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COSMOGONIES ET RELIGION
HOMO RELIGIOSUS SERIE II La Collection Homo Religiosus Série II fait suite à la Collection Homo Religiosus publiée de 1978 à 2001 par le Centre d’Histoire des Religions de Louvain-laNeuve sous la direction de Julien Ries et diffusée par les soins du Centre CerfauxLefort A.S.B.L. La Collection Homo Religiosus Série II est publiée et diffusée par Brepols Publishers. Elle est dirigée par un comité scientifique que préside René Lebrun, et dont font partie Marco Cavalieri, Agnès Degrève, Charlotte DelhayeLebrun, Julien De Vos, Charles Doyen, Patrick Marchetti, Nicolas L. J. Meunier, André Motte, Thomas Osborne, Jean-Claude Polet, Natale Spineto et Étienne Van Quickelberghe.
HOMO RELIGIOSUS Série ii 18 COSMOGONIES ET RELIGION ASPECTS PARTICULIERS DES ASTRES DANS LES RELIGIONS DE L’ANTIQUITÉ MÉDITERRANÉENNE Actes du colloque organisé à Louvain-la-Neuve le 3 juin 2016 par le Centre d’Histoire des Religions Cardinal Julien Ries
Textes réunis et édités par René Lebrun et Étienne Van Quickelberghe
F
Couverture : « Le roi PUGNUS-mili faisant une libation devant le dieu Lune, Malatya, XIe-Xe siècle av. J.-C. ». Photographie : E. Van Quickelberghe, 2015, Musée des civilisations antiques (Ankara).
© 2018, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise without the prior permission of the publisher.
D/2018/0095/77 ISBN 978-2-503-57957-3 eISBN 978-2-503-57975-7 DOI 10.1484/M.HR-EB.5.115183 ISSN 1378-9589 e-ISSN 2565-9588 Printed on acid-free paper.
Studia in memoriam Pierre Chuvin dedicata
TABLE DES MATIÈRES
Hommage à Pierre Chuvin
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De Luna in Anatolia antiqua René Lebrun
11
Platon et le culte des astres André Motte
23
Le culte solaire d’Apollon Éric Raimond
39
Épiménide, le « crétois cnossien », fils de la lune Patrick Marchetti
47
L’étoile Sirius divinisée en Iran sous le nom de Tishtriya Alexandre Tourovets
71
The Origin and the Early History of Tīr Jan Tavernier
77
Dieu soleil, dieu lune et dieu terre dans la littérature tokharienne Lambert Isebaert
99
HOMMAGE À PIERRE CHUVIN J’entends encore sa voix, dans son bureau de l’Institut français d’études anatoliennes-Georges Dumézil (IFÉA), dont il était le Directeur. Quand il avait un problème, il se lâchait avec moi car, me disait-il, il le pouvait. Il s’inquiétait de ma fumerie et de mon alcoolométrie (néologismes). Il n’y avait pas de problème. Nous parlions des échanges entre la jeune Societas Anatolica, présidée par mon Frère, le Professeur René Lebrun, l’Institut turc de sciences de l’Antiquité (TEBE en turc), présidé par le regretté Ami Ali Dinçol, et bien sûr l’IFÉA où j’avais, jadis, exercé mes ailes de jeune chercheur en histoire antique sous le regard éclairé du non moins regretté Stéphane Yérasimos. Avec Pierre Chuvin, je parlais de religions – moi, l’athée ! – mais surtout de sociétés. Nous évoquions l’Apollon au trident de Tarse, dieu astral noir lié à la mer comme aux loups, et la complexité des polythéismes. Les monothéismes ont tendance à nous faire oublier cette complexité, comme me le fit découvrir René Lebrun également. Pierre Chuvin est entré dans les astres le 26 décembre 2016, le jour après celui durant lequel certaines personnes célèbrent une naissance. Pierre Chuvin, épris d’Humanisme, était proche de la Societas Anatolica et du TEBE. Lors d’une rencontre scientifique à l’Université de Çanakkale, pour laquelle il me demandait d’être « agitateur » avec Éric Raimond, nous allâmes sur le mont Ida, en Troade. Son regard explora les lieux, et Pierre me dit (en substance) : « c’est un bon lit pour Héra et Zeus », faisant référence à l’Iliade, dont il savait que c’était mon livre préféré. Lors de ce périple scientifique, il me présenta à celle qui deviendra mon épouse, un temps, et la mère de notre fille Lale ; j’évoque ici Ekin Kozal, dont les recherches remarquables sur l’Asie Mineure aux Âges du Bronze Moyen et Récent sont des références. À l’arrière du bus de l’Université de Çanakkale, je chantais des chansons paillardes, dont « La petite Huguette », sachant bien que ce prénom était celui de son épouse, et ma chère amie. Nous riions. Pierre aimait rire. Puis vint l’épisode « Amasya ». L’IFÉA, le TEBE et la Societas Anatolica réunis ! Outre moi-même, qui ne suis pas important : Pierre Chuvin, René Lebrun, Éric Jean, Metin et Meltem Alparslan, Olivier Henry, Emmanuelle Goussé. Gros projet : Doğantepe, relevés de l’acropole de la patrie de Strabon, prospections, et visite de la ville. Le projet n’a pas pu aboutir. Dommage ? Non ! Car, sur les bords du fleuve Iris, nous avons bien ri devant une représentation moderne turque de Strabon, « le loucheur » (en grec).
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Hommage à Pierre Chuvin
Comme à Bursa et Amasya, Pierre Chuvin me parlait de l’Asie centrale. Je n’étais pas d’accord avec lui quand il évoquait le nomadisme en Asie Mineure, suivant la vision de Xavier de Planhol. Nonobstant, il était à l’écoute, toujours. À l’instar de Corto Maltese et d’Héraklès, il était itinérant. Il l’est et le sera toujours. J’entends encore sa voix, et vois son regard scrutateur de l’espace-temps. Olivier Casabonne (Societas Anatolica) Janvier 2017
DE LUNA IN ANATOLIA ANTIQUA René Lebrun* Les traces les plus anciennes d’un culte lunaire important au Proche-Orient se trouvent, en l’état actuel des recherches, en Mésopotamie, et plus particulièrement dans la ville de Ḫarran, mais aussi à Ur1. Pour ce qui concerne plus précisément le monde anatolien, toujours en l’état actuel de la documentation, il nous faut attendre le début du IIe millénaire av. J.-C., mais ceci n’exclut pas un culte antérieur : de nouvelles fouilles nous apporteront peut-être des nouveaux renseignements2. Notons que les premières attestations du dieu Lune sur le sol anatolien apparaissent dans les tablettes de Kültepe/Kaneš. De nombreux anthroponymes théophores du dieu Sîn y ont été relevés3. 1. Le dieu Lune dans l’iconographie anatolienne Par rapport à ses attestations dans les textes, le dieu Lune n’apparaît que très peu dans l’iconographie proche-orientale, l’Anatolie ne faisant pas exception. Depuis la période akkadienne, le dieu lunaire est représenté par sa tiare à corne munie du croissant. Le dieu Lune syro-anatolien se démarque surtout par sa paire d’ailes. On le retrouve sous cette forme à Yazılıkaya, Malatya et Karkémiš dans la sculpture monumentale4, mais aussi dans la sigillaire de Ḫattusa/Boğazkale et d’Emar5. Il y est dépeint comme un homme barbu et ailé, vêtu d’une tunique longue et coiffé de la tiare à cornes et au croissant. À Yazılıkaya comme à Karkémiš, le dieu Lune et le dieu Soleil Šimegi sont représentés conjointement. L’animal sur lequel se tient le dieu est le lion (Karkémiš), et il peut être équipé d’une massue (Malatya), d’une hachette (Karkémiš) ou du foudre (Malatya). 2. Les théonymes anatoliens Sur les nombreuses tablettes cunéiformes découvertes à ce jour, sans doute par commodité graphique « internationale », le dieu Lune – donc de sexe masculin * Avec la collaboration efficace d’E. Van Quickelberghe. 1 Cf. Postgate 1972-1975. 2 Notamment les fouilles de Göbeklitepe. 3 Cf. Stephens 1928, 92. 4 Cf. Collon 1993-1997, n° 27 – 32 ; cf. également http://hittitemonuments.com/arslantepe/arslantepe07.htm (Malatya) ; http://hittitemonuments.com/karkamis/kargamis39.htm (Karkémiš). Sites consultés le 13/07/17. 5 Pour Boğazkale, Cf. Herbordt 2005, table 3 n.° 31 ; Collon 1993-1997, n° 28 et 29. Pour Emar, cf. Beyer 2001, PAGE A 104. Astra et religio. Aspects particuliers des astres dans les religions de l’Antiquité méditerranéenne, René Lebrun et Étienne Van Quickelberghe (éd.), Turnhout: Brepols, 2017, p. 11-21 FHGDOI 10.1484/M.HR-EB.5.115196
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René Lebrun
-, est régulièrement noté à l’aide du chiffre ‘30’ précédé du déterminatif divin, un héritage de la culture suméro-babylonienne, nombre issu de la durée du mois lunaire, mais qui souligne aussi la place élevée de la divinité lunaire au sein du panthéon, alors que le dieu de l’Orage est noté par le chiffre ‘10’6. Toutefois, nous connaissons les appellations propores : EN.ZU en sumérien, Sîn en akkadien, Kušuḫ en hourrite7, Kasku en hatti, Arma en hittite et en louvite, rm̃ma en lycien (> Erme en gréco-asianique). Notons que le terme lycien est la continuité du terme louvite, lequel désigne aussi « le mois », tout comme c’est aussi le cas pour le phrygien Mên. Qu’en était-il du terme proprement hittite ou lydien, carien, pisidien ? 3. Les anthroponymes théophores du dieu Lune Ces anthroponymes que nous allons énumérer ici suffisent à démontrer le succès du culte lunaire, combien il était proche des gens : – fArma-IR-i : anthroponyme féminin de lecture incertaine ; – Arma-muwa : « force d’Arma » (= gréco-asianique Ermamoas) ; – Arma-nani : « frère d’Arma » (> lycien Erm̃menẽnis = gréco-asianique Erménènis) ; – Arma-piḫami : « illuminé par Arma » ; – Arma-piya : « don d’Arma » (= gréco-asianique Armapias) ; – Arma-talli : anthroponyme qui pourrait être rapproché du terme armantalliya-8 ; – Arma-tansa : anthroponyme d’étymologie inconnue ; – Arma-Tarḫunza : « Arma et Tarḫunt », couple Lune et dieu de l’Orage ; – Armati : cf. ci-dessous Ḫuḫḫa-Armati ; – fArma-wiya : « femme d’Arma » ; – Arma-ziti : « homme d’Arma »9 ; – Arma-zuḫi : anthroponyme d’étymologie inconnue ; – Ḫuḫḫa-Armati : « Armati (est) grand-père » ; – Šarri-Kušuḫ : « Kušuḫ (est) roi », anthroponyme typiquement hourrite. Nom royal adopté par Piyassili, fils de Suppiluliuma Ier, lors de son intronisation en tant que roi de Kargémiš.
6 Sur le dieu Lune dans le monde mésopotamien, cf. Collon 1992 ; Haas 1994, 373. 7 Le dieu hourrite Umbu était peut-être une divinité lunaire également. Il n’apparait pas dans l’anthroponymie anatolienne. Cf. Laroche 1977, 280-281. 8 Cf. ci-dessous. 9 J. Tischler propose d’identifier l’anthroponyme mdGE6.LÚ (graphie idéographique) avec Arma-ziti (Tischler 2001, 22). Il faudrait plutôt y voir la lecture de l’anthroponyme Šaušga-ziti, cf. KBo 16.97 Vo 12-32 ; voir aussi Lebrun 1976, 137 et 198 ; Mouton 2004, 87 et n. 6.
De Luna in Anatolia antiqua
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Mentionnons encore dans cette liste un anthroponyme attesté en gréco-asianique et faisant référence au dieu Arma mais, à ce jour, non attesté dans les sources cunéiformes : Αρμαρvζαω« Arma et (Ku)runta »10. 4. Le nom du dieu Lune dans le lexique : signification et dérivés – arma- : « la lune, le mois ». Le nom de l’astre lunaire devait être commun au hittite et au louvite, et de sexe masculin ; – armaḫḫ- : « féconder (litt. « enluner ») ». Verbe dénominatif factitif en aḫḫ- ; – -za armaḫḫ- : le verbe précité précédé en début de proposition de la particule réfléchie suffixée -za donne la traduction « concevoir » ; – armai- : « être enceinte »> armawant- « enceinte » ; – armananna/i- : « lunule ». Objet liturgique ; – armatar : « espace d’un mois » ; – NINDAarma(n)tal(l)anni- : nom d’un pain, sans doute en forme de croissant ; – armantalliya- : épithète de LUGAL11 ; – armawulai- : « croissant lunaire ». – ITU-mi ITU-mi (= *armi armi) : « mois après mois ». 5. Fonctions du dieu Lune Dans de nombreux panthéons du Hatti, nous ne trouvons aucune mention d’une divinité lunaire, laquelle, au contraire, est bien présente en Anatolie méridionale et occidentale. Le dieu Lune est le maître des serments, le maître protecteur des traités tout comme sa parèdre Ningal ; qu’il nous suffise de renvoyer à l’exemplaire officiel constitué par la fameuse tablette en bronze du traité conclu entre le Grand Roi Tutḫaliya IV et son cousin Kuruntiya de Tarḫuntassa : d
30 EN MA-ME-TI « le dieu Lune, seigneur du traité » (KBo 4.10 Ro 56’)
d
30 LUGAL MA-ME-TI dNIN.GAL MUNUS.LUGAL MA-ME-TI « le dieu Lune, roi du traité, la déesse Ningal, reine du traité (Brt. Vo iii, 93-94) ».
À Ougarit, Kušuḫ est régulièrement qualifié de « Seigneur du traité ». L’importance du dieu Lune au sein du monde hittite ira croissante, ce qui 10 Cf. Parker 2013, PAGE. 11 Selon J. Tischler, pourrait signifier « mondsüchtig ; clair de lune », Tischler 2001, 22.
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René Lebrun
vaudra à la divinité d’être représentée dans la procession des dieux masculins de la chambre A du sanctuaire de Yazılıkaya, à la suite de Šauška, Ninatta et Kulitta, et précédant le DEUSSOL.CAELUM (= hourr. Šimegi). Dans son excellent article consacré aux divinités lunaires d’Anatolie, lequel reste toujours de grande actualité, E. Laroche souligne le rôle conjuratoire de l’astre lunaire, notamment invoqué dans un rituel hittite comportant aussi des formules en langue hattie : [mâ]n d30-as (= Armas) sakiyazzi nu-kán sakiasni [kuin] ÙG-an GUL-aḫzi nu kissan iyami ; « [Si] la divinité lunaire donne des signes, et que, dans son signe, elle frappe [quelque] individu, je procède ainsi » (KUB 17.28 I, 1 sqq.).
Le rituel consiste à abattre un porcelet, à l’enterrer et ensuite à prononcer une formule de malédiction sur le porcelet tout en invoquant la déesse Soleil de la Terre (= I, 7-21). Nous pouvons encore mentionner le rituel pour un enfant malade (= KUB 7.1 + KBo 3.8). Une mixture est placée dans un récipient avec un bon gâteau et on les expose durant la nuit. Remarquons la formule II, 22-24 : « que le dieu Lune le conjure, et, en bas, depuis la terre sombre, que la déesse Soleil de la Terre le conjure ».
D’autres rituels peuvent être mentionnés : le rituel contre l’impuissance sexuelle (= KUB 7.5 + 8 + 9.27) ou encore un rituel destiné à écarter du roi les mauvais esprits (= KUB 24.5 + 9.13). Les opérations principales se déroulent sur une hauteur : le ḫarpa de la divinité lunaire12. Enfin, nous nous attarderons plus en détail sur la tablette VS 33 (= VAT 7497 = CTH 670 ; duplicat KBo 23.56)13, une tablette à 6 colonnes de datation tardive (fin du 13e – début 12e s.)14. Nous en donnons ici la translittération, la traduction, ainsi que le commentaire de ce document susceptible d’éclairer les cultes astraux
12 Cf. Laroche 1955, 15-16 ; pour le ḫarpa, voir particulièrement Puhvel 1991, 180-181. 13 Pour la copie du texte, voir VS 33. Ce recueil de textes hittites encore conservés au musée de Berlin constitue un trésor pour notre connaissance de la « religion hittite ». Plusieurs de ces tablettes (dont VAT 7497) sont d’époque tardive. Cf. la translittération donnée dans le DBH 6, 65-68. 14 Cf. signes ḪA.
De Luna in Anatolia antiqua
Translittération II
1. […]⌈a⌉-ú-li-in GIŠšar-ḫu-li 2. […]kar-ap-pa-an-zi ku-it-ma-an-ma 3. [kar-ap-pa-a]n-zi LÚNAR URUKa-ni-eš 4. [SÌRRU a]-⌈ú⌉-li-iš ta-ru-up-ta 5. [LÚ.MEŠŠU.I-ká]n da-ga-an-zi-pí-uš 6. [ša-an-ḫa-an-zi t]a a-ú-li-i 7. [EGIR-an-da T]A KAŠ.GEŠTIN 8. [… ir-ḫa-an]-⌈zi⌉ 9. […]-zi ti-ya-zi 10. [… d]30 ! AN-ya dUTU AN 11. [… t]u ?-u-wa-za 12. […-z]i 13. […-z]i 14. […]x-ma ?-a-x-ra 15. [… NINDA.GU]R4.RA !-ma 16. […-]e ? 17. […] pár-ši-ya 18. […-]an 19. [… BI-IB-R]IḪI.A-kán 20. […-z]i 21. […] x 22. […]-zi 23. […] 24. […] x
Ro III 1. LUGAL-uš TUŠ-aš dUTU dKam-ru-⌈ši⌉-[pa-an] 2. an-dur-za e-ku-zi 3. LÚNAR URUKa-ni-eš SÌ[RRU] 4. 1 NINDA.GUR4.RA ⌈pár-ši-ya⌉
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5. LUGAL-uš GUB-aš dUTU dTap-pí-nu-⌈ú⌉ 6. a-aš-ka4-za e-ku-zi GIŠ dINANNA GAL 7. SÌRRU 1 NINDA.GUR4.RA 2 NINDA.GUR4.RA KU7 pár-ši-ya 8. LUGAL-uš GUB-aš dUTU d⌈Tap⌉-pí-nu-ú 9. an-dur-za e-ku-zi ⌈GIŠ d⌉INANNA GAL 10. SÌRRU 1 NINDA.GUR4.RA ⌈pár⌉-ši-ya 11. LUGAL-uš TUŠ-aš dU URUPA-⌈ti⌉ d10 URUZi-⌈pa⌉--⌈da⌉ 12. a-aš-ka4-za ⌈e⌉-ku-⌈zi⌉ GIŠ dINANNA GAL [SÌRRU] 13. 1 ⌈NINDA.GUR4⌉.RA 2 NINDA.GUR4.⌈RA⌉ KU7 pár-ši-ya 14. LUGAL-⌈uš⌉ TUŠ-aš dU [UR]UPA-ti-dU ⌈URU⌉Zi-pa--da ! 15. an-dur-za ⌈e-ku⌉-zi GIŠ dINANNA GAL 16. SÌRRU 1 ⌈NINDA.GUR4⌉.RA pár-ši-ya 17. LUGAL-uš TUŠ-⌈aš⌉ dLAMMA URUḪa-at-ti 18. a-aš-ka4-za ⌈e⌉-ku-zi GIŠ dINANNA GAL 19. SÌRRU 1 NINDA.GUR4.RA pár-ši-⌈ya⌉ 20. LUGAL-uš ⌈TUŠ⌉-[aš] dLAMMA URUPA-ti 21. ⌈dKar⌉ !-z[i] dḪa-pa-an !-da-li-[ya] 22. [an-du]r-⌈za⌉ e-ku-⌈zi⌉ 23. [GI]Š dINANNA GAL SÌR⌈RU⌉ 24. 1 NINDA.GUR4.RA pár-ši-ya 25. ⌈LUGAL-uš⌉ GUB-aš dU ⌈URUNe-ri-ik⌉ 26. ⌈a⌉-[aš]-ka4-za e-ku-zi GIŠ d⌈INANNA⌉ GAL 27. S[ÌR]⌈RU⌉ 1 ⌈NINDA⌉.GUR4.RA pár-ši-ya 28. L[UGAL-u]š GU[B-a]š dU URU⌈Ne-ri-ik⌉ 29. a-[aš]-⌈ka4⌉-za e-ku-zi 30. [GI]Š dINANNA GAL ⌈SÌRRU⌉ 31. ⌈1⌉ NINDA.GUR4.RA pár-ši-ya 32. [LUGA]L-uš GUB-aš dIŠTAR URUŠa-mu-ḫa 33. [a-aš]-ka4-za e-ku-z[i GIŠ dINANNA GAL] 34. [SÌ]RR[U] ⌈1⌉ ? N[INDA.GUR4.RA pár-ši-ya]
De Luna in Anatolia antiqua
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Ro IV x+1. [1 UDU A-NA d…] ši-[pa-a]n-[ti] 2’. [1 UDU A-N]A d[10] ? ši-pa-an-[ti] 3’. [1 UDU] A-NA d30 dNI[N].⌈GAL⌉ 4’. [1] ⌈UDU⌉ A-NA d30 LUGAL AN⌈E⌉ 5’. 1 UDU A-NA d30 ŠA ANE-pát 6’. 1 UDU A-NA d30 wa-ra-ḫi-da-aš 7’. 1 UDU A-NA d30 pa-ra-a ḫa-[a]n-⌈da⌉-an-da-ta-aš 8’. 1 UDU ⌈A⌉-NA d30 ZI-aš ar-nu-ma-aš 9’. 1 UDU A-NA d30 mu-u-[w]a-tal-la-ḫi-da-aš 10’. 1 UDU A-NA d30 ku-u[n-]na-ḫu-u-wa-aš 11’. ⌈Tuš-aš⌉ GU4 GAL Tuš-aš ták-ša-an 12’. ši-pa-an-ti 13’. dIŠTAR-ti x[…]x-ši 14’. […] x x x ú-⌈e-da-an⌉-z[i ? …] 15’. […] 16’. […] wa ?-aš ? […] 17’. […-y]a-an-⌈zi⌉ […] 18’. […] x IŠ-TU KAŠ […] 19’. [š]u-[u]n-n[a-a]n-zi 20’. [GA]LḪI.A-kán [aš-n]u-wa-an-zi 21’. ši-ip-pa-an-za !-⌈kán⌉-z[i] ? 22’. A-NA DINGIRMEŠ Traduction (III, 1-4) « Le roi, assis, boit à l’intérieur, à la santé du Soleil (et) de Kamrusi[pa], le chanteur de Kanesh chan[te], on rompt un pain ordinaire. (III, 5-7) Debout, le roi boit dehors à la santé du Soleil et de Tappinu, la grande lyre retentit, un pain ordinaire puis deux pains ordinaires sont rompus. (III, 8-10) Debout, le roi boit à l’intérieur à la santé du Soleil et de Tappinu ; la grande lyre retentit, on rompt un pain ordinaire. (III, 11-13) Assis, le roi boit à la porte à la santé du dieu de l’Orage du Hatti (et) du dieu de l’Orage de Zippal[anda] ; la grande lyre [retentit] un pain ordinaire, (puis) 2 pains ordinaires sont rompus.
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(III, 14-16) Assis, le roi b[o]it à l’intérieur au dieu de l’Orage du Hatti, au dieu de l’Orage de Zippa[landa] ; la grande lyre retentit ; un pain or[di]naire est rompu. (III, 17-19) Le roi, assis, boit à l’extérieur à la santé du dieu protecteur du Hatti ; la grande lyre retentit ; un pain ordinaire est rompu. (III, 20-24) Assi[s], le roi boit [à l’intérie]ur à la santé du dieu protecteur de Hattusa, de Karz[i], de Ḫapantali ; la grande lyre retentit ; un pain ordinaire est rompu. (III, 25-27) Debout, le ro[i] boit à l’extérieur à la santé du dieu de l’Orage de Nérik ; la grande lyre re[ten]tit ; un pain ordinaire est rompu. (III, 28-31) Le [r]oi, debout, boit à l’exté[r]ieur à la santé du dieu de l’Orage de Nérik ; la grande [l]yre retentit ; un pain ordinaire est rompu. (III, 32-33) Debout, le [ro]i boit à [l’exté]rieur à la santé d’Ištar de Samuḫa. (IV, 2’) [Il] sacrifie [ain]si (IV, 3’-6’) [un bovin/mouton ?] au dieu Lune (et) un mouton au dieu Lune Roi des cieux ; un mouton au dieu Lune des cieux ; un mouton au dieu Lune du waraḫit (= de l’aide?) ; (IV, 7’-10’) un mouton au dieu Lune de la fidélité, un mouton au dieu Lune du harcèlement, un mouton au dieu Lune, un mouton au dieu Lune de la puissance ; un mouton pour le dieu Lune du succès. (IV,11’-12’) Assis, il sacrifie en commun un grand bovin. (IV,13’-14’) Pour Ištar […] on amè[ne…] (17’) avec de la bière (19’) on [amè] ne des [cou]pes (20’) on sacrifie […] (21’) pour les dieux. Commentaire La présence de divinités traditionnelles du Hatti est remarquable (tendance réactivée par le roi Ḫattusili III), tout comme la mention d’Ištar/Šauška et surtout les épithètes du dieu Lune, ce qui signifie son importance, confirmée aussi par l’anthroponymie (ex Arma-nani, Arma-ziti, etc.). Une question reste non résolue : la bisexualité de la divinité lunaire. D’un dieu masculin au second millénaire, on voit l’apparition en Antoalie d’une Sélèné au Ier millénaire. Bibliographie Beyer, D. 2001 : Emar IV. Les sceaux, Fribourg. Collon, D. 1992 : « The Near Eastern Moongod », in J. W. M. Diederik (éd.), Natural Phenomena : their Meaning, Depiction and Description in the Ancient Near East, Amsterdam. Collon, D. 1993-1997 : « Mondgott in der Bildkunst », RlA 8, Munich, 371-376.
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RENÉ LEBRUN
DE LUNA IN ANATOLIA ANTIQUA
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PLATON ET LE CULTE DES ASTRES André Motte 1. Introduction1 Le titre de ma communication est une oratio variata de celui que j’avais d’abord choisi lorsque j’ai répondu à l’invitation : « Le culte des astres chez Platon ». Je m’attendais, en effet, à trouver chez ce philosophe un complexe de pratiques rituelles que, dans sa cité idéale, il aurait spécialement conçues en l’honneur des corps célestes. Pour le dire plaisamment, j’ambitionnais donc de procurer à mes auditeurs le manuel liturgique du parfait astrolâtre platonicien. Or les maigres résultats de l’enquête que j’ai menée sont bien loin de m’avoir fourni les éléments d’une telle composition. J’ai dès lors opéré une courbe rentrante et choisi un titre beaucoup plus réservé : « Platon et le culte des astres ». Car si la divinité des corps célestes est, à diverses reprises, affirmée de la façon la plus nette qui soit et dans plusieurs dialogues, on ne trouve pas dans ceux-ci ou, en tout cas, je n’ai pas trouvé pour ma part, trace d’un culte particulier que Platon aurait institué à l’adresse des astres et qui s’ajouterait aux actes de dévotion destinés aux dieux traditionnels. Je précise cependant que le mot « culte » est pris ici dans le sens précis qu’on lui donne en histoire des religions et qui, bien davantage qu’une simple idée de vénération, implique un complexe de pratiques rituelles ; d’autre part, les dialogues visés sont ceux dont l’authenticité est unanimement reconnue, ce qui n’est pas le cas, comme on sait, de l’Épinomis, ce complément aux Lois attribué le plus souvent au disciple Philippe d’Oponte. Or nous verrons qu’on trouve là un appel plus appuyé, mais non pour autant concrétisé, à un culte que mériteraient les divinités astrales et dont elles sont encore dépourvues, déplore l’auteur. On aura repéré, dans ces précisions introductives, les deux parties qui vont composer mon exposé. La première examinera les principaux textes où Platon affirme que les astres sont des dieux et fera voir aussi l’importance que prend ce dogme au cœur même de sa philosophie. Il sera question, dans la seconde partie, de l’attitude religieuse qu’appelle cette croyance. Suivra, après un temps d’arrêt sur l’Épinomis, une brève conclusion. Ma méthode d’exposition est habitée ici par le souci de laisser, le plus souvent possible, parler Platon lui-même, en usant de citations ou de paraphrases. S’agissant de ses dialogues, il est rare que l’on soit le premier à traiter un sujet. Son astronomie religieuse a de fait été abordée, dans le cadre d’études relevant 1 Que les organisateurs soient vivement remerciés pour leur invitation. Astra et religio. Aspects particuliers des astres dans les religions de l’Antiquité méditerranéenne, René Lebrun et Étienne Van Quickelberghe (éd.), Turnhout: Brepols, 2017, p. 23-37 FHGDOI 10.1484/M.HR-EB.5.115197
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de l’histoire de la philosophie ancienne ou de la religion grecque, par d’éminents savants comme F. Cumont2, A. Diès3, L. Robin4, F. M. Cornford5, J. Moreau6, Fr. Solmsen7, P. Boyancé8, A. J. Festugière9, É. des Places10, essentiellement cependant dans les composantes doctrinales. Pour les aspects cultuels, l’ouvrage bien connu d’O. Reverdin11 donne un bon aperçu des principales données à prendre en considération. Plus près de nous, W. Burkert12 a consacré quelques pages très substantielles à la cosmologie religieuse de Platon, mais – signe des temps ? – la bibliographie plus récente sur le sujet est moins abondante qu’autrefois. N’en ont pas moins enrichi également ma lecture de Platon L. Brisson13, J. Laurent14, G. Van Riel15 et surtout A. Lefka16. Il me paraît qu’il reste une place pour une étude approfondie de cette riche thématique chez notre philosophe. Partant d’un dépouillement exhaustif des textes platoniciens concernés, elle explorerait les aspects à la fois scientifiques, philosophiques et religieux que comporte la matière, s’interrogeant aussi sur les origines grecques voire, le cas échéant, orientales, des enseignements platoniciens. Ma contribution, est-il besoin de le préciser, n’est qu’une modeste ébauche, très squelettique, d’une telle étude qui, à plusieurs égards, touche au cœur même de ce que nous appelons le platonisme.
2 Notamment dans Cumont 1912, dont une version française, plus complète, a été publiée par I. Tassignon (Tassignon 2000). Depuis peu, un volume de la « Bibliotheca Cumontiana » (Praet et Bakhouche 2015) réunit tous les articles que F. Cumont a écrits sur l’histoire de l’astrologie ancienne. 3 De bonnes pages dans Diès 1927, 522-603 (chap. III, « Le Dieu de Platon » et chap. IV, « La religion de Platon »). Réédition : Diès 1972, 522-574. 4 Robin 1935, 245-252, sur le Dieu de Platon. 5 Cornford 1937, 105-119 (concerne le Timée). 6 Notamment dans Moreau 1939, § 35 : « Astronomie et théologie dans les Lois ». 7 Solmsen 1942 75-118 (chap. V et VI). 8 Boyancé 1952, 312-350. C’est peut-être l’étude la plus directement ciblée par rapport à notre sujet, mais l’auteur ne s’intéresse qu’aux aspects doctrinaux du thème et sa préoccupation principale est la recherche de l’origine des conceptions platoniciennes qu’il voit dans le pythagorisme plutôt qu’en Orient. 9 Festugière 1949-1954 (Surtout dans le volume II, « Le dieu cosmique », de La révélation d’Hermès Trismégiste). 10 des Places 1969 (§ « La religion de Platon », plus particulièrement les p. 255-259 consacrées à la religion astrale), et sa notice à l’édition de l’Épinomis (Platon, Œuvres complètes, t. XII, Paris, Belles Lettres, 1956, p. 118-128). 11 Reverdin 1945, 50-55, et passim pour le soleil, la lune et autres corps célestes. 12 Burkert 1985 (original : Griechische Religion, Berlin, 1977) et la traduction française de Bonnechere 2011, 425-430 (§ « Platon, le cosmos et les dieux visibles »). 13 Brisson 1992. Sa traduction du Timée-Critias est assortie d’une introduction et de nombreuses notes savantes qui concernent notre sujet. 14 Laurent 2003, 25-40 ; l’occasion me sera donnée de citer d’autres articles de ces Actes d’un colloque qui s’est tenu à Caen sur les dieux de Platon en 2002. 15 van Riel 2013, 25-59 (« Plato’s Theology »). 16 Lefka 2011 (Dans le chapitre « Les divinités dans le Kosmos » de son remarquable ouvrage, préfacé par L. Brisson). Cette petite bibliographie n’a pas la prétention évidemment d’être complète.
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2. Divinité des astres Commençons par quelques observations rapides d’ordre terminologique qui donneront aussi un aperçu de la façon dont la matière concernée se distribue dans l’œuvre de Platon. Le mot grec astron, qu’il n’est pas besoin de traduire17, se rencontre plus de 50 fois dans le corpus platonicien, une fréquence qui est révélatrice de l’intérêt porté aux corps célestes. S’y ajoutent quatre mots dérivés, deux substantifs, astronomia et astronomos, le verbe astronomeô et l’adjectif astronomikos, ces mots totalisant une bonne trentaine d’occurrences. Il existe encore un mot grec du même radical pour désigner spécifiquement les étoiles, c’est astèr, mais le corpus platonicien n’en offre que 5 attestations. Plus de la moitié des dialogues sont concernés par ce vocabulaire, mais il est très rare dans les dialogues de jeunesse, ce qui suggère que le sujet n’a vraiment intéressé philosophiquement Platon que dans sa période de maturité. Pour cerner la dimension religieuse de son astronomie et le rôle qu’elle joue dans sa philosophie, je citerai quelques textes, extraits principalement de six dialogues, soit trois œuvres de la maturité, le Cratyle, le Phédon et la République, et trois de la vieillesse, le Philèbe, le Timée et les Lois, l’Épinomis faisant ensuite l’objet d’un bref traitement distinct. La mention des astres divins dans le Cratyle n’est apparemment qu’incidente, l’objet premier du passage étant une explication étymologique du mot théos, mais cette mention n’en est pas moins très significative. Socrate vient de suggérer, avec l’approbation de son interlocuteur, que l’attribution de certains noms à des choses par nature éternelles et immuables a peut-être été l’œuvre d’une puissance plus divine qu’humaine, et il poursuit : « Dans ces conditions, n’est-il pas juste de commencer par les dieux, en examinant comment peut bien se justifier ce nom même de dieux (théoi) qu’on leur a donné ? Voici donc ce que je soupçonne pour ma part. À mon avis, les premiers habitants de la Grèce croyaient seulement aux dieux qui sont aujourd’hui ceux de beaucoup de Barbares : le soleil, la lune, la terre, les astres et le ciel ; les voyant tous agités d’un mouvement et d’une course perpétuels, c’est d’après cette faculté naturelle de courir (théô) qu’ils les nommèrent dieux (théoi) ; plus tard, quand ils reconnurent tous les autres dieux, c’est désormais ce nom qu’ils leur appliquaient » (Cratyle, 397c-d, trad. de L. Méridier). 17 Mais que faut-il entendre précisément par astron ? La question se pose parce que les premiers emplois associent souvent les astres au soleil, à la lune et, parfois, à d’autres corps célestes, Platon juxtaposant simplement ces mots ou les coordonnant par la conjonction kai (par ex : Gorg., 451 c, Crat., 408 d, Phédon, 111 c, etc.), comme le fait aussi le titre de notre colloque. Pareille énumération peut donner à penser que, pour lui, le soleil et la lune ne comptent pas parmi les astres proprement dits. Mais il n’en est rien ; à plusieurs reprises, dans la suite, il prend soin d’ajouter kai ta alla astra, « et les autres astres » (Phédon, 109 b, Pol., 209 a, Lois, VII, 818 c, etc.). Le soleil et la lune méritent donc bien aussi cette appellation, et il en va de même des cinq autres planètes que distinguaient les Grecs anciens et dont Platon va prendre soin de montrer que, contrairement à ce qu’indique leur nom, elles ne sont pas errantes.
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Assez inattendue, cette séquence embryonnaire d’histoire des religions fait que le lecteur soupçonne à son tour que certains éléments de justification qu’elle est censée apporter à l’étymologie du mot théos importent plus que l’étymologie elle-même, au demeurant très fantaisiste, ce dont le philosophe n’est pas dupe. Il semble, en effet, préoccupé surtout de rafraîchir la mémoire de ses concitoyens, si mémoire il y a, en leur rappelant qu’il fut un temps où leurs ancêtres vénéraient tous les corps célestes et que c’est la course régulière de ces astres qui leur avait inspiré la notion même de dieu, laquelle, dans la suite avait été appliquée par eux aux autres dieux, invisibles ceux-là, qu’ils avaient accueillis. D’autre part, préciser qu’aujourd’hui encore beaucoup de peuples barbares continuent de vénérer ces dieux célestes, et eux seuls, est une manière à peine voilée de faire valoir en faveur de cette croyance une sorte de consentement universel. Et non moins habile est encore le fait d’associer ici le soleil, la lune, la terre et le ciel (ouranos) aux ta astra, car ces êtres célestes faisaient toujours partie du panthéon grec, même si, s’agissant du culte, ils étaient largement éclipsés par les Olympiens. Bref, ce passage laisse pressentir que cheminent déjà, dans la pensée du philosophe, certaines conceptions nouvelles qu’il voudrait introduire au sein des traditions religieuses de la Grèce. À noter cependant que, dès ses premières œuvres, Platon avait montré un intérêt religieux pour les corps célestes, lorsque, dans l’Apologie (26 d) par exemple, il fait dire à Socrate, en réponse à l’accusation de Mélétos : « est-ce que je ne reconnais même pas, comme les autres hommes, que le soleil et la lune sont des dieux ? ». Et de dénoncer vivement à ce propos les conceptions d’Anaxagore pour qui le soleil n’était qu’une pierre et la lune une terre. Vénérer certains astres n’était donc pas une nouveauté révolutionnaire chez les Grecs, en tout cas pour Socrate18, mais son disciple entend bien ranimer chez ses concitoyens cette croyance qu’il présentera plus tard comme décisive pour la sauvegarde de la cité. Pour ce faire, il va user d’arguments qui mettent plusieurs disciplines au service de sa théologie astrale : le calcul, la géométrie, l’astronomie, et aussi la musique en ce que celleci est le lieu de l’harmonie, de la sumphonia des révolutions accomplies par les corps célestes, comme dit expressément le Cratyle, en des termes qui évoquent déjà la fameuse musique des sphères19. À vrai dire, de ces disciplines étroitement associées, certains dialogues sans doute antérieurs à celui-ci font déjà mention, 18 Dans le Banquet (220 d), Platon montre Socrate, au terme d’une nuit entièrement vouée à la méditation, adressant une prière au Soleil levant (Hélios). 19 Cratyle, 405 d. Un peu plus loin, dans ce même dialogue (408 d), quand Socrate annonce qu’il met fin à son enquête sur l’étymologie des noms divins de l’Olympe, Hermogène lui rappelle qu’il existe aussi d’autres dieux : « Mais qui t’empêche de parler des dieux tels que le soleil, la lune, les astres, la terre, l’éther, l’air, le feu, l’eau, les saisons et l’année ? ». Acceptant cette proposition pour faire plaisir et pour se faire plaisir, Socrate va imaginer une étymologie de ces mots qui cachent apparemment autant de dieux, si l’on prend les choses à la lettre. S’agissant des mots sélénè et astron, l’étymologie proposée se réfère à des mots qui signifient la lumière.
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mais dans un contexte purement profane. C’est ainsi que, dans le Protagoras, Platon semble convenir que les sophistes ont réussi à ramener les jeunes à l’étude des quatre sciences en question auxquelles ils s’efforçaient d’échapper20. Mais, on s’en doute, il ne se privera pas pour autant de critiquer sévèrement la manière dont les sophistes et, plus largement, certains savants du moment, pratiquent ces sciences. Leur vue reste superficielle, estime-t-il, car ils ne vont pas assez loin dans leur recherche du vrai, alors que, selon la République, l’astronomie « oblige l’âme à regarder en haut et à passer des choses d’ici-bas aux choses du ciel » (Rép., VII ; 529 a). Or, explique Socrate : « À la manière dont la traitent aujourd’hui ceux qui l’érigent en philosophie, l’astronomie abaisse tout à fait les regards vers le bas […]. Pour ma part, je ne puis reconnaître d’autre science qui fasse regarder l’âme en haut que celle qui a pour objet l’être et l’invisible. Mais si c’est une chose sensible qu’on veut étudier, qu’on la regarde en haut, bouche béante, ou en bas bouche close, je nie qu’il y ait jamais eu là connaissance, car la science ne comporte rien de sensible ; l’âme en ce cas regarde, non en haut, mais en bas […]. Les constellations variées du firmament sont brodées dans une matière visible. De ce fait, bien qu’elles soient, il faut le reconnaître, ce qu’il y a de plus beau et de plus exact dans cet ordre, elles sont bien inférieures aux constellations vraies et à ces mouvements suivant lesquels la vraie vitesse et la vraie lenteur, selon le vrai nombre et dans toutes les vraies figures, se meuvent en relation l’une avec l’autre et meuvent en même temps ce qui est en elles ; et ce sont là des choses perceptibles par la raison et l’intelligence, mais non par la vue […]. Il faut donc se servir des ornements variés du ciel comme d’exemples pour atteindre à la connaissance des choses invisibles […]. Et le véritable astronome, ne crois-tu pas qu’il se placera au même point de vue en regardant les mouvements célestes, et qu’il pensera que l’ouvrier (dèmiourgos) du ciel et des astres que le ciel renferme les a disposés avec toute la beauté qu’on peut mettre en de tels ouvrages ? » (extraits de Rép., VII, 529 a – 530 a, trad. d’É. Chambry).
Ce texte très dense, qui est une belle illustration du dualisme et du réalisme de l’intelligible que professe Platon, dénonce l’insuffisance, capitale à ses yeux, dont souffre la science qu’enseignent notamment les sophistes. C’est qu’elle reste au niveau des apparences sensibles et ne remonte pas aux principes qui relèvent de l’intelligible. Autrement dit, ces sciences ne feront jamais que préluder à la dialectique, seule méthode possible pour accéder au vrai. Parmi les principes dont Platon fait état, on voit poindre la figure de l’ouvrier artiste qui a ordonné le 20 318 e : c’est Protagoras qui parle. À plusieurs reprises, Platon évoque la compétence reconnue au sophiste Hippias en matière notamment d’astronomie : Prot., 318 e, Hipp. maj., 285 c (les discours d’Hippias sur les astres et les phénomènes célestes forment la plus belle partie de la science et sont écoutés avec plaisir par ses auditeurs), Hipp. min., 367 e. Sur les disciplines évoquées qui font partie de la formation du philosophe et sur leur parenté avec l’astronomie (Rép., VII, 521 c et sv.), voir les excellentes pages de Moreau 1939, 86-93, et Moreau 1967, 115-127 (« Les mathématiques et l’expérience »).
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ciel et les astres qu’il abrite, anticipation expressive du fameux démiurge que va mettre longuement en scène le Timée et qu’illustre déjà cette question que Socrate adresse à Protarque dans le Philèbe : « Est-ce que l’ensemble des choses et ce que nous appelons l’univers (to holon) sont pour nous régis par la puissance de l’irrationnel, du hasard, de l’aveugle rencontre, ou dirons-nous au contraire, comme l’ont dit nos prédécesseurs, que l’intellect (noûs) et quelque admirable sagesse (phronèsis) l’ordonnent et le gouvernent ? » (Philèbe, 28 d, trad. d’A. Diès).
Et Protarque de s’étonner de la conception vraiment « impie » (oude hosion) à laquelle cette question fait écho, car, poursuit-il, l’idée d’un intellect qui est l’ordonnateur universel est digne de la vision qu’offrent le monde, le soleil, la lune, les astres et toute la révolution céleste. S’il est difficile de ne pas donner la qualité divine à cet ordonnateur suprême, on ne nous dit pas encore ici que tous les astres sont aussi des dieux ni pourquoi ils le sont. J’y viens, mais il n’est pas inutile, avant de quitter la République, de souligner au préalable le rôle grandiose que Platon, dans sa construction idéaliste, assigne à Hélios, le Soleil : « Eh bien, sache-le, c’est le soleil que j’entendais par fils du Bien ; celui-ci l’a engendré à sa propre ressemblance et il est dans le monde visible, par rapport à la vue et aux objets visibles, ce que le Bien est dans le monde intelligible, par rapport à l’intelligence et aux objets intelligibles » (République, VI, 507 e, trad. d’É. Chambry).
De ce soleil, qui est donc l’incarnation du Bien dans notre monde visible et qui a été présenté plus haut comme un « dieu du ciel » (theos en ouranôi, 508 a), Platon dit encore que non seulement il donne aux objets la faculté d’être vus grâce à la lumière, mais aussi la genèse, l’accroissement et la nourriture, de la même manière que le Bien donne aux objets connaissables la faculté d’être connus, mais aussi l’existence et l’essence (509 b) en sorte qu’on peut dire véritablement qu’ils règnent (basileuein : 509 d), père et fils, chacun dans leur royaume. Avec cette Idée du Bien, nous sommes au sommet de la métaphysique platonicienne. Le soleil s’y trouve donc en bonne place, reconnu qu’il est comme la divinité dont l’importance est décisive pour la vie des hommes. Mais venons-en à la cosmologie et, plus particulièrement, à l’astronomie religieuse du Timée. C’est le dialogue qui nous apprend le plus sur le sujet, si l’on excepte l’Épinomis. La divinité de tous les astres y est cette fois très explicitement affirmée. Au dire du savant Timée, en effet, le monde qui est né par la providence du divin démiurge est lui-même un dieu – c’est là une invention platonicienne – et donc un être vivant, doté d’une âme, d’un intellect et, bien
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sûr, d’un corps, parfaitement sphérique en l’occurrence. Or, le modèle intelligible que suit l’artiste divin comporte quatre espèces d’êtres vivants, la première étant précisément l’espèce céleste des dieux, dieux visibles et engendrés (theoi horatoi kai gennètoi, 40 d) qui comptent, outre la terre, première née, les deux types de corps célestes que sont les étoiles fixes et les astres qualifiés bien à tort d’errants. Un paragraphe est aussi réservé à la naissance des dieux traditionnels, mais il n’est rien dit ici à leur propos, les familles humaines issues de divinités étant les mieux placées pour en parler (40 d-e), ajoute Timée, non sans un brin d’ironie. Il explique encore que le nombre d’âmes que le démiurge fabrique dans son cratère égale le nombre d’astres, auxquels elles sont d’ailleurs distribuées (41 d-e). Quant à la loi de la destinée, elle veut que les hommes qui ont bien vécu retournent dans l’astre auquel ils ont été affectés pour y mener une vie heureuse, semblable à celle de leur hôte (42 b). Le paradis promis aux âmes des justes dans le mythe eschatologique du Phédon (110 c) permettait déjà une contemplation privilégiée du soleil, de la lune et des astres, privilège qui engendre la félicité. C’est une trilogie semblable qu’évoque Timée pour célébrer les bienfaits de la vision céleste : « Des discours que nous sommes en train de tenir sur l’univers, aucun n’eût jamais pu être tenu si nous n’avions vu ni les astres, ni le soleil, ni le ciel. Mais, en l’état actuel des choses, c’est la vision du jour, de la nuit, des mois et du retour régulier des années, c’est le spectacle des solstices qui a amené l’invention du nombre, qui a fourni la connaissance du temps et qui a promis d’entrevoir des recherches sur la nature de l’univers. De là nous avons tiré la pratique de la philosophie, le bienfait le plus important qui ait jamais été offert et qui sera jamais accordé sur terre à la race mortelle, un bienfait qui vient des dieux » (Timée, 47 a-b, trad. de L. Brisson).
On pourrait résumer cet enseignement en disant que, sur terre, la vision des corps célestes est pour les hommes la voie du salut et que c’est en eux que résident leur origine et leur fin. La matière est riche aussi dans les Lois. On y a droit, à quatre reprises au moins, à l’affirmation de la divinité des astres, la première fois d’une manière particulièrement catégorique parce qu’en réponse à des opposants supposés qui, pour croire aux dieux, exigent d’emblée des preuves irréfutables. Clinias est d’avis, au contraire, qu’il est facile d’affirmer en toute vérité (alètheuô) que les dieux existent. Et il explique : « Il y a d’abord la terre, le soleil, les astres et l’ensemble de l’univers (ta sumpanta), et les alternances des saisons si bien agencées, et leur distribution en années et en mois ; et le fait que tous, Grecs et Barbares, croient qu’il y a des dieux » (Lois, X, 886 a, trad. d’A. Diès).
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Sur quoi l’Athénien, rappelant que « le soleil, la lune, les astres, la terre sont des dieux, théoi, et choses divines, theia onta (886 d), remarque que, lorsque sont mises en œuvre les preuves de l’existence des dieux, ceux qui ont été déroutés par l’enseignement des savants (sophoi) répliquent que ce ne sont là que de la terre et des pierres (nouvelle allusion, sans le nommer, au genre de théorie qu’enseignait Anaxagore). Pourtant, déplorera-il plus loin, ces jeunes ont, dans leur enfance, entendu les muthoi que racontaient leurs nourrices et leurs mères et, avec la joie dans les yeux et les oreilles, ils voient leurs parents : « avec la gravité la plus solennelle, de tout leur cœur, adresser aux dieux, comme à des êtres dont l’existence est plus assurée que tout le reste, leurs prières et leurs supplications ; de même que, aux levers du soleil et de la lune aussi bien qu’à leurs couchers, ils ont ouï conter ou bien ils ont vu comment Grecs et Barbares, en quelques misères ou quelques prospérités qu’ils puissent être, font leurs prostrations et leurs adorations, non comme à des êtres irréels, mais comme aux êtres les plus réels qui soient et de façon à ne même pas laisser concevoir la possibilité de la non-existence des dieux » (Lois, X, 887 d-e, trad. d’A. Diès).
Nouvelle affirmation de la divinité de tous les corps célestes à la suite de développements sur l’âme du soleil, laquelle se sert de ce corps comme d’un char et doit être regardée comme une divinité : « Quant à tous les astres et à la lune, quant aux années, aux mois, à toutes les saisons, que ferons-nous, sinon répéter cette même assertion ? Puisqu’une âme ou des âmes sont manifestement causes de tous ces mouvements et douées de toutes vertus, nous affirmerons qu’elles sont des divinités (theoi), soit que, logées en des corps, comme des vivants qu’elles sont, elles ordonnent ainsi tout le ciel, soit qu’elles agissent de quelque manière qu’on voudra. Se trouvera-t-il quelqu’un pour avouer cette causalité et cependant soutenir que l’univers n’est pas plein de dieux ? » (Lois, X, 899 b, trad. d’A. Diès).
Les derniers mots reprennent une assertion que la tradition prête à Thalès21. Au livre XII, Platon revient avec insistance sur l’importance de la notion d’âme, car elle est déterminante dans son affirmation de la divinité des astres. Sans cette conviction, remarque-t-il, la jeunesse risque de céder au matérialisme grossier que répandent certains penseurs et qui est l’antichambre de l’impiété. L’âme invisible, en effet, est le principe interne du mouvement qu’un corps est capable de se donner (l’automotricité) et, plus généralement, de toute la vitalité des êtres vivants. Mais, chez certains d’entre eux, l’âme est le siège de cette faculté organisatrice qu’est le noûs, l’intellect. C’est à la qualité éminente de ces deux entités associées
21 Aristote, De anima, A 5, 411 a (Diels-Kranz, 11 A 22). Cf. Épinomis, 991 d.
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que se reconnaît la divinité d’un être, comme le précise l’Athénien, lequel est ici, à n’en pas douter, le porte-parole de Platon : « Nous savons qu’il y a deux vérités, précédemment exposées, qui conduisent à la croyance aux dieux. L’une est ce que nous avons dit de l’âme : qu’elle précède de loin, en âge et en divinité, tous les êtres à qui le mouvement, une fois né, a procuré leur flux incessant d’existence. La seconde est la translation si ordonnée des astres et de tous les autres corps que gouverne l’intellect, organisateur de l’univers » (Lois, XII, 966 d-e, trad. d’A. Diès).
La foule, poursuit l’Athénien, a tort de penser qu’on devient athée quand on se livre à de telles recherches parce qu’elles accréditeraient l’idée que tout arrive par nécessité, et non par les desseins d’une volonté soucieuse de réaliser le Bien. Et de s’en prendre à nouveau, sans le nommer, à Anaxagore et à ses adeptes. Il faut donc admettre, répète-t-il, qu’une âme immortelle commande au corps et que les astres sont aussi pourvus d’un intellect qui conduit rigoureusement leur cours céleste. Mais, pour comprendre cela, il faut avoir assimilé l’astronomie et les autres sciences connexes22. On est précisément dans un chapitre consacré à la formation des gardiens. Ce long passage montre Platon très soucieux de rectifier la dérive dans laquelle, à ses yeux, certains philosophes ont engagé les recherches sur la phusis. Mais il met aussi en évidence le raisonnement par lequel il justifie la divinité des corps célestes. L’astronomie découvre la perfection des mouvements complexes qu’effectuent les corps célestes, perfection que peut seule expliquer une intelligence supérieure, laquelle ne peut à son tour siéger que dans un être vivant doté d’une âme dont l’excellence est la marque du divin. La destinée de tous les êtres vivants dotés d’une âme s’inscrit dans cette merveilleuse symphonie des mouvements qui animent l’univers, et c’est le cas, très spécialement, des hommes, puisque l’âme de chacun d’eux a son origine dans un astre et a vocation d’y faire retour après son passage sur terre. Mais pour que ce destin s’accomplisse, quelle attitude envers les corps célestes notre philosophe attend-il des hommes ? 3. Vénération et culte des astres Comme annoncé dès l’introduction, Platon n’a pas lui-même, pour sa cité idéale, institué des fêtes et des rituels qui viseraient la totalité des corps célestes. Mais plusieurs textes suggèrent qu’il va de soi, à ses yeux, qu’un culte doit être rendu à ces divinités, individuellement et collectivement, laissant aux cités le soin 22 967 d. À propos de ces sciences, voir ci-dessus. Comme dans le Cratyle encore, Platon évoque ici la parenté de ces sciences avec la science musicale, garante pour sa part de l’harmonie.
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d’en fixer les modalités. Il est à ce propos, dans les Lois, une déclaration de l’Athénien particulièrement explicite, amenée qu’elle est par le souci de rectifier l’idée commune, mais fausse, que les planètes23 ne suivent jamais la même route : « Je le déclare à cette heure, c’est là que doivent être informés sur les dieux du ciel nos citoyens et nos jeunes gens, qu’ils en sachent assez sur eux tous pour ne pas blasphémer à leur sujet et pour n’en parler que religieusement (euphèmein), à chaque fois qu’ils sacrifient ou que, dans leurs prières, ils les implorent avec piété (eusebôs) » (Lois, VII, 821 c-d, trad. d’A. Diès).
Il s’agit bien de tous les dieux célestes et on ne précise pas si les dévotions envisagées, sacrifices et prières, sont individuelles ou collectives. Les deux mêmes remarques peuvent s’appliquer à cet autre extrait de la même œuvre, où il est question des égards dus aux parents : « Les lois antiques à l’égard des dieux sont universellement de deux sortes. Certains dieux, en effet, sont visibles, et nous les honorons en pleine connaissance ; aux autres, nous dressons des statues à leur ressemblance et, leur rendant honneur, si inertes qu’elles soient, nous croyons ainsi nous concilier largement la bienveillance et la grâce des dieux vivants » (Lois, XI, 930 e – 931 a, trad. d’A. Diès)24.
Discrètement, notre philosophe souligne ici le fait que les honneurs rendus aux dieux du ciel le sont à des êtres vivants, en pleine transparence (saphôs) parce qu’en accès direct, pourrait-on dire, tandis que des dieux invisibles, c’est par le truchement d’idoles sans âme que la tradition en a fixé le culte25. Mais l’occasion d’expliciter davantage la manière d’honorer les dieux célestes n’est pas du tout saisie, et nous n’en saurons pas beaucoup plus en lisant encore un dernier passage des Lois où il vient d’être question des préceptes et des exercices que les maîtres doivent enseigner aux jeunes en vue de la guerre, des affaires domestiques et de l’administration publique : « en vue de ces mêmes objets, chacun doit apprendre ce qu’il est utile de savoir au sujet des révolutions des corps divins, astres, soleil et lune, bref toutes les dispositions 23 Platon prend l’exemple de quatre planètes qui donnent l’impression d’errer et comptent parmi les plus familières : l’étoile du matin (Héôsphoros), l’étoile du soir (Hespéros), le soleil et la lune. Au total, il existe, suivant Platon, sept planètes décrivant une orbite propre. Sur ces divinités et sur les autres planètes vues par Platon, voir Lefka 2011, 115-123. Pour une enquête générale sur les planètes dans l’Antiquité : Cumont 1935, 5-44. 24 Et de suggérer ensuite que si les enfants vénèrent comme ces statues leurs vieux parents réduits à l’impuissance, ceux-ci, heureux d’être respectés, sauront attirer sur eux les bénédictions divines, car les dieux ont le souci de la justice dans la répartition des biens. 25 Pour être inanimées, les statues divines peuvent néanmoins rester très attractives : l’auteur de l’Épinomis, en tout cas, n’hésite pas à comparer les astres à des statues divines (984 a-b). Sur cette métaphore, voir Laurent 2003, 34-36.
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à prendre par chaque cité sur ces sujets. De quelles dispositions voulons-nous parler ? De l’ordre des jours pour les périodes mensuelles et de l’ordre des mois pour chaque année, afin que saisons, sacrifices et fêtes, recevant chacun ce qui leur convient car réglé selon la nature, gardent la cité vivante et en éveil, assurent aux dieux les honneurs dus et rendent les hommes plus instruits de tout cela » (Lois, VII, 809 c-d).
Selon cette instruction, les cités ont donc le devoir d’honorer les dieux célestes par des sacrifices et des fêtes dont le calendrier sera fixé en tenant compte des révolutions de ces astres ; elles doivent aussi veiller à l’instruction des citoyens à ce sujet, mais Platon ne dit rien de plus précis sur les cultes. À noter aussi l’idée que l’enjeu de ces dispositions est rien moins que la sauvegarde de la vitalité des cités. Considérons à présent la mention privilégiée que Platon fait de trois divinités célestes, très présentes dans les mythes grecs, mais nommément désignées par lui comme recevant un culte. Lorsque Timée a terminé son long exposé de la naissance du monde et avant de céder la parole à Critias, il adresse au dieu Ouranos une fervente supplication pour qu’il assure la conservation des propos tenus qui ont été conformes à l’harmonie et pour qu’il fasse aussi un don de science pour l’achèvement du discours (Critias, 106 a-b). Prenons garde cependant que le dieu Ouranos tel que l’envisage ici Platon diffère du dieu traditionnel de la mythologie, car il couvre le monde entier et est le dieu cosmique par excellence, le souverain des dieux visibles qu’a voulu le démiurge26 . Le culte que reçoivent les deux « grands dieux » que sont le soleil et la lune (Lois, VII, 821 b) est expressément signalé dans un passage déjà cité des Lois (X, 887 d-e) qui évoque les supplications (prokuliseis) et prosternations (proskunèseis) des Grecs et des Barbares aux levers et aux couchers de ces deux astres. Mais, s’agissant du Soleil (Hélios), plus significatif encore est le traitement cultuel qu’il reçoit dans la cité idéale que dessinent les Lois. L’élection de dignitaires de très haut rang, les euthunoi, se fait dans un temple voué à la fois à ce dieu et à Apollon. Soigneusement sélectionnés pour une mission de contrôle à la tête de l’État, ces personnages sont à la fois magistrats et prêtres attitrés des deux divinités ; ils résident de surcroît dans ce sanctuaire, le plus prestigieux de la cité, et ils sont les seuls à porter la couronne de laurier. Dans la tradition mythologique, Hélios a la réputation de tout voir et de tout savoir27, ce qui suffirait à justifier l’autorité qui lui est ici conférée sur ces magistrats surveillants. Mais il est évident que Platon a en tête aussi une revalorisation de ce dieu astral qu’il médite depuis longtemps : dans sa République, on l’a vu, il en a fait le « fils du Bien » et donc le vivant symbole, dans l’univers visible, de 26 Voir à ce sujet Lefka 2011, 80-90. 27 Cf. Burkert 1985, 437, qui fait la remarque, renvoyant à Homère, Od., 11, 109 ; on trouvera là aussi les références aux Lois pour les données institutionnelles relatives aux euthunoi.
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cette Idée suprême. Les affinités étroites, clairement manifestées ici, entre Hélios et Apollon ne sont pas nouvelles : on a souvent relevé, chez Homère déjà, des liens entre Apollon et le soleil28. D’autre part, le choix du maître de l’oracle de Delphes comme divinité conjointe à Hélios ne surprend pas de la part de Platon, très attaché à ce sanctuaire. La cohabitation n’en est pas moins fort habile, car, à mode de rien, elle ajoute des nova aux vetera. Au total, en dépit des nombreuses occasions que lui offraient les prescriptions détaillées de la République et des Lois, Platon n’a pas fait, s’agissant des rituels du culte, de propositions neuves en faveur des divinités astrales. Pareille réserve peut s’expliquer par le souci de ne pas heurter ses concitoyens, qu’il sait bien plus sourcilleux dans le domaine cultuel qu’ils ne le sont quand il s’agit des croyances et des mythes. On aurait pu s’attendre à des recommandations relatives aux édifices sacrés, à des modalités sacrificielles particulières, à des prières, des offrandes et à des fêtes adaptées aux divinités astrales. Mais on quitte Platon bredouille, ou presque. Cette relative abstention peut aussi trouver une explication dans la conception de la piété qu’il défend : plus que des actes extérieurs importe pour lui l’attitude intime du fidèle, ce qui implique, en l’occurrence, une volonté d’apprendre à mieux connaître ces dieux, à en contempler avec vénération les révolutions, à s’adonner aux sciences qui aident à les comprendre et, surtout, à se rendre aussi semblable que possible à ces modèles célestes29. Les passages des dialogues qui illustrent cette piété personnelle sont nombreux. Sagesse et piété vont de concert et on a compris aussi que l’excellence humaine passait par la contemplation des astres. L’Épinomis accentue encore ces conceptions. 4. Le cas particulier de l’Épinomis Du point de vue doctrinal, on retrouve dans ce dialogue, en position centrale, une théodicée dont la pièce maîtresse est sans conteste « l’espèce divine des astres, à qui sont échus le corps le plus beau et l’âme à la fois la plus heureuse et la meilleure » (981 e), sans que soient pour autant ignorées ou sous-estimées les divinités traditionnelles. L’innovation la plus manifeste concerne les planètes à
28 Voir Boyancé 1966, 149-170, et Burkert 1985, 437 (à propos du sanctuaire commun aux deux divinités, invention de Platon) : « En filigrane se profile l’équivalence entre Apollon et Hélios. L’adoration des corps célestes, jusque-là postulée, parvient donc au centre même de la cité ». On notera encore qu’Hélios faisait l’objet d’un culte important à Rhodes et que, très présent dans la mythologie, son nom apparaît aussi quelquefois dans les sanctuaires et dans des rituels comme celui du serment, mais toujours associé à d’autres divinités, comme dans les Lois ; voir à ce sujet Lefka 2011, 104-106 (sur la vénération d’Hélios et de Sélénè). 29 Sur ce thème important, voir Pradeau 2003, 41-52, notamment p. 51 : « l’imitation du monde, ou l’assimilation au dieu, sont la fin commune des réformes éthiques et politiques ». Voir aussi Carone 1997, 341-349.
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qui une divinité traditionnelle est dédiée ; il ne s’agit pas encore d’une identification, mais on parle, par exemple, de l’astre d’Aphrodite. On peut noter aussi certaines précisions, concernant notamment le cours de la lune. Mais, à première vue, aucun des enseignements proposés dans ce dialogue ne détonne par rapport aux dialogues précédents. Concernant le culte, l’auteur déplore cette fois ouvertement que les dieux sidéraux soient privés des cérémonies et des honneurs qui leur sont dus30. Au soleil et à la lune on doit offrir des fêtes ainsi que des sacrifices, et il faut aussi déterminer, en fonction de leurs révolutions, des périodes au cours desquelles, plusieurs fois sur l’année, un temps leur sera réservé (985 d-e). À noter encore la recommandation d’adresser des prières toutes spéciales au dieu cosmique à qui les hommes doivent tant de bienfaits, à commencer par la connaissance du nombre, sans laquelle aucune sagesse n’est possible ; cette exhortation rappelle la prière que Timée adresse à Ouranos au terme de son discours (976 e – 977 b). On peut donc dire, à propos du culte, que les affirmations de l’Épinomis sont plus appuyées que dans les œuvres antérieures et s’accompagnent d’instructions explicites, mais non spécifiques ni détaillées concrètement. Puisque le couronnement de la sagesse consiste dans la connaissance du divin et dans une volonté de l’imiter, sagesse et piété (theosebeia) tendent à se confondre, et comme l’astronomie est elle-même à la base de la connaissance du divin, une trilogie de sciences se forme dont la forte unité est peut-être plus apparente encore que précédemment. Un passage du dialogue exprime remarquablement le cheminement intime que réalise une sage piété : « cet ordre (divin), l’homme privilégié commence par l’admirer, après quoi le désir le saisit d’apprendre à fond tout ce qui est accessible à une nature mortelle, dans la pensée qu’ainsi il mènera la vie la meilleure et la plus heureuse et qu’après sa mort il arrivera aux régions destinées à la vertu ; et initié vraiment, réellement, participant dans l’unité de son moi à une sagesse qui est une, il passe le reste du temps à contempler les plus beaux spectacles, autant que la vue peut les atteindre (Épinomis, 986 c-d).
5. Conclusion Il est patent que Platon recommande explicitement et avec insistance le culte des astres, quels qu’ils soient, et que l’Épinomis déplore très clairement qu’il n’en soit pas ainsi, ou plutôt qu’il n’en soit plus ainsi, puisque, à deux reprises au moins, dans le Cratyle et dans les Lois, Platon laisse entendre que, primitivement, 30 935 d, trad. d’É. des Places : « la pire lâcheté est de ne pas oser nous parler des dieux réellement visibles et nous révéler qu’ils sont des dieux autant que les autres, mais privés des cérémonies et des honneurs qui leur reviennent ».
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les Grecs ont été adorateurs des astres. Si cette recommandation ne passe pas inaperçue, il est tout aussi clair que notre philosophe s’est refusé à préciser lui-même les modalités du culte qu’il faudrait rendre à ces divinités célestes, laissant ce soin aux cités. Il s’est contenté de confier au dieu Hélios un rôle majeur et significatif dans la cité des Lois, mais en l’associant très habilement à Apollon. Bref, dans son attitude à l’égard de la religion traditionnelle, il n’y avait pas là de quoi se faire fouetter par les traditionnalistes de l’époque. Lui-même était d’ailleurs de ceux qui préconisaient la plus grande stabilité dans les rites religieux, sous l’autorité de l’oracle de Delphes. Il n’a rien d’un fossoyeur de la religion traditionnelle des Grecs et ne recommande nullement l’abandon des divinités auxquelles ils étaient attachés. Pourtant, quand on relit les textes passés en revue, on ne peut se déprendre de l’idée que notre philosophe a cherché à réédifier cette religion sur des bases doctrinales solides que la mythologie anthropomorphique, très versatile, ne pouvait pas ou ne pouvait plus lui donner. Il nous est apparu aussi que la croyance en la divinité des astres n’était pas un dogme marginal dans sa pensée et qu’il l’a progressivement placée au centre même de sa construction philosophique. La vénération des divinités astrales conditionne à ses yeux non seulement l’acquisition de la sagesse philosophique, mais aussi la vertu des citoyens et la sauvegarde des cités. Resterait à se demander en quoi l’astrologie religieuse de Platon est l’héritière de certains penseurs qui l’ont précédé et aussi quelle est sa dette, s’il en est une, envers l’Orient. Mais ce sont là deux sujets qui mériteraient bien à eux seuls tout un colloque. Bibliographie Boyancé, P. 1952 : La religion astrale de Platon à Cicéron, dans Revue des Études Grecques, 65, 312-350. Boyancé, P. 1966 : L’Apollon solaire, dans Mélanges Jean Carcopino, Paris, 149-170. Brisson, L. 1992 : Timée-Critias, Paris. Burkert, W. 1985 : Greek Religion. Archaic and Classical, Harvard (original : Griechische Religion, Berlin, 1977 ; traduction française de Bonnechere, p. 2011 : La religion grecque à l’époque archaïque et classique, Paris). Carone, G. R. 1997 : The ethical Function of Astronomy in Plato’s Timaeus, dans T. Calvo et L. Brisson (éd.), Interpreting the Timaeus-Critias, Sankt Augustin, 341-349. Cornford, F. M. 1937 : Plato’s Cosmology, Londres. Cumont, F. 1912 : Astrology and Religion Among the Greek and Romans, New York. (Traduction française due à F. Cumont lui-même et publiée pour la première fois, avec un chapitre inédit, par I. Tassignon 2000 : Astrologie et religion chez les Grecs et les Romains, Bruxelles-Rome).
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Cumont, F. 1935 : Les noms des planètes et l’astrolâtrie chez les Grecs, dans L’Antiquité classique 4, 5-44. des Places, É. 1969 : La religion grecque, Paris. Diès, A. 1927 : Autour de Platon, t. II, Paris (réédition : 1972, Paris). Festugière, A. J. 1949-1954 : La révélation d’Hermès Trismégiste, 4 vol., Paris. Laurent, J. 2003 : La beauté du dieu cosmique, dans J. Laurent (éd.), Les dieux de Platon, Caen, 25-40. Lefka, A. 2011 : Les divinités traditionnelles dans l’œuvre de Platon, Paris. Moreau, J. 1939 : L’Âme du Monde de Platon aux Stoïciens, Paris. Moreau, J. 1967 : Le sens du Platonisme, Paris. Pradeau, J.-F. 2003 : L’assimilation au dieu, dans J. Laurent (éd.), Les dieux de Platon, Caen, 41-52. Praet, D. et Bakhouche, B. (éd.) 2015 : Bibliotheca Cumontiana, Scripta Minora, 4, Turnhout. Reverdin, O. 1945 : La religion dans la cité platonicienne, Paris. Robin, L. 1935 : Platon, Paris. Solmsen, F. 1942 : Plato’s Theology, New York. van Riel, G. 2013 : Plato’s Gods, Ashgate.
LE CULTE SOLAIRE D’APOLLON Éric Raimond L’appartenance d’Apollon à la catégorie des divinités solaires a souvent été défendue, dès la seconde moitié du XIXe siècle par l’École de Max Müller. Tôt, il fut comparé1 au dieu Rudra, qui possède l’arc d’Indra dans le Rig Véda, mais aussi à Surya, le dieu Soleil de l’hindouisme, dont le culte aurait été importé en Inde par des prêtres mazdéens, selon le témoignage de l’astrologue du VIe siècle Varahamihira. En dépit des similarités entre Apollon et le dieu archer Rudra, dont il avait connaissance, Max Müller2 s’est efforcé d’expliquer l’étymologie d’Apollon par le sanskrit Apa-var-yan « ouvreur de porte ». Il a ainsi interprété le théonyme dans le sens de « celui qui dissipe les ténèbres » ou « les nuages » et « répand » ou « dispense la lumière », ce qui serait caractéristique des divinités védiques de la lumière3. Son interprétation du mythe d’Apollon et Daphné relèverait d’une allégorie de la rencontre entre le Soleil du matin (Phoibos) et l’Aube (Daphné)4. Les épiclèses de Thyraios et de Propylaios attribuées conventionnellement à Apollon seraient dues à la localisation de ses statues à proximité des portes et avoir signifié primitivement, avant même l’érection de ces dernières, le sens « d’ouvrir les portes du ciel »5. Ulrich von Wilamowitz-Möllendorf a observé Apollon dans l’Épopée et relevé qu’il n’y était point lié à la musique, n’avait pas de relation avec des mortelles et n’y énonçait pas de prophétie6. Au chant I de l’Iliade, Apollon descendant de l’Olympe plein de courroux (v. 44), pour se venger du rapt de Chryséis, serait pareil à la nuit, ce qui ferait obstacle à ce qu’il incarnât le Soleil7. Cet argument ne me paraît toutefois pas convaincant. Le coucher de soleil est souvent perçu comme une descente et les religions du Proche Orient ancien vénéraient des divinités « Soleil de la Terre », personnifiant l’astre lorsqu’il passe sous l’horizon et laisse ainsi la place aux ténèbres nocturnes. Dans cet épisode de l’Iliade, l’Archer vient de ses traits déclencher la peste en raison de l’irrespect dont a manifesté Agamemnon à l’égard du prêtre Chrysès, lorsqu’il a refusé à celui-ci la rançon apportée en échange de sa fille (v. 94-95). Si Apollon ne fait pas nécessairement 1 Kuhn 1859, 8-9 ; Müller 1897, 703-705 ; Maury 1857, 127-128 ; Ronchaud 1875, 312 ; West 2007, 148-150 cités par Konaris 2015, 118 et note 345. 2 Müller 1897, II, 692 cité par Konaris 2015, 119, note 346. 3 Müller 1897, II, 692, 695 cité par Konaris 2015, 119 et note 347. 4 Müller 1856, 92-93 et 1897, II, 696, van den Bosch 2002, 283-285 cités par Konaris 2015, 119. 5 Müller 1897, II, 692-693 cité par Konaris 2015, 119-120 et note 353. 6 Wilamowitz-Möllendorf 1908, 28. 7 Wilamowitz-Möllendorf 1908, 29. Astra et religio. Aspects particuliers des astres dans les religions de l’Antiquité méditerranéenne, René Lebrun et Étienne Van Quickelberghe (éd.), Turnhout: Brepols, 2017, p. 39-45 FHGDOI 10.1484/M.HR-EB.5.115198
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songer à l’astre du jour en une pareille situation, ses flèches en revanche paraissent aussi redoutables que les rayons du soleil. Parallèlement à la tradition homérique, c’est peut-être la mystique orphique qui est à l’origine de la conception d’Apollon comme divinité solaire. Si l’on en croit Eschyle, en effet, Orphée honorait Hélios comme le plus grand des dieux et lui avait donné le nom d’Apollon. Dans Prométhée, les rayons du soleil sont qualifiés de phoiboi. Selon Walter Otto, « c’est ainsi que s’instaura l’image saisissante selon laquelle Apollon, grâce aux accents de sa lyre, maintient l’univers dans l’harmonie de son mouvement. Le plectre dont il frappe n’est autre que la lumière du soleil »8. Dans la lignée de l’école de Max Müller, Wilhelm Heinrich Roscher9 a étayé cette idée de la nature solaire primitive d’Apollon à partir de l’étude de plusieurs épiclèses forgées à partir de la racine indoeuropéenne *luk, telles que Lukeios ou Lykegénès, mais aussi de Phoibos « le brillant », dont il vient d’être question, ou d’Eôios / Enauros « (dieu) de l’aube » ou de Chrysokomas « aux cheveux d’or ». Cette théorie d’un Apollon, dieu Soleil, est tombée en désuétude en particulier dans l’historiographie française au profit d’autres aspects de la figure divine. Ainsi, Georges Dumézil s’est intéressé à la Voix de l’Apollon délien, dont il trouve l’inspiration dans un hymne védique. Marcel Détienne a mis en exergue les côtés sombres d’Apollon. Et, plus récemment, Philippe Monbrun, à la recherche de « l’être profond » du dieu, s’est attaché d’abord aux premiers attributs que l’Hymne homérique confère à ce dernier dès sa naissance : l’arc et la lyre. Et c’est ainsi davantage l’Apollon archer, pareil à l’adepte du Kyudô décrit par Herrigel, le dieu des arts et de la musique ou encore celui qui dévoile les desseins infaillibles de Zeus, la divinité oraculaire, qui se présente à nos regards10. Alain Moreau fait un peu figure d’exception, lorsqu’à rebours de l’opinio communis selon laquelle les aspects solaires du culte apollinien seraient tardifs, il identifie cinq motifs iconographiques permettant de relier le dieu au soleil11. : – La lumière : Φοῖβος est accolée à Apollon dès l’Iliade12. Chez Eschyle, Prométhée est « brûlé des feux flamboyants du soleil (ἡλίου ϕοίβῃ ϕλογί) »13. Dans l’Hymne homérique à Apollon, le dieu est un « astre » (Ἀστήρ) dont l’éclat (σέλας) allait jusqu’au ciel. Or Astèr désigne les étoiles et sélas qualifie notamment la lumière du jour et le soleil. 8 Otto 1929 (1984), 98, avec réf. aux Bassares, tragédie d’Eschyle aujourd’hui perdue ; Eschyle, Prométhée, 22 ; Orphée, Hymnes 34, 16 sqq. ; Séythinos, frg. 14. 9 Roscher 1890-1897, sv. Apollo. 10 Dumézil 1987 ; Detienne 1998 ; Monbrun 2007 ; Herrigel 1970 (2015). Pour une publication commode des oracles d’Apollon, on pourra se reporter utilement à Savignac 1989. 11 Moreau 1996. 12 Dès 1.43 puis vingt-neuf fois. 13 Eschyle, Prométhée, 22.
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– Les flèches : les épiclèses homériques montrent qu’Apollon est l’archer divin par excellence : ἀργυρότοξος, κλυτόξος, ἕκατος, etc. Or, chez Empédocle, Hélios « décoche ses rayons acérés », il est ὀξυβελής14. – La roue et le disque : dans la plupart des civilisations anciennes, la roue (évidée ou avec des rayons) ou le disque sont des symboles solaires. Or, la roue à quatre rayons est représentée sous le trépied delphique. La roue est aussi figurée dans les illustrations des Euménides d’Eschyle, lors de l’épisode d’Oreste réfugié à Delphes. – Le cheval : le char d’Hélios attelé de quatre chevaux est présent dans les hymnes homériques15. Or, les Leukippides, filles de Leukippos (« cheval blanc ») sont filles d’Apollon dans les Chants Cypriens de Stasinos de Milet. Honorées en Laconie et mises en relation avec les Hyacinthies d’Amyclées, elles avaient des prêtresses dites aussi Leukippides. L’une des deux Leukippides se nommait Phoibè. – Le nombre sept : Hélios eut sept fils de la nymphe Rhodos. C’est le 7 de chaque mois qu’on sacrifie à Apollon « à Sparte et à Éleusis, qu’on célèbre ses grandes fêtes, Thargélies, Pyanopsies, Delphinies, Délies à Côs, son épiphanie et sa naissance à Délos et à Delphes. C’est le jour où parle la Pythie »16. En Lycie, l’un des pays de naissance reconnus d’Apollon à l’époque hellénistique, quelques représentations de figures masculines radiées ou laurées, sur des monnaies de cette époque, laissent peut-être reconnaître un Apollon Soleil. Le droit de deux monnaies d’Arykanda17, émises aux IIe-Ier siècles av. J.-C., portent en effet l’effigie d’une tête d’homme radiée identifiable à un dieu Soleil, cependant que le revers représente Apollon. On peut envisager ici que ces monnaies aient figuré deux aspects d’Apollon, comme on le voit, par exemple, sur deux monnaies de bronze du Kragos, émises par le Koinon des Lyciens18. Une inscription de Patara19 mentionne un syncrétisme entre Hélios et Apollon, impliquant très certainement que ce dernier était alors considéré comme un dieu Soleil. A Sura, Apollon semble aussi très lié au dieu solaire gréco-asianique Sôzôn20. À Chypre, la présence d’un Apollon Lykios dans une dédicace de Mersinaki pourrait prolonger ce culte solaire, en dépit des objections de Yannick Vernet21
14 Empédocle, B 40 D-K. 15 Hymne à Déméter, 69 ; Hymne à Hermès, 69 ; Hymne à Hélios, 9. 16 Delcourt 1955, 190. 17 BMC Lycia, 44, n° 1-2 : identification à Sozôn (suvie par Frei 1990a, 1827, sv. « Sozon 48.1.1 ». 18 BMC Lycia, 53, n° 18-19, pl. XI.11 : tête d’Apollon laurée au droit, le dieu en pied tenant vraisemblablement une lyre, au revers. 19 TAM II, 403 (IIe siècle p. C.) : dédicace « au Théos Sôter Hédraios Asphalès, à Poséidôn Hédraios et à Hélios Apollon. 20 Bean 1962, 7, n°7 et 8 ; Robert 1963, 173, n°253 ; Raimond 2004, 198. 21 Vernet 2015, 251 sqq.
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qui part du principe que le « dieu n’avait pas à l’origine un culte solaire ». Certes, les témoignages de cet aspect primitif d’Apollon semblent parfois ténus, subtils, sujets à interprétation. Pour autant, ce principe, en dépit du nombre de ses défenseurs, me paraît devoir être nuancé, ne serait-ce qu’en raison des arguments avancés par Alain Moreau. Nul ne doute de ce qu’Apollon ait pu recevoir des attributs solaires. Mais le caractère tardif des sources, souvent de l’époque hellénistique, a souvent conduit à exclure cet aspect de la nature primitive du dieu. Outre cet argument positiviste, c’est aussi l’image du dieu de la beauté, des arts et de la jeunesse de l’Hellénisme qui s’est imposée dans la culture, pour ne pas dire les préjugés courants, de la communauté scientifique. Ce débat de fond sur la nature primitive du dieu conduit alors à s’interroger sur l’origine même de la divinité et de son culte. Or, à cet égard, on retrouve le clivage ancien entre les tenants d’un Apollon authentiquement grec et un Apollon asianique. Au XIXe siècle, c’est surtout à la suite d’Ulrich von Wilamowitz-Möllendorf que l’hellénisme primitif d’Apollon a été mis en doute. Le savant allemand observait en effet à juste titre que le dieu avait pris le parti des Troyens contre les Grecs. Le débat contemporain a été renouvelé par le déchiffrement du Linéaire B et les progrès de la philologie hittite. La mention au datif [A]pe-ro2[ne] ? dans la tablette KN E 842.3, qui traite de livraison de nourriture aux sanctuaires, peut certes conduire à une identification à un *Apelyôn, forme archaïque d’Apollon mais le caractère fragmentaire du texte fait hésiter22. Nous avons plus de chance avec le Traité hittite conclu entre Muwatalli II et Alaksandu de Wilusa (Ilion)23. Le nom apparaît dans un contexte clairement établi : la liste des dieux garants du serment. Mais le texte est mutilé : après la mention du dieu de l’Orage, une longue lacune suggère que devaient être citées des hypostases de ce dernier, avant la mention […]ap-pa-li-u-na-aš. Aujourd’hui, un consensus semble être fermement établi pour considérer que cette séquence est le théonyme probable Appaliunas en lequel se laisse reconnaître un Apelyôn/Apollon dans ce texte du XIIIe siècle av. J.-C. Il y occupe la place attendue de la divinité solaire, qui, au sein des panthéons anatoliens, dispute la première place au dieu de l’Orage ou à une déesse Mère. Certes, il s’agit d’un hapax, ainsi que l’a notamment relevé Markus Egetmeyer, qui plaide en faveur de l’intrusion d’une divinité grecque, citant également à l’appui de son hypothèse un dieu de l’Ahhiyawa, autrement dit des Achéens, venant au secours de Muwatalli II malade24. En tant que tel l’argu-
22 Weilhardtner 2005, 43 ; Egetmeyer 2007, 208. 23 CTH 76 § 14 ; Beckman 1996, n°13, 82-88 ; Lebrun 1998, 156-157 ; Raimond 2004, 37. 24 Egetmeyer 2007, 208-209. L’argument linguistique avancé, selon lequel le hittite Appaliunas devrait se transformer en *Apelyônos en lieu et place d’Apelyôn, ce qui tendrait à prouver qu’Appaliunas serait une forme hittitisée d’Apelyôn (non encore attestée à cette époque) ne remporte guère l’adhésion. Le hittite connaît habituellement des formes pleines et des formes réduites.
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ment e silentio ne me convainc guère, pas plus d’ailleurs que l’unique mention d’un dieu de l’Ahhiyawa pour justifier la connaissance que les Hittites auraient eue de divinités grecques. J’ai déjà eu l’occasion de rapprocher l’Appaliunas de Wilusa avec l’Apollon homérique25. Rappelons simplement le lien particulier tissé entre le dieu et la Troade et la Lycie, que montre notamment la prière de Glaukos (Iliade 16, 508531). Surtout, Apollon Lykègénès y est le dieu personnel de l’archer Pandaros, Lycien établi en Troade, dans la « sainte cité de Zeléia » mais proclamant être venu de Lycie, fils d’un vieux guerrier Lykaon, dont le nom, attesté dans l’anthroponymie hittite (mLukkawani) signifie « habitant du Lukka ». L’interprétation de l’épiclèse Lykégénès a été souvent débattue, renvoyant au champ lexical de la lumière ou au loup, avant que ne s’impose la traduction de « natif du Lukka ». Or, ce toponyme hittite renvoie lui-même à Lukkat « au petit matin » et ainsi à cette fameuse racine indoeuropéenne *Luk. Aussi, ces premières mentions du théonyme suggèrent fortement que le dieu avait été un dieu anatolien, dont le nom évoque la lumière du matin, à l’instar des épiclèses grecques de Phoibos et d’Eôios / Enauros, que j’évoquais en préambule ; ce dieu ayant vraisemblablement occupé dans le panthéon wilusien (troyen) la place du dieu Soleil. On pourrait objecter à bon droit que la prétendue origine anatolienne d’Apollon ne reposerait ici que sur un hapax, dont la validité comme preuve de l’origine géographique du dieu ne fait pas l’unanimité. Toutefois, et nous retrouvons ici les arguments anciens, chers à Ulrich von Willamowitz-Möllendorf26, les sanctuaires apolliniens mentionnés dans l’Iliade appartiennent à l’orbite anatolienne. Delphes et son trésor ne sont cités que dans un poème qui n’a rien à voir avec le reste de l’Épopée et qui a toute chance d’être une interpolation. En revanche, Délos, qui est tenue en grande estime et apparaît comme le premier lieu de naissance grec du dieu, participe de la même aire géographique que les grands sanctuaires anatoliens : Klaros, Caucasa, Didymes ou la lycienne Araxa, également lieu de naissance mythique d’Apollon27. Le lien du dieu avec l’Anatolie serait confirmé par une inscription d’Argos, présentant Léto comme « asiatique »28. De fait, Léto est liée à la Crète orientale, où la cité de Lato tire son nom de la déesse et en Lycie29. Il est également intéressant de remarquer qu’Apollon est, peu après l’époque homérique, désigné par son métronyme (Létoïde)30, ce qui évoque la matrilinéarité lycienne.
25 Raimond 2004, 133-135 et 192 ; 2004b, 134 ; 2011, 330-332 ; Lebrun & Raimond 2015, 82. 26 Wilamowitz-Möllendorf 1908, 29. 27 TAM 2.174 ; Raimond 2004, 141-144 et 192. 28 Wilamowitz-Möllendorf 1908, 31, mentionnant une inscription « inédite ». 29 Cf. West 1995, 98-99. 30 Wilamowitz-Möllendorf 1908, 32.
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Enfin, on se souviendra que les fêtes apolliniennes ont lieu pendant les saisons chaudes de l’année. Les compromis théologiques31, auxquels étaient arrivés les clergés de ses principaux sanctuaires à l’époque hellénistique, indiquent que, retiré pendant l’hiver chez les Hyperboréens ou en Lycie à Patara, des fêtes célébraient son retour et c’est alors qu’on chantait un Péan. La naissance d’Apollon prend ainsi place aux printemps. Également Dieu de l’été, il préside aux maladies que développe la chaleur (c’est d’ailleurs lui qui déclenche la peste dans l’Iliade) et guérit ces dernières. Il atteint sa maturité en trois jours et incarne beauté et jeunesse immortelles : des caractéristiques particulièrement attendues chez un dieu solaire. En conclusion, on aurait tort d’enterrer si facilement la nature solaire primitive d’Apollon. Certes, les indices sont souvent ténus et le dieu, à la fois lointain comme tout archer mais dont la voix porte, est aussi proche de l’humanité et de ses institutions. Caractérisé dès l’Iliade comme un dieu-archer, ses flèches sont pareilles aux puissants traits du soleil et sa proximité avec Zeus rappelle à bien des égards le panthéon de Wilusa, que domine le Dieu de l’Orage secondé par un Appaliunas qui a toute chance d’être le dieu Soleil. Bibliographie Bean, G. E. 1962 : « Report in a Journey in Lycia 1960 », AAWW, 99, 4-9. Beckman, G. 1966 : Hittite Diplomatic Texts, Atlanta. Delcourt, M. 1955 (rééd. 1981) : L’oracle de Delphes, Paris. Detienne, M. 1998 : Apollon le couteau à la main, Paris. Dumézil, G. 1987 : Apollon sonore et autres essais, esquisses de mythologie, Paris, 2e éd. Egetmeyer, M. 2007 : « Lumière sur les loups d’Apollon », RANT 4, 205-219. Herrigel, E. 1970 (rééd. Dervy 2015) : Le Zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc, Paris. Konaris, M. D. 2015 : The Greek Gods in Modern Scholarship : Interpretation and Belief in Nineteenth and Early Twentieth Century Germany and Britain, Oxford . Kuhn, A. 1859 : Sagen, Gebräuche und Märchen aus Westfalen, Leipzig. Lebrun, R. 1998 : « L’identité des Troyens », Quaestiones Homericae, LouvainNamur, 149-161. Lebrun, R. & E. Raimond 2015 : « Les divinités et les cultes en Lycie », Studia de Lycia antiqua, Hethitica 17, 79-116. Maury, .A 1857 : Histoire des religions de la Grèce antique, Paris. Monbrun, P. 2007 : Les Voix d’Apollon : l’arc, la lyre et les oracles, Rennes. Moreau, A. 1996 : « Quand Apollon devint Soleil », Les Astres, 1, p. 1-33. Müller, F. M. 1856 : Comparative Mythology, London. 31 Parke 1985, 256 ; Raimond 2004, 77.
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ÉPIMÉNIDE, LE « CRÉTOIS CNOSSIEN », FILS DE LA LUNE* Patrick Marchetti Épiménide est surtout connu par le célèbre paradoxe sur les Crétois menteurs que nous a transmis Saint Paul dans son Épître à Tite : Krètes aei pseustai … On en a conclu qu’il était un « crétois » lui-même, avec d’autant plus de conviction que de rares témoignages ou fragments tantôt le rattachent à Cnossos1, tantôt le présentent comme un fils de Phaistos2 ou un habitant de la ville homonyme3, et qu’il avait écrit des Krétika, mais aussi un ouvrage sur Minos et Rhadamanthe dont nous ne connaissons pas le contenu4, sans que cela suffise toutefois à contester que les protagonistes en soient de « purs » Crétois insulaires, surtout depuis que la brillante civilisation crétoise du IIe millénaire a été baptisée, un peu vite, « minoenne ». En réalité, s’il est beaucoup question de la Crète dans l’œuvre attribuée à Épiménide, ce n’est pas de la Crète insulaire qu’il s’agit, mais d’une Crète plus insolite nichée au cœur du Péloponnèse, sur les pentes du mont Lycée, si insolite à vrai dire qu’elle est oubliée ou négligée par ceux qui ont réalisé les meilleures études sur les fragments du sage5. Il est pourtant bien difficile de nier les « évidences » péloponnésiennes dans l’œuvre d’Épiménide et de ne pas rattacher en priorité à la Crète arcadienne – qui doit son nom aux pasteurs « mangeurs de
* Cet article prolonge celui que nous avons donné dans une précédente livraison : Marchetti 2015, que nous supposerons connu et auquel nous éviterons de renvoyer trop souvent, pour ne pas heurter la susceptibilité de ceux qui réprouvent les “auto-citations” (le début de la présente contribution en reprend l’essentiel). Par ailleurs, pour ce travail aussi, nous avons tiré grand parti des études rassemblées dans le beau volume consacré au sage : Federico et Visconti (éd.), 2001. 1 Bernabé 2007, II/3, Epimenides 1 T (biographie de Diogène Laërce, sur laquelle voir Gigante 2001), 2 T [Souda], 3 T [Plut.], 6 T [Pline, Paus.]. La réédition des fragments par A. Bernabé, dans le prolongement de la fragmentation précédemment en vigueur, complique l’analyse des témoignages : trop de passages qui proviennent d’une même source sont disloqués. Le sérieux, toutefois, avec lequel cette réédition a été menée nous dispense ici de fastidieuses références que l’on trouvera efficacement réunies dans les abondantes notes critiques qui jalonnent l’apparat. Nous avons résolument accordé la priorité aux sources antiques pour ce qui se veut une nouvelle analyse prospective (un regard « ingénu », en somme, à partir des seules sources), avant un ouvrage d’ensemble sur Épiménide. Une bibliographie récente sur le sage est fournie par A. Bernabé, dans Bernabé 2007 II/3, 106-107. 2 Bernabé 2007, 1 T, l. 2 ; 2 T, l. 1. 3 Bernabé 2007, 3 7, l. 6 ; 4 T, l. 2. 4 Pour le fragment, voir Bernabé 2007, 133-134, 136, et Mele 2001, 232. Notre ignorance du contenu était déjà soulignée par Demoulin 1901, 128. 5 Demoulin 1901 (le seul ouvrage, à ma connaissance, entièrement consacré par un seul auteur au sage), puis essentiellement Federico et Visconti (éd.), 2001 où on lira surtout l’étude de A. Mele, qui s’est employé à distinguer systématiquement les traditions crétoises des réminiscences arcadiennes. Astra et religio. Aspects particuliers des astres dans les religions de l’Antiquité méditerranéenne, René Lebrun et Étienne Van Quickelberghe (éd.), Turnhout: Brepols, 2017, p. 47-69 FHGDOI 10.1484/M.HR-EB.5.115199
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viande » (κρέας6) qui l’habitent – tout ce que, sans surprise, les Crétois insulaires ont ensuite détourné vers eux, au premier chef tout ce qui concerne la naissance des dieux7 et celle du Zeus « crétois »8 en particulier. Le glissement d’une Crète à l’autre a pu tirer parti de la présence, de part et d’autre, de toponymes identiques, mais aussi des traditions sur la colonisation crétoise à partir du Péloponnèse et des cités de l’Arcadie en particulier. Au moment du déchiffrement du grec mycénien, J. Chadwick9 avait fait justice des toponymes grecs révélés dans les tablettes de Cnossos, en quelques phrases dénuées d’ambiguïté. Il lui paraissait incontestable, en effet, que ces toponymes grecs et par-dessus tout le nouveau nom de l’île, « Crète », ne pouvaient avoir été introduits que par les Mycéniens en même temps que leur langue, autrement dit qu’ils avaient été par eux transférés de Grèce en « Crète ». Cette analyse limpide et définitive rendait compte des liens de toute nature qui rattachaient la Crète à l’Arcadie. Elle est d’autant plus incontestable que la nouvelle Crète, celle que l’on dénommera « minoenne », n’avait pas pour autant éradiqué la plus ancienne, celle du Péloponnèse10, bien attestée dès le IIe millénaire11. Celle-ci était située en un lieu qui plus tard, au Ier millénaire, serait habité par un personnage célèbre, un sage éminent, auteur d’œuvres aussi novatrices et révolutionnaires que les poèmes 6 Comme cela est dit en toutes lettres dans le lemme Κρῆτες de l’Et. Magnum : παρὰ τὸ ἐπὶ κρέασι βιοτεύειν. 7 Diodore, V, 60 ss., inscrit clairement son histoire de la religion grecque dans ce schéma crétois et révèle ainsi que cette tradition avait acquis à cette époque ses lettres de noblesse, sans toutefois abuser Virgile : dans l’Én., III, 121-161, Énée s’installe en Crète, convaincu qu’il y retrouvera ses ancêtres arcadiens, mais une épidémie relayée par un songe l’informe que ceux-ci se trouvent en Hespérie, sur le site de la future Rome où il les retrouvera effectivement. Impossible de comprendre cette subtile mise en scène si l’on ignore que la Crète véritable et primitive était en Arcadie, car les Crétois que recherche Énée chez Virgile sont les Arcadiens installés désormais au Palatin (< Pallantion), ceux qu’Évandre y a conduits. 8 Un Zeus définitivement identifié comme le plus jeune des trois Zeus de la tradition grecque, résumée, à l’époque même de Diodore, par Cicéron, De natura deorum III, 21 : Principio Ioues tres numerant ii, qui theologi nominantur, ex quibus primum et secundum natos in Arcadia, alterum patre Aethere, ex quo etiam Proserpinam natam ferunt et Liberum, alterum patre Caelo, qui genuisse Mineruam dicitur, quam principem et inuentricem belli ferunt, tertium Cretensem Saturni filium, cuius in illa insula sepulcrum ostenditur. Le sanctuaire arcadien de ce Zeus crétois, aussi appelé Lykaios, fait depuis quelques années l’objet de fouilles américano-grecques du plus haut intérêt, voir e.a. Romano et Voyatsis 2010. 9 Chadwick 1973, 139 : « A glance at a classical dictionary is sufficient to disclose that in ancient Greece, as in every country, a number of places bear the same name » et p. 140 : « another difficulty that must be faced is the habit of migrants taking the name of their towns with them… ». 10 La Crète insulaire n’a, en effet, jamais totalement oblitéré tout ce qu’elle devait à la Crète arcadienne, comme en font encore foi notamment Callimaque (Hymnes, I) d’un côté, Pausanias (VIII, 38.3) de l’autre. 11 Le nom « Crète » est indirectement attesté dans les documents mycéniens sous la forme de l’adjectif (?) Ke-re-si-jo we-ke (Κρησιο-ϝεργής ? « de fabrication crétoise », voir F. Aura Jorro, Diccionario Micénico I [Madrid, 1985], p. 348, à rapprocher de ke-ra-e, ibid., p. 344) notamment associé à ti-ri-po. On ne manquera pas de relever que le mot se trouve dans les tablettes de Pylos, ce qui, loin de suggérer un renvoi à une « Crète » insulaire, convient assurément mieux à la Crète péloponnésienne, de tout temps pays de pasteurs, « mangeurs de viande », donc aussi à l’époque mycénienne. Que l’adjectif soit accolé au mot ti-ri-po ne laisse pas d’être intéressant.
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d’Hésiode, des œuvres destinées avant tout aux pasteurs pour leur faire adopter un nouveau mode de vie basé sur l’agriculture et les civiliser en les regroupant en cités. Cette révolution, les pasteurs conquérants du Péloponnèse – auxquels s’adresse Épiménide – l’introduisirent dans l’île de Crète, à l’époque archaïque, au moment de la seconde colonisation de l’île, alors envahie à nouveau par des Grecs, doriens cette fois et non plus mycéniens12. Le succès des réformes menées en Crète insulaire, autant que l’abondance des documents épigraphiques qu’on y a exhumés, sont tels que c’est la « seconde » Crète que l’on tient aujourd’hui comme le berceau des réformes13, alors qu’elles sont l’œuvre d’un « Crétois » certes, Épiménide, mais qui n’a certainement jamais posé le pied dans l’île et dont l’enseignement initial doit, de ce fait, remonter avant sa colonisation par les Doriens14. L’ancrage péloponnésien d’Épiménide est si fort qu’il oblige à le faire vivre et « dormir » en Arcadie avant tout, tandis que son emprise puissante sur Argos et Sparte – les deux villes se disputaient le privilège d’abriter la sépulture du sage – proclame clairement qu’il est au service des Doriens. Et on peut même, sans hésiter, conclure que le Minos d’Épiménide doit lui aussi être étranger au départ à l’île de Crète, comme en faisait état une tradition ancienne que le temps a lentement érodée, mais pas assez pour que Strabon n’en soit plus informé : « une partie des auteurs considère Minos comme un étranger arrivé en Crète, l’autre partie comme un autochtone »15. Et à bien lire Strabon, il apparaît assez clairement que l’un des responsables de la dérive de Minos vers l’île de Crète fut Éphore. Quoi qu’il en soit, la qualité de « cnossien » reconnue au « crétois » Épiménide d’une part et l’existence d’une Cnossos16 dans l’île de Crète d’autre part, sont des preuves suffisantes pour que nous inscrivions au nombre des réalités arcadiennes rares ou disparues une « Cnossos » ou, à tout le moins, un endroit où vivait une communauté de Cnossiens, à laquelle a appartenu Épiménide et dont le nom pourrait être moins banal qu’il y paraîtrait. 12 À tel point qu’on ne peut parler du Péloponnèse sans évoquer la Crète ou inversement : un bel exemple en est fourni par la manière dont en traite Baladié 1980, 3-4 et n. 12. 13 Voir e.a. Willets 1967, Van Effenterre & Ruzé 1994-95, et récemment Gagrin & Perlman 2015 (texte et traduction de 200 inscriptions échelonnées de 650 à 400 av. J.-C.). 14 Depuis Demoulin 1901, on a tendance à dater assez bas la vie d’Épiménide. Nous ne croyons pas utile d’en débattre : tout ce que nous savons de la Théogonie d’Épiménide s’y oppose. La solution de l’imbroglio chronologique me paraît simple : plusieurs personnages ont porté le nom d’Épiménide, qui avaient en commun de propager la doctrine du fondateur de la « secte ». Nous nous intéressons, ici, au fondateur de la lignée ou à l’enseignement qu’on lui prête – que ses successeurs ont pu amplifier. C’est lui toujours que nous visons ici, pas ceux qui plus tard interviendront dans l’histoire athénienne (sauf pour ce qui concerne le culte des Semnai Theai à Athènes, qui, en tant que tel et indépendamment de la date de leur insertion dans le tissu athénien, remonte aux origines de la pensée épiménidéenne). 15 Strabon, X, 4.8, trad. F. Lasserre (PUF). 16 Qui s’appela d’abord « Kairatos », comme le rappelle le même Strabon : ἐκαλεῖτο δ’ ἡ Κνωσσὸς Καίρατος πρότερον ὁμώνυμος τῷ παραρρέοντι ποταμῷ.
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1. Épiménide, un « crétois Cnossien » d’Arcadie Le toponyme « Cnossos » accroché à Épiménide ne laisse pas d’être intéressant. Son étymologie peut sembler a priori obscure17, si l’on rattache le suffixe en -(s)sos à une origine pré-hellénique. Dans le cas présent toutefois, ce suffixe -(s) sos pourrait bien nous induire en une grave erreur, s’il nous pousse à négliger en aval une racine grecque des plus intéressantes. Il existe, en effet, en grec un verbe κνώσσω qui pourrait avoir généré un adjectif dérivé, du type κνώσσιος18. La qualité première d’un « Cnossien » comme Épiménide le désignerait dès lors moins comme un homme « de Cnossos », que comme un « dormeur », car le verbe κνώσσω qui n’est attesté qu’au thème du présent, s’emploie pour évoquer un sommeil profond propice à l’apparition de songes19, comme celui par lequel, chez Pindare20, Athèna encourage Bellérophon à dompter Pégase, en s’adressant « à lui dans les ténèbres de son sommeil » (ἐν ὄρφνᾳ κνώσσοντί οἱ). Si l’on tient que knôssios pourrait être un dérivé à partir de knôss-, l’élément -ss- provenant du radical lui-même, cela ferait donc d’Épiménide un sage appartenant à une communauté de « dormeurs » ou qui aurait vécu au pays où les « dormeurs » sont visités et instruits dans leur sommeil, ce qui constitue l’élément le plus marquant de sa biographie21 : Épiménide, en effet, aurait dormi dans une grotte pendant … 57ans22 avant de se réveiller et d’instruire les hommes. Le sommeil de notre sage l’installe évidemment au cœur de la Nuit, cette Nyx qui dans sa cosmologie est, nous le verrons, l’élément premier à la découverte duquel une longue anamnèse nourrie de songes l’aurait conduit, au royaume de la Lune, « l’oeil de la Nuit », de Sélénè qui visite ses amants dans des grottes, ainsi quand elle y retrouve Endymion, ou mieux encore Pan23 17 Ce m’est un plaisir de remercier mon collègue H. Seldeslachts pour sa réponse à une consultation du 22 juillet 2016. 18 Que nous préférons accentuer de la sorte (?), comme ἄγριος, avec iota bref, plutôt que κνωσσίος comme le toponyme. 19 Chantraine 2009, 528. 20 Ol. XIII, 70-71 (100-101). 21 Not. Bernabé 2007, II/3, 1 T, ll. 4-7 ; 2 T, l. 3 ; introduction au fragment 6 F (citation de Burkert, not.) et 6 F…, voir Scarpi 2001, 25-35. 22 Et non 40 ans comme dans Marchetti 2015, 87 (correction indue ?). L’immersion au coeur de la nuit et dans le sommeil est un des modes les plus prisés des consultations oraculaires. Tout ce qui entoure le sommeil d’Épiménide se retrouve souvent, en filigrane, dans un des oracles les mieux étudiés du monde grec, celui de Trophonios de Lébadée, auquel Bonnechère 2003 a consacré une volumineuse et très pertinente étude. La comparaison systématique dépasse évidemment le cadre de la présente étude. On consultera aussi avec profit les nombreuses contributions au thème de la “catabase” rassemblées dans Bonnechère et Cursaru 2015. 23 Voir les références données par Mele 2001, 242, n. 101 (not. Virg., Géorg. III, 391-393, qui insiste sur le caractère arcadien du dieu : deus Arcadiae), et Jost 1985, 460-461, qui oppose le Pan frère d’Arkas et
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qui – dans la tradition épiménidéenne – est un jumeau d’Arkas24, distinct de l’Aigokérôs/Aigipan25. 2. Le « Cnossien » fils de la Lune Le « cnossien » Épiménide, plongé dans un sommeil de 57 ans au creux d’une grotte, était si proche de Sélénè qu’il se présentait lui-même comme « de race lunaire »26 (F 33 Bernabé) : καὶ γὰρ ἐγὼ γένος εἰμὶ Σελήνης ἠυκόμοιο ἥ δεινὸν φρίξασ᾽ ἀπεσείσατο θῆρα λέοντα, ἐν Νεμέαι δ᾽ ἄγχουσ᾽ αὐτὸν διὰ Πότνιαν Ἥραν « Car je suis le rejeton de Sélénè à la belle chevelure, de celle qui d’une secousse a expulsé en frissonnant l’effrayant lion sauvage, à Némée, l’étreignant (?) par la volonté (?) d’Héra toute puissante … »
Cette filiation qui relie Épiménide au Lion de Némée27, mais aussi à la Lune, confirme l’ancrage péloponnésien d’Épiménide. Nul besoin d’épiloguer sur le lion de Némée ; par contre il vaut la peine d’insister sur le lien privilégié que les Arcadiens entretenaient avec Sélénè et qui est subtilement confirmé par le qualificatif que l’on donnait aux Arcadiens : προσελήναιοι28, « antérieurs à la Lune ». Même si cette qualité fit parfois, avec le temps, l’objet de sarcasmes, elle n’en soulignait pas moins, par le port de chaussures à lunules - celles-ci appelées σεληνίδες
l’Aigokérôs, ce dernier rattaché à la Crète parce qu’Épiménide le fait naître sur l’Ida de Crète. Comme la Crète d’Épiménide est arcadienne, cette Ida ne peut être qu’un sommet du Lycée, oblitéré comme le furent la Crète et la Cnossos d’Épiménide. Il est d’ailleurs plus d’un Ida. Que le toponyme crétois vienne d’Arcadie ne devrait plus être mis en doute ; quant à l’Ida de Phrygie, il pourrait bien, lui aussi, entretenir avec l’Ida d’Arcadie un lien étroit, du même type que celui qui relie Énée à l’Arcadie. 24 Nés l’un et l’autre des amours de Zeus et de Kallistô, voir Bernabé 2007, II/3, 60 F (scholie à Théocrite). 25 Bernabé 2007, II/3, 37 F, commenté par Mele 2001, 234 et 254 not., qui oppose, sans raison, ici comme ailleurs, la théogonie arcadienne à la « crétoise ». Aigokérôs est aussi connu de l’Orphisme (Bernabé 2007, II/2, F 742 et 778, l. 51). 26 Ce qui a peu retenu les exégètes, sinon pour inscrire Épiménide dans la tradition de Musée et le dater tardivement (voir Breglia 2001, 296). 27 Chez Hésiode (Th. 327), le lion naît d’Échidna et d’Orthos – comme d’autres monstres qu’affrontera Héraklès –, Orthos étant issu lui-même d’Échidna et de Typhon. Cf. Tortorelli Ghidini 2001, 62-63. On relèvera qu’Épiménide, lui, fait naître Échidna de l’union de Peiras avec Styx, fleuve infernal, ce qui nous renvoie d’emblée au Tartare, (voir infra). Le lien de Némée avec la Lune – et à ce titre indirectement avec Épiménide – est encore confirmé par l’une des filiations qui fait de Néméa une fille de Zeus et Sélénè, d’après une scholie à Pindare (Scholia Vetera III, rec. A. B. Drachmann, hypothesis c, l. 22). Voir RE, II A 1, s.v. Selene, col. 1138. 28 Voir les références données par LSJ, s.v. προσέλην-ος, not.
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- la grande antiquité et la noblesse des plus anciens Arcadiens, comme le rapporte Plutarque29, et avant tout ceux de la descendance d’Évandre (ce qui explique que les sénateurs romains portaient des senelides accrochées à leurs chaussures), c’està-dire ces Péloponnésiens qu’Énée « l’Arcadien » retrouva à Rome … après avoir cru, à tort lui aussi, que le pays de ses ancêtres était l’île de Crète30. Le pays de la Lune, duquel Épiménide était originaire, n’était autre que l’Arcadie31. Sélénè ne peut être ici qu’une déesse ailée – qui traverse l’air – et ovipare puisqu’elle accouche en frissonnant et en se secouant, c’est-à-dire à la manière d’un oiseau dont les Anciens avaient noté ce comportement, ainsi que l’a judicieusement expliqué L. Breglia Pulci Doria32. En l’état du fragment, le sens du dernier vers n’est pas évident : ἄγχουσ᾽ αὐτόν évoque une pression, un étranglement, ce qui fait songer à la lutte qui opposa le lion à Héraklès du fait d’Héra33, mais – puisque le fragment s’arrête avec Héra – peut-être vaut-il mieux retenir la correction de Bentley reprise par F. Jacoby34 : άγουσ᾽ αὐτόν, au sens de : « le faisant monter (depuis le royaume de la Nuit ?) », soit : « lui donnant vie » par la volonté d’Héra. Pour l’heure relevons avant tout que la naissance singulière du lion de Némée – il jaillit d’un œuf lunaire – sur le mont Apesas, appelé aussi Selenaion35, met singulièrement en perspective l’enseignement cosmologique et les réformes religieuses d’Épiménide. La seule image de l’œuf, en effet, nous renvoie, entre autres, aux Orphiques36, chez qui l’œuf « cosmique » est engendré par Chronos (Χρόνος). Se pourrait-il qu’il en soit de même chez Épiménide ? Que dans sa pensée Sélénè lui fût associée ? Du moins, cette fois, au Kronos en lequel Épiménide voyait le père de l’Aphrodite d’or, des Moires et des Érinyes, comme il est dit dans une scholie à Sophocle37, pour expliquer la transformation du nom d’Érinyes en Euménides38 : 29 Plutarque, Moralia 282a. 30 Voir ci-dessus n. 7. 31 Les détails livrés par Ovide, dans les Fastes, I, 469 ss., à la date des Carmentalia, sont d’une étonnante pertinence. 32 Dans sa riche et stimulante étude (« Osservazioni sulla Teogonia di Epimenide »), intégrée à Federico et Visconti (éd.), 2001, not. p. 297. 33 Là-dessus voir l’apparat de Bernabé. 34 FGrH 457, F 3 (voir apparat critique pour d’autres corrections : not. ἀγαγοῦσ᾽ Schoemann ἄγουσ᾽ Gesner, et aussi l’apparat de Bernabé 2007, II/3, p. 135). 35 Comme le rappelle Mele 2001, 243 (réf. n. 115-116). Sur le mont Apesas régnait Zeus Apesantios auquel Persée fut le premier à sacrifier, comme le dit Pausanias, II, 15.3. Sur le qualificatif Selenaion donné au mont Apesas : Ps.-Plut. De Fluuiis 18.4. 36 Les études sur l’Orphisme sont légion et si nous évoquerons cette tradition à plus d’une reprise (à partir de témoignages ponctuels), nous n’entendons pas ici y plonger. Pour l’histoire des travaux et des découvertes, on peut lire Radcliffe-Edmonds 2013, 11-70 et 392-399. 37 In Soph. Oed. Col. 42 (Papageorgios, 1889) = FGrH 457 F 7, voir le texte cité intégralement par Mele 2001, 277 = Bernabé 2007 II/3, 51 F, dans l’apparat à 51 (I). 38 La scholie évoque aussi la consécration par Oreste d’une brebis noire en leur sanctuaire de Kérynia du Péloponnèse.
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Ἐπιμενίδης Κρόνου φησὶ τὰς Εὐμενίδας· ἐκ τοῦ καλλίκομος39 γένετο χρυσῆ Ἀφροδίτη Μοῖραί τ᾽ ἀθάνατοι καὶ Ἐρινύες αἰολόδωροι. Épiménide dit les Euménides filles de Kronos : de lui sont issus Aphrodite d’or à la belle chevelure, mais aussi les Moires immortelles et les Érinyes aux présents variés.
L’œuf nous renvoie aussi à Léda, aimée d’un dieu métamorphosé en cygne (un Zeus/oiseau40), mais surtout – derrière Léda qui n’est au départ qu’une mère adoptive – à Némésis41 expulsant, elle aussi, à la manière d’une Sélénè/oiseau, un oeuf duquel sortit Hélène, puis, en une version plus élaborée quand Léda remplaça Némésis, deux paires mâle-femelle : Hélène et Pollux42 d’une part, Clytemnestre et Castor d’autre part. Cet œuf était si important dans les cités doriennes qu’on en suspendit un dans le sanctuaire de Léda à Sparte43, près du mnéma d’Épiménide, au voisinage d’Aphrodite et des Moires dont l’association évoquée par Épiménide – mais aussi par Hésiode où elles naissent de la mutilation d’Ouranos, soit de son sang répandu sur terre (les Érinyes), soit des bourses jetées à la mer (Aphrodite)44 – se trouve confirmée dans le tissu religieux de Sparte45, tel que le décrit Pausanias qui met les deux entités divines en relation directe avec Épiménide.
39 Le qualificatif καλλίκομος que donnait Épiménide à Aphrodite dans le fragment cité plus haut n’est pas sans rappeler l’épithète appliquée par le même Épiménide à Sélénè (Bernabé 2007, II/3, 33 F, supra), quand il se disait γένος Σελήνης ἠυκὀμοιο, mais elle est toutefois trop banale pour être vraiment significative. 40 Ils sont nombreux les dieux suprêmes à s’être appelés « Zeus ». Le Zeus « crétois » d’Épiménide n’est que le plus jeune d’entre eux, comme le rappelait Cicéron, De Natura Deorum, III, 21 (cité n. 8). Le plus ancien de tous est celui issu d’Aither, un Aither qui en sa qualité d’entité ou de principe cosmique, n’est guère éloigné de la Nuit en laquelle se meut Sélénè. Il en est même le symétrique, en quelque sorte. De l’œuf lunaire duquel sortit le Lion de Némée ou de celui de Kronos, duquel émergèrent Aphrodite, les Moires et les Érinyes (voir infra), celui de Léda, enceinte d’un Zeus transformé en oiseau, n’est pas différent. Avec Sélénè (qui se meut dans l’Aer), Kronos ou un Zeus issu d’Aither, nous sommes au début du cycle générationnel qui succéda à la délimitation du cosmos. 41 La légende centrée sur Léda ne peut faire oublier la version concurrente qui identifie la parèdre d’un Zeus métamorphosé en cygne à Némésis qui prit la forme d’une oie, voir LIMC IV/1, p. 498, et Severyns 1928, 266-271. Léda n’est alors qu’une mère adoptive, comme cela était clairement représenté sur le trône de Némésis à Rhammonte, cf. LIMC IV/1, p. 505 (Hélène n. 11). Or, qui est Némésis, sinon une fille de la Nuit ? Autrement dit mutatis mutandis une « autre » Sélénè. 42 Proches de la paire mâle-femelle d’Akousilaos, décrite comme Érèbe (mâle) et Nuit (femelle), voir infra. 43 Pausanias, III, 16.1. 44 Pour les Érinyes (qu’accompagnent dans cette naissance sanglante les Géants et les Nymphes Méliennes), Th. 183-187 ; pour Aphrodite, Th. 188-195. 45 Pour tout ce qui est relatif dans ce qui suit à la topographie de Sparte, nous ne pouvons que renvoyer à l’analyse plus fouillée que nous en avons proposée dans Marchetti & Kolokotsas 1995, 200-220.
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3. Épiménide, Aphrodite et les Moires à Sparte L’Aphrodite « d’or » née de Kronos doit être cette Aphrodite « Olympienne » originaire du Lycée46 que Pausanias dit avoir été introduite à Sparte par Épiménide47, celle qui s’éprit de passion pour Adonis48, l’Aphrodite que l’on retrouve en compagnie de son amant à Argos49, un amant qui est le père de Phoinix, le grand-père d’Europa, celle-ci mère de … Minos, pour lequel on le voit une naissance péloponnésienne convient mieux, en un tel contexte, qu’une ethnicité « crétoise minoenne ». Il n’est pas moins remarquable de noter que la seconde référence que fait le Périégète à Épiménide associe cette fois le sage aux Moires : c’est dans les Éphoreia, en effet, que les Spartiates ont, d’après Pausanias50, consacré le mnéma d’Épiménide, donc près des Moires51. Cette concaténation qui à Sparte associe Épiménide à Aphrodite autant qu’aux Moires fait du F 51 Bernabé un élément incontestablement essentiel de la théogonie du sage. À ce point il vaut la peine aussi de relever un autre détail sur Aphrodite à Sparte : c’est une Aphrodite Énoplios52 que l’on retrouve associée aux Moires Lacheseis (et à Asclépios Schoinatas) dans une prêtrise commune d’époque impériale, articulée autour de sanctuaires de l’Hélos (ἐν τῷ Ἕλει)53. En poussant un peu plus loin encore l’analyse de la topographie spartiate, on découvre aussi que le temple d’Aphrodite en armes est voisin d’un xoanon d’Aphrodite-Héra. Comment douter que derrière cette Aphrodite-Héra se profile en réalité la Potnia par la volonté de laquelle Sélénè engendra le lion de Némée : διὰ Πότνιαν Ἥραν, comme on pouvait lire dans le F 33 (Bernabé) cité plus haut ? Une Héra (uel Aphrodite-Héra) dont Zeus est proche, évidemment : ce ne peut être que le Zeus « Olympien »54 associé à la fameuse Aphrodite « Olympienne » de Pausanias. Nous sommes là, du fait même de la généalogie particulière du Lion de Némée chez Épiménide (issu, rappelonsle, de Sélénè), dans une strate profonde de la cosmologie archaïque55.
46 Le qualificatif « olympienne » est à prendre ici comme un renvoi à l’Olympe d’Arcadie, qui n’est autre que le Lycée, ainsi que nous l’apprend Pausanias, VIII, 38.3. 47 Pausanias, III, 12.11. 48 Comme le conclut très judicieusement Mele 2001, 252-253. 49 Voir Marchetti & Kolokotsas 1995, 244-246. 50 Pausanias, III, 11.11. 51 Signalées juste auparavant par Pausanias, III, 11.10. 52 Vénérée dans tout le Péloponnèse dorien, à Argos, Épidaure, Sparte, Corinthe, ce qui explique que les poètes, depuis Homère, en fassent volontiers l’amante d’Arès. 53 Nous ne pouvons là-dessus que renvoyer à notre analyse dans Marchetti & Kolokotsas 1995, 213214. Voir aussi Hupfloher 2000, 75-81 pour les Moires et Aphrodite Énoplios. 54 Qui doit ici son nom à l’Olympe péloponnésien et non à celui de Thessalie. 55 Si le père de cette Aphrodite « d’or » est Kronos il ne peut qu’être proche du Chronos de l’orphisme qui engendra un oeuf duquel sortit Éros, ce dernier qui donna à son tour naissance à la Lune et au Soleil, puis à la Nuit. Ici en lieu d’Éros nous aurions Aphrodite, les Moires et les Érinyes.
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C’est en Péloponnèse qu’il faut rechercher les traces de cette génération divine où Aphrodite, mais aussi Zeus – un premier Zeus très ancien56, à ne surtout pas confondre avec le Zeus « crétois » – sont associés aux Moires et aux Érinyes57, divinités infernales qui séjournent au royaume de la Nuit, au pays de … Sélénè. Il ne faut pas chercher ailleurs qu’en Arcadie les meilleurs témoignages d’un lien étroit entre ces entités primordiales. Il suffit d’ouvrir le livre de Madeleine Jost58 pour les relever : à Lykosoura, un Zeus Moiragétès vénéré en compagnie des Moires au sanctuaire de Despoina ; à Phigalie, une Déméter Érinys (Mélaina) à laquelle Zeus – Moiragetès, penserons-nous – dépêche les Moires pour apaiser son courroux ; à Telphoussa la même Déméter Érinys qu’à juste titre M. Jost relie à l’antique Érinys attestée dans les tablettes mycéniennes, ce qui assurerait de la présence très ancienne d’Érinye(s) en cette contrée59. Qu’une Érinu soit connue des textes mycéniens de Cnossos ne doit pas surprendre : c’est là, sans plus, une confirmation des rapports qu’entretiennent, dès l’époque mycénienne, les populations grecques du Péloponnèse et de Crète. Les Érinyes et les Moires ont leur séjour dans les Enfers, entre l’Érèbe et le Tartare, où a pris forme chez Épiménide l’œuf originel, au royaume de la Nuit qu’Aristophane, dans les Oiseaux60, évoque en ces termes : « dans le sein infini (en apeirosi kolpois) d’Erèbe la Nuit aux ailes noires produit un œuf sans germe duquel naquit Éros dans le cours des saisons ». De retrouver dans la cosmologie d’Épiménide une Sélénè/oiseau, mais aussi aux origines du monde Nuit, Aer et Tartare ne peut que nous encourager à approfondir le lien qui unit Épiménide à la Lune ailée, pour tenter de mieux cerner les « révélations » qui nourriront son enseignement, fruit des songes entrevus au cours de son long sommeil « lunaire »61.
56 Celui issu d’Aither chez Cicéron (voir texte cité n. 8). 57 L’association Érinyes-Moires est confirmée notamment par Eschyle (Prom. 516), comme le signale M. Tortorelli Ghidini 2001, 67, n. 105, tandis que les trois (Aphrodite-Érinyes et Moires) s’entrelacent aussi chez Hésiode, comme le résume bien Mele 2001, 251-252 : « in Esiodo Afrodite nasce dal seme dell’evirato Urano (v. 188-200), finito in mare ; le Moire sono figlie della Notte (v. 217) o di Zeus e Themis (v. 904) ; le Erinni sono figlie della Terra e del sangue di Urano (v. 185) … ». 58 Jost 1985, 172 (Lykosoura), 314 et 469 (Phigalie), 391ss. (Telphoussa) respectivement. 59 Sur les liens des Érinyes et des Moires avec Zeus, analysés dans une tout autre perspective, voir dernièrement Doyen 2011, 98-100, dont tout l’ouvrage est à méditer, tant il renouvelle l’étude des panthéons péloponnésiens et athénien. 60 Ornithes, v. 694-695, passage à rapprocher de l’initiation racontée dans les Nuées, celle-ci remarquablement commentée par Bonnechère 2003, 132ss. 61 La faculté de passer d’un état de conscience à un autre d’inconscience, qui le caractérise éminemment, est d’ailleurs une manière de décrire une « maladie » appréciée des Anciens, l’épilepsie, que l’on appelait sélénitès et qui donnait à ceux qui en étaient affectés un authentique don de divination et de prédiction, car elle permettait à de rares humains privilégiés d’entrer en contact avec le monde des dieux, voir Breglia 2001, 284.
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4. La lune et la cosmologie d’Épiménide Le fragment qui nous instruit le mieux de la cosmologie transmise par le sage provient d’un résumé qu’en a proposé Damascius dans son De Principibus et qui se présente ainsi, dans l’édition de Bernabé (46 F = Westerink) : Τὸν δὲ Ἐπιμενίδην δύο πρώτας ἀρχὰς ὑποθέσθαι, Ἀέρα καὶ Νύκτα, δηλονότι σιγῇ τιμήσαντα τὴν μίαν πρὸ τῶν δυεῖν· ἐξ ὧν γεννηθῆναι Τάρταρον οἶμαι τὴν τρίτην ἀρχήν, ὥς τινα μικτὴν ἐκ τῶν δυεῖν συγκραθεῖσαν· ἐξ ὧν δύο Tiνας62 τὴν νοητὴν μεσότητα οὕτω καλέσαντα, διότι ἐπ᾽ ἄμφω διατείνει τό τε ἄκρον καὶ τὸ πέρας, ὧν μιχθέντων ἀλλήλοις ᾠὸν γενέσθαι τοῦτο ἐκεῖνο τὸ νοητὸν ζῷον ὡς ἀληθῶς, ἐξ οὗ πάλιν ἂλλην γενεὰν προελθεῖν.
J. Combès traduit ainsi : « Quant à Épiménide, [Eudème dit qu’] il a supposé deux premiers principes, l’Air et la Nuit, après avoir honoré, par le silence évidemment, l’unique principe antérieur aux deux ; de ces derniers, il a fait naître le Tartare comme troisième principe, je pense, parce que celui-ci est un principe mixte formé du mélange des deux ; à partir de quoi, il a fait naître deux Titans, en appelant ainsi la médiation intelligible, parce qu’elle se tend vers les deux [extrêmes] ensemble, le sommet et la limite inférieure, et, du mélange de ces derniers l’un avec l’autre, il a fait naître cet Œuf qui est ce véritable Vivant intelligible, dont a procédé à son tour une autre génération. »
La traduction de J. Combès suppose que la proposition infinitive par laquelle débute le passage de Damascius est introduite par une référence implicite à Eudème [« Eudème dit que »], une autorité ancienne qui a poussé plus d’un philologue à s’intéresser de près à un texte qui introduit dans la cosmologie d’Épiménide deux Titans desquels jaillirait l’œuf de la génération. Au point où nous sommes parvenus, nous pourrions donc être vraiment tenté d’identifier ces deux Titans à Kronos et à la Lune dans la mesure où la Sélénè d’Épiménide est une déesse ovipare, tandis que c’est de Chronos/Kronos63 que jaillit l’œuf chez les Orphiques – comme le mentionne Damascius lui-même64 –, mais aussi les Moires et les Érinyes chez Épiménide : un Kronos père de l’œuf n’est-il pas le parèdre idéal de Sélénè ? Encore faut-il, toutefois, que deux entités originelles « titanesques », soient bien réelles chez Épiménide. Or, rien n’est moins sûr.
62 Vieille correction de Kroll (Philologus 53, 1894, 425-6) au manuscrit qui donne à lire ici τινας. 63 La confusion Kronos/Chronos ne nous paraît pas décisive et pourrait d’ailleurs n’être apparue qu’au moment de la transmission des enseignements respectifs. Un Kronos aussi ancien que celui d’Épiménide ne peut pas être déjà un Titan, s’il n’y a pas de Titans issus du Tartare, comme nous le démontrons ensuite. 64 III, p. 162 Westerink (l’édition reprise dans PUF et que traduit Combès).
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Une telle mention de deux Titans issus de la Nuit est un hapax et même un pseudo-hapax, car dans le texte de Damascius qui les fait apparaître, ils proviennent d’une correction de τινας en Τινας. Dès lors qu’une origine aussi singulière de deux Titans anonymes, au tout début de la genèse du monde, perturbe toute l’histoire connue des Titans, une telle intervention sur le texte est-elle raisonnable ? Le lien établi entre le nom de Titans et le verbe apoteinein suffit-il à l’autoriser et à tenir Τινας pour une correction « palmaire »65 ? Il suffit, à vrai dire, de confronter le texte de Westerink avec sa traduction par J. Combès pour constater qu’une telle transposition pose plus de problèmes qu’elle ne résout d’apories. Peut-on, en effet, faire dépendre toute la phrase grecque qui commence par une proposition infinitive de l’expression κατὰ τὴν Εὐδήμου ἱστορίαν, qui clôture l’exposé précédent relatif à Akousilaos et qui serait comme un rappel du renvoi à Eudème 30 lignes plus haut ? Une telle syntaxe, brutale et en soi peu crédible, entraîne de singulières conséquences : si les propos qui suivent viennent d’Eudème, ils remonteraient à un résumé de la théorie épiménidéenne élaboré au IVe siècle av. J.-C., alors que tout ce qui l’encadre est essentiellement d’allure néo-platonicienne, d’où l’embarras de F. Jacoby qui préférait rejeter comme interpolations tout ce qui manifestement ne pouvait être de la main d’Eudème ou s’intégrer à un résumé ancien d’une théorie cosmologique, ce qui aboutit dans FGrH à un texte ainsi présenté66 (où je souligne les passages qui constituent le coeur de la référence et que l’on peut, d’après Jacoby, attribuer à Eudème) : Τὸν δὲ Ἐπιμενἰδην δύο πρώτας ἀρχὰς ὑποθέσθαι Ἀέρα καὶ Νύκτα … ἐξ ὧν γεννηθῆναι Τάρταρον [[οἶμαι τὴν τρίτην ἀρχήν, ὥς τινα μικτὴν ἐκ τῶν δυεῖν συγκραθεῖσαν]], ἐξ οὗ δύο Tiνας [[τὴν νοητὴν μεσότητα οὕτω καλέσαντα, διότι ἐπ᾽ ἄμφω διατείνει τό τε ἄκρον καὶ τὸ πέρας]], ὧν μιχθέντων ἀλλήλοις ᾠὸν γενέσθαι …, ἐξ οὗ πάλιν ἂλλην γενεὰν προελθεῖν.
Comme on le voit, il faut beaucoup éliminer, mais aussi corriger, notamment le deuxième ἐξ ὧν en ἐξ οὗ pour pouvoir rattacher la deuxième relative à Τάρταρον et être ainsi en mesure, sans heurter la syntaxe, d’intégrer à ce texte « mutilé » la correction Tiνας. À ce prix F. Jacoby, notamment, pouvait analyser l’enseignement d’Épiménide de la sorte : des deux principes premiers, Aer et Nuit, serait né Tartaros, puis de celui-ci deux Titans dont l’union engendra l’oeuf, duquel est issue la suite des générations. Tel est le consensus qui a fini par s’établir, que défend A. Bernabé et qui a guidé les analyses de la plupart des chercheurs, ceux notamment qui ont contribué au beau volume Epimenide Cretese. La restitution de deux 65 Cf. Bernabé 2001, 202-205, qui intègre à l’analyse les textes qui, comme ceux de Hésiode, Eschyle ou Pindare, rattachent le nom des Titans à des racines grecques. 66 FGrH 457, F 4a.
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Titans n’en reste pas moins choquante, car ou l’on mutile le texte, comme le fait F. Jacoby, ou l’on se résout à éditer une phrase du type ἐξ ὧν δύο Tiνας τὴν νοητήν μεσότητα οὕτω καλέσαντα, qui, du seul point de vue syntaxique, reste une aberration, outre que la répétition à si peu de distance de ἐξ ὧν (ἐξ ὧν γεννηθῆναι … d’un côté, ἐξ ὧν δύο … de l’autre) ne laisse pas de surprendre et se révèle impossible à conserver en l’état si l’on s’efforce de traduire et non de forcer, en guise de traduction, ce qui est en réalité une interprétation. Un texte qui intègre δύο Tiτᾶνας est donc, en l’état, trop compliqué pour qu’on l’accepte sans frémir. Le même texte deviendrait limpide, par contre, si précisément on en supprimait le seul passage aberrant, soit ἐξ ὧν δύο τινας67. En s’obstinant à corriger δύο Tiνας, on néglige aussi de tirer parti du parallèle qui, chez Damascius – c’est, ne l’oublions pas, du De Principibus que provient le fragment que nous analysons –, est établi entre Akousilaos et Épiménide et qui saute aux yeux dès que l’on rapproche les deux phrases introductives : Ἀκουσίλαος δὲ Χάος μὲν ὑποτίθεσθαί μοι δοκεῖ τὴν πρώτην ἀρχήν… Τὸν δὲ Ἐπιμενίδην δύο πρώτας ἀρχὰς ὑποθέσθαι, Ἀέρα καὶ Νύκτα …
Pourquoi introduire la théorie prêtée à Akousilaos par un μοι δοκεῖ si tout doit venir d’Eudème, comme pour Épiménide ? Il était bien sûr impossible de prêter à Eudème un développement qui faisait du Chaos un « premier principe ». Et il ne peut qu’en aller de même pour l’Aer et la Nuit décrits comme les « deux premiers principes » d’Épiménide. Logiquement l’infinitive Τὸν δὲ Ἐπιμενίδην … ὑποθέσθαι devrait dépendre d’une expression ou d’un verbe de même portée que le μοι δοκεῖ, tel, tout simplement, l’οἶμαι que nous lisons un peu plus loin : … ἐξ ὧν γεννηθῆναι Τάρταρον οἶμαι…, même si sa place dans la phrase surprend. Restructurer en ce sens est à tous points de vue bien plus économique que de rattacher l’exposé à un « Eudème a dit que », soit : Τὸν δὲ Ἐπιμενίδην δύο πρώτας ἀρχὰς ὑποθέσθαι, Ἀέρα καὶ Νύκτα, …, ἐξ ὧν γεννηθῆναι Τάρταρον οἶμαι τὴν τρίτην ἀρχήν : « (je pense que) Épiménide a institué l’Aer et la Nuit comme les deux premiers principes … desquels je pense (de même) est né le Tartare comme troisième principe ». Il en découle que le Tartare est la τρίτη ἀρχή. C’est le rapport étymologique établi entre Τιτᾶνες et la définition que donne Damascius de la mesotès (διότι ἐπ᾽ ἄμφω διατείνει τό τε ἄκρον καὶ τὸ πέρας) qui a amené Jacoby, Westerink 67 Remarquons qu’avec ἐξ ὧν δύο τινας nous ne sommes pas très éloignés de ἐξ ὧν δuεῖν (au lieu de δυοτιν : δυῖν ou mieux δυοῖν), suivi d’un signe diacritique (?) lu comme ας. En ce cas, le ἐξ ὧν δύο τινας se révèlerait n’être, bel et bien, qu’une interpolation pour expliciter le ἐξ ὧν γεννηθῆναι et préciser que le pluriel ὧν renvoie aux deux (d’où l’ajout de δuεῖν au génitif ) premiers principes que sont Aer et Nuit. Il est troublant, en effet, que cette expression ἐξ ὧν δύο τινας reprenne exactement les mêmes éléments que ἐξ ὧν [γεννηθῆναι Τ…, ὥς] τινα [μικτὴν] ἐκ τῶν δυεῖν. Supprimer < ἐξ ὧν δύο τινας > est assurément l’intervention la plus économique et la plus logique sur un texte qui en l’état n’est pas satisfaisant.
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et A. Bernabé68, notamment, à accepter l’antique correction de Kroll69 au texte de Damascius. Ce faisant on brûle les étapes. Il est nécessaire, préalablement à toute analyse de διότι ἐπ᾽ ἄμφω διατείνει τό τε ἄκρον καὶ τὸ πέρας, de comprendre le mode même d’analyse néo-platonicienne mise en œuvre ici par Damascius. 5. Les Titans dans la cosmologie d’Épiménide scrutée par Damascius L’essentiel pour Damascius est de saisir comment de l’Un (apeiron dont, en tant que tel, on ne peut rien appréhender, qui est donc insaisissable et dont on ne parle pas, car il est ἄρρητος70, tout en précédant nécessairement la dyade de laquelle doit surgir un troisième principe) jaillit la diversité (qui devient intelligible parce que fondée sur plusieurs termes, comme mâle et femelle, réunis par une médiété, tel idéalement Éros). Et pour le théologien Damascius la diversité idéale est évidemment triple ou trimorphe. C’est à démontrer qu’il en fut toujours ainsi chez les penseurs qui l’ont précédé qu’implicitement s’emploie Damascius et non à résumer, pour les opposer, les discours cosmologiques des uns et des autres. Tout son exposé est donc construit sur le retour régulier de quelques notions essentielles, dont les archai et la noétè mesotès, qui ne sont évidemment pas des notions présentes chez les auteurs de cosmologies auxquels il renvoie, comme l’a bien souligné Bernabé71. C’est aussi dans sa logique néo-platonicienne72 que Damascius exploite les notions d’akron et de peiras indissociables de leur antithèse qu’est l’apeiron. Chez Damascius les notions de « limite » (peiras) et d’illimité (apeiron) ne sont pas anodines et une citation extraite du livre II du De Principibus73 nous livre aisément la clé interprétative pour comprendre les analyses des cosmologies anciennes par Damascius : « tout comme la quasi-totalité des philosophes [philosophes et non poètes, relevons ce « détail »] … jugent bon de poser une dyade après le principe proclamé unique (μετὰ τὴν μίαν ὑμνουμένην ἀρχήν), devons-nous pareillement la poser ? Et pourquoi pas, pourrait-on dire ? En effet, qu’est-ce qui devait procéder après l’un, sinon le deux … ? C’est ainsi qu’Orphée … Outre ces 68 Voir notamment l’analyse qu’en propose Bernabé 2001, 202-205. 69 Voir réf. n. 63. 70 Cf. III, 161, 1 : Τὴν δὲ μίαν πρὸ τῶν δυεῖν ἄρρητον ἀφίησιν, à propos de la théologie orphique rapportée par Hiéronymos et Hellanicos. 71 Dans Bernabé 2001, 197-198, dont l’analyse – même si nous nous en écartons – reste stimulante et abondamment documentée. 72 La « littérature » orphique est assez riche pour qu’on le vérifie aisément, en s’aidant de l’index de PEG Bernabé qui a pris soin de ne pas recenser les testimoniorum verba, ce qui nous permet de constater que akron est d’un emploi somme toute banal, tandis qu’une référence intéressante à peiras se cache dans un fr. de Linos (Bernabé 2007 II/3, Linus 81 F < Stobée, Flor., parallèle au F orphique Bernabé 2007 II/1, 111 F). 73 P. 24 Westerink.
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traditions, c’est là une exigence de la raison elle-même, puisque l’être est formé de limitant et d’illimité [et nous ne pouvons que souligner], comme le dit Platon dans le Philèbe… (ἐπειδή ἐστι τὸ ὄν ἐκ πέρατος καὶ ἀπείρου, ὡς ἔν τε Φιλήβῳ λέγει ὁ Πλάτων) » 74. L’unité suivie de la dyade et les notions de peras et d’apeiron sont ici des concepts qui guident l’évaluation critique par Damascius des plus anciens systèmes cosmologiques. Il suffit de confronter le commentaire qu’il propose du système d’Akousilaos75 avec celui relatif à Épiménide pour que cela apparaisse dans toute sa force : – d’un côté Akousilaos : Ἀκουσίλαος δὲ Χάος μὲν ὑποτίθεσθαί μοι δοκεῖ τὴν πρώτην ἀρχήν… τὰς δὲ δύο μετά τὴν μίαν, Ἔρεβος μὲν τὴν ἄρρενα, τὴν δὲ θήλειαν Νύκτα, ταύτην μὲν ἀντὶ ἀπειρίας, ἐκείνην δὲ ἀντὶ πέρατος· ἐκ δὲ τούτων φησὶ μιχθέντων Αἰθέρα γενέσθαι καὶ Ἔρωτα καὶ Μῆτιν, τὰς τρεῖς ταύτας νοητὰς ὑποστάσεις, τὴν μὲν ἄκραν Αἰθέρα ποιῶν, τὴν δὲ μέσην Ἔρωτα κατὰ τὴν φυσικὴν μεσότητα τοῦ Ἔρωτος, τὴν δὲ τρίτην Μῆτιν … « Acousilaos me paraît supposer comme premier principe « Chaos » … et que les deux autres après l’unique sont l’Érèbe, le (principe) mâle, et la Nuit, le (principe) femelle, celle-ci au titre de l’infinité, celui-là au titre de la limite76 ; de l’union de ces derniers [Érèbe et Nuit], dit-il, sont nés l’Aither, Éros et Mètis, les trois hypostases intelligibles ; il fait de l’Aither l’hypostase supérieure, d’Éros l’intermédiaire, conformément à la médiation naturelle d’Erôs, et de Mètis la troisième… »
Les éléments décisifs sont (1) la recherche d’une triade articulée sur un principe unique sans limites (Chaos), suivi d’une dyade de deux indissociables (Érèbe et Nuit) qui structurent en quelque sorte un espace limité par l’Érèbe et occupé (ou rempli) par la Nuit, au départ d’une entité informe et infinie (Chaos) ; (2) le jaillissement, ensuite, d’une authentique triade, engendrée cette fois, dont l’élément supérieur (ἄκρα ὑπόστασις) est l’Aither, tandis qu’Éros y joue son rôle naturel d’intermédiaire et que Mètis, par déduction nécessaire, représente l’élément inférieur, du côté donc du monde souterrain ; (3) la mise en route à partir d’eux d’un processus générationnel ; – de l’autre, Épiménide (texte cité plus haut) : dans l’exposé sur Épiménide, Damascius ne trouve pas l’équivalent du Chaos et est condamné à débuter son exposé en partant d’une dyade (Aer et Nuit). Cela le trouble et l’amène à imaginer que ce serait par respect ou superstition face à l’un (« insaisissable », rappelons-le) qu’il n’en aurait 74 Trad. J. Combès. 75 C’est le passage qui précède immédiatement dans De Principibus III, p. 163-164 Westerink, celui relatif à Épiménide cité plus haut, soit III, 163, l. 19 à 164, l. 5. 76 Interprétaton quelque peu aventureuse de Damascius, si l’on garde en mémoire comment Aristophane évoquait la naissance de l’Oeuf : en apeirosi kolpois d’Érèbe.
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pas fait état, mais il est évident que l’Un originel (Chaos) est, comme tel, secondaire pour expliquer la genèse du monde : ce qui importe est d’en sortir. Parti sur une dyade, Damascius doit logiquement la compléter et en fait donc surgir le Tartare comme troisième principe (qu’il identifie effectivement comme τρίτη ἀρχή, issu d’un mélange des deux premiers), en traitant implicitement (la comparaison avec Akousilaos est suffisamment nette ici) la Nuit de principe femelle et l’Aer de principe mâle. Introduire dans cette cosmologie deux Titans est clairement une aberration, surtout si l’on fait de ces deux Titans « la » νοητὴ μεσότης, laquelle ne peut être ici que « le » troisième principe : issu des deux préexistants c’est en réalité le Tartare qui constitue de fait cette « médiété ». C’est en tout cas en tenant le Tartare pour la médiété intermédiaire que celle-ci est de nature à distendre l’akron et le peiras, c’est-à-dire de fixer des limites à ce qui n’en avait pas encore, en étirant l’espace en profondeur (to akron renvoie aussi bien à celui qui est au sommet qu’à ce qui est au plus bas) et en fixant une limite (to peiras) au royaume de la Nuit qui, chez Akousilaos, est l’élemenτ ἀντὶ ἀπειρίας. C’est alors sans peine que l’on peut voir dans le Tartare, du côté de l’akron, le lieu symétrique de l’Aither, identifié chez Akousilaos comme l’ἄκρα ἀρχή. Il suffit ensuite de se remémorer les vers d’Hésiode pour vérifier à quel point le Tartare, en effet, est une délimitation idéale du monde. N’est-il pas écrit dans sa Théogonie (720-722) « qu’une enclume d’airain tomberait du ciel durant neuf jours et neuf nuits, avant d’atteindre le dixième jour à la terre ; et, de même, une enclume d’airain tomberait de la terre durant neuf jours et neuf nuits, avant d’atteindre le dixième jour le Tartare » (trad. P. Mazon) ? Le Tartare n’est-il pas, bien mieux que deux hypothétiques Titans, l’akron (entendu ici comme le point le plus profond) et le peiras77 (la limite extrême) parfaits d’un monde issu de l’Aer et de la Nuit ?
Il n’est donc pas besoin de Titans pour saisir la portée du diateinei … Et puisque le Tartare « brumeux » (Τάρταρος est qualifié chez Homère ou Hésiode d’ἠερόεις/ἀερόεις, l’épithète soulignant bien le rapport à l’Aer78) marque avant tout la limitation du royaume de la Nuit « brumeuse », c’est en quelque sorte en resserrant la brume de la Nuit qu’il prend forme et se dessine pour fixer les bornes du cosmos (les peirata, les τάρταρα γαίης), dans sa profondeur extrême. Définir une entité comme celle qui, s’appuyant sur l’Aer et la Nuit (ἐπ᾽ ἄμφω), étend l’akron et le peiras (διατείνει τό τε ἄκρον καὶ τὸ πέρας), c’est tout simplement décrire l’espace délimité par le Tartare lui-même. Une fois disparus les Titans d’Épiménide, le Tartare conçu comme marquant le peiras nous permet de résoudre une autre supposée aporie relevée dans le système théogonique d’Épiménide : l’ascendance d’Échidna. Ce monstre est habituellement tenu comme une créature ou de Phorkys uni à Céto79, ou encore du Tartare 77 Un Peiras limité de facto par le Styx effectivement. 78 Autant que la proximité qu’entretient Hésiode avec Épiménide dans la description des lieux de la Nuit. 79 Les références dans Roscher, s.v. (I/1, col. 1212-1213) et LIMC III/1, p. 678.
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ou de Styx unie à Pallas. Pausanias, toutefois, signale que chez Épiménide80 Styx ne s’unit pas à Pallas, mais à … Peiras et qu’Échidna est née de cette union, version singulière qui embarrasse les commentateurs, mais que nous n’avons pas de peine à comprendre, dès lors que nous voyons dans Peiras un autre nom du Tartare, de cette entité qui étend le peiras en prenant appui sur Aer et Nyx. Échidna, chez Épiménide, est alors, tout simplement, la fille de Tartare (alias Peiras) et de Styx, celle-ci qui constitue la frontière même du monde infernal étant à ce titre indissolublement liée au Tartare. 6. Le système de pensée des premiers cosmologues, dont Épiménide Il n’est plus temps de s’employer à opposer les « Orphiques » à Épiménide ou celui-ci à Musée, Linos ou Akousilaos, mais plutôt de souligner tout ce qui les rapproche. Un bel exemple en est donné par la comparaison de la cosmologie d’Épiménide avec celle de Musée : les trois éléments posés par Épiménide aux origines du cosmos – Nuit, Aer et Tartare – sont pratiquement identiques à ceux de Musée qui les présente dans cet ordre : d’abord Tartare et Nuit, ensuite Aer81, si l’on accepte d’insérer son nom dans un fragment de papyrus découvert à Herculanum, qui nous donne à lire ce passage tiré du De Pietate82 de Philodème : ἐμ μέν [τισι]ν ἐκ Νυκτὸς καὶ [Ταρ]τάρου λέγεται [τὰ π]άντα … ἐν δὲ τοῖς [ἀνα]φερομένοις εἰς [Μο]υσαῖον γέγραπται [Τάρτ]αρον πρῶτον [καὶ Ν]ύκτα καὶ [τρίτον] Ἀέρα γεγο[νέναι], ἐν δὲ τοῖς [εἰς Ἐπι]μενίδην [ἐξ Ἀέρος] καὶ Νυκτὸς [πάντα σ]υστῆναι [λέγεται]. « chez [eux] on dit que tout vient de Nuit et de [Tar]tare …, mais dans ce qui est [at]tribué à [Mu]sée il est écrit que surg[irent] [Tart]are en premier [et N]uit, et [en troisième position] Aer, tandis que dans ce qui est attribué [à Épi]ménide on dit que [tout est o]rdonné à partir [d’Aer] et de Nuit ».
La comparaison faite ici entre Musée et Épiménide, dans un condensé des théories cosmologiques anciennes ne manque évidemment pas d’intérêt, même si l’insertion du nom de Musée reste empreinte de quelque incertitude (mais on voit mal quel autre nom pourrait s’achever en -υσαῖον, même s’il faut pointer les deux premières lettres). Dans cette comparaison entre trois systèmes cosmologiques très proches, on remarquera que dans la dyade ou la triade originelle de Musée, c’est d’abord Nuit et Tartare qui jaillissent, accompagné d’Aer. Par contre, chez Épiménide il ne serait question que d’Aer et de Nuit, mais le premier 80 Bernabé 2007 II/3, 52 F (= Pausanias, VIII, 18.2). 81 Bernabé 2007, II/3, Musée 81 F. 82 Voir Mele 2001, 246-248. La citation complète s’obtient en combinant le 81 F de Musée et les deux dernières lignes du 46 F II d’Épiménide, dans l’édition Bernabé 2007, II/3.
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mot est restitué. Peu importe à vrai dire, car les trois systèmes qui sont comparés par Philodème intègrent en fait trois éléments identiques : Nuit, Tartare et Aer. Quant on lit que par comparaison avec les deux précédents systèmes, « tout est ordonné chez Épiménide à partir d’Aer (?) et de Nuit », il en découle que le Tartare, même s’il n’est pas nommé, doit constituer chez Épiménide le « troisième élément », la tritè archè ou la mésotès en langage néo-platonicien, en somme ce que dit aussi Damascius. Quant à la cosmologie d’Akousilaos – qui a priori devrait être très proche de celle d’Épiménide, tant la présence de ce dernier à Argos est importante – elle était construite, d’après Damascius, sur Chaos comme premier principe, suivi d’Érèbe (principe mâle) et de Nuit (principe femelle), desquels jaillit la triade constituée d’Aither, d’Éros et de Mètis. Il semblerait à première lecture que nous soyons assez éloignés d’Épiménide, mais il convient de relativiser : la Nuit y est tout aussi primordiale, et l’Érèbe, à ce stade archaïque du mythe, pourrait bien n’être qu’un autre nom du Tartare ; d’autre part notre connaissance de ce système, dès lors qu’elle dépend des ratiocinations de Damascius, est sujette à caution, comme on s’en convainc sans peine en confrontant le système d’Hésiode que nous connaissons directement avec le résumé qu’en donne Damascius : Hésiode83
et ce qu’il en reste chez Damascius84
Au début, le Chaos
Hésiode appelle Chaos la nature insaisissable de l’intelligible et en fait jaillir la Terre …
Puis la Terre et Éros Ensuite de Chaos naissent Érèbe et la Nuit
à moins qu’il ne fasse du Chaos le second des deux principes et de la Terre, du Tartare et d’Éros le triple intelligible, …
Et de Nuit : Aither et Hémerè puis Terre engendre Ouranos … Sans devoir pousser l’analyse, on voit qu’un gouffre sépare la narration hésiodique de son interprétation damascienne, non pas seulement dans la dimension référentielle (Tartare intervient chez Damascius alors qu’il est absent, à cet endroit, du mythe hésiodique), mais plus encore dans la manière dont Damascius exploite les éléments de la cosmologie hésiodique pour la plier à ses ratiocinations néo-platoniciennes. Qu’aurions-nous pu tirer de Damascius pour reconstituer
83 Th., 116-127. 84 De Principibus, III, 163 Westerink.
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le système d’Hésiode ? Toutefois, si l’on approfondit quelque peu la comparaison, en tenant compte de ce que Hésiode, ici, compacte deux systèmes cosmologiques différents (d’un côté, après le Chaos se met en place la Terre et jaillit Éros ; de l’autre, de Chaos naissent Érèbe et Nuit), on constate que le second n’est guère éloigné de la « triade » d’Épiménide (Aer, Nuit et Tartare). Le seul fait que Damascius confond l’Érèbe-Nuit d’Hésiode avec le Tartare démontre bien qu’Érèbe et Tartare sont aisément permutables pour évoquer, à l’époque archaïque, les Enfers ou le monde souterrain, avant qu’une géographie plus élaborée finisse par différencier l’Érèbe et le Tartare. Ceci ne doit pas surprendre : l’Érèbe d’Hésiode, au royaume de la « noire Nuit », n’est rien de moins que le symétrique d’Aither associé à Hémerè, « la lumière du jour » ; à ce titre l’Érèbe est identique au Tartare ἀερόεις jailli de la Nuit. Chez Akousilaos, Chaos occupe la même place que chez Hésiode, qui, lui aussi, fait jaillir du Chaos l’Érèbe et la Nuit. Dès lors qu’Érèbe et Nuit ne seraient guère différents de Nuit et Tartare chez Épiménide, il ne resterait qu’à rapprocher l’Aer mythique du Chaos originel pour rapprocher de fait, au lieu d’opposer, Épiménide, Akousilaos et Hésiode. Nous y sommes invités par la place réservée à l’Aer dans le système cosmologique qui servira d’appui à la pensée « philosophique » d’Anaximène, chez qui Aer remplace Chaos. Le rapprochement entre Épiménide et Anaximène a plus d’une fois été exploité, à contresens, pour abaisser considérablement la chronologie d’Épiménide85. La place qu’occupe Aer chez Anaximène montre avant tout que Aer est une entité potentiellement originelle, identique comme « principe premier » à un abstrait comme « Chaos ». Ce qui est essentiel dans ces systèmes est avant tout la primauté accordée à la Nuit et au monde souterrain (Érèbe ou Tartare, peu importe). Et l’on ne peut que souligner le parallèle étroit qui s’instaure entre la triade suivante jaillie de l’œuf d’Akousilaos (Aither, Éros et Mètis) avec celle qu’Épiménide présente comme une descendance de Kronos (Aphrodite d’or, les Moires et les Érinyes) et constater que de quelque façon qu’on les traite, dans leur mode d’explication du monde, Épiménide, Akousilaos et Musée ont bien plus en commun que ce qui les séparerait. Il suffit d’établir entre eux les justes équivalences pour en extraire un principe d’analyse soucieux de mettre en évidence des convergences plutôt que des divergences. Le principe même de génération par triades successives est commun à tous les auteurs de cosmologies archaïques, de même que la nécessaire position d’un élément premier sans limite, un a priori ineffable et insaisissable que les 85 Ou de la Théogonie qui lui est attribuée, ainsi chez Demoulin 1901, 122 (qui, par ailleurs, p. 94-95, est favorable à une datation plus haute pour l’akmè du personnage), suivi not. par Bernabé 2001, 200-201 (contra Mele 2001, 247, que je cite : « Ancora una volta, quindi, sono da rifiutare i tentativi di datare la Teogonia epimenidea, facendo dell’Aer del Cretese il contraltare delle’aer del Milesio »).
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philosophes néo-platoniciens tardifs, comme Damascius, s’emploieront à souligner en tant que tel. Après cet Un absolu, une dyade engendre un troisième principe, puis intervient, à un moment ou l’autre, un Œuf. Qu’on le fasse ou non descendre de Chronos/Kronos, cet œuf marque le début d’un processus complexe et protéiforme qu’il est vain de vouloir reconstruire systématiquement. Notre connaissance dépend trop des auteurs néo-platoniciens qui ont puisé dans les textes anciens à leur convenance et sélectionné les éléments de leurs discours à des fins démonstratives orientées par leur mode de pensée, sans jamais prétendre à l’exhaustivité ni même à une présentation maîtrisée de leur science. Il suffit de lire l’analyse que propose Damascius de l’Orphisme86 pour mesurer la faiblesse de ces exposés néo-platoniciens, ou comparer ce que dit Damascius d’Hésiode, pour constater l’impossibilité de reconstruire à partir d’eux une cosmologie archaïque. Il me paraît plus judicieux de constater que l’organisation des générations en triades et le rôle dévolu à Chronos/Kronos et à Éros (ou Aphrodite), notamment, sont des constantes de tous ces systèmes. À vrai dire, ce qui pourrait le mieux distinguer les cosmologies est leur caractère matérialiste (quand l’Eau ou la Terre, par exemple, y occupent le premier rang) ou abstrait (quand on place à l’origine des entités comme Nuit ou Chronos). Les triades d’Akousilaos (Chaos, Érèbe et Nuit, d’une part ; Aither, Éros et Mètis d’autre part) se comparent aisément à celles d’Épiménide (Aer, Nuit et Tartare d’une part ; Aphrodite, les Moires et les Érinyes d’autre part), sans qu’il faille forcer la comparaison : si les premières, de part et d’autre, peuvent être tenues pour primordiales – en raison de la Nuit de part et d’autre, mais aussi de la similitude fondamentale entre Érèbe et Tartare –, les deux suivantes n’appartiennent pas nécessairement au même stade du processus générationnel, ce qui suffit à expliquer leurs différences, sans pour autant les opposer : l’Aither87 d’Akousilaos pourrait être le père du Zeus Moiragétès88, puisqu’Aither était tenu pour le père du premier Zeus arcadien, tandis qu’Éros anticipe la venue au monde d’Aphrodite à 86 De Principibus, III, p. 161-162 Westerink. 87 Il est tenu, rappelons-le, par Cicéron (passage cité plus haut, n. 8, et note suivante) pour le père du premier Zeus. 88 Un Zeus infernal, bien que fils d’Aither – mais d’un Aither jailli de la Nuit (Hés., Th., 123-124) – et qui est le père de « Proserpine et Liber » chez Cicéron, De Nat. Deorum III, 21 (passage complet cité plus haut, n. 8) : alterum (Iouem) patre Aethere, ex quo etiam Proserpinam natam ferunt. Ce Zeus infernal est celui qui, dans la tradition épiménidéenne (PEG Bernabé II/3, 36 F, extrait d’une scholie à Aratos) se métamorphose en serpent et qui, de ce fait, s’identifie à Zeus Meilichios. Père de Perséphone, il est donc bien l’époux idéal d’une Déméter Érinu, que nous n’hésitons pas à identifier à Mètis, dans ce contexte (Mètis, ici, n’est évidemment pas la fille d’Okéanos et de Téthys), dans la mesure où Mètis a été une épouse de Zeus et que chez Akousilaos elle doit être située du côté des Enfers. Quant aux Érinyes, n’oublions pas que chez Épiménide – réputé avoir introduit leur culte à Athènes (Bernabé 2007, II/3, 1 T, l. 36 = 14a T) –, elles étaient des Semnai Theai (Diog. Laërce, 1, 112 = Bernabé 2007, II/3, 14a T ; l’information vient de l’argien Lobon). Or, l’adjectif Semnè convient éminemment à Déméter qui, dès le premier vers de l’Hymne homérique qui lui est consacré, est ainsi désignée : Δήμητρ᾽ ἠύκομον, σεμνὴν θεόν, ἄρχομ᾽ ἀείδειν. Il
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laquelle il fera si beau cortège ; quant à Mètis89, si sa place, dans ce système, est aux Enfers et puisqu’elle est une première épouse de Zeus90, à ce titre probable épouse du Zeus Moiragétès, il se pourrait qu’en cette qualité elle ne soit pas différente de l’épouse aussi appelée Déméter Érinu, mère avec le plus ancien Zeus arcadien de Perséphone et de Dionysos. C’est, quoi qu’il en soit, dans le Tartare qu’a dû germer l’œuf « kronien » duquel a jailli la triade constituée d’Aphrodite d’or, des Moires et des Érinyes, car toutes ont leur séjour aux Enfers ou sont associées au Tartare, en ce comprise l’Aphrodite « d’or » qui, chez Hésiode91, apporte son aide à l’union de Terre et Tartare, de laquelle est issu Typhée. Et l’on devrait de même rechercher en priorité des convergences quand il s’agit de juger des rapports entre Épiménide et la pensée orphique, en n’oubliant pas que l’orphisme a beaucoup plus évolué au fil du temps que les souvenirs attachés au sage Épiménide. L’Œuf à l’origine du vivant est un élément majeur qui relie clairement Épiménide à l’orphisme ou inversement. Il n’est toutefois pas le plus important. Plus fondamental est le rôle reconnu, de part et d’autre, à la Nuit, comme y insiste Damascius92, presque sous forme de remords au terme de vaines et brouillonnes spéculations : « la théologie décrite chez le péripatéticien Eudème, comme étant d’Orphée, a passé sous silence tout l’intelligible … [comme chez Épiménide, d’après le même Damascius], mais a fait de la Nuit le commencement, comme Homère … »93 L’œuf d’Épiménide, depuis qu’ont été éliminés de son système les deux Titans parasites, devait jaillir d’une « Nuit aux ailes noires » qui pourrait bien, à quelque étape de la description, avoir été appelée, métaphoriquement ou poétiquement, « Sélénè » tout simplement. C’est parce que le « cnossien » Épiménide a été plongé, dans le creux d’une grotte, dans un sommeil « nocturne » de 57 ans, qu’il a pu se dire « de race lunaire », partageant avec Pan, dans l’Arcadie
ne peut être davantage fortuit que le premier qualificatif (ἠύκομος) soit précisément celui donné à Sélénè dans les Ἐπιμενίδου ἔπη, cités par Élien (Bernabé 2007, II/3, 33 F, voir texte cité plus haut). 89 Les fragments qui la concernent sont rassemblés dans Bernabé 2007, II/1, F 96, 139, 141 … (voir index II/3, s. v. Μῆτις). 90 Hés., 886 (West) et fr. 343 Merkelbach-West. Son rôle dans l’Orphisme (où elle forme une triade avec Phanès et Èriképaios) est si important qu’il est préférable de ne pas anticiper sur les résultats d’une enquête plus approfondie. Doyen 2011, 78-86, analyse avec talent ce que la littérature grecque a tiré des noces de Zeus avec la « Prudence » (Mètis), en amont donc des cosmologies archaïques. Nous explorons, nous, ce qui se passe en aval, quand on donna Mètis (une Mètis « infernale ») pour épouse à Zeus. Il est patent que la « mythologie » ultérieure a concentré sur « un » Zeus tout ce qui était précédemment attribué aux « trois » Zeus, dont le plus ancien était certainement déjà en place à l’époque mycénienne, tandis que le plus récent, le « crétois », ne doit pas être antérieur à l’époque où les poètes-cosmologues élaborent un nouvel ordre social fondé, non sur la ruse « prudente » et la puissance, mais sur la Dikè. Il leur fallait alors intégrer la naissance du plus jeune à un discours sur les origines du cosmos où l’on pût donner leur place aux dieux anciens. D’où l’importance de bien comprendre les modalités de cette pensée archaïque. 91 Th. 820-822. 92 Voir la longue étude de Brisson 1991, 157-209, et Radcliffe-Edmonds III 2013. 93 De princibus, III, p. 162, l. 19-23 Westerink.
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« olympienne », cette mystérieuse intimité. Ce Pan-là doit être celui que les Orphiques appelleront Protogonos. Le patronage exercé par Sélénè sur Épiménide n’est pas banal, convenons-en, et n’a pas livré tous ses secrets, car le rôle dévolu à Minos dans sa pensée (Minos y est avant tout un juge aux Enfers) fait écho à un sanctuaire installé à Thalamai, à la frontière de la Laconie et de la Messénie, consacré à Pasiphaè-Sélénè, sanctuaire oraculaire important pour l’État spartiate94, où l’on pratiquait l’incubatio, comme nous l’apprend Cicéron95. Plutarque ignore l’identité véritable de Pasiphaè : fille d’Atlas ? Cassandre96 ? fille d’Amyclas ? … autant dire qu’il n’en savait plus rien. Pausanias, s’il attribue l’oracle à Inô97, signale que se dressaient dans le sanctuaire des statues de Pasiphaè et d’Hélios, tout en précisant l’épiclèse qu’y recevait Pasiphaè : « Sélénè », une épiclèse qui convenait à merveille pour une « prophétesse » qui s’adressait à des dormeurs dans leur sommeil. Si à l’époque impériale on hésitait sur l’identité de la « déesse », force est de constater que c’est toujours à Pasiphaè que les textes aboutissent. Gageons que l’on avait tout simplement oublié la véritable identité de cette Pasiphaè qui ne devait être autre que l’épouse de Minos, la mère d’Ariane dont les Argiens montraient la tombe en leur cité, en associant cette fille de Minos à un Dionysos « crétois »98… Bibliographie Note : cette bibliogaphie complète celle donnée dans Marchetti 2015. Baladié 1980 : R. Baladié, Le Péloponnèse de Strabon : étude de géographie historique (Paris). Bernabé 2007 : Poetae Epici Graeci. Testimonia et Fragmenta, Pars II (ed. A. Bernabé, Bibl. Teubneriana). Bonnechère 2003 : P. Bonnechère, Trophonios de Lébadée. Cultes et mythes d’une cité béotienne au miroir de la mentalité antique (Religions in the Graeco-Roman World, 150, Leiden-Boston). Bonnechère et Cursaru 2015 : P. Bonnechère et G. Cursaru, La catabase dans le monde grec entre son passé et son avenir, Actes du Colloque de Montréal (2-5 mai 2014) = Les Études Classiques 83. 94 Comme en fait foi l’histoire de ses consultations narrées par Plutarque, Agis 9, Cléomène, 3. Voir not. les références données dans RE A XVIII (36.3), s.v., col. 2070. 95 De div., I, 43, 96. 96 Prophétesse et proche de Pasiphaè-Sélénè, car Homère la compare à l’ « Aphrodite d’or » (voir Moreau 1989), ce qui n’est pas banal et la situe du côté de la Nuit. 97 Pausanias III, 26. 1. Il doit s’agir du même sanctuaire que celui de Pasiphaè, car il s’agit d’un sanctuaire oraculaire, dans lequel se dresse une statue de Pasiphaè. Voir Larson 1995, p. 124 et p. 197 n. 118. Retrouver Pasiphaè derrière l’Inô de Pausanias n’est guère ardu si l’on songe qu’Inô, appelée Leukothéa, a été rapprochée de Matuta, la déesse de l’Aurore … 98 Pausanias, II, 23.7.
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Épiménide, le « crétois cnossien », fils de la lune
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L’ÉTOILE SIRIUS DIVINISÉE EN IRAN SOUS LE NOM DE TISHTRIYA Alexandre Tourovets Tishtrya représente une exception dans le panthéon de la religion zoroastrienne car ce nom divin est le seul qui ait été donné à une étoile. Aucun écrit à caractère astrologique ni aucun autre passage de l’Avesta dans lequel intervient une vision astronomique du ciel, ne cite d’autres noms correspondant à des astres si ce n’est le Soleil (Hvar) et la lune (Mah). Les descriptions ainsi que les comparaisons entre différents textes anciens d’origine iranienne ou grecque ont conduit très tôt à identifier le nom comme étant celui de l’étoile Sirius, qui appartient à la constellation du Grand Chien (Canis Major). Le nom serait d’origine indo-iranienne mais cette provenance n’est pas encore prouvée de manière irréfutable. En effet, le nom de Tishtriya ne se retrouve pas (même à travers une déformation phonétique) parmi les astres divinisés de l’Inde védique. Or, une telle correspondance est nécessaire afin de pouvoir confirmer l’origine indo-iranienne d’un nom. L’étymologie du nom divin iranien provient du groupe tri-stra-iya qui signifie « formé de/par 3 étoiles1 » ou du groupe tri-shtr-ia qui pourrait se traduire par « avec les trois étoiles » ou par « groupe des trois étoiles »2. Cette étoile, représentant un élément majeur dans le ciel nocturne que les astronomes appellent une étoile de première grandeur, a été observée dès l’époque très ancienne. Les observateurs vivant sous des latitudes3 qui sont celles des régions d’Iran et d’Asie Centrale ont très probablement remarqué qu’elle apparaît montant au-dessus de l’horizon alors que l’astre solaire n’est pas encore apparu et que la lune a déjà fini sa course en passant sous la ligne de l’horizon. Les Grecs n’ont fait que confirmer ce qui avait été vu avant eux et ont nommé cet astre du nom de Sirius4. Le mythe associé au dieu Tishtriya montre, comme nous allons le constater par la suite, que ce phénomène astronomique remarquable a donné lieu à des présages permettant notamment aux agriculteurs de prévoir
1 Panaino 1995, Part II, 9. 2 Sirius se trouve dans le prolongement sud de trois étoiles appelées les « trois rois mages » et qui forment le baudrier d’Orion, ce qui montre le degré de précision et de compréhension des observations stellaires des Anciens. 3 Soit +/- 45° de latitude nord. 4 En fait Sirius, en tant qu’étoile de première grandeur apparaît alignée sur la constellation anciennement connue par les Iraniens comme celle du Chien et actuellement appelée constellation d’Orion dont le noyau est composé de 3 étoiles très brillantes. Astra et religio. Aspects particuliers des astres dans les religions de l’Antiquité méditerranéenne, René Lebrun et Étienne Van Quickelberghe (éd.), Turnhout: Brepols, 2017, p. 71-76 FHGDOI 10.1484/M.HR-EB.5.115200
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l’arrivée des pluies fertilisantes ou d’une période de sécheresse5. Les Iraniens ont associé un mythe au dieu Tishtriya qui se trouve exposé dans le 8e Yasht (désormais abrégé en Yt 8,…)6. Dans cet hymne consacré à la divinité (le Tishtar Yasht ou encore Tir Yast) est relatée en langue pehlevi (ou moyen perse) la lutte opposant le dieu au démon Apaosha/Apausha, figure allégorique de la misère et plus particulièrement lorsqu’elle est la conséquence de la sécheresse. Ce récit est particulièrement intéressant car il met clairement en évidence l’observation d’un phénomène astronomique réel qui est décrit au moyen d’une interprétation métaphorique très élaborée. On peut déceler une certaine reconnaissance des manifestations climatiques et du cycle des saisons sur la vie et la survie des individus, des animaux et des plantes, même si toutefois ces événements sont considérés comme des conséquences directes des mouvements des astres. Tishtriya est reconnu comme la divinité qui permet l’arrivée de la pluie fertilisante et de ce fait l’eau représente tout naturellement un de ses deux attributs. Le texte de l’hymne mentionne comment le dieu a créé la pluie fertilisante à partir des nuées/vapeurs d’eau qui montent des flots de la mer Vorukasha/Vorukarta considérée comme la source des eaux du monde (Yt 8, 32,1-2)7. Ces nuées sont ensuite réparties sur la surface de la terre à l’aide des vents et ce conjointement à la répartition des eaux venant de la mer qui sont ensuite transportées par les fleuves et les rivières afin d’irriguer tous les territoires du monde (Yt 8, 34 et 8, 47.2). Pour réaliser ce travail, le dieu est secondé par d’autres divinités d’ordre inférieur à qui il donne ses ordres. Le mythe dit que pour remplir sa fonction définie par le grand dieu Ahura Mazda, Tishtriya doit parvenir à la mer Vorukasha dont l’accès lui est interdit par le démon Apaosha. Ce dernier empêche les nuées de sortir du lac et de se transformer en nuages chargés de pluies. La lutte s’engage durant trois jours et trois nuits entre les deux antagonistes montés chacun sur un destrier fougueux, blanc pour le dieu et noir pour le démon (Yt 8, 20 et 22). Dans le mythe, il est dit que couleur blanche du cheval du dieu rappelle l’écume qui agite la surface des flots. La première partie de ce combat s’arrête en raison du repli de Tishtriya qui feint d’être vaincu et réussi à s’échapper du Vorukasha. Le dieu va ensuite justifier sa défaite comme étant la conséquence des mauvaises actions et de l’impiété des hommes. On retrouve ici un thème récurrent dans l’esprit du Zoroastrisme qui insiste sur le devoir absolu pour chaque homme de remplir correctement ses obligations rituelles dans le respect de l’accomplissement des « bonnes actions, des bonnes 5 Eric Pirart affirme que le culte des astres est d’origine mésopotamienne mais c’est sans connaître celui qui a certainement existé dans les cultures de l’Inde antique et notamment dans celle de l’Inde védique (Pirart 2006, 42). 6 Les Yasht : hymnes consacrés à chacun des Yazatas ou entités divines chargées d’assister Ahura Mazda dans sa tâche de régent de l’Univers. Ahura Mazda reste le dieu unique mais délègue des « missions » aux divinités (par exemple, fécondité, distribution des richesses, rétributions, conduite des armées …). 7 Vorukarta selon la traduction donnée par Eric Pirart.
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paroles et des bonnes pensées ». Le récit continue en précisant que Ahura Mazda lui-même lui offre alors un sacrifice dont le rituel est parfait. Tishtriya retourne ensuite vers la mer Vorukasha pour abattre définitivement son ennemi (Yt. 8, 28). Cette victoire due à l’accomplissement parfait du culte qui lui est rendu, libère les nuées et ramène la pluie qui fait ensuite gonfler les cours d’eau chargés d’irriguer le monde. Pour le récompenser de sa victoire, Ahura Mazda place Tishtriya sur la voûte céleste en lui conférant une brillance qui surpasse toutes les autres. Le 8e Yasht compare la position du dieu avec celle tenue par Zoroastre qui est à la fois le gardien et le maître parmi les hommes (Yt. 8, 44). L’océan primordial qui apparaît dans le texte sous le nom de Vorukasha a été l’objet de nombreuses tentatives d’identification. Panaino a résolu la question en apportant des arguments convaincants sur son caractère mythique, c’est-àdire non identifiable à une mer bordant les régions d’Iran8. Gnoli avait déjà développé une idée intéressante en étudiant la géographie telle qu’elle est décrite dans l’Avesta. Il a notamment montré comment les toponymes avaient été identifiés tardivement de manière à mettre en lumière la migration des Iraniens vers l’ouest9. Panaino semble plus réservé à ce propos car, pour lui, le contenu mythologique de l’Avesta présente un trop grand archaïsme. Beaucoup de toponymes avestiques ont été établis dès avant l’arrivée des Iraniens en Iran10. Le nom pehlevi de Apaosha/Apausha proviendrait de Apavurta/Apavrta dont la traduction conventionnelle dans la littérature est « destructeur des eaux » ou « démon de l’assèchement ». Si on veut interpréter l’action de ce démon dans ce sens, on peut comprendre que son rôle est d’empêcher les eaux du Vorukasha de s’évaporer et de former les nuages chargés de pluies, d’où le concept de sécheresse qui prive l’humanité des eaux essentielles au bon fonctionnement du travail agricole. La traduction proposée par Panaino est plutôt « celui qui corrompt », ce qui peut être plus en rapport avec la réalité des régions exposées aux grandes chaleurs11. Ce démon pourrait ainsi être considéré comme le responsable de l’infection des eaux rendues stagnantes. Le Bundahishn, un des livres sacrés de la religion zoroastrienne, semble corroborer l’idée de Panaino par l’évocation des combats menés par Tishtriya afin d’éliminer toute infection d’une eau nécessaire à la vie. Dans le passage du 8e Yasht qui présente le mythe, Tishtriya doit également faire face et combattre les Pairika guidés par un démon nommé Pairika Duzyairya, c’est-à-dire « le pairika de la mauvaise récolte ». Ce nom n’apparaît pas dans la littérature religieuse (moyen perse) comme tel mais il semble que probablement il puisse être identifié au nom de Mush pairika (Mush Parig). Celui-ci est décrit 8 Panaino 1995, Part I, 18. 9 Gnoli 1985, 15-30. 10 Panaino 1995, Part I, 19. 11 Panaino 1995, Part II, 100.
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comme attaquant le soleil, la lune et les étoiles avec l’aide du dragon Gozihr. Panaino a identifié les paraika aux étoiles filantes qui zèbrent le ciel nocturne d’été12. Très probablement ces corps célestes ont été assimilés à des petits dragons en raison de la forme même de leurs trainées lumineuses. Le démon Pairika Duzyâriya/Duzyairya est considéré comme le responsable des mauvaises récoltes. Au-delà de cette figure allégorique, l’existence de ce démon est due à l’accomplissement de mauvaises pratiques religieuses, c’est-à-dire dépourvues de sincérité ou s’écartant des rituels et des règles édictées par Ahura Mazda. Si son apparition dans le récit vient distinctement après l’épisode du combat contre Apaosha/ Apausha, il représente une des conséquences majeures de l’action néfaste de son prédécesseur sur les eaux de l’océan Vorukasha. En cela, les deux démons sont liés ce qui est, sur le plan de l’observation astronomique, pleinement justifié. Plutarque, dans son explication sur le dualisme religieux, semble avoir utilisé d’excellentes sources afin d’illustrer ses propos. Dans son œuvre De Iside et Osiride (§ 47), un passage résume parfaitement bien quelques doctrines d’origine iranienne incontestable. À l’issue du combat entre Oromazes et Areimanius dans lequel ils créent chacun des entités divines contraires, Oromazes crée la voûte étoilée après avoir pris soin de placer une étoile nommée Sirius plus importante et plus brillante que toutes les autres comme sentinelle (gardien) et éclaireur. Tishtriya est identifié par l’auteur grec à un général qui commande les étoiles dans cette lutte gigantesque qui oppose le Bien contre le Mal (les démons ou Daevas). Dans les ouvrages zoroastriens comme le Zand-Avesta, Tishtriya apparaît comme le commandeur de la zone orientale du firmament. Son pouvoir et son autorité semblent donc être limités dans « l’espace » mais cette particularité peut s’expliquer par un passage dans le 8e Yasht où il est dit que Ahura Mazda a choisi de la placer hors de portée du Soleil et de la Lune13. Ceci montre parfaitement bien que les connaissances astronomiques des anciens iraniens étaient suffisamment développées pour avoir assimilé les mouvements apparents des trois astres. Rappelons que Sirius monte alors que le soleil et la lune se trouvent tous les deux sous la ligne de l’horizon. Si le premier attribut de Tishtriya est l’eau, comme nous l’avons vu précédemment, ce dieu en possède également un deuxième qui, à première vue, semble moins évident. Il s’agit d’une flèche, celle qui est tirée par l’arc de l’archer mythique Rkhsha/Rsha ou Arakhsha. À la fin du 8e Yasht, le scintillement de l’étoile Tishtriya est comparé à la vibration d’une flèche et la présence de ce personnage a été introduite dans l’hymne afin de permettre le rapprochement entre la ligne courbe du déplacement de Tishtriya dans le ciel et la trajectoire d’une flèche.
12 Panaino 1995, Part II, 101. 13 Boyce et Grenet 1991, 459.
L’étoile Sirius divinisée en Iran sous le nom de Tishtriya
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Ainsi, le mythe de l’archer est lui-même contenu dans le mythe du combat entre Tishtriya et Apaosha. Ce mythe rapporte que le démon Frahrasyan, une fois devenu le maître du monde, accepta de rendre aux Iraniens un territoire de forme carrée dont la longueur du côté serait équivalente à la portée franchie par une flèche. L’archer divin Arkhsha/Rkhsha fut invité à tirer cette flèche appelée Tigri (« la pointue ») qui franchit une distance allant du mont Airyo (Hindu Kush) à la montagne Kh’anvant dans Alborz14. Cette vision ethno-géographique sousjacente au mythe est très intéressante car elle révèle que l’étendue du territoire habité par les populations iraniennes était parfaitement bien connue des Iraniens. En ce qui concerne le calendrier zoroastrien, le dieu Tishtriya est célébré le 13e jour du mois de Tir (nom pehlevi) ou 4e mois de l’année zoroastrienne. Durant cette journée se déroule la fête de Tiragan durant laquelle sont célébrés à la fois le rôle bénéfique du dieu qui amène les pluies fertilisantes et le mythe relatant l’exploit de la flèche Tigri qui a permis de reconquérir toutes les terres iraniennes. À cette occasion le nom de Tishtriya est remplacé par celui de Tir (en pehlevi), une forme dérivée de Tigri (« pointu ») qui n’est autre que le nom d’un des attributs de Tishtriya, la flèche. Le nom de Tir se retrouve également dans les noms de quatre mois du calendrier zoroastrien15. Un seul problème demeure, celui de la date de la fête du dieu qui se déroule au mois de Tir, c’est-à-dire entre le 21 juin et 20 juillet16. Tishtriya est, nous l’avons vu, associé à l’arrivée des pluies fertilisantes, ce qui semble alors contradictoire en raison du climat sec et torride qui règne habituellement sur l’Iran en cette saison. Panaino a tenté de résoudre cette contradiction en retournant au récit du combat mythique entre Tishtriya et Apaosha/Apausha qu’il répartit en différentes périodes correspondant à la durée des quatre mois d’été du calendrier zoroastrien17. Le mythe nous dit que le premier combat dure trois jours et trois nuits et se termine par la défaite de Tishtriya (Yt 8, 22-23). Avant de retourner au combat, le dieu demande qu’on lui offre un sacrifice afin de pouvoir vaincre Apaosha (Yt 8, 28). Cette période entre les deux combats durant lequel se déroule le sacrifice (Yasna) offert par Ahura Mazda pourrait correspondre à une durée de 30 jours × 2, soit 60 jours. Les trente premiers, c’est-à-dire le mois allant du 21 juillet au 20 août, pourraient représenter symboliquement cette éphémère victoire du démon qui brûle la terre et les végétaux. La période suivante serait alors celle du sacrifice et des prières adressées par les hommes au dieu afin de lui demander son aide. Cette durée de soixante jours
14 Alborz est le nom de la chaîne montagneuse de la partie nord du centre de l’Iran actuel. 15 Panaino explique cette substitution du nom de Tir pour Tishtriya à l’aide d’une argumentation d’ordre philologique sur la valeur des transcriptions Tir – Tiry – Tiriya (Panaino 1995, part I, 61-66). Cette argumentation est également reprise par Boyce et Grenet (Boyce et Grenet 1991, 280). 16 Selon le calendrier zoroastrien qui fait débuter l’année à la date du 21 mars. 17 Panaino 1995. 16 -18.
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nous amène alors du 21 septembre au 20 octobre, période durant laquelle l’Iran renoue avec les pluies fertilisantes. Par sa victoire sur Aposha, Tishtriya permet à nouveau de libérer les eaux du Vorukasha. Au-delà de ces quelques lignes sur le dieu Tishtriya, nous pouvons remarquer à quel point le mythe rend bien compte de l’observation astronomique et celle des phénomènes de la nature. Il nous aura suffi de traduire simplement le texte en fonction de nos connaissances actuelles pour que la compréhension du mythe se révèle dans toute sa clarté. Les interventions des différentes créatures comme Apaosha, Arkhsha et Pairika Duzyâriay, les lieux et les différents événements qui sont relatés les uns à la suite des autres, rentrent dans une logique narrative qui a permis aux anciens Iraniens de comprendre les causes et de prévoir les conséquences des calamités liées à la sécheresse. Le mythe racontant les exploits du dieu Tishtriya montre un récit éminemment lié à l’activité agricole et à plus particulièrement à l’approvisionnement en eau. Rappelons ici qu’il est interdit dans la religion zoroastrienne de souiller tout lieu où se trouve de l’eau. De même, de très nombreux mythes évoquent l’obligation absolue de respecter l’eau et d’accomplir les bons rituels afin d’assurer l’arrivée de la pluie pour la vie des hommes et des végétaux. Bibliographie Boyce, M. et Grenet, F. 1991 : A History of the Zoroastrianism. Vol. III, Leiden. Gnoli, G. 1985 : De Zoroastre à Mani (Travaux de l’Institut d’Etudes iraniennes de l’Université de la Sorbonne Nouvelle), Paris. Panaino, A. 1995 : Tishtriya (Part I. The Iranian myth. of the star Sirius), (Serie Orientale Roma), ISMEO, Rome. Panaino, A. 1995 : Tishtriya (Part II. The Iranian myth. of the star Sirius) (Serie Orientale Roma), ISMEO, Rome. Pirart, E. 2006 : Guerriers d’Iran, Paris.
THE ORIGIN AND THE EARLY HISTORY OF TĪR Jan Tavernier 1. Introduction1 One of the lesser known Old Iranian deities is Tīr, who was for the inhabitants of western Iran the god connected with the planet Mercury2 (note that the modern Persian planetary name is still Tīr), rain and the art of writing.3 In all likelihood, he was first worshiped by western Iranians4 and later incorporated into Zoroastrianism. As such, he was very popular during the Arsacid and Sasanian periods (third century bce - seventh century ce), when his cult was also well attested in Armenia. In this article, attention is given to the early history of Tīr. More particularly, his career during the pre-Achaemenid and Achaemenid periods will be studied. The name Tīr has directly or indirectly come down to us in several forms: Tīr, Tīra, Tīrī and Tīrya. In any case, his original name was Tīrya-,5 while Tīrī has evolved from Tīrya through contraction (/ya/> /ī/). Tīra is probably the “retrenchment of a compound with the divine name Tīr as one of the components”.6 According to Zadok,7 however, it is Tīr followed by the Aramaic hypocoristic suffix -ā. Anyhow, that Tīrya is the original form is confirmed by: 1. The Babylonian renderings with Ti-ri-ia of Iranian anthroponyms beginning with *Tīrya-.8 2. The Iranian anthroponyms, composed with this element, in the Aramaic Nebenüberlieferung (fifth-fourth century bce9) and in the Parthian ostraca 1 This research has been funded by the Interuniversity Attraction Poles Programme initiated by the Belgian Science Policy Office (IAP VII/14: “Greater Mesopotamia: Reconstruction of its Environment and History”). The present article is actually an update of an older article on the history and ethnicity of Tīr (Tavernier 2005). Although some views expressed here can also be found in the former article, the present article presents various additions and adaptations. 2 According to Nöldeke 1888, 418 the connection with Mercury was not his original feature. 3 Eilers 1976, 50; Boyce 1982, 32-33; Panaino 1995, 61. As is proven by his epithets dabīr-i-falak “Scribe of the celestial sphere”, axtar-i-dāniš “star of wisdom”, etc. Interesting too is the Middle Persian personal name Dibīr-buxt “Saved by the Scribe” (with Tīr being the Scribe; cf. Gignoux 1986, II/76-77 nr. 316 and Russell 1987a, 291). Note also his Armenian epithet “The Scribe of Ohrmazd” (Agathangelos 778; cf. Thomson 1976, 316-317). 4 Malandra 1983, 142. 5 Nöldeke 1888, 420; Schwartz 1985, 673; Panaino 1995, 61. 6 Tavernier 2007, 325 nr. 4.2.1702. 7 Zadok 1976, 230b. 8 Tavernier 2007, 327 nos. 4.2.1713 and 4.2.1715. 9 Cf. Tavernier 2007, 325-328 nrs. 4.2.1702-1717. Astra et religio. Aspects particuliers des astres dans les religions de l’Antiquité méditerranéenne, René Lebrun et Étienne Van Quickelberghe (éd.), Turnhout: Brepols, 2017, p. 77-98 FHGDOI 10.1484/M.HR-EB.5.115201
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from Nisa and Nippur (first century bce ; cf. Schmitt 2016, 214-217). In these names there is an overall presence of y (Tyry-) with just one exception (Tyrk for Tīrak, cf. Schmitt 2016, 214 no. 510). 3. The Choresmian spellings Tyry and Cyry for the month and day names.10 The first one is found on an ossuary from Tok-kala (eighth century ce), whereas the second one is attested in the “Chronology” of Bīrūnī, written in 1000 ce. Hitherto, five etymologies11 of the name Tīrya- have been proposed: 1. According to Götze,12 Tīrya comes from the word tīr “arrow”. In general, this idea is, however, rejected.13 2. Gray14 considered Tīrī to be the zero grade of a verb *terēi-, *terōu- “to pierce”. 3. Gershevitch15 derived it from the Old Iranian root *tṛya‑, “to go” (Sogd. tyr“to go”, Yaghnobi tir- “to go away, leave”) and connected this meaning with the moving aspect of planets and, more particularly, the swiftness of Mercury, the planet nearest to the sun.16 This feature of Mercury is also attested in Babylonian texts.17 The planet (mulgu4.ud) is called šāḫiṭu, a participle of the verb šaḫāṭu “to leap, to jump” (cf. CAD Š/2, 417). More illustrations of the connection between swiftness and Mercury are the Arabic name עUțārid “who runs fast”18 and the connection of the Greek god Hermes, the swift god of the messengers19 with Mercury.20 4. Isebaert21 wonders if there is no connection between Tīr and *turya- “fourth” (Avestan tūiriia “fourth”), as tīr is the fourth month of the Zoroastrian calendar. 5. Schwartz22 believes Tīrya- to be an adjective derived from *tīra- “to be pointed, pierce”, which can then be connected with Av. taēra- “mountain peak” and Pašto tērǝ- “sharp, pungent”.
10 cf. Livshits 1968, 444-445; Panaino 1990, 666. 11 Zadok ascribes the idea that the name Tīr goes back to Tištrya to Bartholomae 1904, 651-652, but Bartholomae only mentions that Tištrya is the adversary of the planet Tīr in Bundahišn 5.4. 12 Götze 1923, 148-149. 13 Panaino 1995, 72. 14 Gray 1929, 111-112. 15 apud Zadok 1976, 230b; also Boyce 1982, 33 and Russell 1987a, 291; Cf. also Panaino 1995, 72-73. 16 Mercury, the planet connected with Tīr, is indeed the swiftest planet of the solar system, its orbital period being 88 days (Eilers 1971, 43-44 n. 73; Eilers 1976, 43). 17 Gössmann 1950, 24-25 nr.79; Eilers 1976, 43-44; Boyce 1982, 33. 18 Eilers 1976, 51. 19 Eitrem 1912, 778; Jost 1996, 690. 20 Jensen 1890, 136; Deimel 1914, 91; Eilers 1976, 51. 21 Isebaert 1982, 165 n. 21. 22 Schwartz 1985, 673-674.
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2. Tīr in the Iranian Lands The early history of Tīr’s cult in the Iranian lands is marked by two syncretisms which doubtlessly furthered his later popularity: the identification of Tīr with Nabû on the one hand and that of Tīr with Tištrya on the other hand. 2.1. Tīr and Nabû Tīr was associated with the well-known Babylonian god Nabû, son of Marduk, who was the god of writing and wisdom in Babylonian and Assyrian religion.23 From the Neo-Babylonian period onwards, Nabû was also the god of the planet Mercury.24 The connection between Mercury and Nabû is suggested by two textual aspects25: 1. A seventh-century inscription of Šamaš-šum-ukin (RIMB 2 B.6.33.5) dedicated to Nabû, in which he is called dGu4-ud, i.e. Mercury. The objection that in the same text he is also called “star of Marduk”, usually a designation for Jupiter, does not pose a threat to the connection of Nabû and Mercury since the title “star of Marduk” can refer to Mercury in New Years’ time.26 2. Mercury is called Nbw in Syriac and Nbw / עNbw in Mandaic.27 As a consequence of his connection with Mercury, Nabû was also associated with the coming of the rain.28 Besides of being the swiftest planet, Mercury was also related by the Babylonians with the coming of the rain.29 The planet is called mušaznin zunni, “who makes it rain” in a Late Babylonian ritual30 and mušabšû zunni u mīli, “who causes the rain and the seasonal flooding of the rivers” in a Neo-Assyrian dedicatory inscription.31 Nabû himself is called “master of catchwater and spring”32 (en kup-pu nag-bi) in the aforementioned inscription of Šamaš-šum-ukin.
23 This particular god has been thoroughly studied by Pomponio 1978. 24 Jensen 1890, 136; Ungnad 1908, 16; Deimel 1914, 91; Gössmann 1950, 24-25 nr.79; Pomponio 1978, 202-204; Boyce 1982, 32; Panaino 1995, 64. 25 Pomponio 1978, 203. 26 Kugler 1911; Lambert 1957-58, 387 n. 6; Frame 2016, 256.. 27 Payne Smith 1879-1901, 2268; Jensen 1890, 136; Deimel 1914, 91; Morgenstern 2012, 167; Moriggi 2014, 57 nr.8:3. 28 Pomponio 1978, 198. 29 Eilers 1976, 51; Boyce 1982, 205. 30 Thureau-Dangin 1921, 153 line 306. 31 Lambert 1957-58, 386. 32 Pomponio (1978, 198) mistakenly translates “spring” by “primavera”, which of course refers to the season, not to the spring as a well. Akkadian nagbu, however, has nothing to do with the season, which in Akkadian is dašʾum or dīšum.
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With all this being established, it is not hard to see the two original common features (Mercury and the coming of the rain) between Nabû and Tīr. One may conclude that, at the time of the syncretism, Tīr was a minor planetary deity,33 whose popularity was expectedly enhanced by his association with the great Babylonian god. A third function attributed to Tīr is the art of writing. Again this is something he has in common with Nabû, but it is likely that the connection with writing was not a part of “his original Iranian conception”.34 If so, the connection of writing with Tīr only took place when he was connected with Nabû. Two possible scenario’s come to mind: 1. Tīr adopted this aspect together with the two other aspects (Mercury and coming of the rain) when he got united with Nabû, who in Mesopotamia was already closely connected with writing. 2. He only became the god of writing after his identification with Nabû, more precisely when the Iranians designed their own script and subsequently a new social group, i.e. the scribes, entered Iranian society. This question remains difficult to answer with absolute certainty. Nevertheless, some indications may lead one to an acceptable answer. First of all, writing was introduced to the Iranian world probably in the time of Darius I (522-486), despite divergent opinions on this issue. Secondly, it is only in the Neo-Babylonian period that Nabû became associated with the planet Mercury. As this aspect was one of the links between both divinities, the syncretism between Nabû and Tīr occurred only late, either in the later Neo-Babylonian period or, more likely, in the Achaemenid period, when the Iranians came in closer contact with Babylonia after having annexed it to their Empire. Another interesting question concerning the syncretism between Nabû and Tīr is the geographical question. Two contradicting views have been expressed on this. A first possibility is that Nabû, being venerated in Assyria,35 met Tīr in Armenia.36 The second possibility implies that the meeting ground was not Armenia, but Elam.37 The Persians living in the Anšan region adopted the worship of Nabû from the Elamites and later connected him with their own divinity Tīr. Boyce’s principal arguments are a postulated Neo-Elamite veneration of Nabû and the fact that in that time the Persians lived in close contact with the Elamites. It was thus easy for them to adopt the cult of Nabû and to connect this newly arrived divinity with Tīr.
33 Boyce 1982, 32-33. 34 Boyce 1988, 277. 35 Pomponio 1998-2001, 19-21. 36 Cf. Eilers 1971, 43-44. 37 Boyce 1982, 32.
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Unfortunately for Boyce, there is no single indication for a cult of Nabû in Elam during the Neo-Elamite period. The only time this Babylonian god was unambiguously venerated in Elam was during the reign of Untaš-Napiriša (c. 1275-1240 bce), the king who built the temple complex of Tchogha Zanbil.38 In fact, five of his royal inscriptions mention the Babylonian divinity, who is spelled in three different ways (dNa-bi-um,39 dNa-bu and dNa‑bu-ú): EKI 6c, EKI 7 Ia, EKI 12b, MDP 41 41 and MDP 41 42. These inscriptions relate that the Elamite king built a temple for Nabû and even had a golden statue of Nabû placed in it. He also prays that Nabû may accept the work done by him.40 The large number of bricks dedicated to Nabû doubtlessly points to an autonomous Nabû-temple, but its precise location remains uncertain. Possibly it could be identified with the “temple carré situated to the south of the main ziggurat”.41 An interesting object relating to the cult of Nabû is the so-called “Shovel of Nabu”,42 which bears the inscription Ma-[a]-[r]a ša dNa-bi-i “Shovel of Nabu”. It was found in a temple to the northwest of the ziggurat of Tchogha Zanbil, more precisely in a chapel in the sanctuary of Išme-karab.43 It is unfortunately not known whether this chapel was dedicated to Nabû or the shovel was simply left there. According to de Mecquenem & Dossin,44 the shovel must be dated to the twelfth century, i.e. posterior to the reign of Untaš-Napiriša. Next to the aforementioned two possibilities, a third must also be envisaged: the two deities met each other in Media (cf. infra). To conclude, two reconstructions of the identification process of Nabû and Tīr can be suggested: 1. Both deities got syncretized during the later Neo-Babylonian period through their mutual connection with Mercury and the rain. In the Achaemenid period, when Darius ordered an Iranian writing to be devised, the aspect of writing was immediately attributed to Tīr. A major role in this attribution was played by the scribes, who logically wished to have a god of writing in the Iranian pantheon45 and hoped to gain influence within the Iranian society by promoting Tīr and Nabû. A more influential position was quite welcome for this scribal class, since at least a part of Zoroastrian priesthood, believing that 38 Steve 1967, 81. Nabû does appear in two personal names and in a canal names in Akkadian texts from Old Babylonian Susa (Pomponio 1978, 45). 39 This spelling reflects the original form *Nabiʾum, without contraction. 40 Cf. Pomponio 1978, 55-57; Seidl 1998-2001, 27. 41 Steve 1967, 81. 42 de Mecquenem & Dossin 1938 = MDP 41 VIIIb. 43 Ghirshman 1966, 88. 44 de Mecquenem & Dossin 1938, 132-133. 45 Panaino 1995, 61.
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writing should have nothing to do with holy matters,46 was not very keen on the art of writing. 2. Both deities got syncretized only in the beginning of the Achaemenid period, when the contact between Babylonians and Iranians increased. All aspects (Mercury, rain and writing) were at once identified. 2.2. Tīr and Tištrya A second significant episode in the history of Tīr is his identification with Tištrya, a Zoroastrian divine being (yazata). Tištrya, an originally East Iranian astral deity47 was associated with the star Sirius and, just like Tīr, with the bringing of rain, which is the central theme of the Avestan hymn to him.48 The syncretism of Tīr with Tištrya also marks the entry of the former into Zoroastrianism. Unfortunately, this entry is hard to study, as Tīr only appears in Zoroastrian literature at a later time, more precisely in the Pahlavi literature, dating from the ninth to tenth centuries ce.49 The relationship between Tīr and Tištrya is an ambiguous one, with two contradicting traditions, a negative one and a positive one, as attested in the Pahlavi texts.50 The first tradition is the one of orthodox Zoroastrianism and informs us that Tīr, in his function of the planet Mercury, is, like all the other planets, demonized and becomes the opponent of Tištrya. He is even identified with the drought demon Apōš.51 On the other hand, there is the tradition identifying Tīr and Tištrya.52 It is this tradition which lies at the base of his Armenian epithet “Scribe of Ohrmazd” and the occurrence of Parthian and Middle Persian anthroponyms with Tīr- as theophoric element.53 It is also responsible for the great popularity that Tīr en46 Boyce 1982, 123 and 1988, 278. 47 Malandra 1983, 142. 48 For more information on this yazata see the study by Panaino 1995. 49 cf. Cereti 2009. 50 Panaino 1995, 80. 51 Panaino 1995, 64-66 and 80. 52 Panaino 1995, 66 and 80. 53 Cf. the Parthian names Tyrydt for Tīrīdāt (Schmitt 2016, 215 nr. 514) and Tyryn for Tiṛēn < *Tīryāna- ((Schmitt 2016, 217 nr. 518 ) in an ostracon from Nippur. A possible exception could have been Tyrwyn for Tīrwēn “one sees Tīr(i)” (Shaked 1994, 212) in another ostracon from Nippur but this reading is no longer accepted (Schmitt 2016, 214 nr. 511). In epigraphic Middle Persian, no less than 13 names beginning with Tīr are attested in texts dating to the Sassanid period (cf. Gignoux 1986, II/167-168 nrs. 896-908): Tyry, Tyr)t[)n], Tylky, Tyldt, Tylyny, Tylḥwdt, Tylyk)n, Tylm[)]ḥ, Tyrmtry, Tyl)wḥrmzd, Tylwy, Tylwsy and Tyl)nk. Tīr appears also in four Bactrian anthroponyms (Τιροαδο, Τιρομαρηγο, Τιροσπαλο and ΤιροÞταδο) and in one Sogdian name (Tyr; cf. Sims Williams 1992, 74 and Lurje 2010, 401 nr. 1289). The Bactrian
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joyed in the Parthian and Sasanid periods. Finally, it is also this positive attitude towards Tīr that justifies the feast Tīragān, the rain-festival which is nowadays still celebrated on the 13th day (also called Tīr in the Zoroastrian calendar) of the month Tištrya/Tīr. The presence of the negative tradition points to a troublesome entry of Tīr into Zoroastrianism and a strong opposition from a certain group of orthodox priests. In any case, the ancient Zoroastrian ambiguity with regard to Tīr is nicely illustrated by the following passage in the Bundahišn: Mercury, who is Apōš, came against Tištar (= Tištrya). Both happened to be of equal strength and of equal vigour. Therefore, astrologers say: “Mercury is beneficent with the beneficent ones, and maleficent with the maleficent ones”. There are some who say: “Apōš is not Tīr” (Iranian Bundahišn, V, B, 12).
In all likelihood, the identification of Tīr and Tištrya was supported by the syncretism of Tīr and Nabû. Nabû had indeed some epithets that were very similar to Tištrya’s ones54 . Examples are: – Nabû: būnu namrūti “of splendid appearance”, eddešū “ever renewing his splendour”, ḫālip namurrati “bathed in dazzling splendour”, namru “splendid”, šūpū “radiant”. – Tištrya: frādǝrǝsra- “brilliant”, raēuuaṇt- “splendid”, raoxšna- “shining”, xvarǝnaŋvhaṇt- “radiant”. The date of the syncretism and Tīr’s subsequently entry into orthodox Zoroastrianism is not easy to pinpoint. Nonetheless, there is some information on this issue: 1. As the Avestan literature does not mention planets, Tīr’s entry into Zoroastrianism occurred rather late.55 2. The syncretism between Tīr and Tištrya took place before the demonization of the planets.56
texts are dated to the period between the 1st and 9th centuries ce (Sims-Williams 2010, 5), whereas the Sogdian text must probably be dated to the 4th century ce (Sims-Williams 1989, 8). Finally, the name Tīr appears in two Latin manuscripts from about 1500 ce (Panaino 1995, 81). In the first one (De occulta philosophia by Heinrich Cornelius Agrippa of Nettesheim, chapter XXII, book II), he is called “Tiriel, intelligentia Mercurii”. In the second work (Picatrix Latinus, III, VII, 222 ll. 19-20) too he is associated with Mercury. All this means that in non-Zoroastrian traditions too, Tīr was linked with the planet Mercury. 54 Panaino 1995, 75-76. 55 Panaino 1995, 67-68. 56 Panaino 1995, 79-80.
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3. The Zoroastrian calendar is a tempus ante quem, for Tīr plays a prominent role in it: a month, a day and a religious feast are named after him.57 This makes it obvious that Tīr must have been adopted into orthodox Zoroastrianism by the time the Zoroastrian calendar was devised.58 Unfortunately, the date of the design and the introduction of this calendar is nof precisely known. Various proposals have been made,59 but most probably not the calendar with its month names was introduced during the reign of Artaxerxes II (404-358 bce). 4. The general politico-religious context too should be taken into account.60 As Tīr’s entry into Zoroastrianism did receive some opposition because of religious aspects unfamiliar to orthodox Zoroastrianism (worship of planets; writing; veneration of a god with a name not known in the Avestan literature), it must have been supported by a significant political power, in this case the Achaemenid kings. It looks thus very probable that the introduction must be situated in the Achaemenid period. 5. Finally, the syncretism of another originally western Iranian divinity, Anāhita, with the Zoroastrian yazata *Harahvaiti,61 is parallel to the one between Tīr and Tištrya. First of all, both identifications have the same typology: a western Iranian deity connects an Avestan and a Babylonian deity, or in this case: Anāhita connects Av. *Harahvaiti and Bab. Ištar. Secondly, the motives for the associations are the same: the western Iranians did not want to give up the whole of their old religion at the time of their conversion to Zoroastrianism. Thirdly, the instruments for the syncretisms too were identical: the authority and support of the Achaemenid kings. As a result, it is likely that both syncretisms occurred at about the same time.62 Fortunately, the date of the identification of Anāhita and *Harahvaiti is relatively certain: the reign of Darius II (423/22-405/04). At least two temples dedicated to her existed in that time. Darius’son and successor Artaxerxes II (405/04-359/58), who is the only Achaemenid king calling upon Anāhita in his inscriptions, even imposed the cult on his subjects and spread it all over the empire, as Berossos states: “Later, however, after the passage of many years they worshiped statues of human figures, as Berossos states in the third book of the Chaldaika. This was introduced by Artaxerxes, the son of Darius Ochos, who was the first to set up the statue of Aphrodite
57 Boyce 1982, 243-250; Panaino 1995, 68-70. 58 Boyce 1982, 202; Schwartz 1985, 673. 59 cf. Tavernier 2005, 359. 60 Boyce 1982, 201-204, 243 and 1988, 278. 61 The connection between the names Anāhita and *Harahvaiti is not difficult to find (Boyce 1982, 202): during the fifth century bce *Harahvaiti’s epithet Arǝdvī Sūra Anāhita, “moist, mighty, pure” had taken the place of her real name. For more information on this goddess see Boyce 1975, 71-74. 62 Boyce 1982, 204 and 1988, 280; Tavernier 2005, 360.
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Anaitis in Babylon, Susa, Ecbatana, Persae (= Persepolis), Bactra, Damascus and Sardis and showed (how) to worship it” (Clement of Alexandria, Protrepticus 5,65,2; cf. De Breucker 2010).
So, most likely the syncretism between Tīr and Tištrya and Tīr’s subsequent entry into Zoroastrianism took place during the reign of Darius II or in the early reign of Artaxerxes II. An immediate consequence of this entry was that Tīr could now explore the eastern Iranian territories, again an evolution which the Achaemenids are responsible for. The spread of the Zoroastrian calendar in other areas occupied by the Achaemenids only confirms this.63 In fact, the month name Tīr is attested in some eastern and western calendars: Tyr (Sīstān; 4th month), Τηρι and Τειρει (Cappadocia; 4th month), Tyry and Cyry (Choresmia; 4th month), Trē (Armenia; 4th month). One scholar rejects the idea that a syncretism between Tīr and Tištrya took place. Schwartz believes that such a syncretism is pure fantasy, as both deities were one and the same.64 He uses three arguments in favour of this hypothesis: 1. Tīr cannot be an exclusively western Iranian god, since he is also attested in East Iran (among the Kushans,65 in the old calendar of Sīstān, in the proper name Tiravharna in a Kharosṭhī inscription). 2. Tištrya does not occur in Old Persian names and Tīr is not attested in Avestan. 3. The two names never occur together in an ancient source. Unfortunately for Schwartz, his arguments do not withstand a critical investigation, since the materials he uses are too recent to prove him right.66 Moreover, the Pahlavi literature does indicate that Tīr and Tištrya are originally different beings.67 The identification discussed above makes it clear that Tīr and Anāhita still possessed a considerable number of adherents at the time when they were identified with Zoroastrian yazatas. Next to that, the Achaemenid rulers saws the occasion to bring together both religions (western Iranian and Zoroastrianism) and to help develop a single Iranian religion and therefore decided to stimulate the two syncretisms and to promote the cults of the new divinities.
63 Boyce 1982, 243; Panaino 1995, 68. 64 Schwartz 1985, 673-674. 65 The attestation of Tīr on a Kushan coin is, however, problematic. Stein 1888, 16-17 (followed by Davary 1982, 284) read the legend as TEIPO, but this was denied by Göbl 1961, 99, 109 and 1984, 66; also Rosenfield 1967, 101 and Malandra 1983, 142, who read MEIPO. Nonetheless, and as Panaino 1995, 70 remarks, the latter proposal does not offer a final solution either. 66 Panaino 1995, 77-78. 67 Forssman 1968, 54.
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2.3. History of Tīr and his cult in the Iranian lands What conclusions on the history of Tīr in the Iranian lands can now be drawn? The first Iranians to venerate Tīr were the western Iranian people, of whom the two most known are the Medes and the Persians.68 This western origin is corroborated by his non-occurrence as a god in the Avestan literature.69 The manner how and the date when Tīr entered the western Iranian pantheon are not precisely known. According to Boyce,70 Tīr entered their pantheon only after the settlement of these tribes in their respective historic territories (certainly not later than 900 bce).71 The reason for it is simple: in the northern steppes of Iran the planet Mercury is not very conspicuous and therefore it must have been only a minor stellar being in the eyes of the dwellers. However, during the journey southwards of the western Iranians the planet became more visible and thus more important and, as a result, it became venerated. Tīr was born. At a certain moment the western Iranians came in contact with the Babylonian god Nabû and linked him with their minor stellar being Tīr. This means that their veneration of Mercury now became strongly influenced by the Babylonian religion. From that moment on, the idea of Tīr arose and his popularity increased gradually, until finally the Zoroastrians too accepted him. Panaino pleads for a later date of Tīr’s entry into the Iranian pantheon.72 Although he does not want to exclude some limited veneration of Tīr before the rise of the Achaemenids, he clearly prefers the Achaemenid period and even implies that Tīr only entered the Iranian pantheon together with Nabû. This would mean that both Tīr and Nabû became only known to the Iranians in the Achaemenid period. Boyce is positive that the western Iranian pantheon included the divinity Tīr (together with Anāhita) at the moment when the Zoroastrian teachings reached the western Iranians.73 Elsewhere74 she writes that Zoroastrianism already reached Media, more particularly Raga, during the eighth century bce, which means that Tīr was already worshiped during that century. If this is right, Panaino’s late date hypothesis should be discarded and it should be accepted that Tīr entered the Iranian pantheon somewhere between 1000 and 750 bce. Yet, as Zoroastrianism 68 Boyce 1975, 76. 69 Tīr occurs only once in Avestan, more precisely in the PN Tīrō.nakaθβa- (Yt. 13, 126), whose exact meaning is, however, still not certain (cf. Mayrhofer 1979, I/80-81 nr.306). 70 Boyce 1982, 31-32; cf. also Russell 1987a, 291. 71 cf. Briant 1984; Young 1988, 8; Dandamayev 1989, 1; Sumner 1994. 72 Panaino 1995, 61 and 78. 73 Boyce 1982, 119. 74 Boyce 1982, 7-8.
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only started to become more widespread in West-Iran from 625 on,75 the tempus ante quem may be shifted towards 650. The relatively late date of Tīr’s first attestation76 can be explained in two ways. Each way can be reconciled with one of the two theories presented above on the date of Tīr’s entry into the Iranian pantheon. Either Tīr had not yet entered the western Iranian pantheon in that time (Panaino) or he was not yet important enough in the eyes of the Iranian people to function as a name-inspiring institution (Boyce). The second explanation can also be formulated more precisely: Tīr was not particularly important among the Median tribes mentioned in various Neo-Assyrian royal inscriptions (ninth to seventh centuries bce). The history of Tīr before the end of the sixth century, when he is attested for the first time, remains dark. At that time personal names containing Tīr start to appear. The first attestation of such a name is situated in a Babylonian documentary text drafted on 17 July 510. In this contract from Babylon a person *Tīryadāta, who also has a Babylonian name (Nabû-kāṣir), gives a house to Bēl-ittanna. Interesting is that *Tīryadāta is said to have received this house from the king. Other attestations of Tīr-names (*Tīraya-, *Tīra/īdāta-, *Tīrīvā-) are found in the Elamite tablets from Persepolis, dated to the period 509-494. Again in Persepolis, a man named *Tīraspāda is mentioned in an Aramaic text from the fourth year of Artaxerxes I (461-60).77 In Babylonian and Aramaic sources from the fifth century various persons, bearing a theophoric name composed with Tīr, occur. Especially the Babylonian Murašû Archive from Nippur78 (last quarter of the fifth century) contains such names: *Tīra-, *Tīrakāma-, *Tīrībāzu-, *Tīrīdāta-, *Tīrīfarnah-, *Tīryadāta-, *Tīryāma- and *Tīryavau-. These names corroborate his popularity among the population of West-Iran. During the reign of Darius II, Tīr was connected with the Zoroastrian Tištrya. Until then both religions lived next to each other in western Iran. The identification with Tištrya was very important for Tīr, because it enabled his entry into Zoroastrianism and opened up the eastern Iranian territories. Most likely, the Achaemenids actively supported this development. Yet no single Achaemenid king mentions him in his inscriptions. His female colleague Anāhita too is not given very much attention, since only Artaxerxes II mentions her. Except for Anāhita and Mithra no other god but Ahuramazdā occurs in royal Achaemenid inscriptions. Nevertheless in one inscription Darius I invokes 75 Boyce 1982, 40. 76 He does not occur (for instance as a part of a personal name) in the Neo-Assyrian royal inscriptions (mentioning Medes) nor in the Neo-Elamite tablets from Susa (mentioning Persians) from the sixth century bce. 77 See Tavernier 2007, 325-328 nos. 4.2.1702-1717 for the attestations in Elamite and Bowman 1970, nr. 27:4 for the Aramaic text. 78 See especially Stolper 1985 on the Murašû Archive.
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Ahuramazdā hadā visaibiš bagaibiš, “together with all the gods” (DPd). This formula develops into hadā bagaibiš, “together with the gods” in other inscriptions of Darius I (DSt x+2-3), Xerxes (XPb 28-29; XPc 21,25; XPd 26-27; XPg 13-14; XVa 26), Darius II (D2Sa 3) and Artaxerxes II (A2Hd 2).79 It is obvious that Anāhita, Mithra and Tīr are indirectly referred to. 3. Tīr in Armenia Some scholars consider Tīr an originally Armenian god (cf. infra). In this context it is wise to have a closer look at the history of his cult in that land. The first thing to be noted is that the divinity’s name in the Armenian literature is Tir and that he is often attested as onomastic element, e.g. in Tiribazos and Tiridates.80 This of course reflects his popularity in Armenia Two Armenian authors give more information on the history of Tir in Armenia. The first of them is Agathangelos, who in the second half of the fifth century ce wrote a history on the conversion of Armenia to Christianity. When discussing an expedition of king Tiridates III (287-330 ce), the king who embraced Christianity and in 301 proclaimed this religion as the Armenian state religion, against the pagan idols in Artašat, Agathangelos writes: “Then the king in person hastened with all his army from the city of Vaḷaršapat and came to the city of Artašat in order to destroy the altars of the deity Anahit there, and those which were at the place called Erazamoyn. On the road he first came across the shrine of the god Tir, the interpreter of dreams, the scribe of pagan learning who was called the secretary of Ormizd” (Agathangelos § 778; Greek version § 128).81
The oracle of Tir at Erazamoyn82 (Arm. Երազամոյն, Gk. ἐν τόποις ὀνειρομούσοις) is not otherwise known.83 The sanctuary was established c. 176 bce, together with 79 Possibly, the formula also occurs in an inscription of Artaxerxes I (464/64-424/23 bce). The text (A1Pa) is reconstructed by Kent 1953, 153, but Schmitt 1987, 245-246 n. 11; Schmitt 2000, 113; Schmitt 2009, 182 considers this reconstruction “pure Erfindung”. He may be right, but a quick look at the text may be useful. The preserved signs of line 11 are u-v: h-[…] (Schmitt 2000, 113). This could perfectly belong to the sentence mām Auramazdā pātu hadā bagaibiš, “Me may Ahuramazdā protect, together with all gods”, as it occurs in the other inscriptions. Unfortunately, the parallel passage in the Babylonian version is not preserved too (cf. Schmidt 1953, Pl. 202C). 80 Nöldeke 1888, 416; Russell 1987a, 294-295. 81 Trad. Thomson 1976, 317. It should be noted that, according to modern scholars, the information provided by Agathangelos on pagan gods is not always very reliable (Thomson 1982, 608). 82 Eraza- “dream” certainly comes from Old Iranian *rāza-, “secret” (Patkanean 1882, 15; Russell 1987a, 296), while ‑moyn is attested elsewhere in compounds and has a basic meaning “like” (Russell 1987a, 297). Bailey (apud Russell 1987a, 314 n. 45) suggests a derivation from a base mau-, “to speak”. The name of the sanctuary would then mean “dream-speaker”. 83 Thomson 1976, 483 n. 4.
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Artašat.84 It is also indirectly mentioned by Moses Khorenac’i, who wrote that a statue for Apollo was put up near the road, a little bit out of town.85 In any case, the sanctuary only exists in literary sources, as hitherto no temples have been found in Artaxata.86 Interestingly, the sanctuary is also connected with Tīr’s role as protector of the scribal art, as can be deduced from the epithets used. This suggests that the Armenian sanctuaries of Tir also had scribal schools attached to them, where Armenian priests were trained in the scribal arts.87 The second interesting aspect of this text fragment is the relation between Tir’s cult and dream interpreting. This connection must be Armenian, since it is nowhere attested in the Iranian tradition. This is not at all surprising: when the Armenians adopted Zoroastrianism, they expectedly did not do this without preserving their regional traditions.88 The interpretation of dreams may very well be an example of such a regional tradition. In any case, this aspect plays an important role in Armenian literature and consequently in Armenian thought.89 The second Armenian author is Moses Khorenac’i (eighth century ce), the well-known Armenian writer who produced a history of Armenia. His main source on the pre-Christian Armenian religion was, however, the already mentioned Agathangelos.90 Of interest here are two passages. The first one (II 40) tells us that king Ervand built a new religious capital and called it Bagaran. The new city was situated not far from his newly built political capital Ervandašat. As all idols were moved to this new place, the statue of Tīr was certainly one of them. Ervand is most likely Orontes (c. 212 - c. 200 bce), the last king of the Orontid dynasty. In the second passage (II 49) it is told how Artašēs,91 who established Artašat as his new capital, moved the divine idols from Bagaran to the new capital. Only one statue was not placed in Artašat itself, but, as Moses writes, “outside the city near the road”. This was the statue of Apollo, who, in Moses’ eyes, was the Greek equivalent of Tir,92 while Artemis corresponded to Anāhita. The phrase “outside the city near
84 Hewsen 1987, 660. 85 Gelzer 1896, 110. 86 Russell 1987c, 660. 87 Gelzer 1896, 110; Russell 1987a, 299-300. 88 Russell 1987b, 439. 89 Thomson 1991, 267-268. Nevertheless, it must also be taken into account that this aspect might rather be the result of Greek influence, since dreams were an important aspect in Greek religion and life (cf. Burkert 2011, 180) and it is well-known that king Artavasdes I (54-34 bce) admired the Greek culture and composed Greek tragedies, orations and histories (Plutarch, Crassus 33). In any case, this tradition clearly distinguishes the Armenian Tir from the Iranian one. 90 Carrière 1899, 20-25 and 27; Thomson 1976, lxi. 91 Tommasséo 1843, 143 n. 2 believes that Artaxias II (34-20 bce) is meant here, but most likely Russell 1987c, 659-660 is right in assuming that reference is made to Artaxias I (189-160 bce). 92 In the Greek version of Agathangelos’work Tir is also translated by Apollo (Thomson 1976, lxi).
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the road” probably refers to Erazamoyn. Having this knowledge in mind, one may safely assume that the three passages cited above do indeed refer to Tir.93 Boyce’s assumption94 that Apollo should in this context be associated with Mithra is simply wrong, since Moses Khorenac’i normally connects Mithra with Hephaistos. The three sources clearly indicate that Tir was venerated in Armenia during the third century bce.95 Nonetheless, it cannot be determined when the cult of Tir appeared in Armenia, although it seems very likely that it happened after Tīr was adopted by the Zoroastrians. As a result, Tīr arrived in Armenia together with the Zoroastrian belief, most probably in the first half of the fourth century, during the reign of Artaxerxes II.96 His cult became popular in the region,97 as a consequence of which Tīr started to appear in Armenian onomastics. 4. Reflections on Tīr’s Origin 4.1. Semitic Zadok prudently expresses belief in a Semitic origin of Tīr.98 The Medes may have borrowed the West Semitic lunar deity Te(h)ri99 from the Aramaeans. This Te(h)ri got mixed up with the Iranian word for the planet Mercury (also Tīr) and so the new deity Tīr was born. Gnoli100 points to the correspondence of the Av. month of Tištrya and the Bab. month Duʾuzu, also the month of Sîn, the Mesopotamian Moon-god. Panaino does not intend to solve the problem, but remarks that a derivation of the Iranian name for Mercury from a Semitic name for the Moon is rather problematic. In all likelihood, a Semitic origin of Tīr is not credible. 4.2. Armenian According to two scholars Tir/Tīr is a god who was adopted by the Armenians from the previous inhabitants of their land101 and who subsequently was imported by the Medes, who transmitted him to the Persians.
93 Widengren 1965, 178 and 186; Thomsen 1978, 149 n. 7. 94 Boyce 1975, 77 n. 370. 95 Russell 1987a, 296. 96 Cf. Chaumont 1987, 434 and Russell 1987b, 444. 97 Boyce 1975, 77 n. 370; Russell 1987a, 575; Boyce and Grenet 1991, 324. 98 Zadok 1976, 230. 99 Te(h)ri was especially worshiped in Ḫarrān. See Lewy 1945-46, 425-433 and van Der Toorn 1995, 1587, for more information on this divinity. 100 Apud Panaino 1995, 73 n. 57a. 101 Eilers 1971, 43 and 44 n. 75; Boyce 1975, 77.
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To support their hypothesis, Eilers and Boyce argue that the relation between the Armenian Tir and dream interpretation is one of the original aspects of the Tir/Tīr-cult. As already mentioned, this relation appears explicitly in the work of Agathangelos. This aspect would then have been lost when Tir crossed the Armenian-Iranian border. It is true that, when Zoroastrianism entered Armenia during the Achaemenid period, the Armenians preserved strong regional traditions and incorporated them into the new religion and that the aspect of dreaming may well be such an Armenian regional tradition. This idea is enhanced by the fact that dreams and dream interpretation play an important role in Armenian literature and consequently in Armenian thought, as mentioned before. In addition, it is not entirely sure that dream interpretation is an original aspect of the Tir/Tīr-cult, even if it is an Armenian tradition. As a result, the main argument to consider Tir/Tīr an Armenian divinity is significantly weakened. Next to this, four more objections against an Armenian origin of Tīr must be formulated. 1. The first one is chronological. If Tīr entered the western Iranian pantheon from Armenia between 1000 and 750/650 bce, this would imply that he was already worshiped in Armenia some time before his entry into Iran. Yet there is absolutely no hard evidence for a Tir/Tīr-cult in Armenia prior to the Achaemenid period. On the contrary, his cult was very popular in Armenia during the subsequent Parthian and Sasanian periods. 2. The second one is historical. If Tir/Tīr were an Armenian god, who was picked up by the Armenians from the previous inhabitants of Armenia, this would postulate a presence of Armenians in Armenia during the ninth to seventh centuries bce, when the Urartians held sway in the Armenian territories. Nonetheless, such a hypothesis is problematic, because of the fact that only after the disappearance of the Urartian kingdom the Armenians started to settle in what would become Armenia.102 3. The third one is religious. There is no attested Urartian god Tir/Tīr,103 neither does the Urartian language contain such a root. If Tir/Tīr really were an Armenian god, then the Armenians must have taken him with them when they moved to Armenia. 4. The fourth one is linguistic. The Armenian month name Trē is the result of an internal Iranian evolution and is certainly not a form that developed within Armenian.104 102 Barnett 1982, 364-365; Zimansky 1995, 1141. 103 Cf. Riemschneider 1963. 104 Russell 1987a, 293.
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4.3. Iranian Since Tīr was very important in the Iranian religion during the late Achaemenid and Hellenistic periods, it would seem obvious to consider him a purely Iranian god. An argument in favour of such a position is certainly the chronology: the oldest attestations of this divinity are situated in Iran and Babylonia. Again, there are some problems with this. First of all, Tīr has no Indo-Aryan cognates105 and, secondly, he is strange to Iranian tradition, in that way that his cult is allegedly related to the explaining of dreams106 . At first sight these two objections seem to make an Iranian origin of Tīr implausible. Fortunately, both problems can be explained and consequently eliminated. The fact that the name Tīr has no Indo-European cognates can be explained by his rather late arrival in Iran. As Tīr came in only at a later stage, he does not necessarily need the postulated Indo-European cognates. The second objection has, in fact, already been eliminated above. The relation between the cult of Tīr and dream interpretation is not Iranian in origin. In my opinion, Tīr is a genuine Iranian planetary god, whose importance became significant only through his associations with Nabû and Tištrya. 4.4 Unknown origin This last possibility is, unfortunately, purely hypothetical, but must nevertheless be mentioned here. The divinity discussed here could also have been picked up by the Iranians from non-Iranian tribes and people living in the area (e.g. Elamites, Kassites or the Gutian-Lullubian tribes107). 5. The Ethnicity of Tīr within Iranian Having established the Iranian origin of Tīr, it can now be investigated if Tīr can be connected with one of the two main western Iranian tribes: Persians or Medes. In all probability Tīr was originally and especially worshiped by Medes, rather than by Persians.108 This is indirectly shown by three indications. The first of these
105 Eilers 1976, 48. 106 Cf. Chaumont 1987, 434. 107 Still, neither the Elamites nor the Kassites nor other regional tribes seem to have known an indigenous divinity Tīr. In any case, the poor amount of source material on these people makes it hard to draw firm conclusions. 108 Tavernier 2005, 367-368.
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arguments wants to connect Tīr with Medes, the other two function as arguments against an original Persian worship of Tīr. 1. The majority of the personal names, constructed with the element Tīr, is attested in Aramaic and Babylonian. The Iranian names and loans in these two languages usually belong to the Median dialect,109 which enhances the idea that Tīr is especially part of Median names. It should, however, be noted that a name does not offer certainty about the ethnicity of its bearer. 2. Tīr is never mentioned as a god in the Elamite Persepolis Tablets, whereas various Iranian and Elamite deities, are attested in this archive.110 Yet, this does not need to be an argument against a Persian character of Tīr. An alternative explanation may be that Tīr was at that time not a full part of the Iranian religion supported by the Achaemenid kings. 3. Tīr is never mentioned in any of the Royal Achaemenid Inscriptions, whereas his colleagues Mithra and Anāhita do occur in the inscriptions of Artaxerxes II and Artaxerxes III (only Mithra). This means that the Achaemenid kings were themselves not very ardent adherents of Tīr, since otherwise he would certainly appear in their inscriptions, as does Anāhita. The reason why they promoted the cult of Tīr to be absorbed in Zoroastrianism was a pragmatic one: it was the only way to unite the two at that time existing religions in western Iran. Admittedly, the evidence is circumstantial and one cannot deduce from it a direct link between Tīr and the Medes. Nevertheless, the combination of three circumstantial arguments points to such a relation. Still, if Tīr originally was a Median divinity, then an additional argument concerning the discussion where Tīr and Nabû has come up. Tīr and Nabû did most likely not meet in Armenia or in Elam, but in Media. The Medes got acquainted with Nabû through their contacts with the Assyrians, who certainly included the Babylonian Nabû in their pantheon.111 Eventually, the Medes syncretized this god with their god Tīr. 6. Conclusion Accordingly, the divinity Tīr was in all likelihood originally a Median, minor planetary god, who made his entry into the Iranian pantheon sometime between 1000 and 650 bce and whose importance boosted after the Medes identified him 109 Hoffmann 1976, 624. 110 Cf. Koch 1977, 80-119. 111 The first temple of Nabû in Assur was built during the thirteenth century bce. From that moment onwards he became increasingly popular in Assyria (Pomponio 1998-2001, 19-20).
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with the great Babylonian god Nabû, whom they had learned to know through their contacts with Assyria. The syncretism with Nabû took place after c. 625 bce. Before that year he was, as said before, not important and this resulted in the total absence of personal names containing the theophoric element Tīr before the Achaemenid period. He is, for instance, not mentioned in Neo-Assyrian sources (ninth to seventh century bce). The reasons for the syncretism are clear. Both deities shared the same aspects (Mercury, coming of the rain, writing). Tīr adopted the function of writing in the Early Achaemenid period, after his association with Nabû and probably in the reign of Darius I, who introduced the Old Persian writing in his realm and thereby created a scribal class, who desired a tutelary deity. This means that the syncretism between Nabû and Tīr took place before or during the reign of Darius I. The fact that Tīr is mentioned neither in the Susa Acropole Archive (c. 600 bce), nor in the scanty Iranian onomastic material from Neo-Babylonian texts (626-539 bce) suggests that the entire syncretism must be situated in this early Achaemenid period. From the Achaemenid period onwards the popularity of Tīr steadily increased. Tīr starts to appear in personal names in Babylon and Persepolis during the reign of Darius I. These names probably belong to Medes. It must, however, also be noted that he is still not attested in his position/role of divinity. Before the reign of Darius II (423-404 bce), Tīr and his female, equally western Iranian colleague Anāhita maintained their cults in western Iran, despite the rising influence of Zoroastrianism in this region. During the reign of Artaxerxes II (404-358 bce), Tīr was syncretized with the Zoroastrian yazata Tištrya (and Anāhitā with *Harahvaiti) and could now enter the Zoroastrian pantheon, despite a certain amount of opposition against this entry. This double syncretism proved to be good for both the Zoroastrians and the western Iranian deities. Tīr could now extend his area of influence to eastern Iran, while the Zoroastrians could now easier convert western Iranians and even export their religion (now including Tīr) to Armenia. This solution was unofficially (in that sense that Tīr does not appear in their inscriptions) stimulated by the Achaemenid kings in their wish to keep the empire stable, also in a religious way. This Achaemenid policy is partly proven by the fact that Artaxerxes II introduced Anāhita in his inscriptions. The above described evolution eventually culminated in the enormous popularity of Tīr during the Parthian and Sasanian periods. Bibliography Barnett, R. D. 1982: “Urartu”, The Cambridge Ancient History 3, 314-371. Bartholomae, C. 1904: Altiranisches Wörterbuch, Berlin.
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DIEU SOLEIL, DIEU LUNE ET DIEU TERRE DANS LA LITTÉRATURE TOKHARIENNE Lambert Isebaert 1. Le « tokharien » : langues et textes Le terme « tokharien » est le nom conventionnel donné à deux langues indoeuropéennes étroitement apparentées mais distinctes, dénommées A et B et qui ont été en usage en Asie Centrale, dans les oasis au nord du bassin du Tarim (actuellement Xīnjiāng). Ces langues sont connues par des manuscrits datés pour la plupart entre le VIe et le VIIIe siècles de notre ère. La littérature tokharienne est essentiellement de nature bouddhique : les textes sont traduits ou adaptés de modèles indiens, relatant les paroles et gestes du Buddha, ses vies antérieures, la discipline monastique, la doctrine, etc. Même les textes d’inspiration profane (pièces de comptabilité, lettres, graffitis) sont imprégnés de culture bouddhique, dans la mesure où ils proviennent des monastères, dont ils documentent la vie économique, culturelle et sociale. Il est néanmoins possible de retrouver des couches plus anciennes de la culture tokharienne, antérieures à la conversion au bouddhisme indien, grâce à l’analyse du vocabulaire ou de la phraséologie. 2. Culture et religion pré-bouddhiques : l’exemple du saka khotanais Le vocabulaire d’une autre langue bouddhique d’Asie centrale, le saka khotanais (langue iranienne orientale de type moyen, parlée dans les royaumes de Khotan et de Kashgar), offre plusieurs cas remarquables d’« interpretatio Buddhica », c’est-à-dire d’adaptation de termes traditionnels à la doctrine bouddhique1, comme par ex. dāta « dharma » (iran. anc. dāta-, « loi »), phārra « rang, statut, dignité » (iran. anc. farnah-, « charisme, gloire ») ou encore gyasta « dieu » (iran. anc. yazata-, « dieu »). On notera en particulier des noms chargés d’une valeur religieuse ancienne comme dyūva « démon » (cf. avestique daēva-, iran. anc. daiva‑), Śśandrāmata « la divinité Śrī (Fortune) » (cf. avestique spənta ārmaitiš, épithète de la terre), urmaysde « soleil » (iran. anc. Ahuramazdāh-), ysamaśśandaa- « monde (sanskrit loka) » (composé iran. anc. zam-, « terre » + śu̯antā-, « sainte, généreuse ») et śśandaā- « terre, terrain,
1 Cf. Tremblay 2001, 167 n. 278. Astra et religio. Aspects particuliers des astres dans les religions de l’Antiquité méditerranéenne, René Lebrun et Étienne Van Quickelberghe (éd.), Turnhout: Brepols, 2018, p. 99-108 FHGDOI 10.1484/M.HR-EB.5.115202
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endroit » (iran. anc. *śu̯anta-kā- « la sainte, la généreuse », avec ellipse du nom régent zam- « terre »)2. 3. « Dieu » en tokharien Les deux langues tokhariennes possèdent, pour exprimer le concept de « dieu », les vocables A ñkät / B ñakte, avec les dérivés suivants : adjectif A ñäkci, B ñäkc(i)ye « divin » ; féminin B ñäkteñña (qui a été emprunté par la langue A : ñäkteññā). Ces termes répondent clairement au sanskrit deva-, comme l’indiquent des correspondances telles que B śāmna ñäkteṃts = sanskrit nr̥devānām (« des dieux et des hommes ») ; B ñäkteṃts soy (désignation du roi de Kuci) = sanskrit devaputra- (« fils des dieux ») ; B ñäkteṃts ñakte (épithète du Bouddha ou de Maitreya : « dieu des dieux ») ; B ñäkcye śaiṣṣe = devalokam (« le monde des dieux ») ; B ytāri ñäkcyai = mārgaṃ divyam (« le chemin des dieux »), etc. Comme le sanskrit deva-, le terme sert également de titre honorifique (au vocatif : B ñakta « ô Seigneur », « ô Majesté »), toujours adressé à un être supérieur. La notion de deva s’applique, dans le bouddhisme indien, à une catégorie d’êtres surnaturels, invisibles, comportant plusieurs degrés ; ils sont plus forts, plus heureux que les hommes et vivent plus longtemps que ceux-ci. Néanmoins, ne possédant ni tout-puissance, ni omniscience, ni immortalité ou perfection morale, ils n’ont pas droit au même hommage ni à la même vénération que le Bouddha. La correspondance lexicale exacte A ñkät = B ñakte permet la restitution d’un archétype proto-tokharien *ñäktë, qui a fait l’objet jusqu’ici d’un grand nombre de tentatives d’explication étymologique, dont aucune cependant n’apparaît pleinement satisfaisante. Nous en rappelons ici quelques-unes qui ont alimenté les recherches les plus récentes. R. Normier3 postule à la base un participe passif *ni-g̑hu(H)-to-, « der Herabgerufene » (« celui qui est invoqué d’en haut »), tiré d’une racine indoeuropéenne *g̑hu̯eH- signifiant « appeler, invoquer » (cf. sanskrit védique hávate, hváyati, « il invoque » ; et spécialement ni-hū-, ni-hvā-, avec le préfixe *ni-, signifiant « vers le bas »). Cette hypothèse demeure cependant problématique pour des raisons formelles : la palatalisation inhabituelle d’une vélaire devant la voyelle *i ; l’absence en tokharien de survivances indiscutables des morphèmes *ni- (préfixe inconnu par ailleurs) et *-to- (non attesté en dehors de la catégorie productive des adjectifs privatifs).
2 Pour ces exemples, voir l’ouvrage de Bailey 1979, s.v. Pour le nom de la « terre + sainte », cf. aussi Toporov 1987. 3 Normier 1980.
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W. Winter4 quant à lui préfère voir dans *ñäktë la continuation d’une forme *neku̯to-, qui serait issue par métathèse de *k̑u̯ento-, adjectif signifiant « saint, sacré » et attesté dans trois aires linguistiques (cf. avestique spənta-, lituanien šven͂tas, vieux slave svętŭ) ; la déformation du prototype *k̑u̯ento- serait due à un phénomène de tabou ou d’interdit linguistique, visant à éviter la désignation directe d’une puissance jugée dangereuse. Même si W. Winter cite le cas parallèle du nom tokharien de la « langue »5, la métathèse à laquelle il recourt ici a été considérée comme une opération ad hoc. Dans sa Chrestomathie tokharienne6, le plus récent ouvrage de référence en matière de philologie et de linguistique tokhariennes, G.-J. Pinault reconstruit un composé indo-européen *nek̑-(s)th2o-, « qui surmonte la mort », « qui tient debout face à la mort », formé sur les racines *nek̑- « mourir, périr » et *(s)teh2« être debout, résister à ». Cet étymon rappelle la structure du grec νέκταρ, « nectar, boisson d’immortalité », dont l’interprétation « qui triomphe de la mort » (indo-européen *nek̑- « mourir » et *terh2- « franchir, traverser ») est communément admise. Il faut cependant reconnaître qu’aucun modèle phraséologique formé d’un syntagme *nek̑- + *(s)th2o- n’est attesté dans la tradition poétique indo-européenne. Dernièrement, T. G. Barnes7 a voulu expliquer le mot tokharien commun *ñäktë à partir d’un ancêtre indo-européen *h2nék̑-to-, « celui qui est honoré d’une offrande », substantivation du participe *h2n̥k̑-tó- « offert, présenté » (racine verbale *h2nék̑-, signifiant « présenter, offrir », cf. hittite ḫenk- « offrir, accorder ») ; il y aurait ainsi un parallèle précis avec le nom germanique de « dieu », qui provient d’après C. Watkins de *g̑hu-tó-m, « the libated one » (« celui qui est honoré d’une libation »), substantif neutre signifiant à l’origine : « puissance divine à laquelle on offre une libation »8. Le nom *ñäktë du tokharien commun, quelle que soit son étymologie, a dû être également de genre neutre et, à ce titre, renvoyer à une puissance impersonnelle. Le passage au genre animé (normalement masculin, mais quelques exemples de féminin : cf. ci-dessous § 4 pour A tkaṃ-ñkät / B keṃ-ñäkte « terre-déesse », § 9 pour A śriñkät / B śrīñäkte « déesse Śrī ») a dû s’opérer seulement à l’époque bouddhique.
4 Winter 1987, 316-319. 5 A käntu et B kantwo reposent sur un protoype *käntwo < *täṅkwo (indo-européen *dn̥g̑hu̯eh2, cf. latin ancien dingua, gotique tuggo, etc.), qui a subi le même type de distorsion. 6 Pinault 2008. 7 Barnes 2013. 8 Watkins 1974.
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4. Un « panthéon pré-bouddhique » Les textes tokhariens présentent une série de composés remarquables qui sont formés sur le nom de « dieu (déesse) » comme second terme. Outre qu’elles caractérisent l’intégration lexicale des noms divins d’origine indienne (cf. ci-dessous § § 7-9), ces formations servent à exprimer, concurremment avec les termes simples, les notions de la « terre », de la « lune » et du « soleil » et reflètent ainsi « la divinisation des forces naturelles dans la religion pré-bouddhique des Tokhariens »9. On trouve ainsi : A koṃ ñkät = B kauṃ ñäkte « soleil + divinité » (à côté de la désignation simple : A koṃ, B kauṃ, « soleil »)10 A maññkät = B meññäkte « lune + divinité » (à côté de la désignation simple : A mañ, B meñe, « lune »)11 A tkaṃ ñkät (fém.) = B keṃ ñäkte (fém.) « terre + divinité » (à côté de la désignation simple : A tkaṃ, B keṃ, « terre »).
Plusieurs théories ont été avancées pour expliquer l’émergence de ce type de composés, tantôt dans une perspective génétique (indo-européenne), tantôt perspective la lumière de contacts interculturels. Pour O. Hackstein12, la composition du type A koṃñkät / B kauṃñäkte « soleil » n’est rien d’autre que le renouvellement lexical de la formule indoeuropéenne traditionnelle *di̯éu̯s ph2tḗr « ciel + père » (cf. sanskrit dyáuṣ pitā,́ grec Ζεὺς πατήρ, lat. Iūpiter, Diēspiter, etc.) ; au fil du temps, le premier terme *di̯éu̯s « jour, lumière » aurait été remplacé par le proto-tokharien *kau̯ni- « jour, soleil »13, alors que le titre *ph2tḗr « père » en finale de composé aurait cédé la place au tokharien *ñäktë « dieu, seigneur ». Un tel composé relève de la classe des attributifs (type karmadhāraya) et représente ainsi la structure « nom spécifique + terme générique du dieu », d’où « soleil [qui est] dieu »14, avec le second terme fonctionnant comme un déterminatif, un indicateur de classe15. Dans son article de 1987 déjà cité, où il expliquait le nom tokharien de « dieu » à partir de l’adjectif indo-européen *k̑u̯ento- « saint » (§ 3), W. Winter a proposé lui aussi de situer le type A tkaṃñkät / B keṃñäkte « terre » dans une continuité
9 Pinault 2008, 32. 10 Les noms A koṃ / B kauṃ, utilisés au sens de « jour », ne sont jamais composés avec ñkät / ñakte. 11 Les noms A mañ / B meñe, utilisés au sens de « mois » ne sont jamais composés avec ñkät / ñakte. 12 Hackstein 2006, 97-100. 13 D’une racine indo-européenne *keh2u- « brûler ; éclairer, briller » ; pour l’hypothèse d’une origine turque, cf. dernièrement Lubotsky-Starostin 2003, 257-259. 14 On notera la séquence différente dans d’autres langues, comme en français : « dieu-soleil ». 15 Pour ce type de construction, cf. aussi Hackstein 2010.
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phraséologique indo-européenne, en postulant comme modèle un syntagme ancien « terre » + « sainte » (indo-européen *dhg̑he/om- + *k̑u̯ento-), qui aurait survécu, de manière indépendante, en tokharien et dans l’aire iranienne, où il est représenté par les mots déjà cités du saka khotanais ysamaśśandaa- « monde (sanskrit loka) » et, avec ellipse du premier terme, śśandaā- « terre, terrain, endroit » (cf. plus haut, § 2). Il faut noter ici que dans une étude plus ancienne16, W. Winter avait voulu voir dans le composé A koṃñkät / B kauṃñäkte « soleil » (de même que dans le correspondant turc ancien kün tängri, « soleil-dieu ») un calque d’une ancienne formule iranienne orientale *xun-xšaita- / *xvan-xšaita- « soleil-seigneur », antérieure au zoroastrisme et dont l’avestique hvarə-xšaēta- serait un reflet17 ; — mais il semble que, dans ce composé, il faille prendre xšaēta-, non comme une désignation du « seigneur », mais comme un terme de couleur, signifiant « (adj.) rouge, flamboyant » ou « (subst.) rougeur, flamboiement »18. La recherche actuelle tend à considérer plutôt les composés tokhariens du type « soleil / lune / terre + divinité » comme l’indice de l’existence d’un panthéon pré-bouddhique en Asie Centrale, prônant la divinisation des entités cosmiques et des forces de la nature. De fait les correspondances avec le turc ancien kün tängri, « soleil + dieu » ou ay tängri « lune + dieu »19 s’expliquent le mieux comme le reflet d’un continuum culturel entre les ancêtres des Tokhariens et les peuples altaïques20. Les contacts prolongés des Proto-tokhariens avec les peuples nomades des steppes, au nord et à l’ouest de la Chine, ont laissé des traces, non seulement dans le domaine religieux, mais encore dans la civilisation pastorale, la phraséologie littéraire et l’idéologie aristocratique21. 5. Les noms du « soleil » et de la « lune » : alternance des formes simples et composées Sur la base d’un examen approfondi de tous les passages pertinents, W. Thomas a pu déterminer les conditions qui règlent, pour les noms du « soleil » et de la « lune » , l’usage des formes longues (composées) de préférence aux formes courtes (non composées)22.
16 Winter 1961, reproduit en 1984. 17 D’après les travaux de Widengren 1984, 92. 18 Benveniste 1966, 20-22. 19 Relevées déjà par Winter 1963. 20 Pinault 2008, 33. 21 Pinault 1998, 358-371. 22 Thomas 1969, 242-254.
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La forme simple relève de la langue de tous les jours, du style sans apprêt : elle est normalement utilisée lorsqu’il s’agit de référer aux corps célestes, considérés comme des éléments naturels, ainsi par ex. kauc ka kaum (ṣai) pärkawo (B 5 b 3-4), « le soleil s’était déjà levé haut » ; (k)aum meñe ściri po ṣp (B 45 b 7), « le soleil, la lune et toutes les étoiles » ; kaunants(e) pärkorne (PK NS 12 K b 2), « au lever du soleil » ; mkte meñe mā rinasträ swañcaiṃ kroścana (B 52 b 7), « comme la lune n’envoie pas de rayons froids », etc. L’emploi de la forme composée, au contraire, est le propre du registre poétique : c’est la variante choisie de préférence pour manifester la personnification du Soleil et de la Lune, astres conçus comme des réalités surnaturelles. Le Bouddha lui-même est désigné comme « Soleil-Dieu » : poyśiṃñe(ṣṣe) kauñ(äkt)e parka (B 408 a 4 ; cf. b 2), le Soleil de l’omniscience s’est levé ; pūk knānmāṃ … koṃñkät (A 217 a 4), « le Soleil omniscient », notamment dans les comparaisons et métaphores : kaum ra … läktsetstse (B SIP / 2 b 4), « lumineux comme le Soleil » ; koṃñkätt oki lukśanu (A 311 a 5), « brillant comme le Soleil » ; tärkärṣ mañkätt oki lenäṣ läc (A 278 a 7), « [le Bouddha] sortit de la cellule, comme la Lune des nuages » ; pñintuyo koṃñkät mañkät yuknāṣ eprera(ṃ), (pñin)tuyo mañkät śres grahäntu ṣarkäṣträ (A 17 b 1), « par les mérites, le Soleil vainc la Lune au firmament, par les mérites, la Lune surpasse les étoiles et les planètes », etc. 6. Le nom de la « terre » En ce qui concerne la désignation de la « terre », l’investigation de W. Thomas aboutit à des résultats comparables23. La forme simple s’impose pour la description d’événements naturels, ainsi par ex. pour des séismes mentionnés en dehors de toute valeur symbolique : meṣ tkaṃ (A 297 b 3), « la terre tremble » ; meyā tkaṃ (A 274 a 2), « la terre trembla » ;
23 Thomas 1969, 254- 263.
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miwäṃ keṃ (B 338 b 5), « la terre tremble » ; keṃ miwäṃ (B 113 a 4), « la terre tremble ». Par contre, on trouve la forme composée dans les contextes qui relatent des événements remarquables ou faits merveilleux de la vie du Bouddha, par ex. lorsque tous les dieux et les hommes rendent hommage au Bouddha et que la Terre personnifiée participe à leur joie : meyā tkaṃñkät (A 320 b 6), « la Terre trembla » ; meṣ tkaṃñkät (A 156 a 2), « la Terre tremble » ; sās tkaṃñkät nuṣā (A 312 a 2), « cette Terre se mit à rugir ». tumeṃ sā keṃñäkte nmeträ (PK AS 13 b 2), « alors cette Terre s’inclinera (en signe d’hommage) ». 7. Le nom d’Indra Le nom du dieu Indra, A wlāñkät / B ylaiñäkte, apparaît toujours sous forme composée24. L’interprétation étymologique du premier terme est sujette à discussion : on pense généralement qu’il représente une variante morphologique du nom du « roi » (cf. A wäl, B walo), auquel cas le composé serait un calque du skt. devarāja- « dieu-roi », tout en alignant les termes dans un ordre différent25 ; — mais il pourrait s’agir également d’une personnification ancienne de la « pluie », de la « tempête » ou de l’« orage »26, L’analyse de A wlāñkät / B ylaiñäkte comme « orage + dieu », si elle est recevable, nous mettrait en présence d’une autre divinité du substrat religieux pré-bouddhique. 8. Le nom du Bouddha Lui aussi toujours de forme composée, le nom du Bouddha a été construit sur le modèle des entités personnifiées de la civilisation prébouddhique (« bouddha + dieu ») : A ptāñkät = B pūdñäkte (textes métriques) et B pañäkte (textes en prose). Comme dérivés de ce nom propre, nous citerons les adjectifs A ptāñäkteṃ, B pūdñäktäññe / pañäktäññe et B pūdñäkteṣṣe27. Dans ces dénominations, les variantes du premier terme A pt- et B pūd- / pä(t)- représentent des altérations phonétiques du sanskrit buddha-. Il est à noter que la forme simple B pat est 24 Winter 1987, 304-307. 25 Pinault 2008, 33, 512 ; cf. antérieurement Winter 1987, 305-307 et Lubotsky 1994, 67-71. 26 Adams 2013, 563, qui envisage l’hypothèse que A wlā- / B ylai- proviennent d’une racine indo-européenne *u̯elh3- « frapper », cf. hittite walḫ- « frapper ». 27 Winter 1987, 301-304, 310-311.
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également attestée, mais elle désigne le « stūpa », c’est-à-dire le monument qui contient les reliques du Bouddha, imprégné de la présence corporelle de celui-ci et de son énergie28. Dans le cas du nom du Bouddha, le second terme s’interprétera plutôt comme « seigneur » : le Bouddha n’est pas un dieu, mais le culte qui lui est rendu l’assimile à une puissance supérieure ou surnaturelle29. 9. D’autres noms divins En principe, les noms tokhariens de dieux indiens sont toujours composés : la détermination par l’élément A -ñkät / B ‑ñäkte effectue l’intégration formelle de divinités d’origine étrangère, telles que Brahmā, Māra, Śrī ou Kāma30 : A pram ñkät / bram ñkät = B bramñäkte « Brahmā » (l’emploi des formes simples demeure exceptionnel) ; A mārñkät = B mārñäkte « Māra » (la forme simple ne se trouve que dans le dialecte B, exclusivement dans des bilingues31) ; A śriñkät (fém.) = B śrīñäkte (fém.) « Śrī » ; B kāmñäkte « Kāma ». Une divinité inconnue du bouddhisme indien est A lyalypu ñkät / B yāmor ñakte, « acte + dieu »32 ; ces noms composés ont été formés sur les mots tokhariens signifiant le « karman », à savoir A lyalypu (litt. « reste, résidu ») et B yāmor (« acte ») : sne kāruṃ säm lyalypu ñkät (A 64 b 2), « impitoyable [est] le Dieu Karman » ; täpreṃ lyalypu ñkät nṣā kārmeṃ tampe pälkäṣtār (A 92 a 4), « à quel point, O Dieu Karman, tu fais voir [ton] pouvoir sur moi » ; yāmor ñakta kā tot ñiśne maiyya … (B 89 b 2), « ô Dieu Karman, pourquoi tu [exerces ?] à ce point [ton] pouvoir sur moi ? » ; yāmor ñīkte ṣe cau ñī palskañe śarsa (B 496 a 5), « le Dieu Acte seul connut cette pensée mienne ».
D’après Pinault33, les noms composés A lyalypu ñkät / B yāmor ñakte, dont le type est identique à celui des noms du « soleil », de la « lune » et de la « terre », pourraient perpétuer le souvenir d’une divinité indigène du destin, de la fatalité, de la fortune, restée vivace dans la religion populaire après la conversion au bouddhisme ; mais, il pourrait s’agir également du Karman personnifié, doué d’une force irrésistible « qui cause le maintien de l’homme dans le cercle des renaissances, où il reste soumis à la souffrance, produit du désir »34. 28 Pinault 2008, 34. 29 Pinault 2008, 33. 30 Winter 1987, 300-301. 31 Thomas 1969, 264-268. 32 Thomas 1969, 239. 33 Pinault 1998, 358. 34 Pinault 2008, 27 ; Thomas 1969, 239.
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Lambert Isebaert
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