L’épigénétique en images 9782759822454

L’épigénétique est le domaine le plus passionnant de la biologie aujourd’hui, elle nous permet de mieux comprendre comme

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French Pages 176 [177] Year 2018

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L’épigénétique en images
 9782759822454

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Translation from the English language edition of: "Epigenetics: a graphic guide", © Cath Ennis & Oliver Pugh Traduction : Alan Rodney - Relecture : Gaëlle Courty Imprimé en France par Présence Graphique, 37260 Monts Mise en page de l’édition française : studiowakeup.com ISBN (papier) : 978-2-7598-2169-3 ISBN (ebook) : 978-2-7598-2245-4 Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinés à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal. © EDP Sciences, 2018

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Gènes, ARN et protéines L’épigénétique est la manière dont les gènes* hérités de nos parents sont contrôlés et comment ils interagissent avec notre environnement : comment nos gènes font que nous sommes ce que nous sommes. « Épi- » signifie sur, ou en plus ; l’épigénétique est l’étude de la manière dont des facteurs additionnels interagissent avec les gènes afin de commander les processus qui font que nos cellules* et notre corps fonctionnent. Les scientifiques connaissent certains de ces facteurs depuis des décennies, mais ce n’est que très récemment qu’ils ont commencé à tout assembler pour amorcer une explication de certaines lacunes dans nos connaissances de la génétique. De la manière dont les embryons se développent jusqu’à la manière dont les espèces évoluent, de la recherche menée en laboratoire jusqu’au développement de médicaments, l’épigénétique est en passe de devenir un sujet brûlant d’actualité !

Comprendre l’épigénétique – comment nos gènes interagissent avec notre environnement et avec d’autres facteurs – est primordial pour comprendre de nombreux aspects de la biologie.

* Les mots suivis d’un astérisque sont définis dans le glossaire. 

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Pour comprendre l’épigénétique, nous devons commencer par connaître la génétique de base. Les gènes sont constitués d’acide désoxyribonucléique (ADN)*. L’ADN consiste en de longues chaînes composées de quatre molécules*, appelées les bases* : A, C, G et T. C’est l’ordre, ou séquence, de ces bases le long de la chaîne qui établit et détermine notre code génétique. Deux longues chaînes d’ADN s’enroulent autour l’une de l’autre pour former la fameuse structure en double hélice. Les bases d’un brin établissent des connexions avec les bases de l’autre brin ; ces paires connectées sont les « échelons » dans la structure en échelle torsadée de l’hélice. A est toujours connectée à T et C toujours connectée à G.

Les connexions entre les bases qui s’apparient, ou « complémentaires », entre les brins opposés d’ADN maintiennent la structure de la double hélice.

4

La première étape dans la traduction des instructions codées par l’ADN s’appelle la transcription*. Une portion de l’hélice s’ouvre et les bases d’un des brins s’associent aux nouvelles molécules bases (« complémentaires ») correspondantes. Les nouvelles bases s’assemblent en un brin d’acide ribonucléique (ARN)*. L’ARN est semblable à l’ADN mais ses brins, courts et simples, sont moins stables et plus mobiles que ceux de la longue double hélice d’ADN. Certains types d'ARN peuvent s'extraire par de minuscules trous dans la membrane qui entoure le noyau cellulaire*. L'ADN est trop gros pour passer à travers, aussi ces molécules d'ARN agissent comme des messages codés des gènes au reste de la cellule.

Rembobinage de l’ADN

Instru capitcations les

Débobinage de l’ADN

Bases

ARN

Le code de l’ADN est copié, ou « transcrit », en un brin d’ARN, qui transmet le message au reste de la cellule.

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Certains ARN qui quittent le noyau sont appelés ARN messagers (ARNm)*. Les ARNm sont des copies de ces segments d’ADN qui codent pour de grandes molécules appelées protéines*. Les protéines sont extrêmement importantes. Il en existe des milliers de types différents, chacune avec une fonction spécifique. De nombreuses protéines aident à contrôler les réactions chimiques qui maintiennent nos cellules en vie et en bonne santé. Par exemple, les protéines sont nécessaires pour ouvrir la double hélice d’ADN et relier les bases individuelles entre elles en des brins d’ARN pendant la transcription. D’autres protéines sont impliquées dans la digestion de la nourriture, la lutte contre les infections, le transport de l'oxygène dans le corps et d'autres fonctions très variées.

Eh, cellule du pancréas, mon gène-patron a besoin que tu lui fabriques plus d’insuline !

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Le processus par lequel des séquences d’ARNm sont converties en protéines s’appelle la traduction*. Chaque unité à trois bases – appelée « codon »* – d’ARNm se connecte à un brin d’ARN de transfert (ARNt)* qui possède trois bases complémentaires à une extrémité. L’autre extrémité est liée à une molécule appelée acide aminé*. Il existe différents types d’acides aminés et chaque type ne peut s’associer qu’à des ARNt correspondant à des codons spécifiques. Tout comme les bases sont les éléments constitutifs de l’ADN et de l’ARN, les acides aminés sont les éléments constitutifs des protéines. Puisque les ARNt se lient aux codons correspondants le long d’un brin d’ARNm, leurs acides aminés se lient dans le même ordre.

CCC, je te présente proline. Proline voici CCC.

Cha

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7

La séquence d’acides aminés de chaque protéine est spécifiée par la séquence de codons dans l’ARNm correspondant, lequel est apparié à son tour à la séquence de bases dans l’ADN. Cette relation très spécifique entre un codon d’ARNm et sa molécule d’ARNt correspondante, qui est associée exclusivement à un seul acide aminé, est essentielle pour que la séquence codée d’ADN puisse être convertie en protéines. La séquence d’acides aminés dans une protéine détermine la fonction de cette dernière. Comme nous l’avons vu précédemment, les fonctions des protéines sont essentielles pour la vie. C’est pour cette raison que l’ADN est si important – il contient toutes les instructions nécessaires au bon fonctionnement de nos cellules et de notre corps.

Je combats les infections !

Je fabrique des ARNm !

Je contrôle le tout !

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Chromosomes, nucléosomes et chromatine Notre séquence complète d’ADN est appelé génome*. Tous les êtres humains possèdent des génomes extrêmement proches, bien que chacun d’entre nous ait une version légèrement différente de la séquence. Presque toutes les cellules de votre corps possèdent leur propre copie de votre séquence unique du génome humain. Le génome humain se compose de 23 segments appelés chromosomes*. Les chromosomes se présentent par paire : nous héritons chacun d’un chromosome de chaque paire de notre mère et l’autre de notre père. Le chromosome humain le plus long contient environ 2 600 gènes codant pour des protéines, le plus court seulement 140 gènes. Les gènes sont séparés par des portions d’ADN qui ne codent pas pour des protéines.

Il y a deux brins d’ADN par double hélice, et une double hélice par chromosome. Il y a 23 chromosomes provenant de chaque parent, soit 46 chromosomes par cellule. Cela signifie qu’il y a 92 brins d’ADN dans chaque cellule ! 9

Il y a environ 21 000 gènes codant pour des protéines dans le génome humain, qui contient 3 milliards de bases individuelles (A, C, G et T). Mis bout à bout, les segments d’ADN contenus dans une seule cellule feraient environ 1,8 mètre. L’ADN doit être enroulé, replié et compacté afin de tenir dans le noyau d’une minuscule cellule. La double hélice s’enroule tout d’abord autour d’un groupe de huit petites protéines appelées histones*, qui se lient très fortement à l’ADN. Chaque unité individuelle de huit protéines histones plus l’ADN forment un nucléosome*. Assemblés le long d’un brin d’ADN, les nucléosomes ressemblent à des perles sur un collier.

Chaque perle de nucléosome se compose de 8 protéines histones – 2 de chacun des 4 différents types d’histones – et de 146 bases d’ADN.

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Quatre types de protéines histones composent les perles de nucléosome. Un cinquième type de protéines histones se fixe à l’élément de liaison d’ADN entre les nucléosomes, mais aussi aux histones qui se trouvent à l’intérieur de chaque nucléosome voisin. Ce sont ces connexions qui compactent les « perles sur le collier » pour former un brin plus épais. D’autres protéines, appelées protéines d’échafaudage, se fixent à ce brin épais, le nouent, le replient et le tordent en des structures de plus en plus denses. Cette combinaison d’ADN, d’histones et de protéines d’échafaudage plus d’autres protéines et ARN qui se fixent à l’ensemble de la structure s’appelle la chromatine*. La densité de la chromatine varie sur la longueur du chromosome. Vous pouvez visualiser effectivement cette variation sur des clichés de cellules teintées – les chromosomes sont rayés, où les bandes plus sombres correspondent à des régions de chromatine plus dense.

Les histones et d’autres protéines aident à compacter l’ADN pour former des structures de plus en plus denses.

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Réplication d’ADN et mitose De nouvelles cellules sont créées constamment dans notre corps, par un processus appelé division cellulaire*. Avant qu’une cellule puisse se scinder en deux, elle doit d’abord faire une seconde copie de son génome. Ce processus de réplication se déroule de manière semblable à la transcription de l’ARN. La double hélice s’ouvre, brisant les liaisons entre les deux brins. Les bases de chaque brin s’associent à de nouveaux partenaires complémentaires qui se lient pour former ainsi de nouveaux brins d’ADN. Le résultat obtenu en fin de processus consiste en deux doubles hélices, chacune comprenant, d’une part, un ancien brin provenant de l’ADN de la cellule d’origine et, d’autre part, un brin nouvellement créé.

On ne reste pas avec la même cavalière, on fait tourner les partenaires !

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La plupart des divisions cellulaires sont du type appelé mitose*, un processus qui permet la création de deux nouvelles cellules, chacune avec le même nombre de chromosomes que la cellule originale. Les chromosomes qui entrent en mitose se mélangent comme un bol de spaghetti. Dès que la mitose débute, ils se séparent, se condensent et forment des paires avec leurs copies fraîchement répliquées. Des fibres s’étendent alors à chaque extrémité de la cellule. Chaque chromosome s’attache à une seule fibre. Comme les fibres se contractent, un partenaire de chaque paire de chromosomes est attiré à chaque extrémité de la cellule. La membrane cellulaire se pince alors au milieu pour former deux nouvelles cellules, chacune entourée de sa propre membrane.

Tu me manqueras quand je serai dans ma nouvelle cellule !

Je ne t’oublierai jamais !

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Méiose et hérédité Les deux cellules sexuelles, l’ovule et le spermatozoïde, sont produites par une forme spécialisée de division cellulaire appelée méiose*. La méiose comprend deux séquences successives de séparation des chromosomes et de division cellulaire après la réplication de l’ADN. Chacune des quatre nouvelles cellules créées lors d’une seule séquence de méiose reçoit donc 23 chromosomes, plutôt que les 23 paires de chromosomes que l’on trouve dans la plupart des autres cellules. Au moment de la conception, un ovule et un spermatozoïde fusionnent pour former une seule cellule. Les 23 chromosomes hérités de chaque parent sont conservés dans ce zygote* fécondé, de sorte que chaque nouvelle génération débute sa vie avec la même quantité d’ADN que ses parents.

On se. divise .

encore ?

Oui. Nous allons devenir des spermatozoïdes ! Nous n’avons besoin que d’un seul exemplaire de chaque chromosome !

L’ovule va fournir un assortiment équivalent !

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Au fur et à mesure que les chromosomes s’apparient en vue de la première division cellulaire méiotique, ils échangent des segments d’ADN avec leurs partenaires. Cette recombinaison* génétique a lieu quand un chromosome se rompt et que l’un des deux brins brisés forme une double hélice avec la séquence complémentaire du chromosome partenaire intact. Le second brin intact est remplacé par cet envahisseur et s’apparie à la place avec l’autre brin rompu. Tout vide est comblé et les fragments sont rattachés à leurs nouveaux emplacements. Aucune information n’est perdue – elle est seulement remaniée. Le second cycle de division cellulaire méiotique débute aussitôt le premier terminé ; aucune autre recombinaison n’a lieu.

Voici le remix dément des chromosomes ! Mais je ne vais pas laisser tomber la version initiale !

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Le nombre et la localisation des brisures de chromosomes qui déclenchent la recombinaison sont majoritairement aléatoires, si bien que différents segments d’ADN sont échangés à chaque fois. C’est pour cette raison que chaque ovule et chaque spermatozoïde est unique : ils reçoivent bien tous deux de l’ADN provenant des deux chromosomes des parents, mais les combinaisons sont variables. Des ovules et des spermatozoïdes uniques engendrent des descendants uniques. Vous ne ressemblez pas exactement à vos parents parce que leur matériel génétique a été remanié avant que vous ne le receviez. Vous ne ressemblez pas non plus exactement à vos frères et sœurs car leur remaniement fut différent. À l’exception des jumeaux identiques, qui résultent de la division d’un seul zygote fécondé scindé en deux.

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Après la conception, le zygote fécondé se divise par mitoses, créant tous les différents types de cellules dont il aura besoin au fur et à mesure qu’il évolue vers le stade d’embryon. Ce processus merveilleusement délicat et complexe nécessite que les gènes du zygote soient transcrits et traduits de manière coordonnée et avec soin. Les biologistes du xxe siècle ont appris beaucoup sur le fonctionnement de ce processus de développement, surtout après la caractérisation par Watson, Crick, Wilkins et Franklin de la structure de l’ADN en 1953. Toutefois, en assemblant les morceaux du puzzle, ils ont aussi identifié des lacunes. De toute évidence, certains aspects de la génétique ne peuvent s’expliquer en étudiant les seules séquences des gènes.

En y réfléchissant, j’aurais mieux fait d’étudier quelque chose de plus simple, comme la physique quantique.

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Au-delà de la séquence d’ADN, la régulation des gènes Le corps humain est composé de centaines de types de cellules différents. Chaque type assure des fonctions spécialisées, par l’intermédiaire de sa combinaison unique de protéines. Certaines protéines sont produites dans toutes les cellules ; d’autres sont abondantes dans certaines cellules et présentes en faible quantité – voire totalement absentes – dans d’autres cellules. Le processus par lequel le zygote fécondé originel produit tous les types de cellules du corps s’appelle la différenciation cellulaire*. Certaines cellules se différencient au moment de la mitose et se spécialisent peu à peu, tandis que d’autres, appelées cellules souches*, restent dans un état moins spécialisé, plus polyvalent. Lorsque les cellules se différencient, leur combinaison de protéines subit des changements

Je vais devenir un bébé. C’est parti pour la division cellulaire !

Le temps est venu d’expérimenter de nouvelles combinaisons de protéines…

Hip hip hip hourra pour la différenciation cellulaire !

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La différenciation cellulaire normale est un processus à sens unique qui convertit les cellules souches polyvalentes en cellules matures plus spécialisées. Cela garantit que les cellules matures du cerveau, par exemple, ne se reconvertissent pas spontanément en cellules souches et commencent à remplir notre crâne d’os ou de muscles ! En 1962, John Gurdon (né en 1933) est devenu le premier scientifique à inverser artificiellement la différenciation cellulaire. Il a extrait le noyau d’une cellule intestinale de têtard parfaitement différenciée et l’a transféré dans un ovule de grenouille dont le noyau d’origine avait été retiré. L’ovule cloné a évolué jusqu’à devenir une nouvelle grenouille, en bonne santé. Cette expérience Une grenouille entière, en bonne a prouvé que les santé, clonée à partir d’une seule cellules pleinement cellule intestinale mature ! La différenciées différenciation cellulaire PEUT être conservent tout le matériel génétique inversée ! Je pourrais t’embrasser ! nécessaire pour produire tous les types de cellules du corps.

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Les travaux de Gurdon ont réfuté une hypothèse antérieure selon laquelle les cellules rejettent petit à petit les morceaux d’ADN dont elles n’ont plus besoin au fur et à mesure qu’elles se différencient, ne gardant que les gènes dont elles ont besoin pour exécuter leurs fonctions particulières. La science contemporaine a mis en évidence depuis qu’à quelques exceptions près (les cellules sanguines sont bizarres), chaque cellule du corps humain renferme exactement le même ADN que le zygote fécondé d’origine. Cependant, différentes cellules transcrivent et traduisent différentes parties du génome, et il n’était pas évident à l’époque de comprendre comment la même séquence d’ADN pouvait être utilisée pour produire des combinaisons si diverses d’ARN et de protéines dans différents types de cellules.

Eh, cellule cérébrale, comment fabriques-tu de la protéine C ? J’ai bien un gène C, mais il n’est pas activé. Je n’en sais rien, nous ne sommes qu’en 1962 !

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En 1978, le biochimiste hongkongais Robert Tjian (né en 1949) a découvert le premier spécimen d’une classe de protéines appelées facteurs de transcription*, qui contribuent à réguler l’activation des gènes. Les facteurs de transcription se lient à des séquences spécifiques d’ADN proches des gènes et interagissent avec la machinerie de transcription. La combinaison de protéines liées à un gène donné aide à déterminer si la transcription a lieu. Certains facteurs de transcription se trouvent uniquement dans certains types de cellules, et certains interviennent dans la différenciation cellulaire. Cependant, il n’y a pas toujours une parfaite corrélation entre la présence d’un facteur de transcription et l’activation de gènes cibles – parfois, des facteurs de transcription sont présents dans des cellules où leurs gènes cibles ne sont pas activés. Et nous ne savions pas encore comment la production des facteurs de transcription elle-même était régulée.

Promoteur

Corps du gène

Am

pl

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ca

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Amplificateur

Facteurs de transcription Corps du gène

GÈNE ACTIVÉ

Am

pl

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ca t

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Promoteur

Promoteur

Corps du gène

GÈNE NON ACTIVÉ

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Certains types de régulation transcriptionnelle ne peuvent être expliqués par les seuls facteurs de transcription, ce qui indique que les cellules doivent utiliser d’autres mécanismes pour contrôler certains gènes. Un exemple est appelé empreinte parentale*. Parce que les chromosomes se présentent par paires, chaque cellule renferme deux copies de chaque gène. La plupart des gènes sont transcrits à partir des deux copies simultanément. Cependant, quelques centaines de gènes soumis à empreinte parentale sont transcrits uniquement à partir du chromosome hérité de la mère et d’autres le sont uniquement à partir du chromosome hérité du père.

Gène soumis à empreinte parentale

Gène non soumis à empreinte parentale

Les facteurs de transcription peuvent se fixer à l’un ou à l’autre chromosome. Par conséquent, il doit y avoir autre chose que les facteurs de transcription impliqué dans la régulation des gènes soumis à empreinte parentale.

Noyau

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Dans certaines cellules, un chromosome entier est complètement éteint. En général (bien qu’il y ait des exceptions), les mammifères femelles reçoivent deux copies du chromosome X – un de chaque parent –, tandis que les mammifères mâles reçoivent un chromosome X de leur mère et un chromosome plus petit Y de leur père. Le chromosome X contient bien plus de gènes que le chromosome Y, si bien que les cellules XX possèdent des copies supplémentaires de certains gènes comparées aux cellules XY. Afin de compenser ce déséquilibre, l’une des copies du chromosome X se condense et est inactivée dans chaque cellule XX.

SPERMATOZOÏDE :

OVULE :

BÉBÉ : Mâle

Femelle

Tu as plus de gènes que moi ! Ce n’est pas juste ! D’accord, je vais désactiver l’un de ces chromosomes… 23

La généticienne britannique Mary Lyon (1925-2014) a découvert qu’à la différence de l’empreinte parentale, l’inactivation du chromosome X est aléatoire : différentes cellules éteignent différentes copies. La démonstration la plus claire de cette inactivation aléatoire se retrouve chez les chats calico ou écaille de tortue. Les chats femelles (et l’occasionnel mâle XXY) peuvent hériter de deux copies différentes d’un gène de couleur de pelage qui se situe sur le chromosome X – l’un foncé, l’autre orange. L’inactivation aléatoire du chromosome qui porte le gène orange donne au chat une couleur foncée, et vice versa, résultant en un effet mosaïque. Tout comme pour l’empreinte parentale, l’inactivation du chromosome X ne peut s’expliquer uniquement par les facteurs de transcription.

Des chromosomes différents sont désactivés dans différentes cellules, ce qui crée cette mosaïque de couleurs.

Oui, mais comment ?

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Inné et acquis L’idée que nos caractéristiques personnelles – connues collectivement sous le nom de phénotype* – sont modelées par une combinaison de l’inné (nos gènes) et de l’acquis (notre environnement, nos expériences et autres facteurs non génétiques) n’est pas une nouveauté. En réalité, elle est antérieure de plusieurs siècles à la découverte par Gregor Mendel (1822-1884) des lois de l’hérédité. Mendel avait analysé comment les caractéristiques physiques, telles que la taille et la couleur des fleurs, sont transmises de génération en génération chez les petits pois. Ce travail, combiné à la découverte ultérieure de la recombinaison méiotique, a aidé à expliquer la contribution de l’inné à notre apparence et notre comportement – pourquoi nous sommes semblables, mais pas identiques, à nos parents. En revanche, la manière dont ces facteurs génétiques interagissent avec notre environnement était nettement moins évidente.

Des caractéristiques comme la taille de la plante sont héritées des deux parents, mais ne se mélangent pas – elles sont transmises comme des entités distinctes, invariables. 25

Étude de jumeaux Nous sommes plus que la somme de nos gènes : les jumeaux identiques partagent la même séquence d’ADN, mais ont des personnalités, des goûts et des antécédents médicaux différents. Les généticiens ont beaucoup appris sur l’inné et l’acquis en étudiant des jumeaux identiques séparés quand ils étaient bébés et élevés dans des familles différentes. Par exemple, des caractéristiques physiques, telles que les traits du visage qui sont très proches chez les deux jumeaux, sont déterminées en grande partie par la génétique ; les caractéristiques qui divergent, notamment la personnalité, sont affectées davantage par les environnements et expériences différents des jumeaux. Parce que la séparation de jumeaux identiques est un scénario extrêmement rare, la plupart des études d’héritabilité* comparent plutôt des caractéristiques dans des paires de jumeaux identiques ou fraternels (non identiques). Les jumeaux identiques partagent le même environnement et le même génome ; les jumeaux fraternels ont un environnement commun, mais des ADN différents.

C’est fantastique, nous sommes toutes les deux enseignantes. Peut-être que cette compétence se trouve dans nos gènes.

26

Ouais. Mais je n’ai jamais été attirée par l’art, comme toi. En grandissant, j’étais davantage attirée par la chimie.

Les études sur les jumeaux nous ont beaucoup appris sur les caractéristiques complexes qui ont des composantes à la fois génétiques et environnementales. Par exemple, environ 2,4 % de tous les garçons manifestent un trouble du spectre de l'autisme. Les garçons dont le jumeau fraternel a été diagnostiqué ont un risque accru – environ 35 % – d’être aussi atteint. Dans le cas de jumeaux identiques, le risque que l’autre soit atteint est encore plus élevé, environ 75 %. Il en va de même chez les filles, mais les pourcentages sont différents. Clairement, il y a une puissante composante génétique (comme les jumeaux identiques nous le démontrent) et un rôle des facteurs environnementaux (comme les jumeaux fraternels le prouvent). En 2015, une équipe internationale dirigée par Peter Visscher et Danielle Posthuma a publié les résultats des données d’une étude de valeur sur cinquante ans sur les jumeaux et est parvenue à la conclusion que malgré la variabilité des nombres selon les caractéristiques, la répartition moyenne est de 49 % pour l’inné et de 51 % pour l’acquis.

Tous ces tests, nos vies entières passées en revue…

… et la réponse à la question comment sommes-nous affectés par l’inné et l’acquis est simplement 50-50 !

Mais c’est juste une moyenne ! Il existe une grande diversité ! 27

Mais qu’est-ce que l’« acquis » précisément et comment fonctionne-t-il ? Une grande partie de nos connaissances sur les interactions ADNenvironnement provient de recherches sur des maladies complexes telles que les cancers et les maladies cardiaques, qui présentent des facteurs de risque à la fois génétiques et environnementaux. Ces recherches ont identifié des facteurs non génétiques qui augmentent notre risque de développer une maladie (comme la cigarette ou une mauvaise alimentation) et d’autres qui nous en protègent (comme l’activité physique). Cependant, comprendre comment ces facteurs interagissent avec nos gènes s’est révélé bien plus difficile. La discipline de l’épigénétique peut aider à combler cette lacune entre notre séquence d'ADN et les facteurs non génétiques qui contribuent à nous façonner.

L’épigénétique peut aider à expliquer ce que la génétique seule ne peut faire – y compris les effets conjugués de l’inné et de l’acquis.

28

L’histoire de l’épigénétique La définition originelle de l’épigénétique (ou, plutôt, de l’« épigenèse ») se limitait aux mécanismes du développement embryonnaire. Le philosophe grec Aristote (384-322 av. J.-C.) avait proposé le terme épigenèse – la formation progressive d’un embryon en partant d’un point de départ amorphe – comme alternative à la préformation, qui était l’idée selon laquelle l’embryon se développe à partir d’une version miniature préformée de lui-même. Au milieu du xxe siècle, le rôle crucial joué par les gènes dans le développement embryonnaire était largement admis. Le modèle de l’épigenèse actualisé de l’époque avançait que les interactions entre le matériel génétique, les protéines et des substances chimiques non encore identifiées dirigeaient le développement embryonnaire, produisant tous les cellules et tissus différents du corps.

Les embryons ne sont pas préformés – ils se développent progressivement à partir d’une forme amorphe. La recherche d’une explication à ce processus d’« épigenèse » donnera naissance finalement à la discipline de l’épigénétique. 29

L’un des partisans de la théorie de l’épigenèse actualisée du développement embryonnaire était le biologiste du développement britannique Conrad Waddington (1905-1975). Dans un article publié en 1942, Waddington fusionna l’ancien terme « épigenèse » avec « génétique », créant le nouveau terme « épigénétique ».

« L’épigénétique est la branche de la biologie qui étudie les interactions de cause à effet entre les gènes et leurs produits (les protéines), donnant naissance à un phénotype. »

Waddington a reconnu que différentes cellules devaient contenir différentes caractéristiques épigénétiques, qu’il a appelées « paysages », et que la différenciation implique un changement dans ce paysage. Il a comparé le processus de différenciation cellulaire à sens unique à un ballon qui dévale une pente du paysage épigénétique au fur et à mesure que l’embryon se développe. Une fois qu’il a dévalé la pente, ou qu’il s’est différencié (en cellules de la peau ou du foie par exemple), il est extrêmement difficile de remonter la pente jusqu’à son stade indifférencié (cellules souches). 30

En 1958, le généticien américain David Nanney (1925-2016) a employé le terme « épigénétique » dans un sens légèrement différent, en se référant à des aspects de la biologie qui ne peuvent être expliqués par la génétique seule. L’article de Nanney a suscité des décennies de débats quant à la véritable définition du terme et des affrontements éclatent encore de nos jours.

« Les cellules qui ont le même génotype (gènes) peuvent non seulement présenter différents phénotypes, mais ces différences dans les potentialités exprimées peuvent perdurer indéfiniment pendant la division cellulaire, essentiellement dans le même environnement. »

L’idée de « persistance pendant la division cellulaire » se réfère au fait que les cellules matures se divisent par mitose pour former deux cellules de même type (les cellules du foie ne peuvent engendrer que plus de cellules du foie). Les deux nouvelles cellules possèdent le même paysage épigénétique et le même phénotype que la cellule originelle. Cette persistance peut expliquer le caractère à sens unique de la différenciation cellulaire : si les paysages épigénétiques ne changent pas quand une cellule mature se divise, la cellule ne peut pas se dédifférencier. 31

La plupart des désaccords au sujet de la définition de l’épigénétique portent sur la question de savoir si la persistance des paysages épigénétiques pendant la mitose est un élément essentiel de cette description. Cette persistance est appelée aussi communément « héritabilité mitotique » car les deux cellules qui résultent de la mitose héritent de gènes et de paysages épigénétiques de la cellule originelle. (Le concept est proche, mais distinct, du type plus familier d’hérédité parent-enfant.) Les définitions modernes plus conservatrices avancent que le terme « épigénétique » ne devrait se référer qu’aux facteurs héritables mitotiquement qui interagissent avec nos gènes. Ce livre présente une interprétation moins stricte, de manière à englober des facteurs additionnels qui ne vont pas nécessairement persister pendant la division cellulaire. Certains contesteront ce point de vue.

L’héritabilité mitotique est essentielle pour la conservation des paysages épigénétiques.

Oui, mais l’épigénétique moderne ne s’arrête pas là ! 32

La découverte des modifications de la chromatine Nous avons déjà évoqué comment la chromatine comprend à la fois de l’ADN et des protéines. Jusqu’au milieu du xxe siècle, il était admis généralement que les protéines représentaient la composante la plus importante. On ne s’imaginait pas que l’ADN, avec sa structure simple et ses quatre seules bases différentes, pouvait être responsable de la construction d’un organisme complexe à partir de rien. Mais, dans les années 1950, les généticiens américains Martha Chase (1927-2003) et Alfred Hershey (1908-1997) ont utilisé de l’ADN viral purifié pour démontrer que les instructions héritées pour vivre sont bel et bien codées dans la séquence d’ADN. Par la suite, on se désintéressa des histones et des protéines d’échafaudage, considérées comme un simple emballage du matériel génétique. C’est seulement plusieurs décennies plus tard que l’on s’intéressa de nouveau aux histones.

On dirait en fait que l’ADN constitue la base de toute vie.

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L’intérêt scientifique pour les histones fut ravivé au milieu des années 1990, quand le biologiste du développement américain David Allis (né en 1951) commença à découvrir des modifications chimiques des protéines histones – des modifications corrélées à la transcription des gènes. Plus précisément, l’équipe d’Allis a découvert qu’une petite molécule appelée groupe acétyle* vient s’ajouter aux histones dans certaines régions du génome, et que ces régions contiennent plus de gènes transcrits activement que les régions avec très peu d’histones acétylées. Allis et d’autres ont continué leurs recherches et ont découvert plusieurs autres types de modifications moléculaires des histones, certaines associées à des parties actives du génome, d’autres associées à des régions « silencieuses » d’un point de vue transcriptionnel.

L’acétylation des histones est corrélée à la transcription des gènes. Les histones retrouvent tout leur intérêt ! 34

La configuration physique de la structure de la chromatine est corrélée aussi à la transcription des gènes : plus accessibles, les « bandes » plus claires des chromosomes contiennent en règle générale plus de gènes actifs que les « bandes » sombres, plus condensées. Certaines parties du génome se trouvent toujours dans un état de chromatine dense et inactif. Les extrémités et les jonctions centrales des chromosomes sont classées dans la catégorie inactive. D’autres régions, par exemple celles qui renferment de nombreux gènes impliqués dans des processus essentiels au bon fonctionnement de toutes les cellules (tels que copier l’ADN ou convertir les sucres en énergie), se trouvent toujours dans une configuration plus accessible. D’autres régions présentent des densités de chromatine différentes selon le type de cellule – ce qui tend à suggérer une association avec la régulation des gènes spécifique à un type de cellule.

Les extrémités et les jonctions centrales des chromosomes, ainsi que les autres bandes sombres, contiennent de la chromatine dense et restent majoritairement silencieuses. Les bandes plus claires contiennent plus de chromatine accessible et de gènes actifs.

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Certains chercheurs étudiaient les modifications chimiques de l’ADN luimême. En 1948, le biochimiste américain Rollin Hotchkiss (1911-2004) a démontré que certaines bases d’ADN possèdent de petites molécules appelées groupes méthyles*. Cependant, la fonction – s’il y en avait une – de cette méthylation de l’ADN n’était pas encore connue. On savait que les chromosomes X inactivés contiennent un grand nombre de bases méthylées. Au milieu des années 1970, le généticien britannique Adrian Bird (né en 1947) a commencé à réunir des preuves que la méthylation d’autres régions d’ADN pouvait également être associée à la régulation transcriptionnelle ; les sites qui peuvent être méthylés ne sont pas dispersés de manière aléatoire à travers le génome, mais sont corrélés à l’emplacement des gènes. Les Américains Mark Tykocinski et Edward Max et le Belge Benoit de Crombrugghe ont publié des découvertes similaires au début des années 1980.

La méthylation de l’ADN semble impliquée dans la régulation transcriptionnelle – elle est corrélée au silence transcriptionnel.

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Les modifications de la chromatine semblaient enfin être des candidats prometteurs pour combler le fossé entre la séquence d’ADN et le phénotype (caractéristiques observables) de l’organisme entier. Cependant, il devenait nécessaire d’établir tout d’abord un lien de cause à effet.

Est-ce que les modifications de la chromatine contrôlent la transcription des gènes ?

Ou bien est-ce que les modifications de la chromatine sont ajoutées à des régions du génome où la transcription a déjà été activée ou mise sous silence par d’autres mécanismes ?

Il est facile de voir comment la densité de la chromatine peut contrôler la transcription des gènes directement : les structures plus denses bloquent physiquement l’accès de la machinerie de transcription à l’ADN. Mais les rôles potentiels de l’ADN et des modifications des histones dans la régulation transcriptionnelle étaient moins évidents. 37

Au début des années 1980, Carol Prives aux États-Unis et Walter Doerfler (né en 1933), à la tête d’une équipe de chercheurs allemands, suisses et israéliens, ont méthylé artificiellement des morceaux d’ADN viral, qu’ils ont injectés ensuite dans des cellules. Les deux équipes ont constaté que l’ADN non méthylé est plus actif transcriptionnellement que l’ADN méthylé de même séquence. Dans les années 1990, David Allis a démontré que les protéines qui ajoutent des groupes acétyles aux histones sont directement responsables de l’activation de la transcription des gènes dans certaines situations. Ces découvertes ont posé les jalons de quelques années de recherche passionnantes. Au fur et à mesure que les preuves s’accumulaient, il devenait évident que les modifications de l’ADN et des histones contribuent à contrôler en effet directement la transcription des gènes.

Les modifications de l’ADN et des histones contrôlent directement la transcription des gènes !

Nous avons découvert ici quelque chose de très important ! 38

La compréhension moderne des modifications épigénétiques Nous savons à présent que les modifications de l’ADN et des histones représentent des couches supplémentaires d’information superposées à la séquence d’ADN. L’épigénétique moderne est l’étude de cette « information » et permet de déterminer :

• comment elle est établie, maintenue et modifiée ; • comment son code est traduit par la cellule ; omment elle est héritée, aussi bien sur le court terme par les • cgénérations suivantes de cellules et d’organismes que sur de plus longues périodes au cours desquelles l’évolution se produit ;

• comment elle peut être déformée et brouillée en cas de maladies ; et omment nous pouvons lire et éventuellement apprendre à éditer • ccette information afin d’aider à améliorer notre santé.

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Si l’on considère la séquence d’ADN comme étant un manuel d’instructions qui expliquerait comment faire un organisme entier à partir d’un zygote fécondé, alors l’information épigénétique représente la version surlignée et annotée de ce même texte. Certaines « couleurs » moléculaires indiquent les passages du texte qu’il convient de lire avec beaucoup d’attention et d’autres signalent les parties qui peuvent être ignorées. Le surlignage aide à déterminer quels gènes sont à transcrire et à traduire dans quelles cellules. La cellule utilise différents ARN et protéines comme des « marqueurs » épigénétiques qui établissent et maintiennent le profil de l’information, des « effaceurs » qui le supprime si nécessaire et des « décodeurs » qui convertissent l’information en instructions utilisables. 

Cela rend évidemment l’ADN plus facile à manier.

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Il existe des milliers de marqueurs, d’effaceurs et de décodeurs épigénétiques qui coopèrent dans un réseau complexe et soigneusement coordonné. Ce réseau de régulation épigénétique comprend différents types et tailles de molécules. La plus petite modification épigénétique connue ne compte que quatre atomes ; des brins d’ARN longs de dix-neuf bases seulement aident à spécifier où chaque type de marquage doit intervenir. Des protéines de diverses tailles s’ajoutent, effacent ou reconnaissent des modifications spécifiques, tandis que d’autres déplacent des nucléosomes individuels. De longs segments complets de chromosomes sont regroupés dans des zones spécifiques du noyau de la cellule. Il existe, sans nul doute, des composants additionnels que nous n’avons pas encore identifiés.

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Presque toutes les cellules du corps contiennent la même séquence d’ADN, mais différents types de cellules contiennent différents schémas de marquage moléculaire. Après tout, une cellule de foie n’a pas besoin, pour fonctionner, de se référer aux mêmes pages du manuel d’instructions qu’une cellule du cerveau. Chaque cellule produit plutôt uniquement les ARN et les protéines dont elle a besoin pour effectuer ses fonctions spécialisées. L’une des choses vraiment intéressantes au sujet de l’épigénétique est que les marqueurs ne sont pas fixés de la même façon que la séquence d’ADN : ils changent au fur et à mesure que les cellules se différencient, mais aussi en réponse à certaines influences de l’extérieur. Certains peuvent même passer d’un parent à sa progéniture.

J’ai besoin de différents schémas de marquage pour pouvoir fabriquer de nouvelles protéines afin d’affronter mon problème d’alcool.

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La méthylation de l’ADN La plus petite des modifications épigénétiques connues s’appelle le groupe méthyle. Cette molécule, composée d’un atome de carbone et de trois atomes d’hydrogène, est liée à certaines bases C de l’ADN par une protéine « marqueur » ADN méthyltransférase. La méthylation de l’ADN est responsable de l’extinction de gènes. Adrian Bird a découvert des protéines décodeurs dans le noyau de la cellule qui reconnaissent les bases C méthylées (mC) et s’y lient de manière spécifique. Ces protéines arrêtent la transcription des gènes qui contiennent de l’ADN méthylé et empêchent la production des ARN et des protéines correspondants. La méthylation de l’ADN ressemble davantage au trait du feutre noir du censeur qu’à un surligneur, qui dit à la cellule : « Circulez, il n’y a rien à voir ! ».

Les gènes qui contiennent des bases C méthylées sont éteints par des protéines décodeurs qui se lient aux groupes méthyles et bloquent la transcription.

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Quand Adrian Bird et d’autres ont commencé à cartographier les patrons de méthylation de l’ADN dans les années 1970, leurs méthodes de travail étaient rudimentaires et lentes. Mais, dans les années 1990, les généticiennes australiennes Marianne Frommer et Susan Clark ont développé une méthode qui peut révéler avec précision quelles bases C sont méthylées et lesquelles ne le sont pas.

Avant la conversion au bisulfite

la rès Ap ersion v te con isulfi b au

Un produit chimique, du nom de bisulfite de sodium, convertit les bases C non méthylées

en T, tandis que les bases C méthylées sont protégées et restent des C. Le patron de méthylation est lu en comparant la séquence d’ADN traitée au bisulfite à celle de l’ADN d’origine.

Les expériences de séquençage au bisulfite sont utilisées dorénavant partout dans le monde par les chercheurs pour aider à cartographier les paysages épigénétiques de différents types de cellules. 44

La méthylation de l’ADN n’intervient pas par hasard, mais suit plutôt certaines règles générales et des patrons. La plupart des bases C méthylées sont proches des bases G. De nombreux gènes actifs forment un cluster de ces bases près des sites d’initiation de la transcription. Ces clusters sont appelés îlots CpG* et la majorité d’entre eux sont non méthylés. En revanche, les îlots CpG qui se trouvent entre les gènes ou contenus dans des séquences répétées d’ADN* sont généralement méthylés. L’ADN répété pose problème. Il peut se déplacer vers de nouveaux emplacements ; il peut agir de sorte que les machineries de réplication et de transcription de l’ADN fonctionnent mal, donnant lieu à des mutations qui contribuent à l’apparition de cancers et d’autres maladies. Il est possible que cette méthylation de l’ADN ait évolué, au début, de manière à éteindre ces séquences problématiques et qu’elle ait acquis ses autres fonctionnalités utiles plus tard.

Îlot CpG méthylé

Gène inhibé

Îlot CpG non méthylé

Gène exprimé

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L’extinction transcriptionnelle n’a lieu que lorsque les deux brins d’ADN de la double hélice sont méthylés sur le même emplacement CpG. Toutefois, lorsque l’ADN est répliqué au cours de la mitose, les brins nouvellement formés, qui s’apparient avec chacun des brins d’origine, ne possèdent aucun groupe méthyle. Dans la plupart des cas, les deux cellules issues de la mitose ont besoin de conserver les mêmes patrons de méthylation d’ADN que ceux présents dans la cellule originelle. En d’autres termes, il faut que le paysage épigénétique perdure, pour s’assurer que les deux nouvelles cellules soient de même type que l’originale (cf. p. 31-32). Le patron de méthylation de l’ADN du brin d’ADN d’origine doit être copié par conséquent dans chaque brin nouvellement formé. 46

Une protéine appelée ADN méthyltransférase 1 ou DNMT1 est responsable de la copie du patron de méthylation originel de l’ADN dans les nouveaux brins d’ADN. La DNMT1 reconnaît les sites CpG qui sont asymétriquement méthylés et s’y fixe. Elle ajoute alors un groupe méthyle à la base C nue sur le nouveau brin d’ADN, restaurant le patron de méthylation symétrique de la cellule originelle. Ce processus est essentiel pour la conservation des paysages épigénétiques des cellules matures et empêche l’inversion de la différenciation cellulaire.

La méthylation de l’ADN est le meilleur exemple connu d’une modification épigénétique mitotiquement héritable (cf. p. 31-32). Même les définitions les plus rigoureuses de l’épigénétique intègrent la méthylation de l’ADN !

La DNMT1 copie les paysages épigénétiques des cellules matures pendant la mitose. Elle fait en sorte que les cellules matures du foie ne puissent produire que de nouvelles cellules du foie, et que des cellules matures de peau ne puissent produire que de nouvelles cellules de peau. 47

Cependant, il s’avère parfois nécessaire que les gènes méthylés soient réactivés – par exemple pendant la différenciation cellulaire. Les paysages épigénétiques changent pendant ce processus, au fur et à mesure que les cellules commencent à activer les gènes nécessaires pour mettre en œuvre les fonctions spécialisées d’une cellule de cerveau, foie, rein ou sang mature. Dans la majorité de ces situations, le patron de méthylation d’origine n’est simplement pas copié dans les nouveaux brins d’ADN. Cette dilution progressive de ce patron de méthylation porte le nom de déméthylation passive. Parce que cette déméthylation passive dépend de la réplication de l’ADN, elle ne peut intervenir que pour réactiver des gènes silencieux dans des cellules qui se divisent par mitose.

Chaque cellule contient 1 brin méthylé et 1 brin non méthylé

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2 cellules possèdent 1 brin méthylé et 1 brin non méthylé et 2 cellules possèdent 2 brins non méthylés

Il arrive que la méthylation doive être inversée très rapidement – par exemple, dans les embryons aux premiers stades de développement subissant des différenciations cellulaires rapides. La réactivation soudaine des gènes est nécessaire aussi parfois dans les cellules matures qui ne sont pas en train de se diviser – par exemple, pour répondre à des produits chimiques, à des changements de température ou à d’autres stimuli. La dilution passive de la méthylation pendant la division cellulaire n’est pas appropriée dans ces cas ; il faut un processus distinct actif. Pendant la déméthylation active, les groupes méthyles qui doivent être supprimés sont marqués par des atomes d’oxygène. Des protéines « effaceurs » dites TET se lient spécifiquement aux groupes méthyles ainsi marqués et les coupent de l’ADN.

Les effaceurs sont aussi importants que les marqueurs : ils permettent aux cellules de modifier leurs patrons d’activation des gènes pendant la différenciation cellulaire et pour répondre à des changements de conditions.

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Dans les années 1990, une équipe américaine menée par le biologiste allemand Rudolf Jaenisch (né en 1942) a montré toute l’importance de la méthylation de l’ADN en créant génétiquement des souris à qui il manquait des protéines ADN méthyltransférases. Ces souris sont mortes au stade d’embryon. Plusieurs autres équipes de chercheurs ont trouvé que le chaos général qui règne au sein des cellules cancéreuses chez l’Homme comprend d’importants changements de la méthylation de l’ADN et des patrons d’activation des gènes (cf. p. 136). Des protéines ADN méthyltransférases mutées ont été découvertes aussi dans certains types de cellules cancéreuses.

R. Jaenisch

Ces recherches et d’autres suggèrent que les patrons normaux de méthylation de l’ADN sont nécessaires pour le fonctionnement normal des cellules et de l’organisme. Toutefois, la méthylation de l’ADN ne fonctionne pas toute seule ; d’autres formes de modifications épigénétiques aident aussi à contrôler l’activation des gènes.

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« La méthylation de l’ADN est absolument nécessaire au développement et à la santé de l’organisme. »

Les modifications des histones Les protéines histones, tout comme l’ADN, peuvent être marquées par des groupes méthyles mais aussi par une multitude d’autres molécules, chacune ayant des fonctions différentes. La plupart des modifications sont ajoutées sur la « queue » des histones – la partie de la protéine qui sort du cœur de la structure du nucléosome. Les patrons de modifications des histones changent plus souvent, et plus rapidement, que ceux de la méthylation de l’ADN. En règle générale, ils semblent être associés aux fluctuations à court terme des patrons d’activation des gènes, plutôt qu’aux changements à plus long terme induits par la méthylation de l’ADN. Tout comme il existe des protéines qui se lient spécifiquement à l’ADN méthylé pour arrêter la transcription de gènes, il existe des protéines décodeurs qui se lient spécifiquement à chaque type de modification d’histone et régulent l’activité des gènes voisins.

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Parce que la méthylation de l’ADN altère les bases C individuelles spécifiques, il est relativement facile d’identifier l’emplacement précis de chaque groupe méthyle. Chaque nucléosome, en revanche, est associé à environ 150 bases d’ADN, en plus de la séquence de liaison de 80 bases. Une méthode indirecte, appelée séquençage ChIP (pour séquençage par immunoprécipitation de chromatine en anglais), est utilisée pour déterminer quelles parties du génome sont associées à quels types de modifications d’histones – le premier pas vers la compréhension de ce que font ces modifications. Le séquençage ChIP implique l’isolation des histones marquées par un type de modification spécifique et de séquencer l’ADN associé pour identifier son emplacement dans le génome.

Les protéines en forme de Y appelées anticorps peuvent se lier spécifiquement à un seul type de modifications d’histones et séparent la chromatine modifiée du reste du génome pour analyse.

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La méthylation de l’ADN est toujours associée à l’extinction de gène. En revanche, la méthylation des histones peut soit activer, soit éteindre des gènes, selon quels acides aminés de quelles queues d’histones sont méthylés, et si un acide aminé reçoit un, deux ou trois groupes méthyles. Chaque configuration attire et lie différentes protéines décodeurs. Différents types de méthylations des histones servent à identifier des parties du génome qui possèdent des caractéristiques différentes. Certains types de méthylation définissent les parties actives du génome et d’autres les régions silencieuses. D’autres configurations marquent de l’ADN endommagé en train d’être réparé ou des morceaux d’ADN qui aident à contrôler des gènes proches ou lointains.

Des régions du génome qui sont actives, silencieuses ou soumises à des réparations d’ADN sont marquées par des patrons de méthylation d’histones spécifiques.

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D’autres molécules peuvent également se lier aux queues des histones. Les groupes acétyles et phosphates sont les deux plus petits – à peu près de la même taille que les groupes méthyles. L’acétylation des histones était la première modification des histones à être découverte, par David Allis (cf. p. 34). Elle est toujours associée à l’activation de gènes. Non seulement les protéines décodeurs activatrices de la transcription se lient à des acides aminés acétylés, mais les groupes acétyles ont aussi un effet plus direct : leur charge électrique négative diminue l’attraction entre l’ADN chargé négativement et les histones chargées positivement. Cette interférence détend la structure du nucléosome, rendant la transcription de l’ADN plus facile. Une autre modification, la phosphorylation des histones, est moins bien comprise, mais est associée à la réparation de l’ADN et à l’activation transcriptionnelle.

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Plus récemment, d’autres modifications des histones ont été découvertes, notamment des molécules d’ADP-ribose, l’une des plus grosses modifications des histones. L’ADP-ribosylation des histones semble avoir une action similaire à celle de l’acétylation, brisant physiquement la structure du nucléosome de sorte que l’ADN devient plus facile à transcrire. Certaines protéines, de taille encore plus grande, peuvent aussi se lier aux queues des histones. Le lien des protéines SUMO et d’ubiquitine semble être associé à l’activation et l’extinction des gènes, selon le site de fixation. Identifier, puis comprendre, d’autres modifications des histones représente encore aujourd’hui un champ de recherche très actif et prometteur. La liste des modifications des histones connues, ainsi que leurs rôles connus et supposés, semble s’allonger d’année en année !

Je n’imaginais pas que ce champ de recherche allait devenir si vite complexe !

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La modification d’histone la plus frappante implique l’échange d’une histone classique contre un variant de protéine qui possède des propriétés spécialisées. Certains variants d’histones* rendent le nucléosome plus stable, bloquant la transcription ; d’autres ont l’effet inverse. Certains contiennent des acides aminés modifiables qui n’existent pas dans les types d’histones classiques ; d’autres sont supposés avoir un rôle dans la réparation d’ADN endommagé.

Les variants d’histones peuvent se substituer aux protéines histones classiques quand cela s’avère nécessaire. Un variant appelé H2A.X remplace l’histone H2A dans des parties endommagées du génome qui ont besoin d’être réparées

Dans les spermatozoïdes, les histones sont éliminées entièrement dans presque tout le génome et sont remplacées par des protéines appelées protamines, plus petites physiquement que les histones et permettant d’empaqueter l’ADN sous une forme extrêmement compacte, inactive – nécessaire dans une cellule aussi petite. Cette substitution permet aussi au zygote fécondé de suivre lequel de ses chromosomes provient du spermatozoïde et lequel provient de l’ovule, ce qui est essentiel au bon développement de l’embryon. 56

À la différence de la méthylation de l’ADN, on a longtemps pensé que les patrons de modifications des histones n’étaient pas copiés directement dans les nouveaux chromosomes issus de la mitose. Résultat : les modifications des histones étaient exclues traditionnellement des définitions plus conservatrices de l’épigénétique, qui requièrent la persistance des caractéristiques épigénétiques pendant la mitose. Mais en 2014, une étude de la biologiste du développement américaine Susan Strome a montré que certaines des histones modifiées du brin d’ADN d’origine sont transmises au brin nouvellement formé au cours de la réplication de l’ADN. Les patrons de modifications se propagent alors vers les nouveaux nucléosomes nus qui se forment sur les deux brins.

« Un débat est toujours en cours pour déterminer si le marquage par méthylation peut être transmis à travers les divisons cellulaires et nous avons montré maintenant que c’est effectivement le cas. »

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De nombreux chercheurs continuent d’étudier la fonction de chaque modification d’histone. Mais, même quand ils auront réussi effectivement à caractériser chaque modification individuelle, ils n’auront pas encore pour autant une vue complète ; ils doivent comprendre aussi le fonctionnement de chaque combinaison possible de modifications d’histones. Certains effets dépendants du contexte ont déjà été caractérisés. Par exemple, certains types de méthylations d’histones ne contribuent à activer que des gènes proches dans des régions de chromatine qui contiennent également des histones acétylées. Ce type d’interaction permet un contrôle incroyablement précis, étroitement régulé, de la transcription des gènes. Néanmoins, nous n’avons jusqu’ici réussi qu’à effleurer le sujet du code complet des histones.

Le code des histones est bien plus compliqué que la méthylation de l’ADN. Il renferme de multiples types de modifications et de combinaisons d’entre elles, chacune avec des fonctionnalités distinctes.

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Le remodelage de la chromatine Les emplacements des nucléosomes ne sont pas fixes – ces derniers peuvent glisser le long de l’ADN. Le désassemblage, le réassemblage et le mouvement des nucléosomes soigneusement coordonnés constituent d’importantes composantes de la régulation épigénétique. Les protéines responsables qui coordonnent ce remodelage de la chromatine ont été découvertes dans des cellules de levure, où l’on pensait initialement qu’elles avaient des rôles très spécialisés. Par exemple, les remodeleurs SWI/SNF (dont des versions sont présentes aussi dans les cellules humaines) tirent leur nom de l’anglais « Mating Type Switch/Sucrose Non-Fermenting » d’après leurs rôles très spécifiques chez la levure ! Depuis, cependant, les rôles des protéines de remodelage de la chromatine ont été identifiés dans de nombreux processus essentiels, tels que la réplication de l’ADN et le développement embryonnaire, tant chez l’Homme que chez d’autres Les protéines de organismes complexes. remodelage de

la chromatine contribuent à la réplication de l’ADN et au contrôle de la transcription des gènes et à d’autres processus, aussi bien chez la levure que dans les cellules humaines.

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Les protéines de remodelage de la chromatine aident aussi à réguler l’espacement entre les nucléosomes. Rapprocher les nucléosomes les uns des autres crée des liens plus forts entre les protéines histones, ce qui condense la chromatine en une forme très compacte ; les espacer produit l’effet inverse, la chromatine s’ouvre pour adopter une configuration plus accessible, active. Une telle configuration plus accessible peut s’avérer très utile, par exemple, pour permettre aux protéines responsables de la réplication, de la transcription ou de la réparation de l’ADN d’accéder à la double hélice sans interférence des histones. Dans ce cas, les nucléosomes peuvent même être retirés complètement. Rompre l’attraction électrique entre les histones chargées positivement et l’ADN chargé négativement requiert beaucoup d’énergie.

Ah zut ! Cette portion est endommagée. Je vais devoir espacer ces protéines histones avant que vous puissiez réparer l’ADN endommagé.

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Les protéines de remodelage de la chromatine aident à incorporer des variants d’histones ayant des propriétés spécialisées, telles que réparer de l’ADN endommagé dans les nucléosomes (cf. p. 56). Ce processus de substitution requiert que les nucléosomes soient désassemblés, puis réassemblés. Les nucléosomes qui renferment seulement des protéines histones non-variants peuvent à l’occasion être démontés complètement et reconstruits à l’aide d’un mélange d’histones nouvelles et modifiées. Ce processus peut servir de raccourci quand il devient nécessaire de changer les patrons de modifications des histones plus rapidement que d’ordinaire – par exemple, pendant la différenciation cellulaire ou en réponse à des changements soudains de l’environnement.

Éliminons toutes ces modifications d’histones et ajoutons-en des différentes.

Attendez. Remplacer complètement la protéine histone devrait être plus rapide.

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L’emplacement nucléaire Le noyau d’une cellule possède des « quartiers » distincts qui sont spécialisés dans différentes fonctions. Par exemple, des régions actives de la chromatine, qui contiennent des marqueurs épigénétiques favorisant la transcription des gènes, s’agglomèrent tels que les commerces dans un centre-ville ; les régions de chromatine mises sous silence se tiennent à distance, confinées dans des banlieues résidentielles plus calmes. Chaque type de cellule mature possède un patron distinct d’emplacement des gènes à l’intérieur du noyau, qui reflète son paysage épigénétique unique et son patron d’activation des gènes. Cela signifie qu’un grand nombre des gènes d’une cellule de foie se trouvent dans des endroits du noyau différents comparés aux mêmes gènes d’une cellule de cerveau.

Les gènes actifs s’agrègent dans des « points chauds » de transcription situés dans la région centrale du noyau de la cellule. Chaque point se spécialise dans la transcription de gènes appelés à être activés en même temps ou sous les mêmes conditions. 62

L’ARN Tous les brins d’ARN copiés à partir de la matrice d’ADN pendant la transcription ne sont pas traduits en protéines. Certains possèdent des fonctions distinctes propres, y compris des rôles dans la régulation épigénétique de l’activation des gènes. Des brins simples d’ARN de toute longueur peuvent s’apparier avec des brins d’ADN ou d’ARN qui renferment des séquences complémentaires, même très courtes. Des brins d’ARN plus longs peuvent se lier aussi à des parties complémentaires d’eux-mêmes, leur permettant de se plier comme un origami pour former des structures tridimensionnelles appelées « structures secondaires » d’ARN, qui peuvent être reconnues par certaines protéines. Les molécules d’ARN utilisent des structures d’appariement complémentaires et secondaires pour aider à coordonner quelles modifications doivent être apportées à quelles parties du génome.

Pliez-le en boucle et assurezvous que les paires de bases sont complémentaires tout le long du brin. Bien, voilà une bien jolie structure secondaire.

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Les molécules d’ARN les plus longues et les plus complexes qui peuvent coordonner la régulation épigénétique portent le nom très original de longs ARN non codants, ou ARNnm* (pour non-messager). Les ARNnm ont une longueur d’au moins 200 bases et assurent diverses fonctions à l’intérieur du noyau. L’un de leurs rôles essentiels consiste à aider à diriger où chaque type de modification épigénétique doit être liée à la chromatine. Les ARNnm réalisent cette tâche en insérant une extrémité du brin dans la double hélice, se liant ainsi à une séquence d’ADN complémentaire. Différentes protéines marqueurs et effaceurs peuvent se lier aux structures secondaires formées par l’autre extrémité du brin d’ARNnm ; ces protéines modifient et remodèlent alors la chromatine voisine.

Pardon de vous déranger, mais j’ai une livraison de modifications épigénétiques pour vous. J’aurais besoin d’une signature, s’il vous plaît. 64

Quelques ARN arrêtent la transcription de séquences répétées d’ADN déstabilisantes (cf. p. 45). Les ARN interagissant avec Piwi (ARNpi) quittent le noyau après avoir été transcrits et fixés à un type de protéines appelées Piwi, qui les ramènent ensuite dans le noyau. Les ARNpi ont une longueur de 26 à 31 bases et se lient à des séquences complémentaires dans les brins d’ARN en cours de transcription active à partir d’ADN répété. Cela sert de marqueur de destruction des nouveaux brins d’ARN. Les protéines Piwi liées recrutent simultanément des partenaires qui méthylent l’ADN proche, ce qui empêche toute poursuite de la transcription. Les ARNnm et les ARNpi peuvent rester associés à leurs séquences respectives d’ADN pendant la division cellulaire.

Si nous n’arrivons pas à empêcher l’ADN répété de se déplacer dans le génome, il pourrait induire des mutations génétiques délétères.

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Comme pour les ARNnm, les ARN régulateurs les plus petits connus ont un nom très original : micro-ARN ou miARN*. Des brins d’ARN précurseurs plus longs sont réduits à 19 à 24 bases après avoir quitté le noyau. Les miARN matures peuvent exercer alors leurs pouvoirs en se liant aux molécules d’ARNm complémentaires, empêchant leur traduction en protéines. Des séquences de miARN parfaitement appariées font échouer la destruction des brins d’ARNm, tandis que les brins de miARN imparfaitement appariés bloquent la machinerie de traduction. Un seul miARN peut cibler de nombreux ARNm différents et la traduction d’un seul ARNm peut être bloquée par de nombreux miARN différents.

Qu’estil arrivé à mon ARN messager ?!

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Pardon, mais ces miARN ne veulent pas être livrés ici !

Les généticiens américains Craig Mello (né en 1960) et Andrew Fire (né en 1959) ont découvert en 1998 l’extinction d’ARNm par de courts ARN complémentaires. Cette découverte a eu un impact immédiat : les miARN sont utilisés désormais couramment comme outils de recherche. Le fait de cibler un ARNm en particulier avec des miARN peut révéler le rôle joué par la protéine correspondante dans la cellule. Par exemple, si le fait d’ajouter un miARN empêche la cellule de se diviser, alors la protéine correspondante est peut-être impliquée dans la mitose. Il est bien plus facile d’injecter un miARN dans une cellule pour empêcher la traduction d’une protéine que d’éliminer le gène correspondant. Ces travaux de Mello et Fire leur ont valu en 2006 le prix Nobel de physiologie ou médecine – l’un des plus petits laps de temps entre la découverte et le décernement du prix.

« Les colauréats du prix Nobel de cette année ont découvert un mécanisme fondamental pour contrôler le flux de l’information génétique. »

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Il existe des milliers d’ARNnm, d’ARNpi et de miARN, et de plus en plus sont découverts encore chaque année. En 2013, des équipes allemande et danoise dirigées par Nikolaus Rajewsky (né en 1968) et Jørgen Kjems ont découvert respectivement et indépendamment que l’ARN circulaire – que l’on croyait n’avoir aucun rôle – peut intervenir aussi dans la régulation de la transcription, en « traitant » les miARN de sorte qu’ils ne peuvent plus bloquer la traduction des protéines. La plupart des ARN régulateurs sont produits seulement dans certains types de cellules, à certains stades du développement, ou en réponse à des changements dans l’environnement de la cellule, tels qu’une infection bactérienne. La combinaison spécifique des ARN régulateurs présents dans chaque cellule aide à définir quels gènes sont à transcrire et quelles protéines sont à produire.

« On dirait qu’il y a une nouvelle couche entière de régulation des gènes. »

« Les molécules constituent « un univers caché, parallèle » d’ARN inexploré. »

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Interactions entre les différentes modifications épigénétiques Nous avons vu comment les ARNnm et les ARNpi exercent leurs pouvoirs sur la transcription des gènes en recrutant des protéines qui peuvent modifier l’ADN, les histones et des structures de chromatine plus grandes. Nous avons vu également comment les effets de certaines modifications des histones dépendent de quelles autres modifications sont présentes dans la même région de chromatine (cf. p. 58). D’autres types de modifications épigénétiques interagissent de manière semblable les unes avec les autres et avec des facteurs de transcription. Ces interactions peuvent renforcer ou affiner la régulation de la transcription des gènes et peuvent permettre à des états de chromatine actifs ou silencieux de se répandre depuis leur emplacement initial vers des gènes voisins et au-delà.

on y est presque

Nous allons devoir travailler ensemble pour éteindre ce gène-là.

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Les protéines décodeurs qui se lient spécifiquement à l’ADN méthylé et à d’autres marqueurs épigénétiques répressifs ont un autre tour dans leur sac : elles peuvent recruter des protéines marqueurs supplémentaires. Ces nouvelles recrues méthylent des îlots CpG proches, insèrent des modifications d’histones répressives ou remodèlent la chromatine en un état plus dense. Les décodeurs qui reconnaissent les groupes acétyles et d’autres modifications d’histones activant la transcription amplifient et renforcent leurs signaux réciproques de manière semblable. L’ordre dans lequel les modifications épigénétiques se renforcent les unes les autres n’est pas encore clair – nous ne savons pas quelle modification établit l’état actif ou répressif, et laquelle maintient cet état. Cela dépend probablement de la situation.

J’étais là la première !

Non. Tu étais là parce que les histones étaient méthylées !

Les histones étaient méthylées parce que j’avais méthylé l’ADN !

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Les ARN et les protéines qui coordonnent la régulation épigénétique sont eux-mêmes régulés par des modifications épigénétiques. Chaque ARN de régulation doit être transcrit ; chaque protéine marqueur, effaceur ou décodeur doit aussi être transcrite et traduite. Et tout comme pour n’importe quel(le) autre gène ou protéine, ces processus sont coordonnés en partie par des facteurs de transcription, par la méthylation de l’ADN, la modification des histones, le remodelage de la chromatine, l’emplacement nucléaire et les ARN, tous agissant ensemble.

… représente un code incroyablement complexe qui va occuper les scientifiques pendant des années ! 71

L’épigénétique explique ce que la génétique seule ne peut expliquer La méthylation de l’ADN, les modifications des histones, le remodelage de la chromatine et les ARN régulateurs sont impliqués dans divers processus tout au long de notre vie, depuis les premières divisions cellulaires du zygote fécondé jusqu’à la maturité et au-delà à un âge avancé. La découverte et l’étude des modifications épigénétiques individuelles représentent des petites pièces d’un puzzle bien plus grand de la manière dont fonctionnent ces processus. L’épigénétique a déjà commencé à aider à expliquer la différenciation cellulaire, l’empreinte parentale, l’interaction entre l’inné et l’acquis, et encore d’autres lacunes dans nos connaissances de la génétique.

Cette discipline n’est pas si avancée que ça, mais quelques mystères de longue date sont sur le point d’être élucidés. 72

Wellcome Trust

Si vous n’arrivez pas à expliquer les résultats d’une expérience, vous pouvez vous contenter de dire : « Ça doit être à cause de l’épigénétique. »

Les changements épigénétiques au cours du développent embryonnaire Le zygote fraîchement fécondé hérite ses chromosomes (et des protéines et ARN régulateurs qui y sont fixés) de ses deux parents ; il reçoit aussi quelques ARN et protéines du spermatozoïde. Mais la plupart de ses ARN et protéines proviennent de l’ovule de la mère.

Quelques protéines et ARN maternels sont disposés de façon asymétrique à l’intérieur de l’ovule et ne sont pas partagés de manière égale entre les deux cellules issues de la première mitose.

Parce que quelques molécules de l’ovule sont impliquées dans la mise en place des patrons de modifications épigénétiques, des différences épigénétiques entre les cellules commencent à apparaître lors du développement embryonnaire. 73

Au cours des prochaines séries de mitoses, dans la première semaine après la fécondation, toutes les cellules de l’embryon précoce subissent une réinitialisation épigénétique drastique. La quantité globale de méthylation de CpG diminue puis remonte, un phénomène appelé reprogrammation épigénétique*. L’ADN hérité de l’ovule est déméthylé passivement au fur et à mesure que les cellules se divisent (cf. p. 48). En revanche, le génome paternel – solidement enveloppé par des protéines protamines répressives, plutôt que des histones (cf. p. 56) – est activement déméthylé, un processus bien plus rapide (cf. p. 49). Ces différences permettent une transcription parent-spécifique de certains gènes, ce qui est nécessaire au développement normal de l’embryon.

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La reméthylation des génomes maternel et paternel coïncide avec une vague importante de différenciation cellulaire. Les emplacements des nouveaux groupes méthyles divergent de plus en plus dans différentes cellules. La divergence initiale des patrons de modifications épigénétiques remonte à la toute première mitose asymétrique. Le paysage épigénétique distinct de chaque cellule résultante commande la production d’une combinaison unique de régulateurs épigénétiques supplémentaires et de facteurs de transcription, qui amplifient ainsi les différences initiales entre cellules. D’autres cycles aident à définir et à maintenir progressivement les patrons épigénétiques propres à chaque type de cellule mature.

Avec chaque cycle de mitose, les paysages épigénétiques des cellules de l’embryon divergent de plus en plus, au fur et à mesure qu’elles se différencient en divers types de cellules matures.

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Bien que la méthylation de l’ADN joue un rôle fondamental, d’autres types de régulation épigénétique sont impliqués aussi dans le pilotage de la différenciation cellulaire pendant le développement embryonnaire. Tous les composants à base d’ARN et de protéines du réseau de régulation épigénétique coopérèrent pour affiner, propager et amplifier les patrons épigénétiques distincts qui définissent chaque type de cellule. Une fois le stade de pleine maturité atteint par les cellules, leurs patrons de modifications épigénétiques (et, par conséquent, leurs patrons de transcription des gènes, leurs ARN et leurs protéines) se stabilisent et sont copiés au cours des cycles de mitoses successives. À partir de là, l’embryon se préoccupe moins de la différenciation cellulaire et davantage de la croissance.

N’est-ce pas agréable maintenant que nous sommes plus matures de prendre racine, d’aller travailler tous les jours dans le foie et de produire de nouvelles cellules du foie ?

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À partir des dixième et onzième semaines de grossesse, certaines cellules de l’embryon en pleine maturation vont subir un second cycle de reprogrammation épigénétique. Cette fois, les génomes maternel et paternel se déméthylent simultanément, mais le génome paternel se reméthyle en premier. À nouveau, cette différence temporelle permet une transcription des gènes parentspécifique.

Si je comprends bien, mon bébé se prépare déjà à avoir ses propres enfants ?!

Ces cellules qui subissent une double reprogrammation s’appellent les cellules germinales primordiales* et vont produire par la suite les propres ovules ou spermatozoïdes de l’embryon. La fonction de ce second cycle de reprogrammation épigénétique est de réinitialiser les patrons épigénétiques de la génération suivante. 77

Certaines parties du génome échappent aux deux séries de reprogrammation épigénétique. Par exemple, la majorité de l’ADN répété – qui peut induire des mutations génétiques délétères lorsqu’il est actif – reste méthylé pendant ces deux cycles de reprogrammation. Cette répression continue des éléments répétés par les ARNpi est importante parce que les processus de développement des cellules embryonnaires et germinales sont extrêmement sensibles, complexes et critiques. Les erreurs de réplication de l’ADN et les autres mutations que les éléments répétés peuvent causer seraient dangereuses à ces moments-là, menant potentiellement à des anomalies du fœtus avec de graves conséquences à vie, voire à des fausses couches.

« Répéter »

Ne pas déméthyler celui-là. Sinon, gare aux ennuis !

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De nombreux gènes soumis à empreinte parentale, transcrits à partir d’un seul chromosome (cf. p. 22), sont impliqués dans le contrôle de la croissance et du développement cellulaires. Ces gènes soumis à empreinte parentale doivent, par conséquent, être étroitement régulés dans l’embryon. Les gènes soumis à empreinte parentale sont associés à un seul morceau d’ADN appelé région de contrôle de l’empreinte (ICR en anglais). Les ICR méthylées sont reconnues et liées au moyen d’une protéine appelée ZFP57, qui recrute des partenaires afin d’empêcher que ces régions soient déméthylées pendant la première reprogrammation épigénétique au cours du développement embryonnaire précoce. ZFP57 n’est pas présente dans les cellules germinales primordiales. Les gènes soumis à empreinte parentale non protégés vont donc être déméthylées et reméthylées au cours du développement des cellules germinales primordiales.

Envoyez ZFP57 à la salle de contrôle de l’empreinte du jeune embryon. Nous devons faire en sorte que les groupes méthyles restent à leur place.

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La transcription restreinte des gènes soumis à empreinte parentale à partir du chromosome maternel ou paternel est essentielle pour leur fonction. Des embryons de souris à qui on a fourni artificiellement deux copies du génome maternel ou paternel, au lieu d’une copie de chaque parent, meurent à un stade très précoce du développement, avant même de s’implanter dans l’utérus. Il existe plusieurs maladies humaines causées par des erreurs d’empreinte parentale. Les enfants nés avec des problèmes d’empreinte parentale présentent souvent des handicaps intellectuels et des caractéristiques physiques atypiques, mettant en lumière l’importance de l’empreinte parentale normale pendant le développement embryonnaire.

Nombre normal de chromosomes

Nombre normal de chromosomes

Chromosome maternel

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Nombre normal de chromosomes

Chromosome paternel

Les gènes soumis à empreinte parentale tendent à se regrouper par amas. Chaque groupe possède sa propre région de contrôle de l’empreinte (ICR), qui coordonne la régulation du cluster entier grâce à son propre mécanisme particulier. L’état de méthylation de l’ICR détermine quels gènes de l’amas sont transcrits et à partir de quel chromosome. Par exemple, l’ICR proche du gène codant pour un ARNnm appelé Kcnq1ot1 est méthylée sur le chromosome hérité de la mère, mais pas sur le chromosome paternel. Parce que la méthylation de l’ADN réprime la transcription, Kcnq1ot1 ne peut être produit que par le chromosome paternel.

Parce que la région de contrôle de mon ARNnm est déméthylée, je peux produire beaucoup de Kcnq1ot1. C’est une chose typiquement masculine.

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L’ARNnm Kcnq1ot1 est plutôt casanier et aime rester près de chez lui. Une extrémité du brin se lie à un morceau complémentaire d’ADN dans le même amas de gènes soumis à empreinte parentale, sur le même chromosome à partir duquel il a été transcrit. L’autre extrémité recrute des protéines modifiant les histones qui éteignent la transcription d’un gène soumis à empreinte parentale proche appelé Cdkn1c. Parce que Kcnq1ot1 n’est transcrit qu’à partir du chromosome paternel, Cdkn1c est produit seulement par le chromosome maternel. De cette manière, la méthylation maternelle d’une seule ICR définit la transcription maternelle d’un gène et la transcription paternelle d’un autre gène.

L’ARNnm Knq1ot1 reste fixé au chromosome à partir duquel il a été transcrit, où il réprime un gène soumis à empreinte parentale proche. Résultat : Cdkn1c est transcrit uniquement à partir du chromosome maternel.

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Certains amas de gènes soumis à empreinte parentale sont contrôlés par des ARN régulateurs et des protéines produits seulement dans certaines cellules ; par conséquent, certains gènes sont « imprimés » dans certains tissus mais pas dans d’autres. Les patrons de méthylation des ICR sont réinitialisés dans les cellules germinales primordiales (cf. p. 77). Les embryons mâles effacent les patrons de méthylation des ICR maternelles qu’ils avaient hérités de leur mère au cours de cette période, de sorte que les spermatozoïdes qu’ils produiront plus tard ne contiendront que des chromosomes avec des marques paternelles ; les embryons femelles font l’inverse. Une fois établis, les patrons de méthylation des ICR restent en place jusqu’à ce que les cellules germinales primordiales de la prochaine génération soient formées.

Les cellules germinales primordiales réinitialisent leurs gènes soumis à empreinte parentale de sorte que tous les chromosomes contenus dans les spermatozoïdes matures ont des marques « paternelles » tandis que tous les chromosomes des ovules matures ont des marques « maternelles ».

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L’inactivation du chromosome X Comme nous l’avons vu précédemment, les cellules contenant deux chromosomes XX inactivent l’une des copies, afin de compenser la différence de taille entre les chromosomes X et Y (cf. p. 23). Ce phénomène est également sous le contrôle de mécanismes épigénétiques. En réalité, l’inactivation d’un chromosome X est la parfaite illustration de la manière dont différentes sortes de régulations épigénétiques – la méthylation de l’ADN, les modifications des histones et le remodelage de la chromatine, tous dirigés par un ARNnm – peuvent coopérer pour établir et maintenir des états de chromatine stables. Dans les stades les plus précoces du développement de l’embryon XX, le chromosome X hérité du père est inactivé dans chaque cellule. Mais cette inactivation est inversée dans la semaine qui suit la conception, pendant le premier cycle de reprogrammation épigénétique. L’inactivation aléatoire, soit du chromosome maternel, soit paternel, a lieu quand le génome est reméthylé.

DÉVELOPPEMENT

REPROGRAMMATION

EMBRYONNAIRE PRÉCOCE

ÉPIGÉNÉTIQUE

MATERNEL PATERNEL

MATERNEL PATERNEL

Tout va bien. Vous pourrez transcrire vos gènes dans certaines cellules plus tard. 84

L’inactivation aléatoire du chromosome X a lieu de façon indépendante dans chaque cellule de l’embryon précoce. Le même chromosome X reste inactivé dans chaque cellule mature issue de chacune des quelques premières cellules. Parce que les descendantes des cellules tendent à rester regroupées en amas, les organes et les tissus de toutes les femelles mammifères XX finissent par ressembler à des mosaïques, avec différents chromosomes X inactivés dans différentes régions. Les chromosomes X silencieux sont réactivés dans les cellules germinales primordiales femelles, ce qui permet à l’inactivation aléatoire de répéter et former de nouveaux patrons mosaïques à la génération suivante.

Les taches de couleur sur le pelage des chats écaille de tortue et calico fournissent un exemple manifeste du principe général selon lequel les mammifères femelles sont des mosaïques de chromosomes. Chaque tache de couleur représente un amas de cellules de peau issues d’une seule cellule embryonnaire précoce qui avait éteint le chromosome X porteur du gène de la couleur de pelage orange ou foncée. 85

Comment notre environnement affecte nos gènes Les recherches épigénétiques sont en train de révolutionner aussi la question séculaire « inné ou acquis ? » Certains produits chimiques peuvent se lier à des protéines réceptrices* spécifiques à l’intérieur des cellules ou à leur surface externe. Cela déclenche une cascade de signalisation* qui transmet le message de protéine en protéine, jusqu’à parvenir finalement au noyau cellulaire. Quelques cascades sont initiées par des molécules originaires de l’extérieur du corps (ce que nous considérons comme l’« inné »), et d’autres par des hormones et autres éléments chimiques produits naturellement par le corps (l’« acquis »). La réponse finale de la cellule implique parfois des transformations des protéines et ARN qui régulent les modifications épigénétiques.

J’ai détecté un peu de nicotine ! Transmet le message.

Nicotine !

Nicotine !

Nicotine ! Nous avons besoin de nouveaux patrons de méthylation de l’ADN ! Découvrir que des facteurs environnementaux peuvent mener à des changements épigénétiques explique comment nos caractéristiques et notre sensibilité à certaines maladies sont affectées à la fois par l’inné et l’acquis. Les frontières entre ces deux « opposés » s’estompent. 86

Les effets épigénétiques induits par l’environnement ont été étudiés d’abord chez une souche naturelle de souris nommée d’après le gène agouti. Les souris agouti possèdent un morceau d’ADN répété proche de leur gène homonyme, lequel – quand il est déméthylé – maintient le gène en activité permanente, ce qui confère à la souris une couleur de pelage jaune, de l’obésité, un diabète de type 2 et un risque accru de développer un cancer. Quand cet ADN est méthylé, le gène agouti est éteint, engendrant des souris plus foncées, plus minces et en meilleure santé. Quand des souris agouti gestantes consomment des compléments riches en éléments méthylés, tels que l’acide folique, l’ADN répété devient plus fortement méthylé dans les cellules embryonnaires. La puissance de cet effet est corrélée à l’étendue de la méthylation de l’ADN.

Waouh. Maman a dû suivre un régime riche en acide folique. On dirait bien que ton gène agouti s’est fait méthyler ! 

Oh ! Brûle-moi ces calories !

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Des scientifiques ont exposé des cellules humaines à des produits chimiques en laboratoire et comparé les patrons de modifications épigénétiques de personnes qui avaient subi des expositions au même produit chimique. Ces études ont mis en évidence plusieurs facteurs environnementaux qui ont des effets épigénétiques. Les modificateurs épigénétiques vont des plus néfastes – la nicotine, le benzène, l’arsenic, les infections virales – aux molécules plus bénignes, telles que l’acide folique ou la vitamine C. Les expositions environnementales à n’importe quelle étape de la vie peuvent affecter notre santé. Mais, à l’instar des souris agouti qui subissent à vie les effets du régime alimentaire de leur mère, nous sommes particulièrement vulnérables aux changements épigénétiques lorsque nous nous développons – à la fois dans l’utérus et pendant notre enfance.

Nos régimes alimentaires, nos habitudes et d’autres facteurs environnementaux peuvent induire des changements épigénétiques à la fois délétères et protecteurs dans nos cellules.

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Un exemple de la manière dont les environnements de notre enfance peuvent induire des effets épigénétiques à long terme concerne des enfants qui ont souffert d’abus physiques ou émotionnels, et qui souvent, par la suite, ont à vie une mauvaise santé. Même sans mémoire consciente des abus, les personnes présentent un risque accru de maladies cardiaques, de cancers, de toxicomanie, de dépression et d’autres pathologies. Les abus entraînent des changements de méthylation de l’ADN permanents des sujets. L’élément déclencheur est supposé être l’hormone de réponse au stress, le cortisol, que les enfants abusés produisent en grande quantité.

Stress !

Stress !

Stress !

Espérons que la recherche dans ce domaine va aider à identifier des médicaments ou d’autres thérapeutiques qui peuvent aider à protéger les enfants victimes d’abus contre le développement des problèmes de santé plus tard au cours de leur vie. 89

Les expositions à certains comportements ou environnements à l’âge adulte sont importantes aussi. Par exemple, nous savons depuis des siècles que l’exercice est bénéfique pour notre santé, mais nous ne savons pas pourquoi. Il était aisé d’expliquer les bénéfices engrangés en brûlant davantage de calories et de l’amélioration de notre forme cardiovasculaire et de notre force musculaire – mais pourquoi l’exercice physique réduirait-il les risques de cancer, de démence et de dépression ? Au moins une partie de la réponse semble impliquer des changements induits par l’exercice dans la production de miARN et des patrons de méthylation de l’ADN. L’exercice est corrélé à l’extinction de gènes qui sont impliqués dans la division cellulaire et l’inflammation, ce qui pourrait aider à comprendre les effets de l’exercice sur les risques de développer un cancer ou d’autres maladies.

GÈNES DE L’INFLAMMATION

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GÈNES DE L’INFLAMMATION

GÈNES DE L’INFLAMMATION

Des jumeaux pas si identiques La capacité des facteurs non génétiques à changer les patrons de modifications épigénétiques aide à expliquer pourquoi des jumeaux identiques ne sont pas véritablement identiques. Les frères et sœurs qui ont la même séquence d’ADN, mais qui accumulent de plus en plus d’expériences et d’expositions environnementales différentes au fur et à mesure qu’ils grandissent, offrent une occasion unique d’étudier l’impact de l’épigénétique sur la santé humaine. En 2005, le généticien espagnol Manel Esteller (né en 1968) a comparé la chromatine de paires de jumeaux identiques à différents âges, depuis leur naissance et jusqu’à un âge avancé. Comme vous pourriez vous y attendre, les jumeaux sont épigénétiquement similaires à la naissance, mais leurs patrons de méthylation de l’ADN et de modifications des histones divergent progressivement au cours du temps. De plus grandes différences s’observent entre des jumeaux qui ont vécu séparément plus longtemps.

(Soupir.) Encore une généticienne ? Je suppose que vous voulez un échantillon de notre ADN identique ?

Non. Je suis une épigénéticienne et je voudrais un échantillon de votre chromatine qui diverge peu à peu. 91

Les études épigénétiques de jumeaux identiques vont de l’ordinaire, comme comparer le jumeau qui fume des cigarettes à celui qui ne fume pas, au vraiment exceptionnel : une expérience comparative menée par la NASA en 2015-2016 sur deux jumeaux identiques astronautes, Scott et Mark Kelly, pendant et après le séjour de un an effectué par Scott à bord de la Station spatiale internationale. Les résultats de ces recherches épigénétiques cosmiques de la NASA sont très attendus.

De retour sur Terre, en 2015, une équipe canadienne menée par Shiva Singh a découvert des patrons de méthylation de l’ADN différents dans les cellules sanguines de paires de jumeaux identiques, l’un souffrant de schizophrénie et l’autre non. On ne sait pas encore si ces différences sont liées directement à ce trouble, mais ce type de recherches pourrait expliquer un jour ou l’autre les composants non héritables de troubles complexes – et possiblement contribuer à la prévention de maladies chez des individus avec un risque génétique élevé. 92

La recherche en épigénétique peut trouver également des applications en droit. Par exemple, une analyse épigénétique pourrait potentiellement résoudre des crimes où une preuve ADN montre que l’un des deux jumeaux identiques est coupable. On dirait un scénario de crime scandinave (Millenium), mais cela s’est déjà produit plusieurs fois dans différents pays à travers le monde ! Plus généralement, au-delà de la différenciation des jumeaux, des tests épigénétiques sur des preuves de scène de crime pourront finalement être en mesure de révéler que le coupable fumait des cigarettes, était un héroïnomane ou un adepte d’exercice physique. Nous n’en savons pas encore assez sur les effets épigénétiques de produits chimiques et de comportements spécifiques, mais les enquêtes (et les crimes) du futur pourraient intégrer simplement ce genre de profilage épigénétique.

Bon, on a reçu les résultats du séquençage au bisulfite. Il y a 92,7 % de chance que le coupable fume des cigarettes et fasse beaucoup de sport.

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L’hérédité épigénétique On considère que la reprogrammation épigénétique pendant le développement embryonnaire précoce, mais aussi pendant le développement des cellules germinales primordiales (cf. p. 74-77), agit comme un bouton de réinitialisation empêchant que les changements épigénétiques accumulés au cours de la vie d’un individu soient transmis à la génération suivante. Dans la plupart des cas, l’ardoise épigénétique semble effacée correctement. Cependant, comme nous le verrons plus tard, certaines études récentes montrent qu’il peut exister un certain degré d’hérédité épigénétique du parent à l’enfant. C’est un champ de recherche controversé qui pourrait avoir des implications très étendues – depuis la nutrition pendant la grossesse jusqu’à notre manière de penser l’évolution !

Un nombre grandissant de preuves montrent que certains changements épigénétiques peuvent être transmis du parent à l’enfant – mais cela se produit de manière complexe et subtile.

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L’une des raisons de cette controverse est qu’il est difficile de distinguer une véritable hérédité épigénétique des effets des expositions dans l’utérus ou pendant la petite enfance. Les cellules sont particulièrement vulnérables aux expositions environnementales quand elles sont sous reprogrammation épigénétique. L’environnement d’une femme enceinte pendant la première semaine du développement embryonnaire peut entraîner des changements épigénétiques ayant des conséquences à vie pour son enfant. Des changements plus tardifs pendant la grossesse, vers les dixième et onzième semaines, au moment du développement des cellules germinales primordiales, peuvent également affecter ses futurs petits-enfants. Mais est-ce que les expositions environnementales de la mère lors de la grossesse – ou l’environnement du père – peuvent aussi avoir une influence sur la prochaine génération ?

Merci, Maman !

Merci, Grand-mère !

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L’hérédité épigénétique chez les modèles animaux Comme pour de nombreux autres problèmes scientifiques complexes, la manière la plus facile d’étudier l’hérédité épigénétique consiste à entreprendre des expérimentations soigneusement contrôlées sur des animaux de laboratoire. La recherche animale (laquelle est très réglementée, avec une approbation d’experts indépendants nécessaire pour chaque étude) peut mettre en œuvre des techniques qui ne seraient pas pratiques voire défendues dans des études sur des humains. Par exemple, les régimes alimentaires de mères enceintes ou qui allaitent peuvent être strictement contrôlés ; on peut utiliser des mères porteuses ; et des nouveau-nés animaux peuvent être placés avec des mères adoptives. Ces approches permettent aux scientifiques d’isoler et de caractériser les contributions de la génétique, de l’épigénétique, des pratiques parentales et des expositions pendant la grossesse, afin d’avoir une meilleure compréhension de la manière dont les caractéristiques sont héritées.

Toi, tu as fait de l’exercice pendant ta grossesse, mais pas toi ? Très bien, il est temps d’échanger vos bébés.

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Bouche-toi les oreilles, ma poupée.

Mais qu’estce qu’il a, ce méchant homme ?

Les caractéristiques physiques qui dépendent de la méthylation chez les souris agouti (cf. p. 87) s’avèrent très utiles dans la recherche sur l’hérédité épigénétique. Dans des conditions normales, le degré de méthylation du morceau d’ADN répété proche du gène agouti varie de façon aléatoire d’un individu à un autre et détermine où chaque souris se situe dans le spectre allant de jaune, obèse et diabétique (répétition non méthylée) à foncée, mince et en bonne santé (répétition pleinement méthylée). Cet état de méthylation des souris agouti mâles n’affecte pas leur progéniture ; qu’ils soient jaunes ou foncés, ils engendrent des portées avec un mélange de couleurs de pelage et de poids.

T’es sûre que ces petits sont de moi ?

Mais oui ! Ce n’est pas de ma faute si tu n’as pas transmis la méthylation de ton ADN !

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À la différence des mâles, les femelles agouti produisent une progéniture qui leur ressemble davantage : les mères plus foncées produisent plus de petits méthylés, plus foncés, plus minces que les mères jaunes. Et puisque seul l’état de méthylation de l’ADN de la mère affecte la génération suivante, le mécanisme pourrait impliquer théoriquement des expositions pendant la grossesse, plutôt qu’une hérédité épigénétique directe. Il se peut que les mères gestantes, obèses, diabétiques fournissent plus de sucre, d’hormones ou quelque chose d’autre qui affecte directement le développement des embryons. Afin de réfuter cette possibilité, la généticienne australienne Emma Whitelaw a extrait des zygotes tout juste fécondés de mères foncées et les a implantés dans l’utérus de souris jaunes, et vice versa. L’état de méthylation de la mère biologique, et non celui de la mère porteuse, affectait la génération suivante, ce qui démontre l’hérédité directe des modifications épigénétiques.

Je ne suis pas sûre que ces petits soient de moi.

Pareil pour moi ! À croire que le scientifique s’en est mêlé une fois de plus. 98

Le gène axine 1, comme celui agouti, est contrôlé par un morceau d’ADN proche chez certaines souches de souris. Des répétitions non méthylées interfèrent avec la transcription de l’axine, ce qui modifie la séquence de l’ARNm et de la protéine correspondante. La protéine axine mutée introduit un coude au niveau de la queue de la souris. À la différence des souris agouti, les souris mâles et femelles peuvent transmettre le statut de méthylation du gène de l’axine à la génération suivante : les pères et mères possédant des répétitions plus fortement méthylées et des queues plus droites produisent davantage de petits à queue droite que les parents ayant des queues coudées. Une fois de plus, cette découverte apporte une preuve de l’existence de l’hérédité épigénétique directe, indépendante des expositions pendant la grossesse.

Ils sont faits du même bois !

Oui, ma chère, ils ont hérité de ton état de méthylation du gène de l’axine.

99

Des preuves supplémentaires de l’hérédité épigénétique directe proviennent des recherches de la neuroscientifique américaine Yasmin Hurd, au cours desquelles des rats adolescents étaient exposés au THC (tétrahydrocannabinol), la molécule active présente dans le cannabis. Après l’élimination totale du THC du corps des rats, l’équipe de Hurd a laissé les sujets des tests s’accoupler avec des rats non traités. Les petits résultants ont été confiés à des mères adoptives qui n’avaient pas été exposées auparavant au THC, au cas où cette drogue aurait affecté les compétences parentales des mères biologiques. Une fois ces petits devenus matures, ils ont été introduits dans un système qui exigeait qu’ils exercent un effort physique pour s’autoadministrer une dose d’héroïne. Les rats dont un parent avait été exposé précédemment au THC étaient prêts à consacrer un plus grand effort pour obtenir la drogue.

Tu ne peux pas démontrer à 100 % que c’était de ma faute.

En fait, je n’ai jamais touché à cette substance. Et je ne suis même pas leur vraie mère ! 100

Les rats mâles et femelles à qui on avait administré du THC pendant leur adolescence ont produit une progéniture prédisposée à une addiction à l’héroïne. La génération suivante – les petits-enfants des rats traités – ont montré également des modes de comportements altérés. L’étude originelle de Yasmin Hurd en 2014 a révélé que la progéniture des rats traités au THC avait des patrons anormaux de production d’ARNm et de protéines dans leurs cellules cérébrales. Parmi les protéines affectées, certaines agissaient comme des récepteurs de médicaments à base de cannabis et étaient impliquées dans les comportements compulsifs et l’addiction. Une étude de suivi de la même équipe en 2015 a mis en évidence des changements de méthylation de l’ADN spécifiques au cerveau qui étaient corrélés aux patrons altérés de transcription des gènes.

Les enfants ont des changements de méthylation de l’ADN, des modifications de transcription des gènes et des personnalités addictives à cause de ta dépendance !

Oups !

101

On peut hériter également indirectement de modifications épigénétiques. Par exemple, certaines mères rats lèchent souvent leurs petits, tandis que d’autres sont moins attentionnées. Être léché entraîne la déméthylation de gènes impliqués dans la réponse appropriée à des situations de stress ; les petits non léchés, négligés, deviennent des adultes davantage stressés. Des expériences d’adoption croisée montrent que les niveaux de stress des petits sont déterminés par les compétences parentales de la mère adoptive plutôt que par celles de la mère biologique. Une partie de l’excès de méthylation de l’ADN chez les rats négligés affecte les gènes impliqués dans la parentalité. Ainsi, les rats stressés ne lèchent pas leurs propres petits, perpétuant le cycle de négligence même si les modifications épigénétiques ne sont pas transmises directement.

Ça me stresse quand tu ne me lèches pas !

C’est à cause de ta grand-mère ! Tu comprendras quand tu auras tes propres petits. 102

L’hérédité épigénétique humaine : l’hiver de la faim néerlandais Pendant l’hiver extrêmement rude de 1944-1945, les nazis avaient bloqué toutes les importations de vivres vers les Pays-Bas, ce qui a mené à une famine dévastatrice. On estime que 20 000 personnes sont mortes de faim avant que les approvisionnements en nourriture redeviennent normaux à la libération des Pays-Bas en mai 1945. Les délimitations précises de cette période de famine et l’accès des survivants par la suite à un système global de santé publique ont offert une opportunité unique pour des recherches sur l’hérédité épigénétique. Des équipes de scientifiques néerlandais et internationaux ont étudié les survivants et leurs descendants depuis la fin de la famine.

Cela doit nous tenir une semaine entière…

103

L’épidémiologiste d’origine hollandaise Bertie Lumey a étudié des survivants de l’hiver de la faim néerlandais et a découvert que les gens conçus pendant la famine (dont les mères étaient affamées au début de la grossesse) ont un risque plus élevé d’obésité, de diabètes et de maladies cardiaques. L’équipe de Lumey a démontré en 2008 que ces risques sont corrélés aux niveaux réduits de méthylation de l’ADN dans les gènes soumis à empreinte parentale impliqués dans le métabolisme. Les enfants dont les mères ont connu la famine pour la première fois plus tard au cours de leur grossesse n’étaient pas affectés de la même façon, suggérant que les embryons plus précoces sont plus vulnérables aux changements épigénétiques induits par l’environnement. Cependant, ce dernier groupe d’enfants avaient quand même des poids à la naissance un peu en dessous de la moyenne et des taux d’obésité plus faibles au cours de leur vie.

Ma mère était sous-alimentée au début de sa grossesse.

104

Ma mère était sous-alimentée à la fin de sa grossesse.

La première analyse statistique des données de la troisième génération des survivants de l’hiver de la faim néerlandais suggérait que les effets de la famine sur la santé perdurent jusqu’aux petits-enfants des survivants. Toutefois, une étude ultérieure n’a trouvé aucune preuve d’un risque plus élevé de développer des maladies spécifiques, bien qu’elle ait découvert que les individus de la troisième génération ont tendance à être plus gras et à avoir une santé globale plus fragile. Il est important de noter que les découvertes des recherches initiales avaient fait beaucoup de bruit et il est possible que les petits-enfants des survivants aient changé leur mode de vie pour minimiser leur risque accru de développer des maladies avant que l’étude ultérieure ne soit terminée. Ces résultats assez déconcertants soulignent la difficulté d’étudier les populations humaines en général, et la transmission maternelle en particulier. Même si la famine affecte encore en effet la troisième génération, le mécanisme pourrait impliquer une exposition à la famine des cellules germinales primordiales en développement de la deuxième génération dans l’utérus de la mère, plutôt qu’une véritable hérédité épigénétique.

SURVIVANT DE L’HIVER DE LA FAIM

FILLE

Mauvaise santé résultant de la famine

PETITE-FILLE

Mauvaise santé – mais pas nécessairement imputable à une hérédité épigénétique

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L’hérédité épigénétique humaine : Överkalix Une équipe suédoise menée par Michael Sjöström et Lars Olov Bygren a mis en évidence des preuves plus solides de l’hérédité épigénétique chez les humains, grâce aux registres méticuleusement tenus dans la ville nordique d’Överkalix. En combinant les registres des récoltes et des naissances de la ville à partir de 1890, les chercheurs ont pu identifier les personnes qui avaient connu soit des années fastes, soit la disette à divers stades de leur vie et ont pu suivre les historiques médicaux de leurs descendants. L’une des découvertes principales de cette étude d’Överkalix a trait aux patrons de risques de maladies survenant dans les générations suivantes : les femmes qui étaient dans le ventre de leur mère en période de famine ont transmis un risque plus élevé de maladies cardiovasculaires à leurs petites-filles, mais pas à leurs petits-fils.

Cette famine pourrait affecter les femmes de notre famille pour des générations.

106

Les chercheurs travaillant sur Överkalix ont découvert également des patrons d’hérédité spécifiques au sexe dans la lignée mâle : les hommes qui avaient connu une année faste entre 9 et 12 ans avaient des petitsfils – mais pas des petites-filles – avec des espérances de vie plus courtes que la moyenne. Inversement, une période de famine au cours des mêmes années de prépuberté engendrait des petits-fils en meilleure santé aux espérances de vie plus longues. Les cellules précurseurs des spermatozoïdes se différencient et deviennent matures dans les années juste avant la puberté, et peuvent ainsi être vulnérables à des changements épigénétiques induits par l’environnement. Les patrons de risques de maladies spécifiques au sexe suggèrent que les gènes soumis à empreinte parentale pourraient être impliqués, bien qu’aucun mécanisme n’ait été découvert.

Grand-père !

Je rattrape les années où, petit garçon, j’avais faim. Tu devrais me remercier pour ces années-là – tu pourrais peutêtre vivre plus longtemps !

107

Les garçons semblent particulièrement vulnérables aux effets des expositions environnementales pendant les quelques années précédant la puberté. Une étude britannique menée par le généticien Marcus Pembrey a montré que les hommes qui fumaient des cigarettes avant la puberté tendaient généralement à avoir des garçons – mais pas des filles – avec plus de graisse, que les hommes fumassent encore ou non au moment de la conception de leurs enfants. Une étude taïwanaise et britannique menée par Barbara Boucher a trouvé une corrélation similaire entre le fait de mâcher des noix de bétel chez les garçons prépubères et un risque plus élevé de syndrome métabolique (précurseur de diabètes et de maladies cardiovasculaires) chez leurs futurs descendants, bien que cette étude n’ait pas révélé de différences spécifiques liées au sexe.

Fumer peut nuire à tes spermatozoïdes et à tes enfants et petits-enfants.

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Les mécanismes de l’hérédité épigénétique Des expérimentations animales ont fourni des preuves crédibles d’une véritable hérédité épigénétique ; les études sur les populations humaines suggèrent que le même phénomène pourrait exister dans notre propre espèce. Jusqu’ici, les découvertes ont attiré beaucoup l’attention et l’intérêt des scientifiques comme des nonscientifiques. Cependant, certaines études sur les humains ont été simplifiées à outrance et surinterprétées, en particulier par les médias, et de nombreux scientifiques restent sceptiques quant à l’hérédité épigénétique. La prudence qui entoure cette discipline est renforcée par l’existence de nombreuses questions restées sans réponse, y compris celle du véritable mécanisme de l’hérédité. Les chercheurs ont trouvé des corrélations entre certaines caractéristiques que l’on soupçonne être affectées par l’hérédité épigénétique et des modifications de méthylation de l’ADN dans certains gènes spécifiques, mais cela ne veut pas dire nécessairement que les deux phénomènes sont liés directement.

Donc je ne peux pas blâmer mon grand-père pour ça ?

Non, pas encore. À moins que tu sois une souris. 109

Pour en revenir à la souris préférée des épigénéticiens, l’hérédité de l’état de méthylation du gène agouti maternel (cf. p. 98-99) semblait initialement relativement facile à expliquer. La majeure partie de l’ADN répété ne subit pas de reprogrammation épigénétique (cf. p. 78) ; par conséquent, il se peut que l’état de méthylation de la mère persiste simplement dans l’embryon. Cependant, l’équipe d’Emma Whitelaw a trouvé en 2006 que la répétition proche du gène agouti est totalement déméthylée, puis ensuite reméthylée pendant le développement embryonnaire précoce. Comme pour le reste du génome, les copies maternelle et paternelle sont déméthylées à des vitesses différentes, par des moyens différents. Cela peut expliquer pourquoi seulement les souris femelles peuvent transmettre leur état de méthylation, mais le mécanisme demeure mystérieux.

État des petits : gène agouti méthylé

État de la mère : gène agouti méthylé

110

En 2009-2010, des équipes britannique et suisse menées respectivement par David Miller et Antoine Peters ont mis en évidence certains patrons intéressants dans la chromatine du sperme humain.

Plutôt que d’être emballés étroitement à l’aide de protéines protamines

répressives comme le reste

du génome du sperm

e,

certains gènes

impliqués

dans le dév

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restent asso

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tones (m

odifiées).

À l’époque, on ne pensait pas que les modifications des histones pouvaient être héritées. Mais en 2014, les travaux de Susan Strome, qui ont montré des modifications d’histones en train d’être transmises à des brins d’ADN nouvellement formés (cf. p. 57), ont mis en évidence aussi que la méthylation des histones pouvait être héritée par la génération suivante. L’étude de Strome portait sur des vers de terre, et nous ne savons pas encore si le même mécanisme existe chez l’Homme. Cependant, il est tout à fait possible que les histones soient impliquées dans la transmission de certaines formes d’information épigénétique entre générations. 111

Il est possible que les molécules d’ARN servent d’intermédiaires de l’hérédité épigénétique dans certains cas. Les zygotes héritent des ARN liés aux chromosomes paternel et maternel, ainsi que de quelques ARN des spermatozoïdes libres et de tous les ARN contenus dans l’ovule. Ces molécules pourraient être responsables du rétablissement des patrons de modifications épigénétiques parentaux après la reprogrammation. La neuroscientifique suisse Isabelle Mansuy et la biologiste australienne Michelle Lane ont démontré que le stress traumatique et l’obésité pouvaient altérer respectivement le répertoire de petits ARN contenus dans les spermatozoïdes de souris.

Les filles de souris mâles auparavant obèses ayant fait de l’exercice avaient moins de graisse corporelle et des réponses à l’insuline bien meilleures que les filles de souris obèses sédentaires.

En 2016, une équipe danoise menée par Romain Barrès a publié des preuves démontrant que les mécanismes reposant sur de l’ARN sont impliqués également dans l’hérédité humaine. Les spermatozoïdes d’hommes obèses ont de petits ARN et des patrons de méthylation de l’ADN distincts, dont certains changent suite à des interventions chirurgicales pour perdre du poids. Les gènes dont l’on pense qu’ils jouent un rôle dans le contrôle de l’appétit font partie de ceux qui subissent des modifications de méthylation. 112

L’épigénétique dans l’évolution La découverte de l’hérédité épigénétique a soulevé une question intéressante sur l’évolution : si quelques-unes des modifications épigénétiques que nous acquerrons au cours de notre vie sont transmissibles à nos enfants et petits-enfants, peuvent-elles avoir aussi un impact sur la manière dont l’espèce évolue sur des centaines de générations ? L’idée selon laquelle les caractéristiques acquises peuvent être héritées, contribuant à orienter la manière dont l’espèce change au fil du temps, n’est pas récente. Aujourd’hui, elle est associée surtout au biologiste français Jean-Baptiste Lamarck (17441829) et est désignée souvent par le terme « lamarckisme », mais le concept lui-même est bien plus ancien. Toutefois, Lamarck a bien formalisé la notion de cette « transmission des caractères acquis » en 1809.

« Toutes les acquisitions ou pertes forgées par la nature sur des individus […] sont conservées par la reproduction chez les nouveaux individus qui naissent. » 113

Bien que le lamarckisme et des théories relatives demeurassent populaires pendant longtemps, ils n’étaient pas sans failles. Par exemple, malgré le fait de couper les oreilles et la queue de générations de chiens de race, leurs chiots continuaient de naître avec de longues oreilles et une longue queue. En 1859, le naturaliste britannique Charles Darwin (1809-1882) a publié sa propre théorie de l’évolution par sélection naturelle.

Ma théorie était centrée autour de l’idée selon laquelle les individus d’une même espèce possèdent des caractéristiques différentes, dont certaines augmentent la probabilité qu’un individu survive assez longtemps pour se reproduire. Davantage de membres de la génération suivante héritent ainsi de caractéristiques bénéfiques plutôt que néfastes, augmentant la fréquence des caractéristiques bénéfiques dans la population.

La théorie de Darwin pouvait expliquer comment les caractéristiques ordinaires d’une espèce changeaient au fil du temps, sans avoir recours à l’hérédité de changements acquis par les individus au cours de leur vie. 114

Après la redécouverte des travaux de Mendel sur les lois de l’hérédité (cf. p. 25) et au fur et à mesure que nous commencions à mieux connaître les gènes, les chromosomes, l’ADN et les mutations, il devint évident que seule la théorie de l’évolution de Darwin restait cohérente avec notre compréhension de la génétique. Le concept d’une transmission des caractères acquis, ou lamarckienne, fut foncièrement discréditée. Cependant, la découverte de l’hérédité épigénétique, vers la fin des années 1990, semblait lancer une bouée de sauvetage à la plus ancienne théorie. Les expositions environnementales semblent bien se transmettre parfois aux générations suivantes. En fin de compte, une forme de lamarckisme pouvait-elle être envisagée dans la théorie moderne sur l’évolution ?

Les théories de l’évolution de la transmission des caractères acquis sont dépassées depuis des décennies.

Mais est-ce qu’une théorie de l’évolution actualisée ne pourrait pas être envisagée pour nos deux concepts ?

115

La compréhension moderne de l’évolution selon Darwin se concentre sur les modifications des séquences d’ADN héritées qui affectent les caractéristiques et le comportement des individus. Cependant, la découverte des modifications épigénétiques a démontré que la vie ne se réduit pas uniquement à la séquence d’ADN : les modifications épigénétiques aident à définir les patrons d’activation des gènes et les changements stables de ces patrons peuvent aussi être très importants dans l’évolution. Par exemple, l’activation précoce ou l’extinction tardive d’un gène qui promeut la croissance des neurones pendant le développement embryonnaire pourrait contribuer à accroître l’intelligence.

Les séquences d’ADN des gènes de l’humain et du chimpanzé qui promeuvent la croissance des poils sont extrêmement proches, mais sont activées dans davantage de parties du corps chez le chimpanzé.

116

Une étude menée en 2013 par Andrew Sharp et Tomas Marques-Bonet a comparé les patrons de méthylation de l’ADN chez les humains, les chimpanzés, les bonobos, les gorilles et les orangs-outangs. Cent-soixante-dix gènes avec des patrons de méthylation spécifiques aux humains ont été identifiés ; certains de ces gènes sont connus pour avoir des fonctions dans le cerveau, un organe particulièrement intéressant du point de vue de l’évolution humaine. Parmi les 170 gènes avec des patrons de méthylation spécifiques à l’Homme, certains codent pour des protéines identiques à leurs homologues chez les grands singes. Cette découverte renforce l’idée selon laquelle les modifications relatives à quand et où les gènes sont activés peuvent être aussi importantes que les modifications de leur séquence et de leur fonction.

GORILLE

CHIMPANZÉ

Différentes espèces de grands singes ont différents patrons de méthylation de l’ADN dans leur cerveau – ces changements pourraient-ils avoir contribué à l’évolution de l’Homme ?

HOMME DE NÉANDERTAL

HOMME MODERNE

117

L’évolution lamarckienne, en dépit de la relation entre les modifications épigénétiques et les patrons d’activation des gènes, et le rôle des patrons d’activation des gènes altérés dans l’évolution, ne s’intègre toujours pas vraiment à notre pensée moderne évolutionniste. La raison est que l’évolution agit sur des milliers d’années, si bien que les changements qui la dirigent doivent être extrêmement stables.

L’hérédité épigénétique s’étend sur quelques générations au maximum et elle est réversible : même les souris agouti les plus foncées, avec leur ADN totalement méthylé, peuvent engendrer quelques petits jaunes à l’ADN non méthylé.

Les modifications épigénétiques pourraient affecter la manière dont les individus répondent à des changements environnementaux à court terme, mais il semble hautement improbable que l’hérédité épigénétique à long terme puisse modifier de manière permanente les caractéristiques d’une espèce sur des centaines et des milliers de générations. 118

Si les changements épigénétiques ne sont pas assez stables pour être hérités directement par de multiples générations, comment les différences épigénétiques inter-espèces évoluent-elles ? La réponse est que l’évolution épigénétique est guidée par les changements des séquences d’ADN : plus précisément, les séquences codant pour les ARN et les protéines qui contrôlent les modifications épigénétiques, ou les séquences qui sont elles-mêmes modifiées. Tout changement d’une séquence d’ADN impliquée dans la régulation épigénétique peut potentiellement affecter sa fonction. Certains changements seront bénéfiques, d’autres nuisibles. L’évolution épigénétique se manifeste par conséquent d’une manière tout à fait cohérente avec la définition moderne du darwinisme.

Différentes séquences d’ADN engendrent différents patrons de modifications épigénétiques, qui contribuent à différentes caractéristiques physiques…

… qui peuvent être bénéfiques ou néfastes, comme toute autre caractéristique évolutive.

119

Parce que les intervalles de temps entre les générations d’humains sont longs, de nombreuses recherches se concentrent sur des espèces qui se reproduisent (et donc évoluent) plus rapidement, telles que les bactéries ou les vers de terre. Généralement, les bactéries possèdent plusieurs protéines ADN méthyltransférases, dont chacune reconnaît et méthyle une séquence d’ADN particulière. Différents types de bactéries ont fait évoluer les gènes de méthyltransférases avec des séquences d’ADN différentes ; ces changements affectent les préférences de sites cibles des protéines correspondantes, et donc les patrons de méthylation de l’ADN dans le génome. Quelques espèces de vers nématodes ont perdu récemment complètement un de leurs gènes d’ADN méthyltransférase. Ils possèdent désormais des patrons de méthylation du génome différents comparés à leurs parents même les Ah lui ? C’est mon cousin. plus proches. Dans ces deux cas, différents patrons de méthylation de l’ADN affectent la quantité, le moment et l’emplacement de l’activation des gènes.

120

Cette branche de la famille n’est plus tout à fait pareille depuis qu’ils ont abandonné un de leurs gènes de méthyltransférase.

Les ARN régulateurs (cf. p. 63-68) jouent aussi un rôle dans l’évolution épigénétique. Des changements dans la séquence d’un brin d’ARN peuvent lui permettre de se lier à des séquences d’ADN complémentaires, ciblant des gènes totalement nouveaux et/ou peuvent lui permettre de recruter divers modificateurs épigénétiques vers ses gènes cibles existants, modifiant leur statut d’activation.

Nous n’en avons jamais livré de tels à cette adresse auparavant.

Même des changements de séquences d’ARN mineurs peuvent avoir des effets significatifs sur les patrons d’activation des gènes. Pour cette raison, les mutations qui affectent les ARN régulateurs pourraient s’avérer aussi importantes que celles qui modifient les séquences des protéines – voire peut-être être encore plus importantes. Si certains ARNnm sont conservés d’une espèce à l’autre, de nombreux autres sont spécifiques à une seule espèce. Cette preuve confirme l’hypothèse selon laquelle l’évolution de l’ARN est impliquée dans l’évolution de l’espèce. 121

Des modifications épigénétiques peuvent également aider à façonner la mutation et l’évolution de la séquence d’ADN elle-même. Les bases C sont parfois converties par erreur en T pendant la déméthylation active de l’ADN. De telles erreurs qui surviennent dans les cellules germinales et qui ne sont pas corrigées seront héritées par la génération suivante. Les sites cibles de méthylation peuvent ainsi être perdus, affectant la transcription des gènes à proximité. Des indices portent à croire que les patrons de méthylation pourraient modifier la fréquence d’autres types de mutations. Bien que les conséquences spécifiques de ces sortes de modifications ne soient pas encore bien comprises, tout changement de séquence d’ADN peut engendrer potentiellement l’apparition de nouvelles caractéristiques physiques qui contribuent à la manière dont l’espèce évolue.

Oh non ! Les CpG ont évolué en TpG !

Tu ne peux plus me réprimer ! 122

La théorie de l’évolution a parcouru un long chemin depuis l’époque de Lamarck et Darwin. Nous ne savons toujours pas exactement à quel point l’épigénétique a contribué à l’évolution de la vie sur Terre, mais nous avons dorénavant une connaissance approfondie des principes sous-jacents par lesquels les séquences d’ADN et les patrons de modifications épigénétiques peuvent évoluer au fil du temps – et nous avons commencé à découvrir des exemples de modifications épigénétiques qui sont cohérentes avec ces principes et avec d’autres aspects du darwinisme moderne. Cependant, l’épigénétique est encore une discipline très récente et que nous aurons probablement d’autres surprises à l’avenir. Heureusement, les théories sur l’évolution peuvent elles-mêmes évoluer !

123

L’épigénétique dans la maladie : le vieillissement Quand tout fonctionne comme prévu, les modifications épigénétiques aident à établir et préserver les patrons d’activation des gènes et la production de protéines nécessaires au développement normal de l’embryon et pour assurer la continuité des fonctions de nos cellules tout au long de notre vie.

MALADIES LIÉES À L’ÂGE

Cependant, nos cellules et notre corps sont des systèmes incroyablement complexes. En tant que tels, les molécules, les cellules, les tissus et les fonctions des organes peuvent potentiellement être perturbés à n’importe quelle étape de la vie, mais plus particulièrement quand nous vieillissons. De tout petits changements préalables peuvent s’amplifier et causer de sérieux problèmes, occasionnant en général une mauvaise santé ou des types spécifiques de maladies.

124

DÉMENCE ALZHEIMER PARKINGSON

MALADIE DES POUMONS MALADIE DU CŒUR

CANCER

OSTÉOPOROSE MALADIE DES REINS

Les patrons de modifications épigénétiques peuvent être altérés suite à une exposition à certains facteurs environnementaux (cf. p. 87-91). Ils sont soumis également à des changements progressifs, aléatoires au fil du temps. Ce dernier phénomène est connu sous le nom de dérive épigénétique et on pense qu’il joue un rôle important dans le vieillissement. La dérive épigénétique entraîne divers changements dans chaque cellule et chaque individu, mais elle obéit à des schémas généraux prévisibles. Quelques gènes accumulent des niveaux plus élevés de méthylation de l’ADN au cours du temps, mais le patron général implique que la quantité totale de méthylation de l’ADN diminue avec l’âge. Des études sur les souris ont montré que cette déméthylation mène à une réactivation progressive de gènes éteints ; ces types de modifications peuvent altérer le comportement des cellules de manière préjudiciable.

C’est simplement un cas de dérive épigénétique – elle devrait se conformer à un patron prévisible.

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La dérive épigénétique entraîne une différenciation partielle des cellules souches. Ce processus irréversible réduit le nombre de cellules souches actives dans le corps qui sont disponibles pour remplacer des cellules matures mourantes. De ce fait, le muscle cardiaque, l’élasticité de la peau et d’autres tissus peuvent se détériorer. Des modifications épigénétiques peuvent survenir aussi dans des cellules atteintes de maladies spécifiques au vieillissement, du cancer à Alzheimer et Parkinson, l’ostéoporose et l’insuffisance cardiaque. Néanmoins, au vu de la complexité de la régulation épigénétique, il importe de ne pas surinterpréter ce constat. Toute différence épigénétique entre cellules en bonne santé et anormales n’est pas significative, et certaines différences pourraient être une réponse à la maladie plutôt que la cause.

Est-ce que la dérive épigénétique cause la maladie cardiaque ou est-ce que la maladie cause les modifications épigénétiques ?

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L’épigénétique dans la maladie : des mutations héritées au niveau des régulateurs épigénétiques De nombreuses pathologies génétiques humaines résultent de la mutation d’un seul gène. Les mutations peuvent être transmises par l’un ou les deux parents, ou apparaître spontanément dans l’ovule, le sperme ou le zygote. Des exemples connus sont la drépanocytose (causée par la mutation de la protéine hémoglobine qui transporte l’oxygène dans tout le corps) et la mucoviscidose (causée par la mutation d’une protéine qui pompe le sel à travers les membranes cellulaires). De la même manière, certaines maladies génétiques rares résultent de mutations de gènes qui jouent un rôle dans la régulation épigénétique. À la différence des maladies dues au vieillissement, ces maladies génétiques ont une cause épigénétique évidente.

Pourquoi la mutation à l’origine de la drépanocytose n’estelle pas éliminée par la sélection naturelle ?

Parce que seules les personnes qui héritent de deux gènes défectueux sont atteintes de drépanocytose. Si vous n’héritez que d’une copie mutée, cela vous confère une sorte d’immunité contre le paludisme, ce qui en fait une mutation bénéfique, augmentant réellement vos chances de survie.

127

Le syndrome de Kabuki illustre un exemple de pathologie génétique causée par une mutation d’un régulateur épigénétique. Moins de 1 enfant sur 30 000 souffre de ce trouble, qui engendre des traits du visage et squelettiques atypiques distinctifs, entre autres symptômes. Les trois quarts environ des cas résultent des mutations héritées du gène MLL2. La protéine marqueur MLL2 ajoute habituellement des groupes méthyles qui activent la transcription aux queues des histones ; la mutation de cette protéine, telle qu’observée chez les personnes atteintes du syndrome de Kabuki, élimine cette fonction. D’autres cas du syndrome de Kabuki impliquent des mutations du gène KDM6A, codant normalement pour une protéine effaceur qui retire les groupes méthyles répressifs des histones. Les effets des mutations de KDM6A et MLL2 sont pratiquement identiques, toutes deux impliquant la répression inappropriée de la transcription des gènes.

Il tire son nom d’une forme traditionnelle de théâtre japonais où l’on pensait que le maquillage de scène était similaire aux caractéristiques faciales de ceux atteints de ce syndrome.

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Le syndrome de Rett est une maladie génétique causée par des mutations spontanées du gène MECP2. « MECP2 » signifie en anglais « methyl-CpG binding protein 2 » (protéine de liaison méthyl-CpG 2) ; comme ce nom le suggère, la fonction normale de cette protéine décodeur est de se lier aux bases C méthylées, une étape essentielle vers la répression de la transcription. Le résultat de cette mutation est que les bébés atteints du syndrome de Rett se développent normalement jusqu’à environ six mois, puis à partir de là leur croissance et leur développement deviennent atypiques. À la différence du syndrome de Kabuki, qui touche les garçons et les filles, le syndrome de Rett ne s’observe que chez les filles. Les estimations de la prévalence de cette maladie varient entre 1 pour 10 000 et 1 pour 20 000.

MECP2 mutée

La mutation qui entraîne le syndrome de Rett brise le lien entre la méthylation de l’ADN et la répression de la transcription ; les gènes censés être éteints sont au contraire activés. 129

MECP2, le gène dont la mutation engendre le syndrome de Rett, est un gène du chromosome X, si bien que les mâles XY n’en reçoivent qu’une copie. Une mutation de cette unique copie entraîne des fausses couches spontanées d’embryons XY en début de grossesse. Les femelles XX héritent de deux gènes MECP2. Les embryons qui reçoivent une copie mutée et une copie normale peuvent survivre jusqu’à terme, mais les bébés développeront le syndrome de Rett. L’inactivation aléatoire du chromosome X génère un effet mosaïque où certaine cellules XX dans le corps n’utilisent que la copie normale du gène MECP2, tandis que d’autres n’utilisent que la copie mutée. Par conséquent, les symptômes précis du syndrome de Rett varient d’un individu atteint à un autre, selon les patrons d’inactivation des chromosomes dans les différents tissus de leur corps.

Gène MECP2 normal sur le premier chromosome X

Cellule du cerveau

Cellule du cerveau

130

Répercussions

Inactivé

Moins de symptômes neurologiques

Plus de symptômes neurologiques

Inactivé

Cellule de muscle

Cellule des mouvements

Gène MECP2 muté sur le second chromosome X

Inactivé

Inactivé

Plus de coordination des mouvements

Moins de coordination des mouvements

L’épigénétique dans la maladie : les erreurs d’empreinte parentale Les maladies génétiques peuvent être dues aussi à des erreurs qui affectent l’empreinte parentale – la transcription de certains gènes à partir seulement du chromosome maternel ou paternel (cf. p. 79-83). Les maladies liées à l’empreinte parentale peuvent résulter de mutations ou de pertes de la région de contrôle de l’empreinte (ICR) qui contrôle chaque cluster de gènes soumis à empreinte parentale, ou des ARN et protéines qui contribuent à établir l’état de méthylation de l’ICR. En effet, les erreurs d’empreinte parentale créent deux copies maternelles ou deux copies paternelles du cluster de gènes soumis à empreinte parentale associé. Cela peut mener à une double dose, ou à la perte complète de la transcription, des gènes soumis à empreinte parentale. Les effets exacts de ces changements de dosage de gènes dépendent des fonctions des gènes impliqués, mais peuvent gravement impacter la manière dont les cellules et les organes se développent et fonctionnent.

Oups ! J’ai accidentellement imprimé deux chromosomes paternels.

Est-ce important ?

Cela signifie que j’aurai deux copies de gènes soumis à empreinte parentale spécifiquement paternels et aucune de gènes soumis à empreinte parentale spécifiquement maternels.

131

Le syndrome de Beckwith-Wiedemann est un exemple de maladie liée à l’empreinte parentale. Il est associé à la perturbation d’un cluster de gènes soumis à empreinte parentale situés sur le chromosome 11. Les symptômes précis du syndrome dépendent du type de mutation hérité par chaque individu atteint. Certaines mutations de l’ICR suppriment complètement la transcription d’un gène soumis à empreinte parentale qui contribue à inhiber la mitose ; d’autres donnent lieu à une double dose d’une protéine facteur de croissance. En tant que tel, le syndrome de Beckwith-Wiedemann est caractérisé généralement par des symptômes tels qu’une croissance rapide pendant l’enfance et une probabilité accrue de développer un cancer infantile. Des erreurs d’empreinte parentale semblables surviennent parfois dans des cellules matures, qui peuvent être à l’origine du développement d’un cancer à l’âge adulte.

Tous les enfants atteints du syndrome de Beckwith-Wiedemann ne vont pas développer de cancer – mais ces erreurs d’empreinte parentale augmentent bien leurs niveaux de risque.

132

L’épigénétique du cancer Le cancer, un groupe de maladies caractérisées par une croissance et une division cellulaires incontrôlées, est la première cause de mortalité dans le monde. Environ la moitié d’entre nous serons tôt ou tard au cours de notre vie confrontés à une certaine forme de cette maladie.

En 2012, globalement, il y a eu 14 millions de nouveaux cas et 8 millions de décès liés au cancer.

On s’attend à ce que ces chiffres augmentent au cours des années à venir.

Chaque diagnostic de cancer affecte non seulement le patient proprement dit mais aussi ses proches, s’élevant à un énorme fardeau global. La maladie coûte également immensément cher, le montant pour les seuls médicaments anticancéreux s’élevant globalement à plus de 100 milliards de dollars par an. Il y a de nombreuses causes différentes de cancer, y compris les mutations de gènes héritées qui représentent entre 5 et 10 % des cas, mais l’exposition des individus à des produits chimiques et à d’autres facteurs environnementaux jouent aussi un rôle immense. 133

Les cellules cancéreuses sont des distorsions chaotiques des cellules normales dont elles sont issues. Dans ces cellules, tout ce qui peut être modifié l’est : les séquences d’ADN et les structures des chromosomes ; les ARN et protéines produits ; même les formes et les mouvements des cellules cancéreuses sont irréguliers. Il n’est pas surprenant alors que les cellules cancéreuses contiennent aussi des patrons de modifications épigénétiques différents comparées aux cellules homologues normales. Mais comme pour toutes les autres caractéristiques des cellules malignes, il est difficile de distinguer la cause de l’effet, les changements qui poussent la progression de la maladie de ceux qui l’accompagnent seulement.

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Les patrons de méthylation de l’ADN sont généralement inversés dans les tumeurs. Les régions ordinairement méthylées dans les cellules normales sont souvent réactivées (déméthylées) dans les cellules cancéreuses. Les protéines qui sont produites de manière inappropriée de ce fait incluent certaines qui promeuvent la division cellulaire ; leur réactivation contribue à la prolifération incontrôlée qui caractérise le cancer. L’ADN répété non méthylé abonde, causant des changements de structure des chromosomes et des erreurs de réplication de l’ADN. Ces mutations secondaires entraînent des changements délétères supplémentaires au comportement des cellules. À l’inverse, certains gènes suppresseurs de tumeurs qui ordinairement empêchent la division cellulaire sont méthylés dans les cellules cancéreuses. Perdre les protéines correspondantes équivaut à couper un câble de frein ; la prolifération des cellules cancéreuses ne peut alors plus être contrôlée.

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Certains changements de méthylation de l’ADN acquis dans les cellules cancéreuses affectent les régions de contrôle de l’empreinte qui contrôlent la transcription spécifique aux chromosomes des gènes soumis à empreinte parentale. Une méthylation incorrecte des ICR imite certaines mutations de maladies liées à l’empreinte parentale héritées, comme celles qui engendrent le syndrome de Beckwith-Wiedemann (cf. p. 132), en ce que cela crée effectivement deux copies maternelles ou deux copies paternelles du cluster de gènes soumis à empreinte parentale associé. De nombreux gènes soumis à empreinte parentale sont impliqués dans le développement embryonnaire et possèdent par conséquent des fonctions qui affectent la croissance ou la division des cellules. Si les taux des ARN et des protéines correspondants se trouvent perturbés, cela peut engendrer une prolifération de cellules excessive, entraînant ou contribuant à la progression du cancer.

Le cancer a perturbé l’ICR de ce gène – on va finir par avoir deux copies maternelles.

Il ne faut pas abuser des bonnes choses, non ? 136

Comme les patrons de méthylation de l’ADN, les ARN régulateurs produits par les cellules cancéreuses peuvent être radicalement différents de ceux des cellules normales correspondantes. Ces changements peuvent avoir des conséquences particulièrement désastreuses. Un seul miARN ou ARN circulaire peut affecter la traduction de nombreuses protéines différentes (cf. p. 66). Une production anormale d’ARNnm et d’ARNpi peut aussi avoir de profondes répercussions ; parce qu’ils se fixent à des séquences d’ADN spécifiques, ces ARN peuvent déclencher la première étape du processus complexe qui précise quelles modifications épigénétiques sont à apporter à quels gènes (cf. p. 64-65). Les changements de cette première étape peuvent facilement s’amplifier jusqu’à affecter la régulation de la transcription de grosses parties du génome.

137

Les cellules cancéreuses renferment des patrons de modifications des histones altérés, qui renforcent les changements d’activation des gènes déclenchés par le nouveau patron de méthylation de l’ADN, et vice versa. En 2008, le généticien américain Kevin White fut le premier à signaler les changements relatifs à comment et quand des protéines de variants d’histones spécialisées (cf. p. 56) remplacent les histones classiques dans les cellules malignes. L’introduction de certains variants d’histones dans les nucléosomes à de mauvais moments et emplacements peut affecter la transcription des gènes proches ; l’incapacité à insérer d’autres variants au moment et à l’endroit habituels peut effectivement empêcher la réparation de l’ADN, en accélérant le chaos qui règne dans la cellule cancéreuse. Finalement, on constate que même les emplacements de certains gènes dans le noyau (cf. p. 62) diffèrent dans les cellules cancéreuses !

C’est comme si les cellules cancéreuses… évoluaient. C’est une certitude. C’est ce qui les rend si dangereuses.

138

L’épigénétique anormale des cellules cancéreuses est-elle la cause ou simplement une conséquence de la maladie ? Un cancer débute généralement par une modification d’une séquence d’ADN. Les causes peuvent être multiples : mutations de gènes héritées, exposition aux ultraviolets, infections comme l’hépatite ou le papillomavirus humain, certains produits chimiques tels que l’amiante, ou erreurs aléatoires de réplication de l’ADN. Des mutations additionnelles s’accumulent au fur et à mesure que la cellule devient de plus en plus anormale. Dans certains cas, les changements épigénétiques observés dans les cellules cancéreuses sont de simples dommages collatéraux – en réponse à des mutations d’ADN antérieures dans la même cellule. Dans d’autres, les changements épigénétiques contribuent activement au chaos, par exemple en réactivant un gène éteint, rendant encore plus maligne une cellule déjà anormale. Plus rarement, les changements épigénétiques sont responsables de l’initiation de tout le processus.

Pouvez-vous identifier celui qui vous a donné le cancer ?

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Certains changements épigénétiques initiateurs de cancer résultent probablement du hasard – dérive aléatoire (cf. p. 125) – ou d’une erreur pendant la mitose. Certaines expositions environnementales peuvent provoquer un cancer par le biais de changements épigénétiques. Par exemple, changement des patrons de méthylation de l’ADN après une exposition à des agents cancérogènes bien connus tels que la fumée de tabac et à de nouvelles menaces comme le bisphénol A (BPA), un composant de certains plastiques dont on a découvert qu’il passe par lixiviation des bouteilles de boisson dans le corps humain. Cependant, la fumée de tabac endommage aussi directement l’ADN, il est donc difficile de déterminer quelle proportion de ses dommages est imputable à l’épigénétique. En général, nos environnements sont si complexes, contenant des milliers de facteurs à la fois néfastes et bénéfiques, qu’il est extrêmement difficile d’identifier certains effets des plus subtiles.

Ça va bien. Plus tôt, j’ai fait de l’exercice. Toutes ces retombées épigénétiques positives et négatives s’annulent. Euh, ça ne marche pas comme ça.

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Certains cancers commencent par une mutation qui affecte directement la fonction d’un marqueur, d’un effaceur ou d’un décodeur épigénétique. Dans de telles circonstances, on peut être presque certain que les modifications épigénétiques qui en résultent sont la cause directe de la tumeur. Les gènes qui codent pour des régulateurs épigénétiques peuvent être supprimés ou amplifiés, déplaçant l’équilibre entre modifications répressives et qui activent dans la cellule. Les séquences d’ADN des gènes qui codent pour ces régulateurs peuvent aussi muter, modifiant la séquence – et par conséquent la fonction – des ARN et des protéines correspondants. Les mutations des régulateurs épigénétiques peuvent entraîner des changements de grande ampleur de l’activation des gènes et des patrons de production de protéines.

Oh non, les marqueurs sont devenus fous ! Ils me demandent de me diviser encore ! Est-ce que l’on me dit : « déplacez-vous vers le foie » ? Mais je suis une cellule intestinale !

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Des mutations qui affectent tous les types connus de régulateurs épigénétiques ont été trouvées dans les cellules cancéreuses, perturbant tout, des ARN régulateurs et des histones aux protéines qui remodèlent la chromatine ou ajoutent et suppriment des modifications épigénétiques. Les mutations épigénétiques des régulateurs sont particulièrement courantes dans les cancers du sang. Par exemple, un seul changement de base dans le gène EZH2 est caractéristique de plusieurs types de lymphomes. La protéine marqueur mutée est hyperactive, ajoutant trop de groupes méthyles aux histones, tout en réprimant de ce fait certains gènes abusivement. On peut citer bien d’autres exemples similaires – et comme nous allons le voir, ces découvertes aident les scientifiques à développer de nouveaux médicaments pour traiter le cancer et d’autres maladies.

Dans le cas des cancers et d’autres maladies, trouver un coupable signifie aussi trouver une cible – quelque chose qui peut être traité et corrigé.

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L’épigénétique en médecine Les bénéfices de décennies de recherche en épigénétique commencent maintenant à se propager dans la pratique médicale. Une diversité croissante de médicaments et de tests basés sur les modifications et les régulateurs épigénétiques entrent à présent en phase d’essais cliniques, et certains ont même été homologués pour une consommation régulière. Une grande part de la recherche dans ce domaine s’est concentrée sur les médicaments anticancéreux qui ont la capacité de pouvoir inverser les patrons de modifications épigénétiques anormaux trouvés dans les cellules malignes. Les mêmes anomalies qui rendent les cellules cancéreuses si dangereuses peuvent aussi rendre ces dernières vulnérables à des médicaments qui ciblent les cellules malignes, mais pas leurs homologues sains ; les cellules affectées par d’autres maladies ont moins de failles dans leur armure.

CHIMIOTHÉRAPIE CLASSIQUE

La chimiothérapie classique va détruire les cellules à croissance rapide, y compris vos cellules cancéreuses.

THÉRAPIE ÉPIGÉNÉTIQUE

La thérapie épigénétique va cibler vos protéines de régulateurs épigénétiques mutées, ce qui atteindra vos cellules cancéreuses mais laissera vos cellules saines intactes.

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Il existe deux approches possibles pour inverser les changements épigénétiques qui surviennent dans des cellules cancéreuses et autres cellules anormales. La première consiste à cibler les régulateurs épigénétiques anormaux qui sont responsables finalement de ces changements ; la seconde consiste à effacer et réécrire les patrons de modifications. La dernière approche est plus facile et a été par conséquent mieux développée, mais elle présente quelques inconvénients. Par exemple, les médicaments qui éliminent les groupes méthyles de parties de l’ADN accidentellement éteintes retireront aussi indifféremment des groupes méthyles de régions qui devaient rester silencieuses. Ce manque de spécificité peut entraîner des effets secondaires, tels que nausée et fatigue. Néanmoins, cette approche non spécifique se révèle prometteuse.

Je vais effacer tout marquage qui ne devrait pas être là. L’astuce consiste à ne pas toucher à trop de choses utiles.

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Les médicaments appelés inhibiteurs des histone désacétylases (HDACi) empêchent la suppression des groupes acétyles de la queue des histones. Ils peuvent restaurer ainsi la transcription de gènes silencieux, y compris les suppresseurs de tumeurs, et ont déjà été agréés pour traiter certains types de cancer. Leurs bénéfices peuvent être limités à des cancers avec des anomalies épigénétiques de types très spécifiques, mais ils sont testés aussi comme traitements contre d’autres maladies, dont le syndrome de Kabuki (cf. p. 128). Les inhibiteurs d’ADN méthyltransférases sont en cours de développement également. L’héritabilité stable des patrons de méthylation de l’ADN (cf. p. 47) garantit que les effets du médicament subsisteront dans la descendance de cellules cancéreuses qui auraient échappé au traitement initial.

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Des progrès sont accomplis dans le domaine des inhibiteurs HDAC et des molécules similaires, même si les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances. Plusieurs compagnies pharmaceutiques essaient d’améliorer ces thérapies non spécifiques, mais d’autres chercheurs se concentrent plutôt sur une approche plus spécifique qui cible les régulateurs épigénétiques mutés eux-mêmes. Cette approche reflète une tendance générale en thérapie anticancéreuse, délaissant les médicaments non spécifiques qui ciblent une caractéristique générale des cellules cancéreuses – la division rapide ou la méthylation des îlots CpG – au profit de produits chimiques qui exploitent les vulnérabilités dues aux protéines mutées spécifiques. Les thérapies ciblées engendrent moins de dommages collatéraux chez les cellules saines, et donc moins d’effets secondaires.

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Pour illustrer cette approche ciblée, revenons à la mutation EZH2 trouvée dans certaines formes de lymphomes (cf. p. 142). Des équipes menées par Caretha Creasy et Kevin W. Kuntz ont mis au point des substances chimiques qui bloquent la fonction de la protéine EZH2 mutée hyperactive, sans bloquer son homologue normal. Ces médicaments n’ont pas encore été testés sur de véritables patients atteints de cancer. Cependant, ils corrigent le patron anormal des modifications épigénétiques et réactivent les gènes éteints abusivement dans des cellules de lymphomes humaines cultivées en laboratoire. Mais plus important, les médicaments ralentissent aussi la prolifération des cellules de lymphome. Il existe des médicaments en cours de développement ciblant d’autres protéines de régulation épigénétique mutées qui causent des cancers, bien qu’il faille attendre parfois des décennies pour concevoir et homologuer un nouveau médicament. À suivre !

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Les thérapies basées sur les miARN, qui peuvent empêcher la traduction des ARN messagers en protéines (cf. p. 66-67), sont aussi en cours de développement. Il est possible de créer des miARN qui ciblent n’importe quel ARNm (et donc n’importe quelle protéine) d’intérêt. Les cibles potentielles incluent les protéines mutées des cellules cancéreuses, les anticorps qui causent la sclérose en plaques et d’autres maladies auto-immunes, les agrégats et enchevêtrements de protéines qui s’accumulent en cas de maladie d’Alzheimer et les protéines virales et bactériennes qui sont les symptômes de maladies infectieuses. Aucune thérapie basée sur les miARN n’a encore été approuvée pour une utilisation régulière, et il subsiste des préoccupations quant aux effets secondaires, mais cette approche non conventionnelle est très prometteuse.

Un traitement expérimental basé sur des miARN a été testé sur des patients atteints d’Ebola lors de l’épidémie de 2014-2015 en Afrique de l’Ouest, bien que les résultats préliminaires fussent décevants.

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Les modifications épigénétiques peuvent servir également à diagnostiquer certaines maladies et donner aux médecins des conseils sur les meilleures options de traitement. De nombreux tests et traitements en cours sont basés sur des protéines : par exemple, seuls les cancers du sein affichant des quantités significatives de la protéine HER2 peuvent être traités au Herceptin™, un médicament qui s’attaque spécifiquement aux cellules présentant la protéine HER2 sur leur surface extérieure. Les modifications épigénétiques spécifiques à certains types de maladies peuvent potentiellement être utilisées de la même manière. Par exemple, plusieurs entreprises sont en train de développer des tests sur des échantillons de selles pour dépister les changements épigénétiques caractéristiques du cancer colorectal, comme alternative aux formes actuelles de dépistage du cancer. De même, à l’avenir, des tests basés sur l’épigénétique pourraient être utilisés pour déterminer quels patients bénéficieraient des traitements d’inhibiteurs HDAC ou d’ADN méthyltransférase. Les tests basés sur les changements épigénétiques ne sont pas encore aussi spécifiques que les alternatives plus conventionnelles, mais ils sont en constante amélioration.

Puisque nous en apprenons plus sur la manière dont les altérations épigénétiques contribuent au déclenchement de maladies, plus de tests de ce type seront mis au point et autorisés en vue d’une mise sur le marché.

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Les thérapies par cellules souches Une nouvelle branche de la médecine projette d’utiliser les cellules souches – les cellules du corps indifférenciées qui donnent les cellules matures – dans le but de produire des remplaçants de cellules matures ou d’organes endommagés.

La thérapie basée sur des cellules souches a le potentiel pour traiter voire soigner de nombreuses maladies humaines différentes.

La différenciation des cellules souches polyvalentes en cellules matures spécialisées est d’ordinaire un processus à sens unique. Comme nous l’avons vu, John Gurdon avait démontré dans les années 1960 qu’il est possible de se servir de méthodes de clonage pour inverser artificiellement la différenciation cellulaire et créer de nouvelles cellules souches (cf. p. 19-22). Cependant, cloner une cellule dans un tout nouvel embryon afin d’extraire les cellules souches du clone serait une manière extraordinairement inefficace de produire de nouvelles cellules souches à des fins thérapeutiques – sans parler des problèmes d’ordre éthique relatifs au clonage humain. 150

Comme alternative à l’inversion de la spécialisation des cellules matures, des cellules souches humaines peuvent être extraites d’embryons encore très jeunes avant qu’ils s’implantent dans l’utérus. Avec le consentement des parents, des embryons en surplus qui résultent d’une fécondation in vitro (FIV) sont utilisés généralement. Les cellules souches embryonnaires peuvent être mises en culture et différenciées en laboratoire, puis transplantées chez des receveurs malades ou blessés. Malgré quelques études prometteuses chez les animaux, des tests sur les humains ont été limités par la rareté des cellules et par des préoccupations éthiques. Il y a aussi un risque que les cellules transplantées ne se différencient pas normalement et deviennent cancéreuses. De plus, dans la mesure où les cellules du donneur contiennent des gènes et des protéines différents de ceux des propres cellules des receveurs, ces derniers devront Tout cela peut être prendre des cultivé à partir de médicaments cellules souches immunoembryonnaires ? suppresseurs pour le restant de leurs jours afin d’empêcher En théorie, oui. Mais que les il y a des risques et c’est cellules très controversé. transplantées ne soient rejetées comme des corps étrangers.

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En 2006, le biologiste japonais spécialiste des cellules souches Shinya Yamanaka (né en 1962) a publié une nouvelle méthode pour créer des cellules souches directement à partir de cellules adultes matures. Les cellules souches pluripotentes induites (cellules SPi)* résultantes peuvent se différencier en divers types de cellules matures, tout comme les cellules souches embryonnaires. Cela signifie que nous pourrions utiliser les propres cellules de peau ou sanguines des patients pour restaurer ou remplacer leurs tissus ou organes abîmés, ce qui lèverait à la fois les barrières éthiques et de l’immunosuppression qui ont freiné la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines. L’article original semblait trop beau pour être vrai, mais d’autres équipes ont reproduit rapidement les résultats. En 2012, Yamanaka a partagé avec John Gurdon le prix Nobel de physiologie ou médecine « pour avoir découvert que les cellules matures peuvent être reprogrammées pour devenir pluripotentes ».

CELLULE DE PEAU DU PATIENT

CELLULES SPI

CELLULES CARDIAQUES UTILISATION EN MÉDECINE RÉGÉNÉRATIVE

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NEURONES

La création de cellules SPi à partir de cellules matures est inefficace, en partie parce que l’inversion de la différenciation cellulaire nécessite des changements significatifs des patrons de modifications épigénétiques. Par exemple, les cellules souches embryonnaires à l’état naturel n’ont pas encore subi l’inactivation de leur chromosome X (cf. p. 84-86). Les cellules SPi créées à partir des cellules XX matures doivent ressembler le plus possible aux cellules souches embryonnaires naturelles et, par conséquent, le chromosome éteint doit être réactivé – cependant, ce processus reste souvent inachevé dans les cellules SPi XX. De la même façon, alors que les cellules SPi partagent bon nombre des caractéristiques épigénétiques uniques des cellules souches naturelles du corps, elles conservent aussi parfois les patrons de méthylation qui sont caractéristiques du type de cellules souches dont elles sont issues. Cela limite leur capacité à se différencier en d’autres types cellulaires.

Les cellules subissent beaucoup de changements épigénétiques au fur et à mesure qu’elles se différencient. Il est difficile d’inverser ces changements, notamment quand les cellules SPi proviennent de cellules matures.

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Yamanaka a créé les premières cellules SPi en insérant quatre facteurs de transcription dans des cellules matures. Trois d’entre eux avaient des fonctions épigénétiques connues : Oct4 bloque la méthylation des histones, tandis que c-Myc et Klf4 se lient aux protéines d’acétylation des histones. Il existe des preuves que le quatrième facteur de transcription, Sox2, est associé également aux changements des modifications d’histones. Parce que des quantités excessives de c-Myc et Klf4 peuvent causer un cancer, des méthodes alternatives de production des cellules SPi sont nécessaires. Deux équipes américaines, dirigées par Sheng Ding et Douglas Melton (né en 1953), ont montré à la fin des années 2000 que les inhibiteurs de la méthylation de l’ADN et des histones, ou de la désacétylation des histones peuvent remplacer certains des quatre facteurs de transcription. Toutefois, les changements épigénétiques provoqués par ces médicaments pourraient aussi préparer la cellule à devenir cancéreuse.

La possibilité que les cellules SPi transplantées deviennent cancéreuses constitue le plus grand obstacle empêchant la thérapie basée sur les cellules souches de devenir réalité.

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Des essais prometteurs sur des animaux ont été conduits utilisant la thérapie par cellules SPi pour traiter des lésions de la moelle épinière et d’autres pathologies. Les chercheurs spécialistes des cellules souches japonais Takanori Takebe et Hideki Taniguchi ont réussi aussi à cultiver des morceaux de foie à partir de cellules SPi humaines. Le premier essai clinique humain utilisant des cellules Spi – pour traiter une maladie de l’œil appelée dégénérescence maculaire – a commencé au Japon fin 2014, dirigé par l’ophtalmologiste Masayo Takahashi ; nul doute que d’autres essais suivront si le premier s’avère sans danger.

« Nous avons franchi une première étape capitale vers la médecine régénérative utilisant les cellules SPi. Je voudrais étendre la médecine régénérative utilisant les cellules SPi au plus grand nombre de personnes possible. » 155

Épigénétique et pseudoscience Alors que des progrès notables sont accomplis dans les thérapies basées sur l’épigénétique décrites précédemment, il peut se passer plusieurs décennies avant qu’une découverte scientifique ne soit traduite en avancées médicales concrètes. Il n’est pas surprenant que les gens prospectent en dehors du courant dominant scientifique pendant ce décalage temporel.

Inverse l’épigénétique néfaste que t’a donnée ta grand-mère !

L’épigénétique semble attirer plus que sa part de battage médiatique, surinterprétation et pseudoscience. L’idée selon laquelle nous sommes plus que notre séquence d’ADN seule est, tout compte fait, très fascinante. La suggestion selon laquelle nous serions aptes à rechercher des facteurs environnementaux qui nous permettraient de nous affranchir de notre génétique et de neutraliser les expositions et expériences néfastes – y compris celles que nous aurions pu hériter de nos parents et grands-parents – est particulièrement attirante. Il est très tentant de croire que ces facteurs environnementaux protecteurs peuvent être achetés sous forme de compléments alimentaires ou sous un autre format pratique.

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On a vanté l’épigénétique comme étant la science à l’origine de tout, de l’homéopathie et l’acupuncture (où l’on dit que les traitements entraînent des changements de modifications épigénétiques qui améliorent la santé) à l’hypnose de régression dans les vies antérieures (où les résultats des études d’hérédité épigénétique, tels que ceux de l’hiver de la faim néerlandais et des registres des récoltes d’Överkalix, sont largement extrapolés pour englober la transmission de souvenirs très spécifiques de nos vies antérieures). Toutefois, il n’existe pas de preuve crédible pour appuyer ces affirmations. Même pour des substances dont nous savons qu’elles altèrent les patrons de modifications épigénétiques, nous sommes encore bien loin de pouvoir affirmer : « ce complément à base de plantes va éteindre le gène nocif spécifique dont vous avez hérité ». Et des gènes spécifiques ne peuvent pas être régulés épigénétiquement par le seul pouvoir de la pensée, comme cela a été dit.

Concentrez-vous fortement et projetez vos pensées vers la cellule sanguine qui est en train de fabriquer les protéines mutées. Vous pouvez alors lui ordonner d’arrêter.

C’est une bonne idée, mais c’est loin d’être vrai.

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L’avenir de l’épigénétique Le rythme rapide des découvertes et les vastes applications de l’épigénétique en font un domaine attractif pour des scientifiques en début de carrière, avec de nombreuses perspectives permettant à chacun de trouver un créneau de recherche unique. L’épigénétique est une jeune discipline et nous avons encore beaucoup à apprendre sur la manière dont les éléments du réseau de régulation épigénétique interagissent les uns avec les autres pour contrôler l’activité des gènes. Aucune des recherches décrites précédemment dans ce livre ne doit être considérée comme achevée ; des travaux sont toujours en cours dans tous les sous-domaines et les précédents historiques prédisent que nous devrons revoir une partie de notre compréhension actuelle de l’épigénétique au fur et à mesure que nous en apprendrons plus sur le sujet.

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L’épigénomique Comme dans bien d’autres domaines de la biologie, les avancées récentes en technologie de séquençage d’ADN ont accéléré le rythme de la recherche en épigénétique. Les séquençages au bisulfite (méthylation de l’ADN) et ChIP (modifications des histones), combinés au séquençage de l’ARN, permettent désormais l’étude de l’épigénome* – les modifications épigénétiques à l’échelle du génome entier. Le Consortium international de l’épigénome humain (CIEH) ainsi que d’autres projets collaboratifs se sont engagés à produire des séquences de l’épigénome humain pour des milliers de types cellulaires sains ou malades. Les données sont disponibles en ligne et sont utilisées par des groupes de recherche du monde entier pour améliorer notre compréhension de divers aspects de l’épigénétique, de la régulation des gènes à l’évolution de la prédisposition aux maladies.

Chaque type de cellule possède son épigénome unique. Comparer les épigénomes de cellules saines et anormales permet de comprendre comment l’épigénétique contribue au maintien d’une bonne santé ou au développement de maladies.

CELLULE D’ESTOMAC CANCÉREUSE CELLULE D’ESTOMAC SAINE

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L’un des plus grands défis en épigénomique est le nombre phénoménal de cellules nécessaires aux séquençages au bisulfite et ChIP. Ces exigences limitent les types de tissus qui peuvent être séquencés, surtout pour les cellules saines ; il est relativement facile d’obtenir de grosses tumeurs prélevées chirurgicalement, mais bien plus difficile d’obtenir suffisamment de tissu normal correspondant de donneurs vivants pour servir de contrôle. Des équipes des secteurs public et privé travaillent à développer de nouvelles méthodes de séquençage qui peuvent traiter des échantillons plus petits. Certains laboratoires travaillent même sur des méthodes pour étudier la méthylation de l’ADN dans une seule cellule, ce qui constitue une approche plus instructive que les méthodes actuelles analysant des valeurs moyennes sur de nombreuses cellules.

Dans cet échantillon, ce gène est à 50 % méthylé.

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Certes, mais est-ce qu’un seul brin est méthylé dans toutes les cellules ou est-ce que les deux brins sont méthylés dans la moitié des cellules ?

De nouvelles modifications épigénétiques La liste des modifications d’histones connues s’allonge constamment avec la découverte de nouveaux types de modifications et de modifications déjà connues à des emplacements nouveaux. De nouveaux types de modifications de l’ADN sont découverts aussi. Par exemple, en plus des bases C méthylées, il existe des variants moléculaires appelés hydroxyméthylcytosine (hmC), formylcytosine (fC) et carboxylcytosine (caC). On savait déjà que la hmC était impliquée dans la déméthylation active de l’ADN ; une équipe américaine dirigée par Yi Zhang a montré que fC et caC jouent un rôle similaire. En 2015, un groupe britannique mené par Shankar Balasubramanian a découvert que fC peut aussi forcer physiquement la double hélice à adopter une configuration plus accessible. Nous en savons toujours aussi peu sur ces variants, mais en apprendre plus à leur sujet nous aidera à mieux comprendre comment et pourquoi l’ADN méthylé est parfois réactivé.

Il y en a encore ? Mais que fontelles toutes ?

Nous n’en sommes pas sûrs, mais elles pourraient redéfinir notre compréhension de l’épigénétique. Il en reste encore probablement d’autres à découvrir.

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Trois articles parus en 2015 de Chuan He, Yang Shi, Hailin Wang et Dahua Chen ont démontré que les bases A de l’ADN d’algues, de mouches et de vers de terre peuvent être méthylées. Les bases A méthylées avaient déjà été découvertes dans des bactéries unicellulaires, avec entre autres fonctions la réparation de l’ADN et la protection contre des virus. Cependant, les articles de 2015 constituaient les premières preuves que cette modification épigénétique se produit aussi au sein des espèces pluricellulaires – et qu’elle pourrait exister par conséquent chez l’Homme. Nous ne savons, il est vrai, que peu de choses sur le rôle des bases A méthylées en épigénétique, mais des preuves préliminaires montrent que – comme pour les bases C méthylées – elles sont impliquées dans la différenciation cellulaire et peuvent interagir avec les modifications des histones.

Holà ! Qu’est-ce que ce groupe méthyle fait là, A ?

Je ne suis pas encore sûr, mais je suis tout excité !

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L’épitranscriptome Les bases qui constituent l’ARN peuvent également être modifiées. En réalité, il existe plus de cent types de modifications des bases de l’ARN. La méthylation des bases A semble être l’équivalent le plus proche de la méthylation des bases C de l’ADN : le processus de méthylation est réversible, les cellules souches ont des schémas de méthylation des bases A caractéristiques et le schéma peut changer en réponse à des signaux environnementaux. Jusqu’à présent, il n’y a pas d’équivalent du séquençage au bisulfite pour identifier directement les bases A individuelles méthylées. Cependant, des techniques similaires à celles utilisées pour cartographier les emplacements des modifications d’histones ont rapporté quelques découvertes préliminaires intéressantes pour déterminer quels brins d’ARN tendent à être méthylés.

L’étude de toutes les modifications épigénétiques possibles de tous les brins d’ARN transcrits d’une cellule est appelée épitranscriptomique.

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La méthylation modifie la stabilité de l’ARMm, qui détermine à son tour l’abondance de la protéine correspondante. La possibilité qu’il y ait d’autres fonctions a été évoquée suite à la découverte du fait que certains miARN et protéines peuvent se lier uniquement à des brins d’ARN méthylés (ou uniquement à des brins d’ARN non méthylés). Il existe une preuve indirecte que la méthylation des bases A de l’ARN joue un rôle dans la détermination des morceaux du brin précurseur d’ARNm qui sont réunis afin de coder la protéine finale ; les autres conséquences de la liaison de l’ARN spécifique à la méthylation ne sont pas encore connues.

J’imagine que ce groupe méthyle me rend plus stable ?

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L’édition épigénétique Les médicaments basés sur l’épigénétique utilisés dans la lutte contre le cancer et d’autres maladies sont des outils encore assez imprécis. Certains peuvent altérer la quantité globale de la méthylation de l’ADN ou de l’acétylation des histones dans la cellule, tandis que d’autres peuvent inhiber les protéines qui régulent épigénétiquement de multiples gènes cibles (cf. p. 144-148). Cependant, la capacité à réguler sélectivement un gène spécifique est hors de portée des produits pharmaceutiques classiques. Une approche alternative qui émerge en ce moment utilise des protéines hybrides conçues génétiquement pour réactiver ou éteindre un gène en particulier. Les hybrides sont conçus en fusionnant une partie d’un facteur de transcription, qui peut se lier à des séquences spécifiques du génome, et une protéine qui peut ajouter ou retirer des modifications de méthylation de l’ADN ou d’histones.

Maintenant, si j’additionne ces deux-là, je devrais obtenir une nouvelle protéine.

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De nouvelles techniques d’édition épigénétique peuvent changer la manière dont le script de notre séquence d’ADN et lu et interprété, avec la capacité d’inverser les patrons de modifications épigénétiques délétères, courants dans les cas de cancer et d’autres maladies. Une nouvelle technique d’édition de séquences d’ADN appelée CRISPR peut être adaptée de manière à éditer les modifications épigénétiques au lieu d’éditer la séquence d’ADN directement. Une partie d’une protéine appelée Cas9 est utilisée à la place du domaine de liaison à l’ADN du facteur de transcription. Cas9 se lie à un brin d’ARN « guide » qui recherche des séquences d’ADN complémentaires ; les scientifiques peuvent insérer n’importe quelle séquence de bases dans ce brin d’ADN. Les protéines régulatrices épigénétiques hybrides qui contiennent des domaines Cas9 peuvent être dirigées ainsi vers n’importe quelle séquence d’ADN d’intérêt, permettant à un gène spécifique d’être activé ou réprimé. L’édition épigénétique n’a été mise en évidence jusqu’à présent que dans des cellules en culture et devra être soumise à des tests de sécurité rigoureux avant de pouvoir être utilisée chez les humains. Si elle s’avère sûre, cette technologie a la capacité de traiter le cancer et d’autres maladies qui impliquent des changements des patrons d’activation des gènes.

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L’épigén-éthique Étudier l’épigénétique suscite des problèmes éthiques relatifs aux possibles atteintes à la vie privée du patient, à la discrimination pour raisons médicales, au respect de la loi, au rôle parental et au risque de transmettre des conséquences d’expériences néfastes aux nouvelles générations. Les chercheurs rendent généralement les résultats de leurs travaux accessibles aux autres chercheurs ; en réalité, on les oblige à le faire. Il y a un risque par conséquent que des individus qui font don de leurs cellules à des fins de recherche puissent être identifiés par leurs données épigénétiques, avec des répercussions sur leur vie privée et (dans certains pays) sur leur assurance maladie. Les deux premières générations de technologies de séquençage d’ADN ne pouvaient lire que de courts segments de gènes. Il était admis généralement que tant que le nom et les détails démographiques du donneur étaient retirés des données de séquençage, les séquences elles-mêmes restaient nécessairement anonymes.

Je parie que vous êtes incapable de dire quel ADN appartient auquel d’entre nous !

Je vois la séquence d’un chromosome Y, donc pour commencer, je dirais qu’il s’agit d’un homme. Et ça n’est qu’un début…

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Avec les progrès technologiques, la masse de données de séquençage générées augmente de manière exponentielle et de plus en plus d’informations peuvent être déduites à partir des séquences. Nous avons appris que certaines séquences d’ADN ne sont toujours trouvées que chez des personnes dont les ancêtres provenaient de zones géographiques spécifiques. Des particuliers peuvent aussi désormais se soumettre à un séquençage d’ADN privé pour en apprendre davantage sur leurs risques de santé ou leur ascendance. Certains clients choisissent d’associer les données de leur séquençage d’ADN avec leur véritable nom de famille et leur arbre généalogique. La convergence de ces données et d’autres types de données a permis à l’informaticien Yaniv Erlich de démontrer en 2013 qu’il est possible de déduire le nom de famille de certains donneurs à partir de parties de leur séquence d’ADN uniquement.

Pour être plus précis, cet ADN appartient à un homme de type européen.

Très bien !

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Il est plus difficile d’identifier des individus à partir de leur épigénome que de leur génome : le séquençage au bisulfite modifie l’identité de certaines bases, tandis que les méthodes de modifications d’histones et de séquençage d’ARN ne captent que de courts fragments du génome. Toutefois, au fur et à mesure que les algorithmes informatiques s’améliorent et du fait que plus de données sont disponibles, il devient possible d’identifier les participants à la recherche épigénétique. Les chercheurs en épigénétique ont besoin d’avoir accès à des métadonnées détaillées. Les patrons de modifications épigénétiques changent avec l’âge et avec certaines maladies ; par conséquent, les chercheurs ont souvent besoin de collecter et de publier l’âge approximatif, l’état de santé et d’autres détails du donneur de manière à donner du sens à leurs données épigénétiques. Rendre disponibles ces métadonnées très personnelles en même temps que les données du séquençage augmente les risques d’atteinte à la vie privée des participants à l’étude.

Ces patrons de modifications épigénétiques sont caractéristiques d’un mâle européen âgé. Nous sommes tous les deux très, très vieux.

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La capacité d’identifier des traces épigénétiques de certaines expositions environnementales pourrait aussi avoir des implications sur la vie privée (cf. p. 167). Il n’est pas encore possible d’étudier un épigénome et d’affirmer que « cette personne consomme trop de graisse saturée » ou que « cette personne prenait de la cocaïne dans le passé », mais cela pourrait être le cas dans le futur. Sans la mise en place de règlementations, les données épigénétiques pourraient alors potentiellement être utilisées à des fins de profilage criminel, ou pour refuser un emploi ou une assurance maladie à quelqu’un. Nous sommes encore aux prises avec des dilemmes éthiques impliqués dans la recherche génétique, sans parler de l’épigénétique. Les scientifiques et les éthiciens continuent d’étudier et de débattre de ces problématiques, qui évoluent parallèlement à notre compréhension de la science.

Ah ! Des patrons de modifications épigénétiques caractéristiques d’un long voyage en mer. C’est l’épigénome de Charles Darwin. Impressionnant ! Je me réjouis de n’avoir commis aucun crime avec l’existence de toutes ces nouvelles technologies.

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À l’avenir Les scientifiques aiment plaisanter sur le fait que l’épigénétique peut et va tout expliquer. Malheureusement, certaines personnes prennent cette plaisanterie un peu trop au sérieux : le domaine de l’épigénétique dans son ensemble est particulièrement vulnérable à la surinterprétation, au battage médiatique et même aux fausses déclarations délibérées. Par conséquent, les experts comme le public doivent faire preuve de prudence en cas d’allégations sur l’épigénétique.

C’est dur de ne pas s’emporter devant tant de perspectives !

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Toutefois, la plaisanterie selon laquelle l’épigénétique peut tout expliquer n’a pas surgi de nulle part ; l’épigénétique a déjà expliqué énormément de choses, comblant des lacunes dans notre connaissance de la génétique et d’autres domaines scientifiques – du développement embryonnaire à la régulation génétique, l’hérédité, l’évolution et les maladies. Les scientifiques travaillant dans divers domaines, dans des laboratoires de par le monde, ont fait d’incroyables progrès depuis que Conrad Waddington a inventé le premier le terme « épigénétique ». En identifiant et étudiant les changements chimiques qui déterminent comment la séquence d’ADN brute est utilisée pour produire les ARN et les protéines, nous avons acquis une meilleure compréhension de tous les aspects de la biologie – et nous commençons à apprendre comment nous servir de ce savoir pour améliorer la santé humaine.

C’est un domaine avec un potentiel énorme !

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Glossaire Acide aminé : une molécule qui sert de brique de base aux protéines. Il existe 20 à 23 types d’acides aminés selon les espèces. Une partie de la structure moléculaire diffère dans chacun des types d’acides aminés ; cette partie détermine la charge et les propriétés chimiques de la molécule, par exemple si elle est attirée ou repoussée par l’eau. La séquence des acides aminés dans une protéine détermine la forme, la charge, les propriétés chimiques et les fonctions de la protéine. Acide désoxyribonucléique (ADN) : la molécule qui supporte l’information génétique et la transmet d’une génération à la suivante. L’ADN se compose de longues chaînes de molécules appelées nucléotides, dont chacun a une base, une molécule de sucre appelée désoxyribose et un groupe phosphate. Le désoxyribose et les molécules de phosphate sont identiques dans chaque nucléotide, mais il y a quatre bases différentes – l’adénine (A), la cytosine (C), la guanine (G) et la thymine (T). Deux brins d’ADN avec des séquences « complémentaires » s’enroulent l’un autour de l’autre pour former une double hélice, avec les bases s’appariant à l’intérieur, et le sucre et les groupes phosphates à l’extérieur. A s’apparie toujours avec T et C avec G. Acide ribonucléique (ARN) : l’ARN est similaire à l’ADN, excepté que c’est le ribose, au lieu du désoxyribose, qui est le composant sucré de chaque nucléotide ; la base uracile (U) prend la place de la base T ; et il ne peut exister que sous la forme d’un brin unique. L’ARN a de multiples fonctions dans la cellule, des ARN messagers aux ARN régulateurs. ADN répété : de courtes séquences d’ADN qui apparaissent plusieurs fois dans le génome. Certaines répétitions s’agglomèrent, tandis que d’autres sont dispersées dans tout le génome. La majeure partie des ADN répétés est mise sous silence par des mécanismes épigénétiques, mais certains échappent à ces contrôles, parce que leurs fonctions sont utiles à la cellule, par hasard, ou parce qu’ils sont réactivés dans des cellules cancéreuses ou autres cellules anormales. ARN messager (ARNm) : un brin d’ARN qui code pour une protéine. Une coiffe moléculaire et une chaîne de bases A aident la machinerie de transcription à convertir la séquence de codons d’ARNm en la séquence d’acides aminés correspondante. ARN de transfert (ARNt) : impliqué dans la traduction des ARNm en protéines, chaque brin d’ARNt comprend entre 75 et 90 bases et se replie sur lui-même en une structure secondaire en forme de trèfle. Cascade de signalisation : un processus moléculaire par lequel la liaison d’une molécule à la protéine réceptrice correspondante déclenche une série de réactions, qui donnent lieu à un changement des patrons d’activation de gène. Le signal est transmis de protéine en protéine au moyen de modifications moléculaires au niveau de la forme et/ou de la fonction de chaque protéine dans la cascade. Cellule : une entité vivante autonome, qui constitue les humains et d’autres organismes complexes. Il existe de nombreux types différents spécialisés, rassemblés pour former des tissus et des organes. Chaque cellule est entourée d’une membrane qui contrôle quelles molécules peuvent entrer et sortir ; elle renferme des structures particulières, telles que le noyau et les mitochondries (qui produisent l’énergie de la cellule). Cellule souche : une cellule indifférenciée ayant la capacité de produire différents types de cellules différenciées. Les cellules souches les plus polyvalentes (« totipotentes ») existent dans les tout premiers stades de l’embryon et peuvent produire toutes les cellules matures du corps de l’embryon et du placenta ; les cellules souches « pluripotentes » peuvent produire toutes les cellules, à l’exception de celles du placenta ; les cellules souches « multipotentes » peuvent produire un ensemble limité de types cellulaires dans un type de tissu spécifique – par exemple, les multiples types de cellules sanguines. Lorsqu’une cellule souche se divise, elle produit généralement une copie exacte d’ellemême (un processus appelé autoréplication) et une cellule qui se différenciera en une cellule souche moins polyvalente ou une cellule mature. Les cellules souches restent actives tout au long du développement embryonnaire et au cours de nos vies d’adulte. Cellule souche pluripotente induite (cellule SPi) : une cellule souche créée artificiellement en laboratoire à partir d’une cellule mature totalement différenciée. Cellules souches primordiales : les cellules dans l’embryon en développement qui, après la différenciation cellulaire, produisent les ovules ou les spermatozoïdes.

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Chromatine : une combinaison d’ADN et des histones, protéines d’échafaudage, autres protéines et ARN qui s’y lient. Chromosome : les longs brins de chromatine qui constituent un génome. Différentes espèces possèdent des nombres différents de chromosomes. Codon : une séquence de trois bases consécutives dans un brin d’ARNm. Chaque codon définit un seul acide aminé, même si certains acides aminés sont codés par de multiples codons. Différenciation cellulaire : le processus par lequel une cellule souche polyvalente produit les cellules matures spécialisées du corps. Elle se produit au travers de plusieurs cycles de mitose : les cellules deviennent progressivement plus spécialisées à chaque division cellulaire jusqu’à ce qu’elles deviennent pleinement différenciées et ne puissent produire que des copies d’elles-mêmes. Division cellulaire : un processus au cours duquel une cellule se divise en deux. Il est nécessaire de remplacer les cellules mourantes qui sont endommagées, infectées par un virus ou en fin de vie. Une division cellulaire excessive peut engendrer des problèmes, y compris des cancers ; la division cellulaire est donc très soigneusement contrôlée. Empreinte parentale : le phénomène épigénétique par lequel quelques gènes sont transcrits uniquement à partir du chromosome maternel, ou uniquement à partir du chromosome paternel, dans certaines ou dans toutes les cellules. Épigénome : l’ensemble des modifications épigénétiques réunies du génome entier. À la différence du génome, qui est principalement identique dans toutes les cellules de l’organisme, l’épigénome diffère selon le type de cellule, sous différentes conditions. Facteur de transcription (FT) : une protéine qui interagit avec l’ADN et d’autres protéines pour soit activer, soit réprimer la transcription. Certains FT sont nécessaires à la transcription de chaque gène ; d’autres sont produits uniquement dans certains types cellulaires, à des stades spécifiques du développement embryonnaire, ou en réponse à des cascades de signalisation spécifiques. Gène : une portion d’ADN qui code pour un ARN et/ou une protéine spécifique. Les gènes comprennent généralement des promoteurs (régions de régulation), des exons (qui codent pour les acides aminés) et des introns (qui sont épissés de l’ARNm avant que la traduction en protéine ne commence). Parfois, les gènes se superposent, si bien qu’un même morceau d’ADN peut contenir plus d’un gène. Génome : l’ensemble de l’ADN d’une cellule ou d’une espèce donnée. Le génome humain a été séquencé par le Projet génome humain, achevé en 2003. Groupe acétyle : petite molécule de formule chimique COCH3 et de charge négative. Les groupes acétyles peuvent se lier aux histones et à d’autres protéines, modifiant la forme et/ou la charge de la protéine et affectant ainsi ses fonctions. Groupe méthyle : une petite molécule de formule chimique CH3 et de charge neutre, qui peut se fixer sur l’ADN, les histones et d’autres protéines (un processus connu sous le nom de méthylation), qui modifie la forme de la molécule et qui affecte ainsi ses fonctions. La méthylation de l’ADN éteint la transcription de gènes. Héritabilité : désigne dans quelle mesure une variation d’une caractéristique est déterminée par les gènes, généralement exprimée en pourcentage. La plupart des conditions sont sous le contrôle de plus d’un gène et sont affectées par des facteurs environnementaux, d’où un score d’héritabilité inférieur à 100 %. Histone : une classe de protéines qui se lient fortement à l’ADN, qui l’aide à le compacter dans les structures du nucléosome formant l’unité de base de la chromatine. Îlot CpG : un amas de CpG (une base C attenante à une base G, liées par un groupe phosphate, p) proche du site d’initiation de la transcription d’un gène. 70 % des gènes qui possèdent un îlot CpG sont généralement plus actifs que les 30 % qui sont dépourvus de telles structures. Long ARN non codant (ARNnm) : un brin d’ARN long d’au moins 200 bases qui ne code pas pour une protéine. Parmi diverses fonctions, les ARNnm servent de guide pour lier les protéines entre elles et à des emplacements spécifiques dans le génome ; ils déterminent quelles modifications

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épigénétiques doivent être ajoutées à quels morceaux d’ADN ; et ils absorbent les miARN pour les empêcher de se lier aux ARNm. Méiose : la forme spécialisée de division cellulaire qui produit les ovules et les spermatozoïdes. La méiose consiste en une réplication de l’ADN suivie de cycles de division cellulaire, qui produit quatre cellules contenant chacune la moitié du matériel génétique par rapport à la cellule d’origine. La recombinaison génétique entre chromosomes appariés a lieu avant la première division cellulaire, brassant les gènes pour donner à chaque ovule ou spermatozoïde un génome unique. Micro-ARN (miARN) : un brin d’ARN de 19 à 24 bases, qui peut se lier à des séquences complémentaires dans les ARNm et qui empêche la traduction en protéines, soit en bloquant physiquement l’accès à l’ARNm par la machinerie de traduction, soit en déclenchant la destruction du brin d’ARNm. Mitose : type standard de division cellulaire, qui consiste en une réplication d’ADN suivie d’une seule division cellulaire, donnant lieu à deux cellules contenant chacune la même quantité de matériel génétique que la cellule d’origine. Aucune recombinaison génétique n’a lieu. Molécule : une structure chimique distincte formée d’une combinaison d’atomes de même ou de différents types. Noyau : un compartiment à l’intérieur de la plupart des cellules, entouré d’une membrane et contenant les chromosomes de la cellule et certains ARN et protéines. Différentes régions dans le noyau sont spécialisées dans différentes fonctions, telles que la transcription des gènes. Nucléosome : l’unité de base de la chromatine, consistant en de l’ADN enroulé autour de huit protéines histones. Les nucléosomes voisins sont reliés par une séquence d’ADN liée par une seule protéine. Phénotype : les caractéristiques observables d’un organisme, telles que la taille, la couleur des yeux ou des cheveux. C’est le résultat visible de la combinaison de gènes d’un individu (le génotype) et de l’influence environnementale. Protéine : une grande molécule composée d’une chaîne d’acides aminés aux diverses fonctions : certaines sont structurelles, d’autres exécutent et contrôlent des réactions chimiques, d’autres enfin combattent les infections. La forme unique de chaque protéine et ses propriétés chimiques déterminent à quelles molécules elle peut se lier et quelles fonctions elle peut assurer. Protéine réceptrice : une protéine qui se lie spécifiquement à un type (ou une famille) de molécules. Elle change généralement de forme en se liant à cette molécule, déclenchant des changements en aval dans la liaison protéine-protéine et d’autres phénomènes. Il existe des protéines réceptrices pour les molécules extérieures, telles celles absorbées à partir de la nourriture ou de l’environnement, et pour les molécules produites en interne, telles que les hormones. Recombinaison : un processus par lequel, avant la première division cellulaire durant la méiose, les chromosomes provenant de la mère et du père échangent des morceaux d’ADN, engendrant un chromosome hybride qui est transmis à l’ovule ou au spermatozoïde résultant. Reprogrammation épigénétique : la suppression et le rétablissement ultérieur de la méthylation de l’ADN dans les cellules embryonnaires. Elle a lieu d’abord tôt au cours du développement embryonnaire (première semaine) et concerne toutes les cellules ; la seconde reprogrammation se limite aux cellules souches primordiales et a lieu pendant les semaines dix à onze. Traduction : le processus par lequel le code génétique, porté par le brin d’ARNm, est converti en une séquence spécifique d’acides aminés, produisant une protéine. Transcription : la production d’un brin d’ARN complémentaire à partir d’une matrice d’ADN. Variants d’histones : des versions de protéines histones atypiques, qui ont des fonctions spécialisées et qui ne se lient à l’ADN que sous certaines conditions, par exemple lorsque l’ADN a été endommagé et a besoin d’être réparé. Zygote : la cellule unique produite quand un ovule est fécondé en fusionnant avec un spermatozoïde. Le zygote se divise par mitose pour produire un embryon à deux cellules.

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Lectures recommandées Introducing Genetics: A Graphic Guide de Steve Jones et Borin van Loon (Icon Books, 2011) Introducing Evolution: A Graphic Guide de Dylan Evans et Howard Selina (Icon Books, 2001, 2010) The Epigenetics Revolution: How Modern Biology Is Rewriting Our Understanding of Genetics, Disease and Inheritance de Nessa Carey (Icon Books, 2012) Herding Hemingway’s Cats: Understanding How Our Genes Work de Kat Arney (Bloomsbury Sigma, 2016) The Emperor of All Maladies: A Biography of Cancer de Siddhartha Mukherjee (Fourth Estate, 2011)

Sites Internet

https://www.coursera.org/course/epigenetics : cours en ligne. Nécessite une compréhension des notions de base de génétique. http://ihec-epigenomes.org/why-epigenomics : ensemble d’articles et de vidéos pour un public non spécialisé.

Remerciements de l’auteur Un grand merci à Kiera Jamison, Oliver Pugh et tous les collaborateurs d’Icon Books pour cette opportunité et pour avoir fait en sorte que ce livre existe ! Je voudrais remercier aussi Catherine Andersen pour ses excellents conseils (et son vin). Je suis reconnaissant également à David Gillespie et Dixie Mager qui m’ont tant appris sur les recherches et l’écriture, et à Martin Hirst, Marco Marra, Steve Jones, İnanç Birol, Sam Aparicio et David Huntsman, ainsi qu’à Dominik Stoll, Joanne Johnson, Robyn Roscoe et tous les autres membres de l’équipe GSC Projects pour m’avoir donné l’opportunité de travailler sur des projets super cools sur la génétique et l’épigénétique. Je remercie également mes camarades membres du groupe de travail IHEC Communications pour avoir rendu les téléconférences à 5 h 30 amusantes (une fois que le thé fait effet) ; Eva Amsen, Erika Cule, Stephen Curry, Henry Gee, Richard Grant, Bob O’Hara, Frank Norman, Jenny Rohn, Steffi Suhr, Richard Wintle et les autres membres (et amis) du blog collectif Occam’s Corner/Occam’s Typewriter pour leur soutien et leurs conseils d’écriture utiles pendant des années ; de même pour Jane O’Hara, Anne Steinø et Susan Vickers ; de même pour l’équipe de Just Write Vancouver Saturday Morning Meetup. Je tiens à remercier aussi Ann, Tom et Claire Dunn et mon merveilleux mari Mark Ennis et toute sa famille pour leurs années d’amour et de soutien. L’auteure, Cath Ennis a fait de la recherche en génétique, génomique et sur le cancer, et travaille comme auteure subventionnée et cheffe de projet à Vancouver, au Canada. Son site Internet est consultable à www.enniscath.com. L’illustrateur, Oliver Pugh est graphiste et a illustré L’infini en images et La physique des particules en images.

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Lectures recommandées Introducing Genetics: A Graphic Guide de Steve Jones et Borin van Loon (Icon Books, 2011) Introducing Evolution: A Graphic Guide de Dylan Evans et Howard Selina (Icon Books, 2001, 2010) The Epigenetics Revolution: How Modern Biology Is Rewriting Our Understanding of Genetics, Disease and Inheritance de Nessa Carey (Icon Books, 2012) Herding Hemingway’s Cats: Understanding How Our Genes Work de Kat Arney (Bloomsbury Sigma, 2016) The Emperor of All Maladies: A Biography of Cancer de Siddhartha Mukherjee (Fourth Estate, 2011)

Sites Internet

https://www.coursera.org/course/epigenetics : cours en ligne. Nécessite une compréhension des notions de base de génétique. http://ihec-epigenomes.org/why-epigenomics : ensemble d’articles et de vidéos pour un public non spécialisé.

Remerciements de l’auteur Un grand merci à Kiera Jamison, Oliver Pugh et tous les collaborateurs d’Icon Books pour cette opportunité et pour avoir fait en sorte que ce livre existe ! Je voudrais remercier aussi Catherine Andersen pour ses excellents conseils (et son vin). Je suis reconnaissant également à David Gillespie et Dixie Mager qui m’ont tant appris sur les recherches et l’écriture, et à Martin Hirst, Marco Marra, Steve Jones, İnanç Birol, Sam Aparicio et David Huntsman, ainsi qu’à Dominik Stoll, Joanne Johnson, Robyn Roscoe et tous les autres membres de l’équipe GSC Projects pour m’avoir donné l’opportunité de travailler sur des projets super cools sur la génétique et l’épigénétique. Je remercie également mes camarades membres du groupe de travail IHEC Communications pour avoir rendu les téléconférences à 5 h 30 amusantes (une fois que le thé fait effet) ; Eva Amsen, Erika Cule, Stephen Curry, Henry Gee, Richard Grant, Bob O’Hara, Frank Norman, Jenny Rohn, Steffi Suhr, Richard Wintle et les autres membres (et amis) du blog collectif Occam’s Corner/Occam’s Typewriter pour leur soutien et leurs conseils d’écriture utiles pendant des années ; de même pour Jane O’Hara, Anne Steinø et Susan Vickers ; de même pour l’équipe de Just Write Vancouver Saturday Morning Meetup. Je tiens à remercier aussi Ann, Tom et Claire Dunn et mon merveilleux mari Mark Ennis et toute sa famille pour leurs années d’amour et de soutien. L’auteure, Cath Ennis a fait de la recherche en génétique, génomique et sur le cancer, et travaille comme auteure subventionnée et cheffe de projet à Vancouver, au Canada. Son site Internet est consultable à www.enniscath.com. L’illustrateur, Oliver Pugh est graphiste et a illustré L’infini en images et La physique des particules en images.

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