Cerveau et esprit en images 9782759824120

Comment les émotions affectent-elles vos prises de décision ? Pourquoi certaines odeurs évoquent de lointains souvenirs

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Translation from the English language edition of: "Mind & Brain: a graphic guide", © 2013 Icon Books Ltd Traduction : Alan Rodney - Relecture : Gaëlle Courty Imprimé en France par Présence Graphique, 37260 Monts Mise en page de l’édition française : studiowakeup.com ISBN (papier) : 978-2-7598-2353-6 ISBN (ebook) : 978-2-7598-2412-0 Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinés à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal. © EDP Sciences, 2019

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Ce livre traite d’un organe biologique, le cerveau, et de ce qu’il crée, l’esprit. Comme pour toutes les parties du corps, l’évolution a adapté les cerveaux afin qu’ils conviennent à certains environnements et modes de vie. Si le cerveau a évolué et s’il est le vecteur de l’esprit, est-ce que cela implique que l’esprit a évolué lui aussi ? La réponse à cette question ne peut être que « oui » et « non ». Le cerveau et l’« esprit biologique » des primates ont évolué pour survivre dans la jungle ou la savane. Ils sont adaptés à la résolution de certains problèmes de recherche de nourriture et d’abri, de reproduction et de soin aux petits. Mais en plus d’être un « esprit biologique » évolué, l’esprit humain est aussi un « esprit culturel » socialisé apte à résoudre toute une série de problèmes « non naturels » générés par l’invention de la composition musicale et par la lecture, la peinture, la programmation informatique et le vote électoral. L’esprit culturel est réflexif – il se réfléchit sur lui-même. En un sens, l’esprit c’est comment nous en parlons et nous y pensons.

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Une brève histoire de l’esprit et du cerveau Les êtres humains savent qu’ils ont un cerveau depuis longtemps, sans être très au fait de ce à quoi il sert exactement. Le grand nombre de boîtes crâniennes des premiers hominidés portant des signes de lésions infligées volontairement suggère qu’il y a trois millions d’années, nos aînés avaient compris au moins que le cerveau est un organe vital.

La toute première scène du film 2001, l’Odyssée de l’espace (1968), un classique de science-fiction signé Stanley Kubrick, représente nos ancêtres hominidés découvrant l’homicide. 4

Une connaissance avec de meilleures intentions était manifeste il y a 10 000 ans. Des crânes du Néolithique provenant d’un peu partout dans le monde exhibent des trous de trépanation – c’est-à-dire qu’ils ont été grattés ou percés. Les trous ont des bords lisses et montrent d’évidents signes de cicatrisation. Il est probable que la trépanation était utilisée comme traitement des maux de tête, des convulsions et de la démence – ou de la « possession de l’esprit ».

La trépanation était pratiquée jusqu’à récemment en Europe et continue de l’être dans de nombreuses cultures. Les arguments théoriques en faveur de la technique moderne de l’électroconvulsivothérapie (ECT) ne sont guère plus convaincants que ceux en faveur de la trépanation. Paul Broca (1824–1880)

Lorsque les « docteurs » du Néolithique trépanaient un « patient », croyaient-ils traiter le corps, la tête, l’esprit ou l’âme ? Nous ne le saurons jamais. Mais il est probable qu’ils ne considéraient pas ces distinctions. 5

Inventer l’esprit Les poèmes épiques d’Homère du xviiie siècle avant J.-C. sont les œuvres écrites les plus anciennes d’Europe. L’Iliade raconte le siège de Troie et l’Odyssée le voyage de retour du héros Odysseus (Ulysse chez les Romains). Étonnamment, ces œuvres ne citent que rarement ce que nous appellerions « l’esprit ». Le vocabulaire d’Homère n’inclut pas des termes mentaux tels que « penser », « décider », « croire », « douter » ou « désirer ». Les personnages dans les récits ne décident de rien. Ils n’ont pas de volonté propre. Nous n’agissons que parce que nous obéissons à des voix ou que nous sommes mus par une tension interne. Ou que nous sommes forcés en quelque sorte par un dieu.

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Là où nous aurions recours à la pensée ou à la réflexion, les personnages d’Homère ont recours à la discussion avec ou à l’écoute de leurs propres organes : « j’ai dit à mon cœur » ou « mon cœur m’a dit ». Les sentiments et les émotions sont décrits également de cette façon mi-étrange, mi-familière. Les sentiments sont toujours localisés dans une partie du corps, souvent le ventre. Une forte inspiration d’air, la palpitation du cœur ou les pleurs sont des sentiments. Un sentiment n’est pas une chose intérieure distincte de sa manifestation corporelle. L’Iliade et l’Odyssée sont des versions écrites de « chants » chantés à l’origine par des bardes illettrés qui exprimaient les croyances et les idées de leur culture orale. Nous avons inventé l’esprit au fur et à mesure que notre culture orale se transformait peu à peu en une culture littéraire.

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Dans les cultures orales, les gens ne font pas explicitement la différence entre une pensée et les mots qui l’expriment. Ce que vous dites correspond à vos intentions. Votre parole (et non votre signature) est votre engagement. La parole s’évanouit une fois prononcée. En revanche, les écrits restent figés. Vous pouvez les étudier à loisir. Cela encourage une distinction entre les symboles persistants sur la page et les idées qu’ils représentent. Le sens « littéral » se distingue systématiquement du sens « intentionnel » (tout comme la « lettre » et l’« esprit » de la loi). Les idées et les mots qui les expriment ne sont plus identiques.

L’écriture et la parole sont devenues des actions qui expriment des pensées préexistantes.

Le ratio de la pensée rationnelle se sépare de l’oratio de la parole pour devenir un concept à part entière. Les actions des gens expriment leurs pensées et les décisions qu’ils ont prises. 8

On prétend que l’alphabétisation crée un fossé entre deux mondes. L’un est le monde que nous entendons et voyons, le monde de la parole et de l’action. L’autre est le monde mental imperceptible des pensées, des intentions et des désirs. Tout comme la parole et l’action prennent place dans le monde physique, les Grecs du temps de Platon et d’Aristote ont créé un espace dans lequel abriter les pensées, les intentions et les désirs. Cet espace métaphorique a été appelé d’abord psyché, mais est appelé aujourd’hui esprit. Tout comme le corps et les membres exécutent des actions physiques, une nouvelle entité devenait nécessaire pour exécuter des actions mentales.

Platon

Il s’agissait de l’ego ou du moi.

Socrate

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Qu’est-ce que l’esprit ? Nous pouvons constater qu’il n’y a pas de réponse simple à cette question. Les efforts pour comprendre la relation entre le cerveau et le comportement, ou entre l’esprit et le cerveau, constituent véritablement des investigations sur le sens que doivent avoir ces termes. Certaines fonctions cérébrales – par exemple, le contrôle de la température corporelle – se déroulent de façon totalement inconsciente. D’autres fonctions sont d’ordinaire inconscientes, mais pas systématiquement : par exemple, respirer, sauf lorsque vous retenez volontairement votre respiration. Elles pourraient être appelées fonctions corporelles, plutôt que mentales, mais la distinction n’est pas nette. Quand vous reconnaissez un objet, vous devenez conscient de ce que c’est – par exemple, un livre. Mais vous n’êtes pas conscient de comment vous le reconnaissez.

Quand vous vous rappelez volontairement du nom de quelqu’un, vous n’êtes pas souvent conscient du processus grâce auquel vous l’avez retrouvé.

Donc peut-être que la reconnaissance et le fait de se rappeler peuvent être considérés comme des processus corporels, dont les résultats peuvent (parfois) devenir conscients. 10

Bien que nous soyons dans l’incapacité de dire ce qu’est concrètement l’esprit, nous avons des idées sur ce qu’il fait. L’esprit nous permet de voir le monde et d’agir volontairement sur lui. Voir, entendre, toucher et toutes les autres sensations se passent dans l’esprit. De même que l’expérience des émotions. Le mouvement (appelé souvent action motrice), penser, se souvenir et planifier semblent résulter de l’esprit. L’esprit inclut aussi le sens du moi et le sens du libre arbitre.

Les Grecs nous ont légué une psychologie mentaliste pleine de mots comme sentir, penser, désirer et décider. Elle est devenue notre bon sens ou psychologie populaire. Mais est-ce adapté à nos besoins actuels ? Jusqu’à quel point les métaphores de l’esprit et du moi recouvrent-elles nos connaissances du fonctionnement du cerveau ? Ces questions se trouvent au cœur de ce livre. 11

Rencontre avec le cerveau En moyenne, le cerveau humain pèse environ 1,4 kilo. Ses caractéristiques les plus évidentes sont les hémisphères gauche et droit (HG et HD), qui renferment la plupart des autres parties (souscorticales) et le cervelet (petit cerveau) en forme de noix à l’arrière où la colonne vertébrale apparaît. La surface des hémisphères est recouverte par le tissu cortical (du latin cortex, « écorce »), qui est froissé ou circonvolu. Les circonvolutions augmentent la surface corticale disponible dans les limites de la boîte crânienne.

Hémisphère droit

Hémisphère gauche

Cervelet

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Dans bon nombre de langues anciennes, le mot pour désigner le cerveau et la moelle osseuse était le même. Les Grecs anciens et les Chinois pensaient que tous deux se développaient à partir du sperme. Les Égyptiens du Moyen Empire (environ 2040–1786 av. J.-C.) étaient si peu impressionnés par le cerveau qu’ils ne le préservaient pas avec le reste du corps du défunt, contrairement au cœur, aux poumons, au foie et aux reins.

Nous le vidions par les narines et le jetions.

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Matière ou esprit ? Le médecin grec Hippocrate (environ 460–377 av. J.-C.) rejetait l’idée que les dieux et les esprits étaient à l’origine de la mauvaise santé physique et mentale. Il a fourni une description purement matérialiste du corps et de l’esprit.

Platon (429–347 av. J.-C.) n’acceptait pas totalement cette théorie matérialiste des humeurs. Il croyait en une âme avec trois parties.

La raison et la perception dans la tête

Les passions nobles, telles que le courage et la fierté, dans le cœur et les poumons

Toutes les sensations, les pensées et le contrôle du corps siègent dans le cerveau. Les passions de base, telles que l’avarice et la luxure, dans le foie et les intestins

L’équilibre des quatre humeurs – le sang, la lymphe, la bile jaune et la bile noire – déterminait la santé, l’humeur et le tempérament. Des procédures telles que la saignée, la privation de nourriture ou la purge étaient utilisées pour traiter les déséquilibres nocifs. 14

La première partie de l’âme était immortelle, mais les deux autres étaient périssables.

Aristote (384–322 av. J.-C.) savait que le fait de toucher le cerveau ne provoquait aucune sensation. Il considérait que le cœur devait être le siège des sensations. Puisque les animaux ne possédant pas de sang n’ont pas de cerveau, la fonction de ce dernier doit être de refroidir le sang chaud qui monte du cœur.

C’est faux !

Galien (environ 129–216), un médecin grec qui vivait aux temps des Romains, s’est appuyé sur la dissection d’animaux, des expériences, la pratique clinique et peut-être des observations de blessures de gladiateurs. Il en a conclu que le cerveau est l’organe de la sensation et des mouvements volontaires. Le débat qui opposait l’hypothèse cérébrale à l’hypothèse cardiaque a perduré jusqu’au Moyen Âge et au-delà. 15

Cartographes pionniers La grande époque de la cartographie et de la navigation européennes a débuté à la Renaissance. Les cartes représentaient non seulement les « nouveaux mondes » à travers les mers, mais aussi ceux du ciel, dessinées par Nicolas Copernic (1473–1543) et Galilée (1564–1642), et également l’intérieur du corps, dessiné par les anatomistes pionniers tels que Léonard de Vinci (1452–1519), André Vésale (1514–1564) et d’autres.

Il y a de nouvelles connaissances dans toutes les directions.

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L’esprit des brèches Depuis le temps des Grecs anciens, les partisans de la théorie cérébrale croyaient que l’âme et les facultés mentales avaient leur siège, non pas dans les tissus du cerveau, mais dans les cavités internes appelées ventricules. Vésale enseignait que l’air inhalé et les esprits vitaux remontant du cœur se mélangeaient dans les ventricules et se transformaient en esprits animaux. Ces derniers étaient distribués le long de canaux creux vers les organes de sensation et de mouvement. Cela représentait l’une des premières approximations d’une théorie chimique du fonctionnement des nerfs.

Les esprits animaux libèrent des déchets tels que les vapeurs ascendantes et le lymphe descendant.

André Vésale

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Ventricules, tissus et l’esprit À l’époque, le débat faisait rage quant au nombre de ventricules que le cerveau possédait. On pensait que les différentes fonctions – telles que la mémoire, la pensée, le jugement et la raison – étaient localisées dans des ventricules différents. Cela perdura jusqu’à l’arrivée de Franciscus de le Boë (1614–1672) (connu sous le nom de Franciscus Sylvius) et Thomas Willis (1621–1675). Pour le philosophe René Descartes (1596–1650), il y avait une scission totale entre l’esprit/l’âme conscient(e) et l’enveloppe corporelle. Nous avons commencé à souligner l’importance du tissu cérébral lui-même.

Thomas Willis

René Descartes

Franciscus de le Boë

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Pendant ce temps, j’avais décidé que la pensée et le mouvement volontaires caractérisaient une âme immortelle.

Un poisson nommé remède miracle Les médecins romains traitaient une série de maladies, dont la paralysie, les maux de tête, l’arthrite et la goutte, en demandant à leurs patients de piétiner des poissons électriques. On pensait qu’une forme de force vitale ou de vie était transmise des poissons aux pieds. Au milieu du xviiie siècle, la thérapie électrique revint à la mode avec les avancées en physique de l’électricité et en technologie des générateurs électriques. Le cerveau était considéré comme un générateur électrique, les nerfs étant des câbles via lesquels circulait le fluide électrique.

En 1786, j’ai découvert qu’une stimulation électrique des nerfs dans une patte de grenouille entraînait des contractions musculaires.

La découverte de Luigi Galvani (1737–1798) posa les bases des idées modernes sur la conduction nerveuse. 19

L’électrothérapie, ou

galvanisme, devint de plus en plus populaire au cours du xviiie siècle comme traitement universel. Les galvanistes enthousiastes menaient aussi des expériences sur les cerveaux mis à nu d’animaux et sur les cadavres de criminels ou autres décapités.

Dans notre « culture chirurgicale », il est facile d’oublier la peur et la révulsion inspirées par cette recherche. Mais elles sont exprimées dans le roman Frankenstein (1818) de Mary Shelley (1797–1851). 20

Des bosses sur la tête Le début du xixe siècle a vu aussi le développement de la phrénologie par Franz Gall (1758–1828) et Johann Spurzheim (1776–1832). Tous deux étaient des neuroanatomistes chevronnés et croyaient dur comme fer à deux choses. Le cerveau est l’organe de l’esprit. Des facultés mentales et morales différentes ont leur siège dans des régions particulières du cortex.

Malheureusement, ils croyaient également que le degré auquel un individu possédait une faculté, comme la « mémoire » ou l’« amour pour ses enfants », dépendait de la taille de l’aire cérébrale correspondante. Par conséquent, cela serait reflété par la forme du crâne dans cette aire. Un parent affectueux devrait présenter une bosse à l’endroit approprié. L’idée que la personnalité pouvait être analysée en examinant le crâne se répandit. Aller chez le phrénologiste pour un « toucher des bosses » devint aussi tendance que consulter un psychanalyste le serait au xxe siècle. Mais les deux phrénologistes ne parvenaient pas à s’accorder sur une définition précise des facultés mentales, ni sur leur emplacement dans la boîte crânienne. 21

Le début de la localisation Marie-Jean-Pierre Flourens (1794–1867), un disciple rigoureux de Descartes, fut à la tête de la réaction contre la phrénologie. Il croyait en un esprit ou une âme unifié(e) qui ne pouvait être analysé(e) en parties distinctes. Flourens étudia les effets de la stimulation galvanique et des lésions focales (localisées avec précision) sur certaines zones du cerveau. Il en tira trois conclusions.

L’intellect est concentré en grande partie dans le cortex cérébral.

Le cervelet est important pour la coordination des mouvements moteurs. La partie inférieure du cerveau maintient les fonctions vitales du corps.

Toutefois, il souligna également que les fonctions mentales ne pouvaient être dissociées les unes des autres et que l’ablation du cortex chez un animal diminuait son intelligence proportionnellement à la quantité retirée. 22

À l’instar d’autres explorateurs du xixe siècle qui cartographiaient de plus en plus profondément l’« intérieur des terres », les neuroanatomistes se lancèrent aussi à la recherche de la localisation des aires des fonctions cérébrales. Dans les années 1860, Gustav Fritsch (1838–1927) et Eduard Hitzig (1838–1907) semblaient fournir des preuves probantes de la localisation des fonctions corticales. La stimulation électrique de certaines aires du tissu cortical entraîne des mouvements d’un seul membre ou de parties du visage du côté opposé du corps.*

Et endommager le tissu résulte en des perturbations correspondantes des fonctions motrices.

* On savait depuis l’Antiquité que les convulsions ou des paralysies à la suite d’une blessure d’un côté de la tête se manifestent du côté opposé du corps.

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La thèse de la localisation corticale fut renforcée en 1861. Paul Broca (1824–1880) démontra que des troubles de la parole sont liés à des lésions dans une région du lobe frontal gauche. La personne comprend ce qui lui est dit mais parle avec difficulté, voire pas du tout.

Ce trouble porte le nom d’aphasie de Broca. L’aire de Broca coordonne les mouvements de la parole. Elle se trouve juste à côté du cortex moteur qui contrôle les mouvements des lèvres, de la langue et des cordes vocales. En 1874, Carl Wernicke (1848–1904) découvrit que lorsqu’une aire du lobe temporal, proche du tissu impliqué dans l’audition (appelé cortex auditif), était lésée, il en résultait un autre type de trouble du langage. Ces personnes parlent avec aisance, mais ce qu’elles disent est généralement incompréhensible.

Il s’agit de l’aphasie de Wernicke.

Cortex moteur Cortex sensoriel

Aire de Broca

24

Cortex auditif

Aire de Wernicke

Des années plus tard, le neurochirurgien Wilder Penfield (1891–1976) fut capable de se servir de la stimulation sur des patients conscients en train de subir un acte chirurgical cérébral* pour cartographier la région motrice humaine (ou cortex moteur) dans le lobe frontal. Il dessina également le cortex sensoriel dans le lobe pariétal.

Qu’est-ce qui s’est passé ?

J’ai stimulé la région motrice correspondant à votre jambe

* Souvenons-nous qu’Aristote savait déjà que toucher le cerveau ne produit ni douleur, ni quelque autre sensation.

25

Friedrich Goltz (1834–1902)

Malgré ces succès, la localisation des fonctions mentales supérieures dans certains coins du cortex affrontait une opposition persistante. En particulier parce que les localisateurs commencèrent à produire des cartes du cerveau aussi incohérentes les unes et les autres que celles des phrénologistes. J’ai retiré entièrement le cortex de ce chien, pourtant il reste debout et marche encore. Par conséquent, Fritsch et Hitzig devaient se tromper en affirmant que les centres des mouvements moteurs doivent se trouver dans le cortex.

Au xxe siècle, Goldstein et Lashley ont suivi la vision holistique de Flourens et Goltz selon laquelle les fonctions supérieures dépendent de la totalité du cortex et la perte de fonction de l’étendue des lésions tissulaires. D’autres, comme Monakow et Sherrington, abandonnèrent finalement l’approche matérialiste et identifièrent les fonctions mentales supérieures à une âme. 26

Les débuts de l’assemblage des fonctions cérébrales L’un des premiers à entrevoir une solution à l’apparente contradiction entre localisation et holisme fut John Hughlings Jackson (1835–1911). Hughlings Jackson admit que les fonctions motrices et sensorielles simples sont localisées dans des aires corticales spécialisées. Mais il vit également que des pensées et des comportements plus complexes doivent être assemblés à partir d’un grand nombre de ces éléments plus simples, impliquant donc de nombreuses aires distinctes du cerveau. Il comprit aussi que la « même » activité peut être assemblée à des niveaux inférieur ou supérieur du cerveau.

Le chien décérébré de Goltz peut encore être incité à marcher et manger, mais il ne se met pas à marcher en quête de nourriture. Il est évident que les animaux dits inférieurs, qui n’ont jamais développé de cortex, peuvent marcher. Mais une région corticale motrice est nécessaire pour initier une marche volontaire afin d’atteindre un objectif.

27

Un enfant en bas âge tenu par les mains entame une marche contrôlée par la colonne vertébrale. Mais quand il grandira, il devra encore apprendre la marche « corticale » volontaire.

 

Et même si des patients atteints d’une aphasie de Broca ne peuvent parler, ils peuvent parfois jurer ou chanter. Ces réactions automatiques, après avoir cogné son orteil ou pour fredonner un air, doivent avoir pour origine les centres sous-corticaux. Elles ne requièrent pas les régions corticales nécessaires à la construction de la parole volontaire non automatique.

Hughlings-Jackson et, plus tard, Henry Head (1861–1940) ont reconnu que ce n’est pas parce que notre vocabulaire contient des mots uniques comme « marcher », « parler », « voir » ou « se souvenir » que cela signifie qu’il s’agit d’activités uniques. 28

D’ailleurs, Le grand neuropsychologue réfléchir de russe Alexander Luria manière consciente à une compétence bien (1902–1977) avait remarqué acquise peut même qu’une même fonction peut la perturber. être accomplie par différents ensembles d’aires cérébrales œuvrant simultanément à différentes occasions. Par exemple, l’apprentissage d’une nouvelle compétence requiert la pensée consciente, corticale. Mais le contrôle peut être relayé ensuite à des centres sous-corticaux une fois la compétence bien acquise.

Maintenant… prenez à gauche.

29

Suivre le progrès Le cerveau est-il constitué de vaisseaux sanguins, de glandes ou de globules ? Ce débat du xviie siècle ne pouvait progresser qu’avec de meilleures techniques de visualisation d’un organe complexe, dense et tridimensionnel. Les avancées techniques incluent : l’amélioration de la neuroanatomie ; des outils pour la dissection ; le développement de procédés chimiques pour fixer et préserver le tissu cérébral ; le perfectionnement de la microscopie ; l’invention de techniques de coloration des tissus. La théorie cellulaire du système nerveux a été établie à la fin du xixe siècle.

Grâce à mon invention de techniques de coloration…

Santiago Ramon y Cajal

Camillo Golgi

30

… et à mes découvertes neuroanatomiques.

Neurones et cellules gliales En réalité, il y a deux types de cellules dans le cerveau : les neurones, qui sont au nombre de 100 000 000 000, et les cellules gliales, encore plus nombreuses. Les neurones, ou cellules nerveuses, constituent ce qui est considéré ordinairement comme les « cellules cérébrales ». Il y a de nombreux types de neurones. Tous possèdent un corps cellulaire, un axone et de nombreuses ramifications appelées dendrites. Nous savons assez peu de choses sur les cellules gliales. L’une de leurs fonctions est de produire de la myéline, une substance isolante grasse qui enveloppe de nombreux axones. Un déficit en myéline est une caractéristique de plusieurs maladies neurodégénératives, telles que la sclérose en plaques.

Dendrites

Corps cellulaire

Corps cellulaire

Cellule motrice (moelle épinière) Axone

Axone Cellule de Purkinje (cervelet)

NEURONE MOTEUR

NEURONE SENSORIEL

Noyau

Gaine de myéline

Cellule pyramidale (cortex) Axone terminal

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Substance grise et substance blanche Là où un grand nombre de corps cellulaires sont groupés étroitement, on parle de « substance grise », ou de cortex. Là où les tissus sont constitués essentiellement de longs axones myélinisés qui connectent différentes communautés de cellules (connues sous le nom de noyaux), on parle de « substance blanche ». Les circonvolutions de la surface corticale font qu’une grande partie de cette dernière est dissimulée dans des plis internes appelés sillons, qui sont séparés par des crêtes appelées gyrus.

Ventricule latéral

Sillons

Ventricule latéral

32

Substance grise

Gyrus

Substance blanche

Le cerveau électrique Les neurones possèdent une propriété appelée « irritabilité nerveuse », qui signifie qu’ils répondent à des stimuli externes, tels qu’un courant électrique. Si un corps cellulaire reçoit la stimulation/l’information appropriée provenant de ses dendrites et des axones d’autres cellules, il va « décharger » (manifester de l’irritabilité). Cela signifie qu’il envoie un petit signal électrique le long de son axone. Ce dernier se connecte alors aux dendrites ou corps cellulaires d’autres neurones ou aux cellules des muscles ou des glandes. Les neuroscientifiques peuvent étudier un neurone en plaçant des électrodes près du corps cellulaire. Une électrode enregistreuse compte le nombre de fois que la cellule décharge. Une électrode stimulatrice déclenchera la décharge de la cellule. Chaque neurone est stimulé par un très grand nombre d’autres cellules nerveuses connectées à ses dendrites ou son corps cellulaire. Certaines de ses connexions sont excitatrices (elles augmentent la probabilité de décharge de la cellule cible). D’autres sont inhibitrices (diminuant la probabilité de décharge). Les quantités relatives d’excitation et d’inhibition qui impactent la cellule cible simultanément déterminent son rythme de décharge. Excitatrice Inhibitrice

Axone La figure ci-dessus représente une cellule qui reçoit des connexions excitatrices (principalement au niveau de ses dendrites) et des connexions inhibitrices (principalement sur le corps cellulaire).

33

Décharge anormale Parfois, la décharge de groupes de cellules peut devenir excessive.

Cela peut se traduire par des tics musculaires.

Ou par des

perturbations visuelles, telles que celles associées aux migraines.

En cas d’épilepsie, la survenue d’une décharge anormale peut induire une sensation d’aura.

Mais puisque la décharge anormale s’étend à de plus en plus de tissus, cela résulte finalement en des convulsions.

34

Le cerveau chimique Là où les ramifications d’axones se connectent aux dendrites ou aux corps des cellules cibles, il y a une étroite fente baptisée synapse par sir Charles Scott Sherrington (1857–1952). Le potentiel électrique qui descend le long de l’axone ne peut pas franchir cette fente. À la place, l’axone présynaptique libère des molécules chimiques spécialement formées. Ces dernières traversent la fente synaptique et se lient aux sites récepteurs de la forme correspondante présents sur la dendrite ou la cellule post-synaptique.

Potentiel d’action

Axone terminal

Neurotransmetteur

Fente synaptique

Dendrites du neurone récepteur ou corps cellulaire contenant des sites récepteurs

Si la cellule suivante est un autre neurone, l’arrivée de molécules va soit augmenter (excitation) soit diminuer (inhibition) la probabilité de cette décharge cellulaire. 35

Dysfonctionnements chimiques Les substances chimiques qui agissent de cette manière sont connues sous le nom de neurotransmetteurs. La sérotonine et la dopamine en sont des exemples. Trop ou trop peu de neurotransmetteurs entraîne des dysfonctionnements de types variés. Par exemple, dans la maladie de Parkinson, il devient difficile d’initier et de contrôler des mouvements volontaires. Ce qui est associé à un déficit en dopamine au niveau du cerveau. Augmenter la production de dopamine dans le cerveau améliore la pathologie.

Hippocampe

Hypothalamus

SÉROTONINE

Cortex

Noyaux du raphé

Cortex Hypothalamus

Substance

Pourquoi les drogues, telles que la noire morphine et le LSD, et les poisons, tels Molécule du neurotransmetteur que le curare, ont des effets ? Parce qu’ils ont une structure proche de celle des neurotransmetteurs naturels du cerveau. En se liant aux sites des récepteurs post-synaptiques, ils perturbent la circulation normale le long Récepteur chimique des parcours neuronaux. 36

DOPAMINE

Ganglions de la base

Le cerveau, les hormones et le corps Les neurotransmetteurs ressemblent à bien des égards aux hormones. Les hormones, telles que l’adrénaline et la testostérone, sont sécrétées dans le sang par les glandes. Dans le sang, elles peuvent circuler afin d’agir sur des organes distants.

GLANDES Hypothalamus Glande pituitaire (nombreuses hormones) Medulla Thyroïde

Les hormones régulent les fonctions corporelles, telles que la production d’énergie et le métabolisme. Et elles sont impliquées dans le contrôle des comportements émotionnels, sexuels et bien d’autres.

Glandes surrénales Pancréas

Ovaires (chez la femme) Testicules (chez l’homme)

• L’activité cérébrale contrôle la libération d’hormones par les glandes dans le sang. • Mais les hormones, transportées jusqu’au cerveau par le sang, influent alors l’activité du cerveau lui-même. • Le cerveau est un organe corporel, faisant partie d’un système opérationnel plus grand. Quand, comme dans ce livre, nous portons notre attention exclusivement sur le cerveau, nous perdons de vue facilement ce fait. 37

La géographie du cerveau humain Le cerveau est une structure merveilleusement complexe. La terminologie qui a évolué pour le décrire est presque encore plus impressionnante. Parce que le cerveau est étudié par de nombreux groupes différents – anatomistes, physiologistes, biochimistes, généticiens, chirurgiens, neurologistes, neuropsychologues et autres –, la plupart des structures ont acquis plusieurs termes alternatifs, qui peuvent être grecs, latins, anglais ou français. L’appellation des troubles du comportement résultant de lésions cérébrales soulève aussi des difficultés. Les noms de nombreux troubles commencent par « a », signifiant « sans » (comme dans a-théisme). D’autres commencent par « dys », signifiant « mauvais » (comme dans dys-lexie). Bon nombre de ces « a » devraient en réalité être des « dys », car il est relativement rare qu’une fonction comportementale soit supprimée totalement. Bien que cela arrive parfois, des degrés d’altération sont plus courants. Vous voilà prévenus ! Cortex cérébral

(contrôle la pensée, ainsi que les fonctions sensorielles et les mouvements volontaires)

Thalamus

(achemine les informations sensorielles vers le cortex cérébral)

Mésencéphale Corps calleux

(achemine les informations entre les deux hémisphères cérébraux)

Système d’activation réticulaire

(achemine les messages liés au sommeil et à l’éveil)

Pont (de Varole)

(achemine les informations entre le cortex cérébral et le cervelet)

Cervelet

(coordonne les mouvements musculaires fins, l’équilibre)

Hypothalamus

(régule la température, l’alimentation, le sommeil et le système endocrinien)

Glande pituitaire (glande maîtresse du système endocrinien)

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Medulla

(régule les battements cardiaques, la respiration)

Moelle épinière

(achemine les impulsions nerveuses entre le cerveau et le corps, contrôle les réflexes simples)

Évolution et développement Les systèmes nerveux ont évolué parce qu’ils ont amélioré les chances de survie des animaux en possédant. Un système nerveux permet à un animal d’avoir un comportement plutôt que de rester passif : pour rechercher de la nourriture et éviter le danger, plutôt que de simplement espérer que la nourriture se présentera mais pas le danger. Mésencéphale

25 jours

35 jours

Cervelet et Pont (de Varole) Medulla

Rhombencéphale

40 jours

Moelle épinière

5 mois 

8 mois 

6 mois

Hémisphères cérébraux (prosencéphale)

55 jours

9 mois

Le cerveau d’un embryon débute comme un simple tube de tissu. Puis, il développe trois extensions qui deviendront le prosencéphale, le mésencéphale et le rhombencéphale. Le cortex du prosencéphale se divise ensuite en deux hémisphères cérébraux, qui croissent jusqu’à couvrir une grande partie des régions de la partie inférieure du cerveau. 39

Le rhombencéphale La partie inférieure du cerveau, ou rhombencéphale, supporte essentiellement des fonctions corporelles vitales. La première composante majeure du rhombencéphale est le medulla. C’est un prolongement de la colonne vertébrale qui est impliqué dans le contrôle de la respiration, des battements cardiaques et de la digestion. Au-dessus se trouve le pont de Varole, qui reçoit les informations envoyées par les aires visuelles pour contrôler les mouvements des yeux et du corps. Il envoie ces informations à la troisième structure majeure du rhombencéphale, le cervelet en forme de noix, qui contrôle la coordination des séquences de mouvements. Une quatrième structure du rhombencéphale, la formation réticulaire, joue un rôle important dans le contrôle de l’éveil et dans le cycle de sommeil et de réve Formation réticulaire

Pont de Varole Medulla

40

Cervelet

Le mésencéphale Le mésencéphale est situé au-dessus du rhombencéphale. Ses principaux éléments sont les pédoncules, le tegmentum mesencephali et le tectum mesencephali. Les deux premiers sont impliqués dans les mouvements moteurs. C’est suite à un déficit en dopamine au niveau des pédoncules, et ailleurs, que survient la maladie de Parkinson. Le tectum contient les noyaux (groupes de cellules) visuels et auditifs. Pour les oiseaux et autres animaux dits inférieurs, ce sont leurs cerveaux visuel et auditif. Les mammifères ont fait évoluer de grandes régions du prosencéphale dédiées à ces sens, mais leurs tectums régissent toujours les mouvements du corps tout entier en réponse à de la lumière ou un son. Tegmentum (pédoncules)

Colliculus rostral (ou supérieur) Colliculus caudal (ou inférieur)

Tectum

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Le prosencéphale Le prosencéphale humain contient un grand nombre de structures importantes. Le thalamus est une sorte de centre de communications qui reçoit des informations des yeux, des oreilles, de la peau et d’autres organes sensoriels. Il module aussi l’activité dans le cortex dans son ensemble. L’hypothalamus est une petite structure, mais extrêmement complexe, impliquée dans le contrôle des quatre fonctions suivantes : se nourrir, combattre, fuir, se reproduire, ainsi que dans la régulation de la température, le sommeil et l’expression des émotions. Hypothalamus

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Thalamus

Le système limbique était au début un « cerveau olfactif » et est impliqué fortement maintenant dans les processus émotionnels. L’hippocampe, dans le système limbique, est essentiel pour la connaissance de la disposition spatiale de l’environnement. SYSTÈME LIMBIQUE Gyrus cingulaire Fornix Thalamus

Bulbe olfactif Corps mamillaire Hippocampe Amygdale

Les ganglions de la base sont constitués d’un nombre de noyaux (substance grise) qui jouent un rôle majeur dans les mouvements. Les personnes atteintes de la maladie de Parkinson présentent des déficits en dopamine ici aussi. Des régions distinctes des ganglions de la base reçoivent des signaux provenant soit du système limbique, soit de diverses aires corticales. C’est peut-être là que les émotions et les souvenirs rivalisent avec les circonstances et pensées présentes pour contrôler le comportement. GANGLIONS DE LA BASE

Putamen

Cortex moteur

Thalamus Tête du noyau caudé

Queue du noyau caudé

Amygdale Substance noire

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Hémisphères gauche et droit (HG et HD) Les deux hémisphères cérébraux sont les éléments les plus grands et visibles des cerveaux de l’être humain et d’autres primates. Leur substance grise superficielle s’appelle le cortex, appelé parfois néocortex pour le distinguer du cortex trouvé dans les structures cérébrales inférieures, plus anciennes. Chaque hémisphère reçoit des informations provenant en grande partie du côté opposé du corps, qu’il contrôle aussi en grande partie. Les deux hémisphères peuvent agir de concert pour produire des comportements cohérents, parce qu’ils partagent des informations via une immense couche de fibres appelée corps calleux. Ils sont connectés également indirectement via les structures sous-corticales au-dessus desquelles ils reposent. Scissure longitudinale

Lobe frontal

Sillon central

Hémisphère sdroit

Hémisphère gauche Lobe pariétal

VUE DE DESSUS 44

Lobe occipital

Chaque hémisphère est divisé en quatre lobes, séparés par de profondes fentes appelées sillons (ou scissures). Les lobes, à leur tour, peuvent se subdiviser en aires. Différentes aires sont identifiées sur la base de plusieurs critères. Quand elles sont colorées et observées au microscope, elles sont différentes et se distinguent par le schéma de leurs connexions aux autres aires. Elles sont définies fonctionnellement par le type de stimuli qui active leurs cellules et par les troubles du comportement en résultant quand elles sont endommagées. L’identification d’aires demeure un sujet d’étude d’actualité. Identifier les aires correspondantes dans le cerveau de différentes espèces est une tâche particulièrement ardue Sillon central

Lobe pariétal

Lobe frontal

VUE LATÉRALE Sillon latéral

Lobe occipital Lobe temporal

Lobe frontal Lobe pariétal

VUE MÉDIALE Corps calleux

Lobe temporal

Lobe occipital

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Capacités mentales Les cortex cérébraux sont le siège des capacités mentales les plus avancées. Ils contiennent des centres qui réunissent des informations provenant des sens et les pensées et souvenirs, afin de comprendre ce qui se passe dans le monde tout autour de nous. Les primates, et les êtres humains en particulier, possèdent des hémisphères particulièrement volumineux. Cependant, il est important de garder à l’esprit que les cortex cérébraux fonctionnent en tant que partie d’un système plus vaste. La connectivité est une caractéristique très importante du cerveau. Les centres supérieurs et inférieurs sont connectés fortement par des faisceaux de fibres ascendants et descendants. Ces derniers maintiennent le contact entre les structures du rhombencéphale, du mésencéphale et du prosencéphale. C’est de cette manière que l’intégration de l’esprit et du corps est obtenue.

Connectivité dans le cerveau

Fibres arquées

Corps calleux

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Les esprits simples 1 : la limace de mer Certains comportements paraissent plus complexes et intelligents qu’ils ne le sont en réalité. Essayez de lire assis près d’une horloge bruyante ; son tic-tac pourrait vous distraire, rendant la concentration sur votre livre difficile. Finalement, vous cessez d’être conscient des tic-tac.

Apprendre à ignorer un stimulus s’appelle l’habituation. La simple limace de mer, l’aplysie, est capable d’habituation. Quand sa tête est touchée par une tige en verre, elle réagit par une rétraction défensive de sa branchie. Mais si cette séquence est répétée assez souvent, la réponse de rétraction branchiale s’habitue.

Tige en verre

Branchie Branchie

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Revenons à la pièce imaginaire avec l’horloge bruyante que vous aviez appris à ignorer. Supposons à présent que vous appreniez qu’il y a une bombe à retardement à proximité.

Seriez-vous encore capable d’ignorer les tic-tac ou bien est-ce que vous y seriez extrêmement sensibilisé(e) ?

Sonde électrique

Branchie

Si la rétraction de la branchie de l’aplysie s’habitue et que l’animal reçoit ensuite une légère décharge électrique au niveau de la queue, la réponse de rétraction de la branchie revient très fortement. L’aplysie montre aussi sa sensibilisation. L’habituation et la sensibilisation dans l’exemple de l’humain mènent à l’emploi de termes de mentalisme tels que apprentissage, attention et mémoire. Mais nous trouvons des comportements similaires chez l’aplysie, qui possède seulement 5 000 neurones. 48

Les esprits simples 2 : grenouilles et crapauds L’œil de la grenouille contient des cellules qui ne déchargent qu’en réponse à de petites taches sombres se déplaçant de manière erratique. Ce n’est sûrement pas une coïncidence si les grenouilles essaient de manger des mouches en mouvement, mais meurent de faim si elles ne sont entourées que de mouches mortes immobiles. Seul un

stimulus qui

ressemble fortement à une mouche en vol déclenchera mon comportement de chasseur.

Les crapauds tenteront de manger une allumette se déplaçant longitudinalement, mais ne manifesteront aucun intérêt à ce qu'une allumette bouge sur son extrémité. En ce qui me concerne, tout objet fin, allongé et se déplaçant longitudinalement est considéré comme étant un ver de terre, indépendamment de sa couleur, de sa texture ou de sa rigidité.

49

Les esprits simples 3 : les oiseaux Quand un goéland argenté adulte tient un ver dans son bec, ses oisillons répondent en ouvrant en grand leurs bouches et en piaillant bruyamment. Cela peut sembler être un comportement intelligent de la part d’un jeune affamé voyant de la nourriture. Mais les oisillons du goéland argenté ne sont pas très intelligents.

Nous répondons simplement au point rouge sur le bec jaune de l’adulte.

Si vous colorez le point rouge en jaune, les oisillons ignorent la nourriture. Si vous leur présentez un bec vide avec un point rouge, ils vont ouvrir grand leur bouche et piailler comme avant. En réalité, un point rouge brillant sur un crayon jaune vif induit des bouches encore plus béantes et des piaillements encore plus forts. Cela agit comme un hyperstimulus. 50

Les oiseaux adultes ne sont pas plus intelligents que leur progéniture. Quand ils reviennent au nid après être allés chercher de la nourriture, ils la régurgitent en direction de la bouche la plus grande et la plus rouge du nid. Le succès des bébés coucous tient au fait qu’ils ont des bouches plus grandes et des gorges plus cramoisies que les jeunes des espèces hôtes dans le nid desquelles ils se trouvent. Nous ne nous parvenons pas à nous rendre compte que l’intrus n’a pas la bonne taille ni la bonne couleur. Nous le nourrissons en priorité par rapport à nos propres petits.

La gorge du petit coucou est un hyperstimulus déclenchant le comportement de nourrissage chez l’adulte. 51

Les esprits simples 4 : les êtres humains Les affichages à lumière ponctuelle montrent que seule une petite fraction de l’information disponible peut déterminer la perception et le comportement humains. Un acteur, maquillé et habillé en noir, et avec des diodes électroluminescentes positionnées uniquement sur chaque articulation du corps et des membres, est filmé en fort contraste. Lorsque l’enregistrement est visionné, seuls les points lumineux sont visibles. Quand l’acteur est immobile, un spectateur ne voit qu’un ensemble aléatoire de lumières. Mais dès que l’acteur bouge, les observateurs perçoivent un schéma de mouvements spécifiques à l’espèce humaine, de marche, de course, de danse ou quoi que ce soit d’autre.

Nous pouvons même distinguer les acteurs des actrices.

Perception immobile

HOMME

Épaules

Hanches

52

FEMME

Perception cinétique

La suppression sélective des lumières révèle que la discrimination dépend du ratio balancement des épaules sur balancement des hanches. Ce ratio est plus élevé chez les hommes car leurs épaules sont larges comparées à leurs hanches.

Ces résultats montrent que nos systèmes visuels peuvent reconnaître des membres d’une espèce et leur genre indépendamment des traits du visage, de la coiffure ou des vêtements, et ce, avec une information minimale quant à la forme du corps. Les hommes balancent leurs épaules quand ils tentent d’affirmer leur masculinité et les femmes se déhanchent pour exprimer leur féminité. Ce sont des tentatives inconscientes pour créer un hyperstimulus de reconnaissance de genre.

L’exagération esthétique des traits du visage – yeux, bouche, pommettes – à des fins sexuelles est une tradition très ancienne et lucrative. Les soutiens-gorges rembourrés et push-up, les implants mammaires, les maillots de bain plongeants et échancrés qui donnent l’illusion de hanches plantureuses et de jambes interminables reflètent les préférences culturelles. Mais ce ne sont que des exagérations « glamours » de la nature et elles témoignent de la susceptibilité humaine face aux hyperstimuli. 53

Esprits complexes et ordinateurs Tout comme des comportements en apparence intelligents peuvent s’avérer reposer sur des mécanismes relativement simples, des capacités en apparence aussi simples peuvent se révéler extrêmement complexes. Dans les premiers temps des ordinateurs, les gens pensaient qu’il serait facile de les programmer à reconnaître des visages et des mots. Nous pensions aussi que les machines ne pourraient jamais être dotées d’assez d’intelligence pour assumer des demandes intellectuelles du type jouer aux échecs ou

prouver des théorèmes mathématiques.

Ordinateur EDSAC 1946

Gary Kasparov

C’est tout le contraire qui se passe. Les ordinateurs battent aujourd’hui les meilleurs joueurs d’échecs du monde et ont établi des preuves mathématiques inédites. S’agissant de marcher ou reconnaître, cependant, les ordinateurs sont à la traîne par rapport aux jeunes de n’importe quelle espèce. Cela fait réfléchir de découvrir que les problèmes résolus fièrement par l’intelligence humaine sont d’une simplicité déconcertante comparés à ceux résolus par l’évolution. 54

Le langage et le cerveau Toute tentative pour comprendre le lien entre le cerveau et l’esprit doit faire face à la question de savoir si, ou dans quelle mesure, les fonctions mentales peuvent être localisées dans des aires spécifiques du cerveau. Le langage a occupé une place importante dans ce débat, et aucun attribut de l’esprit ne montre plus clairement la puissance et les limites d’une approche localisatrice des fonctions cérébrales. À la fin du xixe siècle, Broca et Wernicke ont constaté un rôle particulier de l’hémisphère gauche (HG) dans le langage (pour les personnes droitières).

On considère le plus souvent la capacité linguistique pour acquise. Mais que se passe-t-il s’il y a un

dysfonctionnement dans l’aire de l’HG du cerveau ?

Les troubles des fonctions cérébrales nous apprennent beaucoup de choses sur le langage et l’esprit. 55

Les troubles du langage : les aphasies Les aphasies sont des troubles de production ou de compréhension du langage. Analysons ici les tentatives de trois aphasiques pour décrire une image. Chacun souffre d’une forme différente d’aphasie. Le premier est atteint d’aphasie de Broca.

Boîte à cookies… Tomber… Tabouret… Eau … Se vider.

Le langage de cet individu atteint d’aphasie n’a ni structure grammaticale, ni mots de liaison tels que « et », « dans » ou « ici ». Il comprend presque exclusivement des noms concrets et des verbes, bien que chez certains patients même les verbes peuvent faire défaut. 56

Contrairement à la doctrine classique de Broca lui-même, le handicap tend à être relativement léger, à moins que les lésions ne s’étendent au-delà de l’« aire de Broca », dans le néocortex, jusqu’à toucher les structures sous-corticales qui coordonnent le langage. Le langage nécessite des séquences extrêmement détaillées de mouvements qui doivent répondre aux contraintes de la grammaire et de la phonologie (c’est pourquoi « poids » peut être un mot en français, mais « dpsio » non). Les lésions qui causent l’aphasie expressive surviennent dans le côté gauche du lobe frontal, dans la région du cortex moteur.

C’est une région déterminante pour le contrôle des actions motrices.

Dans le cas d’une aphasie de Broca, la capacité à accomplir des actions

liées au langage est perturbée.

Ce n’est pas un hasard si les personnes atteintes d’aphasie de Broca rencontrent davantage de problèmes avec les verbes qu’avec les noms. Il est logique que les moyens nécessaires pour nommer des actions – les verbes – soient stockés dans le même voisinage cortical que ceux servant à contrôler les actions. Nous entrevoyons ici l’existence d’une composante importante de l’esprit – le mouvement lui-même. 57

Le deuxième est atteint d’aphasie de Wernicke.

Eh bien, voilà… Mère se tue ici au travail son travail en dehors d’ici pour la rendre meilleure, mais dès qu’elle regarde, les deux garçons regardent dans l’autre partie. Une leur petite tuile dans son temps à elle ici. Elle travaille une autre fois parce qu’elle y arrive. Alors, les deux garçons travaillent ensemble et l’un d’eux se faufile, en faisant son travail, et en plus, il s’est beaucoup amusé, tout son temps.

Ces personnes atteintes d’aphasie parlent facilement avec des phrases correctement formées et avec la bonne intonation, mais ce qu’ils disent n’a pas de sens et contient des mots incorrects, voire même des mots insensés.

58

Une personne souffrant d’aphasie de Wernicke perd sa compréhension. Elle ne comprend ni ce qu’elle dit ni ce qu’elle entend. Mais de même que les structures de phrases normales et les intonations sont maintenues, d’autres conventions linguistiques telles que le langage corporel et la conversation à tour de rôle le sont aussi.

De manière intéressante, les pratiquants du langage des signes qui ont eu un accident vasculaire cérébral dans l’aire de Wernicke montrent le même schéma d’altération des signes et de leur compréhension. Les lésions dans ce type d’aphasie se concentrent dans l’aire du lobe temporal que j’ai identifiée.

Comme dans le cas d’une aphasie de Broca, cependant, la pathologie tend à être assez légère, à moins que les lésions s’étendent jusqu’aux régions voisines. De plus, de temps à autre, des personnes montrant des symptômes proches des cas de Broca ou de Wernicke s’avèrent avoir eu en réalité des lésions dans la « mauvaise » aire. On pourrait dire que les deux plus célèbres troubles d’aphasie autorisent en réalité seulement deux applaudissements pour la localisation.  59

Le troisième type est l’aphasie anomique.

C’est un garçon, oui, un garçon et ça c’est une chose ! Et bientôt ça va partir. Ceci est un… un endroit qui est la plupart dans…

La salle de bain ? Non… la cuisine. Et elle, c’est une fille… Et ce quelque chose qu’ils courent et il y a plein d’eau qui coule ici.

L’individu atteint d’aphasie anomique produit aussi des phrases à peu près correctes grammaticalement, mais, étant donné ses difficultés à trouver ses mots, il hésite et emploie des noms indéfinis tels que « chose ». 60

Son problème devient aigu quand il doit nommer des objets sans un contexte d’utilisation ou de discussion. Si on lui montre un stylo, il peut être incapable de le nommer. Je ne connais pas le mot pour ça, mais on écrit dessus avec un stylo.

Mais, si on lui montre un cahier une minute plus tard, il pourrait dire…

Cortex moteur

Aire de Broca Aire de Wernicke

Aire visuelle primaire

61

Nous avons vu qu’une anomie des verbes tend à découler de lésions dans les aires frontales impliquées dans le contrôle de l’action. De même, l’anomie des objets résulte souvent de lésions du lobe temporal qui joue un rôle majeur dans la reconnaissance d’objets. La capacité à nommer des objets semble être localisée à côté de la capacité à les reconnaître. La logique de cette disposition va encore plus loin. Certaines personnes souffrant d’anomie perdent les noms par catégories spécifiques, par exemple les fruits, les animaux ou les couleurs. Former des mots et réalisation de phrases

Cortex moteur

Arbitrage lexicale pour les couleurs

Ganglions de la base du côté gauche Concepts des couleurs

La perte des noms des couleurs survient en cas de lésion du lobe temporal postérieur (arrière) gauche.

62

Cela la situe à côté de la région du lobe occipital spécialisée dans la perception des couleurs.

Un modèle d’utilisation du langage Wernicke a suggéré un modèle d’utilisation du langage qui tenterait d’expliquer les aphasies et autres troubles du langage. Quand nous voulons exprimer une pensée, les mots pour se faire sont regroupés dans l’aire de Wernicke et transmis, via un paquet de fibres appelé faisceau arqué, à l’aire de Broca. Là, la séquence correcte des mouvements de la parole est mobilisée, puis transmise au cortex moteur voisin qui les exécute. Le modèle de Wernicke est une séquence : pensées en mots en sons en commandes musculaires. Aire motrice

Faisceau arqué

Aire de Broca

Aire de Wernicke

Des lésions de mon aire entraînent la perte de la parole. Mais la compréhension reste intacte puisque mon aire fonctionne encore.

Dans le cas de l’aphasie de Wernicke, la personne atteinte ne peut traduire sa pensée en langage. Elle peut toujours parler, puisque son aire de Broca fonctionne encore, mais ce qu’elle dit est en grande partie du charabia. 63

Le modèle de Wernicke est important car il explique divers troubles du langage. Il met en évidence aussi le fait que le langage implique l’interaction de nombreuses aires cérébrales spécialisées. Le langage est trop complexe pour être localisé dans un seul centre. Toutefois, même le modèle de Wernicke est bien trop simple pour expliquer tous les emplois du langage. Les chercheurs contemporains ont découvert à plusieurs Réfléchissez à combien de fois nous énonçons et écrivons des phrases toute faites, même si nous faisons de notre mieux pour les éviter.

reprises que les formes sévères de troubles du langage impliquent systématiquement des lésions sous-corticales, de même que des lésions corticales. Dès lors que nous réalisons que le contrôle de comportements bien rôdés (habitudes) est transmis aux centres sous-corticaux, la raison en devient claire. Une grande partie des conversations quotidiennes relève de la routine et une grande partie de nos échanges et de l’écoute est inattentive. « Faire de son mieux » est une phrase toute faite. De même que « phrase toute faite » !

« Oui, mon chéri, évidemment que j’ai bien écouté ce que l’entraîneur de foot a dit. »

Une conversation normale ne requiert de l’attention que par intermittence. La vie est trop riche pour s’occuper à longueur de temps du langage. 64

Langage et tout le cerveau L’imagerie cérébrale moderne nous permet d’étudier des sujets pendant qu’ils accomplissent diverses tâches linguistiques. Ces études confirment que les zones classiques du langage dans l’HG (hémisphère gauche) sont en effet actives lorsque l’on parle et lorsque l’on comprend ; mais elles démontrent aussi que de nombreuses autres régions du cerveau deviennent actives, même lors de tâches relativement simples. J’ai suggéré que l’HD pouvait jouer un rôle plus grand dans le langage que ce qui était admis communément.

Avez-vous l’heure ?

Des études récentes démontrent à quel point Hughlings-Jackson avait raison. Des lésions au niveau de l’HD chez l’adulte peuvent induire des hésitations et des répétitions dans le langage. De telles personnes peuvent s’exprimer également de façon monotone et sans émotion, ce qui peut devenir très perturbant pour les parents et les amis. De plus, elles perçoivent mal les émotions dans les voix d’autrui. Non. Merci.

Les lésions de l’HD altèrent aussi la compréhension de caractéristiques moins évidentes du langage, telles que les questions indirectes (par exemple, « Have you got the time ? » avec ses deux connotations « Avezvous l’heure ? » et « Avez-vous le temps ? », signifiant quelque chose de complètement différent), le sarcasme, l’humour et la métaphore. Ces lacunes montrent à quel point le langage est complexe – une autre piste importante pour notre « esprit ». 65

Langage, interprétation et action Lisez cette phrase :

« Le homard à la dix-huit va péter un câble. » À première vue, cela peut évoquer d’étranges images surréalistes. Mais imaginez un restaurant bondé avec des tables numérotées – et une serveuse énervée faisant cette remarque à une autre. Soudainement, la phrase prend tout son sens.

« Le homard à la dix-huit va péter un câble. »

Comprendre le langage ne se résume pas à la reconnaissance de mots et de phrases. Nous devons interpréter leur sens et l’intention du locuteur.

Le langage est une forme d’action.

66

Les locuteurs demandent, refusent, convainquent, informent, se vantent… Les auditeurs interprètent ce qui est dit et comment cela est dit, à la lumière de leurs connaissances de la langue, du contexte physique et social actuel, et de la personnalité, des intentions et des dilemmes du locuteur. Ceci est ma dernière revendication territoriale en Europe…

Que

pensez-vous qu’il veuille dire par là ?

Tout dépend de ce qu’il a

en tête ! 

Parler et écouter s’appuie sur toutes sortes d’informations en mémoire, sur les inférences, sur la projection d’une certaine image de soi… Il n’est donc pas étonnant qu’une utilisation normale du langage implique des aires partout dans le cerveau. 67

Le mouvement et l’esprit

Pas de cerveau, pas de mouvement…

Pensez aux conséquences d’une telle affirmation !

Le but du cerveau est de produire des comportements – c’est-à-dire du mouvement. Bien que nous parlions de systèmes moteurs, la quasi-totalité du cerveau est impliquée en quelque sorte dans le contrôle des mouvements. Y compris ces aires supposées être dédiées aux sensations. Par exemple, il est difficile de marcher quand votre jambe est « endormie ». Sans rétroaction sensorielle sur comment « ils vont », les systèmes moteurs ne s’en sortent pas très bien. 68

Le réglage des mouvements Dans l’évolution et le développement individuel, le contrôle des mouvements s’étend du corps vers les membres, et le long des membres vers les doigts. Le bébé dans l’utérus fait des mouvements de tout le corps. Peu de temps après la naissance, ses membres font des mouvements grossiers désordonnés. En quelques semaines, il a assez de contrôle pour prendre des objets avec un bras.

Entre le deuxième et le qua trième mois, il peut saisir avec tous ses doigts simultanément.

Ensuite, il développe le contrôle de l’orientation de la main et, plus tard, l’opposition en pince du pouce et de l’index. L’évolution des mouvements grossiers vers des mouvements fins obéit à un principe de réglage inhibiteur. Les mouvements fins reposent sur les mêmes commandes que les mouvements grossiers, mais restreignent leur zone d’application. Vous pouvez vous en rendre compte en essayant de plier l’un de vos doigts sans plier les autres. Pour ce qui concerne l’index, ce n’est pas trop difficile. Cela se corse avec les doigts dont vous vous servez le moins pour effectuer des actions volontaires. C’est un réglage inhibiteur qui « sculpte » progressivement les mouvements grossiers de l’enfant en des actions finement contrôlées. 69

Deux systèmes de contrôle des mouvements moteurs Ramasser un objet implique deux composantes.

Atteindre avec le bras en entier

Et saisir, ce qui implique le poignet et la main

Ces composantes sont sous le contrôle de fibres motrices distinctes qui vont du cerveau vers la colonne vertébrale : le faisceau de fibres extrapyramidal et le faisceau de fibres pyramidal. Des lésions de l’un ou l’autre faisceau altèrent la composante de mouvement correspondante. Par exemple, un faisceau pyramidal descendant endommagé réduit l’efficacité de la saisie, mais a peu d’effet sur la synchronisation ou la précision pour atteindre. 70

Niveaux de contrôle des mouvements Le contrôle des mouvements illustre la notion de niveaux de contrôle. Au niveau le plus bas se trouve le contrôle spinal. Ce dernier comprend les réflexes (par exemple le réflexe rotulien), qui maintiennent le tonus musculaire et la posture, et la programmation spinale de schémas de mouvements comme la marche debout.

Au niveau le plus élevé se trouve le

contrôle volontaire, de type mouvements minutieux que vous effectuez pour retirer une écharde de votre main. Cela requiert une coordination précise et repose sur une rétroaction sensorielle de la vision, du toucher et de la douleur.

Attention

à ce que vous faites !

Entre ces deux extrêmes se trouvent de nombreuses gradations d’automaticité et de compulsion. La respiration normale est innée et en grande partie automatique, tandis que la marche s’apprend difficilement mais devient semi-automatique. Les compulsions comprennent les tics, les besoins de s’étirer et de bâiller, et diverses envies de toucher. Voyons à présent comment ces gradations tirent leur origine du système moteur. 71

Le système moteur Les gradations d’automaticité reflètent les niveaux de contrôle dans le système moteur : la colonne vertébrale, le tronc cérébral, le cervelet, les ganglions de la base et les aires motrices corticales.

Principales structures et connexions impliquées dans l’organisation du système moteur CORTEX CÉRÉBRAL cortex prémoteur

cortex moteur

Ganglions de la base Thalamus

Profil schématique d’un cerveau de singe

Cervelet

Cortex cérébral Tronc cérébral Ganglions de la base

Thalamus

Cervelet Moelle épinière

Tronc cérébral

Événements sensoriels

72

Moelle épinière

Mouvements

Lésions au niveau du système moteur Quelle que soit leur origine, toutes les formes de mouvements s’expriment finalement par la décharge de neurones moteurs dans le tronc cérébral et la colonne vertébrale. La destruction de l’un d’entre eux entraîne la paralysie des parties du corps correspondantes.

Le cosmologiste mondialement connu Stephen Hawking souffrait de sclérose latérale amyotrophique

La « mélodie du mouvement » d’une personne en bonne santé

Au niveau de contrôle suivant se trouve le cervelet. Des lésions à cet endroit entraînent diverses conséquences. Les déficiences comprennent la perte de la capacité à apprendre de nouveaux mouvements, une perturbation de la posture, des mouvements saccadés, l’incapacité à réaliser des mouvements rythmiques et l’altération des séquences de mouvements. Il semblerait que le cervelet remplisse plusieurs rôles. Il stocke les séquences de mouvements habiles, ajoute des réglages et des minutages précis à des mouvements sélectionnés ailleurs, et les compose dans la mélodie du mouvement d’un individu en bonne santé. 73

Les fonctions des ganglions de la base (GB) sont tout aussi complexes que celles assurées par le cervelet. Les personnes atteintes de la maladie de Parkinson, caractérisée par des tremblements et l’incapacité à amorcer des mouvements, ont un déficit en dopamine dans les GB. Des anomalies dans les GB accompagnent également la maladie de Huntington, une pathologie dégénérative avec des symptômes incluant des grimaces involontaires, des convulsions musculaires et des torsions du corps. Ces maladies sont associées à l’implication des GB dans le contrôle du mouvement.

Mais il est difficile de définir leur rôle.

L’une des théories avance que les GB sont responsables de la force, de la direction, de l’ampleur et de la durée des mouvements. Des erreurs de calcul de la force nécessaire pour faire un mouvement peuvent se traduire par un échec d’amorce, comme dans la maladie de Parkinson. Ou bien elles peuvent mener à un déclenchement excessif suivi d’une série de surcompensations, ce qui aboutit à une agitation grotesque du corps de la personne souffrant de la maladie de Huntington. 74

La destruction du centre moteur le plus élevé, le cortex moteur primaire, résulte en la perte des mouvements habiles et délicats, surtout des mains et des doigts. La raison en est que les fibres pyramidales, qui contrôlent les mains, prennent naissance dans le cortex moteur.

L’apprentissage et la mémoire de séquences motrices sont épargnés largement par des lésions du cortex moteur. Les séquences apprises peuvent encore être réalisées, bien que leur exécution soit maladroite.

Vraisemblablement, l’apprentissage du mouvement et la mémoire du mouvement sont traités au niveau du cervelet. 75

Les origines des mouvements volontaires Des lésions à l’arrière du côté gauche du lobe pariétal entraînent une pathologie appelée apraxie idéomotrice. Les personnes qui en souffrent ont des difficultés à réaliser des mouvements et des gestes. Le problème est moins grave s’agissant de l’utilisation d’objets concrets (« Montrez-moi comment on se sert d’un marteau. »), surtout si l’objet est effectivement présent.

Montrez-moi comment on se sert d’un marteau.

Je ne peux pas.

Montrez-moi comment on se sert d’un marteau.

Il devient plus grave pour des gestes symboliques, tels que accueillir ou saluer. En particulier, quand ces derniers doivent être réalisés en dehors de leur contexte social habituel. La perte concerne l’aptitude à faire des mouvements volontaires qui ne sont pas suscités par l’environnement. Le côté gauche du lobe pariétal peut jouer un rôle dans les mouvements volontaires car il est proche des centres du langage. 76

Selon Lev Vygotsky (1896–1934), une action volontaire débute comme quelque chose partagé entre un enfant et un adulte. Tous les deux sont focalisés sur le même objet et l’adulte donne des instructions que l’enfant apprend à suivre. Donne-moi la tasse ! Cache le ballon !

Par la suite, alors qu’il apprend à parler, l’enfant utilise les mêmes commandes verbales pour contrôler son propre comportement. Écouter en cachette un enfant de 3 ou 4 ans seul révèle de longues sessions d’auto-instruction. Avec l’âge, cependant, ce discours autocentré est internalisé. (Bien que ce soit davantage le cas pour les cultures alphabétisées dans lesquelles le fait de se parler à soi-même n’est pas jugé avec bienveillance !) 77

Proprioception et moi corporel Puisque le contrôle des mouvements se produit à de nombreux niveaux, le système moteur pardonne les dommages à n’importe quel endroit. Les structures intactes sont toujours capables d’effectuer quelque mouvement résiduel. L’ironie de cette situation est que l’une des pertes les plus dévastatrices de mouvements résulte d’une déficience sensorielle. La

proprioception

désigne le sens essentiellement inconscient de où se situent les parties de notre corps dans l’espace. Fibres musculaires

Nerf afférent

Nerf efférent vers le muscle

Les récepteurs proprioceptifs (étirement) se trouvent dans les muscles et les articulations

Les cellules nerveuses des muscles et des tendons signalent le degré d’étirement de nos muscles et articulations.

« Qui suis-je ? » est également une question corporelle de « Où suis-je ? » De temps en temps, la maladie ou un excès de vitamines anéantit la proprioception. Cela entraîne une perte totale du sens corporel et, avec lui, du moi corporel. La personne se sent désincarnée et ne peut donc pas générer de mouvements. Cette perte du sens corporel nous enseigne une autre leçon importante sur le lien entre mouvement et esprit. 78

Odeurs et émotions Le système limbique, appelé parfois cerveau émotionnel, joue un rôle majeur dans le ressenti et l’expression des émotions. À l’origine, le système limbique avait évolué pour évaluer les odeurs. Quelques éléments majeurs du système limbique

Cortex cérébral

Thalamus Hypothalamus Bulbe olfactif

Amygdale

Hippocampe

Puis-je m’en approcher ou dois-je l’éviter ? Le lien avec l’odorat est pratiquement perdu chez les animaux dits supérieurs.

Mais l’évaluation des stimuli et la génération de réactions émotionnelles appropriées restent importantes.

L’odeur est devenue moins importante que la vue et l’ouïe pour se nourrir, s’accoupler et défendre son territoire.

79

Réactions émotionnelles Quand vous êtes joyeux ou en colère, votre système limbique est actif. Les crises épileptiques confinées à l’intérieur du système limbique produisent de fortes réactions émotionnelles, qui vont de la terreur à l’euphorie.

Une stimulation limbique avec des électrodes génère des manifestations émotionnelles chez les animaux. Tandis que des lésions de ce système aboutissent à la perte du comportement émotionnel normal. Les émotions sont complexes et peuvent impliquer de nombreuses aires cérébrales en dehors du système limbique. Des études de la peur illustrent ce point. 80

L’anatomie de la peur Quand un animal apprend à appuyer sur un levier pour obtenir de la nourriture et reçoit alors un choc électrique, il se passe deux choses. Le rythme cardiaque de l’animal monte en flèche et ce dernier ignore le levier pendant un certain temps. Ce sont deux mesures de la peur non maîtrisée.

Si, ensuite, un son est couplé au choc au cours de plusieurs essais, alors quand le son seul retentit, cela déclenchera à la fois l’augmentation du rythme cardiaque et la suppression de l’appui sur le levier. Ici, les deux mesures démontrent la peur acquise (ou conditionnée) du son.

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La symétrie craintive Si maintenant une toute petite lésion est faite dans une région précise de l’hypothalamus de l’animal, son rythme cardiaque ne grimpe plus en flèche quand le son retentit, mais il n’appuie toujours pas sur le levier. La lésion éradique une expression de la peur acquise mais pas l’autre. Toutefois, si l’animal reçoit un autre choc, sans le son, alors il manifeste encore à la fois la modification désapprise du rythme cardiaque et la suppression désapprise de l’appui sur le levier.

Donc des expressions différentes de la peur acquise dépendent de circuits cérébraux différents.

Pour ce qui est de la modification du rythme cardiaque, différents circuits véhiculent les peurs acquises et désapprises. Cela peut paraître compliqué. C’est compliqué. C’est aussi caractéristique des liens complexes entre le cerveau et le comportement – ou entre le cerveau et l’esprit. Nous allons rencontrer bien d’autres exemples de c e type. En voici un autre qui concerne l’émotion de la peur. 82

L’apprentissage sous-cortical Les informations provenant des yeux et des oreilles se dirigent d’abord vers le thalamus, et à partir de là vers les aires visuelles et auditives du cortex. On pensait que les scènes et les sons étaient d’abord ressentis et reconnus dans ces aires corticales. Les informations sur ce qui avait été reconnu étaient envoyées alors soi-disant au système limbique pour générer une réaction émotionnelle du type : « Alors, c’est bien ou ce n’est pas bien ? » Il a été découvert, cependant, qu’en plus de cette route indirecte (thalamus → cortex → amygdale), il existe une route directe du thalamus à l’amygdale. Thalamus Cortex visuel

En d’autres termes, l’amygdale (partie du système limbique) répond émotionnellement aux objets dans le monde avant même que le cortex les ait ressentis et reconnus.

Amygdale

Réponse « se battre » ou « fuir » (augmentation du rythme cardiaque et de la tension artérielle. Les grands muscles se préparent à une action rapide)

83

Savoir quand il faut avoir peur Si des rats dont le cortex auditif a été retiré ressentent un son couplé à un choc, ils apprennent rapidement à avoir peur du son.

Ils apprennent une réaction émotionnelle sans la

représentation corticale du son.

L’amygdale et d’autres structures limbiques perçoivent, mémorisent et apprennent, comme c’est probablement le cas chez les animaux dits inférieurs dépourvus de cortex cérébral. Rappelons le cas des petits du goéland argenté qui quémandent apparemment de la nourriture. Leurs comportements émergent probablement de la même manière. Ils possèdent des circuits cérébraux qui répondent au simple élément point rouge sur fond jaune, et non pas à la forme complexe d’un oiseau adulte. 84

De même, de nombreux animaux manifestent des réponses du type se figer sur place ou fuir au mouvement de nuages qui passent ou de branches se balançant. Les circuits sont là pour détecter les mouvements de prédateurs potentiels. Ils sont déclenchés facilement par des stimuli non pertinents. Mais c’est le prix à payer pour des comportements de survie qui nous intiment de manière fiable de « déguerpir » en réponse à de réels dangers.

Alors, les humains montrent-ils aussi un apprentissage émotionnel sans implication cognitive consciente ? Cela pourrait expliquer pourquoi nos réponses émotionnelles semblent parfois inappropriées. Une forte réponse émotionnelle face à un inconnu peut être une réaction acquise par rapport à une certaine caractéristique que l’étranger et une autre personne que nous connaissions auparavant ont en commun. 85

Émotions « à gauche et à droite » Ce serait une erreur de supposer que seul le système limbique joue un rôle dans les émotions. Après tout, nous avons quelquefois des réactions émotionnelles fortes uniquement après nous être servis de notre néocortex pour réfléchir sérieusement consciemment à une tournure d’événements ou une conversation. Regardez les deux visages dessinés ci-dessous. Concentrez-vous sur le nez de chacun à tour de rôle et déterminez lequel a l’air le plus heureux.

Bien que ces deux images soient en miroir l’une de l’autre, la plupart des gens déclarent que le visage de droite semble plus heureux. 86

C’est parce que la moitié gauche de chaque visage est vue d’abord par l’hémisphère droit (HD) de votre cerveau, qui est spécialisé dans le traitement des visages. Votre jugement des émotions sur chaque visage est guidé davantage par des informations provenant de la partie gauche de chaque image que par des informations provenant de la partie droite. Œil droit

Le corps calleux ne figure pas sur ce schéma

Œil gauche Image rétinienne

Nerfs optiques

Colliculus supérieur (lobe gauche)

Chiasma optique

Corps géniculé latéral (gauche) Radiation optique

Cortex visuel d’association Tractus optique

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Le ton émotionnel L’HD joue aussi un rôle plus important que l’HG dans le jugement du ton émotionnel de la voix. Les personnes qui souffrent d’une aphasie de Wernicke suite à des lésions de l’HG ne comprennent plus ce qui est dit. Mais elles jugent le ton émotionnel du locuteur mieux que des personnes normales ou que celles qui ont des lésions de l’HD.

Parce qu’elles ne sont pas distraites par le sens de ce qui leur est dit, qu’elles ne le comprennent pas, elles parviennent à mieux juger comment cela est dit.

Le docteur

est mauvaise humeur aujourd’hui.

Il existe aussi des différences hémisphériques dans la genèse des émotions. L’HG semble connecté à des émotions plus positives que le droit. Ceux qui ont des lésions de l’HG tendent à développer de la dépression, tandis que ceux qui ont des lésions de l’HD sont sujets à une euphorie maniaque. Dans chacun de ces cas, l’hémisphère non atteint, qui n’est plus restreint par son jumeau, montre ses vraies couleurs émotionnelles. 88

Émotion et raison Les émotions ont été considérées parfois comme un embarras intellectuel – un héritage de notre « nature animale ».

Emmanuel Kant (1724–1804)

Les émotions sont les états du corps, tandis que les pensées sont les états de l’esprit ou de l’âme.

L’émotionnalité est considérée comme un moyen plus primitif que la rationalité pour gérer le monde autour de nous.

Platon (428–348 av. J.-C.)

Les émotions devraient être réprimées dans l’intérêt de la quête d’une rationalité pure.

Mais à moins que l’esprit rationnel ne soit un don divin – quelque chose qui dépasse notre nature biologique –, cela ne suffira pas. La pensée et l’émotion sont toutes deux des expressions de l’activité cérébrale et doivent être aussi mutuellement interdépendantes que n’importe quelles fonctions corporelles.

89

Les émotions impliquées dans les décisions Le système limbique présente de fortes connexions avec le lobe frontal. Lorsque ces connexions sont endommagées, les personnes peuvent étonnamment ne montrer que peu de dégradation intellectuelle. Pourtant leurs vies personnelle, sociale et professionnelle s’écroulent. Le problème réside dans leur prise de décision. Face à un problème qui requiert une décision, elles analysent et évaluent toutes les alternatives, souvent excessivement longtemps, et peuvent finalement faire leur choix pour des raisons non pertinentes. Prenons l’exemple d’un patient interrogé sur une date de rendez-vous pour voir son docteur… Préférezvous ce vendredi ou le prochain ?

Euh, ça dépend. Ce vendredi, je pourrais être pris… Voyons cela…

Mais alors, le vendredi suivant, que vais-je faire si…

Elles peuvent s’exprimer de façon rationnelle, distinguer ce qui est acceptable socialement ou non, mais ne semblent pas ressentir leurs propres appréciations émotionnelles instinctivement. Elles peuvent même remarquer que, bien qu’elles sachent ce qu’elles devraient ressentir, elles n’ont pas consciemment ces sentiments. 90

L’étude de telles personnes a démontré clairement que les émotions sont une part importante du raisonnement normal et de la prise de décision. Quand une personne normale fait face à un problème, il ou elle ne prendra simplement pas la peine de considérer de nombreuses autres solutions possibles. Seules les solutions possibles qui ont du « bon sens » sont choisies pour une considération consciente. Évidemment, ce serait plus facile si je suis en ville ce vendredi… Mais s’il neige encore, je ne pourrai pas prendre la voiture…

Bon, on va choisir le vendredi d’après, d’accord ?

Bien sûr, cela convient parfaitement…

Des problèmes insignifiants ne sont pas analysés sans fin, car ils ne valent pas la peine de prolonger son questionnement intérieur. Les personnes qui ont des lésions dans ces aires du lobe frontal recevant des signaux limbiques semblent perdre cette orientation émotionnelle de leurs processus de pensée. 91

La mémoire vous rend flexible Les émotions peuvent servir à guider le raisonnement, mais à l’origine elles doivent avoir guidé aussi des comportements automatiques, les rendant plus flexibles. Une réaction émotionnelle non spécifique, telle qu’une réaction de sursaut, peut servir de fonction d’éveil générale, préparant un animal à une action, peu importe laquelle. Une appréciation émotionnelle d’un stimulus, qu’il soit « bon » ou « mauvais », va plus loin, en stimulant des actions d’approche ou d’évitement.

De plus, avoir des émotions fournit une base pour l’apprentissage simple et la mémoire.

Considérons le rat qui entend un son juste avant de recevoir un choc. Le choc produit une peur désapprise et, du fait du conditionnement, le son vient à provoquer une peur acquise. À présent, si le rat entend le son, il veut s’échapper. Son comportement est plus flexible parce qu’il n’a plus désormais à attendre de recevoir le véritable choc pour « savoir ce qu’il doit faire ». 92

Cette forme d’apprentissage est particulièrement importante pour les animaux qui explorent le monde via les odeurs. Ils détectent de la nourriture, des partenaires sexuels et des prédateurs potentiels à distance, souvent longtemps avant d’avoir un contact visuel. Cela signifie qu’ils peuvent commencer à rechercher ou s’échapper de la source de l’odeur à temps. S’ils sont capables également de subir un conditionnement basé sur les émotions, ils peuvent acquérir un large répertoire de réponses d’approche et d’évitement. Cela confère un comportement plus flexible que si toutes leurs réponses étaient « câblées » dès la naissance.

Les odeurs et leurs cousins proches, les goûts, sont des messagesguides notoirement efficaces pour raviver des souvenirs perdus.

Nous pouvons, par exemple, apprendre à éviter une nourriture qui nous avait rendus malades par le passé.

Pour le romancier Marcel Proust (1871–1922), le goût d’un thé et d’un gâteau particuliers fait remonter le souvenir de tout un pan du passé. Il n’est donc pas surprenant de trouver, proche du système limbique, qui avait commencé comme un « cerveau olfactif » et évolué vers un « cerveau émotionnel », une aire du cortex qui est importante dans l’apprentissage et la mémoire. Il s’agit du cortex rhinal situé sur la surface interne inférieure du lobe temporal. 93

Ce que l’amnésie nous apprend sur l’esprit Des lésions du cortex rhinal des deux hémisphères entraînent une sévère perte de mémoire ou amnésie. La caractéristique essentielle du syndrome amnésique est une absence dévastatrice de souvenirs des événements survenus depuis les lésions (amnésie rétrograde). Les amnésiques antérogrades peuvent paraître parfaitement normaux si on les croise brièvement, mais cela ne dure pas. Ils oublient les informations et les événements en l’espace de quelques minutes. Chérie, cela fait des années que je ne t’ai pas vue.

Chérie, cela fait des années que je ne t’ai pas vue.

Je reviens dans cinq minutes.

Nous lisons à maintes reprises le même journal de la première à la dernière page. Nous reconnaissons les personnes que nous connaissions avant le traumatisme, mais jamais celles rencontrées ultérieurement.

Les amnésiques vivent constamment dans le moment présent, incapables de se souvenir ni de leur passé récent ni de leurs anticipations du futur. Comme s’ils venaient tout juste de se réveiller en permanence. N.B. : bien qu’il existe des individus qui oublient « qui ils sont », ce n’est pas le sens habituel de l’« amnésie ». 94

Deux types de mémoire Parce que les amnésiques peuvent se rappeler des événements très lointains mais pas des récents, cela suggère que le cortex rhinal doit être impliqué dans le stockage de nouveaux souvenirs plutôt que dans le restitution de souvenirs. Cependant, même des patients amnésiques lourdement atteints peuvent stocker certains types de souvenirs nouveaux. Cela s’applique à des aptitudes procédurales (comment faire), telles que la dactylographie ou faire du roller. Les amnésiques peuvent faire presque aussi bien que les gens normaux quant à l’acquisition de nouvelles aptitudes procédurales. Ils montrent également un apprentissage perceptuel et une mémoire normaux.

C’est quoi, ça ?

Apprendre à identifier des espèces de fleurs ou d’oiseaux, reconnaître quand une pâte a la bonne consistance ou entendre si le bruit que fait un moteur est normal sont des exemples d’apprentissage perceptuel. Les démonstrations en laboratoire de l’apprentissage perceptuel impliquent souvent des images « casse-tête », comme celle ci-dessus. Parvenez-vous à voir ce qu’elle représente ? 95

Mémoire avec et sans émotions Comme de nombreuses images, telles que les radiographies, les images « casse-tête » doivent être interprétées. Dès lors que les personnes ont appris comment voir « correctement » de telles images, elles n’oublient jamais « comment s’y prendre ». Les amnésiques sont aussi performants, bien qu’en refaisant le test quelques heures ou jours plus tard, ils nient avoir jamais vu les images avant.

J’ai jamais vu ça avant – mais c’est l’image d’une vache…

Il semblerait, par conséquent, que le cortex rhinal traite la mémoire de nouveaux épisodes qui ont été vécus, mais pas la mémoire de nouvelles procédures du type « savoir comment ». Cela semble logique. • Des épisodes de nos vies déclenchent des émotions. • Le système limbique est essentiel pour l’expérience émotionnelle et est proche du cortex rhinal. • Le cortex rhinal est important pour la mémoire des épisodes de la vie. 96

Se souvenir d’événements chargés émotionnellement car ils sont probablement importants pour nous est sensé. Pour cette raison, les mêmes molécules neurochimiques qui sont déversées dans le système sanguin mettent le corps en alerte et instruisent aussi le cerveau pour stocker un enregistrement durable du moment.

La princesse Diana est morte…

Elle a vécu comme une bougie dans le vent…

Contrairement à la mémoire d’épisodes autobiographiques, la mémoire procédurale (« comment faire ») n’est pas chargée d’émotions. Bien que nous prenions du plaisir à exercer nos aptitudes procédurales avec succès, ou que nous soyons frustrés par nos échecs, ces émotions s’attachent à des épisodes individuels de l’utilisation des aptitudes, plutôt qu’à l’aptitude procédurale elle-même. Les animaux ont fait évoluer leur mémoire des aptitudes motrices bien avant l’entrée en scène des émotions. L’aplysie, souvenons-nous, est capable d’habituation et de sensibilisation. De tels exemples suggèrent que la mémoire des aptitudes motrices serait logée dans des structures cérébrales relativement anciennes et peu développées. Et c’est bien ce qui est constaté. 97

Le siège de la mémoire Un exemple est fourni par le conditionnement du clignement des yeux chez les lapins. Un souffle d’air (SI) projeté vers la cornée provoque un clignement réflexe (RI). Si le souffle d’air est couplé à un son (SC) sur de nombreux essais, alors les clignements conditionnés (RC) se produisent en réponse au seul son. Une toute petite lésion dans le cervelet supprime ce clignement conditionné, mais laisse intact le clignement réflexe au souffle d’air. La trace mnésique du clignement conditionné se trouve dans le cervelet.

Les amnésiques montrent aussi un conditionnement du clignement des yeux. Si le son et le souffle d’air sont couplés un jour, puis que l’expérience est réalisée avec le seul son le jour suivant, l’amnésique montre la réponse de clignement conditionné au son, mais dit n’avoir aucun souvenir des essais de conditionnement. En revanche, les personnes avec des lésions du cervelet peuvent se souvenir des essais de conditionnement, mais ne jamais acquérir le clignement conditionné ! Cortex cérébelleux Fibres moussues

SC

Noyaux pontins SC Son SC

Noyaux auditifs

Noyau interpositus RC Noyau rouge

98

Fibres grimpantes

Olive inférieure SI Noyau trigéminal

RC Voies réflexes Noyaux moteurs crâniens

SI – Stimulus inconditionné RI – Réponse inconditionnée SC – Stimulus conditionné RC – Réponse conditionnée

SI

Clignement des yeux RI et RC

RI Formation réticulaire

Souffle d’air cornéen SI

Dans les années 1930, le neuropsychologue Karl Lashley (1890–1958) a essayé de localiser le siège de la mémoire en entraînant des rats à accomplir des tâches simples, puis en retirant différentes parties de leur cerveau.

J’ai constaté que plus je leur retirais de tissu, moins leurs résultats étaient bons. Mais il n’y avait aucun site dont l’exérèse éradiquait totalement le souvenir d’une tâche particulière.

Ces résultats ont amené Lashley à adopter une vision holistique des fonctions cérébrales. Il avait raison en ce sens qu’il n’y a pas un site unique de la mémoire, mais il se trompait quant à l’holisme. Les souvenirs résident bien dans des circuits spécifiques, parfois même dans des composants particuliers d’un circuit. Mais les souvenirs sont bien plus complexes que ce que nous pensions, comme nous allons le voir par la suite. 99

La complexité de la mémoire Par exemple, un poussin donnera des coups de bec à une bille qui brille. Enrober la bille avec un liquide qui a un mauvais goût et le poussin cesse immédiatement de donner des coups de bec. Le poussin a développé une aversion. À première vue, on dirait qu’il s’agit d’un seul souvenir. Mais en réalité, le poussin a appris trois aversions : à la forme, au goût et à la brillance de la bille. Chaque souvenir se trouve dans une partie différente de mon cerveau.

Pas étonnant que Lashley n’ait pas réussi à trouver un seul site pour la mémoire chez les animaux comme moi ayant un cerveau plus grand que celui des poussins. Représentation schématique de la distribution et de la gravité de la dégénérescence du cerveau chez un cas typique d’Alzheimer. Plus la région est foncée, plus la dégénérescence est forte.

La perte de mémoire est un symptôme important de la maladie d’Alzheimer. La mort des cellules dans des cerveaux atteints d’Alzheimer est particulièrement sévère dans la région du cortex rhinal, mais il y a également une dégénérescence importante des lobes pariétal et temporal. Il n’est donc pas étonnant que les patients atteints d’Alzheimer manifestent à la fois des symptômes du syndrome amnésique et toute une palette d’autres problèmes de mémoire. 100

Sentir et voir Comme les autres animaux, les humains découvrent le monde via leurs sens. Traditionnellement, il existait cinq sens. Le goût et l’odorat sont liés étroitement au système limbique, enfoui profondément dans le cerveau. Les sens de la vision, de l’ouïe et du toucher sont tous représentés fortement dans les cortex (bien qu’ils soient connectés aussi aux structures de la partie inférieure du cerveau). Les régions où arrivent en premier dans le cortex les informations provenant des sens s’appellent les aires sensorielles primaires. Les pointillés indiquent les zones primaires qui reçoivent les signaux entrants provenant des systèmes sensoriels ou renvoient vers les systèmes moteurs spinaux. Les aires grisées sont les zones secondaires. Les régions non grisées sont les zones tertiaires. Moteur

Toucher

Son

Vision

Mais « voir », c’est quoi  au juste ?

Il est tentant d’assimiler le fait de voir à notre ressenti d’un monde d’objets familiers aux couleurs et emplacements précis. Il s’agit de voir à un niveau très élevé. Aucun autre animal n’a autant de connaissances visuelles du monde que nous, car aucun n’a autant de cortex dédié à l’analyse de l’information à la lumière. 101

L’anatomie de la vision La vision, réduite à sa plus simple expression, équivaut à l’enregistrement de la lumière et à une certaine réaction à celle-là. De nombreuses créatures qui vivent sous des rochers affichent des réponses d’évitement à la lumière. Nos propres systèmes visuels incluent des fonctions de bas niveau. Il existe sept voies connues de la rétine au cerveau. Les voies vers la glande pinéale et le noyau supraoptique régulent les rythmes corporels en réponse au cycle quotidien du jour et de la nuit. Le reste de notre système visuel de haute performance a évolué grâce à des ajouts à ces humbles débuts. Le reste de cette section sur la vision se focalise exclusivement sur la voie principale qui relie la rétine au cortex visuel primaire (appelé aussi, entre autres, aire V1). Elle contient bien plus d’axones que toutes les autres voies réunies et possède ses propres composantes.

Système visuel

102

Fonction supposée

1. Noyau supraoptique

Contrôle les rythmes diurnes (sommeil, nourriture, etc.) en réponse aux cycles jour/nuit

2. Prétectum

Entraîne des modifications de la taille des pupilles en réponse aux changements d’intensité lumineuse

3. Colliculus supérieur

Orientation de la tête, surtout vers des objets dans des champs visuels périphériques

4. Glande pinéale

Rythmes circadiens à long terme

5. Noyau optique accessoire

Fait bouger les yeux pour compenser les mouvements de tête

6. Cortex visuel

Motifs, perception, perception de la profondeur, vision des couleurs, suivi des objets en mouvement

7. Champs visuels frontaux

Mouvements volontaires des yeux

Chaque moitié du champ visuel est connectée à l’aire V1 dans l’hémisphère opposé. Dans un cerveau normal, l’HG et l’HD partagent des informations relatives aux deux moitiés du champ visuel via le gros paquet de fibres appelé corps calleux. Les informations provenant de la rétine traversent une partie du thalamus appelée corps géniculé latéral (CGL) pour atteindre le cortex visuel primaire, l’aire V1. Les points proches les uns des autres sur la rétine se connectent à des cellules proches les unes des autres dans l’aire V1, et des lésions dans l’aire V1 entraînent un point aveugle (scotome). Les cellules dans V1 sont connectées aussi en retour au CGL et ce trafic neural bidirectionnel est caractéristique du système visuel et du cerveau dans son ensemble.

Œil droit

Œil gauche Image rétinienne

Colliculus supérieur (lobe gauche)

Nerfs optiques

Chiasma optique

Corps géniculé latéral (gauche) Radiation optique

Cortex visuel d’association Tractus optique

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Les aires visuelles : couleurs, directions et formes L’aire V1 n’est que la première de plusieurs aires visuelles « précoces » dans le lobe occipital. Les cellules dans l’aire V1 se connectent aux cellules dans l’aire V2, qui se projettent ensuite vers certaines aires visuelles connues sous les noms de V3, V3A, V4 et V5. Les cellules dans V4 augmentent leur décharge en réponse à des couleurs spécifiques, tandis que celles dans V5 répondent à des objets se déplaçant dans des directions spécifiques. Les cellules dans V3 et V3A répondent à des lignes d’orientations particulières (verticale, 5° dans le sens des aiguilles d’une montre, 10° dans le sens des aiguilles d’une montre, etc.), ce qui leur permet d’analyser la forme.

Cerveau de macaque

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Perte de la couleur Les études d’imagerie cérébrale montrent que l’aire V4 devient active quand les personnes voient des motifs colorés et que ces visualisations en mouvement activent l’aire V5. De plus, des lésions survenues dans l’aire V4 mènent à une perte de la vision en couleur. C’est l’achromatopsie : elle se distingue du traditionnel daltonisme. Si l’aire V4 d’un seul hémisphère est endommagée (dommage unilatéral), alors la moitié opposée du monde apparaît en noir et blanc… Noir et blanc

Couleur

… tandis que le même côté reste en couleur. Quand le dommage est bilatéral, non seulement le patient devient totalement aveugle aux couleurs, mais il est aussi incapable de se souvenir voire d’imaginer des couleurs. La couleur comme catégorie de ressenti n’existe plus. 105

La cécité du mouvement Une lésion dans l’aire V5 produit l’étrange pathologie de « cécité du mouvement » (akinétopsie). La personne voit encore les formes et les couleurs, mais le ressenti des objets en mouvement équivaut à un passage en revue de photographies instantanées. Un objet qui s’approche grossit et se rapproche par petits sauts, ce qui rend difficile, par exemple, la traversée d’une route en toute sécurité.

106

La vision de haut niveau Seuls les tout premiers processus de la vision ont lieu dans le lobe occipital. Les lobes temporal, pariétal et frontal contiennent aussi de nombreuses aires impliquées dans les processus liés à la vision. En réalité, il faut un certain courage ne serait-ce que pour regarder une représentation de toutes les aires visuelles connues et leurs interconnexions. Trois voies visuelles principales quittent le lobe occipital. Elles se connectent au lobe temporal (voie inférieure), au sillon temporal supérieur (voie médiane) et au lobe pariétal postérieur (voie supérieure). Chaque voie traite des types particuliers d’informations visuelles.

Voie supérieure Voie médiane

Voie inférieure

Cerveau de singe rhésus

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La voie visuelle inférieure : effets de lésions sur la reconnaissance Les cellules dans le lobe temporal font la fine bouche vis-à-vis de ce à quoi elles répondent. Nombre d’entre elles augmentent leur taux de décharge face à des visages, y compris à des visages particuliers. D’autres préfèrent des objets particuliers, par exemple les mains. Ces découvertes, réalisées à partir d’enregistrements par électrodes sur des singes, reçoivent un appui solide d’études de personnes dont la reconnaissance visuelle a été affectée par des lésions de leur lobe temporal. Cette incapacité à reconnaître des objets est appelée agnosie des objets. Il en existe plusieurs types. Dans l’agnosie de la forme, la personne voit les couleurs, la profondeur et le contour, mais ne perçoit que des parties et non les objets en entier. C’est comme si leur attention sautait d’un fragment de contour à un autre, sans réussir à assembler les morceaux ensemble.

De telles personnes ne peuvent pas dessiner ce qui se trouve devant elles, mais peuvent être capables de dessiner la même forme de mémoire. 108

Dans la simultagnosie, les objets sont perçus et reconnus, mais seulement un à la fois. La personne ne peut pas assembler les différents objets dans une scène pour la comprendre. Quand deux objets qu’elle peut connaître séparément se chevauchent, elle éprouve des difficultés à les séparer visuellement pour les reconnaître.

Dans l’agnosie associative, les patients décrivent ou dessinent avec précision des scènes et des objets visualisés, mais manifestent une défaillance de reconnaissance. La personne ne peut donner le nom ou l’usage d’un gant ou d’une fourchette. Elle peut connaître la catégorie principale à laquelle appartient un objet (vêtements ou coutellerie) sans savoir ce que c’est (un gant ou une fourchette). Malgré tout, elle peut savoir si un objet est réel ou imaginaire. C’est un chapeau.

109

Dans la prosopagnosie, le problème réside dans le fait de reconnaître des visages familiers, y compris souvent le sien. Un prosopagnosique peut toujours reconnaître des voix. Il peut décrire aussi un visage vu, voire même « lire » son expression émotionnelle, mais sans aller jusqu’à identifier sur la seule base du visage. Il semble que la voie de traitement inférieure ait été déconnectée de tout sens émotionnel visà-vis de ce qui est familier, généré dans le système limbique. Je ne connais pas votre visage, mais ma femme a un manteau comme le vôtre.

C’est moi, chéri !

Aire de reconnaissance faciale

Bien sûr, je reconnais ta voix.

Lobe frontal Lobe temporal

Bien que les prosopagnosiques ne reconnaissent pas consciemment les visages familiers, ils manifestent l’accroissement normal d’émotion corporelle devant eux (une augmentation de leur sudation !). 110

De même, quand on leur demande d’associer des visages à des noms célèbres (qu’ils reconnaissent), ils apprennent les paires correctes plus rapidement que les paires fausses.

Albert Einstein

Diego Maradona

Ces résultats montrent que les prosopagnosiques ont encore la reconnaissance émotionnelle et la reconnaissance identitaire, probablement dans leur voie visuelle supérieure. Ces deux formes de reconnaissance sont déconnectées toutefois du ressenti visuel conscient. Des dysfonctionnements occasionnels de cette connexion pourraient être à l’origine des ressentis pas si inhabituels de déjà vu (familier sans reconnaissance) et de jamais vu (reconnaissance sans être familier), tous deux étant fréquents lors d’épisodes d’épilepsie au niveau du lobe temporal. Voie supérieure (occipital-pariétal) Nombreux traitements Normal Nombreux traitements

Reconnaissance émotionnelle Reconnaissance identitaire

Perception visuelle des visages

Comportement

Ressenti conscient

Voie inférieure (occipital-temporal)

Prosopagnosie

Nombreux traitements

Nombreux traitements

Reconnaissance émotionnelle Reconnaissance identitaire

Perception visuelle des visages

Comportement

Ressenti conscient

111

Un test de reconnaissance La prosopagnosie est particulièrement susceptible d’endommager le lobe temporal droit. L’illustration suivante vous permet d’expérimenter par vous-même le rôle spécifique de l’HD dans la reconnaissance faciale : il s’agit du test des « visages composites ».

G

D

D

D

« Je suis faite de deux moitiés droites du visage ci-dessus. »

G

G

« Je suis faite de deux moitiés gauches du visage ci-dessus – les gens disent que je ressemble davantage à elle. »

La moitié gauche de chaque visage est vue d’abord par l’HD (cf. p. 106– 107), qui joue un plus grand rôle dans la reconnaissance faciale que l’HG. 112

Voie visuelle médiane : positions spatiales relatives La voie visuelle médiane du lobe occipital au sillon temporal supérieur est une découverte récente. Elle est mal comprise, mais elle pourrait jouer un rôle dans la perception des positions spatiales relatives des objets. La simultagnosie pourrait impliquer des lésions de cette voie, puisque si vous ne pouvez voir qu’un seul objet à la fois, alors il sera impossible de juger les positions relatives. Cette idée est renforcée par la découverte selon laquelle nombre de patients simultagnosiques ont des difficultés à « trouver leur chemin » dans des environnements familiers.

Nous retrouvons souvent mieux notre chemin en fermant les yeux et en faisant travailler notre mémoire. 113

Voie visuelle supérieure : effets de lésions pariétales Des études menées sur des singes montrent que de nombreuses cellules à l’arrière du lobe pariétal ne déchargent que lorsque l’on atteint un objet. Ces cellules pourraient coder des informations nécessaires pour agir sur les objets, plutôt que pour les percevoir. Par exemple, pour prendre un livre, vous avez besoin de « savoir » (pas nécessairement consciemment) son emplacement par rapport à vous-même, ainsi que sa taille, sa forme et son probable poids.

dis-moi ce que c’est une tasse

ramasse-la

Dans le syndrome de Bálint, les personnes ayant des lésions pariétales peuvent reconnaître des objets avec précision (en se servant de leur voie inférieure), mais ne peuvent pas précisément les atteindre. Ces patients ne parviennent souvent pas à écarter le pouce et l’index de la distance appropriée quand ils essaient de saisir un objet. Ils n’arrivent pas également à tourner leurs poignets de l’angle nécessaire quand on leur demande de « poster » leur main dans une fente, même s’ils peuvent décrire précisément comment la fente est inclinée. La voie inférieure est responsable de la perception visuelle consciente. Le flux de traitement supérieur est responsable de l’action guidée visuellement sur les objets, un processus qui est en grande partie inconscient. Le deux flux de traitement se connectent sûrement l’un à l’autre, probablement via les cortex limbique et rhinal. Mais des preuves supplémentaires significatives du fait qu’ils peuvent agir indépendamment proviennent d’un individu atteint d’agnosie des formes. 114

Cette femme peut voir des éclairs de lumière et distinguer de très fines nuances de couleur. Elle peut identifier facilement des lettres en bois au toucher, mais est incapable de le faire visuellement. Malgré cela, elle ne se cogne pas contre les choses et peut attraper des balles ou des bâtons qui lui sont lancés. Elle peut atteindre des objets et, en les saisissant, ajuster sa poigne de la force appropriée. Quand on lui montre une fente et qu’on lui demande d’indiquer son orientation en inclinant une « carte postale » dans sa main du même angle, elle échoue lamentablement.

Pourtant, paradoxalement, si on lui demande simplement de poster la carte, elle le fait plutôt normalement, tournant son poignet de l’angle approprié.

Vas-y, fais-le !

Cela démontre que le flux supérieur a un contrôle indépendant des actions irréfléchies. En revanche, quand une action doit être utilisée pour relater ce qu’elle voit consciemment, alors la coopération entre les flux intacts est essentielle. Cette section de l’ouvrage n’a présenté qu’une infime fraction de ce que nous savons sur la perception visuelle par rapport à l’esprit. Il s’avère que le système visuel agit de manière très surprenante. 115

Les espaces de l’esprit Des lésions du lobe pariétal, surtout du côté droit, altèrent la réalisation de nombreux tests de perception spatiale. Certaines preuves spectaculaires du fait que la moitié droite est spécialisée dans les aptitudes spatiales proviennent de personnes ayant un « cerveau divisé ». Tous les membres de ce petit groupe ont souffert d’épilepsie sévère. Leurs crises débutent d’un côté du cerveau, puis s’étendent à l’autre côté via les 200 millions de fibres du corps calleux. Corps calleux

Cortex cérébral

Colliculus supérieur Thalamus Coupe coronale

Colliculus inférieur Commissures colliculaires

Cervelet

Un sectionnement du corps calleux contient les crises dans un seul hémisphère.

Curieusement, l’intervention entraîne peu de changements des comportements quotidiens et réduit considérablement la fréquence et la sévérité des crises. 116

Une découverte très curieuse est le fait qu’après l’intervention, les personnes auparavant droitières dessinent mieux avec leur main gauche. (La réalisation, quelle que soit la main, est moins bonne qu’avant l’intervention.) La raison en est que la main gauche est contrôlée par l’HD et la main droite par l’HG. Dans un cerveau intact, les deux hémisphères partagent leurs aptitudes et leurs connaissances via le corps calleux, de sorte que les deux hémisphères contribuent aux mouvements de la main droite. Dessin de la main gauche

Modèles

Dessin de la main droite

Après une chirurgie de sectionnement du corps calleux, cependant, les aptitudes spatiales de l’HD sont disponibles seulement pour la main gauche, qui est moins adroite.

117

L’aptitude spatiale supérieure de l’HD est démontrée aussi avec un test où des blocs de couleur doivent être assemblés selon un schéma spécifique. Les personnes ayant un cerveau divisé se comportent plus rapidement et avec plus de précision avec la main gauche qu’avec la main droite.

De manière cohérente, les personnes ayant des lésions de l’HD présentent une moins bonne exécution du test des blocs que celles ayant des lésions de l’HG. Peut-être en raison d’une forme de perturbation spatiale appelée négligence spatiale gauche. Cette pathologie apparaît à la suite de lésions de l’HD, en particulier au niveau du côté droit du lobe pariétal. (Il existe également des cas de négligence droite suite à des lésions de l’HG, mais moins fréquemment.)

118

Une personne atteinte de négligence gauche peut ne pas réussir à s’habiller du côté gauche du corps ou à manger la nourriture qui se trouve du côté gauche de son assiette. Dans son lit, elle peut se tourner constamment vers la droite, tombant à moins qu’il y ait des barreaux. Dans un test de diagnostic standard, la personne doit rayer tous les traits sur une feuille. Les personnes souffrant de négligence omettent de nombreuses lignes sur la gauche.

119

Espaces visuels, moteurs et imaginaux Les personnes atteintes de négligence ne sont pas aveugles du côté gauche de l’espace : elles peuvent identifier une lettre qui a flashé dans le champ gauche. Généralement, cependant, elles ignorent l’espace à gauche. Est-ce parce qu’elles ont du mal à fixer leur attention sur la gauche ou parce qu’elles ne peuvent pas effectuer facilement de mouvements moteurs vers la gauche ? Rayer les traits nécessite de faire les deux et des expériences révèlent qu’elles ont des problèmes à faire les deux. La négligence peut s’appliquer à l’espace visuel et à l’espace moteur. Cela semble suffisamment compliqué ; mais les choses empirent ! AILE SAINSBURY

CANADA

SQUARE

GALERIE NATIONALE

FONTAINE

FONTAINE

D’AFRIQUE

120

SAINT MARTIN DES CHAMPS

Supposons que l’on demande à quelqu’un souffrant de négligence de décrire ou dessiner de mémoire Trafalgar Square, par exemple, comme s’il était vu d’un seul côté. Sa description omet toute mention du côté gauche du Square. S’il décrit ensuite le Square vu du côté opposé, il inclut maintenant tous les détails omis auparava nt, mais délaisse tous ceux inclus précédemment. Donc la négligence s’applique non seulement aux espaces perceptuels et moteurs, mais aussi à l’espace imaginal.

MAISON DU

TRAFALGAR

L

LE MAL

COLONNE DE NELSON

MAISON DU SUD

121

Représentations de l’espace Il semble que l’HD, et notamment le côté droit du lobe pariétal, s’est spécialisé en quelque sorte dans la construction de représentations de l’espace. Les tests qui requièrent qu’une personne atteinte de négligence spatiale gauche mette en place différents types de représentations peuvent tous révéler la négligence gauche. Les gens utilisent de nombreux types de représentations spatiales (souvent inconscientes). Pour atteindre un objet, nous avons besoin de connaître la position relative de l’objet par rapport à nous-mêmes – une représentation de l’espace égocentrique.

Quand nous marchons entre deux objets, nous avons besoin de connaître leurs positions relatives l’un par rapport à l’autre – une représentation de l’espace allocentrique (autre).

Un autre type de représentation est appelé carte cognitive.

Elle fait référence à la disposition des lieux et des objets, et des itinéraires entre eux. Les cartes cognitives contiennent les détails d’emplacements qui ne sont pas observables immédiatement ; mais de nombreux animaux, dont les rats, en possèdent. 122

Les cartes cognitives sont associées étroitement à une structure limbique, l’hippocampe. L’hippocampe tire son nom d’une supposée ressemblance avec un cheval de mer mythique.

Cortex cérébral Corps calleux

Thalamus Hypothalamus Bulbe olfactif

Amygdale

Cervelet Hippocampe

Les personnes qui souffrent de lésions de l’hippocampe ont du mal à s’orienter. Certaines d’entre elles, si elles restent chez elles, peuvent gérer l’environnement familier. Mais un changement d’adresse, peut-être pour une maison de repos, les laisse irrémédiablement désorientées. D’autres perdent même leurs cartes cognitives établies depuis longtemps et rencontrent des difficultés à aller d’une pièce à l’autre dans leur propre maison. Il est clair qu’il reste beaucoup de choses à apprendre sur la manière dont l’esprit et le cerveau traitent l’espace. 123

Attention et esprit Si l’esprit accomplit des actions dans un ou des espace(s) mental(-aux), comme le corps le fait dans l’espace physique, alors les études modernes sur l’attention illustrent de subtils parallèles entre ces mondes intérieur et extérieur. L’acte d’attention le plus élémentaire est la

réponse d’orientation, le corps qui se tourne vers un objet ou un événement nouveau, afin d’en apprendre davantage sur lui.

Chez certains animaux, les mouvements du corps entier sont remplacés par l’orientation des seuls appareils sensoriels. Les chiens penchent leurs oreilles vers la source d’un bruit et de nombreux autres animaux bougent leurs yeux afin de fixer (se focaliser sur) des changements dans l’environnement. 124

Chez les humains, et au moins chez certains autres primates, l’attention peut devenir un acte purement mental. Nous sommes capables de porter notre attention ailleurs que sur le point que nous fixons du regard.

Nous pouvons surveiller du coin de notre esprit.

C’est peut-être l’origine de notre capacité à tromper, et aussi vivre dans l’imaginaire de souvenirs choisis ou de futurs possibles. 125

Des expériences avec l’attention Des expériences de repérage démontrent la séparation de l’attention et de la fixation. Supposons que vous regardiez fixement un carré central sur un écran. Un signal directionnel (< ou >) ou un signal neutre (+) apparaît brièvement dans le carré. Puis un carré cible clignote à droite ou à gauche du carré central, et vous devez appuyer sur un bouton de réponse aussi vite que possible. Le temps de réaction est plus rapide quand le signal directionnel pointe dans la même direction (signal valide) que quand il n’y a qu’un signal neutre. Autrement dit, le signal déplace l’attention dans la direction où la cible apparaîtra par la suite, ce qui se manifeste par un temps de réaction plus rapide. À l’inverse, si le signal pointe dans la mauvaise direction (signal invalide), le temps de réaction est plus lent que pour les essais neutres. Ces événements se produisent trop vite pour que les mouvements d’yeux soient effectués. Les effets dépendent du mouvement d’un centre d’attention interne. 126

Le réseau attentionnel Un réseau d’aires cérébrales (lobe pariétal, pulvinar et colliculi supérieurs) semble dédié à la médiation de l’attention spatiale. L’imagerie cérébrale révèle une augmentation de l’activité dans le lobe pariétal pendant les déplacements spatiaux de l’attention, et des lésions à l’arrière de ce lobe perturbent le déplacement. Thalamus

Système pariétal attentionnel

Pulvinar Colliculus supérieur

Nous pouvons considérer que prêter attention à un objet est l’équivalent mental de le prendre. Jusqu’ici, nous n’avons pensé qu’à la composante d’atteinte, ou spatiale. Mais il faut considérer aussi une composante de saisie. Quand vous atteignez un objet, vous réalisez que votre main arrive déjà avec la forme correspondant à ce qu’elle va saisir. Cette mise en forme préparatoire est contrôlée, inconsciemment, par la voie visuelle supérieure.

127

Saisie mentale Dans l’attention visuelle, aussi, l’esprit « saisit » un objet, ce qui a été préparé par des processus inconscients. Quand vous regardez les figures ci-dessous, vous ne voyez pas un amas de lignes et de patchs non reliés entre eux. Vous voyez des formes tridimensionnelles individuelles.

Des processus inconscients ont déjà décidé quelles lignes et quels patchs vont ensemble pour faire quelque chose. Mon attention de saisie est déjà façonnée.

128

Les composantes de l’attention qui attirent et saisissent l’attention sont dénommés attention basée sur l’espace et attention basée sur l’objet. Nous pouvons faire la différence en demandant à une personne atteinte de négligence spatiale gauche de rayer les lignes qui forment deux blocs distincts sur une feuille de papier. Avec un seul bloc, la personne néglige toutes les lignes dans l’espace de gauche. Avec les deux blocs séparés, cependant, elle raye certaines lignes qui se trouvent sur le côté droit du bloc de gauche. De même, elle annulerait normalement toutes les lignes dans l’espace prévu à cet effet. Avec des blocs séparés, cependant, elle ignore certaines lignes du côté gauche du bloc de droite.

La personne montre deux types de négligence gauche. Négliger le côté gauche de l’espace implique une attention basée sur l’espace. Négliger le côté gauche des objets implique une attention basée sur l’objet. (Dans cet exemple, un bloc de lignes constitue un objet perceptuel.) Les deux formes de négligence s’appliquent au bloc de gauche, donc la majorité de ses lignes sont ignorées. Seule la négligence basée sur l’objet s’applique au bloc de droite, donc la majorité de ses lignes sont rayées. Actuellement, on pense que des lésions du flux de traitement supérieur (occipital → pariétal) causent une négligence basée sur l’espace, tandis que des lésions du flux de traitement inférieur (occipital → temporal) résultent en une négligence basée sur l’objet. 129

Qu’est-ce que la conscience ? Le terme « conscience » a une palette de significations. Considérons que lorsque nous dormons, nous sommes inconscients, et pourtant pendant le sommeil paradoxal nos ressentis visuel et émotionnel sont clairement conscients. Le premier sens de « conscience » se réfère à l’état de vigilance ou d’éveil. Le second sens identifie la « conscience » au ressenti sensoriel et émotionnel. Diverses structures du tronc cérébral contrôlent la conscience au sens de vigilance. Elles incluent la formation réticulaire, le pont de Varole, les noyaux du raphé et le locus cœruleus. Une stimulation de la formation réticulaire augmente la vigilance et sa destruction provoque le coma. En revanche, des lésions des noyaux du raphé mènent à l’insomnie. Cependant, l’activité de ces deux structures est modulée normalement par le locus cœruleus et le pont de Varole. La « conscience-en-tant-que-vigilance » est contrôlée par un réseau de centres.

Formation réticulaire Locus cœruleus Noyaux du raphé

130

Pont de Varole

La conscience, appréhendée comme un ressenti sensoriel, pose de nombreuses énigmes. Des lésions d’une région limitée de l’aire V1 créent un îlot de cécité dans le champ visuel, appelé scotome. Si une lumière est braquée au niveau du scotome d’une personne, cette dernière ne la signalera pas, alors qu’elle rapporte des lumières juste en dehors du scotome normalement. Quelqu’un avec un scotome est aussi inconscient de son existence que nous le sommes tous des points aveugles dans nos yeux*. Scotome

Lésion dans l’aire V1

Tu as vu une lumière ? non.

Devine s’il y avait une lumière. J’imagine que « oui », mais c’est seulement une supposition.

Cependant, curieusement, bien qu’elles n’aient aucun ressenti conscient des lumières braquées sur un scotome, les personnes sont capables de rapporter avec précision si une lumière a été envoyée ou non lors d’un essai en particulier. Quand on le leur dit, elles sont incrédules et il faut les convaincre de leur aptitude. Pourtant, elles peuvent distinguer aussi les lignes horizontales des lignes verticales, et les cibles immobiles des cibles mouvantes, tout en étant convaincues qu’elles le devinent. Ce phénomène s’appelle la vision aveugle. * NdT. Point « aveugle » sur la rétine où arrive le faisceau de nerfs optiques.

131

La vision aveugle La vision aveugle est due en partie à l’existence d’un ensemble épars de fibres qui courent directement du corps géniculé latéral aux aires V4 et V5, en contournant l’aire V1. Le but de ces fibres est inconnu. Mais ce qui est certain, c’est que tandis que le ressenti visuel conscient requiert une aire V1 intacte, certains comportements contrôlés visuellement ne nécessitent pas de conscience.

Nerf optique Tractus optique V1 Cortex visuel primaire

V4

V5

132

Corps géniculé latéral

L’éveil de la conscience survient lors de réunions politiques et de groupes de psychothérapie, dont les membres peuvent soudain être frappés de conscience de soi quand il leur est demandé de prendre la parole. Dans ses deux usages, la « conscience » semble se référer au contenu de nos pensées. La conscience est éveillée quand nous nous rendons compte de souffrances subies ou infligées. La conscience de soi survient quand le focus de l’attention se déplace des autres vers nous-mêmes.

133

La mémoire immédiate La conscience au sens de contenu de nos pensées, ce que nous « avons en tête » en ce moment, est étudiée fréquemment sous le titre de mémoire immédiate. 3658 + 1 416 + 6729 1 18 0 3 2 13 + 6028 + 1 26 6367

1 1803 + 2608 + 307 14 7 1 8

21085

La mémoire immédiate est ce que vous utilisez pour faire l’addition d’une facture de tête et garder une trace des sous-totaux. Ou pour vous souvenir de où vous en êtes dans une phrase ou au cours d’une dispute.

Ou alterner entre une partie d’échecs et la préparation d’un repas – aussi longtemps que vous ne vous concentrez pas trop longtemps sur l’une des tâches.

La mémoire immédiate stocke et traite brièvement des informations nécessaires pour la planification et l’accomplissement de tâches. Elle comporte trois entités. La plus importante est le processeur central, ou décisionnaire, avec d’autres systèmes qui lui sont asservis. 134

Un système visio-spatial représente des informations limitées au sujet des relations spatiales. Vous vous en servez quand vous n’arrivez pas à assembler des choses livrées en kit !

Un système audio vous permet de retenir un nombre limité de mots pendant que vous les réarrangez en phrases plus intelligibles ou pour comprendre leur sens.

C’est le cas quand vous devez lire un document légal ou officiel (et, peut-être, certains passages de ce livre).

Au cours des dernières années, des images cérébrales, des études de lésions et des enregistrements par électrodes ont montré que : • diverses régions de l’HG contribuent aux tâches de mémoire immédiate verbales, • diverses régions de l’HD sont impliquées dans les tâches de mémoire immédiate spatiales. Dans tous les cas, il y a également une activité dans le cortex frontal. 135

Le processeur central dans l’aire 46 Bien que différentes tâches semblent recruter diverses régions du cortex frontal, une aire semble être commune à toutes. Appelée aire 46, elle est actuellement la candidate favorite pour le rôle de processeur central. La mémoire immédiate s’appuie sur des aires dans tout le cortex.

Autrement dit, la « conscience », au sens de ce que vous « avez à l’esprit », n’est pas localisée dans un seul endroit.

L’aire 46 pourrait être essentielle pour coordonner vos pensées et alterner des tâches. Cependant, le contenu de la conscience dépend de quelles aires de quel hémisphère sont engagées momentanément dans la tâche en cours. 136

Puisque le cortex frontal de chaque hémisphère possède sa propre aire 46, un individu au cerveau divisé peut (ou peut sembler) posséder une double conscience. Imaginons que deux images soient projetées simultanément, une vers chaque hémisphère. Si nous demandons à la personne au cerveau divisé de dire ce qu’elle a vu, l’HG verbal signale « une pomme ». Les aires visuelles, les aires verbales et l’aire 46 de son HG travaillent de concert pour fournir cette réponse. Cependant, si on lui demande d’écrire de la main gauche ce qu’elle a vu, elle écrit « cuillère ». Désormais, la coopération siège entre les aires visuelles, les aires du contrôle moteur et l’aire 46 de l’HD.

Pomme.

137

La conscience narrative Si on demande ensuite à la personne au cerveau divisé d’expliquer ses deux réponses, son HG parlant a un problème. Elle ne sait pas pourquoi l’HD a fait écrire à sa main gauche « cuillère ». Afin d’éviter tout embarras, elle confabule, c’est-à-dire qu’elle invente des expériences imaginaires.

POURQUOI AVEZ-VOUS DIT « POMME » MAIS ÉCRIT « CUILLÈRE » ?

J’ai vu une pomme, et puis j’ai pensé que j’avais besoin d’une cuillère pour la manger.

Il s’agit d’un exemple de conscience narrative, l’histoire constamment répétée et révisée de notre moi que nous racontons tous. 138

Libre arbitre et lobe frontal Quand Penfield a stimulé le cortex moteur de patients conscients subissant une intervention chirurgicale, ils lui affirmaient avoir ressenti leurs mouvements induits comme étant involontaires, et non volontaires.

Pourquoi avez-vous levé votre bras ?

Je ne l’ai pas levé. C’est vous qui l’avez fait.

Les cortex moteurs se trouvent à l’arrière du lobe frontal (LF). Son rôle est d’initier l’exécution de mouvements générés au niveau cortical, à la différence des mouvements générés de manière sous-corticale ou spinale (comme nous l’avons vu dans la section sur le mouvement). Mais les patients de Penfield témoignent de façon éloquente qu’ils ne sont pas le siège de la volonté. 139

Les mouvements réactifs L’aire prémotrice et l’aire supplémentaire se trouvent devant le cortex moteur. Ces aires sélectionnent les mouvements que le cortex moteur aura à faire exécuter. L’aire prémotrice sélectionne les mouvements en réponse à des éléments déclencheurs externes.

Comme quand vous vous levez de votre siège lorsque le téléphone sonne ou que vous tapez un numéro de téléphone lu dans un répertoire.

L’aire supplémentaire sélectionne les mouvements en réponse à des éléments déclencheurs internes. Comme quand vous vous levez de votre siège en cas de sensation d’inconfort ou que vous tapez un numéro de téléphone de mémoire. Aire motrice supplémentaire Aire prémotrice

Cortex préfrontal

En avant des aires prémotrice et supplémentaire se trouve le cortex préfrontal. Cette aire compte de nombreuses connexions entrantes et sortantes. C’est ici que s’arrêtent les voies visuelles supérieure et inférieure provenant des lobes pariétal et temporal. 140

Impacts de lésions du lobe frontal Il est difficile de caractériser le rôle du cortex préfrontal, qui englobe l’aire 46. Parmi ses fonctions se trouve le séquençage des comportements et de la mémoire pour l’ordre temporel. Si des personnes avec des lésions du cortex préfrontal doivent reproduire une série de mouvements, elles ont tendance à reproduire les bons mouvements dans le mauvais ordre. Elles manifestent aussi une persévérance (répétition excessive) ou une rigidité comportementale. Un exemple est la performance au test d’utilisations d’un objet, lors duquel vous devez suggérer différentes utilisations d’un objet particulier. Mais vous pouvez également vous en servir pour allumer un feu…

Par exemple, vous pouvez lire un journal…

Pour écraser des mouches… Ou pour recouvrir le sol…

Les gens qui ont des lésions du LF trouvent ce test très difficile. Ils donnent à plusieurs reprises l’utilisation la plus courante. Ils ne parviennent pas à refouler la réponse la plus évidente de manière que les réponses les moins évidentes puissent venir à l’esprit et être exprimées. 141

Lésions du LF et réponses non désirées Cette incapacité à inhiber les réponses indésirables se manifeste aussi dans des comportements axés par l’environnement. Les individus ayant des lésions du lobe frontal (LF) réagissent souvent de façon stéréotypée aux objets qu’ils rencontrent, peu importe si le cadre est socialement inapproprié. En voyant une brosse à dents, ils peuvent la prendre et s’en servir, même si elle appartient à quelqu’un d’autre et qu’ils ne se trouvent pas dans une salle de bains !

Quand ils entrent chez quelqu’un, ils peuvent inspecter sans gêne les tableaux aux murs, les commenter et les évaluer comme s’ils se trouvaient dans une galerie d’art. Quand l’inconvenance de leur comportement est soulignée, ils peuvent se montrer confus ou confabuler en fournissant des explications incroyables à leurs actes. 142

Parce qu’ils sont tant à la merci des éléments déclencheurs environnementaux, les sujets dont le LF est endommagé éprouvent une grande difficulté à élaborer des plans et à les mettre en œuvre. Les cortèges de pensées et d’actions sont détournés par des associations non pertinentes (une caractéristique partagée avec les schizophrènes). Ils souffrent également de troubles de la mémoire, quand se souvenir requiert l’emploi d’une stratégie : par exemple, la réponse d’un témoin normal à la question d’un avocat… Où étiez-vous dans la nuit du 30 juillet 1997 ?

C’est la date d’anniversaire de ma fille.

L’année dernière, nous l’avons emmenée voir un ballet.

Donc, j’y étais, forcément…

Les sujets ayant des lésions du LF peuvent manquer aussi de spontanéité et se montrer indifférents émotionnellement à eux-mêmes et aux autres. Cela peut se produire sans aucune perte d’intelligence. Ils peuvent répondre raisonnablement à des questions factuelles ou théoriques, mais n’initient jamais de conversation ni ne fournissent d’informations. 143

Qu’est-ce que le libre arbitre ? Les primates, et en particulier les humains, possèdent un grand LF (lobe frontal). Nous avons vu que les fonctions du LF comprennent l’établissement de plans et l’inhibition de comportements non désirés, mais le LF est-il le siège tant recherché du libre arbitre ? William James (1842–1910) considérait que le sens du libre arbitre découle à la fois du fait d’avoir une image consciente d’un but et un désir conscient de l’atteindre. Nous pourrions ajouter à cela savoir comment atteindre le l’objectif. Savoir comment atteindre un but implique d’être capable de planifier et de suivre un plan, en évitant les distractions. De toute évidence, le LF, et plus exactement le cortex préfrontal, est déterminant pour ces fonctions. L’inertie de certains patients ayant des lésions du LF suggère que le LF pourrait aussi être essentiel pour les désirs conscients. Cependant, le LF joue un plus petit rôle dans l’imagination consciente des buts. Les images visuelles des buts naissent dans les régions occipitale → temporale de la voie visuelle inférieure. Les images motrices de ce qu’il faut faire pour atteindre un but surgissent dans les régions pariétale → préfrontale de la voie visuelle supérieure. Nous avons déjà évoqué aussi l’idée que l’action volontaire est basée sur l’auto-instruction. Cela implique les zones du langage du côté gauche du lobe temporal, mais aussi du côté gauche du LF. Il est clair que les actions voulues sont assemblées en utilisant de nombreuses aires cérébrales. Images motrices des buts

Faisceau longitudinal supérieur

Faisceau frontal occipital inférieur Faisceau longitudinal inférieur

144

Images visuelles des buts

Peut-être, pour aborder le libre arbitre, faut-il remonter à Homère. Ulysse, revenant de Troie, avait hâte d’entendre les sirènes, dont le chant envoûtant attirait les marins vers les rochers. Il donna comme instruction à ses compagnons de l’attacher au mât du bateau et de remplir leurs oreilles de cire. Momentanément sourds aux incitations des sirènes et aux supplications de leur chef, les marins maintinrent leur cap en toute sécurité au-delà de la côte où l’épave a été emportée par les sirènes.

Le rusé Ulysse avait décelé que son lobe frontal n’a pas toujours un contrôle inhibiteur suffisant pour rivaliser avec le pouvoir de la contrainte. En agissant de la sorte, il évita de subir le ravissement du chant des sirènes. 145

Le moi De nombreux éléments contribuent à donner un sens au moi. Le moi social est la somme des groupes auxquels appartient une personne. Garçon, Anglais, fan de football.

Fille, chrétienne, randonneuse.

Le moi émotionnel interpersonnel se forge au gré des relations. Il est dit : c’était un chasseur puissant, un explorateur intrépide, un chef de guerre héroïque, un homme d’État de renommée mondiale et une déception pour sa mère.

Ces deux moi dépassent le cadre des investigations neuropsychologiques. Cependant, nous nous trouvons sur un terrain plus sûr, d’un point de vue neuropsychologique, avec le moi narratif ou cognitif. 146

Quand l’hémisphère gauche parlant d’une personne au cerveau essaie d’expliquer des comportements contrôlés par l’HG et l’HD, ils fournissent un modèle des circonstances dans lequel nous nous retrouvons tous. Chacun(e) de nous doit expliquer son comportement, même si une grande partie de ce dernier peut être mystérieux pour nous. Nos récits sont formulés en fonction de l’un des récits acceptés de notre culture.

J’ai décidé…

Dieu m’a intimé de…

C’est leurs hormones…

Ils sont ancrés grâce à trois mots auxquels tout le monde s’identifie : mon nom, je et moi. Le moi narratif hante les régions linguistiques de l’HG et celles de nombreuses autres aires corticales et sous-corticales qui contribuent au langage. Il est aussi fondamentalement dépendant de la mémoire épisodique ; et, puisque les souvenirs autobiographiques sont localisés dans tout le cerveau, le moi narratif est nécessairement répandu. 147

Perte du moi Les amnésiques, forcément, possèdent un moi narratif endommagé. Capable de se rappeler d’événements remontant à vingt ans mais pas de ceux des cinq dernières minutes, l’amnésique est coincé avec le moi narratif qu’il avait au moment de ses lésions ou de sa maladie. Tout comme un individu au cerveau divisé, ses efforts pour donner du sens aux anomalies et contradictions de sa situation l’amènent à confabuler. Voici un exemple d’un amnésique dans un service hospitalier qui se croit encore en train de servir des clients dans sa pharmacie. Que puis-je vous servir aujourd’hui ? Des produits cosmétiques, une boisson énergisante ou quelque chose pour la gorge ? Pardon, vous me prenez pour qui exactement ?

Eh bien, vous êtes mon vieil ami de la boulangerie d’à côté. Mais d’habitude vous portez un tablier, pas une blouse blanche. Et cette dame, qui est-ce ?

Je la prenais pour une cliente. Mais elle est habillée comme une infirmière et vous portez une blouse blanche et un stéthoscope…  Oh, ça me revient… Nous sommes à une fête costumée.

Les confabulations sont des tentatives pour maintenir et mettre à jour le moi narratif. 148

Le moi corporel (ou moi proprioceptif : voir la section sur le mouvement) loge aussi à diverses adresses dans tout le cerveau. Celles-là incluent le cortex sensoriel, le thalamus et le cervelet. Ce moi corporel est en grande partie inconscient. Nous nous rendons compte de son existence seulement quand il vient à manquer. Pour la plupart d’entre nous, cela se traduit par les effets étranges d’une injection chez le dentiste ou d’une brève crise de « jambe endormie ». Les individus qui sont privés en permanence de leur proprioception souffrent d’une perte dévastatrice du moi. La perte ne peut pas être verbalisée facilement, mais elle est remarquablement illustrée par la joie d’une femme qui sent le vent contre sa peau. Bien qu’elle ait perdu sa proprioception, elle a toujours les sens de température, de douleur et, le plus important, de toucher sur sa peau.

Mais c’était seulement en roulant dans une voiture décapotée que je pouvais ressentir … et que j’étais plus d’une partie de consciente de tout moi à la fois… mon moi corporel en même temps. 149

Le déni de la perte Certaines personnes subissent une perte partielle du moi corporel. Cela fait suite à un accident vasculaire cérébral ou une lésion tumorale au niveau du cortex sensoriel droit et de ses connexions avec les aires du mésencéphale et frontales. Les individus anosognosiques nient le fait qu’ils ont une paralysie latérale gauche et ne montrent aucune angoisse à ce sujet. Je lui demande de bouger son bras gauche…

Au début, elle le cherchait du regard, puis a admis à contrecœur…

Euh, il ne peut pas le faire tout seul.

Puis, quelques instants plus tard, elle va reprendre la conversation comme si rien ne s’était passé.

Alors on ira skier ?

Même quand ils doivent se confronter à plusieurs reprises à leur défaillance, les anosognosiques ne la reconnaissent que momentanément. Au mieux, ils pourront admettre avoir eu quelques problèmes de mouvement dans le passé, mais nieront que cela continue de les affecter. 150

La dissolution du moi Le moi animal est le sens basique, biologique de l’individualité. Il distingue le moi du non-moi. L’un des effets des drogues psychédéliques est de briser, ou affaiblir grandement, cette barrière. Savoir où les drogues agissent dans le cerveau pourrait aider à repérer la localisation du moi animal. Un site d’action est le locus cœruleus (LC), un amas de neurones dans le tronc cérébral qui canalisent et intègrent les signaux entrants. Les substances psychédéliques altèrent l’activité dans le LC. Mais les psychédéliques agissent sur une multitude de structures, notamment sur les voies de la sérotonine, il est donc probable que même ce moi central n’est pas identifiable à une aire particulière du cerveau.

Locus cœruleus

Cette conclusion est appuyée par des études selon lesquelles les frontières du moi animal s’estompent aussi pendant des crises d’épilepsie psychomotrice. L’activité cérébrale anormale pendant ces crises se limite au système limbique. Cela montre que les altérations dans plus d’une aire peuvent entraîner une perte du moi animal. Tout comme nos autres moi, le moi animal n’a pas une seule adresse. 151

Sensations de transcendance Les épileptiques psychomoteurs et les consommateurs de drogues psychédéliques partagent plus qu’une expérience d’unicité avec tout. Les deux sont également sujets à des sentiments gratifiants, de réussite, de triomphe et d’allégresse. Les deux peuvent ressentir une forme de certitude, de « c’est comme ça et c’est comme ça que ça doit être ». Pourtant, bien que de telles sensations soient ressenties avec grande conviction, ils ne s’attachent guère à quoi que ce soit. Ils flottent librement.

Dans des cas extrêmes, dont le romancier russe Feodor Dostoyevsky (1821–1881) est le plus célèbre, les épileptiques deviennent extatiques. Ils sont envahis par des sentiments de transcendance et de béatitude, submergés par la gloire de leur existence. 152

Vous, les gens sains, ne pouvez imaginer l’allégresse que nous, épileptiques, ressentons une seconde avant notre crise.

Tout au long de l’histoire, et dans toutes les cultures, certains épileptiques et consommateurs de psychédéliques ont soutenu que de telles expériences ont une signification suprême.

Aldous Huxley (1894-1963)

Perceptions alternatives

Nous les saluons comme une révélation – les portes vers une réalité alternative.

Les neurosciences modernes offrent un cadre d’explication très différent.

Ce cadre se réfère uniquement à la neurochimie et à l’électrophysiologie des circuits cérébraux. S’agissant de la phénoménologie et du sens de l’expérience inhabituelle, tout comme de l’expérience normale, les neurosciences gardent le silence. 153

Santé mentale : croyances et pathologies Plusieurs personnes condamnées pour sorcellerie au xviie siècle ont eu des descendants qui souffraient de la maladie de Huntington, dont les symptômes incluent des torsions, des tremblements et des grimaces. Au cours de l’histoire, les épileptiques ont été accusés aussi d’être possédés et ont été persécutés.

Le comportement humain est toujours interprété en fonction des croyances, ou narrations, dominantes de la culture.

Les sociétés religieuses donnent des explications surnaturelles au comportement anormal. Les sociétés modernes préfèrent diagnostiquer des pathologies médicales, surtout en cas d’anomalie physique comme une crise d’épilepsie. Toutefois, quand l’anomalie est purement mentale, comme dans les hallucinations, il existe encore de grosses ambiguïtés. 154

Par exemple, est-ce que la schizophrénie est une maladie qui touche certaines voies de la dopamine dans le cerveau (le modèle médical) ? Ou est-ce un moyen de faire face à des circonstances personnelles insupportables (le modèle phénoménologique ou sociologique) ? Il n’est pas toujours clair qu’il s’agisse de formes d’explications alternatives plutôt que complémentaires. Considérons les visions de Hildegarde de Bingen (1098–1179), qu’elle avait dans un état d’alerte et d’éveil « avec les yeux de l’esprit et des oreilles intérieures ».

Fortification typique d’une illusion produite par une migraine ophtalmique

Hildegarde a peint des tableaux détaillés de ses visions, qu’elle croyait provenir de Dieu. Ils montrent des cercles concentriques, des figures ressemblant à des fortifications et des étoiles qui chutent, de ce que nous appelons aujourd’hui les migraines ophtalmiques, qui sont une forme mineure d’épilepsie. 155

Comment expliquer les hallucinations Les neurosciences expliquent la base physique des perturbations visuelles d’Hildegarde. Dans le même temps, nous comprenons comment une femme pieuse du xiie siècle a pu arriver raisonnablement à une interprétation spirituelle de ces dernières. La neuropsychiatrie cognitive essaie de montrer que les croyances hallucinatoires sont des tentatives pour expliquer des expériences pathologiques. Commençons par une « illusion » rencontrée dans la vie de tous les jours. La plupart d’entre nous avons un jour été assis dans un train et avons pensé à tort que nous nous déplacions, alors que c’était le train d’à côté qui avait démarré. J’ai la sensation d’avancer.

Cette erreur est compréhensible parce que c’est généralement seulement quand nous nous déplaçons qu’un grand morceau de l’environnement glisse sur notre rétine. Je suis en train d’avancer.

À présent, regardons comment les schizophrènes interprètent leurs « voix ». 156

Entendre des voix Au quotidien, nous, ou nos cerveaux, distinguons constamment des changements sensoriels produits par notre activité de ceux produits par d’autres personnes. Nous savons quand c’est nous qui avons parlé ou quand quelqu’un d’autre a parlé. Nous reconnaissons quand quelqu’un d’autre nous a donné une idée et quand c’est nous qui avons eu l’idée. Dans des expériences impliquant un microphone et des écouteurs, les schizophrènes hallucinant rapportaient quelquefois que des mots qu’ils avaient dits avaient été prononcés par une autre personne.

Allô ?

Allô ? Amplificateur d’effets de distorsion

Qui a parlé ? Pas moi

Pas moi Amplificateur d’effets de distorsion

Qui a dit « pas moi »  ? Quelqu’un d’autre. Amplificateur d’effets de distorsion

Cela corrobore le fait qu’ils ressentent leurs propres discours et leurs discours intérieurs comme des « voix » et que leurs hallucinations sont des tentatives pour rendre compte des locuteurs désincarnés qu’ils entendent. La suggestion selon laquelle les schizophrènes ont une anomalie cérébrale faisant qu’ils ont du mal à distinguer leurs propres discours (et pensées) silencieux des discours extérieurs. De ce point de vue, ils nous rappellent les Grecs d’Homère qui entendaient les ordres des dieux. 157

L’illusion des imposteurs Un autre exemple est le délire d’illusion des sosies de Capgras. Les individus atteints du syndrome de Capgras peuvent être assez lucides la plupart du temps, mais viennent à considérer leurs parents, leurs partenaires ou leurs enfants comme des « imposteurs », des sosies prétendant être les personnes auxquelles ils ressemblent. De nombreux cas de Capgras ont montré des lésions cérébrales prouvées. Une idée récente est que cette illusion peut être une « image miroir » de la prosopagnosie (cf. p. 110–111). Dans la prosopagnosie, il apparaît que la perception visuelle consciente des visages se produit normalement, mais elle est déconnectée à la fois (a) d’une reconnaissance d’identité et (b) d’un sens émotionnel de la reconnaissance faciale (cf. p. 110–111). Le prosopagnosique voit consciemment l’homme qui est son père. Il y a aussi une reconnaissance d’identité et une reconnaissance émotionnelle, mais toutes deux se produisent inconsciemment. Mais c’est moi, fiston.  Qui êtes-vous ?

Cela est montré par le fait que les prosopagnosiques exhibent des réponses corporelles à des visages familiers et apprennent plus rapidement les vraies paires de noms et visages célèbres que les fausses paires. 158

Dans le cas du syndrome de Capgras, il est suggéré que la perception visuelle consciente des visages se produit normalement, et que la reconnaissance d’identité atteint normalement la conscience, mais que le sens émotionnel de la reconnaissance faciale ne se produit ni consciemment ni inconsciemment. Cette personne peut voir et identifier son père, mais ne ressent aucune « lueur » émotionnelle de reconnaissance. L’illusion que son père est un imposteur peut être la meilleure façon de donner du sens à son manque de réaction émotionnelle – moins effrayant que d’accepter le fait qu’il a perdu cette capacité.

Salut Maman, c’est bon d’entendre ta voix.

Vous ressemblez à ma mère, c’est tout. Pourquoi prétendez-vous être elle ?

Cette personne affiche le syndrome de Capgras quand elle voit ses parents, mais pas quand elle entend leurs voix au téléphone. Elle a la même réaction émotionnelle devant des visages familiers (dont ceux de ses parents) que devant des visages inconnus. 159

Qu’apprenons-nous sur l’esprit en étudiant le cerveau ? Nous pouvons considérer le cerveau comme un ensemble de nombreux ordinateurs naturels, chacun ayant évolué pour résoudre un problème spécifique en suivant son propre ensemble de règles (son algorithme). Ainsi, V1 et V2 réagissent à des changements de lumière sur la rétine. V3, V4 et V5 prennent chacune une partie de cette information et calculent respectivement la forme, la couleur et le déplacement. Cette information alimente ensuite des aires dans le lobe temporal qui déterminent la reconnaissance des objets et des visages, et des aires dans le lobe pariétal qui génèrent les représentations spatiales. Chaque aire cérébrale s’apparente à un ordinateur dans un système en réseau. Ce qu’il fait a du sens uniquement dans le contexte de ce que le système entier fait.

De même que l’action de pompage du cœur n’a de sens que dans le contexte d’un système circulatoire pour le sang. 160

Chaque aire cérébrale (ou ordinateur) peut être considérée elle-même comme un système avec des parties élémentaires qui agissent de concert pour mettre en œuvre le rôle de cette aire au sein d’un système plus grand. De même, le cœur peut être considéré comme un système de muscles, de tuyaux, d’espaces et de valves qui agissent de concert pour assurer l’action de pompage qui constitue le rôle du cœur dans le système circulatoire. Des systèmes complexes se nichent au sein d’autres systèmes complexes. Il est impossible d’identifier la couche inférieure de la hiérarchie, car vous pouvez toujours aller plus loin l’analyse. Par exemple, nous avons vu que des termes comme « vision » et « mémoire » s’avèrent très larges, englobant de nombreux processus et fonctions distincts.

161

Évolution de l’esprit Comment les choses en sont arrivées là ? Nous postulons que l’esprit a évolué pour résoudre les problèmes auxquels sont confrontés les primates dans la nature. La vision en couleur est utile pour trouver des fruits colorés parmi le feuillage vert. Et les cartes cognitives en mémoire servent à retrouver le même arbre fruitier le lendemain ou l’année suivante.

Cependant, parce qu’ils vivent en groupes sociaux, les primates ont à faire face à un environnement social de même qu’un environnement physique. L’hypothèse d’une intelligence sociale énonce qu’une grande part de l’évolution du cerveau/de l’esprit pourrait être une réponse à la complexité du monde social plutôt qu’à celle du monde physique. 162

L’intelligence sociale Évidemment, le fait d’être social ne garantit pas l’évolution vers un gros cerveau. Les fourmis sont là pour le prouver. Cependant, les fourmis semblent ne pas se reconnaître les unes les autres en tant qu’individus. Une fourmi ouvrière est aussi efficace qu’une autre, parce qu’elles affichent toutes un comportement très similaire, « précâblé ». En revanche, les animaux qui ont appris une grande partie de leur comportement ne sont pas facilement interchangeables. Chacun peut avoir des habitudes mais, puisqu’elles ont été apprises, elles diffèrent entre individus. Ainsi, la capacité à reconnaître des individus devient importante et un système cérébral pour la reconnaissance faciale se développe. Pour les animaux qui se reconnaissent les uns les autres visuellement, cela vaudra la peine de savoir un jour sur quels individus on peut ou on ne peut pas compter dans telle ou telle circonstance. Qui dans le groupe peut partager sa nourriture ? Qui m’aidera à défendre mes petits contre un prédateur ?

Qui pourrait réclamer le renvoi de faveurs du passé ?

Les êtres humains ne sont pas les seuls à se lancer dans ce « commerce social ». Pour être efficaces, les animaux ne doivent pas seulement reconnaître des faces, mais doivent aussi être capables de prédire le comportement individuel. Ils doivent être capables de ressentir les autres comme des « personnalités ». 163

Lire dans les pensées Récemment, il a été avancé qu’il existe un module de « lecture des pensées » dans le cerveau qui nous permet d’éprouver un monde d’individus avec des dispositions et des préférences, à l’instar de notre système visuel complexe qui nous permet d’éprouver un monde d’objets aux formes, couleurs, emplacements et mouvements particuliers. On pense que lire dans les pensées impliquerait l’amygdale, le sillon temporal supérieur, le cortex frontal médian et le cortex orbito-frontal. S’il existe en effet un module de lecture des pensées, alors des lésions de ce dernier devraient entraîner un ressenti anormal des autres esprits, tout comme des lésions du système visuel engendrent des ressentis visuels anormaux. Cortex frontal médian

Cortex orbito-frontal

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Amygdale

Sillon temporal supérieur (à l’arrière)

Les personnes avec autisme pourraient avoir des lésions de ce module. Ils semblent être « aveugles de l’esprit », incapables de ressentir les autres comme des personnalités dotées d’états mentaux. Prenez cet exemple d’échec de compréhension des états mentaux. Une femme adulte montre un paquet de bonbons à un garçon autiste.

Qu’y a-t-il dans ce tube ? Des bonbons.

Si je le montre à ton copain, que pensera-t-il qu’il y a dans ce tube ?

Non, pas de bonbons... Seulement un crayon.

Un crayon.

Les enfants normaux et les enfants atteints du syndrome de Down réussissent ce test facilement. Les enfants autistes échouent. Ils ne semblent pas comprendre les états mentaux des autres personnes. 165

Les états mentaux existent-ils en dehors de notre ressenti ? Si des personnes peuvent être aveugles de l’esprit, est-ce que cela signifie que les états mentaux n’existent pas en dehors du ressenti que l’on en a ? On peut se poser les mêmes questions au sujet des couleurs. Les personnes daltoniennes ne détectent-elles pas les couleurs qui attendent d’être perçues dans le monde ? Ou est-ce que le daltonisme prouve que la couleur n’existe que dans notre ressenti conscient ? Nous pouvons établir une analogie avec les individus « aveugles à la douleur » qui n’éprouvent pas la sensation de douleur et qui, par conséquent, se blessent fréquemment. Personne ne suggère qu’il y a de la douleur dans le monde et que de tels individus ne parviennent pas à la détecter. La douleur est notre ressenti. Vues sous cet angle, les couleurs aussi semblent être les nôtres.

Jaune.

La vue d’une jonquille provoque votre sensation de jaune. 166

Aïe !

Tout comme la piqûre d’une épine provoque votre sensation de douleur.

L’expérience de Heider Selon cet argument, une rencontre avec une autre personne provoque votre ressenti de ses états mentaux. Et tout comme la réponse de chasse du crapaud peut être déclenchée par une allumette se déplaçant longitudinalement, notre réponse de ressenti des états mentaux peut être déclenchée par n’importe quel objet qui ressemble superficiellement à une personne. Presque n’importe quoi qui manifeste un mouvement ou un changement spontané suffira. Les gens projettent des états mentaux et une personnalité sur les animaux, les planètes, les rivières, les volcans, le vent, la mer, les voitures, les bateaux et – dans une expérience célèbre – sur des formes géométriques qui se déplacent sur une surface plane.

« Le petit triangle et le cercle ont peur du grand triangle. Ce dernier les poursuit jusque dans la maison et ferme la porte pour les piéger. »

167

Nous avons vu que la vision et la mémoire sont fractionnées en un grand nombre de processus élémentaires. D’autres catégories de notre psychologie populaire rationnelle n’ont pas mieux résisté à l’examen minutieux. Les émotions, l’attention, l’action et le moi se fragmentent tous au cours de l’analyse. Il existe une multitude de moi. Le moi narratif est le plus important. Cependant, les confabulations de personnes ayant des lésions cérébrales montrent que le moi narratif n’offre qu’une compréhension limitée du comportement individuel. Et dorénavant, nous suggérons que les états mentaux des personnes n’existent que dans leur ressenti par d’autres personnes. Est-ce que tout cela signifie que la psychologie populaire mentalistique a tout faux ?

Est-ce que nous devons abandonner l’idée de l’esprit comme étant l’organe des croyances, des désirs et des intentions d’une personne, et le remplacer par quelque chose de plus respectable scientifiquement ?

On doit répondre à cette question par un OUI et un NON retentissants. 168

Qu’en est-il de la responsabilité personnelle ? Si les états mentaux n’existent que dans le ressenti des autres personnes, et si le moi n’est pas un agent moral unique mais un conglomérat, quelles sont les conséquences morales ? Il est certain que notre culture affirme se fonder sur un concept de responsabilité morale personnelle. Alors, comment les Grecs ont-ils fait face à ces problèmes ? Les personnages d’Homère justifient leurs plus horribles actes, dont nombre sont inclus dans les récits épiques, sous prétexte qu’ils ne pouvaient pas faire autrement. Les adversaires blessés acceptent de telles explications et donnent des explications similaires à leurs propres actes. Mais cela ne les empêche pas de se venger. Les Grecs estiment que vous devriez répondre de vos actes même si vous n’en êtes pas responsable. Cela n’est pas sans rappeler la façon dont les parents peuvent être légalement responsables des actes de leurs jeunes enfants.

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L’Iliade d’Homère raconte comment le roi Agamemnon libéra l’otage Briséis du joug d’Achille. Mais ce n’est pas ma faute, puissant Achille, si je vous ai pris la belle Briséis. Zeus, le destin et les furies ont instillé la folie sauvage dans mon cœur.

Ça n’a pas d’importance… Elle est à moi !

Parce que l’évolution nous a tous équipés de cerveaux très similaires, les personnes dans toutes les sociétés, y compris les Grecs anciens, « lisent » dans les comportements ce qui sont nommés dans notre culture intentions, désirs et croyances. Pour nous, ce sont des « états mentaux » qui précèdent et provoquent nos comportements. Sauf circonstances exceptionnelles de responsabilité atténuée, nous les attribuons à l’individu. D’autres sociétés peuvent lire dans les dispositions comportementales plutôt que dans les états mentaux. Elles peuvent attribuer ces dispositions aux divinités ou à la sorcellerie, mais sans nécessairement absoudre l’individu de la responsabilité de ses actes. 170

Crime et châtiment Les circonstances dans lesquelles une société punit un individu sont déterminées par des pratiques interdépendantes liées à la responsabilité personnelle, aux droits individuels, au bien commun, à l’opportunisme, à ce qui constitue un châtiment acceptable, etc. Dans certaines sociétés, il est illégal de donner la fessée à un enfant. Dans d’autres, les hommes ont le droit de battre leur femme et leurs enfants. Dans d’autres encore, un dirigeant absolu peut faire ce qui lui plaît avec ses sujets. Les pratiques acceptées varient. Mais chaque société se réserve le droit de protéger ses membres de certaines formes de perte ou préjudice en intentant des actions contre les contrevenants. Parfois, la société emprisonne (voire même exécute) une personne violente, même s’il est convenu que, en raison de démence, elle n’est pas la responsable de ses actes. À d’autres occasions, l’absence de responsabilité peut être utilisée comme défense juridique dans le but d’obtenir une sentence réduite, par exemple quand une ligne de défense de « provocation » ou de « crime passionnel » est donnée. Tout le monde sait à quel point les décisions judiciaires peuvent être idiosyncratiques. Nous ne traitons pas ces questions difficiles avec une aussi grande cohérence ou clarté de pensée que les Grecs. Mais nous parlons de et réfléchissons à de telles questions différemment et, par conséquent, nous menons nos vies différemment. L’étude du cerveau nous enseigne que les êtres humains sont complexes, et ce, de manière insoupçonnée. Le comportement émerge de la coaction de nombreux modules cérébraux, et il n’existe aucun moi unique exerçant un contrôle total. Cela ne signe pas la fin de « la moralité telle que nous la connaissons ». Cela signifie qu’il y a une transformation progressive. « La moralité telle que nous la connaissons » est un produit de développements historiques de la manière dont nous abordons la responsabilité personnelle, le libre arbitre, les droits, l’opportunisme et le bien de la communauté. Au Royaume-Uni, il y a seulement deux siècles, un enfant pouvait être pendu pour le vol d’un mouton et les femmes ne jouissaient pas des mêmes droits politiques que les hommes. Avant, il y avait le commerce des esclaves ; aujourd’hui, il y a le commerce des armes.

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Lectures complémentaires Il existe de nombreux ouvrages traitant plus ou moins des idées couvertes dans ces pages. Nous ne pouvons qu’en recommander certains sur lesquels nous nous sommes appuyés nous-mêmes.

Histoire des neurosciences The human brain and spinal cord: a historical study. E. Clarke et C.D. O’Malley. University of California Press, 1968. Une histoire complète et savante sur le développement des connaissances et des idées sur le cerveau. Origins of neuroscience. S. Finger. Oxford University Press, 1994. Une histoire des idées fascinante et superbement illustrée.

L’esprit, les Grecs et l’alphabétisation The origins of European thought. R.B. Onians. Cambridge University Press, 1954. Une analyse faisant autorité de l’influence formatrice de la culture grecque sur l’intellect européen. The origins of consciousness in the breakdown of the bicameral mind. J. Jaynes. Houghton Mifflin, 1976. Une interprétation osée et provocatrice de certaines publications anciennes, comprenant les épopées homériques.

Cerveau et comportement The brain. Scientific American Library, 1979. Introduction très accessible mais sélective sur la structure et le fonctionnement du cerveau. Mind and brain. Scientific American Library, 1992. Étude encore plus accessible mais sélective sur les connaissances actuelles. Excellentes illustrations. Cognitive neuroscience: the biology of the mind. M.S. Gazzaniga, R.B. Ivry et G.R. Mangun, Norton & Co., 1998. Introduction splendide bien actualisée sur le sujet par trois éminents praticiens. A vision of the brain. S. Zeki, Blackwell Science, 1993. Un célèbre scientifique visionnaire présente un récit intrigant et personnel sur un siècle d’études du cerveau visuel.

Neuropsychologie humaine The man who mistook his wife for a hat. O. Sacks, Duckworth & Co., 1985. Une collection classique d’études de cas, rédigée pour le grand public avec une profonde compassion. Clinical neuropsychology. J.L. Bradshaw et J.B. Mattingley. Academic Press, 1995. Une introduction particulièrement bien organisée et écrite de manière claire sur l’étude de traumatismes crâniens. Fundamentals of human neuropsychology. B. Kolb et I.Q. Whishaw. W.H. Freeman & Co., 1996. Le guide de référence complet pour ceux qui veulent découvrir ce que nous savons sur la structure et le fonctionnement du cerveau des primates.

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Les auteurs Angus Gellatly a été professeur titulaire et chef du Département de psychologie à l’université de Keele et à l’Open University. Il est aujourd’hui professeur émérite de psychologie à l’université Oxford Brookes. Il mène des recherches sur la perception visuelle et la cognition, et a même écrit des fictions à l’époque où il en avait le temps. Oscar Zarate a illustré les guides d’introduction de cette même collection sur Freud, Stephen Hawking, Lénine, la mafia, Machiavel, la théorie quantique et Melanie Klein. Il a produit également de nombreux romans graphiques acclamés, dont A Small Killing [Un petit meurtre], qui a reçu le prix Will Eisner du meilleur roman graphique en 1994, et a édité It’s Dark in London [Il fait bien sombre à Londres], une collection d’histoires illustrées, publiée en 1996.

Remerciements L’auteur tient à remercier Melanie, Charlotte et Theo pour leur patience et leur soutien pendant qu’il était immergé dans ce projet. Merci aussi à Melanie, Richard, Doug, Helen et Louise pour avoir lu et commenté le texte initial, et à Oscar pour avoir rendu notre collaboration si agréable. L’artiste tient à remercier Zoran Jevtic qui, à l’aide de sa souris, a apporté une contribution inestimable aux effets visuels de ce livre, notamment au niveau de la clarté des cartes du cerveau. Je voudrais remercier aussi Angel Petronio Azarmendia, mon aimable bibliothécaire local.

Crédits photos La photographie de Stephen Hawking à la page 73 est de Mark McEvoy. Le dessin à la page 125 est de Bill Elder.

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Les auteurs Angus Gellatly a été professeur titulaire et chef du Département de psychologie à l’université de Keele et à l’Open University. Il est aujourd’hui professeur émérite de psychologie à l’université Oxford Brookes. Il mène des recherches sur la perception visuelle et la cognition, et a même écrit des fictions à l’époque où il en avait le temps. Oscar Zarate a illustré les guides d’introduction de cette même collection sur Freud, Stephen Hawking, Lénine, la mafia, Machiavel, la théorie quantique et Melanie Klein. Il a produit également de nombreux romans graphiques acclamés, dont A Small Killing [Un petit meurtre], qui a reçu le prix Will Eisner du meilleur roman graphique en 1994, et a édité It’s Dark in London [Il fait bien sombre à Londres], une collection d’histoires illustrées, publiée en 1996.

Remerciements L’auteur tient à remercier Melanie, Charlotte et Theo pour leur patience et leur soutien pendant qu’il était immergé dans ce projet. Merci aussi à Melanie, Richard, Doug, Helen et Louise pour avoir lu et commenté le texte initial, et à Oscar pour avoir rendu notre collaboration si agréable. L’artiste tient à remercier Zoran Jevtic qui, à l’aide de sa souris, a apporté une contribution inestimable aux effets visuels de ce livre, notamment au niveau de la clarté des cartes du cerveau. Je voudrais remercier aussi Angel Petronio Azarmendia, mon aimable bibliothécaire local.

Crédits photos La photographie de Stephen Hawking à la page 73 est de Mark McEvoy. Le dessin à la page 125 est de Bill Elder.

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Les auteurs Angus Gellatly a été professeur titulaire et chef du Département de psychologie à l’université de Keele et à l’Open University. Il est aujourd’hui professeur émérite de psychologie à l’université Oxford Brookes. Il mène des recherches sur la perception visuelle et la cognition, et a même écrit des fictions à l’époque où il en avait le temps. Oscar Zarate a illustré les guides d’introduction de cette même collection sur Freud, Stephen Hawking, Lénine, la mafia, Machiavel, la théorie quantique et Melanie Klein. Il a produit également de nombreux romans graphiques acclamés, dont A Small Killing [Un petit meurtre], qui a reçu le prix Will Eisner du meilleur roman graphique en 1994, et a édité It’s Dark in London [Il fait bien sombre à Londres], une collection d’histoires illustrées, publiée en 1996.

Remerciements L’auteur tient à remercier Melanie, Charlotte et Theo pour leur patience et leur soutien pendant qu’il était immergé dans ce projet. Merci aussi à Melanie, Richard, Doug, Helen et Louise pour avoir lu et commenté le texte initial, et à Oscar pour avoir rendu notre collaboration si agréable. L’artiste tient à remercier Zoran Jevtic qui, à l’aide de sa souris, a apporté une contribution inestimable aux effets visuels de ce livre, notamment au niveau de la clarté des cartes du cerveau. Je voudrais remercier aussi Angel Petronio Azarmendia, mon aimable bibliothécaire local.

Crédits photos La photographie de Stephen Hawking à la page 73 est de Mark McEvoy. Le dessin à la page 125 est de Bill Elder.

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Index Achromatopsie 105 Agnosie 108–110 associative 109 de la forme 108, 114–115 des objets 108 Aire 46, 136 prémotrice 140 supplémentaire 140 Aires sensorielles primaires 101 Âme 14, 17, 22 Amnésie 94, 148 rétrograde 94 Amygdale 80, 83–84, 164 Anosognosie 150 Aphasie 24, 56–62 anomique 60 de Broca 24, 56 de Wernicke 24, 58, 63–64, 88 Apprentissage compétences 28–29 perceptuel 95 sous-cortical 83 Apraxie idéomotrice 76 Attention 124–129 Audition 24 Autisme 165 Axone 31, 33, 35 Carte cognitive 122–123 Cécité du mouvement 106 Cellules gliales 31 Cerveau 12–13, 160 cellules voir neurones développement du 39 chimique 35–36 divisé 116–119, 137, 147 électrique 33–34 émotionnel voir système limbique fonctions motrices 24–26 hémisphères voir hémisphères histoire 4–5 lésions du 23–24, 45

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parties du 40–45 ventricules 17–18 Cervelet 12, 22, 40 lésions du 73 localisation de la mémoire 98 Comportement social 163 voir aussi responsabilité Connectivité 46 Connexions excitatrices 33 inhibitrices 33 Conscience 130–138 voir aussi libre arbitre Conscience de soi 133 Corps calleux 44, 103, 116 Corps géniculé latéral (CGL) 103 Cortex 12, 26–27, 32, 44 moteur primaire 75 préfrontal 140–141 rhinal 93, 95–96, 100 Couleurs 62, 104–105, 166 Crise (épileptique) 34 Dendrites 31, 33, 35 Dépression 88 Descartes, René 18 Dopamine 36, 43, 154 Douleur, absence du ressenti de la 166 Drogues, effets de 36, 151–153 Ego corporel 78, 149–150 voir aussi moi Électroconvulsivothérapie (ECT) 5 Électrodes 33 Électrothérapie 19–20 Émotions et l’esprit 11 et la raison 89 et prise de décision 90–91 expression 7 hémisphères cérébraux 86–88 Épilepsie 34, 80, 111, 116, 151–153 Espace, représentations de l’ 122–123

Esprit 9, 52 des autres créatures 49–51 et intégration au corps 46 évolution de l’ 162 facultés mentales 17 tentative de définition 10–11 Expérience de Heider 167 Faisceau arqué 63 Fibres extrapyramidales 70 Fibres pyramidales 70–75 Flourens, Marie-Jean-Pierre 22 Fonctions conscientes 10 inconscientes 10 Formation réticulaire 40, 130 Fritsch, Gustav 23 Galien, sur le cerveau 15 Gall, Franz 21 Galvanisme 20, 22 Ganglions de la base 43, 74 Gauche côté du lobe pariétal 76 hémisphère voir hémisphères négligence voir négligence spatiale Glande pinéale 102 Goltz 26 Gyrus 32 Habituation 47 Hallucinations 156–159 Hawking, Stephen 73 Head, Henry 28 Hémisphères 12, 44 émotions 86, 88 langage 65 représentation spatiale 122–123 vision 103, 105, 112–120 Hippocampe 43, 79, 123 Hitzig, Edouard 23 Holisme 26–27 Hormones 37 Hughlings-Jackson, John 27–28

Hypothalamus 42, 79, 82 Illusion des sosies de Capgras 158–159 James, William 144 Langage des signes 59 Langage et le cerveau 55–67 Lashley, Karl 26, 99 Libre arbitre 6, 11, 139, 144–145 Lobe 45 frontal 90, 107, 141–143 occipital 62, 104, 107 pariétal 76, 107, 114, 127 Lobe temporal aire limbique 93 aphasie 59 maladie d’Alzheimer 100 vision 107–108 Localisation 23–26, 64 Locus cœruleus 130, 151 Luria, Alexander 29 Maladie d’Alzheimer 100 de Huntington 74, 154 de Parkinson 36, 41, 43, 74 Medulla 40 Mémoire 46, 92–100 complexité 100 immédiate 134, 136 procédurale 97 siège de la 98–99 stockage 95 Mésencéphale 39, 41 Modulation inhibitrice 69 Moi 9, 11, 146–151, 168 narratif 138, 146–147 Mouvement 11, 68–78 Négligence basée sur l’objet 129 spatiale 118–121 Néocortex 44 Neurones 31, 33 Neurotransmetteurs 36

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Noyau supraoptique 102 Noyaux 32 du raphé 130 Odorat, sens de l’ 79, 93 Ordinateurs 54 comparaison avec le cerveau 160–161 Paralysie 73 Parole perturbations de la 24, 28 troubles de la 23, 56–62 Pédoncules 41 Penfield, Wilder 25, 139 Pensées 46 lecture des 16 Perception 14, 115–123 spatiale 115–123 visuelle consciente 114 Peur 81–85 Pont de Varole 40, 130 Processeur central 136–137 Proprioception 78 Prosencéphale 39, 42 Prosopagnosie 110–112, 158 Réflexes 71 Réponse d’orientation 124 Responsabilité 169–171 Rhombencéphale 39–40 Schizophrénie 155, 157 Sclérose en plaques 31 Sclérose latérale amyotrophique 73 Scotome 103, 131 Sens 101 voir aussi odorat, sens de l'audition/vision Sensibilisation 48 Sérotonine 36, 151 Sherrington, Charles Scott 26, 35 Sillon 32, 107 Simultagnosie 109, 113 Sites récepteurs 35

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Sorcellerie 154 Spurzheim, Johann 21 Stimuli animaux/oiseaux 48–51, 84–85 humains 53 Substance blanche 32 grise 32 Sillon temporal supérieur 107 Synapse 35 Syndrome de Bálint 114 Système limbique 43, 79–82 épilepsie 151 lésions du 90–91 prosopagnosie 110–111 Système moteur 24–26, 57 description 72 lésions 73–75 libre arbitre 139 voir aussi mouvement ; cortex moteur primaire Système nerveux 20, 30 Système visio-spatial 135 Tectum 41 Tegmentum 41 Thalamus 42, 83 Théorie cellulaire 30 Transcendance 152 Trépanation 5 Ventricules 17–18 Vision 34, 102–115 voir aussi cerveau divisé Vision aveugle 131–133 Visions 155–156 voir aussi drogues, effets des Voie visuelle supérieure 114 Vygotsky, Lev 77 Willis, Thomas 18