio et appelées par Genette excision et concision. En ce qui concerne l’omission, elle s’applique chez Juvencus tant à la structure avec la suppression de l’énumération initiale de la généalogie du Christ qu’à l’élimination quasi systématique de termes proprement juifs (rabbi, synagogue) ou de détails relevant de la culture ou des mœurs hébraïques. Le passage le plus caractéristique de ces omissions est celui de Mt. 23, 13-33. Des malédictions contre les juifs et les pharisiens, Juvencus ne retient que les   Rhet. Her., I, 14.   Widmann (1905), p. 24-38  : l’auteur liste les omissions d’un vers ou plus et les analyse en détail. 5   Rhet. Her., IV, 68  : Habet paucis conprehensa breuitas mutarum rerum expeditionem. Quare adhibenda saepe est cum aut res non egent longae orationis aut tempus non sinet. 3 4

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v­ ersets 13 et 27-28, écartant de nombreuses allusions à la vie quotidienne des Juifs de Palestine, aux exigences de la casuistique rabbinique, aux préceptes mosaïques de la dîme appliqués aux moindres plantes (menthe, fenouil, cumin, 23, 23). J. M. Poinsotte y voit une volonté de déshumaniser le peuple juif  : «  Il lui faut, donc, d’une part, s’efforcer de faire oublier aux lecteurs de l’épopée que l’histoire du Christ est une histoire juive, racontée par des juifs, avec la Palestine pour cadre  ; que le Seigneur qui s’adresse à l’humanité est d’abord un Juif qui parle à d’autres juifs. La geste du Rex hominum traîne avec soi, comme une tare, celle du Rex Iudaeorum. Juvencus va donc éliminer beaucoup de noms propres, ne conservant, en règle générale, que ce qui est strictement indispensable à la compréhension du récit  ; il va parler aussi peu que possible du peuple élu, de son pays, de son histoire, de ses mœurs  ; il va tenter de couper le Dieu fait homme de ses attaches humaines, de dissimuler son appartenance à l’ethnie juive, afin d’épargner à l’image qu’il veut donner au Christ le contact avilissant de l’impietas iudaica. Cette intention polémique est d’autant plus sensible que le poète prend pour modèle principal le plus sémitique des quatre Évangiles, celui de Matthieu, usuel en son temps 6.  »

Il me semble que ces suppressions relèvent plus directement du procédé de la breuitas et d’une intention d’éliminer les détails obscurs qui demanderaient des explications rompant le cours de la narration. La loi du temple n’a d’intérêt que dans la mesure où elle est renouvelée par le Christ, les détails sur les excès et les scrupules des pharisiens sont, de fait, hors de propos sortis du contexte direct où ils ont été prononcés, et pour un public qui n’est plus directement concerné par les exigences de la loi juive 7. Breuitas ou adaptation au public, les deux sans doute, voilà ce qui semble davantage le dessein premier du poète  ; certes, Juvencus s’efforce d’enlever le contexte judaïque pour insister sur l’universalité du message christique 8 mais il est plus discutable de voir systématiquement dans cette élimination une démarche hostile et agressive engagée délibérément contre les Juifs 9.  Poinsotte (1979), p. 28-29.  Roberts (1985b), p. 109  : «  The elimination of cultural hebraisms, when they are not an essential part of the biblical narrative, is a feature of Juvencus paraphrastic technique. Other passages are omitted by Juvencus in order to avoid repetition  : Mt 13, 44-52, the final two parables of a series on the kingdom of heaven, and 20, 29-34, the healing of two blind men (cf. 9, 27-31 = II, 408-416) are omitted (after III, 16 and 621 respectively) for this reason.  » 8  Herzog (ed.) (1993), p. 380-381  : «  Car la perte de la dimension historique, l’abstraction et le nivellement ne sont pas seulement la conséquence de la breuiatio  : ils sont au service d’une volonté de déjudaïser son modèle, et, au moyen d’une romanisation partout sensible, de le projeter sur la communauté chrétienne contemporaine.  » 9   Poinsotte (1979), p. 30, souligne lui-même que «  la volonté d’effacement du monde juif n’affecte pas également tous les domaines où elle s’exerce  » et que «  la reprise de telle notion étrangère aux mœurs, à la mentalité, au vocabulaire latins exigerait une lourde amplification explicative, telle citation peu importante ne mérite pas d’être conservée et de rompre le cours du récit.  » 6 7

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CHAPITRE VIII

Il est nécessaire également pour créer un récit continu où s’intègrent des passages tirés d’autres Évangiles de supprimer les redites, les versets de transition, les précisions chronologiques ou topographiques  ; ainsi le passage de Mt. 2, 16-24 sur l’hypocrisie des juifs envers Jean-Baptiste et Jésus, avec ses répétitions et ses noms propres est éliminé complètement entre II, 547 et II, 548. Les noms juifs sont remplacés par le nom commun en apposition dans l’Évangile. Poinsotte a analysé très précisément les divers procédés permettant l’élimination des noms propres à consonance judaïque  : remplacement d’un nom propre par un nom commun  : Zacharias (Luc 1, 15) devient sacerdos (I, 27), choix d’apposition au lieu de nom  : Belzebub principe Daemoniorum (Mt. 12, 24) devient principe Daemoniorum (II, 607-608), élimination des précisions d’état civil  : Anna, filia Phanuei, de tribu Aser (Lc 2, 36) devient Anna (I, 216), formulation globale  : plebem (I, 24-25) remplace multos filiorum Israhel (Lc 1, 17). Le refus des répétitions est une raison majeure des omissions dans le texte de Juvencus  ; ainsi sont omises la parabole du royaume des cieux semblable à un trésor, à une perle trouvée par un commerçant (Mt. 13, 44-52) qui double le sens de la parabole précédente sur le royaume des cieux, et la guérison de deux aveugles (Mt. 20, 29-34) qui double Mt. 9, 27-31, retranscrit au livre II, 408-416, et qui coupe la logique du récit entre la nécessité de servir les chefs et l’entrée à Jérusalem. Au niveau de la phrase ou du paragraphe, on observe même la suppression des détails qui ne sont pas indispensables à la compréhension du récit  ; cela correspond exactement aux conseils de la Rhétorique à Herennius  : raconter brièvement c’est ne pas détailler sans utilité, c’est enlever ce qui peut se comprendre sans être dit, c’est éviter de préciser les causes ou les conséquences qui détournent le lecteur du sens primordial du récit 10. Dans l’organisation même d’un récit, on peut noter des coupures et une remise en ordre des éléments qui le composent. Ainsi dans l’épisode de la Samaritaine (Jn. 4, 4), Juvencus élimine les considérations des versets 1 à 3 qui expliquent le départ de Jésus devant les insinuations malveillantes des Pharisiens. Il déplace également en l’amplifiant l’explication de la solitude du Christ, laissé par ses disciples partis chercher de la nourriture  : discipuli enim eius abierant in ciuitatem ut cibos emerent  ; (Jn. 4, 8) vers le tout début de sa traduction, sans doute dans un souci de logique  : Discipulique escas mercantes moenibus urbis passim dispersi solum liquere magistrum. (II, 248-249) «  Et les disciples, allant acheter de la nourriture dans l’enceinte de la ville, s’étaient dispersés en tout sens, laissant seul leur maître.  » 10   Rhet. Her. I, 15  : Rem dilucide narrabimus si ut quicque primum gestum erit, ita primum exponemus et rerum ac temporum ordinem conseruabimus, ut gestae res erunt aut ut potuisse geri uidebuntur: hic erit considerandum, ne quid perturbate, ne quid contorte, ne quid noue, ne quid ambiguë dicamus, ne quam in aliam rem transeamus, ne ab ultimo repetamus, ne longe persequamur, ne quid quod ad rem pertineat praetereamus.



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Il est cependant difficile de trouver des exemples où s’exerce seulement ce sens de l’abréviation car, si Juvencus supprime certains éléments du récit évangélique, il en développe aussi d’autres aspects. La parabole des ouvriers envoyés à la vigne (Mt. 20, 1-16) fournit un exemple très précis de cette technique qui associe suppressions, ajouts et modifications. Juvencus n’introduit pas le récit par la comparaison de Mt. 20, 1 simile est enim regnum caelorum  ; il explicite la logique du verset Mt. 19, 30 en développant l’idée sur deux vers 11 et lie les passages par ut  ; c’est là déjà plus qu’une traduction, une amorce, encore discrète mais réelle de commentaire. Il omet également la précision du verset 20, 3  : uidit alios stantes in foro otiosos  ; si le maître engage les ouvriers, c’est évidemment parce qu’ils n’ont pas encore de travail. Supprimés également l’ordre de distribution du salaire (20, 8) et l’attente des premiers ouvriers espérant une récompense supérieure (20, 9-10) qui fait double emploi avec les récriminations adressées au maître. Juvencus ne signale pas, comme Matthieu, l’espoir déçu des premiers arrivés (Mt. 20,  10  : primi arbitrati sunt quod plus essent accepturi) mais il passe au style direct leurs protestations, leur donnant ainsi plus de force et de vivacité. Les modifications apportées au texte relèvent essentiellement de la volonté d’éviter les répétitions. L’évangile de Matthieu joue sur la répétition des sorties du maître que reflète la structure des phrases parallèles  : egressus, uidit et dixit, exiit circa sextam et nouam horam et fecit similer  ; circa undecimam … exiit et inuenit … et dicit, sur la répétition du vocabulaire  : alios stantes (20, 3) alios stantes (20, 6), otiosos (20, 3), otiosi (20, 6) et des ordres donnés uenissent, uenerant, uenientes  ; acceperunt, acceptum, acceperunt  ; misit eos in uineam suam (20, 2), dixit ite et uos in uineam (20, 4), dicit illis ite et uos in uineam (20, 7). Le texte de Juvencus joue sur la variation des termes  : progressus, egrediens, conduxit, adcrescere jussit, conducere pergit, jussit adire, egressus insistere jussit, malgré l’écho du alios conducere… alios conductos. Enfin les ajouts sont de deux ordres  : d’abord l’insistance sur le cadre spatio-temporel qui évoque le décor des Bucoliques de Virgile (III, 550-551) et le rythme des heures rendu par des expressions variées et poétiques  : primo lumine solis, tertia uenerat hora, sexta lucis transfluxerat hora, nona… acta, ultima portio lucis, uespere orto. Puis ces détails pittoresques sur la propriété 12, sur le déroulement temporel de l’épisode 13 s’accompagnent de précisions sur la psychologie du maître et son 11   Mt. 19, 30  : multi autem erunt primi nouissimi et nouissimi primi  ; III, 548-549  : Primorum meritum postremi transgredientur, / Vltima praeteriti capient uix praemia primi. 12  … cui dulcia fundum / Pinguibus in campis laete uineta coronant (III, 550-551). 13   Primo cum lumine solis (III, 551)  ; Horaque nona dehinc ubi solis cursibus acta est (III, 562)  ; Vltima labentis restabat portio lucis (III, 564)  ; Vespere protinus orto (III, 569). On peut noter aussi les effets de variatio pour exprimer le temps et rendre la même expression évangélique circa… horam.

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attachement à sa vigne 14 qui donnent de la vie à l’histoire alors que plusieurs suppressions ou modifications visent essentiellement à resserrer le récit sur sa logique et sa conclusion. Dans la conclusion, l’accent est mis sur le respect du contrat de départ et le bon droit du maître, aspect très romain qui renvoie au concept de fides  : Inlibata tibi mercedis portio saluae redditur et pacti seruantur iura fidelis. Istis de nostro liceat concedere tantum. (III, 578-580) «  Une part intacte, un salaire entier t’est remis et les clauses d’un contrat loyal sont observées. Qu’il me soit permis de donner sur mon bien autant à ceux-ci.  »

1.2.  Condensation La volonté de variété aboutit à un autre procédé de style, la transposition ou uariatio très souvent liée à l’abréviation. Ce procédé, appelé dans la définition de Genette (condensation) touche à la fois le vocabulaire et la structure du texte, c’est-à-dire qu’il réorganise la matière dans un ordre différent, abrégeant ou amplifiant les éléments de départ. Dans un article extrêmement précis, M. Donnini 15 a analysé cette alternance entre abréviation et amplification chez Juvencus. Alors que le style biblique multiplie les parallélismes et affectionne les répétitions, la rhétorique latine considère la reprise exacte des termes et des situations 16 et les répétitions comme des maladresses et des lourdeurs à éviter 14   Sedulus… dominus (III, 550)  ; Et sua tum iussit cultu uineta polire (III, 555)  ; Dominus ruris sedato pectore (III, 577). 15   Donnini (1972), p. 238: «  Varietà di atteggiamenti presenta, nei versi seguenti, la parafrasi giovenchiana per le omissioni e le amplificazioni. Anzitutto al versi 247 è tralasciato il particolare, non essenziale, dei Magi che entrano in casa di Giuseppe (Matth. II 11 et intrantes in domum): in compenso, il poeta cristiano tratteggia rapidamente il quadretto familiare della madre che allatta il bimbo (puerum… sub ubere matris v. 247). Omesso è il nome di Maria (Matth. II 11), particolare che Giovenco giudica superfluo dal momento che tutti conoscono il nome della madre di Gesù.  » Nei versi 248 ss. Numerose sono invece le amplificazioni. L’espressione evangelica procidentes adorauerunt eum (Matth. II 11) é resa con un esametro che, nel succedersi degli spondei, esprime bene il senso grave e solenne di quella adorazione  : Deiecti prono strauerunt corpore terram (v. 248), e con l’espressione submissi simul quaesunt (v. 249), che manifesta l’umiltà dei re Magi, che si sottomettono al Dio uniti nella preghiera.  » 16  Roberts (1985b), p. 133  : «  Repetition on a large scale may be resolved by transposition and conflation. The Hebrew stylistic practice of parallelismus membrorum presented a further challenge on a smaller scale to the classical virtue of breuitas… When there is a development in the sense between two members, he will often conflate the two elements so as to retain the sense, but resolve the form of original. Mt 5, 45, part of the Sermon on the mount, reads as follows: patris uestri… qui solem suum oriri iubet super bonos et malos et pluit super iustos et iniustos. Juvencus’ version (I, 567-568) is briefer,



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absolument. Juvencus se plie à cette règle de la uarietas, tant dans la structure des épisodes d’où il élimine les redites que dans le vocabulaire où il multiplie les termes pour traduire un seul mot de l’Évangile. Cela peut toucher simplement une phrase ou un épisode  ; ainsi, audistis quia dictum est oculum pro oculo et dentum pro dente (Mt. 5, 38) devient laedentem semper similis uindicta sequentur (I, 549), seule l’idée générale est reprise. Dans la parabole des talents, la distribution de l’argent est regroupée autour d’un même verbe, dedit, avec une construction parallèle,  uni dedit quinque, alii duo, alii unum, et la répétition de uni, unum, unicuique  : Et uni dedit quinque talenta alii autem duo alii uero unum unicuique (Mt. 25, 15). La traduction de Juvencus utilise trois verbes différents, de construction différente, le maître n’est sujet que du premier verbe, le segment de phrase s’allonge à chaque serviteur  : Uni quinque dedit, duo cepit et alter habenda tertius unius curam tractare talenti. (IV, 229-230)

L’attitude des serviteurs après le départ du maître est marquée dans l’Évangile par la répétition des termes abiit… abiens, qui quinque talenta acceperat, qui duo acceperat, qui unum acceperat, et surtout par le parallélisme exact de l’attitude des deux premiers, Et lucratus est alia quinque, Lucratus est alia duo. Juvencus, lui, élimine cette répétition qu’il juge inutile en regroupant les deux premiers serviteurs puisqu’ils agissent de la même façon  : Sed maior quis est concredita portio nummi, certatim duplis auxerunt incrementis. (IV, 232-233) «  Ceux à qui fut confiée une part d’argent plus importante l’augmentèrent à l’envi et la doublèrent.  »

Et même le parallélisme avec le troisième serviteur est corrigé par l’emploi de credita au lieu de concredita. De même, au retour du maître, le dialogue entièrement parallèle dans sa structure, dans les paroles des deux premiers serviteurs et dans les réponses du maître 17 subit chez Juvencus un même traitement de raccourcissement et de yet retains the essential antithesis: nam genitor noster communia lumina solis / communesque dedit pluvias iustisque malisque. Iustisque malisque is a conflation of super bonos et malos and super iustos et iniustos of the original. At the same time, the polyptoton communia… communes compensates for the loss of the biblical symmetry with a rhetorical figure.  » 17   Mt.  25, 19-27  : Post multum uero temporis uenit dominus seruorum illorum, et posuit rationem cum eis. Et accedens qui quinque talenta acceperat, obtulit alia quinque talenta, dicens: Domine, quinque talenta mihi tradidisti, ecce alia quinque superlucratus sum. Ait illi dominus eius: Euge, bone serue, et fidelis, quia super pauca fuisti fidelis, super multa te constituam, intra in gaudium domini tui. Accessit autem et qui duo talenta acceperat, et ait: Domine, duo talenta tradidisti mihi, ecce alia duo lucratus sum. Ait

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variation  ; les deux premiers serviteurs sont à nouveau regroupés, le discours direct à la fois solennel et joyeux de l’Évangile passe au style indirect, le parallélisme super pauca, super multa disparaît ainsi que l’allusion à la joie du maître. Cette disparition n’est pas sans signification. Juvencus centre son récit sur le troisième serviteur, ne traitant les autres que comme des faire-valoir et, suivant les règles de la percursio, il élimine les détails inutiles à la compréhension de son récit 18. Or, cela change profondément le sens de la parabole au-delà d’une simple modification de forme. Le déséquilibre entre les trois serviteurs transforme le Dieu de l’Évangile, deux fois heureux devant ses serviteurs et une fois en colère, en un maître sévère, attaché au châtiment et à la menace, en intendant qui compte avec une rigueur maniaque ses talents et tient une comptabilité des mérites à coup de sentences morales qui ressemblent surtout à des préceptes de banquier  : Quapropter segni tollatur portio nostri prudentique dehinc detur possessio maior, quem duplis cumulasse lucris mea quinque talenta inueni. Namque est certum, potiora mereri, quis res uberior cumulatae sortis abundat. (IV, 250-254) «  Aussi, qu’on enlève à ce paresseux sa part de notre bien et qu’on confie à celui qui est avisé possession plus grande, lui dont j’ai constaté qu’il avait fait grossir mes cinq talents en en doublant le montant. Car il est sûr que méritent davantage ceux qui, d’un capital rassemblé, font encore prospérer leurs biens.  »

Parfois, les parallélismes sont conservés mais simplement dans leur expression la plus frappante et en supprimant une partie des répétitions. Ainsi les versets de Matthieu au parallélisme rigoureux, 10, 32  : Omnis ergo qui confitebitur me illi dominus eius: Euge, bone serue et fidelis, quia super pauca fuisti fidelis, super multa te constituam, intra in gaudium domini tui. Accedens autem et qui unum talentum acceperat, ait: Domine scio quia homo durus es, metis ubi non seminasti, et congregas ubi non sparsisti: et timens abii, et abscondi talentum tuum in terra: ecce habes quod tuum est. Respondens autem dominus eius dixit ei: Serue male et piger, sciebas quia meto ubi non semino, et congrego ubi non sparsi: oportuit ergo te mittere pecuniam meam nummulariis, et ueniens ego recepissem utique quod meum est cum usura. 18  Roberts (1985b), p. 115, a bien vu l’importance de cette figure chez Juvencus  : «  The technique followed is that of the rhetorical figure percursio, a summarizing style that reduces to a bare narrative outline the events to be described. It was a technique that was especially useful to those poets suc as Juvencus who aspired to render the biblical text as faithfully as possible as an alternative to the outright omission of a passage.  » Cf. aussi p. 115, n. 25  : «  Percursio involves the compression of a sequence of events into a rapid, allusive narrative, containing only the most indispensable details  : Rhet. ad Her. IV 54, 68: breuitas (i.e. percursio) est res ipsis tantummodo uerbis necessariis expedita.  », et n. 26  : «  There are many examples of this figure in Juvencus; for instance I, 107-112, II, 301-304, III, 77-82, 448-455, IV, 236-240.  »

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coram hominibus confitebor et ego eum coram Patre meo qui est caelis  ; 10, 33  : Qui autem negauerit me coram hominibus negabo et ego eum coram Patre meo qui est in caelis sont rendus par Juvencus en trois vers  : Qui me confessus fuerit sub judice terrae, hunc ego non aliter coram genitore fatebor; sic itidem coram genitore negabo negantem. (II, 495-498) «  Celui qui aura proclamé mon nom devant un juge de la terre, ce n’est pas autrement que je proclamerai le sien devant mon Père  ; de même celui qui me reniera, je le renierai devant mon Père.  »

Le parallélisme coram Patre est repris par la répétition d’un même terme pour les deux attitudes humaines possibles, mais non celui qui oppose le tribunal des hommes et celui de Dieu  ; le terme coram n’apparaît donc que deux fois au lieu de quatre et la répétition de hominibus est rendue par sic itidem. Confessus est repris pour le sens seulement par fatebor, mais à cette rupture du parallélisme répond l’élégant et vigoureux polyptote negabo negantem. Il en est de même dans les versets suivants où se multiplient les répétitions 19. Juvencus ne garde pas la reprise exacte du verset 10, 34 pour souligner davantage l’opposition pacem-gladium. Il substitue un chiasme patrio… natum, natam… matris au parallélisme du verset 10, 35 en ne conservant que la moitié des exemples donnés, ceux qui sont les plus marquants pour renforcer le caractère humainement scandaleux de la parole du Christ  ; dans les versets suivants, il remplace la répétition non est me dignus par l’expression contournée du vers 503 qui joue sur la force du sentiment  ; il casse tous les parallélismes par regroupement des situations communes et développe le mot mercedem par la métaphore du vers 505  : Inveniet laeta florentem fruge salutis. Mais c’est dans le sermon sur la montagne que l’on voit apparaître le plus clairement cette règle de la variatio 20. À la simple beauté des Béatitudes se   Mt. 10, 34-36 («  Non la paix mais le glaive  »)  : Nolite arbitrari quia venerim mittere pacem in terram: non veni pacem mittere, sed gladium. Veni enim separare hominem adversus patrem suum, et filiam adversus matrem suam, et nurum adversus socrum suam: et inimici hominis domestici eius. Mt. 10, 37-42 («  Renoncer pour suivre Jésus  »)  : Qui amat patrem aut matrem plus quam me, non est me dignus; Et qui amat filium aut filiam super me, non est me dignus. Et qui non accipit crucem suam et sequitur me, non est me dignus. Qui invenit animam suam, perdet illam: et qui perdiderit animam suam propter me, inveniet eam. Qui recipit vos, me recipit: et qui me recipit, recipit eum qui me misit. Qui recipit prophetam in nomine prophetae, mercedem prophetae accipiet: et qui recipit iustum in nomine iusti, mercedem iusti accipiet. Et quicumque potum dederit uni ex minimis istis calicem aquae frigidae tantum in nomine discipuli: amen dico vobis, non perdet mercedem suam. 20   Cf. les remarques de Roberts (1985b), p. 133-134 sur la variatio dans ce passage du sermon sur la montagne  : «  Juvencus employs a number of procedures. He occasionally will retain the parallelism. More often, when the members are equivalent in sense, he will simply omit one element. When there is a development in the sense between two 19

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substituent des expressions volontairement variées. Les neuf beati sont rendus trois fois par felices une fois par le singulier felix ou remplacés par similes, hoc modo. Le développement sur deux vers rend encore plus diffuse la structure répétitive au profit d’une insistance sur la beauté des récompenses promises 21. Juvencus supprime également des antithèses soit par omission d’un des éléments 22, soit par transformation grammaticale 23. Pour rendre la formule qui scande le sermon du Christ audistis quia dictum est antiquis… ego autem dico uobis quia, opposant loi ancienne et loi nouvelle, Juvencus utilise un verbe différent 24 pour chacun des quatre premiers énoncés et n’écrit qu’une partie de la dernière occurrence 25. Les mêmes procédés sont appliqués dans les paraboles  ; dans l’épisode du débiteur impitoyable (Mt. 18, 23-35  ; III, 438-455), Juvencus supprime tous les détails inutiles à la stricte compréhension et les liens de cause à effet déductibles de l’action  ; ainsi le cum autem non haberet unde redderet, justifiant l’attitude du maître, est omis car évident, les précisions sur les sommes dues sont jugées inutiles alors qu’elles accentuaient la disproportion de la réaction du second, les réponses de l’esclave passent au style indirect pour graduer l’intérêt des paroles de chacun  ; mais Juvencus ajoute l’expression trans meritum (III, 446) qui members, he will often conflate the two elements so as to retain the sense, but resolve the form of original. Mt 5, 45, part of the Sermon on the Mount, reads as follows: patris… qui solem suum oriri iubet super bonos et malos et pluit super iustos et iniustos. Juvencus’ version (I, 567-568) is briefer, yet retains the essential antithesis: nam genitor noster communia lumina solis / communesque dedit pluvias iustisque malisque. Iustis malisque is a conflation of super bonos et malos and super iustos et iniustos of the original. At the same time, the polyptoton communia… communes compensates for the loss of the biblical symmetry with a rhetorical figure.  » 21   Green (2006), p. 4 y voit une indépendance par rapport à la lettre de la vetus latina. 22   Dans les deux derniers versets du Notre Père (Mt. 6, 14-15)  : Si enim dimiseritis hominibus peccata eorum dimittet et uobis Pater uester caelestis delicta uestra / Si autem non dimiseritis hominibus nec Pater uester dimittet peccata uestra, Juvencus ne reprend pas les deux attitudes humaines correspondant à deux attitudes divines, il les sous-entend seulement dans la logique de sa phrase et met ainsi en évidence la bonté généreuse de Dieu face à la misère de l’homme (I, 601-603)  : Sic etenim genitor populis delicta remittet, / Si uestra alterni uobis peccata uelitis / Cedere nec durum erratis intendere pectus. 23   Dans Mt. 5, 13-14, la répétition uos estis sal terrae… uos estis lux mundi est rendue par une infinitive Discite uos hac in terra salis esse saporem avec le développement du nom et le génitif du mot sel et par une indépendante Vos estis mundi clarum (ne abscondite) lumen, avec une incise et le développement de lux par un nom et un adjectif. 24   On pourrait faire également ce travail sur l’expression de la défense dans tout ce passage et les différentes manières de rendre les nolite du texte initial. 25   Audistis ueteris iussum moderamine legis (I, 496)  ; … Ast ego praecipiam (I, 499)  ; Haut ignota, reor, uobis stat cautio legis… sed nunc mea iussa (I, 519-520)  ; Praecipiunt ueteres, si quis… Sola recte (I, 531)  ; Antiquae leges prohibent… sed nostris… iussis (I, 536-537)  ; Ego praecipiam (I, 563).



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p­ répare psychologiquement la suite du récit. Avec une volonté systématique de rupture des parallélismes, il élimine la symétrie des réponses des deux serviteurs, diminuant dans un souci de variété la force née de la similarité des situations 26. Le passage du Jugement Dernier (Mt. 25, 31-46) permet également d’apprécier le travail de uariatio de Juvencus  ; le texte de l’Évangile est volontairement répétitif  : d’abord les affirmations du Fils de l’Homme (Mt. 25, 35-36  : esurii enim et dedistis mihi manducare sitiui et dedistis mihi bibere hospes eram et collexistis me.) Nudus et operuistis me infirmus et uisitastis me in carcerem eram et uenistis ad me sont reprises, en termes identiques et parallèles par l’interrogation étonnée des bienheureux en Mt. 25, 37-39  : Quando te uidimus esurientem et pauimus sitientem et dedimus tibi potum quando autem te uidimus hospitem et collegimus te aut nudum et cooperuimus. Aut quando te uidimus infirmum aut in carcere et uenimus ad te  ; puis les reproches adressés aux maudits reproduisent en termes négatifs les mêmes phrases  : esurii enim et non dedistis mihi manducare sitiui et non dedistis mihi potum. Hospes eram et non collexistis me nudus et non operuistis me infirmus et in carcerem non et non uisitastis me (Mt. 25, 42-43), reproches repris de façon abrégée mais dans les mêmes termes sous forme d’interrogation par les accusés  : quando te uidimus esurientem aut sitientem aut hospitem aut nudum aut infirmum aut in carcerem et non ministrauimus tibi (Mt. 25, 44). Juvencus casse la construction symétrique de la première phrase en variant les constructions mais il garde l’ordre de l’Évangile  : la faim, la soif, l’hospitalité à l’étranger, le dénuement, la prison 27. La reprise par les bienheureux se présente dans un ordre différent et avec l’omission de la soif. L’ordre de l’accusation aux maudits est différent  : la soif, la faim, l’hospitalité, la prison et la maladie qui remplace le dénuement, le vocabulaire varie également dans la reprise des accusés qui suit le même ordre mais avec des expressions différentes. Il est clair que Juvencus a cherché à garder le sens mais non la forme  ; l’usage de périphrases, le changement de construction ont permis cet exercice de style qui enlève à la simplicité évangélique au nom des règles de la rhétorique ancienne. 2.  Augmentation Si l’extension, c’est-à-dire l’addition massive d’autres textes que le modèle ne peut guère s’appliquer à Juvencus, à l’exception des ajouts de l’évangile de Jean si l’on considère que l’hypotexte est l’évangile de Matthieu, on peut dans un 26   Mt. 18, 26  : procidens autem seruus ille orabat eum dicens patientiam habe in me et omnia reddam tibi  ; 18, 29 et procidens conseuus eius rogabat eum dicens patientiam habe in me et omnia reddam tibi. Chez Juvencus, aux trois vers de supplications du premier esclave (III, 442-445) répond seulement le mot precibus. 27   IV, 272-276  : Namque fame fessum quondam me grata refecit / Haec plebes potuque sitim mihi saepe remouit, / Hospitiumque domus patuit mihi saepe uocato / Et nudus uestis blandissima tegmina sumpsi / Carceris et poenis horum solacia cepi.

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premier temps voir dans le texte de Juvencus un modèle d’expension, paraphrase du texte par «  dilatation stylistique  » mais les modifications se révèlent trop organisées vers l’infléchissement du sens évangélique pour n’être que purement stylistiques. 2.1.  Expansion L’expansion peut porter sur les mots comme conséquence de l’effort de uarietas, une périphrase vient ainsi remplacer un mot. La parabole du semeur (Mt. 13, 1-9) comporte de nombreuses répétitions qui montrent le parallélisme des différents cas possibles  : Ecce exiit qui seminat seminare (13, 3), et dum seminat (13, 4), quaedam ceciderunt (13, 4), alia autem ceciderunt (13, 5), alia autem ceciderunt (13, 7), alia uero ceciderunt (13, 8). L’action des oiseaux, de la chaleur, des ronces est marquée uniquement par des verbes au parfait  : uenerunt, comederunt, aestuauerunt, aruerunt, creuerunt, suffocauerunt. Dans la transposition de Juvencus, dès le début du récit, une phrase ajoutée précise le sens figuré moral de la parabole avec la double signification du mot uirtute, grâce à laquelle on passe aisément de la fécondité de la terre à celle du cœur humain  : Illa cadunt diuersa solo sortemque locorum pro uirtute ferunt… (II, 739-740)

Les termes ajoutés sont soigneusement choisis pour leur double sens physique et moral (aspera, roboris, laeta…), qui explicitent le sens de la parabole. La répétition seminat - seminare est contournée par l’utilisation de deux noms aux racines différentes  : sator, semina  ; puis, chaque situation différente est rendue par une accumulation de termes 28 mettant en évidence la caractéristique première du terrain  ; le mot uiam est développé par deux vers montrant la dureté du sol 29, la terre caillouteuse voit d’abord monter l’herbe verte puis se flétrir les pousses, en cinq vers précis et détaillés 30, la récolte de la bonne terre n’est pas chiffrée avec autant de précision que chez Matthieu mais son abondance heureuse est amplifiée 31. L’explication de la parabole (Mt. 13, 18-23) joue sur la répétition  : Qui secus uiam seminatus est (13, 19), qui autem supra petrosa seminatus est (13, 20), qui autem est seminatus in spinis (13, 22), qui uero in terra bona seminatus est (13, 23) avec la reprise des termes utilisés dans la parabole  : secus uiam, petrosa,   Avec de nombreux emprunts à Virgile et Columelle, recensés dans De Wit (1947).   II, 740-742  : … Nam sicubi trita uiarum / sub pedibus solido densetur limine tellus, / aeriis auibus dant nudam semina praedam. 30   II, 743-747  : Ast ubi pertenui uelantur puluere saxa, / farra quidem uiridem depromunt germinis ortum; / sed quia nulla subest suci substantia glebis, / inserto arescunt radicum fila calore, / cunctaque mox apicum labuntur acumina leto. 31   II, 752-754  : Illa ferunt pulchram segetem, cui laeta frequentat / incrementa sui centeno copia fetu. 28

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non habebant radicem, in spinas, in terram bonam. Chez Juvencus, même si les situations sont clairement identifiées, les termes sont volontairement changés  : solido limine tellus devient agro duro, saxa, saxosus ager, spinisque, spinosus ager et uberibus glebis, pinguia arua  ; les explications morales s’enrichissent de termes à double sens employés cette fois-ci pour le cœur humain  : stabili uigore, gratia frugis, dura premat, pressant quos pondera diuitiarum, semina sic nostri sermonis pressa grauantur, nec fructus, paribus uiribus, uirtutis robore frugem. On peut noter que la parabole et son explication sont encadrées par les mots pro uirtute - uirtutis robore, qui résument le jeu subtil des emplois concret-abstrait d’un même mot 32. Dans l’épisode de la résurrection de Lazare, Jean utilise toujours le même verbe pour parler de la mort de Lazare, morior, et le même nom, mors. Juvencus alterne letum 33, mors 34, et multiplie les images, le seuil de la mort 35, la chute dans la mort 36  ; la mort est qualifiée d’acerbae (IV, 341), de durae (IV, 368), les deux sœurs qui disaient la même phrase chez Jean 37, expriment de deux façons différentes la même idée 38. On observe la même variété d’expressions pour rendre le mot resurget  : Lazarus haec uitae recidiua in lumina surget (IV, 345), Certe surgent in munera uitae (IV, 347), clarae uobis reparatio uitae (IV, 349), mortem deponere sumptam  : et uitam poterit iugi conponere saeclo (IV, 350-351), Lazare, sopitis redeuntem suscipe membris / en animam … (IV, 392-393). Ces périphrases sur la mort, ces ajouts cherchent à rendre le sens physique et spirituel de la mort et de la résurrection. Le livre IV s’ouvre sur les questions des Sadducéens sur le mariage, la mort et la résurrection  ; on observe le même recours aux périphrases. Mortuus fuerit (IV, 22, 24), defunctus est (IV, 22, 25), defuncta est (IV, 22, 27), dit Matthieu  ; properata morte (IV, 16), cecidit sub acumine mortis (IV, 22), post ipsam rapuit 32   Il paraît intéressant de comparer ces vers à un passage de Sénèque (Ep. 112, 1, 3), où l’on trouve exactement le même jeu littéraire de comparaison entre l’homme et la vigne  : sed ualde durus capitur, immo quod est molestius, ualde mollis capitur et consuetudine mala ac diutina fractus. Volo tibi ex nostro artificio exemplum referre; non quaelibet insitionem uitis patitur: si uetus et exesa est, si infirma gracilique, aut non recipiet surculum aut non alet nec adplicabit sibi nec in qualitatem eius naturamque transibit… hic, de quo scribis et mandas, non habet uires: indulsit uitiis. Simul et emarcuit et induruit; non potest recipere rationem, non potest nutrire. 33   Leti (IV, 315), ad letum (IV, 317), in letum (IV, 327), leto (IV, 331). Le terme a une nette coloration poétique, qui explique sans doute la fréquence de son emploi ici. 34   Mortem (IV, 325), de morte (IV, 334), morti (IV, 341), mortem (IV, 350). 35   Et leti et uitae confinia summa tenentem (IV, 315), horrida… limina mortis (IV, 353). 36   Une périphrase pour rendre mortuus est: Lazarus in letum cecidit (IV, 327), procumbere leto (IV, 331). 37   Si fuisses hic frater meus non fuisset mortuus (11, 21 et 11, 32). 38   IV, 340-341  : … O utinam praesens uirtus tua nobis / Adforet et morti fratrem rapuisset acerbae  ; IV, 367-368  : Si mihi germanum potuisses uisere uiuum, / Lazarus haut poterat durae succumbere morti.

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gelidae inclementia mortis (IV, 26), transcrit Juvencus. De même le mariage, qui chez Matthieu est exprimé deux fois par le verbe duco et une fois par nubent, va être développé chez Juvencus par des périphrases qui mettent l’accent sur le lien social  : sociabile uinclum (IV, 18), uincula nuptae sumpsit (IV, 21-22), ou sur la vanité de ce qui est terrestre, thalamis 39 concidit (IV, 23), thalamos, non terrae gaudia uana (IV, 32). Enfin, la résurrection exprimée à trois reprises dans ce passage de l’Évangile par le mot resurrectio donne lieu dans l’épopée à des développements qui sont explication et interprétation si uenient igitur cuncti sub limina uitae (IV, 27), resurget (IV, 28), secunda dehinc laetae reparatio uitae (IV, 31), similes leuibus Genitoris juxta ministris (IV, 33). Il s’agit là d’ajouts sans correspondance avec le texte et qui exprime la vision qu’a Juvencus de la résurrection, vie de lumière et de bonheur dans un lieu céleste habité par les anges. 2.2.  Amplification Ce procédé, opposé en apparence à la breuitas explique de nombreux autres changements. Quintilien en analyse les rapports avec la breuitas  : «  ‘Tout ce qu’il faut’ ne signifie pas, selon moi, ce qui suffit pour énoncer les faits, car la brièveté ne doit pas être inélégance, sous peine d’être inculture. Le plaisir donne le change, et ce qui plaît semble moins long  ; c’est ainsi qu’un parcours agréable et facile, même plus long, fatigue moins qu’un raccourci dur et aride. Et ce souci de brièveté ne m’empêcherait jamais d’introduire volontiers dans l’exposé des faits des détails qui le rendent plausible 40.  »

Le travail de Juvencus, loin de n’être qu’une mise en vers plus ou moins réussie, est une réécriture extrêmement technique qui utilise des procédés précis appliqués systématiquement sur l’ensemble du texte 41. Le plus fréquent de ces procédés est l’ajout d’adjectifs que nous étudierons dans les chapitres suivants, car sa valeur ornementale s’accompagne d’une force expressive que Juvencus a utilisée pour donner à sa paraphrase le ton d’une épopée romaine et l’infléchir dans une direction catéchétique. Le but de ces divers ajouts est souvent la «  poétisation  » du texte  ; ainsi le remplacement d’un nom par un groupe nom et nom au génitif donne aux phrases une ampleur et une coloration poétique. C’est un procédé fréquent dans l’épopée de Juvencus et qui s’applique à de   Là encore, le mot de substitution choisi par Juvencus a une valeur poétique.   Quint., Inst. IV, 46-47  : “Quantum opus est” autem non ita solum accipi uolo, quantum ad indicandum sufficit, quia non inornata decet esse breuitas, alioqui sit indocta. Nam et fallit uoluptas, et minus longa quae delectant uidentur, ut amoenum ac molle iter, etiamsi est spatii amplioris, minus fatigat quam durum aridumque compendium. Neque mihi umquam tanta fuerit cura breuitatis, ut non ea, quae credibilem faciunt expositionem, inseri uelim. 41   On trouvera un relevé précis de ces procédés dans Simonetti Abbolito (1985). 39 40



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nombreuses catégories de noms. Les notions abstraites et celles qui concernent Dieu ou son royaume sont souvent modifiées de cette façon  : iustitia (Mt. 3, 15) devient iustitiae… ordo  ; (I, 353) ou iustitiae… facultas (I, 573)  ; lex (Mt. 7, 12), haec legis summa (I, 678)  ; caelum (Lc. 2, 15) caeli secreta (I, 175)  ; nomen tuum (Mt. 6, 9), nominis… ueneratio (I, 591-592)  ; a Deo (Jn. 3, 2) larga Dei… uoluntas (II, 180)  ; nisi fuerit Deus cum eo (Jn. 3, 2) ni comitata Dei… uirtus (II, 183)  ; uitam aeternam (Jn. 3, 15) sublimis… donum inuiolabile uitae (II, 223), de même que les lieux sacrés, le temps et les fêtes religieuses  : templum (Mt. 21, 23  ; 26, 55) devient templi… moenibus (3, 674) ou templi media… in arce (IV, 533-534)  ; in monte hoc adorauerunt (Jn. 4, 20) uenerandum montis in arce praeceptum (II, 279-280)  ; Pascha (Jn. 2, 13) sollemnia paschae (II, 153)  ; in tribus diebus (Jn. 2, 20) tribus in spatiis dierum (II, 172), post dies sex (Mt. 17, 1) bis terna dierum lumina (III, 316-317). Mais ce procédé s’étend aussi à des mots plus concrets lorsqu’ils prennent une valeur symbolique, dans les paraboles ou dans les paroles qui annoncent les mystères chrétiens  : pane (Mt. 4, 4) est modifié en substantia panis (I, 380)  ; panem nostrum substantialem (Mt. 6, 11) en uitalis hodie sancti substantia panis (I,  595)  ; sal terrae (Mt. 5, 13) devient in terra salis… saporem (I, 472)  ; domum (Mt. 7, 26) fundamenta domum (I, 724), uineam (Mt. 21, 33) iugera multa nitentis uineti (III, 712-713) 42  ; lucem (Jn. 3, 19) aduentum lucis (II, 235). Cette technique s’étend aussi, parfois, quoique plus rarement, à des mots désignant des objets ou des personnes sans caractère sacré et devient alors un procédé mécanique qui donne de l’ampleur à l’expression  : fures (Mt. 6, 20) est transformé en furum factio (I, 615-616), multi (Mt. 7, 22) en multorum… fletus (I, 708), uestimenta sua (Mt. 21, 7) en uelamine uestis (III, 631-632). À un nom, on peut substituer aussi un synonyme et un adjectif avec la même recherche de mise en évidence du sacré, lorsqu’un mot appartenant au vocabulaire de la prose est remplacé par un terme du registre poétique  : manus (Mt. 19, 15) devient ainsi sanctas… palmas (III, 496-497), de templo (Jn. 2, 15) sancta… de aede (II, 159), si licet homini dimittere uxorem suam (Mt. 19, 3) coniugis an liceat reiectum scindere uinclum (III, 465). Il peut s’agir, en dehors de ce caractère sacré, de donner simplement au texte évangélique une tournure poétique marquée, en particulier pour des termes désignant les éléments naturels, le lieu et le temps  : in aquam (Mt. 17, 14) se transforme en in liquidas… undas (III, 360)  ; primo mane (Mt. 20, 1) devient primo cum lumine solis (III, 552-553)  ; parate uiam (Lc. 3, 4) est rendu par amplas / instruite stratas (I, 314-315)  ; si oculus tuus fuerit simplex (Mt. 6, 22) par sed si pura acies oculis simplexque nitebit (I, 619). Enfin, ce procédé répond aussi à un souci d’insistance sur l’aspect moral  : adulteria (Mt. 15, 19) est développé par furta nefanda tororum 42  Cf. Simonetti Abbolito (1985), p. 311  : «  La duplice specificazione nitentis per uineti e densata per saepes, a stretto contatto una con l’altra, rileva con evidenza la richezza e l’estensione della vigna e per converso accentua l’ingratitudine dei vignaioli.  »

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(III, 170)  ; falsa testimonia (Mt. 15, 19) par fallaxque hominum pro testibus error (III, 171)  ; cognita autem Iesus nequitia eorum (Mt. 22, 18) par Ille sed inspiciens saeui penetralia cordis / … mentis prodit fallacia fructum (IV, 7-9). Une extension semblable concerne les verbes, avec changement du verbe de l’Évangile mais ajout d’un substantif de même racine  ; le procédé fréquent donne une forme plus longue et sans doute plus solennelle, mais sans signification évidente  : non periurabis (Mt. 5, 33) devient prohibent periuria linguis (I,  536)  ; consolabuntur (Mt. 5, 5) solacia magna sequentur (I, 458)  ; honorat (Mt. 15, 8) sublimat honore (III, 145)  ; misereor (Mt. 15, 32) miseratio multa est (III, 205), nolite credere (Mt. 24-26), longe credulitas absit uanissima uobis (IV, 144). Certains de ces ajouts sont beaucoup plus significatifs, surtout lorsqu’ils s’accumulent sur un même passage  ; ils peuvent donner alors au texte une coloration particulière, comme nous allons l’étudier 43.

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 Cf. Rollins (1984), p. 149 sur la parabole des deux chemins.

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Hypertextualité dans les Euangeliorum libri  : transformations idéologiques M. Goullet définit également les aspects sémantiques ou conceptuels des transformations qui comprennent la transformation pragmatique portant sur les événements et les conduites constitutives de l’action, la transformation des motivations des personnages, la transvalorisation (revalorisation ou dévalorisation) et les transformations métadiégetiques qui touchent le discours de l’hagiographe sur le récit. Contrairement aux transformations formelles, nous sommes là dans des transformations qui supposent souvent une réorientation conceptuelle forte. Est-ce que ces types de transformations peuvent être étudiés dans l’œuvre de Juvencus  ? Si la réponse est oui, le poète dépasse le cadre strict de la paraphrase littéraire ou, plus exactement, en conserve les techniques pour les orienter vers un projet plus ambitieux. Or, les transformations métadiégetiques, même si elles sont discrètes, montrent clairement, ce me semble, que c’était là l’intention de Juvencus, mais il existe un obstacle de taille qui différencie l’hypotexte de la paraphrase de Juvencus des exemples étudiés par M. Goullet  : la vie du Christ n’est pas susceptible de modifications profondes et la part historique du témoignage des apôtres, comme la réalité des événements dans le cas d’une épopée historique met des limites aux modifications envisageables. Il n’en est pas moins vrai qu’une étude attentive montre de réelles transformations. Nous avons déjà vu celle de la structure générale et de la recomposition des documents de base, il nous reste à voir les transformations portant sur l’univers où se déroulent les événements, les transformations des personnages dans leur conduite ou leur motivation et la transvalorisation. 1.  Changements de point de vue et préoccupations didactiques Certains épisodes sont caractéristiques du renversement de l’ordre du récit ou de ces omissions et variations qui sont la marque d’un style rhétorique romain. Dans l’épisode du jeune homme riche, alors que Matthieu (Mt. 19, 16-26) écrit et ecce unus accedens et précise seulement au départ du jeune homme enim habens multas possessiones, Juvencus présente et détaille dès le début de

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l­’épisode sa richesse, accentuant la logique du récit et son caractère moral par souci didactique 1  : Ecce sed e populo iuuenis, cui rura domusque et gaza exstabat, rerum possessio fulgens. (III, 498-500) «  Mais voici que de la foule sort un jeune homme, qui avait des champs, une maison, un trésor, tout l’éclat des biens possédés.  »

Dans l’épisode de Jésus enfant parmi les docteurs du temple (Lc. 2, 41-52), le premier verset est omis pour éviter la répétition, et les deux versets sont fondus en une seule phrase. Le nom de Jérusalem est remplacé trois fois par templum. L’épisode est rapporté à travers la vision de l’enfant alors que c’était celle des parents qui apparaissait dans Luc, avec les termes existimantes, inuenientes, requirentes. Ainsi est supprimé l’épisode où sa mère le cherche. Par contre, sont ajoutés des éléments précisant la volonté de l’enfant et l’épisode est centré autour de l’analyse psychologique de Jésus. Enfin la transformation de la phrase de Jésus la rend plus énigmatique et plus impérative  : An nondum sentis, genetrix, quod iure paternis sedibus et domibus natum inhabitare necesse est? (I, 300-301) Ne sais-tu pas encore, Mère, qu’il est juste et qu’il faut que l’enfant habite dans le séjour et la demeure de son Père  ?

Il existe bien d’autres exemples de breuitas qui changent la perspective du récit  : dans l’épisode de la guérison de l’enfant du centurion (Mt. 8, 5-13  ; I, 741), la réponse de Jésus est omise  : ego ueniam et curabo eum et les répétitions volontairement supprimées  : uade, uadit  ; veni  ; venit  ; fac, facit. Il semble donc que le centurion prenne lui-même l’initiative du miracle à distance que va opérer le Christ. L’entrée messianique à Jérusalem fournit un autre exemple de cette combinaison de techniques  ; le texte est discrètement marqué par des ajouts qui lui donnent un caractère épique  : la description des oliviers, qui remplace par une périphrase poétique 2 le montem Oliveti de Mt. 21, 1, ainsi que l’exclamation finale sit gloria laeta tropaeis (III, 640), qui, en se substituant à la bénédiction du texte initial 3, donne une image de triomphateur à l’envoyé de Dieu. La citation du prophète est déplacée  ; alors que dans Matthieu, le Christ en annonce la réalisation 4, Juvencus la place en conclusion de l’épisode qui la réalise, ce qui donne plus de force au  Cf. Rhet. Her. I, 6  : Principium est cum statim auditoris animum nobis idoneum reddimus ad audiendum. 2   Proxima tum Solymis conscendit culmina montis / Ordinibus lucent quae glaucicomantis oliuae (III, 622-623). 3   Benedictus qui uenturus in nomine Domini (Mt. 21, 9). 4   Mt.  21, 4-5  : Hoc autem factum est ut impleretur quod dictum est per prophetam dicentem dicite filiae Sion ecce rex tuus uenit tibi mansuetus et sedens super asinam et pullum filium subiugalis. 1

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lien entre l’Ancien et le Nouveau Testament 5, d’autant qu’il élimine la question que la population se pose à l’entrée de Jésus dans Jérusalem (uniuersa ciuitas dicens quis est hic?, Mt. 21, 10) et termine son récit sur une affirmation renforcée (Sic adeo ingreditur Solymorum moenia Christus, III, 641). De même, dans la suite du texte, l’épisode de l’expulsion des vendeurs du Temple (Mt. 21, 12) n’est pas repris par Juvencus, sans doute pour ne pas rompre la logique entre les deux prédictions et la reprise des cris de bénédiction. Il garde ainsi l’unité d’un ton solennel et prophétique que ne viennent pas couper quelques phrases de récit. La transposition veut dire également restructuration du texte, nous l’avons déjà vu pour l’ensemble de l’épopée avec les récits de l’enfance suivant une chronologie qui emprunte des éléments à diverses sources ou avec le déplacement de la mort de Judas. C’est également vrai à l’intérieur des petits récits ou des paraboles qui jalonnent le texte  ; ainsi, dans l’épisode du paralysé de Capharnaüm, à une démarche progressant par question 6 et déduction 7 se substitue un raisonnement clairement énoncé par Jésus et qui s’achève sur l’affirmation (II, 88)  : Et mihi concessum peccata remittere cernent. De même dans l’épisode qui précède, celui du démon gérasénien (Mc. 5, 1-20), le dialogue entre le Christ et le démon avec des questions et des réponses 8 et avec plusieurs prières successives et parallèles des démons 9, devient un monologue du démon qui se présente lui-même et donne dès le début la solution au problème qui se pose en éliminant le parallélisme des deux prières 10, et en reprenant le per Deum (Mc. 5, 7) à la fin de sa supplication 11. 2.  Ajouts symboliques ou psychologiques L’épopée de Juvencus utilise aussi des allongements qui insistent sur l’aspect symbolique de certaines phrases. Ainsi la comparaison de Mt. 13, 43 Tunc iusti fulgebunt sicut sol in regno Patris s’étend sur deux vers où éclate la lumière de Dieu  : secretiis piis ueniet lux aurea uitae, / sedibus ut caeli uibrantur lumina solis (III, 15-16), et luna non dabit lumen suum (Mt. 24, 29) devient amittet   III, 633-635  : Hinc ueteris quondam fluxit uox nuntia uatis: / Ecce uenit placidus tibi rex, quem terga sedentem / praemitis gestant asinae pullique sequentis. 6   Mt.  9, 5  : quid est facilius dicere dimittuntur tibi peccata aut dicere surge et ambula. 7   Mt.  9, 6  : ut sciatis autem quoniam Filius hominis habet potestatem in terra dimittendi peccata tunc ait paralytico surge tolle lectum tuum et uade in domum tuam. 8   Et interrogabat eum quod tibi nomen est et dicit ei Legio nomen mihi est quia multi sumus (Mc. 5, 9). 9   Et deprecabatur eum (Mc. 5, 10), et deprecabantur eum (Mc. 5, 12). 10   Nam nomen Legio est nobis multosque sub uno / Nomine consociat flatus uis sola nocendi (Mc. 5, 9). 11   Per Patris altithroni nomen sublime rogamus (II, 62). 5

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cursum lunaris gratia lucis (IV, 150), erat uestimentum eius sicut nix (Mt. 28, 3) et niuis ad speciem lucent uelamina uestis (IV, 749). Le même procédé permet également l’amplification du décor épique avec le passage de erat enim contrarius uentus (Mt. 14, 24) à puppis… iactata aduerso surgentis flamine uenti (III, 98-99), dont la violence est aussi symbolique du déchaînement des forces contre le Christ 12. On retrouve la même violence dans la parabole de la maison bâtie sur le sable  ; donec uenit diluuium et tulit omnes (Mt. 24, 39) est développé sur deux vers  : et diuersa sibi tractantes munia cunctos: diluuii rapuit subito uiolentia tractu (IV, 166-167). Et le terme même de violence apparaît dans la prière du Christ devant la Passion qui approche  : transeat a me calix iste (Mt. 26, 39) est précisé par calicis me transeat huius / … uiolentia (IV, 490-491). D’autres ajouts dans les périphrases de Juvencus sont d’ordre théologique, comme la belle image de la croix dont le symbolisme remplace la simplicité du crucifixus est de Matthieu (Mt. 28, 5)  : quod crucis in ligno scelerata insania fixit (IV, 755). La recherche esthétique rencontre alors le sens sacré, la croix devenant le pendant salvateur de l’arbre du paradis. Dans le récit de la crucifixion, le mot crux est rendu successivement par lignum, arbore, misero… ­stipite 13. Au-delà de la nécessaire uariatio, et grâce à elle, naissent des images sacrées qui créent le symbolisme chrétien. Cette amplification sert également la volonté de mettre en lumière la méchanceté des ennemis de Jésus et de développer des préceptes moraux  ; De corde enim exeunt cogitationes malae (Mt. 15, 19) devient secreto cordis promuntur noxia uitae / consilia (III, 169-170) et unus est enim magister uester, omnes autem uos fratres estis (Mt. 23, 8) est largement précisé par trois vers tamen uobis est una magistri: inposita aeternum caeli de lege potestas, / uos eadem fratrum parili coniunxit amore (IV, 62-64). Ces procédés permettent de renforcer les contrastes, de donner aux personnages ou aux récits plus de relief et d’expressivité. Ainsi, Nicodème apparaît à la fois comme un haut dignitaire et un homme pris de peur lors de son entretien avec le Christ, grâce aux ajouts de Juvencus  : celso sublatus honore / Primorum procerum Iudaei nominis unus (IV, 177-178), nocte sub obscura (IV, 177), submitta uoce (IV, 199), nostrae non est conprendere mentis (IV, 189). De même dans la parabole de la maison construite sur le roc 14, 12   Là encore Juvencus suit les prescriptions de la rhétorique  ; cf. Rhet. Her. IV, 11  : In graui consumetur oratio figura si quae cuiusque rei potuerunt ornatissima uerba reperiri, siue propria siuve extranea, unam quamque in rem adcommodabuntur, et si graues sententiae quae in amplificatione et commiseratione tractantur eligentur, et si exornationes sententiarum aut uerborum quae grauitatem habebunt… 13  Transcriptions de crux  : IV, 654  : lignum  ; IV, 662 arbore  ; IV, 700  : misero confixum stipite. 14   On retrouvera les mêmes ajouts aux vers III, 278-282, qui développent le verset 16, 18 de Matthieu  : Et ego tibi quia tu es Petrus et super hanc petram aedificabo



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la solidité de la maison du Christ s’oppose à la fragilité d’une demeure construite sur du sable. Dans le texte évangélique, les quatre versets présentent un exact parallélisme avec la comparaison, et ses conséquences 15. Chez Juvencus, le parallélisme est rompu et les deux descriptions sont détaillées avec une insistance contrastée sur la solidité de la première maison  : solidis saxis (I, 716), librata… moenia (I, 717), pluuiis uentisque inlaesa manebit (I, 718), firmato robore uincet (I, 719), inmotae petrae (I, 720) et la fragilité de l’autre  : per lubrica (I, 722), uolucri… arena (I, 723), primo flamine (I, 724), coepit (I, 725), Omnis subuerso procumbit pondere moles / Insequiturque graui tectorum strage ruina (I, 726-727). L’allongement par périphrase sert souvent à préciser la psychologie des personnages, qu’il s’agisse des sentiments de Pierre lors de son reniement 16, de la dureté de cœur des adversaires du Christ 17 ou de la peur des disciples assistant à la transfiguration  ; quatre vers peignent un véritable tableau où la peur des disciples est apaisée par la douceur du Christ (III, 335-338)  : Discipuli pauido presserunt corpore terram nec prius e prono uultus sustollere casu audebant, sancto Christi nisi dextera tactu demulcens blandis firmasset pectora uerbis. «  Les disciples, le corps tremblant, s’écrasèrent à terre, et d’abord ils n’osaient pas, après leur chute en avant, relever le visage, si la main du Christ, les touchant avec une sainte douceur, n’avait raffermi leur cœur par des mots pleins de tendresse.  »

De même le poème insiste sur la stupeur des femmes, premières spectatrices de la résurrection. Le cum timore et magno gaudio de Mt. 28, 8 est largement ecclesiam meam et portae inferi non praeualebunt aduersum eam. Le jeu de mot sur Pierre est allusif et l’insistance est mise sur la solidité de la maison de l’Église  : Tu nomen Petri digna uirtute tueris. / Hac in mole mihi saxique in robore ponam / semper mansuras aeternis moenibus aedes; / infernis domus haec non exsuperabile portis / claustrum perpetuo munitum robore habebit, «  Tu soutiens ton nom de Pierre avec une énergie qui t’en rends digne. Sur ce bloc et sur la fermeté de ce roc je placerai un édifice aux murailles éternelles pour qu’il dure toujours  ; cette demeure aura pour clôture une muraille à la solidité définitive dont les portes de l’Enfer ne triompheront pas.  » 15   Mt. 7, 24-27  : Omnis ergo qui audit uerba mea haec et facit ea adsimilabitur uiro sapienti qui aedificauit domum suam supra petram / et descendit pluuia et uenerunt flumina et flauerunt uenti et inruerunt in domum illam et non cecidit fundata enim erat super petram / et omnis qui audit uerba mea haec et non facit ea similis erit uiro stulto qui aedificauit domum suam supra harenam / et descendit pluuia et uenerunt flumina et flauerunt uenti et inruerunt in domum illam et cecidit et fuit ruina eius magna. 16   Petrum… tristem (IV, 570)  ; Et Petrus iurans deuotis omnia uerbis (IV, 580)  ; mentemque Simonis… tristem (IV, 583-584). 17  Du uos, cum sitis mali de Mt. 7, 11, on passe à uos, inquam, rigidi, quibus alte est insita cordis / durities… (I, 672-673).

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développé par des vers qui insistent sur les sentiments contrastés des femmes, joie profonde, stupéfaction, peur  : His dictis uisisque animos perfuderat ardens laetitia attonitis stupor ancipitique pauore. Denique praecipiti celebrantes gaudia cursu… (IV, 763-765) «  Ces paroles et cette vision avaient inondé leur cœur dans leur étonnement d’une joie brûlante, et la stupeur les avaient remplies des hésitations de la peur. À la fin, manifestant leur joie par la rapidité de leur course…  »

On retrouve la tendresse du Christ envers les femmes à qui il apparaît (IV, 768)  : Et fidas matres blandus saluere iubebat et deux ajouts d’ordre théologique, clarus (IV, 767), uictorem leti (IV, 770). Mais la plupart des périphrases insistent sur la misère de l’humanité, la cruauté des méchants 18, le réalisme de la maladie, la fatigue des corps et, devant cette humanité souffrante dans sa chair ou son cœur, la grande compassion du Christ. Ainsi dans l’épisode du lépreux (Mt. 8, 1-4), le seul mot lépreux est développé d’abord dans deux vers  : Ecce sed horrenda confixus uiscera tabe quem toto obsessum foedarat corpore lepra… (I, 734) «  Mais, voici que, les chairs dévorées par une horrible corruption, un jeune homme dont la lèpre avait attaqué et souillé le corps tout entier…  »

puis repris par languoris… tanti (I, 736) et lurida membra (I, 738). Dans l’épisode suivant, celui de l’enfant du centurion (Mt. 8, 5-13), Juvencus précise le paralyticus et male torquetur du texte évangélique par trois vers insistant à la fois sur ses souffrances physiques et mentales 19  : Inpubis pueri cruciatur spiritus aeger, cuius cuncta repens membrorum munia languor dissoluit uitamque tenet iam poena superstes. (I, 743-745) «  L’esprit de mon jeune enfant est malade et tourmenté. une maladie rampante a détruit toutes les fonctions de ses membres, et désormais sa vie n’est plus que souffrance.  »

Il en est de même pour l’enfant du fonctionnaire royal (Jn. 4, 47) dont Juvencus décrit la maladie  : … cui natum morbus anhelo ardore extremis uitae torrebat in oris. (II, 330-331)  Cf. Rhet. Her. I, 8  : In odium rapiemus, si quid eorum spurce, superbe, perfidiose, crudeliter, confidenter, malitiose, flagitiose factum proferemus. 19   Rhet. Her. IV, 69  : Haec exornatio plurimum prodest in amplificanda et commiseranda re huiusmodi enarrationibus. Statuit enim rem totam et prope ponit ante oculos. 18

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«  … dont une maladie brûlait l’enfant d’une fièvre suffocante et le menait aux extrêmes limites de la vie.  »

Dans le livre IV, le passage où Jésus en croix est raillé et outragé voit se multiplier interrogations et exclamations qui mettent en valeur la méchanceté des ennemis du Christ et suscitent l’indignation des lecteurs  : Nonne alios quondam trucibus seruare solebat morborum uinclis? sese cur soluere poenis non ualet? En regem nostrae quem credere gentis debuimus: soluat ligni de robore corpus! (IV, 678-680) Cur propriam non uult subolem ueneranda potestas? (IV, 684) «  N’avait-il pas jadis l’habitude de délivrer les autres des chaînes terribles des maladies  ? Pourquoi n’est-il pas capable de se délivrer lui-même du supplice  ? Voici celui que nous devions considérer comme le roi de notre nation  ! Qu’il délivre son corps de la poutre de bois  ! (…) Pourquoi sa vénérable puissance ne veut-elle pas du supplice libérer son rejeton  ?  »

Juvencus joue aussi sur le passage du style direct au style indirect. Dans son texte, le style direct est essentiellement réservé au Christ dont les paroles sont ainsi mises en valeur par rapport à ses adversaires. Il est clair que les effets de style de l’épopée de Juvencus n’ont pas pour seule raison une recherche littéraire mais également un but moral et didactique 20, la mise en évidence du personnage du Christ au centre des Évangiles et au cœur de l’Église chrétienne. 3.  Transtylisation Comme l’explique M. Goullet 21 «  on peut modifier la forme d’un texte par traduction d’une langue à l’autre, par transposition de prose en vers (versification) ou de vers en prose (prosification) par modification du mètre (transmètrisation) ou du style. La transmodalisation est une modification du mode de représentation. On transpose par exemple un texte du mode narratif dans le mode dramatique (dramatisation) ou inversement (narrativisation), à l’intérieur d’un même mode on peut agir sur les ‘focalisations’ ou points de vue narratifs, sur les instances ou voix narratives, etc…  »   Cf. les remarques de Simonetti Abbolito (1985), p. 124  : «  A questo punto possiamo concludere che tali caratteri del testo di Giovenco e non solo essi – si pensi alla propensione del poeta per le interrogative retoriche – ci inducono a considerare la sua parafrasi tutt’altro che il risultato di un progetto erudito, messo in esecuzione solo per ambizione letteraria  ; Giovenco è convinto non soltanto del significato poetico della sua iniziativa ma anche della sua utilità ai fini della vita communitaria e traduce questa convinzione in una evidente partecipazione anche emotiva alle situazioni che descrive.  » 21   Goullet (2005), p. 111-112. 20

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Quelles modifications concernent le texte de Juvencus  ? D’abord, la versification, mais il ne s’agit pas seulement d’un habillage métrique et si l’on doit reconnaître à l’auteur une virtuosité et une habileté dans la substitution synonymique, son projet était plus ambitieux qu’un simple exercice de style. La transtylisation est bien plus proche du but de Juvencus, non pas qu’on entende par le mot style une idée d’originalité individuelle de l’écriture mais un niveau d’écriture que la rhétorique associe à la noblesse du sujet. L’écriture poétique élevée est celle de l’épopée et bouleverse non seulement la forme mais aussi les thèmes et l’idéologie de l’hypotexte dans une architecture d’ensemble. Si, de façon générale, Juvencus respecte la modalisation des Évangiles, l’alternance des récits, des dialogues et des monologues montre une nette insistance sur la parole directe du Christ et de nombreux passages sont transposés du genre narratif au genre dramatique par la mise en scène soigneuse des dialogues. Certains récits, comme nous le verrons par la suite, prennent des accents épiques, mais la plupart restent d’une grande sobriété. La scène des outrages lors de la passion du Christ (IV, 565-569) pourrait donner lieu à une amplification pathétique, or, on note seulement des changements discrets, l’opposition sanctam… inproba et les répétitions palmae - palma, certant - certant  ; de même, la scène de l’ensevelissement reste simple avec quelques ajouts d’adjectifs, un éloge sobre de Joseph d’Arimathie et le parallélisme de deux vers où les femmes sont appelées mères (IV, 714, 726). La plupart des récits de miracles restent très proches du texte de départ. Ceux qui sont développés ou modifiés sont ceux qui présentent des dialogues ou des discours. Plus susceptibles de transformations sont donc les passages où la parole prend un poids qui va orienter le poème, en particulier vers un aspect ecclésial. Le dialogue de l’ange et de Zacharie est un exemple de scène modifiée par transtylisation. La constatation extérieure du trouble de Zacharie (turbatus, timor) est remplacée par une annonce parallèle à celle de l’ange à Marie qui commence par terribilis et s’achève par gratias placet  : Quem tibi terribilis concussit corde pauorem Visus, eum laeti sermonis gratia placet (I, 14-15) «  L’épouvante dont une terrible vision a frappé Ton cœur, que l’apaise la grâce d’une parole de bonheur  »

L’annonce est solennelle et insiste sur la puissance de Dieu et son rôle sur le destin des hommes (iussas loquellas, I, 12  ; pater unicus alto / et caeli solio, I, 16-17  ; praecipit, I, 18) ainsi que sur la promesse avec la place en début de vers de promittit (I, 19) qui répond à la place identique de praecipit. Le parallélisme de ce passage avec celui de l’annonce à Marie explique la réorganisation de la matière pour reprendre un même schéma narratif  : paroles d’apaisement, annonce de la mission donnée par Dieu à l’ange, rôle de l’enfant



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à venir et nom à lui donner. L’ordre des paroles de l’ange est bouleversé pour mettre à la fin ce qui est au cœur du récit comme l’indique l’ajout de memento, le nom de l’enfant (I, 26) alors que dans l’évangile de Luc, il est mentionné dès le début de l’annonce I, 13  : et uxor tua Elisabeth pariet tibi filium et uocabis nom eius Iohannem. Le prêtre développe les raisons de son doute, comme Marie, et surtout l’ange répond non seulement par l’annonce du châtiment de Zacharie, mais il développe en neuf vers, de façon pédagogique, le verset I, 19, en énonçant les causes du châtiment, avec une insistance solennelle sur la puissance de Dieu, l’ingratitude de l’homme et son propre rôle de témoin  : Nunc ego, quem Dominus, caeli terraeque repertor, ante suos uultus uoluit parere ministrum, auribus ingratis hominis uisuque receptus, supremi mandata Dei temnenda peregi. (I, 35-38) «  Mais moi dont le Seigneur, créateur du ciel et de la terre, a voulu que je lui obéisse et le serve devant sa face, j’ai été accueilli par les oreilles et les yeux d’un homme sans reconnaissance, alors que j’accomplissais les ordres du Dieu très haut qui allaient être méprisés.  »

La mise en évidence de la rupture du lien d’alliance entre Dieu et l’homme et le parallélisme avec l’épisode suivant de l’annonce à Marie renforcent la différence entre la réponse de Zacharie et celle de Marie. Ces transformations formelles relèvent de la transtylisation puisqu’ils mettent en valeur des éléments épiques  : le pouvoir divin à l’origine des événements et la pietas des hommes qui va répondre à la demande divine avec des degrés différents. Avec ces parallélismes, le texte perd son aspect de récit chronologique pour rentrer dans un temps épique structuré par la relation entre Dieu et les hommes. Il y a là un fort infléchissement liturgique et sacramentel qui met l’Alliance en introduction de l’Évangile et justifie sans doute le recours aux textes de Luc. La réponse de Marie (I, 77-79) est ainsi mise en évidence avec les trois mêmes éléments  : ordre de Dieu Domino… iubenti, rôle de témoin de l’ange cernis et position face à Dieu qui n’est plus doute ou ingratitude mais acceptation confiante  : famulam, seruire paratam. De même dans le Sermon sur la montagne, les deux versets de Matthieu sur la porte étroite et les deux voies (Mt. 7, 13-14) sont développés en onze vers (I, 679-689), sans doute sous l’influence de l’épisode philosophique souvent traité du choix d’Hercule. Quatre métaphores fréquentes dans la littérature classique pour exprimer l’absence de maîtrise des passions, s’enchaînent dans ce passage  : le précipice, le torrent, le cheval sauvage et la mer déchainée et donnent au passage le ton de la poésie épique. Le passage suivant sur les faux prophètes remplace le raisonnement répétitif de Matthieu (Mt. 7, 15-20)  : si omnis arbor, non potest arbor, omnis ergo arbor, par la variété des métaphores et l’ajout de vers qui visent directement les

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CHAPITRE IX

hérétiques avec un développement sur fraude, error et fallax doctrina menaçant le troupeau de l’Église  : Hos ouium species uestit, sed saeua luporum pectora fraude tegunt, lacerantque incauta trahentes agmina cedentum, saeuus quos decipit error. Fructibus e propriis noscuntur talia monstra; quemque petat finem fallax doctrina uidendum est. (I, 692-696) «  Ils portent un déguisement de brebis, mais cachent dans leur ruse, des cœurs cruels de loups, ils entraînent et déchirent le troupeau sans méfiance de ceux qui leur font confiance, abusés par une terrible erreur. C’est à leurs fruits qu’on reconnaît de tels monstres. Il faut considérer quelle fin vise leur enseignement trompeur.  »

L’ajout de ces termes marquant dans le premier passage la séduction du péché et dans le deuxième, le mensonge, l’erreur et la ruse caractéristiques des hérétiques relève d’un développement d’enseignement moral  : il convient d’éviter le mal, les tentations séduisantes, l’erreur des hérésies. L’infléchissement du texte est à la fois épique et moral.

QUATRIÈME PARTIE

AEMULATIO «  L’ÉVANGILE SELON JUVENCUS  »

Chapitre X

Un évangile sous une forme poétique Dans l’œuvre de Juvencus, on peut dégager trois éléments majeurs de la réécriture épique  : la composition du récit structuré selon les règles de l’épopée, le parti pris de uariatio poétique effaçant le vocabulaire proprement chrétien ou juif au profit d’une couleur classique et la multiplication des réminiscences de Virgile ou de ses successeurs. 1.  Typologie et structure épique du récit Dans son ouvrage sur la Johannide de Corippe, V. Zarini s’inspire des travaux de W. Kirsch pour définir ce qu’un lecteur antique «  …s’attendait à trouver dans une épopée  : un ‘grand’ poème narratif (dans tous les sens de l’adjectif ‘grand’) qui tire sa matière de la mythologie et sa structure d’un récit référé à une personne, et qui est présenté par un narrateur omniscient (car initié par les Muses et, à ce titre, capable de connaître et de révéler les desseins des dieux autant que des hommes)  ; un texte dont le héros est unique, et où l’action commence non pas ab ouo, mais au contraire in medias res, ce qui implique ensuite un retour en arrière  ; un poème enfin dont l’enjeu capital et la portée idéologique requièrent un ton ‘sublime’, et dont le genre originellement oral implique des choix stylistiques  : le retour régulier de motifs-types (indication du sujet, invocation à la Muse, discours, monologues, songes et présages, prophéties et prodiges, descriptions, comparaisons, catalogues, batailles rangées, combats singuliers, tempêtes et errances, lever du soleil et tombée de la nuit, scènes infernales, personnifications, conseils et interventions des dieux, assemblée et revue des chefs, arrivée et départ du héros, réception d’ambassadeurs, d’hôtes, jeux funèbres, banquets, fêtes…), la forme hexamétrique au rythme solennel, et une phraséologie inaccoutumée (epitheta ornantia, style formulaire, temps verbaux, structures syntaxiques qui antéposent le verbe, scandent la phrase…) 1.  »

En examinant les transformations que Juvencus fait subir au texte évangélique, nous voyons clairement apparaître ce cadre épique à la fois spatial et temporel, la mise en évidence du héros, de ses hauts faits, de son lien avec la divinité à travers les songes (songe de Joseph), les miracles, les prophéties réalisées. Certes la vision chrétienne infléchit ce cadre, les interventions des dieux sont remplacées   Zarini (2003), p. 2.

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par la parole de Dieu tombant sur le Christ baptisé par Jean-Baptiste ou dans l’épisode de la transfiguration, les jeux funèbres, banquets et fêtes fournissent vocabulaire et situations à la résurrection de Lazare, aux noces de Cana ou aux évocations paraboliques du Royaume des cieux, les batailles et la guerre sont remplacée par la lutte spirituelle contre le mal et par la Passion mais les termes employés sont bien ceux du combat épique. Et si le récit commence à la naissance de Jésus, l’épopée de Juvencus inscrit bien le Christ dans un moment médian, dans le temps historique et hors du temps dans une perspective spirituelle. La composition du poème et ses principes épiques  : affrontement avec l’ennemi, situation finale de victoire, alternance d’épisodes variés, parfois séparés par des digressions ou des scènes de vie quotidienne, par des discours ou des paraboles, les épreuves qui se succèdent sont à la fois des obstacles qui dramatisent et des occasions révélatrices de l’héroïsme et ici du caractère divin du héros. Le sens de l’action est connu et scandé par les signes du destin. La structure générale du récit se prête à une relecture épique, la succession des épisodes est soulignée par des expressions qui font du récit une errance marquée d’étapes et d’épreuves vers la révélation  ; ainsi, lors des épisodes de la vocation des disciples, le récit est scandé par les formules  : regionem linqueret illam (II, 74), Inde domum repedat (II, 75), Ecce reuertenti (II, 76), Progrediens tunc inde (II, 95), Inde iter ingrediens (II, 99). Pour Philippe, les précisions sur sa ville et son origine sont remplacées par une formule plus vague évoquant le compagnonnage des disciples  : Hortatur comitemque suis adsciuit amicis (II, 100) et surtout l’ajout d’un vers où la vie du Christ prend une forme virgilienne avec l’expression Christi uiresque uiam (II, 101) rappelle assez précisément les hauts faits et l’errance d’Énée. Les épisodes sont aménagés dans leur structure pour souligner l’aspect épique du récit initial. Par exemple, lors de l’entrée à Jérusalem (modèle de l’aduentus solennelle des empereurs dans les villes romaines), l’interrogation de l’évangile quis est hic est remplacée par l’annonce de la réalisation de la prophétie exprimée en termes héroïques  : sit gloria laeta tropaeis (III, 640), sic adeo ingreditur Solymorum moenia Christus (III, 641) avec l’emploi à deux reprises dans l’épisode du terme Christus là où l’évangile emploie Iesus propheta a Nazareth Galileae puis Iesus à deux reprises sans lui donner le titre de Christ. Juvencus insiste aussi sur les marques d’honneur en développant l’évocation des rameaux et des manteaux déployés par des précisions absentes dans le texte de départ  : subnexa fronde (III, 637), palmeta uirore (III, 638). C’est la même intention qui explique, sans doute, aussi le déplacement de la prophétie  ; dans le récit évangélique elle apparaît comme incluse dans le discours de Jésus et avant la réalisation du verset 21, 6 euntes autem discipuli fecerunt sicut praecepit illis Iesus alors que chez Juvencus elle est déplacée après les actes des disciples et devient une conclusion qui marque sa réalisation dans les faits Hinc ueteris quandam fluxit uox nuntia uatis (III, 633) renforcée par le sic adeo ingreditur de conclusion.



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La transformation du récit en épopée peut se faire aussi insensiblement par un déplacement du sens  ; des notations de temps et de lieu deviennent des éléments de l’épreuve épique qui forment le héros. Ainsi dans l’épisode de la Transfiguration, qui se prête bien à cette évolution par l’approche du divin, le verset 17, 1 de Matthieu et factum est post dies sex adsumpsit Iesus Petrum et Iacobum et Iohannem fratrem eius et ducit illos in montem excesum seorsum est scandé et développé par une formule épique  : bis terna dierum (III, 316), par l’évocation d’un voyage initiatique lumina conuerso terras transcurrere caelo (III, 317) qui marque une rupture avec le monde, par l’épreuve physique de l’escalade d’une montagne escarpée  : abruptum… montem (III, 318) et à l’écart deuia (III, 319), secreti montis in arcem (III, 320), lieu de rencontre avec le divin. Juvencus évoque également la résurrection dans les termes de la victoire du héros sur la mort in lucem referens mortis de sede tropaea (III, 342), termes que l’on retrouve également dans l’évocation précédente de la gloire future des disciples du Christ. Là où Matthieu parle de salut animam suam saluam (Mt. 16, 25) Juvencus déploie, à partir du maiestate Patris sui cum angelis suis (Mt. 16, 27) sur la venue du Fils de l’homme, tout un vocabulaire du triomphe et de la gloire  : gloria (III, 307), digna (III, 310) pour évoquer la venue triomphale du Seigneur  : Caelestesque illum fremitu comitante ministri (III, 312) «  Ses serviteurs célestes dans un grand fracas lui feront cortège.  » … caeli fulgens cum regna capessam (III, 315) «  lorsque je prendrai resplendissant la royauté du ciel.  »

L’intervention des disciples montre des ajouts qui vont dans le même sens pour donner à l’épisode une valeur morale et théologique. Ainsi, l’approche du sacré et la peur que l’homme éprouve à cette approche lors des épreuves héroïques est rendue par l’interrogation ajoutée de Pierre et le rejet du verbe conueniat  : «  Respice, num nobis potius discedere longe, an istic tantae spectacula cernere molis conueniat…? (III, 325-327) «  Regarde, vaut-il mieux que nous nous écartions, ou conviendrait-il que nous contemplions ici un spectacle si extraordinaire  ?  »

Le rituel religieux juif de la construction des aulaea (III, 329), la nuée resplendissante qui revêt de lumière la montagne (III, 331), la peur des disciples prosternés et la douce fermeté du Christ qui les relève existent dans le texte de départ mais sans détails  ; leur mise en scène chez Juvencus contribue à la solennité épique du passage et évoque les procédés de l’iconographie de l’époque. La déclaration de Dieu le Père qui remplace le Filius meus delectus de l’évangile (Mt. 17, 5) par une affirmation plus théologique du caractère unique de la filiation du Christ, unicus hic meus est natus (III, 333), et ajoute avec insistance la notion de justice, Huius iustitiam iusto conprendite corde (III, 334)

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pour développer ipsum audite, vient expliciter l’importance de la scène à la manière d’un commentaire doctrinal et moral et donne son unité à l’ensemble des modifications et ajouts que l’on peut trouver. 2.  Variété du vocabulaire et des tournures épiques Le refus systématique des répétitions caractéristiques du langage poétique implique, chez Juvencus, une variété de vocabulaire pour traduire le même mot de l’Évangile. Cela peut être simple variation poétique, à couleur virgilienne comme le remplacement dans l’épisode de la tempête apaisée (Mt. 8, 23-27) du terme nauicula par nauem, uela, carina, puppis (II, 25-41) ou, dans l’épisode de la marche sur les eaux (Mt. 14, 22-23), par nauis, puppis, rati (III, 93-125). Dans les mêmes épisodes, mare devient fluctus, altum, pontus, aequora, freta (II, 25-41) et fretum, aequore, fluctus, liquidis, ponto, fluctibus, freta (III, 93-125). Cet exercice de style et d’élégance permet à Juvencus de rivaliser dans l’expression poétique avec ses prédécesseurs païens. Mais cette variété de vocabulaire n’est pas toujours neutre, en particulier lorsqu’elle touche à des expressions religieuses comme Filius hominis, rendu de trois façons différentes  : hominis nato (II, 17) 2  ; Filius hominis (III, 5  ; III, 311  ; III, 587)  ; hominis suboles (III, 341)  ; les termes natus et suboles sont sans doute plus poétiques mais la uariatio affaiblit le sens de ce titre mystérieux et enlève le parallélisme avec Filius Dei, rendu, lui aussi parfois par d’autres termes que filius ou Dei  : Domini certissima proles (II, 55) 3, progenies ueneranda Dei (II, 119). Dans l’épisode des tentations, Juvencus a recours deux tournures différentes pour traduire les deux «  si Filius Dei es  » de l’évangile de Matthieu, la première en I, 375 «  si te pro certo genuit Deus  », la seconde en I, 387 «  si Deus est uere genitor tibi  ». Un article de G. Simonetti Abbolito 4 recense chez Juvencus les emplois des termes Dominus, Deus, Christus, Iesus. L’examen de ces occurrences montre une uariatio poétique sans grande signification sur le plan catéchétique ou théologique, de même que dans l’expression de la prière, qui passe par tous les termes classiques (oro 5, rogo 6, precor 7, quaeso 8, colo 9, ueneror 10, preces 11, ueneratio 12), ou dans   Hominis natus (II, 216), (III, 609)  ; hominis natum (II, 219)  ; hominis natus (III, 11)  ; nato hominis (III, 352). 3   Vnica proles (II, 225)  ; unica domini proles (II, 234). 4   Abbolito (1986). 5   Oramus (II, 56)  ; orabant (II, 74)  ; orandum (II, 281). 6   Rogabat (I, 13)  ; rogamus (II, 62). 7   Precatur (I, 735). 8   Quaesunt (I, 249). 9   Colendum (I, 242). 10   Venerabere (I, 585)  ; uenerans (I, 735)  ; uenerandum (II, 279). 11   Precibus (I, 751; II, 12). 12   Veneratio (II, 284). 2

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celle du Temple de Jérusalem (par exemple dans le passage où Jésus chasse les marchands du Temple  : templum, II, 15  ; aedes, II, 159  ; delubrum, II, 175). On ne peut également relever d’utilisation significative pour la transcription des lieux de culte juifs 13 ou l’emploi indifférencié de sacerdos ou uates 14 pour désigner les prêtres juifs 15, de cura et d’officium 16 pour leur office, si ce n’est, ce qui a été déjà signalé, une nette volonté de romanisation et une utilisation sans répugnance et même, semble-t-il, délibérée, de termes païens 17. Juvencus emploie ara au lieu du chrétien altare, nuntius 18 ou minister 19 pour les anges, uates pour les prophètes 20, les verbes canere ou profari 21 et le nom oraculum 22 pour leurs prophéties 23 (avec cependant une allusion biblique à l’Esprit de Dieu qui passe dans la brise  : uacuis auris en I, 78 ou à la corne qui fait naître une force de salut pour la maison de David  : cornuque salutis en I, 120). Et lorsque Zacharie, porté par l’Esprit, prophétise, c’est des termes virgiliens qui expriment son inspiration  : conscia mentis 24. Certains mots y perdent de leur précision, comme l’encens traduit par odores (I, 10), certains ajouts pédagogiques sur les habitudes juives demeurent bien obscurs 25, et le royaume de Dieu a l’allure des sphères célestes de la philosophie néo-platonicienne 26. Il est clair que Juvencus a voulu conserver le mode d’expression traditionnel de l’épopée et éviter les expressions trop s­ pécifiquement   Aditis arisque, (I, 10)  ; aditis (I, 507)  ; secreta templi (I, 288)  ; templum (I, 2, 3, 27, 44, 189, 196, 197, 200, 218, 283, 292, 298…)  ; sancta ab aede (II, 153)  ; uenerabile templum (II, 166)  ; delubrum Dei (II, 175)  ; casta… in templo… uita et cultus… Dei (I, 218-219). 14   Sacerdos  : I, 2, 27, 44  ; uates  : I, 31, 47. 15   On peut cependant y voir les deux aspects du sacerdoce, l’aspect rituel et l’aspect inspiré. 16   Cura (I, 3)  ; officium (I, 48). 17   Cf. Poinsotte (1979), p. 127-128. 18   Nuntius  : I, 11, 12, 27, 31, 57, 66, 78, 161… 19   Minister  : I, 52  ; II, 125  : Dei celeres ministros. 20   Vates  : I, 122, 141, 313, 348  ; on trouve aussi le terme biblique  : profeta (I, 125, 214, 471, 484, 678, 691, 711  ; II, 278)  ; les deux termes semblent utilisés sans distinction de sens pour les besoins de la variatio poétique, comme le prouvent les vers I, 234  : profetarum ueterum et 236  : oracula uatum. 21   Vates  : I, 22, 122, 131, 141, 313, 348…  ; canere  : I, 116, 122, 141, 313  ; II, 104  : quem uoces ueterum et sancti cecinere profetae. Profatur  : I, 201 (Verg., Aen. 1, 561). 22   Vatum spondent oracula (I, 195). 23   On trouve aussi des périphrases  : praescia rerum uirtus (I, 191)  ; Dixit et alterius quondam praenuntia uatis / Vox instincta Deo… (I, 275-276). 24   Verg., Aen. XI, 812. 25   I, 4  : lectorum ex ordine uatum repris par I, 9  : secundum consuetudinem sacerdotii sorte. Chaque classe assurait le service durant une semaine, service qui consistait à renouveler la braise et les parfums sur l’autel de l’encens, qui se trouvait devant le saint des Saints, et cela avant le sacrifice du matin et après celui du soir. 26   L’utilisation dans l’épisode du baptême du Christ du terme septemplicis renvoie, pour exprimer la transcendance divine d’où descend l’Esprit, aux sept sphères du Timée (38b-d) de Platon. Mais on trouve aussi les termes in uertice caeli (I, 614), caelestis sedis (I, 703), regnum sublime Tonantis (II, 795). 13

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chrétiennes. C’est ce que montre une étude de P. Flury  : Juvencus a volontairement éliminé les mots grecs latinisés et devenus des termes techniques chrétiens 27. Seuls deux mots grecs spécifiquement chrétiens, profeta et daemon, apparaissent chez Juvencus  ; il utilise une fois (II, 541) Baptista pour Jean-Baptiste. En revanche, il évite angelus, baptismus, baptizare, blasphemia, blasphemare, parabola, scandalum. Pour les mots grecs qui ne sont pas spécifiquement chrétiens, il est un peu plus libre  : il emploie (à partir du texte latin de la Bible) lepra, colaphi, architriclinius. Par contre, il juge légitimes les mots grecs qui sont déjà dans l’épopée classique (aditum pour adytum  ; talentum, thesaurus). L’utilisation du vocabulaire païen dans un texte chrétien est nouvelle en un siècle où les écrivains chrétiens ont une certaine méfiance envers des termes qui pourraient favoriser tout amalgame entre le christianisme et le paganisme. J.-M. Poinsotte écrit  : «  Juvencus, fort habilement, christianise un monde qui ne continue pas moins à évoquer, pour le plaisir des lecteurs chrétiens eux-mêmes, la grande poésie classique. Enfin, il faut rendre compte du second procédé, beaucoup plus ingénieux, qui est mis ici en œuvre pour assurer la christianisation du monde païen. Virgile et Juvencus emploient les mêmes mots  ; mais ces mots expriment, chez l’un et l’autre poètes, deux mondes radicalement différents. Car, si l’on considère l’emploi des deux substantifs terrae et populi chez Virgile, on constate que, dans l’œuvre classique, le monde et l’humanité sont avant tout objets  : on rencontre les deux mots à l’accusatif plus qu’à n’importe quel autre cas. Le cas où sont le plus souvent ces termes dans l’épopée chrétienne n’est pas l’accusatif mais le datif  : tandis que le monde païen jouait un rôle terne et passif, n’était qu’un cadre inerte, le monde chrétien est placé, par rapport à Dieu, dans la relation privilégiée du bénéficiaire, auquel sont destinés les présents divins 28.  »

Cette analyse me paraît en partie discutable, car les mondes de Juvencus et de Virgile ne sont pas si «  radicalement différents  »  ; au contraire, c’est bien parce que leur monde est commun que Juvencus peut dire l’Évangile avec les mots de Virgile. Ce qui change, c’est le sens de cet univers  ; pour Juvencus, devenir chrétien, ce n’est pas changer de civilisation mais faire de cette civilisation une civilisation chrétienne. Je ne crois pas non plus que «  le monde païen jouait un rôle terne et passif  »  ; il est au contraire la réalité fondamentale et dynamique d’où sortent toute vie et toute force. Mais ce qui est vrai, comme le souligne très justement Poinsotte, c’est que cet univers est impersonnel et que le christianisme apporte un créateur qui veut et qui aime le monde qu’il crée. Les ajouts répétés de Juvencus sur les dons du Père transmis par le Fils justifient pleinement cette opinion mais cette relation entre Dieu et les hommes est à double sens. À «  la certitude du salut, don du Christ  » 29, l’homme doit  Flury (1968).   Poinsotte (1979), p. 127-128. 29   II, 380-381  : Inplorat lacrimans, certamque uenire salutem / Defunctis etiam poscebat munera Christi. 27 28



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répondre librement par sa foi à la grâce de Dieu, comme le prouve le vers II, 346, qui rend la conversion du centurion (Jn. 4, 53  : et credidit ipse et domus eius) par deux vers où s’exprime l’élan d’un cœur se donnant tout entier dans l’enthousiasme de sa conversion  : … seseque domumque mancipat amplexus fidei uenerabile donum. (II, 345-346) «  … il saisit le don sacré de la foi et se donne, lui et sa maison, au Christ.  »

Il y a dans l’entreprise de Juvencus ce même élan enthousiaste pour engager le monde qui est le sien dans la voie nouvelle du christianisme, pour prouver que c’est précisément ce monde-là qui est destiné à être le vecteur du salut pour l’humanité. De nombreux épisodes sont enjolivés d’expressions épiques voire d’épithètes homériques qui donnent une atmosphère générale  ; ainsi le décor de la profession de foi de Pierre évoque l’étendue des profondeurs liquides liquidi per terga profundi (III, 257) et les lumineuses campagnes Clara… rura (III, 258), en III, 263 Jean-Baptiste devient Iustus Iohannes, populos qui flumine lauit, Élie est présenté en un tableau cosmique de trois vers renforcé par l’expression uolucris famae (III, 264), Jésus «  s’élance sur les flots  » (III, 236-237  : Haec ait et propere puppis retinacula soluen / Trans freta contendit rapido conprendere cursu) avec l’ardeur d’un jeune aventurier, larguant les amarres pour partir à la conquête d’un monde nouveau, ce qui, au-delà de la couleur épique, reflète une vérité religieuse. Parfois les suppressions elles-mêmes sont caractéristiques  ; dans l’épisode du choix des douze (Mt. 10, 1-4) Juvencus insiste sur la valeur humaine des disciples et leur courage  : fortia pectora (II, 431), mais ne cite pas leur nom et surtout omet le pouvoir que leur confère le Christ dans les évangiles  : dedit illis potestatem spirituum immundorum ut eicerent eos et curarent omnem languorem et omnem infirmitatem (Mt. 10, 1) soit pour que, dans l’épopée, ce pouvoir reste l’apanage du seul héros-Sauveur, soit pour éviter la répétition avec les préceptes qui suivent  : infirmos curate mortuos suscitate leorosos mundate daemonia eicite (Mt. 10, 8). Il y a certes contraction des deux passages  : Pergentes uero similem mihi sumite mentem, ut uobis subigat uirtutes daemonis atri sancta fides curamque piam languoribus aptet. (II, 436-438) «  Et en chemin prenez un esprit semblable au mien, pour qu’une foi sainte vous soumette les forces du noir démon et applique aux maladies le traitement de la piété.  »

mais il y a aussi suppression du pouvoir sur la mort et ajout ou au moins explication commentée sur la foi et la piété agissantes  ; c’est par l’imitation et par l’intermédiaire du Christ que les disciples sont investis d’un pouvoir de guérison. Juvencus explicite ce que l’évangile sous-entend.

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Le passage au style direct est extrêmement fréquent dans l’œuvre de Juvencus, il s’accompagne d’un renforcement de l’expressivité, du pathos. Ainsi, dans l’annonce de la Passion et de la Résurrection (III, 290-302), le dialogue du Christ et de Pierre multiplie les renforcements expressifs en soulignant la proximité du jour de la Passion properis mihi cursibus instans, la violence sans limite rabies cum prona furore (III, 291), saturabit sanguine nostro (III, 292). Les trois vers où éclate cette brutalité sauvage contrastent avec l’apaisement des trois vers suivants, ceux de la victoire du Christ où se multiplient les métaphores de lumière et de fécondité  : Ast ubi lucifluum reddet sol tertius ortum, consurget radiis pariter redimita salutis uita mihi cunctisque dabit sua munera terris (III, 293-295) «  Mais quand en un flot de lumière le soleil se lèvera pour la troisième fois, couronnée elle aussi des rayons du salut, ma vie se lèvera et à toutes les terres accordera ses dons.  »

Le traitement épique est ici particulièrement sensible quand on compare le poème au texte de départ d’une sobriété dépouillée (Mt. 16, 21-23)  : exinde coepit Iesus ostendere discipulis suis quia oportet eum ire Hierosolyma et multa pati a senioribus et scribis et princibus sacerdotum et occidi et post tertium diem resurgere. Ajouts et modifications créent aussi une vivacité d’expression avec des variations de tons et la multiplication des exclamations et interrogations. Dans les discours du Christ l’indignation, la force de conviction s’expriment par des tournures interrogatives et exclamatives. Ainsi en II, 426, on passe d’une affirmation à une exclamation  : quam laetae segetes ruris per terga patescunt!  ; en I, 478-479 d’une affirmation à une interrogation Nam quis praecelsis inpostam rupibus urbem?  ; et en III, 243-244 une affirmation devient interrogation et exclamation développant en deux vers le quid cogitatis inter uos modicae fidei de Matthieu (Mt. 16, 8)  : Cur uobis tacitas uoluit cunctatio mentes? Pro! quam parua fides sensu torpente fatiscit! «  Pourquoi la perplexité ballotte-t-elle vos esprits et vous laisse-t-elle muets  ? Hélas  ! Votre foi est si faible, elle succombe et votre intelligence est engourdie  !  »

3.  Réminiscences de Virgile et des poètes épiques  : de la musique au sens La forme épique, l’hexamètre, implique et induit une rhétorique profondément différente de la rhétorique biblique 30. La cellule rythmique impose des tournures et des formules qui ne sont pas en nombre infini. La uariatio est, en partie du 30   Deux articles de A. P. Orban étudient la versification des Euangeliorum libri quattuor, tout en recherchant à quel texte de la Vetus latina peut se référer Juvencus  : Orban (1992) et (1995).



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moins, une conséquence de ce système poétique, compensant dans le vocabulaire, comme les rejets et les enjambements le font dans le rythme, la relative monotonie imposée par les contraintes de l’hexamètre. Elle introduit le nécessaire équilibre entre le répétitif qui identifie la poésie par les échos d’œuvres antérieures, et le nouveau qui naît d’une disposition ou d’un sens différent. Aussi les reprises de Virgile ou d’Ovide ne sont pas nécessairement intentionnelles ou significatives  ; elles peuvent venir de la réminiscence induite par un schéma métrique. Bien des rencontres relevées par les chercheurs ne sont peut-être que les conséquences de ces règles et il serait vain de leur chercher en détail un autre sens que la volonté de faire œuvre épique. Certaines, au contraire, relèvent clairement d’une volonté précise du poète, d’une aemulatio qui dépasse la forme et réutilise dans un sens chrétien des motifs épiques essentiels dans la poésie classique. Il existe dans le texte de Juvencus plusieurs sortes d’utilisation de la poésie antique et en particulier de Virgile qui s’appliquent à l’ensemble du texte ou à des passages précis. On trouve, tout au long de l’épopée, un tissage d’expressions, de parties de vers disséminées qui, sans être tout à fait un centon, prend une allure virgilienne faite d’échos et de réminiscences 31. Ainsi les vers où l’étoile guide les mages 32 retrouvent naturellement le vocabulaire de l’Énéide au livre II lorsque Anchise se laisse convaincre de quitter Troie par le présage d’une étoile filante 33  : stella / stellam, cucurrit / praecurrere, cernimus / cernunt, sulcus / sulcantem, culmina / culmine, summa / summo. Les comparaisons qui donnent au texte de l’Évangile un ton plus pittoresque et frappant sont pleines d’emprunts à Virgile 34. L’entrevue avec Nicodème 35 fournit des exemples variés de ce procédé d’écriture  ; c’est d’abord une comparaison, dont on sait qu’elle est une marque du style noble et poétique de l’épopée, qui transparaît derrière le style contourné des vers II, 191-192 à travers un double emprunt à Virgile 36  : conreptet, nouus in lucem, reuuoluat 31  Le virgilianisme de Juvencus a été étudié dans plusieurs ouvrages et articles  : Widmann (1905) et, plus récemment, Borrell Vidal (1983), (1991a), (1991b) et (1992). 32   I, 243-246  : Ecce iteris medio stellam praecurrere cernunt / sulcantem flammis auras, quae culmine summo / restitit et pueri lustrata habitacula monstrat. / Gaudia magna Magi gaudent sidusque salutant. 33   Verg., Aen. II, 692-700  : Vix ea fatus erat senior, subitoque fragore / intonuit laeuom, et de caelo lapsa per umbras / stella facem ducens multa cum luce cucurrit. / Illam summa super labentem culmina tecti / cernimus Idaea claram se condere silua / signantemque uias; tum longo limite sulcus / dat lucem et late circum loca sulfure fumant. / Hic uero uictus genitor se tollit ad auras / adfaturque deos et sanctum sidus adorat. 34   I, 688  : aut alacer sonipes ruptis effrenus habenis / Verg., Aen. XI, 600  : insultans sonipes et pressis pugnat habenis  ; I, 689  : aut rectoris egent uentosa per aequora puppis / Verg., Aen. VI, 335  : quos, simul a Troia uentosa per aequora uectis. 35   Jn. 2-31, Juvc. II, 177-242. 36   Verg., Aen. II, 471  : qualis ubi in lucem coluber… nunc positis nouus exuuiis  ; Verg., Georg. II, 402  : atque in se sua per uestigia uoluitur annus.

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CHAPITRE X

r­ envoient à l’image d’un serpent qui se déroule et glisse, sans qu’il y ait de lien avec le sens des paroles de Nicodème. L’évocation de l’Esprit Saint qui réclame un ton solennel multiplie les réemplois d’expressions tirées de l’Énéide  : – Juvc. II, 199  : Hic, ubi uult, quocumque uolat uocemque per auras / Verg., Aen. II, 768  : ausus quin etiam uoces iactare per umbram  ; – Juvc. II, 200  : Iactat, sed nescis, quae sint exordia uocis / Verg., Aen. IV, 284  : … quae prima exordia sumat  ; – Juvc. II, 201  : Quamque petant eius currentia flamina partem / Verg., Aen. IX, 790  : et fluuium petere ac partem quae cingitur unda. Il en est de même pour les évocations du royaume céleste et du désert de Moïse  : – Juvc. II, 214  : Sidereum nullus poterit conscendere caelum / Ov., M. III, 298  : ergo maestissimus altum / aethera conscendit et M. X, 140  : sidereum gracili spectare cacumine caelum  ; – Juvc. II, 217  : Vt sepens olim regionibus in desertis / Verg., Aen. IV, 42  : hinc deserta siti regio…  ; – Juvc. II, 219  : Sic hominis natum tolli in sublime necesse est / Verg., Aen. X, 143: quem… / … sublimem gloria tollit. Et Juvencus s’est empressé d’exprimer sa foi par la coïncidence des rencontres d’expressions entre l’Évangile et Virgile lorsque regnum caelorum devient grâce à la fin d’un hexamètre de l’Énéide regia caeli 37, que dictum est emprunte à Virgile un début d’hexamètre haud ignota… 38 ou que le et tu puer de Luc rencontre le incipe, parue puer des Bucoliques 39. De nombreux termes 40 soulignant la parole du Christ ou celles, marquantes, de ses interlocuteurs sont également empruntés à Virgile  : talia dicentem 41, dixerat. Et ille  42, dat dicta 43, dixerat et dicto citius 44. Sans qu’il y ait même de rencontres de sens particulières, l’épopée de ­Juvencus emprunte de nombreux débuts ou fins d’hexamètres à Virgile, comme un écho poétique 45. Certes, comme le souligne Mora-Lebrun, une partie des réminiscences sont presque involontaires et au IVe siècle «  un bon nombre   Mt. 5, 10  ; Juvc. I, 467.   Mt. 5, 27  ; Juvc. I, 519  : Haut ignota, reor, uobis stat cautio legis. 39   Juvc. I, 125  : At tu, parue puer… / Verg., Buc. 4, 62  : incipe, parue puer. 40   On trouve leur relevé détaillé dans les études linéaires de Kievits (1940) et De Wit (1947). 41   Juvc. I, 728 / Verg., Aen. IV, 362  : Talia dicentem iamdudum uersa tuetur. 42   Juvc. I, 751 / Verg., Aen. II, 152  : Dixerat. Ille dolis instructus et arte Pelasga. 43   Juvc. I, 752 / Verg., Aen. II, 790  ; VI, 628  ; VII, 323, 471… 44   Juvc. I, 763 / Verg., Aen. I, 142  : sic ait et dicto citius… 45   Juvc. I, 49  ; II, 27  : consurgere in iras, fin d’hexamètre de Verg., Aen. X, 90  ; Juvc. I, 556  : perferre laborem, fin d’hexamètre de Verg., G II, 34  ; Juvc.  I, 620  : diuersis partibus orbis, fin d’hexamètre de Verg., Aen. XII, 708  ; Juvc. I, 759  : horrendum stridens, début d’hexamètre de Verg., Aen. VI, 288  ; Juvc. II, 411  : lumen adeptum, fin d’hexamètre de Verg., Aen. III, 658  ; Juvc. II, 169  : Illi inter sese tractantes 37 38

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d’expressions virgiliennes faisaient partie du vocabulaire traditionnel et n’étaient plus senties comme des emprunts, ce qui est plus particulièrement vrai des clausules 46.  » mais, poursuit-elle, cette réécriture est souvent confrontation volontaire et «  transposition audacieuse qui essaie de christianiser l’univers virgilien. Parfois l’opération se fait sans heurts  : lorsque Juvencus, en réemployant une célèbre clausule (sine nomine truncum), rappelle indirectement, à propos de la décollation de Jean-Baptiste, la mort de Priam, ou fait précéder les avertissements du Christ à ses fidèles de la non moins fameuse clausule, iterumque iterumque monebo, qui dans l’Énéide introduit les avertissements d’Hélénus à Énée (…), la matière s’offre d’elle-même à la transposition 47.  » C’est parfois la structure syntaxique ou musicale, le rythme des hexamètres virgiliens, que va chercher à imiter Juvencus 48  ; plusieurs articles sur la métrique et la prosodie de Juvencus 49 soulignent sa fidélité à la tradition hexamétrique latine. La répartition des dactyles et des spondées dans le vers est proche de celle de Virgile, comme l’a montré l’étude de A. Longpré 50  : «  La technique de Juvencus, comme celle des deux autres poètes de basse latinité, Cyprianus Gallus et Paulin de Pella, le rapprochent donc de Virgile, et donne à son hexamètre une ordonnance rythmique lourde et lente, due à la présence majoritaire du spondée, contrairement à la structure légère et aérienne d’Ovide et des poètes flaviens… On peut se demander si une telle pratique de la part de Juvencus n’aurait pas pour but de rendre la gravité, la solennité du récit évangélique, l’importance du message transmis à l’humanité.  »

La technique de Juvencus est généralement bonne et ses hexamètres de structure classique et conformes à son modèle virgilien. Sur le plan de la forme, il a voulu se couler dans le moule de l’épopée antique comme la plus propre à exprimer le nouveau message du christianisme. Une autre forme d’emprunt touche des passages précis du texte  ; certaines scènes des Évangiles appellent quelques topoi de l’épopée. Il en est ainsi pour l’épisode de la tempête apaisée (II, 9-12, 25-42)  : 10

Ecce sed exorta maior cum luce tumultus gratantis populi, cum turbis anxius ille in mare multisonum celsam deducere iussit

­murmure caeco, début de vers de Verg., Aen. VIII, 452  : illi inter sese multa ui bracchia tollunt et de la fin du vers XII, 591  : uoluitur ater odor tectis, tum murmure caeco. 46   Mora-Lebrun (1994), p. 70. 47   Mora-Lebrun (1994), p. 71. 48   Juvc. I, 59: desine conspectu mentem turbare uerendo /  Verg., Aen. VI, 376  : desine fata deum flecti sperare precando. 49  Flammini (1999) et (2000) (comparaison avec Virgile et Juvencus)  ; Longpré (1975) et (1976) (comparaison avec Virgile, Ovide, Cyprianus Gallus, Paulin de Pella et Juvencus). 50   Longpré (1975), p. 129.

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28* 29* 30 35 40

discipulis puppim. (…) Conscendunt nauem uentoque inflata tumescunt uela suo, fluctuque uolat stridente carina. Postquam altum tenuit puppis, consurgit in iras Ventorum rabies mixtis hinc inde procellis Pontus et abruptos tollit trans sidera montes 51; Et nunc mole ferit puppim nunc turbine proram inlisosque super laterum tabulata receptant fluctus disiectoque aperitur terra profundo. Interea in puppi somnum carpebat Iesus illum discipuli pariter nautaeque pauentes euigilare rogant pontique pericula monstrant. Ille dehinc: “Quam nulla subest fiducia uobis! Infidos animos timor inruit!” Inde procellis imperat et placidam sternit super aequora pacem. Illi inter sese timidis miracula miscent conloquiis, quae tanta sibi permissa potestas, quodue sit imperium, cui sic freta concita uentis erectaeque minis submittant colla procellae 52.

51   Nous retenons ici la seconde rédaction des vers 28 et 29. On sait en effet que le texte de Juvencus a été transmis avec des vers dits «  supplémentaires  », qui remontent assurément à l’archétype et que l’on considère pour la plupart, depuis l’étude de Korn (1870), comme des variantes de l’auteur lui-même. Nous voyons donc ici dans les «  vers supplémentaires  », comme Hansson (1950), p. 75-76, une seconde rédaction améliorée de la première version des vers 28-29  : Pontus et immensis hinc inde tumescere uentis / instat et ad caelum rabidos sustollere montes. / «  La mer se met à se soulever de colère, à se gonfler sous les vents contraires / et élève vers le ciel des montagnes en furie.  » 52   II, 9-12, 25-42  : «  Mais quand à la naissance du jour grossit le tumulte / et le vacarme de la multitude reconnaissante, le Christ, anxieux, / ordonna aux disciples de pousser vers la mer aux mille rumeurs / la haute nef. (…) / Ils montent sur le navire, un vent favorable souffle dans les voiles / qui gonflent, la coque vole sur le flot qui siffle. // 27a Quand la nef est parvenue au large, la mer se met à se soulever / 28a De colère, à se gonfler sous les vents contraires, / 29a À élever vers le ciel des montagnes en furie. // 27b Quand la nef est parvenue au large, la fureur des vents / 28b explose de rage en soulevant l’une contre l’autre des tempêtes / 29b et la mer dresse jusqu’au-delà des étoiles des montagnes abruptes  ; // Et tantôt de sa masse elle frappe la poupe, tantôt de ses tourbillons la proue, / les vagues s’écrasent sur les bordages des flancs et passent par-dessus, / la mer se déchire et on en voit le fond. / Pendant ce temps, à la poupe, Jésus goûtait au sommeil. / Les disciples tout comme les matelots épouvantés / le pressent de s’éveiller et lui montrent les dangers de la mer. / Et lui alors  : «  En vous il n’y a donc nulle confiance  ? / La peur a envahi vos cœurs sans foi  !  » Puis il commande / aux tempêtes et sur la plaine marine étend une paix tranquille. / Et eux, en des conversations apeurées, partagent / leur stupeur, se demandent quel immense pouvoir lui a été donné, / quel est l’empire devant qui la mer soulevée par les vents, / les tempêtes, dressées et menaçantes, courbent ainsi l’échine.  »

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Juvencus exprime en huit vers ce que Mc 4, 37 dit en une phrase  : et facta est procella magna uenti et fluctus mittebat in nauiculam ita ut impleretur nauis. Il y a là un motif qui s’offre à une réécriture amplifiante sur le modèle épique, même si les récits de tempêtes épiques sont ordinairement bien plus longs 53. Il est essentiel pour comprendre les buts de Juvencus de noter ce qui est repris des récits antérieurs, mais également ce qui est omis. L’épouvante des victimes, l’impuissance des hommes devant le déchaînement des forces de la nature auraient pu souligner l’urgence dramatique de l’intervention de Jésus ou tirer le récit vers le pathétique, ce que Juvencus a fait à plusieurs reprises, dans d’autres passages. La sobriété de la réaction des disciples (II, 34-35) montre une intention délibérée que confirme la description métaphorique des vents et les hyperboles de la tempête projetant les vagues au-delà des étoiles et de la mer qui s’ouvre jusqu’à révéler sous elle la terre. Or, s’il y a là d’évidents emprunts à Virgile sur le plan stylistique et descriptif 54, la composition et le choix des éléments montrent une intention toute différente. La puissance de Jésus est d’une autre nature que celle des divinités païennes, il n’y a pas affrontement mais domination tranquille du créateur sur sa création. C’est ce pouvoir transcendant qu’exprime le sommeil de Jésus dans lequel Augustin voit un signum sacramenti 55. Les disciples eux-mêmes sont frappés de stupeur et leur dialogue final qui diffère de celui des Évangiles 56 montrent combien ils s’interrogent sur le singulier pouvoir de celui qu’ils regardent encore comme un homme. À la tempête épique Juvencus emprunte donc un aspect fondamental de la pensée gréco-latine, celui de la lutte permanente des éléments les uns contre les autres, mais la seule justification de cette description n’est pas de s’inscrire dans la tradition de l’épopée. Si Juvencus infléchit le récit évangélique, c’est pour traduire, avec les moyens stylistiques de l’épopée, ce qui lui semble essentiel dans le message de Matthieu, l’affirmation d’une puissance divine liée à l’humanité dans le Christ. L’épisode, au-delà de sa forme apparente, est bien porteur d’un sens théologique et le langage épique est renouvelé pour l’écrivain chrétien par la dignité que lui confère le poids de la vérité.   Sur ce thème, cf. Ratkowitch (1986)  ; De Wit (1947), p. 18-23  ; Vicente (1988), p. 132-133 sur ce passage de Juvencus  ; Fraïsse / Michaud (2006). Et sur la «  polyphonie  » de la tempête apaisée chez Prudence, Charlet (1989). 54  Cf. Verg., Aen. II, 102-103  : Talia iactanti stridens Aquilone procella / uelum aduersa ferit, fluctusque ad sidera tollit  ; Verg., Aen. I, 106-107  : … his unda dehiscens / terram inter fluctus aperit, furit aestus harenis. 55  Aug., Sermo 63, 1  : ergo et somnus Christi signum est sacramenti. Cf. l’analyse de ce thème par La Bonnardière (1986), p. 145-148 (chap. 7  : «  La tempête apaisée  »). 56   Mt.  8, 27  : porro homines mirati sunt dicentes qualis est hic quia et venti et mare oboediunt ei  ; Mc.  4, 40  : et dicebant ad alterutrum quis putas est iste quia et ventus et mare oboediunt ei  ; Lc.  8, 25  : qui timentes mirati sunt dicentes ad invicem quis putas hic est quia et ventis imperat et mari et oboediunt ei. 53

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Cette analyse est confirmée par la similitude des ajouts que l’on peut constater dans l’épisode de la marche sur les eaux (Mt. 14, 22-33  ; Juvc. III, 93-128). La sobriété du récit évangélique laisse place à des développements descriptifs au vocabulaire poétique, qu’il s’agisse de la barque (puppis) qui fend les flots 57 ou arrive au port après une traversée mouvementée 58, du calme de la nuit qui annonce le mystère de la venue du Christ 59 de l’aurore, ajout symbolique de la lumière divine chassant les ombres 60 ou de la mer sur laquelle Jésus marche en maître 61. La formulation est incontestablement virgilienne et empruntée sans doute au livre V de l’Énéide dont on retrouve de nombreux mots ou thèmes 62  ; mais, au-delà de la forme poétique ou plutôt à travers elle, le symbolisme chrétien transparaît fortement. Quant à la demande de Pierre et sa marche sur les eaux, elles mêlent un aspect très physique (Fluctibus in liquidis inmersos figere gressus III, 113  ; uentique minas III, 116  ; medio submersus corpore III, 120) à un sens symbolique explicite, puisque le cum coepisset mergi de Matthieu (Mt. 14, 30) est développé par deux vers où la solidité, puis la faiblesse de la foi en Dieu sont assimilées étroitement à celles de la mer  : Paulatim cedunt dubio liquefacta timore quae ualidum fidei gestabant aequora robur. (III, 118-119) «  Alors peu à peu à cause de ses doutes et de sa crainte, la plaine marine se dérobe et devient liquide alors qu’elle avait porté la force de sa foi, quand elle était solide.  »

On peut observer également deux ajouts significatifs et reprenant ceux de la tempête apaisée, le calme souverain du Christ et l’interrogation finale là où Matthieu a une affirmation 63. Ces deux ajouts mettent en évidence la même caractéristique du Christ, sa puissance de créateur qui domine l’univers qu’il a créé  : Praesentemque Dei subolem stupuere rogantes cuncti, nauigio socios quos casus habebat. (III, 125-126)

Ces emprunts, qu’ils soient formels ou plus significatifs, donnent au texte sa valeur d’épopée, la forme épique induisant la pensée épique.   III, 98-99  : Cum puppis medio sulcabat in aequore fluctus / iactata aduerso surgentis flamine uenti. 58   III, 127-128  : Transierat tandem sulcans freta feruida puppis / optatumque grauis conprenderat ancora portum. 59   Iamque soporata torpebant omnia nocte (III, 97). 60   Noctis iter rapidos attollens lucifer ortus (III, 101). 61   III, 102-103  : Fluctibus in liquidis sicco uestigia gressu / Suspensus carpebat iter – mirabile uisu! 62  Verg., Aen. V, 132-158  : in puppibus, corda pauor pulsans, Infidunt pariter sulcos, et longa sulcant uada salsa carina /  Juvc. III, 93-128  : cum puppis medio sulcabat in aequore fluctus, uibrabant corda pauore, transierat tandem sulcans freta feruida puppis. 63   Mt.  14, 33  : et adorauerunt eum dicentes uere Filius Dei est. 57

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Quand Juvencus s’inspire de l’Énéide, on peut donc distinguer des approches différentes mais complémentaires. La première dont nous avons parlé à plusieurs reprises est le simple rappel, art allusif qui joue sur la connivence entre lecteurs et auteur partageant une même culture littéraire, plaisir de la mémoire sans réelle signification, rapprochement fortuit, musical ou technique. Cette réminiscence inconsciente est parfois même gênante, si l’on cherche un rapprochement de sens, par exemple entre le dona dabant des Mages 64 et le dona ferentes de l’Énéide, si l’on étudie la réutilisation de la clausule stipante caterua 65 déplacée du cortège de Didon à la troupe armée qui accompagne Judas lors de l’arrestation de Jésus ou si l’on s’attarde sur la valeur comparée du descendit ab alto (I, 357), expression certes fort proche du texte biblique mais qui chez Virgile s’applique à Vulcain (séduit par les charmes de sa femme, il descend dans les profondeurs de sa forge pour créer le bouclier d’Énée, VIII, 423 66). Ensuite, on trouve, à un deuxième niveau de réutilisation, une imitation critique ou «  de contraste 67  », lorsque les mêmes termes, détournés complètement de leur sens, sont une dénonciation du paganisme et une exaltation d’un christianisme qui les transfigure. Tout l’épisode de la tempête apaisée est réécrit en ce sens. F. Mora-Lebrun donne d’autres exemples, limités à quelques mots, du même procédé  : «  La reprise se fait parfois discrètement polémique  ; la gloire promise par Mercure à Énée, tantarum gloria rerum, devient chez Juvencus tentation du démon, les amants du Champ des Pleurs, rongés par la souffrance (tabe peresos), deviennent des infirmes guéris par Jésus, et l’astucieuse modification d’une clausule transforme le mea uoluptas d’Évandre à son fils Pallas en un plus digne mea uoluntas du Père éternel à son fils 68.  »

  Juvc. I, 251.   Peut-être pourrait-on trouver un sens à cette réutilisation par comparaison avec l’emploi que fait Sédulius de cette clausule virgilienne (Carm. 4, 36) pour décrire les Pharisiens rassemblés autour de Jésus dans l’épisode de la femme adultère. La troupe orgueilleuse qui accompagne Didon est aussi impuissante que les hommes qui vont arrêter Jésus  ; ils représentent la puissance humaine dans toute sa vanité et le Christ n’y cède que pour accomplir le dessein de Dieu. 66  Testard (1990), p. 17 donne toutefois un sens liturgique à ce rapprochement en notant la présence dans le même vers de Virgile de l’épithète Ignipotens, susceptible d’évoquer le sens symbolique du feu de l’Esprit Saint, et suggère une métaphore guerrière, compatible tant avec la valeur épique que biblique de l’œuvre de Juvencus  : «  Faudrait-il aller jusqu’à dire que Juvencus faisait un rapprochement entre l’action de l’Esprit-Saint sur Jésus, lors de son baptême, en vue de sa mission, et le rôle de Vulcain auprès d’Énée, qu’il munit d’armes invisibles, lui aussi en vue de sa mission, comme en témoigne notamment l’ornementation du fameux bouclier  ?  » 67   Sur le sens du terme «  Kontrastimitation  », cf. Thraede (1962), p. 1039  : «  Die Übernahme von Junkturen zum Zwecke gegenteiliger Aussagen wollen wir als Kontrastimitation bezeichnen  ; in ihr wird bewusst die christliche Lehre dem alten Epos konfrontiert.  » 68   Mora-Lebrun (1994), p. 69. 64

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On peut également analyser ainsi la réutilisation de trois clausules virgiliennes dans le récit du jugement de Jésus  ; d’abord, lorsqu’il est amené à Caïphe, un premier remploi partiel de Virgile (Juvc. IV, 568  : omnes inludere certant  ; Verg., Aen. II, 64  : certantque inludere capto) évoque l’arrivée de Sinon, traîné par des pâtres devant les Troyens  ; puis, lorsque le Christ est ensuite livré à Pilate  : Iamque e concilio Christum post terga reuinctum praesidis ad gremium magno clamore trahebant. (IV, 588-589) «  Et déjà ils entraînaient hors du Conseil, les bras liés derrière le dos, le Christ avec de grands cris vers le repaire du gouverneur.  »

deux clausules virgiliennes (post terga relictum, magno… clamore trahebant) nous renvoient exactement au passage où le Grec se fait arrêter pour inciter les Troyens à rentrer le cheval de bois dans l’enceinte de leur ville  : Ecce manus iuuenem interea post terga reuinctum pastores magno ad regem clamore trahebant. (Verg., Aen. II, 57-58)

Certes, on peut s’arrêter, pour justifier ces emprunts, à la pure ressemblance de situation  : deux prisonniers sont traînés devant un chef au milieu d’une foule hostile. Mais on peut trouver aussi d’autres similitudes plus fines entre la situation de Sinon et celle du Christ  : le Grec s’est laissé volontairement capturé (qui se ignotum uenientibus ultro, II, 59) et il est prêt à se livrer à une mort certaine (certae occumbere morti, II, 62), victime consentante pour le salut de son peuple. Autant de termes qui, décalés d’un état de guerre à un projet divin, peuvent s’appliquer au Christ. Plus encore, le renversement de situation, puisque le Christ est une victime innocente alors que Sinon était un guerrier prêt à toutes les fourberies et les parjures, montre la supériorité de l’épopée biblique sur la fable antique. C’est pour le salut des hommes et non pour la perte d’un peuple trop confiant que le Christ va à la mort 69. Enfin, au-delà des échos involontaires ou des reprises polémiques, on voit chez Juvencus une volonté de fusionner des éléments concordants entre la pensée gréco-latine et les Écritures. L’essentiel est de comprendre que l’épopée de Juvencus est, en quelque sorte, une métaphore du sacré, c’est-à-dire qu’elle rapproche et compare deux modes d’expression du sacré, l’une gréco-latine et 69   Analyse semblable par Van der Laan (1993), p. 150 de la réminiscence assonancée d’Aen. II, 258-259  : pinea… laxat claustra Sinon (sur l’ouverture du cheval de Troie) dans l’épisode de la pêche miraculeuse chez Sédulius  : Simon… linea claustra iacit (Carm. IV, 118-119). Selon l’auteur, «  il y a beaucoup d’exemples convaincants d’une méthode d’imitation plus subtile (qu’un emprunt gratuit) selon laquelle le poète, en détachant une réminiscence de son contexte païen et en l’appliquant à son nouvel entourage chrétien, crée délibérément un contraste entre les idées détestables du monde païen et la doctrine salutaire de la foi chrétienne.  » Cf. également l’analyse semblable de Green (2006), p. 58 sur les réemplois de Virgile dans le passage de la transfiguration.

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l’autre biblique  ; dans l’espace du non-dit créé par ce rapprochement, naît la pensée poétique chrétienne avec un symbolisme propre, qui dépasse la fusion des éléments de départ. M. Testard, en conclusion de l’analyse détaillée du passage du baptême du Christ, définit très justement cette fusion  ; il voit dans la conception du sacré la spécificité de l’homme  : «  …qui porte en soi la trace de son auteur, sous la forme d’une aspiration à le concevoir et d’un attrait au dépassement pour le rejoindre (…). Les brutalités de la vie (…) peuvent amputer l’homme de ce regard qui le soulève au-dessus de lui-même. Mais n’oublions pas que toute la littérature latine antique, pour ne rien dire des Grecs, a célébré ce regard, et que, sur ce sujet, les écrivains païens et les écrivains chrétiens parlent d’une seule voix et communient dans une semblable ferveur. La continuité que percevait Juvencus, du sacré des païens au sacré des chrétiens, tient à ce que Cicéron appelait la natura non uitiosa ou Tertullien l’anima naturaliter christiana  ; elle tient, en fin de compte, à l’homme, ce qui fait que, si différentes, voire opposées, que soient les représentations de la divinité, la grandeur divine éveille chez les hommes un sentiment du sacré que l’on ne peut dire identique, mais qui reste analogue, d’une analogie plus ou moins lointaine 70.  »

Ainsi, dans l’épisode des marchands du Temple, l’apostrophe de Jésus  : Procul haec auferte profani (II, 161) rejoint l’avertissement de la Sibylle qui va commencer son oracle  : Procul o procul este profani 71. C’est dans les deux cas le rappel solennel d’un espace sacré, du respect nécessaire à l’approche du surnaturel, de la distance infranchissable entre l’homme et Dieu, tant que Dieu ne comble pas de lui-même cette distance, et de l’attitude d’humilité et de gravité que l’homme doit garder en présence du divin qui se dévoile. Les résonances religieuses de l’épopée latine font alors écho à la piété chrétienne 72. Ce serait donc passer à côté de la valeur et du but de l’épopée de Juvencus de réduire son travail à une réécriture artificiellement habile, à un jeu d’amplifications, de transpositions grammaticales, d’abréviations ou d’imitations; il est évident qu’il faut s’interroger sur le sens de semblables modifications et rechercher dans les reprises de Virgile la part de créativité du poète qui détourne souvent à l’avantage de la doctrine chrétienne les vers de son modèle 73  ; toute réflexion sur ce sujet nous entraîne à constater la maîtrise théologique et caté Testard (1990), p. 30-31.   Verg., Aen. VI, 258. 72  Cf. Mora-Lebrun (1994), qui écrit p. 69  : «  Les rencontres peuvent aussi souligner des convergences doctrinales  : Jésus chasse les marchands du temple comme la Sibylle, au livre VI, écartait les profanes des lieux consacrés, et la transfiguration du Christ, uestibat lumine, est décrite en des termes inspirés par l’image de la lumière surnaturelle qui baigne les Champs Élyséens.  » 73   Cf. l’analyse de Green (2006), p. 60 sur l’utilisation du vocabulaire virgilien dans un sens métaphorique et théologique dans le thème du banquet (Juvc. III, 224 et Verg., G. 4, 133). 70 71

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CHAPITRE X

chétique de l’auteur et son attention très scrupuleuse aux buts qu’il s’était fixés dans sa préface  : dépasser Virgile par la vérité du message Évangélique, gagner une éternité que la seule poésie ne pourrait lui procurer. Mais c’était aussi – et même s’il ne l’a pas expliqué nettement, il ne pouvait qu’adhérer à cette conséquence de son œuvre – donner à Virgile une éternité qu’un fanatisme religieux aurait pu compromettre, en faisant d’une épopée païenne un piédestal poétique au Christ.

Chapitre XI

Un évangile dans un cadre épique Il y a trois domaines où le cadre épique, c’est-à-dire l’ensemble des éléments descriptifs qui permettent de situer le récit, est nettement souligné dans l’œuvre de Juvencus  : la description de l’espace et du paysage, la structure temporelle et les activités humaines. 1.  Paysages et descriptions La description de la Palestine présente des caractéristiques qui tirent le paysage décrit vers un locus amoenus bien romain mais l’enrichissent des échos symboliques de la Bible. Ainsi le désert de Luc devient secretis in uallibus (I, 130) mais le terme uallis rappelle la citation d’Isaïe et l’enfance de Jean-Baptiste. Les pâturages sont fertiles et la terre verdoyante là où Luc se contente de in regione, le figuier de Jean couvre Nathanaël d’une ombre bienfaisante et la source de la Samaritaine apporte sa fraîcheur aux voyageurs accablés par la chaleur de midi. Cette description de la source se retrouve dans l’interprétation symbolique du Christ sur l’eau de vie  ; la fons aquae salientis in uitam aeternam de Jn 4, 14 est largement développée sur quatre vers  : … sed nostri dona liquoris ardorem excludent aeterna in saecla bibendi. Dulcia prouenient nostri cui pocula fontis, largior inde fluet uitalis gratia fluctus. (II, 267-270) «  … mais le don de notre eau éteindra pour l’éternité les ardeurs de la soif. De celui qui recevra la douce coupe de notre source on verra couler généreusement la grâce d’un flot de vie.  »

D’une simple notation géographique, Juvencus fait un décor  ; trans Iordanen (Mt. 4, 25) devient quos et Iordanes dirimit stagnante fluento (I, 451)  ; de monte (Mt. 8, 1) s’allonge en celsi fastigia montis (I, 731) ou en montis cum uertice uestri (II, 283). En quelques mots, à l’occasion d’une parabole ou d’un miracle, Juvencus peint de petits tableaux  ; là où l’Évangéliste ne voit que le geste des apôtres arrachant un épi le jour du sabbat, le poète s’attarde sur le champ de blé mûr attendant la moisson  ; la parabole des vignerons homicides permet l’évocation rapide d’une vigne florissante nitentis uineti (III, 712-713).

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CHAPITRE XI

L’arrivée au Mont des oliviers donne lieu à une description des arbres qui lui donnent son nom  : Proxima tum Solymis conscendit culmina montis, ordinibus lucent quae glaucicomantis oliuae. (III, 622) «  Il gravit alors les crêtes de la montagne toute proche de Jérusalem, que font briller les rangées d’oliviers à la verte chevelure.  »

Il y a quatre grands paysages évoqués dans cette épopée, suivant le texte des Évangiles  : la campagne de Palestine, la mer, le désert, la montagne. Les deux premiers permettent de tirer le texte vers la poésie virgilienne, que ce soit celle des Bucoliques, des Géorgiques ou de l’Énéide selon les passages, en une vision tantôt gratuite, tantôt tournée vers la création du héros épique. Les deux derniers, reprenant des éléments bibliques sont des lieux de méditation religieuse, de rencontre avec Dieu, de présence du sacré. Le texte de Juvencus va mettre en évidence cet aspect du paysage. Lorsque le Christ traverse les campagnes de Palestine, Juvencus ajoute des détails pittoresques aux indications géographiques de Matthieu  : in partes Tyri et Sidonis (Mt. 15, 21) est rendu par pulcherrima rura Syrorum / Sidonemque Tyrumque (III, 176-177)  ; in partes Caesareae Philippi (Mt. 16, 13) par Clara Philippaeo quae pollent nomine, rura (III, 258)  ; in uineam suam (Mt. 20, 2) par Pinguibus in campis late uineta coronant (III, 551)  ; in Galilaeam (Mt. 26, 32) par Grata Galilaeae… per rura (IV, 466). À travers ces riantes campagnes coule le Jourdain, et la Judée rappelle, dans les vers de Juvencus, le nord de l’Italie et les bords du Mincio  : … Galileaeque arua reliquit Iudaeam petit, qua pinguia rura silenter agmine Iordanes uiridis perrumpit amoeno. (III, 459-461) «  … puis il quitte les terres de Galilée et gagne la Judée, là où le Jourdain verdoyant, en un cours plein de charme, traverse silencieusement les grasses campagnes.  »

Indépendamment des épisodes de tempêtes, Juvencus ajoute aussi la vision poétique d’une mer calme et transparente, ajout gratuit parfois  : Inde ubi peruentum liquidi per terga profundi (III, 257) ou symbolique lorsque Pierre demande de l’aide pour marcher sur les eaux apaisées au Christ, maître des éléments  : Fluctibus in liquidis inmersos figere gressus (III, 113). Il lui arrive de gommer la précision des détails géographiques de l’Évangile et de les remplacer par des termes plus vagues. Là où Matthieu situe la rencontre avec les premiers disciples  : iuxta mare Galilaeae (Mt. 4, 18), Juvencus relève l’aspect symbolique d’un décor qui convient aux futurs pêcheurs d’hommes  : Praeteriens uidet ponti per litora (I, 421) en effaçant ce qui est proprement juif. Il le fait également lors du rappel de la prédiction d’Isaïe, étendue largement au-delà des frontières de la Palestine (Mt. 4, 15)  : terra



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Zabulon et terra Nepthalim uia maris trans Iordanen Galilaeae est rendu exactement mais développé par l’ajout de mots dont la plupart ont des consonances poétiques  : Terra Zabulonum et regionis Neptala nomen, et uia trans pelagus longe Galilaea per arua, trans et Iordanen gentes… (I, 413-415)

De même, lors du discours des paraboles, Juvencus transforme l’expression de Matthieu et in illo die exiens Iesus de domo sedebat secus mare (Mt. 13, 1) en une phrase qui fait du cadre géographique de sa prédication un lieu symbolique entre terre et mer  : Progreditur Templo terrarum lumen Iesus et maris extrema terraeque resedit in ora, innumeraeque illuc plebis fluxere cateruae. (II, 734-736) «  Jésus, lumière de la terre, s’avance hors du Temple et va s’établir au bord où finissent la mer et la terre là-bas, en groupes innombrables, afflue le peuple.  »

C’est l’isolement qui définit à la fois les moments cruciaux de la vie du héros et son destin d’exception  ; ces mêmes lieux solitaires, désert ou montagne, sont le cadre dans la Bible de la rencontre avec Dieu. Aussi, la description de ces lieux prend un double sens chez Juvencus. Matthieu emploie l’expression in locum desertum (Mt. 14, 13) pour évoquer le lieu où se retire Jésus lorsqu’il apprend la mort de Jean-Baptiste  ; cela devient chez Juvencus  : Frondosaque latet secretae uallis in umbra (III, 72), avec une insistance sur le retrait hors du monde et loin de la violence des hommes, renforcée par les vers qui précèdent  : Ille cognouit iusti miserabile letum, deserit insonti pollutam sanguine terram. (III, 70-71) «  Celui-ci, lorsqu’il apprend la mort déplorable du juste, abandonne une terre souillée par un sang innocent.  »

L’espace devient symbolique. Lorsque Jésus annonce l’imminence de sa Passion à ses disciples, Matthieu donne deux détails  : ascendens… Hierosolymam et secreto (Mt. 20, 18)  ; Juvencus, lui, oppose le lieu de la révélation à l’écart des hommes (solisque iteris regionibus, III, 585) et le lieu de la mort, ville inhumaine (truculentaque moenia, III, 586). Ce lieu à l’écart peut être aussi un lieu élevé  : … Tum montis celsa petiuit secretusque dehinc genitoris nomen adorat. (III, 95-96) «  … Alors de la montagne il gagne les hauteurs et là, à l’écart, il adore le nom de son Père.  »

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CHAPITRE XI

Ainsi le lieu de la seconde multiplication des pains chez Matthieu (in deserto, Mt. 15, 33) est décrit deux fois chez Juvencus en des termes évoquant l’éloignement et la hauteur  : Praecelsique procul montis consedit in arce (III, 196) et in uertice montis / secreto (III, 204-205). La Transfiguration se situe chez Matthieu in montem excelsum (Mt. 17, 1)  ; Juvencus ajoute les mêmes précisions d’éloignement et de hauteur. La vérité de Dieu apparaît aux apôtres choisis au sommet d’un mont isolé, loin des regards de la foule  : Tum secum iubet abruptum conscendere montem Petrum Zebedeique duos per deuia natos. Inde ubi peruentum secreti montis in arcem… (III, 318-320) «  Il invite alors Pierre et les deux enfants de Zébédée à gravir avec lui une montagne escarpée par des sentiers écartés. Puis, quand ils furent parvenus au sommet d’un mont isolé…  »

Comme on le voit, Juvencus aime à retravailler paysages et descriptions, ce qui fait surgir sous la plume de J. M. Poinsotte des remarques ironiques et acerbes  : «  Juvencus aime et cultive, quand il le peut, l’amplification descriptive. On peut constater ce que deviennent sous son calame, couchers de soleil et petits matins, sans parler de la tempête, si bienvenue, qui secoue le lac de Tibériade. Mais, s’il y va alors gaillardement, c’est qu’il a l’impression de fouler le terrain solide des motifs poétiques passe-partout et de l’imagerie traditionnelle. Le recours à ce registre universel le dispense commodément et, croit-il, honorablement, d’une représentation, même rudimentaire, du réel paysage palestinien. Les touches descriptives qui, ici ou là, dans l’épopée, esquissent un relief ou ébauchent un paysage, interviennent librement, sans être déterminées ou même suggérées par le contexte, et se réfèrent au ‘paysage idéal’ dessiné par la rhétorique, un illustre topos sans doute connu et apprécié de ses lecteurs.  »

Ce jugement méprisant voit dans l’épopée de Juvencus un procédé artificiel pour déjudaïser le message évangélique et lui enlève toute signification symbolique ou catéchétique  : autant reprocher à une nativité ou une fuite en Égypte d’offrir en arrière-plan une campagne italienne ou flamande, la perspective de Sienne ou de Bruges, ou à une présentation au Temple de se dérouler dans le décor réel ou imaginaire d’une ville italienne  ! J. M. Poinsotte semble oublier que le locus amoenus a presque toujours été un lieu rhétorique, donc plus imaginaire que réel. Enfin, le procédé utilisé par le poète est loin de n’être qu’un choix esthétique, pas plus qu’il n’est, comme le défend J. M. Poinsotte, la conséquence d’un antisémitisme virulent  ; Juvencus cherche en réalité, dans un but très pédagogique, à mettre en évidence l’universalité du message évangélique, la prise en compte d’une humanité qui dépasse l’historicité du peuple juif.



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2.  Le cadre temporel Le cadre temporel de l’épopée de Juvencus trouve également son expression dans la poésie antique, soit en une notation ponctuelle par emprunt presque complet d’un vers de Virgile ou par une expression virgilienne qui lui donne toute sa solennité, soit par une organisation générale et symbolique du temps. Comme nous l’avons étudié dans la structure de l’ouvrage, l’aube comme le coucher du soleil rythment les épisodes du récit et donnent lieu à des descriptions poétiques rapides et élégantes, ajoutées au texte évangélique  ; l’aube éclate de lumière  : Fuderat in terras roseum iubar ignicomus sol (III, 1), le soleil descend lentement sur la multiplication des pains  : Iamque sub extremo labentis lumine solis (III, 77). Certaines de ces descriptions semblent gratuites et n’ont, à première vue, pas d’autre sens que de donner le ton solennel de l’épopée à un récit essentiel. Ainsi, le jour qui se lève sur la condamnation de Jésus s’avance en majesté  : Sidera iam luci concedunt et rapidus sol progreditur radiis terras trepidantibus inplens. (IV, 586-587) «  Déjà les étoiles se retirent devant la lumière, le soleil impétueux s’avance et de la vibration de ses rayons emplit les terres.  »

Mais ne s’agit-il là que d’une rivalité d’écriture avec les poètes païens  ? On peut en douter en comparant avec le matin de la résurrection qui se lève sur une lumière exprimée dans des termes très semblables et une structure de vers équivalente  : Sidera iam noctis uenturo cedere soli / Incipiunt (IV, 743). Mais le soleil qui s’avance alors, c’est le messager annonciateur de la résurrection  ; il descend du ciel et sa lumière illumine la terre. Cette ressemblance n’est pas fortuite  ; la lumière du Christ est annoncée avant même la Passion qui participe au salut du monde  ; les ténèbres de Matthieu lors de la mort du Christ sont développées sur plusieurs vers  : Iam medium cursus lucis conscenderat orbem, cum subito ex oculis fugit furuisque tenebris induitur trepidumque diem sol nocte recondit. Ast ubi turbatus nonam transegerat horam consternata suo redierunt lumina mundo. (IV, 687, 691) «  Déjà le soleil était monté jusqu’au médian de sa course lumineuse, quand il disparut soudain à la vue, se revêt de sombres ténèbres et dans la nuit cache le jour tremblant. Mais quand il eut dans ce trouble passé la neuvième heure, l’univers vit lui revenir une lumière d’épouvante.  »

Une précision fournie par les Évangiles synoptiques usque ad horam nonam explique l’ajout des deux derniers vers, cette lumière incomplète qui attend la résurrection. L’univers entier participe à la mort du Christ avec l’emploi de

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CHAPITRE XI

termes de sentiments, trepidum, turbatus, consternata et des verbes d’action marquant le deuil, fugit, recondit, et le Christ dans sa mort se mêle à l’univers dans un vers remplaçant le emisit spiritum de Matthieu par une vision de fusion cosmique  : Aetheriis animam comitem conmiscuit auris (IV, 702). Pour comprendre le sens de cette description, il faut la rapprocher de celle du jour du Fils de l’Homme, qui lui donne un sens et qui justifie le cri du centurion reconnaissant le Christ dans le crucifié qui meurt sous ses yeux. L’univers perd sa propre lumière pour être illuminé par celle du Christ. On retrouve les verbes d’action avec la nature comme sujet et les mêmes ténèbres qui contrastent avec la puissance du Fils de l’Homme. Juvencus met clairement en évidence, par cette description parallèle, ce que l’Évangile sous-entendait, le lien entre les événements de la Passion précédant la résurrection et la venue du Fils de l’homme dans sa gloire. Ce qui pourrait apparaître comme description gratuite et concurrence poétique avec les épopées antiques sert en fait à l’expression d’une théologie, qui est commentaire plus que paraphrase de l’Évangile. La nuit également permet des développements poétiques. Certains, là encore, semblent gratuits comme la superbe description qui ouvre le livre II  ; d’autres scandent le temps des récits ou des paraboles  ; Juvencus s’attarde sur les occasions que lui offre le texte de l’Évangile comme dans la comparaison du livre II en réponse à la demande des Pharisiens réclamant un signe pour croire. Est-ce un hasard si, là aussi, cette description se trouve liée aux signes qui annoncent les temps messianiques  ? À deux reprises encore cette nuit, temporellement bien réelle, revêt aussi une valeur symbolique, lorsque Nicodème se glisse furtivement dans l’ombre pour rencontrer le Christ et lors de l’annonce de la trahison de Pierre  ; dans le premier cas, le nocte de l’Évangile de Jean est renforcé chez Juvencus par un adjectif qui marque également les ténèbres de l’esprit  : Nocte sub obscura (II, 177), dans le second épisode l’expression de Matthieu (Mt. 26, 34) in hac nocte est développée par plusieurs vers  : … Nox haec, quae lucida sidera terris inducit lucemque premens nunc incubat undas, audiet ut trinis pauidus mendacia uerbis dices et Christum, fortissime Petre, negabis. (IV, 470-473) «  … Cette nuit qui conduit sur les terres les étoiles lumineuses, chasse le jour et s’abat maintenant sur les eaux, entendra, quand par peur tu diras à trois reprises des mensonges et renieras le Christ, toi Pierre qui es si courageux.  »

On peut s’interroger sur la gratuité de cet ajout descriptif et n’y voir que volonté de rendre solennelle, selon un procédé cher à l’épopée, la déclaration du Christ  ; mais l’on peut aussi remarquer que c’est l’univers entier avec les quatre éléments qui est pris à témoin de la trahison de Pierre, ce même univers qui témoignera de la victoire du Christ et deviendra le lieu de l’Évangélisation.



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3.  L’humanité au cœur des Christi vitalia gesta L’œuvre de Juvencus comporte souvent de petits ajouts sur la vie quotidienne et les sentiments humains qui à première lecture, pourraient apparaître comme relevant de préoccupations uniquement esthétiques, mais cela semble peu en conformité avec le projet de Juvencus. Peut-être faut-il leur reconnaître un rôle et un sens plus importants que d’être de simples motifs décoratifs. Ne contribuent-ils pas, par leur précision, à une définition de l’humanité sur laquelle le Christ pose un regard compatissant et attentif  ? N’y a-t-il pas une dimension théologique dans la volonté d’ancrer la «  geste  » du Christ dans la condition humaine qu’il assume entièrement jusqu’à la mort  ? On peut retrouver ce souci du détail dans le traitement des grands épisodes de la vie que sont le mariage et les funérailles, où le Christ entre au cœur même de l’intimité humaine. Le récit des noces de Cana par Juvencus insiste sur la joie et la fête, le don du Christ est source de bonheur et sa réponse à Marie précise le sens symbolique de ce don, sous-entendu dans l’Évangile. Lorsque ces noces sont explicitement symboliques, elles présentent le même aspect joyeux  : l’expression de Mt. 9, 15 quamdiu cum illis est sponsus est transformée en un vers rythmé par la danse des invités à la noce (II, 366)  : Qui sponsi laetis comitantur uota choreis, «  Ceux qui accompagnent de leurs danses joyeuses les noces de l’époux…  » On trouve la même insistance dans la parabole du festin des noces, où des termes de joie et d’abondance sont ajoutés presque à tous les vers conuiuia laeta (III, 738), largissima cuncta (III, 742), magnificasque dapes, conuiuia laeta parasse (III, 743), neglectis opibus (III, 744) ad laeta uocarent (III, 747), praelargis opibus (III, 753), laetis nati thalamis (III, 757), conuiuia laeta (III, 762), laetitiis thalami (III, 764). Juvencus met aussi en avant les différents aspects de la royauté, autorité, magnificence, pouvoir  ; les mots de la famille de rex sont nombreux  : rex (III, 736), regalis honorem (III, 739), regales thalamos, regalis pocula mensae (III, 740), rex (III, 749, 762, 768), regalis sermone (III, 765). À l’opulence du banquet succèdent la puissance militaire et la vengeance du roi qui développent le verset de l’évangile. D’autres ajouts précisent l’aspect psychologique de la scène  ; derrière les choix des invités apparaissent leurs défauts, égoïsme, cupidité, indifférence  : Illi neglectis opibus diuersa petebant. Hic aedes proprias, hic ruris tecta propinqui ast alius merces potius ac lucra reuisit. (III, 744-746) «  Mais eux, négligeant ces richesses, prennent des directions opposées, l’un va voir sa maison, un autre les bâtiments d’une terre voisine, un autre encore préfère passer en revue ses marchandises et ses profits.  »

Enfin les vêtements du convive rejeté trahissent la souillure de son âme et quatre vers insistent sur ce lien entre extérieur et intérieur.

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La parabole des vierges sages et des vierges folles montre le cortège qui accompagne l’époux  ; on retrouve le même ajout de précisions psychologiques, sapientior, praestupido, stolidissima corde (IV, 198-199), et surtout une insistance sur des détails de la scène, par exemple l’appel à participer au cortège  : là où Matthieu écrit  : media autem nocte clamor factus est ecce sponsus uenit exite obuiam ei (Mt. 25, 6), Juvencus développe en trois vers un spectacle de liesse et d’excitation  : Iam noctis medio clamor crebrescere magnus exoritur, laetoque dehinc occurrere uoto admonuit taedisque uias ornare coruscis. (IV, 206-208) «  C’est déjà le milieu de la nuit quand un grand cri commence à monter et les invite à courir au devant du joyeux cortège et à décorer les rues de leurs torches étincelantes.  »

Mais c’est surtout les détails sur les lampes et l’huile qui sont soigneusement précisés  : ornatu adcinctae taedarum flammicomantum (IV, 201), lumina flammae (IV, 202), taedisque… coruscis (IV, 209) ainsi que les gestes des jeunes filles  : Surgere uirginibus properatum, et lumina taedis instruere et flammas pingui conponere oliuo. (IV, 210-211) «  Les vierges se lèvent en grande hâte, font de la lumière avec leurs torches et en nourrissant les flammes d’huile grasse.  »

S’ajoute à ses détails la volonté de uariatio sur le mot «  huile  »  : oliuum (IV, 203), pingui… oliuo (IV, 211), olei… partem (IV, 212), clarae nutrimina pinguia flammae (IV, 215), liquidum… oliuum (IV, 217). Un des domaines où la volonté et la capacité de précision de Juvencus se remarque particulièrement est celui de la médecine. Comme le souligne R.  Green  : «  But in one such area, medicine, it is notable that Juvencus paraphrases with considerable care, not skimming over or referring vaguely to the various diseases mentioned, but seeking to match the particularity of detail in the gospels, and using technical termes and amplification where he judges it appropriate. In 1.440-7 he is careful to include every disease mentioned in Matt. 4: 23-4; as in 2.77 the healing of the paralyticus (the word is unmetrical) receives a non-technical periphrasis. In 2.384-6 the woman’s flux and its effects are described in detail, as is its healing ten lines later; so too the ‘fever’ in 2.330-1 and the affliction of the ‘dumb demoniac’ at 2.417-18. In 3.359 the technical word lunaticus of the Bible versions is explained by etymology in the line et cursus lunae natum mihi daemonis arte torquet.  »

À plusieurs reprises également sont décrites ou évoquées des scènes de funérailles. Dans l’épisode de la fille de Jaïre, les trompettes et le tumulte de la foule, qui accentuent l’étrangeté de la parole du Christ (non est enim puella



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mortua sed dormit, Mt. 9, 24) et justifient les moqueries des assistants, se déploient sur trois vers en un cortège solennel que précise l’exclamation virgilienne funus miserabile (II, 380)  ; Juvencus développe avec insistance, en un chiasme qui s’étend sur plusieurs vers, l’opposition entre les paroles du Christ et la pensée de la foule que Matthieu exprimait seulement par deridebant eum  : Namque puella iacet placido demersa sopore, defunctam retur flentum quam nescia plebes. Talia dicentem ridentum turba reliquit, quod morte abreptam dixit dormire puellam. (II, 401-404) «  Car l’enfant qui est couchée là est plongée dans un paisible sommeil tandis que la foule de ceux qui la pleurent, dans son ignorance, la croit morte. La foule le laissa, tout en se moquant de celui qui tenait de tels propos  : car de la jeune fille que la mort avait emportée, il avait dit qu’elle dormait.  »

Mais la répétition et la variatio ne sont pas ici effets de style, ni même seulement un appel au pathétique. Le titre ajouté au nom du Christ au vers suivant leti uictor uitaeque repertor, s’il a la consonance solennelle d’un vers de Virgile révèle tout le sens théologique du passage. Le miracle dévoile la nature divine du Christ et sa puissance égale à celle de Dieu, puisqu’elle est celle du Créateur qui seul peut avoir la maîtrise de la vie et de la mort sur ses créatures. Le Christ renverse l’ordre du monde, celui que les hommes croient connaître et ce miracle préfigure la résurrection des morts. Assumer l’humanité, c’est aussi, au-delà de la sensibilité et des sentiments, prendre en compte le rapport des hommes avec le divin, leur conception du cosmos, l’expression philosophique ou littéraire de la vie, de la mort et du sacré. Sur les éléments que Juvencus emprunte à la poésie épique antique, J. Fontaine écrit avec une grande pertinence  : «  À doses soigneusement mesurées, le pittoresque et le pathétique, ces deux valeurs fondamentales de l’esthétique hellénistique, viennent jeter sur les récits évangéliques quelques lueurs familières aux lecteurs des grands poèmes romains. La dimension cosmique du divin est sans doute l’apport le plus profond de l’épopée virgilienne à cet Évangile selon Juvencus. Elle peut s’autoriser des manifestations fulgurantes de Yahvé Dieu céleste, mais aussi des miracles où l’on voit Jésus dominer les forces déchaînées du vent et des flots. Ce caractère cosmique des manifestations divines est notable dans la peinture des anges, ces nuntii en qui la tradition biblique conflue avec celle des messagers célestes de l’épopée  : ‘Il dit ces mots et se mêla aux brises impalpables.’ L’ange apparu à Zacharie disparaît comme l’Eurydice des Géorgiques et le Mercure du quatrième chant de l’Énéide. Ce dernier rapprochement est d’autant plus opportun, en l’occurrence, que de part et d’autre, il s’agit de porter une monition divine à un homme élu par la divinité, en un moment où il se montre incrédule ou infidèle envers elle.  »

Plusieurs passages sont caractéristiques de ces emprunts. La résurrection de Lazare fournit une scène très pathétique où se multiplient les termes de douleur,

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CHAPITRE XI

de pleurs et de tristesse, mais il est surtout frappant de voir comment se mêlent une expression poétique et philosophique païenne et le dogme chrétien de la résurrection des morts. La mort est exprimée en termes platoniciens comme l’envol de l’âme loin de la prison du corps  : Membra forent animae uolucris spoliata calore (IV, 371) et le retour à la vie de Lazare comme un mouvement en sens inverse  : Lazare, sopitis redeuntem suscipe membris en animam tuque ipse foras te prome sepulchro. (IV, 392-393)

On est loin de la sobriété de l’Évangile de Jean qui utilise uniquement l’expression mortuus est et de l’ordre de Jésus uoce magna clamauit Lazare ueni foras (Jn. 11, 43). Pourtant, dans la demande que fait précédemment le Christ à Marthe, Juvencus rend très exactement le credo chrétien sur la vie éternelle  : Et ego sum clarae uobis reparatio uitae. In me qui credit, mortem deponere sumptam et uitam poterit iugi conponere saeclo. At quicumque fidem uiuo sub pectore sumet, horrida non umquam continget limina mortis. (IV, 349-353) «  Voici que je suis pour vous le rétablissement de la vie lumineuse. Celui qui croit en moi, pourra déposer la mort qu’il a subie et acquérir la vie pour une durée sans fin. Quiconque aura en son cœur une foi vivante jamais ne touchera le seuil terrifiant de la mort.  »

De même, dans la malédiction lancée contre Judas, l’expression de la naissance évoque la montée platonicienne des âmes vers le monde terrestre  : … quanto felicior esset, si numquam terris tetigisset lumina uitae. (IV, 441-442) «  … comme il aurait été plus heureux, s’il n’avait jamais sur la terre abordé aux lumières de la vie.  »

C’est encore dans des termes qui retrouvent la vision cosmique de la préface que le livre IV annonce le commencement des douleurs en ajoutant l’image d’une terre, «  solidement fixée dans le vide par son poids.  » Et, dans la description de l’Apocalypse, la lumière et le mouvement du monde sont perturbés pour proclamer la grandeur du Fils de l’Homme mais avec des précisions qui donnent au texte de l’Évangile de Matthieu (Mt. 24, 29-30) l’allure des moments solennels de l’épopée  : Vsque sub occiduum caeli uergentis in orbem (IV, 146), Abscondet furuis rutilos umbris radios sol (IV, 149), Ignicomaeque ruent stellae… (IV, 151). L’utilisation de la poésie antique dans l’épopée de Juvencus va au-delà de la complicité d’un auteur et de lecteurs qui partagent une même culture. L’expression épique devient, ou redevient, langage sacré, capable de transmettre le message divin qui lui redonne la dignité que ne peuvent garder les «  mensonges  »



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païens  ; mais l’épopée reste aussi un langage humain capable de situer ce message au cœur du monde, de l’ancrer solidement dans une réalité quotidienne et intellectuelle et de souligner son universalité comme l’avait si justement pressenti Y. M. Duval quand il écrivait  : «  Juvencus mériterait aujourd’hui une réhabilitation. Non pas pour devenir un grand poète, non pas même pour avoir compris l’esprit des Évangiles, mais pour avoir su le mettre malgré tout à la portée de son public, l’avoir lu et rendu en homme du IVe siècle, dans un style qui était celui que ses contemporains croyaient convenir tant à la parole qu’aux actions divines, dans une mise en scène qui «  acclimate  » les événements bibliques et les fait se dérouler en Occident – l’Italie de Virgile – beaucoup plus que dans l’«  Orient lointain  ». Cette acculturation, cette «  mise à jour  » avaient pour but de réduire l’écart entre deux cultures et de montrer toute la noblesse que pouvait prendre, sous un vêtement romain, cette doctrine venue d’un pays honni. Le Christ n’était plus un Juif, ni même un Oriental ou un graeculus  ; il avait souvent le port, la gravité, le courage, la piété d’Énée. Il serait antihistorique de parler de travesti ou de masque. Juvencus essayait, avec un grand sens pédagogique, de s’adapter à ses lecteurs et de proclamer en son temps l’universalité du message chrétien. Du seul point de vue littéraire même, c’est plus qu’un essai curieux  ; c’est une réussite.  »

Chapitre XII

Un évangile romain 1.  Construction d’un univers mental romain  : l’exemple des adversaires du Christ, symboles du mal opposé au héros Les adversaires du Christ sont souvent privés par Juvencus des détails historiques qui leur confèrent une réalité  ; ils deviennent des types caractéristiques du mal, qui trouvent leur cohérence dans leur aspect symbolique  ; et pour cela, Juvencus a recours à un mode de pensée qui fait appel à la philosophie gréco-latine et qui trouve ses moyens d’expression au théâtre ou dans l’épopée 1. On trouve dans le genre épique des situations types, des schémas simplificateurs qui passent des hommes mauvais au mal dans une logique d’affrontement entre bien et mal. Ainsi chez Juvencus on observe très nettement ce lien entre des personnages devenus figures symboliques et illustrations d’idées morales issues d’un univers mental romain plutôt qu’évangélique. 1.1.  Tyrannus  : Hérode, le modèle du tyran Par ordre chronologique, le premier des adversaires du Christ est le roi Hérode le Grand qui dans le récit de l’enfance de Matthieu, provoque par ses persécutions la fuite en Égypte de la Sainte Famille. Dans l’ouvrage de Juvencus, cet Hérode est confondu avec son fils, Hérode Antipas, tétrarque de la Galilée, responsable de la mort de Jean-Baptiste. Les différentes mentions de la mort d’Hérode le Grand et de sa succession sont supprimées du récit 2 et les deux passages du massacre des Innocents et de la danse de Salomé débutent par une présentation en termes parallèles des deux Hérodes  : rex… cruentus (I, 1) 3  ;   Bureau (1997), p. 71 fait une analyse semblable à propos de l’Historia apostolica d’Arator  : «  Ainsi se dégage le premier aspect de la peinture des opposants dans le poème  : ils incarnent des types humains indépendants des conditions historiques qui sont les leurs dans l’original. Plus que des personnes, ce sont des moyens d’exposer un sens particulier du mal, ce qui aboutit à appauvrir considérablement la psychologie des personnages au profit de leur symbolique.  » 2   Mt. 2, 15  : «  Et il y resta jusqu’à la mort d’Hérode  »  ; Mt. 2, 19  : «  Hérode une fois mort…  »  ; Mt. 2, 22  : «  Mais apprenant qu’Archelaüs régnait en Judée à la place d’Hérode son Père…  » 3   Stat., Th. 8, 28  ; 12, 184, 680  : regemque cruentem. 1

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regem… superbum (III, 33), alors même que Hérode Antipas n’est pas roi. J. M. Poinsotte donne une explication fort pertinente à cet effacement volontaire de la chronologie  : «  A-t-il jugé plus pratique, comme ‘traducteur’, d’effacer la personne d’Hérode Antipas, d’attribuer les exploits criminels du père et du fils à un seul ‘Hérode’  ? Plus efficace, comme ‘docteur’, de préférer le symbole à l’exactitude historique, en faisant d’‘Hérode’ un type  ? L’Injuste face au Juste, le criminel à l’innocent, voire – l’image de Constantin se profilant toujours derrière celle du Christ – le mauvais roi face au bon empereur  : grâce à cette réduction à l’unité, incontestablement, l’opposition entre le Bien et le Mal personnifiés saura s’imposer avec plus de force 4.  »

Alors que les deux récits sont dans l’Évangile d’une grande sobriété, Juvencus multiplie les ajouts d’adjectifs 5 qui présentent Hérode comme la figure même du tyran Herodes cruentus (I, 1), saevumque… tyrannum (I, 252), ferus (I, 257) 6. Le premier épisode introduit des caractéristiques du tyran tels qu’on peut les voir dans le portrait de Tarquin le Superbe par Tite-Live, de Tibère par Tacite (Ann. 6, 6), ou de Denys par Cicéron (Tusc. 5, 57-63)  : suspicion généralisée et démesurée que Juvencus exprime en traduisant le turbatus de l’Évangile qui s’appliquait à Hérode et son entourage par un territus qui ne concerne que le roi  ; colère sans cause  : là où Matthieu voit une réaction à l’attitude des mages 7, dans le poème, Hérode se trompe d’abord tout seul (credit, I, 257), soupçonnant qu’on en veut à son trône. Ce n’est que dans le vers suivant que l’éloignement des mages vient confirmer son soupçon 8. Le massacre, Horribilem caedem (I, 260), qui s’en suit, conséquence d’un esprit perpétuellement sur ses gardes et prêt à toutes les cruautés pour se maintenir au pouvoir, transgresse les lois divines et humaines. Les trois vers qui le décrivent insistent sur l’hor-

4   Poinsotte (1979), p. 206. L’analyse du personnage d’Hérode est précise et détaillée mais la conséquence qu’en tire l’auteur pour rattacher ces passages à sa thèse générale et faire d’Hérode chez Juvencus un modèle de furor judaïcus, alors qu’il n’est qu’à moitié juif, paraît exagérée. 5   Green (2006), p. 42 souligne le rôle des adjectifs chez Juvencus  : «  They not only emphasize elements of the narrative or teaching but also serve as a major source of the intense unity or moral and emotional focus in the four books, importing what Herzog has called Erbaulichkeit or edification, and Kirsch Psychologisierung. Seen in rhetorical terms, they guide and intensify the emotions and rections of the reader, while by presenting strongly delineated events, objects and characters they act as an incentive to meditation.  » 6   La postérité l’a suivi dans cette présentation  : Proba 381 (Vt primum cessit furor)  ; Prud., Ditt. 113 (impius… hostis), P. Nol., Carm. 25, 131 (Herodes regali ueste superbus)  ; Carm. 25, 132 (sacrilegis demens flatibus). 7   Mt. 2,16  : «  Quand Hérode vit qu’il avait été joué par les mages, il fut pris d’une violente fureur…  » 8   Juvc. I, 259: Quorum praecauto discessu sollicitatus.

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reur, la violence surgissant dans une réalité quotidienne, le sang et l’innocence des victimes  : Infantes cunctos teneramque sub ubere plebem auellit ferro nullo sub crimine culpae. (I, 261-262) «  Par l’épée il arrache à leurs mères, la tendre foule des nourrissons à qui on ne peut rien reprocher.  »

Les deux vers qui décrivent Hérode, son forfait accompli, sont également caractéristiques  : ils expriment toute la satisfaction d’une folie sanguinaire apaisée par le meurtre, d’un entraînement bestial et sans frein, d’une possession par la colère et la violence qui est aussi dépossession du raisonnement. Aussi sa fureur assoupie, ses désirs criminels rassasiés, Hérode se trompe sur les conséquences de son acte  : Ast ubi sopitus furor est et saeva tyranni infantum horribili feritas satiata cruore, extinxisse putat cunctos, quos unus et alter annus letiferi miseros obpresserat aevi. (I, 267-270) «  Mais, quand sa fureur s’est assoupie et que la férocité impitoyable du tyran s’est rassasiée horriblement du sang des bébés, il croit qu’il a éliminé tous ceux que la première et la seconde année dignes de pitié d’une vie promise à la mort avaient écrasés.  »

Son comportement correspond au portrait de l’homme tyrannique que Platon trace dans le livre IX de la République  : abandon de l’esprit à ses instincts bestiaux et sauvages à qui la puissance de la royauté laisse le champ libre, dérèglement que ni la raison ni les lois ne peuvent plus contrôler 9. Le deuxième épisode ajoute à ce portrait de tyran obsédé par les complots, soupçonneux et sanguinaire, angoissé et solitaire dans l’exercice d’un pouvoir injuste 10, l’image du débauché dont les appétits sans frein, débarrassés de toute pudeur et raison, se réalisent dans un environnement de luxe, de désordre et de volupté, dans une vie d’oisiveté propice à tous les excès 11.   Plat., Rep. IX, 571b (trad. É. Chambry)  : «  Parmi les plaisirs et les désirs qui ne sont pas nécessaires, il en a qui me paraissent déréglés. Il semble bien qu’ils sont innés dans tous les hommes, mais réprimés par les lois et les désirs meilleurs, ils peuvent avec l’aide de la raison être entièrement extirpés chez quelques hommes ou rester amoindris en nombre et en force, tandis que chez les autres, ils subsistent plus nombreux et plus forts.  » 10   Cet aspect apparaît aussi dans le début de ce deuxième épisode, lorsque Hérode prend ombrage de la puissance du Christ (III, 33-34)  : Interea ad regem uolitabat fama superbum, quod mala cuncta illi uirtus diuina domaret, «  Cependant jusqu’au roi orgueilleux le bruit volait que la puissance divine de Jésus pouvait venir à bout de tous les maux.  » 11   Là encore on trouve ces caractéristiques dans la description du tyran par Plat., Rep. IX, 573a-b  : «  Quand donc les autres désirs, bourdonnant autour de l’amour, parmi 9

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Cette folie étrangère prend l’apparence du démon, conséquence d’une intempérance qui prépare l’âme à l’accueil du mal  : … damnis accensa malorum tunc petit Herodem pestis saeuissima regem et facile iniusti penetrans habitacula cordis adcumulare feris subigit scelera impia gestis. (III, 40-42) «  … comme une impitoyable peste enflammée par les ravages des maux qu’elle suscite, il attaque alors le roi Hérode, et, pénétrant facilement dans la demeure de son cœur injuste, le pousse à ajouter à la férocité de ses actions l’impiété d’un crime.  »

On retrouve alors la liste des crimes que Platon et, à sa suite les stoïciens, attribuent à l’homme tyrannique qui «  de parties de plaisirs, festins, courtisanes et débauches de toute sorte 12  » en arrive à tous les excès  : inceste, meurtre, souillure, folie, impudeur 13. L’âme du tyran est esclave de ses passions et toutes les passions se tiennent comme se tiennent toutes les vertus 14. Celui qui s’abandonne à la colère est aussi incapable de maîtriser les événements, lâche et jouisseur. Face à ce roi qui a perdu tout contrôle sur ses passions (accensus) jusqu’à l’inceste avec sa belle-sœur (in thalamo fratris) et n’est plus retenu ni par les lois humaines ni par les lois divines (nescia recti, nefandis conubiis), Jean le Juste et le Sage représente le seul obstacle à des désirs criminels  : Arserat inlicito Herodes accensus amore in thalamo fratris, casto quod jure uetabat doctus Iohannes. Feritas sed nescia recti subiecit leges pedibus fruiturque nefandis conubiis ipsumque super, qui praua uetabat carceris inmersum tenebris uinclisque grauauit. (III, 43-47) «  Hérode, enflammé par un amour interdit, s’était ardemment épris de l’épouse de son frère, ce que Jean, l’ayant appris, lui interdisait au nom des droits de la chasteté. Mais la sauvagerie qui ignore la droiture les nuages d’encens, les parfums, les couronnes de fleurs, les vins et tous les plaisirs dissolus propres à ces sortes de sociétés, le nourrissent et le font croître jusqu’au dernier terme, et qu’ils réussissent à implanter l’aiguillon du désir en ce frelon, alors on voit ce beau chef de l’âme, escorté par la folie, se démener comme un frénétique, et s’il trouve en lui des opinions ou des désirs réputés pour sages et gardant un reste de pudeur, il les tue et les jette hors de chez lui, jusqu’à ce qu’il ait purgé son âme de toute tempérance et l’ait remplie d’une folie étrangère.  » 12   Plat., Rep. IX, 573d. 13   Plat., Rep. IX, 571d. 14   Si l’on cherche dans l’épopée virgilienne l’image d’un tyran pouvant fournir un vocabulaire adapté à ces ajouts poétiques, on peut évoquer le roi Mézence dominant l’Étrurie (Verg., Aen. VIII, 481-482)  : Hanc multos florentem annos rex deinde superbo / Imperio et saeuis tenuit Mezentius armis.

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foula aux pieds les lois, jouit d’une union sacrilège et plongea de plus dans les ténèbres d’une prison celui-là même qui lui interdisait le mal et le chargea de chaînes.  »

Le refus de toute limite qui accompagne la corruption des mœurs et l’abandon aux passions les plus viles est la marque d’un homme ou d’une société qui croule sous son propre péché 15, et ce n’est pas sans raison qu’un ajout de Juvencus présente Jean opposé à l’œuvre du démon dans le monde et capable, en précurseur du Christ, de régénérer l’humanité  : Erroris labem puris quod solueret undis iustus Iohannes. (III, 37-38) «  [le démon découvrant] que Jean le Juste lavait dans les eaux pures la souillure de l’erreur  »

Deux vers partagés entre Jean et le mal montrent cette opposition dualiste qui aboutit à la scène théâtrale où l’emporte la séduction du péché 16. Le décor de la scène finale, participe à l’impression générale de luxe et de débauche  : Natali sed forte die cum laeta tyrannus Herodes celsis strueret conuiuia mensis, luxuriae quoniam coniucta superbia gaudet… (III, 52-54) «  Mais, un jour où pour son anniversaire le tyran Hérode avait fait préparer un festin plantureux dans les hautes salles de son palais, car l’orgueil se réjouit de s’unir à une débauche de luxe…  »

Et plusieurs vers décrivent la danse lascive de la jeune Salomé 17 face à un Hérode présenté comme un faible et un lâche 18, qui ne maîtrise plus la situation mais la   Il y a dans ce passage une conception très romaine, ou en tout cas gréco-romaine, du tyran tel qu’il est envisagé à la fin de la république, avec un vocabulaire conventionnel qui sous-tend une vision de la dégradation des mœurs et de la corruption sociale et politique. On peut penser par exemple aux passages de la Conjuration de Catilina marquant le pourrissement d’une société sous sa propre abondance  : cf. Sall., C.  12, 2  : Igitur ex diuitiis iuuuentutem luxuria atque auaritia cum superbia inuasere; rapere, consumere, sua parui pendere, aliena cupere, pudorem, pudicitiam, diuina atque humana promiscua, nihil pensi neque moderati habere, Cf. aussi C.  12, 5  : Proinde quasi iniuriam facere, id demum esset imperio uti. 16   III, 39  : Iustus Iohannes, damnis accensa malorum  ; III, 45  : Doctus Iohannes. Feritas sed nescia recti. 17   III, 55-57  : In medio iuuenum reginae filia uirgo, / alternos laterum celerans sinuamine motus. / Conpositas cantu iungit modulante choreas, «  Au milieu des jeunes gens la fille vierge de la reine, remuant ses flancs en mouvements rythmés et sinueux, unit aux modulations du chant des danses étudiées.  » 18   Hérode est retenu dans ses envies d’éliminer l’obstacle que représente Jean seulement par sa crainte, celle du peuple d’abord, puis celles des puissants, témoins de la scène finale (III, 49-51)  : Sanguine nam justi primo conpressa timore / abstinuit sitiens 15

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subit (imperat aegre, III, 65). Car la caractéristique majeure du personnage est un effacement progressif de sa personnalité au profit des vices qui le dominent. Le tyran, sous sa forme philosophique ou tragique est très exactement la représentation du Mal selon le paganisme, un mal qui est dépossession de soi, perte de contrôle 19  ; ici, il est, comme tous les adversaires du Christ possédé par le Démon, qu’il représente dans un de ses aspects de lutte contre le Juste 20. 1.2.  Polluta generatio  : le peuple juif Juvencus dans sa traduction en vers reste très fidèle à la position que donne au peuple juif l’Évangile de Matthieu. Selon les procédés propres à la poésie épique, il va, cependant, en particulier au moyen d’adjectifs expliciter les sentiments et les motivations de la foule ou des «  grands  », terme qu’il emploie fréquemment pour désigner les pharisiens, les scribes ou les prêtres de haut rang. Ces ajouts permettent de distinguer quelques thèmes dominants souvent repris en mots identiques qui caractérisent les Juifs. Il s’agit d’abord symboliquement de la notion de souillure  ; liée à tous les interdits de la loi ancienne, elle apparaît naturellement dans les questions des juifs lorsqu’ils désirent piéger le Christ. Mais au-delà de cette présence dans les Évangiles, la race juive va être souvent qualifiée par des termes exprimant cette souillure comme un état permanent en opposition avec la pureté sacrée du Christ. Ainsi dans le passage des vendeurs du temple, là où le texte de Jean dit «  Détruisez ce temple et, dans l’intervalle de trois jours je le relèverai  », Juvencus écrit  : Soluite pollutis manibus uenerabile templum; hoc, ego restituam, cum tertia lumina solis incipient rutilam terris infundere lucem. (II, 166-168) «  Détruisez de vos mains souillées le Temple sacré je le relèverai, lorsque la troisième apparition du soleil commencera à inonder les terres de son étincelante lumière.  » feritas, quia magna profetam / plebis Iohannem ueneratio suscipiebat, «  Retenue d’abord par la crainte, sa sauvagerie, malgré sa soif, s’abstint du sang du Juste, car la grande vénération du peuple qui tenait Jean pour un prophète le protégeait.  »  ; Praesentum Herodes procerum sub pondere tristis (III, 64), «  Hérode, affligé à cause de l’importance des grands qui sont là…  » 19   Ce lien avec la pensée tragique est souligné par Charlet (1982), p. 116, autour des thèmes du furor et de l’égarement. 20   De façon parallèle, le mot «  juste  » associé à Jésus est aussi utilisé dans la dédicace du poème pour les œuvres de Constantin, mêlant ainsi le plan théologique et le panégyrique. Sur ce point, cf. Flieger (1993), p. 118-199  : «  Wir werden das unter ‘Theologisierung’ verbuchen. Zugleich mag man darin ein hymnisches Element des Werkes sehen. Im Epilog spricht Iuvencus von den iusta acta Konstantins (4, 810). Hier begegnen sich Theologisierung und hymnische sowie panegyrische Muster.  »

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Dans l’éclatante lumière de la résurrection, autre image qui trouvera un parallélisme dans l’aveuglement du peuple juif, la tache caractéristique est soulignée par l’ajout des deux adjectifs opposés pollutis et uenerabile. On trouve les mêmes associations et oppositions dans la réponse aux scribes demandant des signes pour croire  : Ille dehinc: “Polluta malis generatio quaerit Signa sibi…” (II, 695-696) «  Et lui alors  : ‘Une génération souillée par sa malfaisance exige pour elle des signes…’  »

Cette traduction de la «  génération mauvaise et adultère  » de l’Évangile de Matthieu substitue au sens biblique de l’expression qui désigne la génération contemporaine du Messie, infidèle à son Dieu, l’impureté opposée une nouvelle fois à la lumière  : Contemnitque feris animis gens impia lucem. (II, 706) «  Et votre engeance impie par une sauvagerie de cœur méprise la lumière.  » Et tamen obtunsae caecantur pectora plebis. (II, 712) «  Et pourtant le cœur endurci du peuple demeure aveugle.  »

Mais l’adjectif impia et l’apposition terrarum lumen 21, ajout pour qualifier Jésus dans l’épisode qui suit, montrent clairement la compréhension qu’a Juvencus du sens messianique de la réponse du Christ. Dans un même contexte de questions qui révèlent la perplexité des juifs devant les miracles de Jésus et leur désir de savoir s’il peut être le Messie annoncé, Juvencus transforme la demande de Jésus (Baptismus Ioannis unde erat, Mt. 21, 25) en deux vers, qui explicitent le rôle de Jean et en font le précurseur du Christ libérant par le baptême de son sang le monde de la souillure du péché  : Nuper Iohannes, puro qui gurgite lauit sordentis populi maculas 22, diuina potestas an hominis potius uobis fallacia uisa est? (III, 680-681) «  Récemment quand Jean dans l’eau pure a lavé les taches d’une multitude souillée, cela vous a-t-il paru pouvoir divin ou plutôt tromperie d’un homme  ?  »

À trois reprises encore les pharisiens seront qualifiés d’adjectifs comportant la notion de souillure, absente dans le texte initial  : IV, 55 maculas ipsorum ­temnite uitae, «  méprisez les taches de leur vie  »  ; IV, 77 et IV, 510 maculata   Juvc. II, 733.   Sil., XI, 200  : maculatas crimine mentes  ; Sédul., Carm. V, 11-12  : donec ab eis haec macula illius aqua spiritaliter abluatur, / cuius in eis cruor lethaliter dominatur aspersus. 21 22

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factio, «  une faction souillée  »  ; et, surtout IV, 77, où l’obscurité est associée à l’hypocrisie  : Atque aditis mentis celantur sordida corda, «  Mais dans les profondeurs de votre esprit se cache un cœur souillé  ». On pourrait y voir, comme J. M. Poinsotte, une insistance sur la souillure ineffaçable d’un peuple déicide 23 mais, dans le tableau du Jugement dernier, où il ne s’agit plus des juifs mais de tous les peuples, précision qu’un vers ajouté de Juvencus ne nous laisse pas ignorer 24, la même qualification sépare les justes et les mauvais (IV, 262-263)  : … iustosque omnes labe malorum / Secernet…, «  Il séparera tous les justes de la souillure des méchants 25. Il n’en est pas moins vrai que le peuple des juifs est présenté comme un peuple infidèle, incapable de reconnaître son Messie, aveugle car enchaîné à une Loi qui en réalité le détourne du salut, à l’image du pharisien Nicodème. 1.3. Caecus   : le pharisien Nicodème La souillure du péché, c’est aussi ce qui aveugle l’homme et l’oblige à fuir la lumière du Christ  ; le qualificatif d’aveugle revient donc à plusieurs reprises pour définir les adversaires du Christ et en particulier les Pharisiens, si sûrs de détenir la vérité  : II, 169 murmure caeco  ; II, 606 Caeca Pharisaeae… factio gentis  ; IV, 70 Caeca Pharisaeae cunctis fallacia plebis. Mais s’il y a de nombreuses occurrences du terme caecus pour qualifier les pharisiens et les «  grands  », c’est l’entretien avec Nicodème qui met le plus en évidence cette caractéristique des ignorants qui se croient savants et que leur orgueil plonge dans les ténèbres 26  ; les quatre vers de la réponse du Christ, qui s’étonne de l’incompréhension de son interlocuteur, développent la phrase de Jean (3, 1)  : Tu es magister in Israel et haec ignoras, avec une insistance sur l’aspect volontaire de cet aveuglement  : Talia tum Christus: “Solymorum magne magister, tune etiam mentem uitae de lumine raptam  Cf. Poinsotte (1979), p. 146-147  : «  La mort du Christ va donc marquer Israël d’une tache, maculata. La distinction entre le pur et l’impur étant l’un des éléments fondamentaux de la religion, la Bible et Rome conçoivent également la faute comme une souillure et son expiation comme une purification Mais (…) cette tache sanglante n’a aucune commune mesure avec les autres souillures déjà reprochées aux juifs dans le poème.  » 24   IV, 261  : Tum gentes cunctae diuersis partibus orbis…, «  Alors, tous les peuples de tous les coins de la terre…  » 25   Dans l’épisode du baptême de Jean, le mot maculas est utilisé mais il est précisé que cette purification concerne tout le monde (omnes) (I, 310-313)  : Ad deponendas maculas clamore uocabat, / fluminis ut liquidi caperent miranda lauacra / quis animae uirtus abluta sorde niteret, «  [Jean]… appelait chacun à se débarrasser de ses souillures en lui criant de plonger dans le bain prodigieux des eaux pures du fleuve, qui laverait l’âme de sa saleté et en ferait briller la vertu.  » 26   II, 177, 179, 181, 183, 188, 189, 204. 23

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demergis praeceps furuis, miserande, tenebris nec potes obtuso conprendere talia sensu?” (II, 205-208) «  Alors le Christ lui dit ceci  : Toi qui es un grand maître à Jérusalem, toi aussi éloignes-tu ton esprit de la lumière de la vie pour le plonger tout droit, malheureux, dans les épaisses ténèbres  ? Ton intelligence émoussée 27 ne peut-elle comprendre de telles réalités  ?  »

1.4. Demens   : la foule des juifs À cet état permanent d’aveuglement, va succéder au moment de la Passion un état de crise qui associe deux registres, celui de la fureur et celui de l’aveuglement, d’abord dans le passage du livre III où le Christ annonce sa mort prochaine et rappelle celle de Jean-Baptiste (III, 350-1)  : Ignotum ueluti rabies quem caeca furoris, puis, lors de l’arrestation du Christ, lorsque le grand prêtre l’accuse de blasphème (IV, 561)  : Exsultans furiis et caeco corde sacerdos. Il semble qu’on puisse voir ici une progression d’un état à l’autre selon la distinction que fait Cicéron dans les Tusculanes 28 entre insania 29, état permanent ou au moins durable, et l’accès paroxystique de folie furieuse, furor. D’abord fermeture des sens et du cœur à la vérité, hébétude spirituelle, l’aveuglement devient rage incontrôlée, tanto furori (IV, 545), frendens furiis (IV, 550) 30. J. M. Poinsotte décrit très précisément les deux aspects d’un même trait de caractère  : «  N’est-ce pas un endurcissement à la fois congénital et volontairement assumé, un emportement irrésistible mais aussi savamment contrôlé et, si besoin est, dissimulé, n’est-ce pas la plus lucide des inconsciences  ? Cette mystérieuse ‘folie’ se manifeste de deux manières  : elle est dénégation, obstruction, crispation  ; elle est aussi action, ardeur, agressivité 31.  »

Cet aveuglement est aussi la marque d’un cœur endurci 32, uestrum duram… mentem (II, 212), qui lutte contre la loi de Dieu  ; là ou l’Évangile de Matthieu 33   Ce même adjectif obtusus s’applique aussi dans le discours contre la génération mauvaise  : Et tamen obtunsae caecantur pectora plebis (II, 712)  ; on trouve l’expression obtusa pectora chez Virgile (Verg., Aen. I, 567). 28   Cic., Tusc. III, 8, 11. 29  Le scelerata insania de Virgile (Verg., Aen. VII, 461) est repris par Juvc. II, 467  : Prodet enim fratrem scelerata insania fratris, «  la folie criminelle d’un frère trahira un frère.  » 30   Exsultat demens à propos de l’emportement téméraire de Lausus, fils de Mézence (Verg., Aen. X, 813)  ; subito furore pour la mort de Didon (Aen. IV, 697). 31   Poinsotte (1979), p. 152. 32   On trouve ce même rassemblement dans Sédul, Carm. 5, 14  : O gens caeca oculis, o gens durissima corde. 33   Mt.  22, 29  : Erratis nescientes Scripturas neque uirtutem Dei, «  Vous faites erreur, faute de connaître les Écritures et la puissance de Dieu.  » 27

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déplore l’ignorance du peuple juif, Juvencus transforme cette ignorance en refus volontaire  : Ollis Christus ait: “Errori obnoxia prauo legibus et iussis Domini mens dura resistit” (IV, 29-30) «  Le Christ leur répond  : ‘Votre esprit soumis à l’erreur perverse résiste dans sa dureté aux lois et aux commandements du Seigneur.’  »

Les ténèbres sont à la fois extérieures et intérieures  ; complots et haine tournent au plus profond des âmes  : occulto risu (II, 351  ; III, 153), quid pectora clausa tenerent (II, 353), âmes qu’éclaire jusqu’au fond la perspicacité du Christ  : Talia perspiciens procerum molimina (II, 599)  ; Sed talia Christus Veridicis aperit conuincens pectora uerbis (II, 609-610)  ; Ille sed inspiciens saeui penetralia cordis (IV, 7) 34. Fils impies, indignes au livre I 35, race abâtardie au livre II 36, peuple ingrat au livre III 37, les juifs font preuve d’un orgueil injustifié qui les pousse à s’opposer au Christ avec ruse et cruauté  ; ces trois défauts constituent l’essentiel des ajouts qualifiant le peuple juif ou les pharisiens. Dans un premier affrontement, leurs questions pleines de ruse (dictis dolosis, II, 586) ayant échoué, les pharisiens envisagent de passer à l’acte  ; mais là où l’Évangile exprime leur volonté par quomodo perderent eum (Mt. 12, 14), Juvencus ajoute un tableau de violence haineuse et de machinations (II, 598)  : Conciliis trucibus conclamant decipiendum. À chaque rencontre avec le Christ, les interlocuteurs juifs sont présentés face à lui dans ce rapport d’obscurité et de lumière, qui oppose leur fausseté maligne à la lumière de la vérité  : Ecce Pharisaei Sadducaeique dolosi, (III, 221)  ; Christus cernens fallacia pectora fatru (III, 223)  ; Fallaces (III, 231)  ; Pharisaei Sadducaeique dolosi (III, 241), expression opposée dans les vers suivant à la lumière éclatante de la résurrection captantum procerum mentem, (III, 684)  ; factio fallax (III, 689)  ; Factio frendens (IV, 1)  ; cum fraude malignis (IV, 2). Mais la situation d’abord figée, qu’exprime ce vocabulaire répété à distance, va devenir un conflit dont la violence monte avec rapidité dans une accumulation de termes  : noxia, ferox (III, 239-240), rabies cum prona furore, (III, 291), rabies, caeca, furoris, saevior altera caedes, trucibus laniatibus (III, 350-352), pour exploser dans un déchaînement paroxystique au livre IV  : Plebs incensa malo saeuos miscere tumultus (IV, 614) 38  ; … horrendo signant scelera impia facto (IV, 636)  ; inmitis furor (IV, 729)  ; manus amens (IV, 778)  ; insano furori (IV, 779).   Stat., S. III, 5, 56.   Suboles quia degener errat (I, 333), «  parce que des rejetons dégénérés sont dans l’erreur.  » 36   Sic gens hoc uero mentis cum degenerarit (II, 723), «  quand cette génération se sera abâtardie loin de la vérité du cœur.  » 37   Ingratam urbem (III, 653). 38   Verg., Aen. 1, 149  : saeuitque animis ignobile uulgus. 34 35

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Dès les premiers vers du livre IV, l’hypocrisie des Pharisiens est dénoncée de façon répétitive et détaillée  : Talia dicentem confestim factio frendens temptare adgreditur uerbis cum fraude malignis. (IV, 1-2) «  Tandis qu’il s’exprime ainsi, sur l’heure, la faction, frémissant de rage entreprend de lui tendre un piège avec des questions malveillantes et trompeuses.  »

Puis l’apostrophe du Christ «  Hypocrites 39  » se retrouve développée en trois vers  : Ille sed inspiciens saeui penetralia cordis: “Cur temptatis, ait, nunc me concludere uerbis, fallaces? mentis prodit fallacia fructum.” (IV, 8-10) «  Mais lui, dont le regard plonge au plus profond de leur cœur cruel, répond  : ‘Fourbes, pourquoi tentez-vous maintenant de m’enfermer dans vos questions  ? La fourberie de votre cœur produit son fruit’.  »

Le portrait que fait ensuite le Christ des scribes 40 insiste sur l’orgueil que l’on pouvait déduire de leurs actes dans l’Évangile 41 mais dont les manifestations sont ici décrites avec un luxe de détails  : Adcubito primo cenae fastuque superbo atque salutantum uano tolluntur honore, et nomen sublime uolunt gestare magistri. (IV, 58-60) «  À la première place des banquets, pleins de morgue et d’orgueil, ils se sentent portés aux nues par les vains hommages de ceux qui les saluent et entendent porter le haut nom de maître.  »

La comparaison avec le texte de Matthieu montre très précisément dans ce passage la grande habileté technique de Juvencus  ; le texte reste très proche du modèle mais derrière la paraphrase méticuleuse se dessine un univers différent, moins sobre dans l’expression des sentiments, moins précis dans les réalités du monde juif qui sont effacées des vers, plus universel puisque le long passage des sept malédictions contre les scribes et les pharisiens est traité en neuf vers 42. Plus loin, lors de l’arrestation de Jésus, trois composantes différentes du peuple juif sont qualifiées de trois adjectifs différents, qui résument la vision péjorative de Juvencus  : maculata factio (IV, 510) pour les pharisiens  ; populi   Mt.  22, 1  : Cognita autem Iesu nequitia eorum, ait: Quid me tentatis, hypocritae?   Juvc., IV, 53  : Adscipite scribas sublimi sede superbos, «  Regardez les scribes orgueilleux dans leur haute chaire.  » 41   Mt.  23, 1  : omnia uero opera sua faciunt ut uideantur ab hominibus  ; Mt.  23, 6  : Amant autem primos recubitus in cenis et primas cathedras in synagogis et salutationes in foro et uocari ab hominibus rabbi. 42   Juvc., IV, 69-77. 39

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ferocis (IV, 512) pour l’ensemble de la populatio  ; miserabile uulgus (IV, 516) pour la petite troupe qui accompagne Judas. Faut-il voir dans ces ajouts fréquents d’adjectifs dépréciatifs les traces d’un antisémitisme discrètement mais fermement exprimé  ? Ce n’est pas évident puisque le même vocabulaire se retrouve lors du procès et, surtout, lors des outrages infligés au Christ par les soldats romains  ; on en arrive même à un déchaînement de férocité d’abord verbale  : Exhinc terribilis iusti accusatio surgens infremit et sanctum scelerata facundia pressat. Respondere nihil trucibus dignatur Iesus. (IV, 593-596) «  Alors l’accusation effrayante contre le Juste se lève et gronde, l’éloquence criminelle harcèle le Saint. À ces paroles atroces Jésus ne daigne rien répondre.  »

De façon théâtrale, l’innocence du Christ est mise en scène par une opposition en milieu de chaque vers entre le Juste et l’animalité de ceux qui, dans le vocabulaire choisi, ne sont plus des hommes. Le supplice des outrages relève du même schéma d’opposition, qui met le mot «  Juste  » entre deux termes désignant l’ennemi, et du même vocabulaire du crime et de la bestialité  : Traditus est trucibus iustus scelerisque ministris militibus: scelerata ludibria corpore praebet. (IV, 642-643) «  Aux féroces soldats, ministres du crime le Juste fut livré  ; il abandonne son corps à leurs criminels outrages.  » … Faciemque lauere saliuis uertice et in sancto plagis lusere nefandis. Haec ubi transegit miles ludibria demens… (IV, 648-650) «  … ils souillent sa face de leurs crachats et se font un jeu de frapper sa tête sainte de coups abominables. Quand la soldatesque insensée en a fini de ces outrages…  »

Le champ sémantique de la folie sanglante et du sacrilège (Nefandis, demens) va se poursuivre jusqu’à la fin de la Passion  : iussis… saeuis (IV, 655), hominum furor (IV, 661), caeca furentis… plebis… uaesania (IV, 668-669), uulgi uaecordis (IV, 674), Pharisaei scribaeque factio demens (IV, 675), loquellis insanis (IV, 676-677), increpitant (IV, 685), turba furens (IV, 697). Les mots, les vers se bousculent pour dire l’horreur du supplice et plus encore l’ingratitude d’un peuple que la mort du Christ lave de son péché, mais c’est l’humanité entière qui est ici concernée  : Pharisiens et scribes, peuple et soldats, larrons et spectateurs, tous les hommes enfin, frappés de folie criminelle 43.  Poinsotte (1979), p. 189 note très justement  : «  On constate qu’au fur et à mesure que le drame avance vers son dénouement, les divers clans qui s’opposent à Jésus se 43



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Cette folie criminelle 44 s’exprime dans les termes que l’épopée emploie pour les combats où les vaincus déjà marqués par le destin se lancent comme emportés par une force qui les dépasse. Au livre XII de l’Énéide, le cœur de Turnus bouillonne des mêmes sentiments de colère  : … aestuat ingens uno in corde pudor mixtoque insania luctu et furiis agitatus amor et conscia 45 uirtus. (Aen. XII, 666)

Il supplie sa sœur de le laisser rejoindre son destin (Aen. XII, 680)  : Sine me furere ante furorem. Mais Énée, son adversaire, éprouve même sentiment (Aen. XII, 895)  : Non me feruida tenent dicta, ferox, lui dit Turnus. Et les derniers vers le voient achevant son ennemi à terre furiis accensus et ira terribilis (Aen., XII, 946) et il le frappe avec emportement feruidus (951). Le Christ renouvelle donc l’image du héros dans ce combat final. Son silence, sa douceur devant les insultes lui donnent une grandeur qui dépasse ses adversaires, mais aussi son modèle païen. 1.5.  Sceleratus et insanus  : Judas Au livre IV, apparaît un autre adversaire de Jésus, celui qui va déclencher le processus final, Judas. On retrouve dans les passages où il apparaît les mêmes registres de vocabulaire, d’abord celui du crime  : sceleri alto (IV, 427), scelefondent de plus en plus en une redoutable force anonyme  : deux appellations collectives au chant 1, sept au chant 2, huit au chant 3, vingt-deux au chant 4. Chacune d’elles embrasse une ou plusieurs catégories de notables, chaque catégorie, chaque groupe de catégories reçoivent plusieurs appellations.  », mais il en tire l’idée d’une vaste coalition juive alors qu’il semble que l’auteur tende vers une universalité du péché, gommant l’aspect plus proprement juif. De même le personnage de Nathanaël n’est plus qualifié d’«  Israélite en qui il n’est point de dissimulation  » (Ecce uere Israelita in quo dolus non est, Jn. 1, 47). 44   Voici comment Bureau (1997), p. 72 analyse le personnage de Démétrius, l’artisan païen d’Éphèse qui proteste contre Paul dans l’ouvrage d’Arator  : «  Le mal se traduit donc ainsi comme une forme de perte de la raison. Cela rejoint les symboles offerts par la tempête où le thème du désordre apporté dans le cosmos jouait un rôle fondamental. Dieu seul pouvant ordonner les éléments et le cœur de l’homme, tout ce qui éloigne l’homme de Lui, comme toute manifestation de désordre dans la nature trahit la présence du péché. Dans le cas de Démétrius, la stylisation du personnage aboutit à le réduire à incarner la folie d’une croyance obstinée aux divinités païennes qui résulte d’un abandon de l’homme à ses passions. Le modèle épique sert dans ce cas à la fois d’outil simplificateur et de révélateur du sens nouveau donné au personnage. Par les emprunts au ton épique le poète le dégage d’une réalité trop contraignante et l’élève à une sorte d’abstraction héroïque qu’il juge et condamne par le jeu des références. En rapprochant Démétrius du contexte de la guerre civile, il en fait l’incarnation d’un rebelle perdu dans une logique suicidaire qui justifiera à elle seule sa défaite face à l’apôtre.  » 45   Le mot conscia sera employé pour Judas en IV, 443.

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rato corde uolutat (IV, 435), avec un verbe qui marque la progression de la pensée mauvaise dans l’esprit du traître, sceleris pretio (IV, 627), puis celui de l’hypocrisie, dissimulans blanda uoce (IV, 517), et de la trahison  : proditor Iudas (IV, 626)  ; et enfin celui de la folie avec ses deux aspects, la folie insidieuse et relevant d’une prise de possession diabolique  : amens (IV, 422), insano tantum cepisset corde uenenum (IV, 437), puis l’accès de folie furieuse qui entraîne le passage à l’acte  : Iudae furentis (IV, 514) 46. Juvencus insiste, en déduisant à son habitude la pensée de l’acte – la restitution de l’argent et le suicide –, sur la prise de conscience de Judas, avant même sa trahison 47 puis, en plusieurs vers groupés, avant son suicide 48  ; la mort ellemême devient l’expression du remord d’un homme qui, refusant le possible pardon de Dieu, se précipite volontairement vers son châtiment 49. 1.6. Temptator   : Satan Judas est donc présenté comme un criminel conscient de sa faute et poussé par une force intérieure incontrôlable qui est possession du démon. Derrière Judas, comme derrière tout ennemi du Christ se profile l’ombre de Satan. C’est le même vocabulaire que l’on retrouve dans l’épisode de la tentation dans le désert, avec un parallélisme très net dans la progression psychologique  : la ruse du tentateur, d’abord ourdie au plus profond de son cœur, aboutit à des machinations subtiles, des paroles qui s’insinuent comme un poison 50. Devant l’échec, le démon est saisi de la folie et de la rage animale qui sont la marque du mal  : pestiferi rabies uaesana ueneni (I, 404), «  rage délirante, fléau 46   Cette façon de présenter Judas se perpétuera dans les épopées chrétiennes postérieures. Cf. Deproost (1990), p. 146  : «  Condamnée dès l’alliance de mots proditor amens au vers 83, la démence tragique de Judas l’inscrit dans la tradition des grands criminels de la tragédie antique, dont l’amentia a déclenché la fatalité irréversible d’un châtiment exemplaire. Tout à la fois, délire insensé, inconscience, mais aussi délire prophétique, son furor traduit la concordance entre l’horreur de la trahison et l’horreur d’une mort qui devait être à la mesure du crime et de l’égarement initial.  » 47   Et Iudas grauiter tum conscia pectora pressus (IV, 443), «  Et Judas alors, sentant son cœur écrasé par sa faute.  » 48   IV, 627  : … postquam se talia cernit / accepto sceleris pretio signasse furentem / infelix ueris damnans sua gesta querellis, «  … quand il voit à quel acte en acceptant le salaire du crime il a attaché son nom dans sa folie malheureux et condamnant en des plaintes sincères ce qu’il avait fait…  » 49   IV, 630-631  : Exorsusque suas laqueo sibi sumere poenas / informem rapuit ficus de uertice mortem, «  Et, entreprenant de se châtier lui-même par un lacet, il se précipita dans une mort hideuse depuis la cime d’un figuier.  » 50   Horrendi interea sceleris fallacia temptans (I, 374), «  Pendant ce temps la fourberie terrifiante et criminelle, cherchant à le tenter…  »  ; Rursus at ille dolos uersutis artibus aptans (I, 382), «  À nouveau cependant le tentateur prépare avec toute sa malice des ruses.  »  ; Tum sic adgreditur uocis fallente ueneno (I, 386), «  Alors il l’attaque ainsi avec le poison trompeur de ses paroles.  »



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venimeux  ». L’écriture paraphrastique aboutit à une schématisation du Diable puisqu’il n’est plus le sujet des actions que provoque sa «  puissance envieuse  » (uis liuida, I, 384), sa «  tromperie furieuse  » (Furibunda… fallacia, I, 388). Ces différents personnages tracent un portrait du méchant, que l’on retrouve avec toutes ses caractéristiques dans le passage du Jugement dernier  : la souillure (de labe malorum, IV, 262) est la marque visible de l’injustice (iniusti, IV, 284  ; iniqui, IV, 304)  ; la méchanceté et la ruse (prauos, IV, 264  ; mentem… malignam, IV, 285) sont aggravées par l’orgueil et le mépris (Cum uestra superbo Angustis rebus feritas sub corde tumebat, IV, 300-301). Seule n’apparaît pas la folie qui pousse à la rébellion, puisque le temps n’est plus, pour les condamnés, de pouvoir s’opposer à la puissance du Christ. La communauté dans le mal est clairement indiquée par l’expression damnata… factio (IV, 294) et par la répétition d’un même adjectif qui établit un parallélisme entre le démon et ses «  associés  »  : Quas Pater horrendis barathri per stagna profundis daemonis horrendi sociis ipsique parauit. (IV, 287-288) «  [Les châtiments] que le Père, dans les profondeurs horribles, parmi les étangs du barathre, a préparés pour les complices du Démon effrayant et pour lui.  »

2.  Romanisation et universalité de la Bonne Nouvelle 2.1.  Des ajouts porteurs d’une vision du monde et d’une philosophie gréco-­ romaine L’un des procédés de l’amplification est l’ajout de mots et en particulier d’adjectifs. Ces ajouts permettent de donner à chaque personnage des caractéristiques précises. L’analyse de ces adjectifs montre comment Juvencus perçoit l’intériorité de l’homme. Ce procédé rencontre un mode de pensée romain qui, autour de la sobriété stylistique et psychologique de l’Évangile de Matthieu, va créer un univers mental relevant d’une vision du monde et de l’homme gréco-romaine. Dans sa réécriture, l’une des interventions les plus nettes, les plus immédiatement visibles du poète est l’introduction d’adjectifs  : ferus apparaît onze fois sans correspondance dans l’original  ; de même, efferus a trois occurrences dont deux ne correspondent à rien chez Matthieu 51. Dans un autre passage 52, Juvencus détermine uos par l’adjectif rigidi (seule occurrence). Le poneroi du grec, le mali du latin est remplacé par un nom abs51   Juvc. III, 428  : sin et multorum contempserit efferus ora / Mt. 18  : si autem ecclesiam non audiuerit…  ; Juvc. III, 365  : o gens nullius fidei, gens effera semper / Mt. 17, 170  : generatio incredula et peruersa. 52   Juvc. I, 672-673  : Vos, inquam, rigidi, quibus alte est insita cordis / durities… / Mt. 7, 11  : si ergo uos, cum sitis mali…

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trait  : cordis durities, l’abstrait paraît plus fort que l’adjectif durus, il en est comme l’essence pure. Le nom est encore renforcé par la périphrase dans laquelle il est incorporé  : alte insita, qui suggère non pas une explication psychologique, mais la vie intérieure comme un espace, une profondeur matérielle. On songe à une expression que Juvencus utilise souvent  : penetralia mentis. L’esprit de l’homme, le domaine secret de ses pensées et de ses sentiments est un espace profond comme le puits de Jacob où la Samaritaine va puiser de l’eau 53 ou le tombeau, analogue au ventre du poisson, où le rejeton de l’homme, comme Jonas, séjournera 54. Comme le puits de la Samaritaine et le tombeau où descend le Crucifié, les penetralia mentis sont le lieu de la vie et de la mort, de la foi solide 55 et aussi de ce qui souille l’homme 56, le lieu du secret, secret du mensonge et de la tromperie 57 mais aussi secret de l’authentique charité 58, car la véritable piété ne cherche pas l’ostentation et la foule mais le secret de la maison, image du secret du cœur 59. Les penetralia mentis gardent quelque chose du sens religieux du mot «  sanctuaire  », comme le suggère l’emploi de l’expression adita mentis  : Sic uox uelatur iustae sub imagine uitae atque aditis mentis celantur sordida corda. (IV, 76-77) «  Ainsi vos paroles se voilent sous l’apparence d’une vie juste, mais dans le tréfonds de vos esprits se dissimulent des cœurs souillés.  »

C’est là, me semble-t-il, un aspect de la traduction du message évangélique dans l’univers gréco-romain. La simplicité du texte évangélique met l’accent sur   Hauritura cauis putei penetralibus undas (II, 251), «  pour tirer de l’eau des creuses profondeurs du puit.  » 54   II, 698-699  : Terrae in penetralibus altis / progenies hominis… demersa manebit, «  Le rejeton de l’homme le passera plongé dans les secrètes profondeurs de la terre.  » 55   II, 220-221  : Quicumque fidem mentis penetralibus altis / illius ad nomen statuit, «  afin que tout homme qui, dans les profondeurs intimes de sa pensée, a établi sa foi en son nom…  » 56   Erumpunt hominum sed quae penetralibus oris / internam misere maculabunt edita mentem (III, 150). 57   IV, 7-9  : Ille sed inspiciens saeui penetralia cordis: / Cur temptatis, ait, nunc me concludere uerbis, / fallaces? mentis prodit fallacia fructum, «  Mais lui, dont le regard plonge au plus profond de leur cœur cruel, répond  : ‘Fourbes, pourquoi tentez-vous maintenant de m’enfermer dans vos questions  ? La fourberie de votre cœur produit son fruit.’  » 58   IV, 42-43  : Consimile est isti: magno teneantur amore / ad ius fraternum istae penetralia mentis  ; I, 504-506  : Sin offerre uoles, uenerans altaria, munus / et tua tunc tacitae mentis penetralia tanget / quod tibi sit cum fratre domi suscepta simultas, «  Si tu veux vénérer les autels et y faire une offrande et qu’à ce moment-là les profondeurs silencieuses de ton esprit sont atteintes par la pensée que tu es chez toi en querelle avec ton frère.  » 59   I, 584-585  : Sed secreta domus precibus penetralia castis / claudantur «  Au contraire, que la secrète intimité de ta maison soit fermée sur tes chastes prières…  » 53



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l’action, sur la relation entre les êtres et, la plupart du temps, s’abstient de commenter ou le fait avec une extrême sobriété, parce que les actes et les paroles suffisent  ; nous sommes habitués à ce style au point de ne plus voir ce qu’il pouvait avoir de déconcertant pour un homme cultivé du monde gréco-romain, marqué par la rhétorique et la philosophie. Assurément, à nos yeux, la comparaison n’est pas en faveur de Juvencus, dont l’expression apparaît surchargée de vains ornements, d’inutiles redondances, de précisions qui appauvrissent. Mais cette réaction est au moins en partie injuste, car la distance qui sépare le modèle de sa réécriture nous permet de pressentir à quel point cette réécriture était utile et même nécessaire. Si la comparaison nous aide à mieux apprécier la force et la modernité du style évangélique, elle nous aide aussi à mieux éprouver l’originalité de l’univers gréco-romain. La révolution socratique a appris à l’homme que le secret de son bonheur était en lui-même et a orienté sa réflexion vers ce qui, dans sa vie intérieure, le soumet aux événements, les passions qui font dépendre son bonheur d’autrui et vers la raison qui, au contraire, le libère de la fortune. De façon à la fois opposée et complémentaire, la révolution démocratique a contraint le pouvoir à découvrir la force de la persuasion et de la parole. Si la philosophie et la rhétorique ont des buts radicalement opposés, elles ont en commun l’attention aux passions et le besoin de connaître les mécanismes de l’affectivité et de la raison. La vie intérieure est devenue un espace où se joue l’essentiel. On devine que pour des esprits formés dans cette culture, la stylisation et les ellipses du style biblique devaient apparaître comme un incompréhensible jeu de marionnettes sans épaisseur. C’est probablement pour cela que la réécriture de Juvencus donne une si grande importance aux adjectifs qui évoquent ou décrivent la vie intérieure 60. Quand il n’accuse pas Juvencus d’antisémitisme, J. M. Poinsotte voit très justement dans l’élimination des sémitismes une «  entreprise de latinisation  » de l’Évangile 61  : «  Révélateur des intentions du catéchiste, le traitement des sémitismes nous permet aussi de pénétrer dans l’univers spirituel du chrétien, et de percevoir les tonalités particulières du christianisme que professe, au siècle de Constantin, un prêtre espagnol qui est et qui se veut profondément latin. Une entreprise de latinisation aussi constante ne peut pas constamment en rester au seul niveau de la forme  : elle atteint parfois l’idée. Telle est la portée d’une traduction comme celle de Lc. 1, 30  : ‘Tu as trouvé grâce devant Dieu’. Marie est l’objet d’un don de Dieu, d’un acte de bonté gratuite. Ce dieu de bonté, Juvencus le voit et le décrit comme 60   Ce n’est pas la seule raison qui explique l’importance de l’adjectif  : l’équilibre de l’hexamètre ou du groupe de deux hexamètres pousse à l’utilisation de l’adjectif qui fait comme un contrepoids au nom, alors que la poésie hébraïque, fondée sur des répétitions et des oppositions syntaxiques, n’a pas les mêmes besoins. 61   Poinsotte (1979), p. 65-66.

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un Dieu impérial, qui ordonne et qui décrète (caelesti… iussu), et pour dépeindre l’action de cette sorte de Constantin surnaturel, il retrouve les mots par lesquels Virgile et ses successeurs décrivaient les manifestations autoritaires de Jupiter Tonnant 62. Très révélatrice également du caractère fortement romain de la religion de notre poète, la traduction qu’il donne de Lc. 1, 6 ‘marchant dans tous les commandements’ (I, 7). Pour qualifier la vie de perfection morale et légale, la conduite juste de Zacharie et Élisabeth, Luc fait appel à la riche image biblique et chrétienne, du chemin. À cette image de l’engagement, de l’attachement spontané et dynamique à un idéal de vie, Juvencus substitue celle du lien, c’est-à-dire une contrainte, exercée de l’extérieur par la Loi  : ‘les commandements de la Loi les retenaient tous deux dans leurs liens’. Nous sommes ici plus éloignés de la pensée évangélique que de la conception que l’on se faisait communément, à Rome de la loi. Selon cette conception, nous dit Cicéron (Leg. 1, 6) la loi ‘est la règle écrite, à laquelle des commandements ou des défenses donnent un caractère impératif’.  »

Avant de susciter une véritable opposition, l’existence du Christ, ses paroles et ses actions se heurtent à l’incompréhension, ou plutôt à quelque chose qui est davantage de l’ordre du cœur que de l’intelligence. On peut comprendre le cheminement de cette résistance à travers quelques mots qui en suivent la gradation  : durus (dure), ferus et saeuus, auxquels on peut ajouter durities et feritas. À vouloir étudier le sens et les implications de ces trois mots, on se heurte à une difficulté, le sentiment qu’ils sont interchangeables. Ainsi, dans le discours apostolique, le Christ annonce les persécutions qui s’abattront sur les missionnaires de l’Évangile, en inversant semble-t-il les adjectifs appliqués aux chaînes et aux tyrans 63  ; dans le discours sur la montagne, le corps, identifié à l’adversaire selon une interprétation étrange dont parle Jérôme dans le commentaire de l’évangile de Matthieu, sera l’accusateur de celui qui le souille et provoquera jugement et condamnation 64. Hérode est dit ferus 65, mais quelques vers plus haut, il est saeuus… tyrannus (252) et en II, 462 c’est aux duris tyrannis que seront livrés les missionnaires de l’Évangile. Ces équivalences, à première vue déconcertantes et qui pourraient dissuader de chercher plus loin, sont probablement l’effet de la uariatio poétique. Mais un examen plus attentif montre que si ces termes ont des sens qui se recouvrent partiellement, chacun d’eux n’en a pas moins une valeur propre. Durus apparaît   Ces affirmations seraient peut-être à nuancer. L’opposition entre bonté et toute puissance est moderne et anachronique  ; de plus, si Juvencus parle de la toute-puissance divine en termes romains, cette toute-puissance est aussi biblique que romaine. 63   I, 462-463  : Vos flagris uinclisque feris durisque tyrannis / frendens urgebit pro me uiolentia saecli, «  Sous les coups de fouet, les chaînes brutales et les tyrans impitoyables la violence du siècle en grinçant des dents s’acharnera sur vous à cause de moi.  » 64   Damnatum rapient ad uincula saeua ministri (I, 516), «  Tu seras condamné et ses serviteurs t’entraîneront dans une dure prison.  » 65   At ferus Herodes sibimet succedere credit (I, 257). 62

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synonyme de saeuus, lorsqu’il est question des loups 66, de la mort 67. Il a d’abord un sens physique, ainsi le durum praesepe dans lequel l’enfant nouveau-né est déposé. Puis on passe à la dureté morale, résistance et insensibilité 68, au refus de pardonner 69  ; la nuance la plus intéressante, parce qu’elle est la plus révélatrice, est celle du refus de l’accueil, de la fermeture que reproche le Christ à Nicodème (II, 212)  : Quis uestrum duram poterit mihi pandere mentem. Le reproche s’adresse à Nicodème, mais, à travers lui, à tous les hommes  : quis uestrum…? C’est encore plus net en III, 162, où le Christ parle aux apôtres  : Vos etiam duro discluditis omnia corde. Chaque homme est en quelque façon comparable à celui qui refusera d’accueillir les messagers de l’Évangile  : Excludet quicumque ferus uos limine tecti auribus aut duris spernet uitalia uerba. (II, 451-452) «  Chaque fois qu’un être dur vous écartera du seuil de sa maison ou dans sa profonde surdité méprisera les paroles de vie.  »

Il s’agit de beaucoup plus que d’une fermeture ou d’une incapacité de l’intelligence, car le même mot s’applique à l’incompréhension et à l’insensibilité, au refus de pardonner 70. La volonté y a une grande part. La dureté de l’intelligence et du cœur, qui n’est pas un simple état comme celui des pierres, est déjà un refus d’accueillir la vie qu’apporte le Christ. En plusieurs autres passages, ce refus de la vie s’exprime nettement  : Tum sator aeternae respondit talia uitae: “Vos etiam duro discluditis omnia corde.” (III, 161-162)

Dans l’entrevue avec Nicodème, le Christ souligne la difficulté qu’il éprouve à toucher des cœurs trop durs et qui s’écartent de lui volontairement (II, 206207)  : Tune etiam mentem uitae de lumine raptam / demergis…  ; et en II, 212  : Quis uestrum duram poterit mihi pandere mentem  ? Comme nous l’avons vu, les sens de durus et de ferus paraissent se recouvrir partiellement  : il est difficile par exemple en II, 451 de faire la différence entre eux  : Excludet quicumque ferus uos limine tecti uaribus aut duris spernet uitalia uerba.   Oues, durorum praeda luporum (II, 457), mais Hos ouium species uestit, sed saeua luporum / pectora fraude tegunt (I, 692-693). 67   Durae succumbere morti (lV, 368)  ; duram mortem sumere (IV, 475) et saeuae per lubrica mortis (IV, 499). 68   Moyses praecepit quod pectora dura uideret / scribere discidium quo saxea corda reuinci / … posset. 69   Inmites saeuo si pectore fratrum / peccata orantum dure punire uoletis. 70   I, 603  : Si… uelitis… nec durum erratis intendere pectus. 66

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La distribution des adjectifs est même trompeuse, car, à considérer cet exemple, on verrait plutôt en ferus un état stable et dans durus l’expression d’une agressivité. Or l’examen des occurrences de ferus impose l’idée contraire. La version de la parabole du semeur est tout à fait révélatrice à cet égard. De celui qui laisse la parole du Christ effleurer seulement ses oreilles, il est dit (II, 779)  : Hic agro est similis duro, mais du terrain qui n’a qu’une légère couche de terre au-dessus des cailloux  : sentibus hic spinisque feris uelocius exit roboris augmentum frugemque internecat angens. (II, 749-750) «  Là ronces et épines sauvages ont une croissance plus rapide et plus forte qui étouffe et fait mourir la récolte.  »

Le rapport entre les deux termes est très clair  : durus, c’est l’état du chemin, la terre y est tassée et les graines ne peuvent y pénétrer. On pense à l’image que Péguy aimait tant de l’être «  habitué  », sur lequel la grâce ne «  prend  » pas. Ferus implique l’idée d’une action ou d’une réaction, de la volonté de repousser ou de faire du mal. Ainsi, dans la péricope du signe de Jonas (Mt. 12, 38-42), Juvencus ajoute un commentaire. Chez Matthieu, comme dans le passage parallèle de Luc (Lc. 2, 29-32), le jugement sévère sur la génération qui refuse la conversion est exprimé à travers une apostrophe, puis seulement par comparaison avec l’attitude des Ninivites et de la reine de Saba. À ces comparaisons, Juvencus ajoute une explication  : Hic et onaeis monitis potiora iubentur contemnitque feris animis gens impia lucem. (II, 705-706) «  Ici sont proclamés des ordres plus puissants que les avertissements de Jonas et votre engeance impie par une sauvagerie de coeur méprise la lumière.  »

Il y a plus que l’incapacité du cœur à accueillir, comme celle du sol du chemin, tassé par les pas des voyageurs. Il y a une réaction de mépris et d’hostilité. De même, le serviteur de la parabole à qui son maître, apitoyé par sa détresse, vient de remettre ses dettes, se jette sur son compagnon avec une impitoyable violence. Il est qualifié de ferus (III, 454). Dans la bouche des prêtres qui demandent à Pilate d’établir une garde autour du tombeau du Christ, l’éventuelle action des disciples est qualifiée de fera 71. Audacia, comme consurgat, montre bien qu’à leurs yeux il s’agirait d’une action grave, signe d’un mépris pour leur autorité. Il y a donc, à côté d’une plage de sens commune, une différence entre ferus et durus, si bien qu’on pourrait peut-être voir une figure de style dans les vers II, 451-452  : celui qui refuse l’hospitalité est en réalité durus et le mépris pour les paroles de vie témoignent de sa feritas. S’il y a bien figure de style, elle n’est pas simplement ornementale mais souligne le lien de durus à ferus. 71

  IV, 737  : Ne fera discipulis furandi audacia corpus / consurgat…



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L’examen des emplois de saeuus conduit d’une part à la même constatation  ; il existe une plage commune de sens avec durus et ferus mais le mot introduit une dimension nouvelle  : saeuus est souvent lié à la possession du pouvoir, en particulier royal, et à l’action du démon  ; autrement dit, ce terme nous conduit à la figure du tyran, à Hérode le premier 72 mais aussi, de façon plus générale, aux hommes qui exercent leur pouvoir avec cruauté 73. À propos du tyran, on peut remarquer que Juvencus infléchit des éléments existant dans son modèle vers une pensée plus proprement romaine. Le monde hébraïque est marqué par le souvenir de la vie nomade et souvent par sa nostalgie. Ce n’est pas qu’il méprise l’agriculture, comme en témoignent l’admirable chant du maître à sa vigne dans Isaïe et les paraboles qui mettent bien souvent en scène la vigne et la moisson. Mais le peuple hébreu ne saurait oublier que Yahvé l’a arraché à la sédentarité aliénante de l’Égypte, qu’il s’est fait connaître à lui au désert, si bien que le désert est le lieu de la libération et de l’identité, le lieu des retrouvailles avec Yahvé. Rien n’est plus contraire à l’esprit romain  : le nomadisme est la barbarie, aux frontières de l’humanité  ; la civilisation, l’humanité, s’exprime par des expressions comme colere locum, colere agrum, colere deos. Ceci peut éclairer la façon dont Juvencus traite la parabole du semeur et son explication, l’ager durus du chemin et les sentes et spinae ferae du champ sans profondeur de terre. Le champ, c’est le terrain de la vie, de l’humanité et de la civilisation  ; la friche, le terrain sauvage, sont des lieux pleins de vie mais de la vitalité puissante d’une haie de ronces. On voir donc le lien qui unit cette vitalité et le personnage du tyran. Le tyran représente, comme le buisson de ronces, l’épanouissement d’une sauvagerie envahissante  ; parce qu’elle s’est fermée à la justice qui prépare la voie à l’Évangile, cette vitalité explose en volonté de puissance, en orgueil, en débauche et en cruauté. Il y a quelque chose de profondément romain – mais qui consonne avec l’Évangile – dans l’opposition entre une nature sauvage, pleine de vitalité, mais étouffante et effrayante, et une nature dominée, canalisée, qui peut porter du fruit. De même également semble profondément romain, ou plutôt gréco-romain, l’importance accordée à l’espace de l’intériorité. En revanche, il y a dans la culture gréco-romaine une contradiction dans la façon dont on se représente l’influence de l’extérieur sur la vie intérieure  : pour la philosophie, le bien vient de l’intérieur, de la domination de la raison sur les passions. Dans cette perspective, le tyran est exactement l’opposé du sage, il est l’être qui s’est fait entièrement esclave de ses passions  : tels sont Phalaris, Denys l’Ancien, Alexandre de Phères. Et puis, il y a le tyran de la poésie, de 72   I, 251-252  : Totam mox horrida somnia noctem / sollicitant saeuumque iubent uitare tyrannum, «  Bientôt des songes terrifiants les inquiètent toute la nuit et les invitent à éviter le cruel tyran.  » et I, 267-268  : Saeua tyranni / infantum horribili feritas satiata cruore, «  Et que la férocité impitoyable du tyran s’est rassasié horriblement du sang des bébés.  » 73   Substulit ecce thronum saeuis fregitque superbos (I, 101), «  Voici qu’aux cruels il a ôté leur trône et brisé les superbes.  »

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l’épopée et de la tragédie, soumis à une influence extérieure maléfique  ; son furor est comme une maladie qu’il contracte, comme le héros sénéquien. Il me semble que le tyran de Juvencus relève plutôt de cette deuxième catégorie 74. La volonté du sujet est le lieu où agissent les forces du mal, que le pécheur subisse une influence qui le dépasse ou que consciemment il s’engage dans la faute. Ce type de réécriture confère au texte évangélique un mode de pensée romain en action dans l’épopée païenne, comme l’explique très bien B. Bureau 75  : «  Ainsi, la recomposition revient à appliquer aux Actes un certain nombre de traits qui rapprochent la morale chrétienne de représentations propres à l’épopée. En effet, le héros est celui qui, même s’il cède parfois, sait résister à ce qui conduit les vaincus à la mort. Si la caricature qu’est l’Hannibal de Silius Italicus présente ce processus de manière particulièrement limpide et peu discrète, le même modèle vaut pour l’univers virgilien  : alors qu’Énée parvient toujours à rester maître de sa volonté, les vaincus, Nisus et Euryale et Turnus en particulier, s’abandonnent à une force destructrice qui les prive du strict contrôle de soi-même. Héros de la mesure gardée, Énée comme Pierre et Paul se confronte victorieusement à ceux que leur démesure rend vulnérables. Ce point de contact entre les deux univers a pu, joint à d’autres éléments que nous verrons apparaître ultérieurement, imposer le modèle virgilien comme trame à la composition du récit.  »

Juvencus esquisse dans son poème une réflexion sur les rapports entre la volonté et le mal qui sera par la suite amplement développée, tant sur un plan de réflexion philosophique et théologique que dans les épopées qui suivront. 2.2.  Du rejet du peuple juif à l’élargissement au monde Faire un évangile romain c’est gommer ce qu’il peut y avoir de spécifiquement juif dans le texte des Évangiles mais c’est aussi, idéologiquement, rejeter l’idée que le peuple juif est le peuple élu et déplacer la notion d’élection vers le peuple romain ou plus encore le monde romain tel que le délimite l’empire, c’est-à-dire l’univers civilisé. La condamnation du peuple juif devient chez Juvencus parole d’Évangile  ; ainsi, dans le passage des malédictions contre les scribes et les pharisiens, ce n’est plus seulement l’attitude des hommes qui est blâmée et jugée cause de leur perte  ; le vers IV, 71 annonce une malédiction divine sur les hommes «  de cet âge lamentable  » (lacrimabilis aeui, IV, 69)  : Nam uobis itiner clausum quia iure negatur «  Car, puisqu’est barré pour vous le chemin qui vous est à juste titre interdit  »   C’est le démon qui représente dans l’épopée de Juvencus cette influence extérieure maléfique, cf. III, 40  : … daemon / tunc petit Herodem pestis saeuissima regem  ; III, 180  : ut mentem uexatam daemone saeuo / redderet. 75  Bureau (1997), p. 81. 74

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De même, Jérusalem n’est plus «  dès à présent qu’une demeure abandonnée à la dévastation et à la ruine  » (Deseritur iam nunc domus haec uastanda ruinis, IV, 84). Dans l’épisode de Pilate devant le peuple, Juvencus précise cette malédiction en ajoutant aux trois vers qui transcrivent, avec des ajouts, le texte évangélique un quatrième (IV, 621) qui met en évidence le verbe Abluit et sépare romains et juifs dans leur responsabilité sur la condamnation du Christ. Cette nuance est présente dans l’évangile de Matthieu mais elle est ainsi nettement mise en valeur dans le texte de Juvencus  : Denique ui uictus detestatusque cruentum officium, increpitans se libera sanguinis huius corda tenere sibi, coramque a crimine palmas abluit, ut genti tantum macula illa maneret. (IV, 618-620) «  À la fin, vaincu par leur violence et détestant son sanglant office, il cria qu’il gardait son cœur libre du sang de cet homme, il lava ses mains du crime en public, afin que sur le seul peuple la tache en demeurât.  »

Et, face à la croix, les pharisiens et les scribes «  remuent la langue en paroles folles pour mériter les chaînes du châtiment éternel 76.  » Juvencus ajoute donc dans sa paraphrase cette annonce de la condamnation du «  parti insensé  » (IV, 675  : factio demens) coupable du supplice du Christ. D’autres ajouts encore, en particulier dans la parabole des vignerons homicides montrent une interprétation en ce sens. Les expressions iam mens maculata cruore (III, 729), crudeli uulnere fixum (III, 731), qui sont des ajouts, précisent la lecture christique de la parabole et la condamnation du peuple juif  ; les vers III, 734-736 montrent le transfert des juifs aux romains, et la passation de pouvoir d’un peuple à l’autre  : … Sed uobis tradita quondam fulgentis regni sedes translata feretur ad placidam gentem, possit quae reddere fructus. «  … Mais le siège du royaume lumineux qui vous a jadis été confié sera transféré et remis à un peuple paisible, qui puisse produire du fruit.  »

On retrouve la même idée en III, 653 dans la transformation de abiit foras extra ciuitatem en ingratam linquens cum ciuibus urbem. De nombreux autres ajouts peuvent s’interpréter comme passage du peuple juif au monde  ; après la mort de Jean-Baptiste les mots «  se retirer en un lieu désert  » deviennent en III, 71 Deserit insonti pollutam sanguine terram «  Il abandonne une terre souillée par un sang innocent  »   IV, 676-677  : … linguasque loquellis / Insanis quatiunt aeternae ad uincula poenae.

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et Israël est rendu par «  le troupeau du Père  » en II, 435 Pergite, qua patrii pecoris custodia labat.

Le banquet royal finit par être rempli d’une foule variée  ; le «  discubentium  » de l’Évangile est rendu par le vers III, 760  : Conplentur mensae mistae sine nomine plebis «  Toutes les tables sont occupées par une foule mêlée et sans renom.  »

Et au Jugement dernier se présentent Tum gentes cunctae diuersis partibus orbis (IV, 261) «  Alors tous les peuples de tous les coins de la terre  »

De nombreux vers évoquent ce peuple de Dieu agrandi aux dimensions du monde  : Mitia sed populis ueniant ut munera uitae (II, 229) «  mais pour que les peuples reçoivent le don plein de douceur de la vie  »

avec parfois des éléments cosmiques et épiques comme dans l’épisode de Nicodème où le ut omnis qui credit in eum non pereat sed habeat uitam aeternam (Jn. 3, 15) est développé sur quatre vers liant la foi terrestre à une apothéose céleste  : Vt, quicumque fidem mentis penetralibus altis illius ad nomen statuit, sub turbine saecli proculcet pedibus letum et trans sidera surgens sublimis capiat donum inuiolabile uitae. (II, 220-223) «  Afin que tout homme qui, dans les profondeurs intimes de sa pensée, a établi sa foi en son nom, dans le tourbillon du siècle foule aux pieds la mort et, se dressant au-delà des étoiles, reçoive le don définitif de la vie d’en-haut.  »

Le passage de la guérison de l’enfant d’un centurion (Mt. 8, 5-13) fournit aussi un exemple de l’insistance de Juvencus sur l’aspect universel du message du Christ et sur la séparation avec le peuple juif. Trois versets de Matthieu qui vont dans ce sens sont dilatés en huit vers, dont les deux premiers restent proches du texte de départ, avec cependant des développements d’une part sur la foi et les prières de l’homme (audiens est rendu par uiri motus precibusque fideque, I, 751 qui précise l’attitude du chrétien en présence de Dieu) d’autre part sur le rôle d’enseignement du Christ (sequentis se dixit devient Talia conuersus populo dat dicta sequenti I, 752 qui sera renforcé un peu plus loin par sed ueris discite dictis I, 754). Le début des paroles du Christ est très exactement rendu à l’exception du remplacement d’Israhel par gentis auitae (I, 753) sans doute pour des raisons métriques, mais aussi dans le souci d’effacement du judaïsme, qui devient un héritage du passé. De même, par la suite, Abraham, Isaac et Jacob deviennent cum patribus. Juvencus joue sur le contraste entre deux situations opposant

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progenitos (I, 755-756  : Quod multos homines diuersis partibus orbis / progenitos caeli regnum sublime uocabit) à progenies situés en même place au début du vers, par l’ajout d’adjectifs  : sublime, uitali, caecis  ; au vers 759 Dentibus horrendum stridens fletumque frequentans dont les sonorités répétées (d, f, en, um) respectent et rendent sensible le erit fletus et stridor dentium initial s’ajoute un vers sans correspondant (760)  : Perpetuis poenae cruciatibus acta subibit qui insiste à la fois sur les supplices de l’enfer mais aussi sur la responsabilité des coupables dont les actes entraînent un châtiment exemplaire. L’élargissement au monde apparaît également dans l’opposition entre l’ancienne et la nouvelle loi. Plusieurs ajouts et précisions renforcent le discours évangélique. Par exemple dans le discours à Nicomède on trouve la définition d’un nouveau peuple de Dieu  : Namque ubi certa fides fuerit exclusa medellae non erit ulla illic anceps agitatio iuris (II, 230-231) «  Car, quand une foi résolue se sera attachée au salut il n’y aura pas alors débat de droit à l’issue incertaine  »

qui s’oppose aux pharisiens comme dans le vers ajouté lors de l’épisode du repas avec les publicains et les pécheurs  : Non ego sacra magis quam mitia pectora quaero (II, 358) «  Je demande moins les sacrifices que la bonté des cœurs.  »

L’épisode du retour d’Égypte (Mt. 2, 19-23) subit de profonds changements de structure et de sens. Le verset 22 de Matthieu est omis alors que le 2, 15 est déplacé, ce qui enlève au récit son ancrage dans l’histoire juive et le place en lien direct avec la double prophétie. L’opposition finale élargit la prédiction à l’ensemble de l’univers en soulignant l’aspect salvateur du Christ, I, 277 terris lumenque salusque. On retrouve la même insistance sur la prophétie en II, 299300 par la suppression de l’interrogation indirecte et l’ajout des mots profetae et ex ordine dicta. Tous les ajouts ne concernent pas les juifs. Le chapitre sur le contexte historique de l’œuvre de Juvencus a mis en évidence la conception que l’auteur pouvait se faire de l’univers. Il n’est guère étonnant que l’universalité du message du Christ se traduise pour lui par la romanisation des évangiles, puisque d’une certaine façon, l’empire romain est le monde. Ainsi le passage sur le devoir des chefs (Mt. 20, 25-28) comporte une signification qui va au-delà de la paraphrase car les vers III, 602-607 sont bien plus des ajouts qu’une transcription même éloignée du texte de départ. Rapproché des paroles d’Anchise à Énée sur les devoirs des Romains appelés à diriger le monde dans la paix 77, il   Verg., Aen. VI, 851-853  : Te regere imperio populos, Romane, memento / hae tibi erunt artes, pacisque imponere morem, / arcere subiectis et debellare superbos. 77

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CHAPITRE XII

donne au texte du Juvencus le poids d’une épopée chrétienne qui définit les devoirs du peuple choisi (le rapprochement avec Virgile met en évidence qu’il s’agit bien des Romains) et de l’Église chrétienne sous la direction du Christ  : Gentibus infidis celsa dicione potestas inponit quoscumque super dominantur eorum exercentque trucem subiectis urbibus iram, uos inter longe tranquillior aequora uitae concordi sternit mitis moderatio pace, magnus et obsequus crescit super alta minister. «  Aux peuples infidèles le pouvoir, impérieux et hautain, impose tous ceux qui les dominent et font subir aux villes qui leur sont soumises leur féroce colère. Mais parmi vous, la douceur et la maîtrise de soi apaisent au loin et calment par la concorde les flots tempétueux de la vie et le grand serviteur s’élève au-dessus des sommets par sa soumission.  »

On peut aller, je crois, jusqu’à la notion de lecture allégorique pour certains vers. Ainsi, dans le livre II, les vers 733-734 doivent se lire à la lumière de l’exégèse biblique antérieure, comme celle d’Origène qui voit dans la mer le symbole du monde 78. Progreditur Templo terrarum lumen Iesus et maris extrema terraeque resedit in ora «  Jésus, lumière de la terre, s’avance hors du Temple et va s’établir au bord où finissent la mer et la terre  »

L’élargissement du salut au monde exprimé par la mer, l’ajout du mot Temple montrent le point de départ de l’ancienne Loi et la prise de distance par rapport au peuple juif. Cet élargissement au monde est aussi une mise en valeur, une mise en lumière par la beauté des vers qui définit la tâche que Juvencus s’est fixée  : faire briller aux yeux du monde la lumière du Christ. Peut-être faut-il voir dans la superbe formule de I, 484 uertere nec ueteres avec son jeu de sonorités et de sens une définition et de la mission du Christ et de celle que s’est fixé Juvencus. At quicumque operis proprii moderamina seruans inuilata simul tradet praecepta priorum, magnus erit magnique feret trans sidera nomen. (I, 493-495) «  Mais tout homme qui conservera dans son action les règles et qui, sans y toucher, transmettra également les préceptes des anciens, sera grand et proclamé grand jusqu’au-delà des étoiles.  » 78

  Orig., In Mt. 10, 12, 25.



UN ÉVANGILE ROMAIN211

D’autant plus que les ajouts du passage précédant ont également un sens missionnaire mais peuvent aussi s’interpréter dans le sens d’une mission littéraire. … Vestrum sic lumen ad omnes perueniat rerumque decus sub luce serena Ponatur… (I, 479-481) «  … Qu’au contraire votre lumière parvienne à tous et que la parure de l’univers soit placée sous une clarté sereine…  »

de même que l’envoi en mission final avec l’ajout du vers IV, 794 … uestrum est cunctas mihi iungere gentes «  … il vous appartient de toutes les unir à moi.  »

Juvencus s’applique ainsi la mission d’évangélisation des peuples païens dans le domaine littéraire de l’épopée. La métamorphose du genre fait du Christ le héros premier, l’exemplum définitif qui surpasse et régénère tous les autres et de l’épopée devenue chrétienne un texte d’Église portant le message évangélique.

CINQUIÈME PARTIE

LA MÉTAMORPHOSE DE L’ÉPOPÉE MARO MUTATUS IN MELIUS 1

1   J’emprunte l’expression (en fait tirée de la préface du centon de Proba) à Mora-­ Lebrun (1994), p. 70 (chap. Maro mutatus in melius)  : «  Il s’agit bien ici d’un Virgile mutatus in melius, dans une réécriture qui est approfondissement spirituel de l’Énéide. À travers les nombreuses réminiscences des poètes transparaît le travail théologique intense auquel se sont livrés, souvent sur les traces des néo-platoniciens, les Pères de l’Église et les apologistes chrétiens (…). La relecture de l’Énéide est souvent confrontation volontaire, tantôt polémique, tantôt conciliatrice, de deux mondes, celui de la culture antique et celui de la pensée chrétienne.  »

Chapitre XIII

Du héros au Sauveur Dans son histoire de la littérature latine, R. Pichon 2 terminait jadis son exposé sur les Euangeliorum libri IV en disant que Juvencus nous présentait le Christ «  dans le costume d’Énée  »  ; si l’expression cherche à souligner les caractéristiques épiques qui s’appliquent au personnage du Christ et à sa vie, il contient une critique implicite sur ce déguisement qui enferme la divinité dans les limites du héros virgilien. C’est là une vision de l’œuvre de Juvencus qui a perduré et qui prend cette œuvre dans une perspective inverse de celle de son auteur. Le Christ ne se rabaisse pas à la taille d’Énée, c’est le costume d’Énée qui est élevé à la dignité du Christ, comme susceptible de traduire au mieux la «  geste de vie  » du Messie, de donner toute sa dimension et sa stature à Jésus à la fois dans son humanité et sa divinité. Si l’on observe les ajouts que fait Juvencus, on peut voir qu’au-delà des règles de la uariatio, il y a une volonté de souligner ces deux aspects qui donnent le véritable sens du salut offert aux hommes. Nous sommes là au centre du projet de Juvencus, tel qu’il le revendique dans sa préface, faire mieux que Virgile, non par la forme, puisqu’il s’agit du modèle parfait, mais par le sujet, sa vérité et sa force que le genre de l’épopée va mettre en valeur 3. Mais le jeu des correspondances avec l’épopée païenne a des limites très précises car l’inuentio ne peut porter que sur des détails, la réalité du message évangélique ne pouvant et ne devant pas se plier au cadre épique. D’autre part, souligner trop précisément les ressemblances du Christ avec un héros d’épopée pourrait aboutir à l’effet inverse de celui recherché par Juvencus. Au lieu de surpasser et en quelque sorte d’annuler les héros païens, le Christ, par le parallélisme du schéma narratif ou les ressemblances avec les personnages épiques, pourrait devenir une caution pour les récits antérieurs. Il serait facile, en effet, de confronter le schéma narratif des Évangiles de Juvencus avec l’itinéraire d’un héros païen et de retrouver des phases narratives communes. Voici par   Pichon (1897), p. 879.   Cette volonté est d’ailleurs commune à d’autres écrivains d’épopées chrétiennes  ; cf. Arat., Epistola ad Virgilium, 19-26  : Versibus ergo canam quos Lucas rettulit Actus / Historiamque sequens carmina uera loquar. Sédul., Carm. I, 17-26  : Cum sua gentiles studeant figmenta poetae / Grandisonis pompare modis… / Cur ego… / Clara salutiferi taceam miracula Christi? 2 3

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CHAPITRE XIII

exemple une grille de lecture proposée, à partir des grandes légendes antiques, par G. Devallet pour les topoi de l’épopée concernant la situation et le caractère du héros 4. Selon lui, l’examen d’un certain nombre des grandes légendes antiques du monde grec, latin et biblique, font apparaître que tout récit légendaire ou mythique met en scène un héros principal, fondateur d’une cité, d’un empire ou d’une religion, et que sa vie et ses exploits sont présentés selon une progression où l’on retrouve les mêmes phases narratives, si l’on veut bien les analyser à un niveau suffisant d’abstraction ou de généralisation. On pourra ainsi distinguer  :   1. Le manque  : le héros est désiré ou attendu pour réaliser la performance (par exemple  : délivrer un peuple, ou fonder une cité, ou débarrasser sa tribu d’une malédiction, ou rapporter un objet à valeur magique, ou faire valoir ses droits au trône contre un usurpateur, etc.).   2. La conception  : l’un des géniteurs est d’essence divine, les circonstances en sont souvent hors du commun.   3. La naissance  : parfois secrète, parfois discréditée, bref, encore hors du commun.   4. La deuxième naissance  : le héros échappe à la mort, il renaît  : l’enfant est abandonné et sauvé par des tiers, ou il échappe à des forces mauvaises envoyées pour le faire mourir.   5. La vie cachée  : souvent loin de sa patrie le héros est élevé par des étrangers qui généralement (mais pas toujours) ignorent son origine. Celle-ci se révèlera parfois par  :   6. La précocité  ; le héros accomplit à un âge précoce des exploits (intellectuels ou physiques) sans rapport avec son jeune âge.   7. Entrée dans la vie active  : elle commence par une «  épreuve de compétence  » dans laquelle apparaît le grand destin auquel est promis le héros.  8. Les exploits  : série de performances hiérarchisées autour d’une mission principale qui est celle pour laquelle le héros a été choisi.   9. La sanction  : le héros est reconnu pour ce qu’il est, et sa véritable nature apparaît. 10. La mort  : celle-ci est l’exact opposé de la naissance  : le héros a accompli sa tâche et n’est plus nécessaire sur la terre, il est promis à une destinée supra-humaine, et sera le plus souvent «  héroïsé  » ou divinisé. Ce schéma dans tous ses détails s’applique fort exactement au récit de Juvencus et pourrait justifier le recours à l’Évangile de Luc pour l’enfance du Christ. Or, Juvencus fait preuve d’une discrétion qui, loin de souligner ces parallélismes, les estompe au moins dans le schéma général 5. Cette discrétion est volontaire  G. Devallet, conférences du CERCAM, Université Montpellier 3, 2002 (non publiées). 5   Dans le détail des récits de miracles, qui sont les combats du Christ contre le mal on retrouve des traces des schémas de l’aristie épique. 4



DU HÉROS AU SAUVEUR217

et se justifie par la nécessité de ne pas valider le schéma épique du héros païen. Le Christ ne peut pas être un «  héros  » au sens antique, un fils parmi d’autres fils d’un dieu parmi d’autres dieux. Sa geste unique ne peut pas donner un sens aux récits légendaires et mensongers de la poésie antique. Plus il s’inscrit dans le cadre de l’épopée, plus le Christ annule le héros d’épopée, dont il a les caractéristiques 6, parce qu’il n’est pas homme seulement, ni même mi-homme mi-dieu, mais Dieu et homme et Fils unique d’un Dieu unique 7. Cependant, si l’on s’en tient à la synthèse que donne J. Thomas du héros virgilien 8, on reconnaîtra chez Énée une ligne directrice profonde, qui a bien pu permettre à Juvencus de voir en lui une préfiguration, imparfaite mais significative du Christ. Pour J. Thomas, «  Le héros aura une image double  : affirmation rassurante d’un ordre métaphysique et social, mais aussi vecteur d’une énergie créatrice (…)  ; il est un intercesseur oscillant entre deux pôles  : un monde de perfection qu’il s’efforce d’atteindre, et un peuple obscur, enfoncé dans la pesanteur de ses instincts, qu’il essaie d’élever et d’attirer à lui.  »

Le Christ face à ses adversaires ou à ses disciples, introduit dans le monde un ordre nouveau, divin, il définit une voie vers un monde que ses actes révèlent. Mais son héroïsme change de nature par mutation des anciennes valeurs et surtout par la nature immuable du Christ 9. Aussi l’imitation formelle qui met en place le personnage du Christ dans sa ressemblance avec Énée se fera selon des règles précises, même si elles restent inexprimées. Dans l’art de la uariatio, il y a plusieurs niveaux, le niveau littéral, les reprises de mots, de clausules, et le niveau thématique des motifs épiques auquel s’ajoute l’imitation structurelle. Si la reprise des termes et des clausules est abondante 6   C’est également vrai, me semble-t-il, dans le domaine de l’hagiographie où s’inscrit aussi la postérité de Juvencus. Ainsi, Fredouille (1997), p. 24-25, rappelle que l’idéal d’humanité du saint «  est l’objet d’une quête intérieure, dont l’histoire se confond avec celle de la spiritualité antique, héritée et réorientée ensuite par le christianisme  », mais souligne en ces termes cette différence essentielle  : «  Continuité(s) donc, mais aussi rupture  : dans l’ordre surnaturel, il n’y a plus d’analogies possibles. Sous ses formes diverses, l’héroïsme païen est un absolu. La sainteté est participation, par grâce, à la sainteté de Dieu – ab initio generis humani, car ‘le vrai salut n’a jamais fait défaut à quiconque s’en montre digne’  ; elle est aussi conséquemment et indissociablement, communion entre tous ceux qui, dans la cité terrestre comme dans la cité céleste, constituent le templum Dei.  » 7   Ainsi le Christ n’est pas, comme ses saints, un successeur du héros antique. Sur le rapport entre héroïsme et sainteté, cf. entre autres, Fredouille (1997). 8  Thomas (1981), p. 228-258. 9  Deproost (1990), p. 309  : «  Contrairement au pessimisme de Lucain, contrairement aussi au héros virgilien qui ne devient tel qu’au cours de l’épopée, le héros chrétien, toujours en gloire, ne connaît aucune évolution  ; du début à la fin de son histoire, qui n’est même plus une quête, il apparaît tout d’une pièce, sans défaillance, dans l’état triomphal de la victoire, comme un acteur dans la phase décisive et finale d’un drame.  »

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CHAPITRE XIII

chez Juvencus, la reprise structurelle s’accompagne d’un changement de fonction des épisodes qui aboutit à une véritable création du héros chrétien par excellence, modèle des autres et non pas imité d’un autre  : le Christ. La composition du poème et ses principes épiques, affrontement avec l’ennemi, situation finale de victoire, alternance d’épisodes variés parfois séparés par des digressions ou des scènes de vie quotidienne (ici, souvent, les discours et paraboles) donnent la trame épique du récit évangélique  ; les épreuves qui se succèdent sont à la fois des obstacles qui dramatisent et des occasions révélatrices de l’héroïsme et, ici, du caractère divin du héros. Le sens de l’action est connu et scandé par les signes du destin, pour le Christ, accomplissement de la parole des prophètes. 1.  Le Christ, héros épique 1.1.  Le caractère Juvencus donne au Christ quelques caractéristiques d’un héros d’épopée mais avec une grande discrétion, puisque ces touches épiques peuvent être senties comme l’amplification d’éléments présents dans le texte évangélique. Il n’y a pas de création d’un héros mais mise en valeur d’aspects héroïques qui, à l’arrière-plan chez Matthieu, sont renforcés d’un adverbe, d’un qualificatif dont la répétition donne au Christ le relief intense d’un personnage d’épopée. Ainsi on peut noter un développement léger mais sensible des termes de Matthieu pour décrire la croissance de Jésus enfant, sagesse, taille, grâce auprès de Dieu et des hommes  : Praecurrens aeuum sapientia praeueniebat gratiaque in uultu et uerbis ueneranda micabat. (I, 279-280) «  Sa sagesse allait plus vite et dépassait son âge, une grâce adorable brillait sur son visage et dans ses paroles.  »

Les termes de Luc erat subditus illis (Lc. 2, 51) deviennent (I, 305)  : … obsequiis apte praedulcibus. Dès la première épreuve, Jésus manifeste sa fermeté d’âme, signe des grands destins  ; ainsi, dans le jeûne qui précède la tentation du diable  : Sed contexta simul firmi ieiunia cordis terrarum ad regnum mentis secreta tenebant. (I, 371-372) «  Mais le jeûne ininterrompu que maintenait la fermeté de son coeur gardait l’intimité de son esprit face à la royauté de ce monde  »

Le Christ révèle une grande connaissance de l’âme humaine qui dépasse la clairvoyance avisée et qui est d’inspiration divine 10  ; elle lui donne une s­ upériorité sur   Elle est révélée dès le début du texte par la prédiction de Siméon  : quo pateant tecti tenebrosa uolumina cordis (I, 214). 10



DU HÉROS AU SAUVEUR219

ses adversaires en actes et en paroles. Existant dans l’Évangile, surtout chez Jean, elle est mise en valeur dans l’épopée de Juvencus, par une répétition systématique 11. Il est aussi un orateur exceptionnel, captivant ses auditeurs par la vérité et la force de son message  ; enfant déjà devant les vieillards du temple, stupéfaits de sa précocité, il prend l’initiative des discussions  : … Vix admiratio digna de pueri uerbis senibus fuit… (I, 294-295) «  … C’est à peine si l’admiration des vieillards était à la mesure des paroles de l’enfant…  »

Alors que chez Luc (Lc. 2, 46), Jésus écoute et pose des questions (audientem illos et interrogentem), il apparaît chez Juvencus comme celui qui enseigne  : … uatumque choreis inuenit insertum legumque obscura senili tractantem coetu… (I, 293-294) «  Intégré au service des prêtres et traitant des obscurités de la Loi dans une réunion de vieillards.  »

De même, dans son ministère, à l’âge adulte, sa parole séduit tous ceux qui l’écoutent  : Talia dicentem fixa admiratio plebis inmensum stupuit, quoniam transcenderat alte doctrinam ueterum Christo concessa potestas. (I, 728-730) «  Tandis qu’il prononçait ces paroles, la foule, paralysée d’admiration, était dans une immense stupeur, car la puissance accordée au Christ avait dépassé de haut l’enseignement des Anciens 12.  »

À cette clairvoyance extraordinaire, à cet art de subjuguer les foules s’ajoute une autorité qui n’est pas seulement celle d’un maître ou d’un grand homme mais qui est, là encore, d’ordre divin. Bien évidemment, c’est une constante dans l’Évangile de Matthieu, mais qui est renforcée par la traduction fréquente du verbe dire par le verbe iubeo 13 ou d’autres verbes traduisant la domination, 11   Pectora talia cernens (II, 84)  ; Mentis perspector Iesus (II, 274  ; Internae cernens molimina mentis (II, 308)  ; Ille sed inspiciens, quid pectora clausa tenerent (II, 353)  ; Talia perspiciens procerum molimina Christus (II, 599)  ; pectora talia cernens (III, 223)  ; Ille sed inspiciens saeui penetralia cordis (IV, 7). 12   On peut noter que c’est dans ces passages que se multiplient les emprunts formels à Virgile, qui donnent un aspect solennel à la scène sans qu’il y ait vraiment parallélisme des situations puisqu’il s’agit ici de la stupéfaction des Troyens devant le cheval des Grecs  : pars stupet innuptae donum exitiale Mineruae (Aen. II, 31) et de la réaction de Didon aux paroles d’Énée (même début d’hexamètre  : talia dicentem iamdudum uersa tuetur (Aen. IV, 362). 13   Jubet, imperio (I, 98), jubet (III, 93), jussit (III, 212), ducere (III, 626), praecipit (IV, 374), jussit (IV, 397), jubebat (IV, 430).

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CHAPITRE XIII

l’énergie dans l’action, la force qui entraîne l’admiration 14. Cette autorité est reconnue par la foule parce qu’elle s’exerce avec calme et délicatesse en toute circonstance (Placido ore, II, 365)  ; le Christ répond avec sérénité en un discours plein de paix (Placido sermone, III, 399). Le Christ présente les traits de caractère que l’Énéide met en évidence chez Énée  : patientia, clementia, pietas, fides 15, il est soumis à ses parents, fidèle à ses amis, patient envers les malades et les affligés mais également envers ses adversaires  ; mais Juvencus n’emploie jamais ces termes pour le qualifier, même si on les trouve dans son épopée 16  ; ainsi c’est sa mère qui est pia 17, adjectif ajouté, lors de l’épisode où Jésus, à douze ans, reste au temple de Jérusalem et le terme prudentia, autre qualité du héros, pourtant utilisé dans ce passage par Luc 18, n’est pas repris par Juvencus. De même, lorsque Matthieu évoque l’enseignement de Jésus à Nazareth, il emploie les termes sapientia haec et uirtutes (13, 54) mais Juvencus attribue les vertus au Père (virtutes patrias, III, 20) et développe de façon plus concrète le contenu de cet enseignement  : Iustitiae leges uitaeque salubria iussa, (III, 19) «  Les lois de la justice et les préceptes salutaires de la vie.  » Cependant, lorsque le Christ envoie ses disciples en mission, il leur dit  : Pergentes uero similem mihi sumite mentem, ut uobis subigat uirtutes daemonis atri sancta fides curamque piam languoribus aptet. (II, 436-438) «  Et en chemin prenez un esprit semblable au mien, pour qu’une foi sainte vous soumette les forces du noir démon et applique aux maladies le traitement de la piété.  »

Il définit ainsi, par les mots uirtutes, fides et piam qu’il applique à son propre esprit, une conception épique de la mission des premiers chrétiens. Mais si Énée 14   Admiratio plebis (I, 728), Trans freta contendit rapido conprendere cursu (III, 237), tali conpellat uoce (IV, 555). 15   Et plus encore que chez Énée puisque comme l’explique Ripoll (1998), p.  425  : «  Si l’Énéide marque bien, comme l’a démontré B. Otis, une humanité et une moralisation de l’univers épique, la prépondérance de la pietas entendue comme vertu historique tend à reléguer au second plan l’illustration systématique des composantes de l’humanitas, telles que la justitia et la clementia (…). Le succès de la pietas d’Énée ouvre la voie à l’avènement ultérieur de l’humanitas Romana, mais la pression du destin empêche la mise en pratique immédiate de ses composantes.  » 16   Patientia (I, 550) est un conseil du sermon sur la montagne qui précise les exemples du texte initial où il n’apparaît pas. 17   Le terme pius répertorié neuf fois dans l’index de Hansson (1950) (I, 295, 381  ; II, 240, 438, 513, 710  ; III, 15, 424, 610), s’applique à Marie, à Salomon, aux dons du Christ ou aux âmes pieuses qui suivent la voie du Christ mais n’est jamais employé pour le Christ. De même, la fides est celle de l’écrivain dans la préface, des malades qui s’en remettent au Christ, ou des hommes qui écoutent la parole de Dieu. 18   Lc.  2, 47  : stupeant autem omnes qui eum audiebant super prudentia et responsis eius.



DU HÉROS AU SAUVEUR221

est pius, c’est-à-dire homme respectueux des liens qui l’unit aux dieux, à sa famille et à sa patrie, le Christ lui est sanctus, c’est-à-dire Dieu, et c’est lui qui reçoit ces marques de fidélité que traduisent les mots pietas et fides. 1.2.  Les hauts faits du héros Le texte use discrètement des procédés d’amplification épique qui donnent aux miracles du Christ une image d’abondance généreuse 19  ; un passage caractéristique du livre I présente le Christ comme un semeur de la bonne parole et des dons du Père  : Exhinc per terram Galilaeam sancta serebat insinuans populis regni praeconia Christus. (I, 435-436) «  Ensuite, à travers la terre de Galilée, le Christ semait et faisait pénétrer dans le cœur des foules la sainte proclamation du royaume 20.  »

Ce passage montre à la fois le charisme du Christ mais aussi un aspect plus particulier sur lequel Juvencus revient à plusieurs reprises  : l’instantanéité et l’efficacité de la parole et des gestes du Christ  ; ainsi, dans le récit de la guérison d’un lépreux, la répétition de «  si tu le veux  », «  je le veux  » du texte de Matthieu est supprimée, et l’ajout de l’expression adtactu solo (I, 738), «  rien qu’en le touchant  », renforce l’idée d’un résultat instantané  ; dans le miracle suivant, celui du serviteur du centurion, l’insistance est mise sur la simultanéité de la parole du Christ et de la guérison à distance, qui s’opère dans le même temps, comme en témoigne l’utilisation du présent  : Dixerat et dicto citius cum uoce loquentis ingressusque domum miles properante recursu. (I, 763-764) «  Il avait dit. Plus promptement que les mots, tandis qu’il parlait, le don que promettait sa parole rapide atteint l’enfant 21.  »

On a là une pratique fréquente dans l’épopée, où la réussite du héros est faite d’accumulations, d’excellence et de rapidité, qui distinguent ses actes de ceux de ses compagnons. Jésus n’est pas seulement le meilleur, mais un être à part et la foi chrétienne reconnaît dans les miracles du Christ sa filiation divine. 19   Praebebat munera patris (II, 8), «  prodiguait les dons de son Père  »  ; omnibus ille tamen languores dempsit amaros (III, 200), «  À tous cependant il ôte leurs faiblesses amères  »  ; Nec minus in stratis aegros donare salute (III, 462), «  Il n’en continue pas moins à rendre les malades à la santé et à accorder les dons du Père très haut.  » 20   Donabatque citam… medellam (I, 437), «  accordait prompte guérison  »  ; facili munere (I, 443), «  générosité des dons  »  ; graui sermonis pondere (I, 447), «  poids irrésistible de sa parole.  » 21   D’autres passages présentent les mêmes caractéristiques  : Haut mora (II, 382)  ; protinus ille et causas morbi et credentia pectora cernens (II, 392-393)  ; Nec mora (IV, 394).

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CHAPITRE XIII

Certaines guérisons montrent concrètement la force du Christ dans sa lutte contre le mal, l’énergie agissante du Verbe et la violence du combat livré qui rappelle celle des combats épiques  : … Tum uocis pondere multo incubuit mentisque. Simul conuulsa uenena daemonis horrendi purgato corde fugauit. (III, 368-370) «  … Alors il concentra sur lui tout le poids de sa parole. De l’intime de son esprit il arracha le poison de l’horrible démon et, purifiant le cœur de l’enfant, le mit en fuite.  »

Il fait preuve également d’une grande endurance physique et morale tant dans l’épreuve initiale de la tentation du démon que dans son enseignement qu’il ne se lasse jamais de dispenser (IV, 39)  : Ille indefessus nulli responsa negabat. Enfin, la descente aux Enfers est présentée comme la victoire d’un triomphateur, et l’emploi du terme «  trophées  » rappelle discrètement que c’est là l’épreuve initiatique de tout héros d’épopée  : Ni prius huc hominis suboles speciosa reportet in lucem referens mortis de sede tropaea. (III, 341-342) «  Avant que le rejeton de l’homme ne rapporte ici à la lumière, du séjour de la mort, les splendides trophées.  »

1.3.  La mise en scène du personnage épique C’est dans le détail du récit que se manifestent principalement les aspects épiques ajoutés à l’Évangile. Ainsi, le ton solennel des vers qui annoncent l’accomplissement de l’Écriture, dès le ministère de Jean-Baptiste, vers ajoutés à Mt. 3, 1 (qui dit seulement in diebus autem illis), marquent bien le lien entre le passé et le présent dans le déroulement inéluctable voulu par Dieu pour parfaire son dessein  : Interea ueteris scripti per debita currens omnia saeclorum series promissa trahebat. (I, 307-308) «  Cependant, l’enchaînement des siècles, en parcourant toutes les étapes nécessaires entraînait avec lui les promesses de l’antique Écriture.  »

Plus que dans la volonté de nous présenter un héros épique, c’est dans le ton élevé caractéristique de ce genre que l’on doit chercher le point de contact essentiel du travail de réécriture de Juvencus avec ses prédécesseurs païens. L’attitude du Christ est faite en permanence d’une gravité et d’une solennité qui contrastent avec la familiarité du texte évangélique. Lui seul, la plupart du temps, parle en style direct, ce qui renforce le caractère sacré de ses paroles 22. 22   La guérison des deux aveugles est précédée d’un dialogue en style direct (II, 410), la multiplication des pains comporte l’ajout d’une phrase qui anticipe le miracle que va réaliser le Christ  : Hoc, inquit, satis est (III, 83).

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Dans l’épisode de la Samaritaine, chacune des paroles du Christ est précédée d’un titre ou d’une précision, tous ajoutés, semblables à des épithètes homériques soulignant la divinité du Christ  : seruator Iesus (II, 243), saluator (II, 247), seruator (II, 256), Olli respondit mundi regnator Iesus (II, 265), mentis perspector Iesus (II, 274), Et tum peccantis largus misertor Iesus (II, 293) 23. Par ailleurs, des reprises d’expressions virgiliennes évoquent fugitivement la silhouette d’Énée. La coïncidence voulue la plus évidente est celle de l’attitude du Christ dormant lors de la tempête, comme le chef des Troyens quittant Carthage. Interea in puppi somnum carpebat Iesus. (Juvc. II, 33) Aeneas celsa in puppi iam certus eundi carpebat somnos rebus iam rite paratis. (Virg., Aen. IV, 554-555)

Ce passage est très caractéristique du traitement que Juvencus fait subir aux vers de Virgile. Si le vocabulaire est le même, la paraphrase détourne la situation  ; là où Énée obéit à l’ordre réitéré de Mercure dans une précipitation et une agitation qui ressemble à une fuite éperdue 24, le Christ exhorte ses disciples au calme et à la confiance et rétablit la paix sur la mer. L’hexamètre très paisible qui exprime ce retour au calme, en laissant les tempêtes au vers précédent 25, contraste avec l’agitation du passage de Virgile 26 et le désordre qui atteint la mer 27. Énée déclenche la tempête et sème l’inquiétude autour de lui  ; le Christ apaise l’univers qui reconnaît en lui son maître et ramène la sérénité dans le cœur de ses compagnons. Certes, comme le souligne F. Mora-Lebrun, le Christ, dans plusieurs autres passages, «  … apparaît aussi, de façon latente, sous les traits d’Énée  : il se tient devant le temple de Jérusalem comme le chef troyen devant celui de Junon, s’adresse à ses disciples dans les termes mêmes, timor omnis abesto, où Énée s’adressait à ses troupes, et ces disciples lui obéissent comme les compagnons d’Énée obéissaient à leur chef 28.  »

Mais ces emprunts au vocabulaire de l’Énéide mettent en évidence deux tendances opposées caractéristiques de cette paraphrase, soit une polémique qui entreprend de renouveler un thème en le rendant à la vérité, soit une rencontre   D’autres miracles se présentent également ainsi  : seruator Iesus (II, 382) avant la rencontre avec l’hémoroïsse  ; Christus, leti uictor uitae repertor (II, 405) au moment de la résurrection de la fille de Jaïre. 24   Verg., Aen. IV, 571-572  : Tum uero Aeneas subitis exterritus umbris / corripit e somno corpus, sociosque fatigat  ; Aen. IV, 575-577  : Deus aethere missus ab alto / festinare fugam tortosque incidere funis / ecce iterum stimulat. 25  … Inde procellis / Imperat et placidam sternit super aequora pacem (II, 37-38). 26   Idem omnis simul ardor habet, rapiuntque ruontque (II, 581). 27   Adnixi torquent spumas et caerula uerrunt (II, 583). 28   Mora-Lebrun (1994), p. 69. 23

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de pensée qui approfondit la pensée païenne et donne une formulation philosophique aux doctrines chrétiennes. L’évolution du contenu de l’épopée avait déjà préparé cette mutation  ; avec Ovide et Lucain, le sage se superpose au héros. Et si le Christ peut apparaître dans les attitudes d’Énée, c’est qu’Énée porte en lui une part du sacré romain, il est chargé d’un destin tourné vers le sacrifice pour le salut de son peuple. L’imitation des deux vers de l’Énéide, où Latinus réunit son conseil après avoir compris qu’Énée était «  l’homme du destin  » (fatalem Aenean manifesto numine ferri, XI, 232 29), éclaire discrètement la rencontre au palais de Caïphe, où se décide la mort du Christ après la reconnaissance de ses pouvoirs (fatum uenerabile, 398  ; tantae uirtutis, 400 30)  : Ergo ad concilium scribae, plebisque uocatur iam grauior numerus, qua uatum principis alte Pulchra Caiphaeae conlucent atria sedis. (IV, 403-405) «  Aussi sont convoqués au conseil les scribes et la partie la plus influente du peuple sur la hauteur où resplendissent les beaux bâtiments du palais où siège le prince des prêtres Caïphe.  »

C’est également dans la mise en scène des miracles entourés d’une abondance de détails destinés à amplifier l’émotion et le caractère théâtral de la situation, que l’on peut retrouver des éléments épiques. L’insistance réaliste sur les souffrances des malades qui viennent implorer la guérison s’apparente aux descriptions des blessures de combat dans l’épopée  : les aveugles sont chancelants, les malades tremblent de fièvre, la lèpre dévore les membres, les possédés sont déchirés par la puissance du démon, le sang coule, épuisant le corps de l’hémoroïsse et le cadavre de Lazare est en putréfaction 31. L’auteur ajoute également des exclamations pathétiques ou admiratives, échos virgiliens et intervention du poète  : mirabile uisu pour Jésus marchant sur l’eau (III, 103), funus miserabile pour la fille de Jaïre (II, 381, mirumque sur les guérisons des malades (III, 131), mirabile dictu pour le jeune homme possédé par le démon (II, 44) ou pour l’enseignement du Christ (III, 18).

29   XI, 234-235  : Ergo concilium magnum primosque suorum / imperio accitos alta intra limina cogit, «  Il réunit donc à l’intérieur de son haut palais le grand conseil et les premiers de ses sujets mandés sur son ordre.  » 30   Sur ce passage, cf. Borrell Vidal (1991a). 31   Caecorum pariter gressu labente duorum (II, 409)  ; cuius anheha socrus aestu febrique iacebat (I, 768)  ; cui natum morbus anhelo / ardore extremis uitae torrebat in oris (II, 330-331)  ; Ecce sed horrenda confixus uiscera tabe / quem toto obsessum foedarat corpore lepra (I, 733-734)  ; cui mentem spiritus ater / Immunda inplebat lacerans uirtute furoris (II, 45-46)  ; carpebat fluxus macerans sine fine cruoris / uiribus absumptis et toto corpore fessam (II, 385)  ; Fetorem miserum liquefactis reddere membris (IV, 379).

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2.  Le Christ, Dieu et homme 2.1.  Le Christ Dieu  L’ajout fréquent d’adjectifs permet d’«  habiller  » la phrase, comme l’explique Quintilien 32  : «  le rôle de cet ornement (l’épithète) est tel que sans épithète, le style est nu et pour ainsi dire, mal peigné.  » Mais les titres donnés au Christ par leur convergence sont bien plus que de simples ornements du vers  ; ils révèlent tout au long du texte la divinité de Jésus-Christ dans ses aspects essentiels. La sainteté du Christ, liée à la divinité et affirmée dès l’Annonciation 33, va revenir fréquemment, associée d’une part à sa tendresse pour les enfants 34, puis à son affection pour Lazare 35 et enfin liée aux notions de divinité et de justice 36. En particulier au livre IV plus se multiplient les outrages qu’il subit, plus est affirmée la sainteté du Christ. Les titres du Christ soulignent particulièrement sa divinité Dominumque Deum (I, 24), à égalité avec celle de Dieu le Père, caeli Dominum (I, 406), Supremi Dei (I, 38) 37  ; mais chacune des deux personnes a ses particularités, le Père est le Créateur et le maître du monde Dominus, caeli terraeque repertor (I, 35), immensi Domino mundi (I, 97)  ; certains de ses qualificatifs reprennent des traits de divinités païennes, genitor, cui gloria seruit / Fulgentis caeli et terrarum frugiferentum (II, 548), regnum sublime Tonantis (II, 795) ou l’image du souverain du monde élaboré par le syncrétisme philosophique  : Astrorum et terrae, pontique hominumque parenti (I, 118), supremum patrem (I, 173), hominum genitor (I, 674), Ni soli rerum Domino, qui sidera torquet (IV, 164) rerum Dominus (IV, 300). Le Fils est le Christ, attendu par l’humanité cognouit Christum (I, 220), Dieu avec nous  : Nobiscum Deus (I, 142), vainqueur de la mort uictorem leti… Iesum (IV, 770) et donc, lui aussi, maître de la vie  : sator aeternae… uitae (III, 161), auctor  Quint., Inst. 8, 41  : uerum tamen talis est ratio hujusce uirtutis ut sine adpositis nuda sit et uelut incompta oratio. 33   I, 71-72  : Ac tibi mox puerum casto sermone iubebit / magnificum gigni populis, quem credere sanctum / supremique Dei natum uocitare necesse est, «  Et bientôt par sa chaste parole, il fera que tu engendres pour les peuples un garçon magnifique, dont il faudra reconnaître qu’il est saint et qu’on doit l’appeler l’enfant du Dieu très haut.  » 34   III, 496  : Sanctas his ordine palmas / Inponit…, «  À chacun à la suite il impose ses saintes mains…  » 35   IV, 348  : Christus item sancto depromit pectore uocem, «  Le Christ à nouveau prononce des paroles qui viennent de son cœur saint.  » 36   I, 767  : Iesus sanctus  ; III, 192  : Talia Saluator uerbis caelestibus edit  ; IV, 412  : sanctum… Christum  ; IV, 566  : sanctam Christi faciem  ; IV, 595  : sanctum  ; IV, 652  : sanctum iustumque. 37   Arator poursuivra cette affirmation de la divinité du Christ à égalité avec le Père en lui appliquant des titres qui évoquent la création  : fabricator (I, 453), opifex hominum (I, 168), Creator rerum (I, 2). 32

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uitae… Iesus (III, 503), uitae spes unica (III, 521), ces deux aspects étant réunis dans le titre donné en II, 405, après la résurrection de la fille de Jaïre  : Christus, leti uictor uitae repertor. Ce titre est non seulement un ajout de Juvencus, mais aussi un emprunt à Virgile (Aen. 12, 829  : hominum rerumque repertor) qui désigne Jupiter, le souverain des dieux. Ainsi le Christ, lui aussi, peut par la reprise d’éléments de vers virgiliens retrouver l’apparence des divinités anciennes. Comme l’écrit F. Mora-Lebrun  : «  C’est ainsi que souvent, chez Juvencus, le Christ remplace les dieux païens, infusant une force neuve à de vieilles formes révérées  ; il s’adresse à Dieu comme Éole s’adressait à Junon, calme la tempête comme un nouveau Neptune et trône en haut du ciel, uertice caeli, comme le faisait Jupiter 38.  »

Lui aussi, il peut être désigné par des termes philosophiques abstraits, tel que numinis alti (I, 89). Aux deux personnes vont même gloire et même royauté  : terrarum gloria Christus (II, 134), genitor cui gloria seruit… terrarum (II, 548)  ; rex indite gentis (II, 119), regnum sublime Tonantis (II, 795), qui in culmine regnat (IV, 65). Les modifications de Juvencus insistent surtout sur sa filiation divine, d’abord dans les périphrases du livre I, annonçant solennellement à Marie la reconnaissance par le Père de son Fils unique  : Natum, quem regnare Deus per saecula cuncta et propriam credi subolem gaudet et iubet. (I, 61) «  Un enfant dont Dieu veut qu’il règne dans tous les siècles, qu’on reconnaisse en lui son propre rejeton et s’en réjouit 39.  » Magnificum gigni populis quem credere sanctum supremi Dei natum uocitare necesse est. (I, 71-72) «  [Tu enfanteras] pour les peuples un garçon magnifique dont il faudra reconnaître qu’il est saint et qu’on doit appeler l’enfant du Dieu très haut 40.  »

Puis, la profession de foi de Marthe juste avant la Passion rappelle l’infinie dignité du Christ (ueneranda, celso)  : Sublimis ueneranda Dei quod uenerit in te caelestis suboles celso sub nomine Christi. (IV, 356-357)   Mora-Lebrun (1994), p. 68.   La réécriture de Juvencus omet les allusions à la filiation humaine de Jésus, peutêtre dans une volonté polémique contre les ariens ou dans un souci de déjudaïser la mission du Christ  : et dabit illi Dominus Deus sedem David patris eius et regnabit in domo Iacob in aeternum et regni eius non erit finis (Lc. 1, 32-33). 40   L’ajout de necesse est introduit une insistance contournée que le texte de Luc n’a pas. Là aussi on peut voir sans doute une allusion à la controverse arienne qui niait la divinité du Christ. 38 39

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«  En toi est venu du Dieu Très haut le rejeton céleste digne d’être vénéré sous le très grand nom de Christ 41.  »

Mais le titre le plus souvent attribué à Jésus est celui, mystérieux, qu’il se donne lui-même dans l’Évangile  : «  Fils de l’homme  », tiré de la vision de Daniel (Dn. 7, 15). Deux des passages de Matthieu comportant cette dénomination ne sont pas traduits (Mt. 11, 19  ; 17, 21), les autres sont rendus dans un effet de uariatio, sans changement de sens, par hominis natus (Jn. 1, 51, II, 126  ; Jn. 3, 14, II, 216  ; Mt. 8, 20, II, 17  ; Mt. 12, 32, II, 626  ; Mt. 20, 28, III, 609  ; Mt. 25, 31, IV, 259), par filius hominis (Mt. 13, 37, III, 5  ; Mt. 13, 41, III, 11  ; Mt. 16, 27, III, 311  ; Mt. 20, 18, III, 587  ; Mt. 24, 44, IV, 184), par hominis suboles (Mt. 17, 9, III, 341  ; Mt. 26, 23, IV, 439), par proles hominis (Mt. 24, 30, IV, 153  ; Mt. 26, 64, IV, 558) ou par progenies hominis (Mt. 19, 28, III, 541). Un passage du livre IV ajoute un rapprochement entre Dieu le Père et le Christ, Fils de l’homme. Là où Jean écrit que la mort de Lazare est faite pro gloria Dei ut glorificetur Filius Dei per eam (Jn. 11, 4), Juvencus transpose  : Sed Deus ut digno iustis celebretur honore et suboles hominis sancta uirtute nitescat. (IV, 319-320) «  Mais pour que Dieu soit célébré par les justes avec l’honneur qui lui est dû et que du Rejeton de l’Homme brille la sainte puissance.  »

Au-delà d’un souci de uariatio pour éviter la répétition du mot Dieu, il faut y voir une discrète explication de ce titre, qui dévoile la réalité de la puissance du Messie. L’offrande des mages révèle, de la même manière, par l’interprétation des dons, la véritable nature du Christ  : regique hominique Deoque (I, 250)  ; cette interprétation apparaît là pour la première fois dans un texte écrit et sera adoptée par la tradition patristique. 2.2.  Le Christ homme Les titres donnés au Christ insistent donc sur sa divinité mais bien des ajouts relèvent au contraire de la mise en relief de l’humanité de Jésus. Selon le procédé décrit par Quintilien, l’auteur doit s’employer à «  donner aux personnages le caractère qui convient en leur attribuant des conseils, des objurgations, des plaintes, des éloges, des accents de pitié 42.  »   On retrouve ce même ajout d’adjectifs ou de verbes affirmatifs dans d’autres passages, dans la bouches des démons lors de la guérison du possédé  : Regnatis semper Domini certissima proles (II, 55)  ; dans celle de Nathanaël avec la suppression du mot Rabbi et l’ajout de ueneranda  : progenies ueneranda Dei (II, 119) et dans la voix descendant du ciel lors du baptême de Jésus  : Te nate, hodie per gaudia testo / Ex me progenitum, placet haec mihi gloria prolis (I, 362-363). 42   Quint., Inst. IX, 2, 30  : et suadendo, objurgando, querendo, laudando, miserando personnas idoneas damus. 41

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L’insistance sur les qualités du Christ, sa vie intérieure dessine un personnage profondément humain, accessible à la pitié, compatissant à toute souffrance 43  ; par exemple, au lieu d’exprimer son admiration comme dans Matthieu, il est touché par les prières et la foi du centurion 44. Il manifeste une grande douceur envers les foules qui se pressent autour de lui 45  ; là où Matthieu écrit sobrement  : «  les touchant il dit  », Juvencus développe en une tournure curieuse qui unit la main et la parole du Christ  : … sancto Christi nisi nisi dextera tactu demulcens blandis firmasset pectora uerbis. (III, 337-338) «  Si la main du Christ, par la douceur de son saint contact, n’avait raffermi leur cœur avec des mots pleins de tendresse.  »

On retrouve cette tendresse dans d’autres épisodes 46, dans la sollicitude du fort envers les faibles et les petits, dans l’attention qui fait du héros épique dans un autre contexte, non seulement un guerrier redoutable par sa force et son courage, mais le défenseur de la veuve et de l’orphelin, le soutien des malheureux et le refuge des innocents. Même après la résurrection, triomphe sur la mort qui le révèle dans la vérité de sa toute-puissance divine, le Christ manifeste cette tendresse envers les femmes qu’il rencontre 47. Ce trait substitue au Dieu tout-puissant de l’Ancien Testament la douceur et l’amour universel du Christ. L’auteur chrétien trouve dans la forme de l’épopée de quoi affirmer ici ce qui est le plus profond dans sa foi chrétienne, la croyance en la miséricorde de Dieu. Envers ses disciples, Jésus manifeste aussi tendresse et douceur (III, 269)  : Tunc Christus cunctis irridens pectore blando, «  Alors le Christ souriant à tous dans la tendresse de son cœur.  » L’épisode de Lazare nous présente Jésus en proie à une inquiétude sincère pour un ami très cher, communiant à la douleur de ses proches 48; à plusieurs reprises, le Christ donne des manifestations de faiblesse humaine  : il gémit, il pleure (ingemit, II, 423)  ; il souffre (IV, 372)  ; il enferme dans son cœur tristesse et douleur (tristi conpressit corde dolorem, I, 410)  ; il est anxieux, parfois touché de l’hostilité de ses ennemis et de l’ingratitude des hommes, sensible   Miserans animo (II, 79)  ; et tum peccantis largus miserator Iesus (II, 293)  ; miseratus (III, 76)  ; Plebis miseratio multa est (III, 205). 44   I, 751  : Ille uiri motus precibusque fideque. 45   Omnibus indulgens (II, 8)  ; Tunc Christus cunctis arridens pectore blando (III, 269). 46   Pueros… suscipit (III, 494)  ; Conmotos tali sermonis mulcet honore (III, 601)  ; talia tum Christus depromit pectore uerba (IV, 459). 47   Et fidas matres blandus saluere iubebat (IV, 768). 48   Nam fuerat mulier meritis accepta benignis, / obsequio cuius fratremque domumque merentem / amplexus pleno Christus retinebat amore (IV, 310-312)  ; Quam Dominus tali solatur uoce gementem (IV, 343)  ; Fletibus his Christus socians de corde dolorem (IV, 369)  ; flenti maesto (IV, 372). 43

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aux malheurs qui frappent ses amis, en colère devant l’incrédulité de ses interlocuteurs 49. Les ajouts insistent de plus en plus au long du récit sur la souffrance du Christ  : Tum Christus magno conmotus corda dolore… (III, 364) «  Alors le Christ, le coeur bouleversé d’une grande douleur…  » Tunc angore graui maestus… (IV, 484) «  En proie à la tristesse d’une pesante angoisse…  »

À deux reprises aussi se manifeste sa faiblesse physique, lors de l’épisode de la Samaritaine (II, 247)  : Sederat hic rapido saluator anhelus in aestu  ; puis, lors de l’agonie (IV, 701)  : Tum clamor Domini magno conamine missus. Il faut noter que le titre donné dans ce vers à Jésus affirme sa divinité, alors même que le contexte exprime la plénitude de son humanité. L’ensemble des ajouts relève d’une ligne directrice très catholique, pour ne pas dire théologique, puisqu’ils affirment la divinité et l’humanité étroitement liées dans le Christ, principe même du salut des hommes 50. 3.  Le Christ Sauveur 3.1.  Le Christ Lumière Le titre le plus fréquent est celui de Sauveur qui scande tout le texte avec une alternance de deux termes, Seruator ou Saluator 51, auxquels s’ajoute un adjectif salutiferum (IV, 365). D’autres titres plus contournés expriment la même notion  ; dès les premiers mots de l’annonce à Marie, Juvencus met en avant le salut du monde (I, 58)  : Salue, progenie terras iutura salubri. À cette notion de salut, qui révèle la mission divine du Christ, est étroitement associé le vocabulaire de la lumière 52 qui est la marque à la fois visible et spirituelle de sa divinité, comme l’explicite l’épisode du baptême (I, 355),  : Surgenti manifesta dei praesentia claret. Et, si Nathanaël apostrophe Jésus en le reconnaissant comme Fils de Dieu et roi d’Israël, il ajoute une nuance universelle au salut apporté par le Christ  : Progenies ueneranda Dei, rex inclite gentis, tu populis manifesta salus uitaeque magister. (II, 119-120)   Anxius (II, 10)  ; Talibus indignans pressit sua munera Christus (III, 32)  ; sed Christus amaris percussus uerbis (IV, 316)  ; Et dubitata fides uerbis mulcatur amaris (III, 123). 50  Cf. James (1984), p. 210-212 sur l’analyse des titres de Dieu dans Juvencus. 51   I, 767  ; II, 243, 246, 256, 327, 382  ; III, 17, 195  ; IV, 537. 52   I, 276-277  : … Veniet, veniet mea proles / Aegypto ex alta terris lumenque salusque, «  Il viendra, il viendra, mon rejeton, des profondeurs de l’Égypte, lumière et salut pour la terre.  » 49

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«  Rejeton de Dieu digne de vénération, illustre roi de notre nation, tu es pour les peuples la manifestation du salut et le maître de la vie.  »

De même, dans l’épisode du démoniaque épileptique, le Domine de Matthieu (17, 14) est remplacé par un vers qui allie l’origine royale du Christ et le sens de sa mission (III, 356)  : Dauidis suboles, hominum lumenque salusque. Depuis l’annonce des anges aux bergers jusqu’au titre du dernier vers du texte 53, Jésus est enveloppé d’une clarté qui dépasse de loin le signe qui marque dans l’Antiquité les héros au destin exceptionnel ou la lumière «  qui manifeste le fait sacré de la présence d’une divinité dans la fable 54.  » Il irradie d’une lumière qui est celle du ciel, révélant ainsi sa nature divine et répandant sur le monde les bienfaits de sa clarté 55. Dans l’épisode de la Transfiguration, la lumière baigne les personnages, le décor, les paroles du Christ annonçant la Résurrection 56  : Continuo Christus faciem fulgore corusco mutatur, uestemque niuis candore nitescit. (III, 321-322) «  Aussitôt le visage du Christ change et brille comme l’éclair, ses vêtements deviennent éblouissants comme la neige.  » Talia dum loquitur, caelo praefulgida nubes circumiecta oculis uestibat lumine montem et uox e medio lucis manifesta cucurrit. (III, 330-333) «  Tandis qu’il s’exprimait ainsi, du ciel une nuée resplendissante sous leurs yeux étendait et revêtait de lumière la montagne, et du milieu de la lumière une voix se fit entendre, bien claire.  »

Dans les apparitions après la Résurrection, chez Matthieu, ce sont les anges qui ont un vêtement lumineux, alors que Jésus n’a pas de qualificatif et qu’il est pris d’abord pour le jardinier par Marie-Madeleine. Chez Juvencus, l’ange lumineux apparaît aux soldats et il est décrit en deux vers  : Illius et facies splendet ceu fulguris ignis, et niuis ad speciem lucent uelamina uestis. (IV, 748-749) «  Sa face resplendit comme le feu de l’éclair, et à la ressemblance de la neige brille l’étoffe de son vêtement.  »

Mais Jésus apparaît aux femmes qui le reconnaissent immédiatement comme le ressuscité, Victorem leti (IV, 770). Il est qualifié de clarus (IV, 766), comme dans l’épisode où il apparaît à ses disciples (IV, 790).   IV, 810  : Per dominum lucis Christum.   Cf. Testard (1990), p. 13 qui, à propos de la présence de cette lumière au vers 355, en rapproche le vocabulaire avec les manifestations lumineuses des récits épiques. 55   II, 294  : lumen terris Christum  ; II, 733  : terrarum lumen Iesus  ; III, 3  : clarus Iesus, lorsqu’il révèle le sens de la parabole de l’ivraie. 56   III, 342  : lucem  ; III, 346  : Christi… lucem. 53 54

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Certains vers associent ces quatre notions  : mission, filiation divine, sainteté et lumière (IV, 320)  : Et suboles hominis sancta uirtute nitescat. Dans la prophétie de Siméon la lumière du Christ est liée à la paix du monde et à la gloire du peuple de Dieu  : Dominus… finemque inponere uerbis dignatur cum pace suis. En splendida nostros lux oculos tua circumstat ratiisque renidet quam cunctis hominum lustratis gentibus addit Istrahelitarum cumulatae gloria plebis. (I, 202-207) «  Que le Seigneur… daigne à ses paroles donner accomplissement dans la paix. Voici qu’envahit notre regard et brille de tous ses rayons ta splendide lumière, que fait rayonner sur toutes les nations des hommes la gloire dont le peuple des Israélites est comblé.  »

Elle révèle avec insistance la véritable nature du Christ associant divinité et humanité pour le salut du monde  : Cum primum caeli laudem terraeque salutem omnia, quem uatum spondent oracula Christum. (I, 194-195) «  Dès qu’il aurait vu la gloire du ciel et le salut de la terre, le Christ, que tous les oracles des prophètes promettent…  »

En précisant le titre de Matthieu «  le roi des Juifs  » par l’expression exortum terris uenerabile numen adorent (I, 232), Juvencus met en évidence la nature de la royauté du Christ, sa filiation divine 57. Dans la réalisation de la parole d’Isaïe, il met également l’accent sur la lumière et sur le Christ envoyé par son Père  : … populique tenebris inclusi magnum lumen subitumque uidebunt, in mortisque illis umbra residentibus alma exoritur fidei resplendens luce uoluntas. (I, 415-418) «  … Les peuples enfermés dans les ténèbres, verront soudain une grande lumière, et pour ceux qui demeurent dans l’ombre de la mort se lève une bienveillante volonté qui resplendit de lumière pour la foi.  »

Jésus, lorsqu’il se fait reconnaître de ses disciples la nuit où il marche sur les eaux, leur déclare au lieu de «  Courage, c’est moi  ; n’ayez pas peur.  » (Mt. 14, 27)  : En ego sum, uestrae doctorem noscite lucis (III, 109), «  C’est moi, reconnaissez celui qui vous fait connaître la vraie lumière.  »   On retrouve la même idée dans la traduction de «  la mère de mon Seigneur  » par mater numinis alti (I, 89) ou dans la phrase (IV, 385)  : uirtus mox conscia caelum suscipit. 57

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CHAPITRE XIII

Cette lumière caractérise le personnage de Jésus car elle est à la fois signe de vie et de vérité  ; pour la même raison, il est appelé par deux fois dans le livre II  : terrarum lumen (II, 75  ; II, 733). Pierre lui-même, dans sa profession de foi proclame  : … Tu Sancti filius, inquit, Christus, magnifico terras qui lumen conples. (III, 271-272) «  Tu es le fils du Saint, le Christ, toi qui emplis la terre d’une magnifique lumière.  »

Juvencus insiste donc très nettement sur le symbolisme de la lumière, signe d’espoir et de révélation, qui marque à la fois la divinité du Christ et la vérité qu’il apporte sur terre. D’autres titres du Christ évoquent sa royauté, d’abord celle annoncée par l’Ancien Testament  : terrarum gloria Christus (II, 134), mundi regnator Iesus (II, 265), par la suite, la royauté spirituelle du Dieu Fils, force de vie qui triomphe de la mort  : Christus, leti uictor uitaeque repertor (II, 405), auctor uitae (III, 503) 58. Enfin, au livre IV, les ajouts de Juvencus mettent en évidence l’innocent sacrifié injustement pour le salut du monde  : iusti uenerabilis (IV, 518), insonti Christo (IV, 544), en insistant à nouveau sur sa divinité et sa filiation  : Dominus… Iesus (IV, 590), proles ueneranda Tonantis (IV, 672 et 786) 59. Les deux mots uita et lumen (ou lux), thèmes essentiels chez Jean, sont comme le résumé et l’essentiel de ce que le Christ apporte à l’humanité et le fil conducteur de la réécriture de Juvencus 60. C’est à travers ces mots que la figure du Christ est perçue dans les différentes dimensions qui sont les siennes  : Fils de Dieu participant à la Trinité, Sauveur qui par ses actes et son enseignement renouvelle le monde et permet le passage de l’ancienne loi à la nouvelle. Les deux notions se recouvrent partiellement, mais se distinguent aussi  : uita est plutôt de l’ordre du pouvoir et lumen de l’ordre de la vérité 61. Le Christ est celui qui apporte la vie, comme créateur mais aussi, dans l’incarnation, par la guérison des malades  ; il l’est aussi, comme magister, par sa prédication sur l’accueil et le pardon. Au Christ, maître de la vie se heurte le pouvoir humain, celui des rois, des orgueilleux et en général de tous les cœurs si pleins d’euxmêmes qu’il n’y a pas de place en eux pour accueillir le Christ. Mais peu à peu  Également populis uitalia dicta frequentat (II, 725)  ; uitae spes unica (III, 521)  ; uitalia uerba (III, 255)  ; aeternae iustorum gloria uitae (III, 530)  ; Victorem leti Iesum (IV, 770). 59  Également iustus (IV, 594, 642)  ; Domini (IV, 701). 60   L’idée est en parfaite cohérence avec une volonté de lutter contre l’arianisme en affirmant avec force par ces ajouts la divinité du Christ. 61   Cet aspect renforce l’aspect profondément johannique par certains côtés de l’œuvre de Juvencus. 58

DU HÉROS AU SAUVEUR233



se pose la question de la vérité et la lumière passe au premier plan dans les débats avec les Pharisiens et les scribes. Le refus de la souveraineté du Christ comme le refus de la Vérité conduit les puissants et les doctes vers le furor. Dans l’affrontement final, les puissants, aveugles comme les doctes, et les doctes, devenus sanguinaires comme les puissants, se liguent pour éliminer le Seigneur de la Vie et de la Lumière. 3.2.  Des précisions qui esquissent une analyse christologique Cette insistance sur les liens entre la divinité et l’humanité du Christ et sur son rôle de Sauveur du monde reflète la grande remise en question de ce début du quatrième siècle sur des points fondamentaux de la foi en matière de christologie. En mettant en évidence la divinité du Christ et la plénitude de sa condition humaine Juvencus professe l’orthodoxie face à la négation par Arius de la divinité du Christ mais aussi de l’intégralité de sa nature humaine puisque, selon lui, le Christ n’a assumé qu’une chair sans âme. Le fils de Dieu, pour les ariens, remplissait le rôle de l’âme humaine dans le Christ et devenait ainsi sujet des passions et des faiblesses de l’esprit humain. La théologie occidentale, qui est celle de Juvencus, a une conception très concrète de l’humanité du Verbe incarné, dans un schéma Verbe-homme assumé qui permet la distinction des deux natures, divine et humaine, tout en défendant l’intégrité de l’humanité dans le Christ par l’égale affirmation d’une âme humaine. Par exemple, l’âme est ainsi définie par Origène dans «  L’entretien d’Origène avec Héraclide et les évêques ses collègues sur le Père, le Fils et l’âme 62  »  : «  Ainsi donc notre Sauveur et Seigneur, dans sa volonté de sauver l’homme comme il voulut le sauver, pour cette raison voulut sauver le corps, de même qu’il voulut pareillement sauver l’âme, et voulut en outre sauver ce qui restait dans l’homme  : l’esprit. Or l’homme n’aurait pas été sauvé tout entier, s’il n’avait revêtu l’homme tout entier. On supprime le salut du corps humain en disant que le corps était spirituel  ; on supprime le salut de l’esprit humain au sujet duquel l’Apôtre dit  : Aucun homme ne connaît les choses de l’homme, sinon l’esprit de l’homme qui est en lui… Voulant sauver l’esprit de l’homme dont l’Apôtre a ainsi parlé, le Sauveur a revêtu également l’esprit de l’homme. Ces trois éléments lors de la Passion ont été séparés  ; ces trois éléments lors de la Résurrection ont été réunis.  »

La distinction dans le Christ entre la psyché, âme inférieure, celle des passions et le pneuma, âme supérieure de la raison directrice dessine, en s’appuyant sur les Évangiles, une anthropologie et une Christologie qui deviendront dogme de l’Église au fur et à mesure des luttes contre les hérésies. L’analyse de l’épisode de l’agonie à Gethémani (Mt. 26, 36-46) montre que   Entretien d’Origène avec Héraclide et les évêques, ses collègues, sur le Père, le Fils et l’âme cité par Liebaert (1966), p. 97. 62

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CHAPITRE XIII

Juvencus a une pensée précise sur la nature du Christ et que les termes désignant l’âme ou le corps ne sont pas employés seulement au gré d’une uariatio poétique. On trouve aussi les mots animus, pectora, spiritus, corpus (deux fois), membris avec des ajouts caractéristiques. Tristis est anima mea usque ad mortem (Mt. 26, 38) est rendu par Tristia nunc uoluens animus mihi pectora turbat / morte tenus… qui exprime avec insistance le trouble de la psyché, celle des passions humaines pleinement assumées par le Christ, alors que dans l’opposition spiritus iste uiget sed corpus debile labat adressé aux disciples (IV, 500), l’esprit est la raison directrice de l’âme humaine qui permet la victoire sur le corps et les passions. La distinction suggérée dans l’Évangile à travers les mots anima et spiritus est clairement explicitée. Juvencus ne choisit pas de traduire un terme de l’Évangile toujours par le même terme mais de préciser le sens qu’il perçoit dans le texte  ; ainsi le terme spiritus qui reste ici spiritus pour traduire la raison directrice de l’âme sera dans l’épisode de la mort de Jésus rendu par animam  : Aetheriis animam comitem conmiscuit auris (IV, 702). Juvencus a donc interprété dans ce dernier passage le terme spiritus comme désignant non le souffle de vie, mais, dans un sens plus théologique, l’âme, et affirme avec force, en termes platoniciens, la réalité humaine de l’âme du Christ. On peut également rapprocher cette analyse de celle de l’épisode des tentations, où deux vers ajoutés expriment l’intention de Juvencus de préciser que le Christ assume une humanité complète, cœur, esprit, corps, malgré le choix de termes encore différents  : Sed contexta simul firmi ieiunia cordis terrarum ad regnum mentis secreta tenebant tunc epulas demum monuit conquirere corpus (I, 371-373) «  Mais en même temps le jeûne ininterrompu que maintenait la fermeté de son coeur gardait l’intimité de son esprit face à la royauté de ce monde. alors son corps l’invita enfin à chercher une nourriture.  »

Deux autres ajouts sont également une leçon qui précise des éléments de théologie  : l’insistance des deux derniers vers sur la souffrance physique de la Passion  : Nam uenit ecce, meum qui dedat in omnia corpus, quae maculata meis inponet factio membris (IV, 509-510) «  Car voici que vient celui qui livre mon corps à tout ce qu’à mes membres infligera une faction souillée.  »

et l’ajout du vers IV, 493 quae tibi decreta est tantis sententia rebus renforcé au vers 502 par le titre du Père rerum mitissime rector qui donne à la Passion du Christ tout son sens salvateur dans le plan de Dieu sur le monde, ce qui rejoint la tradition de la rédemption comme motif de l’incarnation et s’oppose



DU HÉROS AU SAUVEUR235

nettement à la pensée d’Arius. La suite du livre IV rappellera à plusieurs reprises les Écritures annonçant les éléments de la Passion, là où l’Évangile de Matthieu ne le fait pas  : Quo Dominum lucis iussis sufficere saeuis instans urgebat saecli inmutabilis ordo (IV, 655-656) «  Sur lequel l’ordre immuable du temps les pressait avec force de clouer selon de cruelles instructions, le Seigneur de lumière.  »

Que de nombreux ajouts de Juvencus portent sur l’affirmation de la divinité du Christ, de sa réelle humanité et de son rôle de Sauveur ne relèvent pas seulement de la uariatio ou de l’ornementation épique. C’est clairement la marque d’une réflexion théologique solide.

Chapitre XIV

Une épopée chrétienne  : quelques notions théologiques

Derrière une compétition avouée avec les meilleurs auteurs classiques, il y a aussi chez Juvencus une volonté de présenter à son public un texte plus proche du christianisme de son époque, moins «  exotique  » non seulement dans sa forme mais aussi dans son contenu. Si son épopée est une paraphrase sans commentaire ni analyse du texte, une étude détaillée permet de comprendre que cela n’exclut pas une réflexion théologique qui est celle d’un prêtre du IVe siècle. Du reste, le terme de paraphrase est-il si bien adapté à l’œuvre de Juvencus  ? Ni Jérôme, ni Juvencus lui-même n’emploie ce mot, sans doute parce que cette réécriture ne leur paraît ni un exercice scolaire, ni une œuvre rhétorique, mais une simple transposition, qui relève d’un changement de point de vue et d’intention. Les évangélistes rapportent dans leur langue, dans leur culture des événements et des paroles dont ils ont été témoins. Ils écrivent avec une grande humilité ce qu’ils ont vu ou entendu, ou ce que d’autres témoins leur ont raconté. La situation de Juvencus est tout autre. Il revit les événements en homme de foi qui reconnaît dans Jésus de Nazareth le Fils du Dieu Vivant. Il ne le découvre pas peu à peu comme les disciples, et le respect de son modèle ne l’empêche pas d’avoir un regard tout autre. Les événements sont devenus liturgie et rituel. Son point de vue est celui d’un chrétien, non celui d’un exégète qui essaie de reconstituer l’univers historique et mental d’un juif des années trente, et ce mode de pensée d’un poète chrétien «  déforme  » le récit et le reconstruit. Une analyse des possibles connaissances de Juvencus sur la production exégétique de son époque concernant les péricopes qu’il paraphrase est assez mal aisée puisqu’il n’y a pas de citation directe mais pourrait enrichir la réflexion qui suit sur les indices théologiques que l’on peut entrevoir dans son œuvre. Dans bien des domaines, la uariatio que réclame le style élevé de l’épopée s’accompagne chez Juvencus d’une réelle recherche pédagogique et d’un soin dans l’expression de sa foi catholique. Il importe donc de voir d’abord comment il rend les termes liés à la religion, comment il transcrit le vocabulaire chrétien dans la langue épique mais surtout comment il entreprend de faire correspondre deux visions du monde différentes en une même approche du sacré. J. Fontaine analyse, avec une grande justesse de vue et

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CHAPITRE XIV

une sensibilité artistique, cette approche qui fait de la poésie une révélation du sacré  : «  Il vaut donc la peine, pour entrer dans les vues du poète, de bien comprendre ce qu’il a voulu faire et ce qu’il a fait. L’idée longtemps reçue, à son propos, d’un versificateur laborieux et insipide, procède d’un préjugé dont il importe de comprendre l’origine. Le romantisme européen a longtemps imposé la conviction que la valeur d’une création poétique lui vient d’abord, et quasi exclusivement, de sa transparence à l’expression des sentiments et des idées d’un individu. Pas de poésie sans révélation du ‘plus irremplaçable des êtres’. Pour nous défaire de ces idées reçues, c’est aujourd’hui aux byzantinologues qu’il faut demander comment aborder correctement le sens et la beauté d’une poésie sacrée, comme celle de Juvencus. Le Christos paschôn, les kontalia de Romanos le Mélode, voire l’art des peintres d’icônes, ont beaucoup à nous apprendre sur ce point. Ce qui apparente leur recherche esthétique à celle de Juvencus peut se définir comme une quête de la transparence au sacré, de la psychagogie vers le Divin, de la communication de la Révélation. Dans une telle perspective, l’épopée de Juvencus veut être un dévoilement, tout autant que la trinité d’Andréï Roublev. Aussi bien que les trois anges au chêne de Mambré, en cette icône des icônes, les épisodes évangéliques sont ici fidèlement ‘représentés’ ‘mot à mot’ comme dit, un peu abusivement, Jérôme mais avec un ‘presque’ (paene) par quoi sont préservés les droits de la poésie  : en ce ‘presque’ tient tout l’espace de la métaphore vive 1.  »

Il convient d’examiner comment Juvencus se sert d’une «  traduction hexamétrique  », d’un passage dans l’univers poétique avec ses possibilités d’approche du sacré, pour affirmer le dogme de l’Église chrétienne et préciser à travers les récits évangéliques l’enseignement théologique, moral et liturgique de son époque. Dans le chapitre précédent, l’étude du Christ comme héros épique et Sauveur nous a amenée à étudier le choix théologique de Juvencus en matière de christologie, en particulier face à l’hérésie arienne naissante. Il est un autre domaine où, à l’époque de Juvencus, se sont déjà affronté bien des penseurs, celui de la Trinité. Les Euangeliorum libri se font écho du tout récent concile de Nicée (325) sur le dogme de la Trinité. 1.  Le dogme de la Trinité Il est intéressant de noter que, dans l’épopée de Juvencus, place est faite, discrètement mais résolument, aux conclusions de longs débats théologiques des premiers siècles du christianisme et que de nombreuses amplifications mettent ainsi en valeur les trois personnes de la Trinité avec leurs caractéristiques propres et leur consubstantialité. 1.1.  Le Père On trouve d’abord, dans le premier livre, le terme vague de numen, qui peut relever aussi bien d’une volonté de classicisme que d’un syncrétisme religieux   Fontaine (1981), p. 70.

1



UNE ÉPOPÉE CHRÉTIENNE  : QUELQUES NOTIONS THÉOLOGIQUES239

propre à cette époque. Il remplace Dominus (Lc. 1, 43  : Domini mei  ; Juvc. I, 89  : numinis altis) précise uisio (Lc.  1, 22  : uisionem uidisset, Juv. I, 45  : numen… superum) 2  ; il est surtout utilisé pour évoquer le Dieu de l’Ancien Testament parlant par la bouche des prophètes (Juvc. I, 264  : Quam bonus Hieremias diuino numine jussus / Conplorat…  ; Juvc. I, 313  : Esaias uates cecinit quod numine iussus). Quelques termes à connotation païenne apparaissent au long de l’épopée, évoquant l’image de Jupiter 3  : Dei regnantis 4, regnanti domini 5, Patris altithroni 6, summi… tonantis 7, Tonantis 8, Dei… medentis 9 mais aussi l’adjectif aequus (Deus aequus en I, 88) 10. Par contre, on peut remarquer qu’aucun des ajouts de Juvencus ne relève de ce qu’on appelle la théologie négative inspirée du Moyen-Platonisme et ne qualifie Dieu d’inintelligible, d’indicible ou d’inengendré. Mais Juvencus insiste sur deux caractéristiques précises de la personne du Père. J. M. Poinsotte souligne, à juste titre, à ce propos  : «  Du Dieu des juifs, il privilégie deux attributs, l’éternité et la paternité (…) et procède à une christianisation discrète mais approfondie, du Dieu d’Israël. En effet, la notion d’éternité est beaucoup plus chrétienne que juive, et Dieu est plus nettement défini et plus intensément senti comme ‘Père’ par les chrétiens que par les Juifs  : d’une part, ceux-ci ignorent la conception trinitaire de la divinité  ; d’autre part, si Dieu, comme le proclament le Deutéronome et les prophètes, est ‘le Père d’Israël’, le Christ établit une relation nouvelle entre la créature et son Père, et les hommes doivent attendre le Christ et son enseignement pour oser avec lui dire ‘Abba’ à Dieu 11.  » 2   On trouve le même terme ajoutant la notion de Divinité à la question des mages qui dans l’Évangile parlent du roi des Juifs (Mt. 2, 2  : rex Iudaeorum  ; Juvc. I, 232  : uenerabile numen). 3   Cette utilisation relève d’un procédé que Van Der Laan (1993), p. 152 analyse en ces termes  : «  En donnant une splendeur classique à la beauté de l’épopée classique, l’adoption de qualification comme genitor rerum, conditor, tonans, omnipotens et plusieurs autres, efface en même temps l’omnipotence de Jupiter. C’est une classe d’imitation qui va plus loin qu’une adoption peu originelle de la nomenclature mythologique du ciel et des enfers. Ce ne sont plus des lieux communs, mais des termes appliqués à dessein, imitation à base idéologique. De manière appropriée, la tournure païenne est adaptée au concept chrétien afin que la pensée païenne soit supplantée par l’idée chrétienne.  » 4   Juvc. I, 419  : Ergo instare Dei regnantis munera. Ce titre est associé aux dons de Dieu. 5   Juvc. II, 55. 6   Juvc. II, 62. 7   Juvc. IV, 553 au lieu de Deum uiuum dans Mt. 26, 63. 8   Juvc. IV, 672 et 786. 9   Juvc. I, 765  : Praeuenisse Dei laetatur dona medentis. Ce titre est associé à l’évocation des dons de Dieu. Il est difficile de savoir s’il est rapporté au Christ ou à son Père, puisqu’il s’agit d’un ajout. 10   Verg., Aen. VI, 129  : pauci, quos aequus amauit / Juppiter. 11  Poinsotte (1979), p. 117.

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CHAPITRE XIV

Le poète ajoute deux vers à la déclaration de l’ange à Zacharie pour affirmer la grandeur du Dieu Créateur  : Nam me dimissum rerum pater unicis alto e caeli solio tibi nunc in uerba uenire praecipit… (I, 16-18) «  Car l’auteur unique de toute chose du haut de son trône céleste m’a envoyé avec l’ordre de venir te parler maintenant.  »

Un deuxième ajout complète la déclaration de l’ange  : Dominus, caeli terraeque repertor (I, 35) 12, qui affirme clairement qu’il est le messager de Dieu. En écho, Zacharie, lorsque sa langue se déliera, remplacera la louange au Dieu d’Israël que l’on trouve en Lc. 1, 68 par un chant d’action de grâces au Dieu créateur du monde, astrorum et terrae, pontique hominumque parenti (I, 118) 13. Mais c’est surtout la qualité de Père du Christ 14 et des hommes 15 que Juvencus met en valeur dans son épopée  ; souvent le Pater de l’Évangile est rendu par Genitor 16 ou par Parens 17, peut-être par simple volonté de diversité poétique  ; mais à plusieurs reprises, Jésus réunit cette double paternité en transformant le Patris uestri de l’Évangile de Matthieu (Mt. 5, 45) en Genitor noster (I, 567) 18. Et deux vers du livre I, assez contournés, développent le magnus et Filius Altissimi uocabitur de Luc 1, 32 dans le sens d’une paternité proclamée et d’un Christ roi des cieux pour l’éternité  : Natum, quem regnare Deus per saecula cuncta et propriam credi subolem gaudetque iubetque. (I, 61-62) 12   Selon la façon dont on ponctue, on peut comprendre aussi  : «  Le Seigneur du ciel et le Créateur de la terre  », mais la traduction que nous avons choisie semble plus proche de la volonté catéchétique de Juvencus et des termes employés dans la liturgie chrétienne pour évoquer le Dieu créateur. 13   Cf., sur ces vers, Poinsotte (1979), p. 120, qui écrit avec une justesse teintée toutefois de notes péjoratives  : «  Afin de célébrer, par une solennité particulière, l’universalité de la foi – tâche ingrate, puisque tout, dans ce long poème, est inlassablement imprégné de solennité – Juvencus recourt à une solution de fortune. Il considère que pour être dignement exprimée, chaque notion, hormis celle de Dieu, doit être exprimée deux fois, et il faut que la création elle-même s’organise en deux groupes comportant chacun deux de ses catégories  : ‘Que tous les homme réunis (con-, cuncti) célèbrent (celebrent, frequentent) les louanges (laudesque gratesque) du père (parenti) des astres et de la terre (astrorum et terrae), de la mer et des hommes (pontique hominumque).’  » 14   I, 375  : genuit Deus  ; I, 387  : Si Deus est uere genitor tib…  ; I, 375  : Si te pro certo genuit Deus  ; II, 310  : magni genitoris  ; II, 508  : pro genitore supremo. 15   I, 674  : Indulgens hominum genitor…  ; I, 481 genitoris… uestri  ; II, 287  : sanctum genitorum. 16   Ce terme, rare en prose, est fréquent en poésie (on en trouve soixante occurrences chez Virgile). 17   I, 601, 609  ; II, 640  : genitor  ; I, 572  : parenti. 18   Également I, 705  : nostri genitoris pour Patris mei (Mt. 7, 21).

UNE ÉPOPÉE CHRÉTIENNE  : QUELQUES NOTIONS THÉOLOGIQUES241



«  Un enfant dont Dieu veut qu’il règne dans tous les siècles qu’on reconnaisse en lui son propre rejeton et s’en réjouit.  »

1.2.  Le Fils Alors que le livre I évoquait la toute-puissance du Père, le livre II, centré sur Jésus, multiplie les ajouts d’appositions ou de précision sur ses liens avec son Père ou son rôle sur terre. Juvencus met en évidence la double nature du Christ, pour lutter contre l’hérésie des ariens. Il omet en particulier, pour des raisons théologiques, l’idée d’une croissance, d’un progrès moral du Christ, qu’exprime le verset 2, 52 de Luc  : Et Iesus proficiebat sapientia et aetate, et gratia apud Deum et homines. Il insiste dans des hexamètres au rythme binaire sur cette double nature  : Idem hominis natus, caeli qui in sede moratur (II, 216)  ; Sic hominis natum tolli in sublime necesse est (II, 219), primum caeli laudem terraeque salutem (I, 194). L’insistance sur la filiation divine et donc sur la divinité du Christ justifie la périphrase qui développe le Fili Dei de Mc 5, 7  : Regnantis semper Domini certissima proles (II, 55) 19 et les titres ajoutés ou développés par Juvencus  : terrarum gloria Christus (II, 134), mundi regnator Iesus (II, 265). La profession de foi de Nathanaël est étendue à deux vers, associant divinité du Christ et salut du monde  : Progenies 20 ueneranda Dei, rex inclite gentis, tu populis manifesta salus uitaeque magister. (II, 119-120) «  Rejeton de Dieu, digne de vénération, illustre roi de notre nation, tu es pour les peuples la manifestation du salut et le maître de la vie.  »

Cette attention soigneuse à la nature du Christ apparaît également dans la superbe présentation de la triple offrande des Mages et de son analyse condensée en un vers unique, qui déjà suscitait à son époque l’admiration de Jérôme 21  : Thus, aurum, murram, regique, hominique, Deoque dona ferunt… (I, 250)

Elle explique également, dans l’épisode du baptême, le recours au texte de Luc 3, 22, qui confesse clairement la filiation de Jésus en citant le Psaume 2, 7 22.   Cf. aussi II, 225  : unica proles  ; II, 234  : Vnica… Domini… proles.   Comme pour Pater et genitor, l’alternance entre Filius, proles et progenies ne paraît pas relever d’un plan concerté mais d’une fantaisie poétique qui fuit la répétition. 21   Hier., In Matt. I, 2, 11 (SC 242, p. 82)  : Pulcherrime munerum sacramenta Iuuencus presbiter uno uersiculo comprehendit. Cf. sur ce passage les remarques de Duval (1987), p. 182. L’ordre adopté par Juvencus n’est pas le plus habituel  ; Hilaire distribue ainsi les dons des Mages  : in auro regem, in thure Deum, in myrrha hominem confitendo (In Matt. I, 5) avec cette précision de Sédulius (Carm. II, 96-97)  : aurea nascenti fuderuntmunera regi, / tura dedere Deo, myrrham tribuere sepulchro. 22   Ps. 2, 7  : Il m’a dit  : «  Tu es mon fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré  ». 19

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CHAPITRE XIV

Juvencus fait précéder cette citation d’un vers de son invention, qui équilibre autour du Christ l’aspect visible du baptême de Jean-Baptiste et l’aspect divin de l’action de l’Esprit 23. Les ajouts de Juvencus soulignent également le rôle salutaire du Christ avec l’alternance des mots Seruator et Saluator 24, mais aussi des apostrophes ou des périphrases porteuses du même sens  : Dei… medentis (I, 766), progenie terras iutura salubri (I, 58), puerum… magnificum… populis (I, 71). Certains vers développent l’idée de salut par la métaphore de la lumière  : Qui populis lucem mox laetitiamque propaget (I, 167), terris lumenque salusque (I, 277), terrarum lumen Iesus (II, 75, II, 733), lumen terris Christum (II, 294), Christus, magnifico terras qui lumine conples (III, 272), hominum lumenque salusque (III, 356), Dominum lucis (IV, 655, 812). Nous avons déjà souligné le rôle que joue ce thème de la lumière dans la structure de l’œuvre de Juvencus. Peut-être faut-il y voir un sens théologique et liturgique manifestant dans le Christ Jésus à la fois le Dieu associé à la création et le Sauveur puisque, selon l’explication de Justin  : «  Le jour du soleil est celui de l’assemblée, parce que c’est l’anniversaire de la création du monde et de la résurrection de Jésus 25.  » Au-delà de l’aspect épique des descriptions de l’aube, l’association du Christ et de la lumière manifeste qu’il est le soleil de la nouvelle création, soleil de justice qui ne connaît pas de couchant 26. Le lien entre le Père et le Fils est souligné par l’apposition Christus nuntius orbi (II, 291) ou la précision et mihi concessum peccata remittere cernent (II, 88). Le Christ est associé à la royauté du Père 27, il est aussi l’intercesseur entre Dieu   Cf. ce qu’écrit Testard (1990), p. 21  : «  En revanche, l’admirable vers 361 ne paraît rien devoir à la tradition littéraire. Tout entier consacré à Jésus qui écoute la voix du Père, il campe Christum entre les coupes penthémimère et hephthémimère, et répartit, au-delà de ces deux coupes, en chiasme, l’évocation du baptême d’eau et l’onction du souffle de l’Esprit  : Ablutumque undis Christum flatuque perunctum. De la sorte, il inclut tout le vers entre Ablutum et perunctum qui évoquent respectivement et successivement l’action humaine, visible, de Jean et l’action divine, invisible de l’Esprit.  » 24   Le passage de la rencontre avec la Samaritaine est un bon exemple de cette alternance  : saluator (II, 247)  ; seruator (II, 243, 256)  ; mundi regnator (II, 265), mais aussi Christus (II, 252) alors que Jean n’emploie ce terme qu’en 4, 25 en relation avec le Messie. Autre exemple  : seruator Iesus (II, 327). 25   Just., Apol. I, 67, 7. 26   Cf. Clem., Protr. XI, 114, 1-4  : «  Du ciel de la lumière a brillé pour nous, qui étions ensevelis dans les ténèbres et emprisonnés à l’ombre de la mort. Cette lumière est la vie éternelle, et tout ce qui y participe vit, tandis que la nuit évite la lumière, disparaît par crainte et cède la place au jour du Seigneur. C’est ce qui signifie la ‘nouvelle créature’ (Gal. 6, 15), car le soleil de justice, qui passe partout dans sa chevauchée, visite également toute l’humanité, imitant son Père qui ‘fait lever son soleil sur tous les hommes’ [Mt. 5, 45]. C’est lui qui a changé le couchant en Orient, la mort en vie par sa crucifixion, qui a arraché l’homme à la perdition, pour le transplanter au firmament.  » 27   Mt.  11, 27  : omnia mihi tradita sunt a Patre meo… / Juvc. II, 552  : Iam mihi regnantis sunt omnia tradita Patris. 23

UNE ÉPOPÉE CHRÉTIENNE  : QUELQUES NOTIONS THÉOLOGIQUES243



et les hommes et Juvencus ajoute de nombreux vers mettant en évidence ces dons de Dieu par l’intermédiaire du Christ  : Donec cuncta Dei firmentur munera uobis (I, 41), Omnibus indulgens praebebat munera Patris (II, 8), Dei regnantis munera (I, 419). Plus encore, c’est par le Christ qui renouvelle la loi ancienne que passe le salut  ; pour souligner cette idée, Juvencus ajoute un vers entier qui développe le adimplere de Mt. 5, 17  : omnia nam uobis per me conplenda manebunt (I, 485). Tous ces ajouts expriment clairement la mission du Fils dans le monde  ; le terme nuntius, sans doute traduction du grec angelos ou apostolos (Hébr. 3, 1), montre qu’il est messager, envoyé auprès de l’humanité (Filius huc hominis ueniet sub nomine Patris, III, 311) et que son Père est toujours avec lui  : Talia concedens genitor mihi testis adhaeret, qui me dimisit terris sua ponere iussa. (II, 670-671) «  En m’accordant de tels pouvoirs, est en témoin à mes côtés mon Père qui m’a envoyé établir sur la terre sa volonté.  »

Juvencus reprend là des notions expliquées par les premiers Pères de l’Église comme Justin  : «  Il est appelé envoyé car il est envoyé pour signifier tout ce qui est annoncé  ? Notre Seigneur nous le dit lui-même  : Celui qui m’écoute écoute celui qui m’a envoyé 28.  » Il est possible de voir dans cette attention précise à exprimer le plus justement possible la relation entre le Père et le Fils une volonté catéchétique de Juvencus, qui reprend les termes du symbole tel qu’on peut le trouver chez les Pères de l’Église antérieurs ou contemporains, par exemple chez Irénée  : «  La règle de vérité, c’est qu’il y a un seul Dieu tout-puissant qui par son Verbe a fait toutes choses et en qui il accorde aussi le salut aux hommes.  » (Adu. Haer. III, 10, 1) 29. Les expressions ajoutées par Juvencus soulignent le dessein historique de Dieu, l’économie du salut, de la naissance virginale à la Passion, le partage de la condition de l’homme déchu par le Verbe de Dieu, qui est aussi organisateur du cosmos 30, comme dans ces trois vers développant Jean 3, 13  : Sidereum nullus poterit conscendere caelum ni solus, qui missus caeli uenit ab aula, idem hominis natus, caeli qui in sede moratur. (II, 215-216)   Just., Apol. I, 63, 5.   Cf. aussi Irén., Adu. Haer. I, 22, 1  : «  Lorsque nous tenons la règle de la vérité, c’est-à-dire qu’il y a un Dieu tout puissant qui a tout fait par son Verbe et qui est le Père de Notre Seigneur Jésus-Christ, nous pouvons facilement déceler les erreurs de ceux qui s’écartent de la vérité.  » 30   Certains Pères de l’Église attachent la plus grande importance à cette fonction cosmologique du Fils de Dieu au point même d’y rattacher le terme Christ comme Justin (Apol. II, 6, 3)  : «  Le Fils de Dieu, le seul qui soit appelé proprement Fils, le Verbe existant avec lui et engendré avant la création, lorsqu’au commencement il créa et ordonna toutes choses, est appelé Christ parce qu’il est oint et que Dieu a ordonné l’univers par lui.  » 28 29

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CHAPITRE XIV

«  Au ciel étoilé nul ne pourra monter sauf le seul qui est venu envoyé de la cour du ciel, il est aussi celui qui est né de l’homme et qui demeure dans le séjour du ciel.  »

1.3.  L’Esprit Saint La troisième personne de la Trinité apparaît surtout dans les livres I et II et Juvencus a mis beaucoup de soin et de pédagogie à cerner sa nature et ses pouvoirs. L’annonce à Marie exprime clairement la Trinité  : Virtus celsa Dei, Spiritus purus, puerum magnificum (I, 68-71). La présence de l’esprit est rendue par la métaphore circumuolitabit (I, 68) 31, annonçant la colombe du baptême dans le Jourdain  : Corporeamque gerens speciem discendit ab alto Spiritus aeriam simulans ex nube columbam et sancto flatu corpus perfudit Iesu. (I, 356-359) «  Et, prenant apparence corporelle, descend d’en haut L’Esprit, comme une colombe aérienne qui sort de la nuée 32. Il inonde de son souffle saint le corps du Christ.  »

Ce souffle saint est exprimé par des termes variés  : Diuinae uocis… flamine sancto (I, 84), femineam sancto conplet spiramine mentem (I, 215), spiracula (I, 115), sancto flatu (I, 359) eius currentia flamina (II, 201)  ; il est associé à l’eau du baptême  : Abluet ille hominis sancto spiramine mentem (I, 340), Liquido si quis de fonte renatus / et flatu sancto… (II, 193-194) ou de l’onction  : ablutumque undis Christum flatuque perunctum (I, 361) 33 et, enfin, à la résurrection  : Hunc similem sancti flatus reuirescere certum est (II, 203). Juvencus insiste par ses ajouts sur la puissance infinie de l’Esprit, avec des termes semblables à ceux employés pour les deux autres personnes  : conplebit numine claro (I, 22), monuit quod spiritus auctor (I, 198), uidit et elegit comitem te spiritus auctor (II, 117) et sur sa force créatrice  : Spiritus inpleuit sancto cui uiscera fetu (I, 140), Spiritus haut aliter similem generat sibi flatum (II, 196). Dans les déclarations de Jésus à Nicodème, l’ajout d’un vers montre l’importance que Juvencus accorde à la troisième personne de la Trinité  : Spiritus hic Deus est, cui parent omnia mundi (II, 198).

  On trouve également uolat en II, 199  : Hic, ubi uult; quocumque uolat uocemque per auras. De Wit (1947), p. 55-56 donne sur ce verbe une précision intéressante. Pour lui, Juvencus suit le texte de l’Itala et les plus anciens commentateurs et non l’interprétation qui rapproche l’action de l’Esprit du passage de Ex. 40, 35, où Moïse ne peut s’approcher du tabernacle à cause de la nuée, signe de la présence de Dieu. 32  On trouve une analyse très belle et fort détaillée de ce passage dans Testard (1990), p. 16-22. 33   Ce vers exprime les rites mêmes du baptême  : l’eau, la lumière et l’onction. 31

UNE ÉPOPÉE CHRÉTIENNE  : QUELQUES NOTIONS THÉOLOGIQUES245



Le rôle de l’Esprit auprès des apôtres est aussi clairement souligné lors de l’envoi en mission (Mt. 10, 19-20) 34  : Cum uos prodiderint, uerborum linquite curam, sponte fluens dabitur sermonis gratia uobis; Spiritus in uobis pro uobis digna loquetur. (II, 464-466) «  Lorsqu’ils vous auront livrés, ne songez pas à choisir vos mots, vous recevrez la grâce d’une parole qui coulera d’elle-même. l’Esprit en vous dira à votre place les paroles qui conviennent.  »

Juvencus précise le mode d’intervention de l’Esprit par le participe fluens, qui rappelle l’eau du baptême  ; la suppression de Spiritus Patris vestri a, selon moi, un sens théologique et révèle la façon dont Juvencus conçoit la relation dans la Trinité  : il craint que pareille expression ne favorise une conception où le Fils est inférieur au Père, puisque l’Esprit semble ne procéder que du Père. Juvencus, au contraire, insiste sur le lien entre le Fils et l’Esprit, ainsi qu’en témoignent les expressions qui ne correspondent pas directement au texte évangélique  : sermonis gratia évoque le Verbe de Dieu, c’est-à-dire le Fils, comme à l’origine de l’Esprit, et digna, de même que fluens, renvoie aux derniers vers de la préface, où l’auteur réclame l’inspiration du Saint Esprit pour que ses mots soient dignes du Christ, dans un envoi qui rapproche son rôle de celui des missionnaires  : Ergo age! sanctificus adsit mihi carminis auctor Spiritus, et puro mentem riget amne canentis dulcis Iordanis, ut Christo digna loquamur. (Praef. 25-27) «  Aussi, en avant  ! Que l’Esprit qui sanctifie m’assiste et m’inspire ce poème, et qu’il abreuve, tandis que je chante, ma pensée du flot pur du doux Jourdain, afin que nos paroles soient dignes du Christ.  »

Le passage le plus important pour comprendre le rôle que Juvencus attribue à l’Esprit est le baptême du Christ. Maurice Testard, dans une analyse à la fois fine et précise, a montré comment le merveilleux des fables antiques est renversé chez Juvencus et associé à la parole biblique pour exprimer, par allusion et rapprochement d’idées, l’action de l’Esprit sur Jésus. Ainsi, l’ajout au texte évangélique de la nuée d’où sort la colombe «  illustre le souci du poète chrétien d’utiliser les ressources du sacré biblique au service de l’expression de la foi, mais sans négliger, dans la composition d’un poème épique, de faire appel conjointement aux ressources traditionnelles de l’épopée 35.  »

  Mt. 10, 19-20  : cum autem tradent uos nolite cogitare quid loquamini dabitur enim uobis in illa hora quid loquamini / non enim uos estis qui loqimini sed Spiritus Patris uestri qui loquitur in uobis. 35  Testard (1990), p. 3-31. 34

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CHAPITRE XIV

2.  Les commentaires théologiques On a volontiers distingué Juvencus des auteurs postérieurs comme Arator ou Sédulius, qui ont introduit dans la paraphrase biblique des analyses de texte, des précisions pédagogiques et des commentaires théologiques et exégétiques 36. En fait, sur des points précis et de façon limitée, on trouve déjà ces procédés chez Juvencus. 2.1.  Des remarques et précisions disséminées Ainsi, lorsque Luc (Lc. 1, 34) écrit  : Dixit autem Maria ad Angelum  : «  Quomodo fiet istud quod uirum non cognosco?  », la question de Marie chez Juvencus diffère de celle de l’Évangile. Chez Luc, la causale quod uirum non cognosco marque une volonté de virginité perpétuelle, sans laquelle la question «  quomodo istud fiet?  » ne se poserait pas pour une jeune fille à la veille de se marier  ; chez Juvencus, la question, qui pourrait apparaître d’abord comme une naïveté due à l’ignorance, est précédée des mots «  nullos conceptus fieri sine coniuge dicunt  » (I, 65), ce qui souligne un problème théologique, celui de la nature du Christ lié à sa filiation divine et à l’absence d’un géniteur humain. Par ailleurs, les paroles de Marie sont encadrées par la déclaration du messager  : Deus… propriam credi subolem gaudetque iubetque (I, 61-62) et l’annonce de la conception  : Virtus celsa Dei circumuolabit obumbrans (I, 68). On a donc bien là les traces d’une réflexion théologique, qui, en ce IVe siècle, a médité les paroles de l’Évangile, mais aussi une diminution du sens et de cette acceptation si simple de Marie, qui s’en remet à la volonté divine. Dans les vers consacrés à la conception de Jean-Baptiste, Juvencus là aussi se montre conscient du problème théologique que pose la formule employée par Luc (adhuc ex utero matris suae, Lc. 1, 15)  : Jean-Baptiste a-t-il reçu la grâce de l’Esprit Saint avant sa naissance ou à la naissance  ? Par la tournure qu’il adopte, Juvencus exprime clairement son choix de l’interprétation qui deviendra orthodoxe  : c’est dès le sein de sa mère que le précurseur est sanctifié  : … clausum quem Spiritus ipsis uisceribus matris conplebit numine claro. (I, 21-22) «  … encore enfermé dans les entrailles de sa mère, l’Esprit l’emplira de sa puissance lumineuse.  »

C’est sur le thème de la nature du Christ, divinité et humanité, que l’on trouve le plus grand nombre d’ajouts exégétiques. Ainsi, au livre II, 657, Juvencus précise l’Évangile de Jean (Jn. 5, 26) par un vers  : In terras hominis quoniam cum corpore uenit, «  Puisqu’il est venu sur la terre avec un corps d’homme.  » 36  McClure (1981), qui écrit notamment p. 307  : «  Fifth and sixth-century paraphrases all include interpretative expansions and are clearly related to contemporary exegesis  », ainsi que Springer (1988), p. 84-90.



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L’on retrouve la même insistance sur la réalité de l’humanité du Christ, sans doute contre l’hérésie arienne, dans l’annonce de sa Passion (scribarum procerumque ferens ludibria membris, III, 588) et dans les paroles d’apaisement de l’ange aux femmes après la résurrection  : Surrexit Christus aeternaque lumina uitae corpore cum sancto deuicta morte recepit. (IV, 756) «  Le Christ est ressuscité et en son saint corps il a vaincu la mort et retrouvé la lumière éternelle de la vie.  »

Dans le passage sur le devoir des chefs, le verset de Mt. 20, 28 (sicut Filius hominis non uenit ministrari sed ministrare et dare animam suam redemptionem pro multis) devient  : … Hominis natus sic uestra minister obsequio solus proprio pia munera gestat, et multos redimens pretioso sanguine seruat. (III, 609-611) «  … L’enfant de l’Homme, se faisant ainsi serviteur, par son obéissance, vous procure lui seul, les dons généreux que vous recevez et par son précieux sang il en rachète et en sauve beaucoup  »

Le Fils est là encore présenté comme l’intercesseur des hommes auprès de Dieu, et dans les dons qu’il leur procure et surtout par son propre sang, clairement nommé ici comme la condition du rachat de toute l’humanité. Certains commentaires ajoutés s’accompagnent de déplacement du verset de l’Évangile  ; ainsi là où l’évangile de Matthieu écrit quod dictum est per prophetam dicentem, à propos du tirage au sort de la tunique (Mt. 27-35) Juvencus associe la parole du prophète à l’épisode précédent du fiel donné à boire au Christ en croix en ajoutant un vers qu’on peut interpréter comme une réponse à l’indignation des chrétiens devant les souffrances de la Passion, puisqu’il donne un sens à ces souffrances  : Vt satis antiquis fieret per talia dictis, nec tamen insultans hominum furor omnia poscit. (IV, 660-661) «  Afin qu’ainsi satisfaction soit donnée aux antiques paroles et que cependant la fureur triomphante des hommes n’obtienne pas tout.  »

Certaines extensions reflètent les débats des premiers temps du christianisme, parfois de façon obscure, comme dans le passage de l’indissolubilité du mariage, où l’expression uno corpore 37 au sujet de la création de l’homme et de la femme ne correspond à rien chez Matthieu. 37   III, 469-470  : Principio Deus in terris par dispare sexu / constituit iussitque uno de corpore necti / amborumque animas iunctis inolescere membris, «  Au commencement Dieu établit sur la terre un couple de sexe différent et ordonna qu’ils se constitue à partir de l’union des corps et que dans la conjonction, des corps croissent les âmes de l’un et de l’autre.  »

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CHAPITRE XIV

Au livre IV, le verset 24, 14 de Matthieu (et praedicabitur hoc euangelium regni in uniuerso orbe in testimonium omnibus gentibus…) donne lieu à la réécriture suivante  : Regnorum caeli celebratio peruolitabit in cunctas terraemetas; gens omnis habebit testem lucifluo sancti sermone salutis. (IV, 117-119) «  La proclamation du royaume des cieux volera jusqu’à toutes les bornes de la terre  ; chaque peuple aura un témoin qui parlera le langage lumineux du saint salut.  »

Le dernier vers, on le voit, reflète une pensée que l’on trouve par exemple chez Clément, celle des anges des nations  : «  Les anges en effet sont répartis par une ordonnance divine et antique selon les nations  » (Strom., VII, 2, 6, 4) 38. 2.2.  Les différents sens de l’Écriture  : vers un début d’interprétation Parfois, les précisions de l’auteur mêlent analyses chrétiennes et pensée philosophique païenne. L’ajout du vers III, 275  : terrae portio corpus marque une influence platonicienne, ainsi que la conception de l’âme dans la mort II, 522  : animae iam libera uirtus. Dans le passage sur la porte étroite et les deux voies (Mt. 7, 13-14), Juvencus précise limite laeuo (I, 680)  ; la voie mauvaise est à gauche, traditionnellement néfaste aussi bien dans la civilisation gréco-romaine que chez les juifs  ; sans doute est-ce une allusion au passage du Jugement dernier (Mt. 31-46) mais on peut y voir aussi un rappel plus profane, celui du choix d’Héraclès hésitant au carrefour entre le vice et la vertu 39, d’autant que le développement de ces deux versets en dix vers marque la volonté littéraire d’un contraste fortement accentué et le choix poétique de métaphores accumulées et 38   Cf. aussi Clém., Strom. VI, 17, 157, 5  : «  En effet les présidences des anges sont réparties selon les nations et les villes, peut-être même certains de ceux qui sont affectés aux choses particulières sont-ils réservés à des individus.  » 39   Sur ce thème du christianisme conçu dès l’origine comme un choix entre les vrais biens et le renoncement aux biens mensongers et sur le rapprochement avec l’apologue de Prodicos (Xén., Mem. II, 8), cf. Daniélou (1961), p. 38  : «  La conversion chrétienne consistera dans la décision du renoncement à Satan et de l’adhésion à Jésus-Christ… Cette option, Justin, s’adressant à des Grecs, va lui chercher un équivalent dans l’hellénisme  : ‘il est bon de rappeler à Crescens et à ceux qui partagent son aveuglement le mythe de Xénophon. Il dit qu’arrivant au carrefour, Héraclès rencontra le vice et la vertu sous la figure de deux femmes. Le vice somptueusement vêtu avait un aspect aimable, gracieux, propre à charmer la vue  ; il promet à Héraclès de le faire jouir de tous les plaisirs. La vertu au contraire avait un extérieur austère  : si tu m’écoutes, dit-elle, tu ne choisiras pas une beauté fragile et finissable, mais celle qui est éternelle et vraie. Le vice voile ses actions, en imitant la pure beauté, et il asservit les hommes terrestres. Mais ceux qui savent comprendre le vrai bien sont incorruptibles par la vertu. Il en est ainsi des chrétiens.’ (Apol., II, 11, 2-8).  »



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directement inspirées, pour la forme, de la poésie païenne antique 40 et, pour le sens, de la philosophie stoïcienne 41. Ainsi, pour traduire la faiblesse de l’âme qui se laisse aller à la facilité au lieu de viser les cimes et cède à l’élan qui la tire vers le mal, Juvencus multiplie les comparaisons avec la nature ou les animaux et utilise des termes marquant ce glissement sans combat  : lubrica lapsu (I, 686), pronos (I, 687), effrenus (I, 688), rectoris egens (I, 689). Un autre passage très obscur montre chez Juvencus une volonté d’interprétation. Les derniers versets de Mt. 5, 21-26 42 sont lus en lien avec le passage suivant sur l’adultère et le mauvais désir  ; «  l’adversaire  » de l’Évangile devient le corps qui, mal utilisé, sera accusateur au tribunal de Dieu  : Est tibi praeterea semper contraria uirtus corporis; hoc casti celeri curetur amore, dum rapidae tecum graditur per compita uitae. Accusabit enim polluti corporis usus et te sublimi statuet sub iudice unctum. Damnatum rapient ad uincula saeua ministri nec prius e tenebris solueris caeceris atri, ultima quam minimi reddatur portio nummi. (I, 511-518) «  En outre la force de ton corps est toujours pour toi un obstacle  ; prends soin de lui promptement dans l’amour de la chasteté, tandis qu’il avance avec toi à travers les chemins de la vie qui court. En effet, si tu te sers de lui en le souillant, il sera ton accusateur et te fera comparaître enchaîné devant le juge d’en haut. Tu seras condamné et ses serviteurs t’entraîneront dans une dure prison et tu ne seras pas délivré des ténèbres d’un noir cachot avant que tu n’aies remboursé jusqu’au dernier sou.  »

On reconnaît très nettement dans ces vers une lecture figurée de Matthieu, où l’on peut déceler quelque influence platonicienne mais surtout une relecture de l’Évangile à travers saint Paul et, en particulier, l’Épître aux Romains. Quel est le point commun qui justifie pareil glissement de sens  ? Les deux textes parlent 40   I, 681  : Praeruptum conuoluit iter caligine mortis / Luc. IX, 817  : subita caligine mortem accipis  ; I, 688  : aut alacer sonipes ruptis effrenus habenis / Verg., Aen. XI, 600  : insultans sonipes et pressis pugnat habenis  ; I, 689  : aut rectoris egens uentosa per aequora puppis /  Verg., Aen. VI, 335  : quos, simul a Troia uentosa per aequora uectos. 41   L’apologue de Prodicos fut aussi repris par Cicéron et Basile au sujet de l’éducation des jeunes gens (Cic., Off. I, 32  ; Bas., Ad adul. 4). On retrouve dans les images de Juvencus celles souvent utilisées par Sénèque pour parler de l’intempérance de l’âme ou de la colère, le cheval sans frein, la tempête, le navire sans pilote  : quatiatur necesse est, fluctueturque qui malis suis tutus est… impatiens imperii rationisque (Sén., Ir. I, 10). 42   Mt.  5, 25-26  : esto consentiens aduersario tuo cito cum es cul illo in via ne forte tradat te aduersarius iudici et iudex tradat ministro et in carcere mittaris / amen dico tibi non exies inde donec reddas nouissimum quadrantem. Cf. aussi Lc. 12, 57-59.

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CHAPITRE XIV

de la loi nouvelle apportée par le Christ, qui renouvelle l’ancienne loi. Chez Paul, soumis par la tyrannie de la chair au péché et à la mort, le corps n’est pas voué à l’anéantissement comme le voudrait la pensée grecque, mais appelé à la vie par la résurrection 43. Le principe de ce renouveau sera l’Esprit. En attendant cette renaissance eschatologique, le corps du chrétien, délivré par son union au Christ et habité par l’Esprit Saint, doit être consacré à une vie nouvelle de justice et de sainteté 44. Juvencus a donc changé délibérément le sens de ce passage pour le tirer vers un sens moral et eschatologique. Un ajout dans l’épisode de l’expulsion des vendeurs du Temple (Jn. 2, 13-22 45) montre que le poète envisage les différents sens de l’Écriture Sainte et qu’il attribue à Jésus une parole parfois volontairement obscure (II, 165)  : Ventura obscuris tunc Christus talia miscet, «  À ce moment, le Christ annonce l’avenir en un langage mêlé d’énigmes.  » L’ensemble du passage est bouleversé dans sa structure d’abord par cette phrase d’annonce sur ce mystère de la parole, mais surtout dans sa fin  : Hoc uerbum quondam post tempora debita digni cognouere uiri, proprio corpore Christum delubrum dixisse Dei. Sed signa uidentes tum multi cepere fidem Sanctumque secuti. (II, 173-176) «  Ces paroles, un jour, après le délai qu’il fallait, les hommes qui en étaient dignes les comprirent  : c’est en songeant à son propre corps que le Christ avait parlé du sanctuaire de Dieu. Mais, en voyant les signes, beaucoup, alors, trouvèrent la foi et suivirent le Saint.  »

Ce n’est plus uniquement les disciples mais tous les hommes «  dignes  » de ce savoir qui accèdent à la vérité, ce n’est pas après la résurrection du Christ mais  Rm. 6, 5-7  : «  Car si c’est un même être avec le Christ que nous sommes devenus par une mort semblable à la sienne, nous le serons aussi par une résurrection semblable  ; comprenons-le, notre vieil homme a été crucifié avec lui, pour que fût réduit à l’impuissance ce corps de péché. Car celui qui est mort est affranchi du péché.  » 44  Rm. 6, 12-13  : «  Que le péché ne règne donc plus dans votre corps mortel de manière à vous plier à ses convoitises. Ne faites plus de vos membres des armes d’injustices au service du péché  ; mais offrez-vous à Dieu comme des vivants revenus de la mort et faites de vos membres des armes de justice au service de Dieu.  »  ; I Cor. 6, 18-19  : «  Fuyez la fornication  ! Tout péché que l’homme peut commettre est extérieur à son corps  ; celui qui fornique, lui, pèche contre son propre corps. Ou bien ne savezvous pas que votre corps est un temple du Saint Esprit, qui est en vous et que vous tenez de Dieu  ? Et que vous ne vous appartenez pas  ? Vous avez été bel et bien achetés  ! Glorifiez donc Dieu dans votre corps.  » 45   Sur les ajouts dans ce passage, cf. Hilhorst (1993), p. 65  : «  On the other hand our poet adds exegetical information like ueteris regni molimine in 171, or a few words to interpret a Johannine phrase, like quo fidens animos in talia facta leuaret (164) for John’s quia haec facis, or Ventura obscuris tunc Christus talia miscet (165) for John’s Respondit Iesus et dixit.  » 43



UNE ÉPOPÉE CHRÉTIENNE  : QUELQUES NOTIONS THÉOLOGIQUES251

«  dans le délai qu’il fallait  » que cette vérité leur est révélée. Il y a là une universalisation et une insistance sur le plan de Dieu pour le salut des hommes, confirmées par la suppression des versets de Jn. 2, 23-25 et en particulier de la réflexion finale  : et quia non necesse habuit ut aliquis testimonium perhiberet de homine ipse enim sciebat quid esset in homine. Ce verset, en effet, montre que Jésus n’était pas dupe des conversions rapides mais superficielles, conséquences des miracles qu’il accomplissait. Or, Juvencus conclut l’épisode sur une note résolument optimiste en rajoutant le terme signa, en écho à la demande des Juifs  : Tum poscens signum plebes Iudaea fremebat (II, 163). La multitude qui croit et suit le Saint à la suite des signes accomplis n’est pas présentée comme susceptible de changement. La conversion semble définitive même si elle n’est qu’une étape  ; l’adhésion au Christ passe d’abord par la foi en les signes, ensuite par la compréhension du mystère. Peut-être faut-il voir dans cette réécriture l’idée que se fait Juvencus de la progression spirituelle du chrétien et relire ces vers comme un programme catéchétique. L’épisode suivant, la rencontre du Christ et de Nicodème, justifie cette lecture  : Nicodème en effet suit la même progression sans parvenir à l’adhésion au mystère du salut  ; il reconnaît (haut dubium est), dans un développement de quatre vers 46, la main de Dieu sur le Christ  : Haut dubium est, quod larga Dei te, Sancte, uoluntas humanis lucem concessit surgere rebus; nec quisquam tantis tribuet miracula signis, ni comitata Dei iubeat splendescere uirtus. (II, 180-183) «  Il n’y a pas de doute que la volonté généreuse de Dieu a permis que toi, ô Saint, tu te lèves, lumière pour l’humanité. Et personne n’accomplirait des miracles avec de tels signes, à moins que la puissance de Dieu ne l’accompagne et ne l’invite à resplendir.  »

Mais il ne peut comprendre les paroles du Christ, qui restent pour lui un mystère impénétrable  : Et Iudaeus ad haec: «  Nil horum cernere possum  » (II, 204) parce qu’il n’y a pas en lui de foi véritable (Ecce fides nulla est, II, 209). Juvencus insiste, en termes inspirés de la philosophie platonicienne, sur le passage des paroles terrestres (tantum terrestria dixi, II, 209) à la compréhension de mystères célestes  : Quid, si caelestes uires conscendere sermo coeperit et superas rerum conprendere formas? (II, 210-211) «  Qu’en serait-il si ma parole avait entrepris de monter jusqu’aux puissances célestes et d’envisager les essences supérieures.  » 46   On retrouve là les ajouts habituels de Juvencus, le symbolisme de la lumière qui se lève pour le salut de l’humanité  : lucem, surgere, splendescere, le don de Dieu aux hommes  : larga… uoluntas, concessit et la puissance de Dieu  : tantis, miracula, signis, uirtus.

252

CHAPITRE XIV

Un dernier vers, là encore étranger à l’Évangile de Jean, montre le Christ, premier interprète des mystères révélés aux hommes de foi.  : Accipite ergo, nouis quae sit sententia rebus (II, 213). Le Christ vient accomplir la loi et Juvencus, après une traduction très fidèle, ajoute un vers de commentaire développant le verset de Mt. 5, 18  : amen dico uobis donec transeat caelum et terra iota unum uel unus apex non praeteribit a lege donec omnia fiant  : Omnia quin fiant digesto ex ordine saecli (I, 489) «  Sinon tout n’arriverait pas selon la succession établie du temps.  »

Les passages de Jean se prêtent particulièrement à des interprétations théologiques. Le vers II, 696 passe en affirmation ce qui est une négation dans le texte de l’Évangile, tournure un peu complexe qui montre en Jonas le type du Fils de l’homme  ; le … et signum non dabitur ei nisi signum Ionae prophetae (Mt. 12, 39) devient rebus stabunt sed signa futuris (II, 696). Juvencus explicite le signe en insistant à trois reprises par des ajouts sur l’importance de ces signes futurs  : Hic et Ionaeis monitis potiora iubentur (II, 705) «  Ici sont proclamés des ordres plus puissants que ceux de Jonas.  »

puis sur l’incrédulité de ses auditeurs et plus précisément du peuple juif  : Contemnitque feris animis gens impia lucem (II, 706) «  et votre engeance impie par une sauvagerie de cœur méprise la lumière.  » Et tamen obtunsae caecantur pectora plebis. (II, 712) «  Et pourtant le cœur endurci du peuple demeure aveugle.  »

S. J. Rollins fait une analyse détaillée de la parabole du banquet de noces et conclut en ces termes  : «  The parable may be interpreted in several ways: on the literal level the social structure parallels the rigid Diocletianic hierarchy and seems to conceal a message to Constantine’s nobles to submit to Christianity or suffer the inevitable and ineluctable consequence of damnation; in terms of history the Jews’rejection of Christ prompted God to hand them over to the Romans and destroy Jerusalem (so it was thought), and this may be another hint to the aristocracy; on the spiritual level the parable represents the call to all men into the Kingdom and the mystic marriage in Heaven; on a moral plane the reader learns the necessity of repentance in his own life if he too is not to be cast out; and finally the parable explores the eucharistic feast of the Lamb and the Eternel Judgement on the Last Day in imagery of eschatology. Elements of all these ideas may be found in this version of the parable, and it is a tribute to the poet’s craftsmanship that these different exegetic strands do not interfere with another. The poet achieves a coherent story

UNE ÉPOPÉE CHRÉTIENNE  : QUELQUES NOTIONS THÉOLOGIQUES253



in both literal and allegorical terms in the longest and most complex of the three parables. There is hardly a detail here that does not have some doctrinal significance and, as has been shown, Juvencus’ interpretation is in broad agreement with the exegetic tradition represented by St. Jerome and Juvencus’near contemporary, St. Hilary of Poitiers 47.  »

Le poète, s’il ne se livre pas à un commentaire indépendant, organise son récit autour d’une interprétation exégétique cohérente dont on perçoit les éléments dominants dans la récurrence de certains ajouts et modifications.

47

  Rollins (1984), p. 127-128. Cf. également l’analyse du sens de la vigne p. 206.

Chapitre XV

Une épopée d’Église  : une lecture chrétienne, ecclésiale et liturgique du message évangélique Les ajouts et modifications que Juvencus impose à ses sources évangéliques montrent des visées doctrinales essentiellement trinitaires, christologiques et ecclésiales, avec quelques commentaires de type exégétique, typologique dégageant la réalité morale ou eschatologique du récit. Il ne s’agit pas de commentaires développés mais plutôt de détails ajoutés dont le rapprochement permet de percevoir l’intention générale, qu’il s’agisse de souligner l’aveuglement des juifs à percevoir les divers sens des Écritures, ou de rapprocher la culture antique, la culture biblique et la réalité de la vie de l’Église au IVe siècle. Ces passages, contraints par la forme poétique et par l’économie du récit sont le plus souvent de taille réduite et parfois même obscurs. Ils n’en montrent pas moins la volonté de Juvencus d’introduire des éléments de réflexion sinon de commentaire sur les épisodes évangéliques qui font naître des questions et d’y apporter des ébauches de réponses. C’est sans doute un des aspects qui a fait placer Juvencus dans les programmes de l’école médiévale aux côtés des autres poètes scolastiques que sont Prudence, Sédulius et Arator. 1.  Loi ancienne et loi nouvelle  : fondation de l’Église du Christ 1.1.  Le Christ fondateur de l’Église Nous avons vu que l’élargissement du peuple élu au monde entier s’accompagne souvent d’une opposition entre loi ancienne et loi nouvelle (II, 358). La loi nouvelle est par ailleurs associée dans les discours de Jésus à la fondation de l’Église. Juvencus romanise fortement l’expression de la religion juive et du message du Christ et, en gommant l’historicité du Christ, il en fait le centre d’une liturgie chrétienne, le cœur d’une Église universelle. Une modification du texte évangélique dans le baptême de Jésus exprime par la reconstitution du récit ce changement de point de vue. Le peuple est baptisé après le Christ et non avant, puisque la venue du Messie s’accomplit en une simultanéité de temps et d’espace avec l’annonce qui en est faite  : Haec ait et properis per siluam passibus ipsum cernit Iordanis ueneranda lauacra petentem. (I, 346-347)

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CHAPITRE XV

«  Tandis qu’il dit cela, Jean le voit lui-même qui marche à travers la forêt et demande le bain sacré du Jourdain.  »

Le Christ est ainsi replacé au centre du récit entre l’annonce du Messie dans l’Ancien Testament et le baptême des foules, au centre d’une histoire à laquelle il donne sa valeur 1. Nous avons déjà vu comment Juvencus parle de l’ancienne loi comme d’une prescription dépassée 2, élimine les références au roi d’Israël au profit de l’évocation du Sauveur du monde 3 et universalise la bonne nouvelle. Il transmet ainsi la volonté des chrétiens de montrer à la fois ce qui est périmé dans l’Ancien Testament et ce qui est toujours valable car justifié par la venue du Christ  ; ce problème de l’appropriation des Écritures juives fut au cœur des controverses du IIe siècle. Juvencus entend montrer que l’usage que font les chrétiens de l’Ancien Testament est le seul légitime et dégager la figure du Christ de tout ce qui serait spécifiquement juif, pour l’ouvrir au monde, c’est-à-dire à la romanité. Ainsi dans l’épisode du repas avec les publicains et les pécheurs (Mt. 9, 10-13), il développe le multi publicani et peccatores à la fois pour expliciter le terme publicain, l’accusation de vol contenue dans peccatores et dénoncer plus précisément et plus globalement toute attitude contraire à la morale chrétienne dans l’utilisation de l’argent public  : Forte dies epulis multos sociauerat unis, publica conductis qui uectigalia lucris Professi rapiunt alieno nomine praedam. (II, 347-349) «  Il arriva qu’un jour avait réuni en un même banquet beaucoup de ceux qui se sont chargés des impôts publics en s’en assurant les profits et se livrent à leurs rapines à l’abri d’un titre officiel.  »

  Pour le commentaire de ce passage, cf. Thraede (2000a), p.  546.  : «  Die ­Annahme, dass es Juvencus von vornherein darauf ankam, Johannes als Vorläufer Jesu herauszuarbeiten und diesem zu vergleichen, lässt sich aus anderem stützen. Es sind die Verse 1, 346f., die Jesu Ankunft bei Johannes unverzüglich an die Täuferpredigt anschliessen. Folglich wird das Volk, entgegen dem Urtext, erst nach Jesus getauft. So rückt Er ins Zentrum des gesamten Erzählkomplexes.  »  2   L’utilisation répétée de l’adjectif péjoratif uetus (17 fois au lieu d’antiquus ou priscus, qui appartiennent davantage au vocabulaire poétique de l’épopée et qui n’apparaissent qu’à quelques reprises) en est la meilleure preuve  : ueteris scripti (I, 307)  ; ueteris legis… (I, 496). 3   Un des passages les plus caractéristiques est celui de la présentation au Temple, où Juvencus glisse de l’Évangile de Luc  : ecce hic positus est in ruinam et resurrectionem multorum in Israhel à l’affirmation de l’épître aux Romains (9, 30-33), qui reprend la même prédiction d’Is. 8, 14, mais il omet la suite de l’épître, qui annonce non plus le rejet du peuple infidèle, mais son salut  : Hic puer ad casum populi datur, iste renasci / concedet populos (I, 209-210). 1



UNE ÉPOPÉE D’ÉGLISE257

L’épisode des épis arrachés un jour de sabbat en est aussi un bon exemple (Mt. 12, 1-8  ; Juvc. II, 561-582). Juvencus ajoute deux vers d’explication pour un public non averti sur ce qu’est le sabbat  : Ille dies ueteri poscebat lege quietem, sabbata nam priscis repetebant otia iussis. (II, 564-565) «  Ce jour-là exigeait selon l’ancienne Loi le repos car le sabbat selon les ordres d’autrefois demandait l’oisiveté.  »

Ensuite les modifications du texte situent clairement Jésus entre la loi ancienne et la nouvelle loi, poursuivant la première et fondant la seconde, Legum… completor Iesus (II, 568), ueteris scripti monumenta retexens, «  prenant à témoin les souvenirs de l’Ancienne Écriture  » (II, 569). L’analyse de la place de Jésus est particulièrement sensible dans le parallélisme créé dans les derniers vers dont seul le premier terme existe dans les Évangiles  : … Sed nunc ego sabbata cuncta sponte mea dominans legis sub iure tenebo (II, 581-582) «  … Mais maintenant, je soumettrai à ma volonté tous les sabbats et je les tiendrai sous le pouvoir de la loi.  »

Mais la transformation la plus importante est l’ajout des vers II, 577-578 qui, en écho au «  là où vous êtes plusieurs réunis en mon nom  », peut se lire comme l’affirmation de la force de l’Église opposée à l’erreur de l’ancienne factio (II, 577)  : Nec minor est istic uestrae glomeratio turbae quam Templi uirtus. (II, 577) «  Et le rassemblement de votre foule ici n’est pas inférieure à la vertu du Temple.  »

On peut voir aussi une évocation de l’Église dans les deux vers ajoutés en conclusion de la guérison de l’homme à la main desséchée, (Mt. 12, 9-11, Juvc. II, 583-598), intervention directe de l’auteur s’indignant de l’attitude des Pharisiens et lui opposant la vénération que méritent les actes du Christ. His tum pro signis, quae uix ueneratio posset mirantis digno populi sustollere cultu. (II, 596-597) «  Alors, devant ces signes que pourrait à peine célébrer dignement la vénération d’un peuple plein d’admiration.  »

Dans l’épisode de la multiplication des pains, le multam turbam évangélique est rendu par deux vers qui évoquent une communauté ecclésiale, «  foule de croyants  » recherchant dans la rencontre avec le Christ «  les dons de son immense puissance  »  : Sed populi immensae uirtutis dona sequuntur. ille ubi credentum turbas in ualle remota (III, 73-74)

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CHAPITRE XV

À cette foule c’est le Christ lui-même qui dans les Euangeliorum libri distribue le pain (III, 86), le rôle des disciples étant omis. Dans la deuxième multiplication des pains, l’insistance du vers III, 209 peut aussi se lire métaphoriquement comme le pain de vie nourrissant l’Église dans son long chemin  : Ne labor adficiat populos per longa uiantes «  De peur que la peine n’accable les multitudes dans leur longue route.  »

L’unité de l’Église apparaît aussi métaphoriquement en II, 823 dans la parabole du levain où le fermentatum est totum de Mt. 13, 35 est traduit par conducto unius coalescit corpore massae «  se lie en un bloc compact, en une masse unique.  » D’autres images peuvent aussi symboliser l’Église. Dans l’épisode de la marche sur les eaux, l’encouragement du Christ «  constantes estote, nolite timere  » (Mt. 14, 27) s’adresse dans le texte de Juvencus à l’ensemble des croyants de façon plus générale par élargissement de l’apostrophe  : … Timor omnis abesto credentumque regat uegetans constantia mentem. (III, 107-108) «  Que toute crainte disparaisse que la constance dirige et fortifie l’esprit des croyants.  »

De même le Ego sum qui, dans l’épisode, sert à se faire reconnaître prend un sens plus large avec l’ajout du vers 109  : En ego sum, uestrae doctorem noscite lucis (III, 109) «  C’est moi, reconnaissez celui qui vous fait connaître la vraie lumière.  »

On observe le même élargissement dans l’avertissement contre les faux prophètes. Là où Jésus s’adresse aux disciples pour les mettre en garde uobis, ad uos (Mt. 7, 15), chez Juvencus après le premier avertissement uobis insidias faciunt, la comparaison avec les loups contenue dans l’Évangile est développée de façon plus générale avec des vers ajoutés évoquant les pièges des hérétiques contre l’Église  : … lacerantque incauta trahentes agmina cedentum, saeuus quos decipit error. (I, 693-694) «  … Ils entrainent et déchirent le troupeau sans méfiance de ceux qui obéissent, abusés par une terrible erreur.  »

Les termes employés dans ce développement, incauta, cedentum error, renforcés dans les vers suivants par monstra, fallax doctrina, dolus illorum relèvent clairement du vocabulaire employé par l’Église dans sa lutte contre les hérésies. À la fallax doctrina des hérétiques s’oppose la certa fides de l’Église évoquée dans la préface.



UNE ÉPOPÉE D’ÉGLISE259

De même le vers III, 402, Erroris laqueos saeclis increscere certum est, entièrement ajouté, peut s’interpréter de deux façons, soit comme l’explication du choix de Jésus  : un enfant est plus pur qu’un adulte car il a été confronté à moins de pièges, soit de façon plus générale pour l’Église, interprétation confirmée par les termes saeclis et laqueos erroris souvent employés pour parler des hérésies  : plus l’Église avance dans son parcours terrestre, plus les hérésies se multiplient. La lecture est sans doute double, comme le confirme l’analyse du passage suivant rapproché par la suppression dans l’épopée de Juvencus des versets 18,8 et 18,9 de Matthieu et le rattachement du 18, 10 à l’épisode de la brebis égarée. Les ajouts vont dans le même sens, le berger se voit confier un troupeau (précision qui n’apparait pas dans l’Évangile)  : Sed si quis pastor, cui pascua credita tondent centum balantes… (III, 410-411) «  Si donc un berger a cent brebis bêlantes qui broutent les près qui lui sont confiés…  »

le errauit una ex eis est également commenté dans un sens symbolique par l’ajout de l’ignorance des païens et de l’erreur des hérétiques  : … Unam cum forte seorsum nescius error habet… (III, 411-412) «  … quand il arrive que l’ignorance et l’erreur en égarent une…  »

et le dernier verset (Mt. 18, 14  : Sic non est uoluntas ante Patrem uestrum qui in caelis est ut pereat unus de pusillis istis) selon un procédé déjà rencontré, est d’abord rendu exactement dans une première partie de vers puis précisé dans la seconde  : Ex istis paruis genitor sic perdere quemquam non patitur gaudetque suis increscere regnis. (III, 417-418) «  Ainsi de ces petits le Père ne supporte pas de perdre aucun et se réjouit de les voir grandir dans son royaume.  »

Or la fin du vers 418 désigne, me semble-t-il, l’Église du Christ, terrestre et céleste, où les croyants grandissent à l’abri des pièges hérétiques, surtout lorsqu’on rapproche le verbe crescere de celui déjà ajouté au vers III, 402. On peut lire aussi comme une allusion à l’hérésie arienne le passage du conditionnel au futur dans les vers II, 683-685  : Namque ego quod summi genitoris nomine ueni, respuitur uobis, ueniet sed decolor alter nomine quem fultum proprio gens uestra sequetur (II, 683-685) «  Je suis venu au nom de mon Père, le très Haut, c’est ce que vous rejetez mais un autre viendra, un être corrompu qui s’appuiera sur son propre nom et que votre engeance suivra.  »

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CHAPITRE XV

1.2.  Foi et solidité de l’Église Les ajouts qui concernent l’Église du Christ mettent en valeur la fermeté des croyants dans leur foi. Lorsque Pierre marche sur les eaux à son tour, symbole de l’Église ballotée par les flots, Juvencus ajoute un parallélisme entre la force de sa foi et la solidité de l’eau, ses hésitations et ses craintes et l’élément liquide où il s’enfonce, explicitant ce que sous-entend l’épisode  : Paulatim cedunt dubio liquefacta timore quae ualidum fideigestabant aequora robur. (III, 118-119) «  Alors, peu à peu à cause de ses doutes et de sa crainte, quand elle était solide, la plaine marine se dérobe et devient liquide alors qu’elle avait porté la force de sa foi, quand elle était solide.  »

On trouve, logiquement, une évocation plus directe de la fondation de l’Église dans la profession de foi de Pierre où va être développée le verset 16, 18 de Matthieu avec la métaphore du nom  : Et ego dico tibi tu es Petrus et super hanc petram aedificabo ecclesiam meam et portae inferi non praeualebunt aduersum eam. Juvencus insiste sur l’image du rocher sur lequel est bâtie l’Église par divers ajouts qualifiant Pierre  : stabilis Petrus (III, 271), forti Petro (III, 273), ualidum fidei… robur (III, 277) et la totalité du vers III, 278 qui explique  : Tu nomen Petri digna uirtute tueris «  Tu soutiens ton nom de Pierre avec une énergie qui t’en rend digne.  »

Le super hanc petram évangélique est largement développé  : Hac in mole mihi saxique in robore ponam (III, 279) «  Sur ce bloc et sur la fermeté de ce roc je placerai.  »

et le ecclesiam meam devient citadelle imprenable et éternelle dans deux vers ajoutés encadrant la traduction exacte de la fin du verset (III, 281  : Infernis domus haec non exsuperabile portis)  : Semper mansures aeternis moenibus aedes (III, 280) «  Un édifice aux murailles éternelles pour qu’il dure toujours.  » Claustrum perpetuo munitum robore habebit (III, 282) «  Aura pour clôture une muraille à la solidité définitive.  »

En allant plus loin encore dans l’analyse des ajouts on peut voir dans l’insistance de ces deux vers une allusion à la Rome éternelle, siège du chef de l’Église. Quant à l’explication que donne Jésus de sa demande de silence aux disciples, explication qui n’existe pas dans l’Évangile, elle peut s’interpréter



UNE ÉPOPÉE D’ÉGLISE261

comme une allusion à la progression catéchétique qui préservait dans des étapes successives les mystères de la foi chrétienne  : Sed uos discipuli Christum me dicere cunctis Parcite, quo soli cognoscant talia digni. (III, 288-289) «  Mais vous, mes disciples, abstenez-vous de dire à tous que je suis le Christ, afin que seuls le sachent ceux qui en sont dignes.  »

Certains ajouts montrent comment Juvencus relit les évangiles à la lumière de l’histoire de l’Église primitive et de ses premiers témoins. Le passage des disciples persécutés (Mt. 24, 9-14) permet de rapprocher sous forme d’annonce solennelle et prophétique le discours du Christ aux disciples et le sort connu des martyrs et des témoins qui ont porté l’évangile aux nations. Pour le lecteur ou l’auditeur, les signes développés ici sont rejoints par la réalité  ; ainsi le vers IV, 111 développe l’occident évangélique par l’évocation des supplices des martyrs  : Tormentis poenisque feris odiisque necesse est et, de façon parallèle, la récompense promise étend sur deux vers le saluus du texte de Matthieu évoquant la lumière et la couronne des martyrs en une vision qui fait penser à la représentation des mosaïques d’une basilique  : … sublimia lucis aeternis uitae sertis redimitus adibit (IV, 115-116) «  … atteindra les hauteurs de la lumière, couronné des guirlandes éternelles de la vie.  »

Les vers 118 à 120 apportent aussi une précision intéressante, où l’évangélisation du monde retrouve l’aspect symbolique de la Pentecôte puisque chaque nation a son témoin propre parlant le langage lumineux du salut et que le Verbe de Vérité se propage en volant. Regnorum caeli celebratio peruolitabit in cunctas terrae metas; gens omnis habebit testem lucifluo sancti sermone salutis (IV, 117-119) «  La proclamation du royaume des cieux volera jusqu’à toutes les bornes de la terre  ; chaque peuple aura un témoin qui parlera le langage lumineux du saint salut.  »

L’expression poétique et imagée de ce passage est assez éloignée de la simplicité du texte de Matthieu  : et praedicatur hoc euangelium regni in uniuerso orbe in testimonium omnibus gentibus. Quelles que soient les interprétations possibles, ces ajouts multipliés dans les discours du Christ et les épisodes fondateurs de l’Église ne sont pas neutres ou ornementaux dans la mesure où ils se font écho entre eux. Ainsi les vers III, 151 et 152 qui clôturent les noces de Cana et développent le verset Jn. 2, 11  : hoc primum signum fecit Iesus in Cana Galilaeae et manifestauit honorem suum et

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CHAPITRE XV

crediderunt in eum discipuli sui, ajoutent les mêmes notions de solidité et d’éternité qui fondent la foi de l’Église en III, 280-282  : His signis digne credentum discipulorum perpetuam stabili firmauit robore mentem. (II, 151-152) «  Par ces signes auxquels ses disciples accordaient la foi qu’ils méritent il donna à leur esprit force et stabilité pour toujours.  »

Dans cette affirmation de la supériorité du Christ et de son Église, muraille éternelle, berger attentionné, peuple de croyants à la foi profonde, on peut observer un glissement de sens et une ambiguïté qui réunit parfois sous le terme ancien la loi des juifs et la culture philosophique et littéraire des païens. Ainsi, les vers I, 728-730, en lieu et place d’une comparaison avec l’enseignement des scribes et des pharisiens, introduisent l’idée de la supériorité du Christ sur les Anciens, écho de la préface où le poète avait affirmé sa propre supériorité sur les poètes antérieurs, au nom du Christ  : Talia dicentem fixa admiratio plebis immensum stupuit quoniam transcenderat alte doctrinam ueterum Christo concessa potestas «  Tandis qu’il prononçait ces paroles, la foule paralysée d’admiration était dans une immense stupeur, car la puissance accordée au Christ avait dépassé de haut l’enseignement des Anciens.  »

On a sans doute là une déclaration métapoétique  : la geste du Christ se démarquera en mieux de celle des Anciens, comme le Christ triomphe de l’ancienne loi. On peut analyser également à deux niveaux la transposition du passage de Mt. 5, 17-20 sur l’accomplissement de la loi. Le vers modifié (I, 485  : omnia nam uobis per me complenda manebunt) introduit à la fois un aspect missionnaire – ce sont les hommes qui achèveront au nom du Christ son œuvre de salut 4 – mais il peut aussi se comprendre comme porteur d’une déclaration littéraire en lien avec la préface  : le poète accomplit en respectant les règles des anciens poètes une œuvre vivifiée par le Christ. Les trois derniers vers du passage vont également dans le même sens  ; au lieu de qui autem fecerit et docuerit sic (Mt. 5, 19) les vers I, 493-495 conservent un équilibre parfait  : un vers pour la loi nouvelle, un vers pour les préceptes des anciens et  Cf. Rollins (1984), p. 113-115, l’analyse du termes famulus dans la parabole du banquet de noces  : «  The imagery is clearly apostolic rather than prophetic in character (crucifixion in this context is specifically Christian), and implies that the famuli represent not the prophets of the Old Testament but the saints of the Church. The savagery of the treatment of the servants by the guests also expresses in allegorical terms the furor of the «  Jews  » in their treatment of Christ and his followers.  » 4



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s’achèvent dans une évocation céleste qui peut être aussi la récompense du poète. At quicumque operis proprii moderamina seruans inuiolata simul tradet praecepta priorum, magnus erit magnique feret trans sidera nomen. «  Mais tout homme qui conservera dans son action les règles et qui, sans y toucher, transmettra également les préceptes des anciens, sera grand et proclamé grand jusqu’au-delà des étoiles.  »

D’autant plus que les ajouts du passage précédant vont dans le même sens missionnaire et peuvent aussi s’interpréter comme l’annonce d’une mission littéraire. … Vestrum sic lumen ad omnes perueniat rerumque decus sub luce serena ponatur… (I, 479-481) «  … Qu’au contraire votre lumière parvienne à tous et que la parure de l’univers soit placée sous une clarté sereine…  »

de même que l’envoi en mission final vers toutes les nations avec l’ajout du vers IV, 794 … uestrum est cunctas mihi iungere gentes «  … il vous appartient de toutes les unir à moi.  »

2.  L’Enseignement du Christ 2.1.  Le Christ premier docteur de l’Église Juvencus présente à de nombreuses reprises l’image du Christ, premier docteur de l’Église, qui enseigne à la foule, en particulier au livre II. De nombreuses expressions signalent cet enseignement  : praeceptis talibus inplet (II, 432), sed coram uirtus manifesta docebat (II, 326), uitalia dicta (II, 725), ou encore le vers ajouté à l’épisode de la Samaritaine  : Talibus adloquiis comitum dum pectora conplet (II, 321). Certains passages insistent sur la force de sa parole qui lui vaut la victoire sur les pharisiens. Ainsi là où le texte évangélique ne parle que de la connaissance des pensées des adversaires (Mt. 12, 25  : sciens autem Iesus cogitationes eorum dixit), Juvencus traduit le verset en un demi-vers puis développe sur le pouvoir de conviction du Christ et surtout sur la vérité de son enseignement qui frappe les cœurs et triomphe des mauvais  : … sed talia Christus ueridicis aperit conuicens pectore uerbis (II, 609-610)

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CHAPITRE XV

«  … Mais le Christ perce à jour leur cœur et démontre leur erreur par ses paroles de vérité.  »

C’est dans ces discours d’enseignement du Christ que Juvencus se permet le plus d’écart par rapport à son texte d’origine. Dans la discussion sur Beelzebul qui suit la guérison d’un possédé aveugle (Mt. 12, 22-32), les changements sont nombreux  : développement de la métaphore du royaume déchiré où l’on peut voir une critique des attaques internes dans l’Église, idée renforcée par l’ajout de la métaphore du soldat et du troupeau qui ne sont pas à cet endroit dans l’Évangile, même si l’on peut les déduire du verset Mt. 12, 30  : qui non est mecum contra me est et qui non congregat mecum dispargit. Les vers II, 619622 évoquent, par les métaphores choisies, l’armée du Christ, le troupeau de l’Église et les hérétiques qui s’en séparent  : Quisque meis aberit discretus miles ab armis hostis in aduersa consistet fronte duelli. quisque meis gregibus cogendis liber aberrat dissicet ille mei pecoris per deuia pastus. (II, 619-622) «  Tout soldat qui quittera mes armes pour s’en aller à part prendra place en ennemi sur la ligne de bataille opposée. Tout homme qui se libère et s’écarte du souci de rassembler mes troupeaux dispersera la nourriture de mes brebis dans des lieux écartés.  »

Au début du livre III, lorsque Jésus enseigne à Nazareth, Juvencus insiste par quatre vers traduisant le docebat eos in synagogis (Mt. 13, 54), tout en supprimant le synagogis pour le remplacer par «  foules  »  : Haec docuit patriamque redit seruator in urbem. Illic expediens populis – mirabile dictu – iustitiae leges uitaeque salubria iussa, uirtutes patrias simul insinuando docebat. (III, 17-20) «  Tels furent les enseignements du Sauveur et il revient dans sa ville, sa patrie. Là, en expliquant aux foules – chose admirable à dire – les lois de la justice et les préceptes salutaires de la vie, il leur apprenait en même temps à reconnaître les pouvoirs qu’il tenait de son Père.  »

L’exclamation, intervention directe assez rare de l’auteur, nous montre son implication dans ce passage qui précise la nature de l’enseignement du Christ, morale et justice, voie du salut et connaissance de Dieu. La fin du verset 13, 54 de Matthieu  : dicerent unde huic sapientia haec et uirtutes passe en discours direct et évoque la mission d’enseignement du Christ  : Vnde igitur legis doctor tantaeque minister uirtutis, cedit cui labes uicta malorum? (III, 27-28) «  D’où vient-il donc qu’il soit un docteur de la Loi et l’agent D’une si grande puissance, qui fait reculer, vaincue, la souillure des maux  ?  »



UNE ÉPOPÉE D’ÉGLISE265

Au livre III, le passage du levain des Pharisiens (Mt. 16, 5-12) devient une démonstration de l’enseignement du Christ aux disciples. La phrase de conclusion élimine l’allusion aux Pharisiens et aux Sadducéens pour donner un sens plus général à l’enseignement du Christ  : Discipuli tandem uitalia uerba secuti doctrinam cernunt fermenti nomine dictam. (III, 255-256) «  Les disciples enfin, attentifs aux paroles de vie, comprennent que, sous le nom de levain, c’est d’enseignement qu’il s’agit.  »

Le discours de Jésus est par ailleurs recomposé  : la cause du départ (l’oubli du pain par les disciples) est déplacée dans le discours même, ce qui permet d’enchaîner logiquement sur le passage précédent où le Christ s’en était pris à la fourberie des Pharisiens et des Saducéens et d’insister à nouveau avec les mêmes termes  : noxia (239), ferox (240), dolosi (241), falluntque in nomine panis (242), insidias (247). L’avertissement final  : Sed moneo istorum semper fermenta cauere (III, 254) «  Je vous conseille donc de toujours prendre garde à leur levain  »

et les interrogations et exclamations des vers 243 et 244 sur le peu de foi et la lenteur d’esprit des apôtres  : Cur uobis tacitas uoluit cunctatio mentes? Pro! Quam paruam fides sensu torpente fatiscit! (III, 243-244) «  Pourquoi la perplexité ballotte-t-elle vos esprits et vous laisse-t-elle muets  ? Hélas  ! Votre foi est si faible, elle succombe et votre intelligence est engourdie  !  »

soulignées par l’apposition du vers 255, tandem uitalia uerba secuti, placent le Christ dans la posture de l’enseignant qui cherche à établir le dialogue avec des élèves peu attentifs. Les pharisiens eux-mêmes lui donnent ce rôle dans les vers III, 135-136 où est souligné le lien entre l’enseignement du Christ et l’attitude des disciples  : Cur tua discipulos patitur doctrina labare praeceptis ueterum? … (III, 135-136) «  Pourquoi ton enseignement souffre-t-il que tes disciples dévient loin des préceptes des anciens  ?  »

et dans le même épisode le Christ est appelé «  le semeur de la vie éternelle  » (III, 161). L’enseignement du Christ est étendu au-delà du peuple juif, comme le montre à deux reprises l’épisode de la Cananéenne, d’abord par le remplacement du

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CHAPITRE XV

verset Mt. 15, 24  : non sum missus nisi ad oues quae perierunt domus Istrahel par des vers évoquant une Église dispersée  : Respondit proprias genitoris malle bidentes cogere quas uanus late disperserat error (III, 183-184) «  Il répondit qu’il préférait rassembler les brebis de son Père qu’une trompeuse illusion avait dispersées au loin.  »

Puis, au lieu du verset évoquant la guérison de sa fille selon son vœu, (Mt.  15,  28  : tunc respondens Iesus ait illi o mulier magna est fides tua fiat tibi sicut uis et sanata est filia eius ex illa hora) le Christ de Juvencus accorde à la Cananéenne le salut éternel, élargissant ainsi au monde les dimensions de son Église  : Tum Dominus loquitur: “Veniant tibi digna salutis praemia, quae fidei meruerunt robora tantae” Talia saluator uerbis caelestibus edit uirginis et mentem discusso daemone uirtus conplexam inpleuit donis fecunda salutis. (III, 190-194) «  Alors le Seigneur lui dit  : Que t’échoie la récompense méritée du salut que t’a value une telle force dans la foi. Ainsi parle le Sauveur  ; sa puissance accompagne ses paroles et va à travers l’air, de l’esprit de la vierge chasse le démon l’enveloppe et l’emplit des dons du salut dont elle est féconde.  »

On peut noter alors l’accumulation des mots annonçant le salut  : digna salutis praemia, meruerunt, saluator, uerbis caelestibus, impleuit donis fecunda salutis. C’est de ce salut que la Cananéenne bénéficie, salut accordé aux élus du Christ, à son peuple choisi qui devient universel. Le grand développement de cet épisode montre toute l’importance que Juvencus accorde à cette révélation. 2.2.  L’interprétation des textes bibliques À plusieurs reprises, l’explication sur l’enseignement en paraboles dépasse la paraphrase pour donner assez clairement la conception de Juvencus sur la lecture des textes bibliques 5. Ainsi la traduction au vers II, 756 du terme «  parabole  » par implicis uerbis  : Inplicis populo cur clauderet omnia uerbis «  Pourquoi pour la foule il enferme tout sous des mots dont le sens est caché  »

 Sur la question de l’exégèse chez Juvencus et l’influence d’Origine cf. Green (2006), p. 90-93. 5



UNE ÉPOPÉE D’ÉGLISE267

va dans le sens de ce déchiffrement nécessaire de la parole, mystère opaque qui nécessite un dévoilement. Les vers 765 et 771 insistent sur l’épais obstacle qui sépare le peuple de la vérité, alors que le texte biblique joue sur la répétition uidentes non uideant et audientes non audiant  : Idcirco obscuris cooperta ambagibus illum perstringit populum sermonis gratia nostri (II, 765-766) «  C’est pourquoi, enveloppée dans l’obscurité d’une énigme la grâce de notre parole rend ce peuple aveugle et sourd  » Ne conuersa bono sanetur noxia plebes (II, 771) «  Afin que le peuple coupable, converti au bien, ne soit pas guéri 6.  »

Le vers IV, 123 remplace le qui legit intellegat de l’Évangile par une affirmation qui sous-entend des niveaux de lecture différents  : Haec dignus tantum poterit cognoscere lector «  Le lecteur seul qui en est digne pourra les comprendre  »

Mais ces lecteurs ne sont pas seulement les proches du Christ, ils appartiennent à l’ensemble du monde, à condition d’être dignes du message reçu comme le montre en II, 173-174 le remplacement de discipuli eius par  : Hoc uerbum quondam post tempora debita digni cognouere uiri… «  Ces paroles, un jour, après le délai qu’il fallait, les hommes qui en étaient dignes les comprirent…  »

Le livre II s’achève sur un passage particulièrement caractéristique en ce domaine, correspondant à Mt. 13, 34-35 à propos de l’enseignement en paraboles. Or la coupure des livres n’a aucune logique événementielle, ce qui permet de conclure que ce choix est significatif du projet de Juvencus. La traduction du mot parabolis par perplexis uerbis (II, 824) et surtout les vers II, 827-828, reprenant la parole du Ps. 78, 2 relèvent d’une véritable définition esthétique et prophétique de la poésie inspirée telle que la conçoit sans doute Juvencus  : Os aperire meum dignabor, condita mundi conuoluet ructans uarii sermonis imago. «  Je daignerai ouvrir la bouche et les multiples images de mes paroles proclameront et cacheront les secrets de l’univers.  » 6   Ces vers marquent également l’infléchissement déjà signalé sur la condamnation du peuple juif, «  qui n’est qu’effleuré par la grâce de notre parole  » et qui ne peut se convertir au bien ni guérir.

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CHAPITRE XV

Ce déchiffrement nécessaire de la parole évangélique est lié étroitement avec le dessein de Dieu sur le monde et son annonce dès les premiers temps par la parole mystérieuse des prophètes, comme dans ces deux vers qui transcrivent le quod dictum est per Hieremiam prophetam de l’Évangile  : Haec quondam cooperta canens uox uera profetae euentum rerum patefecit in ordine saecli. (IV, 637-638) «  En chantant cela en un langage jadis énigmatique, la voix véridique du prophète annonça l’événement pour le moment venu du temps.  »

À deux reprises dans la Passion du Christ sont ajoutées des notations de ce type sur la réalisation du projet de Dieu annoncé par la parole prophétique, élément relevant de l’analyse biblique de l’époque et non du texte même de l’Écriture. Lorsqu’il est aidé par Simon de Cyrène, Juvencus ajoute à propos du bois de la croix  : Quo Dominum lucis iussis suffigere saeuis instans urgebat saecli inmutabilis ordo. (IV, 655-656) «  sur lequel l’ordre immuable du temps les pressait avec force de clouer, selon de cruelles instructions, le Seigneur de lumière.  »

Puis, lorsqu’un soldat lui donne à boire sur la croix, il ajoute également Ille sed in summo gustu tractata recusat; ut satis antiquis fieret per talia dictis, nec tamen insultans hominum furor omnia poscit. (IV, 659-661) «  Mais lui, après en avoir à peine goûté, la refuse, afin qu’ainsi accomplissement soit accordé aux antiques paroles 7 et que cependant la fureur triomphante des hommes ne puisse pas tout.  »

La passion du Christ, accomplissement du sacrifice consenti pour réaliser les prophéties marque l’avènement d’une nouvelle ère et le début de l’histoire de l’Église. Cette Église devra suivre le modèle qui lui est proposé tant dans la vie quotidienne et l’enseignement du Christ que dans le sacrifice suprême des martyrs qui réclame force et foi mises à l’épreuve dans le combat quotidien contre le mal.

  Il s’agit d’un rapprochement avec Ps. 69, 22 et 22, 17 qu’aucun Évangéliste ne signale à cet endroit mais que l’on trouve chez Jean au dernier moment de l’agonie du Christ (ce qui correspond chez Juvencus aux vers 695-696)  ; «  pour que l’Écriture fut parfaitement accomplie, Jésus dit  : j’ai soif.  » (Jn. 19, 28). On voit là sur l’organisation d’un passage la restructuration et le mélange des sources qui montrent une reconstruction de la matière de départ. 7



UNE ÉPOPÉE D’ÉGLISE269

3.  Le modèle chrétien  : les leçons morales de l’Évangile Nombreux sont les ajouts qui au cours du récit traduisent les préoccupations pastorales de Juvencus et précisent la ligne de conduite qui convient aux chrétiens. 3.1.  Le pouvoir du démon  : une vision du péché et de ses conséquences éternelles Certains passages insistent particulièrement sur le rôle du diable. Ainsi dans la mort de Jean-Baptiste, Juvencus commence l’épisode par six vers (III, 37-42) sur la tentation subie par Hérode alors que l’Évangile n’en parle pas  : Nam quondam cernens liuenti pectore daemon erroris labem puris quod solueret undis iustus Iohannes, damnis accensa malorum tunc petit Herodem pestis saeuissima regem et facile iniusti penetrans habitacula cordis adcumulare feris subigit scelera impia gestis. (III, 37-42) «  En effet longtemps auparavant le démon au coeur plein de jalousie découvrant que Jean le juste lavait dans les eaux pures la souillure de l’erreur, comme une impitoyable peste enflammée par les ravages des maux qu’elle suscite, il attaque alors Hérode, et pénétrant facilement dans la demeure de son cœur injuste, le pousse à ajouter à la férocité de ses actions l’impiété d’un crime.  »

Cet ajout important montre l’attention que Juvencus apporte à la mise en garde morale contre les attaques du mal. Le passage souligne la facilité avec laquelle le démon s’insinue dans un cœur ravagé par les vices et accumule les termes sanctionnant la faute d’Hérode  : «  souillure  », «  peste  », «  sauvage  », «  impie  », «  injuste  ». Puis alors que le texte évangélique se contente d’un récit très dépouillé, Juvencus multiplie la charge émotive et les éléments moraux avec le même vocabulaire que dans les six premiers vers  : inlicito… amore, (III, 43), Feritas sed nescia recti (III, 45), Subiecit leges pedibus fruiturque nefandis / Conubiis (III, 46-47), praua (III, 47) feritas (III, 50) et avec même une intervention directe du narrateur (III, 67  : nefas). À cette sauvagerie du péché s’oppose la douceur de l’enseignement du Christ et celle qui naît de l’application de ses préceptes comme le montre le passage de l’appel de Jésus (Mt. 11, 28-30), Juvc. II, 556-560 avec les termes «  joyeux  », «  légère  », mais surtout l’ajout du dernier vers qui lie le salut et l’attitude morale qui y mène  : Namque humili dulcem largitur corde salutem. (II, 560) «  Car je leur accorderai dans l’humilité de mon coeur la douceur du salut.  »

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CHAPITRE XV

L’attitude des hommes sous l’emprise du démon est également précisée dans l­’épisode du possédé aveugle et muet (dans les vers II, 602-604), ajoutés au texte évangélique  : Oblatus sibi mox quem daemonis horrida uirtus et lingua et uisu truncatum uiuere poenae et propriis escam cruciatibus esse uolebat (II, 602-604) «  Se présente bientôt à lui quelqu’un que la puissance horrible du démon, en privant cet homme de la parole et de la vue, voulut qu’il vive pour sa punition et qu’il soit l’aliment de ses propres tortures.  »

Le passage se termine sur six vers ajoutés soulignant les conséquences d’un choix de vie vertueux ou non  ; l’évocation de l’enfer éternel (II, 629-630  : … irreuocatis / suppliciis nunc et semper torrebitur ignis), tiré du verset Mt. 12, 32 neque in hoc saeculo neque in futuro, où n’apparaît pas explicitement la notion de supplice, entraine l’évocation imagée du diable, serpent venimeux et l’opposition entre la douceur du Christ et de ses disciples (Sermonum… dulci fructu  ; dulcia… bona) et la mort causée par le serpent (mala… uenena  ; letifero… ore)  ; l’opposition s’achève sur le parallélisme exact, rare chez Juvencus des deux derniers vers, évoquant le lien direct entre les paroles et le jugement divin, chacun étant payé selon son dû  : Quando ueneniferi serpentis saeua propago sermonum dulci poterit mitescere fructu? Nam bona thesauris promuntur dulcia iustis et mala letifero procedunt ore uenena. Verborum meritis ueniet sub iudice poena, uerborum meritis dabitur sub iudice uita. (II, 631-636) «  Quand du serpent venimeux la cruelle progéniture portera-t-elle le doux fruit de paroles de bonté  ? Car des trésors des justes on tire les biens pleins de douceur et d’une bouche qui apporte la mort proviennent les poisons malfaisants. Selon ce que méritent tes paroles, par le juge te viendra le châtiment, selon ce que méritent tes paroles, par le juge te sera donnée la vie.  »

Dans la discussion avec Nicodème (Jn. 2, 25  ; 3, 31) Jésus se place comme celui qui enseigne (II, 213  : Accipite ergo, nouis quae sit sententia rebus, «  Écoutez donc quel est le sens de ces nouveautés  » mais au lieu d’explications sur ses relations avec Jean-Baptiste (verset 3, 22-28), son discours est une explication et un développement des versets 3, 17 - 3, 21 qui accentuent l’aspect moral et l’opposition entre les justes et les mauvais jusqu’au jugement final, du vers 230 au vers 239 pour les mauvais avec l’orgueil, le choix volontaire du mal et des ténèbres, la souillure et le châtiment éternel, du vers 240 au vers 242 pour les justes dont la piété et la vertu trouveront la lumière et la gloire de la récompense finale  : Sic quicumque malis mentem maculauerit actis, in tenebras pauidus refugit, ne lumine claro



UNE ÉPOPÉE D’ÉGLISE271

sordida pollutae pateant contagia mentis. At quicumque piae tenuit uestigia uitae. Ad medium properat lucemque nitescere gaudet. Splendeat ut claris uirtutis gloria factis. (II, 237-242) «  Ainsi tout homme qui a souillé son esprit d’actions mauvaises se réfugie en tremblant dans les ténèbres, de peur qu’à la clarté de la lumière n’apparaisse l’ignoble maladie de son esprit souillé. Mais tout homme qui a suivi le chemin d’une vie pieuse se presse vers le grand jour et se réjouit que la lumière brille afin que resplendisse sur ses belles actions la gloire de la vertu.  »

On trouve dans les discours d’enseignement du Christ de nombreux ajouts portant sur les qualités morales du chrétien et les règles de vie à respecter. Dans le passage correspondant aux versets sur le meurtre et la colère (Mt. 21-26) sont rajoutés, par anticipation sur le thème de l’adultère qui vient par la suite, les vers I, 511-515 avec un conseil de chasteté et la menace du châtiment éternel. Le vocabulaire employé multiplie les mises en garde (jugement, prison, cachot, ténèbres) et présente le corps comme une occasion majeure de faute. Ce conseil ajouté de prendre garde à son corps, de s’en défier et surtout d’en prendre soin pour le garder chaste, s’inscrit clairement dans la volonté didactique d’un prêtre chargé d’une communauté et dans les conseils de morale pratique qu’il peut vouloir transmettre  : Est tibi praeterea semper contraria uirtus corporis; hoc casti celeri curetur amore, dum rapidae tecum graditur per compita uitae. Accusabit enim polluti corporis usus et te sublimi statuet sub judice uinctum. Damnatum rapient ad uincula saeua ministri nec prius e tenebris solueris carceris atri, ultima quam minimi reddatur portio nummi. (I, 511-518) «  En outre la force de ton corps est toujours pour toi un obstacle  ; prends soin de lui promptement dans l’amour de la chasteté tandis qu’il avance avec toi à travers les chemins de la vie qui court. En effet si tu te sers de lui en le souillant, il sera ton accusateur et te fera comparaître enchaîné devant le juge d’en haut. Tu seras condamné et ses serviteurs t’entraîneront dans une dure prison et tu ne seras pas délivré des ténèbres d’un noir cachot avant que tu n’aies remboursé jusqu’au dernier sou.  »

Dans le passage sur l’adultère deux vers de Juvencus explicitent sous forme de précepte la morale de ce qui est un exemple concret dans l’Évangile  : … sed nunc mea iussa occulta internae frenant molimina mentis (I, 520-521)

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CHAPITRE XV

«  … mais maintenant mes commandements répriment les intentions cachées et intimes de l’esprit  »

Un vers rajoute et développe la notion de châtiment de l’âme là où l’Évangile ne parle que du corps et s’en tient à la logique «  mieux vaut perdre un organe que le corps tout entier.  »  : Perpetuisque animam pariter conuoluere poenis (I, 527), «  et de plonger aussi son âme dans un châtiment sans fin.  ». Nombreuses sont les expressions ajoutées marquées par le vocabulaire et les images des sermons de l’époque de Juvencus et la conception du monde extérieur chargé de souillures. Par exemple en II, 370, l’époux enlevé par «  le tourbillon du monde  » (turbine saecli) ou l’insistance sur la récompense de celui qui choisit de devenir disciple de Jésus en renonçant «  aux profits périssables du monde  » pour garder la lumière de la vie éternelle  : Nam seruata perit terris possessio lucis. Sed quid proficient saecli mortalia lucra si damnum subeant lucis uitaeque perennis? Vel quae digna queunt animae conmercia poni? (III, 307-310) «  Car on perd la lumière de la terre dont on veut garder la possession Alors à quoi serviront les profits périssables du monde, S’ils exposent à perdre la lumière et de la vie éternelles  ? Ou quel prix peut être proposé en échange de l’âme qui soit digne d’elle  ?  »

3.2.  Les qualités du chrétien La qualité première est bien sûr la foi, celle que reconnaît Jésus à l’hémorroïsse (Mt  9, 22  : fides tua te saluam fecit). Mais Juvencus anticipe cette affirmation du Christ en soulignant à trois reprises au cours de l’épisode la force de la foi qui guide la femme  : credula (II, 387), fide… certa (II, 388), credentia pectora (II, 393) et en ajoutant à la parole du Christ la notion de constance  : constantia fidei (II, 395). On observe le même ajout au vers II, 650 praesens constantia, que renforce l’expression originale du vers II, 649  : Sed cui nostra fidem sermonis gratia figet (II, 649) «  Mais à celui en qui la grâce de notre parole fixera la foi.  »

Cette foi se caractérise par la force, la solidité et le courage, comme le montrent de nombreux ajouts  : forte (II, 559), uigens (II, 652) credendi… substantia (II, 675) robora fidei (III, 191), mais aussi des vers entiers  : II, 758  : Vobis, qui firmo robustam pectore mentem, III, 108  : credentumque regat uegetans constantia mentem, précepte qui remplace le constantes estote (Mt. 14, 27) de l’Évangile en l’étendant à l’ensemble de l’Église. Dans l’épisode du figuier maudit et desséché (Mt. 21, 18-22), cet aspect de la solidité de la foi est particulièrement développé  ; pour rendre le si habueritis



UNE ÉPOPÉE D’ÉGLISE273

fidem et non haesitaveritis, Juvencus écrit deux vers reliant la foi à la vertu morale et comparant l’âme à une citadelle assiégée  : Namque fides si certa animi consistet in arce nec dubiis nutans uitiis tremebunda iacebit (III, 666-667) «  de fait, si dans la citadelle de votre âme se dresse une foi solide, si elle ne gît pas tremblante, vacillant dans les vices et le doute qu’ils engendrent.  »

et la conclusion de l’épisode renforce encore cet aspect en transformant le verset 21, 22 de Matthieu et omnia quaecumque petieritis in oratione credentes accipietis en deux vers insistant sur la force de la foi dans un cœur solide  : Et quaecumque fides robusto pectore poscet credentum semper digna uirtute tenebit (III, 672-673) «  Et tout ce que dans un cœur robuste demandera la foi elle l’obtiendra toujours par la puissance que méritent les croyants  »

Ce lien entre foi et conduite exemplaire se retrouve à plusieurs reprises. Par exemple lorsque l’Évangile parle seulement de la foi qui sauve les prostituées, Juvencus ajoute, en la tirant de la deuxième partie du verset de Matthieu 21, 32, une notion de purification qui atténue le scandale de la parole du Christ  : Namque fidem potius meretricum pectora certam hauserunt sordesque animi posuere pudendas. (III, 709-710) «  Car le cœur des prostituées mieux que le vôtre s’est pénétré d’une foi solide et elles ont abandonné de leur âme la honte dégradante.  »

De même dans la parabole du festin de noces, Juvencus ajoute les taches du vêtement, précision qui n’existe pas dans l’Évangile, ainsi qu’une interrogation du roi qui va justifier le renvoi de l’homme hors du banquet  ; le silence de l’homme questionné par le roi est expliqué par la souillure de son cœur mise en parallèle avec celle de son vêtement  : Hic uidet indutum pollutae uestis amictu (III, 763) «  Là il voit un homme revêtu d’une robe dont le tissu est souillé.  » Isque ubi regalis sermonis pondere causas reddere pro uestis maculis et labe iubetur oppresso tacuit non puri pectoris ore (III, 765-767) «  Celui-ci lorsque l’autorité de la parole royale l’invite à expliquer les taches et la souillure de son vêtement se tait, car l’impureté de son cœur lui ferme la bouche.  »

La notion de souillure est également très développée dans les vers correspondant au verset 15, 19 de Matthieu dans la discussion sur les traditions

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p­ harisiennes  : aspergine labis (III, 167), polluere inmundoque hominem maculare piaclo (III, 168) maculant, sordibus (III, 173) polluit (III, 174). Cet infléchissement moral de la parole du Christ transforme l’expression non est Deus mortuorum sed uiuentium (Mt. 22, 32) en Nec Deus illorum dominum se ponere mauult, qui tetram proni meruerunt sumere mortem, sed potius uitae possunt qui prendere lucem. (IV, 35-37) «  Et Dieu ne veut pas devenir le Seigneur de ceux qui, par la bassesse de leurs penchants, ont mérité de subir l’affreuse mort, mais plutôt de ceux qui sont capables de recevoir la lumière de la vie.  »

C’est, certes, une interprétation possible de la formule évangélique, mais c’est pour le moins de la part de celui qui, selon Jérôme traduit presque mot à mot, un commentaire qui choisit et même sélectionne puisque la première partie du verset évoquant Abraham, Isaac et Jacob et opposant passé et présent est supprimée. La traduction des versets Mt. 5, 33-37 comporte de nombreux termes ajoutés définissant la conduite du chrétien  : tranquilla patientia (I, 550), miserans (I, 559) mitem (I, 560), Blando… obsequio (I, 563-564), et pour les femmes, casti iura pudoris (I, 534), casto jure (III, 44). Quant à la chasteté volontaire, Juvencus la définit comme une vertu élevée (celsa uitute, III, 490) réservée à une élite. Ces termes définissent un idéal moral recherchant la vertu suprême. La parabole du jeune homme riche est tout à fait caractéristique des commentaires moraux qu’ajoute Juvencus. Le texte évangélique reste très sobre, les actes parlent d’eux-mêmes  ; l’ordre du Christ est simple et direct  : «  vends tout, donne aux pauvres et suis-moi  »  ; il n’y a pas d’explication au départ du jeune homme, Jésus affirme qu’il est difficile aux riches de rentrer dans le royaume des cieux et aux apôtres qui s’interrogent sur la possibilité du salut dans de telles conditions, il rappelle que l’aide de Dieu est nécessaire au salut. La scène dans le poème de Juvencus est considérablement rallongée  ; l’explication de Jésus est développée sur six vers avec deux ajouts  : … Nunc si perfecta requiris Prendere praecelsis meritis fastigia uitae (III, 513-515) «  … Si de la vie parfaite tu cherches maintenant à atteindre par des mérites éminents les sommets  » Virtutisque tenax uestigia nostra sequeris «  et en t’attachant à la vertu tu suivras nos pas  »

La métaphore du chameau est ornée d’un grand nombre d’adjectifs  : leues, tenuis, deformis, inmania… L’interrogation des apôtres est étendue à trois vers

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sur le thème de la vertu nécessaire pour obtenir le royaume des cieux, thème qui sera repris dans la réponse du Christ (III, 533  : uirtus celsa)  : Talibus attoniti comites stupidique silebant. Voluentes quae tanta foret sub pectore uirtus humano, talem possit quae prendere uitam. (III, 527-529) «  Ses compagnons, étonnés par de telles paroles demeuraient muets de stupeur en méditant sur ce que devait être la grandeur de la vertu dans un cœur humain, pour qu’elle puisse atteindre une telle vie.  »

Les relations de l’homme et de Dieu sont marquées par les vertus romaines d’autorité et d’obéissance 8, la loi et la foi prennent parfois la place de la vérité comme dans le dialogue avec la Samaritaine 9, le terme sollemnis 10 exprime le respect du rite religieux de la loi juive. Les termes potestas et imperium (II, 40-41) 11 sont employés pour définir le pouvoir qu’exerce le Christ sur les éléments lors de la tempête apaisée, et deux mots de même racine aux consonances héroïques uirtus et uires pour résumer sa force contre le mal  : quod mala cuncta illi uirtus diuina domaret (III, 34) 12, Christi uiresque uiamque (II, 101). Et cette force vient directement du Père, comme le souligne l’emploi du même terme 13 dans les vers qui, lors de l’entrevue avec Nicodème, développe le Deus cum illo de l’Évangile de Jean (3, 2)  : Nec quisquam tantis tribuet miracula signis, ni comitata Dei iubeat splendescere uirtus. (II, 182-183) «  Et personne n’accomplirait des miracles avec de tels signes, à moins que la puissance de Dieu ne l’accompagne et ne l’invite à resplendir.  »

La vie droite de Zacharie et de sa femme relève d’une stricte obéissance à la loi dans un esprit d’équité, de justice et de dignité  : iusti (I, 2), dignissima (I, 5), Cura his ambobus parilis moderaminis aequi, / Ambos adnexos legis praecepta tenebant (I, 6-7). On découvre à travers le texte les vertus demandées au ­chrétien,   Les ajouts de mots insistant sur les ordres donnés par Dieu sont nombreux tout au long de l’épopée  : supremi mandata Dei (I, 38)  ; caelesti iussu (I, 60)  ; parent sic omnia iussis (I, 76)  ; iussum (I, 105)  ; numine iussa (I, 219)  ; diuino numine iusus (I, 264)  ; iussa salutis (I, 434)  ; nostri genitoris iussa (I, 705)  ; sanctis iussis (I, 710). 9   Eos qui adorant eum in spiritu et ueritate (Jn. 4, 24) est rendu par cultores iustis armati legibus orent / Spiritus his ac plena fides erit… (II, 288-289). 10   Sollemnes palumbas (I, 196)  ; sollemnem legem (I, 221). 11   On retrouve le terme imperium pour caractériser l’ascendant du Christ sur Matthieu qui quitte tout à son appel  : Imperio Christi paret gaudetque secutus (II, 98). Dans l’Évangile (Mt. 9, 9) ce pouvoir n’est pas explicité mais transparaît dans la succession des actions. 12   Cf. aussi, tantis uirtutibus (II, 108)  ; sancta uirtute (I, 240). 13   Autres exemples  : uerba Dei uirtute ferenda (II, 83)  ; dicti et facti pariter uirtute (II, 87). 8

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exprimées à travers les vertus romaines, la fermeté et le courage dans la foi  : … Timor omnis abesto, / credentum regat uegetans constantia mentem (III, 107108), la justice ut iuste iusto seruire queamus (I, 124), l’obéissance aux décrets de Dieu, telle que Jésus la réclame de Jean-Baptiste avec des mots marquant l’obligation et le respect (decet, sancta, iustitiae, consectandus, ordo)  : Nunc sine, nam decet hoc, sic sancta per omnia nobis iustitiae consectandus conplebitur ordo. (I, 352-353) «  Permets-le maintenant, car c’est ce qui convient, ainsi en passant par tous les actes saints nous accomplirons l’ordre de la justice, auquel il faut nous attacher.  »

À l’autorité condescendante de Dieu 14 correspond la soumission de l’homme où se mêlent crainte et respect 15. C’est cette attitude qui caractérise l’acceptation de Marie lors de l’Annonciation. Juvencus ajoute l’expression pauido ore (I, 64) et utilise l’écho d’un vers virgilien pour mettre des paroles d’apaisement dans la bouche de l’ange  : desine conspectu mentem turbare uerendo (I, 59) 16. À la parole évangélique  : quia non est inpossibile Deo omne uerbum (Lc. 1, 37), rappel de la promesse de Dieu à Abraham (Gen. 14), est substituée l’affirmation plus brutale  : parent sic omnia iussis (I, 74), qui enlève l’écho biblique et insiste sur la toute-puissance divine. L’insistance du prêtre qui dégage les éléments d’une conduite chrétienne se ressent également dans l’explication de la parabole du semeur (Mt. 13, 18-23). Les qualités demandées au chrétien apparaissent dans le développement de cette parabole  : stabili… uigore «  un esprit stable et courageux  » (II, 777), laeto pectore «  un cœur généreux  » (II, 781), la capacité à savoir se dégager des contingences matérielles, curarum mole (II, 786) pondera diuitiarum (II, 787). Juvencus insiste particulièrement sur le rôle de la prière et de la contemplation comme éléments d’intelligence de la parole de Dieu  : Pinguia sic itidem paribus stant uiribus arua illis, qui clarae capiunt praecepta salutis, quae penetrant animum sensu tractante tenaci centiplicemque ferunt uirtutis robore frugem. (II, 790-793) «  De même les terres fécondes de labour ont des forces en tout semblables à ceux qui accueillent les préceptes et la lumière du salut. Ils pénètrent leur âme, parce que leur intelligence les a travaillés sans relâche Et multiplient cent fois le fruit qu’ils portent par leur force et leur énergie.  »   Deus magnum dignando (I, 93)  ; Deus aequus (I, 88).   Timor et laudes (II, 93)  ; concussa tremore (I, 84). 16   Verg., Aen. VI, 376  : desine fata deum flecti sperare precando. Cette parole est prononcée par la Sibylle à l’adresse de Palinure qui demande à descendre aux Enfers sans sépulture. Juvencus n’en garde que le ton solennel qui caractérise les relations entre les hommes et Dieu. 14 15



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On peut noter de même l’ajout d’une réflexion générale qui n’existe pas dans le texte évangélique, pour commencer le passage sur le jeûne  : Sunt etiam praegrata Deo ieiunia plebis (I, 604). De nombreux ajouts précisent les qualités du vrai croyant et les défauts des mauvais  : I, 619  : Pura acies oculi opposé à nequam… parumque uidebit  ; uolentes (I, 705) opposé à praeblanda adolatio (I, 702), fiducia Patris (I, 648) opposé à aegra cura (I, 631) deuoti pectoris altum / seruitium (I, 609-610) opposé à uanam… hominum… famam (I, 606). Enfin le passage sur la définition du disciple de Jésus met en avant la renonciation nécessaire pour suivre le Christ en rendant le abneget évangélique par un vers très expressif et caractéristique d’un des procédés les plus fréquents chez Juvencus, d’abord la reprise exacte des mots de l’évangile puis une explication rajoutée dans la deuxième partie du vers  : Abneget ipse sibi corpusque animamque recusans (III, 304) «  qu’il se renonce lui-même en refusant le souci de la vie charnelle.  »

3.3.  Exemple de modification d’un épisode  : la tentation du Christ L’épisode des Tentations fournit un exemple du passage du récit à l’épopée sans qu’il y ait en apparence de grandes différences. Or l’étude des ajouts et des modifications montre à la fois un changement profond dans la structure narrative et une orientation théologique marquée au cœur même du récit. Alors que l’évangile de Matthieu oppose en un verset initial la situation de départ et le sens de l’épisode  : tunc Iesus ductus est in desertum ab Spiritu ut temptaretur a diabolo (Mt. 4, 2) et relate sobrement le jeûne  : et cum ieiunasset quadraginta diebus et quadraginta noctibus postea esuriit (Mt. 4, 2), Juvencus détaille le lieu  : Tum petit umbrosas montes et lustra ferarum (I, 364), ajoute un vers sur les serviteurs de Dieu ou, plus exactement, le déplace de la fin de l’épisode évangélique (Mt. 4, 11  : et ecce angeli accesserunt et ministrabant ei), ce qui affirme la royauté du Christ de façon préalable à la tentation et non comme une récompense de la victoire  : Obsequium illi patris praebere ministri (I, 365), et met en scène le mal en multipliant les expressions imagées  : liuor daemonis, atram… mentem, terrore, aegro, uersutia fallax  ; il insiste également sur le jeûne en deux vers et surtout ajoute deux vers qui explicitent le sens de l’épisode en dégageant la valeur morale et théologique du jeûne  : Quadraginta illi fuerant ex ordine soles ex quo nulla cibi potusque alimenta dabantur, sed contexta simul firmi ieiunia cordis terrarum ad regnum mentis secreta tenebant. (I, 369-372) «  Quarante jours pour le Christ s’étaient écoulés à la suite depuis que ne lui était donné nul aliment ni solide ni liquide.

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Mais en même temps le jeûne ininterrompu que maintenait la fermeté de son coeur gardait l’intimité de son esprit face à la royauté de ce monde.  »

Ce type d’ajout est caractéristique de ce qui est au cœur de la tentative de Juvencus, une lecture ecclésiale des évangiles qui reste discrète mais néanmoins présente et se coule dans la forme épique au lieu de devenir commentaire. Ici sur le plan théologique sont précisées la divinité et la royauté du Christ mais aussi son humanité avec l’ajout du vers 373  : Tunc epulas demum monuit conquirere corpus «  Alors son corps l’invita enfin à chercher une nourriture.  »

Sur le plan moral le Christ est un exemple de fermeté devant la tentation et pratique le jeûne comme un exercice de formation morale préfigurant l’ermite au désert luttant dans les macérations contre les épreuves du démon. La suite de l’épisode voit se mêler dans les ajouts l’image du héros endurant et sans peur  : firmi cordis (371), nil me iam talia terrent (378), des conseils de morale et de direction de vie uitam credentis (380)  ; l’homme de l’évangile devient pia pectore (381) et au croyant la parole de Dieu donne sa force uirtus (381). Le «  non in pane tantum uiuet homo sed in omni uerbo Dei  » de l’évangile est ainsi non seulement traduit mais commenté dans le texte de Juvencus avec des ajouts explicatifs qui apparaissent aussi comme des procédés épiques  : contraste entre le bien et le mal, violence de l’affrontement, dialogue où se précisent les caractères, formules fortes qui révèlent la noblesse et la puissance du Christ et s’achèvent en une profession de foi solennelle  : Ut iustus caeli Dominus deuotus adoret unius et famularis ueneretur nomen in aeuum (I, 406-407) «  Que le juste avec dévotion adore le Seigneur du ciel qu’il serve et vénère son seul nom pour l’éternité.  »

4.  Les sacrements et la liturgie Si les nombreux ajouts théologiques ou moraux nous montrent une intention catéchétique chez Juvencus, on peut aussi souligner la part qu’il fait aux sacrements et à la liturgie dans les commentaires qu’il ajoute ou dans la façon dont il rend les épisodes évangéliques. 4.1.  Une parole plus solennelle et sacramentelle Dans l’épisode de la guérison de deux aveugles (Mt. 9, 27-31) une place plus grande est faite chez Juvencus à la parole du Christ, au dialogue et à l’affirmation de la foi  : ait (II, 410), fatentur (II, 412), fatur (II, 413), dixit (II, 415). Le

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geste du Christ (tetigit oculos) n’est pas mentionné mais on trouve trois fois le terme credere  : credunt (II, 410), credere (II, 412), credentes (II, 414). On peut faire les mêmes remarques sur l’épisode du démoniaque épileptique (Mt. 17, 14-21). Les ajouts des vers 354-355 développent le genibus prouolutus de l’Évangile et peuvent être interprétés comme un appel au pathétique 17  : inflexibus genibus, fletuque solutus, precibus, ueneratus adorat, mais ils définissent aussi l’attitude de la prière chrétienne complétant l’invocation qui remplace le Domine de Matthieu  : Dauidis suboles, hominum lumenque salusque et le te precor mis en valeur au début du vers 357  : Ecce sed inflexis genibus fletuque solutus uir senior precibus Christum ueneratus adorat: “Dauidis suboles, hominum lumenque salusque te precor…” (III, 354-357) «  Mais voici que fléchissant les genoux et le visage baigné de larmes un homme âgé se prosterne devant le Christ avec des prières suppliantes ‘Descendance de David, lumière et salut des hommes Je te prie…’  »

L’ajout de trois vers sur la forme du miracle qui traduisent le exiuit ab eo daemonium montre la force de la parole du Christ et le pouvoir de l’Esprit  : … Tum uocis pondere multo incubuit mentisque; simul conuulsa uenena daemonis horrendi purgato corde fugauit. (III, 368-370) «  … alors il concentra sur lui tout le poids de sa parole. De l’intime de son esprit il arracha le poison de l’horrible démon et, purifiant le cœur de l’enfant, le mit en fuite.  »

Le fait que les disciples aient essayé de soigner l’enfant précédemment et que nous soyons en face de gestes et d’actes qu’ils seront amenés à refaire à la suite du Christ explique aussi le caractère solennel de la guérison. L’insistance sur l’association entre la parole et l’Esprit qui donne un poids sacramentel à l’épisode, ce que souligne encore le développement de incredulitatem par la métaphore du chemin glissant et du grain de sénevé (III, 373-378). Le texte de Juvencus partage avec la poésie liturgique chrétienne la perspective d’une anticipation du triomphe de l’Église à la fin des temps et le sentiment d’une représentation réelle à l’instant de la liturgie d’un mystère qui est actualisation des paroles et des gestes du Christ. Le poète apporte donc un soin tout particulier aux passages de la vie du Christ qui instituent des moments de la vie de l’Église.   Il y a d’autres ajouts de ce type dans le passage  : reddasque seni solacia uitae (III, 358), magno conmotus corda dolore (III, 364). 17

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La noblesse solennelle et l’intériorité de certains passages, comme le baptême du Christ, la Pâques, l’institution du Notre Père, l’action de grâce du Magnificat ou les Béatitudes, nous montrent le soin de Juvencus pour tout ce qui touche au rituel et à la liturgie de l’Église chrétienne. Il se fait alors très proche du texte évangélique et les précisions ajoutées sont clairement d’ordre pédagogique, comme les deux vers de l’institution de l’Eucharistie soulignant la transsubstantiation  : Discipulos docuit proprium sic edere corpus… (IV, 448) Edocuitque suum se diuisisse cruorem. (IV, 451) «  Il enseigna à ses disciples qu’il leur donne son propre corps… Et leur enseigne qu’il leur a fait part de son propre sang.  »

On peut noter également la transformation sacramentelle de certains passages évoquant l’Eucharistie comme, dans les noces de Cana, la demande de Marie à Jésus (II, 133)  : Adsint, nate, bonis ex te data munera mensis, «  Mon enfant  ; que les dons venus de toi s’ajoutent à l’abondance de la table.  » Cette demande prend tout son sens dans un rapprochement avec le vers précédent, qui exprime la pénurie de boisson en termes de manque spirituel (II, 132)  : Cernis laetitiae iam defecisse liquorem?, «  Vois-tu que la boisson a déjà manqué à leur joie  ?  » Ces vers si directement évocatoires du don du Christ dans l’Eucharistie 18 éclairent la réponse que fait alors Jésus à sa Mère  ; ils précisent le mea hora de l’Évangile par une évocation de la nourriture vivifiante de la Cène, en une extension du texte qui n’est pas une transformation périphrastique ornementale mais un réel enseignement spirituel  : Festinas, genetrix; nondum me talia cogit ad uictus hominum tempus concedere dona. (II, 135-136) «  Tu es pressée, mère  ; le temps ne m’oblige pas encore à accorder de tels dons pour la nourriture des hommes.  »

La joie prémonitoire de Marie (laetata, II, 137), l’épithète du Christ (terrarum gloria, II, 134), la sacralisation du don (uenerandi dona saporis, II, 146) et la force spirituelle que Jésus donne ainsi à ses apôtres (perpetuam stabili firmauit robore mentem, II, 152) montrent bien que ce qui semble appliques décoratives est la marque d’un fléchissement liturgique du texte, d’une interprétation chrétienne d’un épisode que l’épopée, contrairement à l’Évangile, ne raconte plus comme le premier miracle du Christ mais comme l’annonce métaphorique du sens de sa mission sur terre. Nous ne sommes plus ici dans le domaine du témoignage historique mais dans celui d’une lecture ­eschatologique que vient   Sur les références à l’Eucharistie dans l’épisode des noces de Cana, cf. Green (2006), p. 115. 18



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confirmer la paraphrase du Notre Père où panem nostrum cottidianum (Mt. 6, 11) devient  : Vitalisque hodie sancti substantia panis proueniat nobis… (I, 595-596) «  Et qu’aujourd’hui la sainte nourriture de ton pain de vie nous parvienne…  »

L’utilisation d’un mot comme substantia, associé à uitalis et sancti et appliqué au pain de vie, ne peut relever du simple ornatus  : la paraphase se fait énoncé de foi 19. 4.2.  Le rôle de la prière dans la vie chrétienne Bien des ajouts portent sur la prière ou sur la prière et le jeune. Ainsi les deux vers qui concluent le passage du démoniaque épileptique (Mt. 14, 14-21)  : Nam genus hoc morbi precibus sine fidesque multaque robusti ieiunia pectoris arcent (III, 379-380) «  Car ce genre de maladie, c’est par des prières sans fin que la foi et les nombreux jeûnes d’un cœur robuste peuvent l’arrêter.  »

Juvencus clôt l’épisode sur le développement du verset Mt. 17, 20 en omettant de rendre les deux suivants qui annonce la mort du Christ. Le passage sur la prière dans le livre 1 est très développé, donnant lieu à un petit tableau animé sur l’orgueil et la vanité (I, 580-583) et la répétition à quatre reprises sous des formes variées de la formule unique de l’évangile  : (Mt. 6, 6) Pater tuus qui uidet in absconso soulignant l’omnipotence de Dieu  : Scit pater ipse (I, 586), Nil absente Deo loquimur, nil abdita clausum / Pectoris antra tegunt, praesens Deus omnia cernit (I, 586-587). On trouve également dans ce passage l’ajout d’une notion  : la sobriété et la brièveté de la prière sont opposées au déluge de paroles (multifluisque… uerbis, I, 582)  : Precibus… castis (I, 584), paucisque… uerbis (I, 585), His igitur uotum placeat concludere uerbis (I, 589), notion contenue dans le passage suivant du Notre Père. La Vierge est un modèle de prière pour le chrétien. Juvencus insiste sur l’action de grâce, la prière de louange et l’attitude de Marie, faite de joie et de réserve. Lors de la Visitation, le Magnificat de la Vierge est précédé de deux

19   Cf. aussi les vers IV, 455-456 (donec regna patris melioris munere uitae / In noua me rursus concedent surgere uina), dans lesquels Herzog (1975), p. 121 voit un rappel de Jn. 15, 12 sur le Christ cep de vigne.

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vers ajoutés qui résument l’attitude du chrétien face au mystère d’un Dieu tout puissant et paternel  : Illa trahens animum pet gaudia mixta pudore subpressae uocis pauitantia dicta uolutat. “Magnificas laudes animus gratesque rependit immensi Domino mundi….” (I, 94-97) «  La Vierge, dont le cœur passe par un mélange de joie et de réserve, D’une voix retenue égrène des paroles pleines de crainte  : ‘Mon âme célèbre la grandeur du Seigneur de l’immense univers par des louanges et des actions de grâce’ 20  »

Le dernier vers du passage comporte aussi un ajout et l’imitation d’une clausule virgilienne qui exprime la pietas de Marie, sa confiance dans la parole du Seigneur  : iam certa futuri (I, 104). Il est intéressant de noter que ces vers de l’Énéide expriment l’un la volonté de suicide de Didon et son désespoir (Verg., Aen. IV, 508  : haud ignara futuri), l’autre les plaintes d’Évandre faisant ses adieux à son fils Pallas qui va succomber à la guerre (Aen. VIII, 580  : incerta futuri). Juvencus en détourne le sens, affirmant ainsi la supériorité du christianisme, pour qui l’incertitude du destin fait place à la confiance en la Providence divine. Peut-être est-ce cette même volonté d’un précepte universel sur la foi en Dieu qui explique le changement du féminin au masculin de l’action de grâce d’Élisabeth  : Felix, qui credit finem mox adfore uerbis, quae Deus ad famulos magnum dignando loquetur. (I, 92-93) «  Bienheureux qui croit que s’accompliront bientôt les paroles que Dieu, dans sa grande condescendance, adresse à ses serviteurs.  »

4.3.  La symbolique de l’eau vive Certaines transformations mettent en évidence des symboles liés à la liturgie des sacrements, symboles développés également dans les arts. Dans son ouvrage Les symboles chrétiens primitifs, J. Daniélou montre que l’eau vive et le poisson sont des symboles liés au baptême et à l’Esprit Saint et que l’usage rituel et le symbolisme théologique s’influencent mutuellement. L’eau vive est depuis l’Ancien Testament 21 un symbole de Dieu comme source de 20  Il est intéressant de comparer cet ajout avec un extrait d’Hippolyte, fortement marqué par les réminiscences platoniciennes du Phèdre  : «  Tout disciple du Christ, plein de crainte et d’amour, se tient frissonnant devant les mystères de Dieu, exprimés avec majesté. Et, s’envolant déjà vers le ciel, il s’y cache, sans retourner par plaisir vers la terre, mais en s’élevant par l’amour. Car il faut que l’âme soit ailée par l’Esprit pour pouvoir s’envoler et le corps avec elle.  » Cf. Daniélou (1961), p. 116. 21   Jér. 11, 13  : Ils m’ont abandonné, moi la source d’eau vive.

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vie. L’Évangile de Jean reprend ce symbolisme en particulier dans le passage de la Samaritaine (7, 37-39)  : «  Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive. Celui qui croit en moi, comme dit l’Écriture, des fleuves d’eau vive jailliront de son sein. Il dit cela de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui.  » et dans l’Apocalypse (22, 1) où un fleuve d’eau de la vie jaillit du trône de Dieu et de l’Agneau. J. Daniélou y voit des résonances sacramentaires  : «  L’eau vive du rite baptismal désigne explicitement l’effusion de l’Esprit-Saint. Nous avons une théologie du baptême, distincte de la théologie paulinienne qui s’attache davantage à la configuration au Christ mort et ressuscité symbolisé par l’immersion et l’émersion 22.  »

Par ailleurs J. Daniélou souligne le lien de l’eau vive et des arbres de vie, en s’appuyant à la fois sur les textes de Jean et sur les mosaïques des baptistères des premiers siècles où des arbres de vie entourent la source baptismale et sur le sens eschatologique d’Ézechiel 47 appliqué au Christ. Passant d’un registre d’images à un autre, l’eau vive qui jaillit du côté du temple est préfigurée par l’eau vive jaillissant du rocher dans le désert  : «  Son interprétation baptismale remonte à I Corinthiens, X, 3, qui montre dans le rocher du désert le Christ d’où jaillit l’eau vive, et aussi à Jean, VII, 38. Elle est reprise par les Pères, chez Justin  : «  ‘C’est une fontaine d’eau vive que le Christ a fait jaillir dans le désert’  » (Dial. LXIX, 6), chez Tertullien (Bapt. IX, 3), chez Cyprien (Épist., LXIII, 8), Chez Grégoire d’Elvire (Tract. XV, 163-166). Les Pères établissent un parallélisme entre le rocher et la parole du Christ à la fête des Tabernacles. Et ceci suppose que le rocher du désert et le rocher du temple sont assimilés. Par ailleurs l’eau qui jaillit du côté du Christ sur la croix, dans le cadre de la typologie de l’Exode, qui est celui de l’Évangile de Jean, apparaît comme la reprise de l’eau qui jaillit du rocher (Greg. Elv., op. cit.).  »

Les ajouts de Juvencus dans les épisodes évoqués ici développent le symbolisme de l’eau vive et son interprétation christique et rituelle. L’épisode de Jean-Baptiste est précédé de deux vers ajoutés qui font une introduction solennelle  : Interea ueteris scripti per debita currens omnia saeclorum series promissa trahebat (I, 307-306) «  Cependant l’enchaînement des siècles, selon le cours que lui composait l’antique Écriture, menait toutes les promesses à leur accomplissement.  »

Juvencus souligne le lien entre l’Ancien Testament et le Nouveau  : alors que Matthieu ne cite qu’Isaïe 40, 3, il reprend comme Luc les versets 5 et 6 23. 22 23

  Daniélou (1961), p. 53.   À moins que Juvencus ne connaisse Matthieu avec ces deux versets.

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CHAPITRE XV

Au-delà de la uariatio poétique, on trouve une insistance sur le thème de l’eau pure qui coule  : fluminis liquidi (I, 311), flumine puro (I, 337), uitreas undas (I, 354) 24, sur l’eau qui lave et purifie de toute souillure  : abluere (I, 337), abluet (I, 340). On retrouve le lien de l’eau avec le Saint Esprit dans le rapprochement du vers 340  : Abluet… sancto spiramine et surtout dans le vers 359  : Et sancto flatu corpus perfudit Iesu «  Il inonde de son souffle saint le corps de Jésus  »

qui traduit le uenientem in se de l’Évangile en une association de l’eau et de l’Esprit. Le rite du baptême se retrouve également dans le vers I, 361 qui complète le dicens ad eum de l’Évangile  : Ablutumque undis Christum flatuque perunctum «  Le Christ lavé dans les eaux et oint du souffle  »

Dans l’épisode des noces de Cana, plusieurs détails sont ajoutés qui, isolés pourraient passer pour un simple agrément de style mais dont les concordances sont significatives. Les vases sont remplis au creux d’une source, fontis gremio (II, 141), egestas nuper puris de fontibus undis  25 (II, 148) ce qui n’est pas dit dans l’Évangile. Les jarres sont creusées dans la pierre (saxis cauatis, II, 139) comme une évocation du rocher de Moïse ou du Temple. Même le détail poétique ajouté sur l’écume du vin mêle l’air à l’eau  : … tum spuma per oras conmixtas undis auras ad summa uolutat (II, 143-144) «  … alors l’écume le long des bords forme des volutes d’air mêlée d’eau.  »

Il semble qu’il y ait, dans cet épisode, non seulement la préfiguration de l’‘Eucharistie, mais une forte symbolique du baptême, que renforce la traduction de crediderunt in eum discipuli sui par le vers 152 évoquant la force de l’Esprit  : Perpetuam stabili firmauit robore mentem «  Il donna à leur esprit force et stabilité pour toujours.  »

On peut rapprocher cette symbolique de celle du dialogue avec Nicodème sur la renaissance  : de fonte renatus / et flatu sancto (II, 193-194). 24   Cet aspect se retrouve dans les mosaïques byzantines sur le baptême du Christ où l’insistance est mise sur la transparence de l’eau révélant à la fois l’humanité du Christ incarné et sa divinité en lien avec l’Esprit. 25   Plus loin, dans le rappel de l’épisode des noces de Cana on a également fontanas undas (II, 329).



UNE ÉPOPÉE D’ÉGLISE285

C’est peut-être dans cette symbolique, autant que dans un souci chronologique, qu’il faut voir l’inclusion des passages de Jean dans le livre II  : les noces de Cana, les vendeurs du temple, Nicodème, la Samaritaine. Dans l’épisode de la Samaritaine on retrouve la même insistance sur l’eau vive et le puit creusé dans le roc  ; ce thème existe chez Jean mais il est mis en valeur par des ajouts répétés  : Et puteus gelido demersus in abdita fonte (II, 245) rend fons Iacob, le vers 251 ajoute cauis putei penetralibus, et le vers 259 Puteus gremium sinuatur in altum (le puit se creuse en une vaste cavité). La variatio sur les termes de l’eau uiuam undam (258), dona liquoris (267), nostri fontis (269) retrouve la symbolique de l’eau de vie qui coule du flanc du Temple, explicitant l’idée contenue dans l’expression évangélique fiet in eo fons aquae salientis in uitam aeternam (Jn. 4, 14)  : Largior inde fluet uitalis gratia fluctus (II, 270) «  On verra couler généreusement la grâce d’un flot de vie.  »

La réponse de la Samaritaine qui montre que, dans un premier temps, la femme n’a pas compris et prend la parole du Christ au pied de la lettre est supprimée chez Juvencus, comme si l’aspect sacramentel de l’épisode était directement perçu par l’interlocutrice du Christ. D’autres passages comportent des ajouts se référant nettement au baptême  ; ainsi dans l’épisode du retour de l’esprit impur (Mt. 12, 43-45) au lieu de cum autem inmundus spiritus exierit ab homine, ambulat per loca arida on trouve les vers II, 714-717  : Expulsus si quando fugit de pectore daemon, quem turbat sanctus purgato corpore flatus, ille uenenatis conlustrat passibus oras qua nulla excurrit fontani gurgitis unda «  Si, chassé d’un cœur, s’enfuit un démon que bouscule le souffle saint quand il a purifié un corps, il parcourt de sa marche empoisonnée les pays où ne coule nulle eau jaillie du bassin d’une source  »

Le vers 715 est une allusion au baptême associant l’Esprit et la purification par l’eau pure du vers 717. Le symbolisme de l’eau, comme celui de la lumière, qui court tout au long des ajouts de Juvencus a clairement une portée ecclésiale. Cette version poétique des évangiles est aussi un texte marqué par l’expérience et la méditation d’un peuple chrétien qui vit la parole du Christ comme essentielle à son histoire.

Conclusion Il fut une époque où, au nom de l’originalité de la création poétique, les Euangeliorum libri étaient considérés comme un maillon faible entre deux littératures, une sorte de mélange fragile marqué d’une nostalgie maladroite et, somme toute, stérile. Ce jugement a beaucoup évolué et le nombre d’ouvrages et d’articles qui traitent de l’œuvre de Juvencus témoignent de l’intérêt croissant que notre époque porte à l’épopée biblique, d’abord parce que ce genre illustre l’intégration de la culture païenne dans le christianisme, ensuite parce qu’il témoigne de la grande maîtrise technique atteinte par les poètes de l’Antiquité tardive dans le domaine de l’imitatio et de la retractatio, bien loin des figures de style imposées ou de l’exercice scolaire. Derrière un rejet apparent de la littérature antique, ou plutôt un refus affirmé comme dans le prologue polémique de Juvencus sur les mensonges des poètes et la nécessaire conversion aux uitalia gesta du Christ, va se développer progressivement, dans différents domaines de la littérature, la volonté de reprendre les trésors de la philosophie, de la rhétorique et de la poésie antique au profit du christianisme. Ainsi certains vont-ils défendre l’idée que la vérité divine mérite le plus beau des langages, celui qu’ont illustré Homère et Virgile, et que les chrétiens sont capables de rivaliser avec les poètes antiques et même de les surpasser, puisque leur inspiration leur vient de Dieu et transforme l’épopée des Muses en langage de prophète inspiré par le Saint Esprit. Or, si les chrétiens veulent instaurer un nouveau monde, ils ne le créent pas ex nihilo mais par conversion des gentils  ; de même, la littérature chrétienne va trouver sa source dans le détournement, la conversion de la littérature païenne. L’unité esthétique, faite d’une culture commune sera le terreau fécond de la littérature chrétienne. La paraphrase, élément d’une éducation que reçoivent païens et premiers chrétiens, est une des techniques qui, sous sa forme rhétorique d’aemulatio, servira de base à une assimilation réussie. Il faut voir également dans l’œuvre de Juvencus, entre littérature et foi, l’influence d’un contexte politique lui aussi en mouvement. Ce que Virgile a fait pour célébrer les temps nouveaux de la paix romaine et l’œuvre d’Auguste, Juvencus l’entreprend pour chanter l’avènement d’un monde, l’ère du Christ et l’empire chrétien de Constantin, transformant le syncrétisme obscur de l’empereur en une foi déclarée par le parallélisme qu’il établit avec son œuvre, où le sacré épique de Virgile devient chrétien. Car l’immortalité de Rome chantée par les poètes n’existe que dans le projet divin d’une capitale de la chrétienté. Le long travail préparatoire de l’empire romain qui pacifie les nations débouche sur la naissance de la Cité de Dieu en marche vers son salut.

288

CONCLUSION

En sens inverse, le message divin, même né parmi le peuple juif ne peut être porté au monde que par ce vecteur romain dont le rôle pacificateur devient un rôle missionnaire. Le parallélisme qu’établit Juvencus entre l’œuvre politique de Constantin et sa propre œuvre littéraire naît de la volonté de christianiser l’empire romain tout en romanisant l’héritage juif du christianisme. Les Romains deviennent peuple d’élection, depuis le début de leur histoire, depuis leur plus lointaine racine épique, peuple saint ouvrant les voies de Dieu, à la place d’un peuple juif infidèle. Et l’épopée devient le lieu d’une rivalité littéraire où triomphe le poète chrétien qui reçoit mission de redonner sa vraie direction à l’épopée et de formuler l’idéologie de l’empire à son renouveau. C’est en ce sens qu’il convient d’étudier la préface et la dédicace finale de Juvencus mais aussi l’ensemble de son œuvre dont les écarts avec le message évangélique vont dans le sens de cette idéologie de romanisation et de christianisation missionnaire. Si la présence du Sauveur efface peu à peu celle du héros, si son image se superpose à celle du premier modèle romain, c’est qu’Énée apparaît comme la figure annonciatrice du Sauveur, peut-être celui qui, comme Jean-Baptiste, aplanit les voies du Seigneur et lui ouvre, littérairement, la voie vers son peuple. La préface reprend les bases d’une philosophie et d’une cosmogonie antiques pour les intégrer à la fin du monde et au jugement dernier. À la métamorphose de la pensée sur le cosmos correspond un changement de perspective sur la gloire humaine du poète, qui devient récompense éternelle du uates. Le poète reçoit l’aide de l’Esprit Saint pour s’acquitter de sa mission, et le carmen épique, renouvelé par le message évangélique, est ainsi sanctifié et digne de transmettre au monde la Bonne Nouvelle. C’est autour de l’imitatio et de l’aemulatio que doit se structurer la réflexion sur l’œuvre de Juvencus, mais leur usage est complexe. Réécriture d’un message préexistant avec lequel il doit se fondre pour rester Évangile, le poème de Juvencus doit aussi, pour devenir texte fondateur d’un empire renouvelé, appartenir à l’univers gréco-romain, à ses formes littéraires et à ses modes de pensées. Entre recherche esthétique ou morale et respect de la vérité révélée, entre rivalité et imitation, l’auteur trouve un équilibre fragile et s’impose des contraintes de fidélité et des raffinements d’expression et de composition. Son poème, sous couvert d’un classicisme rigoureux et sobre, met en œuvre une subtile et jubilatoire technique de réminiscences et d’échos, qui laissent apparaître comme des strates romaines sous le message évangélique. La transparence apparente n’est qu’un voile où se drape un texte à la fois respecté et nouveau  ; car la réécriture est d’abord une relecture, une relecture chrétienne, ecclésiale, déjà historiquement et géographiquement répandue dans le monde romain. La tentative de Juvencus est novatrice. L’épopée en tant que réécriture d’une parole aurait pu, dans son idée même, être considérée comme impie et condamnée par l’Église. Acceptée comme œuvre de méditation et de louange, elle ouvre la voie à une littérature proprement chrétienne. La structure du poème montre clairement la volonté de Juvencus de faire œuvre épique dans un d­ écoupage qui,

CONCLUSION289

en parallèle avec les labores du héros païen, mène le Christ vers l’accomplissement de son destin. De l’ombre de l’ignorance à la lumière de la parole du Christ, de la lumière de l’espoir à l’ombre du supplice et de la mort, l’hostilité grandissante des ennemis face à la lumineuse présence du Christ est symbolisée par l’alternance des aubes et des crépuscules, qui rythment le poème jusqu’à la lumière indicible de la Résurrection. Le choix de l’évangile de Matthieu comme modèle de base, les ajouts de Jean, la volonté chronologique des évangiles de l’enfance mettent en avant une continuité autour de la messianité du Christ. Cette continuité, qui va de l’ancienne loi au Christ, prépare ainsi naturellement à un message universel, c’est-à-dire romain, à une passation de pouvoir du peuple juif au peuple romain, élu comme peuple missionnaire. Pour faire œuvre épique, Juvencus s’est plié à la loi du mètre, aux règles de la variatio, aux différentes techniques d’imitatio, depuis les échos et réminiscences jusqu’aux passages obligés, lever du jour ou tempête. Mais lorsqu’on étudie le cadre épique dans lequel il situe son récit, on s’aperçoit qu’il ne s’agit pas seulement de choix esthétiques. L’espace virgilien devient lieu de méditation, cadre de la prédication universelle du Christ, il s’inscrit dans une perspective symbolique, comme le cadre temporel. Le monde des hommes avec la réalité de ses travaux, de ses événements joyeux ou malheureux est le lieu des gesta uitalia du Christ, et l’épopée est le langage humain le plus noble pour situer le message divin au cœur du monde, au centre d’une humanité qu’il sauve dans ses aspects les plus humbles. Le travail de Juvencus se veut à la fois paraphrase et épopée. En tant que paraphrase il respecte les lois du genre, jouant de l’omission et de l’abréviation, évitant les répétitions et les détails inutiles, recherchant contrastes et variété, plus proche de l’esthétique gréco-romaine que de la simplicité répétitive des Évangiles. Mais, plus encore, l’amplification lui permet, sans intervention apparente ni commentaire, d’infléchir le texte de Matthieu dans une direction catéchétique, de souligner les aspects pathétiques du récit ou de mettre en évidence la présence du Mal et de la souffrance dans le monde. En pénétrant dans le monde de l’épopée, le Christ annule les mendacia des poètes antiques, ceux de la mythologie, des héros demi-dieux mais il en reprend des qualités ou des valeurs morales, qu’il est seul à pouvoir porter à leur plus haute expression, clairvoyance, autorité, puissance divine  ; d’autres valeurs du héros épique se retrouvent dans son entourage, chez ses parents, chez Jean-Baptiste ou chez les disciples qui préfigurent le peuple des chrétiens appelés à un nouvel héroïsme. À travers les deux thèmes johanniques de la vie et de la lumière, qui reviennent fréquemment dans les modifications et ajouts au texte de l’Évangile, Juvencus insiste à la fois sur la divinité et l’humanité du Christ, dont l’union est la source même du salut du monde. Les adversaires du Christ, eux, correspondent à des types humains et caractérisent le Mal sous ses différents aspects  : la tyrannie, la débauche, l’orgueil, l’aveuglement, la haine, l’hypocrisie. Ils sont tous poussés par Satan, qui les fait agir contre le Christ. L’épopée de Juvencus est le champ de la lutte du Mal opposé au Sauveur.

290

CONCLUSION

Enfin, il est nécessaire de reconnaître à Juvencus une volonté pédagogique et catéchétique discrètement mais clairement présente dans son poème. En utilisant sans réticences certains termes religieux païens, il leur donne droit de présence dans le vocabulaire chrétien. Son poème insiste particulièrement sur la Trinité et les caractéristiques des trois personnes  : l’éternité et la paternité du Dieu Créateur, la divinité et l’humanité du Fils, la force salutaire de l’Esprit. Mais c’est dans la réutilisation de Virgile et de ses successeurs qu’apparaît la puissance créatrice de l’auteur  : réminiscences musicales, imitation antique qui surpasse et efface ce qu’elle imite, mais surtout fusion entre deux modes d’expression du sacré, l’un gréco-romain, l’autre biblique. Les acquis de la recherche menée dans ce travail nous ramènent ainsi à l’interrogation née de la confrontation entre le projet de Juvencus, tel qu’il l’expose dans sa préface, et la réalisation de ce projet dans son œuvre  : comment définir pareil objet, est-ce une paraphrase rhétorique 1, une paraphrase biblique ou une épopée biblique  ? Ces différents termes sont employés pour parler des Euangeliorum libri et pourtant ils définissent des perspectives très différentes. Le problème se situe, me semble-t-il, dans le fait que l’on associe, dans chacune de ces définitions, deux termes là où il y a, en réalité, trois objets  : une technique (la paraphrase), un genre (l’épopée) et un sujet (la Bible). Or, l’on ne peut renoncer, comme nous l’avons vu, à aucun des trois termes  ; l’œuvre de Juvencus est indiscutablement une paraphrase de la Bible mais c’est aussi une épopée, selon les éléments structurels retenus comme spécifiques du genre par D. Schaller et repris par W. Kirsch dans son introduction à l’histoire de l’épopée hagiographique 2  : taille considérable, plus en ampleur qu’en ­quantité,   Il est significatif à cet égard de noter que deux monographies sur Juvencus, Flieger (1993) et Heinsdorff (2003) se présentent (même s’ils portent également sur l’intertextualité, les techniques épiques, les discours et les décors, les ajouts théologiques et catéchétiques) essentiellement sous la forme de commentaires rhétoriques et grammaticaux à la manière des remarques de Servius et commentent ligne à ligne vocabulaire, emprunts à Virgile, procédés stylistiques et écarts significatifs, organisation de la narration, reprenant ainsi l’antique forme scolaire d’études des textes littéraires. 2   Cf. Schaller (1987), p. 96-97 et Kirsch (2004), p. 6-7. Sur le problème poésie biblique / épopée biblique, cf. aussi Schaller (1993), p. 16-25 et Deproost (1997), qui écrit notamment p. 36  : «  Je définirais ainsi la perspective dans laquelle il faut aujourd’hui aborder l’étude de ces textes. Exceptionnels encore chez Juvencus, les transformations, les ajouts, les commentaires apportés au texte sacré se développent tout au long de l’histoire de l’épopée biblique en langue latine dans le sens d’une mutation qui convertit l’epos antique à l’expression méditative du message scripturaire en une paraphrase poétique de la Bible  : paraphrase, poésie, epos, mutation et histoire du genre, commentaires, méditation, tels sont, à mon sens, les éléments d’une bonne grille de lecture de l’épopée biblique. Cette mutation engage toutes les catégories traditionnelles de l’épopée  : l’aventure épique et les thèmes guerriers, l’héroïsme, les rapports du héros avec la nature et son environnement (récits de tempête), la mise en œuvre du merveilleux, la place et la fonction du discours.  » 1

CONCLUSION291

«  genre mêlé 3  », c’est-à-dire alternance de récits, de paroles et de descriptions (subordonnées hiérarchiquement aux récits et aux paroles), procédés stylistiques particuliers (comparaisons, digressions, insertions lyriques, topoi comme le lever du jour), souvenirs d’une origine orale du genre, langue noble propre à l’épopée (hexamètres et vocabulaire spécifique), sujets collectifs où les personnages principaux et leurs exploits jouent un rôle central et manifestent l’influence du divin sur l’humain. Or la plupart des écarts que ce travail a soulignés dans l’œuvre de Juvencus par rapport au texte évangélique – à l’exception des précisions purement liées à la doctrine ou à l’Église – relèvent de ces critères et sont donc l’empreinte épique donnée consciemment par le poète et non les à-peu-près d’une paraphrase médiocre. Elle a une taille, une structure, une écriture poétique qui lui sont propres, elle met en œuvre un univers épique où se joue le destin du monde entre les forces du Bien et du Mal, dans un rapport étroit de l’humain et du divin. Elle est bien épopée non seulement dans le projet de son auteur, mais aussi dans sa forme et son sens. Et même si c’est Avitus qui fut considéré comme le «  Virgile chrétien 4  », on ne peut pas pour autant nier la dimension épique des Euangeliorum libri. Ce qui empêche de voir dans l’œuvre de Juvencus une simple paraphrase rhétorique, c’est aussi la présence d’un lecteur, d’un destinataire, qui, même s’il demeure mal défini (chrétiens ou païens à convertir, en tout cas lettrés pour percevoir les implications culturelles qui se cachent derrière une intertextualité parfois énigmatique), existe dans la genèse même du poème, alors qu’une paraphrase rhétorique reste un exercice tourné vers son auteur, qu’il naisse de la recherche d’une amélioration stylistique ou de la volonté de rivaliser avec un prédécesseur. Ce qui différencie les Euangeliorum libri d’une simple paraphrase biblique, c’est leur forme, que ne peut justifier la volonté de clarté et d’explicitation à l’œuvre ordinairement dans ce genre, et qui relève nettement du projet poétique de l’auteur 5. Quant à qualifier ce poème seulement d’épopée biblique, c’est ignorer sa sujétion volontaire au modèle de base, sa recherche d’une imitation qui bride l’invention poétique au nom d’une fidélité à la parole sacrée.   Il s’agit là d’une ancienne théorie poétique, celle de Diomedes (Ars grammatica, Grammatici Latini 1, p. 299-529), qui sépare trois formes principales de poésie  : le genus actiuum uel imitatiuum, où seuls parlent les personnages (comédies et tragédies), le genus enarratiuum, où seul parle le poète (le poème didactique), le genus commune, où parlent à la fois personnages et poète et qui se subdivise en lyrica species et heroica species, l’épopée appartenant à cette dernière catégorie. 4  Cf. Krüger (1919), p. 19  ; Kartschoke (1975), p. 101-102  ; Roberts (1985b), p.  225  ; Schaller (1987), p. 97-98. 5   Charlet (1982), p. 154-155  : «  Le choix de Juvencus et de Prudence suppose un préjugé purement esthétique, ce qui ne contredit pas le caractère chrétien de leur poésie  : leur activité poétique est conçue comme un service spirituel du Verbe et un moyen de salut mais la ‘poétisation’ dans le sens d’une transposition épique virgilienne, même si elle est justifiée par des considérations pieuses, repose sur un préjugé purement esthétique.  » 3

292

CONCLUSION

La Bible n’est pas sujet banal soumis à toute fantaisie, objet de création libre  ; elle s’impose pour Juvencus comme Verbe absolu avec pour seul écart possible la méditation comme écho sonore de ce Verbe. Seule l’association des trois termes paraphrase, épopée et biblique me paraît susceptible de rendre justice à l’ensemble de l’œuvre de Juvencus. À propos de celle-ci, J.-L. Charlet écrivait  : «  La paraphrase de Juvencus n’est pas ‘grammaticale’ mais rhétorique et littéraire, comme les autres poèmes bibliques que nous qualifions de ‘paraphrases poétiques’ plutôt que d’‘épopées’ bibliques  : le concept de Bibelepik est adapté à l’œuvre de Juvencus, mais ne convient pas à tous les poèmes de sujet biblique. Par ses techniques d’expression, l’épopée hagiographique d’un Paulin de Périgueux (troisième quart du Ve siècle), qui paraphrase en vers la Vita Martini en prose de Sulpice Sévère, ou d’un Venance Fortunat qui reprend le même sujet dans la seconde moitié du VIe siècle, se rapproche des paraphrases hexamétriques de la Bible. Ces deux genres littéraires chrétiens sont étroitement liés  : les saints sont les successeurs des héros bibliques, leur geste prolonge celle de la Bible  ; et ce n’est pas un hasard si Fortunat se présente explicitement, au début de sa Vita Martini, comme l’héritier non seulement de Paulin de Périgueux, mais aussi de Juvencus, Prudence, Avit et Arator 6.  »

Le rapprochement avec l’hagiographie est d’autant plus pertinent que c’est bien dans ce domaine qu’il faut chercher la postérité la plus durable de Juvencus 7  ; si Paulin de Périgueux croit utile de réécrire en vers la Vita Martini, n’est-ce pas justement parce qu’il ne perçoit pas son modèle comme une épopée et qu’il juge nécessaire de donner aux actes du saint une forme correspondant à leur valeur, c’est-à-dire d’écrire précisément une épopée où la «  geste  » de ce nouvel «  héros  » prendra tout son relief, sera en quelque sorte sacralisée  ? Aussi il semble difficile de trancher entre ces deux terminologies, paraphrase ou épopée, pour qualifier l’œuvre de Juvencus, qui est paraphrase biblique dans sa forme, dans l’attention au texte de départ et dans la sobriété des interventions personnelles de l’auteur, mais épopée chrétienne dans son expression du sacré, dans sa recherche pour valoriser par la poésie le message divin. En tant que paraphrase biblique, cet ouvrage est sans doute l’aboutissement d’une technique, mais en tant qu’épopée, il ouvre une voie nouvelle à la poésie chrétienne, en lui donnant peut-être tout simplement le droit d’exister. D’une certaine manière, les mutations importantes et pleines d’avenir que Prudence a fait subir au genre épique 8   Charlet (1985), p. 631, n. 22.   Sur la postérité des premiers auteurs d’épopées bibliques, en particulier dans le domaine de l’hagiographie, cf. Den Boeft / Hilhorst (eds.) (1993), p. 128-150 et bien sûr Kirsch (2004). 8   Sur celles-ci, cf. Charlet (1980), qui montre bien d’ailleurs que si Prudence n’a pas fait de paraphrase biblique proprement dite, il n’a pas été à l’écart de ce mouvement littéraire. 6 7

CONCLUSION293

sont déjà chez Juvencus. Dès les Euangeliorum libri, il y a bel et bien, pour contredire un propos de René Martin 9, une «  épopée latine chrétienne  ». On ne verra donc pas dans ce poème le seul prolongement d’un genre rhétorique, scolaire ou même épique, pas plus qu’on n’y verra la naissance d’un genre totalement nouveau, parce que chrétien, et volontairement coupé du passé  : la musique de Virgile y est quand même omniprésente  ! Les critiques, on le sait, se sont souvent demandé si Juvencus avait cherché à renouveler la tradition épique romaine ou à rompre définitivement avec elle. B. Bureau rappelait en évoquant la préface de l’œuvre  : «  Mais, quelle que soit la solution que l’on adopte, la question posée par ce prologue est bien celle que soulevait naguère R. Herzog  : Juvencus a-t-il voulu abolir ou accomplir la tradition romaine de l’épopée  ? Pour qualifier le projet poétique des Euangeliorum Libri, il n’hésitait pas à parler de ‘destruction’ (Zerstörung) et ce mot lui fut reproché. Pourtant, on ne peut éviter de passer par cette interrogation  : faut-il lire ce poème dans une logique de rupture avec les ouvrages des auteurs païens ou de continuité renouvelée de la tradition épique reposant sur les œuvres d’Homère et de Virgile 10  ?  »

L’étude que nous avons menée et ses résultats inclinent à penser en fait que Juvencus ne voyait sans doute pas les choses sous cet angle  : le poète ne voulait ni abolir, ni accomplir la tradition romaine de l’épopée  ; son but était plutôt de «  baptiser  » l’épopée, non en déguisant le Christ sous les habits d’Énée, mais, selon le conseil de Paul 11, en entreprenant, face au héros épique, de «  dépouiller le vieil homme  » et «  par une transformation spirituelle (…) de revêtir l’homme nouveau.  »

9   Cf. R. Martin (1981), qui écrit p. 124 (en réduisant un peu trop l’épopée à son cadre guerrier)  : «  Il n’y a pas d’épopée latine chrétienne (…). Peut-être cela tient-il à ce que le christianisme antique, tout en proclamant l’éminente dignité de la militia Dei et en faisant grand usage des métaphores militaires (…), a refusé la guerre, et par là même s’est interdit d’aborder aux vrais rivages épiques.  » 10   Bureau (1997), p. 21. 11   Éphésiens 4, 22-24.

ANNEXES

Annexe I

Tableau général des concordances entre Juvencus et les Évangiles Livre I Tableau 1 Juvencus 1-51

Mt. Annonce à Zacharie

Mc.

Lc. 1, 5-25

52-79

Annonciation

1, 26-38

105-132

Naissance et circoncision de Jean

1, 57-80

133-143

Le mystère de la naissance virginale de Jésus

1, 18-25

144-152

Naissance de Jésus à Bethléem

2, 1-7

153-180

L’annonce aux bergers

2, 8-20

181-184

Circoncision de Jésus

2, 21

185-224

Présentation de Jésus au Temple

2, 22-40

224-254

Adoration des mages

2, 1-12

255-256

Fuite en Égypte

2, 13-15

257-270

Massacre des saints Innocents

2, 16-18

271-277

Retour d’Égypte et établissement à Nazareth

2, 19-23

278-280

Jésus grandit en sagesse et en grâce

2, 40

281-306

Jésus parmi les Docteurs

2, 41-52

307-325

Jean-Baptiste

3, 1-16

326-336

Prédication de Jean-Baptiste

3, 7-10

337-345

Annonce du Messie

3, 11-12

346-363

Baptême de Jésus

3, 13-17

364-408

Les Tentations

4, 1-11

409-420

Jésus inaugure son ministère en Galilée

4, 12-17

421-434

Vocation des premiers disciples

4, 18-22

435-451

Ministère messianique de Jésus

4, 23-25

452-453

Sermon sur la montagne  : introduction

5, 1-2

Jn.

298

ANNEXE I

454-471

Béatitudes

472-482

Sel de la terre et lumière du monde 5, 13-16

5, 3-12

483-495

Accomplissement de la Loi

5, 17-20

496-518

Meurtre et colère

5, 21-26

519-530

Adultère et mauvais désir

5, 27-30

531-535

Divorce et indissolubilité du mariage

5, 31-32

536-560

Serment

5, 33-57

561-572

Amour des ennemis

5, 43-48

573-579

Aumône

6, 1-4

580-588

Prière

6, 1-5

589-603

Le Notre Père

6, 7-15

604-610

Jeûne

6, 16-18

611-624

Les vrais trésors

6, 19-23

625-629

Dieu et l’argent

6, 24

629-654

La providence du Père

6, 25-34

655-663

Ne pas juger

7, 1-5

664-667

Ne pas profaner ce qui est saint

7, 6

668-675

Demandez et il vous sera donné

7, 7-11

676-678

Règle d’or

7, 12

679-689

La porte étroite et les deux voies

7, 13-14

690-700

Les faux prophètes

7, 15-20

701-714

Les vrais disciples

7, 15-20

715-727

Construire sur le roc et non sur le sable

7, 24-27

728-730

Jésus enseigne avec autorité

7, 28-29

731-740

Guérison d’un lépreux

8, 1-4

741-766

Guérison de l’enfant du centurion

8, 5-13

767-770

Guérison de la belle-mère de Pierre 8, 16-17



CONCORDANCES ENTRE JUVENCUS ET LES ÉVANGILES299

Livre II Tableau 2 Juvencus 1-8

Mt. Guérisons miraculeuses

8, 16

Mc.

Lc.

Jn.

Le Serviteur de Yahvé

8, 17

9-24

Exigences de la vocation apostolique

8, 18-22

18

gentis sic sunt molimina uestrae

25-42

La tempête apaisée

43-74

Le démoniaque gérasénien

75-94

Le paralytique (de Capharnaüm)

9, 1-8

95-98

Vocation de Matthieu

9, 9-10

99-126

Vocation de Philippe et de Nathanaël

1, 43-51

127-152

Les noces de Cana

2, 1-11

153-162

Expulsion des marchands du Temple

2, 13-17

163-176

Le Temple détruit et reconstruit en 3 jours

2, 18-22

177-242

La rencontre avec Nicodème

2, 25-3, 21

243-301

La Samaritaine

4, 4-30

302-320

Ma nourriture est de faire la volonté de mon Père Autre celui qui sème, autre celui qui moissonne

4, 31-38

321-327

La foi des Samaritains

4, 39-42

328-346

Guérison du fils d’un fonctionnaire royal

4, 46-54

347-360

Le repas avec les publicains et les pécheurs

9, 10-13

361-376

Question sur le jeûne

9, 14-17

377-407

La fille d’un chef des prêtres (de Jaïre) et l’hémorroïsse

9, 18-26

408-416

Guérison de deux aveugles

9, 27-31

417-419

Guérison d’un possédé muet

9, 32-34

420-429

Ministère messianique de Jésus

9, 35-38

430-431

Pouvoir donné aux Douze

10, 1

Les noms des Douze

10, 2-4

432-459

Discours apostolique  : mission des Douze

10, 5-16

460-478

Les missionnaires persécutés

10, 17-23

8, 23-27 5, 1-20

300

ANNEXE I

479-497

Parler ouvertement et sans crainte

10, 34-36

498-500

Non la paix, mais le glaive

10, 34-36

501-508

Se renoncer pour suivre Jésus

10, 37-39

509-526

Question de Jean-Baptiste

11, 2-6

527-547

Témoignage de Jésus sur Jean

11, 7-15

548-555

Hymne de jubilation

11, 25-27

556-559

Appel de Jésus

11, 28-30

560-582

Les épis arrachés le jour du sabbat

12, 1-8

583-598

Guérison de l’homme à la main desséchée

12, 9-14

599-601

Les foules suivent Jésus  : nombreuses guérisons

12, 15-21

602-636

Guérison d’un possédé aveugle et muet Discussion sur Béelzeboul

12, 22-32

637-691

Pouvoir du Père donné à son Fils et honneur donné au Fils donné au Père

692-712

Le signe de Jonas

12, 38-42

713-724

Retour de l’esprit impur

12, 43-45

725-732

Les vrais parents de Jésus

12, 46-50

733-737

Introduction au discours des paraboles

13, 1-3

738-754

Discours des paraboles  : parabole du semeur

13, 1-9

755-771

Les mystères du Royaume

13, 10-15

772-774

Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez  !

13, 16-17

775-794

Explication de la parabole du semeur

13, 18-23

795-811

Parabole de l’ivraie

13, 24-30

812-819

Parabole du grain de sénevé

13, 31-32

820-823

Parabole du levain

13, 33

824-829

L’enseignement en paraboles

13, 34-35

5, 19-47



CONCORDANCES ENTRE JUVENCUS ET LES ÉVANGILES301

Livre III Tableau 3 Juvencus

Mt.

1-16

Explication de la parabole de l’ivraie 13, 36-43

17-32

Jésus est rejeté de Nazareth

13, 54-58

33-36

Opinion d’Hérode sur Jésus

14, 1-2

37-69

Mort de Jean-Baptiste

14, 3-12

70-92

Première multiplication des pains

14, 15-21

93-128

La marche sur les eaux

14, 22-33

129-132

Guérisons au pays de Gennésaret

14, 34-36

133-175

Discussions sur les traditions pharisaïques

15, 1-20

176-194

La Cananéenne

15, 21-28

195-203

Nombreuses guérisons

15, 29-31

204-219

Seconde multiplication des pains

15, 32-39

220-235

Pharisiens et Sadducéens demandent un signe du ciel

16, 1-4

236-256

Le levain des Pharisiens

16, 5-12

257-289

Profession de foi de Pierre

16, 13-20

290-302

(Première) annonce de la Passion et de la Résurrection

16, 21-23

303-310

Se renoncer soi-même

16, 14-26

311-315

La venue prochaine du Royaume

16, 27-28

316-342

La Transfiguration

17, 1-9

343-352

Le retour d’Hélie

17, 10-13

353-380

Le démoniaque épileptique

17, 14-21

381-395

La redevance du temple

17, 24-27

396-402

Discours ecclésiastique  : Qui est le plus grand  ?

18, 1-5

403-409

Malheur à celui qui scandalise un seul de ces petits

18, 6-7

Si ta main est pour toi occasion de chute

18, 8-11

410-418

La brebis égarée

18, 12-14

419-429

La correction fraternelle

18, 15-17

Pouvoir de l’Église de lier et de délier

18, 18

430-432

Prière communautaire

18, 19-20

433-436

Le pardon des offenses

18, 21-22

437-458

Parabole du débiteur impitoyable

18, 23-35 -19, 1

Mc.

Lc.

Jn.

302

ANNEXE I

459-481

Arrivée en Judée. Indissolubilité du mariage

19, 1-9

482-491

La continence volontaire pour le Royaume

19, 10-12

492-497

Jésus et les petits enfants

19, 13-15

498-533

Le jeune homme riche. Dangers de la richesse

19, 16-26

534-549

La récompense promise à ceux qui auront suivi Jésus

19, 27-30

550-583

Parabole des ouvriers envoyés à la vigne

20, 1-16

584-589

(Troisième) annonce de la Passion et de la Résurrection

20, 17-19

590-599

La mère des fils de Zébédée

20, 20-24

600-621

Le devoir des chefs  : servir

20, 25-28

Les deux aveugles (omis)

20, 29-34

Entrée messianique à Jérusalem

21, 1-9

Interrogation sur l’identité de Jésus

21, 10-11

Expulsion des marchands du Temple

21, 12-13

641-654a

Guérisons et acclamation des enfants

21, 14-17

654b-660

Malédiction du figuier

21, 18-19

661-674

Le figuier desséché et pouvoir de la foi

21, 20-22

675-691

Question sur l’autorité de Jésus

21, 23-27

692-711

Parabole des deux fils

21, 28-32

712-736

Parabole des vignerons homicides

21, 33-46

737-773

Les invités discourtois. Le festin des pauvres Le vêtement nuptial

22, 1-14

622-640



CONCORDANCES ENTRE JUVENCUS ET LES ÉVANGILES303

Livre IV Tableau 4 Juvencus

Mt.

1-13

Le tribut dû à César

22, 15-22

14-37

Question des Sadducéens sur la Résurrection

22, 23-33

38-44

Question sur le plus grand commandement

22, 34-40

45-68

Le Christ  ; fils et seigneur de David 22, 41-46 Discours contre les Pharisiens

23, 1-12

Malédictions contre les scribes et les Pharisiens

23, 13-33

Le châtiment est proche

23, 34-36

78-85

Lamentation sur Jérusalem

23, 37-39

86-96

Discours eschatologique  : la ruine du Temple

24, 1-3

97-108

Le commencement des douleurs

24, 4-8

109-120

Les disciples persécutés

24, 9-14

121-136

La grande tribulation à Jérusalem et en Judée

24, 15-22

137-141

Faux Messies et faux prophètes

24, 23-25

142-158

La parousie du Fils de l’Homme

24, 26-31

La parabole du figuier

24, 32-33

159-164

Le jour de la parousie

24, 34-36

165-178

L’enseignement du déluge

24, 37-41

179-184

Parabole du maître de maison qui veille

24, 42-44

185-196

Parabole du serviteur fidèle et avisé

24, 45-51

197-226

Parabole des vierges sages et des vierges folles

25, 1-13

227-258

Parabole des talents

25, 14-30

259-305

Le Jugement dernier

25, 31-46

306-402

La résurrection de Lazare

69-77

Mc.

Lc.

Jn.

11, 1-47

Dernière annonce de la Passion

26, 1-2

403-408

Complot contre Jésus

26, 3-5

409-421

L’onction à Béthanie

26, 6-13

422-427

Trahison de Judas

26, 14-16

428-431

Préparatifs du repas pascal

26, 17-19

432-445

Le repas pascal  : annonce de la trahison de Judas

26, 20-25

446-456

Le repas pascal  : institution de l’Eucharistie

26, 26-29

304

ANNEXE I

457-477

Au mont des Oliviers  : les brebis dispersées Annonce du reniement de Pierre

26, 30-35

478-510

L’Agonie à Gethsémani

26, 36-46

511-536

L’arrestation de Jésus

26, 47-56

537-541

Jésus devant Caïphe

26, 57-58

542-548

Les faux témoins

26, 59-61

549-565

La condamnation à mort

26, 62-66

566-569

Les outrages

26, 67-68

570-585

Le reniement de Pierre

26, 69-75

586-589

Jésus livré à Pilate

27, 1-2

La mort de Judas

27, 3-10

590-598

Interrogatoire devant Pilate

27, 11-14

599-625

Barrabas préféré à Jésus

27, 15-25

Flagellation

27, 26

625

Condamnation à mort

27, 26

626-641

La mort de Judas

27, 3-10

642-649

Couronnement d’épines

27, 27-31

650-656

Chemin de croix

27, 32

657-664

Le crucifiement

27, 33-36

665-686

Jésus en croix raillé et outragé

27, 37-44

687-702

La mort de Jésus

27, 45-50

703-715

Après la mort de Jésus

27, 51-56

716-726

L’ensevelissement

27, 57-61

727-742

La garde du tombeau

27, 62-66

743-762

Le tombeau vide et le message de l’ange

28, 1-7

763-766

Les saintes femmes retournent à Jérusalem

28, 8

767-775

Jésus apparaît aux saintes femmes

28, 9-10

776-783

Les gardes soudoyés

28, 11-15

784-801

Apparition en Galilée

28, 16-20

Annexe II

Tableau comparatif du début des Évangiles de Matthieu, Luc et du poème de Juvencus Tableau 5 Matthieu Ascendance de Jésus 1, 1-17

Luc

Juvencus

Prologue 1, 1-4

Luc (mais sans prologue)

Annonce de la naissance de Jean-Baptiste 1, 5-25

Annonce de la naissance de Jean-Baptiste Lc. 1, 5-25

L’Annonciation 1, 26-38

L’Annonciation Lc. 1, 26-38

La Visitation 1, 39-45

La Visitation Lc. 1, 39-45

Le Magnificat 1, 46-56

Le Magnificat Lc. 1, 46-56

Naissance de Jean-Baptiste 1, 57-58

Naissance de Jean-Baptiste Lc. 1, 57-58

Circoncision de J.B. 1, 59-66

Circoncision de J.B. Lc. 1, 59-66

Benedictus de Zacharie 1, 67-78 Benedictus de Zacharie Lc. 1, 67-78 Vie cachée de J.B. 1, 80

Vie cachée de J.B. Lc. 1, 80 Matthieu  : interea… (vers 134-143) Mt. 1, 18-24 Le songe de Joseph

Le songe de Joseph 1, 18-24

Naissance de Jésus et visite des bergers 2, 1-20

Luc sed tum forte (vers 144-223) Naissance de Jésus et visite des bergers Lc. 2, 1-20

Circoncision de Jésus 2, 21

Circoncision de Jésus Lc. 2, 21

Présentation de Jésus au temple Présentation de Jésus au 2, 22-28 temple Lc. 2, 22-28 Prophétie de Syméon 2, 29-35

Prophétie de Syméon Lc. 2, 29-35

Prophétie d’Anne 2, 36-38

Prophétie d’Anne Lc. 2, 36-38

La visite des mages 2, 1-12

Matthieu  : Gens est ulterior… La visite des mages Mt. 2, 1-12

Fuite en Égypte et massacre des Innocents 2, 13-18

Fuite en Égypte et massacre des Innocents Mt. 2, 13-18

306

ANNEXE II

Retour d’Égypte et établissement à Nazareth 2, 19-23

Retour d’Égypte et établissement à Nazareth Mt. 2, 19-23 Vie cachée de Jésus à Nazareth  2, 39-40

Luc  : Ils revinrent à Nazareth (v. 277-306) Vie cachée de Jésus à Nazareth Lc. 2, 39-40

Jésus parmi les docteurs 2, 41-50 Jésus parmi les docteurs Lc. 2, 41-50 Prédication de Jean-Baptiste 3, 1-12

Vie à Nazareth 2, 51-52

Vie à Nazareth Lc. 2, 51-52

Prédication de Jean-Baptiste  3, 1-18

Matthieu  : Interea (v. 307435) Prédication de JeanBaptiste Mt. 3, 1-12

Bibliographie 1.  Éditions des auteurs anciens Les éditeurs et traducteurs des auteurs cités dans cet ouvrage (pour l’essentiel d’après les collections classiques des «  Belles Lettres  », des «  Sources chrétiennes  », du «  Corpus de Vienne  » ou de la «  Patrologie  ») sont mentionnés dans les notes à la première référence. Dans les pages qui suivent, l’astérisque (*) indique que la référence n’est pas citée en note dans le présent ouvrage. Éditions de Juvencus 1 Th. Poelmann (1537), Juvenci Hispani evangelicae historiae libri, Bâle. E.  Reusch (1710), C. Vetti Aquilini Iuvenci Hispani presbyteri, historiae evangelicae libri IIII, Francfort / Leipzig. F. Arevalo (1792), C. Vetti Aquilini Iuuenci presbiteri Hispani historiae evangelicae libri IV, Rome (reproduite dans PL 19, 1848). K. Marold (1886), Vetii Aquilini Iuuenci libri euangeliorum IIII, Leipzig. J. Huemer (1891), Gai Vetti Aquitani Juvenci Evangeliorum libri 4, Leipzig (CSEL, 24). H. McKee (2000), The Cambridge Juvencus Manuscript. Glossed in Latin, Old Welsh, and old Irish. Text and Commentary, Aberystwyth. E.  Otero Pereira (2009), C. Vetti Aquilini Juvenci Evangeliorum libri quattuor. Edición crítica. Thèse de doctorat inédite, Universidad de Salamanca (https://gredos. usales/handle/19290).

Traductions P. Tamisier (1591), La sacrée poésie et histoire évangélique de Juvencus ancien poète chrétien / mise de latin en vers françois avec sommaires sur chacun chapitre, Lyon. F. Clement (1857), Les poètes chrétiens depuis le IVe siècle jusqu’au XVe. Morceaux choisis, 1-11 (traduction partielle).

1   L’édition suivie dans ce travail, sauf indication contraire, est celle de Huemer. En 1999, Emmanuela Colombi a soutenu à Rome une nouvelle édition du livre I (C. Vettii Aquilini Iuvenci Evangeliorum liber I. Edizione, traduzione e commento. Tesi di dottorato dattiloscritta discussa presso l’Università di Roma «  La Sapienza  » il 26 aprile 1999). Elle a annoncé, à la suite de cette thèse, une édition complète à paraître chez Brepols dans le Corpus Christianorum (voir le site http://web.uniud.it/dssd/afferenti/ colombi/welcome.htm).

308

BIBLIOGRAPHIE

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I.  Index Juvenci Les chiffres en gras indiquent le numéro des vers, les autres le numéro de page. LIVRE II 1-27  : 56  ; 1  : 57, 77, 185, 186  ; 2  : 63, 159, 196, 225, 275  ; 3  : 159  ; 4  : 159  ; 5  : 221, 275  ; 6-7  : 240, 275  ; 8  : 63 9  : 77  ; 10  : 159  ; 11  : 159  ; 12  : 150  ; 13-14  : 68  ; 13  : 151  ; 14-15  : 150  ; 15  : 130  ; 16-18  : 240  ; 18  : 150  ; 19  : 7, 150  ; 21-22  : 246  ; 22  : 60, 159, 244  ; 23-24  : 60, 102  ; 24-25  : 130  ; 24  : 275  ; 25-26  : 245  ; 26  : 151  ; 27  : 130, 159  ; 31  : 159  ; 35-38  : 151, 201  ; 35  : 225, 240  ; 38  : 225  ; 41  : 243  ; 44  : 157  ; 45  : 239  ; 47  : 63, 159  ; 48  : 159  ; 49  : 164  ; 52  : 159  ; 57  : 159  ; 58  : 242  ; 59  : 276  ; 60  : 275  ; 61-62  : 246, 248  ; 61  : 226  ; 64  : 276  ; 65  : 246  ; 66  : 159  ; 68  : 244, 246  ; 68-71  : 229, 244  ; 71-72  : 225, 226  ; 71  : 242  ; 74  : 276  ; 76  : 275  ; 77-79  : 151  ; 78  : 159  ; 84  : 244  ; 88  : 239, 276  ; 89  : 226, 231, 239  ; 92-93  : 282  ; 93  : 276  ; 94-97  : 282  ; 97  : 225  ; 98  : 219  ; 101  : 205  ; 104  : 282  ; 105  : 275  ; 107-112  : 134  ; 115  : 244  ; 116  : 63, 130  ; 118  : 225, 240  ; 120  : 159  ; 122  : 63, 159  ; 124  : 276  ; 125  : 159, 164  ; 131  : 159  ; 132  : 63  ; 140  : 244  ; 141  : 63, 159  ; 142  : 225  ; 158-159  : 93  ; 161  : 157  ; 167  : 242  ; 168  : 225  ; 173  : 225  ; 175  : 141  ; 186  : 63  ; 189  : 159  ; 194-195  : 231  ; 194  : 241  ; 195  : 63, 159  ; 196  : 159  ; 197  : 159  ; 198  : 145, 244  ; 200  : 159  ; 201  : 159  ; 202-207  : 235  ; 209-210  : 256  ; 214  : 159, 215  ; 215  : 244  ; 218  : 159  ; 219  : 275  ; 220  : 225  ; 232  : 231, 235  ; 234  : 159  ; 236  : 159  ; 237  : 63  ; 242  : 158  ; 243-246  : 164  ; 249  : 158  ; 250  : 227, 241  ; 251-252  : 205  ; 251  : 269  ; 252  : 186  ; 257  : 186, 202, 259  ; 260  : 186  ; 261-262  : 187  ; 264  : 239  ; 267-268  : 205  ; 267-270  : 187  ; 275-276  : 159  ; 275  : 63  ; 276-277  : 87, 219  ; 277  : 209, 242  ; 279-280  : 218  ; 283  : 159  ; 292  : 159  ; 293-294  : 219  ; 294-295  : 219  ; 295  : 220  ; 298  : 159  ; 300301  : 144  ; 305  : 218  ; 307-308  : 222  ; 307  : 256  ; 310-313  : 192  ; 311  : 284  ; 313  : 63, 159, 239  ; 314-315  : 141  ; 319-320  : 88  ; 337  : 284  ; 340  : 244, 284  ; 346-347  : 255  ; 348  : 63, 159  ; 352-353  : 276  ; 353  : 141  ; 354  : 284  ; 355  : 229  ; 356-359  : 244  ; 357  : 169  ; 359  : 244, 284  ; 361  : 227, 244, 284  ; 362-363  : 87, 227  ; 364  : 277  ; 365  : 277  ; 369-372  : 277  ; 371-372  : 218  ; 371-374  : 234  ; 371  : 278  ; 373  : 278  ; 374  : 98  ; 375  : 158, 240  ; 378  : 278  ; 380  : 278  ; 381  : 220, 278  ; 382  : 193  ; 384  : 198, 199  ; 386  : 198  ; 387  : 240  ; 388  : 199  ; 404  : 198  ; 406-407  : 278  ; 406  : 225  ; 410  : 228  ; 412  : 63  ; 413-415  : 175  ; 415-418  : 231  ; 419  : 158, 239, 243  ; 421  : 174  ; 425-427  : 97  ; 434  : 275  ; 435-436  : 221  ; 437  : 221  ; 443  : 221  ; 447  : 221  ; 451  : 173  ; 452-453  : 98  ; 469  : 252  ; 471  : 159  ; 478-479  : 162  ; 479-481  : 211, 263  ; 481  : 210  ; 484  : 159, 210  ; 485  : 243, 262  ; 493-495  : 210, 262  ; 496  : 136, 256  ; 511-515  : 271  ; 511-518  : 249, 271  ; 516  : 202  ; 520-521  : 271  ; 527  : 272  ; 531  : 136  ; 533  : 89  ; 534  : 274  ; 536  : 142  ; 550  : 274  ; 556  : 164  ; 558  : 88  ; 559  : 274  ; 560  : 274  ; 563-564  : 274  ; 563  : 136  ; 567-568  : 136  ; 567  : 240  ; 572  : 240  ; 573  : 241  ; 575  : 141  ; 580-583  : 281  ; 582  : 281  ; 584-585  : 200  ; 585  : 158, 281  ; 586-587  : 281  ; 589  : 281  ; 591-592  : 141  ; 595-596  : 281  ; 601-603  : 136  ; 601  : 240  ; 603  : 203  ;

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604  : 277  ; 606  : 277  ; 609-610  : 277  ; 609  : 240  ; 615-616  : 141  ; 619  : 141, 277  ; 620  : 164  ; 631  : 277  ; 634-636  : 94  ; 648  : 277  ; 672-673  : 147, 199  ; 674  : 225  ; 678  : 159  ; 679-689  : 151  ; 680  : 208  ; 681  : 249  ; 686  : 249  ; 687  : 249  ; 688  : 163, 249  ; 689  : 163, 249  ; 691  : 159  ; 692-693  : 203  ; 692-696  : 152  ; 693-694  : 258  ; 702  : 277  ; 703  : 159  ; 705  : 275, 277  ; 708  : 141  ; 711  : 159  ; 716  : 147  ; 717  : 147  ; 718  : 147  ; 719  : 147  ; 720  : 147  ; 722  : 147  ; 723  : 147  ; 724-725  : 147  ; 724  : 141  ; 726-727  : 147  ; 728-730  : 219, 262  ; 728  : 164, 220  ; 731  : 173  ; 733-734  : 224  ; 734  : 148  ; 735  : 158  ; 736  : 148  ; 738  : 148, 221  ; 741  : 144  ; 743-745  : 148  ; 751  : 158, 164, 228  ; 752  : 164  ; 753  : 208  ; 754  : 77  ; 755-756  : 209  ; 759  : 109, 164  ; 760  : 209  ; 762  : 77  ; 763-764  : 221  ; 763  : 164  ; 765  : 239  ; 766  : 77, 242  ; 767  : 225, 229  ; 768  : 224  ; 769  : 77  ; 794  : 211. LIVRE II 1-2  : 195  ; 1-3  : 77  ; 6  : 78  ; 8-10  : 195  ; 8  : 221, 228  ; 9-12  : 165, 243  ; 10  : 229  ; 12  : 158  ; 15  : 159  ; 17  : 227, 229  ; 25-41  : 158  ; 25-42  : 165  ; 27  : 164  ; 28-29  : 166  ; 33  : 87, 223  ; 34-35  : 167  ; 37-38  : 223  ; 40-41  : 275  ; 44  : 224  ; 45-46  : 224  ; 55  : 158, 227, 239, 241  ; 56  : 158  ; 58-60  : 195  ; 59  : 170  ; 62  : 145, 158, 170, 239  ; 65  : 190  ; 74  : 156, 158  ; 75  : 156, 232, 242  ; 76  : 156  ; 79  : 228  ; 82  : 88  ; 83  : 275  ; 84  : 88, 219  ; 86  : 258  ; 87  : 275  ; 88  : 145, 242  ; 93  : 219, 276  ; 95  : 156, 226  ; 99  : 155  ; 100  : 155  ; 101  : 155  ; 108  : 275  ; 119  : 158  ; 125  : 159  ; 126  : 227  ; 132  : 280  ; 133  : 280  ; 134  : 226, 241, 280  ; 135-136  : 280  ; 137  : 280  ; 139  : 284  ; 141  : 284  ; 143144  : 284  ; 146  : 280  ; 148  : 284  ; 151-152  : 262  ; 152  : 280, 284  ; 153  : 141, 159  ; 156  : 93  ; 159  : 141, 159  ; 161  : 171  ; 163  : 250  ; 165  : 250  ; 166-168  : 190  ; 169  : 164, 192  ; 172  : 141  ; 173-176  : 250  ; 175  : 159  ; 177-242  : 163, 169  ; 177  : 178  ; 179  : 192  ; 180-183  : 251  ; 180  : 141, 206  ; 181  : 192  ; 182-183  : 275  ; 183  : 141, 192  ; 188  : 192  ; 189  : 192  ; 191-192  : 163  ; 193-194  : 240, 284  ; 196  : 244  ; 198  : 244  ; 199  : 164, 244  ; 200  : 164  ; 201  : 164, 244  ; 203  : 244  ; 204  : 192, 250  ; 205208  : 199  ; 206-207  : 203  ; 209  : 250  ; 210-211  : 251  ; 212  : 193, 203  ; 213  : 252, 270  ; 214  : 164  ; 215-216  : 243  ; 216  : 158, 241  ; 217  : 164  ; 219  : 158, 164, 241  ; 220-221  : 200  ; 220-223  : 208  ; 221  : 275  ; 223  : 141  ; 225  : 241  ; 229  : 208  ; 230231  : 209  ; 230-239  : 270  ; 234  : 241  ; 235  : 141  ; 237-242  : 271  ; 240-242  : 270  ; 240  : 220  ; 243  : 223, 229, 242  ; 245  : 285  ; 246  : 229  ; 247  : 73, 219  ; 248-249  : 130  ; 251  : 200  ; 256  : 229  ; 258  : 285  ; 259  : 285  ; 267-270  : 73  ; 269  : 285  ; 270  : 285  ; 274  : 119, 123  ; 279-280  : 141  ; 279  : 158  ; 281  : 158  ; 283  : 173  ; 284  : 588  ; 287  : 140  ; 288-289  : 275  ; 291  : 222  ; 293  : 223, 228  ; 294  : 230, 242  ; 299-300  : 209  ; 301-304  : 134  ; 308  : 219  ; 310  : 240  ; 311-320  : 95  ; 321  : 263  ; 326  : 263  ; 327  : 229  ; 329  : 284  ; 330-331  : 148, 224  ; 345-346  : 161  ; 347-349  : 256  ; 351  : 194, 221  ; 353  : 194, 212  ; 358  : 209  ; 365  : 210  ; 366  : 179  ; 370  : 272  ; 380-381  : 160  ; 380  : 181  ; 381  : 224  ; 382  : 194, 221, 229  ; 385  : 224  ; 387  : 272  ; 388  : 272  ; 392393  : 221  ; 395  : 272  ; 401-404  : 181  ; 405  : 223, 226, 232  ; 410  : 222, 278, 279  ; 411  : 164  ; 412  : 278, 279  ; 413  : 278  ; 414  : 279  ; 415  : 278  ; 423-424  : 93  ; 423  : 228  ; 425-428  : 95  ; 426  : 162  ; 431  : 161  ; 432  : 263  ; 435  : 208  ; 436-438  : 161, 220  ; 438  : 220  ; 451-452  : 203, 204  ; 451  : 203  ; 457  : 203  ; 462-463  : 202  ; 462  : 202  ; 464-466  : 244  ; 495-498  : 135  ; 508  : 240  ; 513  : 220  ; 522  : 248  ; 541  : 160  ; 547-548  : 130  ; 548  : 225, 226  ; 552  : 242  ; 556-560  : 269  ; 559  : 272  ; 560  : 269  ; 564-565  : 257  ; 568  : 257  ; 569  : 257  ; 577-578  : 257  ; 577  : 257  ; 581-582  : 257  ; 581  : 223  ; 583-598  : 257  ; 583  : 223  ; 596-597  : 257  ; 598  : 194  ; 599  : 194, 219  ;

INDICES325

602-604  : 270  ; 606  : 192  ; 607-608  : 130  ; 609-610  : 198, 263  ; 619-622  : 264  ; 626  : 227  ; 629-630  : 270  ; 631-636  : 270  ; 640  : 240  ; 649  : 272  ; 650  : 272  ; 652  : 272  ; 657  : 246  ; 670-671  : 243  ; 675  : 272  ; 683-685  : 259  ; 695-696  : 191  ; 696  : 252  ; 705-706  : 204  ; 705  : 252  ; 706  : 191, 252  ; 710  : 220  ; 712  : 191, 193, 252  ; 714-717  : 285  ; 715  : 285  ; 717  : 285  ; 725  : 232, 263  ; 733-734  : 210  ; 733  : 230, 232, 242  ; 734-736  : 175  ; 739-740  : 204  ; 740-742  : 138  ; 744  : 95  ; 743-747  : 132  ; 746-747  : 95  ; 749-750  : 95, 182  ; 752-754  : 138  ; 756  : 266  ; 758  : 272  ; 765-766  : 78, 267  ; 771  : 267  ; 777  : 276  ; 779  : 204  ; 781  : 276  ; 786  : 276  ; 787  : 276  ; 790-793  : 276  ; 791  : 78  ; 795  : 159, 226  ; 796  : 95  ; 799-800  : 95  ; 805  : 93  ; 820-823  : 93  ; 824828  : 79  ; 824  : 267. LIVRE III 1  : 79, 177  ; 3  : 230  ; 5  : 158, 227  ; 11  : 15, 227  ; 14-16  : 79  ; 15-16  : 145  ; 15  : 220  ; 17-20  : 264  ; 17  : 79, 229  ; 18  : 224  ; 19  : 219  ; 20  : 219  ; 21  : 79  ; 27-28  : 264  ; 32  : 229  ; 33-34  : 187  ; 33  : 186  ; 34  : 275  ; 37-38  : 189  ; 37-42  : 269  ; 40-42  : 188  ; 40  : 206  ; 43-47  : 188  ; 43  : 269  ; 44  : 274  ; 45  : 269  ; 46-47  : 269  ; 47  : 269  ; 50  : 269  ; 52-54  : 189  ; 64  : 190  ; 65  : 190  ; 67  : 269  ; 70-71  : 175  ; 71  : 207  ; 72  : 125  ; 73-74  : 257  ; 76  : 228  ; 77-82  : 134  ; 77  : 177  ; 83  : 222  ; 93-125  : 158  ; 93-128  : 168  ; 93  : 219  ; 95-96  : 175  ; 97  : 168  ; 98-99  : 146, 168  ; 101  : 168  ; 102-103  : 168  ; 103  : 224  ; 107-108  : 258, 276  ; 108  : 272  ; 109  : 231, 258  ; 113  : 168, 174  ; 116  : 168  ; 118-119  : 168  ; 119-120  : 229  ; 120  : 168  ; 125-126  : 168  ; 127-128  : 99, 168  ; 131  : 264  ; 134  : 232  ; 135-136  : 265  ; 142-143  : 94  ; 145  : 142  ; 150  : 200  ; 151  : 261  ; 152  : 261  ; 153  : 194  ; 161-162  : 203  ; 161  : 203, 265  ; 162  : 181  ; 167  : 274  ; 168  : 274  ; 169-170  : 146  ; 170  : 142  ; 171  : 142, 272  ; 173  : 274  ; 174  : 274  ; 176-177  : 174  ; 183-184  : 266  ; 190-194  : 266  ; 192  : 225  ; 195  : 229  ; 200  : 225  ; 204-205  : 176  ; 205  : 142, 228  ; 209  : 258  ; 212  : 289  ; 221  : 184  ; 223  : 259  ; 231  : 194  ; 235  : 63  ; 236-237  : 161  ; 237  : 220  ; 239-240  : 194  ; 239  : 265  ; 240  : 265  ; 241  : 194, 265  ; 242  : 265  ; 243-244  : 162, 265  ; 243  : 265  ; 244  : 265  ; 247  : 265  ; 254  : 265  ; 255-256  : 265  ; 255  : 232, 265  ; 257  : 161, 174  ; 258  : 161, 174  ; 269  : 228  ; 271-272  : 232  ; 271  : 260  ; 272  : 242  ; 273  : 260  ; 275  : 248  ; 277  : 260  ; 278-282  : 146  ; 278  : 260  ; 279  : 260  ; 280-282  : 262  ; 280  : 260  ; 281  : 260  ; 282  : 260  ; 288-289  : 261  ; 290-292  : 63  ; 290-302  : 162  ; 291  : 162, 194  ; 293-295  : 162  ; 304  : 277  ; 307-310  : 272  ; 310-312  : 228  ; 311  : 158, 238  ; 310  : 157  ; 312  : 157  ; 316-317  : 134  ; 317  : 157  ; 318-320  : 176  ; 318  : 157  ; 319  : 157  ; 320  : 157  ; 321-322  : 230  ; 321  : 157  ; 325-327  : 157  ; 329  : 157  ; 330-333  : 230  ; 331  : 157  ; 333  : 157  ; 334  : 157  ; 335338  : 147  ; 337-338  : 228  ; 341-342  : 222  ; 341  : 158, 227  ; 342  : 157, 230  ; 343  : 228  ; 346  : 230  ; 350-352  : 194  ; 350-351  : 193  ; 352  : 158  ; 354-355  : 279  ; 354357  : 279  ; 356  : 230, 244  ; 357  : 279  ; 358  : 279  ; 360  : 141  ; 364  : 229, 279  ; 365  : 199  ; 368-370  : 222, 279  ; 369  : 228  ; 372  : 228  ; 373-376  : 96  ; 373-378  : 279  ; 399  : 219  ; 402  : 259  ; 410-411  : 259  ; 411-412  : 259  ; 417-418  : 259  ; 418  : 259  ; 424  : 220  ; 428  : 199  ; 438-455  : 136  ; 448-455  : 134  ; 454  : 204  ; 459-461  : 174  ; 462  : 221  ; 465  : 141  ; 469-470  : 247  ; 494  : 228  ; 496  : 225  ; 498-500  : 144  ; 503  : 226, 232  ; 513-515  : 274  ; 521  : 226, 232  ; 527-529  : 275  ; 530  : 232  ; 533  : 275  ; 541  : 227  ; 548-549  : 131  ; 550-551  : 131  ; 550  : 132  ; 551  : 131, 174  ; 553-555  : 94  ; 564  : 131  ; 569  : 131  ; 578-580  : 137  ; 585  : 175  ; 586  : 175  ; 587  : 227  ; 588  : 247  ; 601  : 228  ; 602-607  : 209  ; 609-611  : 247  ; 609  : 227  ; 610  : 220  ; 622-623  : 144  ; 622  : 174  ; 626  : 219  ; 631-632  : 141  ; 633-635  : 145  ; 633  : 63, 156  ; 637  : 156  ; 638  : 156,

326

INDICES

164  ; 640  : 144, 156  ; 641  : 145  ; 653  : 207  ; 666-667  : 273  ; 672-673  : 273  ; 676677  : 207  ; 680-681  : 191  ; 684  : 194  ; 689  : 194  ; 692-695  : 93  ; 709-710  : 273  ; 712-713  : 141, 156, 173  ; 729  : 207  ; 731  : 207  ; 734-736  : 207  ; 738  : 179  ; 742  : 179  ; 743  : 179  ; 744-746  : 179  ; 744  : 179  ; 747  : 179  ; 749  : 179  ; 750-751  : 179  ; 753  : 179  ; 757  : 179  ; 760  : 208  ; 768  : 179, 228  ; 762-768  : 179  ; 762  : 179  ; 763764  : 179  ; 763  : 273  ; 764  : 80, 179  ; 765-767  : 273  ; 765  : 179  ; 766-767  : 179  ; 770-773  : 80. LIVRE IV 1-2  : 80  ; 1  : 194  ; 2  : 194  ; 7-9  : 142, 200  ; 7  : 80, 194, 219  ; 16  : 139  ; 18  : 140  ; 21-22  : 140  ; 22  : 139  ; 23  : 140  ; 25  : 139  ; 26  : 140  ; 27  : 139, 140  ; 28  : 140  ; 29-30  : 194  ; 31  : 140  ; 32  : 140  ; 33  : 140  ; 36  : 80  ; 35-37  : 274  ; 37  : 80  ; 39  : 222  ; 42-43  : 200  ; 53  : 195  ; 55  : 19  ; 62-64  : 146  ; 65  : 226  ; 69-77  : 195  ; 69  : 206  ; 70  : 192  ; 71  : 206  ; 76-77  : 200  ; 77  : 191, 192  ; 84  : 207  ; 111  : 261  ; 115-116  : 261  ; 117-119  : 248, 261  ; 120  : 60  ; 123  : 267  ; 144  : 142  ; 145-148  : 103  ; 149  : 182  ; 150  : 146  ; 151  : 182  ; 152-154  : 101  ; 153  : 227  ; 155-158  : 102  ; 161-162  : 60  ; 164  : 225  ; 166-167  : 146  ; 177-178  : 146  ; 184  : 227  ; 189  : 146  ; 199  : 146  ; 201  : 180  ; 202  : 180  ; 203  : 180  ; 206-208  : 180  ; 209  : 180  ; 210-211  : 180  ; 212  : 180  ; 215  : 180  ; 217  : 180  ; 229-230  : 133  ; 232-233  : 133  ; 236-240  : 134  ; 250-254  : 134  ; 259-262  : 102  ; 259  : 225  ; 261  : 192  ; 262-263  : 192  ; 262  : 199  ; 264  : 199  ; 272-276  : 137  ; 284  : 199  ; 285  : 199  ; 287-288  : 199  ; 294  : 199  ; 300-301  : 199, 208  ; 300  : 225  ; 304  : 199  ; 310-312  : 228  ; 316  : 229  ; 319-320  : 227  ; 320  : 231  ; 325  : 139  ; 327  : 139  ; 331  : 139  ; 334  : 139  ; 340-341  : 139  ; 341  : 139  ; 343  : 228  ; 345  : 139  ; 347  : 139  ; 348  : 225  ; 349-353  : 182  ; 349  : 139  ; 350-351  : 139  ; 350  : 140  ; 353  : 140  ; 356-357  : 226  ; 365  : 228  ; 367-368  : 139  ; 368  : 203  ; 371  : 182  ; 372  : 228  ; 374  : 219  ; 379  : 224  ; 385  : 231  ; 392-393  : 182  ; 394  : 221  ; 397  : 219  ; 403-405  : 224  ; 412  : 225  ; 422  : 197  ; 427  : 197  ; 430  : 219  ; 435  : 198  ; 437  : 198  ; 439  : 227  ; 441-442  : 182  ; 443  : 197  ; 448  : 280  ; 451  : 280  ; 459  : 228  ; 465-466  : 98  ; 469  : 228  ; 470-471  : 178  ; 484  : 229  ; 490-491  : 146  ; 493  : 234  ; 499  : 203  ; 500  : 234  ; 509-510  : 234  ; 510  : 59, 195  ; 512  : 196  ; 514  : 198  ; 516  : 196  ; 517  : 198  ; 518  : 232  ; 533-534  : 141  ; 537  : 229  ; 541  : 227  ; 544  : 232  ; 545  : 193  ; 553  : 239  ; 555  : 220  ; 558  : 227  ; 561  : 193  ; 565-569  : 150  ; 566  : 225  ; 568  : 170  ; 570  : 147  ; 580  : 147  ; 583-584  : 147  ; 586-587  : 177  ; 588-589  : 170  ; 590  : 232  ; 593-96  : 196  ; 594  : 232  ; 595  : 225  ; 614  : 194  ; 618-620  : 207  ; 621  : 207  ; 626  : 198  ; 627  : 198  ; 629  : 198  ; 630-631  : 198  ; 636  : 194  ; 637-638  : 268  ; 642-643  : 196  ; 642  : 232  ; 648-650  : 196  ; 652  : 154  ; 654  : 146  ; 655-656  : 235, 268  ; 655  : 242  ; 659661  : 268  ; 660-661  : 247  ; 661  : 196  ; 662  : 146  ; 668-669  : 196  ; 672  : 232, 239  ; 674  : 196  ; 675  : 196, 207  ; 676-677  : 196, 207  ; 678-680  : 149  ; 684  : 149  ; 685  : 196  ; 687-691  : 177  ; 697  : 196  ; 700  : 246  ; 701  : 229, 232  ; 702  : 178, 234  ; 714  : 150  ; 726  : 150  ; 729  : 194  ; 732-735  : 80  ; 734  : 148  ; 737  : 204  ; 743  : 177  ; 748749  : 230  ; 749  : 146  ; 755  : 146  ; 756-757  : 81  ; 756  : 247  ; 760-761  : 81  ; 763-765  : 148  ; 766  : 230  ; 767  : 81, 148  ; 768  : 148, 228  ; 770  : 148, 225, 230, 270  ; 778  : 194  ; 779  : 194  ; 786  : 232, 239  ; 790  : 230  ; 792  : 81  ; 794  : 263  ; 802-803  : 57  ; 802-805  : 46  ; 802-812  : 70  ; 804-805  : 72  ; 809-810  : 70  ; 810  : 230  ; 812  : 76, 242.

II.  Index scriptorum antiquiorum Ambroise  : 22  ; 30  ; 44  ; 77 Aphtonios  : 117 Apulée  : 77 Arator  : 1  ; 2  ; 37  ; 68  ; 215  ; 225  ; 255  ; 292  Arnobe  : 26  ; 27  ; 33  ; 41 Augustin  : 22  ; 24  ; 31  ; 33  ; 37  ; 38  ; 41  ; 42  ; 44  ; 45  ; 46  ; 47  ; 71  ; 119  ; 120  ; 121  ; 167  Ausone  : 4  ; 111 Avitus  : 2  ; 291  ; 292 Basile  : 249 Celse  : 32  ; 40 Cicéron  : 31  ; 44  ; 45  ; 62  ; 64  ; 71  ; 119  ; 122  ; 186  ; 193  ; 202  Clément  : 242  ; 248  ; 249 Corippe  : 4  ; 155 Cyprianus Gallus  : 2  ; 165 Cyprien  : 9  ; 27  ; 45  ; 283 Dracontius  : 2 Ennode  : 4 Eusèbe de Césarée  : 10  ; 13  ; 15  ; 16  ; 27  ; 31  ; 33 Firmus Maternus  : 27 Grégoire d’Elvire  : 10  ; 283 Grégoire de Tours  : 71 Helpidius  : 4 Hésiode  : 67 Hilaire  : 45 Hilaire (Pseudo)  : 2 Homère  : 64  ; 66  ; 123  ; 287  Horace  : 56  ; 65  ; 77  Irénée  : 8  ; 243 Jérôme  : 7  ; 8  ; 10  ; 38  ; 39  ; 40  ; 46  ; 123  ; 241  Justin  : 32  ; 242  ; 243 Lactance  : 11  ; 13  ; 14  ; 15  ; 27  ; 29  ; 33  ; 37  ; 42  ; 43  ; 44  ; 45  ; 50  ; 72  ; 104  ; 105  ; 122 Léon  : 23  ; 24 Lucain  : 55  ; 123

Lucrèce  : 55  ; 58  ; 59  ; 67  ; 77  ; 78 Martial  : 55 Meliton de Sardes  : 27 Minucius Felix  : 27  ; 33  ; 40  ; 42  ; 48  ; 104 Nicolas le sophiste  : 117 Optat  : 45 Origène  : 22  ; 32  ; 210  ; 233  ; 266 Orientus  : 4 Ovide  : 55  ; 58  ; 59  ; 65  ; 77  ; 78  ; 163  ; 165  Paulin de Nole  : 2  ; 105  ; 186 Paulin de Pella  : 4  ; 165 Paulin de Perigueux  : 292 Platon  : 45  ; 187  ; 188  Pline le Jeune  : 119 Proba  : 2  ; 186  ; 213 Properce  : 56  ; 64  ; 65  ; 66  ; 96 Prosper Tiro  : 4 Prudence  : 4  ; 22  ; 68  ; 105  ; 111  ; 123  ; 167  ; 186  ; 255  ; 291  ; 292 Quintilien  : 118  ; 121  ; 140  ; 225  ; 227 Rhétorique à Herennius  : 128  ; 130  ; 144  ; 146  ; 148 Rusticus  : 4 Salluste  : 48 Sédulius  : 1  ; 2  ; 120  ; 169  ; 170  ; 191  ; 193  ; 215  ; 241  ; 255 Sénèque  : 48  ; 58  ; 59  ; 72  ; 78  ; 249 Silius Italicus  : 191 Socrate de Constantinople  : 13 Stace  : 55  ; 77  ; 96  ; 123  ; 185  Suétone  : 117 Symmaque  : 22  ; 49  Tacite  : 186 Tatien  : 32  ; 47 Tertullien  : 8  ; 21  ; 27  ; 33  ; 39  ; 44  ; 48  ; 52  ; 283 Théon  : 117  ; 118  ; 119 Tite Live  : 123  ; 186 Valère Maxime  : 78 Victor  : 2 

328

INDICES

Virgile  : 2  ; 3  ; 4  ; 22  ; 23  ; 46  ; 48  ; 55  ; 59  ; 63  ; 64  ; 69  ; 75  ; 78  ; 87  ; 93  ; 96  ; 104  ; 108  ; 109  ; 119  ; 123  ; 124  ; 125  ; 131  ; 159  ; 160  ; 164  ; 165  ; 167  ; 168  ; 169  ; 170  ; 171  ;

172  ; 188  ; 193  ; 197  ; 209  ; 210  ; 215  ; 219  ; 223  ; 226  ; 239  ; 240  ; 249  ; 276  ; 282  ; 287  ; 290  ; 291  ; 293 Xénophon  : 248

III. Index scriptorum recentiorum Adkins N.  : 38 Antin P.  : 98 Bardy G.  : 116 Battifol P.  : 14  ; 26  ; 27 Benko S.  : 64 Bonnardière (la) A.-M.  : 167 Bonner S.F.  : 116 Borrel Vidal E.  : 163  ; 224 Bureau B.  : 2  ; 66  ; 185  ; 197  ; 206  ; 293 Brown P.  : 16  ; 17  ; 18  ; 21  ; 43  ; 68  ; 92  ; 98 Camps W.A.  : 75 Carrié J.M. - Rousselle A.  : 14  ; 22 Carruba R.W.  : 55  ; 57  ; 66 Chadwick H.  : 103 Chaffin C.E.  : 64 Charlet J.-L.  : 2  ; 22  ; 103  ; 109  ; 110  ; 167  ; 190  ; 291  ; 292 Cochrane C.N.  : 11 Colombi E.  : 84 Consolino F.E.  : 103 Conway R.S.  : 75 Costanza S.  : 55 Cottier J.-F.  : 106  ; 107  ; 115  ; 117  ; 120  ; 121 Courcelle P.  : 28  ; 64  ; 68  Curtius E.R.  : 2  ; 106  ; 109 Daniélou J.  : 248  ; 282  ; 283 Den boeft J.  : 292 Deproost P.A.  : 2  ; 101  ; 198  ; 217  ; 290 Devallet G.  : 216 Dodds F.R.  : 15 Donnini M.  : 132 Dukworth G.E.  : 75 Duval Y.M.  : 2  ; 183  ; 241 Flammini G.  : 165 Flieger M.  : 190  ; 290 Flury P.  : 160 Fontaine J.  : 1  ; 2  ; 4  ; 7  ; 43  ; 49  ; 50  ; 56  ; 59  ; 61  ; 64  ; 68  ; 70  ; 73  ; 91  ;

103  ; 104  ; 106  ; 116  ; 120  ; 122  ; 181  ; 238  ; 239 Fraïsse A.  : 56  ; 68  ; 85  ; 167  Fredouille J.C.  : 217 Fuchs C.  : 117 Gabard A.  : 92  ; 97  ; 99  ; 101 Goullet M.  : 115  ; 143  ; 149 Green R.  : 40  ; 59  ; 63  ; 66  ; 111  ; 115  ; 136  ; 171  ; 180  ; 186  ; 280 Hanson N.  : 166  ; 120 Harrington W.  : 86 Héfélé C. J.  : 9 Heinsdorff C.  : 11  ; 290 Herzog R  : 2  ; 4  ; 11  ; 50  ; 104  ; 105  ; 106  ; 108  ; 109  ; 129  ; 281  ; 293 Hilhorst A.  : 250  ; 292 Hudson-williams A.  : 106 Ivanka (von) E.  : 28 Kartschoke D.  : 2  ; 291 Kirsch W.  : 3  ; 4  ; 11  ; 75  ; 155  ; 290 Krüger G.  : 2  ; 291 Labarre S.  : 2 Labriolle P.  : 15  ; 34  ; 39 Lamotte J.  : 24 Lepelley C.  :17 Lesueur R.  : 76 Longpré A.  : 165 Lumbelli L. - Caravelli B.M.  : 117 MacMullen R.  : 15  ; 16  ; 37 Marrou H.I.  : 116 Martin M.  : 68 Martin P.M.  : 71 Martin R.  : 293 Massaux E.  : 81  ; 82 Mazal O.  : 4 McClure J.  : 246 Michaud J.N.  : 56  ; 167 Miller P.C.  : 38 Momigliano A.  : 24 Mora-Lebrun F.  : 165  ; 169  ; 171  ; 213  ; 223  ; 226

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INDICES

Murru F.  : 55 Nat (van der) P.G.  : 55  ; 106  ; 107 Opelt I.  : 75 Orban A.P.  : 77  ; 102 Otero Pereira E.  : 84 Paul J.  : 25  ; 28  ; 29  ; 30  ; 38 Pereira E.O.  : 85 Pichon R.  : 82  ; 215 Poinsotte J.M.  : 129  ; 159  ; 160  ; 176  ; 186  ; 192  ; 193  ; 196  ; 201  ; 239  ; 140  Puech A.  : 83 Quadlbauer F.  : 55  ; 64  ; 67  ; 68 Ratkowitsch C.  : 167 Riché P.  : 116 Ripoll F.  : 220 Ritter A.M.  : 27 Roberts M.  : 2  ; 73  ; 106  ; 107  ; 118  ; 129  ; 132  ; 135  ; 291 Rollins S. J.  : 87  ; 142  ; 252  ; 253  ; 262 Schaller D.  : 290  ; 291 Shaw B.D.  : 38

Simon M.  : 24 Simonetti Abollito M.  : 84  ; 140  ; 149  ; 158  Siniscalo P.  : 24 Smolak K.  : 55 Springer C.P.E.  : 2  ; 4  ; 107  ; 246 Testard M.  : 65  ; 68  ; 69  ; 87  ; 122  ; 169  ; 171  ; 230  ; 242  ; 244  ; 245  Thomas J.  : 217 Thraede K.  : 2  ; 24  ; 76  ; 103  ; 106  ; 107  ; 169  ; 256 Thélamon F.  : 37 Uytfanghe (van) M.  : 27 Vélez Latorre J.M.  : 55 Vicente C.  : 167 Wehrli M.  : 107 Widmann H.  : 128  ; 163 Winnel W.  : 75 Witke C.  : 116 Wit (de) J.  : 77  ; 167  ; 244

IV.  Index verborum ad rhetoricam artem pertinentium Aemulatio  : 3  ; 24  ; 52  ; 72  ; 109  ; 110  ; 111  ; 112  ; 115  ; 163  ; 287  ; 288 Amplificatio  : 140  ; 146 Breuitas  : 88  ; 128  ; 129  ; 140  ; 144 Carmen  : 63  ; 67  ; 68  Celsitas  : 64  ; 66  ; 67 Decus  : 4  ; 66 Dispositio  : 75  ; 77 Dulcedo  : 64  ; 66  Eloquentia  : 43 Exemplum (a)  : 24  ; 105  ; 211 Fama  : 44

Imitatio  : 3  ; 111  ; 112  ; 287  ; 288  ; 289  Interpretatio  : 118  ; 121 Locus amoenus  : 173  ; 176 Ornamenta, ornatus  : 73  ; 75  ; 108  ; 111 Percursio  : 128 Poiesis  : 108 Reformatio in melius  : 49 Renouatio  : 49 Retractatio  : 56  ; 115  ; 287 Topoi  : 165  ; 216 Variatio  : 135  ; 137  ; 146  ; 158  ; 162  ; 181  ; 217

V.  Index sacrarum Scripturarum Apocalypse  : 61  ; 68  ; 283 Daniel  : 227 Exode  : 244 Ézéchiel  : 68  ; 283 Genèse  : 276 Isaïe  : 63  ; 256 Jacques  : 61 Jean  : 84  ; 85  ; 86  ; 95  ; 130  ; 141  ; 148  ; 161  ; 163  ; 164  ; 173  ; 192  ; 197  ; 227  ; 243  ; 250  ; 251  ; 252  ; 261  ; 268  ; 270  ; 275  ; 281  ; 284  ; 285 Jérémie  : 282 Luc  : 7  ; 61  ; 84  ; 85  ; 86  ; 87  ; 88  ; 130  ; 141  ; 144  ; 151  ; 202  ; 204  ; 218  ; 219  ; 220  ; 226  ; 239  ; 240  ; 241  ; 246  ; 249  ; 256  ; 276  ; 283 Marc  : 87  ; 145  ; 167  ; 241 Matthieu  : 3  ; 7  ; 77  ; 79  ; 80  ; 81  ; 82  ; 83  ; 84  ; 85  ; 86  ; 87  ; 88  ; 93  ; 94  ; 96  ; 102  ; 111  ; 112  ; 124  ; 127  ; 128  ; 130  ; 131  ; 132  ; 133  ; 134  ; 135  ;

136  ; 137  ; 138  ; 139  ; 140  ; 141  ; 142  ; 144  ; 145  ; 146  ; 147  ; 148  ; 132  ; 157  ; 158  ; 161  ; 162  ; 163  ; 167  ; 168  ; 173  ; 174  ; 176  ; 177  ; 178  ; 179  ; 180  ; 181  ; 182  ; 185  ; 186  ; 191  ; 193  ; 194  ; 195  ; 199  ; 202  ; 204  ; 208  ; 209  ; 219  ; 222  ; 227  ; 230  ; 231  ; 233  ; 234  ; 239  ; 240  ; 242  ; 243  ; 245  ; 247  ; 248  ; 249  ; 252  ; 256  ; 257  ; 258  ; 259  ; 260  ; 261  ; 262  ; 263  ; 264  ; 265  ; 266  ; 267  ; 269  ; 270  ; 271  ; 272  ; 273  ; 274  ; 277  ; 278  ; 279  ; 281  ; 283 Corinthiens  : 39  ; 283  Éphésiens  : 293 Hébreux  : 243  Philippiens  : 61  Romains  : 8  ; 62  ; 249  ; 250  ; 256  Pierre  : 60 Psaumes  : 241  ; 267  ; 268 Samuel  : 71

COLLECTION LATOMUS OUVRAGES DISPONIBLES   21. Deonna W., De Télésphore au “moine bourru”. Dieux, génies et démons encapuchonnés, 1955, 168 p. + 50 pl.   23. Hommages à Max Niedermann, 1956, 352 p.   27. Van Weddingen R., Favonii Eulogii Disputatio de Somnio Scipionis, 1957, 72 p.   28. Hommages à Waldemar Deonna, 1957, 548 p. + 69 pl.   30. Bolaffi E., La critica filosofica e letteraria in Quintiliano, 1958, 64 p.   32. Astin A.E., The Lex Annalis before Sulla, 1958, 47 p.   33. Favez C., Saint Jérôme paint par lui-même, 1958, 56 p.   35. Paladini M.L., A proposito della tradizione poetica sulla battaglia di Azio, 1958, 48 p.   36. Richter G.M.A., Greek Portraits II. To what extent where they faithful likenesses?, 1959, 49 p. + 16 pl.   39. Tsontchev D., Monuments de la sculpture romaine en Bulgarie méridionale, 1959, 44 p. + 24 pl.   40. Deonna W., Un divertissement de table. “À cloche-pied”, 1959, 40 p.   41. Stengers J., La formation de la frontière linguistique en Belgique ou de la légitimité de l’hypothèse historique, 1959, 56 p.   42. Van Essen C.-C., Précis d’histoire de l’art antique en Italie, 1960, 152 p. + 71 pl.   43. Bodnar E.W., Cyriacus of Ancona and Athens, 1960, 256 p.   44. Hommages à Léon Herrmann, 1960, 815 p. + 52 pl.   47. Balty J.C., Études sur la Maison Carrée de Nîmes, 1960, 204 p. + 27 pl.   51. Harmand J., Les origines des recherches françaises sur l’habitat rural gallo-­ romain, 1961, 52 p. + 6 pl.   52. Cambier G., Embricon de Mayence. La vie de Mahomet, 1961, 94 p.   53. Chevallier R., Rome et la Germanie au Ier siècle de notre ère, 1961, 49 p.   55. Vandersleyen C., Chronologie des préfets d’Égypte de 284 à 395, 1962, 202 p.   56. Le Glay M., Les Gaulois en Afrique, 1962, 43 p. + 1 carte   58. Renard M. (ed.), Hommages à Albert Grenier, 1962, 1679 p. + 338 pl. (3 vol.)   59. Herrmann L., Perse: Satires, 1962, 55 p.   61. Joly R., Le Tableau de Cébès et la philosophie religieuse, 1963, 92 p.   62. Deonna W., La Niké de Paeonios de Mendé et le triangle sacré des monu­ ments figurés, 1968, 220 p.   63. Brown E.L., Numeri Vergiliani. Studies in “Eclogues” and “Georgics”, 1963, 146 p.   64. Detsicas A.P., The Anonymous Central Gaulish Potter known as X-3 and his ­Connections, 1963, 73 p. + 16 pl.   65. Bardon H., Le génie latin, 1963, 264 p.   67. Herrmann L., Le rôle judiciaire et politique des femmes sous la République romaine, 1964, 128 p.   69. Herrmann L., Les fables antiques de la broderie de Bayeux, 1964, 62 p. + 42 pl.

30 € 50 € 30 € 50 € 30 € 30 € 30 € 30 € 30 € 30 € 30 € 30 € 30 € 40 € 60 € 40 € 30 € 30 € 30 € 40 € 30 € 90 € 30 € 30 € 40 € 30 € 30 € 40 € 30 € 30 €

  71. Fletcher G.B.A., Annotations on Tacitus, 1964, 108 p.   72. Decouflé P., La notion d’ex-voto anatomique chez les Étrusco-Romains. Analyse et synthèse, 1964, 44 p. + 19 pl.   73. Fenik B., “Iliad X” and the “Rhesus”. The Myth, 1964, 64 p.   75. Pascal C.B., The Cults of Cisalpine Gaul, 1964, 122 p.   76. Croisille J.-M., Les natures mortes campaniennes. Répertoire descriptif des peintures de nature morte du Musée National de Naples, de Pompéi, Herculanum et Stabies, 1965, 134 p. + 127 pl.   77. Zehnacker H., Les statues du sanctuaire de Kamart (Tunisie), 1965, 86 p. + 17 pl.   78. Herrmann L., La vision de Patmos, 1965, 150 p.   79. Pestalozza U., L’éternel féminin dans la religion méditerranéenne, 1965, 83 p.   80. Tudor D., Sucidava. Une cité daco-romaine et byzantine en Dacie, 1965, 140 p. + 30 pl.   81. Fitz J., Ingenuus et Régalien, 1966, 72 p.   82. Colin J., Les villes libres de l’Orient gréco-romain et l’envoi au supplice par acclamations populaires, 1965, 176 p. + 5 pl.   84. des Abbayes H., Virgile: Les Bucoliques, 1966, 92 p.   85. Balty J.C., Essai d’iconographie de l’empereur Clodius Albinus, 1966, 70 p. + 10 pl.   86. Delcourt M., Hermaphroditea. Recherches sur l’être double promoteur de la fertilité dans le monde classique, 1966, 76 p. + 10 pl.   87. Loicq-Berger M.-P., Syracuse. Histoire culturelle d’une cité grecque, 1967, 320 p. + 21 pl.   89. Newman J.K., The Concept of Vates in Augustan Poetry, 1967, 132 p.   92. Cambier G. (ed.), Conférences de la Société d’Études Latines de Bruxelles. 1965-1966, 1968, 132 p.   93. Balil A., Lucernae singulares, 1968, 98 p.   97. Cambier G., La vie et les œuvres de Gislain Bulteel d’Ypres 1555-1611. Contribution à l’histoire de l’humanisme dans les Pays-Bas, 1951, 490 p. + 1 pl. 101. Bibauw J. (ed.), Hommages à Marcel Renard I. Langues, littératures, droit, 1969, 840 p. + 14 pl. 102. Bibauw J. (ed.), Hommages à Marcel Renard II. Histoire, histoire des religions, épigraphie, 1969, 896 p. + 41 pl. 104. Veremans J., Éléments symboliques dans la IIIe Bucolique de Virgile. Essai d’inter­prétation, 1969, 76 p. 105. Benoit F., Le symbolisme dans les sanctuaires de la Gaule, 1970, 109 p. 106. Liou B., Praetores Etruriae XV populorum. Étude d’épigraphie, 1969, 118 p. + 16 pl. 107. Van den Bruwaene M., Cicéron: De Natura Deorum. Livre I, 1970, 191 p. 111. Mansuelli G.A., Urbanistica e architettura della Cisalpina romana fino al III sec. e.n., 1971, 228 p. + 105 pl. 113. Thevenot E., Le Beaunois gallo-romain, 1971, 292 p. 114. Hommages à Marie Delcourt, 1970, 454 p. + 17 pl. 115. Meslin M., La fête des kalendes de janvier dans l’empire romain. Étude d’un rituel de Nouvel An, 1970, 138 p. 117. Dulière W.L., La haute terminologie de la rédaction johannique. Les vocables qu’elle a introduits chez les Gréco-Romains: Le Logos-Verbe, le Paraclet-Esprit-Saint et le Messias-Messie, 1970, 83 p.

30 € 30 € 30 € 30 € 30 € 30 € 30 € 30 € 30 € 30 € 30 € 30 € 30 € 30 € 50 € 30 € 30 € 30 € 50 € 75 € 78 € 30 € 30 € 30 € 30 € 40 € 40 € 50 € 30 € 30 €

118. Bardon H., Propositions sur Catulle, 1970, 160 p. 119. Righini V., Lineamenti di storia economica della Gallia Cisalpina. La produttività fittile in età repubblicana, 1970, 102 p. 120. Green R.P.H., The Poetry of Paulinus of Nola. A Study of his Latinity, 1971, 148 p. 122. Fitz J., Les Syriens à Intercisa, 1972, 264 p. 123. Stoian L., Études Histriennes, 1972, 176 p. 124. Jully J.J., La céramique attique de La Monédière, Bessan, Hérault. Ancienne collection J. Coulouma, Béziers, 1973, 362 p. 125. De Ley H., Macrobius and Numenius. A Study of Macrobius, In Somn., I, c. 12, 1972, 76 p. 126. Tordeur P., Concordance de Paulin de Pella, 1973, 122 p. 128. Mortureux B., Recherches sur le “De clementia” de Sénèque. Vocabulaire et composition, 1973, 88 p. 129. Broise P., Genève et son territoire dans l’Antiquité. De la conquête romaine à l’occupation burgonde, 1974, 370 p. 131. Piganiol A., Scripta Varia I – Généralités. Éditées par R. Bloch, A. Chas­ tagnol, R. Chevalier et M. Renard, 1973, 564 p. 132. Piganiol A., Scripta Varia II – Les origines de Rome et la République. Éditées par R. Bloch, A. Chastagnol, R. Chevalier et M. Renard, 1973, 384 p. 133. Piganiol A., Scripta Varia III – L’Empire. Éditées par R. Bloch, A. Chastagnol, R. Chevalier et M. Renard, 1973, 388 p. 134. Amit M., Great and Small Poleis. A Study in the Relations between the Great Powers and the Small Cities in Ancient Greece, 1973, 194 p. 136. Hierche H., Les Épodes d’Horace. Art et signification, 1974, 212 p. 138. Gramatopol M., Les pierres gravées du Cabinet numismatique de l’Académie Roumaine, 1974, 131 p. 139. Hus A., Les bronzes étrusques, 1975, 164 p. 140. Priuli S., Ascyltus. Note di onomastica petroniana, 1975, 67 p. 143. Sauvage A., Étude de thèmes animaliers dans la poésie latine. Le cheval – les oiseaux, 1975, 293 p. 144. Defosse P., Bibliographie étrusque. Tome II (1927-1950), 1967, 345 p. 145. Cambier G. (ed.), Hommages à André Boutemy, 1976, 452 p. 146. Hus A., Les siècles d’or de l’histoire étrusque (675-475 avant J.-C.), 1976, 288 p. 147. Cody J.V., Horace and Callimachean Aesthetics, 1976, 130 p. 148. Fitz J., La Pannonie sous Gallien, 1976, 88 p. 150. Desmouliez A., Cicéron et son goût. Essai sur une définition d’une esthé­tique romaine à la fin de la République, 1976, 937 p., ISBN: 978-2-87031-000-7 154. Van den Bruwaene M., Cicéron: De Natura Deorum. Livre II, 1978, 224 p., ISBN: 978-2-87031-004-5 158. Cambier G., Deroux C., Préaux J. (eds), Lettres latines du Moyen Âge et de la Renaissance, 1978, 249 p., ISBN: 978-2-87031-008-3 160. Le bucchero nero étrusque et sa diffusion en Gaule Méridionale. Actes de la Table-Ronde d’Aix-en-Provence (21-23 mai 1975), 1979, 170 p. 161. Develin R., Patterns in Office-Holding, 366-49 B.C., 1979, 109 p., ISBN: 978-2-87031-101-1 162. Olmsted G.S., The Gundestrup Cauldron. Its Archaeological Context, the Style and Iconography of its Portrayed Motifs, and their Narration of a Gaulish Version of Táin Bó Cúailnge, 1979, 306 p., ISBN: 978-2-87031102-8

30 € 30 € 30 € 40 € 30 € 50 € 30 € 30 € 30 € 50 € 57 € 50 € 50 € 30 € 40 € 30 € 30 € 30 € 40 € 50 € 50 € 40 € 30 € 30 € 63 € 40 € 40 € 30 € 30 €

50 €

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30 € 55 € 30 € 30 € 53 € 30 € 30 € 30 € 40 € 40 € 40 € 40 € 122 € 50 € 30 € 60 € 40 € 50 € 51 € 50 € 40 € 30 € 65 € 30 € 51 €

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68 € 64 € 40 € 68 € 100 € 68 € 30 € 30 €

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62 € 50 € 30 € 71 € 57 € 42 € 60 € 80 € 54 € 41 € 40 € 30 € 89 € 40 € 57 € 40 € 30 € 71 € 80 € 63 € 50 €

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