Dieu Et Ses Anges Dans Le Nouveau Testament (Wissenschaftliche Untersuchungen Zum Neuen Testament) (French Edition) 9783161610226, 9783161617225, 3161610229

La figure celeste des anges constitue une part importante des representations du monde divin dans la litterature bibliqu

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Table of contents :
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Titre
Table des matières
Avant-propos
Thierry Legrand — Quelques aspects de l’univers angélique des Cantiques de l’holocauste du sabbat (Shirot Ὁlat HaShabbat)
Patrick Pouchelle — Anges et archanges: la complexification du monde angélique dans le judaïsme de l’époque hellénistique et romaine
Stéphanie Anthonioz — Les anges ou la médiation renouvelée
Céline Rohmer — Matthieu et les anges: pour une approche poétique de l’ἄγγελος
Denis Fricker — Les anges des petits face au Père de Jésus: arrière-plan et portée de Mt 18,10
Lorenzo Gasparro — Les anges dans l’évangile de Marc: une présence discrète mais efficace
Nathalie Siffer — La figure de l’ange du Seigneur en Luc-Actes
Jacques Ahiwa — L’ange de Bethesda en Jn 5,4
Daniel Gerber — Quand Paul et ses héritiers convoquent les « anges »
François Lestang — Les Colossiens rendaient-ils un culte aux anges? Perspectives actuelles sur la θρησκεία τῶν ἀγγέλων (Col 2,18)
Paolo Garuti — Des esprits au service des héritiers du salut: He 1,14 en contexte
Jacques Descreux — Les anges dans l’Apocalypse de Jean
Michele Cutino — Fonctions et limites de l’ἄγγελος λειτουργός chez Origène: aux origines de la figure de l’ange gardien
Jérôme Cottin — Les anges dans le premier art chrétien (iiie–vie siècles): fidélités scripturaires, influences impériales, dévotion populaire
Liste des auteurs du volume
Index des références bibliques et de la littérature ancienne
Index thématique
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Dieu Et Ses Anges Dans Le Nouveau Testament (Wissenschaftliche Untersuchungen Zum Neuen Testament) (French Edition)
 9783161610226, 9783161617225, 3161610229

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Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament ∙ 2. Reihe Herausgeber/Editor Jörg Frey (Zürich) Mitherausgeber/Associate Editors Markus Bockmuehl (Oxford) ∙ James A. Kelhoffer (Uppsala) Tobias Nicklas (Regensburg) ∙ Janet Spittler (Charlottesville, VA) J. Ross Wagner (Durham, NC)

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Dieu et ses anges dans le ­Nouveau Testament Edité par

Denis Fricker et Nathalie Siffer

Mohr Siebeck

Denis Fricker, né en 1963, depuis 2004 à la Faculté de Théologie catholique de l’Université de Strasbourg, Professeur de Nouveau Testament. Nathalie Siffer, née en 1970, depuis 2005 à la Faculté de Théologie catholique de l’Université de Strasbourg, Professeure de Nouveau Testament.

ISBN 978-3-16-161022-6 / eISBN 978-3-16-161722-5 DOI 10.1628/978-3-16-161722-5 ISSN 0340-9570 / eISSN 2568-7484 (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament, 2. Reihe) La Deutsche Nationalbibliothek a répertorié cette publication dans la Deutsche Nationalbibliographie; les données bibliographiques détaillées peuvent être consultées sur Internet à l’adresse http://dnb.dnb.de. © 2022 Mohr Siebeck, Tübingen, Allemagne. www.mohrsiebeck.com Toutes reproductions, traductions ou adaptations d’un extrait quelconque de ce livre par quelque procédé que ce soit, notamment par photocopie, microfilm ou mémorisation et traitement dans un système électronique réservées pour tous pays. Imprimerie Laupp & Göbel, Nehren; relieur Nädele, Nehren. Imprimé en Allemagne.

Table des matières Avant-propos  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VII Thierry Legrand Quelques aspects de l’univers angélique des Cantiques de l’holocauste du sabbat (Shirot ʻOlat HaShabbat)  . . . . . . . . . . . . 1 Patrick Pouchelle Anges et archanges : la complexification du monde angélique dans le judaïsme de l’époque hellénistique et romaine  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 Stéphanie Anthonioz Les anges ou la médiation renouvelée  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41 Céline Rohmer Matthieu et les anges : pour une approche poétique de l’ἄγγελος  . . . . . . . . . 67 Denis Fricker Les anges des petits face au Père de Jésus : arrière-plan et portée de Mt 18,10  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83 Lorenzo Gasparro Les anges dans l’évangile de Marc : une présence discrète mais efficace  . . . . 105 Nathalie Siffer La figure de l’ange du Seigneur en Luc-Actes  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125 Jacques Ahiwa L’ange de Bethesda en Jn 5,4  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151 Daniel Gerber Quand Paul et ses héritiers convoquent les « anges »  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163 François Lestang Les Colossiens rendaient-ils un culte aux anges ? Perspectives actuelles sur la θρησκεία τῶν ἀγγέλων (Col 2,18)  . . . . . . . . . . . 181 Paolo Garuti Des esprits au service des héritiers du salut : He 1,14 en contexte  . . . . . . . . . 199

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Table des matières

Jacques Descreux Les anges dans l’Apocalypse de Jean  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211 Michele Cutino Fonctions et limites de l’ἄγγελος λειτουργός chez Origène : aux origines de la figure de l’ange gardien  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 235 Jérôme Cottin Les anges dans le premier art chrétien (iiie–vie siècles) : fidélités scripturaires, influences impériales, dévotion populaire  . . . . . . . . . . 255 Liste des auteurs du volume  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 283 Index des références bibliques et de la littérature ancienne  . . . . . . . . . . . . . . . 285 Index thématique  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 309

Avant-propos La louange du psalmiste emprunte volontiers aux éléments de la création pour évoquer la grandeur de Dieu ou sa majesté. Ainsi le Ps 104 s’ouvre sur une description poétique de la majesté divine en citant la lumière, les cieux, les eaux, les nuées etc. Dans ce bel hymne au créateur, le v. 4 met en exergue la souveraineté de Dieu sur les éléments du vent et du feu : « Il fait des vents ses messagers, des flammes de feu ses serviteurs. » Les termes hébreux du premier stique de ce verset se prêtent aisément à l’interprétation allégorique, puisque ‫רוח‬,  « vent », et ‫מלאך‬, « messager », peuvent aussi se traduire, en d’autres contextes, respectivement par « esprit » et « ange ». Il en va d’ailleurs de même pour leur traduction grecque dans la Septante, à savoir πνεῦμα et ἄγγελος, qui correspondent dans la tradition latine à spiritus et angelus. Des « vents » aux « esprits » et des « messagers » aux « anges », il n’y a donc qu’un pas que Saint Augustin franchit sans peine dans son commentaire de ce passage des Psaumes : … bien que nous ne voyions pas les anges : leur présence est dérobée à nos yeux ; ils sont les citoyens de cette grande république dont Dieu est le chef. Toutefois nous savons par la foi qu’il y a des anges et par l’Écriture qu’ils ont apparu à plusieurs. Nous en sommes certains, et le doute ne nous est pas permis. Or, les anges sont des esprits ; mais ils ne sont point des anges par cela même qu’ils sont des esprits ; ils ne le deviennent que quand ils sont envoyés ; car le nom d’ange désigne un ministère, et non une nature. Tu cherches le nom de cette nature, c’est celui d’esprits ; le nom de leur ministère, c’est celui d’anges. Exister, pour eux, c’est être esprits ; agir, c’est devenir anges.1

Cette brève incursion dans l’histoire de la réception du passage évoqué illustre l’ampleur et la diversité de la tâche attendant quiconque souhaite cerner les figures angéliques dans l’Écriture. Deux journées d’études internationales associées à un séminaire de recherche en exégèse du Nouveau Testament – sous l’égide de l’Unité de recherche de théologie catholique et de sciences religieuses (UR 4377) et de la Faculté de théologie catholique de l’Université de Strasbourg – ne furent donc pas de trop pour répondre au défi posé par l’étude de l’angélologie du Nouveau Testament sur fond de littérature vétérotestamentaire et juive. Les anges sont effectivement mis en scène ou évoqués dans la majorité des livres bibliques, mais selon une répartition assez irrégulière, dans des contextes 1 

Augustin, Enarrationes in Psalmos 103,1,15 (trad. Morisot).

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Avant-propos

fort différents et selon des nuances variées. Ces anges de la Bible semblent d’ailleurs les proches cousins de figures célestes représentées dans les cultures procheorientales ou hellénistiques environnantes. L’enquête déborde donc le champ strict du canon biblique, tout particulièrement en direction du judaïsme ancien proche de la période néotestamentaire qui accorde une place importante aux représentations apocalyptiques du monde céleste. L’usage du terme ἄγγελος s’est d’ailleurs multiplié à cette époque, comme en attestent les 175 emplois du Nouveau Testament, proportionnellement bien plus nombreux que dans la Septante. Il faudrait certes vérifier chacune de ces occurrences dans son contexte pour déterminer son sens précis de « messager » ou d’« ange », tout en sachant que ces figures célestes ne sont pas toujours explicitement signalées comme telles. À la prise en compte des données néotestamentaires et de leur arrière-plan religieux et culturel s’ajoute alors celle de la polysémie des termes. Les anges constituent ainsi, et de diverses manières, une part non négligeable des représentations du monde divin pour les rédacteurs bibliques qui les mentionnent le plus souvent comme des réalités évidentes, alors que pour l’exégète moderne leur existence invérifiable relève d’abord du domaine des croyances. Augustin distingue, pour sa part, entre la nature spirituelle des anges, seulement perceptible par la foi, et leur ministère ou leur action. Selon lui, c’est essentiellement cette activité qui fait l’ange : « agir, c’est devenir anges ». Les contributions exégétiques du présent volume, fruit des travaux menés lors des séminaires et des journées d’études qui se sont tenus en 2020 et en 2021, s’intéressent certes aux actions des anges dans les textes et récits étudiés, mais elles étendent cette recherche à la détermination de leur fonction littéraire. Si cette dernière peut être d’ordre poétique, mythologique ou cosmogonique, elle a toujours une visée théologique à laquelle le titre de notre recueil, « Dieu et ses anges dans le Nouveau Testament », veut rendre justice. Un dénominateur commun à tous les rôles tenus par des anges, y compris les mauvais, est bien de dévoiler certains traits caractéristiques du portrait de Dieu et de révéler quelques aspects de son plan de salut. Il reste cependant indispensable de préciser que, dans le cas du Nouveau Testament, cette mission de révélateur incombe aussi et d’abord à Jésus. Selon la place attribuée à la figure christologique, les rôles angéliques peuvent alors être redistribués. Toutefois, avant d’en arriver à évaluer la portée de tels glissements, il importe de mesurer la fonction de ces êtres célestes dans le milieu juif proche de la période néotestamentaire dont témoignent, entre autres, les textes de Qumrân. La contribution de Thierry Legrand intitulée « Quelques aspects de l’univers angélique des Cantiques de l’holocauste du sabbat (Shirot ʻOlat HaShabbat) » prend ainsi en considération tout un ensemble de manuscrits qui confirme l’importance de la célébration des fêtes juives à Qumrân, mais aussi d’autres solennités religieuses comme le sabbat. Plusieurs manuscrits fragmentaires d’un même



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écrit (4Q400–407 ; 11Q17 ; Mas1k) témoignent d’une spiritualité qui insiste sur le rôle des célébrations sabbatiques dans le cadre d’une édification des membres de la communauté. Selon la compréhension de Thierry Legrand, les Cantiques de l’holocauste du sabbat offrent une liturgie spécifique qui permet aux fidèles de participer à un culte céleste – au moins de manière temporaire – dans lequel le sanctuaire céleste est rendu accessible par le rappel de différentes formes de louange à Dieu, le « roi des dieux ». Cette contribution aborde ainsi l’univers angélique de ces Cantiques en éclairant certaines désignations (anges, divinités, esprits, prêtres, chefs, princes) et en explorant quelques fonctions des êtres angéliques mentionnés. À cette période, les fonctions des anges, aussi bien que leurs aspects singuliers, tendent donc à se multiplier. Patrick Pouchelle en rend compte en étudiant les origines du terme « archange », dans une contribution très fouillée : « Anges et archanges : la complexification du monde angélique dans le judaïsme de l’époque hellénistique et romaine ». Le lecteur s’étonnera d’y découvrir que l’origine du terme « archange » provenant du grec ἀρχάγγελος et communément utilisé pour désigner Michaël, Gabriel ou Raphaël, a été fort peu étudiée. En premier lieu, l’auteur situe l’émergence du terme dans un contexte général de complexification du monde angélique et d’interpénétration des mondes hellénique et juif. Dans l’un comme dans l’autre s’observe un effacement de la frontière entre dieux (au pluriel dans le judaïsme) et anges, effacement qui éclaire d’une autre manière la double traduction en grec de l’expression ‫ בני האלהים‬par « fils de Dieu » ou « anges de Dieu ». L’étude s’attache ensuite à déterminer l’origine du mot « archange » : s’agit-il d’un néologisme juif ? La question reste finalement ouverte, car si l’emploi d’« archange » chez les néo-platoniciens pourrait se rapporter à celui de Philon, tous auraient aussi pu être influencés par une utilisation potentielle du mot chez les philosophes hellénistiques. Enfin, et quelle que soit l’origine du terme, au vu de sa prospérité dans le monde judéo-chrétien, il reste à déterminer de quel mot ou syntagme hébreu il se rapproche, afin de mieux percevoir son utilisation. Ici, bien que ἀρχάγγελος ne soit pas attesté dans la Septante, d’autres mots composés avec ἀρχι-, notamment ἀρχιερεύς, permettent de tisser quelques liens avec des syntagmes hébreux, dont certains sont présents dans les manuscrits de la Mer Morte, et d’éclairer la qualification de Michaël passant de « grand prince » à « archange ». Ces deux investigations dans la littérature juive ancienne témoignent d’un foisonnement de références aux anges qui ne suivent pas une évolution régulière ou aisément déterminable. Sous le titre « Les anges ou la médiation renouvelée », la synthèse des données bibliques magistralement établie par Stéphanie Anthonioz débute par un constat similaire. Ce parcours à travers l’ensemble des références scripturaires de l’ange comme messager céleste montre ainsi une répartition singulière dans les livres vétérotestamentaires de la Genèse, de l’Exode, des Juges, de Zacharie, des Chroniques et de Daniel. Dans le Nouveau Testament, la

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présence et la répartition des anges ne sont pas non plus uniformes et semblent répondre à des enjeux théologiques précis. Cette contribution tente ainsi de cerner les raisons qui ont conduit à ces développements théologiques chrétiens. En d’autres termes, en quoi les évolutions de l’angélologie ont-elles répondu à celles du christianisme naissant ? Historique, la réflexion menée est nécessairement religieuse et théologique. Dans un premier temps, l’auteure présente un état des lieux des références aux anges de l’Ancien au Nouveau Testament. Elle explore ensuite les enjeux théologiques du développement angélique, en particulier la (non-)représentation et l’humanité des anges. Cette réflexion sur l’humanité des anges comme médiation ultime et parfaite de Dieu situera, dans une dernière partie, la naissance d’une angélologie chrétienne au terme de crises successives et « médiatiques », ayant permis aux « messagers célestes » de devenir des « anges », c’est-à-dire de trouver leur place centrale, médiatrice, entre un Dieu fait homme et les humains. Au sein de ce déploiement de figures angéliques dans le Nouveau Testament, Céline Rohmer met en évidence leur fonction poétique tout au long du premier évangile dans son étude intitulée « Matthieu et les anges : pour une approche poétique de l’ἄγγελος ». Selon l’auteure, la figure littéraire des anges procède d’une image mythique du monde (Bultmann) telle que le Nouveau Testament la connaît. L’évangéliste Matthieu parle ce langage mythologique. Il en saisit la forme poétique pour raconter la présence salutaire de la transcendance dans l’existence humaine. Les anges seraient donc pour lui une image mythique parmi d’autres images littéraires, toutes mises au service exclusif de sa proclamation de l’Évangile. Le parcours exégétique proposé consiste à observer Matthieu le poète à l’œuvre, de comprendre avec quelle liberté créatrice il retravaille pour ses destinataires la figure mythique des anges puisée au langage poétique de ses prédécesseurs. S’il conserve de Marc, sans y toucher vraiment, les évocations traditionnelles de ces êtres célestes pour colorer d’apocalyptique l’imaginaire évangélique, il se distingue des autres par son exploitation particulière de la figure de l’ange du Seigneur. Matthieu l’insère à l’entrée et à la sortie de son récit : au tombeau vide, elle sert la proclamation universelle de l’Emmanuel (Mt 28) ; sur les routes avec Joseph, elle réfléchit l’Emmanuel dans la réalité du sujet croyant (Mt 1–2). Pour penser la présence de la transcendance dans l’immanence, Matthieu fait fonctionner en binôme l’ange du Seigneur avec ses semblables : l’une et l’autre image prises ensemble élargissent la poétique matthéenne de l’espace. C’est en les travaillant ensemble – et avec d’autres encore – que le poème matthéen proclame donc au monde l’Emmanuel. Parmi les diverses figures angéliques de Matthieu, celle des anges des « petits » en Mt 18,10 se présente comme originale d’après l’étude présentée par Denis Fricker : « Les anges des petits face au Père de Jésus. Arrière-plan et portée de Mt 18,10 ». La recherche de l’arrière-fond vétérotestamentaire et juif de cette représentation angélique particulière révèle en effet une combinaison iné-



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dite de deux rôles angéliques traditionnels : les anges protecteurs, proches des hommes, et les anges de la Face, proches de Dieu. Cette association originale, concise mais complexe, concerne la défense des « petits » (μικροί). Les emplois de ce dernier adjectif substantivé peuvent être rapportés aux membres fragiles de la communauté des croyants, dans le cadre des discours du Jésus terrestre présentés par Matthieu. Toutefois, sous la désignation des « plus petits » (ἐλάχιστοι en Mt 25,40.45), se découvre aussi toute personne en situation de pauvreté ou de vulnérabilité, cette fois dans le contexte des affirmations du Fils de l’homme eschatologique. La figure des anges des petits qui regardent constamment la face du Père de Jésus en Mt 18,10 se manifeste alors comme un trait d’union entre, d’une part, la théologie traditionnelle d’un Dieu proche des pauvres relue dans un contexte communautaire et, d’autre part, une christologie du Fils de l’homme eschatologique solidaire de toute personne vulnérable. Au final, Matthieu se révèle très créatif dans son recours aux figures angéliques, tout en intégrant les quelques rares mentions d’anges de l’évangile de Marc (six occurrences du terme ἄγγελος). Lorenzo Gasparro estime que cette discrétion marcienne porte en elle-même un message, comme l’indique le titre même de sa contribution : « Les anges dans l’évangile de Marc. Une présence discrète mais efficace ». Son analyse des différentes péricopes évoquant des anges, y compris la référence implicite de Mc 16,5 (« un jeune homme assis à droite, vêtu d’une robe blanche »), présente effectivement des éléments fort intéressants. Bien qu’affichant une présence angélique très discrète – et peut-être précisément par cette stratégie – le deuxième évangile n’en dit pas moins des choses significatives. Sa conception des anges est, à certains égards, en continuité et, à d’autres, en rupture avec le témoignage biblique dans son ensemble. La continuité se manifeste surtout dans les rôles et les fonctions spécifiques qui leur sont reconnus en tant qu’intermédiaires entre le divin et l’humain et comme acteurs des visites de Dieu dans l’histoire humaine. Quant à la discontinuité, qui représente l’autre trait d’originalité de Marc, on la trouve surtout dans la discrétion délibérée avec laquelle il insère les anges dans son récit. Tout en reconnaissant leur existence, Marc n’accentue jamais leur rôle et leur importance, leur attribuant une fonction tout à fait auxiliaire qui exclut toute assimilation avec les personnes divines. Le rédacteur de l’ensemble Luc-Actes, quant à lui, puise plus abondamment dans le répertoire angélique, notamment à travers la figure singulière de l’ange du Seigneur qui renvoie à un être céleste énigmatique méritant une attention particulière, comme le démontre l’enquête approfondie menée par Nathalie Siffer : « La figure de l’ange du Seigneur en Luc-Actes ». Elle s’attache à étudier la mise en scène de cet émissaire divin dans l’œuvre lucanienne qui le mentionne plus que tout autre corpus du Nouveau Testament. Après avoir esquissé les contours de cette figure spécifique aussi fascinante qu’équivoque dans le contexte vétérotestamentaire et le cadre traditionnel du judaïsme ancien, sont explorés plus précisément les passages de Luc qui l’inscrit dans sa propre perspective théologique.

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De fait, si l’ange du Seigneur se situe indéniablement dans la continuité de la représentation de l’ange de Yhwh, à la fois révélateur du dessein salvifique de Dieu et intervenant directement en vue de son accomplissement, sa figure connaît au fil de la narration lucanienne une certaine progression et acquiert même une réelle singularité. Identifié à Gabriel dans le récit de l’enfance (Lc 1–2), il s’y présente comme le messager et l’envoyé de Dieu qui transmet une annonce en lien avec l’événement Jésus Christ. Il apparaît essentiellement comme le vecteur de la révélation divine. Dans le livre des Actes, l’ange du Seigneur marque davantage une intervention divine agissante auprès des prédicateurs de l’Évangile. Agent divin en action, il libère les apôtres de prison (Ac 5), instigue des rencontres missionnaires en vue de l’évangélisation (Ac 8 et 10), délivre Pierre incarcéré par Hérode et frappe son oppresseur (Ac 12). C’est ainsi que l’ange du Seigneur intervient efficacement pour soutenir et développer l’œuvre missionnaire par laquelle se poursuit l’annonce du salut et se réalise le plan de Dieu. Plus modéré, l’évangile de Jean n’évoque des anges qu’en trois occasions, bien qu’un quatrième passage, susceptible d’être un ajout de copiste, puisse être allégué. Jacques Ahiwa s’arrête précisément à cette question dans sa contribution « L’ange de Bethesda en Jn 5,4 ». Le récit de la guérison de l’infirme de Bethesda en Jn 5,1–9 présente en effet un problème textuel majeur, à savoir l’absence des v. 3b–4 dans les plus anciens témoins du texte johannique. Or l’information qu’ils véhiculent – spécialement le v. 4 relatif à un ange qui descend dans l’eau de la piscine de Bethesda pour lui octroyer des vertus curatives – paraît presque indispensable à la compréhension du texte, eu égard au v. 7. Quoiqu’il en soit, le v. 4, tout litigieux qu’il soit, présente un réel intérêt pour la construction du récit. Cependant, tout en comblant un vide dans le texte, il pose un problème théologique car si seul le premier malade à descendre dans l’eau visitée par l’ange recouvre la santé, la puissance salvatrice de Dieu s’en trouve limitée. Dans l’environnement religieux antique où coexistaient plusieurs cultes dont celui des dieux guérisseurs et des anges des eaux, une telle tradition n’était pas sans poser problème : en tant qu’envoyé de Dieu, l’ange peut-il détenir un pouvoir aussi limité ? L’eau de la piscine de Bethesda et le culte des dieux guérisseurs au pouvoir restrictif ont-ils encore leur pertinence à la lumière de la révélation de Jésus ? La réponse à ces questions permet de mieux comprendre la présence du v. 4 dans certains manuscrits. À l’instar du corpus johannique, les lettres pauliniennes détonnent par la parcimonie avec laquelle elles évoquent les anges. Daniel Gerber rend compte de cette réalité dans son article intitulé « Quand Paul et ses héritiers convoquent les ‘anges’ ». S’il ne s’étonne pas de ce que l’apôtre, pour avoir baigné dans la foi et les traditions d’Israël, ait évoqué occasionnellement dans ses lettres ces figures célestes singulières désignées à l’aide des mots ἄγγελος ou ἀρχάγγελος, il note toutefois qu’un constat s’impose : Paul en fait mention comme en passant, sans donner d’informations spécifiques à leur sujet, ce qui conduit à beaucoup



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d’incertitudes dans l’analyse de ce vocabulaire et rend difficile toute synthèse. Le rapide passage en revue de chacune des occurrences de ces deux substantifs dans les lettres authentiques est prolongé, dans un deuxième temps, par une incursion chez les héritiers directs de l’apôtre des nations pour relever le peu de cas qu’ils ont fait des ἄγγελοι, eux pour qui le monde céleste était pourtant peuplé de nombreuses « puissances » ou « autorités », pour ne nommer qu’elles. Enfin, en lieu et place d’un essai de synthèse, l’auteur s’interroge sur la manière dont le substantif ἄγγελος a pu être compris par un public non initié aux différentes représentations ou spéculations juives en la matière. Le rôle secondaire, voire effacé, des anges dans le corpus paulinien met en relief la mention inédite d’un « culte des anges » en Col 2,18. La contribution de François Lestang questionne ce passage original sous le titre « Les Colossiens rendaient-ils un culte aux anges ? Perspectives actuelles sur la θρησκεία τῶν ἀγγέλων (Col 2,18) ». L’auteur s’appuie sur l’apport de quatre commentaires récents (2015–2020), d’aires linguistiques différentes, qui permettent de mesurer l’évolution de la recherche sur le sens de l’expression θρησκεία τῶν ἀγγέλων (Col 2,18). La nouvelle compréhension de l’histoire de la ville de Colosses au début de notre ère permet de supposer qu’elle n’aurait pas été entièrement détruite par le tremblement de terre de 60/61 après J.‑C., et qu’une vénération adressée aux anges aurait pu y trouver place. La majorité exégétique qui considérait la lettre aux Colossiens comme deutéro-paulinienne n’existe plus, puisque pour les quatre commentateurs convoqués la lettre est soit de Paul, soit rédigée en sa présence. Des rapprochements sont donc possibles avec les lettres aux Galates et aux Corinthiens, écrites à la même époque, et avec leur angélologie, notamment à propos des « éléments du monde », compris comme puissances célestes. Le mot même de θρησκεία, au vu des recherches littéraires et épigraphiques, peut bien se rendre par « culte », sans la connotation négative de « culte étrange(r) », et le génitif qui le suit, s’il s’agit d’êtres non humains, est désormais plutôt reconnu comme objectif : culte rendu aux anges, et non pas culte avec les anges. On peut dès lors interpréter correctement la mise en garde de Paul aux Colossiens, à savoir que la vraie connaissance de Dieu ne se trouve que dans le Christ, et qu’un culte d’un être céleste, subordonné ou défait par la Passion du Christ, ne peut avoir la moindre efficacité, mais risque au contraire de perdre le contact avec la tête du corps. En conclusion, François Lestang s’interroge sur l’absence de toute dimension révélatrice des anges dans Colossiens, et met en lien le rejet de la θρησκεία τῶν ἀγγέλων avec la faible place donnée à l’Esprit Saint dans la lettre. La place et la fonction accordées aux anges sont donc souvent corrélatives aux représentations théologiques. C’est encore plus vrai lorsqu’entre en question le rôle joué par le Fils de Dieu. Le premier chapitre de l’épître aux Hébreux enchaîne ainsi des citations vétérotestamentaires destinées à établir la supériorité du Fils par rapport aux anges. Elles aboutissent, au v. 14, à une question

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rhétorique : « [Les anges] ne sont-ils pas tous des esprits de ministère, envoyés en service pour ceux qui doivent hériter d’un salut ? » Paolo Garuti analyse ce passage dans sa contribution intitulée « Des esprits au service des héritiers du salut. He 1,14 en contexte ». L’interprétation de la question rhétorique d’He 1,14 pose en effet plusieurs problèmes. L’auteur souligne la nécessité d’une lecture de ce verset dans son contexte immédiat, l’épître, et de l’épître elle-même dans le contexte plus vaste de la représentation de « fils » ayant droit à l’héritage. Ainsi la question de l’identité des « héritiers du salut » rejoint celle de la constitution du peuple de la nouvelle alliance. Qui sont les destinataires de l’épître : des juifs devenus chrétiens ? des polythéistes devenus judéo-chrétiens ? les uns et les autres désormais reconnus comme « fils » ? Hébreux ne précise pas en quoi consiste le service des anges aux héritiers et l’hypothèse d’une liturgie angélique n’est pas retenue. Cette épître se situe dans la mouvance de Paul, tout en étant capable d’en élaborer les lieux théologiques d’une façon nouvelle, et elle comprend le mystère d’un seul peuple de Dieu comme un fait accompli. Le service des anges est décrit plus explicitement dans l’Apocalypse johannique mais, curieusement, la riche angélologie du livre final du Nouveau Testament n’a fait l’objet d’aucune enquête exhaustive récente, constate Jacques Descreux dans son étude : « Les anges dans l’Apocalypse de Jean ». S’interrogeant sur ce désintérêt de la recherche, il invite à se demander quel est l’apport de la présence des anges dans l’univers symbolique de l’œuvre, quelle est leur spécificité. Il s’intéresse d’abord à l’apparence des anges et détermine leur position dans la hiérarchie des êtres, puis analyse leurs différentes fonctions : ils représentent dans la sphère céleste des réalités de ce monde, interviennent dans la liturgie céleste, prennent part à la transmission de révélations aux humains, protègent les justes, assistent le Juge divin et sont impliqués dans toutes les étapes du processus de sanction des réprouvés. Finalement, que ce soit par leur fonction ou par leur apparence, les anges ne se distinguent pas toujours nettement entre eux, ni des autres êtres célestes, ni même du Christ, ce qui témoigne d’une sorte de « fluidité » des figures angéliques. Leur présence établit une continuité entre le divin et l’humain. La seule fonction propre aux anges est d’avoir en charge et de représenter dans le monde céleste les éléments du cosmos, alors que les Êtres vivants et les Anciens représentent respectivement les créatures animées et les hommes glorifiés. Les anges manifestent ainsi le souci de Dieu pour la Création inanimée, un souci ordonné à l’exigence première de rendre justice aux saints. Cette fonction particulière des anges en faveur des êtres inanimés se distingue de celle de l’ange gardien, déjà entraperçue dans l’étude de Mt 18,10 et reprise dans l’Église ancienne, notamment par Origène, comme le laisse entendre la contribution de Michele Cutino : « Fonctions et limites de l’ἄγγελος λειτουργός chez Origène : aux origines de la figure de l’ange gardien ». Il considère ainsi de manière systématique le thème de l’ange gardien dans l’angélologie origénienne, un aspect particulièrement intéressant pour la compréhension de l’ontologie



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et de l’anthropologie de cet auteur. Par un examen détaillé de toutes les occurrences dans lesquelles revient le thème de la tutelle angélique, cette recherche établit d’abord sur quelle base documentaire et en quels termes cette tutelle est représentée ; elle précise ensuite à partir de quel moment et jusqu’à quand cette protection est exercée, et envers quels sujets ; elle détermine enfin les limites de cette protection, ainsi que les caractéristiques de ces anges gardiens. De cette enquête on déduit en premier lieu qu’Origène, tout en participant à l’idée, généralement répandue dans l’Antiquité tardive, d’une multiplicité d’êtres divins ou entités qui entrent en relation avec l’homme, souligne toujours l’autonomie des choix humains, de sorte que l’ange gardien n’intervient que lorsque le processus de conversion a déjà eu lieu : les anges interviennent après les démons, auxquels l’homme doit s’opposer par un effort de volonté individuelle. Par ailleurs, la tutelle des anges soutient surtout les nouveaux convertis jusqu’à leur maturité, c’est-à-dire jusqu’à ce que, devenus parfaits, ils soient sous la tutelle du Christ lui-même. Outre cette gradualité, l’analyse conclut encore à une coresponsabilité des anges et des hommes : l’ange qui n’a pas réussi à soutenir l’homme est en quelque sorte coupable lui aussi et mérite donc d’être condamné. C’est ici l’élément le plus original de l’angélologie d’Origène : l’ange et l’homme sont d’une certaine façon liés dans l’effort ascétique. Les précisions d’Origène donnent des contours plus fermes aux fonctions angéliques décrites et témoignent d’une systématisation de la réflexion à leur sujet. Une évolution similaire s’est-elle produite dans l’imagerie chrétienne des premiers siècles ? L’étude de Jérôme Cottin répond à cette question par un parcours iconographique fort bien documenté : « Les anges dans le premier art chrétien (iiie-vie  siècles) : fidélités scripturaires, influences impériales, dévotion populaire ». On y découvre que les anges, présents à la fois dans l’Ancien et le Nouveau Testament, n’ont guère fait l’objet d’un traitement iconographique particulier dans le premier art chrétien. Et ce, pour deux raisons : ils ne sont pas thématisés en tant que tels dans les récits bibliques, et ils sont surtout présentés comme des humains, messagers de Dieu. C’est par le truchement de l’iconographie impériale que les anges apparaissent dans l’art chrétien, lequel s’est inspiré des Victoires païennes et militaires (figures ailées féminines) pour signifier la victoire du Christ sur la mort et les forces du mal. Cet emprunt aux figures païennes est de plus en plus christianisé, jusqu’à investir de manière plus visible les illustrations des récits bibliques. La figure de l’ange finit par devenir un thème à part entière dans les représentations apocalyptiques et eschatologiques. Parallèlement à ces emprunts et influences réciproques dans un art porté par le christianisme triomphant, l’ange apparaît sur des amulettes ou petites pièces votives, qui témoignent de l’appropriation de cette figure par la piété et la dévotion populaires. Cette contribution achève ainsi le volume par un parcours imagé qui dévoile au regard du lecteur d’aujourd’hui des pans de l’imaginaire des croyants de l’Antiquité. Aussi bien du point de vue des sources littéraires que de celui de l’ico-

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nographie, les anges ne s’y présentent qu’assez rarement comme acteurs de premier plan aux attributions prédéfinies. Ils y jouent plutôt des seconds rôles qui s’adaptent aux diverses nécessités des mises en scène dans le déroulement de l’histoire du salut. Leurs figures sont notamment sollicitées pour préserver la transcendance de Dieu, tout en la révélant par leur présence ou par leur action en son nom. Ils ne sont certes pas indispensables à l’exposé théologique, comme en témoigne leur rôle effacé, voire leur absence dans quelques écrits, mais ils constituent une riche ressource littéraire, toujours disponible dans l’arsenal des représentations antiques. D’une certaine façon, leur mention dans les textes du Nouveau Testament dépend souvent de la fonction précise qui leur est assignée : « agir, c’est devenir anges », disait déjà Augustin. Septembre 2021

Denis Fricker, Nathalie Siffer

Quelques aspects de l’univers angélique des Cantiques de l’holocauste du sabbat (Shirot ʻOlat HaShabbat) Thierry Legrand Bien qu’étudiée depuis plus de 70 ans, la littérature qumrânienne reste en partie énigmatique, même pour les spécialistes. Il s’y côtoient des écrits vétérotestamentaires au sens large, puisque certains apocryphes bibliques y sont représentés, ainsi que d’autres écrits qui semblent liés à la vie d’une communauté juive retirée au désert entre le iie siècle avant notre ère et le ier siècle après.1 Nous sommes donc dans une période contemporaine de la naissance des premiers écrits du Nouveau Testament. Sur un ensemble d’environ 850–900 manuscrits, pour la plupart très fragmentaires, on constate que le genre poétique et liturgique est bien représenté à Qumrân. On signalera par exemple que l’on y trouve un lot considérable de fragments de psaumes bibliques, même si la forme du « psautier » qumrânien n’est pas équivalente à celle que nous connaissons par la tradition rabbinique et le texte massorétique. L’existence d’autres compositions hymniques et poétiques, souvent inconnues avant la découverte des grottes qumrâniennes, vient confirmer la créativité littéraire et liturgique des gens de Qumrân. Parmi les pièces majeures, on mentionnera le Rouleau des Hymnes (1QHa), les Hymnes pseudo-davidiques (11QPsa) et bien d’autres fragments de prières ou d’hymnes qui témoignent de la ferveur religieuse des membres de la communauté qumrânienne.2 Par ailleurs, plusieurs manuscrits confirment l’importance de la célébration des fêtes juives à Qumrân, mais aussi d’autres solennités religieuses.3 Ces célébrations s’appuyaient, semble-t-il, sur toute une série d’écrits qui précisaient le cycle des sabbats ou des jubilés, la date des fêtes (présence de textes calendaires), la liste des célébrants, et une multitude d’autres observations relatives à un calendrier particulier, différent de celui qui avait cours à cette époque. À cet ensemble d’écrits déjà assez considérable s’ajoutent d’autres textes qui gardent un certain mystère, comme ceux qui semblent faire référence à la Nou1  Consulter la synthèse récente sur la découverte et ses enjeux : Collins, The Dead Sea Scrolls. A Biography. 2  Sur ce point, consulter Falk, Daily, Sabbath, and Festival Prayers in the Dead Sea Scrolls ; Davila, Liturgical Works. Flavius Josèphe évoque à sa manière la piété des « Esséniens » dans une notice qui précise que la journée type est rythmée par des temps de prière (Guerre des Juifs II,128–133). 3  Voir par exemple, le Rouleau du Temple.

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velle Jérusalem4 et les textes que nous évoquerons dans cette contribution, les Cantiques de l’holocauste du sabbat (abrégé ici en CHS). Ces manuscrits fragmentaires ne nous ont pas livré tous leurs secrets, mais ils témoignent, de toute évidence, d’une spiritualité profonde qui insiste sur le rôle des célébrations sabbatiques dans le cadre d’une édification des membres de la communauté.5 On connaît l’importance du sabbat dans le judaïsme, mais à la lecture des CHS, on croit comprendre que les fidèles de Qumrân associaient à ces temps de célébrations hebdomadaires une dimension exceptionnelle, celle d’une association spirituelle, voire d’une union mystique6 à la louange de Dieu par des êtres célestes, ceux que l’on peut qualifier provisoirement d’anges. On se souviendra que la célébration des sabbats est à comprendre comme une rupture dans le temps quotidien qui permet, à Qumrân en particulier, la jonction entre le ciel et la terre. On rappellera ici que ces fidèles vivaient séparés du Temple de Jérusalem et qu’ils étaient donc dans l’impossibilité de se joindre aux cérémonies accomplies tout au long de l’année à Jérusalem. À la lecture de ce type d’écrits liturgiques et d’autres, on suppose que les fidèles ont mis en place un culte spirituel7 dans lequel les CHS ont trouvé leur place. Il s’agit d’une liturgie spécifique qui permet aux fidèles de participer à la liturgie céleste, au moins de manière temporaire. Ainsi, dans le cadre d’une spiritualité profonde, il faut sans doute imaginer que le sanctuaire céleste était rendu accessible ponctuellement, lors du sabbat, par le rappel de différentes formes de louange à Dieu, le « Dieu des dieux », celui qui est souvent qualifié de « roi » (‫ )מלך‬dans les cantiques. D’après ce que nous croyons comprendre, la récitation des CHS permettait sans doute aux fidèles, ou certains membres éminents (peut-être des prêtres ?), de rejoindre avec obéissance la célébration céleste des anges dans le cadre d’un culte idéal et purifié dans le sanctuaire céleste – sanctuaire qui nous est décrit en référence aux traditions d’Ézéchiel, mais pas seulement. Tout y est : le tabernacle, le voile de séparation, les vêtements sacerdotaux et le trône divin entouré de chérubins vivants. On perçoit à quel point les interprétations et les formulations de l’auteur de l’Apocalypse de Jean ne sont pas très éloignées de celles que nous lisons dans ces écrits liturgiques qumrâniens. Nous signalerons pour commencer quelques informations générales concernant les CHS, afin de préciser le cadre et le contenu de ces cantiques et de nous faire une idée de la place accordée aux anges ou aux êtres célestes dans cet écrit. 4 

Principalement les manuscrits 4Q554 et 4Q555. On notera par exemple la fréquence du verbe ‫הלל‬, « louer », « célébrer », « exalter ». En référence à Newsom, Songs of the Sabbath Sacrifice, 19–21 et 59. Voir aussi Alexander, The Mystical Texts. 7  Par exemple : 1QS IX 4–5 : « 4  … l’offrande des 5  lèvres selon la loi (sera) comme le parfum de la justice et la perfection de la voie comme le don d’une offrande agréable » (trad. du contributeur). Voir aussi Flavius Josèphe, Antiquités juives XVIII,18–19. 5  6 

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1.  Présentation du corpus Les CHS tiennent une place significative dans l’ensemble des manuscrits qumrâniens si l’on en juge par la taille de ce recueil liturgique (comparable à la Règle de la Communauté, 1QS), et l’existence de dix copies découvertes dans les grottes 4 et 11 : des manuscrits fragmentaires (4Q400 à 4Q407) et un rouleau très endommagé exhumé de la grotte 11 (11Q17).8 Par chance, une autre copie fragmentaire de cet écrit, désignée sous le sigle Mas1k (MasShirot ‘Olat HaShabbat), fut retrouvée sur le site de Massada, avec quelques autres fragments d’écrits bibliques.9 La découverte de ce fragment de Massada confirme l’importance de cet écrit que l’on a souhaité transporter, il y a près de 2000 ans, dans un lieu de refuge ou une annexe de la communauté installée à Qumrân.10 Le titre Cantiques de l’holocauste du sabbat (Shirot ‘Olat HaShabbat ha …) a été donné à ce document par le qumrânologue John Strugnell. Ce dernier s’est appuyé sur le fait que cette formule, associée au numéro d’ordre de la semaine (7e, 8e semaine, etc.)11 et à la mention du mois, apparaît dans la présentation de chaque section de ce recueil. Le titre de Liturgie angélique a également été attribué à cet écrit en raison du rapport étroit qu’il entretient avec le monde des êtres célestes où l’on spécifie diverses catégories d’anges ou d’esprits. L’ensemble de cette collection rassemble près de 250 fragments en hébreu dont plusieurs se recoupent et permettent de reconstituer partiellement treize cantiques que l’on peut relier aux treize premiers sabbats de l’année,12 c’est-àdire le premier quart de l’année solaire. Il faut bien reconnaître cependant que nous connaissons à peine le contenu de certains de ces cantiques : il ne reste rien du 3e cantique et peu de choses des cantiques 2, 4, 5, 9 et 10. Par contre, le texte des cantiques 6, 7, 8, 11, 12 et 13 est assez bien préservé.13 Dans son ensemble, 8 

Relevons que les manuscrits 4Q403, 4Q405 et 11Q17 constituent les pièces majeures de ce puzzle de fragments. Certains autres manuscrits ne transmettent que quelques bribes de textes difficiles à intégrer dans l’ensemble de la composition. Pour l’édition de l’ensemble des manuscrits, nous renvoyons aux travaux de Newsom, Songs of the Sabbath Sacrifice ; Eshel et al., Qumran Cave 4, VI, 221–252. Voir aussi Charlesworth/Newsom, Angelic Liturgy. 9  Le manuscrit Mas1k transmet quelques passages du 5e et du 6e cantique. 10  Dupont-Sommer évoque sans détour l’origine « esséno-qoumrânienne » de cette copie (La Bible. Écrits intertestamentaires, 433). En suivant Charlesworth/Newsom (Angelic Liturgy, 4), on peut également envisager que ce document était connu et apprécié par d’autres groupes religieux. 11  La formule est complète en 4Q403 1 1 30 (« Pour l’homme intelligent. Cantique de l’holocauste du septième sabbat, le seizième du [second] mois »), et partielle dans d’autres manuscrits comme 4Q403 1 2 18 ; 4Q405 20–22 2 6-7 et 4Q400 3-5 2 8. Dans cette contribution, les références aux manuscrits des CHS suivent celles qui sont indiquées dans l’édition de Charlesworth/ Newsom, Angelic Liturgy : manuscrit, fragments, colonnes, lignes, indiqués en chiffres arabes. 12  C’est du moins l’hypothèse défendue par Charlesworth/Newsom, Angelic Liturgy, 3–4. 13  Sur 4Q403 1, on perçoit distinctement un retour à la ligne entre deux cantiques (voir aussi Mas1k 1 7).

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ce document reste cependant très fragmentaire et selon notre estimation, moins de 40 % du texte a été reconstitué de manière fiable. On imagine, par exemple, dans quelles difficultés seraient les exégètes vétérotestamentaires si le psautier biblique n’avait été conservé que sur 30–40 % de son texte. Selon toute vraisemblance, pour chaque cantique, la formule placée en tête du texte indiquait le mois de l’année (donc 1er, 2e, 3e mois), mais cette précision n’est complète que dans 4Q400 1 1 1, c’est-à-dire ce qui est considéré comme le premier cantique du recueil.14 On peut supposer ici qu’il existait une collection de 52 cantiques pour tous les sabbats de l’année solaire. On se souviendra à cet égard de la mention, dans les Psaumes peudo-davidiques de Qumrân (11QPsa XXVII 5–8), des 52 cantiques attribués à David et à chanter pour le sabbat : 4 Et

il (David) écrivit des psaumes 5 (au nombre de) trois mille six cents ; et des chants à chanter devant l’autel pour l’holocauste […] 7 et pour l’offrande des sabbats, cinquantedeux chants …15

La réalité est cependant tout autre puisqu’il semble bien, d’après les spécialistes de ces écrits, que le recueil des CHS ne contenait que les treize premiers cantiques de l’année. Ainsi, nous sommes, aujourd’hui encore, dans l’incapacité d’expliquer ce fait et la raison d’une mise à part des treize premiers cantiques. Quoi qu’il en soit, nous nous trouvons en présence d’un écrit liturgique associé au calendrier cultuel d’une communauté pour qui le sabbat revêtait une importance considérable, même si l’on sait peu de choses sur les cérémonies auxquelles ces cantiques faisaient référence. De fait, si l’on s’interroge sur la fonction de ce recueil, force est de constater que nous disposons de peu d’informations étant donné qu’il ne transmet aucune indication pratique significative, si ce n’est le numéro d’ordre des sabbats et la mention du mois, et encore, dans quelques cas seulement. On peut envisager cependant que la récitation de ces cantiques accompagnait ou précédait la célébration des sabbats du premier quart de l’année16 et que l’on faisait à nouveau usage de ce recueil pour les autres quarts de l’année. Mais d’autres hypothèses sont envisageables. Il pourrait s’agir d’un recueil de caractère mystique sur les anges et le culte célébré dans le temple céleste, recueil destiné à la méditation et à la préparation des temps sabbatiques, peutêtre réservé à quelques membres de la communauté. On a également pensé que ce recueil pouvait être relié à la célébration de la fête des semaines, située entre le onzième et le douzième sabbat, fête liée au renouvellement de l’alliance pour la communauté qumrânienne.17 Toutes ces interprétations gardent leur valeur, 14 

Le douzième cantique indique qu’il s’agit du troisième mois de l’année. Dupont-Sommer/Philonenko, La Bible. Écrits intertestamentaires, 330–331. À Qumrân, l’étude de la Torah et la récitation de psaumes ou de cantiques permettaient d’accomplir un culte spirituel qui venait se substituer au culte sacrificiel. 17  On consultera sur ce point le passage significatif de la Règle de la Communauté (1QS I 16–III 2). Voir aussi Jubilés 6,17–19 et 4Q286–290. 15  16 



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même s’il n’est pas encore possible de trancher dans un sens ou un autre. Par ailleurs, les autres écrits qualifiés de « communautaires », comme la Règle de la Communauté (1QS), les règles annexes, ou le Rouleau des Hymnes, ne permettent pas de préciser la fonction des CHS. De manière plus significative, la présence de plusieurs copies des CHS, d’époques différentes, témoigne sûrement du succès de cet ouvrage en milieu qumrânien. Les fragments de Qumrân sont datés entre -75 et le début de notre ère, tandis que l’écriture hérodienne du fragment de Massada serait à situer vers 50 de notre ère.18 Cette vaste composition liturgique pourrait ainsi remonter au début du ier siècle avant notre ère ou peut-être bien avant. Il n’est pas certain, en effet, que ce recueil ait été composé sur place par des membres de la communauté.19 Concernant la structure de cet ouvrage, les études de Carol A. Newsom et sa reconstitution des CHS font toujours autorité en la matière, même s’il faut garder une certaine prudence étant donné l’état fragmentaire de ce document et la difficulté d’en cerner le contenu et la portée.20 Ainsi, selon cette auteure, il est possible de distinguer trois sections dans les CHS : – les cantiques 1–5, consacrés à la description de la louange céleste des anges considérés comme des prêtres célestes et agissant comme tels ; – les cantiques 6–8, marqués par la récurrence du chiffre sept,21 précisant les bénédictions et les louanges adressées par les archanges (ou princes en chef ) et d’autres catégories d’êtres célestes, ainsi que la louange des éléments du sanctuaire. Selon Newsom, le 7e cantique serait au centre de cette « structure pyramidale ».22 – les cantiques 9–13, mettant en valeur la description du temple céleste et la louange de tous les éléments qui le composent. Les derniers cantiques se concentrent sur la description de l’intérieur du sanctuaire, notamment le trône ou chariot divin ; ils évoquent quelques aspects du culte sacrificiel et les vêtements des grands prêtres du monde angélique. 18 Selon Charlesworth/Newsom, 4Q400 et 4Q407 seraient les plus anciens manuscrits tandis que 11Q17 et Mas1k seraient les plus récents (Angelic Liturgy, 1–3). 19  Charlesworth/Newsom, Angelic Liturgy, 4–5. 20  Les éditeurs le signalent eux-mêmes : « Readers are cautioned that this composite text is for heuristic purposes » (Charlesworth/Newsom, Angelic Liturgy, 139). 21  Ce chiffre indique une série complète, une durée suffisante, une longueur parfaite. Il se rapporte au nombre de jours de la semaine et a été rapproché de l’étymologie du mot « sabbat ». Il est également considéré comme le chiffre de la perfection, celui que l’on retrouve dans les prescriptions du Lévitique ou la célébration de la Pâque (Ex 12) et il est fréquemment utilisé dans les pseudépigraphes de l’AT (1 Hénoch 87,2 ; 90,21) et les manuscrits de Qumrân : 1QM VI ; CD XII 5 ; 11QT XIX 12–13 ; 1QHa XIII 18 ; XV 27; 3Q15 IX 2. 22  « The whole may be visualized as a pyramidal structure, in which the seventh Song serves as a climatic focus » (Charlesworth/Newsom, Angelic Liturgy, 3).

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D’après les différentes publications de Newsom, la terminologie utilisée dans ce document, l’emploi privilégié du terme Elohim (‫ )אלהים‬pour évoquer Dieu ou des « dieux », des « êtres célestes », certains thèmes abordés et d’autres indices linguistiques ou terminologiques semblent éloigner quelque peu les CHS du contenu des grandes compositions qumrâniennes comme la Règle de la communauté (1QS), les Hymnes (1QHa) ou même le Règlement de la guerre (1QM).23 Cependant, d’après nos recherches, d’autres motifs, pratiques et théologiques, tels que la conception de la communauté comme « temple »,24 l’association des prêtres aux anges et la mise en place d’un culte spirituel (cf. 1QS IX 4–5), rejoignent de manière indéniable l’univers spirituel essénien. De fait, plusieurs éléments (comme la mention du maskyl au début des cantiques : « pour l’homme intelligent / ‫)» למשכיל‬25 indiquent que cette composition résulte peut-être de l’adaptation d’un écrit sacerdotal ancien, préqumrânien, à la vie spirituelle et liturgique des membres de la communauté essénienne.26 L’attention de ces derniers pour les réalités célestes et la célébration des temps sacrés aurait rejoint le contenu de cet écrit liturgique spécifique, marqué par le monde angélique, la louange de la grandeur divine27 et la célébration d’un culte céleste (voir la concentration de termes qui indique l’idée d’une élévation ou d’une exaltation). Afin d’évoquer ces réalités particulières –  notamment angéliques  –, les auteurs de cet ouvrage s’appuient sur une connaissance des écrits bibliques qui mentionnent la disposition du tabernacle (Ex 25–31) ou la construction du premier Temple de Jérusalem, même s’il s’agit là principalement de réminiscences. Car la source principale des CHS est le livre d’Ézéchiel dont ils utilisent les images et le vocabulaire. Ils offrent ainsi une réinterprétation de l’épisode de la description du char divin des prophéties d’Ez 1–10,28 mais aussi d’Isaïe.29 À titre d’exemple, la vision d’un temple céleste, évoquée à plusieurs reprises dans les CHS s’inspire de la vision du nouveau temple en Ez 40–48. Les auteurs de ces cantiques ne cherchent pas à s’éloigner de la source « biblique », mais s’en inspirent constamment dans leurs développements liturgiques. 23  Dans ce qui reste des cantiques, le « Maître de justice » et la communauté comme yahad (‫ )יחד‬ne sont jamais mentionnés. 24  Voir 1QS V 5–6 ; VIII 4b–10a ; IX 5b–7 ; XI 7–9 ; CD III 19–21 ; 4Q174 1–2 I 6–7. 25  À rapprocher de 1QS III 13 ; IX 12.21 ; 1QSa I 28 ; 1QSb I 1 ; V 20. 26 Selon Charlesworth/Newsom, « …  one should likely seek its origin among the priestly-scribal circles responsible for texts such as Jubilees or the Aramaic Testament of Levi … » (Angelic Liturgy, 5). 27  La majesté divine et la question du monothéisme des CHS ont été étudiées par Coulot, « En quoi est-il unique ? ». 28  En suivant Charlesworth/Newsom : « … the book of Ezekiel is by far the most important biblical source for the Sabbath Songs » (Angelic Liturgy, 8). Cf. 4Q403 1 2 ; 4Q405 20–22 2. 29 Selon Caquot, « Les Cantiques qoumrâniens de l’holocauste du Sabbat », 13.

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D’autres ouvrages anciens, présents à Qumrân, comme 1  Hénoch,30 les Jubilés et le Document Araméen de Lévi sont à rapprocher des CHS, plus par leur contenu que par leur style. Par ailleurs, on peut considérer que ces cantiques, visiblement très appréciés à Qumrân, ont sans doute influencé la rédaction d’autres compositions liturgiques comme les séries de bénédictions et de malédictions rencontrées en 4QBerakot (4Q286 et 4Q287) et les cantiques de 4Q510– 511 (Songs of the Master)31 qui sont à rapprocher de la terminologie utilisée dans les CHS.32 Bien entendu, on comparera avec intérêt certains passages des CHS avec des écrits plus tardifs comme l’Apocalypse de Jean (Ap 4–5 ; 7–9)33 et la littérature juive mystique de la fin de l’Antiquité concernant la Merkabah (le char divin) et les Heykhalot (les palais célestes que le mystique cherche à atteindre). Il faudra cependant être prudent sur la comparaison des CHS avec un écrit spéculatif ou apocalyptique. De fait, ces cantiques ne comportent pas d’éléments transmis par un visionnaire, mais ils se rapportent simplement à la louange et au culte, dans une sphère céleste où des êtres divins, et même des objets, jouent un rôle cultuel. Nous avons montré dans une autre contribution comment les éléments architecturaux du ou des sanctuaires célestes accomplissaient une démarche de louange vis-à-vis du « Roi des rois ».34

2.  L’univers angélique des Cantiques de l’holocauste du sabbat En l’état actuel de nos connaissances, les CHS n’offrent aucune vision structurée du monde céleste et de ses représentants. Il ne s’agit pas d’un exposé sur l’angélologie qumrânienne, mais d’un document liturgique, sans autre visée que d’inviter à la louange de Dieu en association à la louange des anges.35 C’est un peu comme si nous ne connaissions une communauté monastique que par son recueil de louanges, et encore, le tiers de ce recueil transmis dans un état très fragmentaire. À la lecture de ces cantiques, nous entrons dans un univers très particulier, celui du monde céleste et d’un appel répété à la louange du « Dieu des dieux » et de sa sainteté merveilleuse : 30 … Célébrez

le Dieu des lieux élevés ! (Ô vous) les exaltés parmi tous les 31 êtres divins (doués) de connaissance. Que les saints de Dieu exaltent le Roi de gloire qui sanctifie tous ses saints par sa sainteté. (Ô vous) chefs des louanges de 32 tous les êtres divins, louez le 30  Voir par exemple 1 Hénoch 14. 31  Sur ce point, voir Charlesworth/Newsom,

Angelic Liturgy, 9, et Angel, « Maskil, community, and religious experience ». 32  Pour une étude détaillée, voir Newsom, Songs of the Sabbath Sacrifice, 59–72. 33  Voir par exemple la fréquence et l’importance du chiffre sept dans les CHS et l’Apocalypse de Jean (cf. Ap 4,5 et les « sept esprits de Dieu »). Consulter l’article significatif de Ryan, « In Animate Praise ». 34  Legrand, « Liturgie céleste et participation du sanctuaire ». 35  Sur l’angélologie des CHS, voir Newsom, Songs of the Sabbath Sacrifice, 23–38.

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Die[u des l]ouanges, (le) majestueux. Car dans la splendeur des louanges (est) la gloire de sa royauté. Là (se tiennent) les louanges de tous 33 les êtres divins, avec la splendeur de tout [son] règ[ne. Alors,] exaltez …36 (4Q403 1 1 30–33)

Le ou les auteurs des CHS ont déployé une belle imagination pour évoquer de manière variée les cohortes célestes qui sont au service d’un culte céleste ; il s’agit de célébrer la grandeur divine, de louer, de bénir, de rendre gloire (la racine ‫ כבד‬est partout présente), etc. Le style littéraire est donc surchargé et caractérisé par la répétition de formules et l’accumulation d’expressions souvent grandiloquentes. Ainsi : 15 sa [struc]ture, œuvres de [son] esquis[se]. Esprits saints d’entre les saints, dieux vivants, esprits saints éternels, par-dessus 16 tous les sain[ts … firmament]s de merveille, majesté merveilleuse [et splendeur. Et le] Dieu de gloire est admirable, dans l’éclat d’une lumière parfaite (est) la connaissance.37 (texte reconstruit du 7e cantique)

Le terme classique ‫מלאך‬, traduit par « messager » ou « ange », n’est employé qu’une dizaine fois dans les CHS sur environ 120 occurrences pour l’ensemble des manuscrits qumrâniens. Le terme n’apparaît pas au singulier, mais il est plutôt question d’une évocation de cohortes angéliques (« anges saints », « anges de gloire », « anges du roi », « anges de la magnificence »)38 dans un contexte littéraire souvent difficile à préciser. Il n’y a pas de sections narratives au sein des CHS, mais un flot d’énoncés liturgiques qui devait conduire le célébrant ou le récitant à une forme d’extase. Au reste, il apparaît difficile de préciser à quoi renvoient toutes ces expressions et si elles désignent des catégories ou des fonctions différentes. C’est toute la difficulté de la lecture et de la traduction de ces textes fragmentaires : de quoi parle-t-on et à quoi fait-on référence exactement ? Les mêmes questions se posent lorsque l’on étudie les écrits plus tardifs de la mystique juive, les chapitres du Livre hébreu d’Hénoch (3 Hénoch) ou les écrits de la mystique de la Merkabah.39 Ces écrits échappent en grande partie à une lecture rationnelle et analytique qui cherche à « comprendre », là où il est avant tout question d’expériences spirituelles et d’exaltation. On peut cependant relever deux éléments intéressants : d’une part, l’idée d’une association à Dieu (Elohim) de « messagers » de Dieu, à son service,40 orientés vers la louange, la bénédiction et l’exaltation de sa grandeur. D’autre part, ces messagers divins sont en communion avec lui par l’idée de la « connais36 Selon Caquot, « Les Cantiques qoumrâniens de l’holocauste du 37 Cf. Charlesworth/Newsom, en référence à 4Q403 et 4Q405

165).

38 

Sabbat », 4. (Angelic Liturgy, 162–

Par ex. 4Q403 1 2 23 ; 4Q405 17 1 4.5 ; 4Q405 19 5 ; 4Q405 20–22 2 9 ; 4Q407 1 3. Pionnier dans ce domaine, Peter Schäfer a permis à cette littérature de sortir de l’ombre : Schäfer, The Origins of Jewish Mysticism. 40  Voir l’usage de la racine ‫( שרת‬servir, être au service) dans les CHS. 39 



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sance » (‫)דעת‬.41 Il faut rappeler ici que le Dieu des qumrâniens – s’il est permis de s’exprimer ainsi – est un « Dieu de la connaissance/des connaissances »,42 tandis que les membres de la communauté sont parfois qualifiés de « connaissants » (ou « hommes de la connaissance »).43 Les références à cette idée abondent dans différents écrits qumrâniens et notamment dans le Rouleau des Hymnes où cette « connaissance » est associée à la fonction créatrice et accompagnatrice de Dieu, dans le cadre d’une forme de déterminisme. Dans les CHS, les anges ou les êtres célestes qui sont dans l’entourage divin sont aussi ceux qui disposent de la connaissance des mystères divins (autre notion importante à Qumrân) et de la connaissance des choses suprêmes : 30 … Célébrez

le Dieu des lieux les plus élevés parmi tous 31 les êtres divins (doués) de connaissance » […] 38 Rendez grâce, vous tous les dieux majestueux, au [Roi de] majesté, car tous les êtres divins (doués) de connaissance rendent grâce à Sa gloire, ainsi que tous les esprits de justice, à cause de Sa vérité.44 (4Q403 1 1 30–31 et 1 1 38)

On peut comprendre alors qu’il s’agit, pour les fidèles de Qumrân, de s’approcher, par la célébration sabbatique, de la connaissance des anges, et donc de la connaissance des mystères divins.45 Ceci s’accorde avec ce que nous savons de l’univers théologique qumrânien par la Règle de la Communauté et d’autres écrits : – « …  Du Dieu des connaissances (provient) tout ce qui est et sera, et avant qu’ils n’existent, Il avait fixé tous leurs plans » (1QS III 15 ; cf. 4Q402 4 12). – « Dans le conseil de la sagesse, je raconterai46 la connaissance … » (1QS X 24 ; cf. 4Q400 2 3). – « … C’est à toi, c’est à toi, ô Dieu des connaissances, qu’appartiennent toutes les œuvres de justice, le fondement de vérité » (1QHa IX 28–29). Dans les CHS, plusieurs autres termes viennent enrichir notre connaissance de l’univers angélique qumrânien ; il s’agit d’abord de la forme énigmatique elim (‫)אלים‬,47 à rapprocher des termes de la famille d’el (‫אל‬, ‫אלהים‬, ‫ )אלוה‬qui dési41  Par exemple : « …  ils racontent la majesté de sa royauté selon leur connaissance… » (4Q400 2 3) ; « Exaltons le Dieu de la connaissance … » (4Q400 2 8) ; 4Q403 1 1 39. 42  Pour l’expression « Dieu des connaissances » (‫ )אל הדעות‬: 1 S 2,3 ; 1QS XI 15–16 ; 1QHa IV 21 ; IX 28 ; XX 13 ; XXI 32 ; XXII 34 ; 4Q299 35 1 ; 4Q400 2 1.8 ; 4Q401 1 14 ; 4Q401 11 2 ; 4Q402 4 12 ; 4Q403 1 1 31 ; 4Q405 2 23 12 ; 4Q417 1 i 8, etc. Le « Dieu des connaissances » est celui qui a déterminé par avance l’ordre de tout, des choses et des êtres. 43  Voir CD B XX 5 ; 1QHa XIX 17 ; 4Q298 3–4 ii 4 ; 4Q499 3 3. 44  Traduction adaptée de Caquot, « Les Cantiques qoumrâniens de l’holocauste du Sabbat », 14. 45  Triplet-Hitoto, Mystères et connaissances cachées à Qumrân, 126–129 et 205–208. 46  Un scribe a corrigé la formule initiale : « je cacherai la connaissance ». 47  Par exemple : 4Q401 14 1 5 ; 4Q402 4 8 ; 4Q403 1 2 26 ; 4Q403 1 1 31.38 ; 4Q405 14–15 1 3.

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gnent la ou les divinités dans le monde biblique et sémitique. Les auteurs des CHS jouent visiblement sur la racine ‫אל‬, pour évoquer la divinité suprême, mais également son entourage ou son action puissante, par la mention des elim qui sont associés à la majesté divine et à la connaissance.48 On ne sait pas très bien comment traduire ce terme déjà présent dans quelques rares passages bibliques (Ps 29,1 ; 89,7 ; Jb 41,17 ; Dn 11,36), ainsi que dans le Règlement de la Guerre et le Rouleau des Hymnes.49 Il s’agit des « dieux » ou plutôt des « êtres divins » qui sont aussi reliés à l’idée de la connaissance et de la lumière (4Q403 1 2 35). Mais il est difficile d’en dire plus. On soulignera également l’usage ambigu du terme elohim50 dans les CHS : s’agit-il toujours du « Dieu des dieux » ? Faut-il comprendre que le dieu auquel s’adressent les louanges des anges et des fidèles est entouré d’autres formes divines émanant de la divinité suprême ? Il est question par exemple du « roi des dieux » (4Q400 2 5 ; 4Q405 23 1 13), du « Dieu des dieux (‫» )אלוהי אלים‬51 (4Q402 4 8)52 mais aussi de « tous les dieux » (4Q403 1 1 32.33). Cet usage d’elohim est connu de la littérature biblique, où il est plutôt rare, tandis que les CHS semblent jouer sur l’ambiguïté du terme, sans préciser au lecteur ce qu’il doit comprendre. La notion de sainteté (‫ )קדש‬est aussi fréquemment évoquée dans les cantiques. Mais c’est une notion que l’on connaît déjà dans le corpus biblique (Psaumes, Job, Zacharie, Daniel) et qui évoque, dans les CHS, les « saints anges » de l’entourage divin. Ce terme revient fréquemment dans le Rouleau des Hymnes de Qumrân pour désigner ceux qui sont marqués par la sainteté divine et qui gravitent dans la sphère céleste : … Dieu de tout(es choses), saints d’entre les saints. Dans sa divinité […] parmi les saints de toujours, saints d’entre les saints, et ils sont devenus pour Lui des prêtres […] ministres de la Face dans son sanctuaire glorieux, dans l’assemblée de tous les dieux de … (4Q400 1 1 2–4)

On voit bien ici quels liens il est possible de tisser entre l’objectif de sainteté à atteindre par le fidèle juif et l’entourage de sainteté du Dieu de gloire sur son trône céleste. Au fond, par la récitation ou la méditation des CHS, il s’agissait de s’associer à la clameur des anges pour en tirer, peut-être, quelques bénéfices. S’im48 

Cf. 4Q400 2 1 ; 4Q403 1 1 31.38. exemple : 1Q33 I 10.11 ; XIV 15.16 ; XVII 7 ; 1QHa XV 31 ; XVIII 10 (« prince des dieux ») ; XXIII 23 ; XXIV 12. 50  Il est à signaler que le tétragramme (‫ )יהוה‬est absent des fragments des CHS, tandis que le nom Elohim y apparaît à de multiples reprises. 51  Expression déjà présente en Dn 11,36 (texte hébreu) : « Le roi agira comme il l’entend … et contre le Dieu des dieux (‫)אל אלים‬, il dira des choses prodigieuses (ou terribles). » La même expression se trouve en araméen en Dn 2,47 : « … votre Dieu est le Dieu des dieux (‫)אלה אלהין‬, le seigneur des rois et le révélateur des mystères … » 52  Et plusieurs autres occurrences : 4Q402 9 2 ; 4Q403 1 1 21.26 ; 4Q403 1 2 26 ; 4Q511 16 4 ; 11Q17 9–12 1 7 ; 11Q17 19–20 6–7. 49  Par

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prégner de ces textes et les prononcer à haute voix permettait de se rapprocher de la louange des anges et, par conséquent, de s’approprier quelque chose de la sainteté de la divinité. En d’autres termes, la sainteté du conseil angélique renvoyait à la sainteté des fidèles unis à celui-ci par une forme de communion liturgique et mystique : 39  …  Chantez le Dieu fort 40  avec une part supérieure d’esprit […] avec une allégresse divine et avec joie parmi tous les saints, chantant (cette) merveille dans une allégresse éter[nelle]. (4Q403 1 1 39–40)

Les CHS évoquent aussi fréquemment la présence des « esprits » (‫רוח‬, ‫רוחי‬,‎ ‫)רוחות‬53 dans l’entourage divin. Il s’agit d’expressions très variées comme « les esprits des dieux », les « esprits merveilleux », les « esprits de connaissance et d’intelligence », les « esprits de la sainte sainteté » ou de « l’éternelle sainteté », etc. Nous pensons que dans ces cantiques, ces expressions sont à comprendre dans un sens positif, car il ne s’agit pas, dans le cadre d’une manifestation de louange à la divinité, d’évoquer des puissances malfaisantes ou des esprits démoniaques. Les esprits s’apparentent ici à des puissances angéliques qui participent au déploiement, riche en expressions poétiques et liturgiques diverses, d’un culte céleste. Toutes ces désignations sont assez classiques à Qumrân pour évoquer le monde des anges et elles s’inspirent sans doute de l’univers de pensée du Premier livre d’Hénoch dans lequel Dieu est appelé le « Seigneur des esprits ».54 Comme nous l’avons déjà signalé, il est difficile de préciser l’identité de ces entités célestes et leurs fonctions particulières. Pour l’auteur de ces cantiques, il s’agit peut-être tout simplement de faire varier le vocabulaire et le style d’une série d’expressions qui évoquent la louange adressée à Dieu, son ou ses sanctuaires et son entourage céleste. De façon plus inattendue, les CHS mentionnent le terme de « prêtre(s) » (‫כוהן‬, ‫ )כוהני‬pour parler d’un culte céleste rendu à la majesté divine de manière valide.55 Il est possible que ce terme ne désigne pas directement une catégorie d’anges, mais une fonction des anges associés au culte céleste. Quoi qu’il en soit, il y a tout lieu de penser que ces cantiques s’attachent ici à manifester l’importance de la fonction sacerdotale dans le cadre du culte sabbatique, en lien avec la fonction sacerdotale des anges qui rendent gloire à Dieu : « … la gloire du Roi des dieux, ils la proclament dans les demeures où ils montent la garde … » (4Q400 2 5). Une partie des cantiques, au début du rouleau, pourrait faire référence à la mise en place d’un sacerdoce céleste qui sera chargé de gérer le culte céleste dans les règles de l’art, et où tous les éléments du sanctuaire seront impli53  54  55 

Surtout en 4Q403 et 4Q405. « Seigneur des esprits » : 1 Hénoch 40,1.2.4.5.6.7.10 ; 41,2.6.7 ; 43,4 ; 45,1, etc. Par exemple : 4Q400 1 1 3.17.19.20 ; 4Q401 13 3 ; 4Q403 1 2 19.24.

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qués.56 Cette idée d’une fonction sacerdotale des anges ou de certains d’entre eux rejoint la place accordée à la classe sacerdotale dans les écrits communautaires de Qumrân.57 De la même manière, le terme de « ministre » ou « serviteur » est utilisé à quelques reprises pour désigner les anges au service des célébrations célestes. Il n’y a pas forcément ici à distinguer une catégorie particulière d’ange, mais une fonction classique dans le cadre cultuel évoqué. Dans la hiérarchie des anges, le terme nassi (‫נשיאי‬, ‫)נשיא‬58 qui renvoie à l’idée du « prince » semble désigner une catégorie éminente de « leaders » du monde angélique ; il s’agit peut-être, dans l’univers angélique des CHS, d’un titre comparable à celui de « grand-prêtre » dans le domaine cultuel.59 Cette désignation n’est pas particulièrement répandue dans les écrits qumrâniens ni dans la littérature rabbinique ou mystique. On peut également distinguer deux catégories de « princes » : des « princes en chef »60 et des princes de « seconde catégorie ».61 Les précisions manquent cependant sur ce point. Soulignons encore une fois le fait que le recueil des CHS n’est pas à considérer comme un manuel d’angélologie. Les auteurs manifestent leur enthousiasme spirituel pour un monde angélique qu’ils dépeignent dans des termes vagues et poétiques. Par exemple : Le sixième parmi les princes en chef bénira au nom des puissance[s des] dieux tous les êtres puissants en intelligence avec sept paroles merveilleuses … Le se[pt]ième parmi les princes en chef bénira au nom de sa sainteté tous les saints parmi les fondements de la connaissance avec les sept paroles de [sa] sainteté merveilleuse, et il bénira tous ceux qui exaltent ses jugements … (texte reconstruit du 6e cantique, 54–57)

Si les formules employées restent assez vagues et marquées par l’emphase et la répétition, ce 6e cantique présente une structure en septénaire qui accorde une place de choix aux « princes en chef » dans ce qui ressemble à une hiérarchie angélique. Citons sur ce point un commentaire d’André Caquot : Chaque archange paraît avoir la charge de célébrer une vertu divine et de bénir au nom de celle-ci. (…) On reconnaît (…) les vertus divines de véracité, majesté, vaillance, bonté, mi-

56 

Par exemple : 4Q400 1 1 15–20. sujet de la place des prêtres dans la communauté qumrânienne, voir 1QS VI  19 ; IX 7 ; 1QSa I 22–24 ; cf. CD A IX 13 ; XIII 5 ; XIV 3–6. 58  Cf. 4Q403 1 1 1.10.26 ; 4Q403 1 2 20 ; 4Q405 3 1 12 (mention supralinéaire). On relève également au moins deux mentions du terme ‫( שר‬prince, chef, officier), mais le contexte littéraire, trop fragmentaire, ne permet pas d’exploiter ces références (cf. 4Q400 1 1 12). 59  Newsom, Songs of the Sabbath Sacrifice, 33. 60  Voir l’expression d’Ez 38,2–3 et 39,1. 61  Cette catégorie n’est attestée que deux fois (4Q400 3–5 2 2 ; 4Q405 13 7) dans un contexte difficile à cerner. Cf. Newsom, Songs of the Sabbath Sacrifice, 33 et 35 : « … By virtue of their high status among the angels, however, the chief princes as a group can be referred to as first in rank among the angels, as deputy princes are second in rank. » 57  Au

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séricorde, sainteté et les comportements humains qu’elles commandent : connaissance, obéissance, gratitude, bonne conduite, espérance, justice.62

Souvent associé à celui de « princes », le terme pluriel roshey (‫ראשי‬, ‫)רושי‬,63 la « tête », le « principal », le « chef », est employé de manière régulière et générale pour évoquer ceux qui semblent être des « chefs » de cohorte angéliques, des archanges,64 au service de la divinité, et selon une hiérarchie. Mais comme pour d’autres termes, nous n’avons pratiquement aucune information sur la fonction précise de ces chefs des anges ; ils sont qualifiés de « chefs des louanges », « chefs des hauteurs », « chefs des royaumes », « chefs des princes », « chefs de son sanctuaire », etc.65 Les précisions manquent pour comprendre ce qui ressemble à une organisation du monde angélique. Fait notable, aucun nom d’ange n’est spécifié dans les fragments des cantiques qui nous ont été préservés.66 De fait, il nous apparaît vain de chercher dans ces textes une nomenclature précise concernant la sphère angélique. Pour le ou les auteurs, il s’agit sans doute de transmettre une atmosphère propice à la louange de Dieu, à l’exaltation de son royaume et des cohortes célestes qui l’entourent, dans un cadre vivant, mouvant et suggérant des expériences de type mystique. Une autre hypothèse consiste à s’appuyer sur un passage de la Guerre des Juifs (II,142) dans lequel Flavius Josèphe évoque le serment essénien de ne pas divulguer le nom des anges.67 Si cette information est exacte, on comprend mieux pourquoi les CHS ne communiquent aucun nom d’ange, tout en les distinguant par une série de termes ou d’expressions : les princes en chef, les esprits de suprême sainteté, les anges de sainteté, les êtres divins, etc.

3.  Quelques éléments de synthèse Les CHS se focalisent sur une invitation à la louange de Dieu (généralement qualifié par le terme ‫אל‬/‫)אלהים‬, mais une autre désignation vient saturer le document : il est le « roi » : le roi des elohim et le roi des elim ; le roi de toute chose ! L’espace céleste appartient tout entier à Elohim où il règne avec autorité,68 tandis 62 Caquot, « Les Cantiques qoumrâniens de l’holocauste du Sabbat », 12. 63  Voir 4Q403 1 2 3 ; 4Q403 1 1 31.34 ; 4Q403 1 2 16 ; 4Q405 4 2 ; 4Q405 23

2 10.11. Voir les « princes en chef » du 6e cantique (4Q403 1 1 10–29) qui bénissent et célèbrent par « sept paroles merveilleuses » dont le contenu n’est jamais indiqué. 65  La plupart de ces expressions se trouvent en 4Q403 et 4Q405, dans le 6e et le 7e cantique. 66  Les manuscrits de Qumrân précisent rarement le nom des anges qui sont évoqués. Voir cependant les fragments araméens de 1 Hénoch et le Règlement de la Guerre (cf. 1QM IX 15–16 et la mention de Michel, Sariel, Raphaël et Gabriel). 67 Selon Dupont-Sommer, la révélation du nom des anges « assurait à l’initié la connaissance des plus hauts secrets du monde divin » (Les écrits esséniens découverts près de la mer Morte, 42). 68  Voir la fréquence du terme ‫ מלכות‬dans les CHS. 64 

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que tous se pressent pour le servir : des êtres célestes, des esprits, des princes suprêmes, ainsi que les éléments architecturaux des sanctuaires célestes et d’autres éléments qui peuvent manifester la grandeur divine. De fait, dans le document brièvement présenté, ce ne sont pas les attributs divins ou ses fonctions terrestres qui sont mis en valeur, mais sa royauté absolue sur le monde des êtres célestes et les sanctuaires qui y sont associés. Dans les CHS, le monde angélique est tout entier concerné par la louange divine. La fonction première des anges (ou des êtres apparentés) est donc de célébrer Dieu dans ses hauteurs, à la manière des prêtres, dans ses sanctuaires et dans son royaume. Nous sommes bien en contact avec une communauté de fidèles du judaïsme, mais une communauté qui s’inspire des représentations anciennes d’un dieu qui est entouré et « célébré » par des cohortes divines, ce que d’anciennes traductions bibliques traduisent par les « armées célestes ». Cette représentation de la divinité est perceptible dans de nombreux passages vétérotestamentaires, en particulier les Psaumes. Toute une série de termes sapientiaux et de formules qui évoquent la connaissance, les mystères et les merveilles permet d’envisager que la fréquentation liturgique du monde céleste avait la capacité de transmettre des révélations aux hommes et en particulier aux membres de la communauté lors des célébrations sabbatiques. Malheureusement, nous ne savons rien des effets de la méditation de ces textes et des cérémonies qui devaient y être associées. Autres particularités significatives : certains anges ont une fonction sacerdotale clairement affirmée et ils sont appelés à agir comme des prêtres dans le temple céleste, en étant les garants de la pureté des lieux et de l’enseignement. On croit comprendre qu’ils sont également responsables et gardiens des vêtements sacerdotaux (cf. 4Q405 23 2). Finalement, ils seront associés à la guerre eschatologique qui sera menée à la fin des temps (cf. 4Q402 4). Dans cette communauté où certains membres semblent s’être rapprochés (ou comparés à) des êtres angéliques, les sept anges en chef tiennent le rôle de leader de la communauté angélique, sans qu’aucun nom ni aucune fonction ne soit vraiment précisé. D’autres écrits juifs, comme 1 Hénoch et Jubilés, transmettent pourtant des noms d’anges et d’archanges, mais la fonction liturgique des Cantiques ne réclamait sans doute pas ces précisions.

Bibliographie Alexander, Philip, The Mystical Texts (Companion to the Qumran Scrolls 7, Library of Second Temple Studies 61), London : T&T Clark International, 2006. Angel, Joseph L., « Maskil, Community, and Religious Experience in the Songs of the Sage (4Q510–511) », Dead Sea Discoveries 19 (2012), 1–27.



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Caquot, André, « Les Cantiques qoumrâniens de l’holocauste du Sabbat », Revue d’Histoire et de Philosophie Religieuses 77 (1997), 1–29. Charlesworth, James H./Newsom, Carol A. (éd.), The Dead Sea Scrolls. Hebrew, Aramaic, and Greek Texts with English Translations, Vol. 4B. Angelic Liturgy: Songs of the Sabbath Sacrifice, Tübingen/Louisville : Mohr Siebeck/Westminster John Knox Press, 1999. Collins, John J., The Dead Sea Scrolls. A Biography, Princeton : University Press, 2013. Coulot, Claude, « En quoi est-il unique ? La figure de Dieu selon le cantique de l’holocauste du cinquième sabbat (4Q402 4 ; Mas 1k ShirShabb I) », dans : Bons, Eberhard/Legrand, Thierry (dir.), Le monothéisme biblique. Évolution, contextes et perspectives (Lectio Divina 244), Paris : Cerf, 2011, 275–284. Davila, James R., Liturgical Works (Eerdmans Commentary on the Dead Sea Scrolls 6), Grand Rapids (MI) : Eerdmans, 2001. Dupont-Sommer, André, Les écrits esséniens découverts près de la mer Morte (Bibliothèque historique Payot), Paris : Payot, 1983. Dupont-Sommer, André/Philonenko, Marc (dir.), La Bible. Écrits intertestamentaires (Bibliothèque de la Pléiade 337), Paris : Gallimard, 1987. Eshel, Esther et al., Qumran Cave 4, VI: Poetical and Liturgical Texts. Part 1 (Discoveries in the Judaean Desert XI), Oxford : Clarendon Press, 1998, 173–401. Falk, Daniel K., Daily, Sabbath, and Festival Prayers in the Dead Sea Scrolls (Studies on the Texts of the Desert of Judah 27), Leiden : Brill, 1998. Legrand, Thierry, « Liturgie céleste et participation du sanctuaire dans les Cantiques de l’holocauste du sabbat (Shirot ʻOlat HaShabbat) », dans : Chaieb, Marie-Laure/ Roux, Josselin (dir.), Quand Dieu montre le modèle. Interprétations et déclinaisons d’un motif biblique (Bibliothèque des religions du monde 4), Paris : Honoré Champion, 2016, 219–236. Newsom, Carol A., Songs of the Sabbath Sacrifice: A Critical Edition (Harvard Semitic Studies 27), Atlanta : Scholars Press, 1985. Ryan, Sean Michael, « In Animate Praise: The Heavenly Temple Liturgy of the Apocalypse and the Songs of the Sabbath Sacrifice », Scripture Bulletin 42 (2012), 13–25. Schäfer, Peter, The Origins of Jewish Mysticism, Tübingen : Mohr Siebeck, 2009. Triplet-Hitoto, Valérie, Mystères et connaissances cachées à Qumrân. Dt 29,28 à la lumière des manuscrits de la mer Morte (L’écriture de la Bible 1), Paris : Cerf, 2011.

Anges et archanges : la complexification du monde angélique dans le judaïsme de l’époque hellénistique et romaine Patrick Pouchelle Si le concept d’« anges » fait l’objet d’études scientifiques1 et de vulgarisations éclairantes récentes2 et si les mots pour le dire, ‫ ַמלְ ָאְך‬en hébreu et ἄγγελος en grec, ont été étudiés récemment,3 c’est moins le cas de la dénomination de la hiérarchie angélique, notamment du dérivé ἀρχάγγελος, « archange ».4 Ceci s’explique probablement par la dichotomie entre la rareté de son emploi dans la Bible – il n’est pas attesté dans la Septante et à peine deux fois dans le Nouveau Testament –5 et son grand ancrage dans la culture populaire – puisqu’il désigne Michaël, Raphaël ou Gabriel. Ce terme est alors d’usage commun, et les exégètes n’hésitent pas à parler d’archanges, même si le terme ἀρχάγγελος n’apparaît pas dans le texte étudié.6

1  Voir

notamment la bibliographie dans Ego et al., « ἄγγελος », à laquelle on peut aussi rajouter Jost, Engelgemeinschaft im irdischen Gottesdienst ; Römer et al. (éd.), Entre dieux et hommes ; Walsh, Angels Associated with Israel ; Ronis, « Intermediary Beings » ; Tüschling, Angels and Orthodoxy. 2  Voir, par exemple, le récent ouvrage de Hamidović, L’insoutenable divinité. 3 Pour ‫ ַמלְ ָאְך‬, voir Wassen, « Angels in the Dead Sea Scrolls » et Idem, « ‫ מלאך‬malʾāk », sans oublier Fabry, « ‫ ַמלְ ָאְך‬malʾāḵ » et Ficker, « ‫ ַמלְ ָאְך‬malʾāk messenger ». Pour ἄγγελος, voir Ego et al., « ἄγγελος ». 4  Il me semble que le seul article récent sur la question de l’origine des archanges est Galbraith, « The Origin of Archangels ». Sa thèse soutient que les archanges ont été créés pour préserver et justifier une classe nobiliaire supérieure. Si les archanges peuvent être interprétés ainsi, et si l’article de Galbraith fait sens dans un livre sur « la lutte des classes dans le Nouveau Testament », le fait qu’ils aient été inventés pour cela reste pour moi assez spéculatif. Par ailleurs, on consultera avec profit Berner, « The Four (or Seven) Archangels » ou van Henten, « Archangel ». Je n’oublie pas les contributions sur l’étude de l’un ou l’autre des archanges, telles que Novell, « The ‘Work’ of Archangel Raphael », Ego, « The Figure of the Angel » et Reiterer, « An Archangel’s Theology » ou encore Arnold, The Footprints of Michael the Archangel. Cependant, ces contributions ne traitent pas réellement du mot « archange ». Fontinoy, « Les anges et les démons de l’Ancien Testament » traite brièvement des archanges (124–125) pour signaler la potentielle influence perse (voir plus bas). 5  Jude 9 et 1 Th 4,16. 6  Comme le rappelle Berner, « The Four (or Seven) Archangels », 395, « It should, however, be noted that the term ‘archangel’ is somewhat anachronistic when we are dealing with the early stages of this idea ».

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Le présent essai s’attachera à étudier ce mot. En premier lieu, nous replacerons l’émergence de l’archange dans un contexte général de complexification du monde angélique et d’interpénétration des mondes helléniques et juifs, avec un effacement de la frontière entre dieux et anges. Ensuite, nous nous attacherons à déterminer son origine et, notamment, s’il s’agit d’un néologisme juif. Enfin, quelle que soit l’origine de ce mot, constatant sa prospérité dans le monde judéochrétien, nous tâcherons de déterminer de quel mot ou syntagme hébreu il se rapprocherait, afin de mieux percevoir son utilisation.

1.  Les « anges-dieux », contexte d’émergence du concept d’archange Dans la Bible hébraïque, l’ange de Dieu ou du Seigneur est le plus souvent seul,7 alors que ‫ ַמלְ ָאְך‬au pluriel désigne davantage des messagers humains, envoyés notamment par un roi,8 que des « anges ».9 Au contraire, dans les écrits de l’époque hellénistique, les mots ἄγγελος et ‫ ַמלְ ָאְך‬au pluriel désignent le plus souvent des « anges »,10 même si le champ sémantique profane reste présent.11 En particulier, dans la Septante, le mot ἄγγελος est plusieurs fois utilisé au pluriel pour remplacer une dénomination divine. Bien que cela ait souvent été interprété comme un biais théologique du traducteur,12 il me semble que cela montre plutôt une interpénétration des champs sémantiques de θεός au pluriel et de ἄγγελος, respectivement ‫ ֱאל ׂ ִהים‬et ‫ ַמלְ ָאְך‬. Ainsi, dans l’épisode où les « fils des dieux », ‫ ְבּנֵ י ָה ֱאל ׂ ִהים‬, se rapprochent des filles des hommes (Gn 6,1–4), certains manuscrits de la Septante font correspondre à ‫ ְבּנֵ י ָה ֱאל ׂ ִהים‬l’expression οἱ ἄγγελοι τοῦ θεοῦ, « les anges de Dieu » ;13 d’autres témoins proposent οἱ υἱοὶ τοῦ θεοῦ, « les fils de Dieu ». On retrouve une configuration identique en Dt 32,8LXX où, en fonction des différents té7  Nombreuses attestations à partir de Gn 16,7 (« ange du Seigneur ») et Gn 21,17 (« ange de Dieu »), voir aussi Jacob, « Variations et constantes dans la figure de l’ange de YHWH ». 8  Nombreuses occurrences chez les prophètes antérieurs (par exemple Jg 6,35 ; 1 S 16,19 ; 2 S 11,4 ; 2 R 14,8 …). 9  Une dizaine d’occurrences, sur près de 90, du mot ‫ ַמלְ ָאְך‬au pluriel : les anges vers Loth (Gn 19,1.15) ou ceux de l’échelle de Jacob (Gn 28,12) et ceux qu’il rencontre inopinément (Gn 32,2). Probablement aussi en Is 44,26 (encore qu’il puisse s’agir d’émissaires humains envoyés par Dieu, tels que des prophètes, voir 2 Ch 36,15–16). Dans les Psaumes, l’attribution divine des anges semblent plus claire : les anges de malheurs en Ps 78[77],49, les anges « gardiens » en Ps 91[90],11, l’armée céleste en Ps 103[102],20 et Ps 148,2 ou encore l’identification des anges et des vents/esprits en Ps 104[103],4. D’ailleurs ange au singulier n’y apparaît que trois fois : Ps 34[33],8 et Ps 35[34],5.6. Une dernière mention se trouve en Jb 4,18. 10  Ainsi, le corpus de Qumrân utilise le mot quasiment exclusivement pour désigner un être céleste et très souvent au pluriel (cf. Wassen, « ‫ מלאך‬malʾāk »). 11  Par exemple Jdt 1,11 ; 3,1 ; 1 M 1,44 ; 5,14 ; 7,10. 12  Voir, par exemple, Schenker, « Götter und Engel im Septuaginta-Psalter ». 13  Le passage du pluriel au singulier implique que le traducteur voit ‫ ָה ֱאל ׂ ִהים‬comme désignant le Dieu d’Israël. Je n’approfondirai pas ce point.



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moins textuels, le « Très-haut » divise le nombre des nations selon le nombre des « anges » ou des « fils » du dieu. Dans le texte massorétique on lit ‫ ְבּנֵ י יִ ְשׂ ָר ֵאל‬, « les fils d’Israël », mais, dans un manuscrit de Qumrân (4Q37 XII) ‫בני אלוהים‬. La raison pour laquelle le texte massorétique est ici différent du texte de Qumrân est maintenant assez bien étudiée.14 La collocation ‫ ְבּנֵ י ָה ֱאל ׂ ִהים‬se retrouve encore dans le livre de Job, pour décrire les membres de l’assemblée divine, en grec ἄγγελοι τοῦ θεοῦ.15 Jb 38,7 propose quasiment la même correspondance avec ‫ ְבּנֵ י ֱאל ׂ ִהים‬. De manière intéressante, dans le targum de Job correspondant à ce passage, on trouve ‫מלאכי אלהא‬.16 Dans ces trois versets, il n’y a pas de variantes textuelles proposant « fils », sauf en Jb 2,1 où la traduction de Jérôme à partir du ֱ ‫ַבּ‬ grec donne filii. Enfin, dans la partie araméenne de Daniel (Dn 3,25), ‫ר־אלָ ִֽהין‬ correspond à ἄγγελος θεοῦ (Dn 3,92, trad. ancienne dite « vieux grec ») et υἱὸς θεοῦ (Dn 3,92, trad. dite de Théodotion). Le cantique de Moïse en grec possède une deuxième mention des « anges de Dieu » en Dt 32,43LXX dans un hémistiche sans correspondance avec le texte massorétique.17 Les deux syntagmes υἱοὶ θεοῦ et ἄγγελοι θεοῦ se situent dans deux passages relativement parallèles. D’ailleurs, la tradition textuelle présente une hésitation : les deux collocations sont parfois inversées, comme dans la deuxième Ode de la Septante qui reprend le Cantique de Moïse.18 Ce verset plus long de la Septante possède un correspondant dans un manuscrit « biblique » de Qumrân19 toutefois sans l’hémistiche qui correspondrait à ἄγγελοι θεοῦ. À vrai dire, καὶ ἐνισχυσάτωσαν αὐτῷ πάντες ἄγγελοι θεοῦ semble bien être un doublet qui fait correspondre à εὐφράνθητε, ἔθνη, μετὰ τοῦ λαοῦ αὐτοῦ un développement similaire à εὐφράνθητε, οὐρανοί, ἅμα αὐτῷ. L’association, dans ce verset, de υἱοὶ θεοῦ et de ἄγγελοι θεοῦ confirme la relation forte entre ces deux syntagmes. Luc 20,3620 peut illustrer ce rapport par l’identification nette qu’il fait entre les anges, les fils de Dieu et les ressuscités : Οὐδὲ γὰρ ἀποθανεῖν ἔτι δύνανται, ἰσάγγελοι γάρ εἰσιν καὶ υἱοί εἰσιν θεοῦ τῆς ἀναστά­ σεως υἱοὶ ὄντες. C’est qu’ils ne peuvent plus mourir, car ils sont pareils aux anges : ils sont fils de Dieu puisqu’ils sont fils de la résurrection. (TOB) 14  Voir notamment Heiser, « Deuteronomy and the Sons of God » ; Himbaza, « Dt 32,8, une correction tardive des scribes » ; Hanhart, « Die Söhne Israels » ; Schmidt, « Was there an Early Israelite Pandemonium? », 176–179. 15  Jb 1,6 et 2,1. 16  11Q10 XXX l.5. 17  Ce point a été souvent étudié. Notons van der Kooij, « The Ending of the Song of Moses » ; Kraus, « Die hermeneutische Relevanz der Septuaginta für eine biblische Theologie » ; Belenkaja, « The Ending of the Canticum Mosis » ; Schmidt, « Was there an Early Israelite Pandemonium », 180–181. 18  On peut également noter la citation que fait He 1,6 de ce texte. Voir Steyn, A Quest for the Assumed LXX Vorlage, 57–72. 19  4Q44 II fr. 5 ii. 20  Contrairement aux passages parallèles de Mt 22,30 et Mc 12,25.

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Nous ne trouvons pas d’autres mentions des « fils des dieux » dans le texte massorétique, sauf à compter deux occurrences de ‫ ְבּנֵ י ֵאלִ ים‬qui sont rendues par υἱοὶ θεοῦ.21 En revanche, ἄγγελοι correspond plusieurs fois à ‫ ֱאל ׂ ִהים‬. Ainsi, en Ps 8,5, Dieu a fait l’homme un peu moins grand que « les dieux » (dans le texte massorétique) et que « les anges » (dans la Septante) alors qu’en Ps 97[96],7, ce sont les anges (LXX) et non les dieux (TM) qui se prosternent devant Dieu et qu’en Ps 138[137],1, le psalmiste « grec » chante devant les anges et non devant les dieux (TM). Pourtant, le traducteur des Psaumes sait utiliser θεός au pluriel, même lorsqu’une vision polythéiste ou mythologique est en jeu. La mention du dieu des ֱ ‫ ֶא‬en Ps 50[49],1 et Ps 84[83],8.22 dieux, ὁ θεὸς τῶν θεῶν, correspond à ‫ל־אל ׂ ִהים‬ Le psalmiste « grec » n’hésite pas à dire que Dieu est plus grand que les dieux,23 qu’il ne peut être comparé aux autres dieux.24 Si cette manière de parler peut relever de la rhétorique allégorique, on peut être plus circonspect pour la « synagogue des dieux » du Ps 82[81],1 : Ὁ θεὸς ἔστη ἐν συναγωγῇ θεῶν. Il s’agit bien d’une assemblée divine au milieu duquel Dieu juge (ἐν μέσῳ δὲ θεοὺς διακρίνει). Plus étonnant encore, ce même psaume, plus bas, propose ἐγὼ εἶπα Θεοί ἐστε καὶ υἱοὶ ὑψίστου πάντες,25 avec θεός au pluriel qui correspond à ‫ ֱאל ׂ ִהים‬, et υἱοὶ ὑψίστου à ‫ ְבּנֵ י ֶﬠלְ יֹון‬, un hapax.26 Ainsi, le terme θεός au pluriel n’est pas évité dans la traduction Septante des Psaumes. Une clé d’interprétation possible est donnée par Ps 96[95],5 qui identifie les dieux des nations avec des δαιμονία.27 Le terme δαιμόνιον n’est pas obligatoirement péjoratif et peut être rapproché de Dt 32,8LXX (« les dieux des nations sont des anges »)28 et aussi de Dt 32,17LXX : Ἔθυσαν δαιμονίοις καὶ οὐ θεῷ, θεοῖς, οἷς οὐκ ᾔδεισαν, καινοὶ πρόσφατοι ἥκασιν, οὓς οὐκ ᾔδεισαν οἱ πατέρες αὐτῶν Ils ont sacrifié à des démons et ils ne sont pas Dieu, à des dieux qu’ils ne connaissaient pas, des nouveaux, récents, sont venus que ne connaissaient pas leurs pères.

Ce point peut être également rapproché de Ps 97[96],7 – προσκυνήσατε αὐτῷ, πάντες οἱ ἄγγελοι αὐτοῦ – car les anges se prosternent devant Dieu, dans un contexte de réprimande envers les « idolâtres ». C’est d’ailleurs cet extrait qu’on retrouve en Dt 32,43LXX . Il y a donc bien une différence sémantique entre le mot θεός au singulier, signifiant le Dieu d’Israël, et le mot θεός au pluriel, qui désigne des êtres dont l’existence n’est pas niée mais identifiée aux « démons » et aux « anges ». Dans ce 21  22 

Ps 29[28],1 et 89[88],7. Voir aussi Ps 136[135],2. 23  Ps 95[94],3 ; 96[95],4 ; 97[96],9 ; 135[134],5. 24  Ps 86[85],8. 25  Ps 81,6LXX repris notamment en Jn 10,34. 26  On retrouve le syntagme υἱὸς ὑψίστου en Si 4,10. 27 Voir Angelini, « Naming the Gods of Others in the Septuagint » et Schmidt, « Was there an Early Israelite Pandemonium », 181–182 et 193–194. 28  Voir la même interprétation chez Philon, De Gigantibus 6.

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cadre, il est trop facile de comprendre l’hésitation manuscrite en Gn 6,2.4 ou en Dt 32,8 comme due à la transformation d’un « ange » initial en « fils », pour se rapprocher du texte hébreu.29 Il est tout autant prématuré de voir dans le changement inverse de « fils » en « ange » une volonté de s’éloigner d’une forme de polythéisme ou de mythologie.30 Le nom θεός au pluriel et ἄγγελος se sont rapprochés sémantiquement. Cette évolution apparaît déjà dans la tradition textuelle hébraïque. Le mot ‫ ֱאל ׂ ִהים‬désigne des morts en 1 S 28,13 ou Is 8,19,31 ou bien un ange du Seigneur en Za , « comme des dieux, comme l’ange du Seigneur ».32 Un 12,8 : tel passage peut permettre d’expliquer le choix des traducteurs des Psaumes de rendre ‫ ֱאל ׂ ִהים‬par ἄγγελοι lorsqu’ils le jugeaient opportun sans qu’il y ait besoin d’en appeler à une volonté délibérée d’enlever toute référence au polythéisme.33 De même, le corpus de Qumrân montre bien que les noms divins ‫ אלהים‬ou ‫אלים‬ peuvent désigner des êtres angéliques.34 Or, il est particulièrement fascinant d’observer une même convergence dans le monde hellénistique. L’examen de cette question doit cependant commencer par celui de l’évolution sémantique du terme ἄγγελος. En effet, ce terme, et son correspondant hébreu ‫ ַמלְ ָאְך‬partagent un champ sémantique assez commun et désignent toutes sortes « d’envoyés » porteurs d’un message35 Ils partagent également le sens initial d’« envoyé » profane avant d’en arriver ensuite à désigner un être « céleste ». Cependant, le moment, le langage et le contexte dans lesquels l’un ou l’autre de ces mots en est venu à désigner spécifiquement un être « céleste » restent débattus. Cette évolution fut longtemps perçue comme juive par excellence, mais un courant académique, de Dibelius36 au français Cumont,37 et régulièrement repris depuis, notamment en lien avec des inscriptions d’Anatolie,38 démontre l’utilisation du mot ἄγγελος pour décrire un être divin au sein 29 Ainsi

Harl, La Genèse, 124–125. Rösel, Übersetzung als Vollendung der Auslegung, 146–147. Il semble que la confluence sémantique entre « dieux » et « fils » peut déjà trouvé une origine dans certaines anciennes inscriptions sémitiques, voir Teixidor, The Pagan God: Popular Religion in the GrecoRoman Near East, 14, n. 30. 31  Ce qui consonne assez bien avec l’identification des fils de la résurrection aux fils de Dieu en Lc 20,36. 32  Ici la Septante donne ὡς οἶκος θεοῦ, ὡς ἄγγελος κυρίου ἐνώπιον αὐτῶν, proposant une comparaison entre la maison de David, mentionnée juste avant, et la maison de Dieu. 33  En effet, la mention est parfois entendue comme une retouche rédactionnelle, bien que les arguments textuels soient discutables. Voir la discussion qu’en propose Petterson, Behold Your King, 218–220. 34  Sur ce point, voir Newsom, Songs of the Sabbath Sacrifice, 24 ; García Martínez, « Divine Sonship at Qumran », 111–119 ; Wassen, « Angels in the Dead Sea Scrolls », 500. 35  Voir notamment Ego et al., « ἄγγελος », et surtout Dogniez/Scopello, « Autour des anges ». 36  Dibelius, Die Geisterwelt im Glauben des Paulus. 37  Cumont, « Les anges du paganisme ». 38  Voir, entre autres, Sokolowski, « Sur le Culte d’Angelos » ; Teixidor, The Pagan God: 30 Ainsi

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de la culture et de la religion hellénistique. La recherche contemporaine a produit récemment plusieurs contributions sur cette question qui tendent à montrer qu’une origine uniquement juive de cette évolution sémantique n’est plus guère tenable.39 Dans la lexicologie grecque, cela s’explique par le fait que certains dieux grecs sont qualifiés par ἄγγελος.40 Ainsi, le culte d’un dieu peut être associé à celui de son « ange ». Par exemple, une inscription célèbre le don fait à Ἰλααλγῃ καὶ τῷ ἀνγέλῳ αὐτοῦ Ἰδαρουμᾳ, « Ilaalges et son ange Idarouma » – Idarouma est une translitération du sémitique « main levée ».41 Deux autres mentionnent l’ange du Dieu Mên.42 Mitchell rapporte d’autres inscriptions liant le « Dieu très haut » à une cour céleste importante.43 La multitude des anges pourrait relever d’un modèle impérial par rapport au contexte politique, et d’un modèle platonique par rapport au contexte philosophique, d’un Dieu suzerain d’une cour céleste. Cependant, on pourrait aussi comprendre que le qualificatif d’ange désigne l’émanation terrestre d’un dieu.44 Valable pour tout dieu, ce type d’identification fonctionne bien avec un dieu « très haut »,45 dont la distinction avec le dieu d’Israël est parfois malaisée à établir.46 Les anges sont l’interface entre ce dieu transcendant et le monde supra lunaire ils en viennent alors à prendre l’identité même du dieu « très haut ». Ainsi, la monumentale inscription d’Oenoanda  écrit la réponse d’un oracle d’Apollon : [Α]ὐτοφυής, ἀδίδακτος, ἀμήτωρ, ἀστυφέλικτος, οὔνομα μὴ χωρῶν, πολυώνυμος, ἐν πυρὶ ναίων, τοῦτο θεός· μεικρὰ δὲ θεοῦ μερὶς ἄνγε̣λοι ἡμεῖς. Autogénéré, autodidacte, sans mère, imperturbable, qu’un nom ne contient pas, de plusieurs noms, résident dans le feu, c’est Dieu, nous, les anges, sommes une petite partie de dieu.47 Popular Religion in the Greco-Roman Near East, Sheppard, « Pagan Cults of Angels », et plus récemment, Hirschman, « Zwischen Menschen und Göttern ». 39 Voir Belayche, « Angeloi in Religious Practices » ; Cline, Ancient Angels: Conceptualizing angeloi in the Roman Empire ; Bowersock, « Les Anges païens de l’antiquité tardive » ; Horsley/Luxford, « Pagan Angels in Roman Asia Minor ». 40  Hermès (Homère, Odyssée V,29) bien sûr, mais aussi Iris (Homère, Iliade II,789) et quelques autres (voir Ego et al., « ἄγγελος », 65–66, voir également Sokolowski, « Sur le Culte d’Angelos », 226–229 ou encore Speyer, « The Divine Messenger in Ancient Greece »). 41 Cf. Bowersock, « Les Anges païens de l’antiquité tardive », 97. 42 Cf. Cline, Ancient Angels, 61. 43  Mitchell, « The Cult of Theos Hypsistos », 114–115. 44  Voir discussion dans Belayche, « Angeloi in Religious Practice », 61–65. 45  Pour la question du culte du Dieu très haut, voir Mitchell, « The Cult of Theos Hypsistos » et Idem, « Further Thoughts on the Cult of Theos Hypsistos ». 46  La vision de Mitchell, « The cult of Theos Hypsistos », qui voit le plus souvent une influence juive sur le monde hellénique derrière les manifestations du culte du « Dieu très haut » a été critiquée, notamment par Bowersock, « Les Anges païens de l’antiquité tardive », 95. Voir également Belayche, « Angeloi in Religious Practices », 57–64. 47  Il existe une grande bibliographie sur cette inscription ; voir notamment Busine, « Apollon : Dieu des anciens et prophète du Christ » et Cline, Ancient Angels, 20–26.

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Déjà dans son article sur les anges du paganisme, Cumont observait que le mot « ange » pouvait être accolé au mot « dieu ». Il étudie notamment une inscription de Mésie sur un autel, dédié aux « dieux anges » (Diis angelis),48 puis une dédicace à Ostie, dédiée au dieu syrien de Balbek identifié à Jupiter : Iovi Optimo Maximo Angelo Heliopolitano, « Jupiter le meilleur le plus grand, l’ange héliopolitain ». Le matériel épigraphique existe également en grec, notamment en Carie : Διῒ Ὑψίστῳ καὶ Θείῳ Ἀγγέλῳ.49 On trouve aussi une telle fluctuation de frontières entre « ange » et « dieu »50 en actuelle Syrie, avec le Dieu Malakbel, parfois interprété comme « ange de Bel » qui peut aussi être compris comme « ange-Bel »,51 ou dans une inscription phénicienne célébrant le dieu-ange Milkashtart.52 Le monde hellénistique au sens large est donc un monde dans lequel les anges-dieux sont présents et ils le sont de manière plurielle. Cela permet de postuler la présence d’anges plus importants que d’autres, ce qui serait à l’origine des archanges. Une telle hiérarchie peut aussi provenir de la mythologie babylonienne53 ou de la mythologie iranienne.54 En particulier, les six ou sept55 Amesha Spentas peuvent être rapprochés des archanges et les innombrables Yazatas, des anges.56 Particulièrement intéressant est Jamblique, en citant Nicomaque le mathématicien (ier–iie siècle de notre ère), qui explique le zoroastrisme en nommant ces sept êtres des archanges.57 Plutarque, lui, les nomme « dieux ».58 Cependant, si une telle influence est envisageable, elle n’explique pas complétement la création du terme ἀρχάγγελος. En effet, Amesha Spenta signifie « le généreux immortel », et Yazata « ce qui est digne de vénération ». Il n’y a donc pas, entre Amesha Spenta et Yazata, de lien lexical similaire à celui qui existe entre ἀρχάγγελος et ἄγγελος.59 Ce terme d’« archange » est-il alors une création juive ? 48 

Cumont, « Les anges du paganisme », 160. I.Stratonikeia 1117 : voir Sokolowski, « Sur le Culte d’Angelos », 226 ; Bowersock, « Les Anges païens de l’antiquité tardive », 96–97, qui rappelle néanmoins la difficulté de déterminer parfois si le mot ange désigne le dieu ou son représentant ; voir également la discussion chez Belayche, « Angeloi in Religious Practices », 58–59. Voir également Διῒ Ὑψίστῳ καὶ Ἀγαθῷ Ἀνγέλῳ « Au dieu très haut et au bon ange » (I.Stratonikeia 1118, ligne 1–2, Stratonicée, époque impériale, cf. Mitchell, « The Cult of Theos Hypsiostos », 102–105 ; Belayche, « Angeloi in Religious Practice », 57). 50 Cf. Ricl, « Hosios kai Dikaios », 102. 51  Bowersock, « Les anges païens de l’antiquité tardive », 96–97. 52  Bowersock, « Les anges païens de l’antiquité tardive », 95–96. 53 Cf. Hutter, « Demons and Benevolent Spirits in the Ancient Near East », 23–26. 54  Voir entre autres Fontinoy, « Les anges et les démons de l’Ancien Testament », 124. 55  Selon qu’on compte la divinité suprême Ahura Mazda ou non. 56  Voir notamment l’étude classique de Dumézil, Naissance d’archanges, qui traite de la notion du concept « d’archanges » dans la religion iranienne. 57 Voir de Falco, [Iamblichi] theologoumena arithmeticae, 57. 58  Plutarque, Isis et Osiris, 47. 59  Ils sont donc « abusivement » désignés comme « archanges », cf. Kellens, « Figures de la Subsidiarité divine dans le Mazdéisme », 232. 49 

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2.  L’archange : une création juive ? Que le mot ἀρχάγγελος soit un néologisme, c’est-à-dire une création lexicale, est évident. En effet, le grec est une langue habituée à créer des mots composés. Ici, ἀρχάγγελος est composé du préfixe ἀρχι-, anciennement ἀρχε-, élidé devant une voyelle en ἀρχ-, qui provient de la racine verbale ἄρχω,60 « commencer » ou « gouverner », et du deuxième terme ἄγγελος. Dans ces composés, le deuxième terme désigne le plus souvent ceux qui sont commandés. Ainsi, ἀρχιθιασίτης désigne-til le chef des θιασῖται, ou θιασῶται, membres d’un thiase, sorte de confrérie religieuse. Le second terme peut aussi désigner ce sur quoi s’exerce la responsabilité : ἀρχιστολιστής, « responsable des vêtements sacrés ». Dérivant de cette deuxième nuance, on trouve également Zeus désigné comme ἀρχικέραυνος, « maître du tonnerre ».61 La primauté marquée par ἀρχι- ne met pas toujours en jeu une notion de hiérarchie ; ainsi, l’ἀρχέμπορος n’est pas tant le chef des marchands, mais plutôt le responsable de leur guilde, ou leur représentant. De là apparaît une notion intensive : par exemple, ἀρχιγραμματεύς n’est pas forcément le chef des scribes mais plutôt un scribe ayant une plus grande autorité que les autres.62 Enfin, la nuance temporelle d’ἀρχι- peut se retrouver dans certains mots composés : ἀρχεδίκας, « propriétaire originel ». Aucune des occurrences de ἀρχάγγελος ne suppose la nuance profane – « envoyé » – du terme ἄγγελος. Cette absence résulte probablement de ce que ἄγγελος ne désigne pas un titre officiel. Pour les lexicographes de la fin du xixe et de la première moitié du xxe siècle, l’origine juive du terme est évidente.63 Les attestations les plus anciennes se trouvent chez Philon d’Alexandrie et chez quelques pseudépigraphes de l’Ancien Testament. La postérité de ce mot chez les Pères de l’Église est claire.64 Pourtant, il est également attesté dans des sources non judéo-chrétiennes, notamment les papyri magiques. D’un côté, ces papyri semblent l’emprunter au monde juif,65 de l’autre, ils savent l’utiliser dans le cadre de cultes non juifs, tels que celui de Mithra,66 ou dans d’étonnants syncrétismes.67 De même, la ville de Milet possède une inscription (trouvée au xviie siècle et redécouverte en 1906) qui comporte 60  Mayser, Grammatik der griechischen Papyri, I,1,66.81–82 ; I,2,469–470 ; I,3,160–161. Pour une discussion plus récente des composés en ἀρχ-, voir Tribulato, Ancient Greek VerbInitial Compounds, 273–275 et 370–371. Voir aussi Idem, 169 pour la discussion sur la différence entre ἀρχε- et ἀρχι-. 61  Aristote, Du monde 401a–401b. 62 Cf. Polybe, Histoires V,54. 63  Par exemple, Moulton/Milligan, The Vocabulary of the Greek New Testament, 80. 64 Avec de nombreuses attestations chez Clément d’Alexandrie, Origène, Grégoire de Nysse, Eusèbe de Césarée, Épiphane de Salamine … 65  Papyri Graecae Magicae 4.2352. 66  Papyri Graecae Magicae 4.484. 67  Papyri Graecae Magicae 1.296–300 où Apollon est désigné comme le premier ange de Zeus auquel est accolé le nom Iaô ; voir aussi Cline, Ancient Angels, 146, n. 30.



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des suites de voyelles permutées, des prières encadrées dans des ovales, des symboles et, finalement, une prière adressée à des archanges pour qu’ils protègent la ville.68 Le caractère énigmatique de cette inscription la rapproche des papyri magiques vus ci-dessus,69 mais, contrairement à ceux-ci, elle ne comporte aucune mention démontrant explicitement une influence juive.70 Le mot « archange » se retrouve également chez les auteurs néoplatoniciens. Porphyre71 l’utilise pour définir une modalité de la divinité dans sa lettre à Anébon. Cette lettre est en partie perdue, mais Jamblique, qui est potentiellement72 le destinataire caché de cette lettre, le cite dans sa réponse, le De Mysteriis.73 Il reprend ce même terme dans les Theologoumena arithmeticae74 en citant les travaux de Nicomaque le mathématicien. Proclus, dans son commentaire sur le Timée de Platon mentionne ἀρχάγγελος deux fois en référence à Porphyre et Jamblique.75 Damascius le diadoque est le dernier philosophe non chrétien à l’attester.76 Tous assument que ἀρχάγγελος désigne un être divin, l’utilisant au pluriel ou supposant une pluralité,77 en association avec ἄγγελος et δαίμων. Une influence juive ou chrétienne est possible, puisque tous ces philosophes débattent avec des chrétiens, mais elle n’est pas démontrée.78 Une piste possible est de noter que tous ces philosophes tiennent en grande estime à la fois le Timée de Platon – qui ne contient pas le mot « archange » – et les Oracles Chaldéens attribués à Julien le théurge. Ces oracles ne sont connus que sous forme de fragments qui ne contiennent pas ce terme.79 Cependant, Michel Psellos raconte que Julien 68 La prière énonce  : ἀρχάγγελοι φυλάσσεται ἡ πόλις Μιλησίων καὶ πάντες οἱ κατ[οικοῦντες]. Pour la présentation de toute l’inscription, voir Cline, « Archangels, Magical Amulets, and the Defense of Late Antique Miletus ». 69  Un point noté par Deissmann, Licht vom Osten, 455–459 et rappelé par Cline, « Archangels, Magical Amulets, and the Defense of Late Antique Miletus », 58 et 60. La suite de voyelles serait un moyen cryptique d’invoquer le nom des sept archanges. 70  Deissmann, Licht vom Osten, 339, la tient pour chrétienne – une attribution acceptée ensuite, notamment par Moulton/Milligan, The Vocabulary of the Greek New Testament, 80. Voir aussi les chercheurs cités par Cline, « Archangels, Magical Amulets, and the Defense of Late Antique Miletus », 55–56, n. 2 et Grundmann/Kittel/von R ad, « ἄγγελος », 87. Cline, « Archangels, Magical Amulets, and the Defense of Late Antique Miletus » démontre assez nettement que de telles attributions ne sont pas si évidentes ; voir aussi Horsley/Luxford, « Pagan Angels », 170–175. 71  Je laisse de côté la citation de 1 Th 4,18 dans Porphyre, Contra Christianos, fr. 35, où l’attaque du philosophe ne concerne pas l’archange. 72  L’attribution fait débat ; voir par exemple Derchain, « Pseudo-Jamblique ou Abammôn ? ». 73  Plus de 20 fois dans le chapitre 2. 74  Voir plus haut. 75  Diehl, Procli Diadochi in Platonis Timaeum commentaria, vol. 1, 152 (bis). 76 Dans Damascius, De Principiis. Cf. Ruelle, Damascii successoris dubitationes et solutiones. 77  Porphyre dans sa lettre à Anébon l’utilise au singulier mais suppose une pluralité. 78  Grundmann/Kittel/von R ad, « ἄγγελος », 87, la tient pour évidente. 79  Ils mentionnent « anges » mais le caractère fragmentaire du texte ne permet pas d’en dire grand-chose. Cf. Cumont, « Les anges du paganisme », 169, n. 3.

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le théurge était, en fait, l’incarnation d’une âme « archangélique ».80 Il est intéressant, quoique spéculatif, de penser, avec Majercik, que cette mention, bien que tardive (xie siècle), montrerait que le terme ἀρχάγγελος se trouvait dans les Oracles Chaldéens,81 et cela d’autant plus que les fragments subsistants montrent des similitudes avec les papyri magiques grecs.82 Reste le cas de Pedanius Dioscoride, botaniste grec du ier siècle.83 Dans un traité « sur la pivoine » conservé dans le codex Matritensis, il mentionne une fois le mot archange. L’authenticité du traité est débattue : il pourrait plutôt être attribué à un auteur anonyme plus tardif.84 Néanmoins, même si l’authenticité est avérée, l’interpellation Κύριε Θεὲ Ἰάω Ἰάω, « Seigneur, Dieu, Iaô, Iaô », qui clôt le traité montre une influence lexicale juive, probablement syncrétique.85 De fait, selon Bohak, ce genre de syncrétisme a débuté dès l’époque hellénistique, ne prenant sens qu’avant l’échec spectaculaire de « Iaô » à sauver son Temple de Jérusalem.86 Pour tous ces témoins, l’ambiance syncrétique de l’antiquité tardive milite pour une influence lexicale juive, bien que l’utilisation de ces termes ne rentre pas dans le culte juif ou chrétien.87 Nous ne pourrons pas aller beaucoup plus loin. Est-ce que ἀρχάγγελος est utilisé par des hellènes, tels Posidonius, dans les nombreux textes dont nous ne disposons plus ? Ce terme est-il emprunté par Philon ou créé par les juifs hellénophones  et repris ensuite par les philosophes hellènes dans l’esprit syncrétique qui habite notamment l’Égypte de cette époque ? Nous manquons, hélas, de données. En effet, la vieille hypothèse de Cumont qui voit Philon inspiré par l’angélologie potentielle de Posidonius d’Apamée du fait de l’utilisation du mot angelus par le philosophe latin Cornelius Labéon, reste séduisante, bien qu’actuellement invérifiable.88 En revanche, l’utilisation de ἀρχάγγελος dans le monde judéo-chrétien pourrait être le signe d’un rapprochement sémantique 80 

Michel Psellos, Opuscule 46,43–51. Majercik, The Chaldean Oracles, 13 et Brisson, « The Angels in Proclus », 223–225, semblent l’accepter implicitement, tandis que Seng, « Demons and Angels in the Chaldaean Oracles », 75, juge cette anecdote peu crédible historiquement. 82  Voir notamment Tanaseanu/Döbler, Theurgy in Late Antiquity, 32, n. 78. 83  Cette mention se trouve dans le Περὶ παιωνίας καὶ ὅσα ποιεῖν δύναται, édité par Zuretti, Codices Hispanienses, 164–165. 84  Luccioni, « Asclépios montagnard », 214, n. 8, indique une datation « assez basse ». 85  Voir notamment Surls, Making Sens of the Divine Name in Exodus, 75–76 qui accepte implicitement l’authenticité du texte et qui se demande si le terme Ἰάω est une référence explicite au Dieu d’Israël ou non. 86  Bohak, « The Impact of Jewish Monotheism on the Greco-Roman World », 6–7. 87  En tout cas, tel que nous l’envisageons aujourd’hui, ce qui n’est pas sans risque d’anachronisme. Comme le rappelle joliment Cline, « Archangels, Magical Amulets, and the Defense of Late Antique Miletus », 69, traitant d’une amulette mêlant le dieu égyptien Seth aux archanges de la tradition juive et chrétienne : « First, as Seth’s appearance indicates, the invocation of archangels does not make an inscription Christian. Secondly, when it comes to protective magic, efficacy is more important than orthodoxy ». 88  Cumont, « Les anges du paganisme », 167–168. 81 

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entre ἀρχάγγελος et l’une ou l’autre expression hébraïque. C’est ce qu’il convient d’examiner maintenant.

3.  De quelle expression hébraïque « archange » peut-il se rapprocher ? Les mentions les plus anciennes d’ἀρχάγγελος – le terme n’apparaît pas dans la Septante –89 se trouvent dans l’œuvre de Philon qui écrit directement en grec, ainsi que dans les fragments grecs du Premier livre d’Hénoch90 et du Livre des Jubilés (qui sont des traductions). Pour 1 Hénoch, nous avons une occurrence dans le manuscrit dit de Gizeh au chapitre 20, partie 7 : ἀρχαγγέλων ὀνόματα ἑπτά,91 « Sept sont les noms des archanges ». Cette conclusion suit la dénomination de chacun des six « saints anges »92 nommés par les lignes précédentes. Malheureusement, nous ne disposons pas de témoignage à Qumrân de cette partie-là. De plus, la version éthiopienne ne confirme pas ici le témoin grec.93 L’apparition du mot ἀρχάγγελος pourrait être rédactionnelle, un scribe grec ayant identifié les saints anges aux archanges.94 Le cas de Jubilés 2,1 permet d’approfondir ce point.95 Nous y trouvons διδασκόμενος παρὰ τοῦ ἀρχαγγέλου Γαβριὴλ τὰ περὶ 89 

Pace Liddell/Scott, A Greek-English Lexicon, s. v. ἀρχάγγελος.

90 Nous laisserons de côté le témoignage de Georges le Syncelle (auteur 8ème siècle qui a écrit une chronographie dans laquelle il reprend une partie du

byzantin du premier livre d’Hénoch). En effet,pour 1  Hénoch 9,1 et 4, il donne Καὶ ἀκούσαντες οἱ τέσσαρες μεγάλοι ἀρχάγγελοι, Μιχαὴλ καὶ Οὐριὴλ καὶ Ῥαφαὴλ καὶ Γαβριὴλ et καὶ προσελθόντες οἱ τέσσαρες ἀρχάγγελοι εἶπον τῷ κυρίῳ Σὺ εἶ ὁ θεὸς τῶν θεῶν τότε ὁ ὕψιστος ἐκέλευσε τοῖς ἁγίοις ἀρχαγγέλοις. Cependant ces deux passages ne sont pas repris par le texte dit de Gizeh qui comporte : Τότε παρ[α]κύψαντες Μιχαὴλ καὶ Οὐ[ρι]ὴλ καὶ Ῥαφαὴλ καὶ Γαβριή[λ] (9,1) et Καὶ εἶπα[ν] τῷ κυρίῳ Σὺ εἶ κύριος τῶν κυρίων καὶ ὁ θεὸς τῶν θεῶν, sans les titres « archanges ». De plus, la version éthiopienne ne mentionne pas non plus ce titre « archanges » à cet endroit-là. Il ne sera donc pas surprenant de constater qu’aucun manuscrit de Qumrân témoignant de ce passage (4Q201 fr. 1 i 6–7, 4Q202 fr. 1 iii 7.13 et XQpapHénoc 1) ne possède rien qui puisse servir de Vorlage. Il semble assez clair que le rajout du mot « archange » pour désigner les Michaël, Ouriel, Raphaël et Gabriel est rédactionnel, possiblement dû à Georges le Syncelle lui-même dont on sait qu’il paraphrase parfois ; voir Black, Apocalypsis Henochi Graece, 8–9. 91  Chez Georges le Syncelle, ὀνόματα ζʹ ἀρχαγγέλων. 92  Les six noms Ouriel, Raphaël, Ragouel, Michaël, Sariel, Gabriel sont suivis de la mention ὁ εἷς τῶν ἁγίων ἀγγέλων « un des saints anges ». Pour les questions des listes des « archanges », voir Berner, « The four (or Seven) Archangels », 396. 93  La version éthiopienne ne comporte aucune phrase conclusive à la liste des six noms d’anges saints. De plus, l’éthiopien n’utilise archange, « chef des anges », qu’une seule fois en 1  Hénoch 71,3 pour désigner Michaël. Malheureusement, nous ne disposons pas de témoin grec de ce passage. 94  On peut également rapprocher de Tb 12,15, ἐγώ εἰμι Ῥαφαήλ, εἷς ἐκ τῶν ἑπτὰ ἁγίων ἀγγέλων (« je suis Raphaël, un parmi les sept saints anges ») selon la version Gr. I, le qualificatif ἁγίων est absent dans l’autre version. 95  Les deux autres mentions de ce mot en Jubilés sont également rédactionnelles. Le fragment de 10,7 transmis par Georges le Syncelle et celui de 48,7 par Georges Cédrène, ne sont pas confirmés par la version éthiopienne.

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τῆς γενέσεως τοῦ κόσμου.96 Le texte éthiopien parle de « l’ange de la face ». Dans le témoin hébraïque de ce passage, la locution ne peut être lue, bien qu’une telle reconstruction en hébreu soit proposée.97 La traduction « ange de la face » ou « ange saint » par ἀρχάγγελος, pour désigner une classe importante d’anges98 ne serait pas absurde.99 Il est cependant également probable que l’apparition de ce mot provient, dans les deux cas, de la transmission grecque qui aurait identifié ces anges particuliers et plus importants aux « archanges ». Faut-il alors envisager que les textes hébreux ou araméens ne fassent aucun lien lexical avec ἀρχάγγελος ? Un moyen de progresser sur le sujet est d’étudier les composés en ἀρχι dans la Septante.100 La plupart d’entre eux correspondent à une chaîne construite en hébreu, débutant par le mot ‫ ַשׁר‬, « prince »,101 ou ‫ ַרב‬, « notable, grand  homme »,102 ou encore commençant ou finissant par ‫ « רֹאשׁ‬tête ».103 Plus rarement, ils correspondent à des mots simples en hébreu. En dehors de cas où le traducteur a pu homogénéiser son texte,104 il reste le mot ἀρχιτέκτων, qui correspond au simplex 96  Dans la transmission faite par Georges Cédrène ; cf. Denis, Fragmenta Pseudepigraphorum Graeca, 70. 97  En 4Q216 V 1 avec ‫ מלאך הפנים‬par VanderK am/Milik, « The First Jubilees Manuscript From Qumran Cave 4 », 257. 98 Cf. Wassen, « Angels in the Dead Sea Scrolls », 502–505. 99  Mais cette traduction n’est pas attestée ailleurs. Par exemple, en Is 63,9, l’expression ‫ַמלְ ַאְך‬ ‫ ָפּנָ יו‬semble ne pas avoir servi de Vorlage au grec (οὐδὲ ἄγγελος, ἀλλʼ αὐτὸς κύριος). Théodotion traduit littéralement. De même, si 3Q7 correspond bien à Testament de Judas 25,1–2, alors, la version grecque a également traduit littéralement « ange de la face ». 100  Ἀρχιδεσμοφύλαξ, ἀρχιδεσμώτης, ἀρχιερεύς, ἀρχιευνοῦχος, ἀρχιμάγειρος, ἀρχιοινο­ χοΐα, ἀρχιοινοχόος, ἀρχιπατριώτης, ἀρχισιτοποιός, ἀρχιστράτηγος, ἀρχισωματοφύλαξ, ἀρχι­ τέκ­των, ἀρχίφυλος. 101  Ainsi, ἀρχιδεσμοφύλαξ avec et , ce dernier syntagme correspondant également à ἀρχιδεσμώτης et ἀρχιμάγειρος. De même, ἀρχιοινοχόος correspond à ‫ ַשׂר ַה ַמּ ְשׁ ִקים‬, ἀρχισιτοποιός à et enfin ἀρχιστράτηγος à ‫ר־צ ָבא‬ ָ ‫ ַשׂ‬. 102  Ainsi le syntagme correspond à ἀρχιευνοῦχος, bien que apparaisse quelques versets plus bas, et ‫ב־ט ָבּ ַחיָּ א‬ ַ ‫ ַר‬à ἀρχιμάγειρος. Voir également la correspondance avec ‫ב־ט ָבּ ִ֔חים‬ ַ ‫ ַר‬en 4 Règnes 25,8–20, Jr 47(40),1–2.5 ; 48(41),10 ; 52,12.14.16.19.24.26. 103  Le mot ἀρχίφυλος correspond à probablement lu comme (Dt 29,9). Une telle correspondance se retrouve aussi en Jos 21,1 où correspond à en 1 S 28,2 peut siἀρχιπατριώτης. La correspondance de ἀρχισωματοφύλαξ avec gnifier que la Vorlage ressemblait à . Plus surprenante est la correspondance de ce mot en Est 2,21. grec avec 104  À moins que la Vorlage soit différente. Si la première occurrence de ἀρχισιτοποιός correspond à ‫א ֶֹפה‬, et celle de ἀρχιοινοχόος à ‫ ַמ ְשׁ ֶקה‬et si son dérivé ἀρχιοινοχοΐα correspond à ‫ ֵכּן‬, il faut y voir soit une différence de Vorlage, soit une homogénéisation du traducteur avec les occurrences qui suivent. C’est ainsi que le simple ‫ ַשׂר‬correspond à ἀρχιδεσμοφύλαξ en Gn ou à ἀρχιευνοῦχος après . De même, 39,22, entre deux occurrences de ἀρχιστράτηγος correspond-il à ‫ ַשׂר‬avant ‫ר־צ ָבא‬ ָ ‫ ַשׂ‬en Jos 5,13, ou encore en Gn 21,22.32 et 26,26 ? Certes, ἀρχιστράτηγος correspond formellement à ‫ ַשׂר‬, mais il faut plutôt y voir une redonְ ‫ ַשׂ‬, comme si le traducdance : en fait, ἀρχιστράτηγος τῆς δυνάμεως αὐτοῦ correspond à ‫ר־צ ָבאֹו‬ teur rendait à la fois la chaîne construite ‫ר־צ ָבא‬ ָ ‫ ַשׂ‬et le suffixe de possession. Dans d’autres livres, ‫ ַשׂר‬dans le même syntagme est rendu simplement par ἄρχων (par exemple 3 Règnes 1,25).

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‫ ָח ָרשׁ‬, « artisan »,105 et ἀρχιερεύς qui correspond, lui, à ‫כּ ֵֹהן‬. Ce dernier mot mé-

rite une analyse un peu plus fine.106 Il apparait en Lv 4,3, désignant le « grandprêtre » qui a reçu l’onction : ὁ ἀρχιερεύς ὁ κεχρισμένος, correspondant à ‫ַהכּ ֵֹהן‬ ‫יח‬ ַ ‫ ַה ָמּ ִשׁ‬. Or, le même syntagme en 4,5.16 et 6,15 correspond simplement à ὁ ἱερεὺς ὁ χριστὸς.107 Le mot ἀρχιερεύς apparaît de nouveau en Jos 22,13 et 24,13 pour désigner Aaron.108 Dans tous ces cas, ἀρχιερεύς correspond à ‫כּ ֵֹהן‬. Bien sûr, la , traduction française « grand-prêtre » nous fait penser au syntagme qui est, cependant, chaque fois littéralement repris dans la Septante par ὁ ἱερεὺς ὁ μέγας.109 À vrai dire, il convient d’étudier plutôt un autre syntagme hébreu :110 ‫כּ ֵֹהן ָהרֹאשׁ‬, littéralement « le prêtre de la tête », c’est-à-dire le « prêtre principal » qui qualifie Aaron en Esd 7,5.111 La Septante lui fait souvent correspondre, entre autres,112 les expressions ὁ ἱερεὺς ὁ πρῶτος113 et ὁ ἱερεὺς ὁ ἄρχων.114 Cette dernière possibilité n’est pas éloignée de ἀρχιερεύς et la version lucianienne de Jr 52,24 le propose à la place de ὁ ἱερεὺς ὁ πρῶτος.115 Le Nouveau Testament montre une utilisation quasiment exclusive d’ἀρχιερεύς alors que, par exemple, ὁ ἱερεὺς ὁ μέγας n’est présent qu’en He 10,21 et que les autres syntagmes grecs sont complètement absents. Ainsi, d’une qualification initialement dédiée à Aaron – et possiblement signifiant le « prêtre originel » – ἀρχιερεύς a évolué pour rendre techniquement « le grand-prêtre », que , ou par . Cette évolution ce titre soit exprimé en hébreu par semble propre au grec. Comme nous l’avons vu plus haut, il est probable que l’irruption du mot ἀρχάγγελος dans la littérature judéo-chrétienne soit également propre au grec. Mais comme pour ἀρχιερεύς, cette irruption est en quelque sorte préparée par certaines expressions hébraïques. 105  106 

Si 38,27 et Jr 36(29),2 chez Aquila et Symmaque. Voir aussi Vahrenhorst, « ἀρχιερεύς ». 107 Cf. Harlé/Pralon, Le Lévitique, 28–29. Voir aussi Awabdy, Leviticus, 201–202. 108  Il apparaît également dans des variantes de 3 Règnes 1,25 et de 1 Ch 15,14, en 1 Esdras 5,40 (//Esd 2,63) et 1 Esdras 9,39–40 (Ne 8,1–2) et 49 (Ne 8,9). 109  Voir Jos 20,6 ; 2 R 22,4.8 ; 23,4 ; Ag 1,1.12.14 ; 2,2.4 ; Za 3,1.8 ; 6,11 ; Ne 3,1.20 ; 13,28 ; 2 Ch 34,9. 110  On pourrait noter l’expression hébraïque  en Esd 8,24.29 ; 10,5 ; Ne 12,7. Mais la Septante la traduit littéralement : ἄρχοντες τῶν ἱερέων ; voir également φύλαρχοι τῶν ἱερέων en 1 Esdras 8,54 (//Esd 8,24).58(//29).92(//10,5), tandis que le Nouveau Testament semble utiliser l’expression στρατηγὸς τοῦ ἱεροῦ (Ac 4,1 ; 5,24.26). Cf. Schrenk, « ἀρχιερεύς », 270–271. Malgré la présence de ‫ ַשׁר‬, il ne semble pas y avoir de lien clair avec ἀρχιερεύς. 111   ;voir aussi 2 Ch 31,10. Pour , voir 2 R 25,18//Jr 52,24 et 1 Ch 27,5 ; en 1 Ch 27,5. 2 Ch 19,11 ; 24,11 et 26,20. Voir enfin 112  Une fois ὁ ἱερεὺς ὁ μέγας en 2 Ch 24,11, mais on peut se poser ici la question de la Vorlage. 113  Esd 7,5 ; 2 R 25,18 ; Jr 52,24 ; 2 Ch 26,20. 114  1 Ch 27,5 ; 2 Ch 31,10. Voir aussi ὁ ἱερεὺς ἡγούμενος en 2 Ch 19,11. 115  Cf. l’apparat critique de l’édition de Göttingen de Jérémie (Ziegler, Jeremias).

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Remarquons tout d’abord que ἀρχάγγελος est fréquemment utilisé pour désigner Michaël.116 Dans la Bible hébraïque, Michaël n’apparaît que dans le ַ « un livre de Daniel. Or, Michaël y est nommé « prince » : ‫ַאחד ַה ָשּׂ ִרים ָה ִראשֹׁ נִ ים‬ « le des premiers princes » (10,13), ‫ « ַשׂ ְר ֶכם‬votre prince » (10,21) et grand prince » (12,1). La traduction « vieux grec » de Daniel, contrairement à la traduction de Theodotion ne traduit jamais ‫ ַשׂר‬par ἄρχων, dans ce contexte, mais par ἄγγελος, même en 10,13 : très probablement εἷς τῶν ἁγίων ἀγγελῶν,117 en tout cas très clairement en 10,21 : Μιχαηλ ὁ ἄγγελος, et en 12,1 : Μιχαηλ ὁ ἄγγελος ὁ μέγας. Ce choix de traduction va bien avec l’identité entre ‫ ַשׂר‬et ‫ ַמלָאְך‬assumée en 1QM XIII 14.118 De même, en 1QHa XIV(VI) 13–14, ‫ « שריכה‬tes princes » semblent comparables aux ‫ « מלאכי פנים‬les anges des faces ».119 Les mentions de Michaël dans le Règlement de la guerre le confirment. En effet, dans le corpus de Qumrân, en dehors des textes bibliques, Michaël se retrouve mentionné sept fois.120 En dehors de deux mentions en tant qu’ange divin porteur d’un message à Sédécias en 4Q470,121 il apparaît quatre fois dans le Règlement de la guerre122 et une fois dans une copie de ce texte.123 En 1QM IX 15–16, il voit son nom écrit avec Sariel, Gabriel et Raphaël sur la tour militaire du camp israélite, mais les quatre ne sont pas qualifiés par un substantif quelconque. Plus intéressante est la mention en 1QM XVII 6–8 : ‫בגבורת מלאך האדיר למשרת מיכאל באור ﬠולמים‬, « par la puissance de l’ange de majesté pour la principauté de Michaël sur la lumière éternelle ». Si l’ange de Majesté est ici Michaël, il est également bien identifié en tant que prince de lumière (‫שר‬ ‫ )מאור‬puisque ‫ ִמ ְשׂ ָרה‬est de la même racine que ‫ ַשׂר‬. De plus, une ligne plus loin, la 116  Les rares cas où Gabriel est qualifié ainsi semblent d’inspiration chrétienne, par exemple Oracles Sibyllins 8,460. 117  Cf. la lecture de Munnich dans Ziegler/Munnich, Susanna, Daniel, Bel et Draco, 57, basée sur les « doublets » du papyrus 967. 118  Voir également Épître à Diognète 7,2 ; Ignace d’Antioche, Lettre aux Smyrniotes 6,1. Pour l’utilisation de ἄρχων comme désignant un être céleste, voir aussi Aune, « Archon ». Cependant, Dieu peut lui-même être qualifié de ‫ שר אלים‬en 1QHa 18 ligne 10 : une expression qui résonne étrangement avec le terme ἀρχίθεος du Pseudo-Denys l’Aréopagite, De divinis nominibus (cf. Suchla, Corpus Dionysiacum, 136, ligne 15). 119 Cf. Jubilés 2,1 plus haut. 120  La mention en 1Q19bis fr. 2 ligne 4 est probable mais reconstruite. Cet hymne, inclus dans une copie du Règlement de la guerre (4Q491c), a été qualifié d’hymne à Michaël. Cependant, cette appellation est maintenant abandonnée : voir Davis, « ‘There and Back Again’ », 144–145. 121 Cf. Larson, « 4Q470 and the Angelic Rehabilitation of King Zedekia ». Cette mention nous intéresse peu car elle vraiment très fragmentaire et ne nous dit rien de plus sur l’archange. 122 Cf. Schultz, Conquering the World, 97, n. 28, qui suggère que le nom de Michaël pouvait se trouver en 1QM I 16, ou que, tout au moins, il y soit fait allusion. C’est possible mais reste spéculatif. 123  4Q285 fr. 10, assez fragmentaire, Michaël semble être cité avec Gabriel et probablement avec Sariel et Raphaël.

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principauté de Michaël est de nouveau mentionnée, pour être placée au-dessus de tous dieux (‫ )להרים באלים‬de la même manière qu’Israël est placé au-dessus de toute chair (‫)וממשלת ישראל בכול בשר‬, dans une allusion relativement nette à Dt 32,8.124 Celui qui gouverne Israël est Michaël : il est au-dessus de tous les autres dieux à qui Dieu a confié les autres peuples.125 De plus, dans un passage plus ou moins parallèle à 1QM XIII 14, à savoir 4Q491,126 il est possible qu’il soit fait allusion à Michaël en le nommant ‫ « שר מלאכיו‬le prince de ses anges », très proche de ἀρχάγγελος. Michaël est donc ange et prince, prince de lumière.127 Pourtant, en grec, Michaël est rarement qualifié de « prince ».128 S’il est qualifié d’archange, cela provient-il simplement de sa qualification de ‫– ַשׂר‬ et il serait le « princeange » – ou bien alors de l’unique mention connue de ‫שר מלאכים‬  « prince des anges » ? Il me semble pourtant envisageable qu’à l’image de l’évolution de , initialement traduite par ὁ ἄγγελος ὁ μέγας, ἀρχιερεύς, l’expression  ait fini par être comprise comme ἀρχάγγελος. En effet, Michaël est bien nommé comme tel en Dn 12,1 et ce titre lui est donné plusieurs fois dans le Talmud, notamment dans plusieurs passages où Michaël tient lieu de grand-prêtre céleste.129 Une autre possibilité, qui d’ailleurs ne nous éloigne pas de l’évolution du terme ἀρχιερεύς, est que ἀρχάγγελος viendrait traduire le syntagme ‫שר הראש‬. ַ (Dn 10,13). Ce syntagme est proche, mais pas identique à ‫ַאחד ַה ָשּׂ ִרים ָה ִראשֹׁ נִ ים‬ Certes, à ma connaissance, ‫ שר הראש‬n’est attesté nulle part dans la littérature en hébreu classique. On trouve cependant dans les Cantiques de l’holocauste du sabbat la mention des sept ‫נשאי הרש‬.130 Or, ‫ נשיא‬est synonyme de ‫ שר‬en tant que 124 

Pour la question des anges à la tête des nations, voir notamment Hannah, « Guardian Angels and Angelic National Patrons ». 125  Il est d’ailleurs très intéressant de constater que cette tradition est confirmée par Eusèbe, In Isaiam 1,68 qui fait expressément le lien entre Dn 10,21 (« Michaël votre Prince ») et Dt 32,8 en commentant l’oracle d’Isaïe contre Babylone (14,8–21). Voir aussi une mention attribuée à Severianus dans les chaînes exégétiques et dédiée à l’épître aux Colossiens : καὶ γὰρ ὁ θεὸς ἔστησεν ὅρια ἐθνῶν κατ’ἀριθμὸν ἀγγέλων θεοῦ, καὶ Μιχαὴλ ἄρχων τῶν Ἰουδαίων. 126 Cf. Duhaime, « Étude comparative de 4QMa fgg. 1–3 et 1QM », 461. Duhaime compare « le prince des anges » et « la main » en 4QM avec « le prince de la lumière » et « la main » en 1 QM XIII, bien qu’il reconnaisse lui-même que les deux passages ne signifient pas la même chose. 127  Voir aussi 1QS III 20 et CD 5,18. 128  C’est le cas dans la traduction de Théodotion de Dn (Dn 10,13.21 ; 12,1), ce qui permet à Hippolyte dans son In Danielem 4,40 de reprendre le terme : « Qui est Michel ? si ce n’est un ange » (Μιχαὴλ τὸν ἄρχοντα ὑμῶν. τίς δέ ἐστιν Μιχαὴλ ἀλλ’ ἢ ὁ ἄγγελος), et dans l’Ascension d’Isaïe 3,16 (Μιχαὴλ ἄρχων τῶν ἀγγέλων τῶν ἁγίων). Il est souvent qualifié de ἀρχιστράτηγος, « archistratège », avec une nette référence à Jos 5,18 où, pourtant, celui qui aide Josué reste anonyme (nombreuses attestations dans le Testament d’Abraham). 129 BHagigah 12b, BZevachim. 62a et BMenachot 110a, ainsi que dans BChullim 40a (pour interdire un culte à Michael), voir aussi Ahuvia, On My Right Michael, On My Left Gabriel, 89. 130  Pour plus de détails, voir la contribution de T. Legrand dans cet ouvrage. Pour l’importance des anges dans la liturgie à Qumrân, surtout dans les Cantiques de l’holocauste du sabbat, voir aussi Wassen, « Angels in the Dead Sea Scrolls », 505–506 et Newsom, « Angelic Liturgy », et Strugnell, « The Angelic Liturgy at Qumrân ».

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titre profane dans le Règlement de la guerre.131 Ceci peut expliquer l’emploi assez inhabituel de ‫ נשיא‬pour désigner un être céleste,132 dans les Cantiques de l’holocauste du sabbat. Ces sept êtres conduisent une liturgie angélique complexe où le caractère sacerdotal bien marqué permet de se rapprocher de nouveau du terme ἀρχιερεύς. Ἀρχάγγελος se rapprocherait alors d’un hypothétique ‫ שר הראש‬où ‫ שר‬serait tout simplement compris comme « ange ». Ainsi, bien que nous ne possédions aucun texte hébreu parallèle aux textes grecs attestant ἀρχάγγελος, je pense que ce terme a permis d’exprimer en grec un concept désignant à la fois le caractère singulier de Michaël  – le « grand prince » – et les six ou sept « anges principaux » qualifiés dans les Chants des sacrifices du Sabbat. Au fond, ἀρχάγγελος traduirait en même temps l’identité angélique du « prince » Michaël et l’existence d’une hiérarchie céleste où des êtres sont les « chefs » d’autres êtres de nature similaire, mais de rang inférieur, les anges. Il reste difficile d’affirmer si le mot ἀρχάγγελος est une création juive ou non. En tout cas, son apparition cadre bien avec un contexte de complexification du monde angélique tant dans le monde juif que dans le monde hellénistique. Les anges et les dieux se rapprochent lexicalement et leurs champs sémantiques se recouvrent largement. Cette complexification appelle à une simplification parallèle, une classification des anges avec la mise à l’honneur d’un certain type d’ange, « l’archange ». Bien que la mention la plus ancienne de ce terme se trouve chez Philon d’Alexandrie, il n’est pas exclu qu’il l’emprunte à la philosophie de son temps. Pourtant, cela ne veut pas dire que tout lien avec la pensée juive de langue hébraïque soit rompu. En effet, de la même manière que ἀρχιερεύς, sur la base des composés en ἀρχι- de la Septante, en est venu à remplacer les locutions ὁ ἱερεὺς ὁ μέγας, ὁ ἱερεὺς ὁ πρῶτος ou ὁ ἱερεὺς ὁ ἄρχων plus littéralement liées à leurs correspondants hébraïques, ἀρχάγγελος a pu être lié au « grand prince » qu’est Michel, ou bien aux sept « princes de la tête » qu’évoquent les Cantiques de l’holocauste du sabbat. En guise d’ouverture conclusive, notons que dans le De confusione, Philon semble supposer acquise l’identification entre fils de Dieu et anges. En effet, ceux qui reconnaissent le monothéisme sont appelés à juste titre « fils de Dieu ».133 Ceux qui ne le seraient pas encore peuvent contempler le Logos : Σπουδαζέτω κοσμεῖσθαι κατὰ τὸν πρωτόγονον αὐτοῦ λόγον, τὸν ἀγγέλων πρεσβύτατον, ὡς ἂν ἀρχάγγελον. 131 Cf. van der Ploeg, Le rouleau de la guerre, 87 ; Niehr, « ‫ נָ ִשׂיא‬nāśîʾ », 53, et Idem, « ‫ַשׂר‬ śar; ‫ ָשׂ ַרר‬śārar; ‫ ִמ ְשׂ ָרה‬miśrâ », 214. 132  Voir aussi Gelardini, « Naśi ‫» נשיא‬. Pour Gn 23,6 et la curieuse identification d’Abraham avec ‫אלהים‬ ‫נשיא‬, voir Gottstein, « Short Notes :  ‫אלהים‬ ‫( נשיא‬Gen. XXIII 6) ». 133  Philon, De confusione linguarum 145 ; Quis rerum divinarum heres sit 205. Il est à noter que la mention de l’archange y suit immédiatement une allusion au déluge.

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Qu’il se hâte de se ranger sous les ordres de son premier-né, le Logos, le plus ancien des anges, d’une certaine manière le chef des anges (archange).134

Pour Philon, l’archange n’est pas Dieu, mais il est en relation étroite avec lui. Il assure en quelque sorte l’interface entre Dieu et ses créatures. Dans la version arménienne des Questions sur la Genèse de Philon, Moïse est qualifié d’archi-prophète et d’archange (18,6–7). Cela pourrait être chez Philon un aboutissement de sa réflexion dans laquelle le grand-prêtre est l’incarnation du Logos.135 Moïse en tant que premier grand-prêtre, premier des prophètes, homme divinisé, serait en quelque sorte l’incarnation du Logos et nommé « archange », tout comme les ‫נשאי הרש‬, littéralement « princes de la tête », qui assument également un rôle sacerdotal.136 On comprend alors comment de telles spéculations ont pu nourrir une christologie « archangélique ». Le Christ, premier des fils de Dieu que deviendront les ressuscités, le « grand-prêtre » par excellence, est aussi l’Archange par excellence. Cette étonnante réception judéo-chrétienne du mot ἀρχάγγελος commence à être mieux perçue aujourd’hui.137

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Les anges ou la médiation renouvelée Stéphanie Anthonioz Les anges, que l’on connaît assez peu dans la Bible hébraïque, deviennent rapidement l’enjeu de nouvelles spéculations théologiques dès l’époque hellénistique : les livres de Daniel et d’Hénoch témoignent d’un intérêt inédit, intérêt que confirment les manuscrits de Qumrân, les évangiles et l’ensemble de la littérature apocryphe. La question de la naissance d’une angélologie n’est pas neuve.1 Elle se concentre manifestement entre la période de la clôture de la Torah/Pentateuque, à la fin de l’époque perse-achéménide, et les premiers siècles de l’ère chrétienne. Un consensus se fait aujourd’hui, en général autour des traditions hénochiques, vers le iiie siècle avant notre ère. Avant cette période, il existe différentes traditions relatives à des messagers célestes, mais l’angélologie – non pas comme système élaboré ou cohérent mais comme naissance d’un discours et d’une représentation, ou plutôt de différentes représentations « médiatiques »2 – ne se développe que dans le cadre d’une pensée influencée par l’hellénisme – le terme même d’« ange » renvoyant à l’ἄγγελος – et manifestement dans le cadre de la pensée d’un Dieu unique, même si de fait il n’est pas vraiment seul. Cette naissance semble liée à quelques milieux particuliers et tous les textes ne reflètent pas un tel engouement. En effet, un parcours à travers l’ensemble des références bibliques de l’ange, comme « messager céleste » (hébreu ‫ מלאך‬au singulier, ‫ מלאכים‬au pluriel), montre une répartition singulière : les anges sont localisés en Genèse, Exode, Juges, Zacharie, Chroniques et Daniel, avec quelques autres scènes mémorables comme l’affaire Balaam dans le livre des Nombres.3 Dans le Nouveau Testament, la présence et la répartition des anges ne sont pas 1  Reed, Demons, Angels ; Römer et al. (éd.), Entre dieux et hommes ; Stuckenbruck, The Myth of Rebellious Angels ; Melvin, The Interpreting Angel Motif ; Cline, Ancient Angels ; Tusch­l ing, Angels and Orthodoxy ; Reiterer/Nicklas/Schöpflin (éd.), Angels: The Concept of Celestial Beings ; Evans, The Development of Jewish Ideas of Angels ; Ricklefs, An Angelic Community ; Olyan, A Thousand Thousands Served Him ; Davidson, Angels at Qumran ; Meier, The Messenger in the Ancient Semitic World. 2  L’adjectif « médiatique » est ici utilisé en référence à la médiation entre Dieu (ou les dieux) et les hommes. 3  L’ouvrage édité par Reiterer/Nicklas/Schöpflin (éd.), Angels: The Concept of Celestial Beings, montre bien cette répartition ; voir les contributions de Köckert, « Divine Messengers and Mysterious Men » ; Fischer, « Moses and the Exodus-Angel » ; Gass, « The Angel as One Form of Divine Communication in the Balaam Narrative » ; Eynikel, « The Angel in Samson’s Birth Narrative » ; Beentjes, « Satan, God, and the Angel(s) in 1 Chronicles 21 ».

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Stéphanie Anthonioz

non plus uniformes : elles répondent à des enjeux théologiques précis. C’est l’objet de cette contribution de cerner les raisons qui ont conduit à ces développements théologiques chrétiens. En d’autres termes, en quoi les évolutions de l’angélologie ont-elles répondu à celles du christianisme naissant ? Historique, la réflexion menée est nécessairement religieuse et théologique. Dans un premier temps, nous présentons un état des lieux des références aux anges, de l’Ancien Testament au Nouveau Testament. Nous explorons ensuite les enjeux théologiques du développement angélique, en particulier la (non-)représentation et l’humanité des anges. Cette réflexion sur l’« humanité » des anges comme médiation ultime et parfaite de Dieu permettra de situer, dans une troisième et dernière partie, la naissance d’une angélologie chrétienne au terme de crises successives et « médiatiques », ayant permis aux « messagers célestes » de devenir des « anges », c’est-à-dire de trouver leur place centrale, médiatrice, entre un Dieu fait homme et les humains.

1.  État des lieux 1.1.  Les anges : sources textuelles Comme le messager humain, le messager céleste, puisque c’est le sens étymologique de la racine hébraïque (‫)לאך‬, répond à une organisation sociale et politique commune des cultures anciennes.4 En ce sens, il n’est pas étonnant que la grammaire hébraïque du substantif soit l’état construit que l’on trouve en hébreu biblique, en général sous la forme « l’ange du Seigneur/Yhwh » ou « ange de Dieu/ Elohim » (‫ מלאך אלהים‬ou ‫)מלאך יהוה‬. De manière stimulante, on note que plus de 90 % des occurrences du nom dans sa réalité céleste sont au singulier,5 tandis que les messagers humains sont, eux, au pluriel.6 L’ange apparaît ainsi, dans la Bible hébraïque, au singulier, tandis que les messagers politiques œuvrent à plusieurs. De plus, l’ange s’inscrit dans une forme grammaticale construite, ce qui n’est pas le cas des messagers humains. Or, la grammaire du messager est différente dans les textes de Qumrân, où le substantif, alors que son sens se spécialise dans sa fonction céleste, est plus fréquemment au pluriel et ce, toujours dans une forme construite.7 On compte seulement trois instances du substantif à l’état absolu au singulier (1QM XIII 14 ; XVII 6 ; 4Q377 2 ii 11) et dix-sept au singulier construit.8 Le pluriel construit est 4  5 

Uehlinger, « La figure de lʼange révélateur – à quoi bon ? », 296–297. Le nom à l’état construit, au pluriel, se compte à trois reprises seulement (‫ מלאכי אלהים‬en Gn 28,12 et 32,2 ; ‫ מלאכי רﬠים‬en Ps 78,49). 6  Kosior, « The Angel in the Hebrew Bible », 62. 7  Parmi les quelque quatre-vingts occurrences du nom pluriel, plus de soixante sont à l’état construit. Voir Wassen, « Angels and Humans ». 8  Par exemple, « l’ange de Yhwh/Seigneur » (psJubb [4Q226] 6a 3 ; pap psEzeke [4Q391])



Les anges ou la médiation renouvelée

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le plus souvent, c’est-à-dire en seize occurrences, le syntagme « anges de sainteté » ou « saints anges » (‫ מלאכי הקודש‬/ ‫ )מלאכי קודש‬/ « ses saints anges » (‫מלאכי‬ ‫קודשו‬, cf. 11Q14 1 ii 6).9 D’autres syntagmes présentent une fréquence relative : « ange(s) de paix » (‫)מלאכי שלום‬,10 « anges de destruction » (‫)מלאכי חבל‬,11 et « ange(s) de la face » (‫)מלאך פנים‬.12 Les autres formes construites sont plus rares (« ange de Mastemah ou haine »),13 voire singulières : « anges de gloire », « anges de beauté », « anges du roi »,14 « anges de la connaissance »,15 « anges de sa lumière glorieuse »,16 « anges élevés ».17 Cette construction grammaticale, on le notera, permet d’associer l’ange à un attribut divin et confirme la nature céleste de l’ange ainsi que sa fonctionnalité relativement à la divinité (unique). Aussi l’ange, de par la raison étymologique et la construction grammaticale, n’est pas une entité personnelle. Il épouse les qualités ou les attributs que lui confère sa mission. Dans le Nouveau Testament, la distinction entre les occurrences au singulier et celles au pluriel n’est plus pertinente ; on en trouve un nombre pratiquement égal, qu’il s’agisse de l’ἄγγελος18 ou des ἄγγελοι ;19 il est toujours question de « messagers célestes », même si – nous le verrons plus loin – leur humanité est de fait requise. La grammaire de l’ange est pleinement héritée des traditions de l’Ancien Testament. On retrouve, en effet, l’expression « ange du Seigneur » (ἄγγελος κυρίου, Mt 1,20.24 ; 2,13.19 ; 28,2 ; Lc 1,11 ; 2,9 ; Ac 5,19 ; 8,26 ; 12,7.23 ; cf. Dn gr 3,49 ; 14,34.36.39), traduction de l’hébreu – à ceci près que le tétragramme est lu « Seigneur » – ainsi que celle de « ange de Dieu » (ἄγγελος où le tétragramme est indiqué par quatre points ; « l’ange de la ténèbre » (1QS III 20–21) ; « l’ange de justice » (4QBerb [4Q287] 2, 13) ; « l’ange de la vérité » (1QS III 24 ; 4QCatenaa [4Q177] 12–13 i 7). 9  Désignation usuelle dans les textes communautaires : cf. 1QSa II 8 ; 1QSb III 6 ; 1QM VII 6 ; X 11 ; 1QHa IX 9 ; ainsi que les Chants pour l’holocauste du sabbat (4 fois) et 11Q14 1 ii. 10  Cf. Is 33,7 au sujet de messagers humains. Voir les références au pluriel dans les Hymnes (1QHa XXIV 10 ; 4QH [4Q428] 26 ; 4Q474 8) et au singulier (3Q8 1, 2 ; 4Q369 1 ii 9 ; 4Q228 1 i 8). 11  Voir CD II 6 ; 1QS IV 12 ; 1QM XIII 12 ; 4Q510 1, 5. 12  Cf. Is 63,9. Voir 1QSb IV 25–26 ; 1QHa XIV 13 et Jubilés (reconstruit en 4Q216 V 5). 13  Voir CD XVI 5 ; 1QM XIII 11. 14  Voir les Chants pour l’holocauste du sabbat (4Q405 17 4 ; 4Q403 1 ii 23). 15  11Q17 X 6. 16  4Q511 2 i 8. 17  4Q403 1 i 1. 18  Mt  1,20.24 ; 2,13.19 ; 28,2.5 ; Lc  1,11.13.18.26.28.30.34.38 ; 2,9.13.21 ; 22,43 ; Jn  12,29 ; Ac  5,19 ; 6,15 ; 7,30.35.38 ; 8,26 ; 10,3.7.22 ; 11,13 ; 12,7.15.23 ; 23,8 ; 27,23 ; 2 Co  11,14 ; 12,7 ; Ga  1,8 ; 4,14 ; Ap  1,1 ; 2,1.8.12.18 ; 3,1.7.14 ; 5,2 ; 7,2 ; 8,3.8.10.12 ; 9,1.11.13 ; 10,1.5.7 ; 11,15 ; 14,6.8.15.17 ; 16,5 ; 17,7 ; 18,1.21 ; 19,9.17 ; 20,1 ; 21,17 ; 22,6.8.16. 19  Mt  4,6.11 ; 13,39.41.49 ; 16,27 ; 18,10 ; 22,30 ; 24,31.36 ; 25,31.41 ; 26,53 ; Mc  1,13 ; 8,38 ; 12,25 ; 13,27.32 ; Lc  2,15 ; 4,10 ; 9,26 ; 12,8 ; 15,10 ; 16,22 ; 20,36 ; 24,23 ; Jn  1,51 ; 20,12 ; Ac  7,53 ; Rm  8,38 ; 1 Co  4,9 ; 6,3 ; 11,10 ; 13,1 ; Ga  3,19 ; Col  2,18 ; 2 Th  1,7 ; 1 Tm  3,16 ; 5,21 ; He  1,4.13 ; 2,2.5.7.9.16 ; 12,22 ; 13,2 ; 1 P 1,12 ; 3,22 ; 2 P 2,4.11 ; Jude 6 ; Ap 1,20 ; 3,5 ; 5,11 ; 7,1.11 ; 8,2.6.13 ; 9,14 ; 12,7.9 ; 14,10 ; 15,1.6 ; 16,1 ; 17,1 ; 21,9.12.

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τοῦ θεοῦ, Ac 10,3 ; Ga 4,14), également traduction de l’hébreu, d’où les expressions « son ange » quand le Seigneur/Dieu est sujet (Ap 22,6) et « mon ange » quand Jésus est sujet (Ap 22,16). Comme à Qumrân, la notion de sainteté est plus étroitement associée à celle des anges : « ange saint » (Ac 10,22) ; « saints anges » (Mc 8,38 ; Lc 9,26 ; Ap 14,10). Les qualités de puissance (Ap 5,2 ; 10,1 ; 18,21)20 et de gloire (Mt 16,27 ; 25,31) leur sont aussi dévolues. Découlent, par ailleurs, de l’Ancien Testament les rôles et les fonctions angéliques, qui peuvent être éclairés par un tableau :21 Anges bibliques AT

Torah

Prophètes

Ange annonciateur : bénédiction d’une descendance

Gn 16,7–11 (Hagar/­ Ismaël) Gn 48,16 (Joseph/ Ephraïm et Manassé)

Jg 13,3–21 ­( Manoah/Samson)

Ange protecteur (salut)

Gn 19,1.15 (Loth) Gn 21,17 (Hagar/Ismaël) Gn 22,11.15 (Abraham/ Isaac)

Jg 2,1 (salut d’Égypte) ; Jg 6,11–22 ­(Gédéon)

Nb 20,16 Ange voyageur

Gn 24,7.40 (serviteur d’Abraham missionné pour trouver femme à Isaac)

Écrits

Autres

Ps  34,7 ; 91,11

Tb  5,6.10 ; 6,1 ;

1 M 11,6 ; 15,23

Si 48,21

1 R 19,5.7 (Élie)

Raphaël (Tb)

Ex 14,19 (camp d’Israël) Ex 23,20.23 ; 32,34 ; 33,2 (terre) Ange révélateur (nom divin, oracle) Ange interprète

Gn 28,12 (échelle de Jacob) Gn 31,11 (départ) Ex 3,2 (buisson ardent)

Cf. Os 12,4

Za  1,9–19 ; 2,3 ; 3,1–6 ; 4,1–5 ; 5,5–10 ; 6,4–5 ; 12,8

Gabriel (Dn 8,16 ; 9,21)

20  Ces « anges puissants » ne sont pas sans rappeler la section du Livre des Vigilants dans laquelle figurent les noms et les fonctions de sept « anges des puissances » : Ouriel, Raphaël, Ragouël, Michel, Sariel, Gabriel, Remiel (1 Hénoch 20) : Caquot, « Hénoch », 494. Voir aussi les « anges de puissance » et les « anges des dominations » en 1 Hénoch 61,10, formant alors une véritable armée des cieux : Caquot, « Hénoch », 535. 21  Anthonioz, « Mutations angéliques ? », 24–25.

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Les anges ou la médiation renouvelée

Anges bibliques AT

Torah

Prophètes

Écrits

Autres

Ange destructeur ou punisseur (châtiment divin)

Gn 19 Nb 22,32–33

Jg 2,4; 5,23 (Méroz)

1 Ch 21,12– 30

1 M 7,41

2 S 24,16–17 (David/Israël) 2 R 19,35 (Ezé- Ps  35,5–6 ; chias/Jérusalem) 78,49 (anges de malheurs)

Autre

Nb 22,22–35 (Balaam)

Ez  9 ?

Michel (Dn  10,13.21 ; 12,1)

2 S 14,17.20 ; 19,27 (sagesse d’un ange)

Tb 6,3 Ps 103,20 (anges puis- (guérisants) son) 104,4 (vents/ souffles)

Is 63,9 (ange de sa face) Ag 1,13 (Aggée) Ml 2,7 (prêtre)

Cette typologie fonctionne parfaitement pour les sources du Nouveau Testament, de sorte que l’angélologie de ces écrits s’ancre clairement dans celle de l’Ancien Testament, même si cette dernière est restée à un stade embryonnaire. Anges bibliques NT

Évangiles

Ange annonciateur : naissance de Jésus / descendance de David / résurrection

Mt  1,20.24 ; Lc 1,11.13.18– 19.26.28.30.34.35.38 ; 2,9.10.13.21 Mt 28,2.5 Jn 20,12

Gabriel

Lc 1,19.26

Ange protecteur (salut)

Mt 2,13.19 ; Lc 4,10

Actes

Lettres

8,26 ; 10,3.7.22 ­ (Corneille)

5,19 ; 11,13 ; 12,7.8.10– 11 (Pierre)

des Églises : 1,20 ; 2,1.8.12.18 ; 3,1.7.14

Anges gardiens : Mt 18,10 Ange voyageur

27,23 (Paul en route vers Rome)

Ange révélateur (nom divin, oracle)

7,30.35.38 (Sinaï)

Liturgie céleste

Apocalypse

Ga 1,8

1,1 ; 22,8 ; 14,6 ; 19,9 8,1–4

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Stéphanie Anthonioz

Anges bibliques NT

Évangiles

Actes

Ange destructeur (châtiment et jugement divin)

Anges du jugement : Mt  13,39.41.49 ; 16,27 ; 24,31 ; Mc 13,27

12,23 ­( Hérode)

Anges témoins du ­jugement : Mt  25,31 ; Mc 8,38 ; Lc 9,26 ; 12,8

Satan

Lettres

Apocalypse 7,2 ; 8,5.8.10.12 ; 9,1.13.14 ; 10,1.7.8.9.10 ; 11,15 ; 14,6.8.​ 9.15.17.18.19 ; 15,1.6.7.8 ; 16,1 ; 17,1 ; 18,21 ; 21,9

Jugement des anges : 1 Co  6,3 ; des anges coupables : 2 P 2,4 ; Jude 6 2 Co  11,14 ; 12,7

Explicitons ce dernier tableau. Tous les livres du Nouveau Testament ne développent pas nécessairement des références aux anges et ceux qui le font les présentent différemment.22 Cela laisse penser qu’il existe une sociologie de la croyance dans les anges, ce que suggère d’ailleurs Ac 23,8 : « les Saducéens soutiennent en effet qu’il n’y a ni résurrection ni ange ni esprit, tandis que les Pharisiens en professent la réalité. » Dans les évangiles de Matthieu et Luc, l’ange est présent autour de la naissance de Jésus (Mt 1,20.24 ; 2,13.19 ; Lc 1,11.13.18–19.26.28.30.34.35.38 ; 2,9.10.​ 13.21).23 Sa fonction est évidemment celle de l’annonciation et de la bénédiction (vie et descendance), mais aussi de la protection de la vie (Lc 4,10–11). L’ange est également là après la mort de Jésus dans l’évangile de Matthieu (Mt 28,2.5 ; cf. Mc 16,5),24 mais aussi dans celui de Jean, puisque « deux anges vêtus de blanc, [sont] assis, l’un à la tête (ἕνα πρὸς τῇ κεφαλῇ) et l’autre aux pieds (καὶ ἕνα πρὸς τοῖς ποσίν), là où l’on avait posé le corps de Jésus » (Jn 20,12). Dans les Actes, on peut assister à une relative démultiplication des références et des rôles angéliques (Ac 5,19 ; 7,30.35.38 ; 8,26 ; 10,3.7.22 ; 11,13 ; 22 Voir

les différentes contributions dans le volume édité par Reiterer/Nicklas/ Schöpf­l in (éd.), Angels: The Concept of Celestial Beings : Nicklas, « Angels in Early Christian Narratives on the Resurrection of Jesus » ; Klein, « The Angel Gabriel according to Luke 1 » ; Kurek-Chomycz/Bieringer, « Guardians of the Old at the Dawn of the New: The Role of Angels according to Pauline Letters » ; Gäbel, « Rivals in Heaven: Angels in the Epistle to the Hebrews » ; Hogeterp, « Angels, the Final Age and 1–2 Corinthians in Light of the Dead Sea Scrolls ». Voir aussi Bendoraitis, ‘Behold, the Angels Came and Served Him’. 23  Voir en particulier Bendoraitis, ‘Behold, the Angels Came and Served Him’, 22–52. 24  Voir en particulier Bendoraitis, ‘Behold, the Angels Came and Served Him’, 186–199.

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12,7.8.9.10.11.15.23 ; 23,8.9 ; 27,23). Ces rôles sont diversifiés, mais, en général, ils sont au service de l’annonce de l’Évangile, du salut et de la protection de ceux qui le proclament. La littérature épistolaire offre de plus rares références aux anges : ils ne sont pas niés, mais ne semblent pas représenter un enjeu théologique important dans ces textes (2 Co 11,14 ; 12,7 ; Ga 1,8 ; 4,14),25 sauf pour les questions relatives au jugement. C’est ici d’ailleurs l’un des développements notoires de la théologie des anges. Si les anges jouent un rôle avéré dans le jugement (Mt 13,39.41.49 ; 16,27 ; 24,31 ; Mc  13,27 ; cf. infra Ap) ou comme témoins du jugement (Mt 25,31 ; Mc 8,38 ; Lc 9,26 ; 12,8), ils sont, dans certaines lettres, eux-mêmes objet d’un jugement (1 Co 6,3), ou encore coupables (2 P 2,4 ; Jude 6), ce qui n’est pas sans rappeler les traditions hénochiques. Le livre de l’Apocalypse tient certainement une place à part dans le Nouveau Testament, puisque les anges y sont très nombreux, mais surtout ils jouent un rôle important dans la médiation et l’autorisation de la révélation (Ap 1,1 ; 22,8), ainsi que dans le jugement et le salut final. Les anges y sont souvent dénombrés26 et occupent des fonctions précises : « trois anges » sonnent de la trompette (Ap 8,13) ; « quatre anges » cosmiques (Ap 7,1.2) sont étroitement associés à la mort (Ap 7,2 ; 9,14.15). Les « sept anges » (Ap 8,2.6 ; 15,1.6.7.8 ; 16,1 ; 17,1 ; 21,9) se tiennent devant Dieu (Ap 8,2 ; cf. Tb 12,15), ils détiennent les fléaux de la colère (Ap 15,1.6.7.8 ; 16,1 ; 17,1 ; 21,9). Ils sont, en effet, plus étroitement associés au jugement et au châtiment divin (Ap 8,3.4.5.8.10.12 ; 9,1.13.14 ; 10,1.7.8.9.10 ; 11,15 ; 14,6.8.9.15.17.18.19 ; 18,21) avec des accessoires précis : encensoir, trompette, livre, faucille, pierre, de sorte que l’on assiste à une véritable chorégraphie du jugement dernier. Les autres développements remarquables dans le Nouveau Testament, même s’ils découlent toujours des fonctions hébraïques initialement analysées, sont les anges gardiens (Mt 18,10),27 le service des anges (en particulier au désert, cf. Mt 4,11 ; Mc 1,13), les anges psychopompes (Lc 16,22),28 enfin, le culte des anges (Col 2,18).29 À cette typologie commune des anges, il faut ajouter les relectures évidentes de textes de l’Ancien Testament. Sans développer ici, citons simplement l’accueil des anges en He 13,2 qui renvoie à Gn 18, les mouvements de montée et de descente des anges en Jn 1,51 qui renvoie à Gn 28, relecture que l’on développera plus bas, en dernière partie, puisqu’elle fait du « fils de l’homme » l’échelle unique entre le ciel et la terre. Le livre d’Ézéchiel fait l’objet d’un développe25  26 

Forbes, « Paul’s Principalities and Powers », 61–62 et 64–65. Berner, « The Four (or Seven) Archangels ». 27 Voir Hannah, « Guardian Angels ». 28  Sur le développement d’une telle tradition, voir Cline, Ancient Angels, 77–104. 29  Sur ce sujet, voir en particulier Stuckenbruck, « ‘A ngels’ and ‘God’ » ; id., « An Angelic Refusal of Worship ».

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ment particulier dans l’Apocalypse à travers, d’une part, la symbolique du livre à manger (Ap 10,9.10) et, d’autre part, celle de la mesure des remparts (Ap 21,17). Le Satan devient une entité personnelle et maléfique ; il se camoufle, en effet, en ange de lumière (2 Co 11,14), et se voit accompagné d’acolytes (2 Co 12,7). Le rôle du Satan représente ainsi un développement remarquable par rapport à son rôle fonctionnel connu dans l’Ancien Testament.30 Enfin, l’ange interprète ou médiateur, que l’on connaît dans le livre de Zacharie, devient relativement commun, qu’il s’agisse d’une médiation de la loi (Ac 7,30.35.38), d’un Évangile éternel (Ap 14,6), ou des paroles mêmes de Dieu (Ap 19,9), ce qui rappelle les analyses menées par Christoph Uehlinger à la suite de Hindy Najman sur la fonction d’autorisation comme de justification que jouent les anges dans les textes de révélation, en particulier le Livre des Jubilés.31 De ces différentes remarques générales et descriptives, que pouvons-nous tirer ? Que nous disent-elles de l’évolution d’un corpus ancien composé de textes bibliques, fragments découverts à Qumrân et traditions hénochiques vers un corpus néotestamentaire ? 1.2.  L’ancrage néotestamentaire : la théologie du nombre et de la puissance Il semble que l’ancrage des sources néotestamentaires permette d’éclairer plusieurs évolutions relatives au développement d’une représentation angélique, et tout d’abord la question du nombre. On a vu que l’une des évolutions majeures au tournant de notre ère et sans doute dès l’époque hellénistique était la démultiplication des anges, c’est-à-dire le passage d’un messager céleste singulier dans la Bible hébraïque au service d’une mission divine à des messagers célestes qu’on ne peut dénombrer. Or le Nouveau Testament, par différentes références et des vocables spécifiques, exprime cette démultiplication : « myriades » ou « dizaines de milliers » (καὶ μυριᾶσιν ἀγγέλων, He 12,22), l’adjectif « nombreux » (par exemple φωνὲν ἀγγέλων πολλῶν, Ap 5,11) ou encore la référence à « plus de douze légions d’anges » (πλείω δώδεκα λεγιῶνας ἀγγέλων, Mt 26,53). Cette démultiplication n’est pas sans rappeler le nom de « Yhwh des armées » (‫יהוה צבאות‬, Ps 89,9 ; 103,21 ; 1 S 17,45 ; Jos 5,13–14) comme la théophanie du Sinaï selon Dt 33,2 (« Il dit : Yhwh est venu du Sinaï, il s’est levé sur eux de Séir, il a resplendi de la montagne de Paran, et il est sorti du milieu des saintes myriades [‫]ואתה מרבבת קדש‬. Il leur a de sa droite envoyé le feu de la loi. »). Rappelons aussi qu’en Jos 5,13–15, Josué voit devant lui un homme (‫)איש‬, alors qu’il s’agit du général en chef de l’armée de Yhwh (‫)שר צבא יהוה‬, c’est-à-dire d’une créature angélique à la tête d’une légion. La démultiplication des anges 30 

Silverman, « Vetting the Priest in Zechariah 3 » ; Brown, « The Devil in the Details » ; Rudman, « Zechariah and the Satan Tradition » ; Day, An Adversary in Heaven. 31 Ainsi Uehlinger, « La figure de lʼange révélateur », 308. Voir déjà Najman, « Angels at Sinai ».

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aurait-elle à voir avec l’indénombrable puissance armée de la divinité devenue unique ? C’est en tout cas ce que laisse penser la référence en Lc 2,13 : « il y eut avec l’ange une multitude de l’armée céleste (σὺν τῷ ἀγγέλῳ πλῆθος στρατιᾶς οὐρανίου), louant Dieu … ». C’est aussi l’interprétation philonienne, comme l’a rappelé Chris Forbes.32 Le nombre n’apparaît plus tant comme le fruit d’un engouement (même s’il existe de fait) que d’une transposition de la puissance et du nombre divin selon une organisation qui ne peut manquer de rappeler l’eutaxia grecque, comme l’a démontré tout récemment Steven Weitzman.33 Si cette hypothèse est juste, elle pourrait alors expliquer le développement des concepts de dominations, puissances et principautés – qui entreront dans la hiérarchie céleste du Pseudo-Denys –34 en lien avec les anges, en particulier dans les épîtres de Pierre et de Paul. En effet, outre les « anges de sa puissance » (μετ’ἀγγέλων δυνάμεως αὐτοῦ, 2 Th 1,7) et les anges supérieurs en force et en puissance (ἄγγελοι ἰσχύϊ καὶ δυνάμει μείζονες ὄντες, 2 P 2,11) – à relier à l’épithète d’ange « puissant » (Ap 5,2 ; 10,1 ; 18,21) –, les anges sont étroitement associés aux « autorités et puissances » (ἀγγέλων καὶ ἐξουσιῶν καὶ δυνάμεων, 1 P 3,22) ou encore aux « dominations, choses présentes, choses à venir et puissances » (οὔτε ἄγγελοι οὔτε ἀρχαὶ οὔτε ἐνεστῶτα οὔτε μέλλοντα οὔτε δυνάμεις, Rm 8,38).35 Mais comme l’a montré Chris Forbes, la préférence théologique de Paul, dans les épîtres, est clairement du côté des puissances, dans une tradition philosophique et philonienne aussi, au détriment des anges.36 Pour l’auteur, à la suite de Pierre 32 

Forbes, « Pauline Demonology and/or Cosmology », 60–64. propose that what prompted this interest in angelic hierarchy was the influence of Greek military culture and more precisely the value it placed on eutaxia, ‘good arrangement’ or ‘good structure.’ Though it is often translated as ‘discipline,’ eutaxia also encompasses order, solidarity, fighting in close coordination with fellow soldiers, acting as a dependable part of a system – qualities that, by the fifth century BCE, Greek writers had recognized as the key to military success. […] eutaxia was reflected in a multilayered chain of command that was meant to make it crystal clear who was accountable for which tasks, and who answered to whom » : Weitzman, « Fighting with Angels: On How to Build Up a Celestial Army », 373–374. 34  Denys l’aréopagite, La hiérarchie céleste VI,2 : « Dans leur totalité, la Parole désigne les essences célestes par neuf noms révélateurs : notre initiateur divin les divise en trois dispositions ternaires. Il dit que la première est celle qui est toujours auprès de Dieu et dont la tradition rapporte qu’elle est immédiatement unie à Lui, avant les autres et sans intermédiaire (qu’en effet les très saints Trônes et ces cohortes aux yeux et aux ailes multiples qu’on nomme en hébreu Chérubins et Séraphins siègent immédiatement autour de Dieu dans une plus grande proximité que toutes les autres, c’est bien selon lui, ce qu’a transmis la révélation des Dits sacrés. Cette formation ternaire, en tant qu’elle constitue une seule hiérarchie, de rang égal et réellement première, notre illustre précepteur déclare donc qu’aucune autre n’est plus déiforme ni plus immédiatement contiguë aux illuminations primordiales de la Théarchie), – la seconde, dit-il, est celle qui se compose des Puissances, des Dominations et des Vertus, – et la troisième, comprenant les dernières des hiérarchies célestes, est la disposition que constituent les Anges, les Archanges et les Principautés » (Sources chrétiennes 58, 104–105). 35  Voir aussi les « anges de puissance » et les « anges des dominations » en 1 Hénoch 61,10, formant alors une véritable armée des cieux : Caquot, « Hénoch », 535. 36  Voir en ce sens Forbes, « Pauline Demonology and/or Cosmology » ; id., « Paul’s Principalities and Powers », 78. Voir aussi Wasserman, « Gentile Gods at the Eschaton » ; Bau33  « I

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Benoit, il ne fait aucun doute que le concept de puissance est lié au nom divin via sa traduction grecque dans la Septante (κύριος σαβαωθ).37 La conception de la puissance angélique est enfin à mettre en relation avec les esprits, serviteurs et flammes de feu (He 1,7 ; cf. Ps 104), et surtout les forces de la nature : les anges ont pouvoir sur le feu (Ap 14,18), les eaux (Ap 16,15),38 ce qui s’accorde aussi avec la documentation qumrânienne.39 Ainsi, pour résumer, l’ange du Nouveau Testament – nonobstant la diversité des sources et le fait que toutes ne développent pas des références aux anges – se caractérise par le nombre, la puissance et une force active dans la création. L’hypothèse que l’on peut développer est que la pensée du Dieu unique a obligé à repenser ses manifestations de nombre (« Yhwh Elohim ») et de puissance (« Yhwh des armées ») et que les entités les plus aptes à remplir ces fonctions ont été, dans certains milieux du moins, les anges, au regard de leur proximité divine et de leur fonctionnalité en tant que messagers célestes.40 Mais les différentes évolutions religieuses et principalement l’évolution vers la pensée d’un Dieu unique suffisent-elles à rendre compte de la naissance d’une angélologie ? Revenons brièvement aux principales théories qui ont été développées pour expliquer le développement et l’engouement angéliques et intéressons-nous à la notion de représentation divine.

2.  Enjeux théologiques : (non-)représentation et humanité des anges Il n’existe pas, contrairement à la question de la datation à l’époque hellénistique, de consensus au sujet des causes et des modalités de la naissance d’une angélologie.41 Quel est le rôle des anges dans les représentations religieuses de l’époque du Second Temple ? Pourquoi un développement subit, dans certains milieux, de leur nombre et de leurs fonctions ? Plusieurs hypothèses ont pu être proposées par le passé, qu’il suffit de nommer, puisqu’elles sont ailleurs développées : mert/Seewann, « Ἀρχαὶ καὶ ἐξουσίαι » ; Maldamé, « Les anges, les puissances » ; Benoit, « Angélologie et démonologie pauliniennes » ; Schlier, Principautés et dominations. 37  Forbes, « Paul’s Principalities and Powers », 74–75 ; Benoit, « Pauline Angelology and Demonology », 7–8. 38  On trouve encore l’ange de l’abîme qui se nomme, en hébreu, Abaddôn, et, en grec, porte le nom d’Apollyôn (Ap 9,11). 39  Ainsi que les traditions hénochiques : « L’esprit de la neige est un ange (de Dieu) : l’esprit de la grêle est un ange favorable. L’esprit du gel est apaisé par la puissance (de Dieu) ; il a un ange pour lui seul ; ce qui en monte ressemble à une fumée et se nomme le frimas » (1 Hénoch 60,17–18 ; cf. 1 Hénoch 18,5). Voir Caquot, « Hénoch », 532. 40  Voir l’article rédigé en polonais (résumé en anglais), Jędrzejewski, « The Angelology of the Book of Henoch », qui va dans le même sens au sujet du premier Livre d’Hénoch. 41  Hundley, « Of God and Angels ».



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la « théorie de l’identité »,42 la « théorie de la représentation »,43 la « théorie de l’interpolation ».44 L’hypothèse la plus récente sur ces questions de développements angéliques est celle d’Annette Yoshiko Reed.45 Selon l’auteure, l’enjeu n’est plus théologique mais épistémologique. Les anges témoignent d’une époque hellénistique en pleine effervescence où la quête des savoirs se mêle à une volonté de théoriser et d’archiver le monde, c’est-à-dire les connaissances que l’on en a : What we find in the early Hellenistic age is a reconceptualization of Jewish writing and knowledge, predicted on a new radical expansion of the very scope of what is textualized as knowledge from and about Israel’s past. Angelology and demonology are among the engines for this shift: not only those writing about transmundane powers emerge as a Jewish knowledge practice in the early Hellenistic age, but it contributes to a newly capacious vision of the domains of Jewish scribal expertise and literary production.46

Pour l’auteure, il n’est pas anodin que de nombreuses œuvres soient écrites en araméen pour dire et théoriser ces savoirs :47 l’araméen est alors la seule langue pouvant à la fois se distinguer de la culture grecque et affirmer un héritage et une 42  Dans la « théorie de l’identité », le messager est identifié à la divinité qui le missionne. Le messager est ainsi considéré comme une forme théophanique ou hypostatique de Yhwh/ Elohim. Cette théorie n’est pas sans un ancrage biblique évident. On connaît, en effet, les liens étroits entre l’ange et son envoyeur. Mais il faut alors souligner que ce développement angélique n’est pas unique en soi et que d’autres entités, humaines, partagent les qualités angéliques, comme il est clair dans le livre d’Ézéchiel, par exemple. Voir ainsi Von Heijne, The Messenger of the Lord. 43  La « théorie de la représentation » remonte, quant à elle, aux Pères de l’Église, Jérôme et Augustin, pour qui l’ange est distinct de la personnalité divine mais la représente. Cette théorie est proche de « la métaphorisation » qui considère le messager comme une extension sémantique du message. Voir Kosior, « The Angel in the Hebrew Bible », 59. 44  La « théorie de l’interpolation » consiste à dire que, dans les textes bibliques, le « messager » (‫ )מלאך‬aurait été ajouté devant le nom divin – d’où la forme exclusive d’état construit – dans des contextes narratifs particuliers. Les anges seraient ainsi nés d’une correction scribale stratégique, pour former une communauté autour et au service de la divinité et permettre à celle-ci de ne pas assumer certaines actions. Il est certain que l’usage du terme en hébreu biblique, qui n’est ni systématique ni cohérent dans l’ensemble de ses attestations, pourrait accréditer cette théorie. Mais alors, pourquoi le recours à une telle stratégie narrative n’aurait-il pas eu lieu dans d’autres récits théologiquement difficiles ? Voir Lagrange, « L’ange de Iahvé ». 45  Reed, Demons, Angels. 46  Reed, Demons, Angels, 11. Et plus loin : « what I shall suggest, more specifically, is that this trend may have form part of the same impulse to collect, list, and organize diverse traditions about the cosmos as well as to reframe information about them, both native and foreign, as part of a library of ancient and heavenly knowledge, claimed to be uniquely preserved among Jewish scribes since before the Flood » (19–20). 47 En particulier le Document araméen de Lévi (1Q21 ; 4Q213–213a–213b ; 4Q214– 214a–214b), le Testament de Qahat araméen (4Q542), les Visions du testament d’Amram (4Q543–544–545–546–547–548–549), l’Histoire des Patriarches (1QapGen/1Q20), le Livre des Géants (1Q23–24 ; 2Q26 ; 4Q530–532), l’Apocryphe de Jacob araméen (4Q537), l’Apocryphe de Juda araméen (4Q538), le Testament de Joseph araméen (4Q539), le Livre astronomique d’Hénoch (4Q208–211), les textes astrologiques (comme 4Q318 et 4Q561) ou les incantations (comme 4Q560).

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identité propre par sa dimension impériale. Il y aurait là en quelque sorte une « contre-paideia ».48 À l’exception de la dernière, ces théories sont en lien avec l’évolution de la représentation de la divinité Yhwh elle-même. Il paraît donc important de réfléchir et d’approfondir la question de la représentation divine qui semble au cœur de l’angélologie naissante, sans nier évidemment la dimension épistémologique qui l’enrichit. 2.1.  (Non-)représentation divine dans la Bible hébraïque On peut en effet se demander si le recours aux anges ne manifeste pas dans la Bible hébraïque une évolution théologique « logique » du « dogme » deutéronomiste de la non-représentation divine. Les anges représenteraient alors le Dieu qu’on ne peut voir. Mais il ne s’agit là que d’un expédient puisque les anges euxmêmes sont très peu représentés dans la Bible hébraïque ou bien ils participent eux-mêmes, lorsqu’ils sont présents, de ce système de non-représentation. Selon Michael B. Hundley, la représentation minimale du messager biblique participerait d’un agenda théologique clair : rendre Dieu présent, mais dans la distance. Cette distance serait au service d’une motivation yahwiste et monolâtrique. Sans nom ni identité, les messagers (‫ )מלאכים‬sont les subordonnés de Yhwh Elohim, ils sont une personnification du message divin ou encore une extension de la personnalité divine, ils agissent pour elle.49 Mais on peut aussi penser que les anges ne marquent pas tant la distance divine que la grandeur, car comme l’a souligné Larry Hurtado, de manière stimulante : The notion that ancient Jewish piety experienced God as distant was discredited because pious Jews of the Greco-Roman period thought of God as being concerned with them and as directly accessible to them through their prayers and devotion. Their interest in angels did not represent an erosion of monotheistic devotion. Instead, their interest in God’s angelic retinue probably arose from a desire to portray God as powerful, capable, and in control of all things.50

Que l’ange de la Bible hébraïque manifeste la distance ou la grandeur divines, il n’en reste pas moins que les traditions de l’Ancien Testament sont maigres, les anges peu présents et peu décrits. De plus, lorsqu’ils sont décrits, l’une des caractéristiques majeures reste leurs traits humains portant parfois à confusion, c’est48 

Reed, Demons, Angels, 312.

49 Selon Hundley, « Of God and Angels », 13, les anges ne peuvent être considérés comme

des entités divines autonomes. Ce n’est que plus tard, lorsque la singularité et la suprématie yahwistes sont installées, que le monde des anges, seulement introduit en Genèse–Exode, pourra s’émanciper de la subordination sémantique dans laquelle ils ont d’abord été réduits. C’est ainsi que la catégorie des anges recouvre un ensemble vaste d’identités divines, intermédiaires, disparates, Yhwh restant le seul dans la catégorie des Elohim, « dieux » ! 50  Hurtado, One God, One Lord, 85.



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à-dire que leurs rôles sont fréquemment échangés dans la narration avec ceux de la divinité, certes, mais aussi avec ceux d’« hommes ».51 Comme les sources de l’Ancien Testament sont peu développées, on peut penser que les scribes de Jérusalem comme ceux de Samarie sont restés étonnamment réfractaires, tandis que certaines sources de Qumrân développent le concept des messagers divins au point d’en faire un nouveau « panthéon », à ceci près que les anges ne sont pas des dieux. Il est manifeste que le développement angélologique répond à des intérêts spéculatifs et théologiques souvent hautement communautaires. Selon Cecilia Wassen, la diversité angélique et la hiérarchisation, telles qu’elles sont attestées à Qumrân, montrent un phénomène d’émancipation religieuse.52 De manière intéressante, l’auteure met en lumière l’intersection des domaines céleste et terrestre permettant une communion des humains et des anges dans un culte communautaire dès lors céleste.53 Les anges représentent alors d’une certaine manière l’immanence du divin et entrent au service d’une communion et d’une eschatologie nouvelles. Les sources du Nouveau Testament peuvent-elles éclairer ce lien entre représentation et médiation que manifestent les anges au-delà d’une évidente distance ou grandeur divine ? 2.2.  (Non-)représentation angélique chrétienne Dans le Nouveau Testament, la représentation des anges, à la fois humaine et divine ou céleste, est manifestée par deux dimensions, l’une descriptive, l’autre narrative. Pour la première, mention est faite du visage (Ac 6,15) et de la main de l’ange (Ap 8,4). Ces éléments ne sont pas distinctifs. On note également des traits que l’on ne connaît pas dans l’Ancien Testament comme le désir des anges (1 P 1,12), la joie des anges (Lc 15,10) ou encore l’ignorance des anges (Mt 24,36 ; Mc 13,32). L’humanité des anges est clairement énoncée dans le récit de la venue au tombeau, quand Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques, et Salomé, après avoir acheté des aromates, se rendent sur les lieux, pleines d’interrogations, « et, levant les yeux, elles voient que la pierre est roulée ; or, elle était très grande. Entrées dans le tombeau, elles virent, assis à droite, un jeune homme, vêtu d’une robe blanche, et elles furent saisies de frayeur » (Mc 16,4–5). Mais la description la plus détaillée se trouve peut-être en Ap 10,1 : « Et je vis un autre ange puissant qui descendait du ciel. Il était vêtu d’une nuée, une gloire nimbait son front, son visage était comme le soleil, et ses pieds comme des colonnes de feu. » Cette représentation tranche par les effets divins, splendeur et gloire. Aussi les 51  Dans certains textes, il est notable que l’ange peut être confondu avec un « homme » (par exemple, Gn 18–19 ; 21–22 ; Za 2). Dans d’autres, des « hommes » interviennent avec une mission divine, sans être présentés comme ‫מלאכים‬, « anges » (par exemple, Jg 13 ; Ez 8–9 ; 40–48). L’ange est aussi appelé « homme » (Dn 9,21 ; Tb 5,5.10–11). 52  Wassen, « Angels and Humans ». 53  Legrand, « Liturgie céleste » ; Newsom, « He Has Established for Himself Priests ».

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anges sont-ils ailleurs caractérisés par leur amortalité (Lc 20,36) et leur asexualité (Mt 22,30 ; Mc 12,25). Ils sont donc proches de Dieu : les ailes seraient-elles l’attribut qui les distingue, dans le Nouveau Testament, à la fois de Dieu et des humains (Ap  14,6) ?54 Elles marquent indéniablement un caractère céleste et pourraient (elles aussi) renvoyer à la relecture d’une épithète divine ancienne, celle de Yhwh chevauchant sur les ailes du vent (2  S 22,11 ; Ps 18,10 ; 104,3 ; 139,9).55 Pourtant, elles ne sont qu’exceptionnellement mentionnées, comme à Qumrân (4Q405 20 ii 21–22 ; cf. 1 Hénoch 61,1) ou dans les textes bibliques où une seule référence indirecte est possible (Dn 9,21). Ces données textuelles rejoignent donc les données iconographiques pour les premiers siècles chrétiens, où l’absence des ailes est une donnée caractéristique.56 Quoiqu’il en soit, la représentation des anges allie des traits humains et divins ou célestes. Sans doute le voit-on lorsque Moïse et Paul sont comparés à un ange (Si 45,2 ; Ga 4,14) ou lorsque Jésus, un peu moindre que les anges (He 2,9 ; cf. Ps 8) est exalté plus que les anges (He 1,4.5.6.13). Quant à l’aspect narratif de l’humanité des anges, il pourrait faire l’objet de développements importants surtout dans les évangiles, les Actes et l’Apocalypse. Mentionnons seulement quelques exemples. Ainsi, Pierre voit distinctement en vision un ange, sans se rendre compte, dit le texte, que l’intervention de l’ange est réelle : il croit avoir eu une vision (Ac 12,9) ! Par la suite, vient la prise de conscience : « Cette fois, se dit-il, je comprends : c’est vrai que le Seigneur a envoyé son ange » (Ac 12,11). Le caractère soudain de l’apparition angélique rappelle les récits de l’Ancien Testament (Ac 12,10.23 ; cf. Gn–Ex ; Jg).57 On notera que, comme dans les livres de Daniel ou de Tobit, l’ange est appelé « homme » (Ac 10,30 ; cf. Dn 9,21 ; Tb 5,5.10–11). 54  Ricklefs, An Angelic Community, 85–86. 55  En effet, un parcours rapide des différentes

occurrences dans la Bible hébraïque montre qu’en dehors des références anatomiques animales (Gn 1,21 ; 7,14 ; Lv 1,17 ; Dt 4,17 ; Jb 39,13.26 ; Ps 148,10 ; Pr 1,17 ; Ez 17,3–23), auxquelles on peut rattacher Séraphins et Chérubins (Ex 25,20 ; 37,9 ; 1 R 6,24.27 ; 8,6.7 ; 2 Ch 3,11–13 ; 5,7.8 ; Is 6,2 ; Ez 1,6–25 ; 3,13 ; 10,5–21 ; 11,22), les ailes servent la représentation de la divinité Yhwh, chevauchant les airs (2 S 22,11 ; Ps 18,10 ; 104,3 ; 139,9) ou protégeant ses ouailles (Ex 19,4 ; Dt 32,11 ; Rt 2,12 ; Ps 17,8 ; 36,8 ; 57,2 ; 61,14 ; 63,7 ; 91,4). Voir avec intérêt l’ouvrage de LeMon, Yahweh’s Winged Form in the Psalms, qui montre que la représentation ailée de Yhwh ne peut se réduire à une seule interprétation, mais dans le cas du livre des Psaumes du moins, renvoie à des modèles iconographiques riches et divers. 56  Jastrzebowska, « New Testament Angels in Early Christian Art », 163–164 : « So, during 200 years of the Early Christian Art, angels transformed from the human interlocutors of Mary, Joseph and the Women at the Sepulcre into astral winged beings who took their features from roman victoriae and other pagan winged genii. As messengers of God and as witnesses of wonderful events, they become part of the iconography of many episodes both in the New Testament and outside it. But above all, they became the indispensable companions of Christ and his Mother in the images of their glory. » 57  Anthonioz, « Mutations angéliques ? », 26.



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On ne peut donc qu’insister sur les expédients littéraires qui sous-entendent mais ne décrivent pas l’humanité des anges. Le défaut de représentation est-il au service du dogme biblique de la non-représentation divine ou, au contraire, par sa dimension humaine, invite-t-il à contempler l’humanité divine ou encore permet-il à l’humain de devenir divin, éternel, comme c’est le cas dans la communauté de Qumrân ? 2.3. L’angélisme Les travaux de Françoise Vinel sur le sujet des Chérubins et le rappel que l’auteure formule au sujet de l’« angélisme » contribuent à éclairer singulièrement l’importance des anges dans leur rapport avec l’humanité. Comme le détaille l’auteure, à la suite de John Gavin sur l’angélologie et l’anthropologie de Maxime le Confesseur au viie siècle,58 on peut déjà analyser ce lien étroit entre anges et hommes, lien d’ordre moral,59 dans la pensée d’Origène.60 Pour Origène, l’homme peut s’approcher de Dieu précisément par le truchement de son devenir angélique. L’« égalité avec les anges » (ἰσαγγελία) constitue d’ailleurs un des thèmes majeurs du monachisme à ses débuts. C’est, en effet, le résultat de la thèse non publiée de Norman M. Ricklefs.61 La théorie de l’angélisme explicitée dans les écrits des Pères est donc clairement en germe dans ceux de Qumrân. Les anges offrent aux hommes de devenir angéliques et de se rapprocher de la présence divine pour un culte céleste et éternel. Ces remarques sont importantes pour saisir les développements d’une angélologie à l’aube de l’ère chrétienne. Elles s’ajoutent à celles qui ont été faites précédemment au sujet de la non-représentation divine. Les anges –  comme concept – répondent donc au moins à deux enjeux différents, la non-représentation d’un Dieu devenu presque unique, et une humanité qui ouvre la voie au divin et au devenir divin. L’humanité des anges dans le Nouveau Testament laisse penser que la pointe théologique d’un tel développement pourrait viser, au moins dans certains textes, une parfaite médiation. En effet, de l’analyse menée plus haut sur les sources, deux points sont particulièrement intéressants pour notre propos : le rôle des anges, dans les évangiles, à la naissance et à la mort de Jésus, et le rôle des anges dans la médiation de la révélation, qu’il s’agisse de la parole (He 2,2) ou de la loi (Ac 7,53 ; Ga 3,19). Ce rôle dans la médiation fonctionne de la même manière que dans le Livre des Jubilés qui introduit des anges là où ils sont ab58  Vinel, « Quelle place pour les Chérubins », 191–192 ; Gavin, They are like the Angels in the Heavens, 31–37. 59  Gavin, They are like the Angels in the Heavens, 33 : « The distinctions among men, angels and demons, therefore, do not belong to the natural order, but rather to the moral. » 60  Gavin, They are like the Angels in the Heavens, 37. 61  Ricklefs, An Angelic Community.

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sents des récits bibliques relatifs au don de la loi au Sinaï.62 Ce rôle médiatique est particulièrement saillant dans l’évangile de Jean,63 puisque les anges montent et descendent, alors que les cieux sont ouverts. Cette vision, relecture de l’Ancien Testament (Jn 1,51 ; cf. Gn 28) concourt à faire du « fils de l’homme », l’échelle : Dieu fait homme est la médiation parfaite entre ciel et terre, humain et divin, et cette médiation parfaite en Jésus est encadrée par des anges. Ce point est approfondi en dernière partie. C’est pour cette raison que l’on peut penser qu’ils se trouvent à la naissance et après la mort de Jésus (comme à ses pieds et à sa tête en Jn 20,12) : ils encadrent sa vie terrestre, marquant le point précis de jonction entre l’humain et le divin, le mystère de la vie de Jésus. Si la médiation angélique apparaît comme une hypothèse stimulante du devenir angélique et de la naissance d’une angélologie, il faut alors poser la question du point de vue historique. En effet, dans l’histoire d’Israël, comme dans de nombreuses cultures du Proche-Orient ancien, la médiation avec le divin est d’abord monarchique. Elle est aussi sacerdotale et divinatoire, au sens où de nombreux professionnels entrent en jeu dans l’élaboration du discours divin. Mais la royauté en Israël, on le sait, a été soumise à rude épreuve, jusqu’à disparaître définitivement. Comment la médiation a-t-elle alors été repensée ?

3.  Enjeux historiques de l’angélologie naissante : la médiation en question Contextualiser le développement de l’angélologie à l’aube de l’ère chrétienne oblige à replonger dans le passé d’« Israël » et la manière dont les élites scribales ont construit ou reconstruit leur histoire à travers les textes et présenté une pensée religieuse ou théologique. On sait que ces témoins, qu’ils soient textuels ou non, dans leur diversité, ne s’accordent pas toujours. Et c’est précisément pour cette raison que l’on peut parler d’une « reconstruction » de l’histoire. Comment les anges s’inscrivent-ils dans cette reconstruction ? Il convient avant tout de montrer que la typologie explicitée plus haut par le tableau peut aussi se comprendre dans une évolution diachronique : ainsi le messager hébraïque de la promesse abrahamique laisse la place à un messager-interprète, et même un messager que l’on pourrait qualifier de rédactionnel. Cette évolution permet alors de revenir sur une série d’échecs et de tentatives « médiatiques », qui ne peuvent se comprendre que comme les suites logiques de la fin du gouvernement monarchique en Israël.

62 

Même si Si 45,2 compare Moïse aux anges. l’Apocalypse, la médiation angélique sert l’autorisation de la révélation (Ap 1,1 ;

63  Dans

22,8).

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3.1.  Retour sur la typologie biblique et sa diachronie L’analyse menée sur la typologie angélique biblique peut en effet aider à différencier quatre groupes de références dans l’Ancien Testament :64 – le premier comprend des textes de la Torah et des Premiers Prophètes : l’ange messager de Yhwh ou Elohim peut être qualifié de théologique, parce qu’il est étroitement associé à la promesse de bénédiction et de descendance faite au patriarche Abraham (Gn–Ex ; Jg). – le second groupe comprend des textes prophétiques tardifs qui se focalisent sur l’ange interprète (Za ; cf. Ez). – le troisième groupe recouvre quelques insertions rédactionnelles (Ag–Ml). – le quatrième et dernier groupe pointe vers une démultiplication et une hiérarchisation nouvelle (Dn ; cf. 1 Hénoch ; les différents manuscrits de Qumrân). Or cette typologie s’inscrit manifestement dans la diachronie, puisqu’elle évolue avec la formation des différents corpus. Il est donc possible d’esquisser une transformation historique de la conception angélique, en particulier dans la phase plus tardive de composition de la bibliothèque prophétique. Cette phase développe le relais médiatique angélique. En effet, l’ange révélateur dans le livre de Zacharie peut clairement être distingué de l’ange des textes de la Torah/Pentateuque. Son rôle révélateur ne fait aucun doute (Za 1,9–19 ; 2,3 ; 3,1–6 ; 4,1–5 ; 5,5–10 ; 6,4–5 ; 12,8).65 Sa fonction est beaucoup moins théophanique que didactique : il éclaire la vision prophétique, il invite le prophète au questionnement et éventuellement apporte des réponses. Il marque une étape claire dans la spécialisation angélique. La fonction prophétique se dédouble, pourrait-on dire, et recule du côté de l’humain, à une distance redoublée du divin que seul l’ange peut alors franchir. Il y a donc ici quelque chose d’une médiation repensée. La démultiplication des relais confirme la distance divine qui est instaurée et le messager, dans sa définition fonctionnelle, reste garant de l’origine comme de l’originalité du message. L’autorisation stratégique que permet la figure de l’ange est particulièrement stimulante. Elle invite à réfléchir au contexte historique et religieux d’une telle évolution. Pourquoi donc l’autorisation prophétique n’auraitelle plus suffi ? Les prophètes souffrent-ils d’un discrédit obligeant à repenser la médiation divine en termes nouveaux ? Les anges ont-ils alors partie liée avec les mouvances apocalyptiques ? Manifestement le rôle angélique participe d’une redéfinition « médiatique » : accréditer et justifier une parole divine n’est plus possible que par l’ange devenu le seul médiateur autorisé. Si l’instance humaine de toute médiation est en faillite (royale et divinatoire, ici prophétique), les anges prennent alors le relais de cette médiation tout en instaurant une distance accrue avec la divinité. Or, le recours angélique – on l’a 64  65 

Anthonioz, « Mutations angéliques ? », 40. Lux, « Wer spricht mit wem? ».

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vu plus haut – permet aussi de franchir la distance entre Dieu et les humains et de faire entrer ces derniers dans un culte ou une existence nouvelle. Peut-on résoudre cette tension inhérente aux développements d’une première angélologie, entre proximité et distance divines ? 3.2.  Les anges : une réponse à la faillite royale et divinatoire/prophétique dans la fonction de médiation divine On s’accorde en général à penser que l’Exil est un événement-clé, fondateur de la construction de l’identité d’« Israël ». La littérature est abondante sur le sujet et on peut montrer comment les textes bibliques, en particulier les textes deutéronomistes, chargent la royauté médiatrice des plus grands maux causant la colère divine et conduisant à la destruction, d’abord du royaume du Nord (2 R 17), puis du sanctuaire de Jérusalem (2 R 25). La royauté médiatrice est donc démise de cette fonction essentielle qui lie ciel et terre, humains et dieux. Pour prendre un exemple, on peut rappeler le devenir du sanctuaire dans les textes bibliques et la mise en abyme que constitue le mythe de Babel.66 Dans le livre de l’Exode, le sanctuaire idéal, la médiation « royale » mosaïque, et le culte fonctionnel, puisque l’autel des holocaustes entre en service au terme de sa réalisation (Ex 28–29 ; 40,29–32), ancrent certes le récit sacerdotal dans l’idéologie du temple au Proche-Orient ancien, lien, pilier ou cordon ombilical entre le(s) dieu(x) et les hommes, le ciel et la terre. Mais le comparatisme des sources permet de souligner les nuances bibliques qui sont en réalité des différences majeures.67 En particulier, l’axe vertical, par lequel le roi érige un temple à la gloire de son dieu et pour sa propre glorification en tant que médiateur parfait du divin, est brisé. Un axe horizontal, en revanche, tend à se développer faisant place au peuple et au déplacement géographique sans centre fixe : c’est une nouvelle quête du divin qui se manifeste, un « repensement » théologique qui s’élabore. La médiation royale est ainsi rompue et elle est rompue dès l’origine, dans le mythe de Babel, ce qui permet de rendre compte a posteriori de l’échec de la royauté dans l’histoire d’Israël. Si le symbole de Babel est double, politique et théologique, militaire et religieux, il n’est pas impossible que le culte sacerdotal subisse la même critique que la médiation royale. En ce sens, le mythe de Babel fonctionne comme une étiologie des failles et de l’échec de la royauté comme du sacerdoce monarchique. Mais cet échec n’est pas définitif, puisque la fin de Babel renvoie en amont au récit de la création et à la dispersion comme commandement divin et bénédiction.

66 

Voir en particulier Anthonioz, Babel la tête dans le ciel, 101–115. un point de vue différent qui considère que le récit exodique concorde avec les sources anciennes et pourrait même remonter au Bronze récent, voir Pitkänen, « Temple Building and Exodus 25–40 ». 67  Pour



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Faute de temple, comment la présence divine est-elle pensée sur terre ? La présence de Yhwh se redéfinit dans la logique de l’errance des patriarches. « L’échelle de Jacob » à Béthel l’éclaire singulièrement (Gn 28,10–22).68 Comme dans l’appel d’Abram, à la « sortie » de Babel, la présence divine est redéfinie non pas par un sanctuaire délimité mais par la promesse d’une présence (Gn 28,13.20). Cette présence est accompagnement et protection. Elle est aussi promesse de la terre (Gn 28,13) et promesse d’une descendance (Gn 28,14), ainsi que promesse de bénédiction. Ce sont les promesses qui ont déjà été adressées à Abram (Gn 12,3.7) et qui sont réaffirmées sous l’autorité du nom de Yhwh (Gn 28,13)69 en lien d’ailleurs avec les apparitions angéliques des livres de la Genèse et de l’Exode. Elles sont aussi l’écho de la théologie de Babel, nom et descendance, puisque, par l’insertion du récit au cœur de la généalogie de Sem, la gloire humaine n’est pas tant de monter au ciel que de devenir nombreux et se disperser sur la terre. Surtout le texte se fait l’écho de Babel, puisque l’échelle est dressée, littéralement « sa tête touche le ciel » (‫וראשו מגיﬠ השמימה‬, Gn 28,12).70 L’échelle permet de descendre vers la terre, plus exactement vers Jacob, et de monter au ciel, plus exactement vers Dieu.71 Or la médiation est réalisée par les anges. La pierre dressée en commémoration ne pointe donc pas vers la fonction d’un temple, elle n’est pas un bâtiment abritant la divinité. La révélation de Jacob n’aboutit pas à la construction d’un temple pour faire habiter Dieu-Elohim sur terre dans un lieu choisi, mais seulement à témoigner de sa présence. La « porte de Dieu » n’est donc pas bāb ilī, Babylone/Babel, un immense complexe cultuel, mais une promesse d’« être avec » ou, comme l’a dit Albert de Pury, une « pierretémoin ».72 Les anges ont dans ce nouveau schéma « médiatique », le rôle de lier et relier terre et ciel, humains et Dieu. Ils participent d’une médiation pour laquelle la structure matérielle du temple et le culte sacerdotal ne sont pas nécessaires. Or cette théologie angélique, c’est-à-dire la fonction angélique dans cette médiation renouvelée, semble avoir marqué durablement la pensée religieuse du 68 Voir l’analyse narrative proposée par Wénin, « Jacob découvre la maison de Dieu (Gn  28,10–22) ». 69  L’expression « je suis Yhwh » est liée à la révélation du nom divin particulièrement en Exode. 70  Hurowitz, « Babylon in Bethel ». 71  A. de Pury a souligné cette descente de El via l’échelle (sullām), qu’il propose de traduire par « rampe » en référence à une étymologie akkadienne (simmiltu) : « ‘L’échelle de Jacob’ remplissait ainsi la même fonction que la rampe de la ziggurat : elle établissait le lien entre le lieu de résidence céleste de la divinité (symbolisé au sommet de la ziggurat par le ‘Hochtempel’) et le lieu de son apparition sur terre (symbolisé par le ‘Tieftempel’ ou ‘Erscheinungstempel’ au pied de la ziggurat) » : de Pury, Promesse divine, 432. En revanche, il ne voit pas de raison de considérer une quelconque montée de Jacob, même symbolique. Sur la question de la traduction exacte, Oblath, « To Sleep, Perchance to Dream », a proposé une autre structure architecturale largement attestée dans les temples, celle du portail. 72  de Pury, Promesse divine, 424.

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Second Temple73 et, plus encore, après la destruction définitive du Temple par Titus en 70. En effet, on lit dans l’évangile de Jean, reprit : « Rabbi, tu es le Fils de Dieu, tu es le roi d’Israël. » 50 Jésus lui répondit : « Parce que je t’ai dit que je t’avais vu sous le figuier, tu crois. Tu verras des choses bien plus grandes. » 51 Et il ajouta : « En vérité, en vérité, je vous le dis, vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre (καὶ τοὺς ἀγγέλους τοῦ θεοῦ ἀναβαίνοντας καὶ καταβαίνοντας) sur le Fils de l’homme (ἐπὶ τὸν υἱὸν τοῦ ἀνθρώπου). » (Jn 1,49–51) 49 Nathanaël

Le verset 51 apparaît comme une réécriture, voire une paraphrase, de Gn 28,12– 13 : les anges de Dieu-Elohim sont dans le même mouvement d’ascendance et de descendance, montrant que les univers terrestre et céleste sont joignables d’un domaine à l’autre sans exclusivité : on peut aussi bien descendre du ciel que monter de la terre. Manifestement le Fils de l’homme est l’échelle parfaite, puisque c’est sur lui que les anges exercent leur mouvement d’ascendance et de descendance. Le Fils de l’homme est donc lui-même la médiation parfaite ; en lui s’accomplit toute médiation et les anges servent à encadrer cette médiation. Pour cette raison, il n’est pas étonnant que l’évangile de Jean place des anges à la naissance comme à la mort/résurrection de Jésus ; ils encadrent la vie de Jésus qui devient pour les humains l’échelle ou la médiation parfaite vers une éternité en Dieu. Cette relecture justifie ainsi le rôle des anges et éclaire leur présence dans le Nouveau Testament d’une manière nouvelle. Mais elle n’est pas la seule relecture, comme on l’a vu. C’est donc, au terme de cette analyse, dans un faisceau significatif de relectures mais aussi de tensions, en particulier entre distance et proximité, humaine et divine, que le développement de l’angélologie doit être pensé en lien avec les questions d’unité divine, de (non-)représentation, d’autorisation et, enfin, de médiation. Ainsi, les anges ‫ מלאכים‬et les anges ἄγγελοι sont des entités, qui selon les communautés, développent des aspects plus ou moins humains et divins ou célestes, à la fois proches et distants. Dans le Nouveau Testament, ce qui est frappant en certaines occurrences, c’est la part égale, pourrait-on dire, entre l’humain et le divin, rejoignant par là la conception d’un Dieu incarné, Jésus. Ils sont les médiateurs de celui qui est la médiation parfaite. On peut dire que le poids de la divinité des anges n’est pas plus « lourd » (pour reprendre une notion sémitique liée à celle 73  On pense en particulier au Document araméen de Lévi dans lequel la figure de Lévi devient le médiateur sacerdotal idéal en plus d’un scribe instructeur pour les générations à venir : « Ensuite, j’eus des visions [dans mon songe et je vis de grandes merveilles] 16 au spectacle de la vision. Et je vis le cie[l en haut qui s’ouvrait et une montagne (qui apparaissait)] 17 au-dessous de moi, (si) élevée, jusqu’à toucher le cie[l, tandis que moi, je me trouvai sur elle. Et voici que s’ouvrirent] 18 pour moi les portes du ciel et un ange [m’appela, disant : Lévi, entre donc ! Ensuite nous entrâmes (dans le premier ciel et je vis là-bas une grande obscurité)] (4Q213a frag. 2). Voir Schattner-Rieser, « Document araméen de Lévi », 456–457.



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de la gloire) que celui de leur humanité. Cette qualité fondamentalement double de la nature angélique, telle qu’elle est présentée dans les textes, nous permet alors de contextualiser beaucoup plus facilement – nous semble-t-il – leur raison théologique à l’aube de l’ère chrétienne.

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Les anges ou la médiation renouvelée

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Matthieu et les anges : pour une approche poétique de l’ἄγγελος Céline Rohmer

Incipit Francfort-sur-le-Main, 21 avril 1941, Rudolf Bultmann donne pour la première fois sa célèbre conférence intitulée « Nouveau Testament et Mythologie ». Ses premiers mots expliquent ce qu’il nomme « le problème » : L’image du monde du Nouveau Testament est une image mythique. Le monde est considéré comme une réalité divisée en trois étages. Au milieu se trouve la Terre, au-dessus d’elle le Ciel, en dessous d’elle le Monde inférieur. Le Ciel est le domicile de Dieu et des êtres célestes, les anges ; le Monde inférieur est l’Enfer, le lieu des tourments. Mais la Terre elle-même n’est pas seulement le lieu où se déroulent les événements naturels et quotidiens, le lieu de la prévoyance et du travail qui comptent sur l’existence d’un ordre et de règles ; elle est aussi le théâtre où agissent des puissances surnaturelles, Dieu et ses anges, Satan et ses démons.1

Nous voici conviés au théâtre matthéen, à sa mise en scène singulière de l’existence humaine dans laquelle Dieu est rendu présent. Et c’est donc en tant que langage mythique, manière de parler du monde et de l’existence humaine dans le monde, que la figure littéraire des anges nourrira ici le propos. Devenir le spectateur de la mise en récit matthéenne des anges pour comprendre ce qu’ils disent dans notre hic et nunc, contraint l’exégète à parler leur langage mythologique,2 et à saisir la forme poétique de ce langage. Comment l’auteur Matthieu joue-t-il des anges pour élaborer son image du monde ? À quelle proclamation particulière les fait-il correspondre ? De quelle prédication ces anges sont-ils les porte-voix ? Pour répondre à ces questions, nous proposons une approche poétique de l’ἄγγελος dans l’évangile de Matthieu – au sens où Bachelard (1884–1962), exact contemporain de Bultmann (1884–1976), l’entendait. Puisque les anges appartiennent à la poésie des lieux, il s’agira d’une exploration de la poétique de l’espace à travers leur image littéraire, et d’une relecture de la compréhension de la vie qu’un tel imaginaire déploie : 1 

Bultmann, Nouveau Testament et Mythologie, 47. L’adjectif « mythologique » qualifie ici l’objectivation du langage mythique dans un système, d’où la « démythologisation » proposée par Bultmann comme démarche de l’interprétation existentiale. 2 

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Dans cette vue, les images ne seraient plus de simples métaphores, elles ne se présenteraient pas simplement pour suppléer aux insuffisances du langage conceptuel. Les images de la vie feraient corps avec la vie même. On ne pourrait mieux connaître la vie que dans la production de ses images. L’imagination serait alors un domaine d’élection pour la méditation de la vie.3

Matthieu le poète travaille avec des images, mais les images ne sont pas le thème de son poème. Le thème est l’affirmation de la présence salutaire de la transcendance dans l’existence du sujet croyant. Le thème de Matthieu est la proclamation au monde de l’Emmanuel. Les anges sont pour lui une image mythique parmi d’autres images littéraires, toutes mises au service exclusif de sa proclamation. Elles appartiennent pour une large part à son héritage culturel et religieux. Il faut donc, dans un premier temps, observer le poète à l’œuvre, et comprendre avec quelle liberté créatrice Matthieu hérite et retravaille pour ses destinataires la figure mythique des anges qu’il puise au langage poétique de ses prédécesseurs.

1.  La liberté créatrice du poète Matthieu 1.1.  Les relectures matthéennes des anges de Marc Si Matthieu a recouru aux anges, c’est d’abord parce que Marc, le premier, a jugé leur figure littéraire utile à la mise en récit de la bonne nouvelle. On compte six occurrences de l’ἄγγελος dans l’évangile de Marc. La première apparaît dans la citation d’ouverture, placée sous la seule autorité d’Esaïe, elle annonce qu’un ἄγγελος est envoyé par Dieu pour préparer le chemin – sans rien dire du porteur de message : Καθὼς γέγραπται ἐν τῷ Ἠσαΐᾳ τῷ προφήτῃ· ἰδοὺ ἀποστέλλω τὸν ἄγγελόν μου πρὸ προσώπου σου, ὃς κατασκευάσει τὴν ὁδόν σου· Comme il a été écrit dans Esaïe le prophète : « Voici j’envoie mon ἄγγελόν devant ta face, lequel préparera ton chemin. » (Mc 1,2)

Les traductions françaises parmi les plus courantes lisent ici le mot ἄγγελος selon son acception propre de « messager ».4 Convaincues par l’emploi technique du verbe ἀποστέλλω, elles retiennent la fonction et non le statut du personnage annoncé.5 Les cinq autres occurrences du mot ἄγγελος relèvent de l’autorité directe 3  4 

Bachelard, L’Air et les Songes, 333 ; voir aussi Bachelard, La poétique de l’espace. La NBS choisit ici le mot « messager », ainsi que la TOB qui retient pourtant « ange » en Ex 23,20 que Marc cite ici. La Bible de la Pléiade propose « ange » en Mc 1,2. 5  En ce sens : Focant, L’évangile selon Marc, 56.

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de Marc et en font toutes usage au pluriel. Dans cette perspective, les anges prennent forme céleste et correspondent à l’image attendue d’êtres intermédiaires entre le monde divin et le monde humain,6 c’est-à-dire de parfaits adjuvants de Dieu, exécutant collectivement et anonymement sa volonté auprès du Fils. Καὶ ἦν ἐν τῇ ἐρήμῳ τεσσεράκοντα ἡμέρας πειραζόμενος ὑπὸ τοῦ σατανᾶ, καὶ ἦν μετὰ τῶν θηρίων, καὶ οἱ ἄγγελοι διηκόνουν αὐτῷ. Et il était dans le désert quarante jours mis à l’épreuve par le satan, et il était avec les bêtes, et les anges le servaient. (Mc 1,13)

L’auteur rappelle à plusieurs reprises leur nature extra-terrestre en les dotant d’un complément de lieu (Mc 12,25 : ἄγγελοι ἐν τοῖς οὐρανοῖς ; 13,32 : οἱ ἄγγελοι ἐν οὐρανῷ), soulignant au passage la distance entre transcendance et immanence. Associés au jour de la venue glorieuse du Fils de l’homme, ces anges participent enfin de l’imaginaire dessiné par l’apocalyptique juive du ier siècle et semblent en accord avec les représentations en place du juge eschatologique (Mc 8,38 ; 13,27). Des six occurrences de Marc, Matthieu n’en biffe aucune. Il ne supprime rien de l’angélologie dont il hérite, il l’entérine et la redéploie dans son récit en deux gestes principaux. Le premier est un geste d’amplification, puisqu’il multiplie les propositions de Marc. Dans le récit des tentations de Jésus au désert, Matthieu double l’évocation des anges de Dieu au service du Fils par l’insertion d’une citation scripturaire (Mt 4,6.11) ; il double encore la référence aux anges représentants de certains êtres humains auprès de Dieu (Mt 18,10 ; 22,20) ; il double enfin dans le long discours eschatologique la présence des anges, qu’ils soient de Dieu ou du diable (Mt 24,31.36 ; 25,31.41). Le second geste matthéen est plus imaginatif, il consiste à créer de nouvelles images pour renforcer l’imaginaire apocalyptique. Ainsi le discours en paraboles, entièrement parlé en langage poétique, est l’occasion pour Matthieu de mettre en scène le Fils de l’homme donnant ordre à ses anges d’exécuter le jugement (Mt 13,39.41.49). Notons que les anges sont devenus propriété du Fils (Mt 13,41) :7 de Marc à Matthieu, Dieu en a perdu l’exclusivité ou, pour le dire autrement, l’image du Fils de l’homme a gagné en puissance. Malgré ces arrangements matthéens, le rôle des anges n’est pas modifié en profondeur. Ils apparaissent à Matthieu tels que Marc les lui a présentés, et restent des images muettes plus ou moins colorées pour attester l’identité véritable de Jésus : 6  Sur

l’organisation cosmique en place dans nos textes, nous nous référons ici à : Pépin, Théologie cosmique et théologie chrétienne. 7  Matthieu relit Marc et ajoute un pronom possessif attribuant des anges au Fils : ainsi Mt 16,27 (cf. Mc 8,38) ou encore Mt 24,31 (cf. Mc 13,27).

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Ἢ δοκεῖς ὅτι οὐ δύναμαι παρακαλέσαι τὸν πατέρα μου, καὶ παραστήσει μοι ἄρτι πλείω δώδεκα λεγιῶνας ἀγγέλων; Οu penses-tu que je ne puisse pas invoquer mon Père qui aussitôt placerait auprès de moi plus de douze légions d’anges ? (Mt 26,53)

Dans ce rappel à l’ordre de Jésus, au moment de son arrestation à Gethsémani, on comprend des anges que leur nombre fait leur force, et que Matthieu conserve – sans y toucher vraiment – les évocations traditionnelles que génère leur image. Décuplés, ils disent la gloire du Père, témoignent de son agir puissant. Venus du ciel, ils effectuent sa volonté, assurent la médiation. Ils sont, selon l’expression de Calvin, « ministres de Dieu, ordonnés pour faire ce qu’il leur commande ».8 L’image est en place, Matthieu l’exploite efficacement pour colorer d’apocalyptique l’imaginaire évangélique. Mais l’image n’est pas son thème. La particularité de sa proclamation nécessite de travailler à d’autres images et d’ajouter d’autres couleurs à son poème. La liberté créatrice de l’auteur agissant, voilà qu’au théâtre matthéen entre en scène l’ange du Seigneur. 1.2.  L’insertion nouvelle : ὁ ἄγγελος κυρίου Matthieu insère une figure particulière à l’entrée et à la sortie de son récit. À l’entrée, un ange du Seigneur/ἄγγελος κυρίου est en effet mentionné à quatre reprises aux deux premiers chapitres de l’évangile, pour ouvrir un chemin inattendu devant Joseph, père de l’enfant (1,20.24 ; 2,13.19). À la sortie, un ange du Seigneur/ἄγγελος κυρίου apparaît encore à deux reprises dans le dernier chapitre de l’évangile, pour ouvrir un chemin inattendu devant Marie de Magdala et l’autre Marie, témoins du crucifié (28,2.5). Aucune autre apparition. Et si la figure de l’ange du Seigneur est bien connue des récits vétérotestamentaires (Gn 16,7 ; Ex 3,2 ; Jg 6,11), au point d’être parfois comprise comme la manifestation même de Dieu,9 elle n’en reste pas moins difficile à déterminer.10 Matthieu semble en avoir une idée précise et la porte à la connaissance de ses destinataires à travers le jeu poétique du langage (au sens de la ποίησις/mise en pratique). Il façonne l’image mythique de l’ange du Seigneur à l’intérieur de son récit,11 et l’exploite selon sa propre visée, en vue de sa proclamation. 8  Calvin, L’institution 9  « Most often the OT

chrétienne (I,14), 115. ‘angel of the Lord’ is not a personal, spiritual being intermediate between God and man, but is simply a way of describing God’s visible presence among men » : Brown, The Birth of the Messiah, 129. 10  L’ἄγγελος κυρίου apparaît plus de cinquante fois dans l’Ancien Testament, mais n’est pas nécessairement interchangeable avec Dieu. L’ange du Seigneur peut même parfois désigner un ange exterminateur envoyé par Dieu (2 R 19,35 ; 1 Ch 21,16) et ouvertement distinct de lui : Newsom, « Angels », 250 ; White, « Angel of the LORD », 305. 11  En ce sens : Davies/Allison, Matthew 1–7, 206.



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Matthieu travaille d’abord l’image par effet d’inclusion, créant ainsi des résonances signifiantes entre la venue au monde de Jésus et l’affirmation de sa résurrection. Ces deux épisodes communiquent à l’évidence entre eux : à la grande joie éprouvée par les deux femmes (28,8 : χαρᾶς μεγάλης) répond celle offerte aux mages (2,10 : χὰραν μεγάλην) ; à la promesse de l’Emmanuel (28,20) répond son explication (1,23) ; à l’annonce de la résurrection (28,8) répond celle de la naissance (2,8) ; à la défaite de la mort (28,7) répond celle de son déchaînement (2,16). Ces éléments, dont la liste ne prétend pas ici à l’exhaustivité, suffisent à tracer le parcours à suivre pour comprendre en quoi l’ange du Seigneur participe de la compréhension de la venue au monde de Jésus, le crucifié ressuscité par le Père. L’événement au tombeau éclaire le récit de la genèse de Jésus Christ. Matthieu travaille également l’image par retouches successives. Il précise la figure de l’ange du Seigneur en la distinguant des anges de l’imagerie apocalyptique. Il procède par petites touches. Tout en maintenant l’ange du Seigneur dans l’anonymat – nécessaire à la reconnaissance du sujet destinataire dans l’événement rapporté – Matthieu estompe la singularité de ses traits. Ainsi, l’ange ne relève plus ni de Dieu (4,6 ; 11,10), ni du Fils de l’homme (13,39.41 ; 16,27 ; 24,31), ni des êtres humains (18,10 ; 22,30), ni du diable (25,41), mais du seul Seigneur (κύριος) dont on ne sait pas très bien dans cet évangile qui il désigne exactement (Dieu comme en 5,33 ? Jésus comme en 7,21 ? Le Fils de l’homme comme en 24,44 ?). Matthieu le représente selon une autre perspective : l’être intermédiaire inscrit verticalement entre terre et ciel devient l’ange du Seigneur qui évolue sur un axe horizontal. L’être céleste devient un être de relation. Ainsi, seul l’ange du Seigneur accède au discours et entre en dialogue avec d’autres. Il parle en « je » (28,5), il ordonne (1,20), affirme (28,6), et promet (28,7). Matthieu retouche l’image mythique en lui donnant les couleurs d’un sujet parlant apte à s’engager sur la terre ferme des hommes. Enfin, Matthieu précise l’image en la singularisant. Le passage du pluriel au singulier vaut en effet signal. En modifiant le nombre, Matthieu ne cherche pas à autonomiser la figure de l’ἄγγελος, mais à réfléchir par son entremise la singularité de l’existence du sujet croyant. L’auteur ne défend pas des images héritées de ses sources, il s’en sert librement et avec créativité pour exprimer la vérité que ces images véhiculent. L’ange du Seigneur est une image supplémentaire que le poète utilise à sa guise pour proclamer la vérité extérieure à lui-même qui fonde son existence, et donc sa propre compréhension de la vie dans laquelle Dieu est rendu présent. On comprend alors que la figure littéraire se singularise au moment où le poème, à son entrée comme à sa sortie, proclame au monde l’Emmanuel – comment pourrait-il en être autrement ? Comment Dieu pourrait-il être μεθ᾽ἡμῶν / « avec nous » (1,23) s’il ne se révélait pas sujet parlant apte à s’engager sur la terre ferme des hommes dans une relation interpersonnelle ? Pour poursuivre cette enquête exégétique sur la proclamation de l’Emmanuel portée par l’ange du Seigneur, l’exégète est donc conduit là où survient

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l’événement fondateur, là où la vie nouvelle a commencé pour Matthieu : au tombeau.

2.  L’ἄγγελος, au service de la proclamation au monde de l’Emmanuel (Mt 28) Le présupposé fondamental de ce parcours exégétique est que les textes qui nous occupent sont nés d’une expérience et veulent en rendre compte. Dans une étude récente, intéressée à l’approche cognitive des processus narratifs, le philosophe Jean-Marie Schaeffer attire notre attention sur la relation entre la réalité et les matériaux représentationnels, il fait ce rappel : … on ne saurait faire reposer la distinction entre représentation factuelle et représentation fictionnelle sur les matériaux représentationnels. Car les matériaux ultimes de toutes nos représentations sont en effet toujours les mêmes, à savoir des impressions. Tout ce qui est en amont des représentations relève d’une problématique causale et non d’une relation épistémique : la réalité, quoi qu’on entende par ce terme, cause nos représentations, elle ne les fonde pas.12

L’ange du Seigneur, un matériau représentationnel mobilisé par Matthieu pour exprimer la réalité de l’événement vécu, véhicule l’expérience fondatrice dont l’acte premier est joué au tombeau. C’est là que le poète anime pour la première fois l’image de l’ange du Seigneur, et sa mise en mouvement raconte la révélation offerte. Puis Matthieu décide de faire parler l’image, d’une parole nécessairement créatrice. 2.1.  La révélation offerte Deux femmes se rendent au tombeau avec pour seule ambition de le voir, littéralement d’en être spectatrices (28,1 : θεωρέω). Le choix du verbe vaut invitation à devenir à leur suite les spectateurs de ce qui s’apprête à être joué sous nos yeux. Rien moins qu’une théophanie, que l’apparition de l’ange du Seigneur raconte sous la forme d’une déflagration silencieuse : καὶ ἰδοὺ σεισμὸς ἐγένετο μέγας· ἄγγελος γὰρ κυρίου καταβὰς ἐξ οὐρανοῦ καὶ προσελθὼν ἀπεκύλισεν τὸν λίθον καὶ ἐκάθητο ἐπάνω αὐτοῦ. Et voici advint un grand séisme, car un ange du Seigneur descendu du ciel et s’étant approché, fit rouler la pierre et s’assit dessus elle. (Mt 28,2) 12 

Schaeffer, Les troubles du récit, 137.

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Après le séisme de la crucifixion (27,51–54), vient celui d’une révélation dont les quatre verbes associés à l’ange du Seigneur font l’exégèse. Le verbe κατα-βαίνω (descendre) donne la nature de l’événement en cours – utilisé pour la première fois dans les eaux du Jourdain pour raconter la descente, telle une colombe, de l’esprit de Dieu sur Jésus (3,16), il finit ici sa course pour assurer l’origine divine du spectacle offert. Par sa composition même, le verbe προσ-έρχομαι (s’approcher) met au jour l’intention de l’événement – inutile à la phrase, il ajoute poétiquement à l’image l’élan initié depuis le ciel vers les spectateurs en présence. Le verbe ἀπο-κυλίω (faire rouler) signe l’action principale – la préposition ἀπό (loin de) lui est inutile sinon pour raconter l’ampleur de la victoire consistant à restituer à la vie l’espace jusque-là détenu par la mort, de sorte qu’en roulant loin la pierre, l’ange du Seigneur révèle « la mise à mort de la puissance de la mort ».13 Conjugué à l’imparfait, le dernier verbe κάθημαι (s’assoir) vaut promesse – de la mort, l’ange du Seigneur s’en est fait un trône, le règne de la vie a commencé et s’installe dans le temps. Ces femmes venaient pour voir, et c’est une révélation divine qui s’impose à elles. L’écart entre leur quête et le don reçu ajoute l’abondance de la grâce à l’événement. L’ange du Seigneur porte le nom d’une révélation éclatante de la transcendance – la mise en mouvement de cette image suffit à dire l’événement fondateur d’une existence où règne désormais la vie. 2.2.  La trajectoire initiée La révélation venue d’en haut agit en bas – la théophanie déploie une autorité contre laquelle ses témoins ne peuvent rien : les gardes en restent figés. La mise en mouvement ne peut venir que d’en haut. L’apparition est prolongée en parole, et fait aussitôt entrer les deux femmes dans une dynamique créatrice en ouvrant un chemin devant elles. 5 Ἀποκριθεὶς δὲ ὁ ἄγγελος εἶπεν ταῖς γυναιξίν· μὴ φοβεῖσθε ὑμεῖς, οἶδα γὰρ ὅτι Ἰησοῦν τὸν ἐσταυρωμένον ζητεῖτε· 6 οὐκ ἔστιν ὧδε, ἠγέρθη γὰρ καθὼς εἶπεν· δεῦτε ἴδετε τὸν τόπον ὅπου ἔκειτο. 7 καὶ ταχὺ πορευθεῖσαι εἴπατε τοῖς μαθηταῖς αὐτοῦ ὅτι ἠγέρθη ἀπὸ τῶν νεκρῶν, καὶ ἰδοὺ προάγει ὑμᾶς εἰς τὴν Γαλιλαίαν, ἐκεῖ αὐτὸν ὄψεσθε· ἰδοὺ εἶπον ὑμῖν. 5 Prenant la parole, l’ange dit aux femmes : « Ne craignez pas, vous ! Je sais en effet que vous cherchez Jésus le crucifié. 13 

Vouga/Favre, Pâques ou rien, 56.

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6 Il n’est pas ici. Il a en effet été réveillé, comme il avait dit. Venez, voyez le lieu où il était étendu. 7 Et vite, allez, dites à ses disciples : ‘il a été réveillé des morts, et voici, il vous précède vers la Galilée, là vous le verrez !’ Voici je vous l’ai dit. » (Mt 28,5–7)

La réalité pascale a trouvé son matériau représentationnel en l’image mythique de l’ange du Seigneur. En donnant mouvement à l’image, le poète a affirmé la victoire de Dieu sur la mort ainsi que la personne de Jésus (28,2). Par un même langage poétique, il passe maintenant des gestes symboliques à la parole. L’ange le dit : il sait (οἶδα : 28,5). Il connaît le cœur de ces femmes. Le Père ne voit-il pas dans le secret (6,4.6.18) ? Ne sait-il pas déjà ce dont ses enfants ont besoin (6,8) ? L’objet véritable de la quête de ces femmes est mis au jour : Jésus le crucifié, celui-là même qu’elles ont suivi et écouté, les mène maintenant à la révélation. On comprend alors le rôle indispensable que joue l’ange du Seigneur : il établit le lien – jusque-là passé sous silence – entre la révélation de la victoire de Dieu sur la mort ainsi que la personne de Jésus. Par lui, la reconnaissance a lieu. Le Jésus terrestre est le ressuscité, ce que Jésus a dit et fait, ce qui a été mis en croix, a été légitimé, confirmé par Dieu. L’Évangile de Pâques n’a pas d’autre visage que Jésus crucifié – l’ange du Seigneur le proclame en parole et en geste, il l’effectue dans le cœur, dans le lieu de l’intériorité, faisant passer ces femmes d’une interprétation de Dieu à une autre, d’une interprétation humaine à une interprétation révélée. La reconnaissance offerte transforme et met aussitôt en mouvement le témoin porteur de l’Évangile de Pâques énoncé précisément et ici pour la première fois : Jésus le crucifié « a été réveillé des morts » (28,7). Ni démonstration, ni réflexion, ni événement surnaturel, ni savoir, mais révélation venue de plus haut et de plus loin qui réoriente l’existence des destinatrices : Καὶ ἀπελθοῦσαι ταχὺ ἀπὸ τοῦ μνημείου μετὰ φόβου καὶ χαρᾶς μεγάλης ἔδραμον ἀπαγγεῖλαι τοῖς μαθηταῖς αὐτοῦ. Et, s’éloignant vite loin du tombeau, avec crainte et grande joie, elles coururent rapporter la nouvelle à ses disciples. (Mt 28,8)

Dans la crainte et la joie, qui attestent le caractère divin de la manifestation, ces femmes s’engagent sur un chemin nouveau et inattendu. L’événement fondateur de la révélation offerte initie pour elles une trajectoire missionnaire que le langage poétique exprime en une progressive transformation : de l’ἄγγελος



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κυρίου (28,2) au seul ἄγγελος (28,5), ces femmes ont été transformées en sujet du verbe ἀπ-αγγέλλω (28,8).14 Ainsi l’image de l’ange du Seigneur s’estompe lentement dans la parole prononcée pour disparaître tout à fait dans l’agir des témoins – les paroles de ces femmes gardent la trace de la parole fondatrice et l’on comprend qu’elles ont été intérieurement transformées. La transcendance s’est plantée dans leur existence. Voilà pourquoi elles reconnaîtront sans peine Celui qui leur apparaîtra sur le chemin et qui ne fera que confirmer ce qu’elles avaient déjà pleinement reçu de l’expérience nommée « ange du Seigneur ». Le poète et académicien franco-anglais Michael Edwards réfléchit cette rencontre entre deux sphères d’existence, divine et humaine ; il en appelle à T. S. Eliot pour en goûter la saveur : Les paroles divines et les paroles humaines se réconcilient, et un passage s’ouvre entre Dieu et nous, entre nous et Dieu. Voilà vraiment un « point d’intersection de l’intemporel / Avec le temps » ; là, « l’union impossible / Des sphères d’existence » se réalise.15

L’image littéraire de l’ange du Seigneur est retenue par le poète pour mener son exploration fictionnelle de la présence mystérieuse du divin dans l’existence humaine. Elle joue pour lui de la tension irréductible entre la présence et la distance de la transcendance, lui offrant toutes les possibilités d’en faire miroiter les effets. Matthieu hérite de cette puissance évocatrice de l’image dont Michael Hundley rappelle l’usage dans les livres de la Genèse et de l’Exode : Humans have no access to divine activity or thoughts in the heavenly sphere; they only encounter YHWH when he chooses to intersect with humanity in the human sphere. Thus, for human-divine interchange some degree of presence is necessary. […] The insertion of angelic mediator allows for both presence and distance, allowing for divinehuman interaction while communicating that, although the angel at least represents God, it is not the deity in all his fullness. In turn, while present, YHWH is always more mysterious than any single manifestation would suggest. […] Since each text has both sides of the paradox in mind, messengers are presented as neither fully identical nor fully distinct, but rather as a variable admixture of both.16

Dans la mise en scène matthéenne, l’ange du Seigneur est distingué des intermédiaires célestes qui peuplent le cosmos pour créer un nouvel espace de réflexion dédié à l’expérience de la révélation en soi –  donc singulière  – de la transcendance, témoignant ainsi d’une transformation en cours de la relation individuelle à Dieu. L’ἄγγελος κυρίου matthéen n’est donc pas médiateur, mais présence réelle. Il est la manifestation de l’Emmanuel qui ouvre un nouvel espace 14  Les trois dernières occurrences du verbe ἀπ-αγγέλλω sont regroupées dans cet épisode (28,8.10.11). Il n’est pas réservé à la proclamation de l’Évangile de Pâques puisque les gardes peuvent aussi en être sujet (déjà Hérode en 2,8). Il peut signifier « rapporter une nouvelle » ou « rapporter une réponse ». On devine alors qu’il ne sert qu’à véhiculer ce qui a été reçu d’un autre, son objet dépend de la quête initialement menée. 15  Edwards, Bible et poésie, 76. 16  Hundley, « Of God and Angels », 13.

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relationnel et dévoile des trajectoires inattendues pour habiter le monde avec Dieu. L’ange du Seigneur n’est pas une abstraction personnifiée, mais le nom de l’expérience matthéenne de l’Emmanuel, découverte au tombeau, reprise dans les dernières paroles du Ressuscité à ses disciples (28,20) et proclamée à la face du monde. En ce sens, l’ange du Seigneur de Mt 28 n’est pas tant une reprise du jeune homme de Mc 16 qu’une réinterprétation de l’événement au tombeau comme expérience singulière de l’Emmanuel.17 C’est avec ce même langage que Matthieu peut maintenant imaginer raconter la première trajectoire humaine et singulière de son récit – Joseph réfléchira pour ses lecteurs ce que signifie concrètement faire l’expérience de l’Emmanuel dans son existence.

3.  L’ἄγγελος, la réalité de l’Emmanuel dans l’existence humaine (Mt 1–2) Après une généalogie introductive, Matthieu ouvre son évangile par la genèse de Jésus Christ : τοῦ δὲ Ἰησοῦ Χριστοῦ ἡ γένεσις (1,18). Ce récit de création mobilise à plusieurs reprises la figure littéraire de l’ange du Seigneur. C’est à cette figure que Matthieu confie les premières paroles de son évangile. C’est à elle qu’il donne de mener la première intrigue de son évangile. C’est enfin à travers elle que Matthieu réfléchit pour la première fois la présence de la transcendance dans l’existence humaine. Des trois rencontres racontées entre l’ange du Seigneur et Joseph, découle sa compréhension de l’Emmanuel.18 3.1.  La découverte de la subjectivité individuelle L’ange du Seigneur s’impose à trois reprises dans la vie de Joseph et le même procédé est à chaque fois repris, reflétant ainsi la nature de l’événement en cours : Ἰδοὺ ἄγγελος κυρίου κατ’ ὄναρ ἐφάνη αὐτῷ λέγων· Voici un ange du Seigneur lui apparut durant un songe, disant … (Mt 1,20) Ἰδοὺ ἄγγελος κυρίου φαίνεται κατ’ ὄναρ τῷ Ἰωσὴφ λέγων· Voici un ange du Seigneur apparaît à Joseph durant un songe, disant … (Mt 2,13)

17 Contre Davies/Allison, Matthew 1–7, 206 : « Apart from 28.2, where Matthew interprets Mark’s ‘young man’ as an ‘angel of the Lord’, ἄγγελος κυρίου is confined to the infancy narratives (1.20, 24 ; 2.13,19). In both 1–2 and 28 the angel is a messenger. » 18  Pour une relecture suggestive de l’évangile de Matthieu à partir de ce thème : Kupp, Matthew’s Emmanuel.



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Ἰδοὺ ἄγγελος κυρίου φαίνεται κατ’ ὄναρ τῷ Ἰωσὴφ ἐν Αἰγύπτῳ λέγων· Voici un ange du Seigneur apparaît à Joseph durant un songe, en Égypte, disant … (Mt 2,19–20a)

L’interjection ἰδού – fort appréciée par Matthieu qui l’emploie plus de soixante fois – est héritée, on le sait, des récits de théophanie de la littérature juive. Elle dit l’imprévisible de l’expérience offerte. La voix passive du verbe φαίνω (apparaître) atteste l’extériorité de l’événement qui s’impose à Joseph –  toujours en songe (κατ’  ὄναρ), lieu de l’intériorité. Ces éléments narratifs bien connus et dont l’arrière-plan littéraire et culturel a été maintes fois décrit,19 racontent ensemble l’expérience singulière et subjective de la transcendance. L’ange du Seigneur délivre à Joseph la juste interprétation de l’histoire qu’il s’imaginait jusquelà comprendre. C’est en lui que les mots sont déposés – lui ne parle pas, laissant le temps nécessaire à la parole venue de plus haut et de plus loin agir intérieurement, et engager sa vie dans des trajectoires aussi nouvelles qu’inattendues. Ce qui déterminait jusque-là la vie de Joseph n’a plus prise. Par le biais de son imaginaire,20 sa volonté et son intelligence s’ouvrent à la réalité qu’il était comme empêché de voir. Comment Joseph aurait-il pu, par lui-même, imaginer que son obéissance à la Loi et le respect de la tradition de ses pères pouvaient le détourner de la volonté de Dieu (1,19) ? Comment aurait-il pu, par lui-même, imaginer que l’Égypte serait terre de refuge et que la Judée serait terre meurtrière pour lui et sa famille (2,13–14) ? Et comment aurait-il pu, par lui-même, imaginer que la région de Galilée serait la terre d’accueil de son Messie (2,22–23) ? L’ange du Seigneur est le nom de la mise en œuvre d’une transformation, d’un renouvellement du rapport que l’individu entretient avec lui-même, avec les autres et avec Dieu. Il est une image qui réfléchit le renversement opéré – l’ange apparaît à Joseph, comme l’étoile apparaît aux mages (2,7 : φαινομένου ἀστέρος).21 Le poète ne défend définitivement pas des images, il les multiplie et les façonne en fonction de ceux à qui il les destine. En ce sens, l’ange du Seigneur, figure de la puissance divine agissante dans l’intériorité du sujet croyant, peine à se distinguer du πνεῦμα de Dieu. Tous deux ne descendent-ils pas du même ciel (3,16 et 28,2) ? Comme Flavius Josèphe, Mat19  Parmi les études les plus complètes : Léon-Dufour, Études d’Évangile, 69–81 ; Stendahl, « ‘Quis et Unde’ ? », 69–80 ; Wucherpfennig, Josef der Gerechte. 20  Le mot est à comprendre ici dans le sens des travaux de Schaeffer sur les processus narratifs et leurs représentations : « Je dois préciser que si j’emploie le substantif ‘imagination’, ce n’est pas ici pour désigner une ‘faculté’, mais simplement comme terme commode permettant de regrouper ensemble des ressources de production et de construction de représentations endogènes », Schaeffer, Les troubles du récit, 164. 21  Les trajectoires de Joseph et des mages ont en commun d’être initiées et conduites par des événements extérieurs à eux. Par une même expression, Matthieu raconte qu’ils ont chacun été averti durant un songe (2,12.23). Le verbe χρηματίζω – qui ne compte que ces deux occurrences dans Matthieu – est celui des affaires, du commerce, de l’échange. L’ange du Seigneur est le nom d’un négoce qui enrichit l’individu rencontré.

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thieu ne placerait-il pas sur un pied d’égalité l’ἄγγελος de Dieu et son πνεῦμα au point de pouvoir interchanger les deux images ?22 L’expérience de Joseph est l’occasion pour Matthieu de clarifier ce point. Le πνεῦμα de Dieu participe lui aussi du récit des commencements des chapitres 1 et 2. Nommé deux fois, il apparaît précisément à l’articulation entre la généalogie de Jésus et le récit de sa genèse : Τοῦ δὲ Ἰησοῦ Χριστοῦ ἡ γένεσις οὕτως ἦν. μνηστευθείσης τῆς μητρὸς αὐτοῦ Μαρίας τῷ Ἰωσήφ, πρὶν ἢ συνελθεῖν αὐτοὺς εὑρέθη ἐν γαστρὶ ἔχουσα ἐκ πνεύματος ἁγίου. Ainsi était la genèse de Jésus Christ. Marie sa mère était fiancée à Joseph ; avant qu’ils vivent ensemble, elle fut trouvée ayant en son ventre [quelque chose] de l’esprit saint. (Mt 1,18) Tαῦτα δὲ αὐτοῦ ἐνθυμηθέντος ἰδοὺ ἄγγελος κυρίου κατ’ ὄναρ ἐφάνη αὐτῷ λέγων· Ἰωσὴφ υἱὸς Δαυίδ, μὴ φοβηθῇς παραλαβεῖν Μαρίαν τὴν γυναῖκά σου· τὸ γὰρ ἐν αὐτῇ γεννηθὲν ἐκ πνεύματός ἐστιν ἁγίου. Réfléchissant cela, voici un ange du Seigneur lui apparut durant un songe, disant : « Joseph fils de David, ne crains pas de recevoir Marie ta femme, car ce qui a été engendré en elle est de l’esprit saint. » (Mt 1,20)

La préposition utilisée (ἐκ) indique davantage l’origine que le moyen. Ce que Marie porte dans son ventre trouve sa genèse en l’esprit saint – et l’on comprend que le πνεῦμα, laissé absent et muet, désigne ici l’origine créatrice de la vie. L’ange, à qui est confiée l’annonce de cette origine, devient alors son effectuation dans l’intériorité du sujet. On notera qu’à la prochaine apparition du πνεῦμα de Dieu, Matthieu lui adjoindra l’image de la colombe pour préciser que l’esprit vient sur Jésus (3,16 : ἐπ’ αὐτόν) et non en lui. La pneumatologie matthéenne admet une pluralité d’images pour interpréter l’existence humaine dans laquelle Dieu est rendu présent –  si le πνεῦμα est compris comme une réalité qui se trouve hors de l’existence humaine et venant à elle depuis Dieu, l’ange du Seigneur serait cette même puissance créatrice advenant en l’être humain –, l’image de l’ange offrant alors d’explorer la transformation intérieure du sujet et sa découverte de la subjectivité individuelle. Une image de plus à disposition du poète et dont il use librement.

22  Le πνεῦμα de Dieu semble être la définition même de ce qu’il faut entendre par ange dans l’œuvre de Flavius Josèphe. Ce n’est que dans la littérature de type rabbinique, plus tardive, que l’esprit de Dieu s’autonomisera au point de devenir une personne qui parle, marche, exhorte, se réjouit, console, obtenant progressivement une indépendance d’action. En ce sens : Kleinknecht et al., Esprit, 87 et 109–112.



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3.2.  La vivification de l’existence L’expérience de la révélation échappe aux mots – Joseph n’en dit rien. L’ange du Seigneur mêle la parole créatrice de Dieu à son existence. Cette parole agit en lui. Littéralement, elle le réveille ou – pour le dire dans la traduction usuelle du verbe – elle le ressuscite : Ἐγερθεὶς δὲ ὁ Ἰωσὴφ ἀπὸ τοῦ ὕπνου ἐποίησεν ὡς προσέταξεν αὐτῷ ὁ ἄγγελος κυρίου καὶ παρέλαβεν τὴν γυναῖκα αὐτοῦ

Ayant été réveillé du sommeil, Joseph fit comme l’ange du Seigneur lui prescrivit

… ἰδοὺ ἄγγελος κυρίου φαίνεται κατ’ ὄναρ τῷ Ἰωσὴφ λέγων· ἐγερθεὶς παράλαβε τὸ παιδίον καὶ τὴν μητέρα αὐτοῦ καὶ φεῦγε εἰς Αἴγυπτον …

… voici un ange du Seigneur apparaît à ­Joseph durant un songe, disant : « Ayant été réveillé, reçois l’enfant et sa mère et fuis vers l’Égypte  … » (Mt 2,13)

ὁ δὲ ἐγερθεὶς παρέλαβεν τὸ παιδίον καὶ τὴν μητέρα αὐτοῦ νυκτὸς καὶ ἀνεχώρησεν εἰς Αἴγυπτον

Celui-ci ayant été réveillé, il reçut l’enfant et sa mère de nuit et se retira vers l’Égypte … (Mt 2,14)

λέγων· ἐγερθεὶς παράλαβε τὸ παιδίον καὶ τὴν μητέρα αὐτοῦ καὶ πορεύου εἰς γῆν Ἰσραήλ … ὁ δὲ ἐγερθεὶς παρέλαβεν τὸ παιδίον καὶ τὴν μητέρα αὐτοῦ καὶ εἰσῆλθεν εἰς γῆν Ἰσραήλ.

et reçut sa femme. (Mt 1,24)

[l’ange du Seigneur] disant : « Ayant été réveillé, reçois l’enfant et sa mère et va vers la terre d’Israël … (Mt 2,20) Celui-ci, ayant été réveillé, reçut l’enfant et sa mère et alla vers la terre d’Israël. (Mt 2,21)

Joseph est le premier personnage de l’évangile de Matthieu à vivre d’une parole entendue en lui. Sa vie en est ressuscitée. Le langage résurrectionnel se parle à la voix passive et se déploie avec l’image du sommeil. La présence agissante de Dieu a ainsi réveillé Joseph de son sommeil. Il vivait donc d’une vie endormie, c’est-à-dire muette et passive. L’instance divine, par l’entremise d’un ange venu parler en lui, a redressé Joseph dans sa propre vie, l’a rendu à la vérité de Dieu et à la vérité de sa propre existence. Le voilà sujet agissant, apte à marcher sur la terre ferme des hommes depuis, avec et pour Dieu. La trajectoire offerte à Joseph le place dans une juste relation avec Dieu, et donc avec lui-même et avec les autres – c’est le don gratuit de la confiance en la confiance qui lui a été intimement révélée. Alors que l’horizon semblait entièrement fermé, Dieu ouvre pour Joseph des chemins vers l’avenir. Et Matthieu précise aussitôt la manière dont cet

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homme à la vie ressuscitée habite désormais le monde : il s’agit pour lui de recevoir/παραλαμβάνω. À trois reprises, l’ange du Seigneur demande en effet à Joseph de recevoir (1,20 ; 2,13.20) et Joseph, à trois reprises, reçoit (1,24 ; 2,14.21). Recevoir – et non « prendre avec soi » comme certaines traductions françaises le proposent – car recevoir est la conséquence logique d’une existence rendue à elle-même, dé-préoccupée d’elle-même puisque fondée sur une vérité qui lui est extérieure. Quant à ce que Joseph reçoit, Matthieu opère un glissement significatif. D’abord sa femme (1,20). Puis l’enfant naît, et il s’agit de recevoir dans son existence l’enfant et sa mère (2,13.20) – et l’on devient mère précisément d’avoir reçu un enfant. Joseph le père, Marie la mère, tous deux ont vécu d’avoir accueilli cet enfant. L’existence rendue vivante par l’expérience offerte en soi mène au Christ, à son accueil – voilà comment Dieu est Emmanuel. Au tombeau vide a été manifestée l’expérience de la révélation de l’Emmanuel. Cette expérience de la reconnaissance réciproque entre Dieu et le sujet croyant a été poétiquement reflétée par l’image de l’ange du Seigneur. Les femmes ont fait l’expérience, en elles, de la vie nouvelle. La révélation offerte fait genèse. Là est la conviction de Matthieu. L’image de l’ange du Seigneur lui était dès lors indispensable à l’élaboration de son poème – de son entrée à sa sortie.

Explicit Matthieu garde les anges célestes de Marc. Il les retravaille aux contours, accentue leurs couleurs et renforce leurs effectifs pour mieux les soumettre au Fils de l’homme au jour de gloire. L’image mythique fonctionne et Matthieu s’en sert pour réfléchir la transcendance d’un Dieu « Père, Seigneur du ciel et de la terre » (11,25), intervenant librement et puissamment dans l’histoire de ses enfants. Dieu n’est-il pas le Créateur du monde et de toutes choses ? Comment la création – de la terre jusqu’au ciel – n’en porterait-elle pas témoignage ? Les anges sont une image nécessaire à la poétique matthéenne de l’espace. Il suffit à Matthieu de l’animer pour raconter la beauté venue d’en haut. La réflexion de la transcendance implique celle de l’immanence. Matthieu a besoin d’une autre image pour penser la réalité de l’existence humaine en laquelle Dieu agit. Il fait appel à l’ange du Seigneur et le fait fonctionner en binôme avec ses coreligionnaires. Les anges sont muets, lui parle. Les anges appartiennent au ciel et y retournent, lui a déchiré le ciel et pris place sur la terre ferme. Les anges jugent et séparent les hommes, lui connaît leur cœur et les transforme de l’intérieur. Eux garantissent la médiation entre la pluralité des sujets, lui la reconnaissance du sujet singulier. L’une et l’autre image prises ensemble élargissent la poétique matthéenne de l’espace. C’est en les travaillant ensemble – et avec d’autres encore – que le poème matthéen proclame au monde l’Emmanuel.



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De ces images, même dépouillées de tous leurs attributs mythiques, reste la vérité qu’elles expriment : une humanité close que Dieu perce de sa présence. Et si l’enjeu de la démythologisation bultmanienne était de proposer une compréhension du Nouveau Testament capable d’en énoncer la signification pour nos contemporains, il faudrait encore préciser la prédication matthéenne portée par les anges de Dieu. Ils en passent par notre imaginaire pour rendre compte ensemble du paradoxe même de l’Évangile, celui d’une transcendance venue se dire, sans s’y confondre, dans l’immanence. Pour cet entrelacement, Matthieu a retenu le nom d’Emmanuel, Dieu avec nous. Pour raconter ses effets dans l’existence, il a retenu des images, et parmi elles, les anges de Dieu. Leur témoignage est poétique. Mais quel autre langage pourrait prétendre à la vérité ?

Bibliographie Bachelard, Gaston, L’Air et les Songes. Essai sur l’imagination du mouvement (Biblioessais), Paris : Librairie José Corti, 2010 (1943). Bachelard, Gaston, La poétique de l’espace (Quadrige), Paris : Presses universitaires de France, 2020 (1957). Brown, Raymond E., The Birth of the Messiah: A Commentary on the Infancy Narratives in Matthew and Luke, New York (NY ) : Doubleday, 1979. Bultmann, Rudolf, Nouveau Testament et Mythologie (Logos 2), Genève : Labor et Fides, 2013. Calvin, Jean, L’institution chrétienne (Livres I–II), Aix-en-Provence : Éditions Kerygma, 1978. Davies, William D./Allison, Dale C., Matthew 1–7 (International Critical Commentary), London : T&T Clark, 20102. Edwards, Michael, Bible et poésie, Paris : Éditions de Fallois, 2016. Focant, Camille, L’évangile selon Marc (Commentaire biblique : Nouveau Testament 2), Paris : Cerf, 2004. Hundley, Michael B., « Of God and Angels: Divine Messengers in Genesis and Exodus in their Ancient Near Eastern Contexts », The Journal of Theological Studies 67 (2016), 1–22. Kleinknecht, Hermann et al., Esprit (Dictionnaire Biblique Gerhard Kittel), Genève : Labor et Fides, 1971. Kupp, David D., Matthew’s Emmanuel. Divine Presence and God’s People in the First Gospel, Cambridge : University Press, 1996. Léon-Dufour, X avier, « L’annonce à Joseph », dans : Léon-Dufour, X avier, Études d’Évangile (Parole de Dieu), Paris : Seuil, 1965, 69–81. Newsom, Carol A., « Angels », dans : Freedman, David N. (éd.), The Anchor Bible Dictionary, vol. 1: A-C, New York : Doubleday, 1992, 248–253. Pépin, Jean, Théologie cosmique et théologie chrétienne : Ambroise, Exam. I, 1, 1–4 (Bibliothèque de philosophie contemporaine. Histoire de la philosophie et philosophie générale), Paris : Presses universitaires de France, 1964.

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Schaeffer, Jean-Marie, Les troubles du récit. Pour une nouvelle approche des processus narratifs, Vincennes : Éditions Thierry Marchaisse, 2020. Stendahl, Krister, « ‘Quis et Unde’ ? An Analysis of Mt 1–2 », dans : Stanton, Graham (éd.), The Interpretation of Matthew (Studies in New Testament Interpretation), Edinburgh : T&T Clark, 19952. Sullivan, Kevin P., Wrestling with Angels: A Study of the Relationship between Angels and Humans in Ancient Jewish Literature and the New Testament (Arbeiten zur Geschichte des antiken Judentums und des Urchristentums 55), Leiden : Brill, 2004. Vouga, François/Favre, Jean-François, Pâques ou rien. La Résurrection au cœur du Nouveau Testament (Essais bibliques 45), Genève : Labor et Fides, 2010. White, Stephen L., « Angel of the LORD: Messenger or Euphemism? », Tyndale Bulletin 50 (1999), 299–305. Wucherpfennig, Ansgar, Josef der Gerechte. Eine exegetische Untersuchung zu Matthäus 1–2 (Herders Biblische Studien 55), Freiburg : Herder, 2008.

Les anges des petits face au Père de Jésus : arrière-plan et portée de Mt 18,10 Denis Fricker Dans l’évangile de Matthieu, des figures d’ange sont régulièrement intégrées au cadre narratif, comme en attestent dix-neuf des vingt occurrences1 du terme ἄγγελος. Réparties sur l’ensemble du récit matthéen, elles se laissent assez aisément classer selon trois fonctions principales : messager de Dieu, serviteur de Jésus et acteur eschatologique. Dès l’entame du premier évangile, un « ange du Seigneur » (ἄγγελος κυρίου) apparaît (φαίνω) par trois fois en songe à Joseph (Mt 1,20–24 ; 2,13.19), afin de lui indiquer la marche à suivre. Cette même figure d’ange reviendra à la fin de l’évangile, pour rouler la pierre du tombeau et annoncer la résurrection de Jésus (Mt 28,2–5). Elle assume donc principalement la fonction de messager divin,2 et se trouve être à ce titre l’unique ange parlant3 du premier évangile. L’ange du Seigneur précise ainsi la destinée de Jésus, en prologue et en épilogue de sa biographie. Matthieu présente aussi des anges susceptibles de se mettre au service de Jésus, bien que ce dernier ne cède pas, à deux reprises (Mt 4,5–7 et Mt 26,53), à la tentation d’user de ces auxiliaires surnaturels. Toutefois, en Mt 4,11 des anges le servent effectivement4 en conclusion du récit de la tentation. Les figures angéliques les plus représentées se trouvent cependant dans les annonces eschatologiques de Jésus, où leur revient le rôle d’« agent exécutif »5 du jugement. Les explications allégoriques du discours en parabole (Mt 13) présentent alors des anges qui, à la fin des temps, écarteront du royaume ceux qui pra1  Mt  1,20.24 ; 2,13.19 ; 4,6.11 ; 13,31.41.49 ; 16,27 ; 18,10 ; 22,30 ; 24,31.36 ; 25,31.41 ; 26,53 ; 28,2.5. En Mt 11,10, ἄγγελος désigne Jean probablement comme « messager », au sens premier du terme grec et comme synonyme de prophète. Cf. Grundmann/Kittel/von R ad, « ἄγγελος, ἀρχάγγελος, ἰσάγγελος », 82 ; Davies/Allison, The Gospel According to Saint Matthew VIII–XVIII, 249 ; Bendoraitis, ‘Behold, the Angels Came and Served Him’, 3. 2  Davies/Allison, The Gospel According to Saint Matthew I–VII, 206–207. Dans le récit de Mt 28,1–8, l’ange du Seigneur assume aussi la fonction de celui qui lève les obstacles ; cf. Nicklas, « Angels in the early Christian Narratives on the Resurrection of Jesus », 298–300. 3  Bendoraitis, ‘Behold, the Angels Came and Served Him’, 199. 4  Probablement sont-ils censés accorder maintenant nourriture (la manne du désert, selon Davies/Allison, The Gospel According to Saint Matthew I–VII, 374) et protection divines (citation du Ps 91,1–2 en Mt 4,6) desquelles Jésus avait su se passer. On trouvera une analyse récente et complète du passage chez Bendoraitis, ‘Behold, the Angels Came and Served Him’, 53–74. 5 Cf. Marguerat, Le jugement dans l’évangile de Matthieu, 24.

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tiquent l’iniquité (13,41) et sépareront les méchants des justes (13,49). Plus loin, le discours eschatologique confirme ce dernier rôle en précisant que les anges assembleront les élus au son de la trompette (24,31). Ces anges acteurs du jugement sont à quatre reprises directement subordonnés à la figure du Fils de l’homme, via la forme possessive οἱ ἄγγελοι αὐτοῦ (Mt 13,41 ; 16,27 ;6 24,31) ou la construction prépositionnelle οἱ ἄγγελοι μετ᾿αὐτοῦ (Mt 25,31). Il semble alors que les représentations matthéennes des autorités célestes s’organisent selon une hiérarchie qui se reflète précisément dans la sentence sur l’heure de la parousie : « les anges des cieux », puis « le Fils » et, finalement, « le Père seul » (Mt 24,36). Cette hiérarchie pourrait alors être opposée à celle qui est composée en Mt 25,41 par le diable et ses anges.7 La catégorie « ange » est donc située dans une sphère à part, comme le confirme la comparaison qui tente de préciser la nature différente des ressuscités. Être « comme des anges » (Mt 22,30) désigne en effet une forme d’existence qui se différencie de la condition humaine habituelle. Toutes ces figures issues du premier évangile s’inscrivent dans le cadre plus large de l’angélologie vétérotestamentaire et juive ancienne.8 Il reste toutefois à y intégrer le passage de Mt 18,10 qui présente des acteurs angéliques difficilement classables en raison de leur double fonction : Gardez-vous de mépriser un seul de ces petits : car je vous dis que leurs anges dans les cieux regardent constamment la face de mon Père qui est dans les cieux. Ὁρᾶτε μὴ καταφρονήσητε ἑνὸς τῶν μικρῶν τούτων· λέγω γὰρ ὑμῖν ὅτι οἱ ἄγγελοι αὐτῶν ἐν οὐρανοῖς διὰ παντὸς βλέπουσιν τὸ πρόσωπον τοῦ πατρός μου τοῦ ἐν οὐρανοῖς.

Dans ce court passage, les anges sont d’abord et directement rapportés à des « petits » par un pronom au génitif (οἱ ἄγγελοι αὐτῶν), alors qu’ailleurs en Matthieu les anges relèvent du Seigneur ou du Fils de l’homme et, à l’occasion, du diable, on l’a vu. S’ils sont donc ici exceptionnellement des anges attribués aux petits, ils sont aussi, et simultanément, actifs dans les cieux (ἐν οὐρανοῖς), en relation étroite avec le Père dont ils regardent la face en permanence.9 Ce double rôle, selon deux dimensions diamétralement opposées, l’une particulière et au plus bas (« un seul de ces petits »), l’autre universelle et au plus haut (« la face de 6  En 16,27 nous comprenons le Fils de l’homme comme l’antécédent du pronom personnel dans l’expression μετὰ τῶν ἀγγέλων αὐτοῦ. Cf. Marguerat, Le jugement dans l’évangile de Matthieu, 93–94 et Bendoraitis, ‘Behold, the Angels Came and Served Him’, 119–121. 7  Le motif des anges du diable ou infernaux se trouve encore en Jude 6 et en Ap 12,7. Voir Vögtle, Der Judasbrief, 40–42 ; Prigent, L’Apocalypse de Saint Jean, 300 ; Bendoraitis, ‘Behold, the Angels Came and Served Him’, 121–122. 8  En cela Mathieu se conforme aux pratiques de l’ensemble des rédacteurs du Nouveau Testament, comme le soulignent Grundmann/Kittel/von R ad, « ἄγγελος,  ἀρχάγγελος, ἰσάγγελος », 82. 9  « En permanence » ou du moins « régulièrement », selon les traductions possibles de διὰ παντός ; cf. Blass/Debrunner/Rehkopf, Grammatik des neutestamentlichen Griechisch, § 223.



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mon Père »), confère une réelle densité à cette représentation originale qui mérite d’être analysée à la lumière de son arrière-plan juif et vétérotestamentaire, mais aussi dans le contexte du premier évangile en vue de mieux cerner la fonction précise que Matthieu attribue à de tels anges.

1.  Les anges de Mt 18,10 et leur arrière-plan vétérotestamentaire et juif L’arrière-plan vétérotestamentaire et juif10 qui permet de contextualiser la représentation originale des anges de Mt 18,10 s’appuie sur deux aspects bien documentés. D’une part, les anges des petits s’inscrivent dans le cadre plus général des anges qui assument une fonction de veille et se situent donc plus ou moins au voisinage des hommes et de leur monde. D’autre part, des anges célestes, proches de Dieu, sont également bien représentés dans les textes bibliques et juifs anciens. 1.1.  Les anges proches des hommes Des anges protecteurs ou guides sont évoqués dans plusieurs passages aussi bien narratifs que poétiques de l’Ancien Testament. Ainsi l’ange du Dieu d’Abraham est censé guider et accompagner le serviteur du patriarche à la recherche d’une épouse pour Isaac : « Yhwh, devant qui j’ai marché, enverra son ange (‫ מלאכו‬/ τὸν ἄγγελον αὐτοῦ)11 avec toi, et fera réussir ton voyage » (Gn 24,40). Le peuple dirigé par Moïse bénéficie également d’une telle promesse d’accompagnement et de protection : « Voici, j’envoie un ange devant ta face (‫ לפניך מלאך‬/ τὸν ἄγγελόν μου πρὸ προσώπου σου) pour te garder en chemin, et pour te faire arriver au lieu que j’ai préparé » (Ex 23,20). Cette affirmation cadre avec l’idée plus générale de l’attribution d’un gardien à chaque nation exprimée en Dt 32,8–9LXX : « il fixa les limites des nations selon le nombre des anges de Dieu »,12 sachant toutefois qu’Israël constitue la part de Yhwh.13 Ce rôle de protecteur d’Israël sera ensuite l’apanage de Michaël.14 10  Nous nous appuyons pour cette partie sur les typologies proposées par Bendoraitis, ‘Behold, the Angels Came and Served Him’, 133–142 ; Lichtenberger, « Mt 18,10 und die Engel in Qumran » ; Coulange, Dieu, ami des pauvres, 134–149. 11  Dans le texte massorétique : ‫ ; מלאכו‬dans la Septante : τὸν ἄγγελον αὐτοῦ. Idem pour la suite des termes entre parenthèses dans cette section. 12  Dt 32,8bLXX : ἔστησεν ὅρια ἐθνῶν κατὰ ἀριθμὸν ἀγγέλων θεοῦ. Le texte massorétique lit : « d’après le nombre des fils d’Israël » (‫)למספר בני ישראל‬. Il est possible que la Vorlage de la Septante écrivait : « d’après le nombre des fils de Dieu » (‫ ; )למספר בני אל‬cf. Hannah, « Guardian Angels and Angelic National Patrons », 416–418. 13  Si 17,17 et Jubilés 15,30–32 attestent également ce motif d’Israël en dépendance exclusive de Dieu et non d’un « ange » ou d’un « esprit » (Jubilés 15,32) ni d’un « dirigeant » (ἡγούμενος en Si 17,17). Voir Hannah, « Guardian Angels and Angelic National Patrons », 419. 14  Première attestation en Dn 12,10 : « Michaël, le grand Prince » ; voir aussi 1QM XVII 6.

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Une présence protectrice est également accordée aux croyants selon le psalmiste lorsqu’il met en scène la figure de l’ange du Seigneur qui représente le secours de Yhwh :15 « L’ange de Yhwh (‫ מלאך יהרה‬/ ἄγγελος κυρίου) campe autour de ceux qui le craignent, et il les délivre » (Ps 34[33],8). Le passage du Ps 91, cité en Mt 4,6//Lc 10,11, se réfère à cette même fonction protectrice cette fois attribuée à plusieurs anges rapportés par le pronom possessif à Dieu : « Car il ordonnera à ses anges (‫ מלאכיו‬/ τοῖς ἀγγέλοις αὐτοῦ) de te garder dans toutes tes voies » (Ps 91[90],11). Les quelques passages bibliques venant d’être cités pour leur caractère représentatif16 évoquent des anges protecteurs, mandatés par Dieu pour favoriser les projets ou l’itinéraire de ses fidèles : le serviteur d’Abraham, le peuple dans le désert ou encore l’orant des Psaumes. De telles figures angéliques mettent en évidence les intentions bienveillantes de Dieu envers ses élus et donnent une consistance aux promesses d’aide et de protection ; leur évocation reste pour l’essentiel générique, laissant au lecteur le soin d’imaginer leur rayon d’action.17 Dans le livre de Tobit, les actes et paroles d’un ange individualisé sont cependant remarquablement narrés et mis en scène. L’ange Raphaël est ainsi envoyé sous les traits du jeune homme Azarias (Tb 5,13) pour exaucer les prières, simultanées mais à distance, de Tobit et de sa future bru Sara. Le premier sera effectivement guéri de son aveuglement, tandis que la seconde sera exorcisée : « Dans l’instant même, leur prière à tous les deux fut entendue en présence de la gloire de Dieu et Raphaël fut envoyé pour les guérir tous deux. »18 À la mission de guérison s’ajoute celle d’accompagner et de veiller sur le fils de Tobit ; mission que ce dernier résume en termes prophétiques : « car un bon ange (ἄγγελος ἀγαθός) l’accompagnera, son voyage réussira et il reviendra sain et sauf » (Tb 5,22). Toutefois cette protection est limitée dans le temps et, à la fin du livre, sa mission accomplie,19 Raphaël se fait connaître tout en attribuant sa présence efficace Cf. Lichtenberger, « Mt 18,10 und die Engel in Qumran », 148 et Hannah, « Guardian Angels and Angelic National Patrons », 422–423. 15  Von Rad y perçoit la personnification de Yhwh, cf. Grundmann/Kittel/von R ad, « ἄγγελος, ἀρχάγγελος, ἰσάγγελος », 75–76. 16  Voir encore Gn 24,7 ; 48,16 ; Dn 3,49 ; 2 M 11,6 et 15,22–24 signalés par Gnilka, Das Matthäusevangelium 2, 131–132. Parmi les textes juifs antérieurs ou contemporains de Matthieu qui attestent du motif d’anges protecteurs voir : Livre des antiquités bibliques 15,5 ; 59,4 ; Testament de Joseph 6,7. 17  Plus prolixes, 2 M 10,29–31 et 3 M 6,18–21 détaillent des interventions éclatantes d’anges contre l’ennemi. Voir Lichtenberger, « Mt 18,10 und die Engel in Qumran », 147–148. 18  Tb 3,16–17a : traduction de la TOB, selon la version longue (ou Gr. II) que nous suivrons ici. Texte de la version brève (Gr. I) : Καὶ εἰσηκούσθη ἡ προσευχὴ ἀμφοτέρων ἐνώπιον τῆς δόξης τοῦ μεγάλου Ραφαηλ, καὶ ἀπεστάλη ἰάσασθαι τοὺς δύο/« Et fut entendue la prière à tous les deux en présence de la gloire du grand Raphaël, et il fut envoyé pour guérir les deux. » 19  Schüngel-Straumann (Tobit, 159–160) repère en Tb quatre fonctions attribuées à Raphaël : compagnon de voyage, protecteur, transmetteur des prières, guérisseur.



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à la volonté de Dieu : « Quand j’étais avec vous (μεθ᾿ὑμῶν), ce n’était pas par un effet de ma bienveillance que j’étais avec vous (μεθ᾿ὑμῶν), mais par la volonté de Dieu » (Tb 12,18). Cette mise au point s’inscrit dans le passage plus long de Tb 12,11–22 qui suit les étapes d’une angélophanie typique,20 en s’achevant notamment sur le retour de l’ange vers Dieu, ce qui distingue sa mission de celle, plus permanente, des anges des petits en Mt 18,10.21 Plus généralement, le rôle de ces derniers reste cependant fort susceptible de s’inspirer des attestations antérieures d’anges comme acteurs et garants de la protection divine en faveur d’un individu ou d’un collectif identifiés. L’attribution permanente à « ces petits » constitue toutefois l’exception, car ailleurs dans le Nouveau Testament la formule ramassée ἄγγελος/ἄγγελοι αὐτοῦ relie toujours les anges à Dieu ou au Fils de l’homme22 et trois fois au diable.23 Sur un plan plus général, nous n’avons d’ailleurs trouvé aucun passage ni dans le Nouveau Testament, ni dans la Septante, ni dans la littérature dite intertestamentaire24 qui associe explicitement des anges à des petits.25 Si la mission d’assistance ou de présence des anges est bien attestée, elle ne l’est jamais précisément en faveur d’une catégorie de petits comme en Mt 18,10. Ce passage leur accorde d’ailleurs encore une autre fonction, liée à leur proximité avec le Père. 1.2.  Les anges auprès de Dieu En introduction nous avons noté que dans le premier évangile apparaissent des anges dans l’entourage de Dieu ou du Fils de l’homme, notamment dans le contexte eschatologique. En Mt 18,10 les anges, s’ils sont attribués aux petits, sont également proches des cieux (ἐν οὐρανοῖς) où ils « regardent constamment la face de mon Père qui est dans les cieux » (διὰ παντὸς βλέπουσιν τὸ πρόσωπον τοῦ πατρός μου τοῦ ἐν οὐρανοῖς). Cette dernière expression, « regarder la face du Père », s’inspire probablement du cérémonial de cour proche-orientale. Le 20 Selon Lichtenberger, « Mt 18,10 und die Engel in Qumran », 150–151 ; Ego (« The Figure of the Angel Raphael », 241) évoque une « angeloopthy » au sens d’une manifestation spécifiquement visible, en s’appuyant sur Schnupp, Schutzengel. Genealogie und Theologie einer religiösen Vorstellung, 92–96. 21 Cf. Novell, « The ‘Work’ of Archangel Raphael », 237. 22  Mt 4,6 (//Lc 4,10) ; 13,41 ; 16,27 ; 24,31 ; Ac 12,11 ; He 1,7 ; Ap 1,1 ; 3,5 ; 12,7a ; 22,6. 23  Mt 25,41 ; Ap 12,7b.9. 24  Errki Koskeniemmi signale la mention de Temlakos, ange protecteur et vengeur des petits enfants victimes d’avortementss ou d’exposition, dans une version éthiopienne de l’Apocalypse de Pierre 8,10 datée de la première moitié du iie siècle ; voir Koskeniemmi « Forgotten Guardians and Matthew 18:10 », 123–127. Cette tradition particulière est reprise ultérieurement par Clément d’Alexandrie (Eclogae Propheticae § 41.48) et semble effectivement tributaire de représentations juives d’anges punisseurs, mais une première attestation explicite antérieure à la rédaction du premier évangile reste introuvable. 25  La version slave de 3 Baruch 12,3 évoque des « anges préposés aux justes » (trad. Dupont-Sommer/Philonenko, La Bible. Écrits intertestamentaires, 1162).

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dictionnaire de Walter Bauer26 se réfère ainsi à deux exemples, extraits de la Septante, qui illustrent un tel usage. En 2 Règnes 14,24, Absalom, le fils rebelle de David, bien que son bannissement soit levé à ce moment de la narration, reste exclu de l’entourage et du conseil du roi son père qui exprime cette disgrâce dans les termes suivants : « ‘qu’il se retire dans sa maison et qu’il ne voie pas ma face’ (καὶ τὸ πρόσωπόν μου μὴ βλεπέτω) ». Le narrateur précise ensuite : « Et Absalom se retira dans sa maison et il ne vit pas la face du roi (καὶ τὸ πρόσωπον τοῦ βασιλέως οὐκ εἶδεν). » Par ailleurs, le passage de 4 Règnes 25,19 qui narre la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor décrit l’arrestation de notables, dont « les cinq hommes qui voient la face du roi » (πέντε ἄνδρας τῶν ὁρώντων τὸ πρόσωπον τοῦ βασιλέως). L’expression désigne là aussi les proches conseillers du roi, ceux qui ont l’accès habituel au trône, comme l’indique le participe présent de la formule. En conséquence, par les « anges qui regardent constamment la face du Père » on entend les anges les plus proches du trône divin, auquel ils ont un accès permanent.27 Des anges sont effectivement décrits, dans des textes plus tardifs, sous les appellations d’« anges de la face de Dieu » ou d’« anges de la Face ». Telle quelle, l’expression n’existe pas dans l’Ancien Testament,28 mais elle est assez bien répandue dans les textes du judaïsme ancien antérieurs ou contemporains de Matthieu, comme par exemple dans les Hymnes de Qumrân où une vision du jugement fait entrer des élus dans l’alliance « de tous les hommes de ton (= Dieu) conseil et dans un lot commun avec les anges de la Face ».29 Par ailleurs, dans le Livre des Jubilés, le récit de la création inclut celle des anges et ceux de la Face apparaissent en première position dans l’énumération de Jubilés 2,2 : Le premier jour il créa les cieux, en haut, la terre, les eaux et tout esprit servant devant lui : les anges de la Face et les anges de la Sanctification ainsi que les anges du vent qui souffle, les anges-esprits des nuages, des ténèbres, de la neige, de la grêle et du gel, les anges des voix, du tonnerre et des éclairs, les anges-esprits du froid et de la chaleur, de l’hiver, du printemps, de l’été et de l’automne, et tous les esprits de la création dans le ciel et sur la terre.30

26  Bauer, Wörterbuch zum Neuen Testament, 285–286. Voir aussi Nötscher, « Das Angesicht Gottes schauen », 173. 27  La formulation a donc une valeur métaphorique qui ne s’oppose pas nécessairement à l’interdiction de « voir » Dieu qui reste valable pour des anges, à en croire Is 6,2, mais qui ne concerne pas les cœurs purs selon Mt 5,8. Cf. Bendoraitis ‘Behold, the Angels Came and Served Him’, 140–141. 28  On peut néanmoins en déceler les prémices en Ex 33,14 ; Is 63,9 ; Lm 4,16. Cf. Coulange, Dieu, ami des pauvres, 143–144. 29  1QH VI 13 [XIV 16] ; trad. Dupont-Sommer/Philonenko, La Bible. Écrits intertestamentaires, 256 ; voir aussi 1QSb IV 24–26 (Livre des Bénédictions) cité par Lichtenberger, « Mt 18,10 und die Engel in Qumran », 152 et Coulange, Dieu, ami des pauvres, 147. 30 Trad. Dupont-Sommer/Philonenko, La Bible. Écrits intertestamentaires, 641–642.

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Le rôle de tels anges est précisé en Testament de Lévi 3,4–6, au sein d’un passage qui développe les différents niveaux célestes : Car dans celui (ciel) qui est au-dessus de tous réside la Grande Gloire, dans le Saint des Saints, bien au-dessus de toute sainteté. Dans le ciel suivant, se tiennent les anges de la Face du Seigneur qui officient et intercèdent auprès du Seigneur pour tous les péchés d’ignorance des justes. Ils offrent au Seigneur un parfum de bonne odeur, un sacrifice en paroles et non sanglant.31

Selon le modèle sacerdotal,32 ces anges procèdent à un culte et intercèdent en faveur des justes qui auraient péché par ignorance. Ce rôle d’intercession est non seulement déjà présent en Za 1,12 où l’ange de Yhwh plaide la cause de Jérusalem et des villes de Juda, mais encore en 1 Hénoch 9,1–11, où des anges nommés Michaël, Sariel, Raphaël et Gabriel33 portent la cause des victimes des anges déchus devant Dieu, cette fois sous forme d’accusation.34 Parmi ces « anges des puissances » ou « archanges » (1 Hénoch 20,1.8) Raphaël joue, on l’a vu, un rôle central dans le récit du livre de Tobit. Le discours d’adieu de l’archange (Tb 12,6˗20) est l’occasion pour le rédacteur de préciser ses fonctions et son identité. Son rôle est d’abord de présenter à Dieu, sous forme de mémorial (μνημόσυνον), les prières de Sara et Tobit (12,12). Mais il peut devenir également un vecteur de la mise à l’épreuve (12,13)35 aussi bien que de la guérison divine miraculeuse (13,14). Il s’identifie ensuite comme Raphaël, « l’un des sept anges qui se tiennent devant la gloire du Seigneur et pénètrent en sa présence » (12,15) et qui, selon la version brève seulement, présentent les prières des saints.36 Il délimite enfin sa nature propre. Il la distingue de la nature humaine en précisant son immatérialité (12,19) : « je ne mangeais rien,  mais vous avez observé une vision ». Il se distingue également de la divinité, dont il n’est que le 31 Trad.

Dupont-Sommer/Philonenko, La Bible. Écrits intertestamentaires, 838. Bendoraitis, ‘Behold, the Angels Came and Served Him’, 139. Voir aussi dans le présent volume la contribution de Thierry Legrand sur « Quelques aspects de l’univers angélique des Cantiques de l’holocauste du sabbat (Shirot ʻOlat HaShabbat) ». 33  Voir encore 1 Hénoch 20,1–8 et 40,1–9 ; pour les listes d’« archanges », cf. Berner, « The Four (or Seven) Archangels », 396–400. Voir aussi, dans le présent volume, la contribution de Patrick Pouchelle sur « Anges et archanges : la complexification du monde angélique dans le Judaïsme de l’époque hellénistique et romaine ». 34  1 Hénoch 15,2 et 104,1 évoquent également le rôle d’intercession attribué à des anges. 35  D’après la version longue (Gr. II) de Tb 12,13b : « c’est alors que j’ai été envoyé vers toi pour te mettre à l’épreuve » (τότε ἀπέσταλμαι ἐπι σε πειράσαι σε). Dans la version brève (Gr. I) on trouve « ta bonne action ne m’a pas échappé, mais j’étais avec toi » (οὐκ ἔλαθές με ἀγαθοποιῶν, ἀλλὰ σὺν σοὶ ἤμην). 36 Version brève (Gr. I) de Tb 12,15 : « Je suis Raphaël l’un des sept saints anges qui présentent les prières des saints et pénètrent en présence de la gloire du Saint. » (Ἐγώ εἰμι Ραφαηλ, εἷς ἐκ τῶν ἑπτὰ ἁγίων ἀγγέλων, οἳ προσαναφέρουσιν τὰς προσευχὰς τῶν ἁγίων καὶ εἰσπορεύονται ἐνώπιον τῆς δόξης τοῦ ἁγίου.) Version longue (Gr. II) : « Je suis Raphaël l’un des sept anges qui se tiennent devant la gloire du Seigneur et pénètrent en sa présence. » (Ἐγώ εἰμι Ραφαηλ, εἷς τῶν ἑπτὰ ἀγγέλων, οἳ παρεστήκασιν καὶ εἰσπορεύονται ἐνώπιον τῆς δόξης κυρίου.) 32 

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mandataire : « Quand j’étais avec vous […] c’était par la volonté de Dieu, c’est lui que vous devez bénir » (12,18). Par cette position intermédiaire, entre Dieu et les hommes, Raphaël devient en quelque sorte un « message personnifié du salut »,37 une prosopopée de la volonté et de l’action divine. Par le truchement du récit, le roman juif de Tobit donne un aperçu un peu plus élaboré des représentations dans la diaspora juive des anges proches de Dieu et de leur possible action auprès des hommes, tout en confirmant bon nombre d’éléments glanés dans d’autres textes juifs de la période antérieure ou proche de la rédaction matthéenne. Cette dernière propose, en Mt 18,10, une formulation qui, malgré sa brièveté, inclut les deux pôles majeurs de ces rôles angéliques déjà existants mais jamais aussi étroitement intriqués et, contrairement à Raphaël, pour un rôle permanent : la proximité des anges avec les hommes et leur monde, d’une part, la proximité avec Dieu à l’instar des anges de la Face, d’autre part. Le nouement38 de ces deux dimensions, qui constitue déjà une originalité en soi, se fait au profit d’« un seul de ces petits », une originalité plus grande encore qu’il importe maintenant de décrypter dans le cadre de la rédaction matthéenne.

2.  Les petits dans l’évangile de Matthieu L’expression « un seul de ces petits », ici avec l’emploi de l’adjectif μικρός, se trouve encore sous une forme voisine : « un seul de ces plus petits » qui se distingue par l’usage du superlatif ἐλάχιστος. La nuance entre ces deux formes adjectivales, μικρός et ἐλάχιστος, est d’autant plus remarquable que chacune d’entre elle apparaît dans un contexte spécifique. Il importe donc de les analyser chacune pour soi avant de tenter une synthèse sur la place et le rôle des petits dans Matthieu. 2.1.  « Un seul de ces petits », les μικροί L’expression « un seul de ces petits » (εἷς/ἓν39 τῶν μικρῶν τούτων) se retrouve à quatre reprises dans le premier évangile (Mt 10,42 ; 18,6.10.14), tandis que Mc ne l’emploie qu’une seule fois (Mc 9,42). Ce dernier passage a ainsi été inséré par Matthieu dans le troisième discours de Jésus dit ecclésial ou communautaire40 de Mt 18,1–35, où l’expression revient alors à trois reprises, notamment 37 

Reiterer, « An Archangels Theology », 273. Eine Verknüpfung selon Lichtenberger, « Mt 18,10 und die Engel in Qumran », 160, a core selon Bendoraitis, ‘Behold, the Angels Came and Served Him’, 147. 39  En Mt 18,14, le nombre cardinal est au neutre, peut-être influencé par le neutre de πρόβατα et le pronom αὐτό désignant les cent brebis ainsi que celle qui est égarée de la parabole (v. 12–13). Quelques manuscrits corrigent d’ailleurs par εἷς ; cf. Gnilka, Matthäusevangelium 2, 129. 40  Pour un aperçu général des thématiques de recherche soulevées par ce discours, voir par 38 



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dans le passage sur les anges des petits (Mt 18,10). Il est donc fort probable que Mt ait repris la formule issue de Mc 9,42 à son compte pour en multiplier l’usage. De fait Matthieu reprend le texte de Mc 9,41–42 et en distribue la teneur en deux lieux différents de son évangile. Au passage il dédouble le syntagme qui nous intéresse, comme l’indique le tableau ci-dessous :41 Car quiconque vous donnera à boire

amen je vous le dis, il ne perdra pas sa récompense. (Mc 9,41)

Et quiconque donnera à boire à un seul de ces petits (ἕνα τῶν μικρῶν τούτων) seulement une coupe d’eau fraîche, en sa qualité de disciple (εἰς ὄνομα μαθητοῦ), amen je vous le dis, il ne perdra pas sa récompense.  (Mt 10,42)

Et celui qui scandalisera un de ces petits qui croient [en moi] (ἕνα τῶν μικρῶν τούτων τῶν πιστευόντων [εἰς ἐμέ])42 il est mieux pour lui qu’on lui attache une meule d’âne à son cou, et qu’on le jette dans la mer. (Mc 9,42)

Mais, si quelqu’un scandalise un de ces petits qui croient en moi (ἕνα τῶν μικρῶν τούτων τῶν πιστευόντων εἰς ἐμέ) il vaudrait mieux pour lui qu’on suspende une meule d’âne à son cou, et qu’on le jette au fond de la mer. (Mt 18,6)

une coupe d’eau au nom de ce que vous êtes du Christ,

En Mt 18,6, l’objet de la foi des petits est bien attesté, il s’agit de Jésus lui-même (« qui croient en moi » ; τῶν πιστευόντων εἰς ἐμέ) et ils sont donc identifiés comme membres de la communauté des croyants. Le discours communautaire glisse par ailleurs d’une comparaison des disciples aux enfants en bas âge (ὡς τὰ παιδία, v. 4) vers l’appellation petits (μικροί, v. 6.10.14). De plus, la même expression est de nouveau employée par le rédacteur matthéen en Mt 10,42 qui reprend Mc 9,41 pour mettre sur le même plan « un seul de ces petits » (ἕνα τῶν μικρῶν τούτων) et la « qualité de disciple » (εἰς ὄνομα μαθητοῦ). Le syntagme « un seul de ces petits » désigne donc, en Matthieu, un adepte43 de Jésus à chaque fois désigné par cette expression originale dans un contexte exemple : Marguerat, « Mise en discours et mise en récit en Matthieu 18 » ; Cardellino, « Mt 18: l’obbligo di assolvere sempre tutti senza condizioni » ; Hermant, « Structure littéraire du ‘Discours communautaire’  de Matthieu 18 ». 41  Pour une vue d’ensemble de la critique des sources, voir Koch, « ‘Die entscheidenden Kleinen’ », 516–518. 42  La précision εἰς ἐμέ est mise entre crochets par Nestle-Aland28 car elle correspond probablement au résultat d’une harmonisation avec Mt 18,6, d’autant plus qu’elle n’est pas attestée par plusieurs témoins significatifs ; voir Metzger, A Textual Commentary, 86. 43  Cette interprétation est actuellement très majoritaire ; voir toutefois les arguments de Koskeniemmi, « Forgotten Guardians and Matthew 18:10 », 123–128 ou plus anciennement de Héring, « Un texte oublié : Mt 18, 10 », 95–97, en faveur de μικροί comme synonyme de παιδία.

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de vulnérabilité : il est assoiffé (10,42), piégé44(18,6), méprisé (18,10) ou égaré (18,14), de quelque sorte « menacé ».45 Il pourrait donc s’agir d’une partie de la communauté des croyants « caractérisée par sa fragilité »,46 sans qu’elle puisse être rattachée à une identification plus précise.47 Parallèlement, le rapport au petit induit à chaque occurrence une remarquable conséquence pour son entourage. Cet effet peut être positif, comme en Mt 10,42 où le modeste don d’une coupe d’eau au petit vaudra une récompense au donateur. Il peut aussi être négatif, comme en Mt 18,6 où piéger un petit constitue une faute majeure, puisqu’il vaut mieux envisager une mort certaine que de s’en prendre à l’un d’entre eux. L’avertissement48 de Mt 18,10 de ne pas mépriser49 ces mêmes petits est donc à prendre au sérieux, d’autant plus que s’y ajoute l’indication de leur connexion à des anges proches de Dieu. Le rapport au petit est donc présenté comme un enjeu majeur qui est explicité en conclusion de la parabole de la brebis égarée, en Mt 18,14 : la volonté ferme50 de Dieu est qu’aucun de ces petits ne se perdent. L’expression « un seul de ces petits », associée à « Père aux cieux », encadre51 ainsi la parabole en mettant en valeur le rapport entre Dieu et les petits : ils lui sont reliés par leur proximité avec les anges de la Face (Mt 18,10), et il tient fermement à eux et à leur salut (Mt 18,14). Cette solidarité avec les petits est également signifiée plus loin dans le récit de Mathieu, sous la forme d’une connexion intime entre, cette fois, le Fils de l’homme eschatologique et celui qu’il déclare être « un seul de ces plus petits d’entre mes frères » (ἑνὶ τούτων τῶν ἀδελφῶν μου τῶν ἐλαχίστων, en Mt 25,40) ou encore « un seul de ces plus petits » (ἑνὶ τούτων τῶν ἐλαχίστων, en Mt 25,45). 44  Le sens premier de σκανδαλίζω est « piéger », cf. Luz, Das Evangelium nach Matthäus (18–25), 19. 45  Marguerat, Le jugement dans l’évangile de Matthieu, 509. 46  Marguerat, « Mise en discours et mise en récit en Matthieu 18 », 305. 47 Cf. Davies/Allison, The Gospel According to Saint Matthew VIII–XVIII, 763 et 771 ; Luz, Das Evangelium nach Matthäus (18–25), 28–29. 48  Le verbe ὁράω à l’impératif introduit à cinq reprises une mise en garde dans le premier évangile (Mt 8,4 ; 9,30 ; 16,6 ; 18,10 ; 24,6). Il y est suivi à quatre reprises d’une négation (8,4 ; 9,30 ; 18,10 ; 24,6) selon une formulation propre à la rédaction matthéenne ; cf. Davies/Allison, The Gospel According to Saint Matthew VIII–XVIII, 769. 49  Le verbe καταφρονέω est pris ici en mauvaise part et au sens fort du terme, comme en Mt 6,24 où il est mis en parallèle avec le verbe μισέω ; cf. Bendoraitis, ‘Behold, the Angels Came and Served Him’, 131–132. 50  La proposition οὐκ ἔστιν θέλημα ἔμπροσθεν τοῦ πατρὸς ὑμῶν est une tournure matthéenne selon Davies/Allison, The Gospel According to Saint Matthew VIII–XVIII, 776, notamment par l’emploi du sémitisme θέλημα + ἔμπροσθεν (Blass/Debrunner/Rehkopf, Grammatik des neutestamentlichen Griechisch, § 214,6) qui a la particularité de renforcer la portée éthique de la volonté divine d’après Luz, Das Evangelium nach Matthäus (18–25), 33, n. 60. 51 Voir Hermant, « Structure littéraire du ‘Discours communautaire’ de Matthieu 18 », 81–82 et Davies/Allison, The Gospel According to Saint Matthew VIII–XVIII, 768. Nous nous appuyons sur le texte établi par Nestle-Aland28 qui considère Mt 18,11 comme une interpolation tardive à écarter ; cf. Metzger, A Textual Commentary, 36.

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2.2.  « Un seul de ces plus petits », les ἐλάχιστοι Les syntagmes « un seul de ces petits » (εἷς/ἓν τῶν μικρῶν τούτων en Mt 10,42 ;18,6.10.14) et « un seul de ces plus petits (d’entre mes frères) » (ἑνὶ τούτων [τῶν ἀδελφῶν μου] τῶν ἐλαχίστων en Mt 25,40.45) peuvent sans doute être rapprochés en raison de l’emploi commun de la formule « un seul de ces petits/plus petits ». Ils diffèrent cependant tout d’abord par l’usage, en Mt 25, d’ἐλάχιστος qui est le superlatif élatif52 de μικρός employé, lui, en Mt 10 et 18. De fait, l’identité des « petits » (μικροί), explicitement présentés comme croyants, nous l’avons vu, ne recoupe pas nécessairement celle des « plus petits » (ἐλάχιστοι) qui sont d’abord qualifiés par leur « pauvreté objective »,53 amplement décrite en Mt 25,35–36 et 42–43 : ils sont affamés, étrangers, nus, malades ou emprisonnés. Il semble donc que l’usage du superlatif implique, en même temps qu’une situation dramatique de dénuement concret, un statut plus universel de ces « plus petits », comme le supposent bon nombre de commentateurs actuels,54 de telles situations peuvant se trouver « dans toutes les nations » (πάντα τὰ ἔθνη en Mt 25,32). Ces démunis sont cependant aussi désignés comme « frères » (ἀδελφοί) du Fils de l’homme au v. 40 et cette dernière appellation prend une forte coloration communautaire dans le premier évangile, comme le précise notamment Mt 23,8b : « vous n’avez qu’un seul maître et vous êtes tous frères. »55 Il serait donc aussi possible d’identifier les « plus petits » aux membres de la communauté, selon une interprétation plus traditionnelle.56 Les deux syntagmes se différencient encore par leur contexte respectif, puisqu’en Mt 10 et 18 il est prioritairement question de l’existence présente des croyants, alors que Mt 25,31–46 décrit le jugement eschatologique. Toutefois, la perspective d’un jugement sous-tend aussi les passages de Mt 10 et 18, que ce soit sous forme de récompense future (Mt 10,42), d’avertissement (Mt 18,6 et 10) ou de la perte possible d’un de ces petits (Mt 18,14). Inversement, la perspective eschatologique de Mt 25,31–46 fonde rétrospectivement le jugement sur le comportement dans le monde présent envers le plus petit : « toutes les fois que vous avez fait ces choses à un seul de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous les avez faites » (Mt 25,40) et « toutes les fois que vous n’avez pas fait ces choses à un seul de ces plus petits, c’est à moi que vous ne les avez pas faites » (Mt 25,45). 52 Voir

Blass/Debrunner/Rehkopf, Grammatik des neutestamentlichen Griechisch, § 60,2 ; Koch, « ‘Die entscheidenden Kleinen’ », 513–514. 53  Marguerat, Le jugement dans l’évangile de Matthieu, 509. 54  Cf. le relevé de Davies/Allison, The Gospel According to Saint Matthew XIX–XXVIII, 428–430. 55  Voir entre autres l’usage dε ἀδελφός en Mt 12,46–50 et 18,15–35 ; cf. Claudel, « Le jugement comme révélation chez Matthieu », 88–89. 56  Interprétation à laquelle se rallie Luz, après un état de la question détaillé ; cf. Luz, Das Evangelium nach Matthäus (18–25), 521–530.

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2.3.  Synthèse : les petits comme enjeu du jugement En définitive, bien que les deux termes μικροί et ἐλάχιστοι soient distincts, ils pointent le même impératif pour le lecteur57 de Matthieu : l’indispensable solidarité avec ces « petits » ou « plus petits », caractérisés par leur situation fragile au sein d’une communauté particulière ou au sein des sociétés humaines en général. Derrière les rapports de force ou de soumission d’apparence banale de la vie communautaire se dévoile alors un principe universel de solidarité avec les plus défavorisés, qui constitue un enjeu majeur pour le jugement eschatologique à venir. En Mt 18,10, cette mise en perspective est rendue manifeste par la connexion des petits avec les grands anges de la Face, sans qu’il ne soit fait, apparemment du moins, mention du jugement si ce n’est par la discrète exclusion des auditeurs, ceux qui sont susceptibles de mépriser les petits. Le jeu des pronoms distingue en effet de tels auditeurs – « car je vous dis » (λέγω γὰρ ὑμῖν) – des petits auxquels sont attribués des anges – « leurs anges » (οἱ ἄγγελοι αὐτῶν) – et du locuteur, Jésus, allié à son Père – « de mon Père » (τοῦ πατρός μου). Sur le plan de la syntaxe, une séparation se dessine donc entre, d’un côté, ceux qui seraient amenés à mépriser les petits et, de l’autre, ces mêmes petits, les anges, Jésus et Dieu. Il reste à vérifier si ces données glanées à la surface du texte et qui peuvent donner lieu à des conséquences aussi bien théologiques que christologiques se confirment ailleurs dans le premier évangile.

3.  Les garants de la cause des petits : le Père, Jésus, les anges En Mt 18,10 se dessine donc une distinction entre ceux qui sont avertis, car susceptibles de mépriser les petits, et ceux qui soutiennent leur cause : Dieu le Père, Jésus et les anges des petits. Le rôle de chacune de ces trois dernières entités mérite d’être précisé dans le cadre de la rédaction du premier évangile. 3.1.  « Mon/votre/ton Père » et les petits dans Mt En Mt 18,10 il est question précisément du père de Jésus via l’usage du syntagme « mon Père » (ὁ πατήρ μου). Jésus est d’ailleurs le seul personnage en Mt à appeler Dieu « Père », il le fait à trente-sept reprises, et essentiellement dans ses exhortations aux disciples ou aux foules.58 Plus précisément l’expression « mon Père » se retrouve dans la bouche de Jésus seize fois59 en Matthieu pour dési57  C’est en effet le point de vue du lecteur qui permet de synthétiser les deux interprétations, communautaire ou universaliste, de l’usage de ἐλάχιστος associé à ἀδελφός. Voir cependant la tentative originale de fonder le sens de ἐλάχιστος sur son emploi en Mt 5,19 par Koch, « ‘Die entscheidenden Kleinen’ ». 58 Voir Mowery, « God, Lord and Father », 27–28. 59  Mt  7,21 ; 10,32.33 ; 11,27 ; 12,50 ; 15,13 ; 16,17 ; 18,10.19.35 ; 20,23 ; 25,34 ; 26,29.39.42.53.

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gner Dieu comme son propre père, contre seulement quatre occurrences en Lc60 et aucune en Mc. Sur ces seize occurrences, quatorze s’adressent aux disciples et, selon Robert Foster, neuf d’entre elles correspondraient à un procédé rhétorique, le « possessif prophétique »,61 qui permet au Jésus matthéen d’introduire une distance entre lui-même et ses disciples, à l’instar des prophètes qui se distinguaient du peuple en usant de la formule « Yhwh mon Dieu ».62 Appliqué à Mt 18,10, un tel procédé rhétorique est tout à fait conforme à l’avertissement donné aux disciples auditeurs du discours communautaire (cf. Mt 18,1) et en renforce la teneur : Jésus se désolidarise ainsi de tout mépris éventuel de leur part envers les petits. Au terme de ce même discours, en Mt 18,35, l’usage similaire de « mon père » se réfère plus précisément à la condamnation divine de ceux qui sont incapables de pardon : « ainsi aussi mon Père céleste (ὁ πατήρ μου ὁ οὐράνιος) vous traitera, si chacun de vous ne pardonne à son frère de tout son cœur. » L’usage du possessif prophétique « mon Père » introduit ici la distance nécessaire avec l’auditoire, distance qui autorise le déploiement de la représentation d’un Père-juge.63 De ce point de vue, le rôle des anges en Mt 18,10 peut aussi être perçu, en sus d’un éventuel rôle d’intercession,64 comme celui d’accusateur auprès du Père de Jésus et en défaveur de ceux qui méprisent les petits. Inversement, les appellations « votre Père » ou « ton Père », avec le possessif à la seconde personne, servent massivement à l’exhortation positive65 et à l’encouragement adressés aux disciples ou aux foules. Elles apparaissent ainsi à dix-huit reprises,66 notamment en Mt 18,14 pour signifier la volonté ferme et positive du Père des auditeurs (« votre Père » : τοῦ πατρὸς ὑμῶν) en faveur du salut de « ces petits ». Elles sont notamment mises en lien avec le même verbe βλέπω qu’en Mt 18,10, pour notifier cette fois le regard du Père en personne sur les auditeurs du sermon sur la montagne qui suivraient les consignes de discrétion dans la pratique de la justice. Les exemples donnés concernent des œuvres de piété juive, telle l’aumône en Mt 6,2–4 : Lorsque donc tu fais l’aumône, ne trompette pas devant toi, comme font les hypocrites dans les synagogues et dans les rues, afin qu’ils soient glorifiés par les hommes. Amen je vous le dis, ils obtiennent leur récompense. Mais quand tu fais l’aumône, que ta gauche 60  61 

Lc 2,49 ; 10,22 ; 22,29 ; 24,49. Foster, « Yours, Ours, and Mine ». 62  Par exemple en Is 7,13 ou Za 11,4, cf. Foster, « Yours, Ours, and Mine », 3–4. 63  « The familial language of Father denotes some form of intimacy, yet in the use of the prophetic possessive the implied author creates space that allows this same Father to act as judge in the kingdom of the heavens » : Foster, « Yours, Ours, and Mine », 10. 64  Ainsi, par exemple : Coulange, Dieu, ami des pauvres, 149. Bendoraitis, au contraire, met en exergue la fragilité des interprétations en faveur d’un rôle d’intercession : Bendoraitis, ‘Behold, the Angels Came and Served Him’, 143–144. 65  Sauf, pour une raison rhétorique, en 6,15 qui apparaît comme l’antithèse de 6,14. 66  Mt 5,16.45.48 ; 6,1.4.6bis.8.14.15.18bis.26.32 ; 7,11 ; 10,20.29 ; 18,14.

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ne sache pas ce que fait ta droite, afin que ton aumône soit en secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. Οταν οὖν ποιῇς ἐλεημοσύνην, μὴ σαλπίσῃς ἔμπροσθέν σου, ὥσπερ οἱ ὑποκριταὶ ποιοῦσιν ἐν ταῖς συναγωγαῖς καὶ ἐν ταῖς ῥύμαις, ὅπως δοξασθῶσιν ὑπὸ τῶν ἀνθρώπων· ἀμὴν λέγω ὑμῖν, ἀπέχουσιν τὸν μισθὸν αὐτῶν. σοῦ δὲ ποιοῦντος ἐλεημοσύνην μὴ γνώτω ἡ ἀριστερά σου τί ποιεῖ ἡ δεξιά σου, ὅπως ᾖ σου ἡ ἐλεημοσύνη ἐν τῷ κρυπτῷ· καὶ ὁ πατήρ σου ὁ βλέπων ἐν τῷ κρυπτῷ ἀποδώσει σοι.

Ce passage oppose deux pratiques de l’aumône. D’un côté, sa pratique publique qui donne lieu à une récompense présente (ἀπέχουσιν τὸν μισθὸν, au présent), la gloire des hommes reçue une fois pour toutes ;67 de l’autre, sa pratique secrète qui connaîtra une rétribution future (ἀποδώσει, au futur) de la part de Dieu qui est l’unique témoin de la scène, dans un rapport filial (« ton Père », ὁ πατήρ σου). Cette structure antithétique sera encore répétée à deux reprises pour illustrer la discrétion indispensable dans la pratique de la justice concernant aussi le jeûne et la prière (Mt 6,5–6 et 16–18). Les passages en question expriment à trois reprises le regard de Dieu (« ton Père qui regarde [ὁ βλέπων] dans le secret », Mt 6,4.6.18) dans un cadre intime et secret, un regard bienveillant qui prévoit une récompense. Cette rétribution future pour une action positive, présente et secrète se rapporte sans doute au jugement eschatologique,68 largement évoqué en Matthieu – nous le verrons encore. Elle confirme, en creux, que le rôle des anges « qui regardent en permanence mon Père qui est dans les cieux » (Mt 18,10) relève effectivement de l’accusation envers les éventuels méprisants. D’après ces éléments propres au discours de Jésus en Mt se dessine donc une image très contrastée de Dieu, entre la représentation d’un Père juge et celle d’un Père généreux et bienveillant envers les petits et ceux qui pratiquent la justice sans ostentation. En Mt 18,10, l’aspect du juge se reflète dans la possibilité qu’auraient les anges d’accuser ceux qui mépriseraient les petits, tandis que la bienveillance se révèle dans la présence même des anges les plus proches de Dieu auprès de ces mêmes petits. À ces derniers, le Père de Jésus garantit donc, aussi bien par l’exercice de sa justice que par celle de sa bienveillance, un statut particulier. 3.2.  Jésus, le Fils de l’homme et la cause des plus petits Nous venons de le constater, l’adresse « mon père » en Mt 18,10 inclut implicitement Jésus dans le camp de ceux qui défendent la cause des petits contre ceux qui 67  Davies/Allison, The Gospel According to Saint Matthew I–VII, 582 ; Luz, Das Evangelium nach Matthäus (1–7), 323. 68 Ainsi Luz, Das Evangelium nach Matthäus (1–7), 324. Davies et Allison suggèrent que la récompense consiste en l’approbation de Dieu, au même titre que les hypocrites reçoivent la louange des hommes : Davies/Allison, The Gospel According to Saint Matthew I–VII, 584 et 633–634. Il reste que, quelle que soit la nature de la récompense divine, elle sera future comme l’indique à trois reprises le temps du verbe ἀποδίδωμι.



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les mépriseraient, tout en excluant ces derniers sous le mode de l’avertissement. Dans cet énoncé du Jésus prépascal, la figure de Dieu est prédominante, notamment par l’intermédiaire de ses anges les plus proches, tandis que la figure du Nazaréen n’apparaît qu’en filigrane dans les propos de Mt 18,10, malgré le contexte général d’une christologie matthéenne69 bien affirmée par ailleurs. Dans la description du jugement dernier de Mt 25,31–46 se produit précisément l’effet inverse. Le Fils de l’homme, roi et juge, y officie en effet de plein droit et apparaît comme le personnage central, jugeant toutes les nations70 (πάντα τὰ ἔθνη, v. 32), accompagné de « tous les anges » (καὶ πάντες οἱ ἄγγελοι μετ᾿αὐτοῦ, v. 31) en une sorte d’apothéose.71 Ce Fils de l’homme eschatologique est clairement identifié à Jésus ailleurs dans le premier évangile (Mt 16,13–16).72 En ce passage sur le jugement, la référence à « mon Père » (Mt 25,34) rappelle, discrètement et à cette seule occasion, le pouvoir divin à l’arrière-plan et qui concerne ici les « bénis de mon Père ». Le Fils de l’homme est donc au centre du jugement, à la fois juge et, dans un premier temps du moins, partie. En effet, ce juge bien particulier récompense ou condamne selon les bienfaits qui lui ont été accordés (v. 35–36) ou non (v. 42– 43). Ce ne sera que dans un second temps que ce parti se révèle être de manière inattendue (« Seigneur, quand t’avons-nous vu ? », v. 37.44) celui des « plus petits », car c’est aussi celui du Fils de l’homme : Amen je vous le dis, toutes les fois que vous avez fait ces choses à l’un de ces plus petits de mes frères (ἑνὶ τούτων τῶν ἀδελφῶν μου τῶν ἐλαχίστων), c’est à moi que vous les avez faites. (v. 40) Amen je vous le dis, toutes les fois que vous n’avez pas fait ces choses à l’un de ces plus petits (ἑνὶ τούτων τῶν ἐλαχίστων), c’est à moi que vous ne les avez pas faites. (v. 45)

Par cette assimilation73 aux « plus petits », le Fils de l’homme devient ainsi luimême critère du jugement. Ce qui pouvait alors apparaître, à première vue, comme une illustration logique du lien de cause à effet entre l’agir dans le monde actuel et sa rétribution au moment du jugement eschatologique devient, en dé69 Cf. Quesnel, Jésus-Christ selon Saint Matthieu. 70  Bien que la question soit très discutée, la majorité

des commentateurs comprend l’expression « toutes les nations » (πάντα τὰ ἔθνη) selon son sens obvie qui donne au jugement un caractère universel. Cf. Marguerat, Le jugement dans l’évangile de Matthieu, 504–506 ; Luz, Das Evangelium nach Matthäus (18–25), 530–532 ; Davies/Allison, The Gospel According to Saint Matthew XIX–XXVIII, 422–423 ; Claudel, « Le jugement comme révélation chez Matthieu », 71–72. 71  Bendoraitis, ‘Behold, the Angels Came and Served Him’, 171. 72 Cf. Quesnel, Jésus-Christ selon Saint Matthieu, 58–64 ; Claudel, « Le jugement comme révélation chez Matthieu », 80–81. 73  La nature de cette assimilation est plus souvent interprétée en termes de solidarité ou selon une catégorie judiciaire que selon une catégorie ontologique. Voir Marguerat, Le jugement dans l’évangile de Matthieu, 514–515 ; Claudel, « Le jugement comme révélation chez Matthieu », 77–78 et 89, n. 2.

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finitive, un vigoureux plaidoyer pour la cause des « plus petits » en détresse : on ne peut les éviter sans éviter le Fils de l’homme, on ne peut fréquenter le Fils de l’homme sans les fréquenter.74 Selon Matthieu, le royaume des cieux ne se fera pas sans eux ! 3.3.  Les anges de Mt 18,10 et la cause des petits La brève sentence sous forme d’avertissement de Mt 18,10 reprend en quelque seize mots (v. 10b) deux fonctions d’ange bien représentées dans le judaïsme ancien : celles d’anges protecteurs, proches des hommes, ainsi que celle d’anges de la Face, proches de Dieu. L’originalité de la sentence attribuée à Jésus réside dans l’association, jusque-là inédite,75 de ces deux rôles angéliques traditionnels. Elle permet de développer le fort contraste entre l’octroi de ces anges à des petits et leur place élevée dans la hiérarchie angélique, contraste qui met en évidence la grande valeur accordée aux petits76 par le Père de Jésus. De plus, la continuité affichée (διὰ παντὸς) de ce dispositif l’inscrit dans la durée et anticipe la possibilité d’un jugement. Ces caractéristiques du contenu de Mt 18,10 supposent, d’une part, la connaissance des traditions juives et vétérotestamentaires sur les anges et, d’autre part, leur reconfiguration originale selon une interprétation qui pointe la valeur des petits devant Dieu. Autant de particularités qui supposent derrière cette sentence une tradition compatible avec un milieu juif77 et qui pourrait peut-être remonter dans sa substance jusqu’au Jésus historique.78 Du point de vue de la rédaction matthéenne, le rôle intermédiaire de ces anges s’inscrit, à première vue, dans une connexion entre une situation d’infériorité en ce monde et la supériorité du monde céleste (« dans les cieux », ἐν οὐρανοῖς), mais également, bien que cela soit moins manifeste, entre les attitudes présentes de mépris et un jugement futur. Cette dernière connexion est d’abord suggérée par la forme de l’avertissement (« gardez-vous de mépriser », ὁρᾶτε μὴ καταφρονήσητε), ensuite par l’usage de la formule « mon Père » (τοῦ πατρός μου) qui, on l’a vu, peut impliquer en Matthieu la distance nécessaire à la représentation d’un Dieu-juge, enfin par l’emploi de la forme adverbiale « constamment » (διὰ παντὸς) qui suppose un temps long. Le rapport au jugement ultime est peut-être aussi suggéré par une précision qui arrive plus tard au 74 Cf. 75 Cf.

Marguerat, Le jugement dans l’évangile de Matthieu, 519–520. Lichtenberger, « Mt 18,10 und die Engel in Qumran », 159–160. 76  La valeur des petits constitue la pointe de Mt 18,10 selon Bendoraitis, ‘Behold, the Angels Came and Served Him’, 145–146. 77 Cf. Lichtenberger, « Mt 18,10 und die Engel in Qumran », 160. 78  La seconde partie du verset (« leurs anges dans les cieux regardent constamment la face de mon Père qui est dans les cieux ») constitue le noyau de l’image originale des anges et présente aussi bien des traits rédactionnels que des termes originaux ; cf. Davies/Allison, The Gospel According to Saint Matthew VIII–XVIII, 770. La question mériterait une étude dédiée.

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cours de l’évangile, en Mt 25,32 qui note que le Fils de l’homme juge apparaîtra « avec tous les anges » (καὶ πάντες οἱ ἄγγελοι μετ᾿αὐτοῦ), y compris donc les anges de la Face et non seulement ceux qui jusqu’ici étaient attribués en propre au Fils de l’homme (οἱ ἄγγελοι αὐτοῦ en Mt 13,41 ; 16,27 ; 24,31). Le rôle des anges en Mt 18,10 exprime donc d’abord la sollicitude et la permanence de la bienveillance de Dieu à l’égard des petits qui ont été identifiés comme les membres fragiles de la communauté. Leur élection est en quelque sorte réaffirmée en raison même de leur vulnérabilité et se fonde sans doute sur une « connivence entre le Très-Haut et les petits »79 déjà évoquée dans les textes vétérotestamentaires. Parallèlement ceux qui, par le mépris, ne reconnaissent pas cette élection sont avertis de la présence des anges de la Face qui, en l’occurrence, jouent un rôle d’accusateur. Il semble alors que cette présentation des anges des petits, qui sont aussi les anges de la Face, anticipe, dans le cadre restreint et communautaire, le rôle que tiendra le Fils de l’homme au jour du jugement, sur un plan universel.



La pandémie qui sévit toujours au moment d’écrire ces lignes a donné lieu à des règles de distanciation sanitaire drastiques. Ainsi la place obligatoirement laissée libre entre chaque fidèle dans les lieux de culte a été matérialisée, en certaines églises chrétiennes, sous la forme d’un adhésif représentant une image naïve d’ange avec la mention : « réservé pour votre ange gardien ». Cette communication positive et non dépourvue d’humour a certainement rendu plus supportable l’idée paradoxale d’une distance vitale avec celui dont on est en principe proche, le frère ou la sœur de la communauté. Cet usage de la représentation de l’ange gardien rappelle sur le mode allusif, donc avec tact, qu’en dépit des dangers de la vie demeure la possibilité d’un rapport aux réalités transcendantes, tout en renouant avec l’idée d’une possible protection divine pour chacun et chacune. Quelles que soient les opinions sur les anges et leur existence, le message est efficace car il fait appel à la culture chrétienne commune concernant la représentation d’un ange gardien individuel, tout en la réinventant dans un contexte inédit et incertain. Avec la même concision et la même créativité, la sentence de Mt 18,10 réactive les représentations vétérotestamentaires et juives des anges protecteurs et des anges de la Face. Elle le fait précisément pour traiter d’une question difficile et délicate : l’attitude à prendre envers des membres fragiles ou défaillants de la communauté. L’analogie est certes anachronique : la notion actuelle d’ange gardien ne recouvre pas celle des anges de Mt 18,10.80 Le principe de communica79 

Selon le sous-titre de la thèse de Coulange, Dieu, ami des pauvres. en ce sens Luz, Das Evangelium nach Matthäus (18–25), 28–32. Le texte de Mt 18,10 a été l’objet d’interprétations diverses, dès la plus ancienne littérature chrétienne ; pour un aperçu, voir Bucur, « Matt. 18:10 In Early Christology and Pneumatology » et, dans 80 Voir

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tion reste cependant le même : mettre en relief l’envers du décor qui concerne le fondement vivant de la communauté. Ici, il s’agit de réévaluer une situation sanitaire oppressante et contraignante à la lumière du rapport à Dieu et de sa protection signifiée par les images d’anges gardiens, là est mise en relief la valeur immense des petits aux yeux de Dieu et dans la perspective du jugement à venir, en leur attribuant les anges de la face de Dieu. Pour en revenir plus particulièrement à ces anges dans le contexte du premier évangile, la réduction du grand écart entre la majesté de leur fonction (ange de la Face) et leur attribution aux petits trouve sans doute une raison d’être dans la tradition vétérotestamentaire81 de l’attention de Dieu aux plus pauvres. Toutefois elle anticipe aussi celle du Fils de l’homme qui est révélé simultanément comme juge et comme « frère » des « plus petits » (Mt 25,31–46), mettant en œuvre cette fois une particularité du premier évangile : le critère central du jugement qu’il décrit concerne la seule question du rapport à « ces plus petits ». La représentation des anges des petits en Mt 18,10 constitue alors un trait d’union entre une théologie des pauvres et une christologie des plus petits. Les anges de la Face attribués aux « petits » (μικροί), dans un contexte narratif prépascal, laissent place au Fils de l’homme, frère des « plus petits » (ἐλάχιστοι) dans un contexte narratif de jugement eschatologique et universel. Le lecteur de Matthieu se trouve à l’articulation de l’un et de l’autre contexte, c’est-à-dire dans le temps présent de la décision à prendre par rapport aux « petits » dans sa communauté et aux « plus petits » partout dans le monde.

Bibliographie Bauer, Walter, Wörterbuch zum Neuen Testament, Berlin : De Gruyter, 19886. Bendoraitis, Kristian A., ‘Behold, the Angels Came and Served Him’. A Compositional Analysis of Angels in Matthew (Library of New Testament studies 523), London : T&T Clark, 2015. Berner, Christoph, « The Four (or Seven) Archangels in the First Book of Enoch and Early Jewish Writings of the Second Temple Period », dans : Reiterer, Fried­ rich V./Nicklas, Tobias/Schöpflin, K arin (éd.), Angels: The Concept of Celestial Beings – Origins, Development and Reception (Deuterocanonical and Cognate Literature. Yearbook 2007), Berlin : De Gruyter, 2007, 395–411. Blass, Friedrich/Debrunner, Albert/Rehkopf, Friedrich, Grammatik des neutestamentlichen Griechisch (Göttinger theologische Lehrbücher), Göttingen : Vandenhoeck & Ruprecht, 200118.

le présent volume, la contribution de Michele Cutino sur « Fonctions et limites de l’ἄγγελος λειτουργός chez Origène : aux origines de la figure de l’ange gardien ». 81  Cette tradition s’enracine dans un motif proche-oriental ancien ; cf. l’intéressante étude exégétique et contextuelle du Ps 113 par Coulange, Dieu, ami des pauvres, 23–67.



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Les anges dans l’évangile de Marc : une présence discrète mais efficace Lorenzo Gasparro

1. Introduction La présence des anges dans l’évangile de Marc est un thème très peu exploré. En effet, aucune monographie ou étude n’a été consacrée à ce sujet jusqu’à présent,1 ce qui peut être expliqué par la faible présence des figures angéliques et surtout par la rareté du terme ἄγγελος au sein du deuxième évangile. Bien que le sujet soit discret, il mérite d’être considéré pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’angélologie biblique a récemment fait l’objet d’un regain d’intérêt, après avoir été un temps négligé. Si la recherche exégétique dominée par la méthode historico-critique a trouvé dans l’angélologie (et la démonologie) un sujet privilégié de la « démythologisation »,2 en l’assimilant à un atoll parvenu à la foi israélite dans un processus similaire à celui de la transmigration des continents,3 les nouvelles méthodes synchroniques ont, en revanche, ravivé la curiosité pour ce thème.4 L’importance des anges n’est pas du tout négligeable dans l’Écriture, ne serait-ce que pour des raisons statistiques. En outre, le thème transversal de l’angélologie convoque inévitablement, en sus de l’exégèse, d’autres disciplines comme l’herméneutique et la théologie. En effet, ce sujet ne peut être traité d’un point de vue purement textuel, mais suscite inévitablement des questions de nature philosophique, dogmatique ou eschatologique. En ce sens, il remet en question l’autonomie et l’interdisciplinarité de l’exégèse ainsi que sa confrontation (épineuse) avec la théologie biblique.5 1 L’angélologie marcienne n’est pas non plus traitée comme un sujet spécifique dans : Grundmann, Walter/von R ad, Gerhard/Kittel, Gerhard, « ἄγγελος,  ἀρχάγγελος ἰσάγγελος ». 2  Célèbre et éloquente est, à cet égard, la phrase de son promoteur : « On ne peut pas utiliser l’électricité et la radio, utiliser les instruments médicaux et cliniques modernes en cas de maladie, et ensuite croire au monde des esprits et aux miracles du Nouveau Testament » (Bultmann, Kerygma und Mythos, 18). 3  De nombreux chercheurs identifient la préhistoire de la tradition sur les anges dans la cosmologie cananéenne et babylonienne, progressivement intégrées dans l’Ancien Testament et dans la tradition d’Israël. Cf. von R ad, Theologie, 284–286 ; Michl, « Engel », 63. 4 Cf. Heiser, What the Bible Really Says. 5  Sur ce débat, voir Beauchamp, « Accomplir les Écritures ».

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Par ailleurs, il faut reconnaître que peu de domaines ont subi les effets d’une certaine idéologie aprioristique comme celui-ci. Cela a été noté à juste titre : « nous devons nous demander si notre mentalité scientifique actuelle ne cache pas une répulsion a priori inconsciente et presque instinctive envers le monde angélique et démoniaque et si cette résistance ne risque pas de porter préjudice à l’investigation biblique ».6 Considérons, enfin, qu’aucun thème ne fait un usage massif des ressources et du vocabulaire du symbolisme comme celui de l’angélologie (et de la démonologie). Une interprétation correcte des passages bibliques qui le concernent requiert donc une attention préalable au dynamisme du symbole, dans le sens le plus profond du terme. Après une longue période qui a confiné le symbolisme dans un régime pré-logique, voire anti-logique, il est aujourd’hui clair qu’il faut comprendre plutôt ce langage/monde comme sur-logique ou différemment-logique.7 Cet excès de sens du symbolisme doit être pris en compte dans l’évaluation des résultats de notre analyse.

2.  Le vocabulaire spécifique dans le deuxième évangile Les occurrences du terme ἄγγελος dans Marc sont seulement au nombre de six. Leur rareté a souvent été justifiée par le fait que l’évangéliste ne fait pas figurer les récits de l’enfance. Cela est vrai dans une certaine mesure par rapport à Luc (où 14 des 25 occurrences sont placées dans cette section) mais beaucoup moins pour Matthieu (seulement 4 des 20 occurrences matthéennes reviennent dans les trois premiers chapitres).8 Même en excluant ces récits de l’enfance, la présence de ce terme chez Marc est nettement plus faible (Jean est le seul à compter moins d’occurrences). Cependant ce serait une erreur de mettre hâtivement en parallèle ces données quantitatives avec la pertinence du thème. Il est connu que le terme ἄγγελος indique en grec à la fois un esprit céleste et un messager humain, obligeant les traducteurs modernes à choisir chaque fois l’un ou l’autre sens.9 Même le deuxième évangile témoigne de la présence de ces deux sens, comme nous le verrons en analysant les différentes occurrences.

6 

Bonora, « Editoriale ».

7  Sur ce sujet, voir Frye, The Great Code, 174. 8  Matthieu reprend en parallèle tous les emplois

de Marc. Luc fait de même, sauf pour Mc 13,27.32. Les occurrences dans Jean sont au nombre de 3 (1,51 ; 12,29 ; 20,12). 9  Cette double valence se retrouve déjà pour le terme ‫( מלאך‬de la racine ‫לאך‬, « envoyer ») qui désigne un être humain dans 86 des 213 mentions de l’Ancien Testament, alors que le terme ἄγγελος prend le premier sens dans au moins 5 des 175 mentions du Nouveau Testament. Cf. Biguzzi, « Angeli », 42. La Vulgate résout l’ambiguïté en distinguant angelus de nuntius.

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2.1.  Mc 1,2 : « Voici, devant toi j’envoie mon messager » Bien qu’au début du verset, Marc cite explicitement le prophète Isaïe (« comme il est écrit dans le prophète Isaïe ») dans ce que beaucoup appellent la citation biblique la plus complète et la plus explicite de son récit,10 la phrase en question (ἰδοὺ ἀποστέλλω τὸν ἄγγελόν μου πρὸ προσώπου σου) s’apparente beaucoup plus à Ex 23,2011 et Ml 3,1.12 Si les similitudes formelles avec le premier texte sont plus fortes, il est probable que Marc fasse plus directement allusion à Ml 3,1 où le messager en question prépare Israël au jugement à venir, une tâche similaire à celle de Jean avec son baptême rituel dans Marc.13 Tandis que Ml 3,22–23 identifie ce messager à Élie, envoyé par Dieu pour une tâche de réconciliation, Marc présentera plutôt Jean comme l’Élie revenu (Mc 1,6 ; 9,11–13). On peut alors se demander devant qui le messager est envoyé (« devant toi »). Il ne peut pas s’agir du lecteur qui, dans Marc, n’est interpellé directement qu’en 13,14 (« que celui qui lit comprenne »). En effet, seuls Jésus et Isaïe ont été mentionnés jusqu’à présent et ce dernier est à exclure, puisque la formule γέγραπται ἐν τῷ Ἠσαΐᾳ fait référence au livre et non à l’écrivain, il ne reste donc que Jésus.14 Les commentateurs s’accordent à voir dans cette première occurrence du terme ἄγγελος un messager humain, et plus précisément Jean le Baptiste, confirmant ainsi que le Nouveau Testament ne considère pas ἄγγελος comme un terme technique désignant un esprit céleste, mais plutôt comme un synonyme de « messager ». Cette première occurrence offre, en ce sens, un critère herméneutique important, en suggérant que l’identification du deuxième ἄγγελος avec un esprit céleste exige une indication explicite ou un contexte le désignant. Pourtant, la donnée textuelle a eu un certain effet sur la tradition interprétative, comme en témoigne la tradition iconographique byzantine, probablement sur la base de ce verset, qui représente Jean Baptiste avec des ailes, le désignant comme ἔνσαρκος ἄγγελος, c’est-à-dire un « ange dans la chair ». 2.2.  Mc 1,13 : « Il était avec les bêtes sauvages, et les anges le servaient » La deuxième occurrence du terme apparaît dans le récit des tentations de Jésus (Mc 1,12–13), présent également dans les deux autres synoptiques (Mt 4,1–11 ; Lc 4,1–13), mais proposée par Marc de manière extrêmement condensée. Matthieu et Luc parlent du jeûne de Jésus pendant les quarante jours et de la faim qui en a résulté, préparant ainsi la première tentation. Seul Matthieu reprend la mention des anges (4,11) après la victoire sur le tentateur, tandis que le détail 10  11 

Collins, Vangelo di Marco, 254. Ex 23,20LXX : καὶ ἰδοὺ ἐγὼ ἀποστέλλω τὸν ἄγγελόν μου πρὸ προσώπου σου. 12 Ml 3,1LXX  : ἰδοὺ ἐγὼ ἐξαποστέλλω τὸν ἄγγελόν μου καὶ ἐπιβλέψεται ὁδὸν πρὸ προσώπου μου. 13  Collins, Vangelo di Marco, 254–255. 14  van Iersel, Marco. La lettura e la risposta, 84–85.

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des bêtes féroces, qui joue un rôle important dans Marc, est absent dans Matthieu et Luc. Pour comprendre la portée du terme ἄγγελος ici, il est important de considérer les autres éléments du récit, et en particulier ces « bêtes sauvages » (θηρία) qui semblent agir en contrepoint. Selon certains, la présence de ces figures animales vise à présenter Jésus comme le « nouvel Adam », dans une condition paradisiaque.15 À notre avis, il est plus judicieux de lire dans le récit marcien deux groupes opposés qui s’affrontent et qui sont représentés par le couple Jésus-anges et celui de Satan-bêtes sauvages.16 On trouve en effet une juxtaposition narrative similaire dans le Ps 91 (surtout v. 11–13),17 dans sa réception talmudique18 et à Qumrân.19 D’anciennes attestations écrites et une amulette magique de l’époque romaine trouvée en Crimée témoignent de l’assimilation des « bêtes sauvages » et des « démons » dans la religion populaire et dans de nombreuses formules d’exorcisme.20 Dans certaines de ces prières, le terme θηρία est utilisé spécifiquement pour désigner les démons sous forme animale.21 Un tel lien est également attesté dans certains passages bibliques, comme dans l’oracle d’Isaïe 13 contre Babylone qui associe θηρία à δαιμόνια.22 Bien qu’à d’autres endroits du Nouveau Testament le verbe διακονέω désigne le service de table (Lc  10,40 ; 12,37 ; 17,8 ; 22,27 ; Jn 12,2 ; Ac 6,2), chez Marc un tel sens n’est évident qu’en 1,31 (pour la belle-mère de Simon) ; dans tous les autres cas, il suppose un sens plus large et plus diversifié (cf. Mc 10,45 ; 15,41),23 confirmé également par l’absence de référence au jeûne dans la version de Marc. Notons que le temps du verbe à l’imparfait (διηκόνουν) indique que le service des anges s’étend à l’ensemble du séjour de Jésus dans le désert, et ne concerne pas seulement sa fin (comme dans Mt 4,11).24 Ces données suggèrent que, dans Marc, le soutien angélique fait plutôt référence à la confrontation dont on vient de parler : celle de Jésus contre Satan et ses disciples identifiés par 15  16 

Pesch, Il vangelo di Marco, I, 171–172 ; Focant, L’évangile selon Marc, 71–72. Collins, Vangelo di Marco, 281. 17  Ps 91,11–13 [90,11–13 LXX ] : « Il a pour toi donné ordre à ses anges de te garder en toutes tes voies. Sur leurs mains ils te porteront pour qu’aucune pierre ton pied ne heurte ; sur le fauve et la vipère tu marcheras, tu fouleras le lionceau et le dragon. » 18  TB Shebuʿoth, 15b. 19  Notamment dans certains psaumes apocryphes trouvés dans la grotte 11 et destinés à la pratique de l’exorcisme : Alexander, « The Demonology of the Dead Sea Scrolls », 332–333. 20  Collins, Vangelo di Marco, 280 ; Focant, L’évangile selon Marc, 74. 21  Kotansky, Greek magical amulets, 383–385. 22  Is 13,21LXX : « Et s’y reposeront les bêtes sauvages (θηρία), et les maisons seront remplies de bruit, et des sirènes y reposeront, et des démons(δαιμόνια) y danseront » 23  De cette opinion : Dupont, « L’arrière-fond biblique du récit des tentations de Jésus », 294 ; Stock, Le Pericopi Iniziali, 97 ; Caneday, « Mark’s Provocative Use of Scripture », 32. D’un avis différent : Pesch, Il vangelo di Marco, I, 172. 24  « Les anges le servent par toutes sortes de bons offices » déclare Lagrange, Évangile selon saint Marc, 15.



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le terme θηρία,25 en accord avec le témoignage déjà cité du Ps 91,11–13 où les anges aident et assistent les justes tentés ou éprouvés. En ce sens, le récit de Marc mettrait en scène une sorte de bataille entre deux camps opposés, dirigés respectivement par Jésus et Satan, où les ἄγγελοι constituent l’armée du premier et les θηρία celle du second. Cette lutte ne doit pas être considérée dans un sens exclusivement eschatologique, comme le font certains auteurs à la lumière des autres occurrences du terme ἄγγελος (8,38 ; 12,25 ; 13, 27.32) et en voyant dans cet épisode la préfiguration de la défaite finale du mal au dernier éon.26 Il s’agit d’un combat qui assure également une fonction paradigmatique face au croyant qui se trouve dans la même situation. Enfin, la brève note de Mc 1,13 sur le « service » des anges n’est pas sans conséquences sur le plan christologique puisqu’elle affirme – implicitement – la subordination de ces êtres à Jésus. Cet aspect sera traité ultérieurement. 2.3.  Mc 8,38 : « Le Fils de l’homme venant avec les saints anges » Avec la troisième péricope, nous inaugurons une série de quatre occurrences de ἄγγελος dans un contexte clairement eschatologique (Mc 8,38 ; 12,25 ; 13,27.32). Le v. 3827 contient une parole prophétique qui menace ceux qui ont honte de Jésus et de ses paroles, proclamant que lorsqu’il viendra, lui aussi aura honte d’eux. Dans une sorte de version eschatologique de la loi du talion,28 les actions de l’homme en ce temps et les actions du Fils de l’homme dans le futur eschatologique sont directement mises en comparaison. Matthieu présente un discours très différent, mettant l’accent sur la venue du Fils de l’homme pour rendre à chacun selon ses actes (16,27),29 tandis que Luc (9,26)30 s’en tient plus étroitement au texte de Marc, bien qu’omettant l’expression « avant cette génération adultère et pécheresse ».31 25  Ainsi, parmi d’autres, Best, The Temptation and Passion, 9–10 ; Hooker, The Gospel according to saint Mark, 51. 26  Filannino, « Mettere ordine tra animali e angeli », 216. 27  Mc  8,38 : ὃς γὰρ ἐὰν ἐπαισχυνθῇ με καὶ τοὺς ἐμοὺς λόγους ἐν τῇ γενεᾷ ταύτῃ τῇ μοιχαλίδι καὶ ἁμαρτωλῷ, καὶ ὁ υἱὸς τοῦ ἀνθρώπου ἐπαισχυνθήσεται αὐτόν, ὅταν ἔλθῃ ἐν τῇ δόξῃ τοῦ πατρὸς αὐτοῦ μετὰ τῶν ἀγγέλων τῶν ἁγίων. 28  Pesch, Il vangelo di Marco, II, 107. 29  Mt 16,27 : « C’est qu’en effet le Fils de l’homme doit venir dans la gloire de son Père, avec ses anges (μετὰ τῶν ἀγγέλων αὐτοῦ), et alors il rendra à chacun selon sa conduite. » 30  Lc 9,26 : « Car celui qui aura rougi de moi et de mes paroles, de celui-là le Fils de l’homme rougira, lorsqu’il viendra dans sa gloire et dans celle du Père et des saints anges (καὶ τῶν ἁγίων ἀγγέλων). » 31  Matthieu et Luc proposent tous deux une autre parole similaire, mais sans correspondance marcienne (Mt 10,32–33 ; Lc 12,8–9), mais la mention des anges n’est présente que chez Luc : « Je vous le dis, quiconque se sera déclaré pour moi devant les hommes, le Fils de l’homme aussi se déclarera pour lui devant les anges de Dieu ; mais celui qui m’aura renié à la face des hommes sera renié à la face des anges de Dieu (ἔμπροσθεν τῶν ἀγγέλων τοῦ θεοῦ). »

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Dans ce contexte, la présence des ἄγγελοι représenterait, selon certains, une transposition du tribunal judiciaire de Dieu présent dans d’autres textes tel que 1 Hénoch.32 Cependant, dans le récit marcien, les anges ne font pas l’objet d’une action directe et distincte comme dans le cas précédent, mais ils agissent plutôt comme des accompagnateurs (μετά) du Fils de l’homme qui vient « dans la gloire de son Père », dans une sorte de « procession céleste ». Une telle venue a clairement des connotations judiciaires et eschatologiques, comme en témoigne l’emploi du terme « gloire » (ἐν τῇ δόξῃ) qui évoque un temps ultime et une venue définitive, rappelant la scène de Mc 13,27 (et en parallèle de Mt 24,31 ; 13,41 ; 25,31 ; 2Th 1,7).33 Bien que la présence des anges qui escortent le Fils de l’homme puisse être lue dans une perspective eschatologique, comme un signe de la gloire et de la nature divine de ce personnage, il nous semble que le sens et la fonction de cette apparition peuvent être compris de manière plus significative. Comme dans le cas précédent de Mc 1,13, ici aussi le terme ἄγγελος semble apparaître en opposition à d’autres sujets. En effet, Jésus proclame que le Fils de l’homme aura honte devant les « saints anges » comme ses interlocuteurs ont eu honte devant « cette génération », les termes γενεά et ἄγγελος étant le champ d’accomplissement du même verbe ἐπαισχύνομαι. Il semble dire : si tu me renies devant ce monde représenté par les êtres humains, je te renierai devant mon monde représenté par le tribunal céleste. Dans ce cas, la référence aux anges ne se réduirait pas à la reprise d’un cliché de la tradition biblico-orientale,34 mais serait au service d’une opposition significative entre γενεά et ἄγγελοι, qui résulterait également des adjectifs antithétiques « adultère », « pécheur » (μοιχαλίς, ἁμαρτωλός) et « saint » (ἅγιος) qui les connotent.35 Le sens et les conséquences de cette dialectique sont alors très éloquents, car si la première négation se perpétue devant la génération humaine placée dans un temps transitoire, la seconde est au contraire prononcée devant le tribunal de Dieu et dans un régime d’éternité. 2.4.  Mc 12,25 : « Comme des anges dans les cieux » La déclaration en question fait partie d’une controverse avec les sadducéens qui a pour objet le mariage et plus précisément la résurrection (12,18–27).36 Pour 32 

1 Hénoch 47,3. Cf. Pesch, Il vangelo di Marco, II, 108, n. 30. juxtaposition similaire de Père, Fils (de l’homme) et anges est présente également en Mc 13,32 (et 1 Tm 5,21 ; Ap 1,4–5) où les anges semblent aider le Fils de l’homme à rassembler les élus. 34  Comme l’affirment bon nombre d’exégètes, y compris Pesch, Il vangelo di Marco, II, 108. 35  Cette opposition explique probablement l’unique occurrence dans Marc de l’expression « saints anges », qui n’apparaît ailleurs que dans le parallèle lucanien de 9,26 et dans Ap 14,10. Il s’agit d’un syntagme typique de la littérature apocalyptique (1 Hénoch 23,4 ; 71,1). 36  « Adeptes d’une théologie extrêmement conservatrice et issus de la noblesse terrienne et sacerdotale de Jérusalem, les sadducéens n’acceptaient pas les idées développées par le ju33  Une



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justifier leur scepticisme à l’égard de cette dernière, les sadducéens racontent à Jésus une histoire inventée (un cas d’école typique) sur une femme qui épouse sept maris, afin d’en déduire l’impossibilité de la résurrection. Dans sa réponse, Jésus précise que pour bien comprendre la résurrection il faut dépasser la sphère purement humaine, et conclut qu’à la résurrection, les morts « ne prendront ni femme ni mari, mais seront comme des anges dans le ciel ». Comment apparaissent exactement les anges au ciel ? En fait, personne ne le sait, sinon qu’il s’agit d’êtres lumineux, spirituels et appartenant à une autre réalité. Les descriptions apocalyptiques accentuent leur diversité et leur supériorité par rapport aux hommes, mais guère plus. En évoquant la figure des anges en relation avec la résurrection, Jésus semble vouloir expliquer une réalité mystérieuse par quelque chose d’encore plus obscur (obscura per obscuriora). L’idée sous-jacente est que l’humanité ressuscitée sera différente, nouvelle et complètement distincte des êtres humains, il serait complètement faux de projeter les schémas de la vie terrestre sur l’au-delà.37 Les paroles de Jésus reprennent essentiellement des motifs de l’époque, par exemple que les « anges » sont considérés comme immortels et n’ont pas besoin de se reproduire par le mariage. L’idée que les ressuscités soient égaux aux anges est répandue dans la littérature apocalyptique et dans le livre d’Hénoch (1 Hénoch 39, 4–8 ; 51, 4 ; 104, 6 ; 2  Baruch 51, 10).38 Les écrits rabbiniques tardifs parlent des anges comme les habitants d’un « monde supérieur » où l’on ne se marie pas, ne se reproduit pas et où on ne meurt même pas (1 Hénoch 15, 6–7).39 Le lien entre les anges et le mariage de notre logion (« ils ne prendront ni femme ni mari, mais ils seront comme des anges dans le ciel ») apparaît également en Gn 6,1–4, où certains êtres angéliques (« fils de Dieu ») quittent le ciel pour s’unir à des femmes. Ce qui suggère que ceux qui ont fait le choix de rester au ciel aient renoncé à une activité sexuelle. Ce fait, ainsi que celui de renoncer au mariage qui semble annuler la différence entre homme et femme (cf. Ga 3,27–28 ; 5,6 ; 6,15), est probablement à l’origine de la tradition qui voit les anges comme des êtres asexués. Au niveau argumentatif, l’incise ὡς ἄγγελοι ἐν τοῖς οὐρανοῖς n’est pas essentielle au raisonnement de Jésus dans sa réponse, mais elle s’avère tout à fait appropriée si on considère que les sadducéens ne croyaient pas aux anges (cf. Ac 23,8). daïsme primitif et diffusées par la littérature apocalyptique, telles que le concept de destin et de prédestination, l’attente de la résurrection, la doctrine des anges et des démons, ainsi que l’attente du Messie » : Pesch, Marco, II, 348. 37  Standaert, Marco. Vangelo di una notte, 640. 38  Pesch, Il vangelo di Marco, II, 351 ; van Iersel, Marco. La lettura e la risposta, 343. Thiessen voit dans la mention des anges une allusion à certains passages du Pentateuque dans lesquels il est question des « étoiles du ciel » (Gn 15,5 ; 22,17 ; 26,14), auxquelles les anges étaient comparés dans la littérature juive : Thiessen, A Buried Pentateuchal Allusion. 39 Strack/Billerbeck, Kommentar zum Neuen Testament aus Talmud und Midrasch, I, 891.

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Au niveau intradiégétique, elle a donc une fonction qui n’est en rien accessoire et qui est quelque peu ironique. En plus de démentir la pensée de ses interlocuteurs sur la résurrection, le Jésus de Marc affirme l’existence réelle de figures angéliques, reprochant indirectement leur scepticisme à ce sujet. Il se montre ainsi très habile à faire d’une pierre deux coups. Comme l’a bien observé le Père Lagrange, la référence aux anges en 12,25 ne vise pas tant à souligner leur nature spécifique, qu’à mettre en évidence leur différence par rapport aux êtres humains.40 La mention doit donc être lue comme une clarification du fait que la réalité et la vie futures seront en profonde discontinuité avec le présent. Plus précisément, la dimension relationnelle que les sadducéens appliquent à la vie post-mortem, en prenant le contexte familial comme pierre de touche, est élargie par Jésus à un registre beaucoup plus vaste qui se réfère à Dieu. Dans cette perspective, les anges représentent cette modalité complètement nouvelle et différente par rapport aux paramètres simplement et étroitement humains, symbolisant le concept du « totalement autre » de Karl Barth. 2.5.  Mc 13,27 : « Il enverra les anges pour rassembler ses élus » La cinquième occurrence d’ἄγγελος apparaît au sein du discours eschatologique de Mc 13. Cette page, qui a pour thème l’avenir de la communauté chrétienne, du genre humain et du monde entier, est l’une des plus complexes et des plus structurées du deuxième évangile. Deux interventions divines distinctes sont envisagées dans le chapitre : un acte de jugement sans médiateur et un acte de salut avec la médiation du Fils de l’homme et de ses anges, dans la lignée des apocalypses juives. Le v. 27 apparaît précisément dans la section consacrée à la venue du Fils de l’homme (v. 24–27), composée de trois scènes concentriques.41 L’expression ἐν ἐκείναις ταῖς ἡμέραις qui inaugure la scène ne la contextualise pas précisément, mais exprime l’indétermination chronologique des événements racontés. L’arrivée du Fils de l’homme, inspirée de la scène de Dn 7,13–14, aura pour spectateur un groupement (« ils verront ») et se déroulera dans un contexte clairement théophanique (« sur les nuées », « grande puissance », « gloire » et « anges ») mais sans aucune tonalité de menace ou de punition. L’attention est en effet portée sur le rassemblement des élus (« il rassemblera ses élus ») et sur sa dimension universaliste (« des quatre vents, de l’extrémité de la terre à l’extrémité du ciel »),42 reprenant une vision cosmologique typique de l’Antiquité43 40  « La comparaison porte moins sur la nature des anges que sur leur occupation […]. Jésus n’insiste ni sur les modalités de la résurrection, ni sur la nature des anges. Il oppose la situation des hommes sur la terre à celle des ressuscités dans le ciel, c’est-à-dire auprès de Dieu, vivant de sa vie » : Lagrange, Évangile selon saint Marc, 319. 41 Cf. van Iersel, Marco. La lettura e la risposta, 368. 42  Collins, Vangelo di Marco, II, 977–978. 43 Cf. Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, II, 47.



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et l’idée biblique de la dispersion du peuple de Dieu et de sa réunion à la fin des temps.44 L’absence de dates précises distingue clairement les paroles de Jésus de l’apocalyptique classique, qui tente au contraire de calculer le temps et la durée des événements futurs.45 Les élus, qui ont enduré des tribulations, sont rassemblés par des messagers célestes envoyés par le Fils de l’homme et appelés ἄγγελοι. Le « mandat » (ἀποστέλλω) spécifique qui leur est assigné consiste à « rassembler » (ἐπισυνάγω)46 les élus, une tâche qui rappelle celle des « moissonneurs » de Mt 13,39 (« la moisson représente la fin du monde, et les moissonneurs sont les anges »)47 et d’Ap 14,15 (« un autre ange sortit du temple, criant d’une voix forte à celui qui était assis sur la nuée : ‘Jette ta faucille et moissonne ; l’heure est venue de moissonner, car la moisson de la terre est mûre’ »). Le Fils de l’homme occupe une position prééminente tandis que les anges exécutent ses ordres et le servent en tant que collaborateurs, ne faisant qu’accomplir une tâche qui leur est assignée. Bien qu’ils ne jouent pas un rôle de premier plan, leur tâche n’est pas décrite par Marc en termes d’apparition purement passive, mais de participation active – bien que complémentaire et mandatée – aux événements concernant le salut. Marc ne fait que reprendre ici la conception de l’Ancien Testament considérant les anges comme des représentants du monde céleste. Ce passage est en harmonie avec les autres récits évangéliques qui décrivent la participation concrète des anges aux événements eschatologiques, durant lesquels ils accompagnent le Christ glorieux et l’assistent dans le jugement (Mt 13,39.41.49 ; 16,27 ; 24,31 ; 25,31 ; Lc 9,23). En ce sens, l’auteur du deuxième évangile fait sien un motif récurrent dans la littérature apocalyptique, où les anges ne sont pas seulement présents au jugement, mais y collaborent activement. En les décrivant au service du Christ dans sa mission finale, Marc confirme essentiellement le témoignage du Nouveau Testament qui exclut tout nivellement ou assimilation entre les anges et le Christ. 2.6.  Mc 13,32 : « Ni les anges du ciel, ni le Fils, personne sinon le Père » La dernière occurrence d’ἄγγελος apparaît encore dans le discours eschatologique de Mc 13. Après avoir affirmé que tout s’accomplira « avant que cette génération ne passe » (13,30), voilà que, de manière surprenante, Jésus affirme son ignorance du jour et de l’heure précis (τῆς ἡμέρας ἐκείνης ἢ τῆς ὥρας), réser44  Pour les « quatre vents » : Za 2,10LXX ; 6,5 ; Jr 42,36 ; Ez 37,9 ; Dn 7,2 ; 11,4 ; et pour les « extrémités du ciel et de la terre » : Dt 30,3–4 ; 13,8 ; 28,64. 45 Cf. Strack/Billerbeck, Kommentar zum Neuen Testament aus Talmud und Midrasch, II, 977–1015. 46  Le verbe n’apparaît qu’une seule autre fois dans l’évangile, en Mc 1,33 : « Toute la ville était rassemblée devant la porte. » 47  Mt 13,39 : οἱ δὲ θερισταὶ ἄγγελοί εἰσιν.

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vant cette connaissance au Père seul. Cette déclaration est surprenante et a une saveur paradoxale, notamment lorsqu’elle est juxtaposée au long discours précédent qui décrit de manière précise ce qui doit se passer dans les temps futurs, comme pour dire que l’on peut savoir le « quoi » mais pas le « quand ». L’ignorance du jour et de l’heure justifie le fait qu’il faut toujours être sur ses gardes et attendre le moment suprême, où « l’heure » (ὥρα) de 13,32 s’accomplira. Dans le verset suivant, réapparaît de manière intéressante le terme καιρός (13,33) qui, en 1,15, se réfère au Royaume et le relie maintenant à l’ὥρα de la Passion,48 favorisant un lien entre la première et la deuxième partie du récit marcien. En laissant un vide entre les deux termes, cependant, et en accentuant le fait que « personne ne connaît l’heure », Marc empêche leur identification complète, suggérant que les pôles du Royaume et de la Pâque, bien que liés, ne sont pas complètement assimilables.49 L’affirmation « même pas les anges du ciel » a pour fonction d’hyperboliser le thème de l’inconnaissabilité, sur lequel le Jésus de Marc insiste dans les derniers versets du discours. Le thème de l’ignorance des anges se retrouve déjà dans le judaïsme (4 Esdras 4,52 ; cf. 1 P 1,12 ; Ep 3,10), tout comme le fait que Dieu se réserve le temps de sa révélation définitive (Za 14,7 ; Ps 17,23 ; Ba 21,8).50 Dans le contexte marcien, la déclaration vise à souligner l’impossibilité de prévoir l’heure eschatologique : si elle ne peut être révélée aux anges, conseillers du TrèsHaut (Jb 1–2), par le Fils, « révélateur » par excellence du Père, à plus forte raison ne peut-elle être prévue par les disciples ou par tout autre lecteur.51 Le Jésus de Marc proclame ainsi indirectement que la venue finale du Fils de l’homme est un secret plus défendu et plus impénétrable que sa propre identité, qui tout au long du récit est connue à la fois par le Fils lui-même et par les esprits impurs. L’impossibilité de connaître l’ὥρα concerne ensuite une catégorie d’êtres qui, dans l’Écriture, a la tâche spécifique d’annoncer les choses inconnues ou inconnaissables aux hommes. La déclaration de Jésus constitue ainsi une reconnaissance implicite, per viam negationis, de la supériorité cognitive des anges sur les hommes en ce qui concerne les choses de Dieu, fonctionnant en quelque sorte comme l’exception classique « qui confirme la règle ». Mais la phrase en question revêt également une valeur christologique, dessinant en effet une progression significative de ce type : a) ni les hommes ; b) ni les anges ; c) ni le Fils ; d) mais seulement le Père. Dans un schéma idéal qui a pour paramètre la connaissance du moment final, le Fils de l’homme est présenté comme supérieur aux anges, 48  Toutes les occurrences d’ὥρα, à l’exception des deux cas où elle est liée à la scansion du jour (6,35 ; 11,11), apparaissent dans la section de la Passion et avec une référence à ce thème (13,11.32 ; 14,35.37.41 ; 15,25.33.34). Le développement johannique de ce terme trouve donc dans le deuxième évangile une anticipation et peut-être sa préparation. 49  Cf. Gasparro, Simbolo e narrazione, 342. 50  D’autres témoignages se trouvent en Strack/Billerbeck, Kommentar zum Neuen Testament aus Talmud und Midrasch, II, 47. 51 Mascilongo, Il vangelo di Marco, 729.



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mais inférieur au Père. La portée théologique de cette disposition est fort intéressante car elle suggère que la distinction qui caractérise les différentes figures de la transcendance ne concerne pas seulement leur nature propre, mais également le champ spécifique de la connaissance. 2.7.  Mc 16,5 : « Un jeune homme assis à droite, vêtu d’une robe blanche » Ce dernier passage de Mc 16,5 –  à mon sens éclairant pour l’angélologie de Marc – ne présente pourtant pas le vocabulaire spécifique qu’on a pu voir dans les autres cas.52 À première vue, Marc ne semble pas vouloir attribuer au νεανίσκος (« petit garçon » ou « jeune homme ») présent à la tombe une identité angélique. En effet, il aurait pu utiliser le terme spécifique ἄγγελος, comme il le fait en six autres endroits. Cependant, l’idée de νεανίσκος comme un euphémisme pour un ange, est très ancienne dans le domaine de l’interprétation.53

2.7.1.  Le νεανίσκος marcien : jeune homme ou ange ? Plusieurs éléments du récit de Mc 16 suggèrent que ce « jeune homme » a une identité angélique : a) la « peur » ou l’« émerveillement » des femmes lorsqu’elles le voient (ἐκθαμβέομαι) ;54 b) les « robes blanches » typiques des angélophanies (Dn  10,5–6 ; Ac  1,10 ; Ap  1,14 ; 6,11) ;55 c) l’annonce d’un message inattendu ; d) le contenu même de l’annonce, inconnu et inconnaissable pour tout être humain ; e) sa position particulière (« assis à la droite »).56 Un autre indice, qu’on pourrait définir comme un argumentum e silentio, est le fait que le récit ne nie jamais qu’il s’agisse d’un ange. En fait, la scène contient les trois éléments généralement reconnus comme typiques des angélophanies : l’aspect lumineux, le message révélateur, la réaction de peur.57 Tant l’apparence physique que le message révélateur dont il est porteur, coïncident avec ce qui est associé dans l’imaginaire commun à un être angélique. 52  Mc 16,5 : Καὶ εἰσελθοῦσαι εἰς τὸ μνημεῖον εἶδον νεανίσκον καθήμενον ἐν τοῖς δεξιοῖς περιβεβλημένον στολὴν λευκήν, καὶ ἐξεθαμβήθησαν. 53  Fletcher-Louis, Luke-Acts: Angels, Christology and Soteriology, 131, n. 135 ; Mach, Entwicklungsstadien des jüdischen Engelglaubens, 307, n. 81. Elle reflète la position de la plupart des exégètes à l’heure actuelle. Parmi les quelques exceptions : Oakeshott, « How unlike an angel », 362–369. 54  Il s’agit d’un verbe qui est typique de Marc et apparait uniquement dans son récit (9,15 ; 14,33 ; 16,5.6). 55 La même expression de Marc (περιβεβλημένον στολὴν λευκήν) revient aussi en Ap 7,9.13. 56 L’expression καθήμενον ἐν τοῖς δεξιοῖς présente l’article en position emphatique et évoque la formule « assieds-toi à ma droite » du psaume messianique 110, déjà cité par Marc en 12,36 et 14,62. Qu’il soit à la place du cadavre, « assis » plutôt que couché et « vêtu » plutôt que nu (comme tout cadavre) constitue également un ensemble de détails intéressants. Cf. Standaert, Marco. Vangelo di una notte, 876. 57 Cf. Sullivan, Wrestling with Angels, 83.

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Ce choix de Marc est tout à fait plausible et fait écho à une certaine tradition biblique, puisqu’à d’autres endroits de l’Écriture les anges apparaissent sous forme humaine et ne peuvent être identifiés ou reconnus tant qu’ils ne révèlent pas leur véritable identité (Gn 18–19, 32 ; 2  M 3,26.33 ; cf. Jos, Ez, Za, Tb).58 La représentation des anges en tant que jeunes hommes est également attestée au niveau extrabiblique, par exemple chez Flavius Josèphe59 ou dans le Pasteur d’Hermas. Il est donc fort probable que le νεανίσκος marcien, aussi, représente un euphémisme pour un ange, sans que cela suggère que cette identification ne s’étende, au-delà de l’apparence physique, à la nature même.60 En ce sens, Marc ne fait que suivre un cliché attesté dans la littérature contemporaine, tant bibli­ que que juive. En fait, il est bien connu que ce n’est qu’à la fin de la période du Second Temple, lorsque l’angélologie s’est amplifiée de façon considérable, qu’on a commencé à distinguer les figures angéliques plus précisément et que certains textes (comme Genèse) ont probablement été retouchés pour mieux les identifier lorsqu’il pouvait y avoir une certaine ambiguïté.61

2.7.2.  La comparaison synoptique D’autres indications se trouvent dans la reprise de l’épisode au tombeau par les autres synoptiques. Matthieu parle explicitement d’un ἄγγελος κυρίου (28,2) : le fait qu’il se réfère à la même figure présente dans Marc est suggéré par plusieurs éléments : a) la même position assise (Mc 16,5 : καθήμενον ; Mt 28,2 : ἐκάθητο) ; c) les vêtements blancs (Mc 16,5 : στολὴν λευκήν ; Mt 28,3 : ἔνδυμα λευκόν) ; d) le message transmis (Mc 16,6 : ἠγέρθη, οὐκ ἔστιν ὧδε ; Mt 28,6 : οὐκ ἔστιν ὧδε, ἠγέρθη) ; e) la référence à la parole précédente du maître (Mc 16,7 : καθὼς εἶπεν ὑμῖν ; Mt 28,6 : καθὼς εἶπεν) ; f ) l’annonce de la rencontre en Galilée (Mc 16,7 : προάγει ὑμᾶς εἰς τὴν Γαλιλαίαν ; Mt 28,7 : προάγει ὑμᾶς εἰς τὴν Γαλιλαίαν) ; g) la peur qui en résulte pour les femmes (Mc 16,5 : ἐξεθαμβήθησαν ; Mt 28,8 : μετὰ φόβου). Tous ces éléments laissent peu de doute sur le fait que Matthieu – qu’il ait édité la source marcienne ou qu’il se soit référé ici à une autre tradition – voit et comprend le jeune homme de Marc comme un véritable ange. Luc, contrairement à Matthieu, parle de « deux hommes » (24,4 : ἄνδρες δύο), mais un peu plus tard, dans le compte rendu de Cléopas à Jésus sur le chemin d’Emmaüs, il est fait mention d’une manifestation d’anges (24,23 : ὀπτασίαν 58  « In a number of texts, many from the Hebrew Bible, angels are described as appearing in the form of Humans and are even indistinguishable from humans until their true nature is revealed. In some other texts, angels are described as young men. The evidence indicates that, even with such anthropomorphic descriptions of angels, they remained distinct from humans » : Sullivan, Wrestling with Angels, 37. 59  Flavius Josèphe, Antiquités juives V,277. 60  Sullivan, Wrestling with Angels, 83. 61  Sullivan, Wrestling with Angels, 83.



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ἀγγέλων) aux femmes qui sont allées au tombeau (24,22 : γυναῖκές τινες ἐξ ἡμῶν […] ἐπὶ τὸ μνημεῖον). De plus, dans l’épisode du tombeau, Luc fait également référence aux vêtements brillants (24,4 : ἐν ἐσθῆτι ἀστραπτούσῃ), qui dans le récit de l’Ascension de Ac 1,10 deviendront « blancs » (ἐν ἐσθήσεσι λευκαῖς) comme ceux des deux autres synoptiques. Jean, enfin, confirme ces données en parlant de « deux anges assis » (20,12 : δύο ἀγγέλους καθεζομένους) et « en robe blanche » (20,12 : ἐν λευκοῖς). L’Évangile de Pierre, trouvé dans un fragment découvert à Ahmim en 1886 et datant de la seconde moitié du deuxième siècle,62 contient également un récit sur le tombeau vide dans lequel apparaissent « deux hommes » (δύο ἄνδρας) appelés plus tard νεανίσκοι (35–37)63 et représentés avec les caractéristiques typiques des figures angéliques.

2.7.3.  Le jeune homme et le programme théologique de Marc Il est intéressant d’observer la divergence des quatre évangiles dans la description du protagoniste de l’annonce aux femmes. Les seuls à parler explicitement « d’anges » sont Matthieu (un « ange du Seigneur ») et Jean (« deux anges en robe blanche »), tandis que Luc en fait mention plus tard (24,23). Ce témoignage discordant peut s’expliquer par des raisons historiques, éditoriales ou théologiques. À mon avis, on ne peut pas exclure que l’événement même à la base de la tradition évangélique ait été marqué par une ambiguïté fondamentale, mais je ne traiterai pas ici cette question qui nécessiterait un trop long développement. Comparé aux autres, Marc est le seul à ne jamais parler d’un ἄγγελος en référence à la figure rencontrée par les femmes au tombeau. Quelle est la raison pour laquelle il l’appelle simplement νεανίσκος ? Certains justifient ce choix par une volonté de réserver le terme ἄγγελος à Jésus,64 ou se réfèrent à un cliché typique de l’époque et repérable dans d’autres écrits.65 Cependant, il est nécessaire de se demander s’il y a une raison plus spécifique liée au récit et au projet théologique du second évangile. En effet, il me semble que la scène en question éclaire deux perspectives typiques du récit marcien, la première de nature narrative et la seconde plus finement théologique. En ce qui concerne la première, il semble que le récit des femmes au tombeau propose une fois de plus une modalité narrative typique du deuxième évangile, 62  Cité par Eusèbe de Césarée, il parle d’un certain Serapion, évêque d’Antioche, qui aurait fondé une église à Rhossus (Arsuz) en utilisant un livre non canonique connu sous le nom d’Évangile de Pierre (HE 6,12). 63  Mara, Évangile de Pierre, 56. 64 Ainsi Rocca, Gesù, messaggero, 622 : « Une question se pose alors : peut-être le narrateur n’a-t-il pas voulu appeler ‘ange’ ce personnage (contrairement à Mt 28,1–7 – cf. aussi Lc 24,23 ; Jn 20,11–13) précisément pour ne pas le confondre avec Jésus, l’angelos, le messager promis en 1,27 ? » 65  Nous évitons de donner des exemples spécifiques ici, en nous référant à l’étude minutieuse de Sullivan, Wrestling with Angels, 37–83.

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lequel choisit souvent le regard des personnages pour raconter la scène, opérant un habile chevauchement entre raconter et montrer (telling et showing)66 et préférant la focalisation interne à la focalisation « zéro ». Les raisons et les avantages de ce choix narratif ont été mis en évidence depuis longtemps dans le domaine de la narratologie. Marc choisit donc de décrire la scène du point de vue des femmes, qui voient apparemment un jeune homme, mais comprennent en même temps qu’il ne s’agit pas d’un simple être humain, comme l’atteste leur réaction. Selon une technique que l’auteur du deuxième évangile utilise largement, le lecteur est en quelque sorte entraîné dans l’histoire et amené à participer à la perception et à l’état d’esprit des femmes protagonistes, y compris la peur et l’incompréhension (cf. 16,8 : εἶχεν γὰρ αὐτὰς τρόμος καὶ ἔκστασις). Une telle stratégie de participation active du lecteur apparaît de manière semblable dans les évocations scripturaires du deuxième évangile.67 Dans le cas précis de Mc 16,5, le lecteur a l’impression d’assumer les yeux mêmes des femmes, obscurcis par « la peur et l’effroi » (τρόμος καὶ ἔκστασις ; 16,8). Il assiste à la scène telle qu’elles l’ont vécue, en percevant leurs propres sentiments. L’effet de ce procédé sur le lecteur est non seulement émotionnel (implication) et dramatique (participation), mais aussi performatif et paradigmatique car il le stimule à reproduire ou à éviter ce que font les personnages du récit, avec un effet qui semble être recherché tout au long de la péricope de Mc 16,1–8.68 Comme le souligne dès le début le Jésus de Marc (Mc 8,18 : « vous avez des yeux et vous ne voyez pas »), un regard au-delà des apparences, est décisif pour comprendre les événements concernant Jésus, et cela jusqu’au récit final des femmes au tombeau.

2.7.4.  Le νεανίσκος et le lecteur du récit de Marc La perspective théologique de la scène du tombeau se révèle en considérant la seule autre occurrence du terme νεανίσκος dans Marc. En 14,51–52, il est également question d’un « jeune homme » qui suit Jésus, « vêtu » (même participe περιβεβλημένος) uniquement d’un drap (σινδόνα ἐπὶ γυμνοῦ) et qui, une fois saisi, s’enfuit nu. L’identité de ce mystérieux personnage a engendré de nom66  Bien que l’épisode soit raconté à la troisième personne, le point de vue à partir duquel la scène est décrite est celui des personnages qui en sont témoins. 67  « On pourrait dire que Marc, tout comme le protagoniste de son histoire, ‘ne parle qu’en paraboles’ […] parce qu’il laisse constamment la tâche de la reconnaissance et du déchiffrage au lecteur. Il semble utiliser une procédure similaire à celle du Maître avec ses disciples : tout comme ces derniers doivent ‘voir’ et ‘entendre’ attentivement pour saisir le sens profond des paroles et des actions de Jésus, le lecteur doit ouvrir grand ses yeux et ses oreilles pour identifier et décoder les références aux Écritures qui sont cachées dans le récit » : Gasparro, « Marco e le Scritture », 25–26. 68  Comme l’ont montré pour la péricope de Mc 16,1–8 : Focant, « Un silence qui fait parler (Mc 16,8) » ; Vignolo, « Una finale reticente ».

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breuses discussions. L’explication la plus plausible et la plus communément acceptée de cette crux interpretum,69 propre à Marc, est que ce νεανίσκος constitue une construction symbolique visant à représenter de manière narrative une sorte de disciple modèle ou de lecteur idéal.70 Selon certains auteurs, ce personnage mystérieux représenterait plus précisément le baptizandus avant d’entrer dans les eaux baptismales ou l’initiandus se préparant à recevoir l’initiation chrétienne.71 Après la scène tourbillonnante de l’arrestation, où le νεανίσκος « vêtu » seulement d’un drap est contraint de s’enfuir nu, il réapparaît au tombeau, maintenant « vêtu » de blanc et à l’endroit précis où le corps de Jésus avait été déposé. La narration, avec ses liens intertextuels, fait une sorte de clin d’œil au lecteur afin qu’il comprenne la signification symbolique de ce qui est raconté. Il est curieux que le changement de vêtements entre 14,51 et 16,5 corresponde formellement à ce qui se passe lors du rite du baptême : on enlève les vieux vêtements pour entrer dans les eaux représentant la mort, et l’on en sort comme du tombeau avant d’être vêtu d’une robe blanche.72 Cela semble être confirmé par le fait que dans les deux épisodes, le νεανίσκος occupe une position intermédiaire entre Jésus et ses disciples, en suggérant une référence au témoignage post-pascal du croyant.73 Bien que cette lecture puisse sembler audacieuse ou fantaisiste,74 on ne peut nier qu’elle soit assez suggestive et qu’elle s’appuie sur plusieurs arguments.75 Il s’agirait, après tout, de reconnaître un niveau figuratif et plus profond de la narration ce qui est tout à fait cohérent avec ce que l’on peut trouver en d’autres endroits du deuxième évangile.76 La présence du νεανίσκος à la place de l’ἄγγελος semble particulièrement opportune à plusieurs égards : en plus d’avoir un effet narratif et émotionnel, selon les modes déjà signalés, elle confère à ce personnage la fonction de figure et de modèle vis-à-vis du lecteur, avec des effets remarquables. L’initié ou le catéchumène peut, en effet, se percevoir dans le νεανίσκος, en plaçant son parcours à la lumière de l’événement fondateur de la mort-résurrection de Jésus. De plus, la proclamation du νεανίσκος lui rappelle le devoir de témoigner la foi reçue, en proclamant avec assurance et sans la crainte ou la timidité de son pendant féminin dans la narration évangélique (cf. 16,8). 69  70 

D’un avis différent : Gnilka, Marco, 919. Cf. Perego, La nudità necessaria, 167 (en particulier). 71 Ainsi Standaert, Marco. Vangelo di una notte, 876. 72 Cf. Standaert, Marco. Vangelo di una notte, 876. 73 Cf. Standaert, Marco. Vangelo di una notte, 877. 74  Comme il a été justement observé, ceux qui critiquent cette lecture symbolique n’offrent alors en fait « aucune autre explication susceptible de clarifier la scène en tenant compte de son contexte littéraire » : Focant, L’évangile selon Marc, 596. 75  Pour les nombreux arguments en faveur de cette thèse, qui concernerait l’origine même du deuxième évangile, cf. Standaert, Marco. Vangelo di una notte, 25–28. 76  Comme nous avons essayé de le montrer dans Gasparro, Simbolo e narrazione, 520– 564.

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3.  Emplois du terme et présentation marcienne des anges L’évangile de Marc, le plus ancien de la tradition évangélique, bien que de manière très discrète, conserve des paroles de Jésus concernant les anges qui supposent leur existence comme acquise. Cependant, pour comprendre leur rôle et leur fonction spécifiques dans le second évangile, il ne suffit pas de prêter attention au vocabulaire, mais il faut considérer également le cadre littéraire et narratif dans lequel il s’inscrit. Chez Luc, le terme ἄγγελος apparaît principalement dans le discours indirect (19 fois sur 25) ;77 chez Matthieu, environ la moitié des occurrences concerne des sections narratives (9 fois sur 20),78 alors que chez Marc, les anges apparaissent presque exclusivement dans le discours direct (seule exception en 1,13), c’est-à-dire dans des sections contenant les enseignements de Jésus, probablement hérités de la tradition précédente. La présence presque exclusive des anges à l’intérieur de logia (4 occurrences sur 5) et non dans les parties rédactionnelles, suggère qu’ils représentent une donnée que Marc attribue directement au maître de Nazareth, plutôt que de l’imputer exclusivement à ses propres convictions de rédacteur. En les évoquant en 1,13 dans un discours indirect, le narrateur lui-même en reconnaît implicitement l’existence et la fonction. L’un et l’autre ne sont donc questionnés ni au niveau intradiégétique (par Jésus) ni au niveau extradiégétique (par Marc). La brève analyse des occurrences d’ἄγγελος a également montré comment Marc adopte essentiellement l’angélologie typique de la tradition biblique et juive. Dans 4 des 5 occurrences le terme est placé dans un contexte eschatologique (Mc 8,38 ; 12,25 ; 13,27.32) et correspond à la conception de l’Ancien Testament qui voit dans les anges des représentants du monde céleste ou des coopé­ rateurs de l’œuvre salvatrice accomplie par Jésus-Christ, dans le cadre plus large de l’histoire du salut.79 Comme les autres récits évangéliques, Marc souligne également la participation active des anges aux événements finaux, où ils accompagnent le Christ glorieux et l’assistent au cours du jugement (Mt 13,39.41.49 ; 16,27 ; 24,31 ; 25,31 ; Lc 9,23), excluant ainsi implicitement toute assimilation avec lui, conformément au témoignage du Nouveau Testament.

77  6 occurrences sur 25 apparaissent dans le discours direct : 9,26 ; 9,52 ; 12,8.9 ; 15,10 ; 16,22, puis dans le discours direct de Satan (4,10) et dans celui des deux disciples sur la route d’Emmaüs (24,23). 78  Les 11 occurrences (sur 20) placées sur les lèvres de Jésus dans Matthieu se trouvent en 13,39.41.49 ; 16,27 ; 18,10 ; 22,30 ; 24,31.36 ; 25,31.41 ; 26,53 ; dans le discours direct de Satan en 4,6. 79  Kittel, « ἄγγελος », 222–223.



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4.  Une présence efficace parce que discrète Bien qu’affichant une présence angélique très discrète – et peut-être précisément au moyen de ce stratagème littéraire – le deuxième évangéliste dit néanmoins des choses significatives sur ces figures. Tout en reconnaissant l’existence des anges, Marc n’accentue jamais leur rôle et leur importance, et leur attribue plutôt une fonction auxiliaire. Les verbes auxquels le terme ἄγγελος est associé dans le deuxième évangile – c’est-à-dire « servir », « venir », « être (comme) », « envoyer » et « rassembler », « (ne pas) connaître », (1,13 : διακονέω ; 8,38 : ἔρχομαι ; 12,25 : εἰμί ; 13,27 : ἀποστέλλω et ἐπισυνάγω ; 13,32 : οἶδα) – désignent toujours des fonctions ou des situations non essentielles par rapport au plan de Dieu. Comme déjà mentionné, Marc décrit les anges systématiquement à côté de Jésus ou du Fils de l’homme, en suggérant leur constante référence christologique et leur rôle de figurants ou de collaborateurs dans l’œuvre du salut, qui a pour seul protagoniste le Christ. Cette discrétion est confirmée par leur absence dans les grandes théophanies du baptême et de la transfiguration, précisément là où les deux autres synoptiques insèrent des figures angéliques : Mt 4,6 (Mc 1,12–13) ; Mt 26,53 (Mc 14,47) ; Mt 28,2 (Mc 16,5). Les anges sont étrangement absents dans ces passages, et même aux moments culminants de la mort et de la résurrection. Dans les deux autres synoptiques, la présence angélique dans la scène du jardin est particulièrement éloquente car elle semble atténuer la faiblesse de Jésus ou sa solitude.80 Quant à la résurrection, si les trois autres évangiles présentent des figures angéliques au tombeau (Luc dans l’analepse de 24,23), Marc est le seul à insérer un « jeune homme » générique là où un « ange » était tout à fait plausible. C’est comme si l’auteur du deuxième évangile voulait éviter à tout prix d’évoquer de tels êtres, si ce n’est contraint par la tradition. En résumé, la présence des anges dans Marc se situe, à certains égards, tantôt dans la continuité du témoignage biblique général, tantôt en rupture avec lui. Cette continuité se manifeste surtout dans le rôle et les fonctions spécifiques qui leur sont reconnus, dans la lignée de la tradition biblique et juive. Leur rôle est celui de figures intermédiaires entre le divin et l’humain, comme des marqueurs ou des légendes accompagnant les visites de Dieu dans l’histoire humaine, aidant ainsi à en comprendre le sens. Quant à la discontinuité, qui constitue le trait d’originalité de Marc, on la trouve dans la discrétion délibérée avec laquelle il insère les anges dans le récit concernant le Fils de l’homme, comme pour dire que le chemin de ce dernier – mais aussi celui du croyant – traverse une nuit noire, sans raccourcis ni allègements. Tout comme dans l’épisode marcien de Gethsé80  En Mt 26,53, Jésus déclare avoir à sa disposition douze légions d’anges, une quantité exagérée qui contraste avec la faiblesse des douze apôtres. En Lc 22,43, par contre, « un ange apparut du ciel pour le consoler » pendant la prière.

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mani où la tristesse mortelle du Christ (14,34 : περίλυπός ἕως θανάτου) n’est adoucie ou allégée ni par ses amis ni par des anges consolateurs (cf. Lc 22,43).81

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La figure de l’ange du Seigneur en Luc-Actes Nathalie Siffer L’angélologie occupe une dimension importante dans le corpus lucanien – tant dans le troisième évangile que dans le livre des Actes – où elle présente un certain nombre de particularités s’ordonnant au projet théologique de Luc.1 C’est ainsi que, sans prétendre à une place de tête dans la recherche exégétique, l’angélologie lucanienne n’en suscite pas moins régulièrement l’intérêt. L’ensemble LucActes atteste plusieurs épisodes majeurs dans cette perspective et l’intervention d’anges, notamment à certains moments clefs de la narration, marque souvent une insistance spécifique.2 Cette contribution ne compte pas pour autant s’arrêter aux anges en général, mais se consacrera à la figure de l’ange du Seigneur. Parmi les quarante-six occurrences du terme ἄγγελος dans l’œuvre lucanienne (vingt-cinq dans l’évangile et vingt et une dans les Actes), on repère sept emplois du syntagme « ange du Seigneur » (ἄγγελος κυρίου) ou « ange de Dieu » (ἄγγελος τοῦ θεοῦ) au singulier, étant entendu que le contexte immédiat atteste souvent plusieurs autres occurrences de ἄγγελος se rapportant également à cet être céleste dont il est question. On observe d’emblée qu’il s’agit à chaque fois d’épisodes non seulement marquants dans leur dimension théologique, mais aussi particulièrement significatifs dans la construction même du récit lucanien. Il suffit d’évoquer, pour l’évangile, l’annonce de la naissance de Jean Baptiste à Zacharie ou celle de Jésus à Marie (Lc 1), et pour le livre des Actes, certaines délivrances miraculeuses (Ac 5 et 12), des séquences importantes comme la rencontre de Philippe avec l’eunuque éthiopien ou l’épisode de Corneille (Ac 8 et 10), mais aussi, de manière plus inhabituelle, voire dérangeante, la mort d’Hérode (Ac 12). De toute évidence, ce n’est pas Luc qui a forgé cette figure céleste de l’ange du Seigneur puisqu’elle est régulièrement convoquée dans l’Ancien Testament,3 1  Voir, parmi d’autres, George, « Les anges » ; Fletcher-Louis, Luke-Acts: Angels, Christology and Soteriology ; Strelan, « On the Side of the Angels ». 2  On peut mentionner ici les anges chargés d’annonces ou de louanges dans le récit de l’enfance (Lc 1–2), leur rôle dans les représentations eschatologiques, notamment en lien avec le Fils de l’homme (Lc 9,26 ; 12,8–9), ou encore dans le récit pascal où il est d’ailleurs remarquable que les anges interviennent au début et à la fin de la période des apparitions du Ressuscité : lors de la visite des femmes au tombeau vide (Lc 24,4–7 ; cf. 24,23) et lors du deuxième récit de l’Ascension (Ac 1,10–11). 3  L’expression hébraïque ‫ «( מלאך יהוה‬ange du Seigneur/Yhwh »), majoritairement attestée dans les livres narratifs, est le plus souvent rendue par ἄγγελος κυρίου dans la Septante.

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comme aussi dans d’autres traditions juives anciennes, intertestamentaires ou judéo-hellénistiques – mais jamais à Qumrân qui connaît pourtant une angélologie assez développée. Par conséquent, les emplois lucaniens renvoyant manifestement à un usage vétérotestamentaire, il convient d’abord de se pencher brièvement sur la question de l’ange ou messager4 du Seigneur dans l’Ancien Testament, avant d’en mesurer les éventuels glissements et d’étudier plus précisément le rôle joué par cet être singulier dans les écrits de Luc.

1.  Aperçu de l’arrière-plan vétérotestamentaire Pour inscrire la thématique dans un cadre quelque peu élargi, on peut renvoyer, parmi d’autres, au Dictionary of Deities and Demons in the Bible5 expliquant que dans le Proche-Orient ancien il est typique des dieux d’avoir à leur disposition des divinités de rang inférieur qui effectuent diverses tâches et qui sont notamment chargées de transmettre leurs messages. Pour autant, ces divinités messagères font principalement le lien entre les dieux eux-mêmes, et non pas entre dieux et humains. On note également une certaine constance dans les noms attribués aux messagers des dieux majeurs. Or, il se trouve que plusieurs de ces caractéristiques ne s’appliquent pas au ‫ מלאך יהוה‬biblique, notamment pour ce qui est du nom : contrairement aux divinités messagères du Proche-Orient ancien, l’ange-messager de Yhwh ne porte jamais de nom propre. L’Ancien Testament est visiblement très réticent à nommer les anges ou messagers divins6 et affiche même le refus explicite de l’ange du Seigneur de donner son nom.7 En conséquence, on peine à savoir si Yhwh envoie en mission un être céleste particulier, comme d’autres divinités du Proche-Orient ancien, ou au contraire plusieurs anges successifs. La question reste ouverte, d’autant plus que l’expression hébraïque ‫( מלאך יהוה‬sans article en raison de l’état construit) ne permet pas de déterminer si l’ange de Yhwh représente une figure bien définie ou, au contraire, un simple envoyé parmi d’autres.8 Autrement dit, on peut se demander s’il s’agit d’une fonction occupée par différents agents célestes non spécifiés On rencontre aussi, certes plus rarement, ‫ «( מלאך אלהים‬ange de Dieu/Elohim »), rendu par ἄγγελος τοῦ θεοῦ, de même que « mon/son ange » en référence à Yhwh. 4  Par commodité, nous adopterons généralement le terme « ange », mais l’idée du messager est implicite – ne serait-ce que par l’étymologie – et il s’agit en réalité d’un raccourci pour « ange-messager ». 5  La suite du paragraphe s’inspire en particulier du début de l’article de Meier, « Angel of Yahweh », 53. 6  Ils n’ont de nom propre que très exceptionnellement : Dn 8–12 (Gabriel et Michaël) ; Tb (Raphaël). 7  Jg 13,17–18 (cf. Gn 32,30). 8  Dogniez/Scopello, « Autour des anges », 187. Voir aussi Meier, « Angel of Yahweh », 54.



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ou plutôt d’un titre porté par un être céleste unique. C’est une question qui surgit assez régulièrement, question lancinante mais forcément complexe, sur laquelle les avis sont très partagés.9 En témoignent les différentes traductions bibliques en langues modernes qui mettent tantôt l’article défini, tantôt l’article indéfini. La Septante, pour sa part, semble présenter dans la majorité des cas l’envoyé divin appelé ἄγγελος κυρίου comme une figure indéfinie, vu que le syntagme ne comporte pas d’article lorsqu’il apparaît pour la première fois dans le récit – même s’il peut arriver, certes plus rarement, que le grec mette l’article lorsque le personnage intervient pour la première fois (Nb 22,22 ; Jg 5,23A ; 2  Règnes 24,16).10 Toujours est-il que dans la plupart des cas, la Septante suit le mouvement en rendant littéralement l’hébreu. Pour autant, il peut aussi s’agir d’une formule stéréotypée qui se contente de reproduire l’hébreu tel quel, mais sans être forcément indéfinie quant au sens. 1.1.  Une figure équivoque Une tout autre question – ô combien fascinante, même si elle ajoute encore à la difficulté – tient à l’alternance de différentes désignations à l’intérieur d’un même récit. On observe, d’une part, que certains passages mettent en scène une figure qui reste assez floue. C’est le cas lorsque 2 Ch 32,21 reformule simplement avec « ange », l’expression « ange de Yhwh » de 2 R 19,35, autant dans l’hébreu que dans le grec. On rencontre également le phénomène inverse, à savoir des textes qui mentionnent d’abord un « ange », lequel est identifié un peu plus loin comme l’« ange de Yhwh », à l’instar de 1 Ch 21,15. D’autre part, et c’est plus étrange, il arrive que l’on ait de notables différences, soit à l’intérieur d’un même passage où la figure de référence varie foncièrement, soit entre le grec et l’hébreu, ce qui pose toujours la question de la Vorlage dont disposait le traducteur grec (sans même s’arrêter aux passages problématiques sur le plan textuel). En voici quelques exemples représentatifs : Le récit de la vocation de Gédéon en Jg 6,11–24  Dans le texte massorétique, l’expression « ange de Yhwh » (‫ )מלאך יהוה‬est attestée six fois (v. 11.12.21bis.22bis) pour désigner une figure céleste, aussi appelée « ange d’Elohim » (‫ )מלאך האלהים‬au v. 20. Or il est remarquable qu’au cours de la narration, le syntagme alterne avec le nom même de Dieu, le tétragramme, attesté aux v. 14 et 16. La Septante réagit en harmonisant les désignations : elle résout la difficulté en mettant partout ἄγγελος κυρίου, « ange du Seigneur ».11 9  Voir par exemple les discussions chez White, « Angel of the LORD » ; Malone, « Distinguishing the Angel of the Lord » ; López, « Identifying the ‘Angel of the Lord’ in the Book of Judges ». 10 Cf. Dogniez/Scopello, « Autour des anges », 187 ; Meier, « Angel of Yahweh », 54. 11  À signaler que le Pseudo-Philon réagit de façon identique en rapportant l’épisode dans le Livre des Antiquités bibliques 35,1–7. Quant à Flavius Josèphe, on peut noter que pour l’en-

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Reste que, même s’il réfère implicitement à Dieu, l’ange ne dit jamais avoir été envoyé par lui, ni même parler en son nom ou dire ses paroles. Il fait preuve d’une autorité et d’une autonomie avérées. En dehors de ses déclarations qui en témoignent par elles-mêmes, on peut encore renvoyer à ses actes, notamment à la fin du récit où c’est lui qui fait brûler la viande et les azymes. La suite est d’ailleurs assez déroutante : aux v. 22–23, Gédéon clame sa peur d’avoir vu face à face l’ange de Yhwh, et la réponse qui lui est aussitôt apportée provient de la bouche de Dieu lui-même, lui assurant qu’il ne mourra pas. Le récit de la naissance de Samson en Jg 13 Ce passage comporte plusieurs éléments communs avec l’épisode précédent. En ce qui concerne le personnage céleste, on retiendra notamment la juxtaposition des deux formules « ange de Yhwh » (‫ )מלאך יהוה‬et « ange d’Elohim » (‫)מלאך האלהים‬, sachant que Jg 6 et 13 sont les seuls passages de la Bible hébraïque qui attestent les deux.12 En considérant l’ensemble de l’épisode, il est particulièrement frappant que la figure céleste à l’œuvre reçoive de nombreuses désignations, déjà dans le texte massorétique : « ange de Yhwh » (v. 3.13.15.​16bis.​ 17.18.20.21bis), « homme d’Elohim » (v. 6.8), « homme » tout court (v. 10.11), « ange d’Elohim » (v. 6.9), et finalement « Elohim », Dieu lui-même (v. 22). La Septante respecte grosso modo ces différentes désignations, en insérant toutefois le terme ἄγγελος au v. 11, après deux occurrences de ἀνήρ, « homme ».13 Le récit de Balaam et l’ânesse en Nb 22,21–35 Cet épisode est emblématique dans la mesure où il présente la particularité de décrire de façon assez développée l’intervention de l’ange du Seigneur. Le fait qu’il reste invisible aux yeux de Balaam constitue la tension de tout le récit. Si Dieu lui-même est actif, vu qu’il se met en colère contre Balaam, puis ouvre la bouche de l’ânesse et les yeux de Balaam qui voit enfin l’ange posté sur le chemin, l’épée à la main, la narration n’en reste pas moins centrée sur le personnage de l’ange : ‫מלאך‬/ἄγγελος est attesté dix fois dans le récit (v. 22.23.24.25.26.27.​31.​ 32.34.35). Cet être céleste, dont il n’est d’ailleurs pas précisé qu’il a été envoyé par Dieu, n’est pas identifié de la même manière dans l’hébreu et le grec : le texte massorétique atteste toujours l’expression ‫מלאך יהוה‬, tandis que la Septante porte presque systématiquement (à l’exception d’une ou deux occurrences) ἄγγελος τοῦ θεοῦ et non pas ἄγγελος κυρίου comme on l’attendrait.14 Il convient ici de trée en lice du personnage, il évoque un φάντασμα (apparition ou fantôme) sous la forme d’un jeune homme (Antiquités juives V,213). 12  Eynikel, « The Angel in Samson’s Birth Narrative », 118. 13  Pour introduire le personnage, Flavius Josèphe utilise à nouveau φάντασμα auquel il adjoint ἄγγελος τοῦ θεοῦ, tout en lui prêtant les traits d’un jeune homme beau et de grande taille (Antiquités juives V,277). Il est remarquable que le Pseudo-Philon précise à la fin de son récit que l’ange s’appelait Phadahel (Livre des Antiquités bibliques 42,10). 14  Il est intéressant de constater que la Vulgate mentionne l’« ange du Seigneur » (angelus Domini) uniquement au v. 22 et indique ailleurs simplement « ange », ou alors n’y réfère pas.



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retenir le caractère menaçant, voire offensif, conféré à cette figure de l’ange. Il est présenté à plusieurs reprises comme bloquant le passage en se postant sur le chemin (v. 22.23.24.26.31), l’épée tirée (v. 23.31), pour « faire obstacle » à Balaam (v. 22.32).15 Il va jusqu’à revêtir les traits de Dieu lui-même, notamment par ses paroles qui traduisent une autorité souveraine, en particulier lorsqu’il dit : « ce voyage est contre mon gré » (v. 32) ou « c’est seulement ce que je te dirai que tu diras » (v. 35). Il a même un droit de vie ou de mort sur Balaam puisqu’il déclare sans détour qu’il l’aurait tué à l’instant si l’ânesse n’avait pas dévié (v. 33). Cet accent apparaît jusque dans la déférence de Balaam à son égard, comme le fait de s’incliner et de se prosterner devant lui face contre terre (v. 31), ou encore dans sa réponse finale où il confesse sa faute par ces mots : « j’ai péché car je n’ai pas reconnu que c’était toi qui étais posté devant moi sur le chemin » (v. 34). Ces quelques exemples – certes significatifs, mais pris parmi beaucoup d’autres – font percevoir que l’émissaire divin mis en scène accomplit en réalité diverses missions et remplit différentes fonctions. De fait, son rôle intrinsèque de messager et de médiateur entre Dieu et les hommes se décline dans une très large gamme d’activités.16 C’est ainsi que l’on peut globalement retenir ses interventions comme porte-parole de Dieu véhiculant un message divin, qu’il s’agisse de transmettre un ordre, une annonce, une promesse ou une révélation, généralement à des personnages qui joueront un rôle important ou à qui il incombera une charge particulière (voir, entre autres, l’intervention de l’ange auprès de Hagar en Gn 16,7–12 et 21,17–18, d’Abraham en Gn 22,11–18, de Moïse en Ex 3,2, de Gédéon en Jg 6,11–21, des futurs parents de Samson en Jg 13,3–20). Dans une perspective quelque peu différente, il peut aussi expliquer et interpréter des visions (Za 1,9 ; 2,2 ; 4,4–14 ; etc.17 ; Dn 8,15–26 et 9,21–2718). Mais l’ange du Seigneur agit également comme guide et comme protecteur19, conduisant le peuple et protégeant les hommes (Gn 24,7.40 ; Ex 14,19 ; 23,20.23 ; 32,34 ; Jg 2,1–4 ; 1 R 19,5–7 ; Ps 34,8 ; Tb 3,17 ; 5,10.17 [Raphaël] ; Dn gr 3,49–50 ; etc.). À l’inverse, certains textes en font l’exécuteur du châtiment divin, à l’instar Quant au début du récit chez Flavius Josèphe, l’être céleste est appelé à la fois « ange divin » et « esprit divin » : ἀγγέλου θείου […] τοῦ θείου πνεύματος (Antiquités juives IV,108). 15  Voir aussi Gass, « The Angel as One Form of Divine Communication in the Balaam Narrative », pour qui l’ange agit comme un adversaire de Balaam (99) et n’est plus un simple messager mais un commandant de haut rang (100). 16  Sur les différentes fonctions des anges en général, voir Dogniez/Scopello, « Autour des anges », 192–194. 17  En admettant, pour les références du livre de Zacharie, que l’interlocuteur céleste appelé « l’ange qui parlait avec moi » puisse d’une façon ou d’une autre être identifié à l’ange du Seigneur régulièrement mentionné lui aussi (Za 1,11.12 ; 3,1.2. etc.). 18  Il s’agit ici de Gabriel, tenant un rôle d’herméneute. 19  Sur cette fonction de l’ange dans l’Exode, voir Fischer, « Moses and the Exodus-Angel », 82–90.

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d’Is 37,36 où il tue 185.000 assyriens (cf. 2 R 19,35 ; 1 M 7,41 ; Si 48,21) et de 2 S 24,16–17 où il extermine même le peuple d’Israël (cf. 1 Ch 21,15–16).20 Il n’en reste pas moins qu’en dehors de la description de ses actes, on ne dispose que de peu de renseignements sur cet agent divin qui reste une figure mystérieuse. On ignore son origine précise, si ce n’est qu’il semble localisé au ciel (Gn 21,17 ; 22,11.15 ; Jg 13,20 ; etc.) et qu’il est parfois explicitement envoyé par Dieu (Gn 24,7 ; Ex 23,20 ; 33,2 ; Nb 20,16 ; 1 Ch 21,15 ; Dn 3,28 ; 6,23 ; etc.) dont le nom est en lui (Ex 23,21). Il intervient souvent lors de visions, de songes ou d’apparitions (Gn 31,11 ; Ex 3,2 ; Jg 6,12 ; 13,3 ; etc.), étant précisé qu’il apparaît et disparaît librement, à sa guise. Quant à son apparence et sa physionomie, comme l’a bien souligné Cécile Dogniez, on a très peu de détails, si ce n’est sa majesté, son éclat, qui contribuent à en faire un être transcendant ; il semble du reste entretenir une certaine affinité avec le feu (Ex 3,2 ; Jg 6,21 ; 13,20 ; Dn gr 3,49), peut recouvrir un aspect très redoutable (Jg 13,6) et se présenter armé d’une épée (Nb 22,23.31 ; 1 Ch 21,16 ; cf. Jos 5,13).21 1.2.  Agent divin ou manifestation de Dieu ? Plus intrigant est le fait que cette entité céleste se distingue parfois difficilement de Dieu lui-même, ce qui pose la question d’une éventuelle identification, assimilation ou fusion entre les deux. Comme on l’a déjà repéré, ils semblent quelquefois interchangeables, l’un se substituant à l’autre au cours d’une même unité narrative. Pointons à titre d’illustration quelques textes représentatifs, afin de bien saisir les divers glissements pouvant s’opérer : – En Gn 16,7–12, l’ange du Seigneur dialogue avec Hagar et lui promet même de multiplier sa descendance, mais au v. 13 elle invoque Yhwh qui lui a parlé. Plus loin, en Gn 21,17, l’ange de Dieu s’adresse à Hagar chassée dans le désert, mais au v. 19 c’est Dieu lui-même qui lui ouvre les yeux. En Gn 22,1–2, Dieu ordonne à Abraham d’offrir son fils Isaac en sacrifice, mais aux v. 11–12 et 15–18, c’est l’ange du Seigneur qui l’interpelle pour l’arrêter et lui rappeler la promesse divine. Plus surprenant encore, en Gn 31,11 Jacob voit dans son sommeil l’ange de Dieu qui se présente ensuite explicitement comme Dieu lui-même au v. 13, tant dans l’hébreu que dans le grec (‫אנכי האל‬/ἐγώ εἰμι ὁ θεός). En Ex 3,2, c’est l’ange du Seigneur qui apparaît dans la flamme de feu du buisson, alors que dans le reste du récit le protagoniste est Dieu qui appelle Moïse et lui parle du milieu du buisson. – On repère aussi un certain nombre de glissements entre le texte massorétique et la Septante. Outre Jg 6 déjà évoqué, un exemple particulièrement marquant se trouve en Ex 4,24 : dans le texte hébreu c’est Yhwh lui-même qui 20  Voir aussi, dans une moindre mesure, Ps 35,5–6 où il pourchasse les adversaires du psalmiste. 21 Voir Dogniez/Scopello, « Autour des anges », 188.

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cherche à tuer Moïse, alors que la Septante (comme les targums) atteste « ange du Seigneur », sans doute pour éviter l’anthropomorphisme trop flagrant et l’attribution à Dieu du projet de tuer Moïse.22 En sens inverse, on peut citer Jg 2,1 : dans le texte hébreu, l’ange de Yhwh déclare « je vous ai fait monter d’Égypte et je vous ai fait entrer dans le pays que j’avais promis à vos pères … », ce que la Septante reformule en introduisant la mention du Seigneur, κύριος. En dehors du questionnement toujours lancinant de la Vorlage à disposition des traducteurs grecs, qu’il est impossible de résoudre à ce stade, il semble en tout cas que la version grecque puisse remplacer le nom de Yhwh par l’expression « ange du Seigneur » et inversement, pour des raisons d’interprétation théologique ou alors des motifs stylistiques ou de cohérence littéraire.23 À l’issue de ces observations, force est de constater que plusieurs questions font débat, selon que l’on considère l’ange du Seigneur comme l’émanation même de Dieu ou simplement un moyen de renvoyer à sa présence, comme une véritable manifestation de Dieu ou juste un symbole traditionnel de la puissance divine, comme un mode d’intervention de Dieu dans l’existence des hommes ou plutôt une expression de la représentation divine. L’entrée dans une problématique aussi complexe ne peut faire l’économie de s’interroger plus largement sur l’évolution historique de la conception angélique et de la transcendance divine. Ce n’est toutefois pas le but de cette contribution, d’autant plus que ces questions, liées d’une façon ou d’une autre à l’évolution de la représentation de Yhwh, ont déjà été abondamment travaillées.24 Le sujet a été particulièrement débattu pour ce qui concerne précisément l’ange du Seigneur, à l’image de la discussion entre Andrew S. Malone et René A. López,25 sans qu’un consensus puisse être atteint. Bien que modeste, ce bref parcours vétérotestamentaire s’est avéré utile dans notre tentative de cerner la figure de l’ange du Seigneur et de poser quelques enjeux théologiques afférents. Même si le personnage ne possède pas toujours des contours clairement définis dans l’Ancien Testament, il semble bien avoir suffisamment de profil individuel, notamment dans ses développements ultérieurs, pour le singulariser de façon assez déterminée.26 Nous avons ainsi pu tracer une rapide esquisse de cette figure céleste dont il est évident que Luc reprend 22 

184.

Le Boulluec/Sandevoir, L’Exode, 103 ; Dogniez/Scopello, « Autour des anges »,

23 Ainsi Dogniez/Scopello, « Autour des anges », 184. 24  Nous renvoyons, dans le présent volume, à la contribution

très éclairante de Stéphanie Anthonioz, « Les anges ou la médiation renouvelée », notamment à ses développements sur l’évolution de la représentation divine et sur les enjeux historiques et théologiques de l’angélologie naissante. 25  Malone, « Distinguishing the Angel of the Lord » ; López, « Identifying the ‘A ngel of the Lord’ in the Book of Judges ». Voir aussi Jacob, « Variations et constantes dans la figure de l’ange de YHWH » ; White, « Angel of the LORD » ; von Heijne, The Messenger of the Lord in Early Jewish Interpretations of Genesis ; plus anciennement : Lagrange, « L’ange de Iahvé » ; Grundmann/Kittel/von R ad, « ἄγγελος, ἀρχάγγελος, ἰσάγγελος », 75–76. 26  Cette réflexion de Uehlinger, « La figure de lʼange révélateur –  à quoi bon ? », 304

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plusieurs caractéristiques, non sans lui superposer ses propres représentations. Question à laquelle nous allons nous attacher dans la suite du propos consacré à l’ensemble Luc-Actes.

2.  L’ange annonciateur du récit lucanien de l’enfance (Lc 1–2) Dans le premier volume de l’œuvre lucanienne, seul le récit de l’enfance est concerné.27 L’expression « ange du Seigneur », ἄγγελος κυρίου, y est attestée deux fois (Lc 1,11 et 2,9) et les autres emplois d’ἄγγελος au singulier renvoient au personnage céleste ainsi désigné. Il apparaît pour la première fois dans la péricope de l’annonce à Zacharie, en Lc 1,11, verset auquel se réfèrent toutes les occurrences d’ἄγγελος qui suivent (v. 13.18.19), mais aussi celles de la péricope de l’annonciation (v. 26.30.34.35.38 ; cf. 2,21). En effet, on apprend au v. 19 que l’émissaire divin qui intervient auprès de Zacharie est en réalité Gabriel, lequel est ensuite envoyé à Nazareth auprès de Marie selon le v. 26. La formule ἄγγελος κυρίου réapparaît lorsque l’ange se présente aux bergers à la naissance de Jésus en Lc 2,9, passage auquel se rattachent encore les prochaines occurrences d’ἄγγελος (v. 10.13). Il est remarquable qu’il s’agisse du même ange, expressément nommé, qui apparaît à Zacharie pour lui annoncer la naissance miraculeuse de Jean Baptiste, puis à Marie pour lui annoncer la conception miraculeuse de Jésus. Ce parallèle flagrant, avec le nom « Gabriel » précisé dans chaque épisode (v. 19 et 26) et un nombre presque identique d’emplois du terme ἄγγελος dans les deux annonces, s’inscrit dans le cadre du procédé rhétorique de la sunkrisis. Il est en effet bien connu que l’articulation de Lc 1–2 relève d’un principe de construction symétrique, visant à mettre en parallèle les deux personnages de Jean Baptiste et de Jésus, non sans placer l’accent sur ce dernier. 2.1.  Gabriel, figure de l’ange révélateur L’ange du Seigneur qui entre en scène dès le premier épisode de l’évangile est donc identifié à Gabriel, ‫ גבריאל‬en hébreu, transcrit Γαβριήλ en grec.28 S’il s’agit n. 24, à propos de l’Ange de la Face dans Jubilés, peut aussi s’appliquer à l’ange du Seigneur dans notre contexte. 27  On pourrait être tenté de prendre en compte l’ἄγγελος mentionné à l’autre bout de l’évangile, à savoir l’ange consolateur qui fortifie Jésus au Mont des Oliviers en Lc 22,43. Or, non seulement le verset n’est pas bien attesté textuellement, mais la formulation employée, ἄγγελος ἀπ’ οὐρανοῦ, « un ange (venant) du ciel », laisse entendre qu’il s’agit d’un ange parmi d’autres plutôt qu’un être céleste bien déterminé. 28  Selon l’étymologie adoptée, la signification du nom hébreu tourne autour de « force de Dieu », « Dieu s’est montré fort », « Dieu est mon héros » ou encore « homme de Dieu ». Il s’agit de l’un des rares anges nommés dans l’Ancien Testament, avec Michaël et Raphaël.



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du seul endroit du Nouveau Testament mentionnant cet ange, son nom est cité à deux reprises dans le livre de Daniel (Dn 8,16 et 9,21) où il apparaît pour apporter des révélations : expliquer à Daniel sa vision du bélier et du bouc, puis la prophétie des 70 semaines (Dn 8,15–26 et 9,21–27). Le nom de Gabriel est également attesté à Qumrân dans le Règlement de la Guerre, à côté de Michaël, Sariel et Raphaël (1QM IX 15–16), et encore à plusieurs reprises dans la littérature intertestamentaire, notamment dans le Livre d’Hénoch où il fait partie des quatre ou sept archanges, en fonction des passages (1 Hénoch 9,1 ; 20,7 ; 40,9 ; 54,6 ; 71,8–9), et dans le Livre des secrets d’Hénoch où il enlève Hénoch pour le placer devant le Seigneur (2 Hénoch 21,5–7) puis intervient dans l’épisode de la naissance miraculeuse de Melchisédech (2 Hénoch 70,10).29 Selon Hans Klein, l’ensemble des aspects caractérisant la figure de Gabriel dans le judaïsme ancien conduit à une image relativement unifiée : « Gabriel appartient au cercle le plus intime des anges autour de Dieu, ceux qui l’accompagnent dans ses activités et qu’il charge de services spéciaux. »30 En réalité, c’est principalement sur la base du livre de Daniel qu’il est considéré comme « ange révélateur » ou « ange interprète », sa fonction première y étant justement de révéler et d’interpréter.31 Par certains aspects, il rejoint également l’angelus interpres, non nommé, du livre de Zacharie, voire l’Ange de la Face à l’œuvre dans le Livre des Jubilés. En lien direct avec sa fonction de révélateur, on peut rappeler la découverte près de la Mer Morte d’une inscription hébraïque datant certainement du tournant de notre ère (fin du ier siècle avant ou début du ier siècle après J.‑C.) : la Vision ou Révélation de Gabriel. Publié en 2007, le texte fragmentaire s’apparente à une vision apocalyptique et se présente en quelque sorte comme une révélation de Gabriel.32 Les éléments qui retiennent notre attention sont, d’une part, l’identification du locuteur avec l’ange Gabriel à la ligne 77 (voir aussi les lignes 80 et 83) et, d’autre part, son rôle de révélateur, notamment sur le déroulement de la fin ultime des temps. Pour Christoph Uehlinger, la présentation de Gabriel à Zacharie en Lc 1,19 renvoie à la fois à l’auto-présentation de Gabriel dans cette inscription, à la figure de l’Ange de la Face du Livre des Jubilés et même à celle de l’ange interprète.33 Quant à l’annonce faite à Marie, il estime que son contenu transgresse les codes religieux habituels, d’où le recours à Gabriel, l’ange révélateur par excellence : « Si la naissance du Messie ‘Fils du Très Haut’ d’une jeune fille vierge répond certes à une logique typologique, éminemment religieuse, elle requiert 29  Pour un survol des différents textes, voir Collins, « Gabriel » ; Klein, « The Angel Gabriel according to Luke 1 », 313–315 ; Burnet, « L’ange Gabriel de l’Ancien au Nouveau Testament », 21–25. 30  Klein, « The Angel Gabriel according to Luke 1 », 314. 31  Sur cet aspect en général, voir Schöpflin, « God’s Interpreter ». 32  On trouvera le texte traduit, annoté et commenté chez Hamidović, « La Vision de Gabriel ». 33  Uehlinger, « La figure de lʼange révélateur – à quoi bon ? », 308.

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néanmoins une explication exceptionnelle. Or personne ne se prête mieux à une telle justification que l’ange Gabriel […] dont le message (ou plutôt sa réalisation) dépassera encore une fois le cadre établi du savoir religieux antérieur. »34 Au terme de son étude embrassant une perspective très large, Uehlinger conclut que l’« ange révélateur » est une figure littéraire dont la principale fonction est de communiquer un savoir religieux nouveau, et que cette figure répond toujours à un besoin de légitimation dans un cadre épistémologique spécifique : ainsi lorsqu’un texte y fait appel, c’est pour une question d’autorité, voire d’autorisation de son message.35 Toujours est-il que l’ange du Seigneur de Lc 1–2, expressément identifié à Gabriel, assume effectivement une fonction de messager, de révélateur et de médiateur. Il convient de signaler qu’aucun des passages concernés ne l’assimile à Dieu lui-même : il s’agit clairement d’un être céleste « envoyé » par Dieu (Lc 1,19.26), jouant ainsi le rôle de médiateur entre la sphère divine et le monde des hommes. On n’en repère pas moins de nombreuses analogies avec les textes de l’Ancien Testament, notamment pour ce qui est de l’association entre l’apparition de l’ange et une annonce de naissance miraculeuse. 2.2.  Les trois interventions de l’ange du Seigneur en Lc 1–2 –  Dans le récit de l’annonce à Zacharie qui ouvre le troisième évangile (Lc 1,5– 25), le v.  11 rapporte comment l’ange du Seigneur apparaît (ὤφθη δὲ αὐτῷ ἄγγελος κυρίου) dans un contexte liturgique rappelant Dn 9,21, au moment où le prêtre se trouve en pleine offrande, et se tient à droite de l’autel de l’encens (ἑστὼς ἐκ δεξιῶν τοῦ θυσιαστηρίου τοῦ θυμιάματος). L’épisode s’apparente clairement aux annonces de naissance, notamment de naissance miraculeuse, dans la littérature antique et en particulier dans l’Ancien Testament (à l’image de Gn 16,7–14 et Jg 13,2–23 avec l’ange de Yhwh).36 Se montrant d’abord rassurant devant le trouble et la crainte de Zacharie face à la manifestation du divin – un élément coutumier aux récits d’apparition –, l’ange lui délivre ensuite l’annonce divine : prédiction de la naissance d’un fils, nom à lui donner et description de son rôle dans le déroulement du plan salvifique de Dieu (v. 13–17). Ce n’est qu’à la suite du doute exprimé par Zacharie (v. 18) que l’ange revendique sa pleine autorité en déclinant son identité et sa mission (v. 19) : « Moi je suis Gabriel qui me tiens devant Dieu et j’ai été envoyé pour te parler et t’annoncer ces bonnes nouvelles » (ἐγώ εἰμι Γαβριὴλ ὁ παρεστηκὼς ἐνώπιον τοῦ θεοῦ καὶ ἀπεστάλην λαλῆσαι πρὸς σὲ καὶ εὐαγγελίσασθαί σοι ταῦτα).37 34  35 

Uehlinger, « La figure de lʼange révélateur – à quoi bon ? », 308. Uehlinger, « La figure de lʼange révélateur – à quoi bon ? », 322–323. 36  Sur les éléments correspondants, voir parmi d’autres Wolter, Das Lukasevangelium, 77 ; Fitzmyer, The Gospel According to Luke (I–IX), 318. 37  Sänger, « Γαβριήλ », 554–555, indique qu’une telle auto-présentation est clairement liée à la fonction de messager prophétique dans l’Ancien Testament.

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Il est ainsi non seulement précisé que l’ange du Seigneur est clairement identifié à Gabriel, mais encore qu’au sein de la sphère céleste il se situe dans l’entourage immédiat de Dieu qui l’a expressément envoyé en mission. De ce point de vue, Klein estime que les traditions apocalyptiques du judaïsme ancien sur Gabriel ont subi ici un changement significatif : Gabriel est maintenant décrit comme le puissant messager de Dieu proclamant le début du salut dans la naissance de Jean Baptiste.38 Il convient toutefois d’ajouter que s’il tient effectivement un rôle de messager chargé d’une annonce capitale en vue de l’accomplissement du salut, il recouvre également les traits d’un ange punitif suite à la défiance de Zacharie qui n’a pas cru en ses paroles (v. 20). Sa nouvelle déclaration fait acte : il annonce le mutisme de Zacharie, lequel se réalise aussitôt. –  La péricope de l’annonciation (Lc 1,26–38), dont le genre littéraire oscille entre annonce de naissance39 et récit de vocation, présente une construction parallèle à l’épisode de Zacharie40 et reprend plusieurs caractéristiques prêtées à l’ange. Au v. 26, il est précisé d’emblée qu’il s’agit du même ange Gabriel envoyé par Dieu (ἀπεστάλη ὁ ἄγγελος Γαβριὴλ ἀπὸ τοῦ θεοῦ), auquel renvoient toutes les occurrences suivantes d’ἄγγελος (v. 30.34.35.38). C’est ainsi qu’il est sujet grammatical de la majorité des verbes d’action et de parole dans les extraits narratifs : « être envoyé » (passif de ἀποστέλλω, v. 26), « entrer » (εἰσέρχομαι, v. 28), « dire » (λέγω, v. 28.30.35), « répondre » (ἀποκρίνομαι, v. 35), « s’en aller » (ἀπέρχομαι, v. 38). À la différence de l’épisode précédent où l’ange s’est manifesté à Zacharie lors d’une apparition soudaine, il se comporte ici davantage comme un messager humain, entrant chez Marie pour lui adresser la parole, puis la quittant.41 Là encore, le message divin se transmet dans le cadre d’un dialogue alternant déclarations angéliques et réactions humaines. L’ange reproduit d’ailleurs plusieurs expressions employées précédemment, comme la formule « ne crains pas » suivie du nom et d’une justification : μὴ φοβοῦ, Μαριάμ, εὗρες γὰρ  … (v. 30)/μὴ φοβοῦ, Ζαχαρία, διότι … (v. 13). À l’inverse, il semble montrer une plus grande déférence envers Marie, ne serait-ce que par sa salutation qui la désigne comme κεχαριτωμένη, « comblée de grâce », et son affirmation de la présence effective du Seigneur avec elle (v. 28). De même, il réagit différemment devant la question de Zacharie qu’il frappe de mutisme et devant celle de Marie à qui il fournit les explications correspondantes.

38 

Klein, « The Angel Gabriel according to Luke 1 », 318. Dans ce sens, on relèvera à nouveau de nombreux rapprochements avec l’annonce de la naissance miraculeuse de Samson rapportée en Jg 13,2–23. 40  Parmi de nombreux commentateurs, voir par exemple les éléments structurels et lexicaux relevés par Green, The Gospel of Luke, 83–84, qui liste également les points de contraste. 41  Dans cette ligne, voir Klein, « The Angel Gabriel according to Luke 1 », 318 ; Bovon, L’Évangile selon saint Luc (1,1–9,50), 73 ; Wolter, Das Lukasevangelium, 87. 39 

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Outre la salutation initiale, la déclaration angélique se partage en deux parties : l’annonce de la naissance de Jésus dont sont précisés le rôle et la destinée (v. 30–33), les modalités de sa conception et la confirmation de la promesse par un signe (v. 35–37). L’ange révèle dès à présent la véritable identité de Jésus : « fils du Très-Haut » (v. 32), « saint » et « fils de Dieu » (v. 35), dont le règne sera éternel (v. 33). Sa mission consiste ainsi à annoncer l’accomplissement des promesses messianiques qui se réalisent dans la naissance du Messie et sa conception extraordinaire par l’action de l’Esprit. Gabriel n’est plus vu comme celui qui interprète les événements eschatologiques, mais comme le héraut de la venue du Christ, qui connaît le mystérieux plan salvifique de Dieu.42 Encore plus que dans l’épisode précédent, son intervention dans la réalité humaine met en valeur la prise d’initiative divine et son message révèle toute la puissance de Dieu à l’œuvre pour la réalisation du salut. –  La dernière intervention de l’ἄγγελος κυρίου dans le récit de l’enfance, et par là dans le troisième évangile, se situe en Lc 2,9–12, au moment effectif de la naissance de Jésus, dans l’épisode des bergers. L’ange du Seigneur leur apparaît accompagné de la gloire divine qui les enveloppe de lumière (v. 9 : καὶ ἄγγελος κυρίου ἐπέστη αὐτοῖς καὶ δόξα κυρίου περιέλαμψεν αὐτούς), ce qui provoque aussitôt leur crainte devant la manifestation du divin. Mais là encore, l’ange les invite à ne pas avoir peur, puis leur délivre son message en annonçant « une bonne nouvelle qui sera une grande joie pour tout le peuple », à savoir la naissance « d’un sauveur, qui est le Christ Seigneur » (v. 10–11). Il s’agit ainsi de la troisième révélation de l’ange, qui s’achève à nouveau sur un signe (v. 12). Le nom de Gabriel n’est plus évoqué, mais l’ange du Seigneur mis en scène peut certainement lui être identifié.43 Ici encore, sa fonction de messager-révélateur, déjà évoquée à plusieurs reprises, est patente. Ajoutons que l’éclat de la gloire divine spécifie l’importance de cette dernière angélophanie et l’origine transcendante du message délivré,44 manifestant de la sorte le caractère unique et extraordinaire de l’événement de la naissance de Jésus. La survenue d’une multitude de l’armée céleste entourant l’ange pour louer Dieu et chanter sa gloire s’inscrit dans cette même perspective (v. 13–14). Précisons encore qu’une ultime mention de l’ange figure au v. 21 (nomination de l’enfant) rapportant la réalisation des paroles de Gabriel qui avait imposé le nom de Jésus en Lc 1,31.

42  43 

Klein, « The Angel Gabriel according to Luke 1 », 320. Bovon, L’Évangile selon saint Luc (1,1–9,50), 123 ; Klein, « The Angel Gabriel according to Luke 1 », 320. 44 Voir Wolter, Das Lukasevangelium, 127 ; George, « Les anges », 154.



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3.  L’ange soutien de la mission apostolique et de la proclamation de l’Évangile dans les Actes Dans le deuxième volet de l’œuvre lucanienne, la figure spécifique de l’ange du Seigneur (ou de Dieu) apparaît dans cinq passages qui s’inscrivent tous dans des épisodes phare du livre : l’arrestation et la comparution des apôtres en Ac 5 ; la rencontre entre Philippe et l’eunuque éthiopien en Ac 8 ; le récit consacré à Corneille et l’admission des premiers païens dans l’Église en Ac 10 ; la séquence d’Ac 12, avec deux interventions très différentes de l’ange qui se répondent d’un bout à l’autre du chapitre.45 En étudiant ces occurrences dans leur contexte respectif, nous tenterons de dégager le profil de l’ἄγγελος désigné comme « ange du Seigneur » ou « ange de Dieu »,46 ainsi que les enjeux théologiques sous-jacents. Nous relèverons en particulier les traits saillants de ce personnage céleste et chercherons à définir son rôle et sa fonction en déterminant la finalité de ses interventions, mais aussi en s’interrogeant, le cas échéant, sur son alternance avec d’autres agents divins. 3.1.  Ac 5,19–21 : l’ange libérateur des apôtres La première mention de l’ἄγγελος κυρίου intervient dans l’épisode d’Ac 5 ­retraçant la seconde arrestation et comparution des apôtres, qui met en évidence l’incapacité des instances juives à les empêcher de proclamer l’Évangile. L’épisode présente la singularité de comporter un récit de libération miraculeuse aux v. 19–21a : pendant la nuit, l’ange du Seigneur ouvre les portes de la prison et en fait sortir les apôtres (ἄγγελος δὲ κυρίου διὰ νυκτὸς ἀνοίξας τὰς θύρας τῆς φυλακῆς ἐξαγαγών τε αὐτοὺς) en leur demandant de poursuivre leur proclamation. Ce récit de délivrance miraculeuse est le premier du livre des Actes qui en compte trois : Ac 5,19–21a ; 12,6–11 ; 16,25–34. Luc reprend ici un topos bien connu à son époque, celui de la libération miraculeuse par ouverture des portes, fort attesté dans la littérature antique, notamment gréco-romaine, le texte de référence étant les Bacchantes d’Euripide (voir en particulier les passages de 45  Ne seront pas traités les emplois d’ἄγγελος en Ac 7,30.35.38 qui se situent dans une rétrospective de l’histoire d’Israël évoquant l’ange apparu à Moïse au Sinaï. Concrètement, ces trois versets d’Ac 7 présentent ἄγγελος sans complément (même si le passage correspondant d’Ex 3,2 atteste bien ‫ מלאך יהוה‬dans le texte hébreu et ἄγγελος κυρίου dans la version grecque) et se rapportent clairement aux événements passés d’Israël. De même, en raison de sa formulation inhabituelle, n’a pas été retenue l’occurrence d’Ac 27,23 se situant dans le passage rapportant la dérive sur l’Adriatique au cours de laquelle Paul rend compte d’une vision nocturne dans laquelle s’est présenté à lui un ange du Dieu à qui il appartient et à qui il rend un culte : παρέστη γάρ μοι ταύτῃ τῇ νυκτὶ τοῦ θεοῦ, οὗ εἰμι [ἐγὼ] ᾧ καὶ λατρεύω, ἄγγελος. 46  Même s’il reste toujours la question implicite liée à l’absence d’article, nous considérons là encore, avec la plupart des spécialistes, que cette figure est suffisamment déterminée en soi et possède des contours propres bien définis.

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­ acchantes 443–450 ; 616–645). Dans le récit lucanien s’invite toutefois l’ange du B Seigneur, agent de la délivrance miraculeuse, dont on ne doute pas un seul instant qu’il est expressément envoyé par Dieu.47 Il est notable que l’ange ne se contente pas d’ouvrir les portes et de conduire les apôtres hors de la prison, mais qu’il leur ordonne de se rendre au Temple pour s’adresser au peuple (εἶπεν· πορεύεσθε καὶ σταθέντες λαλεῖτε ἐν τῷ ἱερῷ τῷ λαῷ). Il réduit ainsi à néant le projet des dirigeants juifs, non seulement par l’acte même de la libération des apôtres, mais aussi par le message qu’il leur communique. De fait, ils ne sont pas libérés pour s’enfuir, mais pour poursuivre la proclamation de la Bonne Nouvelle. Il leur revient précisément d’annoncer un effet de l’événement-Christ : « cette vie »48 – littéralement « toutes les paroles de cette vie » (πάντα τὰ ῥήματα τῆς ζωῆς ταύτης). En se référant à d’autres passages, dont Ac 13,26, la majorité des commentateurs associent d’une façon ou d’une autre les termes « vie » et « salut »,49 considérant alors que la formule renvoie à la vie salvifique offerte et instiguée par Jésus. Certains y voient même une désignation synthétique de la prédication chrétienne.50 Toujours est-il que le rôle de l’ange est bien de communiquer aux apôtres les instructions de Dieu tout en les assurant de sa protection. Ils sont ainsi exhortés à poursuivre leur annonce christologique. Notons au passage que l’intervention divine ici rapportée – à la fois la libération des apôtres et le message qui leur est délivré  – répond à la prière d’Ac 4,29–30 requérant la capacité de poursuivre l’annonce de l’Évangile, accompagnée de signes et de prodiges. Dans un autre registre, on ne manquera pas de relever le caractère burlesque de la scène qui suit immédiatement : dès le v. 21b, Luc décrit avec ironie une assemblée pompeuse d’officiels qui se réunissent pour la comparution des prévenus, lesquels ont disparu depuis longtemps et, de surcroît, enseignent librement au Temple. Malgré sa relative brièveté, l’épisode de la libération miraculeuse d’Ac 5 souligne d’emblée l’agir divin en faveur des apôtres par l’intermédiaire de l’ange. L’événement manifeste conjointement la protection divine dont ils bénéficient et la réalisation du dessein de Dieu. L’aspect le plus important n’est certes pas la démonstration de force, même si le lecteur est ainsi assuré que Dieu intervient en faveur des siens, mais le fait que son plan salvifique se poursuit. À travers la figure de l’ange, c’est Dieu lui-même qui est compris comme étant à l’origine de la proclamation apostolique. À la différence d’auteurs qui estiment que ce bref récit 47  Si c’est également le cas en Ac 12 traité plus loin, à l’inverse, le récit de libération d’Ac 16 se déroulant en milieu païen ne mentionnera aucun agent divin mais un élément cosmique, à savoir un tremblement de terre. 48  Fitzmyer, The Acts of the Apostles, 335. 49  Voir par exemple Roloff, Die Apostelgeschichte, 102 ; Jervell, Die Apostelgeschichte, 206. 50  Marguerat, Les Actes des Apôtres (1–12), 192 ; cf. Barrett, The Acts of the Apostles. Volume I, 284.



La figure de l’ange du Seigneur en Luc-Actes

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ne présente guère d’intérêt,51 d’autres en soulignent la portée, tel John B. Weaver qui pointe son importance et sa fonction en Ac 5, notamment sa contribution à la construction et à la validation narratives de la première communauté chrétienne par la démonstration du pouvoir divin protégeant les apôtres et propageant leur message.52 3.2.  Ac 8,26 : l’ange instigateur de la mission universelle par l’envoi de Philippe La prochaine occurrence d’ἄγγελος κυρίου se situe dans un cadre fort différent. Il s’agit de la rencontre entre Philippe et l’eunuque éthiopien en Ac 8,26–40, qui dévoile le programme missionnaire universel de l’Évangile, en particulier son annonce aux exclus et aux marginalisés. À travers l’intégration dans le peuple de Dieu, par le moyen de l’Écriture et du baptême, de ce haut-fonctionnaire éthiopien exclu du Temple et de l’assemblée d’Israël,53 le récit anticipe et affiche la destinée universelle et le programme de l’Évangile, à savoir accueillir au nom de Jésus les exclus de l’alliance et les méprisés de la société.54 Dans ce sens, il lui a été reconnu « pour fonction de concrétiser deux données centrales à la définition identitaire de l’Église des Actes : son extension géographique maximale et sa vocation de restauration d’Israël par l’intégration des parias du judaïsme ».55 Il s’agit ainsi d’un épisode majeur qui marque le dépassement des barrières ethniques, géographiques, sociales, religieuses et culturelles. Pour notifier cette orientation significative, l’insistance porte sur l’initiative divine qui se manifeste tout au long du récit à travers plusieurs interventions surnaturelles, qui encadrent d’ailleurs la péricope (v. 26, ἄγγελος κυρίου ; v. 39, πνεῦμα κυρίου). Tout d’abord, l’ange du Seigneur envoie Philippe sur la route qui descend de Jérusalem à Gaza (v. 26), puis l’Esprit lui ordonne de rejoindre le char de l’eunuque éthiopien (v. 29), avant de le ravir, une fois l’eunuque instruit et baptisé, et de le transporter à Azot (v. 39–40). Le récit s’ouvre donc sur l’ange du Seigneur qui intervient d’emblée, dès le premier verset, pour s’adresser à Philippe (ἄγγελος δὲ κυρίου ἐλάλησεν πρὸς Φίλιππον λέγων …) et l’expédier sur la route de Gaza, ce qui aboutira à sa rencontre avec l’eunuque et la conversion de ce dernier. L’intervention de l’agent céleste traduit l’entière initiative divine par laquelle Philippe se trouve mobilisé pour agir en vue du dessein salvifique de Dieu. La description lucanienne insiste sur la communication, l’énoncé angélique du v. 26 51  À l’image de Loisy, Les Actes des Apôtres, 277, qui évoquait l’ornement du récit et l’amusement du rédacteur, sans aucune conséquence pour l’ensemble du développement. 52  Weaver, Plots of Epiphany, 132. 53  Sur le statut religieux de l’eunuque, très discuté car non précisé par Luc qui réserve au récit de Corneille en Ac 10 la problématisation de l’accès des païens au peuple de Dieu, voir par exemple Butticaz, L’identité de l’Église dans les Actes des apôtres, 215–221. 54  Marguerat, Les Actes des apôtres (1–12), 313. 55  Butticaz, L’identité de l’Église dans les Actes des apôtres, 227.

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étant introduit par les deux verbes de parole λαλέω, « parler », et λέγω, « dire » (ἐλάλησεν … λέγων). Son contenu, lui, accuse un caractère contraignant avec les impératifs « lève-toi » et « va » (ἀνάστηθι καὶ πορεύου) par lesquels est donnée, sans aucune explication, l’injonction de se rendre sur la route déserte. Luc notifie la réponse immédiate de Philippe à l’ordre angélique en répétant les deux mêmes verbes : καὶ ἀναστὰς ἐπορεύθη (v. 27). Dans la perspective qui est la nôtre, l’élément qui retient singulièrement l’attention dans le déploiement narratif est la disparition de l’ange au profit de l’Esprit. Ce dernier surgit dès le v. 29 où il prend la relève en donnant à Philippe la suite des instructions et le somme de rejoindre l’eunuque. Étonnante, voire énigmatique, cette alternance ne manque pas d’interroger le lecteur. L’Esprit intervient de nouveau à la fin de l’épisode où il enlève Philippe à la manière d’Élie ou d’Ézéchiel (v. 39),56 mais c’est surtout le début de la péricope qui intrigue, avec ce passage, en l’espace de trois versets et sans aucune justification, de l’ange du Seigneur à l’Esprit, pour ce qui constitue finalement une même action. Cette ambiguïté a évidemment soulevé la curiosité des exégètes,57 même si les plus récents ne vont guère au-delà du simple constat, loin de s’interroger sur les implications de ce brouillage des rôles par le changement de sujet. Contrairement à ce qui a pu être proposé par le passé à l’appui d’Ac 23,9 où les scribes semblent donner à πνεῦμα et ἄγγελος un sens équivalent, on ne peut se contenter d’assimiler l’un à l’autre sur des bases aussi fragiles. Esprit Saint et ange du Seigneur sont deux entités bien distinctes dans l’œuvre de Luc et rien ne permet d’aller dans le sens d’une interchangeabilité ou d’une identification pure et simple. Il s’agit plutôt d’une alternance de deux agents divins différents qui interviennent dans le même but, la réalisation du plan divin. Pour Weaver, l’ange et l’Esprit du Seigneur sont deux figures divines intermédiaires qui, bien que de formes distinctes, sont caractérisées par des fonctions équivalentes.58 Odette Mainville évoque elle aussi l’ange et l’Esprit comme des figures intermédiaires, en précisant que lorsque Luc interchange ici les appellations, « il veut signifier l’origine divine de la décision de baptiser l’eunuque ».59  Toujours est-il qu’en mentionnant tantôt l’agir de l’un, tantôt celui de l’autre, Luc exprime sa perception de la mobilisation du divin. Il veut avant tout pointer l’unité de l’action de 56  Signalons pour ce v. 39 la leçon remplaçant « l’Esprit du Seigneur enleva Philippe » (πνεῦμα κυρίου ἥρπασεν τὸν Φίλιππον) par « l’Esprit Saint tomba sur l’eunuque et l’ange du Seigneur enleva Philippe » (πνεῦμα ἅγιον ἐπέπεσεν ἐπὶ τὸν εὐνοῦχον, ἄγγελος δὲ κυρίου ἥρπασεν τὸν Φίλιππον). Cette variante occidentale fait ainsi de l’ange du Seigneur celui qui ravit Philippe, ce qui a non seulement pour effet de rendre impossible toute confusion avec l’Esprit, ici mentionné en lien avec l’eunuque, mais aussi d’encadrer l’épisode par l’agir de l’ange qui ouvre et ferme le récit. 57 Déjà George, « Les anges », 160, considérait cette alternance comme un problème classique posé aux commentateurs. 58  Weaver, Plots of Epiphany, 100, qui parle toutefois aussi d’une fusion entre les deux. 59  Mainville, L’Esprit dans l’œuvre de Luc, 330.



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Dieu, laquelle peut se traduire à travers des agents différents, par des manifestations différentes mais toujours convergentes. 3.3.  Ac 10,3–7 : l’ange de Dieu dans la vision de Corneille Dans la séquence magistrale dite de la conversion de Corneille (Ac 10,1–11,18), qui marque dans les Actes un tournant décisif et recouvre une importance capitale pour la théologie lucanienne, les interventions divines se multiplient et gagnent encore en intensité. Il n’en faut pas moins pour justifier la première admission d’un païen dans la communauté chrétienne, ou plus exactement le fait que l’ouverture de l’Église aux païens, bien que mise en œuvre par Pierre, soit initiée par Dieu lui-même. Tout comme la rencontre entre Philippe et l’eunuque éthiopien, et même davantage encore, celle de Pierre et de Corneille constitue une étape déterminante dans l’histoire du salut.60 À ce titre, de nombreuses manifestations du divin traversent le récit, soulignant ainsi le choix souverain de Dieu et sa prise d’initiative : la vision de Corneille rapportée quatre fois (Ac 10,1– 6.22.30–32 ; 11,13–14) ; l’extase de Pierre évoquée à quatre reprises également (deux fois en entier, avec la mention d’une voix céleste : Ac 10,10–16 ; 11,5–10 ; deux fois sous forme d’allusion : Ac 10,28.34–35) ; l’intervention de l’Esprit auprès de Pierre mentionnée deux fois (Ac 10,19–20 ; 11,12) ; l’irruption subite de l’Esprit Saint tombant sur les auditeurs relatée à deux reprises (Ac 10,44 ; 11,15). La première manifestation divine, qui lance en quelque sorte l’intrigue, nous intéresse tout spécialement puisqu’elle décrit un être céleste sous les traits de l’ange de Dieu. Il s’agit de la seule occurrence – non seulement chez Luc mais dans tout le Nouveau Testament  – du syntagme ἄγγελος τοῦ θεοῦ visant un personnage précis.61 Celui-ci entre donc en scène dès le début de cette longue séquence où il amorce le dialogue avec Corneille et occupe un espace non négligeable (v. 3–7). Le narrateur rapporte successivement que Corneille voit distinctement en vision vers la neuvième heure du jour (εἶδεν ἐν ὁράματι φανερῶς ὡσεὶ περὶ ὥραν ἐνάτην τῆς ἡμέρας) l’ange entrer chez lui et l’appeler par son nom (ἄγγελον τοῦ θεοῦ εἰσελθόντα πρὸς αὐτὸν καὶ εἰπόντα αὐτῷ· Κορνήλιε). Il est notable que Corneille répond à cette interpellation en appelant le messager céleste « Seigneur », κύριος, manifestant ainsi sa déférence envers l’agent divin qui lui apparaît, ce qui justifie également sa crainte (ἔμφοβος γενόμενος). S’en suit une parole angélique assez longue, comparée aux épisodes précédents d’Ac 5 et 8, lui assurant que ses aumônes sont montées en mémorial devant Dieu, déclaration surprenante qui équivaut à une annonce voilée du salut adressée à un 60  Sur les connexions entre les deux récits d’Ac 8 et 10, souvent comparés et mis en parallèle, voir von Dobbeler, Der Evangelist Philippus in der Geschichte des Urchristentums, 117– 123 ; aperçu plus bref chez Keener, Acts: An Exegetical Commentary. Volume 2, 1538 ; Tannehill, The Narrative Unity of Luke-Acts, 110–111. 61  En Ga 4,14, la formule « comme un ange de Dieu » (ὡς ἄγγελον θεοῦ) ne renvoie pas à un être céleste défini.

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païen,62 et lui ordonnant d’aller faire chercher Pierre. Après avoir délivré son message, l’ange s’en va, ici désigné comme « l’ange qui lui parlait » (v. 7). Les différentes actions qui lui sont prêtées tout au long de la séquence sont d’ailleurs en bonne partie liées à sa prise de parole, mais sans s’y restreindre : à côté des verbes de parole tels « dire » (λέγω, 10,3.4 et 11,13 ; φημί, 10,31), « parler » (λαλέω, 10,7), « avertir » (χρηματίζω au sens de révéler, 10,22), on trouve aussi des verbes d’action dont il est frappant d’observer qu’il étaient déjà attribués à l’ange du Seigneur dans le récit de l’enfance : « se tenir debout » (ἵστημι, 10,30 et 11,13) comme chez Zacharie en Lc 1,11, et surtout « entrer »/« s’en aller » au début et à la fin de l’acte initial (εἰσέρχομαι et ἀπέρχομαι en 10,3.7), exactement comme chez Marie en Lc 1,28.38.63 On l’a dit, l’ensemble de la séquence fournit quatre versions de la vision de Corneille (Ac  10,1–6.22.30–32 ; 11,13–14), ce qui démontre l’importance que lui accorde l’auteur lucanien. Une mise en parallèle permet de constater à quel point il se soucie d’en varier la présentation, même si la structure globale reste la même. On relève notamment que le messager céleste se voit conféré divers qualificatifs : d’abord « ange de Dieu » (ἄγγελος τοῦ θεοῦ) au v. 3 et « l’ange qui lui parlait » (ὁ ἄγγελος ὁ λαλῶν αὐτῷ) au v. 7 dans la version initiale, puis « ange saint » (ἄγγελος ἅγιος)64 au v. 22 dans la bouche des envoyés, ensuite « homme en vêtement éclatant » (ἀνὴρ … ἐν ἐσθῆτι λαμπρᾷ) au v. 30 dans l’explication de Corneille, et enfin simplement « l’ange » ([ὁ] ἄγγελος) dans le rapport fait à Jérusalem en 11,13. Il est évident que Luc prend soin d’introduire une certaine variété dans la désignation de l’ange. Il en va de même pour ses paroles, auxquelles chaque nouvelle évocation apporte une nuance propre. Pour l’annonce de la venue de Pierre, par exemple, on constate une nette progression de la première à la dernière version : aux v. 5–6, l’ordre de l’ange se limite à faire venir l’apôtre sans davantage de précision ; le v. 22 ajoute le motif de l’écoute des paroles de Pierre ; ce motif est précisé et développé en 11,14 où les paroles transmises sont désignées comme paroles du salut : « des paroles par lesquelles tu seras sauvé, toi et toute ta maison ». Cette dernière version accentue particulièrement le fait que l’ange annonce la dimension salvifique du message de l’apôtre. L’ange du Seigneur n’est pas le seul agent céleste du récit. Il partage la scène avec l’Esprit Saint qui joue ici un rôle capital. Comme en Ac 8, on observe à nouveau une alternance des deux figures, dont les actions sont tour à tour mention62  63 

Marguerat, Les Actes des apôtres (1–12), 375. Avec de surcroît la reprise de la même expression εἰσέρχομαι à l’aoriste + πρός + pronom de la 3e pers. (Ac 10,3 : εἰσελθόντα πρὸς αὐτόν ; Lc 1,28 : εἰσελθὼν πρὸς αὐτήν). 64  Vu l’importance du lien entre Israël et le concept de sainteté, le choix lucanien de l’adjectif « saint » (ἅγιος) pour qualifier cet ange envoyé auprès d’un païen est particulièrement significatif : voir Strelan, « On the Side of the Angels », 120. Ajoutons par ailleurs que la notion de sainteté est souvent associée aux anges dans les textes de Qumrân.

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nées et rappelées (l’ange en Ac 10,3–7.22.30–32 ; 11,13–14 ; l’Esprit en Ac 10,19– 20.44.45.47 ; 11,12.15). Là encore, les deux agents divins sont à distinguer et ne sauraient être confondus ou simplement assimilés l’un à l’autre. L’ange intervient certes auprès de Corneille pour lui signifier la volonté divine comme l’Esprit intervient auprès de Pierre pour lui donner des instructions, mais l’action surnaturelle la plus éclatante et la plus extraordinaire reste celle de l’Esprit qui fait irruption en tombant sur l’auditoire païen de Pierre alors qu’il parle encore, le prenant ainsi de court avec ses compagnons (v. 44–45). L’ange n’a assurément pas ce type de fonction. Pour autant, si l’Esprit transgresse les règles établies en se répandant sur les païens à la grande surprise des croyants circoncis, l’ange a déjà anticipé ce mouvement. Non seulement il a assuré le centurion romain de l’attention divine à son égard, mais il a fait le premier pas en « entrant chez lui » : sachant que la difficulté centrale du récit est de faire pénétrer Pierre chez un païen, l’entrée de l’ange chez Corneille est en soi un message.65 L’agir de l’ange comme celui de l’Esprit renvoient de toute évidence à l’action divine unique qui se manifeste diversement, mettant ainsi en relief le dynamisme de la puissance agissante et salvifique de Dieu qui renverse le cours des événements et ouvre l’Église aux nations. Au final, on retiendra tout particulièrement l’importance de l’agir initial de l’ἄγγελος τοῦ θεοῦ, dont l’apparition et les paroles sont d’ailleurs rappelées jusque dans les tout derniers versets de la séquence. Son intervention déclenche la série de manifestations divines traversant l’ensemble de la séquence et prépare activement la rencontre entre Pierre et Corneille, ce qui aboutira au don de l’Esprit accordé aux païens et, partant, inaugurera et légitimera la mission auprès des nations. 3.4.  Ac 12,7–11.23 : l’ange libérateur et exterminateur Les dernières interventions de l’ἄγγελος κυρίου se situent aux deux extrémités d’une autre grande séquence, celle d’Ac 12, dont l’intrigue se déroule essentiellement autour des personnages de Pierre et d’Hérode Agrippa I, avec d’une part l’emprisonnement de l’apôtre suivi de sa délivrance miraculeuse, et d’autre part la répression orchestrée par le roi persécuteur suivie de sa mort infâme. Il est frappant que les deux événements, libération de Pierre et mort d’Hérode, soient directement liés à l’ange du Seigneur (ἄγγελος κυρίου dans les deux cas : v. 7 et 23). Pour ce qui regarde la libération miraculeuse, c’est dans cette partie des Actes que le topos apparaît sous la forme la plus développée. Par rapport au récit d’Ac 5, on notera également que la description de la captivité souligne la sévérité des mesures de sécurité : Pierre est maintenu par deux chaînes et placé sous la garde de quatre escouades de quatre soldats. À l’évidence, de telles préci65 

Marguerat, Les Actes des apôtres (1–12), 375.

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sions ont pour effet d’accentuer la délivrance miraculeuse qui suivra. Rapportée aux v. 6–11, celle-ci est bien plus étoffée que celle d’Ac 5. Après avoir insisté sur la rigueur des conditions de détention, Luc en rajoute en précisant que Pierre est endormi, pointant ainsi sa passivité au moment de la délivrance. L’ange du Seigneur, accompagné d’une lumière resplendissante, intervient auprès de Pierre à partir du v. 7 (καὶ ἰδοὺ ἄγγελος κυρίου ἐπέστη καὶ φῶς ἔλαμψεν ἐν τῷ οἰκήματι) et le quittera au v. 10 (καὶ εὐθέως ἀπέστη ὁ ἄγγελος ἀπ’ αὐτοῦ), lorsqu’il sera complètement en lieu sûr.66 Résolument dynamique et entreprenant, son agir traduit la puissance divine à l’œuvre qui se manifeste en particulier dans la chute des chaînes (v. 7), le passage de deux postes de garde et l’ouverture de la porte en fer donnant sur la ville (v. 10). Outre son arrivée et son départ (ἐπέστη/ἀπέστη), l’ange effectue des actes dont il est le sujet explicite : frapper Pierre au côté pour le réveiller et lui donner une multitude d’ordres introduits par un verbe de parole (πατάξας δὲ τὴν πλευρὰν τοῦ Πέτρου ἤγειρεν αὐτὸν λέγων […] εἶπεν δὲ ὁ ἄγγελος πρὸς αὐτόν […] καὶ λέγει αὐτῷ …). Le contraste est saisissant entre le rôle totalement inactif de Pierre et la vigueur de l’intervention angélique.67 Il est notable que le récit s’achève sur la réflexion de Pierre constatant la présence effective de Dieu à ses côtés68 et confirmant ainsi le sens à donner à l’événement. Ce faisant, il accentue l’intention divine à l’origine de la manifestation de l’ange : « Le Seigneur a envoyé son ange (ἐξαπέστειλεν [ὁ] κύριος τὸν ἄγγελον αὐτοῦ) et m’a arraché de la main d’Hérode et de toute l’attente du peuple des juifs » (v. 11). Les scènes suivantes ne manquent pas de mettre en exergue le caractère miraculeux de la délivrance attesté par l’étonnement des membres de la communauté chrétienne (v. 14–16) et par l’agitation des soldats découvrant l’absence de Pierre (v. 18). C’est dans ce dernier contexte que réapparaît Hérode : après avoir fait rechercher Pierre, sans succès, il ordonne l’exécution des gardes, avant de subir luimême la colère divine. Les v. 20–23 consacrés à la fin d’Hérode69 marquent en particulier l’opposition entre l’acclamation du peuple qui le divinise et sa mort ignominieuse faisant office de punition divine. Sa description s’enracine pleinement dans le topos de la mort de l’impie, et plus précisément dans celui de la mort rétributive du tyran ou du souverain abusif, largement attesté dans la littérature antique, tant dans les écrits gréco-romains que juifs.70 De la sorte, notre récit se rapproche de plusieurs textes antiques parmi lesquels on peut citer, en raison du type de mort atroce présentée comme châtiment divin, la mort de Phérétimé rapportée par Héro66  67 

Dans ce sens aussi Roloff, Die Apostelgeschichte, 190. Jervell, Die Apostelgeschichte, 333, renchérit en déclarant que la description très détaillée de l’action et des ordres de l’ange doit exclure toute activité propre de l’apôtre. 68 Voir Schneider, Die Apostelgeschichte. Zweiter Teil, 105. 69  À comparer à la version de Flavius Josèphe, Antiquités juives XIX,343–350. 70  Voir par exemple Allen, The Death of Herod, 35–66.

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dote (Histoires IV,205), la fin de Cassandre décrite par Pausanias (Description de la Grèce IX,7,2–4) ou celle d’Antiochus Épiphane relatée en 2 M 9. On notera, toutefois, la particularité d’Ac 12 avec le rôle central de l’ange dans l’exécution du châtiment : la mort ignoble du souverain à l’agissement impie (divinisation de soi et persécution de l’Église), finissant dévoré par les vers, est clairement provoquée par l’intervention de l’ange. Au moment même où Hérode, revêtu de l’habit royal, accepte la vénération divine de la foule, l’ange du Seigneur le frappe pour n’avoir pas rendu la gloire à Dieu (παραχρῆμα δὲ ἐπάταξεν αὐτὸν ἄγγελος κυρίου ἀνθ’ ὧν οὐκ ἔδωκεν τὴν δόξαν τῷ θεῷ) et il expire, mangé par les vers (v. 23). L’ensemble du chapitre progresse dans un mouvement de correspondances antithétiques entre Pierre et Hérode, dont les itinéraires évoluent dans un savant jeu d’oppositions et de contrastes.71 Libération miraculeuse pour l’un, punition divine pour l’autre. Dans le cadre de notre thématique, on retiendra tout spécialement le fait que l’agent divin de la délivrance de Pierre est le même que celui du châtiment d’Hérode : l’ange du Seigneur. Cette correspondance, qui relève d’une certaine ironie de l’auteur, est encore renforcée par l’emploi du même verbe πατάσσω, « frapper ». En effet, l’ange frappe le côté de Pierre pour le réveiller en vue de sa libération (v. 7), puis il frappe Hérode, ce qui entraîne sa mort abominable (v. 23). La séquence d’Ac 12 expose ainsi deux facettes très différentes de l’ange du Seigneur : ange libérateur d’un côté, ange destructeur de l’autre. En même temps, leur complémentarité est patente : par l’intermédiaire de son ange, Dieu agit efficacement pour protéger les siens et juger leurs persécuteurs. La continuité de la mission apostolique est ainsi assurée. Le chapitre s’achève d’ailleurs de façon significative sur la croissance prodigieuse de la Parole (v. 24). Le plan de Dieu se poursuit inlassablement, ici à travers l’action efficace de son ange.



À défaut d’une évocation foisonnante, la figure de l’ange du Seigneur est mentionnée dans l’œuvre lucanienne bien plus souvent que dans tout autre corpus du Nouveau Testament. Regorgeant de potentiel narratif, elle recouvre des nuances variées et offre bien des pistes à explorer. L’ange du Seigneur se situe en toute logique dans la continuité de la figure vétérotestamentaire de l’ange de Yhwh, mais semble acquérir au fil des épisodes une certaine singularité. Si son origine céleste est évidente, il se distingue nettement de Dieu lui-même et les textes de Luc ne laissent place à aucune confusion possible entre les deux. Ce qui n’occulte en rien l’initiative et l’action divines, étant donné que c’est toujours Dieu qui se situe derrière la figure de l’ange qu’il a mandaté et envoyé en mission. 91.

71 

Voir détails chez Siffer, « Le châtiment divin comme expression de la colère de Dieu »,

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Dans l’ensemble Luc-Actes, comme déjà dans l’Ancien Testament, l’ἄγγελος κυρίου se fait révélateur du plan de salut divin, tout en intervenant directement en vue de sa réalisation. Si ses rôles sont relativement diversifiés, on retiendra surtout l’évolution notable entre le troisième évangile et le livre des Actes, puisqu’il semble bien y avoir une réelle progression de l’un à l’autre. Dans les passages concernés du récit de l’enfance en Lc 1–2, l’ange du Seigneur identifié à Gabriel délivre un message, une annonce, une révélation. L’ange se présente ainsi comme le messager de Dieu, autrement dit son envoyé, porteur du message divin. De fait, il exerce surtout une fonction de communication et de révélation, en lien direct avec l’événement Jésus Christ et son advenue. Il apparaît essentiellement comme l’agent de la révélation. Dans les Actes, l’ange du Seigneur occupe visiblement une fonction plus dynamique, qui témoigne davantage d’une intervention divine agissante et opérante : il libère les apôtres en Ac 5, dépêche Philippe auprès d’un eunuque éthiopien en Ac 8, intervient auprès d’un centurion païen en Ac 10, libère Pierre et frappe Hérode en Ac 12. Son rôle est désor­ mais d’assister les prédicateurs de la Parole,72 en les délivrant de prison afin de poursuivre l’annonce du salut, en châtiant leurs oppresseurs, en provoquant des rencontres missionnaires en vue de l’évangélisation. À la fois par ses actes et par ses paroles, l’ange du Seigneur intervient concrètement pour soutenir et développer l’œuvre missionnaire par laquelle s’accomplit le dessein salvifique de Dieu.

Bibliographie Allen, O. Wesley, The Death of Herod. The Narrative and Theological Function of Retribution in Luke-Acts (Society of Biblical Literature. Dissertation Series 158), Atlanta : Scholars Press, 1997. Barrett, Charles K., A Critical and Exegetical Commentary on the Acts of the Apostles. Volume I. Preliminary Introduction and Commentary on Acts I–XIV (The International Critical Commentary), Edinburgh : T&T Clark, 1994. Bovon, François, L’Évangile selon saint Luc (1,1–9,50) (Commentaire du Nouveau Testament IIIa), Genève : Labor et Fides, 20072. Burnet, Régis, « L’ange Gabriel de l’Ancien au Nouveau Testament », dans : Vercruysse, Jean-Marc (dir.), L’ange Gabriel, interprète et messager (Graphè 28), Arras : Artois Presses Université, 2019, 15–30. Butticaz, Simon, L’identité de l’Église dans les Actes des apôtres. De la restauration d’Israël à la conquête universelle, Berlin : De Gruyter, 2011. Collins, John J., « Gabriel », dans : van der Toorn, K arel/Becking, Bob/van der Horst, Pieter W. (éd.), Dictionary of Deities and Demons in the Bible. DDD, Leiden/Grand Rapids (MI) : Brill/Eerdmans, 19992, 338–339.

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Dans un sens analogue, voir George, « Les anges », 178.



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L’ange de Bethesda en Jn 5,4 Jacques Ahiwa Le quatrième évangile rapporte le récit de la guérison d’un homme malade, visiblement infirme depuis trente-huit ans, couché au bord d’une piscine appelée Bethesda (Jn 5,1–9). Selon certains manuscrits, cette piscine possède des vertus curatives qui lui sont octroyées par la visite périodique d’un ange. Mais cette information que rapportent les v. 3b–4 n’a pas été retenue dans le texte grec standard du fait de son attestation douteuse.1 L’authenticité des versets incriminés est d’ailleurs fortement remise en question et il est difficile de trouver un consensus parmi les exégètes. Quant au contenu de l’information livrée à travers ces versets, il laisse quelque peu perplexe sur le rôle de l’ange et le caractère limité de son action sur l’eau censée guérir les malades. Notre recherche voudrait interroger la figure spécifique de l’ange dans ce texte controversé. Que peut-on tirer de cette information relative à l’action bienfaisante de cet ange à la piscine de Bethesda ? Comment a-t-elle été reçue par les membres de la communauté johannique qui ne sont habituellement pas très friands d’apparitions et d’actions angéliques ?2 Pour cerner les contours de la question, il nous faut avant tout situer le cadre et la nature de la piscine aux vertus curatives.

1.  La piscine de Bethesda Lors d’une fête juive non identifiée,3 Jésus se rend à Jérusalem où se trouve « près de la porte des brebis, une piscine surnommée en hébreu Bethzatha (Βηθζαθά) » (Jn 5,2). Le nom de cette piscine apparaît sous différentes variantes ayant conduit à plusieurs interprétations. La dénomination Βηθζαθά est en effet attestée, entre 1  C’est ainsi que la 28e édition de Nestle-Aland rejette ces versets dans l’apparat critique. Sur les détails de cette discussion, voir plus loin. 2  Hormis la mention de l’ange du Seigneur dans le texte qui nous occupe (Jn 5,4), l’évangile de Jean ne contient que trois références aux anges : Jn 1,51 (les anges de Dieu qui montent et descendent sur le Fils de l’homme) ; Jn 12,29 (un ange qui aurait parlé à Jésus) ; Jn 20,12 (les deux anges vêtus de blanc au tombeau). 3  Cette fête fait partie des fêtes de « montée » (ἀναβαίνω) qui sont l’occasion de pèlerinage à Jérusalem. Elle a souvent été identifiée à la Pâque, à la fête des tentes ou à la Pentecôte. Mais ce ne sont que des conjectures sans grande certitude. Il faut donc se résoudre à respecter l’anonymat de cette fête car suivant le procédé rédactionnel de l’auteur, la véritable fête dont il est

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autres, par le Sinaïticus et les témoins de la tradition latine ancienne. Bien que n’étant pas la leçon la mieux soutenue, son choix pourrait s’expliquer par le fait que Βηθζαθά était le nom du quartier situé au nord-est de la ville où se trouvait la piscine.4 C’est apparemment à ce quartier de Jérusalem que Flavius Josèphe fait référence dans la Guerre des Juifs sous le nom de Bézétha (Βεζεθά), voire « Villeneuve » (Καινόπολις).5 Quant à Eusèbe, il parle dans son Onomasticon6 d’une piscine nommée Bêzatha (Βηζαθά) à Jérusalem, certainement par omission d’une lettre.7 Ainsi les formes Βηζαθά, Βεζεθά, Βελζεθά et Βηθζαθά désigneraient toutes le même cadre topographique. La leçon la mieux attestée est Βηθσαιδά.8 Ce nom signifie « maison du pêcheur » ou « maison du poisson ». Mais il est aussi suspecté d’erreur de scribe susceptible d’avoir été assimilée à la ville de Bethsaïde  au bord de la mer de Galilée9 d’où sont originaires Philippe, André et Pierre (cf. Jn 1,44 ; 12,21).10 La symbolique du poisson, bien courante dans l’Église primitive, aurait conforté le copiste dans ses intentions.11 Suivant cette hypothèse, Joachim Jeremias soutient qu’on ne peut pas suivre les textes égyptiens (P66.75), qui sont pourtant les meilleurs témoins, car ils ne peuvent être crédités de la meilleure connaissance de la géographie palestinienne.12 De nombreux doutes planent donc sur cette dénomination. Finalement, la leçon la plus probable est Βηθεσδά.13 Elle a aussi été soupçonnée d’altération par les scribes pour lui donner la signification symbolique de « maison de miséricorde »14 en référence au miracle qui s’y était produit. Mais les découvertes récentes l’ont réhabilitée. En effet, le Rouleau de Cuivre (3Q15) découvert à Qumrân fait mention d’une piscine située près de Bet Esdatin15 ou question dans ce récit est le sabbat. Sur la question de cette fête, voir : Manns, « La fête des Juifs de Jean 5,1 », 120 ; Devillers, « Une piscine peut en cacher une autre », 201–202 ; Bernard, A Critical and Exegetical Commentary on the Gospel According to St. John, 225 ; Bultmann, The Gospel of John, 240 ; Lagrange, Évangile selon Saint Jean, 132. 4  Barrett, The Gospel According to St John, 210 ; Boismard/Lamouille, Synopse III. L’Évangile de Jean, 152. 5 Voir Duprez, Jésus, 154–159, qui analyse les cinq références à Bézatha dans la Guerre des Juifs (II,328.530 ; V,149.150.246). 6 Voir Timm, Eusebius und die Heilige Schrift, 514. 7  Finegan, The Archeology of the New Testament, 228. 8  Elle est soutenue par les papyrus P66 (avec un écart orthographique) et P75, le Vaticanus, T Ws (ψ), quelques manuscrits latins, la Vulgate, la version syriaque harkléenne, les versions coptes et Tertullien. 9 Voir Metzger, A Textual Commentary, 178. 10  Les synoptiques mentionnent aussi cette ville (Mt 11,21 ; Mc 6,45 ; 8,22 ; Lc 9,10 ; 10,13). 11  Wieand, « John 5,2 », 395 et 400. 12  Jeremias, The Rediscovery of Bethesda, 12. 13  Elle est portée, entre autres, par les onciaux A C Θ 078, les manuscrits des familles f 1.13, la majorité des textes de la Koinè, les manuscrits f q et plusieurs versions syriaques. 14  Brown, The Gospel According to John (I–XII), 206. 15  Milik, « Le Rouleau de Cuivre de Qumrān (3Q15) », 328.

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Betheshdathayin. Pour Jeremias, ce document a fourni la dernière preuve que Bethesda est la lecture originale, d’autant plus qu’il permet de comprendre la variante Bethzatha qui n’est rien moins que l’équivalent araméen de Betheshdathayin,16 c’est-à-dire « maison des deux bassins ».17 Bethesda serait une retranscription précise en grec de la forme du nom.18 Par ailleurs, la découverte de deux bassins servant à recueillir les eaux de pluie pour être utilisées au Temple a fini par conforter les tenants de cette lecture dans leur position.19 Toutefois, une difficulté demeure. Il se trouve que la piscine de Bethesda découverte par les fouilles archéologiques ne possède pas cinq portiques et que le phénomène du bouillonnement de l’eau dont il est question dans les versets incriminés ne se situerait pas à Bethesda mais plutôt à Siloé.20 Comment alors expliquer cette situation ? Les découvertes archéologiques ont permis de distinguer la piscine de Bethesda (Jn 5) et celle de Siloé (Jn 9). En effet, l’origine de la piscine de Bethesda remonte au temps d’Hérode le Grand. À cette époque, dans la vallée du nord de la ville de Jérusalem, deux larges réservoirs furent construits, l’un dans un solide rocher et l’autre à partir de larges blocs de pierres bien dressés. Leur localisation à cet endroit s’explique par la présence d’une source d’eau saisonnière intermittente ou par la collecte des eaux de pluies. Ce lieu aurait été connu comme la « piscine des brebis », non seulement parce qu’elle se trouvait près de la porte des brebis, mais aussi parce qu’elle servait à abreuver les troupeaux.21 Par ailleurs, à l’époque de Jésus, la piscine probatique était hors de la ville. C’est sous Hérode Agrippa (41–44) qu’elle fut intégrée à l’intérieur des remparts de la ville.22 Il reste alors à élucider le phénomène du remous de l’eau. Étant donné que le bouillonnement de l’eau ne se produisait pas à Bethesda mais à Siloé, certains exégètes ont voulu en donner l’explication par le travail rédactionnel de l’auteur. Ils distinguent deux rédactions successives dans le récit de Jn 5. La première – pré-johannique – situait le miracle à la piscine de Siloé où se produisait un phénomène de siphon alimenté par une source intermittente. La seconde rédaction aurait délocalisé la scène à Bethesda où se trouvait un sanctuaire dédié au dieu guérisseur Sérapis/Asclépios. Elle rapproche alors la piscine de la porte des brebis et lui donne le nom hébreu de Bethzatha.23 Ainsi, sur une 16 

Jeremias, The Rediscovery of Bethesda, 12. Cette signification correspond à la description que fait Eusèbe de la piscine qu’il nomme Bêzatha dans son Onomasticon. 18  Brown, The Gospel According to John (I–XII), 207. 19  Duprez, Jésus et les dieux guérisseurs, 36–37. 20  Wieand, « John 5,2 and the Pool of Bethesda », 397 ; Duprez, Jésus et les dieux guérisseurs, 37. 21  Wieand, « John 5,2 and the Pool of Bethesda », 399 ; voir aussi  Duprez, Jésus et les dieux guérisseurs, 33–38. 22  Duprez, Jésus et les dieux guérisseurs, 97. 23  Boismard, « Bethzatha ou Siloé ? », 218. Suivant la même ligne d’interprétation, De17 

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le Nouveau Testament. De même, les mots ἐκδέχομαι (attendre), κατὰ καιρόν (de temps en temps), κατέχω (affecter) ne se rencontrent dans aucun autre texte du quatrième évangile.31 Les v. 3b–4 seraient donc une addition tardive pour expliquer le v. 7, « des ajouts secondaires destinés à expliciter le récit. Ils montrent ainsi comment le récit de miracle a été reçu et commenté. »32 En réfutant les arguments de la précédente hypothèse, Zane C. Hodges33 fait remarquer que le manuscrit grec du texte johannique était connu aussi bien des témoins orientaux qu’occidentaux. L’antiquité du passage est d’ailleurs attestée par la citation de Tertullien au début du iiie siècle dans le De Baptismo.34 On en trouve aussi une trace dans le Diatessaron de Tatien au iie siècle.35 Mais le texte aurait été supprimé à cause de la question relative à l’ange qui venait octroyer des vertus curatives à l’eau de la piscine, cette tradition étant jugée gênante du fait de ses relents païens et superstitieux.36 Le cadre intellectuel de l’ancienne Alexandrie militerait en faveur d’un tel amendement. Toutefois Hodges reconnaît lui-même que cet argument ne résiste pas à la critique, d’autant plus que le quatrième évangile n’ignore pas la question des anges (Jn 1,51 ; 12,29 ; 20,12). Pour l’exégète nord-américain, les raisons d’ordre stylistique avancées pour rejeter ces versets ne sont d’ailleurs pas tout à fait irréfutables, car ce procédé n’est pas unique dans l’évangile de Jean. Le récit des marchands chassés du Temple en Jn 2,13–22 en fournit un exemple. Les termes employés par le rédacteur dans les v. 14–16 de ce récit n’apparaissent en aucun autre endroit de l’évangile. Pourtant l’originalité de ces versets n’est pas remise en cause. On ne peut donc pas biffer aussi aisément les v. 3b–4, non seulement à cause de leur probable relation avec les traditions de Bethesda sur le rassemblement des malades autour de la source guérisseuse, mais aussi à cause de l’inintelligibilité du v. 7 sans eux. L’omission volontaire de ces versets pourrait en fin de compte s’expliquer par une fausse perception de leur consonance païenne, d’autant plus qu’il paraît impossible que l’évangéliste ait sciemment laissé dans son texte une telle imprécision. 31 

Boismard/Lamouille, Synopse III. L’Évangile de Jean, 52. Zumstein, L’Évangile selon Saint Jean (1–12), 176, n. 11. Hodges, « The Angel at Bethesda », 25–39. 34  Tertullien, Traité du Baptême V,5 : « Si l’intervention de l’ange sur les eaux apparaît comme une nouveauté, elle a eu une préfiguration. À la piscine de Bethsaïde, c’est un ange qui intervenait pour l’agiter ; ceux qui se plaignaient d’infirmités guettaient sa venue, car le premier qui y descendait, une fois baigné, cessait de se plaindre. » 35  Éphrem de Nisibe, Commentaire de l’Évangile concordant ou Diatessaron XIII,I,1. Éphrem est un témoin du texte introuvable du Diatessaron dont l’auteur est Tatien. Sur la guérison de l’infirme en Jn 5, Tatien note ceci : « Quelle confusion pour les juifs qui ne croient pas que le baptême remet les péchés ! S’ils croient en effet que, par l’eau de Siloé [Jn 5,4], un ange guérit les maladies, combien plus le Seigneur des anges ne blanchira-t-il pas les taches de nos péchés par le baptême ? Et parce que ce malade avait pensé que l’aide ne lui viendrait que des eaux, il lui dit : ‘Lève-toi, prends ton grabat.’ » 36  Voir aussi Duprez, Jésus et les dieux guérisseurs, 143. 32  33 

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En réponse à la position de Hodges, Gordon D. Fee37 essaie de consolider les raisons qui militent en faveur du rejet de ces versets, même s’il trouve que l’argument du malaise théologique relatif à la question de l’ange est sans fondement. Bien au contraire, de nombreux écrits du iie siècle parlent des anges dans un sens positif. Il fait alors prévaloir le principe de la lectio difficilior potior pour soutenir l’hypothèse de la probable réécriture du texte et entreprend d’expliquer les additions sur la base du v. 7. La question de la différence de vocabulaire peut être attribuée à la variation du style johannique. Quand on ajoute à cela la probabilité de la retranscription, il devient alors très incertain que l’auteur johannique ait écrit les v. 3b–4. En ce qui concerne l’ancienneté des sources qui portent le texte, les données ne sont pas toutes concordantes. En occident, la mention de l’ange guérisseur chez Tatien et Tertullien date de la fin du iie siècle (environ 170 et 200). Dans le monde oriental, le v. 4 apparaît pour la première fois dans le Codex Alexandrinus qui daterait du vie siècle ap. J.‑C. En revanche, l’omission du v. 4 se remarque dans plusieurs manuscrits indépendants, sans relations textuelles directes. Fee en déduit alors, avec l’appui du langage non johannique des deux versets, que les v. 3b–4 ne figuraient pas dans le texte original du quatrième évangile. 2.2.  De la nécessité des v. 3b–4 Quoiqu’il en soit, le v. 7 présuppose les informations livrées par les v. 3b–4. Leur intégration au texte évangélique permettrait de mieux le comprendre ; car pourquoi parle-t-on de l’agitation de l’eau (v. 7) si rien n’en a été dit auparavant ? En effet, la croyance aux sources recevant des vertus curatives d’anges ou d’esprits existait bien dans le monde sémitique et gréco-romain, et le culte des dieux guérisseurs (Sérapis/Asclépios) se tenait autour de ce type d’eaux. Les v. 3b–4 sont donc porteurs de cette tradition populaire d’un lieu de guérison par des bains à Jérusalem.38 Mais le déplacement de l’événement – comme le soutiennent certains – de Siloé à Bethesda où il n’existait pas de source intermittente a fait supprimer les v. 3b–4 qui étaient incompréhensibles dans la nouvelle situation géographique du texte.39 Pour consolider son argumentation en faveur de l’authenticité des v. 3b–4, Marie-Émile Boismard recourt à la « symbolique des nombres », chère au rédacteur johannique. En effet, la récurrence de certains vocables qui ne sont employés que sept fois seulement dans l’évangile n’est pas à négliger, le chiffre sept étant un symbole de totalité et de perfection. À titre d’exemple, il relève sept 37 

Fee, « On the Inauthenticity of John 5,3b–4 », 207–218. Dans la littérature juive, les « anges des eaux » et les « anges des rivières » occupent une place spéciale dans la hiérarchie angélique : voir Duprez, Jésus, 57–97 et 143 ; Lagrange, Saint Jean, 134. 39  Duprez, Jésus et les dieux guérisseurs, 159 ; Devillers, « Une piscine peut en cacher une autre », 195 ; Boismard, « Bethzatha ou Siloé ? », 218. 38 

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fois l’expression « ouvrir (ἀνοίγω) les yeux » en Jn 9 (v.  10.14.17.21.26.30.32). Le même décompte peut se faire pour le terme « bien portant » (ὑγιής) en Jn 5 (v. 6.9.11.14.15), à condition d’intégrer le v. 4 au texte de l’évangile. La dernière mention de ὑγιής est en Jn 7,23.40 Mais cet argument pourrait aussi servir à soutenir l’hypothèse de l’insertion tardive par un rédacteur qui, dans un souci d’harmonisation, aurait ajouté le v. 4 pour atteindre le chiffre sept. Ainsi, bien que pertinentes, les hypothèses avancées sont loin de résoudre totalement l’énigme de l’absence des v. 3b–4 chez les témoins les plus anciens. Il aurait été plus logique que cette omission soit constatée dans les manuscrits tardifs pour diverses raisons. Toutefois, puisque le v. 7 présuppose le contenu des v. 3b–4, on est en droit de supposer que « l’évangéliste a manifestement repris une tradition populaire pour fournir un cadre à son récit. »41 Une tradition populaire relative à un ange agitateur de l’eau de Bethesda n’avait certainement aucun intérêt théologique pour lui, mais il l’a reprise dans l’unique but de marquer la prééminence du Christ dans la nouvelle économie du salut sur certains lieux et événements. Ce procédé est souvent exploité par le rédacteur johannique. Dans l’épisode des marchands chassés du Temple, Jésus s’identifie au Temple qu’il se propose de rebâtir en trois jours après sa destruction (Jn 2,13–22). Lors de sa rencontre avec la samaritaine, Jésus lui fera comprendre que désormais, ce n’est ni sur le Mont Garizim, ni à Jérusalem qu’il faudra adorer le Père, mais plutôt en esprit et en vérité ; autrement dit, dans la personne de Jésus dont la présence inaugure les temps eschatologiques (Jn 4,23–24). C’est dans ce cadre christologique qu’on pourrait mieux comprendre la nécessité de la tradition relative à l’ange agitateur de l’eau de Bethesda.

3.  La réception de la tradition relative à l’ange de Bethesda dans le récit johannique Les recherches archéologiques sur la piscine de Bethesda ont démontré son existence. À l’origine, ce lieu était probablement dédié au culte du dieu guérisseur Asclépios. Selon Boismard et Lamouille, le récit de Jn 5 répond à deux intentions : la première est de rendre compte des sanctuaires païens que les lecteurs de Jean avaient l’habitude de voir en Asie ; d’où la mention des cinq portiques qui rappellent l’Asclepion de Pergame. Mais dans quel but doit-il rappeler une telle pratique ? La deuxième intention est de « démythifier » le culte des dieux guérisseurs. C’est pourquoi l’événement a été déplacé des petits bassins des sanc40 

Boismard/Lamouille, L’Évangile de Jean, 153–156. Partant de l’hypothèse que le texte johannique a subi des déplacements dans sa phase finale, de nombreux critiques raccordent le discours de Jn 7,15–24 à celui de Jn 5. 41  Léon-Dufour, Lecture de l’Évangile selon Jean II, 26.

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tuaires païens à la piscine, et la guérison attribuée à la grâce de Dieu par l’action de l’ange.42 Toutefois, on relève une particularité à l’eau de Bethesda au v. 4 : elle guérit uniquement le premier à y descendre après la visite de l’ange. Les eaux curatives de Bethesda ont donc une puissance limitée et suggèrent une limite au pouvoir divin. Il apparaît tout de même étrange que l’effet de l’action de Dieu opérée par l’ange soit aussi restrictif et limité.43 Une telle lecture semble pour le moins réductrice. Quant à la position de l’ange dans ce récit, elle se démarque de celle des autres anges du quatrième évangile. En effet, la figure des anges en Jean, sauf Jn 5,4, est toujours évoquée en rapport direct avec Jésus, au service de la révélation de son identité divine. En Jn 1,51, l’image des anges de Dieu qui montent et descendent sur le Fils de l’homme postule la présence divine et oriente les regards vers Jésus en tant que Fils de Dieu. Jésus est désormais le véritable lieu qui révèle et donne accès au divin.44 La voix venue du ciel en réponse à la prière de Jésus et que la foule identifie à la parole d’un ange en Jn 12,29 renvoie à Dieu et traduit le lien intime entre Jésus et son Père. Enfin, la position des deux anges du tombeau « vêtus de blanc, assis à l’endroit même où le corps de Jésus avait été déposé, l’un à la tête et l’autre aux pieds » (Jn 20,12) est à comprendre au regard de la disposition des chérubins dans le propitiatoire de l’Arche d’alliance (Ex 25,17–22).45 Bien plus, à la lumière du Targum d’Ex 25,22 qui présente la parole de Dieu comme moyen de communication de Dieu avec Moïse, les anges au tombeau suggéreraient « la présence mystérieuse du Logos, du Seigneur : pour être ailleurs que dans le tombeau désormais vide, il n’en est pas moins, désormais et à jamais, le véritable sanctuaire ».46 Finalement, il n’y a « ni promotion ni rejet des figures angéliques par l’auteur johannique, qui peut soit les reprendre à son compte en leur donnant la parole (20,12–13), soit laisser leur référence implicite et inaccomplie dans le cadre du récit (1,51), soit en prendre distance (12,29b) ».47 L’ange dans l’évangile de Jean suggère et renvoie essentiellement au divin. Contrairement à ces évocations angéliques, l’ange de Bethesda n’a aucune relation avec Jésus. Bien plus, il se situe dans un rapport de discontinuité avec lui. Jésus ne semble pas le suivre dans sa pratique de guérison. Il ignore en effet le rôle de la piscine de Bethesda et instaure un nouveau cadre de guérison qui met fin à toutes les démarches astreignantes des malades déjà affaiblis par leur handicap. Bien que l’intervention de l’ange suggère la puissance divine, par ailleurs 42 

Boismard/Lamouille, Synopse III. L’Évangile de Jean, 161. Lagrange, Évangile selon Saint Jean, 135. Morgen, « La promesse de Jésus à Nathanaël (Jn 1,51) », 9–16. 45  Simenel, « Les 2 anges de Jean 20/11–12 », 75–76 : cette image suggère une lecture de la figure de Jésus à la liturgie de l’agneau pascal d’Ex 12,2 dans le contexte de la liturgie du jour du Grand Pardon. 46  Grappe, « Les deux anges de Jean 20,12 », 175. 47  Clivaz, « ‘D’autres disaient qu’un ange lui avait parlé’ », 172. 43  44 



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limitée, son évocation dans ce récit48 semble le mettre en concurrence avec la puissance divine révélée par Jésus.49 Dans ce cas, ceux qui suspectent le caractère hétérodoxe50 de la tradition relative à l’ange de Bethesda pour la soustraire du texte n’ont pas tort. L’usage n’est pas conforme à la tradition johannique sur la figure de l’ange. On comprend alors pourquoi la tradition de Jn 5,4 n’a pas été retenue. Mais à Bethesda, il y a désormais bien plus qu’un ange agitant l’eau pour lui conférer une vertu curative intermittente.

4.  Jésus, plus que l’ange de Bethesda Le récit de la guérison de l’infirme de Bethesda tel qu’il nous est parvenu ne présente pas de difficulté de compréhension si on le lit à la lumière des deux observations suivantes. La première est de Gerd Theissen : dans une étude sur les récits de miracles, il fait remarquer que ces récits composés par les premiers chrétiens sont les témoignages d’un événement du passé, unique, exceptionnel, et qu’ils ont une intention historique. Ils portent tous la marque d’un caractère exceptionnel, très renforcé chez Jean. Ils veulent montrer que là où tous les médecins ont échoué, complètement ou en partie, Jésus a réussi. Ils ont donc un caractère apologétique. Les miracles relus par la communauté primitive avaient toujours une valeur et un éclat supérieurs à tous les autres qui pouvaient exister.51 Le miracle de Bethesda ne déroge pas à ce principe. L’objectif du rédacteur est manifestement de surclasser la tradition de guérison liée à Bethesda pour présenter Jésus comme supérieur au dieu guérisseur de cet endroit. Il déploie ainsi une puissance supérieure, non limitée.52 La deuxième observation est une invitation à relire les signes johanniques à la lumière de la finale de l’évangile en Jn 20,30–31 : « Jésus a opéré sous les yeux de ses disciples bien d’autres signes qui n’ont pas été écrits dans ce livre ; mais ceux-ci ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom ». Cette conclusion signifie qu’il ne s’agit pas de chercher à revenir en deçà du texte vers le fait supposé historique, mais qu’il convient de s’en tenir au récit. Le paradoxe est que ce n’est pas parce que je m’en tiens au récit que je nie l’incarnation, la réalité de la chair et de 48  C’est l’unique récit de miracle dans lequel intervient un ange dans l’ensemble des quatre évangiles. 49  C’est certainement ce qui explique l’hésitation des manuscrits porteurs de Jn 5,4 quant à l’identification de l’ange en question. La majorité des témoins parlent d’« ange » tout court. Certains ajoutent « du Seigneur » (A K L Δ f13 it vgcl), ou « de Dieu » (1241). 50  Keener, The Gospel of John, 638. 51  Theissen, The Miracle Stories of the Early Christian Tradition, 276–277. 52 Contre Simenel, « Les 2 anges de Jean 20/11–12 », 73 : « L’épisode de la piscine probatique permet à Jésus de manifester une puissance équivalente à celle de l’Ange du Seigneur, donc du Seigneur lui-même. »

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l’histoire des hommes. En effet, si les signes « ont été écrits pour que vous croyiez », cela signifie que c’est le récit qui importe, et non le référent historique supposé être à l’arrièreplan du récit qu’il conviendrait de reconstituer mentalement.53

Il faut donc en revenir au récit tel qu’il est rapporté. Jésus est à Jérusalem à l’occasion d’une fête juive. Sous les portiques de la piscine de Bethesda sont couchés de nombreux malades (Jn 5,1–3). Le regard de Jésus se porte sur un homme étendu et malade  et il apprend qu’il est dans cet état depuis longtemps. La succession des verbes ὁράω et γινώσκω (v. 6) semble suggérer l’omniscience de Jésus, le genre de connaissance divine que possèdent les faiseurs de miracles, d’autant plus que le récit reste silencieux sur le mode d’information de Jésus. Personne ne l’a sollicité comme dans le cas de la guérison du fils de l’officier royal (Jn 4,46– 54), pas même le malade. De sa propre initiative, il s’est senti interpelé par la situation de l’homme. Il engage alors le dialogue avec lui : « Veux-tu devenir bienportant (ὑγιής) ? » (Jn 5,6). La question paraît surprenante pour le malade et pour le lecteur ; car le désir le plus profond de tout malade, et surtout d’un malade dont on sait qu’il est dans cette situation depuis très longtemps, est la guérison. Cette question est donc purement rhétorique. Elle sert d’occasion pour décrire l’impasse de la situation de ce malade :54 il n’a personne pour le plonger dans l’eau quand elle est agitée. En outre, un autre l’empêche d’arriver à temps dans l’eau, car seul le premier arrivé dans l’eau était guéri (Jn 5,7). La figure de l’autre est doublement déceptive : pas d’homme pour le porter, un autre pour le supplanter. Ainsi, dans le dire de l’infirme, quand il s’agit de guérir, l’autre est présent, « avant moi ». L’autre est donc, soit le décepteur, soit le rival, sourd à la demande quand on a besoin de lui, confiscateur quand il devrait s’effacer. C’est toujours à l’autre qu’incombe la responsabilité de l’échec. C’est donc lui qui fait problème.55

En plus de ses difficultés à atteindre la piscine, on apprend que c’est le bouillonnement de l’eau de la piscine qui octroie la guérison au premier qui réussit à s’y plonger, chaque fois que le phénomène se produit. Contre toute attente, « un autre », nommé Jésus, le guérit immédiatement, sans recourir à l’eau de la piscine mais par sa seule parole. D’ailleurs dans ce récit, la référence à l’eau est traitée différemment que dans le reste du quatrième évangile. À Cana, l’eau de la purification rituelle des juifs (Jn 2,6) est changée en vin. Lors de la rencontre avec la samaritaine, l’eau du puits de Jacob (Jn 4,6–14) est présentée en contraste avec l’eau vive promise par Jésus. À Siloé, l’eau de la piscine de l’Envoyé guérit l’aveugle de naissance (Jn 9,1– 7). Le dernier jour de la fête des Tentes (Jn 7,37–39), la promesse de l’eau vive faite par Jésus à ceux qui croiront est, selon la symbolique juive de la Torah, l’enseignement de la sagesse incarnée par Jésus, la révélation plénière qu’il mani53  54  55 

Cuvillier, « Tombe, excellent état, vue vie imprenable », 77. Becker, Das Evangelium nach Johannes, 231–232. Calloud/Genuyt, L’Évangile de Jean, 107.

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feste. Cette eau vive qu’ils recevront après sa glorification renvoie à l’Esprit et donne accès à la vie éternelle.56 En Jn 5,1–9, par contre, l’eau curative de la piscine de Bethesda est tout simplement ignorée, voire implicitement écartée par Jésus qui n’y fait aucune référence. Jésus guérit le malade sans recourir à l’eau de Bethesda. La parole de Jésus n’agit pas par l’entremise de l’eau comme à Siloé mais elle la remplace.57 La venue de Jésus transcende l’efficacité de ce lieu et sert de cadre au rédacteur johannique pour critiquer l’inefficacité du judaïsme et de toute religion face au don de la vie accordée par la révélation de Jésus.58 À la piscine de Bethesda, il y a désormais bien plus qu’un ange pourvoyeur de puissances guérisseuses : Jésus, l’envoyé de Dieu, Dieu fait chair (Jn 1,14) au milieu des hommes et dont la seule parole guérit entièrement (Jn 7,23) de toute maladie.

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Quand Paul et ses héritiers convoquent les « anges » Daniel Gerber Brève, cette enquête1 ne se veut pas non plus exhaustive ; elle se limitera en effet aux emplois du substantif ἄγγελος dans le corpus paulinien2 – dont on compte dix occurrences dans les lettres authentiques du Tarsiote3 et quatre dans celles de ses héritiers directs4 – ainsi qu’à l’unique usage du composé ἀρχάγγελος.5 Nous conduirons cette recherche en portant une attention à ce vocabulaire spécifique tout d’abord en Romains, 1 & 2 Corinthiens, Galates et 1 Thessaloniciens, puis en Colossiens, 2 Thessaloniciens et 1 Timothée, avant de nous interroger pour finir sur la manière dont il a pu résonner notamment aux oreilles des frères et des sœurs de la Colonia Laus Iulia Corinthiensis. C’est un fait : Paul n’est pas très loquace en ce qui concerne les « anges »6 dans ses épîtres ; à aucun moment, il ne ressent le besoin de les présenter. Comparée aux données que fournissent, entre autres, les manuscrits de la Mer morte,7 cette réserve ne ressort que davantage. L’apôtre a-t-il été plus explicite en la matière lors de ses séjours fondateurs ? À défaut de pouvoir répondre, cela expliquerait à tout le moins pourquoi il reste si discret au sujet de ces créatures singulières dans 1  Cette recherche a été réalisée durant un temps de confinement, ce qui nous a malheureusement empêché d’accéder à une partie de la littérature secondaire que nous aurions souhaité consulter. Nous n’avons en particulier pu accéder à l’étude de Kurek-Chomycz/Bieringer, « Guardians of the Old at the Down of the New », qu’au moment de la mise au point finale de notre texte. Nous avons alors réalisé que notre rapide incursion dans le corpus paulinien en suivant le balisage posé par les emplois d’ἄγγελος avait déjà fait l’objet d’une étude poussée du même type en 2007. Nous ne pouvons qu’inviter à s’y reporter. 2  Il conviendrait, pour élargir la recherche, de prendre en compte d’autres mots susceptibles de désigner des êtres ou des puissances célestes, comme ceux dont il est fait usage en Rm 8,38–39 ou en 1 Co 15,24. Kurek-Chomycz/Bieringer, « Guardians of the Old at the Down of the New », 327, n. 8, dressent l’inventaire du vocabulaire qui a été étudié dans le cadre d’une recherche générale sur ce sujet. À ce propos, nous renvoyons au titre suggestif de Nicolet, « Trop-plein dans le monde divin : le panthéon de Paul ». 3  Rm 8,38 ; 1 Co 4,9 ; 6,3 ; 11,10 ; 13,1 ; 2 Co 11,14 ; 12,7 ; Ga 1,8 ; 3,19 ; 4,14. 4  Col 2,18 ; 2 Th 1,7 ; 1 Tm 3,16 ; 5,21. 5  1 Th 4,16. Dans le Nouveau Testament, ce terme se rencontre encore en Jude 9. 6  Nous mettons ce nom entre guillemets lorsqu’il est utilisé sans détermination particulière, ceci pour rappeler à chaque fois son caractère générique, susceptible qu’il est de désigner des créatures bonnes ou mauvaises. 7  Voir, entre autres, l’étude récente de Jost, Engelgemeinschaft im irdischen Gottesdienst, 31–204. Pour cet arrière-plan, voir les observations avancées par Kurek-Chomycz/Bieringer, « Guardians of the Old at the Down of the New », 330.

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sa correspondance. Une retenue que l’on observe d’ailleurs chez ses héritiers directs, lesquels ont fait un usage plutôt parcimonieux d’ἄγγελος.8 On ne saurait donc qu’approcher l’angélologie paulinienne par l’analyse de ce vocabulaire seul. L’exercice vaut toutefois d’être tenté, dans la mesure où il permet de réunir quelques pièces d’un puzzle qui reste par ailleurs encore à assembler.9

1.  Les emplois d’ἄγγελος et d’ἀρχάγγελος dans les lettres authentiques Dans le long développement de la lettre aux Romains, Paul n’emploie qu’à une seule occasion le substantif ἄγγελος. Plus soucieux de créer un fort effet d’écoute  – à noter le martèlement produit par la répétition à dix reprises de οὔτε – que d’entrer dans les détails, l’apôtre affirme en Rm 8,38–39 : « Oui, j’en ai l’assurance : ni la mort ni la vie, ni les ‘anges’ ni les dominations, ni le présent ni l’avenir, ni les puissances, ni les forces des hauteurs ni celles des profondeurs, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus Christ, notre Seigneur. »10 Employé absolument et associé à ἀρχαί en ce second inventaire qui s’ajoute aux « dangers ordinaires de la vie antique »,11 on peut hésiter sur l’acception à donner ici au pluriel ἄγγελοι.12 Désigne-t-il des « anges » de Dieu ordinaires, qui lui sont dévoués, ou, au contraire, des créatures célestes indépendantes et néfastes ? Les commentateurs sont divisés, dans la me8  Concernant

le vocabulaire spécifique employé en Ep 1,21 ; 3,10 ; 6,12 ; Col 1,16 ; 2,15, Bouttier, L’épître de saint Paul aux Éphésiens, 86, relève : « Ces diverses classes de puissances célestes sont dues à la tradition ; mais autant les désignations paraissent fixées, autant les attributions respectives sont incontrôlables, et les permutations, fréquentes. » Il ajoute, n. 180 : « La comparaison avec Rm 8,38 […] fait ressortir une absence remarquable en Ep : celle des anges, mot inconnu dans l’épître. » 9  À cet égard, il est symptomatique que, dans les index de l’ouvrage de Wolter, Paulus. Ein Grundriss seiner Theologie, nous ne trouvions pas plus « Engel » qu’ἄγγελος. Frey/Jost (éd.), Gottesdienst und Engel im antiken Judentum und frühen Christentum, 9, renvoient à l’étude ancienne de Everling, Die Paulinische Angelologie und Dämonologie, et signalent que Baumgarten, Paulus und die Apokalyptik, a consacré les p. 147–158 à l’angélologie, la démonologie et la satanologie. On trouvera un intéressant état de la recherche en Kurek-Chomycz/Bieringer, « Guardians of the Old at the Down of the New », 325–329. 10  Πέπεισμαι γὰρ ὅτι οὔτε θάνατος οὔτε ζωὴ οὔτε ἄγγελοι οὔτε ἀρχαὶ οὔτε ἐνεστῶτα οὔτε μέλλοντα οὔτε δυνάμεις οὔτε ὕψωμα οὔτε βάθος οὔτε τις κτίσις ἑτέρα δυνήσεται ἡμᾶς χωρίσαι ἀπὸ τῆς ἀγάπης τοῦ θεοῦ τῆς ἐν Χριστῷ Ἰησοῦ τῷ κυρίῳ ἡμῶν. Nous citons ici comme ailleurs d’après la TOB, en mettant le cas échéant le mot ange entre guillements. 11  C’est ainsi que Gignac, L’épître aux Romains, 328, récapitule la liste de mots du v. 35b : θλῖψις ἢ στενοχωρία ἢ διωγμὸς ἢ λιμὸς ἢ γυμνότης ἢ κίνδυνος ἢ μάχαιρα. 12  Gaventa, « ‘To Preach the Gospel’ », 190–191, note : « The list is varied. Some references appear to be to circumstances […], while others are to agents […]. But at the very least, some of these are powers – larger-than-human powers […]. Paul’s strong assertions that none of these powers has the power to bring about separation from the love of God implies that they actually undertake to do just that. »



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sure où les deux sens peuvent convenir à l’énoncé.13 On notera toutefois qu’opter pour la première solution donne davantage de force encore au propos ; car cela reviendrait à assurer aux membres de l’église de Rome que même le plus inconcevable – à savoir que ceux qui, par définition, sont aux côtés de Dieu, se liguent contre le croyant – ne saurait parvenir à briser le lien d’amour indéfectible scellé par Dieu avec ses élus. Une telle logique pourrait rejoindre celle exprimée en Ga 1,8 – à condition toutefois qu’ἄγγελος ἐξ οὐρανοῦ désigne bien à cet endroit un « ange » de Dieu.14 Dans la première lettre aux Corinthiens, Paul parle de son apostolat dans la droite logique de la « parole de la croix ». Il déclare en effet en 1 Co 4,9 : « Car je pense que Dieu nous a exposés, nous les apôtres, à la dernière place, comme des condamnés à mort : nous avons été donnés en spectacle au monde, aux ‘anges’ et aux hommes. »15 La conviction énoncée n’est pas une pure construction rhétorique ; sous les traits grossissants de la caricature affleure le quotidien du Tarsiote qui, sans aucune hésitation, engage la responsabilité de Dieu lui-même en cette affaire. Hyperbolique16 et paradoxal, ce statut de « derniers » – évalué d’après l’échelle des valeurs du monde d’alors  – est aussitôt précisé : « pareils à des condamnés à mort ».17 La comparaison est forte, mais une justification est avancée : « nous avons été donnés en spectacle au monde, aux ‘anges’ et aux hommes. »18 Ceci doit-il évoquer le cortège triomphal d’un vainqueur exhibant les prisonniers qu’il s’apprête à faire exécuter ou « les gladiateurs condamnés à mort […] dans l’arène » ?19 Toujours est-il que l’image employée est hautement dévalorisante20 et, surtout, que les témoins de ce pénible sort sont de deux ordres : les êtres célestes et les êtres humains, considérés comme les deux types d’habitants du cosmos.21 Employé absolument et sans article, le pluriel ἄγγελοι 13  Pour la seconde hypothèse, entre autres, Michel, Der Brief an die Römer, 218 : « Gemeint sind nicht gehorsame Gottesboten, sondern kosmisch-weltliche Gewalten, die einen eigenen Machtbereich innehaben », avec renvoi à 1 Hénoch 6–8 ; il est suivi par K äsemann, An die Römer, 242 : « Anders als in sonstigen Teilen des Neuen Testaments gehören die […] Engelmächte […] der gefallenen Schöpfung zu. » Dans le Dictionary of Paul and his Letters, 21, on lit : « In Romans 8,38 it seems that [Paul] does count angels as among the hostile forces of the universe […]. Ordinarily, however, when Paul speaks of angelic beings inimical to Christ and his people, he employs the variety of names associated with the ‘principalities and powers’. » 14  Pour l’interprétation de ce syntagme, voir plus bas. 15  Δοκῶ γάρ, ὁ θεὸς ἡμᾶς τοὺς ἀποστόλους ἐσχάτους ἀπέδειξεν ὡς ἐπιθανατίους, ὅτι θέατρον ἐγενήθημεν τῷ κόσμῳ καὶ ἀγγέλοις καὶ ἀνθρώποις. 16 Avec Zeller, Der erste Brief an die Korinther, 184. 17  Pour cette idée, cf. Rm 8,36 ; 1 Co 15,31 ; 2 Co 1,9 ; 4,10–12. 18  La succession καί […] καί introduit une précision. Il est à noter que seul κόσμος est précédé de l’article. 19  Héring, La première épître de saint Paul aux Corinthiens, 36. 20 Cf. Kittel, « θέατρον, θεατρίζομαι », 43, où est relevée la différence avec son emploi dans le stoïcisme. 21 Avec Barrett, The First Epistle to the Corinthians, 110 : « Angels and men […] constitute the world’s population. »

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désigne donc à cet endroit de façon générique les « anges » en tant qu’ils observent, du haut du ciel, la situation peu enviable des apôtres.22 Ils forment ainsi une partie du public23 qui assiste, à ce qu’il semble, passivement au spectacle ; ni sentiment, ni intention ne leur sont en tout cas explicitement prêtés.24 Dans le ciel de Paul, il y a donc aussi des « gradins » depuis lesquels les êtres célestes suivent les petites affaires du monde. Plus loin, alors qu’il dénonce le recours aux tribunaux officiels de la cité isthmique, l’apôtre produit en 1 Co 6,3 cet argument singulier : « Ne savez-vous pas que nous jugerons les ‘anges’ ? »25 Il ne l’intéresse malheureusement ni de fonder cette assertion – les traditions juives stipulant que c’est Dieu lui-même qui jugera les anges !26 – ni, surtout, de préciser de quels « anges » il parle : uniquement des « anges déchus », étant donné l’absence de l’article défini ?27 Seul importe à Paul de laisser entendre que les frères et les sœurs de Corinthe, comme lui-même, seront amenés à juger plus important encore que le monde – ce que laisse apparaître le parallèle établi entre le v. 2a et le v. 3a !28 Il apparaît ainsi que le rôle de juge du monde et de certains « anges » au moins, reconnu à Dieu dans le judaïsme, a été prêté, non sans une certaine hardiesse, aux « saints » qui, en toute logique, n’étaient censés être que les témoins de l’événement. Employé à 22 

D’après le Dictionary of Paul and his Letters, 21, le lien posé entre le monde, les hommes et les anges « could suggest that Paul had in mind inimical spirits ». 23  Fee, The First Epistle to the Corinthians, 191, concède : « That seems to be the point of the reference to angels, which is otherwise not entirely discernible. » 24  Il est à noter qu’en 1 Hénoch 9,3, une demande est formulée aux quatre anges nommés : « Portez notre cause devant le Très-Haut » (trad. Dupont-Sommer/Philonenko, La Bible. Écrits intertestamentaires). Weiss, Der erste Korintherbrief, 110, observe : « Dass die Erwähnung der [Engel] nicht bloss rhetorisch ist, dürfte […] anerkannt sein. […] Denn nach jüdischurchristlichem Glauben nehmen die Engel ein äusserst lebhaftes Interesse an den Menschen, insbesondere an den Erwählten. Dagegen ist die Frage, ob hier gute oder böse Engel gemeint sind, völlig auszuschalten. » 25  Οὐκ οἴδατε ὅτι ἀγγέλους κρινοῦμεν […]; 26  Zeller, Der erste Brief an die Korinther, 213, dresse le constat : « Eine entsprechende jüdische Tradition [ist] nicht auszumachen. Dort ist es immer Gott selber, der die gefallenen Engel richtet. » 27  Relevons que dans le Nouveau Testament, il est question du jugement d’anges en 2 P 2,4 (εἰ γὰρ ὁ θεὸς ἀγγέλων ἁμαρτησάντων οὐκ ἐφείσατο ἀλλὰ σειραῖς ζόφου ταρταρώσας παρέδωκεν εἰς κρίσιν τηρουμένους) et en Jude 6 (ἀγγέλους τε τοὺς μὴ τηρήσαντας τὴν ἑαυτῶν ἀρχὴν ἀλλ’ ἀπολιπόντας τὸ ἴδιον οἰκητήριον εἰς κρίσιν μεγάλης ἡμέρας δεσμοῖς ἀϊδίοις ὑπὸ ζόφον τετήρηκεν) – cf. encore Mt 25,41 (τὸ πῦρ τὸ αἰώνιον τὸ ἡτοιμασμένον τῷ διαβόλῳ καὶ τοῖς ἀγγέλοις αὐτοῦ) et Ap 12,9 (καὶ ἐβλήθη ὁ δράκων ὁ μέγας […] εἰς τὴν γῆν, καὶ οἱ ἄγγελοι αὐτοῦ μετ’ αὐτοῦ ἐβλήθησαν). Pour le monde juif, cf. Is 24,21–22 ; 1 Hénoch 19,1–2 ; 21,7– 10 ; 68,2.5 ; 90,20–27 ; 2  Baruch 51,11–13. Hoskins, « The Use of Biblical and Extrabiblical Parallels », 296, a sans doute raison de conclure : « The evidence from biblical and extrabiblical parallels to 1 Cor 6,3 lends significant support to the contention that the judgment of angels by the saints at the Last Judgment involves only evil or rebellious angels, and not a general judgment of all angels. » L’absence de l’article défini va dans ce sens. 28  Οὐκ οἴδατε ὅτι οἱ ἅγιοι τὸν κόσμον κρινοῦσιν; […] οὐκ οἴδατε ὅτι ἀγγέλους κρινοῦμεν […];



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nouveau absolument et sans article, le pluriel ἄγγελοι est peu explicite encore.29 Seul le thème du jugement peut laisser à penser qu’il s’agit ici des « anges » qui sont sortis de leur rôle et qui, par leur insoumission, se sont rendus coupables envers Dieu.30 Si l’interprétation des deux premières occurrences du substantif ἄγγελος en 1  Corinthiens n’est pas chose aisée, que dire de son emploi dans la consigne donnée en 1 Co 11,10 en ce qui concerne la femme qui prie ou qui prophétise dans l’assemblée ! Au cœur de cette argumentation qui tente laborieusement de convaincre au sujet d’une question dont, il faut bien l’admettre, on ne saisit pas entièrement les termes, pourquoi l’apôtre a-t-il encore ajouté, comme en excès, le syntagme διὰ τοὺς ἀγγέλους  à la conséquence qu’il venait de tirer : « Voilà pourquoi la femme doit porter sur la tête une marque d’autorité » ?31 Quel poids supplémentaire ces mots, sans lien explicite avec le contexte, sont-ils censés apporter à l’obligation faite aux femmes ?32 Et, surtout, à quels type d’ἄγγελοι Paul songeait-il ici ? À des émissaires d’autres églises ou à des êtres célestes ? L’histoire de l’interprétation de ce texte nous apprend sans surprise que l’on a défendu les deux hypothèses, faisant montre en la matière d’une imagination relativement débordante. Ainsi, ceux qui ont opté pour des « envoyés » humains33 ont-ils envisagé des hommes pieux, des évêques, des anciens, le clergé en général, des prophètes chrétiens, des candidats au mariage, voire même des espions juifs ou païens. Les partisans des « anges », pour leur part, ont pensé, non seulement aux séraphins à six ailes, aux anges gardiens, à ceux qui participaient aux assemblées cultuelles, mandatés, selon le cas, pour veiller à son bon déroulement ou pour porter les prières à Dieu, mais encore aux anges déchus.34 On aurait tellement souhaité que l’apôtre, ici encore, soit un peu plus précis et ne se contente pas, comme en passant, de nommer ces ἄγγελοι. Le fait qu’il distingue les « hommes » et les « anges » en 1 Co 4,9 et 13,1 invite-t-il à trancher en faveur 29  Broer, « ἄγγελος », col. 34, relève que le couple de mot « monde – anges » apparaît en 1 Co 6,2–3 comme en 1 Co 4,9. Et de conclure : « Ob Paulus hier die Engel zum Kosmos rechnet oder nicht, wird im Gegensatz zu 1 Kor 4,9 […] nicht völlig deutlich. » 30  Fitzmyer, First Corinthians, 252, ne partage pas cet avis ; d’après lui, « the ἄγγελοι have to be understood comprehensively of good and bad angels ». 31  Διὰ τοῦτο ὀφείλει ἡ γυνὴ ἐξουσίαν ἔχειν ἐπὶ τῆς κεφαλῆς διὰ τοὺς ἀγγέλους. 32  Jantsch, « Einführung in die Probleme von 1 Kor 11,2–16 », 42, avance avec raison : « Die These F. C. Baurs, diese Wörter seien eine Glosse, [ist] nicht geeignet […], die Probleme des Textes zu lösen – wenn seine Hinweise auch richtig sind, dass der Rekurs auf die Engel in der Argumentation plötzlich auftaucht und sonst keine Rolle mehr im Text spielt sowie, die Syntax störend, die Begründung eigenartig verdoppelt. » L’auteur signale également la position de Lyder Brun qui reconnaît à διὰ τοὺς ἀγγέλους une « fonction rhétorique » seulement, dans la mesure où les anges occupent un rang intermédiaire entre le mari et Dieu ou Jésus. 33 Une interprétation défendue notamment par Murphy-O’Connor, « 1  Corinthians 11,2–16 », 164–165 et 176–178. Y souscrire revient à penser que des émissaires d’autres églises soient témoins de scènes dérangeantes. 34  Nous nous basons sur la liste établie par Jantsch, « Einführung in die Probleme von 1 Kor 11,2–16 », 43–48 ; cf. aussi Fitzmyer, First Corinthians, 417–419.

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d’êtres célestes définis, mais dont il n’intéresse pas le moins Paul d’en dévoiler l’identité ? Nous inclinons à le penser et à croire que, par l’ajout de διὰ τοὺς ἀγγέλους, ce dernier n’escomptait rien d’autre que d’appuyer sa conclusion, de lui donner rhétoriquement un surplus de crédit sous la forme d’une référence passive, évoquée à cette seule fin.35 Une manière pour lui de situer le problème traité à un niveau supérieur que celui du lien entre l’homme et la femme ou de la pratique de la vie communautaire. Mais sans livrer ne serait-ce qu’une toute petite explication au sujet de ces fameux « anges » qui ont fait couler tellement d’encre !36 Le brouillard plus ou moins dense entourant les trois emplois d’ἄγγελος dans la première lettre aux Corinthiens se dissipe quelque peu en 1 Co 13,1, où l’éloge de l’ἀγάπη débute par ces mots : « Quand je parlerais en langues, celles des hommes et [même] celles des ‘anges’  … »37 La logique du propos invite à interpréter le pluriel γλῶσσαι τῶν ἀνθρώπων dans le sens de la « totalité »38 des langues humaines existantes. La conjonction de coordination καί est emphatique.39 Aussi les mots καὶ τῶν ἀγγέλων introduisent-ils un élément hyperbolique.40 En ce contexte, ils nomment sinon directement la glossolalie, du moins situent-ils ce mode d’expression singulier sur le registre du langage angélique – les « hommes » et les « anges » étant les deux catégories d’êtres à peupler le cosmos d’après 1 Co 4,9 ! Une idée qui se laisse rapprocher de Testament de Job 48,1–3 où il est rapporté qu’une certaine Héméra « reçut un autre cœur, si bien que ses pensées ne furent plus celles de la terre » et qu’alors, elle « chanta dans la langue angélique », faisant « monter un hymne à Dieu selon l’hymnologie des anges ».41 Paul partageait donc la conception juive selon laquelle les anges étaient non seulement doués de parole, mais s’exprimaient encore en des langues 35  Dans ce sens, Jantsch, « Die Frau soll Kontrolle über ihren Kopf ausüben », 124 : « Ich vermute, dass Paulus das ‘wegen der Engel’ an dieser Stelle als weiteres unterstützendes Argument eingeführt hat, das aber im Rahmen seiner Argumentation in 1 Kor 11,2–16 sonst kein grosses Gewicht hat. » 36 Dans Frey/Jost (éd.), Gottesdienst und Engel im antiken Judentum und frühen Christentum, 6–7, les deux éditeurs estiment que « die knappe, kryptische und dementsprechend strittige Bemerkung des Paulus διὰ τοὺς ἀγγέλους in 1 Kor 11,10 eine gründliche Reflexion darüber [erfordert], in welcher Weise hier Engel als in der korinthischen Gemeindeversammlung gegenwärtig und wirksam angesehen werden ». 37  Ἐὰν ταῖς γλώσσαις τῶν ἀνθρώπων λαλῶ καὶ τῶν ἀγγέλων … 38 Avec Focant, « 1 Corinthiens 13 », 219. 39 Cf. Blass/Debrunner/Rehkopf, Grammatik des neutestamentlichen Griechisch, § 442,8. 40  C’est ce que relève Sigountos, « The genre of 1 Corinthians 13 », 252, à propos des trois premières phrases de cet éloge : « The comparisons are heightened by an extensive use of hyperbole. […] The following structure results: A – Realistic gift/action; A’ – Hyperbole; B – Negative condition (ἀγάπην δὲ μὴ ἔχω); C – Negative result. » 41 Trad. Dupont-Sommer/Philonenko, La Bible. Écrits intertestamentaires ; en Testament Job 49,2, il est question de « la langue des Princes » et en Testament Job 50,2 de « la langue des Chérubins ». Quesnel, La première épître aux Corinthiens, 315, constate : « Plu-



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qui leur étaient propres.42 Il n’y avait pas lieu pour lui d’en dire plus dans cette protase qu’il a voulu courte.43 Évoquer la chose comme il l’a fait suffisait à l’intention qui était la sienne : établir que la plus haute capacité d’expression n’est que du bruit en l’absence d’ἀγάπη. Dans la défense qu’il produit dans la deuxième lettre aux Corinthiens pour se démarquer de ceux qu’il nomme les « faux apôtres », le Tarsiote a la hardiesse d’avancer que ceux-ci ne font que revêtir la forme extérieure des apôtres du Christ,44 une charge qu’il justifie ainsi en 2 Co 11,14 : « Rien d’étonnant à cela : Satan se camoufle lui-même en ange de lumière. »45 La preuve avancée fait écho à la Vie grecque d’Adam et d’Ève 17, où l’on peut lire : « Satan survint sous l’apparence d’un ange. »46 Qualifié explicitement de « lumière », ἄγγελος désigne ici sans ambiguïté un être céleste qui se trouve dans la proximité de Dieu et qui est notamment acquis à l’idée de justice ;47 de fait, une figure à l’exact opposé de cette autre dont il est question cette fois en 2 Co 12,7. Ici, l’apôtre rapporte qu’après avoir été le bénéficiaire de révélations extraordinaires, « il a été mis une écharde dans [sa] chair, un ange de Satan chargé de [le] frapper, pour [lui] éviter tout orgueil ».48 En ce contexte, l’ἄγγελος σατανᾶ49 désigne clairement un agent chargé d’accomplir une action néfaste, mais cautionnée d’une certaine manière par Dieu – du moins si ἐδόθη est à tenir pour un passif divin.50 Une tâche négative que Paul, cela est à remarquer, se garde d’attribuer précisément à un « ange de lumière ».51 Pour lui, il y a donc clairement deux catégories opposées sieurs textes du judaïsme ancien témoignent […] de la croyance que les anges disposaient d’une langue propre. » 42  Cf. 2 Co 12,3–4 : καὶ οἶδα τὸν τοιοῦτον ἄνθρωπον […] ὅτι ἡρπάγη εἰς τὸν παράδεισον καὶ ἤκουσεν ἄρρητα ῥήματα ἃ οὐκ ἐξὸν ἀνθρώπῳ λαλῆσαι. 43  La protase des v. 2 et 3 est plus développée. 44  2 Co 11,13 : οἱ γὰρ τοιοῦτοι ψευδαπόστολοι, ἐργάται δόλιοι, μετασχηματιζόμενοι εἰς ἀποστόλους Χριστοῦ. 45  Καὶ οὐ θαῦμα· αὐτὸς γὰρ ὁ σατανᾶς μετασχηματίζεται εἰς ἄγγελον φωτός. Carrez, La deuxième épître de saint Paul aux Corinthiens, 217, commente : « Cette accusation met en valeur la puissance de tromperie, de duperie, de mensonge de ces ‘super-apôtres’. » 46 Trad. Dupont-Sommer/Philonenko, La Bible. Écrits intertestamentaires. 47  On notera que l’expression ἄγγελος φωτός est reprise au verset suivant par διάκονoς δικαιοσύνης ; cf. 2 Co 6,14 : τίς γὰρ μετοχὴ δικαιοσύνῃ καὶ ἀνομίᾳ, ἢ τίς κοινωνία φωτὶ πρὸς σκότος; 48  Ἐδόθη μοι σκόλοψ τῇ σαρκί, ἄγγελος σατανᾶ, ἵνα με κολαφίζῃ, ἵνα μὴ ὑπεραίρωμαι. 49 Cf. Mt 25,41  : πορεύεσθε ἀπ’ ἐμοῦ [οἱ] κατηραμένοι εἰς τὸ πῦρ τὸ αἰώνιον τὸ ἡτοιμασμένον τῷ διαβόλῳ καὶ τοῖς ἀγγέλοις αὐτοῦ ; Ap 12,9 : καὶ ἐβλήθη ὁ δράκων ὁ μέγας, ὁ ὄφις ὁ ἀρχαῖος, ὁ καλούμενος Διάβολος καὶ ὁ Σατανᾶς, ὁ πλανῶν τὴν οἰκουμένην ὅλην, ἐβλήθη εἰς τὴν γῆν, καὶ οἱ ἄγγελοι αὐτοῦ μετ’ αὐτοῦ ἐβλήθησαν. 50  C’est l’avis de Wolff, Der zweite Brief des Paulus an die Korinther, 246 ; cf. Jb 2,6– 7LXX : εἶπεν δὲ ὁ κύριος τῷ διαβόλῳ ᾿Ιδοὺ παραδίδωμί σοι αὐτόν, μόνον τὴν ψυχὴν αὐτοῦ διαφύλαξον. ᾿Εξῆλθεν δὲ ὁ διάβολος ἀπὸ τοῦ κυρίου καὶ ἔπαισεν τὸν Ιωβ ἕλκει πονηρῷ ἀπὸ ποδῶν ἕως κεφαλῆς. 51  Un lien est explicitement posé entre l’infirmité d’une femme et l’action de Satan en personne en Lc 13,11.16.

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d’« anges » : ceux qui se tiennent aux côtés de Dieu et ceux qui sont au service de Satan – ce qui est signifié par l’ajout des génitifs φωτός et σατανᾶ. C’est à nouveau une situation totalement inconcevable qui est évoquée en ouverture de la lettre aux Galates : que l’apôtre lui-même ou alors un « ange » se mette à annoncer un Évangile différent ! Contrairement à Rm 8,38–39, mais comme en 2 Co 11,14 ; 12,7, Paul ajoute une précision en Ga 1,8, où il parle d’un ἄγγελος ἐξ οὐρανοῦ.52 Pour autant, toute équivoque n’est pas totalement éliminée dans la mesure où les mots ἐξ οὐρανοῦ – qui ont été préférés au simple génitif θεοῦ – indiquent certes un lieu de provenance, celui qu’habite notamment Dieu, mais ne garantissent pas une proximité avec lui. Le fait cependant que, dans ce raisonnement par l’absurde, un tel « ange du ciel » soit ajouté de manière hyperbolique à la personne du Tarsiote laisse toutefois à penser qu’il s’agit bien d’un être céleste de l’entourage même de Dieu, qui n’a pas rompu avec lui. Cette idée d’un « ange » qui annoncerait un Évangile dans l’idée de le substituer à celui qui a été annoncé jusqu’ici en Galatie s’appuie sans doute sur celle des « anges » ayant édicté la Loi au Sinaï,53 ce dont il est justement question en Ga 3,19 où l’apôtre avance que « la Loi […] a été promulguée par les ‘anges’ par la main d’un médiateur ».54 Que des « anges » aient accompagné Dieu venu remettre les tables de la Loi à Moïse est supposé en Dt 33,2LXX : « Le Seigneur est venu du Sinaï […] des anges avec lui. »55 Mais, à l’évidence, « Paul fait [ici] une utilisation différente de ces traditions, puisque la présence des ‘anges’ lui permet de donner à la Loi un statut inférieur par rapport à la promesse ».56 Aussi, sans surprise, inscrit-il l’action spécifique de ces êtres célestes qui sont au service de Dieu au seuil de ce qui constitue pour lui un temps intermédiaire seulement, leur rôle majeur d’alors étant désormais relayé par celui, définitif, du Fils envoyé. C’est dire que, pour l’apôtre, les « anges » restent des subalternes, commis à des tâches que Dieu n’entend pas effectuer lui-même parce qu’elles sont marquées par le provisoire ; s’il leur a effectivement été confié de faire connaître la Loi, c’est cependant Dieu en personne – au dire de Ga 4,4 – qui « a envoyé son 52  Ἀλλὰ καὶ ἐὰν ἡμεῖς ἢ ἄγγελος ἐξ οὐρανοῦ εὐαγγελίζηται [ὑμῖν] παρ’ ὃ εὐηγγελισάμεθα ὑμῖν, ἀνάθεμα ἔστω. 53 Avec Mussner, Der Galaterbrief, 60, lequel commente : « Das klingt zwar aufs erste absurd, nicht jedoch im Mund eines Mannes, für den die Realität der Geisterwelt eine Selbsverständlichkeit ist. Gott selbst könne ja durch seine Engel eingreifen lassen, wie er einst bei der Sinaigestzgebung getan hat. » 54  Ὁ νόμος […] διαταγεὶς δι’ ἀγγέλων ἐν χειρὶ μεσίτου. Bonnard, L’épître de saint Paul aux Galates, 73, interroge : « Ce par (διά) est-il instrumental (Dieu promulguant la loi par l’intermédiaire des anges) ou causal (la loi ayant vraiment son origine dans l’initiative maléfique d’êtres célestes subalternes) ? » Et de répondre : « Un fait est clair, c’est que Paul évite ici d’attribuer directement à Dieu la promulgation de la Loi. » 55 Κύριος ἐκ Σινα ἥκει […] ἄγγελοι μετ᾽ αὐτοῦ ; cf. Ac 7,53 : ἐλάβετε τὸν νόμον εἰς διαταγὰς ἀγγέλων ; Hb 2,2 : εἰ γὰρ ὁ δι’ ἀγγέλων λαληθεὶς λόγος ἐγένετο βέβαιος. 56  Lémonon, L’épître aux Galates, 136 ; dans le même sens, Bonnard, L’épître de saint Paul aux Galates, 73.

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Fils ».57 Tout est dit ! Mais pour autant, la figure de l’« ange » est-elle dévaluée ? Cela ne semble pas être le cas, comme pourrait en témoigner ce rappel fait en Ga 4,14 : « Et, si éprouvant pour vous que fût mon corps, vous m’avez montré ni dédain, ni dégoût. Au contraire, vous m’avez accueilli comme un ange de Dieu, comme le Christ Jésus. »58 Si tant est qu’en cette phrase ὡς est à rendre par « à la manière de »,59 on comprendra qu’ἄγγελος θεοῦ désigne ici un être céleste de rang moindre que le Christ Jésus certes, mais d’importance quand même –  l’ajout de Χριστὸς Ἰησοῦς à ἄγγελος θεοῦ introduisant une hyperbole. Un « ange » véritable, parce qu’il est « de Dieu », ne peut être reçu que dignement, eu égard à son statut propre. Tous les « anges » n’occupent toutefois pas le même rang aux yeux de Paul ; il existe une hiérarchie entre eux. Elle est implicitement notifiée dans la première lettre aux Thessaloniciens, par l’emploi du mot composé ἀρχάγγελος60 dans une brève évocation de la parousie qui puise indéniablement aux représentations apocalyptiques juives : « Car lui-même, le Seigneur, au signal donné, à la voix de l’archange et au son de la trompette de Dieu, descendra du ciel. »61 Dans ce scénario ainsi dépeint en 1 Th 4,16, la « voix de l’archange » est un des deux éléments du « signal » qui ordonne l’advenue de ce temps singulier et en souligne la solennité.62 Mais l’apôtre ne nous en dit pas plus sur cet être céleste de rang supérieur, employé sans article et dont il tait le nom.63 Seule une fonction précise lui est assignée, celle d’indiquer le temps qui inaugurera une vie, non plus en Christ, mais avec lui.64

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Ὅτε δὲ ἦλθεν τὸ πλήρωμα τοῦ χρόνου, ἐξαπέστειλεν ὁ θεὸς τὸν υἱὸν αὐτοῦ. Καὶ τὸν πειρασμὸν ὑμῶν ἐν τῇ σαρκί μου οὐκ ἐξουθενήσατε οὐδὲ ἐξεπτύσατε, ἀλλ’ ὡς ἄγγελον θεοῦ ἐδέξασθέ με, ὡς Χριστὸν Ἰησοῦν. 59  Ceci en raison du ἐδέξασθέ με […] ὡς Χριστὸν Ἰησοῦν. 60  Broer, « ἄγγελος », col. 36, rappelle : « ἀρχάγγελος ist ein dem AT und seiner griech. Übersetzung, nicht aber den früh-jüd. Schriften fremder Terminus. » 61  Ὅτι αὐτὸς ὁ κύριος ἐν κελεύσματι, ἐν φωνῇ ἀρχαγγέλου καὶ ἐν σάλπιγγι θεοῦ, καταβήσεται ἀπ’ οὐρανοῦ. Légasse, Les épîtres de Paul aux Thessaloniciens, 261, parle « d’une scène d’emprunt dont il ne convient pas de forcer les détails ; elle crée l’‘ambiance’ requise pour signifier l’irruption de la fin ». Fee, The First and Second Letters to the Thessalonians, 176, précise : « The description itself is an interesting collage of items, from Scripture and Jewish apocalyptic on the one hand, and from the coming of kings/emperors on the other. » 62  Dans ce sens, Broer, « ἄγγελος », col. 37. 63  En Jude 9, il s’agit de Michaël. 1 Hénoch 20,1–8 énumère les noms de sept archanges : Ouriel, Raphaël, Ragouël, Michaël, Sariel, Gabriel et Remiel, ce dernier étant « chargé par Dieu du soin des ressuscités » (trad. Dupont-Sommer/Philonenko, La Bible. Écrits intertestamentaires) ; cf. 4 Esdras 4,36. 64  1 Th 4,17 : καὶ οὕτως πάντοτε σὺν κυρίῳ ἐσόμεθα. 58 

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2.  Les emplois d’ἄγγελος par les héritiers de Paul On connaît la difficulté posée par l’interprétation de Col 2,18a et notamment par la valeur à donner au génitif dans l’expression θρησκεία τῶν ἀγγέλων coordonnée à ταπεινοφροσύνη pour dénoncer une forme de religiosité désavouée.65 Faut-il comprendre que l’auteur s’en prend à ceux qui rendent un culte à des « anges » ou alors à ceux qui s’associent, d’une manière ou d’une autre, à un culte rendu par des « anges » à Dieu ?66 Toujours est-il que l’interrogation porte prioritairement sur le choix même du terme ἄγγελος, dont c’est la seule occurrence en cette lettre. Que désigne ce pluriel dans ce propos polémique ? Des êtres célestes autonomes qui, à la manière des « éléments du monde »,67 détournent du culte véritable, ou, au contraire, d’authentiques « anges » qui vivent dans la proximité de Dieu et le célèbrent ?68 Trancher n’est pas chose aisée.69 Les choses se présentent apparemment de façon plus simple en 2 Th 1,7–8 où il est avancé que, « lors de la révélation du Seigneur Jésus, [celui-ci] viendra du ciel avec les anges de sa puissance, dans un feu flamboyant ».70 Le moment où s’exercera ce qui est nommé au v. 5 le « juste jugement » de Dieu est donc fixé à la parousie de Jésus, ici dépeinte aux couleurs apocalyptiques :71 ἀπ’οὐρανοῦ souligne que cette manifestation sera orchestrée par Dieu ; μετ᾽ἀγγέλων δυνάμεως αὐτοῦ remplace l’expression μετὰ πάντων τῶν ἁγίων αὐτοῦ employée en 1 Th 3,13 ; ἐν πυρὶ φλογός ajoute une note dramatique à l’ensemble.72 De façon intéressante, l’auteur de la lettre a préféré faire mention des « anges » ici, et non 65 

Μηδεὶς ὑμᾶς καταβραβευέτω θέλων ἐν ταπεινοφροσύνῃ καὶ θρησκείᾳ τῶν ἀγγέλων. Voir à ce sujet Aletti, Saint Paul. Épître aux Colossiens, 194–197, notamment les notes 123–125 ; l’auteur considère pour sa part que « l’expression θρησκεία τῶν ἀγγέλων indique […] très probablement qu’il ne s’agit pas d’un culte rendu aux anges […], mais de l’adoration de Dieu par ses anges ». Schweizer, Der Brief an die Kolosser, 122–123, admet certes : « Die Vorstellung, dass Menschen am himmlischen Gottesdienst der Engel teilnehmen, ist nicht unmöglich », avant de privilégier toutefois, en s’appuyant sur le v. 23, le faire humain. Pour Gnilka, Der Kolosserbrief, 149 : « Es [liegt] am nächsten, in der ‘Verehrung der Engel’ einen Eigenkult angesprochen zu sehen. » 67  Cf. Col 2,8 : βλέπετε μή τις ὑμᾶς ἔσται ὁ συλαγωγῶν διὰ τῆς φιλοσοφίας καὶ κενῆς ἀπάτης κατὰ τὴν παράδοσιν τῶν ἀνθρώπων, κατὰ τὰ στοιχεῖα τοῦ κόσμου καὶ οὐ κατὰ Χριστόν, ou 2,20 : εἰ ἀπεθάνετε σὺν Χριστῷ ἀπὸ τῶν στοιχείων τοῦ κόσμου. 68 Au sujet de textes susceptibles de soutenir l’hypothèse d’une liturgie des anges, cf. Aletti, Saint Paul. Épître aux Colossiens, 197, n. 124. 69  Pour l’ensemble des questions posées par Col 2,18a en lien avec l’étude d’ἄγγελος, nous renvoyons à l’analyse proposée par François Lestang dans ce présent volume. 70  Ἐν τῇ ἀποκαλύψει τοῦ κυρίου Ἰησοῦ ἀπ’ οὐρανοῦ μετ’ ἀγγέλων δυνάμεως αὐτοῦ ἐν πυρὶ φλογός. Les lignes qui suivent s’appuient sur Gerber, « Un essai de lecture de 2 Th 1,1– 2,12 », 20–21. 71  Cf. 1 Th 4,16. Redalié, La deuxième épître aux Thessaloniciens, 54, note : « Le langage des v. 7–10 emprunte aux représentations apocalyptiques juives de la tradition biblique et extrabiblique. » 72 Pour de Villiers, « The Glorious Presence of the Lord », 339, « these motifs emphasise the special role of Jesus as Lord in the execution of judgment ». 66 



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plus des « saints ». Que ces êtres célestes soient liés au Seigneur Jésus et agiront de concert avec lui ne fait aucun doute pour l’auteur comme le laisse entendre l’emploi du possessif αὐτοῦ ; qu’ils soient de plus « les représentants de son pouvoir »,73 la marque de son autorité, est également suggéré. Mais ni leur identité, ni leur nombre, ni leur rôle exact ne sont précisés.74 Ce qui est bien dommage ! La fonction d’1  Tm 3,14–16 n’est pas aisée à déterminer à l’intérieur de la première lettre à Timothée,75 pas plus que le genre exact du v. 16b qui se dégage nettement de ce petit ensemble.76 Tout cela complique singulièrement l’interprétation de ce court texte77 qui, dans sa forme actuelle, se compose de six stiques construits, à une exception près,78 de manière identique : verbe à l’aoriste passif + ἐν + nom au datif. D’autant plus qu’il est possible d’y percevoir une organisation [soit] chronologique-biographique à étapes : 1) incarnation, 2) résurrection, 3) ascension, 4) prédication, 5) réception de l’évangile dans le monde, 6) glorification à la fin des temps, [soit] en deux strophes de trois stiques chacune, où l’exaltation du Christ dans la gloire […] répond à l’apparition aux anges, [soit] comme une série de trois oppositions entre les domaines – les sphères – terrestres et supraterrestres.79

L’incertitude est donc grande en ce qui concerne l’interprétation, en particulier des mots ὤφθη ἀγγέλοις dans la mesure où ils sont potentiellement susceptibles de renvoyer à deux événements distincts :80 l’apparition du Ressuscité à ceux qui seront ses « envoyés »81 – ἄγγελος prenant dans ce cas son sens profane – ou sa manifestation dans les hauteurs, auquel cas les « anges » représentent globale73  Redalié, La deuxième épître aux Thessaloniciens, 68, pour lequel δυνάμεως αὐτοῦ qualifie les anges ; dans ce sens Légasse, Les épîtres de Paul aux Thessaloniciens, 367, n. 8 : « Littéralement, ‘les anges de sa puissance’, un hébraïsme, avec génitif de qualité, dont le sens est ‘ses anges puissants’. » Fee, The First and Second Letters to the Thessalonians, 256, propose la traduction « the angels who are the ministers of his power » ; ceci afin que l’idée de puissance soit davantage rattachée à Jésus qu’à ses subordonnés. 74  Witherington III, 1 and 2 Thessalonians, 194–195, commente : « Christ is coming with a heavenly retinue –  ‘with the angels of his might’, wich may mean the angels throuht whom he will exercice his judicial might. » 75  Lau, Manifest in Flesh, 107, avance ces deux raisons : « (a) there is no immediate preceding verse which would provide some indication of what role this citation might play in the argument of the epistle; and (b) there are no verbal repetitions elsewhere in the epistle which might show us where and how it is incorporated into the Pastor’s flow of thought. » 76  Redalié, Paul après Paul, 246, relève : « L’identification de son genre (hymne, confession, encomion) est l’objet de débats. Comme caractéristiques de l’hymne, on reconnaît : la parataxe, la composition en stiques égaux, la série des prédicats d’action. » 77  L’idée de « Sinnpotential » est particulièrement vraie au sujet d’1 Tm 3,16b. 78  Dans le troisième stique, celui qui précisément nous intéresse dans le cadre de l’enquête menée, le verbe est suivi du datif seul. K arris, A Symphony of New Testament Hymns, 113, suppose que, par cette irrégularité, « the composer is calling the […] attention to this singular line ». 79  Redalié, Paul après Paul, 246. 80  L’un et l’autre sont compatibles avec le stique suivant : ἐκηρύχθη ἐν ἔθνεσιν. 81  Cf. Lc 24,34 ; Ac 13,31 ; 1 Co 15,5–8. Gourgues, Les deux lettres à Timothée, 143, relève : « Pour certains, le terme ἄγγελοι désigne ici des témoins humains, qu’il s’agisse des apôtres […] ou en général de ceux qui deviendront dans l’Église postpascale messager de l’Évangile. » Et

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ment le monde céleste.82 Opter pour la seconde solution revient à considérer que le Christ ressuscité n’a pas seulement été accueilli par les « anges », mais qu’ils lui reconnaissent encore toute autorité.83 Plus inattendue est la formule employée en 1  Tm 5,21 où il est fait état « d’anges élus »84 aux côtés de Dieu et du Christ : « Je t’adjure en présence de Dieu et du Christ Jésus, ainsi que des anges élus, observe ces règles avec impartialité. »85 Elle a peut-être « comme toile de fond l’évocation du jugement eschatologique qui sera rendu par Dieu ‘escorté de tous les anges’ (Mt  25,31) ».86 Cette catégorie d’anges, présentés comme « élus », renvoie, par voie de contraste, à ces autres caractérisés comme « coupables »87 en raison de l’abandon de leur « rang » ou de leur « demeure ».88 Si les premiers participeront en tant que juges « au grand Jour », selon la conception de l’auteur de cette lettre, les seconds s’y verront signifier, pour leur part, leur condamnation définitive.

3.  Parmi les questions soulevées par l’emploi même du mot ἄγγελος Le doute n’est donc pas de mise : pour Paul et ses héritiers directs, le ciel était bien peuplé d’« anges ». Mais les choses se compliquent singulièrement dès lors que l’on s’intéresse d’un peu plus près à ces êtres célestes, nommés tantôt de façon générique par le pluriel ἄγγελοι, tantôt par une expression propre : ἄγγελος φωτός, ἄγγελος σατανᾶ, ἄγγελος ἐξ οὐρανοῦ, ἄγγελος θεοῦ, ἀγγέλοι δυνάμεως αὐτοῦ, ou οἱ ἐκλεκτοὶ ἄγγελοι. S’il conviendrait, certes, de synthétiser les données brutes recueillies à l’occasion de cette rapide enquête89 et de chercher à déceler une éventuelle évolud’ajouter : « Mais il faut pour cela comprendre ἄγγελος en un sens différent de celui qu’il a dans l’autre passage de 1 Tm (5,21) où il figure. » 82  Oberliner, Erster Timotheusbrief, 167, commente : « Mit dem Begriff ἄγγελοι können nicht nur himmlische Wesen bezeichnet sein, sondern ganz allgemein Mittlerwesen zwischen Gott und den Menschen, also Geister und Dämonen […]. Ein solches umfassendes Verständnis […] scheint nicht ausgeschlossen, verändert in der Interpretation kaum etwas. » 83  Dans ce sens, Roloff, Der erste Brief an Timotheus, 206 ; Lau, Manifest in Flesh, 104. 84  Concernant cette expression, Schrenk, « ἐκλεκτός »,190, renvoie à 1 Hénoch 39,1. 85  Διαμαρτύρομαι ἐνώπιον τοῦ θεοῦ καὶ Χριστοῦ Ἰησοῦ καὶ τῶν ἐκλεκτῶν ἀγγέλων, ἵνα ταῦτα φυλάξῃς χωρὶς προκρίματος. 86  Gourgues, Les deux lettres à Timothée, 205. 87  2 P 2,4 : εἰ γὰρ ὁ θεὸς ἀγγέλων ἁμαρτησάντων οὐκ ἐφείσατο. 88  Jude 6 : ἀγγέλους τε τοὺς μὴ τηρήσαντας τὴν ἑαυτῶν ἀρχὴν ἀλλ’ ἀπολιπόντας τὸ ἴδιον οἰκητήριον. 89 Nous renvoyons aux «  remarques conclusives » de Kurek-Chomycz/Bieringer, « Guardians of the Old at the Down of the New », 350–353. Nous acquiesçons en particulier à ce constat : « The study of ἄγγελος in the letters of Paul proved to be a difficult undertaking. […] Each occurrence has manifold challenges for the interpreter. […] Angels that are not explicitly qualified can only be identified as good or evil in the context. In many cases it is difficult to resolve a certain ambiguity. »



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tion dans l’utilisation d’ἄγγελος au fil du temps, ce n’est toutefois pas à cet effort que nous consacrerons le dernier point de notre investigation. Une question ne cesse en effet de se poser à nous : dans quelle mesure les lecteurs/auditeurs qui ne partageaient pas la même encyclopédie que Paul et ses successeurs immédiats étaient-ils seulement en capacité de comprendre de quoi il en retournait exactement lorsque ces derniers parlaient d’« anges » ? Que nous soyons nous-mêmes quelque peu déboussolés en tant que lectrices ou lecteurs de notre temps par les références faites à des créatures qui nous sont peu familières ne peut que nous encourager à nous interroger aussi sur les difficultés posées par une communication qui se sert de mots renvoyant à des dictionnaires différents. Alors oui. Chercher à savoir sur quelles traditions juives se sont appuyés l’apôtre et ses héritiers directs pour tenter de comprendre ce qu’ils ont voulu dire lorsqu’ils ont convoqué les « anges » est primordial. Mais se demander ce que les destinataires de tels propos ont bien pu comprendre l’est sans doute tout autant. Rendons-nous, à titre d’exemple, dans la Colonia Laus Iulia Corinthiensis. Pour sûr, les frères et les sœurs qui composaient l’église du lieu au temps de la dictée de la première lettre aux Corinthiens n’avaient pas été formatés, en leur grande majorité, par le judaïsme et ses nombreuses traditions. Paul déclare en effet en 1 Co 12,2 : « lorsque vous étiez païens » (ὅτε ἔθνη ἦτε). Si l’on tient compte du fait qu’il s’adresse régulièrement à l’ensemble de la communauté par le biais d’un sous-groupe singulier, on se gardera certes d’absolutiser le propos. Il n’empêche que l’on peut en déduire que la plupart de ceux qui construisaient leur identité en Christ dans la cité isthmique étaient issus du paganisme. Aussi ne peut-on éluder la question : l’apôtre les avait-il réellement préparés à percevoir les différents sens que lui-même donnait à ἄγγελος ? Car on se souviendra que, pour les Grecs, ce substantif désignait fondamentalement un « messager », humain ou divin, le porteur d’une nouvelle.90 « À côté des dieux », ceux-ci connaissaient certes « des formes de puissances divines mystérieuses, bienfaisantes ou malfaisantes », une sorte de « classe d’êtres divins intermédiaires entre les dieux et les hommes » qu’ils appelaient les « démons ».91 Il est bien entendu à supposer que les quelques membres de l’église corinthienne nés dans une famille juive ou qui s’étaient initiés au cours de leur existence à la foi d’Israël en tant que craignant-Dieu ont spontanément offert leur concours pour expliquer aux autres ce qu’ils ne pouvaient spontanément comprendre. Et l’on peut encore faire l’hypothèse qu’Apollos a, lui aussi, initié la communauté corinthienne non seulement aux Écritures, mais encore aux traditions juives qui se greffaient sur elles. Mais l’hypothèse que des explications aient 90  Grundmann/Kittel/von R ad, «  ἄγγελος, ἀρχάγγελος, ἰσάγγελος », 72. ArztGrabner et al., 1. Korinther, 175, signalent : « In den dokumentarischen Papyri ist der Begriff [ἄγγελος] wenig verwendet und trägt in den nichtchristlichen Beispielen die profangriesche Bedeutung ‘Bote’. » 91  Bruit Zaidmann/Schmitt Pantel, La religion grecque, 142.

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été fournies par le porteur de la lettre est, elle aussi, à prendre très sérieusement en compte. C’est en effet le mérite de l’analyse de la performance de nous avoir rappelé certains aspects pratiques d’une communication par voie épistolaire dans l’Antiquité.92 Et notamment, celui du rôle annexe, mais important, joué, le cas échéant, par la personne de confiance choisie pour acheminer un courrier. Une lettre résumant, par voie d’économie, l’information sous la forme la plus condensée possible, on se souviendra donc qu’on confiait fréquemment à son porteur les commentaires qu’il convenait d’ajouter oralement afin d’en faciliter la compréhension au moment de sa lecture. Ce qui n’est peut-être pas sans incidence pour le sujet que nous avons abordé très brièvement.

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Les Colossiens rendaient-ils un culte aux anges ? Perspectives actuelles sur la θρησκεία τῶν ἀγγέλων (Col 2,18) François Lestang

1. Introduction Quel comportement Paul souhaite-t-il que ses destinataires colossiens évitent, dans leur rapport au monde angélique ? Désire-t-il éviter qu’ils se prennent pour des anges, déjà présents à Dieu dans la gloire de son Temple céleste, ou leur préconise-t-il de se détourner de médiations angéliques, qui restent subalternes, malgré leurs noms ronflants de « trônes », « puissances », « autorités », « principes », tandis que le Christ est le premier-né de toute créature (1,15) ? Pour le saisir, il convient principalement de nous pencher sur l’interprétation du délicat syntagme θρησκεία τῶν ἀγγέλων (2,18). À ce sujet, comme nous le verrons, des évolutions récentes et notables de la recherche voient le retour de l’interprétation du génitif τῶν ἀγγέλων comme objectif (dévotion effectuée par les humains envers les anges) et non pas comme subjectif (dévotion effectuée envers Dieu par les anges). Cette interprétation était déjà nette dans un texte antique, certes beaucoup plus tardif que Colossiens, celui du concile local de Laodicée (363). Théodoret de Cyr, un des tout premiers commentateurs de notre lettre, l’évoquait à propos de notre verset, comme interdisant que l’on adresse des prières aux anges (τοῖς ἀγγέλοις προσεύχεσθαι).1 Ce concile prescrit en effet en son canon 35 : Que les chrétiens ne doivent pas abandonner l’Église de Dieu et s’en détourner, et vénérer les anges (καί ἀγγέλους ὀνομάζειν), et introduire un culte (καί συνάξεις ποιεῖν) ⟨des anges⟩. Cela est défendu. Celui qui se rend coupable de cette idolâtrie dissimulée doit être anathème, parce qu’il oublie Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Fils de Dieu, et qu’il passe à l’idolâtrie.2

Certes, on n’a pas littéralement le vocabulaire de la θρησκεία mais on a bien des éléments cultuels, avec la notion de « synaxe » et l’interdiction de « nommer » les anges, ce qui semble bien relever de l’invocation, voire du culte. Géographi1  Théodoret de Cyr, Interpretatio epistulae ad Colossenses, cap. II (PG 82,613B) : Ἔµεινε δὲ τοῦτο τὸ πάθος ἐν τῇ Φρυγίᾳ καὶ Πισιδίᾳ µέχρι πολλοῦ. Οὗ δὴ χάριν καὶ συνελθοῦσα σύνοδος ἐν Λαοδικείᾳ τῆς Φρυγίας, νόµῳ κεκώλυκε τὸ τοῖς ἀγγέλοις προσεύχεσθαι· καὶ µέχρι δὲ τοῦ νῦν εὐκτήρια τοῦ ἁγίου Μιχαὴλ παρ’ ἐκείνοις καὶ τοῖς ὁµόροις ἐκείνων ἔστιν ἰδεῖν. 2 Cf. Hefele, Histoire des conciles, 1017.

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quement, Laodicée se trouve à une vingtaine de kilomètres de Colosses, dans la vallée du Lycus, et selon Théodoret de Cyr le culte des anges semble avoir été répandu dans l’ensemble de la région de Phrygie et de Pisidie. Pour en revenir au texte biblique, proposons notre traduction, assez littérale, de la mise en garde formulée par l’auteur de la lettre aux Colossiens : 2 18 Que nul ne vous prive du prix, voulant en humilité et dévotion des anges (θέλων ἐν θρησκείᾳ τῶν ἀγγέλων), développant les [réalités] qu’il a vues (ἃ ἑόρακεν ἐμβατεύων), gonflé en vain par l’intelligence de sa chair, 19 et ne s’emparant pas de la tête, de laquelle tout le corps, par des jointures et des ligaments étant administré et mené ensemble, augmente de l’augmentation de Dieu. 20 Si vous êtes morts avec Christ aux éléments du monde (ἀπὸ τῶν στοιχείων τοῦ κόσμου), pourquoi comme vivant dans (le) monde vous ordonnez-vous ? 21 « Ne prends pas, ni ne goûte, ni ne touche … », 22 ces (réalités) sont toutes en vue de corruption (lors de leur) consommation, selon les commandements et enseignements des êtres humains, 23  lesquels sont une parole ayant d’un côté sagesse, en volonté de dévotion (ἐν ἐθελοθρησκίᾳ) et (en) humilité et (par un) non ménagement de corps, pas en quelque valeur (sinon) pour (atteindre) satiété de la chair.

De quoi parle donc l’auteur dans cette section ? On a davantage d’allusions que de précisions, semble-t-il. Si l’on en croit Hans Conzelmann, au milieu des années 1970, « cette section ne peut pas être traduite. On ne peut que ressentir le sens du passage et ensuite essayer de le reproduire d’une certaine manière en lien au texte grec ».3 Et, tout près de nous, dans un épais commentaire paru en 2018, Joel White écrit à propos du v. 18 que « ce verset, qui pose à l’exégète des défis lexicaux et syntactiques complexes, est l’un des plus difficiles de tout le NT ».4 Bien entendu, chaque exégète aura sa propre idée sur « le » verset biblique le plus difficile du Nouveau Testament, mais entendons cependant la mise en garde,5 avant d’entrer dans notre étude du contexte et du texte de Col 2,18. Pour mesurer les changements de lecture de ces dernières années, nous choisissons quatre commentaires récents, d’approches assez différentes. En 2015, Alfio Marcello Buscemi, franciscain italien qui enseigne à Jérusalem a fait paraître un épais commentaire d’approche rhétorique, appuyé sur les grandes qualités de connaissance de la littérature classique que l’on connaît à l’exégèse italienne. En 2018, Scot McKnight, auteur baptiste américain assez prolixe, a fait paraître son commentaire chez Eerdmans pour la prestigieuse collection NICNT, à peine moins long que celui de Buscemi, à l’approche résolument théologique. À l’inverse, l’anglican Anthony Thiselton a proposé en 2020 un très bref commentaire 3  Conzelmann, « Der Brief an die Kolosser », 192. Lorsque l’original n’a pas été publié en français, les traductions sont nôtres. 4  White, Der Brief des Paulus an die Kolosser, 253. 5  Buscemi, Lettera ai Colossesi, 299, n.  217, rapporte les antiques interrogations de Théodore de Mopsueste (« le sens est incertain [ἀσαφές] », In Epistolam Pauli ad Colossenses Commentarii Fragmenta, ad cap. II [PG 66,931–932]) et de Jérôme (curramus per singula et obscuritatem sensuum : Epistola CXXI,10).



Les Colossiens rendaient-ils un culte aux anges ?

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(moins de 150 pages, c’est un exploit), à la fois exégétique et pastoral, bien appuyé sur l’exégèse anglo-saxonne. Enfin l’américain Joel White, professeur de Nouveau Testament à la Freie Theologische Hochschule Gießen, propose en 2018 son commentaire de 400 pages, en dialogue avec toute l’exégèse germanique, et pas seulement anglo-saxonne. De Jérusalem aux États-Unis d’Amérique, en passant par l’Allemagne et l’Angleterre, nous avons là quatre ouvrages récents qui donnent un regard sur la lettre aux Colossiens, en attendant que les exégètes francophones chargés de commenter Colossiens pour les grandes collections scientifiques apportent leur propre contribution. Nous nous proposons donc, dans les pages qui suivent, de regarder tout d’abord ce que les recherches récentes apportent sur la ville de Colosses aux premiers siècles de notre ère, avant de considérer les évolutions concernant l’attribution de la lettre aux Colossiens à l’apôtre Paul, plutôt qu’à l’un de ses disciples ou à une « école paulinienne ». Nous serons alors en mesure de regarder de plus près la « dévotion des anges » dont les Colossiens doivent se garder, à l’aide en particulier des commentateurs présentés ci-dessus, avant de proposer une conclusion sur le rôle assigné aux anges et aux puissances célestes dans la lettre.

2.  Colosses dans son contexte historique : la vie continue après 61 ! 2.1.  Les positions classiques Malgré les traces numismatiques de monnaies battues à Colosses au iie siècle de notre ère, le consensus exégétique retient que le tremblement de terre de 60/61 mentionné par Tacite (Annales XIV,27) a détruit de manière irrémédiable la ville de Colosses, tandis que les villes voisines de Laodicée et de Hiérapolis s’en sont mieux sorties. Buscemi parle ainsi de « déclin que l’on ne peut arrêter ».6 Cette destruction pourrait rendre plus aisée la pseudépigraphie puisque plus personne au sein de la communauté de Colosses ne pourrait contester la lettre supposément adressée par Paul.7 2.2.  Les recherches récentes Bien que le site n’ait pas encore été fouillé, à la différence de Laodicée ou de Hiérapolis, des travaux préliminaires sont en cours, dont rendent compte les nombreux articles et ouvrages de l’australien Alan H. Cadwallader. On remarque dans les environs la présence d’un sanctuaire dédié à l’archange saint Michel, mentionné par Théodoret de Cyr. Le culte angélique est mis en lien avec le fleuve 6  Buscemi, Lettera ai Colossesi, xix. 7 Cf. Brown, Que sait-on du Nouveau

Testament ?, 666.

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Lycus par des récits légendaires ; on aurait donc, au moins au ive siècle, un culte à un ange dans les environs de Colosses.8 Après un colloque tenu à Leuven en 2015 sur les sources épigraphiques illustrant la lettre aux Colossiens, le volume collectif des actes du congrès est paru en 2018. Deux des articles concernent plus directement notre question, ceux d’Alan H. Cadwallader et de Peter Müller. Dans « The Historical Sweep of the Life of Kolossai », Cadwallader refait un parcours de l’histoire de Colosses sur le long terme. Un des apports les plus signifiants concerne l’étude récente par des archéologues turcs des restes de poteries trouvés sur place ; on peut en déduire que le site a été habité de manière continue pendant cinq millénaires, avec un petit déclin au début de l’âge du fer (vers 1200 avant notre ère).9 Comme signalé, on battait monnaie à Colosses, à l’époque hellénistique comme sous l’empire romain, signe de l’importance de la ville, y compris après le tremblement de terre de 60/61.10 Colosses est bien connue au iie  siècle de notre ère comme lieu d’étape pour les armées, en concurrence ouverte avec Laodicée ; sa destruction définitive n’est donc pas du tout avérée, puisque beaucoup d’inscriptions datent du iie siècle.11 Mais Colosses est plus tournée vers l’Est (la Perse, les Scythes …) que vers l’Ouest, avec probablement des jardins au bord du fleuve semblable à ceux de Persépolis.12 Le nom de la ville peut évoquer une formation rocheuse (Colosses/ pilier), comme celle sur laquelle sera bâti le sanctuaire à l’archange Michel, en lien avec une légende chrétienne.13 Enfin, les sources antiques, qui affirment un fort peuplement juif dans la région (Philon, Flavius Josèphe) avant notre ère, doivent être évaluées dans leur écriture (rhétorique, intention apologétique) et replacées dans leur contexte culturel large.14 D’autant que si les inscriptions retrouvées et les monnaies contiennent plus de 200 noms propres, aucun n’apparaît comme juif.15 Pour Cadwallader, « la question de la présence et de l’influence des Juifs à Kolossai demeure ouverte, avec peu de choses pour la soutenir si ce n’est la référence dans la lettre aux Colossiens ».16 Cette notation est d’importance pour déterminer le contexte culturel de la ville, et la présence éventuelle d’enseignants juifs, même si un argument e silentio n’est jamais définitif. 8  Cf. la monographie de Huttner, Early Christianity in the Lycus Valley et l’ouvrage collectif de Harrison/Welborn (éd.), The First Urban Churches 5. 9  Cadwallader, « The Historical Sweep of the Life of Kolossai », 37. 10  Cadwallader, « The Historical Sweep of the Life of Kolossai », 54. 11  Cadwallader, « The Historical Sweep of the Life of Kolossai », 29. 12  Cadwallader, « The Historical Sweep of the Life of Kolossai », 30–31. 13  Cadwallader, « The Historical Sweep of the Life of Kolossai », 35–36. 14  Cadwallader, « The Historical Sweep of the Life of Kolossai », 28–29. 15  Cadwallader, « The Historical Sweep of the Life of Kolossai », 58–59. 16  Cadwallader, « The Historical Sweep of the Life of Kolossai », 67.

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Dans le même ouvrage collectif, Müller propose une contribution qui s’occupe directement du culte des anges : « Verehrung der Engel: Kol 2:18 im Licht inschriftlicher Zeugnisse ». Citons sa conclusion : De l’Asie mineure occidentale, en particulier de la Phrygie et des régions voisines, nous sont parvenues un nombre relativement important d’inscriptions dans lesquelles les anges sont mentionnés. L’emplacement pratique de la ville suggère que la vénération des anges qui s’y exprime était bien connue à Colosses […]. Le fait que la vénération de Michel, en particulier, ait fleuri ici à une époque plus tardive ne peut pas être utilisé directement pour l’interprétation de la lettre, mais peut être compris comme l’effet d’une vénération des anges déjà à l’époque du Nouveau Testament.17

Comme on le voit, on reste pour l’instant sur le registre des hypothèses vraisemblables ; il faudra attendre que les fouilles de Colosses aient débuté pour avoir des certitudes. Par ailleurs, son étude des inscriptions adressées à des anges amène Müller à conclure en faveur du génitif objectif : Partout où des anges sont nommés en lien avec une divinité, ils apparaissent comme destinataires de l’inscription. […] Cette hypothèse est étayée par des inscriptions adressées aux anges eux-mêmes. Les anges apparaissent ici comme des êtres célestes qui peuvent être invoqués de manière indépendante et qui sont remerciés.18

Concluons sur ce premier point : la ville de Colosses n’a probablement pas été détruite complètement en 60/61 mais a continué à exister. Certains de nos quatre commentateurs indiquent ce changement possible de paradigme.19 On connaît aux alentours de Colosses un sanctuaire dédié à l’archange Michel, mais bien plus tardivement que notre écrit. Enfin, on n’a pas pour l’instant d’inscription à Colosses qui mentionne les anges, mais on en recense dans les environs.20

3.  La lettre aux Colossiens 3.1.  Paul, auteur de la lettre aux Colossiens, depuis Éphèse Jusqu’à peu, la question de l’authenticité paulinienne de la lettre aux Colossiens divisait les chercheurs en camps à peu près égaux, avec un léger avantage pour la pseudépigraphie.21 Cependant, dans les commentaires parus depuis une di17 

Müller, « Verehrung der Engel », 145.

18  Müller, « Verehrung der Engel », 146. 19 Cf. White, Der Brief des Paulus an die Kolosser, 14 ; McKnight, The Letter to the Colos-

sians, 18–20, est plus hésitant tandis que Buscemi reste sur les positions classiques, de même que Thiselton. 20  Pour les anges païens, cf. Cline, Ancient Angels, 139–146. 21  Foster, Colossians, 67, cite l’opinion de Raymond E. Brown et un sondage réalisé en 2011 auprès d’exégètes anglais. Un tableau récapitulatif des opinions des principaux commentateurs des trois derniers siècles se trouve aux p. 73–78. Dans le même sens, cf. Pascuzzi, « Reconsidering the Authorship of Colossians », 223, n. 3.

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zaine d’années, à l’exception notable de celui de Paul Foster en 2016, qui choisit la pseudépigraphie,22 on sent une évolution qui ramène Colossiens dans le camp des écrits authentiquement pauliniens. Nos quatre commentateurs vont dans ce sens, avec une forte et longue démonstration du côté de McKnight et une affirmation du même ordre pour Buscemi ou Thiselton.23 Pour White en revanche,24 qui suit une hypothèse déjà proposée par Eduard Schweizer ou James Dunn et reprise par Michael Bird, Timothée serait l’auteur principal, mais du vivant de Paul. De fait, les arguments qui s’appuient principalement sur la différence du style avec les sept lettres reconnues comme authentiquement pauliniennes n’arrivent plus à emporter l’adhésion, au point qu’un exégète réputé a pu se servir de ces critères pour « démontrer » au milieu des années 2000 que Galates n’est sûrement pas paulinienne.25 De notre point de vue aussi, Colossiens, malgré ses caractéristiques stylistiques et théologiques, se range à côté de 1 Corinthiens et Galates parmi les textes dus à l’apôtre lui-même. Si Paul est donc l’auteur principal de la lettre aux Colossiens, où cette lettre a-t-elle été écrite, et vers quelle époque ? Nos commentateurs sont ici divisés. Buscemi et Thiselton optent pour Rome, au début des années 60.26 McKnight et White choisissent Éphèse, au milieu des années 50.27 Les rapprochements que nous serons amenés à faire avec l’angélologie des lettres aux Corinthiens et aux Galates nous conduisent à choisir nous aussi une rédaction lors du séjour éphésien, la proximité géographique de la métropole asiate avec Colosses nous semblant permettre une meilleure intelligence de notre texte.28 3.2.  Les habitants des cieux : anges, autorités, princes/principes, seigneuries, trônes Au sein de l’épître aux Colossiens, les habitants du monde céleste, créés en Christ (1,15) ne sont pas évoqués par le seul terme d’ἄγγελος, qui n’apparaît d’ailleurs qu’en Col 2,18, mais par toute une gamme de substantifs : « autorités » (ἐξουσίαι :1,12.13.16), « trônes » (θρόνοι : 1,16), « seigneuries » (κυριότητες : 1,16 ; 2,15), « princes/principes » (ἀρχαὶ : 1,16 ; 2,15), qui, selon nos quatre commentateurs, semblent appartenir à un monde céleste hostile.29 22 Cf.

Foster, Colossians, 80. McKnight, The Letter to the Colossians, 5–18 ; Buscemi, Lettera ai Colossesi, xxvii– xxv ; Thiselton, Colossians, 15. 24  White, Der Brief des Paulus an die Kolosser, 28. 25  Hoehner, « Did Paul write Galatians? ». 26  Buscemi, Lettera ai Colossesi, xxvii ; Thiselton, Colossians, 17. 27  McKnight, The Letter to the Colossians, 39 ; White, Der Brief des Paulus an die Kolosser, 34. 28  Un autre rapprochement entre ces trois lettres se trouve dans l’unité affirmée en Christ des différentes catégories de croyants, Juifs et Grecs, esclaves et hommes libres (1 Co 12,13 ; Ga 3,28 ; Col 3,11). 29 Cf. Buscemi, Lettera ai Colossesi, 127, ou White, Der Brief des Paulus an die Kolosser, 126–127. Thiselton, tout en affirmant lui aussi qu’il s’agit de « quatre classes d’êtres cé23 



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Certes, il est remarquable que ces termes évoquent pour la plupart une puissance, voire une dimension politique, ce qui a conduit la recherche, ces dernières années, à vouloir situer Paul dans un contexte anti-impérial.30 Faut-il par exemple voir dans « l’autorité de l’obscurité » (1,13) une figure de l’empire romain ? Cela ne semble pas nécessaire, l’angélologie juive déployant déjà une opposition entre monde de lumière et monde de ténèbres, sans que ce soit en lien avec le monde politique.31 Mais il faut noter qu’ici, comme dans d’autres textes de Paul (1  Co 15,24 ; Rm 8,38), ces dénominations de réalités invisibles (autorités, trônes, seigneuries, etc.) leur reconnaissent une puissance, une efficacité proclamée, voire une légitimité. Cette revendication de supériorité est (ou sera) anéantie par le Christ, selon ce qui est exprimé en Col 2,15 : « Les princ(ip)es et les autorités, il (les) a exposés en toute franchise, ayant triomphé d’eux en elle (= la croix) ». La souveraineté du Christ sur les puissances hostiles de l’univers céleste est déjà inaugurée par sa mort sur la croix. 3.3.  Les anges et les éléments du cosmos dans Galates Sans reprendre ici l’étude de Daniel Gerber sur les anges dans le corpus paulinien dans le présent volume, rappelons que dans la lettre aux Galates, que nous considérons donc être écrite dans les mêmes années que celle aux Colossiens, nous avons un « paysage céleste » qui est partiellement affine à celui de Colossiens. Galates emploie plusieurs fois le terme ἄγγελος, principalement pour désigner le porteur d’un message. Le messager peut apporter une « bonne nouvelle » (Ga 1,8.9), éventuellement différente de celle que Paul a transmise, lui qui a été « accueilli comme un ange de Dieu » (4,14) lors de son premier passage parmi les Galates. Paul rappelle une tradition qui veut que la Loi divine au Sinaï ait été donnée par les anges (3,19 ; cf. aussi Ac 7,53, He 2,2 ou Dt 33,2LXX ), idée connue de Flavius Josèphe et conservée dans certains midrashim.32 Les anges sont donc lestes » (Colossians, 35) mentionne le commentaire de Thompson, Colossians and Philemon, qui associe ces réalités célestes avec les institutions et nations de la terre. McKnight, qui s’inscrit dans cette ligne, les considère aussi comme « des manifestations systémiques, terrestres, de puissances angéliques (peut-être déchues) » (The Letter to the Colossians, 152). Mais aucun ne suit Carr qui y voit des anges non déchus du service divin (Angels and Principalities, 52), ni ne pense y reconnaître les dieux des nations, subordonnés au seul vrai Dieu, comme l’a proposé en 2017 Wasserman, « Gentile Gods at the Eschaton ». 30  Cf. l’excursus « The Powers as Polluted Structure » (McKnight, The Letter to the Colossians, 252–256) et Wright, « Disarming the rulers and authorities », 447, n. 6. 31  Cf. les textes de Qumrân proposés par Wasserman, « Gentile Gods at the Eschaton », 740–741. 32 Cf. Flavius Josèphe, Antiquités juives XV,136 (« Et quant à nous, nous avons appris d’auprès de Dieu les plus excellentes de nos doctrines, et la plus sainte partie de nos lois, par des anges ») et Pesiqta Rabbati 21 (103b).

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médiateurs d’un message de la part de Dieu, mais cette idée est absente de Colossiens, qui d’une part n’utilise jamais le mot νόμος, et d’autre part ne précise pas qui sont les prédicateurs de l’Évangile (Col 1,5.23), même si l’on peut supposer qu’Épaphras est du nombre ; on y reviendra en conclusion. Un autre syntagme commun à Galates et à Colossiens, dont l’interprétation est fort disputée, est celui des « éléments du monde » (στοιχεῖα τοῦ κόσμου) (Ga 4,3.9 ; Col 2,8.20), qui peuvent être les quatre éléments cosmiques (air, feu, terre, eau),33 mais aussi l’organisation du monde, ordre dans lequel les êtres invisibles peuvent entrer. Pour Clinton E. Arnold, les στοιχεῖα sont l’équivalent des principautés et autorités dont Paul parle ailleurs.34 Or Ga 4,9 reproche aux Galates qu’ils « veulent servir de nouveau » (πάλιν ἄνωθεν δουλεύειν θέλετε) ces éléments, qui ne sont pas des dieux. Certes il s’agit ici de δουλεύειν et pas de λατρεύειν ou de θρησκεύειν, mais on a bien l’idée d’une forme de soumission, et probablement de culte, adressé à des puissances célestes distinctes de Dieu, d’autant plus que Paul, à la différence de la Septante, utilise aussi le verbe δουλεύω pour le culte rendu au Dieu d’Israël et à Jésus dans l’Esprit (cf. Rm 7,6 ; 12,11 ; 14,18 ; 16,18 ; 1 Th 1,9). Qu’en disent nos auteurs ? Après deux pages d’étude, Buscemi affirme que les « éléments du monde » doivent être considérés comme des puissances personnelles opposées au Christ, mises en relation avec les principautés et les puissances ; Thiselton, qui cite principalement Douglas Moo, va dans le même sens.35 Consacrant lui aussi plusieurs pages à la question, White36 exclut qu’il s’agisse d’enseignement et y voit aussi des « êtres personnels qui utilisent à la fois les règlements de la loi chez les juifs et les idoles chez les païens pour asservir les gens (cf. Ga 4,3.9) ou les rendre captifs (cf. Col 2,8) ».37 Allant dans un sens différent, et tout en reconnaissant que beaucoup d’exégètes favorisent une lecture spirituelle et personnelle, McKnight revient au sens premier de στοιχεῖα, comme doctrine fondamentale (cf. He 5,12) ; il y voit par conséquent « des pratiques juives marquées par la diaspora et maintenant comprises comme ayant une force spirituelle contraire à la volonté de Dieu ».38 Mis à part ce dernier exégète, on voit donc que, dans Galates comme dans Colossiens, une menace pèse sur les croyants, celle de se comporter selon des puissances spirituelles qui ne sont pas selon le Christ, et même de les servir, voire de leur rendre un culte, si l’on donne au verbe « servir » cette extension. Ayant établi la plausibilité dans le corpus paulinien d’un « service des éléments du monde », qui détourne du Christ, comment comprendre l’expression 33 Cf.

Schweizer, « Slaves of the Elements ». Arnold, « Returning to the Domain of the Powers », 75–76. Buscemi, Lettera ai Colossesi, 242 ; Thiselton, Colossians, 50. 36  White, Der Brief des Paulus an die Kolosser, 222–225. 37  White, Der Brief des Paulus an die Kolosser, 224. 38  McKnight, The Letter to the Colossians, 228. 34  35 



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de la lettre aux Colossiens : dans le sens d’un culte rendu à Dieu avec les anges, ou bien dans celui d’un culte bel et bien rendu aux anges ?

4.  Comment comprendre la θρησκεία τῶν ἀγγέλων ? 4.1.  À propos de la θρησκεία Avant de pouvoir nous prononcer sur le type de génitif qui est ici employé par Paul, il convient de clarifier le sens et l’emploi classique du substantif θρησκεία. 4.1.1.  La θρησκεία est-elle négative, comme un excès superstitieux ? Avant la seconde guerre mondiale, Karl-Ludwig Schmidt, dans son article du Theologisches Worterbuch zum Neuen Testament, signale que le substantif θρησκεία comme l’adjectif θρῆσκος peuvent être parfois utilisés dans un sens positif, et parfois dans un sens négatif, mais que c’est l’objet de la θρησκεία qui la qualifie, et qu’en lui-même le mot est neutre.39 Dans son Lexique théologique du Nouveau Testament, paru une première fois dans les années 1970, Ceslas Spicq n’en garde qu’un sens positif, celui du culte, extérieur ou intérieur, par lequel on honore Dieu, comme l’expression d’une piété intérieure. Reprenant au début des années 2000 les travaux de Jan Van Herten et de Louis Robert, la classiciste française Laurence Foschia a proposé une analyse des 76 inscriptions d’époque impériale où le terme apparaît, puisqu’il s’agit d’« un terme ionien qui n’a pas pénétré dans la koinè, et qui apparaît subitement au tout début de l’Empire pour connaître un très fort développement à partir de la fin du Haut-Empire ».40 Selon elle : Il semble que, chronologiquement, les emplois de θρησκεία obéissent à une évolution métonymique : au sens de « règlement cultuel » a succédé celui de « pratique cultuelle réglementée », puis celui de « culte » dans son acception plus large. Si ce dernier sens finira par l’emporter, il faut signaler qu’il coexiste longtemps avec les sens premiers de θρησκεία.41

À terme, la θρησκεία « s’impose désormais comme pendant d’εὐσέβεια, qu’il a éclipsé ».42 Le terme est donc de plus en plus valorisé. Cependant, comme le signale Daniel Boyarin dans sa propre étude de 2016, qui vise à redonner vigueur à la thèse de Van Herten sur la négativité de θρησκεία, 39 Cf. Schmidt, « θρησκεία » et les critiques apportées à cette approche cumulative par Hemer, « Reflections on the Nature of New Testament Greek Vocabulary », 77–79, qui suit les apports de James Barr. 40  Foschia, « Le Nom du culte », 15. 41  Foschia, « Le Nom du culte », 16. 42  Foschia, « Le Nom du culte », 25.

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aucune des inscriptions étudiées par Foschia n’appartient à la péninsule grecque, ce qui pourrait confirmer qu’il s’agit de la manière « des autres » (peut-être des Thraces) de rendre culte,43 en un parallèle avec la δεισιδαιμονία, comme ce qui décrit de l’extérieur un culte extrême, superstitieux. Le verset-clé pour Boyarin, à part quelques textes de Plutarque et de Philon qui en fait portent plus sur le dévoiement de la θρησκεία en δεισιδαιμονία, se trouve dans l’épisode de la torture du vieillard Eléazar en 4 Maccabées. Son adversaire lui dit : « mais puisque tu observes les pratiques des Juifs (τῇ Ιουδαίων χρώμενος θρησκείᾳ), tu ne me sembles pas être un philosophe » (4 M 5,7). Notons en passant que la θρησκεία est clairement celle rendue par les Juifs, et pas celle rendue aux Juifs ; par conséquent, le génitif est ici subjectif. La thèse de Boyarin est que, du point de vue des textes du Second Temple, la θρησκεία est une appellation négative de la religiosité extrême de l’autre,44 d’un point de vue « émique » donc et non pas « étique », pour emprunter à l’ethnologie des catégories que nous retrouverons d’ici peu. Qu’en pensent nos auteurs ? Buscemi, dans le corps du texte, traduit par « culte divin, cérémonie religieuse, adoration », ce qui n’est pas négatif ; cependant, en conclusion d’une longue note de bas de page, il écrit que Schmidt, à son avis, insiste justement sur le caractère négatif du terme.45 Quant à l’ἐθελοθρησκία, il la traduit par « culte arbitraire », « superstition », du fait du préfixe. McKnight ne discute pas le mot, qu’il rend par « adoration », tandis qu’ἐθελοθρησκία est « adoration volontaire ou prétentieuse » ;46 Thiselton est sur la même ligne, rendant aussi θρησκεία par adoration. Mais l’ἐθελοθρησκία est une « piété autoimposée », ce qui retrouve la synonymie évoquée par Foschia entre θρησκεία et εὐσέβεια. Enfin pour White, il s’agit de culte (Verehrung) ou d’hommage (Huldigung) ; l’ἐθελοθρησκία est une « sainteté apparente » (Scheinheiligkeit), dont la traduction donne lieu à un exposé de trois possibilités : « culte divin volontaire », « religion inventée » ou « quasi piété ».47 On reviendra en conclusion sur les réflexions d’ordre ethnologique que White développe sur l’accusation de « rendre un culte aux anges ». Mais en soi, θρησκεία est neutre pour nos quatre auteurs, synonyme de « piété », d’« adoration » ou de « culte ». On peut donc soutenir que la recherche récente invalide l’hypothèse d’une négativité intrinsèque du terme θρησκεία.

43  Boyarin, « Le ‘Judaïsme’ était-il une religion dans l’Antiquité ? », 236. Ces arguments reviennent dans son chapitre « Imagine No Thrēskeia: The Task of the Untranslator » (Barton/Boyarin, Imagine No Religion, 123–134) ; ils sont fortement nuancés par un chercheur grec de l’université de Vienne (Roubekas, « Thrēskeia »). 44  Boyarin, « Le ‘Judaïsme’ était-il une religion dans l’Antiquité ? », 243. 45  Buscemi, Lettera ai Colossesi, 285–286, spécialement n. 87. 46  McKnight, The Letter to the Colossians, 274–276 et 286. 47  White, Der Brief des Paulus an die Kolosser, 270–271.

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4.1.2.  La θρησκεία suivie d’un génitif : objectif ou subjectif ? Si Daniel Boyarin a trouvé en en 4  M 5,7 un bel exemple de génitif subjectif (le culte des Juifs), rappelons-nous les conclusions de Müller sur l’épigraphie cultuelle d’Asie mineure, qui rejoignent celles de Foschia. Elle rapporte un décret impérial du ier siècle sur les rites funéraires, trouvé en Palestine, qui parle de θρησκεία προγόνον et de καθάπερ περὶ θεῶν ε[ἰ]ς τὰς τῶν ἀνθρώπων θρησκ[ε] ίας. À ce propos, elle note : « Le génitif commandé par θρησκεία représentant toujours l’objet sur lequel doit porter le culte, il n’y a pas lieu de considérer ἀνθρώπων comme un génitif subjectif. »48 Cette opinion des classicistes, qui a été contestée depuis le début des années 1960 par les exégètes de Col 2,18, est aujourd’hui de nouveau majoritaire, comme nous allons le voir. 4.2.  L’aller-retour des interprétations de la θρησκεία τῶν ἀγγέλων (Col 2,18) Si les commentateurs, depuis les origines (Théodoret de Cyr ou Jérôme), avaient très majoritairement choisi de lire un génitif objectif, un changement de lecture a été proposé en 1962, obtenant un grand écho dans le monde des exégètes. Son auteur, Fred O. Francis, soutenait en effet que le génitif était subjectif (avec Éphrem le Syrien,49 Luther, Melanchton), et interprétait la θρησκεία τῶν ἀγγέλων comme relevant d’un culte rendu par les anges à Dieu, comme on le voit dans le livre de l’Apocalypse, et comme le génitif subjectif rencontré en 4 M 5,7, mais aussi en 1 Clem 45,7 (ὑπὸ τῶν θρησκευόντων τὴν μεγαλοπρεπῆ καὶ ἔνδοξον θρησκεία ν τοῦ ὑψίστου), texte qui ne nous semble pas si univoque, puisque si le verbe a en effet un objet direct, le substantif est clairement suivi d’un génitif objectif « le culte du Très Haut ». Pour Francis, les voyants de Colosses seraient amenés, par des pratiques ascétiques, à partager un culte angélique, au sein d’un judaïsme apocalyptique et mystique ; il réinterprète le verbe ἐμβατεύω (Col 2,18) comme évoquant l’entrée mystique dans un Temple céleste.50 Cette hypothèse a retenu l’intérêt, voire la faveur de nombreux chercheurs51 durant une bonne trentaine d’années, jusqu’aux travaux d’Arnold,52 au début des années 1990, qui réfute précisément les arguments de Francis en faveur du génitif subjectif, et propose un tout autre contexte culturel, celui d’un syncrétisme qui combine des éléments juifs et des traditions religieuses et magiques locales. 48 

Foschia, « Le Nom du culte », 21, n. 21. Francis, « Humility and Angelic Worship in Col 2:18 », 111. Cependant la lecture du texte d’Éphrem le Syrien (en traduction latine) le met plutôt dans la ligne de Jérôme : le culte des anges est identifié à la Loi transmise par les anges, d’où en effet un génitif subjectif, mais qui ne porte pas en direction d’un culte rendu aux anges. 50 Cf. Francis, « Humility and Angelic Worship in Col 2:18 », 119–126. 51  White signale Lincoln, Carr, O’Brien, Rowland, Barth/Blanke, Dunn, Sappington, Evans, Lane, Smith, Harris, Wolter, Dunn, Bormann, Bird (Der Brief des Paulus an die Kolosser, 255, n. 204) auxquels il faut joindre Aletti, Sumney et Gupta. 52 Cf. Arnold, The Colossian Syncretism, 90–95. 49 Cf.

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Par la suite, la plupart des chercheurs écartent l’hypothèse d’un génitif subjectif et optent pour la lecture la plus classique, celle d’un génitif objectif. Parmi nos auteurs, c’est le cas de trois d’entre eux : Buscemi, qui parle d’un « culte hétérodoxe rendu précisément aux anges », mais aussi White ou Thiselton.53 De son côté, McKnight,54 qui considère que Paul combat des « mystiques halakhiques »,55 choisit une troisième voie, celle d’un « génitif descriptif ». Un culte rendu aux anges serait incompatible avec le judaïsme. Un culte en compagnie des anges semble peu probable, au vu du v. 23 qui omet la mention des anges, et fait de la θρησκεία une ἐθελοθρησκία, ce qui pointe vers des pratiques ascétiques. On aurait donc ici un culte de type angélique (angel-like worship), les jeûnes et mortifications corporelles constituant un portail vers des expériences mystiques, en une lecture finalement pas si éloignée que cela de celle de Francis, puisque pour l’un comme pour l’autre les adversaires relèvent de l’apocalyptique juive. Mais on constate que nos quatre auteurs repoussent la thèse du génitif subjectif.56 Si la mise en garde lancée aux Colossiens est bien celle de ne pas rendre un culte aux anges, il vaut la peine de tenir compte de la réflexion épistémologique proposée par White : En d’autres termes, nous ne pouvons pas dire si les représentants de l’Erreur de Colosses adoraient réellement des êtres angéliques de manière consciente (perspective « émique »), ou si Paul les a seulement accusés d’adorer les anges (perspective « étique »), alors que ses opposants prétendaient ne leur montrer qu’un respect particulier, mais aucun culte au sens strict (à peu près analogue au rôle des saints dans la tradition catholique romaine ou orthodoxe).57

En termes actuels, on serait donc amené à une distinction entre un culte de dulie et celui de latrie. Peut-être les adversaires de Paul pourraient-ils dire qu’ils estiment les anges, par le moyen desquels la loi fut donnée à Moïse, sans leur rendre un culte qui serait effectivement idolâtre. Mais on le sait, le débat sur l’identité des adversaires de Paul dans la lettre aux Colossiens est loin d’être clos, à supposer qu’on puisse même le clore. De son côté, Thiselton, ayant rappelé que Calvin a condamné qu’on rende une adoration aux anges mais loué qu’on les honore, pose comme question de réflexion : « Comment pouvons-nous trouver le juste chemin médian entre dévaluer le ministère des anges et exalter des puis53 

Buscemi, Lettera ai Colossesi, 285 ; White, Der Brief des Paulus an die Kolosser, 256 ; Thiselton, Colossians, 57. 54  McKnight, The Letter to the Colossians, 274–277. 55  McKnight, The Letter to the Colossians, 32. 56  C’est aussi la position de Garuti : « L’expression αὔξησις τοῦ θεοῦ aurait donc une double signification : s’attachant solidement à sa tête, en refusant de suivre la ‘vénération des anges’, le corps constitué par les fidèles fait que la divinité soit ‘augmentée’ en puissance, en vue de l’‘augmentation’ de la communauté » (« Figure étymologique », 342). 57  White, Der Brief des Paulus an die Kolosser, 256.



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sances intermédiaires à la place du Christ comme notre médiateur choisi par Dieu ? »58 4.3.  Interpréter Col 2,18–23 « Il vaut mieux s’adresser au Bon Dieu qu’à ses saints », exprime la sagesse populaire. C’est un peu ce qui ressort de la critique paulinienne, qui valorise l’unicité du premier-né et exclut toute autre intercession, comme celle qui proviendrait d’un « culte des anges ». Ce défaut est associé à une humilité apparente (Col 2.18.23) et à des règles alimentaires. Mais comme en Christ « habite toute la plénitude de la divinité corporellement », et que les Colossiens ont été « en lui remplis, lui qui est la tête de tout prince et (de toute) autorité » (Col 2,9–10), s’adresser aux anges serait en rester au temps d’avant la victoire du Christ, dans une logique qui est celle de cet univers régi par l’« autorité des ténèbres » (1,12) et les « éléments du monde » (2,8.20), ce qui est appelé « chair » dans notre passage, en opposition au « corps ». Aucun membre n’a dans le corps le rôle de la tête, qui n’est pas seulement organe de gouvernement mais source de vie nouvelle et de croissance de tout le corps.59 Chercher à rendre culte à des anges, qui ne sont pas la tête, n’obtiendra pas ce que prétendent les « philosophes » adversaires des Colossiens. L’emploi du verbe φυσιόω, qui n’apparaît que dans Colossiens et dans 1 Corinthiens, évoque cette méconnaissance de l’œuvre de justice de Dieu dans le Christ. Paul, dans le passage sur les viandes sacrifiées aux idoles, commence par affirmer que « la connaissance gonfle, mais la charité édifie » (1 Co 8,1) et continue en rappelant aux Corinthiens que, bien qu’il y ait de nombreux soi-disant dieux et seigneurs sur terre et au ciel, pour les croyants il n’y a « qu’un seul Dieu, le Père, de qui toutes [réalités], et nous vers lui, et un seul Seigneur, Jésus Christ, par qui toutes [réalités] et nous par lui » (1 Co 8,6). Cette unicité du Seigneur Jésus parmi la multitude de dieux, seigneurs et « démons » est bien ce qui apparaît dans Colossiens, lettre qui met fortement en relief la supériorité, tant dans l’ordre de la création que dans celui de la rédemption, du premier-né (Col 1,15.18). Aucun ange, qui n’est pas Dieu, ni aucun prétendu dieu ou seigneur, ne saurait recevoir l’adoration des Colossiens, qui sont désormais appelés à vivre, à s’enraciner et à se construire en Christ (Col 2,6–7), établis par lui dans l’action 58  Thiselton, Colossians, 59. 59  Cf. les remarques de McKnight,

The Letter to the Colossians, 155–156, pour justifier qu’il ne s’agit pas seulement de supériorité mais aussi d’unité (cf. Testament de Zabulon 9,1–4). Dans le même sens, White écrit : « selon les représentations anciennes, la tête n’est pas seulement l’autorité dirigeante du corps, mais elle prend soin du corps en lui fournissant tout ce dont il a besoin pour vivre » (Der Brief des Paulus an die Kolosser, 131). Il évoque aussi les statues de l’Antiquité, dont le corps est produit en série, et que seule la tête peut distinguer, pour montrer que l’identité du corps dépend de celle de son chef (Der Brief des Paulus an die Kolosser, 260).

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de grâces au Père (Col 1,14 ; 3,17). C’est ainsi que peut s’accomplir la prière initiale de Paul pour les Colossiens, demandant à Dieu qu’ils soient « remplis de la vraie connaissance de sa volonté, en toute sagesse et compréhension spirituelle […] augmentant en vraie connaissance de Dieu » (Col 1,9–10), une connaissance bien différente de la « philosophie » de ce monde (Col 2,8).

5.  Remarques conclusives Quel comportement Paul souhaite-t-il que les Colossiens évitent, nous demandions-nous au début de notre parcours ? Il semble maintenant (relativement) clair que ce qui était visé relevait d’un recours à des médiateurs, recours considéré par Paul comme un « culte », sans que ce mot ait en soi une connotation négative. Mais, comme on l’a dit, ce culte proposé par les « philosophes » que dénonce l’apôtre est incapable d’obtenir ce qu’il promet, puisque Christ est non seulement au-dessus des anges, qui ont été créés en lui (Col 1,16), mais qu’il les entraîne dans son cortège triomphal, en signe de leur impuissance, de leur défaite (2,15). Cette dévalorisation des anges comme détenteurs d’un pouvoir va de pair, dans notre lettre, avec l’absence de toute dimension de révélation. Quel que soit son nom, aucune puissance céleste n’est messagère de l’Évangile. Celui-ci est confié aux hommes, que ce soit Épaphras (1,7) ou Paul (1,23). Pour prolonger cette dépossession des anges de leur fonction de messagers, évoquons la notation de la première épître de Pierre, qui affirme que les anges désirent se pencher vers la Bonne Nouvelle (εἰς ἃ ἐπιθυμοῦσιν ἄγγελοι παρακύψαι : 1 P 1,12) ou la conviction de la lettre aux Éphésiens que le dessein mystérieux de Dieu est que l’Église fasse connaître aux puissances et aux principautés la sagesse de Dieu (ἵνα γνωρισθῇ νῦν ταῖς ἀρχαῖς καὶ ταῖς ἐξουσίαις ἐν τοῖς ἐπουρανίοις διὰ τῆς ἐκκλησίας ἡ πολυποίκιλος σοφία τοῦ θεοῦ : Ep 3,10). Enfin, si Paul demande en faveur des Colossiens une « sagesse et compréhension spirituelle » (Col 1,9), la très faible place donnée à l’Esprit de Dieu dans la lettre,60 surtout si on la compare avec sa réécriture dans la lettre aux Éphésiens, ne pourrait-elle pas s’expliquer par ce souci de minorer le monde angélique, qui 60  On ne rencontre que deux fois le substantif πνεύμα (Col 1,8 ; 2,5), la deuxième occurrence faisant clairement référence à Paul, donc dans un sens anthropologique plus que théologique, et la première étant ambigüe, du fait de l’absence d’article ; mais les commentateurs choisissent en général la lecture théologique, puisque selon Ga 5,22 le premier fruit de l’Esprit est l’amour. De même, on n’a que deux fois l’adjectif πνευματικός (1,9 ; 3,16) pour qualifier la sagesse et les chants. Par comparaison, Éphésiens emploie quatorze fois le substantif et trois fois l’adjectif. Dans le volume collectif dirigé par Burke et Warrington parcourant toute la Bible pour en dégager une théologie biblique de l’Esprit Saint, Colossiens n’a pas de chapitre dédié, contrairement à Rm, 1 Co, 2 Co, Ga, Ep, 1 Th ou les pastorales (Burke-Warrington, A Biblical Theology of the Holy Spirit).



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est souvent aussi celui des esprits, comme on peut le voir tant dans les Actes des apôtres61 que dans l’Apocalypse de Jean ?62 Alors que Paul affirme aux Philippiens : « en effet nous sommes la circoncision, ceux qui rendons culte en Esprit de Dieu (οἱ πνεύματι θεοῦ λατρεύοντες) » (Ph 3,3), et que dans la correspondance aux Galates comme aux Corinthiens la place de l’Esprit Saint est prépondérante, du fait de son action multiforme, mettre trop en valeur dans la lettre aux Colossiens un esprit saint, qui dans la compréhension locale63 aurait pu être vu comme un ange saint, s’expliquerait précisément par la volonté d’éviter tout culte des anges, tout culte d’un ange, même saint.

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61  Voir l’épisode de Philippe et l’eunuque éthiopien, où Philippe est d’abord appelé par l’Ange du Seigneur (Ac 8,26), puis interpellé par l’Esprit (Ac 8,29), et l’interrogation des Pharisiens lors de la comparution de Paul : « et si un esprit lui avait parlé, ou un ange ? » (Ac 23,9). 62  Dans la vision inaugurale, celui qui est semblable à un fils d’homme a dans sa main droite sept étoiles ; lorsqu’il explique la vision, il déclare que ces étoiles sont « les anges des sept Églises » (Ap 1,20). Mais dans l’avant-dernière lettre, adressée à l’Église de Sardes, la présentation de celui qui parle est qu’il « possède les sept esprits de Dieu et les sept étoiles » (Ap 3,1). On a aussi, vers la fin du livre, l’affirmation que « le Dieu des esprits des prophètes a envoyé son ange » (Ap 22,6). 63  Nous ne suivons pas la piste proposée par Balabanski qui privilégie un arrière-fond stoïcien, ce qui pourrait amener les Colossiens à confondre le pneuma cosmique et celui du Christ, d’où le relatif silence de la lettre sur l’Esprit (Balabanski, « Holy Spirit and the cosmic Christ », 179–182).

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Des esprits au service des héritiers du salut : He 1,14 en contexte Paolo Garuti La catena des citations vétérotestamentaires destinées, en He 1, à établir la supériorité du fils par rapport aux anges1 se termine au v. 14 par une question rhétorique dont l’interprétation pose plusieurs problèmes. Une question rhétorique, en effet, constitue toujours un appel à l’encyclopédie, c’est-à-dire à l’ensemble des idées reçues et des cognitions partagées à l’intérieur d’un groupe humain.2 En outre, cette phrase se présente sous la forme interro-négative,3 qui n’admet qu’une réponse positive, donc définitoire. Elle prétend, enfin, être une définition universelle de tous les anges. Ce « nom de fonction » devrait décrire4 selon les termes du v. 4 : des esprits « liturgiques » (genre), envoyés pour servir ceux qui doivent hériter un salut (différence spécifique). Les quelques mots de ce verset ouvrent à trois ordres de questions : a.  L’épître partage-t-elle avec nombre de textes apocalyptiques l’idée que les anges officient dans les cieux une véritable liturgie, à laquelle les êtres humains sont appelés à s’associer ? Cette idée ne diminue-t-elle pas l’unicité, maintes fois rappelée, du sacrifice du messie ? 1  He 1,5 cite Ps 2,7 ; 2 S 7,14 (cf. 1 Ch 17,13). He 1,6 cite peut-être Ps 96,7LXX , ou mieux : Dt  32,43LXX . He 1,7  cite Ps 103,4LXX . He 1,8–9  cite Ps 44,6–7LXX . He 1,10–12 cite Ps 10,26– 28LXX . He 1,13 cite Ps 109,1LXX . 2  Fontanier,  Les Figures du  discours, 368 : « L’interrogation consiste à prendre le tour interrogatif non pas pour marquer un doute et provoquer une réponse mais pour indiquer, au contraire, la plus grande persuasion, et défier ceux à qui l’on parle de pouvoir nier ou même répondre. Il ne faut donc pas la confondre avec l’interrogation proprement dite, avec cette interrogation du doute, de l’ignorance ou de la curiosité, par laquelle on cherche à s’instruire ou à s’assurer d’une chose. » 3  Moline/Larrivée, « Combien d’articles n’a-t-on pas écrits sur le sujet ? », 145 (à propos des interrogations négatives introduites par combien) : « Ce type d’interro-négatives permet d’établir au sein d’un ensemble d’entités une partition entre deux sous-ensembles complémentaires, celui des entités qui possèdent la propriété décrite et celui des entités qui ne la possèdent pas. Par conséquent, la réponse à une interro-négative coïncide avec l’un de ces deux sous-ensembles, tandis que la réponse à l’interrogative positive correspondante coïncide avec l’autre. » 4 Cf. Lausberg, Elemente der literarischen Rhetorik, § 379 : « Die Definition kann den Wortkörper (§ 99, I) zurate ziehen, indem sie die durch die Sprachgeschichte verursachte Entstellung des Wortkörpers durch Anwendung der vier Änderungskategorien (cf. § 58 : adiectio, detractio, transmutatio, immutatio) rückgängig macht: dem so wiederhergestellten ‘ursprünglichen Wortkörper’ entspricht sodann die ursprüngliche Bedeutung. »

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b.  Qui sont « ceux qui doivent hériter un salut », et donc, par implication rhétorique, les destinataires de l’épître ? Les juifs de l’Ancien Testament ? Des juifs « messianiques » ? Un groupe qui, indépendamment de l’origine de ses membres, se reconnaît en continuité avec l’Israël de l’histoire du salut ?5 c.  Même si désormais on n’attribue plus la paternité de l’épître à Paul de Tarse, il est évident qu’un épigone, ou mieux une école, développe plusieurs points de sa théologie. Jusqu’à quel point peut-on utiliser l’idée paulinienne de σπέρμα Ἀβραάμ, descendance qui n’advient ni par le sang, ni par les œuvres, mais par la foi, pour définir la nature de cet « héritage » qui correspond au salut ? C’est pour cela qu’il faut lire ce verset dans son contexte immédiat, l’épître, et l’épître elle-même dans le contexte plus vaste de la définition de « fils » ayant droit à l’héritage. N’oublions pas que, même si notre texte semble l’ignorer, les anges aussi étaient des fils de Dieu, des ‫בני האלהים‬.

1.  Une définition complexe Une traduction, provisoire et neutre, du texte d’He 1,14 pourrait être celle-ci : [Les anges] ne sont-ils pas tous des esprits de ministère, envoyés en service pour ceux qui doivent hériter d’un salut ?6 οὐχὶ πάντες εἰσὶν λειτουργικὰ πνεύματα εἰς διακονίαν ἀποστελλόμενα διὰ τοὺς μέλλοντας κληρονομεῖν σωτηρίαν;

L’adjectif λειτουργικός trouvé en He 1,14 est un hapax dans le Nouveau Testament. Si le verbe λειτουργέω et le substantif λειτουργία sont connus en grec attique depuis le ve siècle av. J.‑C., dans l’Ancien Testament grec, où il apparaît – à notre connaissance – pour la première fois, l’adjectif qualifie toujours des objets inanimés, dans un contexte cultuel (τὰ σκεύη, τὰ ἔργα).7 5  Cf. Rm 9,6–8. 6  La variante διακονιας

de B sa, Origène (Contre Celse V,4) accentue l’absence d’article : « plusieurs services ». Nous proposons des traductions de Hébreux les plus littérales possibles. 7  Dans le livre de l’Exode, l’adjectif est utilisé deux fois pour distinguer les vêtements d’Aaron de ceux de ses fils : en Ex 31,10 il traduit le mystérieux terme ‫שרד‬. La traduction habituelle du terme par « service » est due à la version grecque, qui probablement lisait ‫שרת‬ comme en Nb 4 ; cf. Klein, A Comprehensive Etymological Dictionary, 68. En Ex 39,1 il traduit le plus commun ‫קדש‬. Dans le livre des Nombres, l’expression redondante πάντα τὰ σκεύη τὰ λειτουργικά ὅσα λειτουργοῦσιν ἐν αὐτοῖς (Nb 4,12.26) reproduit littéralement l’hébreu ‫כל־כלי השרת אשר ישרתו־בם‬, tandis que le grec de Nb 7,5 utilise l’expression τὰ ἔργα τὰ λειτουργικὰ τῆς σκηνῆς τοῦ μαρτυρίου pour rendre ‫לﬠבד את־ﬠבדת אהל מוﬠד‬. Finalement, en 2 Ch 24,14, le grec subordonne avec le génitif σκεύη λειτουργικὰ ὁλοκαυτωμάτων les termes coordonnés suivants : ‫כלי שרת והﬠלות‬. 1 Ch 28,13 connaît l’adjectif λειτουργήσιμος attribué à σκεύη.

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L’épître aus Hébreux qui connaît l’expression καὶ πάντα τὰ σκεύη τῆς meilleure liturgie  » (8,6  : λειτουργίας (9,21),8 attribue au messie9 une «  διαφορωτέρας […] λειτουργίας) et utilise dans un sens cultuel le verbe λειτουργέω (10,11). Étant donné cet arrière-plan linguistique, on serait tenté de traduire l’adjectif de 1,14 au sens cultuel, comme le fait la Bible de Segond : « des esprits au service de Dieu ». Cette attribution à des anges d’une λειτουργία se retrouve dans le grec de Dn 7,10 selon Théodotion : χίλιαι χιλιάδες ἐλειτούργουν αὐτῷ.10 En He 1,14, le latin préfère donner à l’adjectif un sens plus neutre, voire « laïque » : administratorii spiritus.

2. L’encyclopédie La définition, en forme d’interrogation négative, constitue en réalité une exégèse de Ps 103,4 LXX , cité en He 1,7 : ὁ ποιῶν τοὺς ἀγγέλους αὐτοῦ πνεύματα καὶ τοὺς λειτουργοὺς αὐτοῦ πῦρ φλέγον (« qui fait de ses anges des esprits et de ses serviteurs un feu flamboyant »). Cette formulation paraît renverser la syntaxe du texte massorétique.11 Le verset du psaume est en effet invoqué pour établir, à l’aide de la construction μέν … δέ et de deux citations, deux points de supériorité du fils sur les anges : « Et aux anges il dit : ‘Il fait de ses anges des vents, de ses serviteurs une flamme ardente’ [Ps 103,4LXX ], mais il dit au fils : ‘Ton trône, Dieu, pour les siècles des siècles’, et ‘Le sceptre de droiture est sceptre de ta royauté’ [Ps 44,6–7LXX ]12 » (He 1,7–8). D’abord, l’Écriture affirme que les anges subissent une mutation, tandis que le trône du fils reste immuable dans les siècles. En deuxième lieu, les anges sont des « messagers » et des « serviteurs » de Dieu, tandis que le fils est appelé « dieu » ou est assis sur un trône divin13 et porte un sceptre royal. Finalement, cette double citation constitue la base et fournit le vocabulaire de He 1,14 : ἄγγελος/ange = πνεῦμα/esprit = λειτουργός/serviteur 8 

Cette expression est attestée dans la Septante seulement en 1 Ch 9,28. adoptons cette traduction de χριστός puisqu’en Hébreux il est souvent question d’interpréter et actualiser les péricopes vétérotestamentaires qui décrivent le messie futur, donc du χριστός de iure. 10  En araméen : ‫ ; ישמשונה‬LXX : ἐθεράπευον αὐτόν ; latin : ministrabant ei, cf. Origène, Contre Celse VIII,34. 11  Ps 104,4 TM : ‫ﬠשה מלאכיו רוחות משרתיו אש להט‬, « Tu prends les vents pour messagers, pour serviteurs un feu de flammes » (trad. BJ). 12  He 1,8b (καὶ ἡ ῥάβδος τῆς εὐθύτητος ῥάβδος τῆς βασιλείας σου) déplace l’article et modifie la disposition de Ps 44,7LXX  (ῥάβδος εὐθύτητος ἡ ῥάβδος τῆς βασιλείας σου). 13  Les termes de la discussion à propos de ce verset sont ainsi résumés par Harris (« The Translation and Significance of ὁ θεός in Hebrews 1:8–9 ») : « If ὁ θεός is nominative, it may be either subject, ‘God is your throne’, or predicate, ‘Your throne is God’. Almost all proponents of 9  Nous

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La polysémie du substantif πνεῦμα en Hébreux est un phénomène connu :14 – τὸ πνεῦμα τὸ ἅγιον (3,7 ; 9,8 ; 10,15), déterminé par le double article, est l’Esprit divin révélateur dans les Écritures. – L’autre expression, déterminée par les articles et un génitif, τὸ πνεῦμα τῆς χάριτος ἐνυβρίσας (10,29), se réfère à l’Esprit divin, malgré la prétendue allusion à Za 12,10LXX : ἐκχεῶ […] πνεῦμα χάριτος καὶ οἰκτιρμοῦ. – πνεύματος ἁγίου μερισμοῖς (2,4), sans article, peut signifier « dons de l’Esprit Saint », ou, plus probablement « des partages d’un esprit saint ». He 6,4 présente la même ambiguïté : μετόχους γενηθέντας πνεύματος ἁγίου, « devenus participants d’un esprit saint ». L’origine divine de cet esprit n’est pas en cause, mais il devient une espèce de puissance donnée à l’être humain ou à une famille.15 – Le syntagme διὰ πνεύματος αἰωνίου (9,14) rentre, à notre avis, dans le même champ de signification : l’offrande du messie est faite en vertu du sacerdoce εἰς τὸν αἰῶνα (Ps 109,4LXX ), et non de l’appartenance à la dynastie lévitique.16 – L’opposition entre les géniteurs charnels et Dieu (12,9 : τῆς σαρκὸς ἡμῶν πατέρας versus τῷ πατρὶ τῶν πνευμάτων) montre bien l’opinion du rédacteur d’Hébreux que tout esprit, en tant que force vitale supérieure, vient de Dieu. – De même l’image du λόγος τοῦ θεοῦ, tel un coutelas qui sépare les éléments du corps vivant,17 le montre capable de pénétrer ἄχρι μερισμοῦ ψυχῆς καὶ πνεύματος (« jusqu’au point de séparation d’âme et d’esprit », He 4,12). On remarquera que le sens de μερισμός dans ce contexte est cohérent avec l’interprétation la plus probable du même mot en He 2,4. – Dans la description de la ville céleste, en He 12,23, l’expression πνεύμασιν δικαίων τετελειωμένων (« aux esprits des justes conduits à la perfection ») the view that ὁ θεός is a nominative prefer the former translation […]. No modern English version, it seems, has the translation ‘Your throne is God’ and very few commentators support it, although it has word-order in its favour as well as the parallel structure (viz. subject-predicate) of v. 8b » (138–139) et : « The strength of the case for taking ὁ θεός as a vocative (= ὦ θεέ, as in 10:7) certainly does not rest solely in the weakness of the alternative. Several converging lines of evidence make that case particularly strong » (142). Sa conclusion est la suivante: « Although some slight degree of uncertainty remains as to whether ‫ אלהים‬in Psalm 45:7 is a vocative, there can be little doubt that the LXX translator construed it so, and that the author of Hebrews, whose quotations of the OT generally follow the LXX, assumed that the Septuagintal ὁ θεός in Psalm 44:7 was a vocative and incorporated it in this sense into his argument in chapter 1, an argument that was designed to establish the superiority of the Son over the angels » (162) . 14 Cf. Garuti, Studi sulla Lettera agli Ebrei, 121–162. 15 Cf. Garuti, « La cohérence des images physiques dans le Miserere ». Dans ces textes, l’esprit divin se transmet par génération  et il est l’apanage d’une dynastie, comme cela sera montré par la suite. 16  Ml 2,15 LXX : ἢ σπέρμα ζητεῖ ὁ θεός καὶ φυλάξασθε ἐν τῷ πνεύματι ὑμῶν. 17  La μάχαιρα est avant tout l’instrument du μάγειρος.



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ne peut se référer qu’à des êtres humains consacrés et admis à entrer dans le τέλος divin. – Enfin, nous avons les versets d’He 1,7.14 que nous sommes en train de considérer : le pluriel πνεύματα y désigne des anges. Le contexte permet de déterminer clairement dans quel sens le terme πνεῦμα s’applique aux anges. La « nature » de ceux-ci est d’être des λειτουργικὰ πνεύματα (« esprits de ministère »), leur « fonction » est d’être εἰς διακονίαν (« en vue d’un service »), leur « condition » est d’être ἀποστελλόμενα (« envoyés »). Dans la Bible grecque, normalement, l’esprit « envoyé » est l’esprit de Dieu.18 En revanche, le syntagme ἀποστελλόμενα διὰ τοὺς μέλλοντας κληρονομεῖν σωτηρίαν (« pour ceux qui doivent hériter d’un salut ») paraît reprendre 2  M 11,6 : « Lorsque ceux qui entouraient Maccabée apprirent qu’il (Lysias) assiégeait les places fortes, avec gémissements et larmes, suivis par les foules, ils prièrent le Seigneur d’envoyer un bon ange pour le salut d’Israël (ἀγαθὸν ἄγγελον ἀποστεῖλαι πρὸς σωτηρίαν τῷ Ισραηλ). » Un écho de ce verset (μετὰ ὀδυρμῶν καὶ δακρύων ἱκέτευον […] τὸν κύριον […] πρὸς σωτηρίαν) résonne aussi en He 5,7, où l’on dit du messie qu’il « offrit prières et supplications (καὶ ἱκετηρίας) à celui qui pouvait le sauver (σῴζειν) de la mort, avec un fort cri et des larmes (καὶ δακρύων) ».

3.  L’héritier et les héritiers Comparativement au passage de 2 M 11,6, évoqué à l’instant, et à d’autres de même teneur,19 notre verset d’He 1,14 identifie les destinataires du service des anges par une paraphrase : διὰ τοὺς μέλλοντας κληρονομεῖν σωτηρίαν / « envoyés en service pour ceux qui doivent hériter d’un salut ». Nous avons pauvrement traduit la préposition διά avec « pour ».20 Ici elle paraît avoir un sens « cau18  Cf. LXX Ex 15,10 : ἀπέστειλας τὸ πνεῦμά σου, ἐκάλυψεν αὐτοὺς θάλασσα (TM : ‫נשפת‬ ‫ברוחך‬, il s’agit du vent qui referma la Mer des Joncs) ; LXX Is 48,16 : ἀπέσταλκέν με καὶ τὸ πνεῦμα αὐτοῦ (TM : ‫ ; )שלחני ורוחו‬Jdt 16,14 : ἀπέστειλας τὸ πνεῦμά σου.

19  Cf. aussi Dn 3,95 : « Béni soit le Dieu de Shadrak, Méshak et Abed-Nego, qui a envoyé son ange et sauvé (ὃς ἀπέστειλε τὸν ἄγγελον αὐτοῦ καὶ ἔσωσε) ses serviteurs, eux qui se confiaient en lui » et Tb  5,17 : « Que son ange vous accompagne de sa protection (μετὰ σωτηρίας), mon enfant ». 20  Normalement, la préposition διά suivie de l’accusatif apporte les sens de localisation spatio-temporelle (transit, occupation de l’étendue spatiale et durée, localisation spatiale orientée), médiation (sens instrumental, intermédiaire), cause et manière (causatif, intentionnel, finalité) mais aussi, comme dans notre cas, un sens bénéfactif. En analysant He 9,11–15, où cette particule apparaît cinq fois, nous lui avons donné au moins trois significations : v. 11 : sens locatif instrumental (διὰ […] σκηνῆς) ; v. 12 : instrumental concomitant (δι’ αἵματος) ; v. 14 : instrumental modal (διὰ πνεύματος αἰωνίου) ; v. 15 : causatif intentionnel (διὰ τοῦτο ἐστίν) ; cf. Garuti, « Polisemia culturale e linguaggio religioso ».

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satif intentionnel », introduisant une deuxième détermination adverbiale de l’action exprimée par le verbe ἀποστέλλω. La première détermination étant εἰς διακονίαν (au service) il est légitime de se demander qui sont ces « futurs héritiers du salut » au service desquels sont envoyés les anges : le peuple de la première alliance ? le messie ? ceux qui l’ont suivi ? Si nous prenons au sérieux la dépendance de He 1,14 et, surtout, de He 5,7– 10, du texte de 2 M 11,6, le messie et ses fidèles constituent les meilleurs candidats : ce sont eux qui obtiennent la σωτηρία. He 5,7–10 lie à l’obéissance du fils le fait d’avoir été exaucé par Celui qui « pouvait le sauver de la mort », et à l’obéissance au fils le salut dans l’éon pour ses fidèles : « il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent cause d’un salut éternel (αἴτιος σωτηρίας αἰωνίου) ».21 Le thème du messie héritier a déjà été introduit, en effet, dans l’incipit de la lettre en He 1,1–2.4 : Ce Dieu qui avait, à maintes reprises et sous maintes formes, parlé jadis aux pères par les prophètes, à l’extrême de ces jours, il nous a parlé par un fils, qu’il a établi héritier de toutes choses (ὃν ἔθηκεν κληρονόμον πάντων), par qui aussi il a fait les éons […] (ce fils est) devenu d’autant supérieur aux anges que le nom dont il a hérité (κεκληρονόμηκεν ὄνομα) est incomparable au leur.

L’héritage ne dérive pas d’une filiation simplement naturelle, mais d’un testament en bonne et due forme. Il est notoire que Hébreux exploite les polysémies du nom διαθήκη et du verbe διατίθημι,22 au point d’attribuer à la même personne morale (le messie, χριστός) et concrète (Jésus de Nazareth) des titres apparemment inconciliables tels que ἔγγυος, « garant » (He 7,22, hapax NT), μεσίτης, « médiateur, intermédiaire » (He 8,6 ; 9,15 ; 12,24) et διαθέμενος, « testateur » (He 9,16–17). Il n’y aurait pas lieu de s’en étonner compte tenu de l’histoire rédactionnelle complexe de l’épître et d’autres cas manifestes de mutation interne dans la signification de certains lexèmes, même d’un certain poids.23 Mais cette mutation se produit dans la même péricope. Voici comment la Bible de Jérusalem traduit διαθήκη et διατίθημι en He 9,15–18 : Voilà pourquoi il est médiateur d’une nouvelle alliance (διαθήκης καινῆς μεσίτης), afin que, sa mort ayant eu lieu pour racheter les transgressions de la première alliance (ἐπὶ τῇ πρώτῃ διαθήκη), ceux qui sont appelés reçoivent l’héritage éternel promis. Car là où il y a testament (διαθήκη), il est nécessaire que la mort du testateur (τοῦ διαθεμένου) soit constatée. Un testament (διαθήκη), en effet, n’est valide qu’à la suite du décès, puisqu’il 21 Cf.

Garuti, « La cohérence des images de Hb 5,1–10 ». Cf. Jr 38,33LXX , cité en He 8,10 et 10,16. Par exemple : ὑπόστασις : « substance » (He  1,3 ; 11,1) ou « patience » (He  3,14) ; ὑπόδειγμα : « reproduction » (He 8,5 ; 9,23) ou « modèle à (ne pas) reproduire » (He 4,11) ; παραβολή : « figure prophétique » (He 9,9) ou « signe confirmatoire » (He 11,19). Cf. Garuti, « Alcune strutture argomentative nella Lettera agli Ebrei ». 22  23 



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n’entre jamais en vigueur tant que vit le testateur (διαθέμενος). De là vient que même la première alliance (ἡ πρώτη [διαθήκη]) n’a pas été inaugurée sans effusion de sang.

Nous avons consacré plusieurs études récentes à ce texte et à sa réception dans l’Église byzantine,24 et nous sommes convaincus que la meilleure traduction de μεσίτης est « héritier intermédiaire » et que l’ἔγγυος (He 7,22) est l’emptor familiae : l’acheteur fictif dont parle Gaius, qui permettait de faire sortir l’héritage de la lignée légitime, pour en faire bénéficier d’autres personnes inscrites dans le testament. Cet acheteur, selon la procédure dite per aes et libra, pouvait être aussi l’héritier « naturel », qui s’engageait ainsi à distribuer les biens du premier testateur selon la volonté de celui-ci.25 Si tel est le cas, on comprend bien l’expression de He 1,2 : ὃν ἔθηκεν κληρονόμον πάντων. La bonne question n’est pas de se demander quand Dieu a « établi comme héritier » le fils, si ab aeterno ou dans l’histoire, mais où il est écrit qu’il est l’héritier « de tout » : si la première alliance constitue aussi l’ancien testament il faut que son texte établisse d’abord l’identité de cet emptor familiae, puis l’héritage sur lequel il pourra exercer son pouvoir et, enfin, avec qui il devra le partager. Le texte « prophétique », le πρόσταγμα,26 qui indique explicitement ces éléments est Ps 2,7cd-8LXX , dont la première partie est citée en He 1,5 (cf. 5,5) : « Auquel des anges, en effet, [Dieu] a-t-il jamais dit : ‘Tu es mon fils : aujourd’hui je t’ai engendré ?’ (Ps 2,7cd) Et encore : ‘Je lui serai père, et il me sera fils’ (2 S 7,14) ? » (He 1,5). Le psaume établit dans la suite immédiate, au v. 8, les termes de l’héritage : « Demande et je te donnerai des nations (ἔθνη) pour ton héritage (τὴν κληρονομίαν σου), pour ton domaine (τὴν κατάσχεσίν σου) les extrémités de la terre » (Ps 2,8LXX ). La technique du « verset caché » est un recours à l’encyclopédie typique de l’épître aux Hébreux. Toujours en citant Ps 2LXX , nous lisons en He 5,5–6 : De même ce n’est pas le messie qui s’est attribué la gloire de devenir grand prêtre, mais celui qui lui a dit : « Tu es mon fils : aujourd’hui, je t’ai engendré » (Ps 2,7LXX ), il dit encore dans un autre [texte] (καθὼς καὶ ἐν ἑτέρῳ λέγει) : « Tu es prêtre pour l’éon, selon l’ordre de Melchisédech » (Ps 109,4LXX ).

Le lien entre Ps 2,7LXX et Ps 109,4LXX est assuré par Ps 109,3LXX : ἐκ γαστρὸς πρὸ ἑωσφόρου ἐξεγέννησά σε (« du ventre avant (le) Lucifer je t’ai engendré »). Le « verset caché » n’est évoqué que par καθὼς καί, « comme aussi … », mais la lecture messianique du Ps 109LXX est assez connue pour que nous lisions le καί comme un appel aux connaissances partagées par les lecteurs. D’ailleurs, 24  Garuti, « Gesù ‘testatore’ della nuova alleanza nella Lettera agli Ebrei » ; Garuti, « Il Giudeo cartofilace ». 25  Gaius, Institutes 2,102–103 : namque olim familiae emptor, id est qui a testatore familiam accipiebat mancipio, heredis locum optinebat, et ob id ei mandabat testator, quid cuique post mortem suam dari uellet; nunc uero alius heres testamento instituitur, a quo etiam legata relinquuntur, alius dicis gratia propter ueteris iuris imitationem familiae emptor adhibetur. 26  Ps 2,7aLXX . Dans Ps 104,10LXX , par exemple, πρόσταγμα est synonyme de διαθήκη.

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une exégèse combinée des Ps 2, 8 et 109LXX se lit déjà chez le Paul authentique, en 1 Co 15,22–28.27 Dans ce cadre, on comprend aussi le titre de πρωτότοκος donné au messie en He 1,6 (cf. Rm 8,29).28 Le vrai scandale, pour Hébreux, est la mort du fils comme condition du partage de son héritage à l’intérieur de la familia (ἔθνη, des peuples) dont il a luimême hérité. Cela s’explique par l’inauguration du premier testament. He 9,18 affirme : « De là vient que même le premier testament (ἡ πρώτη [διαθήκη]) n’a pas été renouvelé (ἐγκεκαίνισται) sans effusion de sang. » On traduit habituellement ἐγκεκαίνισται avec « être inauguré », mais cela signifie accentuer, peut-être outre mesure, le fait que l’épître aux Hébreux ne cite pas l’alliance avec Abraham, même si elle évoque les promesses faites au patriarche et le serment divin qui les accompagne (He 6,13). Toutefois, dans le deuxième chapitre de l’épître, après avoir lu la longue exégèse du Ps 8, l’alliance avec Abraham semble évoquée par le v. 16 qui, à notre avis, ne peut être compris qu’en ayant encore une fois recours à la connaissance que les lecteurs ont de la pensée de Paul de Tarse : « Car ce n’est pas des anges qu’il prend soin, mais c’est de la semence d’Abraham (σπέρματος Ἀβραάμ) qu’il prend soin » (He 2,16). Ce verset est très discuté,29 mais nous pensons qu’il faut le lire à la lumière de Ga 3,16.29 : Mais c’est à Abraham que furent prononcées les promesses et à sa semence (καὶ τῷ σπέρματι αὐτοῦ). Il ne dit pas : et à ses semailles, comme s’il s’agissait de plusieurs, mais comme d’un seul : et à ta semence, c’est-à-dire au messie. […] Mais si vous êtes du messie, vous êtes semence d’Abraham (τοῦ Ἀβραὰμ σπέρμα), héritiers selon la promesse (κατ’ ἐπαγγελίαν κληρονόμοι).

Pour Hébreux la mort du messie s’explique déjà par le fait que le texte du Pentateuque montrait que le renouvellement de ce testament au temps de l’exode fut établi dans le sang et il scella la libération du peuple. Ainsi, la mort du messie testateur comporte la libération de ceux qui étaient liés par les transgressions de la première alliance : εἰς ἀπολύτρωσιν τῶν ἐπὶ τῇ πρώτῃ διαθήκῃ παραβάσεων (He 9,15). 27 Cf. Garuti, Avant que se lève l’étoile du matin. Le verbe ἐκγεννάω de Ps 109,3LXX est un hapax dans la Septante. 28  Le mot n’a pas ici le sens christo-cosmique qu’on peut retrouver en Col 1,15.18, puisque l’épître connaît une « assemblée des premiers-nés dont les noms sont inscrits dans les cieux » (He 12,23). Le célèbre testament per aes et libram d’Antonius Silvanus (FIRA. III,47 ; 142 ap. J.‑C.) imposait au fils, M. Antonius Satrianus, d’acheter les biens du père. Entre autres légats, il lui demandait d’affranchir l’esclave Cronion en payant la taxe prévue (tav. 3 uerso : Cronionem seruom meum post mortem meam, si omnia recte tractauerit et trad[id]erit heredi meo s[upra] s[cripto] uel procuratori, tunc liberum uolo esse uicesimamque pro eo ex bonis meis dari uolo). L’affranchissement ex testamento pouvait conduire à l’acquisition de la citoyenneté romaine, ou de la condition de peregrinus dediticius. Cf. Rouxel, Le testament d’Antonius Silvanus. 29  Gudorf, « Through a Classical Lens: Hebrews 2:16 », pense que le sujet d’ἐπιλαμβάνεται est la peur de la mort et donc que le verbe serait à traduire par « se saisit (des êtres humains) ». Toutefois, il n’explique pas pourquoi cette peur serait l’apanage exclusif des fils d’Abraham et non des fils d’Adam comme le suggère le Ps 8 commenté en ce chapitre de la lettre.



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Mais elle comporte aussi la libération de l’emprise du diable de tous ceux qui, de peur de la mort, étaient esclaves toute leur vie (He 2,17–18). Cette dimension « héroïque » des παθήματα du messie trouve sa justification ultime dans la condition humaine qu’il a partagée avec les autres « enfants » (He 2,14 : τὰ παιδία). Ce sont eux qui « sont destinés à hériter d’un salut ».

4.  Remarques conclusives Hébreux ne nous dit pas en quoi consiste le service des anges aux héritiers du salut. En 2,4 la lettre affirme que la parole adressée à la génération de l’exode fut δι’ἀγγέλων λαληθείς, « dite par des anges » (cf. Ga 3,19). Toutefois, nous reste inconnue la forme de διακονία qu’ils exercent en faveur des croyants. Le terme ἀποστελλόμενα est assez vague : même le messie est « apôtre (ἀπόστολος) et grand prêtre de notre profession de foi » (He 3,1). Abandonnés en He 2,16, ces êtres reviennent dans la description de la Jérusalem céleste (12,22–23) :30 ce sont les myriades de Dn 7,10 qui participent à la πανήγυρις (He 12,22) de la ville, mais seuls les esprits des justes sont τετελειωμένοι, c’est-à-dire habilités au culte en présence de Dieu.31 Que l’adjectif λειτουργικός cache en Hébreux l’idée d’une liturgie angélique dans la demeure de Dieu au-delà des cieux est pure spéculation. Le père Spicq dédie aux anges un long excursus de son monumental commentaire.32 Au passage, à propos de la πανήγυρις dans la Jérusalem céleste, il affirme à juste titre : Cette angélologie, qui ignore le gnosticisme, mais vise les spéculations juives contemporaines, est absolument conforme à l’enseignement biblique et notamment à celui de Jésus. Elle est indépendante des précisions pauliniennes des Épîtres de la captivité, et, si elle paraît plus proche de l’Apocalypse de S. Jean, elle demeure très sobre sur la liturgie céleste.33

L’identification d’une liturgie angélique n’est pas secondaire, en raison des conséquences sur l’interprétation théologique que l’épître a pu avoir dans le développement d’une ecclésiologie « sacerdotale ». Tout tourne autour d’un verset du 30  Cf. aussi He 13,2, mais ce n’est qu’un exemple : « Ne laissez pas de côté l’hospitalité, car, certains, sans le savoir, ont accueilli des anges grâce à elle. » 31 Cf. Peterson, Hebrews and Perfection, 167 : « The access to the heavenly sanctuary that is available for Christians to enjoy in the present (4:16; 7:25; 10:19 ff ) is the earnest of their ultimate transfer to the actual presence of God (6:19 f; 12:22 ff ). The sacrifice of Christ achieves all that is necessary for the enjoyment of eschatological blessing: cleansing, sanctification and glorification (2:10; cf. 9:15). Christians may penetrate the sanctuary of heaven by faith now, and ultimately in person in company with believers from all ages, thanks to ‘the new and living way’ opened by Christ in his death and exaltation. » Cf. aussi Vanhoye, « La ‘Teleiôsis’ du Christ ». 32  Spicq, L’Épître aux Hébreux, II, 50–61. 33  Spicq, L’Épître aux Hébreux, II, 60.

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huitième chapitre. Parlant des prêtres lévitiques, He 8,5 affirme en effet : « mais leur culte, ils le rendent à une copie, à une esquisse des réalités célestes (οἵτινες ὑποδείγματι καὶ σκιᾷ λατρεύουσιν τῶν ἐπουρανίων). » La traduction de la TOB que nous avons reproduite pour He 8,5 est sans doute la meilleure puisqu’elle limite la λατρεία au sanctuaire terrestre, copie des réalités célestes, mais ne parle pas d’un culte céleste dont le culte lévitique serait une copie, et qui ne saurait être célébré que par des anges. Par une sorte de propriété transitive, si le culte du grand prêtre de Jérusalem et de ses acolytes, prêtres et lévites, est une copie de la liturgie angélique, et si le messie Jésus, monté au ciel, est désormais le vrai grand prêtre, le culte célébré dans son corps mystique, l’Église, peut légitimement reproduire le modèle angélique, censé avoir des caractéristiques semblables au culte lévitique. À partir du De baptismo de Tertullien,34 en effet, la structure hiérosolymitaine – grand prêtre, prêtres et lévites – est utilisée comme modèle de la hiérarchie chrétienne : évêques, presbytres, diacres. Mais, par exemple, la première prière eucharistique, le Canon Romanus, dessine une « descendance sacerdotale » non lévitique, tirée évidemment de l’épître aux Hébreux : Supra quæ propitio ac sereno vultu respicere digneris, et accepta habere, sicuti accepta habere dignatus es munera pueri tui iusti Abel, et sacrificium patriarchæ nostri Abrahæ: et quod tibi obtulit summus sacerdos tuus Melchisedech, sanctum sacrificium, immaculatam hostiam.35

Se demander qui constitue le peuple de la nouvelle alliance, correspond à se demander qui sont les destinataires de l’épître. He 11,39–40 termine l’éloge des héros de la première alliance par l’affirmation suivante : « Et tous ceux-là, qui ont reçu un témoignage pour leur foi, ne bénéficièrent pas de la promesse : Dieu prévoyait pour nous mieux encore, pour qu’ils ne parviennent pas sans nous à l’accomplissement (τελειωθῶσιν). » Ce dernier extrait montre bien que, pour cette école (dans la mouvance de Paul, mais capable d’en élaborer les lieux théologiques d’une façon nouvelle), le mystère d’un seul peuple de Dieu s’est accompli. La σωτηρία, le « salut » dont ce 34  Tertullien, De baptismo XVII : dandi quidem habet jus summus sacerdos, qui est episcopus dehinc presbyteri et diaconi, non tamen sine episcopi auctoritate […] ; Clément de Rome, Première épître XL,5 (τῷ γὰρ ἀρχιερεῖ ἴδιαι λειτουργίαι δεδομέναι εἰσὶν καὶ τοῖς ἱερεῦσιν ἴδιος ὁ τόπος προστέτακται καὶ λευΐταις ἴδιαι διακονίαι ἐπίκεινται· ὁ λαϊκὸς ἄνθρωπος τοῖς λαϊκοῖς προστάγμασιν δέδεται), est souvent citée comme premier exemple de ce transfert lexical (cf. Denzinger-Schönmetzer, 101–102) mais il s’agit des sacrifices juifs (cf. XLI,2 : οὐ πανταχοῦ, ἀδελφοί, προσφέρονται θυσίαι ἐνδελεχισμοῦ ἢ εὐχῶν ἢ περὶ ἁμαρτίας καὶ πλημμελείας, ἀλλ’ ἢ ἐν Ἱερουσαλὴμ μόνῃ). 35  « Daigne jeter un regard propice et favorable, Seigneur, sur ces [offrandes], et les rendre agréables, comme tu daignas rendre agréables les dons de ton serviteur Abel le juste, le sacrifice de notre patriarche Abraham et ce que t’offrit ton pontife suprême Melchisedech, un sacrifice saint, une victime immaculée » (trad. : Smyth, « Heurs et malheurs de l’antique prière eucharistique romaine »).



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peuple doit hériter, a dans le messie son ἀρχηγός, « chef » (He 2,10). Le même est ἀρχηγός de la foi (He 12,2). Dans les deux passages, l’ἀρχηγός est tenu de faire face à la souffrance : Il convenait, en effet, à celui pour qui (est) toute chose et par qui (est) toute chose, de mener à l’accomplissement par des preuves douloureuses (διὰ παθημάτων τελειῶσαι) le chef du salut (ἀρχηγὸς τῆς σωτηρίας αὐτῶν), pour qu’il conduise à la gloire une multitude de fils.36 (He 2,10) Fixant les regards sur celui qui est le chef et l’accomplisseur de la foi (τὸν τῆς πίστεως ἀρχηγὸν καὶ τελειωτὴν) […] lui qui a enduré la croix. (He 12,2)

Ce langage est compréhensible à partir des histoires héroïques de l’Ancien Testament, mais aussi de ces chefs fondateurs qui avaient guidé des peuples au salut. La sybille de Cumes dit à Énée, au terme de sa prophétie dans le sixième livre de l’Énéide : tu ne cede malis, sed contra audentior ito, / qua tua te Fortuna sinet. Via prima salutis / (quod minime reris) Graia pandetur ab urbe.37 Le chemin du salut n’est pas celui d’un héros solitaire, tel Ulysse, mais celui d’une multitude destinée à fonder une ville.38

Bibliographie Fontanier, Pierre, Les Figures du discours (Science Flammarion), Paris : Flammarion, 1968. Garuti, Paolo, « Alcune strutture argomentative nella Lettera agli Ebrei », Divus Thomas 98 (1995), 197–224. Garuti, Paolo, Avant que se lève l’étoile du matin. L’imaginaire dynastique du Psaume 110 entre judaïsme, hellénisme et culture romaine (Cahiers de la Revue Biblique 73), Pendé : Gabalda, 2010. Garuti, Paolo, Studi sulla Lettera agli Ebrei. Alcuni sviluppi dottrinali di scuola paolina riletti in prospettiva storico letteraria e storico antropologica (Eb 1,1–2 – 4,12–13 – 9,1–5 – 9,14 – 10,29) (Cahiers de la Revue Biblique 80), Pendé : Gabalda, 2012. Garuti, Paolo, « La cohérence des images physiques dans le Miserere (Ps 51 et Ml 2,15) », Revue Biblique 123 (2016), 5–28. Garuti, Paolo, « La cohérence des images de Hb 5,1–10 et le concept de εὐλάβεια en Platon, Plutarque et Porphyre », Revue Biblique 123 (2016), 217–229. 36 Cf. Garuti, Studi sulla Lettera agli Ebrei, 163–167. 37  Virgile, Énéide VI,95–98 : « Toi, ne cède pas aux malheurs,

mais au contraire va désormais avec plus d’audace que ta Fortune ne te le permettra. La première voie du salut, tu n’y comptes pas du tout, une ville grecque te l’ouvrira. » 38  Nous partageons l’opinion de Robert Turcan, rapportée dans Paratore, « Motivi soteriologici nella letteratura latina », 348 : « L’Énéide c’est l’histoire du salut de la nation troyenne, c’est-à-dire de la descendance romaine. Autrement dit, il s’agit d’un salut national, Salus populi Romani, qui reste la suprema lex de l’Énéide. Et je pense que chez Virgile la doctrine du salut individuel, du salut personnel est très difficile à cerner. »

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Les anges dans l’Apocalypse de Jean Jacques Descreux L’Apocalypse de Jean présente 67 occurrences du terme ἄγγελος. Si le lexème désigne un « messager », la tradition juive, dans laquelle s’inscrit l’Apocalypse, l’utilise pour les messagers divins, les « anges ». Curieusement, la riche angélologie de l’Apocalypse n’a pas fait l’objet d’enquête exhaustive à notre connaissance. En dehors du traitement bref que lui accordent parfois des commentaires,1 trois questions ont suscité la plupart des travaux récents : qui sont les ἄγγελοι des Églises en Ap 2–3 ?2 La christologie de l’Apocalypse est-elle angélomorphe ?3 L’œuvre polémique-t-elle contre un culte des anges ?4 Comment se fait-il que les anges, si présents dans l’Apocalypse, n’aient pas attiré davantage et pour eux-mêmes l’attention des exégètes ? Notre étude cherchera à répondre à cette question, au-delà d’une première réponse qui pourrait être qu’à l’exception des ἄγγελοι des Églises, les anges de l’Apocalypse sont des personnages plats et statiques, c’est-à-dire sans épaisseur, sans complexité, n’évoluant pas au cours de l’intrigue. Ils présentent néanmoins une certaine diversité. Comment l’œuvre les conçoit-elle ? Qu’est-ce qui les caractérise, en quoi se distinguent-ils des autres personnages du récit, notamment du Christ, des autres êtres célestes et des humains ? Après avoir considéré leur apparence et le rang qu’ils occupent dans la hiérarchie des êtres, nous passerons en revue leurs différentes fonctions pour tenter de saisir leur spécificité, la raison de leur présence dans l’univers symbolique de l’œuvre.

1. Apparence Au seuil de l’enquête, relevons ceci : si l’on excepte la mention d’un ange dans le titre de l’œuvre (1,1), c’est Jean, l’épistolier, qui voit et entend les anges qui interviennent dans le récit, ou qui entend des personnages célestes en parler.5 Or 1 Ainsi Smalley, The Revelation to John, 28–30. 2  Voir l’état de la recherche établi par Ferguson,

« Angels of the Churches ». Rowland, « The Vision of the Risen Christ » ; Gundry, « Angelomorphic Christology » ; Carrell, Jesus and the Angels ; Huber, Einer gleich einem Menschensohn ; Ulfgard, « In Quest of the Elevated Jesus ». 4 Voir Bauckham, « The Worship of Jesus » ; Stuckenbruck, Angel Veneration and Christology. 5  Ainsi le Christ en 1,20 ; 2,1.8.12.18 ; 3,1.5.7.14 ; 22,16, un aigle en 8,13, ou un autre ange en 10,7 ; 14,10 ; 22,6. 3 Voir

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Jean ne perçoit les uns et les autres qu’à partir du moment où il se trouve « en Esprit » ; l’expression ἐγενόμην ἐν πνεύματι introduit en effet en 1,10 la vision inaugurale de 1,9–3,22 et en 4,2 une série de visions dont le récit s’achève en 22,16.6 Elle signifie que le visionnaire est sous la mouvance de l’Esprit qui inspire les prophètes.7 Cet état paraît requis pour appréhender des réalités célestes telles que les anges. À quoi ressemblent les anges ? Ils ont une tête (10,1), une face (7,11 ; 10,1), une poitrine (15,6), des mains (10,2.5.8.10)8 et deux pieds (10,1–2 ; 19,10 ; 22,8) et ils sont habillés (10,1 ; 15,6). On pourrait imaginer des créatures anthropomorphes, mais ils peuvent voler (14,6), ont une taille bien supérieure à celle des humains9 et sont dotés d’une force prodigieuse (18,21). Un ange est décrit de façon plus détaillée en Ap 10,1–2 : 10 1 Et je vis un autre ange puissant descendant du ciel vêtu (d’)une nuée, et (il y a) l’arcen-ciel [ἶρις]10 sur sa tête et sa face (est) comme le soleil et ses pieds (sont) comme des colonnes de feu, 2 et ayant dans sa main un livret ouvert. Et il posa son pied droit sur la mer, mais le gauche sur la terre.

La description fait appel aux éléments du cosmos : une nuée et l’arc-en-ciel parent l’ange dont la face et les jambes ont respectivement l’aspect du soleil et du feu. Sa posture exprime son autorité sur l’ensemble du monde d’en bas, terre et mer. Le recours aux éléments et phénomènes de la Création pour décrire l’ange pourrait suggérer un rapport à éclaircir avec ces réalités.

2.  Position dans la hiérarchie des êtres À partir de 4,2, Jean est admis près du trône divin. Il découvre alors un espace où les êtres sont tous situés par rapport à ce trône et participent à une liturgie céleste qui ponctue le récit jusqu’en 19,10. « Les sept Esprits de Dieu » sont devant le trône (4,5 ; cf. 1,4), tandis que les autres êtres se tiennent en cercles concentriques autour du trône : quatre Êtres vivants sont « au milieu du trône et autour du trône » (4,6), vingt-quatre Anciens siègent « autour du trône » (4,4). Une foule d’anges forme un cercle plus large : « Et je vis, et j’entendis (la) voix de nombreux 6  García Ureña, Narrative and Drama, 26–29, montre que 22,6–16 constitue l’épilogue des visions. 7 Voir de Smidt, « The Holy Spirit ». 8  Ap 5,1 évite significativement de prêter une « main » à Dieu, parlant de sa « droite ». 9  Ap 21,17 précise, au sujet du rempart de la Jérusalem nouvelle qu’un ange mesure en coudées, qu’il s’agit d’« une mesure d’homme, c’est-à-dire d’ange ». Si, dans l’au-delà que figure la cité, les humains auront une taille semblable à celle des anges, cela suggère qu’en ce monde, leur taille est bien inférieure à la leur. 10  L’article défini milite pour donner à ἶρις le sens d’arc-en-ciel plutôt que de halo lumineux.



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anges tout autour du trône et des Êtres vivants et des Anciens − et leur nombre était des myriades de myriades et des milliers de milliers » (5,11 ; cf. aussi 7,11). En Ap 5, l’Agneau, figure du Christ, est investi pour ouvrir un livre scellé. Cela déclenche une onde de louanges qui se propage du plus près du trône à la sphère mondaine :11 Êtres vivants et Anciens tombent devant l’Agneau (5,8), les Anciens le louent (5,8–10), puis les anges (5,11–12), et enfin « toute créature qui (est) dans le ciel et sur la terre et en-dessous de la terre et sur la mer et tout ce qui y (est) » (5,13). Ainsi, des Êtres vivants jusqu’aux créatures terrestres, en passant par les anges (5,12 ; 7,12), tous, à l’exception des sept Esprits, louent Dieu et l’Agneau, ce qui signe leur statut de créatures. Le fait que l’Agneau a été jugé digne d’ouvrir le livre scellé, alors que personne n’avait la dignité requise « dans le ciel ni sur la terre ni en-dessous de la terre », a montré qu’il ne fait pas nombre avec les créatures, en particulier avec les anges (5,1–5).12 Dans les cours royales, le degré de proximité avec le trône reflète la hiérarchie des courtisans. Les sept Esprits, les Êtres vivants et les Anciens forment-ils des classes angéliques dont la dignité l’emporte sur celle des autres anges ? Certains auteurs13 tiennent les Esprits pour des anges éminents aux motifs suivants : le terme « esprit » peut désigner des anges (Ps 104[103],4 ; Jubilés 2,2 ; 1QM XII, 8–9 ; He 1,7.14) et la mise en parallèle en 3,1 des Esprits et des étoiles représentant les anges des Églises (cf. 1,20) appuierait cette identification ; plusieurs traditions juives dénombrent sept anges éminents (1 Hénoch 20,1–7 ; 90,21–22 ; 2 Hénoch 19,2 ; Tb 12,15), se tenant, comme les Esprits (1,4 ; 4,5 ; 5,6), devant Dieu et réalisant des missions sur la terre ; enfin, Lc 9,26 et 1 Tm 5,21 attestent que des anges peuvent être mentionnés aux côtés de Dieu et du Christ dans un contexte eschatologique comme le sont les Esprits en 1,4. D’autres auteurs estiment, pour leur part, que les sept Esprits représentent l’Esprit Saint dans sa plénitude.14 En Za 4,6, un ange interprète en effet la vision du lampadaire à sept torches entre deux oliviers – vision qui inspire dans l’Apocalypse l’association des sept Esprits à « sept torches de feu brûlant devant le trône » (4,5) ainsi qu’aux « sept yeux » de l’Agneau (5,6) – en mettant en exergue l’Esprit de Dieu. De plus, les sept Esprits sont la source, avec Dieu et le Christ, de la bénédiction appelée sur les destinataires de l’œuvre (1,4), ce qui décline les formules épistolaires chrétiennes primitives qui convoquent Dieu, l’Esprit Saint et le Christ (2 Co 13,13 ; 1 P 1,2). Cet argument, s’ajoutant au fait que les sept Esprits ne se joignent pas à l’adoration rendue par toutes les créatures à Dieu et à l’Agneau en Ap 4–5, conduit à les tenir 11  Dans cette contribution, l’adjectif « mondain » renvoie au domaine de l’immanent, par opposition à « céleste ». 12  Bauckham, « The Worship of Jesus », 136. 13 Ainsi Aune, Revelation 1–5, 40 ; Murphy, Fallen is Babylon, 68–70 ; Koester, Revelation. A New Translation with Introduction and Commentary, 216. 14 Ainsi Bauckham, La théologie de l’Apocalypse, 128–133 ; de Smidt, « The Holy Spirit », 241 ; Prigent, L’Apocalypse de Saint Jean, 88 ; Smalley, The Revelation to John, 33–34.

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pour divins, d’autant que, si l’Apocalypse met en scène des archanges, ceux-ci seraient plutôt « les sept anges qui se tiennent devant Dieu » de 8,2.15 Les images de l’Apocalypse sont fluides et polysémiques. Si la pluralité des Esprits suggère des êtres autonomes, leur groupe représente la plénitude de l’Esprit Saint, l’influence de Za 4 (plutôt que d’Is 11,2–3LXX ) expliquant leur nombre. Les Êtres vivants, décrits en 4,6–8, sont au nombre de quatre, nombre qui renvoie, dans l’Apocalypse, à la Création (cf. les quatre coins de la terre en 7,1 ; 20,8 ou les zones du cosmos en 8,7–12 ; 14,7 ; 16,2–8).16 À la différence des chérubins d’Ez 1 et 10 dont ils s’inspirent, ils n’ont ni forme humaine, ni quatre faces différentes, mais sont assimilés respectivement à un lion, un taurillon, un homme et un aigle, soit aux plus puissants des êtres animés des différents ordres : animaux sauvages, animaux domestiques, humains et oiseaux. Leurs six ailes et leur proclamation du trisagion les apparentent aux séraphins d’Is 6, tandis que leurs multiples yeux les rapprochent des roues ocellées qui accompagnent les chérubins d’Ézéchiel. Des traditions juives tiennent ces roues (ophanim) pour des êtres célestes aux côtés des chérubins et des séraphins (1 Hénoch 61,10 ; 71,7 ; 4Q403 fr 1 II 15). Synthèse de ces trois catégories traditionnelles d’êtres célestes liés au trône divin, les Êtres vivants sont les représentants célestes des créatures animées. De leur côté, les vingt-quatre Anciens, vêtus de blanc, arborant des couronnes d’or et siégeant sur des trônes (4,4), ont des points communs avec les anges. Dieu est traditionnellement entouré d’un conseil angélique, la littérature juive et chrétienne présente des anges habillés de blanc et les Anciens de l’Apocalypse assument des fonctions analogues à celles des anges : interpréter une vision (7,14– 17 ; cf. 17,7–18), présenter les prières des justes à Dieu (5,8 ; cf. 8,3–5). Toutefois, ils doivent en être distingués. En effet, le terme πρεσβύτεροι, qui évoque ceux qui exercent un rôle dirigeant dans des communautés humaines, n’est pas usité pour des anges. Rares sont, dans la littérature juive ou chrétienne antique, les anges couronnés ou siégeant sur des trônes ; ils se tiennent habituellement debout en présence de Dieu. Les attributs des Anciens, vêtements blancs, trônes et couronnes, récompensent les élus en 2,10 ; 3,4–5.21 ; 6,11 ; 7,9, ce qui relève d’un motif traditionnel.17 Aussi faut-il les considérer comme des représentants glorifiés de l’humanité fidèle.18 15  Des

auteurs pensent que les anges de 8,2 sont les sept Esprits (ainsi Koester, Revelation. A New Translation with Introduction and Commentary, 216), mais Bauckham, La théologie de l’Apocalypse, 128, fait valoir avec raison que les anges de 8,2 et les Esprits sont évoqués en termes très différents. 16  Sur les Êtres vivants, nous suivons Bauckham, « Creation’s Praise of God », 58–60. Voir aussi Carrell, Jesus and the Angels¸ 140–144. 17 Cf. 1  Hénoch 108,12 ; Testament de Job 33,2–3 ; Apocalypse d’Élie 1,9 ; 1QS IV 7 ; Mt 19,28 ; Lc 22,30 ; Ascension d’Isaïe 9,12. 18 Ainsi Hurtado, « Revelation  4–5 », 109–115 ; Smalley, The Revelation to John, 118 ;



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Si Jean, au ciel, voit et entend les anges (καὶ εἶδον καὶ ἤκουσα, 5,11), il ne peut qu’entendre les créatures mondaines (ἤκουσα, 5,13), ce qui marque leur éloignement. Pour accéder à l’espace du trône, il a dû monter (4,1), ce qui situe probablement le ciel, la terre, les régions sous la terre et la mer où vivent les créatures mondaines (5,13) sous cet espace. En définitive, si l’organisation de l’espace correspond à la hiérarchie des êtres, les anges occupent une position subtile : leur statut est supérieur à celui des créatures mondaines, mais, dans le dessein de Dieu reflété par l’espace céleste, ils sont inférieurs aux représentants des créatures animées et des élus (Êtres vivants et Anciens) ; les Anciens siègent sur des trônes comme des conseillers autour d’un monarque, tandis que les anges se tiennent debout, comme des serviteurs prêts à exécuter ses ordres.

3.  Représentants de réalités mondaines Si les Êtres vivants et les Anciens agissent et s’expriment au nom respectivement des créatures animées et de l’humanité fidèle, les anges assumeraient-ils une fonction de ce type ? Plusieurs exemples sont ici à convoquer. 3.1.  La représentation des Églises Dans la vision inaugurale, l’être semblable à un fils d’homme tient sept étoiles qu’il identifie aux « ἄγγελοι des sept Églises » (1,20), puis dicte à Jean un message pour chacun d’eux (2–3). Si les messages oscillent entre l’emploi du « tu », qui s’adresse aux ἄγγελοι, et du « vous » qui vise les Églises ou certains de leurs membres, ce qui est dit d’un ἄγγελος se réfère toujours à son Église. D’ailleurs, la formule conclusive des messages indique qu’ils s’adressent aux Églises (2,7.11.17.29 ; 3,6.13.22). Les ἄγγελοι les représentent. Certains auteurs les tiennent pour des messagers humains, d’autres pour des anges.19 Les arguments les plus forts appuient la seconde hypothèse : il est traditionnel que des étoiles représentent des êtres célestes (Jg 5,20 ; Jb 38,7LXX ; Dn 8,10 ; 1 Hénoch 86,1.3) et le terme ἄγγελος, dans toutes les autres occurrences de l’Apocalypse, désigne sans conteste des anges. On les conçoit alors soit sur le modèle des anges protecteurs des nations (Dt 32,8LXX ; Dn 10,13.21),20 soit comme des contreparties célestes des Églises signifiant leur dimension transcendante ;21 Koester, Revelation. A New Translation with Introduction and Commentary, 362 et 368. Sur les diverses identifications des Anciens : Aune, Revelation 1–5, 288–291. 19  Ferguson, « Angels of the Churches » offre un bon état de la question. 20 Ainsi Stuckenbruck, Angel Veneration and Christology, 234–238 ; Carrell, Jesus and the Angels¸ 20–21, Murphy, Fallen is Babylon, 99–100. 21 Ainsi Charles, A Critical and Exegetical Commentary, I, 34 ; Smalley, The Revelation to John, 58.

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quoiqu’aucune de ces deux hypothèses n’ait de parallèle strict dans la littérature juive antique, les anges représentent assurément les Églises. Martin Karrer relève que quelques grands témoins textuels (A et C) laissent entendre en 2,1.18 que l’ἄγγελος appartient à la communauté terrestre et il rappelle que, dans le milieu culturel de l’Apocalypse, des individus pouvaient être pris pour des ἄγγελοι d’une divinité (souverains, poètes, philosophes …).22 Pour lui, les ἄγγελοι des Églises désigneraient dans la sphère céleste les anges des communautés qui seraient en même temps, sur terre, des personnes charismatiques tenues pour responsables de leurs Églises.23 En voulant honorer les incertitudes textuelles, Karrer est conduit à une hypothèse (trop) alambiquée, mais il ressort de celle-ci et de l’histoire de la recherche que l’on a fréquemment identifié les ἄγγελοι des Églises à des humains. 3.2.  La représentation de la Création En Ap 16, sept anges munis de coupes les répandent en divers points de la Création provoquant des fléaux. Le troisième verse la sienne sur les fleuves et les sources. Il advient alors du sang, ce qui suscite une double réaction : 16 5 Et j’entendis l’ange des eaux dire : « Tu es juste, Celui qui est et qui était, le Saint, parce que tu jugeas cela. 6 Parce qu’ils versèrent du sang de saints et prophètes, du sang aussi tu leur as donné à boire, ils (en) sont dignes. » 7 Et j’entendis l’autel dire : « Oui, Seigneur, Dieu, le Maître de tout, vrais et justes (sont) tes jugements ! »

Dans ce passage, l’ange des eaux, malgré sa première apparition, paraît déjà connu (cf. l’article défini). Des traditions juives montrent des anges préposés aux activités ou à des domaines de la Création, sous l’autorité divine.24 Dans ce cadre, « l’ange des eaux » est celui qui a juridiction sur les eaux douces.25 L’ange s’exprime en leur nom, comme leur représentant. Alors qu’elles viennent de subir une pollution analogue à la première plaie d’Égypte (Ex 7,17–21), il ne se plaint ni ne s’insurge, mais loue Dieu pour la justice qu’il rend ainsi aux saints et aux prophètes : la justice est de punir les meurtriers par où ils ont sévi,26 au sang versé du crime répond le sang donné à boire.27 L’ange des eaux aligne son point de vue sur celui des martyrs : ses propos reprennent des expressions de l’hymne que chantent en 15,3–4 les « vainqueurs de la Bête », à savoir ceux 22  23 

K arrer, Johannesoffenbarung, 283–287. Des commentateurs ont identifié les ἄγγελοι aux porteurs humains des messages, mais le texte les place en position de destinataires. 24  1 Hénoch 60,11–22 ; 65,8 ; 75,3 ; 2 Hénoch 4–6 ; 19,3–5 ; Jubilés 2,2 ; 1 QH I 11–13. 25  1 Hénoch 66,1–2 évoque des anges de la puissance des eaux souterraines qui sont des anges du châtiment. 26  Cf. Sg 11,16 ; 2 M 5,10 ; 13,8 ; Testament de Gad 5,10 ; Livre des Antiquités bibliques 44,10. 27  Pour une justification de cette interprétation, voir Smalley, The Revelation to John, 403–404.



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qui ont résisté à l’incarnation satanique de l’Empire au péril de leur vie28 tandis que l’autel, qui représente par métonymie les âmes des martyrs (cf. 6,9),29 confirme aussitôt l’appréciation de l’ange (16,7). L’ange des eaux, porte-parole devant Dieu d’une partie du cosmos, ne s’oppose pas à l’atteinte à son domaine car il épouse la cause d’une justice supérieure, celle qui doit être rendue aux serviteurs de Dieu persécutés. 3.3.  La représentation de créatures démoniaques Il est aussi des anges qui représentent des créatures démoniaques, tels les quatre anges « liés au grand fleuve Euphrate » (9,14). Dans les représentations juives ou gréco-romaines, l’Euphrate est une frontière au-delà de laquelle se trouvent des puissances étrangères.30 Les quatre anges sont captifs parce que probablement nuisibles (cf. 7,1 ; 9,2–3 ; 20,2).31 Lorsqu’ils sont libérés sur injonction d’une voix venant « des quatre cornes de l’autel d’or qui (est) devant Dieu », une cavalerie nombreuse et démoniaque tue le tiers des hommes (9,14–19). Le récit est elliptique à propos du rapport entre les cavaliers et les anges.32 Robert H. Charles l’interprète à la lumière de 1  Hénoch 56,5–6 où des anges du châtiment excitent les rois des Parthes et des Mèdes à envahir la terre des élus.33 L’Apocalypse dit seulement que les anges sont libérés « afin de tuer le tiers des hommes », ce qu’exécutent les chevaux de la cavalerie (9,15.18). Dire que les anges sont à la tête des cavaliers34 outrepasse le texte. Ils figurent plutôt les hordes de cavaliers : quand ils ne sont plus attachés à la frontière que constitue le fleuve, les armées qu’ils représentent se déchaînent. 28  Dans l’Apocalypse, la victoire sur les puissances démoniaques est synonyme de fidélité jusqu’au martyre (2,11 ; 5,5 ; 12,11). 29  L’autel qui s’exprime peut renvoyer à l’ange de 8,3–6 ou de 14,18, à la voix anonyme qui vient « des cornes de l’autel d’or » en 9,13, mais ses propos font écho aux martyrs sous l’autel demandant en 6,10 justice pour leur « sang » (« ἀληθιναί […] κρίσεις » en 16,7, « ἀληθινός […] κρίνεις » en 6,10), ce qui le rapproche plutôt de ces derniers (Giesen, Die Offenbarung des Johannes, 352 ; Koester, Revelation. A New Translation with Introduction and Commentary, 648) ; Aune, Revelation 6–16, 888, suivi par Smalley, The Revelation to John, 404, tient pour partitif le génitif « τοῦ θυσιαστηρίου » – « j’entendis (quelqu’un) de l’autel » – et estime que c’est l’un des martyrs qui s’exprime. 30  Gn 15,18 ; Dt 1,7 ; 11,24 ; Jos 1,4 ; 2 R 23,29 ; 1QM II 11 ; 1 Hénoch 56,5–6 ; Oracles sibyllins 4,120.139. 31  Des auteurs les assimilent à des anges déchus, ainsi Blount, Revelation. A Commentary, 182. 32  « There is an apparent gap in the narrative (or the narrative logic) between v 15 and v 16, for there is no obvious connection between the four angels whose task it is to kill one-third of all humanity and the ravages of the enormous demonic cavalry described in vv 16–19 […] except the repetition of the phrase ἀποκτείνειν τὸ τρίτον τῶν ἀνθρῶπων […] in vv 15 and 18 » (Aune, Revelation 6–16, 538). 33  Charles, A Critical and Exegetical Commentary, I, 250, suivi par Murphy, Fallen is Babylon, 246–247 ; Prigent, L’Apocalypse de Saint Jean, 245. 34 Ainsi Smalley, The Revelation to John, 237.

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Nous constatons que les anges peuvent représenter des réalités mondaines aussi diverses que des communautés ecclésiales, des éléments du cosmos ou des créatures démoniaques.

4.  Anges liturges Une foule d’anges loue Dieu et l’Agneau par des hymnes ou des acclamations en 5,8–14 ; 7,9–12. Leur présence élargit le cercle des adorateurs au-delà des créatures mondaines animées et de leurs représentants célestes. Assument-ils une fonction cultuelle spécifique ? Partons du cas de l’ange qui s’affaire à l’autel en Ap  8,3–5 : 8 3 Et un autre ange vint et se tint debout près de l’autel, ayant un encensoir d’or, et lui fut donné beaucoup de parfums afin qu’il (les) donne avec les prières de tous les saints sur l’autel d’or qui (est) devant le trône. 4 Et la fumée des parfums monta avec les prières des saints, de la main de l’ange, devant Dieu. 5 Et l’ange a pris l’encensoir et il le remplit du feu de l’autel et (le) jeta sur la terre. Et advinrent des tonnerres et des voix et des éclairs et un séisme.

Le jet de l’encensoir, qui suit l’offrande des parfums destinée à établir la communication avec Dieu,35 s’éclaire à la lumière d’Ez 10,2 où Dieu ordonne à un personnage céleste de prendre des braises du milieu du char divin pour les répandre sur la ville afin de signifier sa culpabilité et l’imminence de son châtiment. La manifestation de la puissance divine, que symbolisent les tonnerres, les voix, les éclairs et le séisme,36 annonce les fléaux que vont déclencher aussitôt après les anges trompettistes (8,6–9,21). Ils répondent aux prières des saints qui, grâce à l’ange, sont parvenues à Dieu.37 Ranko Stefanovic soutient que l’ange viendrait recevoir les parfums à l’autel terrestre de l’holocauste, sous lequel se tiendraient les âmes des martyrs (6,9– 10), pour les offrir à l’autel céleste des parfums, « l’autel d’or qui (est) devant le trône » (8,3).38 Il recueillerait sur terre la plainte des martyrs pour la porter à l’autel céleste afin qu’elle parvienne à Dieu. La distinction de deux autels en 8,3–5 est toutefois peu manifeste. Les commentateurs suivent plutôt Charles lorsqu’il montre que l’ensemble de l’œuvre (cf. 6,9 ; 8,3.5 ; 9,13 ; 11,1 ; 14,18 ; 35  Koester, Revelation. A New Translation with Introduction and Commentary, 433. 36  Sur ces phénomènes théophaniques dans l’Apocalypse, voir Bauckham, « The Escha-

tological Earthquake », 224–233. 37 Ainsi Bauckham, « The Eschatological Earthquake », 227 ; Aune, Revelation 6–16, 511 et 515 ; Giesen, Die Offenbarung des Johannes, 209 ; Murphy, Fallen is Babylon, 234–235 ; Prigent, L’Apocalypse de Saint Jean, 231–232 et 234 ; Blount, Revelation. A Commentary, 164 ; Koester, Revelation. A New Translation with Introduction and Commentary, 435. Pour une argumentation détaillée : Stefanovic, « The Angel at the Altar ». 38  Stefanovic, « The Angel at the Altar », 80–88.

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16,7), comme la littérature apocalyptique juive et chrétienne, n’envisage qu’un unique autel céleste.39 Stephen Smalley a, par ailleurs, raison de souligner que les prières offertes ne doivent pas être limitées à celles des martyrs de 6,9–10, l’expression « tous les saints » englobant l’ensemble des serviteurs de Dieu et du Christ (cf. 11,18 ; 14,12 ; 18,20).40 Dans l’Apocalypse, ils endurent l’oppression (13,7.10 ; 16,6 ; 17,6 ; 18,24). L’ange n’intercède pas pour eux, selon un rôle angélique assez traditionnel (1 Hénoch 9,3 ; Testament de Lévi 3,5), mais il relaie à Dieu leurs propres prières, qu’ils se trouvent sur terre ou sous l’autel céleste.41 Recevoir des parfums pour les offrir sur « l’autel d’or qui (est) devant le trône » évoque le rituel du sacrifice perpétuel prescrit à Aaron en Ex 30,7–942 qu’il revient à un prêtre d’accomplir. Plusieurs indices conduisent à attribuer aussi la dignité sacerdotale aux sept anges qui, en Ap 16, versent un à un leur coupe sur la terre : ils sortent du Temple (15,6), « habillés de lin » comme les prêtres (15,6 ; cf. Lv 6,3 ; 16,4.23.32 ; Ez 44,17–18) ; le terme φιάλη désignant un récipient liturgique et étant utilisé dans la Septante pour les coupes d’aspersion du Temple, leur geste évoque une libation, un acte rituel que les prêtres exécutent à l’occasion (Ex 29,12 ; Lv 4,18.25 ; Si 50,15). Dans l’Apocalypse, le sacerdoce serait-il réservé aux anges, ou à ces anges-là ? L’espace du trône est assimilé à un « temple » (ναός, 7,15) ou à la « tente du témoignage » (15,5), un espace réservé dans la tradition biblique aux prêtres et aux lévites. Nous avons eu l’occasion de montrer ailleurs que cet espace, dans l’Apocalypse, est une métaphore de la communauté de tous les serviteurs de Dieu.43 Les créatures célestes autres que les anges participent à la liturgie qui s’y déroule : elles se prosternent devant Dieu et l’Agneau (4,10 ; 5,14 ; 7,11 ; 11,16 etc.), les acclament (4,8–9 ; 5,11–13 ; 7,10–12 ; 11,15 etc.), chantent des hymnes (5,9–10 ; 14,3 ; 15,2–4), tiennent des cithares (5,8 ; 15,2), des « coupes d’or remplies de parfums qui sont les prières des saints » (5,8) ou des palmes (7,9). Par ailleurs, le sacerdoce est conféré par le Christ aux membres des Églises d’Asie (1,5), à tous ceux qu’il a acquis pour Dieu par son sang (5,9–10).44 Aussi, même si l’ange de l’autel et les sept anges aux coupes sont les seuls personnages que l’on voit réaliser des actions propres aux prêtres, tous les humains promis au salut possèdent la dignité sacerdotale et d’autres créatures agissent dans le sanctuaire céleste.

39  40 

Charles, A Critical and Exegetical Commentary, I, 226–230. Smalley, The Revelation to John, 135 et 215. 41  Tel est aussi le rôle de Raphaël en Tb 12,12 ; cf. aussi 3 Baruch 11,4. 42  L’autel d’or devant le trône d’Ap 8,3–4 rappelle l’autel des parfums, plaqué en or et placé devant le Saint des saints (Ex 30,1–6). De l’encens y était brûlé matin et soir dans le rite du sacrifice perpétuel (Mishna Tamid 5,1–6,3). 43  Descreux, « Modèle céleste », 252–261. 44  Pour d’autres éléments qui identifient les serviteurs de Dieu à des prêtres, voir Descreux, « Modèle céleste », 259–260.

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5.  Messagers de révélations Jusqu’ici, nous n’avons pas découvert de fonction propre aux anges. Le terme ἄγγελος rappelle qu’ils sont originellement les « messagers » de Dieu. Assumentils, dans l’Apocalypse, une telle fonction et, si oui, leur est-elle spécifique ? 5.1.  Un ange médiateur de l’ensemble de la révélation (1,1–2) Un ἄγγελος figure dans le titre de l’œuvre : 1.1 Ἀποκάλυψις Ἰησοῦ Χριστοῦ ἣν ἔδωκεν αὐτῷ ὁ θεὸς δεῖξαι τοῖς δούλοις αὐτοῦ ἃ δεῖ γενέσθαι ἐν τάχει, καὶ ἐσήμανεν ἀποστείλας διὰ τοῦ ἀγγέλου αὐτοῦ τῷ δούλῳ αὐτοῦ Ἰωάννῃ, 2 ὃς ἐμαρτύρησεν τὸν λόγον τοῦ θεοῦ καὶ τὴν μαρτυρίαν Ἰησοῦ Χριστοῦ ὅσα εἶδεν. 1 1 Révélation de Jésus Christ, que Dieu lui donna à montrer à ses serviteurs, ce qui doit arriver vite, et (qu’) il fit connaître en envoyant son ange (διὰ τοῦ ἀγγέλου ἀυτοῦ) à son serviteur Jean, 2 qui attesta la parole de Dieu et le témoignage de Jésus Christ, tout ce qu’il vit.

La formulation n’est pas sans rappeler les titres d’œuvres prophétiques (« Vision d’Untel », « Parole d’Untel »), ce qui invite à tenir Ἰησοῦ Χριστοῦ pour un génitif d’abord subjectif : la révélation est faite par Jésus, lui-même l’ayant reçue de Dieu. La position de l’ἄγγελος, entre l’instance divine dont il est le messager et Jean, un humain, justifie de l’identifier à un ange. De qui l’ange est-il le mandataire ? Qui est le sujet de ἐσημανεν, l’antécédent du pronom αὐτοῦ dans le syntagme διὰ τοῦ ἀγγέλου ἀυτοῦ ? Sur le plan syntaxique, le dernier sujet mentionné est Dieu, mais sur le plan du sens, il s’agirait plutôt du Christ puisque c’est lui qui doit montrer la révélation à ses serviteurs. On ne peut décider à qui l’ange est affilié. D’ailleurs, la révélation se donne indissociablement pour « parole de Dieu » et « témoignage de Jésus Christ ». L’Apocalypse, lorsqu’elle mentionne Dieu et le Christ, se rapporte ensuite habituellement à eux par une forme au singulier (14,1 ; 20,6 ; 22,3). Elle évite de parler de l’instance divine au pluriel pour ne pas blesser l’unicité de Dieu. Que l’ange soit non seulement le messager de Dieu, mais aussi du Christ, creuse un écart avec la tradition juive. 5.2.  La vision inaugurale (1,9–4,1) Comment l’Apocalypse met-elle en scène narrativement la transmission de cette révélation, comment les anges y coopèrent-ils ? À partir de 1,9, Jean rapporte les circonstances qui l’ont conduit à écrire aux Églises. Se trouvant « en Esprit », il entend derrière lui « une voix forte comme une trompette » lui enjoindre d’écrire ce qu’il regarde (ὅ βλέπεις) à sept Églises (1,10–11). S’étant retourné pour « regarder » (βλέπειν) la voix (1,12), il découvre un être prodigieux « semblable à

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un fils d’homme » dont la vue (ὅτε εἶδον αὐτόν, 1,17) le laisse comme mort. Il est notable que la description en 1,13–16 du personnage, qui n’est autre que le Christ ressuscité (1,18), est analogue à celle des anges puissants dans la littérature apocalyptique, comme cela a souvent été relevé.45 Non que l’Apocalypse tienne le Christ pour un ange : le fait qu’il ne fasse nombre avec aucune créature en 5,3–5, qu’il partage l’adoration de Dieu sur son trône (5,11–14 ; 7,9–12.17 ; 22,3) ou qu’il reçoive des titres divins (22,13 ; cf.  1,8 ; 21,6) n’autorise aucun doute sur sa divinité. L’apparence angélique du Christ souligne sa fonction de vecteur de la révélation dans la sphère mondaine. Bien qu’il soit de statut divin, il est, à la différence de Dieu, en contact direct avec un humain et se manifeste alors sous des traits angéliques.46 En 1,19, le Christ réitère à Jean l’ordre d’écrire : « Écris donc ce que tu vis et ce qui est et ce qui va arriver après cela. » La formule pourrait indiquer le plan de l’œuvre :47 « ce que tu vis » (ἅ εἶδες) se rapporte à ce que Jean vient de voir – nous avons relevé l’importance des verbes βλέπω et ὁράω dans la scène –, « ce qui est » (ἅ εἰσίν) aux messages que le Christ dicte à Jean pour les Églises en Ap 2–3, et « ce qui va arriver après cela » (ἅ μέλλει γενέσθαι μετὰ ταῦτα) aux visions qui débutent en 4,2. En effet, à l’issue de la dictée des messages, Jean entend « la première voix, comme (celle) d’une trompette », lui proposer de lui montrer « ce qui doit arriver après cela » (ἅ δεῖ γενέσθαι μετὰ ταῦτα, 4,1). La reprise de l’expression de 1,19 justifie de considérer que les visions qui se succèdent de 4,2 à 22,16 constituent ce que le Christ demande à Jean d’écrire. À qui attribuer la voix de trompette, déjà entendue en 1,10–11, qui entend montrer au visionnaire ce qu’il doit écrire ? L’enchaînement narratif de 1,10–13 suggère que c’est la voix du Christ. En ce cas, la révélation s’effectue directement du Christ à Jean, le maillon angélique annoncé en 1,1 s’est évaporé. Toutefois, alors que le Christ vient de lui adresser un long discours, Jean parle de la voix de trompette comme de « la première voix » qu’il entendit (4,1). La distinction opérée entre cette voix, déjà entendue en 1,10–11, et celle du Christ dictant les messages peut renvoyer soit à une distinction de locuteurs – dans ce cas, il pourrait s’agir de la voix de l’ange messager de la révélation –,48 soit à une distinction de timbre : le Christ s’exprimerait d’abord par une voix « comme une trompette » (1,10), puis « sa voix (est) comme une voix d’eaux abondantes » (1,15), puis il reprendrait sa voix de trompette (4,1). 45  Voir

par exemple Stuckenbruck, Angel Veneration and Christology, 209–232 ; Carrell, Jesus and the Angels¸ 148–174. Pour un avis différent : Huber, Einer gleich einem Menschensohn, 123–173. 46 Voir Carrell, Jesus and the Angels, 172–173. 47  Charles, A Critical and Exegetical Commentary, I, 33 ; Prigent, L’Apocalypse de Saint Jean, 109–110 ; s’opposent à cette idée : Murphy, Fallen is Babylon, 95 ; Smalley, The Revelation to John, 57 ; Koester, Revelation. A New Translation with Introduction and Commentary, 254–255. 48 Ainsi Carrell, Jesus and the Angels, 122.

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Avant de poursuivre, relevons que la révélation de « ce qui est », à savoir les messages d’Ap 2–3, suit une chaîne de transmission différente de celle qui était annoncée en 1,1, puisque le Christ dicte à Jean des messages pour des anges. Ces derniers ne sont plus des messagers entre la sphère divine et la sphère humaine, mais les destinataires de la révélation que leur transmet un humain : les rôles traditionnels sont inversés ! 5.3.  Les autres visions (4,2–22,5) Au fil des visions, plusieurs personnages s’adressent au visionnaire pour des révélations ponctuelles : l’un des vingt-quatre Anciens (5,5) jouant le rôle d’angelus interpres (7,13–17), une voix du ciel (10,4.8 ; 14,13), un ou plusieurs locuteur(s) anonyme(s) (λέγουσίν, 10,11) qui pourrai(en)t être Dieu ou/et le Christ (11,1– 13),49 l’un des sept anges ayant une coupe (17,1–2.7–18 ; 19,9–10 ; 21,9–10),50 Dieu lui-même (21,5–8). Les porteurs de révélations destinées à Jean sont nombreux et représentent un échantillon varié d’êtres célestes, mais aucun n’est présenté en référence au locuteur à la voix de trompette de 4,1. Au cours des visions, Jean est aussi le témoin de messages d’origine céleste adressés aux humains ou, le plus souvent, à des destinataires indéterminés. Les messagers sont, là encore, divers : un aigle (8,13), des anges (10,5–7 ; 14,6–7.8.9– 12 ; 18,1–3.21–24), des voix célestes (12,10–12 ; 18,4–20) ou venant du trône (21,3–4), Dieu lui-même (21,5). En somme, à l’exception des quatre Êtres vivants, toutes les catégories d’êtres célestes sont impliquées dans la communication de la révélation, Dieu compris. Les anges n’ont pas le monopole de la fonction de messager. Si l’on ne peut attribuer la voix de trompette à aucun des interlocuteurs de Jean en 4,2–22,5, les visions pourraient néanmoins figurer la transmission de la révélation. En effet, Ap 5 raconte comment l’Agneau-Christ reçoit de Dieu un livre fermé par sept sceaux qu’il n’est jamais question de lire, mais de prendre/ recevoir (λαβεῖν, v. 9), d’ouvrir (v. 2.3.4.5.9) et de regarder (v. 3.4). Le motif d’une révélation qui ne doit être divulguée qu’au temps dernier est connu (Dn 8,26 ; 12,4.9 ; Testament de Moïse 1,17–18 ; Évangile des Égyptiens 68). Ouvrir le livre signifie alors mettre fin au temps des prophéties cachées, inaugurer le temps eschatologique, faire advenir le dessein de Dieu enfin révélé. En Ap 10, un ange descend du ciel tenant un livret ouvert qu’il transmet à Jean pour qu’il prophétise. Richard Bauckham a rassemblé des arguments convaincants pour identifier ce livret (βιβλαρίδιον) au livre (βιβλίον) d’Ap 5 49  L’expression « mes deux témoins » en 11,3 suppose que le locuteur n’est pas un ange, mais Dieu ou le Christ. 50  Le locuteur anonyme de 19,9–10 est sans doute l’ange ; ainsi Giesen, Die Offenbarung des Johannes, 413 ; Murphy, Fallen is Babylon, 384 ; Aune, Revelation 17–22, 1019 et 1031 ; Blount, Revelation. A Commentary, 346. Smalley, The Revelation to John, 484, l’identifie à l’ange de 18,21.



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dont l’Agneau a brisé les sceaux un à un en Ap 6–8.51 On peut reconnaître dans la séquence des visions d’Ap 5 et 10 une mise en abyme de la transmission de la révélation symbolisée par le livre : l’Agneau-Christ le reçoit de Dieu, en ouvre les sceaux, puis l’ange transmet le livre ouvert à Jean qui l’assimile pour prophétiser. Robert H. Gundry a relevé systématiquement les nombreux détails qui lient l’ange d’Ap 10 au Christ.52 On ne le suivra toutefois pas lorsqu’il l’identifie à ce dernier, leurs descriptions diffèrent notablement.53 Notons néanmoins qu’une étroite association du Christ et de l’ange dans le processus de révélation est ainsi signifiée.54 Le locuteur à la voix de trompette est-il l’ange puissant d’Ap 10 ? Si Peter R. Carrell franchit le pas, il reconnaît néanmoins qu’il manque d’indices clairs pour cela.55 5.4.  Clôture des visions (22,6–16) Au terme des visions, le récit revient sur la transmission de la révélation dans sa globalité : 22 6 Et il me dit : « Ces paroles (sont) fidèles et véritables. Et le Seigneur, le Dieu des esprits des prophètes, envoya son ἄγγελον pour montrer à ses serviteurs ce qui doit arriver vite. 7 Et voici je viens rapidement. Heureux celui qui garde les paroles de la prophétie de ce livre ! » 8 Et moi, Jean, (je suis) celui qui entend et regarde cela.

Par rapport à 1,1–2, la chaîne est réduite à Dieu, l’ἄγγελος et les serviteurs. On est tenté d’identifier le messager à l’ange de 1,1. La proximité de l’expression « pour montrer à ses serviteurs ce qui doit arriver vite » (δεῖξαι τοῖς δούλοις αὐτου ἅ δεῖ γενέσθαι ἐν τάχει) avec la promesse de la voix de trompette en 4,1 – « je te montrerai ce qui doit arriver après cela » (δείξω σοι ἅ δεῖ γενέσθαι μετὰ ταῦτα) – invite, a posteriori, à penser que c’était l’ange qui s’exprimait alors. On pourrait toutefois objecter que la mission du messager de 22,6 reprend verbatim celle que Dieu confie au Christ en 1,1. Pourrait-il être l’ἄγγελος de 22,6 ? D’autant qu’il paraît être l’énonciateur56 du propos qui suit au v. 7a car, au long de l’œuvre, il annonce à plusieurs reprises sa venue imminente (2,5.16.25 ; 3,3.11 ; 51  Bauckham, « The Conversion of the Nations », 243–257; aussi Smalley, The Revelation to John, 259 ; Blount, Revelation. A Commentary, 189–190 ; Koester, Revelation. A New Translation with Introduction and Commentary, 476. Avis contraire : Prigent, L’Apocalypse de Saint Jean, 253. 52  Gundry, « Angelomorphic Christology », 663–668. 53  Prigent, L’Apocalypse de Saint Jean, 253 ; Koester, Revelation. A New Translation with Introduction and Commentary, 476. 54  « The strong angel of 10.1 is the heavenly representative of Jesus, who possesses the characteristic of Christ » (Smalley, The Revelation to John, 258) ; aussi Murphy, Fallen is Babylon, 251–252. 55  Carrell, Jesus and the Angels, 124. 56  Nous distinguons celui qui profère un propos, le locuteur, de celui qui en porte la responsabilité, son énonciateur.

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22,20 ; cf. 1,7). Jésus, messager envoyé par Dieu pour montrer ce qui doit arriver vite, signifierait qu’il se hâte de venir. Si cette interprétation pourrait convenir en 22,6, elle est inappropriée en 22,16, lorsque le Christ déclare : « Moi, Jésus, j’envoyai mon ἄγγελον pour vous témoigner cela sur les Églises. » Le mandataire paraît être l’ange chargé de transmettre la révélation. Qu’il soit mandaté par Dieu en 22,6, puis par le Christ en 22,16, est cohérent avec l’unité d’action de Dieu et du Christ repérée en 1,1.57 On pourrait toutefois soutenir que le messager de 22,16 désigne Jean : c’est lui que le Christ mandate pour écrire aux Églises en 1,19 et qui est le sujet du verbe μαρτυρέω en 1,2. Au regard de la transmission de la révélation établie en 1,1, la conclusion de l’Apocalypse opère une certaine interpénétration entre les maillons : la fonction assignée à l’ange en 22,6 caractérisait le Christ en 1,1, et celle qui lui est assignée en 22,16 était plutôt impartie à Jean en 1,2.4. Cet ange est-il l’ange ayant une coupe qui vient de montrer (δείκνυμι) à Jean la Jérusalem nouvelle (21,9–10 ; 22,1) et, peut-être, la grande Prostituée (17,1) ? L’identification du locuteur de 22,6 permettra de répondre à cette question. Les paroles qu’il authentifie peuvent se référer à la vision de la Jérusalem nouvelle, mais, au terme des visions, elles désignent plutôt l’ensemble de la révélation. Pour les uns,58 le locuteur anonyme est alors le Christ, d’autant qu’il est l’énonciateur du v.  7a, mais rien n’a préparé en amont une telle intervention ; pour d’autres, c’est l’ange médiateur de l’ensemble de la révélation qui parlerait de luimême à la troisième personne ;59 l’économie du récit plaide plutôt pour l’ange qui a montré la Jérusalem nouvelle à Jean et dont la présence auprès du visionnaire est encore rappelée en 22,1.60 Parlant à la troisième personne de l’ange chargé de révéler ce qui doit arriver, il se distinguerait de lui.61 La suite du texte réintroduit de l’incertitude : 22 8 Et moi, Jean, (je suis) celui qui entend et regarde cela. Et quand j’entendis et je regardai, je tombai pour adorer devant les pieds de l’ange me montrant cela. 9 Et il me dit : « Veille à ne pas (faire cela). Je suis ton compagnon de service et (celui) de tes frères les prophètes et de ceux qui gardent les paroles de ce livre. Adore Dieu ! »

L’ange que Jean veut adorer est-il celui qui lui a montré la Jérusalem nouvelle (cf. l’emploi de δείκνυμι en 21,9.10 ; 22,1) ou l’ange missionné pour lui « montrer » ce qui doit arriver (22,6) ? Le premier est aux côtés du visionnaire et vient, 57  Carrell, Jesus and the Angels, 120 ; Koester, Revelation. A New Translation with Introduction and Commentary, 212. 58  Charles, A Critical and Exegetical Commentary, II, 217. 59  Aune, Revelation 17–22, 1182 ; Smalley, The Revelation to John, 567. 60  Bauckham, « The Conversion of the Nations », 255–256 ; Prigent, L’Apocalypse de Saint Jean, 490 ; Koester, Revelation. A New Translation with Introduction and Commentary, 837. 61 Pour Carrell, Jesus and the Angels, 124, l’ange à la coupe parle de lui-même.



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si notre hypothèse est juste, de lui adresser la parole,62 mais l’expression récapitulative « montrer cela » pointe en direction du second. Le récit brouille les rôles respectifs des deux anges.63 L’ange qui s’exprime au v. 6 termine son propos par des paroles dont, implicitement, le Christ est l’énonciateur (v. 7) ; serait-ce pour cette raison que Jean, pris de confusion, veut l’adorer ? Aussitôt après, en 22,10, selon la lecture la plus obvie du texte, celui qui s’adresse à Jean est l’ange qui vient de refuser l’adoration ; lui aussi prête sa voix au Christ au minimum aux v. 12–13. Des anges profèrent donc des propos du Christ. La scène du refus d’adoration en 22,8–9 rétablit toutefois une distinction claire. Lorsque le Christ était apparu sous les traits d’un ange à Jean en 1,13– 16, celui-ci était déjà tombé à ses pieds sans être rabroué (1,17), tandis qu’il l’est quand il tombe aux pieds de l’ange. Ce dernier rappelle que l’adoration revient à Dieu, lui-même partageant avec Jean, les prophètes et ceux qui gardent les paroles de l’Apocalypse le statut de « compagnon de service » (σύνδουλός). 5.5.  Conclusions sur l’implication des anges dans la transmission de la révélation En définitive, la transmission de la révélation est plus complexe qu’annoncée dans le titre de l’œuvre : le Christ endosse l’apparence d’un ange pour s’adresser directement au visionnaire en 1,9–3,22, et ses destinataires sont des anges qui représentent les Églises. La voix de trompette qui introduit Jean à la réception des visions de 4,2–22,5 ne pourra être identifiée à l’ange envoyé pour révéler ce qui doit arriver qu’au terme du récit, sans certitude absolue. Dans les visions, les anges ne sont pas les seuls messagers de révélations partielles auprès du visionnaire. La fonction traditionnelle de l’angelus interpres est assumée par un Ancien. On repère également qu’un ange peut ressembler au Christ (10,1–2) et prononcer des paroles du Christ, (22,7.12–13), mais aussi que des anges refusent l’adoration que le Christ reçoit avec Dieu. Autrement dit, il y a une fluidité entre le Christ et les anges au plan fonctionnel pour transmettre la révélation aux serviteurs ; dans leurs épiphanies, ils partagent des traits communs, mais il y a une nette distinction entre eux au plan ontologique. En outre, la distinction des rôles entre les anges peut être floutée, comme entre l’ange montrant la Jérusalem nouvelle et l’ange montrant « ce qui doit arriver vite ».

62  En faveur de cette hypothèse, on relèvera aussi le parallélisme liant les introductions (17,1–3 ; 21,9–10) et les conclusions (19,9–10 ; 22,8–9) des visions de la grande Babylone et de la Jérusalem nouvelle. 63  La division des commentateurs l’atteste : Blount, Revelation. A Commentary, 403, favorise la première hypothèse, tandis que Bauckham, « The Conversion of the Nations », 256, Prigent, L’Apocalypse de Saint Jean, 491, Smalley, The Revelation to John, 569, se prononcent pour la seconde.

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6.  Protecteurs des justes Les anges interviennent en nombre lors de la bataille qui survient lorsque, en 12,5, le personnage christique du fils de la Femme est enlevé auprès de Dieu pour échapper à la voracité du Dragon-Satan, un épisode qui figure le mystère pascal : 12 7 Et un combat advint dans le ciel. Michel et ses anges eurent à combattre contre le Dragon, et le Dragon combattit et ses anges aussi. 8 Et il ne prévalut pas, et leur place ne fut plus trouvée dans le ciel. 9 Et le grand Dragon fut jeté, l’antique Serpent, celui qui (est) appelé Diable et le Satan, celui qui égare le monde entier, il fut jeté sur la terre et ses anges furent jetés avec lui.

Les anges se battent sous l’autorité de leur chef, Michel ou le Dragon. Le premier est introduit comme un personnage connu. La tradition juive et chrétienne le conçoit comme un (arch)ange ayant pour mission de garder Israël en intercédant ou en combattant pour lui, parfois à la tête d’armées angéliques.64 Son rôle en Ap 12 s’inscrit dans ce sillage. Quant au Diable et à Satan, ils sont vus à la fin du ier siècle comme un même personnage65 tenu généralement pour un ange ou un esprit.66 Le parallélisme avec Michel en 12,7 plaiderait en ce sens, mais le Diable est figuré ici par un dragon assimilé au serpent de la Genèse (12,9.14.15).67 Aussitôt l’issue du combat céleste relatée, une voix l’interprète : 12 10 Et j’entendis une grande voix dans le ciel qui disait : « À l’instant le salut et la puissance et la royauté de notre Dieu et l’autorité de son Christ sont advenus, parce que l’accusateur de nos frères fut jeté, celui qui les accusait devant notre Dieu jour et nuit. 11 Et ils le vainquirent par le sang de l’Agneau et par la parole de leur témoignage, et ils n’aimèrent pas leur vie, jusqu’à mourir. »

Selon cette proclamation, ce sont les frères, c’est-à-dire les disciples du Christ (cf. 1,9 ; 6,11 ; 19,10), qui ont vaincu Satan, leur procureur au tribunal divin. Autrement dit, le combat des troupes de Michel correspond à un combat terrestre mené par les frères contre le même adversaire, manière de signifier qu’il se joue au plan spirituel. Les frères remportent la victoire sur leur procureur grâce à la rédemption réalisée par la mort du Christ (« le sang de l’Agneau », cf. 1,5 ; 5,9 ; 7,14) et grâce à leur témoignage rendu fidèlement jusqu’au bout. Les troupes an64  65 

Sur Michel, voir de Martin de Viviés, Apocalypses et cosmologie du salut, 183–206. Διάβολος traduit ‫ ָשׂ ָטן‬dans la LXX en 1 Ch 21,1 ; Ps 108,6 ; Jb 1,6–12 ; 2,1–7 ; Za 3,1–2 ; comparer aussi Mc 1,13//Mt 4,1//Lc 4,1 ; Mc 4,15//Lc 8,12 ; Jn 13,2 et 13,27. Sur Satan, voir de Martin de Viviés, Apocalypses et cosmologie du salut, 112–124. 66  En Za 3,1–2, le ‫ ָשׂ ָטן‬/διάβολος est le procureur au tribunal divin, l’avocat étant l’ange de Yhwh ; à Qumrân, la figure semblable de Bélial est un ange (1QM XIII 11) ; en 1 Hénoch 54,4– 6, Satan est à la tête de troupes angéliques, en Testament de Job 27,2, il se présente comme un « esprit » et pour 2 Co 11,14, il se déguise en « ange de lumière ». 67  Δράκων peut désigner en grec un serpent. Plusieurs traditions juives tiennent le serpent de Gn 3 pour une incarnation du Diable : Sg 2,24 ; 2 Hénoch 31,4–6 ; Vie d’Adam latine 16–17 ; Apocalypse de Sedrach 4,5.

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géliques de Michel sont ainsi, dans la bataille livrée contre Satan, les adjuvants du Christ et de ses disciples, mais ne sont donc pas les seules à combattre. La fonction de protection des anges réapparaît dans la vision de la Jérusalem nouvelle. La cité a « douze portes et sur les portes douze anges et des noms gravés qui sont les noms des douze tribus des fils d’Israël » (21,12). Ces anges rappellent les chérubins postés à l’entrée du paradis pour le garder (Gn 3,24 ; 2 Hénoch 8,6) ou les chérubins sculptés des portes du Temple salomonien (1 R 6,32). Le lien établi par Ap 21,12 entre les portes, les anges et les tribus laisse imaginer que les anges protègent la cité où convergent les tribus qui, dans l’Apocalypse, symbolisent le peuple appelé au salut (7,1–8 ; 14,1–5). Les gardiens angéliques semblent garantir que rien de profane ne pénètre dans la ville, seulement les élus (21,27).

7.  Assesseurs au tribunal divin Une autre fonction des anges apparaît en 3,5, lorsque le Christ promet à celui qui lui sera fidèle ceci : « Le vainqueur sera ainsi vêtu dans des vêtements blancs, et je n’effacerai sûrement pas son nom du livre de la vie, et je confesserai son nom devant mon Père et devant ses anges. » Le Christ s’exprime ici sous les traits de quelqu’un « semblable à un fils d’homme » (1,13–16) inspiré du personnage qui apparaît en Dn 7,13 lors du jugement eschatologique. Si l’on ajoute à cela que le livre de la vie est une image traditionnelle du registre recensant les élus68 et qu’il constituera une pièce déterminante lors du jugement en 20,11–15, on interprétera la fin d’Ap 3,5 comme l’évocation d’un procès :69 le fils d’homme, tel un avocat, défendra publiquement (ὁμολογήσω) devant le juge divin le nom du juste. Les anges, devant lesquels le Christ plaide, paraissent tenir la place d’assesseurs. S’agit-il d’une fonction propre aux anges ? Le tribunal divin sert de cadre à la vision du jugement des morts en 20,11–15, mais les tournures passives telles que « les livres furent ouverts » (20,12), qui impliquent sans doute des assesseurs, les laissent dans l’ombre. Le tribunal divin pourrait être mis en scène en 20,4, mais, du fait de formulations ambiguës, les interprètes sont divisés :70 a-t-on affaire à une intronisation – les justes s’assoient sur les trônes parce qu’un jugement a été rendu en leur faveur et ils s’apprêtent à régner –71 ou à l’installation d’un tribunal, soit que les justes s’assoient sur les trônes pour juger leurs opposants,72 soit qu’un tribunal anonyme prenne place pour rendre un jugement en faveur des 68  69 

Sur le livre de la vie, voir Aune, Revelation 1–5, 223–224. Smalley, The Revelation to John, 85–86. 70  Sur la difficulté de ce verset, voir Descreux, L’ivresse des nations, 598–606. 71  Giesen, Die Offenbarung des Johannes, 431–432 ; Smalley, The Revelation to John, 505–506 ; Koester, Revelation. A New Translation with Introduction and Commentary, 771– 772. 72  Prigent, L’Apocalypse de Saint Jean, 428 ; Blount, Revelation. A Commentary, 364.

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justes ? Dans ce cas, J. Webb Mealy argumente que les Anciens le constituent.73 Aucun assesseur n’apparaît dans les autres mentions du jugement divin (11,18 ; 16,19 ; 18,4–8.10.20 ; 19,2). On ne peut, au bout du compte, assurer que les anges ont l’exclusivité de cette fonction.

8.  Agents des châtiments divins Les anges de l’Apocalypse sont impliqués dans l’ensemble du processus de sanction des impies ou des adversaires du peuple de Dieu : ils annoncent les châtiments, les déclenchent, les exécutent et en sont les témoins. Des anges tels que le messager de 14,9–11, l’ange interprète d’Ap 17 ou l’ange puissant de 18,21–24 annoncent les sanctions qui frapperont ceux qui s’opposeront à la souveraineté divine. Cette fonction d’alerte n’est pas réservée aux anges : le fils d’homme met en garde les anges des Églises (2,5.16.22–23 ; 3,3.9.16), un aigle annonce en 8,13 des malheurs pour les « habitants de la terre », c’est à dire les impies. Des anges déclenchent l’action des agents des châtiments, tels l’ange de l’autel en 8,5, les anges trompettistes de 8,6–9,19, ou le sixième ange trompettiste en 9,14. D’autres anges donnent des instructions à ceux qui exécuteront les châtiments. Ainsi, l’ange qui tient le sceau de Dieu enjoint en 7,2–3 aux anges qui retiennent les vents,74 instruments traditionnels du châtiment divin,75 d’attendre pour les relâcher que les serviteurs de Dieu soient marqués de son sceau. L’épisode évoque Ez 9,1–7, laissant penser que l’empreinte du sceau permet aux 144 000 serviteurs de tenir bon lorsque les vents se déchaîneront. En 14,18, l’ange « qui a autorité sur le feu », autre instrument traditionnel du châtiment divin, ordonne de procéder à la vendange de la vigne de la terre, métaphore du jugement des impies (14,17–20).76 On note que l’activité des anges en charge d’éléments du cosmos (les vents, le feu) s’exerce au service de la justice rendue aux saints ; ils garantissent la solidarité de la Création à leur cause. Les anges ne sont pas seuls à donner des instructions pour châtier les adversaires : une « voix venant des cornes de l’autel d’or » ordonne en 9,13–14 au sixième ange trompettiste de libérer les anges liés à l’Euphrate et une voix du ciel appelle à rétribuer la grande Babylone en 18,5–7. Les châtiments sont parfois exécutés par les anges eux-mêmes : un ange vendange la vigne de la terre (14,17–19), sept anges déversent leurs coupes en dif73 

Mealy, After the Thousand Years, 102–105. Jubilés 2,2 présente également des « anges du vent qui souffle ». Cf. Os 13,15 ; Is 40,7.24 ; Jr 49,36[25,16] ; Sg 5,23 ; 1 Hénoch 76,1–14. 76 Le Livre des antiquités bibliques 38,3 et le Testament d’Abraham 12,4 ; 13,11 connaissent aussi un ange qui préside au feu du jugement, appelé dans le premier cas Nathaniel, dans le second Purouel. 74  75 



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férents points du cosmos (16), un ange lie et enferme le Dragon dans l’abîme (20,1–3). Les anges qui déclenchent les châtiments ou qui les exécutent peuvent être des êtres maléfiques participant néanmoins à la réalisation de la justice divine. En 9,1, une étoile tombée du ciel reçoit « la clé du puits de l’abîme », sans doute selon la volonté divine (cf. la formule passive ἐδόθη αὐτῷ). On devine que l’étoile figure un ange (comme en 1,20) au fait qu’elle reçoit un objet et qu’elle est le sujet d’une action. L’octroi de la clé fonctionne comme une injonction divine à l’utiliser ; l’étoile ouvre aussitôt le puits d’où sortent des créatures démoniaques, déclenchant un nouveau fléau contre les habitants de la terre (9,1–11). La coopé­ ration de l’étoile à leur châtiment conduit certains à la considérer comme un ange de Dieu.77 Cependant, l’étoile tombée du ciel est une image traditionnelle d’un ange déchu.78 Cet arrière-fond et le fait que l’étoile libère des sauterelles démoniaques invitent plutôt à la tenir pour un ange maléfique,79 voire à l’identifier à Satan en invoquant une proximité thématique avec Lc 10,18.80 En conclusion de l’épisode des sauterelles apparaît leur roi, « l’ange de l’abîme » : « Un nom pour lui en hébreu (est) Abaddôn et, dans la (langue) grecque, il a (le) nom Apolluôn » (9,11). Il doit être distingué de l’étoile de 9,1 :81 alors que celle-ci ouvre l’abîme en venant de l’extérieur, du ciel, l’ange en sort avec les sauterelles.82 Le nom hébreu de ce dernier, Abaddôn, désigne dans la littérature sapientielle ou dans les Psaumes le séjour des morts, la tombe,83 et son nom grec, dérivé du verbe ἀπολλύναι, signifie « le Destructeur ». Si 1 Hénoch 20,2 prépose l’archange Uriel au Tartare, Abbadôn ne paraît pas avoir été chargé par Dieu de l’abîme : avant l’intervention de l’étoile, il y est enfermé, comme le Dragon le sera en 20,3.84 Ses sujets œuvrent néanmoins pour la justice divine. L’exécution des châtiments n’est pas la prérogative des anges. Des animaux démoniaques (9,3–11.17–19), la Bête et ses cornes qui représentent des rois (17,16–17), des phénomènes cosmiques (séisme en 6,12–17 ; 11,13, feu du ciel en 20,9) ou le Christ (17,14 ; 19,11–21) y sont également impliqués. Très souvent, les agents du châtiment restent cachés derrière des formules passives qui 77  Aune, Revelation 6–16, 525 ; Murphy, Fallen is Babylon, 242 ; Smalley, The Revelation to John, 225 ; Koester, Revelation. A New Translation with Introduction and Commentary, 455–456. 78  1 Hénoch 86,1.3 ; 88,1.3 ; Apocalypse d’Élie 3,28. 79  Prigent, L’Apocalypse de Saint Jean, 240 ; de Martin de Viviés, Apocalypses et cosmologie du salut, 347. 80  Blount, Revelation. A Commentary, 173. 81  Blount, Revelation. A Commentary, 179, tient l’opinion contraire. 82  Koester, Revelation. A New Translation with Introduction and Commentary, 455. 83  Jb 26,6 ; 28,2 ; 31,12 ; Ps 88,12 ; Pr 15,11 ; 27,20. 84  Certains auteurs (cf. Aune, Revelation 6–16, 534 ; Koester, Revelation. A New Translation with Introduction and Commentary, 460–461) sont tentés de l’identifier à Satan, mais cela n’est pas assuré.

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laissent percer la volonté divine (8,7.8.12 ; 18,21 ; 19,20 ; 20,10.14–15). Un ange prophétise en 17,14 la victoire eschatologique de l’Agneau sur la Bête-Empire et ses rois vassaux.85 Les « appelés et les élus et les fidèles » sont avec lui : combattent-ils aussi, ou participent-ils seulement à la victoire ? Le combat annoncé est raconté en 19,11–21.86 Le cavalier christique « Parole de Dieu » est alors suivi des « troupes dans le ciel […] sur des chevaux blancs, habillés de lin fin blanc pur » (19,14). Le précédent de 17,14, l’emploi d’ἀκολουθέω, verbe typique de la suivance (cf. 14,4), et la qualité des vêtements87 invitent à identifier les troupes du ciel aux élus,88 bien que, dans la tradition juive, les armées du ciel désignent des anges,89 que, par ailleurs, des anges combattent avec Michel en 12,7 et que des traditions mentionnent des anges accompagnant le Christ lors de la Parousie.90 On constate que les expressions utilisées ici floutent la distinction entre élus et anges.91 Si des anges annoncent, provoquent ou exécutent des châtiments, des anges en sont aussi les témoins. Selon Ap 14,10, celui qui aura adoré la Bête « sera tourmenté dans (le) feu et (le) soufre devant les saints anges et devant l’Agneau ». Voir les impies souffrir parachève la victoire remportée sur eux. Deux anges, l’un en 14,8, l’autre en 18,1–3, proclament la chute de la grande Babylone. Enfin, l’ange des eaux loue Dieu pour la justice qu’il rend contre les impies (16,5–6). Les vainqueurs de la Bête (15,2–4), l’autel (16,7) ou une foule céleste nombreuse (19,1–3) le font aussi. Notons finalement que la sanction divine peut frapper les anges. En 12,7–9, le Dragon et ses anges sont défaits par Michel et ses troupes. Leur défaite conduit à leur expulsion du ciel qui, ici comme souvent dans l’Apocalypse, désigne le monde divin. Pour les anges, la sanction divine consiste à perdre leur place au ciel. Elle frappe aussi l’étoile tombée du ciel (9,1) et sans doute Abaddôn enfermé dans l’abîme (9,11).

85  On

repère ici le motif de la coalition des nations ou des rois contre le Messie ou le peuple de Dieu au temps eschatologique : cf. Ez 38,7–16 ; 39,1–2 ; Ps 2 ; 1 Hénoch 56,5–6 ; 4 Esdras  13,33–34 ; Oracles sibyllins 3,663–668. 86 Ainsi Aune, Revelation 17–22, 953 ; Murphy, Fallen is Babylon, 362 ; Prigent, L’Apocalypse de Saint Jean, 382 ; Koester, Revelation. A New Translation with Introduction and Commentary, 679 et 692. 87  Le lin fin pur est associé aux saints en 19,8, les vêtements blancs aux « vainqueurs » (3,4– 5), aux martyrs (6,11), aux élus (7,9). 88  Murphy, Fallen is Babylon, 390–391 ; Prigent, L’Apocalypse de Saint Jean, 420–21 ; Blount, Revelation. A Commentary, 354. 89 Voir Aune, Revelation 17–22, 1059. 90  Mt 25,31 ; Mc 8,38 par. ; Mc 13,26–27 par. ; 2 Th 1,7. 91 Pour Smalley, The Revelation to John, 492–493 et Koester, Revelation. A New Translation with Introduction and Commentary, 757, les troupes de 19,14 mêlent élus et anges.



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9. Conclusion Les anges sont extrêmement présents dans l’Apocalypse où ils assurent des fonctions angéliques traditionnelles : rendre un culte céleste à Dieu, transmettre ou interpréter des révélations aux humains, faire fonctionner les éléments du cosmos, protéger le peuple de Dieu, assister Dieu au tribunal céleste, annoncer et exécuter ses jugements. Si, à l’exception des anges des Églises, ce sont des personnages plats et statiques, ils peuvent être positifs ou négatifs ; mais anges de Dieu ou anges maléfiques, ils participent tous à la réalisation de la justice divine en faveur des saints à moins d’être eux-mêmes sanctionnés. Nous avons relevé que les fonctions des anges pouvaient être assurées par d’autres personnages. De plus, ils ne sont pas les seuls êtres célestes à pouvoir se rendre dans la sphère mondaine : le Christ (1,9–20 ; 14,1–5.14–16 ; 19,11–21) ou les Esprits (5,6) y interviennent. Cela pose la question de l’utilité d’intégrer des anges à l’univers symbolique du récit. Certes, comme protagonistes ou ficelles des intrigues épisodiques, ils permettent à l’action de se dérouler, mais leurs rôles pourraient, semble-t-il, être tenus par d’autres personnages. Pourquoi les mettre alors en scène s’ils sont sans couleur et non nécessaires pour tenir les rôles qui leur sont dévolus ? On pourrait dire que les anges sont des êtres « liquides » en ce sens qu’aucune distinction nette ne les sépare au plan fonctionnel et dans l’apparence du Christ, d’autres êtres célestes et entre eux. Le Christ peut ressembler à un ange (1,13–16) et un ange au Christ (10,1–2), ils assument bon nombre de fonctions analogues ; en particulier, on a repéré une fluidité, une porosité dans leurs rôles de messagers de la révélation, jusque dans leurs propos respectifs (22,6–7.10– 13). De même, nous avons montré que les Anciens ou les troupes du Christ en 19,14 sont des élus qui pourraient facilement passer pour des anges. La question est posée si les anges des Églises ont une incarnation humaine. Et nous avons vu aussi un brouillage entre figures angéliques en conclusion des visions. Les anges établissent ainsi une continuité entre le divin et l’humain, en cohérence avec la représentation de Ap 4–5 où, à la différence d’autres apocalypses qui multiplient les cieux, les différentes catégories d’êtres se trouvent dans un espace continu. Il revient toutefois à la liturgie d’affirmer la frontière ontologique nette qui sépare Dieu et le Christ, d’une part, des créatures (et notamment des anges) qui les servent et les adorent, d’autre part. La présence des anges dans l’univers symbolique de l’Apocalypse pourrait introduire de la gratuité : le monde ne se limite pas aux créatures mondaines et à leurs représentants célestes (Êtres vivants et Anciens), il est peuplé aussi d’anges innombrables qui élargissent le cercle des adorateurs de Dieu et du Christ. La seule fonction propre aux anges que nous avons détectée est d’avoir en charge et de représenter les éléments du cosmos – la description de l’ange en 10,1–2 reflète ce lien –, tandis que les Êtres vivants et les Anciens représentent, respecti-

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vement, les êtres animés et des humains glorifiés. Alors que l’on s’interroge aujourd’hui sur la manière de porter à la parole la cause de la Création inanimée, l’Apocalypse donne à entendre un ange s’exprimant au nom des eaux douces. Les anges seraient-ils alors les témoins, dans l’univers symbolique de l’Apocalypse, d’une importance accordée par Dieu à la Création inanimée ? S’ils permettent que toutes les réalités créées soient représentées auprès de Dieu, leur action reste d’abord ordonnée à ce que justice soit rendue aux serviteurs de Dieu.

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Fonctions et limites de l’ἄγγελος λειτουργός chez Origène : aux origines de la figure de l’ange gardien Michele Cutino Lorsqu’il m’a été demandé de proposer une contribution qui fournirait des ouvertures sur l’approche des créatures divines dans le christianisme primitif postérieur au Nouveau Testament, mon choix s’est porté sur Origène dont l’angélologie est la plus développée, avec celle d’Augustin, chez les premiers auteurs chrétiens.1 Elle constitue, à cet égard, le point d’arrivée de la réflexion théologique pré-nicéenne, et se rapproche donc de la dimension néo-testamentaire. J’entends en particulier me concentrer sur un aspect de l’angélologie origénienne, qui, malgré quelques positions critiques,2 nécessite encore une mise au point plus précise : il s’agit du thème de l’ange gardien qui aura tant d’importance dans la spiritualité chrétienne jusqu’à notre époque. Je signale d’emblée que j’étudierai la dimension individuelle de cette tutelle, qui me semble être celle qui nécessite davantage cette mise au point, et non la dimension ecclésiale ou collective ‒ par exemple, le thème de « l’ange des nations » relatif à la division des nations selon les anges de Dieu,3 mentionné dans Dt 32,8, restera en dehors de ma contribution. Une telle analyse se heurte à la nature polymorphe et non systématique de l’œuvre d’Origène – à l’exception du Traité des principes – qui s’articule sur un long parcours chronologique comprenant différentes phases, et tout d’abord le passage crucial d’Alexandrie à Césarée où Origène a exercé sa mission sacerdotale, période qui embrasse des genres littéraires très différents, du commentaire exégétique au traité théologico-philosophique, du traité de spiritualité à la vaste production homilétique. Elle se heurte également aux limites linguistiques des traductions latines par lesquelles, comme nous le savons, une grande partie de cette production nous est parvenue, limites qui souvent nous empêchent de cibler avec précision la terminologie grecque sous-jacente.

1  Sur l’angéologie origénienne, voir en particulier Simonetti, « Due note sull’angelologia origeniana » ; Blanc, « L’angélologie d’Origène » ; Monaci Castagno, Origene predicatore. 2  Cf. en particulier Daniélou, Origène, 235–242 ; Kranitz, « Fonction de la conscience » ; Simonetti, « Due note sull’angelologia origeniana », 165–179. 3 Cf. Daniélou, « Les sources juives de la doctrine des anges ».

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1.  Le positionnement d’Origène par rapport à la tradition païenne et biblico-chrétienne Compte tenu de ces prémisses, la recherche sur la protection individuelle des anges est particulièrement fascinante car elle touche à l’un des centres nerveux de la spiritualité, à la fois biblique et extra-biblique, typique de l’hellénisme au sens large du terme, comme l’avait déjà montré Franz Cumont.4 Cette perspective est intimement liée à la démonologie platonicienne, dominante dans la spiritualité de l’époque impériale, dont les variations dépendent des ambiguïtés mêmes de son fondateur : Platon lui-même, en effet, dans le Timée avait superposé l’âme, à savoir la conscience, et la présence divine/δαίμων, identifiant ce dernier à la partie rationnelle de l’âme, en tant que son ἡγεμονικόν qui la conduit naturellement là d’où elle vient vers les réalités célestes ;5 en revanche, dans le Phédon6 et dans la République,7 en ce qui concerne la situation de l’âme respectivement avant et après son union avec le corps, le δαίμων s’avère être une réalité extérieure, qui accompagne l’âme qui l’a reçu par tirage au sort, au moment du jugement final, ou que l’âme elle-même choisit avant de s’incarner, comme gardien et support de ses choix. Dans la tradition postérieure, médio- et néoplatonicienne, malgré les efforts de Plotin pour démythifier la démonologie en ne parlant que de la vie intérieure,8 on reconnaîtra toujours dans le δαίμων une réalité extérieure à l’âme. Origène, qui fonde sa vision de la création sur la multiplicité des situations, dans la condition protologique et eschatologique, des êtres intelligibles par rapport aux inclinaisons de leur libre arbitre, s’adapte parfaitement à cette ligne, en apportant toutefois des inflexions importantes provenant de la tradition biblique et de l’approche apologétique de la tradition philosophique, ainsi que de ses préoccupations théologiques. Le texte qui suit, issu du Contre Celse – traité écrit comme réplique au Discours véritable de ce philosophe païen en 249 à Césarée –, constitue sur ce point un bon exemple : Εἰ δὲ καὶ πλῆθος ποθοῦμεν ὧν φιλανθρώπων τυγχάνειν θέλομεν, μανθάνομεν ὄτι « χίλιαι χιλιάδες παρειστήκεισαν αὐτῷ καὶ μὐριαι μυριάδες ἐλειτούργουν αὐτῷ » (Dn 7,10), αἵτινες ὠς συγγενεῖς καὶ φίλους τοὺς μιμουμένους τὴν εἰς θεὸν αὐτῶν εὐσέβειαν ὀρῶντες συμπράττουσιν αὐτῶν σωτηρίᾳ τῶν ἐπικαλουμένων τὸν θεὸν καὶ γνησίως εὐχομένων, ἐπιφαινόμενοι καὶ οἰόμενοι αὐτοῖς δεῖν ἐπακούειν καὶ ὥσπερ ἐξ ἑνὸς 4 

Cumont, « Les anges du paganisme ». Platon, Timée 90a (éd. Brisson) : τὸ δὲ περὶ τοῦ κυριωτάτου παρ᾽ἡμῖν ψυψῆς εἴδους διανοεῖσθαι τῇδε, ὡς ἄρα αὐτὸ δαίμονα θεὸς ἑκάστῳ δέδωκε. 6  Platon, Phédon 107d (éd. Robin) : Λέγεται δὲ οὕτως, ὡς ἄρα τελευτήσαντα ἕκαστον ὁ ἑκάστου δαίμων, ὅσπερ ζῶντα εἰλήχει, οὗτος ἄγειν ἐπιχειρεῖ εἰς δὲ τινα τόπον, οἷ δεῖ τοὺς ξυλλεγέντας διαδικασαμένους εἰς Ἅιδου πορεύεσθαι μετὰ ἡγεμόνος ἐκείνου. 7  Platon, République X,621d (éd. Slings) : ἐκείνην [sc. Λάχεσιν] δ᾽ἑκάστῳ ὃν εἵλετο δαίμονα, τοῦτον φύλακα συμπέμπειν τοῦ βίου καὶ ἀποπληρωτὴν τῶν αἱρεθέντων. 8  « Le sage ne serait pas tel s’il avait un démon qui collaborait avec lui » : Plotin, Ennéades III,4,6. 5 

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συνθήματος ἐπιδημεῖν ἐπ᾽εὐεργεσίᾳ καὶ σωτηρίᾳ τῶν εὐχομένων θεῷ, ᾦ καὶ αύτοὶ εὔχονται. Καὶ γὰρ « πάντες εἰσὶ λειτουργικὰ πνεύματα, εἰς διακονίαν ἀποστελλόμενα διὰ τοὺς μέλλοντας κληρονομεῖν σωτηρίαν » (He 1,14). Ἑλλήνων μὲν οῦν οἱ σοφοὶ λεγέτωσαν δαίμονας εἰληχέναι τὴν ἀνθρωπίνην ψυχὴν ἀπὸ γηνέσεως […] οὐδὲν γὰρ ἡμῖν δαίμονες ἀμελοὐμενοι ποιεῖν ἂν δύναιντο, ἀνακειμένοις τῷ μόνῳ βοηθεῖν πᾶσι τοῖς ἀξίοις δυναμένῳ, ἐφιστάντι δ᾽οὐδὲν ἧττον καὶ τοὺς ἱδίους ἀγγέλους τοῖς εἰς αὐτὸν εὐσεβοῦσιν. Et si nous désirons avoir un grand nombre d’êtres dont nous voulons la bienveillance, nous apprenons que « mille milliers se tenaient devant lui, et des myriades des myriades le servaient ». Ces êtres, regardant comme des parents et des amis ceux qui imitent leur piété envers Dieu, collaborent au salut de ceux qui invoquent Dieu et le prient véritablement ; ils leur apparaissent et croient de leur devoir d’exaucer et de visiter, comme par suite d’une convention pour leur apporter service et salut, ceux qui prient Dieu, qu’ils prient eux-mêmes. Car « ils sont tous des esprits chargés d’un ministère, envoyés en service pour ceux qui doivent hériter le salut ». Libre donc « aux sages de la Grèce de dire que les démons ont reçu en partage l’âme humaine de la naissance ». […] Car il n’est aucun dommage que les démons qu’on néglige puissent nous causer : nous appartenons à Celui qui seul est capable de secourir ceux qui le méritent, et qui a néanmoins préposé aussi ses anges à la garde de ceux qui ont de la piété envers lui.9

D’après ce passage, le philosophe Celse aurait déclaré que la divinité suprême a divisé le monde en divers domaines que supervisent divers démons. Ces derniers, divinités du panthéon polythéiste, doivent donc être honorés et respectés, d’autant plus que chaque âme les a reçus dès sa naissance.10 Origène, en revanche, reprenant la tradition biblico-chrétienne qui pose une distinction entre les êtres spirituels, anges et démons, qualifie ces derniers de collaborateurs de Satan, rabaisseurs des hommes pieux ; ces derniers ne peuvent cependant rien contre ceux qui s’appuient sur le Dieu chrétien, et ce parce que Dieu a disposé une multitude d’êtres divins, précisément pour soutenir, comme des parents et des amis, ceux qui cherchent à imiter leur piété envers Dieu, qui l’invoquent et le prient pour les amener au salut. Origène conçoit donc les anges comme des réalités externes, et non psychologiques, mais les expressions employées soulignent toujours l’autonomie des choix individuels ; les anges soutiennent les hommes qui sont déjà tournés vers la divinité avec piété. Il s’agit d’un présupposé de l’approche origénienne de l’existence des anges, que l’Alexandrin met fortement en évidence en ce qui concerne également la tradition chrétienne dont il hérite et qu’il précise, comme le montre clairement un texte tiré du troisième livre du Traité des principes – ouvrage de la période alexandrine d’Origène, avant son déplacement à Césarée en 231, que nous possédons intégralement dans la traduction latine de Rufin : « Cogitationes» quae « de corde nostro procedunt » (Mc 7,21) […] invenimus quod aliquotiens ex nobis ipsis procedant, aliquotiens a contrariis virtutibus concitetur, interdum 9 

Origène, Contre Celse VIII,34.36 (éd. Koetschau, 249–250.252 ; trad. Borret). La présence de la iunctura δαίμονας εἰληχέναι garantit que Celse citait le Phédon de Platon, non la République, comme le veut l’éditeur P. Koetschau. 10 

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etiam a deo vel a sanctis angelis inmittantur. […] Sed et Pastoris liber haec eadem declarat docens quod bini angeli singulos quoque hominum comitentur, et si quando bonae cogitationes cor nostrum ascenderint, a bono angelo suggeri dicit, si quando vero contrariae, mali angeli esse dicit instinctum. Eadem quoque etiam Barnabas in epistola sua declarat cum duas vias esse dicit, unam lucis, alteram tenebrarum, quibus etiam praeesse certos quosque angelos dicit : viae quidem lucis angelos dei, tenebrarum autem viae angelos Satanae. Nihil tamen aliud putandum est accidere nobis ex his, quae cordi nostro suggeruntur bonis vel malis, nisi commotionem solam et incitamentum provocans nos vel ad bona vel ad mala. Possibile autem nobis est, cum maligna virtus provocare nos coeperit ad malum, abicere a nobis pravas suggestiones et resistere persuasionibus pessimis et nihil prorsus culpabiliter gerere : et rursum possibile est ut, cum nos divina virtus ad meliora provocaverit, non sequamur, liberi arbitrii potestate nobis in utroque servata. « Les pensées qui viennent de notre cœur » […], nous constatons que tantôt elles viennent de nous-mêmes, tantôt elles sont mises en nous par Dieu et les saints anges. […] Le livre du Pasteur affirme de même que deux anges accompagnent chaque homme : lorsque des bonnes pensées montent dans notre cœur, elles sont suggérées selon lui par son bon ange, et si elles sont des pensées contraires, elles sont soulevées par l’ange mauvais. Barnabé enseigne la même doctrine dans son épître lorsqu’il parle de deux voies, celle de la lumière et celle des ténèbres, auxquelles certains anges sont préposés : à la voie de la lumière des anges de Dieu, à la voie des ténèbres des anges de Satan. Mais il ne faut pas penser que ce qu’ils suggèrent à nos cœurs, qu’il s’agisse des bonnes ou des mauvaises pensées, produise autre chose qu’un mouvement ou un stimulant qui nous pousse au bien ou au mal. Nous avons la possibilité, lorsqu’une puissance maligne s’est mise à nous provoquer au mal, de rejeter loin de nous ces suggestions mauvaises, de résister à leurs persuasions perverses et de faire absolument rien de coupable ; et en revanche aussi celle de ne pas suivre la puissance divine qui nous invite à agir mieux, car le pouvoir du libre arbitre reste sauf dans l’un et dans l’autre cas.11

Le Pasteur d’Hermas12 et le L’épître de Barnabé13 avaient déjà représenté l’action humaine sous l’influence de principes célestes opposés, à savoir les démons et les anges,14 le premier dans une perspective plus déterministe – affirmant que si de bonnes pensées nous parviennent, elles sont inspirées par le bon ange, si ce sont au contraire de mauvaises pensées, elles sont provoquées par le mauvais ange –, la seconde la reliant à la doctrine, à la fois classique et biblico-chrétienne,15 des deux voies, de la lumière et des ténèbres, respectivement présidées par les anges et les démons. En ce qui concerne cette tradition, Origène précise que, de ces entités opposées qui se battent dans notre conscience, il ne ressort essentiellement qu’une impulsion et une incitation : l’homme peut rejeter les mauvaises suggestions des démons, ne commettant pas le mal, de même qu’il peut refuser 11  12 

Origène, Traité des Principes III,2,4 (éd. Crouzel, 169–171). Pasteur d’Hermas, Préceptes 6,2. 13  Épître de Barnabé 18. 14  Pour cette distinction, voir Boyancé, « Les deux démons personnels ». Pour sa présence dans la littérature juive, cf. Testament de Juda 20,1 ; Philon, Quaestiones in Exodum 1,35. 15  Cf. Jr 21,8 ; Dt 30,15 ; Si 15,18 ; Mt 7,13 ; Didaché 1,1 ; Testament d’Asher 1,3s. ; 2 Hénoch 30,15 ; Oracles Sibyllins VIII,399s.



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de suivre les bonnes inspirations divines, en conservant intacte la prérogative de son libre arbitre dans les deux cas.

2.  La représentation de la λειτουργία des anges Une fois précisé cet a priori incontournable de l’existence d’entités spirituelles qui soutiennent l’homme et de la coexistence de leur influence et de la liberté inaliénable de l’homme, sans qu’elles ne se confondent, il nous intéresse maintenant de vérifier comment Origène imagine concrètement l’exercice de ce soutien divin, à savoir : a) en quels termes et sur quelle base documentaire la tutelle angélique est représentée, b) à partir de quel moment et jusqu’à quand cette protection est exercée et envers quels sujets, c) quelles sont les limites de cette protection et d) quelles sont les caractéristiques de ces anges gardiens. Le texte du Contre Celse proposé ci-dessus offre déjà de bonnes indications pour répondre à la première question. L’énucléation, en fait, des modalités à travers lesquelles les anges apportent leur soutien aux hommes pieux est située dans ce passage par Origène entre deux textes bibliques qui la justifient : d’une part Dn 7,10 concernant le service que ces êtres rendent constamment à Dieu, des myriades en nombre – μὐριαι μυριάδες ἐλειτούργουν αὐτῷ –, d’autre part He 1,14,16 insistant sur la différence entre le Premier-né –  le Christ  – et les anges, justement dépendante du fait qu’« ils sont des fonctionnaires spirituels (λειτουργικὰ πνεύματα), qui sont envoyés pour le service (εἰς διακονίαν ἀποστελλόμενα) à cause de ceux qui sont destinés à hériter le salut » : ce qui les différencie du Christ, entre autres, c’est sans aucun doute leur statut, pour ainsi dire, de fonctionnaires au service du projet de salut providentiellement disposé par Dieu. Les deux termes qualifiant ce service, λειτουργία et διακονία, se trouvent ensemble dans ce contexte dans divers passages origéniens. Un texte provenant du chapitre 11 du traité Sur la prière, composé en 234–235, souligne comment la diaconie des anges envers Dieu, soulignée dans Mt 4,11 – « les anges de Dieu s’approchèrent de Jésus et le servirent »  –, ne se restreint pas au bref temps de la présence corporelle du Christ parmi les hommes, mais continue après son Ascension, dans l’intention d’appuyer sa volonté de retrouver les brebis perdues d’Israël : « οἱ δὲ ἄγγελοι » τοῦ θεοῦ προσελθόντος Ἰησοῦς « διηκόνουν αὐτῷ » (Mt 4,11), καὶ μὴ πρέπον ἐστὶν ἡμᾶς πρὸς ὀλίγον χρόνον νοεῖν γεγονέναι τὴν τῶν ἀγγέλων πρὸς τὸν Ἰησοῦν διακονίαν τῆς σωματικῆς αὐτοῦ ἐπιδημίας […] οὐ μάτην γὰρ οἱ ἄγγελοι τοῦ θεοῦ ἀναβαίνουσιν καὶ καταβαίνουσιν « ἐπὶ τὸν υἱὸν τοῦ ἀνθρώπου » (Jn 1,51) […] καὶ παρ᾽αὐτὸν οὖν τὸν καιρὸν τῆς εὐχῆς ὑπομιμνησκόμενοι ὑπὸ τοῦ εὐχομένου, ὧν 16  Voir dans ce volume la contribution de P. Garuti : « Des esprits au service des héritiers du salut. He 1,14 en contexte ».

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δεῖται ὁ εὐχόμενος, ἃ δύνανται ὡς καθολικὴν εἰληφότες ἐντολὴν ἐπιτελοῦσι […] οὕτως ὑποληπτέον συνάγεσθαἰ ποτε τῶν ἐπισκοπούντων καὶ λειτουργούντων τῷ θεῷ ἀγγέλων παρουσίαν τῷδέ τινι τῶν εὐχομἐνων ἵνα συμπνεύσωσι οἷς ὁ εὐχόμενος ἠξίωσεν. Ἀλλὰ καὶ ὁ ἑκάστου ἀγγέλος « καὶ τῶν » ἐν τῇ ἐκκλησίᾳ « μικρῶν », « διὰ παντὸς » βλέπων « τὸ πρόσωπον τοῦ πατρὸς τοῦ ἐν τοῖς οὐρανοῖς » (Mt 18,10) καὶ ἐνορῶν τοῦ κτείσαντος ἡμᾶς τὸν θειότητα, συνεύχεται τε ἡμῖν καὶ συμπράττει ἐν οἷς δυνατὸν ἐστι περὶ ὧν εὐχόμεθα. « Les anges de Dieu, s’approchant de Jésus, l’ont servi », et il ne faut pas croire que ce ministère a duré le peu de temps où il a habité avec son corps parmi les hommes […] En effet, ce n’est pas pour rien que les anges de Dieu montent et descendent au-dessus du Fils de l’homme. […] Eux, donc, au moment de la prière, appelés par celui qui prie pour ses besoins, accomplissent ce qui est en leur pouvoir, conscients de la mission universelle qu’ils ont reçue. […] Il faut aussi penser que parfois les anges sont présents à ceux qui prient, qui voient et coopèrent avec Dieu pour obtenir ce que celui qui prie a demandé. Mais aussi l’ange de chaque personne, même de ceux qui sont petits dans l’Église, qui voit toujours le visage du Père céleste et contemple la divinité de notre créateur, prie et coopère avec nous, dans la mesure de ses possibilités, à l’égard de nos requêtes.17

En effet, « ce n’est pas pour rien que les anges de Dieu montent et descendent au-dessus du Fils de l’homme », selon le texte de Jn 1,51 cité à plusieurs reprises dans de tels contextes par Origène : ce double mouvement d’anabase et de catabase répond à la tâche de ces êtres de soutenir, dans la mesure de leur pouvoir, les prières légitimes des croyants : nous devons en effet penser – observe Origène – que parfois sont présents à ceux qui prient, les anges qui voient Dieu et coopèrent avec lui pour obtenir ce que le priant a demandé, et dans cette catégorie se trouve aussi l’ange de chacun et de ceux qui sont petits dans l’Église selon Mt 18,10 dont nous parlerons plus loin. Soutenir l’orant est, donc, un aspect de la coopération avec Dieu, et le terme employé pour désigner ce service rendu au créateur est à nouveau λειτουργία, associé ici à ἐπισκοπέω, « surveiller », « superviser ». Un autre terme aussi retient notre attention, c’est l’ἐντολή catholique, le mandat universel que les anges ont de quelque sorte18 reçu à cet égard, ce terme évoquant manifestement l’emploi du verbe correspondant ἐντέλλω en Ps 91[90],11, un texte très fameux : « Car il donnera un ordre (ἐντελεῖται) à ses anges, pour qu’ils t’escortent sur tous les chemins. » La λειτουργία envers les hommes fait donc partie de la λειτουργία des anges envers Dieu qui est constitutive de leur nature, si bien que l’ange qui apporte ce secours est qualifié d’ἄγγελος λειτουργός, occurrence unique et originale chez Origène que l’on trouve dans le traité Sur la prière VI,4 (voir peu avant) et qui nous intéresse à d’autres égards ; c’est pour cette raison qu’elle figure dans le titre de cette contribution.

17  Origène, Sur la prière XI,3–5 passim (éd. Koetschau, 323–324 ; trad. personnelle de l’auteur). 18  À remarquer la nuance introduite par ὡς avec le participe parfait εἰληφότες.

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3.  Les destinataires de la διακονία angélique Les textes déjà cités permettent aussi d’investir la question suivante, à savoir quand et vers qui s’exerce cette diaconie des anges établie par Dieu. Dans le passage du Contre Celse (VIII,34.36) cité ci-dessus, les fonctionnaires spirituels que sont les anges exercent leur diaconie en faveur de ceux qui cherchent à imiter leur piété envers Dieu, et assistent ceux qui font appel à Dieu et le prient avec un cœur sincère dans le but de les amener au salut. Cette fonction s’exerce donc à l’égard de sujets déjà disposés avec droiture sur le chemin de la foi – il prient Dieu de façon autonome et pieuse. Le chapitre 11 du traité Sur la prière, par ailleurs, tout en parlant d’une mission universelle (καθολική ἐντολή) dont les anges sont investis envers, encore une fois, celui qui prie (ὁ εὐχόμενος), semble différencier les anges de chacun (ὁ ἑκάστου ἀγγέλος) des anges qui appartiennent aux petits dans l’Église (« καὶ τῶν » ἐν τῇ ἐκκλησίᾳ « μικρῶν ») selon Mt 18,10. En réalité, il ne s’agit pas de deux catégories distinctes, mais plutôt d’un sous-ensemble compris dans un ensemble plus vaste et général, καί prenant ici le sens adverbial de « même » : tout homme bien disposé dans la prière a son ange, dit Origène, même les petits dans l’Église. Cette interprétation est pleinement confirmée par ce passage, extrait du deuxième livre du Traité des principes : Potest autem etiam tertio sensu illud intellegi de divisione ista (cf. Lc 12,46), ut quoniam unicuique fidelium, etiamsi minimus sit in ecclesia, adesse angelus dicitur, qui et semper videre faciem dei patris a salvatore perhibetur, et hic, qui utique unum erat cum eo, cui praeerat, si is per inoboedientiam efficiatur indignus, auferri ab eo dei angelus dicatur, et tunc pars eius, id est humanae naturae pars, avulsa a dei parte, cum infidelibus deputetur, quoniam commonitiones appositi sibi a deo angeli non fideliter custodivit. On peut enfin comprendre en un troisième sens cette division : chacun des fidèles, même le plus petit dans l’Église, est assisté par un ange selon l’Écriture, et le Sauveur rapporte que cet ange voit toujours la face de Dieu le Père ; cet ange qui ne faisait en quelque sorte qu’un avec celui qu’il gouvernait, lui est ôté par Dieu d’après ce qui est dit, si son pupille s’en rend indigne par sa désobéissance ; et alors la partie, c’est-à-dire la partie de nature humaine, arrachée de sa partie divine, est envoyée avec les infidèles, parce qu’elle n’a pas gardé fidèlement les avertissements de l’ange qui lui avait été attribué par Dieu.19

Chaque fidèle est accompagné d’un ange, même les plus petits (unicuique fidelium, etiamsi minimus sit in ecclesia adesse angelus dicitur). Cet ange ne fait qu’un avec le fidèle qui lui est confié (hic qui utique unum erat cum eo cui praeerat) mais si ce dernier en devient indigne, l’ange s’éloigne et l’homme est relégué parmi les infidèles (cum infidelibus deputetur). Par ailleurs, quelques textes comme un passage de l’Homélie 35 sur Luc – passage qui sera au centre de notre attention à d’autres égards,20 – semblent impli19 

Origène, Traité des Principes II,10,7 (éd. Koetschau, 181 ; trad. Crouzel). Origène, Homélie sur Luc 35,3–4 (éd. R auer, 207–208) : Quod si cui displicet, transeat ad volumen, quod titulo Pastoris inscribitur, et inveniet cunctis hominibus duos adesse 20 

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quer que tous les hommes, pas seulement ceux qui sont dans l’Église, sont potentiellement bénéficiaires de la protection et du secours angélique. Toutefois, sur ce point, Origène ne reporte pas une pensée personnelle, mais une donnée provenant du Pasteur d’Hermas, que nous avons déjà rencontrée dans le passage du Traité des principes, et par rapport auquel l’exégète alexandrin prend toutes ses distances, soulignant qu’en tout cas cette tutelle qui accompagne les hommes n’affecte en rien la liberté totale de leur choix. Et ici aussi les angeli boni postulés par le Pasteur sont identifiés par Origène à ceux mentionnés en Mt 18,10. En fait, à mon avis, les textes d’Origène n’interrogent pas la possibilité que les païens aient ou non un ange gardien, comme le suppose Manlio Simonetti.21 Cela est manifestement exclu par Origène, comme le montrent sans ambiguïté certains textes. À ce propos, le passage de la première homélie sur Ézéchiel, qui appartient, selon toute probabilité, à un cycle d’homélies prêchées à Césarée en 241–242 et qui nous est parvenu grâce à la traduction hiéronimienne, est significatif : « Aperti sunt caeli ». Non sufficit unum caelum aperiri, aperiuntur plurimi, ut descendant non ab uno, sed ab omnibus caelis angeli ad eos qui salvandi sunt, angeli qui « ascendebant et descendebant super filium hominis » (Jn 1,52), et « accesserunt ad eum et ministrabant ei » (Mt 4,11). Descenderunt autem angeli quia prior descenderat Christus, metuentes ante descendere, quam Dominus virtutum omnium rerumque praeciperet. Quando autem viderunt principem militiae caelestis in terrestribus locis commorari, tunc per apertam viam egressi sunt sequentes dominum suum et parentes voluntati eius, qui distribuit eos custodes credentium nomini suo. Tu heri sub daemonio eras, hodie sub angelo. « Nolite » inquit Dominus « contemnere unum de minimis istis » qui sunt in ecclesia. « Amen enim dico vobis quia angeli eorum per omnia vident faciem patris mei, qui est in caelis » (Mt 18,10). Obsequuntur saluti tuae angeli, confessi sunt ad ministerium filii Dei et dicunt inter se: « Si ille descendit et descendit in corpus, si mortali indutus est carne et sustinuit crucem et pro hominibus mortuus est, quid nos quiescimus, quid parcimus nobis? Eia, omnes angeli, descendamus e caelo! ». Ideo et multitudo militiae caelestis erat laudantium et glorificantium Deum, quando natus est Christus. Omnia angelis plena sunt, veni, angele, suscipe senem conversum ab errore pristino, a doctrinis daemoniorum, […] Parvulus est, hodie nascitur senex […] et cum susceperis, tribue ei baptisma secundae regenerationis. « Les cieux s’ouvrirent ». Il ne suffit pas qu’un ciel s’ouvre, un grand nombre s’ouvre, afin que non pas d’un mais de tous les cieux descendent les anges vers ceux qui sont à sauver. « Les anges qui montaient et descendaient au-dessus du Fils de l’homme », et « ils s’approchèrent de lui et ils le servaient ». Or, les anges descendirent parce que le Christ était descendu le premier craignant de descendre avant que l’eût ordonné « le Seigneur des puissances » et de toutes choses. Mais quand ils virent le prince « de la milice céleste » deangelos: malum, qui ad perversa exhortatur, et bonum, qui ad optima quaeque persuadeat. Scribitur et alibi, quod assistant homini sive in bonam sive in malam partem duplices angeli. De bonis etiam Salvator meminit dicens: « Angeli eorum semper vident faciem Patris mei qui est in coelis » (Mt 18,10). 21  Simonetti, « Due note sull’angelologia origeniana », 174.

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meurer dans les lieux terrestres, alors par la voie ouverte ils sortirent à la suite de leur Seigneur, obéissant à la volonté de celui qui les répartit comme gardiens de ceux qui croient en son nom. Toi, tu étais hier sous la dépendance d’un démon, tu es aujourd’hui sous celle d’un ange. « Gardez-vous », dit le Seigneur, « de mépriser aucun de ces tout-petits » qui sont dans l’Église. « Car, en vérité, je vous le dis, leurs anges voient constamment la face de mon Père qui est dans les cieux ». Les anges s’emploient à ton salut, ils se sont déclarés au service du Fils de Dieu, et ils disent entre eux : si Lui est descendu, et descendu dans un corps, s’il s’est revêtu d’une chair mortelle, s’il a supporté la croix, s’il est mort pour tous les hommes, pourquoi nous reposer nous, pourquoi nous épargner ? Allons, tous les anges, descendons du ciel ! Aussi bien il « y avait une multitude d’anges louant et glorifiant Dieu » quand est né le Christ. Tout est plein d’anges ; viens, ange, reçois un vieillard converti de l’ancienne erreur, de la doctrine des démons […] Il est « tout-petit », aujourd’hui naît un vieillard, un vieillard redevenu jeune enfant. Et l’ayant reçu, accordelui « le baptême de la seconde naissance ».22

Ce passage explique la vision dans le premier chapitre de ce prophète. La proposition « les cieux s’ouvrirent » qui inaugure cette vision est mise en rapport avec les anges descendant et remontant de Jn 1,51 et le service qu’ils rendent au Christ en Mt 4,11 ; la descente des anges peut ainsi être expliquée, si je puis dire, « historiquement » : les anges descendent après que le Christ est descendu, avant ils avaient peur de descendre, les réalités terrestres étant au pouvoir des démons. Cette décision est exprimée aussi à travers une prosopopée dramatique des anges, qui, constatant que leur chef s’est incarné dans un corps mortel et qu’il est mort sur la croix pour les hommes, se disent qu’il leur est impossible de rester dans l’inertie, et s’exhortent enfin à descendre du ciel (eia omnes angeli descendamus e caelo!). Ainsi le Christ peut les affecter comme custodes credentium nomini suo, « gardiens des croyants en son nom ».

4.  La gradualité de la tutelle angélique À la lumière de ce qui précède, la question de quand et envers qui s’exerce la diaconie angélique se pose donc plutôt en ces termes : l’ange gardien est-il une présence co-existante à tout homme dès sa naissance, comme le veulent les sources païennes telle que la République platonicienne pour les δαίμονες, avec évidemment la concurrence d’un principe négatif, d’une manifestation diabolique, qui tente de l’influencer dans le sens contraire, comme le suppose le Pasteur d’Hermas – l’homme se retrouvant donc à choisir, le moment venu, entre ces deux influences opposées ? Ou bien cet ἄγγελος λειτουργός intervient-il dans le cours de la vie de l’homme pour soutenir l’action déjà positivement orientée vers le culte du vrai Dieu ?

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Origène, Homélie sur Ézéchiel, I,7 (éd. Baehrens, 82 ; trad. Borret).

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La réponse à cette question dépend en grande partie du jugement que l’on porte sur l’interprétation origénienne de Mt 18,10, texte qui affirme en substance : « Faites attention à ne mépriser aucun de ces petits. Je vous assure que leurs anges dans le ciel voient constamment le visage de mon Père des cieux. » Dans ce texte, Origène insère presque toujours la précision, absente dans l’évangile, μικροί ἐν τῇ ἐκκλησίᾳ – dans la traduction latine, parvuli ou minimi qui sunt in ecclesia. Cette précision est importante car elle qualifie ces μικροί dans un sens intracommunautaire, ce qui conduit à émettre l’hypothèse d’une sélection de sujets par rapport auxquels ces tuteurs étaient autorisés à exercer leur action, en s’abstenant de soutenir les autres. En insérant cet ajout, qui doit être expliqué et motivé, Origène est-il vraiment animé par l’intention de tracer une frontière entre les croyants et les non-croyants ? Sur ce point, Origène, dans le commentaire composé sur Matthieu au sommet de son activité homilético-pastorale à Césarée entre 244 et 249 – le XIIIe livre, partie qui nous intéresse, nous est parvenu dans le texte grec original  –, expose un raisonnement problématique, comme c’est typique pour ce genre littéraire, marqué par la méthode zététique.23 Se demandant quand ces anges ont été agrégés aux hommes, l’Alexandrin émet trois hypothèses : –  la première, à partir du baptême (διὰ λουτροῦ παλιγγηνεσίας ᾧ ἐγενή­ θεσαν). C’est une interprétation qu’il évoque comme exclusive dans la neuvième homélie sur Josué –24 où les μικροί de Mt 18 sont traduits par infantes et interprétés comme enfants dans le baptême, voire dans la foi, Origène mentionnant explicitement le moment où le croyant est investi des fidei sacramenta. Dans l’homélie sur Ez 1,7, citée ci-dessus, le parvulus de Mt 18,10 n’est pas interprété en relation avec l’âge, car cette condition infantile est opposée à la senectus, là aussi symbolique, relative au vieil homme et de dérivation paulinienne (Ep 4,17.20–24) : à ce parvulus l’ange est invité par l’auteur à donner le baptême de la deuxième naissance, baptisma secundae generationis. –  la deuxième hypothèse est que l’ange est confié dès la naissance selon la prescience et la prédestination de Dieu en Christ, dont parle Rm 8,29, à « ceux que Dieu a destinés à être comme son Fils ». Dans ce cas, l’octroi de la protection angélique, demeurant, pour ainsi dire, « potentielle », inactive jusqu’à la conversion, n’est qu’une manifestation de l’élection providentielle : cet accompagnement ne peut se traduire effectivement dans un appui, une aide, qu’à l’avènement décisif de la conversion. 23  24 

Pour cet aspect, voir Bendinelli, Il Commentario a Matteo di Origene. Origène, Homélie sur Josué IX,4 (éd. Baehrens, 349–350) : Si enim recte intellegamus Istrahelem dici mente Deum videntem, rectissime hoc de ministris angelis magis dicitur, secundum Domini sententiam dicentes de infantibus, quod et tu fuisti infans in baptisma, quia « angeli eorum semper vident faciem Patris mei qui est in coelis » (Mt 18,10). Coram istis igitur filiis Istrahel qui aderant illo tempore, cum tibi fidei sacramenta tradebantur, videntibus faciem Dei, Iesus in corde tuo Deuteronomium scripsit.



Fonctions et limites de l’ἄγγελος λειτουργός chez Origène

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–  la troisième – et cette hypothèse peut nous surprendre en raison de l’utilisation de certains mots sur lesquels je reviendrai – soutient que le couple angehomme est originaire, c’est-à-dire date de la naissance de l’homme, les deux passant ensemble de l’infidélité à la foi, du vice à la vertu dans un processus de perfectionnement mutuel : …  ἀρξάμενος ἀπὸ τοῦδε τοῦ χρόνου τῷ προγνωσθέντι συζεύγνυται, τῶν ἀρρήτων κριμάτων τοῦ Θεοῦ, καὶ ἀβύσσοις ἐοικότων εἰκότως πᾶσαν τὴν τοιαύτην ἁρμονίαν συναγαγόντων, ἀγγέλους πρὸς ἀνθρώπους. Δυνατὸν δὲ καὶ ὥσπερ ἀνδρὸς καὶ γυναικὸς ἀμφοτέρων ἀπίστων, ὁτὲ μὲν ὁ ἀνὴρ πρότερον πιστεύσας τῷ χρόνῳ σώζει τὴν γυναῖκα· ὁτὲ δὲ ἡ γυνὴ ἀρξαμένη ὕστερὀν ποτε πείθει τὸν ἄνδρα, οὔτω γίνεσθαι καὶ ἐπὶ τῶν ἀγγέλων καὶ τῶν ἀνθρώπων. … commençant à s’associer dès maintenant avec celui qui est déjà connu et destiné par Dieu à venir à la foi à ce moment précis : ce seront probablement les jugements de Dieu, ineffables et impénétrables comme les abysses, qui réunissent toute cette relation harmonieuse des anges et des hommes. En outre, de même qu’il est possible que, si un mari et une femme sont tous deux non croyants, c’est parfois le mari qui vient d’abord à la foi et qui, avec le temps, conduit sa femme au salut, et parfois c’est la femme qui commence à croire et qui, plus tard, persuade aussi son mari, ainsi cela peut aussi se produire dans le cas des anges et des hommes.25

Au-delà de ces trois interprétations, il est certain que les μικροί auxquels le texte de Matthieu fait référence doivent être compris selon Origène non par rapport au sens propre de l’âge de l’homme extérieur, mais par rapport à l’homme intérieur, c’est-à-dire à l’état encore infantile de l’âme qui n’a pas progressé dans la connaissance des réalités divines et dans la praxis chrétienne par ses propres choix. En effet, la première conséquence de la tutelle angélique est sa gradualité. Particulièrement intéressant est le passage de cette partie du commentaire sur Matthieu, où Origène oppose ces petits, qui sont sous la tutelle des anges parce que leur foi jaillit encore de la peur propre à la condition servile, non entièrement filiale, aux sujets plus mûrs qui sont sous la tutelle directe du Christ, plus grand que les anges : Ἐπιστήσεις δὲ κατὰ ταῦτα καὶ εἰ μικρῶν μέν εἰσιν ἄγγελοι πνεύματι δουλείας [τῶν] εἰς φόβον ἀγομένων (ἐπεὶ « παρεμβάλλει ἄγγελος Κυρἰου κύκλῳ τῶν φοβουμένων αὐτὸν, καὶ ῥύεται αὐτούς »), μεγάλων δὲ ὁ τῶν ἀγγέλων μείζων Κύριος (ὅστις λέγοι ἂν περὶ ἑνὸς ἑκάστου αὐτῶν τὸ· « Μετ’αὐτοῦ εἰμι ἐν θλίψει »), καὶ ὅσον ἐσμὲν ἀτελεῖς, καὶ δεόμενοι τοῦ βοηθοῦντος ἡμῖν πρὸς τὸ ῥυσθῆναι ἀπὸ κακῶν, ἀγγέλου δεόμεθα περὶ οὗ ἔλεγεν ὁ Ἰακὼβ τὸ· « Ὁ ἄγγελος ὁ ῥυόμενος με ἐκ πάντων τῶν κακῶν », τελειωθέντες δὲ καὶ διελθόντες τὸ ὑπὸ « τιθηνοὺς » εἶναι καὶ « τροφοὺς » καὶ « οἰκονόμους » καὶ « ἐπιτρόπους », χωροῦμεν ἤδη ὑπ`αὐτῷ οἰκονομεῖσθαι τῷ Κυρίῳ. Or, d’après ces textes, vous comprendrez que s’il y a des anges du Seigneur parmi les petits, qui sont conduits par un esprit d’esclavage, « car l’ange du Seigneur campe autour de 25  Origène, Commentaire sur Matthieu, XIII,26 (éd. Klostermann, 257 ; trad. de l’auteur).

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ceux qui le craignent, et les sauve » (Ps 33,8), parmi les grands il y a le Seigneur lui-même au-dessus des anges, ayant dit de chacun d’eux : « Je serai avec eux dans la tribulation » (Ps 90,15). Tant que nous sommes imparfaits et que nous avons besoin de celui qui nous aide à nous délivrer des maux, nous avons besoin d’un ange, dont Jacob dit : « L’ange qui me délivre de tous les maux » (Gn 48,16), mais une fois que nous avons atteint la perfection, que nous sommes passés de la dépendance des « intendants » et des « tuteurs », nous avons maintenant la capacité d’être enseignés par le Seigneur lui-même.26

La conséquence est que la tutelle de l’ange est temporaire, provisoire, liée à l’état d’incomplétude, d’imperfection ; on a besoin des anges dans la mesure où l’on est imparfait (ὅσον ἐσμὲν ἀτελεῖς […] ἀγγέλου δεόμεθα), une fois que l’on devient parfait (τελειωθέντες), on est gouverné par le Christ même (ὑπ’αὐτῷ οἰκονομεῖσθαι τῷ Κυρίῳ). Cette interprétation est constante chez Origène, selon un système sensiblement binaire que l’on retrouve par exemple, toujours grâce à Rufin, dans l’Homélie 24 sur les Nombres, postérieure à 245 : Haec quidem erga inferiores quosque fieri accipiendum est ; perfectioribus ipse adest Deus […] Iustis ergo et electis ipse adest Deus, inferioribus vero adsunt angeli secundum ea quae superius diximus, gubernantes eos et procurantes Voilà ce qui se passe avec les moins parfaits, tel est le sens du passage ; quant aux plus parfaits, Dieu lui-même les assiste […] Le Seigneur assiste donc lui-même les justes et les élus, mais les inférieurs, ce sont les anges qui les assistent, comme nous avons déjà prouvé, qui les gouvernent, veillent sur eux.27

Dans ce passage, Dieu préside directement aux destinées des perfectiores que sont les justes et les élus, tandis que les anges assistent les inférieurs. Mais ce schéma peut se compliquer davantage dans une série triadique, comme il ressort du chapitre 6 du traité Sur la prière, dans lequel on trouve le terme ἄγγελος λειτουργός : καὶ τῷδε μὲν τινι τοιῷδε ἐσομένῳ τόνδε τὸν ἄγγελον λειτουργὸν ἐπιπἐμψω, ἀπὸ τοῦδε ἁρξόμενον τοῦ χρόνου συνεργεῖν αὐτοῦ τῇ σωτηρίᾳ καὶ μἐχρι τοῦδε συνεσόμενον, τῷδε δὲ τόνδε, φέρε εἰπεῖν, τὸν τοῦδε τιμιὠτερον, τῷ τοῦδε ἐσομἐνῳ κρείττονι. À celui qui est destiné à devenir ainsi, j’enverrai un ange gardien pour coopérer dès à présent à son salut et l’assister ; à un autre, j’enverrai, pour ainsi dire, un autre ange de plus haute dignité, car cet homme est destiné à être meilleur que le premier.28

L’ἄγγελος λειτουργός est donc envoyé pour collaborer au salut de celui qui se trouvera dans la nécessité d’être aidé dans son chemin de conversion ; et seulement jusqu’à ce moment et à la réalisation de ce but, un tel ange accompagnera le débutant dans la foi. Un autre, au contraire, – Origène est conscient du caractère fort de l’affirmation, c’est pourquoi il la temporise par l’expression « qu’il me 26 

Origène, Commentaire sur Matthieu, XIII,26 (éd. Klostermann, 253–254 ; trad. de l’auteur). 27  Origène, Homélie sur les Nombres XXIV,3 (éd. Baehrens, 232 ; trad. Doutreleau). 28  Origène, Sur la prière VI,4 (éd. Koetschau, 314 ; trad. de l’auteur).



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soit permis de l’affirmer » –, un autre, destiné à être meilleur, sera accompagné d’un ange plus honorable que le premier. Enfin, Dieu supervise le parfait. Le régime ternaire est repris dans l’Homélie 24 sur les Nombres, déjà citée, en relation avec l’explication de Nb 30, qui considère l’obligation des vœux des femmes, en particulier la fille de la famille dont le vœu est sous la surveillance du père, et la femme mariée dont le vœu est sous la juridiction du mari : Haec sunt quidem quae scripta sunt, sed orandus est nobis Deus, ut intellectum dare dignetur dignum, quo haec, ut decet de Dei verbis intellegi, possimus advertere. Omnes qui sub Dei lege vivimus et in ecclesia eius habemur, aliqui sub patribus, aliqui sub viris agimus. Et si quidem parvula est anima et initia habet in eruditionibus divinis, haec sub patre agere credenda est. Si vere iam adultior facta est, […] haec sub viro posita dicitur […] Sed audi quomodo de semet ipso suique similibus pronuntiet Paulus: « Donec occurramus » inquit « omnes in virum perfectum, in mensuram aetatis plenitudinis Christi » (Ep 4,13). Huic ergo animae quae in virum perfectum occurrit, nemo dominatur in votis, sed habet potestatem suorum libertatemque votorum. Tel est le texte. Mais il nous faut demander à Dieu une intelligence digne de comprendre ce passage, comme il convient aux paroles de Dieu. Nous qui vivons les uns sous un père, les autres sous un mari. Si notre âme est petite et novice à l’école de Dieu, il faut la regarder comme vivant sous l’autorité d’un Père. Mais si elle a grandi au point d’être mûre pour le mariage, pour concevoir de la semence de la Parole de Dieu et comprendre les secrets de la doctrine spirituelle, on dit qu’elle est placée sous l’autorité d’un mari. C’est ainsi que Paul disait aux Corinthiens : « Je veux vous présenter à un seul mari comme une vierge pure au Christ ». Quant à ceux qui dans cette dernière catégorie sont plus parfaits et plus élevés, il n’est pas dit qu’ils sont sous l’autorité d’un mari, mais écoute comme Paul parle de soi et de ses semblables : « En attendant que nous nous rencontrions tous à l’état d’homme parfait, à la mesure de la stature achevée du Christ ». Aux vœux de cette âme qui rencontre l’homme parfait, personne n’a pouvoir de commander, elle dispose de ses biens, elle est libre de ses vœux.29

Origène donne une lecture allégorique de ce passage, en voyant dans les figures féminines l’âme, qui, dans le cas de la fille de la famille est parvula, dans le cas de la femme mariée est adultior, de sorte que même le sujet masculin qui exerce la juridiction connaît une progression du père de famille au mari, et ces deux figures sont identifiées à deux catégories différentes d’anges. Lorsque, par contre, l’âme a atteint la mesure de la plénitude de l’âge qui est propre à l’homme parfait, selon le passage de Paul en Ep 4,3, personne n’exerce plus de protection sur ses vœux, car désormais ces parfaits sont directement en relation avec Dieu.

29  Origène, Homélie sur les Nombres XXIV,3 (éd. Baehrens, 231–232 ; trad. Doutreleau).

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5.  La syzygie ange-homme et le principe de co-responsabilité Voyons ensuite les autres implications de cette relation ange-homme. Du côté homme ressort un autre élément important, à savoir que l’homme ne peut s’émanciper que progressivement de la protection angélique à laquelle il est soumis ; l’exercice autonome de sa liberté, présupposé qui n’est jamais remis en cause, est progressif : dans un passage du Commentaire sur le Cantique,30 un autre ouvrage tardif de la production d’Origène qui nous est parvenu dans la traduction de Rufin, Origène, s’appuyant sur Ga 4,3 – « tandis que le fils du propriétaire est un enfant, on ne le distingue pas des esclaves […] il dépend des tuteurs et d’économes jusqu’à l’âge fixé par son père » –, souligne comment le croyant encore enfant dans la foi, ne peut pas prendre de décisions autonomes, mais que ces dernières appartiennent exclusivement à ses tutores et procuratores. Mais il y a plus. Le texte du XIIIe livre du commentaire de Matthieu (déjà mentionné ci-dessus) nous permet de l’entrevoir : pour indiquer la croissance conjointe et progressive du couple ange-homme, il utilise non seulement le terme « harmonie » – πᾶσαν τὴν τοιαύτην ἁρμονίαν συναγαγόντων, ἀγγέλους πρὸς ἀνθρώπους – mais aussi le verbe συζεύγνυται. Ce verbe qualifie étymologiquement, certes, cette relation comme une véritable union, συζυγία/coniugium désignant le fait d’être sous le même joug pour l’homme et la femme, signification qu’Origène applique immédiatement après à l’ange et à l’homme. En effet, pour illustrer comment, dans ce progrès commun des deux entités, celle qui croit peut entraîner l’autre dans la foi, Origène prend l’exemple d’un mari et de sa femme, dont précisément l’un des croyants finit par amener à la foi l’autre, et vice versa. Mais ce terme, précisément en vertu de la métaphore conjugale, ne peut qu’évoquer dans le contexte où l’Alexandrin opérait, la syzygie gnostique, valentinienne en particulier,31 dans laquelle les éons/êtres sont précisément combinés en couples selon un principe masculin et féminin. La syzygie homme-ange est la version origénienne de la syzygie gnostique, démythifiée et refondée sur une base scripturaire. Ce qui nous intéresse le plus, c’est que les images utilisées définissent une coresponsabilité ange-homme dans la détermination de leur propre statut, ce qui me semble un autre point fondamental et particulier du discours d’Origène sur 30 

Origène, Commentaire sur le Cantique II (éd. Baehrens, 133) : prospexit divina providentia ut parvulis […] qui pro semet ipsis adversus astutias diaboli et daemonum pugnas, dimicare non possunt, utpote infantes adhuc et lactantes in Christo, daret angelos « propugnatores et defensores » qui velut « tutores et procuratores » (Ga 4,3), constituti sunt a Deo eorum qui infra aetatem positi pro semet ipsis, ut diximus, pugnare non possunt. Et ut hoc maiore cum fiducia agant, conceditur iis « semper videre faciem patris qui in coelis est », et istos puto esse « parvulos » quos venire ad se Iesus iussit et non sinit prohiberi (Mt 19,14) et quos semper videre dicit faciem patris. 31  Lettieri, « Tolomeo e Origene ».



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les anges gardiens. C’est un point qu’Origène illustre dans sa production par diverses métaphores efficaces. Dans la suite du texte de l’Homélie 24 sur les Nombres cité ci-dessus, les images de Nb 30 de la fille qui doit rendre compte à son père de l’observation de ses vœux, et de la femme qui doit faire de même à l’égard de son mari, si, d’une part, elles justifient, comme l’observe Origène, la protection sous laquelle l’âme parvula est placée, elles impliquent d’autre part une responsabilité du père et du mari pour les choix de la fille/mère sur lesquels ils sont appelés à veiller : Si autem feminei adhuc generis fuerit anima, cui vel vir vel pater dominatur in votis, non semper in ipsa est culpa, sed interdum redit ad viros vel parentes. De quibus quamvis applicare difficile sit, tamen quae Domino largiente occurrere potuerint, inferemus. Saepe diximus animarum, quae in ecclesia Dei sunt, curam procurationemque haberi per angelos, quosque etiam ad iudicium venire ostendimus cum hominibus, ut in illo divino constet examine, utrum sui desidia peccaverint homines an monitorum custodumque neglegentia. Videtur ergo mihi etiam in hoc loco eadem sub mysterio designari et ostendi quod aliae quidem ut filiae sub iis animae degunt, aliae ut uxores secundum ea quae superius distinximus. Si qua ergo harum offerre aliquid et vovere cupiat Deo, si quidem praeproperum est et minus aptum, quod vovet illius est, utpote custodis et monitoris, angeli reprimere et retundere voventis audaciam. Si vero audacius non represserint, non monuerit, anima quidem liberatur a culpa, ipse vero voti manebit obnoxius. Mais si l’âme est encore du sexe féminin, si un mari ou un père ont pouvoir sur ses vœux, la faute n’est pas toujours à elle, elle retombe parfois sur les maris ou les pères. Bien qu’en ces matières il soit difficile d’arriver à bon port, nous présenterons les idées qui s’offriront à nous, si Dieu le veut bien. Nous avons souvent dit que le soin et la direction des âmes qui sont dans l’Église de Dieu sont remis aux anges et nous avons montré qu’ils comparaîtront individuellement au jugement avec les hommes afin qu’il soit établi à ce tribunal divin si les hommes ont péché par leur propre déficience ou par la négligence de leurs tuteurs et gardiens. Il me semble que dans ce passage aussi. Toujours sous le voile du mystère, il est signifié, il est prouvé que certaines âmes ont avec eux des rapports de filles, d’autres d’épouses, selon la distinction que nous avons faite plus haut. Si donc l’une d’entre elles veut offrir et vouer quelque chose à Dieu, si son vœu est prémature et peu convenable, c’est à lui, à l’ange gardien et conseiller, qu’il appartient d’arrêter, de réprimer l’audace de l’auteur du vœu. Mais si, après l’avoir entendu, il ne l’arrête pas, ne l’avertit pas, l’âme sera exempte de faute, mais lui restera responsable du vœu.32

Si l’âme se comporte comme une femme (et là aussi je voudrais souligner l’utilisation du couple homme-femme pour désigner le couple âme-ange), la faute ne peut pas toujours être la sienne, mais elle retombe parfois sur les pères/maris qui auraient dû veiller sur elle, non semper in ipsa est culpa, sed interdum redit ad viros vel parentes. Et ce, parce qu’il appartient à l’ange gardien d’endiguer l’audace de ses attentes – des vœux : s’il ne le fait pas, l’âme est libérée de toute responsabilité, l’ange restera au contraire soumis à l’accomplissement de son vœu. 32  Origène, Homélie sur les Nombres XXIV,3 (éd. Baehrens, 231–232 ; trad. Doutreleau).

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Une autre métaphore très significative, utilisée dans l’Homélie 35 sur Luc, est celle de la fonction épiscopale : Simul quaere utrum parvulorum in ecclesia semper videant faciem Patris et aliorum angeli non habeant libertatem vultum Patris attendere. Neque enim sperandum est omnium angelos semper videre « faciem Patris qui in coelis est ». Si fuero de ecclesia, quamvis minimus sim, habet libertatem angelus meus et fiduciam semper videre faciem Patris mei qui in coelis est. Si autem forinsecus, nec de illa ecclesia quae non habet maculam aut rugam, aut quid istius modi, et ipsa re probor alienus esse a tali congregatione, non habet fiduciam angelus meus respiciendi vultum Patris mei qui in coelis est. Quam ob causam angeli pro bonis solliciti sunt, scientes quod si nos bene gubernaverint, et ad salutem usque perduxerint, habeant etiam ipsi fiduciam videndi faciem Patris. Quomodo enim si per curam eorum et industriam salus hominibus comparatur, faciem Patris semper attendunt, sic si per negligentiam eorum homo corruerit, etiam sui periculi rem esse non nesciunt. Et sicut bonus episcopus, et optimus ecclesiae dispensator scit sui meriti esse atque virtutis, si oves gregis sibi crediti fuerint custoditae, ita intellige et de angelis. Ignominia angelo est si homo iustus creditus fuerit, et peccaverit, ut e contrario gloria est angelo si creditus sibi saltem minimus in ecclesia fuerit. Videbunt enim non aliquando, sed semper, faciem Patris qui est in coelis, cum alii semper non videant. Secundum meritum enim eorum quorum angeli sunt, aut semper, aut nusquam, vel parum, vel plus, faciem Dei angeli contemplabuntur. En même temps, demandez-vous si les anges des petits qui appartiennent à l’Église « voient toujours la face du Père qui est dans le ciel » tandis que les anges des autres n’ont pas la liberté de regarder le visage du Père. De fait, il ne faut pas nourrir l’espoir que les anges de tous voient sans cesse la « face du Père qui est dans les cieux ». Si j’appartiens à l’Église, tout petit que je sois, mon ange est libre et assuré de voir sans cesse la face du Père qui est dans les cieux. Mais si je suis dehors et n’appartiens pas à cette Église « qui n’a ni tache ni ride ni aucun défaut de cette sorte », et s’il est prouvé effectivement que je suis étranger à cette assemblée, mon ange n’a pas l’assurance de voir « la face du Père qui est dans les cieux ». Pour cette raison les anges ne manquent pas de sollicitude pour les bons : ils savent que s’ils nous dirigent bien et nous conduisent au salut, ils auront eux aussi l’assurance de voir la « face du Père ». Si leurs soins et leur savoir-faire permettent aux hommes d’acquérir le salut, les anges voient sans cesse la « face du Père » ; inversement, si leur négligence conduit l’homme à la chute, ils n’ignorent pas que l’affaire ne va pas sans danger pour eux. De la même façon, un bon évêque, excellent administrateur de l’Église, sait qu’il revient à son mérite et à sa valeur que les brebis du troupeau à lui confiées soient bien gardées. Ainsi, comprenez-le, en est-il des anges ; c’est une honte pour un ange si l’homme qui lui est confié a péché : tout comme au contraire c’est une gloire pour lui si l’homme qui lui est confié, fût-il le plus petit dans l’Église, fait des progrès. Ils verront, en effet, non pas une fois ou l’autre mais « sans cesse la face du Père qui est dans les cieux », tandis que les autres ne la verront pas toujours. Selon le mérite de ceux qu’ils dirigent, les anges contempleront toujours ou jamais, ou bien avec plus ou moins d’intensité la face de Dieu.33

De même qu’un bon évêque sait sauvegarder le troupeau dont il est le berger, de même en va-t-il pour les anges gardiens : c’est une ignominie pour lui si le juste 33 Trad.

Fournier.



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qui lui est confié tombe dans le péché. La co-responsabilité atteint même une dimension eschatologique, comme il ressort clairement d’un passage de l’Homélie 11 sur les Nombres :34 à la fin des temps, chaque ange sera jugé avec ceux à qui il a été confié et qu’il a aidés. Et, pense Origène, le jugement de Dieu ne tournera qu’autour d’une seule alternative, que ce soit l’ange qui a échoué dans sa protection de l’homme ou l’inertie humaine qui n’a pas su répondre adéquatement à son orientation. Ce n’est pas tout. L’implication profonde de l’ange dans sa relation avec l’homme, leur co-responsabilité sont la clé par laquelle Origène justifie un point très problématique de Mt 18,10, à savoir le fait que ces anges qui prennent soin des petits, dans l’Église selon la clarification d’Origène, selon le témoignage du Christ lui-même, voient continuellement le visage du Père. Cet élément semblerait militer en faveur d’une pleine connaissance de Dieu de la part des anges. Quelque chose que, dans d’autres textes, Origène semble exclure ou du moins admettre seulement de façon hypothétique : par exemple dans la première Homélie sur Isaïe, au chapitre 4, il affirme : Solus salvator et spiritus sanctus, qui semper fuerunt cum Deo, vident faciem eius; forte et angeli qui vident iugiter faciem Patris qui est in caelis, vident et principia negotiorum, « Seuls le Sauveur et le Saint-Esprit, qui étaient toujours avec Dieu, voient sa face ; peut-être aussi les anges, qui voient continuellement la face du Père qui est aux cieux, voient-ils aussi les principes de son action. »35 Origène réserve la vision authentique au Sauveur et à l’Esprit, peut-être aux anges, sur la base de Mt 18,10, mais il limite immédiatement cette vision aux principia negotiorum, c’est-à-dire aux « principes de ses activités », évidemment en relation avec la création du monde. Mais plus importantes encore sont les limites que l’Alexandrin apporte à cette faculté angélique de pouvoir contempler le visage de Dieu dans nos textes exégétiques sur l’ange gardien. Toujours dans l’Homélie 35 sur Luc, Origène se demande si les anges des petits sont les seuls à voir Dieu et si les autres anges ne le voient pas, concluant que l’on ne peut pas attendre des anges qu’ils voient toujours le visage du Père : cela doit donc s’expliquer par le fait que si l’homme, même le plus petit, protégé par l’ange, fait partie de l’Église, l’ange a la possibilité de voir Dieu ; s’il reste en dehors de l’Église, l’ange est exclu d’une telle vue. La vision dépend donc de l’efficacité de la protection : les anges sont autorisés à voir Dieu afin de se sentir plus stimulés, incités dans leur action de conseillers humains. La conclusion du passage de l’Homélie 34  Origène, Homélie sur les Nombres XI,4,82 : Igitur unusquisque angelorum in consummatione saeculi aderit in iudicio, perducens secum eos, quibus praefuit, quos adiuvit, quos instruxit, pro quibus semper vidit faciem patris, qui est in coelis. Et puto etiam ibi inquisitionem futuram, utrum culturae hominum angelus defuerit an culturae angelicae nequaquam digne segnitia humana responderit. Erit ergo et in hoc iudicum Dei, utrum neglegentia aliqua ministrorum spirituum qui ad ministerium et adiutorium missi sunt propter eos, qui hereditatem capiunt salutis, an eorum qui ab iis iuvantur, ignavia tam multi lapsus vitae humanae proveniant. 35  Trad. de l’auteur.

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35 sur Luc est pour cela très claire : Secundum meritum enim eorum quorum angeli sunt, aut semper, aut nusquam, vel parum, vel plus, faciem Dei angeli contemplabuntur, « selon le mérite que les hommes auront acquis par leurs services, les anges verront Dieu, soit toujours, soit peu, soit plus, soit jamais ».

Conclusion Il est temps de conclure. On ne peut manquer d’admirer l’étude approfondie d’Origène sur la protection angélique, thème intimement lié à la spiritualité biblico-chrétienne et philosophique de l’Antiquité tardive. Comparée au dualisme schématique du Pasteur d’Hermas ou de L’épître de Barnabé, ou au déterminisme platonicien, sa réflexion est problématisée, intense, toujours aiguë. Quel en est le cœur, le centre ? À mon avis, il se situe précisément dans l’importante correction apportée à la lettre de Mt 18,10, c’est-à-dire que les minimi sous tutelle angélique doivent être compris in ecclesia. Non pas pour les distinguer de ceux qui sont en dehors de l’Église –  ce n’est pas un réel point d’intérêt pour l’Alexandrin, puisqu’il est déjà acquis –, mais parce que s’il s’agissait simplement d’une question de parvuli, au sens propre, cela impliquerait que l’ange est donné par Dieu comme gardien, dans une dimension pré-critique, non caractérisée par les choix du libre arbitre, retombant dans le déterminisme. Au contraire, la vision d’Origène est profondément marquée par la sauvegarde du libre arbitre, et ce parce que la liberté est la nature de la substance spirituelle : dans sa théologie de la création, in principio, avant le temps, tous les êtres étaient spirituels, et dans leur liberté, qui a ses propres mouvements/motus, ils se sont plus (démons et hommes) ou moins (anges) éloignés du Bien absolu, mais c’est à ce Bien absolu, à cette dimension, qu’ils doivent retourner : c’est l’apocatastase origénienne tant discutée. C’est le sens de la syzygie origénienne de l’homme-ange que ces textes ont éclairé, qui, tout en tenant compte des données offertes par la prédication ecclésiastique qui affirme l’existence des anges et des bonnes puissances de Dieu coopérant à son commandement pour le salut de l’humanité, va bien au-delà : l’ange et l’homme, c’est-à-dire l’âme, car l’Alexandrin traite à proprement parler de l’âme, tous deux capables d’autodétermination dans l’exercice de la liberté, peuvent se sauver ou se perdre dans leur relation mutuelle. Cette dernière, dans le seul Commentaire sur Matthieu, est placée sur une base sensiblement égale, ce qui fait aussi envisager un processus parallèle de conversion des deux, tandis que dans tous les autres textes, elle est configurée sur une base hiérarchique, plus conforme à la dictée des textes bibliques qui sont pour Origène des points de repère incontournables. D’une part, l’homme et son âme sont éloignés de Dieu et relégués parmi les infidèles, si malgré le soutien et l’engagement de leurs tuteurséconomes-évêques que sont les anges individuels, ils se déterminent librement dans la direction opposée ; d’autre part, les anges qui se sont effectivement en-



Fonctions et limites de l’ἄγγελος λειτουργός chez Origène

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gagés dans cette action de diriger l’homme, verront le visage de Dieu, mais s’ils échouent, ils ne le verront jamais.

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Les anges dans le premier art chrétien (iiie–vie siècles) : fidélités scripturaires, influences impériales, dévotion populaire Jérôme Cottin La représentation des anges dans l’iconographie des premiers siècles du christianisme est un thème peu travaillé. La raison est que ces figures ne constituent pas une thématique en soi, comme du reste dans la Bible. Elles apparaissent dans un certain nombre de représentations, mais sont difficiles à identifier et modestement représentées. Comme dans la Bible, les anges y sont avant tout des humains, certes messagers de Dieu, mais leur apparence physique ne les distingue pas des hommes : ils n’ont pas d’ailes, ils ne volent pas.1 En cela ils sont différents des chérubins et séraphins, mais justement ces étranges figures ailées n’apparaissent pas dans le premier art chrétien. Si l’art paléochrétien est d’une grande sobriété par rapport aux anges, c’est donc d’abord parce que la Bible l’est également. Contrairement à que l’on trouvera chez certains Pères et théologiens de l’Église (Augustin, Tertullien, le Pseudo-Denys) –  et même chez le réformateur Calvin, pourtant peu enclin à s’intéresser aux représentations imaginaires et visuelles –,2 il n’y a aucun développement théorique sur les anges dans la Bible, pas d’angélologie. L’autre raison de cette absence relative serait le désir de l’art chrétien naissant de se distinguer d’un art païen rempli de figures ailées : Victoires, Amours et autres figures héritées des mythologies grecques et romaines, voire babyloniennes ou assyriennes.3 Cette thèse est toutefois à relativiser pour plusieurs raisons : le premier art chrétien n’a pas hésité à s’inspirer de l’art païen, dont il a repris de nombreuses figures et motifs, tout en les christianisant.4 Par ailleurs, on trouve dès les premières représentations des messagers de Dieu sous deux formes : sans mais aussi – minoritairement  – avec ailes, si bien que l’on peut penser que ces deux représentations ont cohabité, plutôt que de soutenir l’idée que la seconde ait succédé à la première. On trouve du reste une même cohabitation de représentations différentes en ce qui concerne le visage de Jésus.5 Enfin, l’influence d’un art impérial chrétien qui triomphe avec la Paix de l’Église, va 1 

Une seule exception dans la Bible : Ap 14,6. Calvin, Institution de la Religion Chrétienne (1559), I,14,4. Keel, « Von den heidnischen Ahnen ». 4 Prigent, L’art des premiers chrétiens. 5 Cottin, Jésus-Christ en écriture d’images. 2  3 

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aboutir à un déploiement d’anges dans des représentations bibliques où ils ne sont pas mentionnés. Ils vont ensuite déborder la stricte narration biblique pour former une sorte de cadre mettant en valeur des sujets chrétiens, pour devenir enfin – surtout dans l’art oriental et byzantin – un sujet à part entière. C’est cette évolution que nous allons suivre, à partir d’un certain nombre d’exemples représentatifs, certains bien connus, d’autres moins.6 Nous proposons tout d’abord de considérer un certain nombre de scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament comportant des anges et qui ont fait l’objet de représentations picturales ou plastiques. Cela fera ressortir, comme en creux, l’absence d’autres scènes bibliques comprenant des anges, pas ou très peu représentées aux premiers siècles. Après avoir donné quelques exemples de la figuration d’anges païens dans l’art de l’Antiquité tardive, on s’arrêtera sur l’importance de l’iconographie militaire et impériale, et ses influences sur l’art chrétien dès le milieu du ive siècle : les anges deviennent alors des figures plus présentes et plus identifiables, parfois même imposantes. On terminera par quelques exemples d’un art plus populaire, personnel et intimiste, qui accompagne la dévotion privée, et dans lesquels les anges – plus que dans l’iconographie officielle et triomphale – deviennent une figure autonome, qui vaut pour elle-même.

1.  Les anges dans des récits de l’Ancien Testament [dia. 3] On relèvera tout d’abord un certain nombre de textes de l’Ancien Testament qui font mention d’anges ou de messagers de Dieu non représentés dans l’art paléochrétien. Cette absence – totale ou relative – tranche avec l’abondance de ces scènes dans l’art médiéval ou de la Renaissance. Il s’agit de l’échelle de Jacob (Gn 28,12),7 de la lutte de Jacob avec l’ange (Gn 32,25–29), de Tobit et l’ange Raphaël (Tb 6,1). Les figures ailées que sont les séraphins (Es 6,1–7) et les chérubins sont aussi absentes ; que ce soit ceux qui gardent l’arbre de vie (Gn 3,24), ceux qui se trouvent autour de l’arche d’alliance (Ex 25,18–22), à l’entrée de la tente de la rencontre (Nb 7,89), dans le temple de Salomon (1 R 6,23–28), ou ceux qui accompagnent la vision d’Ézéchiel (Ez 10). Les textes de l’Ancien Testament dans lesquels se trouvent des messagers de Dieu et qui sont représentés dans l’art chrétien des premiers siècles sont détaillés dans les six sections suivantes. 6  Les contraintes éditoriales ne permettent pas de présenter la totalité des 61 exemples commentés lors de la présentation orale et visuelle de ce travail. Mais il sera possible de les consulter tout en lisant le texte, à partir de la présentation diapositive qui se trouve sur la page web suivante : https://www.protestantismeetimages.com/Les-anges-dans-le-premier-artchretien-3e-6e-siecles.html. Les numéros entre crochets dans le présent texte renvoient aux différentes diapositives [dia.] de cette présentation. Par ailleurs, certains exemples très connus sont directement accessibles en ligne à travers des moteurs de recherche. 7  Cette scène n’est pas absente, mais rare.



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1.1.  L’épreuve d’Abraham – la ligature d’Isaac (Gn 22,1–14) Le thème de la ligature d’Isaac,8 très fréquemment représenté, montre que, très tôt, anges non ailés et anges ailés ont cohabité, comme on le voit dans les trois exemples suivants, datant tous de la seconde moitié du ive siècle, et dans lesquels on trouve les deux formules : – Le Sarcophage de Junius Bassus (milieu du ive siècle, Vatican, basilique SaintPierre, museo del Tesoro)9 [dia. 4] est très richement sculpté, sur deux bandeaux. La scène du haut à droite montre Abraham sur le point de sacrifier Isaac : l’ange a une forme tout à fait humaine et, une fois n’est pas coutume, on ne voit pas la main de Dieu renforcer le geste de l’ange, que rien de distingue des autres humains sculptés. – Le Sarcophage des deux frères [dia. 5 et en annexe illustration 1], provenant du cimetière de Lucina, près de St-Laurent-hors-les-Murs (milieu du ive siècle, Vatican, musée Pio Cristiano) :10 on y voit Abraham ainsi qu’un homme (ange) et une main qui vient du ciel. – Le troisième exemple [dia. 6 et en annexe illustration 2], une pyxis en ivoire d’éléphant très finement sculptée11 de la fin ive/premier tiers du ve  siècle, montre Abraham tenant une épée levée ; son fils, qui se trouve sous sa main gauche, est nu et a la taille d’un bébé. Abraham tourne la tête et regarde une main venant du ciel (Dieu) et un ange qui se trouve à ses côtés. Cette fois-ci, les ailes sont bien mises en évidence. Il est vrai que sur les sarcophages, à part l’exemple précédemment cité, on ne trouve pas d’anges ailés. Un dernier exemple, le sarcophage d’enfant dit « de Saint Clair d’Eauze » (Toulouse, musée des Augustins),12 qui daterait de la première moitié du ve siècle, montre Abraham et Isaac à genoux, ainsi qu’une figure féminine qui pourrait être Sarah (mais elle n’est pas mentionnée dans le récit biblique) et un autre personnage qui ne peut être que l’ange du récit. 1.2.  Abraham et les trois visiteurs (Gn 18,1–15) [dia. 7] Une autre scène fréquemment représentée est l’accueil des trois mystérieux visiteurs par Abraham à Mambré. Le texte biblique ne parle pas d’anges, mais suggère que ces personnages –  tantôt trois, tantôt un seul  – sont des envoyés de Dieu, voire représentent métaphoriquement Dieu lui-même. La comparaison de 8  Sur le développement iconographique de ce thème : Cottin, « Images d’Abraham sacrifiant ». 9  Engemann, L’art romain tardif et paléochrétien, 92. 10  Caillet/Loose, La vie d’éternité, 76 ; Collectif, La parole sculptée, 77. 11  Hauteur : 12 cm ; Effenberger, Das Museum für die Spätantike, 132, ill. 48. 12  Le sarcophage provient de l’ancien prieuré Saint-Orens d’Auch ; Caillet/Loose, La vie d’éternité, 113, ill. 104.

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trois représentations de cette scène sur trois siècles démontre une surprenante fidélité iconographique. Les personnages sont représentés comme des « triplés », mais ne possèdent pas d’ailes (contrairement à la célèbre et postérieure Trinité de Roublev). Le passage d’un art souterrain avec le premier exemple (Rome, catacombe de la Via Latina, cubiculum B, peinture murale, ive siècle)13 à un art chrétien officiel après la Paix de l’Église avec les deux autres exemples (Rome, nef, Sainte-Marie-Majeure, ve siècle – l’un des 36 panneaux en mosaïque ;14 Ravenne, mosaïque de l’église Saint-Vitale, milieu du vie siècle)15 ne semble avoir eu aucune influence sur l’évolution de la représentation. 1.3.  Le songe de Jacob (Gn 28,10–17) [dia. 8] Un autre texte de l’Ancien Testament qui fait explicitement mention d’anges décrit le songe de Jacob, en particulier dans le passage suivant : « Voici qu’était dressée sur terre une échelle dont le sommet touchait le ciel ; des anges de Dieu y montaient et y descendaient » (Gn 28,12). Cette scène est peu figurée dans le premier art chrétien, mais on connaît au moins une peinture murale, qui se trouve dans catacombe de la Via Latina (Rome, cubiculum B, arcosolium de droite, ive siècle) :16 là encore, les anges sont de simples humains masculins sur une échelle, habillés à la romaine. 1.4.  Les trois hébreux devant Nabuchodonosor et dans la fournaise (Dn 3,1–18) L’art paléochrétien affiche fréquemment cette scène, sans doute parce qu’elle est un encouragement au martyre, mais on la trouve sous deux formes : soit les trois hébreux se trouvent devant la statue d’une idole et devant Nabuchodonosor, soit les trois mêmes personnages sont situés au milieu des langues de feu. Sur le fragment d’un couvercle de sarcophage, (Rome, début du ive siècle, Berlin, musée de l’Antiquité tardive et byzantine)17 [dia. 9] on voit les trois hébreux devant le roi païen assis sur une sorte de fauteuil pliant (Dn 3,1–18) ; le quatrième homme (Dn 3,25) est sans doute l’ange de Dn 3,49. Les trois hébreux sont habillés « en perses », tandis que le quatrième homme porte le pallium grec. À droite, un putto ailé porte la partie gauche d’un écriteau, mais il n’a rien à voir avec la scène. Là encore, le mystérieux personnage est un humain comme un autre. Mais Pierre Prigent cite deux autres exemples, probablement de la même période, dans lesquels le quatrième visiteur a une paire d’ailes.18 Dans un dernier exemple, ce 13 

Grabar, Le premier art chrétien, 231, ill. 254. Grabar, L’âge d’or de Justinien, 146, ill. 157. Grabar, L’âge d’or de Justinien, 23, ill. 21 ; 157, ill. 169. 16  Grabar, Le premier art chrétien, 230, ill. 253. 17  Marbre, 30 cm x 102 cm ; Effenberger, Das Museum für die Spätantike, 85, ill. 12. 18  Prigent, L’art des premiers chrétiens, 203 : un sarcophage au musée Pio Cristiano (fig. 94), et une lampe à huile (fig. 95 : dessin repris du Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie, tome III, 2e partie, fig. 3259). 14  15 



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même auteur signale un sarcophage19 dans lequel les trois hébreux sont en fait quatre : trois sont vêtus d’un bonnet phrygien, tandis que le quatrième est sans bonnet et barbu. 1.5.  Daniel dans la fosse aux lions (Dn 6,2–25) Le récit de Daniel dans la fosse aux lions (Dn 6,2–25) est très fréquemment représenté,20 mais il disparaît ensuite presque entièrement dans l’art chrétien plus tardif. Récit, dans lequel se trouve un mystérieux personnage, et qui a vocation à encourager les chrétiens face au martyre puisque Daniel sort indemne de la fosse aux lions.  Le décryptage iconographique se complique du fait que l’on trouve deux variantes de ce récit dans la Bible, et que l’iconographie mélange deux sources : d’une part le récit issu du texte massorétique (Dn 6,17–28), d’autre part une addition grecque (Dn gr 14,31–42). Sans entrer dans les détails et débats, on sera intéressé par l’interprétation qu’en fait le sarcophage dit « dogmatique » (vers 325–350, Vatican, musée Pio Cristiano) :21 Daniel apparaît nu, en orant, avec deux paisibles lions à ses pieds ; à sa gauche, une figure humaine à la taille d’enfant, qui ne peut être qu’Habaquq, lui tend une corbeille avec des petits pains ronds ; à sa droite, une figure plus grande et barbue semble l’entourer et protéger. Il s’agit sans doute de l’ange de Dn 6,22. Là encore, il s’agit d’un ange à la fois humain et masculin. Ce qui est étrange, c’est que cette figure est comme dupliquée par une seconde, fort semblable, qui pose la main sur la tête d’Habaquq. Le sarcophage dit « des deux frères » [dia. 5] (même date, même lieu)22 montre Daniel également nu, les lions agenouillés à ses pieds, Habaquq avec les pains, ainsi qu’à l’arrière, un visage – imberbe cette fois-ci – qui ne peut-être que celui d’un ange. 1.6.  Les anges de la création Il reste une énigme : qui sont, dans certains sarcophages, les personnages qui s’affairent autour d’Adam et d’Ève, soit au moment de leur création, soit quand ils sont sous l’arbre, soit lorsqu’ils sont condamnés et doivent travailler ?23 Selon nous, selon nous, ce ne peut être que Dieu, mais comme on ne peut pas le représenter, on l’évoque à travers une forme humaine qui ne peut être qu’un ange. En effet, en ce qui concerne le créateur, nous avons un invariant : Dieu n’est pas re19  Prigent, L’art des premiers chrétiens, 204, fig. 96. Le lieu où se trouve ce motif, ainsi que la date, ne sont pas indiqués. 20  Environ 50 peintures murales et autant de scènes sculptées. 21  Prigent, L’art des premiers chrétiens, 190, fig. 88 ; Collectif, La parole sculptée, 76 ; Grabar, Le premier art chrétien, 134, ill. 136. 22  Collectif, La parole sculptée, 77 ; Caillet/Loose, La vie d’éternité, 76. 23  Des hypothèses intéressantes qui rejoignent les nôtres sont avancées par Tristan, Premières images chrétiennes, « Dieu et ses anges », 494–510.

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présenté et ne peut pas l’être. L’interdit biblique de la représentation de Dieu est, à cette époque, incontournable ; celui-ci n’est pas même représenté de manière christomorphe, comme ce sera le cas plus tard. On trouve une confirmation dans le fait qu’apparaît très souvent la main de Dieu qui est à la fois un substitut de sa présence, et un signe montrant que la parole de Dieu agit. Un sarcophage en marbre à double registre [dia. 10], d’un atelier romain découvert en 1974 à Trinquetaille en Arles (vers 320, Arles, musée de l’Arles antique),24 montre sur son couvercle la main de Dieu arrêtant le bras armé d’un glaive d’Abraham. Juste à côté, sur la droite, deux personnages parlent à Adam et Ève et même les touchent à l’épaule, autour de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Dans le registre inférieur, on voit de nouveau le couple originel, cette fois-ci représenté en tout petits personnages nus, touchés par deux personnages (un barbu, un imberbe), lesquels s’adressent à deux autres individus barbus dont l’un est assis. Qui sont toutes ces personnes qui s’affairent autour du premier couple ? Ce ne saurait être Dieu, qui n’est pas représentable, et encore moins à travers plusieurs figures. Une réponse s’impose alors : ce sont des anges. À défaut de voir Dieu, on voit ses messagers, ou plutôt ici, ses exécutants. Cette interprétation est renforcée par le fait que le jeune homme (imberbe) qui pose la main droite sur la tête d’Ève, tient dans sa main gauche un rouleau. Il agit ainsi « selon les Écritures ». Si Dieu n’est représenté que par une main qui descend du ciel, et que des anges sont représentés en hommes, alors les hommes autour d’Adam et d’Ève ne peuvent être que des anges. Sur un sarcophage (début du ive siècle, Vatican, musée Pio Cristiano),25 « Dieu » semble apparaître à Adam et Ève après le péché originel sous la forme d’un jeune homme barbu. Mais comme il ne saurait s’agir de Dieu, lequel n’a jamais été représenté à cette période, et encore moins en jeune homme, on peut conclure qu’il s’agit d’un messager de Dieu. Un autre sarcophage de cette même collection montre la même scène, mais cette fois-ci « Dieu » est un jeune homme imberbe.26 Dans le sarcophage dit « des deux testaments » ou « dogmatique » [dia. 11], déjà évoqué plus haut,27 « Dieu » remet à Adam et Ève les signes du travail (Gn 3, 17–23), et là encore il est représenté comme un jeune homme imberbe. Juste à côté, on voit la création d’Ève, et là ce sont trois personnages, l’un qui tend le bras et bénit, et les deux autres qui regardent. Dans le même sarcophage, mais dans le bandeau du dessous, on voit la scène de Daniel dans la fosse aux lions entre le roi Cyrus et Habaquq (Dn gr 14,31–42), avec, là encore, un homme barbu qui ne peut être qu’un envoyé de Dieu. 24  Caillet/Loose, La vie d’éternité, 18–19, ill. n°10 ; Engemann, L’art romain tardif et paléochrétien, 91, ill. 76. 25  Collectif, La Parole sculptée, 75. 26  Collectif, La Parole sculptée, 74. 27  Voir n. 21.

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Enfin, sur le sarcophage dit de « l’Anastasis » (325–330, Vatican, musée Pio Cristiano) : Caïn et Abel offrent un sacrifice à « Dieu », symbolisé par un homme barbu assis.28 On a déjà noté que les anges anthropomorphes sont souvent des figures masculines barbues. Dans d’autres lieux, on fait le même constat. Ainsi le couvercle d’un sarcophage au nom de Pascasia, provenant de l’église Saint-Honorat des Alyscamps à Arles, milieu du ive siècle (Arles, musée antique),29 montre un jeune homme imberbe posant affectueusement la main sur l’épaule d’Ève nue, au pied de l’arbre, Adam étant nu de l’autre côté : « Dieu » est représenté en ange anthropomorphe. On notera, pour l’Ancien Testament [dia. 12], une grande retenue dans la représentation des anges, sans doute pour éviter d’emprunter aux figures ailées païennes, mais aussi pour ne pas risquer de confondre le messager et l’auteur du message. Les anges sont avant tout des humains. Toutefois, avec les représentations du Nouveau Testament, des anges avec ailes apparaissent assez rapidement ; mais ils ne « flottent » pas. Ils ont les pieds bien posés au sol, comme tout humain. Sur les 18 panneaux bibliques de la porte de bois de la basilique SainteSabine (422–432) à Rome,30 tous les anges représentés ont des ailes. Au ve siècle donc, on peut considérer que la représentation d’un ange avec ailes est devenue la norme, et sans ailes, l’exception.

2.  Les anges dans des récits du Nouveau Testament [dia. 13] Comme pour l’Ancien Testament, certains anges présents dans le Nouveau Testament ne sont pas représentés dans le premier art chrétien, mais le seront abondamment plus tard. C’est le cas de l’annonce de l’ange Gabriel à Zacharie (Lc 1,11–20), du chœur des anges dans le récit lucanien de la nativité (Lc 2,13– 15), du combat de l’archange Michaël (Ap 12,7) ; avant le vie siècle, les anges de l’Apocalypse n’apparaissent pas. Le sujet ne constitue pas un thème en soi. 2.1.  L’Annonciation (Lc 1,26–38) Comment est représenté l’ange Gabriel dans le récit de l’Annonciation ? Une possible première Annonciation pourrait être une fresque qui se trouve dans la catacombe de Priscille, à Rome [dia. 14 et 15], et qui date du iiie siècle ; on y voit deux personnages face à face, la figure de gauche étant féminine et assise.31 Rien, toutefois, ne nous permet d’affirmer avec certitude – sinon une tradition d’inter28  29 

Collectif, La Parole sculptée, 78. Caillet/Loose, La vie d’éternité, 60. 30  Engemann, L’art romain tardif et paléochrétien, 122. 31  Cette soi-disant « première Annonciation » de la catacombe de Priscille à Rome est facilement visible sur Internet.

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prétation postérieure et récente – qu’il s’agit de Marie et de Gabriel. En tous cas le messager n’est pas ailé, contrairement à ce que l’on voit sur une peinture murale d’une nécropole à Tyr, vers 150 (Beyrouth, musée national)32 qui montre la rencontre entre Héraclès et Alceste : une personne féminine et une autre masculine, cette dernière en attitude de messager, sont face à face ; le messager est nu et a une immense paire d’ailes. Le couvercle de l’Évangéliaire « en cinq parties » [dia. 16], en ivoire et argent, originaire de Ravenne (fin du ve siècle, Milan, trésor de la cathédrale),33 représente la même scène, mais le messager est ailé. Dans la scène de l’Annonciation, clairement identifiable grâce au contexte iconographique qui comprend huit scènes bibliques, Marie est à genoux et prend de l’eau dans un vase, à une source qui coule d’un rocher ; l’ange a une immense paire d’ailes. Cette situation étrange dans laquelle se trouve Marie est un écho d’une annotation que l’on trouve dans l’Évangile du Pseudo-Matthieu 8–9 (aussi dans le Protévangile de Jacques).34 Le messager avec ailes semble donc s’imposer, mais il est toujours une figure terrestre, les pieds bien posés au sol, faisant face à Marie, ou alors arrivant derrière elle, cette dernière tournant la tête. Un siècle plus tard (fin du vie  siècle), on trouve une Annonciation gravée sur un pendentif circulaire [dia. 17]35 avec l’inscription en grec de la salutation de l’archange Gabriel, ailé et auréolé : « Salut, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi » (Lc 1,28). Entre l’ange et Marie se situe un chrisme, qui pourrait aussi être une étoile. Marie file la laine pourpre destinée au Temple ; là encore, nous avons un écho d’une annotation que l’on trouve dans le Protévangile de Jacques 11 (aussi dans l’Évangile du pseudo-Matthieu).36 Au-dessous, en plus petit, sont gravées une représentation de la Nativité et celle d’un autre récit apocryphe. Je laisse les deux représentations de l’Annonciation et de la Nativité de la mosaïque de l’arc triomphal de Sainte-Marie-Majeure à Rome qui seront traitées plus loin,37 car elles empruntent à l’iconographie impériale. Notons que cette scène de l’Évangile continuera à se développer iconographiquement.

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Bianchi Bandinelli, Rome, la fin de l’art antique, 338, ill. 318. 37,5 cm x 28,1 cm ; Engemann, L’art romain tardif et paléochrétien, 234, ill. 214. Texte traduit et publié par Jan Gijsel, dans : Bovon/Geoltrain, Écrits apocryphes chrétiens, 129, § 9 : « Comme Marie se tenait près de la fontaine pour remplir sa cruche, un ange apparut et lui dit : ‘Tu es bienheureuse …’ » 35  Originaire de Constantinople, fin vie siècle ; or ; 7,6 cm de diamètre. Actuellement à Munich, coll. C. Schmidt. Franzl, Engel. Mittler zwischen Himmel und Erde, 268, ill. III.39 ; Engemann, L’art romain tardif et paléochrétien, 225, ill. 204, avec une ill. du verso, 224, ill. 203. 36  Texte traduit et publié par Albert Frey, dans : Bovon/Geoltrain, Écrits apocryphes chrétiens, 92, § 11 : « Après avoir déposé sa cruche, elle prit le pourpre, s’assit sur sa chaise et se mit à filer le pourpre. Voici qu’un ange se tient devant elle … » 37  Cf. section 5. 33  34 



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2.2.  Un hapax : la parabole du jugement (Mt 25) [dia. 18] Le début de la parabole de Mt 25 dans laquelle le Fils de l’homme, accompagné d’anges, sépare les brebis des chèvres, est représenté dans l’une des treize mosaïques du registre supérieur de la nef de la basilique Saint-Apollinaire-le-Neuf (en annexe illustration 3), au premier quart du vie siècle.38 Il s’agit essentiellement du verset suivant : « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, accompagné de tous ses anges, alors il siégera sur le trône de gloire […]. Il séparera les hommes les uns des autres comme le berger sépare les brebis des chèvres … » (Mt 25,31). Les anges sont représentés de face, auréolés, et chacun possède une paire d’ailes, l’un vêtu de rouge et l’autre en bleu. Malgré les ailes, ils sont humanisés, représentés comme s’ils étaient deux compagnons de Jésus. La scène ne traduit pas la teneur eschatologique du texte. Ce récit est fort peu représenté, puisqu’on n’en connaît qu’un seul autre exemple, sur le front de couvercle d’un sarcophage de marbre (New York, The Metropolitan Museum of Art), mais sans les anges.39 Deux questions se posent, auxquelles nous n’avons pas de réponse : pourquoi ne connaissons-nous pas d’autres exemples de cette représentation ? Quelle serait la symbolique des deux couleurs rouge et bleue des anges ? On notera qu’au Moyen Âge, on représentera les séraphins avec les ailes rouges et les chérubins avec les ailes bleues. 2.3.  Les femmes devant le tombeau vide Là encore, les plus anciennes représentations des femmes au tombeau montrent des messagers humains, les pieds bien posés sur le sol, et sans ailes. Il faut dire que les quatre évangiles ne sont pas unanimes, et parlent tantôt d’hommes tantôt d’anges. La double scène [dia. 19, droite] (en bas, les femmes au tombeau, en haut, l’Ascension du Christ) d’un diptyque en ivoire à cinq compartiments (vers 400, Munich, Bayerisches Nationalmuseum),40 montre le messager sous la forme d’un homme ordinaire assis. Il pourrait s’agir de la plus ancienne représentation de ce thème. Le style est antiquisant, avec une accentuation de l’arrondi des corps et un goût pour les détails. Une autre représentation de la même facture [dia. 19, gauche], datant de la fin du ve siècle, montre un ange tellement humain qu’on doute qu’il s’agisse d’un ange ou messager de Dieu. Cette figure est sculptée en ronde-bosse sur le feuillet d’un diptyque en ivoire, réalisé à Rome (Milan, castello sforzesco, museo 38  Engemann, L’art romain tardif et paléochrétien, 141, ill. 124 ; Grabar, L’âge d’or de Justinien, 153, ill. 165. 39  Engemann, L’art romain tardif et paléochrétien, 80–81, ill. 66. 40  Hauteur 18,7 cm, largeur 11,5 cm. Engemann, L’art romain tardif et paléochrétien, 232, ill. pleine page 213 ; Franzl, Engel. Mittler zwischen Himmel und Erde, 77, ill. 1.

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delle arti decorative) :41 s’agit-il d’un ange ou du Christ ressuscité de Mt 28,9 ? Le doute est permis, tellement la figure – imberbe aux cheveux courts – ressemble aux Christs sculptés et imberbes de cette époque. Ce personnage masculin est assis, et tient dans la main gauche un rouleau, tandis qu’il fait de sa main droite un geste de bénédiction ou de désignation en direction des deux femmes. L’une des femmes est prosternée. Derrière ce groupe de trois personnages, on voit la porte sculptée d’un bâtiment qui pourrait être le tombeau, laquelle est décorée par des scènes bibliques en miniature, parmi lesquelles se trouve la résurrection de Lazare : on a ainsi comme une mise en abyme, un tableau dans le tableau. Le couvercle (ou plat de reliure) de l’Évangéliaire dit « des cinq parties » en ivoire et argent provenant de Ravenne (fin du ve siècle, aujourd’hui à Milan, trésor de la cathédrale) [dia. 20, centre et gauche], montre une scène du tombeau vide, exactement en face de l’Annonciation, que l’on a déjà présentée.42 Entre les deux scènes, l’Agneau trône, entouré d’une guirlande de fruits des quatre saisons. Dans la représentation du tombeau vide l’ange, maintenant ailé, côtoie de près l’une des femmes, et désigne de son bras droit une étoile. On retrouve une disposition similaire dans une mosaïque du registre supérieur de la nef de la basilique Saint-Apollinaire-le-Neuf, à Ravenne, premier quart du vie siècle  [dia. 20, droite] : l’ange ailé est assis sur un rocher, à gauche du tombeau en forme de rotonde avec colonne, et tend la main vers les deux femmes qui se trouvent à droite. Le long bâton qu’il tient dans ses mains est un héritage de l’iconographie de la cour impériale, comme on le verra. Dans un sarcophage qui se trouve dans l’église Église Santa Maria dei Miracoli presso San Celso à Milan, datant de la fin du ive siècle [dia. 21], on aurait un hapax : l’ange s’adressant aux femmes, au pied du tombeau ouvert, est ailé et provient du ciel. 2.4.  L’Ascension (apothéose du Christ) Une des premières représentations de l’Ascension serait ce motif présent sur une lampe à huile en terre cuite fabriquée en Afrique du Nord (ve siècle, Munich, coll. C. Schmidt) [dia. 23 et illustration 4 en annexe].43 Il s’agit en fait d’une « apothéose » du Christ, que l’on voit s’élever dans les cieux. En dessous se trouvent deux personnages ailés qui regardent vers le haut ; ce pourrait être les deux personnages vêtus de blanc d’Ac 1,10. La scène ne montre aucun disciple, juste le Christ élevé, entouré d’une mandorle portée par deux anges qui flottent dans les airs. Ce n’est pas tout : on voit aussi la main de Dieu qui prend le bras droit levé du Christ, ainsi que le tétramorphe. Ces anges flot41  Hauteur  : 30,7 cm ; largeur : 13 cm. Engemann, L’art romain tardif et paléochrétien, 231, ill.  212. 42  Cf. ci-dessus, n. 33. 43 14,5 × 8,6 cm ; Engemann, L’art romain tardif et paléochrétien, 248, ill.    227 ; Franzl, Engel. Mittler zwischen Himmel und Erde, 271, ill. 43.

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tants ainsi que l’apothéose du Christ annoncent un des thèmes iconographiques majeurs de l’iconographie médiévale. Ici, comme on le verra plus loin, on note sur cette représentation l’influence du culte impérial : l’invisible ascension du Christ s’est transformée en apothéose de Jésus, sur le modèle de celle de l’empereur. 2.5.  Un ajout : les anges lors du baptême de Jésus Un autre texte biblique a été tôt représenté, il s’agit du baptême de Jésus.44 Avec, parfois, l’ajout d’anges alors que le texte biblique n’en parle pas. Ainsi, sur un ancien couvercle de cassette à reliques transformée en icône (vie siècle, Vatican, museo sacro) [dia. 24 et illustration 5 en annexe],45 lequel comprend cinq scènes de la vie de Jésus, dont celui de son baptême, en bas à droite. Pourquoi deux anges qui, à droite, font face à Jean-Baptiste, ont-ils été introduits dans cette scène ? Notre hypothèse serait que ces anges ont remplacé la figure païenne personnifiant le fleuve (Jourdain), laquelle a longtemps persisté dans le premier art chrétien. On voit un exemple tardif de la persistance de cette figure païenne dans la mosaïque de la coupole du baptistère des « orthodoxes » (cathédrale de Ravenne, ve siècle) [dia. 25] :46 cette figure allégorique du fleuve se trouve à droite, exactement là où se trouvent les anges sur notre représentation. Ainsi les anges, qui furent, dans un premier temps, évacués des représentations car ils pouvaient faire penser à des figures païennes, ont ensuite été suffisamment christianisés pour remplacer d’autres figures païennes persistantes. Il y a ainsi peu d’anges représentés dans le premier art chrétien, au regard de leur nombre dans le Nouveau Testament et de leur importance dans certains récits apocryphes ou chez des Pères de l’Église. Comme dans l’Ancien Testament, ce sont avant tout des messagers humains venant de la part de Dieu. Ils sont souvent habillés du pallium, vêtement sans couture qui se porte sur la tunique et qui passe sous le bras droit ainsi que sur l’épaule gauche. C’est d’ailleurs ce même mot (pallium/himation) que l’on trouve en Mt 5,40 dans la bouche de Jésus pour désigner les habits des disciples. Aux iiie et ive siècles, les anges ne sont pas liés aux représentations eschatologiques de l’Apocalypse ; ils ne sont aucunement flottant dans une atmosphère céleste, accompagnateurs ou annonciateurs d’une armée céleste. Ils sont de discrets et d’anonymes messagers de Dieu, porteurs d’une bonne nouvelle.47 44 

Tristan, Premières images chrétiennes, « le baptême du Christ », 215–224. Grabar, L’âge d’or de Justinien, 190, ill. 205. Engemann, L’art romain tardif et paléochrétien, 258, ill. pleine page. 47  Nous ne sommes pas de l’avis de Sylvia Hahn: « In der Bibel wirken oft Engel furchterregend auf die Menschen » (Hahn, « Die Entwicklung des Engelbildes », 78). Elle voit dans les représentations des anges, le déclencheur d’une « crainte » auprès des destinataires du message divin. D’une part cette observation n’est pas généralisable ; d’autre part la « crainte » n’est 45  46 

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3.  Figures ailées inspirées de l’art (funéraire) antique Dans cette section, nous nous contenterons de montrer quelques exemples de figures ailées dans l’art de l’Antiquité tardive. Elles sont nombreuses et de différentes provenances : génies romains, Cupidon/Amour, Hermès/Mercure, Victoire/Niké grecque … Pour une exploration plus approfondie nous renvoyons à l’article de Glen Bowersock, disponible en ligne.48 Ces figures ailées sont omniprésentes, surtout dans l’art funéraire, mais pas uniquement. Elles sont souvent masculines et nues, sous forme de petits garçons potelés (ce qui donnera les putti, très présents dans l’art baroque), ou d’hommes mûrs. Dans tous les cas, les parties génitales, sans doute symbole de fécondité et de descendance, plus que de sensualité, sont bien mises en évidence [dia. 27]. Ces images entourent souvent une imago clipeata ou « image bouclier », laquelle met en valeur le portrait des défunts, parfois des couples mariés. Un exemple parmi tant d’autres : celui d’une défunte présentée par deux Amours, sur un sarcophage en marbre provenant d’Apt, de style provençal ou romain (fin du ive siècle, Avignon, musée Calvet) [dia. 28]49 se trouve le buste d’une défunte, présenté par deux Amours nus et ailés, les pieds au sol. On retrouve exactement les deux mêmes figures ailées sur le couvercle en bâtière d’un sarcophage chrétien, appelé « à portes de ville de Flavius Gorgonius » (Ancona, museo diocesano) :50 les angelots tiennent un cadre rectangulaire dans lequel se trouve une inscription latine relative au défunt. Un sarcophage avec le symbole des saisons (Rome, vers 330, Washington, Dumbarton Oaks Collection) [dia. 27],51 montre des époux dans une imago clipeata. Ils sont entourés, de part et d’autre, par deux anges masculins, debout, nus et de face. Les ailes sont aussi grandes que les personnages. Les jambes de la figure ailée nue de gauche sont revêtues d’un « collant » typique de l’habit perse, comme on le voit dans la figure des trois mages orientaux qui se trouvent dans la scène de l’adoration dans la partie droite de la mosaïque de l’arc triomphal de Sainte-Marie-Majeure. Curieusement ici ce « collant » s’arrête sous les parties génitales de l’ange, comme pour mieux les mettre en évidence. Ces figures ailées païennes ne sont pas uniquement présentes dans l’art funéraire. Ainsi le couvercle d’un précieux coffret de mariage, celui de Secundus et Projecta (Londres, British Museum) fabriqué en argent rehaussé d’or [dia. 29]. Il montre les époux à l’intérieur d’une imago clipeata faite d’un cercle végétal : la pas, bibliquement, un sentiment négatif, mais plutôt l’expression d’un saisissement, face à la proximité du divin. 48  Bowersock, « Les anges païens dans l’Antiquité tardive ». 49  Caillet/Loose, La vie d’éternité, 95, ill. 84. 50  Engemann, L’art romain tardif et paléochrétien, 93, ill. 79. 51  Bianchi Bandinelli, Rome, la fin de l’art antique, 80, ill. 72.

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femme tient un livre et l’homme pose sa main sur son cœur. Cette couronne est tenue par deux anges nus ou Amours nus ailés, les pieds posés sur le sol.52 Il semblerait même que le motif de deux figures ailées flottant dans les airs ait été utilisé à des fins purement décoratives. Ainsi en est-il sur une tenture égyptienne des ve-vie siècles [dia. 30], où l’on voit deux figures ailées flottantes tenant chacune le côté d’une coupe de fruits qu’elles mettent en évidence. Ces figures sont entourées de génies volants, de semis de fleurs et d’oiseaux (New York, The Metropolitan Museum of Art).53 On pourrait donc parler à propos de ces figures ailées flottantes, ou non, majoritairement féminines mais également masculines, de polymorphie et de polysémie d’un signe. Un signe visuel est en effet moins précis qu’un signe linguistique, mais en revanche plus ouvert à des interprétations multiples. En transcrivant un mot ou un sujet en image, on dit donc moins, mais on évoque plus. Cette remarque rejoint ce qu’a développé Stéphanie Anthonioz dans sa belle contribution, « Les anges ou la médiation renouvelée », reprise dans le présent volume.

4.  Anges inspirés des Victoires impériales Pour ce nouveau thème, nous nous contenterons de donner quelques exemples représentatifs de ce motif fort courant dans l’Antiquité tardive, surtout dans l’art célébrant les victoires militaires et impériales.54 On cite souvent la base de la colonne de la victoire d’Arcadius en l’an 401 [dia. 32].55 Les décors ne sont achevés qu’en 421, si bien que la colonne célèbre finalement les victoires de Théodose. Sur trois côtés du socle, on peut voir une croix ou un chrisme, entouré de la couronne de lauriers, portée par des Victoires ailées, qui flottent dans les airs. Il est courant de montrer l’empereur triomphant précédé d’une Victoire ailée. On le voit sur une pièce de monnaie (Solidus) de Constantin II, frappée à Héraclée Sintique, entre 326 et 330 [dia. 33] : d’un côté l’empereur, de l’autre une Victoire ailée tenant une couronne. Sur un Solidus de Justinien (vers 534), l’empereur triomphant, monté sur un cheval, est précédé d’une Victoire ailée marchant devant lui. Les Victoires profanes sont omniprésentes auprès des empereurs ro52 

Grabar, L’âge d’or de Justinien, 300, ill. 300.

53  1,50 m x 0,90 m. Grabar, L’âge d’or de Justinien, 328, ill. 385. 54  Pour les sections 4 et 5, nous renvoyons aux articles de Engemann,

« Die imperialen Grundlagen der frühchristlichen Kunst » et Deckers, « Constantin und Christus », ainsi qu’à celui de Markschies, « Von einer Bewegung zur Reichskirche ». 55  La colonne fut détruite, mais il nous reste deux dessins précis : un dessin anonyme du xvie siècle, conservé en Allemagne, et un dessin à la sépia datant de 1574 et conservé au Trinity College de Cambridge. Photos des trois faces représentées par les dessins sépia : Engemann, L’art romain tardif et paléochrétien, 44–45, ill. 38, 39, 40 ; Bianchi Bandinelli, Rome, la fin de l’art antique, 365, ill. 348.

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mains. Les empereurs chrétiens n’ont fait que remplir la couronne de la Victoire d’une croix ou d’un chrisme. C’est rare, mais on peut trouver des Victoires nues [dia. 34]. Ainsi une sculpture en marbre provenant de Leptis Magna montre une Victoire de l’arc honorifique des Sévères (203–204, Tripoli, musée) :56 la figure féminine sort entièrement nue d’un vêtement drapé. Elle est sculptée avec un parfait réalisme érotique (même la vulve est montrée). Sa féminité est entourée d’une majestueuse paire d’ailes. Il se dégage de cette Victoire une forte impression érotique qui ne saurait convenir aux Victoires christianisées. Celles-ci, devenues « anges victorieux », sont toujours habillées. Cela a le double avantage d’éviter d’avoir à montrer soit leur a-sexualité, soit leur sexe, et de devoir alors choisir lequel. Les reprises chrétiennes de ce motif sont un simple « copier-coller », si bien que l’on ne sait finalement pas s’il s’agit de célébrer la victoire militaire d’un empereur chrétien, ou la victoire du Christ sur la mort en s’inspirant de l’iconographie triomphale impériale. Un relief en marbre de la fin du ier siècle [dia. 35 et illustration 6 en annexe]57 montrait à l’origine deux Victoires ailées debout, tenant le haut d’une abondante couronne de fruits, laquelle entourait un motif antique qui a disparu. À la fin du ive siècle, l’espace vide à l’intérieur de la couronne de fruits en demi-cercle a été rempli par un monogramme du Christ. Nous avons là un exemple exceptionnel d’un réemploi d’un motif païen qui a simplement été christianisé par l’ajout d’un signe christique. Il montre la continuité entre les deux iconographies, la seconde (chrétienne) ayant parfaitement adopté le style et les motifs de la première (païenne). Un exemple parfait de décalque d’une iconographie à l’autre est le sarcophage d’enfant en marbre dit « de Sarigüzel » [dia. 36], provenant des abords de Fenar Isa Camii, près de Constantinople (vers 380, Istanbul, musée archéologique, illustration 7 en annexe).58 Il date de l’époque de Théodose : on y voit le monogramme du Christ, situé à l’intérieur d’une couronne végétale ornée d’une gemme au sommet. Ce motif central est présenté par deux anges flottants, dont les pieds touchent les moulures d’encadrement. La partie inférieure du corps ainsi que les jambes en sont éloignés, pour accentuer l’impression de volume. Avant même la fin du ive siècle à Byzance, l’iconographie militaire donc a été intégrée et assimilée à l’iconographie chrétienne naissante. 56 

Bianchi Bandinelli, Rome, la fin de l’art antique, 273, ill. 250. L’ouvrage (et donc la photo) datant de 1970, on se demande si cette sculpture est encore disponible et visible, après les années de destructions et de guerre civile qui ont ravagé ce pays. 57  Ce bas-relief était muré dans une maison de la piazza di Spagna à Rome jusqu’en 1847 ; il a ensuite été déplacé et mis dans le casino du Schloss Glienicke près de Berlin. Depuis 1968 il se trouve au musée de l’Antiquité tardive et byzantine à Berlin. Effenberger, Das Museum für Spätantike, 95, ill. 19. 58  Engemann, L’art romain tardif et paléochrétien, 94, ill. 81 ; Grabar, L’âge d’or de Justinien, 228, ill. 255.



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Mais parfois les deux symboliques – militaire et chrétienne – cohabitent sans fusionner. Un exemple dans lequel l’iconographie militaire domine, avec deux types de personnages ailés, des « guerriers » et des « chrétiens », est l’« ivoire Barberini » [dia. 37]. Il s’agit d’un feuillet en ivoire gravé datant de la première moitié du vie siècle, faisant partie d’un diptyque consulaire en cinq parties (le panneau latéral droit est perdu) dédié à un empereur, probablement Anastase ou Justinien (Paris, musée du Louvre, département des objets d’art).59 Il est de style classicisant dit « théodosien tardif » provenant de l’atelier impérial de Constantinople.60 On y voit un mélange de trois Victoires militaires ; l’une (bandeau vertical gauche) est portée en forme de statuette par un officier gradé, et l’autre (bandeau central) se trouve en miniature, assise entre les pieds du cheval monté par l’empereur, personnification de la terre (Tellus/Gaia). À ces deux Victoires ailées païennes il faut ajouter deux Victoires chrétiennes : deux figures ailées flottantes (bandeau horizontal supérieur) tenant un bouclier sur lequel se détaille un buste du Christ bénissant. Ce n’est pas tout : sur le bandeau horizontal du bas, on voit les vaincus offrant des présents à une troisième Victoire militaire (de la même manière que les mages offrent des présents lors de la Nativité). Les anges flottant à l’horizontale, inspirés des Victoires militaires, vont s’imposer, et même devenir des marqueurs de l’iconographie chrétienne. Ils vont toutefois progressivement se détacher de l’iconographie militaire et impériale dont ils sont issus. Il n’y aura plus d’ambiguïté possible : la victoire qu’ils célèbrent sera uniquement celle du Christ, et non plus un mélange entre la victoire terrestre de l’empereur et la victoire céleste du Sauveur. On le voit dans le diptyque dit de Saint-Lupicin datant du vie siècle (Paris, Bibliothèque nationale, Cabinet des médailles) :61 au centre, le Christ trônant, entouré de cinq scènes tirées de l’Évangile ; dans le bandeau supérieur on voit une croix grecque épatée, portée par deux anges flottants qui tiennent dans leurs mains recouvertes d’un linge, un livre. La seule trace persistante d’iconographie impériale est ce motif des mains recouvertes d’une étoffe.

5.  Anges inspirés des dignitaires de la cour impériale Les emprunts à l’iconographie impériale se poursuivent, mais cette fois-ci en s’inspirant des représentations du protocole de la cour impériale : trône richement décoré, souverain habillé de pourpre, garde impériale, dignitaires en at59  Hauteur : 34 cm, largeur : 26 cm ; Grabar, L’âge d’or de Justinien, 281, ill. 322 ; Engemann, L’art romain tardif et paléochrétien, 63, ill. 54 ; Effenberger, Das Museum für Spätantike, « elfenbeinarbeiten », 43–48 ; 45, ill. 36. 60  Deux sites Internet expliquent de manière détaillée les motifs de cet exceptionnel objet d’art, tant d’un point de vue iconographique que stylistique : www.louvre.fr/oeuvre-notices/ feuillet-de-diptyque-lempereur-triomphant; https://fr.wikipedia.org/wiki/Ivoire_Barberini. 61  Grabar, L’âge d’or de Justinien, 294 et 295, ill. ensemble et détail 338, 339, 340, 341.

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titude respectueuse et position hiératique en constituent les ingrédients principaux. La partie gauche de la mosaïque de l’arc triomphal de la basilique Sainte-Marie-Majeure, Rome (432–440) [dia. 39], est structurée en trois bandeaux.62 Le bandeau supérieur nous montre une Annonciation que nous avons déjà évoquée [dia. 40 et illustration 8 en annexe] : Marie est habillée en impératrice,63 assise sur un trône richement décoré ; elle est entourée de cinq anges debout ailés, qui constituent sa garde protocolaire. Au-dessus d’elle on trouve un ange volant allongé, réminiscence du motif triomphal décrit plus haut, ainsi – et c’est une nouveauté – qu’une colombe. Le bandeau du milieu [dia. 41] montre Jésus-enfant sur le trône impérial : derrière lui, deux fois deux anges ailés et debout forment comme sa garde rapprochée ; entre les anges se détache une étoile. Deux figures féminines entourent celui qui siège sur le trône : Marie (couronnée d’un diadème) à sa gauche, et à sa droite une femme sobrement vêtue de bleu foncé et voilée, peut-être une allégorie de l’Église. Il s’agit bien d’une Nativité « impériale ». On notera un détail intéressant concernant l’objet tenu par les deux femmes : Marie tient un codex fermé, tandis que la figure allégorique tient un volumen ouvert ; nous assistons visuellement au passage du rouleau au livre. Un hiératisme encore plus imposant se donne à voir sur les mosaïques de la nef de la basilique Saint-Apollinaire-le-Neuf (vie siècle) à Ravenne [dia. 42 et illustration 9 en annexe].64 Le Christ trône en empereur romain ; il est entouré d’anges auréolés, représentés en dignitaires de la cour impériale. Ils sont habillés du pallium (galonné d’or) et chaussés de sandales, de la même manière que la cohorte des Saints, eux aussi représentés en dignitaires de la cour impériale. Ils portent les longs bâtons avec lesquels les silentiaires (silentiarii) faisaient respecter le silence (silentium) à la cour byzantine. Le bandeau (taenia) dans les cheveux est une survivance des Victoires antiques. Toutes ces figures ont en général des mains recouvertes d’un linge : on ne se présente pas devant l’empereur les mains nues. Toujours à Ravenne, mais cette fois-ci à Saint-Vital (526–546) [dia. 43], la mosaïque d’abside du chœur de l’église65 montre une composition analogue, mais 62  L’ensemble de l’art triomphal est très difficilement visible à l’œil nu à cause de sa hauteur et de la surcharge des décors baroques l’entourant. Engemann, L’art romain tardif et paléochrétien, 120 et 121, ill. 104 (partie gauche) et ill. 105, partie droite ; et 119, ill. 103 pour une vue générale de la nef ; pour les deux bandeaux supérieurs qui nous intéressent : Hahn, « Die Entwicklung des Engelbildes », 77, ill. 2. 63  Grabar, L’âge d’or de Justinien, 150, ill. 161 : détail de Marie en impératrice trônant assortie d’une colombe et d’un ange flottant. 64  Pour une vue générale des mosaïques de la nef : Engemann, L’art romain tardif et paléochrétien, 139, ill. 122. 65  Grabar, L’âge d’or de Justinien, 137, ill. 147 ; Thunø, The Apse Mosaic, 39, ill. 21 ; Engemann, L’art romain tardif et paléochrétien, 145, ill.  128 pour la mosaïque d’abside ; 144,



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cette fois dans un contexte clairement eschatologique : le Christ n’est plus assis sur un trône mais sur une sphère bleue qui symbolise le cosmos. Il tient dans une main un rouleau formé par 7 sceaux, allusions aux révélations de l’Apocalypse.66 Les deux anges portent les longs bâtons des silentiarii. Si l’on compare ces anges autour du Christ céleste de Saint-Vitale avec les martyrs en procession autour du trône impérial de la nef de Saint-Apollinaire-le-neuf [dia. 44], on voit qu’ils ont la même attitude, portent les mêmes vêtements (le pallium romain), sont chaussés des mêmes sandales. Toujours à Saint-Vitale, la mosaïque de la voûte du chœur67 [dia. 45] montre ces mêmes anges, mais qui s’émancipent de leur cadre impérial. Ils ont pris de la hauteur (au sens propre comme au figuré) dans la mesure où ils deviennent quatre figures aériennes et cosmiques qui portent une couronne décorative au centre de la voûte, montrant non pas le Christ trônant, mais l’Agneau triomphant de l’Apocalypse. Comme cela a déjà été exposé pour la thématique néotestamentaire de l’Ascension du Christ, celle-ci se calque également sur le modèle de l’apothéose de l’empereur.68 L’iconographie impériale investit alors un récit biblique, ce qui est nouveau. Un bel exemple se trouve dans la représentation de l’ascension de l’Évangéliaire de Rabula [dia. 46 et illustration 10 en annexe], codex syriaque sur parchemin datant de l’an 586 (Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana).69 Les deux hommes vêtus de blanc d’Ac 1,10 sont devenus des anges « impériaux », à l’image de ceux de Ravenne. Dans la partie supérieure de l’image, on assiste à une multiplication de créatures ailées autour du Christ debout, en apothéose, à l’intérieur d’une mandorle. Celle-ci est maintenue par deux anges ailés dans sa partie supérieure, tandis que deux autres anges tendent au Christ, les mains recouvertes d’un linge, une couronne avec diadème en guise de trophée. Sous la mandorle apparaît le tétramorphe (combinaison d’Ez 1,4–28 et d’Ap 4,6–8), lequel deviendra omniprésent dans l’iconographie occidentale du Christ triomphant.70 ill. 127 pour l’ensemble architectural montrant le chœur et l’abside à partir de l’étage supérieur du déambulatoire. Grabar, L’âge d’or de Justinien, 139, ill. 150, pour le détail du Christ assis sur le cosmos. Cette mosaïque exceptionnelle date de la période justinienne, elle n’a pratiquement subi aucune transformation. 66  Preuve du succès de ce modèle : on en trouve une réplique presque parfaite (le Christ cosmique dans une mandorle, entouré de deux anges auréolés – mais cette fois-ci les mains découvertes) sur la mosaïque de l’arc triomphal au-dessus de l’abside de l’église Santa Maria in Domnica à Rome, 817–824. Thunø, The Apse Mosaic, ill. planches IX, X, XVII. 67  Effenberger, Das Museum für die Spätantike, 39–43 « Kirchliche Mosaikkunst », 42, ill. 33. 68  Cf. ci-dessus n. 43. 69  Hauteur : 33,6 cm, largeur : 2,6 cm. Engemann, L’art romain tardif et paléochrétien, 206, ill. 184 ; Thunø, The Apse Mosaic, 97, ill. 59. 70  Poilpré, Majestas Domini ; Prigent, Jérusalem céleste ; Bethmont, Le Seigneur des absides ; Thunø, The Apse Mosaic.

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Preuve de la diffusion et de la popularité de ce modèle : on trouve la même construction dans la même scène (l’Ascension du Christ, devenue une apothéose) sur l’ancien couvercle de cassette à reliques transformée en icône [dia. 47], dont il a déjà été question à l’occasion de la représentation du baptême de Jésus.71

6.  Anges protecteurs dans de petits objets décoratifs et votifs Il reste un dernier domaine dans lequel les anges apparaissent, et même à profusion : celui des petits objets décoratifs et votifs. C’est même là que l’on trouve pour la première fois des représentations autonomes d’anges et d’archanges, qui sont figurés pour eux-mêmes. On s’adresse à eux pour demander protection et secours. Avec ces représentations, on quitte donc le domaine des illustrations ou références bibliques, pour aborder celui des images apotropaïques, auxquelles on accorde un pouvoir de guérison et de protection. Même le lien avec les motifs christophaniques et eschatologiques n’est plus présent. Le superbe catalogue de l’exposition sur les anges qui eut lieu en 2011 au musée diocésain de Freising en Bavière, présente et commente l’importante collection C. Schmidt rassemblant un certain nombre de ces images gravées d’anges protecteurs.72 Nous choisissons d’en montrer quelques-unes parmi les plus représentatives de cette collection. Ainsi une amulette magique gravée sur deux faces [dia. 49]73 montre un ange nommé Araaph et mentionne d’autres anges protecteurs. Sur la face 1 est gravé un chevalier « saint » qui poursuit un démon avec sa lance ; devant lui se trouve un ange marchant, surmonté de la lettre A (sans doute pour Araaph). La scène est entourée de l’inscription en grec : « Va-t’en, être maléfique, Salomon et l’ange Araaph te poursuivent. » Sur la face 2, on trouve une croix entourée d’un cercle, accompagnée du soleil et de la lune, et en dessous le « mauvais œil » sous forme d’un lion, d’un serpent, d’un démon féminin couché, accompagnés de signes magiques. La scène est entourée par l’inscription : « Michaël, Gabriel, Uriel, Raphaël, protègent le porteur. » Une autre représentation se trouve sur une bague en or : deux anges tiennent un bâton en forme de croix.74 Sur l’anneau est gravée une inscription en grec : « Archange, aide le porteur. » Parfois, des signes théophaniques et christologiques persistent, mais accompagnés d’éléments ou de signes ésotériques. Ainsi une amulette magique 71 

Cf. ci-dessus n. 45. Franzl, Engel. Mittler zwischen Himmel und Erde, III : « Engel in der frühchristlichbyzantinischen Kunst », 250–273. 73  viie siècle, bronze gravé, régions méditerranéennes de l’Est ; Franzl, Engel. Mittler zwischen Himmel und Erde, 267, ill. 38. 74  vie ou viie siècle, Europe de l’Est, 2,2 × 2,2 cm ; Franzl, Engel. Mittler zwischen Himmel und Erde, 261, ill. 25. 72 

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en bronze gravé [dia. 50, droite]75 montre deux anges (dont les ailes sont aussi grandes que les personnages) vénérant une croix vide, entourée de l’alpha et de l’omega et surmontée d’un buste de Christ auréolé. Mais on trouve aussi des signes magiques, accompagnant l’inscription en grec : « Va-t’en, esprit sans corps, le Fils et la Parole de Dieu te persécutent. » L’autre face montre des signes et des figures magiques. Une bague en or [dia. 50, gauche] provenant des régions orientales montre un ange de face, nimbé et tenant un globe et un bâton.76 La posture de face sera de plus en plus fréquente dans l’iconographie byzantine des anges. L’ange est le seul motif de la représentation. Dans une autre bague en argent [dia. 51, droite],77 il s’agit très clairement d’une métaphore visuelle de l’ange protecteur : la figure ailée est deux fois plus grande que les deux personnages sommairement gravés à sa droite et à sa gauche. Elle les recouvre de ses ailes protectrices, immenses. Ce motif pourrait être inspiré du Ps 91,4. L’image, très stylisée, évoque par ailleurs une poule avec ses poussins. Il existe aussi des représentations aniconiques d’anges protecteurs [dia. 52]. Il n’y a plus d’image, mais un écrit seul, qui fonctionne aussi bien comme texte à lire que comme image à regarder : une bague en argent78 est entièrement remplie par l’inscription grecque « Archange, aide ! » et sur une autre, plus travaillée et à l’écriture plus lisible, on peut lire l’inscription, avec le nom du propriétaire : « Archange, aide Sisinios. »79 D’autres thématiques montrant des actions autonomes d’anges seraient également à explorer, comme des représentations d’anges victorieux, d’anges accompagnant des martyrs, ou d’anges issus de légendes juives. On notera que les représentations issues de cette dernière thématique se trouvent toutes dans la partie orientale de l’Empire romain, et proviennent donc d’un christianisme plus byzantin que latin.

Bibliographie Beck, Herbert/Bol, Peter C. (éd.), Spätantike und frühes Christentum (Ausstellung im Liebieghaus Museum alter Plastik, Frankfurt am Main, 16. Dez. 1983 bis 11. März 1984), Frankfurt am Main : Museum alter Plastik, 1983. 75  76 

vie ou viie siècle, bronze gravé, diamètre 3,9 cm. vie siècle, or gravé, diamètre 1,3 cm ; Franzl, Engel. Mittler zwischen Himmel und Erde, 253, ill.  9. 77  vie siècle, Est du bassin méditerranéen, diamètre 1,3 cm ; Franzl, Engel. Mittler zwischen Himmel und Erde, 253, ill. 10. 78  vie siècle, Est de la mer Méditerranée, argent gravé, 2,3 cm x 2,2 cm ; Franzl, Engel. Mittler zwischen Himmel und Erde, 252, ill. 6. 79  vie siècle, Est de la mer Méditerranée, argent gravé, diamètre : 1 cm ; Franzl, Engel. Mittler zwischen Himmel und Erde, 252, ill. 7.

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Bethmont, Sylvie, Le Seigneur des absides. Images du Christ dans quelques absides, du ive au xxie siècle (Collège des Bernardins 121), Paris : Parole et silence, 2017. Bianchi Bandilelli, Ranuccio, Rome, la fin de l’art antique. L’art de l’empire romain de Septime Sévère à Théodose ier (L’univers des formes 17), Paris : Gallimard, 1970. Bovon François/Geoltrain, Pierre (dir.), Écrits apocryphes chrétiens, vol. 1 (Bibliothèque de la Pléiade 442), Paris : Gallimard, 1997. Bowersock, Glen W., « Les anges païens de l’Antiquité tardive », La lettre du Collège de France 38 (2014), 44 (http://journals.openedition.org/lettre-cdf/1856). Caillet, Jean-Pierre/Loose, Helmuth-Nils, La vie d’éternité : la sculpture funéraire dans l’Antiquité chrétienne, Paris/Genève : Cerf/Tricorne, 1990. Collectif, La Parole sculptée. La Bible à l’origine de l’art chrétien : Musées du Vatican, musée Pie Chrétien, 29 septembre 2005–7 janvier 2006, Roma/Città del Vaticano : Società biblica britannica & forestiera/Pontificio Consiglio per la promozione dell’unità dei cristiani, 2005. Collectif, Imperium der Götter. Isis, Mithras, Christus. Kulte und Religionen im römischen Reich (Katalog Ausstellung), Karlsruhe : Badisches Landesmuseum, 2013. Cottin, Jérôme, Jésus-Christ en écriture d’images : premières représentations chrétiennes, (Essais bibliques 17), Genève : Labor et Fides, 1990. Cottin, Jérôme, « Images d’Abraham sacrifiant », dans : Arnold, Matthieu et al. (dir.), L’épreuve d’Abraham ou la ligature d’Isaac (Genèse 22) (Cahier Évangile. Supplément 173), Paris : Cerf, 2015, 146–152. Deckers, Johannes G., « Constantin und Christus. Das Bildprogramm in Kaiserkulträumen und Kirchen », dans : Beck, Herbert/Bol, Peter C. (éd.), Spätantike und frühes Christentum (Ausstellung im Liebieghaus. Museum alter Plastik, Frankfurt am Main, 16. Dez. 1983 bis 11. März 1984), Frankfurt am Main : Museum alter Plastik, 1983, 267–283. Effenberger, Arne et al., Das Museum für Spätantike und byzantinische Kunst, Mainz : P. von Zabern, 1992. Engemann, Joseph, L’art romain tardif et paléochrétien : de Constantin à Justinien (Histoire de l’art romain 5), Paris : Picard, 2014. Engemann, Joseph, « Die imperialen Grundlagen der frühchristlichen Kunst », dans : Beck, Herbert/Bol, Peter C. (éd.), Spätantike und frühes Christentum (Ausstellung im Liebieghaus. Museum alter Plastik, Frankfurt am Main, 16. Dez. 1983 bis 11. März 1984), Frankfurt am Main : Museum alter Plastik, 1983, 260–267. Franzl, Klaus P. et al. (éd.), Engel. Mittler zwischen Himmel und Erde (Kataloge und Schriften 50), München/Freising : Deutscher Kunstverlag/Diözesanmuseum, 2010. Grabar, André, Le premier art chrétien 200–395 (L’univers des formes 9), Paris : Gallimard, 1966. Grabar, André, L’âge d’or de Justinien. De la mort de Théodose à l’Islam (L’univers des formes 10), Paris : Gallimard, 1966. Hahn, Sylvia, « Die Entwicklung des Engelbildes bis zum Ende des Mittelalters », dans : Franzl, Klaus P. et al. (éd.), Engel. Mittler zwischen Himmel und Erde (Kataloge und Schriften 50), München/Freising : Deutscher Kunstverlag/Diözesanmuseum, 2010, 76–107. Jastrzębowska, Elżbieta, « New Testament Angels in Early Christian Art: origin and sources (Pls 176–185) », Światowit 8 (2009–2010), 153–164. Keel, Othmar, « Von der heidnischen Ahnen einiger jüdisch-christlicher Engelvorstellungen », dans : Franzl, Klaus P. et al. (éd.)., Engel. Mittler zwischen Himmel und



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Illustrations

Illustration 1: Sarcophage « des deux frères », avec des anges « humains » dans les scènes de la ligature d’Isaac et de Daniel dans la fosse aux lions, milieu IV e s., © Le Vatican, musée Pio Christiano.

Illustration 2: La ligature d’Isaac, pyxis en ivoire, début VIe s. © Berlin, musée de l’art antique et byzantin.



Illustration 3: Mosaïque de la parabole du jugement (Mt 25), nef de la basilique St-Apollinairele-Neuf, début VIe s., © J. Cottin.

Illustration 4: Lampe à huile en provenance d’Afrique du Nord, Ve s., avec le double motif de l’ascension et de l’apothéose du Christ, © Munich, Coll. C. Schmidt.

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Illustration 5: Ancienne cassette à relique transformée en icône, VIe s., © Le Vatican, musée d’art chrétien.



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Illustration 6: Victoires païennes (fin Ier siècle) christianisées (fin IVe siècle), © Berlin, musée de l’art antique et byzantin.

Illustration 7: Sarcophage d’enfant avec chrisme et victoires, vers 380, © Istanbul, musée archéologique.

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Illustration 8: Détail de la mosaïque de l’annonciation avec ange volant, Basilique Ste-Marie Majeure, Rome 432–440, © J. Cottin.

Illustration 9: Christ trônant entouré d’anges selon le protocole de la cour impériale. Nef de la basilique St-Apollinaire-le-Neuf, VI e s., © J. Cottin.



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Illustration 10: Ascension du Christ entouré d’anges et du tétramorphe, Évangéliaire de Raboula, 586, © Florence, biblioteca Medicea Laurenziana.

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Liste des auteurs du volume Jacques Ahiwa, Faculté de Théologie Catholique, Université de Strasbourg Stéphanie Anthonioz, Unité Mixte de Recherche « Orient et Méditerranée », Paris Jérôme Cottin, Faculté de Théologie Protestante, Université de Strasbourg Michele Cutino, Faculté de Théologie Catholique, Université de Strasbourg  Jacques Descreux, Faculté de Théologie, Université Catholique de Lyon Denis Fricker, Faculté de Théologie Catholique, Université de Strasbourg Paolo Garuti, Pontificia Università San Tommaso D’Aquino, Rome Lorenzo Gasparro, Pontificia Facoltà Teologica dell’Italia Meridionale, Naples Daniel Gerber, Faculté de Théologie Protestante, Université de Strasbourg  Thierry Legrand, Faculté de Théologie Protestante, Université de Strasbourg  François Lestang, Faculté de Théologie, Université Catholique de Lyon  Patrick Pouchelle, Faculté de Théologie, Centre Sèvres, Paris Céline Rohmer, Institut Protestant de Théologie, Montpellier  Nathalie Siffer, Faculté de Théologie Catholique, Université de Strasbourg 

Index des références bibliques et de la littérature ancienne Ancien Testament Genèse 3 226 3,17–23 260 3,24 227, 256 5,18 217 6,1–4 18, 111 6,2 21 6,4 21 7,14 54 12,1 54 12,3 59 12,7 59 15,5 111 16,7–14 134 129, 130 16,7–12 16,7–11 44 18, 70 16,7 16,13 130 53, 116 18–19 18 47 18,1–15 257–258 19 45 18, 44 19,1 18, 44 19,15 21–22 53 21,17–18 129 21,17 18, 44, 130 21,19 130 21,22 28 21,32 28 22,1–14 257 22,1–2 130 22,11–18 129 22,11–12 130 44, 130 22,11 22,15–18 130 44, 130 22,15 22,17 111

23,6 32 24,7 44, 86, 129, 130 44, 85, 129 24,40 26,14 111 26,26 28 28 47, 56 28,10–22 59 28,10–17 258 28,12–13 60 18, 42, 44, 59, 256, 258 28,12 28,13 59 28,14 59 28,20 59 31,11 44, 130 31,13 130 32,2 18, 42 32,8 21 32,8LXX 18 32,25–29 256 32,30 126 39,22 28 44, 86, 246 48,16 Exode 3,2 44, 70, 129, 130, 137 4,24 130 7,17–21 216 12 5 12,2 158 44, 129 14,19 15,10LXX 203 19,4 54 44, 85, 107, 129, 130 23,20 23,21 130 44, 129 23,23 25–31 6 25,18–22 256 25,17–22 158

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25,20 54 28–29 58 29,12 219 30,1–6 219 30,7–9 219 31,10 200 32,34 44, 129 44, 130 33,2 33,14 88 37,9 54 39,1 200 40,29–32 58 Lévitique 1,17 54 4,3 29 4,5 29 4,16 29 4,18 219 4,25 219 6,3 219 6,15 29 16,4 219 16,23 219 16,32 219 Nombres 4,12 200 4,26 200 7,5 200 7,89 256 20,16 44, 130 128–129 22,21–35 22,22–35 45 22,22 127 22,23 130 22,31 130 22,32–33 45 247, 249 30 Deutéronome 1,7 217 4,17 54 11,24 217 13,8 113 28,64 113 29,9 28 30,3–4 113

30,15 238 32,8–9 85 32,8 31, 235 32,8 18, 20, 215 32,11 54 32,17 20 32,43 19, 20, 199 48, 170, 187 33,2 Josué 1,4 217 5,13–15 48 5,13–14 48 5,13 130 5,18 31 20,6 29 21,1 28 22,13 29 24,13 29 Juges 2,1–4 129 2,1 44, 131 2,4 45 5,20 215 45, 127 5,23 128, 130 6 6,3–5 18 6,11–24 127–128 6,11–22 44 6,11–21 129 6,11 70 6,12 130 6,21 130 13 53, 128 134, 135 13,2–23 13,3–21 44 13,3–20 129 13,3 130 13,6 130 13,17–18 126 13,20 130 Ruth 2,12 54 1 Samuel 16,19 18



Index des références bibliques et de la littérature ancienne

17,45 48 28,2 28 28,13 21 2 Samuel 7,14 205 11,4 18 14,17 45 14,20 45 14,24 88 19,27 45 54 22,11 45, 130 24,16–17 1 Rois 6,23–28 256 6,24 54 6,27 54 6,32 227 8,6 54 8,7 54 19,5–7 129 19,5 44 19,7 44 2 Rois 14,8 18 17 58 45, 70, 127, 130 19,35 22,4 29 22,8 29 23,4 29 23,29 217 25 58 25,18 29 25,19 88 2 Règnes 24,16 127 3 Règnes 1,25

28, 29

4 Règnes 25,8–20 28 1 Chroniques 9,28 201

15,14 29 21,1 226 21,12–30 45 21,15–16 130 21,15 127, 130 21,16 70, 130 27 ,5 29 28,13 200 2 Chroniques 3,11–13 54 5,7 54 5,8 54 19,11 29 24,11 29 24,14 200 26,20 29 31,10 29 32,21 127 34,9 29 36,15–16 18 Esdras 2,63 29 7,5 29 8,24 29 8,29 29 10,5 29 Néhémie 3,1 29 3,20 29 8,1–2 29 8,9 29 12,7 29 13,28 29 Tobie 3,16–17a 86 3,17 129 53, 54 5,5 5,6 44 53, 54 5,10–11 44, 129 5,10 5,13 86 203, 129 5,17 5,22 86 44, 256 6,1

287

288

Index des références bibliques et de la littérature ancienne

6,3 45 12,6–20 89 12,11–22 86 12,12–13 89 12,12 219 12,15 27, 47, 89, 213 12,18 90 12,19 89 13,14 89 Judith 1,11 18 3,1 18 16,14 203 Esther 2,21 28 1 Maccabées 1,44 18 5,14 18 7,10 18 45, 130 7,41 11,6 44 15,23 44 2 Maccabées 3,26 116 3,33 116 5,10 216 9 145 10,29–31 86 86, 203 11,6 13,8 216 15,22–24 86 Job 1–2 114 1,6–12 226 1,6 19 2,1–7 226 2,1 19 2,6–7LXX 169 4,18 18 26,6 229 28,2 229 31,12 229 38,7 19

38,7LXX 215 39,13 54 39,26 54 41,17 10 Psaumes 2,1 230 2,7 205 205, 206 2,8 54, 206 8 8,5 20 10,26–28LXX 199 17,8 54 17,23 114 18,10 54 29,1 10 29,8 20 33,8 246 34,7 44 18, 86, 129 34,8 35,5–6 18, 44, 130 36,8 54 44,6–7LXX 199, 201 44,7LXX 202 45,7 202 50,1 20 57,2 54 61,14 54 63,7 54 18, 42, 45 78,49 81,6LXX 20 82,1 20 84,8 20 86,8 20 88,12 229 89,7 20 89,9 48 90,15 246 54, 273 91,4 91,11–13 108, 109 18, 44, 86, 240 91,11 95,3 20 96,4 20 96,5 20 96,7LXX 100 97,7 20 97,9 20 103,20 18, 45



Index des références bibliques et de la littérature ancienne

103,21 48 103,4 LXX 199, 201 104 50 104,3 54 104,4 vii, 18, 201, 213, 45 104,10LXX 205 108,6 226 109,1LXX 199 109,3LXX 205, 206 109,4LXX 202, 205 110 115 113 100 135,5 20 136,2 20 138,1 20 139,9 54 148,2 18 Proverbes 1,17 54 15,11 229 27,20 229 Sagesse 2,24 226 5,23 228 11,16 216 Siracide 4,10 20 15,18 238 17,17 85 20,15 219 38,27 29 54, 56 45,2 44, 130 48,21 Isaïe 6 214 6,1–7 256 54, 88 6,2 7,13 95 8,19 21 11,2–3LXX 214 13,21 108 24,21–22 166 33,7 43 37,36 130

40,7 228 40,24 228 44,26 18 48,16LXX 203 28, 43, 45, 88 63,9 Jérémie 21,8 238 36[29],2 29 38,33LXX 204 42,36 113 47[40],1–2 28 47[40],5 28 48[41],10 28 228 49,36 [25,16] 52,12 28 52,14 28 52,16 28 52,19 28 52,24 28, 29 52,26 28 Lamentations 4,16 88 Baruch 21,8 114 Ézéchiel 1–10 6 1 214 1,4–28 271 1,6–25 54 1,7 244 3,13 54 8–9 53 9,1–7 228 214, 256 10 10,2 218 10,5–21 54 11,22 54 17,3–23 54 37,9 113 38,2–3 12 38,7–16 230 39,1–2 230 39,1 12 40–48 6, 53

289

290

Index des références bibliques et de la littérature ancienne

44,17–18 219 Daniel 2,47 10 258–259 3,1–18 3,25 19, 258 3,28 130 86, 258 3,49 3,92 19 3,95 203 6,2–25 259 6,17–28 259 6,22 259 6,23 130 7,2 113 201, 207, 236, 239 7,10 7,13–14 112 7,13 227 8–12 126 8,10 215 129, 133 8,15–26 8,16 44, 133 8,26 222 129, 133 9,21–27 9,21 44, 53, 54, 133, 134 10,5–6 115 30, 31, 45, 215 10,13 30, 31, 45, 215 10,21 11,4 113 11,36 10 30, 31, 45 12,1 12,4 222 12,9 222 12,10 85 Daniel grec 3,49–50 129 43, 130 3,49 259, 260 14,31–42 14,34 43 14,36 43 14,39 43

Osée 12,4 44 13,15 228 Aggée 1,1 29 1,12 29 1,13 45 1,14 29 2,2 29 2,4 29 Zacharie 1,9–19 44, 57 1,9 129 1,11 129 89, 129 1,12 2 53 2,2 129 44, 57 2,3 2,10 113 3,1–2 226 3,1–6 44, 57 29, 129 3,1 3,2 129 3,8 29 4 214 44, 57 4,1–5 4,4–14 129 4,6 213 44, 57 5,5–10 44, 57 6,4–5 6,5 113 6,11 29 11,4 95 21, 44, 57 12,8 12,10LXX 202 14,7 114 Malachie 2,7 45 2,15LXX 202 3,1 107 3,22–23 107



Index des références bibliques et de la littérature ancienne

291

Nouveau Testament Matthieu x, 76–80 1–2 76, 78 1,18 1,19 77 1,20–24 83 1,20 43, 45, 46, 70, 71, 76, 78, 80 1,23 71 43, 45, 46, 70, 76, 79, 1,24 80 2,7 77 2,8 71, 75 2,10 71 2,12 77 2,13–14 77 2,13 43, 45, 46, 70, 76, 79, 80, 83 2,14 79, 80 2,16 71 2,19–20a 77 2,19 43, 45, 46, 70, 76, 83 2,20 79, 80 2,21 79, 80 2,22–23 77 2,23 77 73, 78 3,16 4,1–11 107 4,1 226 4,5–7 83 43, 69, 71, 83, 85, 87, 4,6 121 43, 47, 69, 83, 107, 4,11 108, 239, 242, 243 5,8 88 5,16 95 5,33 71 5,40 265 5,45 95 5,48 95 6,1 95 6,2–4 95–96 74, 95, 96 6,4 96 6,5–6 6,6 74, 95 74, 95 6,8

6,14 95 6,15 95 6,16–18 96 6,18 74, 95, 96 6,24 92 6,26 95 6,32 95 7,11 95 7,13 238 7,21 71, 94 8,4 92 8,38 120 9,30 92 10,20 95 10,29 95 10,32–33 109 10,32 94 10,33 94 10,42 90, 91, 92, 93 11,10 71 11,21 152 11,25 80 11,27 94 12,25 120 12,46–50 93 12,50 94 13,27 120 83, 120 13,31 13,32 120 43, 46, 47, 69, 71, 113, 13,39 120 13,41 43, 46, 47, 69, 71, 83, 84, 87, 99, 110, 113, 120 43, 46, 47, 69, 83, 84, 13,49 120 15,13 94 16,6 92 16,13–16 97 16,17 94 43, 44, 46, 47, 69, 71, 16,27 83, 84, 87, 99, 109, 113, 120 18 244 18,1–35 90

292

Index des références bibliques et de la littérature ancienne

18,1 95 18,6 90, 91, 92, 93 x, xi, xiv, 43, 45, 47, 18,10 69, 71, 83–100, 120, 240, 241, 242, 244, 251, 252 18,11 92 18,12–13 90 90, 91, 92, 93, 95 18,14 18,15–35 93 18,19 94 18,35 94, 95 19,8 214 19,14 248 20,23 94 22,20 69 19, 43, 54, 71, 83, 84, 22,30 120 23,8b 93 24,6 92 24,31 43, 46, 47, 69, 71, 83, 84, 87, 99, 110, 113, 120 43, 53, 69, 83, 84, 120, 24,36 24,44 71 25 xi, 263 25,31–46 93, 97, 100 25,31 43, 44, 46, 69, 83, 84, 110, 113, 120, 174, 230, 263 93, 97, 99 25,32 94, 97 25,34 25,35–36 93, 97 25,37 97 xi, 93, 97 25,40 43, 69, 71, 83, 84, 87, 25,41 120, 166, 169 25,42–43 93, 97 25,44 97 25,45 xi, 93, 97 26,29 94 26,39 94 26,42 94 26,53 43, 48, 70, 83, 94, 120, 121 27,51–54 73 x, 72–76 28 28,1–7 117

28,1 72 28,2–5 83 28,2 43, 45, 46, 70, 72, 74, 75, 77, 83, 121 28,3 116 28,5–7 74 43, 45, 46, 70, 71, 74, 28,5 75, 83 71, 116 28,6 71, 74, 116 28,7 28,8 71, 74, 75, 116 28,9 264 28,10 75 28,11 75 28,20 76 Marc 68, 113 1,2 1,6 107 107, 121 1,12–13 1,13 43, 69, 107–109, 110, 120, 121, 226 1,15 114 1,27 117 1,31 108 1,33 113 4,15 226 6,35 114 6,45 152 7,21 237 8,18 118 8,22 152 43, 44, 46, 47, 69, 109– 8,38 110, 121, 230 9,11–13 107 9,15 115 9,41–42 91 9,41 90–91 10,45 108 11,11 114 12,18–27 110 19, 43, 54, 69, 109, 12,25 110–112, 121 12,36 115 13,11 114 107 13,14 13,24–27 112 13,26–27 230



Index des références bibliques et de la littérature ancienne

13,27

43, 46, 47, 69, 106, 109, 110, 112–113, 121 13,30 113 13,32 43, 53, 69, 106, 109, 113–115, 121 114, 115 13,33 13,34 122 14,35 114 14,37 114 14,41 114 14,47 121 14,51–52 118 14,51 119 14,62 115 15,25 114 15,33 114 15,34 114 15,41 108 16 76 16,1–8 118 16,4–5 53 xi, 46, 115–119, 121 16,5 16,6 115, 116 16,7 116 118, 119 16,8 Luc 1–2

xii, 125, 132–136, 132, 134, 146 1 125 1,5–25 134 1,11–20 261 43, 45, 46, 132, 134, 1,11 142 1,13–17 134 1,13 43, 45, 46, 132, 135 45, 46 1,18–19 43, 132, 134 1,18 45, 132, 133, 134 1,19 1,20 135 1,26–38 135, 261–262 1,26 43, 45, 46, 132, 134, 135 43, 45, 135, 142 1,28 1,30–33 136 1,30 43, 45, 46, 132, 135 1,31 136

293

1,32 136 1,33 136 1,34 43, 45, 46, 132, 135 1,35–37 136 45, 46, 132, 135, 136 1,35 1,38 43, 45, 46, 132, 135, 142 2,9 43, 45, 46, 132 2,9–12 136 2,9 136 2,10–11 136 45, 46, 132 2,10 2,12 136 2,13 43, 46, 49, 132 2,13–15 261 2,13–14 136 2,15 43 43, 45, 46, 132, 136 2,21 2,49 95 4,1–13 107 4,1 226 4,10–11 46 43, 45, 87, 120 4,10 8,12 226 9,10 152 113, 120 9,23 43, 44, 46, 109, 120, 9,26 125, 213 9,52 120 10,11 85 10,13 152 10,18 229 10,22 95 10,40 108 109, 125 12,8–9 12,8 43, 46, 120 12,9 120 12,37 108 12,46 241 13,11 169 13,16 169 43, 53, 120 15,10 43, 47, 120 16,22 17,8 108 19, 21, 43, 54 20,36 22,27 108 22,29 95 22,30 214

294

Index des références bibliques et de la littérature ancienne

22,43 43, 121, 122, 132 24,4 116, 117 24,4–7 125 24,22 117 24,23 116, 117, 120, 121, 125 24,34 173 24,49 95 Jean 1,14 161 1,44 152 1,49–51 60 43, 47, 56, 60, 106, 1,51 151, 155, 158, 239, 240, 243 1,52 242 2,6 160 2,13–22 155, 157 2,14–16 155 4,6–14 160 4,23–24 157 4,46–54 160 153, 154, 157 5 5,1–9 xii, 151, 161 5,1–3 160 151–154 5,2 5,3a 154 5,3b–4 xii, 151, 154–157 5,4 xii, 151–161 5,6 157, 160 xii, 154, 155, 156, 5,7 157, 160 5,9 157 5,11 157 5,14 157 5,15 157 7,15–24 157 157, 161 7,23 7,37–39 160 9 153, 154 9,1–7 160 9,10 157 9,14 157 9,17 157 9,21 157 9,26 157 9,30 157

9,32 157 10,34 20 12,2 108 12,21 152 43, 106, 151, 155, 12,29 158 13,2 226 13,27 226 20,11–13 117 43, 45, 46, 56, 106, 20,12 117, 151, 155, 158 20,30–31 159 Actes des apôtres 1,10–11 125 115, 117, 264, 271 1,10 4,1 29 4,29–30 138 xii, 125, 137, 139, 141, 5 143, 144, 146 5,19–21 137–139 43, 45, 46 5,19 5,24 29 5,26 29 6,2 108 6,15 43, 53 7,30 43, 45, 46, 48, 137 7,35 43, 45, 46, 48, 137 7,38 43, 45, 46, 48, 137 43, 55, 170, 187 7,53 xii, 125, 137, 141, 8 142, 146 8,26–40 139 8,26 43, 45, 46, 139–141, 195 8,27 140 139, 140, 195 8,29 8,39–40 139 139, 140 8,39 10,1–11,18 141 10 xii, 125, 137, 139, 141, 146 141, 142 10,1–6 10,3–7 141–143 43, 44, 45, 46 10,3 10,7 43, 45, 46 10,10–16 141 141, 143 10,19–20



Index des références bibliques et de la littérature ancienne

10,22

43, 44, 45, 46, 141, 142, 143 10,28 141 10,30–32 141, 142, 143 10,30 54, 142 10,31 142 10,34–35 141 10,44–45 143 141, 143 10,44 10,45 143 10,47 143 11,5–10 141 11,12 141, 143 141, 142, 143 11,13–14 43, 45, 46, 142 11,13 11,14 142 11,15 141, 143 12 xii, 125, 137, 138, 143, 145, 146 137, 144 12,6–11 12,7–11 143–145 12,7 43, 45, 47 45, 46 12,8 12,9 54 47, 54 12,10 12,10–11 45 47, 54, 87 12,11 12,14–16 144 12,15 43 12,18 144 12,20–23 144 43, 46, 54, 143–145 12,23 12,24 145 13,31 173 13,26 138 16 138 16,25–34 137 23,8 43, 47, 111 47, 140, 195 23,9 43, 45, 47, 137 27,23 Romains 7,6 188 206, 244 8,29 8,35 164 8,36 165 163, 164, 170 8,38–39 43, 49, 163, 187 8,38

295

9,6–8 200 12,11 188 14,18 188 16,18 188 1 Corinthiens 4,9 43, 163, 165, 167, 168 6,2–3 167 6,2 166 6,3 43, 46, 47, 163, 166 8,1 193 8,6 193 43, 163, 167 11,10 12,2 175 12,13 186 43, 163, 167, 168 13,1 13,2–3 169 15,5–8 173 15,22–28 206 163, 187 15,24 15,31 165 2 Corinthiens 1,9 165 4,10–12 165 6,14 169 11,13 169 43, 46, 47, 48, 163, 11,14 169, 170, 226 12,3–4 169 12,7 43, 46, 47, 48, 163, 169, 170 13,13 213 Galates 1,8

43, 47, 163, 165, 170, 187 1,9 187 3,16 206 43, 53, 163, 170, 187, 3,19 207 3,27–28 111 3,28 186 3,29 206 188, 248 4,3 4,4 170 43, 44, 47, 54, 141, 4,14 163, 171, 187

296

Index des références bibliques et de la littérature ancienne

4,19 188 5,6 111 5,22 194 6,15 111 Éphésiens 1,21 164 114, 164, 194 3,10 4,3 247 4,13 247 4,17 244 4,20–24 244 6,12 164 Philippiens 3,3 195 Colossiens 1,5 188 1,7 194 1,8 194 1,9–10 194 1,9 194 186, 193 1,12 1,13 187 1,13 186 1,14 194 1,15 181, 186, 193, 206 164, 186, 194 1,16 193, 206 1,18 188, 194 1,23 2,5 194 2,6–7 193 172, 193, 194 2,8 2,9–10 193 164, 186, 187, 194 2,15 xiii, 43, 47, 163, 172, 2,18 181–195 2,18–23 182, 193–194 2,20 172, 188, 193 2,23 172, 192, 193 3,11 186 3,16 194 3,17 194 1 Thessaloniciens 1,9 188 3,13 172

17, 163, 171, 172 4,16 4,17 171 4,18 25 2 Thessaloniciens 1,5 172 1,7–8 172 1,7 43, 49, 110, 163, 230 1 Timothée 3,14–16 173 3,16 43, 163, 173 5,21 43, 110, 163, 174, 213 Hébreux 1,1–2 204 1,2 205 1,3 204 43, 54, 199, 204 1,4 1,5 54, 199, 205 54, 199, 206 1,6 1,7–8 201 1,7 50, 87, 199, 201, 203, 213 199, 201 1,8–9 1,8b 201 1,10–12 199 1,13 43, 54, 199 xiii, xiv, 199–209, 1,14 213, 237, 239 2,2 43, 55, 170, 187 2,4 202, 207 2,5 43 2,7 43 43, 54 2,9 2,10 209 2,14 207 2,16 43, 206, 207 2,17–18 207 3,1 307 3,7 202 3,14 204 4,11 204 4,12 202 5,5 205 5,5–6 205 5,7–10 203 5,7 203



Index des références bibliques et de la littérature ancienne

5,12 188 6,4 202 6,13 206 7,22 204, 205 8,5 204, 208 8,6 201, 204 8,10 204 9,8 202 9,9 204 9,11–15 203 9,11 203 9,12 203 9,14 202, 203 9,15–18 204 203, 204, 206 9,15 9,16–17 204 9,18 206 9,21 201 9,23 204 10,11 201 10,15 202 10,16 204 10,21 29 10,29 202 11,1 204 11,19 204 11,39–40 208 12,2 209 12,9 202 12,22–23 207 43, 48, 207 12,22 202, 206 12,23 12,24 204 13,2 43, 47, 207 1 Pierre 1,2 213 43, 53, 114, 194 1,12 43, 49 3,22 2 Pierre 2,4 2,11 Jude 6 9

43, 46, 47, 166, 174 43, 49 43, 46, 47, 84, 166, 174 17, 163, 170

Apocalypse 1,1

297

43, 45, 47, 56, 87, 211, 221, 222, 223, 224 220, 223 1,1–2 1,2 224 1,4 212, 213, 224 1,5 219, 226 1,7 224 1,8 221 220–222 1,9–4,1 1,9–3,22 212, 225 1,9–20 231 220, 226 1,9 1,10–13 221 220, 221 1,10–11 212, 221 1,10 1,12 220 221, 225, 227, 231 1,13–16 1,14 115 1,15 221 1,17 221, 225 1,18 221 221, 224 1,19 1,20 43, 45, 195, 211, 213, 215, 229 211, 221, 222 2–3 43, 45, 211, 216 2,1 2,5 223, 228 2,7 215 43, 45, 211 2,8 2,10 214 2,11 215, 217 43, 45, 211 2,12 2,16 223, 228 2,17 215 43, 45, 211, 216 2,18 2,22–23 228 2,25 223 2,29 215 3,1 43, 45, 195, 211, 213 223, 228 3,3 214, 230 3,4–5 43, 87, 211, 227 3,5 3,6 215 43, 45, 211 3,7 3,9 228 3,11 223 3,13 215

298

Index des références bibliques et de la littérature ancienne

3,14 43, 45, 211 3,16 228 3,21 214 3,22 215 4–5 87, 213, 231 4,1 215, 221, 222, 223 4,2–22,5 222–223, 225 212, 221 4,2 4,4 212, 214 4,5 7, 212, 213 4,6–8 271 4,6 212, 213 4,8–9 219 4,10 219 222, 223 5 5,1–5 213 5,1 212 43, 44, 49, 222 5,2 5,3–5 221 5,3 222 5,4 222 5,5 217, 222 213, 231 5,6 5,8–14 218 5,8–10 213 5,8 213, 214, 219 5,9–10 219 222, 226 5,9 5,11–14 221 5,11–13 219 5,11–12 213 43, 48, 213, 215 5,11 5,12 213 213, 215 5,13 5,14 219 6–8 223 218, 219 6,9–10 6,9 217 6,10 217 115, 214, 226, 230 6,11 6,12–17 229 7–9 7 7,1–8 227 7,1 43, 47, 214, 217 7,2–3 228 43, 46, 47 7,2 218, 221 7,9–12 115, 214, 219, 230 7,9

7,10–12 219 7,11 43, 212, 213, 219 7,12 213 7,13–17 222 7,13 115 7,14–17 214 7,14 226 7,15 219 7,17 221 8,1–4 45 8,2 43, 47, 214 8,3–6 217 214, 218 8,3–5 8,3–4 219 8,3 43, 47, 218 47, 53 8,4 8,5 46, 47, 218, 228 8,6–9,21 218 8,6–9,19 228 8,6 43 8,7–12 214 8,7 230 43, 45, 47, 230 8,8 43, 46, 47 8,10 8,12 43, 46, 47, 230 8,13 43, 211, 222, 228 9,1–11 229 9,1 43, 46, 47, 229, 230 9,2–3 217 9,3–11 229 43, 229, 230 9,11 9,13–14 228 43, 46, 47, 217, 218 9,13 9,14–19 217 43, 46, 217, 228 9,14 9,15 217 9,17–19 229 9,18 217 222, 223 10 212, 225, 231 10,1–2 43, 44, 46, 47, 49, 53, 10,1 212 10,2 212 10,4 222 10,5–7 222 43, 212 10,5 43, 46, 47, 211 10,7 46, 47, 212, 222 10,8



Index des références bibliques et de la littérature ancienne

10,9 46, 47, 48 10,10 46, 47, 48, 212 10,12 47 11,1–13 222 11,1 218, 222 11,3 222 11,13 229 43, 46, 47, 219 11,15 11,16 219 219, 228 11,18 12 226 12,5 226 226, 230 12,7–9 43, 84, 87, 226, 230, 12,7 261 12,9 43, 87, 166, 169, 226 12,10–12 222 12,11 217 12,14 226 12,15 226 13,7 219 13,10 219 227, 231 14,1–5 14,1 220 14,3 219 14,4 230 14,6–7 222 43, 45, 46, 47, 48, 212, 14,6 255 14,7 214 43, 46, 47, 222, 230 14,8 46, 47 14,9 14,9–12 222 14,9–11 228 43, 44, 110, 211, 230 14,10 14,12 219 14,13 222 14,14–16 231 43, 46, 47, 113 14,15 14,16 54 14,17–20 228 14,17–19 228 43, 46, 47 14,17 14,18 46, 47, 50, 217, 218, 228 46, 47 14,19 43, 46 15,1 219, 230 15,2–4

299

15,2 219 15,3–4 216 15,5 219 43, 46, 212, 219 15,6 15,7 46 15,8 46 216, 219, 229 16 43, 46 16,1 16,2–8 214 16,5–7 216 16,5–6 230 16,5 43 16,6 219 217, 219, 230 16,7 16,15 50 16,19 228 17 228 17,1–3 225 17,1–2 222 43, 46, 224 17,1 17,6 219 214, 222 17,7–18 17,7 43 229, 230 17,14 17,16–17 229 18,1–3 222, 230 18,1 43 18,4–20 222 18,4–8 228 18,5–7 228 18,10 228 18,20 219, 228 222, 228 18,21–24 18,21 43, 44, 46, 47, 49, 212, 230 18,24 219 19,1–3 230 19,2 228 19,8 230 222, 225 19,9–10 43, 45, 48 19,9 212, 226 19,10 229, 230, 231 19,11–21 230, 231 19,14 19,17 43 19,20 230 20,1–3 229 20,1 43

300

Index des références bibliques et de la littérature ancienne

20,2 217 20,3 229 20,4 227 20,6 220 20,8 214 20,9 229 20,10 230 20,11–15 227 20,12 227 20,14–15 230 21,3–4 222 21,5–8 222 21,5 222 21,6 221 222, 224, 225 21,9–10 21,9 43, 46 43, 227 21,12

21,17 43, 47, 212 21,27 227 22,1 224 220, 221 22,3 22,6–16 212, 223–225 22,6–7 231 43, 44, 87, 195, 211, 22,6 223, 224, 225 224, 225 22,7 224, 225 22,8–9 22,8 43, 45, 56, 212 22,10–13 231 22,12–13 225 22,13 221 43, 44, 211, 212, 221, 22,16 224 22,20 224

Écrits de Qumrân CD II 6 III 19–21 V 18 A IX 13 XII 5 A XIII 5 A XIV 3–6 XVI 5 B XX 5

43 6 31 12 5 12 12 43 9

1QHa I 11–13 VI 13 IV 21 IX 9 IX 28 IX 28–29 XIII 18 XIV (VI) 13–14 XIV 13 XV 27 XV 31  XVIII 10 XIX 17 XX 13

216 88 9 43 9 9 5 30 43 5 10 10, 30 9 9

XXI 32 XXII 34 XXIII 23  XXIV 10 XXIV 12

9 9 10 43 10

1QM I 16 30 217 II 11 VI 5 43 VII 6 IX 15–16 13, 30, 133 43 X 11 213 XII 8–9 XIII 31 43, 226 XIII 11 43 XIII 12 XIII 14 30, 31, 42 30 XVII 6–8 85, 42 XVII 6 1QS I 16–III 2 III 13 III 15 III 20–21

4 6 9 43



III 20 IV 7 IV 12 V 5–6 VI 19 VIII 4b–10a IX 4–5 IX 5b–7 IX 7 IX 12 IX 21 X 24 XI 7–9 XI 15–16

Index des références bibliques et de la littérature ancienne

31 214 43 6 12 6 2, 6 6 12 6 6 9 6 9

1QSa I 22–24 I 28 II 8

12 6 43

1QSb I 1 III 6 IV 25–26 V 20 IV 24–26

3Q8 43 1 2 43 3Q15 IX 2

152 5

4QM

31

4Q37 XII 19 4Q174 1–2 I 6–7

6

4Q177/4QCatenaa 12–13 i 7 43 4Q201 1 I 6–7

27

6 43 43 6 88

4Q202 1 III 7.13

27

1Q19bis 2 4

30

1Q20/apGen

51

4Q213a 2 15–18

1Q21 51 1Q23

51

1Q24 51 1Q33 I 10 I 11 XIV 15 XIV 16 XVII 7

10 10 10 10 10

2Q26 51 3Q7 28

4Q208–211 51 4Q213 51 60

4Q214 51 4Q216 V 1 V 5

28 43

4Q226/psJubb 6a 3 

42

4Q228 1 i 8

43

4Q285 X 30 4Q286

7

301

302

Index des références bibliques et de la littérature ancienne

4Q286–290 4 4Q287 7 4Q287/4QBerb 2, 13

43

4Q298 3–4 ii 4

9

4Q299 35 1

9

4Q318 51 4Q 369 1 ii 9

43

4Q377 2 ii 11

42

4Q391/pap psEzeke 42 4Q400–407

ix, 3

4Q400 5 4 1 1 1 1 1 2–4 10 1 1 3 11 1 1 12 12 1 1 15–20 12 1 1 17 11 1 1 19 11 1 1 20 11 2 1 9, 10 9 2 3 10, 11 2 5  9 28 12 3–5 2 2 3 3–5 2 8 4Q401 13 3 1 14 11 2 14 1 5

11 9 9 9

4Q402 4 14 4 8 9, 10 4 12 9 9 2 10 4Q403 3, 8, 11, 13 1 3 1i1 43 1 ii 23 43 12 1 1 1 13 1 1 10–29 12 1 1 10 1 1 21 10 10, 12 1 1 26 8 1 1 30–33 1 1 30–31 9 1 1 30 3 9, 10, 13 1 1 31 1 1 32 10 1 1 33 10 1 1 34 13 9, 10 1 1 38 11 1 1 39–40 1 1 39 9 6 1 2 13 1 2 3 1 2 15 214 13 1 2 16 1 2 18 3 1 2 19 11 12 1 2 20 8 1 2 23 11 1 2 24 9, 10 1 2 26 10 1 2 35 4Q405 2 23 12 3 1 12 4 2 13 7 14–15 1 3 17 1 4 17 1 5 17 4 19 5 20–22 2

3, 8, 11, 13 9 12 13 12 9 8 8 43 8 6



20–22 2 6–7 20–22 2 9 20 2 21–22 23 1 13 23 2 23 2 10 23 2 11

Index des références bibliques et de la littérature ancienne

3 8 54 10 14 13 13

4Q407 5 8 1 3 4Q417 1 i 8

9

4Q428 26 43 4Q470

30

4Q474 8 43 4Q491 31 4Q491c 30 4Q499 33

9

4Q510–511 7

4Q537 51 4Q538

51

4Q539

51

4Q542 51 4Q543–549 51 4Q554

2

4Q555 2 4Q560

51

4Q561 51 11Q10 XXX 5

19

11Q14 1 ii

43

11Q14 1 ii 6

43

11Q17 X 6 9–12 1 7 19–20 6–7

ix, 3, 5 43 10 10

4Q510 1

43

4Q511 2 i 8 16 4

11QPsa 11 4 XXVII 5–8

43 10

11QT XIX 12–13

5

Mas1k

ix, 3, 5

4Q530–532 51

Pseudépigraphes Apocalypse d’Élie 3,28 229

Apocalypse d’Isaïe 1,9 214

303

304

Index des références bibliques et de la littérature ancienne

Apocalypse de Sedrach 4,5 226 Ascension d’Isaïe 3,16 31 9,12 21 2 Baruch 51,10 111 51,11–13 166 3 Baruch 11,4 219 12,3 87 1 Esdras 29 5,40 8,54 29 8,58 29 8,92 29 9,39–40 29 9,49 29 4 Esdras 4,36 171 4,52 114 13,33–34 230 1 Hénoch 6–8 165 9,1–11 88 27, 133 9,1 166, 219 9,3 9,4 27 14 7 15,2 89 15,6–7 111 18,5 50 19,1–2 166 20 44 89, 171 20,1–8 20,1–7 213 20,1 89 20,2 229 27, 133 20,7 20,8 89 21,7–10 166 23,4 110

39,1 174 39,4–8 111 40,1–9 89 40,1 11 40,2 11 40,4 11 40,5 11 40,6 11 40,7 11 40,9 133 40,10 11 41,2 11 41,6 11 41,7 11 43,4 11 45,1 11 47,3 110 51,4 111 54,4–6 226 54,6 133 55,5–6 217 217, 230 56,5–6 60,11–22 216 60,17–18 50 61,1 54 44, 49, 214 61,10 65,8 216 66,1–2 216 68,2 166 68,5 166 71,1 110 71,3 27 71,7 214 71,8–9 133 75,3 216 76,1–14 228 215, 229 86,1 215, 229 86,3 87,2 5 88,1 229 88,3 229 90,20–27 166 90,21–22 213 90,21 5 104,1 89 104,6 111 108,12 214



Index des références bibliques et de la littérature ancienne

Testament d’Abraham 12,4 228 13,11 228

2 Hénoch 4–6 216 8,6 227 19,2 213 19,3–5 216 21,5–7 133 30,15 238 31,4–6 226 70,10 133 Jubilés 2,1 27, 30 88, 213, 216, 228 2,2 6,17–19 4 15,30–32 85 Livre des Antiquités bibliques 15,5 86 35,1–7 127 38,3 228 42,10 128 44,10 216 59,4 86 3 Maccabées 6,18–21 86 4 Maccabées 5,7

190, 191

Oracles sibyllins 3,663–668 230 4,120 217 4,139 217 8,399 238 8,460 30

Testament de Job 27,2 226 33,2–3 214 48,1–3 168 49,2 168 50,2 168 Testament de Moïse 1,17–18 222

Testaments des douze patriarches Testament de Lévi 3,4–6 88 3,5 219 Testament de Juda 25,1–2 28 Testament de Zabulon 9,1–4 193 Testament de Gad 5,10 216 Testament d’A sher 1,3 238 Testament de Joseph 6,7 86 Vie d’A dam latine 16–17 226 Vie grecque d’A dam et d’Ève 17 169

Philon et Josèphe Flavius Josèphe Antiquités juives IV,108 129 V,213 128 V,277 116, 128 XV,136 187 XIX,343–350 144

Guerre des Juifs II,142 13 II,328 152 II,530 152 V,149 152 V,150 152 V,246 152

305

306

Index des références bibliques et de la littérature ancienne

Philon De confusione linguarum 145 32 146 33 De gigantibus 6 20

De somniis I,214–215 33 I,189 33 Quaestiones et solutiones in Genesim 18,6–7 33 Quis rerum divinarum heres sit 205 32

Littérature rabbinique Mishna Tamid 5,1–6,3 219

Talmud de Babylone Chullim 40a 31 Hagigah 12b 31 Menachot 110a 31

Shebuʿot 15b 108 Zevachim 62a 31 Pesiqta Rabbati 21 187 Targum Exode 25,22 158

Littérature ancienne grecque et latine Aristote

Homère

Du monde 401a–401b 24

Odyssée V,29 22

Euripide

Iliade II,789 22

Bacchantes 443–450 138 616–645 138

Gaius Institutes 2,102–103 205

Hérodote Histoires IV,205 145

Jamblique Theologoumena arithmeticae 57 23 Papyri Graecae Magicae 1.296–300 24 4.2352 24 4.484 24



Index des références bibliques et de la littérature ancienne

Pausanias

Plutarque

Description de la Grèce IX,7,2–4 145

Isis et Osiris 47 23

Platon

Polybe

Timée 90a 236

Histoires V,54 24

Phédon 107d 236

Porphyre

République X,621d 236

Plotin Ennéades III,4,6 236

Contra Christianos 25 fr. 35

Tacite Annales XIV,27 183

Virgile Énéide VI,95–98 209

Littérature chrétienne ancienne Apocalypse de Pierre 8,10 87

Augustin

Denys l’Aréopagite La hiérarchie céleste VI,2 49

Enarrationes in Psalmos xii 103,1,15

Didachè 1,1 238

Clément d’A lexandrie

Épître de Barnabé 18 238

Eclogae Propheticae 41 87 48 87

Clément de Rome Première épître XL,5 208 XLI,2 208 XLV,7 191

Épître à Diognète 7,2 30

Éphrem de Nisibe Commentaire de l’Évangile concordant XIII,I,1 155

307

308

Index des références bibliques et de la littérature ancienne

Eusèbe de Césarée Histoire Ecclésiastique 6,12 117 In Isaiam 9,68 31

Commentaire sur Matthieu XIII,26 244, 245 Homélie sur les Nombres XI,4,82 251 246, 247, 249 XXIV,3

Évangile des Égyptiens 68 222

Homélie sur Josué IX,4 244

Évangile de Pierre 35–37 117

Homélie sur Ézéchiel I,7 243

Évangile du Pseudo-Matthieu 8–9 262

Homélie sur Luc 250, 251-252 35 35,3-4 241

Hippolyte In Danielem 4,40 31

Ignace d’Antioche Lettre aux Smyrniotes 6,1 30

Jérôme Epistola CXXI,10 182

Origène Contre Celse V,4 200 237, 241 VIII,34.36 Des Principes II,10,7 241 III,2,4 238 Commentaire sur le Cantique II 248

Sur la prière VI,4 240, 246 XI,3-5 240

Pasteur d’Hermas Préceptes 6,2 238 Protévangile de Jacques 11 262

Tertullien De baptismo V,5 155 XVII 208

Théodore de Mopsueste In Epistolam Pauli ad Colossenses Commentarii Fr. 182 ad cap. II

Théodoret de Cyr Interpretatio epistulae ad Colossenses 181 ad cap. II

Index thématique Abraham 32, 44, 57, 85, 86, 129, 130, 206, 208, 257, 260 Alliance xiv, 4, 88, 139, 158, 204, 205, 206, 208, 256 Ange de Dieu/du Seigneur x, xi, xii, 18, 21, 42, 43, 70–72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 83, 86, 117, 125–146, 151, 159, 170, 171, 187, 195, 229, 245 Ange destructeur 43, 45, 46, 70, 130, 143, 145, 228, 229 Ange exterminateur voir Ange destructeur Ange interprète/révélateur xii, 44, 45, 48, 56, 57, 129, 132–134, 136, 146, 213, 222, 225, 228, 231 Angélologie vii, x, xiii, xiv, xv, 7, 12, 26, 41, 42, 45, 50, 52, 55, 56–61, 69, 84, 105, 106, 115, 116, 120, 125, 126, 164, 186, 187, 207, 211, 235, 255 Angélophanie 54, 59, 72, 73, 87, 110, 115, 130, 134, 135, 136, 143, 151, 173, 225 Anges de la Face xi, 10, 28, 43, 88, 89, 90, 92, 94, 98, 99, 100, 132, 133 Anges gardiens xi, xiv, xv, 18, 25, 44, 45, 46, 47, 83, 85, 86, 87, 98, 99, 100, 129, 138, 167, 203, 215, 226–227, 231, 235, 236, 239, 242, 243, 244, 246, 248, 249, 250, 251, 252, 272–273 Anges liturges 218–219 Anges protecteurs voir Anges gardiens Anges saints 8, 10, 13, 27, 28, 43, 44, 89, 109–110, 142, 183, 195, 230, 238 Annonciation 46, 132, 135–136, 261–262, 264, 270, 280 Apocalyptique viii, x, xv, 7, 57, 69, 70, 71, 110, 111, 113, 133, 135, 171, 172, 191, 192, 199, 219, 221 Archange(s) ix, 5, 12, 13, 14, 17–33, 49, 89, 133, 171, 183, 184, 185, 214, 229, 261, 262, 272, 273 Armée de Satan 109

Armées célestes 14, 18, 22, 44, 48, 49, 50, 70, 109, 121, 136, 226, 230, 237, 242, 243, 265 Autorités célestes xiii, 11, 44, 49, 67, 84, 89, 163, 164, 175, 181, 183, 186–187, 188, 194, 252 Bonne Nouvelle 68, 136, 138, 137, 187, 194, 265 Christologie xi, 33, 97, 100, 211 Communion 2, 8, 11, 53, 75, 236, 248 Cosmos xiv, 51, 75, 165, 168, 187–189, 212, 214, 217, 218, 228, 229, 231, 271 Création i, xiv, 50, 58, 76, 80, 88, 193, 212, 214, 216–217, 228, 232, 236, 251, 252, 259–261 Culte ix, xii, xiii, 2, 4, 5, 6, 7, 8, 11, 22, 24, 26, 31, 47, 53, 55, 58, 59, 89, 99, 137, 156, 157, 172, 181–195, 207, 208, 211, 231, 243, 265 David 4, 21, 45, 78, 88 Démons/démoniaque/démonologie xv, 11, 20, 67, 105, 106, 108, 111, 164, 175, 193, 217–218, 229, 236, 237, 238, 243, 252, 272 Dévotion xv, 52, 181, 182, 183, 256 Diable/Satan 46, 48, 67, 69, 71, 84, 87, 108, 109, 120, 169, 170, 207, 226, 227, 229, 237, 238 Emmanuel (l’) x, 68, 71, 72, 75, 76, 80, 81 Épiphanie voir Angélophanie Eschatologie/eschatologique xi, xv, 14, 53, 69, 83, 84, 87, 92, 93, 94, 96, 97, 100, 105, 109, 110, 112, 113, 114, 120, 125, 136, 157, 174, 207, 213, 222, 227, 230, 236, 251, 263, 265, 271, 272

310

Index thématique

Esprit (Saint) xiii, 73, 78, 136, 139, 140, 141, 142, 143, 161, 188, 194, 195, 202, 203, 212, 213, 214, 251 Esprit(s) vii, ix, xiv, 3, 7, 8, 9, 11, 13, 14, 18, 46, 50, 85, 88, 105, 106, 107, 114, 129, 156, 195, 199–209, 212, 213, 214, 220, 223, 226, 231, 237, 273 Éternité/éternel 8, 11, 30, 48, 55, 60, 110, 136, 161, 204 Évangile (l’) x, xii, 47, 48, 74, 75, 81, 137–145, 170, 173, 188, 194, 262, 269 Fils de l’homme xi, 47, 56, 60, 68, 71, 80, 84, 87, 92, 93, 96–98, 99, 100, 109–113, 114, 121, 125, 151, 158, 240, 242, 263 Fonctions et rôles angéliques viii, ix, x, xi, xiii, xiv, xv, xvi, 7, 8, 11, 12, 13, 14, 33, 42, 44, 46, 47, 48, 50, 55, 57, 59, 58– 60, 68, 69, 74, 83, 84, 85, 86, 87, 89, 90, 94, 95, 96, 98, 99, 100, 108, 109, 110, 113, 119, 120, 121, 125, 126, 129, 133, 134, 135, 136, 137, 138, 139, 140, 142, 143, 145, 146, 151, 166, 167, 170, 171, 173, 183, 194, 199, 203, 211, 214, 215, 218, 219, 220, 222, 224, 225, 226, 227, 228, 231, 235–253 Gabriel ix, xii, 13, 17, 27, 30, 44, 45, 89, 126, 129, 132–134, 135, 136, 146, 170, 261, 262, 272 Gloire 7, 8, 9, 10, 11, 43, 44, 53, 58, 59, 61, 70, 80, 86, 89, 96, 109, 110, 112, 136, 145, 173, 181, 205, 209, 250, 263 Immanence/immanent x, 53, 69, 80, 81, 213 Jugement 46, 47, 69, 83, 84, 88, 93, 94, 96, 97, 98, 99, 100, 107, 112, 113, 120, 166, 167, 172, 174, 227, 228, 236, 249, 251, 263 Liturgie/liturgique ix, xiv, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 11, 14, 31, 32, 45, 134, 158, 172, 199, 201, 208, 212, 219, 231, 258 Loi 2, 48, 55, 56, 77, 109, 170, 187, 188, 191, 192

Lumière i, 8, 10, 30, 31, 43, 48, 136, 144, 169, 187, 226, 238 Médiation/médiateur/médiatique viii, x, 41–61, 70, 75, 80, 112, 113, 129, 134, 170, 193, 203, 204, 220, 224 Messager(s) vii, viii, ix, x, xii, xv, 8, 18, 41, 42, 43, 48, 49, 50, 52, 53, 56, 57, 68, 83, 106, 107, 113, 117, 126, 129, 134, 135, 136, 141, 142, 173, 175, 187, 194, 201, 211, 215, 220–225, 228, 231, 255, 256, 260, 261, 262, 263, 265 Michaël/Michel ix, 13, 17, 27, 30, 31, 32, 44, 45, 85, 89, 126, 133, 171, 183, 184, 185, 226, 227, 230, 261, 272, 273 Moïse 19, 33, 54, 56, 85, 129, 130, 131, 137, 158, 170, 192 Mystique 2, 4, 7, 8, 11, 12, 13, 191, 192, 208 Petits (les) ix, x, 83–100, 240, 241, 243, 244, 245, 250, 251 Piété xv, 1, 95, 189, 190, 237, 241 Prière 1, 25, 86, 89, 96, 108, 121, 138, 158, 167, 181, 194, 203, 208, 214, 218, 219, 239, 240, 241, 246 Puissances célestes voir Autorités ­célestes Raphaël ix, 13, 17, 27, 30, 44, 86, 87, 89, 90, 126, 129, 132, 133, 171, 219, 256, 272 Règne/royaume 13, 14, 73, 83, 98, 114, 136 Sariel 13, 27, 30, 44, 89, 133, 171 Satan voir Diable/Satan Scribe 9, 24, 27, 51, 53, 60, 140, 152 Sinaï 45, 48, 56, 137, 170, 187 Théophanie 48, 72, 73, 77, 121 Transcendance/transcendant x, xvi, 22, 68, 69, 73, 75, 76, 77, 80, 81, 99, 115, 130, 131, 136, 215 Trône divin 2, 5, 10, 88, 201, 212, 213, 214, 215, 218, 219, 221, 222, 263, 264, 270, 271



Index thématique

Union voir Communion Universel x, 84, 93, 94, 97, 99, 100, 139, 199, 240, 241 Uriel/Ouriel 27, 44, 171, 229, 272 Vérité 9, 43, 71, 79, 80, 81, 157

311

Victoire(s) xv, 73, 74, 107, 193, 217, 226, 230, 255, 266, 267–269, 270 Vision 6, 20, 51, 54, 56, 57, 60, 88, 89, 129, 130, 133, 137, 141–143, 195, 212, 213, 214, 215, 220–225, 227, 231, 236, 243, 251, 256