Dieu éducateur: Une novelle approche d'un concept de la thologie biblique entre Bible Hbraque, Septante e littrature grecque classique (Forschungen Zum Alten Testament 2.Reihe) (French Edition) 9783161532382, 9783161535505, 3161532384

Depuis les études de Bertram, on pense que l'utilisation de (paideuó) dans la Septante témoigne d'un changemen

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Sommaire
Abréviations
Première partie: Introduction
Chapitre premier: Problématique
Chapitre deux: Dieu éducateur chez Bertram et Kraus
1. La thèse de Bertram et ses présupposés antisémites
2. Kraus et le rapport entre Ancien et Nouveau Testament
3. Le repositionnement de Kraus
4. Synthèse
Chapitre trois: Dieu éducateur dans l’exégèse moderne
1. Dans le Texte Massorétique
a. Jentsch
b. Sanders
c. Ogushi
d. Schawe
e. Delkurt
f. Finsterbusch
g. Betz
h. Widder
2. Dans la Septante
a. La critique scientifique de la thèse de Bertram
b. L’évolution de la thèse de Bertram
3. Synthèse
Chapitre quatre: Mise en place méthodologique
1. Validité d’une théologie de la Septante
2. Validité d’une méthode lexicale
3. Définition du corpus
4. Plan
Deuxième partie: L’hébreu classique
Chapitre premier: La difficile définition de la racine יסר
Chapitre deux: Étymologie et influences externes
1. L’étymologie
a. La difficulté à déterminer de la racine sémitique de יסר
b. L’akkadien
c. L’arabe
d. Le corpus ougaritique
e. L’inscription de Deir ʽAlla
f. Le corpus araméen ancien
2. La question de l’influence égyptienne
a. Présentation du problème
b. La potentielle violence inhérente au lemme sbȝ
c. La question de la correspondance entre sbȝ et יסר
Chapitre trois: Les occurrences de la racine יסר dans le Texte Massorétique
1. Les occurrences controversées
a. Le potentiel sens II de יָסַר
b. Chez le prophète Osée
c. Les possibles confusions avec סוּר (Is 8,11 ; Job 40,2)
d. La fonction du chef des Lévites en 1 Ch 15,22
e. Le substantif מוּסָר
f. Synthèse
2. Le verbe
a. Le qal
b. Le niphal
c. Le nitpael
d. Le piel
e. La rection
3. Le substantif
a. La formation
b. L’usage
c. Les collocations
4. Le champ sémantique
a. Les sujets et les objets
b. Les parallèles synonymes, antithétiques et synthétiques
5. Attestation de la racine dans d’autre corpus hébraïques
a. Le Siracide
b. Qumran
c. L’hébreu rabbinique
Chapitre quatre: Étude des passages relatifs à Dieu dans l’ordre du Texte Massorétique
1. La Torah
a. Le Lévitique
b. Le Deutéronome
2. Les Prophètes
a. Isaïe
b. Jérémie
c. Ézéchiel
d. Osée
e. Sophonie
3. Les autres écrits
a. Les Psaumes
b. Job
c. Les Proverbes
Chapitre cinq : Synthèse de l’utilisation de la racine יסר dans le texte massorétique
Troisième partie: La littérature grecque non judéochrétienne
Chapitre premier: Lexicographie
1. Problématique
2. Étymologie
3. Usages du verbe παιδεύω
a. Description générale de la conjugaison
b. La rection
c. Les composés
d. Les synonymes et parallèles
4. Usages du substantif παιδεία et des autres substantifs dérivés
a. La rection
b. Les collocations
c. Les composés
d. Les synonymes et parallèles
e. Les substantifs dérivés
Chapitre deux: Définition du champ sémantique
1. Nourrir
2. Éduquer
a. Passer sa jeunesse quelque part
b. Le modèle spartiate et perse
c. L’apparition du πεπαιδευμένος
d. Du πεπαιδευμένος athénien au gentleman hellénistique
3. Prendre consience et changer de caractère
4. L’apport des papyrus, ostraca et inscriptions
a. L’éducation paternelle
b. L’éducation étatique
c. Des nuances plus rares
5. Le rapport des mots de la famille de παιδεύω avec la violence
a. L’éducation coercitive grecque
b. L’éducation par la souffrance
c. L’image du dressage
d. La résistance à la coercition
e. La relation avec les mots de la famille de νουθετέω
f. La synonymie tardive avec punir
Chapitre trois : Étude de passages relatifs au divin
1. L’éducation du héros
2. L’apprentissage d’une technique
a. Les Muses
b. Hermès
3. L’éducation d’une Cité par son dieu tutélaire
a. Le Timée
b. Le Ménexène
c. Les Progymnasmata
4. L’éducation universelle
5. L’éducation comme conversion vers la Sagesse
a. L’Allégorie de la Caverne
b. Le Tableau du pseudo-Cébès
c. Le quatrième discours de Dion Chrysostome
d. Véritable et fausse παιδεία
6. Le reproche divin
a. Le reproche exprimé avec κολάζω
b. Le reproche exprimé avec νουθετέω
c. Le reproche exprimé avec παιδεύω
Chapitre quatre : Synthèse de l’utilisation de παιδεία et παιδεύω dans la littérature grecque non judéo-chrétienne
Quatrième partie: La Septante
Chapitre premier: Problématique
Chapitre deux: Étude de l’équivalence lexicale entre la racine יסר et les mots de la famille de παιδεύω
1. Les passages sans correspondance
2. Les passages où יסר ne correspond pas à un mot de la famille de παιδεύω
a. L’autre narration du schisme du royaume du Nord
b. L’originalité du traducteur du livre des Proverbes
c. L’autre choix du Vieux Grec du livre de Job
3. Les passages correspondant au verbe παιδεύω
a. Les conjugaisons
b. La rection
4. Les passages correspondant aux substantifs παιδεία et παιδευτής et l’adjectif ἀπαίδευτος
a. Les emplois
b. Les collocations
5. Analyse sémantique
a. Les sujets et les objets
b. Les parallèles
Chapitre trois: Impact de l’équivalence lexicale sur les passages relatifs à Dieu
1. Le Pentateuque
a. Le Lévitique
b. Le Deutéronome
2. Les Hagiographes
a. Les Psaumes
b. Les Proverbes
c. Job
3. Les Prophètes
a. Osée
b. Sophonie
c. Isaïe
d. Jérémie
Chapitre quatre: Étude des passages où un mot de la famille de παιδεύω ne correspond pas à יסר
1. Les passages controversés
a. Premier livre des Règnes 26,10
b. Psaume 89[90],12
c. Habacuc 3,5
d. Trois passages du livre des Proverbes
e. Isaïe 50,4
2. Les passages montrant un sens conforme à la racine יסר
a. La correction divine dans la Septante des Psaumes
b. Joseph et les princes (Ps 104[105],22)
c. La division du royaume (2 Par [2 Ch] 10,11)
d. La punition établie par Esdras (2 Esd 7,26)
e. Le bâton-châtiment (Job 37,13)
f. L’action de grâce de David (2 R[2 S] 22,48)
g. « Qui aime bien châtie bien » (Proverbes 3,11–12)
3. Les passages οù le prophète annonce la παιδεία divine
a. Amos 3,7
b. Habacuc 1,12
c. Ézéchiel 13,9
d. Isaïe 50,4–5
4. Les passages montrant une influence de la pensée hellénistique
a. Questions de critères
b. Quelques cas dans la Septante des Proverbes
c. Étude des termes ἀπαιδευσία et ἀπαίδευτος
d. Daniel, le πεπαιδευμένος
e. Esther élevée par Mardochée
f. Dieu, la Mère nourricière
Chapitre cinq: Synthèse de l’étude de la Septante
Cinquième partie: Conclusion
Chapitre unique : Esquisse d’une théologie de l’éducation divine dans la Septante et de ses conséquences
1. L’équivalence lexicale
2. Enquête sur les différences lexicales
a. Maintien d’une signification proche de la racine סר
b. Cas de d’éloignement du champ lexical de la racine יסר
3. Conséquence sur la théologie biblique
4. Hypothèses sur des questions ouvertes de la Septante
a. La possible antériorité de la traduction du Deutéronome sur celle du Lévitique
b. La détermination du milieu producteur de la Septante
5. Développements ultérieurs
Bibliographie
Index des sources anciennes
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Dieu éducateur: Une novelle approche d'un concept de la thologie biblique entre Bible Hbraque, Septante e littrature grecque classique (Forschungen Zum Alten Testament 2.Reihe) (French Edition)
 9783161532382, 9783161535505, 3161532384

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Forschungen zum Alten Testament 2. Reihe Herausgegeben von Konrad Schmid (Zürich) · Mark S. Smith (New York) Hermann Spieckermann (Göttingen)

77

Patrick Pouchelle

Dieu éducateur Une nouvelle approche d’un concept de la théologie biblique entre Bible Hébraïque, Septante et littérature grecque classique

Mohr Siebeck

Patrick Pouchelle, né en 1973; a étudié la théologie et l’exégèse à l’Université de Strasbourg; 2009 MA; 2013 PhD; il est actuellement maître assistant d’Ancien Testament au Centre Sèvres à Paris.

e-ISBN PDF 978-3-16-153550-5 ISBN 978-3-16-153238-2 ISSN 1611-4914 (Forschungen zum Alten Testament, 2. Reihe) Die Deutsche Nationalbibliothek verzeichnet diese Publikation in der Deutschen Nationalbibliographie; detaillierte bibliographische Daten sind im Internet über http://dnb.dnb.de abrufbar.

© 2015 by Mohr Siebeck, Tübingen. www.mohr.de Das Werk einschließlich aller seiner Teile ist urheberrechtlich geschützt. Jede Verwertung außerhalb der engen Grenzen des Urheberrechtsgesetzes ist ohne Zustimmung des Verlags unzulässig und strafbar. Das gilt insbesondere für Vervielfältigungen, Übersetzungen, Mikroverfilmungen und die Einspeicherung und Verarbeitung in elektronischen Systemen. Das Buch wurde von Laupp & Göbel in Nehren auf alterungsbeständiges Werkdruckpapier gedruckt und von der Buchbinderei Nädele in Nehren gebunden.

Le soutien de tous ceux qui m’ont accompagné dans l’écriture de ce livre reste gravé dans ma mémoire.

Je les remercie infiniment.

Sommaire Première partie: Introduction Chapitre premier : Problématique .................................................. 3 Chapitre deux : Dieu éducateur chez Bertram et Kraus ................. 6 1. La thèse de Bertram et ses présupposés antisémites ......................... 6 2. Kraus et le rapport entre Ancien et Nouveau Testament ................. 10 3. Le repositionnement de Kraus ....................................................... 13 4. Synthèse ........................................................................................ 15

Chapitre trois : Dieu éducateur dans l’exégèse moderne ............. 17 1. Dans le Texte Massorétique ........................................................... 17 a. Jentsch ..................................................................................... 17 b. Sanders .................................................................................... 18 c. Ogushi...................................................................................... 19 d. Schawe..................................................................................... 20 e. Delkurt ..................................................................................... 20 f. Finsterbusch ............................................................................. 21 g. Betz.......................................................................................... 23 h. Widder ..................................................................................... 23 2. Dans la Septante ............................................................................ 24 a. La critique scientifique de la thèse de Bertram ......................... 24 b. L’évolution de la thèse de Bertram ........................................... 27 3. Synthèse ........................................................................................ 29

Chapitre quatre : Mise en place méthodologique......................... 33 1. Validité d’une théologie de la Septante .......................................... 33 2. Validité d’une méthode lexicale..................................................... 39 3. Définition du corpus ...................................................................... 44 4. Plan ............................................................................................... 46

VIII

Sommaire

Deuxième partie: L’hébreu classique Chapitre premier : La difficile définition de la racine ‫ יסר‬............ 49 Chapitre deux : Étymologie et influences externes ....................... 53 1. L’étymologie ................................................................................. 54 a. La difficulté à déterminer de la racine sémitique de ‫ יסר‬........... 54 b. L’akkadien ............................................................................... 56 c. L’arabe .................................................................................... 59 d. Le corpus ougaritique .............................................................. 59 e. L’inscription de Deir ʽAlla ....................................................... 62 f. Le corpus araméen ancien ........................................................ 64 2. La question de l’influence égyptienne............................................ 68 a. Présentation du problème ........................................................ 68 b. La potentielle violence inhérente au lemme sbȝ ........................ 71 c. La question de la correspondance entre sbȝ et ‫ יסר‬.................... 75

Chapitre trois : Les occurrences de la racine ‫ יסר‬dans le Texte Massorétique ................................................................................. 78 1. Les occurrences controversées ....................................................... 78 a. Le potentiel sens II de ‫ י ָסַר‬......................................................... 78 b. Chez le prophète Osée.............................................................. 80 c. Les possibles confusions avec ‫( סוּר‬Is 8,11 ; Job 40,2)............... 82 d. La fonction du chef des Lévites en 1 Ch 15,22 .......................... 86 e. Le substantif ‫ מוּסָר‬..................................................................... 87 f. Synthèse.................................................................................... 90 2. Le verbe ........................................................................................ 90 a. Le qal ....................................................................................... 90 b. Le niphal .................................................................................. 91 c. Le nitpael ................................................................................. 92 d. Le piel ...................................................................................... 92 e. La rection ................................................................................. 94 3. Le substantif .................................................................................. 96 a. La formation ............................................................................ 96 b. L’usage .................................................................................... 97 c. Les collocations ....................................................................... 98 4. Le champ sémantique .................................................................. 100 a. Les sujets et les objets ............................................................ 100 b. Les parallèles synonymes, antithétiques et synthétiques ......... 103

Sommaire

IX

5. Attestation de la racine dans d’autre corpus hébraïques ............... 108 a. Le Siracide............................................................................. 108 b. Qumran.................................................................................. 113 c. L’hébreu rabbinique............................................................... 114

Chapitre quatre : Étude des passages relatifs à Dieu dans l’ordre du Texte Massorétique ..................................................... 115 1. La Torah ...................................................................................... 116 a. Le Lévitique ........................................................................... 116 b. Le Deutéronome..................................................................... 117 2. Les Prophètes .............................................................................. 120 a. Isaïe ....................................................................................... 120 b. Jérémie .................................................................................. 122 c. Ézéchiel.................................................................................. 125 d. Osée....................................................................................... 126 e. Sophonie ................................................................................ 126 3. Les autres écrits ........................................................................... 128 a. Les Psaumes........................................................................... 128 b. Job ......................................................................................... 132 c. Les Proverbes ......................................................................... 135

Chapitre cinq : Synthèse de l’utilisation de la racine ‫ יסר‬dans le texte massorétique .................................................................... 138

X

Sommaire

Troisième partie : La littérature grecque non judéochrétienne Chapitre premier : Lexicographie ................................................ 145 1. Problématique ............................................................................. 145 2. Étymologie .................................................................................. 149 3. Usages du verbe παιδεύω............................................................. 149 a. Description générale de la conjugaison ................................. 149 b. La rection .............................................................................. 150 c. Les composés ......................................................................... 152 d. Les synonymes et parallèles ................................................... 153 4. Usages du substantif παιδεία et des autres substantifs dérivés ...... 155 a. La rection .............................................................................. 155 b. Les collocations ..................................................................... 155 c. Les composés ......................................................................... 156 d. Les synonymes et parallèles ................................................... 157 e. Les substantifs dérivés............................................................ 161

Chapitre deux : Définition du champ sémantique ........................ 163 1. Nourrir ........................................................................................ 163 2. Éduquer ....................................................................................... 164 a. Passer sa jeunesse quelque part ............................................. 164 b. Le modèle spartiate et perse................................................... 165 c. L’apparition du πεπαιδευμένος ............................................... 168 d. Du πεπαιδευμένος athénien au gentleman hellénistique .......... 173 3. Prendre consience et changer de caractère ................................... 176 4. L’apport des papyrus, ostraca et inscriptions ............................... 182 a. L’éducation paternelle ........................................................... 182 b. L’éducation étatique .............................................................. 182 c. Des nuances plus rares........................................................... 186 5. Le rapport des mots de la famille de παιδεύω avec la violence..... 188 a. L’éducation coercitive grecque .............................................. 188 b. L’éducation par la souffrance ................................................ 192 c. L’image du dressage .............................................................. 193 d. La résistance à la coercition .................................................. 196 e. La relation avec les mots de la famille de νουθετέω................ 197 f. La synonymie tardive avec punir ............................................. 200

Sommaire

XI

Chapitre trois : Étude de passages relatifs au divin ..................... 202 1. L’éducation du héros ................................................................... 202 2. L’apprentissage d’une technique.................................................. 205 a. Les Muses .............................................................................. 205 b. Hermès................................................................................... 206 3. L’éducation d’une Cité par son dieu tutélaire............................... 208 a. Le Timée ................................................................................ 208 b. Le Ménexène .......................................................................... 209 c. Les Progymnasmata ............................................................... 210 4. L’éducation universelle ............................................................... 211 5. L’éducation comme conversion vers la Sagesse ........................... 213 a. L’Allégorie de la Caverne ...................................................... 213 b. Le Tableau du pseudo-Cébès.................................................. 214 c. Le quatrième discours de Dion Chrysostome .......................... 217 d. Véritable et fausse παιδεία ..................................................... 218 6. Le reproche divin ........................................................................ 219 a. Le reproche exprimé avec κολάζω .......................................... 219 b. Le reproche exprimé avec νουθετέω ....................................... 219 c. Le reproche exprimé avec παιδεύω ......................................... 220

Chapitre quatre : Synthèse de l’utilisation de παιδεία et παιδεύω dans la littérature grecque non judéo-chrétienne ........... 223

XII

Sommaire

Quatrième partie : La Septante Chapitre premier : Problématique ................................................ 229 Chapitre deux : Étude de l’équivalence lexicale entre la racine ‫ יסר‬et les mots de la famille de παιδεύω............................ 234 1. Les passages sans correspondance ............................................... 234 2. Les passages où ‫ יסר‬ne correspond pas à un mot de la famille de παιδεύω ........................................................................................... 235 a. L’autre narration du schisme du royaume du Nord ................ 235 b. L’originalité du traducteur du livre des Proverbes ................. 237 c. L’autre choix du Vieux Grec du livre de Job........................... 240 3. Les passages correspondant au verbe παιδεύω ............................. 243 a. Les conjugaisons .................................................................... 243 b. La rection .............................................................................. 244 4. Les passages correspondant aux substantifs παιδεία et παιδευτής et l’adjectif ἀπαίδευτος ....................................................................... 244 a. Les emplois ............................................................................ 244 b. Les collocations ..................................................................... 246 5. Analyse sémantique ..................................................................... 247 a. Les sujets et les objets ............................................................ 247 b. Les parallèles......................................................................... 247

Chapitre trois : Impact de l’équivalence lexicale sur les passages relatifs à Dieu ................................................................ 250 1. Le Pentateuque ............................................................................ 250 a. Le Lévitique ........................................................................... 250 b. Le Deutéronome..................................................................... 255 2. Les hagiographes ......................................................................... 259 a. Les Psaumes........................................................................... 259 b. Les Proverbes ........................................................................ 262 c. Job ......................................................................................... 264 3. Les prophètes .............................................................................. 265 a. Osée....................................................................................... 265 b. Sophonie ................................................................................ 269 c. Isaïe ....................................................................................... 270 d. Jérémie .................................................................................. 274

Sommaire

XIII

Chapitre quatre : Étude des passages où un mot de la famille de παιδεύω ne correspond pas à ‫ יסר‬............................................. 278 1. Les passages controversés ........................................................... 278 a. Premier livre des Règnes 26,10 .............................................. 278 b. Psaume 89[90],12 .................................................................. 279 c. Habacuc 3,5 ........................................................................... 281 d. Trois passages du livre des Proverbes.................................... 283 e. Isaïe 50,4 ............................................................................... 283 2. Les passages montrant un sens conforme à la racine ‫ יסר‬.............. 284 a. La correction divine dans la Septante des Psaumes ................ 284 b. Joseph et les princes (Ps 104[105],22)................................... 290 c. La division du royaume (2 Par [2 Ch] 10,11) ......................... 290 d. La punition établie par Esdras (2 Esd 7,26) ........................... 291 e. Le bâton-châtiment (Job 37,13) .............................................. 293 f. L’action de grâce de David (2 R[2 S] 22,48)........................... 293 g. « Qui aime bien châtie bien » (Proverbes 3,11–12) ................ 294 3. Les passages οù le prophète annonce la παιδεία divine ............... 296 a. Amos 3,7 ................................................................................ 297 b. Habacuc 1,12 ......................................................................... 298 c. Ézéchiel 13,9 .......................................................................... 300 d. Isaïe 50,4–5 ........................................................................... 302 4. Les passages montrant une influence de la pensée hellénistique ... 303 a. Questions de critères.............................................................. 303 b. Quelques cas dans la Septante des Proverbes......................... 304 c. Étude des termes ἀπαιδευσία et ἀπαίδευτος............................. 308 d. Daniel, le πεπαιδευμένος ........................................................ 312 e. Esther élevée par Mardochée ................................................. 314 f. Dieu, la Mère nourricière ....................................................... 316

Chapitre cinq : Synthèse de l’étude de la Septante ...................... 321

XIV

Sommaire

Cinquième partie : Conclusion Chapitre unique : Esquisse d’une théologie de l’éducation divine dans la Septante et de ses conséquences ........................... 327 1. L’équivalence lexicale ................................................................. 327 2. Enquête sur les différences lexicales ............................................ 332 a. Maintien d’une signification proche de la racine ‫יסר‬.............. 332 b. Cas de d’éloignement du champ lexical de la racine ‫יסר‬......... 333 3. Conséquence sur la théologie biblique ......................................... 334 4. Hypothèses sur des questions ouvertes de la Septante .................. 335 a. La possible antériorité de la traduction du Deutéronome sur celle du Lévitique ................................................................. 335 b. La détermination du milieu producteur de la Septante ........... 337 5. Développements ultérieurs .......................................................... 338

Bibliographie ................................................................................ 341 Index des sources anciennes......................................................... 365

Abréviations Les abréviations des livres bibliques sont celles de la BJ. Pour les livres de la Septante ayant un nom different dans le TM, les abréviations sont celles de la série « La Bible d’Alexandrie ». Les abréviations des papyrus grecs suivent J.F. OATES, R.S. BAGNALL, S.J. CLACKSON, et al., Checklist of Greek, Latin, Demotic and Coptic Papyri, Ostraca and Tablets, (http://scriptorium.lib.duke.edu/papyrus/texts/clist.html, consulté en octobre 2014). Les abréviations des inscriptions grecques suivent G.H.R. HORSLEY et J.A.L. LEE, « A Preliminary Checklist of Abbreviations of Greek Epigraphic Volumes », Epigraphica 56 (1994), 129–169. Les abréviations de sources égyptiennes non listées ci-dessous peuvent se retrouver dans LateEgyptian Miscellanies (édité par A.H. Gardiner, Bibliotheca Ægyptiaca 7, Bruxelles : fondation égyptologique reine Élisabeth, 1937). Les abréviations des auteurs grecs et latins sont données dans l’index de ce livre. Le reste des abréviations non listées dans la liste ci-dessous suivent The SBL Handbook of Style For Ancient Near Eastern, Biblical, and Early Christian Studies (Édité par P.H. Alexander, J.F. Kutsko, J.D. Ernest et al., Peabody, Mass. : Hendrickson, 1999), 68–152. ÄAT Ann. Serv. Anth. Gr. APACRS ASAWL ASOR AUU ÄW 1

AYB BA BASORS BBB BBSH

BDR

BDS

BE

Ägypten und Altes Testament Annales du Service des antiquités de l'Égypte Anthologia Graeca. Édité par H. Beckby. 4 volumes. 2ème édition. Munich : Heimeran, 1965–1968 American Philological Association, Classical Resources Series Abhandlungen der sächsischen Akademie der Wissenschaft zu Leipzig American Schools of Oriental Research Acta Universitatis Upsaliensis, Studia Graeca Upsialiensia Ägyptisches Wörterbuch. Volume 1 Altes Reich und Erste Zwischenzeit de. Édité par R. Hannig. Kulturgeschichte der Antiken Welt 98. Mayence : von Zabern, 2003 Anchor Yale Bible La Bible d’Alexandrie Bulletin of the American Schools of Oriental Research: Supplement Series Bonner Biblische Beiträge The Book of Ben Sira in Hebrew: a text edition of all extant Hebrew manuscripts and a synopsis of all parallel Hebrew Ben Sira texts. Édité par P.C. Beentjes. Leyde : Brill, 1997 F. BLASS et A. DEBRUNNER. Grammatik des neutestamentlichen Griechisch. Édité par F. Rehkopf. 18e edition. Göttinger Theologische Lehrbücher. Göttingen : Vandenhoeck & Ruprecht, 2001 Pentateuco. Volume 1 de La Bibbia dei Settanta. Édité par P. Sacchi en collaboration avec L. Mazzinghi. Antico e Nuovo Testamento 14. Rome : Morceliana 2012 Bulletin Épigraphique

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DGB

DGE DJBA DJPA DMOA DRS

Abréviations Bibliothèque des écoles françaises d’Athènes et de Rome El Pentateuco. volume 1 de La Biblia Griega Septuaginta. Édité par N. Fernández Marcos, M.V. Spottorno Díaz-Caro. Biblioteca de Estudios Bíblicos 125. Salamanque : Ediciones Sígueme, 2008 Biblia Hebraica. Quinta editione. Édité par A. Schenker, Y.A.P. Goldman et al. Stuttgart : Deutsche Bibelgesellschaft, 2004– La Bible de Jérusalem. Traduite en français sous la direction de l’École Biblique de Jérusalem. Paris : Cerf, 2003 H. BAUER et P. LEANDER. Historische Grammatik der Hebräischen Sprache des Alten Testamentes. Halle : Max Niemeyer, 1922 The Biblical Qumran Scrolls. Transcriptions and Textual Variants. Édité par E. Ulrich. Supplements to Vetus Testamentum 134. Leyde : Brill, 2010 Bibliotheca Sacra Biblisch-Theologische Studien Biblisch-theologisches Wörterbuch des neutestamentlichen Griechisch. Édité par H. Cremer. 11e edition. Édité par J. Kögel. Gotha : Leopold Klotz, 1923 Beiträge zur Wissenschaft vom Alten und Neuen Testament Beiträge zur Altertumskunde Chroniques d’Égypte Classical Review Carsten Niebuhr Institute of Ancient Near Eastern Studies A Compendious Syriac Dictionnary founded upon the Thesaurus Syriacus of R. Payne Smith, D.D. Édité par J. Payne Smith (Margoliouth). Oxford : Clarendon Press, 1903 Barthélémy, D. Critique Textuelle de l’Ancien Testament. 4 volumes. Orbis biblicus et orientalis 50. Göttingen: Vandenhoeck & Ruprecht, 1982–2005 Aramäisch-Neuhebräisches Handwörterbuch zu Targum, Talmud und Midrasch. Édité par G.H. Dalman. Göttingen : Vandenhoeck & Ruprecht, 1938 Dictionary of Classical Hebrew. Édité par D.J.A. Clines. 8 volumes. Sheffield, Sheffield Academic, 1993–2011 Dictionnaire étymologique de la langue grecque. Histoire des mots. Édité par P. Chantraine, achevé par J. Taillardat, O. Masson et J.-L. Perpillou avec, en supplément, les Chroniques d’étymologie grecque (1–10) rassemblées par A. Blanc, C. de Lamberterie et J.-L. Perpillou. Nouvelle édition 2009. Paris : Klincksieck, 2009 Diccionario del griego bíblico. Setenta y Nuevo Testamento. Édité par A.Á. García Santos. Instrumentos para el studio de la Biblia 21. Estella : Verbo Divino, 2011 Diccionario griego-español. Édité par F. Rodríguez Adrados. 7 volumes parus, Madrid : Consejo Superior de Investigationes Científicas, 1980– A Dictionary of Jewish Babylonian Aramaic of the Talmudic and Geonic Periods. Édité par M. Sokoloff. Ramat Gan: Bar-Ilan University, 2002 A Dictionary of Jewish Palestinian Aramaic of the Byzantine Period. Édité par M. Sokoloff. Ramat Gan: Bar-Ilan University, 1990 Documenta et Monumenta Orientis Antiqui Dictionnaire des racines sémitiques ou attestées dans les langues sémitiques. Édité par D. Cohen, F. Bron et A. Lonnet. 9 fascicules parus. Paris : Peeters, 1994–

Abréviations DSA

XVII

A Dictionnary of Samaritan Aramaic. Édité par A. Tal. 2 volumes. Handbook of Oriental Studies 50/1. Leyde : Brill, 2000 DULAT A Dictionary of the Ugaritic Language in the Alphabetic Tradition. Édité par G. Del Olmo Lete et J. Sanmartín. 2 volumes. Handbook of Oriental Studies 67/1. Leyde : Brill, 2003 EDBH Etymological Dictionnary of Biblical Hebrew, Based on the Commentaries of Samson Raphael Hirsch. Édité par M. Clark. Jérusalem : Feildheim, 1999 EG Egyptian Grammar. Being an Introduction to the Study of Hieroglyphs. Édité par A. Gardiner. 3ème édition révisée. Oxford: Griffith Institute, 1982 Epist. Gr. Epistolographi Graeci. Édité par R. Hercher. Paris : Didot, 1873 EPROER Études préliminaires aux religions orientales dans l’empire romain EvTh Evangelische Theologie Field Origenis Hexaplorum quae supersunt sive veterum interpretum graecorum in totum Vetus Testamentum fragmenta. Édité par F. Field. 2 volumes. Oxford : Clarendon Press, 1875 FPG Fragmenta Philosophorum Graecorum. Édité par F.W.A. Mullach, 3 volumes. Paris : Firmin Didot, 1867–1883 FragVor Die Fragmente der Vorsokratiker. Édité par H. Diels et W. Kranz. 3 volumes. 6ème édition améliorée. Berlin: Weidmann, 1951 Gesenius Wilhelm Gesenius’ Hebräisches und Aramäisches Handwörterbuch über das Alte Testament. Édité par H. Donner. 18ème édition. Berlin : Springler, 1995– GGA Göttingische Gelehrte Anzeigen GI Vocabolario della lingua greca. Édité par F. Montanari. 2ème édition. Turin : Loescher, 2004 Gnom. Vat. Gnomologium Vaticanum : E codice Vaticano graeco 743. Édité par L. Sternbach. Berlin: de Gruyter, 1887 Gö Septuaginta. Vetus Testamentum Graecum Auctoritate Academiae Scientiarum Gottingensis editum. Göttingen: Vandenhoeck & Ruprecht, 1931– GRRS Graeco-Roman Religion Series GSH A Grammar of Samaritan Hebrew. Based on the Recitation of the Law in Comparison with the Tiberian and Other Jewish Traditions. Édité par Z. BenḤayyim avec l’assistance d’A. Tal. Jérusalem : Magnes Press, 2000 GTRI Greek Terms for Roman Institutions. A Lexicon and Analysis. Édité par H.J. Mason. American Studies in Papyrology 13. Toronto : Hakkert, 1974 HAIS Hebrew/Aramaic Index to the Septuagint. Keyed to the Hatch-Redpath Concordance. Édité par T. Muraoka. Grand Rapids, Mich. : Baker Academic, 1998 HBIS History of Biblical Interpretation Series HCOT Historical Commentary on the Old Testament HdW Hieroglyphisch-demotisches Wörterbuch. Édité par H.K. Brugsch. Leipzig : Hinrichs, 1882 Hieratic Ostraca Hieratic Ostraca. Édité par J. Černý et A. Gardiner. Oxford : Griffith Institute, 1957 HThKAT Herders theologischer Kommentar zum Alten Testament HWPh Historisches Wörterbuch der Philosophie. Édité par J. Ritter, K. Gründer et G. Gabriel. 13 volumes. Bâle : Schwaben, 1971–2007 ICSS Illinois Classical Studies, Supplement IFAO Institut Français d’Archéologie Orientale

XVIII IGHTA

ISHCS JBS JBTh JPSC JQR JQRS JRA JSCS JSCS JSNTS JSOTS JSPS KHS KRI LBG LdÄ LEH LEM LSJ

LTNT

LXX.D

LXX.D.EK MIFAO MSL NA27

Nauck NBL

Abréviations Índice Griego-Hebreo del Texto Antioqueno en los libros históricos. Édité par N. Fernández Marcos, M.V. Spottorno Díaz-Caro et J.M. Cañas Reíllo. 2 volumes. Textos y estudios "Cardenal Cisneros". Madrid : Consejo Superior de Investigationes Científicas, 2005 Illinois Studies in the History of the Classical Scholarship Jerusalem Biblical Studies Jahrbuch für Biblische Theologie Jewish Publication Society Commentary Jewish Quarterly Review Jewish Quarterly Review Supplement Journal of Roman Archaeology Journal of Septuagint and Cognate Studies Journal of Septuagint and Cognate Studies Journal for the Study of the New Testament Supplement Journal for the Study of the Old Testament Supplement Series Journal for the Study of the Pseudepigrapha Supplement Konkordanz zum hebräischen Sirach. Édité par D. Barthélémy et O. Rickenbacher. Göttingen : Vandenhoeck & Ruprecht, 1973 Ramesside Inscriptions. Édité par K.A. Kitchen. 8 volumes. Oxford : B.H. Blackwell, 1975–1990 Lexikon zur Byzantinischen Gräzität. Vienne : Österreichischen Akademie der Wissenschaften, 2001– Lexikon der Ägyptologie. Édité par W. Helcket et W. Westendorf. 7 volumes. Wiesbaden, Harrasowitz, 1975–1992 Greek-English Lexicon of the Septuagint. Édité par J. Lust, E. Eynikel et K. Hauspie. Édition révisée. Stuttgart : Deutsche Bibelgesellschaft, 2003 Late-Egyptian Miscellanies. Édité par A.H. Gardiner. Bibliotheca Ægyptiaca 7. Bruxelles : fondation égyptologique reine Élisabeth, 1937 A Greek-English Lexicon. Édité par H.G. Liddell et R. Scott. 9ème édition, révisée et augmentée sous la direction de H.R Jones avec l’assistance de R. McKenzie, réimprimé avec un supplément. Édité par P. G. W. Glare. Oxford : Clarendon Press, 1996 Lexique théologique du Nouveau Testament. Réédition en un volume des Notes de lexicographie néo-testamentaire. Édité par C. Spicq. Paris : Cerf, 1991 Septuaginta Deutsch : Das griechische Alte Testament in deutscher Übersetzung. Édité par W. Kraus et M. Karrer. Deuxième édition améliorée. Stuttgart : Deutsche Bibelgesellschaft, 2010 Septuaginta Deutsch : Erläuterungen und Kommentare. Édité par M. Karrer et W. Kraus. 2 volumes. Stuttgart : Deutsche Bibelgesellschaft, 2011 Mémoires de l’Institut Français d’Archéologie Orientale A Greek-English Lexicon of the Septuagint. Édité par T. Muraoka. Louvain : Peeters, 2009 Novum Testamentum Graece post Eberhard et Erwin Nestle. Édité par B. Aland, K. Aland et al. 27ème edition. 6ème impression. Stuttgart : Deutsche Bibelgesellschaft, 1999 Tragicorum Graecorum Fragmenta. Édité par A. Nauck. Leipzig : Teubner, 1889 Neues Bibel-Lexikon. Édité par M. Görg et B. Lang. 3 volumes. Zürich : Benziger, 1991–2001

Abréviations NBS

XIX

La Nouvelle Bible Segond. Édition d’étude. traduite en français sous la direction de l’Alliance Biblique Universelle. Paris : Gallimard, 1999–2002 NETS New English Translation of the Septuagint and The Other Greek Translations Traditionally Included Under That Title. Édité par A. Pietersma et B.G. Wright. Oxford : University Press, 2007 NIDOTTE New International Dictionary of Old Testament Theology and Exegesis. Édité par W. VanGemeren. 5 volumes. Grand Rapids, Mich. : Zondervan, 1997 NTT Nederlands Theologisch Tijdschrift OPA Œuvres de Philon d’Alexandrie Ostraca ieratici Ostraca ieratici. Édité par J. López. Volume 3 de Catalogo del Museo Egizio di Torino. Seria Seconda. Collezioni. 4 fascicules. Turin : La Golliardica, 1978–1984 Osty La Bible. traduit en français par É. Osty avec la collaboration de J. Trinquet. Paris : Seuil, 1973 OTT Old Testament Theology PAHAG The Parallel Aligned Hebrew-Aramaic and Greek Texts of Jewish Scriptures. Édité par E. Tov. Logos Bible Software Series X Scholar's Library. Bellingham : Logos, 2004 PCF Pindari carmina cum fragmentis. Édité par H. Maehler. 2 volumes. Volume 1: 5e édition, volume 2 : 4e édition. Leipzig : Teubner, 1971-1975. POC Proche-Orient chrétien PTHP The Pythagorean Texts of the Hellenistic Period. Édité par H. Thesleffn, Turko : Abo Akademi, 1965 PtolLexik A Ptolemaic lexikon. A lexicographical study of the texts in the temple of Edfu. Édité par P. Wilson. Orientalia lovaniensia analecta 78. Louvain : Peeters, 1997 Ra. Id est Vetus Testamentum graece iuxta LXX interpretes. Édité par A. Rahlfs. édition abrégée en un volume. Stuttgart : Deutsche Bibelgesellschaft, 2004 RBL Review of Biblical Literature RdE Revue d’Égyptologie RG Rhetores Graeci. Édité par L. Spengel. 3 volumes, Leipzig : Teubner, 1853– 1856 RQ Revue de Qumran SAPERE Scripta antiquitatis posterioris ad ethicam religionemque pertinentia SBLAB Society of Biblical Literature Academia Biblica Schleusner Novus thesaurus philologico-criticus sive Lexicon in LXX et reliquos interpretes Graecos ac scriptores apocryphos Veteris Testamenti. Édité par J.F. Schleusner. Leipzig: Weidmann, 1820–1822. 2nde édition. Glasgow (vol. 1–2) et Londres (vol. 3). 1822–1829. réimprimé Tournai : Brepols, 1994 Schol. Ar. Scholia in Aratum vetera. Édité par J. Martin. Stuttgart : Teubner, 1974 Schol. Od. Scholia Graeca in Homeri Odysseam. Édité par W. Dindorf. 2 volumes. Oxford: University Press, 1855 SCS Septuagint Commentary Series SEP Vernus, P. Sagesses de l’Égypte pharaonique. deuxième édition révisée et augmentée. Thesaurus, Arles : Actes Sud, 2010 SJSJ Supplements to the Journal for the Study of the Judaism SLG Supplementum Lyricis Graecis. Poetarum Lyricorum Graecorum fragmenta quae recens innotuerunt. Édité par D.L. Page. Oxford : Clarendon Press, 1974 SOK Studien zur Orientalischen Kirchengeschichte

XX SPIB SSL StPohl.D SVT Sw. Syll. TADAE

TGL

TM TOB TPAPA TrGF TT TTS TWAT TWQT TyBu UaLG Urk VT VTB VWGT WBG WBS

Abréviations Scripta pontificii instituti biblici Studies in Semitic Languages and Linguistics Studia Pohl, Dissertationes Scientificae de Rebus Orientis Antiqui Supplements to Vetus Testamentum The Old Testament in Greek According to the Septuagint. Édité par H.B. Swete. 3 volumes. Cambridge : University Press, 1897–1905 Ziegler, J. Sylloge. Gesammelte Aufsätze zur Septuaginta. Mitteilungen des Septuaginta-Unternehmens 10. Göttingen : Vandenhoeck & Ruprecht, 1971 Textbook of Aramaic Documents from Ancient Egypt. Édité par B. Porten et A. Yardeni. 4 volumes. Texts and Studies for Students. Winona Lake, Ind. : Eisenbrauns, 1986–1999 Thesaurus Graecae Linguae. Édité par H. Estienne. 5 volumes. Geneva: Henricus Stephanus, 1572. 3ème édition, révisée par K.B. Hase, W. Dindorf, et L. Dindorf. 8 volumes. Paris: Didot, 1831–1865. Réimpression en 9 volumes, Graz: Akademische Druck- und Verlagsanstalt, 1954 Texte Massorétique Traduction Œcuménique de la Bible. Paris : Cerf, 1988 Transactions and Proceedings of the American Philological Association Tragicorum Graecorum fragmenta. Édité par B. Snell, R. Kannicht et S. Radt. 5 volumes. Göttingen: Vandenhoeck & Ruprecht, 1971–2007 Texts and Translations Trierer Theologische Studien Theologisches Wörterbuch zum Alten Testament. Édité par G.J. Botterweck, H. Ringgren et H.-J Fabry. 10 volumes. Stuttgart : Kohlhammer, 1973–2000 Theologisches Wörterbuch zu den Qumrantexten. Édité par H.-J Fabry et U. Dahmen. 2 volumes parus. Stuttgart : Kohlhammer, 2011–2013 Tyndale Bulletin Untersuchungen zur antiken Literatur und Geschichte Urkunden der 18. Dynastie. éd. par K. Sethe. 4 volumes. 1er volume, 2ème édition améliorée. Leipzig : Hinrichs, 1906–1927 Vetus Testamentum Vocabulaire de Théologie Biblique. Édité par X. Léon-Dufour. 8ème édition. Paris : Cerf, 1995 Veröffentlichungen der Wissenschaftlichen Gesellschaft für Theologie Wissenschaftliche Buchgesellschaft Wiener Byzantinistische Studien

Première partie

Introduction

Chapitre premier

Problématique Deutéronome 8,5 est un verset qui a souvent été utilisé pour affirmer l’ancrage dans la bible du concept théologique du Dieu éducateur. Léon-Dufour1 s’appuie sur ce verset pour affirmer que : C’est par une lente maturation que le peuple élu atteindra sa stature définitive.

Selon cette théologie, Dieu éduque son peuple à travers les âges pour que ce dernier atteigne sa plénitude2. Est-il certain que Dt 8,5 puisse être utilisé pour confirmer une telle affirmation ? Selon la TOB, la réponse est affirmative : Et tu reconnais, à la réflexion, que le SEIGNEUR ton Dieu faisait ton éducation comme un homme fait celle de son fils (TOB).

L’expérience du peuple dans le désert est un temps de maturation et d’éducation. Or, si on suit la BJ, on entre dans une autre atmosphère : Comprends donc que Yahvé ton Dieu te corrigeait comme un père corrige son enfant (BJ).

Selon la BJ, durant le temps du désert, Dieu corrige son peuple qui a commis des fautes. La TOB met l’accent sur le processus éducatif dans sa globalité, tandis que la BJ s’intéresse à un moyen pédagogique particulier, la correction corporelle.

1

X. LEON-DUFOUR, « Éducation », VTB, 317. Dans les religions non abrahamiques, la notion de la divinité éducatrice, telle qu’elle peut être rapidement dressée par COLLESS, « Divine Education », Numen 17 (1970), 118–142 se groupe surtout en trois thèmes : (1) la divinité enseigne un art, une technique, un culte ou des mystères à un groupe de personnes, dans un passé mythique, (2) la divinité instruit un être historique au-dessus du commun des mortels, tel un roi, (3) la divinité instruit une personne réelle, mais de manière médiate, en tant que divinité tutélaire d’un corps de métiers (e.g. les scribes) ou d’un lieu de formation (e.g. Hermès pour les gymnases), la divinité est également éducatrice des personnes qui font partie du corps de métier ou qui fréquentent le lieu de formation. Le concept de Dieu éducateur présenté par COLLESS s’intéresse au résultat de l’éducation. Il n’est pas décrit que la divinité s’occupe en continu d’une personne ou d’un peuple dans les temps historiques. Cependant, la théologie chrétienne développe une telle théologie où la révélation de Dieu est décrite comme progressive et datable, faisant notamment référence à Jésus-Christ, voir p. 14. 2

4

Première partie : Introduction

Ces deux interprétations remontent à la polysémie de la racine ‫יסר‬, qu’on trouve deux fois dans ce passage : ‫ְוי ָדַ עְתָּ עִם־ ְל ָב ֶב כִּי ַכּ ֲאשֶׁר יְיַסֵּר ִאישׁ אֶת־בְּנוֹ י ְהוָה אֱ הֶי מְ יַסּ ְֶר ָךּ‬ Pour donner des équivalents anglais à la racine ‫יסר‬, HALOT propose « to instruct, to teach, to bring up » qui appartiennent au champ sémantique de l’éducation mais aussi « to chastise, to rebuke » qui appartiennent à celui de la coercition. TOB a choisi un mot appartenant au premier champ sémantique, la BJ au second. Cet exemple manifeste assez clairement le danger de ce que Barr appelait « illegitimate totality transfer3 » qui consiste à appliquer l’intégralité du champ sémantique d’un mot sur une de ses occurrences précises. La conséquence de cette démarche est que le sens qui est choisi dépend surtout des présupposés du traducteur et non du contexte d’où est tiré le verset. En particulier, la TOB aurait choisi le mot « éduquer » sous l’influence du concept de l’éducation divine, tandis que la BJ aurait choisi « corriger » en tenant compte du contexte qui indique que Dieu a humilié son peuple. Or, ici, le contexte est tout de même ambigu. Certes, Dieu humilie son peuple et lui fait avoir faim, mais il lui donne la manne et le préserve au sein du désert. Ce mélange de souffrance et de salut n’est-il pas le signe de l’éducation divine alors que la correction divine ne se manifesterait que par la souffrance ? Ainsi, par l’intermédiaire de Dt 8,5, l’enquête sur Dieu éducateur devient une enquête lexicographique : que signifient les phrases dans lesquelles la racine ‫ יסר‬met en relation Dieu et les hommes 4 ? L’état de la recherche montre 3

J. BARR, The Semantics of biblical language (Oxford : University Press, 1962), 218. Cela ne veut pas dire qu’il s’agit de la seule méthode possible. On pourrait étudier une approche non lexicale de l’éducation divine. En ce qui concerne cette dernière, cette approche n’est pas exempte de subjectivité : il faut d’abord la définir précisément. S.E. WITMER, Divine Instruction in Early Christianity (WUNT 2/246, Tübingen : Mohr Siebeck, 2008), 4–5) discute de ce point. Il est délicat dans un texte de faire la distinction entre un enseignement et une simple communication : comment comprendre le sens du verbe « dire » dans la phrase suivante, « le maître dit aux élèves que un plus un vaut deux » ? Quand il s’agit de l’éducation divine, le travail est encore plus difficile car Dieu n’enseigne pas dans une classe. Witmer critique alors Zenger (E. ZENGER « JHWH als Lehrer des Volkes und der Einzelnen im Psalter », Religiöses Lernen in der biblischen, frühjüdischen und frühchristlichen Überlieferung [éd. par B. Ego et H. Merkel, WUNT 180, Tübingen : Mohr Siebeck, 2005], 47–67) comme promoteur d’une méthode thématique non lexicale subjective. Étudiant Pss 50 ; 111 ; 112 ; 119 et 147, Zenger parle du Dieu enseignant alors que seul Ps 119 possède réellement un vocabulaire didactique. Or, Zenger ne discute pas des critères lui permettant d’affirmer que tel Psaume traite bien d’un Dieu enseignant et non d’un Dieu communiquant. Il faudrait d’abord définir comment reconnaître dans les textes bibliques une attitude éducative. De même, cette thèse n’étudiera pas les faits éducatifs de l’Antiquité. Sur la question de l’éducation en Israël, il faut se reporter aux articles des dictionnaires ainsi qu’à quelques monographies, telles que L. DÜRR, Das Erziehungswesen im Alten Testament und im antiken 4

Chapitre 1 : Problématique

5

combien les considérations lexicographiques ont un impact sur la théologie biblique. Elle montrera également combien le contexte historique des exégètes a une influence sur leurs travaux.

Orient, MVAG 36/2, Leipzig: Hinrichs, 1932, 99–151, W. JENTSCH, Urchristliches Erziehungsdenken (BFCT 45/3, Gütersloh : Bertelsmann, 1951), 85–139 ou à la récente thèse D. BETZ, « Gott als Erzieher im Alten Testament. Eine semantisch-traditionsgeschichtliche Untersuchung der Begrifflichkeit jsr / musar (paideuo / paideia) mit Gott als Subjekt in den Schriften des AT » (thèse de doctorat, Universität Osnabrück, 2007), 11–85.

Chapitre deux

Dieu éducateur chez Bertram et Kraus L’état de la recherche sur le concept de Dieu éducateur ne débute pas avec le TM, mais avec la Septante. De fait, la Septante possède une leçon très intéressante en Dt 8,5 : καὶ γνώσῃ τῇ καρδίᾳ σου ὅτι ὡς εἴ τις παιδεύσαι ἄνθρωπος τὸν υἱὸν αὐτοῦ, οὕτως κύριος ὁ θεός σου παιδεύσει σε (DtLXX 8,5)

À la racine sémitique ‫יסר‬, elle fait correspondre le mot grec παιδεύω. N’avonsnous pas ici le signe que l’ancienne notion d’un Dieu qui corrige son peuple a été remplacée dans la Septante par un Dieu qui l’éduque ? D’un autre coté, les traducteurs grecs ont pu choisir παιδεύω car c’était tout simplement le meilleur lemme pour correspondre à ‫ יסר‬qui signifiait déjà « éduquer ».

1. La thèse de Bertram et ses présupposés antisémites Bertram étudie par trois fois l’idée de Dieu éducateur dans la Septante1. Selon lui, le choix de παιδεύω et de παιδεία pour traduire ‫ יָסַר‬et ‫ מוּסָר‬permet la croyance dans le caractère pédagogique de l’histoire du Salut2. L’argument est le suivant : ‫ יָסַר‬et ‫ מוּסָר‬ne désignent pas réellement l’éducation mais une relation coercitive entre une personne ayant autorité (Dieu, un père, un maître) et une personne subalterne (le peuple, un fils, un élève) dans le but de forcer cette dernière à l’obéissance si elle ne se conforme pas à un modèle moral. Si la Loi possède une valeur éducative, c’est parce qu’elle propose une vie réglée dans lequel l’enfant sera introduit dès le plus jeune âge 3 . De même, lorsque les prophètes annoncent que Dieu va « éduquer » son peuple, ils n’envisagent pas une compréhension pédagogique de l’histoire mais une position du peuple par rapport à Dieu. Le peuple a erré, il va être puni car Dieu 1 G. BERTRAM, « Der Begriff der Erziehung in der griechischen Bibel », Imago dei. Beiträge zur theologischen Anthropologie, Gustav Krüger zum siebzigsten Geburstage am 29. Juni 1932 dargebracht (éd. par H. Bornkamm, Giessen : Töpelmann, 1932), 33–51; IDEM, « παιδεύω, κτλ. », TDNT 5 (1976), 608–612; IDEM, « Preparatio Evangelica », VT 7 (1957), 229–230. 2 G. BERTRAM, « παιδεύω, κτλ. », TDNT 5 (1976), 608. 3 Ibid., 603–604.

Chapitre 1 : Problématique

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est tout à la fois son Père et son Maître4. Enfin, la description pédagogique des littératures sapientiales insiste sur l’aspect violent de l’apprentissage5. Cependant, percevant sa souffrance comme une mesure éducative, le peuple ou le croyant ont pu comprendre ce processus de manière anthropocentrique, i.e. centrée sur le croyant qui prend conscience de ses erreurs, envisage de s’amender et comprend que cette coercition vise à le rendre sage. Ainsi s’explique le choix des traducteurs grecs qui ont utilisé παιδεύω pour signifier cette évolution de la pensée. Ce faisant, le terme grec s’est chargé d’une notion de coercition, absente du corpus classique6. Ainsi, selon Bertram, la Septante dans montre des passages où elle utilise παιδεύω là où le TM ne le suppose pas en lui donnant un sens classique, notamment en Ps 104[105],22, Pr 17,8 Ou Os 5,27. Cependant, la position de Bertram n’est pas sans a priori ni biais. La plus grave d’entre elles est les présupposés antisémites que son auteur véhiculait du fait de l’idéologie nazie au pouvoir en Allemagne de 1933 à 1945. À l’époque, une partie de l’Église protestante se mit sous la coupe du pouvoir en créant un groupe de pression : die Deutschen Christen, « les chrétiens allemands ». Ce groupe avait pour visée de fédérer les chrétiens autour des valeurs portées par le nazisme, et principalement l’antisémitisme8. Ils encouragèrent l’idée que le christianisme était initialement une religion fondée par un Jésus9 qui s’opposait au judaïsme et cherchait à le détruire. C’est Paul qui, en indiquant que la Loi n’était pas abolie, aurait permis aux éléments juifs de revenir dans l’esprit chrétien10. C’est ainsi, par exemple, que l’Ancien Testament11 aurait été préservé dans la Bible chrétienne. Voilà en substance l’idée théologique, avec un programme qui en découle immédiatement : il faut revenir au christianisme primitif promu par Jésus. Pour cela, il faut purger le christianisme de tous ces éléments juifs. Établir cela sur des bases scientifiques est le but qui a été assigné à l’Institut pour l’étude et l’éradication de l’influence juive sur la vie de l’Église allemande (Institut zur Erforschung und Beseitigung 4

Ibid., 606–607. Ibid., 604–605. 6 Ibid., 608. 7 BERTRAM, « Praeparatio Evangelica », VT 7 (1957), 229–230. 8 En réaction à ce groupe sera créée l’Église confessante, die Bekennende Kirche, dont font notamment partie Dietrich Bonhoeffer, Rudolf Bultmann, Gerhard von Rad ou encore HansJoachim Kraus. 9 Un « Jésus Aryen » comme l’écrit S. HESCHEL, The Aryan Jesus. Christian Theologians and the Bible in Nazi Germany, (Princeton : Princeton University Press, 2008). 10 Voir par exemple HESCHEL, The Aryan Jesus, 69–70. 11 Nous parlerons d’Ancien Testament pour désigner le texte hébraïque compris comme faisant partie du canon chrétien. Nous parlerons du Texte Massorétique pour désigner le texte de la Bible hébraïque tel qu’il est préservé notamment dans le Codex de Saint-Petersbourg. 5

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Première partie : Introduction

des jüdischen Einflusses auf das deutsche kirchliche Leben), fondée à l’université d’Iéna en 1939 par Walter Grundmann et dont Bertram est membre dès l’origine12 puis directeur à partir de 194413. Bien que ne faisant pas partie du parti nazi, Bertram en partage l’antisémitisme et les valeurs 14 . Il obtient assez jeune 15 un poste à Giessen et devient le spécialiste de la Septante au sein du Theologisches Wörterbuch zum Neuen Testament. Cette vaste entreprise éditée par Gerhard Kittel à partir de 1933 est influencée par l’antisémitisme de cette période. Cette influence est d’autant plus difficile à discerner qu’elle apparaît derrière un langage à prétention scientifique16. L’histoire de l’université d’Iéna donnée par Heschel, malgré sa grande précision, ne fait pas droit au travail qui a été effectué sur la théologie de l’Ancien Testament 17 ni sur celle de la Septante. Or, lisant l’article de

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Voir HESCHEL, The Aryan Jesus, 100. Ibid., 162–163. 14 Ibid., 174–175. 15 Ibid., 174–175, n. 42 cite un rapport de Bultmann conseillant à Giessen de ne pas embaucher Bertram. Pour nuancer ce que dit Heschel, il est possible de noter que Bultmann ne met pas en avant la pauvre qualité (« poor quality ») de Bertram, mais plutôt son immaturité scientifique qui le conduit, entre autres, à des positions tranchées et exagérées. 16 Ainsi, HESCHEL, The Aryan Jesus, 186–187 remarque que les contributions de Grundmann au dictionnaire ne défendent pas autant la division radicale entre le christianisme et le judaïsme qu’on pourrait le croire. Elle est plus sévère à l’encontre de Bertram mais ne donne pas d’exemples. On peut également citer J.S. VOS, « Antijudaismus / Antisemitismus im Theologischen Wörterbuch zum Neuen Testament », NTT, 38 (1984), 89–110 et M. CASEY, « Some Anti-Semitic Assumptions in the “Theological Dictionary of the New Testament” », NovT 41 (1999), 282.289–290 qui notent combien il est difficile de détecter des idées antisémites dans certains articles écrits par des auteurs dont l’idéologie n’était pas aussi dure que celle de Bertram voire opposée comme Bultmann, mais qui étaient cependant influencés par l’antisémitisme ambiant. Voir aussi T. NICKLAS, « The Bible and Antisemitism », The Oxford Handbook of the Reception History of the Bible (éd. par M. Lieb et al., Oxford Handbook, Oxford : University Press, 2013), 275. 17 Cf. B. M. LEVINSON, « Reading the Bible in Nazi Germany: Gerhard von Rad’s Attempt to Reclaim the Old Testament for the Church », Interpretation 62 (2008), 241. Une des premières étapes de l’éradication fut de rejeter l’Ancien Testament, de ne plus utiliser dans la liturgie de mots hébreux, tels que « Hosannah » ou « Alléluia », d’enlever des Évangiles les références à l’AT (Ibid., 241). Une telle idéologie, qui apparaît avant le nazisme est ce qu’on appelle un néo-marcionisme, en référence à Marcion qui au deuxième siècle de notre ère professait le rejet de l’Ancien Testament. Le renouveau de ces idées s’est produit au XIXe siècle, notamment avec von Harnack et de Lagarde. Voir notamment E. COTHENET, revue de A. VON HARNACK, Marcion, l'Évangile du Dieu étranger. Une monographie sur l'histoire de la fondation de l'Église catholique (Traduit par B. Lauret, Patrimoines Christianismes, Paris : Cerf, 2003), Esprit et Vie, 102 (2004), 28–30 ; NICKLAS, « The Bible », 269.273–274 et HESCHEL, The Aryan Jesus, 42. Pour une vue d’ensemble de l’époque, notamment le rôle de Renan, sur la quête biaisée d’un Jésus historique en rupture et en opposition avec le Judaïsme, 13

Chapitre 1 : Problématique

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Bertram nous pouvons reconnaître une position qui sert le projet de l’institut. En effet, selon lui, la langue hébraïque n’a pas développé de termes proprement pédagogiques 18 . Ainsi, la traduction de ‫ יָסַר‬par παιδεύω ne signifierait pas seulement le passage d’une culture à une autre, mais le passage dans la vraie culture, celle de la παιδεία. À ce titre, il est opportun de noter que le premier article de Bertram concernant παιδεία et παιδεύω parait en 1933, c’est-à-dire en même temps que le premier tome de l’œuvre de Jaeger19. Pour ce dernier, la παιδεία désignait la première véritable culture civilisée, source de toutes les autres20. Marrou, tout en concédant à Jaeger l’identification de la παιδεία avec la culture et l’éducation se montrera plus critique envers lui21. En revanche, voire non-juif dans son origine même, voir HESCHEL, The Aryan Jesus, 26–66 ou NICKLAS, « The Bible », 270–273). 18 BERTRAM, TDNT 5, 603. 19 W. JAEGER, Paideia: die Formung des griechischen Menschen (3 volumes, Berlin: de Gruyter, 1933–1947). 20 Pour une mise en perspective historique de la pensée de JAEGER, voir B. NÄF, « Werner Jaegers Paideia : Entstehung, kulturpolitische Absichten und Rezeption », Werner Jaeger Reconsidered. Proceedings of the Second Oldfather Conference held on the Campus of the University of Illinois at Urbana-Champaign, April 26–28, 1990 (éd. par W.M Calder III, ICSS 3, ISHCS 2, Atlanta, Ga. : Scholars Press, 1992), 125–146 et A. DURAND, « ‘Jeter un pont entre la science et la vie’ : Werner Jaeger et le troisième humanisme », Kentron 25 (2009), 53–76. Jaeger est le promoteur d’un mouvement qu’on appelle le « troisième humanisme » qui consiste à retrouver dans les études classiques des valeurs pour le monde présent. JAEGER donne à la Grèce un statut d’exception : il s’agirait de la seule culture au « vrai » sens du terme. Les sociétés qui en sont issues, et particulièrement l’Allemagne, doivent revenir à cette exception pour la remettre en pratique, sans quoi ces sociétés se coupent de leur principe, de leur ἀρχή (voir aussi DURAND, « jeter un pont », 58–60). Pour Jaeger, le concept de παιδεία est un bon concept qui permet de lier éducation et vertu pour dresser un programme humaniste pour son époque, même s’il élargit au passage le concept antique de παιδεία (voir NÄF, « Werner Jaegers Paideia »,133–144) comme le suggère B. SNELL, « Besprechung von W. Jaeger, Paideia », Gesammelte Schriften (Göttingen : Vandenhoeck & Ruprecht, 1966), 34–35. Ce dernier, le premier et l’un des seuls contemporains à critiquer JAEGER, lui reproche de soumettre la vérité historique à son projet politique (SNELL, « Besprechung », 53–54) et donc de forger un anachronisme. Snell indique que si Jaeger a raison de lier éducation et politique chez les grecs antiques, le concept de παιδεία qu’il forge dérive principalement du « second humanisme » du dix-neuvième siècle qu’il regrettait (SNELL, « Besprechung », 53–54) tout en le critiquant comme trop esthétisant et pas assez politique (voir également la synthèse des arguments de Snell dans DURAND, « jeter un pont », 71–72). Snell reproche également à Jaeger les implications du troisième humanisme, que Durand interprète comme compatibles avec le national-socialisme (DURAND, « jeter un pont », 72). Si on peut écrire que Jaeger n’était pas partisan du national-socialisme (NÄF, « Werner Jaegers Paideia », 125–126), certains se posent effectivement la question de l’influence de cette idéologie sur son œuvre (NÄF, « Werner Jaegers Paideia », 125–127) et de l’attitude du chercheur avant son exil pour l’Amérique (voir la synthèse dans DURAND, « jeter un pont », 72–76). 21 H.-I. MARROU, Histoire de l’éducation dans l’Antiquité (2 vol., 6ème édition, Paris : Seuil, 1965), 1, 12 indique simplement que « l’étude de l’histoire de l’éducation dans l’Antiquité ne peut laisser indifférente notre culture moderne : elle retrace les origines directes de notre propre

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Première partie : Introduction

pour Bertram, l’irruption de la παιδεία grecque dans la littérature judéochrétienne, à travers la Septante, permet d’isoler le christianisme du Judaïsme et de promouvoir le retour aux études classiques et aux valeurs helléniques. La Septante, signe d’un premier détachement de la pensée « juive » de son terreau « hébraïque », deviendrait alors une préparation d’un christianisme qui n’aurait que peu de lien avec le judaïsme22.

2. Kraus et le rapport entre Ancien et Nouveau Testament La plupart des acteurs de l’exégèse allemande ayant contribué à l’Institut pour l’étude et l’éradication de l’influence juive sur la vie de l’Église allemande reste en activité après la guerre23. Bertram, en particulier continue d’exercer dans des écoles puis à l’université de Giessen et enfin à celle de Frankfurt. En 1965, à l’occasion de la parution d’un livre traitant des professeurs d’obédience nazie et le citant, Bertram démissionne. Il meurt en 197924. Ainsi, le climat scientifique de l’Allemagne d’après-guerre reste marqué par les débats entrepris durant la guerre. Heschel a indiqué que la réaction de l’Église confessante ou de l’Église Catholique ne s’était pas faite spécifiquement contre l’antisémitisme nazi : la présence de l’Ancien Testament au sein du Canon chrétien est défendue précisément parce que l’Ancien Testament serait un texte « chrétien » qui dénoncerait le Judaïsme25. Levinson tradition pédagogique. Nous sommes des Gréco-Latins », mais aussi que l’histoire de l’éducation antique n’est offerte au lecteur de Marrou que « comme un exemple proposé à sa réflexion, non comme un modèle dont l’imitation servile s’imposerait ». MARROU, Histoire, 1,49 se positionne également par rapport au nazisme dans sa critique de la morale spartiate dont il affirme qu’elle lui semble avoir resurgi « dans toute sa grandeur sauvage et inhumaine ». Il écrit en 1948. 22 Dans la conclusion de son dernier article, BERTRAM, « Praeparatio Evangelica », 249 nuance à peine cette position. La Septante est bien une praeparatio evangelica car elle prépare l’annonce de l’Évangile dans le monde grec (« die Verbreitung der Botschaft des Neuen Testaments in der Griechisch sprechenden Welt »). Bertram ne va pas jusqu’à dire que le Nouveau Testament découle directement de la Septante. Cependant, sa thèse selon laquelle la Septante témoigne d’un judaïsme « en route pour le NT » peut être débattu. 23 Voir HESCHEL, The Aryan Jesus, 242–278 et NICKLAS, « The Bible », 174–177. 24 Voir HESCHEL, The Aryan Jesus, 275–276. 25 Voir HESCHEL, The Aryan Jesus, 5 où elle cite le cardinal de Munich, mais Heschel constate que l’Église confessante n’a pas un discours différent. En fait, selon ces dignitaires, l’Ancien Testament peut être gardé car il s’agit d’un texte « chrétien » qui contient des textes, notamment prophétiques qui dénoncent le péché du peuple d’Israël identifié au judaïsme contemporain. Nicklas cite cette position comme l’une de celles qui promeuvent l’antisémitisme (« The Bible », 269). H.-J. KRAUS, « Das Alte Testament in der »Bekennenden Kirch« », Rückkehr zu Israel. Beiträge zum christlich-jüdischen Dialog (Neukirchen : Neukirchener, 1991), 244 résume la situation en disant qu’il s’agit d’un Ja zum Alten Testament mais d’un Nein zum Judentum.

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note ainsi que la défense par von Rad de l’Ancien Testament est principalement chrétienne 26 . En insistant sur la notion homilétique du Deutéronome, au détriment de la Loi, il éloignerait ce texte du judaïsme27. Seulement, après la guerre, après la Shoah, de telles assertions devraient être tout au moins relativisées ou mises en perspective. En fait, elles le seront peu dans un premier temps à cause du paysage scientifique qui n’a pas fondamentalement changé. C’est dans ce contexte que se comprend la contribution de Kraus. Dans un article de 194828, Kraus dénonce les travaux de certains exégètes de l’immédiat après-guerre qui n’étudient le TM29 qu’à la lumière du Nouveau Testament. Selon lui, cette attitude ne peut conduire qu’à un appauvrissement de l’exégèse vétérotestamentaire. S’appuyant sur l’Institution de la religion chrétienne de Calvin, il reprend l’idée de l’histoire vue comme pédagogie divine. Par la notion de pédagogie divine, le Nouveau Testament peut se dire accomplissement de l’Ancien, mais rien dans l’Ancien n’oblige à croire au Nouveau. Seule la révélation divine de la Résurrection et donc la foi envers le Christ vient pondérer les différents concepts de l'Ancien Testament. Ainsi, tout comme un jeune enfant ne se résume pas à ce qu’il sera adulte, on ne peut pas étudier l’Ancien Testament uniquement à travers le prisme du Nouveau Testament. Les choix de l’adolescent ne sont pas tous compréhensibles par ce qu’il est devenu à l’âge adulte et doivent toujours être remis dans leur contexte. Cependant, pour accomplir son projet, Kraus doit établir que la notion du Dieu éducateur est présente dans l’Ancien Testament. Il étudie alors le verbe ‫ יָסַר‬et dégage deux principales significations : 1. d’un côté, l’éducation paternelle par la punition corporelle (Dt 21,18 ; Pr 19,18) ; 2. de l’autre, le résultat de cette éducation (Pr 29,17, Pr 31,1). 26

La réalité est certainement plus subtile, KRAUS, « Das Alte Testament », 242–243 rapporte un écrit de von Rad où il indique que la question qui se pose est de savoir si l’Ancien Testament appartient au christianisme ou au judaïsme. La réponse à cette question est basée sur la foi, si on croit que Jésus est le Messie, il est l’accomplissement de l’Ancien Testament et ce dernier appartient au christianisme et peut être étudié par des chrétiens selon une persepctive chrétienne. Bien évidemment, pour les juifs, qui ne croient pas que Jésus soit le Messie, le canon chrétien n’a pas de légitimité et le canon juif, la bible hébraïque, fait autorité et peut être étudiée par des juifs selon une perspective juive. 27 LEVINSON, « Reading the Bible », 246–248. 28 H.-J. KRAUS, « Paedagogia Dei als theologischer Geschichtsbegriff », EvTh 8 (1948/49), 515–527. 29 Kraus ne parle toujours que d’Ancien Testament et nous garderons ce terme tout au long du paragraphe de l’état de la Recherche, du fait de l’origine chrétienne des chercheurs. Cependant, la différence conceptuelle entre le TM et l’AT doit être constamment gardée en l’esprit, voir page 7, n. 11.

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Première partie : Introduction

Ensuite, il étudie plus particulièrement quelques passages où Dieu est sujet du verbe : 1. tout d’abord, Dt 8,5 qui présente Dieu faisant subir à son peuple la même éducation qu’un père exerce sur son fils ; 2. ensuite, Dt 4,36 où Dieu éduque son peuple par ses paroles ; 3. enfin Jérémie (Jr 2,30 ; 5,3 ; 7,28 ; 31,18) ou Lévitique (Lv 26,18.28) où la méthode pédagogique de Dieu est perçue comme une punition. La pédagogie de Dieu s’exerce principalement sur son peuple. Il existe pourtant quelques passages où Dieu éduque un individu (Is 8,11 ; Jr 10,24) et même où Dieu éduque les peuples de la Terre (PsTM 94,10). Kraus peut ainsi en conclure que la notion d’une pédagogie de Dieu qui s’exerce dans l’histoire est présente dans différents textes de l’Ancien Testament. Der Gedanke einer Paedagogia Gottes ist nicht von Calvin erfunden worden, er ist biblisch30.

La réflexion de Kraus est davantage mue par son objectif, pleinement respectable, que par des considérations scientifiques. Cela a été perçu par Witmer31 : H.-J. Kraus’ article outlines the OT concept of divine instruction, but only in a very partial way, and is more helpful for its theological reflection than for its exegetical contribution.

Il rajoute en note32 : Kraus, ‘Paedagogia,’ 515–27 adopts Calvin’s concept of paedagogia Dei in his attempt to find a concept that can account for both the unity and differences of the Old and New Testaments.

Effectivement, le problème de l’article de Kraus est son argument circulaire. Pour unifier les deux testaments tout en respectant le judaïsme, il est nécessaire pour Kraus que la notion de pédagogie s’enracine dans la Bible. La cherchant, il finit par la trouver dans la racine ‫יסר‬, quitte à forcer un peu la signification de celle-ci. Les recherches modernes ultérieures sur le Dieu éducateur dans l’Ancien Testament ne mettront plus l’accent sur la notion historique de la pédagogie de Dieu et Kraus lui-même renoncera à sa théorie dans un article

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KRAUS, « Paedagogia », 522. WITMER, Divine Instruction, 9. Il est compréhensible, quoique dommage, que Witmer n’évoque pas pourquoi Kraus est partial. Il peut s’agir d’une méconnaissance de la part de Witmer, ou bien il a pu considérer que la problématique de l’exégèse allemande des années trente à cinquante n’avait pas sa place dans son étude. Il faut cependant garder en l’esprit que l’article de Kraus est l’une des premières tentatives chrétienne de justifier par l’exégèse un fait qui parait maintenant évident : il faut étudier l’Ancien Testament comme un texte en soi et non à la lumière du NT. 32 WITMER, Divine Instruction, 9, n. 15. 31

Chapitre 1 : Problématique

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paru une vingtaine d’années plus tard et proposera une autre origine au concept du Dieu éducateur.

3. Le repositionnement de Kraus La tentative de Kraus de fonder une étude de l’Ancien Testament en soi s’est traduite dans sa vie personnelle par un dialogue avec le judaïsme, et notamment avec Martin Buber à partir des années 1950. C’est probablement à cette époque qu’il s’est aperçu que le concept de pédagogie divine n’était pas adéquat pour traiter du rapport entre l’Ancien et le Nouveau Testament sans dévaloriser le Judaïsme. En effet, que dire d’un Ancien Testament qui ne serait que les balbutiements du Nouveau ? Dans ce cas, ne garde-t-on pas l’Ancien Testament que pour des raisons pédagogiques33 ? Il deviendrait une relique infantile et n’aurait plus en tant que telle la même valeur de révélation que le Nouveau Testament. Kraus reconnaît dans une telle approche un marcionisme modéré34. Il préfère alors renoncer à l’historicité biblique du concept de l’éducation divine. Celle-ci, écrit-il, est une invention des théologiens chrétiens basée sur l’alliance de la philosophie stoïcienne et de l’anthropologie biblique35. Chez Clément, le Logos stoïcien qui mène le cosmos vers son achèvement devient le Christ, éducateur de l’humanité. Pour cela, Kraus va démontrer que la racine ‫ יסר‬ne signifie pas une éducation progressive mais marque la relation entre Dieu et son peuple : une relation d’amour filial tout autant que de sévérité paternelle. Kraus en conclut que voir dans cette métaphore l’idée d’un Dieu éducateur est une « spéculation »36. Que cette théologie ne soit pas portée par le TM est ainsi maintenant assez bien assuré 37 . Kraus n’en a plus besoin pour préciser le rapport entre l’Ancien Testament et le Nouveau. Il s’appuie sur Barth et Bonhoeffer qui voient dans l’Ancien Testament une typologie de l’expérience contemporaine. L’Ancien

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KRAUS, « Das Alte Testament », 246. C’est probablement pour cette raison qu’à ma connaissance, il ne cite plus son premier article. 35 Voir aussi KRAUS, « Das Alte Testament », 239, n. 9. 36 H.-J. KRAUS, « Geschichte als Erziehung. Biblisch-theologische Perspektiven », Probleme biblischer Theologie. Festschrift für Gerhard von Rad zum 70. Geburtstag (éd. par H.W. Wolff, Munich : CHR Kaiser, 1971), 274. 37 Voir p. 29. On notera également que W. JAESCHKE, Die Suche nach den eschatologischen Wurzeln der Geschichtsphilosophie. Eine historische Kritik der Säkularisierungsthese (Beiträge zur evangelischen Theologie 76, Munich : CHR Kaiser, 1976), 145–153, qui étudie plus largement la théologie de l’histoire, ne situe pas l’irruption de cette notion dans l’Ancien Testament. 34

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Première partie : Introduction

Testament garde toute sa valeur car il exprime des expériences de vie qui ne retrouvent pas tous dans le NT38. D’autre part, la présence du concept de Dieu éducateur dans les écrits du christianisme ne peut être contestée. Dieu éduque l’homme par des paroles et par des actions. Celles-ci se déploient dans l’histoire. Mieux, c’est l’histoire toute entière qui devient progression pédagogique sous l’action divine, avec l’immense postérité que ce thème aura, notamment dans la doctrine des âges du monde 39 . On trouve déjà chez Clément d’Alexandrie cette même notion 40 , reprise par Origène41 et Irénée42, mais également par les gnostiques43. Macina a démontré que ce thème est central chez les Nestoriens44, tandis que Hainthaler l’étudie chez un chrétien syrien du IIIème siècle45. Augustin46 est probablement l’un des premiers à comparer formellement l’humanité à un homme et à diviser l’histoire en âges correspondant aux âges de la vie avec la postérité que ce thème aura ensuite47.

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KRAUS, « Das Alte Testament », 251–258. Voir A. LUNEAU, L’histoire du Salut chez les Pères de l’Église : la doctrine des âges du monde (Théologie historique 2, Paris : Beauchesne, 1964). Le paragraphe qui suit n’est qu’une ébauche du déploiement de ce thème dans le christianisme. 40 E.g. Clément d’Alexandrie, Paed. 1,56,1, voir aussi JAESCHKE, Die Suche, 257–259. 41 JAESCHKE, Die Suche, 259–261. 42 Irénée, Haer. 3,17,1 ; 3,20,2 ; 4,12,4 ; 4,21,3, voir aussi JAESCHKE, Die Suche, 221–246. 43 JAESCHKE, Die Suche, 247–255. 44 R. MACINA, « L’homme à l’école de Dieu. D’Antioche à Nisibe : Profil herméneutique, théologique et kérygmatique du mouvement scoliaste nestorien. Monographie programmatique », POC 32 (1982), 86–124.263–301 ; 33 (1983), 39–103. 45 T. HAINTHALER, « Die verschiedenen Schulen, durch die Gott die Menschen lehren wollte », Syriaca (éd. par M. Tamcke, 2 vol., SOK 17.33, Münster : Lit, 2002–2004), 2, 175– 192. Cette source syriaque décrit comment Dieu éduque chacun des patriarches. 46 Augustin, Civ. 10,14. 47 Voir par exemple, Thomas D’Aquin, Commentaire, leçon 8 s’appuyant sur Ga 3,24, utilisera cette même image pour déterminer le rapport entre la loi dite « ancienne » révélée à Moïse et la loi dite « nouvelle » en Jésus-Christ. Calvin, Institution, 206 s’appuie sur la même citation pour développer des idées similaires. À partir du siècle des Lumières, cette image nourrira une philosophie de l’histoire de plus en plus séculière. G.E. LESSING, Die Erziehung des Menschengeschlechts u. a. Schriften (Stuttgart : Reclam, 1986) et A. COMTE, Cours de philosophie positive (6 volumes, 5ème édition, Paris : au siège de la société positiviste, 1892– 1894) font du christianisme une simple étape dans un progrès qui le dépasse. 39

Chapitre 1 : Problématique

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4. Synthèse Si, selon Kraus, le TM ne peut plus être mis à contribution pour appuyer la présentation de Léon-Dufour 48 , alors la conclusion suivante s’impose : la naissance de la théologie du Dieu éducateur se situe ailleurs. La deuxième thèse de Kraus montre clairement que des écrits chrétiens témoignent de ce concept. Cependant, Kraus ne réfute pas Bertram. Il n’évoque pas l’idée que l’utilisation des mots παιδεία et παιδεύω ait pu traduire un changement de pensée 49. Ainsi, l’ensemble des thèses émises repose sur des présupposés. L’antisémitisme de Bertram ou son combat par Kraus. Le fait que Kraus combatte avec raison l’antisémitisme ne veut pas dire qu’il ait raison scientifiquement50. A contrario, le fait que Bertram défende une perspective antisémite ne veut pas dire qu’il ait tort dans sa réflexion scientifique51. En d’autres termes, la méthode scientifique ne transcende-t-elle pas tout totalitarisme du fait de sa nature même ? Un scientifique qui soumettrait la méthode scientifique à une quelconque idéologie ne serait tout simplement pas un scientifique52. Pourtant, même les mathématiques ne furent pas exempte d’idéologisation durant la période nazie53. Peut-on alors raisonnablement penser qu’un universitaire, dont l’objet d’étude est tellement lié à la religion juive, puisse mettre en

48 On retrouve cependant çà et là la reprise de l’idée que la notion du Dieu éducateur est fondée sur le TM. Voir par exemple HAINTHALER, « Die verschiedenen Schulen », 175– 176.191. 49 De même quand JAESCHKE, Die Suche, 221–217 se pose la question de l’origine de la philosophie de l’histoire, il étudie l’Ancien Testament et le Nouveau ainsi que ce qu’il appelle l’apocalyptique juif, mais il ne dit pas un mot sur la Septante. 50 La meilleure indication de cela provient de son changement de thèse par rapport à son article de 1948. 51 Voir CASEY, « Some Anti-Semitic Assumptions », 281 citant la réponse de B.D. CHILTON, « God as ‘Father’ in the Targumim, in Non-Canonical Literatures of Early Judaism and Primitive Christianity, and in Matthew », The Pseudepigrapha and Early Biblical Interpretation (éd. par J.H. Charlesworth et C. Evans, JSPS 14, Sheffield : Sheffield Academic, 1993), 151–169 à G. VERMES, « Jewish Studies and New Testament Interpretation », Jesus and the World of Judaism (réimpression de JJS 21 (1980), 1–17, Londres : SCM, 1983), 64–66. Ce dernier regrette la haute estime dont témoignent les exégètes chrétiens au TDNT. CHILTON, dont on ne peut suspecter aucune complaisance envers l’antisémitisme (voir CASEY, « Some Anti-Semitic Assumptions », 280–281), dénonce là un argument ad hominem : parce que Kittel est antisémite alors le TDNT serait antisémite. 52 Voir l’exemple donné par S.L. SEGAL, Mathematicians under the Nazis (Princeton : University Press, 2003), 9, n. 26. 53 Ainsi, prenons le cas de Ludwig Bieberbach, mathématicien et membre du parti nazi. On ne peut évidemment pas qualifier sa conjecture d’antisémite. Démontrée en 1985 par un mathématicien français, Louis de Branges de Bourcia, cette démonstration ne posa pas de problème du fait de l’idéologie détestable de Bieberbach. Pourtant, Bieberbach travailla bel et

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Première partie : Introduction

place un programme totalement dégagé de sa propre idéologie ? C’est précisément l’habillage scientifique qui rend les présupposés idéologiques du TDNT difficiles à détecter. Chaque contribution d’un exégète doit donc être évaluée en fonction de notre connaissance du contexte de chacun. Or, cette connaissance commence maintenant à être bien étudiée. L’exégèse allemande des années trente aux années de l’après-guerre fait l’objet de nombreuses recherches54. Nous arrivons à un temps où les recherches sur le sujet du Dieu éducateur peuvent être reprises dans un esprit serein.

bien à l’établissement d’une « mathématique allemande », voir S.L. SEGAL, Mathematicians, 368–409. 54 Voir par exemple la bibliographie de HESCHEL, The Aryan Jesus, 291–325 ou B.M. LEVINSON et T. SHERMAN, revue de S. HESCHEL, The Aryan Jesus. Christian Theologians and the Bible in Nazi Germany (Princeton : Princeton University Press, 2008), RBL (2010).

Chapitre trois

Dieu éducateur dans l’exégèse moderne 1. Dans le Texte Massorétique Les contributions qui ont suivi Kraus sont parties en général du concept d’éducation plutôt que du mot. Ainsi Jentsch et Schawe veulent comprendre l’éducation chrétienne à la lumière de celle liant Dieu et son peuple telle qu’elle est décrite dans l’Ancien Testament, tandis que Sanders part du concept de la souffrance éducatrice et Ogushi du reproche divin. Delkurt et Finsterbusch, enfin, souhaitent mieux comprendre l’éducation israélite telle qu’elle est décrite par le TM. Souvent le thème du Dieu éducateur n’est qu’une partie de leur contribution sauf pour Betz. En revanche, partant du concept qu’ils veulent étudier, ils définissent tous les mots hébreux et parfois grecs qui l’expriment et en examinent les occurrences. a. Jentsch Le projet de l’ouvrage de Jentsch est d’abord de s’intéresser à la pensée éducative dans les premiers textes du Nouveau Testament. Cependant, il étudie brièvement son contexte dans le TM1 et dans la Septante2. Selon lui, le verbe ‫ יָסַר‬désigne d’abord la correction corporelle (Dt 22,18 ; 1 R 12,11.14), essentiellement dans le domaine familial (Dt 21,18 ; Pr 19,18 ; 29,17). Ce verbe muni de Dieu comme sujet peut désigner le simple châtiment (Lv 26,18.23.28). Il est principalement employé dans le Deutéronome et Jérémie pour comparer l’action de Dieu à celle d’un père envers son fils3 . L’histoire sainte est alors interprétée comme pédagogie divine. Le substantif ‫ מוּסָר‬suit une évolution similaire. Il désigne un châtiment donné par un père ou Dieu. En particulier, une telle action divine est décrite en Dt 11,2. Le fait qu’un tel « châtiment » puisse s’entendre (e.g. Pr 1,8) montre, selon Jentsch, que la frontière entre la correction (Zucht) et la leçon (Lehre) est mince dans la pensée hébraïque. Les œuvres de Sagesse appliquent à l’individu ce que les œuvres prophétiques appliquent essentiellement au peuple. Dans ces œuvres, ‫ מוּסָר‬ne désigne plus 1 W. JENTSCH, Urchristliches Erziehungsdenken, (BFCT 45/3, Gütersloh : Bertelsmann, 1951), 86–88. 2 Ibid., 88–89.156–161. 3 Ibid., 86.

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uniquement le processus de correction mais le résultat du processus : le fait d’être éduqué. Il n’en reste pas moins que cette racine ne se départit jamais de sa connotation violente ainsi que de l’ordonnancement qu’elle définit entre l’homme qui éduque, le père, et celui qui reçoit cette éducation, le fils. Cet ordre profane est repris pour décrire la relation entre l’homme et Dieu. Il s’agit ici d’une grande différence avec la notion de la παιδεία grecque qui reste anthropocentrique et désigne le but de perfection d’un homme4. b. Sanders Sanders constate l’importance pour Jérémie du mot ‫ מוּסָר‬et en étudie la racine pour mieux comprendre le message du prophète. Selon Sanders, la signification basique de ‫ יָסַר‬est « apprendre ». En effet, il note quelques occurrences dans les écrits préexiliques, indiquant que ‫יָסַר‬ signifie « apprendre » sans la nuance de souffrance5, tout en remarquant qu’il existe aussi quelques occurrences de ‫ יָסַר‬où il est difficile de trouver une nuance éducative6. Si Dieu frappe son peuple, c’est que celui-ci manque de la ‫דַּ ַעת ֱאלהים‬7 et qu’il souhaite lui maintenir son amour et sa ‫ ֶחסֶד‬8. Dans le cadre des confessions, Jérémie vit en tant qu’individu le même destin que le peuple. Il est également frappé, mais lui a accepté la leçon et a atteint la ‫דַּ עַת אֱלהים‬9. Sanders en conclut que ‫ מוּ ָסר‬est un terme technique manifestant l’amour de Dieu envers son peuple. Dieu le frappe pour qu’il apprenne. L’espoir du prophète Jérémie est que ce peuple accepte la leçon et se convertisse. Cette théologie, que Sanders appelle la doctrine du musar 10 , sera reprise ensuite dans les autres livres du TM. Sanders la retrouve même dans des passages qui n’utilisent pas un mot de la racine de ‫יסר‬11. Elle est ainsi exposée par Eliphaz12 et Elihu13 dans le livre de Job. La plupart des occurrences concernent Dieu qui frappe son peuple pour obtenir de celui-ci repentance et obéissance. Cependant, les individus sont aussi appelés à la repentance et à l’obéissance ainsi qu’à une meilleure relation avec 4

Ibid., 87. Cela explique pourquoi Pr 1,2 peut lier ‫ מוּסָר‬et ‫י ָדַ ע‬. Cf. Os 7,15 ; Jr 6,8 ; 7,28 ; 35,13 ; Is 8,11. Cependant, Os 7,15 fait partie du sens II de la racine ‫( יסר‬HALOT), voir aussi p.78–80. Is 8,11 dérive probablement de la racine ‫סור‬. 6 J.A. SANDERS, Suffering As Divine Discipline in the Old Testament and Post-Biblical Judaism (Colgate Rochester Divinity School Bulletin 28, Rochester, N.Y. : Colgate Rochester Divinity School, 1955), 43. Il s’agit de Dt 22 ,18, 1 R 12,11.14 ; 2 Ch 10,11.14, Pr 29,19. 7 Jr 5,3–5. 8 Jr 31,2–3. 9 Jr 31,18–19. 10 SANDERS, Suffering, 93. 11 Ainsi étudie-t-il Dt 28,11 du fait de sa proximité avec Lv 26,18. 12 Job 5,17. 13 Job 33,14–20 ; 36,7–15. 5

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Dieu14 grâce aux coups divins. Parfois, ces coups sont acceptés et appréciés15, mais d’autres fois, ils sont refusés16. Sanders s’intéresse ensuite aux passages où quelqu’un apprend de la souffrance d’un autre. Commençant dans le registre de la justice17, ce thème se termine dans la souffrance expiatoire du quatrième chant du serviteur (Is 52,15– 53,12). Sanders précise la leçon apprise par les rois : le serviteur souffre et la douleur dépasse toutes les fautes qu’il a pu commettre car il porte les péchés de tous. Mais la souffrance et la guérison ne faisant qu’un, les Nations peuvent prendre conscience de la voix divine : Dieu frappe et Dieu guérit. c. Ogushi Ogushi est le premier à s’intéresser à la racine ‫ יסר‬sans y introduire a priori la nuance d’éducation. Comme Sanders, il débute avec Jérémie 18 et se pose la question de la nécessité du reproche de Dieu envers son prophète. De cette interrogation sur l’action divine, Ogushi met en place une étude de la forme que prennent les discours de reproche dans le TM19. Il liste ensuite les mots hébreux désignant le reproche, parmi lesquels se trouve ‫ יָסַר‬et ‫מוּ ָס ר‬20 . Selon lui, ces mots ne désignent pas une éducation intellectuelle mais une discipline d’ordre moral. Par les coups et les paroles, le père corrige et discipline son fils pour le faire accéder à un nouvel horizon. Par métaphore, Dieu a le même comportement envers son fidèle. C’est par cela, écrit Ogushi, que la racine fait le lien entre le reproche et la sagesse21. L’aspect théologique du reproche, conclut Ogushi22, se rattache à la tradition sapientiale d’Israël. Le reproche n’est pas un discours de justice qui condamne, ni une menace. Ainsi, lorsque Jérémie, Job ou Jonas provoquent Dieu dans des périodes de crise, celui-ci répond par un reproche car, derrière la provocation, se cache une ignorance. Ce reproche, formulé avec amour et non colère, amène le fidèle à se repositionner et à observer le monde avec les yeux divins. 14

Jr 15,19 ; Job 42,5. Ps 94,12 ; 119,71. 16 Jr 10,24 ; Job 9,34 ; 13,21a. 17 Celui qui a particulièrement péché souffrira ou mourra de telle sorte que celui qui observe cette mauvaise fortune ne commette plus une telle chose (e.g. Dt 13,11 ; Ps 64,8–10 ; Pr 24,30– 34 ; Jr 3,6–11). Israël apprend également de l’action de Dieu envers les Nations (Ex 14,30–31 ; Dt 11,2). Réciproquement, Israël, par sa souffrance, devient une leçon pour les autres Nations (e.g. Jr 24,9 ; Ez 5,14). 18 M. OGUSHI, Der Tadel im Alten Testament. Eine formgeschichtliche Untersuchung (Publications Chercheurs Européennes 23/115, Francfort : Peter Lang, 1978), 7. 19 Ibid., 23. 20 Les autres étant : ‫ ָעצַב‬, ‫יָכַח‬, ‫ ָכּהָה‬et ‫ ָגּעַר‬. 21 OGUSHI, Der Tadel, 29–31. 22 Ibid., 150–152. 15

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d. Schawe Schawe23se base sur l’article de Zuck24 qui présente neuf verbes hébraïques appartenant au champ sémantique de l’enseignement. Schawe souligne le caractère subjectif de cette liste et indique qu’elle pourrait être complétée25. Il étudie les trois principaux d’entre eux : ‫יָסַר‬, ‫י ָָרה‬, ‫ ָלמַד‬. L’étude de chaque lemme est divisée en trois parties. Tout d’abord Schawe étudie l’étymologie, puis il s’intéresse aux occurrences où l’homme est le sujet du verbe, pour terminer avec celles où c’est Dieu qui est le sujet du verbe. En ce qui concerne la racine ‫יסר‬26, en accord avec Sæbø27, Schawe indique que son étymologie n’est pas évidente mais constate la prédominance de la nuance de correction corporelle ou d’avertissement verbal. Parmi les occurrences profanes, Schawe trouve également la signification de « leçon » et de « sagesse ». Aucune de ces quatre nuances n’est absente quand Dieu est le sujet de l’action. Il corrige 28 , donne des avertissements 29 , enseigne 30 et tire vers la Sagesse31. Cependant, le thème commun est une sorte de pédagogie sotériologique, les méthodes de cette pédagogie pouvant être violentes. Ce principe joue un grand rôle chez les prophètes, principalement chez Jérémie : Dieu ne frappe pas dans sa colère mais dans son amour. e. Delkurt Dans un article plus largement consacré à l’éducation d’après l’Ancien Testament, Delkurt décrit brièvement comment le TM compare la relation entre Dieu et son peuple avec la relation d’un maître/parent avec son élève/enfant32. 23 E. SCHAWE, « Gott als Lehrer im Alten Testament. Eine semantisch-theologische Studie » (thèse de doctorat, Université de Fribourg, 1979), 4–6. 24 R. ZUCK, « Hebrew Words for ‘Teach’ », BS 121 (1964), 228–235. 25 Cependant, il ne propose aucun autre mot. R.B. GIRDLESTONE, Synonyms of the Old Testament. Their Bearing on Christian Doctrine (3ème édition, Grand Rapids, Mich. : Baker Book House, 1983), 246–248, en suggère deux : ‫ ָחכַם‬, ‫דָּ בַר‬. Bien avant Zuck, JENTSCH, Urchristliches Erziehungsdenken, 88, propose trois verbes qui n’appartiennent pas initialement au champ sémantique de l’éducation mais peuvent être utilisés pour ce propos dans le TM : ‫גָּדַ ל‬ piel (« faire grandir », Is 1,2 ; Dn 1,5), ‫ ָרבָה‬piel (« faire prospérer », Lm 2,22) et ‫ רוּם‬piel (« rendre fort », Is 23,4). 26 Qu’il étudie en SCHAWE, « Gott als Lehrer », 141–261. 27 M. SÆBØ, « ‫יסר‬, jsr, züchtigen », THAT 1 (1984), 738. 28 e.g. Jr 2,19.30 ; 5,3 ; Lv 26,18 ; Ps 6,2 ; Os 5,2. 29 Ps 94,10 ; Is 8,11. 30 Is 28,26 ; Jr 7,28 ; Ps 94,12 ; Job 5,17. 31 Pr 15,10, ce point est cependant critiquable, Dieu n’étant pas cité dans ce proverbe. 32 H. DELKURT, « Erziehung nach dem Alten Testament », Gottes Kinder (JBTh 17, Neukirchen-Vluyn : Neukirchener, 2002), 234–236, 248–253.

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Le fait que Dieu enseigne la sagesse se trouve uniquement de manière exceptionnelle 33 . En général, l’action décrite est une action violente et humiliante pour le peuple, notamment chez Osée. Une terminologie davantage liée à l’éducation dans les écoles, quoique toujours coercitive, se retrouve en Jérémie. Le peuple en faute est requis d’accepter la correction. Cela permet à l’école deutéronomiste d’expliquer l’exil et la survie : la correction divine a laissé la possibilité au peuple de se convertir mais cela n’a pas suffit. Delkurt termine son exposé en suggérant des passages d’Isaïe dans lesquels, cependant, ‫ יָסַר‬ne se trouve pas34. f. Finsterbusch Dans son travail d’habilitation, Finsterbusch étudie le Deutéronome en tant que texte d’enseignement. Selon elle, le Deutéronome ne relate pas simplement la révélation de la Torah, mais est également un programme d’enseignement destiné aux Israélites 35 . La méthode de Finsterbuch est synchronique. Elle étudie, comme Schawe, les occurrences des mots ‫ ָלמַד‬, ‫ י ָָרה‬et ‫יָסַר‬, en incluant ‫מוּסָר‬36. L’originalité de sa démarche réside dans l’étude initiale qu’elle effectue de ce qu’elle appelle « l’environnement du Deutéronome », Isaïe, Jérémie et Proverbes qui comportent tous un grand nombre d’occurrences de ces trois lemmes37. Elle développe l'idée que le Deutéronome est une œuvre qui, prenant l'image d'un Dieu qui enseigne, mixe les impératifs de la Sagesse à ceux du prophétisme. Pour elle, les prophètes font appel à l'enseignement divin pour dénoncer le fait que le peuple n'est plus éduqué comme il faut par les autorités. En revanche, ceux-ci ne proposent aucun programme précis. De son côté, le livre des Proverbes comporte un programme pour respecter la morale et réussir sa vie sans allusion à l'identité d'Israël. Dans le Deutéronome, Moïse apprend à Israël ce que veut YHWH. L'éducation est ensuite relayée par les familles d'Israël. Ainsi, lorsque le père enseigne son fils, c'est Moïse, Dieu à travers lui, qui enseigne le peuple. Ainsi, en accord avec les prophètes, le Deutéronome affirme que c'est Dieu lui-même qui enseigne son peuple et, en accord avec les Proverbes, les règles à appliquer sont précisées38. Le livre du Deutéronome suggère un enseignement divin qui s’effectue par l’intermédiaire de Moïse. C’est lui qui enseigne les commandements au peuple et non pas Dieu. Dieu et le peuple sont pourtant liés directement par le verbe 33

Dt 4,36 et Pr 3,1–12 à la Sagesse, Ps 94,12 à la Torah. E.g. Is 40,21.27 ; 48,17, DELKURT, « Erziehung », 252–253. 35 K. FINSTERBUSCH, Weisung für Israel. Studien zu religiosem Lehren und Lernen im Deuteronium und seinem Umfeld (FAT 44, Tübingen : Mohr Siebeck, 2005), 2. 36 Ibid., 11–12. 37 Ibid., 12–13. 38 Ibid., 315–316. 34

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‫יָסַר‬39 et le substantif ‫מוּסָר‬40. Il s’agit, selon l’auteur, de montrer que l’expérience du désert est une expérience pédagogique qui motive le peuple à se comporter comme un fils envers Dieu, à lui obéir et à garder les commandements que le livre du Deutéronome décrit41. Dans une deuxième contribution, JHWH als Lehrer der Menschen, elle s'intéresse aux Psaumes qu'elle avait ignorés dans son livre précédent, et envisage une approche diachronique. Au trio habituel de verbes, elle ajoute ‫י ָדַ ע‬ au hiphil. Dans son rappel des utilisations de ‫ יָסַר‬en dehors des Psaumes42, par quelques remarques éclairantes, elle décrit les grands clivages de la théologie du Dieu éducateur. Ainsi, elle évoque Pr 3,11–12 et indique que Dieu y prend le rôle d’un maître de Sagesse qui réprimande mais ne punit pas. Elle interprète Os 10,10 comme un passage où Dieu est sujet de ‫ יָסַר‬sans qu’il n’y ait de perspective de salut. Il s’agirait d’un clivage entre Osée et Jérémie et cela implique une expérience de survie à la catastrophe de 58643. De même, les trois occurrences en Lv 26,18.23.28 démontrent une volonté divine de réformer son peuple et non de le détruire. De plus, Finsterbush effectue une remarque importante sur le fait que la discipline dans le Lévitique est un processus de réforme qui débouche sur la destruction ou l’exil si le peuple persiste dans son obstination44. Trois images se dégagent donc : 1. Dieu qui frappe pour détruire ses ennemis du fait de leur péché ; 2. Dieu qui réprimande son peuple ou son croyant pour qu’il se convertisse, sans quoi la destruction suivra ; 3. Dieu qui gère son peuple et son croyant comme un père son fils. Les deux dernières images se retrouvent dans les Psaumes. Les deux phrases jumelles de Ps 6,2 et 38,2 se situent ainsi dans des contextes différents. Psaume 38,2 est l’introduction d’une plainte d’un psalmiste qui reconnaît son péché (Ps 38,4–5) : il reconnaît son malheur comme une rétribution et prie Dieu de le châtier mais pas de le faire mourir. On retrouve une telle conception en Ps 39,12. L’auteur du Ps 6 ne semble reconnaître aucun péché mais il souffre malgré tout. Sa prière demande à Dieu de changer son comportement éducatif à son égard : Il ne doit plus « éduquer » par la colère. Une telle absence de péché se retrouve en Ps 118,18 : le malheur qui frappe le psalmiste est perçu 39

Dt 4,36 ; 8,5. Dt 11,2. 41 FINSTERBUSCH, Weisung, 312–313. 42 K. FINSTERBUSCH, JHWH als Lehrer der Menschen. Ein Beitrag zur Gottesvorstellung der Hebräischen Bibel (BTS 90, Neukirchen : Neukirchener, 2007), 20–26. 43 Ibid., 23. En prenant Jr 30,14 comme exemple. 44 Ibid., 23. Elle note cependant une nuance : même dans cette extrémité, le Lévitique laisse place à l’espoir. 40

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par celui-ci comme une manœuvre éducatrice. Finsterbusch consacre un grand chapitre au Psaume 94 45 qui consacre Dieu comme éducateur universel qui enseigne les Nations par le châtiment et Israël par la loi. g. Betz En 2007, Betz soutient une thèse « Gott als Erzieher im Alten Testament » dans laquelle elle analyse dans le TM tous les passages où Dieu est relatif à la racine ‫יסר‬. Elle ajoute à son étude les textes de la Septante qui ne sont pas présents dans le texte massorétique. Comme la deuxième contribution de Finsterbusch, elle adopte une approche diachronique46. Ainsi, elle suggère qu’Osée est le premier à utiliser la racine ‫ יסר‬pour désigner la relation entre Dieu et son peuple sous la forme d’une relation familiale47. Le caractère pédagogique de cette relation est négligeable devant son caractère coercitif48. Jérémie emprunte probablement cette image à Osée49 tandis que la relecture deutéronomiste explique l’exil par le refus du peuple de prendre le ‫מוּסָר‬, compris comme un refus de prendre en compte les commandements50. L’historiographie deutéronomiste reprend ce concept avec le thème du Wüstenpädagogik, où Dieu éduque son peuple au désert pour le préparer à l'entrée dans la terre promise, celle-ci étant assimilée au retour d'exil 51 . La caractéristique de la relation entre Dieu et son peuple est alors l’ambivalence : Dieu frappe et Dieu sauve52. L’utilisation de la racine ‫ יסר‬pour désigner la relation entre Dieu et son fidèle est plus récente que celle qui désigne la relation entre Dieu et son peuple. Dieu frappe son fidèle par la souffrance ou la maladie, sans qu’il n’y ait une référence claire à une pédagogie53. En revanche, les occurrences de Job 5,17 et Pr 3,12 sont plus positives et associent à l’action douloureuse de Dieu, la joie d’être sauvé par lui. h. Widder En 2014, est paru une étude de Wendy L. Widder (» To Teach « in Ancient Israel). Ce livre étudie de nouveau les lemmes ‫יָסַר‬, ‫י ָָרה‬, ‫ ָלמַד‬ainsi que ‫ י ָדַ ע‬selon une méthode de linguistique cognitive. Il comporte en conclusion (202–210) 45

Ibid., 86–110. BETZ, « Gott als Erzieher », 6. 47 Ibid., 127–128.322. 48 Ibid., 322. 49 Ibid., 179–180. 50 Ibid., 322–323. 51 Ibid., 323. 52 Ibid., 221. 53 Ibid., 275–277. 46

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quelques réflexions concernant Dieu éducateur, précisant qui est l’étudiant, ce que Dieu enseigne et comment il le fait. Le moyen coercitif est l’un de ces moyens. Widder remarque que Dieu ne rencontre que des succès limités (207). Ce livre ne mentionne pas la Septante. Compte tenu de la date de parution, il n’a malheureusement pas été possible d’intégrer davantage cette étude dans le présent ouvrage.

2. Dans la Septante a. La critique scientifique de la thèse de Bertram Dans le cadre de la critique qu’il effectue du TDNT, Barr reproche de manière générale au TDNT de mélanger mots et concepts54. Ainsi, ce n’est pas parce que le mot παιδεύω apparaît que la notion d’éducation s’en suit automatiquement. D’autre part, Barr revient un instant sur la position de Bertram et doute que la Septante soit le témoin, de manière aussi forte que l’affirme Bertram, d’une piété et d’une théologie particulière55. Gerleman, Seeligmann, Rösel ou van der Kooij critiquent également Bertram et son influence dans la lexicographie puis dans les études sur la théologie de la Septante56. En particulier, ils reprochent à Bertram de considérer la Septante comme un tout homogène : elle serait l’œuvre du judaïsme alexandrin synagogal en opposition avec le judaïsme hébraïque palestinien 57 lié au temple. Pour les chercheurs modernes, cette approche est trop simpliste : chaque livre de la Septante doit être étudié dans sa spécificité.

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BARR, The Semantics, 206–262. BARR, The Semantics, 252–253. 56 G. GERLEMAN, Studies in the Septuagint (3 vol., LUÅ 43/2, 43/3, 52/3, Lund : C.W.K. Gleerup, 1946–1956), 3, 46, I.L. SEELIGMANN, « Problems and Perspectives in Modern Septuagint Research », Isac Leo Seeligmann, The Septuagint Version of Isaiah and Cognate Studies (éd. par R. Hanhart et H. Spieckermann, FAT 40, Tübingen : Mohr Siebeck, 2004), 73, M. RÖSEL, « Theo-logie der griechischen Bibel. Zur Wiedergabe der Gottesaussagen im LXXPentateuch », VT 48 (1998), 51, IDEM, « Towards a “Theology of the Septuagint” », Septuagint Research. Issues and Challenges in the Study of the Greek Jewish Scriptures (éd. par W. Kraus et R.G. Wooden, SBLSCS 53, Atlanta, Ga. : SBL, 2006), 239–240, A. VAN DER KOOIJ, « Zur Theologie des Jesajabuches in der Septuaginta », Theologische Probleme der Septuaginta und der hellenistichen Hermeneutik (éd. par H.G. Reventlow, VWGT 11, Gütersloh : CHR Kaiser, 1997), 9-10, IDEM, « Schwerpunkte der Septuaginta-Lexikographie », Im Brennpunkt : Die Septuaginta. Studien zur Entstehung und Bedeutung der Griechischen Bibel (3 vol., BWANT 153, 161, 174, Stuttgart : Kohlhammer, 2001–2007), 2, 121. 57 e.g. BERTRAM, « Praeparatio Evangelica », 225-249. 55

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Malgré le fait que les biais idéologiques et méthodologiques de Bertram soit maintenant bien connu, il est étonnant que sa thèse concernant παιδεύω n’ait pas subie davantage de réfutation. Avant l’étude de Bertram, on peut déjà noter BTW, s.v. Παῖς qui indique que le sens classique n’apparaît pas dans la littérature judéo-chrétienne avant Ac 7,22. Cependant BTW n’est pas non plus exempt de présupposés, en arguant de la spécificité du « grec biblique ». Selon cette thèse, l’usage de la Septante témoigne d’un grec différent du grec classique. Cela ouvrait la voie à la notion d’un « grec sacré » à comparer au « grec profane ». Cette idée est maintenant abandonnée58. Après Bertram, Jentsch hésite et ne tranche pas. Pour lui, l’utilisation des mots de la famille de παιδεύω dans la Septante est le signe d’un entre-deux. La position culturelle de la Septante se situerait, pour ce lemme, entre la notion juive et la notion grecque d’éducation59. Le traducteur de la Septante n’a pas interprété une correction divine comme une pédagogie divine. Il n’a fait que rendre explicite le fait que Dieu pouvait être désigné comme éducateur, une idée, selon Jentsch, déjà présente implicitement dans le texte hébraïque 60 . Ainsi, παιδεύω possède le même champ sémantique que ‫יָסַר‬. En particulier, il possède une nuance coercitive et subordonne l’homme à Dieu son « Père ». Au contraire de la pensée grecque classique, la notion de παιδεία n’y est pas absolutisée ; il ne s’agit que d’un acte divin parmi d’autres. Le but de l’éducation divine n’est pas précisé. Il ne s’agit pas de former un homme éduqué au sens grec61. Les mots de la famille de παιδεύω semblent avoir perdu beaucoup de leur habit grec62 tout en gardant un sens « éducatif ». De fait, les seules occurrences réellement conforme à l’usage du grec classique se situent dans le Nouveau Testament63. Depuis lors, on ne trouve qu’Arietti64 qui classe παιδεία parmi les termes qui ont un sens philosophique en grec classique et qui sont délibérément, selon l’auteur65, utilisés en dehors de ce sens philosophique par les traducteurs de la Septante. Dernièrement, Olofsson 66 , explique que la thèse de Bertram est

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Cf. BARR, The Semantics, 241–246. JENTSCH, Urchristliches Erziehungsdenken, 89. 60 Ibid., 156–158. 61 Ce qui serait une éducation à la culture juive, ce que Jentsch retrouve dans l’utilisation des mots de la famille de παιδεύω par Philon (JENTSCH, Urchristliches Erziehungsdenken, 158). 62 Ainsi H. KLEIN, « Erziehung », NBL 1 (1991), 586–587. 63 Ac 7,22 ; 22,3. 64 J.A. ARIETTI, « The Vocabulary of Septuagint Amos », JBL 93 (1974), 346. 65 L’auteur critique la position de J. FREUDENTHAL, « Are There Traces of Greek Philosophy in the Septuagint? » JQR 2 (1890), 218 selon laquelle les traducteurs étaient ignorants de ces usages philosophiques. 66 S. OLOFSSON, « The Crux Interpretum in Ps 2,12 », SJOT 9 (1995), 195. 59

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« ouverte à la discussion » car παιδεία tout aussi bien que ‫ מוּסָר‬peuvent se référer au « châtiment ». On trouve, enfin, l’idée d’une synthèse entre la notion de coercition et celle d’éducation. Cela est notamment exprimé par Betz dans sa thèse initialement consacrée à l’étude des passages du TM où Dieu est en rapport avec la racine ‫יסר‬. Elle étudie aussi les deutérocanoniques et les Psaumes de Salomon, où Dieu est en rapport avec un mot de la famille de παιδεύω. Betz admet que l’idée selon laquelle l’esprit grec a infusé dans l’esprit hébraïque par l’intermédiaire de ce choix lexical n’est que partiellement vraie, du fait de la signification coercitive que prend παιδεύω dans la Septante67. Elle établit en fait une différence entre le substantif παιδεία, qui serait resté plus proche de son sens classique, et παιδεύω, qui aurait pris en charge le sens hébraïque du verbe ‫י ָ ַס ר‬68 . Elle affirme aussi que ces mots appartiennent au champ sémantique de l’éducation 69 , tout en étant influencé par le concept violent inhérent à la racine ‫ יסר‬: quand Dieu éduque, il frappe70. L’emploi de παιδεύω dans la Septante serait donc le signe d’une certaine idée de la théodicée : si le juste souffre, c’est qu’il est éduqué par Dieu71. Certes, l’idée de la théodicée existe clairement dans un passage tel que 2 M 6,12. Cependant, son apparition dans la Septante reste à discuter, ne serait-ce que parce que Betz n’étudie les textes de la Septante ayant un correspondant dans le TM que comme apport pour sa critique du TM72. La même critique peut être addressée à Gundry Volf73. Dans son excursus consacré au châtiment divin dans la pensé juive de l’Ancien Testament et le Nouveau Testament, elle établit que le 67

BETZ, « Gott als Erzieher », 280–281. Voir aussi JENTSCH, Urchristliches Erziehungsdenken, 89. 69 BETZ, « Gott als Erzieher », 318. 70 Ibid., 323–324. 71 Ibid., 325. 72 D’autres auteurs font face à la même difficulté. En général, ils n’étudient pas la Septante. Ainsi, WITMER, Divine Instruction, 7–62 étudie le rapport des verbes d’enseignement, dont παιδεύω, de l’Ancien Testament à la littérature juive antique et néglige la Septante. D. DORE, « De la discipline hébraïque à l’éducation hellénistique. À propos des livres de sagesse », ΛΟΓΟΣ ΧΑΡΙΣΤΗΡΙΟΣ. « Discours d’action de grâce ». Hommage à Jean Foubert (éd. par J.-L Dumas, P. Léonard et R. Rolet, Nouveaux cahiers du Centre d’Étude Théologique de Caen, Caen : La mandragore, 2003), 99–110 souhaite dresser rapidement un schéma de la différence entre éducation hébraïque et éducation hellénistique. Il dit qu’il traitera le vocabulaire ‫ מוּסָר‬et παιδεία. Cependant, il prend ces mots comme englobant le même concept et se contente de comparer le livre des Proverbes au Siracide, sans interroger la Septante des Proverbes ni les témoins hébraïques du Siracide. Au contraire, G. SCARPAT, Libro della Sapienza (3 vol., Rome : Paideia, 1989–1999), 1, 70–79 reconnaît bien un aspect punitif et de coercition à la παιδεία mais n’évoque pas son rapport avec la racine ‫יסר‬. 73 J. M. GUNDRY VOLF, Paul and Perseverance. Staying in and Falling Away (WUNT 2/37, Tübingen: Mohr Siebeck, 1990), 107–112. 68

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concept de la divine discipline permet de distinguer entre le vrai fils de Dieu, le peuple et les nations. Les deux ont péché, mais Dieu s’occupe du premier comme d’un fils, tandis qu’il laisse les autres aller jusqu’à leur destin fatal : une fois qu’ils ont dépassé la limite, ils sont détruits. En fait, l’auteur s’appuie surtout sur la Sagesse de Salomon. Bons74, dans l’étude qu’il fait du mot παιδευτής suggère que le vocabulaire lié à παιδεύω chez Osée peut signifier l’éducation dans le désert, c’est-à-dire l’ensemble de mesures douloureuses et humiliantes que Dieu a fait subir à son peuple 75 . Il propose de placer cette idée dans un contexte plus large en rapprochant de DtLXX 32,10 ; AmLXX 3,7 et HbLXX 1,1276. b. L’évolution de la thèse de Bertram Cependant, de nombreux chercheurs envisagent comme Bertram une évolution sémantique entre le TM et la LXX. Schneider77 indique que le caractère unique de παιδεία dans la littérature classique a trouvé sa voie dans le judaïsme hellénophone sans préciser, toutefois, dans quel corpus et sous quelle forme. Malgré les critiques de Seeligmann et Rösel contre Bertram, ceux-ci indiquent que la Septante promeut un idéal éducatif basé sur la παιδεία78. Ainsi, de nombreux écarts de la Septante, dans lesquels un mot de la famille de παιδεία apparaît, sont interprétés comme relevant de l’irruption de l’idée d’éducation79. 74 E. BONS, « ‘Je suis votre éducateur’ (Os 5,2 LXX) – Un titre divin et son contexte littéraire », Le Jugement dans l’un et l’autre Testament (vol. 1 de Festschrift R. Kuntzmann, éd. par E. Bons, LD 197, Paris : Cerf, 2004), 204–205. 75 Voir aussi M. HARL, « Le grand cantique de Moïse en Deutéronome 32 : quelques traits originaux de la version grecque des Septante », La langue de Japhet. Quinze études sur la Septante et le grec des chrétiens (éd. par M. Harl, Paris : Cerf, 1992), 137, n.29. 76 De fait, C. DOGNIEZ et M. HARL, Le Deutéronome (BA 5, Paris : Cerf, 1992), 327, E. BONS, J. JOOSTEN et S. KESSLER, Les douze prophètes. Osée (BA 23.1, Paris : Cerf, 2002), 29– 30, 97–98, 116–119, 137 et M. HARL, C. DOGNIEZ, L. BROTTIER et al., Les douze prophètes. Joël, Abdiou, Jonas, Naoum, Ambakoum, Sophonie (BA 23.4–9, Paris : Cerf, 1999), 268–269 évoquent les tribulations du peuple dans le désert en traitant des mots de la famille de παιδεὐω. 77 G. SCHNEIDER, « παιδεία, κτλ. », EDNT 3 (1980), 3. 78 SEELIGMANN, « Problems and Perspectives », 73 prend Am 3,7 comme exemple. RÖSEL, « Theo-logie », 50–51 limite son acceptation de la thèse de BERTRAM aux écrits de Sagesse. RÖSEL, « Towards a “Theology of the Septuagint” », 249 se base sur Pr 10,17 ; 16,17 qui possèdent παιδεία (alors que le TM ne l’implique pas) ainsi que sur l’interprétation de la Septante du crux interpretationis Ps 2,12. On peut encore citer R. LE DEAUT, « La Septante, un Targum ? », Études sur le judaïsme hellénistique. ACFEB (Association catholique française pour l'étude de la Bible). Congrès de Strasbourg 1983 (éd. par R. Kuntzmann et J. Schlosser, LD 119, Paris : Cerf, 1984), 177. 79 Cf. E. BONS, « Der Septuaginta-Psalter – Übersetzung, Interpretation, Korrektur », Die Septuaginta – Texte, Kontexte, Lebenswelten. Internationale Fachtagung veranstaltet von Septuaginta Deutsch (LXX.D) Wuppertal 20. – 23. Juli 2006 (éd. par M. Karrer et W. Kraus, en collaboration avec M. Meiser, WUNT 219, Tübingen : Mohr Siebeck, 2008), 461 prenant

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Analysant ces écarts, les études qui ont suivi celles de Bertram font apparaître principalement deux nuances : l’utilisation de παιδεύω relève, pour les uns, d’une importance donnée à l’éducation à la culture juive en générale et à la Torah en particulier 80 , pour les autres, d’une emphase sur le caractère pédagogique de la souffrance. Prijs 81 , en étudiant Ps 2,12 et Is 50,4, veut démontrer que ces textes qui introduisent παιδεύω ou παιδεία là où le TM ne possède pas de mot de la racine ‫יסר‬, sont le témoignage d’une importance accrue donnée à l’éducation à la Torah. Il prend appui sur certains passages de la littérature rabbinique 82 , auxquels on peut aussi ajouter les targumim de Dt 11,2 ou de Dt 32,1083. Sans mettre autant l’accent sur la Torah, LARCHER, décrivant παιδεία, suit l’article du TDNT d’assez près, pour conclure que ce mot « désigne à la fois l’éducation israélite et l’éducation grecque, mais avec des nuances distinctes84 ». USENER 85 développe une idée similaire : l’utilisation de παιδεία désigne l’éducation à la croyance juive : « Unterweisung im jüdischen Glauben » 86 . Cependant, il prend ses distances avec la thèse de BERTRAM, sans toutefois la citer, quand il indique que les traducteurs n’ont pas voulu utiliser le mot avec son sens classique : Sie (παιδεία) bedeutet im Griechischen neben der allgemeinen Erziehung die Erziehung zum freien Menschen im Sinne der griechischen Bildung. Besonders in hellenistischer Zeit wird die feinere Bildung mit ihren Kulturtechniken so bezeichnet. In dieser Weise kann natürlich der Begriff in der Septuaginta nicht verwendet werden.87

L’exemple qu’il prend est très significatif d’une utilisation classique du mot παιδεία par un auteur judéo-hellénistique, mais il est tardif : comme exemple LXX Dt 32,10 ; Os 5,2 ; 7,16 ; 10,10 ; Am 3,7 ; So 2,1 ; Ps 118,66 ; BONS, JOOSTEN et KESSLER, Les douze prophètes, 29–30 qui souligne l’importance de ce thème chez Osée et HARL, DOGNIEZ et BROTTIER, Les douze prophètes, 238, 243, 268–269 qui note le rôle du prophète dans l’annonce de la παιδεία. 80 BERTRAM, « Der Begriff der Erziehung », 51 évoquait déjà cette idée, la παιδεία de la Septante est l’instruction à la loi divine. Il ne prend en exemple que Si 24,27 qu’il attribue de manière erronée à Pr 24,27 (Cf. GERLEMAN, Studies, 3, 46). 81 L. PRIJS, Jüdische Tradition in der Septuaginta (Leyde : Brill, 1948), xiv–xvi, 64. 82 Par exemple Sanhedrin 92a. 83 Cf. aussi HARL, « Le grand cantique de Moïse », 137. 84 C. LARCHER, Le livre de la Sagesse ou la Sagesse de Salomon (3 vol., Études bibliques (nouvelle série) 1, Paris : Gabalda, 1983–1985), 1, 175. 85 K. USENER, « Die Septuaginta im Horizont des Hellenismus », Im Brennpunkt : Die Septuaginta. Studien zur Entstehung und Bedeutung der Griechischen Bibel (3 vol., BWANT 153, 161, 174, Stuttgart : Kohlhammer, 2001–2007), 2, 111–112. 86 Et il rajoute également « ou bien la punition ». 87 USENER, « Die Septuaginta », 111.

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αὕτη δὴ τοίνυν ἐστὶν ἡ τοῦ νόμου παιδεία, διʼ ἧς τὰ θεῖα σεμνῶς καὶ τὰ ἀνθρώπινα συμφερόντως μανθάνομεν (4 M 1,17). Elle (la Sagesse) est alors ainsi l’éducation à la loi, par laquelle nous apprenons les choses divines avec révérence et les choses humaines avec profit.

Le deuxième exemple est tiré de DnLXX 1,20 où le roi de Babylone estime que Daniel, Hananya, Mishaël et Azarya étaient supérieurs aux sages chaldéens : ἐν παντὶ λόγῳ καὶ συνέσει καὶ παιδείᾳ, « pour tout ce qui concerne la logique, le discernement et la culture » 88 . Cependant, le substantif correspond ici à l’hébreu ‫בִּינָה‬. Peut-on dire que puisque le traducteur de Daniel a utilisé παιδεία pour rendre ‫בִּינָה‬, cela signifie que ce mot recouvre dans la Septante le concept d’éducation à la foi juive89, notamment dans les passages où παιδεία correspond à ‫? מוּסָר‬

3. Synthèse Hormis Kraus, les chercheurs qui se sont intéressés à la question de la relation entre Dieu et les hommes via la racine ‫ יסר‬ont noté qu’il s’agissait d’abord de définir un rapport entre le peuple, et le croyant, et Dieu. Ce rapport est asymétrique et demande l’obéissance du peuple envers son Dieu. L’action de Dieu est principalement coercitive mais par cette coercition même, qui ne mène pas à la mort, il sauve son peuple. Le seul processus qui est décrit est celui de la période au désert, durant laquelle le peuple suit un parcours sensé le rendre apte à rentrer dans la Terre Promise. Cependant, un point ne doit pas être négligé depuis les apports de Finsterbusch et Betz : celui de la mise en relation de Dieu et les hommes par l’intermédiaire de la racine ‫ יסר‬qui ne conduit pas une mais à des idées théologiques : depuis la punition pure et simple, jusqu’à l’enseignement de la Sagesse en passant par la correction corporelle qui vise à obtenir l’obéissance. L’idée du Dieu « éducateur » dans le TM suivrait donc l’intégralité du champ sémantique de la racine ‫ יסר‬et, dépassant le concept de l’éducation, ne suggérerait pas que Dieu mène son peuple vers une plus grande plénitude. Il semble à notre avis bien établi que la notion du Dieu éducateur ne provient pas du TM. En ce qui concerne la Septante, même si les idées de Bertram sont officiellement marginalisées, son influence reste importante et un grand 88

DnTh 1,20 est plus proche du TM avec ἐν παντὶ ῥήματι σοφίας καὶ ἐπιστήμης. De fait, DnLXX 1,20 fait partie des rares passages où παιδεία possède sa signification classique mais avec des caractéristiques qui l’éloignent des usages habituels de la Septante, voir p. 313–314. 89

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Première partie : Introduction

nombre d’exégètes accepte l’idée que la Septante introduit une évolution sémantique. Pourtant, mélangeant mot et concept, Bertram n’est pas en droit d’associer aussi étroitement qu’il le fait « éducation » et παιδεία. D’autre part, peut-on affirmer avec Bertram que παιδεύω possède principalement sa signification classique dans la Septante quand bien même Bertram reconnaît que le couple ‫יָסַר‬/‫ מוּסָר‬peut parfois signifier « éduquer » et que παιδεύω perd son sens classique dans certains endroits de la Septante90 ? Or, si on revient vers DtLXX 8,5, on observe que les traductions modernes sont variables. Les uns traduisent « corriger », les autres « éduquer », les derniers utilisent les deux sens : Et tu sauras en ton cœur que, de même qu’un homme corrige son fils, de même le Seigneur ton Dieu te corrigera91 Und du sollst in deinem Herzen erkennen, dass so, wie irgendein Mensch wohl seinen Sohn erzieht, so (auch) der Herr, dein Gott, dich erziehen wird (LXX.D²). Riconoscerai nel tuo cuore che come un uomo educa suo figlio, cosi il Signore tuo Dio ti correggerà (BDS).

Il est difficile de distinguer entre un moyen pédagogique et son résultat. Le problème est plus complexe qu’en hébreu car le verbe παιδεύω possède en grec classique la signification « éduquer ». La tentation est grande de faire apparaître cette nuance dans la Septante. Peut-on trouver des critères qui permettent de distinguer entre une interprétation « grécisante » et une interprétation « hébraïsante »92 ? Ici, l’utilisation au futur du verbe93 montre qu’il s’agit d’une menace contre le peuple lorsqu’il sera dans la Terre promise. En effet, on peut faire ici référence à Lv 26,18.23.28 qui décrit ce que Dieu fait quand son peuple ne respecte pas ses commandements. L’action est coercitive, plus clairement encore que dans le TM qui place l’action de Dieu dans le temps du désert et dont on peut croire qu’elle n’est pas en soi violente.

90 Surtout dans BERTRAM, « Der Begriff der Erziehung », qui examine les occurrences de παιδεύω et παιδεία dans la Septante et note un certain nombre d’endroits de la Septante où ils perdent leur sens classique pour ne signifier que « battre », « frapper » (Dt 22,18 ; 2 Esd 7, 26 ; Si 42,8). 91 DOGNIEZ et HARL, Le Deutéronome. Voir également « Reprender » (BGS) et « To discipline » (NETS). 92 On a ainsi souvent opposée l’approche de la Bible d’Alexandrie à celle du NETS (voir par exemple W. KRAUS, « Contemporary Translations of the Septuagint: Problems and Perspectives », Septuagint Research. Issues and Challenges in the Study of the Greek Jewish Scriptures (éd. par W. Kraus et R. G. Wooden, SBLSCS 53, Atlanta, Ga. : SBL, 2006), 67– 70). En fait, les positions ne sont jamais complétement tranchées. Ainsi, la Bible d’Alexandrie utilise le verbe « corriger » en Lv 26,18.23.28 et Dt 8,5. 93 En hébreu, il s’agit d’un participe présent.

Chapitre 3 : Dieu éducateur dans l’exégèse moderne

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DeutéronomeLXX 8,5 est donc un exemple qui contredit un certain nombre d’idées concernant le Dieu éducateur dans la Septante : 1. Contrairement à ce qu’affirme Bertram, la Septante ne montre pas toujours une tendance vers une éducation plus anthropocentrique ; 2. De même, la mention de παιδεύω n’est pas toujours le symbole de la pérégrination du peuple dans le désert. Le problème interprétatif provient de l’attribution systématique des mots de la famille de παιδεύω à l’idée d’éducation94. Ainsi, l’interprétation systématique de ce vocabulaire dans le domaine de l’éducation mérite un examen plus approfondi. Trop peu de distinctions ont été faites entre la relecture des mots de la famille de παιδεύω dans la Septante par des théologiens chrétiens qui connaissaient bien la culture classique, et la traduction de la Septante elle-même95. Certes la vieille théorie du « grec biblique » qui serait une forme dialectale spécifique aux communautés juives hellénophones ne peut plus être tenue depuis qu’en comparant le grec de la Septante avec celui des manuscrits de la période hellénistique, le nombre d’hébraïsmes présents dans la Septante a été considérablement réduit96. La langue de la Septante ne constitue donc pas un dialecte spécifique séparé de la koinè. Cependant, il n’est pas possible de sous-estimer le fait que la Septante soit un texte traduit pour une communauté précise. Ainsi, de récentes études ont montré que certains mots, pourtant chargés d’une signification importante dans 94 Ainsi BONS, JOOSTEN et KESSLER, Les douze prophètes. Osée, 29 sont rapides quand ils indiquent que le rapport entre παιδεὐω et ‫ יָסַר‬ne doit pas être sur-interprété car « l’emploi de ce verbe dans les papyrus et dans le NT montre qu’en grec hellénistique, il s’était chargé du sens de ‘châtier, discipliner’ ». Or, l’emploi du NT ne peut être invoqué comme un témoin indépendant de la Septante de l’usage de la koinè. Quant aux papyri, aucune référence n’est donnée, pas plus qu’en P. HARLE et D. PRALON, Le Lévitique (BA 3, Paris : Cerf, 1988), 207, (dans la note concernant Lv 26,18). De fait, il n’en existe a priori aucun avant l’antiquité, voir notre paragraphe concernant les papyrus. 95 Cf. le rappel de A. PIETERSMA, « Exegesis in the Septuagint: Possibilities and Limits (The Psalter as a Case in Point) », Septuagint Research. Issues and Challenges in the Study of the Greek Jewish Scriptures (éd. par W. Kraus et R.G. Wooden, SBLSCS 53, Atlanta, Ga. : SBL, 2006),43–44, citant J. BARR, « Common Sense and Biblical Language », Bib 49 (1968), 379, qui critique le fait de voir dans les titres psalmiques « εἰς τὸ τέλος » une valeur eschatologique. Selon Pietersma, le lemme n’a aucune connotation eschatologique dans la littérature grecque classique et n’en a pas davantage dans la Septante. C’est la lecture chrétienne qui charge ce terme de cette signification. En ce qui concerne notre thèse et les mots de la famille de παιδεύω, le phénomène serait inverse : la Septante propose un sens proche de son substrat hébreu, les lecteurs ultérieurs seraient revenus à un sens plus classique. 96 M. HARL, G. DORIVAL et O. MUNNICH, La Bible grecque des Septante. Du judaïsme hellénistique au Christianisme ancien (Initiations au Christianisme ancien, 2nde édition, Paris : Cerf, 2011), 233–235.

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la philosophie grecque, tels que ψυχή ou διάνοια97, ne possèdent pas dans la Septante une telle signification. Ils ont pris en charge le champ sémantique du ou des mots hébreux dont ils étaient les correspondants grecs. Aucune étude systématique des mots de la famille de παιδεύω n’a été produite depuis l’article de Bertram98. L’apport le plus récent est les notes de la Bible d’Alexandrie et les Fruchtlesen de leurs auteurs. Il est temps de réaliser une telle étude et d’en étudier l’impact sur l’image de Dieu que véhicule la Septante.

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Ibid., 257. Voir également la liste des vingt-quatre mots dont SWETE estime que l’utilisation par les auteurs chrétiens dérive de la Septante et non du grec classique (H.B. SWETE, An Introduction to the Old Testament in Greek (révisé par R.R. Ottley avec une annexe contenant la lettre d’Aristée, édité par H. st J. Thackeray, Cambridge : University Press, 1914), 473) évoqué par HARL, DORIVAL et MUNNICH, La Bible grecque, 299). 98 Voir notamment les bibliographies de la Septante : S.P. BROCK, C.T. FRITSCH et S. JELLICOE, A Classified Bibliography of the Septuagint (Leyde : Brill, 1973) et C. Dogniez, Bibliographie de la Septante : 1970–1993 (Leyde : Brill, 1995).

Chapitre quatre

Mise en place méthodologique L’objet de la présente thèse sera de mettre la thèse de Bertram à l’épreuve. L’emploi des mots de la famille de παιδεύω au sein de la Septante sera étudié et nous tenterons de déterminer si cet emploi implique une théologie particulière liée à la notion de Dieu éducateur. Autrement dit, est-ce que le choix de la terminologie traduit un changement, comparativement au TM, dans la conception que l’on se fait de l’agir de Dieu envers son peuple ou envers son fidèle ? Il s’agit de comprendre comment une option lexicographique est révélatrice d’une prise de position théologique. Le projet doit auparavant se poser la question de la possibilité même d’un discours sur la théologie de la Septante puis sur la possibilité d’avoir accès à cette théologie via une étude lexicale.

1. Validité d’une théologie de la Septante Pour certains chercheurs, notamment les défenseurs du modèle dit « interlinéaire », une telle question est peu pertinente. Pour eux, le but de la Septante est d’aider à la compréhension de sa Vorlage1. À ce titre, les choix lexicaux n’ont été faits que pour rendre les lemmes hébreux et déduire une théologie à partir de ces choix est un processus hasardeux2. Cependant, même 1 Cf. description dans C. BOYD-TAYLOR, « In a Mirror, Dimly – Reading the Septuagint as a Document of Its Time », Septuagint Research. Issues and Challenges in the Study of the Greek Jewish Scriptures (éd. par W. Kraus et R.G. Wooden, SBLSCS 53, Atlanta, Ga. : SBL, 2006), 22–24 : le but de la Septante est d’amener son lecteur vers le texte hébreu et non d’amener le texte hébreu vers le lecteur. 2 Cf. BOYD-TAYLOR, « In a Mirror », 18–20 qui nie que l’utilisation de ἐλπίς en Ps 15[16],9 signifie que le traducteur de la Septante croyait en la Résurrection des morts. Il ne nie pas que des relecteurs chrétiens l’aient interprétée ainsi, mais il nie que cela ait été dans l’intention du traducteur. De même A. AEJMELAEUS, « Von Sprache zur Theologie. Methodologische Überlegung zur Theologie der Septuaginta », The Septuagint and Messianism (éd. par M. Knibb, BETL 195, Louvain : Leuven University Press, 2006), 22–24 ou encore F. VINEL, « Le texte grec de l’Ecclésiaste et ses caractéristiques. Une relecture critique de l’histoire de la Royauté », Qohelet in the Context of Wisdom (éd. A. Schoors, BETL 136, Louvain : Peeters, 1998), 285–286, affirment que les traducteurs grecs ont souhaité rendre aussi fidèlement que

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Première partie : Introduction

les tenants de cette théorie admettent qu’un choix lexical peut dire des choses sur le traducteur de la Septante et son milieu3. De fait, un certain nombre de chercheurs4 appellent à de telles études qui permettraient de mieux comprendre le contexte de la production de la Septante. Les traducteurs vivaient à une époque marquée par un grand bouillonnement d’idées, ils ont effectué des choix de terminologie représentatifs des grands débats de l’époque. Pour se faire, il faut préalablement définir les approches et les méthodes. Ainsi, Joosten5 discute des modalités d’un discours sur la théologie de la Septante et propose différentes méthodes pour en produire. Selon lui, un tel discours est essentiellement un discours comparatif6. Si l’on veut déterminer la spécificité de la Septante, il est nécessaire de prendre en compte le fait qu’il s’agit d’une traduction. Le projet des traducteurs était de traduire le texte le mieux possible. Une théologie de la Septante ne peut se détecter que lorsqu’elle diffère de celle exprimée par le TM7. possible leur Vorlage hébraïque. E. TOV, « Theologically Motivated Exegesis Embedded in the Septuagint », The Greek and Hebrew Bible. Collected Essays on the Septuagint (éd. par E. Tov, SVT 72, Leyde : Brill, 1999), 260–263 met en doute l’attribution théologique de certaines correspondances lexicales telles que ‫ – אלהים‬θεός. 3 Ainsi, BOYD-TAYLOR, « In a Mirror », 30–31 veut bien admettre que l’utilisation de ἐλπίς en Ps 15[16],9 démontre une piété plus marquée sur une forme d’ « attente », mais qui ne peut être interprétée comme une croyance en la résurrection des morts. De même, TOV, « Theologically Motivated Exegesis », 263–264, donne quelques exemples de correspondances lexicales pouvant avoir été causées par un motif théologique, telles que la correspondance entre ‫ יהוה‬et κύριος παντοκράτωρ. 4 e.g. J.W. OLLEY, ‘Righteousness’ in the Septuagint of Isaiah : A Contextual Study, SBLSCS 8, Missoula, Mont. : Scholars Press, 1979, 6 ; C.T. FRITSCH, « The International Organization for Septuagint and Cognate Studies », JSJ 3 (1972), 5 ; RÖSEL, « Towards a “Theology of the Septuagint” », 240–243, J. COOK, « Towards the Formulation of a Theology of the Septuagint », Congress Volume ; Ljubljana 2007 (éd. par A. Lemaire, SVT 133, Leyde : Brill, 2010), 621–640. 5 J. JOOSTEN, « Une théologie de la Septante ? Réflexions méthodologiques sur l’interprétation de la version grecque », RTP 132 (2000), 31–46. 6 Voir aussi A. AEJMELAEUS, « Von Sprache zur Theologie », 23. 7 Il faut être conscient des difficultés que recèle cette phrase : « Une théologie de l’Ancien Testament est-elle possible ? ». Déjà R. DE VAUX, « Peut-on écrire une ‘théologie de l’Ancien Testament’ ? », Mélanges offerts à M.D. Chenu, maître en Théologie (Bibliothèque Thomiste 37, Paris : Vrin, 1967), 439–449 relatait ses difficultés à adhérer à l’entreprise de von Rad. Il aurait, selon lui, écrit une histoire de la religion d’Israël et non une théologie de l’Ancien Testament. Plus récemment encore, N.P. LEMCHE, « Warum die Theologie des Alten Testaments einen Irrweg darstellt », Religionsgeschichte Israels oder Theologie des Alten Testaments (JBTh 10, Neukirchen-Vluyn : Neukirchener, 1995), 79–92 présentait ses critiques sur une théologie « descriptive » basée sur l’histoire. Selon lui, se pose les questions de l’état des sources, quels textes pour quelles époques, pour quels groupes de foi. De fait, selon lui, une théologie est forcément « synchrone » et se définit comme normative et non historique. Appliquées à l’étude de la Septante, ces observations soulèvent des problèmes importants. Tout

Chapitre 2 : L’exégèse allemande du milieu du vingtième siècle

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Il faut cependant se garder de la surinterprétation8. Toutes les variations de la Septante ne sont pas dues à un présupposé théologique du traducteur : Vorlage différente, transformations lors de la transmission du texte ou choix non théologique du traducteur9. Il est donc nécessaire non seulement d’étudier les différences entre la LXX et le TM mais également de ne prendre en considération que celles qui ne résultent pas d’une technique habituelle du traducteur. Il faut enfin être précis sur la différence entre l’interprétation du traducteur et celle du lecteur 10. Le résultat est forcément maigre 11 mais non nul12. Un cas particulier de l’approche comparatiste consiste ainsi à observer les présupposés idéologiques du traducteur lorsque celui-ci est confronté à un texte hébreu difficile comportant des mots qui lui sont probablement inconnus13.

comme le texte du TM n’est pas identique à la Vorlage de la Septante, une théologie qui serait issue de l’étude du TM n’est pas la source d’une théologie de la Septante. D’autre part, si la théologie est synchrone, elle se base sur un ensemble de textes considérés comme normatifs. Or, nous ne savons rien du « canon » à l’époque de l’écriture de la Septante, qu’il s’agisse du « canon hébraïque » ou du « canon grec ». Enfin, la théologie, quand bien même elle est synchrone, se situe historiquement. Or, l’écriture des livres de la Septante s’étant élaborée sur plusieurs siècles, on peut envisager des évolutions dans la théologie. En d’autres termes, écrire une théologie de la Septante devrait d’abord débuter par la définition d’un canon de la Septante. Or, le seul canon dont on soit certain est le canon chrétien. Voir par exemple L. GREENSPOON, « The Use and Abuse of the Term ‘LXX’ and Related Terminology in Recent Scholarship », BIOSCS 20 (1987), 21–29 sur la difficulté d’exprimer correctement ce que recouvre exactement le terme de Septante ou A. DOUGLAS, « Limitations to Writing a Theology of the Septuagint », JSCS 45 (2012), 104–117 pour une synthèse récente sur ces questions. Elle devrait ensuite définir la ou les théologies hébraïques en usage à l’époque de la traduction dans leur contexte local. 8 E. TOV, « Die Septuaginta in ihrem theologischen und traditionsgeschichtlichen Verhältnis zur hebräischen Bibel », Mitte der Schrift ? Ein jüdisch-christlich Gespräch. Texte des Berner Symposions vom 6.-12. Januar 1985 (éd. par M. Klopfenstein, Judaica et Christiana 11, Berne : Peter Lang, 1987), 242. 9 JOOSTEN, « Une théologie de la Septante ? », 33–34. 10 Ibid., 34 prend l’exemple d’une lecture platonisante de la Création, clairement exprimée en Gn, 2, 4–5, et développée par Philon, mais qui résulte très vraisemblablement d’une méprise de traduction. De même, Ibid., 36–38, traite de la portée universaliste exprimée clairement en Am, 9, 11–12 mais qui résulte d’une confusion entre un ‫ ד‬et un ‫ ר‬auquel le traducteur d’Amos est très coutumier. 11 Ibid., 38. Voir également W. WEVERS, « The Interpretative Character and Significance of the Septuagint Version », Antiquity (Vol. I.1 of Hebrew Bible Old Testament. The History of its Interpretation, éd. par M. Sæbø, Göttingen: Vandenhoeck & Ruprecht, 1996), 84–107. 12 Voir aussi HARL, DORIVAL et MUNNICH, La Bible grecque, 216–219. 13 W.E. GLENNY, Finding Meaning in the Text : Translation Technique and Theology in the Septuagint of Amos (SVT 126, Leyde : Brill, 2009), 71–105, 184, 240 résumé en IDEM, « Translation Technique and Theology in the Septuagint of Amos », TyBu 61 (2010), 154–155. Glenny y évoque la dette qu’il a sur ce sujet vis-à-vis de la thèse non publiée J.K. PALMER,

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Première partie : Introduction

Rösel est en accord avec l’approche comparative de Joosten14. Un discours sur la théologie de la Septante est non seulement possible mais nécessaire. La multiplication des études sur la théologie de tel ou tel livre ou corpus de la Septante 15 implique une réflexion globale sur cette question. Sa réussite permettrait de combler une lacune dans l’étude de la pensée juive du second Temple 16 . Rösel met également l’accent sur la nécessité non seulement de comparer avec le TM mais aussi de comparer les différents livres de la Septante entre eux afin de mettre en valeur la spécificité de traduction de chacun et de déterminer une éventuelle synthèse17. Il propose une approche par thèmes18. Rösel est en désaccord avec Tov qui émet des réserves sur les études théologiques sur la Septante lorsque leur domaine n’est pas circonscrit à un corpus bien délimité19. Partant de ce présupposé de Tov, Cook limite son étude au livre des Proverbes où il y détecte une interprétation religieuse et antihellénique du texte hébreu20. Ensuite, il souhaiterait que ce résultat conduise à une réévaluation de la possibilité d’écrire une théologie de la Septante21. Les difficultés d’une telle entreprise sont immenses : nous ne disposons ni de la Vorlage, ni du manuel de traduction des traducteurs. Quand il y a un écart, il est donc difficile de déterminer si la raison en revient à la Vorlage différente ou au processus de traduction. Certains désespèrent. Ainsi Tremblay 22

« “Not Made With Tracing Paper:” Studies in the Septuagint of Zechariah », (thèse de doctorat, Université de Cambridge, 2004). 14 RÖSEL, « Theo-logie », 61–62, IDEM, « Towards a “Theology of the Septuagint” », 242. 15 Principalement le Pentateuque, Isaïe, Proverbes et les Psaumes (Cf. RÖSEL, « Towards a “Theology of the Septuagint” », 240–241). 16 Ibid., 242–243. 17 The « twofold comparative approach », Cf. Ibid., 246. Cet appel marque une évolution dans la pensée de RÖSEL qui, dans un précédent article, proposait de commencer la théologie de la Septante par le Pentateuque du fait de sa relative homogénéité (RÖSEL, « Theo-logie », 51–52). 18 Qui étudierait un thème théologique au travers de toute la Septante, Cf. RÖSEL, « Theologie », 53, IDEM, « Towards a “Theology of the Septuagint” », 251–252. Cette approche était également proposée par JOOSTEN, « Une théologie de la Septante ? », 39. 19 Ainsi, TOV n’envisage de trouver des altérations causées par des présupposés théologiques que dans les livres d’Isaïe, Daniel, Job et Proverbes (TOV, « Theologically Motivated Exegesis », 258). De plus, se basant sur certains écrits de Bertram, il estime que les études générales sur la théologie de la Septante ont peu de valeurs scientifiques (Ibid., 268– 269). 20 J. COOK, « “Theological/Ideological” Tendenz in the Septuagint – LXX Proverbs a Case Study », Interpreting Translation. Studies on the LXX and Ezekiel in Honour of Johan Lust (éd. par F. García Martínez et M. Vervenne, Louvain : Peeters, 2005), 76–78. 21 COOK réexamine ces questions dans une contribution ultérieure (COOK, « Towards the Formulation », 621–640) 22 H. TREMBLAY, « Autonomie de la Septante », Traduire la bible hébraïque. Translating the Hebrew Bible. De la Septante à la Nouvelle Bible Segond. From the Septuagint to the

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considérant les positions de Bogaert 23 et de Aejmelaeus 24 irréconciliables et mutuellement destructives, préconise d’abandonner la méthode comparative. Tremblay a raison de s’inquiéter : pour atteindre le travail du traducteur, deux questions textuelles se posent avec une grande acuité. 1. Le Vieux Grec25 n’est pas atteignable de manière certaine26. Les textes de la Septante dont nous disposons sont des textes mixtes, parfois parasités par des révisions juives ou des recensions chrétiennes. 2. La Vorlage n’est connue dans sa langue d’origine que par l’intermédiaire de textes qui lui sont postérieurs au mieux de quelques siècles27. De plus, l’élaboration de la Septante est un processus qui a été long. Il n’est pas possible d’étudier le travail de traduction comme un tout unique, et des phénomènes de réception, tels que des harmonisations avec le Pentateuque28, peuvent avoir eu lieu dans les traductions plus tardives29. En d’autres termes, il n’est pas toujours possible de différencier les phénomènes de réception des phénomènes de traduction. Ainsi, le livre des Proverbes utilise-t’il παιδεύω pour traduire ‫ יָסַר‬par simple respect pour le Pentateuque ou en accord consciente avec l’équivalence lexicale ? De manière opposée, le traducteur du Pentateuque a peut-être utilisé d’autres mots que παιδεύω pour rendre ‫יָסַר‬, mais il est possible que ce choix ait été rendu

Nouvelle Bible Segond (éd. par R. David et M. Jinbachian, Sciences Bibliques 15, Québec : Médiaspaul, 2005), 80–81. 23 P. BOGAERT, « Septante et versions grecques », DBSup 12 (1993), 544 qui préconise de ne pas accepter trop facilement une différence entre la Vorlage et le TM. 24 AEJMELAEUS, « What can we know », 71 qui préconise de ne pas accepter trop facilement une interprétation du traducteur par rapport à sa Vorlage. 25 Nous reprenons l’expression Vieux Grec, « Old Greek », pour désigner les textes tels qu’ils ont été traduits, Cf. GREENSPOON, « The Use and Abuse », 23. 26 Ainsi, J. COOK, « Interpreting the Septuagint – Exegesis, Theology and/or Religiongeschichte », Die Septuaginta – Texte, Theologien, Einflüsse. 2. Internationale Fachtagung veranstaltet von Septuaginta Deutsch (LXX.D) Wuppertal 23. – 27. 7. 2008 (éd. par W. Kraus et M. Karrer, en collaboration avec M. Meiser, WUNT 252, Tübingen : Mohr Siebeck, 2010), 606 désire voir terminer les commentaires exégétiques sur l’établissement du texte du Vieux Grec comme préalable à toute discussion théologique. 27 Bien évidemment le TM, mais également le Pentateuque samaritain et certains manuscrits de Qumran. 28 Voir l’hypothèse posée par J. LUST, « The Vocabulary of LXX Ezekiel and its Dependence upon the Pentateuch », Deuteronomy and the Deuteronomic Literature, Fs. C.H.W. Brekelmans (éd. par M. Vervenne et J. Lust, BETL 133; Louvain: Peeters, 1997), 534.541.545. 29 Voir COOK, « Towards the Formulation », 624–628, 636–637 pour qui le but d’une étude de la théologie de la Septante est le Vieux-grec, il faut donc établir celui-ci avant toute chose.

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inacceptable par la suite et révisé de manière si soigneuse que nous ne disposons plus d’aucun témoignage écrit30. Nous atteignons là la limite de toute exégèse : nous ne disposons que d’un témoin postérieur de plusieurs siècles à l’auteur dont on souhaite connaitre l’intention. Ce point est également noté par Aejmelaeus, confirmant l’approche de Joosten31, elle indique qu’une théologie de la Septante serait très proche de celle du TM. Ce sont surtout ses différences avec le TM qui devraient être étudiées. Ainsi une théologie de la Septante ne peut être élaborée qu’en rapport étroit avec sa Vorlage32. Lorsqu’on étudie le texte de la Septante en soi, sans faire référence à sa Vorlage, alors on entre dans l’étude de la réception de la Septante33. De la même façon, la position de Joosten et de Rösel a été nuancée par McLay34. Cet auteur dénonce le présupposé selon lequel seule une approche comparative prenant en compte le texte produit par le traducteur est pertinente pour définir une théologie de la Septante. Il définit la théologie comme un processus évolutif pour lequel la traduction de la Septante est une « photographie » de la théologie de son temps. Mais cette photographie n’est pas plus primordiale que son évolution ultérieure. De plus, lorsque des communautés de foi juives ou chrétiennes se sont servies de la Septante, elles ne comparaient pas leur texte avec l’original dont elles ne connaissaient probablement pas la langue. En ce sens, conclue-t-il, une théologie de la Septante peut être écrite de la même manière qu’on écrit la théologie de la Bible hébraïque. Cette approche 30

Ce qui paraît improbable, mais ce cas théorique doit être pris en compte. Voir p. 34. 32 Voir aussi AEJMELAEUS, « Von Sprache zur Theologie », 23. Cependant l’attribution d’un changement dans la Septante par rapport au TM à une volonté théologique n’est pas simple à déterminer et nécessite un travail d’enquête digne de « Sherlock Holmes » (Ibid., 30–32). Ainsi un exemple de changement théologique que donne l’auteur est l’altération systématique des métaphores divines telles que « Rocher » en un terme grec qui explicite la métaphore. Il est souvent admis que le traducteur veut marquer la transcendance de Dieu. Aejmelaeus ne doute pas que ce changement soit dû au traducteur. Elle prend en considération, cependant, le fait que l’alternative ne soit pas entre ce qui est théologiquement acceptable ou inacceptable. Il se pourrait simplement que les métaphores bibliques ne fonctionnaient plus à l’époque hellénistique, qu’elles soient totalement désuètes, sans qu’il y ait de choix théologiques derrière cela. 33 Voir aussi AEJMELAEUS, « Von Sprache zur Theologie », 24–26. Elle prend comme exemple Is 7,14 et son utilisation de παρθένος. En relation avec l’hébreu, le mot n’indique pas la naissance miraculeuse du roi. Ainsi l’interprétation chrétienne de ce verset appartient bien à l’histoire de la réception. 34 T. MCLAY, « Why not a Theology of the Septuagint », Die Septuaginta – Texte, Theologien, Einflüsse. 2. Internationale Fachtagung veranstaltet von Septuaginta Deutsch (LXX.D) Wuppertal 23. – 27. 7. 2008 (éd. par W. Kraus et M. Karrer, en collaboration avec M. Meiser, WUNT 252, Tübingen : Mohr Siebeck, 2010), 607–620. 31

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sauvegarde la démarche théologique de la faiblesse inhérente à la méthode comparative : l’absence de la Vorlage. McLay a raison quand il laisse entendre que la théologie de la Septante ne se résume pas aux écarts de la Septante avec celle-ci. En ce qui concerne les mots de la famille de παιδεύω, cela signifie que même si le traducteur comprend ces mots comme les exacts correspondants de la racine ‫יסר‬, cela n’a pas plus de valeur que lorsqu’un Juif ou un Chrétien hellénisé l’interprète comme « éduquer » au sens classique du terme. Nous obtenons alors « des théologies » de la Septante qui dépendent des prismes par lesquels le texte est étudié. Dans ce cadre, la Septante a été interprétée d’une façon qui mène au Dieu éducateur35. Cependant, la véritable question est : l’a-t-elle été par les traducteurs ? Pour cette question, une approche historique qui conserve la distinction entre le traducteur et le lecteur et le lien entre Grec et Hébreu garde tout son intérêt36. Au terme de ce parcours sur la validité d’une théologie de la Septante, il peut être dit qu’il est possible de mieux définir les croyances et présupposés théologiques du traducteur, en employant une méthode qui étudie le lien entre la LXX et le TM, en gardant en l’esprit l’existence d’une Vorlage disparue, ainsi que la possibilité de retouches de la LXX. Les résultats doivent rester modestes.

2. Validité d’une méthode lexicale On peut également se poser la question de la démarche lexicale que nous entreprenons. Dans quelle mesure peut-on comparer deux lemmes de langues aussi différentes ? Le coup de tonnerre que fut la parution de The Semantics of Biblical Language par J. Barr s’entend encore de nos jours. Les critiques qu’il a portées contre le TDNT n’ont pas rendu cet important ouvrage totalement inutile mais a permis d’en connaître les sérieuses limites méthodologiques. Il dénonce notamment l’idée que le christianisme a donné aux anciens mots grecs des champs sémantiques nouveaux. Barr estime que les chrétiens ont bâti des idées théologiques spécifiques en les forgeant par des phrases composées de mots qui conservaient le champ sémantique qu’ils possédaient en grec37. On ne peut cependant pas suivre Barr, jusqu’au bout de sa logique. Il n’est pas possible de penser que l’occurrence de παιδεία en 2 Esd 7,26 signifie « éducation » alors que le contexte suppose que ce terme signifie un châtiment.

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Voir par exemple l’interprétation de Dt 32,10 par Clément d’Alexandrie, Paed. 1,56,1. Ainsi COOK, « Interpreting the Septuagint », 605–606. 37 BARR, The Semantics, 218. 36

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Faut-il considérer qu’il s’agit d’une « erreur » de traduction38 puisque le champ sémantique grec de παιδεία ne correspond pas au contexte ? Une position raisonnable serait de dire qu’il signifie « correction39 » sous la signification de « l’éducation dans son aspect contraignant »40. Cela est peu probable ; il s’agit plutôt d’une punition par des coups de bâtons41. C’est-à-dire que παιδεία est utilisé ici dans un sens étranger à la littérature classique. Soit la Septante reflète un état de langage familier qui n’a pas accédé à la littérature, soit il y a eu glissement sémantique. Dans tous les cas, on ne peut pas affirmer, sans examen, que la Septante exprime ici des idées en utilisant les mots dans le champ sémantique qu’ils ont dans le grec classique42. C’est ainsi que Boyd-Taylor critique l’apport de Barr. Il est inestimable quand il s’agit de critiquer les approches lexicographiques biaisées mais il reste assez pauvre quand il s’agit de construire positivement des critères permettant d’étudier la lexicographie et son rapport avec la théologie biblique43. De fait, lorsqu’on travaille avec la Septante, on atteint également les limites de l’exercice de déconstruction de Barr. Ainsi, en Pr 3,11, ‫ מ ַוּסַר י ְהוָה ְבּנִי אַל־ ִתּמְאָס‬et Υἱέ, μὴ ὀλιγώρει παιδείας κυρίου signifient-il la même chose ou deux choses différentes ? Autrement dit, sommes-nous en droit de les traduire par la même phrase française ou non ? Or, lorsque nous examinons l’équivalence lexicale entre παιδεία et ‫מוּסָר‬, les significations proches de ‫ מָאַס‬et de ὀλιγωρέω ainsi que l’aspect mineur du changement de place des mots signifiant « fils », il apparaît que la Vorlage était proche du TM. En conclusion, pour le traducteur, ces deux phrases signifieraient bien la même chose. Tout au plus pourrions-nous traduire ὀλιγωρέω autrement que ‫ מָאַס‬pour rendre compte du fait que le traducteur a voulu choisir un terme rare dans la Septante44. De même, si on reprend l’écart entre le TM et la LXX concernant le temps de la deuxième occurrence du verbe παιδεύω de Dt 8,5, nous pouvons faire les deux constats suivants : 1. Le TM utilise un participe présent tandis que la LXX utilise un futur ; 38 A. CANESSA, « Études sur la Bible grecque des Septante: 1 Esdras » (Thèse de doctorat, Université de Provence, 1996), 271. 39 T. JANZ, Deuxième livre d’Esdras (BA 11.2, Paris : Cerf, 2010), 231. 40 DOGNIEZ et HARL, Le Deutéronome, 170. 41 Ibid., 256. 42 C’est le problème que souligne D. HILL, Greek Words and Hebrew Meanings – Studies in the Semantics of Soteriological Terms (SNTSMS 5, Cambridge : University Press, 1967), 14. On ne peut affirmer de manière catégorique que les judéo-chrétiens d’expression grecque élaboraient des idées typiques en utilisant des phrases avec des mots ayant le même champ sémantique qu’en grec classique. 43 C. BOYD-TAYLOR, « The Semantics of Biblical Language Redux », “Translation is Required”. The Septuagint in Retrospect and Prospect (éd. par R.J.V. Hiebert, SBLSCS 56, Atlanta, Ga.: SBL, 2010), 42–44. 44 Voir p.296.

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2. Le TM utilise ‫ יָסַר‬dans un sens qui peut être « éduquer » ou « corriger », la LXX utilise παιδεύω dans un sens qui est clairement « corriger »45. La différence entre le TM et la Septante peut être due à la traduction de la Septante. Dans ce cas, Bertram a tort puisque la Septante intensifie l’aspect correction. La différence peut également être due à la Vorlage. Cependant, Bertram a de nouveau tort car παιδεύω est utilisé dans le sens « corriger » et non « éduquer ». Malgré notre ignorance de la Vorlage et de la technique de traduction, on peut donc en déduire que la Septante, sur ce passage, ne témoigne pas d’une intensification de l’aspect « éducation ». En revanche, et quelle que soit l’origine de cet aspect46, la Septante témoigne de l’idée selon laquelle Dieu corrigera son peuple en Terre promise s’il ne se conforme pas aux commandements. Cependant, si ‫ מ ַוּסַר‬signifie « correction » ou « reproche » et que παιδεία signifie « éducation », nous faisons face au problème de la différence des champs lexicaux. Comment concilier les sens les plus oppressifs de ‫ יָסַר‬avec παιδεύω47 ? A-t-on le droit de forcer le sens de ‫ יָסַר‬pour qu’il rentre dans le champ sémantique de παιδεύω ? Dans ce cas, ne doit-on pas tenir l’option inverse ? N’est-ce pas παιδεία qui aurait évolué vers ‫ ? מ ַוּסַר‬Le terme παιδεία serait un mot grec à sens hébreu48. Tov donne une clé d’interprétation qui pourrait se révéler fructueuse. La Septante est un texte grec et doit être étudié comme tel. Cependant, en tant que texte de traduction, elle intègre un certain nombre de caractéristiques de son langage source. Tov remarque que les mots grecs sont souvent polysémiques et que seul l’hébreu présumé de la Vorlage peut donner le sens réel49. Néanmoins, la polysémie du lemme grec retrouve sa richesse dès lors qu’on perd le lien avec l’hébreu. Autrement dit, seule l’équivalence lexicale permet de saisir le sens du mot de la Septante. En revanche, les lectures ultérieures peuvent relire le texte de la Septante avec d’autres nuances 50 . En ce qui concerne la lexicographie de la Septante, la priorité, dit-il, doit être donnée à l’intention du

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En effet, par ce futur, l’action divine ne se déroule pas au désert, comme le TM, mais dans la Terre promise. Voir p. 256–257. 46 Peut-on aller plus loin ? Puisque cette idée est déjà présente dans le TM (Lv 26,18.23.28), elle pourrait avoir été présente dans la Vorlage de DtLXX 8,5. Le TM témoignerait alors d’un changement : Dieu ne corrige pas le peuple en Terre Promise, mais dès le désert. 47 Exemple 1 R 12,11.14. 48 Comme d’autres mots voir HILL, Greek Words, 288–300. 49 E. TOV, « Three Dimensions of LXX Words », The Greek and Hebrew Bible. Collected Essays on the Septuagint (éd. par E. Tov, SVT 72, Leyde : Brill, 1999), 87. 50 TOV, « Three dimensions », 91.

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traducteur, plutôt qu’aux interprétations que des relecteurs ultérieurs peuvent avoir51. Autrement dit, le traducteur de Dt 8,5 a utilisé παιδεύω parce que la notion de correction corporelle appartiendrait à son champ sémantique. En revanche, des relecteurs ultérieurs, ayant perdu le lien avec l’hébreu, ont interprété παιδεύω comme « éduquer ». Lorsqu’il y a une grande équivalence entre un mot grec et un mot hébreu, le premier devient le symbole du second. Le mot grec pointe vers le mot hébreu et le mot hébreu pointe vers le concept hébreu. Cependant, n’est-ce pas donner trop d’importance à la Bible Hébraïque que de penser que les mots grecs ont perdu toute leur sémantique classique quand ils ont été utilisés dans la Septante ? Lee accepte la plupart des conclusions de Tov, mais il estime que le traducteur lui-même a pu jouer sur la polysémie des termes grecs52. D’autre part, Lee met Tov en contradiction. En effet, ce dernier peut-il dire que les mots grecs deviennent un simple « symbole » du mot hébreu tout en continuant d’affirmer que le traducteur a un rôle prépondérant ? En effet, que peut-on dire de la volonté du traducteur si celui-ci a simplement appliqué une règle automatique53 ? Les récentes contributions de Joosten et de Boyd-Taylor prennent également en compte le facteur temps. Il ne faut pas uniquement comparer les champs sémantiques de deux mots hébreux et grecs, il faut également se demander si ces champs n’ont pas évolué, ce qui permettrait de résoudre la tension entre les deux mots. L’examen par Joosten de l’équivalence entre la racine ‫ חסד‬et ἔλεος illustre bien ce problème54. Alors que la majorité des chercheurs pensaient que le mot ἔλεος possédait un sens spécifique dans la Septante, Joosten démontre que c’est en fait le champ sémantique de la racine ‫ חסד‬qui a évolué aux temps hellénistiques. De même, Boyd-Taylor considère que l’équivalence entre ‫בטח‬, « faire confiance » et ἐλπίζω « avoir espoir » traduit plutôt un changement de piété qu’un changement sémantique du verbe grec55. Ces deux contributions 51 Cette distinction entre travail du traducteur et celui du lecteur se trouve également dans notre discussion de la validité d’une théologie de la Septante. Voir surtout AEJMELAEUS, « Von Sprache zur Theologie », 24–26. 52 J.A.L. LEE, « Equivocal and Stereotyped Renderings in the LXX », RB 87 (1980), 104. Cf. également P. LEFEBVRE, « Les mots de la Septante ont-ils trois dimensions ? Φωστήρες εἰς ἀρχάς (Gn 1,16) », « Selon les Septante ». Hommage à Marguerite Harl (éd. G. Dorival et O. Munnich, Paris : Cerf, ), 1995, 303–308 dans sa discussion sur Gn 1,16 : la traduction de la vieille latine que prend Tov comme exemple d’une relecture ultérieure ne témoigne pas d’un changement aussi absolu que le prétend Tov. La vieille latine indiquerait simplement que le traducteur grec aurait consciemment traduit le passage de manière équivoque. 53 LEE, « Equivocal and Stereotyped Renderings », 113–114. 54 J. JOOSTEN, « ‫“ חסד‬bienveillance” et ἔλεος “pitié”. Réflexion sur une équivalence lexicale dans la Septante », « Car c’est l’amour qui me plait, non le sacrifice… » Recherches sur Osée 6 :6 et son interprétation juive et chrétienne (éd. par E. Bons, SJSJ 88, Leyde : Brill, 2004), 25–42. 55 BOYD-TAYLOR, « Semantics », 50–57.

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montrent que la correspondance sémantique s’est finalement faite au plus proche du grec. L’étude du Dieu éducateur dans la Septante est donc possible, mais doit être effectuée en relation constante avec le TM. Aussi, nous garderons l’idée de Tov qu’il faut se consacrer à l’intention du traducteur et qu’il s’agit de comparer les champs sémantiques. Mais nous serons également attentifs aux mises en garde de Lee, Joosten et Boyd-Taylor. Le point d’accroche de cette thèse est la grande correspondance lexicale entre la racine ‫ יסר‬et les mots de la famille de παιδεύω. À cet égard, la méthode décrite par Joosten dite de l’étude des équivalents lexicaux est particulièrement pertinente. Par exemple, l’équivalence entre ‫ יהוה‬et κύριος ou entre ‫ בּ ְִרית‬et διαθήκη résulte bien évidemment d’une technique routinière de traduction, qui peut parfois conduire à des contresens. Cependant, derrière cette routine, il y a eu un choix. Tenter de comprendre ce choix peut permettre de discerner les présupposés théologiques des traducteurs. Le TM n’est pas identique à la Vorlage de la Septante, mais si le TM possède un mot de la racine ‫ יסר‬et la LXX un mot de la famille de παιδεύω, alors il est raisonnable de penser que la Vorlage possédait un mot de la racine ‫יסר‬. L’étude devra donc d’abord s’intéresser à cette équivalence lexicale. Ensuite, elle s’intéressera aux cas où les mots de la famille de παιδεύω ne correspondent pas à ‫ יסר‬pour déterminer si les champs lexicaux sont identiques ou différents de ceux que déploie παιδεύω quand il correspond à ‫יסר‬. Étant donnée l’équivalence systématique entre les mots de la racine ‫ יסר‬et ceux de la famille de παιδεύω, il est intéressant de déterminer si la Septante introduit une théologie spécifique quand elle utilise ce dernier lemme pour traduire un mot hébreu qui ne le suppose pas. Il faudra évidemment enlever les cas où le traducteur a lu un mot de la racine ‫יסר‬, là où le TM a lu une autre racine ressemblante, telle que ‫אסר‬. Il faudra également tenir compte de la spécificité de traduction de chaque livre, avoir en l’esprit que ces changements peuvent avoir pour cause la Vorlage du texte, sa transmission ou bien des considérations non théologiques du traducteur56. Notre question initiale peut alors être subdivisée en deux : 1. Pourquoi les traducteurs grecs ont-ils choisi les mots de la famille de παιδεύω pour traduire les mots de la racine ‫ ? יסר‬Ce choix a-t-il des 56 Ainsi que l’ont bien résumé K.H. JOBES et M. SILVA, Invitation to the Septuagint (Grand Rapids, Mi. : Baker Academic, 2000), 90 : la valeur de la Septante pour une étude théologique est inversement proportionnelle à sa valeur pour une critique textuelle. Chaque chercheur se positionne différemment pour attribuer une différence à la Vorlage ou à une décision délibérée du traducteur.

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répercussions sur la présentation de Dieu, et, si oui, ce changement est-il précisément dû à ce choix de terminologie ? 2. Les nombreuses occurrences des mots de la famille παιδεύω dans la Septante ont-ils la même utilisation que les occurrences précédentes et, si non, quelles présentations de Dieu ces différentes utilisations montrent elles ?

3. Définition du corpus De la méthode présentée dans le paragraphe précédent découle immédiatement le corpus de texte considéré. Il comportera uniquement les textes grecs de traduction. C’est pourquoi, parmi les textes contenant des occurrences des mots de la famille de παιδεύω, le livre de la Sagesse ainsi que le deuxième et le quatrième livre des Maccabées seront écartés. De plus, parmi les textes de traduction, seuls ceux dont nous disposons un témoin hébraïque seront étudiés57. Le Siracide reste un cas à part que nous avons dû écarter. En effet, nous ne disposons pour ce texte que de témoins hébraïques incomplets dont la capacité à permettre l’accession au texte original est débattue58. De plus, le principal témoin d’une éducation divine (Si 18,14) fait partie d’un passage pour lequel nous ne possédons pas de contrepartie hébraïque. Enfin, nous n’avons pas étudié systématiquement les réviseurs. La principale raison est qu’ils ne nous sont connus que partiellement et qu’une édition critique est nécessaire avant d’effectuer un réel travail philologique d’ensemble. Le corpus sera donc composé de l’intégralité des textes de Ra. ayant un correspondant dans le TM59. 57

C’est ce critère qui permet d’écarter a priori tout texte n’appartenant pas à Ra. Nous ne disposons pas pour ces textes de témoins complets hébraïques ou même araméens. Il convient également de constater que les mots de la famille de παιδεύω n’y sont pas prépondérants (Parmi les pseudépigraphes de l’Ancien Testament qui ne sont pas dans Ra., les mots de la famille de παιδεύω sont présents dans T. Zeb. 2,3. Il s’agit du testament de Zébulon qui est bien traduit d’un original sémitique, mais dont nous ne possédons aucun témoin (H.C. KEE, « Testaments of the Twelve Patriarchs », OTP 1 [1983], 776–777). Pour Apoc. Bar. 1,2, il n’est pas certain qu’il n’y ait jamais eu un original sémitique, (voir H.E. GAYLORD, JR., « 3 (Greek Apocalypse of) BARUCH », OTP 1 [1983], 655). En ce qui concerne Apoc. Sedr. 3,8, l’ouvrage a probablement été directement rédigé en grec (S. AGOURIDES, « Apocalypse of Sedrach », OTP 1 [1983], 605–606). Aucun doute n’existe quant au fait que les occurrences dans Let. Arist. 8, Sib. Or. 11,165, dans le dit d’Eupolemus, rapporté par Eusèbe, Praep. ev. 9,8 aient été directement écrites en grec). 58 Voir notamment J. MARBÖCK, Jesus Sirach 1–23 (HThKAT, Fribourg-en-Brisgau : Herder, 2010), 24 59 Nous avons également écarté les Odes qui sont soit des œuvres chrétiennes, soit des copies de passages de la Septante, soit des textes sans contrepartie hébraïque. Parmi ces Odes,

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Un dernier mot doit être dit de la limite d’un tel choix qui prétend à une certaine objectivité mais qui reste sujet, comme tout choix, à des raccourcis subjectifs. Il tend à faire croire que le corpus des textes de la Septante correspondant au TM forme un corpus homogène, ce qui est une approche trop rapide. Le Pentateuque a vraisemblablement été traduit en premier, les Proverbes plus tard60. Si les traducteurs ont fait un choix lexical motivé pour le Pentateuque, il n’en est peut-être pas de même pour les autres livres qui se sont peut-être « contentés » d’appliquer une technique de traduction. D’autre part, les ‘plus’ de la Septante posent problème puisque nous ne disposons pas d’un témoin de la Vorlage, si tant est que ces ‘plus’ n’aient pas été directement composés en grec, soit par le traducteur, soit par un réviseur. De même, de manière encore plus subtile, nous devrions écarter les passages de la Septante qui s’éloignent tellement du TM qu’on peut considérer soit que la Vorlage était très différente, soit que le traducteur ou un réviseur a délibérément considéré que la Vorlage pouvait être modifiée. Cependant, dans le cadre de notre étude, une telle position ultra-critique ne permettrait d’étudier que l’équivalence linguistique entre la racine ‫ יסר‬et les mots de la famille de παιδεύω. Elle ne permettrait pas d’analyser les endroits où la Septante diverge du TM dans un livre donné. Cela serait dommageable à la compréhension du contexte d’utilisation des mots de la famille de παιδεύω. La possibilité même de cette position ultra-critique impose néanmoins la prudence dans les conclusions car il n’est jamais possible de déterminer précisément l’origine des écarts de la Septante et du TM61. Enfin, un tel découpage laisse de côté d’importants témoins. Ainsi, le livre de la Sagesse et les Psaumes de Salomon sont des textes dans lesquels la notion de Dieu éducateur joue un rôle important62. Cependant, un tel découpage rend possible une étude approfondie des concepts dans leur « inter-culturalité » car nous disposons à la fois d’un texte grec et d’un texte hébreu qui sont bien

seules l’Ode 2 (=Dt 32,1–43) et l’Ode 5 (=Is 26,9–20) comportent un mot de la famille de παιδεύω. 60 HARL, DORIVAL et MUNNICH, La Bible grecque, 96–98. 61 Qui se résument à trois grandes possibilités : un écart original entre la Vorlage de la Septante et le TM, un choix de traduction ou une révision ultérieure. 62 Le livre de la Sagesse présente Dieu comme sujet du verbe παιδεύω (Sg 11,9 ; 12,22) et il est significatif que le livre de J.M. REESE, Hellenistic Influence on the Book of Wisdom and Its Consequences (AnBib 41, Rome : Institut biblique, 1970), ne traite pas des mots de la famille de παιδεύω. Quant aux Psaumes de Salomon, ils contiennent autant de fois des mots de la famille de παιδεύω que le Psautier tout entier. On ajoutera également le deuxième et le quatrième livre des Maccabées. Ce dernier effectue une relecture du premier en donnant clairement aux mots de la famille de παιδεύω la signification qu’ils ont en grec classique.

46

Première partie : Introduction

assurés63. Même s’ils ne reflètent pas tout à fait l’état du vieux Grec et de sa Vorlage, ils sont une base de travail appréciable. Cette thèse devra donc être suivie d’études similaires pour les autres textes de la Septante, ainsi que les autres écrits juifs de langue grecque, qu’il s’agisse des réviseurs de la Septante, des deutérocanoniques, des pseudépigraphes, de Philon ou de Josèphe.

4. Plan Le plan qui en découle comporte trois points : 1. on commencera par étudier les témoins hébraïques pour déterminer le champ sémantique de la racine ‫יסר‬64; 2. on s’attachera ensuite à examiner le contexte grec et hellénistique des mots de la famille de παιδεύω, notamment les nuances négligées par la recherche, pour en dégager un champ sémantique le plus complet possible et plus vaste que les seules « éducation » et « culture » ; 3. le troisième point sera consacré à l’équivalence lexicale entre ‫ יסר‬et παιδεύω pour déterminer leur champ sémantique commun puis s’intéressera aux utilisations de παιδεύω à des endroits où le TM ne l’implique pas.

63 Ce choix ne résulte pas d’une valorisation d’un canon en particulier. En effet, il n’est pas aisé de déterminer quel(s) étai(en)t le(s) canon(s) au temps de la Septante (voir également RÖSEL, « Theo-logie, 52). Cependant, parmi tous les textes appartenant à la Septante, seuls ceux ayant un correspondant dans le canon juif possèdent un témoin hébraïque permettant d’avoir un accès à sa Vorlage. Cependant, il doit être bien clair que le TM n’est pas la Vorlage de la Septante mais s’il en est proche. 64 Le problème de l’éducation dans l’ancien Israël ne sera pas abordé. Notre étude reste essentiellement lexicographique. Pour approfondir ce point, voir par exemple le daté L. DÜRR, Das Erziehungswesen im Alten Testament und im antiken Orient (MVAG 36/2, Leipzig: Hinrichs, 1932) et la synthèse plus récente I. LOHMANN, « Erziehung und Bildung im antiken Israel und im frühen Judentum », Handbuch der Erziehung und Bildung in der Antike (éd. par J. Christes, R. Klein et C. Lüth, Darmstadt : WBG, 2006), 183–222.

Deuxième partie

L’hébreu classique

Chapitre premier

La difficile définition de la racine ‫יסר‬ Le problème fondamental de la racine ‫ יסר‬est de cumuler des sens différents qu’il est parfois tentant de concilier. Ainsi, HALOT indique « to instruct, to teach, to bring up » mais aussi « to chastise, to rebuke » qu’il définit comme le sens I de la racine. Ensuite, il définit le sens II « to strengthen ». C’est également le choix qu’effectue DCH. Malgré le fait que BDB ignore ce sens II, la recherche semble avoir atteint un consensus en groupant les occurrences de ‫ יָסַר‬en deux grands ensembles. L’un rassemble les significations liées toutes ensemble à l’éducation et la coercition1, l’autre les significations liées à la force2. Le fait que tous les dictionnaires récents classent sous une même catégorie les sens éducatifs et les sens coercitifs indique que, pour eux, les deux sont associés. Or, il existe des passages bibliques pour lesquels ce terme hébreu semble ne pas développer de nuance éducative. Ainsi, pendant l’épisode où Roboam, par son intransigeance, provoque le schisme entre Juda et Israël (1 R 12,11), ce roi dit : ‫אָבִי יִסַּר אֶתְ כֶם בַּשּׁ ֹוטִים ַו ֲאנִי ֲאיַסֵּר אֶתְ כֶם ָבּעַקְ ַרבִּים‬ Puisque mon père vous a corrigés avec des fouets, moi, je vous corrigerai avec des lanières cloutées ! (TOB)

Le roi Roboam n’a pas le désir d’éduquer son peuple, mais bien plutôt celui de lui causer le plus de souffrance possible. Un autre exemple se trouve en Dt 22,18 : ‫ְו ָל ְקחוּ זִ ְקנֵי ָהעִיר־ ַההִוא ֶאת־ ָה ִאישׁ ְויִסְּרוּ א ֹתוֹ‬ Les anciens de cette ville arrêteront l’homme pour le punir (TOB)

1

Ainsi, R.B. GIRDLESTONE, Synonyms of the Old Testament. Their Bearing on Christian Doctrine (3ème édition, Grand Rapids, Mich. : Baker Book House, 1983), 247.278 place ‫יָסַר‬ dans les champs éducatif et punitif. 2 Cet état de fait est manifeste dans NIDOTTE où deux auteurs différents prennent en charge ces deux sens différents (E.H. MERRIL, « ‫( יָסַר‬yāsar I) », NIDOTTE 2 [1997], 478–481 et R. WAKELY, « ‫( יָסַר‬yāsar II) », NIDOTTE 2 [1997], 481–483). En revanche, pour BRANSON, « ‫» יסר‬, TDOT 6 (1990), 130, la signification liée à la force dérive de la signification première de ‫יָסַר‬.

50

Deuxième partie : L’hébreu classique

Si un homme dénonce faussement sa femme comme n’ayant pas été conduite vierge au mariage et que le père de la mariée montre la preuve de la virginité de sa fille, l’homme est puni. De nouveau, l’éducation ne semble pas être présente. La racine ‫ יסר‬possède un sens violent en dehors du champ sémantique de l’éducation. Or, est-il assuré que la même racine signifie « éduquer » ? Il y a là un réel problème d’ordre interprétatif. La notion d’éducation étant assez difficile à définir, il est très facile de l’observer à chaque fois que la racine ‫ יסר‬apparaît. L’observation de quelques traductions modernes de Dt 8,5 va permettre de développer cette idée. Le TM donne ‫ְוי ָדַ עְתָּ עִם־ ְל ָב ֶב כִּי ַכּ ֲאשֶׁר יְיַסֵּר ִאישׁ אֶת־בְּנוֹ י ְהוָה אֱ הֶי מְ יַסּ ְֶר ָךּ‬ Et tu reconnais, à la réflexion, que le SEIGNEUR ton Dieu faisait ton éducation comme un homme fait celle de son fils (TOB) Sache donc bien que le SEIGNEUR, ton Dieu, t’instruit comme un homme instruit son fils. (Segond) Comprends donc que Yahvé ton Dieu te corrigeait comme un père corrige son enfant. (BJ) Thou shalt also consider in thine heart, that, as a man chasteneth his son, so the LORD thy God chasteneth thee. (KJV)

Les traductions modernes se divisent entre celles qui mettent l’accent sur l’action éducative de Dieu et celles qui mettent l’accent sur son action coercitive. Or, le contexte parle de l’errance dans le désert pendant laquelle Dieu a appauvri son peuple, lui a fait avoir faim et soif tout en lui donnant la manne. L’action de Dieu est dure mais, en même temps, elle ne conduit pas à la mort. De la même façon, un père peut châtier son fils mais ne va pas jusqu’à le tuer (Pr 13,24). Les traductions de la BJ ou de KJV correspondent davantage à ce contexte. Dans ce cas, celles de la TOB ou de Segond ne sont-elles pas dues au fait que la LXX traduit systématiquement ‫ יָסַר‬par παιδεύω ? Un autre passage du Deutéronome permet de conforter cette idée : ‫שׁר ָר ִאיתָ ֲאשֶׁר נְשָׂאֲ י ְהוָה אֱ הֶי כַּאֲשֶׁ ר ישָּׂ א־ ִאישׁ אֶת־בְּנוֹ‬ ֶ ‫( וּבַמּ ְדבָּר ֲא‬Dt 1,31) Et dans le désert où tu as vu le SEIGNEUR ton Dieu te porter comme un homme porte son fils (TOB)

La structure de la sentence est similaire : l’action de Dieu est comparée à celle d’un homme envers son fils. Cependant, ici, le verbe utilisé est ‫ נָשָׂא‬qui signifie : « porter » ou « soutenir ». Personne ne prétend que ‫שׂא‬ ָ ָ‫ נ‬signifie « éduquer ». Alors, ‫ יָסַר‬pourrait, de la même manière, ne pas signifier « éduquer » mais simplement « corriger » ou « châtier ». Autrement dit, la principale raison pour

Chapitre 1 : La difficile définition de la racine ‫יסר‬

51

laquelle on traduirait ‫ יָסַר‬par « éduquer » ne provient pas du contexte mais de la Septante. Si celle-ci avait utilisé le verbe κολάζω, « châtier », les traductions de la TOB et de Segond ne seraient pas acceptables. Le traducteur grec a choisi παιδεύω et ce point sera analysé dans la dernière partie de ce livre. Cependant, il n’en reste pas moins vrai que ce choix systématique a pu fausser la vision que les chercheurs modernes ont de ‫יָסַר‬. Le champ sémantique n’est peut-être pas aussi unifié que l’on pouvait l’imaginer, comme le montre la diversité de mots pour traduire cette racine dans les autres traductions antiques 3 . Ainsi, la signification éducative provient peut-être davantage de l’interprétation des chercheurs que du contexte des passages étudiés. Ce débat sur l’étymologie est bien représenté par l’opposition entre le TWAT/TDOT et le THAT. D’un côté, Branson 4 soutient que la racine signifie initialement « instruire». Selon lui, elle se retrouve avec une telle signification dans diverses langues sémitiques : ougaritique, arabe, akkadien. La première évolution rend ‫יָסַר‬ synonyme de « corriger » du fait des méthodes pédagogiques contemporaines. L’étape suivante consiste en ce que ce lemme hébreu perde complétement la nuance éducative5. La signification « fortifier » dérive également du sens fondamental : « éduquer », c’est également « fortifier » 6 . Merril 7 et Euteneuer 8 acceptent la thèse de Branson. Cependant, Merril rappelle les racines sémitiques évoquées par Branson9. Il indique que ‫ יָסַר‬signifie l’éducation coercitive et note que la frontière avec la punition est ténue. Il doit alors concéder que le passage 1 R 12,1–19 est difficile. La tentative de Roboam d’alourdir sa puissance sur son peuple exprimée par le verbe ‫ יָסַר‬serait mieux traduite par « oppresser ». Par cette concession, Merril souligne la principale critique à apporter à ce modèle. Les strates réputées plus anciennes du TM (Dt 22,18 ; 1 R 12,1–19) utilisent la racine ‫ יסר‬dans le sens de « punir », « châtier », « faire mal » sans connotation éducative, alors que les strates les plus récentes (notamment Pr 1– 9 ou le Siracide) utilisent la racine à la fois dans le sens de « châtier » et d’« éduquer ». Pour appuyer son argumentation, Branson est obligé de mettre

3

Voir p. 229–230. BRANSON, TDOT, 6, 127–134. 5 Ibid., 130. 6 Ibid. 7 MERRIL, NIDOTTE, 2, 479–483. 8 « Eine Robuste Form », M. EUTENEUER, « ‫ יַסָר‬jāsar », TWQT 2 (2013), 178. 9 L’ougaritique, l’arabe šwr et l’akkadien esēru. 4

52

Deuxième partie : L’hébreu classique

en doute la datation de ces textes 10 et d’émettre un postulat invérifiable : lorsque la racine ‫ יסר‬apparaît dans les textes, elle a déjà développé l’ensemble de ces nuances. Il est également amené à faire l’hypothèse d’une datation précoce de la plupart des textes possédant cette racine11. D’autres chercheurs privilégient la thèse inverse à celle de Branson. Ainsi, von Rad, dans une note de son livre sur la théologie de l’Ancien Testament 12 , indique que le terme ‫מוּסָר‬, signifiant initialement « châtiment », désigne ensuite le résultat de ce châtiment : un esprit discipliné. Cette évolution permet à ce terme de devenir synonyme de Sagesse, ‫ ָחכְמָה‬, d’intelligence, ‫בִּינָה‬, (Pr 23,13) ou de conseil, ‫ ֵעצָה‬, (Pr 19,20). Sæbø13 est en accord avec von Rad. Il est prudent sur l’étymologie de la racine14. Il propose cependant que la racine signifie principalement zurechtweisen, « réprimander » et possède originellement une connotation de violence. Le glissement vers l’éducation s’est produit lorsqu’on a utilisé cette racine pour désigner la coercition éducative physique et verbale, puis enfin pour désigner le résultat de l’action coercitive, à savoir l’obéissance. Ainsi, cette racine pourra-t-elle être utilisée dans le champ sémantique de l’éducation et désigner en toute fin d’évolution l’éducation par elle-même15. De même, Gerleman, dans une contribution visant à expliquer l’apparition de notions abstraites dans l’hébreu classique16, s’appuie sur la note de von Rad pour décrire le processus passant d’une activité objective, la correction corporelle, à un ressenti abstrait, résultant de cette activité, à savoir l’esprit discipliné. Pour approfondir ce point, nous allons étudier l’étymologie de cette racine, dans laquelle nous inclurons les éventuelles influences extérieures qu’elle a pu subir. Ensuite, nous effectuerons une étude lexicographique de la racine et, enfin, nous définirons son champ sémantique, notamment dans son rapport avec Dieu.

10

BRANSON, TDOT, 6, 128. BRANSON, TDOT, 6, 128. 12 G. VON RAD, Theologie des Alten Testaments (2 volumes, Munich : CHR Kaiser, 1957), 1,429. 13 M. SÆBØ, « ‫יסר‬, jsr, züchtigen », THAT 1 (1984), 738–742. 14 En accord également avec J. BARTH, Etymologische Studien zum semitischen insbesondere zum hebräischen Lexicon (Leipzig : Hinrichs, 1893), 55. 15 SÆBØ, THAT 1, 739. Voir également P.R. GILCHRIST, « ‫יָסַר‬, (yāsar) discipline, chasten, instruct », TWOT 1 (1980), 386. 16 G. GERLEMAN, « Bemerkungen zum Alttestamentlichen Sprachstil », Studia Biblica et Semitica. Theodoro Christiano Vriezen (Wageningue: Veenman & Zonen, 1966), 112. 11

Chapitre deux

Etymologie et influences externes Les études étymologiques sémitiques consistent principalement en une analyse des racines comparables dans les diverses langues de cette famille, admettant un développement temporel du sens des mots dérivant de ces racines selon le génie propre à chaque langue. Les relations entre les langues sont précisées par des lois phonologiques liant certaines familles de langues aux autres1. Cette science n’arrive pas toujours à des conclusions définitives, dans la mesure où : 1. malgré leur grande force, les lois phonétiques ne sont pas toujours univoques ; 2. quand il s’agit de comparer deux langues ayant été vivantes sur plusieurs millénaires, il faut tenir compte de la complexité de l’évolution de ces deux langues ; 3. quand il s’agit de comparer deux langues, dont l’une est mal documentée, force est de constater que la détermination du sens des mots de la première fait appel à ceux de la seconde. Si on utilise cette langue mal documentée pour déterminer l’étymologie de l’autre langue, on tombe dans un argument circulaire : l’étymologie d’un mot est basée sur le sens d’un autre, lui-même basé sur la signification du premier.

1 Voir, par exemple, J. BARR, « Etymology and the Old Testament », Language and Meaning : Studies in Hebrew Language and Biblical Exegesis. Papers read at the Joint BritishDutch Old Testament Conference Held at London, 1973 (éd. par J. Barr et al., OtSt 19, Leyde : Brill, 1974), 3.

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Deuxième partie : L’hébreu classique

1. L’étymologie a. La difficulté à déterminer la racine sémitique de ‫יסר‬ La racine ‫ יסר‬dérive très probablement de la racine sémitique théorique 2 *WSR.3 La modification de la consonne faible *W en *Y est une caractéristique des langues sémitiques occidentales septentrionales4. Cette altération permet d’introduire aux difficultés majeures des études étymologiques sémitiques. En effet, deux caractéristiques de cette racine la rendent difficile à reconnaître dans les autres langues sémitiques : 1. La racine débute par une consonne faible appelée aussi semi-voyelle. Or, celle-ci a tendance à ne pas se maintenir. Dans le système hébraïque, elle a muté en *Y, mais elle est parfois conservée, notamment dans le substantif ‫ מוּסָר‬ou dans les conjugaisons niphal, hiphil et hophal, alors qu’elle tombe complétement dans l’imparfait qal. Ainsi, une telle racine peut avoir des formes débutant par un waw, un yod ou ressembler à une racine bilitère. Dans un même ordre d’idée, l’akkadien, par exemple, a fait tomber les consonnes faibles *Y et *W initiales ainsi que les laryngales *ʼ et *ʽ initiales5. En conséquence, la racine *WSR se retrouve en concurrence avec *ʼSR dont le aleph initial ne se maintient pas toujours ou n’est pas toujours pris en compte6. L’hébreu possède un bon exemple illustratif puisque le substantif ‫ מוֹסָר‬provient de la racine ‫ אָסַר‬signifiant « lier »7. Enfin, les autres racines faibles, telles que *SWR, ou qui sont à consonnes doubles, telles que *SRR, peuvent donner des formes similaires à celles dérivant de *WSR. Or, il est possible que certaines formes attribuées dans le TM à la racine ‫ יסר‬dérivent en fait de ‫אסר‬. De plus, les champs sémantiques ne sont pas complétement

2

Qu’une langue proto-sémitique ait existé ou ne soit qu’une reconstruction hypothétique est débattu. Cf. M. LANGLOIS, « À propos de J.-C. HAELEWYCK, Grammaire comparée des langues sémitiques », Le Muséon 122 (2009), 204. La réponse à cette question déborde du cadre de cette thèse. 3 Les racines sémitiques sont translittérées selon DRS. 4 J.-C. HAELEWYCK, Grammaire comparée des langues sémitiques éléments de phonétique, de morphologie et de syntaxe (Langues et cultures anciennes 7, Bruxelles : Safran, 2006), §207. 5 HAELEWYCK, Grammaire, §199.205.208. 6 Pour un phénomène similaire entre les verbes ‫ יָסַף‬et ‫ אָסַף‬dans la Septante, voir E.Y. KUTSCHER, The Language and Linguistic Background of the Isaiah Scroll (1 Q Isaa) (STDJ 6, Leyde : Brill, 1974), 220 et E. TOV, « Biliteral Exegesis of Hebrew Roots in the Septuagint? », Hebrew Bible, Greek Bible, and Qumran. Collected essays (éd. par E. Tov, TSAJ 121, Tübingen : Mohr Siebeck, 2008), 389–391. 7 Joüon, §24d ; §88Lh. Voir également F.I. ANDERSEN et A.D. FORBES, Spelling in the Hebrew Bible (BibOr 41, Rome : Institut biblique, 1986), 85–88.

Chapitre 2 : Étymologie et influences externes

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isolés, ouvrant la voie à la possibilité d’une contamination de l’un par l’autre8. 2. La deuxième difficulté réside dans la présence de la lettre représentant la sonorité dentale alvéolaire spirante sourde9 [S], qui est souvent confondue avec l’autre alvéolaire spirante sourde : [Ś]10. Ainsi, en hébreu, ‫ שׂוּר‬peut signifier « dévier » 11 , la signification communément admise pour ‫סוּר‬12 . D’autre part, l’examen des mots akkadiens empruntés dans la langue hébraïque a montré que depuis une même langue sémitique originelle, la spirante d’une même racine pouvait donner d’un côté la sonorité [Ś] et de l’autre la sonorité dentale pré palatale spirante sourde [Š] 13 . Ainsi, des différences dialectales ont pu permuter les phonèmes [S] ou [Ś] et [Š]14. On se rappellera l’épisode du livre des Juges (Jg 12,6) relatant le test permettant de détecter l’origine tribale d’une personne : ‫שׁבֹּלֶת וַיּ ֹאמֶר סִבֹּלֶת‬ ִ ‫וַיּ ֹאמְרוּ ו ֱאמָר־נָא‬ alors ils lui disaient : « Eh bien! Dis Shibboleth. » Il disait : « Sibboleth » (TOB)

La conséquence de ces particularités est la présence dans DRS des définitions suivantes pour la racine *WSR : 1. Instruire, châtier, réclamer un paiement ;

8 Cette proximité permet de penser que ‫ יָסַר‬et ‫ אָסַר‬dérivent en fait l’un de l’autre : « lier » et « restreindre » seraient devenus « châtier », « punir », Cf. B. MORRISON, Wonderful Words. A Study in Countersense (Johannesbourg : City Book Agency, 1954), 298–299. Un point d’appui pourrait être le fait que ‫ אָסַר‬désigne la soumission d’un animal de bât à son joug (1 S 6,6.10). CSD indique qu’en syriaque cette même racine peut développer un sens métaphorique de pouvoir. Une nuance punitive peut se trouver dans ‫ אָסַר‬qui sert également à définir un emprisonnement (2 R 17,4). D’autre part, de tels rapprochements ont été utilisés plus tard pour expliquer l’étymologie des mots hébreux : les mots hébreux proches par leur sonorité seraient proches par leur sens (voir EDBH, xi). EDBH, s.v. ‫אסר‬, ‫יסר‬, sur la base d’un exégète juif du dix-neuvième siècle, propose ainsi l’étymologie de ‫ יסר‬comme signifiant « restreindre, poser une limite » en rapprochant de ‫ אסר‬et en faisant des racines ‫סרר‬, ‫ סרה‬et ‫ סור‬des dérivés. Ce rapprochement demanderait une démonstration rigoureuse. 9 La classification des sonorités est reprise par convention de HAELEWYCK, Grammaire, 48–49. 10 HAELEWYCK, Grammaire, §158–172. 11 BDB, HALOT. 12 On ne gardera pas la lecture de 4Q41, I, 1 suggéré par H. STEGEMANN, « Weitere Stücke von 4 Q p Psalm 37, von 4 Q Patriarchal Blessings und Hinweis auf eine unedierte Handschrift aus Höhle 4 Q mit Exzerpten aus dem Deuteronomium », RQ 6 (1967–1969), 223, n.103. Elle attesterait de la graphie ‫ יישר‬pour ‫ ייסר‬en Dt 8,5 mais DJD XIV ne suit pas une telle lecture et, de fait, l’examen des planches de ce volume infirme le point de vue de STEGEMANN. 13 P. MANKOWSKI, Akkadian Loanwords in Biblical Hebrew (HSS, Winona Lake, Ind. : Eisenbrauns, 2000), 155–157. 14 HAELEWYCK, Grammaire, §166.

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Deuxième partie : L’hébreu classique

2. Être instable, négligent, astuce, habilité. Ici DRS souligne la proximité de sens de la racine *SRR ; 3. Lier, se lier, faire un vœu. Ici, DRS indique qu’il s’agit d’une forme secondaire de la racine *ʼSR ; 4. Soude molle ; 5. Mouton. Cela étant expliqué, nous allons essayer de faire un parcours rapide des occurrences de cette racine dans les langues sémitiques15. Il semble qu’on puisse retrouver la racine *WSR dans quatre familles de langues : l’akkadien, l’arabe, l’ougaritique, l’araméen ancien 16 . Le rattachement de l’inscription de Deir ʽAlla à cette dernière famille de langue est débattu. De ce fait, cette inscription sera étudiée dans un paragraphe à part17. b. L’akkadien En akkadien18, deux verbes sont habituellement associés à la racine *WSR : ašāru et esēru. L’examen du CAD permet de trouver un autre verbe d’écriture proche : šūrû, qui signifie « instruire » ou « enseigner ». Cependant, l’explication la plus probable de cette forme verbale est qu’elle soit une forme causative akkadienne de la racine *WRW19. Le verbe hébreu qui dérive de cette même racine est ‫י ַָרה‬. Le lemme ašāru signifie « surveiller », « arranger », « organiser », « prendre soin ». Landsberger20 lui rattache la notion d’enseignement et de conseil. Ainsi, CAD propose un passage qu’il traduit « Come here so I can give you instructions ». Sæbø 21 suggère de le rapprocher avec notre racine. On peut cependant se demander si ce vocable akkadien ne se rapproche pas plutôt du verbe hébreu ‫ שׁוּר‬signifiant « observer », ou de ‫ ָאשַׁר‬signifiant « avancer »22.

15 Les principaux dictionnaires ont été consultés. Cependant, une recherche systématique de cette racine dans les corpus disponibles et dans les textes récemment édités n’a pas été effectuée. 16 HALOT propose également de rapprocher ‫ מוּסָר‬de l’éthiopien māʾsar, mais ce dernier mot semble se rattacher par sa racine et sa signification à la racine *ʼSR. 17 Voir p. 62. 18 Les mots akkadiens sont translittérés tels qu’ils apparaissent dans CAD. 19 Cf. CAD, s.v. šūrû. 20 B. LANDSBERGER et K. BALKAN, « Die Inschrift des Assyrischen Königs Irişum, Gefunden in Kültepe », Belleten 54 (1950), 261. 21 SÆBØ, THAT 1, 738–742. 22 Ainsi BDB.

Chapitre 2 : Étymologie et influences externes

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Branson suggère plutôt un rapprochement de notre racine avec esēru. Il prétend dans le TDOT23 que quatre occurrences de ce lemme possèdent la signification « enseigner ». Malheureusement, ni CAD, ni AHw ne corrobore son affirmation 24 . En fait, esēru possède pour l’une de ses deux grandes significations25 des acceptions qui tournent autour de l’idée d’oppression : « obtenir le remboursement d’une dette », « collecter des tributs », tels que du blé, du métal argent ou des chameaux, « faire pression auprès d’une personne », particulièrement un esclave, pour obtenir obéissance. Ne signifiant pas « instruire », ni « éduquer » mais plutôt « faire pression sur quelqu’un ou sur une collectivité », esēru serait un bon argument pour étayer la thèse de Sæbø, à savoir une origine sémantique de la racine *WSR liée à la coercition26. Cependant, cette idée est tempérée par une remarque de DRS qui suggère de comparer esēru avec la racine arabique ‫( ﻋﺴﺮ‬de la racine *ʽSR) signifiant « être en difficulté », « presser son débiteur pour le paiement d’une dette », « être dur pour quelqu’un »27. Cette dérivation est possible car les sens sont similaires et les laryngales initiales des racines sémitiques sont tombées en akkadien 28. On peut aussi rajouter le verbe hébraïque ‫ עסר‬qui, au poual, signifie être l’objet de la collecte d’une dîme, bien que soit plus probable le rattachement de cette forme peu attestée29 à la racine hébraïque ‫עָשַׂ ר‬, liée au chiffre « dix », dont le verbe signifie « payer le dixième »30.

23

BRANSON, TDOT, 6, 127–128. À ce propos, il est important de noter que la version allemande de l’article en BRANSON, « ‫» יסר‬, TWAT 3 (1982), 688–697, mentionne explicitement que l’akkadien esēru ne possède pas cette signification : « Das akk. esēru bedeutet zwar ‘Zahlung einfordern’, ‘unter Druck setzen’. (BRANSON, TWAT 3, 689) ». L’écart entre la version anglaise et allemande n’est pas explicité. On peut supposer que malgré sa priorité chronologique, l’article en allemand serait une traduction de l’article qui aurait été écrit directement en anglais par BRANSON et repris tel quel dans TDOT. Dans ce cadre, l’affirmation de BRANSON aurait pu être retouchée par les éditeurs germanophones et laissée non retouchée dans le TDOT. 25 Le verbe esēru signifie également « enfermer ». Cette signification rapproche cette forme de la racine *ʼSR. 26 Il est assez curieux de constater que SÆBØ, partisan de la thèse selon laquelle la racine ‫ יָסַר‬se rattache à l’idée de correction, la rapproche de ašāru, ne possédant pas une telle signification, alors que BRANSON, qui prétend que la racine ‫ יָסַר‬signifie d’abord l’idée d’éducation et d’enseignement, la rapproche de esēru. 27 Lane, s.v. indique des significations proches de esēru, telles que « He demanded the debt of the debtor » ou en lien avec la coercition éducative « He rode the she-camel before she was trained ». 28 HAELEWYCK, Grammaire, §199–200. 29 Présent uniquement dans des manuscrits hébraïques. Cf. DCH. 30 Cf. DCH. 24

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Deuxième partie : L’hébreu classique

Si on accepte la remarque de DRS, il n’y a en fait aucun lien entre esēru et ‫יָסַר‬. Tel n’est pas l’avis de Tawil31 qui étudie 1 R 12,11.14 en se basant sur une étude de Weinfeld32. Cette étude ne traite pas du mot esēru mais montre que ce passage possède des références lexicographiques aux traités akkadiens de corvées par lesquels des souverains imposaient ou exemptaient leurs sujets des travaux forcés. Ainsi, il existe de nombreux textes cunéiformes dans lesquels le roi exempte telle ville de corvées ; les tributs de grains n’y seront pas collectés33. Or, le mot « collecter » en akkadien est esēru. Ainsi Tawil propose d’interpréter le passage comme une négociation entre le peuple et Roboam. Le peuple demande au roi d’alléger les corvées et la collecte d’impôts. Celle-ci devait sans doute se faire de manière rude en utilisant des instruments tels que des bâtons ou des fouets. La réponse de Roboam est alors compréhensible : il alourdira la pression fiscale sur son peuple par rapport à Salomon son père. Cette intransigeance provoquera le schisme. Tawil pense également qu’en Dt 22,18, le verbe ‫ י ָ ַסר‬possède cette signification. Lorsque les Anciens arrêtent l’homme qui a porté un faux témoignage contre son épouse, ils ne le punissent pas mais exigent de lui une réparation financière, précisée par Dt 22,19. On peut également rajouter que les verbes ‫ י ָסַר‬et esēru partagent un autre sens commun : celui de désigner la pression exercée sur un esclave pour obtenir obéissance34. Pour Tawil, l’évolution future de cette racine est conforme avec l’idée de Sæbø; la nuance « faire pression sur quelqu’un » pour obtenir le paiement d’une taxe ou d’une amende est devenue « faire pression sur quelqu’un » pour obtenir l’obéissance puis le résultat de cette pression : un enfant « bien élevé ». Dans ce cas, l’hébreu aurait emprunté ‫ יָסַר‬à l’akkadien. Ainsi, la racine *ʽSR aurait suivi le développement suivant : *ʽSR → esēru → ‫יָסַר‬ ս ‫ﻋﺴﺮ‬

31 H. TAWIL, « Hebrew ‫יסר‬, akkadian esēru : A term of forced labor (Lexicographical note IX) », Teshûrôt LaAvishur. Studies in the Bible and the Ancient Near East, in Hebrew and Semitic Languages. Festschrift Presented to Prof. Yitzhak Avishur on the Occasion of his 65th Birthday (éd. par M. Heltzer et M. Malul, Tel Aviv : Archeological Center Publication, 2004), 185*–190*. 32 M. WEINFELD, « The Advice of the Elders to Rehoboam (1 Kgs. 12:7) », Maarav 3 (1982), 27–53. 33 Comme par exemple, (e.g. les Conseils au prince, lignes 23–30), Transcription et traduction anglaise dans W.G. LAMBERT, Babylonian Wisdom Literature (Oxford : Clarendon Press, 1960), 110–115. 34 CAD et AHw. Ce sens n’est cependant attesté qu’en ancien akkadien et non dans la langue parlée par les Assyriens du temps des royaumes israélites.

Chapitre 2 : Étymologie et influences externes

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Si on accepte cette hypothèse qui demanderait une démonstration précise, ‫יָסַר‬ ne devrait donc pas être rattaché à *WSR mais à *ʽSR. c. L’arabe En ce qui concerne la racine *WSR, l’arabe35 ne semble pas avoir gardé un lemme en dérivant directement. Une vieille étude de Barth 36 , rappelée par Branson37, rattache le lemme ‫( ﺷﻮﺭﻯ‬šwry) signifiant « conseil » à ‫יָסַר‬, mais il faut effectuer un changement entre les sonorités [S] et [Š] ainsi qu’une métathèse du *W. Selon Branson, qui prend appui sur une étude de Müller38, cette transformation est confirmée par l’existence dans les langues sudarabiques du verbe yšrn, signifiant « expliquer », pour lequel la métathèse n’a pas eu lieu. Cependant, cet exemple révèle la limite des études étymologiques. En effet, le phénomène décrit par Barth et Müller est possible. Cependant, l’utilisation qu’en fait Branson est problématique. Puisque Barth prend appui sur ‫ יָסַר‬pour rattacher ‫ ﺷﻮﺭﻯ‬à la racine sémitique *WSR, Branson ne peut pas utiliser cette idée pour prouver que ‫ יָסַר‬signifie effectivement « éduquer, enseigner » car l’argument devient circulaire : on s’appuie sur la signification présumée de ‫ יָסַר‬pour déterminer la racine sémitique à laquelle on peut rattacher ‫ ﺷﻮﺭﻯ‬qui servirait ensuite en retour à prouver l’étymologie de ‫יָסַר‬. d. Le corpus ougaritique Ougarit, ville actuellement en Syrie, était une cité prospère jusqu’à sa destruction par les peuples de la mer au XIIème siècle avant notre ère. Ses ruines ont été découvertes en 1928 et ont depuis révélé au monde un ensemble de textes primordiaux pour la connaissance du Moyen Orient ancien dans une langue dont le classement exact au sein de la famille sémitique fait encore débat39. Le débat entre Sæbø et Branson se retrouve dans le monde de la recherche ougaritique puisque les deux principaux dictionnaires d’ougaritique se divisent sur la signification de la conjugaison D, l’équivalent du qal. WUS propose « zurechtweisen » ou « schelten », c’est-à-dire « réprimander », tandis que DULAT propose « to instruct ». En ce qui concerne le Mode Q, équivalent du piel, les dictionnaires donnent une signification relativement uniforme, WUS proposant « wizigen » (rendre sage) et DULAT proposant « to teach ». 35 L’arabe est donné en écriture idoine et également translittéré selon le système de l’IFAO (voir p. 67, n.83). 36 BARTH, Etymologische Studien, 55. 37 BRANSON, TDOT 6, 128. 38 W.W. MÜLLER, « Altsüdarabische Beiträge zum hebräischen Lexikon », ZAW 75 (1963), 310. 39 LANGLOIS, « À propos de J.-C. HAELEWYCK », 204–205.

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Deuxième partie : L’hébreu classique

Cette appropriation du débat par les lexicographes d’ougaritique montre que le matériel présent à Ougarit concernant la racine *WSR est trop pauvre et qu’ils utilisent l’hébreu pour expliquer l’ougaritique. De fait, la racine *WSR n’est attestée que quatre fois dans l’intégralité du corpus ougaritique. Trois occurrences sont signalées par la concordance de Whitaker40 et une dernière est controversée41. Cette racine se trouve deux fois dans le texte Le Palais de Baal (KTU 1.4 V 4 ; KTU 1.4 VII 48), une fois dans La légende de Keret (KTU 1.16 VI 26), une dernière fois en tant que membre d’un nom propre dans un document administratif (KTU 4.281.29). Cette dernière occurrence ne nous aide malheureusement pas car ce nom propre ne permet pas de déterminer le sens de l’ougaritique ysr42. La légende de Keret43 raconte l’histoire de Keret, un prince qui perd sa femme et ses enfants lors d’une catastrophe. Il demande de l’aide au dieu suprême El. Après de nombreuses aventures, il devient de nouveau père, manque de mourir de maladie mais guérit. Vers la fin de l’histoire, l’un de ses fils, Yaṣṣib, se retrouve seul, à ruminer contre son père : Et son démon intime le conseille (ysr)44. Ce « démon intime (ggn) lui demande d’aller chercher querelle à son père. Ce conseil aura des conséquences certainement tragiques, puisque Keret lance une malédiction contre son fils. Cependant, la fin de l’histoire ne nous est pas parvenue. Pour DULAT, le démon intérieur apprend à Yaṣṣib ce qu’il doit dire à son père. Virolleaud45, l’auteur de la première traduction de cette légende en langue française, est d’une opinion différente. Ce terme signifierait, selon lui, « reproche » :

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CUL, s.v. M.S. SMITH et W.T. PITARD, The Ugarit Baal Cycle (2 volumes, SVT 55.114, Leyde : Brill, 1994–2009), 2, 555, n.2 ; 2, 691. 42 À notre connaissance, le seul auteur à analyser ce nom est F. GRÖNDAHL, Die Personennamen der Texte aus Ugarit (StPohl.D 1, Rome : Institut biblique, 1967), 146. Il indique sans l’expliquer que l’ougaritique ysr correspond à l’hébreu ‫יָסַר‬. 43 Introduction, traduction française et notes dans A. CAQUOT et M. SZNYCER, Textes Ougaritiques (2 volumes, Littératures anciennes du Proche Orient, Paris : Cerf, 1974–1989), 1, 481–574. 44 Traduction CAQUOT et SZNYCER, Textes Ougaritiques, 1, 571. 45 C. VIROLLEAUD, « Le roi Kéret et son fils (IIK) (Troisième partie) », Syria 23 (1942), 10–11. 41

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Le démon reproche au fils du roi de demeurer inactif, et il l’exhorte, en termes pressants, à se rendre auprès de son père, qui a lui-même perdu le sentiment de ses devoirs46.

Ginsberg47 rapproche ce passage de Ps 16,7. Tout comme les reins tourmentent le psalmiste, l’intérieur, l’intime de Yaṣṣib (ce que traduit en fait ggn) le tourmente au sujet de son père. Deux des occurrences concernent Le Palais de Baal48, un mythe qui raconte l’histoire de Baal en quête d’un palais. Il exprime son désir à Asherah, l’épouse du dieu El. Celle-ci, après un long voyage, retourne auprès de son mari et se fait l’avocate de Baal. Régulièrement au cours de sa plaidoirie, elle loue la Sagesse de El. En KTU 1.4 V 4, elle utilise ces termes : You are great, O El, so very wise ; The gray hair of your Beard so instructs (ysr) you.49

Le sujet du verbe est « la barbe ». Son complément d’objet à la deuxième personne du singulier est « El ». L’adéquation entre vieil âge et Sagesse est un lieu commun. Smith et Pitard font le lien avec la représentation figurative d’une divinité barbue sur une stèle d’Ougarit 50. Le parallélisme est synthétique, il suggère que ysr précise la Sagesse de El : il doit cette sagesse à son grand âge. C’est pour cela que WUS propose « wizigen » et DULAT « to teach ». Il s’agit alors d’une utilisation métaphorique avec un sujet non humain qui est un usage rare en hébreu (une occurrence en Ps 16,7). Une comparaison implicite de la sagesse avec la barbe blanche se situe également en Pr 20,29. Ainsi traduire ysr par « instruire » dénote une influence du sens biblique. Cependant, l’examen du seul texte ougaritique montre l’association de ce verbe avec la sagesse. Enfin, la deuxième occurrence de la racine dans le Palais de Baal en KTU 1.4 VII 48 est plus problématique. Baal a vu son Palais construit, il voyage et rencontre son ennemi (la mort) et il envoie des ambassades : That he may proclaim to Mot into his throat Inform (ystrn) the Beloved in his insides (ggn)51.

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VIROLLEAUD, « Le roi Kéret », 10. H.L. GINSBERG, The Legend of King Keret. A Canaanite Epic of the Bronze Age (BASORS 2–3, New Haven, Conn. : ASOR, 1946), 48. 48 Introduction, traduction française et notes dans CAQUOT et SZNYCER, Textes Ougaritiques, 1, 181–221. Traduction anglaise et commentaire dans SMITHet PITARD, The Ugarit Baal Cycle, 2, 381–730. 49 Ibid., 2, 537. 50 Ibid., 2, 555. 51 Ibid., 2, 651. 47

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Deuxième partie : L’hébreu classique

Le récit se poursuit par une apologie de Baal. Le rapprochement de l’expression avec l’occurrence dans La légende de Keret (voir supra), où ysr est aussi accompagné du mot ggn, est déterminant pour Smith et Pitard. Ils retiennent un rattachement à la racine *WSR bien que la forme attestée, ystrn, en dérive difficilement. En effet, la position du « t » ne s’explique pas. Ainsi, ils rappellent que certains commentateurs ont proposé la racine *STR, « cacher »52, ou la racine *SRR, « se révolter ». Selon nos auteurs, cette dernière racine est une piste intéressante pourvu qu’on aligne sa signification sur celle qu’elle a prise en arabe. En effet, dans cette langue, elle signifie « informer quelqu’un en secret »53. Cela pourrait faire un parallélisme antithétique avec « to proclaim » (qr’). En conclusion, concernant le corpus ougaritique, il convient d’être prudent. Les sens pris par les commentateurs se basent sur le sens présumé de ‫יָסַר‬. Comme pour les études prenant en compte l’arabe, il est délicat de reprendre ensuite ces conclusions pour déterminer l’étymologie de notre verbe. Néanmoins, dans le cas où le rattachement des occurrences ougaritiques à la racine *WSR est avéré, on peut constater que le verbe ougaritique qui en dérive a une signification parallèle à la Sagesse en KTU 1.4 V 4. e. L’inscription de Deir ʽAlla L’inscription jordanienne de Deir ʽAlla54, trouvée en mars 1967, a rapidement attiré l’attention des chercheurs par la présence d’un titre mentionnant « le voyant Balaam, fils de Beor » qui se trouve également en Nb 22–24. Malheureusement, l’inscription est très endommagée. L’état fragmentaire est tel que l’editio princeps ne comprenait aucune ligne complète. L’inscription est ainsi divisée en de nombreux fragments que les chercheurs ont classés en différents groupements. Depuis, les chercheurs essaient d’en améliorer la reconstruction et la lecture. La langue de cette inscription est encore débattue55. 52 On peut relever à ce propos, qu’en Pr 22,3, la Septante donne παιδεύω, là où le TM donne ‫סָתַ ר‬. Les traducteurs grecs ont, selon toute vraisemblance, vu une forme de hitpael. Il pourrait en être de même ici, voir p. 306. 53 Cf. Lane. Voir également l’analyse de M. DAHOOD, Proverbs and Northwest Semitic Philology, SPIB 113, Rome: Institut biblique pontifical, 1963), 34. 54 Édition J. HOFTIJZER et G. VAN DER KOOIJ, Aramaic Texts from Deir ʽAlla (DMOA 9, Leyde : Brill, 1976). Voir aussi la description de l’inscription et de son importance en A. LEMAIRE, « Les inscriptions de Deir ʿAlla et la littérature araméenne antique », CRAI 129 (1985), 270–285. 55 Voir la synthèse et la tentative de réponse dans P.K. MCCARTER, « The Dialect of the Deir ʽAlla Texts », The Balaam Text from Deir ʽAlla Re-evaluated. Proceedings of the International Symposium held at Leiden, 21–24 August 1989 (éd. par J. Hoftijzer et G. van der Kooij, Leyde : Brill, 1991), 87–99. J.-C. GREENFIELD, « Philological Observations on Deir ʽAlla », The Balaam Text from Deir ʽAlla Re-evaluated. Proceedings of the International

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Les exégètes s’accordent pour indiquer que le texte parle de Balaam qui a une vision. Les dieux lui ont annoncé une catastrophe imminente. Balaam en est attristé et communique ce message pessimiste à ses contemporains. Deux mots de la racine *WSR apparaîtraient dans le document au niveau de la ligne 2 et 10 du groupement I. Une de ces occurrences consiste en un fragment limité aux trois lettres ysr, présent parmi un groupe de débris dont on pense qu’ils doivent être placés dans l’une des deux premières lignes car ils partagent le même type d’encre. Selon Lemaire56, ce fragment s’ajoute à la fin de la ligne 2 qui conserverait ʼš lhtysrh ypʽt. Cet auteur traduit, en fonction du contexte, par « un feu pour le châtiment est apparu ». Cependant, Lemaire n’est suivi par aucun chercheur. À titre d’exemple, Puech, répondant à Lemaire, propose deux reconstructions concurrentes de la première ligne, dont l’une d’entre elles consiste à placer le groupe ysr en tête du titre de l’inscription qu’il lit ainsi : « Admonition du livre de Balaam57 ». Les chercheurs sont loin d’être arrivés à un consensus58. L’autre occurrence se situe de la fin de la ligne 10 au début de la ligne 11 : …] wqbʽn šmʽw mwsr gry šʼl […

La reconstruction de ce passage ne fait pas l’objet de critiques, mais il est isolé par deux vacat importants. Deux interprétations proposent de lire différemment šmʽw. Selon Hoftijzer59, il s’agit d’un impératif : wqbʽn šmʽw mwsr serait à traduire par « Oh aggrievers (?) listen to the exhortation60 » et gry šʼl commencerait une nouvelle phrase. Une telle utilisation, associant šmʽ à l’impératif et à mwsr, est attestée

Symposium held at Leiden, 21–24 August 1989 (éd. par J. Hoftijzer et G. van der Kooij, Leyde : Brill, 1991),116 remarque que mwsr n’est pas représenté en araméen qui préfère mardūtā. Il faut cependant être prudent et se demander si l’utilisation de mardūtā en tant que châtiment n’est pas influencée par la correspondance targumique entre ce mot et ‫ מוּסָר‬qui peut être plus tardive. En tout cas, il est vrai que la langue araméenne ne semble pas connaître la racine *WSR avant d’être influencée par l’hébreu (voir p. 67). 56 A. LEMAIRE, « L’inscription de Balaam : Épigraphie », Biblical Archaeology Today : Proceedings of the International Congress on Biblical Archaeology Jerusalem, April 1984 (Jérusalem : Israel Exploration Society, 1985), 317. 57 É. PUECH, « L’inscription sur plâtre de Tell Deir ʽAlla », Biblical Archaeology Today: Proceedings of the International Congress on Biblical Archaeology Jerusalem, April 1984 (Jérusalem : Israel Exploration Society, 1985), 356. 58 P.-C. SCHMITZ, « The Deir ʽAlla Plaster Text », OLP 25 (1994), 86 dénombre douze reconstructions différentes de la deuxième ligne. 59 HOFTIJZER et VAN DER KOOIJ, Aramaic Texts, 209. Voir également H.-P. MÜLLER, « Inschrift von Deir ʽAllā und Bileamsprüche », ZAW 94 (1982), 228 qui signale cependant que l’inscription n’appartient pas au registre sapientiel d‘éducation. 60 HOFTIJZER et VAN DER KOOIJ, Aramaic Texts, 179.

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Deuxième partie : L’hébreu classique

en Pr 4,1. Cependant, pour Lemaire 61 et Hackett 62 , il s’agirait plutôt d’un parfait. Ils proposent de traduire wqbʽn par « et les hyènes ». Ces deux chercheurs ne diffèrent que sur l’interprétation de mwsr. Lemaire voit un état construit, régi par gry šʼl, qu’il traduit par « petit renard », tandis que Hackett pense qu’il s’agit d’un état absolu et que gry šʼl appartient à la phrase suivante de l’inscription. Dans leurs interprétations, les hyènes réputées irrespectueuses acceptent le châtiment ou écoutent la réprimande. Cependant, comme le constate Hoftijzer63, ce serait une amélioration de la nature, alors qu’avant et après ce passage on parle d’une nature qui périclite. L’interprétation reste discutée bien qu’on puisse rapprocher le deuxième fragment d’un message prophétique comme celui de Jérémie 64 . Cependant, toute conclusion reste conjecturale : les chercheurs ont clairement déduit le sens de l’inscription, voire sa reconstruction, en se basant sur le sens de ‫ יָסַר‬dans le TM. Le seul fait indéniable est la proximité de mwsr avec le verbe šmʽ. Il s’agit certainement de quelque chose qui est à écouter, mais ce n’est pas forcément un enseignement éducatif. f. Le corpus araméen ancien Hormis les textes des époques rabbiniques, tels que les targumim, il n’existe que trois occurrences de cette racine dans le corpus araméen ancien. La première est la seule qui n’ait pas été retrouvée dans un contexte juif. Il s’agit d’un papyrus commercial 65 (ATNS 46). La forme attestée est ‫הוסרתכל‬. Cependant, le daleth et le resh ne sont pas distingués et aucun sens ne se dégage de ce texte, sauf à faire dériver l’expression de ‫סור‬, « enlever »66.

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A. CAQUOT et A. LEMAIRE, « Les textes araméens de Deir ʿAlla », Syria 54 (1977), 200. J.A. HACKETT, The Balaam Text from Deir ʽAllā (HSM 31, Chico, Calif. : Scholars Press, 1980), 51. 63 J. HOFTIJZER, « What Did the Gods Say ? Remarks on the First Combination of the Deir ʽAlla-Plaster Texts », The Balaam Text from Deir ʽAlla Re-evaluated. Proceedings of the International Symposium held at Leiden, 21–24 August 1989 (éd. par J. Hoftijzer et G. van der Kooij, Leyde : Brill, 1991), 139–140. 64 Voir notamment H. WEIPPERT « Der Beitrag außerbiblischer Prophetentexte zum Verständnis der Prosareden des Jeremiabuches », Helga Weippert. Unter Olivenbäumen. Studien zur Archäologie Syrien-Palästinas Kulturgeschichte und Exegese des Alten Testaments. Gesammelte Aufsätze. Festgabe zum 4. Mai 2003 (éd. par A. Berlejung et H.M. Niemann, AOAT 327, Münster : Ugarit, 2006), 423–446. 65 Éd. J.-B. SEGAL, Aramaic Texts from North Saqqarah (Londres : Egypt Exploration Society, 1983), 46. 66 Voir SEGAL, Aramaic Texts, 46, n.8. 62

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La seconde se trouve dans la version araméenne du Roman d’Ahiqar 67 . Ce roman fut un des textes sémitiques les plus largement diffusés dans l’Antiquité. La version araméenne dont il est question ici a été trouvée dans la garnison juive d’Éléphantine en 1907. Le passage qui nous occupe est un proverbe concernant la discipline familiale : ‫( ברא זי יתאלף ויתסר ויתשים ארתא ברגלו]הי‬Roman d’Ahiqar C1.1 12, 175) La forme ‫ יתסר‬est difficile 68 . Elle pourrait dériver de la racine *WSR 69 . La traduction serait : The son who will be disciplined and chastised and the fetter will be put on [his] feet 70.

La conjugaison serait alors un ittapʽal ou à la rigueur un etpeʽel. Cependant, le ‫ י‬ou le ‫ ו‬initial de la racine, ici situé après le ‫ת‬, aurait dû se maintenir71. Il faut alors corriger le texte, ce qui est toujours hypothétique72. Il est possible, en suivant Cowley73, de dériver le lemme de la racine *ʼSR, « lier ». La forme s’explique alors parce que le ‫ א‬a pu tomber74 Cela permettrait d’expliquer le mot ‫ ארתא‬qu’on pourrait alors traduire par « chaîne » 75 . Ainsi il faudrait traduire : The son who is instructed and restrained, and on whose foot the bar is placed76. 67 À l’édition, avec des photographies, de E. SACHAU, Aramäische Papyrus und Ostraka aus seiner jüdischen Militär-Kolonie zu Elephantine (2 volumes. Leipzig: Hinrichs, 1911) a succédé CAP, 204–248. Cette dernière conserve son intérêt pour ses notes. Elle est cependant supplantée par TADAE, 3, 24–53, car, constatant que le papyrus était un palimpseste, les éditeurs ont réussi à déchiffrer le texte recouvert par le roman. Ils ont pu, ainsi, restaurer l’ordre original du roman (Cf. la description de l’ouvrage faite dans P. GRELOT, « Les proverbes d’Aḥîkar » RB 108 [2001], 511–528). En particulier, la numérotation est celle de TADAE. 68 Pour une vision complète du problème, voir J.M. LINDENBERGER, The Aramaic Proverbs of Ahiqar (JHNES, Baltimore : John Hopkins University, 1983), 46–48 et M. WEIGL, Die aramaischen Achikar-Spruche aus Elephantine und die alttestamentliche Weisheitsliteratur (BZAW 399, Berlin : de Gruyter, 2010), 449–450. 69 C’est déjà la position donnée dans SACHAU, Aramäische Papyrus, 69. 70 Traduction TADAE. 71 Voir LINDENBERGER, The Aramaic Proverbs of Ahiqar, 46–47. 72 Hypothèse prise par certains. Voir la liste dans WEIGL, Die aramäischen AchikarSpruche, 450, n.35. 73 CAP, 234. 74 Voir également LINDENBERGER, The Aramaic Proverbs of Ahiqar, 47. 75 Il faut cependant signaler que cette traduction reste hypothétique. Normalement, ce mot signifie « chemin » (voir la seconde proposition dans TADAE, 48, et la note de P. GRELOT, « Les proverbes d’Aḥîkar » RB 108 (2001), 525, n.2). Il faut déduire « chaîne » du contexte (CAP, 234) sur la base d’une étymologie akkadienne (LINDENBERGER, The Aramaic Proverbs of Ahiqar, 48), et des utilisations du judéo-araméen. Voir aussi J.M. LINDENBERGER, « Ahiqar », OTP 2 (1983), 498. 76 Traduction LINDENBERGER, OTP 2, 498.

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Deuxième partie : L’hébreu classique

Lindenberger rappelle qu’on pourrait tout aussi bien expliquer la forme en la faisant dériver de la racine *SDD, « être mis en cale ». Cette explication a le mérite de ne faire aucune hypothèse grammaticale ni morphologique. En effet, le scribe ne fait aucune différence entre le ‫ ד‬et le ‫ ר‬et la forme est un pur ittaf et trouve un parallèle en Job 13,27. Ces deux dernières interprétations font référence à un instrument particulier qui devait être attaché à l’élève et qui lui entravait les mouvements. En tout état de cause, ce passage promeut de manière évidente les méthodes coercitives. En effet, il continue de la sorte : Ne prive pas ton fils de la férule, sinon tu ne pourras le préserver du mal. Si je te frappe, mon fils, tu ne mourras pas ; mais si je t’abandonne à ton cœur, tu ne vivras pas77.

On retrouve de tels accents dans le livre des Proverbes (Pr 13,24) et dans le Siracide (Si 30,1). Pour être complet sur la question, il faut signaler également l’hypothèse de Kottsieper qui voit dans ‫ ויתסר‬une glose plus tardive78. À ce titre, elle aurait été influencée par l’hébreu. De fait, les autres occurrences des mots de cette racine en araméen ancien sont vraisemblablement influencées par l’hébreu. Le targum de Job de Qumran propose : ‫( ויגלא אדניהון למוסר‬11Q10 XXVII,3–4) Ce qui est la traduction littérale de Job 36,10 : ‫( ַויִּגֶל אָזְנָם לַמּוּסָר‬Job 36,10) L’explication la plus simple est que ce targum a emprunté le mot à l’hébreu79. Il n’est pas possible de connaître l’attitude du traducteur vis-à-vis des autres occurrences du mot ‫ מוּסָר‬ou du verbe ‫ יָסַר‬car sur les quatre occurrences que comporte le TM de Job, une (Job 4,3) se situe dans des manuscrits non retrouvés, les trois autres dans des vacat (Job 20,3 à comparer avec 11Q10 III,4, Job 33,16 avec 11Q10 XXII,10–11 et Job 40,2 avec 11Q10 XXXIII,10– XXXIV,1).

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Traduction GRELOT, « Les Proverbes d’Aḥîkar », 525. I. KOTTSIEPER, die Sprache der Aḥikarsprüche (BZAW 194, Berlin : de Gruyter, 1990), 146, §231f. 79 Les hébraïsmes sont présents dans ce document, Cf. S.E. FASSBERG, « Hebraisms in the Aramaic Documents from Qumran », Abr-Nahrain Supplément 3 (1992), 48–69, pour notre passage voir Ibid., 59, et commentaire dans DJD 23, 142. 78

Chapitre 2 : Étymologie et influences externes

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On retrouve également ‫ מוסר‬dans la version araméenne du Testament de Lévi 80 (col. e, l. 17.23) 81 , document qui, lui aussi, est coutumier des hébraïsmes82. Le mot y est utilisé en parallèle avec ‫ ספר‬et ‫חכמה‬83. Il désigne quelque chose que le lecteur est enjoint à enseigner à ses enfants. Quant aux occurrences plus tardives, correspondant aux autres targumim et à la littérature rabbinique, on relève, en étudiant les dictionnaires usuels 84 , la confusion entre la racine *ʾSR et *WSR. Jastrow, ainsi que Dalman, indiquent que l’araméen ‫ יְסַר‬signifie « lier », « s’engager », « faire un vœu » provenant donc de *ʾSR. Cependant, à la conjugaison ithpaal, il signifie « être éprouvé », « souffrir », certainement sous l’influence de l’hébreu. Le substantif de forme ‫ִסּוּרא‬ ָ ‫י‬, ‫ִיסּוּרא‬ ָ ‫י‬, ou encore ‫ְסוּרא‬ ָ ‫י‬, signifie « prison », « chaine » mais aussi « châtiment » et « souffrance ». Il semble que l’hypothèse de Sæbø85, qui voit dans cette utilisation de l’araméen un emprunt ou tout au moins une influence de l’hébreu, soit la plus simple. Il n’est donc pas certain que l’araméen ait possédé un mot de la racine *WSR au vu de la pauvreté des occurrences prérabbiniques notées. L’apparition de cette racine dans les textes rabbiniques est plutôt le signe de l’influence de l’hébreu. On ne peut évidemment pas exclure que cette signification et cette racine soient déjà présentes dans l’araméen antérieur. Cependant, nous n’avons aucun témoin textuel pour étayer cette hypothèse. Cela ne permet pas d’utiliser ces données de la littérature judéoaraméenne dans le cadre d’une étude étymologique de ‫יָסַר‬.

80 Éd. H. Drawnel, The Aramaic Levi Document : Text, Translation and Commentary, Rome : Institut biblique, 2004. 81 Ces deux occurrences se retrouvent aussi en 4Q213,1,I,9.12, la deuxième référence est mutilée. 82 FASSBERG, « Hebraisms », 59. 83 La colonne e, ligne 17–18 donne ‫וכען בני ספר מוסר חוכמה אפילו לבניכון ותהוי חוכמתא עמכון‬ ‫ליקר עלם‬, « et maintenant mes fils, vous enseignerez (corrigeant ‫ אפילו‬en ‫ )אליפו‬le livre, la discipline, la Sagesse à vos fils et la sagesse sera avec vous pour un honneur éternel ». 4Q213,1,I,9 omet ‫בני‬, rajoute un ‫ ו‬avant ‫מוסר‬, lit ‫ וחכמה‬au lieu de ‫ חוכמה‬et est mutilé après ‫וחכמה‬. Cependant, il confirme ‫מוסר‬. Ce passage a un correspond en grec, T. Levi 13,2 : διδάξατε δὲ καὶ ὑμεῖς τὰ τέκνα ὑμῶν γράμματα, ἵνα ἔχωσι σύνεσιν ἐν πάσῃ τῇ ζωῇ αὐτῶν, « et vous, enseignez à vos fils les lettres, afin qu’ils aient l’intelligence toute leur vie ». Cependant, ni ‫ מוסר‬ni ‫חכמה‬ n'ont de correspondant. La colonne e, ligne 23 reprend le même thème : ‫מאלפא ספר ומוסר חכמה‬, « celui qui enseigne le livre et la discipline de Sagesse », confirmé par 4Q213,1,I,12 malgré son mauvais état qui ne permet de ne voir que le ‫ ר‬de ‫מוסר‬. Ce passage n’a pas de correspondant en grec. 84 Jastrow, Dalman, DJPA, DJBA. 85 SÆBØ, THAT 1, 738.

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2. La question de l’influence égyptienne a. Présentation du problème La similarité de signification du lemme égyptien sbȝ86 avec ‫ י ָסַר‬a été notée par divers auteurs 87 . Les deux lemmes partageraient une signification double : « punir » et « éduquer ». La plus récente étude a été réalisée par SHUPAK. Cet auteur défend la thèse d’une influence directe des écrits de la sagesse égyptienne sur les écrits de la sagesse hébraïque et propose d’en déduire la présence d’écoles de scribes en Israël à un âge ancien88. La première partie de son livre dresse les correspondances lexicographiques entre des termes égyptiens et des termes hébraïques. Il associe particulièrement sbȝ avec ‫ יָסַר‬du fait de cette double signification. Il remarque également que ce verbe comporte souvent un déterminatif représentant un homme en train de frapper avec un bâton89 : . De plus, le verbe sbȝ est utilisé pour désigner le dressage des animaux, supposé coercitif 90 . Ensuite, l’association du verbe sbȝ et de mtr rappelle celle de ‫ יָסַר‬et ‫י ָקַ ח‬91. Enfin Shupak92 observe l’utilisation du substantif 86 Quand son aspect graphique n’est pas important pour le propos, l’égyptien est translittéré selon le système de l’IFAO (« Polices de Caractères », sans page, Octobre 2012, http://www.ifao.egnet.net/publications/outils/polices/), avec les choix suivants: ỉ au lieu de j pour , y au lieu de jj pour ou et ḳ au lieu de q pour . 87 Par ordre chronologique, P. HUMBERT, Recherches sur les sources égyptiennes de la littérature sapientiale d'Israël (Mémoires de l’université de Neuchâtel 7, Neuchâtel : Secrétariat de l’Université, 1929), 67–68, L. DÜRR, Das Erziehungswesen im Alten Testament und im antiken Orien, (MVAG 36/2, Leipzig: Hinrichs, 1932), 20, W.F. ALBRIGHT, From Stone Age to Christianity. Monotheism and the Historical Process (Baltimore : John Hopkins, 1946), 324, n. 30, R. WEILL, « Les transmissions littéraires d’Égypte à Israël », Cahier complémentaire à la revue d’Égyptologie (Le Caire : IFAO, 1950), 52, S. MORENZ, Ägyptische Religion (Die Religion der Menschheit 8, Stuttgart : Kohlhammer, 1960), 131, n. 60, J. LECLANT, « Documents nouveaux et points de vue récents sur les Sagesses de l‘Égypte ancienne », Les Sagesses du proche-orient ancien, colloque de Strasbourg 17–19 mai 1962 (Bibliothèque des Centres d’Études supérieures spécialisés. Travaux du centre d’études supérieures spécialisé d’histoire des religions de Strasbourg, Paris : PUF, 1963), 12, n. 1, H.H. SCHMID, Wesen und Geschichte der Weisheit, eine Untersuchung zur Altorientalischen und israelitischen Weisheitsliteratur (BZAW 101, Berlin : Töpelmann, 1966), 9, n. 7, W. MCKANE, Proverbs : a New Approach (Londres: SCM, 1970), 263–264, E. SCHAWE, « Gott als Lehrer im Alten Testament. Eine semantisch-theologische Studie » (thèse de doctorat, Université de Fribourg, Suisse, 1979), 181. 88 N. SHUPAK, Where can Wisdom be found? (OBO 130, Göttingen : Vandenhoeck & Ruprecht, 1993), 353–354. 89 Voir aussi H. BRUNNER, Altägyptische Erziehung (Wiesbaden : O. Harrassowitz, 1957), 56 et SEP 11. 90 On dresse un lion (P. Bologna 1094 3,10, [éd. LEM]), ou on apprend à un singe à danser (P. Anastasi v 8,7–8 [éd. LEM], Cf. SEP², n° 22.3, 479). SHUPAK, Where can Wisdom, 32. 91 Ibid., 38–39. 92 Ibid., 34.

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dérivé de sbȝ, sbȝy.t, dans des expressions stéréotypées, telles que ṯȝy sbȝy.t « prendre un enseignement », qui rappelle ‫ ָל ַקח מוּסָר‬. Cette expression se trouve dans la Sagesse du papyrus Insinger93 et désigne le fait de prendre pour soi un enseignement et de l’appliquer dans sa propre vie. L’ouvrage de Shupak marque certainement une avancée dans les études concernant l’influence de l’Égypte sur la Bible car l’auteur dresse des parallèles mais veille aussi à étudier en détails les champs sémantiques du vocabulaire des deux traditions. Cependant, les comparaisons entre la sagesse égyptienne et la sagesse hébraïque se heurtent toujours à l’absence d’un témoin textuel bilingue94. Même la relation entre les enseignements d’Aménemopé et le Livre 93

Sagesse du papyrus Insinger 8,23 ; 9,18 ; 17,23. Édition F. Lexa, Papyrus Insinger : les enseignements moraux d'un scribe égyptien du premier siècle après J.C. Texte démotique avec transcription, traduction française, commentaire, vocabulaire et introduction grammaticale et littéraire (2 volumes, Paris : Paul Geuthner, 1926). Cette édition est considérée comme parfois fautive par D. AGUT-LABORDERE et M. CHAUVEAU, Héros, magiciens et sages oubliés de l’Égypte ancienne. Une anthologie de la littérature en égyptien démotique (La roue à livres, Paris : Les Belles Lettres, 2011), 345, n.1. La traduction en langue française est tirée d’AGUTLABORDERE et CHAUVEAU, Héros, magiciens et sages oubliés, 223–271. 94 Il faut noter l’existence de témoins bilingues Greco-Égyptien. En dehors de petits papyri bilingues (voir notamment P.Recueil et P.Batav), les témoins les plus importants sont le décret de Canope (version grecque : OGI 1,56A ; 56B et 56C, version hiéroglyphique : R. LEPSIUS, Das bilingue Dekret von Kanopus [Berlin : Wilhelm Hertz, 1866], IIIème siècle avant notre ère, resp. Tanis, Momemphis, le Caire), la Pierre de Rosette (version grecque : OGI 1,90, version hiéroglyphique : QUIRKE, S. et C. ANDREWS. The Rosetta Stone. Facsimile Drawing [Londres : Bristish Museum Publication, 1988], IIème siècle avant notre ère, Rosette), le Songe de Nectanébo (version grecque : UPZ 1,81, IIème siècle avant notre ère, Memphis, version démotique P.Carlsberg 562, Ier– IIème siècle de notre ère, Tebtunis, éd. K. RYHOLT, « A demotic version of Nectanebos’ Dream (P Carlsberg 562) », ZPE 122 (1998), 197–200), et Le mythe de l’œil du Soleil (version grecque : P.Lond.Lit. 192, IIIème siècle de notre ère, version démotique : C. LEEMANS, Papyrus égyptien démotique I. 384 [Monuments égyptiens du musée des antiquités des Pays-Bas à Leide 17, Leyde : Brill, 1856] IIème siècle de notre ère, Thèbes [?]). Dans tous ce corpus, le lemme sbȝ est représenté uniquement dans le traité de Canope par le titre mr sbȝ.w n ḥs.w tr qui désigne le maître de chant et qui est traduit par le mot grec correspondant ᾠδοδιδάσκαλος, P. PIERRET, Études égyptologiques comprenant la traduction d’une stèle éthiopienne inédite et de divers Manuscrits religieux avec un glossaire égyptiengrec du décret de Canope (Paris : A. Franck, 1873), 117. D’autre part, un ostracon du III ème siècle avant notre ère possède une probable petite Sagesse égyptienne écrite en grec. Le contenu est largement endommagé, mais le début est conservé : Ἀμενώτου ὑποθῆκαι (O.Wilcken l.1, IIIème siècle avant notre ère, Deir EL-Bahri). Selon U. WILCKEN, « Zur ägyptischhellenistischen Literatur », Aegyptiaca, Festschrift für Georg Ebers (Leipzig : W. Engelman, 1897), 143–144, le nom propre Ἀμενώτου serait à rapprocher d’Amenhotep. Le substantif ὑποθήκη signifie « conseil, avis, avertissement ». Il est appliqué comme titre de poèmes didactiques (LSJ). Le texte n’est pas bilingue. Cependant, l’emploi de sbȝy.t étant systématique au début des Sagesses égyptiennes (Voir p. 72), il est possible, mais non prouvé, qu’on soit en présence d’une traduction de ce mot.

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des Proverbes n’est pas directe95. On pourra donc trouver autant de parallèles que l’on souhaite, comment prouver qu’ils ne sont pas dus à l’existence d’un fond sapiential commun aux cultures contemporaines96 ? Il est donc prudent de ne pas envisager une influence exclusive de sbȝ sur ‫יָסַר‬. En effet, deux objections s’opposent à une systématisation de la thèse de Shupak d’une correspondance entre ‫ יָסַר‬et sbȝ : 1. Les mots de la famille de sbȝ n’appartiennent pas au même champ sémantique que ceux de la famille de ‫ יָסַר‬: le verbe sbȝ est quasiment exclusivement consacré à l’enseignement, au contraire de ‫ יָסַר‬qui ne l’est pas dans le TM97. De même, le substantif ‫ מוּסָר‬signifie « châtiment » en tant que nomen actionis de ‫יָסַר‬, tandis que sbȝy.t signifie « châtiment » parce que le substantif égyptien désigne un règlement qui prévoit cette punition. 2. D’autres mots égyptiens, tels que mtr, ḥwỉ ou ḳnḳn peuvent trouver des parallèles avec des passages sapientiaux bibliques comportant ‫ יָסַר‬ou ‫מוּסָר‬.

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Ainsi, Vernus, traitant de la relation entre l’enseignement d’Aménemopé et le livre des Proverbes, affirme : « Il n’y a certainement pas emprunt direct mais influence médiatisée », SEP, 398. 96 Bien que daté, voir l’historique de cette question chez WEILL, « Les transmissions littéraires », 43–52. Le débat a été relancé plus récemment par la parution de J.T. SANDERS, Ben Sira and Demotic Wisdom (SBLMS 28, Chico, Calif. : Scholars Press, 1983). La méthode de Sanders, trop basée sur le parallélisme, a été critiquée par les égyptologues M. LICHTHEIM, Revue de J.T. SANDERS, Ben Sira and Demotic Wisdom, JAOS 104 (1984), 768–769 et E. CRUZURIBE, Revue de J.T. SANDERS, Ben Sira and Demotic Wisdom, JNES 46 (1987), 149–150. Au sein des biblistes, un débat a eu lieu entre Sanders et Goff par revue interposée. M.J. GOFF, « Hellenistic instruction in Palestine and Egypt: Ben Sira and Papyrus Insinger », JSJ 36 (2005), 147–172 critique la position de Sanders, lequel lui a répondu en J.T. SANDERS, « Concerning Ben Sira and Demotic Wisdom: A Response to Matthew J. Goff », JSJ 38 (2007), 297–306. La question de la dépendance de la littérature hébraïque sur celle de l’Égypte reste ouverte : à l’absence factuelle de témoins d’une relation directe s’oppose le fait des contacts existants entre l’Égypte et Israël. 97 Voir p. 100–107.

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b. La potentielle violence inhérente au lemme sbȝ Il semble que la connotation coercitive du lemme sbȝ soit tardive98. Ainsi, il convient de rappeler que sbȝ, au sens d’enseigner99, est également déterminé par le rouleau de papyrus fermé : . Ce déterminatif désigne la connaissance écrite100et ne développe aucune nuance de violence. D’autre part, l’home qui 101 , ne désigne pas uniquement un acte lève un bâton , ou son synonyme violent102 mais aussi tout effort à fournir103. De manière général, le déterminatif sert à préciser le sens d’un lemme mais, même si on exclut les erreurs des scribes104, il ne donne pas une explication définitive indépendamment du contexte105 . Par conséquent, même si le déterminatif signifie bien « donner des coups » quand il détermine sbȝ106, selon les pratiques égyptiennes107, cela ne rend pas le verbe déterminé par ce signe synonyme de « frapper ». 98 Pace HdW qui estime que la nuance principale du verbe est la violence en prenant exemple sur le copte (voir aussi HUMBERT, Recherches sur les sources égyptiennes, 67). Cependant, la langue copte dans son rapport avec la langue grecque et la religion chrétienne est-elle un témoin fiable de l’étymologie égyptienne d’un mot ? N’y a-t-il pas eu une influence de la traduction copte de la Septante ? Ainsi ÄW 1, un dictionnaire des mots de l’époque de l’Ancien Empire et de la première période intermédiaire, ne donne aucune occurrence signifiant « châtier », « punir ». De même, PtolLexik fait dériver sbȝ de la signification « to ‘steer’, of a Boat » (« diriger un bateau »). Enfin, SEP, 12 confirme que cette nuance n’apparaît qu’au Nouvel Empire. 99 Cf. WäS, 4,84. Le lemme sbȝ signifie également « étoile » et s’accompagne de son idéogramme représentant une étoile. Comme souvent en hiéroglyphe, l’idéogramme a fini par devenir un signe trilittère (EG, 487, signe N14). Il accompagne donc les différents homonymes : « flûte » (ÄW, 1,1097) ou « étoile », « porte » et « enseigner » (WäS, 4,83–86). Cette dernière signification pourrait dériver du mot « porte ». En effet, c’est depuis une porte que la justice est dite, Cf. SHUPAK, Where can Wisdom, 361, n. 1. 100 EG, 533, signe Y1. 101 EG, 444, signe A24. Il tend à remplacer , Cf. EG3 444, signe A24 et EG3 455, signe D40. Il tend également à remplacer , Cf. EG3 455, signe D40. Ce dernier hiéroglyphe désigne principalement l’acte de donner (EG3 454, signe D37) et n’est jamais associé à sbȝ. 102 Cf. le verbe (ḥwỉ, « frapper ») ou encore (ḫsf, « refouler », « punir », « frapper ») 103 Il peut alors déterminer peux déterminer le verbe (nḫt, « être fort ») ou encore nḥm (« sauver ») qui n’ont pas de connotation violente ou coercitive. 104 Lire, à ce propos, F. CHABAS, Œuvres diverses (5 volumes, Bibliothèque Égyptologique contenant les œuvres des égyptologues français dispersées dans divers recueils et qui n’ont pas été réunies jusqu’à ce jour 9–13, Paris : Ernest Leroux, 1899–1909), 2, 79 qui donne comme exemple un mot qui signifie soit « mère », soit « mort » et qui est utilisé dans le deuxième sens avec le déterminatif du premier. 105 EG, 30, §22. 106 Cf. T. DEVERIA, Le papyrus judiciaire de Turin et les Papyrus Lee et Rollin (Paris : imprimerie impériale, 1868), 101–102. Il indique également que ce déterminatif est utilisé même lorsque le substantif ne signifie pas châtiment. 107 Voir SEP, n°22.2–4, 478–480 (P. Lansing 11, 1–2 = P. Anastasi iv, 8, 7–9, 4, P. Anastasi III, 3,13, P. Anastasi V, 8,5 et P. Sallier I, 7,7-8,2 [éd. LEM]), ainsi que la Sagesse

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D’autre part, le lemme sbȝ, y compris le substantif sbȝy.t108, originellement109, désigne la relation entre deux personnes : la première, ayant autorité, émet une directive à une seconde devant la prendre en compte110. Ainsi, sbȝy.t désigne la leçon dans un contexte scolaire, de formation professionnelle, légale ou de Sagesse. La personne enseignée est un enfant, surtout un enfant royal, parfois une femme111, un soldat, un futur scribe ou haut magistrat. L’enseignant peut être un maître, un père, un roi ou un dieu. Un exemple typique de l’utilisation du substantif sbȝy.t désigne des instructions données par un pharaon vers ses fonctionnaires, notamment dans le cadre d’investitures112. Ces fonctionnaires se doivent d’être d’une probité parfaite. Mais si le choix des hauts fonctionnaires reste formellement une prérogative du pharaon, il semble bien que les offices se transmettaient de facto de père en fils. Ne pas être remplacé par son fils devait être une honte très forte. Ainsi, les exhortations de Pharaon visant à mettre en place des fonctionnaires dans lesquels il pouvait placer sa confiance deviennent des exhortations morales d’un fonctionnaire à son fils. La Sagesse égyptienne présente un bon nombre de telles exhortations dont le titre est précisément sbȝy.t, telles que L’Enseignement d’Ani113 ou l’Enseignement d’Amennakht 114. Ces écrits regroupent des ensembles de proverbes relativement similaires à ceux du livre des Proverbes 115 ou du Siracide116 et d’Amennakht. Voir également J.T. FITZGERALD, « Proverbs 3:11–12, Hebrews 12:5–6, and the Tradition of Corporal Punishment », Scripture and Traditions. Essays on Early Judaism and Christianity in Honor of Carl R. Holladay (éd. par P. Gray et G.R. O’Day, NovTSup 129, Leyde : Brill, 2008), 297–300. 108 Cette présentation se base principalement sur l’étude la plus récente de ce mot : SEP, 11–15.45–47. 109 SEP, 46 indique que cette acception était déjà présente dans des textes de l’Ancien Empire. 110 H. BEINLICH, « Erzieher », LdÄ 2 (1977), 20. 111 W. GRAJETZKI, « Women and Writing in the Middle Kingdom. Stela Louvre C 187 », RdE 60 (2009), 209–214. 112 Akhenaton enseigne sa leçon à ses proches, tel Ay (Deuxième hymne de Tutu cf. N. de G. Davies The Rock Tombs of El Amarna [6 volumes, Archaeological survey of Egypt 13–18, Londres : Offices for the Egypt Exploration Funds, 1906-1908], 6, 27–28). Par ailleurs, le décret d’Horemheb (Urk 4, 2156, 6–11) stipule : « Voici l’enseignement (sbȝy.t) que je leur ai destiné », Cf. aussi H. BEINLICH, « Lehren», LdÄ 3 (1977), 964. 113 J.F. QUACK, Die Lehren des Ani. Ein neuägyptischer Weisheitstext in seinem kulturellen Umfeld, OBO 141, Göttingen : Vandenhoeck & Ruprecht, 1994. 114 A. DORN, « Die Lehre Amunnachts », ZäS 131 (2004), 38–55. 115 Pour la question de l’influence égyptienne sur le livre des Proverbes, HUMBERT, Recherches sur les sources Égyptiennes, 17–74 ou SEP, 396–398, voir également des synthèses récentes, telles que R.N. WHYBRAY, The Book of Proverbs. A Survey of Modern Study (HBIS 1, Leyde : Brill, 1995), 6–18. 116 Pour la question de l’influence égyptienne sur le Siracide, voir HUMBERT, Recherches sur les sources Égyptiennes, 125–144, M. LICHTHEIM, Late Egyptian Wisdom Literature in the

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deviennent alors une fiction littéraire destinée à la formation des apprentis scribes : Commencement de l’enseignement (sbȝy.t) instructif, formules du chemin de vie qu’a fait le scribe Amennakht pour son assistant Horimin (Enseignement d’Amennakht 1–4).117

Le terme devient alors un terme générique désignant un genre littéraire118. Dans cette acception, le lemme sbȝ ne porte pas en soi de nuances coercitives. En fait, il ne semble n’y avoir que peu d’utilisations du verbe sbȝ dans le sens de « punir, frapper », mais ces occurrences ne possèdent pas un contexte suffisamment clair pour être déterminants119. En revanche, le substantif sbȝy.t est régulièrement utilisé au sens de châtiment120. L’exemple le plus célèbre est International Context. A Study of Demotic Insctructions (OBO 52, Göttingen : Vandenhoeck & Ruprecht, 1983), 184–187, SANDERS, Ben Sira and Demotic Wisdom. 117 SEP, n°13. 118 SEP, 11. 119 P.Carlsberg XIII, b, 2, 20 (éd. A. VOLTEN, Demotische Traumdeutung, (Pap. Carlsberg XIII und XIV Verso) [AAeg 3, Copenhague : Einar Munksgaard, 1942]) est un texte d’oniromancie. La partie qui nous intéresse se situe dans la section concernant les rêves érotiques féminins. Le texte prévoit tous types de rapports « Wenn ein Esel, wird sie für eine große Sünde gestraft (sbȝ) werden », traduction de l’édition critique, page 87. La Litanie de Ré ligne 173 est interprété par E. HORNUNG, Das Buch der Anbetung des Re im Westen, Nach den Versionen des Neuen Reiches (2 volumes, Aegyptica Helvetica 3, Paris : Belles-lettres, 1976), 1,172–173 ; 2, 137, n. 395 dans un sens similaire. Hornung lie cette nuance avec la narration suivante qui traite du salut du roi. Mais le texte pose des problèmes, voir aussi A. PIANKOFF, The Litany of Re (volume 4 de Egyptian Religious Texts and Representations, éd. par A. Piankoff, Bollingen Series 40, New York : Bollingen Foundation, 1964), 35, n.126. Il a été dernièrement porté à l’attention de l’auteur de cette thèse le site Thesaurus Linguae Aegyptiae (http://aaew.bbaw.de/tla/) qui est le pendant du Thesaurus Linguae Graecae. Il n’a pas été possible de prendre en compte les nouvelles données collectées. Un examen rapide n’a pas remis en cause l’exposé de ce paragraphe. Cependant, une étude systématique doit être entreprise. 120 Ces occurrences sont parfois soumises à débat. Ainsi, HUMBERT, Recherches sur les sources Égyptiennes, 67 propose l’exemple de l’Enseignement d’Ani 18,12–13 que F. CHABAS, Les maximes du scribe Ani (2 volumes, L’égyptologie I, Paris : Maisonneuve), 144 traduit ainsi : « La discipline (sbȝy.t) dans la maison, c’est la vie, use de la réprimande et tu t’en trouveras bien », mais SEP, 320, « celui qui est instruit vit du domaine du sot. Tiens ce qui est à toi en bon état, tu en constateras l’avantage ». De même, les textes de Medinet Habu (KRI V, 8–107) décrivent comment le Pharaon a fait subir un sérieux revers à un peuple étranger. Cependant, W.F. EDGERTON et J.A. WILSON, Historical Records of Ramses III. The text in Medinet Habu, Volumes I and II (The Oriental Institute of the University of Chicago, Studies in Ancient Oriental Civilization 12, Chicago : University of Chicago, 1936), 79.84 traduisent : « There was made for them a lesson for a million generations (KRI V, 62, 3; avec variantes en KRI V, 65,5) ». Edgerton et Wilson introduisent une nuance d’apprentissage par l’expérience : après avoir subi un tel revers, le peuple ennemi n’est pas près de revenir menacer l’Égypte avant un million de générations. De même le témoignage de Nefer-Abou, est traduit de manière diverses. Cet homme a établi deux stèles votives. La première (KRI III, 771–772) est un hymne

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Deuxième partie : L’hébreu classique

KRI V, 350–363 qui relate la « conspiration du Harem121 ». Cette conspiration a eu lieu à l’occasion de la mort de Ramsès III pour empêcher Ramsès IV d’accéder au trône. La conspiration échoua et tous les acteurs furent jugés selon leur implication dans l’affaire. Les papyrus annoncent les peines par l’expression : Ils les trouvèrent en culpabilité ; ils leur firent appliquer le châtiment, et leurs abominations leur furent enlevées (e.g. KRI V, 352,1122).

Dans toutes ces occurrences, le substantif sbȝy.t est régi par le verbe ỉrỉ « faire »123. Cette tournure, indique Kruchten, est similaire à ỉrỉ hp, ỉrỉ tp rd à Ptaḥ. Nefer-Abou reconnaît avoir juré faussement devant ce dieu. Ce dernier lui a fait voir « l’obscurité en plein jour » (KRI III, 772, 8, voir J. VANDIER, Tombes de Deir El-Médineh, la tombe de Nefer-Abou [MIFAO 69, Le Caire : IFAO, 1935], 74). La deuxième (KRI III, 772– 773) est un hymne à la déesse Meresger, la Cime de l’Ouest. Parfois associée à Isis, elle est la déesse-serpent protectrice de Thèbes (K. SABRI KOLTA, « Die Schlangengöttin Meresger als Nothelferin und Beschützerin der Handwerker von Deir el-Medineh », Texte –Theben – Tonfragmente. Festschrift für Günter Burkard [éd. par D. Kessler et al., ÄAT 76, Wiesbaden : Harrassowitz, 2009], 281–288). Ici, Nefer-Abou confesse également son tort envers la déesse (KRI III, 772, 15, VANDIER, Tombes, 73, voir aussi B. GUNN, « The Religion of the Poor in Ancient Egypt », JEA 3 [1916], 87). Vandier utilise deux expressions différentes : « punir » et « châtier » tandis que M. LICHTHEIM, Ancient Egyptian Literature : a Book of Reading (3 volumes, Berkeley : California Press, 1976–1980), 2, 108.110, avec « he taught me a lesson » et « she taught a lesson to me » reste dans le registre éducatif. 121 Traduction et commentaire en français dans DEVERIA, Le papyrus judiciaire de Turin. Une revue récente de l’affaire est faite par Affaires et scandales sous les Ramsès. La crise des valeurs dans l'Égypte du Nouvel Empire (Bibliothèque de l'Égypte ancienne, Paris : Pygmalion, 1993), 141–158. 122 Référencé 4,1 dans DEVERIA, Le papyrus judiciaire de Turin. 123 Voir par exemple, le P.Salt 124, édité par J. ČERNÝ, « Papyrus Salt 124 », JEA 15 (1929), 243–258, traduit en français et commenté par A. THEODORIDES, « Dénonciation de malversations ou Requête en destitution ? (Papyrus Salt 124 = Pap. Brit. Mus. 10055) », RIDA, 3ème série, 28 (1981), 11–79, datant de la XXème dynastie. Il indique la requête de Neferhotep, chef d’équipe, dénonçant un certain Paneb au vizir Amenose. Celui-ci lui applique un châtiment. De même l’ostracon Nash I (voir Hieratic Ostraca, 1, pl. XLVI–XLVI A), fin de la XIXème dynastie, traduit et commenté en langue française dans A. THEODORIDES, « Les ouvriers-magistrats en Égypte à l’époque Ramesside (XIXe-XXe dyn. 13e-10e s. av. J.-C.) », RIDA, 3ème série, 16 (1969), 128–139, évoque une veuve Herya qui a volé un outil. Le scribe qui relate l’affaire à son vizir lui demande de lui infliger un châtiment exemplaire afin qu’aucune femme ne recommence. De même, le témoignage de Nefer-Abou, voir p.73–74, n.120, témoigne de cette même expression : ỉrỉ sbȝ avec sbȝ utilisé comme nom. Voir aussi S. I. GROLL, « A Model of Divine Anger (Turin 102) », The Heritage of Ancient Egypt. Studies in Honour of Erik Iversen (éd. par J. Osing et E.K. Nielsen, CNI Publications 13, Copenhague : Museum Tusculanum, 1992), 69. D’autres occurrences se trouve en P. Chester Beatty I, 7, 12 ; 10,1 (éd. A.H. GARDINER, The Library of A. Chester Beatty. Description of a Hieratic Papyrus with A Mythological Story, Love-Songs, and Other Miscellaneous Texts [Londres : Emery Walker, 1931]) et dans l’ostracon de Turin n°57058 ligne 3 (éd. Ostraca ieratici).

Chapitre 2 : Étymologie et influences externes

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signifiant respectivement « appliquer une loi », « appliquer un règlement »124. Cette collocation désigne donc la conséquence de l’application du sbȝy.t. Cela signifie qu’en soi, le substantif sbȝy.t ne possède pas plus de nuance de violence que le terme hp « loi » ou tp rd « règlement »125. C’est le contexte qui explique que les mots décrivent une réalité coercitive. Ainsi, le supérieur a indiqué (sbȝ) aux inférieurs comment se comporter. S’ils manquent à cet enseignement, on leur applique ce que prévoit ce même enseignement (sbȝy.t) : la punition. Celleci n’a aucun caractère éducatif. Il s’agit seulement de châtier un coupable. c. La question de la correspondance entre sbȝ et ‫יסר‬ Une partie de l’argumentation de Shupak est basée sur l’association fréquente en égyptien de sbȝ et de mtr. Or un tel parallélisme peut mener à des conclusions différentes. Ainsi Couroyer126 associe ‫ לָמַ ד‬et sbȝ dans son étude de SiA 4,11. Il voit dans ce passage du Siracide un égyptianisme. En effet, le texte hébreu du manuscrit A du Siracide donne : ‫חכמות למדה בניה ותעיד לכל מבינים בה‬ La Sagesse enseigne ses fils et rend témoignage pour tous ceux qui sont intelligents par elle.

Le parallélisme entre ‫ « לָמַד‬enseigner » et ‫ « עוּד‬être témoin » ne se produit en hébreu classique que dans ce texte du Siracide. Pour Couroyer, ce serait le signe d’une dépendance directe du Siracide par rapport à un texte égyptien et cela correspondrait au parallélisme entre sbȝ et mtr. En effet, mtr est un terme polysémique signifiant « éduquer », mais aussi « témoigner » comme ‫עוּד‬ (1 R 21,10). Pour Couroyer, un traducteur hébreu aurait choisi ‫ עוּד‬pour rendre mtr. Shupak n’est pas en accord avec Couroyer auquel elle reproche un certain nombre d’imprécisions127. Cependant, le verbe ‫ ָלמַד‬possède un certain nombre de caractéristiques qui le rendent apte à traduire sbȝ, selon le propre raisonnement de Shupak: il possède une nuance violente (Cf. Jg 3,31 128 ),

124 J.-M. KRUCHTEN, Le décret d’Horemheb. Traduction, commentaire épigraphique, philologique et institutionnel (Bruxelles : Université de Bruxelles, 1981), 166–167.190 qui indique que cette collocation signifie « obéir » ou « tenir les engagements » d’où « faire appliquer un décret », se référant à P.J. FRANDSEN, An Outline of the Late Egyptian Verbal System (Copenhague : Akademisk Forlag, 1974), §14A6. 125 Kruchten signale ainsi d’autres endroits où ỉrỉ hp signifie appliquer un châtiment (e.g. KRUCHTEN, Le décret d’Horemheb, 46). 126 B. COUROYER, « Un égyptianisme dans Ben Sira 4,1 », RB 82 (1975), 206–217. 127 SHUPAK, Where can Wisdom, 37–38. 128 Où le terme ‫ ַמ ְל ָמד‬désigne le bâton servant à diriger ou dresser les animaux domestiques. Voir également le lemme arabe lamada, « soumettre » (Cf. A. KAPELRUD, « ‫» ָלמַד‬, TDOT 8 [1996], 5). M. WEINFELD, Deuteronomy 1–11, A New Translation with Introduction and

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Deuxième partie : L’hébreu classique

signifie dresser des animaux (Jr 31,18 ; Os 10,11) et désigne l’entraînement des soldats (2 S 22,35). Ainsi sbȝ pourrait tout aussi bien correspondre à un autre lemme hébreu que ‫יָסַר‬. Inversement, même Shupak129 note que certains emplois de ‫ יָסַר‬correspondent mieux aux verbes ḥwỉ et ḳnḳn signifiant « frapper » ou « punir ». Un argument décisif est la présence, dans trois corpus sapientiels en trois langues différentes, d’un même proverbe qui conseille à un père de ne pas hésiter à corriger son fils130. On le trouve en démotique : Un fils ne doit pas mourir d’un châtiment (btw) (de) la main (de) son père (Sagesse du papyrus Insinger 9,9)131

On le trouve également dans le Roman d’Ahiqar (C1.1 12, 176–178) : ...] ‫הן אמחאנך ברי לא תמות והן אשבקן על לבבך‬ Si je te frappe mon fils, tu ne mourras pas ; mais si je t’abandonne à ton cœur, tu ne vivras pas132.

Finalement, le livre des Proverbes (Pr 19,18 et Pr 23,13–14) donne un conseil similaire : ֶ‫יַסֵּר ִבּנְ כִּי־י ֵשׁ תִּ ְקוָה ְו ֶאל־ ֲהמִית ֹו אַל־תִּ שָּׂא נַפְשׁ‬ Corrige ton fils car il y a de l’espoir, mais ne t’emporte pas jusqu’à le faire mourir.

‫שּׁבֶט א י ָמוּת‬ ֵ ‫אַל־תִּ ְמנַע ִמנַּעַר מוּסָר כִּי־תַ כֶּנּוּ ַב‬ N’écarte pas du jeune homme la correction! Oui, tu le frappes avec le bâton, il ne mourra pas !

Les similitudes sont évidentes: ‫ יָסַר‬et ‫ מוּסָר‬correspondent ici à la correction corporelle et non à l’éducation. En revanche, on ne parlera pas de dépendance textuelle car les témoignages écrits prennent probablement leur source dans un fond proverbial commun. Enfin, un autre candidat pourrait correspondre à la racine ‫יסר‬. C’est le lemme mtr. SHUPAK133 le rapproche également de ‫מוּסָר‬. Ce lemme égyptien appartient au domaine de l’oralité, comme ‫מוּסָר‬, alors que sbȝy.t appartient au domaine de l’écrit. De fait, on peut trouver des parallèles entre certaines sagesses Commentary (AB 5, New York: Doubleday, 1991), 442, remarque que la forme qui correspond à ‫ ל‬dans l’écriture hébraïque ancienne représente un tel bâton. 129 Cf. le tableau in SHUPAK, Where can Wisdom, 75 et la description en Ibid., 49. 130 Peut-être pourrait-on le rajouter à la liste des proverbes internationaux proposée par LICHTHEIM, Late Egyptian Wisdom Literature, 28–31. 131 AGUT-LABORDERE et CHAUVEAU, Héros, magiciens et sages oubliés, 235. 132 Traduction GRELOT, « Les proverbes d’Aḥîkar », 525. 133 SHUPAK, Where can Wisdom, 34.

Chapitre 2 : Étymologie et influences externes

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démotiques, telle la Sagesse de Chasheshonqy 134 et la littérature sapientiale israélite, par exemple : N’instruis (mtr) pas l’imbécile de peur qu’il ne te haïsse. (Sagesse de Chasheshonqy 7,4–5)

ou encore : « C’est une insulte que l’on me fait ! » Ainsi parle le sot lorsqu’on lui donne une leçon (mtr). (Sagesse de Chasheshonqy 10,6)

Ces deux passages peuvent être à comparer avec Qui reprend (‫ )יָסַר‬un sceptique n’en reçoit que mépris (Pr 9,7)

Les parallèles invoqués dans ce paragraphe ne visent pas à démontrer une autre relation entre l’hébreu et l’égyptien que celle présentée par Shupak. Leur but est de suggérer la plausibilité d’autres correspondances pour affaiblir une correspondance systématique 135 . Ainsi, même s’il y a eu effectivement traduction de l’égyptien en hébreu, on peut douter que la racine ‫ יסר‬ait toujours correspondu au lemme sbȝ.

134 Éd. S.R.K, GLANVILLE. The Instructions of `Onchsheshonqy (British Museum Papyrus 10508) (Volume 2 de Catalogue of Demotic Papyri in the British Museum, Londres : Trustees of the British Museum, 1955). 135 Cf. S. BURKES, Revue de N. SHUPAK, Where Can Wisdom Be Found? The Sage's Language in the Bible and in Ancient Egyptian Literature, JBL 113 (1994), 710–712.

Chapitre trois

Les occurrences de la racine ‫ יסר‬dans le Texte Massorétique Bien que sa vocalisation puis sa cantillation aient mis près d’un millénaire pour être couchées par écrit, le TM demeure un témoin indispensable de la Vorlage de la LXX. Nous étudierons cependant rapidement l’évolution de la racine dans les témoins hébraïques de la période héllenistique.

1. Les occurrences controversées Comme cela a été indiqué dans l’étude étymologique, l’analyse des occurrences de la racine *WSR dans le TM est rendue difficile par la présence de mots hébraïques ou araméens de racines proches1. a. Le potentiel sens II de ‫י ָ ַס ר‬ Le sens II de ‫ « יָסַר‬fortifier » existe-t-il indépendamment du sens I « éduquer, réprimander » ? Il n’apparaît que dans les passages suivants : Job 4,3 et Os 7,15. Ces passages ont la particularité de placer ‫ יָסַר‬en parallèle avec ‫ « ָחזַק‬être fort »2 et suggèrent que la racine développe un sens similaire de « fortification ». Pour Branson3, c’est une évolution logique du champ sémantique de ‫יָסַר‬, tandis que d’autres envisagent de ne pas faire dériver ces occurrences de la racine *WSR. Ehrlich4 propose une confusion entre ‫ יָסַר‬et ‫יָסַד‬. En comparant avec Ha 1,12, cet auteur envisage de traduire ‫ יָסַד‬par « affermir » 5 . De son coté, Driver 6 envisage un aramaïsme. Pour lui, le verbe ‫ יָסַר‬correspond à l’araméen ‫ֲאשַׂר‬ 1

Voir p. 54–56. Pour Job 4,3, il est, en plus, mis en parallèle avec ‫ קוּם‬hi. « établir » et ‫ אָ ֵמץ‬pi. « rendre fort » (Job 4,4). 3 BRANSON, TDOT, 6, 130. 4 A.B. EHRLICH, Randglossen zur hebräischen Bibel : Textkritisches, sprachliches und sachliches (7 volumes. Leipzig : Hinrichs, 1908–1914), 6, 193 ; 7, 168. 5 Cependant, la Septante, en donnant παιδεύω, a lu ‫ יָסַר‬en Ha 1,12, probablement du fait de la proximité avec ‫( יָכַח‬voir p.298–300). 6 S.R. DRIVER, « Studies in the Vocabulary of the Old Testament. VIII », JTS 36 (1935), 295–296. 2

Chapitre 3 : Les occurences de la racine

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« fortifier »7. En Os 7,15 un glosateur ultérieur aurait rajouté la forme ‫ִחזַּקְתִּ י‬ pour clarifier la racine de ‫יִסּ ְַרתִּ י‬. Voilà pourquoi, selon Driver, la Septante, basée sur le texte le plus ancien ne comporte rien correspondant à la glose. Il est également possible qu’il ait lu la glose et ne l’ait pas comprise ou bien qu’il l’ait simplement jugée superflue8. De son côté, Gordis9 envisage en Job 4,3 une forme inusuelle (« metaplastic form ») de ‫ « אָסַר‬lier », ce qui présente l’avantage d’expliquer le sens sans avoir à corriger le texte. Ne serait-il pas possible de rapprocher ces occurrences de Ps 105,22 ? La forme du TM dérive incontestablement du verbe ‫אָסַר‬. Cependant, la Septante utilise le verbe παιδεύω et il est possible que la Vorlage de la Septante contienne la leçon originale. Cette hypothèse ne nous paraît pas suffisamment fondée en ce qui concerne le sens I du verbe ‫יָסַר‬, mais elle nous semble possible en ce qui concerne le sens II. En effet, la confusion entre la racine ‫ יסר‬et ‫ אסר‬est importante dans le livre d’Osée10. La traduction serait « Joseph a fortifié les princes par sa personne ». Certaines traductions préfèrent garder le sens premier : « éduquer, réprimander ». De fait, JobLXX 4,3 suggère le sens I de ‫ י ָסַר‬11. Certes le verbe est mis en parallèle avec des verbes du champ sémantique relatif à l’affermissement. Pourtant, le contexte permet de garder le sens I. En effet, la clé de compréhension réside dans le pivot de Job 4,5 : Éliphaz décrit la manière dont Job traitait ses proches et il rajoute : « maintenant que cela t’arrive, tu es fatigué ! ». C’est-à-dire qu’Éliphaz compare l’action de Job avec celle de Dieu. Job affermissait ses concitoyens, Dieu fait de même avec lui. Dans ce cas, en mettant en doute le texte d’Osée, on pourrait faire disparaître les deux seules occurrences du sens II12.

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Avec changement de ‫ י‬pour ‫ א‬et de ‫ ס‬pour ‫שׁ‬, selon les principes déjà vus p. 54–55. En effet, la LXX donne κατισχύω qui est un correspondant habituel de ‫ ָחזַק‬. Branson propose la même explication et indique que la glose vise à expliciter le sens de la forme ‫יִסּ ְַרתִּ י‬ (BRANSON, TDOT 6,130). En revanche, I. WILLI-PLEIN, Vorformen der Schriftexegese innerhalb des Alten Testaments (BZAW 123, Berlin : de Gruyter, 1971), 162, pense plutôt que ‫ יִסּ ְַרתִּ י‬est bien la glose de ‫ ִחזַּ ְקתִּ י‬. De son coté, CTAT 3,543 doute que les traducteurs aient gardé le sens rare de ‫ יָסַר‬et n’aient pas traduit par παιδεύω. Ainsi, Symmaque propose ἐπαίδευον et la Peshitta donne ‫ܪܕ‬. Cependant, pour E. BONS, J. JOOSTEN et S. KESSLER, Les douze prophètes. Osée (BA 23.1, Paris : Cerf, 2002), 37, la Septante a évité le terme παιδεύω car elle l’a utilisé au verset précédent, ayant interprété une forme de ‫ יָסַר‬là où le TM voit une forme de ‫סוּר‬. Cf. l’analyse de ce passage dans la quatrième partie. 9 R. GORDIS, The book of Job, Commentary, New Translation and Special Studies (Moreshet 11, New York : The Jewish Theological Seminary of America, 1978), 46. 10 Voir p.80–82. 11 Avec νουθετέω, voir p. 240–241. 12 Ainsi M. DAHOOD, « Hebrew Lexicography : A review of W. Baumgartner’s Lexikon, Volume II », Or 45 (1976), 333. 8

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Deuxième partie : L’hébreu classique

Il semble que l’ensemble des commentateurs sont tentés par le même piège sémantique, à savoir ce que NIDOTTE appelle « the myth of point meaning »13 : le fait de croire qu’un seul sens se cache derrière un même mot. Entre ceux qui refusent l’existence de ce sens II, ceux qui le font dériver du sens I et ceux qui l’expliquent par une particularité grammaticale voire une correction du texte, tous n’envisagent ‫ יָסַר‬que dans un unique sens. Faute de mieux, il reste plus prudent d’accepter la position des principaux dictionnaires qui définissent un sens particulier à ‫יָסַר‬. b. Chez le prophète Osée Chez le prophète Osée, tous les mots de la racine ‫ יסר‬posent problème. L’attribution du sens II en Os 7,15 a été étudiée au paragraphe précédent. En Osée 5,2, le TM propose de lire ‫מוּסָר‬. Cependant, l’apposition du pronom personnel ‫ ֲאנִי‬et du nom n’est pas évidente à comprendre : ‫ַו ֲאנִי מוּסָר ְל ֻכלָּם‬ Et moi, châtiment pour eux tous

Ici, il faut comprendre que Dieu se définit métaphoriquement comme une peine ou un châtiment 14 . Implicitement, un verbe tel qu’appliquer : « et moi (j’applique) le châtiment sur eux tous » doit être rajouté. Cependant, une solution facilitante est proposée par Andersen et Freedman15. La conjugaison ougaritique des verbes faibles de type ‫ פ׳׳ו‬conserve le ‫ ו‬dans le participe piel : « et moi je suis celui qui les corrige tous » 16 . Ce point pourrait expliquer l’apparition du mot παιδευτής dans la Septante17.

13 P. COTTEREL, « Linguistics, Meaning, Semantics, and Discourse Analysis », NIDOTTE 1 (1997), 148. 14 Voir notamment B. SEIFERT, Metaphorisches Reden von Gott im Hoseabuch, (FRLANT 166, Göttingen : Vandenhoeck & Ruprecht, 1996), qui dénombre d’autres exemples de telles métaphores. 15 F.I. ANDERSEN et D.N. FREEDMAN, Hosea, A New Translation, (AB 24, New York : Doubleday, 1980), 388–389. 16 Sans compter la difficulté de distinguer le ‫ י‬du ‫ו‬. Ainsi, H.W. WOLFF, Hosea (volume 1 de Dodekapropheton, BKAT 14.1, deuxième édition, Neukirchen-Vluyn : Neukirchener, 1965), 120–121 prend parti pour la leçon ‫ ְמיַסֵּר‬. Il traite brièvement des autres possibilités : ‫מוֹסֵר‬, « lien » et un participe hophal de ‫סוּר‬, qu’il rejette en raison du contexte. 17 Voir p. 266.

Chapitre 3 : Les occurences de la racine

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En Os 7,12, on aurait l’unique emploi de ‫ יסר‬hiphil. ‫אוֹרידֵ ם אַיְס ִֵרם כְּשֵׁ מַע ַלעֲדָ תָ ם‬ ִ ‫ַכּ ֲאשֶׁר יֵלֵכוּ ֶאפְרוֹשׂ ֲעלֵיהֶם ִרשְׁתִּ י כְּעוֹף הַשָּׁ מַ י ִם‬ Pendant qu’ils courent, je jette sur eux mon filet, je les abats comme les oiseaux du ciel, je les capture dès que j’entends leur rassemblement (TOB).

La forme ‫ אַיְס ִֵרם‬est disputée. Pour un ‫ פ׳׳ו‬hiphil, le maintien du ‫ י‬est inhabituel18. D’autre part, une telle vocalisation est peu stable : le ‫ י‬aurait dû devenir quiescent19. Macintosh20 indique les différentes théories : il faudrait vocaliser en piel 21 , ou alors envisager une erreur de placement du yod (le squelette consonantique serait ‫ אסירם‬du verbe ‫ )סוּר‬ou remplacer le ‫ י‬par un ‫ א‬et faire dériver la forme de ‫אָ ַס ר‬22 , l’apparition du yod pouvant provenir d’une palatisation23. Cependant, toutes les versions antiques à notre disposition y voient une forme de ‫יָסַר‬24, depuis la Septante jusqu’au Targum de Jonathan (‫ )יסורין איתי‬en passant par la Peshitta ( ‫ )ܪܕ‬et la Vulgate (caedo « frapper »). Ces traductions sont probablement dues à la métaphore : le fait que les oiseaux soient emprisonnés (‫ )אָסַר‬dans le filet est le signe que le peuple va être châtié (‫)יָסַר‬. La vocalisation du TM tend à mettre la forme ‫ אַיְס ִֵרם‬en parallèle avec le hiphil de ‫י ַָרד‬. La vocalisation des massorètes veut certainement mettre l’accent sur un point précis ; peut être sur le fait que Dieu n’agit pas directement mais fait venir un peuple pour châtier son peuple. Cela reste cependant hypothétique. En conclusion, il est difficile de déterminer de quel verbe dérive la forme ‫אַיְס ִֵרם‬. En revanche, la conjugaison hiphil n’est vraisemblablement pas originelle. Aussi, devant l’unanimité des versions antiques, il est probable qu’il faille vocaliser piel25. Osée 10,10 comporte deux formes possibles de la racine ‫ יסר‬: ‫ְבּ ַאוָּתִ י וְאֶ סּ ֳֵרם ְו ֻאסְּפוּ ֲעלֵיהֶם ַע ִמּים ְבּאָס ְָרם לִשְׁתֵּ י ע ֹינ ֹתָ ם‬ Je veux les châtier; parce qu’ils sont attachés à leurs deux crimes, les peuples se ligueront contre eux (TOB).

18 Ainsi GKC §70b classe cette forme parmi les ‫פ׳׳י‬. Cependant, ce maintien n’est pas sans exemple, Cf. Pr 4,25. Voir également BLHG §55c’, 383. 19 GKC §24f, n.3. 20 A.A. MACINTOSH, Hosea (ICC, Édimbourg : T&T Clark, 1997), 277. 21 GKC §70b. 22 Voir également BHS. 23 Voir ANDERSEN et FREEDMAN, Hosea, 471 prenant Os 10,10 comme exemple. 24 Vraisemblablement piel. 25 Pour d’autres vocalisations possibles, voir Gesenius.

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Deuxième partie : L’hébreu classique

La forme ‫ ְו ֶאסּ ֳֵרם‬est analysée plus bas26. En ce qui concerne la deuxième forme : ‫בְּאָס ְָרם‬, il s’agit d’un infinitif qal du verbe ‫אָסַר‬. Cependant, la Septante traduit par ἐν τῷ παιδεύεσθαι αὐτοὺς, suggérant un infinitif du verbe ‫יָסַר‬. En effet, le ketib ‫ עינתם‬signifie « œil » ou « source », ce qui ne donne guère de sens. Le TM suggère un qere ‫עוֹמ ֹתָ ם‬. Cette vocalisation dériverait du mot ‫עָוֹן‬, « faute, péché », ce qui sera l’interprétation de la Septante : ἐν τῷ παιδεύεσθαι αὐτοὺς ἐν ταῖς δυσὶν ἀδικίαις αὐτῶν. Le sens cadre alors mieux avec le verbe ‫ יָסַר‬que ‫אָ ַס ר‬27 , bien que la forme ‫ בְּאָס ְָרם‬soit régulière 28 . Pourtant, CTAT 3, 582 rapproche la forme ‫ ע ֹינ ֹתָ ם‬du lemme ‫מַ ֲענִית‬, « sillon ». La traduction serait : « en les liant à leurs deux sillons ». Il prend appui sur la réelle vocalisation du qere, sur la tradition exégétique médiévale29 et sur certains passages parallèles30 pour indiquer que la tradition de la Septante est « facilitante ». Sans nous prononcer sur l’interprétation finale à donner à ce verset dans le TM, nous acceptons que la forme ‫ בְּאָס ְָרם‬dérive bien de ‫ אָסַר‬du fait de sa régularité. c. Les possibles confusions avec ‫( סוּר‬Is 8,11 ; Job 40,2) Deux passages possédant ‫ יָסַר‬sont traditionnellement interprétés comme fautifs dans le TM et dériveraient du verbe ‫ « סוּר‬dévier ». Il s’agit d’Is 8,11 et Job 40,2. En Is 8,11, la vocalisation du TM pose problème. ‫ְויִסּ ְֵרנִי ִמ ֶלּכֶת בְּדֶ ֶר ָהעָם־ ַהזֶּה‬ et [il] m’a enjoint de ne pas suivre le chemin que prend ce peuple (TOB)

La forme associe un séré avec un dagesh, ce qui ne correspond pas à des formes usuelles. Deux interprétations correctives qui maintiennent l’attribution de la forme au verbe ‫ יָסַר‬sont possibles : 1. Si le dagesh est le signe du piel, il s’agit d’une forme qatal et il faudrait qu’il soit suivi par un patah. Cette vocalisation est probablement à la base

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voir p. 90. Ainsi BJ : « quand ils seront punis pour leurs deux fautes » ; voir également ANDERSEN et FREEDMAN, Hosea, 566. 28 Ainsi TOB : « parce qu’ils sont attachés à leurs deux crimes », voir aussi MACINTOSH, Hosea, 414–416 ou NBS : « quand on les enchaînera pour leur double faute », voir aussi WILLIPLEIN, Vorformen, 189–190. 29 Certains exégètes médiévaux interprètent le passage en indiquant que les deux peuples, Juda et Israël, sont attachés tous les deux pour creuser deux sillons différents. Forcément, ne pouvant suivre les deux sillons (l’un menant vers Baal, l’autre vers le Seigneur), ils n’en labourent aucun correctement (CTAT, 3,581). 30 Pour l’idée, voir Job 39,10, pour le lemme, voir 1 S 14,14 ; Ps 129,3. 27

Chapitre 3 : Les occurences de la racine

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de la Vorlage du Targum de Jonathan (‫ )ואלפני‬ainsi que de celle de la Vulgate (erudavit me)31. 2. Si le séré doit être gardé, alors le dagesh est le signe d’une métathèse de quantité32 ; il s’agit alors d’une forme yiqtol fréquentatif conjugué en qal33 qui doit se lire en parallèle au verbe ‫ אָמַר‬qui suit et qui précise ce qu’enseigne continuellement Dieu à son prophète, à savoir ne pas suivre la voie du peuple34. Le problème de ces deux interprétations est l’unique utilisation de la préposition ‫ ִמין‬avec le verbe ‫י ָ ַס ר‬35 . CTAT 2,55 rappelle que les principales versions antiques ainsi que le rouleau de Qumran36 suggèrent de faire dériver la forme du verbe ‫ סוּר‬dont la rection avec ‫ מִ ין‬est fréquente. En effet, Symmaque (καὶ ἀπέστησέ με) semble avoir lu une forme wayiqtol du hiphil de ce verbe37. Theodotion et Aquila (καὶ ἀποστήσει με) ainsi que la Peshitta ( ‫ܘ‬38) ont vu 39 a une forme simplement coordonnée , tandis que 1QIsa VIII, 4, avec ‫יסירנו‬, ne propose pas la conjonction. Cependant, la Septante, avec ἀπειθοῦσιν « ils se sont rebellés », s’écarte encore davantage du TM et suppose une lecture du verbe ‫ ס ַָרר‬à la troisième personne du pluriel qui pourrait dériver d’une mauvaise

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GKC §59h. Joüon §77a ; BLHG §55t ; J. KOENIG, L’Herméneutique analogique du judaïsme antique d’après les témoins textuels d’Isaie (SVT 33, Leyde : Brill, 1982), 321, n. 64. 33 GKC §59h. 34 CTAT, 2,56. 35 KOENIG, L’herméneutique, 324, n. 73 note la singularité mais suggère que l’utilisation de cette préposition à la suite d’un verbe de « mise en garde » n’est pas en soi insensée. KUTSCHER, The language and Linguistic Background, 268, note, quant à lui, que même l’utilisation de ‫מי ִן‬ suivie d’un infinitif avec ‫ סוּר‬est unique, ce qui ne permet plus d’affirmer que la forme verbale dérive forcément de ‫סוּר‬. 36 1QIsaa VIII, 4, voir également la discussion dans KOENIG, l’herméneutique, 320–332. 37 ‫ִירנִי‬ ֵ ‫ ַויְס‬. 38 Peal imparfait à la troisième personne du singulier du verbe suivi de l’objet suffixe à la première personne du singulier. 39 ‫ִירנִי‬ ֵ ‫וִיס‬. 32

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lecture du participe qal de ‫סוּר‬40. À la suite de CTAT 2,55, un grand nombre d’exégètes s’est rallié au rattachement au verbe ‫ סוּר‬et nous les suivons41. Job 40,2 propose la forme unique nominative ‫ י ִסּוֹר‬: ‫הֲר ֹב עִם־שַׁדַּ י יִסּוֹר מוֹכִי ַח אֱלוֹ ַהּ י ַ ֲענֶנָּה‬ Celui qui dispute avec le Puissant a-t-il à critiquer? Celui qui ergote avec Dieu voudrait-il répondre? (TOB)

Les différentes interprétations de cette forme sont discutées dans l’article de Fullerton42. La véritable difficulté provient des vocalisations de ‫ הרב‬et de ‫יסור‬. Le TM vocalise ‫ רב‬comme un infinitif absolu ayant valeur d’un verbe provenant de ‫ריב‬, ִ « chercher querelle », et ‫ יסור‬comme un nom 43 . Cependant, cette interprétation se heurte à l’utilisation d’un infinitif absolu dans une question, à la séparation entre le sujet et son verbe et au fait que le nom ‫ י ִסּוֹר‬est un hapax legomenon. On pourrait vocaliser ‫ רב‬comme un participe 44 et ‫ יסור‬comme une forme verbale dérivée de ‫סוּר‬45 . C’est le choix des principales versions antiques46 ,

40 Lecture qui serait confirmée par 4Q 174, I, 14 qui, dans un emprunt à Is 8,11, propose ‫סרי‬. Cf. CTAT, 2, 55 et F. AVEMARIE, « Exegesis in the Dead Sea Scrolls and the Pauline Epistles », Echoes from the caves: Qumran and the New Testament (éd. par F. García Martínez, STDJ 85, Leyde : Brill, 2009), 91–92. Il s’agit du participe qal de ‫ סוּר‬à l’état construit, que la Septante aurait interprété comme dérivant de ‫ סרר‬ou ‫סרה‬. KOENIG, l’herméneutique, 326–330, suggère une lecture identique au squelette consonantique de TM : ‫ויסרנו‬, interprétant le ‫ ן‬comme la finale de la 3ème personne du pluriel, dans une lecture proche de l’araméen. Se pose alors le problème de l’écriture défective de la désinence (ce dont Koenig ne parle pas) et du suffixe, que Koenig interprète comme une harmonisation euphonique. L’argumentaire de Koenig pour garder la priorité au TM ne semble pas être ici suffisamment fondé. 41 Pace KOENIG, l’herméneutique, 320–332, J. BLENKINSOPP, Isaiah 1–39 (AB 19, New York : Doubleday, 2000), 241 et DAHOOD, « Hebrew Lexicography », 333. Blenkinsopp s’appuie sur la Vulgate, mais cela indique simplement qu’à l’époque de Jérôme, ‫ יָסַר‬peut désigner l’enseignement. Dahood voit dans le ‫ ו‬un caractère emphatique et, tout comme Koenig, il n’envisage pas l’utilisation de la préposition ‫ מִין‬comme un problème. 42 K. FULLERTON, « On the Text and Significance of Job 40:2 », AJSL 49 (1932–1933), 197–211. 43 Ainsi, TOB, « Celui qui dispute avec le Puissant a-t-il à critiquer ? », BJ, « L’adversaire de Shaddaï a-t-il à critiquer » ou NBS, « Le donneur de leçons va-t-il chercher querelle au Puissant ? ». 44 Pour GORDIS, The Book of Job, 464, il est possible d’interpréter ‫ הֲר ֹב‬comme un participe sans avoir à changer la vocalisation du TM. 45 FULLERTON, « On the Text », 197 et T.F. DAILEY, « The Wisdom of Divine Disputation ? On Job 40.2–5 », JSOT 63 (1994), 107. Voir par exemple Osty, « Celui qui dispute avec Chaddaï cédera-t-il ? » 46 La Peshitta s’éloigne trop du TM en ayant lu le nom ‫ « סוּד‬conseil » au lieu de la forme ‫ י ִסּוֹר‬pour être prise en compte. Cf. FULLERTON, « On the Text », 202–203. Le Targum de Job

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Théodotion, Symmaque et la Vulgate47. Certains commentateurs modernes48 acceptent cette interprétation et corrigent la vocalisation du TM en ‫י ָסוּר‬. Cependant, ces versions antiques ne sont pas unanimes dans leur traduction de ‫רב‬, ce qui implique qu’elles ont eu des difficultés devant les particularités qu’aurait gardées le TM49. De son côté, le Targum de Job – pas celui de Qumran – a probablement lu ‫ יוסר‬en tant que niphal 50 tandis que la Septante l’a interprété comme un participe passif51. Le verset est donc d’interprétation difficile. Rares sont les commentateurs qui respectent intégralement le TM. Par exemple, Dailey52 propose une interprétation qui voit ‫ ר ֹב‬comme un infinitif sujet de la phrase : « To contend with the Almighty, can [that] be corrective ? ». La forme ‫ י ִסּוֹר‬serait un verbe, parallèle à ‫י ַ ֲענֶנָּה‬53. Intransitif, il serait quasi statif54. Cependant, les arguments de Fullerton demeurent valides. Il est possible de garder le TM tel qu’il est55. Par une structure en chiasme, ‫ י ִסּוֹר‬dont la morphologie ressemble à celle de ‫גִבּוֹר‬, correspond à ‫ מוֹכִי ַח‬et désigne Job56, quitte à faire de Dieu l’objet de la remontrance d’un homme. En conclusion, le verset est d’interprétation délicate du fait qu’il n’y a pas d’objet à la forme ‫יסור‬. Or, le verbe ‫ יָסַר‬est transitif. Il faut donc soit que la forme ‫ יסור‬dérive de ‫סוּר‬57, soit la corriger en un niphal ‫יוסר‬58 ou la vocaliser en participe passif59, soit la vocaliser comme un nom60. Il n’est pas sûr que le TM témoigne de la tradition originelle. Cependant, le parallélisme avec le verbe ‫יָכַח‬ tend à montrer que la forme dérive bien de ‫יָסַר‬. En ce qui concerne de Qumran est endommagé à cet endroit (cf. p. 66) et nous ne possédons pas le témoignage d’Aquila. 47 FULLERTON, « On the Text », 199–202. 48 EHRLICH, Randglossen, 6,337 ; BRANSON, TDOT, 6, 128 ; MERRIL, NIDOTTE, 2, 480. 49 FULLERTON, « On the Text », 204. 50 Avec ‫ – ַמ ְכסֵן‬ce passage du Targum fait cependant l’objet de variantes. Il a probablement ‫ יוסר‬et non ‫ יסור‬dans sa Vorlage. Cf. FULLERTON, « On the Text », 203. 51 Avec νουθετούμενος, Cf. D. H. GARD, « The Concept of Job’s Character According to the Greek Translator of the Hebrew Text », JBL 72 (1953), 185, pace FULLERTON, « On the Text », 198 selon qui la Septante n’a pas traduit ce passage. En fait, le passage est déplacé en JobLXX 40,4, adapté et mis dans la bouche de Job, voir p. 241. 52 DAILEY, « The Wisdom », 111. 53 Cf. Job 20,3. 54 DAILEY, « The Wisdom », 111, n.22, cependant il n’analyse pas la forme. 55 FULLERTON, « On the Text », 207–211. 56 Cette identification serait renforcée par le fait que ‫ י ִסּוֹר‬possède la même vocalisation que le nom Job (‫)אִיּוֹב‬, Cf. FULLERTON, « On the Text », 210–211. 57 Choix de Theodotion, de Symmaque et de la Vulgate. 58 Choix du Targum. 59 Choix de la Septante. 60 Choix du TM.

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l’interprétation du TM, le nom verbal suggère que c’est Job qui « corrige » Dieu. d. La fonction du chef des Lévites en 1 Ch 15,22 L’occurrence de 1 Ch 15,22 signifierait que le chef des Lévites enseigne61 le chant ou alors le transport62. ‫שׂר־ ַה ְל ִויּ ִם ְבּ ַמשָּׂא יָס ֹר ַבּ ַמּשָּׂא כִּי ֵמבִין הוּא‬ ַ ‫וּ ְכנַנְי ָהוּ‬ Et Kenanyahou, chef des lévites pour le transport, organisait le transport, parce qu’il en était capable (TOB).

Pour maintenir l’attribution de cette forme au verbe ‫יָסַר‬, il faut élucider la vocalisation ‫י ָס ֹר‬. Elle semble désigner un infinitif absolu63 mais l’usage d’une telle forme verbale en attribut d’un substantif est douteux64. Il pourrait s’agir d’une forme nominative de type Qatāl qui est le nomen agentis du verbe65. Il faut alors accepter la rection avec la préposition ‫ ְבּ‬de la matière enseignée qui se rapprocherait d’Is 28,26. Cette interprétation, déjà notée par K&D 66 , est reprise par quelques commentateurs récents67. Cependant la Septante avec ἄρχων, la Vulgate avec praeerat, et certains manuscrits68 attribuent la forme ‫ י ָס ֹר‬au verbe ‫ « שׂ ַָרר‬conduire, diriger ». Cela convient mieux au contexte : la procession est en train d’être organisée, les Lévites musiciens sont placés, il ne reste plus qu’au chef des Lévites d’organiser et de diriger le transport de l’arche69. Cette interprétation est reprise par quelques commentateurs récents70. L’objection à cette interprétation est la présence d’une tautologie qu’on pourrait traduire ainsi : « le directeur au transport dirige le transport ». De fait, la Vulgate ne traduit pas les deux occurrences de ‫ בְּמַשָּׂא‬par la même expression, traduisant le premier ‫ ַמשָּׂא‬par

61

R. ZUCK, « Hebrew Words for ‘Teach’ », BS 121 (1964), 231. Voir HALOT, s.v. ‫שׂרר‬, M. GERTNER, « The Masorah and the Levites: An Essay in the History of a Concept », VT 10 (1960), 152 ou les traductions de la Septante (ἄρχων τῶν ᾠδῶν) et de la Vulgate (praeerat ad praecinendam melodiam). 63 Cf. BDB. 64 Joüon, §123c. 65 Joüon, §88Ea ; GKC, 84ak. 66 K&D, 7,205. 67 P.B. DIRKSEN, 1 Chronicles (HCOT, Louvain : Peeters, 2005), 213 ; R.W. KLEIN, 1 Chronicles: a Commentary (édité par T. Krüger, Hermeneia, Minneapolis : Fortress, 2006), 345. 68 BHS, a.c. 69 Cf. K&D, 7,205. 70 G.N. KNOPPERS, I Chronicles 10-29. A New Translation With Introduction and Commentary (AB 12A, New York : Doubleday, 2004), 10–29.609. 62

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prophetia71. De son côté, la Septante évite cette tautologie en n’ayant pas de correspondant pour le premier ‫בְּמַשָּׂא‬. Il est difficile de savoir si la Septante a supprimé la première occurrence qu’elle a jugée superflue ou si un scribe hébreu a rajouté fautivement la première mention de ‫ ְבּ ַמשָּׂא‬dans le TM. Dans ce dernier cas, la portée de l’argument serait amoindrie. Nous ne possédons pas d’autres témoins antiques. Ce passage des Chroniques n’a pas de parallèle dans le livre des Rois. La Peshitta s’éloigne considérablement du TM72. En conclusion, la proximité avec Is 28,26 n’est pas un argument pleinement convaincant, car il n’est pas certain que ce dernier passage utilise ‫ יָסַר‬pour désigner l’apprentissage d’une matière73. La tautologie n’est pas une objection décisive : pourquoi l’auteur des Chroniques devrait-il s’empêcher de faire ce genre de répétition ? Sur la base des témoins antiques, il est donc plus probable que la forme ‫ י ָס ֹר‬dérive du verbe ‫שָׂ ַרר‬74. e. Le substantif ‫מוּ ָס ר‬ Un certain nombre de passages montrent une confusion avec le substantif ‫מוֹסָר‬. Job 12,18 propose ‫ מוּסָר‬qui semble devoir être vocalisé ‫מוֹסָר‬75. On trouve le même phénomène en Pr 7,22 où le TM vocalise ‫מוּ ָסר‬, avec une phrase difficile à comprendre76. ‫ה ֹו ֵל אַח ֲֶרי ָה פִּתְ א ֹם כְּשׁ ֹור אֶל־ ָטבַח י ָב ֹוא וּ ְכ ֶעכֶס אֶל־מוּסַר אֱ וִיל‬ Il va après elle soudainement, comme un bœuf à l’abattoir il va, comme lié vers l’entrave des fous.

71

Sens qu’il possède parfois, Cf. HALOT. ‫ܗܘܬ‬ ‫ܡ̇ܬ‬ ‫ܕܕܘ‬ ‫ܡ‬ ‫̇ܠ‬ ̈ ‫ܪ ܕ‬ ‫ܘ‬, « Et Benyah portait tout le jour dans la Tente grâce à la place qui lui a été préparée ». 73 Voir traitement de ce passage, p.94–96. 74 Pour un autre exemple d’une telle confusion, il faut constater que la Septante traduit ‫ִמשׂ ְָרה‬ « empire » qui dérive de ‫ שׂ ַָרר‬par ἀρχή en Is 9,6–7, alors que Symmaque et Théodotion donnent pour le même passage παιδεία, en ayant probablement lu ‫מוּסָר‬. (Cf cependant Schleusner qui rapporte une interprétation donnant à παιδεία une signification proche de « empire »). 75 GORDIS, The book of Job, 139 ; É.P. DHORME, Le livre de Job (Études bibliques, Paris : Gabalda, 1926), 160. On pourrait cependant proposer également ‫ ִמשׂ ְָרה‬, qui a parfois été pris pour ‫( מוּסָר‬Cf. IsSym 9,5–6), voir note précedente. Le Vieux Grec, avec καθιζάνων βασιλεῖς ἐπὶ θρόνους s’éloigne considérablement du TM. 76 M.V. FOX, Proverbs 1–9 (AB 18A, New York : Doubleday, 2000), 249–250 et MCKANE, Proverbs, 340–341. 72

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Toutes les versions antiques ont vocalisé ‫מוֹסָר‬77. Ces dernières ont vu un lien avec ‫ ֶעכֶס‬, « enchainé » ou « ligoté »78 , tandis que le TM aurait privilégié le parallélisme avec ‫ ֶטבַח‬, « abattoir »79. Pour d’autres passages, Dahood80 propose de relier ‫ מוסר‬non pas à la racine ‫יסר‬, ou à ‫אסר‬, mais à ‫ סרר‬qui, en hébreu, signifie plutôt « être rebelle ». En comparant avec l’ougaritique 81 srr « la part choisie, le secret » et sarrā (« confier un secret »), il envisage que ce substantif signifie « cœur », « essence ». Ainsi Pr 15,33 : ‫י ְִראַת י ְהוָה מוּסַר ָח ְכמָה‬ La crainte du Seigneur est discipline de Sagesse

Ce passage ne devrait pas être traduit « la crainte du Seigneur est discipline de Sagesse », mais « La crainte du Seigneur est l’essence (ou le cœur) de la Sagesse ». Selon Dahood, cette interprétation permet de rendre d’autres passages plus clairs. Ainsi Jr 10,8 : ‫מוּסַר ֲה ָבלִים עֵץ הוּא‬ Formé par les absurdités, on en arrive là (TOB)

La plupart des commentateurs82 renoncent à accepter le sens littéral : « Discipline des idoles, c’est du bois ». Il s’agirait d’un rappel du verset 3 qui indique que les idoles sont faites en bois. La Septante ne possède pas de contrepartie pour ce passage. Cependant, Theodotion et Symmaque proposent « cœur », ce qui semblerait confirmer l’interprétation de DAHOOD : « l’essence des idoles c’est du bois ». De même, il interprète Job 33,16 selon cette idée : ‫שׁים וּבְמֹס ָָרם יַחְתּ ֹם‬ ִ ָ‫אָז יִגְלֶה אֹזֶן ֲאנ‬ Alors il ouvre l’oreille des humains et y scelle les avertissements qu’il leur adresse (TOB).

77

Par exemple la Septante propose δεσμός. Voir S. R. DRIVER, « Problems in “Proverbs” », ZAW 50 (1932), 143 et FOX, Proverbs 1–9, 249–250 pour la discussion de ce terme. 79 Voir HALOT. 80 DAHOOD, Proverbs, 34–35. 81 En fait, l’attribution de la racine *SRR avec « parler en secret » provient surtout d’une comparaison avec l’arabe. Cf. p. 61s. 82 e.g. W. MCKANE, Jeremiah (2 volumes, ICC, Édimbourg : T&T Clark, 1986), 1, 224 et J.R. LUNDBOM, Jeremiah. A New Translation with Introduction and Commentary (3 volumes, AB 21A–C, New York : Doubleday, 1999–2004), 1, 588. 78

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En effet, la vocalisation de TM est ambiguë ou mixte83. Elle suggère de comprendre le mot comme une forme de ‫מוֹ ָסר‬, dont une graphie défective se trouve en Job 39,5. Cependant, dans ce cas, la vocalisation aurait dû être ‫מֹס ֵָרם‬. Une telle interprétation indique que Dieu ferme l’entrave (Cf. Ps 2,2) ou place son sceau sur les liens qui enserrent le fidèle la nuit84. Un manuscrit possède la vocalisation ‫ מֻ ס ָָרם‬rattachant la forme au substantif ‫מוּסָר‬85. Driver et Gray86 proposent également ‫ ֻמס ִָרם‬tout en reconnaissant que ce serait le seul cas de pluriel pour ‫מוּסָר‬. Ces deux dernières propositions se basent sur un parallélisme avec Job 36,10. En effet, les deux versets traitent du fait que Dieu ouvre l’oreille. Cependant, cela ne rend pas Job 33,16 plus clair. En effet, la forme ‫ יַחְתּ ֹם‬se rattache à ‫חָתַ ם‬, « fermer », « sceller » et la préposition ‫ ְב‬serait instrumentale : « il ferme par la discipline » ou le signe du complément du verbe : « Il scelle (en eux) la discipline »87. Dahood propose d’utiliser le verbe dans son sens premier « il met un sceau sur leur cœur ». De son côté, Gordis88, sur l’interprétation de la Septante de la forme ‫יַחְתּ ֹם‬89, propose tout simplement de corriger le texte ‫ וּבְמוּס ָָרם יְחִתֵּ ם‬: « et avec un avertissement leur étant destiné, il les effraie ». Cependant, en plus de corriger le texte, cela impose d’envisager le complément de ‫ מוּסָר‬comme celui qui subit l’action, ce qui serait unique dans le TM90. Enfin, Varela Almendra rappelle qu’on peut également vocaliser le verbe ‫ יְחָתֵּ ם‬qui est alors une forme de ‫נָחַת‬, « descendre »91 : « ele desce até eles ». Ce verset est difficile et a donné lieu à autant de commentaires que de

83 Ainsi S.R. DRIVER et G.B. GRAY, The Book of Job (2 volumes, ICC, Édimbourg, T&T Clark, 1958), 2, 243. 84 N.H. TUR-SINAI, The Book of Job. A New Commentary (Jérusalem : Keryath Sepher, 1957), 469. 85 Cette interprétation est supportée par la lecture d’Aquila, la Vulgate, la Peshitta et le Targum. 86 DRIVER et GRAY, The Book of Job, 2, 243. 87 Ainsi L.M. VARELA ALMENDRA, Um debate sobre o conhecimento de Deus composição et interpretação de Jb 32–37 (Lisbonne, Universidade Católica editora, 2007), 121 prenant appui sur Joüon §125b.m, bien que DRIVER et GRAY, Job, 2, 243 jugent cette hypothèse insuffisamment fondée sur Job 37,7. 88 GORDIS, The Book of Job, 374–375. 89 En traduisant ainsi : ἐν εἴδεσιν φόβου τοιούτοις αὐτοὺς ἐξεφόβησεν la Septante suggère une autre vocalisation : ‫ יְחִתֵּ ם‬qui se rattache au verbe ‫חָתָה‬, « effrayer », et une autre Vorlage : ‫מראם‬, « visions », au lieu de ‫מסר‬. Cette lecture rappelle Job 7,14. Elle est acceptée, par exemple, par DHORME, le livre de Job, 451 ou encore M.H. POPE, Job. A New Translation with Introduction and Commentary (AB 15, 3ème édition, New York : Doubleday, 1980), 250. 90 Voir p. 98. La même critique est adressée à N.C. HABEL, The Book of Job, Old Testament Library (Londres : SCM, 1985), 458 qui suit GORDIS, The Book of Job, 374–375 pour la correction, mais pas pour la signification de la forme ‫יַחְתּ ֹם‬. 91 VARELA ALMENDRA, Um Debate, 121–122. Voir aussi M. DAHOOD, « Hebrew-Ugaritic Lexicography VI », Bib 49 (1968), 360.

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commentateurs 92 . Ni le TM, ni la Vorlage de la Septante ne suggèrent directement ‫מוּסָר‬, en revanche Aquila et la Vulgate le présupposent. Nous laissons la question ouverte. Cependant, la conjecture de Dahood n’est pas plus nécessaire en Job 33,16 qu’elle ne l’est en Pr 15,33. Pour cette dernière, elle ne répond pas à une difficulté particulière du texte. Pour Job, elle ne résout pas le problème de graphie défective ni celui de la vocalisation et n’est supportée par aucun témoin textuel. Dahood propose un dernier exemple en Pr 7,22, mais sa suggestion ne permet pas de résoudre le véritable problème de ce verset qui est la signification du mot ‫ ָעכַס‬. f. Synthèse Parmi les occurrences controversées, nous rejetons Is 8,11 et 1 Ch 15,22. Nous ne nous prononçons pas sur Job 33,16. Nous gardons les autres occurrences telles quelles, à l’exception d’Os 7,12 que nous vocalisons en piel.

2. Le verbe Il est incontestable que le verbe est utilisé principalement au piel puis au niphal, au qal et enfin au nitpael. La forme hiphil est très controversée. a. Le qal Sur les cinq utilisations possibles du verbe au qal, deux sont incontestables93. En effet, elles ne sont pas une forme de ‫יָסַר‬94 et la vocalisation de la troisième pose problème. En effet, la forme ‫ וְאֶ סּ ֳֵרם‬en Os 10,10 pointe vers une conjugaison qal. Cependant, comme en Is 8,11, il faut expliquer le daghesh par un phénomène de métathèse. De plus, le maintien d’une coloration dans le shewa sous le ‫ ס‬est inhabituel mais non sans exemple95. CTAT 3, 578 conserve donc la vocalisation qal, en proposant la traduction suivante qui prend en compte la forme ‫ ְבּ ַאוָּתִ י‬: « il est en ma volonté que je les châtie »96.

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Voir également T. MENDE, Durch Leiden zur Vollendung. Die Elihureden im Buch Ijob (Ijob 32–37) (TTS 49, Trèves : Paulinus, 1990), 35. 93 Ps 94,10 et Pr 9,7. 94 Is 8,11 et 2 Ch 15,22. 95 BLHG, §18r. 96 Cf. aussi GKC, §165a.

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Les deux formes incontestées sont dans les deux cas un participe présent mis en parallèle avec un hiphil de ‫יָכַח‬. Le fait que la conjugaison soit qal pourrait provenir de l’aspect résultatif du piel défendu par JENNI 97 . Ainsi, Ps 94,10 montre Dieu châtiant les Nations et Pr 9,7 décrit le reproche inefficace fait à un sceptique (‫)לֵץ‬. Dans les deux cas, on ne s’intéresserait pas à la réussite du processus. Ces occurrences envisageraient l’échec de l’action coercitive, c’est-à dire que ni les Nations, ni le sceptique ne se sont réformés. Cependant, le faible nombre de qal rend les conclusions provisoires. En effet, si Pr 9,7 envisage bien l’échec du processus, il est plus délicat d’affirmer que Dieu rate son action en Ps 94,10. Dans les deux cas, ce serait le processus qui est mis en avant. En Ps 94,10, Dieu châtie les Nations, il peut donc punir le peuple. Ici, l’utilisation d’un piel aurait signifié non pas que les Nations soient « éduquées » mais plutôt qu’elles soient anéanties. Quant à l’utilisation du qal en Os 10,10, elle est trop problématique et les formes de la racine ‫ יסר‬de ce livre sont trop compliquées pour qu’il soit possible de défendre une thèse définitive. b. Le niphal Le verbe ‫ יָסַר‬est utilisé cinq fois au niphal98. Aucune de ces occurrences n’est controversée. Il est utilisé une fois dans une phrase conditionnelle (Lv 26,23), deux fois à l’impératif (Jr 6,8 ; Ps 2,10). Cela permet de confirmer le sens de niphal tolerativum (Joüon §51c, IBHS 23.4.g) : « se laisser corriger 99 par quelqu’un de sorte que la correction produise son résultat ». Ce sens convient également à Jr 31,18 où le verbe ‫ יסר‬désigne l’acceptation de son sort par Jérémie qui se compare à un taureau. On peut en déduire qu’il convient également en Pr 29,19. L’esclave ne s’amende que par des paroles : il les comprendra mais ne les appliquera pas. Il faut donc des moyens plus « efficaces », certainement le bâton. Le cas de Ps 2,10 est plus délicat. Le parallélisme avec ‫שׂכַל‬ ָ pourrait faire penser à une prise de conscience : « soyez comme quelqu’un corrigé ». Le niphal aurait ici une valeur passive.

97

Voir p 92–94. Lv 26,23 ; Jr 6,8 ; 31,18 ; Ps 2,10 ; Pr 29,19. 99 Pour Jr 6,8 les chercheurs hésitent entre « éduquer », « corriger » ou « avertir ». K. FINSTERBUSCH, Weisung für Israel. Studien zu religiosem Lehren und Lernen im Deuteronium und seinem Umfeld (FAT 44, Tübingen : Mohr Siebeck, 2005), 53, n. 170 indique que « éduquer » est préférable car l’action divine est continue et suppose un changement complet de comportement et non une simple réprimande passagère. Dans le même ordre d’idée, LUNDBOM, Jeremiah, 1, 421 propose « Correct yourself ». Le contexte de Jérémie reste violent, la ville est assiégée et attaquée (Jr 6,4–5). 98

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c. Le nitpael Cette forme rare100 ne se trouve qu’en Ez 23,48 où il désigne le fait que les femmes d’Israël, ayant observé le sort qui a été réservé à Ohola et Oholiba, se rendront compte de leur faute et ne les imiteront pas. En tant que telle, cette signification n’est pas très éloignée de celle du niphal, surtout celle de Ps 2,10. Ainsi, Joüon, remarquant que le ‫ ת‬caractéristique de la conjugaison est assimilé au ‫ ו‬dans cette forme verbale, indique que le squelette consonantique est compatible avec un simple niphal101. L’apparition du nitpael pourrait résulter d’une vocalisation plus précise de la part du TM. En effet, le niphal ne cadre pas tout à fait avec le contexte. Les femmes ne sont pas frappées mais marquées par l’exemple de la mort de deux femmes. Le nitpael signifierait le fait qu’une personne se convertit à la vue du malheur d’autrui. La Septante permet de confirmer cette hypothèse. En effet, PrLXX 22,3 peut témoigner de la présence d’un hitpael dans sa Vorlage102. Si cette hypothèse est juste, alors la forme verbale du hitpael/nitpael désignerait le fait de se convertir devant le malheur qui arrive à autrui et non du fait d’un châtiment que l’on subit. d. Le piel La forme la plus fréquente est le qatal qui correspond bien à l’aspect résultatif de la conjugaison piel103. Un exemple typique est Jr 31,18 : ‫יִסּ ְַרתַּ נִי ָו ִא ָוּסֵר‬ Tu m’as corrigé (efficacement) et, (par conséquent), j’ai accepté la correction.

L’association du qatal piel avec le wayiqtol niphal montre alors tout autant l’efficacité de l’action divine que l’acceptation de celle-ci par Jérémie, en

100

Joüon, §59f. EHRLICH, Randglossen, 5, 93 propose également une telle correction. 102 Voir traitement de ce passage dans la quatrième partie. 103 E. JENNI, Das hebräische Pi’el. Syntaktisch-semasiologische Untersuchung einer Verbalform in Alten Testament (Zurich : EVZ, 1968), 217–218. Cette thèse est maintenue bien que reprécisée en IDEM, « Aktionsarten und Stammenformen im Althebräischen: das Piʿel in verbesserter Sicht », ZAH 13 (2000), 67–90. De fait, un certain nombre de chercheurs voit dans le piel une forme complexe regroupant une pluralité de significations,, notamment une action intensifiée ou répétée, voir par exemple, J. JOOSTEN, « The Function of the Semitic D Stem: Biblical Hebrew Materials for a Comparative-Historical Approach », Or 67 (1998), 226–227. En ce qui concerne le verbe ‫יָסַר‬, puisqu’il est très majoritairement utilisé dans cette conjugaison, on ne peut pas conclure de manière définitive. 101

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contraste avec le peuple de Jérusalem que Dieu frappe104 mais qui n’accepte pas la leçon (‫)מוּסָר‬. En Dt 8,5, on trouve l’exemple d’une forme yiqtol, associée à un participe présent105, développant l’idée d’un présent duratif ou répétitif : ‫כִּי ַכּ ֲאשֶׁר יְיַסֵּר ִאישׁ אֶת־בְּנ ֹו י ְהוָה ֱא הֶי מְ יַסּ ְֶר ָךּ‬ Comme un homme ne cesse de corriger son fils, le Seigneur ton Dieu est celui qui te corrige.

Le Psaume 94,12 développe tout à fait la même idée en liant l’action de Dieu avec l’état paradoxal de bonheur (‫ )אַשְׁ ֵרי‬: « Bonheurs pour l’homme que tu ne cesses de corriger ». En revanche, les formes yiqtol des passages parallèles 1 R 12,11.14, par leur opposition à la forme qatal du même verbe, font référence à une action future pour marquer une gradation dans la violence. Le roi Jéroboam dit que son père a traité (‫ )יָסַר‬le peuple avec un fouet (‫)שׁ ֹוט‬, lui le traitera avec un instrument plus terrible encore (‫)עַקְ ָרב‬. Le futur se retrouve également dans les trois formes weqataltí avec l’idée de consécution. En Lv 26,28, Dieu marche contre son peuple et le corrigera ; en Dt 21,18, le fils n’écoute pas son père qui en conséquence le corrige ; enfin, en Dt 22,18, les anciens ont arrêté un homme qui a porté un faux témoignage et le punissent. Ceci dit, le yiqtol peut également suggérer l’idée de prière106. En Jr 2,19, on souhaite tout le mal possible : ֵ‫תְּ יַסּ ְֵר ָרעָת‬ Que ta méchanceté te corrige.

Mais cette occurrence est unique. Dans les autres cas, la prière demande la modération (Ps 6,2 ; 38,2). Ces passages des Psaumes sont à rapprocher de Jr 10,24 et de Pr 19,18 qui utilisent un impératif. Dans ce dernier exemple, on se 104 Jr 2,30 ; 5,3 ; 7,28 ; 17,23 ; 30,14 ; 32,33 ; 35,13. Il est certainement significatif que l’action de Dieu n’est alors jamais décrite par le verbe ‫יָסַר‬. Le verbe le plus proche est ‫ ָלמַד‬en Jr 32,33, mais il ne faudrait pas l’interpréter trop vite comme une éducation intellectuelle. Ce verbe désigne fondamentalement « frapper » (Cf le substantif ‫ ַמ ְל ָמד‬en Jg 3,31) et désigne le dressage d’un animal (Os 10,11) ou d’un soldat (1 Ch 15,18), Cf. également ZUCK, « Hebrew words », 238–239, KAPELRUD, TDOT 8, 4–10 et F. DIEDRICH, « Lehre mich, Jahwe! Überlegungen zu einer Gebetsbitte in den Psalmen », Die alttestamentliche Botschaft als Wegweisung. Festschrift für Heinz Reinelt (éd. par J. Zmijewski, Stuttgart : Katholisches Bibelwerk, 1990), 60–61. Le refus du peuple n’est pas décrit par une négation du niphal, mais par la collocation ‫( ָלקַח מוּסָר‬Cf. p. 98s). La relation entre Dieu et son peuple n’est pas comme celle entre Dieu et son prophète. 105 Le seul de ce type dans le TM. 106 Joüon, §113m.

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place du côté du père : il doit corriger son fils mais pas le faire mourir. L’aspect violent du verbe est moins marqué dans la deuxième injonction faite aux pères de corriger leurs fils (Pr 29,17) mais le contexte ne laisse pas de doute sur cet aspect (Pr 29,15). Ainsi, tout se passe comme si, pour Jr 2,19, la méchanceté était un mauvais père pour le peuple et le mènerait à sa perte. L’infinitif construit se retrouve en deux endroits. En Lv 26,18, cet infinitif est régi par le verbe ‫ יָסַף‬signifiant « rajouter », « continuer ». Si le peuple ne prend pas en considération l’action de Dieu, Dieu continuera de frapper. En Dt 4,36, l’infinitif est régi par la préposition finale ‫ ְל‬qui suit le hiphil de ‫שׁמַע‬ ָ : « Dieu fait entendre sa voix pour te corriger ». La particularité de cet infinitif est la présence d’un ‫ ן‬énergique assimilé au suffixe de la deuxième personne107. On retrouve un tel ‫ ן‬sur le participe présent en Dt 8,5108. On notera, enfin, l’unique emploi de l’infinitif absolu en Ps 118,18, suivi d’un qatal piel. Il signifie la perfection de l’action, mais pourrait aussi être une concession109 : ‫י ַסּ ֹר יִסּ ְַרנִּי יּ ָהּ ְו ַל ָמּוֶת א נְתָ נָנִי‬ Bien qu’il m’ait corrigé, il ne m’a pas livré à la mort.

e. La rection La construction de base du verbe associe un sujet avec son objet. Ce dernier peut être suffixé au verbe 110 , introduit par la particule ‫ ֵא ת‬111 ou simplement apposé112. Lorsque le verbe nécessite un complément, on utilise principalement ‫ ְב‬pour désigner le moyen ou le soin avec lequel l’action est faite : ‫ « שׁוֹט‬fouet » et ‫ַעק ְָרב‬ « scorpion » (1 R 12,11.14 ; 2 Ch 10,11.14), mais aussi ‫ « דָּ בַר‬parole » (Pr 29,19), ‫שׁפָּט‬ ְ ‫ « ִמ‬justice » et ‫ « אַף‬colère » (Jr 10,24) ainsi que ‫ « ֵחמָה‬fureur » (Ps 6,2 ; 38,2). On trouve cependant trois occurrences où ‫ יָסַר‬régit la préposition ‫ ְל‬suivi du mot ‫שׁפָּט‬ ְ ‫ ִמ‬113. Or cette préposition peut introduire un accusatif. Si cette interprétation est juste, alors le verbe signifie « enseigner quelque chose à quelqu’un ». Ainsi : 107

Joüon, §65d. Joüon, §66d. Dans ce passage, ‫ יָסַר‬peut signifier « enseigner », « éduquer » ou « corriger » (FINSTERBUSCH, Weisung, 157). 109 Joüon, §123i. 110 e.g. Dt 4,36 ; Is 28,26 ; Jr 2,19 ; 10,24… 111 Uniquement avec un pronom e.g. Lv 26,18 ; 26,28 ; Dt 21,18 ; 1 R12,11.14. 112 e.g. Dt 8,5 ; Os 7,15 (sens II) ; Ps 39,12 ; 94,10 ; Job 4,3 (sens II). 113 Is 28,26 ; Jr 30,11 ; 46,28. 108

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95 ‫שׁ ָפּט ֱא ָהיו י ֹו ֶרנּוּ‬ ְ ‫ְוי ִ ְסּר ֹו ַל ִמּ‬

Or, c’est son Dieu qui lui enseigne la règle à suivre et qui l’instruit. (Is 28,26, TOB)

‫שׁפָּט‬ ְ ‫ְויִסּ ְַרתִּ י ַל ִמּ‬ Je t’apprends à respecter l’ordre. (Jr 30,11 voir aussi 46,28, TOB)

Cette interprétation ne cadre pas avec le contexte de Jérémie 114. La phrase qui suit utilise le verbe ‫ « נָקָ ה‬déclarer innocent », avec une négation et un infinitif absolu d’insistance : cela indique que Dieu ne laissera rien impuni. Il faut comprendre que l’action décrite par le verbe ‫ יָסַר‬sera minutieuse. La forme ‫שׁפָּט‬ ְ ‫ ַל ִמּ‬n’exprime donc pas un double accusatif mais indique que l’action divine sera conforme à la justice115. En ce qui concerne Is 28,26, le débat est plus délicat. Ce verset appartient à un passage où Dieu explique son action par la métaphore de l’agriculteur. L’agriculteur sème les graines puis frappe le sol. Cependant, il ne frappe pas au point de détruire ses graines ! La majorité des exégètes 116 reconnaît ici un double accusatif : c’est le dieu de l’agriculteur qui enseignerait à celui-ci comment traiter son champ117 : Cette interprétation soulève plusieurs problèmes : 1. Le premier, soulevé par Ehrlich118, est qu’il s’agirait du seul cas où ‫יָסַר‬ signifierait « enseigner une technique », la préposition introduisant la matière enseignée 119 . Cependant, comme la présente thèse envisage de démontrer qu’effectivement ‫ יָסַר‬ne possède pas une telle signification, elle ne peut s’appuyer sur l’argumentation de Ehrlich. 2. Le second, noté par Blenkinsopp120, est la séparation du sujet de son verbe. Le contexte réclame plutôt que le sujet du verbe ‫ יָסַר‬soit ‫ «( הַח ֵֹרשׁ‬celui qui laboure ») et que le complément du verbe soit la surface (‫) ָפנֶי ָה‬. Cependant, dans ce cas, il faut expliquer la terminaison masculine du verbe. Selon 114 Ainsi, G. FISCHER, Jeremia (2 volumes, HThKAT, Freiburg: Herder, 2005), 2, 118.129, G.L. KEOWN, P.J. SCALISE et T.G. SMOTHERS, Jeremiah 26-52 (WBC 27, Dallas : Word Book, 1995), 94, LUNDBOM, Jeremiah, 2, 392, FINSTERBUSCH, Weisung, 65. 115 E. JENNI, Die präposition Lamed (volume 3 de Die hebräischen Präpositionen, Stuttgart : Kohlhammer, 2000), 281, n°9317, Cf. aussi KEOWN, SCALISE et SMOTHERS, Jeremiah, 94. 116 Depuis un commentateur récent tel que W.A.M BEUKEN, Jesaja 13–27 (HThKAT, Fribourg : Herder, 2007), 28–39, 92–93, jusqu’à Ibn Ezra (Cf. M. FRIEDLÄNDER, The Commentary of Ibn Ezra on Isaiah [4 volumes, Londres : Trübner, 1873, réimpression New York: Feldheim, 1965], 1, 132). 117 FINSTERBUSCH, Weisung, 32, n.2. 118 EHRLICH, Randglossen, 4, 102 propose ‫ ְוי ִתְ רוֹ‬. 119 Ainsi JENNI, Die Präposition Lamed, 207, n°7396. 120 BLENKINSOPP, Isaiah 1–39, 396.

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Betz121, cet objet se référerait par exemple à ‫ ֶקצַח‬et à ‫ כַּמֹּן‬qui désignent des graines et qui sont de genre masculin. De fait, ce sont bien les graines, et non le sol, qui sont frappées et broyées en Is 28,27–28122. 3. Le troisième est la forme weqataltí de ‫ יָסַר‬qui marque une conséquence par rapport à ce qui précède. Cette forme n’est pas strictement parallèle au verbe ‫ ירה‬au yiqtol hiphil. GKC §112,6,b propose de lire le weqataltí comme un fréquentatif. Ces raisons ne sont pas en soi déterminantes et doivent être mises en balance avec la quasi-unanimité des chercheurs. Cependant, si les problèmes posés par l’interprétation traditionnelle sont pris au sérieux, il se dégage un sens différent. Le verset est alors à rattacher à Jr 10,24 ; 30,11 ; 46,28. L’agriculteur traite ses graines avec justice en les battant mais sans les broyer. Dieu traite son peuple de la même façon. Il s’agit d’une métaphore dont ‫שׁפָּט‬ ְ ‫ ְויִסְּרוֹ ַל ִמּ‬est l’explication123. Même si tous les problèmes de ce verset ne sont pas résolus 124 , le rapprochement avec Jérémie, conforté par le sens de la comparaison agraire, permet d’envisager sérieusement que ‫ יָסַר‬n’a pas un sens différent que dans les autres livres du TM, et qu’il n’est pas non plus régi différemment par un double accusatif.

3. Le substantif a. La formation Le substantif ‫ מוּסָר‬dérive de la racine ‫יסר‬, à laquelle on a ajouté la préformante ‫מ‬. Selon Joüon125, la vocalisation est initialement ‫ מוֹסָר‬mais se trouvant dans une syllabe atone, ‫ וֹ‬s'est réduit en ‫וּ‬. Selon GKC126, cette préformante est à 121

D.BETZ, « Gott als Erzieher im Alten Testament. Eine semantisch-traditionsgeschichtliche Untersuchung der Begrifflichkeit jsr / musar (paideuo / paideia) mit Gott als Subjekt in den Schriften des AT » (thèse de doctorat, Universität Osnabrück, 2007), 228. 122 Cf. par exemple M.G. ABEGG, JR., « ‫» כַּמּ ֹן‬, NIDOTTE 2 (1997), 661. 123 Voir également BETZ, « Gott als Erzieher », 226–230.275, du même avis. 124 La fin du verset est à interpréter soit de la manière habituelle : « son dieu le lui enseigne » avec un yiqtol à sens de présent duratif (BETZ, « Gott als Erzieher », 226), soit, selon BLENKINSOPP, Isaiah 1–39, 396, avec un yiqtol à sens futur et selon l’utilisation de ‫ י ָָרה‬en Os 6,3 ; 10,12. Blenkinsopp traduit donc « his God provides the rain », c’est-à-dire « son Dieu l’irrigue (à savoir la surface) ». Voir également MACINTOSH, Hosea, 226, n. k qui rapproche ces formes de la racine ‫רוה‬, « être rempli d’eau ». Cependant, même si Blenkinsopp propose de garder la polysémie entre « enseigner » et « donner la pluie », cette interprétation paraît un peu forcée aux yeux de FINSTERBUSCH, Weisung, 30, n. 76. 125 Joüon, §88Ld. 126 GKC, §85e.

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rattacher à ‫ « מִי‬qui » ou ‫ « מָה‬quoi ». Cette idée permet d’expliquer la nuance instrumentale (« ce qui agit » ou « ce par quoi l’action est faite ») 127 , ainsi qu’abstractive (« ce que c’est qu’agir » que rend habituellement cette préformante128). Pour ‫מוּסָר‬, c’est le sens abstrait qui est privilégié : ce vocable qualifie l’action ou le résultat de l’action que désigne ‫יָסַר‬129. b. L’usage Le substantif ‫ מוּסָר‬est de genre masculin130. On le rencontre le plus souvent comme complément d’un verbe 131 ou attribut du sujet 132 mais aussi comme complément du nom133, de but134, de cause135 et probablement de temps136. Il n’est pas sujet d’un verbe137, du fait de son caractère abstrait probablement.

127 Cette nuance est retrouvée dans les substantifs ‫ מוֹסָר‬ou ‫מוֹס ֵָרה‬. En Is 28,22, ce vocable est régi par le verbe ‫חזק‬, « fortifier », et s’accompagne de la décision qu’a prise le seigneur de l’annihilation (‫ ) ָכלָה‬du pays. Ensuite, hormis un nom propre (Dt 10,6), ce mot est régi par le verbe ‫ פתח‬hitpael, (Is 52,2) ou au piel (Ps 116,16, Job 39,4), « ouvrir ». Jérémie (Je 2,20 ; 5,5 ; 27,2 ; 30,8), Nahum (Na 1,3) et Ps 2,3 ; 107,14 l’utilisent au pluriel, régi par le verbe ‫ נתק‬au piel, « arracher » (sauf Je 27,2 avec ‫) ָעשָׂה‬, de manière parallèle avec ‫ע ֹל‬, « joug » (sauf Ps 2,3 avec ‫עֲב ֹת‬, « entrave, corde, lien » et Ps 107,14 sans parallèle). En conclusion, ‫ מוֹסָר‬est un instrument qu’on peut ouvrir ou arracher. 128 Cette préformante développe également un sens locatif, Cf. Joüon, §88Ld. 129 Surtout avec l’importance du piel dans l’utilisation de ‫יָסַר‬, Cf. SÆBØ, THAT 1, 739 et JENNI, Das hebraische Pi’el, 217–218. Voir aussi p. 92–94. 130 Une exception en Pr 4,13 (Cf. HALOT). 131 Environ trente fois, surtout avec ‫( ָלקַח‬Voir p. 98s pour les autres verbes). À noter le double accusatif avec ‫שׁחַר‬ ָ « chercher, se hâter » en Pr 13,24 (Cf. GKC §117ff, brève discussion en HALOT) et l’utilisation en complément de la collocation ‫ ָחזַק ְבּ‬, « tenir fermement à », Pr 4,13, Cf. HALOT. 132 Os 5,2, à moins qu’il ne s’agisse d’un participe piel, voir p. 80 ; Ez 5,15 ; Pr 15,33 ; Proverbes 13,1 est un cas particulier. Il forme un prédicat nominal pour lequel ‫ מוּסָר‬serait attribut du sujet : « un fils sage est la discipline d’un père » ce qui n’a guère de sens, sauf à y voir une juxtaposition « stroboscopique » (J.G. WILLIAMS, « The Power of Form: A Study of Biblical Proverbs », Semeia 17 [1980], 41). Il s’agirait d’une juxtaposition de deux termes qui n’ont pas un rapport d’attribution mais de simple relation. C’est au lecteur de faire le lien, ici causal : « un fils sage (cela vient) de l’éducation d’un père ». Cette interprétation conserve le TM tel qu’il est. La Septante suppose le remplacement de ‫ מוּסָר‬par ‫שׁ ַמע‬ ְ ִ ‫( י‬voir analyse de ce verset dans la quatrième partie) DRIVER, « Problems in “Proverbs” », 144 propose de dériver ‫ אָב‬de ‫אוּב‬, une forme araméenne de ‫אָהַב‬, « aimer ». 133 Avec ‫ת ֹו ַכחַת‬, « reproches » en Pr 6,23 et ‫שׁבֶט‬ ֵ , « bâton » en Pr 22,15. 134 Avec ‫ ְל‬, « il ouvre leur oreille pour la discipline », Job 36,10, « dirige ton cœur vers l’éducation », Pr 23,12, avec ‫אֶל‬, « et ligoté pour le châtiment du fou », Pr 7,22. 135 Avec ‫ ְב‬et une négation : « il mourra du fait d’un manque de discipline » (Pr 5,23). 136 En Is 26,16, qui est complexe à interpréter, voir p. 120–121. 137 Il peut être sujet de phrases nominatives (Is 53,5 ; Jr 30,14 ; Pr15,10 ; Pr 16,22).

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Il est utilisé le plus souvent à l’état absolu138 mais aussi à l’état construit. Dans ce cas, le plus souvent, le complément qualifie l’action139, et ensuite celui qui agit 140 , jamais celui qui subit l’action 141 . Cette constatation sera complémentaire de l’étude des sujets et des objets du verbe ‫יָסַר‬. L’important pour cette racine est la relation asymétrique entre celui qui agit et celui qui subit l’action. c. Les collocations En tant que complément de verbe, le substantif ‫ מוּסָר‬se retrouve dans un certain nombre de collocations, dont la plus fréquente est ‫ ָל ַקח מוּ ָס ר‬142 . Le sens fondamental de ‫ לָקַ ח‬est « prendre », « saisir » avec toutes les nuances associées, dont celle de « recevoir, accepter » (un don, de l’argent, un héritage 143 ). Cependant, les passages les plus proches sont l’acceptation d’un serment144 ou Balaam qui accepte de bénir Israël145, voire le « double pour tous les péchés »

138 Plus de trente fois dont vingt pour le seul livre des Proverbes (Jr 2,30 ; 5,3 ; 7,28 ; 17,23 ; 32,33 ; 35,13 ; Ez 5,15 ; Os 5,2 ; So 3,2 ; 3,7 ; Ps 50,17 ; Job 36,10 ; Pr 1,2 ; 1,7 ; 4,13 ; 5,12 ; 5,23 ; 6,23 ; 8,33 ; 10,17 ; 12,1 ; 13,18 ; 13,24 ; 15,10 ; 15,32 ; 19,20 ; 19,27 ; 22,15 ; 23,12 ; 23,13 ; 23,23 ; 24,32). 139 Avec l’adjectif ‫אַ ְכז ִָרי‬, « cruel », Jr 30,14, selon l’observation GKC, §128w. Voir également J.A. SANDERS, Suffering As Divine Discipline in the Old Testament and PostBiblical Judaism (Colgate Rochester Divinity School Bulletin 28, Rochester, N.Y. : Colgate Rochester Divinity School, 1955), 13 qui remarque que le TM aurait dû mettre ‫ מוּסָר‬à l’état absolu. Ce point est confirmé par la Septante (voir au contraire LUNDBOM, Jeremiah, 2,397– 398 qui respecte le TM et comprend ‫ אַ ְכז ִָרי‬comme un nom. C’est Dieu qui est ici le « cruel », à moins qu’il ne s’agisse du roi de Babylone, si on devait comparer avec ‫ ; ) ַמכַּת אוֹי ֵב‬avec ‫ ְכּ ִל ָמּה‬, « insulte », Job 20,3 ; avec l’infinitif absolu hiphil de ‫שׂכַל‬ ָ , « qui rend sage », Pr 1,3 ; avec ‫ ָח ְכ ָמה‬, « sagesse », Pr 15,33, avec ‫שָׁלוֹם‬, Is 53,5. Pour l’interprétation de ce dernier point, voir p. 121. 140 Qu’il s’agisse de Dieu (Dt 11,2 ; Pr 3,11, Job 5,17, Is 26,16), de la Sagesse (Pr 8,10), d’un père (Pr 1,8 ; 4,1 ; 13,1 ; 15,5), peut-être d’un homme cruel (Jr 30,14 ; voir cependant note précédente), des idoles (Jr 10,8, voir p. 88) ou des fous (Pr 16,22, voir note suivante). 141 Le seul cas litigieux où ‫ מוּסַר‬régirait celui qui subit l’action et non celui qui la donne se trouverait Pr 16,22 : ‫וּמוּסַר אֱ ִולִים ִא ֶוּלֶת‬, « une correction/éducation de fous, la folie ». La correction des fous consiste-t-elle en la correction subie par les fous ? Dans ce cas, ce que les fous gagnent à l’éducation est simplement la folie : ainsi que le rappellent d’autres passages des Proverbes, éduquer un fou est futile (Pr 14,8.33, MCKANE, Proverbs, 490). Mais FOX, Proverbs, 620 pense plutôt qu’il s’agit de l’éducation donnée par les fous. De la même manière que l’étrange femme donne une mauvaise éducation (Pr 7,6–27), les fous en donnent une également. L’opposition de ‫ מְק ֹור ַחיּ ִים‬de l’hémistiche précédent et de ‫ מוּסַר ֱא ִולִים‬rappelle Pr 10,11, qui confirme ainsi l’argumentaire de Fox. Pour la discussion de Job 33,16 et de Pr 7,22, voir p. 90). 142 Jr 2,30 ; 5,3 ; 7,28 ; 17,23 ; 32,33 ; 35,13 ; So 3,2.7 ; Pr 1,3 ; 8,10 ; 24,32. 143 P.J.J.S. ELS, « ‫» ָלקַח‬, NIDOTTE 2 (1997), 814. 144 Ex 22,11. 145 Nb 23,20.

Chapitre 3 : Les occurences de la racine

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qu’a pris, ou accepté, Jérusalem 146. Il ne s’agit d’assumer les conséquences d’une alliance, d’une faute ou d’un enseignement. On trouve des synonymes : ‫ ָקבַל‬147 et en complément de ‫ ָחזַק ְבּ‬148 plusieurs antonymes : ‫מָאַס‬149 « rejeter », ‫בּוּז‬150 « mépriser », ‫נָאַץ‬151 « dédaigner ». Le Livre des Proverbes développe un certain nombre de nuances basées sur la notion de préhension : 1. en régissant ‫ מוּסָר‬par ‫שָׁ מַ ר‬152 ou par le synonyme ‫נָצַר‬153, il indique que cette notion doit être non seulement saisie mais également conservée, gardée ; 2. à ce désir de garder, s’oppose une crainte de perdre qui s’exprime avec des verbes tels que ‫ ָר ָפ ה‬154 « abandonner », ‫פּ ַָר ע‬155 « laisser tomber », ‫ ָמנַע‬156 « écarter » ; 3. avec ‫ ָקנָה‬157 « acheter », opposé à ‫ « מָ כַר‬vendre », le Livre des Proverbes suggère en termes commerciaux l’idée qu’on doit posséder le ‫מוּסָר‬. En effet, celui qui le vend en est dépossédé. Cela n’est pas une critique du commerce de l’éducation158 ; 4. cet antagonisme est également évoqué en termes amoureux : à ‫אָ ַה ב‬159 « aimer », s’oppose ‫שָׂ נֵא‬160 « détester ». La deuxième collocation fréquente se construit avec le verbe ‫שׁמַע‬ ָ 161. Celui-ci développe une grande variété de sens autour du sens fondamental « entendre » : « percevoir », « comprendre », « obéir » 162 . Il semble que cette collocation provienne d’un raccourci d’une expression dont Dt 4,36 serait un témoin :

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Is 40,2. Pr 19,20. 148 Pr 4,13. Ce vocable peut également être une synthèse entre « prendre » et « conserver » : « tenir ferme » (HALOT). 149 Job 5,17 ; Pr 3,11. 150 Pr 1,7. 151 Pr 15,5. 152 Pr 10,17. 153 Pr 4,13, Cf. R.L. HUBBARD, « ‫» נָצַל‬, NIDOTTE 3 (1997), 147. 154 Pr 4,13. 155 Pr 13,18 ; 15,32. 156 Pr 23,13. 157 Pr 23,23. 158 Pace TOB : « Acquiers la vérité, n’en fais pas commerce, de même pour la sagesse, l’éducation et l’intelligence ». Voir aussi Pr 8,10. Le substantif ‫ מוּסַר‬est promu en face de l’or et de l’argent. 159 Pr 12,1. 160 Ps 50,17 ; Pr 5,12. 161 Job 20,3 ; Pr 1,8 ; Pr 4,1 ; Pr 8,33 ; Pr 19,27. 162 K.T. AITKEN, « ‫שׁמַע‬ ָ », NIDOTTE 4 (1997), 175. 147

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Deuxième partie : L’hébreu classique

‫שׁ ִמי ֲע אֶת־ק ֹ ו ְליַסּ ְֶר ָךּ‬ ְ ‫ִה‬ Il t’a fait entendre sa voix pour te corriger.

Ainsi, il semble que les parallélismes entre ‫ ָל ַקח‬et ‫שׁמַע‬ ָ en Jérémie 163 n’impliquent pas de facto, dans ce livre, que ce dernier verbe régisse ‫מוּסָר‬. C’est surtout dans la littérature sapientielle que l’ellipse s’est produite. La nuance de compréhension qu’apporte le verbe ‫ שָׁ מַע‬transparaît également quand ‫ מוּסָר‬est régi par le verbe « savoir »164. Dans ce cadre, le substantif semble désigner un discours.

4. Le champ sémantique a. Les sujets et les objets L’étude des sujets et des objets de ‫ יָסַר‬et de ‫מוּ ָס ר‬165 montre une relation asymétrique entre eux. En effet, le sujet de l’action est majoritairement une personne ayant autorité : Dieu166, puis un père167, plus rarement une mère168, les Anciens 169 , le roi d’Israël 170 , Job 171 , le maître envers un esclave 172 , la Sagesse elle-même173. Trois sujets particuliers sortent de ce modèle : le mal174, les fous175 et les reins176. 163 Comparer notamment avec Jr 5,3 ; 35,13 ; So 3,2 : on écoute la voix de Dieu, on accepte sa correction. Ainsi Jr 17,23 ; 32,33 n’utilisent pas forcément ‫שׁמַע‬ ָ régissant ‫מוּסָר‬. 164 Ou « voir », Cf. Dt 11,2. 165 Pour le substantif, on étudie les compléments du nom, voir p. 98, n. 140. Bien évidemment, on écarte le sujet des verbes au niphal. De même, on écarte le sujet « les femmes » du verbe hitpael. (Ez 23,48). 166 En tant que sujet de ‫יָסַר‬, Lv 26,18.23.28 ; Dt 4,36 ; 8,5 ; Is 28,26 – l’agriculteur représente métaphoriquement Dieu, Cf. p. 120 – Je 6,8 ; 10,24 ; 30,11 ; 31,18 ; 46,28 ; Os 7,12 ; 7,15 – selon le sens II, si on accepte la leçon – Os 10,10 ; Ps 2,10 ; 38,2 ; 39,12 ; 94,10.12 ; 118,18. En tant que complément de ‫מוּסָר‬, Dt 11,2 ; Pr 3,11 ; Job 5,17 ; Is 26,16, on trouve également Dieu comme sujet dans la phrase nominale en Os 5,2. 167 En tant que sujet de ‫יָסַר‬, Dt 8,5 ; 21,18 ; Pr 19,18 ; 29,17. En tant que complément de ‫מוּסָר‬, Pr 1,8 ; 4,1 ; 13,1 ; 15,5. 168 Pr 31,1. 169 Dt 22,18. 170 1 R 12, 11.14 ; 2 Ch 10, 11.14. 171 Job 4,3. Il est également possible de déduire du contexte que Job est l’origine de ‫ מוּסָר‬en Job 20,3. 172 Pr 29,19. 173 Complément de ‫מוּסָר‬, Pr 8,10. 174 Jr 2,19. 175 Complément de ‫מוּסָר‬, Pr 16,22, voir p. 98, n. 141. 176 Ps 16,7. Pour le parallélisme avec le texte ougaritique, voir p. 61. Ce sujet semble avoir été suffisamment incongru pour que certains manuscrits corrigent ‫יִסְּרוּנִי‬, « ils m'ont corrigé »

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L’objet du verbe177 se divise entre l’individu ou le collectif. Le collectif est représenté principalement par le peuple en relation avec Dieu 178. On trouve également les Nations179 et les juges de la terre180. L’individu est représenté par le fils181, le prophète Jérémie182 ou le psalmiste183, un roi184, un homme185, un esclave186, un sceptique187. La relation profane entre le sujet et l’objet du verbe ‫ יָסַר‬relève de différents domaines qui, parfois, s’interpénètrent : 1. le domaine familial : un père et son fils, un roi et sa mère188 ; 2. le domaine domestique : un maître et son serviteur189 ; 3. le domaine juridique : les Anciens et un homme coupable de fausses accusations190 ; 4. le domaine politique : un homme (le roi, Job) et un peuple191 ; 5. le domaine sapientiel : la sagesse et ceux qui l’écoutent192.

en ‫יִסּ ְַרנִי‬, « il m’a corrigé » (BHS a.c.). Cependant, le texte est assez bien assuré, y compris dans la Septante, avec ἐπαίδευσάν με οἱ νεφροί μου. Le parallélisme avec le texte ougaritique KTU 1. 16 VI 26, noté par GINSBERG, The Legend of King Keret, 48 et G.A. RENDSBURG, Linguistic Evidence for the Northern Origin of Selected Psalms (SBLMS, Atlanta, Ga. : Scholars Press, 2003), a clos la discussion. 177 Auquel on rajoutera également le sujet du verbe au niphal. 178 Lv 26,18.23.28 ; Dt 4,36 ; 8.5 ; Is 28,26 – Le champ représentant le peuple – Jr 6,8 ; Jr 30,11 ; – Jérusalem – Jr 31,18 – Éphraïm – Jr 46,28 – Jacob – Os 7,12 – les oiseaux sont la métaphore du peuple – Os 10,10. 179 Ps 94,10. 180 Ps 2,10. 181 Dt 8,5 ; Dt 21,18 ; Pr 19,18 ; 29,17. 182 Jr 10,24. 183 Ps 6,2 ; 16,7 ; 38,2 ; 118,18. 184 Pr 31,1. 185 Dt 22,18 ; Ps 39,12 ; Ps 94,12, pour ces deux dernières occurrences, l’homme peut être également perçu comme un collectif. 186 Pr 29,19. 187 ‫לֵץ‬, Pr 9,7. 188 Pr 31,1. 189 Pr 29,19. 190 Dt 22,18, auquel on pourrait rajouter aussi l’obligation pour un père de corriger son fils (Dt 21,18). 191 1 R 12, 11.14 ; 2 Ch 10, 11.14 ; Job 4,3. 192 Pr 8,10, auquel on peut rajouter l’ensemble des occurrences reliant un père et son fils du Livre des Proverbes. En effet, la métaphore père-fils semble être également celle maître-élève comme dans la littérature sapientiale égyptienne (voir p. 72–73).

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De toutes ces relations, celle du roi Lemuel et de sa mère (Pr 31,1) est la plus surprenante, car toutes les autres semblent plutôt relever du registre paternel193 : ‫דִּ ב ְֵרי לְמוּאֵל ֶמ ֶל ַמשָּׂא ֲאשֶׁר־יִסּ ְַרתּוּ אִ מּ ֹו‬ Les traductions modernes traduisent en général comme suit : Paroles du roi Lemouël. Leçon que sa mère lui inculqua (TOB) Paroles du roi Lemouel. Sentence par laquelle sa mère l’instruisit (NBS) Paroles de Lemuel, roi de Massa que sa mère lui instruit (BJ)

Le substantif ‫ לְמוּאֵל‬est interprété comme un nom propre par tous les trois. En fait, il s’agirait d’une forme archaïque de la préposition ‫ ְל‬suivi d’un nom divin194, « pour Dieu », ce qui serait le nom d’un homme consacré à Dieu (Cf. Nb 3,24). Le nom ‫ ַמשָׂא‬est interprété soit comme un nom propre, auquel cas il se rapporte à « roi »195, soit comme signifiant « oracle ou vision ». Dans tous les cas, le suffixe de la troisième personne du singulier attaché au verbe ‫ יָסַר‬se rapporte à « Lemuel ». Cependant, si ‫ מַשָׂא‬est un nom commun, alors ‫יַסָר‬ signifierait clairement « instruire quelque chose à quelqu’un » avec une construction en double accusatif, ce qui serait un cas unique196. Si ‫ ַמשָׂא‬est un nom propre197, ‫ יַסָר‬garde un sens commun : Paroles pour Lemuel, roi de Massa que sa mère réprimanda

Il faut alors interpréter l’état construit de ‫ דֶ בֶר‬non comme les paroles proférées par Lemuel mais comme les paroles destinées à celui-ci. Même si ce n’est pas la construction habituelle des Proverbes qui utilisent toujours cette construction pour désigner la parole proférée par celui qui est régi, la suite du discours montre bien que c’est la mère qui parle. Elle l’exhorte par un titre affectif et lui demande de ne pas courir les femmes ni de boire de l’alcool198.

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On peut cependant trouver une sorte de parallèle dans le rôle assigné à la reine Phénicienne du Ps 45,17. Cf. A. LELIEVRE et A. MAILLOT, Commentaire des Proverbes (3 volumes, Lectio Divina Commentaires 1.4.8, Paris : Cerf, 1993–2000), 2, 340. 194 LELIEVRE et MAILLOT, Commentaire des Proverbes, 2, 340. 195 Ce que le TM exclut par un accent disjonctif. Notons par ailleurs la construction inusuelle du mot « roi » sans l’article défini, ce qui est exceptionnel en hébreu mais qui pourrait trouver des parallèles en ougaritique, Cf. FOX, Proverbs 10–31, 884. 196 Ibid., 884. 197 On retrouve une discussion similaire en Pr 30,1, cf. Ibid., 852. 198 Ibid., 884.

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b. Les parallèles synonymes, antithétiques et synthétiques Les passages parallèles aident à déterminer le champ sémantique des mots de la racine ‫יסר‬, hormis les parallélismes avec ‫ ָחזַק‬qui ont permis de définir le sens II de ‫יָסַר‬199. Les synonymes et antonymes définissent un champ sémantique lié à : 1. la justice200 : la relation entre les Anciens et l’homme qui a faussement accusé sa femme a déjà été évoquée. Il est également possible de prendre en exemple Ez 5,15. Le ‫ מוּסָר‬est associé avec le fait que Dieu va rendre justice. Cependant, le lien le plus évident avec la justice est la fréquente association des mots de la racine ‫ יסר‬avec ceux de la racine ‫יכח‬201. Cette dernière désigne initialement une action judiciaire d’arbitrage202 : dire ce qui est vrai dans le cadre d’un procès entre deux parties (Gn 31,37). Job se plaint qu’il ne puisse y avoir d’arbitre entre Dieu et lui (Job 9,33). Isaïe évoque ceux qui arbitrent à la porte (Is 21,29), lieu de justice par excellence. Certaines occurrences en Job (13,3 ; 15,3) montrent également qu’il peut s’agir aussi d’un discours réquisitoire destiné à placer quelqu’un en contradiction avec lui-même (Pr 30,6). Il est donc logique que la racine s’utilise aussi avec la racine ‫שׁפט‬, « juger » (e.g. Job 22,4), ‫ריב‬, « attaquer en justice » (e.g. Os 4,4 ; Mi 6,2). L’association de cette racine avec la racine ‫ יסר‬est alors caractéristique d’un discours ou d’un procès contre une personne en faute203. L’association avec la racine ‫ יסר‬peut avoir signifié, au départ, le fait de confondre quelqu’un (en lui disant ce qui est vrai), puis de le frapper204. Dans le livre des Proverbes, le lemme s’éloigne quelque peu du juridique et signifie alors « dire le vrai à quelqu’un qui est dans l’erreur »205. Il faut aussi noter que, dans ce livre, les champs sémantiques 199

Job 4,3 ; Os 7,15, peut-être faut-il voir un jeu de mots entre l’association de ‫ מוּסָר‬et ‫ָחזַק‬ en Jr 5,3 où le peuple durcit son visage. En revanche, la présence de ce verbe en Dt 11,8 n’est pas anodine. L’action de Dieu, qui est le parallèle à ‫מוּסָר‬, est destinée à fortifier le peuple. 200 Pace H. DELKURT, Ethische Einsichten in der alttestamentlichen Spruchweisheit (BTS 21, Neukirchen-Vluyn : Neukirchener, 1993), 34 qui indique que la racine ‫ יסר‬n’appartient pas au champ sémantique de la justice mais de la sagesse. 201 Entre ‫ יָסַר‬et ‫יָכַח‬, Jr 2,19 ; Ps 94,10 ; Job 40,2 ; Pr 9,7, entre ‫ יָסַר‬et ‫תּוֹ ַכחַת‬, Ps 39,12, entre ‫ מוּסָר‬et ‫יָכַח‬, Job 5,17, ‫ מוּסָר‬et ‫תּוֹ ַכחַת‬, Pr 3,11 ; 5,12 ; 6,23 ; 10,17 ; 12,1 ; 13,18 ; 15,5.10.32. 202 G. LIEDKE, « ‫יכח‬, jkḥ hi. feststellen, was recht ist », THAT 1 (1984) 730-731. 203 BOECKER, Redeformen, 45–46. 204 Cette gradation pourrait exister en Ps 39,12 ‫ בְּת ֹוכָח ֹות עַל־עָוֹן יִסּ ְַרתָּ אִישׁ‬qu’on pourrait traduire ainsi, « en dénonçant la faute, tu frappes l’homme », c’est-à-dire que le malheur qui frappe l’homme provient de Dieu ; elle est un réquisitoire contre le péché de celui-ci. Le Psaume 94,10 ‫ הֲיֹסֵר גּ ֹוי ִם ֲה א י ֹוכִי ַח‬applique à Dieu la maxime : « qui peut le plus, peut le moins ». Ainsi, si Dieu peut frapper les Nations, sous-entendu pécheresses, il peut, à plus forte raison, dénoncer les fautes du peuple. 205 LIEDKE, THAT, 1, 731.

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sont parfois interchangeables 206 . On trouve certains emplois seuls de la racine ‫ יכח‬où il semble qu’elle soit totalement synonyme de la racine ‫יסר‬207 ; 2. la violence, la douleur, l’oppression : dans sa célèbre phrase qui met un terme aux réclamations des tribus du Nord, Roboam met en parallèle le verbe ‫ יָסַר‬avec le verbe ‫ « עָמַשׂ‬charger » suivi du complément ‫ « ע ֹל‬joug »208. D’autres parallèles sont plus forts dans les autres livres : Dieu « marche contre » son peuple209. En Os 7,12, il les « abat »210 et jette sur eux son filet. Plus loin, le moyen d’action de Dieu semble être les Nations211 qui s’uniront contre son peuple. Jérémie compare fréquemment cette action avec ‫נָכָה‬ « frapper »212, ou avec ‫ « ָכּלָה‬détruire »213. Il demande à ce que le peuple connaisse et voie 214 le malheur et l’amertume 215 . Isaïe le fait avec ‫צ ָָרה‬ « détresse »216, ‫ « ָחלַל‬percer, blesser » et ‫ « דָּ כָא‬broyer »217 et Ézéchiel avec ‫שׁמָּה‬ ַ ‫ « ְמ‬dévastation »218. On pourrait également comparer Job 36,10 avec Job 36,15 et trouver un mot proche : ‫ « ַלחַץ‬oppression ». On observe également ‫מָ סָה‬219 qui accompagne parfois les actions punitives de Dieu220. Le livre des Proverbes n’est pas en reste : ainsi ‫ מוּסָר‬y est-il associé au ‫שׁבֶט‬ ֵ « le bâton »221. Cependant, les actions violentes restent du domaine de la relation maître-élève et ne donnent pas le sentiment de dépasser une certaine mesure222 ; 3. l’écoute et l’obéissance. Le TM présente un ensemble de relations basées sur la réception d’une parole 223 . Ainsi, Dieu fait entendre sa voix pour 206 Ainsi, Pr 9,7 présente deux hémistiches complétement synonymes : ‫יֹסֵר לֵץ ֵק ַח ו ָק ון‬ ‫וּמ ֹוכִי ַח ל ְָרשָׁע מוּמ ֹו‬. 207 Le cas le plus évident est 2 S 7,14, où Dieu compare sa relation avec David avec celle d’un homme pour son fils, (cf. aussi Dt 8,5), et où il affirme qu’il le traitera (avec ‫ )י ָ ַקח‬en se servant d’un bâton (‫שׁבֶט‬ ֵ ) d’humains et de plaies de fils d’Adam. C’est la marque d’une certaine théologie qui explique les malheurs de la royauté par la relation filiale que Dieu entretient avec les rois. 208 1 R 12,11.14 ; 2 Ch 10,11.14. 209 Lv 26,28. 210 Avec le verbe ‫י ַָרד‬. 211 Os 10,10. 212 Jr 2,30 ; 5,3 ; 30,14 ; Is 53,4–5. 213 Jr 5,3, on trouve l’expression contraire en Jr 30,11 ; 46,28, voir p. 106, n. 237. 214 Jr 2,19, dans une possible allusion à Dt 11,2. 215 Avec ‫ ַרע‬et ‫ ַמר‬. 216 Is 26,16. 217 Is 53,5. 218 Ez 5,15. 219 Ps 39,12. 220 Ps 6,6, Psaume qui commence également par une utilisation du verbe ‫יָסַר‬. 221 Pr 13,24 ; 22,15 ; 23,13. 222 Voir aussi FITZGERALD, « Proverbs 3:11–12 », 300–306. 223 Il faut cependant garder en mémoire que la parole ne suffit pas, Cf. Pr 29,17 : « on ne corrige pas un esclave avec des paroles ».

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« corriger » 224 . Maints passages du livre des Proverbes montrent ‫מוּסָר‬ comme une parole destinée à être entendue et appliquée225. Cette parole exige la compréhension et l’acceptation. Ainsi Jérémie reproche-t-il au peuple de ne pas accepter la correction et de ne pas écouter la parole226. C’est ce qui est reproché au fils rebelle227. De manière ironique, le peuple qui refuse d’accepter la correction est accusé de marcher contre son Dieu quand Dieu marche contre lui en le corrigeant228 ; 4. la conversion. La motivation de la correction est une faute229. La correction a pour but la conversion de celui qui est frappé : il se lamente230, revient vers celui qui frappe231 et ne recommence plus232 ; 5. la vie : on peut observer là un glissement sémantique. Le verbe ‫ יָסַר‬peut désigner l’action violente d’un père qui, sous le coup de la colère, peut tuer son fils233 mais il désigne également l’action coercitive d’un père qui frustre son fils mais ne le tue pas234. Ainsi, à l’instar du fils rebelle235, c’est celui qui refuse d’accepter le ‫ מוּסָר‬qui mérite la mort236. L’action de correction

224

Dt 4,36, Cf. aussi Pr 5,12–13. Cf. la collocation avec le verbe ‫שׁמַע‬ ָ , cf. p. 99. Voir aussi le parallélisme avec ‫ָענָה‬ « répondre » en Job 20,3 (à ne pas confondre avec « être humble » ‫ ָענָה‬, Pr 15,33) ainsi que l’ouverture de l’oreille au ‫ מוּסָר‬en Job 36,10. 226 Jr 7,28 ; 10,8 ; 17,23 ; 32,33, ces deux dernières références avec, en plus, la comparaison de la nuque, image du refus d’obéissance, du refus de se soumettre à une autorité supérieure (Cf. J.-M. BABUT, Les expressions idiomatiques de l’hébreu biblique. Signification et traduction, un essai d’analyse componentielle [CahRB 33, Paris : Gabalda, 1995] 130). Enfin, on trouve aussi Jr 35,13. On trouve également ce parallélisme en So 3,2 avec une inflexion sur la question de la confiance en Dieu, ‫ ָבּטַח‬, et de sa crainte, ‫י ֵָרא‬, (So 3,7) ; voir enfin Ps 50,17 : détester le ‫מוּסָר‬, c’est rejeter ( ‫שׁ ַל‬ ָ ) les paroles de Dieu. 227 Dt 21,18, ce qui le conduira à la mort. 228 Lv 26,21.28. 229 Une fausse accusation (Dt 22,18), avec ‫( עָוֹן‬Os 10,10), ‫( ַחטָּאת‬Lv 26,18.28) ou les deux (Jr 30,14), le mal ‫ ָרעָה‬et ‫ – ְמשׁוּבָה‬qui dérive de ‫ « שׁוּב‬retourner », Jr 2,19 – en comprenant qu’utiliser ces mots comme sujet de ‫ יָסַר‬et de ‫ יָכַח‬signifie que le peuple sera corrigé du fait de ces fautes – Dieu ne laisse pas son peuple impuni (avec ‫נָ ָקה‬, Jr 30,11 ; 40,26). Avec ‫ זִמָּה‬en Ez 23,48 (« mauvais dessein ») et ‫( אָוֶן‬Job 36,10). 230 Avec ‫נוּד‬, Jr 31,18, avec ‫ ָח ָלה‬, Jr 5,3. 231 Avec ‫שׁוּב‬, Jr 5,3, 31,18, Job 36,10 avec ‫ק ַָרב‬, So 3,2. 232 Ez 23,48. 233 Pr 19,18. Voir également les prières vers Dieu demandant une correction en justice et non en colère (Jr 10,24 ; Ps 6,2 ; 36,2) ou la description de la punition divine furieuse (Lv 26,23.28 ; Ez 5,15). 234 Pr 23,13 voir également Ps 118,18. 235 Dt 21,18. 236 Pr 5,23. 225

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est précisément destinée à éviter la mort 237 . Par opposition, elle devient chemin ou source de vie238 ; 6. la compréhension et la sagesse239. Le fils rebelle refuse d’écouter son père. Celui-ci le corrige en ayant espoir240 que son enfant revienne. S’il refuse d’écouter, il va à la mort : seul un fou peut refuser d’écouter241 ! Un tel homme ne peut qu’errer242. Proverbes 22,15 fait de la folie243 l’apanage des jeunes. La coercition est destinée à extirper cette folie. A contrario, celui qui accepte la correction est sage244, il acquiert un cœur245. Le verbe ‫ יָסַר‬est synonyme de ‫ « יָעַץ‬conseiller » 246 ou de ‫ « ָלמַד‬enseigner, dresser, accoutumer à »247. Le substantif ‫ מוּסָר‬devient alors synonyme de « paroles destinées à rendre quelqu’un sage » : un reproche, ‫תּוֹ ֵכחָה‬248 ou ‫ ְגּע ָָרה‬249, une parole de connaissance250, un conseil avec ‫ ֵעצָה‬251, un commandement en compagnie de ‫תּוֹרה‬ ָ 252ou de ‫מִ ְצוָה‬253. Enfin, désignant une qualité humaine, ‫ מוּסָר‬devient également synonyme de ‫ « ָחכְמָה‬Sagesse »254, ainsi que de ‫בִּינָה‬

237 Dieu ne détruit pas son peuple comme il détruit les autres peuples, avec ‫ ָכּלָה‬, Jr 30,11; 46,28, avec ‫כּ ַָרת‬, So 3,7. 238 Pr 4,13 ; 6,23 ; 10,17 ; 16,22. 239 Ce point suffit à contredire Bertram: ce n’est pas la traduction de ‫ מוּסָר‬par παιδεία qui amène une certaine « psychologisation » de la correction corporelle (voir p. 6–7). Voir également H. DELKURT, « Erziehung nach dem Alten Testament », Gottes Kinder (JBTh 17, Neukirchen-Vluyn : Neukirchener, 2002), 229–231. 240 Pr 19,18. 241 ‫ ֱאוִיל‬, Pr 15,5. 242 Pr 19,27. 243 ‫ ִא ֶוּלֶת‬. 244 Pr 8,33 ; 13,1 ; 15,32. 245 Pr 15,32 ce qui signifie acquérir un entendement, voir aussi Pr 19,8 et FOX, Proverbs 10–31, 651. 246 Ps 16,7. 247 Ps 94,12, avec ‫ מוּסָר‬en Jr 32,33. Le substantif ‫ ָלמַד‬n’est pas à comprendre trop rapidement comme un enseignement intellectuel. Comme indiqué p. 75–76 et p 93, n. 104, il possède une connotation violente. L’occurrence en Jr 32,33 peut désigner cet apprentissage douloureux. Constatons la rareté de ‫ ָל ַמד‬dans le livre des Proverbes (Pr 5,13 ; 30,3), ce vocable désigne moins l’apprentissage intellectuel que l’habitude ou le dressage (ce qui est également confirmé par l’utilisation dans le livre de Jérémie, e.g. Jr 2,33). Il est principalement utilisé dans le livre du Deutéronome et le Ps 119 pour désigner l’apprentissage de la loi. Ps 94,12 est probablement à comprendre dans cette optique. 248 Pr 6,23 ; 13,18. 249 Pr 13,1. 250 Pr 23,12. 251 Pr 19,27. 252 Pr 1,8 ; 6,23. 253 Pr 6,23. 254 Pr 1,2.7 ; 23,23.

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« intelligence » 255 , ‫ « דַּ עַת‬connaissance » 256 , ‫שׂכֶל‬ ֶ « bon sens » 257 , ‫ֱאמֶת‬ 258 « confiance, vérité » . Le livre des Proverbes utilise de manière interchangeable ‫ מוּסָר‬et un certain nombre de qualificatifs liés à la sagesse dans certaines collocations. Ainsi, ‫ נצר‬est aussi utilisé pour ‫ ִמ ְצוָה‬259 ou pour ‫תוֹרה‬ ָ 260, ‫ ַחזָק‬hiphil pour la Sagesse261, ‫ שׁמר‬avec ‫ ִמ ְצוָה‬262, ‫ דֶ בֶר‬et ‫ ֵאמֶר‬263, la voie ָ 266 et enfin ‫ת ֹו ַכחַת‬267 ; ‫דֶ ֶר‬264, ‫בִּינָה‬265, ‫תוֹרה‬ 7. la gloire et le renom. On passera assez vite sur le fait que corriger un sot entraîne honte et mépris268. Ce mépris est émis par ceux qui refusent la correction envers ceux qui la donnent. Ainsi, accepter la correction de Dieu, c’est le respecter, le craindre 269 . Plus marquante est l’ambivalence à ce propos du substantif ‫ מוּסָר‬qui rappelle son rapport avec la mort et la vie. Subir le ‫מוּסָר‬, c’est être déshonoré 270 . Cependant, dans le livre des Proverbes, la perspective est renversée : celui qui refuse le ‫ מוּסָר‬est misérable, celui qui la tient en considération est honoré 271 . Une phrase effectue la synthèse entre ces deux aspects antagonistes : ‫( י ִ ְראַת י ְהוָה מוּסַר ָח ְכמָה ְו ִל ְפנֵי כָב ֹוד ֲענָוָה‬Pr 15,33) La crainte du Seigneur, discipline de sagesse, et avant la gloire, l’humilité.

Cette phrase suggère deux phases : le processus est humiliant mais le résultat est glorieux. En cela, peut être résumé le ‫ מוּסָר‬selon le livre des Proverbes ; il s’agit d’un processus difficile que doit suivre l’homme qui désire atteindre la sagesse.

255

Pr 1,2 ; 4,1 ; 23,23. Pr 1,7 ; 8,10 ; 12,1. 257 Pr 16,22. 258 Pr 23,23. 259 Pr 6,20. 260 Pr 28,7. 261 Pr 4.13 à comparer avec Pr 3.18, noter l’utilisation de la vie. 262 Pr 4,4 ; 7,2 ; 19,16. 263 Pr 4.21 ; 7,1 ; 22,18. 264 Pr 8,32. 265 Pr 19,8. 266 Pr 28,4 ; 29,18. 267 Pr 13,18 ; 15,5 – quasiment un doublet. 268 Pr 9,7. 269 So 3,7. 270 Avec ‫ « ָענָה‬humilité », Is 53,4–5, avec ‫ « ח ְֶרפָּה‬moquerie » et ‫ « גְּדוּפָה‬insulte », Ez 5,15. 271 Pr 13,18 : ‫רישׁ ְו ָק ון פּ ֵֹור ַע מוּסָר וְשׁ ֹומֵר תּ ֹו ַכחַת י ְ ֻכבָּד‬,ֵ « pauvreté et déshonneur (pour) celui qui rejette la correction et celui qui garde le reproche sera honoré ». Pr 15,32 indique que celui qui rejette la correction se méprise : ‫מ ֹואֵס נַפְשׁ ֹו‬. 256

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5. Attestation de la racine dans d’autre corpus hébraïques Selon DCH la racine n’est pas attestée dans les témoins papyrologiques et épigraphiques. En revanche, elle l’est dans le Siracide, les documents de Qumran et en hébreu rabbinique. a. Le Siracide La caractérisation de l’hébreu des témoins de Ben Sira 272 est une question délicate. Elle est cependant intéressante pour la recherche qui nous occupe puisqu’elle peut témoigner de l’utilisation de la racine ‫ יסר‬en des temps très proches de la traduction de la Septante 273 . Depuis leur découverte, les manuscrits du Caire ont été considérés comme une rétroversion du grec, du syriaque ou du persan. La découverte du manuscrit de Massada a infirmé ces théories : les manuscrits du Caire, dans leur histoire complexe, ont néanmoins comme source principale l’original hébreu274. Cependant, l’étude de critiques textuelles est rendue extrêmement difficile en raison des éléments suivants : 1. l’existence de nombreux ‘plus’ par rapport au grec difficiles à dater ; 2. l’existence de doublets, également difficiles à dater, dont l’un des membres est proche de l’hébreu mishnique et l’autre de l’hébreu classique275 ; 3. des rétroversions ponctuelles et partielles, principalement depuis le syriaque, peuvent expliquer des points obscurs de l’hébreu des manuscrits du Caire276 ; 4. les deux plus longs témoins du Siracide hébreu datés de l’Antiquité, les manuscrits M et 11QPsa, ne sont pas exempts d’altérations manifestes277. 272 En ce qui concerne le Siracide, le ou les manuscrits correspondants sont donnés en exposant selon le code donné par BBSH (A, B, C, D, E, F, M, 2Q18 et 11QPs) séparé, le cas échéant par un point. Quand un passage est spécifique à la marge du manuscrit B, on utilise également le code Bm. 273 À ma connaissance, seule EUTENEUER, TWQT, 2, 178 traite de ce sujet. Elle indique que, dans le corpus non biblique de Qumran, cette racine signifie principalement « éduquer » mais aussi « corriger ». L’éducation a pour but, selon elle, de former dans un temps assez long des fils et des filles. 274 Voir la synthèse de W.T. VAN PEURSEN, The Verbal System in the Hebrew Text of Ben Sira (SSL 41, Leyde : Brill, 2003), 9–26. 275 La syntaxe proche de l’hébreu classique n’est pas forcément signe d’une authenticité comme l’a montré le manuscrit de Massada, Cf. VAN PEURSEN, The Verbal System, 17. 276 VAN PEURSEN, The Verbal System, 22 examine notamment le cas du mot ‫ נאמן‬dans le sens « eunuque » en parallèle à ‫ סירים‬en SiB 30,20. Or, c’est le seul cas d’utilisation de ce mot dans ce sens-là, qui autrement signifie « fidèle ». Or le terme syriaque qui traduit ‫ סירים‬est qui possède cette double signification et qui, dans la Peshitta, rend régulièrement à la fois ‫ נאמן‬et ‫סירים‬. 277 VAN PEURSEN, The Verbal System, 410.

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Ces mises en garde effectuées, il est toujours possible d’analyser les occurrences de la racine ‫ יסר‬dans le Siracide et d’en tirer de prudentes conclusions. De nouveaux manuscrits ont été découverts depuis la parution de BBSH. Les deux derniers comportent des mots de cette racine278. L'état de nos manuscrits ainsi que l'histoire complexe de transmission font que certaines occurrences sont peu exploitables279. Le Siracide comporte des occurrences où la racine ‫ יסר‬désigne la souffrance sans que la vertu pédagogique de celle-ci soit claire : ‫( אם יסור ונטותיהו ויסרתיהו באסורים‬SiA 4,19) S’il s’écarte, alors je l’abandonne280, alors je le châtie par des chaînes.

Le verbe ‫ יָסַר‬est utilisé avec le substantif ‫ « אֵ סוּר‬chaine » ou « prison » pour produire avec ‫ סוּר‬une belle allitération en ‫ ס‬et en ‫ר‬. La phrase se situe à la fin de l’hymne de la Sagesse et indique ce qui arrive à ceux qui s’écartent de la Sagesse alors qu’elle s’était livrée à eux. Le verbe ‫ יָסַר‬possède la nuance de « punir ». La nuance n’est pas exprimée de manière aussi claire dans le livre des Proverbes. Proverbes 29,19 prévoit la coercition contre les esclaves pour qu’ils obéissent, et non comme une peine. Cette nuance se rencontre plus facilement dans le corpus prophétique281. Dans le cadre de cette utilisation de la racine ‫יסר‬, il faut également mentionner le nom verbal ‫יסור‬282 en SiBm.M 40,29 pour désigner la souffrance produite à l’occasion de banquets trop copieux. Ce nom verbal, selon van 278 En SiC 6,18 dont le passage n’était jusqu’alors pas connu en hébreu et en SiD 32,2, de manière identique aux manuscrits B et F. 279 Ainsi, SiBm 42,5 propose ‫מוסר‬, sans qu’il soit facile de déterminer le mot qu’il est censé remplacer dans le texte. Le texte grec utilise le verbe παιδεύω pour un hémistiche absent du manuscrit B, mais présent, quoique endommagé, dans M. Aussi R. SMEND, Die Weisheit des Jesus Sirach erklärt : mit einem Hebräischen Glossar (Berlin : Reimer, 1906), 390 propose que cette marge soit un rappel du verset manquant, ce qui est difficilement démontrable. KHS propose également une occurrence en SiA 10,25. Cette lecture est en fait basée sur une unique lettre, ‫ס‬, et sur l'interprétation de SMEND, die Weisheit, 99 qui, s’appuyant sur la recension origénienne proposant παιδευόμενος, interprète cette lettre comme appartenant à la forme ‫נוסר‬. Sans rejeter sur le fond cette possible explication de la recension origénienne, il convient de noter que BBSH propose la lettre ‫ם‬. Le manuscrit A est très endommagé à cet endroit et le B également à un point tel qu'aucune comparaison n'est réellement possible. La reconstruction de Smend est donc très hypothétique. Enfin, de nombreux chercheurs ont reconstruit la fin du premier hémistiche de SiB 31,17 en fonction du grec ; le texte est cependant fort abimé. 280 La correction ‫ נטשתיהו‬est proposée par SMEND, Die Weisheit, 43, sur la base de SiA 9,10 ; B Si 47,22. Pour donner un sens au texte du manuscrit A, il faudrait constater que le verbe ‫נָטָה‬ est parfois synonyme du verbe ‫( סוּר‬V.P. HAMILTON, « ‫» נָטָה‬, NIDOTTE 3 (1997), 92). Il pourrait porter ici la signification « se détourner de » qu’il possède, par exemple, en Am 2,7. 281 e.g. Os 10,10. 282 Le manuscrit B comporte ‫סוד‬, selon une confusion bien connue entre le ‫ ר‬et le ‫ד‬.

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Peursen283, est formé sur le modèle ‫ קִ טּוּל‬qui correspond à la dénomination de l’action correspondant au piel284. Cette forme sera fréquemment utilisée dans l’hébreu mishnique285. Cependant, la plupart des occurrences des mots de la racine de ‫ יסר‬se rapproche de l’utilisation qui en est faite dans le livre des Proverbes. Ainsi, on trouve des appels à « éduquer » son fils286. De même, on retrouve également des collocations déjà présentes dans le livre des Proverbes287, ainsi que des parallélismes288. Toutefois, des éléments viennent changer ces compléments sémantiques, sans qu'il s'agisse réellement d'une évolution importante. Ainsi, le parallélisme avec le verbe ‫ ָעחַם‬289 est original mais il cadre bien avec l'habitude du livre des Proverbes d'utiliser les synonymes de la sagesse 290. De même, le parallèle antinomique avec ‫ ָלעַג‬291 correspond aux injonctions du livre des Proverbes de ne pas mépriser le ‫מוּסָר‬292. Enfin, les honneurs et la honte qu’apporte le ‫ מוּסָר‬sont également marqués par des éléments originaux mais qui ne dénotent pas d’évolution profonde du champ sémantique. Il s’agit par exemple de l’enseignement sur la honte où le Siracide liste les actions qui entraînent la bonne et la mauvaise honte : il est honorable de s’occuper des convives lors d’un repas293, il n’est pas déshonorant 283

VAN PEURSEN, The Verbal System, 246. Joüon §88.I.e. 285 Voir p. 114. 286 SiA.C 7,23; SiA 30,13 à comparer avec Pr 19,18 ; 29,17. La référence au mariage par SiA.C 7,23 est originale ; elle manque dans la version grecque qui se rapproche de Si 30,13. P.W. SKEHAN et A.A. DI LELLA, The Wisdom of Ben Sira (AB 39, New York : Doubleday, 1987), 204, y voit une glose tardive quand C. MOPSIK, La Sagesse de Ben Sira (Les dix Paroles, Lagrasse : Verdier, 2003), 109–110, n.5, juge la leçon authentique, comparant notamment avec la Sagesse égyptienne (Enseignement d’Ani 20,30). 287 Avec ‫ ָלכַח‬en SiB 31,22; 32,14, ‫ ָקבַל‬en SiC 6,18. 288 Avec ‫ ָח ְכ ַמה‬en SiC 6,18 ; SiB 47,14, avec la mort et la vie en SiB.D 37,31, régissant ‫שׂכֶל‬ ֶ en ָ , SiB.D 37,31, l’utilisation au niphal de ‫שׁ ַמר‬ ָ est originale dans un tel SiB.M 41,15, avec ‫שׁמַר‬ parallélisme mais peut trouver sa source dans l’apprentissage de la Torah (Cf. Ex 23,13). 289 SiA 6,32–33. 290 e.g. Pr 14,8. 291 SiB 31,22. 292 e.g. Pr 3,11 ; 15,5. 293 SiB.D.F 32,2, bien que l’interprétation soit complexe, Cf. SMEND, Die Weisheit, 286. En revanche, pour MOPSIK, La Sagesse, 191, n.1, l’hébreu fait sens, probablement en comparant avec Pr 3,4 comme le fait I. LEVI, L’ecclésiastique ou la Sagesse de Jésus, Fils de Sira. Texte original hébreu (2 volumes, Bibliothèque de l’école des hautes études (Sciences religieuses) 10, Paris: Ernest Leroux, 1898–1901), 2, 153, n. 2c. Dans ce passage, ‫ מוּסָר‬désigne un état dont il faut être fier. On ne suivra pas complétement Lévi (globalement repris par SKEHAN et DI LELLA, The Wisdom, 385 et par MOPSIK, La Sagesse, 191) quand il indique que ‫ מוּסָר‬signifie « politesse, bon ordre ». Cette interprétation est basée sur le grec correspondant, εὐκοσμία, qui pourrait, cependant, dériver d’une Vorlage différente (SMEND, Die Weisheit, 286). Ce qui est 284

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de corriger le sot, le niais et le vieillard débauché294. Deux changements sont ici à noter par rapport au livre des Proverbes : 1. ce dernier déconseillait de corriger le sot car cela entraînait mépris295 ; 2. le Siracide utilise ici le mot ‫ מוּסָר‬à l’état construit avec, comme nomen rectum, la personne qui subit l’action, au contraire des usages du TM296. Ainsi, tout en s’appuyant sur le livre des Proverbes qu’il connaissait certainement, le Siracide introduit, parfois, des innovations linguistiques297. Si le niphal à valeur passive et non tolerativum peut avoir un correspondant dans le TM298, la collocation avec le verbe ‫צוּף‬299 suggère l’idée d’un être rempli de Sagesse300 qui devient lui-même dispensateur de cette sagesse301. Parmi les autres glissements observables dans le livre du Siracide, la problématique du processus d’apprentissage de la Sagesse est marquante. Proverbes 15,33 montre la conscience de deux phases : la première humiliante, la deuxième glorieuse. Ce thème est davantage développé dans le Siracide : le processus du ‫ מוּסָר‬est difficile, mais son résultat est glorieux302. En SiA 4,11– 19, la Sagesse explique la manière dont elle commence par éprouver celui qui la cherche avant de revenir vers lui. Sans doute faut-il rapprocher de cette notion le jeu de mot de SiA 6,22 : ‫כי המוסר כשמה כן הוא ולא לרבים היא נכוחה‬ Car la correction comme (son) nom, ainsi il est. En effet il n’est pas approprié pour beaucoup.

Il semble qu’il y ait un jeu de mot avec ‫ סוּר‬au participe hophal : « qui rend écarté »303 . La suite de ce passage décrit le ‫מוסר‬, tour à tour comparé à un certain, c’est que le contexte oblige de voir dans ‫ מוּסָר‬l’état qui résulte du résultat de l’action décrite par le verbe ‫ יָסַר‬: l’état de quelqu’un qui a été efficacement « corrigé ». 294 SiB.M 42,8. 295 Pr 9,7. 296 Voir p. 98. 297 En tout cas d’utilisation dont il n’existe pas de témoignage écrit avant le Siracide. 298 SiA 6,33, à comparer avec Ps 2,10. 299 SiB 47,14, Cf. SiLXX 24,19. 300 Idée exprimée avec le verbe ‫ ָמלֵא‬en Ex 31,3; 35,31.35; Dt 34,9; 1 R 7,14. Le livre des Proverbes utilise le verbe ‫ ָמלֵא‬dans un sens concret (Pr 1,13 ; 3,10 ; 6,30) sauf en Pr 8,21 ; 12,21 et Pr 20,17. 301 Comme la bénédiction divine (SiB 39,22) et contrairement à la Sagesse de Pr 8,24 qui se « contente » de remplir le trésor de ceux qui l’écoutent. 302 e.g. SiC 6,18 ; SiB 31,22. 303 Cf. LEVI, L’ecclésiastique, 2, 34–35, n.21 et SKEHAN/DI LELLA, The Wisdom, 193, par opposition à Pr 8,9 : pour les Proverbes, tout est approprié dans les paroles de la Sagesse. Ce n’est pas le cas de la Sagesse du Siracide.

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fardeau304, à des liens305 et à un joug306. L’image est plus accentuée dans le Siracide qu’elle ne l’est dans le livre des Proverbes307 : le chemin de la Sagesse est d’abord un chemin difficile. Une autre innovation se retrouve dans le parallélisme avec ‫שׁ ל‬ ָ ‫ ָמ‬308 . Ce parallélisme marque une identification du mot ‫ מוּסָר‬avec un discours d'enseignement particulier, ce qui n’est qu’implicite dans le livre des Proverbes 309 . Cette évolution s’accompagne d’une autre innovation : désormais, lorsque ‫ מוּסָר‬est à l'état construit, le nomen rectum peut désigner le contenu de l'enseignement : « le pain et le vin » 310 ou « la honte » 311 . Le discours n’est plus tant un reproche qu’un enseignement particulier. Il peut alors être attribué à une personne spécifique telle que Ben Sira, avec un ‫ל‬ attributif, comme dans les Psaumes312. Cette nuance spécifique au Siracide a conduit Middendorp à voir un glissement sémantique de ‫ מוּסָר‬sous l’influence du grec παιδεία313. Cette hypothèse est difficilement démontrable : le nom παιδεία ne désigne pas un discours précis en littérature grecque classique314. On pourrait envisager aussi une influence du mot égyptien sbȝy.t315, qui, au contraire du grec παιδεία, désigne un discours formé d’injonctions et d’interdictions. Cependant, en égyptien, ce mot est associé à un nom de personne plutôt qu’à un thème.

304

Dont on doit charger – ‫שׂא‬ ָ ָ‫ – נ‬son épaule SiA 6,25. A Avec ‫ ֶחבֶל‬Si 6,25.28 (Si on accepte la correction du verset 25 en fonction du verset 28, ֶ ‫ ֶר‬SiA 6,29 ou ‫ מוֹסָר‬SiA 6,29. Cf. SMEND, Die Weisheit, 59), avec ‫שׁת‬ 306 A Avec ‫ע ֹל‬, Si 6,30. 307 De telles comparaisons sont plus habituelles pour le substantif ‫מוֹסָר‬, voir p. 97, n. 127. 308 SiB 50,27. 309 En effet, les injonctions que fait le livre des Proverbes d'écouter le ‫ מוּסָר‬du père n'impliquent pas qu'il s'agisse d'un discours particulier. Ce pourrait être des reproches en général. 310 SiB 31,11. 311 SiB.M 41,15. 312 SiB 50,27. 313 T. MIDDENDORP, Die Stellung Jesu Ben Siras zwischen Judentum und Hellenismus (Leyde : Brill, 1973), 28, envisage également διδαχή. 314 Voir p. 156. 315 L’influence de ce terme sur le TM a été jugé peu probable (voir p.68–77). En revanche, son influence sur le Siracide n’est pas a priori impossible. 305

Chapitre 3 : Les occurences de la racine

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b. Qumran L’analyse qui suit se base principalement sur les études de Lemaire 316 , de Denis 317 , de Witmer 318 et d’Euteneuer 319 . Un examen plus approfondi et systématique mériterait d’être fait mais dépasse le cadre de cette thèse. Witmer constate que la racine ‫ יסר‬n’est pas particulièrement appréciée par les textes de Qumran 320 . En plus du verbe ‫ יָסַר‬et du substantif ‫מוּסָר‬, on trouve le dérivé ‫יסו ר‬321 . En dehors des citations et des allusions directes aux textes de la Bible322 ou des manuscrits trop abîmés pour être d’une quelconque aide323, le verbe est essentiellement présent dans les textes législatifs de la communauté et dans les prières. Le substantif apparaît également dans les textes sapientiaux. Denis et Lemaire, tout comme Euteneuer, soulignent la difficulté de discerner entre une nuance coercitive ou éducative 324 . Par exemple, le substantif ‫ מוּסָר‬est régi par le verbe ‫ « נָשַׂ ג‬avoir la maîtrise de » et associé avec ‫דָּ ַרשׁ‬ « enquêter » en 1QS VI,14. Il n’est pas évident de déterminer s’il s’agit d’un interrogatoire oral sur la connaissance d’une instruction ou d’une ordalie325. Cependant, il semble bien que la nuance éducative soit réellement présente dans la tournure du hitpael de ‫ יָסַר‬suivi de la préposition ‫ ְבּ‬avec ‫תורה‬326 « loi », ou ‫משפטים‬327 « ordonnances ». La présence des mots « loi » ou « ordonnances » régis par la préposition ‫ ְבּ‬empêche, semble-t-il, d’y voir une nuance coercitive.

316 A. LEMAIRE, « Remarques sur le vocabulaire hébreu de l’enseignement et de l’étude à Qumrân et dans Ben Sira », Conservatism and Innovation in the Hebrew Language of the Hellenistic Period. Proceedings of the Fourth International Symposium on the Hebrew of the Dead Sea Scrolls & Ben Sira (éd. par J. Joosten et J.-S. Rey, STDJ 73, Leyde : Brill, 2007), 109–125. 317 A.-M. DENIS, Les thèmes de la connaissance dans le document de Damas (Studia Hellenistica 15, Louvain : Publication chercheur, 1967), 90–95. 318 S.E. WITMER, Divine Instruction in Early Christianity (WUNT 2/246, Tübingen : Mohr Siebeck, 2008), 29–42. 319 EUTENEUER, TWQT, 2, 178–181. Elle ne cite cependant ni Lemaire, ni Denis, ni Witmer parmi sa bibliographie. 320 En dehors des manuscrits bibliques, 46 fois selon EUTENEUER, TWQT, 2, 178. Elle remarque cependant que la présence du verbe se situe principalement dans la littérature sectaire (Ibid. 179). 321 Présent pour la première fois en SiBm.M 40,29. Présent 8 fois dont une seule au singulier dans les manuscrits de Qumran, selon EUTENEUER, TWQT, 2, 178. 322 Ainsi 4Q504 fr.1–2,III,6 est une paraphrase de Dt 8,5, 11Q19 LXIV,3 de Dt 21,18 et 11Q19 LXV,14 de Dt 22,18. 323 Voir la liste dans EUTENEUER, TWQT, 2, 179.180. 324 DENIS, Les thèmes de la connaissance, 91 et LEMAIRE, « Remarques », 123, et aussi « Die Verwendung … scheint … sehr wandelbar zu sein », EUTENEUER, TWQT, 181. 325 Ibid., 180 le classe parmi les occurrences où il signifie « Zucht ». 326 CD IV,8. 327 CD XX,31, 1 QS IX,10, 1Q34, fr.3 II,7.

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Deuxième partie : L’hébreu classique

Il s’agirait ici d’un synonyme de ‫לָמַ ד‬328 . On trouve aussi la mention de quelqu’un qui pèche et qui est exclu de la communauté, de sorte qu’il ne peut plus être « éduqué / corrigé » par elle329. De même, le substantif dérivé ‫יסור‬ semble être un synonyme de ‫מוּסָר‬330 dans son acception de remontrance orale ou de discours persuasifs, contrairement à son utilisation dans le Siracide et dans l’hébreu mishnique. Ceci ne signifie pas que la nuance coercitive ait disparu elle est ainsi davantage présente dans d’autres œuvres de Qumran : les Hodayot. Le substantif ‫ יסור‬y désigne probablement une mesure douloureuse de Dieu 331 , tandis que ‫ מוּסָר‬est associé avec ‫נָסָה‬, « tenter, éprouver »332. L’aspect éducatif de la racine ne se trouverait alors que dans le document de Damas et dans la règle de la Communauté.333 c. L’hébreu rabbinique Un rapide parcours des dictionnaires 334 révèle qu’en hébreu mishnique, le substantif ‫ מוּסָר‬apparaît dans les midrashim des Proverbes où il correspond à son emploi en Pr 1,2.7. Il ne semble pas être fréquemment utilisé335. En revanche, le substantif ‫ י ִסוּר‬apparaît davantage336 bien qu’il ne possède qu’une nuance coercitive, au contraire de son emploi à Qumran. De son côté, le verbe ‫ יָסַר‬n’apparaît qu’employé au piel et au hitpael et désigne la coercition. Ainsi, hormis les emplois directement rattachés au TM de ‫מוּסָר‬, la racine ‫יסר‬ n’est utilisée que pour sa valeur coercitive. Elle désigne notamment des notions théologiques, telles que le fait que la douleur efface les péchés 337 ou le « châtiment par amour » que Dieu envoie vers son croyant alors même que celui-ci n’a pas fauté338.

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C’est-à-dire qu’il ne s’agit pas forcément d’une éducation intellectuelle mais peut-être d’un habitus. Voir aussi EUTENEUER, TWQT, 179. Elle remarque que les autres occurrences de ‫ יָסַר‬signifient « châtier, corriger » et n’ont de lien avec l’éducation que par la méthode pédagogique du bâton. 329 ‫יחד‬, Cf. 1 QS III,6. 330 1QS III,1 ; CD VII,5.8. 331 1QHa IV,22. Voir cependant 1QS 3 6, 4Q275 2 1 ; 4Q504 1–2 iii6 ; 1QS 9 10 ; 1 QS 3 6 ; 4QDa 8 ii 5 ; 11QT 64 3 ; 65 14, les deux dernières sont des citations de Dt 21,18 et 22,18) 332 1QHa X,14. 333 Voir aussi POUCHELLE, « The Contribution of 1QS and CD to the Lexicography of ‫» יסר‬, KUSATU 17 (2014), à venir. 334 WTM, Jastrow et Dalman. 335 Cf. W. JENTSCH, Urchristliches Erziehungsdenken (BFCT 45/3, Gütersloh : Bertelsmann, 1951), 88. 336 Sanhedrin 45a. 337 Cf. aussi L. PRIJS, Jüdische Tradition in der Septuaginta (Leyde : Brill, 1948), 40–41. 338 Berakhot 5a.

Chapitre quatre

Étude des passages relatifs à Dieu dans l’ordre du Texte Massorétique Ce paragraphe est essentiellement basé sur les études ayant effectué une analyse lexicographique de la racine ‫ יסר‬dans le TM1. Il divise les passages en trois thèmes qui recoupent les nuances sémantiques de la racine ‫יסר‬. L’examen des passages sera fait selon l’ordre du TM. Aucun ordre d’analyse n’est réellement adéquat. Comme l’objet de ce paragraphe est de déterminer ce qu’on dit de Dieu dans le TM quand on le met en sujet de ‫ יָסַר‬ou en relation avec ‫מוּסָר‬, il n’est pas besoin d’utiliser une approche diachronique qui nécessiterait aussi une analyse des raisons pour lesquelles tel passage est jugé plus ancien que tel autre2. Une division par thème serait plus judicieuse mais ferait courir le risque de devoir analyser des passages d’un même livre dans différentes catégories. De plus, certains passages se révèleraient ambigus ou difficiles d’interprétation, ce qui compliquerait leur insertion dans une telle division. Aussi, faute de mieux, l’approche opposée sera suivie : les passages seront analysés dans l’ordre dans lequel ils apparaissent dans le TM et une brève synthèse aura ensuite pour but de dresser une classification des différents thèmes.

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Voir p. 17–23. L’approche diachronique a été prise notamment par K. FINSTERBUSCH, JHWH als Lehrer der Menschen. Ein Beitrag zur Gottesvorstellung der Hebräischen Bibel (BTS 90, Neukirchen : Neukirchener, 2007) et BETZ, « Gott als Erzieher », mais pose de grands problèmes pour aboutir à des résultats certains. Ainsi, les occurrences de la racine dans le livre d’Osée sont perçues par l’auteur comme anciennes, alors qu’elles sont perçues comme récentes par d’autres chercheurs. BETZ, « Gott als Erzieher », 106, n.3 suggère G.A. YEE, Composition and Tradition in the Book of Hosea. A Redaction Critical Investigation (SBLDS 102, Atlanta, Ga. : SBL, 1987), 184–186.209–211 pour qui l’utilisation de la racine ‫ יסר‬traduit une interprétation deutéronomiste du prophète Osée et S. RUDNIK-ZELT, Hoseastudien. Redaktionskritische Untersuchungen zur Genese des Hoseabuches (FRLANT 213, Göttingen : Vandenhoeck & Ruprecht, 2006), 253–257 pour qui il s’agit de transformer le châtiment exprimé par le prophète en mesure corrective dans une perspective post-exilique. BETZ, « Gott als Erzieher », 124–127 travaille à les réfuter. Les arguments principaux résident dans la difficulté même du texte d’Osée qui ne cadre pas avec une relecture ultérieure, et dans le contexte qui n’offre pas de perspective de salut. 2

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1. La Torah a. Le Lévitique Lévitique 26,3–46, qui termine la « loi de Sainteté », comporte des différences significatives avec Dt 28 qui empêchent de ne voir qu’une violence sans correction dans son utilisation de la racine ‫יסר‬3. Le formulaire de bénédiction de Dt 28 est international et a souvent été comparé aux traités assyriens. Les menaces proférées en Lv 26,3–46 restent essentiellement locales. L’augmentation de la tension qu’on trouve dans le Lévitique par l’utilisation fréquente du chiffre sept4 ne se retrouve pas en Dt 28. Dans le Deutéronome, les choses sont plus simples : soit le peuple obéit et tout va bien, soit il désobéit et il sera sévèrement puni. Dans le Lévitique, cette tension laisse la place à une action divine qui s’exprime par trois fois par la racine ‫יסר‬. Par cette action, Dieu peut tout à la fois « punir » les fautes mais maintenir l’alliance 5 . Avec Lv 26,18–28, nous ne sommes pas dans une allusion à Dt 21,18. Comme pour Jr 10,24 ; 30,11 ; 46,28, l’heure n’est pas à la menace de destruction totale mais au plan divin qui intègre son action envers les pécheurs6. 3 Sans renoncer à y voir un but pédagogique, SCHAWE, « Gott als Lehrer », 196 concède que le verbe ‫ יָסַר‬possède clairement la signification de « frapper ». 4 Lv 26,18.21.24.28. 5 Voir notamment J. MILGROM, Leviticus 23-27. A New Translation with Introduction and Commentary (AB 3, New York, Doubleday, 2000), 2297–2299.2343–2344 qui insiste sur le fait que ‫ בּ ְִרית‬soit régit par le hiphil de ‫ קוּם‬en Lv 26,9. Il ne s’agit pas d’une nouvelle alliance, mais du maintien de l’ancienne. De même, l’initiative de rompre l’alliance n’appartient qu’au peuple (Lv 26,15) et pas à Dieu (Lv 26,44). Milgrom constate également l’absence du verbe de conversion ‫שׁוּב‬. Dieu, contrairement à Dt 30,2, ne demande pas le « retournement » du peuple mais sa confession (avec ‫י ָדָ ה‬, Lv 26,40). Ce dernier point est un argument pour Milgrom pour dater la quasi-totalité de Lv 26,3–46 avant l’exil. Les termes marquant la conversion du peuple sont uniques au Lv 26,3–46 et ne sont plus utilisés ensuite, tandis que le verbe ‫ שׁוּב‬devient prépondérant dans la relecture deutéronomique. 6 En fait, la pertinence de ce point dépend de l’unité du texte. Certains chercheurs estiment que la partie originale est Lv 26,14–33 et qu’elle se termine avec la menace de destruction totale (voir BETZ, « Gott als Erzieher », 183 et surtout B.A. LEVINE, Leviticus [JPSC, Philadelphie, JPS, 1989], 275–276) quand d’autres estiment que l’unité du texte n’a pas lieu d’être remise en cause (surtout MILGROM, Leviticus, 2363–2365). Cependant, le TM ne s’arrête pas au verset 33. De fait, la mention de la colère divine ‫ ֵחמָה‬, à la dernière occurrence du verbe ‫יָסַר‬, peut témoigner de l’idée que le texte original promet la destruction au peuple qui refuse la « correction divine ». Cependant, force est de constater que l’état actuel du TM refuse ce dénouement. L’interprétation de H.-U. STEYMANS, « Verheißung und Drohung: Lev 26 », Levitikus als Buch (éd. par H.-W. Jüngling, BBB 119, Berlin : Phil, 1999), 263–307 est intéressante pour effectuer la transition entre la notion de correction et du macarisme paradoxal. Selon cet auteur, les alliances sacerdotales se manifestent toujours avec un signe tel que l’arcen-ciel pour l’alliance noachique ou la circoncision pour l’alliance avec Abraham. Ici, le signe serait le Sabbat (Lv 26,34–35.43). Le but des punitions, des mesures coercitives, n’est pas tant

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b. Le Deutéronome La racine ‫ יסר‬est associée par trois fois 7 avec Dieu dans le Deutéronome. Cependant, il ne semble pas y avoir d’unité de signification. Deutéronome 4,36 indique que la voix de Dieu s’est fait entendre au peuple depuis le ciel pour ‫ ְליַסּ ְֶר ָךּ‬. Finsterbusch8 indique que l’interprétation varie entre « enseigner » 9 , « corriger » et « éduquer ». Elle rejette les deux premières interprétations. En effet, « enseigner » impliquerait une matière à enseigner, tandis que le contexte n’envisage pas une « correction ». Elle indique que Dt 4,36 décrit trois médias de communication de Dieu : du ciel provient la voix, de la terre le feu se donne à voir et du feu proviennent les paroles. Pour Finsterbusch, la manifestation céleste est en fait une manifestation de la divinité de Dieu, tandis que les manifestations terrestres tendent à rendre concrets les commandements de Dieu. La manifestation de la puissance de Dieu aurait alors un rôle éducatif pour enjoindre le peuple à suivre les commandements. De son côté, Betz 10 rejoint certaines conclusions de Finsterbusch. Elle indique que ce verset correspond à la question rhétorique de Dt 4,32–34 qui débouche sur une déclaration d’unicité de Dieu. Après avoir évoqué puis rejeté l’idée que par le ciel Dieu fait entendre sa voix pour donner la Torah 11, elle indique que la voix dans le ciel doit être identifiée au tonnerre comme manifestation de la puissance de Dieu. Cette puissance doit cependant d’abord apporter la crainte de Dieu. En ce sens, la nuance coercitive de la racine ne doit pas être trop rapidement mise de côté. Betz propose de comparer cette

de provoquer la conversion du peuple que de forcer le pays à effectuer le signe du Sabbat : être déserté. Les mesures coercitives s’intègrent donc dans un plan divin plus global et ne sont plus seulement la réaction de Dieu envers son fils rebelle. Ce point nuance la reprise par BETZ, « Gott als Erzieher », 194 de la thèse de G. BERTRAM, « Der Begriff der Erziehung in der griechischen Bibel », Imago dei. Beiträge zur theologischen Anthropologie, Gustav Krüger zum siebzigsten Geburstage am 29. Juni 1932 dargebracht (éd. par H. Bornkamm, Giessen : Töpelmann, 1932), 33 selon laquelle il n’y a aucune nuance de développement dans la pratique « éducative » de l’Ancien Testament. Aussi, la tension que montre Lv 26,3–46, ainsi que l’importance donnée au Sabbat, seraient la possibilité qu’à travers la « correction divine », Israël perçoive graduellement la signification du Sabbat. 7 Dt 4,36 ; Dt 8,5 – où une seule des deux occurrences du verbe ‫ יָסַר‬est directement associée à Dieu – et Dt 11,2. 8 FINSTERBUSCH, Weisung, 157–158. 9 Cf. SCHAWE, « Gott als Lehrer », 197–198. Pour lui, il ne peut s’agir d’une correction puisque c’est la voix du Seigneur qui enseigne depuis le Ciel. D’autre part, l’utilisation du verbe ‫ י ָדַ ע‬en Dt 4,35.39 renforce l’interprétation d’enseignement. Certes il ne s’agit pas d’un enseignement intellectuel, mais d’une prise de conscience. 10 BETZ, « Gott als Erzieher », 215–220. 11 Interprétation envisagée par SANDERS, Suffering, 22.

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occurrence avec Ex 20,20 12 qui utilise le verbe ‫ « נָסָה‬éprouver, tester, entraîner »13. À mon avis, Betz a raison de faire cette comparaison avec Ex 20,20. En effet, ce passage dit explicitement que Dieu a parlé depuis le ciel. Les manifestations depuis le ciel sont principalement source de souffrance et d’angoisse14. Par ces signes, Dieu manifeste son autorité sur le peuple pour l’amener à l’obéissance. Ce qui est important de noter est que cette action s’effectue sans référence à un quelconque péché de la part du peuple. Ainsi, Betz a également raison d’évoquer une interprétation sapientiale15. Le fait que les targumim utilisent ici le verbe ‫ אלף‬n’est pas déterminant puisque cette racine en araméen peut également désigner le reproche oral16. En Dt 8,5, l’action divine est comparée avec l’agir d’un père envers son fils. Pour Sanders17, la comparaison entre un homme et Dieu sert à expliquer les conditions d’humiliation 18 éprouvées par le peuple dans le désert (Dt 8,2). Schawe19 rajoute que la vie dans le désert oscille entre humiliation et salut. Cette expérience ultime entre mort et vie serait le moyen qu’a choisi Dieu pour éduquer son peuple. Finsterbusch20 fait attention également au participe présent du verbe ‫יָסַר‬. Israël doit percevoir que Dieu l’éduque maintenant, c’est-à-dire que « l’éducation » ne s’arrête pas au désert, auquel cas un parfait aurait suffi. Betz21 rappelle qu’il existe d’autres endroits dans le TM où l’action de Dieu est comparée avec celle d’un homme envers son fils. En Dt 1,3122 et en Ma 3,1723, il s’agit d’un acte de compassion tandis qu’en 2 S 7,15 et en Pr 3,1224, il s’agit d’un reproche. De fait, Dt 8,5 réclame une nuance corrective, mais qui tient compte de la tendresse d’un père envers un fils. Ce qui reste déterminant est que l’action décrite par le verbe ‫ יָסַר‬synthétise une action qui fait souffrir (e.g.

12 Voir aussi M. WEINFELD, Deuteronomy 1–11, A New Translation with Introduction and Commentary (AB 5, New York: Doubleday, 1991), 2313. 13 Il est intéressant de noter que le substantif ‫ ַמסָּה‬, quand il ne fait pas référence à l’épisode de Massa (Ex 17,7 ; Ps 95,8 ; Dt 6,16 ; 9,22 ; 33,8), est toujours utilisé en association avec les prodiges et les signes que Dieu a fait dans le désert, à la notable exception de Dt 11,2, où c’est ‫ מוּסר‬qui apparaît, et non ‫ ַמ ָסּה‬. Cela ouvre-t-il la voie à la possibilité d’une synonymie voire d’une erreur antique de copie entre ‫ מוּסר‬et ‫ ? ַמסָּה‬Cela est séduisant mais reste à démontrer. 14 Dt 28,24 ; Jos 10,11 ; 2 R 1,10. 15 BETZ, « Gott als Erzieher », 215. 16 Cf. DSA, DNWSI. 17 SANDERS, Suffering, 22. 18 Avec le verbe ‫ ָענָה‬, « humilier, oppresser », suivi du verbe ‫נָ ָסה‬. 19 SCHAWE, « Gott als Lehrer », 199–201. 20 FINSTERBUCH, Weisung, 255. 21 BETZ, « Gott als Erzieher », 207. 22 Avec ‫נָשָׂא‬, « porter, soutenir ». 23 Avec ‫ ָחמַל‬, « avoir compassion ». 24 Avec ‫יָכַח‬.

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avoir faim) et une qui fait du bien25. C’est la première fois26 que le verbe ‫יָסַר‬ décrit une action divine qui est à la fois dure et douce. L’utilisation de ‫ מוּסָר‬en Dt 11,2 est d’interprétation difficile. ‫א־ראוּ אֶת־מוּסַר י ְהוָה ֱא הֵיכֶם אֶת־‬ ָ ‫וִידַ עְתֶּ ם הַיּ ֹום כִּי א אֶת־ ְבּנֵיכֶם ֲאשֶׁר א־י ָדְ עוּ וַאֲשֶׁ ר‬ ‫גָּדְ ו אֶת־י ָד ֹו ַה ֲחזָקָה וּזְר ֹע ֹו ַהנְּטוּי ָה‬ Vous connaissez aujourd’hui – ce n’est pas le cas de vos fils, qui n’ont pas connu et qui n’ont pas vu – vous connaissez la leçon du SEIGNEUR votre Dieu, sa grandeur, sa main forte et son bras étendu (TOB)

Une première difficulté concerne la mention des fils de la génération témoin de l’Exode car ‫ אֶת־ ְבּנֵיכֶם‬est un complément d’objet sans verbe antécédent27. Ce serait une figure de style qui marque une emphase sur l’objet 28 . Certains y voient une insertion29 dont la fin n’est pas aisée à délimiter. En effet, le terme « leçon du seigneur » peut être le complément d’objet du verbe « savoir » dont « vous » est le sujet, auquel cas l’insertion se termine au verset 2. Cependant, il peut tout aussi bien être le complément d’objet des verbes « savoir » et « voir » dont « les fils » sont les sujets, auquel cas l’insertion peut éventuellement continuer en comprenant les autres compléments d’objets mis en apposition et introduits par ‫ אֶת‬: sa grandeur, sa main forte et son bras étendu, ainsi que les signes et les œuvres30 qui sont eux-mêmes suivis de quatre phrases de structure similaires, introduites par ‫( וַאֲשֶׁ ר עָשָׂה‬sauf le premier sans le waw). 25 e.g. manger la manne. Pace WEINFELD, Deuteronomy, 390 qui indique que les bonnes choses qu’on peut attendre de l’éducation ne se situent qu’au futur, mais n’est-ce pas forcer un peu le texte ? 26 Dans l’ordre du TM. 27 D’où la tentation de rajouter un verbe, Cf. T. VEIJOLA, Das 5. Buch Mose Deuteronomium. Kapitel 1,1–16,17 (ATD 8/1, Göttingen: Vandenhoeck & Ruprecht, 2004), 242, n. 713, WEINFELD, Deuteronomy, 441–442. Weinfeld indique également la possibilité de lire la particule comme signifiant “avec”. Cependant, il manque toujours un verbe (WEINFELD, Deuteronomy, 442, à comparer avec Dt 5,3). 28 GKC §117.l, voir également WEINFELD, Deuteronomy, 442. 29 Ainsi TOB. 30 Dt 11,3. Il faut cependant remarquer que les signes et les œuvres ne sont pas introduits par ‫ ֶאת‬mais par ‫ ְו ֶאת‬. Cette différence de traitement autorise l’interprétation suivante : la leçon de Dieu, sa grandeur, sa main forte et son bras étendu sont en apposition, les signes et les œuvres sont l’explication. Pace BETZ, « Gott als Erzieher », 212 et FINSTERBUSCH, Weisung, 257 pour qui tous les compléments d’objets sont explicatifs de la leçon du Seigneur. Cependant, l’interprétation à donner n’a pas un impact important sur notre argumentation. Dans tous les cas, les signes et les œuvres sont la leçon du Seigneur. De plus, de nombreux manuscrits du TM, ainsi que Qumran et la Genizah du Caire, tout comme les principales traductions antiques, introduisent ‫ י ַדוֹ‬par ‫ ְו ֶאת‬en tant que deuxième complément d’objet. De même, le pentateuque samaritain rajoute ‫ ֶאת‬devant le bras étendu. Il omet le waw devant le ‫ אֶת‬correspondant à « signes ». Cf. E. OTTO, Deuteronomium 4,44–11,32 (HThKAT, Fribourg : Herder, 2012),

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Ces quatre phrases posent également un problème d’interprétation. En effet, un passage très vague qui mentionne le parcours du peuple dans le désert31 est en troisième position d’une liste qui comporte trois allusions très nettes à l’action destructrice de Dieu et ‫ מוּסָר‬signifierait châtiment: 1. l’action de Dieu envers l’Égypte à travers les plaies ; 2. son action lors du passage de la mer ; 3. sa punition contre Datân et Abiram. Cependant, d’autres chercheurs y voient plutôt une action de Salut envers le peuple32. Ainsi, Finsterbusch33 pense que ‫ מוּסָר‬ne signifie pas châtiment. De même, Otto34 effectue le rapprochement avec Dt 8,5. Néanmoins, pour lui, cette utilisation de ‫ מוּסָר‬en lien avec le parcours du peuple dans le désert est une relecture post-exilique 35 . Ainsi, si on suit cette idée, ce rajout a été rendu nécessaire quand le parcours dans le désert a été perçu comme étant une action de correction de type familial36. Avec Dt 8,5, il n’était plus possible de donner à la mention de ‫ מוּסָר‬en Dt 11,2 sa signification initiale de châtiment donné par Dieu. La présence de ‫ ָחזַק‬en Dt 11,8 renforce le fait que ‫ מוּסָר‬désigne une action destiné à fortifier le peuple.

2. Les Prophètes a. Isaïe Les trois occurrences de la racine ‫ יסר‬dans le livre d’Isaïe 37 posent des problèmes d’interprétation. En ce qui concerne Is 26,16, il est même difficile de trouver un sens au verset. ‫י ְהוָה ַבּצַּר ְפּקָדוּ צָקוּן ַלחַשׁ מוּס ְָר לָמוֹ‬

1014–1015 pour la discussion des variantes de Qumran, du Pentateuque samaritain et de la Septante. 31 Ainsi, BETZ, « Gott als Erzieher », 213. 32 Voir également D.L. CHRISTENSEN, Deuteronomy 1:1–21:9 (deuxième edition, WBC 6a, Édimbourg : Thomas Nelson, 2001), 206 qui voit dans les trois premières mentions (les plaies d’Égypte, le passage de la mer des joncs et le parcours dans le désert) des actes positifs envers le peuple. 33 FINSTERBUSCH, Weisung, 258. 34 OTTO, Deuteronomium 4,44–11,32, 1047. 35 Les études diachroniques de ces passages sont extrêmement complexes (Cf. OTTO, Deuteronomium 4,44–11,32, 1025–1033). 36 Pour l’hypothèse selon laquelle ‫ מוּסָר‬aurait remplacé ‫ ַמסָּה‬, voir p. 118, n. 13. 37 Is 26,16 ; 28,26 ; 53,5, tandis que Is 8,11 se rattache à la racine ‫סור‬.

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Littéralement, cela donne « Seigneur, dans la détresse, ils ont pris soin38 de toi, ils ont répandu un murmure39 ton ‫ מוּסָר‬sur eux ». CTAT40 effectue une analyse qui rejette la plupart des corrections facilitantes, dont celles de la Septante. La phrase devient compréhensible si on place ‫ מוּס ְָר לָמוֹ‬en rapport avec ‫צַר‬ « adversité, angoisse » par un chiasme. Pour Betz 41 , c’est le seul point de certitude que l’on possède pour ce verset. L’interprétation d’Is 28,26 a déjà été discutée42. Il suffit ici de rappeler qu’il nous paraît difficile de soutenir que ‫ יָסַר‬signifie « apprendre ». Il s’agit d’une métaphore qui compare le sort des graines au sort du peuple. L’action décrite par ‫ יָסַר‬est comparée aux semailles43. L’action divine correspond donc à une sorte de plan divin qui garantit un meilleur avenir au peuple. Isaïe 53,5 appartient au quatrième chant du serviteur. Comme l’a déjà noté Sander44, les parallèles du verset 4 ne laissent pas de doute sur la signification de ‫מוּסָר‬. Il s’agit d’un châtiment45. Il n’y a pas la place pour l’idée d’une correction mesurée46. Cependant, le substantif est à l’état construit, régissant le mot ‫ שְׁלוֹמֵנוּ‬: « notre paix ». Il ne peut s’agir de définir l’action comme si le châtiment était « paisible pour nous ». Il faut plutôt comprendre « le châtiment qui apporte notre paix »47. Comme en Is 28,26, il y a ici une interprétation de 38 Le verbe ‫ « ָפּ ַקד‬visiter, prendre soin » est normalement réservé à Dieu. C’est le seul cas où Dieu en serait l’objet. Le sens ne se laisse pas aisément définir. D’autre part, le sujet de ce verbe se rattache contextuellement aux maîtres usurpateurs du verset 13 que Dieu détruit, alors que le verset 16 parle plutôt d’un groupe dont Dieu peut avoir pitié. Il est souvent proposé « chercher » (Ainsi SCHAWE, « Gott als Lehrer », 206–207, FINSTERBUSCH, Weisung, 27). Voir également J.D.W. WATTS, Isaiah (2 volumes, WBC 24–25, Waco, Tex. : Word Book, 1985– 1987), 1, 339 pour une autre interprétation. 39 Selon l’interprétation de CTAT 2,186 et FINSTERBUSCH, Weisung, 27, plutôt que prière envisagée par SANDERS, Suffering, 16 (qui, faute de mieux, suit une traduction anglaise usuelle, la Revised Standard Version) ou SCHAWE, « Gott als Lehrer », 206–207. 40 CTAT 2,182–186, voir également la synthèse récente en BEUKEN, Jesaja 13–27, 363– 364. 41 BETZ, « Gott als Erzieher », 226. 42 Voir p. 95–96. 43 Il est à ce propos intéressant de constater que le verbe ‫רדָ א‬,ְ qui en araméen correspond à ‫יָסַר‬, et le verbe syriaque ‫ܕܪ‬, qui dérive de la même racine sémitique, signifient également semer (cf. HALOT s.v. ‫)רדָ ה‬. ָ 44 SANDERS, Suffering, 15–16. 45 Pace MERRIL, NIDOTTE, 2, 481. 46 Comme le confirme la suite du chant Is 53,5–10 : le serviteur va jusqu’à « être retranché de la terre des vivants ». Voir aussi BETZ, « Gott als Erzieher », 481. 47 Ainsi la plupart des commentateurs, se basant sur l’hémistiche suivant : ‫וּ ַב ֲחב ָֻרתוֹ נ ְִרפָּא־לָנוּ‬, traduit : « par ses blessures nous sommes guéris », ce qui est l’interprétation de la Septante. Cependant, le niphal de ‫ ָרפָא‬est à la troisième personne du singulier : « par ses blessures, il est guéri pour nous » ou peut-être « par ses blessures, il est une guérison pour nous » (voir également E.R. EKBLAD, Isaiah’s Servant Poems According to the Septuagint. An Exegetical and Theological Study [CBET 23, Louvain : Peeters, 1999], 222).

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l’action divine définie par ‫מוּסָר‬. Elle n’intervient que sur une personne en particulier, qui n’est pas pécheresse, et elle apporte la paix et la guérison aux autres48. b. Jérémie Le prophète Jérémie49 présente souvent Dieu sujet du verbe ‫ יָסַר‬ou cause de l’action décrite par ‫מוּסָר‬. La principale nuance indique qu’il ne s’agit pas d’une frappe punitive sans espoir de retour. Au contraire, Dieu laisse la porte ouverte au peuple pour revenir50. Cela ne veut pas dire que la situation soit heureuse. En effet, Dieu corrige mais, comme pour Dt 21,18, si le peuple ne revient pas, il faudra bien se résoudre à le détruire 51 . Cette référence est rappelée ironiquement en Jr 2,27 : le peuple dit que Dieu est son père et que lui-même est son fils ! Eh bien Dieu va se comporter en père envers un fils rebelle. On trouve une telle nuance dans l’utilisation du niphal tolerativum en Jr 6,8 : Jérusalem doit accepter la correction sinon elle sera punie. Ce point est également remarquablement marqué par la collocation ‫ ָל ַקח מוּסָר‬à la voix affirmative52, ou à la voix négative53 suivie d’un verbe marquant le retour, ‫שׁוּב‬, lui-même introduit par un verbe de refus54 ou encore par un verbe de relation à la voix négative55. Tous ces passages ne suggèrent pas la même gravité dans les mesures coercitives. Ainsi Jr 7,28, Jr 17,23 et Jr 35,13 ne parlent d’aucune

48 Ce passage fait l’objet d’un grand nombre de bibliographies qu’il n’est pas opportun de rappeler ni de synthétiser ici. Il suffit d’indiquer l’intérêt de ces passages pour les chercheurs et leur manque de consensus sur l’identité du personnage souffrant, s’il est le même qu’en Is 50,4–5, à quel personnage historique il fait référence… (voir par exemple les indications dans WATTS, Isaiah, 2, 227). 49 L’aspect général de cette phrase ne doit évidemment pas cacher le fait que le livre de Jérémie est d’une interprétation complexe. Il semble être composé de sources traduisant différentes attitudes envers la crise de 586. Par ailleurs, ces voix se distribuent également sur une très longue période de temps. Voir W. BRUEGGEMANN, The Theology of the Book of Jeremiah (OTT, Cambridge : University Press, 2007), 1–10. 50 Ainsi SANDERS, Suffering, 50. 51 Ainsi, on peut noter le parallélisme entre Dt 21,18 et Jr 5,23. Voir également FINSTERBUSCH, Weisung, 78, point 2, sans faire référence, toutefois, à Dt 21,18. De son côté, BRUEGGEMANN, The Theology, 174–175 propose plutôt de rattacher ces passages aux livres des Proverbes. Sans écarter complétement ce rapprochement, il faut noter les différences de perspectives entre le livre des Proverbes et celui de Jérémie. Dans le livre des Proverbes, les mots de la racine de ‫ יסר‬ont une nuance essentiellement positive. Ce n’est pas le cas chez Jérémie. Du reste, Brueggemann reconnaît bien que cette racine évoque la punition (Jr 2,19 ; 30,14 ; 31,18). 52 Jr 35,13. 53 Jr 2,30. 54 Jr 5,3. 55 Jr 7,28 ; 17,23 ; 32,33.

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violence physique 56 : le premier indique que le peuple n’a pas écouté les prophètes que Dieu a envoyés57, le deuxième évoque le fait que le peuple n’a pas écouté les injonctions concernant le Sabbat et le troisième compare le peuple avec celui des Réchabites : ces derniers ont scrupuleusement respecté l’injonction donnée de ne pas boire de vins58. En revanche, Jr 32,33 est ambigu ; la collocation est placée en parallèle avec le verbe ‫ ָלמַד‬. Il n’est pas facile de déterminer si Dieu « instruit » son peuple, notamment par le don des commandements, ou s’il le « dresse », ce que peut aussi signifier le verbe ‫ ָלמַד‬59. Cependant, dans d’autres passages, on trouve des verbes très forts, tels que ‫ָכּלָה‬ « mener à la fin »60. La correction de Dieu, même quand il envisage encore un retour, est d’une grande violence. Son refus entraîne la destruction61. Habituellement, le prophète Jérémie donne à la racine ‫ יסר‬la signification « corriger ». Cependant, Jr 30,14 semble être une exception62. La « correction du cruel »63 n’appelle aucun retour et on dit en Jr 30,13 que les plaies d’Israël étaient incurables. Les commentateurs essaient, en général, de faire le lien avec les autres occurrences de la racine ‫ יסר‬dans le livre de Jérémie64 : les mesures de corrections données par Dieu sont devenues de plus en plus fortes et ont atteint un point de non-retour. Il est difficile de déterminer s’il s’agit 56

SANDERS, Suffering, 21 rajoute Jr 6,8 et Jr 32,33. Ne pas attribuer de notions de violence à première référence ne semble pas être possible. Pour la seconde, le cas est litigieux et dépend de l’interprétation donnée à ‫לָמַ ד‬. 57 SANDERS, Suffering, 13 évoque la possibilité d’une référence à la destruction évoquée en Jr 7,14–15. Cependant, il la juge peu crédible. Il faut certainement se rapprocher de 2 Ch 36,15, bien que cette référence ne précise pas ce que Dieu envoie au peuple. En revanche, elle décrit bien l’attitude du peuple qui refuse l’envoi et qui provoque, en conséquence, la fureur (‫ ) ֵחמָה‬de Dieu. 58 Il faut également noter que Jr 35,15 rappelle le rôle des prophètes de manière similaire à Jr 7,25–26. 59 Voir, par exemple, l’utilisation de ce verbe en Jr 2,33. 60 Jr 5,3. Voir aussi Jr 2,30 qui décrit l’épée qui dévore. 61 Jr 2,30 est suivi d’un discours où Jérusalem espère que la colère de Dieu se détournera d’elle. Jr 5,3 est suivi de Jr 5,6 qui décrit la ruine, Jr 7,28 est suivi de Jr 7,32–33, Jr 17,23 de Jr 17,27. La seule exception est Jr 32,33 qui n’est pas suivi d’une menace de mort mais d’une promesse de restauration. Encore faut-il probablement envisager une ellipse. En effet, Jr 32,36 débute par ‫ ְועַתָּ ה ָלכֵן‬qui marque un changement dans le discours (LUNDBOM, Jeremiah, 2, 518, voir aussi Jr 2,18) et poursuit par le discours du peuple : Jérusalem est devenue une ruine. 62 LUNDBOM, Jeremiah, 1, 289 voir également FINSTERBUSCH, Weisung, 68 qui pose la question suivante : « Ist die grausame Züchtigung Zions hier ausschließlich als Bestrafung bzw. Vergeltung von Schuld zu deuten ? » et qui y répond par la négative du fait de la présence d’une perspective de salut en Jr 30,17. Cependant, la perspective de salut n’est pas directement liée à ‫מוּסָר‬. Autrement dit, ‫ מוּסָר‬peut garder sa signification uniquement punitive sans exclure la perspective de salut. 63 Ou « la cruelle correction», voir p. 98, n. 139. 64 e.g. LUNDBOM, Jeremiah, 2, 397.

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effectivement d’une autre nuance65 ou d’une gradation : Dieu « corrige », ici, non pas avec justice, mais avec colère. C’est effectivement sur cet enjeu que se jouent les dernières utilisations par Jérémie du verbe ‫ יָסַר‬avec Dieu comme sujet traduisant une autre nuance : Dieu « corrige » son peuple, ou le prophète, avec mesure ; il n’est plus question d’une menace de mort telle qu’une interprétation de Dt 21,18 peut le laisser supposer. Ainsi les deux passages parallèles Jr 30,11 et Jr 46,28, disent que, contrairement à Jr 5,3, ce sont les Nations qui sont l’objet du verbe ‫ ָכּלָה‬et non plus le peuple. Le peuple, lui, est corrigé en justice et non pas laissé sans correction66. De même, Jr 10,24 où Jérémie demande à être corrigé dans la justice, relève de la même inquiétude : il s’agit de ne pas être corrigé avec colère67, sans quoi on meurt68. Le contexte de ce passage est bref : Jérémie reconnaît que l’homme ne maîtrise pas tout, il effectue son appel puis demande à ce que la fureur de Dieu soit envoyée aux Nations car Israël est ravagée. Jérémie n’est pas qualifié de pécheur. Les nuances variées décrites plus haut traduisent peut-être des couches rédactionnelles différentes. Cependant, il ne faut pas négliger le fait que la racine ‫ יסר‬désigne toujours une mesure coercitive relative à la relation père-fils. À ce titre, conformément à Dt 21,18, si le peuple n’écoute pas la remontrance de son père, il sera mis à mort. D’autre part, le père peut également, par colère, tuer son fils. Le peuple et Jérémie craignent un tel sort mais comptent sur Dieu pour les traiter avec Justice. Il reste cependant les deux occurrences Jr 7,28 et 17,23 où ‫ מוּסָר‬possède une nuance proche de celle qu’on retrouve dans les Proverbes : il s’agit de quelque chose qu’on écoute : la parole des prophètes, d’une part, ou d’un commandement sur le sabbat d’autre part. Ces deux occurrences s’inscrivent dans le schéma où le peuple doit accepter la correction de Dieu sinon il périra. Il ne s’agit cependant pas d’une mesure coercitive. On peut envisager que l’irruption du commandement concernant le Sabbat soit une addition plus 65

Qui serait à rapprocher d’Ez 5,15, voir p. 125. SANDERS, Suffering, 18 a perçu cette différence entre ces eux passages et le reste du livre de Jérémie. FINSTERBUSCH, Weisung, 65–66, ne pense pas qu’il s’agit d’une relecture ultérieure. On peut percevoir la souffrance qui atteint le peuple comme corrective dès le début sans préjuger de la catastrophe finale. À mon avis, l’idée que l’action corrective punitive ne mène pas vers la destruction est secondaire par rapport au message initial de Jérémie qui indique : Dieu frappe pour que le peuple se convertisse, s’il ne le fait pas, il finira par le détruire. 67 Ainsi, K. SCHMID, Buchgestalten des Jeremiabuches: Untersuchungen zur Redaktionsund Rezeptionsgeschichte von Jer 30-33 im Kontext des Buches, (WMANT 72, Neukirchen: Neukirchener, 1996), 167. FINSTERBUSCH, Weisung, 66–67 nuance cette idée en indiquant que les textes ne se situent pas dans la même perspective narrative. 68 Avec l’utilisation du verbe ‫ ָמעַט‬qui est ailleurs utilisé pour un peuple (Is 21,17). L’idée est à rapprocher de Pr 19,18 qui stipule qu’on peut corriger son fils, mais qu’on ne doit pas le faire mourir. 66

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tardive, tandis que l’idée que Dieu envoie ses prophètes pour faire entendre son ‫ מוּסָר‬se retrouve plus fréquemment encore dans la Septante69. c. Ézéchiel Ézéchiel n’utilise pas beaucoup la racine ‫ יסר‬et Ez 5,15 est le seul où Dieu est en rapport avec ‫מוּסָר‬.70 Il fait partie d’un discours de condamnation de la part de Dieu (Ez 5,5–17) 71 . La présence de ‫ מוּסָר‬est probablement un ajout, ou provient d’un doublet, car la Septante ne la possède pas72. Jérusalem s’est comportée de manière pire que les Nations ; c’est pourquoi elle sera punie de manière exemplaire. L’utilisation de ‫ מוּסָר‬a souvent été interprétée comme signifiant une « leçon » pour les peuples. Ainsi la souffrance d’Israël serait un signe pour les Nations qui devraient comprendre que la puissance de Dieu est grande73. En fait, il est plus probable que le discours d’Ézéchiel soit destiné à Jérusalem qu’aux Nations. En effet, il semble y avoir un enjeu, dans ce passage, sur la place de Jérusalem parmi les Nations. Dieu l’a placée au milieu d’entre elles ; Jérusalem pouvait en être fière74. Mais elle s’est rebellée ; dès lors le discours ne cesse de répéter que Jérusalem sera punie au milieu des Nations 75 . Ce n’est donc pas une leçon pour les Nations mais bien une humiliation pour Jérusalem. On peut également noter la présence du mot ‫תּוֹ ֵכחָה‬ associé avec un mot désignant la colère : ‫אַף‬76 . Il n’est question ici ni de correction, ni de restauration.

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Voir p. 296–303. Ez 23,48 reste « littéralement » profane. Le châtiment est porté par l’assemblée et consiste en une lapidation (Ez 23,46–47). Bien évidemment, une lecture théologique de cet évènement est possible, mais Dieu n’est pas ici le sujet du verbe ‫יָסַר‬. Ce passage ne sera pas davantage étudié (pace, SCHAWE, « Gott als Lehrer », 236–238). 71 Voir M. GREENBERG, Ezekiel. A New Translation with Introduction and Commentary (2 volumes, AB 22–22A, New York : Doubleday, 1983–1997), 1, 119 pour la structure. 72 Cf. G.A. COOKE, The Book of Ezechiel (ICC, Édimbourg : T&T Clark, 1936, réimpression Édimbourg : T&T Clark, 1960), 62. 73 Ainsi SANDERS, Suffering, 14. W.H. BROWNLEE, Ezechiel 1–19, (WBC 28, Waco, Tex. : Word Book, 1986), 91, SCHAWE, « Gott als Lehrer », 236 est plus nuancé ; il ne peut s’agit d’une leçon mais d’une « harte Lehre ». L’interprétation reste la même, il s’agit d’une leçon envers les peuples (voir également BETZ, « Gott als Erzieher », 96, n.285). 74 Ez 5,5. 75 Ez 5,8.14.15. 76 À ce titre, ce passage pourrait être rapproché de Jr 30,14, voir p. 123. Jr 30,14 seul devrait être traité dans ce paragraphe. Cependant, il a été placé dans le paragraphe suivant concernant la correction du fait de la présence de nombreux mots de la racine ‫ יסר‬dans le livre de Jérémie et surtout en Jr 30,11. 70

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d. Osée La difficulté de reconnaître la racine et la conjugaison du verbe ‫ יָסַר‬dans le livre d’Osée a déjà été notée plus haut77. Toutes les occurrences de la racine ‫יסר‬78 sont en relation avec Dieu et dénotent plus un châtiment qu’une correction79. Osée 5,2 appartient à un discours de reproche que fait Dieu par l’intermédiaire d’Osée envers les chefs de la maison d’Israël. Dieu sera le châtiment de tout le peuple. Il ne s’agit pas d’une mesure corrective car la suite du passage est explicite : il ne peut plus y avoir de retour de la part du peuple80. On trouve le même contexte en Os 7,12. Le peuple court vers l’Assyrie et l’Égypte. Dieu les châtie alors même qu’ils courent. En Os 7,10, on retrouve également le fait que le peuple d’Israël ne revient pas vers Dieu. Enfin, Os 10,10 décrit de nouveau un châtiment sans qu’il y ait de mention d’une possible réforme. Au contraire, Dieu reconnaît qu’Éphraïm était une génisse bien dressée81. L’action décrite par le verbe ‫ יָסַר‬n’a pas pour but de dresser Éphraïm, mais de le dévaster82. Ces trois passages n’indiquent pas explicitement que l’action de Dieu est une action corrective en vue d’obtenir l’obéissance du peuple. Il semble ainsi plus prudent de considérer que cette nuance n’est pas présente83. e. Sophonie Le prophète Sophonie possède deux mentions de la collocation ‫( ָל ַקח מוּסָר‬So 3,2.7). Sophonie 3,1–4 est un appel à charge. Jérusalem est prévenue, ses leaders se comportent comme des bêtes sauvages. Même si le verbe ‫ שׁוּב‬n’est pas utilisé, il s’agit bien d’un appel à la conversion qui n’a pas fonctionné : la ville n’a pas eu confiance (‫ ) ָבּטַח‬en son Dieu, elle ne s’est pas approchée (‫)ק ַָרב‬ de lui. Il n’est pas exprimé clairement que ‫ מוּסָר‬consiste en un acte correctif violent. Au contraire, le parallélisme avec « écouter la voix » peut suggérer

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Voir p. 80–82. Os 5,2 ; 7,12.15 ; 10,10. 79 L’attribution du sens II à Os 7,15 fait de ce passage une exception où Dieu fortifie son peuple, voir p. 78–80. 80 Voir Os 5,4. Pace SCHAWE, « Gott als Lehrer », 229. 81 Os 10,11, avec ‫ ָלמַד‬. 82 Os 10,14. 83 Selon SANDERS, Suffering, 9 et Pace WOLFF, Hosea, 125, SCHAWE, « Gott als Lehrer », 234. On peut se poser la question si les perspectives de salut très éventuelles font partie des ipsissima verba d’Osée ou sont une relecture post-exilique. Cependant, la perspective d’ensemble d’Osée semble bien pré-éxilique (voir E. BONS, « ‘Je suis votre éducateur’ (Os 5,2LXX) – Un titre divin et son contexte littéraire », Le Jugement dans l’un et l’autre Testament [vol. 1 de Festschrift R. Kuntzmann, éd. par E. Bons, LD 197, Paris : Cerf, 2004], 196). 78

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qu’il s’agit d’un reproche oral. Cependant, le peuple ne s’est pas converti. Ainsi que l’annonce clairement le verset 1 : Jérusalem est rebelle84. En So 3,7, le narrateur, Dieu, reprend la même collocation. Cependant, le parallélisme porte cette fois sur la crainte (‫ )י ֵָרא‬de Dieu et sur la « nondestruction » (‫ )כּ ַָרת‬du peuple. Le contexte désigne un processus de correction ou de reproches dont le refus entraînera la destruction de la demeure 85 du peuple. Sur ce point, Sophonie se rapproche de l’utilisation de la même collocation chez Jérémie. Il s’en éloigne quelque peu par l’extension qu’il fait de l’action de destruction de Dieu à la terre entière et à toutes les Nations. La mention de ces destructions en So 3,6 puis en So 3,8 sème un peu le trouble dans la compréhension du passage. D’un côté, la destruction des Nations (‫)גוֹי ִם‬ semble être le signe que doit comprendre le peuple de Jérusalem et le ‫ מוּסָר‬qu’il doit accepter86. De l’autre, cette même destruction est la sentence que Dieu prend quand Jérusalem lui désobéit 87 . Une signification possible est que la mention de la destruction des Nations soit l’anticipation de ce qui attend Jérusalem si elle persiste à ne pas accepter la correction de Dieu dont la référence reste le verset 2. En revanche, le passage du verset 7 au verset 8 reste un abrupt glissement de la menace à l’espérance88.

84 Avec le substantif ‫מ ְִרי‬, utilisé également en Dt 21,18 et Jr 4,17 ; 5,23, voir aussi p. 122, n. 51. Jérusalem est qualifié par trois caractéristiques négatives correspondant aux trois développements de So 3,2–4 selon R.D. PATTERSON, An Exegetical Commentary Nahum, Habakkuk, Zephaniah (Richardson, Tex. : Biblical Studies Press, 2003), 318. Le substantif ‫מ ְִרי‬ y correspond au fait de ne pas accepter le ‫מוּסָר‬. 85 ‫מָעוֹן‬, plusieurs chercheurs, dont SANDERS, Suffering, 11, corrigent en ‫ ֵמעֵינֶיה‬sur la base du grec et de la Peshitta. L’idée ne change pas : l’espoir de Dieu réside en ce que Jérusalem va accepter son ‫ מוּסָר‬et que, par conséquent, il ne sera pas obligé de lui appliquer la sentence. 86 Malgré son intérêt pour la leçon apprise par l’observation de la souffrance des autres, SANDERS, Suffering, 10–11 ne prend pas ici cette interprétation. Pour lui, ‫ מוּסָר‬désigne ici la correction corporelle. En revanche, pour SCHAWE, « Gott als Lehrer », 239, la « leçon » que doit accepter Jérusalem consiste bien en l’observation de la punition des Nations, voir également H. IRSIGLER, Zefanja (HThKAT, Fribourg : Herder, 2002), 348–353 qui propose de comparer avec Jr 3,6–8. 87 Ce point a amené certains chercheurs à douter de l’authenticité de ce passage et de So 3,2 (voir la liste en BETZ, « Gott als Erzieher », 178, n. 199). La Septante efface la première référence aux Nations (voir p. 269–270). 88 Voir IRSIGLER, Zefanja, 358–362. À moins qu’il ne faille voir dans le verset une transition qui synthétise le passage de la menace (le rassemblement des Nations) à l’espoir (le déferlement du feu sur les Nations), voir PATTERSON, An Exegetical Commentary, 325.

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3. Les Autres Écrits a. Les Psaumes La racine est toujours utilisée en relation avec Dieu dans huit des neuf endroits où elle apparaît89. Psaume 2,10 applique aux Nations une action de Dieu plutôt réservée au peuple. Il demande aux juges de la terre d’accepter la correction par l’utilisation d’un niphal. Ce qui est original dans ce passage est que lorsque les Nations sont l’objet du ‫ מוּסָר‬de Dieu en Ps 94,10, c’est plutôt pour être détruites. Ici, le fils va écraser les Nations (‫ ; )גּוֹי ִם‬elles ont donc intérêt à accepter son autorité ou alors elles n’existeront plus. Le parallélisme suggère également que les rois deviendront sages. Les Nations sont présentées comme objet de la même sollicitude du fils que Dieu envers son peuple. Selon une logique binaire, elles acceptent le fils et elles deviendront sages, ou alors elles mourront. La terminologie de Ps 6,2 est quasiment identique à celle de Ps 38,2 : ‫( י ְהוָה אַל־ ְבּ ַא ְפּ ת ֹוכִי ֵחנִי וּאַל־ ַבחֲמָתְ תְ יַסּ ְֵרנִי‬Ps 6,2) SEIGNEUR, châtie-moi sans colère, corrige-moi sans fureur! (TOB)

‫( י ְהוָה אַל־ ְבּ ֶק ְצ ְפּ ת ֹוכִי ֵחנִי וּ ַב ֲחמָתְ תְ יַסּ ְֵרנִי‬Ps 38,2) SEIGNEUR, châtie-moi sans courroux, corrige-moi sans fureur. (TOB)

89 Ps 2,10 ; 6,2 ; 16,7 ; 38,2 ; 39,12 ; 50,17 ; 94,10.12 ; Ps 118,18. Parmi ces neuf occurrences, BETZ, « Gott als Lehrer », 236 et SCHAWE, « Gott als Lehrer », 241–245 rejettent Ps 2,10 et Ps 16,7, tandis que FINSTERBUSCH, JHWH als Lehrer rejette Ps 2,10 ; 50,17. Le rejet de Ps 2,10 me semble excessif. Il est basé sur la présence du niphal dont le sujet est « les juges de la terre ». Cependant, l’action de Dieu est bien décrite comme une action coercitive. Ainsi, le niphal est un niphal tolerativum, comme en Jr 6,8. Le rejet de Ps 16,7 est formellement justifié. Néanmoins, l’utilisation du mot ‫ ִכּ ְלי ָה‬peut faire référence par exemple à Ps 26,2, où Dieu soumet les reins du psalmiste à l’épreuve ou à Job 16,13 où Dieu transperce les reins. Le passage serait à comprendre dans cette perspective : Dieu conseille (avec ‫ – יָעַץ‬en fait plus que conseiller, ce terme désigne également l’autorité planificatrice que possède Dieu sur les hommes et la création, Cf. A. WOLTERS, « ‫ » יָעַץ‬NIDOTTE 2, [1997], 491) et par les reins communique avec le psalmiste, voir également B. JANOWSKI, Dialogues conflictuels avec Dieu. Une anthropologie des Psaumes (Le Monde de la Bible 59, Genève : Labor et Fides, 2008), 190–191.350-351. Il amène celui-ci à l’accepter (voir également FINSTERBUSCH, JHWH als Lehrer, 53) et suggère de comparer avec Ps 119,62 : le psalmiste décrit ici un acte liturgique. Enfin, Ps 50,17 ne dit pas explicitement que le ‫ מוּסָר‬à ne pas rejeter est celui de Dieu. Cependant, le contexte ne laisse guère de doute à ce sujet (Cf. SCHAWE, « Gott als Lehrer », 243, voir également p. 136 pour des problèmes similaires d’attribution dans le livre des Proverbes.). Une telle perspective permet d’affirmer que l’intégralité des occurrences de la racine ‫ יסר‬dans les Psaumes est relative à Dieu, directement ou indirectement. De manière opposée, on peut indiquer que, contrairement au livre des Proverbes, le livre des Psaumes n’utilise pas cette racine dans un contexte de Sagesse. Il faut ainsi noter sa complète absence du très didactique Psaume 119.

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La seule différence consiste en l’utilisation du mot ‫ אַף‬en Ps 6,2 et de ‫ ֶקצֶף‬en Ps 38,290. Il n’y a pas de grande conclusion à tirer de cette différence. Le mot ‫ֶקצֶף‬ marque la colère divine 91 alors que ‫ אַף‬peut avoir une signification profane. Cependant, il peut aussi s’agir d’un rappel ou d’une harmonisation avec Jr 10,24. Le contexte entre les deux Psaumes n’est pas identique92. Et le choix des mots pourrait y faire référence. En effet, Ps 6,2 est le cri d’une personne qui souffre pour laquelle le péché est absent ou secondaire et qui veut être guéri de sa souffrance93, alors que le psalmiste de Ps 38,2 reconnaît ses fautes94 et espère en Dieu. L’attitude évoquée par le Psaume 6 se rapproche de celle évoquée de Jr 10,24. Un tel rapprochement est aussi marqué par l’utilisation des deux mêmes mots que Jérémie pour désigner la colère : ‫ אַף‬et ‫ ֵחמָה‬. En revanche, l’utilisation de ‫ קֶ צֶף‬en Ps 38,2 signifie probablement que le psalmiste ne veut pas être traité comme un grand pécheur. En effet, ‫ ֶקצֶף‬est toujours utilisé en référence avec Dieu et désigne la colère ultime : celle que Dieu réserve à ceux qui l’abandonnent95. La même théologie du Psaume 38 se retrouve en Ps 39,12 : en corrigeant, Dieu punit la faute. Ce Psaume de lamentation décrit un psalmiste qui va succomber. Il reconnaît sa faute et supplie Dieu de l’épargner. Il n’est pas fait mention de la colère divine, mais la signification de la prière est la même : il prie pour que la correction de Dieu soit mesurée96. Cependant, au contraire du Psaume 38, le Psaume 39 a peu d’espoir. L’insistance qu’il porte sur la petitesse de l’homme semble se rapprocher de Job et signifie sans doute qu’il juge sa « correction » excessive par rapport à sa faute97. L’idée exprimée par le Ps 50,17 ressemble à celles exprimées dans le livre des Proverbes98 : le psalmiste fait parler Dieu qui reproche à l’impie de détester le ‫מוּסָר‬. La collocation de l’hémistiche suivant est plus originale : le verbe ‫שׁ ַל‬ ָ n’est pas utilisé dans le livre des Proverbes. Il est, en général, utilisé pour désigner un jet physique. À ce titre, c’est ce verbe qu’on trouve lorsque Moïse jette les tables de la loi99. De fait, les accusations aux versets 18–20 développent 90 La présence d’un ‫ אַל‬supplémentaire en Ps 6,2 n’induit pas de changement de sens. Ps 38,2 comporte des variantes harmonisatrices (Cf. BHS, a.c.). 91 G.B. STRUTHERS, « ‫» ָקצַף‬, NIDOTTE 3 (1997), 962–963. 92 FINSTERBUSCH, JHWH als Lehrer, 49–51. 93 Exprimé notamment avec ‫רפָא‬.ָ 94 Ps 38,4–6. 95 Voir par exemple 2 Ch 24,18 (Cf. STRUTHERS, NIDOTTE 3,963). 96 Du point de vue du psalmiste, cette correction n’est pas mesurée et certainement pas perçue comme pédagogique (Voir BETZ, « Gott als Erzieher », 248, pace FINSTERBUSCH, JHWH als Lehrer, 51). 97 Voir BETZ, « Gott als Erzieher », 247–248. 98 Cf. Pr 5,12. 99 Ex 32,19 ; Dt 9,17.

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Deuxième partie : L’hébreu classique

les septième, huitième et neuvième commandements 100 . Dans ce cadre, ce Psaume pourrait être une attestation possible d’un parallélisme entre ‫ מוּסָר‬et Torah. Le Psaume 94 comporte deux occurrences du verbe ‫יָסַר‬101. Au verset 10, on trouve le verbe ‫ יָסַר‬au qal mettant en relation Dieu et les Nations (‫)גּוֹי ִם‬. Ce verset termine une série de trois questions rhétoriques sur le modèle du « qui peut faire le plus, peut faire le moins » ou « l’inventeur sait faire ». Après un appel ironique à l’intelligence de ceux qui écoutent le Psaume102, le psalmiste évoque la puissance créatrice de Dieu, au service de sa capacité à discerner le bien et le mal dans son peuple. Dieu a « planté » les oreilles103, à plus forte raison peut-il entendre ; Dieu a façonné l’œil, à plus forte raison peutil voir104. Une fois qu’il est bien établi que Dieu peut entendre et voir les actions de chacun, il convient pour le psalmiste de souligner sa capacité d’agir. Pour cela, il ne fait pas appel à la Création, mais à l’Histoire : Dieu a puni105 les peuples, à plus forte raison peut-il reprocher106 au peuple ses agissements107. De plus, il nous semble difficile de penser que le rapport entre ‫ יָסַר‬et ‫ יָכַח‬soit un rapport d’englobant-englobé, ce qui serait difficile à comprendre au vu des nombreuses occurrences où ces deux verbes sont mis en parallèle, mais plutôt un rapport de degré où la conjugaison qal de ‫ יָסַר‬s’inscrit. Ainsi, « celui qui 100 Voir par exemple P.G. CRAIGIE, Psalms 1–50, (édition révisée en 2004 avec un supplément de M.E. Tate, WBC 19, Nelson Reference & Electronic, 2004), 366–367. 101 Ps 94,10.12. 102 Ps 94,8. 103 Avec le verbe ‫ « נָטַע‬planter », qui est utilisé dans un contexte de création en Is 51,16. Autrement ce verbe est utilisé dans son sens premier (Gn 2,8) ou figuratif (Dieu plante Israël, Ps 80,15[16]). 104 Avec le verbe ‫ « נָבַט‬voir, observer ». Dans sa conjugaison hiphil, il exprime le fait de tout voir et de contempler. Dieu en est le sujet quand il contemple les actions des hommes (Ps 10,14). 105 Punir englobe le reproche, tout comme créer l’œil englobe le fait de voir. Une autre interprétation explique qu’éduquer inclut le reproche. Si Dieu éduque toutes les Nations alors peut-il sermonner le peuple (L.A. SCHÖKEL et C. CARNITI, Salmos. Traducción, introducciones y comentario [2 volumes, Nueva Biblia Española, Estella : Verbo Divino, 1994–1996], 2, 1218). Cette lecture serait confortée par le parallélisme avec le verbe ‫( ָל ַמד‬Ps 94,10) qu’on retrouve en Ps 94,12. Or, ce parallélisme est rejeté par le TM et la Septante : la question rhétorique du TM s’arrête juste avant ‫ ַה ְמ ַלּ ֵמד‬et la Septante ne permet pas de supposer que sa Vorlage possédait une telle question rhétorique qui nécessite le rajout d’un hémistiche : celui qui enseigne à l’homme la connaissance ne peut-il pas savoir ? (ainsi SCHÖKEL et CARNITI, Salmos, 2, 1209, voir aussi FINSTERBUSCH, JHWH als Lehrer, 92–93). 106 Avec ‫יָכַח‬. 107 Pace FINSTERBUSCH, JHWH als Lehrer, 93, n.203 qui n’envisage que le sens de « erziehen » et qui indique que le sens « Zucht machen » n’offre aucun sens ici. En fait, la présence des mots du champ sémantique de la connaissance, tels que ‫ ָלמַד‬ou ‫דַּ עַת‬, ne concerne pas les Nations mais l’humanité.

Chapitre 4 : Étude des passages relatifs à Dieu

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punit108 (‫ יָסַר‬qal) ne peut-il pas faire un reproche (‫ יָכַח‬hiphil) ? Sous-entendu, il peut punir et cela produit son résultat. Selon cette interprétation, un ‫ יָסַר‬piel envers le lecteur du Psaume serait sous-entendu par le ‫ יָכַח‬hiphil ; il arrivera en Ps 94,12. Avec le verset 12, le psalmiste passe d’un discours sur Dieu à un discours à Dieu109. Le premier verset consiste en un macarisme : ‫תּוֹרתְ תְ לַמְּ דֶ נּוּ‬ ָ ִ‫ַאשׁ ְֵרי ַה ֶגּבֶר ֲאשֶׁר־תְּ יַסּ ְֶרנּוּ יּ ָהּ וּמ‬ Heureux l’homme que tu corriges Seigneur et que de par ton instruction tu entraînes

Finsterbusch110 remarque le yiqtol du verbe ‫ יָסַר‬correspondant, selon elle, à un présent duratif. Ensuite, elle analyse brièvement la collocation de ‫ ָלמַד‬avec ‫מִן‬ qui aurait une signification partitive : Dieu enseigne une partie de son instruction, de sa Torah111. Pour Finsterbusch, ce verset est à étudier conjointement avec le verset 10112 : les deux versets utilisent les verbes ‫ יָסַר‬et ‫ ָלמַד‬et ont comme enjeu l’enseignement : de la connaissance au verset 10, de la Torah au verset 12. De plus, ‫ ֶגּבֶר‬serait ici le synonyme de ‫ אָדָ ם‬et désignerait un homme en général. Cependant, ‫ ֶגּבֶר‬, de par son étymologie et son utilisation, peut également dénommer l’homme d’une certaine force et d’une certaine qualité113. D’autre part, le verbe ‫ לָמַ ד‬peut aussi porter une nuance de difficulté voire de violence114. Ainsi, une nuance coercitive peut être trouvée dans les deux versets du Psaume115. Il est possible que le psalmiste joue sur les deux nuances du verbe ‫ יָסַר‬pour faire la distinction entre les Nations et l’homme « fort ». Les premières sont punies, le deuxième est corrigé, ce qui lui permet d’éviter les jours du malheur et la fosse préparée aux impies. Le fait que les deux nuances coexistent dans ce Psaume n’est pas incompatible et prouve simplement que la nuance principale de ‫ יָסַר‬reste la coercition que celle-ci soit le résultat d’un jugement punitif ou d’un acte « éducatif ». La dernière occurrence se situe en Ps 118,18. Il s’agit d’un Psaume de Salut qui décrit le double mouvement du psalmiste : d’abord assiégé, il est sauvé par la 108 Pour BETZ, « Gott als Erzieher », 255, ‫ יָסַר‬ne peut avoir une connotation foncièrement négative car il est comparé avec la création des yeux et des oreilles, ce qui est une bonne chose. Il me semble qu’une telle interprétation affaiblit la métaphore. 109 Selon le mot de FINSTERBUSCH, JHWH Als Lehrer, 95 qui rappelle que ce Psaume est caractérisé par sa mixité de style (Ibid., 86). 110 FINSTERBUSCH, JHWH Als Lehrer, 95. 111 Voir aussi F.-L. HOSSFELD et E. ZENGER, Psalmen 51–100, (HThKAT, Fribourg : Herder, 2000), 655. 112 Ainsi aussi SANDERS, Suffering, 26 et SCHAWE, « Gott als Lehrer », 243. 113 V.P. HAMILTON, « ‫» ֶגּבֶר‬, NIDOTTE 1 (1997), 816. 114 Voir p. 75, n. 128. 115 BETZ, « Gott als Erzieher », 256.

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Deuxième partie : L’hébreu classique

puissance de Dieu. Bien que le Psaume s’intéresse principalement au salut du psalmiste116, l’interprétation du verset 18 permet de comprendre ce qui s’est passé : ‫י ַסּ ֹר י ִ ְסּ ַרנִּי יּ ָהּ ְו ַל ָמּ ֶות א נְתָ נָנִי‬ Il m’a vigoureusement corrigé

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mais il ne m’a pas donné à la mort

Dieu a corrigé le Psalmiste, ce qui l’a conduit à être menacé par ses ennemis, mais Dieu l’a ensuite sauvé. On ne sait pas si le psalmiste a commis une faute ou non118. En revanche, on sait qu’il s’est tourné vers Dieu dans la détresse119. Cette idée correspond bien à celle développée dans le livre de Jérémie : Dieu corrige l’homme pour qu’il se convertisse120. Une fois que cette conversion a eu lieu, il n’y a plus de danger qu’il meurt. b. Job Dans le livre de Job, seules deux occurrences de ‫ מוּסָר‬sont directement et sans ambigüité liées à Dieu121. Elles tentent d’apporter une réponse à la question centrale de ce livre, qui est de savoir pourquoi Job, qui est juste, souffre-t-il ? Une partie des réponses tente de trouver un sens à cette douleur122. La première occurrence, Job 4,3, se trouve dans le discours d’Éliphaz123, à la plainte de Job : il se montre sévère à l’égard de Job. Celui-ci se permettait de faire des reproches à ses concitoyens dans le but de les affermir 124 et il 116

Ainsi FINSTERBUSCH, JHWH als Lehrer, 53. Pour l’interprétation de l’infinitif absolu, voir p. 94. 118 Pour FINSTERBUSCH, JHWH als Lehrer, 52, l’absence de mention vaut absence de notion. Elle indique également que le psalmiste se définit comme appartenant à ceux qui craignent le Seigneur (Ps 118,4) et à ceux qui sont justes (Ps 118,15). 119 Ps 118,5. 120 Par la construction en chiasme des versets 17 et 18 : ne pas mourir – raconter les œuvres – être corrigé – ne pas mourir, SCHAWE, « Gott als Lehrer », 244–245 déduit que le fait de raconter les œuvres est le but de la correction divine. Sans doute on peut également tenir l’inverse : à savoir que raconter les œuvres de Dieu, c’est raconter qu’il a corrigé le peuple (ou le psalmiste). 121 Pour la discussion de Job 33,16, voir p. 88–90. En tout état de cause, même si on accepte la présence de ‫ מוּסָר‬dans ce verset, le sens serait très proche de Job 36,10 (voir plus loin dans ce paragraphe). Pour Job 40,2, une lecture respectueuse du TM voit dans Job celui qui est désigné par le nom verbal ‫ י ִסּוֹר‬dans une inversion provocatrice des rôles : c’est Job qui « corrige » Dieu (voir p.84-86). 122 Voir BETZ, « Gott als Erzieher », 265–266 pour une brève synthèse de la pensée des exégètes modernes sur l’interprétation qu’on peut donner à l’idée que Dieu puisse être à l’origine de la souffrance. 123 Job 4,1–5,17. 124 Pour la possibilité du maintien du sens I de ‫ יָסַר‬en Job 4,3, voir p. 79. 117

Chapitre 4 : Étude des passages relatifs à Dieu

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n’accepte pas un tel traitement venant de la part de Dieu125. Le parallélisme de ‫ יָסַר‬avec les verbes du champ sémantique de l’affermissement serait ironique tout autant que théologique. Éliphaz se moque du peu de courage de Job et il affirme que l’action de Dieu possède les deux versants : un coté qui fait souffrir et un coté qui affermit126. Éliphaz continue sa démonstration : les méchants disparaissent 127 , mais personne n’est juste devant Dieu128. Dieu est puissant et il distingue entre les méchants – fussent-ils forts et intelligents – et le pauvre129. Alors Éliphaz proclame sa profession de foi sous la forme d’un macarisme : ‫ַאשׁ ְֵרי ֱאנ ֹושׁ יוֹ ִכחֶנּוּ אֱלוֹ ַהּ וּמוּסַר שַׁדַּ י אַל־תִּ מְאָס‬

‫( ִהנֵּה‬Job 5,17)

Voici : Heureux l’homme (que) Dieu sermonne et la correction de Chaddaï, tu ne la dédaigneras pas.

Puis Éliphaz explicite sa pensée qui exprime l’ambivalence de l’action divine qui fait souffrir et qui soigne130. Bien que son expression soit proche de Pr 3,11, il n’utilise pas l’image du maître et de l’élève 131 , mais plutôt celle du médecin132. Cependant, il convient d’être attentif à l’intertextualité. En effet, 125

Job 4,3–5. Ainsi BETZ, « Gott als Lehrer », 258–259.262 indique qu’Éliphaz utilise d’abord le verbe dans son sens positif. C’est vrai. Cependant, Éliphaz sous-entend, et son lecteur probablement également, cette double signification, sans quoi le retournement du verset 5 est incompréhensible. En d’autres termes, les aspects « positif » et « négatif » du verbe sont essentiellement liés. 127 Job 4,7–9 ; 19–21 ; 5,2–7. Voir aussi un lien intéressant entre Job 4,21 et Pr 5,23. Les deux versets indiquent que quelqu’un meurt, l’un du fait du manque de Sagesse, l’autre du fait du manque de ‫מוּסָר‬. 128 Job 4,17–18 ; 5,1. 129 Job 5,8–16. 130 Les deux actions ne semblent pas pouvoir être séparées comme peut le supposer BETZ, « Gott als Erzieher », 261, comme si Dieu décide souverainement s’il fait du bien ou du mal : la souffrance du juste est salvatrice. Cette idée est également exprimée de manière différente avec le mot ‫ מוּסָר‬et le verbe ‫( ָרפָא‬voir p. 133, n. 132) en Is 53,5. Chez Isaïe, c’est la souffrance du juste qui apporte la guérison à tous (voir p. 121) et en Ps 6,2–3, le psalmiste se plaint de n’éprouver que la partie « négative » et de ne pas encore être guéri (voir p. 128). En revanche, elle a raison de rappeler l’intertextualité avec Os 6,1 qui utilise le verbe ‫ ָחבַשׁ‬conjointement avec ‫נָכָה‬, et ‫ ָרפָא‬avec ‫ט ַָרף‬. Elle a également raison d’indiquer que cela présuppose une interprétation du monothéisme où Dieu est cause du bien et du mal (alors que chez Osée, on a l’expression d’un processus en deux temps : d’abord Dieu frappe et puis il sauve. Cela n’implique pas le monothéisme). 131 Bien que tous les commentateurs envisagent une souffrance pédagogique (SCHAWE, « Gott als Lehrer », 246, BETZ, « Gott als Lehrer », 260), cette idée est à nuancer. En effet, l’action de Dieu, tout comme celle de Job ne se situe pas essentiellement dans l’activité enseignante mais dans le salut corporel. Le Dieu d’Éliphaz ne rend pas les gens plus sages (même s’il utilise le mot en Job 4,21) mais les restaure. 132 Avec ‫( ָחבַשׁ‬e.g. Is 1,6) « bander », et ‫( ָרפָא‬e.g. Jr 19,11) « soigner ». 126

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Deuxième partie : L’hébreu classique

l’utilisation du verbe ‫ כָּאַב‬peut faire référence à la reconstruction de la Vorlage de PrLXX 3,12. Cela indiquerait une interprétation bien plus physique et violente de Pr 3,11–12 que ne le propose le TM qui contextuellement reste dans le cadre d’une réprimande ou d’un conseil oral133. La deuxième occurrence se situe en Job 36,10 dans le dernier discours d’Élihu. Celui-ci commence à parler quand il estime que les trois amis ont perdu la face134. Dans ce passage, il reprend certaines idées d’Éliphaz : le méchant est destiné à mourir et Dieu est proche des opprimés135. Cependant, il professe une théologie de la rétribution qui reste proche des occurrences de ‫ מוּסָר‬dans Jérémie136. En effet, Élihu pense que Dieu reproche à certains des justes de s’être laissé séduire par les puissants137. Dieu dénonce leurs œuvres : il ouvre leur oreille au ‫ מוּסָר‬pour leur dire de se détourner (‫ )שׁוּב‬du mal (‫)אָוֶן‬. En conséquence, si ces justes écoutent, leur vie sera plaisante, s’ils n’écoutent pas, ils périront. Dans ce passage138, ‫ מוּסָר‬posséderait davantage qu’en Job 5,17 une connotation sapientiale classique : il s’agit d’un discours de reproches 139 . Cependant, il reste qu’on discute toujours de la personne de Job qui souffre. Pourquoi souffre-t-il ? Élihu l’explique par un passage parallèle: ‫( ְו ִ ֖יגֶל ַבּ ַלּחַץ אָזְנָם‬Job 36,15) Et par la détresse, il leur a ouvert l’oreille

133

Voir p. 135–136. Job 32,1–5. 135 Job 36,6. 136 Une théologie du « entweder », « oder » : on accepte le reproche ou on meurt (BETZ, « Gott als Lehrer », 263–264). Cependant, l’étude des discours d’Élihu est complexe. Ainsi T. PILGER, Erziehung im Leiden, Komposition und Theologie der Elihureden in Hiob 32–37 (FAT 49/2, Tübingen : Mohr Siebeck, 2011), 231–243 estime qu’il existe une différence entre le premier discours et le quatrième. Dans le premier discours, Élihu a tendance à effacer ou à minimiser la douleur. Dieu agit par des visions et des rêves (Job 33,15–17) qui évitent la souffrance à ceux qui les accueillent (Job 33,18). Dans ce cadre, on peut garder ‫ מוּסָר‬dans Job 33,16 (voir aussi p. 88–90). Le passage serait similaire à Job 36,10 : Dieu envoie des avertissements aux justes ; s’ils écoutent ces avertissements, ils ne mourront pas. Cependant, si la douleur arrive et est trop importante, un ange est là pour plaider leur cause (Job 33,19–30). Ainsi, dans ce discours, Élihu fait la distinction entre les rêves et les songes d’une part et la douleur d’autre part. Ce point n’a pas été noté par BETZ, « Gott als Lehrer », 264–265 qui compare pleinement ce passage avec Job 36,10. C’est pourtant très original par rapport aux discours des amis de Job et par rapport aux autres discours d’Élihu. Pilger note que le quatrième discours d’Élihu diffère du premier, mais elle ne va pas jusqu’à affirmer qu’il s’agit de deux œuvres distinctes. Or, on peut envisager que les mentions de la souffrance insupportable et de l’ange médiateur pourraient être une réponse à un quatrième discours qui propose une théologie de la rétribution, somme toute, assez classique. 137 Job 36,7. 138 Et peut-être en Job 33,16. 139 Ainsi SANDERS, Suffering, 30 et SCHAWE, « Gott als Lehrer », 246. 134

Chapitre 4 : Étude des passages relatifs à Dieu

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à comparer avec ‫( ַויִּגֶל אָזְנָם לַמּוּסָר‬Job 36,10) Et il leur a ouvert l’oreille au reproche

Il est important de noter le changement de préposition. Le substantif ‫ מוּסָר‬est introduit par ‫ ְל‬quand le substantif ‫ ָלחַץ‬est introduit par ‫ ְבּ‬. Ce changement est significatif de la perception d’Élihu : la douleur est le moyen que Dieu a pour ouvrir l’oreille, mais il ne s’agit pas d’un « ‫» מוּסָר‬. Il s’agit en fait d’un moyen utilisé par Dieu pour faire entendre son « ‫» מוּסָר‬. Élihu n’utilise donc pas le champ sémantique coercitif de ‫מוּסָר‬140. Ensuite, il conclut très naturellement par un appel à Job d’assumer sa souffrance et d’attendre patiemment qu’il soit rétabli dans son honneur141. En attendant, il peut contempler l’œuvre parfaite de Dieu : il est le maître142 parfait et puissant par ses œuvres naturelles143. c. Le Livre des Proverbes La seule occurrence d’un mot de la racine ‫ יסר‬directement liée avec Dieu se situe en Pr 3,11. Elle se situe à la fin d’une injonction de Dieu envers le lecteur. L’ensemble Pr 3,1–11144 peut alors être compris comme un « ‫ » מוּסָר‬c’est-àdire une injonction orale qui vise à obtenir de celui qui l’écoute une obéissance et une existence exemplaire. Il ne semble pas y avoir de coercition ou de violence 145 . La comparaison avec Job 5,17 n’est pas déterminante car le contexte n’est pas le même146. Il semble plus intéressant de comparer avec les passages des Proverbes où il est demandé de bien écouter le père et de ne pas négliger ses conseils147. Il faut également constater que Pr 3,1 s’ouvre avec une phrase très similaire à Pr 3,11 qui demande au lecteur d’écouter l’instruction (‫)תּוֹרה‬ ָ du Seigneur et de ne pas se lasser de ses commandements (‫ ) ִמ ְצוָה‬148 .

140

Il est donc difficile de parler de souffrance pédagogique « Leidenspädagogik » avec BETZ, « Gott als Erzieher », 262. 141 Job 36,16–21. 142 Avec ‫מוֹרה‬, ֶ le choix méthodologique de cette thèse qui demande de n’analyser que la racine ‫ יסר‬empêche d’approfondir ce point important. 143 Job 33,23–37,24. 144 FINSTERBUSCH, Weisung, 91 a bien perçu la nécessité de prendre en compte ce contexte. 145 Ainsi DELKURT, Ethische Einsichten, 38–41 et EADEM, « Erziehung », 234–235, pace SANDERS, Suffering, 33–34, SCHAWE, Gott als Lehrer, 251–253 et FITZGERALD, « Proverbs 3:11–12 », 291. On peut être nuancé en indiquant que la correction n’est jamais loin du reproche. Cependant, le contexte de Pr 3,11–12 n’implique pas une telle correction, au contraire de son correspondant dans la Septante, voir étude de ce passage dans la quatrième partie. 146 Voir p. 133. 147 e.g. Pr 4,1 ; 15,5. 148 Voir aussi FINSTERBUCH, Weisung, 92.

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Deuxième partie : L’hébreu classique

Cependant, Betz 149 est plus prudente ; pour elle, l’expression ‫ ְבּנִי‬est habituellement utilisée comme mot clé pour annoncer un nouveau développement150. Proverbes 3,11 serait alors à rattacher à Pr 3,13–18 et son discours sur la Sagesse. Ce n’est pas impossible, mais cela ne change pas l’interprétation initiale : le contexte ne demande pas à ‫ מוּסָר‬d’être une correction corporelle, il peut être un avertissement 151 . Ainsi, s’il est possible de faire référence à Pr 3,11–12 lorsqu’on étudie Dt 8,5, l’inverse n’est pas forcément vrai. Le premier ne suppose pas d’actions coercitives violentes, le second interprète une action humiliante, mais porteuse de vie, dans le cadre d’une relation père-fils ou maître-élève. Cette interprétation est également compatible avec Pr 8,10 et Pr 8,33. Ici, c’est la Sagesse personnifiée qui est la cause du ‫מוּסָר‬. Contrairement au Siracide152, la Sagesse se contente de crier son message. Dans les deux cas, une traduction de ‫ מוּסָר‬serait « sermon, reproche153 ». En revanche, on peut interpréter d’autres occurrences de ‫ מוּסָר‬en relation avec Dieu, du fait de la proximité du nom divin154. Ainsi, Pr 5,23 conclut une interdiction d’aller voir une prostituée : Dieu voit tout, celui qui pèche mourra sans ‫מוּסָר‬. Ce point est intéressant dans la mesure où, contrairement à d’autres passages du TM, c’est celui qui a péché qui n’a pas de ‫מוּסָר‬. Faut-il comprendre que Dieu ne frappe pas les pécheurs trop enfoncés dans leur péchés ou faut-il déjà comprendre ‫ מוּסָר‬comme exprimant un état vertueux, sens qu’il pourrait posséder dans le Siracide155, ou doit-on comprendre enfin que le pécheur n’a pas écouté le ‫ מוּסָר‬de son père156 ? Le verset ne permet pas une compréhension précise. En revanche, la mention de ‫ מוּסָר‬en Pr 15,10 signifie très certainement « châtiment »157. Le nom divin apparaît dans les deux versets qui précèdent et dans le verset qui suit. Les deux versets sont parallèles et indiquent que la conduite des méchants n’est pas appréciée par le Seigneur. Le verset suivant révèle que Dieu connaît le cœur des hommes aussi bien que le Shéol. Ainsi ce passage semble être une explicitation de la doctrine de la Rétribution : Dieu voit le cœur des hommes, le méchant sera donc sévèrement puni158. 149

BETZ, « Gott als Erzieher », 267. e.g. Pr 2,1 ; 5,1 ; 7,1. 151 Voir également FITZGERALD, « Proverbs 3:11–12 », 309. 152 Si 4,11–19. 153 FINSTERBUCH, Weisung, 102 dans son analyse de Pr 8,10. 154 De fait, il n’est pas toujours aisé de déterminer si l’utilisation à l’absolu du substantif ‫ מוּסָר‬correspond ou pas à une éducation divine. BETZ, « Gott als Erzieher », 267–274 n’étudie que Pr 3,11 tandis que SCHAWE, Gott als Lehrer, 248–258 étudie également Pr 1,7 ; 5,23 ; 15,10 ; 15,33. FINSTERBUCH, Weisung, 82–111 n’étudie pas Pr 15,10.33 mais Pr 30,1. 155 Voir p. 110, n. 293. 156 Qui est celui qui entame le passage en Pr 5,1. 157 Ainsi, SCHAWE, « Gott als Lehrer », 254–255. 158 Voir aussi Jr 30,14. 150

Chapitre 4 : Étude des passages relatifs à Dieu

137

Enfin, Pr 15,33 associe la crainte de Dieu avec un ‫ מוּסָר‬de sagesse. Il n’est pas évident de savoir quel est le sujet de cette phrase nominale159. Cependant, le deuxième hémistiche indique qu’avant la gloire, il y a l’humilité 160. Cette phrase synthétise ce qui fait du bien avec ce qui fait souffrir. Elle peut être une définition du ‫ מוּסָר‬en tant que mesure corrective coercitive 161 . On pourrait traduire par : « une discipline qui mène à la Sagesse, voilà la crainte du Seigneur car avant la Gloire il y a l’humilité ». Cette phrase tente d’expliquer une vérité paradoxale : la correction de l’homme est la vraie piété, il ne faut pas craindre d’être humilié 162 . Le verset 33 vient en quelque sorte expliquer le verset 32 qui développe l’idée qu’il ne faut pas rejeter la correction.

159

SCHAWE, « Gott als Lehrer », 256. Avec ‫ ָענָה‬. 161 Pace SCHAWE, « Gott als Lehrer », 256–258 qui voit plutôt un processus de Sagesse. 162 D’autres interprétations existent : par exemple, S.B. DAWES, « ANAWA in Translation and Tradition », VT 41 (1991), 42–43 y voit une valeur morale profane, tandis que J.P. DICKSON et B.S. ROSNER, « Humility as a Social Virtue in the Hebrew Bible? », VT 54 (2004), 465 y voient plutôt le sentiment pieux de soumission à Dieu. 160

Chapitre cinq

Synthèse de l’utilisation de la racine ‫ יסר‬dans le texte massorétique L’examen de la racine ‫ יסר‬montre la complexité de son champ sémantique. L’étymologie et des potentielles influences étrangères se révèle décevant. La racine *WSR est rarement observée dans les langues sémitiques non hébraïques. Il existe peu de cas où le contexte permet d’en déduire le sens. Assez souvent le sens, ou le rapprochement d’une forme avec la racine *WSR, est déduit de la signification de ‫ יָסַר‬dans le TM. Or cela ne permet pas d’utiliser ces indices pour déterminer l’étymologie de ‫ יָסַר‬sous peine de produire un argument circulaire1. Ainsi, l’akkadien esēru pourrait, en fait, dériver de la racine *ʽSR. La possibilité que ‫ יָסַר‬soit un emprunt de l’akkadien et dérive finalement de cette même racine est séduisante et expliquerait pourquoi on voit si peu d’occurrences de cette racine en dehors de l’hébreu mais elle reste difficilement démontrable2. Un contre-argument est l’occurrence ougaritique de KTU 1.4 V 4 dans lequel ysr est placé en parallèle avec la « sagesse », mais le sens réel du verbe ougaritique nous échappe quelque peu à moins de s’appuyer sur la signification de ‫ יָסַר‬dans le TM3. Le manuscrit de Deir ʽAlla est dans un trop mauvais état pour être d’une grande utilité 4 et les occurrences araméennes, hormis celle du Roman d’Ahiqar, C1.1 12, 175, qui reste cependant controversée, sont probablement influencées par l’hébreu5. Le rapprochement avec l’égyptien n’est pas non plus convaincant ; les différences entre l’égyptien sbȝ et ‫ יָסַר‬restent trop importantes pour suggérer une dépendance étroite. L’éducation égyptienne est marquée par les coups et la correction corporelle. Néanmoins, le lemme sbȝ ne semble pas particulièrement marqué par cela. Le fait que sbȝy.t puisse être utilisé pour désigner un châtiment ne semble pas dériver de la correction corporelle mais plutôt de l’autorité de celui qui énonce la directive (sbȝy.t)6. Il n’existe donc pas de lien formel et 1

Voir notamment les études arabes (p. 59) et ougaritiques (p. 59–62). Voir p. 56–59. 3 Pour la discussion de ce sens, voir p. 61. L’interdiction de s’appuyer sur ‫ יָסַר‬est nécessaire pour éviter l’argument circulaire évoqué plus haut. 4 Voir p. 62. 5 Voir p. 64–68. 6 Voir p. 71–75. 2

Chapitre 5 : Synthèse

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démontrable entre le lemme égyptien sbȝ et la racine ‫יָסַר‬. D’autres correspondances sont possibles. En l’absence de tout texte bilingue, il est prudent de ne pas conclure trop fermement sur cette potentielle influence7. Dans ce cadre, le modèle étymologique de Sæbø apparaît plus convaincant que celui de Branson8 : 1. l’étymologie de ‫ יָסַר‬n’est pas claire ; 2. la signification éducative de ce lemme est seconde et dérive de la signification coercitive ; 3. les quelques cas où ce lemme signifie « fortifier » sont à traiter à part. L’examen de l’utilisation de cette racine dans le TM montre qu’en plus de cette signification de coercition, de correction et de reproche, cette racine désigne une relation asymétrique entre une personne ayant autorité et une personne la subissant9. Le champ de cette autorité appartient à la sphère privée, mais aussi à la sphère sapientiale et judiciaire10. L’examen du livre des Proverbes propose un grand nombre d’occurrences de cette racine qui indiquent un reproche oral et qui évoluent vers un champ sémantique lié à la Sagesse. Un élève qui subit cette action de la part d’un maître est certain de vivre correctement, heureux et en sagesse. Une appartenance au champ sémantique de l’éducation n’est alors possible que parce que cette racine désigne tout à la fois l’action coercitive d’un maître envers son élève et sa position dominante. Cependant, ce verbe ne désigne pas l’enseignement d’une matière particulière avant Qumran où sa conjugaison hitpael pourrait avoir été synonyme de ‫לָמַד‬11. Le substantif ‫ מוּסָר‬est particulièrement révélateur de ce changement. En effet, en tant que nom verbal, il désigne originellement l’action de corriger. Cependant, dans les Proverbes, il peut signifier un discours de reproches12. Ce glissement sémantique est accentué quand il est employé en parallèle avec des termes désignant une instruction : ‫ מוּסָר‬est alors un commandement sans que le contexte n’implique un reproche. Enfin, l’évolution la plus intéressante réside dans le fait que le substantif ‫ מוּסָר‬devienne synonyme de sagesse13. Il désigne alors l’état d’une personne qui a été « correctement » corrigée. Il n’est plus question d’une mesure répressive suite aux fautes ou à l’ignorance de l’élève mais d’un processus marqué par son résultat : la sagesse de l’élève. Si on devait 7

Voir p. 75. Voir p. 51–52. 9 Voir en particulier l’examen des sujets et objets du verbe, p. 100. 10 Voir p. 103. 11 Voir p. 113. 12 Voir p. 104–106. 13 e.g. Pr 1,2. 8

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Deuxième partie : L’hébreu classique

dater cette nuance, il faudrait probablement la situer assez tardivement dans la mesure où le livre du Siracide, tout en continuant à utiliser la racine ‫ יסר‬dans un sens classique, approfondit la signification de ‫ מוּסָר‬qui peut devenir un discours de sagesse14. L’idée théologique qui associe Dieu avec cette racine reflète la variété de ces nuances. Tout d’abord, cette racine peut signifier le fait que Dieu frappee un pécheur sans rémission15. On retrouve cette idée principalement chez Osée16. Ensuite, Jérémie est le témoin de l’idée selon laquelle Dieu corrige son peuple pécheur en espérant son retour. Cependant, si le peuple ne revient pas, il sera détruit. On peut noter l’influence de Dt 21,1817 : un père qui corrige son fils doit l’amener devant les juges pour être condamné à mort si ce fils ne lui obéit toujours pas. Cette signification théologique prend donc au sérieux le statut de fils donné au peuple d’Israël. Si un fils commet des bêtises, son père le corrige. La nuance de cette notion reste négative : le peuple court encore le risque de mourir. Cependant, une conséquence positive de cette idée réside dans le fait que Dieu corrige avec mesure et non avec colère18. L’archétype s’en trouve en Pr 19,18 qui demande aux pères de corriger leurs fils mais pas au point de les faire mourir. Les auteurs de ces textes n’ont plus peur d’être détruits par la colère de Dieu perçu comme un Père aimant. L’action de Dieu décrite par le verbe ‫ יָסַר‬mène certains hommes vers la vie et non vers la mort : la correction divine n’appartient plus seulement au domaine de la rétribution mais à celui du plan divin comme le montre notamment Isaïe 19 dans lequel sont mêlées l’action humiliante et l’action salvatrice de Dieu20. On peut trouver un modèle en Pr 23,13 qui demande aux pères de corriger leur enfant puisque de toute façon ils n’en mourront pas. Une dernière image, portée davantage par le substantif ‫ מוּסָר‬et correspondant au sens que ce substantif possède dans le livre des Proverbes, fait de Dieu le 14

Pour les particularités du substantif ‫ מוּסָר‬dans le Siracide, voir p. 110–112. Os 5,2 ; 7,12 ; 10,10 ; Ps 94,10 ; Ez 5,15 ; Jr 30,14 (?) ; Pr 15,10 – ces trois dernières occurrences rajoutent un adjectif aggravant au substantif ‫ מוּסָר‬et peuvent ainsi signifier une correction hors de mesure. 16 Voir p. 126–126. 17 Jr 5,3 ; 6,8 ; 32,33 et Jr 31,18 qui prend l’image de manière positive, ainsi que probablement So 3,2.7. 18 Jr 10,24 ; 30,11 ; 46,28 ; Ps 6,2 ; 38,2 ; 39,12 – avec ici un reproche masqué, bien que le psalmiste reconnaisse avoir péché, sa proximité avec Job peut faire comprendre qu’il trouve la correction trop forte. 19 Lv 26,18.23.28 ; Dt 8,5 ; 11,2 ; Is 28,26 ; 53,5 ; Ps 94,12. 20 Dt 8,5 ; Ps 118,18 ; Job 5,17 ; Pr 15,23. Ce point avait été noté déjà par G. VON RAD, Theologie des Alten Testaments (2 volumes, Munich : CHR Kaiser, 1957), 2, 151–152, mais BONS, « ‘Je suis votre éducateur’ », 193 note que von Rad ne donne pas beaucoup d’exemples. 15

Chapitre 5 : Synthèse

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porteur d’un message de reproches qu’il fait parvenir à son peuple ou son croyant21. Il ne semble pas y avoir de différence nette entre les occurrences où l’objet de l’action est le peuple et où l’objet de l’action est l’individu22. Il serait tentant de transformer ce classement thématique en classement chronologique du plus ancien vers le plus récent selon ce schéma : Punition → Correction avant la punition → Correction plutôt que la punition → Reproches.

Cependant, la discussion de la datation des passages ne pourra pas se faire sur la seule base de ces thèmes : un passage récent peut avoir été forgé sur un modèle plus ancien. De même un passage plus ancien peut nous apparaître plus récent parce que nous estimerions que plus on s’éloigne du thème de la « simple » punition, plus on s’approche d’une forme « civilisée » de théologie. Cependant, cette idée serait basée sur un a priori de progrès vers une certaine forme de « civilité » divine. Tout au plus pouvons-nous accepter une césure entre un message preéxilique où le peuple peut être menacé de destruction totale et un message postexilique où le peuple reconnait être encore vivant : la destruction crainte n’a pas eu lieu. Il est cependant prudent de prendre acte de ces différentes images et d’y voir des diverses interprétations.

21

Jr 7,28 ; 17,23 ; 35,13 ; Job 36,10 – ici un enseignement que Dieu fait comprendre par la douleur, mais distingué de celle-ci – Pr 3,12 ; 8,10. 22 Pace DELKURT, Ethische Einsichten, 40, pour qui les discours où Dieu, à la troisième personne, traite avec un individu unique, montrent une nuance essentiellement sapientiale. Hormis Pr 3,11 et peut-être Dt 4,36, les autres occurrences, Dt 8,5, Is 26,26 et Ps 94,12 n’offrent pas une signification aussi claire.

Troisième partie

La littérature grecque non judéochrétienne

Chapitre premier

Lexicographie 1. Problématique La principale problématique d’une étude concernant les termes de la famille de παιδεύω est de réussir à s’extraire des deux grandes œuvres de Jaeger1 et de Marrou qui ont intimement lié παιδεία et éducation2 au point que la traduction de l’un par l’autre est devenue automatique. Ainsi, Perdicoyianni indique que les mots de la famille de παιδεύω ont été créés pour signifier d’abord l’éducation « individuelle et surtout collective et institutionnelle » puis la culture3. Or cette idée se heurte à deux objections. Tout d’abord, comme le rappelle Ward4, elle trouve difficilement son origine dans la Grèce archaïque. Par exemple, aucun mot de la famille de παιδεύω n’apparaît dans le corpus 1 W. JAEGER, Paideia. die Formung des griechischen Menschen (3 volumes, Berlin: de Gruyter, 1933–1947), pour le premier volume nous utiliserons la traduction française : W. JAEGER, Paideia. La formation de l’homme grec (traduit par A. et S. Devyver, Bibliothèque des idées, Paris : Gallimard, 1964) et H.–I. MARROU, Histoire de l’éducation dans l’Antiquité (2 volumes, 6ème édition, Paris : Seuil, 1965). 2 Ou bien culture, Cf. J. BOMPAIRE, Lucien écrivain. Imitation et création (BEFAR 190, Paris : de Boccard, 1958), 94, I. HADOT, Arts libéraux et Philosophie dans la pensée antique (Paris : Études augustiniennes, 1984), 11 (« paideia, c’est-à-dire « éducation » terme qui, en fait, correspond souvent à ce que nous appelons « culture générale ».) ou K. ROBB, Literacy and Paideia in Ancient Greece (Oxford : University Press, 1994), 41, n.25. Ce dernier établit une nuance correcte entre éducation et culture : « The term paideia is normally translated “education,” which conjures up images of schools, texts, curricula, and the like that can be misleading for the Archaic period. The term “enculturation,” now commonly used by sociologists and some anthropologists and accepted by recent English dictionaries (as is paideia), comes closer to the Greek connotations ». En revanche, il accepte que le terme signifie « inculturation » dès le début, ce qui me semble excessif. D’autre part, il n’est pas étonnant que ces auteurs qui ont souhaité traiter du thème de la culture, aient associé le mot παιδεία avec ce concept, tant il s’agit de l’une de ces nuances principales. Il ne faut pas en conclure que le mot, même dans un grec utilisé par un public non judéo-chrétien ne signifie que cela. 3 H. PERDICOYIANNI, Étude lexicologique des familles de δαῆναι, de διδάσκειν et παιδεύειν d’Homère à Hippocrate (Athènes : Perdicoyianni, 1994), 223–226. Elle ne néglige cependant pas de préciser qu’il s’agit de la signification majoritaire mais non unique. L’autre signification porte sur l’éducation « physique » : « élever, nourrir,… ». 4 L.A. WARD, « Philosophical Allurements: Education and Argument in Ancient Philosophy » (Thèse de Doctorat, Duke University, 2011), 12–14.

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Troisième partie : La littérature grecque non judéo-chrétienne

homérique5. Pour Jaeger, il s’agit d’un « pur accident de transmission »6. Il est difficile de démontrer la thèse inverse7. Cependant, il convient de constater que nombre d’occurrences antérieures au quatrième siècle sont douteuses8 et que le lien entre éducation et παιδεύω est faible chez certains auteurs de l’époque 5

WARD, « Philosophical Allurements », 13 indique comment Homère utilise d’autre mots pour désigner la même réalité. Voir également J.H.H. SCHMIDT, Synonymik der griechischen Sprache (4 volumes, Leipzig : Teubner, 1876–1886), 102–105 qui traite de ἀτάλλω et ἀτιτάλλω dans son étude des synonymes de τρέφω et de παιδεύω. Ces verbes expriment davantage la relation d’amour qu’on peut éprouver pour son enfant (DELG). Ces verbes ne sont présents ni dans la Septante, ni dans le NT. PERDICOYIANNI, Étude lexicologique traite également des verbes δαῆναι et διδάσκω. 6 W. JAEGER, Paideia. La formation, 31 pour une critique et une mise en perspective de l’œuvre de Jaeger, voir p.9, n. 20. 7 Ainsi ROBB, Literacy, 33 suit Jaeger. Il indique notammant que : « What has emerged is that “Homer” for Archaic Greece – or whatever name was used very early for epical verse, if there was one – was a complex and surpassingly successful discourse of social education and control. The later Greek word for this phenomenon was paideia, a near-perfect choice » (ROBB, Literacy, 41, n.24). 8 JAEGER, Paideia. La formation, 556, n.1, appel de note de la page 333, se base sur un fragment attribué à Pindare, (PCF, 198a) pour indiquer que παιδεία possédait assez tôt la signification de formation et de culture. En fait, le vers attribué à Pindare est anonyme. Il se trouve en P.Paris 2 col. I.15–25 ; col. II.1–3 ; IIème siècle de notre ère, Memphis. Ce papyrus comporte un traité de dialectique utilisant des fragments de poètes. Ce traité a été attribué, avec quelques doutes (voir R. DUFOUR, Chrysippe. Œuvre philosophique [2 volumes, Collection fragments, Paris : les Belles Lettres, 2004], 196–197, n°163.1, n. 170), à Chrysippe et figure donc dans SVF, 2,53, fr. 180. L’attribution de ce vers anonyme à Pindare a été effectué à la première moitié du XIXe siècle par M. LETRONNE, Fragments inédits d’anciens poëtes grecs, tirés d’un papyrus appartenant au musée royal avec la copie entière de ce papyrus suivis du texte et de la traduction de deux autres papyrus appartenant au même musée, publiées de nouveau avec des additions (Paris : Firmin Didot, 1841), 5. Son argumentation repose sur le fait que ce vers parle à la première personne et qu’il décrit un homme éduqué à Thèbes. Or, Pindare est thébain et écrit parfois des autobiographies. Donc, le vers doit être de lui. Cette idée n’a jamais été remise en cause depuis, bien que Letronne évoque aussi Sophocle, Œd. Col. 919. L’attribution paraît alors incertaine. Pindare serait-il le seul auteur grec à parler de l’éducation thébaine ? De même, les datations des sentences attribuées aux sept sages, voir J. CHRISTES, « Sieben Weise », DNP 11 (2001), 526, celles attribuées à Ésope, voir M.J. LUZZATTO, « Aisop Roman », DNP 1 (1996), 362, et celle attribuée à Héraclite sont incertaines. Cette dernière ne se trouve qu’en Gnom. Vat. 314, parchemin du XIVème siècle. D’autre part, une certaine attention doit être portée aux commentaires et testimonia qui peuvent induire en erreur. Ainsi, le fragment de Sappho (SLG, S261 = P.Köln 2,61,fr1,8, IIème siècle de notre ère, Égypte, voir M. GRONEWALD, « Fragmente aus einem Sapphokommentar : Pap.Colon. inv. 5860 Tafel VI a.u. b », ZPE 14 [1974], 114), tout comme celui d’Alcman (SLG, S5 = P.Oxy, 37,2802,15, IIème siècle de notre ère, Oxyrhynque) sont en fait des commentaires plus tardifs. De même, la présence de παίδευμα attribuée à Hécatée de Milet (FGH 1, 1, fr. 33 = Élien le Sophiste, Nat. an. 13,22) est due à une paraphrase d’Élien. Enfin, tout aussi douteuse est la présence du composé ἐκπαιδεύω en Eschyle, Pers. 815. Le texte est corrompu et fait l’objet de nombreuses conjectures. Voir R.D. DAWE, Repertory of Conjectures on Aeschylus (Leyde : Brill, 1965), 54.

Chapitre 1 : Lexicographie

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classique tels Hippocrate9 ou encore Aristophane, par exemple dans Les Nuées où il discute de l’éducation athénienne 10 . Enfin, les mots de la famille de παιδεύω témoignent d’une utilisation non conforme à ce modèle : ils désignent parfois le fait d’être simplement élevé par sa famille 11 ou une prise de conscience12. Dans le cadre d’une étude du rapport entre les mots de la famille de παιδεύω et ceux de la famille de ‫יָסַר‬, deux autres problématiques apparaissent : 1. existe-t-il des témoignages, en dehors des textes judéo-chrétiens, qui montrent que les mots grecs sont utilisés avec une nuance de violence ? 2. que dit la littérature grecque classique de la relation entre la divinité et les mots de la famille de παιδεύω ? Pour avancer sur ces questions, la même méthode que celle prise pour étudier la racine ‫ יסר‬sera utilisée. Après une revue de l’étymologie, ces mots feront l’objet d’une étude lexicographique. La définition du champ sémantique sera suivie d’un paragraphe sur la relation de ces mots avec la divinité. Une plus grande attention sera donnée aux significations peu étudiées des mots de la famille de παιδεύω. Ainsi, pour les théories de l’éducation chez Platon, Aristote ou Isocrate, ou même pour des époques plus tardives, un certain nombre de références bibliographiques existent déjà13. 9 Une occurrence de παιδεύω en de arte 1,17, δυνάμενος δὲ διὰ σοφίην ᾗ πεπαίδευται « il est puissant par l’habilité (et pas forcément la sagesse, Cf. LSJ) à laquelle il a été formé (et pas forcément éduqué) » et une de παιδεία en de arte 9,4, où il est aussi question du pouvoir de ceux qui ont l’éducation (ou peut-être l’entraînement). 10 Une seule occurrence du verbe en Aristophane, Nub. 532, utilisée simplement pour exprimer le fait d’avoir été élevé par quelqu’un (et cela ne concerne pas la critique des sophistes). En revanche, en Ibid. 961, le mot παιδεία est utilisé pour désigner « l’ancienne éducation » (pour une description de l’ancienne éducation par rapport à l’éducation sophiste, voir HADOT, Arts libéraux, 12–13). Il n’est cependant pas certain qu’Aristophane le distingue clairement de τροφή, un exemple se trouve en Ibid. 986 où παίδευσις et τρέφω sont associés. De même, lorsque le charcutier des Cavaliers dit qu’il a été élevé dans l’Agora (Aristophane, Eq. 636), il n’est pas éduqué à la rhétorique puisqu’il prie cette même Agora de lui donner ce don. Il faut comprendre qu’il a passé sa jeunesse dans l’Agora. En revanche, Aristophane, Ran. 1502, demande à Eschyle de venir éduquer les idiots. Il s’agit d’une amélioration morale des spectateurs du festival de la Cité, voir K.J. DOVER, Aristophanic Comedy (Berkeley : University of California, 1972), a. l. et A.H. SOMMERSTEIN, The Comedies of Aristophanes. 3, Clouds (3ème édition, Classical Texts, Warminster : Aris & Phillips, 1991), l. 676–677. 11 C’est-à-dire y passer sa jeunesse, voir p. 163–164. 12 Voir p. 176–181. 13 Voir par exemple F.A. BECK, Bibliography of Greek education and related topics (Sydney : Beck, 1986), mais aussi MOUZE, Le législateur, 71–210, HADOT, Arts libéraux, 11– 24, G. ANDERSON, « The pepaideumenos in Action: Sophists and Their Outlook in the Early Empire », ANRW Part 2, Principat, 33.1, 105, n. 149 et les bibliographies des livres récents tels que ROBB, Literacy, G. ANDERSON, The Second Sophistic. A Cultural Phenomenon in the

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Troisième partie : La littérature grecque non judéo-chrétienne

Cette étude commence avec les occurrences les plus anciennes pour se terminer au quatrième siècle avec Libanios qui semble être le premier et le seul auteur païen à témoigner d’une utilisation de παιδεύω comme synonyme de punir14. La prise en compte d’auteurs tardifs pose la question de l’influence des écrits judéo-chrétiens sur les auteurs païens. Celle-ci est débattue15. Nous la supposerons faible mais pas forcément nulle. En effet, autant les chrétiens suivent une formation classique16, au point d’accéder parfois au professorat, autant les philosophes païens n’ont vraisemblablement pas suivi de catéchisme. Cependant, Libanios ayant eu des élèves chrétiens, sa langue a-t-elle pu être influencée par leurs usages non classiques, devenant de plus en plus communs ? Nous utiliserons également de temps à autres les fables et la sagesse gnomique grecque. Elles sont extrêmement difficiles à dater17. Les sentences sont regroupées chez Stobée, Diogène Laërte, dans des anthologies qui sont tardives. Elles prétendent remonter à certains philosophes aussi précoces que les présocratiques18, bien que certaines sentences sont attribuées diversement à plusieurs philosophes à la fois19 ce qui permet de douter de leur ancienneté. Bien évidemment, doute ne signifie pas fausseté et il serait dommage de négliger cette source qui fournit un autre angle de vue sur nos lemmes. D’autre part, un examen exhaustif des occurrences des mots de la famille de παιδεύω n’a pas été réalisé pour montrer l’ensemble des phénomènes historiques lié à ce mot. L’absence de ce lemme chez Homère est probablement significative de son apparition plus récente. D’autre part, l’utilisation par les tragiques d’une grande variété de nuances contraste avec le développement des significations proprement éducatives qui naissent avec Xénophon, Platon et Isocrate et se poursuivent ensuite.

Roman Empire (Londres : Routledge, 1993), ou encore Paideia: The World of the Second Sophistic (éd. par B.E. Borg, Millenium Studies, Berlin: de Gruyter, 2004). 14 Cf. p. 201. 15 Voir A.F. NORMAN, Libanios Selected Works (LCL, 3 volumes, Cambridge, Mass. : Harvard University, 1969–1977), 2, 239. 16 Libanios a eu des chrétiens comme élèves. 17 Voir D.M. SEARBY, Aristotle in the Greek Gnomological Tradition (AUU 19, Upsal : Uppsala University, 1998), 282–283, pour la difficulté d’authentifier formellement des sentences attribuées à Aristote. 18 Voir p. 146, n. 8 pour la difficulté de dater les témoins anciens. 19 Les proverbes gnomiques sont attribués parfois de manière hasardeuse, ce qui rend leur datation très douteuse. Ainsi certains d’entre eux peuvent être mis dans la bouche de trois auteurs différents (voir p. 160, n. 171), voire de quatre, p.196, n. 217).

Chapitre 1 : Lexicographie

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2. Étymologie Au contraire de ‫יָסַר‬, l’étymologie de παιδεύω est bien assurée. Elle dérive du substantif παῖς qui signifie « enfant » en tant qu’âge de la vie, dérivant vraisemblablement de la notion de petitesse20, alors que τέκνον marque mieux la filiation21. Le dénominatif en -εύειν désigne l’activité22. Perdicoyianni écrit que les verbes en -εύειν se divisent entre ceux qui mettent l’accent sur le sujet de l’activité, tel βασιλεύω « régner » désignant littéralement « agir en roi (βασιλεὐς) 23 », et ceux qui mettent l’accent sur l’objet de l’activité comme παιδεύω dont la signification fondamentale est « agir envers quelqu’un en tant qu’il est un enfant ». Le substantif παιδεία est le nom verbal de παιδεύω24. Il marque une abstraction25 : le fait de s’occuper d’un enfant.

3. Usages du verbe παιδεύω a. Description générale de la conjugaison Le verbe παιδεύω est un verbe d’action. Il est transitif. La voix passive ne développe pas de nuance spécifique 26 . Elle est principalement utilisée pour mettre l’accent sur la personne qui est éduquée et faire une ellipse sur l’éducateur perçu comme institutionnel ou familial 27 . La voix moyenne est fréquemment synonyme de la voix active 28 mais elle peut également être synonyme de la voix passive29. 20

DELG, s.v. « παῖς ». DELG, s.v. « παῖς ». 22 PERDICOYIANNI, Étude lexicologique, 81, A. DEBRUNNER, Griechische Wortbildungslehre (Indogermanische Bibliothek 2, Sprachwissenschaftliche Gymnasial Bibliothek 8, Heidelberg : Carl Winters, 1917), §210. 23 Selon l’exemple pris par PERDICOYIANNI, Étude lexicologique, 81. 24 DELG, s.v. « παῖς ». 25 Pour les mots en –εία qui permettent de substantiver les verbes en –εύω, voir DEBRUNNER, Wortbildungslehre, §287.299. 26 Hormis sa construction spécifique avec ἐπί, il est utilisé de la même façon que la voix active (Cf. GI). 27 PERDICOYIANNI, Étude lexicologique, 162–166. 28 Deux fragments attribués à Euripide, fr. Nauck 945, 1068. (Cf. PERDICOYIANNI, Étude lexicologique, 166) ; Platon, Crit. 54a, Men. 93d, Menex. 238b, Resp. 546b ; Denys d’Halicarnasse, Ant. Rom. 8,28,5, Lucien Patr. 1 ; Héliodore, Aeth. 8,8,5. 29 Cf. Dion Chrysostome, Or. 58,2, où Achille déclare qu’il veut quitter son éducateur Chiron afin d’être réellement éduqué. Peut-être Achille emploie-t-il ce moyen pour signifier qu’il décide lui-même de se former. Cependant, cette dernière nuance est ailleurs signifiée par l’usage du pronom réflexif αὑτός (Sophocle, Trach. 451) ou ἑαυτοῦ (τὴν ἑαυτοῦ παιδείαν, Claude Galien, Hipp. fract. Comm. vol. 18b, p343). 21

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Troisième partie : La littérature grecque non judéo-chrétienne

Les conjugaisons les plus présentes sont le présent mais aussi le parfait30. Cela est notamment dû au participe parfait πεπαιδευμένος31, souvent utilisé comme substantif. Il apparaît pour la première fois chez Isocrate où il est utilisé en parallèle avec φιλόσοφος32. Isocrate définit ce qu’est un πεπαιδευμένος dans son discours panathénaïque33. Cette importance du parfait témoigne aussi de la préférence que porte le Grec sur le résultat de l’éducation plutôt que le processus. L’idéal pour le Grec est d’être un homme qui a été éduqué. Les autres conjugaisons sont très rares. Par exemple, l’impératif ne se trouve guère plus d’une dizaine de fois34. b. La rection La construction fondamentale relie un sujet animé 35 avec un animé à l’accusatif36. Cet animé est, le plus souvent, un homme37, mais il est fréquent qu’il s’agisse d’un animal 38 . De manière métaphorique, il s’agit parfois aussi de l’esprit 39 ou de la qualité d’un homme 40 . En dehors de la construction fondamentale, ce verbe s’emploie également en double accusatif avec l’accusatif

30 Environ 2000/2500 emplois chacun, statistique basée sur une analyse rapide du matériel donné par TLG. (Prenant donc en compte des auteurs de l’époque byzantine, l’important de cette statistique est surtout de déterminer les conjugaisons les plus utilisées plus que d’en déterminer le nombre exact). 31 Qui a également donné l’adverbe πεπαιδευμένως « à la manière d’un πεπαιδευμένος » (e.g. Isocrate, Bus. 30). 32 Isocrate, Hel. enc. 66. 33 Isocrate, Panath. 30–32. Un tel homme n’est pas seulement un expert ou un savant mais un homme sage capable de jugement. Voir aussi Xénophon Mem. 4,7,2 indiquant qu’un tel homme ne doit pas s’adonner au-delà de la mesure aux sciences les plus ardues. 34 Les seules utilisations comparables à l’impératif de ‫ יָסַר‬se trouvent dans les sentences attribuées aux sept sages où l’on demande d’éduquer ses fils ou ses proches, par exemple Υἱοὺς παίδευε cité notamment par Stobée, Ant. 3,1,173. Une demande de prise en charge de l’éducation d’un esclave dans le testament de Lycon, rapporté par Diogène Laërce, Vit. philos. 5,73. Défense ironique est faite à Pythagore d’éduquer, Plutarque, Lat. viv. 1128F. Harmonide demande à Timothée de lui apprendre l’art de jouer de la flûte (Lucien, Harm. 1). 35 Avec parfois quelques sujets « métaphoriques » tels que la pensée (Sophocle, Phil. 1361) ou encore la raison (Hippocrate, De Arte 1). 36 Exemple, Sophocle, Trach. 451 ; Euripide, Suppl. 917. 37 Incluant les femmes (Xénophon, Oec. 7,4.7). 38 Surtout le cheval (Xénophon, Eq. 5,1 ; Pausanias Descr. 6,24,2 ; Élien le Sophiste, Nat. an. 6,10 ; Libanios, Decl. 28,1,8 ; Galien, Adhort. 6), voir aussi p. 192–194, mais parfois aussi un oiseau (Xénophon, Cyr. 1,6,39), voir également SCHMIDT, Synonymik, 100. 39 Τὰς ψυχὰς παιδεύειν (Isocrate, Areop. 43). 40 Sophocle, Aj. 595; Aristote, Rhet. 1389b11-12.

Chapitre 1 : Lexicographie

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de la chose enseignée41 ou de la nourriture donnée42. Lorsque le verbe est utilisé avec seulement l’accusatif de la chose enseignée, l’accusatif de la personne qui subit l’action est implicite43. On trouve également d’autres constructions. Avec la préposition περί suivie de l’accusatif, on indique à quel métier ou à quel enseignement est éduquée une personne44. Cette construction est synonyme de celle comportant la préposition ἐπί suivie de l’accusatif, spécifique à la voix passive45. La construction avec πρός suivie de l’accusatif indique plus spécifiquement la visée de l’éducation46. Une telle nuance peut également être exprimée par l’utilisation d’un infinitif47 ou alors avec la préposition ὥστε48. Le verbe est fréquemment construit avec la préposition ἐν suivie du datif49. La différence de cette construction avec celle comportant un simple datif est souvent ténue. Elle pourrait correspondre à la différence, en français, entre « éduquer à la musique » et « éduquer dans la musique ». La première construction marquant une entrée dans une matière spécifique, la seconde désignerait plutôt le fait d’être exercé ou habitué à quelque chose sur le long terme50. En revanche, la préposition ἐν n’introduit pas l’agent éducateur dans

41 Il devient dans ce cas quasiment synonyme de διδάσκω. Cf. PERDICOYIANNI, Étude lexicologique, 82. Voir par exemple Xénophon, Cyr. 1,6,20 ; Platon, Resp. 414d. 42 TrGF 4,648 = Erotianus, Voc. Hipp. π.32 attribué à Sophocle. 43 Platon, Eryx. 402d ; Aristote, Pol. 1337b23. 44 Xénophon, Ap. 29 ; Aristote Pol. 1282a4 ; Plutarque, Dion 11.4. 45 Cf. GI. Voir par exemple Xénophon, Cyn. 13.3, Platon, Hipparch. 228e. 46 Πρὸς τὸν πόλεμον « à la guerre », Xénophon, Cyn. 12,1, πρὸς ἀρετήν « à la vertu », Isocrate, Archid. 102 ou Plutarque, Gen. Socr. 576E, πρὸς ἀνδρείαν « au courage », Lycurgue, Leo. 107, πρὸς τὴν πολιτείαν « à la citoyenneté », Aristote, Pol. 1310a19. 47 Il est également dans ce cas quasiment synonyme de διδάσκω. Cf. PERDICOYIANNI, Étude lexicologique, 82–83. Voir par exemple « apprendre à monter à cheval, tirer à l’arc et dire la vérité », Hérodote, Hist. 1.136 ; « Apprendre à gérer la stratégie », Xénophon, Cyr. 1,6,12 ; « Apprendre à commander », Xénophon, Mem. 2,1,3. 48 « Apprendre à croire », Isocrate, Aréop. 20, « Apprendre à servir », Xénophon, Mem. 1,6,39, « Apprendre à être capable de quelque chose », Xénophon, Oec. 7,7. 49 Bien évidemment quand ἐν ne désigne pas le lieu de l’éducation (e.g. Strabon, Geogr. 3,4,3 ; Plutarque, Quaest. conv. 657E). 50 Ainsi, les personnes décrites par Platon sont-elles éduquées « dans » ou « à » la musique, « dans » ou « à » la gymnastique (avec simple datif, Platon, Resp. 430a, avec ἐν suivi du datif, Platon, Crit. 50e). On se pose la même question pour la vérité en Xénophon, Cyn. 12,8 ou la citoyenneté en Aristote, Pol. 1310a16. Il est cependant plus vraisemblable que les Athéniens soient éduqués « dans » les coutumes (ἦθος) d’Athènes (Isocrate, Paneg. 82) et Cyrus « dans » les lois perses (Xénophon, Cyr. 1,2,2) et « à » une certaine παιδεία (Xénophon, Cyr. 1,3,1). Enfin, c’est bien dans la remémoration de l’exemple des morts que les Athéniens sont éduqués (Lysias, Ep. 3). Voir aussi Lysias Ep. 69.

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Troisième partie : La littérature grecque non judéo-chrétienne

le cas d’un verbe au passif51. Cela est réservé à la préposition ὑπό52 ou παρά53. Ces deux prépositions peuvent également introduire l’agent de manière 54 , particulièrement quand elles introduisent un malheur, une épreuve. Certaines constructions plus rares méritent d’être notées. La préposition εἰς suivie de l’accusatif est parfois synonyme de la construction avec πρός 55 . Cependant, en vertu de l’étymologie de εἰς 56 , cette construction est parfois synonyme de celle avec la préposition ἐν suivie du datif 57 . On trouve plus tardivement μετά suivi du génitif58 comme synonyme de ἐν suivi du datif. c. Les composés En dehors du fréquent συμπαιδεύομαι, « être élevé ensemble »59, les composés sont assez rares. À l’époque classique, on trouve προπαιδεύω « préparer à l’éducation » 60 , ἀναπαιδεύω « rééduquer » 61 et διαπαιδεύομαι « prendre une leçon » 62 . À l’époque hellénistique, apparaissent ἐκπαιδεύω, quasiment synonyme de παιδεύω63, avec peut-être une nuance exprimant le résultat ou

51 Ainsi, ἐν τοῖς ἀναγκαιοτάτοις παιδεύεται (Thucydide, Hist. 1,84,4) ne signifie pas « il fut éduqué par les plus rudes contraintes » mais bien « dans les plus rudes contraintes ». Cf. également ἐν ταῖς ἰδίαις ἀτυχίαις παιδεύεσθαι, Polybe, Hist. 29,20,4. De même, ὅτι δεῖ τὸν θεὸν τοῦτον ἐν πλείοσι μέτροις νυμφῶν τιθασευόμενον καὶ παιδευόμενον ἡμερώτερον ποιεῖν καὶ φρονιμώτερον Plutarque, Quaest. conv. 657E, explique pourquoi il faut toujours boire du vin coupé avec de l’eau : Dionysos, symbole du vin, doit être accoutumé (παιδευόμενον) aux Nymphes, symbole de l’eau. Voir également Platon, leg. 773c–d. 52 e.g. Isée, Ast. 27 ; Xénophon, Symp. 4,45 ; Polybe, Hist. 10,22,1. 53 Diodore de Sicile, Bibl. 4,76,4, Dion Chrysostome, Or. 58,2, ἐπαιδεύετο παρὰ γραμματικοῖς τε καὶ ῥήτορσιν, Claude Galien, Hipp. fract. Comm. vol. 18b, p343. Très rarement ἐκ (Strabon, Geogr. 16,1,18). 54 Πεπαιδευμένος ὑπὸ τοῦ νόμου καλῶς, Aristote, Pol. 1287b25 ; παιδεύομεν ὑπὸ κωμῳδίαις καὶ τραγῳδίαις, Lucien, Anach. 22. 55 « Au commandement », Xénophon, Mem. 2.1.9, « à la vertu », Xénophon, Cyn. 13.5 ; Platon, Gorg. 519e. 56 I. SOISALON-SOININEN, « Ἐν für εἰς in der Septuaginta », VT 32 (1982), 190. 57 Pace GI. Voir également « Un homme qui observe est éduqué du fait du malheur des autres » Βλέπων πεπαίδευμ’ εἰς τὰ τῶν ἄλλων κακά, Ménandre, Sent. 121. 58 Le premier témoin de cet usage est le deuxième livre des Maccabées (2 Mc 6,16 ; 10,4). On le trouve ensuite chez Jamblique, Vit. Pyth. 31,213 et Libanios Ep. 426,2. 59 Isocrate, Antid. 161.207 ; Xénophon, Oec. 5, 14 ; Polybe, Hist. 6,44,9. 60 Platon, Resp. 536d, Aristote, Pol. 1337a19. 61 Aristophane, Eq. 1099. 62 Hapax legomenon en Xénophon Cyr. 1,2,15. 63 Quelques occurrences en grec classique, Euripide, Cycl. 276 ; Platon, Crit. 45d dues à la possible influence de ἐκτρέφω. Ce verbe est surtout utilisé à l’époque romaine (Dion Cassius, Hist. Rom. 45,30,3 ; 46,6,2).

Chapitre 1 : Lexicographie

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l’achèvement 64 , ἐμπαιδεύω, « éduquer dans » 65 et μεταπαιδεύω, « rééduquer »66. Le verbe καταπαιδεύω « châtier sévèrement » est une intensification du verbe παιδεύω au sens de la Septante, il n’est utilisé que par Cyrille d’Alexandrie67. d. Les synonymes et parallèles Chez les tragiques, l’association entre les verbes παιδεύω et τρέφω, ou l’un de ses composés, est observée pour la première fois pour désigner la totalité de l’éducation 68 , il est probable que τρέφω désigne l’éducation maternelle et παιδεύω l’éducation qui suit le moment où l’enfant quitte sa mère, ainsi que le rapportent Hérodote69 et Aristote70 qui assignent à chaque parent son rôle : la mère nourrit, le père éduque. Utilisé dans toute la littérature grecque 71 , ce binôme, auquel se rajoute parfois le verbe γίγνομαι72 ou γεννάω73, ou encore ποιέω74, au sens d’adopter, permet d’identifier un homme par sa naissance, la 64 J. BERTRAND, Nouvelle grammaire grecque (3ème édition revue et augmentée. Paris : Ellipses, 2010), §202. Voir également les autres verbes d’enseignement composés avec le même préverbe : ἐκδιδάσκω, ἐκμανθάνω, ἐκτρέφω. 65 La présence dans un fragment attribué à Euripide, (Nauck 413) est probablement due à un accident dans la chaine de transmission. Le fragment est donné par Stobée, Anth. 4, 29d, 66 et les plus anciennes attestations du verbe datent du troisième siècle (Philostrate l’Athénien, Vit. soph., 1,21,3, Olearius p. 516). 66 Première apparition chez Lucien, Anarch. 17 ; Pseudol. 13 ; Lex. 21, voir p. 182. 67 e.g. Glaph. vol 69, p. 413.653. 68 Aristophane, Nub. 532 avec ἐκτρέφω. 69 Hérodote, Hist. 1,136, Voir également R. KASSEL, « Quomodo quibus locis apud veteres scriptores Graecos infantes atque parvuli pueri inducantur describantur commemorentur », Rudolf Kassel, kleine Schriften (éd. par H.-G. Nesselrath, Meisenheim : Hain, 1954, réimpression Berlin : de Gruyter, 1991), 65. 70 Aristote, Oec. 1344a7. 71 Principalement avec τρέφω, (Platon, Crit. 45d ; Resp. 376c, Aristote, Eth. Nic. 1162a7, Polybe, Hist. 10.22.1, Diodore de Sicile, Bibl. 4,10,2, Denys d’Halicarnasse, Ant. Rom. 4,4,8, Longus, Daphn. 3,23,2, Hermogène, prog. 7 ligne 28 et pour la littérature biblique et parabiblique de langue grecque, Philon d’Alexandrie, Somn. 2,147) mais aussi avec ἐκτρέφω (Platon, Crit. 50e, 51c, 54a, Dion Chrysostome, Or. 44,10) ou ἀνατρέφω (première apparition en Ac 7,20-22 ; 22,3, Cf. également W.C. VAN UNNIK, « Tarsus or Jerusalem, The City of Paul's Youth », Evangelia, Paulina [Volume 1 de Sparsa collecta, Supplements to Novum Testamentum 29, Leyde : Brill, 1973], 259–320, mais présent aussi chez Lucien, Patr. 1). On trouve également associés les dérivés nominaux παιδεία et τροφή (Platon, Menex, 237b, Resp. 412b.450c, Aristote, Eth. Nic. 1161a17, Denys d’Halicarnasse, Ant. Rom. 4,4,4, Athénée, Deipn. 11,4), ainsi que παιδεία et ἀνατροφή (Denys d’Halicarnasse, Rhet. 6,3). Il ne semble pas y avoir d’exemple avec les dérivés nominaux παιδεία et ἐκτροφή. 72 Isocrate, Panath. 198 ; Platon, Epin. 973d ; Plutarque, Quaest. conv. 727B. 73 Première apparition chez Philon, Flacc. 158, Leg. all. 1.99 mais présent aussi chez Jamblique, Vit. Pyth. 31,231. 74 Démosthène, Boeot. 2,26.

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façon dont il a été nourri, la façon dont il a été éduqué moralement et intellectuellement75. On trouve cependant d’autres parallélismes : 1. l’amour parental : ἀγαπάω76, στέργω77; 2. la conduite, au sens où s’occuper d’un enfant, c’est également le mener, le diriger : ἐπιτροπεύω être régent78, ἄγω79, ἄρχω80; 3. l’éducation : διδάσκω81, γυμνάζω82, μανθάνω83, même quand ce processus est difficile84 : κολάζω « corriger »85, τιθασεύω « domestiquer »86 ainsi que διαπονέω « travailler dur »87; 4. le savoir, la sagesse, la vertu : φιλοσοφέω 88 , λαμβάνω τὴν ἐπιστήμην 89 , φρόνιμον γίγνομαι90, σωφρονέω91; 5. la nature, au sens où l’éducation permet d’obtenir des qualités qu’un enfant ou un homme ne possède pas par nature : φύω92.

75 Voir S. ŽEBELEV, « L’abdication de Pairisadès et la révolution scythe dans le royaume du Bosphore », REG 49 (1936), 31. Il s’agit réellement d’un topos qu’on peut observer dans le NT (Ac 22,3, Cf. VAN UNNIK, « Tarsus or Jerusalem », 281) et aussi chez Philon, Leg. all. 1,99 ; Flacc. 158 Concernant Moïse, Philon (Flacc. 46) tout comme Josèphe (Ant. 2,238) disent qu’il est né et a été nourri en Égypte mais ne précisent pas qu’il y fut éduqué (au contraire de Ac 7,20-22). 76 Démosthène, Boeot. 2,8. 77 Libanios, Decl. 43,2,76. 78 Isocrate Big. 27. 79 Plutarque Apoph. lac. 227B. 80 Lettre d’Antigone à Zénon cité par Diogène Laërce, Vit. philos. 7,7. 81 Platon, Leg. 812a ; Theag. 122e, Démosthène Steph 1,72. 82 Platon, Resp. 526b. 83 Xénophon, Mem. 4,1,4 ; Platon, Resp. 442a , Libanios, Ep. 752,1. 84 Bien que παιδεύω lui-même ne porte pas cette nuance violente ou difficile. 85 Platon, Resp. 559b. 86 Plutarque Quaest. conv. 657E. 87 Diodore de Sicile, Bibl. 4,10,2. 88 Isocrate, Nic. 9. 89 Isocrate Antid. 187. 90 Diodore de Sicile, Bibl. 9,10,2. 91 Plutarque Marc. 2,5. 92 Isocrate Antid. 187 ; Platon, Resp. 451c. Cyrus accomplit par l’éducation une nature déjà portée vers le commandement (Xénophon, Cyr. 7,2,24), Cf. aussi H. WILMS, Techne und Paideia bei Xenophon und Isokrates (BzAl 68, Stuttgart : Teubner, 1995), 117.

Chapitre 1 : Lexicographie

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4. Usages du substantif παιδεία et des autres substantifs dérivés a. La rection Le substantif παιδεία est peu associé avec les mêmes prépositions que le verbe παιδεύω93. Il régit plutôt de nouvelles prépositions. Ainsi, la construction avec ἐκ désigne le peuple fournissant l’éducation94 ou la matière enseignée95. D'autre part, le génitif que suit parfois ce substantif désigne l’éduqué96 ou le peuple qui porte cette éducation97 ou encore la matière enseignée98, mais pas l’éducateur. b. Les collocations Parmi les verbes qui régissent habituellement ce substantif, on trouve des verbes relativement neutres tels que γιγνώσκω99 ou οἶδα100 signifiant qu'une παιδεία est apprise. D’autres verbes indiquent qu’une παιδεία est enseignée, avec λέγω101, ἀποδίδωμι102, ἐκμανθάνω103, διδάσκω104, φιλοσοφέω105 et bien sûr la figure étymologique παιδείαν παιδεύω106. Cette figure marque en fait l'achèvement d'une formation. Cela est également signifié par des verbes tels que διέρχομαι107 ou simplement le verbe « avoir » ἔχω108 mais aussi par des 93

τὴν παιδείαν τὴν περὶ τοὺς λόγους, Isocrate, Ep. 5,4 ; ἐπὶ φιλοσοφίαν d’Épicure, cité par Athénée, Deipn. 13,588a ; εἰς ἀρετήν Platon, Min. 320b, εἰς φιλοσοφίαν, Lucien, Demon. 12 ; τῆς ἐν λόγοις παιδείας Photius, Bibl. 176, p.120b abrégeant Théopompe ou encore τὴν ἐν παισὶ παιδείαν, Claude Galien, Hipp. fract. Comm. Vol. 18b, p35 ; παιδεία πρὸς τὴν ἀρετήν, Proclus, Pr. Eucl. Elem. p. 20, l. 13, on trouve également avec ὑπό (Platon, Leg. 695a, Xénophon, Mem. 2,1,34 avec παίδευσις) ou παρά (Lucien, Alex. 2). 94 Par exemple, les Perses en Xénophon, Cyr. 8,8,15. La préposition παρά est également possible : τῆς παρὰ Χείρωνι παιδείας, Libanios, prog. 8,1,4. 95 τὴν ἐκ τῶν γραμμάτων συγκειμένην παιδείαν (Diodore de Sicile, Bibl. 12,13,3) ou τὴν ἐκ φιλοσοφίας παιδείαν (Diodore de Sicile, Bibl. 16,20,2). 96 τὴν μὲν τῶν παίδων παιδείαν, Xénophon, Cyr. 8, 3, 37, τὴν τῶν νεανίσκων παιδείαν, Platon, Lach. 180c, τὴν τῶν νέων παιδείαν, Aristote, Pol. 1337a12. 97 Αἰγύπτου παιδείαν, Euripide, Tro. 129. 98 τὴν τῶν λόγων παιδείαν, Isocrate, Antidot. 189.296, παιδείαν ἀρετῆς Platon, Clit. 407c. 99 Isocrate, Antidot. 214. 100 Athénée, Deipn. 7,13. 101 Aristophane Nub. 961, Aristote, Rhet. 1365b34. 102 Platon, Resp. 451e, Aristote, Pol. 1264a32. 103 Denys d’Halicarnasse, Ant. Rom. 1,84,5. 104 Diodore de Sicile, Bibl. 1,67,9 ; 17,110,3. 105 Démosthène Erot. 43. 106 Xénophon, Cyr. 8,3,37, Démosthène Lacr. 42, Échine, Ctes. 148, Plutarque, Alex. 21,9 ; Claude Galien, Hipp. fract. Comm. vol. 18b, p. 343, Aelius Aristide, Or. 35 Jebb. p. 59. 107 Xénophon, Cyr. 1,5,1, Diodore de Sicile, Bibl. 1,92,5. 108 Aristote Pol. 1342b32, Cébès, Tab. 35,4 ; Plutarque, Comp. Lyc. Num. 4,6, Dion Chrysostome, Or. 4,31 ; Aelius Aristide, Or. 27 Jebb p.241.

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verbes marquant l’expertise109. On ne trouve pas de collocation avec le verbe ἀκούω110 : le substantif n’est pas utilisé pour désigner un discours. Cependant, une relation affective est également soulignée par des collocations spécifiques : 1. des verbes exprimant la décision et la motivation de l’élève à suivre cette éducation : ἄγω111 « prendre », ἀκολουθέω112 « suivre », προαιρέω113, ἐπιδείκνυμι 114 ou ἀποδέχομαι 115 « choisir », συνοράω 116 « faire attention », ζηλόω 117 « être zélé », δέχομαι118 ou λαμβάνω 119 « prendre ». Il convient de la chercher120, d’y adhérer121, de la pratiquer122, de l’honorer123 et de l’aimer124; 2. des verbes exprimant le rejet de cette éducation : ἀποδοκιμάζω 125 , διαβάλλω126, διαφθείρω127, διαφεύγω128, ἀνατρέπω129 ou encore παραιρέω130, très rarement ὀλιγωρέω131. c. Les composés Les composés sont rares. On trouve προπαιδεία 132 « enseignement préliminaire » et ψευδοπαιδεία. Ce dernier composé marque l’importance de l’éducation pour la vertu. Suivre une mauvaise éducation peut mener au vice. 109

Par exemple ἡγέομαι, Isocrate Demon. 33. Voir par contraste Xénophon, Oec. 21,11, où il dit qu’il ne suffit pas d’une leçon entendue, il faut une éducation. 111 Cébès, Tab. 12,3. 112 Aristote, Pol. 1293b37. 113 Isocrate Ep. 5,4. 114 Xénophon, Anab. 4,6,15, Cyr. 4,2,45. 115 Démosthène Ep. 5,3. 116 Polybe, Hist. 1,35,9. 117 Diodore de Sicile, Bibl. 2,55,2. 118 Platon, Leg. 832d. 119 Eschine, Tim. 11. 120 εὑρίσκω (Isocrate Antidot. 211.275). 121 ἀντέχω (Platon, Resp. 492c), προσποιέω (Plutarque, Luc. 1,5). 122 μεταχειρίζω (Platon, Resp. 498b), ἀσκέω (Plutarque, Aem. 6,8 ou une sentence attribuée à Aristote par Stobée, Anth. 2,31,30). 123 θαυμάζω (Plutarque, Conj. praec. 146A, Lucien, Philops. 34), τιμάω (Élien le Sophiste, Var. hist. 9,1). 124 ἀγαπάω, Isocrate, Panath. 263, seule occurrence dans la littérature classique. 125 Isocrate, Antidot. 203, Aristote, Pol. 1341b9. 126 Isocrate, Antidot. 285. 127 Platon, Leg. 695a. 128 Platon, Leg. 880e. 129 Eschine, Tim. 187. 130 Plutarque, Lib. ed. 5F. 131 Plutarque, Gen. Socr. 579C. 132 Platon, Resp. 536d. 110

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Il est utilisé essentiellement pour être opposé à la « véritable éducation (ἀληθινὴ παιδεία) » dans le Pseudo-Cébès133. d. Les synonymes et parallèles Le substantif παιδεία désigne soit le processus éducatif lui-même, soit son résultat, soit le contenu ou la manière de l'enseignement. Cette distinction se retrouve dans les parallèles qui lui sont associés, reliés et utilisés au même cas134. 1. Des mots relatifs à la naissance, la nature : a. la naissance : γενεά135, εὐγένεια136; b. la nature : φύσις137, à la fois opposée et complémentaire138. 2. Des mots relatifs au processus éducatif : a. l’éducation familiale, surtout τροφή et ses composés139; b. l’entraînement, l’éducation formelle, tels que ἀγωγή140. 3. Des mots désignant le contenu ou la manière d’un enseignement. Selon ces nuances, παιδεία peut être utilisée au pluriel141. On trouve :

133

e.g. Cébès, Tab 11,1 ; 12,1.3 ; 14,4. Voir également p. 214–217. On citera par exemple la sentence attribuée au sage Pittakos, citée par Stobée, Anth. 3,1,172 θεράπευε εὐσέβειαν, παιδείαν, σωφροσύνην, φρόνησιν, ἀλήθειαν, πίστιν, ἐμπειρίαν, ἐπιδεξιότητα, ἑταιρείαν, ἐπιμέλειαν, οἰκονομίαν, τέχνην. 135 Xénophon, Cyr. 1,1,2 ; 2,1,1–2. 136 Platon, Menex. 237a ; Aristote, Pol. 1293b37 ; Aelius Aristide, Or. 27 Jebb p 241. 137 Xénophon, Cyr. 1,1,6 ; 2,1,1–2 ; Hippocrate, De Arte 9 ; Diodore de Sicile, Bibl. 3,65,6. 138 La sentence attribuée à Aristote par Diogène Laërce, Vit. philos. 5,18 propose la nature comme une condition de l’éducation : τριῶν ἔφη δεῖν παιδείᾳ, φύσεως, μαθήσεως, ἀσκήσεως : « il disait que trois choses étaient nécessaires à la Παιδεία : la nature, l’étude, l’entraînement ». De même, celle attribuée à Platon par Gnom. Vat. 439 : Ὁ αὐτὸς ἔλεγεν ὅτι ὁ παιδευόμενος τριῶν τούτων χρῄζει·φύσεως, μελέτης, χρόνου : « le même disait que celui qui est en train d’être éduqué a besoin de trois choses : la nature, l’exercice, le temps » (voir SEARBY, Aristotle, 172–174). 139 L’association avec τροφή, fréquente chez Platon (Menex, 237b, Resp. 412b, 450c ,…), se trouve également chez Aristote, Eth. Nic. 1161a17, Denys d’Halicarnasse, Ant. Rom. 4,4,4, Athénée, Deipn. 11,4,… Il ne semble pas y avoir d’occurrence avec παιδεία et ἐκτροφή. Une occurrence reliant παιδεία et ἀνατροφή peut se lire en Denys d’Halicarnasse, Rhet. 6,3. 140 Diodore de Sicile, Bibl. 1,53,2, Plutarque, Comp. Lyc. Num. 4,5, Dion Chrysostome, Or. 7,149. 141 Désignant des exercices pratiques : Thucydide, Hist. 2,39,1 ; Aristote, Oec. 1344a27 (Ici, Aristote désigne le processus permettant de former un esclave), désignant un enseignement, Diodore de Sicile, Bibl.1,43,6, Lucien, Anach. 20. 134

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a. le savoir tels que διδασκαλία 142 , μάθημα 143 , φιλοσοφία 144 , ou ἐλευθέριος 145 qui désignent un type d’enseignement spécifique à Athènes. On trouve l'association avec ἀρχαῖος désignant l'ancienne éducation face aux nouvelles méthodes apportées par les sophistes 146 , et avec des adjectifs exprimant la totalité 147 pour désigner l'ensemble de la connaissance148; b. la pratique d’une science, d’un art ou d’un métier : γραμματική149, μουσική150 τέχνη151. Ce parallélisme explique l'utilisation par Euripide152 pour qui la παιδεία de l'Égypte est la maîtrise technique de ses artisans153 ; c. Les exercices d'entraînements : γυμνασία154 ou κατάρτυσις155.

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Plutarque, Lib. ed. 3B. Plutarque, Cat. Maj. 23,3. 144 Platon, Ep. 328a, Resp. 498b ; Plutarque, Ages. 27,4 ; Strabon, Geogr. 14,5,13. 145 Avec ἐλευθέριος, Diodore de Sicile, Bibl. 13,27,12. 146 Aristophane, Nub. 961. 147 πᾶς (Platon, Resp. 543a ; Leg. 660e), ὅλος (Jamblique, Vit. Pyth. 27,130) ἄλλος, pour compléter une liste : περὶ τὴν γραμματικὴν καὶ τὴν μουσικὴν καὶ τὴν ἄλλην παιδείαν (Isocrate, Antid. 267 voir aussi Strabon, Geogr. 14,5,13) mais surtout ἐγκύκλιος (Diodore de Sicile, Bibl. 33,7,7 où il est dit que Viriathe – voir p. 175 – était ignorant de l’ἐγκύκλιος παιδεία, voir HADOT, Arts libéraux, 264 ; Denys d’Halicarnasse, Dem. 15 ; Athénée, Deipn. 4,83). 148 Voir cependant la thèse de HADOT, Arts libéraux, 263–293 qui concerne la notion de l’ἐγκύκλιος παιδεία. Cette notion apparaît très rarement à l’époque hellénistique et n’est principalement utilisée qu’à partir de l’époque impériale. Hadot renonce à l’hypothèse dominante de voir dans cette notion la totalité du contenu des sept arts libéraux que suivrait tout homme libre. Il s’agit plutôt d’une notion complexe préalable à la philosophie qui exprimerait le fait que toutes les sciences sont reliées comme un tout organique. Cette notion ne serait pas destinée à tous les πεπαιδευμένοι. 149 Isocrate, Antidot. 267. 150 Isocrate, Antidot. 267. 151 Isocrate, Antidot. 201 ; Platon, Epin. 989a ; Prot. 312b où l’art d’un métier particulier s’oppose à la παιδεία, art de la vertu, Aristote, Pol. 1337a2 ; Diodore de Sicile, Bibl. 1,43,6. 152 Euripide, Tro. 129. 153 Il faut également mentionner la thèse de Wilms pour qui la notion de παιδεία dans les œuvres de Xénophon et d’Isocrate et de toute la littérature grecque, est basée sur la τέχνη (voir notamment WILMS, Techne und Paideia, 316–318). 154 Polybe, Hist. 1,1,2. 155 Plutarque, Them. 2,8. 143

Chapitre 1 : Lexicographie

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4. Des mots relatifs au résultat de l'éducation : a. la sagesse, σοφία156, σύνεσις157, φρόνησις158, ἐπιμέλεια159 et enfin la raison, ou l’éloquence, λόγος160; b. un comportement, une habitude de vie ἔθος161, νόμιμα162 ; c. une vertu ἀρετή163, σωφροσύνη164, φιλανθρωπία165, ἀνδρεία166;

156 L’utilisation de ces deux mots, au même nombre et au même cas, et reliés par une conjonction de coordination, se rencontre pour la première fois dans la Septante (PrLXX 1,2.7 ; 15,33, Sir prol., 3 ; 1,27 ; 4,24 ; 6,18) ainsi que chez Philon (e.g. Somn. 2.71). Elle se trouve également chez Diodore de Sicile, Bibl. 9.1.1 : σοφίᾳ δὲ καὶ παιδείᾳ πάντας τοὺς καθ’ ἑαυτὸν ὑπερβεβληκώς « surpassant ses contemporains en sagesse et en éducation ». Aelius Aristide, Or. 1 Jebb p. 182 loue ses interlocuteurs, les Athéniens, qui sont capables de mener tout homme et tout peuple vers la sagesse et la παιδεία. En revanche, l’emploi chez Lucien n’est pas sans possibilité d’interprétation s’agissant de la qualité du peuple égyptien, Cf. Lucien, Philops. 34 : θαυμάσιος τὴν σοφίαν καὶ τὴν παιδείαν πᾶσαν εἰδὼς τὴν Αἰγύπτιον, « admirable connaisseur de la sagesse (ou de l’habilité) et de la science (ou de la technique) des Égyptiens ». 157 Démosthène, Ep. 3,11 où ces deux qualités sont l’apanage d’Athènes (voir aussi Diodore de Sicile, Bibl. 1,96,1), Démosthène, Cor. 127 ; Échine, Ctes. 260. Ces deux dernières références s’appellent l’une l’autre. Dans les deux cas σύνεσις et παιδεία permettent de discerner entre le bien et le mal. Dans les deux cas, l’orateur fait appel au Soleil et à la Terre, quoique Démosthène se moque d’un orateur prenant le tour d’Échine. La comparaison de l’éducation avec le soleil se trouve également dans une maxime attribuée à Héraclite, FragVor 1,134 (=Gnom. Vat. 314) : τὴν παιδείαν ἕτερον ἥλιον εἶναι τοῖς πεπαιδευμένοις « L’éducation est un autre soleil pour les hommes éduqués ». 158 Dion Chrysostome, Or. 26,7. 159 Isocrate, Antidot. 214. 160 La polysémie du mot λόγος rend l’interprétation parfois délicate. Diodore de Sicile, Bibl. 13,27,1 traite de l’éloquence. En revanche, c’est bien la raison, et non l’éloquence, ainsi que la παιδεία qui manque au jeune et fougueux Thémistocle, Plutarque, Them. 2,7. La compagnie des Muses adoucit les hommes par la παιδεία et le λόγος qui peut ici signifier « raison » ou « éloquence » (Plutarque Cor. 1,5). Voir également Plutarque, Cic. 4,7 où il n’est finalement pas évident de savoir si καὶ ταῦτα Ῥωμαίοις διὰ σοῦ προσγινόμενα, παιδείαν καὶ λόγον désigne la science et l’éloquence ou la culture et la raison, même ambiguïté chez Dion Chrysostome, Or. 33,60. Par contre, quand le mot λόγος est utilisé au pluriel, il s’agit de la rhétorique. Ainsi Dion Cassius, Hist. Rom. 72,31,3 rapporte que Marc-Aurèle, en visite à Athènes, établit une chaire impériale de grammaire (voir aussi HADOT, Arts libéraux, 247). 161 Aristote, Pol. 1288b1, Dion Chrysostome, Or. 44,11. T. SCHMITZ, Bildung und Macht, Zur sozialen und politischen Funktion der zweiten Sophistik in der griechischen Welt der Kaiserzeit (Zetemata 97, Munich : C.H. Beck, 1997), 137, a raison de critiquer L. ROBERT, « AΡΧAΟΛΟΓΟΣ », REG 49 (1936), 245, παιδεία ne s’oppose pas à ἔθος. 162 Aristote, Rhet. 1366a5. 163 Platon, Leg. 659a.757c ; Aristote, Pol. 1291b29 ; Aelius Aristide, Or. 3 Jebb p.192. 164 Diodore de Sicile, Bibl. 3.70.1 ; Dion Chrysostome, Or. 33.22, Lucien, Imag. 11 ; voir également le titre d’un ouvrage de Théophraste rapporté par Diogène Laërce (Vit. philos. 5,50) : Περὶ παιδείας ἢ περὶ ἀρετῶν ἢ περὶ σωφροσύνης. 165 Aelius Aristide, Or. 3 Jebb p.233. 166 Dion Chrysostome, Or. 4,31.

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Troisième partie : La littérature grecque non judéo-chrétienne

d. La citoyenneté, πολιτεία167, les lois (νομοί)168; 5. Enfin des qualificatifs plus divers : a. un qualificatif élogieux tels que πλοῦτος169, ἀξίωμα170, ou encore κόσμος171: la παιδεία est un ornement et donc un but à atteindre : l'homme éduqué est digne d'éloges ; b. un qualificatif de réconfort ou de support tels que ἐφόδιον172, καταφυγή173 ou παραμυθία174. Le mot παιδεία désigne également un état de l’homme, non seulement une « culture » mais aussi une « civilisation ». Elle n'est pas exclusive d'Athènes ni de Sparte, puisqu'elle se trouve associée avec la Perse175, l'Égypte176 ou encore, entre autres, avec les Tyrrhéniens (Τυρρηνικός) 177 . Cependant, elle reste le principal marqueur de l’identité grecque178 et se retrouve souvent associée avec un nom ou un adjectif lié à l'hellénisme tel que Ἑλληνικός179.

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Aristote, Pol. 1264a38. Platon, Leg. 952d. 169 Aristote, Eth. Eud. 1214b8. 170 Lucien, Peregr. 19. 171 Voir SEARBY, Aristotle, 177–178 qui propose trois exemples : Ἡ παιδεία εὐτυχοῦσι μέν ἐστι κόσμος, ἀτυχοῦσι δὲ καταφύγιον, « l’éducation est pour les chanceux un ornement et pour les malchanceux un refuge », sentence attribuée à Démocrite par Stobée, Anth. 2,31,58 et à Aristote par Diogène Laërce, Vit. philos. 6,68, Gnom. Vat. 50 ainsi que par Stobée Anth. 2,31,58 dans une version légèrement différente et enfin à Socrate par Jean Chortasménos, Ep. 23. Voir également la sentence p. 160, note 174. Enfin, avec κοσμέω : Οὗτος ἐρωτηθείς, τί τῶν ζῴων κάλλιστον, ἔφη· ἄνθρωπος τὴν ψυχὴν παιδείᾳ κεκοσμημένος « on lui demanda quel est le meilleur parmi les vivants, il répondit : un homme ayant orné son âme par la Paideia » (attribuée à Aristote par Stobée Anth. 2,31,47). 172 κάλλιστον ἐφόδιον τῷ γήρᾳ τὴν παιδείαν ἔλεγε : « il disait que l’éducation est la meilleure provision pour la vieillesse », sentence attribuée à Aristote selon Diogène Laërce, Vit. philos. 5,21. 173 Ou καταφύγιον, Cf. première sentence de la note 171, p. 160. 174 τὴν παιδείαν εἶπε τοῖς μὲν νέοις σωφροσύνην, τοῖς δὲ πρεσβυτέροις παραμυθίαν, τοῖς δὲ πένησι πλοῦτον, τοῖς δὲ πλουσίοις κόσμον εἶναι, « il disait que l’éducation est la prudence pour les jeunes, une consolation pour les vieux, une richesse pour les pauvres, un ornement pour les riches », sentence attribuée à Diogène le cynique par Diogène Laërce, Vit. philos. 6,68. 175 Xénophon, Cyr. 8,8,15. 176 Euripide, Tro. 129. 177 Denys d'Halicarnasse, Ant. Rom. 3,46,5. 178 MARROU, Histoire, 1, 152–153. 179 Diodore de Sicile, Bibl.1,67,9 ; Plutarque, Alex. 21,9 ; Cat. Maj. 2,5 ; Marc. 1,3 ; Diogène Laërce, Vit. philos. 9,13. 168

Chapitre 1 : Lexicographie

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e. Les substantifs dérivés Les principaux substantifs dérivés180 sont παιδευτής, παίδευμα et παίδευσις. Par leur construction 181 , les deux derniers sont synonymes de παιδεία. Ils développent toutefois un champ sémantique moins large. Ainsi, παίδευμα désigne ce qui est éduqué, qu’il s’agisse d’un homme 182 ou d’un enseignement 183 tandis que παίδευσις signifie le processus éducatif 184 ainsi que son résultat185. Le mot qui désigne l’agent éducateur186 est παιδευτής. Il apparaît pour la première fois chez Platon où il est associé avec les sophistes pour désigner ironiquement un mauvais éducateur187. Cela provient certainement du mépris que porte Socrate à la prétention des sophistes d’éduquer les hommes, comme le rappelle Protagoras : ὁμολογῶ τε σοφιστὴς εἶναι καὶ παιδεύειν ἀνθρώπους (Platon, Prot. 317b) Être sophiste et éduquer les hommes c’est la même chose.

Il existe également trois composés avec ἀ privatif : ἀπαίδευτος, ἀπαιδευσία et ἀπαιδευτέω. Le substantif ἀπαίδευτος ne désigne pas l’enfant qui doit être éduqué mais l’adulte qui ne l’a pas été. Il devient synonyme de stupide. Ainsi, la locution οὐκ ἀπαιδεύτως ἔχει188 signifie : « ne pas être stupide ». Le cyclope

180 Les autres dérivés peuvent être rapidement mentionnés : l’art des sophistes est qualifié de δοξοπαιδευτικός, qui n’a que l’apparence d’une éducation, Platon, Soph. 223b. On trouve également les composés εὐπαίδευτος et εὐπαιδευσία, la bonne éducation (LSJ), παιδευτέος, « qui doit être éduqué » (e.g. Platon, Resp. 402c) et πεπαιδευμένως, « d’une manière qui est celle de quelqu’un qui est éduqué, synonyme de « sagement » (Isocrate, Bus. 30 ; Athénée, Deipn. 5, 2 ; Élien le Sophiste, Var. hist. 12,1.). 181 DELG, s.v. « παῖς ». 182 Euripide, El. 887 et son synonyme ἐκπαίδευμα Euripide, Cycl. 601. 183 Platon, Leg. 747c. 184 e.g. Platon, Resp. 424a : « die Tätigkeit des Lehrers » (SCHMIDT, Synonymik, 100). 185 Aristophane, Thesm. 175. 186 Le suffixe -της désignant l’agent (Cf. REDARD, les noms grecs, 5). Ce suffixe est peu fréquent dans la littérature homérique et se développe ensuite de manière importante, principalement pour désigner l’agent d’activités poétiques et scientifiques, voir G. REDARD, les noms grecs en -ΤΗΣ, -ΤΙΣ et principalement en -ΙΤΗΣ, -ΙΤΙΣ, Étude philologique et linguistique (Études et commentaires 5, Paris : Klincksieck, 1949), 223. Redard ne traite pas du terme παιδευτής qui s’inscrit cependant assez bien dans sa thèse. 187 Ces éducateurs sont mauvais car lorsqu’ils ne persuadent pas par la raison, ils le font par la violence : ἢ οὐκ οἶσθα ὅτι τὸν μὴ πειθόμενον ἀτιμίαις τε καὶ χρήμασι καὶ θανάτοις κολάζουσι; « Ne sais-tu pas qu’ils punissent celui qui ne se laisse pas convaincre en le condamnant à perdre ses droits civiques, à une amende ou à la mort ? » (Platon, Resp. 492d). 188 Euripide, Ion 247.

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Troisième partie : La littérature grecque non judéo-chrétienne

Polyphème est correctement qualifié d’ἀπαίδευτος189. Un tel personnage s’oppose évidemment au πεπαιδευμένος 190 mais aussi à celui qui possède la raison191. Il s’agit de quelqu’un qui se situe du côté de la nature sauvage et non domestiquée192, du côté des champs et non de la ville193, des barbares et non des hellènes194, de la mort et non de la vie195. Il a une moralité douteuse : il est méchant 196 ou insolent 197 et a un comportement difficile 198 . Il n’a pas de raison199. Ce substantif est parfois mis en relation avec un qualificatif positif, tel que la beauté ou la richesse, pour signaler que la bonne fortune ne suffit pas200. Le substantif ἀπαιδευσία désigne l’absence d’éducation. Il qualifie un acte ou une parole impertinente 201 . L’association de l’ἀπαιδευσία avec la puissance amène la catastrophe202. Enfin, le verbe ἀπαιδευτέω est un verbe d’état qui désigne le fait d’être un ἀπαίδευτος (LSJ). 189

Euripide, Cycl. 493. Ainsi, Diogène Laërce rapporte trois sentences commençant par : ἐρωτηθεὶς τίνι διαφέρουσιν οἱ πεπαιδευμένοι τῶν ἀπαιδεύτων, « on lui demanda en quoi se différenciait l’homme éduqué de l’homme sans éducation ». La réponse apportée est à chaque fois différente, attribuée respectivement à Chilon, à Aristippe et Aristote, Cf. Diogène Laërce, Vit. philos. 1,69 ; 2,69 ; 5,19. Voir également ANDERSON, « The Pepaideumenos », 105–106. 191 Isocrate, Panath. 218. 192 Avec ἄγριος, Platon, Gorg. 510b ; Dion Chrysostome, Or. 32,63 voir aussi la sentence gnomique ἔφη τοὺς ἀπαιδεύτους μόνῃ τῇ μορφῇ τῶν θηρίων διαφέρειν, « il a dit que les hommes sans éducation ne diffèrent des bêtes sauvages que par la forme », attribué à Cléanthe par Stobée, Anth. 3,4,89 et à Aristote par Stobée, Anth. 2,31,64 et Gnom. Vat. 146. 193 Avec ἄγροικος, Platon, Theaet. 174d, avec ἰδιώτης Plutarque, Comp. Arist. Men. Compend. 853B. 194 Aristote, Pol. 1338b19–20 ; Plutarque, Lyc. 27,3 ; Lucien, Dial. Mort. 25,3. 195 Une sentence attribuée à Aristote par Diogène Laërce, Vit. philos. 5,19. Voir également la comparaison entre celui qui manque d’éducation et un « Zombie » dans Gnom. Vat. 55. 196 Démosthène, Lept. 119. 197 Avec ὑβριστής, Eschine, Tim. 137. 198 ἀπαίδευτος καὶ σκληρὸς τὸ ἦθος, Plutarque, Cim. 1,3. 199 Principalement avec ἀμαθής, Xénophon, Mem.4,1,4 ; Plutarque, Princ. iner. 782E ; Dion Chrysostome, Or. 13,27 ; 20,16 ; Lucien, Dial. Mort. 1,2 ; mais aussi avec ἠλίθιος, Aristote, Rhet. 1395a6, παχύς, Lucien, Alex. 17. 200 Voir par exemple Ὁ αὐτὸς τοὺς εὐειδεῖς καὶ ἀπαιδεύτους ὁμοίους ἔφησεν εἶναι ἀλαβάστροις ἔχουσιν ὄξος, « le même disait que ceux qui sont beaux et ignorants sont semblables à une jarre à vin contenant du vinaigre (attribué à Théophraste par Gnom. Vat. 336) » ou τὸν πλούσιον καὶ ἀπαίδευτον ἔφησε ῥύπον περιηργυρωμένον, « il disait que le riche sans éducation était un excrément plaqué or (attribué à Philippe [d’Oponte ?] par Gnom. Vat. 546, pour d’autres définition du « riche inculte », voir également Gnom. Vat. 216 ; 484) ». 201 Platon, Prot. 347c, parfois due à la colère, Thucydide, Hist. 3,42.84. 202 ὥσπερ φησὶν ἡ παροιμία, κόρος μὲν ὕβριν, ἀπαιδευσία δὲ μετ’ ἐξουσίας ἄνοιαν, « comme le dit le proverbe, la puissance amène l’insolence, le manque d’éducation avec le pouvoir amène la folie (Stobée, Anth. 3,3,25) ». 190

Chapitre deux

Définition du champ sémantique 1. Nourrir Les occurrences anciennes ne remontent pas plus loin qu’Eschyle, Sept. 181. Les mots de la famille de παιδεύω n’y ont pas encore la notion d’éducation formelle qu’ils ont prise ultérieurement2. Proche du sens porté par l’étymologie, ces mots signifient « nourrir » et sont synonymes de τρέφω3. Ainsi, on trouve un emploi du verbe attribué à Sophocle où il désigne l’acte de nourrir un bébé avec du lait4. Les termes de la famille de παιδεύω ont gardé bien plus tard cette signification liée au sevrage. Ainsi, lorsque le grammairien du Vème ou VIème siècle de notre ère, Hésychius d’Alexandrie, doit définir παιδεύω, il utilise le verbe τρέφω comme synonyme5. Cependant, cela est peu fréquent et se trouve uniquement associé aux plantes et aux animaux. Par exemple, Théophraste l'utilise pour signifier la croissance d'une plante6, Athénée rapporte un dit de Nausicrate expliquant que la rivière Æxone nourrit les poissons7.

1 Où il signifie jeunesse (voir p. 164). Pour la question des éventuelles attestations plus anciennes, voir p. 146, n. 8. 2 Il n’est pas toujours évident de bien distinguer le sens réel dans ces textes. Ainsi, ἀεί τι καινὸν ἡμέρα παιδεύεται (Eurípides, fr. Nauck 945= Orion, Flor. 8,1), « Le jour enseigne toujours quelque chose de neuf », selon M. HAFFNER, Das Florilegium des Orion (Palingenesia 75, Suttgart : Franz Steiner, 2001), 224. Mais PERDICOYIANNI, Étude lexicologique, 166 préfère « faire naître ». 3 Voir par exemple l’utilisation du tour παιδείου τροφή en Sophocle, Ant. 918, utilisant l’adjectif παίδειος, signifiant : « qui est relatif aux enfants ». 4 TrGF 4,648 = Erotianus, Voc. Hipp. π.32. PERDICOYIANNI, Étude lexicologique, 140 propose que « le lait » soit le sujet et non l’objet du verbe παιδεύω, cela ne fait cependant guère de sens. Bien entendu, il est possible que ce fragment ne soit pas de Sophocle. Cependant, rien ne l’interdit a priori. 5 Hésychius d’Alexandrie, Lex., π.59. On trouve aussi παιδοτροφέω. Photius, Lex. 2, p. 318 utilise ce même verbe et non τρέφω. Pour la question de l’indépendance d’Hésychius d’avec la tradition judéo-chrétienne, voir p. 200, note 235. 6 Théophraste, Caus. plant. 3,7,4. 7 Athénée, Deipn. 7, Kaibel p. 325

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Troisième partie : La littérature grecque non judéo-chrétienne

2. Éduquer8 a. Passer sa jeunesse quelque part À la voix passive, le verbe signifie « être élevé ». Il ne faut pas conclure trop rapidement à une éducation formelle et étatique mais plutôt « avoir passé sa jeunesse quelque part ». Sophocle raconte comment Thésée9 déclare avoir été élevé en terre étrangère. Euripide écrit que Parthénope est élevé en Argos 10. Il décrit également l’enfance d’Ion avec παιδεύω11. Lysias fait également l’éloge des jeunes qui, une fois la guerre terminée, reviennent dans leur terre natale pour terminer leur éducation ou leur jeunesse12. Le substantif παιδεία désigne occasionnellement la période de la vie : « jeunesse »13. Il est possible que ces occurrences dérivent étymologiquement par allongement métrique du substantif παιδιά « enfance » (DELG, s.v. παῖς). Il n’est pas toujours évident de bien définir la différence entre « l’éducation » et « la jeunesse », comme dans ce vers d’Euripide : ἐξ ἀρχᾶς λόχιαι στερρὰν παιδείαν Μοῖραι συντείνουσιν θεαί, (Euripide, Iph. Taur. 205–207). Dès l’origine, celles qui sont préposées à la naissance, les divines Moires, ont dirigé une jeunesse cruelle14.

Les commentateurs de ce passage ont interprété παιδεία comme l’éducation ou la culture15 d’une jeune fille. D’autres, se basant sur la Septante, voit dans ce substantif un châtiment16. Il s’agirait plutôt plutôt de sa jeunesse, c’est-à-dire de la période pendant laquelle elle est élevée. Le texte, en effet, dit plus loin qu’Iphigénie ne fut élevée (τρέφω) que pour être immolée. La forme στερρὰν 8 Ce thème est abondamment étudié par les chercheurs. Le thème de l’éducation dans les différentes périodes depuis la Grèce archaïque jusqu’à l’Antiquité tardive dépasse largement l’objet de cette thèse. Ce paragraphe ne saurait être qu’un abrégé de cette notion. Pour la bibliographie, voir note 13, p. 147. 9 Sophocle, Œd. Col. 562, voir aussi Ménandre, Aspis 293. 10 Euripide Suppl. 891, voir aussi Aristophane, Eq. 636. 11 Euripide, Ion 822, 953. 12 Lysias, Ep. 53. 13 DELG, s.v. « παῖς » voir Théognis, El. 1305, 1348 ou Eschyle, Sept. 18, (PERDICOYIANNI, Étude lexicologique, 173–174 traduit ici par « nourriture ». En fait le contexte est relativement corrompu, Cf. G.O. HUTCHINSON, Aeschylus. Septem Contra Thebas (Oxford : Clarendon Press, 1985), 45–46 et il n’est pas évident de déterminer le sens exact de παιδεία). Cette signification est donnée par un auteur aussi tardif que Photius, Lex. 2, p. 319 : παιδείαν : παιδικὴν ἡλικίαν, litt. « l’âge de la vie (correspondant à) l’enfance ». 14 Voir LSJ. 15 PERDICOYIANNI, Étude lexicologique, 223. 16 TGL y voit la seule occurrence non judéo-chrétienne pour laquelle παιδεία signifie « châtiment ».

Chapitre 2 : Définition du champ sémantique

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ne décrit pas une jeunesse « difficile » mais plutôt le destin « cruel » que les Moires ont destiné à Iphigénie : sitôt sa jeunesse ou sa période d’enfance (παιδεία) terminée, elle est immolée17 ! Le cas est plus clair chez Lysias, avec οἶδ᾽ ἐκ παιδείας φίλος18. Il affirme qu’une certaine personne n’était pas un ami depuis l’enfance19. Quand on sait d’où vient un homme, par qui il a été nourri et par qui il a été formé, on peut alors déterminer ses capacités techniques morales et culturelles. Un fragment attribué à Pindare20 indique que la Cité de Thèbes produit des hommes qui sont liés aux Muses. L’éducation étatique est une marque d’identité avant d’être un système éducatif. Cela explique pourquoi les Grecs en sont très fiers21. Avec Isocrate22, cette identification sera tellement assumée qu’elle transcendera l’origine ethnique : « on appelle Grecs ceux qui partagent notre culture 23 plutôt que notre origine ». Les Grecs ressentiront que cette παιδεία qui les caractérise en tant que Grec est en fait destinée à tous les hommes24. Cette a été mise en place par une série de crise au 4ème siècle avant notre ère, la première étant la confrontation avec Sparte et la Perse. b. Le modèle spartiate et perse Thucydide n’emploie παιδεύω et παιδεία qu’en relation avec Sparte. Le verbe apparaît deux fois dans le discours du roi lacédémonien Archidamos. Ce dernier loue « l’éducation » de son peuple : εὔβουλοι δὲ ἀμαθέστερον τῶν νόμων τῆς ὑπεροψίας παιδευόμενοι καὶ ξὺν χαλεπότητι σωφρονέστερον ἢ ὥστε αὐτῶν ἀνηκουστεῖν (Thucydide, Hist. 1,84,3) Et (nous sommes) de bons conseils, étant élevé trop stupidement pour prendre les lois de haut, et, avec l’aide de la sévérité, trop prudemment pour leur désobéir.

17 Voir P. KYRIAKOU, A Commentary on Euripides’ Iphigenia in Tauris (UaLG 80, Berlin : de Gruyter, 2006), 101 qui insiste sur le fait que les Moires ne président pas à la naissance mais au destin. Il faut donc comprendre que la vie d’Iphigénie fut douce et joyeuse jusqu’à son immolation par son père. 18 Lysias, Poly. 11. 19 Ainsi SCHMIDT, Synonymik, 101 écrit « Ich verstehe nicht wie man hier erklären kann „ἐκ παιδείας φίλος, ein Schulfreund“ ». 20 PCF 198a, pour la mise en cause de cette attribution, voir p. 146, n. 8. 21 Cf. la plus belle d’entre les belles choses : l’éducation grecque (Libanios, Or. 11,270). 22 Isocrate, Paneg. 50. 23 Παίδευσις. 24 Il est usuel de souligner ici que Cicéron traduit παιδεία par humanitas, voir MARROU, Histoire, 1, 152 et P. BLOMENKAMP, « Erziehung », RAC 6 (1966), 515. Une autre traduction latine est urbanitas (BOMPAIRE, Lucien, 94). Dans tous les cas, ces traductions latines montrent que cette nuance de παιδεία transcende le simple processus éducatif pour être ce qui constitue l’homme ou le citoyen.

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Troisième partie : La littérature grecque non judéo-chrétienne

κράτιστον δὲ εἶναι ὅστις ἐν τοῖς ἀναγκαιοτάτοις παιδεύεται (Thucydide, Hist. 1,84,4) Et le meilleur est celui qui est élevé dans25 les plus rudes contraintes.

En disant cela, Archidamos ne loue pas uniquement le « système éducatif » mais il loue plutôt sa ville. À Sparte, les hommes grandissent de telle manière qu’ils forment de bons combattants. En cela, le verbe est encore relié à sa signification ancienne, proche de τρέφω. Cependant, ce qui est neuf, c’est que les spartiates ont mis en place un système dans lequel l’éducation n’est pas confiée aux parents mais à la Cité. Ce point est commun avec la Perse. En effet, Xénophon décrit l’éducation commune de son temps où chaque père éduque son enfant comme il l’entend pourvu qu’il respecte un certain nombre de prescriptions morales26. Il loue cependant l’Etat perse pour avoir mis en place des lois qui permettent d’atteindre la vertu. En effet, quand il s’agit de Sparte ou de la Perse, le verbe παιδεύω et le substantif παιδεία sont utilisés pour décrire la façon dont les jeunes sont formés par l’Etat, et non par la famille, pour devenir de redoutables combattants. Xénophon dans sa Constitution des Lacédémoniens fait un grand usage de ces deux termes dans cet esprit. La comparaison est constamment faite entre l’éducation spartiate et celle des autres cités. Quand il décrit cette éducation, elle devient synonyme d’entraînement militaire. La Perse est également perçue comme un État particulièrement efficace dans la formation d’une élite militaire27. Le verbe παιδεύω est en relation avec l’obéissance se trouve dans la Cyropédie de Xénophon jusqu’à Libanios qui explique que Julien a entraîné ses soldats à l’obéissance28. La formation militaire, qu’elle soit de Sparte ou de Perse, produit des hommes qui sont ensuite capables de prendre des responsabilités civiles29. Ce qui explique également la fascination qu’aura ce genre de système éducatif aux yeux des philosophes grecs 30 . Ainsi, Xénophon montre que le but de l’éducation des Perses n’est pas seulement de former de bons combattants et de bons commandants, mais aussi des hommes bons : ἄνδρες ἀγαθοί31.

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Voir p. 152, note 51. Xénophon, Cyr. 1,2,2. 27 Xénophon, Cyr. 1,2,13, Hérodote, Hist. 1,136. 28 Libanios, Or. 18,229. 29 Xénophon, Cyr. 1,2,13. 30 JAEGER, Paideia. La formation, 112–118, MARROU, Histoire, 1, 51–52. Pour ne prendre qu’un exemple, Socrate prétend que l’éducation spartiate forme des hommes sages (Platon, Prot. 342d–343a). 31 Xénophon, Cyr. 1,2,5.15. Cf. WILMS, Techne und Paideia, 119 et SEARBY, Aristotle, 272 qui observe également cette association chez Platon, Leg. 641b. 26

Chapitre 2 : Définition du champ sémantique

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Ces formations de longue haleine sont surtout reconnues pour former l’homme tout entier, dans tous les domaines. Cambyse critique l’expert en tactique venu enseigner son fils : il n’a rien dit au sujet de la logistique, de l’hygiène ou de la motivation des troupes. Un tel « expert » ne vaut pas grand-chose32. Mais faire de l’élève un savant universel n’est pas suffisant, il faut faire de lui un homme vertueux33 : c’est à dire un homme qui sait discerner où se trouve son devoir, où se trouve sa possibilité d’accomplir son exploit34. C’est plus précisément l’entraînement militaire qui impose une morale, qui transcende l’individualisme initial de l’ἀρετή : on ne combat plus pour sa propre gloire mais pour la patrie, on meurt pour elle35. Cependant, l’éducation, parce qu’elle habitue l’homme à un mode de vie depuis son enfance, peut également avoir un impact mauvais36. Pour revenir à Thucydide, l’oraison funèbre déclamée par Périclès est, en quelque sorte, la réponse à Archidamos. Périclès marque bien son désaccord avec Sparte. Celui-ci loue les qualités des Athéniens en opposant son système éducatif, basé sur la liberté, à celui des Lacédémoniens37: καὶ ἐν ταῖς παιδείαις οἱ μὲν ἐπιπόνῳ ἀσκήσει εὐθὺς νέοι ὄντες τὸ ἀνδρεῖον μετέρχονται, ἡμεῖς δὲ ἀνειμένως διαιτώμενοι οὐδὲν ἧσσον ἐπὶ τοὺς ἰσοπαλεῖς κινδύνους χωροῦμεν (Thucydide, Hist. 2,39,1–2).

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Xénophon, Cyr. 1,6,12–15. En ce qui concerne le terme ἀρετή, il faut avoir à l’esprit son histoire : ce terme ne désigne une valeur abstraite de vertu qu’à la fin d’un long processus, démarrant certainement depuis les exploits solitaires d’un héros. Voir JAEGER, Paideia. La formation, 31–32, MARROU, Histoire, 1, 36, 42, 60, K. PAPADEMETRIOU, « From the Arete of the Ancient World to the Arete of the New Testament : a Semantic Investigation », Septuagint Vocabulary: Pre-History, Usage, Reception (éd. par E. Bons et J. Joosten, SBLSCS 58, Atlanta, Ga. : SBL, 2011), 46–49. 34 Xénophon Cyr. 5,2,17–19 décrivant qu’un Perse bien élevé (ou bien entraîné) se comporte de manière sage et modéré dans un banquet car il faut toujours être prêt et respecter les convives qui sont aussi des soldats qui partagent le même risque. 35 Cf. JAEGER, Paideia. La formation, 220–229. 36 Voir Sophocle Trach. 451 ou encore Hérodote, Hist. 1.155, qui indique que le fait d’apprendre la musique et non l’art militaire va transformer les hommes en femmes et les empêchera de se soulever contre leur nouveau maître. Voir aussi le fragment attribué à Démocrite : FragVor 178 = Stobée, Anth. 2,31,56 : πάντων κάκιστον ἡ εὐπετείη παιδεῦσαι τὴν νεότητα· αὕτη γάρ ἐστιν ἣ τίκτει τὰς ἡδονὰς ταύτας, ἐξ ὧν ἡ κακότης γίνεται. « Le pire de tout pour éduquer (habituer) les jeunes est la facilité : cela, en effet, engendre ces plaisirs dont le mal dérive ». 37 Les dernières contributions à la pensée de l’éducation n’opposent cependant pas totalement l’éducation spartiate à l’ancienne éducation athénienne (i.e. l’éducation présophistique), Cf. J. CHRISTES, « Erziehung », DNP 4 (1998), 111–112. 33

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Troisième partie : La littérature grecque non judéo-chrétienne

En ce qui concerne les exercices pour la jeunesse, alors que les uns cherchent à mener leurs jeunes vers la virilité simplement par une discipline douloureuse, et bien nous, vivant à notre aise, n’en sommes pas moins prêts à rencontrer les dangers qui conviennent 38.

Il est important ici de noter le pluriel. Il ne s’agit pas encore de l’éducation au sens classique du terme, mais plutôt des exercices à destination des enfants. Périclès oppose au contexte spartiate la libéralité athénienne. Cependant, la défaite finale contre Sparte provoquera une grave crise dans la pensée athénienne : la victoire des Spartiates est-elle finalement due à la παιδεία, la manière dont ils s’occupent de leurs enfants ? Si oui, quelle doit être celle d’Athènes ? c. L’apparition du πεπαιδευμένος 39 Derrière le système éducatif mis en place, c’est bien le problème de la vertu (ἀρετή) qui apparaît. Ce thème ne signifie pas tant un bon comportement qu’une adaptation à un contexte donné40. Par exemple, lorsque les femmes sont l’objet du verbe παιδεύω, il s’agit de former des épouses vertueuses mais surtout attentionnées à l’économie domestique41. La vieille éducation familiale d’Athènes est marquée par l’image du père qui éduque son fils en vue de sa moralité. La mention la plus ancienne se trouve chez Euripide42 : οὗτω παῖδας εὖ παιδεύετε (Euripide, Suppl. 917) Vraiment, éduquez bien vos enfants

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À savoir tous les dangers sauf ceux qu’on se crée par démesure (Cf. A.W. GOMME, A Historical Commentary on Thucydides [5 volumes : Oxford : Clarendon Press, 1945–1981], 2, 117–118). 39 Ce paragraphe n’a pas la prétention de remplacer, ni même de faire la synthèse de la question de l’éducation à Athènes en général et chez les philosophes Platon, Aristote ou Isocrate. Pour cela, on se référera par exemple à BGE. 40 Le terme ἀρετή est de même étymologie que ἄριστος. Ce dernier terme désignant celui qui est apte, qui est compétent. Voir PAPADEMETRIOU, « From the Arete», 45–46. 41 Voir SLG, S261 = P.Köln 2,61,fr1,8, IIème siècle de notre ère, Égypte, dans ce qui apparaît être un commentaire de Callias sur Sappho voir p. 146, n. 8. Pour d’autres exemples, voir également Euripide, Andr. 600–601, Xénophon, Oec. 7,4.7, un commentaire de Diogène Laërce, Vit. philos. 1,91 sur une sentence attribuée à Cléobule. On se rappellera également l’argument du In Neaeram de Démosthène où il est prétendu que l’épouse d’un Athénien n’est en fait pas Athénienne mais qu’elle fut achetée jeune par une affranchie qui avait mis en place un trafic d’épouses, l’ayant élevée et éduquée et proposée comme épouse à cet Athénien (Démosthène, Neaer. 18). 42 Voir également Platon, Crit. 54a.

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Euripide utilise le verbe pour produire une figure étymologique. Il ne semble pas distinguer clairement de τρέφω, présent en tant que parallèle aux lignes 911 et 917. Les orateurs classiques doivent fréquemment plaider des affaires d’héritage pour lesquelles avoir été éduqué par quelqu’un donne droit, pour un enfant adopté, à une part d’héritage43. À Athènes, cette éducation laisse la place à une éducation personnalisée, fournie par les sophistes44. La pression devait certainement devenir assez forte : l’éducation familiale n’était plus suffisante pour assurer la bonne intégration d’un enfant dans la société athénienne45. Le point lexicographique essentiel à cette période est l’éloignement sémantique de παιδεύω et de τρέφω46. En effet, παιδεύω prend une valeur causative, « faire donner une éducation à quelqu’un » 47 . Cette formation, parfois donnée par un précepteur, explique pourquoi les relations entre le disciple et le maître peuvent également être définies avec le verbe παιδεύω 48 . Le Centaure Chiron est réputé comme l’éducateur idéal Achille et de nombreux autres héros; ce qui fut une source d’inspiration pour la littérature grecque49. 43

Isocrate Aeginet. 13 ; Démosthène, Boeot. 2 8.26.50 où l’argument tient en ce que Mantithèos réclame sa part de dot. Pour démontrer que ses adversaires ne peuvent s’y opposer, il indique comme évident qu’il a été éduqué par son père qui a légalement épousé sa mère, tandis que ses adversaires ne sont pas des enfants légitimes. 44 C’est la thèse de Jaeger qui prétend que l’Athènes de l’âge classique, nouvel état bourgeois, reprend à l’aristocratie précédente l’idéal de l’ἀρετή, mis au service cependant non pas de l’héroïsme individuel, comme chez Homère, ou de la morale guerrière, comme à Sparte, mais au service de la vie politique de la Cité. Si on ne veut pas dépendre d’un unique personnage charismatique au risque de la tyrannie, il faut bien que plusieurs puissent prendre la place. Pour ce faire, il faut en former de nombreux (JAEGER, Paideia. La formation, 335–337). Cette thèse est nuancée par MARROU, Histoire, 1, 85 pour qui il ne s’agit pas tant pour les sophistes de remplacer l’aristocratie que de promouvoir une nouvelle forme de réussite sociale. 45 Comme le rappelle une sentence gnomique : τῶν γονέων τοὺς παιδεύσαντας ἐντιμοτέρους εἶναι τῶν μόνον γεννησάντων· τοὺς μὲν γὰρ τὸ ζῆν, τοὺς δὲ τὸ καλῶς ζῆν παρασχέσθαι, « ils sont plus honorables les parents qui éduquent que ceux qui engendrent simplement : les premiers apportent la vie alors que les seconds apportent la bonne vie » (attribué à Aristote par Diogène Laërce, Vit. philos. 5,19, sur la postérité de cette sentence et notamment sur le fait qu’elle apparaît initialement comme opposant les parents et les maîtres, voir SEARBY, Aristotle, 178–180). 46 Peut-être est-elle également concomitante à l’éloignement apporté par les sophistes entre la culture et la nature (Cf. CHRISTES, DNP 4, 112) ? 47 Antiphon, Tetr. 2,2,3, Diodore de Sicile, Bibl. 9,22,1 voir aussi Plutarque, Lib. ed. 4A qui appelle les pères à s’occuper de la bonne éducation de leur enfant, la même œuvre rappelle les risques d’une éducation peu soignée par le père (Plutarque, Lib. ed. 5A–5C). 48 Voir par exemple Harmodius, disciple d’Aristogiton (Platon, Hipp. 229c). 49 Il éleva Achille, Esculape, Jason, Cf. Xénophon, Cyn. 1,4 ; Symp. 8,23 ; Platon, Hipp. 2 371d ; Arrien, Cyn. 1,1 ; Dion Chrysostome Or. 58 ; Aelius Aristide, Or. 38 Jebb p.42 ; Schol. Ar. 436. Voir aussi p. 202s.

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Le Socrate de Platon s’oppose à eux. Le principal reproche étant qu’ils prétendent former un homme vertueux alors qu’ils ne forment surtout qu’un orateur capable de réussir dans la société50. De fait, si un métier s’apprend, en est-il de même pour la vertu qui se distingue de la technicité par sa finalité ? Ainsi, Démosthène reproche à Lacrite d’enseigner la fraude51. Cette question travaillait déjà les tragédiens. La faute d’Œdipe, selon Sophocle, ne provient pas de son éducation qui ne l’a pas formé à être méchant52. Sophocle reprend cette idée de la mauvaise éducation dans Philoctète où la pensée est qualifiée de « mauvaise mère » qui éduque au crime53. Par ailleurs, un fragment attribué à Euripide paraît sceptique sur le fait que l’éducation prime sur la nature. Un enfant né de parents méchants deviendra méchant 54 . Pourtant, Euripide dit ailleurs que la vertu s’apprend, puisque même un bébé apprend à parler sans savoir ce que c’est au préalable55. L’un des buts de Platon sera de définir l’éducation à la vertu, en dehors de toutes considérations accessoires sur le métier que vise le jeune homme56. Il s’attèlera dans la République puis dans Les lois 57 à la tâche de définir un 50 De fait, Jaeger rappelle que le but des sophistes n’est pas de former tous les citoyens mais les futurs chefs (JAEGER, Paideia. La formation, 337, position qu’accepte MARROU, Histoire, 85) avec un outil, l’art oratoire. JAEGER, Paideia. La formation, 338 rappelle également que le premier nom des politiques était ῥήτωρ, orateur ; le but des sophistes était de former de bons (=talentueux) orateurs quand Socrate leur reproche de ne pas former de bons (=vertueux) hommes (JAEGER, Paideia. La formation, 341). Cependant, tous les sophistes n’étaient pas aussi talentueux. Alcidamas justifie son discours sur les Sophistes en prétendant que nombre d’entre eux ont un niveau insuffisant en rhétorique (Alcidamas, Or. 1,1). 51 Démosthène, Lacr. 71–72. 52 Sophocle, Œd. Col. 919, selon l’interprétation de PERDICOYIANNI, Étude lexicologique, 131. 53 Sophocle, Phil. 1361. 54 Nauck 1068=Stobée, Anth. 4,30,3. 55 Euripide, Suppl. 914–917. 56 Voir l’argument du Protagoras de Platon où Socrate se pose la question de ce que peut bien enseigner Protagoras. Cf. Platon, Leg. 643e. Voir aussi HADOT, Arts libéraux, 14–15. 57 Pour les différences entre les deux œuvres, voir L. MOUZE, Le législateur et le poète. Une interprétation des Lois de Platon (Philosophie ancienne, Villeneuve d’Ascq : Septentrion, éditions universitaires, 2005), 9–19.127–145. L’une des définitions de la παιδεία données par Les lois consiste précisément à dire qu’elle est l’éducation correcte (ὀρθὴ τροφή) qui mène à former des hommes bien élevés (Platon, Leg. 643b–644a), voir aussi MOUZE, Le législateur, 112–113. En revanche, Ibid., 117 oppose l’éducation de Platon avec un enseignement. Le choix de l’associer avec τροφή signifie qu’il ne s’agit pas d’un programme mais qu’elle doit « façonner et modeler l’âme ». À mon sens, il est plus simple de considérer l’étymologie de παιδεία, Platon ne transforme pas la παιδεία d’un programme en un τροφή ; il la précise comme une forme particulière de τροφή. La deuxième définition (Platon, Leg. 653a–c) maintient le lien avec τροφή en utilisant un participe de τρέφω et précise le moyen qu’elle a de former un être vertueux : ordonner la sensibilité à la raison (voir aussi Ibid., 119–124). Une troisième définition en Platon, Leg. 659c–e synthétise les deux premières (voir aussi Ibid., 124–125).

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système éducatif capable de former des citoyens vertueux58. Dans ce but, afin que cela devienne indépendant du père et des sophistes, il convient que les lois prennent en charge cette éducation. C’est également le propos d’Aristote que d’établir des lois qui mettent en place une éducation pour le bien de la société toute entière59. C’est précisément pour que l’éducation soit la même pour tous qu’Aristote prétend que celle-ci doit être donnée par l’État60. Se pose également la question de la formation du prince que Platon veut philosophe 61 . Déjà Xénophon note la particularité de l’éducation de Cyrus. Aristote compare le rôle du roi avec celui du père. Le roi a la même relation avec ses sujets que le père avec ses enfants62, la seule différence étant que le roi n’a pas engendré ses sujets. Diogène Laërce rapporte que le roi Antigone demanda à Zénon de venir l’éduquer et le diriger. En cela, Zénon ne formerait pas uniquement le roi mais aussi tous les habitants de la Macédoine63. Enfin, Libanios reprend des thèmes similaires dans son discours Éloge des empereurs Constance et Constant, il loue leur éducation qui n’a pas consisté uniquement en l’apprentissage des techniques de la guerre ou de la dureté de la vie militaire, mais à former des hommes vertueux64. Deux types d’hommes opposés apparaissent alors. D’un côté le πεπαιδευμένος, formé de la substantivation du participe parfait, désigne la personne éduquée : vertueuse, sage, capable de discernement. De l’autre, l’ἀπαίδευτος65, celui qui est paresseux, vindicatif, vicieux66 avec des comportements grossiers67. Ainsi, 58 Il convient de garder à l’esprit qu’il n’existe pas, au temps de Platon, un système éducatif global comparable à celui de Sparte (Cf. JAEGER, Paideia. La formation, 334). 59 Aristote, Eth. Nic. 1180b2. 60 Aristote, Pol. 1337a20–35. Ici se trouve une autre louange aristotélicienne de la constitution Spartiate : ce sont eux qui ont compris qu’il fallait que l’éducation devienne publique. 61 Platon, Resp. 473c ; Ep. 7,326a, c’est également l’objet de certains discours d’Isocrate et dans une certaine mesure de la Cyropédie de Xénophon. Voir aussi Y.L. TOO, « Une nouvelle ‘Histoire de l’éducation dans l’antiquité’ (A New History of Education in Antiquity) », Que reste-t-il de l’éducation classique ? Relire « le Marrou » Histoire de l’éducation dans l’Antiquité (éd. par J.-M. Pailler et P. Payen, Toulouse : Presses Chercheurs du Mirail, 2004), 46 qui indique qu’à partir d’Isocrate, le rôle d’éducateur se déplace du chef au tribunal de l’aréopage puis à Athènes toute entière. 62 Ou que le pasteur avec son troupeau, Xénophon, Cyr. 1,1,2 ou Aristote, Eth. Nic. 1161a10–17. 63 Diogène Laërce, Vit. philos. 7,7. 64 Libanios, Or. 32–42. 65 Selon Aristote, Eth. Nic. 1128b21 précisé par Plutarque, Comp. Arist. Men. compend. 854B, elle oppose le théâtre vulgaire (d’Aristophane, selon Plutarque) au théâtre sérieux (de Ménandre, selon Plutarque). 66 e.g. Xénophon, Cyn. 12,17. 67 C. BOST-POUDERON, « Le ronflement des Tarsiens : l'interprétation du Discours XXXIII de Dion de Pruse. », REG 113 (2000), 636–651, propose une interprétation originale du

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la collocation παιδεύω τὸν ἀπαίδευτον ne désigne pas un système éducatif précis mais tout moyen pour faire sortir un sot adulte68 de sa sottise69. L’homme πεπαιδευμένος est le parfait citoyen dont rêve Platon70. Isocrate tente de le créer en synthétisant les opinions de Platon et des sophistes71. Un homme peut difficilement être vertueux s’il n’est pas éduqué 72 . Cet homme, écrit Isocrate, respecte les lois de la Cité dans laquelle il vit 73 , il sait gérer les circonstances quand elles arrivent et possède un jugement correct qui lui permet de juger de l’action à accomplir74. Il s’agit d’un parfait citoyen tout à la fois capable d’obéir et de commander. Il peut remplacer les anciens dans leur discours 32 de Dion Chrysostome (Dion Chrysostome Or. 32). Ce dernier reproche aux Tarsiens leur « ronflement ». Est-ce une influence d’une langue sémitique avec des bruits spécifiques dus aux laryngales ou est-ce une allusion à un comportement sexuel amoral qui causerait des halètements ? Sans trancher sur la cause de ce ronflement, Bost-Pouderon propose un rapprochement avec un dit attribué à Antisthène (Gnom. Vat. 3) : ὁ αὐτὸς εἶπε τοὺς ἀπαιδεύτους ἐνύπνια ἐγρηγορότα « Les gens sans culture sont des rêveurs éveillés ». C’est-àdire que la personne ἀπαίδευτος ne possède pas plus de jugement qu’un rêveur et a toute les chances d’avoir une mauvaise interprétation de la réalité. Dion Chrysostome ferait allusion à cet adage pour dire aux Tarsiens qu’ils sont des ἀπαίδευτοι. La preuve, c’est qu’ils ronflent ! 68 Ainsi, Strabon, Géogr. 1,2,8, compare l’ἀπαίδευτος à un enfant. 69 Euripide, Cycl. 492–493 ; Aristophane, Ran. 1500–1503. 70 Voir par exemple Platon, Leg. 643d–e. Il utilise plusieurs fois cette forme πεπαιδευμένος désignant un homme vertueux (e.g. Platon, Symp. 347d, Phaedr. 232c). Il vaut mieux se confier à un homme éduqué qu’à plusieurs non formés (Platon, Lach. 184e). Cela cadre bien avec la volonté de Platon de définir l’éducation idéale pour former de bons citoyens (Platon, Resp. 546b) et qui regrette que les politiciens ne soient pas éduqués (Platon, Alc. 1 119b). 71 C’est l’une des thèses de MARROU, Histoire, 1,127. Contrairement à Jaeger qui voit en Platon l’apogée de la réflexion grecque sur l’éducation, Marrou revalorise le rôle d’Isocrate et les place, tous deux, comme fondements de la « civilisation de la paideia » qu’est la civilisation hellénistique (MARROU, Histoire, 1,153). De son côté, HADOT, arts libéraux, 16–17 note qu’Isocrate se démarque aussi bien de Platon que des Sophistes. On veillera à être prudent sur ces questions. L’interprétation de Platon par Jaeger puis Marrou est relativisée depuis quelques temps, tout comme la réelle postérité d’Isocrate. Si ce dernier est un représentant de la tradition rhétorique si importante de l’époque hellénistique, il ne l’a pas inventée. Par ailleurs, on peut également se poser la question de l’influence de Xénophon et d’Aristote que Marrou passe quasiment sous silence. Sur ces questions, voir P. DEMONT, « H.-I. Marrou et « les deux colonnes du temple » : Isocrate et Platon », Que reste-t-il de l’éducation classique ? Relire « le Marrou » Histoire de l’éducation dans l’Antiquité (éd. par J.-M. Pailler et P. Payen, Toulouse : Presses Chercheurs du Mirail, 2004), 109–119. En tout état de cause, le substantif πεπαιδευμένος apparaît avec Isocrate, Platon et Xénophon et est également abondamment utilisé par Aristote. 72 Selon l’idéal du καλοκἀγαθία, Xénophon, Mem. 4,2,23 ou Platon, Hipp. 228c. Voir également la collocation παιδεύω πρὸς ἀρετήν « formé pour la vertu », (Isocrate, Archid. 102 ; areop. 82 ; Aristote, Pol. 1341a1 ; Plutarque, Gen. Socr. 576E). 73 Isocrate, Areop. 41. 74 Isocrate, Panath. 30–33, voir aussi Platon, Amat. 135d, un homme éduqué est mieux à même de donner son avis.

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poste75. L’homme éduqué n’est pas uniquement un technicien car il sait trouver la sagesse76 dans sa technique. Il est donc avant tout un être moral77, pieux, sage, juste et vertueux 78 . Pour cet auteur, quelqu’un qui possède un art par nature y fait moins attention que quelqu’un qui l’a reçu par éducation. Ainsi, Athènes est supérieure aux autres nations non pas par des qualités intrinsèques à ce peuple mais par son éducation qui lui permet d’acquérir toute qualité et de dépasser tout peuple possédant naturellement une telle qualité79. Athènes est alors présentée comme l’institutrice des éducateurs80. Aristote décrit également l’homme éduqué comme essentiellement capable de jugement81: Πεπαιδευμένου γάρ ἐστι κατὰ τρόπον τὸ δύνασθαι κρῖναι εὐστόχως τί καλῶς ἢ μὴ καλῶς ἀποδίδωσιν ὁ λέγων (Aristote, Part. an. 639a4–6). Étant éduqué, on est capable de juger correctement de la manière bonne ou mauvaise avec laquelle celui qui parle a livré son message.

Il définit la forme de gouvernement dénommée aristocratie comme le gouvernement de ceux qui sont éduqués82. d. Du πεπαιδευμένος athénien au gentleman hellénistique Lorsque l’apparition des royaumes des Diadoques fera perdre aux Cités leur indépendance, le rôle du πεπαιδευμένος gagnera en vertu et en culture ce qu’il perdra en capacité politique 83 . Le mot devient synonyme de « gentleman » éclairé, épithète qu’on associe à toute personne d’importance. Il est capable de discuter avec les philosophes 84 , de voyager partout dans le monde 85 . Il est également reconnu pour son comportement exemplaire. Plutarque écrit qu’on

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Isocrate, Antid. 174. Isocrate, Nic. 51. 77 Isocrate, Areop. 41. 78 Isocrate, de Pace 63. 79 Isocrate, Antid. 294. 80 Isocrate, Antid. 295. 81 Selon HADOT, arts libéraux, 18–24, Aristote établit une différence entre le πεπαιδευμένος et le ὅλως πεπαιδευμένος. Ce dernier, philosophe, est capable de formuler des jugements concernants les universaux, tandis que que le second ne peut traiter que de choses particulières (telles que les mathématiques, la géométrie …). Ceci montre que le terme πεπαιδευμένος n’est pas pour Aristote un idéal, mais une étape. 82 Aristote, Rhet. 1365b34. 83 CHRISTES, DNP 4, 112. 84 Élien, Var. hist. 11.10 raconte comment un tel personnage essaie de raisonner Zoïle : le « détracteur universel ». 85 See e.g. ANDERSON, « The Pepaideumenos », 183. 76

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reconnaît un homme éduqué à sa manière d’être86. De même, Sur l’éducation des enfants du Pseudo-Plutarque ne donne comme but de l’éducation que la vertu87. Il recommande de choisir avec soin la nourrice de l’enfant, l’esclave qui l’accompagne et le maître qui l’éduque, qui doivent aussi être des modèles de vertu. Enfin, chez un auteur aussi tardif que Libanios, la παιδεία est la cause de bonne manière, de politesse et d’hospitalité 88 . Elle est ce qui est digne d’éloge chez quelqu’un 89 . Il s’agit de l’homme idéal ou de l’idéal de tout homme90. C’est également le temps où la culture grecque s’ouvre aux autres cultures et leur concède la capacité de s’assimiler à l’hellénisme. L’opposition entre le πεπαιδευμένος et l’ἀπαίδευτος est, selon Diodore de Sicile 91 , comparable à celle qui oppose les Grecs des Barbares. Cependant, rapidement l’origine est dévaluée par rapport à l’éducation selon Isocrate92. Déjà Hérodote93 témoigne de rois « barbares » qui ont reçu une éducation « grecque ». Strabon rapporte qu’Ératosthène refusait de diviser l’humanité en Hellènes et en Barbares94. Ce mouvement va s’accélérant pendant la période hellénistique : recevoir une éducation grecque95 était le gage de réussite sociale. Les rois « barbares » se dépêchent de convertir leur pays à l’hellénisme, gage d’une bonne intégration dans la diplomatie mondiale. Ils reçoivent une éducation grecque et s’entourent d’une cour de πεπαιδευμένοι 96 qu’ils choient 97 et qui les conseille 98 . Les relations ne sont pas toujours faciles comme en témoigne Diodore de Sicile décrivant Crésus dialoguant sans grand succès avec un philosophe cynique99. Cependant, cette dévaluation de l’origine sera poussée plus loin encore : la qualité même du πεπαιδευμένος transcende l’origine de la formation qu’il a pu suivre, ce participe devient synonyme de vertueux et s’utilise en parallèle avec

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Plutarque, Dion 1,4. Plutarque, Lib. ed. 2A. 88 Libanios, Ep. 192,2. 89 Libanios, Ep. 1053,2. 90 Voir ANDERSON, « The Pepaideumenos », 181–188 pour le développement de ce mythe et son incarnation dans le genre littéraire des nouvelles. 91 Diodore de Sicile, Bibl. 1.2.6. 92 Voir p. 165, note 22. 93 Le roi des Scythes Skyllès (Hérodote, Hist. 4.28). 94 Strabon, Geogr. 1,4,9. 95 C’est à l’époque romaine qu’on peut véritablement observer l’apparition d’un système éducatif organisé par la Cité, selon HADOT, Arts libéraux, 217–221. 96 Par exemple Mithridate, Diodore de Sicile, Bibl. 31.19.8, Plutarque, Dion 18.2–3. En cela, ils reprennent aussi l’idée que le gouvernant de la Cité se forme et forme ses citoyens (Cf. Platon, Hipp. 228c). 97 Élien le Sophiste, Var. Hist. 8,2. 98 Élien le Sophiste, Var. Hist. 4,15 ; Diodore de Sicile, Bibl. 9,34,1 ; 34/35,35,1 ; 37,8,2. 99 Diodore de Sicile, Bibl. 9,26,3–5. 87

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σώφρων100. Ainsi, Pharaon est décrit comme entouré de πεπαιδευμένοι. Ce ne sont pas des hellénisés mais bien des Égyptiens dont la principale caractéristique est d’être vertueux et mesurés101. De même, Diodore reconnaît au barbare Viriathe la qualité de πεπαιδευμένος alors que celui-ci n’a suivi aucune formation, éduqué uniquement par le « bon sens » (πρακτική). Diodore le qualifie de πεπαιδευμένος parce qu’il se comporte comme tel, étant mesuré dans chacune de ses actions et de ses paroles102. De même, l’Atalante décrite par Élien le Sophiste est une femme éduquée tout en ayant vécu toute sa jeunesse dans la nature, abandonnée par son père103. Ce point est actuellement étudié par les chercheurs. Posséder la παιδεία ne signifie pas obligatoirement suivre une formation hellénique. Ainsi, l’identité du πεπαιδεύμενος est une affaire complexe. Anderson montre que chaque auteur de la seconde sophistique interprète la παιδεία de manière unique, selon sa personnalité 104 mais aussi peut-être son auditoire 105 . Jones106 indique que l’identité hellénique n’est pas si importante que cela pour Pausanias ou Aelius Aristide. Ces auteurs grecs pensent que l’ancienneté d’une culture prime devant sa proximité avec Athènes. De plus, Bowersock 107 suggère qu’Artemidorus possède une culture qui lui est spécifique, ouvrant la voie à l’idée d’une παιδεία locale108. Dans la tradition gnomique, le πεπαιδευμένος est un homme sage et vertueux digne d’éloges. Ταῖς μὲν πόλεσι τὰ τείχη, ταῖς δὲ ψυχαῖς ὁ ἐκ παιδείας νοῦς κόσμον καὶ ἀσφάλειαν παρέχει (Attribuée à Socrate par Stobée, Anth. 2,31,85) Tout à la fois ils apportent la sécurité et l’ordre : les murs aux cités et un esprit issu de la Παιδεία aux âmes.

100

Plutarque, Comp. Cim. Luc. 1,4. Diodore de Sicile, Bibl. 1,70,2 voir également Ménandre, Sent. 124 : βραβεῖον ἀρετῆς ἐστιν εὐπαιδευσία, la bonne éducation est le prix de la vertu. 102 Diodore de Sicile, Bibl. 33,7,7. 103 Élien le Sophiste, Var. Hist. 13,1. 104 ANDERSON, « The Pepaideumenos », 110–113. 105 Voir par exemple la rapide étude de la figure de Prométhée par quatre auteurs différents dans ANDERSON, « The Pepaideumenos », 112. 106 C.P. JONES, « Multiple Identities in the Age of the Second Sophistic », Paideia: The World of the Second Sophistic (éd. par B.E. Borg, Millenium Studies, Berlin: de Gruyter, 2004), 13–21. 107 G.W. BOWERSOCK, « Artemidorus and the Second Sophistic », Paideia: The World of the Second Sophistic (éd. par B.E. Borg, Millenium Studies, Berlin: de Gruyter, 2004), 53–63. 108 Ainsi que le résume B.E. BORG, « Introduction », Paideia: The World of the Second Sophistic (éd. par B.E. Borg, Millenium Studies, Berlin: de Gruyter, 2004), 4. 101

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Le substantif ἀσφάλεια désigne notamment l’assurance de ne pas tomber109. La comparaison proposée ici entre la sécurité et l’ordre d’une Cité et celui des âmes permet d’inférer que παιδεία ne désigne pas tant ici le processus éducatif mais l’état vertueux. La préposition ἐκ désigne ici l’origine de la qualité de l’esprit. Un tel esprit est aussi solide qu’un mur. Diodore rapporte que les sentences du Temple de Delphes ont été écrites par l’un des sept sages, Chilon. Il les commente ensuite. En ce qui concerne Γνῶθι σαυτὸν, « connais-toi toi-même », il indique que : τὸ γὰρ Γνῶθι σαυτὸν παραγγέλλει παιδευθῆναι καὶ φρόνιμον γενέσθαι (Diodore de Sicile, Bibl. 9,10,2) De plus, la sentence « Connais-toi toi-même » demande d’être éduqué et de devenir sage.

Il est peu probable que Diodore demande à ceux qui le lisent de retourner sur les bancs de l’école. En effet, Diodore poursuit : ceux qui sont privés de παιδεία et qui ne sont pas raisonnables (ἄλογος) ne sont pas capables de juger autrui et acceptent la méchanceté. Le passif de παιδεύω signifie donc changer son comportement de sorte à agir et à juger comme un πεπαιδευμένος. Le substantif désigne alors également cet état d’esprit. Si Solon établit des lois si bonnes pour Athènes, c’est grâce à son progrès dans la παιδεία. διὰ τὴν ἐν παιδείᾳ προκοπήν (Diodore de Sicile, Bibl. 9,1,3)

Ceci permet de confirmer le point de vue de Searby110 : les mots de la famille de παιδεύω ne signifient pas uniquement une formation intellectuelle mais aussi un apprentissage d’une conduite vertueuse et sage. En ce sens, ces mots se rapprochent de ‫ מוּסָר‬quand il est synonyme de Sagesse dans le TM111.

3. Prendre consience et changer de caractère Tout un pan du champ lexical tourne autour de l’idée de changer d’opinion, de vie et de caractère. En effet, la personne qui subit l’action éducatrice n’est pas toujours un enfant, mais parfois un homme adulte. Dans ce cas, le verbe déploie ce qu’on peut appeler un sens métaphorique 112 . Il s’agit de signifier que la personne doit changer son caractère ou son être. 109

LSJ. SEARBY, Aristotle, 272. 111 Voir notamment p. 106–107. 112 Cf. PERDICOYIANNI, Étude lexicologique, 132. Cependant, contrairement à l’auteur, nous pensons que cet usage n’est pas relatif à l’acquisition d’un savoir, mais bien à « la 110

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On retrouve cet usage métaphorique dès Sophocle. Il met en scène Ajax sortant d’une folie meurtrière. Vexé de ne pas s’être vu attribuer les armes d’Achille, Ajax veut assassiner Ulysse son concurrent chanceux. Mais Athéna lui fait perdre logique et sang-froid. Il se retrouve à égorger un troupeau de bêtes. Découvert, honteux, Ajax veut se suicider en se jetant sur une épée. Cependant Tecmesse, sa compagne, tente de l’en dissuader. Ajax lui répond froidement : Μῶρά μοι δοκεῖς φρονεῖν, εἰ τοὐμὸν ἦθος ἄρτι παιδεύειν νοεῖς (Sophocle, Aj. 595). Tu me parais raisonner bizarrement, si tu estimes pouvoir aussi simplement réformer mon caractère.

Ajax est ici certainement conscient de la démesure de son action. Mais il sait également qu’il n’a pas le choix : Tecmesse ne doit pas espérer pouvoir le faire changer d’avis, à lui faire renoncer à sa folie113. Quand le verbe est utilisé à l’actif, il désigne le fait que quelqu’un sermonne une autre personne. On retrouve une telle nuance chez Lysias. Lorsqu’il prétend, dans sa première plaidoirie contre Théomneste, que ce dernier va être « éduqué » par l’écoute des anciennes lois de Solon114, il faut comprendre que cela calmera ses ardeurs et l’empêchera de freiner la procédure par des paroles vaines. De même, Isocrate dépeint le malheur des rois qui sont au-dessus des lois. N’ayant pas d’amis pour les sermonner, ils se comportent de manière déraisonnée115. Quand le verbe est utilisé au passif avec un complément d’agent, cela signifie que quelqu’un change son caractère en fonction d’un évènement qui peut être un malheur. Ainsi, Isocrate116 regrette que les malheurs qui « éduquent » les hommes n’aient pas suffi à faire prendre conscience aux Athéniens de leurs limites. Il est important de noter que le malheur n’est pas en soi l’éducation mais l’évènement qui provoque la prise de conscience puis le changement de comportement. Le verbe παιδεύω n’est donc pas synonyme d’ « éprouver un malheur ». De fait, d’autres évènements peuvent provoquer ce changement de comportement. Ce peut être un exemple glorieux comme le souvenir des faits d’armes des Athéniens tombés au champ d’honneur : modification de l’être d’un individu » qu’elle classe parmi les usages fondamentaux (Ibid., 128). 113 L’interprétation de PERDICOYIANNI, Étude lexicologique, 139, écrivant qu’Ajax reçoit une formation de la part de Tecmesse est difficilement tenable, celle-ci ne se plaçant pas dans la posture d’un maître. 114 Lysias, Theomn. 1 15, à moins qu’il s’agisse aussi d’un usage ironique. Cet homme va être éduqué dans les lois de Solon, cf. S.C. TODD, A Commentary on Lysias. Speeches 1–11 (Oxford : University Press, 2007), 677. 115 Isocrate, ad Nic. 4. 116 Isocrate, Pace 85.

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παιδεύοντας δ’ ἐν τοῖς τῶν τεθνεώτων ἔργοις τοὺς ζῶντας (Lysias, Ep. 3) Éduquant les vivants avec les œuvres des morts.

Lorsqu’Aristote décrit les « jeunes », il termine par le constat que les jeunes adorent plaisanter : ἡ γὰρ εὐτραπελία πεπαιδευμένη ὕβρις ἐστίν (Aristote, Rhet. 1389b11–12) La plaisanterie est une insolence domestiquée.

Aristote apprécie les jeunes : il leur reconnaît des défauts car ils sont excessifs en tout, amitié comme haine, mais aussi une grandeur d’âme qui n’a pas encore été rabaissée par la vie. La plaisanterie, c’est exactement la même chose : c’est une insolence dont la méchanceté est « bridée ». À l’époque hellénistique, Polybe apprécie cette nuance117. Il relate la façon dont les Épidamniens ont repoussé Teuta, reine des Illyriens, qui voulait investir leur ville par traîtrise. Ils laissèrent imprudemment entrer la flotte de Teuta qui n’avait pas manifesté officiellement d’intentions belliqueuses. Les militaires de la reine commencèrent à tuer les gardes de la ville. Cependant, les Épidamniens finirent courageusement par repousser les assaillants. Selon Polybe, cet épisode leur servit de leçon pour le futur : διὰ δὲ τὴν εὐψυχίαν ἀβλαβῶς ἐπαιδεύθησαν πρὸς τὸ μέλλον (Polybe, Hist. 2,2,9) Et du fait de ce courage sans perte, ils furent exhortés pour le futur.

Il faut noter l’expression τὴν εὐψυχίαν ἀβλαβῶς, Polybe n’exprime pas ici une éducation par le malheur mais la prise de conscience des habitants de la ville suite à leur sursaut qui s’est terminé sans mal 118 . Le même Polybe utilise παιδεύω avec la même nuance ailleurs : Τοῦτο γὰρ διαφέρειν ἔφη τοὺς ἀνοήτους τῶν νοῦν ἐχόντων, διότι συμβαίνει τοὺς μὲν ἐν ταῖς ἰδίαις ἀτυχίαις παιδεύεσθαι, τοὺς δ᾽ ἐν ταῖς τῶν πέλας (Polybe, Hist. 29,20,4) Mais il disait ceci que les gens privés d’entendement diffèrent de ceux qui en ont, parce qu’il arrive aux premiers d’être éduqués par leurs propres malchances, aux autres par ceux de leurs proches.

On trouve encore d’autres exemples119. Le verbe ne signifie pas forcément une correction par une coercition, mais bien une prise de conscience devant un fait 117

Une occurrence probable du sens classique en Polybe, Hist. 4,21,11. Pace MM, s.v. παιδεύω et H.A.A. KENNEDY, Sources of New Testament Greek or the Influence of the Septuagint on the Vocabulary of the New Testament (Édimbourg : T&T Clark, 1895), 102. 119 Ainsi, Pour Eschine, Ctes. 148, voir p. 198. D’autres exemples en Polybe Hist. 1,35,9, Strabon, Geogr. 16,1,18 ; Ménandre, Dysc. 699–700. 118

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concret, notamment le malheur des autres comme dans cette sentence de Ménandre qui rappelle PrLXX 22,3 : Βλέπων πεπαίδευμ’ εἰς τὰ τῶν ἄλλων κακά (Ménandre, Sent. 121) Celui qui observe se réforme par le malheur des autres.

Plutarque raconte comment Paul-Émile exhorte sa famille et ses proches à la suite de sa victoire contre Persée, ce dernier implorant lâchement son salut. Paul-Émile indique que la vicissitude de la fortune et la faiblesse humaine sont là pour « éduquer » ceux qui font la guerre120. Il rajoute également que la guerre permet aux hommes d’être « éduqués », c’est à dire de pouvoir discerner entre la vertu et son contraire121. Ainsi, Minicius ayant failli provoquer la perte de l’armée romaine de Fabius, se rendit compte qu’il n’avait pas encore l’étoffe d’un commandant : ἃ γὰρ οὐκ ᾐσθόμην χρόνον τοσοῦτον, ἡμέρας μέρει μικρῷ πεπαίδευμαι, γνοὺς ἐμαυτὸν οὐκ ἄρχειν ἑτέρων δυνάμενον, ἀλλ’ ἄρχοντος ἑτέρου δεόμενον (Plutarque, Fab. 13,3) Ce que je n’ai pas senti pendant si longtemps, une petite portion d’un seul jour m’en a fait prendre conscience : j’ai su que j’étais incapable de commander les autres et que je devais être commandé par un autre122.

Le même auteur, dans une version antique de « la musique adoucit les mœurs », prétend que l’art des muses n’est pas la maîtrise d’un instrument de musique. Il s’agit plutôt de : τὸ παιδεύειν τὰ ἤθη καὶ παρηγορεῖν τὰ πάθη (Plutarque, Sept. sap. conv. 156C) L’éducation des mœurs et l’apaisement des passions.

On peut aussi aussi rajouter cet autre témoignage comparant Cimon et Lucullus : Ὃ καὶ θαυμαστόν ἐστιν· ὑπεναντίως γὰρ ἡ νεότης τοῦ μὲν ἐπίψογος καὶ ἀκόλαστος γεγονέναι δοκεῖ, τοῦ δὲ πεπαιδευμένη καὶ σώφρων (Plutarque Comp. Cim. Luc. 1,4) Et ce qui est étonnant : leurs jeunesses apparaissent bien différentes, celle de l’un scandaleuse et indisciplinée, celle de l’autre disciplinée et sage.

Le participe πεπαιδευμένη renvoie à νεότης, est associé à σώφρων et est opposé à ἐπίψογος et ἀκόλαστος. Tout ceci permet de déduire qu’on loue ici une qualité de mesure et de correction. La jeunesse de l’un fut exemplaire car il s’est gardé de tout acte répréhensible.

120

Plutarque, Aem. 27,2. Plutarque, Aem. 31,7. 122 Il reprend la même idée un peu plus loin (Plutarque, Fab. 13,7). 121

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Élien le Sophiste utilise fréquemment παιδεύω dans ce sens. Il raconte que l’automne lui fait prendre conscience de la brièveté de la beauté humaine123. Ailleurs, dans une de ses lettres rustiques, il écrit : Ὀψὲ ἔμαθον ὅτι μοι συνεβούλευες καλῶς, παιδεύων με ἀποδιδράσκειν τὰς ἑταίρας (Élien le Sophiste, Ep. rust. 9) Sur le tard, j’ai appris que tu me conseillais bien lorsque tu m’enjoignais de fuir les courtisanes.

On ne connaît pas la relation entre l’auteur putatif de la lettre, Khrémès, et le destinataire de sa lettre, Parménôn. Cependant, παιδεύω désigne ici le fait d’enseigner une sentence morale qu’il s’agit non seulement de savoir, mais aussi d’appliquer. Le fait que Khrémès réalise tardivement la valeur de cet aphorisme montre que l’éducation n’est pas passée aussi bien que prévu. Plus que l’éducation d’un enfant, nous nous trouvons ici dans le registre de la direction morale. On retrouve la même nuance lorsqu’Élien décrit la gouvernance d’Hipparque : καὶ ἐβούλετο ὑπὸ προσχήματι τῷ ἑαυτοῦ Ἀθηναίους παιδεύεσθαι, καὶ βελτιόνων αὐτῶν ὄντων ἄρχειν ἔσπευδεν (Élien le Sophiste, Var. hist. 8,2) Et il voulait que les Athéniens soient éduqués par son exemple et se hâtait de les gouverner pour qu’ils deviennent meilleurs.

Enfin, il rapporte une anecdote qui n’est pas sans rappeler Dt 21,18 : un père a sept fils dont le dernier ne cesse d’insulter. Le père essaie de le raisonner en privé. Καὶ τὰ μὲν πρῶτα ἐπειρᾶτο αὐτὸν ὁ πατὴρ παιδεύειν, καὶ ῥυθμίζειν λόγῳ (Var. hist. 1.34) Et d’abord, le père essaya de le sermonner et de le corriger par la parole.

Une fois cette tentative échouée, le père l’amène au juge pour qu’il soit condamné à mort. Selon Lucien, Solon discutant avec Anacharsis le Scythe lui assure qu’il ne doit pas accepter ses lois pour argent comptant. ὅσα γὰρ ἂν ἐμὲ παιδεύσῃς καὶ μεταπείσῃς πρὸς τὸ βέλτιον, ἐκείνην τὰ μέγιστα ἔσῃ ὠφεληκώς (Lucien, Anach. 17) En effet, plus tu me réformeras et changeras mon opinion vers le meilleur, plus tu me rendras service.

123

Élien le Sophiste, Ep. rust. 8.

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Chez Lucien apparaît également pour la première fois le composé μεταπαιδεύω 124 qui désigne le fait de changer la παιδεία de quelqu’un, son caractère, sa manière de vivre dans un sens plus moral125. Libanios, enfin, décrit comment les paysans fuient les calamités telles que les nuages de criquets : παιδεύονται γὰρ οἷς ζημιοῦνται φεύγειν (Libanios, Or. 50,31) En effet, du fait de ce qu’ils souffraient, ils se sont avisés de fuir.

Dans un autre discours, il évoque également le fallacieux argument de ceux qui l’accusent d’arrogance. Pourquoi ne lui a-t-on pas adressé ce reproche plus jeune ? Il aurait mieux compris puisqu’un homme est souvent plus impétueux jeune que vieux : δεινὸς γὰρ παιδεύειν καὶ ἐπανορθοῦν ὁ χρόνος (Libanios, Or. 2,4) En effet, puissant est le temps pour corriger et amender.

Dans une des fables attribuées à Ésope, une femme se lamente à propos de son mari alcoolique126. Cette femme essaie de faire peur à son mari en l’enfermant dans un mausolée pendant son coma éthylique et en se déguisant en la Mort pour lui faire comprendre qu’il risque de mourir à abuser ainsi du vin. Malheureusement, cela ne fonctionne pas. Même pensant être en présence de la Faucheuse, ce mari réclame à boire. Désespérée, la femme laisse échapper cette parole : οὐκ ἐπαιδεύθης « tu n’as pas changé ton caractère ». De même, une sentence attribuée à Bias utilise le verbe dans ce sens quand il indique que ceux qui ne s’éduquent pas eux-mêmes n’ont pas d’intelligence : Τοὺς αἰτουμένους παρὰ τῶν θεῶν φρένας ἀγαθάς, καὶ μὴ ἑαυτοὺς παιδεύοντας ἀναισθήτους ἔφασκεν εἶναι (FPG 1,229, apophtegme 13127).

Ceux qui demandent aux dieux un bon entendement et qui ne s’ « éduquent » pas eux-mêmes paraissent insensés. 124 L’utilisation de ἀναπαιδεύω dans Aristophane, Eq. 1099, en parallèle avec γερονταγωγέω, comme dans TrGF 4,487, attribué à Sophocle (= Clément d’Alexandrie, Str. 6,2,19,6) est plutôt une ironie, voyant dans la vieillesse un retour à l’enfance. En revanche, les deux occurrences d’ἀναπαιδεύω en Philostrate l’Athénien, Vit. soph. 1,22,2 Olearius p.523 et 1,23,2, Olearius p. 528 semblent synonymes de παιδεύω. 125 Lexiphane, trop platonicien, selon Lycinus, est confié par ce dernier au médecin Sopolis qui le purge. Ce médecin demande ensuite à Lycinius de reprendre l’éducation de Lexiphane (Lucien Lex. 21). Aelius se pose la question de changer ceux qui sont gouvernés (Aelius Aristide, Or. 28 Jebb p. 365). Ce verbe est utilisé en parallèle avec μεθίστημι dans Libanios, Decl. 1, 128. 126 Ésope, Fab. 278. 127 Ce proverbe attribué à Bias est rapporté par Maxime de Turin, évêque du quatrième siècle.

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4. L’apport des papyrus, ostraca et inscriptions Les papyrus et inscriptions ne montrent pas de changement significatif par rapport à l’étude de la littérature grecque classique. Les occurrences se concentrent de manière quasi exclusive dans le registre de la « formation de l’homme grec ». Perdicoyanni-Paléologou128 a examiné les mots de la famille de παιδεύω dans les papyrus. Cet auteur conclut que παιδεύω désigne l’éducation donnée par un père à son fils tandis que παιδεύεσθαι désigne la formation globale. Le verbe garderait donc principalement son sens classique. a. L’éducation paternelle Ainsi, un soldat loue son père qui lui a donné une bonne éducation ce qui lui permettra d’obtenir un bon poste dans la marine romaine129. με ἐπαίδευσας καλῶς (BGU 2,423,16, IIème siècle de notre ère, Misène ?) Tu m’as bien éduqué.

Tandis qu’un autre père se plaint officiellement que sa fille ne participe pas financièrement à sa retraite alors qu’il l’a éduquée : ἐμοῦ γὰρ ἐκθρέψαντος τὴν ἐμαυτοῦ θυγατέ[ρα] καὶ παιδεύσαντος καὶ ε[ἰς ἡ]λικίαν ἀγαγόντος (P.Enteux. 26,2, 221 avant notre ère, Magdôla) Moi, ayant nourri ma fille, l’ayant éduquée et menée à la vie adulte.

Il est du devoir des parents de donner une éducation à leur enfant. Cela permet d’avoir un enfant possédant les connaissances suffisantes pour pouvoir travailler et gagner de l’argent. Cependant, cela implique que l’enfant doive assurer la retraite des vieux parents. b. L’éducation étatique Une relation professionnelle de Zénon est particulièrement fière de son fils qu’il envoie vers Zénon pour lui porter de l’argent : ἐστὶν δὲ πεπαιδευμένος πᾶσαν παιδείαν (PSI 3,424,15–16, IIIème siècle avant notre ère, Philadelphie) Il est formé à toute science.

128 H. PERDICOYIANNI-PALEOLOGOU, « les familles de διδάσκειν, de μανθάνειν et de παιδεύειν dans les papyrus (jusqu’à la fin de l’époque romaine) », Athenaeum 91 (2003), 550– 559. 129 Cf. C. PREAUX, « Lettres privées grecques d'Égypte relatives à l'éducation », RBPH 8 (1929), 790–795.

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Peut-être souhaite-t-il également que Zénon le prenne à son service puisque la littérature classique nous apprend que le verbe est utilisé pour l’apprentissage des sciences du commerce. Dans une lettre endommagée, un certain Lorios Kaminos s’adresse à un dénommé Claude Antoine. Il le loue pour sa vertu, son comportement exemplaire et sa philosophie vraie. Claude a éduqué les proches de Lorios : καὶ ἡμεῖς ὑ[πὸ σοῦ βέλτιο]ν παιδευόμεθα ἢ ὑ[πὸ συμπάντων] τ̣ῶν φιλοσόφων (P.Hamb. 1,37,9, IIème siècle de notre ère, provenance inconnue) Et nous avons été p[ar toi mieu]x éduqué qu[e par aucun] philosophe.

Un autre document décrit l’éducation des orphelins. Il est important pour la Cité qu’ils soient éduqués car le manque d’éducation (ἀπαιδευσία) est une honte. Il est intéressant de noter que seuls les orphelins les plus riches auront accès à l’éducation nommée παιδεία. Les orphelins les plus pauvres doivent se contenter de l’apprentissage d’un métier 130 . Ce papyrus se rapproche d’une inscription louant, selon toute vraisemblance, Opromoas qui a versé à la ville de Xanthos une somme d’argent pour mettre en place un programme d’éducation scolaire et de prestations alimentaires pour les enfants de la ville131. Un papyrus d’origine inconnue témoigne que l’idéal de l’homme éduqué, maître de ses passions, était toujours en vigueur au IIIème siècle de notre ère132 : ἑόρτημα μέγα ἐστὶν τοῖς παιδεύεσ[θαι] βουλομένοις, ὅταν τὰ ἐγκεχειρισμένα αὐτοῖς πράττειν \γινώσκωσι/ καὶ μὴ ὑπερόρια ἡδέα μετέρχεσθαι θέλωσ[ι (SB 5,7567,3–7, IIIème siècle de notre ère, provenance inconnue) C’est une grande joie pour ceux qui veulent être éduqués, quand ils savent faire ce qu’on leur a confié et qu’ils ne désirent pas suivre des plaisirs superflus.

L’auteur de la lettre s’adresse vraisemblablement à un jeune étudiant pour lui donner des conseils. Ceux-ci sont perdus. Mais l’exorde de la lettre développe l’idéal de l’ardeur au travail et de la mesure dans les désirs. Être éduqué selon la culture grecque est indispensable à un « barbare » pour être intégré dans la société hellénistique de son temps, comme en témoigne la 130 Voir aussi P. VAN MINNEN, « Archaeology and Papyrology: Digging and Filling Holes? », Tradition and Transformation : Egypt under Roman Rule. Proceedings of the International Conference, Hildesheim, Roemer- and Pelizaeus-Museum, 3–6 July 2008 (éd. par K. Lembke et al., Leyde: Brill, 2010), 467–468 et X. PARSONS, revue de E.M. HUSSELMAN, Papyri from Karanis, ClassRev 24 (1974), 148. 131 IXanthos 67,24–25, IIème siècle de notre ère, Xanthos : τὰ δὲ τέκνα πάντα τῶν πολιτῶν παιδεύει τε καὶ τρέφει, « et éduquer et nourrir tous les enfants des citoyens ». 132 Voir également V. MARTIN, « A Greek Papyrus Letter to a Student », Studies Presented to F. LL. Griffith (Londres : Egypt Exploration Society, 1932), 245–247.

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requête d’un juif d’Alexandrie, Hélénos. Ce texte a retenu l’attention des universitaires car le scribe ayant recueilli la plainte a biffé le terme « Alexandrin » dont se prévalait le plaignant pour le remplacer par « Juif d’Alexandrie ». De fait, la plainte semble tourner autour de la question de la citoyenneté et de l’exemption d’une taxe. Hélénos semble s’être aperçu que le scribe a modifié son statut car il passe la première partie de sa lettre à justifier ses droits : c’est parce qu’il est fils de citoyen et qu’il a reçu une bonne éducation qu’il s’estime autorisé à porter plainte : ὢν ἐκ πατρὸς Ἀλεξανδρέ(ως) καὶ διατρείψας ἐνταῦθα τὸν πάντα χρόνον μεταλαβὼν καθ’ ὃ δυνατὸν καὶ τῷ πατρὶ τῆς ἀρεσκούσης παιδείας (BGU 4,1140=CPJ 2,151,6, Ier siècle avant notre ère, Alexandrie) Étant Alexandrin par le père et étant resté ici tout le temps, ayant pris, selon les moyens de mon père, la meilleure éducation.

Les inscriptions témoignent d’un même intérêt. Une inscription d’Aphrodisias loue le poète Jules Longien dont les œuvres vont servir à l’éducation de la Cité133. Le terme qui revient le plus fréquemment est πεπαιδευμένος. En effet, lorsqu’une Cité veut louer une personne importante ce terme fait partie des épithètes élogieuses qu’on lui accole : la famille impériale romaine 134 , un notable135, des envoyés d’une Cité amie136. Sestos loue son gymnasiarque qui a formé des πεπαιδευμένοι137. Le terme παιδευτής apparaît ainsi fréquemment pour désigner le personnel des gymnases et font partie des notables 138 . La παιδεία est un signe distinctif digne d’éloges. Ceux qui la possèdent peuvent

133 MAMA VIII 418,16.24, IIème siècle de notre ère, Aphrodisias. Notons également que Delphes loue la παιδεία d’une poétesse, Auphria, (FD 3.4 79,7, IIème siècle de notre ère, Delphes) ce qui reste exceptionnel. S. AGUSTA-BOULAROT, « Autour d’une Grammatica. La question des femmes et de l’éducation dans le monde romain depuis le livre de H.-I. Marrou », Que reste-t-il de l’éducation classique ? Relire « le Marrou » Histoire de l’éducation dans l’Antiquité (éd. par J.-M. Pailler et P. Payen, Toulouse : Presses Chercheurs du Mirail, 2004), 322 et A.-M VERILHAC, « L’image de la femme dans les épigrammes funéraires grecques », l’antiquité (volume 1 de la femme dans le monde méditerranéen, Travaux de la maison de l’Orient, Lyon : Maison de l’Orient, 1985), 89 notent qu’aucune épigramme n’accole ce substantif à une défunte. 134 ISardBR 41,10, Ier siècle de notre ère, Philadelphia. SCHMITZ, Bildung und Macht, 139 remarque ici l’association avec καλὸς καὶ ἀγαθός. 135 IIasos 98,7, époque romaine, Iasos. 136 CIG 3053,10–11, IIème siècle avant notre ère, Cnossos. 137 ISestos 1,75, IIème siècle avant notre ère, Sestos. Voir aussi καὶ παιδεύων καλως qui loue un personnage de lettre (BE 79, §271). 138 Καὶ ἰατροῖς καὶ παιδευταῖς, (IGLSkythia 1,57,27, IIème siècle de notre ère, Istros, Cf. BE 62,239). Ces notables, du fait de leurs fonctions, ont des privilèges, en compagnie des médecins et sont parfois directement loués par l’un de leur étudiant devenu lui-même philosophe ou éduqué (MAMA IX 445.477, IIème siècle de notre ère, Aizanitis).

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accéder aux responsabilités139. Cependant, la tendance à rendre le terme synonyme de vertu se retrouve et permet aux hommes d’être reconnu meilleurs140. Π. Κατίλλιος Μάκερ Νικαιεύς, ἀνὴρ ἤθει καὶ παιδείᾳ διαφέρων (FD 3.2 102,4–6, 129 de notre ère, Delphes) P. Catillius Macer Nicéen, un homme qui se différencie par son comportement et son éducation.

D’autre part, les inscriptions funéraires louent fréquemment l’éducation d’un mort141 : παιδείᾳ καὶ ἀρετῇ τῶν καθ’ ἑαυτὸν πρωτεύσαντα (IPrusiasHyp 54,9–10, Pruse) Surpassant ses contemporains par son éducation et sa vertu142. Πάσῃ χάριτι κὲ ἐπιστήμῃ κὲ παιδείᾳ κεκοσμημένον (SEG 27,863,6–7, IIIème siècle de notre ère, Ankara) Orné de toute grâce et science et culture.

Cette dernière inscription décrit le fils d’un vétéran romain établi en Asie Mineure où la fierté liée à la réussite éducative précoce des enfants semble avoir été très importante143. On retrouve également l’association avec σωφροσύνη144. Dans d’autres épitaphes pour de jeunes garçons145, on mentionne leur παιδεία et leur vertu, ce qui permet d’attester qu’ils sont morts en adulte achevé, malgré leur jeune âge146. Une inscription d’Olbie loue une personne ayant accédé à des responsabilités dans la ville sans avoir jamais été éduquée : οὐχ ὑπ’ ἀνάγκης ἀνθρωπίνης δαμασθείς, ἀλλ’ ὑπὸ θεῶν προνοίας παιδευθεὶς (IPontEux 1 42,11–12, IIème siècle de notre ère, Olbie) Il ne fut pas soumis aux nécessités humaines mais fut éduqué par la providence divine.

139

SCHMITZ, Bildung und Macht, 15. Ibid., 134–135, 232–234. 141 e.g, Un exemple en BE 110 (1997), 648. 142 Voir aussi IG XIV 1728,7 traduit dans NewDocs, 4,34. 143 Voir les inscriptions : παιδείᾳ καὶ λόγῳ καὶ μετριότητι διαπρέψαντα « prédominant par sa culture, sa raison et sa modération » (BE 38 (1938), §438) et παιδείᾳ καὶ λογῳ κοσμοῦντος τὴν μητρόπολιν, « ornant le cité-mère par sa culture et sa raison », voir également BE 103 (1990), §28. 144 MAMA VIII 482,13–14, époque romaine, Aphrodisias avec σωφροσύνη et ἀρετή en IOlympia 470,9–11, fin Ier siècle début IIème siècle de notre ère, Olympie, voir d’autres exemples en SCHMITZ, Bildung und Macht, 136–142. 145 Ibid., 106. 146 Voir aussi BE 101 (1998), §769. 140

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Troisième partie : La littérature grecque non judéo-chrétienne

Il n’est pas évident de savoir ce que cela signifie concrètement. Il semble bien cependant que cette personne n’ait pas suivi le cursus habituel des hommes de son temps. Malgré cela, il a accédé aux responsabilités civiques. C’est donc qu’il en a été reconnu capable, certainement grâce à un solide bon sens. Étonnés, ses contemporains n’ont pas hésité à lui ériger une stèle, reconnaissant que sa formation était, en quelque sorte, surnaturelle147. Legras relate également une plaidoirie où un préfet est accusé d’avoir détourné du chemin de la παιδεία un jeune Grec, en entretenant avec lui des relations homosexuelles, en le laissant vivre une vie oisive tout en l’intégrant néanmoins à ses décisions de préfet. Cependant, le contexte où apparaît le mot παιδεία est mutilé148. c. Des nuances plus rares Un exemple d’utilisation spécifique au papyrus est l’utilisation du mot παιδεία pour désigner la liste des œuvres d’un auteur. Cet emploi est particulier à deux égards : l’emploi du substantif pour désigner le contenu d’un enseignement d’une part et le génitif qui désigne non pas la personne qui subit l’éducation mais la personne qui en est l’auteur : Ξενοφῶ(ντος) Παιδ(είας) (SB 24,15875,23, IIIème siècle de notre ère, Oxyrhynque ) L’éducation de Xénophon (suivi des noms des livres de Xénophon).

Peut-être est-il possible de comprendre de la même manière l’inscription qui loue un certain L. Julius Vestinus, épistate du Musée, préposé à la bibliothèque de langues romaine et grecque, qui recèle l’ « éducation » d’Hadrien, à savoir ses écrits (ἐπὶ τῆς παιδείας Ἁδριανοῦ, ἐπιστολεῖ τοῦ αὐτοῦ αὐτοκράτορος, OGI 679,7, IIème siècle de notre ère, Rome)149. D’un autre côté, il pourrait s’agir de l’éducation ou de la culture qu’a reçue quelqu’un, selon la signification classique. Ces titres signifieraient, dans ce cas, l’ensemble des pièces attestant de la culture de Xénophon ou d’Hadrien. D’autre part, dans une épitaphe, le mort, un gladiateur, se vante : παιδείαισι καλαῖς καὶ γυμνασίοις παρεδρεύων (IGUR 3,1243,7, date inconnue, Rome) Ayant été assidu aux beaux exercices et à l’entraînement.

147

On peut rapprocher du cas de Viriathe (Diodore de Sicile, Bibl. 33,7,7, voir p. 175). B. LEGRAS, Néotês. Recherches sur les jeunes grecs dans l’Égypte ptolémaïque et romaine (Hautes études du monde Gréco-romain 26, Paris : Droz, 1999), 33–34. 149 Cf. GTRI, s.v. παιδεία et C.B. ROSE, « The supposed Augustan arch at Pavia (Ticinum) and the Einsiedeln 326 Manuscript », JRA 3 (1990), 163–168, pace BE 104 (1991), n°53. 148

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Enfin, parmi tout le corpus actuellement accessible, il semble n’y avoir qu’un exemple où παιδεύω soit utilisé pour désigner la « prise de conscience » ou « la réforme du caractère ». Il s’agit d’une lettre d’un certain Antonius à sa mère. On ne sait pas réellement ce qu’Antonius a fait, mais visiblement l’une de ses relations, Postumus, a tout raconté à sa mère qui a certainement dû lui couper les vivres. Antonius tente de la faire fléchir. Il lui écrit dans quel état de honte il est et il insiste : Παιπαίδδευμαι, καθ’ ὃν δὶ τρόπον (BGU 3,846,11, IIIème siècle de notre ère, Arsinoé). Je me suis avizé (sic) que c’est de ma faute150

Ce qui est particulièrement intéressant est que la lettre est écrite « dans un grec déplorable »151, ce qui permet de supposer qu’il utilise παιδεύω dans un sens moins académique. Pour Milligan152, il est évident qu’il faut lire le verbe dans le sens de « punition ». Cependant, cette phrase est précédée et suivie par deux sentences avec les verbes οἶδα. Il se pourrait, dans ce cas, que le verbe puisse signifier plutôt une prise de conscience comme le suppose Burnet153. Les mots de la famille de παιδεύω ne semblent pas signifier « frapper, corriger » dans les papyrus. Un seul exemple a été trouvé. Un homme, probablement chrétien, se plaint à son supérieur, Gonatas, de s’être disputé avec un certain Tithoes et d’avoir été rossé par Panthère, un conducteur de chameau. Par respect pour son supérieur, Antoninos n’a pas répondu à l’attaque, mais : Γνῶτι οὖν ὅτι δύναμε αὐτῷ πεδεύσω (PSI 8,972,18–19, IVème siècle de notre ère, Oxyrhynque) Sache donc que je peux, je le frapeurai (sic)154

Tout comme BGU 3,846 le grec est mauvais, rempli d’erreurs d’orthographe, de grammaire et de syntaxe. C’est le seul cas à notre connaissance où le verbe παιδεύω signifie « frapper ».

150

Traduction R. BURNET, L’Égypte ancienne à travers les papyrus. Vie quotidienne, Paris : Pygmalion, 2003, n°210, « avizé » traduisant l’erreur d’orthographe en grec. 151 Ibid. 152 G. MILLIGAN, Selections from the Greek Papyri (Cambridge : University Press, 1910), 94–95. 153 BURNET, L’Égypte ancienne, n°210. 154 « frapperai » pour garder trace de l’erreur d’orthographe en grec. La critique qu’apporte J.R. REA, « Two Christian Letters: PSI VII 831 and VIII 972 », CHRE 45 (1970), 37 sur le rapprochement fait avec le grec moderne semble rapide. Pour lui παιδεὐω doit être compris de manière métaphorique, le contexte cependant réclame un synonyme de « frapper ».

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5. Le rapport des mots de la famille de παιδεύω avec la violence L’idéal grec de l’éducation ne semble pas inclure de violence. Le paragraphe qui suit va explorer cette question pour déterminer si l’éducation désignée par les mots de la famille de παιδεύω comporte une part de violence. Après avoir remarqué que les philosophes n’apprécient guère la violence et la colère dans l’éducation, nous observerons néanmoins que l’éducation grecque n’est pas exempte de coercition. Celle-ci est également implicite dans le dressage des animaux. Enfin, elle conduit à l’idée que la souffrance qui arrive dans la vie peut éduquer une personne. a. L’éducation coercitive grecque L’éducation grecque antique n’est pas exempte de violence155. Il se développe autour de l’éducation tout un champ lexical portant sur la punition (κολάζω, τιμωρέω, ἐπιτρίβω, τύπτω, δέρω et νουθετέω 156 ) et les instruments de la punition (μάστιξ « fouet », ῥάβδος « bâton »). La dureté de l’éducation spartiate est célèbre. Les jeunes lacédémoniens étaient confiés à des précepteurs assistés de « porteur de fouet », μαστιγοφόρος157. Ils ont le pouvoir de punir les enfants (κολάζω) parfois violemment (τιμωρέω) en utilisant des fouets (μάστιξ)158. Il explique également pourquoi, malgré le fait que l’éducation prônée par Lycurgue demande aux enfants de voler, ceux-ci étaient battus s’ils étaient pris sur le fait. Il ne s’agit en aucune façon de faire respecter une morale prônant l’honnêteté mais de leur apprendre à mieux voler par un moyen coercitif. Le but pédagogique, voler, est spécifique à Sparte, mais le moyen est commun aux autres éducations contemporaines159.

155 La recherche à ce sujet est cependant récente. L’importante étude de Nilsson montre l’image d’un garçon corrigé devant ses congénères à l’époque romaine mais ne s’en sert que pour montrer que l’éducation se faisait dans le forum. M.P. NILSSON, Die hellenistische Schule (Munich : C.H. Beck, 1955), 61.Table VIII. C’est l’article de A.D. BOOTH, « Punishment, Discipline and Riot in the Schools of Antiquity », EMC 17 (1973), 107–114 qui lance véritablement les études à ce sujet. Voir également SPICQ, « παιδαγωγός, παιδευτής », LTNT, 1129–1131, D.J. LULL, « “The law as Our Pedagogue”: A study in Galatians 3:19-25 », JBL 105 (1986), 489–491 et FITZGERALD, « Proverbs 3:11–12 », 315–316. 156 Pour ce dernier terme, voir également p. 197–200. 157 Notons que ce terme désigne aussi un agent de maintien de l’ordre (Xénophon, Cyr. 8,3,9) ou des voyous (P.Cair.Zen 1,59080,4 IIIème siècle avant notre ère, Memphis). 158 Xénophon, Lac. 2,2. 159 Xénophon, Lac. 2,8.

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L’éducation athénienne et hellénistique fonctionne également avec des moyens coercitifs. Aristophane décrit comment les enfants qui chantent faux sont roués de coups (ἐπιτρίβω) et frappés (τύπτω) 160 et comment les hommes fuient la pauvreté de la même façon que les enfants fuient le conseil de leur père161. Il propose également une définition du mot παῖς en le rapprochant de παίω162 : τί δ’ ἐστίν, ὦ παῖ; παῖδα γάρ, κἂν ᾖ γέρων, καλεῖν δίκαιον ὅστις ἂν πληγὰς λάβῃ (Aristophane, Vesp. 1297) Qu’y a-t-il « garçon » ? Car « garçon », même si on est vieux, nomme correctement celui qui se prend du « bâton ».

Les philosophes prennent acte de ce constat et l’incluent dans leur vision du monde. Ainsi, Platon met en scène une dispute entre Protagoras et Socrate sur le thème de l’enseignement de la vertu163. Socrate demande si la vertu s’enseigne. Pour Protagoras, cela ne fait aucun doute. La meilleure preuve, dit-il, que la vertu s’enseigne est qu’on ne s’emporte jamais contre (θυμόω), on ne reproche jamais (νουθετέω), on ne punit jamais (κολάζω) les infirmités qui arrivent aux hommes par nature ou hasard, on en a pitié (ἐλεέω). En revanche, l’enfant ou l’homme qui n’a pas les qualités de vertu, on le bat pour qu’il quitte les vices tels que l’injustice (ἀδικία) ou l’impiété (ἀσέβεια). Or, si on punit quelqu’un d’injuste, ce n’est pas en raison du crime qu’il a fait qui est irréversible, mais pour l’empêcher d’en commettre à nouveau. Il s’ensuit que la vertu s’acquiert car sinon tout châtiment serait inutile. Ainsi, tout parent veille à donner à son enfant une éducation dans laquelle il acquiert la vertu : on lui enseigne (διδάσκω) ce qui est bien, on le corrige (κολάζω) de ce qui est mal. Toute son éducation possède ce double mode qui se poursuit dans le fonctionnement même de la société qui a établi des lois à apprendre et dont les manquements sont punis. Le but de la justice, dit Protagoras, est de remettre sur le droit chemin (εὐθύνω). De même face à Gorgias, Socrate énonce la vérité paradoxale suivante : plus heureux sont ceux à qui on reproche (νουθετέω) leur vice que ceux qui n’ont pas la chance de l’être : οὗτος δ᾽ ἦν ὁ νουθετούμενός τε καὶ ἐπιπληττόμενος (Platon, Gorg. 478e). Celui-là même qui a été réprimandé et puni.

160

Aristophane, Nub. 961–972. Aristophane, Plut. 577–579. 162 Voir également KASSEL, « Quomodo quibus locis », 58. En revanche, il ne semble pas qu’on puisse traduire παίδευσις par « die Zucht » en Aristophane, Thesm. 175, bien que SCHMIDT, Synonymik, 101 le propose. 163 Platon, Prot. 323–326. 161

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D’autre part, l’enfant, écrit l’Athénien des Lois, ne connaît la vertu et les vices que par l’intermédiaire du plaisir et de la peine 164 . L’éducation consiste à utiliser ces sensations pour lui faire aimer ce qui doit être aimé et haïr ce qui doit être haï165. Aristote décrit également que les lois ont un double rôle de promouvoir ce qui est juste et d’interdire l’injuste166. Cette dernière fonction étant réalisée par la punition et la coercition. Aristote167 loue l’éducation spartiate en ce qu’elle est la seule qui ait réellement souci de la nourriture et des habitudes de ses enfants. Isocrate compare l’éducation de l’esprit à l’exercice corporel des athlètes 168 . Aristote est probablement dans la même lignée quand il indique que le jeu n’est pas la meilleure définition de l’éducation et qu’apprendre est un processus pénible : οὐ γὰρ παίζουσι μανθάνοντες· μετὰ λύπης γὰρ ἡ μάθησις (Aristote, Pol. 1339a) Ils ne jouent pas quand ils apprennent : avec souffrance, en effet, est l’apprentissage.

En effet, dans l’Éthique à Nicomaque 169 , Aristote compare l’éducation à la musique et au sport. Deux disciplines dans laquelle la maîtrise exige des exercices longs et difficiles, parfois douloureux. Il ne s’agit pas tant de réprouver les passions que d’habituer le corps à des exercices complexes. L’iconographie montre également des scènes d’éducation où un maître ou un parent frappe l’élève avec des sandales, des bâtons ou des fouets170. Dans un papyrus, un père demande à un maître de frapper son fils171. Quand Hypéride reproche à Démosthène de ne pas éduquer les jeunes rhéteurs, il indique ce qu’il attend de lui : les reprendre et les châtier (ἐπιτιμᾶσθαι καὶ κολάζεσθαι)172. De même, à l’époque romaine, c’est avec plein d’ironie que le général romain Camille fait battre (κολάζω) par ses propres élèves avec des bâtons (ῥάβδος) et des fouets (μάστιξ) un maître d’école (παιδευτής) traitre à sa patrie 173 . L’anecdote qui dit de Diogène qu’il frappa le pédagogue d’un jeune indiscipliné, et non le jeune lui-même, relève de la même ironie174. Cependant,

164

Platon, Leg. 653a–c. Ce concept est repris par Aristote, Eth. Nic. 1104b11–13 (Cf. SEARBY, Aristotle, 272). 166 Aristote, Eth. Nic. 1130b27. 167 Aristote, Eth. Nic. 1180a25. 168 Isocrate, Paneg. 185. Voir aussi WILMS, Techne und Paideia, 245–246. 169 Aristote, Eth. Nic. 1180b. 170 B. LEGRAS, « Violence ou douceur. Les normes éducatives dans les sociétés grecque et romaine », Histoire de l’Éducation 108 (2008), 11–34. 171 SB 5,7655,28–31, VIème siècle de notre ère, Hermopolites, avec le verbe σωφρονίζω. 172 Hypéride, Dem. fr 5,22. 173 Plutarque, Cam. 10,4–5. 174 Aphthonios, Pro. 4 ; Nicolas le Rhéteur, Pro. 20. 165

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les Lois donnent à tout homme libre le devoir de punir l’enfant, mais aussi le pédagogue, et l’enseignant en cas de fautes175. Lucien rappelle également comment les enfants vont à l’école en trainant les pieds car ils savent ce qui les attend. En effet, ce qui doit être appris ne peut l’être sans effort et sans coups, à l’exception peut-être de l’art du parasite176. Dion Chrysostome explique que ce qui fait la qualité d’un prince, c’est d’être compatissant et ce qui fait le défaut d’un philosophe, c’est le manque de sévérité177. La sagesse gnomique souligne également la présence des coups dans l’éducation hellénistique, sans que παιδεύω n’y soit synonyme de frapper ou de punir. Ceci n’est guère dit de manière aussi claire que par Ménandre : Ὁ μὴ δαρεὶς ἄνθρωπος οὐ παιδεύεται (Ménandre, Sent. 573). Celui qui n’est pas flagellé, n’est pas éduqué.

Cette sentence est copiée par des élèves178. Le verbe δέρω est utilisé dans des exercices types179. Une autre sentence de Ménandre fait du bâton le sauveur de l’homme. Βακτηρία γάρ ἐστι παιδεία βίου (Ménandre, Sent. 122) Le bâton est vraiment l’éducation de la vie.

Voir également l’épigramme attribuée à Phanias : Σκίπωνα προποδαγὸν ἱμάντα τε καὶ πυρικοίταν φιλοκαμπέα καὶ μονόπελμον συγχίδα καὶ στεγάναν κρατὸς ἐρημοκόμου. Κάλλων Ἑρμείᾳ θέτ’ ἀνάκτορι, σύμβολ’ ἀγωγᾶς παιδείου, πολιῷ γυῖα δεθεὶς καμάτῳ (Anth. Gr. Livre 6, 294) Le bâton qui guidait et soutenait ses pas, ses étrivières, une férule – son arme de chevet – dont il cinglait les oreilles des bambins, un « épervier » bien arrondi, une sandale à une seule semelle, enfin le bonnet dont il couvrait son crâne qu’ont déserté les cheveux : tels sont les attributs de sa profession que Callon le maître d’école a consacré au puissant Hermès, maintenant que ses membres sont paralysés par le travail où il a blanchi180.

175

Platon. Leg. 808e–809a. En effet, LULL, « The law », 491, n.64 interprète ce passage comme associé à celui de Diogène frappant le maître d’un enfant indiscipliné. 176 Lucien, Par. 13. 177 Dion Chrysostome, Or. 32,18. 178 CRIBIORE, Gymnastics, 68, d’autres sentences sont tout aussi explicites, Ibid., 69 rapporte l’exemple d’une tablette de cire de l’époque romaine où un élève a copié quatre fois « Travaille dur sinon tu seras sévèrement battu ». 179 En compagnie de τύπτω, Ibid., 68. 180 Traduction P. WALTZ et al., Anthologie grecque (13 volumes, Collection des Universités de France, Paris : Les Belles Lettres, 1928–1980), 3, 147.

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Enfin, rappelons la sentence suivante, diversement attribuée181: Τῆς παιδείας ἔφη τὰς μὲν ῥίζας εἶναι πικράς, τὸν δὲ καρπὸν γλυκύν (Diogène Laërce, Vit. philos. 5,18) Il a dit de l’éducation que les racines sont amères mais que ses fruits sont doux.

Searby indique que l’image des « fruits » de la philosophie se retrouve dans la littérature grecque182. L’âcreté des racines de l’éducation fait référence, pour lui, soit à l’effort à fournir pour apprendre, soit à la violence des méthodes éducatives de l’époque hellénistique. Il cite en exemple un extrait attribué par Stobée à Télès : ἔφηβος γέγονεν· ἔμπαλιν τὸν κοσμητὴν φοβεῖται, τὸν παιδοτρίβην, τὸν ὁπλομάχον, τὸν γυμνασίαρχον. ὑπὸ πάντων τούτων μαστιγοῦται, παρατηρεῖται, τραχηλίζεται (Stobée, Anth. 4,34,72) Il est devenu éphèbe : là encore, il craint le directeur, l’entraîneur physique, le maître d’escrime, le gymnasiarque, par tous ceux-là, il est frappé, surveillé sans relâche, opprimé.

De même, Aphthonios 183 commente la sentence qu’il attribue à Isocrate disant que la crainte et la punition accompagnent l’apprentissage. Ces quelques exemples confirment bien que les méthodes d’enseignement de la Grèce antique ne diffèrent en rien de celles des autres civilisations contemporaines. Cependant, le verbe παιδεύω n’est pas formellement synonyme de « frapper »184. b. L’éducation par la souffrance L’idée que plus un homme est élevé dans les contraintes les plus dures, plus il est valeureux, deviendra un lieu commun de la littérature grecque, notamment grâce à la proximité graphique des termes παθεῖν « éprouver, souffrir » et

181 À Isocrate par Libanios, Pro. 3,3,1, Hermogène, Prog. 3, à Aristote par Diogène Laërce, Vit. philos. 5,18 et Gnom. Vat. 59 à Démosthène par Stobée, Anth. 2,31,39. Pour une revue des différentes attributions et de la popularité de cette sentence, voir également SEARBY, Aristotle, 166 ainsi que FITZGERALD, « Proverbs 3:11–12 », 314–315. 182 SEARBY, Aristotle, 167–168. 183 Aphthonios, Pro. 5. 184 Citons encore la lettre à Euboule, attribuée à Théano mais pseudépigraphique, rappelée par C.H. TALBERT, Learning Through Suffering. The Educational Value of Suffering in the New Testament and in its Milieu (Zacchaeus Studies : New Testament, Collegeville, Minn. : Michael Glazier, 199), 18–19 : δεῖ δὲ καὶ πρὸς τὰ φοβερὰ γυμνάζειν τὰ τρεφόμενα, κἂν λυπηθῆναι κἂν πονῆσαι δέοι, « et il faut aussi entraîner les enfants à la crainte, même si cela doit faire souffrir ou faire de la peine » (PTHP, 195–196, lettre n°1,2 = Epist.Gr., 603, n°4,2, pour les sources de ces lettres, voir Epist.Gr., lxvij). Cependant, les mots de la famille de παιδεύω n’y sont pas présents.

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μαθεῖν « apprendre »185. Cette nuance finira par quitter le domaine éducatif. Ainsi, il est probable que de l’éducation spartiate qui fait vivre à ses enfants les plus rudes contraintes, Xénophon tire l’usage du verbe παιδεύω qui signifie s’habituer à une condition de vie difficile. Il décrit, en effet, la façon dont le législateur spartiate met les jeunes spartiates au régime sec pour les habituer à manger peu voire à jeûner sans difficulté186. Il rapporte également de Socrate qu’il menait une vie frugale en ayant habitué son esprit et son corps au juste nécessaire. τήν τε ψυχὴν ἐπαίδευσε καὶ τὸ σῶμα (Xénophon, Mem. 1,3,5)187 Il a habitué son âme et son corps.

Cette nuance se retrouve aussi tardivement que chez Libanios qui prétend être habitué (παιδεύω) à ce que les dieux envoient188. c. L’image du dressage Le cheval 189 est assez fréquemment utilisé comme objet du verbe παιδεύω. Pausanias décrit la place publique des Éléens qui se nomme « hippodrome » parce que les habitants y dressent leurs chevaux 190. Élien le Sophiste mentionne les Sybarites qui dressent leurs chevaux pour danser191. 185 J. COSTE, « Notion grecque et notion biblique de la ‘souffrance éducatrice’ (À propos d’Hébreux, v, 8) », RSR 43 (1955), 481, rappelle que l’auteur de l’épître aux Hébreux utilise ce jeu de mot : καίπερ ὢν υἱός, ἔμαθεν ἀφʼ ὧν ἔπαθεν τὴν ὑπακοήν « Tout fils qu’il était, il apprit par ses souffrances l’obéissance ». Pour faire l’exégèse de ce passage, Coste rappelle l’histoire de ce jeu de mot. Il constate qu’elle apparaît sous forme gnomique, ἐὰν μὴ πάθῃς οὐ μὴ μάθῃς « celui qui n’a pas été éprouvé, n’a pas été enseigné ». Selon lui, ce proverbe désigne initialement le sot qui est piégé par sa propre bêtise et qui n’en fera plus. Cependant, ce jeu de mot est rapidement utilisé, dans les mains des historiens et des tragédiens pour signifier une caractéristique inhérente à la nature humaine. Il s’agit d’une sorte de théodicée qui rappelle à l’homme qu’il est mortel et qu’il ne peut pas rivaliser avec les immortels. Eschyle l’emploie à deux reprises au début d’Agamemnon (Eschyle Ag. 176–178.249–250). Il s’agit d’un cadre pour le tragique de sa pièce : la démesure des hommes est réduite à néant par la destinée. Hérodote place ce jeu de mots dans les lèvres de Crésus emprisonné par Cyrus (Hérodote, Hist. 1,207). Enfin, Denys d’Halicarnasse utilise ce ressort pour faire dire à la mère de Marcus un message similaire (Denys d’Halicarnasse Ant. Rom. 8,52). FITZGERALD, « Proverbs 3:11–12 », 291 note également le jeu de mots. Ce point de littérature grecque n’est pas directement lié à l’usage des mots de la famille παιδεύω et ne se retrouve pas dans la Septante. Cette thèse n’en tiendra pas davantage compte. 186 Xénophon, Lac. 2,5. 187 Xénophon, Mem. 1,3,5, voir aussi Mem. 1,1,2. 188 Sous entendues les choses difficiles ou douloureuses, Libanios, Ep. 1265,2. 189 Très rarement un autre animal (un aigle, Xénophon, Cyr. 1,6,39, un éléphant de guerre, Élien le Sophiste, Nat. An. 17,29). 190 οἱ ἐπιχώριοι τοὺς ἵππους παιδεύουσιν ἐνταῦθα (Pausanias, Descr. 6,24,2). 191 Élien le Sophiste, Nat. An. 6,10.

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Xénophon explique ainsi comment un cheval apprend par les deux mors à avoir fière allure en toute circonstance. Le cheval étant invité à faire avec le mors doux ce qu’il a appris avec le mors dur : ἃ δ’ ἂν ὑπὸ τοῦ τραχέος παιδευθῇ (Xénophon, Eq. 10.6) Ce à quoi il a été dressé par le (mors) dur192

Cette image montre que le dressage possède une nuance douloureuse. Ailleurs, Xénophon indique qu’obtenir l’obéissance d’un esclave est similaire à l’entraînement (παιδεία) d’une bête sauvage 193 . Plutarque reprend l’idée de Xénophon avec la même image : le but de l’éducation est, littéralement, de mettre au pas les passions194. Il explique qu’on appelle Sparte δαμασίμβροτον « la dresseuse de mortel » parce que sa manière d’éduquer les enfants ressemble au dressage de chevaux195. Platon avoue dans Les lois196 que les enfants sont plus durs à gérer (δυσμεταχείριστος) que les bêtes. Pollux Grammaticus 197 indique qu’un cheval dressé (πεπαιδευμένος) n’a plus besoin de fouet (μάστιγος οὐ χρῄζων). Dans le monde latin, Cicéron use de la même image dans un dit sur Scipion l’Africain qu’il attribue à Panétius : ut equos propter crebras contentiones proeliorum ferocitate exsultantes domitoribus tradere soleant, ut iis facilioribus possint uti, sic homines secundis rebus effrenatos sibique praefidentes tamquam in gyrum rationis et doctrinae duci oportere, ut perspicerent rerum humanarum imbecillitatem varietatemque fortunae (Cicéron, Off. 1,90–91). De même qu’on a l’habitude de confier aux dresseurs les chevaux bouillants de fougue, par suite des assauts répétés des combats, afin de pouvoir les utiliser plus traitables, de même fautil conduire les hommes déchaînés par la prospérité et remplis de confiance en eux-mêmes au manège198, pour ainsi dire de la raison et de l’éducation, afin qu’ils découvrent la fragilité des choses humaines et l’inconstance de la fortune199.

192

Voir aussi Anth. Gr. Livre 6, 312. Voir Y.L. TOO, A Commentary on Isocrates’ Antidosis (Oxford : University Press, 2008), 194–195. Il ne faut pas en déduire que les esclaves sont forcément destinés à n’être que des analphabétes. Démosthène rapporte l’histoire d’un banquier qui acquit un esclave et lui apprit les lettres (Démosthène, Steph. 2,72). Voir également C.A. FORBES, « The Education and Training of Slaves in Antiquity », TPAPA 86 (1955), 321–360. 194 e.g. Plutarque, Virt. prof. 83A, Sera 549C ou Them. 2,7. Il s’agit d’une idée que Platon développe déjà, Cf. Platon, Leg. 653c. 195 Plutarque, Ages. 1. 196 Platon, Leg. 808d. 197 Pollux Grammaticus, Onom. 1,196, cette conception se retrouve jusque chez Libanios, Ep. 1400,4 : un ours qu’on doit battre est une défaillance pour un spectacle de cirque. 198 Gyrus est emprunté au grec γῦρος qui signifie le cours circulaire dans lequel sont entraînés les chevaux, Cf. A.R. DYCK, A Commentary on Cicero. De Officiis (Ann Arbor, Mich. : University of Michigan, 1996), 233. 199 Traduction M. TESTARD, Cicéron. Les devoirs (2 volumes, Collection des Universités de France, Paris : Les Belles Lettres, 1965–1970), 1, 150. 193

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195

Cette image fait probablement référence au mythe platonicien de l’attelage dans Phaedr. 247b200, même si Platon y utilise le verbe τρέφω plutôt que παιδεύω. Cependant, plus encore que les moyens coercitifs utilisés dans le dressage, il semble plutôt que παιδεύω ait été utilisé pour désigner une formation longue, commencée dès le plus jeune âge et qui a pour résultat de former des hommes à des gestes techniques manuels ou intellectuels complexes. Cette image du cheval qui accomplit des prodiges, s’il est bien dressé, se trouve déjà chez Isocrate. Dans un de ses discours201, il s’oppose à ceux qui affirment que la philosophie ne sert à rien. Isocrate prend l’image du dressage : on sait apprendre aux animaux à accomplir des prouesses et l’homme par l’éducation ne saurait accomplir des prouesses encore plus grandes202 ? Il est alors évidemment utilisé pour l’apprentissage des mouvements militaires et à la guerre 203 , du commandement 204 , du sport 205 , de la danse 206 , de la chasse 207 ou de l’art équestre208 mais aussi des arts libéraux209 ou même du commerce qui devait nécessiter une bonne base de mathématique210. Un auteur tardif, Synésios de Cyrène, l’utilise également pour désigner l’apprentissage des « choses de l’amour » de Socrate par sa femme Aspasie 211 . Le verbe devient alors quasiment synonyme de διδάσκω212 et désigne l’action d’enseigner une matière particulière213. Cependant, une troisième image apparaît chez Xénophon214. À celui qui objecte qu’une personne ayant des dispositions naturelles exceptionnelles n’a pas 200 Ainsi M. ALEXANDRE, De Congressu eruditionis gratia (OPA 16, Paris: Cerf, 1967), 214, n.3 commente l’utilisation par Philon de la même image (Philon, Congr. 158). 201 Isocrate, Antid. 209–214. 202 Voir aussi Isocrate, ad. Nic. 12. 203 Xénophon, Lac. 11,7–8 ; Cyr. 1,6,12 ; 2,3,15 ; 3,3,70 ; Aristote, Pol. 1277a18. 204 Xénophon, Mem. 2,1,3 ; Plutarque, Aem. 3,7. 205 Isocrate, Paneg. 180–185.210, Ad Nic. 10–11. 206 Voir les occurrences du verbe dans Libanios, Or. 64,76.83.104.108. 207 Xénophon, Cyn. 1,14. 208 Xénophon, Eq. 5,1 ; Aristote, Pol. 1277a18. 209 Par exemple la musique, Isocrate, Ep. 8,1. Héraclès est formé à la cithare avec Linon (Élien le Sophiste, Var. hist. 3,32). Alexandre est formé aux lettres par Aristote (Plutarque, Alex. 7,9), tandis que les prêtres égyptiens forment leurs fils aux écritures sacrées et profanes (Diodore de Sicile, Bibl. 1,81,1). Les Muses ont été formées à toutes sortes d’arts (Diodore de Sicile, Bibl. 1,18,4 ; 4,4,3). 210 Hérodote, Hist. 1,155, Platon, Leg. 643d–e. 211 Σωκράτης Ἀσπασίᾳ προσεφοίτα κατὰ χάριν τοῦ τὰ ἐρωτικὰ παιδευθῆναι. Synésios de Cyrène, Dion 1.15 (IV/Vème siècle de notre ère). 212 PERDICOYIANNI, Étude lexicologique, 82–84. Selon cet auteur, διδάσκω garde une connotation orale, tandis que παιδεύω désigne un enseignement institutionnel. 213 Voir par exemple Platon, Phileb. 17b. 214 Xénophon, Mem. 4,1,2.

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besoin d’éducation, Xénophon souligne l’intérêt de l’éducation humaine par une comparaison avec les chevaux et les chiens. Même s’ils ont des qualités naturelles, s’ils ne sont pas dressés correctement, ils ne peuvent pas mettre leurs qualités au service de l’homme. De même un homme bien doté par la nature, mais qui n’est pas éduqué, un ἀπαίδευτος, mettra ses qualités au service de ses passions car il ne saura pas discerner où se situe son devoir215. Dans le même esprit, Diogène Laërce fait dire à Aristippe : ἐρωτηθεὶς τίνι διαφέρουσιν οἱ πεπαιδευμένοι τῶν ἀπαιδεύτων, ἔφη, “ᾧπερ οἱ δεδαμασμένοι ἵπποι τῶν ἀδαμάστων.” (Diogène Laërce, Vit. philos. 2,69) On lui demanda en quoi différait l’homme éduqué de l’homme sans éducation, il répondit : « de la même façon que les chevaux dressés différent de ceux qui ne sont pas dressés ».

L’image du dressage apparaît ambiguë, l’aspect coercitif du dressage est concurrencé par la formation technique complexe, mais aussi par l’idée que le dressage amène le cheval à être utile à l’homme. d. La résistance à la coercition En général, les philosophes grecs expliquent que la violence, surtout celle résultant de la colère, ne devrait pas être de mise dans l’éducation216. Ainsi, Platon critique l’action de ceux qui n’arrivent pas à convaincre par la parole : Ἣν ἔργῳ προστιθέασι λόγῳ μὴ πείθοντες οὗτοι οἱ παιδευταί τε καὶ σοφισταί. ἢ οὐκ οἶσθα ὅτι τὸν μὴ πειθόμενον ἀτιμίαις τε καὶ χρήμασι καὶ θανάτοις κολάζουσι; (Platon, Resp. 492d) Que ces éducateurs et sophistes imposent par l’action quand ils ne persuadent pas par la parole. Ne sais-tu pas qu’ils punissent ceux qui ne sont pas convaincus par la disgrâce, les affaires ou la peine de mort ?

De même, Plutarque stipule que la colère ne doit pas dominer les individus, notamment ceux qui jugent : μήτε παιδεύοντας (ἀθυμίαν γὰρ ἐμποιεῖ καὶ μισολογίαν) (Plutarque, Cohib. ira. 462B) ni ceux qui éduquent (en effet, cela produit découragement et dégout pour les études).

De plus, un tel traitement n’est pas digne d’un enfant destiné à devenir un homme libre217. Même l’exercice physique n’est pas suffisant. Aristote y voit 215

Voir également la sentence attribuée à Aristote par Stobée, Anth. 2,31 : « tout nature est améliorée par la παιδεία ». 216 Voir également R. CRIBIORE, Gymnastics of the Mind. Greek Education in Hellenistic and Roman Egypt (Princeton, N.J. : University Press, 2001), 71–73 ou J.T. FITZGERALD, « Proverbs 3:11–12, Hebrews 12:5–6, and the Tradition of Corporal Punishment », Scripture and Traditions. Essays on Early Judaism and Christianity in Honor of Carl R. Holladay (éd. par P. Gray et G.R. O’Day, NovTSup 129, Leyde : Brill, 2008), 292, n.6. 217 Plutarque, Lib. ed. 8F

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une faille de l’éducation spartiate : ils étaient meilleurs à la guerre parce que les autres peuples n’étaient pas entraînés comme eux. Mais en ne se focalisant que sur l’exercice physique, ils ont laissé de côté l’éducation de la raison218. On observera cependant que ce rejet de la violence due à la colère ne conduit pas à un rejet de la violence tout court. Dion Chrysostome 219 indique que Chiron se met en colère contre son élève Achille, mais qu’il se retient de le frapper. L’idée qu’un enseignant s’abstient de frapper car il est en colère est également attribuée à Archytas 220 . Ce qui est dénoncé n’est pas l’acte de frapper, mais le fait de le faire en étant en colère. Ainsi, il serait rapide d’affirmer que le philosophe grec récuse l’usage des coups dans l’éducation. C’est l’excès qui est condamné. Cela est confirmé par les pratiques éducatives de l’époque. e. La relation avec les mots de la famille de νουθετέω Il arrive en de rares endroits que παιδεύω soit utilisé conjointement avec νουθετέω. Cependant, avant d’étudier ces passages, il convient de mieux définir la signification de ce dernier verbe, également présent dans la Septante avec ses dérivés νουθέτημα et νουθέτησις. L’étymologie de νουθετέω ne pose pas de problème. Il s’agit d’un verbe composé de νόος et de τίθημι. Il signifie donc « placer dans l’esprit, mettre en tête ». Cependant, la différence entre conseil et reproche est tenue. Ainsi, fautil comprendre conseiller ou reprocher dans ce passage d’Euripide ? μὴ σὺ νουθέτει τά θ᾽ Ἥρας κἀμὰ μηχανήματα (Euripide, Her. 855) Épargne-nous tes reproches concernant nos idées à moi et à Héra…

La folie conseille à Iris et à Héra de ne pas faire ce qu’elles ont l’intention de faire. Aristophane est plus clair. En associant νουθετέω avec κόνδυλος, il évoque les rapports d’un enfant et son père en termes brutaux : εἰ νὴ Δί᾽ αὖθις κονδύλοις νουθετήσεθ᾽ ἡμᾶς (Aristophane, Vesp. 254) Par Zeus, si vous me faites encore des reproches avec vos poings.

De même, Isocrate loue-t-il ceux qui savent faire un juste reproche. Ceux qui calomnient sont de vils accusateurs, mais ceux qui reprochent de justes torts

218

Aristote, Pol. 1338b20–40. Dion Chrysostome, Or. 58. 220 Cf. Diodore de Sicile, Bibl. 10,7,4 et Plutarque, Lib. ed. 10D. Plutarque Sera 550D effectue le même éloge de la maîtrise de soi concernant Platon. 219

198

Troisième partie : La littérature grecque non judéo-chrétienne

sont de bons conseillers221. Le même auteur, par une comparaison gastronomique, évoque la même idée dans un autre discours : de la même façon qu’on préfère les plats doux à ceux qui sont sains, on préfère les amis qui partagent nos vices à ceux qui nous les reprochent222. Il associe le verbe avec κολάζω pour désigner deux degrés différents dans la coercition, le reproche puis la punition223. Chez Platon, la signification du verbe s’éloigne encore plus du champ sémantique du conseil pour venir vers celui de la punition. Il indique qu’il faut éviter de châtier soi-même les étrangers et utilise ce terme dans cette acception en parallèle avec πληγή224. Il explique, en associant νουθετέω et κολάζω, qu’un homme châtié ou à qui on fait un reproche est plus heureux qu’un homme laissé libre de ces actes225. Platon parle enfin de l’ordre qui règne du fait de la présence du bâton : παισὶ δὲ καὶ παιδαγωγοῖς καὶ τῷ πλείστῳ ὄχλῳ ῥάβδου κοσμούσης ἡ νουθέτησις ἐγίγνετο (Platon, Leg. 700c) La discipline du bâton qui apporte l’ordre pour les enfants, leur pédagogue et la grande foule.

Les mots de la famille de νουθετέω possèdent des caractéristiques qui les lient à la coercition telles que le parallélisme avec les mots ῥάβδος, κολάζω ou πληγή226. Lorsque παιδεύω et νουθἐτεω sont utilisés conjointement, il convient de déterminer si le premier est synonyme du second. Un premier témoin est Eschine dans le Contre Ctésiphon qui explique comment les grands de Thèbes ont été avertis du danger causé par la Macédoine : οὐ γὰρ ῥήτωρ ἀστράτευτος καὶ λιπὼν τὴν τάξιν αὐτοὺς ἐνουθέτησεν, ἀλλ’ ὁ Φωκικὸς πόλεμος δεκέτης γεγονὼς ἀείμνηστον παιδείαν αὐτοὺς ἐπαίδευσε (Eschine, Ctes. 148). En effet, ce n’est pas un rhéteur déserteur qui a quitté son poste qui les a avertis, mais la guerre de Phocide ayant duré dix ans qui les a instruits d’une leçon mémorable.

Ce passage est intéressant car il fait le lien entre la signification classique et celle métaphorique 227 . Ici le verbe παιδεύω signifie bien « apprendre ».

221

Isocrate, Paneg. 130. Isocrate, Demon. 45. 223 Isocrate, Areop. 46. 224 Platon, Leg. 879b. 225 Platon, Gorg. 478e–479a. 226 Platon, Prot. 323e ; Plutarque, Lyc. 17,1 ; Jamblique, Vit. Pyth. 197. Voir aussi C. SPICQ, « νουθεσία, νουθετέω », LTNT, 1072–1075. 227 Voir p. 178. 222

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Cependant, le parallélisme avec νουθἐτεω montre bien que la leçon est un avertissement pour l’avenir. L’Alcibiade de Plutarque, malgré sa vie débauchée, voit en Socrate l’homme qui peut le corriger de ces mauvais penchants : ὡς Ἀλκιβιάδης εὐθὺς ἐξ ἀρχῆς θρυπτόμενος καὶ ἀποκλειόμενος ὑπὸ τῶν πρὸς χάριν ἐξομιλούντων εἰσακοῦσαι τοῦ νουθετοῦντος καὶ παιδεύοντος, ὅμως ὑπ’ εὐφυΐας ἐγνώρισε Σωκράτη καὶ προσήκατο, διασχὼν τοὺς πλουσίους καὶ ἐνδόξους ἐραστάς (Plutarque, Alc. 4.2) Ainsi, Alcibiade, tant amolli depuis le début et empêché d’écouter celui qui le corrige et le sermonne par ceux qui cherchent à le concilier pour une faveur, a cependant par son bon naturel reconnu Socrate et l’a accepté, rejetant les amants riches et honorables.

L’utilisation du verbe παιδεύω est probablement métaphorique, puisque Alcibiade n’est plus un enfant. Il semble cependant avoir encore besoin d’un tuteur. Dans tous les cas, le programme de Socrate n’est pas de faire d’Alcibiade un intellectuel : ἀλλ’ ἐλέγχοντος τὰ σαθρὰ τῆς ψυχῆς αὐτοῦ καὶ πιεζοῦντος τὸν κενὸν καὶ ἀνόητον τῦφον (Plutarque, Alc. 4.3) Mais de corriger les imperfections de son âme et de réprimer la vanité et la sottise de son illusion.

On peut noter ici l’utilisation du verbe ἐλέγχω dans un sens proche de celui qu’il a dans la Septante quand il correspond à la racine ‫יכח‬228 . Un auteur ultérieur, Philostrate l’Athénien, raconte comment Apollonius de Tyane, ayant perdu son père, doit gérer son frère qui est peu recommandable. Or, son frère est plus âgé que lui. Il tente alors de le persuader par la parole en y mettant les formes : „ὁ μὲν πατὴρ“ ἔφη „μεθέστηκεν, ὃς ἐπαίδευέ τε ἡμᾶς καὶ ἐνουθέτει, λοιπὸς δὲ σὺ ἐμοὶ καὶ σοὶ δήπου ἐγώ· εἴτ’ οὖν ἐγώ τι ἁμαρτάνοιμι, σύμβουλος γίγνου καὶ ἰῶ τἀμά, εἴτ’ αὐτός τι ἁμαρτάνοις, ἀνέχου διδάσκοντος.“ (Philostrate l’Athénien, Vit. Apoll. 1,13, Olearius p. 15) Maintenant que notre père, dit-il, est passé, lui qui nous sermonnait et nous corrigeait, il ne me reste que toi et peut-être que pour toi il ne te reste que moi, si donc moi il m’arrivait de fauter, deviens mon conseiller et guéris-moi et même si c’est toi à qui il arrivait de fauter, prends mon instruction.

Ici παιδεύω ne signifie pas « éduquer », mais doit être compris comme « sermonner »229. Cette interprétation est confirmée par l’utilisation des deux verbes aux mêmes temps, l’imparfait, alors que dans le cas où παιδεύω devrait

228 Plutarque met également en parallèle ἐλέγχω et νουθετέω en Virt. prof. 82A. Voir également Dion Chrysostome, Or. 33,10 qui indique que, contrairement aux poètes, le philosophe reproche et sermonne (ἤλεγχε καὶ ἐνουθέτει). 229 Voir aussi p. 180 (avec Élien le Sophiste, Var. hist. 1.34).

200

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signifier « éduquer », le verbe aurait dû être au parfait 230 . En effet, le frère d’Apollonius, et probablement celui-ci aussi, sont adultes231. On prendra Dion Cassius comme dernier exemple : καὶ διὰ ταῦτα χρὴ τοὺς μὲν πλημμελήσαντάς τι ἐλεεῖν νουθετεῖν παιδεύειν, τοὺς δὲ εὖ ποιήσαντας θαυμάζειν φιλεῖν ἀμείβεσθαι (Dion Cassius, Hist. Rom. 8,36,11) Et à cause de cela, il est nécessaire d’un côté avoir pitié, de corriger, de sermonner ceux qui ont fait quelque faute, et de l’autre d’honorer, d’aimer et de récompenser ceux qui agissent bien.

De nouveau, l’utilisation de παιδεύω témoigne d’une volonté de changer le comportement d’un homme adulte qui commet des fautes. Malgré ces utilisations parallèles, παιδεύω ne semble pas prendre en charge la correction corporelle signifiée parfois par νουθἐτεω. Pour trouver une telle nuance dans le verbe παιδεύω, il faut attendre la fin de l’Antiquité avec Libanios232. f. La synonymie tardive avec punir Cependant, dans le corpus non judéo-chrétien, παιδεύω n’est pas synonyme de frapper ou de punir. L’arrivée de cette nuance ne se trouve en fait que tardivement, peut-être dans la Vie d’Ésope, de datation et d’origine incertaine233: Λέγει τῇ ἑαυτοῦ γυναικί “κυρά, θέλεις τὸν Αἴσωπον παιδευθῆναι ;” (Vit. Æs. G.61) Il (Xanthos) dit à sa femme : « femme, veux-tu qu’Ésope soit châtié ? »

Le contexte implique un tel sens car la femme de Xanthos déteste l’esclave de son mari, Ésope. Le lexique d’Hésychius d’Alexandrie propose également de définir παιδεία par πεῖρα ou νουθεσία 234 . Cependant, son œuvre est soupçonnée d’interpolations chrétiennes235.

230

Pour désigner une action éducatrice achevée. Pour être exact, Philostrate l’Athénien explique qu’Apollonius avait vingt ans quand son père est mort, tandis que son frère en avait vingt-trois. Même si Philostrate indique qu’Apollonius avait encore besoin d’une tutelle, son frère, quant à lui, n’en avait plus besoin. De plus, la parole de Philostrate est émise alors qu’il est encore parti séjourner à Égées. Même s’il est encore sous tutelle, ce que Philostrate ne mentionne pas explicitement, il demande et obtient une position paternelle auprès de son frère (et réciproquement) que ce dernier ne conteste pas. 232 Voir p. 200. 233 Cf. M.J. LUZZATTO, « Aisop Roman », DNP 1 (1996), 359–360. 234 Hésychius d’Alexandrie, Lex. π, 61. 235 Hésychius d’Alexandrie est païen, mais son dictionnaire est transmis sous une forme abrégée dont environ un tiers possède des références bibliques et provient d’un dictionnaire 231

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Plus importante est l’utilisation par Libanios de παιδεύω avec une nuance violente236. Ainsi l’empereur Théodose, à la suite de la réconciliation qui a suivi l’affaire des statues 237: παιδεύει μὲν τιμωρίᾳ τινὶ τὴν ἴασιν ἐχούσῃ δυναμένῃ τὸ πεπαυμένον τῇ λύπῃ πάλιν ἐλεύθερον τῶν λυπούντων ποιῆσαι (Libanios, Or. 20,6) Il punit par un châtiment tel qui permet d’apporter le soin pour mettre un terme, par la souffrance, à ce qui a apporté la souffrance.

ou encore παίδευε δὲ αὐτοὺς μήτε θανάτοις μήτε πληγαῖς, ἀλλ’ ἀρκείτω δεσμός (Libanios Or. 26,10) Ne les punis ni par des peines de mort 238 ni par des châtiments, mais qu’un lien suffise.

Peut-être que ces auteurs sont influencés par les auteurs chrétiens. Il est également possible qu’il s’agisse d’une forme populaire qui n’atteint la littérature que tardivement. L’évolution fut cependant décisive puisque le verbe ne signifie plus que « châtier » dans le grec moderne.

attribué à Cyrille (E. DICKEY, Ancient Greek Scholarship. A guide to Finding, Reading, and Understanding Scholia, Commentaries, Lexica, and Grammatical Treatises, from Their Beginnings to the Byzantine Period [APACRS, Oxford : University Press, 2007], 88–90). Cela nécessiterait des études plus approfondies (ainsi, il faudrait aussi comparer avec le lexique de Cyrille qui ne possède pas d’édition complète à ce jour, Ibid., 100–101). 236 La phrase suivante décrivant la victoire de l’empereur : παιδεύσας δὲ τοὺς διώκοντας φεύγειν « et ayant appris à fuir à ses poursuivants » peut n’être qu’une ironie (Libanios, Or. 30,41). 237 À la suite d’un impôt jugé injuste, Antioche se souleva contre Théodose en mutilant des statues le représentant. La réaction de l’empereur fut violente, mais la ville finit par obtenir son pardon. L’affaire est connue par des homélies de Jean Chrysostome et des discours de Libanios, Cf. G. DOWNEY, A History of Antioch in Syria from Seleucus to the Arab Conquest (Princeton, N.J. : Princeton University, 1961), 428–430. 238 Pour cet emploi de θάνατος au pluriel, au sens de peine de mort, voir LSJ.

Chapitre trois

Étude de passages relatifs au divin Il n’existe aucune étude exhaustive sur le sujet de l’éducation divine dans la littérature grecque de l’Antiquité. Il semble que seule la section A.3 de l’article de Bertram dans le TDNT, intitulé « ὑπο Διὸς παιδεύεσθαι »1, en présente un bref exposé où il évoque l’aspect mythologique et s’intéresse au lien entre l’éducation et le divin, tel qu’il peut être exprimé chez Platon ou Aristote et leurs disciples. Cela est probablement dû à la rareté des occurrences2.

1. L’éducation du héros Il est normal qu’un être exceptionnel ait reçu une éducation exceptionnelle par un maître exceptionnel. Parmi eux, la figure du sage centaure Chiron se détache incontestablement. De nombreux textes citent la liste de ses différents et nombreux élèves. Xénophon, dans son éloge de la chasse3, précise que cet art fut donné comme cadeau à Chiron et cite ses différents disciples4 dont Jason, Ulysse, Esculape5 et surtout Achille. L’éducation de ce dernier est décrite par Homère 6 . Cependant, Homère indique seulement que Chiron a enseigné des techniques médicales à Achille. La réception de ces vers dans la littérature classique fera d’Achille l’élève de Chiron. Ainsi, Platon7 qualifie Achille de Χείρωνος πεπαιδευμένος : « celui qui est éduqué par Chiron ». Dion Chrysostome 8 nous raconte, dans un court morceau assez savoureux, comment l’éducation d’un esprit aussi fort que celui 1

G. BERTRAM, « παιδεύω, κτλ. », TDNT 5 (1976), 602–603. BLOMENKAMP, RAC, 6, 516–517, confirme que l’idée d’éducation divine est davantage présente dans l’AT que dans le monde gréco-romain. 3 Xénophon, Cyn. 1,1–4 auquel fait référence Arrien, Cyn. 1,1. Une autre liste est donnée par une scholie du poème d’Aratus (Schol. Ar. 436) expliquant un vers concernant la constellation du centaure. 4 Céphale, Esculape, Mélanion, Nestor, Amphiaraüs, Pélée, Télamon, Méléagre, Thésée, Hippolyte, Palamède, Ulysse, Ménesthée, Diomède, Castor, Pollux, Machaon, Podalire, Antiloque, Énée et Achille. 5 Voir par exemple Aelius Aristide, Or. 38 Jebb p.42. 6 Homère, Il. 11,830–832. 7 Platon, Hipp. min. 371d. 8 Dion Chrysostome, Or. 58. 2

Chapitre 3 :Passages relatifs au divin

203

d’Achille ne fut pas simple pour Chiron. Celui-ci se mit alors en colère contre son élève qui voulut retourner vers son père. « Pourquoi donc ne peut-il pas t’éduquer lui-même s’il est meilleur que moi ? » lui rétorque Chiron insinuant que le père d’Achille l’a confié à lui parce que Chiron est le meilleur pédagogue qui soit. Achille répond que c’est parce que son père est roi et qu’être roi est plus important qu’être enseignant. Il est rare que ce soit un dieu qui s’occupe directement de l’éducation d’un héros. Le cas le plus emblématique est l’éducation de Minos par Zeus. Cette légende trouve son origine dans Homère9 : ἔνθα τε Μίνως ἐννέωρος βασίλευε Διὸς μεγάλου ὀαριστής (Homère, Od. 19,178-179) Là, Minos régnait neuf ans, ayant été proche de Zeus le grand.

Cependant Homère n’utilise pas le mot παιδεύω, c’est Platon ou l’un de ses successeurs qui le fait dans un but philosophique10. En effet, dans le Minos de Platon, on observe pour la première fois que Minos a, en fait, été éduqué par Zeus. Dans Les Lois, il est seulement indiqué que Minos s’entretenait avec son père. En revanche, dans le Minos, il est clairement écrit qu’il fut éduqué par Zeus qui est comparé à un sophiste : λέγει γὰρ τὸν Μίνων […] φοιτᾶν παιδευθησόμενον ὡς ὑπὸ σοφιστοῦ ὄντος τοῦ Διός (Platon, Min. 319c) En effet, il dit que Minos […] le fréquentait, étant éduqué comme par un sophiste 11 qui est Zeus.

Cette éducation fit atteindre à Minos un état de perfection dans la sagesse et dans l’art de gouverner. Cela lui a permis d’édicter les meilleures lois terrestres et de les enseigner aux autres. Socrate peut ainsi le comparer à un pasteur d’homme (ποιμένες ἀνδρῶν12) à l’instar de Bianor, un général troyen qualifié

9

Homère, Od. 19,178–179. Voir également Démosthène, Cor. 127 qui fait le lien entre Minos, jugement et παιδεία. Si Minos était à la barre, dit Démosthène, il n’aurait pas utilisé, comme l’accusateur, l’expression d’un tragique exprimant le fait que l’éducation permet de juger entre le beau et le laid. En effet, l’accusateur lui-même est un malappris, il ne peut pas parler de ce qu’il ne connaît pas. Cela dresse en creux une image de Minos, parfait juge car parfaitement éduqué. 11 J. DALFEN, Platon. Minos (Platon Werke Übersetzung und Kommentar 9/1, Göttingen : Vandenhoeck & Ruprecht, 2009), 153–155, met l’accent sur le fait que « sophiste » ne doit pas être compris ici de manière négative. Il ne s’agit pas de critiquer les Gorgias ou les Protagoras, mais de comparer Minos à un enfant qui va fréquenter un sophiste pour être éduqué. Ibid., 155 cite également un fragment de Héraclide du Pont (Plutarque, Mus. 1131F–1132A) qui indique que Zeus a enseigné la cithare à son fils Amphion. Cependant, il ne s’agit pas du verbe παιδεύω mais διδάσκω. 12 Platon, Min. 321c. 10

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Troisième partie : La littérature grecque non judéo-chrétienne

de la sorte par Homère13. Si tous les législateurs étaient aussi bien éduqués que Minos, on ne trouverait plus de variétés dans les lois de chaque pays. Minos est donc pour Platon un prétexte pour discuter le concept même de lois. Diodore de Sicile confirme cette légende : Μίνω τὸν θαλαττοκρατήσαντα Κνώσιον ὄντα παιδευθῆναι ὑπὸ Διὸς καὶ πολὺ τῶν ἄλλων ἀρετῇ διενεγκεῖν (Diodore de Sicile, Bibl. 33,10,1) Minos, le Gnossien, maître de la mer, ayant été éduqué par Zeus et surpassant de beaucoup ses contemporains par la vertu.

On retrouve, également cette légende chez Clément d’Alexandrie qui en profite également pour affirmer que Lycurgue, le législateur de Sparte, fut éduqué par Apollon14. Il ne s’agit en fait que d’un prétexte pour mettre en valeur la loi et la figure de Moïse : la qualité exceptionnelle des lois que les grecs concevaient devait provenir d’une grande proximité avec le divin. Du point de vue de la lexicographie, l’idée que la proximité de Minos avec Zeus devienne l’éducation du premier par le second provient de ce que le verbe παιδεύω désigne non seulement la relation entre un père et son fils mais aussi la formation à l’art de gouverner. Cela correspond également à l’idée que seul un homme éduqué est capable de gérer une Cité correctement et d’établir des lois qui vont éduquer les citoyens par eux-mêmes. Une scholie de l’Odyssée précise que Télémaque fut « éduquée » par Athéna. En fait, cette scholie utilise la nuance exhortative de παιδεύω en le plaçant en parallèle avec συμβουλεύω, « conseiller » : ὡς πεπαιδευμένος ὑπὸ τῆς Ἀθηνᾶς ἤδη καὶ συμβουλεύει τῇ μητρὶ, (Schol. Od. 1,354) Ayant été exhorté par Athéna en son temps, il donne alors un conseil à sa mère.

En effet, Homère15 décrit une situation de conseil ou d’exhortation en indiquant que les paroles de la déesse envers Télémaque sont comparables à celle d’un père à son fils sans toutefois utiliser le mot παιδεύω16.

13

Homère, Il. 11,92. Clément d’Alexandrie, Str. 1,26,170,3, Josèphe utilise la même tradition (Ap. 161–162). 15 Homère, Od. 1,144–324. 16 ὥς τε πατὴρ ᾧ παιδί, Homère, Od. 1,308. Ce point est un signe supplémentaire pour supposer que l’absence des mots de la famille de παιδεύω n’est pas un accident de transmission, comme le pense JAEGER, Paideia. La formation, 31 mais serait le fait de l’inexistence de ces mots dans ce champ sémantique à l’époque d’Homère, voir p. 146, n. 5. 14

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2. L’apprentissage d’une technique Tout comme un homme exceptionnel ne peut avoir été éduqué que par un dieu, et non par un simple mortel, il est dans la modestie de l’homme de l’Antiquité de penser que les arts et techniques ont tout d’abord été enseignés par les dieux aux hommes. En général, chaque technique passe pour avoir été donnée à l’homme ou à un homme en particulier par une divinité particulière. On trouve rarement que les hommes ont été éduqués aux techniques militaires par Priape17 ou les amazones par Arès18. Lucien affirme également que c’est la philosophie personnifiée, fille de Zeus, qui initie les chaldéens aux choses divines19. a. Les Muses Le plus fréquent sont les Muses éducatrices. Platon parle de l’éducation des Muses pour parler de l’éducation musicale20. Longus, parle de la jolie Nymphe Écho. Belle tout autant qu’harmonieuse, elle a été nourrie par ses sœurs les Nymphes et éduquée par les Muses elle-même, ce qui rend son destin plus tragique encore. Καὶ μιᾶς τούτων θυγάτηρ Ἠχὼ γίνεται, θνητὴ μὲν ὡς ἐκ πατρὸς θνητοῦ, καλὴ δὲ ὡς ἐκ μητρὸς καλῆς. Τρέφεται μὲν ὑπὸ Νυμφῶν, παιδεύεται δὲ ὑπὸ Μουσῶν συρίζειν, αὐλεῖν, τὰ πρὸς λύραν, τὰ πρὸς κιθάραν, πᾶσαν ᾠδήν, ὥστε καὶ παρθενίας εἰς ἄνθος ἀκμάσασα ταῖς Νύμφαις συνεχόρευε, ταῖς Μούσαις συνῇδεν (Longus, Daphn. 3,23) Et de l’une d’entre elles21 fut engendrée une fille, Écho, d’un côté elle était mortelle du fait que son père était mortel, de l’autre elle était belle de la beauté de sa mère. Elle fut d’une part élevée par les Nymphes mais d’autre part éduquée par les Muses à jouer de la syrinx, de la flûte, de la lyre, de la cithare à tous les tons, de sorte que cette vierge, parvenue à la fleur de l’âge, dansait avec les Nymphes et chantait avec les Muses.

Athénée22 décrit un poète qui fut éduqué par les Muses pour être un bon joueur de flûte. Cela vaut aux Muses, remarque Strabon, d’être l’objet du culte des hommes éduqués23.

17

Lucien, Salt. 21. Philostrate l’Athénien, Her. 18,19, Olearius p.750. 19 Lucien, Fug. 8. 20 Platon, Leg. 654a. C’est d’ailleurs dans la thèse de P. BOYANCE, Le culte des Muses chez les Philosophes grecs. Études d’histoire et de psychologie religieuses (BEFAR 141, Paris : de Boccard, 1972), 349–351 que le culte des Muses introduit dans l’éducation rationnelle un élément irrationnel nécessaire à l’homme. L’harmonie est une résonance avant d’être une raison. Ce point sera par la suite combattu par les stoïciens. 21 Les Nymphes. 22 Athénée Deipn. 13,71. 23 Strabon, Geogr. 10,3,10. 18

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b. Hermès Parmi les dieux « éducateurs », Hermès tient une place à part, étant relativement souvent associé aux vocables παιδεία et παιδεύω. Initialement dieu des bornes et des bergers, Hermès est devenu peu à peu le dieu de la sagesse et des mystères24. Platon25 relate que le fils de Pisistrate, Hipparque, après avoir invité des philosophes pour former les gens de la ville, décida d’éduquer ceux de la campagne. Pour cela, il éleva des « Hermès », des bornes, sur lesquelles furent inscrites des maximes de sagesse. Est-ce cette utilisation d’écrits sur des bornes qui fut à l’origine de l’association entre Hermès et la sagesse ? Est-ce parce que les bergers étaient habituellement amenés à transmettre des messages qu’Hermès fut l’envoyé des dieux ? Tout cela n’est pas démontrable. Cependant, avec Hercule, Hermès est l’un des « patrons » de tous les gymnases helléniques. Il devient ensuite un dieu à mystères ce qui est probablement dû à son association avec le dieu égyptien Thot26. Diodore de Sicile est le témoin de cette évolution, il dresse de l’Hermès égyptien un tableau impressionnant. Il est celui qui invente les lettres, le culte aux dieux, il donne aux hommes l’astronomie, la musique, le sport, il était le scribe d’Osiris. Il découvre, enfin, l’olivier27. οἱ δ’ ἱερεῖς εὑρετὴν τῶν μὲν παιδειῶν καὶ τῶν τεχνῶν μυθολογοῦσι τὸν Ἑρμῆν γεγονέναι (Diodore de Sicile, Bibl. 1,43,6) Les prêtres (égyptiens) racontent dans leurs légendes qu’Hermès était l’inventeur des arts et des techniques.

Plus avant, il écrit qu’Isis, la déesse égyptienne, est éduquée par Hermès28 et nourrie par la terre égyptienne et peut ainsi établir des lois pérennes : ἐγὼ Ἶσίς εἰμι ἡ βασίλισσα πάσης χώρας, ἡ παιδευθεῖσα ὑπὸ Ἑρμοῦ, καὶ ὅσα ἐγὼ ἐνομοθέτησα (Diodore de Sicile, Bibl. 1,27,4). C’est moi Isis, je suis la reine de tout le pays, je suis celle qui a été éduquée par Hermès et ainsi moi j’ai pu établir les lois.

24

G. BAUDY, « Hermes. Kult und Mythos », DNP 5 (1998), 426–431. Platon, Hipp. 228c–d. 26 Voir G. FOWDEN, The Egyptian Hermes: a Historical Approach to the Late Pagan Mind (Cambridge: University Press, 1986), 13–31 et D. MÜLLER, Ägypten und die griechischen IsisAretalogien (ASAWL 53/1, Berlin : Akademie, 1961), 22–25. 27 Diodore de Sicile, Bibl. 1,17,1. 28 Il faut noter que, dans la littérature égyptienne hiéroglyphique, Isis est aussi présentée comme ayant été éduqué par Ré (Cf. D. MEEKS, « Liebeslieder », LdÄ 3 (1977), 1151, n. 169). 25

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Cette idée qu’Isis était éduquée par Hermès se retrouve dans d’autres inscriptions consacrées au culte isiaque 29 . Isis est elle-même perçue comme éduquant les prêtres d’Égypte, ainsi que le rapporte Lucien 30 à propos d’un égyptien qu’Isis a éduqué aux mystères. Les astrologues se sont également emparés du thème d’Hermès éducateur. Par exemple, Vettius Valens, dans son Anthologie où il a consigné ses pratiques divinatoires, décrit tous les astres. Il débute par le Soleil. Voici ce qu’il indique de la planète Mercure : Ὁ δὲ τοῦ Ἑρμοῦ σημαίνει παιδείαν, γράμματα, ἔλεγχον (Vettius Valens, Anth. 1,1) D’Hermès, il signifie éducation, lettres, arguments de la défense

Un peu plus loin, Vettius Valens indique qu’Hermès est celui qui gouverne, littéralement « fait », les personnes ayant de la connaissance. Il s’agit de l’un des attributs d’Hermès, celui qui fait de ce dieu l’un des deux dieux auxquels sont consacrés les gymnases. Il faut voir ici non pas une éducation de toute l’humanité, mais plutôt une sorte de spécialisation divine. Hermès est l'éducateur voire le « patron » des philosophes, des hommes intelligents, tout comme Vénus sera la patronne des artistes et des artisans de beauté31. Cette spécialisation se retrouve jusque chez Julien l’empereur, neveu de Constantin, devenu empereur vers 361. En 362, il proclame un édit sur l’enseignement qui interdit aux chrétiens d’enseigner la poésie, la philosophie et la rhétorique. Il s’en justifie dans une lettre 32 . Les chrétiens ne peuvent enseigner les lettres classiques puisqu’ils ne prennent pas la religion grecque au sérieux. Julien précise : Τί οὖν; Ὁμήρῳ μέντοι καὶ Ἡσιόδῳ καὶ Δημοσθένει [μέντοι] καὶ Ἡροδότῳ καὶ Θουκυδίδῃ καὶ Ἰσοκράτει καὶ Λυσίᾳ θεοὶ πάσης ἡγοῦνται παιδείας· οὐχ οἱ μὲν Ἑρμοῦ σφᾶς ἱερούς, οἱ δὲ Μουσῶν ἐνόμιζον; (Julien, Empereur, Ep. 61.422d–423a) Et alors ? Pour Homère, Hésiode, Démosthène, Hérodote, Thucydide, Isocrate et Lysias, les dieux guidaient vers toute éducation. Ne se croyaient-il pas sacrés, consacrés les uns à Hermès, les autres aux Muses ?

29 e.g. Εἶσις ἐγώ εἰμι ἡ τύραννος πάσης χώρας καὶ ἐπαιδεύθην ὑπἙρμοῦ καὶ γράμματα εὗρον μετὰ Ἑρμοῦ (IG XII,5 14.2–5, II–IIIème siècle de notre ère, Ios), « Isis c’est moi, je suis le tyran de toute la terre et j’ai été éduquée par Hermès et j’ai découvert les lettres avec Hermès ». Voir MÜLLER, Ägypten, 11–14. Pour une synthèse de l’expression, voir Ibid., 21–25 brièvement mise à jour dans Y. GRANDJEAN, Une nouvelle arétalogie à Maronée avec un frontispice et 5 planches (EPROER 49, Leyde : Brill, 1975), 45.76. 30 Lucien, Philops. 34. 31 Vettius Valens, Anth. 1,1. 32 Julien empereur, Ep. 61,423b.

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Que les philosophes aient les dieux pour guides est encore réaffirmé par Julien33. Dans sa polémique contre les chrétiens, il indique que : Ἰᾶται Ἀσκληπιὸς ἡμῶν τὰ σώματα, παιδεύουσιν ἡμῶν αἱ Μοῦσαι σὺν Ἀσκληπιῷ καὶ Ἀπόλλωνι καὶ Ἑρμῇ λογίῳ τὰς ψυχάς (Julien, Empereur, Contr. Gal. p.386. 235B) Esculape soigne nos corps, et les Muses, avec Esculape, Apollon et Hermès le raisonnable, éduquent nos âmes.

Puis il poursuit en indiquant les spécialités des principaux dieux grecs. Ici, Julien approfondit son argumentation car il indique que l’ensemble des dieux païens éduque l’ensemble du monde païen. Ainsi Julien, constatant qu’être éduqué en chrétien n’implique pas être meilleur médecin, technicien ou rhétoricien, puisque tout homme fut-il païen ou chrétien doit passer par les études « classiques » pour exercer ces métiers, peut-il affirmer que les chrétiens sont inférieurs en sagesse aux païens.

3. L’éducation d’une Cité par son dieu tutélaire L’idée qu’une Cité puisse avoir été éduquée par une divinité provient certainement de la notion religieuse du dieu protecteur. En Grèce, elle sera surtout utilisée dans les éloges. Une Cité est digne d’éloge puisqu’elle a été éduquée par les dieux. C’est ce que nous verrons en étudiant successivement le Timée et le Ménexène de Platon puis les Progymnasmata de Hermogène. a. Le Timée Le Timée est un dialogue important pour la cosmologie, la théologie ou encore la science et les mathématiques. Il nous intéresse uniquement pour un passage incident au début du dialogue, lorsque Critias raconte l’aventure de Solon, l’un des sept sages d’Athènes en Égypte. Saïs est une ville de delta du Nil. Elle est réputée avoir la même divinité protectrice qu’Athènes. Solon est parti là-bas et discute avec un prêtre de la divinité. Celui-ci la qualifie ainsi : ἣ τήν τε ὑμετέραν καὶ τήνδε ἔλαχεν καὶ ἔθρεψεν καὶ ἐπαίδευσεν (Platon, Tim. 23d) Qui (la déesse) vous a pris en lot, vous a nourri et éduqué.

Les verbes τρέφω et παιδεύω désignent la totalité de l’éducation d’un homme (et donc ici de la Cité) 34 . Λαγχάνω est un verbe très intéressant puisqu’il désigne le fait d’avoir obtenu un lot. Le prêtre fait allusion au mythe qu’on

33 34

Julien, empereur, Ep. 89,300d. Voir aussi p. 153s.

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retrouve aussi adapté dans la Bible35 et qui dit que le dieu des dieux, Zeus, a divisé la terre en portions et a attribué chaque portion à des dieux particuliers. Athéna a donc reçu Athènes et Saïs en héritage. Les Perses ont leurs dieux tutélaires36. Pan s’est vu attribuer les collines et les sentiers37. Plus loin, Platon explique comment il est possible qu’Athéna éduque les Athéniens. C’est par l’établissement des lois qu’Athéna a pu former des hommes qui lui sont semblables, des παιδεύματα θεῶν, des élèves des dieux38. b. Le Ménexène Cet opuscule, attribué à Platon, met aux prises Socrate et l’un de ses étudiants, Ménexène. Il est constitué d’un monologue de Socrate, encadré par deux dialogues. Le dialogue du début introduit le monologue. Ménexène y déclare son admiration pour les orateurs et particulièrement ceux qui effectuent les discours funèbres à l’occasion de la fête des epitaphia qui honore les soldats tués de l’année. C’est d’ailleurs normal, car seules des personnes très importantes ont l’honneur d’être choisies pour cet exercice. Socrate lui répond de manière très critique. Ces orateurs sont capables de dire une contrevérité si celle-ci sert à la beauté finale de leur discours39. D’ailleurs l’exercice est facile, les discours sont préparés bien en avance, et le public est déjà conquis40. Aussi Socrate, vraisemblablement de manière ironique, décide d’en produire un. S’ensuit le monologue. Il s’agit d’une pièce rhétorique travaillée dans les règles de l’art. Conformément aux usages, le discours sur les morts débute par un éloge, se poursuit par des conseils aux vivants et se conclut par une consolation pour les parents. Il s’agit de mettre en valeur les Athéniens, du fait de leur bonne naissance, de leur autochtonie et de leur éducation. Or l’éducation des Athéniens est la meilleure possible. La terre est aimée des dieux et elle a produit le blé, l’orge et l’olivier. Mais surtout, la terre a produit les dieux qu’elle a donnés aux Athéniens comme éducateurs aux arts et techniques. θρεψαμένη δὲ καὶ αὐξήσασα πρὸς ἥβην ἄρχοντας καὶ διδασκάλους αὐτῶν θεοὺς ἐπηγάγετο· … τέχνας πρώτους παιδευσάμενοι … Γεννηθέντες δὲ καὶ παιδευθέντες οὕτως οἱ τῶνδε πρόγονοι ᾤκουν πολιτείαν κατασκευασάμενοι (Platon, Menex. 238b)

35 Cf. Dt 32,9-11 avec la variante textuelle importante de la Septante qui ne lit pas « selon les fils d’Israël » mais « selon les fils de Dieu » laissant entendre que YHWH est une divinité locale recevant du dieu suprême El son territoire. Cf. J. JOOSTEN, « A Note on the text of Deuteronomy XXXII 8 », VT 57 (2007), 548–555. 36 Hérodote, Hist. 7,23. 37 Hymn. Hom. Pan. 6. 38 Platon, Tim. 23d. 39 Platon, Menex. 234c–235a. 40 Platon, Menex. 235d.

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Nourrissant et élevant, elle apporta les dieux dans la jeunesse pour être leurs princes et maitres … Ils furent en premier éduqués aux arts … Ayant été ainsi engendrés et éduqués, les ancêtres de (nos) contemporains ont résidé (là) construisant la citoyenneté.

Socrate fait de cette éducation divine la source du génie grec. C’est parce que les grecs ont été éduqués par les dieux aux arts et techniques qu’ils ont pu mettre en place les règles de citoyenneté. On retrouvera ce tour élogieux dans les Progymnasmata. c. Les Progymnasmata Les Progymnasmata sont des manuels pratiques de rhétorique. Ils comportent des exercices graduels à destination des étudiants, selon un ordre traditionnel qui débute par la fable et se termine par la proposition de loi. Chaque genre est défini et l’ouvrage donne des clés qui permettent aux étudiants en rhétorique de concevoir de bonnes interventions oratoires et probablement de réussir leurs examens. Plusieurs rhétoriciens ont écrit ou se sont vus attribuer ce genre de manuel, depuis Aelius Theon jusqu’à Libanios en passant par Aphthonios ou Hermogène. Les Progymnasmata attribués à Hermogène comportent la description de l’éloge. Ce passage liste ce qui peut faire l’objet d’un éloge et donne ses recommandations. Par exemple, pour une personne, il ne faut pas oublier de mentionner les prodiges qui ont accompagné sa naissance, ni comment il a été éduqué, etc. Après avoir traité successivement de la personne, des animaux, des activités, des dieux, des plantes, il termine en mentionnant la Cité : ἐρεῖς γὰρ καὶ περὶ γένους ὅτι αὐτόχθονες, καὶ περὶ τροφῆς ὡς ὑπο θεῶν ἐτράφησαν, καὶ περὶ παιδείας ὡς ὑπο θεῶν ἐπαιδεύθησαν (Hermogène, Pro. 7). Tu diras à propos de son origine qu’elle est autochtone, à propos de sa nourriture qu’elle fut nourrie par les dieux, à propos de son éducation qu’elle fut éduquée par les dieux.

Cette phrase reprend très succinctement un plan similaire de l’éloge d’une personne : son origine et son autochtonie, la manière dont elle a été nourrie pendant sa petite enfance, la manière dont elle a été éduquée. Cette division tripartite permet de définir en totalité tout le processus qui mène un homme, donc une ville, jusqu’à l’âge adulte. Une ville est digne d’éloges parce que ses habitants sont autochtones (c’est-à-dire que la Cité n’a pas été fondée en tant que colonie ou n’est pas hétérogène dans sa population) et qu’elle fut nourrie et éduquée par les dieux. Aelius Théon, dans ses Progymnasmata, présente un modèle de défense d’une thèse : « Un homme sage doit-il s’engager dans la vie politique ? » La réponse est affirmative et Aelius Théon présente plusieurs argumentations. La dernière

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consiste à dire qu’il est juste pour un homme sage de s’investir dans la vie politique car c’est une manière de remercier la patrie, les citoyens de celle-ci et ses dieux ancestraux pour leur nourriture et leur éducation41.

4. L’éducation universelle L’idée que les dieux puissent éduquer l’humanité est liée à l’idée de Providence associée à la vertu divine42. Si les dieux sont puissants et si les dieux sont bons, alors ils n’ont de cesse de faire des hommes des hommes bons. Sans utiliser les mots de la famille de παιδεὐω, on trouve l’éloge de Busiris 43 où Isocrate explique que de la même manière qu’un homme n’autoriserait pas à avoir des serviteurs vicieux chez lui, les dieux ne peuvent pas ne pas mener leurs enfants à la vertu. Ce thème aura ensuite une grande prospérité dans la philosophie stoïcienne, avec la comparaison entre le monde et la Cité44. Ainsi, Cicéron peut écrire que le monde est gouverné et que celui-ci est pour toutes les choses qu’il contient : Seminator et sator et parens ut ita dicam atque educator et altor est mundus omniaque sicut membra et partes suas nutricatur et continet (Cicéron, Nat. Deo. 2,86) Le semeur, le planteur, le parent et je dirais même l’éducateur et en plus le monde nourrit et englobe tout selon ses membres et ses parties.

L’argument de Balbus reprend l’idée de la partie qui est l’image du tout. Puisque la nature englobe tout ce qui est en elle, il est lui-même gouverné45. De plus, elle est gouvernée de la plus excellente manière46. L’admirable nature de l’homme qui l’a rendu capable d’éloquence est également perçue par Balbus comme une preuve de la providence divine47, tout comme la capacité de l’homme à comprendre l’univers48. Si la divinité n’est pas directement l’éducatrice de l’homme49, elle lui a cependant donné la raison

41

Théon, Aelius, Pro. p. 123. M. DRAGONA-MONACHOU, The Stoic Arguments for the Existence and the Providence of the Gods (Athènes : Athens University, 1976), 152–153. 43 Isocrate, Bus. 41–44. 44 Cicéron, Nat. deo. 2, 78, voir également le développement de Cicéron, Leg. 1,21–23. 45 DRAGONA-MONACHOU, The Stoic Arguments, 140–141. 46 Cicéron, Nat. deo. 2,81. 47 Cicéron, Nat. deo. 2,148–150. 48 Cicéron, Nat. deo. 2,153. 49 Il semble ainsi que la comparaison la plus fréquente est celle du maître et de l’esclave plutôt que du maître et de l’élève (Cf. Alexandre d'Aphrodisias Quaest. 2.21 p.68,19–30=SVF 2,1118). 42

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et l’intellect50 et confié à la nature le soin de l’éduquer51. Dion Chrysostome présente l’idée stoïcienne de la Cité universelle. La divinité peut être appelée gouvernante du monde comme une Cité, car l’ensemble des parties du monde (y compris l’homme) est soumis aux meilleures des lois52. Cicéron ne dit pas que la divinité éduque l’homme. Cependant, si on suit la métaphore jusqu’au bout, c’est bien par l’éducation que l’homme est rendu plus capable de participer à la vie de cette Cité universelle. Le grand problème de l’argumentation des stoïciens est celui de la théodicée. Pourquoi le mal existe, si la nature est si bien régie ? Une des réponses stoïciennes est émise par Sénèque53. Son de Providentia a motivé un certain nombre d’études54 à cause de sa similitude avec Pr 3,12 et Ha 12,7 : Hos itaque deus quos probat, quos amat, indurat, recogniscit, exercet (Sénèque, Prov. 4,7) Ainsi, ceux qu’il estime et qu’il aime, le divin les endurcit, les éprouve, les persécute.

Cependant, il faut retenir l’enracinement de Sénèque dans la pensée stoïcienne. L’image du père ne lui sert que de métaphore. Il reprend en fait l’idée de la parenté entre les dieux et les hommes, chère au stoïcisme. L’homme de bien ne diffère de la divinité que par la durée, il est : Discipulus eius aemulatorque et […] sicut severi patres durius educat (Sénèque, Prov. 1,5) Son disciple et son émule et […] comme un père sévère l’éduque durement.

Cependant, en comparant la divinité au père qui éduque sévèrement55, il donne à cette image une autre dimension : le mal qui arrive à l’homme de bien est destiné à révéler son courage. Synthétisant l’approbation par les philosophes d’une vie mesurée et frugale avec l’éducation qui doit mener à une telle vie, il attribue à la divinité le projet d’accroître les vertus des hommes de bien dans le seul but de se réjouir à la vue de leur courage56. Il ne semble pas y avoir de lien réel avec la pensée judéo-chrétienne, la divinité de Sénèque n’est pas personnelle, elle ne souhaite pas avoir de relation avec l’humanité, mais simplement en être satisfaite. Du reste, dit Sénèque, si la souffrance devient trop importante, il reste toujours la possibilité du suicide57.

50

Cicéron, Leg. 1,24. Cicéron, Leg. 1,26. 52 Dion Chrysostome, Or. 36,29–39. 53 DRAGONA-MONACHOU, The Stoic Arguments, 179–190. 54 Voir par exemple E. LEFEVRE, « Il De providentia di Seneca e il suo rapporto con il pensiero cristiano », Aevum Antiquum 13 (2000), 55–71. 55 Voir aussi Sénèque, Prov. 2,5. 56 La divinité devient alors le spectateur d’un immense jeu du cirque (Sénèque, Prov. 2,8). 57 Qui n’est pas une révolte contre la divinité mais est intégré dans son plan divin (Sénèque, Prov. 6,6–9). À ce titre, le suicide peut alors être un acte raisonnable. 51

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5. L’éducation comme conversion vers la Sagesse Les grecs ont attribué aux dieux la perfection de la vertu qui devient le modèle de la conduite humaine. L’éducation prend alors une connotation religieuse. a. L’Allégorie de la Caverne Jaeger 58 , tout comme Bertram 59 , insiste sur l’opposition entre Protagoras et Platon. Alors que l’un prétend que l’homme est mesure de toute chose60, l’autre affirme que c’est la divinité61. Ce n’est pas que Platon croit en un dieu personnel qui dispense une vérité dogmatique. Ce n’est pas non plus que l’éducation appartienne au domaine du religieux. Non, l’éducation reste une affaire humaine. Cependant, pour Platon, l’éducation est le processus qui mène à la vertu et à ce qui est bon et beau. Or, le beau et le bon sont ce par quoi est jugée toute action. De plus, elles ont une existence indépendante de l’entendement humain ce qui leur confère un caractère divin. Pour Platon, être pleinement éduqué signifie devenir bon et beau, c’est-à-dire divin62. De fait, une éducation simple confère à celui qui en est l’objet des vertus particulières. Mais Platon considère que celui qui est amené à gouverner la Cité doit non seulement être vertueux mais comprendre les principes mêmes de ces vertus. C’est ainsi que l’éducation du gouvernant est différente des autres. Cela amène deux images, celle du détour et celle de la conversion, qui sont présentées par l’allégorie de la caverne, et qui correspondent avec l’idée que παιδεύω est une prise de conscience plus qu’un processus éducatif. Ainsi, Platon débute le mythe de la caverne par ces mots : Μετὰ ταῦτα δή, εἶπον, ἀπείκασον τοιούτῳ πάθει τὴν ἡμετέραν φύσιν παιδείας τε πέρι καὶ ἀπαιδευσίας (Platon, Resp. 514a) Après cela, maintenant, dis-je, imagine par une telle expérience notre nature concernant l’éducation et le manque d’éducation.

L’humanité est comparable à des personnes prisonnières, incapables de mouvement, avec un brasier derrière elles. Les prisonniers ne peuvent voir que leur ombre projetée sur la paroi de la caverne. Si un des prisonniers est libéré, il peut quitter la caverne et voir le soleil. Au début, il aura du mal à observer la 58 Paideia: The Ideals of Greek Culture (traduit de W. JAEGER, Paideia: die Formung des griechischen Menschen, par G. Highet, 3 volumes, Oxford : University Press, 1939–1944, vol. 1, 2nde édition, 1945 réimpression Oxford : University Press, 1967–1971), 2, 286. 59 BERTRAM, TDNT, 5, 602. 60 Platon, Theaet., 152a. 61 Platon, Leg. 716c. 62 Platon, Theaet., 176b ; Rep. 613b.

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lumière et il lui faudra du temps avant de pouvoir regarder le soleil. Une fois qu’il se sera habitué à cette vraie lumière, il lui sera difficile de revenir dans la caverne pour convaincre les prisonniers que ce qu’ils voient n’est pas la vraie réalité. Dans cette allégorie, le feu correspond à la lumière physique qui n’est qu’un reflet du véritable soleil qu’est le bien. L’apprentissage de la παιδεία nécessite donc, premièrement, une libération des sens communs puis un apprentissage long et difficile aucunement comparable avec l’éducation que reçoivent les prisonniers, ce que JAEGER nomme conversion et détour. La παιδεία n’est pas l’apprentissage d’un savoir par une personne qui en serait dépourvue mais un changement de comportement. Il faut voir avec l’entendement plutôt qu’avec les yeux. Ainsi, pratiquer une telle observation permet de pouvoir contempler la source de tout savoir : le Bien. Dans une telle allégorie, aucune place n’est donnée à un dieu personnel qui éduquerait une personne. Certes, on ne sait pas qui a libéré le prisonnier qui va voir le soleil et si quelqu’un l’attend là-haut pour le guider. Cependant, c’est ce prisonnier qui a ensuite la charge de revenir vers les autres prisonniers pour leur faire vivre cette expérience de libération. Ce sont les hommes illuminés par la connaissance du divin qui doivent éduquer les autres, c’est-à-dire les arracher à leur seule perception sensible. b. Le Tableau du pseudo-Cébès Cette œuvre est en fait une ecphrasis, c’est-à-dire la description d’un tableau que voient les protagonistes de l’allégorie. Elle est attribuée à Cébès un proche de Socrate. Cependant, cette attribution n’est pas possible car l’œuvre date de l’époque hellénistique63. La description de ce tableau est particulière car elle en fait une tentative de description du monde. Les hommes rentrent dans le monde et sont soumis à la loterie que constitue la Fortune. La première attitude en face de l’injustice de cette Fortune est de se tourner vers les plaisirs, mais ils mènent vers les vices et donc vers les punitions. Seule la conversion 64 lui permet d’essayer de dépasser ses inclinations. Εἶτα τί γίνεται, ἐὰν ἡ Μετάνοια αὐτῷ συναντήσῃ; Ἐξαιρεῖ αὐτὸν ἐκ τῶν κακῶν καὶ συνίστησιν αὐτῷ ἑτέραν Δόξαν [καὶ Ἐπιθυμίαν] τὴν εἰς τὴν ἀληθινὴν Παιδείαν ἄγουσαν, ἅμα δὲ καὶ τὴν εἰς τὴν Ψευδοπαιδείαν καλουμένην (Cébès, Tab. 11,1). Qu’est ce qui se passe alors si la Conversion le trouve ? Elle le délivre des mauvaises choses et le dirige vers une autre Opinion (et Désir) qui le mène vers la véritable Culture, et dans le même temps vers celle qu’on appelle pseudo-culture. 63 J.T. FITZGERALD et L.M. WHITE, The Tabula of Cebes (TT 24, GRRS 7, Chico, Calif.: Scholars Press, 1983), 4. 64 Μετάνοια, Cébès, Tab. 10,4.

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C’est alors qu’il arrive à un autre endroit où règne la ψευδοπαιδεία, « la fausse παιδεία » personnifiée. Cet endroit est le seul moyen pour lui d’espérer atteindre la vraie παιδεία65 (ἀληθινὴ παιδεία) : Ταύτην τοίνυν οἱ πολλοὶ καὶ εἰκαῖοι τῶν ἀνδρῶν Παιδείαν καλοῦσιν· οὐκ ἔστι δέ, ἀλλὰ Ψευδοπαιδεία, ἔφη. οἱ μέν τοι σωζόμενοι ὁπόταν βούλωνται εἰς τὴν ἀληθινὴν Παιδείαν ἐλθεῖν, ὧδε πρῶτον παραγίνονται. Πότερον οὖν ἄλλη ὁδὸς οὐκ ἔστιν ἐπὶ τὴν ἀληθινὴν Παιδείαν ἄγουσα; ἔστιν, ἔφη. (Cébès, Tab. 12,3). Bien ! dit-il. Celle-là, les plus nombreux et irréfléchis d’entre les hommes l’appelle « Culture » : or elle ne l’est pas mais plutôt (elle est) une pseudo-culture. En fait, ceux qui sont sauvés, quel que soit le moment où ils veulent aller à la véritable Culture, arrivent ici d’abord. – Donc il n’y a pas d’autres chemins qui mènent à la véritable Culture ? – Non66 il n’y en a pas, dit-il.

Les membres de la fausse παιδεία sont les personnes qui pensent être éduquées mais qui ne le sont pas. Cébès les nomme, il s’agit des poètes, des dialecticiens, des mathématiciens… 67 Seuls ceux qui sont capables, par une deuxième conversion, de s’apercevoir qu’il ne s’agit pas de la vraie παιδεία peuvent sortir de cette impasse par un chemin escarpé : Αὕτη τοίνυν ἐστὶν ἡ ὁδὸς, ἔφη, ἡ ἄγουσα πρὸς τὴν ἀληθινὴν Παιδείαν (Cébès, Tab. 15,3) C’est elle, dit-il, la voie qui mène vers la veritable culture.

Quiconque arrive à ce troisième enclos peut voir une femme sur un rocher carré, accompagnée par deux autres femmes : Τούτων τοίνυν ἡ μὲν ἐν τῷ μέσῳ Παιδεία ἐστίν, ἡ δὲ Ἀλήθεια, ἡ δὲ Πειθώ (Cébès, Tab. 18,2) Bien, parmi celles-ci, celle qui est au milieu est Culture, les autres sont Vérité et Persuasion.

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Un tel rapport entre Παιδεία et vérité, accompagné d’une personnification de la Παιδεία, se retrouve également dans Lucien, Pisc. 16. 66 Il y a une incohérence dans le texte car Cébès, Tab. 11,1, donne l’impression d’un choix de chemin, tel celui de Prodicus, tandis que Cébès, Tab. 12,3 indique qu’il faut dans tous les cas passer par l’étape de la fausse Παιδεία. En effet, le texte précise qu’il n’y a pas d’autres chemins (au prix toutefois d’une conjecture, la présence de οὐκ). La synthèse en FITZGERALD et WHITE, The Tabula, 145–146 n. 45 suggère de rejeter la conjecture οὐκ, mais maintient que le chemin vers la vraie Paideia mène d’abord à la fausse: l’important n’est pas le chemin physique, mais la façon dont on le suit, en s’arrêtant, ou pas, à la fausse παιδεία. Voir également R. HIRSCH-LUIPOLD, « Anmerkungen », Die Bildtafel des Kebes. Allegorie des Lebens (éd. par R. Hirsch-Luipold, R. Feldmeier, B. Hirsch et al., SAPERE 8, Darmstadt : Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 2005), 127–128, n. 63). 67 Les représentants de la fausse παιδεία sont : Οἱ μὲν ποιηταί, ἔφη, οἱ δὲ ῥήτορες, οἱ δὲ διαλεκτικοί, οἱ δὲ μουσικοί, οἱ δὲ ἀριθμητικοί, οἱ δὲ γεωμέτραι, οἱ δὲ ἀστρολόγοι, οἱ δὲ κριτικοί, οἱ δὲ ἡδονικοί,οἱ δὲ περιπατητικοὶ καὶ ὅσοι ἄλλοι τούτοις εἰσὶ παραπλήσιοι. (Cébès, Tab. 13,2).

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Le rocher signifie que les dons de la παιδεία sont sûrs et qu’elle purifie quiconque de ses vices68 de sorte qu’on puisse profiter de la connaissance. Il est alors accueilli par une autre femme nommée Bonheur: Στεφανοῖ αὐτόν, ἔφη, τῇ ἑαυτῆς δυνάμει ἥ τε Εὐδαιμονία καὶ αἱ ἄλλαι Ἀρεταὶ πᾶσαι ὥσπερ τοὺς νενικηκότας τοὺς μεγίστους ἀγῶνας (Cébès, Tab. 22,1) Bonheur et toutes les autres vertus la couronnent, dit-il, avec son propre pouvoir comme (on couronne) ceux qui ont vaincu dans les plus grands combats.

Une fois le prix obtenu, l’homme est libre d’aller où il veut dans le monde. En effet, il ne court plus aucun risque de succomber à la tentation du plaisir et de la fausse παιδεία. Il pourra alors essayer de sauver d’autres personnes69. Le Tableau reprend des éléments de l’allégorie de la caverne70. L’homme est invité à se convertir, à effectuer un détour pour atteindre la παιδεία et à revenir dans le monde pour éduquer d’autres personnes. Il y a cependant des points qui rappellent également la sagesse grecque gnomique71. La παιδεία est le bien le plus précieux pour l’homme. Κάλλιστόν ἐστι κτῆμα παιδεία βροτοῖς (Ménandre, Sent. 384) 72. Le plus beau des biens, c’est la παιδεία pour les hommes.

Le corpus gnomique grec recèle encore d’autres sentences louant la παιδεία. Selon une sentence attribuée à Démocrite par Stobée73: ἡ παιδεία εὐτυχοῦσι μέν ἐστι κόσμος, ἀτυχοῦσι δὲ καταφύγιον (Stobée, Anth. 2,31,58) La παιδεία est pour les chanceux un ornement, pour les malchanceux un refuge.

C’est-à-dire qu’une personne ne doit pas sa beauté à la bonne fortune, la tychê, mais à l’éducation. Lorsque la chance lui sourit, l’homme éduqué est beau,

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Cébès, Tab. 18,1–19,2. Cébès, Tab. 26,1–3. 70 Ce qui ne signifie pas que le Tableau soit platonicien. Pour les différentes attributions à un courant philosophique, voir FITZGERALD et WHITE, the Tabula, 21–28. 71 Ainsi, il semble à FITZGERALD et WHITE, the Tabula, 14 que ce texte soit une collection des lieux communs de l’époque. Ils notent cependant une importance du mythe de Prodicus (Xénophon, Mem. 2,1,21–34). Cette influence est indéniable, mais elle est aménagée : dans le Tableau de Cébès on ne peut pas initialement choisir le court chemin escarpé, il est nécessaire de faire tout le processus. 72 Cette sentence fut reprise ensuite par de nombreux auteurs grecs (Cf. MARROU, Histoire, 1, 154). Plutarque, Lib. ed. 5C–5Ε développe cette idée en comparant la παιδεία tour à tour à la naissance, la richesse, la gloire, la beauté, la force. Il conclut que l’éducation est le seul bien immortel et divin qu’un homme puisse avoir. 73 Pour les autres attributions, voir p. 160, n. 171. 69

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quand la chance le quitte, il ne craint rien74. Pour Libanios75, une âme éduquée est belle. Certains traits restent originaux tels que le fait qu’il soit nécessaire de passer par toutes les étapes avant d’accéder à la vraie παιδεία. En ce sens, le Tableau est une explication optimiste du monde : les hommes s’arrêtent à une étape par eux-mêmes et peuvent toujours en sortir, sauvés grâce à la conversion à l’éducation. La παιδεία perd complètement son aspect institutionnel et scientifique pour devenir un état de sagesse76. c. Le quatrième discours de Dion Chrysostome Le quatrième discours de Dion Chrysostome concernant la royauté, utilise le même thème de la véritable et de la fausse παιδεία déjà observé dans le Tableau de Cébès77. Dion fait discourir Alexandre le Grand avec Diogène. Celui-ci lui indique qu’il y a deux types de παιδεία : οὐκ οἶσθα, ἔφη, ὅτι διττή ἐστιν ἡ παιδεία, ἡ μέν τις δαιμόνιος, ἡ δὲ ἀνθρωπίνη; ἡ μὲν οὖν θεία μεγάλη καὶ ἰσχυρὰ καὶ ῥᾳδία, ἡ δὲ ἀνθρωπίνη μικρὰ καὶ ἀσθενὴς καὶ πολλοὺς ἔχουσα κινδύνους καὶ ἀπάτην οὐκ ὀλίγην· (Dion Chrysostome, Or. 4, 29) Ne sais-tu pas, dit-il, que la culture est de deux types : l’une divine, l’autre humaine ? Et celle qui est divine est grande, puissante et simple, tandis que celle qui est humaine est petite, faible et recèle beaucoup de dangers et pas peu de traîtrise.

Celle qui est humaine n’est en fait qu’une παιδία : une « chose pour les enfants »78. Comme pour le Tableau de Cébès, une telle éducation consiste à penser qu’on est meilleur parce qu’on connaît plus de choses. L’autre éducation est en fait une ἀνδρεία79. Ceux qui la reçoivent peuvent être nommés fils de Zeus :

74 Une lettre attribuée à Hippocrate (Ep. 10,2) indique que, pour ce dernier, l’éducation est bien meilleure que la fortune. Voir aussi la sentence attribuée à Glycon : (Gnom. Vatic. 164): Γλύκων ὁ φιλόσοφος τὴν παιδείαν ἔλεγεν εἶναι ἱερὸν ἄσυλον εἶναι : « Glycon le philosophe disait que l’éducation est un refuge sacré », et enfin la sentence attribuée à Démocrite FragVor 185 (=Stobée, Anth. 2,31,94) : κρέσσονές εἰσιν αἱ τῶν πεπαιδευμένων ἐλπίδες ἢ ὁ τῶν ἀμαθῶν πλοῦτος, « meilleures sont les attentes de ceux qui sont éduqués que la richesse des incultes ». 75 Libanios, Ep. 1224,4. 76 Voir R. FELDMEIER, « Paideia salvatrix : Zur Anthropologie und Soteriologie der Tabula Cebetis », Die Bildtafel des Kebes. Allegorie des Lebens (éd. par R. Hirsch-Luipold, R. Feldmeier, B. Hirsch et al., SAPERE 8, Darmstadt : Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 2005), 149–160. 77 Cela ne signifie pas que le tableau de Cébès soit antérieur au quatrième discours de Dion Chrysostome. 78 Dion Chrysostome, Or. 4, 30. 79 Dion Chrysostome, Or. 4, 30, voir aussi la traduction en latin de παιδεία par humanitas, p. 165, n. 24.

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καὶ οὕτω δὴ Διὸς παῖδας ἐκάλουν οἱ πρότερον τοὺς τῆς ἀγαθῆς παιδείας ἐπιτυγχάνοντας καὶ τὰς ψυχὰς ἀνδρείους, πεπαιδευμένους ὡς Ἡρακλέα ἐκεῖνον (Dion Chrysostome, Or. 4, 31) et ainsi les anciens appelaient « enfants de Zeus » ceux qui ont reçu la bonne culture et une âme courageuse, éduqués comme cet Héraclès.

Alexandre aura beau avoir une nature hors du commun, il aura beau appliquer des techniques spécifiques, s’il n’est pas formé directement par un disciple de Zeus, il n’arrivera à rien80. C’est ainsi que Dion reprend Homère et l’exemple de Minos81 : Καὶ ποῦ διείλεκται περὶ τούτων Ὅμηρος; Ἐκεῖ, ἔφη, ὅπου τὸν Μίνω λέγει τοῦ Διὸς ὀαριστήν (Dion Chrysostome, Or. 4, 39) Et où Homère a-t-il traité de cela ? Là où il parle de Minos proche de Zeus.

Si on dit que Minos est éduqué par Zeus, ce n’est pas pour dire que Zeus l’a nourri au vin et aux délices de la table mais bien qu’il l’a éduqué à la justice et à la royauté82. d. Véritable et fausse παιδεία Il est intéressant de noter qu’un des points communs entre les trois textes traités ci-dessus est de distinguer une éducation louable et une éducation blâmable. Que la première soit véritable ou divine, et l’autre fausse ou humaine, on peut remarquer que cette dernière est identifiée à une éducation savante. Les prisonniers de la Caverne sont spécialistes de l’analyse des ombres, mais se trompent quant à leur réalité83. Le pseudo-Cébes est encore plus précis : les tenants de la fausse éducation sont les spécialistes de savoirs, tels les mathématiciens, les poètes, les géomètres… De même, Dion Chrysostome est sévère contre un tel savoir qui n’est pas une éducation divine. Une telle mise en garde contre l’apprentissage « livresque84 » met l’accent sur la sagesse apportée par la παιδεία et ouvre la possibilité pour une personne d’être un πεπαιδευμένος sans avoir suivi le cursus approprié85.

80

Dion Chrysostome, Or. 4, 38. Voir p. 203–204. 82 Dion Chrysostome, Or. 4, 40–41. 83 Platon, Resp. 456c–d. 84 Voir l’ironie avec laquelle Lucien se moque d’un ἀπαίδευτος qui collectionne les livres, pensant être savant. Selon Lucien, ce n’est pas de livres dont il a besoin, βακτηρίας εἰς τὴν κεφαλὴν ὡς ἀληθῶς δεόμενος (Lucien, Ind. 14), « Ayant réellement besoin d’un coup de bâton sur la tête », comme un jeune enfant. 85 Voir l’exemple de Viriathe (Diodore de Sicile, Bibl. 33,7,7, voir p. 175) ou de l’autodidacte d’Olbie, p. 185. 81

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6. Le reproche divin a. Le reproche exprimé avec κολάζω La mythologie grecque présente l’idée que la divinité puisse faire des signes et des prodiges pour influencer la conduite des hommes, et surtout leur éviter de faire le mal ou de les punir s’ils ont commis des fautes. Néanmoins, il est très rare que cela soit exprimé avec un mot de la famille de παιδεὐω, ou même avec νουθετέω. On trouve bien plus fréquemment le verbe κολάζω86. Par exemple, un capitaine inspecte rigoureusement son navire avant de partir. Il explique que si la divinité envoie une tempête c’est parce que : ὁ θεὸς καὶ κολάζει τοὺς βλᾶκας (Xénophon, Oec. 8,16) La divinité, alors, punit les idiots.

Ce capitaine ne veut pas prendre le risque d’être pris pour un idiot par les dieux ! De même, Diodore relate comment Zeus châtia les géants : Κολασθῆναι δὲ τοὺς γίγαντας ὑπὸ Διὸς διὰ τὴν εἰς τοὺς ἄλλους ἀνθρώπους παρανομίαν (Diodore de Sicile, Bibl. 5,71,5) De châtier les géants par Zeus du fait de la méchanceté envers les autres hommes.

Cette idée d’un dieu vengeur a rapidement attiré les critiques. Strabon rit de l’idée selon laquelle Apollon parcourt si rapidement le pays entier pour châtier Tityus et Python, allant d’Athènes à Delphes87. b. Le reproche exprimé avec νουθετέω Il ne semble n’y avoir qu’une occurrence de νουθετέω liée indirectement à la divinité. Dans son XXXIIème discours, Dion Chrysostome veut reprendre les Alexandrins et les amener à quitter une vie plus imprégnée de spectacles que de philosophies. Reprenant le mythe de l’homme providentiel, il indique que

86 En étudiant brièvement le rapport de κολάζω avec la notion d’un dieu qui punit que nous trouverions exprimé par la racine ‫יסר‬, il faut être conscient du risque lexicographique pris : deux vocables de deux langues différentes sont comparés en effet sur le seul aspect de la notion (qui serait supposée identique dans la littérature grecque non judéo-chrétienne et dans le TM, ce qui reste à prouver) et non de la correspondance de traduction. Le principal intérêt de cette mention, qui est proche de l’excursus, est de souligner la rareté de l’utilisation de παιδεύω avec ce sens dans la littérature grecque non judéo-chrétienne mis en regard avec la rareté du verbe κολάζω dans la Septante. Si nous devions approfondir cette comparaison de la littérature grecque avec la Septante du point de vue de la notion, il faudrait également étudier les rapports de la divinité avec des verbes tels que τρέφω ou ἀτάλλω avec le divin. 87 Strabon, Geogr. 9,3,12.

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les divinités ne laissent pas leur Cité sans secours88. Or, le secours pour une Cité comme Alexandrie, ne consiste pas tant dans les pratiques oraculaires, divinatoires ou cultuelles, que dans l’éducation de la Cité. Comme un médecin, la divinité prend soin de sa Cité en lui envoyant raison et éducation. Ceux qui suivent ce chemin sont en meilleure santé, ceux qui la négligent sont susceptibles de mourir. Dion Chrysostome endosse un rôle quasi prophétique. Il est inspiré par la divinité, pour réprouver la conduite des Alexandrins, il rejette les faux-philosophes. Il accepte par avance les rires et les moqueries de son auditoire. Il explique que le peuple est une personne puissante. Comme telle, elle peut être un bon roi qui écoute et remercie celui qui lui adresse des reproches et les leçons : τοῖς νουθετοῦσι καὶ διδάσκουσι χάριν εἰδώς (Dion Chrysostome, Or. 32,27). c. Le reproche exprimé avec παιδεύω Du côté des mots de la famille de παιδεύω, quelques rares exemples peuvent être trouvés chez Plutarque et Libanios. Dans le De Sera Numinis Vindicta, Plutarque pose le problème de la coexistence de la Providence divine et du mal dans ce monde. Si Dieu est toutpuissant et qu’il aime le monde, en un mot que sa providence dirige le monde, comment se fait-il que le mal existe ? 89 Plutarque se met en scène dans un dialogue avec Timon, Patrocléas et Olympichos qui discutent après avoir subi une attaque violente d’un épicurien. Dans une première partie, Plutarque laisse à Patrocléas le soin de poser le problème : καθάπερ γὰρ ἵππον ἡ παραχρῆμα τὸ πταῖσμα καὶ τὴν ἁμαρτίαν διώκουσα πληγὴ καὶ νύξις ἐπανορθοῖ καὶ μετάγει πρὸς τὸ δέον, οἱ δ’ ὕστερον καὶ μετὰ χρόνον σπαραγμοὶ καὶ ἀνακρούσεις καὶ περιψοφήσεις ἑτέρου τινὸς ἕνεκα μᾶλλον δοκοῦσι γίνεσθαι ἢ διδασκαλίας, δι’ ὃ τὸ λυποῦν ἄνευ τοῦ παιδεύειν ἔχουσιν (Plutarque Sera 549C) En effet, c’est comme un cheval un coup ou un fouet persécuteur donné immédiatement après le faux-pas ou l’écart, le corrige et le fait changer de voie vers ce qui est nécessaire. Les coups de cravaches, les violents tirs de rênes, les cris donnés avec retard et après le temps donnent à penser à autre chose qu’à l’entraînement car ils fournissent la douleur sans le dresser.

La lenteur de la justice divine n’est pas pédagogique. Si on donne des coups tardivement à un cheval, il ne risque pas de comprendre la leçon. Alors que dans le cas contraire, il finira par être bien dressé90. Si la providence divine 88

Dion Chrysostome, Or. 32,16. En fait, la question de Plutarque est plutôt : « comment se fait-il que les méchants ne soient pas punis immédiatement après leur méfait ». L’interrogation de Sénèque est plutôt de savoir pourquoi les justes souffrent (voir p. 212s). 90 On notera que l’utilisation du verbe παιδεύω n’est pas ici directement associée à la divinité. Ce verbe est utilisé comme métaphore. 89

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existait, elle punirait les coupables aussitôt le forfait accompli pour que les coupables s’amendent et soient éduqués 91 . Cependant, pour Plutarque, cette explication ne convient pas, car un bon éducateur n’use pas de violence. Il cite l’exemple de Platon qui reste bâton levé devant son esclave désobéissant 92. Il est donc normal que la divinité soit le modèle même de la morale. Dans ce cas, elle ne châtie pas immédiatement un coupable mais montre la qualité morale de la tempérance et de la patience. Si châtiment il doit y avoir, celui-ci ne peut se comprendre que comme un acte médical qui s’effectue au temps qui convient93. Cependant, pour Plutarque, ces explications sont inutiles. Il lui suffit d’affirmer sa conviction platonicienne que l’homme mauvais est condamné par sa vie même, rongé par le remords94. Il n’y a en fait pas besoin de justicier, ni divin, ni humain. La nature humaine, éthique en elle-même, suffit. Ainsi, Plutarque ne cherche pas à démontrer qu’il a raison mais à démonter l’argumentation de l’adversaire. Épicure affirme qu’il n’y a pas de providence parce que les châtiments divins tardent à arriver. Plutarque expose tous les arguments qui ruinent l’affirmation d’Épicure. Mais la réelle pensée de Plutarque ne s’exprime qu’une seule fois dans le livre sous une forme non pas certaine, mais probable. Il n’y a pas de providence « spécifique », non pas parce que la Justice divine n’existe pas, mais parce que le monde en lui-même porte cette Justice95. Plutarque ne semble donc pas croire en un Dieu correcteur. S’il utilise le verbe παιδεύω, c’est principalement pour prendre l’image du cheval et de son dressage.

91

Pour la relation entre le cheval et παιδεὐω, voir p. 193–196. Plutarque, Sera 550D. 93 Une telle idée est exprimée avec le verbe κολάζω en Lysias, Ando. 20. 94 Plutarque Sera 556D, voir le Ménon de Platon qui affirme que l’homme méchant est malheureux. 95 Voir aussi F. FRAZIER, « Un dialogue éthique et pythique. Justice et Providence, de la République de Platon aux Délais de Plutarque », introduction à PLUTARQUE, Sur les délais de la justice divine (texte établi par Y. Vernière, traduction, introduction et notes par F. Frazier, Classiques en poche, Paris : Les Belles Lettres, 2010), XXIX et J. KRASOVEC, Reward, Punishment, and forgiveness (SVT 79, Leyde : Brill, 1999), 735. Cependant, ce dernier, dans la comparaison entre Plutarque et l’univers biblique (KRASOVEC, Reward, 737–738), ne prend pas suffisamment garde au fait que les points communs de l’argumentation de Plutarque sont certainement plus forts avec la mythologie grecque. En effet, le fait que Plutarque énumère des arguments contre Épicure, juste pour ruiner sa théorie, sans être fondamentalement certain de leur véracité, montre que ceux-ci étaient acceptés dans le monde gréco-latin. À ce titre, leur rapprochement avec de semblables polémiques dans le monde judéo-chrétien est licite mais doit être réalisé avec prudence. Cf. aussi J.H. NEYREY, « The Form and Background of the Polemic in 2 Peter », JBL 99 (1980), 407–412.423–427 qui cependant ne s’intéresse pas à l’opinion que Plutarque exprime en Sera 556D. 92

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Sur le ton de l’anecdote, Libanios, dans une lettre96, exprime le fait que les dieux lui ont appris à ne pas négliger sa santé par une céphalée. De plus, dans un de ses discours où il fait l’éloge d’Artémis, après avoir indiqué qu’il valait mieux honorer cette déesse que la dédaigner, prenant l’exemple de Niobé et d’Actéon, il explique ceci : Καὶ παιδεύει δὲ τοὺς ἀνθρώπους μηδὲν ἔξω τοῦ μέτρου μήτε λέγειν μήτε δρᾶν (Libanios, Or. 5,38) Et elle corrige les hommes pour qu’ils ne disent ni n’accomplissent rien en dehors de la mesure.

Il prend alors deux exemples. Le premier est le sacrifice d’Iphigénie par Agamemnon. Ce sacrifice a été causé du fait de l’affront que fit le roi envers Artémis en se prétendant meilleur tireur qu’elle : ἡ θεὸς ἀπλοίᾳ τὴν ὑπερηφανίαν κολάζουσα (Libanios, Or. 5,38) La déesse punissant l’arrogance en retenant les navires au port.

Le deuxième est la mort d’un italien anonyme qui avait tué un sanglier et qui avait voulu en garder la tête pour lui sans la consacrer à la déesse. Ayant suspendu cette tête à un arbre, il s’assoupit dessous. La tête s’étant détachée, elle tomba sur le pauvre homme qui mourut sur le champ. Ce dernier exemple montre bien qu’il ne s’agit guère d’éducation, tout au moins pour l’italien, mais bien de tirer les leçons du malheur d’autrui. D’ailleurs, Libanios précise que pour le cas d’Iphigénie, la déesse fut prise d’humanité (φιλανθρωπία) : Iphigénie fut remplacée in extremis par une biche. Cette utilisation de παιδεύω par Libanios correspond quelque peu à celle de Plutarque au paragraphe précédent. Cependant, alors que Plutarque prend la comparaison du cheval, Libanios relie directement la divinité avec les hommes par ce verbe. Celui-ci prend la connotation de correction. Il s’agit de l’exemple qui se rapproche le plus de ce qu’on trouve dans les textes bibliques.

96

Libanios, Ep. 393,1.

Chapitre quatre

Synthèse de l’utilisation de παιδεία et παιδεύω dans la littérature grecque non judéo-chrétienne Les occurrences des mots de la famille de παιδεύω se comptant par dizaines de milliers, l’étude de cette partie ne prétend pas à l’exhaustivité mais permet de dresser quelques conclusions. L’étymologie ne pose pas de problème, le verbe désigne le fait de s’occuper d’un enfant1. La construction la plus simple désigne une action reliant deux personnes, de manière similaire à la racine ‫יסר‬. Cependant, cette construction de base s’accompagne d’autres constructions permettant d’exprimer l’apprentissage d’une matière particulière ou d’exprimer le but de l’action : apprendre un métier, par exemple2. D’autre part, le substantif παιδεία comporte quelques caractéristiques intéressantes à noter. Lorsqu’il est complété par un génitif, celui-ci désigne la personne qui a reçu l’éducation, et jamais celui qui l’a donnée3. Il n’est jamais régi par le verbe ἀκούω, et ne désigne ainsi jamais un discours. En revanche, il peut être régi par des verbes désignant son acceptation ou son rejet4. Il faut noter que le champ sémantique ne se situe pas uniquement dans l’éducation formelle, étatique, visant à produire un homme vertueux et cultivé5. Le verbe et le substantif sont utilisés dans des contextes décrivant l’amour familial, la direction parentale, mais aussi la sagesse, la gloire et le renom6. Certains éléments viennent rendre le lemme plus complexe. Par exemple, nous voyons à l’époque hellénistique des hommes qualifiés de πεπαιδευμένος, alors même qu’ils ne sont pas grecs et qu’ils n’ont pas suivi de cursus éducatif7. Cependant, le point important est de constater que l’apparition de ces nuances est tardive. Il existe, en fait, des utilisations plus proches de l’étymologie du verbe, à savoir « s’occuper d’un enfant » : nourrir un bébé, 1

Voir p. 149. Voir p. 149–152. 3 Voir p. 155. 4 Voir p. 155–156. 5 Voir p. 168–176. 6 Voir p. 153–155 et 159–160. 7 Voir l’exemple de Viriathe (Diodore de Sicile, Bibl. 33,7,7, voir p. 175) ou de l’autodidacte, voir p. 185. 2

224

Troisième partie : La littérature grecque non judéo-chrétienne

élever un enfant en famille8. Ces utilisations se trouvent dans les textes les plus anciens, mais on en observe rarement chez des auteurs hellénistiques, ce qui dénote une permanence de cette nuance9. De plus, il existe également des sens métaphoriques où la personne qui subit l’action est déjà un adulte10. Dans ce cadre, l’utilisation de ces mots vise à désigner une prise de conscience qui fait changer le comportement de quelqu’un. Il est probable que cette nuance provienne d’une extension du champ sémantique de l’éducation et de l’apprentissage : « apprendre une bonne leçon » devient synonyme d’avertir 11 . Cette acception peut se retrouver en parallèle avec le lemme νουθετέω. Dans ce cadre, la nuance développée se rapproche du concept de « reprocher » ou d’ « avertir ». Le substantif παιδεία désigne également un état vertueux et digne d’éloges. Cet état n’est pas d’abord dû à l’obtention d’un diplôme. Au contraire, la sagesse gnomique, tout comme un grand nombre de philosophes, tels Platon, le Pseudo-Cébès, Dion Chrysostome ou Lucien se méfient de ceux qui prétendent être éduqués et qui ne sont, en fait, que des savants. La véritable παιδεία nécessite une conversion qui n’appartient quasiment qu’à la sphère religieuse. Malgré cette nuance, nous ne voyons pas une utilisation claire de παιδεύω comme signifiant « corriger corporellement » ou « punir » avant Libanios et un papyrus chrétien du IV/Vème siècle de notre ère. Ce point est à noter alors même que les méthodes d’enseignement encouragent les coups. Si les philosophes dénoncent la violence dans l’éducation, il s’agit davantage de celle causée par la colère. Libanios étant un auteur païen confronté à la montée en puissance du christianisme, il est difficile de savoir si l’utilisation de παιδεύω dénote l’influence d’un usage « chrétien » ou s’il a toujours existé un usage populaire de παιδεύω qui n’atteint la littérature qu’avec Libanios. En effet, on ne peut trouver une allusion à de telles associations qu’au sein de la littérature grecque gnomique12. Ces mots sont très rarement associés à la divinité. Il s’agit au départ de signifier que la divinité s’est occupée d’un héros ou d’une Cité pour faire son éducation et notamment lui apprendre une technique particulière 13 . Par l’association

8

Voir p. 163–164. Voir p. 165. 10 Voir p. 176–181. 11 Voir particulièrement Eschine, Ctes. 148, p. 198. 12 Voir notamment βακτηρία γάρ ἐστι παιδεία βίου (Ménandre, Sent. 121) mais aussi, en dehors de la sagesse gnomique, Pollux Grammaticus, Onom. 1,16 qui indique qu’un cheval éduqué n’a plus besoin de fouet ou le jeu de mots d’Aristophane avec παίω (voir p. 189–190). Pour πληγή, voir Xénophon, Lac. 2,7–8. 13 Voir p. 202–208. 9

Chapitre 4 : Synthèse

225

d’Hermès et de Thot, l’éducation divine se développera vers l’hermétisme14, tandis que dans la philosophie stoïcienne, cette idée sera reprise dans le cadre des arguments démontrant la providence. Le monde étant une grande Cité gouvernée par la divinité, cette Cité universelle pourvoit à l’éducation des hommes comme une vraie Cité à ses citoyens. Cette image n’est cependant littéralement attestée que tardivement15. Le sens métaphorique d’exhortation ou de sermon n’est pas utilisé avec un dieu comme sujet. Les dieux de la mythologie grecque sont volontiers décrits comme vengeurs, bien que ce point ne soit pas exprimé avec le verbe παιδεύω avant Libanios16. Comme pour la connotation punitive du verbe, il est délicat de déterminer si cet usage est influencé par le christianisme ou dénote une utilisation populaire qui trouve son accès dans la littérature avec Libanios uniquement. Ainsi, à la question initiale de ce chapitre, on peut répondre premièrement qu’hormis Libanios, il n’existe pas de témoignage d’une utilisation violente du lemme παιδεύω. En revanche, on peut noter une utilisation métaphorique, « avertir », ou « sermonner », qui pourrait correspondre à des usages tels que Dt 21,18. D’autre part, hormis Libanios, nous ne possédons aucun témoignage non judéochrétien d’une divinité qui soit sujet du verbe παιδεύω de telle sorte qu’elle corrige, sermonne ou punisse son élève.

14

Voir p. 206–208. Voir p. 211–213. 16 Voir p. 201. 15

Quatrième partie

La Septante

Chapitre premier

Problématique La Septante utilise les mots de la famille de παιδεύω suivants : les verbes παιδεύω 1 , ἐκπαιδεύω 2 , les substantifs παιδεία 3 , παιδευτής 4 , ἀπαιδευσία 5 et enfin l’adjectif ἀπαίδευτος6, totalisant un peu plus de 200 occurrences7. La relation entre ces mots et la racine ‫ יסר‬est telle que sur l’ensemble des occurrences de ce terme dans le TM, environ une centaine, en mettant à part sept occurrences qui n’ont pas été traduite, seules cinq ont un autre correspondant qu’un mot de la famille de παιδεύω. Cette régularité semble se retrouver dans le matériel hexaplaire8, mais pas dans les autres traductions de l’hébreu. Dans le Pentateuque, la Vulgate n’utilise jamais plus de deux fois un mot de la même famille : disciplina, « enseignement, discipline » (Lv 26,23, Dt 11,2), erudio « enseigner » (Dt 8,5, deux fois) et correptio/corripio « reproche/reprocher » (Lv 16,18.28), doceo « enseigner », Dt 4,36, coerceo « réprimander », Dt 21,18, verbero « battre de verges », Dt 22,18)9. 1 Près de quatre-vingt-dix occurrences dont environ cinquante-cinq dans le corpus correspondant à la Bible hébraïque. 2 DnLXX 1,5. 3 Cent-dix occurrences dont près de soixante dans le corpus correspondant à la Bible hébraïque. 4 Os 5,2 ainsi que Si 37,19 ; Ps Sol 8,29 ; 4 M 5,34 ; 9,6. 5 Os 7,16 ainsi que Si 4,25 ; 21,24 ; 23,13. 6 Un peu moins d’une vingtaine d’occurrences dont 9 dans le corpus correspondant à la Bible hébraïque. 7 Auxquelles on peut rajouter μεταπαιδεύω, 4 M 2,7, en dehors de notre corpus. 8 Field n’indique que trois endroits où certains réviseurs ont fait un autre choix : en Dt 11,2 où « l’autre » donne φωνήν au lieu de παιδείαν (voir aussi p. 257), en Pr 16,22 où Symmaque propose ἔννοια. Gö. rapporte également ὅμοιως au lieu de παίδευσον en Jr 10,24 (Aquila et Symmaque). En fait, les réviseurs maintiennent également l’équivalence lexicale en s’appuyant sur la traduction araméenne de ‫יָסַר‬. En effet, ils donnent parfois παιδεύω comme correspondant à ‫ ָרדָ ה‬qui est de la même racine que ‫ ְרדַ א‬et ‫ ܕܪ‬qui traduisent usuellement ‫ יָסַר‬dans les targumim et la Peshitta (e.g. GnTh 1,28 ; LvAl 25,43.46.53 ; LvTh 26,17 ; PsSy 110[109],2 voir aussi G. BERTRAM, « Der Begriff der Erziehung in der griechischen Bibel », Imago dei. Beiträge zur theologischen Anthropologie, Gustav Krüger zum siebzigsten Geburstage am 29. Juni 1932 dargebracht [éd. par H. Bornkamm, Giessen : Töpelmann, 1932], 49–51). Pour la confusion avec ‫ מושׂר‬dont témoigne IsSy 9,6-7, voir aussi p. 87, n. 74. 9 On retrouve une telle variété dans les autres livres de la Vulgate : caedo (1 R 12,11.14, 2 Ch 10,11.14) « frapper » ; erudio « enseigner », Is 28,26, Jr 6 8 ; 31,18; arguo (Jr 2,19) « accuser » ; corripio (Jr 10,24), castigo (Jr 30,11 ; 31,18 ; 46,28).

230

Quatrième partie : La Septante

La Peshitta est plus constante, traduisant chaque occurrence par un mot apparenté à ‫ « ܪܕ‬corriger » à l’exception notable de Dt 4,36, rendu par ‫ܐ‬ « enseigner ». Les targumim témoignent également d’une certaine variété : Onqelos utilise ‫ « אֲ לַף‬enseigner » (Dt 4,36 ; 8,5 – deux fois ; 21,18), ‫( ְרדָ א‬Lv 26,18.23.28) et ‫ « לְקַה‬frapper » (Dt 22,18), le Pseudo-Jonathan fait les mêmes choix qu’Onqelos sauf pour Dt 8,5 où il utilise deux fois ‫ « ְספַר‬entraîner » et Dt 21,18 où il utilise ‫ ְכּסַן‬, « faire un reproche ». En fait, seul le Targum Neofiti n’utilise que ‫רדָ א‬, ְ « corriger ». Ce rapide parcours des autres traductions montre qu’une langue indoeuropéenne, le latin, et des langues sémitiques, l’araméen et le syriaque, n’ont pas fait un tel choix d’équivalence lexicale systématique. La fidélité des traducteurs grecs, y compris pour les livres dont la traduction est réputée la moins littérale, tels que le livre des Proverbes10, pose question. Ont-ils considéré que les champs lexicaux des mots de la famille de παιδεύω et ceux des mots apparentés à ‫ יָסַר‬étaient véritablement identiques, ou ont-ils servilement appliqué une équivalence lexicale au mépris de la différence sémantique des deux termes ? En effet, la Septante utilise les mots de la famille de παιδεύω dans des sens étrangers au grec classique. Dans cette littérature, ces mots ne semblent pas posséder pas une connotation violente11. Ainsi la phrase suivante devait-elle sonner étrangement aux oreilles d’un Grec éduqué : Κύριε, μὴ … τῇ ὀργῇ σου παιδεύσῃς με (Ps 6,2) Seigneur ne m’ « éduque » pas « en » ta colère.

En effet, notre Grec pensera peut-être que cette phrase signifie : « ne m’éduque pas à ta colère » sous-entendu « ne m’habitue pas à ta colère » ou encore « que ce ne soit pas l’exemple de ta colère qui m’éduque »12. Or, le contexte réclame plutôt un verbe de coercition : « ne me corrige pas dans ta colère ». Ce Grec aurait certainement mieux compris l’idée si la Septante avait utilisé un terme tel κολάζω, « punir », « châtier », « corriger »13. Cette nuance violente du verbe παιδεύω qu’utilise la Septante ne nous est pas accessible à travers ce que nous pensons connaître de la culture classique, tel que la troisième partie de ce livre nous l’a montré. À ce titre, la signification de la Septante peut être due à deux raisons différentes : 10

D.-M. D’HAMONVILLE, Les Proverbes (BA 17, Paris : Cerf, 2000), 84. Ceci ne signifie pas que l’éducation des Grecs fut exempte de moyens coercitifs (voir p. 188–190) mais signifie uniquement que les mots de la famille de παιδεύω ne sont pas utilisés pour désigner cette coercition. 12 Voir les utilisations du verbe παιδεύω avec le datif, p. 151. 13 Ce terme est curieusement rare dans notre corpus (1 Esd 8,24, où il correspond à une locution araméenne signifiant « appliquer un jugement »). 11

Chapitre 1 : Problématique

231

1. Le vocable grec possède le sens de la Septante, mais il s’agit d’un sens populaire qui n’apparaît pas dans les textes à notre disposition. En particulier, au vu de la pédagogie violente de l’époque14, il ne serait pas étonnant que παιδεύω ait acquis une signification violente. Cependant, cette nuance n’apparaît pas dans les témoins non judéo-chrétiens avant une date assez tardive15. 2. Le vocable grec perd dans certains passages son sens classique du fait de la technique de traduction 16 . Il devient un mot grec ayant un sens hébreu. Néanmoins, la question du choix des traducteurs se pose toujours. Il faut bien que les champs lexicaux se recouvrent a minima pour que les traducteurs aient pu envisager une correspondance aussi étroite. Par ailleurs, étudier l’équivalence lexicale ne suffit pas car malgré le lien fort entre la racine ‫ יסר‬et les mots de la famille de παιδεύω, il existe des passages où le TM possède ‫ יסר‬et où la Septante propose un autre lemme. Cette différence de choix peut être due à : 1. une différence de Vorlage ; 2. une différence de nuance de la racine ‫; יסר‬ 3. un choix du traducteur.

14 Exemple B. LEGRAS, « Violence ou douceur. Les normes éducatives dans les sociétés grecque et romaine », Histoire de l’Éducation 108 (2008), 11–34, R. CRIBIORE, Gymnastics of the Mind. Greek Education in Hellenistic and Roman Egypt (Princeton, N.J. : University Press, 2001), 67–73, A.D. BOOTH, « Punishment, Discipline and Riot in the Schools of Antiquity », EMC 17 (1973), 107–114. C’est pour cette raison que H.–I. MARROU, Histoire de l’éducation dans l’Antiquité (2 volumes, 6ème édition, Paris : Seuil, 1965), 1, 239 ou encore R.B. GIRDLESTONE, Synonyms of the Old Testament. Their Bearing on Christian Doctrine (3ème édition, Grand Rapids, Mich. : Baker Book House, 1983), 247, y voient la cause du choix des traducteurs de la Septante pour rendre ‫ יָסַר‬par παιδεύω. 15 Voir p. 200–201. 16 Ainsi, E. TOV, « Three Dimensions of LXX Words », The Greek and Hebrew Bible. Collected Essays on the Septuagint (éd. par E. Tov, SVT 72, Leyde : Brill, 1999), 89–90, propose de ne pas mettre dans un dictionnaire grec, tel le LSJ le sens, typique de la LXX, « santé », donné à εἰρήνη qui n’est dû qu’à son association systématique avec ‫שׁ ום‬ ָ . Ainsi, la correspondance de ‫ יָסַר‬par παιδεύω, rendue automatique après le choix des traducteurs du Pentateuque aurait donné à ce dernier le sens du premier, selon un principe rappelé par E. TOV, « The Impact of the LXX Translation of the Pentateuch on the Translation of the Other Books », Mélanges Dominique Barthélémy, Études bibliques offerte à l’occasion de son 60e anniversaire (éd. par P. Casetti et al., OBO 38, Göttingen : Vandenhoeck & Ruprecht, 1981), 577–592 ou K.H. JOBES et M. SILVA, Invitation to the Septuagint (Grand Rapids, Mi. : Baker Academic, 2000), 92. Cependant dans le cadre de παιδεύω, on peut réellement parler d’élargissement sémantique au vu de la permanence de ce sens dans le grec patristique (PGL) puis moderne.

232

Quatrième partie : La Septante

Ce dernier cas est très intéressant car il peut donner un lemme concurrent à παιδεύω et il peut nous aider à comprendre comment les traducteurs comprenaient ce terme. Inversement, il existe également des passages dans la Septante possédant un mot de la famille de παιδεύω, alors que le TM ne possède pas un mot de la racine ‫יסר‬. Cela peut être expliqué de trois façons : 1. le TM témoigne d’un squelette consonantique pouvant être interprété comme rattaché à la racine ‫ יסר‬moyennant des modifications mineures, telle qu’une autre vocalisation, une confusion entre lettres, une métathèse… En toute logique, ces cas se rattachent à l’étude de l’équivalence lexicale17. Cependant, la Vorlage ne nous est plus accessible, il est donc possible que le traducteur ait délibérément choisi son interprétation. Un cas particulier est la présence dans le TM d’un mot de la racine ‫ רדה‬qui a pu être interprété selon la langue araméenne18 ; 2. le TM témoigne d’un mot, tel que ‫ יָכַח‬proche de ‫יָסַר‬. Il est très vraisemblable que la Vorlage de la Septante possédait un mot de la racine ‫יסר‬. On ne peut pas dire qui de ‫ יסר‬ou de ‫ יָכַח‬serait la leçon la plus ancienne19. De nouveau, en toute logique, ces cas se rattachent à l’étude de l’équivalent lexical. Cependant, quand le TM possède un mot qui n’est pas souvent associé à ‫יסר‬, quoique le sens puisse être voisin, le lien est distendu. Par conséquent, l’affirmation selon laquelle la Vorlage possédait un mot de la racine ‫יסר‬ devient hypothétique20 ; 3. le TM témoigne d’un mot ou d’un texte qui n’a rien à voir, a priori, avec la Septante. La différence de la Septante peut être due soit à une Vorlage différente, soit à une erreur de traduction ou à une interprétation de la part du traducteur, soit à une modification durant le processus de transmission du texte grec. Les cas 1 et 2 supposent que la signification du lemme grec soit la même que lorsque le TM possède un mot de la racine de ‫יסר‬, ce qu’il faudra vérifier21.

17

L’exemple typique est Os 7,14. Cette racine traduit souvent ‫ יסר‬dans les targumim. Voir également la traduction des réviseurs, p. 229, n. 8. 19 L’exemple typique est Pr 3,12. Bien entendu, ce changement peut aussi être dû au traducteur. Si on prend l’hypothèse que les révisions du texte grec ont surtout ramené le texte à un état proche du TM, ce changement n’est probablement pas dû à un copiste grec. 20 Voir par exemple Ps 17[18],36 avec la racine ‫ענה‬. 21 En effet, ce n’est pas parce que le TM possède un mot qui peut nous faire penser à ‫מוּסָר‬ que le traducteur grec a eu la même idée. Il a pu utiliser un mot de la famille de παιδεύω pour une autre raison. 18

Chapitre 1 : Problématique

233

L’enquête lexicographique de ce chapitre sera divisée selon le rapport entre le TM et la Septante. La première partie présentera les cas où le TM possède un mot de la racine ‫ יסר‬et étudiera les correspondants dans la Septante. La deuxième partie s’attachera à étudier les endroits de la Septante qui possèdent un mot de la famille de παιδεύω ne correspondant pas à un mot de la racine de ‫ יסר‬dans le TM.

Chapitre deux

Étude de l’équivalence lexicale entre la racine ‫ יסר‬et les mots de la famille de παιδεύω 1. Les passages sans correspondance La Septante de Jérémie est plus courte que le TM d’environ un huitième. Ainsi, un certain nombre de passages du TM possédant la racine ‫ יסר‬n’ont pas de correspondants dans la Septante. Il s’agit de JrTM 10,8 et de JrTM 30,11. JérémieTM 30,11 est parallèle à JrTM 46,28, qui, lui, correspond à JrLXX 26,28 où ‫ יסר‬correspond à παιδεύω1. Proverbes 8,33 est également un passage qui n’a pas de correspondance dans la Septante. L’omission de la Septante est vraisemblablement une haplographie2. En effet, le ‘moins’ débute en Pr 8,32 à l’occasion du mot ‫ וְאַשְׁ ֵרי‬qui débute précisément Pr 8,34 à l’endroit où reprend la Septante. OséeLXX 7,15 omet de rendre la forme de la racine ‫ יסר‬qu’il contient. Cette omission a été diversement interprétée pour tenter de déterminer sa Vorlage et d’effectuer une critique textuelle du TM qui pose problème3. Ce ‘moins’ de la Septante est tempéré par la présence en Os 7,14 du verbe παιδεύω correspondant à un mot de la racine ‫סור‬. Il est ainsi possible que l’absence du verbe en Os 7,15 soit simplement due à des considérations stylistiques pour éviter une répétition4. ַ ‫מוּסָר וּ ְמ‬, la construction La Septante de Ez 5,15 ne comporte pas ‫שׁמָּה‬ spécifique de ce verset qui juxtapose directement ‫שׁמָּה‬ ַ ‫ מוּסָר וּ ְמ‬à ‫ח ְֶרפָּה זּגְדוּפָה‬, suggère qu’il y ait ici convergence de deux versions concurrentes du même

1 Cette différence est peut-être due à ce que la forme originale de la Vorlage de Jérémie ne comportait pas ce passage qui a été rajouté ensuite dans le TM. Cependant, selon B. BECKING, « Jeremiah's Book of Consolation: A Textual Comparison Notes on the Masoretic Text and the Old Greek Version of Jeremiah XXX–XXXI », VT 44 (1994), 149–150, ce passage va bien dans le contexte du TM. En tout état de cause, son absence dans le TM ne semble pas être due à des considérations théologiques. 2 J. COOK, The Septuagint of Proverbs. Jewish and/or Hellenistic Proverbs ? Concerning the Hellenistic Colouring of LXX Proverbs (SVT 69, Leyde : Brill, 1997), 245. 3 Voir notamment p. 78–79. 4 E. BONS, J. JOOSTEN et S. KESSLER, Les douze prophètes. Osée (avec la collaboration de P. Le Moigne, BA 23.1, Paris : Cerf, 2002), 119.

Chapitre 2 : Étude de l’équivalence lexicale

235

verset5. La Septante témoignerait alors d’un état de la Vorlage ne présentant pas l’ensemble des mots que possède maintenant le TM. Il est également possible que la Septante ait occulté ce passage pour ne pas avoir à présenter Dieu comme un punisseur avec la racine ‫יסר‬6. Enfin, Job 36,10 propose ἀλλὰ τοῦ δικαίου εἰσακούσεται qui ne peut se rattacher au TM qu’en supposant une forme dérivant de la racine ‫ישׁ ר‬7 . Cependant, devant la différence entre la LXX et le TM, il paraît plus probable que cette supposition soit fausse et que le traducteur ait fait preuve de créativité. En effet, ce verset appartient à un passage qui est largement réduit8. D’autre part, le fait même que ἀλλὰ τοῦ δικαίου εἰσακούσεται corresponde au verset 10 du TM peut être remis en question9.

2. Étude des passages où ‫ יסר‬ne correspond pas à un mot de la famille de παιδεύω a. L’autre narration du schisme du royaume du Nord En 3 R 12,24a–z se situe un grand ‘plus’ de la Septante. Il s’agit en fait d’un passage qui est parallèle à 3 R 11,43–12,24 avec également quelques rappels du chapitre 14. L’histoire de la division d’Israël y est relatée de manière différente10. Ainsi, la négociation entre Roboam et le peuple est plus courte. Dans ce passage, la fameuse citation de Roboam n’est dite qu’une fois dans sa bouche

5

Voir p. 125. Voir notamment le traitement de Jr 37[30],14, p. 275. 7 Cf. LEH et PAHAG. 8 Le vieux grec de Job ne fournit que 3 versets, là où le TM en possède 8. Comme l’indique G. GERLEMAN, Studies in the Septuagint (3 volumes, LUÅ 43/2, 43/3, 52/3, Lund : C.W.K. Gleerup, 1946–1956), 1,24, n. 1, « It is thus a question of a résumé ». Voir également M. GOREA, Job repensé ou trahi ? Omissions et raccourcis de la Septante (Études Bibliques, Nouvelle série 56, Paris : Gabalda, 2007), 182–189 9 Ce genre de difficulté d’Origène a été mis en évidence récemment par P.J. GENTRY, « Old Greek and Later revisors: can we always distinguish them?, » Scripture in Transition. Essays on Septuagint, Hebrew Bible, and Dead Sea Scrolls in Honour of Raija Sollamo (éd. par A. Voitila et J. Jokiranta, SJSJ 126, Leyde : Brill, 2008), 319. 10 Il s’agit du plus long ‘plus’ dans la Septante de ce livre. Personne ne doute qu’elle est traduite d’un original sémitique mais le débat porte sur la nature et la datation de cet original. Il pourrait s’agir d’une version concurrente de la version du TM. À ce titre, il pourrait être plus proche de la réalité des faits que la version du TM. Pour d’autres, il s’agit d’un midrash tardif. Pour l’exposé des débats, voir R.P. GORDON, « The second Septuagint Account of Jeroboam : History or Midrash ? », VT 25 (1975), 368–369 et Z. TALSHIR, The Alternative Story. 3 Kingdoms 12:24A–Z (JBS 6, Jérusalem : Simor, 1993), 21–36. 6

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Quatrième partie : La Septante

alors que dans l’autre passage, cette citation est déjà dite auparavant par son conseil. Elle est également plus courte et diffère dans les mots utilisés : Tableau 1 – Comparaison de 3 R 12,10–11 et de 3 R 12,24r 3 R 12,10–11 Ἡ μικρότης μου παχυτέρα τῆς ὀσφύος τοῦ πατρός μου καὶ νῦν ὁ πατήρ μου ἐπεσάσσετο ὑμᾶς κλοιῷ βαρεῖ κἀγὼ προσθήσω ἐπὶ τὸν κλοιὸν ὑμῶν, ὁ πατήρ μου ἐπαίδευσεν ὑμᾶς ἐν μάστιγξιν, ἐγὼ δὲ παιδεύσω ὑμᾶς ἐν σκορπίοις

3 R 12,24r Ἡ μικρότης μου παχυτέρα ὑπὲρ τὴν ὀσφὺν τοῦ πατρός μου --ὁ πατήρ μου ἐμαστίγου ὑμᾶς μάστιγξιν, ἐγὼ δὲ κατάρξω ὑμῶν ἐν σκορπίοις

L’absence de la partie médiane est une différence évidente. De même, l’utilisation de ὑπὲρ suivi de l’accusatif au lieu du génitif dans la comparaison des parties choisies du roi avec celles de son père se note aisément. Néanmoins, l’écart le plus significatif se situe dans les verbes qui correspondent à παιδεύω. Non seulement ils témoignent d’associations inédites avec la racine ‫יָסַר‬, mais en plus ils ne sont pas identiques. À la première occurrence correspond μαστιγόω, « fouetter », à la deuxième κατάρχω, « gouverner ». Il semble que cet écart entre la correspondance des deux occurrences du verbe ‫ יָסַר‬ne se situe qu’en 3 R 12,24r. Ni la Septante et les réviseurs, ni la Vulgate ou même la Peshitta ainsi que les targumim ne montrent un tel écart11. La raison en est essentiellement narrative : l’utilisation du même verbe accentue la violence du comportement de Roboam par rapport au comportement de Salomon. Une des pistes pour régler le problème est de constater la figure étymologique : ἐμαστίγου ὑμᾶς μάστιγξιν. Dans son étude sur le ‘plus’ de 3 R 12,24a-z, Talshir remarque que sa reconstruction de la Vorlage de ce passage tend à privilégier cette figure de style. Une variante hébraïque de la Vorlage, utilisant ‫שׁוּט‬, au lieu de ‫יָסַר‬, est alors possible. Cependant, il faut alors expliquer l’apparition de la forme κατάρξω. Le mot rare ‫ ַע ְק ָרב‬ne peut pas facilement être phonétiquement associé avec un verbe synonyme de « frapper » et aurait pu être traduit par κατάρχω. On peut alors envisager que la figure étymologique provienne de la traduction grecque12.

11 Seuls 2 Ch 10,11.14 ne comportent pas la deuxième mention du verbe ‫יָסַר‬. Mais il s’agit simplement d’une ellipse pour éviter la répétition. De même, la paraphrase de Josèphe (Ant. 8,217–218) utilise des verbes différents. Cependant, chez lui, le deuxième verbe, ποιέω, remplace le premier pour éviter la répétition. 12 TALSHIR, The Alternative Story, 30, n.33; 124, n.11.

Chapitre 2 : Étude de l’équivalence lexicale

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Conformément aux deux nuances du verbe ἄρχω, κατάρχω signifie « commencer » ou « gouverner ». Cependant, ce verbe ne possède pas de nuance négative dans la littérature classique. Il semble en fait que le traducteur de 3 R 12,24r ait utilisé le préverbe κατά pour donner à ce verbe un sens hostile : « mal gouverner ». Ce verbe n’est présent que onze fois dans la Septante. Lorsqu’il correspond au TM, il correspond essentiellement à un mot de la racine de ‫משׁל‬, « gouverner » 13 . En revanche, en 2 Esd 19,28, il correspond au verbe ‫רדָ ה‬, ָ « gouverner »14, dont le correspondant araméen, ‫רדָ א‬, ְ a été utilisé pour traduire de manière assez systématique ‫יָסַר‬. D’autre part, en Nb 16,13, il correspond à l’hitpael de ‫ שׂ ַָרר‬qui est proche par la sonorité de ‫יָסַר‬. Ces deux constats suggèrent deux explications pour la traduction de 3 R 12,24r : 1. la Vorlage était écrite en araméen15 et le traducteur aurait pu jouer sur les deux sens du verbe ‫ ְרדָ א‬: alors que Salomon n’utilisait les fouets que pour châtier, Roboam utilisera des scorpions dans l’exercice normal de ses fonctions16. 2. la deuxième occurrence du verbe ‫ יָסַר‬a été corrompue avec une modification, un ‫ שׂ‬aurait remplacé le ‫ס‬. b. L’originalité du traducteur du livre des Proverbes Le livre des Proverbes fait souvent preuve d’originalité. Malgré le fait que la correspondance entre ‫ יסר‬et les mots de la famille de παιδεύω soit une des exceptions aux traits stylistiques du traducteur17, il existe deux endroits où la Septante effectue un choix différent. Premièrement, le livre des Proverbes (Pr 1,1) débute par un titre, ‫שׁ מ ֹה בֶן־‬ ְ ‫שׁלֵי‬ ְ ‫ִמ‬ ‫דָּ וִד ֶמ ֶל יִשׂ ְָראֵל‬, suivi d’une série d’infinitifs introduits par la préposition ‫ ְל‬18. Pour la seconde série, au verset 3, le TM donne : 13

Y compris en coupant autrement sa Vorlage que le TM, comme en Na 1,12. Ne 9,28. 15 Pour la difficulté de déterminer la langue originale de la Vorlage de ce passage, voir GORDON, « The second Septuagint Account of Jeroboam », 369, n.9. 16 Il n’est pas certain qu’il s’agisse d’un adoucissement, tel que le suppose G.B. CAIRD, « Toward a Lexicon of the Septuagint II », Septuagintal Lexicography (éd. par R.A. Kraft, SBLSCS 1, Missoula, Mont. : Scholars Press, 1972), 133. 17 D’HAMONVILLE, Proverbes, 72–87. 18 Dans le TM, ces infinitifs se rattachent au groupe nominal « Proverbes de Salomon, fils de David, roi d’Israël pour… ». En revanche, en grec, le rattachement n’est pas aussi évident. En effet, le substantif ‫ ֶמ ֶל‬est traduit par un verbe, ἐβασίλευσεν, de telle sorte que les infinitifs peuvent y être rattachés : « Proverbes de Salomon, Fils de David, qui gouvernait en Israël pour… » voir D’HAMONVILLE, Proverbes, 159). On observe que le prologue se termine par une conjonction finale : ἵνα δῷ, « afin qu’il donne aux innocents de l’astuce ». Le sujet serait 14

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‫שׁפָּט וּ ֵמישׁ ִָרים‬ ְ ‫שׂכֵּל צֶדֶ ק וּ ִמ‬ ְ ‫ָל ַקחַת מוּסַר ַה‬ À accepter une correction éclairée : justice, équité, droiture.

La Septante propose : δέξασθαί τε στροφὰς λόγων νοῆσαί τε δικαιοσύνην ἀληθῆ καὶ κρίμα κατευθύνειν, Pour saisir les détours des paroles, et pour comprendre la vraie justice et aussi rendre droit le jugement.

L’expression στροφὰς λόγων correspond au seul ‫מוּסַר‬. Le verbe ‫ ַל ַקח‬est rendu par δέξασθαι qui est l’une de ses correspondances nominales quand il a ‫ מוּסַר‬en objet. L’infinitif νοῆσαι correspond à la racine ‫שׁכל‬19. En deux endroits de la littérature classique, on retrouve στροφὴ λόγων. Athénée rapporte un fragment d’Antiphane20 où cette expression est traduite en général par « chanson ». De même, une sentence de Ménandre21 est interprétée comme un conseil à un artisan. Si cet artisan veut tisser une longue robe, il faut qu’il apprenne d’abord une ritournelle. Il s’agirait donc de sentences rythmées, synonymes de paraboles facilement mémorisables 22 . Le traducteur grec se serait retrouvé en face du mot ‫ מוּסַר‬qu’il a voulu différencier du même mot présent dans le verset précédent et éviter ainsi une répétition inutile23. Cependant, l’utilisation du substantif στροφή ne se retrouve dans la Septante qu’en Sg 8,8 et Si 39,2 qui sont probablement des emprunts à Pr 1,324, ainsi qu’en Ps Sol 12,2. Dans tous les cas, cette expression est associée soit avec un verbe d’interprétation, soit avec un mot désignant la complexité. Selon COOK25, le choix lexical du traducteur des Proverbes serait plutôt à rapprocher de SiA

Salomon (cf. également D’HAMONVILLE, Proverbes, 34) alors que le TM garde jusqu’au bout la construction infinitive qui se rattache aux proverbes. En résumé, le TM présente aux lecteurs des proverbes qui vont leur permettre d’être sages, alors que la LXX suggère que c’est Salomon qui est sage et qui peut rendre le lecteur sage. 19 Cf. aussi Pr 16,23 ; Is 44,18 ; Je 10,21. 20 Athénée, Deipn. 10.6.13. 21 Ménandre, Sent., 793. 22 Voir également Phèdre, Fab. 1.14 : verbosis adquisivit sibi famam strophis. Il traite d’un charlatan dont les paroles furent son arme pour acquérir une bonne réputation, mais basée sur le mensonge. 23 Voir COOK, The Septuagint of Proverbs, 49–50. En revanche, son hypothèse qui veut que le traducteur aurait rajouté λόγων pour expliciter la nature de ‫ מוּסָר‬n’est pas nécessaire s’agissant d’une locution. 24 D’HAMONVILLE, Proverbes, 145. 25 COOK, The Septuagint of Proverbs, 49–50.

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6,226. Le traducteur aurait interprété ‫ מוּ ָסר‬comme dérivant de la racine ‫סור‬27. Il en aurait profité pour faire un parallèle avec λόγους φρονήσεως. L’utilisation du pluriel rapproche également ce passage de Pr 25,1 où παιδεία au pluriel correspond à ‫מִשְׁ לֵי‬. Cette utilisation témoigne de la compréhension de παιδεία comme un discours de type proverbial28. Deuxièmement, c’est la recherche d’un procédé allitératif qui aurait conduit le traducteur à éviter de traduire ‫ מוּסָר‬en Pr 13,1 : ‫בֵּן ָחכָם מוּסַר אָב ְולֵץ א־שָׁ מַע ְגּע ָָרה‬ Un fils sage, éducation du père et un insensé n’écoute pas le reproche.

υἱὸς πανοῦργος ὑπήκοος πατρί, υἱὸς δὲ ἀνήκοος ἐν ἀπωλείᾳ Un fils malin est obéissant envers son père mais le fils qui n’écoute pas (va) à sa perte.

Dans la version grecque, les deux hémistiches sont davantage liés que dans le TM. La Septante compare un fils malin avec un fils qui n’écoute pas quand le TM compare un fils sage avec un insensé. Il effectue également un jeu de mot entre ὑπήκοος, « obéissant », et ἀνήκοος, « qui n’écoute pas ». Il est possible que la Vorlage ait possédé une forme du verbe ‫שׁמַע‬ ָ à la place de ‫ מוּסָר‬comme le propose un manuscrit hébraïque 29. Il pourrait également s’agir d’une contamination du verset précèdent qui possède ce verbe. Enfin, le traducteur a peutêtre compris ‫ מוּ ַסר‬comme un participe passif30. En fait, de telles hypothèses sont possibles mais non nécessaires. Ainsi, Tauberschmidt a noté comment le traducteur du livre des Proverbes tend à forger des parallélismes plus parfaits que dans sa Vorlage31. La difficulté de sa Vorlage, qui comporte une ellipse diversement interprétée32, aurait fourni à la Septante l’occasion de bâtir cette opposition entre un fils obéissant et un fils

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Voir p. 111–112. Voir aussi A.J. BAUMGARTNER, Étude critique sur l’état du livre des Proverbes d’après les principales traductions anciennes (Leipzig : W. Drugulin, 1890), 29 qui suggère la même hypothèse. 28 Pace LAGARDE, Anmerkungen, 5 qui envisage une autre Vorlage. Le problème est la présence de παιδεία aux versets 2 et 3 que le traducteur traduit de deux manières différentes. 29 Cf. BHS. 30 BAUMGARTNER, Étude critique, 125–126. 31 G. TAUBERSCHMIDT, Secondary Parallelism : A Study of Translation Technique in LXX Proverbs (SBL.AB, Leyde : Brill, 2004), 99.227. 32 Pour l’examen de cette figure de style, voir p. 97, n. 132. 27

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désobéissant. De même, D’Hamonville envisage un « couplage étymologique »33 : le traducteur des Proverbes aime mettre en parallèle deux mots de même étymologie 34. Quelques problèmes de critique textuelle sont aussi à considérer. Dans les Proverbes, on trouve une certaine interchangeabilité des termes liés à la Sagesse35 : ‫ מוּסָר‬et ‫תוֹרה‬, ָ ‫ מִ ְצוָה‬ou ‫ ָחכְמָה‬. Les leçons παιδεία ou νόμος de Pr 1,836 et παιδεία ou σοφία de Pr 1,2937 le confirment. En Pr 1,8, le TM donne ‫ מוּסָר‬et les codex Sinaiticus et Alexandrinus νόμους. On peut envisager que la Vorlage de la Septante possédait ‫ מִ ְצוָה‬comme en Pr 6,20. Le texte fut révisé vers le TM ensuite38. c. L’autre choix du Vieux Grec du livre de Job Parmi l’ensemble des mentions de la racine ‫ יסר‬en Job39, seule Job 20,3 se situe dans les passages sous astérisque, on y trouve παιδεία40. Dans ces passages sous astérisque, on trouve également une fois παιδεία correspondant à ‫שׁבֶט‬ ֶ , « bâton »41. Les occurrences controversées de la racine ‫יסר‬42 correspondent à des mots grecs qui n’ont pas de lien clair avec cette racine. En Job 12,18, la présence du verbe καθιζάνω est expliquée en supposant une Vorlage comportant ‫מושׁיב‬. En Job 33,16, ἐν εἴδεσιν φόβου, semble suggérer une Vorlage proche de Job 7,1443. En revanche, les trois autres formes sont systématiquement traduites par un mot de la famille de νουθετέω. Cela est bien montré par les deux passages suivants : 1. εἰ γὰρ σὺ ἐνουθέτησας πολλούς qui correspond à ‫( ִהנֵּה יִסּ ְַרתָּ ַרבִּים‬Job 4,3) ; 2. νουθέτημα δὲ παντοκράτορος μὴ ἀπαναίνου qui correspond à ‫וּמוּסַר שַׁדַּ י אַל־‬ ‫( תִּ מְאָס‬Job 5,17)44.

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D’HAMONVILLE, Proverbes, 70. Pr 17,23. 35 Voir aussi D’HAMONVILLE, Proverbes, 84–85. 36 ἄκουε, υἱέ, παιδείαν/νόμους πατρός σου. 37 ἐμίσησαν γὰρ σοφίαν/παιδίαν, τὸν δὲ φόβον τοῦ κυρίου οὐ προείλαντο 38 Pace COOK, The Septuagint of Proverbs, 65–66. 39 Job 4,3 ; 5,17 ; 12,18 ; 33,16 ; 36,10 ; 40,2. 40 C’est-à-dire rajouté par Origène. 41 Voir p. 294. 42 Job 12,18 ; 33,16 ; 36,10. 43 Cf. LXX.D.EK. 44 Gö. indique qu’Aquila comporte παιδεία. 34

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Le passage qui correspond actuellement à JobTM 40,2 est un passage sous astérisque, c’est-à-dire sans correspondance dans le Vieux Grec. En revanche, le Vieux Grec de Job 40,4 comporte : Τί ἔτι ἐγὼ κρίνομαι νουθετούμενος καὶ ἐλέγχων κύριον ἀκούων τοιαῦτα οὐθὲν ὤν; Pourquoi maintenant moi vais-je juger alors qu’on me corrige et vais-je accuser le Seigneur qui écoute tout cela (alors que) je ne suis rien ?

La phrase n’est pas très évidente à comprendre45 mais se rapproche de JobTM 40,246. Le choix effectué par le Vieux Grec correspond à un choix lexical qui ne remet pas en cause le champ sémantique de la racine ‫יסר‬. Les utilisations classiques de ce verbe correspondent à la signification d’admonestation ou de correction47. Il est probable que le traducteur du Vieux Grec de Job, qui semble connaître la culture classique 48 , ait préféré éviter l’utilisation d’un mot de la famille de παιδεύω 49 et choisir un mot plus clairement lié au champ sémantique du reproche 50 . En particulier, en Job 5,17, cela correspond à un macarisme paradoxal dans le discours d’Éliphaz. Ce choix lexical a eu une postérité. Ainsi, dans le livre de Judith, on trouve : καὶ ἡμᾶς οὐκ ἐξεδίκησεν, ἀλλʼ εἰς νουθέτησιν μαστιγοῖ κύριος τοὺς ἐγγίζοντας αὐτῷ (Jdt 8,27) Et il ne tire pas vengeance de nous, mais le Seigneur flagelle ceux qui s’approchent de lui pour les avertir.

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Ce qui explique la variante facilitante qui met au passif ἐλέγχων. Voir LXX.D.EK se référant à D. H. GARD, « The Concept of Job's Character According to the Greek Translator of the Hebrew Text », JBL 72 (1953), 185. Ainsi, κρίνομαι correspond à ‫הֲר ֹב‬, νουθετούμενος à ‫י ִסּ ֹור‬, ἐλέγχων à ‫ מ ֹוכִי ַח‬et κύριον à ‫ ֱא ו ַהּ‬. On ne peut cependant pas parler de décalque car il existe de nombreux endroits qui ne correspondent pas au TM. 47 Il n’y a donc pas besoin de chercher des papyrus tardifs pour éclairer ce sens (pace MM s.v. – qui pourtant fait état d’une telle utilisation littéraire du verbe νουθετέω quand il étudie le verbe παιδεύω – et NewDocs 3,77). 48 M. HARL, G. DORIVAL et O. MUNNICH, La Bible grecque des Septante. Du judaïsme hellénistique au Christianisme ancien (Initiations au Christianisme ancien, 2nde édition, Paris : Cerf, 2011), 179, LXX.D.EK, 2, 2046. 49 Il s’éloigne ainsi du traducteur des Proverbes. Pour l’état de la recherche concernant le rapport entre le traducteur de Job et celui des Proverbes, voir LXX.D.EK, 2, 2056. 50 LEH interprète l’hapax ἀπομέμφομαι (Job 33,27) comme pouvant résulter d’une Vorlage possédant ‫ יסר‬au lieu de ‫ ישׁר‬comme le TM. Cette utilisation pourrait être rapprochée de Si 41,7 qui utilise μέμφομαι de manière ironique : ce sont les enfants qui blâment un père impie. Cependant les manuscrits B et M, bien que dans des parties assez mutilées, proposent le verbe ‫ ָקבַב‬qui est nominalement toujours rendu par le verbe ἀράομαι ou l’un de ses dérivés. En l’absence de lien textuel direct entre le verbe ἀπομέμφομαι et la racine ‫יסר‬, il n’est pas possible d’approfondir plus avant cette hypothèse. 46

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Le livre de Judith a probablement été écrit directement écrit en grec51. En ce qui concerne Jdt 8,27, le rapprochement avec Pr 3,12 a été évoqué52. On peut également évoquer les passages où Dieu frappe mais ne tue pas53 tels que 2 M 6,12 qui utilise παιδεία pour exprimer une idée similaire54 : λογίζεσθαι δὲ τὰς τιμωρίας μὴ πρὸς ὄλεθρον, ἀλλὰ πρὸς παιδείαν τοῦ γένους ἡμῶν εἶναι (2 M 6,12) (J’exhorte) de penser que les épreuves n’arrivent pas pour notre perdition, mais pour l’ « éducation55 » de notre race.

Flavius Josèphe utilise également un mot de cette famille, là où le texte biblique utilise παιδεύω. Prenons l’exemple de sa paraphrase du dit de Roboam : καὶ εἰ μάστιξιν αὐτοὺς νουθέτει, σκορπίοις τοῦτο ποιήσειν αὐτὸν προσδοκᾶν (Josèphe, Ant. 8,217–218) Si celui-là (Salomon) les a châtiés avec des fouets, c’est par des scorpions qu’ils doivent s’attendre que lui (Roboam) fasse cela.

On trouve également νουθετέω dans sa relecture de Dt 21,18 : πρῶτον μὲν λόγοις αὐτοὺς νουθετείτωσαν οἱ πατέρες (Josèphe, Ant. 4,260) En premier lieu, que les pères leur fassent des reproches par oral !

De fait, Josèphe n’utilise pas παιδεύω dans le sens de « punir ». Son utilisation de νουθετέω quand il traite des passages bibliques possédant la racine ‫ יסר‬ne signifie pas forcément qu’il avait à sa disposition un texte biblique grec différent de la Septante ou de l’un de ses réviseurs. En revanche, cela signifie certainement que pour lui, comme probablement pour le traducteur de Judith et très certainement pour le traducteur de Job, le meilleur mot pour traduire ‫יָסַר‬ est νουθετέω. Ce lien entre la racine ‫ יסר‬et les mots de la famille de νουθετέω est important. Il paraîtrait étonnant que le traducteur de Job ignorât la Septante du Pentateuque. Son choix confirme le champ sémantique de la racine ‫יסר‬. Il suggère également que la correspondance entre ‫ יסר‬la racine et les mots de la famille παιδεύω n’était pas perçue comme étant la plus adéquate par l’ensemble des traducteurs. 51

L’ancienne thèse d’une origine sémitique (e.g. C.A. MOORE, Judith [AB 40, New York: doubleday, 1995], 66–67) est maintenant combattue. Les hébraïsmes seraient des « septantismes ». Voir notamment J. JOOSTEN, « The Original Language and Historical Milieu of the Book of Judith », Meghillot. Studies in the Dead Sea Scrolls 5–6 (2008), *159–*168. 52 Avec Ha 12,7–11, voir MOORE, Judith, 66–67. 53 e.g. Ps 117[118],18. 54 Voir aussi Josèphe, Ant. 9,176 pour une idée similaire exprimée avec νουθετέω. 55 Voir également p. 302, n. 135.

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Il faut enfin mentionner le lien établi entre παιδεύω et νουθετέω dans les écrits bibliques ultérieurs, notamment en Sg 11,9–10, Ps Sol 13,8 ou encore dans la littérature Paulinienne (Ep 6,4).

3. Les passages correspondant au verbe παιδεύω a. Les conjugaisons Les deux conjugaisons qal au participe présent56 sont également rendues par un participe présent. Le qal intervenant dans une tournure volitive avec ‫אָוָה‬57 est rendu par un infinitif aoriste régit par le verbe ἔρχομαι. Le traducteur a lu une forme proche de ‫ באותי‬qu’il a interprété pour une forme du verbe ‫ « בּוֹא‬aller » 58 . Les conjugaisons niphal correspondent invariablement à la voix passive. La nuance « tolérative » est alors amoindrie. Elle est maintenue dans Lv 26,23 avec une phrase conditionnelle possédant un aoriste subjonctif ainsi que dans Ps 2,10 qui utilise un impératif. En revanche, cette nuance est perdue en Jr 6,8 par l’utilisation d’un futur passif indicatif, tout comme Pr 29,19. De même, Jr 38[31],18 est traduit par un aoriste passif indicatif. Le nitpael d’Ez 23,48 n’est pas rendu de manière spécifique ; le futur passif utilisé pouvant tout aussi bien correspondre à un niphal. La nuance qu’on peut trouver entre la conjugaison qal et piel se perd également en grec. Rien ne permet de différencier une éventuelle nuance liée au piel. Alors que dans le TM de Jr 38[31],18, on interprète le piel comme résultatif et le niphal comme tolerativum : « tu m’as bien corrigé et je me suis laissé corriger »59. La Septante fait porter le résultat par le passif : Ἐπαίδευσάς με, καὶ ἐπαιδεύθην ἐγώ. Tu m’as corrigé et moi j’ai été corrigé.

Le qatal piel est toujours traduit par un aoriste60 et le weqataltí habituellement par un futur61. Le yiqtol est diversement traduit en fonction de son sens. En 3 R 56

Ps 93[94],10 ; Pr 9,7. Os 10,10. 58 Voir BONS, JOOSTEN et KESSLER, Les douze prophètes. Osée, 137. 59 Voir p. 91. 60 e.g. 3 R 12,11.14, Ps 15[16],7. 61 e.g. Lv 26,28 ; Dt 22,18. Cependant Dt 21,18 a rendu cette forme par un subjonctif transformant l’idée de consécution en éventualité logique. Le futur ici n’aurait pas cadré avec la protase. 57

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12,11.14, il est rendu par un futur. On trouve également un futur là où le TM introduit plutôt une idée de prière, comme en Jr 2,19. Il est correctement rendu par un subjonctif en Ps 6,2 et en Ps 37[38],2. En Dt 8,5, il correspond à un aoriste optatif, transformant le présent duratif en conditionnel ponctuel. L’impératif de Jr 10,24 est rendu par un impératif aoriste, tandis que ceux de Pr 19,18 et de Pr 29,17 sont rendus par des impératifs présents. Jérémie 10,24 appartient au domaine ponctuel du châtiment, tandis que l’injonction faite aux pères de corriger leurs enfants du livre des Proverbes se situe dans la morale domestique quotidienne. L’infinitif construit est rendu par un infinitif aoriste62. Tandis que la seule occurrence d’un infinitif absolu est rendue par un participe présent63. b. La rection Comme pour ‫יָסַר‬, la construction de base relie un sujet avec un accusatif. On ne trouve pas de double accusatif. La préposition ‫ ְבּ‬est rendue soit par un simple datif64, soit par la tournure ἐν suivi du datif65. En ce qui concerne la préposition ‫ ְל‬, la traduction d’Is 28,26 utilisant un datif suggère ‫ ְבּ‬66. Au contraire du sens classique, le datif ou la préposition ἐν n’y désigne pas la matière enseignée. Jérémie 37[30],11, de son côté, utilise la préposition εἰς pour confirmer le sens causal de la préposition hébraïque. Ce sens causal n’est pas à confondre avec le sens final que peut avoir cette préposition associée au verbe en grec classique. Tout comme le TM, la Septante de Jérémie ne veut pas exprimer l’éducation à la justice, mais la correction à cause de la justice.

4. Les passages correspondant aux substantifs παιδεία et παιδευτής et l’adjectif ἀπαίδευτος a. Les emplois Les utilisations spécifiques de ‫ מוּסָר‬dans le TM se retrouvent dans l’utilisation de παιδεία dans la Septante, à l’exception des quatre utilisations en tant qu’attributs du sujet. Seul Pr 15,33 est conservé. En Os 5,2, on trouve le terme παιδευτής et Pr 13,1 a changé la structure de la phrase67. Lorsque ‫ מוּסָר‬est sujet 62

Lv 26,28 ; Dt 4,36. Ps 117[118],18. 64 Ps 6,2 ; 37[38],2 ; Pr 29,19. 65 3 R [1 R] 12,11.14 ; 2 Par [2 Ch] 10,11.14. 66 Ceci montre que le traducteur n’a pas compris, comme certains exégètes modernes, la construction hébraïque comme un double accusatif (voir p. 95–96). 67 L’occurrence dans Ez 5,15 est absente. 63

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d’une phrase, cela est aussi le cas de παιδεία, sauf Jr 37[30],14 où le lemme hébreu est rendu par un accusatif en grec. En Pr 15,10, παιδεία est sujet d’un verbe au passif68. Le complément de l’état construit est rendu par un génitif69, y compris quand il s’agit de qualifier la manière 70 , mais parfois par un adjectif71. Contrairement au grec classique, le génitif désigne non pas l’objet mais le sujet de l’action72. Les endroits où παιδεία est complément du nom ne correspondent pas dans la LXX73. En effet, alors que ‫ מוּסָר‬est parfois régi par un nom dans le TM, dans les passages correspondant de la Septante, παιδεία est systématiquement séparé de ce nom par un καί, comme s’il n’était pas possible que ce substantif puisse être régi par un autre nom. En deux endroits du livre des Proverbes74, le verbe παιδεύω correspond au substantif ‫מוּסָר‬. En Pr 13,24, le traducteur place l’adverbe ἐπιμελῶς suivi de παιδεύω, au lieu du verbe du TM ‫ שָׁ חַר‬régissant ‫מוּסָר‬75. En Pr 23,13, il remplace une construction comportant un verbe d’écartement suivi de ‫ מוּסָר‬par un verbe régissant παιδεύω. Dans ces deux cas, ‫ מוּסָר‬désignait une correction. Enfin, en Pr 5,23, le traducteur fait correspondre à l’expression ‫ְבּ ֵאין מוּסָר‬ celle-ci : μετὰ ἀπαιδεύτων. Alors que le TM explique pourquoi le pécheur meurt, à savoir le fait qu’il n’ait pas de ‫מוּסָר‬, le texte grec exprime le fait que ce pécheur mourra avec les personnes « non éduquées »76. Il n’est pas exclu que le ‘plus’ de la Septante dans ce verset : ἀπώλετο διʼ ἀφροσύνην soit en fait une traduction concurrente.

68 On trouve une même transformation en Pr 13,18. Dans la Septante, c’et la παιδεία qui met de côté la pauvreté et la disgrâce, alors que dans le TM le verbe est au participe présent et ‫ מוּסָר‬en est l’objet. 69 Quand il est compris comme tel. Ainsi, la Septante de Pr 1,3 suggère une séparation entre ‫ מוּסָר‬de ‫שׂכַל‬ ָ . De même Pr 15,33 entre ‫ מוּסָר‬et ‫ ָח ְכ ָמה‬. Enfin, Pr 8,10 n’attribue pas la παιδεία à la Sagesse personnifiée. La disparition d’un simple ‫ י‬ne semble pas devoir être interprété outre mesure. 70 Is 53,5 ; Job 20,3. 71 Jr 37[30],14. 72 Avec un doute sur Pr 16,22. 73 Pr 6,23 ; 22,15. 74 Pr 13,24 ; 23,13. 75 Dans le TM, la construction en double accusatif de ‫שׁחַר‬ ָ est inhabituelle et C. Chhetri, « ‫שׁחַר‬ ָ », NIDOTTE 4 (1997), 84 suggère de traduire par « he who loves him chastises him early/betimes ». Cette construction inhabituelle a pu être la motivation pour ce glissement de traduction. 76 Dans le livre des Proverbes, le terme ἀπαίδευτος correspond aux termes hébreux désignant le sceptique, l’idiot : ‫ ֱאוִיל‬, ‫ ְכּסִיל‬, ‫לֵץ‬, ‫נָבָל‬. Voir aussi p. 308–309.

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Quatrième partie : La Septante

Le substantif n’est utilisé qu’une fois77 au pluriel en Pr 25,1, où il correspond au pluriel de ‫ ָמשָׁל‬. Cet usage dénote l’utilisation de παιδεία comme discours oral. b. Les collocations La fréquente collocation ‫ לָקַ ח מוּסָר‬est principalement rendue de deux manières différentes78 : δέχομαι παιδείαν79 et λαμβάνω παιδείαν80. Les deux verbes sont utilisés pour rendre ‫לָקַ ח‬. Le verbe λαμβάνω en est le correspondant le plus fréquent tandis que δέχομαι comporte davantage la notion d’acceptation. Il faut également noter l’emploi unique de ἐκλέγω παιδείαν, « choisir la παιδεία » en Pr 24,3281. Dans ce passage, le traducteur reprend l’image du champ et de la vigne négligés. Cependant, au lieu d’indiquer que le narrateur appliquât son cœur et prit le ‫מוּסָר‬, il dit qu’il changea son esprit et choisit la παιδεία. L’aspect conversion est ici davantage marqué que dans le TM82. La variété lexicale des Proverbes se retrouve dans les autres collocations grecques. Par exemple, en Pr 4,13, ‫ ָחזַק‬est rendu par ἐπιλαμβάνω « tenir ferme » et ‫ נָצַר‬par φυλάσσω, « garder »83. L’amour ou la haine envers le ‫ מוּסָר‬est rendu avec les verbes ἀγαπάω et μισέω84. Les verbes marquant le rejet sont rendus par des verbes similaires : ὀλιγωρέω, « avoir en peu d’estime »85, ἐξουθενέω,

77 En Pr 3,11, D’HAMONVILLE, Les proverbes, 175–176, propose de voir en παιδείας l’accusatif pluriel sous prétexte que ὀλιγωρέω, bien que régissant classiquement le génitif, peut aussi tardivement régir l’accusatif. Cette hypothèse apparaît inutile. 78 Pour l’impact sur la question de l’unicité de la traduction de Jérémie, voir p. 275, n. 156. 79 Jr 2,30 ; 5,3 ; 7,28 ; 17,23 ; So 3,2.7 ; 80 Jr 39[32],33 (avec ἐπιλαμβάνω ou ἐκλαμβάνω) ; Jr 42[35],13 ; Pr 8,10. 81 Voir cependant les variantes en Jr 2,30 ; 7,23. Il convient d’être prudent car les formes du verbe ἐκλέγω sont parfois proches de celles du verbe δέχομαι, ainsi P. DE LAGARDE, Anmerkungen zur griechischen Übersetzung der Proverbien (Leipzig : Brockhaus, 1863), 79 suggère de corriger ἐκλέξασθαι en ἐκδέξασθαι. 82 Avec la disparition de la forme conjuguée ‫ ָו ֶא ֱחזֶה‬au profit d’une préposition marquant la postériorité, ὕστερον qui pourrait corresponde à ‫( וְאַח ֲַרי‬BAUMGARTNER, Étude critique, 218). Voir également LXX.D.EK. 83 Qui correspond à ‫שׁמַר‬ ָ en Pr 10,17 et à ‫שׁ ַמע‬ ָ en Pr 19,27. 84 Pr 12,1. 85 Pr 3,11, hapaxlegomenon de notre corpus, voir p. 295–297.

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« dédaigner » 86 , μυκτηρίζω, « mépriser » 87 , ἀφίημι, « laisser de côté » 88 , ἀφαιρέω, « enlever »89, ἀπωθέω, « rejeter »90, ἀπέχω, « éviter de »91. Si l’idée d’accepter ou de rejeter la παιδεία se trouve également en grec classique, il faut constater qu’elle est exprimée par d’autres collocations, les points communs sont rares92. La collocation avec ‫ שָׁ מַע‬est rendue très régulièrement avec ἀκούω93. Nous avons déjà noté l’absence de cette collocation en grec classique 94 . Dans la Septante, la παιδεία devient un discours de reproches qui peut être entendu, ce qu’elle n’est pas dans la littérature classique.

5. Analyse sémantique a. Les sujets et les objets Il n’y a pas de changements importants par rapport au TM. La relation entre le sujet et l’objet est toujours asymétrique, le sujet étant principalement Dieu ou le père. La Septante confirme tous les sujets du TM, y compris les reins 95. On peut cependant noter la disparition en Pr 8,10, de l’attribution de la παιδεία à la Sagesse. En revanche, la Septante confirme l’attribution de la παιδεία aux fous en Pr 16,22, même s’il est difficile de déterminer si les fous sont sujets ou objets. b. Les parallèles La relation entre ‫ יָסַר‬et ‫ יָכַח‬et leurs dérivés se retrouve également en grec avec la paire παιδεύω et ἐλέγχω et leurs dérivés. En grec classique, ce dernier terme possède un champ sémantique assez large qui va de la honte jusqu’à l’investigation, en passant par « blâmer », « exposer », « interpréter »96. 86 Pr 1,7, ce verbe grec est une variante de ἐξουδενέω qui traduit une certaine variété de mots hébreux dont ‫ בוּז‬en 4 R 19,21 ; Ca 8,1.7. 87 Pr 15,5, utilisé dans un sens similaire avec ἔλεγχος en Pr 1,30. 88 Pr 4,13. 89 Pr 13,18, pour le changement de structure, voir p. 245, n. 68. 90 Pr 15,32. 91 Pr 23,13, pour le changement de structure de la phrase, voir p. 245. Les quatre derniers verbes sont des verbes à champ sémantique qui correspondent à un grand nombre de termes hébreux tant dans le livre des Proverbes que dans le reste de la Bible. 92 Seulement λαμβάνω, δέχομαι, ἀγαπάω et ὀλιγωρέω Voir p. 155–156. 93 Sauf en Pr 19,27. 94 Voir p. 156. 95 Ps 15[16],7. 96 Cf. H.G. LINK, « ἐλέγχω », NIDNTT 2 (1976), 140–141.

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Chez Homère, il est utilisé pour signifier la honte ou l’insulte 97 . Chez Platon98 et Aristote99, ce terme désigne l’exposition d’arguments contredisant un adversaire. Dans ses développements du temps hellénistique, il conserve cette idée de réprobation liée à l’examen et l’exposition de la vérité100. Il est un bon correspondant de ‫ יָכַח‬qui désigne l’arbitrage judiciaire et également la réfutation et la réprobation101. L’association entre παιδεύω et ἐλέγχω est très rare en grec classique102. Dans la Septante, elle est telle que la paire ‫ יָסַר‬et ‫יָכַח‬ n’est pas traduite autrement103. Le parallélisme entre ‫ יָסַר‬et ‫ לָמַד‬est toujours rendu par une association entre παιδεύω et διδάσκω. Contrairement à ‫לָמַ ד‬, διδάσκω ne porte pas en grec de nuance d’entraînement quotidien. Il marque plutôt le phénomène de transmission du maître à l’élève de manière principalement orale104. Le processus de traduction fait perdre toute notion de difficulté d’apprentissage105. Ainsi pour le passage de Ps 93[94],12, en forçant le trait, le TM aurait « Heureux l’homme (…) que tu entraînes à tes commandements », tandis que la Septante donnerait : « Heureux l’homme (…) à qui tu communiques tes commandements ». De même, en Ps 15[16],7, la traduction de ‫ יָעַץ‬par συνετίζω106 fait perdre au contexte la nuance de décision ou de plan que porte le TM : dans la Septante, Dieu conseille. Cependant, ces choix lexicaux qui peuvent faire croire que παιδεύω possède dans ces versets une signification proche du grec classique ne doivent pas faire 97

Homère, Il. 9,552. e.g. Platon, Gorg. 470c. 99 e.g. Aristote, Eth. Nic. 1146a23. 100 e .g. Diodore de Sicile, Bibl. 13,90,5. 101 Cf. p. 103–104. 102 Peut-être une association anecdotique chez Aelius Aristide, Or. 3 Jebb 83. Thémistocle et Périclès ont éduqué les Athéniens à la vertu citoyenne même s’ils ont paru faire des reproches. 103 Avec parfois des originalités telles que l’utilisation de ἀνεξέλεγκτος en Pr 10,17. 104 K.H. RENGSTORF, « διδάσκω, κτλ », TDNT 2 (1964) 135–136, H. PERDICOYIANNI, Étude lexicologique des familles de δαῆναι, de διδάσκειν et παιδεύειν d’Homère à Hippocrate (Athènes : Perdicoyianni, 1994), 223. 105 Ce qui est moins le cas de l’autre terme grec auquel il correspond : μανθάνω. Si le traducteur de Jérémie a traité l’occurrence de ‫ ָלמַד‬en Jr 2,33 qui signifie « dresser », « habituer avec difficulté », en le traduisant par μιαίνω, « profaner », c’est peut-être parce qu’il ne peut concevoir qu’on puisse apprendre un crime (si le lemme ‫ ָלמַד‬était dans la Vorlage du traducteur). Pour Jr 38[31],18, voir p. 277. Le rendu grec de ‫ ַמ ְל ָמד‬en JgB 3,31 par ἀροτρόπους est peut-être simplement le signe que ce mot était compris comme un terme technique et non pas compris comme ayant un sens lié avec la racine ‫למד‬. La question de la traduction de ‫ָל ַמד‬ mériterait une étude précise qui dépasse le cadre de cette thèse. 106 Ce verbe apparaît près de dix fois dans les Psaumes, dont sept dans le Ps 118[119] (versets 27.34.73.125.130.144.169) où il correspond toujours à ‫בִּין‬. En Ps 31[32],8, Il correspond à ‫שׂכַל‬ ָ . 98

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oublier les autres parallèles notés dans le TM liés à la souffrance. Ils sont conservés et offrent des associations inédites en grec classique avec les mots de la famille de παιδεύω. Ainsi, les instruments de punition tels que le joug (κλοιός 107 ), le filet (δίκτυον108), le bâton (βακτηρία109 ou ῥάβδος110) ne sont pas autant associés avec παιδεύω dans la littérature classique. De même, les mots relatifs à la douleur et à l’oppression sont traduits de manière littérale et donnent des associations rarement observées dans la littérature grecque classique. Ainsi, πατάσσω111, « frapper », μαστιγόω, « fouetter »112, παίω, « frapper »113, τραυματίζω, « blesser » 114 , συντελέω, « détruire » 115 , ainsi que les noms θλῖψις, « détresse »116 et πληγή, « oppression »117. Le verbe παιδεύω prend une nuance d’oppression en 3 R 12,11.14 et 2 Par [2 Ch] 10,11.14 inconnue en grec classique118. En revanche les mots plus fréquemment utilisés par les grecs sont absents : κολάζω 119, τύπτω120 ou encore νάρθηξ 121. En fait, on ne trouve de telles associations de manières éparses qu’au sein de la littérature grecque gnomique122. Ces comparaisons ne doivent pas faire oublier deux aspects. Tout d’abord, elles sont effectuées sur le concept plutôt que sur le vocabulaire. Il y a donc danger de sur-interprétation 123 . D’autres mots que παιδεία peuvent correspondre à de telles analyses. Ainsi, Pr 20,29 associe κόσμος et σοφία.

107

3 R 12,11.14 ; 2 Par[2 Ch] 10,11.14. Os 7,12. 109 Pr 13,24. 110 Pr 22,15 ; 23,13. 111 Jr 2,30. 112 Jr 5,30. 113 Jr 37[30],14. 114 Is 53,5. 115 Jr 5,3. 116 Is 26,16 ; Os 7,12. 117 Jr 37[30],14. 118 Le fait qu’un roi ou un leader puisse éduquer son peuple existe dans la littérature classique (voir par exemple Platon, Ep. XI 359b), mais il n’est pas question pour lui de le faire avec des « scorpions ». 119 Présent uniquement dans les textes qui ne correspondant pas au TM (sauf 1 Esdr 8,24). 120 Ce verbe est utilisé dans toute la Bible, correspondant au verbe ‫( נָכָה‬Ex 2,11 ; Dt 25,11,…). Cependant, il n’est pas utilisé en association avec παιδεύω. En revanche, on le trouve dans un contexte éducatif (e.g. Pr 10,13). 121 Absent de la Septante. 122 Voir notamment p. 224, n.12. 123 Voir le débat concernant l’influence de la littérature grecque classique sur les Proverbes (COOK, The Septuagint of Proverbs, 3–11). 108

Chapitre trois

Impact de l’équivalence lexicale sur les passages relatifs à Dieu 1. Le Pentateuque1 a. Le Lévitique Le verbe παιδεύω apparaît trois fois 2 dans le chapitre 26 parmi les quatre phrases conditionnelles qui promettent sept représailles (Lv 26,18.21.23– 24.28). Καὶ ἐὰν ἕως τούτου μὴ ὑπακούσητέ μου, καὶ προσθήσω παιδεῦσαι ὑμᾶς ἑπτάκις ἐπὶ ταῖς ἁμαρτίαις ὑμῶν (Lv 26,18) Et si jusqu’à ce point vous ne m’obéissez pas, alors je continuerai votre correction sept fois à cause de vos péchés.

La critique textuelle ne pose pas de problème particulier3. L’expression καὶ ἐὰν ἕως τούτου a été diversement rendue 4 . La forme subjonctive aoriste ὑπακούσητέ est une fois donnée au présent, ce qui est probablement une erreur, le subjonctif aoriste étant utilisé aux versets 14 et 27 sans variante. Le verbe εἰσακούω remplace parfois ὑπακούω. Il correspond effectivement à ‫שׁמַע‬ ָ qal. Aucun manuscrit ne l’utilise pour les trois occurrences des versets 14, 18 et 27 ; il s’agit donc plus probablement d’une contamination de Dt 285.

1 Nous étudions les passages dans l’ordre de Ra. Cet ordre permet de remettre à plus tard l’épineuse question de l’ordre de traduction des différents livres. 2 Noter dans les notes concernant le matériel hexaplaire (Gö.), l’apparition du verbe παιδεύω correspondant à ‫ ָרדַ ף‬en Lv 26,17 (Allos et Theodotion selon Field). 3 L’utilisation par un papyrus d’une forme du tardif παιδίζω (variante de παίζω, « jouer») est probablement une erreur. 4 Omission du καί, déplacement de ἐάν, préférence de ὡς pour ἕως, ce qui serait une leçon facilitante : « si comme cela vous ne m’obéissez pas » ou le remplacement de ἕως τούτου par οὕτως qui est de nouveau une leçon facilitante : « de cette manière, vous ne m’obéissez pas ». 5 Dans la Septante, ce verbe est plus fréquemment utilisé pour désigner l’écoute de Dieu envers le peuple (voir par exemple Gn 21,17 ; Ex 2,24). Cependant, il peut également être utilisé pour l’écoute de la parole de Dieu en Nb 14,22 ou Dt 1,43 ; 4,30 et surtout 28,1.15.45.62.

Chapitre 3 : Impact de l’équivalence lexicale sur les passages relatifs à Dieu

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L’utilisation de l’article devant l’infinitif de παιδεύω est la marque d’un grec plus correct, son omission chez un bon nombre de témoins serait plus proche de l’original6. La leçon ἑπτάκις est proche du TM, cependant la tradition donne différentes formes de l’expression πληγὰς ἑπτὰ, sous l’influence probable de Lv 26,21. L’utilisation du verbe παιδεύω en double accusatif signifie normalement « enseigner quelque chose à quelqu’un » et signifierait ici « infliger quelque chose à quelqu’un » ce qui n’est pas attesté à notre connaissance. Voilà pourquoi cette mention est corrigée au datif par certains témoins. Cela montre également le problème d’interprétation que pose le nom ἑπτάκις : certains copistes auraient éprouvé le besoin d’expliciter cette correction qui survient sept fois. La traduction suit d’assez près le TM, on peut par exemple noter l’expression προσθήσω suivie de l’infinitif qui correspond à l’idiome ‫ יָסַף‬suivi de l’infinitif. Les différences se perçoivent dans l’utilisation du singulier τούτου au lieu du pluriel ‫ ֵאלֶּה‬. Cette traduction est facilitante, le pluriel doit faire référence à des choses précises, alors qu’en grec, le neutre singulier fera référence à tout ce qui a été dit auparavant7. La disparition de la préposition suffixée ‫לִי‬, remplacée par une simple préposition, μου est mineure8. καὶ ἐπὶ τούτοις ἐὰν μὴ παιδευθῆτε, ἀλλὰ πορεύησθε πρὸς μὲ πλάγιοι… (Lv 26,23) Et si après ces évènements vous n’avez pas appris, mais que vous marchez contre moi traîtreusement…

Le temps du verbe παιδεύω fait l’objet d’hésitation : au lieu du subjonctif aoriste passif, on trouve aussi le subjonctif présent passif et le subjonctif aoriste moyen9. L’hésitation sur le temps se retrouve également pour le verbe πορεύω. Une tendance à l’homogénéisation des temps entre παιδεύω et πορεύω peut être constatée. Lorsque les temps sont différents, παιδεύω est à l’aoriste et πορεύω au présent. Cela rend vraisemblable qu’il s’agisse des temps originels. Concernant πορεύω, il arrive qu’il soit à l’indicatif et non au subjonctif. Cette différence de mode implique une légère différence de sens. Lorsque les deux verbes sont au subjonctif, les faits décrits dans la protase sont considérés comme éventuels. Lorsque le deuxième verbe est à l’indicatif, il désigne un fait 6

J.W. WEVERS, Notes on the Greek Text of Leviticus (SBLSCS 44, Atlanta, Ga. : Scholars Press, 1997), 82.447. 7 Ibid., 447. 8 Interprété par PAHAG comme ayant été pris en compte par le suffixe du verbe. 9 La voix moyenne est assez faiblement attestée en grec classique pour παιδεύω (voir p. 149) et pas dans la Septante. Elle ne possède pas de signification particulière. Il est probable qu’il s’agisse d’une erreur, le manuscrit présentant cette forme appartient pourtant à ceux classés dans la recension origénienne. Il est cependant le seul à présenter cette forme, qui ne diffère du subjonctif présent que d’un σ. Il est donc peu probable que cet unique témoin ait raison en présentant une forme grammaticalement difficile contre tous les autres.

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Quatrième partie : La Septante

déterminé et se rapproche de la causale10. Cependant, il est peu probable que ce mode soit correct car il n’est pas attesté au verset 21 pour la même expression. Or, entre ces deux versets, le texte ne permet pas de penser que le fait éventuel soit devenu réel. La variante, trouvée en Origène, Hom. Jer. 7,1 est surprenante. Il cite Lv 26,23 ἐὰν μετὰ ταῦτα μὴ ἐπιστραφῆτε au lieu de ἐπὶ τούτοις ἐὰν μὴ παιδευθῆτε. Quelques lignes plus haut, il citait Lv 26,21 avec la même forme μὴ ἐπιστραφῆτε, « si vous ne vous êtes pas convertis ». Pour le verset 21, cette forme ne correspond à aucun autre témoin grec ni à une Vorlage hébraïque connue. Pour le verset 23, cette forme remplace le verbe παιδεύω. Il s’agit vraisemblablement d’une autre traduction de l’hébreu. En effet, μετὰ ταῦτα correspond davantage au TM ‫ בְּאֵ לֶּה‬que ἐπὶ τούτοις et la forme μὴ ἐπιστραφῆτε suppose ‫תָּ סוּרוּ‬, du verbe ‫סוּר‬, au lieu de ‫תִ ָוּסְרוּ‬. La Vorlage aurait pu se traduire « Si vous ne déviez pas et que vous marchez contre moi… ». Le traducteur aurait alors compris ‫ סוּר‬dans un sens métaphorique de conversion11. La traduction s’éloigne peu du TM. L’éloignement du marqueur conditionnel ἐὰν de la préposition καί, alors que le TM possède ‫ ְו ִאם‬, ne prête pas à beaucoup d’interprétations. En revanche, la correspondance de ἐπὶ τούτοις avec ‫ ְבּ ֵאלֶּה‬est intéressante en ce sens qu’elle effectue un choix interprétatif. En effet, la préposition ‫ ְבּ‬utilisée avec le verbe ‫ יָסַר‬peut avoir valeur instrumentale ou temporelle. Conformément à toutes les autres traductions de la Septante, le texte aurait pu fournir la préposition ἐν, ou un simple datif12. Le traducteur a donc dissocié la préposition ‫ ְבּ‬du verbe et l’a traduite comme ‫ בְּז ֹאת‬en Lv 26,27 par ἐπὶ τούτοις en la comprenant comme un complément circonstanciel de temps : « après cela ». La forme ‫ לִי‬ne correspond à rien dans la Septante13. Ce ‘moins’ étant également observé dans la Peshitta et la Vulgate, il est probable qu’il remonte à l’hébreu, qu’il s’agisse de la leçon originale ou d’une abréviation. Il est cependant possible de constater que l’utilisation en grec du passif du verbe παιδεύω fait perdre la nuance du niphal tolerativum. Or, il serait curieux de tenir compte de la forme ‫ לִי‬au risque d’un contresens possible : « si après cela vous n’êtes pas corrigé par moi ». Ce sens est évidemment impossible puisque le Lévitique décrit bien la correction du peuple par Dieu. Ne pas tenir compte de la forme ‫ לִי‬permet de s’affranchir de l’agent et de se

10

NGG. En effet, La faiblesse de cette argumentation est qu’ἐπιστρέφω correspond habituellement au verbe ‫ שׁוּב‬et qu’il ne correspond que rarement et de manière controversée au verbe ‫( סוּר‬3 R [1 R] 13,11 ; JgA 20,8) . 12 Voir p. 244. 13 Comme dans la Vulgate et la Peshitta et certains manuscrits massorétiques, selon BQS, 135 (non noté chez BHS). 11

Chapitre 3 : Impact de l’équivalence lexicale sur les passages relatifs à Dieu

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rapprocher d’une signification relative à la réforme des mœurs et des caractères : « si après cela vous ne vous êtes pas réformés »14. La dernière occurrence présente ceci : καὶ αὐτὸς πορεύσομαι μεθʼ ὑμῶν ἐν θυμῷ πλαγίῳ, καὶ παιδεύσω ὑμᾶς ἐγὼ ἑπτάκις κατὰ τὰς ἁμαρτίας ὑμῶν (Lv 26,28) Et moi-même je marcherai contre vous dans une fureur traitresse et je vous corrigerai moi sept fois selon vos péchés.

Au niveau de la critique textuelle, en dehors de variations mineures15, on trouve parfois καὶ ἐγώ ou la crase κἀγώ « et moi » à la place de καὶ αὐτὸς, « et même ». Cette dernière leçon est à préférer. En effet, les autres leçons s’harmonisent avec Lv 26,25 et καὶ αὐτὸς ne correspond à rien dans le TM. D’autre part, les témoins sont connus pour conserver des leçons hexaplaires16. L’apparition de καὶ ἐγώ ou de la crase κἀγώ résulte probablement d’une révision vers le TM. Quelques manuscrits ont le subjonctif aoriste moyen πορεύσωμαι, au lieu de l’indicatif futur πορεύσομαι, ce qui rattache cette partie à la protase. Cependant, le sens qui en découle n’est pas clair et l’erreur provient probablement de la prononciation17. On trouve une fois πρός ὑμᾶς au lieu de μεθʼ ὑμῶν18. Il est probable qu’il s’agisse d’une harmonisation avec l’expression πορεύησθε πρός με ou d’une 14 Pour la comparaison de πορεύησθε πρός με πλάγιοι avec le TM, il convient de consulter WEVERS, Notes on the Greek Text of the Leviticus, 449. 15 Une transposition entre ὑμᾶς et ἐγὼ qui facilite la lecture, la présence de καί avant ἐγὼ ou la présence de la crase κἀγώ qui rapproche dans les deux cas le texte grec du TM. La crase peut également provenir d’une harmonisation avec Lv 26,24 qui l’utilise pour rendre ‫אַף־אָנִי‬. La leçon πληγὰς ἑπτὰ provient vraisemblablement d’une harmonisation avec Lv 26,21. 16 Les marges des manuscrits 130, 321 et 346 appartiennent au groupe s (Gö II,2 p.28) connu pour garder des témoignages hexaplaires. De même, la vieille latine (ici représentée par le codex 100) recèle parfois de telles leçons (Gö II,2 p.18) ainsi que la Syrohexaplaire (Gö II,2 p.24). On peut également noter que cette leçon se trouve dans le Targum Neofity. Le seul témoin de la crase, le manuscrit 767, appartient au groupe n dont l’un des représentants est également connu pour receler parfois des leçons hexaplaires (Gö II,2 p.28). 17 Le manuscrit 707 (corrigé ultérieurement) appartient à la famille des manuscrits origéniens (Gö II,2 p.26–27), les manuscrits 19 et 108 au groupe b (Gö II,2 p.27), les manuscrits 75, 458 et 767 au groupe n (Gö II,2 p.27). La présence de cette leçon dans un grand nombre de groupes, sans qu’aucun groupe ne la présente dans son intégralité, milite pour des erreurs indépendantes due à l’écoute. 18 Le manuscrit 767 qui pourrait ici conserver une leçon hexaplaire, voir n. 16 de cette page. En revanche, la référence aux Pachomiana de Jérôme est discutable. A. BOON, Pachomiana Latina. Règles et épîtres de S. Pachome, épître de S. Théodore et ‘Liber’ de S. Orsiesius. Texte latin de S. Jérôme (Bibliothèque de la revue d’histoire ecclésiastique 7, Bruxelles : Nauwelaerts, 1932), 146 propose de rattacher cette citation à Lv 26,23–24. Bien évidemment, les deux passages sont tellement proches et que si un auteur latin a utilisé contra vos pour Lv 26,23–24, il l’aura probablement utilisé pour Lv 26,28.

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révision vers le TM. Le TM propose dans les deux cas la préposition ‫עִם‬. Il est difficile d’imaginer que le traducteur ait rendu la préposition hébraïque de la même façon et que l’une des prépositions se soit maintenue et pas l’autre dans les copies. Ce choix lexical remonte plus probablement à la traduction. Enfin, une grande confusion règne sur l’expression ἐν θυμῷ πλαγίῳ à laquelle correspond une grande variété de leçons19 dont il n’est pas facile de déterminer quelle est celle la plus proche du traducteur. Ce verset ressemble à Lv 26,24 pour lequel également il existe une variété de leçons qui gardent quasiment toute la mention de la colère, au contraire de Lv 26,2820. Selon Wevers21, le fait que le traducteur ait associé l’adjectif πλάγιος à la colère de Dieu et non à Dieu, sujet du verbe πορεύω, signifie qu’il hésite à qualifier Dieu de la sorte, alors qu’il n’hésite pas à qualifier ainsi le peuple (Lv 26,23). Dans ce cas, cela signifie qu’il a négligé le mot hébreu ‫ק ִֶרי‬, qui signifierait « opposition22 ». En fait, la Vorlage du traducteur de la LXX devait posséder une leçon proche d’un mot signifiant « amertume, détresse » ou « punition »23. D’autre part, la leçon πλαγίως est identique en Lv 26,24 et 28 et pourrait simplement résulter d’une harmonisation des deux versets. La leçon πλαγίῳ sans θυμῷ n’est présente que dans deux manuscrits de deux groupes différents et pourrait simplement résulter d’une erreur de copie. En conclusion, l’utilisation de παιδεύω dans le Lévitique désigne plus qu’une simple correction : la présence de la colère divine en fait une véritable punition.

19

On trouve : θυμῷ πλαγίῳ (417, 54 et 127, 76 avant correction, 121 319 799), πλαγίῳ (56, 75 et 458), ἐν πλαγίῳ (selon les Pachomania, mais il pourrait s’agir de Lv 26,23–24, voir note précédente), πλαγίως (53 et 664, 767 et le codex 100 de la vieille latine, ainsi que la traduction arménienne. Ces manuscrits comportent des leçons hexaplaires, voir p. 253, n. 16, et Gö I, 46 pour la version arménienne. Cela est à comparer avec la leçon donnée par les principaux manuscrits du groupe d’Origène en Lv 26,14) et τῇ πλαγιότητι ὑμῶν (groupe b). 20 On trouve θυμῷ πλαγίῳ, ἐν θυμῷ πλαγίῳ, πλαγίῳ θυμῷ et πλαγίως. Hormis πλαγίως qui appartient à la recension d’Origène. Les leçons s’accordent pour présenter les deux mots : θύμος et πλάγιος, ce qui correspond à une Vorlage présente dans 11Q1 V,7 et qui s’harmonise avec LvTM 26,28. 21 WEVERS, Notes on the Greek Text of Leviticus, 450–451, concernant le verset 24. 22 D’où la présence dans le matériel hexaplaire de ἐναντιώσει d’un réviseur anonyme dans l’oncial M et les manuscrits 85, 130, 321, 344 et 346. 23 Voir par exemple le targum d’Onqelos, avec ‫ «( קשׁיו‬détresse ») en Lv 26,24 ou ‫רגז‬ (« punition divine ») en Lv 26,28, le targum samaritain, avec ‫ « מרי‬amertume », ainsi que la traduction attribuée au samariticon : ἐμφιλονείκως, « de manière inamicale ». Le targum Neofiti propose des leçons intéressantes. Il s’accorde avec Onqelos en Lv 26,24, mais certains manuscrits proposent de rajouter ‫בחמה‬, ce qui peut expliquer l’apparition de θύμος en LvLXX 26,24. En Lv 26,28, il possède ‫ברגזן בקשיו‬, « dans une punition divine, dans une détresse ».

Chapitre 3 : Impact de l’équivalence lexicale sur les passages relatifs à Dieu

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b. Le Deutéronome Correspondant à la racine ‫יסר‬24, le verbe apparaît deux fois rattaché à Dieu25 et le substantif παιδεία une fois. En Dt 4,36, l’occurrence de παιδεύω est fréquemment traduite par « éduquer »26, puisque dans le TM déjà, cette traduction est proposée27. ἐκ τοῦ οὐρανοῦ ἀκουστὴ ἐγένετο ἡ φωνὴ αὐτοῦ παιδεῦσαί σε (Dt 4,36) Depuis le ciel, audible a été rendue sa voix pour te sermonner.

La critique textuelle se résume essentiellement en la première partie du verset. Contrairement au TM, ce n’est pas Dieu qui est sujet du verbe « entendre », mais la voix de Dieu. Il y a donc eu un changement de l’actif au passif. En fait, la plupart des témoins, dont l’intégralité des onciaux sauf le Vaticanus, montre l’existence d’une révision, dont témoigne également Symmaque, qui se rapproche du TM28 : ἀκουστὴν σοι ἐποίησεν τὴν φωνὴν αὐτοῦ, « Pour toi, il a rendu audible sa voix ». Le choix de traduire le hiphil de ‫שׁמַע‬ ָ par l’expression ἀκουστὴ ἐγένετο ἡ φωνὴ αὐτοῦ et de la passer en voix passive pose question. Habituellement, le hiphil de ‫ שָׁ מַע‬correspond à l’adjectif ἀκουστός régi par le verbe ποιέω29. Il se pourrait que le traducteur ait éprouvé une gêne à mettre Dieu en sujet, comme en Is 48,3 qui témoigne de la même transformation. Cependant, cela n’est pas le cas pour un certain nombre d’autres passages30. Il est plutôt probable que cela relève d’une préférence stylistique31. Les autres variantes sont mineures32. Comme dans la version hébraïque, la présence de la 24

Pour Dt 32,10 , voir p. 318–319. Le fait que Gö indique que Philon donne en Dt 1,31 une variante avec παιδεύω est dû au choix de Wendland, auteur de l’édition critique de Philon, d’attribuer la citation de Philon (Quod deus, 54) à Dt 1,31, alors qu’elle correspond davantage à Dt 8,5. Philon explique l’anthropologie biblique en réduisant la contradiction entre Nb 23,19 où il est écrit que Dieu n’est pas comme un homme et Dt 8,5 disant le contraire. 26 Ainsi LXX.D, « erziehen », C. DOGNIEZ et M. HARL, Le Deutéronome (BA 5, Paris : Cerf, 1992), 144, « instruire ». En revanche, fidèle à son principe du maintien du sens hébraïque autant que possible, NETS propose « to discipline ». 27 Voir p. 117. 28 WEVERS, Notes on the Greek Text of Deuteronomy (SBLSCS 39, Atlanta, Ga. : Scholars Press, 1995), 88. 29 e.g. Dt 30,13 ; Jg13,23 ; Ps 105[106],2. 30 Is 30,30 ; 62,11 ; 4 R 7,6. 31 Ainsi WEVERS, Notes on the Greek Text of Deuteronomy, 88, de son côté DOGNIEZ et HARL, Le Deutéronome 144 ne tranchent pas entre les deux hypothèses et en réfère à T. WITTSTRUCK, « the so-called anti-anthropomorphisms in the Greek Text of Deuteronomy », CBQ 38 (1976), 33. 32 Ainsi, l’infinitif παιδεῦσαί est précédé d’un article, le pronom σε est mis au pluriel dans certaines traductions filles. 25

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« voix » de Dieu implique une signification sapientiale du passage. Il ne s’agit pas de « châtier »33. En revanche, peut-on traduire par « éduquer » ? Ce point, difficile, est révélateur des différences d’approche sur le texte. Si on adopte une lecture basée sur l’hébreu, il faut choisir avec NETS de traduire par « to discipline ». La façon dont la Septante semble fidèle à sa Vorlage est un argument en faveur de cette traduction. En revanche, si on se place du point de vue uniquement grec, la traduction par « éduquer » semble s’imposer, à moins d’accepter que les traducteurs aient voulu utiliser la nuance de reproche verbal que παιδεύω peut prendre34. L’interprétation est plus simple en Dt 8,5, grâce à l’analyse des temps des verbes. καὶ γνώσῃ τῇ καρδίᾳ σου ὅτι ὡς εἴ τις παιδεύσαι ἄνθρωπος τὸν υἱὸν αὐτοῦ, οὕτως κύριος ὁ θεός σου παιδεύσει σε (Dt 8 ,5) Et tu sauras par ton cœur que comme un certain homme corrige son fils, vraiment le Seigneur ton Dieu te corrigera.

Au niveau de la critique textuelle, le codex Venetus témoigne probablement de la confluence de deux traductions indépendantes en mettant μαθήσῃ devant καί35. Le datif simple τῇ καρδίᾳ a posé un souci, il est une fois précédé de ἐν36, une fois de παρά37 et parfois transformé en accusatif38. Ces variantes tendent à faciliter la lecture. Le temps du verbe παιδεύσαι, aoriste optatif, bien confirmé par le Vaticanus et les manuscrits origéniens, mais aussi sous une forme légèrement différente par Philon d’Alexandrie39, a été plus souvent rendu soit par un subjonctif40 soit par un futur41. Selon Wevers42, c’est le signe de la perte de popularité de l’optatif dans le grec tardif. Le temps de la deuxième forme du verbe, παιδεύσει, a également fait l’objet de variantes. Celle donnant un aoriste subjonctif s’harmonise avec la première forme43 tandis que celles proposant un

33 Voir aussi WEVERS, Notes on the Greek Text of Deuteronomy, 88. Cependant Si 46,17 témoigne de ce que la voix du Seigneur extermine les ennemis d’Israël. 34 Voir p. 176–181. 35 Un même choix dans un contexte similaire se trouve en EzTh 16,61. 36 Le manuscrit 55. 37 Le manuscrit 426. 38 Le manuscrit 767 du groupe n (Gö III,2 p. 39). 39 Avec παιδεύσειεν en Philon, Somn. 1, 236, bien que l’apparat propose aussi le futur avec παιδεύσει. 40 Notamment par le codex Alexandrinus. 41 Notamment par le Sinaiticus. 42 WEVERS, Notes on the Greek Text of Deuteronomy, 147. 43 Tous les manuscrits ayant cette variante l’ont également pour la première occurrence du verbe (56, 246, 664 – corrigé ensuite – 55 et 509, corrigé ensuite).

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optatif ou un présent ne se retrouvent que dans l’apparat d’un ouvrage de Théodoret de Cyr44. Pour Wevers45, le futur doit être préféré. Alors que dans le TM, l’articulation des deux temps permettant de rendre un présent duratif puis un présent actualisateur46 : « de même qu’un homme ne cesse de corriger ainsi moi je suis te corrigeant », la traduction en grec diffère de ces nuances. Le premier verbe est rendu par un optatif qui exprime une éventualité, le deuxième par un futur qui marque bien évidemment l’avenir, mais aussi le résultat désiré par Dieu et enfin une menace : « de la même façon qu’un homme corrigerait son enfant, ainsi moi je te corrigerai ». L’action divine ne se situe pas dans le désert, comme le TM, mais dans la Terre promise. En cela ce passage est à rapprocher des bénédictions et malédictions de Lv 26,18.28. Il est alors difficile de traduire par « éduquer »47. Ce verset permet de réfuter l’affirmation selon laquelle l’insistance de παιδεύω résulterait d’une conception pédagogique du séjour dans le désert48. Il est légitime de se poser la question si, en Dt 11,2, la présence de παιδεία est le témoin d’une « éducation » à la loi ; καὶ γνώσεσθε σήμερον ὅτι οὐχὶ τὰ παιδία ὑμῶν, ὅσοι οὐκ οἴδασιν οὐδὲ εἴδοσαν τὴν παιδείαν κυρίου τοῦ θεοῦ σου… ὅτι οἱ ὀφθαλμοὶ ὑμῶν ἑώρων πάντα τὰ ἔργα κυρίου τὰ μεγάλα, ὅσα ἐποίησεν ὑμῖν σήμερον (Dt 11,2.7) Et vous reconnaîtrez aujourd’hui que ce ne sont pas vos petits, qui n’ont pas connu ni vu la παιδεία de ton Dieu…, car vos yeux ont vu toutes les grandes œuvres du Seigneur qu’il a accompli pour vous aujourd’hui.

La variante la plus spectaculaire est le remplacement de παιδεία par φωνή dans le matériel hexaplaire non attribué 49 . Cela marque une certaine difficulté d’interprétation du terme παιδεία. Par exemple, les targumim Neofiti et PsJonathan précisent que les enfants n’ont pas entendu l’instruction de la loi. De fait, le remplacement de παιδεία par φωνή rappelle Si 17,13 qui concerne le don de la Torah : μεγαλεῖον δόξης εἶδον οἱ ὀφθαλμοὶ αὐτῶν, καὶ δόξαν φωνῆς αὐτοῦ ἤκουσεν τὸ οὖς αὐτῶν

44

Théodoret de Cyr, Quaestiones in Octateuchum, p. 235. Tout au plus pouvons-nous supposer que la variante παιδεύει soit le signe d’une traduction révisée vers le TM. 45 WEVERS, Notes on the Greek Text of Deuteronomy, 147. 46 Voir p. 92. 47 Ainsi DOGNIEZ et HARL, Le Deutéronome, 170–171 traduit par « De même qu’un homme corrige son fils, de même le Seigneur ton Dieu te corrigera ». 48 Pace E. BONS, « ‘Je suis votre éducateur’ (Os 5,2 LXX) – Un titre divin et son contexte littéraire », Le Jugement dans l’un et l’autre Testament (vol. 1 de Festschrift R. Kuntzmann, éd. par E. Bons, LD 197, Paris : Cerf, 2004), 204–205. 49 Cf. Field.

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Quatrième partie : La Septante

Leurs yeux ont vu le haut fait de sa gloire et leurs oreilles ont entendu la gloire de sa voix.

Ce remplacement serait le fait d’une réinterprétation de ce passage dans le contexte du don de la loi. Mais il apparait encore plus simple de rapprocher ce choix de Dt 4,36. L’apparition de la « voix » en Dt 11,2 serait alors une manière de résoudre le problème de la signification de ‫ מוּסָר‬ou de παιδεία. Ce que les israélites ont entendu, c’est la voix de celui qui les a admonestés. On trouve également une autre variante pour οὐκ οἴδασιν οὐδὲ εἴδοσαν attribuée également à un réviseur anonyme : οὐκ ἐπίστανται οὐδὲ τεθέανται50. Le premier verbe correspond régulièrement à ‫י ָדַ ע‬51, tandis que le second correspond à ‫ ָרהָא‬52. Le TM était marqué par une ambiguïté sur la signification globale du passage53. Il n’était pas évident de savoir si la mention des enfants devait être comprise comme correspondant à un verbe de diction implicite, ou s’il s’agissait d’une parenthèse. Dans ce dernier cas, il n’était pas évident de déterminer où devait s’arrêter la parenthèse. Wevers signale la même ambiguïté54 : il n’y a pas de signe clair indiquant la fin de la parenthèse, soit après εἴδοσαν, soit juste avant le premier ὅσα. Cependant, ὅσα se rattache à τὰ σημεῖα αὐτοῦ καὶ τὰ τέρατα αὐτοῦ qui doit être retiré de la parenthèse, à moins qu’il ne faille la prolonger et l’arrêter à ὅτι οἱ ὀφθαλμοὶ ὑμῶν ἑώρακαν πάντα τὰ ἔργα κυρίου τὰ μεγάλα, ὅσα ἐποίησεν ὑμῖν σήμερον (Dt 11,7). Le ‘plus’ de la Septante par rapport au TM : ὑμῖν σήμερον renforce en effet le rattachement avec καὶ γνώσεσθε σήμερον (Dt 11,2). D’autre part, le fait que le grec comporte la même forme en nominatif et accusatif pour τὰ παιδία ὑμῶν permet d’interpréter la forme comme un nominatif. Comme dans le TM, les deux ὅτι marqueraient la parenthèse. Le grec classique n’utilise pas ὅτι de la même façon que l’hébreu utilise ‫כִּי‬. Soit il introduit le complément du verbe « savoir », soit il est causal. Dans le premier cas, τὰ παιδία ὑμῶν serait le sujet du verbe ἑώρακαν avec οἱ ὀφθαλμοὶ ὑμῶν. Dans le second cas, il serait le sujet du verbe γνώσεσθε. En fait la construction καὶ

50 Cf. Gö III,2 et Field. C’est le manuscrit 58 qui fournit cette variante (Cf. aussi Gö III,2, 41). Il recèle un bon nombre de leçons qualifiées d’étrangères à la Septante. 51 e.g Ex 4,14 ; Dt 22,2. 52 Dans la Septante, il n’est utilisé qu’une seule fois dans un texte correspondant au TM (2 Par[2 Ch] 22,6), Symmaque l’utilise également pour ‫ ָרהָא‬en QoSy 3,22. 53 Cf. p. 119–120. 54 Encore que, pour lui (WEVERS, Notes on the Greek Text of Deuteronomy, 187), le TM ne pose pas de difficultés pourvu qu’on accepte l’implicite verbe de diction et qu’on interprète ‫את‬ comme signifiant « avec ».

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γνώσεσθε σήμερον ὅτι οὐχὶ… ὅτι se retrouve en Dt 9,6 et impose le premier sens de ὅτι. Il reste maintenant à déterminer plus précisément ce que signifie ici παιδεία. Précédemment, nous avons étudié la possibilité d’une erreur ou d’une synonymie avec le lemme ‫מַ ָסּ ה‬55 . Cependant, ce n’est pas possible dans la Septante. En plus de la présence du mot τέρας, les autres différences avec le TM se résument à l’intervention des mots ἅρμα et ἵππος. La présence de ἵνα ζῆτε καὶ πολυπλασιασθῆτε, « afin que vous viviez et vous multipliez » au lieu d’un probable κατισχύω correspondant à ‫ ָחזַק‬56 peut faire référence au lien entre le ‫ מוּסָר‬et la vie, mais il s’agit plus probablement, comme pour Dt 4,1, d’une harmonisation avec Dt 8,1. Le mot παιδεία se situe donc dans le même contexte que ‫מוּסָר‬, il s’agit d’une action divine dont il est difficile de déterminer la véritable teneur. Entre prodiges contre l’Égypte et les pécheurs et la survie dans le désert, on ne sait si l’accent est mis sur l’aspect destructeur ou salvateur de l’action divine.

2. Les Hagiographes a. Les Psaumes Psaume 2,10 suit d’assez près le TM καὶ νῦν, βασιλεῖς, σύνετε·παιδεύθητε, πάντες οἱ κρίνοντες τὴν γῆν (Ps 2,10) Et maintenant, rois, comprenez, changez de comportement, tous les juges de la Terre.

Le rajout de πάντες57 devant οἱ κρίνοντες τὴν γῆν est le seul ‘plus’ par rapport au TM. Le niphal impératif de ‫ יָסַר‬correspond à un aoriste subjonctif passif de παιδεύω. Les passages parallèles Ps 6,2 et Ps 37[38],2 sont complétement identiques, contrairement au TM. Κύριε, μὴ τῷ θυμῷ σου ἐλέγξῃς με, μηδὲ τῇ ὀργῇ σου παιδεύσῃς με Seigneur, dans ton emportement ne me reprend pas, dans ta colère ne me corrige pas.

55

Voir p. 118, n. 13. Notamment par la présence du mot « prodige » ici et en Dt 4,34. Par exemple Dt 1,38. 57 Pour la discussion de son originalité par rapport aux témoins qui ignore πάντες, voir A. PIETERSMA, « Empire Re-Affirmed: A Commentary on Greek Psalm 2 », God’s Word for our World. Theological and Cultural Studies in Honor of Simon John De Vries (2 volumes, éd. par J.H. Ellens, D.L. Ellens, R.P. Knierim et al., Londres : T&T Clark, 2004), 57–58. 56

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Quatrième partie : La Septante

Dans les deux cas, ‫ חֵמָה‬correspond normalement à ὀργή. En Ps 6,2, le choix de θυμός pour rendre ‫ אַף‬est également usuel 58 . Dans les textes grecs où le substantif ‫ ֶקצֶף‬est rendu par un terme signifiant la colère, on trouve principalement ὀργή59 plutôt que θυμός60. En trois endroits, le TM témoigne de l’utilisation des trois substantifs dans une gradation de la colère divine : ‫אַף‬, puis ‫ חֵמָה‬et enfin ‫ ֶקצֶף‬. Dans ce cas le traducteur grec a traduit par παροργισμός61 et παροξυσμός62, qui marquent une colère très forte. De plus, il a diversement rendu ‫אַף‬, puis ‫ ֵחמָה‬. On trouve parfois ὀργή en premier suivi de θυμός,63 ou l’inverse 64 . Ceci signifie que le traducteur grec ne semble pas faire une différence réelle entre les termes hébreux signifiant la colère65. Ce n’est que lorsqu’il y est obligé qu’il donne à ‫ קֶ צֶף‬un correspondant grec spécifique. La nuance notée en TM n’est ainsi pas maintenue66. Le Psaume 15[16],7 suit également d’assez près le TM. ἔτι δὲ καὶ ἕως νυκτὸς ἐπαίδευσάν με οἱ νεφροί μου (Ps 15[16],7) Toujours et jusque dans la nuit mes reins m’ont corrigé.

La Septante confirme ainsi la lecture du TM67 qui voit dans les reins le sujet du verbe ‫יָסַר‬. La seule réelle différence entre le TM et la Septante réside dans l’expression ἔτι δὲ καὶ ἕως νυκτὸς, « toujours et jusque pendant la nuit » quand le TM donne ‫אַף־לֵילוֹת‬, « même la nuit ». On trouve le même type de changement en Ps 15[16],9. PAHAG suggère que la Vorlage possédait ‫עַד‬. Le TM met l’accent sur la nuit quand la Septante insiste sur la continuité de l’action divine.

58

Cependant, on ne trouvera pas de correspondances lexicales bien nettes entre les mots désignant la colère en hébreu et ceux grecs utilisés pour les traduire. Cf. T. MURAOKA, « Pairs of Synonyms in the Septuagint Psalms », Old Greek Psalter. Studies in Honour of Albert Pietersma (JSOTS 332, Sheffield : Sheffield Academic Press, 2001), 37–39 qui prend Ps 89[90],7 en exemple pour un choix lexical opposé sans que le sens n’en soit affecté. 59 Nb 17,11 ; Jo 9,20 ; 22,20 ; 1 Par [1 Ch] 27,24 ; 2 Par[2 Ch] 19,2 ; 24,18 ; 29,8 ; 32,25 ; Za 1,2 7,12 ; Is 60,10 ; Jr 27[52],13. 60 Nb 18,5 ; Ps 102,11 ; Is 34,2 ; 54,8. 61 Jr 21,5. 62 Dt 29,27 ; Jr 39[32],37. 63 Jr 21,5 ; Dt 29,27. 64 Jr 39[32],37, il faut noter que l’ordre est différent de Dt 29,27 bien qu’ils traduisent tous deux ‫ ֶקצֶף‬par παροξυσμός. 65 M. FLASHAR, « Exegetische Studien zum Septuagintapsalter », ZAW 32 (1912), 259–265 traite de ce point. Il note prudemment une différence entre ὀργή, signifiant la colère destructrice du Dieu envers le pécheur, et θυμός, dédié à la colère correctrice envers le fidèle. Il souligne cependant que ces nuances ne sont pas très importantes pour le traducteur (Ibid. 265). 66 Voir p. 129. 67 Voir p.100–101, n. 176.

Chapitre 3 : Impact de l’équivalence lexicale sur les passages relatifs à Dieu

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Le Ps 38[39],12 offre quelques originalités lexicales. ἐν ἐλεγμοῖς ὑπὲρ ἀνομίας ἐπαίδευσας ἄνθρωπον, καὶ ἐξέτηξας ὡς ἀράχνην τὴν ψυχὴν αὐτοῦ (Ps 38[39],12) Par des reproches du fait d’impiété, tu as corrigé l’homme et tu as dissous comme une araignée son âme.

Ainsi, il fait correspondre à ‫ מָ סָה‬le verbe ἐκτήκω. En soi, ce choix n’affecte pas le sens : le verbe grec signifie également « dissoudre », « consumer » et est également utilisé dans le cadre de malheurs qui affectent l’homme68. Cependant le verbe ἐκτήκω est utilisé environ cinq fois dans la Septante et n’offre aucune correspondance lexicale stable. D’autre part, au mot ‫ עָשׁ‬qui désigne une mite, un insecte qui mange les vêtements, il fait correspondre le mot ἀράχνη alors que le choix préférentiel des traducteurs grecs est σής69. En Job 27,18, la forme ‫ עשׂה‬a pu être confondue avec ‫ עָשׁ‬puisque le grec y fait correspondre ἀράχνη. Cependant, le mot ‫ עָשׁ‬est déjà présent dans ce verset et régulièrement traduit par σής. Il s’agit donc soit d’un effet stylistique pour éviter la répétition, soit d’une Vorlage différente qui possédait ‫ ַע ָכּבִישׁ‬, « araignée », comme en Job 8,1470 . Il est intéressant de noter que le terme ἀράχνη apparaît également sans que le TM le laisse supposer en Ps 89[90],9. Or, ce Psaume fait également apparaître une occurrence du verbe παιδεύω en désaccord avec le TM et pourrait s’être harmonisé avec Ps 38[39],12. Enfin, la présence du verbe ταράσσω transforme la déclaration du TM : l’homme n’est rien en description : « l’homme tremblera pour rien ». Le Ps 49[50],17 en utilisant ἐκβάλλω pour ‫שׁ ַל‬ ָ ne confirme pas le rapprochement que nous avons effectué entre PsTM 50,17 et Ex 32,19 ou Dt 9,1771. σὺ δὲ ἐμίσησας παιδείαν, καὶ ἐξέβαλες τοὺς λόγους μου εἰς τὰ ὀπίσω (Ps 49[50],17) Et toi, tu as haï la correction, et tu as rejeté mes paroles en arrière.

Dans la Septante, ces deux derniers passages utilisent le verbe ῥίπτω. Cependant, la curiosité lexicale persiste. En effet, le verbe ἐκβάλλω désigne principalement le fait de chasser quelqu’un. Un passage peut éventuellement éclairer ce choix lexical : en Jr 23,31, la Septante fait correspondre ἐκβάλλω à ‫ ָל ַקח‬. Dans la Septante de Jérémie, les mauvais prophètes rejettent la langue de prophétie. Notre passage ferait plutôt référence à la parole des Prophètes qu’à la Torah. 68

Voir GI². Is 50,9 ; Job 4,19 ; 27,18 ou σητόβρωτος en Job 13,28. 70 Cf aussi Is 59,5. 71 Voir p. 129–130. 69

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Psaume 93[94],1072, n’introduit pas de changement significatif. ὁ παιδεύων ἔθνη οὐχὶ ἐλέγξει, ὁ διδάσκων ἄνθρωπον γνῶσιν ; (Ps 93[94],10) Celui qui corrige les nations ne reproche-t-il pas, celui qui enseigne à l’homme le savoir ?

De même, la présence de σὺ en Ps 93[94],12 ne fait qu’insister sur le fait que c’est Dieu qui corrige. μακάριος ἄνθρωπος, ὃν ἂν σὺ παιδεύσῃς, κύριε, καὶ ἐκ τοῦ νόμου σου διδάξῃς αὐτὸν Heureux l’homme que toi tu corriges, Seigneur et que de ta loi tu l’enseignes.

En revanche, le choix du mot ἄνθρωπος pour rendre à la fois ‫ ֶגּבֶר‬au verset 12 et ‫ אָדָ ם‬au verset 10, ainsi que le fait que ce mot ne soit pas précédé de l’article, donne réellement à ce passage un ton universel73. De plus, il est plus difficile d’attribuer au verbe παιδεύω en Ps 94,10 la nuance violente qu’il peut posséder dans le TM74. Ce sentiment est renforcé par le maintien, ici, du choix lexical usuel de διδάσκω pour ‫לָמַד‬75. Le dernier passage du livre des Psaumes, Ps 117[118],18 n’offre pas de spécificité. La construction avec l’infinitif absolu est rendue par un participe. παιδεύων ἐπαίδευσέν με ὁ κύριος, καὶ τῷ θανάτῳ οὐ παρέδωκέν με (Ps 117[118],18) Corrigeant, le Seigneur m’a corrigé, et à la mort, il ne m’a pas livré.

b. Les Proverbes Pour Pr 3,11, la Septante suit d’assez près le TM. Cependant, les changements survenus au verset 12 donnent à ces deux versets une tonalité différente76. En Pr 5,23, la formulation μετὰ ἀπαιδεύτων qui correspond à ‫ ְבּ ֵאין מוּסָר‬ne permet pas les interrogations que nous avions en étudiant le TM 77. En écrivant que le pécheur mourra avec les « malappris », la Septante du livre des Proverbes ne 72 Ceci est dû à une interprétation divergente de la lettre ‫ה‬. Elle est une particule interrogative pour le TM tandis qu’elle un article pour la Septante. 73 Dans le Pentateuque, le correspondant le plus fréquent de ‫ ֶגּבֶר‬est ἀνήρ (Sauf Nb 24,3, ἄνθρωπος). Dans les Psaumes, il y a une majorité de ἄνθρωπος. Il semble que ἀνήρ soit réservé aux cas où le Psaume parle spécifiquement d’un homme bon (Ps 17[18],26 ; 33[34],9 ; 39[40],5, Cf. aussi J.B. Bauer, « Ἀνήρ », EDNT 1 [2004], 99), et non d’un homme en général (e.g. Ps 36[37],23) ou d’un homme mauvais (e.g. Ps 87[88],5). 74 Voir p. 130–131. 75 Cf. HRCS, voir aussi p. 248s. 76 Voir p. 295–297. 77 Voir p. 136. BAUMGARTNER, Étude critique, 65, rappelle l’idée que le traducteur a pris le nom pour un participe. D’HAMONVILLE, Les Proverbes, 191 se contente de constater que sur les emplois d’ἀπαίδευτος dans les Proverbes, c’est le seul à maintenir l’équivalence avec la racine ‫יסר‬.

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dit pas qu’il n’a pas reçu de ‫מוּסָר‬/ παιδεία, il indique que si cet homme persiste dans ses fautes, il mourra. οὗτος τελευτᾷ μετὰ ἀπαιδεύτων (Pr 5,23) Vraiment il meurt avec les malappris

Avec παιδεία ἀκάκου γνωρίζεται ὑπὸ τῶν παριόντων, la Septante de Pr 15,10 bouleverse complètement le sens du TM. Le TM promettait un sévère châtiment pour qui abandonne le chemin. La Septante indique que la correction des innocents est reconnue par les passants. Ce changement est tel que certains chercheurs ont voulu corriger le texte grec par παιδεία κακοῦ 78 . Les deux possibilités dégagent un sens possible bien que souvent le sort funeste des méchants est un exemple pour tous79. D’autre part, ce verset clôt une série de sept versets qui comparent les bons et les méchants. Il est possible que le traducteur80 ou un copiste ait corrigé le texte en ce sens. L’apparition du verbe γνωρίζω ne traduit pas forcément une Vorlage très différente. Il s’agit peut-être d’une volonté du traducteur de ne pas laisser une phrase non verbale. Enfin, le participe de πάρειμι est à rapprocher de Pr 9,15 dont le correspondant dans le TM est proche de PrTM 15,1081. En Pr 15,33 le mot signifiant « humilité » dans le TM a comme correspondant le verbe ἀποκρίνομαι qui signifie « répondre » ou « continuer à parler ». φόβος θεοῦ παιδεία καὶ σοφία, καὶ ἀρχὴ δόξης ἀποκριθήσεται αὐτῇ (Pr 15,33) La crainte du Seigneur est discipline et sagesse et le principe de la Gloire lui répond.

DE WAARD évoque les deux possibilités d’explications qui font appel soit à une permutation de lettres soit à une vocalisation différente82. Le pronom αὐτῇ peut faire référence à n’importe lequel des substantifs nominatifs présents dans la phrase à l’exception de φόβος. L’attribution n’est pas évidente. Contrairement

78

Voir BAUMGARTNER, Étude critique, 145. Cf. Pr 27,12. 80 Ou sa Vorlage. 81 Avec ‫ « לְעֹב ְֵרי־דָ ֶר‬pour ceux qui fréquentent le chemin » en PrTM 9,15 et ‫ « לְע ֹ ֵז֣ב ֑א ֹ ַרח‬pour celui qui rejette le chemin » en PrTM 15,10. Voir BAUMGARTNER, Étude critique, 145. 82 J. DE WAARD, « Some unusual Translation techniques Employed by the Greek Translator(s) of Proverbs », Helsinki Perspectives on the Translation Technique of the Septuagint (éd. par R. Sollamo et S. Sipilä, Göttingen : Vandenhoeck & Ruprecht, 2001), 185– 186. En fait, il existe un doublet de ce passage juste ensuite : προσπορεύεται δὲ ταπεινοῖς δόξα : « et la gloire rencontre les humbles » qui témoigne d’une traduction concurrente qui tient compte de l’autre sens de la racine ‫ענה‬. Cependant, elle n’apparaît que dans l’apparat critique de Ra. car le Vaticanus ne la contient pas. 79

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Quatrième partie : La Septante

au TM, la Sagesse ne définit pas la παιδεία, mais lui est apposée. La relative similitude avec Pr 1,7 n’est pas d’utilité pour l’analyse83. Le verset est composé d’une phrase non verbale attributive et d’une phrase verbale avec ἀποκρίνομαι. La phrase non verbale s’arrête soit à παιδεία, soit à σοφία, ce qui est plus probable puisque le sujet de ἀποκρίνομαι est probablement ἀρχὴ δόξης. Dans ce cas, αὐτῇ fait référence à l’un, à l’autre ou aux deux substantifs : παιδεία καὶ σοφία. Contrairement au TM, la référence à la souffrance et à l’humilité a disparu. Le verbe ἀποκρίνομαι marque métaphoriquement l’émergence de la gloire pour celui qui possède la παιδεία ou la sagesse, comme tant d’autres sagesses gnomiques84. Le premier hémistiche de Pr 15,32 suit d’assez près le TM. En revanche, le deuxième s’en écarte dans la signification, tout en supposant une même Vorlage : à ‫וְשׁוֹ ֵמ ַע תּוֹ ַכחַת ק ֹונֶה‬ ‫ « לֵּב‬et celui qui écoute le reproche acquiert un cœur85 » correspond ὁ δὲ τηρῶν ἐλέγχους ἀγαπᾷ ψυχὴν αὐτοῦ : « celui qui garde les reproches aime son âme ». Le verbe τηρέω suppose ‫שָׁ מַר‬, le pluriel de ἔλεγχος est usuel en Proverbes, où le traducteur (ou un copiste hébreu) a compris ‫ תוכחת‬comme désignant le pluriel86. Le verbe ἀγαπάω ne peut correspondre à ‫ ָקנָה‬87. On peut le comprendre avec la rare occurrence de ψυχή avec ‫לֵב‬88. Le traducteur ou un copiste hébreu n’aurait pas compris l’expression ‫ק ֹונֶה לֵּב‬. Il aurait remplacé le verbe ‫ ָקנָה‬par « aimer » pour forger un parallélisme antinomique avec le premier hémistiche89. c. Job Le choix sémantique du traducteur du Vieux Grec a été discuté 90. La seule occurrence de ‫ יָסַר‬qui correspond à un passage sous astérisque est profane91.

83

Ainsi D’HAMONVILLE, Les Proverbes, 253. D’HAMONVILLE, Proverbes, 45–47 note que le contexte Pr 15,27–16,9 est très différent dans la Septante par rapport au TM. Sur la base d’une étude de la retranscription du nom divin, il déduit que ce passage a été remanié sous une forme « yahviste », lors de l’édition qui a donné lieu au TM. 85 L’expression « acquérir un cœur » associe un verbe d’acquisition, ‫ ָקנָה‬, à un organe sensoriel, le cœur. Au vu des autres occurrences de ‫ ָקנָה‬dans le livre des Proverbes, cet organe est synonyme de sagesse (e.g. Pr 4,5.7). 86 Une exception possible en Pr 6,23, à moins qu’il ne s’agisse d’une révision vers le TM. 87 À moins qu’on accepte la possibilité de ‫ ָקנָא‬, « être jaloux », Cf. PAHAG. Mais ce serait la seule correspondance de ce type dans la Septante. 88 Rare, mais pas inexistante (Cf. Pr 26,25). 89 Selon l’attrait de la Septante des Proverbes pour les antithèses ( D’HAMONVILLE, Proverbes, 71). 90 Voir p. 240–243. 91 Job 20,3. 84

Chapitre 3 : Impact de l’équivalence lexicale sur les passages relatifs à Dieu

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3. Les Prophètes a. Osée Le cas d’Osée se situe à la frontière entre l’étude de l’équivalence lexicale et l’étude des différences. En effet, l’établissement de la racine ‫ יסר‬est suffisamment complexe pour qu’il ne soit pas toujours bien assuré de l’équivalence entre ‫ יסר‬et παιδεύω. L’utilisation des mots de la famille de παιδεύω est marquée par l’emploi de deux hapax legomenon du corpus que nous étudions : παιδευτὴς et ἀπαιδευσία (voir p. 312). Le deuxième hapax ne correspond pas à un mot de la racine ‫יסר‬92. D’autre part, en Os 7,14–15, une des formes du verbe παιδεύω correspond au verbe ‫ סוּר‬et remplace, en quelque sorte, l’occurrence du verbe ‫ יָסַר‬en Os 7,15. Le livre d’Osée est donc spécifique. Le fait qu’il comporte non seulement des exemples d’équivalence lexicale mais aussi des exemples de divergences lexicales ne doit pas masquer une certaine homogénéité du traitement des mots de la famille de παιδεύω. Il doit donc être étudié comme un tout. Cette utilisation des mots de la famille de παιδεύω a déjà retenu l’attention de Bons93 qui y voit l’affirmation par le traducteur d’Osée que le peuple d’Israël a reçu la « correction » divine pendant son séjour au désert. Selon lui, le TM développe une histoire du Salut qui commence à l’Exode considéré comme un période idéale. L’histoire se complique quand Israël prend de la puissance et néglige son Dieu. Celui-ci les menace donc de « la perte de souveraineté, le déclin du culte […] l’exil 94 ». C’est dans ce cadre qu’il faut envisager les occurrences de la racine ‫ יסר‬dans le livre d’Osée. Dans la perspective du TM, le jugement est à venir, la perspective sombre et l’espoir d’une restauration très hypothétique95. Lorsqu’on compare la Septante avec le TM, on constate que la perspective s’est déplacée. Ainsi, le séjour au désert n’est plus une période idéale, mais est déjà marqué par la faute. Dieu avait alors sauvé son peuple en l’humiliant. La faute ultérieure du peuple amène Dieu à rabaisser son peuple pour qu’il vive un nouvel Exode96. 92

Il sera donc étudié p. 313. Il a consacré deux articles à ce phénomène BONS, « ‘Je suis votre éducateur’ », 191–206 et IDEM, « Geschichtskonzeption des Hosea-buches. Ein Vergleich von Masoretentext und Septuaginta », BZ 48 (2004), 251–262, 251–262. Ce point est également discuté dans le livre de la série de la Bible d’Alexandrie, BONS, JOOSTEN et KESSLER, Les douze prophètes. Osée, 29–30. 94 BONS, « ‘Je suis votre éducateur’ », 196. 95 Ibid., 196–197. 96 Ibid., 198–201 prend Os 7,13 comme exemple. Ce verset utilise les verbes λυτρόω, « racheter », et surtout καταλαλέω, « calomnier », qui sont des verbes techniques concernant la révolte du peuple dans le désert (e.g. Nb 12,8 ; 21,5.7). Bons prend également l’exemple de Os 93

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Quatrième partie : La Septante

Or, la Septante d’Osée affirme l’unité entre l’humiliation et le salut : ἐγὼ ἐταπείνωσα αὐτόν, καὶ ἐγὼ κατισχύσω αὐτόν : « moi, je l’ai humilié et moi, je le rendrai fort »97. C’est dans ce contexte qu’il faut envisager l’utilisation des mots de la famille de παιδεύω. L’utilisation de παιδευτής correspond à une interprétation du TM. Ce dernier possède le substantif ‫ מוּסָר‬qui se rattache au piège mis en place par les ennemis des versets précédents98. Il est possible que la lecture originale ait été un participe : « et moi je les punis ». Dans ce cas, Dieu est le punisseur et non l’éducateur. Il est possible que la Septante ait mis cette épithète99, au lieu de traduire également par un verbe. En tout cas, l’attribution à Dieu d’une épithète relative au genre humain est exceptionnelle chez Osée qui évite en général ce genre de comparaison100. Le fait que παιδευτής peut difficilement être compris dans un sens punitif fort provient de la présence de la deuxième personne du pluriel alors que le TM utilise la troisième personne du pluriel. Le TM fait référence à des méchants qui ne sont pas présents dans la Septante. Celle-ci fait référence aux chefs et aux notables du peuple. Osée 7,12 suit relativement bien le TM. Comme dans le TM, Israël est présenté comme une colombe insensée qui court vers l’Égypte et l’Assyrie. Comme dans le TM, Dieu piège Israël comme on piège des oiseaux. Cependant, l’utilisation de παιδεύω témoigne d’un nouveau changement : παιδεύσω αὐτοὺς ἐν τῇ ἀκοῇ τῆς θλίψεως αὐτῶν Je les corrigerai par l’écoute de leur détresse.

Le TM possède : ‫שׁמַע ַלעֲדָ תָ ם‬ ֵ ‫אַיְס ִֵרם ְכּ‬ Je les punirai quand j’entendrai leur rassemblement.

2,15[17] qui utilise ταπεινόω « humilier » quand le TM utilise ‫ ָענָה‬dans le sens de répondre. Pour le TM, la femme placée dans le désert répondra comme au début idéal de sa relation avec Dieu. Pour la Septante, elle y sera humiliée comme durant le séjour au désert. Enfin, la Septante d’Os 2,2–3[4–5] marque également un changement de perspective : dans la Septante, le mari n’attend plus que la femme quitte son amant. De plus, le châtiment d’humiliation, la mise à nu n’est plus vue comme une perspective négative mais comme un fait positif. 97 Le texte grec se rattache difficilement au TM, voir BONS, « ‘Je suis votre éducateur’ », 202. 98 Pour l’étude du premier hémistiche d’Os 5,2, voir T. MURAOKA, « Hosea V in the Septuagint Version », Abr-Nahrain 24 (1986), 122–123, BONS, JOOSTEN et KESSLER, Les douze prophètes. Osée, 97, LXX.D.EK. 99 Ainsi LXX.D.EK. 100 BONS, « ‘Je suis votre éducateur’ », 202–203, IBID. « Geschichtskonzeption », 259, BONS, JOOSTEN et KESSLER, Les douze prophètes. Osée, 97–98.

Chapitre 3 : Impact de l’équivalence lexicale sur les passages relatifs à Dieu

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À la forme ‫ ַלעֲדָ תָ ם‬correspond en grec τῆς θλίψεως αὐτῶν101. Quelle que soit la raison de cette apparition102, la Septante n’a pas la même signification que le TM. Il n’est pas possible d’interpréter παιδεύω comme une punition103, mais comme une remontrance orale104. Le fait que Dieu les corrige par l’écoute de leur détresse peut se rapprocher de JrTM 7,28 qui décrit Dieu envoyant des prophètes pour avertir le peuple105. La séquence ἐπαιδεύθησαν ἐν ἐμοί appartient au verset 14 selon Ra. et au verset 15 selon Gö. L’interprétation de Gö. rattache cette séquence à κἀγὼ κατίσχυσα τοὺς βραχίονας αὐτῶν ce qui dégage un meilleur sens. En effet, c’est probablement pour cette raison que, même si la Vorlage de la Septante était identique au TM106, les traducteurs n’ont pas tenu compte de la forme du verbe ‫ יָסַר‬que le verset 15 contenait. En effet, ayant déjà compris la forme ‫י ָסוּרוּ‬ comme dérivant de la racine ‫יסר‬, traduire ‫ יִסַּרתִּ י‬devenait redondant 107 . La signification de ce passage se rapproche d’Os 6,1, d’Os 14,9 et du discours d’Éliphaz qui associent l’action humiliante de Dieu avec son salut. Osée décrit le comportement ingrat du peuple qui court après des idoles108 alors que c’est 101

On négligera la présence de ἐν probablement due à ce que la Vorlage possédait ‫ ְבּ‬et non

‫ ְכּ‬. 102 Selon LXX.D.EK et BONS, JOOSTEN et KESSLER, Les douze prophètes. Osée, 117, la Vorlage comportait un mot de la racine ‫צר‬, peut être à l’occasion de confusion entre les lettres de la forme ‫ צ‬et ‫ע‬, d’une part, et de ‫ ר‬et ‫ד‬, d’autre part. PAHAG suggère une confusion entre ‫ר‬ et ‫ ד‬pour lire dans la Vorlage le mot ‫רעָה‬.ָ 103 Garder la signification « corrective » comporte le problème du lien entre la correction physique et l’écoute de leur détresse. Se pose cependant le temps futur du verbe. Ainsi, BONS, JOOSTEN et KESSLER, Les douze prophètes. Osée, 116–117 estiment que la correction attend le peuple et que ce sera l’annonce de la détresse. 104 Il peut également être noté qu’il s’agit d’un des rares passages qui peut être interprété classiquement. Voir l’exemple de Lysias, Ep. 3, (cf. p. 177–178) qui montre que ce passage pourrait être traduit par « je les éduquerai dans l’écoute (=commémoration) de leur détresse ». 105 Voir également BONS, JOOSTEN et KESSLER, Les douze prophètes. Osée, 117 qui suggère de rapprocher d’AmLXX 3,7, et qui évoque Théodore de Mopsueste pour la même idée. 106 On se rappellera qu’il est également possible que la Vorlage de la Septante n’ait eu qu’un seul verbe. En fait, au vu de l’étude de la Septante et de la signification du verbe παιδεύω, on peut proposer une autre interprétation de la présence de ‫ יָסַר‬et de ‫ ָחזַק‬en OsTM 7,12. Puisque la Septante est le témoin d’une interprétation du Salut d’Israël par sa « correction » qui l’humilie mais qui le rend fort, il est possible qu’il y ait eu le remplacement de ‫ ָחזַק‬par ‫יָסַר‬, comme le suggère la Peshitta. Le TM serait alors une lecture conciliatrice qui aurait joint les deux variantes. 107 BONS, JOOSTEN et KESSLER, Les douze prophètes. Osée, 119 qui rappellent M. MULZER, « Satzgrenzen im Hoseabuch im Vergleich von hebräischer und griechischer Texttradition », BN 79 (1995), 49. Cependant, Os 10,10 ne craint pas la redondance. 108 Avec notamment l’utilisation du verbe κατατέμνω, « taillader » qui se rapproche de 3 R [1 R] 18,28. Le TM a, quant à lui, peut-être le verbe ‫גּ ַָרר‬, « ruminer, mâcher », mais reste difficile, ce qui a conduit à suggérer de corriger le verbe par ‫ גָּדַ ד‬qui pourrait expliquer la leçon de la Septante (BONS, JOOSTEN et KESSLER, Les douze prophètes. Osée, 118–119).

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Dieu qui l’avait corrigé et rendu fort. Il se pourrait qu’il s’agisse de nouveau d’une allusion au séjour dans le désert 109 . Cependant, dans tous les cas, l’interprétation du TM rattachait la forme ‫ יִסַּרתִּ י‬au sens II de ‫יָסַר‬. Cela implique que la Septante montre une fois de plus une insistance sur une humiliation ou une correction douloureuse. Les deux dernières occurrences du verbe παιδεύω, en Os 10,10, correspondent au verbe ‫יָסַר‬, ou ‫ אָסַר‬: ἦλθεν110 παιδεῦσαι αὐτούς, καὶ συναχθήσονται ἐπʼ αὐτοὺς λαοί ἐν τῷ παιδεύεσθαι αὐτοὺς ἐν ταῖς δυσὶν ἀδικίαις αὐτῶν (Os 10,10) Il est venu les corriger et des peuples se ligueront contre eux à l’occasion de leur correction pour leurs deux injustices.

Après le premier αὐτούς, on trouve, dans la recension lucanienne, κατὰ τὴν ἐπιθυμίαν, ce qui semble être une révision vers le TM111. En effet, la forme ἦλθεν correspond à ‫ בְּאַ וָּתִ י‬du TM : « mon désir ». Le traducteur grec a lu une forme du verbe ‫בּוֹא‬, « venir ». Une révision vers le TM a visé à réintroduire la notion de désir112. On trouve la même révision vers le TM dans une partie de la recension lucanienne qui donne παιδεύσω au lieu de παιδεῦσαι. Le temps de la deuxième occurrence de παιδεύω est assez stable113. Le contexte de guerre impose d’interpréter cette phrase comme signifiant une correction punitive. Dieu vient punir et fait venir des peuples pour punir le sien qui a péché. Le thème de l’humiliation en vue de la restauration est ici moins visible. b. Sophonie Les deux collocations ‫ לָקַ ח מוּסָר‬en So 3,2.7 sont rendues par δέχομαι παιδείαν. 109

Ibid., 119 et BONS, « ‘Je suis votre éducateur’ », 204. Cependant, ces deux références soulignent que cela n’est pas explicitement indiqué. 110 Selon Ra. Gö propose la conjecture ἦλθον en vue d’une Vorlage la plus proche possible du TM. Cependant, il n’y a pas de raison objective d’accepter cette conjecture (Voir BONS, JOOSTEN et KESSLER, Les douze prophètes. Osée, 137). En particulier, le texte parle de Dieu à la troisième personne du singulier depuis Os 10,1. 111 Deux manuscrits, 36 et 49 (en tant que correction), représentant la recension lucanienne, le placent à la fin du verset. 112 D’après Gö, les manuscrits montrent une confluence de variantes puisque tous les manuscrits possèderaient ἦλθεν sauf le Vaticanus, et un témoin de la vieille latine. En fait, le commentaire de Théodore de Mopsueste ne le possède pas. 113 Il existe deux variantes faiblement attestées : παιδεῦσαι du codex Marchalianus et du commentaire de Theophylacte d’Achrida qui s’harmonisent avec la première occurrence, et παιδεύσεσθαι du manuscrit 147 qui marque le futur et effectue la concordance des temps avec συναχθήσονται.

Chapitre 3 : Impact de l’équivalence lexicale sur les passages relatifs à Dieu

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οὐκ εἰσήκουσε φωνῆς, οὐκ ἐδέξατο παιδείαν, ἐπὶ τῷ κυρίῳ οὐκ ἐπεποίθει καὶ πρὸς τὸν θεὸν αὐτῆς οὐκ ἤγγισεν (So 3,2) Elle n’a pas écouté la voix, elle n’a pas accepté la correction, elle n’a pas été convaincue par le Seigneur et elle ne s’est pas approchée de son Dieu. εἶπα Πλὴν φοβεῖσθέ με καὶ δέξασθε παιδείαν, καὶ οὐ μὴ ἐξολεθρευθῆτε ἐξ ὀφθαλμῶν αὐτῆς (So 3,7) J’ai dit : au moins craignez-moi et acceptez la correction et vous ne serez certainement pas détruits hors de ses yeux.

On trouve cependant une variante en So 3,7 : ἐκλέξασθε, au lieu de δέξασθε ce qui est dû soit à une influence de Pr 24,32114, soit à une erreur de copiste, les deux formes étant graphiquement proches115. La Septante de So 3,2 suit d’assez près le TM. So 3,7 comporte quelques différences avec le TM. Cependant, elles n’affectent pas beaucoup le sens116. Le plus important est l’apparition des impératifs φοβεῖσθέ et δέξασθε : dans la Septante, Dieu donne un ordre, tandis que dans le TM, il exprime un souhait pour lui-même117. D’autre part, la Septante a interprété la racine ‫ פקד‬dans un sens punitif en lui faisant correspondre ἐκδικέω, « punir », alors qu’elle peut aussi signifier « prendre soin »118. En revanche, la Septante ne pose pas le même problème que le TM car So 3,6 ne comporte plus la mention des Nations mais donne à la place ὑπερήφανος, « arrogant ». Ce terme peut provenir d’une Vorlage possédant ‫ ֵגּ ִאים‬au lieu de ‫גוֹי ִם‬119. Sa présence rend le texte plus cohérent, la faute de Jérusalem se traduit par la ruine des arrogants120. L’ellipse de So 3,8 est davantage marquée dans la Septante. En faisant correspondre le groupe nominal εἰς συναγωγὰς ἐθνῶν au groupe verbal ‫ֶל ֱאס ֹף‬ ‫גּ ֹוי ִם‬, la Septante fait porter la punition sur cette assemblée des Nations. Les deux 114

Voir p. 246. Un seul manuscrit possède cette variante : le manuscrit 410, qui, avec le manuscrit 407, est très proche d'un papyrus du IIIème siècle (Gö XIII, 32) que Ziegler fait appartenir avec réserve au groupe dit Alexandrin (Gö XIII, 39), mais qui possède parfois des traits lucaniens (Gö XIII, 78). Ces deux manuscrits 407 et 410 conservent des leçons pré-hexaplaires (Gö XIII, 98). Il existe donc une possibilité pour que cette leçon soit originale et que le passage fut révisé ensuite. 116 Par exemple l’apparition des yeux alors que le TM possède ‫מָעוֹן‬, probablement « habitant ». Dans les deux cas Dieu indique que Jérusalem ne sera pas détruite, voir aussi LXX.D.EK. 117 Voir LXX.D.EK. 118 Voir M. HARL, C. DOGNIEZ, L. BROTTIER et al., Les douze prophètes. Joël, Abdiou, Jonas, Naoum, Ambakoum, Sophonie (BA 23.4–9, Paris : Cerf, 1999), 362. 119 Cf. LXX.D.EK et PAHAG, car il est utilisé trois fois dans le Psautier avec cette correspondance (HARL, DOGNIEZ et BROTTIER, Les douze prophètes.Joël, 361). 120 Voir HARL, DOGNIEZ et BROTTIER, Les douze prophètes.Joël, 361. 115

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Quatrième partie : La Septante

autres infinitifs du TM existent également dans la Septante et désignent la punition, il s’agit de rassembler les rois 121 et de déverser sur eux la colère divine122. c. Isaïe La relation de la Septante d’Isaïe avec le TM pose de grands problèmes aux chercheurs. Sa connaissance du grec et de l’hébreu font l’objet de débats123. On lui prête une bonne connaissance du grec de la koinè. Comme le traducteur du livre des Proverbes, il utilise παιδεύω comme correspondant de ‫יָסַר‬. En revanche, contrairement au traducteur du livre des Proverbes, il utilise également παιδεύω dans d’autres contextes et avec d’autres significations124. On se souvient de la difficulté que pose IsTM 26,16 125 . La Septante d’Isaïe propose une lecture considérablement simplifiée : κύριε, ἐν θλίψει ἐμνήσθην σου, ἐν θλίψει μικρᾷ ἡ παιδεία σου ἡμῖν (Is 26,16) Seigneur, par une affliction je me suis souvenu de toi, par une petite affliction ta correction sur nous.

La critique textuelle de ce passage ne pose pas de problème particulier. Un grand nombre de témoins, qui appartiennent notamment à la recension lucanienne ou à celle origénienne126 ainsi qu'aux chaînes exégétiques127, propose la première personne du pluriel ἐμνήσθημεν, au lieu de la première du singulier. Il est probable que cette leçon, refusée par Ra. et Gö., provienne d’une harmonisation avec ἡμῖν et avec les versets proches qui ne proposent que cette première personne du pluriel. Quelques exégètes128 ont proposé πικρᾷ comme conjecture pour μικρᾷ. En effet, il est difficile de comprendre comment μικρᾷ pourrait dériver de ‫ ַלחַשׁ‬qui 121 τοῦ εἰσδέξασθαι βασιλεῖς, le verbe est ambigu. Dieu peut rassembler pour sauver (So,3,19.21), ou bien pour perdre (Ez 22,19–20) . 122 Voir HARL, DOGNIEZ et BROTTIER, Les douze prophètes.Joël, 364. 123 Voir l’état de la recherche en LXX.D.EK, 2, 2485–2488. 124 Voir p. 320. 125 Voir p. 120–121. 126 Il n'y a pas d'unanimité. Il existe des manuscrits classés dans la recension lucanienne qui ne possèdent pas cette leçon (tels le manuscrit 48). De même, les principaux représentants de la recension origénienne ne la possèdent pas (tels le Vaticanus, le Venetus et la Syrohexaplaire). D'un autre coté, certains manuscrits que Ziegler décrit comme représentant en partie le texte alexandrin mais possédant également des caractères lucaniens ou origéniens possèdent cette variante (tels 239, 301, 306, 407, 534 et 538 voir aussi Gö XIII, 22–23). 127 Parmi ces manuscrits, seul 91 rapporte une autre variante. 128 Voir Gö, J. FISCHER, Im welchen Schrift lag das Buch Isaias den LXX vor ? (BZAW 56, Giessen : Töpelmann, 1930), 12, ainsi que E. LIEBMANN, « Der Text zu Jesaja », ZAW 24 (1904), 78.

Chapitre 3 : Impact de l’équivalence lexicale sur les passages relatifs à Dieu

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signifie « murmure », alors que πικρᾷ dérive très simplement de ‫ ַלחַץ‬, « oppression ». Cependant aucun témoin ne supporte ce choix et il existe également une théologie qui a tendance à minimiser la gravité du châtiment divin129. Une dernière petite variante, proposée notamment par le Sinaiticus, consiste en la présence de ἐγενήθη avant ἡμῖν. Elle facilite la lecture en grec et est probablement secondaire. En comparant avec le TM, il peut être observé les éléments suivants. Tout d’abord, les interlocuteurs passent de la 3ème personne du pluriel à la première du singulier et du pluriel130. D’autre part, dans l’immense majorité des cas, y compris en Isaïe, le verbe μιμνῄσκω correspond à ‫ זָכַר‬et non à ‫ ָפּקַד‬131. Il est probable que le traducteur ait effectué ce changement car il n’a pas accepté que ce verbe n’ait pas Dieu comme sujet132. Sur l’ensemble des occurrences de ce verbe en Isaïe, seules trois n’ont pas Dieu comme sujet. En Is 24,22, la Septante utilise le mot ἐπισκοπή au lieu d’un verbe pour faire de Dieu le sujet implicite de l’action. En Is 38,10, le traducteur utilise καταλείπω dont c’est l’unique correspondance avec ‫ פָּקַ ד‬comme pour μιμνῄσκομαι en Is 26,16. La Septante utilise une deuxième fois ἐν θλίψει, là où le TM propose le rare ‫צָקוּן‬. Si le substantif θλῖψις peut correspondre à la fois au mot ‫ צַר‬ou à un substantif dérivé du verbe ‫צוּק‬133, il manque cependant la préposition ‫ ְבּ‬à ‫צָקוּן‬ pour que la correspondance soit plus forte134. Enfin, l’apparition de la forme μικρᾷ pose problème puisque elle ne correspond à aucune lecture de ‫ ַלחַשׁ‬135. L’explication par la conjecture πικρᾷ 129

Voir par exemple Sg 12,2. Que D.A. BAER, When we all Go Home. Translation and Theology in LXX Isaiah 56–66 (JSOTS 318, Sheffield : Sheffield Academic, 2001), 55 interprète comme une technique de personnalisation du message. 131 Autre exemple : en Si 38,20, ‫ ָפּקַד‬correspond le plus souvent à un mot de la famille de Ἐπισκέπομαι , voir H.S. GEHMAN, « Ἐπισκέπομαι, ἐπίσκεψις, ἐπίσκοπος, and ἐπισκοπή in the Septuagint in Relation to ‫ פקד‬and Other Hebrew Roots: A Case of Semantic Development Similar to That of Hebrew », VT 22 (1972), 197–207. 132 Bien que R.R. OTTLEY, The Book of Isaiah According to the Septuagint (Codex Alexandrinus) (2 volumes, Londres : C.J. Clay & Sons, 1904–1906), 2, 232 juge le sens grec proche de celui de l’hébreu. 133 Cependant jamais en Isaïe. ‫ צָקוּן‬est un hapax, ‫ צוּ ָקה‬apparaît deux fois, en Is 8,22 ; 30,6, où il semble être rendu par στενοχωρία, « détresse ». Il n’est donc pas exclu que la Vorlage possédait deux fois ‫בצר‬. 134 Cf. aussi OTTLEY, The book of Isaiah, 2 ,231–232. 135 LXX.D.EK propose que la Vorlage ait possédé ‫חלשׁ‬, « affaiblir » (voir aussi OTTLEY, The book of Isaiah, 2, 232 qui propose également ‫) ַכּחַשׁ‬. LXX.D.EK indique également des passages présentant des idées similaires (Is 10,25 ; 26,20 ; 54,7) auquel on pourrait aussi rajouter Is 28,10.13 où la traduction des onomatopées du TM par θλῖψιν ἐπὶ θλῖψιν προσδέχου, ἐλπίδα ἐπʼ ἐλπίδι, ἔτι μικρὸν ἔτι μικρὸν peut également être interprété comme un appel à la patience. 130

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Quatrième partie : La Septante

n’est pas indispensable. On peut envisager que le traducteur ait compris ‫ַלחַשׁ‬ comme exprimant le murmure136 : « à voix basse ». L’affliction faite « à voix basse » devenant alors une « petite » affliction. Il faut alors comprendre que l’affliction qu’envoie Dieu n’a pas pour but de tuer même si elle est douloureuse. Il pourrait aussi s’agir d’un marqueur temporel : Dieu s’est emporté pendant un bref temps. Cette lecture peut-être conforté par Is 26,20 et Is 54,7. Après cette phase difficile, le peuple est destiné à se réjouir (εὐφραίνω, Is 26,19) comme en Is 28,26. En Is 28,26 également, on observe des changements importants par rapport au TM : καὶ παιδευθήσῃ κρίματι θεοῦ σου καὶ εὐφρανθήσῃ (Is 28,26) Et tu seras corrigé137 en justice par ton Dieu et tu te réjouiras.

Ce verset ne présente pas de variantes importantes138. En revanche, il diffère par rapport au TM. La voix du verbe ‫ יָסַר‬est maintenant passive à la seconde personne du singulier. De même, à la forme ‫יוֹרנּוּ‬ ֶ correspond la forme grecque εὐφρανθήσῃ du verbe εὐφραίνω qui correspond chez Isaïe au verbe hébreu ‫ ָרנַן‬139. La présence du verbe en Is 26,19 a peut-être aidé au choix lexical. Au contraire du TM, la fable du semeur est ici clairement expliquée140 par une harangue à un interlocuteur. Cette harangue s’accompagne également de changements dans la parabole même du semeur141. La Septante met l’accent sur la préparation de la graine avant les semailles (Is 28,24), et en accentue le rôle narratif142. Dans la deuxième partie de la parabole, il accentue par ces choix lexicaux le caractère salutaire du traitement du semeur143. D’autre part la harangue reprend au verset 28 : 136

Ainsi la Vulgate : in tribulatione murmuris doctrina tua eis. OTTLEY, The book of Isaiah, 2, 244–245 envisage un sens classique à παιδεύω ce qui ne sied pas au contexte. Le sujet du verbe, c’est la deuxième personne du singulier dans une volonté d’actualiser le message. 138 Telles qu’un homoioteleuton entre παιδευθήσῃ et εὐφρανθήσῃ, la présence de ἐν devant κρίματι dans un nombre très restreint de manuscrits. 139 e.g. Is 12,6 ; 24,14. La Peshitta a aussi choisi cette interprétation. Voir également D.W. PARRY, « LXX Isaiah or its Vorlage: Primary “Misreadings” and secondary Modifications », A Teacher for All Generation. Essays in Honor of James C. VanderKam (éd. par E.F. Mason, 2 volumes, SJSJ 153, Leyde : Brill, 2012), 1, 152.165. 140 Voir également R.L. TROXEL, LXX-Isaiah as Translation and Interpretation. The Strategies of the Translator of the Septuagint of Isaiah (SJSJ 124, Leyde : Brill, 2008), 276– 277. 141 Ibid., 278. 142 Ibid., 277. 143 Avec notamment l’utilisation de καθαίρω, « purifier » et ἐκτινάσσω, « secouer pour faire partir les impuretés », Cf. Ibid., 278. 137

Chapitre 3 : Impact de l’équivalence lexicale sur les passages relatifs à Dieu

273

οὐ γὰρ εἰς τὸν αἰῶνα ἐγὼ ὑμῖν ὀργισθήσομαι, οὐδὲ φωνὴ τῆς πικρίας μου καταπατήσει ὑμᾶς (Is 28,28) En effet, je ne vais pas être en colère contre vous pour toujours, ni la voix de mon amertume ne va vous piétiner.

Cette deuxième actualisation est également absente du TM144 . Dieu corrige avec justice et non avec colère sans quoi il détruirait le peuple. Ce qui n’est qu’implicite dans le TM est ici clairement exprimé145. Le thème de la colère apparaît également en Is 28,21 et en Is 28,29 alors que le TM ne le suppose pas. Ici, le traducteur d’Isaïe exprime une une colère mesurée : une colère « autre » dans le sens « hostile », ὁ δὲ θυμὸς αὐτοῦ ἀλλοτρίως χρήσεται. Ainsi, le TM présentait simplement un travail étrange de la part de Dieu, alors que la Septante proclame que c’est la colère qui est hostile. Ce point légitime la colère de Dieu et se place en contradiction avec Ps 6,2, Ps 37[38],2 ou Jr 10,24. Enfin, Is 53,5 suit d’assez près le TM146. αὐτὸς δὲ ἐτραυματίσθη διὰ τὰς ἀνομίας ἡμῶν καὶ μεμαλάκισται διὰ τὰς ἁμαρτίας ἡμῶν· παιδεία εἰρήνης ἡμῶν ἐπʼ αὐτόν, τῷ μώλωπι αὐτοῦ ἡμεῖς ἰάθημεν (Is 53,5). Et lui a été blessé à cause de nos impiétés et il a été affaibli à cause de nos péchés : la correction de notre paix est sur lui, nous avons été soignés par sa blessure.

Il n’y a pas de variantes particulières147. La seule différence avec le TM est le verbe ἰάθημεν qui est à la première personne du pluriel quand dans le TM, le verbe est à la troisième du singulier. Les choix lexicaux, surtout ceux dans le registre de la douleur, n’appellent pas de remarques particulières : τραυματίζω est un hapax d’Isaïe et correspond à ‫ ָחלַל‬, présent deux fois en Isaïe 148 mais n’ayant de correspondant en grec qu’en Is 53,5 149 . Avec μαλακίζομαι, le 144

Malgré ses différences avec le TM, on peut déterminer assez facilement la relation d’IsLXX 28,26 avec le TM, Cf. TROXEL, LXX-Isaiah, 279. En revanche, c’est plus difficile pour IsLXX 28,28, en particulier pour πικρία, Cf. Ibid., 281. La présence de ce terme en Is 28,21, également en parallèle avec la colère (θυμός), fait de πικρία un compagnon de la colère de Dieu. À ce propos, HAIS fait de πικρία le correspondant du nom verbal ‫ י ִסּוּר‬en Jr 2,2. Il est cependant plus probable que la Vorlage possédait ‫סוֹריָּה‬ ִ (Cf. LXX.D.EK). 145 Avec une harmonisation sur Is 57,16, que le traducteur a estimé être une bonne exégèse de la parabole du semeur Cf. I.L. SEELIGMANN, « The Septuagint Version of Isaiah. A Discussion of Its Problem », Isac Leo Seeligmann, The Septuagint Version of Isaiah and Cognate Studies, éd. par R. Hanhart et H. Spieckermann, FAT 40, Tübingen : Mohr Siebeck, 119–294, 223. 146 Voir aussi E.R. EKBLAD, Isaiah’s Servant Poems According to the Septuagint. An Exegetical and Theological Study (CBET 23, Louvain : Peeters, 1999), 219–220. 147 e.g. les deux mots désignant la faute du peuple, ἀνομίας et ἁμαρτίας, sont parfois intervertis. 148 L’autre référence est en Is 51,9. 149 Cependant, dans le livre d’Isaïe, τραυματίας correspond toujours à la racine ‫חלל‬.

274

Quatrième partie : La Septante

traducteur fait peut-être référence à la maladie d’Ézéchias 150 . Enfin μώλωψ correspond à ‫ַבּוּרה‬ ָ ‫ ח‬comme en Is 1,6151. Le châtiment provient de Dieu152. d. Jérémie La Septante de Jérémie pose également de grands défis aux chercheurs. Elle est plus courte que le TM et possède une structure différente. Les exégètes ont dénoté également quelques tendances théologiques dans cette traduction, telles que la minimisation du châtiment envers le peuple153. Les passages comportant un mot de la famille de παιδεία suivent en général d’assez près le TM. On peut néanmoins noter le rendu de la collocation ‫ ָל ַקח מוּסָר‬. Le changement entre δέχομαι 154et λαμβάνω155 ne semble pas pouvoir être facilement expliqué, il a été pris comme exemple pour douter de l’unité de traduction du livre156. C’est en fait davantage dans le contexte que se situent les changements. Ainsi, comme cela a déjà été noté157, la nuance du niphal tolerativum disparaît en grec. Ainsi en Jr 6,8, Dieu ne demande pas à Jérusalem, mais indique les faits : elle sera corrigée. πόνῳ καὶ μάστιγι παιδευθήσῃ, Ιερουσαλημ, μὴ ἀποστῇ ἡ ψυχή μου ἀπὸ σοῦ, μὴ ποιήσω σε ἄβατον γῆν ἥτις οὐ κατοικηθήσεται (Jr 6,8) Par la souffrance et le fouet tu seras corrigé 158, Jérusalem, sinon mon âme s’éloigne de toi, sinon je te fais une terre déserte où personne n’habitera.

De plus, ce qui correspond à πόνῳ καὶ μάστιγι dans le TM appartient au verset précédent. Dans le TM, ce verset 7 décrit une situation de détresse devant les yeux de Dieu. Dans la Septante, la situation a changé : la détresse s’est transformée en faute morale. Il s’agit peut-être d’une minimisation de la violence divine 159 . Cependant, il est tout aussi possible que le texte de la Septante harmonise le texte avec le futur passif de παιδεύω. Par ce temps, de 150 Is 38,1 ; 39,1 où le mot grec correspond à ‫ ָחלָה‬, voir EKBLAD, Isaiah’s Servant Poems, 220. En Is 53,5, il correspond à ‫ דָּ כָה‬qui est toujours rendu par un mot grec différent en Isaïe. Par ailleurs, c’est la seule fois dans la Septante que μαλακίζομαι correspond à ‫( דָּ כָה‬LXX.D.EK). 151 EKBLAD, Isaiah’s Servant Poems, 220 relie également τραυματίζω à τραῦμα (Is 1,6). 152 Voir Is 53,6. Il est également probablement un lien avec παιδίον (Is 53,2) et παῖς (Is 52,13). 153 Voir LXX.D.EK., 2726–2728. 154 Jr 2,30 ; 7,27–28 ; 17,2. 155 Jr 42[35],13 ou l’un de ses composés Jr 39[32]33. 156 H. ST. J. THACKERAY, « The Greek Translators of Jeremiah », JTS 4 (1903), 248 envisage deux traducteurs différents. Voir également BECKING, « Jeremiah's Book », 147–148 pour une revue des différentes hypothèses récentes. 157 Voir p. 243. 158 Le groupe lucianique propose παιδεύθητι (Gö.). Cet impératif se rapproche du TM. 159 Voir LXX.D.EK, 2727 qui interprète cela comme une minimisation de la violence du jugement de Dieu.

Chapitre 3 : Impact de l’équivalence lexicale sur les passages relatifs à Dieu

275

facto, dans le verset 7, la violence divine ne s’est pas encore déchaînée, il faut donc que la situation de Jérusalem soit dans la faute et non dans la détresse. La nuance d’acceptation est également minimisée dans ce verset. La correction divine est vue comme une sollicitude de Dieu qui évite à celui-ci de détruire Jérusalem. On trouve des différences qui vont dans le même sens en Jr 37[30],14. πάντες οἱ φίλοι σου ἐπελάθοντό σου, οὐ μὴ ἐπερωτήσουσιν· ὅτι πληγὴν ἐχθροῦ ἔπαισά σε, παιδείαν στερεάν, ἐπὶ πᾶσαν ἀδικίαν σου ἐπληθύνθησαν αἱ ἁμαρτίαι σου (Jr 37[30],14) Tous tes amis t’ont oubliée, ils ne s’occupent plus (de toi) : en effet, je t’ai frappée d’une plaie d’ennemi, dur châtiment, en ce qui concerne ton injustice, tes péchés se sont multipliés.

Le TM affirmait que Dieu a infligé au peuple une correction digne d’un homme cruel et que Jérusalem allait souffrir de manière immodérée (JrTM 30,14)160. Le mot ‫ אַ ְכז ִָרי‬relié à ‫ מוּסָר‬n’a pas été compris comme un substantif, mais comme un adjectif : στερεός. Cela évite d’attribuer à Dieu un qualificatif néfaste : Dieu n’est pas cruel. Dans la Septante de Jérémie, cet adjectif est toujours négatif mais évoqué dans des contextes de salut161. De plus, le mot ‫אָנוּשׁ‬, « incurable », qui indique que les blessures sont incurables n’a pas de correspondance dans la Septante, pas plus qu’en JrTM 30,15162. En Jr 37[30],12 il correspond à Ἀνέστησα, « je me suis levé »163. Par ces deux différences, le texte de la Septante affirme davantage que les peines proviennent bien de Dieu mais ce discours ne possède plus la nuance de châtiment total qu’il possédait dans le TM : l’action de Dieu peut être sévère, elle est toujours pour le bien du peuple. La colère divine se déversera sur les Nations. Ainsi, Jr 26[46],28 qui témoigne de cette même idée reste proche du TM164. Le passage de la première personne du singulier à la première personne du pluriel en Jr 10,24 accentue le fait que la correction de Dieu est pour le peuple. παίδευσον ἡμᾶς, κύριε, πλὴν ἐν κρίσει καὶ μὴ ἐν θυμῷ, ἵνα μὴ ὀλίγους ἡμᾶς ποιήσῃς (Jr 10,24) 160

Cf. p. 123–124. Les plaies dont on demande qu’elles soient guéries, Jr 15,8; un peuple ennemi dont on est sauvé Jr 38[31],11. 162 Qu’il s’agisse d’un choix du traducteur, ou d’une Vorlage plus courte n’est pas important. Pour l’examen des hypothèses, Cf. par exemple BECKING, « Jeremiah's Book », 145–146, Il importe peu dans le cadre de cette thèse de savoir si c’est la Septante ou le TM qui possède la leçon la plus proche de l’original. 163 BECKING, « Jeremiah's Book », 154 explique que le traducteur a pu rattacher la forme au verbe ‫נוּשׁ‬, non attesté dans le TM. Cet auteur signale d’autres occurrences de ‫ אָנוּשׁ‬chez Jr 17,9.16 qui ont été comprises comme signifiant ‫אֱנוֹשׁ‬, « homme ». 164 Certains manuscrits rajoutent un ‘plus’ qui provient certainement de Jr 27[50],2 et qui peut faire le lien entre les Nations détruites de Jr 26[46],28 et Babylone. 161

276

Quatrième partie : La Septante

Corrige-nous, Seigneur, plutôt dans la justice et non dans la colère, afin que tu ne fasses de nous de petites (choses).

La Septante de Jérémie ne profite pas de cet endroit pour présenter Jérémie comme corrigé par Dieu165. Les sentences où Dieu constate que Jérusalem ne « prend » pas le ‫ מוּסָר‬ne sont pas réellement différentes dans la Septante. En particulier, Jr 2,30 et Jr 5,3 sont toujours liés à la coercition physique, tandis que Jr 7,28, Jr 17,23 et Jr 42[35],13 n’en possède toujours aucune. En Jr 7,28, l’apparition de τὸν λόγον τοῦτον est à mettre en relation avec JrTM 7,27 qui n’a pas de correspondant en grec. Soit le traducteur a synthétisé les deux versets, soit le TM a rallongé l’explication166. En Jr 17,23, le rajout de ὑπὲρ τοὺς πατέρας αὐτῶν est peut-être une harmonisation avec Jr 7,26 167 . Il peut aussi s’agir d’une manière d’actualiser le message 168 . En revanche, l’ambiguïté lexicale notée pour Jr 39[32],33 n’existe plus. Le choix de διδάσκω 169 n’implique pas la même nuance de violence que ‫לָמַ ד‬170. Si violence il y a, c’est que l’instruction est métaphorique. Dans ce cadre, il est plus probable de rattacher ce verset à Jr 7,26 ;17,23 ; 42[35],13 : l’instruction dont il s’agit, ce sont les commandements de Dieu. À ce propos, Jr 38[31],18 témoigne d’un intéressant changement : ἀκούων171 ἤκουσα Εφραιμ ὀδυρομένου Ἐπαίδευσάς με, καὶ ἐπαιδεύθην ἐγώ· ὥσπερ μόσχος οὐκ ἐδιδάχθην· ἐπίστρεψόν με, καὶ ἐπιστρέψω, ὅτι σὺ κύριος ὁ θεός μου (Jr 38[31],18) J’ai vraiment écouté Éphraïm qui se plaint : tu m’as corrigé et j’ai été corrigé, comme un bœuf, je n’ai pas été instruit, fais-moi revenir et je reviendrai, car tu es mon Dieu.

La forme ἐδιδάχθην n’appartient pas à la clause débutant par ὥσπερ puisqu’il s’agit de la première personne du singulier. Le TM utilise un pual à la troisième personne. La Septante comprend que le verbe διδάσκω est relatif à Éphraïm et non au bœuf. Il n’est pas clair si « comme un bœuf » doit être rattaché à ἐπαιδεύθην, « j’ai été corrigé comme un bœuf », ou à ἐδιδάχθην172, « comme

165 Cette interprétation est cohérente avec l’utilisation de ‫ ָמעַט‬qui normalement ne se dit que d’un peuple. 166 Cf. LXX.D.EK. 167 Ainsi PAHAG. 168 Cf. LXX.D.EK. 169 Dans la Septante, on trouve également μανθάνω. 170 Voir par exemple la difficulté avec laquelle le traducteur a traité l’occurrence de ‫ ָלמַד‬en Jr 2,33 qui signifie « dresser », « habituer » (ici au crime), voir p 148, n. 105. 171 Gö. propose Ἀκούων et pense que ἀκοὴν, gardé par Ra., provient d’une harmonisation sur Jr 29,15[49,14]. Cette correction ne change pas le texte. 172 Ainsi NETS.

Chapitre 3 : Impact de l’équivalence lexicale sur les passages relatifs à Dieu

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un bœuf, je n’ai pas été instruit » 173 . Peut-être est-il possible d’y voir la demande du peuple au deuxième stade de l’ « éducation » : le peuple a été corrigé, il demande maintenant à être instruit, puisse Dieu le faire revenir. Il est possible de comprendre ainsi la différence en Jr 38[31],19, le TM possède : ‫כִּי־‬ ‫אַח ֲִרי שׁוּבִי נִ ַחמְתִּ י‬, « oui, après ma conversion, j’éprouverai174 des regrets » quand la Septante propose : ὅτι ὕστερον αἰχμαλωσίας μου μετενόησα, « car après ma captivité, je me suis converti ». Le traducteur de Jérémie n’a pas vu ‫ שׁוּבִי‬mais probablement ‫שׁבִי‬ ְ , son message devient alors différent de celui du TM 175. La captivité qu’a vécue le peuple l’a amené à se réformer. La conversion, qui est future dans le TM devient ici passée. Le peuple a été corrigé, il s’est converti, il demande à être instruit et à revenir. Dans la Septante de Jérémie, par rapport au TM, on dénote une plus grande présence de l’idée selon laquelle la correction divine est un plan pour sauver le peuple. La colère n’est pas pour le peuple, elle est pour les Nations.

173 Ou alors en rattachant ἐγώ également à ἐδιδάχθην, on peut traduire comme LXX.D : « Wie ein junges Kalb ließ ich mich nicht belehren ». 174 Le verbe est au niphal parfait. Cependant, l’utilisation du verbe ‫ שׁוּב‬rappelle le verset précédent où la conversion n’est pas encore faite, d’où le futur. 175 BECKING, « Jeremiah's Book », 162.

Chapitre quatre

Étude des passages où un mot de la famille de παιδεύω ne correspond pas à ‫יסר‬ 1. Les passages controversés Les mots παιδεία et παιδεύω font l’objet de peu de variantes dont la source est : 1. une révision vers un texte proche du TM1. Nous considérons ces variantes comme secondaires ; 2. une corruption interne à la transmission grecque du fait que la forme de παιδεία et παιδεύω ressemble à une autre forme grecque2 ; 3. une variante correspondant soit à une traduction concurrente, soit à une correction interprétative ultérieure3. a. Premier livre des Règnes 26,10 Un certain nombre de variantes provient d’une proximité graphique entre formes grecques. Un premier exemple se situe dans le premier livre des Règnes. David tient Saül à sa merci, Avishaï lui demande s’il peut tuer Saül puisque Dieu l’a livré aux mains de David. Dans le TM, David répond : ‫( וַיּ ֹא ֶמר דָּ וִד חַי־י ְהוָה כִּי ִאם־י ְהוָה י ִ ָגּפֶנּוּ אוֹ־יוֹמוֹ י ָב ֹוא וָמֵת אוֹ ַב ִמּ ְל ָחמָה י ֵֵרד ְונִ ְספָּה‬1 S 26,10) Et David dit: «Par la vie du Seigneur! Oui, que ce soit le Seigneur qui l’opprime, que ce soit son jour qui vient et qu’il meurt ou qu’il soit descendu au combat et qu’il ait été pris ».

Dans la Septante, on trouve : καὶ εἶπεν Δαυιδ Ζῇ κύριος, ἐὰν μὴ κύριος παίσῃ αὐτόν, ἢ ἡ ἡμέρα αὐτοῦ ἔλθῃ καὶ ἀποθάνῃ, ἢ εἰς πόλεμον καταβῇ καὶ προστεθῇ (1 R[1 S] 26,10)

1

Voir par exemple les leçons παιδεῖαι et παροιμίαι de Pr 25,1 correspondant à ‫שׁל‬ ָ ‫ ָמ‬. La forme παροιμία correspond usuellement à ‫שׁל‬ ָ ‫ ָמ‬alors que le pluriel de παιδεία est un hapax legomenon de la Septante. Il est plus simple d’envisager que παροιμίαι soit une révision vers le TM (p. 239). De même, la leçon παιδεία en Pr 1,8 est probablement une révision comparativement à νομός. Tandis que le verbe παιδεύω en Pr 3,12 est probablement plus original par rapport à ἐλέγχω qui correspond à la forme ‫ יוֹכִי ַח‬du TM, voir p. 295. 2 1 R [1 S] 26,10 ; Ps 89[90],12 ; Ha 3,5 ;Pr 24,31[30,8]. 3 Is 50,4.

Chapitre 4 : Quand un mot de la famille de παιδεύω ne correspond pas à ‫יסר‬

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Et David dit « Par la vie du Seigneur, à moins que Dieu ne le frappe, ou bien que son jour vienne et qu’il meurt ou bien qu’il descende à la guerre et qu’il soit pris ».

Or la forme παίσῃ n’est pas attestée par le Vaticanus, ni par les manuscrits traditionnellement rattachés à la recension origénienne qui suggèrent plutôt παιδεύσῃ. Ces formes correspondent au verbe ‫נַגָף‬. Ni le verbe παίω (παίσῃ) ni le verbe παιδεύω ne correspondent ailleurs à ‫נַגָף‬. En effet, παίω traduit plus fréquemment le hiphil de ‫נָכָה‬. Le verbe ‫ נַגָף‬apparaît près de cinquante fois dans le TM. Cependant, dans la Septante, il correspond à plus de quinze mots grecs différents. Les deux variantes dérivent l’une de l’autre par une ressemblance graphique et phonique en grec. On peut envisager que παιδεύσῃ soit original et qu’il ait été corrigé plus tard en παίσῃ pour se rapprocher du TM. L’évolution contraire suppose une erreur de transmission ayant rajouté -δευ. Elle est moins probable mais pas inenvisageable4. Le choix du verbe παιδεύω peut éventuellement s’expliquer par référence à 2 S 7,14 qui dit que Dieu promet au roi d’être un père pour lui et de le corriger (avec ‫ )יָכַח‬s’il commet des fautes. Cette interprétation est renforcée par l’utilisation du verbe ταπεινόω correspondant à ‫שׁחַת‬ ַ au verset précédent. Habituellement, ‫ שַׁ חַת‬correspond à διαφθείρω qui signifie « détruire ». Ici, la Vorlage a pu avoir une forme rattachable à ‫שׁחַח‬ ָ auquel correspond parfois ταπεινόω. Cependant, ce verbe allège la menace, il ne s’agit plus de mourir mais d’être humilié. Si la leçon doit être gardée, il s’agit d’une utilisation qui donne à παιδεύω une nuance d’oppression ou de correction5. b. Psaume 89[90],12 Le Psaume 89[90],12 révèle un curieux cas analogue à la confusion entre les racines hébraïques ‫ אסר‬et ‫יסר‬. Il s’agit d’une confusion entre la forme πεπεδημένους, du verbe πεδάω qui signifie « lier », et πεπαιδευμένους. En dehors de ce passage, πεδάω est utilisé six fois dans les Psaumes et une fois en Job 36,8, toujours au participe parfait passif 6 , correspondant cinq fois au substantif ‫אָסִיר‬7 et deux fois au participe passif pluriel de ‫אָסַר‬8. Or, dans ce passage, le TM ne possède aucun mot de racine ‫ אסר‬ou ‫יסר‬. 4

B. GRILLET et M. LESTIENNE, Premier Livre des Règnes (BA 9.1, Paris : Cerf, 1997), 69.383 envisagent la modification παίσῃ → παιδεύσῃ selon un procédé dit al-tiqré. La leçon plus proche du TM, παίσῃ, aurait été modifiée ensuite pour induire une interprétation spécifique. Ici ce serait un rapprochement avec 2 S 7,14. 5 Si on accepte que Saül soit l’objet de la même promesse que David. 6 Une dernière utilisation en DnLXX 4,33a : ἐπεδήθην. 7 Ps 67[68],7 ; 68[69],34 ; 78[79],11 ; 101[102],21 ; 106[107],10. 8 Ps 145[146],7 ; Job 36,8.

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Quatrième partie : La Septante

‫ִלמְנ ֹות י ָ ֵמינוּ כֵּן הוֹדַ ע ְונָבִא ְלבַב ָח ְכמָה‬ Alors, apprends-nous à compter nos jours, et nous obtiendrons la sagesse du cœur. ἐξαριθμήσασθαι τὴν δεξιάν σου οὕτως γνώρισον καὶ τοὺς πεπεδημένους (πεπαιδευμένους) τῇ καρδίᾳ ἐν σοφίᾳ (Ps 89[90],12) Ainsi, fais nous connaître ta main droite et ceux qui sont liés (éduqués ou châtiés) au cœur par la sagesse.

LEH9 propose que la Vorlage de la Septante possède ‫ונבוני‬, une forme niphal de ‫בִין‬. La leçon πεπαιδευμένους, proposée par le codex Vaticanus et Sinaiticus, serait originale et πεπεδημένους résulterait d’une lecture fautive. Cependant, παιδεύω ne correspond qu’une fois à ‫( בִין‬Dt 32,10) dans un tout autre contexte10. On peut également noter l’occurrence de παιδεία en DnLXX 1,20, qui correspond à ‫בִּינָה‬. Cependant, le contexte de ce verset de Daniel suggère une interprétation de la part du traducteur vers une signification très liée à la culture classique11. L’hypothèse inverse est vraisemblable. Ainsi, πεπεδημένους aurait pu se transformer en πεπαιδευμένους sous l’influence du verset 10. Cette hypothèse se heurte également à la question de la Vorlage dont on ne sait quelle forme elle aurait pu fournir qui expliquerait à la fois le TM et πεπεδημένους. Une autre objection importante est que, dans le livre des Psaumes et en Job 36,8, πεπεδημένος possède toujours, sauf ici, une connotation négative. Il s’agit des prisonniers pécheurs qui sont liés et que Dieu va délivrer. Une autre explication serait que l’original de la Septante possédait ἐπιδεομένους. Rare, ce mot est utilisé notamment en Dt 15,7.8.9.10.11 où il signifie « pauvre », « indigent » et où il correspond à ‫אֶ בְיוֹן‬, alors qu’un homonyme signifie « lier »12. La suite des erreurs de transmission aurait été la suivante : ἐπιδεομένους → πεπεδημένος → πεπαιδευμένους. Il n’est pas possible de déterminer précisément l’histoire de ce texte13. Cependant, il est plus probable que πεπεδημένος se soit transformé en πεπαιδευμένους que l’inverse, du fait de la présence du passif du verbe παιδεύω au verset 10 et de l’utilisation inhabituelle de πεπεδημένος pour le livre des Psaumes. 9

Cf. LEH, s.v. πεδάω. Voir p. 318–320. 11 Voir p. 314. 12 Cf. LEH. 13 On peut également noter la possibilité de ἐπιδυομένους provenant du verbe ἐπιδύω, « descendre », « couler » qui n’apparaît que trois fois dans la Septante (Dt 24,15 ; Job 8,29 ; Je 15,9), toujours en correspondance avec ‫בוֹא‬. 10

Chapitre 4 : Quand un mot de la famille de παιδεύω ne correspond pas à ‫יסר‬

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c. Habacuc 3,5 En Ha 3,5, se situe un passage où les copistes grecs ont eu une grand difficulté à comprendre le texte : ‫ְל ָפנָיו י ֵ ֶל דָּ בֶר ְויֵצֵא ֶרשֶׁף ל ְַרגְלָיו‬ Devant lui marche la peste, et la fièvre met ses pas dans les siens.

La Septante donne : πρὸ προσώπου αὐτοῦ πορεύσεται λόγος, καὶ ἐξελεύσεται, εἰς πεδία14 οἱ πόδες αὐτοῦ (Ha 3,5) Devant son visage marchera la parole et il sortira dans les plaines, ses pieds.

Manifestement, le traducteur a confondu ‫ דֶ בֶר‬avec ‫דַ בַר‬15. Cependant, la plus grande confusion tourne autour de l’expression εἰς πεδία16 où Gö. donne trois variantes : ἐν πεδίλοις 17 (du substantif πέδιλον « sandale »), ἐν πέδαις (du substantif πέδη « lien »)18 et εἰς παιδείαν19. Il semble qu’on puisse faire dériver toutes ses variantes de εἰς πεδία. Cependant, le sens de cette traduction n’est pas clair et les copistes ont essayé de faciliter la lecture, en particulier par la leçon εἰς παιδείαν20 qui serait secondaire. De même, ἐν πέδαις, pourtant attesté dans un papyrus pré-hexaplaire, peut s’expliquer d’une harmonisation avec

14

En accord avec Sw. (et le codex Vaticanus) voir plus bas. Il est aussi possible que le traducteur ait tout simplement refusé d’associer la peste et Dieu. Voir A. KAMINKA, « Studien zur LXX an der Hand der zwölf kleinen Prophetenbücher », MGWJ 72 (1928), 60. 16 Cela a fourni matière à certaines émendations, dont ἐμπελία, rappelée par P. WALTERS, The Text of the Septuagint. Its Corruptions and their Emendation (éd. par D.W. Gooding, Cambridge: Cambridge University, 1973), 135 qui fut proposée pour expliquer le passage depuis le mot hébreu ‫רשֶׁף‬.ֶ 17 Leçon donnée par les principaux témoins du texte alexandrin (Alexandrinus et Marchalianus) et acceptée par Gö. H.St.J. THACKERAY, The Septuagint and Jewish Worship : A study in Origin (The Schweich Lectures of the British Academy 1920, Londres : Humphrey Milford, 1921), 51–54 y voit une réminiscence de sandales ailées du mythe de Persée. Sans faire appel à la mythologie grecque, dont se moque quelque peu WALTERS, The Text of the Septuagint, 134 (« by a lofty flight of imagination »), on peut aussi faire référence aux pieds ailés des chérubins (Ez 1,7) ou encore à la rapidité du logos en Ps 147,4[15], bien que ces deux références ne contiennent pas ce mot grec. 18 Fourni par le papyrus dit de Washington datant du III ème siècle de notre ère qui, cependant, a été corrigé sur le papyrus en πετηνοῖς. 19 Notamment la recension lucanienne : on trouve également ἐν παιδείᾳ dans le manuscrit lucanien 407. 20 ou εἰς πεδίαν, la forme πεδίαν n’est pas attestée avant la période byzantine et signifie également « plaine », Cf. LBG, s.v. 15

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Quatrième partie : La Septante

certains passages de la Septante décrivant des pieds enchaînés 21 . Enfin, ἐν πεδίλοις, simplifie le sens et provient peut-être de ἐν πέδαις. L’apparition de εἰς πεδία peut résulter d’une Vorlage différente, comme le suggère Harl 22 , ou d’une corruption interne au grec ainsi que Walters 23 le propose. Celui-ci envisage que εἰς πεδία provienne d’une corruption paléographique de πετεινά, « volants ». Le mot n’est pas attesté parmi les témoins textuels de Ha 3,5 24 , mais correspond très régulièrement à ‫ ֶרשֶׁף‬dans la Septante25. La forme οἱ πόδες αὐτοῦ26 est en concurrence avec κατα ποδας αυτου plus fréquent mais qui pourrait être une révision vers la Septante27 et qui résout le probléme du nomen pendens puisque le verbe ἐξελεύσεται est au singulier28. Dans ce cas, la leçon οἱ πόδες αὐτοῦ est un argument pour indiquer que εἰς πεδία provient plutôt d’une Vorlage différente, avec le rattachement du ‫ ל‬au ‫ף‬.29 Dans tous les cas, εἰς παιδείαν est secondaire30 et ne correspond pas à un état original du texte. 21 Notamment Ps 104[105],18, dans une possible relecture chrétienne, identifiant Joseph et Jésus. Dans ce cas, on peut ne pas suivre HARL qui voit dans cette variante la leçon originale de la LXX en supposant ‫( בשפלה‬HARL, DOGNIEZ et BROTTIER, Les douze prophètes. Joël, 290). 22 Qui aurait possédé ‫ ויצא בשפל רגליו‬au lieu de ‫ויצא רשף לרגליו‬. En effet, le substantif πεδίον peut correspondre à ‫שׁ ֵפלָה‬ ְ (Dt 1,7 ; Job 11,2 ;12,7) voir aussi HARL, DOGNIEZ et BROTTIER, Les douze prophètes. Joël, 290. 23 WALTERS, The Text of the Septuagint, 134–135. 24 À l’exception de la correction du papyrus W : πετηνοῖς (voir p. 281, n. 18). Voir également la leçon d’Aquila : πτηνόν. 25 Voir aussi J. ZIEGLER, « Beiträge zum griechischen Dodekapropheton », NAWG 10 (1943), 387–389 (= Syll. 113–115). 26 Principalement le papyrus W. En ce qui concerne Theophylacte d’Achride, Ziegler pose problème puisqu’il indique que cet auteur donne à la fois οἱ πόδες αὐτοῦ et κατα ποδας αυτου. D’autre part, sauf erreur, Ziegler n’indique pas comme Rahlfs que cette leçon est aussi donnée par l’Alexandrinus et le Marchalianus. 27 Le Vaticanus, le Sinaiticus, la recension lucanienne. Ce qui est cependant étonnant, c’est qu’une telle révision n’ait pas eu lieu pour εἰς πεδία. 28 Voir aussi HARL, DOGNIEZ et BROTTIER, Les douze prophètes. Joël, 290. Une correction du codex Marchalianus, ainsi que Theophylacte d’Achride, qui garde εἰς πεδία, est le témoin d’une autre résolution de ce problème avec la forme ἐξελεύσεται mise au pluriel, rendant clairement « ses pieds » sujet du verbe « sortir ». Enfin, le papyrus W rend le verbe suivant ἔστη au pluriel avec ἔστησαν afin « d’enjamber » le verset 5. « Ses pieds » devient sujet du verbe « s’arrêter ». L’Alexandrinus, enfin, avec ἐν πεδίλοις οἱ πόδες αὐτοῦ prend probablement le nomens pendens au sérieux en supposant le verbe être : « il sortira, ses pieds dans des sandales ». 29 Voir n. 22, plus haut. 30 Pour être précis, on ne peut pas complétement exclure que ce soit une nouvelle traduction appartenant à la tradition lucanienne. En fait, la proximité graphique et phonique avec εἰς πεδία suggère que ce soit plutôt une révision : on aurait choisi εἰς παιδείαν à la fois pour respecter une certaine proximité avec la LXX mais aussi pour revenir au sens du TM, qui veut que devant le Seigneur cheminent des fléaux : ce serait donc un châtiment.

Chapitre 4 : Quand un mot de la famille de παιδεύω ne correspond pas à ‫יסר‬

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d. Trois passages du livre des Proverbes En Pr 1,29, une occurrence de παιδεία concurrence σοφία. Le TM propose ‫דַּ עַת‬. Il est difficile de déterminer quelle est la leçon originale31. Le choix de παιδεία peut résulter d’une lecture facilitante car la collocation de σοφία avec μισέω est unique. Cependant, le choix de σοφία peut être l’œuvre du traducteur, se basant sur Pr 1,7, fit correspondre ce mot grec avec ‫דַּ ַע ת‬32 . Il semble qu’on peut s’appuyer prudemment sur la Vulgate, qui propose disciplinam, pour garder la leçon παιδεία. La Vorlage aurait possédé ‫מוסר‬33. En Pr 15,14, la leçon ἀπαιδεύτων est concurrencée par la leçon ἀσεβῶν. Cette dernière semble être une révision vers le TM, d’autant plus que ce verset est marqué par une grande originalité de correspondance lexicale. Il est donc plus probable de penser que le traducteur a gardé cette originalité plutôt que de rendre ‫ ְכּסִיל‬par son correspondant habituel, ἀσεβής. Proverbes 30,8 fait partie de l’instruction d’Agour. Il demande à Dieu de ne lui donner ni richesse ni pauvreté : ‫ ֵראשׁ וָע ֹשֶׁ ר אַל־תִּ תֶּ ן־לִי‬. Ra. propose : πλοῦτον δὲ καὶ πενίαν μή μοι δῷς, cependant le codex Alexandrinus donne παιδείαν au lieu de πενίαν. Selon cette variante, παιδεία est une chose négative ; on prie Dieu de ne pas la donner. Il s’agit soit d’un châtiment, soit d’une humiliation. La leçon majoritaire est fidèle au TM bien que l’ordre des mots soit inversé : la richesse précède la pauvreté, alors que c’est l’inverse dans le TM. Le contexte demandant un substantif négatif, il reste deux possibilités : soit il faut garder πενίαν, être proche du TM, et considérer παιδείαν comme une lecture fautive, soit il faut donner à παιδεία un sens de châtiment. La première hypothèse me semble plus probable, la richesse appelant la pauvreté. e. Isaïe 50,4 Isaïe 50,4 est un cas particulier. Dans le TM du troisième chant du Serviteur, Dieu donne une langue de disciple : ‫ לְשׁוֹן לִמּוּדִ ים‬au serviteur alors que la Septante propose Κύριος δίδωσίν μοι γλῶσσαν παιδείας. Cependant, le codex Alexandrinus remplace παιδείας par σοφίας. Si la forme de παιδεία traduit ‫מוּסָר‬, la Vorlage de la Septante dérive difficilement du TM34. De son coté, σοφία ne correspond à aucune Vorlage de 31

Voir également D’HAMONVILLE, Proverbes, 167. Ainsi COOK, The Septuagint of Proverbs, 93–94. 33 Cela reste spéculatif, il pourrait y avoir eu contamination de la Vulgate par la Septante, via la Vieille Latine. 34 Il faudrait une disparition du ‫י‬, une confusion entre ‫ ר‬et ‫ ד‬et entre ‫ ס‬et ‫ ם‬avec une métathèse de ces deux lettres. 32

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Quatrième partie : La Septante

laquelle le TM pourrait dériver (ou inversement). Il est plus probable d’affirmer que les deux variantes proviennent d’une interprétation du verset. Le mot παιδεία pourrait être une harmonisation avec Is 50,5. Ekblad35 fait référence à Is 11,1–2 et suggère que σοφία ait été utilisé pour identifier le serviteur avec la figure royale36. Il s’agirait alors d’une leçon secondaire qui facilite la lecture. En effet, il n’est pas évident de déterminer ce que signifie Κύριος δίδωσίν μοι γλῶσσαν παιδείας 37 , les deux occurrences de παιδεία ne font peut-être pas référence à la même nuance : un discours oral pour Is 50,4 et une correction corporelle pour Is 50,5.

2. Les passages montrant un sens conforme à la racine ‫יסר‬ a. La correction divine dans la Septante des Psaumes Le TM a montré que la racine ‫ יסר‬était toujours liée à Dieu dans les Psaumes38. Cela demeure vrai dans la Septante avec la notable exception de Ps 104[105],2239. Hormis ce passage, les cinq endroits de la Septante où παιδεία et παιδεύω apparaissent sans correspondre à la racine ‫ יסר‬sont mis en relation avec Dieu et témoignent d’une signification proche de cette racine, à savoir une correction corporelle ou orale. Psaume 2,12 est un verset bien connu du TM pour les problèmes de critique textuelle qu’il pose. La Septante donne une lecture cohérente, conforme à l’idée de la correction divine apportée par Dieu pour éviter sa colère. δράξασθε παιδείας, μήποτε ὀργισθῇ κύριος καὶ ἀπολεῖσθε ἐξ ὁδοῦ δικαίας (Ps 2,12) Assumez l’éducation, de peur que le Seigneur ne se mette en colère et qu’il vous détruise hors du chemin de la justice.

Les variantes donnant παιδεία à l’accusatif sont dues à ce que δράσσομαι régisse l’accusatif, bien que le génitif soit plus fréquent40. 35

EKBLAD, Isaiah’s Servant Poems, 136, n. 13. Pour l’explication du passage, voir aussi L. PRIJS, Jüdische Tradition in der Septuaginta (Leyde : Brill, 1948), 64–65, pour qui il s’agit, comme en Ps 2,12 d’une intensification de l’éducation par la Torah. Il en veut pour preuve la traduction de la Peshitta qui utilise le verbe ‫ܐ‬. 37 Voir également OTTLEY, Isaiah, 2, 336. Il indique que seul le codex Alexandrinus comporte σοφία, leçon qu’il reconnaît comme étant d’ordre explicatif. 38 Voir p. 128. 39 Voir p. 291. 40 Cf. R. HELBING, Die Kasussyntax der Verba bei den Septuaginta. Ein Beitrag zur Hebraismenfrage und zur Syntax der Κοινή (Göttingen : Vandenhoeck & Ruprecht, 1928), 128. 36

Chapitre 4 : Quand un mot de la famille de παιδεύω ne correspond pas à ‫יסר‬

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De nombreuses conjectures ont été faites pour tenter à la fois d’expliquer l’origine du texte de la Septante, ainsi que le sens du TM : ‫נַשְּׁקוּ־בַר‬, littéralement « embrasse le fils »41. Les chercheurs se divisent historiquement entre ceux qui corrigent le TM pour expliquer la Septante42 et ceux qui garde le TM tel quel43. Bons 44 synthétise brièvement les différentes solutions que la recherche a proposé et remarque que la différence de la Septante s’harmonise avec Ps 2,10. 41 Voir l’état de la recherche en C. VANG, « Ps 2,11-12 – A New Look at an Old Crux Interpretum », SJOT 9 (1995), 163–164 et I. CARDELLINI, « Sal 2,12aα: complicazioni testuali e difficoltà interpretative », RivB 56 (2008), 20–29. 42 A.M. DUBARLE, « ΔΡΑΞΑΣΘΕ ΠΑΙΔΕΙΑΣ (Ps., II, 12). », RB 62 (1955), 511 rapporte d’anciennes propositions de Vorlage qui utilisent ‫ מוּסָר‬régi par un verbe pouvant avoir été traduit par δράξασθε. Il rapporte également la reconstruction du squelette ‫ נש דובר‬où ‫נש‬ signifierait « prendre », Cf. également P. JOÜON, « Notes philologiques sur le texte hébreu de Psaume 2,12 ; 5,4 ; 44,26 ; 104,20 ; 120,7 ; 123,4 ; 127,2b,5b ; 132,15 ; 144,2 », Biblica 11 (1930), 81, et ‫ « דובר‬discipline » (en lien avec ‫)דֶ בֶר‬. Cette reconstruction respecte le plus possible le TM. Quant à lui, Dubarle propose ‫ נשו קבל‬qui ne nécessite qu’une métathèse entre ‫ו‬ et ‫ ק‬et une altération entre ‫ ל‬et ‫ר‬. D’autre part, l’hébreu post biblique possède ‫ ַק ָבּלָה‬qui signifie « compréhension » (Jastrow). Cependant, Dubarle tombe sous la critique que formule PRIJS, Jüdische Tradition, xv contre ce type de reconstruction : les mots araméens proposés ne sont pas présents dans le TM. S. OLOFSSON, « The Crux Interpretum in Ps 2,12 », SJOT 9 (1995), 185–199 suggère plusieurs Vorlagen possibles, en se basant sur la correspondance entre δράσσομαι et ‫ ָק ַמץ‬, en reconnaissant que le lien entre παιδεία et ‫ מוּסָר‬n’est pas aussi fort dans les Psaumes que dans le reste de la Septante (Cf. Ps 17[18],36 ou Ps 118[119],66) et en prenant en compte une lecture provenant d’un réviseur : ἐπιλάβεσθε ἐπιστήμης. 43 PRIJS, Jüdische Tradition, xv propose, quant à lui, de comprendre ‫ בר‬comme signifiant lauter, « pur, simplement, sincèrement ». Le message signifie alors « rendez hommage à la pureté », à savoir la Torah. Il prend appui sur certains passages de la littérature rabbinique qui explicitent ce lien et sur les idées de BERTRAM, « Der Begriff der Erziehung», 45 et de BTW concernant l’usage des mots de la famille de παιδεύω. CARDELLINI, « Sal 2,12aα », 36 suit cette direction quand il propose que le TM ne doit pas être amendé et qu’il s’agit d’une phrase idiomatique signifiant proprement « accepter la Torah », à savoir l’instruction de quelqu’un. P. LAMARCHE, «La Septante », Le monde grec ancien et la Bible (éd. par C. Mondésert, Bible de tous les temps, Paris : Beauchesne, 1984), 33 indique qu’il y a en Ps 2,12 un adoucissement du jugement de Dieu, notamment du fait de la présence du mot θυμός au verset suivant. Ce mot désigne, selon lui, une colère qui guérit et qui sauve. Cependant MURAOKA, « Pairs of Synonyms », 37–39 relativise cette idée, les mots grecs désignant la colère sont interchangeables et n’ont pas de nuances permettant de les distinguer. Pour la signification du mot, il hésite entre « enseignement » et « correction ». PIETERSMA, « Empire Re-Affirmed », 57 indique que le final du Ps 12 a un ton plus éducatif. Il fait référence à Ps 89[90],10 et Ps 104 [105],22. Comme Prijs, il pense qu’il s’agit d’une paraphrase basée sur l’expression « embrasser la pureté ». C’est en prenant la παιδεία qu’on y arrive. Il fait alors référence à Ps 49[50],17 et Ps 118[119],66. 44 E. BONS, « Der Septuaginta-Psalter – Übersetzung, Interpretation, Korrektur », Die Septuaginta – Texte, Kontexte, Lebenswelten. Internationale Fachtagung veranstaltet von Septuaginta Deutsch (LXX.D) Wuppertal 20. – 23. Juli 2006 (éd. par M. Karrer et W. Kraus, en collaboration avec M. Meiser, WUNT 219, Tübingen : Mohr Siebeck, 2008), 460.

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Quatrième partie : La Septante

Il constate également que cette différence demande à ce qu’on accepte la παιδεία. Une telle insistance liée à la sagesse se retrouve dans d’autres Psaumes où on trouve un mot de la famille de παιδεύω alors que le TM ne possède pas un mot de la racine de ‫יסר‬. Effectivement, la difficulté d’interprétation du lien entre Septante et TM ne doit pas faire oublier la relative simplicité d’interprétation du Ps 2,12. C’est en prenant la παιδεία que les rois peuvent éviter la colère du Seigneur. Il reste le problème du verbe δράσσομαι, il signifie « prendre par la main, empoigner ». Il désigne le fait de prendre une poignée de farine 45 ou de cendres46. La Septante ne témoigne pas d’un usage métaphorique semblable à Ps 2,12 : Judith saisit la chevelure d’Holopherne47, tandis que Sirach met au défi de saisir une femme méchante48 ou une ombre49. En fait, un tel usage métaphorique est attesté en grec classique. Par exemple un garde, dans la pièce Antigone de Sophocle vient annoncer qu’Œdipe a été enterré selon les rites, alors que le roi de Thèbes l’avait interdit. Ce garde craint donc d’être puni par le roi, il dit prudemment : τῆς ἐλπίδος γὰρ ἔρχομαι δεδραγμένος, τὸ μὴ παθεῖν ἂν ἄλλο πλὴν τὸ μόρσιμον (Sophocle, Ant. 235) En effet, je suis venu saisissant l’espoir de ne rien souffrir d’autre que le destin.

Ce vers de Sophocle suggère que δράσσομαι signifie « s’accrocher désespérément à ». Dans le Psaume, cela implique que les rois et les juges sont invités à s’accrocher au reproche de Dieu et de ne pas le lâcher. On peut noter que l’interprétation nouvelle donnée par le traducteur se situe sur un passage dont la compréhension en hébreu est très problématique. Psaume 17[18],36 est le parallèle de 2 R[2 S] 22,36 qui comporte également une occurrence du verbe παιδεύω 50 . Le verset 36 fait partie d’une série de stiques louant l’action de Dieu qui sauve et soutient le psalmiste : ‫שׁ ֶע ַועֲנ ֹתְ תַּ ְר ֵבּנִי‬ ְ ִ ‫( וַתִּ תֶּ ן־לִי ָמגֵן י‬2 S 22,36) Et tu m’as donné le bouclier de ton salut et ta sollicitude me rend plus fort. καὶ ἔδωκάς μοι ὑπερασπισμὸν σωτηρίας μου, καὶ ἡ ὑπακοή σου ἐπλήθυνέν με (2 R[2 S] 22,36) Et tu m’as donné la protection de mon salut, et ta réponse me rend plus fort.

ִ‫שׁ ֶע וִימִינְ תִ ְסעָדֵ נִי ְו ַענְוַתְ תַ ְר ֵבּנ‬ ְ ִ ‫( וַתִּ תֶּ ן־לִי ָמגֵן י‬Ps 18,36) 45

Lv 2,12 ; 5,12 ; Nb 5,26. 2 M 4,41. 47 Jdt 13,7. 48 Si 26,7. 49 Si 34,2. 50 Voir p. 294. 46

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Et tu m’as donné le bouclier de ton salut et ta droite me soutient et ta sollicitude me rend plus fort. καὶ ἔδωκάς μοι ὑπερασπισμὸν σωτηρίας μου, καὶ ἡ δεξιά σου ἀντελάβετό μου, καὶ ἡ παιδεία σου ἀνώρθωσέν με εἰς τέλος, καὶ ἡ παιδεία σου, αὐτή με διδάξει (Ps 17[18],36) Et tu m’as donné la protection de mon salut, et ta droite me soutient et ta correction me reconstruit à la fin et ta correction, c’est elle qui m’instruit.

Dans le Psaume 17, on trouve deux occurrences de παιδεία. Elles sont certainement des traductions concurrentes de ִ‫ ְו ַענְוַתְ תַ ְר ֵבּנ‬car l’un ou l’autre des hémistiches est absent des témoins, selon le cas51. Comme pour Ps 2,12, l’apparition de παιδεία survient en correspondance avec une difficulté du TM. En effet, la forme ְ‫ ַועֲנ ֹת‬dérive probablement de ‫ ָענָה‬. Cependant, ce verbe est polysémique. Avec ὑπακοή, 2 Kgns[2 R],36 a favorisé la nuance signifiant « répondre » tandis qu’avec παιδεία, Ps 17[18],36 semble préférer « humilier » 52 . Pour le TM, les chercheurs privilégient une signification relative à la sollicitude 53 . Le groupe nominal εἰς τέλος ne correspond à rien dans le TM. L’apparition du verbe ἀνορθόω fait clairement référence à la promesse divine de 2 S7, 8–16 qui en comporte deux occurrences54 et dont la théologie vise la correction divine ce qui explique la présence de παιδεία. L’apparition de l’autre terme du doublet : καὶ ἡ παιδεία σου αὐτή με διδάξει, est difficilement explicable. Il provient certainement de Theodotion55. Le terme παιδεία a une connotation positive puisqu’il enseigne le psalmiste. Le terme διδάξει pourrait être une lecture du squelette ‫ תרתני‬comme dérivant de ‫י ַָרה‬, plutôt que ‫תרבני‬. S’agit-il d’une correction corporelle ou d’un reproche oral ? Le contexte de cet hémistiche est malheureusement trop peu explicite. Le Ps 89[90],10 témoigne d’une interprétation qui lie humilité et correction divine. ὅτι ἐπῆλθεν πραΰτης ἐφʼ ἡμᾶς, καὶ αιδευθησόμεθα (Ps 89[90],10) Parce que l’humilité arrive sur nous et nous serons corrigés.

Certains chercheurs ont envisagé que παιδευθησόμεθα n’était pas original et ont proposé πετασθησόμεθα56. Bons remarque qu’une telle explication suppose 51

Ainsi εἰς τέλος et καὶ ἡ παιδεία σου αὐτή με διδάξει sont absents du Sinaiticus, tandis que καὶ ἡ παιδεία σου ἀνώρθωσέν με εἰς τέλος est absent de certaines traductions filles (Gö.). 52 Voir LXX.D.EK. 53 Sur la base du mot ‫ ֶעז ְָרה‬. Cf. P.G. CRAIGIE, Psalms 1–50 (édition révisée en 2004 avec un supplément de M.E. Tate, WBC 19, Nelson Reference & Electronic, 2004), 171. 54 2 R[2 S] 7,13.16. 55 Voir Gö. 56 Voir la liste en BONS, « Die Septuaginta-Psalter », 461.

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que la Vorlage était proche du TM et que le traducteur a essayé de la suivre. Cependant, cet hémistiche est rempli de différences par rapport au TM : ἐφʼ ἡμᾶς est un ‘plus’ de la Septante, πραΰτης correspond plutôt à ‫ ַענְוָה‬, l'humilité57, enfin, la présence de ἐπῆλθεν est très surprenante au regard du TM. Les seuls points communs entre le TM et la Septante sont ὅτι et la personne du verbe παιδευθησόμεθα. Cela fait peu pour Bons qui envisage que le traducteur a interprété, et non traduit, sa Vorlage58. Cette interprétation fait de ce passage, initialement pessimiste, une explication de la souffrance explicitée aux versets précédents, le rapprochant de Ps 38[39],12. On trouve un phénomène similaire de flou dans les termes liant sagesse, intelligence et décrets en Ps 118[119],66 : ‫טוּב ַטעַם וָדַ עַת ַלמְּדֵ נִי כִּי ְב ִמצְוֹתֶ י הֶאֱ מָ נְתִּ י‬ Tu m’as enseigné un bon discernement et une bonne connaissance, oui j’ai confiance dans tes commandements. χρηστότητα καὶ παιδείαν καὶ γνῶσιν δίδαξόν με, ὅτι ταῖς ἐντολαῖς σου ἐπίστευσα, (Ps 118[119],66) Tu m’as enseigné la bonté 59 et l’instruction et la connaissance, car j’ai confiance en tes commandements.

Bien que la collocation διδάσκω παιδείαν apparaisse dans la littérature classique, deux raisons mettent en doute qu’on puisse associer à παιδεία une signification classique : 1. le contexte du Psaume traite du serviteur du Seigneur60 qui est humilié61. Cela pointe vers une correction coercitive. 2. le mot ‫ ְטעַם‬, surtout en araméen, signifie « décret », « commandement », particulièrement quand il provient d’un roi62. La signification hébraïque de cette racine, « goûter » n’est pas inconnue au traducteur des Psaumes63. Ici, le traducteur, ou un transmetteur de la Vorlage, aurait fait le choix d’une signification « araméenne », en donnant à ‫ מוּסָר‬une signification proche de « instruction » qu’on retrouve probablement dans le livre des Proverbes et

57

Cf Ps44[45],5 ; 131[132],1, SiA 4,8 ; 10,28. BONS, « Die Septuaginta-Psalter », 460–461. 59 La Vorlage de la Septante possédait certainement un ‫ ו‬après ‫טוב‬, lecture confirmée par la Peshitta. 60 Ps 118[119],65. Voir aussi F. DIEDRICH, « Lehre mich, Jahwe! Überlegungen zu einer Gebetsbitte in den Psalmen », Die alttestamentliche Botschaft als Wegweisung. Festschrift für Heinz Reinelt (éd. par J. Zmijewski, Stuttgart : Katholisches Bibelwerk, 1990), 67. 61 Ταπεινόω. 62 e.g. Dn 3,29 ; 4,2. 63 Cf. Ps 33,9, Cf. LXX.D.EK. 58

Chapitre 4 : Quand un mot de la famille de παιδεύω ne correspond pas à ‫יסר‬

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plus sûrement dans le Siracide 64 . Ce point est également confirmé par l’expression χρηστὸς εἶ σύ, κύριε, καὶ ἐν τῇ χρηστότητί σου δίδαξόν με τὰ δικαιώματά σου du verset 68. Ce que Dieu enseigne, ce sont ses commandements. Le cas du Ps 140[141],5 est intéressant car il suggère une harmonisation avec ‫ יַכָח‬: ‫י ֶ ֶה ְל ֵמנִי־צַדִּ יק ֶחסֶד וְי ֹוכִי ֵחנִי‬ Que le juste me frappe justement et me reprenne ! παιδεύσει με δίκαιος ἐν ἐλέει καὶ ἐλέγξει με (Ps 140[141],5) Un juste me corrigera avec pitié et me réprimandera.

La Septante interprète ‫ ֶחסֶד‬de manière adverbiale, peut être sa Vorlage comportait-elle ‫ ב‬devant ce substantif. Le verbe ‫ ַהלָם‬signifie « frapper ». Il apparaît huit fois dans le TM déployant les nuances liés au marteau que ce soit le travail du forgeron (Is 41,7) au fait d’être fracassé (Ps 74,6) jusqu’à la métaphore de l’ivresse (Is 28,1). Le Psaume dans sa version massorétique pose des problèmes d’interprétation qui sont facilités dans la Septante. Ce Psaume est un appel à Dieu pour éviter de glisser vers le péché. Le psalmiste marque alors sa préférence pour la correction plutôt que pour les honneurs. En effet, il poursuit : ἔλαιον δὲ ἁμαρτωλοῦ μὴ λιπανάτω τὴν κεφαλὴν μου (Ps 140[141],5) Que l’huile du pécheur n’oigne pas ma tête.

Car il sait que le juste65 le corrigera « en pitié ». On peut faire référence à Ps 6,2 et Ps 37[38],2. Néanmoins, l’image est nouvelle, on ne retrouve l’association de παιδεύω et de ἔλεος qu’en Si 18,1366, Sg 11,9 et 2 M 6,16, à chaque fois en relation avec Dieu. La pitié est le sentiment divin qui le pousse à corriger son peuple pour éviter qu’il ne tombe dans le péché. Il existe plusieurs cas où les mots de la famille de παιδεύω correspondent à un mot du TM exprimant un châtiment ou une humiliation sans connotation éducative.

64

e.g. Pr 4,1 ou SiB 50,27, voir p. 112. Est-ce Dieu ? Le Psaume n’impose pas cette interprétation, Il peut s’agir simplement d’un homme juste. 66 Dont nous n’avons malheureusement aucun témoin de l’hébreu. 65

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b. Joseph et les princes (Ps 104[105],22) Le Psaume 104[105],22 loue Joseph et déclare que Pharaon l’établit seigneur sur sa maison « pour qu’il lie (‫ » )לֶאְ ס ֹר‬les princes à sa personne. La Septante indique « pour qu’il corrige (τοῦ παιδεῦσαι) ». ‫ֶל ְאס ֹר שׂ ָָריו ְבּנַפְשׁוֹ‬ Pour lier les princes à sa personne τοῦ παιδεῦσαι τοὺς ἄρχοντας αὐτοῦ ὡς ἑαυτὸν Pour qu’il corrige ses princes comme lui-même

La source de la différence entre le TM et la LXX provient de la difficulté à discerner entre les mots de racine ‫ אסר‬et ceux de la racine ‫יסר‬. La Septante semble mettre l’accent sur la formation, voire l’éducation que donne Joseph aux princes et qui leur permet d’être sages67. Ce passage serait l’un des rares de la Septante où παιδεύω possède une réelle nuance éducative. Pourtant, rien dans le passage n’est réellement étranger au monde du TM. Le parallélisme entre ‫יסר‬ et ‫ חכם‬se retrouve notamment dans le livre des Proverbes 68 . Le fait qu’une personne « corrige » pour rendre quelqu’un sage peut aussi se trouver en Job 4,3. De fait, il peut tout à fait y avoir ici une réminiscence du sens II de ‫יָסַר‬69. Auquel cas la Vorlage supposée par la Septante pourrait être originale70. c. La division du royaume (2 Par [2 Ch] 10,11) Le passage des Chroniques qui relate la division du royaume recèle trois occurrences du verbe qui ne correspondent pas au TM mais qui sont vraisemblablement conçues comme correspondantes à la racine ‫יסר‬. Tout d’abord, dans son discours au peuple, Roboam fait l’économie de deux formes de ‫ יָסַר‬dans le TM des livres des Chroniques probablement pour éviter la répétition. La version du livre des Rois possède l’intégralité des verbes. Ces formes sont données par la Septante du livre des Chroniques qui propose παιδεύω dans les deux cas. ‫( אָבִי יִסַּר אֶתְ כֶם בַּשּׁ ֹוטִים וַאֲ נִי ֲאיַסֵּר אֶתְ כֶם ָבּעַקְ ַרבִּים‬1 R 12,11) ‫( אָבִי יִסַּר אֶתְ כֶם בַּשּׁ ֹוטִים וַאֲ נִי ָבּעֲקְ ַרבִּים‬2 Ch 10,11)

67

LXX.D.EK ou encore HALOT suggère même que la Septante posséderait la racine ‫יסר‬. Cette hypothèse est renforcée par la Peshitta. Cependant Aquila a bien lu la racine ‫ אסר‬qu’il rend avec τοῦ δῆσαι, « pour lier ». 68 e.g. Pr 13,1. 69 Voir p. 78–80. 70 Cf. LXX.D.EK.

Chapitre 4 : Quand un mot de la famille de παιδεύω ne correspond pas à ‫יסר‬

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ὁ πατήρ μου ἐπαίδευσεν ὑμᾶς ἐν μάστιγξιν, ἐγὼ δὲ παιδεύσω ὑμᾶς ἐν σκορπίοις (3 R[1 R] 12,11) ὁ πατήρ μου ἐπαίδευσεν ὑμᾶς ἐν μάστιγξιν καὶ ἐγὼ παιδεύσω ὑμᾶς ἐν σκορπίοις (2 Par[2 Ch] 10,11)

La différence entre ἐγὼ δὲ en 3 R[1 R] 12,11 et καὶ ἐγὼ en 2 Par[2 Ch] 10,11 suggère une indépendance de traduction. Il est donc probable que l’intégralité des verbes παιδεύω correspondait à une racine ‫ יסר‬dans la Vorlage. Ensuite en 2 Par[2 Ch] 10,11, παιδεύω apparaît une fois de plus qu’en 3 R[1 R] 12,11. καὶ νῦν ὁ πατήρ μου ἐπαίδευσεν ὑμᾶς ζυγῷ βαρεῖ καὶ ἐγὼ προσθήσω ἐπὶ τὸν ζυγὸν ὑμῶν, ὁ πατήρ μου ἐπαίδευσεν ὑμᾶς ἐν μάστιγξιν καὶ ἐγὼ παιδεύσω ὑμᾶς ἐν σκορπίοις (2 Par [2 Ch] 10,11) Et maintenant, mon père vous a opprimés avec un lourd joug et moi je rajouterai sur votre joug, mon père vous a opprimés par des fouets et moi je vous opprimerai par des scorpions.

La première occurrence du verbe παιδεύω correspond au verbe ‫ ָעמַס‬. Il est probable que le traducteur des Chroniques ne connaissait pas cette racine, tout comme celui d’Isaïe. Ils ont tous deux choisi de faire correspondre παιδεύω à cette racine mais pour des raisons différentes71. La Septante du livre des Chroniques montre des occurrences du verbe παιδεύω qui sont conformes avec l’usage de ‫ יָסַר‬quand il désigne une violence oppressive de la part d’un roi. d. La punition établie par Esdras (2 Esd 7,26) En 2 Esdras 7,26, Artaxerxès donne pouvoir à Esdras de désigner des juges pour rendre la Justice selon la loi de son dieu. Ceux qui ne la respecteraient pas devraient subir une peine que le TM liste ainsi : ‫סוּרין‬ ִ ‫הֵן לְמוֹת הֵן לִשְׁ ר ֹשִׁ י הֵן־ ַל ֲענָשׁ נִ ְכסִין ְו ֶל ֱא‬ Soit la mort, soit la bastonnade, soit une amende et la prison.

La Septante, dans le deuxième livre d’Esdras, traduit par : ἐάν τε εἰς θάνατον ἐάν τε εἰς παιδείαν ἐάν τε εἰς ζημίαν τοῦ βίου ἐὰν τε εἰς δεσμά (2 Esd 7,26) Soit pour la mort, soit pour une punition soit pour une amende de vie soit pour la prison.

71

Voir p. 320, n. 253.

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Toutes les peines décrites par la Septante correspondent à leur équivalent hébreu72, sauf παιδεία dont c’est la seule occurrence correspondant à ‫שׁי‬ ִ ‫שׁר‬ ְ . Ce terme est araméen, sa racine ‫ שׁרשׁ‬signifie « racine ». Le substantif signifierait ici « déracinement » d’où « exil »73. Que παιδεία ne possède pas cette nuance d’exil est confirmé par le passage synoptique du premier Livre d’Esdras, qui donne : ἐάν τε καὶ θανάτῳ ἐάν τε καὶ τιμωρίᾳ ἢ ἀργυρικῇ ζημίᾳ ἢ ἀπαγωγῇ (1 Es 8,24) Soit pour la mort soit pour une punition : ou une amende ou la séparation74.

Les structures des peines dans le TM en 1 Esdras et 2 Esdras sont différentes. Alors qu’en 2 Esd 7,26, toutes les punitions sont traitées de la même manière, introduites par ἐάν τε εἰς, le TM, en les liant par la conjonction de coordination ‫ ְו‬, fait de l’amende et la prison une seule « double » peine75. De son coté, 1 Esd 8,24 possède une structure qui explicite le τιμωρία par les deux termes suivants : la juste peine consiste en une amende ou une séparation76. Il est peu probable que τιμωρία puisse recouvrir la notion de bannissement. En effet, en JgA 5,14, on trouve l’équivalence entre la racine ‫ שׁרשׁ‬et le verbe τιμωρέω77. Cela signifie que la racine ‫ שׁרשׁ‬possède une nuance de châtiment. Cette signification proviendrait du fait que l’instrument donnant cette punition ait pu être désigné par ce terme de « racine »78. Dogniez79 rappelle que dans la Septante, les mots de la famille de τιμωρέω expriment « un juste châtiment

72 La « vie » accolée à ζημία est peut-être à traduire par « subsistance », voir A. CANESSA, « Études sur la Bible grecque des Septante: 1 Esdras » (Thèse de doctorat, Université de Provence, 1996), 270. 73 Cf. Jastrow, voir également la traduction de la Vulgate : sive in exilium. 74 CANESSA, « Études », 270 choisit « emprisonnement » du fait de la correspondance en Is 10,4 (et donc également en Is 14,17, voir LXX.D.EK) et en Si 38,19. Cependant, dans ces deux références, le terme est ἐπαγωγή, et le préverbe ἀπο- traduit bien la séparation. Cette séparation peut être réalisée par emprisonnement ou par bannissement. C’est cette dernière nuance que la Vieille Latine a prise (CANESSA, « Études », 270). Je choisis « séparation » pour garder la question ouverte. 75 La première peine étant la mort, il est peu probable que la conjonction de coordination soit à mettre en relation avec l’intégralité des peines. 76 M. BIRD, 1 Esdras. Introduction and Commentary on the Greek Text in Codex Vaticanus (SCS, Leyde : Brill, 2012), 242. 77 Le traducteur a probablement fait une erreur d’interprétation, voir LXX.D.EK. JgB 5,14 propose ἐκριζόω. 78 Pace P. HARLE, Les Juges (BA 7, Paris : Cerf, 1999), 120 qui estime que le traducteur a correctement vu la relation entre la racine ‫ שׁרשׁ‬et l’exil, vue comme punition. 79 C. DOGNIEZ, « La vengeance divine dans la Septante », Eukarpa. Études sur la bible et ses exégètes (éd. par M. Loubet et D. Pralon, Paris, Cerf, 2011), 87.

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infligé à celui qui a commis le mal »80 davantage que la nuance de vengeance. Dans ce contexte, παιδεία désigne légitimement81 une punition, de même que παιδεύω en Dt 22,18. L’apparition s’explique par le fait qu’à l’instrument de punition en hébreu correspond en grec le nom de la peine82. e. Le bâton-châtiment (Job 37,13) En Job 37,13, on trouve une mention de παιδεία qui s’explique de la même manière qu’en 2 Esd 7,2683. Dans le quatrième discours d’Élihu, ce dernier loue l’action de Dieu qui fait se mouvoir l’air (Job 37,13) : ‫ְאַרצוֹ ִאם־ ְל ֶחסֶד י ַ ְמ ִצאֵהוּ‬ ְ ‫אִ ם־לְשֵׁ בֶט אִם־ל‬ Soit pour le bâton, soit pour sa terre soit pour la pitié il les trouvera.

Un passage sous astérisque du livre de Job correspond à ce passage84: ἐὰν εἰς παιδείαν, ἐὰν εἰς τὴν γῆν αὐτοῦ ἐὰν εἰς ἔλεος εὑρήσει αὐτόν (Job 37,13) Soit pour le châtiment, soit pour sa terre, soit pour la pitié, il le trouvera.

Ici, le traducteur semble suivre assez fidèlement son Vorlage. Le sens, opposé ici à ἔλεος, est le châtiment. Il n’est pas possible de déterminer si c’est le traducteur qui effectue ce changement ou si la Vorlage possédait ‫מוּסָר‬. Mais, ici comme en 2 Es 7,26, un instrument de punition a été désigné comme παιδεία. f. L’action de grâce de David (2 R[2 S] 22,48) L’action de grâce de David se situe en deux passages dans la Bible : 2 R[2 S] 22 et Ps 17[18]. Les versions de la Septante ne sont pas identiques et ne semblent pas pouvoir dériver l’une de l’autre85. 2 R[2 S] 22,48 possède une occurrence de παιδεύω, tandis que Ps 17[18],36 propose παιδεία. Le premier de ces cas donne à une connotation violente sans perspective corrective. En revanche, le Psaume suggère une nuance qui fait se lier en Dieu une action punitive et une action de salut.

80

Voir également CANESSA, « Études », 271 qui y voit un « terme générique ». Il n’y a pas besoin d’y voir une erreur de la part du traducteur, pace CANESSA, « Études », 271. L’interprétation de T. JANZ, Deuxième livre d’Esdras (BA 11.2, Paris : Cerf, 2010), 231 est « correction ». 82 Voir la correspondance entre ‫שׁבֶט‬ ֵ et παιδεία en Job 37,13. 83 Voir paragraphe précédent. 84 Stricto sensu, seul ἐὰν εἰς παιδείαν, ἐὰν εἰς τὴν γῆν αὐτοῦ est marqué du signe de l’astérisque. 85 Voir par exemple LXX.D.EK, 2, 1537. 81

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Pour 2 R[2 S] 22,48, le TM utilise le participe présent hiphil du verbe ‫י ַָרד‬, « faire descendre ». Cela signifie que Dieu accorde la vengeance au roi et qu’il abaisse les peuples devant lui. La Septante utilise le participe présent de παιδεύω : ἰσχυρὸς κύριος ὁ διδοὺς ἐκδικήσεις ἐμοί, παιδεύων λαοὺς ὑποκάτω μου (2 R[2 S]22,48) Puissant est le Seigneur qui me donne vengeance, (qui) soumet les peuples sous moi.

Ps 17[18],48 suggère ὑποτάσσω. Il est vraisemblable que les deux traducteurs86 ont reconnu une forme du verbe ‫ ָרדַ ד‬ou ‫רדָ ה‬. ָ L’interprétation de Ps 17[18] est confirmée par Ps 143[144],287, tandis que celle de 2 R[2 S] 22,48 se rapproche des réviseurs qui ont utilisé παιδεύω pour rendre ‫ ָרדָ ה‬88. Ce verbe, en hébreu comme en araméen possède un sens de subduction, ce qui témoigne que la nuance oppressive de ‫ יָסַר‬et de παιδεύω s’est maintenue assez longtemps. Plus précisément, dans le champ sémantique de la racine ‫יסר‬, ce qui est premier est la relation d’autorité qu’exerce celui qui fait l’action sur celui qui la subit. g. « Qui aime bien châtie bien » (Proverbes 3,11–12) La Septante de Pr 3,11–12 marque un changement de perspective qui rapproche ce passage de Job 5,17–18. Par rapport au TM, la Septante met l’accent sur la correction corporelle et la violence. Υἱέ, μὴ ὀλιγώρει παιδείας κυρίου μηδὲ ἐκλύου ὑπʼαὐτοῦ ἐλεγχόμενος Fils, ne méprise pas la correction du Seigneur ni ne sois fatigué étant sermonné par lui. ὃν γὰρ ἀγαπᾷ κύριος παιδεύει, μαστιγοῖ δὲ πάντα υἱὸν ὃν παραδέχεται En effet, celui que le Seigneur aime, il le corrige, et il fouette tout fils qu’il agrée.

La critique textuelle89 ne concerne que le remplacement de παιδεύει par ἐλέγχει dans le Codex Vaticanus. La possibilité que la Vorlage de la Septante possédât un mot de la racine ‫ יסר‬est confirmée par la Peshitta et par le Targum qui

86 La version antiochienne donne une forme de ταπεινόω. Ce verbe ne correspond jamais dans la Septante à la racine ‫ ירד‬ou ‫רדה‬. Il faudrait cependant vérifier l’ensemble du corpus antiochien, ce qui dépasse le cadre de cette thèse (un rapide examen de IGHTA montre qu’il n’offre pas d’occurrences complémentaires des mots de la famille de παιδεύω dans les livres historiques par rapport à l’édition de Ra.). 87 Cf. LXX.D.EK. 88 Voir p. 229, n. 8. 89 En l’absence d’autres éditions critiques du livre des Proverbes, l’étude des variantes s’est basée sur Ra.

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comportent tous deux le verbe ‫רדָ א‬. ְ La leçon du Vaticanus est donc très probablement une révision vers le TM90. Un certain nombre de caractéristiques de ces deux versets diffère de ce qu’on pourrait attendre d’une traduction littérale du TM. Ainsi, la Septante place παιδείας κυρίου en milieu de phrase et Υἱέ en début, alors que le TM effectue l’inverse91. La différence la plus spectaculaire est la disparition de la comparaison avec un père. Ainsi, les deux versets sont placés sous l’égide de Dieu. Il ne semble pas être possible de suivre la thèse de Kaminka92 qui voit dans le targum des Proverbes une source pour la Vorlage de la Septante. Le targum donne : ‫והיך אבא דרדי לבריה‬ Et comme un père qui corrige son fils.

Pour Kaminka93, la notion de correction94 dérive d’une mauvaise lecture de la forme hébraïque ‫י ְִרצֶה‬.95 Outre la critique qui peut être faite sur la datation des targumim 96 , on peut objecter que la disparition de la forme ‫ י ְִרצֶה‬est plus facilement expliquée par un accident de transmission tandis que l’apparition de ‫ דרדי‬est plus probablement liée au fait que PrTM 3,12 ne comporte pas de verbe et exige, implicitement, la présence de ‫יָכַח‬97. C’est probablement l’absence de verbe et la présence de la conjonction ‫וּ‬ devant ‫ ְכּ‬qui a produit la traduction de la LXX98. En effet, le TM possède ‫וּכְאָב‬, « comme un père » tandis que la Septante a rattaché cette forme au verbe ‫כָּאַב‬99. 90 Cf. aussi M. KARRER et J. DE VRIES, « die Schriftzitate im ersten Christentum und die Textgeschichte der Septuaginta : Ein Wuppertaler Forschungsprojekt », Text-Critical and Hermeneutical Studies in the Septuagint (éd. par J. Cook et H.-J. Stipp, SVT 157, Leyde : Brill, 2012), 332–334. 91 Voir FITZGERALD, « Proverbs 3:11–12 », 308–309 qui attribue ce changement au traducteur qui aurait mis plus d’emphase sur la personne à qui s’adresse les Proverbes. 92 KAMINKA, « Septuaginta und Targum zu Proverbia », HUCA 8–9 (1931–1932), 169–191. 93 KAMINKA, « Septuaginta », 179. 94 Portée par le verbe ‫רדָ א‬.ְ 95 Ce qui expliquerait la disparition dans le targum de la mention de l’amour que porte le père pour son fils. 96 FITZGERALD, « Proverbs 3:11–12 », 310–311, n.79. 97 Il n’est pas nécessaire de faire appel à la Septante pour expliquer le targum comme le fait GERLEMAN, Studies, 3, 46–47. L’absence de verbe dans le TM a également conduit HAIS, s.v. ‫ יָכַח‬hiphil à rattacher μαστιγόω au verbe ‫יָכַח‬, cette possibilité échoue à expliquer la disparition de la comparaison au père et force le lien entre ‫ יָכַח‬et μαστιγόω : traduire ‫ יָכַח‬par μαστιγόω impliquerait une interprétation violente du verbe hébreu qu’il ne semble pas posséder. En revanche, cette idée est valable pour expliquer la leçon ἐλέγξει proposée par le matériel hexaplaire (Field). 98 Voir par exemple BAUMGARTNER, Étude critique, 46. 99 La Vorlage possédait peut-être la forme ‫יכאב‬, mais le maintien du ‫ ו‬est également possible (Cf. FITZGERALD, « Proverbs 3:11–12 », 310), la différence fondamentale portant sur

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Pour Prijs, la LXX pourrait refléter un état original100. En fait, cette hypothèse est difficile à montrer. Il semble que le contexte soit plus en accord avec l’interprétation du TM. Cependant, l’intertextualité avec Job 5,17–18 est probablement le signe que l’interprétation de la Septante provient de sa Vorlage. Elle serait donc fort ancienne. La séquence ὑπʼαὐτοῦ ἐλεγχόμενος « sermonné par lui101 », correspond au TM ‫ « בְּתוֹ ַכחְתּוֹ‬par ses reproches ». Le changement de structure n’affecte pas le sens et il n’est pas évident de reconstruire une Vorlage simple de la Septante. Il est donc probable que cette différence soit due au traducteur. On peut rapprocher cette traduction de Pr 13,24 ; 23,13 où le verbe παιδεύω correspond au substantif ‫מוּסָר‬. On peut enfin noter des choix lexicaux très originaux : ὀλιγωρέω102 pour ‫מָאַס‬, ἐκλύω pour ‫קוּץ‬103 et παραδέχομαι pour ‫ ָרצָה‬104.

3. Les passages οù le prophète annonce la παιδεία divine La Septante donne au moins trois et peut-être quatre occurrences du terme παιδεία qui font référence à un discours oral porté par les prophètes. Cette utilisation ne traduit pas une influence de l’esprit hellénique. En effet, elle trouve sa racine dans la tradition juive, notamment chez le prophète Jérémie105. De plus, elle ne correspond pas à un usage du grec hellénistique qui n’offre pas d’exemple du mot παιδεία compris comme un discours oral 106 . Les trois premiers exemples étudiés, Am 3,7, Ha 1,12 et Ez 13,9, comportent de plus la particularité suivante : les mots hébreux correspondant à παιδεία comprennent la suite de lettres ‫סד‬, que ce soit le mot ‫סוֹד‬107, ou le verbe ‫יָסַד‬108.

l’interprétation de la conjugaison. Voir aussi A. BÖCKLER, « Keine väterliche Züchtigung! Zur Exegese von Prov 3,12b », BN 96 (1999), 13–14. 100 PRIJS, Jüdische Tradition, 40–41. 101 ὑπʼαὐτοῦ est associé à ἐλεγχόμενος plutôt qu’à ἐκλύου, car ce dernier verbe possède un passif à sens actif (BAGD). 102 Hapax legomenon de la Septante. 103 Seule fois que les deux verbes sont en correspondance. 104 Ces deux verbes sont aussi en correspondance en Ex 23,1. 105 Jr 7,28 ; 35,13–15. 106 Ceci ne signifie pas que, du point de vue de la réalité, l’éducation d’une personne ne passe pas par une relation orale avec un maître. Cependant, du point de vue lexicographique, παιδεία ne désigne pas un discours oral, il n’est ainsi jamais régi par un verbe signifiant « entendre » (Cf. p. 156). 107 Am 3,7 et Ez 13,9. 108 Ha 1,12.

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a. Amos 3,7 En AmTM 3,7, Amos avertit ses contemporains sur le thème de : « il n’y a pas de fumée sans feu ». Il prend une série d’images : deux hommes vont ensemble que s’ils l’ont voulu, un lion rugit uniquement s’il a une proie, un oiseau ne tombe dans un piège que s’il y a un appât… : ‫כִּי א י ַ ֲעשֶׂה אֲדֹנָי י ְהוִה דָּ בָר כִּי ִאם־ ָגּלָה ס ֹוד ֹו אֶל־ ֲעבָדָ יו ַהנְּבִיאִים‬ Car le Seigneur YHWH ne fait aucune chose sans révéler son plan à ses serviteurs les prophètes.

La Septante propose une version légèrement différente : διότι οὐ μὴ ποιήσῃ κύριος ὁ θεὸς πρᾶγμα, ἐὰν μὴ ἀποκαλύψῃ παιδείαν109 πρὸς τοὺς δούλους αὐτοῦ τοὺς προφήτας (Am 3,7) Car Seigneur le Dieu ne fait aucune chose, s’il n’a révélé 110 une remontrance à ses serviteurs les prophètes.

Le texte grec ne possède pas de variantes particulières, hormis la disparition de αὐτοῦ dans certains manuscrits. Cette disparition éloigne la Septante du TM (‫ )ס ֹוד ֹו‬et serait donc à préférer111. Le texte grec suit sa Vorlage d’assez près112. L’utilisation de παιδεία signifie alors que celle-ci possédait selon toute vraisemblance le squelette ‫ מוסר‬ou ‫ יסור‬au lieu de ‫סודו‬113. Il est vrai que ‫ סוֹד‬est un mot qui a posé des soucis aux traducteurs. Il apparaît une vingtaine de fois dans le TM avec plus d’une dizaine de correspondants grecs 114 . En hébreu, il possède les deux nuances de « conseil » que ce mot possède en français : l’avis et l’assemblée. Il est bien sûr possible d’envisager que la Vorlage ait possédé la leçon ‫מוּסָר‬. Cependant, la présence de la même correspondance en Ez 13,9 suggère une autre piste : qu’il s’agisse de la Vorlage ou du travail de traduction, ces différences traduisent un réel courant 109

Ra. rajoute αὐτοῦ. Le verbe ἀποκαλύπτω est utilisé dans la Septante pour désigner la découverte d’objets concrets ou la révélation de discours profane plutôt que la révélation de mystères divins, voir C. BROWN, « Revelation », NIDNTT 3 (1967), 311 qui cite la narration de Balaam (Nb 22,31 ; 24,4.16), l’autorévélation de Dieu à Samuel (1 R[1 S] 3,1.7). Le verbe ἀποκαλύπτω correspond cependant régulièrement à ‫ ָגּלָה‬, cette constatation correspond donc surtout au champ sémantique de ce verbe hébreu dont Dieu est peu le sujet. Cf. R. ALBERTZ ET C. WESTERMANN, « ‫ גלה‬glh aufdecken », THAT 1 (1984), 423. 111 E. BONS et J. DINES, Les douze prophètes. Amos (BA 23.2, Paris : Cerf, à venir). 112 Ainsi, la préposition πρὸς, là où on attendrait plutôt le datif (BONS et DINES, Les douze Prophètes. Amos, à venir). 113 A. GELSTON, « Some Hebrew Misreadings in the Septuagint of Amos », VT 52 (2002), 495. 114 Voir HAIS et HRCS. 110

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interprétatif qui attribue aux prophètes le rôle de porte-parole de la paideia divine. Ainsi Glenny envisage qu’il s’agit d’une interprétation du traducteur grec, potentiellement en lien avec la force que le mot παιδεία pouvait avoir dans le monde grec 115 . En désaccord, Arietti 116 ne voit dans cette utilisation de παιδεία aucun lien avec ce monde. Il avertit le prophète par avance de la mesure de coercition qu’il envisage d’envoyer vers son peuple117. Cette interprétation semble confirmée par l’utilisation de παιδεία comme discours oral118. b. Habacuc 1,12 Un autre cas de confusion est la proximité graphique entre la racine ‫ יסד‬et ‫יסר‬. Il se situe en Ha 1,12. Celui-ci décrit le peuple de Chaldée qui va détruire son peuple. Le prophète explique que : ‫שׂמְתּוֹ‬ ַ ‫שׁפָּט‬ ְ ‫י ְהוָה ְל ִמ‬ ‫וְצוּר לְהוֹכִי ַח יְסַדְ תּוֹ‬ YHWH, pour un jugement, tu l’as établi ; Rocher, pour un reproche, tu l’as affermi.

Dans le TM, Dieu a confié au peuple Chaldéen la mission de punir le sien. Le traducteur grec change la signification : κύριε, εἰς κρίμα τέταχας αὐτόν καὶ ἔπλασέ με τοῦ ἐλέγχειν παιδείαν αὐτοῦ Seigneur, pour un jugement tu l’as placé et il m’a façonné pour témoigner de sa remontrance.

Harl propose une longue note sur ce changement qui lui semble majeur119. Le TM interprète les deux membres comme s’appliquant à l’envahisseur. Dans la Septante, au contraire, on observe une rupture de personne puisque le sujet passe de la deuxième à la troisième personne du singulier. L’irruption de la 115 W.E. GLENNY, « Hebrew Misreadings or Free Translation in the Septuagint of Amos? », VT 57 (2007), 530 suggère de comparer avec Ez 13,9 et IBID., Finding Meaning in the Text : Translation Technique and Theology in the Septuagint of Amos (SVT 126, Leyde : Brill, 2009), 248, adopte le point de vue de A.W. PARK, The Book of Amos as Composed and Read in Antiquity (Studies in Biblical Literature 37, New York : Peter Lang, 2001), 147 pour qui le traducteur a souhaité expliciter le contenu du conseil exprimé par ‫סוֹד‬. De même, BONS et DINES, Les douze Prophètes. Amos, à venir, d’affirmer avec raison que l’explication graphique ne suffit pas expliquer le sens nouveau qu’introduit le texte de la Septante. 116 J.A. ARIETTI, « The Vocabulary of Septuagint Amos », JBL 93 (1974), 346. 117 Voir aussi J.M. DINES, « The Septuagint of Amos. A Study in Interpretation » (thèse de doctorat, Université de Londres, College Heythrop, 1991), 314, n.10 qui suggère que παιδεία désigne les leçons du passé rappelées par les prophètes. 118 Voir p. 247. 119 HARL, DOGNIEZ et BROTTIER, Les douze prophètes. Joël, 238.243.268–269.

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première personne du singulier, με, permet d’appliquer au prophète le rôle qui était attribué au peuple envahisseur. Le TM interprète le squelette ‫ וצור‬comme un ‫ ו‬suivi du nom ‫ « צוּר‬rocher ». La Septante l’interprète comme dérivant du verbe ‫יַצָר‬, « former ». Il est probable que le fait que la Septante n’ait pas voulu lire le substantif ‫ צוּר‬soit dû à ce que celle-ci évite toujours de rendre littéralement la métaphore divine du rocher120. La forme ‫ יְסַדְ תּ ֹו‬se rattache normalement à la racine ‫יסד‬, « fonder ». Le traducteur grec a plutôt vu la racine ‫ יסר‬et a traduit un verbe par un nom, comme il l’effectue régulièrement 121 . De manière analogue à Am 3,7, il est possible que le traducteur grec ait lu le substantif ‫סוד‬122. Harl remarque que l’expression τοῦ ἐλέγχειν παιδείαν αὐτοῦ est unique dans la Septante. Elle propose que παιδείαν soit comme une « double traduction » : un rajout pléonastique à cause de la proximité entre les mots de la famille de ἐλέγχω et ceux de la famille de παιδεύω. L’éducation est à comprendre, rajoutet-elle, non comme l’éducation grecque mais comme une correction du pécheur par son châtiment. Pour sa traduction, elle choisit cependant une autre signification du verbe ἐλέγχω : « attester, prouver ». En effet, dans le sens de « reprocher », ἐλέγχω ne possède pas comme sujet autre chose qu’un animé. Selon Harl, le prophète est chargé d’expliquer et de justifier le bien-fondé du châtiment divin123. En fait, la proximité du champ sémantique de ἐλέγχω et παιδεύω suggère que la signification de ἐλέγχω soit proche de « faire un 120 Voir J.A.E. MULRONEY, « Rethinking Habakuk 1:12 in Light of Translation Style and the Literary Character of Ambakoum », JSCS 45 (2012), 90, n. 32, et surtout S. OLOFSSON, God is my Rock: a Study of Translation Technique and Theological Exegesis in the Septuagint (Coniectanea biblica: Old Testament series 31, Stockholm : Almqvist & Wiksell, 1990), 37, qui rapproche le choix de πλάσσω avec la traduction lucianique de ‫ צור‬en tant qu’épithète divine par πλάστης. Il indique cependant que la confusion avec la forme verbale est plus probable. Voir également M.K.H. PETERS, « Revisiting the Rock: Tsur as a Translation of Elohim in Deuteronomy and Beyond », Text-Critical and Hermeneutical Studies in the Septuagint (éd. J. Cook et H.-J. Stipp, SVT 157, Leyde : Brill, 2012), 48 qui confirme la confusion avec le verbe ‫יצר‬, et en profite pour mettre en doute la thèse d’Olofsson. Les traducteurs grecs n’ont pas tenté d’éviter la métaphore parce que, selon Peters, celle-ci n’est apparue en hébreu qu’après la traduction de la Septante. 121 HARL, DOGNIEZ et BROTTIER, Les douze prophètes. Joël, 242. 122 Ibid., 269, A. VAN DER KOOIJ, « Textual Witnesses to the Hebrew Bible and the History of Reception. The Case of Habakkuk 1:11–12 », Die Textfunde vom Toten Meer und der Text der Hebräischen Bibel (éd. par U. Dahmen, A. Lange et H. Lichtenberger, Neukirchen–Vluyn : Neukirchener, 2000), 99–100 et LXX.D.EK. 123 HARL, DOGNIEZ et BROTTIER, Les douze prophètes. Joël, 239, voir aussi NETS qui traduit « and he has formed me to examine his chastening » et MSL, s.v. ἐλέγχω qui suggère la signification suivante : « to demonstrate verbally the virtue, justice, or efficacy of » que se partagerait Ha 1,12 et Is 11,4. Voir enfin D. CLEAVER-BARTHOLOMEW, « One Text, Two Interpretations : Habakkuk OG and MT Compared », BIOSCS 42 (2009), 59 qui reconnaît que le texte de la Septante insiste sur le rôle du prophète, chargé d’annoncer, ou d’authentifier le message divin.

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discours moralisateur ». Le problème de cette interprétation est de placer un inanimé comme objet d’ἐλέγχω, ce qui n’est jamais le cas lorsqu’il est associé avec παιδεύω/παιδεία. Van der Kooij suggère prudemment, sur la base de la traduction de ce passage par Jérôme124, qu’il pourrait signifier « il m’a formé pour argumenter contre son enseignement », sous-entendu l’enseignement de l’ennemi. Peutêtre, dans ce cas, pourrait-on parler du châtiment causé par l’ennemi, car le contexte ne donne pas d’éléments permettant de penser que l’ennemi apporte autre chose que la dévastation. À mon sens, l’ensemble de ces interprétations peine à rendre compte la proximité de ἐλέγχω et de παιδεία. La structure grammaticale permettrait peutêtre de comprendre παιδεία comme le sujet du verbe ἐλέγχω : ce serait le reproche (παιδεία), implicitement porté par le prophète, qui accuse le peuple. Un inanimé est rarement sujet de ἐλέγχω mais on trouve quelques exemples dans la Septante125. Le prophète n’a pas tant un rôle de pédagogue126 que de porte-parole : il a été formé pour permettre à Dieu d’accuser son peuple. Il s’agit d’une signification proche d’Am 3,7. c. Ézéchiel 13,9 Dans le livre du prophète Ézéchiel, ce dernier se fâche contre les faux prophètes, il menace. Ces faux prophètes n’appartiendront pas au conseil du peuple : ‫שׁוְא ְוהַקֹּסְמִ ים ָכּז ָב בְּסוֹד עַמִּ י א־יִהְיוּ וּ ִבכְתָ ב בֵּית־יִשׂ ְָראֵל א‬ ָ ‫ְו ָהי ְתָ ה י ָדִ י ֶאל־ ַהנְּבִיאִים הַחֹז ִים‬ ‫יִכָּתֵ בוּ ְואֶל־אַדְ מַת יִשׂ ְָראֵל א י ָב ֹאוּ וִידַ עְתֶּ ם כִּי אֲ נִי אֲ דֹנָי י ְהוִה‬ Et ma main sera sur les prophètes qui ne voient rien et qui prédisent des mensonges, dans le conseil de mon peuple, ils ne seront pas (présents) et dans le livre de la maison d’Israël, ils ne seront pas inscrits, et vers le territoire d’Israël, ils ne viendront pas et vous saurez que moi (je suis) le seigneur YHWH. καὶ ἐκτενῶ τὴν χεῖρά μου ἐπὶ τοὺς προφήτας τοὺς ὁρῶντας ψευδῆ καὶ τοὺς ἀποφθεγγομένους μάταια· ἐν παιδείᾳ τοῦ λαοῦ μου οὐκ ἔσονται οὐδὲ ἐν γραφῇ οἴκου Ισραηλ οὐ γραφήσονται καὶ εἰς τὴν γῆν τοῦ Ισραηλ οὐκ εἰσελεύσονται· καὶ γνώσονται διότι ἐγὼ κύριος (Ez 13,9) Et j’étendrai ma main vers les prophètes qui voient le mensonge et qui profèrent du vide, dans la correction de mon peuple ils ne seront pas (présents), dans le livre de la maison d’Israël, ils ne seront pas inscrits et vers la terre d’Israël, ils n’entreront pas et vous (le) saurez parce que moi je suis le Seigneur. 124

VAN DER KOOIJ, « Textual Witnesses », 100. Voir les méchancetés qui reprochent en Jr 2,19 ou la justice accusatrice de Sg 1,8. 126 Pace MULRONEY, « Rethinking Habakuk 1:12 », 92. 125

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Le texte grec ne témoigne pas de variantes importantes127. Hormis la présence de παιδεία, la Septante témoigne de passages qui différent légèrement du TM ou qui appellent à quelques remarques. Le passage de l’actif au passif peut provenir dans la Septante d’une harmonisation avec Ez 14,9 128 . La correspondance de ψευδής avec ‫ שָׁ וְא‬n’est pas usuelle dans la Septante, sauf en Dt 5,20129 et dans toutes les occurrences du livre d’Ézéchiel relatives à la lutte contre les faux prophètes130. Le choix de ἀποφθέγγομαι « proférer un discours131 » est plus surprenant car à toutes les autres occurrences de ‫ קָ סַם‬correspond le verbe grec μαντεύομαι « diviniser » ou le nom μαντεία « divination ». Il réapparaît en Ez 13,19 où il correspond à ‫ ָכּזַב‬, « être menteur ». Cette utilisation appliquée aux faux prophètes se retrouve notamment en Mi 5,12[11]. La conjonction ‫ כִּי‬a été interprétée de manière causale et non relative. Le nom divin n’apparaît pas132. En ce qui concerne la présence de παιδεία, le cas se révèle comparable à Am 3,7. Il semble y avoir eu une confusion entre ‫ סוד‬et ‫מוסר‬, mais la proximité graphique des deux mots n’explique pas tout. On notera la particularité qui rend le TM très certainement authentique. C’est en effet la seule fois où le génitif qui précise le mot παιδεία désigne celui qui est l’objet de l’action et non son auteur133. C’est en revanche l’usage normal en grec. Il se pourrait donc que le traducteur grec parle ici de l’éducation du peuple au sens grec134 qui peut aussi se trouver dans la Septante135. Cependant, ce point doit être pondéré avec la présence dans Ben Sira du substantif ‫ מוּסָר‬correspondant à παιδεία régissant la personne subissant l’action136 :

127 Notamment la présence de composés, ἐπεκτενῶ, non attesté dans la Septante, pour ἐκτενῶ et ἐγγραφήσονται, attesté uniquement en Pr 25,1, pour γραφήσονται. 128 Ainsi PAHAG. 129 Une harmonisation probable avec Ex 20,16. 130 Ez 12,24 ; 13,6.7.8.9.23. 131 Avec une nuance péjorative. Ce verbe s’applique aussi en cas de divination (BDAG), Cf. 1 Par[1 Ch] 25,1. 132 Voir LXX.D.EK. 133 Voir p. 244. 134 Voir par exemple Sg 2,12. Voir également « conocimiento, educación, cultura » attribué à Am 3,7 par DGB. 135 On peut comparer avec 2 M 6,12 : λογίζεσθαι δὲ τὰς τιμωρίας μὴ πρὸς ὄλεθρον, ἀλλὰ πρὸς παιδείαν τοῦ γένους ἡμῶν εἶναι « Et penser que les supplices sont (prévus) non pas pour la destruction mais pour l’éducation de notre peuple » Ce passage du deuxième livre des Maccabées est un témoin du passage de la pensée hébraïque lié à la racine ‫( יסר‬telle qu’elle peut s’exprimer en Jr 30,11 et Jr 46,28) dans un système sémantique pleinement grec où παιδεία ne posséderait aucune nuance coercitive en soi. 136 Si 42,5.8.

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καὶ περὶ παιδείας τέκνων πολλῆς (Si 42,5) Et à propos de nombreuses corrections d’enfants.

Le Siracide utilise ici παιδεία dans son sens de correction mais régissant τέκνον qui n’est pas le sujet de l’action. Le cas est difficile à résoudre. Le traducteur d’Ézéchiel semble connaître l’usage classique des mots de la famille de παιδεύω137 mais le cas d’Am 3,7 semble être déterminant pour pencher en faveur du fait que παιδεία désigne ici le reproche fait au peuple dont la profération est assignée aux prophètes. d. Isaïe 50,4–5 Isaïe 50,4–5 appartient à l’un des chants du serviteur : Κύριος δίδωσί μοι γλῶσσαν παιδείας τοῦ γνῶναι ἡνίκα δεῖ εἰπεῖν λόγον, ἔθηκέ μοι πρωί, προσέθηκέ μοι ὠτίον ἀκούειν καὶ ἡ παιδεία κυρίου ἀνοίγει μου τὰ ὦτα, ἐγὼ δὲ οὐκ ἀπειθῶ οὐδὲ ἀντιλέγω (Is 50,4–5) Le Seigneur me donne une langue de reproche pour savoir en temps quand il faut dire une parole, il m’a placé tôt, il m’a rajouté une oreille pour écouter et la correction du Seigneur m’ouvre l’oreille, et moi je ne désobéis pas ni ne contredis.

La variante σοφίας a déjà été étudiée138. La répétition de Κύριος au début du verset 4 pourrait cependant être originale et remonter à une Vorlage proche du rouleau d’Isaïe139. Gö. refuse la leçon ἐν καιρῷ qui se situe avant ἡνίκα140. Il n’est pas évident de déterminer la raison et la nature de l’interprétation qui se cache derrière les deux correspondances de παιδεία avec ‫ ִלמֻּד‬. Prijs y voit une influence de la piété de la Torah. Le TM avec ‫ לִמּוּד‬aurait été interprété comme qualifiant une langue pour l’éducation de la Torah141. Il indique également que le même lemme correspond une nouvelle fois à παιδεία au verset suivant. De son côté, Seeligmann pense qu’il s’agit d’une identification de la prophétie avec un enseignement 142 . Selon Ekblad 143 , les deux occurrences signifient « châtiment » et sont à rattacher au celui du peuple en Is 26,16 et celui du 137

Ez 28,3. Voir p. 284. 139 J. ZIEGLER, « die Vorlage der Isaias-LXX und die erste Isaias-Rolle von Qumran 1 QIsa », JBL 78 (1959), 58 (= Syll., 508). 140 ἐν καιρῷ provient certainement d’une interprétation du squelette consonantique ‫לָעוּת‬, comme dérivant de ‫ ְלעֵת‬d’où « en son temps » (EKBLAD, Isaiah’s Servant Poems, 136–137). De plus, δεῖ εἰπεῖν peut aussi provenir de ‫ « ַלעֲנ ֹת‬pour répondre », voir aussi OTTLEY, Isaiah, 2, 337. 141 PRIJS, Jüdische Tradition, 64. 142 SEELIGMANN, « The Septuagint Version », 279, voir aussi LXX.D.EK. 143 EKBLAD, Isaiah’s Servant Poems, 135–139 138

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serviteur en Is 53,5. Pour lui, la langue de châtiment fait référence à la description de la puissance destructive de Dieu en Is 50,2. Ekblad rappelle que ‫ ִלמֻּד‬est traduit à chaque fois différemment chez Isaïe144. D’autre part, il souligne que le ministère du prophète dans la LXX où il dit une parole « en son temps », est différent du TM où il dit une parole pour soulager l’affaibli145. Les deux formes ‫ יָעִיר‬sont rendues diversement par τίθημι et προστίθημι, alors qu’Isaïe connaît le sens de cette racine et le rend ailleurs par ἐγείρω. Ekblad juge peu probable l’hypothèse d’Ottley146 qui pensait qu’Isaïe a lu deux formes du verbe ‫יָעַל‬, puisqu’Isaïe n’utilise jamais (προσ)τίθημι pour cette racine. Pour Ekblad, il faut aller voir Is 49,2 où τίθημι désigne l’appointement comme ministre. La deuxième occurrence de παιδεία se place au début du verset 5 dans la Septante, elle correspond à la fin du verset 4 dans le TM. L’absence de toute correspondance à l’hébreu ‫ ְכ‬est le signe de la possibilité d’une telle division147. Les temps présents sont à mettre en relation avec δίδωσίν, il s’agit d’une actualisation. Enfin, Ekblad suggère de mettre en relation παιδεία avec παῖς d’Is 50,10 : le peuple est invité à comprendre la souffrance du serviteur comme le signe du châtiment de Dieu envers son peuple. Il semble qu’on puisse dissocier le premier παιδεία du deuxième παιδεία. En Is 50,10, le peuple est invité à écouter les paroles, c’est-à-dire la langue de παιδεία, c’est-à-dire un discours prophétique 148 , de celui qui subit dans la παιδεία de Dieu.

4. Les passages montrant une influence de la pensée hellénistique a. Questions de critères Il faut se poser la question des critères qui permettent de distinguer un glissement de sens. Il est possible d’en définir deux : un critère grammatical et 144 τοῦ μὴ μαθεῖν, Is 8,6 ; διδακτός en Is 54,13. Mais seul Is 50,4–5 offre cette correspondance avec παιδεία qui est sans équivalence dans la Septante. 145 ‫ יָעֵף‬a été très diversement rendu dans la Septante, mais en Isaïe toujours par πεινάω « avoir faim » sauf ici. Ekblad pense qu’Isaïe ne savait pas le deuxième sens de cette racine : « être faible » (EKBLAD, Isaiah’s Servant Poems, 136–137). 146 OTTLEY, Isaiah, 2, 337. 147 EKBLAD, Isaiah’s Servant Poems, 139–141. Voir également PRIJS, Jüdische Tradition, 100–102 qui explique la méthode de l’enjambement : Cela consiste en la constatation que les traducteurs n’avaient pas à leur disposition la même découpe que le TM et qu’ils n’hésitaient donc pas à pratiquer « l’enjambement », c’est-à-dire à unir deux parties de phrases que le TM divise. 148 Mais cette différence ne doit pas être sur-interprétée : Pr 24,22b–22e donne l’exemple de la langue du roi qui est aussi terrible que le glaive.

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un critère sémantique. Le critère grammatical consiste à constater la relative rigidité de l’utilisation de παιδεὐω lorsqu’il correspond à ‫יָסַר‬. On ne trouve pas de double accusatif, la construction avec ἐν ou avec le datif seul ne sont qu’instrumentaux, le nom régi par παιδεία est celui qui agit, non pas celui qui subit. Des usages qui diffèrent peuvent être le signe d’une différence sémantique. Cependant, ces critères ne suffisent pas. En effet, la langue vivante est malléable : rien n’interdit que des usages autrefois rigides puissent être un jour assouplis. Il faut alors rajouter un critère sémantique qui consiste à noter les synonymes et antonymes ainsi que le contexte d’utilisation de ces mots quand ils correspondent à la racine ‫יסר‬. En cas d’association avec des mots typiques de la littérature classique ou alors en cas de contexte totalement différent de ce que le TM propose, un glissement sémantique pourrait être noté. b. Quelques cas dans la Septante des Proverbes La Septante du livre des Proverbes recèle un certain nombre de ‘plus’ ou de différences par rapport au TM dont il n’est pas toujours évident de savoir s’ils correspondent à une Vorlage ou ont été créés par le traducteur ou la tradition de copie149. Certains d’entre eux sont pris en exemple comme montrant que le traducteur grec avait une connaissance de la culture proverbiale grecque classique150. Cependant, un bon nombre d’occurrences de mots de la famille de παιδεύω dans les Proverbes qui ne correspondent pas à la racine ‫ יסר‬n’appellent pas à une telle interprétation car elles sont relatives à la notion portée par le mot ‫מוּסָר‬. Ainsi Pr 1,29, qui propose παιδεία ou σοφία comme correspondants de ‫דַּ עַת‬, est le témoin d’une interchangeabilité entre les différents termes liés à la sagesse hébraïque151. De même, la présence de παιδεία en Pr 10,17 est surtout l’occasion pour le traducteur de placer l’adjectif ἀνεξέλεγκτος qu’il réutilise en Pr 25,3 pour décrire le cœur d’un roi qui n’est pas sujet au reproche. Le traducteur a souhaité remplacer ‫ « וְעוֹזֵב תּוֹ ַכחַת‬celui qui déteste la remontrance » par l’adjectif ἀνεξέλεγκτος qui nécessitait un ancrage. Celui-ci a été créé en recopiant le mot παιδεία du verset précédent et témoigne surtout du parallélisme entre παιδεία et ἔλεγχος, absent de la littérature classique.

149

D’HAMONVILLE, Proverbes, 49. Voir D’HAMONVILLE, Proverbes, 103–112. 151 Voir p. 240. 150

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Enfin, Pr 25,1 utilise παιδεία au pluriel comme synonyme de παροιμία152 dans une utilisation tout à fait étrangère au grec classique153. D’autres cas méritent un examen plus approfondi. Proverbes 5,13 est un bon cas d’étude. Ce verset fait suite à Pr 5,12 qui rapporte la parole d’une personne qui regrette d’avoir haï le ‫ מוּסָר‬et méprisé la ‫תוֹ ַכחַת‬. La traduction est la suivante : καὶ ἐρεῖς Πῶς ἐμίσησα παιδείαν, καὶ ἐλέγχους ἐξέκλινεν ἡ καρδία μου Et tu diras : comment ai-je pu détester la correction et mon cœur a pu mépriser les reproches.

Le verset 13 dans la Septante montre une influence de ce verset, ainsi que de l’association entre παιδεύω et διδάσκω. Le TM donne : ‫מוֹרי ְולִמְ ַלמְּדַ י א־ ִהטִּי ִתי אָזְנִי‬ ָ ‫ְו א־שָׁ מַ עְתִּ י בְּקוֹל‬ Pourquoi n’ai-je pas écouté la voix de mes maîtres et n’ai-je pas prêté l’oreille à ceux qui m’instruisaient?

Tandis que la Septante propose : οὐκ ἤκουον φωνὴν παιδεύοντός με καὶ διδάσκοντός με οὐδὲ παρέβαλλον τὸ οὖς μου· Je n’écoutais pas la voix de celui qui me sermonnait et m’enseignait et je ne prêtais pas l’oreille.

L’expression παιδεύοντός με correspond à ‫מוֹרי‬ ָ et καὶ διδάσκοντός με à ‫ ְו ִל ְמ ַלמְּדַ י‬. La Septante ne possède rien en vis-à-vis de la préposition ‫ ְל‬. D’autre part, la phrase entière est au singulier et cela a permis au traducteur de lier ces deux membres au substantif ‫קוֹל‬. Il faut noter avec d’Hamonville que ce choix déséquilibre le verset154. On peut envisager que le traducteur grec avait sous les yeux une forme ressemblant à ‫מיסר‬, participe de ‫יָסַר‬. On peut aussi envisager que le verbe παιδεύω soit apparu du fait de la proximité du terme ‫ מוּסָר‬au verset précédent ainsi que du parallélisme avec ‫לָמַד‬. Dans tous les cas, on ne peut argumenter d’une influence hellénistique. En effet, dans le TM, la présence de « mes maîtres » donne à ce verset une nuance éducative. En revanche, dans la Septante, le passage au singulier et l’absence du substantif modifie le contexte. Celui qui s’exprime est celui à qui le livre des Proverbes s’adresse. Il exprime le regret de ne pas avoir écouté la voix de celui qui le sermonnait et l’enseignait, à savoir Salomon, l’auteur fictif dans les Proverbes de l’ensemble du livre155. Le contexte est ici sapientiel et ne nécessite pas de faire appel à une influence hellénistique particulière. 152

Voir p. 279, n. 1. Qui n’utilise pas ce terme pour désigner un discours, voir p. 156. 154 D’HAMONVILLE, Proverbes, 189. 155 D’HAMONVILLE, Proverbes, 128–129. 153

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Un autre cas ambigu se situe en Pr 22,3, le comportement d’un homme prudent est loué : πανοῦργος ἰδὼν πονηρὸν τιμωρούμενον κραταιῶς αὐτὸς παιδεύεται, L’avisé, voyant le vicieux puni, se corrige lui-même vigoureusement.

Le TM propose : ‫עָרוּם ָראָה ָרעָה ְונִסְתָּ ר‬ L’avisé, a vu le malheur, alors il se cache.

La Septante suppose une confusion entre la racine ‫ סתר‬et la racine ‫יסר‬156 . Cependant, la thématique de ce proverbe ressemble à la nuance de l’apprentissage par l’expérience que donne la littérature grecque157. Proverbes 27,12 est identique à Pr 22,3 dans le TM, mais pas dans la Septante158 qui donne une traduction plus littérale159 : πανοῦργος κακῶν ἐπερχομένων ἀπεκρύβη, L’avisé, à l’arrivée des malheurs, s’est mis à l’abri.

Il est probable que la Vorlage de la Septante de Pr 22,3 possédait une forme hitpael de ‫יָסַר‬. La présence du ‫ת‬, dont la position a pu être modifiée par erreur ou par métathèse avec le ‫ס‬, a certainement accentué la confusion. On peut également noter une influence de PrLXX 21,11160. De plus, la rare conjugaison nitpael en Ez 23,48 signifie que les femmes d’Israël se réforment en ayant vu le malheur qui frappe les deux femmes adultères. Il s’agit pour elles d’un sérieux avertissement, elles sont invitées à réformer leur caractère. Tout comme l’avisé du PrLXX22,3. Il n’est donc pas nécessaire de faire appel à la littérature classique pour expliquer ce passage161. Une telle influence n’est-elle pas cependant assez claire dans Pr 10,4a ? υἱὸς πεπαιδευμένος σοφὸς ἔσται, τῷ δὲ ἄφρονι διακόνῳ χρήσεται (Pr 10,4a)

156 PAHAG propose de rapprocher la racine ‫ יסר‬de la forme τιμωρούμενον plutôt que de παιδεύεται. Cependant cette forme correspond davantage à ‫שׁרשׁ‬, voir p. 293, ou ‫שׁכל‬, voir HRCS. 157 Voir par exemple p. 177–180. 158 Ce qui est usuel dans le livre des Proverbes, Cf. D’HAMONVILLE, Les Proverbes, 59–62. 159 Même si le traducteur grec de Pr 27,12 prend quelques libertés grammaticales (D’HAMONVILLE, Les Proverbes, 324). 160 Selon D’HAMONVILLE, Les Proverbes, 283. 161 En ce qui concerne les autres divergences de ce verset, voir BAUMGARTNER, Étude critique, 197 qui envisage que le traducteur a associé ‫ ָרעָה‬avec l’homme méchant. Ce point l’a motivé pour introduire la notion de châtiment porté par la participe passif τιμωρούμενον.

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Fils bien corrigé sera un sage, il utilisera l’insensé comme serviteur.

Le fait que ce verset soit un ‘plus’ et la présence de la forme du participe parfait serait le signe d’une influence du monde hellénistique 162 . On peut alors se demander la signification du verbe être au futur. Pour un hellène, un πεπαιδευμένος est un sage. En tout cas, un être qui est arrivé au terme de son développement intellectuel et moral. Dans ce verset, le fils « éduqué » semble être, au contraire, au début de son processus. Conformément également à l’usage classique, on peut alors envisager que le traducteur a utilisé le participe parfait dans le sens que cette conjugaison peut également avoir : la description d’une action efficace163. C’est-à-dire que pour Pr 10,4a, un πεπαιδευμένος est quelqu’un qui a été correctement corrigé ou plus exactement quelqu’un qui a été corrigé et qui accepte sa correction. C’est une signification qui est proche du niphal de ‫יָסַר‬164. Le parallèle suivant, qui a un correspondant dans le TM, est un argument pour cette interprétation : ἄκουε, υἱέ, παιδείαν πατρός σου, ἵνα σοφὸς γένῃ ἐπʼ ἐσχάτων σου (Pr 19,20) Écoute mon fils la correction de ton père, afin que tu deviennes sage en tes derniers jours.

On trouve également une phrase similaire dans un autre ‘plus’ de la Septante : ὁ δεχόμενος παιδείαν ἐν ἀγαθοῖς ἔσται, ὁ δὲ φυλάσσων ἐλέγχους σοφισθήσεται (Pr 16,17) Celui qui accepte la correction sera dans le bonheur et celui qui garde les remontrances deviendra sage.

On observe cependant dans ce dernier verset l’apparition d’une notion du bonheur qui pourrait se rapprocher des sagesses gnomiques grecques. Un même rapprochement avec ces sagesses peut expliquer la présence de μισθὸς χαρίτων ἡ παιδεία en Pr 17,8 qui correspond à ‫ ֱאבֶן־חֵן הַשֹּׁחַד‬165. Pour d’Hamonville166, il

162

Cf. LXX.D.EK. P.CHANTRAINE, Histoire du parfait grec (Collection linguistique 21, Paris: Honoré Champion, 1927), effectue la distinction entre un ancien parfait actif intransitif et un parfait moyen, qui signifient tous deux un état, et un parfait transitif actif plus récent qui signifie le résultat de l’action. Durant l’époque hellénistique, le parfait moyen est souvent utilisé (Ibid., 222). Un bon exemple pris par Ibid., 121 est βέβλεμαι signifiant littéralement « je suis comme quelqu’un qui a été battu ». 164 Voir p. 91. 165 LAGARDE, Anmerkungen, 55, réécrit le verset, BAUMGARTNER, Étude critique, 161 essaie de faire correspondre ‫ ֱאבֶן‬à μισθὸς par l’image de la pierre qui sert de poids dans une balance. Il suppose également que la Vorlage possédait un mot de la racine ‫ שׁכל‬plutôt que celle de ‫שׁחד‬. 166 D’HAMONVILLE, Proverbes, 261. LXX.D.EK constate simplement le changement sans l’expliquer. 163

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s’agit d’une interprétation spirituelle de l’hébreu167. Il faut constater que le sens qui se dégage du verset traite de la réussite168. À ce titre, elle se rapproche des sagesses gnomiques grecques169. Le verset est difficile. L’utilisation du mot μισθός en Pr 11,18, suggère qu’il s’agit effectivement d’une récompense pour celui qui pratique 170 la παιδεία. Cette spiritualisation du salaire peut ainsi faire référence à l’idée gnomique grecque que celui qui pratique la παιδεία n’a plus à se soucier de la réussite financière. Néanmoins, cette idée peut également se trouver dans le TM171. L’influence est probablement plus sûre avec la présence de κόσμος en Pr 29,17 et son doublet Pr 28,17a. Il y a ici une différence nette avec le TM qui indique qu’il faut éduquer son fils pour qu’il vous comble de délices172 alors que pour la Septante l’éducation d’un fils donne de la beauté à l’âme. Si la sagesse gnomique grecque associe plus volontiers la beauté à la personne éduquée, l’utilisation du mot κόσμος est probablement à mettre sur le compte d’une influence de cette sagesse sur le traducteur grec. En conclusion l’enquête de l’influence du monde hellénistique sur la Septante de Proverbes se révèle assez maigre. Les rares cas sont à rapprocher de la sagesse gnomique grecque. c. Étude des termes ἀπαιδευσία et ἀπαίδευτος Pour Gerleman173, l’utilisation d’ἀπαίδευτος peut témoigner d’une influence du monde hellénistique et particulièrement stoïcien sur le livre des Proverbes. Cette opinion mérite d’être questionnée. Pour cela, il convient d’analyser l’utilisation des composés négatifs de παιδεύω dans la Septante.

167 GERLEMAN, Studies, 3,41 classe ce verset parmi ceux qui montrent une intensification de la « théologisation » et de la moralisation de la Septante des Proverbes. 168 Avec le verbe εὐοδόω. 169 Cf. p. 175–176. 170 Le verbe χράω est polysémique. Il correspond principalement à ‫ ָעשָׂה‬, « faire ». 171 E.g. PrTM 8,10–11. Il s’agit probablement d’une convergence d’idées ou d’une base culturelle commune. Cependant, cela ne veut pas dire que le traducteur désire se rapprocher d’une culture hellénique en tant qu’elle serait différente d’une culture hébraïque. En revanche, cela peut expliquer pourquoi ‫ מוּסָר‬et παιδεία correspondent. 172 Avec ‫ ַמעֲדַ נִּים‬, « délices ». Ce mot est utilisé en Gn 49,20 et Lm 4,5 où il correspond toujours à τρυφή (voir les traductions de Symmaque et Theodotion). 173 GERLEMAN, Studies, 3, 51.

Chapitre 4 : Quand un mot de la famille de παιδεύω ne correspond pas à ‫יסר‬

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Le Livre des Proverbes témoigne de sept utilisations d’ἀπαίδευτος174. Hormis Pr 5,23175, aucune ne correspond à un mot de la racine de ‫יסר‬. On trouve comme correspondant : ‫אֱ וִיל‬, (Pr 24,8), ‫( ְכּסִיל‬Pr 8,5 ; 15,14 176 ), ‫( לוּץ‬Pr15,12) et ‫נָבָל‬ (Pr17,21). Il y a un ‘plus’ en Pr 27,20a177. La présence d’ἀπαίδευτος en Pr 8,5 semble être due à des considérations stylistiques. Le traducteur aurait apprécié le parallélisme antinomique des deux composés négatifs : νοήσατε, ἄκακοι, πανουργίαν, οἱ δὲ ἀπαίδευτοι, ἔνθεσθε καρδίαν (Pr 8,5) Comprenez, innocent, l’astuce et les incultes, intégrez un cœur

Certaines utilisations semblent cependant tirer leur présence de la proximité d’un mot de la famille de παιδεύω, tel qu’en Pr 15,12 : οὐκ ἀγαπήσει ἀπαίδευτος τοὺς ἐλέγχοντας αὐτόν L’incorrigible n’aimera pas ceux qui lui ont fait des reproches.

Le traducteur peut ainsi introduire le couple παιδεύω/ἐλέγχω. Une telle utilisation d’un composé négatif peut se retrouver, par exemple en Pr 10,17178. De même Pr 17,21, présente des idées anciennes avec des constructions toutes nouvelles mais très compréhensibles pour qui connaît l’usage des mots de la famille de παιδεύω dans la Septante179 : οὐκ εὐφραίνεται πατὴρ ἐπὶ υἱῷ ἀπαιδεύτῳ Un père ne se réjouit pas à propos d’un fils incorrigible.

Le verbe « se réjouir » marque dans le livre des Proverbes la joie d’un père d’avoir un fils sage 180 . Pour un fils, accepter la correction paternelle, c’est devenir sage181. Donc être incorrigible ne procure pas de joie au père. Le fils est opposé à υἱὸς φρόνιμος du verset suivant qui réjouit sa mère182.

174 Ce qui fait de cet adjectif un mot typique des Proverbes, car il n’apparaît que 2 fois dans le reste du corpus. Voir J. COOK, « Aspects of the Relationship Between the Septuagint Versions of Proverbs and Job », IX Congress of the International Organization for Septuagint and Cognate Studies. Cambridge, 1995 (éd. par B.A.Taylor, SBLSCS 45, Atlanta, Ga. : Scholars Press, 1997), 235. 175 Où il correspond à ‫אֵין מוּסָר‬. 176 Voir aussi p. 284 pour la discussion de critique textuelle. 177 D’HAMONVILLE, Proverbes, 49 l’attribue au traducteur. 178 Ibid., 249. 179 Ibid., 263. 180 e.g. Pr 10,1 ; Pr 15,20 ; 23,25. 181 e.g. Pr 10,4A ; 19,20. 182 TAUBERSCHMIDT, Secondary Parallelism, 48–49.

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La description de la bouche de l’inculte en Pr 15,14 n’apporte rien de nouveau183. De même, la menace de mort qui atteint les incorrigibles en Pr 24,8 est également commune184. Le lien entre la mort et ἀπαίδευτος est cependant aussi connu dans la littérature classique et hellénistique et principalement dans la sagesse gnomique185. Cependant, on peut trouver une connexion linguistique entre le livre des Proverbes et la littérature grecque dans le ‘plus’ Pr 27,20a : καὶ οἱ ἀπαίδευτοι ἀκρατεῖς γλώσσῃ. Avec son hapax ἀκρατής, ce verset fait rentrer dans les Proverbes la notion d’intempérance chère à l’esprit grec. Ainsi, l’expression γλώσσης ἀκρατής se retrouve chez Eschyle186. Bien que cette idée trouve des parallèles dans le livre des Proverbes187, l’expression est complétement grecque au sens classique du terme. Les occurrences de ἀπαίδευτος et de ἀπαιδευσία dans les Prophètes ne correspondent jamais à un mot de la racine de ‫יסר‬. Isaïe 26,11 possède une occurrence d’ἀπαίδευτος qui est un ‘plus’ de la Septante : κύριε, ὑψηλός σου ὁ βραχίων, καὶ οὐκ ᾔδεισαν, γνόντες δὲ αἰσχυνθήσονται· ζῆλος λήμψεται λαὸν ἀπαίδευτον, καὶ νῦν πῦρ τοὺς ὑπεναντίους ἔδεται (Is 26,11). Seigneur, ton bras était haut et ils ne l’avaient pas perçu, et ceux qui savaient seront honteux, une jalousie prendra un peuple indiscipliné et maintenant un feu consumera les adversaires.

Il n’y a pas de variantes importantes188. En revanche, il y a des écarts avec le TM. Ainsi les deux formes du verbe ‫ « ָחזָה‬observer », sont rendues par οἶδα et γινώσκω. La correspondance entre γινώσκω et ‫ ָחזָה‬est unique 189 et pourrait remonter au traducteur 190 . Néanmoins, les copistes ont souvent eu des difficultés à discerner entre les formes des verbes ὁράω et οἶδα191. De plus, ils ont parfois donné une forme de γινώσκω comme variante de οἶδα.

183 Les proverbes ont de nombreuses références par rapport au fait de dire le bien ou le mal (e.g. Pr 4,24 ; 8,8 ; 10,6). Il y a peu de liens avec la culture hellénistique chez qui l’ ἀπαίδευτος est d’abord et avant tout un rustre qui parle mal et non pas quelqu’un qui dit le mal. 184 e.g. Pr 5,23. 185 Voir par exemple p. 162, n. 195. 186 ESCHYLE, Prom. 884. 187 Pr 13,3 ; 21,23, Cf. D’HAMONVILLE, Proverbes, 325. 188 Cf. Gö. 189 Cf. LXX.D.EK. 190 Cf. SEELIGMANN, The Septuagint Version of Isaiah, 181. 191 C’est un phénomène général de la Septante, voir WALTERS, The Text of the Septuagint, 196–204 (particulièrement 202 pour Is 26,11).

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Baer192 reconnaît que contrairement au TM193, la LXX d’Isaïe a compris le peuple de manière négative par le rajout des deux formes λήμψεται et ἀπαίδευτον ne correspondant à rien dans le TM. Le verbe λαμβάνω est fréquemment rajouté dans la Septante d’Isaïe pour suppléer à une phrase nominative194. Le zèle dont il s’agit ici est une valeur guerrière négative appliquée à un peuple195. Le fait que ἀπαίδευτον n’ait pas de correspondant est, pour Baer, le signe d’une dépendance sur So 2,1. Son principal argument est de se demander pourquoi le traducteur d’Isaïe aurait fait appel à ce terme, rare dans la littérature prophétique, s’il ne l’avait pas recopié ailleurs. De fait, en So 2,1, l’adjectif ἀπαίδευτος est associé avec un nom désignant un peuple. Συνάχθητε καὶ συνδέθητε, τὸ ἔθνος τὸ ἀπαίδευτον Rassemblez-vous et mettez-vous des bandes, nation indisciplinée.

L’adjectif ἀπαίδευτος correspond ici à ‫ נִ ְכסָף‬de sens incertain. Grâce à l’araméen, on peut envisager une signification liée à la honte196. Baer évoque également la correction ‫ א נוֹסָר‬197. On parle ici d’Israël auquel Dieu s’adresse comme à une nation non disciplinée à laquelle on montre l’exemple des Nations que Dieu a détruites (So 2,4) et qu’on menace de la colère divine (So 2,3). Cependant, il reconnaît que cette dépendance n’est pas absolument certaine du fait qu’Isaïe et Sophonie ne partagent pas complétement le même lexique. Ainsi, Dogniez198 met en cause la possibilité d’une dépendance entre IsLXX 26,11 et SoLXX 2,1. Elle reprend l’exemple de καταναλωθήσεται en Sophonie pour montrer l’indépendance du lexique d’Isaïe par rapport à celui de Sophonie199. Le rajout de ἀπαίδευτον se situerait dans un cadre sapiential pour désigner négativement un peuple qui n’a pas été corrigé par le châtiment et se rattache à la présence de παιδεία en Is 26,16. De fait, l’utilisation du mot λαός peut référer au peuple d’Israël. Dans ce cas, le mot correspond bien avec

192

BAER, When we all Go Home, 206–212. Qui suggère un deuxième jugement contre les méchants. 194 e.g. Is 10,29, voir J. ZIEGLER, Untersuchungen zur Septuaginta des Buches Isaias (ATA 12/3, Münster : Aschendorff, 1934), 39.67. 195 e.g. Is 11,13. Voir BAER, When we all Go Home, 208, n.22. 196 HARL, DOGNIEZ et BROTTIER, Les douze prophètes.Joël, 349. 197 BAER, When we all Go Home, 209, envisagée par D.H. RYOU, Zephaniah’s Oracles against the Nations : A Synchronic and Diachronic Study of Zephaniah 2 :1–3 :8 (Biblical Interpretation 13, Leyde : Brill, 1995), 21–22. 198 C. DOGNIEZ, « L’indépendance du traducteur grec d’Isaïe par rapport au dodekapropheton », Isaiah in Context (éd. par M.N. van der Meer, P. van Keulen, W. van Peursen et al., SVT 138, Leyde : Brill, 2010), 235. 199 Et notamment le rendu de ‫ ָפקַד‬par ἐπάγω en Isaïe et ἐκδικέω en Sophonie, auquel on peut rajouter le mot λαός en Isaïe et le mot ἔθνος en Sophonie, bien qu’ils correspondent à deux mots hébreux différents. 193

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l’occurrence de παιδεία en Is 26,16. Ce peuple non discipliné, Dieu va le corriger. La présence d’ἀπαιδευσία en Os 7,16 diffère des occurrences d’ἀπαίδευτος précédemment étudiées. Elle caractérise la langue des chefs et non un peuple tout entier. πεσοῦνται ἐν ῥομφαίᾳ οἱ ἄρχοντες αὐτῶν διʼ ἀπαιδευσίαν γλώσσης αὐτῶν Ils tomberont par l’épée, leurs princes, du fait de l’indiscipline de leur langue.

Le mot correspond à ‫זַעַם‬, « colère », « indignation ». Ce lemme a dû poser un problème au traducteur d’Osée car il est toujours, sauf ici, associé à Dieu pour désigner sa colère destructrice200. Le thème de langue des chefs ou du peuple qui exprime des mensonges ou des blasphèmes se retrouve relativement fréquemment dans le corpus prophétique 201. L’utilisation de ce lemme chez Osée semble correspondre à cette idée. Cependant, il répond probablement à la mention d’Os 7,14 qui suit la description des membres du peuple qui ne crie pas vers Dieu : ils ont été corrigés mais ne se retournent pas vers Dieu. Ils tomberont du fait de leur langue qui montre qu’ils n’ont pas accepté la correction divine. d. Daniel, le πεπαιδευμένος La Septante témoigne de l’utilisation de παιδεύω et παιδεία qui correspondent à l’usage classique et qui sont relatifs à Daniel. Le premier exemple se situe en Ez 28,3 où Ézéchiel loue la sagesse de Tyr : ‫ִהנֵּה ָחכָם אַתָּ ה מִדָּ נִיאֵל כָּל־סָתוּם א עֲמָ מוּ‬ Voici, tu es plus sage que Daniel, aucun secret ne te dépasse. μὴ σοφώτερος εἶ σὺ τοῦ Δανιηλ; ἢ σοφοὶ οὐκ ἐπαίδευσάν σε τῇ ἐπιστήμῃ αὐτῶν; (Ez 28,3) N’es-tu pas, toi, plus sage que Daniel ? Ou les sages ne t’ont-ils pas éduqué à leur science ?

La première partie du verset de la Septante suit à peu près le TM, à ceci près qu’il comprend une interrogation négative quand le TM propose une affirmative. En revanche, la deuxième partie s’éloigne du TM. Le grec indique que les sages ont éduqué Tyr à leur savoir, alors que le TM exprime d’une autre façon la sagesse de Tyr. Deux éléments permettent d’attribuer au verbe παιδεύω la nuance d’enseignement ou d’éducation. Premièrement, il ne correspond

200 201

e.g. Is 10,5.25 ; Jr 10,10 ; Na 6,1. e.g. Mi 6,12 ; So 3,13 ; Is 3,8.

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probablement pas à un mot de la racine ‫יס ר‬202 . Cet argument n’est pas déterminant puisque nous ne possédons pas la Vorlage. En revanche, la rection par ce verbe de la matière enseignée par un datif est unique dans la Septante et caractéristique de l’usage que ce verbe a en grec classique203. Le livre de Daniel présente deux occurrences, l’une de παιδεία et l’autre d’ἐκπαιδεύω qui, eux aussi, correspondent à un usage classique. En DnLXX 1,20, le traducteur grec utilise παιδεία comme correspondant de ‫בִּינָה‬204: καὶ ἐν παντὶ λόγῳ καὶ συνέσει καὶ παιδείᾳ, ὅσα ἐζήτησε παρʼ αὐτῶν ὁ βασιλεύς, κατέλαβεν αὐτοὺς σοφωτέρους δεκαπλασίως ὑπερφέροντας τῶν σοφιστῶν καὶ φιλολόγων205 ἐν πάσῃ τῇ βασιλείᾳ (DnLXX 1,20) Et en rhétorique, en entendement et en culture que le roi s’enquérait auprès d’eux, ils se montraient dix fois plus sages que les sophistes et ceux qui aiment la raison qui étaient en son royaume.

Usener206 voit dans ce verset la signification classique du terme. En effet, ce verset possède des associations qui sont fréquentes en grec classique et inexistantes dans la Septante : l’association de παιδεία avec λόγος 207 ou σύνεσις. De même, les titres sophistes208 et philosophes209 sont inhabituels dans la Septante210 alors qu’ils se trouvent utilisés avec παιδεία dans la littérature classique. Nous avons probablement ici une actualisation du propos 211 , le

202 Il est toujours possible de spéculer sur la présence du ‫ ס‬comme base d’explication. Cela reste cependant très hypothétique. 203 Voir p. 151. 204 DnTh 1,20 : ἐπιστήμη qui est un correspondant possible de ‫בִּינָה‬. (e.g Job 28,12.28), mais que Théodotion utilise ici pour la seule fois. Voir T. MCLAY, The OG and Th Versions of Daniel (SBLSCS 43, Atlanta, Ga. : Scholars Press, 1996), 48. 205 Ra. : ὑπὲρ τοὺς σοφιστὰς καὶ τοὺς φιλοσόφους. Pour la discussion de cette variante, voir R.G. WOODEN, « The Recontextualization of Old Greek Daniel 1 », Ancient Version and Traditions (volume 1 de Of Scribes and Sages : Early Jewish Interpretation and Transmission of Scripture, éd. par C.A. Evans, Londres : T&T Clark, 2004), 53–54. 206 K. USENER, « Die Septuaginta im Horizont des Hellenismus », Im Brennpunkt : Die Septuaginta. Studien zur Entstehung und Bedeutung der Griechischen Bibel (volume 2, éd. par S. Kreuzer et J.P. Lesch, Stuttgart : Kohlhammer, 2004), 111–112. 207 Que le Vieux Grec de Daniel ne fait correspondre à ‫ דָּ בָר‬que dans ce verset. Souvent il utilise πρόσταγμα, Cf. MCLAY, The OG and Th Versions, 200. Ce point milite pour l’utilisation classique de λόγος. 208 Ex 7,11, DnLXX 1,20; 2,14; 4,18. 209 4 M 1,1 ; 5,35 ; 7,7 ou bien philologues, voir plus haut. 210 Même dans le Vieux Grec de Daniel, où le même substrat donnera une traduction différente en DnLXX 2,2. Cf. WOODEN, « Recontextualization », 49. 211 En lien avec le système éducatif des temps hellénistiques pour présenter Daniel comme un parfait maître classique (WOODEN, « Recontextualization », 54–55.58–59).

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traducteur donne des termes compréhensibles pour son public, à moins qu’il veille à ne pas associer Daniel à la magie des chaldéens mais à la sagesse212. En DnLXX 1,5, nous trouvons l’unique emploi dans la Septante du verbe ἐκπαιδεύω. Il correspond à ‫גָּדַ ל‬. καὶ ἐκπαιδεῦσαι αὐτοὺς ἔτη τρία (DnLXX 1,5) et de les éduquer trois ans

Selon Wooden, C’est l’unique fois dans la Septante que ‫ גָּדַ ל‬est rendu par un verbe lié à l’éducation. Le contexte ne permet pas de donner au verbe une nuance de reproche. Il s’agit probablement de signifier que Daniel et ses amis ont reçu une éducation de type grec213, en lien avec DnLXX 1,20214. En fait, Wooden néglige la correspondance entre ‫ גָּדַל‬et τρέφω qu’on retrouve en DnTh 1,5 et Nb 6,5. Cette correspondance est pertinente puisque τρέφω appartient au champ sémantique de l’éducation, et qu’il est parfois synonyme de παιδεύω. Ce point ne remet toutefois pas en cause la thèse de Wooden, selon laquelle ce choix de traduction présente Daniel et ses amis comme de parfaits πεπαιδευμένοι. e. Esther élevée par Mardochée Mardochée est tuteur d’Esther et l’a adoptée. Ce que le TM décrit par : ‫( וּבְמוֹת אָבִי ָה ְו ִאמָּהּ ְל ָקחָהּ מ ְָרדֳּ כַי לוֹ ְלבַת‬Est 2,7) À la mort de son père et de sa mère, Mardochée l’avait prise pour fille.

La Septante d’Esther215 donne : ἐπαίδευσεν αὐτὴν ἑαυτῷ εἰς γυναῖκα Il l’avait élevée pour lui-même pour (en faire sa) femme216

212 Ainsi, T.J. MEADOWCROFT, Aramaic Daniel and Greek Daniel. A Literary Comparison (JSOTS 198, Sheffield : Sheffield Academic, 1995), 254–255, cependant il s’agit bien d’un système de sagesse grecque et non pas hébraïque. 213 Même si l’éducation est donnée par le chef des eunuques du roi de Babylone, selon la narration de Daniel. 214 WOODEN, « Recontextualization », 58. 215 Ce passage n’a pas de correspondant dans le texte Alpha. 216 C. CAVALIER, Esther (BA 12, Paris : Cerf, 2012), 153 qui rappelle aussi cette signification dans le Talmud (Megillah 13a). Cette idée est écrite en premier dans un journal exégétique moderne par P. HAUPT, « Critical Notes on Esther », AJSL 24 (1907), 116. Cependant, elle provient de Megillah 13a lui-même qui écrit cela en comparant avec 2 S 13, 3 la relation de l’agnelle et du pauvre avec la relation entre Mardochée et Esther.

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Le contexte ne permet pas d’attribuer à παιδεύω la signification qu’il possède quand il correspond à ‫יָסַר‬. En effet, la construction avec εἰς pour désigner le but de la formation existe en grec classique 217 et ne correspond pas à la seule utilisation de cette formule en Jr 37[30],11 218 . D’autre part, l’utilisation de παιδεύω pour désigner la formation des femmes pour qu’elles assument leur charge domestique est également connue du monde grec classique219. En fait, le TM pose difficulté car l’expression « prendre une femme » signifie « épouser » mais l’utilisation de ‫ ַבּת‬est étonnante, Mardochée semble être un père pour Esther. Mardochée a-t-il adopté Esther ou l’a-t-il épousé ? S’il l’a épousé, le dernier mot du verset devait être lu ‫ ְלבֵית‬, « à la maison ». Mardochée a pris Esther chez lui, comme femme, tout comme le roi le fera au verset 8. Il y a donc une ambiguïté : Mardochée est-il le père adoptif ou le mari d’Esther ? La Septante conserve cette ambiguïté en liant le verbe παιδεύω à γυνή220 : Mardochée a une relation de père envers Esther puisqu’il l’éduque. Il a également une relation de mari puisqu’il l’éduque pour en faire sa femme221. En fait, cette ambiguïté ne tient qu’à la présence de ἑαυτῷ. Sans ce pronom222 qui désigne ici le fait que Mardochée agit « à son avantage »223, la phrase ne pose plus aucun souci : « il l’avait éduqué pour224 être une femme » signifie que Mardochée a assuré la formation d’Esther et qu’elle est maintenant prête à assumer sa fonction. Cependant, la présence du pronom ne semble pas pouvoir être interprété autrement. 217

Cf. p. 152. Cf. p. 244. 219 Cf. p. 168 et n.41. 220 Voir C. VIALLE, Une analyse comparée d’Esther TM et LXX. Regards sur deux récits d’une même histoire (BETL 233, Louvain : Peeters, 2010), 67, n.16. Cf. également les variantes qui donnent θυγάτηρ qui, selon lui, refusent l’interprétation de la Septante. Voir C. BOYDTAYLOR, « Esther’s Great Adventure : Reading the LXX version of the Book of Esther in Light of Its Assimilation to the Conventions of the Greek Romantic Novel », BIOSCS 30 (1997), 89, n.22. En ce qui concerne la variante : ἔλαβεν αὐτὴν μαρδοχαῖος ἑαυτῷ εἰς θυγατέρα, il s’agit probablement d’une révision vers le TM. Pour l’autre variante : ἐπαίδευσεν αὐτὴν ἑαυτῷ εἰς θυγατέρα le cas est plus subtil. Il pourrait s’agir d’une révision vers le TM, mais il pourrait aussi s’agir de la leçon originale. 221 Le passage parallèle Est 2,15 n’a pas de correspondance dans la Septante. Pour BOYDTAYLOR, « Esther’s Great Adventure », 91, cela invalide la thèse selon laquelle le traducteur grec a lu ‫ בַת‬à la place de ‫בֵית‬. En fait, il ne semble pas être possible de tirer trop de conclusions d’une telle absence : Est 2,15 rappelle simplement Est 2,7. Pourquoi le traducteur n’aurait pas simplement réécrit Est 2,7 ? L’explication la plus simple serait que la Vorlage n’existait pas ou que le traducteur n’a pas voulu faire de répétitions. 222 Comme le remarque BOYD-TAYLOR, « Esther’s Great Adventure », 90. 223 Cf. BDR, §188, n. 2. 224 Et non jusqu’à ce qu’elle soit une femme, interprétation que rappelle BOYD-TAYLOR, « Esther’s Great Adventure », 90 et qu’il rejette du fait de la présence de εἰς qui pointe vers le sens classique « éduquer en vue de » (Ibid., 91). 218

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Pour Boyd-Taylor, l’important se situe dans εἰς γυναῖκα qui indique, selon lui, que Mardochée et Esther ne sont pas encore mariés. Par cette expression, le traducteur grec change le cadre narratif de l’histoire. Dans le TM, surtout avec le changement évoqué par le Talmud, Mardochée est déjà marié avec Esther, ce qui fait de son mariage avec le roi un adultère. Dans la Septante, Mardochée et Esther sont plutôt promis l’un à l’autre : ce qui rattache cette histoire au roman hellénistique évoquant les mariages empêchés225. L’interprétation de Boyd-Taylor se situe en réaction par rapport à celle de Fox226. Celui-ci se base sur Megillah 13a pour confirmer le parallélisme avec 2 S 12,3 : l’interprétation de la LXX comme celle du talmud viserait à effacer le fait que Mardochée ait pu vivre si longtemps avec une femme mariée. De fait, Rabbi Meir en Megillah 13a explique pourquoi il ne faut pas lire ‫ ְלבַת‬. Il convient de se rappeler que l’agnelle du pauvre en 2 S 12,3 « couchait dans ses bras », ce n’est pas le comportement d’une fille mais d’une femme, donc c’est une femme. Rabbi Meir compare en fait deux choses qu’il juge similaires entre l’histoire de Mardochée et la parabole du pauvre : tous les deux font grandir227 une fille qui est en fait leur femme228 et se la font ravir par le roi. Le terme utilisé par Nathan pour décrire la relation entre le pauvre et son agnelle est ‫ ָחי ָה‬, « faire vivre » et ‫גָּדַ ל‬, « grandir », bien que le sujet de ce dernier verbe soit l’agnelle et non le pauvre. La correspondance entre ἐκπαιδεύω et ‫גָּדַ ל‬, notée en DnLXX 1,5 peut alors suggérer que la Vorlage possédait ce verbe, plutôt que ‫ ָל ַקח‬. La présence du terme serait alors à comprendre comme une interprétation similaire à celle de Rabbi Meir. Cette interprétation a pu être faite dès la traduction ou imposée plus tard comme le suggère la variante : ἐπαίδευσεν αὐτὴν ἑαυτῷ εἰς θυγατέρα qui pourrait, dans ce cas, être originale. f. Dieu, la Mère nourricière Deutéronome 32,10 est fréquemment pris en exemple pour souligner le fait que Dieu a fait subir au peuple une éducation dure au désert. Cependant, le contexte ouvre la possibilité d’une autre interprétation. αὐτάρκησεν αὐτὸν ἐν γῇ ἐρήμῳ, ἐν δίψει καύματος ἐν ἀνύδρῳ ἐκύκλωσεν αὐτὸν καὶ ἐπαίδευσεν αὐτὸν καὶ διεφύλαξεν αὐτὸν ὡς κόραν ὀφθαλμοῦ (Dt 32,10) Il l’a rendu autonome dans le désert, dans la soif chaude dans l’aridité, il l’a entouré et il l’a nourri et il l’a gardé comme la prunelle de ses yeux.

225

Ibid., 101–113. M.V. FOX, Character and ideology in the Book of Esther (2ème edition, Grand Rapids, Mich. : Eerdmans, 2001), 275. 227 Mardochée l'a prise pour fille. 228 Métaphoriquement celle d’Urie pour le pauvre. 226

Chapitre 4 : Quand un mot de la famille de παιδεύω ne correspond pas à ‫יסר‬

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Il n’y a pas de difficulté majeure de critique textuelle sur ce verset 229 . En revanche, un bon nombre de choix lexicaux sont surprenants au regard du TM230. Wevers231 indique ainsi que le choix de αὐταρκέω pour correspondre au TM ‫ י ִ ְמ ָצאֵהוּ‬s’explique par le refus de considérer le peuple de Dieu retrouvé comme s’il avait été perdu. Implicitement, l’histoire d’Israël ne commence pas au désert232. Selon lui, ce choix est confirmé par les verbes de sollicitudes, κυκλόω, παιδεύω et διαφυλάσσω : Dieu n’a pas abandonné son peuple. Le verbe αὐταρκέω doit être compris de manière causative : Dieu a rendu son peuple autosuffisant233. Le choix de παιδεύω correspond au polel de ‫ בי ִן‬dont la forme est un hapax du TM. Il pourrait s’éclairer en acceptant l’interprétation samaritaine qui dérive cette forme de la racine ‫בנן‬, « adopter quelqu’un »234 . Dans tous les cas, le contexte ne semble pas permettre d’y voir une allusion aux tentations du désert, comme le fait Harl235. Elle s’appuie sur la signification la plus fréquente de παιδεύω pour envisager que la Septante fait ici allusion aux épreuves. Pourtant, elle indique plus loin comment la Septante marque une plus grande attention sur la sollicitude de Dieu pour son peuple et sur le fait qu’il l’a nourri 236. Il lui semble que la Vorlage du cantique n’était pas très éloignée du TM, mais que le traducteur se donne la liberté de choisir les mots qui lui paraissent mieux convenir au contexte237. Harl a également noté des liens entre ce texte et le Psautier, Isaïe ainsi qu’avec les réviseurs de la Septante238.

229

Voir Gö. Cf. HARL, « Le grand cantique », 136. 231 WEVERS, Notes on the Greek Text of the Deuteronomy, 514. 232 On pourrait développer une interprétation similaire dans le Pentateuque samaritain, qui semble faire dériver la forme du verbe ‫ אָ ֵמץ‬: « être fort », Cf. BHQ, 141. 233 M. HARL, « Le grand cantique de Moïse en Deutéronome 32 : quelques traits originaux de la version grecque des Septante », La langue de Japhet. Quinze études sur la Septante et le grec des chrétiens, (éd. par M. Harl, Paris : Cerf, 1992), 136. 234 Cf. GSH, 15 ; 157, n. 88. 235 HARL, « Le grand cantique », 137, n. 29. 236 Ibid., 138–139 cite notamment l’utilisation des verbes ψωμίζω, « nourrir quelqu’un » et θηλάζω « téter » en Dt 32,13. Voir aussi DOGNIEZ et HARL, Le Pentateuque, 327. 237 HARL, « Le grand cantique », 143. 238 Elle en profite pour évoquer la possibilité d’une traduction indépendante ou d’une retouche importante (Ibid., 144). Pour Isaïe, il s’agit principalement de la dépendance de Is 58,14 avec Dt 32,13 (Ibid., 139) ou de Is 44,2 avec Dt 32,15. Voir « La Nécromancie dans la Septante d’Isaïe », Die Septuaginta – Texte, Theologien, Einflüsse. 2. Internationale Fachtagung veranstaltet von Septuaginta Deutsch (LXX.D) Wuppertal 23. – 27. 7. 2008 (éd. par W. Kraus et M. Karrer, en collaboration avec M. Meiser, WUNT 252, Tübingen : Mohr Siebeck, 2010), 584. 230

318

Quatrième partie : La Septante

Un lien avec Dt 8,5 n’est pas pleinement convaincant dans la Septante du fait de son utilisation au futur avec Dieu comme sujet239. En revanche, on peut faire un lien avec Dt 1,31, Ex 19,4 et Nb 11,12 par l’intermédiaire du verbe ‫נָשָׂא‬. Ces trois versets témoignent d’une tradition selon laquelle Dieu a porté son peuple pendant son séjour au désert. Or, en Nb 11,12, en hébreu comme en grec, ce verbe est lié avec le vocabulaire de l’enfantement240. De plus, en DtLXX 1,31, le verbe τροφοφορέω correspond au verbe ‫נָשָׂ א‬. Ce terme est un composé entre τροφή et φορέω. Il signifierait « porter comme une nourrice ». Selon Wevers241, il s’agit d’un néologisme242 qui aurait été créé pour signifier la nuance précise que porte dans ce contexte le verbe ‫ נָשָׂא‬: une synthèse entre le support, le sevrage et l’amour maternel. C’est bien dans ce contexte qu’il faut comprendre l’utilisation du verbe παιδεύω en Dt 32,10. Cette thèse est appuyée par Is 46,3 : Ἀκούσατέ μου, οἶκος τοῦ Ιακωβ καὶ πᾶν τὸ κατάλοιπον τοῦ Ισραηλ οἱ αἰρόμενοι ἐκ κοιλίας καὶ παιδευόμενοι ἐκ παιδίου (Is 46,3) Écoutez-moi, maison de Jacob et tout le reste d’Israël qui êtes portés depuis la matrice et nourris depuis l’enfance.

Au niveau de l’apparat critique, hormis un temps présent pour l’impératif, plutôt qu’aoriste, il n’existe pas de variantes importantes243. 239

Cf. p. 256. Voir notamment G. DORIVAL, Les Nombres (BA 4, Paris : Cerf, 1994), 78.290. 241 WEVERS, Notes on the Greek Text of the Deuteronomy, 18–19. 242 Le terme n’apparaît que dans la littérature judéo-chrétienne (notamment 2 M 7,27 ; Ac 13,18). Voir également C.MOUSSY, Recherches sur « tréphō » et les verbes grecs signifiant « nourrir » (Paris : Klincksieck, 1969), 74–75. En Dt 1,31 comme en Ac 13,18 des variantes proposent τροποφορέω qui lui, serait attesté, quoique rarement, dans la littérature classique (BDAG) et n’aurait pas de nuance nutritive. Il signifierait « endurer », « soutenir ». Cependant le contexte de 2 M 7,27 impose la nuance nutritive, car c’est la mère nourricière qui parle. D’autre part, F.J.F. JACKSON et K. LAKE, The Acts of the Apostles (5 volumes, première partie de The Beginnings of Christanity, Londres : Macmillan & Co, 1920–1933), 4, 149 suggère que naturellement un verbe ayant la succession -οφοφο- se serait transformé en -οποφο-. Il en conclut que la forme est probablement correcte mais doute sur le sens entre « soutenir » et « nourrir ». Pour F.F. BRUCE, The Book of the Acts (NICNT 5, Grand Rapids, Mich.: Eerdmans, 1988), 304, la leçon τροφοφορέω est plus solide dans les Actes et il fait référence à R.P. GORDON, « Targumic parallels to Acts XIII 18 and Didache XIV 3 », NovT 16 (1974), 285– 289 pour suggérer une signification « survenir à ses besoins » qui a son parallèle dans les Targumim. J.A. GOLDSTEIN, II Maccabees (AB 41A, New York : Doubleday, 1983), 315 fait état d’une variante qui rajoute le verbe ἐκτρέφω après notre verbe, il s’agirait d’une marge explicative. Mais il constate que certains manuscrits ne font pas état du tout de ce verbe. Pour lui τροφοφορέω est en fait une allusion secondaire à Dt 1,31. 243 Voir cependant κατάλογιον pour κατάλοιπον dans une famille de minuscules. Le mot n’est pas attesté dans les principaux dictionnaires. Rattaché à κατάλογος, il pourrait exprimer la liste de ceux d’Israël. 240

Chapitre 4 : Quand un mot de la famille de παιδεύω ne correspond pas à ‫יסר‬

319

Malheureusement Ottley ne traite pas du verbe παιδεύω 244 . Le verbe correspond ici à l’hébreu ‫נָשָׂ א‬, « porter ». Quand il relie Dieu et son peuple, ce verbe aurait été perçu comme décrivant la situation idéale du désert quand Dieu s’occupait de son peuple comme une maman de son petit. LXX.D.EK suggère une inversion entre les deux hémistiches ‫ַה ֲע ֻמסִים ִמנִּי־ ֶבטֶן‬ et ‫ִי־רחַם‬ ָ ‫שׂ ִאים ִמנּ‬ ֻ ְ‫ ַהנּ‬. Il faudrait plutôt envisager une inversion des verbes car, chez Isaïe, κοιλία correspond toujours à ‫ ֶבטֶן‬245. Cette hypothèse serait justifiée par le fait que αἴρω est le correspondant normal de ‫שׂא‬ ָ ָ‫ נ‬et que παιδεύω est le correspondant de ‫ עָמַ ס‬en 2 Par[2 Ch] 10,11. Cependant, ce dernier argument n’est pas convaincant car le contexte de 2 Par[2 Ch] 10,11 est oppressif et la présence de παιδεύω est probablement due à une contamination du verset ultérieur246. En fait, il faut noter que dans le TM, il y a un jeu de mots. Les verbes ‫שׂא‬ ָ ָ‫ נ‬et ‫ ָעמַס‬sont utilisés en IsTM 46,1 pour désigner le fait de porter des idoles. Les idoles que le peuple portait sont tombées, tandis que c’est Dieu lui-même qui porte son peuple 247 . Le traducteur rend ‫ נָשָׂ א‬par αἴρω et ‫ ָע ַמס‬par καταδέω, « lier248, bander (une blessure)249 ». Le choix de ce verbe est curieux dans la mesure où on perd la notion de charge pris par la racine ‫ ָע ַמס‬250. Par ailleurs, καταδέω est rare dans la Septante, correspondant deux fois à ‫ ָחבַשׁ‬chez Ézéchiel. Isaïe semble connaître cette correspondance, puisqu’il utilise κατάδεσμος comme correspondant du puel de la seule occurrence de ‫ ָחבַשׁ‬qu’il possède. Il est possible d’envisager que la Vorlage possédait ‫ ָחבַשׁ‬en Is 46,1. Néanmoins ‫ ָע ַמס‬est un verbe peu fréquent251 qui n’apparaît chez Isaïe qu’en Is 46,1.3. On peut alors suspecter que le traducteur d’Isaïe ne connaissait pas cette racine et qu’il a déduit un sens du contexte. En Is 46,1, il pensa au thème du pansement du fait de la chute des idoles qui ont dû se faire mal252. En Is 46,3, grâce au verbe ‫נָשָׂ א‬, il a effectué une intertextualité avec le séjour au désert et, 244

OTTLEY, Isaiah, 2, 323. Is 44,2.24 ; 48,8 ; 49,1.5.15, la seule exception est Is 13,8 où la Septante rend l’expression ‫ פ ְִרי־ ֶבטֶן‬par τὰ τέκνα, mais il s’agit d’une expression stéréotypée, « les fruits des entrailles ». 246 Voir p. 291. 247 J.D.W. WATTS, Isaiah (2 volumes, WBC 24–25, Waco, Tex. : Word Book, 1985–1987), 2,166. 248 Nb 19,15. 249 Ez 30,21 ;34,4. 250 Le TM insiste sur le fait que les idoles sont une charge, tandis que la LXX suggère que les idoles ont été blessées et qu’on les porte bandées. 251 Les traducteurs de la Septante semble avoir eu des difficultés avec ce verbe : Gn 44,13 ; Za 12,3 ; Ps 67[68],20 ; Ne 4,11 ; 2 Par[2 Ch] 10,11. Seuls Ne 13,15 avec ἐπιγεμίζω, « mettre une charge » et 3 R 12,11 avec ἐπισάττω semblent avoir compris la racine. En particulier 3 R 12,11 a pu être aidé par le passage parallèle 3 R 12,11 qui donne le hiphil de ‫ ָכּבֵד‬, « rendre lourd ». 252 Il est également possible qu’il ne s’agisse que du fait que les idoles sont attachées. 245

320

Quatrième partie : La Septante

peut-être plus précisément avec Dt 32,10 et il a forgé la figure étymologique παιδευόμενοι ἐκ παιδίου 253. Bons remarque, à raison, que cela se marie avec la suite du verset qui traite de la vieillesse d’Israël254.

253

La tournure ἐκ παιδίου se trouve notamment chez Xénophon, Cyr. 1,6,20. E. BONS, « Dieu dans le corpus prophétique de la Septante. Quelques exemples d’exégèse intra-biblique et d’innovation théologique », Les recueils prophétiques de la Bible : origines, milieux, et contexte proche-oriental (éd. par J.-D. Macchi, C. Nihan, T. Römer, Genève : Labor et Fides, 2012), 479. Cependant, en comparant avec IsLXX 50,4–5 puis AmLXX 3,7, et en concluant sur la thèse qu’il développe dans BONS, « ‘Je suis votre éducateur’ », 191– 206, il unifie des notions qui sont semble-t-il différentes. Ainsi, en IsLXX 50,4–5 c’est le prophète qui a une langue « d’éducation » et non pas le peuple qui est « éduqué », voir aussi p. 303s. 254

Chapitre cinq

Synthèse de l’étude de la Septante Le but de ce chapitre était double. D’une part, il s’agissait de délimiter l’ensemble des mots qui correspondent à la racine ‫ יסר‬et ensuite d’étudier leur utilisation. Les mots de la racine de παιδεύω sont les principaux représentants de cet ensemble. Les endroits où aucune correspondance à cette racine n’apparait dans la Septante ne permettent pas de conclure sur un éventuel désintérêt du grec pour celle-ci. Ces omissions s’expliquent par le fait que cette racine appartient à des passages du TM qui n’ont pas de correspondant en grec, tels que ceux de Jérémie, ou qui ont été largement retravaillés, tels que ceux de Job. Les cas restants s’expliquent principalement par des considérations stylistiques1. D’autre part, les cas où la Septante utilise un autre lemme pour traduire la racine ‫ יסר‬ne permettent pas davantage d’exprimer une conclusion sur le sentiment du traducteur vis-à-vis de cette racine. De plus, rien ne permet de penser que la Vorlage de la Septante soit différente du TM. La première correspondance dans le ‘plus’ du troisième livre des Règnes redonne à la racine ‫ יסר‬une nuance violente : il n’est plus question pour Roboam d’éduquer ou de corriger son peuple, mais bien de lui faire violence 2 . La seconde occurrence reste mystérieuse mais pourrait être dûe à une volonté stylistique de placer une figure étymologique. Le choix de Pr 13,1 est très probablement dû à une recherche stylistique, tandis que celui de Pr 25,1 témoigne de la possibilité d’une synonymie entre ‫ מוּסָר‬et ‫ ָמשָׁל‬3. En ce qui concerne le vieux grec du livre de Job4, le choix du traducteur est respectueux de la littérature grecque classique. Choisir νουθετέω respecte non seulement la signification hébraïque de ‫יָסַר‬, liée au reproche oral et physique, mais aussi la signification classique de παιδεύω non liée à la violence. Ainsi,

1

Voir p. 234. Voir p. 235–237. 3 Voir p. 239. 4 Voir p. 240–243. 2

322

Quatrième partie : La Septante

cela suggère que l’utilisation de παιδεύω dans les textes grecs que ces traducteurs connaissaient n’était pas perçue comme adéquate5. Quand les mots de la famille de παιδεύω correspondent à la racine ‫יסר‬, leur utilisation montre quelques caractéristiques originales par rapport à l’usage classique. Ainsi, certaines constructions typiques de l’usage classique sont absentes 6 tandis que des nouvelles sont introduites, telles que la rection du substantif παιδεία par la personne qui est le sujet de l’action et non par la personne qui en est l’objet7. De plus, ces lemmes forment avec d’autres mots des associations qui sont inédites en grec classique. Les mots de la famille de παιδευω sont ainsi associés avec des mots relatifs à la coercition8. D’autre part, le substantif παιδεία est régi par le verbe ἀκούω9. Tout ceci converge vers l’idée que l’emploi des mots de la famille de παιδευω, quand ils correspondent à la racine ‫יסר‬, ne changent pas fondamentalement l’esprit de cette racine : il s’agit toujours d’un processus qui relie asymétriquement deux personnes, dont l’une possède l’autorité et cherche à obtenir l’obéissance de l’autre10. Le substantif peut désigner tout à la fois la correction, la punition, mais aussi un discours oral de reproches. La traduction en grec des passages comportant la racine ‫ יסר‬ne montre pas de tendances systématiques. On trouve des passages où l’aspect coercitif et douloureux est maximisé11 et d’autres endroits où celui-ci est minimisé12. Il n’est d’ailleurs pas évident de déterminer si ces changements sont dus au traducteur ou s’ils se trouvaient déjà dans sa Vorlage.

5

Il est évidemment difficile de déterminer quels textes les traducteurs de Job, de Judith ou Flavius Josèphe avaient en leur possession. Cependant, tous les autres témoignages, y compris celui des réviseurs, confirme la correspondance entre παιδεύω et ‫( יָסַר‬voir p. 229, n. 8). Il est peu crédible qu’il y ait eu en circulation un exemplaire concurrent du Pentateuque dans lequel ‫ יָסַר‬aurait été traduit par νουθετέω. Si cette hypothèse est vraie, cela veut dire que les traducteurs de Job ont corrigé l’équivalent lexical et qu’ils se sont sentis libres de ne pas suivre ce que la Septante proposait comme choix lexical (c’est-à-dire le Pentateuque s’il leur était disponible, voir notamment l’hypothèse novatrice de BARR, « Did the Greek Pentateuch Really Serve as a Dictionary for the Translation of the Later Books? », Hamlet on a Hill: Semitic and Greek Studies Presented to Professor T. Muraoka on the Occasion of his Sixty-Fifth Birthday [OLA 118, Louvain : Peeters, 2003], 539 qui envisage que les textes moins importants, tels Job, aient pu avoir été traduits avant le Pentateuque). 6 Voir p. 244. 7 Voir p. 245. 8 Voir p. 248. 9 Voir p. 247. 10 Voir p. 247. 11 Comme en Pr 3,11–12. 12 Comme en Is 26,16.

Chapitre 5 : Synthèse

323

D’autre part, l’examen des occurrences des mots de la famille de παιδεύω, quand ils ne correspondent pas à la racine ‫יסר‬, montre la permanence de cette idée, y compris pour les composés privatifs13. Les nuances exprimées dans la Septante et non dans le TM continuent de se référer à la racine ‫יסר‬, du fait de leur sens, de leur contexte, comme de leur construction grammaticale14. Cependant, une nuance semble prendre de l’importance : l’utilisation du substantif παιδεία en relation avec les prophètes15. Dans ce cadre, le prophète est perçu comme celui qui énonce le discours de reproches provenant de Dieu. En revanche, on trouve des nuances liées à l’usage classique : l’éducation de Daniel ou celle d’Esther16. Ces usages diffèrent de l’utilisation usuelle des mots de la famille de παιδεύω dans la Septante. Cela montre que les traducteurs grecs connaissaient l’ensemble des nuances de cette famille de mots. Ils savaient probablement quelle nuance ils utilisaient quand ils l’employaient pour traduire la racine ‫יסר‬. Enfin, on observe une nuance très spécifique liée au séjour au désert. Elle correspond au verbe ‫ נָשָׂ א‬et est synonyme de τρέφω, « nourrir ». Elle signifie la période idéale du désert où Dieu porte son peuple et le nourrit17.

13

Voir p. 309–312. Voir p. 285–297. 15 Voir p. 297–305. 16 Voir p. 313–318. 17 Voir p. 318–320. Il convient de noter que cette idée est spécifique à Dt 32,10 et à Is 46,3. Ailleurs, quand παιδεύω est associé au séjour au désert, cela peut signifie plutôt la correction, comme en Dt 8,5 ou dans le livre d’Osée (voir p. 265–269). 14

Cinquième partie

Conclusion

Chapitre unique

Esquisse d’une théologie de l’éducation divine dans la Septante et de ses conséquences Au terme de ce parcours sur la relation entre la racine hébraïque ‫ יסר‬et les mots de la famille παιδεύω, il ne sera pas refait ici un récapitulatif du propos de chaque chapitre. Pour cela, le lecteur se référera aux paragraphes de synthèse de chacun des trois chapitres. En revanche, nous en reprendrons les principaux résultats afin de répondre à nos deux questions initiales : 1. pourquoi les traducteurs grecs ont-ils choisi les mots de la famille de παιδεύω pour traduire les mots de la racine ‫ ? יסר‬Ce choix a-t-il des répercussions sur la présentation de Dieu ? 2. les occurrences des mots de la famille παιδεύω dans la Septante qui ne correspondent pas à la racine ‫ יסר‬ont-elles la même utilisation que les occurrences précédentes et, si non, quelles présentations de Dieu ces différentes utilisations montrent-elles ? Nous terminerons ensuite en ouvrant sur des perspectives nouvelles concernant les études septantiques.

1. L’équivalence lexicale L’analyse des mots de la famille de παιδευω, quand ils correspondent à la racine ‫יסר‬, a montré qu’ils partageaient avec la racine ‫ יסר‬des caractéristiques qui n’étaient pas présentes dans la littérature classique et hellénistique. Ainsi, quand la Septante parle de la παιδεία de quelqu’un, elle s’intéresse à celui qui effectue l’action quand la littérature classique ne s’intéresse qu’à celui qui a effectué sa formation. Autrement dit, on peut opposer la παιδεία Κυρίου de la Septante à la Κύρου παιδεία de Xénophon. La première parle de ce que fait le Seigneur envers son peuple, le second de l’éducation qu’a reçue Cyrus. De même, la conjugaison au parfait est rare dans la Septante. D’autre part, les rections ne sont pas identiques et les associations sémantiques de la Septante sont inédites dans la littérature grecque non judéo-chrétienne. En particulier, παιδεύω y est utilisé comme synonyme de frapper ou de punir, ce qui n’est pas le cas avant Libanios dans la littérature classique. De même, l’utilisation de

328

Cinquième partie : Conclusion

παιδεία dans le livre des Proverbes ne doit pas faire illusion. Par exemple, tout comme ‫ מוּסָר‬dans le TM, παιδεία y est utilisé pour désigner un discours oral, ce qui n’est jamais le cas dans la littérature classique. Tout ceci concourt à l’idée que lorsqu’ils correspondent à la racine ‫יסר‬, les mots de la famille de παιδεύω appartiennent au même champ sémantique que cette dernière. Dans le cadre d’une étude sur les raisons d’un choix lexical, il convient alors de bien différencier deux phénomènes. Le premier consiste à déterminer pourquoi les deux lemmes grecs et hébreux ont été associés au départ. Le deuxième consiste à comprendre pourquoi le lien a été maintenu, au point d’élargir le champ lexical du mot grec vers celui du mot hébreu. J’accepte l’hypothèse qui veut que les traducteurs ont tenté de rendre un texte hébreu en un grec qui leur paraissait correct, sauf exception1. Il me semble obligatoire qu’il y ait un minimum de recouvrement entre les champs lexicaux des deux lemmes considérés. Quels points communs pouvons-nous trouver entre la παιδεία classique et la παιδεία de la Septante ? L’analyse des mots de la famille de παιδεύω qui correspondent à la racine ‫ יסר‬ne témoigne pas d’une équivalence sémantique avec la littérature classique. Au contraire, elle montre des différences nettes avec l’utilisation habituelle dans la littérature grecque classique. Or, les traducteurs ont choisi ces mots pour correspondre à cette racine. Ils ont eu leur raison. Peut-on essayer de la déterminer ? L’état de la recherche est unanime pour penser que les mots de la famille de παιδεύω auraient signifié « frapper » du fait de la violence de l’éducation contemporaine. Même si certaines voix s’élèvent contre la brutalité de cette éducation2, il est perçu comme normal que les élèves soient battus quand ils font des erreurs. Les traducteurs grecs auraient donc choisi παιδεύω parce que ce lemme aurait partagé avec ‫ יָסַר‬le double emploi qui lie correction corporelle et éducation. Cette hypothèse n’est pas impossible en soi, mais elle n’est pas attestée par un témoin contemporain non judéo-chrétien avant une époque très

1

Voir par exemple J. AITKEN, « Neologisms: A Septuagint Problem », Interested Readers (éd. par J .K. Aitken, C. Maier et J. Clines, Atlanta, Ga.: SBL, 2013), 327–328 pour l’utilisation probable du traducteur de l’ecclésiaste du mot grec οἰνοχόη dans un sens qu’il ne possède manifestement pas en grec classique. 2 Cf H.–I. MARROU, Histoire de l’éducation dans l’Antiquité (2 volumes, 6ème édition, Paris : Seuil, 1965), 1, 239 ou encore R.B. GIRDLESTONE, Synonyms of the Old Testament. Their Bearing on Christian Doctrine (3ème édition, Grand Rapids, Mich. : Baker Book House, 1983), 247.

Chapitre 1 : Esquisse d’une théologie de l’éducation divine

329

tardive3. Il est également possible de comparer avec le lemme égyptien sbȝ4. Ce lemme posséderait également ce double emploi. Cependant, même si l’éducation égyptienne antique était particulièrement sévère, le verbe sbȝ ne semble pas avoir désigné autre chose qu’enseigner. Si le substantif sbȝy.t peut désigner un châtiment, c’est dans le contexte plus général de sbȝy.t qui désigne un édit royal : le châtiment n’est en fait que l’application de l’édit. Enfin, il nous manque un témoin textuel qui lie sbȝ et παιδεύω ou sbȝ et ‫יָסַר‬. Ainsi, quoique séduisante pour son bon sens, cette hypothèse n’est pas satisfaisante, tant du point de vue des témoins que du point de vue sémantique. Une autre piste possible est de considérer l’utilisation des mots de la racine ‫יסר‬ dans les œuvres de la Sagesse ou le Deutéronome. Même si le verbe ‫יָסַר‬ conserve une connotation coercitive corporelle, il devient davantage une réprimande. Cette réprimande appelle à une réforme des mœurs. Or, un tel emploi pour παιδεύω est attesté dans la littérature grecque classique. Sans être synonyme de « frapper » ou « punir », παιδεύω peut désigner, à l’actif, l’action paternelle pour convaincre un enfant et, au passif, le changement de comportement. Cette utilisation, principalement métaphorique du verbe se trouve déjà chez les tragédiens de l’époque classique5 et se poursuit jusqu’à l’époque hellénistique et romaine6. Cette utilisation est particulièrement convaincante dans le Pentateuque. DtLXX 21,18 peut trouver un parallèle dans la littérature classique7. De même, dans la Septante, le jeune homme de Dt 22,18 n’est pas puni sous la forme d’une amende comme dans le TM ; il est sermonné8 et, en plus, on lui inflige une amende. Même les occurrences où Dieu est le sujet sont essentiellement une action de reproches avant d’être une action violente9.

3 De fait, seuls Libanios et un papyrus tardif probablement chrétien, tous deux postérieurs au IVème siècle de notre ère, attestent d’une telle utilisation. Est-ce l’influence de la Septante ou est-ce la seule fois qu’une utilisation populaire ait accédé au témoignage écrit (en dehors de la littérature judéo-chrétienne) ? 4 Voir p. 68–77. 5 Sophocle, Aj. 595. 6 Plutarque, Fab. 13,3. 7 Élien le Sophiste, Var. hist. 1,34. 8 Selon mon interprétation, la signification première est « demander à changer de comportement ». Cependant, l’évolution du champ sémantique de παιδεύω a rendu ce mot synonyme de « frapper » dans ce passage, voir L. PRIJS, Jüdische Tradition in der Septuaginta, Leyde : Brill, 1948, 16. Dans son exposé sur cette loi, Josèphe, Ant. 4, 248 n’utilise pas le verbe παιδεύω mais le paraphrase. 9 Dt 4,36 ; 8,5.

330

Cinquième partie : Conclusion

Selon cette hypothèse, les traducteurs auraient perçu la similitude d’une utilisation de παιδεύω avec celle de ‫יָסַר‬. Les deux lemmes décrivent une relation asymétrique et une action de reproche ou d’admonestation, selon le schéma suivant :

‫יָסַר‬

παιδεύω

Oppresser S’occuper d’un enfant

Éduquer

Reprocher, admonester Corriger, frapper

Recouvrement des champs sémantiques de παιδεύω et de ‫יָסַר‬ Par la suite, le choix lexical effectué s’est figé, de sorte que dès que la Vorlage possédait la racine ‫יסר‬, le traducteur grec envisageait d’utiliser un mot de la famille παιδεύω. Cela s’est traduit par des utilisations qui s’éloignent de l’utilisation classique. Tant du point de vue grammatical, que du point de vue du sens, παιδεύω prend en charge l’ensemble du champ lexical de la racine ‫יסר‬, et notamment la correction corporelle et la punition10. C’est probablement pour cette raison que le traducteur du livre de Job conserve la correspondance mais change παιδεύω pour νουθετέω plus proche du champ lexical de ‫יסר‬. La similitude entre παιδεία et ‫ מוּסָר‬a pu conforter la correspondance lexicale. En effet, le substantif ‫ מוּסָר‬désigne un état : celui de la personne qui a été suffisamment admonestée dans sa jeunesse pour pouvoir se comporter correctement. Cet état, toute personne désireuse d’être sage est appelée à le garder, le chérir, le développer, ne pas le laisser de côté, ne pas le trahir. Tous ceux qui méprisent cet état sont définis comme des sots. Or, un tel statut est également attribué à παιδεία, notamment dans la sagesse gnomique. Malheureusement, les témoins de cette sagesse sont très souvent postérieurs à l’avènement du Christianisme et il est difficile de préciser la 10

E.g. PrLXX 13,24.

Chapitre 1 : Esquisse d’une théologie de l’éducation divine

331

datation de ces sentences. Un bon nombre d’entre elles sont attribuées à différents auteurs grecs de la période classique et ne datent probablement pas d’une époque très antique. D’ailleurs, on ne peut pas exclure l’influence d’une sagesse chrétienne chez ceux qui ont compilé ces sentences. Cependant, on ne peut pas exclure qu’elles puisent à des sources plus anciennes. De fait, il est intéressant de constater qu’elles proposent une comparaison sur le fond et non sur la forme de la Septante. L’éducation est un état à saisir, à garder. Pour y accéder, il faut se convertir. Elle mène à la vie et non à la mort. Ces éléments permettent d’envisager que les traducteurs ont également perçu une relation entre la sagesse liée à ‫ מוּסָר‬et celle liée à παιδεία, telle qu’on peut la retrouver dans les proverbes gnomiques. Cette littérature offre, en effet, des parallèles intéressants avec la Septante 11 . Les deux systèmes de pensée distinguent ceux qui possèdent la παιδεία de ceux qui ne la possèdent pas12. Ils comparent la παιδεία à la vie13, disent qu’elle mène au bonheur et à la gloire14. Ils indiquent que le chemin de la παιδεία est difficile 15 . Ainsi les champs sémantiques de ‫ מוּסָר‬et de παιδεία se recoupent également selon le schéma suivant :

‫מוּסָר‬

παιδεία Jeunesse

État d’un homme sage

Action d’oppresser

Éducation, culture Discours de reproches

Recouvrement des champs sémantiques de παιδεία et de ‫מוּסָר‬

11

Elle souligne la coercition dans l’éducation (p. 195–196), elle considère l’ « éducation » comme un bien vénérable (p. 216–217) et l’homme éduqué est digne d’éloge (p. 175–176). 12 Pr 12,1 ; 15,5, à comparer avec Diogène Laërce, Vit. philos. 2,69. 13 Pr 6,23 ; 10,17, à comparer avec Ménandre, Sent. 122. 14 Pr 13,18 ; 16,7 ; 17,8 ; à comparer à Cébès, Tab 22–23 ou Stobée, Anth. 2,31,58. 15 Pr 22,15 à comparer avec Diogène Laërce, Vit. philos. 5,18 ou Ménandre, Sent. 122.

332

Cinquième partie : Conclusion

De la même façon, l’utilisation systématique de παιδεία pour traduire ‫ מוּסָר‬a conduit le premier à prendre en charge l’ensemble du champ lexical du second, et notamment le fait de devenir l’expression d’un châtiment16, ou celui d’un discours de reproches17, y compris quand il n’y a pas de correspondance avec le TM. Ainsi, on peut raisonnablement envisager que la correspondance entre la racine ‫ יסר‬et παιδεύω s’est effectuée à une époque et dans un milieu où le verbe ‫ יָסַר‬et le substantif ‫ מוּסָר‬appartiennent résolument au contexte sapiential.

2. Enquête sur les différences lexicales a. Maintien d’une signification proche de la racine ‫יסר‬ La Septante témoigne d’une utilisation des mots de la famille de παιδεύω qui ne correspondent pas à la présence de la racine ‫ יסר‬dans le TM. Dans certains cas, cette présence peut s’expliquer par la Vorlage. Il peut s’agir : 1. 2. 3. 4.

d’une lecture aramaïsante de la Vorlage 18 ; d’une erreur dans la transmission du squelette consonantique19 ; d’une difficulté à distinguer entre les racines ‫ יסר‬et ‫אסר‬20 ; d’une synonymie avec les mots de la racine ‫יכח‬21, ou avec des termes liés à la sagesse, notamment dans le livre des Proverbes22.

Dans d’autres cas, un choix délibéré du traducteur est possible. Il aurait utilisé ce mot pour exprimer une nuance déjà présente dans la racine ‫יָסַר‬, principalement dans le cas où le texte, tel que nous le montre le TM, est complexe23. Les nuances présentes sont assez variées : de l’oppression violente24 à un discours de reproche qui pourrait presque être un enseignement25. Parmi ces différences, on peut noter particulièrement l’importance donnée au prophète qui annonce la παιδεία26. Cette idée provient de ce que le prophète est le porte-parole des récriminations de Dieu. Le substantif désigne non 16

E.g. 2 Esd 7,26. E.g. Pr 4,1. 18 2 R[2 S]22,46. 19 Pr 23,2. 20 Os 10,10, Ps 104[105],22. 21 Pr 3,12, Ps 104[141],5. 22 Pr 1,29, Ps 118[119],66. 23 1 Ch10,11 ; Ps 2,12 et Is 46,3 mais là παιδεύω témoigne d’une autre nuance. 24 1 Ch 10,11 ; 2 R[2 SS] 22,48. 25 Pr 5,13. 26 Am 3,7 ; Ha 1,12 ; Ez 13,9 et peut-être Is 50,4. 17

Chapitre 1 : Esquisse d’une théologie de l’éducation divine

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seulement le discours du prophète en tant qu’il est un reproche contre le peuple, mais aussi l’action de Dieu lui-même. Cette conception ne nécessite aucune influence de l’esprit hellénique. Bien que non présente dans le TM explicitement, elle y est présente implicitement27. Sa plus grande présence dans la Septante traduit plutôt une importance accordée à cette notion plutôt qu’une influence du vocabulaire hellénistique. On trouve également des occurrences qui accentuent l’idée de la souffrance. Le cas typique est Pr 3,11–12 qui, dans le TM, montre une action de Dieu qui reste au niveau du reproche, tandis que la Septante témoigne d’une action qui fait souffrir. Cette idée est accompagnée de quelques occurrences de la Septante où παιδεία désigne une punition28 ou un châtiment envoyé par Dieu29 et qui soumet les Nations 30 sans réelle connotation éducative. Les Psaumes témoignent d’une correction divine qui amoindrit une nuance pessimiste31 ou alors font référence à la promesse faite au roi David en 2 S 7,1432. Toutes ces différences de la Septante ne proviennent pas du choix lexical. Allant dans des directions différentes, parfois amplifiant la violence, parfois l’atténuant, aucune d’entre elles ne fait apparaître des caractéristiques typiques de l’utilisation de παιδεύω et de παιδεία dans la littérature classique et hellénistique. Au contraire, elles semblent pour la plupart avoir été utilisées avec la racine ‫ יסר‬en modèle. b. Cas de d’éloignement du champ lexical de la racine ‫יסר‬ On observe toutefois de réelles différences sémantiques qui sont dues à l’utilisation de παιδεύω et de παιδεία avec leur contexte classique hellénistique. Ainsi trouve-t-on la notion d’enseignement 33, de culture34, d’éducation – sous la nuance de « faire grandir »35. Toutes ces nouvelles nuances sont profanes. Il en est cependant une qui est réservée à la relation entre Dieu et son peuple. Il s’agit de la nuance « nourrir, élever », synonyme de τρέφω. Cette nuance36 permet de décrire la relation entre Dieu et son peuple dans le désert. Au contraire de Dt 8,5, basée sur la coercition, cette relation est ici une relation de tendresse. Elle pourvoie au besoin du peuple.

27

Jr 7,25–26. 2 Esd 7,26. 29 Job 37,13. 30 2 R[2 S] 22,48. 31 Ps 89[90],10. 32 Ps 17[18],36. 33 Ez 28,3. 34 DnLXX 1,20. 35 DnLXX 1,5, EstLXX 2,7. 36 Dt 32,10 ; Is 46,3. 28

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Cinquième partie : Conclusion

3. Conséquence sur la théologie biblique En grec, τέκνον marque mieux la filiation que παῖς 37 . De même ἀτάλλω et ἀτιτάλλω marquent mieux la tendresse que porte un père pour son enfant que παιδεύω 38 . Cependant, il semble que la Septante introduise un glissement sémantique dans son utilisation de παιδεύω. Il l’utilise davantage que la littérature grecque pour désigner le reproche, la correction et la punition, mais aussi pour signifier la relation entre Dieu et son peuple (ou son fidèle) fait d’autorité et d’amour filial. Ainsi, l’utilisation de παιδεία et de παιδεύω traduit une relecture sapientiale de la racine ‫יָסַר‬. Les occurrences de παιδεύω en lien avec Dieu dans le Deutéronome peuvent traduire une telle relecture sapientiale. En Dt 4,36, tout comme en Dt 8,5, l’action divine est perçue comme instaurant une relation père-fils avec le peuple, faite de reproches et de recadrages39. Ce point est d’ailleurs plus marqué que dans le TM : ce n’est pas au désert que le peuple est corrigé, ce sera en Terre promise, s’il se comporte mal. De même, l’utilisation de παιδεία en Dt 11,2 correspond à une action divine faite de coercition qui amène le peuple à s’amender de deux manières : en observant le malheur des autres, les Égyptiens, en observant le malheur des siens40. Les trois occurrences dans le Lévitique permettent également une relecture sapientiale : l’action coercitive de Dieu est une métaphore d’un reproche adressé à son peuple. Dieu ne parle pas par la parole, il parle par ses actions et il parlera sept fois. Le passage du verbe παιδεύω au passif désigne alors l’injonction divine à changer de comportement. Lorsqu’on étudie les occurrences dans les autres livres, on observe également quelques différences. En Osée, comme en Jérémie, Dieu n’est plus présenté comme un Dieu qui punit sans espoir de conversion. De même, la perspective a changé : on parle moins de menaces que de faits. Dieu ne menace plus de corriger, il annonce ce qu’il a déjà fait. Ainsi, la Septante témoigne d’une perception orientée selon un prisme de lecture postexilique : Dieu corrige son peuple mais pas jusqu’à le tuer. Par exemple, Is 26,16 et Is 28,26 explicitent clairement ce sens alors que le TM reste allusif. Cependant, il existe quelques occurrences dans lesquelles Dieu est la source d’un reproche qui n’inclut pas de coercition. Le cas le plus typique est Ps 93[94],10.12. Par ses choix lexicaux, ce Psaume proclame que Dieu corrige et enseigne son croyant, de manière plus claire que le TM. 37

Voir p. 149. LSJ. 39 Ce point peut également justifier le fait que la Septante n’utilise pas κολάζω trop proche de la description des dieux dans la mythologie grecque (cf. p. 219). 40 Voir PrLXX 22,3. 38

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On peut donc apporter les corrections suivantes à la thèse de Bertram. Premièrement, la racine ‫ יסר‬est utilisée dans un contexte pédagogique de transmission de Sagesse. Il est donc faux de dire que la langue hébraïque n’a pas développé de tels concepts. Ensuite, l’utilisation de παιδεύω et de παιδεία dans la Septante ne traduit pas de changement sémantique majeur quand ils correspondent à la racine ‫יסר‬. Les traducteurs grecs se sont basés sur le champ sémantique du reproche et de la conversion pour faire correspondre παιδεύω à la racine ‫יסר‬. On ne peut nier l’existence de différences, même dans des passages où le TM possède un mot de la racine ‫יסר‬. Cependant, celles-ci ne sont pas spécifiques à un esprit grec. Il est plus sûr d’affirmer qu’il ne s’agit pas de changements lexicaux ou théologiques : le mot παιδεύω n’est pas le moyen d’attribuer à l’histoire du Salut une perspective pédagogique. La véritable innovation ou plutôt insistance 41 théologique que semble avoir apportée la Septante, c’est le fait d’avoir exprimé en deux endroits par le verbe παιδεύω la relation dans le désert du peuple avec Dieu non pas sous l’angle de la correction mais sous l’angle de la nourriture et de la relation de tendresse, en lien avec l’utilisation du verbe hébreu ‫נָשָׂ א‬42.

4. Hypothèses sur des questions ouvertes de la Septante Les conclusions dressées ci-dessus permettent d’apporter un éclairage nouveau sur quelques questions encore ouvertes concernant les études de la Septante. a. La possible antériorité de la traduction du Deutéronome sur celle du Lévitique Depuis Thackeray43, on estime que le Pentateuque a été traduit d’un bloc. Bien évidemment, même si cette hypothèse est vraie, traduire le Pentateuque nécessite du temps, et il est probable que l’expérience des traducteurs ait évolué entre les premières lignes de la Genèse et les dernières du Deutéronome, si tant est qu’ils aient traduit dans cet ordre. 41

Si on estime que le lien entre ‫ נָשָׂא‬et l’éducation familiale est déjà effectif en NbTM 11,12. Voir p. 318–320. 43 H. ST. J. THACKERAY, A Grammar of the Old Testament in Greek According to the Septuagint (Cambridge: University press, 1909), 6–7.13, repris dans R. SOLLAMO, Repetition of the Possessive Pronouns in the Septuagint (SCS 40, Atlanta, Ga. : Scholars Press, 1995), 6 et E. Tov, « The Impact of the LXX Translation of the Pentateuch on the Translation of the Other Books », Mélanges Dominique Barthélémy, Études bibliques offerte à l’occasion de son 60e anniversaire (éd. par P. Casetti et al., OBO 38, Göttingen : Vandenhoeck & Ruprecht, 1981), 578 42

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Cinquième partie : Conclusion

En effet, la recherche commence à considérer les différences de style de traduction entre les différents livres du Pentateuque44. L’un des apports les plus récents consiste en l’étude de l’antériorité de la traduction du Deutéronome par rapport au Lévitique par den Hertog45. Celui-ci commence par évoquer les raisons historiques d’un tel ordre de traduction qui ne respecte pas l’ordre canonique : tout d’abord, le Deutéronome, avec les Psaumes et le prophète Isaïe, est l’un des livres les plus présents dans le corpus de Qumran. Il se pourrait qu’il en soit autant pour le judaïsme de la diaspora. Ensuite, le Lévitique et les Nombres, avec leur intérêt cultuel lié au temple, étaient probablement moins utilisés dans la diaspora46. Enfin, il prend l’exemple de choix lexicographiques du Lévitique qui s’expliquent mieux si ce dernier a pris exemple sur le Deutéronome, et non l’inverse47. Pourrait-on rajouter l’équivalence entre παιδεύω et ‫ יסר‬parmi ces exemples ? En effet, l’utilisation par la Septante du Deutéronome du lemme παιδεύω s’explique assez bien par la nuance d’admonestation qu’il possède en grec classique, alors que dans les trois exemples du Lévitique48, le contexte impose que παιδεύω signifie une punition49. Dans ce cas, la correspondance lexicale entre παιδεύω et ‫ יסר‬pourrait avoir été créée par le traducteur du Deutéronome et reprise ensuite dans les autres livres de la Septante et notamment dans le Lévitique. Il reste cependant le cas de Dt 11,2, où l’utilisation de παιδεία ne correspond pas à un usage grec très clair. Dans tous les cas, le complément de ce substantif par celui qui est la source de l’action, plutôt que par celui qui la subit, n’est pas fréquent dans le grec classique. L’équivalence lexicale aurait précédé la traduction du Deutéronome. Cependant, si on rapproche des rares exemples épigraphiques et papyrologiques, néanmoins tardifs, d’un usage similaire50, on peut imaginer que le traducteur du Deutéronome utilise παιδεία comme nom verbal de παιδεύω pour rendre ‫ מוּסָר‬et désigner les « hauts faits » de Dieu quand il s’occupe de son peuple. 44

Voir la synthèse de quelques contributions à ce sujet en C.G. DEN HERTOG, « Erwägungen zur relativen Chronologie der Bücher Levitikus und Deuteronomium innerhalb der Pentateuchübersetzung », Studien zur Entstehung und Bedeutung der Griechischen Bibel (éd. par S. Kreuzer et J.P. Lesch, vol. 2 de Im Brennpunkt : Die Septuaginta, BWANT 9/1 161, Stuttgart : Kohlhammer, 2004), 216, n. 2. 45 Ibid., 216–228. 46 Ibid., 217. 47 Ibid., 221–225. 48 Pour le Lévitique, voir p. 250–254. Pour Dt 8,5, voir p. 256–257. 49 Cependant, cela impose que les traducteurs grecs aient une grande sensibilité en ce qui concerne le contexte. Si jamais ils ont commis la « faute » de l’ « illegitimate totality transfer », dénoncée par Barr (Cf. p. 4 de ce livre), ils auraient pu attribuer à ‫ יָסַר‬le sens qu’il possédait, notamment dans le livre des proverbes. Cependant, cette constatation montre bien que ce n’est pas le traducteur du Lévitique qui a créé l’équivalence lexicale entre ‫ יָסַר‬et παιδεύω. 50 Voir p. 186.

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Dans ce cas, l’atelier producteur de la Septante du Deutéronome pourrait avoir forgé l’équivalence lexicale, reprise ensuite par les autres livres de la Septante. b. La détermination du milieu producteur de la Septante Les deux rapprochements effectués entre la racine ‫ יסר‬et les mots de la famille de παιδεύω évoqués plus haut, font appel à la signification de ‫ יָסַר‬et de ‫מוּסָר‬ dans le livre des Proverbes. Il devient possible d’évoquer l’hypothèse suivante : les traducteurs de la Septante étaient des personnes « éduquées » au sens « scribal » du terme51. Elles seraient « nourries » aux proverbes leur demandant d’honorer le ‫מוּסָר‬, à savoir le difficile processus qui les a amenées à devenir une élite de leur société. Lorsqu’elles ont dû nommer en grec la réalité de ce terme hébreu, elles ont trouvé les mots de la famille παιδεύω appropriés, non pas parce qu’ils mixaient violence et éducation mais parce qu’ils groupaient trois caractéristiques chères à ces scribes52 :

51 Les études concernant le milieu producteur de la Septante ont repris ces derniers temps. L’article de A. VAN DER KOOIJ, « The Septuagint and Scribal Culture », XIV Congress of the IOSCS, Helsinki, 2010 (éd. par M.K.H. Peters, SBLSCS 59, Atlanta, Ga. : SBL, 2013), 33–39 fait le point sur cette question. L’hypothèse d’une origine scribale de la traduction de la Septante est rendue nécessaire par le fait que les traducteurs devaient avoir une expertise dans les textes hébraïques, qu’ils devaient pouvoir présenter leur traduction comme ayant une certaine autorité et qui, pour cela, devaient aussi s’ordonner à une autorité de manière hiérarchique, voir aussi E. TOV, « Les traducteurs des écritures grecques et leur approche des écritures », Traduire la bible hébraïque. Translating the Hebrew Bible. De la Septante à la Nouvelle Bible Segond. From the Septuagint to the Nouvelle Bible Segond (éd. par R. David et M. Jinbachian, Sciences Bibliques 15, Québec : Médiaspaul, 2005), 122–126. D’autre part, au vu de la rareté d’utilisation des mots de la famille de παιδεὐω au sens classique « éduquer », il n’est pas certain que ces scribes connaissaient bien les lettres classiques (pace N. FERNANDEZ MARCOS, « The Greek Pentateuch and the Scholarly Milieu of Alexandria », Semitica et Classica 2 [2009], 81–89). Néanmoins, on peut supposer qu’ils étaient suffisamment éduqués pour connaitre au moins deux langues, Cf. RÖSEL, « Schreiber, Übersetzer, Theologen. Die Septuaginta als Dokument der Schrift-, Lese-, und Übersetzungskulturen des Judentums », Die Septuaginta – Texte, Kontexte, Lebenswelten. Internationale Fachtagung veranstaltet von Septuaginta Deutsch (LXX.D) Wuppertal 20. – 23. Juli 2006 (éd. par M. Karrer et W. Kraus, en collaboration avec M. Meiser, WUNT 219, Tübingen : Mohr Siebeck, 2008), 98. J. JOOSTEN, « Le milieu producteur du Pentateuque grec », REJ 165 (2006), 349–361, après avoir rejeté l’idée que le grec de la Septante est littéraire, remarque une caractéristique utile pour déterminer le milieu producteur : l’utilisation de termes militaires là où le TM ne le demande pas. Cela serait le signe que la Septante a vu le jour dans un milieu influencé par les mercenaires juifs (Ibid., 360). 52 Ceci ne veut pas dire que nous envisageons que la traduction en grec des Proverbes a pu influencer celle de la Torah. Ceci veut dire que nous envisageons que l’esprit qui se dégage du livre des prophètes en hébreu et qui éloigne quelque peu la racine ‫ יסר‬de ses connotations uniquement coercitives et violentes, a pu influencer le choix lexical des traducteurs.

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Cinquième partie : Conclusion

1. la relation asymétrique entre l’élève et le maître ; 2. la relation faite de reproches et de réprimandes orales qu’ils devaient écrire et apprendre constamment : « fais ceci, méfie-toi de cela, … » ; 3. l’état, c’est-à-dire le comportement tout autant que le statut social résultant de ce processus qui permettait de les désigner comme des scribes. Ce choix a été suffisamment fort pour que les traducteurs et les réviseurs tels qu’Aquila, Theodotion ou Symmaque aient gardé cette équivalence lexicale même lorsque la racine ‫ יסר‬ne possédait pas cette nuance « éducative » ou « sapientiale ». C’est ainsi que παιδεύω est utilisé pour désigner, par exemple, l’oppression du roi sur son peuple53. Est-ce que ce choix est un pur hébraïsme littéraire – c’està-dire que les scribes ont remplacé automatiquement le verbe ‫ יָסַר‬par παιδεύω – ou est-ce que le rapprochement de παιδεύω et de ‫ יָסַר‬a été suffisamment diffusé dans la langue parlée pour que ce choix soit normal ? Autrement dit, est-ce que l’attribution de la nuance de violence à παιδεύω provient du choix lexical initial ou de la lecture quotidienne de textes où ce choix a été abusivement opéré ? Il est impossible d’y répondre. Cependant, cette équivalence a mené à une évolution du sens de παιδεύω qui en vint à désigner des punitions sans connotation éducative. On pourrait poser la même question concernant l’utilisation de παιδεία en tant que discours oral. Cependant, il semble que cette signification n’ait pas eu le même succès et n’ait pas dépassé le cadre de la Septante, auquel cas un hébraïsme de traduction serait alors possible.

5. Développement ultérieurs Si la Septante peut être le témoin d’une importance accrue donnée à l’image du Dieu éducateur, celle-ci n’est effectuée que rarement avec παιδεύω. Il reste alors à déterminer quand la notion évoquée au début de cette thèse est apparue. Pour cela, il convient : 1. d’effectuer la même analyse avec d’autres mots de vocabulaire liés à l’éducation : τρέφω et ses composés, διδάσκω… 2. de s’extraire de l’étude lexicale pour faire une étude du concept en analysant les « situations pédagogiques » qui sont offertes à Dieu ou encore les « attitudes éducatives » dont Dieu va se servir pour éduquer son peuple. Ce

53

3 R[1 R] 12,11.14 ; 2 Par[2 Ch] 10,11.14.

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339

point est délicat car il faudra définir clairement ce qu’est une attitude éducative54 ; 3. d’étudier enfin la réception de ces choix lexicaux. Nombre de textes que nous avons mis de côté pour l’étude de παιδεύω et de παιδεία sont néanmoins pertinents. Ainsi, la Sagesse de Salomon et les Psaumes de Salomon témoignent d’une forte présence des mots de la famille de παιδεύω. On peut également penser à Philon ou Flavius Josèphe. Entre le terminus post quem, la Septante, et le terminus ante quem, Clément d’Alexandrie, il y a encore la place pour déterminer le milieu d’origine de la notion de Dieu éducateur. Cette étude permettra d’expliquer la genèse de la notion théologique du Dieu éducateur en tant qu’il gère l’humanité vers un but 55 . En d’autres termes, il s’agira de bien faire la distinction entre le travail de traduction et celui de réception.

54 Voir H. KLEIN, « Erziehung », NBL 1 (1991), 586–587 pour une approche davantage basée sur le concept que sur le vocabulaire. Bien que l’auteur commence par indiquer que l’éducation est portée par ‫ מוּסָר‬et παιδεία, il présente des passages marqués par la description d’une coercition demandant l’obéissance (e.g. Os 11,5) sans que ces mots soient présents. De même, Y. KANG, « God as Teacher: Studies on Deut 5–8 and Exodus 16 » (thèse de doctorat, Université de Durham, 2002) délimite quelques passages basés à la fois sur le vocabulaire didactique mais aussi sur la posture anthropologique du maître et de l’élève pour démontrer que Dt 8,1–5 est une relecture didactique de Ex 16. Dans tous les cas, la question du lien entre mot et concept se pose. 55 Il était dans le propos de cette thèse de montrer que cette théologie ne trouve pas son origine dans la Septante mais ultérieurement, comme le pensait Kraus (voir p. 13–15). Il reste maintenant à définir l’origine de cette idée : soit Kraus a raison et Clément d’Alexandrie en est l’inventeur, soit Kraus a tort et cette origine peut être trouvée plus tôt, par exemple chez Ben Sira, les Pseudépigraphes ou encore Philon.

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Index des sources anciennes Sauf exception, les sources uniquement mentionnées pour exemple dans les notes de bas de page n’ont pas été incluses.

1. Corpus hébraïque a. Texte Massorétique Genèse 31,37

103

Exode 20,20 32,19

118 261

11,3 11,8 21,18

Lévitique 26,3–46 26,18–28 26,18 26,23 26,28

116 116 12, 17, 22, 30, 94 17, 22, 30, 91 12, 17, 22, 30, 93

22,18 22,19 28

261 97127 17, 28, 11813, 119– 120 11930 103199, 120 11, 17, 93, 116, 122, 124, 140, 180 17, 49, 51, 58, 93 58 116

Juges 3,31 12,6 31,18

75, 93104 55 76

Nombres 3,24 Deutéronome 1,31 4,32–34 4,36 8,2 8,5

102

50, 118 117 12, 94, 99–100, 117– 118 119 3–5, 12, 50, 93, 94, 118–119, 120, 136

9,17 10,6 11,2

Premier livre de Samuel 6,6 558 6,10 558 14,14 8230 Deuxième livre de Samuel 7,14 104207, 279, 333 7,15 118

366 12,3 22,35

Index des sources anciennes 316 76

Premier livre des Rois 12,1–19 51 12,11 17, 49, 58, 93 12,14 17, 58, 93 21,10 75 Deuxième livre des Rois 17,4 558 Isaïe 8,11 21,29 26,16 28,1 28,22 28,26 28,27–28 41,7 46,1 46,3 52,2 52,15–53,12 53,5 Jérémie 2,19 2,20 2,27 2,30 5,3 5,5 6,8 7,28 10,8 10,24 17,23 27,2

12, 82–84, 90 103 120–121 289 97127 86–87, 95–96, 121 96 289 319 319–320 97127 19 98139, 121–122

93–94 97127 122 12 12, 103199, 124 97127 91, 122 12, 122–123, 124– 125, 269 88, 234 12, 93–94, 96, 116, 124, 129 122–123, 124–125 97127

30,8 30,11 30,13 30,14 31,18 32,33 35,13 46,28

97127 95, 96, 116, 124, 234 123 98139, 123–124, 275 12, 91, 92–93 93104, 123 122–123 95, 96, 116, 124

Ezéchiel 5,15 23,48

103, 125 92

Osée 4,4 5,2 6,3 7,10 7,12 7,15 10,10 10,11 10,12

103 80, 126 96124 126 81, 90, 104, 126 78–80 22, 81–82, 90–91, 126 76, 93104 96124

Michée 6,2

103

Nahum 1,3

97127

Habacuc 1,12

78

Sophonie 3,1–4 3,2 3,6 3,7 3,8

126–127 126–127 127 126, 127 127

367

Abréviations Malachie 3,17 Psaumes 2,2 2,3 2,10 6,2 16,7 26,2 38,2 39,12 45,10 50,17 94,10

118

94,12 105,22 107,14 116,16 118,18 119,62 129,3

89 97127 91, 128 22, 93, 128–129 61, 100–101176, 12889 12889 22, 93, 128–129 22, 103204, 129 102193 12889, 129–130, 261 12, 91, 103204, 128, 130–131 93, 131 79 97127 97127 22, 94, 131–132 12889 8230

Job 4,3 5,17 7,14 9,33 12,18 13,3 13,27 15,3 16,13 20,3 22,4 33,15–17 33,16 33,18 36,10 36,15 39,4

78–79, 132–133 23, 133, 134, 135 240 103 87 103 66 103 12889 98139 103 134136 88–90 134136 66, 89, 104, 134–135 104, 134 97127

39,5 39,10 40,2 Proverbes 1,2 1,3 1,7 1,8 3,1–11 3,1 3,11–12 3,11 3,12 3,13–18 4,1 5,23 6,20 7,6–27 7,22 8,10 8,15 8,32 9,7 10,11 13,1 13,24 14,8 14,33 15,10 15,33 16,22 19,18 19,20 22,15 23,13–14 23,13 29,15 29,17 29,19

89 8230 84–86, 241

114 98139 114 17 135 135 22, 134, 136 133, 135–136 23, 118, 295 136 64 136 240 98141 87–88, 90 136 136 324 77, 91, 234 98141 97132 50, 66, 97131 98141 98141 136 88, 90, 98139, 107, 111, 137 98141 11, 17, 76, 93–94, 140 52 106 76 52, 140 94 12, 17, 94 91, 109

368

Index des sources anciennes

30,6 31,1

103 12, 102

Premier livre des Chroniques 15,22 86–87, 90

b. Pentateuque Samaritain Dt 32,10

317232

c. Siracide hébreu 4,11–19 (A) 4,11 (A) 4,19 (A) 6,22 (A) 10,25 (A)

111 75 109 111–112, 238–239 109279

31,17 (B) 32,2 (B, D, F) 40,29 (Bm, M) 42,5 (B, Bm, M)

109279 110–111293 109–110 109279

d. Textes hébreux de Qumrân a

1QIsa VIII, 4 1QS VI,14

83 113–114

4Q41, I, 1 4Q 174, I, 14

5512 8440

e. Littérature rabbinique Meggilah 13a

316

2. Traductions antiques de la Bible a. Septante Genèse 2,4–5

3510

Exode 19,4

318

Lévitique 26,18 26,21 26,23–24 26,23 26,24 26,25 26,27 26,28

250, 257 250, 251–252, 25315 250 243, 251–252 25315, 254 253 252 250, 253–254, 257

Nombres 6,5 11,2 16,3 Deutéronome 1,31 4,1 4,36 8,1 8,5

9,6 11,2 11,7

314 318 237

25525, 318 259 255–256, 258, 334 259 6, 30–31, 40–42, 244, 256–257, 318, 333, 334 259 257–259, 334, 336 258

369

Index des sources anciennes 15,7 15,8 15,9 15,10 15,11 21,18 22,18 28 32,9–11 32,10

280 280 280 280 280 242, 243, 329 293, 329 250 20935 27, 280, 316–320

Juges 3,31 (B) 5,14 (A)

248105 292

Premier livre des Règnes 26,10 278–279 Deuxième livre des Règnes 7,8–16 287 22,36 286–287 22,48 293–294 Troisième livre des Règnes 12,10–11 236 12,11 244, 249, 291 12,14 244, 249 12,24a–z 235–236 12,24r 236–237 Deuxième livre des Paralipomènes 10,11 249, 290–291, 319 10,14 249 Premier livre d’Esdras 8,24 292 Deuxième livre d’Esdras 7,26 39, 291–292, 293 19,28 237

Esther 2,7

314–316

Judith 8,27

241–242

Deuxième livre des Maccabées 6,12 26, 242, 301135 6,16 289 7,27 318242 Quatrième livre des Maccabées 1,17 28 Psaumes 2,10 2,12 6,2

38[39],12 49[50],17 89[90],9 89[90],10 89[90],12 93[94],10 93[94],12 104[105],22 117[118],18 118[119],66 140[141],5

243, 259, 286 28, 284–286, 287 230, 244, 259–260, 273, 289 248, 260 260 286–287, 293 294 244, 259–260, 273, 289 261, 288 261 261 261, 287–288 279–280 262, 334 248, 262, 334 6, 290 262 288–289 289

Odes 2 5

44–4559 44–4559

Proverbes 1,1 1,3

237–238 238, 24568

15[16],7 15[16],9 17[18],36 17,[18],48 37[38],2

370 1,7 1,8 1,29 3,11–12 3,11 3,12 4,13 5,12 5,13 5,23 8,5 8,10 9,15 10,4a 10,17 11,18 13,1 13,18 13,24 15,10 15,12 15,14 15,32 15,33 16,17 16,22 17,8 17,21 19,18 19,20 20,29 21,11 22,3 23,13 24,8 24,32 25,1 25,3 27,12 27,20a 28,17a 29,17

Abréviations 283,321 240, 2781 240, 283, 304 294–296, 333 40, 24677, 262 134, 242, 262, 2781 246 305 305 245, 262–263, 309 309 24568, 247 263 306–307 304, 309 308 239–240, 244, 321 24568 245, 296 245, 263 309 283, 309, 310 264 24568, 244,263–264 307 247 6, 307–308 309 244 307 249 306 92, 179, 306 245, 296 309,310 246 245, 2781, 305, 321 304 306 309, 310 308 244, 308

30,8 Job 4,3 5,17–18 5,17 8,14 12,18 20,3 27,18 29,19 33,16 33,27 36,8 36,10 37,13 40,4

283 79, 240 294 240, 241 261 240 240 261 243 240 24150 279 235 293 241

Sagesse 8,8 11,9–10 11,9

238 243 289

Siracide 17,13 18,13 18,14 30,1 39,2 42,5

257–258 289 44 66 238 302

Psaumes de Salomon 12,2 238 13,8 243 Osée 2,2–3[4–5] 2,15[17] 5,2 6,1 7,12 7,13 7,14–15

26696 265–26696 6, 244 267 266–267 265–26696 265, 267–268

371

Index des sources anciennes 7,14 7,15 7,16 10,10 14,9 Amos 3,7

234, 312 234, 265 312 268 267

9,11–12

27, 296–298, 299, 300, 301, 302 3510

Michée 5,11

301

Habacuc 1,12 3,5

27, 296, 298–300 281–282

Sophonie 2,1 2,3 2,4 3,2 3,6 3,7 3,8

311 311 311 268–269 269 268–270 269

Isaïe 1,6 11,1–2 24,22 26,11 26,16 26,19 26,20 28,21 28,24 28,26 28,28 28,29 38,10

274 284 271 310–311 270–272, 302, 311– 312 272 272 273 272 244, 272–273 272–273 273 271

46,1 46,3 48,3 49,2 50,2 50,4–5 50,4 50,5 50,10 53,5 54,7 57,16

319 318–319 255 303 303 302 28, 283–284 284 303 273–274, 303 272 273145

Jérémie 2,19 2,30 2,33 5,3 6,8 7,26 7,28 10,24 17,23 23,31 26[46],28 37[30],11 37[30],12 37[30], 14 38[31],18 38[31],19 39[32],33 42[35],13

244 276 248105 276 243, 274– 276 276 244, 273, 275–276 276 261 24,275 244, 315 276 245, 275 243, 276–277 277 276 276

Ezéchiel 5,15 13,9 13,19 14,9 23,48 28,3

234–235 296, 297, 300–302 301 301 –243 312–313

DanielLXX 1,5 1,20

314, 316 29, 280, 313–314

372

Abréviations

b. Réviseurs Aquila Is 8,11 Jr 10,24 Job 5,17

83 2298 24044

Lv 26,17 Job 40,2 Is 9,6–7 Dn 1,5 Dn 1,20

2298, 2502 85 8774 314 2988, 313204

2298 2298 2298 2502 2298

25423

Symmaque Is 8,11 Is 9,6–7 Jr 10,24 Ps 110[109],2 Pr 16,22 Job 40,2

2298 85

Allos Lv 25,43 Lv 25,46 Lv 25,53 Lv 26,17 Dt 11,2

Theodotion Gen 1,28

2298

Samariticon Lv 26,28

83 8774 2298

c. Vulgate Lv 26,18 Lv 26,23 Lv 26,28 Dt 4,36 Dt 8,5

229 229 229 229 229

Dt 11,2 Dt 21,18 Dt 22,18 1 Ch 15,22 Job 40,2

229 229 229 86 85

d. Peshitta Dt 4,36 Is 8,11

230 83

Job 40,2

8446

e. Targumim Onqelos Ps.-Jonathan Neofiti

23

230, 254 230 230, 25423

Samaritain Targum de Job

25423 85

373

Index des sources anciennes

3. Pseudepigraphes de l’Ancien Testament Testament de Lévi (T.Levi) 13,2 6783

4. Nouveau Testament Actes des Apôtres 7,22 13,18 22,3

24 318242 15475

Épître aux Éphésiens 6,4 243 Épître aux Hébreux 5,8 193185

5. Littérature grecque et latine (y compris Flavius Josèphe et Philon. La pseudonymie n’est pas indiquée, même lorsqu’elle est évidente) Alcman Fragments SLG S5 Aristophane Equites (Eq.) 636 Nubes (Nub.) 532 961 986 Vespae (Vesp.) 254 1297

1468

Athénée Deipnosophistae (Deipn.) 7 163

14710

Bias Fragments FPG 1,229

181

Cébès Tabula (Tab.) 11,1 12,3 15,3 18,2 22,1

214, 21566 215 215 215 216

14710 14710 14710 197 189

Aristote Ars rhetorica (Rhet.) 1389b11–12 178 De partibus animalium (Part. an.) 639a4–6 173 Politica (Pol.) 1339a28 190

Cicéron De natura deorum (Nat. deo.) 2,86 211 De officiis (Off.) 1,90–91 194

374

Index des sources anciennes

Clément d’Alexandrie Paedagogus (Paed.) 1,56,1 3935 Diodore de Sicile Bibliotheca historica (Bibl.) 1,27,4 206 1,43,6 206 5,71,5 219 9,1,3 176 9,10,2 176 33,10,1 204 Diogène Laërce Vitae philosophorum (Vit. philos.) 2,69 196 5,18 192 Dion Cassius Historiae Romanae (Hist. Rom) 8,36,11 200 Dion Chrysostome Orationes (Or.) 4,29 4,31 4,39 32 32,27 58,2

217 218 218 171–17267 219–220 14929

Élien le Sophiste Epistulae rusticae (Ep. rus.) 9 180 Varia historia (Var. hist.) 1,34 180 8,2 180 Eschine In Ctesiphontem (Ctes.) 148 198

Eschyle Persae (Pers.) 815 1468 Septem contra Thebas (Sept.) 18 163, 16413 Ésope Fabulae (Fab.) 278

181

Euripide Hercules (Herc.) 855 197 Iphigenia Taurica (Iph. Taur.) 205–207 164–165 Supplices (Suppl.) 917 168 Fragments (Nauck) 413 15365 945 1632 Flavius Josephus Antiquitates Judaicae (Ant.) 4,260 242 8,217–218 242 Hécatée de Milet Fragments FGH 1,1 fr.33

1468

Hermogène Progymnasmata (Pro.) 7 210 Homère Odyssea (Od.) 1,308 19,178–179

20416 203

Julien, Empereur Contra Galilaeos (Contr. Gal.) 235b 208

375

Abréviations Epistulae (Ep.) 61,422d–423a

207

Libanios Orationes (Or.) 2,4 5,38 20,6 26,10 50,31

181 222 201 201 181

Longus Daphnis et Chole (Daphn.) 3,23 205 Lucien Anacharsis (Anach.) 17 180 Lysias Epitaphius (Ep.) 3 178 Pro Polystrato (Poly.) 11 165 Ménandre Sententiae (Sent.) 121 122 384 573

179 191 216 191

Origène Homiliae in Jeremiam (Hom. Jer.) 7,1 252 Philon Quod deus sit immutabilis (Quod deus) 54 25525 De somniis (Somn.) 1,236 25639

Philostrate l’Athénien Vita Apolonii (Vit. Apoll.) 1,13 Olearius p.15 199 Pindare PCF, 198a Platon Gorgias (Gorg.) 478e Leges (Leg.) 643b–644a 653a–c 659c–e 700c 808e–809a Menexenus (Menex) 238b Minos (Min.) 319c Phaedrus (Phaedr.) 247b Protagoras (Prot.) 317b Respublica (Resp.) 492d 514a Timaeus (Tim.) 23d

1468

189 17057 17057 17057 198 191175 209–210 203 195 162 196 213–214 208–209

Plutarque Alcibiades (Alc.) 4,2 199 4,3 199 De cohibenda ira (Cohib. ira) 462B 196 Comparatio Cimonis et Luculli (Comp. Cim. Luc.) 1,4 179 Fabius Maximus (Fab.) 13,3 179

376

Index des sources anciennes

Quaestiones convivales (Quaest. conv.) 657E 15251 Septem sapientium convivium (Sept. sap. conv.) 156C 179 De sera numinis vindicta (Sera) 549C 220–221 Polybe Historiae (Hist.) 2,2,9 29,20,4 Sappho Fragments SLG S261

178 15251, 178

146

8

Sénèque De providentia (Prov.) 1,5 212 4,7 212 Sophocle Ajax (Aj.) 595 Antigone (Ant.) 235 Fragments TrGF 4,648 Stobée Anthologia (Anth.) 2,31,58 2,31,85 3,1,173 4,34,72

177 286 1644

216 175 15034 192

Théophraste De causis plantarum (Caus. plant.) 3,7,4 163

Thucydide Historiae (Hist.) 1,84,3 1,84,4 2,39,1–2

165 15251, 166 167–168

Xenophon Memorabilia (Mem.) 1,3,5 193 Œconomicus (Œc.) 8,16 219 De re equestri (Eq.) 10,6 194 Vettius Valens Anthologiae (Anth.) 1,1 207 Écrits anonymes ou collections Anthologia Graeca (Anth. Gr.) 6,294 191 Gnomologium Vaticanum (Gnom. Vat.) 3 17267 314 1468 Scholia in Homerum: Odyssea (Schol. Od.) 1,354 204 Vitae Æspoi (Vit. Æs.) 61 (G) 200 Papyri, Ostraca et inscriptions BGU 2,423 182 3,846 187 4,1140 184 FD 3.2 102 185 IGUR 3,1243 186 IPontEux 1,42 185–186 OGI 1,56 6994

377

Abréviations O.Wilcken 1 P.Enteux 26 P.Hamb. 1,37 PSI

3,424 8,972 SB 5,7567 24,15875 SEG 27,863

6994 182 183

182 187 183 186 185

6. Corpus de langue égyptienne Enseignement d’Amennakht 1–4 73

Ostracon Turin 57058

74123

Enseignement d’Ani 18,12–13 73120

Papyrus Carlsberg XIII, b, 2b 20

73119

KRI III,771–772 III, 772–773 V,62 V, 350–363

73–74120, 74123 74120, 74123 73120 74

Papyrus Chester Beatty I,7,12 74123

Litanie de Ré 173

73119

Ostracon Nash I

74123

Papyrus Insiger 9,9

76

Papyrus Salt 124

74123

Sagesse de Chasheshonqy 7,4–5 77 10,6 77

7. Corpus Ougaritique KTU 1.4 V 4 KTU 1.4 VII 48

61, 138 61–62

KTU 1.16 VI 26 KTU 4.281.29

60–61 60

378

Index des sources anciennes

8. Corpus araméen Inscriptions diverses ATNS 46 64 Inscription de Deir ʽAlla Pour la question de la langue de cette inscription voir p. 62, n.55 2 62-64, 138 10 62-64, 138 Roman d’Ahiqar C1.1 12, 175

65, 138

C1.1 12, 176–178

76

Testament de Lévi Col. e. l. 17.23

67

Écrits araméens de Targum de Job) 4Q213,1,I,9 4Q213,1,I,12 11Q10 XXVII,3–4

Qumrân (y compris 6783 6783 66