Deux Residents mongols en Chine et en Asie centrale de Tchinkkiz Khagan a Khoubilai 9781463229764

An description and comparison of two personages in Mongol history, Yelü Chutsai and Mahmud or Aziz Yalavach, who were ab

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French Pages 16 Year 2014

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Deux Residents mongols en Chine et en Asie centrale de Tchinkkiz Khagan a Khoubilai
 9781463229764

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Deux Residents mongols en Chine et en Asie centrale de Tchinkkiz Khagan a Khoubilai

Analecta Gorgiana

748 Series Editor George Anton Kiraz

Analecta Gorgiana is a collection of long essays and short monographs which are consistently cited by modern scholars but previously difficult to find because of their original appearance in obscure publications. Carefully selected by a team of scholars based on their relevance to modern scholarship, these essays can now be fully utilized by scholars and proudly owned by libraries.

Deux Residents mongols en Chine et en Asie centrale de Tchinkkiz Khagan a Khoubilai

E. Blochet

2014

Gorgias Press LLC, 954 River Road, Piscataway, NJ, 08854, USA www.gorgiaspress.com G&C Kiraz is an imprint of Gorgias Press LLC Copyright © 2014 by Gorgias Press LLC Originally published in 1926 All rights reserved under International and Pan-American Copyright Conventions. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system or transmitted in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, scanning or otherwise without the prior written permission of Gorgias Press LLC. 2014

ISBN 978-1-61143-076-9

ISSN 1935-6854

Reprinted from the 1926 London edition.

Printed in the United States of America

DEUX RESIDENTS MONGOLS EN CHINE ET EN ASIE CENTRALE, DE TCHINKKIZ KHAGHAN A KHOUBILAI Par

E.

BLOCHET

E grand homme d'état des commencements de la dynastie mongole fut un personnage énigmatique auquel les Chinois donnent le nom de ¿Ê fâ Yaloutchhou Thsaï 1 ; les chroniques du Céleste Empire racontent qu'il était de la race des Tatars Khitan, et qu'il appartenait à la famille impériale des Liao, laquelle avait été dépossédée par les Tatars Kin, les Altan Khagan, auxquels Tchinkkiz fit une guerre sans merci pour s'emparer de leurs possessions du Nord de la Chine. Ce fut en l'année 1215 que Yaloutchhou Thsaï entra au service du Conquérant ; ses talents administratifs, sa haute valeur morale, complètement inconnus au sein des tribus mongoles, étonnèrent les barbares ; ils lui attirèrent la faveur et la confiance de Témoutchin, dont il sut déjouer les projets inhumains. Ce fut ce Mandchou, élevé dans l'admiration des rites du Céleste Empire, qui empêcha Tchinkkiz Khaghan de donner suite au dessein monstrueux qui lui traversa l'esprit de faire massacrer toute la population chinoise pour n'avoir point la peine de la gouverner et de pourvoir à ses besoins ; ce f u t lui qui fit comprendre au Conquérant qu'un vaste domaine jie se gouverne pas comme un clan tonghouze, et qui osa lui conseiller de conformer sa conduite aux préceptes de Confucius, lequel avait écrit : " Certes, il faut bien se dire que le monde, si l'on peut s'en emparer sur le dos d'un cheval, il est impossible de le gouverner en restant sur sa selle." 2 Yaloutchhou Thsaï devint le conseiller intime et le favori de l'Empereur jaune, qui le nomma son exécuteur testamentaire ; Ogotaï, dont il avait favorisé l'élection, lui témoigna la même faveur que son père, et il lui laissa toute liberté de gouverner ses états à sa guise ; il lui confia l'administration financière de tout le pays qui avait formé la monarchie des Kin (1230), et sa gestion fut à ce point heureuse que, l'année suivante (1231), il lui remettait le grand sceau, en lui conférant l'administration générale de ses domaines impériaux. Le toutpuissant ministre inspira au nouveau souverain toutes les mesures politiques et administratives qui permirent à la dynastie mongole 1

En prononciation vulgaire et moderne Yé-liu-tchhou Thsaï.

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de vivre et de subsister,1 et, si l'on en croit l'autorité des historiens de la terre de Han, il mourut en 1243, immédiatement après Ogotaï, tout au début de la singulière régence de Tourakina Khatoun, comme si cette princesse avait redouté que la fidélité que le Khitan gardait à la mémoire de ses maîtres ne pût devenir un obstacle invincible aux desseins qu'elle nourrissait. Les chroniques persanes rapportent que lorsque Tchinkkiz Khaghan eut conquis et dévasté la Transoxiane, dont les deux capitales étaient Boukhara et Samarkand, il confia le gouvernement de ces vastes contrées, avec la mission de relever leurs ruines, au très grand ministre Yalwatch, et à son fils, Mas'oud Beg 2 ; ce fut en cette qualité que Yalwatch se vit mêlé à l'insurrection de Mahmoud Tarabi et aux aventures étranges qui la signalèrent.3 Les Mongols, au commencement du règne d'Ogotaï, traitèrent le Khitaï, la Chine du Nord, l'empire des Altan Khaghan, le royaume des Kin, avec la même férocité ; quand le pays fut entièrement dévasté, saccagé à fond, Ogotaï s'en retourna, gai et content, à Karakoroum, sa capitale, tandis qu'il envoyait ses armées contre la Chine du Sud, pour la mettre dans le même état que ses provinces septentrionales ; ce fut alors qu'il laissa 'Aziz Yalwatch dans les contrées du Nord en la qualité de vice-roi.4 Eashid ad-Din, dans sa Tarikh-i moubarak-i Ghazani,5 raconte qu'Ogotaï nomma le sahib Mahmoud Yalwatch résident mongol dans toutes les provinces du Khitaï, c'est-à-dire qu'il lui conféra le gouvernement de tout le Nord de la Chine, en même temps qu'il confiait l'administration de tout le pays qui comprenait Besh-Baligh et Kara-Khotcho, qui formait l'ancien royaume des Ouïghours, Khotan, Kashghar, Almaligh, Kayaligh, Samarkand et Boukhara, jusqu'aux rives du Djaïhoun, de l'Oxus, c'est-à-dire tout le royaume de Tchaghataï," 1 Yaloutchhou Thsai, en 1229, persuada à Ogotaï d'instituer le tchin mongol, avec son étiquette, à l'imitation des rites du Céleste Empire ; ce fut lui qui, conformément à la mentalité chinoise, et contre toutes les idées des Mongols, restreignit fortement le pouvoir des militaires, en même temps qu'il établissait l'assiette d'un budget ; ce fut lui qui, en 1230, obtint de son souverain que l'on divisât les contrées qui avaient été arrachées à la domination des Altan Khaghan en dix provinces, organisées suivant les dogmes administratifs du Céleste Empire, et d'après les idées des Chinois. 2 ' Ala ad-Din'Ata Malik al-Djouwaïni,Djihangousha, édition de Mirza Mohammad ibn ' Abd al-Wahhab al-Kazwini, tome I, pages 75 et 84. 3 Ibid., pages 86 et 90. 4 Ibid., page 154. 5 Edition des Gibb Trustées, tome II, pages 85 et 86. 6 L'apanage constitué par Tchinkkiz Khaghan en faveur de la lignée de Tchaghataï s'étendait de Kara-Khotcho, sur la frontière du Céleste Empire, aux rives de l'Oxus, sur les marches du plus grand Iran ; mais, dans l'esprit de Tchinkkiz, qui fut celui

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à Mas'oud Beg, fils de Yalwatch, les contrées qui s'étendent depuis le Khorasan jusqu'aux frontières de l'empire grec et au Diar Bakr, c'est-à-dire toute la Perse, â l'émir Keurgueuz. Tourakina Khatoun, après la mort d'Ogotaï, au cours de l'interrègne qui commença à sonner le glas de l'empire mongol, s'empressa de révoquer Yalwatch de ses hautes fonctions, et elle confia la viceroyauté de la Chine à un Musulman, nommé 'Abd al-Rahman1 ; Mas'oud Beg fut enveloppé dans la disgrâce qui frappait son père, mais Kouyouk, dès son avènement, s'empressa de les rétablir dans leurs dignités. Ce prince et, après lui, Mangou Khaghan, conservèrent toute leur confiance à ces hommes qui furent les véritables administrateurs de tout l'Orient, jusqu'au jour où la monarchie, avec l'élection du khaghan Khoubilaï, avec l'indépendance des gouverneurs de l'Iran, avec l'insubordination et l'esprit démoniaque des princes du Tchaghataï, commença à se disloquer, et à courir à sa ruine.2 d'Ogotaï, de Kouyouk, de Mangou, de Khoubilaï, cette souveraineté, comme celle de l'oulous de Russie, était purement nominale et honorifique, la réalité du pouvoir temporel devant être exercée par un résident qui relevait directement du khaghan mongol. Ces dispositions tinrent et durèrent jusqu'à Mangou ; il est vraisemblable que Mas'oud Beg f u t le dernier résident à la cour de l'Ouloug E f , qu'après lui commença la lutte déloyale et sans merci que les souverains du Tchaghataï menèrent contre les empereurs de Khanbaligh, et contre leurs vassaux, les princes de l'Iran ; elle se poursuivit, implacable et criminelle, et, après des vicissitudes sans nombre, elle se termina par l'asservissement de la Perse au descendant d'un maire du palais du roi du Tchaghataï, si t a n t est queTémour-le-Boiteux ait jamais pu se prévaloir d'unesemblable origine, et par l'indépendance de la Chine, qui se sépara d ' u n monde qui s'en allait à la dérive, pour s'en retourner à ses destinées traditionnelles et séculaires. Le bon plaisir du successeur de Tchinkkiz donnait ainsi à Mahmoud Yalwatch et à Mas'oud Beg un pouvoir absolu, une autorité sans appel, sur la Chine et sur toute l'Asie Centrale, le khaghan se réservant l'administration de la " yourte originelle ", le pays des Mongols. Les contrées iraniennes, à l'Occident du Djaïhoun, dans ce système, furent gouvernées par des généraux d'armée, jusqu'au jour où le prince Houlagou, par ordre de son frère Mangou, s'en vint prendre la souveraineté de la Perse, avec le dessein de poursuivre, conformément aux volontés de Tchinkkiz, les conquêtes des Mongols dans l'Occident, dans l'empire byzantin, et dans les contrées soumises au sceptre des sultans Mamlouks. Ces fonctions de résident dans les pays conquis par le Thaï-Tsou des Yuan donnaient à ceux qui en étaient investis une autorité absolue ; le résident, comme le namiestnik que l'empereur de Russie envoyait en mission spéciale, comme plénipotentiaire, en Sibérie, ou au Caucase, ne relevait que de la couronne ; il n'avait aucun compte à rendre aux bureaux de Karakoroum et à leurs scribes. 1 " Il y avait, dans ce temps là, dit Djouwaïni, dans le Djihangouska, page 199, une femme, nommée Fatima Khatoun, qui se mêlait des affaires du gouvernement ; elle envoya 'Abd al-Rahman dans le Khitaï, à la place de Yalwatch." 2 Kouyouk f u t à peine monté sur le trône qu'il fit mettre à mort le favori de Fatima, ' Abd al-Rahman, et rendit la Résidence à Yalwatch ; il est vraisemblable, quoique l'histoire n'en dise rien, que Mas'oud Beg avait été révoqué par Tourakina, car Rashid ad-Din dit dans son histoire, page 248, que Kouyouk " donna le gouvernement du Khitaï au sahib Yalwatch ; le Turkestan, c'est-à-dire l'Asie Centrale et la Trans-

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Il est impossible de séparer le sahib, très grand sahib, sahib étant le titre des administrateurs civils, Mahmoud, ou 'Aziz Yalwatch, auquel la confiance des khaghans donna le gouvernement des contrées orientales de la monarchie mongole, la toute-puissance dans le Céleste Empire, du Yaloutchhou Thsaï, auquel le prince qui succéda à Témoutchin remit le soin de l'administration de ses immenses domaines. Le Yuan-shi, la chronique impériale chinoise, prétend bien que Yaloutchhou Thsaï mourut immédiatement après le fils de Tchinkkiz, en 1243, tandis que l'histoire persane affirme que ce personnage était dûment en vie au cours de l'année 1251, huit ans plus tard, et qu'il ne se regardait point comme assez âgé pour se retirer des affaires publiques et prendre sa retraite. Ces deux assertions sont antinomiques, irréductibles, inconciliables ; il est inutile de chercher à résoudre un problème dont l'énoncé contient une inexactitude ; je n'hésite point à admettre la version d' 'Ala ad-Din 'Ata Malik al-Djouwaïni, qui a été adoptée par Rashid ad-Din, contre les prétentions du Yuan-shi ; la rédaction de la chronique chinoise a été menée avec une rapidité invraisemblable, qui en fait la plus médiocre des vingt-quatre histoires dynastiques, tandis que Djouwaïni vécut les événements qu'il raconte, tandis qu'il fut le contemporain de Yalwatch et de Mas'oud Beg, à tel point qu'il est. impossible que, dans ses voyages en Asie Centrale, l'auteur du Djihangousha n'ait pas été renseigné d'une manière absolument certaine sur l'identité véritable des deux hommes d'état auxquels la confiance impériale avait remis la souveraineté de toute l'Asie orientale.1 oxiane, jusqu'à l'Oxus, à l'émir Mas'oud Beg; le Khorasan, l"Irak, l'Azarbaïdjan, à l'émir Arghoun Agha ". Ces dispositions, à une personne près, le résident de Perse, rétablissait dans son intégrité le statut des débuts d'Ogotaï ; elles rendaient à Yalwatch et à Mas'oud leurs dignités, dans la forme même où elles leur avaient été conférées par le successeur du Conquérant du Monde ; 'Ala ad-Din 'Ata Malik, dans le Djihangousha, man. supp. persan 205, folio 143 verso, dit formellement que Mangou, " confia tous les pays, du commencement du cinquième climat, des rives de l'Oxus, jusqu'au point le plus extrême de ce climat, au très grand sahib (sahib-i mou'azzam) Yalwatch ; la Transoxiane, le Turkestan, Otrar, le pays des Ouïghours, Khotan, Kashghar, Djand, Khwarizm, Farghana, à Mas'oud Beg," ce que Rashid ad-Din répète (éd. des Oibb Trustées, page 309), en disant qu'au début de son règne, Mangou confia le gouvernement de toutes les contrées orientales au sahib Mahmoud Yalwatch ; le Turkestan, la Transoxiane, le pays des Ouïghours, le Farghana, le Khwarizm, à Mas' oud Beg. 1 II est inadmissible que Djouwaïni ait fait vivre Yalwatch à une époque à laquelle il était mort, ou qu'il se soit trompé sur les liens et le degré de parenté qui unissaient Yalwatch et Mas'oud Beg ; le Djihangousha n'est pas une œuvre livresque, exécutée à coups de fiches et de dépouillements, dans lesquels peuvent se glisser de singulières erreurs, dont tout un lot peut se perdre, sans laisser la moindre trace ; il n'est pas un ouvrage

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Par trois fois, 'Ala ad-Din accompagna l'émir Arghoun dans les voyages pénibles que le résident dut faire à Karakoroum, soit pour traiter des affaires de son gouvernement, soit pour se disculper des infamies lancées contre lui par ses calomniateurs ; c'est ainsi qu'il se rendit en Asie Centrale au cours des années 1246-1247, sous le règne de Kouyouk ; en 1249-1250, après la mort de ce prince, durant la régence d'Oughoulghaïmish Khatoun ; en 1251-1252, quand l'émir partit pour assister à l'élection du nouvel empereur et à l'intronisation de Mangou Khaghan, alors qu'il arriva très en retard, après avoir perdu beaucoup de temps sur la route, quand tout le monde fut rentré chez soi, ce qui n'arrangea pas ses affaires. Ce fut au cours de son second voyage, en 1249-1250, qu' 'Ala ad-Din passa avec son maître par la capitale du prince du Tchagliataï, YisouMangou, auquel Arghoun le présenta ; il est impossible que Mas'oud Beg, résident mongol à la cour de l'Oulough Ef, n'ait pas assisté, pour rendre compte au Trône de ses péripéties, à la visite que le résident de Perse faisait à son souverain ; que si l'on veut admettre qu'un tel usage ne fut pas suivi à cette date du moyen âge, on sera bien forcé de reconnaître que les convenances les plus élémentaires voulaient qu' Arghoun allât rendre une visite officielle, de courtoisie pour le moins, à son collègue et confrère, et qu'il se fît accompagner jusqu'à la porte par son secrétaire. Dans les deux cas, 'Ala ad-Din ne pouvait se tromper sur l'identité du résident mongol à la cour du royaume de Tchaghataï, ni sur ses tenants et aboutissants, ni sur le rang de son père, et, s'il a écrit que Yalwatch, à cette date, dirigeait la politique du Céleste Empire, c'est que le Yuan-shi se trompe en affirmant que comme la chronique de Rashid, qui fut rédigée sur des documents morts, en Perse, à Tauris, à des centaines de lieues de l'Asie Centrale ; c'est un livre dans lequel Dj ouwaïni n'a fait que consigner et mettre par écrit ce qu'il vit et entendit, en Perse, en Asie Centrale, dans l'entourage d'Arghoun Agha, en quelque sorte les mémoires d'un témoin oculaire de l'épopée mongole. Qui pouvait être mieux renseigné sur les cadres administratifs et les questions politiques que le secrétaire intime et favori du vice-roi de l'Iran ? Et l'on ne saurait alléguer que Dj ouwaïni s'en laissa conter ; Abaglia n'aurait certainement pas confié à un niais une charge qui faisait de celui qui en était investi, en quelque sorte, le successeur du khalife de Baghdad ; sans compter que Rashid ad-Din qui, dans la Tarikh-i moubarak-i Ohazani, professe la même doctrine que le Djihangousha, était officiellement renseigné, de première main, sur le statut administratif des commencements de la monarchie, et que ses collaborateurs travaillaient sur des listes et sur des documents qui venaient directement des archives de Karakoroum, dans lesquels il ne pouvait point se glisser de telles erreurs ; c'est un fait évident que l'on savait en Extrême-Orient, quand avaient commencé, et quand s'étaient terminées les fonctions de Yalwatch ; si l'histoire mongole ne dit pas d'une façon formelle à quelle date Yalwatch quitta la Résidence, c'est que Khoubilaï le releva de sa charge quand il prit en main les rênes de l'empire.

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Yaloutchhou • Thsaï mourut immédiatement après Ogotaï, fils de Tchinkkiz Khaghan. C'est un fait évident que beaucoup des pièces administratives du commencement de la monarchie, qu'un grand nombre des commandements de Tchinkkiz, d'Ogotaï, de Kouyouk, de Mangou, se perdirent dans les chariots du Conquérant, ou dans les médiocres bureaux de Karakoroum, avant que Khoubilaï n'ait installé l'empire à la chinoise dans Yen-king, et encore ne devait on pas conserver la minute de toutes les pièces que l'on faisait copier par les scribes de l'administration. Tourakina, visiblement, avait condamné Yaloutchhou Thsaï à mort, en même temps qu'elle le révoquait ; l'un n'allait guère sans l'autre chez ces barbares ; le hasard voulut, en 1330, quand on écrivit le Yuanshi, que les yarlighs de Tourakina destituant Yalwatch et intronisant 'Abd al-Rahman fussent conservés à Pé-king, alors que l'on ne trouva aucune trace de ceux que Kouyouk et Mangou avaient signés dans leurs campements de Mongolie, pour rétablir Yaloutchhou Thsaï dans ses dignités, prérogatives et préséances. Les rédacteurs de la chronique impériale en inférèrent que le personnage avait disparu de la scène du monde en cette année 1243, puisqu'on ne trouvait aucune trace de son existence, aucun acte à son nom, aux dates postérieures ; des historiens modernes, avec leurs méthodes, connaissant le tempérament et les mœurs des Tonghouzes, en l'absence de tout autre renseignement, n'eussent guère pu en décider d'une façon différente, et conclure en autres termes. 1 L'identité des deux personnages ne se révèle pas moins par l'analyse de leurs noms que par la similitude de leur carrière politique ; la restitution de la forme tonghouze originale qui se dissimule sous la transcription Yaloutchhou Thsaï s'opère sans difficulté dans les deux mots Yaloutchou Tsaï, qui, d'après les règles de la grammaire des langues altaïques, signifient : " Tsaï, le magicien," 2 et non " le bon magicien ", qui serait Tsaï Yaloutchou. 1 II ne faut point perdre de vue que c'est seulement à dater de l'époque à laquelle Khoubilaï K h a g h a n s'installe à la Cour du Nord, en la qualité d'empereur chinois et de Fils du Ciel, que le Yuan-ski, l'histoire officielle, commence à parler de l'administration des Mongols ; les rédacteurs de la chronique impériale n'eurent entre les mains qu'un nombre infime des pièces qui remontaient au règne des prédécesseurs de Khoubilaï. 2 Tsaï signifie " qui est convenable, agréable " ; ce mot ne se trouve plus d a n s la langue mandchoue, où dshaï " second, en second lieu " est un vocable tout différent ; il s'est conservé en mongol, dsaï dans la prononciation moderne, " aisance, commodité, agrément," d'où l'adjectif courant dsaï-tou, dsaï-taï, ' convenable, digne d'éloges " ; ce mot existe également dans les dialectes altaïques, avec îa dissimilation fréquente

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C'est par suite d'une circonstance aussi remarquable qu'elle est exceptionnelle que le nom Tsaï se trouve, en chinois, transcrit, en même temps qu'il est traduit, par thsaï, qui désigne un homme vertueux, doué de qualités éminentes. Mahmoud Yalwatch et 'Aziz Yalwatch, Yalwatch étant la forme ouïghoure du participe turk Yalwa-tchi = Yalou-tchou, constituent deux traductions-transcriptions très exactes et très judicieuses de Yaloutchou Tsaï ; le fait que, dans deux passages consécutifs, Djouwaïni nomme le premier ministre des Mongols, Mahmoud Yalwatch et 'Aziz Yalwatch, suffit à montrer que Mahmoud et 'Aziz ne sont point les noms de ce puissant personnage, mais bien la traduction de celui sous lequel il était connu dans le Céleste Empire ; il serait t-s = s ; il est en turk saï " ressource, faculté " , et la même alternance phonétique se retrouve dans le turk saïdam ^»S A> L- " blanc " , en face du mongol tsaïdam " lait " ; Yaloutchou-Yaloutchi est, sans qu'il soit nécessaire d'y insister plus longtemps, le doublet de la forme tonghouze-mongole yalva-tchi, avec ses variantes et ses aspects yilva-tchi, yalii-tchi, yilbi-tchi "envoyé céleste, prophète, devin, sorcier", dont le sens étymologique est " celui qui emploie les apparences pour faire agir les hommes " . Yalva-tchi est en effet un nom d'action dérivé, par le suffixe participial chinois -tchi, du mot yali, * yala, de * yalva, qui se retrouve dans yalva-tchi, yaliitchi, et qui a les deux sens de " flamme ", traduisant le sanskrit jvâla, et de " fantôme " , puis, par suite du passage du nom d'agent "celle qui trompe " , au nom de l'action, " tromperie, supercherie," d'où yali-khaï, yali-ghaï " magicien yali-la-khou " duper les gens " . Si éloignées en apparence que soient les deux significations de " flamme " et de " fantôme " , d'entité qui trompe les hommes, elles n'en sont pas moins intimement liées sémantiquement : la flamme qui déchire les voiles de la nuit ne demeure-t-elle pas éternellement insaisissable aux mains qui la veulent saisir, et auxquelles elle se dérobe en les dévorant de brûlures cruelles ? Du mongol yali, yala, la voyelle étant ambiguë, comme dans tout le phonétisme tonghouze et altaïque, dérive yala-ghou, et, avec la chute de la gutturale intervocalique, yala-ou, qui a passé dans le tchaghataï j Y l , avec son sens primitif de " flamme " , qu'il a vite perdu pour prendre celui de " drapeau " , par l'intermédiaire de " fanion " . L a flamme s'élève conique et triangulaire sur le brasier ardent qu'ont allumé les hommes, et c'est sous cette forme qu'elle est représentée dans les peintures qui enluminent les livres persans, sous les espèces d'un triangle isocèle aux bords déchiquetés ; c'est un triangle d'étoffe qui flotte aux lances des chefs de section et des parlementaires, et c'est par une extension abusive que ce mot a fini par désigner la pièce de soie qui forme le sandjak, m o t dont j'ai donné l'étymologie autre part ; c'est par un fait de sémantique analogue que le mot " f l a m m e " , dans la marine militaire, désigne la longue banderolle terminée en pointe aiguë, interdite aux navires de commerce, qui flotte a u x mâts des bâtiments des armées navales, tant que dure la clarté du jour. D e yala-(gh)ou, s'est formé, par l'adjonction du suffixe-fcAi, yàlaou-tchi, primitivement " celui qui porte le fanion du parlementaire

l)uis "

messager>

l'ouïghour répond à la forme yalaou-tchi par celle de yalaou-tch

envoyé " avec la-

réduction du suffixe -tchi à -tch, comme dans la formation des nombres ordinaux ;

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inadmissible que, sous le règne des descendants de Témoutchin, le vice-roi de la Chine ait porté dans l'administration impériale les deux noms simultanés de Mahmoud et de 'Aziz, accompagnés du titre de Yalwatch. Quelles qu'aient été les préoccupations mentales des personnes qui ont crée la forme Mahmoud Yalwatch, et son doublet 'Aziz Yalwatch, en traduisant le nom de cet homme d'état, et en transcrivant l'épithète qui le qualifie, alors que la logique eut indiqué de faire tout le contraire, il n'en est pas moins certain qu'elles se sont rendu exactement compte que, d'après les normes de la grammaire tonghouze, Yaloutchou Tsaï signifiait Tsaï le Yalwatchi, dans une forme syntactique inverse de celle du persan, et qu'il faut intervertir les deux termes de la traductiontranscription pour qu'ils signifient Mahmoud, ou 'Aziz, le Yalwatchi. Cette forme à l'allure islamique est loin d'impliquer, comme on le pourrait croire au premier abord, que le personnage que Djouwaïni nomme Mahmoud Yalwatch et 'Aziz Yalwatch était musulman ; l'homme qui ne craignit pas de commenter au Thaï-Tsou des Yuan la forme tchaghataï yalaghou-tch

recouvre un mot ouïghour qui est identique

à yala-ghou-tchi, avec l'alternance des deux suffixes-icAi et -tch. dérivent les mots tchaghataï yal-ghin ^ y j t l l

De yala " mirage "

, yal-ghoun , avec i — ou,

qui signifient " flamme et mirage " , comme le mongol yali, la forme yal-in, affaiblie de •yal-ghin, ^jJli, par la chute de la gutturale, ayant conservé uniquement le sens primitif de " flamme " ; de yala dérivent encore yal-ghan ¿)l*)L , qui. ne signifie plus que " flamme " , et

yal-koug celui qui est faux dans son essence,

qui passe sa vie à mentir ".

De yala-ghou—yala-ou, par

-uite d'un phénomène

épenthétique sur lequel je me suis longuement expliqué, dérive *yola-ghou " d'où yol-akh

flamme",

y " arc-en-ciel " , ce mot turk étant visiblement dérivé de la forme

mongole *yola-ghou, par la chute de la désinence, lequel mot yola-kh est devenu yola V y , par suite de la chute de la gutturale ; du mongol *yola-ghou, est dérivé un participe actif

ouïghour *yola-ghou-tch, qui est devenu yola-ou-tch ^JJ^y

en tchaghataï,

avec le sens de " celui qui porte le fanion du parlementaire, messager " ; de la forme *yola, se sont formés le turk-tchaghataï yol-douroum " é c l a i r " , comme keu-lurum " estropié, malade", dont la prononciation a évolué en yol-dereum

, puis en

yil-dirim, qui est l'osmanli ^-\.lo,et yol-douz j j ^ y " étoile" ; yala estdevenu *yana dans le dialecte qui a abouti à l'osmanli, d'où yan-mak " brûler " , yan-ghin et yanghoun " feu " ; ces mots n'ont rien de commun avec yan-tchouk "porte-manteau de cheval " , yan-djik, yan-dji " courrier, palefrenier " , qui dérivent, comme le montre suffisamment le doublet yam-djik de yan-djik, du mot turk-mongol yam " cheval de la poste " , lequel transcrit le chinois yé-rna " cheval de poste " , ou Jfô yé-mu " la poste à cheval " .

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une sentence de Confucius, qui, en 1236, établit dans l'empire des collèges où les dignitaires mongols durent envoyer leurs fils pour étudier les livres canoniques, sous la direction de maîtres qu'il avait choisis, n'était certainement pas, et ne pouvait être musulman; la famille tonghouze des Liao, comme celle des Kin, comme les Mongols eux-mêmes, avait adopté les usages et les rites de la Chine, quand elle était arrivée à la souveraineté du Céleste Empire.1 Les Tonghouzes, 1 La forme yalou, dont dérivent yaloutchou et yalwatch, se retrouve dans le nom d'autres personnages de la famille royale des Liao ; les historiens chinois donnent au fondateur de la puissance des Khitan Liao, au commencement du x