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French Pages 176 [178] Year 2016
Dans la même collection : Stephen Hawking, 2016, ISBN : 978-2-7598-1966-9 L'intelligence artificielle, 2015, ISBN : 978-2-7598-1772-6 Les mathématiques en images, 2015, ISBN : 978-2-7598-1737-5 La génétique en images, 2015, ISBN : 978-2-7598-1767-2 La logique en images, 2015, ISBN : 978-2-7598-1748-1 La relativité en images, 2015, ISBN : 978-2-7598-1728-3 Le temps en images, 2014, ISBN : 978-2-7598-1228-8 La théorie quantique en images, 2014, ISBN : 978-2-7598-1229-5 La physique des particules en images, 2014, ISBN : 978-2-7598-1230-1 La psychologie en images, 2014, ISBN : 978-2-7598-1231-8
Édition originale : Infinity, © Icon Books Lts, London, 2013. Traduction : Alan Rodney - Relecture : Gaëlle Courty Imprimé en France par Présence Graphique, 37260 Monts Mise en page de l’édition française : studiowakeup.com
ISBN : 978-2-7598-1771-9 Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinés à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal. © EDP Sciences, 2016
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Les grands nombres Comme une foule de gens peuvent vous le confirmer, l’infini est un vaste sujet. Il vous entraîne vers l’histoire, la philosophie et le monde réel, mais la meilleure approche, pour débuter, est bien celle des mathématiques. Il est donc raisonnable de l’aborder sans se brusquer, en commençant par les grands nombres. En attribuant un nom à un nombre qui paraît bien long, vous avez l’illusion de le maîtriser – et plus ce nombre est grand, plus votre maîtrise est impressionnante. On en trouve l’écho dans les récits de la jeunesse du premier Bouddha, Siddhârta Gautam. Au cours de sa mise à l’épreuve pour obtenir la main de Gopa, il devait donner les noms de nombres de plus en plus élevés, et totalement dénués de sens. Il a non seulement réussi ce concours, mais a poursuivi l’exercice avec des nombres encore plus grands.
100 000 000 000 000 000 ? Facile, c’est achobya (que nous écririons 10 17).
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Vous avez dit « Googolé » ? Il est bien joli de pouvoir donner des noms à des nombres que nous rencontrons tous les jours, mais combien d’entre nous utiliserons un jour ce nombre ?
10 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 Il se trouve que ce nombre énorme porte un nom, googol, ayant posé problème à l’infortuné ex-major Charles Ingram, qui était parvenu à la dernière question du show télévisuel britannique Who Wants to be a Millionaire ? (« Qui veut gagner des millions ? »). La question était la suivante : « Quel est le nom attribué au nombre 1 suivi de 100 zéros ? Un « googol », un « mégatron », un « gigabit » ou un « nanomol » ? Ingram, réfléchissant à haute voix, a manifesté une préférence pour « nanomol », jusqu’à ce qu’un toussotement audible parmi les spectateurs sur le plateau l’oriente « discrètement » vers la bonne réponse : googol. À vrai dire, qui pourrait le blâmer ? « Googol » sonne comme un mot enfantin.
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Googol est enfantin – et ce, à juste titre. En 1938, le mathématicien américain Ed Kasner était chez lui en train de faire des opérations avec des nombres sur son tableau noir. Son neveu Milton Sirrota, qui avait 9 ans à l’époque, lui avait rendu visite. Apercevant le plus grand des nombres inscrits, il se serait exclamé : « On dirait un googol ! » L’histoire n’est pas pour autant très convaincante. Il n’y avait aucune raison pour que Kasner ait pris la peine d’écrire un tel nombre sur son tableau noir.
Et vous, quel nom donneriez-vous à un très, très grand nombre (disons 1 suivi de 100 zéros) ?
Un googol !
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Des symboles hérités de l’Inde Pour utiliser un nombre quelconque, nous avons besoin de symboles qui représentent des valeurs numériques. Ceux équivalents de nos mots « un », « deux », « trois » et ainsi de suite (1, 2, 3…) sont arrivés en Occident depuis l’Inde en passant par le monde arabe. Les plus anciens signes primitifs connus du système moderne ont été trouvés dans des cavernes et gravés sur des pièces autour de la ville de Mumbai remontant au Ier siècle de notre ère. Les nombres 1 à 3 se composaient de un, deux ou trois traits, comme pour les chiffres en latin mais à l’horizontal, bien qu’avec un peu d’imagination on retrouve les mêmes traits dans les nombres de notre écriture moderne. Les marques pour 4 et 9 sont des ancêtres assez proches des symboles que nous utilisons aujourd’hui.
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Les symboles indiens ont été introduits et adoptés par le monde arabe, puis ont gagné l’Occident au xiiie siècle grâce à deux manuscrits, l’un écrit par un philosophe à Bagdad et l’autre par un voyageur venant de Pise. Le premier texte, dont l’original en arabe a été perdu, a été écrit par Al-Khwarizmi (env. 780–850 de notre ère) au ixe siècle. La traduction en latin de ce texte, Algoritmi de numero Indorum, a été réalisée environ trois siècles plus tard, mais on estime qu’il a été considérablement modifié au passage. La version du patronyme Al-Khwarizmi apparaissant dans le titre de l’ouvrage est ordinairement considéré comme étant à l’origine du mot « algorithme », quoique parfois associé aussi au mot grec pour désigner les nombres, à savoir arithmos.
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Le livre des calculs Le voyageur de Pise s’appelait Leonardo Fibonacci (env. 1170–1250). (Son père, un diplomate de Pise, était Guglielmo Bonacci et « Fibonacci » est la contraction de filius Bonacci (« fils de Bonacci »).) Il a voyagé beaucoup en Afrique du Nord et il est devenu le plus éminent des mathématiciens de son époque. Son nom, d’ailleurs, est inévitablement lié à la suite de Fibonacci (cf. p. 15) qui l’a rendu célèbre mais qu’il n’avait pas découvert personnellement en réalité. Bien que Numero Indorum ait été traduit en latin, un peu avant que le livre de Fibonacci Liber abaci (« Le livre du calcul ») ne soit publié en 1202, il semblerait que le Liber abaci ait eu une influence déterminante pour l’introduction du système indien en Occident.
Au cours de mes voyages, j’ai été initié à l’art des neuf symboles indiens.
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0, un outil puissant Les symboles que nous employons pour les nombres sont arbitraires. ¶, ß, √, π, л feraient aussi bien l’affaire que 1, 2, 3, 4, 5. Toutefois, les nouveaux nombres indiens ont apporté avec eux un outil des plus puissants. Les systèmes de comptage antérieurs, utilisés par les Babyloniens jusqu’aux Romains, se basaient sur des encoches (dans des plateaux de glaise), des marques séquentielles qui servaient à compter des objets. Nous sommes plus familiarisés avec les chiffres romains – où nous voyons bien la séquence de gravure dans I, II, III, IV, V – où le V est effectivement un IIII barré et le IV est un V moins I. Mais le problème avec le système romain était qu’il n’y avait pas de procédure évidente pour additionner, par exemple, XIV à XXI.
Le nouveau système, utilisant des colonnes avec le symbole 0 pour signifier une case vide, a transformé l’arithmétique.
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Archimède : L’Arénaire Quels que soient les symboles utilisés, les grands nombres gardaient tout leur attrait. Dans un traité intitulé Le compteur de sable (L’Arénaire, Ψάμμιτης), le philosophe grec Archimède (env. 287–212 avant J.-C.) démontrait au roi tyran Gélon de Syracuse qu’il était en mesure de calculer le nombre de grains de sable nécessaires pour remplir l’Univers. En réalité, nous savons peu de chose au sujet d’Archimède, mais il nous reste un certain nombre de ses écrits, qui le révèlent excellent mathématicien et ingénieur très pragmatique. On dit de lui qu’il a conçu des machines de guerre pour défendre Syracuse, depuis des « grues arrache-mâts » aux très grands miroirs métalliques qui permettaient de focaliser les rayons du Soleil sur des navires ennemis, en y mettant le feu.
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À la différence des autres livres d’Archimède, L’Arénaire n’était pas d’un genre très pratique. Mais derrière l’amusement de l’exercice se cachait un élément sérieux. Ce qu’Archimède prévoyait de faire était de démontrer que le système de numérotation grec, qui culminait à une myriade de myriades (104 × 104 = 108 soit 100 millions) et où la myriade (μυριάς) valait dix mille (104), pouvait être étendu sans limite. D’abord, il avait estimé le rayon de l’Univers à environ 1 800 millions de kilomètres (soit un peu au-delà de l’orbite de Saturne).
« Univers » est le terme donné par la plupart des astronomes à la sphère dont le centre coïncide avec le centre de la Terre.
Archimède a ensuite estimé combien de grains de sable seraient nécessaires pour prendre la place d’un bourgeon de coquelicot, puis combien de bourgeons pour remplir une sphère de la largeur d’un doigt, et ainsi de suite jusqu’à atteindre la taille de son « univers », en utilisant son nouveau système de comptage. Son compte final suggérait que l’Univers pouvait contenir 1051 grains de sable (1 suivi de 51 zéros). 11
Archimède mentionnait aussi une œuvre du philosophe Aristarque (qui a été perdue malheureusement) proposant un modèle héliocentrique, avec le Soleil au centre de l’Univers, plutôt que géocentrique, avec la Terre au centre de l’Univers. Archimède avait estimé aussi la taille de cet Univers, significativement plus grande que dans le modèle traditionnel. Dans l’Univers d’Aristarque, il aurait fallu quelque 1063 grains pour le remplir.
Certains, comme le roi Gélon, pensent que le nombre de grains nécessaire est infini…
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La poésie de l’infini Le poète John Donne (1572–1631) a rendu hommage à l’exploit d’Archimède en déclarant : « Des hommes ont calculé combien de grains de sable suffiraient à remplir l’immense vide entre la Terre et le Firmament. » Donne s’est même servi de ce nombre énorme pour souligner combien il était négligeable comparé à la nature sans limite de l’infini et de l’éternité.
Mais si le nombre que représentent tous ces grains était multiplié par lui-même, le résultat serait encore très éloigné d’une seule minute de cette éternité…
L’Arénaire a peut-être servi d’inspiration aux premiers vers du poème « Augures d’innocence » de William Blake (1757–1827) : « Apercevoir un monde dans un grain de sable / Et le ciel dans une fleur sauvage, / Tenir l’infini dans le creux de la main / Et l’éternité dans une heure. » 13
Les suites de nombres Dans la pratique, Archimède n’a utilisé qu’une toute petite fraction de son système, mais les Grecs étaient aussi familiers des suites de nombres qui se prolongent à l’infini. Les suites font partie de toute culture. La plupart des enfants peuvent réciter des comptines (« Un, deux, trois, nous irons au bois… ») pour se rappeler de l’ordre de la suite des nombres à compter. Une fois que les enfants ont compris la structure de base des nombres et comment la suite des entiers* fonctionne, ils se mettent souvent à compter de plus en plus loin, interminablement. Mais au fait, où s’arrêtent les nombres ? Les enfants semblent chercher le plus grand nombre possible, mais n’y arrivent pas, fatalement. Ils pourraient compter à haute voix pour le restant de leurs jours et il y aura toujours autant de nombres devant que ceux déjà récités depuis le point de départ. Alors, imaginons qu’il existe un plus grand nombre, que l’on appellera max. Qu’est-ce qui nous empêche de poursuivre en faisant l’addition max + 1, max + 2 ? Le bal continuera à tout jamais.
* Les termes signalés par un astérisque sont expliqués dans le glossaire p. 172.
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Évidemment, les nombres à compter ne fournissent pas seulement la simple suite de nombres que la plupart d’entre nous reconnaîtrions. Par exemple, vous pouvez créer une suite en doublant la valeur du nombre précédent :
Ou des suites de nombres croissants en alternant deux pas en avant, un pas en arrière :
Puis, il y a la suite de Fibonacci et d’autres qui reposent sur l’addition des nombres précédents :
Ou des suites qui impliquent des multiplications :
Et nul besoin de s’en tenir aux nombres entiers. Bien avant même l’époque des Grecs anciens, nous connaissions l’existence des suites de fractions, comme par exemple :
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D’étranges suites À première vue, des séquences qui s’étirent à l’infini paraissent anodines, mais on se rend compte assez rapidement que certaines sont bien étranges. Dans une série*, nous pouvons additionner les nombres au fur et à mesure pour obtenir une somme. Avec une série très simple, qui alterne 1 et –1, on obtient :
Ce qui, avouons-le, n’est pas d’un niveau scientifique transcendant. La somme totale est de 0, chaque 1 étant annulé par un –1 :
Mais est-ce si évident que ça ? Car si l’on déplace d’un cran les parenthèses, on obtient une série avec des 1 qui s’annulent, sauf le premier, et donc la somme vaut 1 :
La même série peut se terminer par 0 et par 1. Pour reformuler la situation, on pourrait dire : « Si vous allumez et éteignez une ampoule un nombre infini de fois, pouvez-vous savoir si, à la fin, la lampe est allumée ou éteinte ? » La réponse peut être soit l’un soit l’autre. C’est une réponse de mathématicien – le physicien vous dira que l’ampoule sera certainement éteinte dans la mesure où elle aura grillé.
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Prenons un autre exemple simple de suite où chaque nombre est la moitié de celui qui le précède :
Il semble, au fur et à mesure que nous ajoutons élément après élément…
… que la somme s’approche de plus en plus de la valeur 2 :
… bien que dans la pratique, on notera toujours un petit écart, quelle que soit la longueur de la suite :
Nous pourrions dire que la suite tend vers 2 si nous y introduisons un nombre infini d’éléments – mais qu’est-ce que cela signifie précisément ? Et comment une suite infinie de choses pourrait-elle s’additionner pour aboutir à une quantité finie ? 17
La machine infinie En 1949, le mathématicien et physicien allemand Hermann Weyl (1855–1955), contemporain d’Einstein, a imaginé une « machine infinie », inspirée de cette suite des fractions. La machine aurait été programmée de manière à effectuer la première addition en 1 seconde (à titre d’exemple), la deuxième addition en ½ seconde, la troisième en ¼ de seconde, et ainsi de suite. En principe, la machine exécuterait une infinité de pas en un temps fini. Mais, dans la pratique, deux difficultés se présentent.
… et d’autre part, comment un laps de temps donné peutil être subdivisé un nombre infini de fois ?
D’une part, comment réaliser quelque chose de physique en un temps qui devient de plus en plus court…
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Les paradoxes de Zénon La suite 1 + 1/2 + 1/4 + 1/8 + 1/16… a servi à énoncer l’un des fameux paradoxes du philosophe grec Zénon d’Élée (env. 490–430 avant J.-C.), de l’école de Parménide qui considérait la réalité comme immuable et tenait le mouvement pour une illusion. Zénon a formulé nombre d’exemples distrayants afin d’illustrer la nature faillible de notre attitude face aux changements et au mouvement. Le plus connu de ces exemples est probablement celui de la flèche qui nous invite à imaginer deux flèches. L’une flotte immobile dans l’espace ; l’autre vole à toute vitesse. Nous devons les attraper toutes deux en un rien de temps.
Comment sommesnous supposés les distinguer ?
Comment une flèche peut-elle bouger dans la fraction de seconde suivante, tandis que l’autre ne bouge pas ?
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Achille et la tortue Mais le paradoxe qui reprend à son compte la suite 1 + ½, etc., est celui de la course d’Achille et la tortue, un couple de concurrents assez invraisemblable. Achille, du haut de son statut de héros, accorde une avance à la tortue. La course est lancée. En un temps très court, Achille a rattrapé la position de la tortue. Mais dans le même temps, la tortue a avancé. En un laps de temps encore plus court, Achille parvient à la nouvelle position de la tortue qui, elle, a avancé encore.
Peu importe le nombre de fois que vous répétez la séquence – une infinité de laps de temps si cela vous chante – Achille ne rattrape jamais la tortue.
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Il est facile de distinguer le lien entre ce paradoxe et la suite des nombres fractionnaires si Achille avance deux fois plus vite que la tortue (ce qui est possible s’il a endommagé son tendon d’Achille ou si la tortue a pris des stéroïdes). Dans le temps où Achille couvre la première distance jusqu’au point de départ de la tortue, celle-là avance de la moitié de son avance initiale. Et, alors qu’Achille la rattrape, la tortue avance encore, d’un quart de sa distance initiale. En un nombre infini de déplacements, les deux concurrents n’auront couru que deux fois la distance originale (et c’est là que se trouve la faille du paradoxe, dès lors que Achille franchit la distance de l’avance qu’il avait accordée à la tortue). Mathématiquement, la suite infinie s’écrit 1 + ½ + ¼… = 2.
Et tu te prends pour un héros ? 21
Apeiron Il y a quelque chose de perturbant à la fois dans l’idée même d’infini et dans la façon qui permet à ces suites infinies d’avoir pour résultat une somme finie. Les Grecs étaient mal à l’aise avec le concept de l’infini. Au vie siècle avant J.-C., Anaximandre lui a donné le nom de apeiron (ἄπειρον) qui signifie illimité, indéfini et indéterminé, mais qui doit exister. Il ne peut posséder de qualité déterminée et n’est désigné que négativement. Pour nous, « l’infini » possède une connotation relativement neutre, quoique souvent associé à des événements dramatiques. Pour les Grecs anciens, l’apeiron avait une connotation négative, comme le « chaos » d’aujourd’hui. Dans une culture grecque qui affectionnait la précision, l’apeiron était indéfini et incommensurable.
L’apeiron est sans borne, incontrôlé et dangereux.
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Aristote Aristote est celui qui a abordé l’infini d’une manière jugée satisfaisante par les Grecs et par la plupart des mathématiciens jusqu’au xixe siècle. Né en 384 avant J.-C., à Stagire en Macédoine, Aristote fut admis à l’Académie de Platon. Ce n’était pas seulement une académie, il s’agissait de l’académie, l’originelle, qui se tenait dans le jardin d’un certain Académos. Aristote, représenté ici à la manière traditionnelle des philosophes grecs, a analysé le concept de l’infini. Il a commencé par considérer les visions existantes, proposées par ses contemporains. Les pythagoriciens (adeptes de l’école de Pythagore), par exemple, pensaient que l’infini « était ce qui se trouvait au-delà du ciel », alors que, pour les atomistes, il s’agissait d’un attribut inhérent à toute substance, comme sa couleur, plutôt qu’une entité à part entière.
Il incombe à celui qui se spécialise en physique de s’interroger sur le concept de l’infini et de se demander s’il peut ou non exister et, si c’est le cas, de réfléchir à ce que peut être sa nature.
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Aristote a décidé que l’infini devait exister, car le temps n’avait ni commencement ni fin, tout comme le fait de compter des nombres sans fin. De même, l’Univers pouvait être sans limite. Cependant, l’infini n’avait pas, pensaient les pythagoriciens, d’existence propre, pas plus que les nombres ou les ordres de grandeur. Et pis encore, l’infini pouvait également ne pas exister. L’argumentation d’Aristote est obscure, même si la plus claire de ses idées sur le sujet supposait l’existence d’un objet infini. Ce dernier devrait être sans borne, car dans le cas contraire il serait fini. Pourtant, la définition même d’un objet passe par ses limites – c’est d’ailleurs comme cela que vous le distinguez de toute autre chose. Il s’ensuit qu’un corps infini ne peut pas exister.
Compte tenu de ce qui précède, aucune de ces alternatives ne semble plausible ni possible… Et il y a clairement un sens dans lequel l’infini existe et un autre dans lequel il n’existe pas.
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Alors où se trouve-t-il ?
L’infini potentiel Aristote a décidé que l’infini était un état potentiel. C’est une idée sans doute difficile à saisir, mais Aristote nous a fourni une belle image pour mieux la comprendre. Pensez, disait-il, aux Jeux olympiques. Ils existent – personne ne peut en douter. Maintenant, imaginons un petit homme vert qui vient sur Terre à bord de sa soucoupe volante et dit : « Montrez-moi les Jeux olympiques dont vous parlez. Ça se passe où ? » Eh bien, je ne peux pas vous les montrer (sauf pendant deux semaines, tous les quatre ans). Les JO, comme l’infini, sont potentiels.
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Cerveau gauche / cerveau droit Quand on se remémore la façon de penser des Grecs anciens, il est facile de se méprendre. Là où nos mathématiques passent par des représentations, utilisant des symboles qui remplacent les valeurs, les Grecs avaient adopté une approche plus visuelle – d’où leur enthousiasme pour la géométrie. Les Grecs ont inventé les mathématiques des images.
Des études menées sur le fonctionnement du cerveau ont montré qu’il peut opérer selon deux modes distincts, que l’on associe souvent au cerveau gauche ou droit, car l’un des hémisphères domine l’autre selon la tâche à accomplir. Quand nous sommes confrontés à des problèmes mathématiques, nous activons notre cerveau gauche qui fait appel à de la logique, de la structure, des nombres et de l’analyse. Mais chez les Grecs, l’hémisphère droit était dominant. Leurs mathématiques étaient par conséquent très visuelles. 26
La puissance de l’algèbre Il existe de nombreux problèmes mathématiques que nous aborderions aujourd’hui en utilisant l’algèbre. Certains d’entre nous en avons gardé un souvenir cauchemardesque à l’école, mais pour les fans de maths, il s’agit d’une matière attrayante parce qu’elle représente à la base un puzzle pour chaque exercice à résoudre. La première étape consiste à rendre le problème plus concis. Je pourrais, par exemple, dire que le solde de mon compte à la banque, au bout de un an, est le montant original déposé, plus ce même montant que multiplie le taux annuel d’intérêt. Mais il est bien plus facile (au-delà de la gêne avec les symboles) d’écrire :
N = V × (1 + i) … où N est le nouveau solde, V l’ancien solde et i le taux d’intérêt annuel.
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La puissance de l’algèbre apparaît progressivement quand les problèmes deviennent plus complexes, ou si vous avez une formule pour aborder un problème particulier. Par exemple, quiconque a fait de la physique de base saura que l’énergie cinétique d’un corps en mouvement est donnée par :
où m est la masse de l’objet et v sa vitesse de déplacement, ce qui serait plus difficile à exprimer verbalement. De même, la plupart d’entre nous avons souffert face aux équations du second degré à l’école mais, peut-être, en avons-nous gardé le vague souvenir que les solutions de :
ont toujours la forme :
… même si nous n’avons pas la moindre idée de la raison pour laquelle cela devrait nous interpeller. 28
Et tant mieux, en un sens, si les Grecs ne se sont pas intéressés à l’algèbre, car leurs équations auraient été de vrais cauchemars. Prenons, pour l’illustrer, la simple formule : A + B = C + D. Les Grecs ne possédaient aucun opérateur permettant de conserver la concision de cette formule. Ils auraient dû écrire textuellement toute la phrase. Et pour ne rien arranger, ils ne tenaient pas compte des espaces entre les mots. Leur formule transcrite aurait eu cette allure :
Cependant, ils ne voyaient pas l’énoncé du problème comme nous, car dans leur tradition, ils abordaient bon nombre des défis mathématiques que nous aurions attribués à de l’algèbre d’un point de vue exclusivement visuel. 29
La pensée visuelle Une complication supplémentaire provenait du fait que les Grecs ne connaissaient pas les fractions. Ainsi, au lieu de « la moitié de », ils disaient « la seconde partie de ». C’est de la pensée visuelle. Au lieu de considérer qu’un objet avait une taille moitié plus petite qu’un autre, ils préféraient penser à une forme géométrique qui pouvait être insérée deux fois dans une autre forme. Les parties étaient définies par un nombre symbolique avec un trait au-dessus – des lettres représentaient des nombres ; ainsi, gamma (γ) représentait le 3, tandis que la « troisième partie » était le gamma avec un trait au-dessus. De manière ambiguë, bêta (ß) avec un trait représentait 2/3 et il existait même un symbole particulier pour « la seconde partie ».
L’absence de fractions rendait les opérations arithmétiques plutôt fastidieuses – il fallait consulter un livre de tables pour faire des additions de parties. 30
Cette approche visuelle des problèmes mathématiques qu’affectionnaient les Grecs anciens pouvait s’avérer très enrichissante. La découverte du fait que la suite 1 + ½ + ¼… tende vers 2 est totalement perturbante quand on pense que la somme d’une suite de termes infinie aboutit à une valeur finie. Cela ne semble pas juste qu’un ensemble infini de choses, quelles qu’elles soient, atteigne tout juste la valeur 2. En revanche, si vous visualisez la suite, cela devient raisonnable.
On démarre avec une forme rectangulaire placée dans une boîte vide, dans laquelle on ajoute la seconde partie (soit la moitié en largeur), puis la quatrième partie (le 1/4), puis la huitième (1/8), puis la seizième (1/16), et ainsi de suite. D’un point de vue visuel, il est évident que vous ne remplirez jamais la boîte sans y déposer un nombre infini de parties.
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La perfection selon Pythagore Toutefois, il existait quelques fractions dérivées de l’approche visuelle qui, pour les Grecs, étaient toutes sauf naturelles. Et pas de meilleur exemple que l’histoire des pythagoriciens et de la diagonale d’un carré. Pythagore, un autre mathématicien grec né en 569 avant J.-C., avait une école qui ne se contentait pas d’étudier les nombres mais établissait un lien entre les entiers et la création. Les pythagoriciens croyaient que les entiers et ratios d’entiers étaient à la base de la construction de l’Univers. Chaque numéro de 1 à 10 était censé contenir un symbolisme essentiel.
1 est l’esprit unique. 2 est l’opinion, ce qui implique d’engager la conversation. 3 est l’intégralité (ce qui nécessite un début, un milieu et une fin). Et ainsi de suite.
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Le 10 était un nombre très spécial pour les Grecs, celui de la perfection. 10 est aussi la somme des quatre premiers nombres (1 à 4), mais si l’on pense visuellement comme les Grecs, quand des objets étaient disposés dans la série 1–4 les uns au-dessus des autres, ils formaient un triangle parfait, la plus simple des formes.
Les pythagoriciens étaient si convaincus que le 10 était la clef de la création qu’ils insistaient sur l’existence d’un dixième corps céleste, une anti-Terre cachée en permanence derrière le Soleil. Les nombres impairs étaient masculins, les pairs féminins. Et en tant que pythagoriciens, ils s’intéressaient de près à des sujets comme, par exemple, la diagonale du carré.
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Les diagonales d’un carré Restons simples et prenons un carré d’arête unité (les quatre côtés sont chacun de longueur unité). Quelle est la longueur d’une diagonale de ce carré ? Nous savons, en appliquant le théorème de Pythagore, qu’il nous suffit d’additionner les carrés des longueurs de deux des arêtes, puis de prendre la racine carrée de cette somme. Pour notre carré, nous obtenons — (1 × 1) + (1 × 1), c’est-à-dire 2. La réponse est donc √ 2 – c’est-à-dire le nombre qui multiplié par lui-même donne 2.
Évidemment, la valeur recherchée est plus grande que 1 et plus petite que 2. De plus, il s’agit d’un rapport entre deux nombres… Mais quel rapport ?
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Pour déterminer la longueur de cette diagonale, les pythagoriciens — cherchaient un rapport entre deux nombres, a et b, tels que a/b = √ 2. En faisant appel à de la logique de base, qui n’exige qu’une connaissance des nombres pairs et impairs, il est possible de démontrer que la racine carrée de 2 n’est pas n’importe quel rapport de deux nombres entiers. L’argument est le suivant. — Imaginons qu’il existe un rapport a/b = √ 2 et que, de plus, ce soit le rapport le plus simple, de sorte que a et b soient les entiers les plus petits possibles. Si l’on élève les termes à la puissance 2, on obtient la formule équivalente a2 = 2 × b2.
Dans la mesure où 2 fois n’importe quelle valeur donne un terme pair, il s’ensuit que a2 doit être pair et a aussi (puisque impair × impair = impair).
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La noyade par les nombres Si a est pair, il peut être divisé par 2. Donc a2 peut être divisé par 4. Mais a2 = 2 × b2, par conséquent, b2 peut également être divisé par 2. Il s’ensuit que b2 (ainsi que b) est pair. Donc a et b sont tous deux pairs et divisibles par 2. Cette affirmation s’oppose à celle initiale, supposant que a et b sont — les plus petits possibles. Vous ne pouvez donc avoir un rapport a/b = √ 2. La racine carrée de 2 est dite irrationnelle* : elle ne peut être obtenue par un rapport entre deux entiers. Selon la légende, les pythagorociens étaient si horrifiés par cette découverte que quand l’un des leurs, Hippase de Métaponte, a ébruité ce qui devait rester un secret, on l’a retrouvé mort noyé en mer (suicide ou meurtre, la question subsiste).
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Historiquement parlant, cette affaire paraît peu vraisemblable. Nous devons garder à l’esprit que les Grecs n’avaient pas la même conception des fractions que nous. Leurs travaux mathématiques étaient géométriques, traités à l’aide de diagrammes et non de formules. Les Grecs comprenaient que la longueur de la diagonale d’un carré d’arête unité était quelque chose compris entre 1 et 2 qui ne pouvait pas être le résultat d’un rapport entre deux des côtés d’un objet.
Pour nous, il s’agit tout simplement d’une valeur incommensurable.
Dans la pratique, la philosophie pythagoricienne de la perfection des nombres était totalement distincte de celle de la géométrie, qui n’était pas reliée directement aux nombres.
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La quadrature du cercle En réalité, la diagonale d’un carré de côté unité est un nombre irrationnel relativement abordable. Nous pouvons facilement écrire la formule qui la définit. Mais les Grecs étaient conscients également qu’il existait des nombres irrationnels moins dociles. L’exemple qui nous vient immédiatement à l’esprit est le rapport entre la circonférence d’un cercle et son diamètre. La résolution de ce problème fascinait les Grecs, comme celui associé du calcul de la taille du carré ayant la même aire qu’un cercle.
Quel tetragonidzein
La fascination de la « quadrature du cercle » était telle que les Grecs donnaient un nom à ceux qui y passaient tout leur temps – τετραγονιδζειν (tetragonidzein).
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Le pi transcendantal Nous savons aujourd’hui où réside le problème de la quadrature du cercle. Le nombre irrationnel au cœur de tout problème de cercle est pi (π) – 3,141 59… À la différence de la racine carrée de 2, pi est un nombre qui n’a pas de rapport simple avec les entiers. Il nous est impossible d’écrire une équation finie pour calculer pi. Pi est le plus connu des nombres transcendantaux*. Et tout comme un nombre irrationnel n’a rien à voir avec un manque d’explication d’ordre rationnel, un nombre transcendantal n’appelle pas forcément à des séances de méditation ou d’envols oniriques de yoga. Le terme signifie tout simplement qu’un nombre transcende – c’est-à-dire qu’il se trouve hors de portée de – nos outils de calcul avec une équation comportant un nombre fini de termes.
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L’infinité de pi Pi renferme une sorte d’infinité. Il vous faudrait écrire un nombre décimal infiniment long pour saisir sa valeur avec précision. Il a été calculé aujourd’hui à des millions de chiffres après la virgule. Pour tous ceux qui aiment se vanter de leur habileté à manier les nombres, il existe pléthore de rimes où la longueur des mots indique la suite des chiffres de pi. Un exemple : Que j’aime à faire apprendre un nombre utile aux sages… 3, 1 4 1 5 9 2 6 5 3 5…
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Cela ne signifie pas qu’il est impossible de calculer π par le biais d’une formule – de telles méthodes sont disponibles depuis le xvie siècle. — Mais, à la différence de √ 2, la formule pour π (et pour d’autres nombres transcendantaux) dépend de la somme de suites infinies, plutôt qu’une équation finie que l’on peut établir et écrire de manière exhaustive. Si vous prenez le temps qu’il faut et si vous déployez suffisamment d’efforts en calcul, vous pourrez vous approcher autant que vous le souhaitez de la valeur absolue de π, mais sans jamais pouvoir l’atteindre. La première formule, toute simple, due à John Wallis, un contemporain de Newton, s’écrivait ainsi : π/2 = 2/1 × 2/3 × 4/3 × 4/5 × 6/5… La formule en elle-même est simple, mais elle ne peut être écrite de manière exhaustive.
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Oméga Bien que les nombres transcendantaux soient souvent parmi les plus intraitables, certains d’entre eux sont encore moins calculables. Parmi eux, le plus connu est l’« oméga » (Ω) que nous devons au mathématicien et informaticien argentino-américain Greg Chaitin (né en 1947), spécialiste de l’algorithmique. Oméga est « inconnaissable ». Si vous réfléchissez à d’autres nombres qui seraient produits par des logiciels informatiques, alors même pi peut être généré moyennant la mise en œuvre d’un programme spécifique mais relativement court (il faudrait seulement le faire tourner jusqu’à la fin des temps pour atteindre une valeur exacte). Mais Oméga ne peut être produit par aucun programme, quel qu’il soit. Il s’agit d’une suite de chiffres sans structure, ni schéma de construction. L’unique manière de le générer consiste à l’écrire, chiffre après chiffre.
Si je pouvais vous dire comment calculer ce nombre, ce ne serait pas Oméga.
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Pas vraiment des nombres ? Au Moyen Âge, les savants admettaient difficilement que des nombres — irrationnels tels que √ 2 devaient exister, mais les mathématiciens les évitaient autant que possible. Un grand mathématicien allemand du xvie siècle, Michael Stifel (env. 1486–1567), l’un des inventeurs des logarithmes, qui a introduit certains de nos symboles les plus connus, comme le signe + — et (ironiquement) √ , a reconnu l’importance des nombres irrationnels, peinant cependant à expliquer que ce n’était pas vraiment des nombres. Il ne s’agissait pas de valeurs avec lesquelles on pouvait travailler de manière normale, mais plutôt des entités « cachées dans une sorte de nuage de l’infini ».
Notre constat est que ces nombres nous fuient sans arrêt, de sorte qu’aucun d’eux ne peut être saisi précisément.
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Dieu et l’infini Pour les philosophes chrétiens qui ont succédé aux Grecs, l’infini était un sujet de réflexion qu’il convenait de laisser à Dieu. L’évêque et philosophe Augustin d’Hippone (354–430) était clairement d’avis que les nombres n’avaient pas de fin, mais devaient atteindre l’infini. Certaines personnes, suggérait-il, pensent que la connaissance ne peut englober l’infini, même s’il s’agit des connaissances de Dieu. Selon Augustin, bien qu’il soit impossible pour nous de « dénombrer l’infini », l’idée même de limiter Dieu, créateur du concept d’infini, était ridicule. En réalité, et d’après Augustin, les temps avant que Dieu ne crée l’Univers étaient infinis, une éternité en somme, face auxquels notre Univers a eu une existence la plus courte imaginable.
L’infinité des nombres, bien qu’il n’existe aucun dénombrement pour les nombres infinis, n’est cependant pas incompréhensible pour celui qui possède une compréhension infinie.
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Plus tard, certains théologiens, dont le moine italien Thomas d’Aquin (1225–1274), seront en désaccord avec Augustin d’Hippone. Sous l’influence des philosophes arabes et des travaux redécouverts d’Aristote, Thomas d’Aquin défendra l’idée qui si Dieu possédait des pouvoirs illimités, cela n’impliquait pas nécessairement qu’Il pouvait réaliser l’impossible. Il ne pouvait ni résoudre la quadrature du cercle ni rendre visible un objet invisible. Selon Thomas d’Aquin, Dieu était confronté aux mêmes problèmes que nous vis-à-vis de l’infini. Cela ne signifiait pas qu’il Lui était impossible de faire quelque chose de significatif si telle était Sa décision, mais réaliser quelque chose d’infini, voire même simplement l’envisager, n’était pas à Sa portée, car l’infini n’avait aucune réalité en tant que concept.
Bien que les pouvoirs de Dieu soient sans borne, Il ne peut pour autant faire quelque chose qui est absolument illimité, pas plus qu’Il ne peut faire quelque chose qui n’existe pas.
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Les liens de Dieu avec l’infini se retrouvent fréquemment dans divers textes religieux. Par exemple, dans le texte sacré hindou la Bhagavad-Gîtâ, nous pouvons lire : « Ô Krishna, seigneur de l’Univers, je Te vois partout, infini… » Et dans la religion juive, qui a donné naissance aux traditions chrétiennes et musulmanes, il y a des références spécifiques à l’infini dans la tradition mystique de la Kabbale (de l’hébreu הלבקQabbala, « réception »). La Kabbale est largement basée sur des nombres. Au cœur de la Kabbale, il existe dix propriétés intrinsèques, appelées sefirot (les dix forces de la volonté supérieure).
Ces composants sont tous considérés comme subsidiaires par rapport à la divinité – et ce lien porte le nom de ein Sof – c’est-à-dire l’infini.
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La perspective humaine Pour des philosophes plus récents, il était jugé plus important de considérer la place de l’Homme dans l’infini plutôt que s’attarder sur les facultés de Dieu. Le philosophe écossais David Hume (1711–1776) a décidé pour sa part que les êtres humains étaient non seulement dans l’incapacité de concevoir l’infini (puisque nos esprits sont finis), mais aussi que l’infini (et en particulier l’infinitésimalement petit) ne pouvait avoir d’existence. Hume a démontré cette incapacité à réduire infiniment un objet en observant une tache d’encre à une distance où elle est tout juste perceptible.
Si vous divisez alors la tache en deux, les deux parties disparaissent de la vue.
Cela démontre que l’image au loin est devenue « inextensible ».
Les taches d’encre, croyait-il, avaient atteint les limites de la divisibilité. 47
L’argument était faussé, car on ne peut assimiler la capacité des sens à la réalité. Le mathématicien allemand David Hilbert (1862–1943) a suggéré que les processus de la pensée ne peuvent être séparés de la réalité. C’est le cas, a-t-il supposé, quand nous abordons l’infini ; en réalité, nous sommes simplement en train de penser à quelque chose de très, très grand.
Quand nous pensons avoir rencontré l’infini, au sens propre, nous avons seulement été séduits en réalité par le fait qu’il nous arrive d’avoir affaire à des dimensions extrêmement grandes ou, a contrario, extrêmement petites.
Tout le monde n’approuve pas. Shaughan Lavine (né en 1953), professeur agrégé de philosophie à l’université d’Arizona, à Tucson, nous indique une manière on ne peut plus simple pour contempler l’infini. Tant que vous êtes en mesure de saisir le sens de « fini » et le sens de « non », dit-il, vous pourrez avoir une image simpliste de l’infini.
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« Seulement une façon de parler » Cela dit, certains mathématiciens sérieux n’ont jamais accepté la réalité de l’infini, même en tant que concept mathématique. Le grand mathématicien allemand Johann Carl Friedrich Gauss (1777–1855) était convaincu que l’infini était une illusion, comme l’extrémité d’un arc-en-ciel que l’on ne peut jamais atteindre, même si nous nous dirigeons vers elle. « L’infini, disait Gauss, est seulement une façon de parler, où nous parlons justement de limites que certains ratio peuvent approcher autant que voulu, tandis que d’autres peuvent augmenter sans borne. »
Je m’insurge quand on se sert d’une quantité infinie comme d’une entité réelle ; cela n’a jamais été admis en mathématiques.
Et pourtant, bien avant l’époque de Gauss, un homme a osé affronter, à bras le corps, la possibilité d’un infini réel. 49
Galilée Dès lors qu’il s’agissait d’aborder mathématiquement l’infini, le point de vue grec fut transmis sans modification substantielle jusqu’à la Renaissance. La première pensée novatrice est due à ce remarquable ennemi du statu quo, Galilée, de son vrai nom Galileo Galilei (1564–1642).
On se souvient de Galilée, d’une part, pour avoir lâché des boulets de canon depuis le haut de la tour de Pise (chose qu’il n’a probablement jamais fait – ce fut seulement rapporté par l’un de ses assistants des années plus tard) et, d’autre part, pour avoir été emprisonné en raison de ses affirmations sur le fait que la Terre tournait autour du Soleil. Mais il a aussi entrepris une analyse remarquable au sujet de l’infini.
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Cette réflexion infinie de Galilée a eu lieu après son procès. Jusque-là, il avait mené une carrière brillante. Et bien qu’il n’ait pas – comme on l’entend parfois – inventé le télescope, il avait entendu parler de son développement aux Pays-Bas. Lorsqu’un lunettier hollandais est passé par Venise pour épater ses interlocuteurs avec sa trouvaille, j’ai fait en sorte qu’un ami le retarde, le temps que je puisse moi-même construire rapidement un télescope.
Il avait un travail bien rémunéré et aurait connu un immense succès s’il n’avait pas écrit son livre défendant la vision héliocentrique de l’Univers de Copernic. Sa manière de présenter le cas fut jugée hérétique et blasphématoire par la hiérarchie de la Sainte Église. Le Saint-Office lui a ainsi intenté un procès et Galilée fut condamné à perpétuité. 51
Pendant son assignation à résidence après sa condamnation, Galilée a écrit son chef d’œuvre Discourses and Mathematical Demonstrations Concerning Two New Sciences (Discours et démonstrations mathématiques relatives à deux nouvelles sciences).
J’avais énormément de mal à faire publier mon livre – l’Inquisition (le Saint-Office) n’y était pas trop favorable suite au retentissement de mon premier ouvrage.
Mais à ma grande surprise, c’est finalement la maison d’édition hollandaise Elsevier qui a accepté de l’imprimer.
Ce livre (tout comme son œuvre presque fatale sur l’orbite héliocentrique de la Terre) a pris la forme d’une conversation (en quatre dialogues) entre plusieurs personnages. Après s’être interrogé sur ce qui fait que la matière tient, les personnages ont dérivé, juste pour le plaisir, sur la nature de l’infini. 52
L’infini sur des roues La démonstration la plus saisissante des idées de Galilée sur l’infini fait appel à des roues. Il a d’abord imaginé une paire de roues, l’une collée à l’autre, et posée sur des rails. Admettons que les roues aient une forme hexagonale. Nous les faisons tourner de sorte qu’elles passent d’une face sur l’autre le long des rails. La grande roue aura avancé de la longueur de cette face.
La plus petite roue doit aussi parcourir la même distance, même si ses faces sont plus courtes, puisque les deux roues sont fixées ensemble. Pour réussir ce mouvement, elle doit se lever du rail suffisamment pour suivre la grande roue. 53
Et voici l’astuce ! Galilée imagine des roues de même diamètre mais avec un nombre croissant de faces. Plus il y a de faces, plus le saut nécessaire pour que la petite roue suive la grande est petit. Poussé à l’extrême, nous obtenons deux roues circulaires. Admettons que l’on fasse tourner les roues d’un quart de tour. Elles se déplacent toutes deux d’un quart de la circonférence de la grande roue.
La petite roue n’a jamais quitté son rail – pourtant, elle a avancé bien plus qu’un quart de sa circonférence. Galilée soutenait qu’elle y parvient en faisant une série infinie de sauts infinitésimalement petits pour combler son retard.
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L’un des personnages, Simplicio, un peu long à la détente, est là pour dire « Comprends pas, je comprends pas » afin que les autres protagonistes lui expliquent de quoi il retourne. Après avoir laissé pénétrer l’idée des roues circulaires dans son crâne, Simplicio émet une objection. Il lui semble que Galilée est en train d’affirmer qu’il y a un nombre infini de points sur chaque roue, mais que d’une certaine façon, l’un des infinis est plus grand que l’autre. La réponse de Galilée lui fait de la peine. C’est, en somme, comme ça avec l’infini – un vrai problème que d’aborder l’infini avec nos esprits finis, reconnaît Galilée. Et il accorde à Simplicio que c’est un comportement tout à fait normal face à l’infini.
N’oublions pas que nous abordons les infinis et les indivisibles, tous deux dépassant notre entendement fini… Malgré cela, les Hommes s’obstinent à en débattre.
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Retour à la géométrie L’un des moyens employés par Galilée pour expliquer les mathématiques étranges qui régissent l’infini consistait à passer par la géométrie, l’outil par excellence des Grecs anciens. Il a ainsi donné une preuve géométrique : dessinez un cône et un bol (ce dernier étant obtenu à partir d’un cylindre) tels que vous pouvez tracer une ligne droite les traversant, chacun ayant alors la même surface et le même volume au point d’intersection, quelle que soit la hauteur à laquelle la droite les départage. Cependant, si nous déplaçons l’intersection vers le haut, nous obtenons apparemment un point et un cercle, tous deux ayant la même « taille ».
Cette présentation géométrique me paraît si astucieuse et si novatrice que même si j’en avais la possibilité, je ne voudrais pas m’y opposer.
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Lorsque les règles ordinaires ne s’appliquent plus Simplicio renâcle, alors Galilée essaie encore de le convaincre. D’abord, il s’assure qu’il sait ce qu’est un carré – un nombre multiplié par lui-même. Puis il progresse, passant en revue les nombres entiers positifs, de plus en plus grands, multipliant chacun par lui-même. Nous disposons d’un ensemble infini d’entiers et il existe un carré pour chacun d’entre eux. Et c’est là le hic. Il y a bien plus d’entiers que de carrés.
Simplicio a mal au cerveau, ce qui n’est pas surprenant. Galilée a détecté quelque chose de spécial par rapport à l’infini, à savoir que les règles ordinaires de l’arithmétique ne s’y appliquent pas. Vous pouvez très bien avoir affaire à des infinis « plus petits » et aussi des « plus grands » qui ont la même taille.
Nous sommes amenés à conclure que les attributs « plus grand », « plus petit » et « égal » n’ont pas leur place lorsque nous comparons des quantités infinies… 57
Quel peut donc être l’infini de 1 ? L’arithmétique singulière de l’infini a conduit Galilée à une étrange conclusion (mais qui s’avère être erronée). Son argumentation ressemblait à peu de chose près à ce qui suit. Il doit y avoir autant de carrés que de nombres naturels*. Mais plus les nombres sont grands, plus les carrés sont éparpillés (il y a bien plus de nombres qui ne sont pas des carrés). Donc plus le nombre choisi grandit, plus vous vous éloignez du concept de l’infini. Et puisque plus vous avancez dans la suite des nombres*, plus vous vous éloignez de l’infini, il s’ensuit qu’en revenant sur nos pas, nous nous rendons compte qu’un seul nombre est vraiment infini et c’est le 1. Et tout comme pour l’infini, 1 × 1 = 1.
Je veux dire que l’unité contient autant de carrés qu’il y a de cubes et de nombres naturels.
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Une erreur fréquente Le piège dans lequel Galilée semble être tombé est courant – l’affirmation selon laquelle lorsque deux objets ont des propriétés similaires, ils peuvent être mis sur le même pied. C’est en partie la base de l’homéopathie, dont le concept de la « loi des similitudes » veut qu’un poison qui déclenchera les mêmes symptômes qu’une maladie pourra soigner cette maladie. Galilée a ainsi rapproché dans son esprit l’infini et l’unité car ils ont des propriétés similaires.
Malheureusement, si vous acceptiez sans trop réfléchir le raisonnement de Galilée, vous pourriez penser que tout ce qui possède une fourrure blanche frisottante et quatre pattes est un mouton – même si l’objet que vous êtes en train de regarder est un canapé recouvert de poils blancs.
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Les entités indivisibles Vers la même période, le concept de l’indivisibilité devenait populaire. Il s’agissait d’une approche similaire de l’idée des atomes chez les Grecs anciens. Les atomes selon eux résultaient d’une découpe de quelque chose en si petits morceaux que l’on ne pouvait plus couper davantage (a-tomos signifie « que l’on ne peut couper »). Le concept des indivisibles reposait sur une découpe en morceaux de plus en plus petits d’un objet, mais pas nécessairement en 3D. Prenons l’exemple d’un cercle.
Supposons que nous découpions un cercle en de nombreux segments fins, comme les quartiers d’une orange.
Cela rappelle une idée qui remontait déjà au philosophe grec à Antiphon (480–410 avant J.-C.).
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Antiphon était un contemporain de Socrate, né au ve siècle avant J.-C. Il a affirmé que vous pouviez calculer l’aire d’un cercle en y inscrivant un pentagone régulier et en augmentant graduellement le nombre de ses côtés jusqu’à ce que son périmètre se confonde avec le cercle lui-même. Mais un philosophe allemand, Nicolas de Cusa (1401–1464), est allé plus loin. Il a imaginé empiler les segments d’un cercle les uns sur les autres, tête-bêche. La forme finale est proche d’un rectangle, de hauteur πr et largueur r, de sorte que son aire est de πr2. Bien sûr, les bords des segments ne seront jamais totalement droits, à moins que les indivisibles soient infiniment étroits.
Voilà ! 61
Newton et l’infini potentiel Galilée a jeté un coup d’œil sous le tapis à l’infini « réel » et l’a trouvé délicieusement déconcertant. Mais avant même de porter ces investigations plus loin sur ce véritable infini, une guerre s’est déclenchée à propos de son équivalent virtuel, à savoir « l’infini potentiel » d’Aristote. Il ne s’agissait pas d’une guerre entre nations mais dans le monde mathématique. Le premier protagoniste à s’y être lancé était Isaac Newton (1642–1727). Nous entendons souvent dire que Newton est né la même année que la mort de Galilée, comme s’il devait ainsi prendre le relai de son prédécesseur. Paradoxalement, c’est vrai et faux à la fois. Dans l’ancien système de datation, Newton est né le jour de Noël 1642 – mais selon le calendrier revu et corrigé, c’était en janvier 1643.
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Newton était un homme remarquable. Il a bon nombre d’exploits à son actif, depuis ses théories sur la nature de la lumière et la couleur à ses prédictions concernant la mécanique des déplacements des corps célestes (notamment les planètes), en passant par ses explorations du concept de la gravité. Il est célèbre aussi pour avoir développé les mathématiques nécessaires au traitement et à la résolution de ces mouvements très complexes – une astuce qui dépendait du concept de l’infini, qu’il semble avoir inventées tôt dans sa carrière, mais qu’il n’a publiées que bien plus tard.
Le problème avec des mouvements dus à la gravité, mais aussi d’autres problèmes physiques similaires, c’est qu’ils impliquent une accélération.
Les corps ne se déplacent pas à vitesse constante, mais changent de vitesse tout le temps. Il doit y avoir une méthode qui nous aiderait à en tenir compte et à traiter ces changements de vitesse.
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Les fluxions L’astuce mathématique en question, que Newton a appelée la méthode des fluxions, avait pour but d’aider à calculer les valeurs nécessaires afin de résoudre un problème d’accélération – c’est-à-dire le taux de changement (de la vitesse). Lorsque l’accélération en question est linéaire, la tâche est facile. Imaginons une voiture qui accélère depuis l’arrêt (vitesse nulle) et sa vitesse qui augmente régulièrement avec le temps, comme une belle ligne droite.
L’accélération – c’est-à-dire le taux de changement de la vitesse – correspond à la pente de cette ligne : le changement de la vitesse divisé par le changement de temps, comme si l’on voulait calculer la pente d’une colline. 64
Newton s’est rendu compte que lorsque le problème traite d’une accélération sur une courbe, si vous considérez un changement suffisamment petit, en vous approchant de plus en plus de cette courbe jusqu’à ce que le segment considéré se résume presque à un point, alors vous avez affaire pratiquement une fois de plus à une ligne droite. Donc, pour ce minuscule segment de la courbe, il est presque totalement vrai que l’accélération est donnée par le changement de la vitesse divisé par le changement du temps.
En nous concentrant sur un minuscule segment de la courbe, nous pouvons le traiter comme une portion de ligne droite, le rendant ainsi accessible aux mathématiques classiques.
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De o à 0 Newton appela le taux de changement d’une valeur sa fluxion et la valeur elle-même une fluente. Il représentait un changement infinitésimal par un o minuscule italique. De manière astucieuse, il imagina une valeur de o de plus en plus petite, jusqu’à atteindre zéro. Plus o devenait petit, plus le résultat s’approchait de la valeur correcte, et dès lors que o s’évanouissait, la valeur finale parfaitement exacte apparaissait. Et ce, à chaque fois. Mais Newton était aussi un homme étrange. Il n’a pas pensé à communiquer sa trouvaille pendant de longues années, bien qu’il la décrivît à des amis.
Il a fait mention de ses résultats, sans aucun raisonnement, dans une lettre adressée au grand mathématicien allemand Gottfried Wilhelm Leibniz (1646–1716).
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L’élément s’approchant le plus d’une explication dans cette lettre était une remarque absconse et codée de surcroît. Cela donnait : « Étant donné une équation avec un nombre quelconque de quantités en mouvement, pour déterminer les fluxions : et vice versa » ; ou pour être plus précis, dans la version latine, il fallait compter le nombre de fois qu’une lettre y figurait. (Il y avait beaucoup de v, puisque le latin ne faisait pas la distinction entre u et v : Data æqvatione qvotcvnqve flventes qvanitates involvente, flvxiones invenire : et vice versa.)
Au-delà de tels éléments codés, Newton ne publiera pas ses idées avant plus de trois décennies. Cela n’enlève rien à l’importance des fluxions. Elles ont permis une transformation des mathématiques du mouvement (la cinétique), en fournissant le nec plus ultra des technologies de son époque. 67
Le calcul de Leibniz Leibniz a fait bien plus que lire les lettres que lui envoyait Newton. Il travaillait lui aussi sur les mêmes problèmes – et en toute indépendance, à en croire ce que disent les historiens sur ce point. Il a élaboré sa méthode après celle de Newton, mais l’a publiée le premier. Il lui a donné le nom de calcul infinitésimal*, dont les symboles sont encore employés aujourd’hui.
Bien que basées sur les mêmes mathématiques, mes symboles et ma terminologie permettaient un maniement plus commode.
Son calcul a été adopté rapidement par tous les savants, ce qui n’a pas manqué de mettre Newton en colère. Celui-là n’admettait aucune concurrence. Newton a accusé Leibniz de plagiat, estimant que Leibniz lui avait volé son heure de gloire pour toujours – ce qui a duré encore 50 ans.
Grrrrrr rrrrrrrr rrrrrrrr rrrrrrr !
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Newton versus Leibniz Leibniz s’est senti lésé. Toute autre considération mise à part, c’est bien lui qui avait publié le premier. Son article sur le calcul infinitésimal a été imprimé en 1684. Et bien que Newton semble avoir eu l’idée et mis en forme ses notes sur les fluxions pas plus tard qu’en 1671, elles n’ont été publiées qu’en 1687. Entre-temps, des accusations dans le pur style poli glacial de l’époque allaient et venaient par-dessus la Manche. Leibniz s’est senti obligé de réagir quand l’un des amis de Newton, John Keill, a publié un article dans les comptes rendus officiels (Transactions) de la Royal Society, dans lequel il proférait des accusations explicites de plagiat.
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Leibniz était blessé. Membre de la Royal Society (Académie royale des sciences), il ne s'attendait pas à un tel traitement. Il a été demandé à Keill de s’excuser, mais il s’est contenté de reconnaître que le système de notation de Leibniz était original – ce qui ne constitue pas vraiment des excuses en bonne et due forme. Leibniz s’est plaint une seconde fois, ce qui a entraîné une réaction formelle de l’Académie. Une commission d’enquête a été menée par onze pairs afin d’établir la vérité. Le rapport de conclusions a été rédigé par une figure de l’Académie et non des moindres, son président. Cela aurait pu apaiser le courroux de Leibniz, n’est-ce pas ?
Malheureusement, il n’en était rien. Le président de la Royal Society et auteur de ce rapport « impartial » n’était autre que sir Isaac Newton lui-même !
La rupture des relations entre mathématiciens britanniques et continentaux allait durer un demi-siècle.
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La notation L’une des raisons qui ont rendu le calcul infinitésimal de Leibniz plus attrayant que les fluxions de Newton était que la notation inventée par Leibniz était bien plus commode que celle de Newton. Le o minuscule de Newton pouvait être confondu avec le zéro et, de plus, ne donnait aucune information sur les changements observés.
En revanche, j’ai construit à partir d’une notation existante un système qui était plus facile à suivre et plus facile à manipuler.
Il y avait une convention en usage qui était de se servir de la lettre delta grecque majuscule (Δ) pour indiquer un changement. Et une lettre delta minuscule (δ) dénotait un petit changement ; ainsi δx signifiait un petit changement de la valeur de x.
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Leibniz est allé un peu plus loin que l’utilisation de δx pour indiquer un petit changement de x, préférant écrire dx pour signifier un changement infinitésimal de la valeur de x, c’est-à-dire le changement permettant de considérer la courbe comme une droite. Lorsque ce changement de la valeur de x était dx, le taux de changement était donné par dx/dt, où t représente le temps.
J’ai un symbole équivalent pour le taux de changement de x avec le temps : je place un point sur le x et j’appelle cela une « notation pointée ».
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Il est facile de passer à côté de ces points et ils sont moins informatifs que mon alternative.
Calcul différentiel et intégral En plus d’un traitement adéquat des taux de changement et autres problèmes similaires – ce qui était appelé le calcul différentiel –, la technique des deux savants abordait aussi le genre de problème qu’avait résolu Nicolas de Cusa en empilant les segments d’un cercle afin d’en calculer l’aire. Ce calcul intégral est utilisé pour déterminer l’aire sous une courbe donnée, le volume d’objets en 3D, etc. Newton, tout simplement, considérait l’intégration* comme étant l’inverse de la différentiation* (ce qui est techniquement juste) et n’avait donc pas besoin d’une notation particulière. Leibniz, en revanche, y voyait un processus de sommation et utilisait la forme allongée d’un S (pour « somme ») pour représenter le symbole de l’intégrale ∫, que nous employons encore de nos jours.
Imaginons que l’on somme des éléments, de plus en plus nombreux et de plus en plus petits. Nous disons alors que la somme devient étendue. Si ces éléments sont suffisamment petits, je peux les assimiler à des rectangles et additionner leurs aires.
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Le turbulent évêque Berkeley Aussi impressionnantes qu’étaient les étincelles fusant entre Newton et Leibniz, ils n’étaient pas les seuls à contribuer aux guerres de fluxions. Il convient d’introduire, pour être complet, l’évêque George Berkeley (1685–1753), en désaccord avec les deux savants. On se souvient davantage de Berkeley comme étant le philosophe qui s’interrogeait sur le fait de savoir si en l’absence d’observateur, un événement avait réellement lieu ou non. Par exemple, si au fin fond d’une forêt un arbre tombe et que, incidemment, personne n’est là pour le voir tomber (voire même en prendre connaissance), peut-on affirmer que la chute a eu lieu ? Berkeley esquivait la question.
Dieu est omniprésent donc cet arbre sera observé et doit tomber. 74
Berkeley n’était certainement pas le vieux schnock qui s’opposait par principe aux découvertes et développements scientifiques de son époque comme, par exemple, les évêques opposés aux thèses de l’évolution qui seront dépeints par la suite. Bien plus jeune que Newton, Berkeley avait un caractère plutôt affirmé. Avant de s’installer en Irlande en tant qu’évêque du diocèse de Cloyne, il avait passé quelques années en Amérique.
J’avais acheté une maison à Newport, dans l’État de Rhode Island, avec pour projet de tenter d’établir un collège aux Bermudes, mais faute de fonds suffisants, j’ai dû y renoncer et rentrer dans mon pays.
Berkeley a publié une attaque virulente contre les fluxions (et le calcul en général) dans un pamphlet superbement intitulé The Analyst : A discourse addressed to an infidel mathematician.
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Le mathématicien infidèle Bizarrement, l’évêque Berkeley a publié cet argumentaire, non pas à l’encontre de Newton ou de Leibniz, mais contre Edmond Halley (1656– 1742), l’astronome royal et le « mathématicien infidèle » du titre de son pamphlet. Halley ne cachait pas qu’il était athée et avait même convaincu un ami de Berkeley de renoncer à sa foi chrétienne sur son lit de mort. C’est ce fait qui a singulièrement offensé Berkeley et l’a amené à écrire sa diatribe contre les fluxions. Halley, astronome royal et titulaire de la chaire savilienne de géométrie à Oxford, était un ardent défenseur de Newton. C’est lui qui a assuré personnellement la publication de l’œuvre majeure de Newton Principia pour être sûr que le public puisse y accéder. Et il était inévitablement en faveur des fluxions. Pour Berkeley, ce soutien était incohérent, presque hypocrite.
Bien que ne vous connaissant pas personnellement, je ne suis pas, cher Monsieur, étranger… à l’autorité que vous semblez vouloir exercer dans des domaines hors de vos compétences, ni encore insensible aux abus que vous – et trop de personnes de votre acabit – faites…
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Berkeley a fait observer que la méthode dite des fluxions impliquait des quantités inconcevablement petites – si petites, en effet, que la valeur résiduelle est quasi nulle mais avec, cependant, encore de la valeur. Berkeley utilisait l’expression les fantômes des quantités disparues pour se référer au o disparaissant de Newton. Il fallait y croire. Très bien. Mais Halley attaquait constamment les fondements de la chrétienté justement parce que l’on devait avoir la foi : cette foi était nécessaire puisque l’on ne pouvait pas apporter de preuve indiscutable.
Hypocrisie !
Ce n’était pas seulement du pinaillage. Il existe un élément perturbant au cœur des fluxions (et si, par hasard, quelqu’un s’avisait de s’y soustraire, Berkeley a également pointé du doigt que le calcul infinitésimal de Leibniz présentait le même problème). 77
Diviser zéro par zéro Supposons que nous étudions le déplacement d’un vaisseau spatial qui accélère. À n’importe quel moment, sa vitesse est le carré de la valeur de son temps de vol. Son accélération est donnée par la pente de la courbe. Le changement de temps est o et le changement de vitesse (rappelons que cette dernière est le temps au carré) est donné par (temps + o) ² – temps². Si l’on développe, on voit que le changement de vitesse est temps² + 2 × temps × o + o² – temps², ce qui revient à 2 × temps × o + o². Nous divisons à présent par le changement de temps pour obtenir la pente de la courbe, c’est-à-dire : (2 × temps × o + o²) / o En simplifiant, Newton obtint : 2 × temps + o
Newton laissa o tendre vers zéro. Le résultat était 2 × temps – ce qui est correct. Mais en réalité, nous devons observer que le fait que o tende vers zéro a un impact considérable sur la ligne précédente, où les o en numérateur et dénominateur s’annulent. Newton a divisé zéro par zéro.
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Une fois zéro divisé par zéro, les jeux sont faits. N’importe quoi avec zéro en numérateur vaut zéro. Et tout ce qui est divisé par zéro vaut l’infini. Pour avoir une idée de la confusion que cela peut induire, il suffit de regarder les efforts fournis par deux mathématiciens indiens du Moyen Âge pour tenter d’expliquer ce rapport.
Zéro divisé par zéro, c’est zéro !
Faux ! Tout ce qui est divisé par zéro (y compris 0/0) est infini !
Dans la pratique, 0/0 est indéterminé – il n’a pas de résultat. C’est comme si l’on posait la question : « Que se passe-t-il quand on applique une force irrésistible à un objet inamovible ? » Cela n’a pas de sens. 79
Flux et changement Newton, pour sa part, n’avait pas de problème avec ça, puisqu’il concevait les fluxions d’une façon bien différente de notre approche des calculs différentiel et intégral. Le processus normal, basé sur la méthode de Leibniz, consiste à imaginer une quantité qui diminue, devenant de plus en plus petite jusqu’à tendre vers zéro. Newton, quant à lui, ne s’occupait pas de quantités. Sa perception était composée uniquement de flux. Son o écrasé était dilué – il s’évanouissait, comme l’eau qui s’écoule d’un lavabo.
Je ne considère pas ce que les choses sont, mais simplement comment elles se déplacent et changent.
Pour Newton, la méthode des fluxions traitait du mouvement relatif et non pas des valeurs absolues.
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Tendre vers zéro À l’époque, en dépit des efforts de Berkeley, le cœur du problème avec le calcul infinitésimal était passé sous silence. Mais après tout, la méthode fonctionnait. Newton a vu son o glisser vers 0 sans jamais l’atteindre – les mathématiciens diront plus tard qu’il « tend vers zéro ». Le calcul a été mis en ordre en utilisant une valeur seulement aussi petite que nécessaire. Au lieu de traiter de quelque chose infinitésimalement petit, on a affaire à quelque chose qui est inépuisablement petit, mais qui n’atteint jamais zéro. L’infinité est le stade ultime du processus, une limite que vous n’avez toutefois jamais besoin d’atteindre. Techniquement, c’est toujours une échappatoire, mais ça marche. Le calcul infinitésimal fait son travail.
C'est bon, il est toujours là.
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À la recherche d’un symbole Jusque-là, l’infini ne servait à rien. Mais avec le calcul infinitésimal, il prenait un sens. Que vous fassiez du calcul différentiel et considériez des incréments infinitésimalement petits, ou que vous fassiez du calcul intégral et additionniez un ensemble infini de segments infiniment étroits, vous constatez que l’infini est devenu un outil utile aux mathématiciens. Et, à ce titre, l’infini avait besoin d’être représenté par un symbole. Or, un tel symbole venait de faire son apparition. La lemniscate, ∞, sorte de 8 renversé utilisé aujourd’hui pour représenter l’infini, a été introduite dans un ouvrage sur les sections coniques de John Wallis (1616–1703), l’homme à qui nous devons la formule pour calculer π et qui aurait été nettement plus célèbre s’il n’avait pas été entouré d’autant d’illustres confrères.
Que 82
représente l’infini.
Au départ, Wallis était un théologien, mais il s’est révélé être un redoutable « décryptologue » au service des Parliamentarians pendant la troisième guerre civile en Angleterre (1649–1651). C’est en raison des services rendus qu’il avait été titularisé comme professeur de la chaire savilienne de géométrie où il a précédé Halley. Ses talents de mathématicien étaient tels qu’il a gardé son poste après le rétablissement de la monarchie. Wallis, sans explication, a tout simplement déclaré un jour : « Que ∞ représente l’infini. »
Cela provient peut-être de l’ancien symbole romain pour 1 000 (remplacé par la suite par la lettre M) …
… ou peut-être qu’il s’agit d’une variante de la lettre grecque minuscule oméga – ou simplement une boucle sans fin.
Mais, enfin, l’infini avait son symbole. 83
Le ruban de Möbius et la bouteille de Klein Même les cercles, quand on y pense, forment des boucles infinies puisqu’ils n’ont pas de fin, mais un ruban de Möbius est bien plus attirant comme représentation de l’infini. Il s’obtient en prenant un ruban de papier, par exemple, auquel on applique une torsion de 180°, avant de joindre ses deux extrémités. Le résultat est un objet à deux dimensions mais ne possédant qu’une seule face. Il est facile de le démontrer – il suffit de placer un stylo à un endroit quelconque sur la surface puis de tirer un trait. Le stylo finit par retrouver son point de départ, en parcourant la surface entière. Plus frappant encore est l’objet appelé la bouteille de Klein – un objet à trois dimensions ne possédant qu’une seule surface.
Une véritable bouteille de Klein devrait être vrillée dans une quatrième dimension, mais il est possible de réaliser un modèle en 3D.
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Bolzano et le véritable infini Mis à part Galilée, on peut dire que presque tout le monde depuis Aristote a abordé l’infini potentiel – ce qui est représenté par la courbure de la lemniscate ∞. Mais au début du xixe siècle, le mathématicien italien Bernard Bolzano (1781–1848) aura essayé d’analyser le véritable infini. Pendant sa retraite, il a rédigé un livre intitulé Paradoxes of the Infinity (Les paradoxes de l’infini), publié après sa mort. Il s’en prenait aux philosophes, tels que Hegel (1770–1834), qui avaient suggéré que l’infini n’était pas une vraie valeur, mais s’apparentait plutôt à une direction. Bolzano, quant à lui, prétendait qu’une véritable quantité infinie – par exemple la longueur d’une droite sans borne dans les deux sens – pouvait être établie.
La plupart des affirmations paradoxales rencontrées dans le domaine des mathématiques… sont des propositions qui soit renferment directement la notion de l’infini, soit dépendent d’une manière ou d’une autre de cette notion pour leurs tentatives de preuve.
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Bolzano a également mis en évidence un point qui allait s’avérer capital pour un autre mathématicien, Georg Cantor (voir plus loin), au moment où ce dernier a démarré ses travaux de recherche. Galilée s’était servi du fait qu’à chaque entier positif correspond un carré pour démontrer quelques-unes des propriétés étranges de l’infini.
J’ai examiné un autre infini – celui de l’ensemble infini contenant tous les nombres compris entre, disons, 0 et 1.
Sans être en mesure d’affirmer quoi que ce soit directement au sujet de la nature du continuum de ces nombres, Bolzano a cependant pu prouver qu’il était possible de faire correspondre à chaque nombre compris entre 0 et 1 l’un de tous les nombres compris entre 0 et 2, tout comme la correspondance entre les entiers et les carrés. 86
À l’instar de Galilée, Bolzano a aussi connu des ennuis politiques. Sa carrière avait pourtant bien démarré et progressé à la vitesse de l’éclair. En 1805, alors âgé de 24 ans, il avait été nommé titulaire de la chaire de philosophie des religions, à Prague. Même si la majeure partie de son travail traitait de mathématiques, il était non seulement philosophe mais également prêtre orthodoxe. On a prétendu que sa mise à la retraite en 1820 résultait de certaines pressions de l’Église, cependant il s’agissait plus vraisemblablement d’une décision du gouvernement des Habsbourg à Vienne. En effet, les universités insistaient pour que l’enseignement soit dispensé à partir de textes classiques. Or, Bolzano se rebellait contre les autorités en rédigeant ses propres cours. Pire encore, il avait pris fait et cause contre les actes de guerre.
Les travaux parmi les plus brillants de Bolzano ont été entrepris pendant sa « retraite », financés par une mystérieuse Frau Hoffman.
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Cantor : un infini saisissant Vers la fin du xixe siècle, un homme s’est servi des travaux de Bolzano comme tremplin pour comprendre la véritable nature de l’infini. Il s’agit de Georg Cantor (1845–1918), et cela l’a conduit à la folie. Cantor a fait toute sa carrière à l’université de Halle, une ville allemande célèbre pour la musique mais pas vraiment pour les mathématiques. Cantor pensait qu’il aurait pu être promu ailleurs – et c’eût été possible si ses conclusions ne s’étaient pas révélées si incroyables qu’au moins un mathématicien s’était juré de causer systématiquement sa perte.
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La joie des ensembles La première contribution déterminante de Cantor fut la formalisation des ensembles*. Les ensembles ont été connus dès que les personnes ont su conceptualiser quelque chose – mais Cantor les a incorporés solidement aux mathématiques. Un ensemble est simplement un groupe de choses. Ces choses peuvent avoir des traits en commun – par exemple, l’ensemble des choses ressemblant à des oranges, ou l’ensemble des personnes portant le prénom Brian –, mais cela peut aussi être un regroupement de choses disparates, comme l’ensemble de vos pensées depuis ce matin. Cantor s’est basé sur des travaux antérieurs d’autres mathématiciens pour établir une synthèse de la manière dont les ensembles fonctionnent, ce qui nous permet de tout faire, de définir des nombres jusqu’à représenter les opérations mathématiques de base.
Nous utilisons le terme ensemble pour désigner n’importe quelle collection d’objets d’une entité M composée de m objets déterminés distincts issus de notre intuition ou de nos pensées.
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Les ensembles existent de manière plus naturelle dans certaines langues que dans d’autres. Alors que les ensembles constituent une réflexion en anglais, ils sont au cœur de la construction linguistique en chinois. Un descriptif en chinois commence toujours par identifier l’ensemble le plus grand, puis affine la définition par des sous-ensembles*. Par exemple, une adresse postale commencera par le pays, puis la région (ou province), suivie de la ville, du district, de la rue et enfin du bâtiment. Il en va de même pour les patronymes : on commence par le nom (clan de la famille) et le prénom de l’individu vient seulement ensuite. Au lieu de dire « le peuple britannique » ou « le peuple chinois », les Chinois disent « Grande-Bretagne le peuple » (ying guo ren) ou « la Chine le peuple » (zhong guo ren).
Certains ensembles anciens du chinois sont assez poétiques – par exemple, il existe un ensemble pour désigner « les choses qui ressemblent à une mouche lorsqu’elles sont vues de loin ».
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Les diagrammes de Venn L’interaction entre ensembles est souvent illustrée par des diagrammes de Venn. Bien que d’aspect simpliste, ces images conçues par le mathématicien, philosophe et logisticien britannique John Venn (1834–1923) – élu en 1903 président à vie de Gonville et du Caius College, à Cambridge, mais autrement plus célèbre pour son invention d’une machine à lancer des balles de cricket qui a mis à mal les meilleurs batteurs australiens en 1909 – peuvent renfermer une quantité surprenante de détails. Avec seulement deux cercles et un rectangle, nous pouvons établir les relations existant entre des ensembles de tous les véhicules, les voitures, tous les véhicules rouges, les voitures rouges, celles qui ne sont pas rouges, les véhicules rouges qui ne sont pas des voitures, les véhicules rouges, qu’ils soient des voitures ou non, et les véhicules qui ne sont ni des voitures ni rouges.
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s
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L’arrivée des diagrammes de Venn a entraîné beaucoup d’amertume au sein de la communauté des mathématiciens. Le grand mathématicien Leonhard Euler (1707–1783) avait, avant Venn, conçu quelque chose de similaire, mais sans le facteur déterminant des formes géométriques qui se chevauchent. Néanmoins, Venn a tout de même subi des attaques. Dans son ouvrage The Mathematical Universe (L’Univers mathématique), William Dunham écrit : « Personne, pas même le meilleur ami de John Venn, ne défendrait que son idée sous-jacente est très profonde […] les diagrammes de Venn ne sont ni profonds ni originaux. Ils sont simplement célèbres. Dans le monde des mathématiques, John Venn est devenu en quelque sorte un nom familier. Personne dans la longue histoire des mathématiques n’est devenu aussi connu pour si peu. Il n’y a vraiment rien à dire de plus. »
L’invention de Venn… aurait très bien pu être découverte par un enfant muni d’un crayon.
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L’algèbre de Boole Une manière moins visuelle de manipuler les contenus d’ensembles est l’algèbre de Boole, du nom du mathématicien britannique George Boole (1815–1864), dont le talent naturel lui valut d’être nommé professeur de mathématiques en 1849 à l’University College Cork sans formation officielle. L’algèbre de Boole est devenue extrêmement utile au moment où les ordinateurs se sont développés – et c’est la base même des moteurs de recherche informatiques. L’algèbre de Boole, en effet, fait appel à des termes simples pour effectuer des opérations sur des ensembles. Par exemple, « ET » est l’équivalent de deux aires qui se recouvrent sur un diagramme de Venn.
Ainsi, l’aire « voitures rouges » est le recouvrement des ensembles « véhicules rouges » et « voitures ».
Dans la théorie des ensembles, on parlera de l’intersection des ensembles, tout comme on voit l’intersection des formes géométriques sur le diagramme. 93
Un autre terme puissant de l’algèbre de Boole est « OU ». Ce terme désigne des éléments qui peuvent être placés indifféremment dans l’un ou l’autre d’une paire d’ensembles, et donc de la combinaison des ensembles concernés. Dans un diagramme de Venn, OU revient à fusionner deux formes. Ainsi, si nous nous référons à « véhicules rouges » OU « voitures », nous sommes face à un ensemble qui inclut toutes les voitures et tous les véhicules rouges. Et en raison de la manière dont elle agit, cette opération s’appelle l’union des ensembles. Un dernier terme important de l’algèbre de Boole est « NON », qui nous permet de soustraire une portion d’un ensemble.
Ainsi, par exemple, « les véhicules rouges » NON « voitures » correspondraient au système « véhicules rouges » dont on aurait retiré le système « voitures ».
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Comment transformer le monde en ensembles Il est facile, somme toute, de penser à la théorie des ensembles en tant que concept mathématique abstrait, mais cette approche est capitale dans notre manière d’appréhender le monde. Techniquement, une personne est une collection d’atomes ou, à un niveau moins détaillé, un ensemble de cellules. Mais, en réalité, nous considérons la personne en tant qu’ensemble à part – à savoir l’ensemble appelé « une personne ». De même, nous serions dans l’incapacité d’interagir avec le monde si nous n’y appliquions pas cette notion d’ensemble constamment. Sinon, nous devrions donner un nom spécifique à chaque animal croisé – mais au lieu de cela, nous désignons un ensemble de chiens, par exemple, ce qui nous permet d’identifier un animal particulier en tant que chien.
Si nous n’avions pas adopté cette approche, nous aurions dû apprendre séparément le maniement de chaque interrupteur électrique rencontré. 95
Nous avons besoin, dans ce but, de nous référer à un aspect de la théorie des ensembles, la cardinalité*. Prenons, pour illustrer notre propos, deux ensembles très simples. Le premier ensemble comprend les pattes de mon chien. Le second comprend les quatre cavaliers de l’Apocalypse. Ces deux ensembles ont la même cardinalité si je parviens à les apparier sur une base un à un ou base biunivoque. Par exemple, la patte avant droit pourrait être appariée au cavalier de la Mort, l’avant gauche à celui de la Famine, et ainsi de suite. J’ai listé toutes les pattes et tous les cavaliers, ils ont donc la même cardinalité. Mais, voici l’astuce, je n’ai pas besoin de savoir combien de pattes, ni combien de cavaliers il y a.
Moi, je sais qu’il y en a quatre de chaque, mais ce qui est important, c’est que je n’ai pas besoin de le savoir.
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Peano et les nombres cardinaux Avant que Cantor n’arrive sur scène, le mathématicien italien Giuseppe Peano (1858–1932) s’était déjà servi de la cardinalité d’un ensemble pour désigner les nombres cardinaux* – ceux dont nous nous servons pour compter. Peano avait des idées assez étranges. Au Moyen Âge, les savants rédigeaient leurs écrits en latin, pour être plus largement lus et compris – Peano a fait de même bien que le latin ne fût pas aussi populaire, loin de là, dans les années 1890. Plus tard, en 1903, il a même construit une langue artificielle, le Latino sine flexione, un langage supposé académique et de portée universelle afin de retrouver l’aisance de communication qu’affectionnaient les universités du Moyen Âge. Son invention était du latin simplifié, agrémenté de mots modernes empruntés à l’italien, l’anglais, l’allemand et au français.
J’ai publié mon chef d’œuvre Formulario Mathematico en Latino sine flexione, mais cette langue ne s’est jamais développée. 97
Nous nous servons des nombres pour compter, sans réfléchir, mais Peano leur a donné une base formelle. Les nombres ne possèdent pas de réalité physique – je ne peux pas dessiner un cinq, seulement son symbole, ou 5 objets. Cependant, Peano a défini les cardinaux au moyen d’ensembles. Il a commencé par un ensemble vide*, pour représenter le néant, l’absence de tout, et a défini le zéro comme étant cet ensemble vide. Puis il a défini le nombre cardinal comme le nombre d’ensembles qu’il contient, un peu comme la construction des poupées russes, les matriochkas.
2 – contient le 1 et l’ensemble vide
Ensemble vide (0)
1 – contient l’ensemble vide
3 – contient le 2, le 1 et l’ensemble vide
Le 1 est donc l’ensemble qui contient l’ensemble vide. Le 2 est l’ensemble qui contient l’ensemble vide et l’ensemble qui contient l’ensemble vide. Et ainsi de suite. 98
Le paradoxe de Russel
La théorie des ensembles est une maladie qui touche les mathématiques, contre laquelle on trouvera sûrement un remède un jour.
Henri Poincaré (1854–1912)
Bien que la théorie des ensembles serve de base à nombre de développements mathématiques, les mathématiciens ne sont pas tous à l’aise avec son maniement, dans la mesure où elle tend à créer des paradoxes. Le paradoxe central de la théorie des ensembles a été identifié par le philosophe britannique Bertrand Russel (1872–1970), qui a longtemps étudié la philosophie et la logique des mathématiques. Le paradoxe de Russel a trait au concept d’ensembles qui sont membres d’eux-mêmes. Par exemple, l’ensemble « tout ce qui n’est pas chien » se contient lui-même (puisque l’ensemble n’est pas un chien). En revanche, l’ensemble « tous les morceaux de musique » ne se contient pas car l’ensemble n’est pas lui-même un morceau de musique.
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Russel a examiné ensuite l’ensemble « les ensembles qui ne sont pas membres d’eux-mêmes ». Par exemple, cet ensemble inclut l’ensemble « tous les morceaux de musique ».
Est-ce que l’ensemble « les ensembles qui ne sont pas membres d’eux-mêmes » est membre de lui-même ? (Il vous faudra, peutêtre, relire cette question plusieurs fois.)
S’il est membre de lui-même, alors il ne peut pas être un membre. S’il n’est pas un membre, alors il n’est pas un membre de lui-même – donc il s’ensuit qu’il doit être un membre. C’est un peu comme tenter de déterminer si la déclaration « Cela est un mensonge » est vraie ou fausse. Russel a démontré que ce paradoxe était fondamental pour bien comprendre la théorie des ensembles.
Je ne serais pas membre de l’ensemble que j’aurais comme membre !
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Cantor et les sous-ensembles Une fois la théorie des ensembles bien établie, Cantor était fin prêt pour réaliser ses propres découvertes à partir des observations de Galilée sur les nombres entiers et les carrés (cf. pp. 57–58). L’ensemble infini des nombres cardinaux possède la même cardinalité que l’ensemble des carrés, puisque nous pouvons les apparier comme les pattes d’un chien et les cavaliers de l’Apocalypse. Et les carrés représentent un sous-ensemble de ces mêmes entiers. À noter que le terme « sous-ensemble » est devenu très courant en théorie des ensembles. Ici, il est utilisé pour signifier que tous les carrés sont membres de l’ensemble des « entiers positifs », mais qu’ils ne constituent pas la totalité de cet ensemble. Cantor s’est servi de cette distinction pour définir un ensemble infini.
Un ensemble infini possède une correspondance biunivoque avec un sous-ensemble. Il a la même cardinalité que ce sous-ensemble. 101
Cette affirmation de Cantor souligne un aspect très important de la cardinalité. Peu importe que la cardinalité soit décrite comme la capacité de mettre en correspondance biunivoque un ensemble avec un autre ensemble, dans la mesure où la cardinalité revient à estimer la taille d’un ensemble, nous avons tendance à considérer la cardinalité comme le nombre d’items contenus dans un ensemble. Quand je dis que les pattes de mon chien ont la même cardinalité que les cavaliers de l’Apocalypse, nous pouvons supposer que c’est parce qu’il y en a quatre de chaque – mais il n’en est rien. Il existe infiniment moins de carrés qu’il n’y a d’entiers positifs. Et pourtant, les entiers ont la même cardinalité puisque nous pouvons les apparier un à un.
Pour la cardinalité, le nombre d’items est sans importance – c’est la manière dont on fait correspondre les ensembles les uns aux autres qui compte.
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Les nombres imaginaires On peut avoir l’impression de jouer sur les mots quand on définit un ensemble infini comme quelque chose qui possède la même cardinalité qu’un sous-ensemble donné, quelque chose détaché de la réalité. Nous devons toutefois garder à l’esprit que les mathématiques ne traitent pas du monde réel. Elles concernent l’application logique d’une suite (ou d’un ensemble) de règles arbitraires – les axiomes sur lesquels un système mathématique est bâti. Mais même des concepts mathématiques irréels peuvent servir dans un monde réel. Un bon exemple est donné ici par les nombres imaginaires*. Ils résultent d’une question pourtant simple en apparence – quelle est la racine carrée d’un nombre négatif ? Qu’est-ce — que, par exemple, √-1 ?
J’ai un nombre imaginaire d’amis imaginaires…
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Nous recherchons le nombre qui, multiplié par lui-même, donne –1. Mais nous savons que 1 × 1 et –1 × –1 donnent +1. Donc ni +1 ni –1 ne peuvent être la racine carrée de –1. Aussi les mathématiciens ont-ils attribué la valeur (et le symbole) i à la racine de –1. Un pan entier des mathématiques a été bâti ainsi sur ces nombres imaginaires, et sur les nombres complexes*, qui combinent nombres réels et imaginaires, tel 3 + 2i. Les domaines de l’ingénierie et de la physique font largement appel à des nombres imaginaires, sous réserve que le résultat final les élimine, car ils permettent facilement de prolonger la ligne des nombres en deux dimensions. Ainsi, les nombres réels forment une ligne traditionnelle de nombres qui s’étend horizontalement (abscisse), tandis que les nombres imaginaires forment une autre ligne verticale (ordonnée). Tout point dans cet espace à deux dimensions peut être identifié par un nombre complexe.
Les nombres imaginaires ne sont pas « réels », mais ils sont encore d’une grande utilité.
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L’aleph-zéro Dès lors que nous adoptons une approche de type théorie des ensembles pour aborder la question de l’infini – le véritable infini plutôt que celui potentiel d’Aristote –, nous avons besoin d’un nouveau symbole. Cantor a choisi l’aleph, première lettre de l’alphabet hébreu et, plus précisément, a appelé aleph-zéro (0) ou aleph nul l’infini des nombres cardinaux. L’indice fournissait un bon exemple du point de vue du mathématicien sur le monde. N’importe qui d’autre aurait pu supposer que l’infini est infini. Mais il se trouve que les mathématiciens sont des hypersceptiques. Nous ne pouvons pas supposer que tous les infinis sont identiques ; il doit y avoir une formulation claire et nette du sens de l’infini. L’aleph-zéro constitue l’infini de base, celui des entiers positifs.
La cardinalité des nombres cardinaux est 0 – mais est-ce vrai pour tous les ensembles infinis ?
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Les raisons qui auraient poussé Cantor à choisir l’aleph comme symbole du « véritable » infini font débat ; de même, personne ne peut affirmer pourquoi Wallis a inventé la lemniscate. Il a été suggéré que bien que la famille de Cantor fût chrétienne, il aurait eu des racines juives et connaissait la tradition mystique de la Kabbale, où l’une des représentations de l’infini Ein Sof est la lettre juive aleph. Nul doute que Cantor a été influencé par des images religieuses et qu’il connaissait certainement l’utilisation de « l’alpha et l’oméga » dans la chrétienté. Mais peut-être était-il simplement lassé des symboles grecs.
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L’aleph-zéro possède de bien étranges propriétés. On peut lui ajouter 1 et il garde la même valeur. Pour s’en convaincre, il suffit d’imaginer la série 1, 2, 3… en correspondance biunivoque avec x, 1, 2, 3… Ainsi le 1 de la première série correspond à x dans la seconde, le 2 de la première série à 1 de la seconde, et ainsi de suite. Vous pouvez continuer indéfiniment, vous aurez toujours la même cardinalité. Qui plus est, si l’on ajoute aleph-zéro à luimême, on obtient aleph-zéro. (Parce que 1, 2, 3… et 1a, 1b, 2a, 2b… ont la même cardinalité.) Et pendant que l’on y est, si l’on multiplie aleph-zéro par lui-même, on a toujours aleph-zéro. Au fond, ce n’est pas si surprenant, car l’infini est infini.
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Les nombres cardinaux et ordinaux Quand Cantor a inventé l’aleph-zéro, il avait à l’esprit les nombres cardinaux, ceux qui définissent la taille d’un ensemble. Pourtant, le nombre 7, par exemple, a plus d’une application, ce qui conduirait à une seconde forme d’infini. Le symbole 7 peut signifier la valeur cardinale 7, comme dans « j’ai 7 oranges ». Mais 7 peut aussi être ordinal*. « Cardinaux » et « ordinaux » évoquent vaguement quelque chose de religieux, mais ordinal désigne simplement un nombre dépendant de l’ordre. Si j’ai devant moi une rangée d’oranges, je peux dire : « Ce segment de la rangée contient 7 oranges » – une valeur cardinale. Mais je peux tout aussi bien dire : « Ceci est l’orange n° 7 » – ce qui indique sa valeur ordinale.
Cette orange a la valeur cardinale 1, mais la valeur ordinale 7.
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Même si nous avons l’habitude de penser aux entiers dans un certain ordre, l’ensemble complet des entiers ne peut avoir de valeurs ordinales. En effet, pour avoir des valeurs ordinales, chaque sous-ensemble d’un ensemble doit posséder une première valeur. Vous pouvez vous interroger : « Chaque ensemble ne possède-t-il pas d’office une première valeur ? » La réponse est non, les entiers n’en ont pas. Pensez à la ligne de nombres de tous les entiers.
Cette ligne ressemble à quelque chose comme -5 -4 -3 -2 -1 0 1 2 3 4 5… Mais quelle est sa première valeur ? Nous sommes dans l’incapacité de lui en attribuer une.
D’un autre côté, les nombres cardinaux, les entiers positifs ayant quant à eux une première valeur, ils ont donc aussi des valeurs ordinales.
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L’infini ordinal Pour les nombres finis, il n’y a pas de distinction évidente entre cardinaux et ordinaux. Mais, parvenus à l’infini, ils divergent. Nous savons que 0 + 1 = 0, mais cela ne peut pas être vrai pour l’infini ordinal – l’ordre continue. Pour définir l’infini ordinal, Cantor a eu recours aux symboles grecs classiques, en employant l’oméga suprême, ω, pour représenter la limite de la liste ordinale 1, 2, 3, 4… Dans la suite de ω, nous trouverions ω + 1, ω + 2… et ainsi de suite. Les mathématiques de ω peuvent s’avérer délicates, puisque ω + 2, par exemple, n’est pas la même chose que 2 + ω, de même que ω × 2 n’est pas la même chose que 2 × ω.
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Son raisonnement était, à peu près, le suivant. Vous pouvez représenter ω + 2 comme {1, 2, 3… ω1, ω2} où ω1 et ω2 sont les deux valeurs qui suivent immédiatement ω. Et 2 + ω est {ω1, ω2, 1, 2, 3…}. Dans ce dernier cas de figure, n’importe quel segment initial de l’ensemble sera plus petit que l’ensemble infini, il s’ensuit que 2 + ω = ω. Mais dans le cas de ω + 2, le segment qui précède ω1 est infini, de sorte que l’ensemble entier est plus grand que ω. Les ω ainsi construits augmentent par ωω et (ωω)ω jusqu’à ω élevé à la puissance ω, ω fois. On donne à cette opération le nom (arbitraire) de ε0 et qui se poursuit.
est juste le commencement.
Cantor a développé une hiérarchie d’infinis ordinaux, mais l’aleph-zéro représentait-il la limite cardinale ?
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Comptablement infini Cantor voulait vérifier la réelle flexibilité de l’aleph-zéro. 0 est la cardinalité des nombres cardinaux et des carrés, ou d’ailleurs des nombres impairs, voire des entiers positifs. De tels ensembles sont qualifiés de comptablement infinis* ou « dénombrables ». À première vue, l’expression « comptablement infini » est un oxymore. Par définition, quelque chose d’infini ne peut être dénombré. En effet, nous avons vu notamment qu’un tel ensemble, comme dans le cas des entiers et des carrés, peut être placé en correspondance biunivoque avec un sous-ensemble. Mais comment compter quelque chose de cette nature ? Notons que comptable signifie avoir la même cardinalité que les nombres cardinaux.
1, 2, 3, 4… infini ! Hi hi hi hi hi hi !
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La preuve élégante de Cantor L’aleph-zéro pouvait-il être la cardinalité de tous les ensembles infinis ? Ces derniers sont-ils tous comptablement infinis ? Cantor a commencé avec des fractions rationnelles, composées de rapports d’entiers. Il a pu montrer qu’elles possédaient aussi leur aleph-zéro, moyennant une jolie démonstration qui n’avait nul besoin d’opérations mathématiques. Nous devons imaginer que toutes les fractions rationnelles sont éparpillées au sein d’un énorme tableau. Nombre d’entre elles se révèlent être des répétitions. Regardons la diagonale, toutes les fractions valent 1. Mais cette redondance importe peu : le tableau, s’il est étendu dans les deux sens, indéfiniment, contiendra toutes les fractions possibles.
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Ensuite, Cantor a mis en place un chemin répétitif à travers le tableau. Dans le cas présent, le mouvement est le suivant : « Se déplacer d’une colonne vers la droite, descendre en diagonale vers la gauche jusqu’à atteindre le bord du tableau, puis descendre d’une rangée et remonter en diagonale vers la droite jusqu’à atteindre le bord. Répéter l’opération. » Pour finir, Cantor a placé chaque item rencontré dans ce parcours en correspondance biunivoque avec un nombre à compter. Il a ainsi montré que l’aleph-zéro s’applique aussi aux fractions rationnelles – ces dernières ont la même cardinalité que les entiers positifs en raison de la correspondance biunivoque de l’opération.
Bien que ce soit ce chemin que j’ai choisi, il en existe d’autres.
Ce qui est important, c’est qu’il existe un mécanisme permettant de mettre en place la correspondance biunivoque souhaitée.
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Couvrir la ligne des nombres L’infini des fractions rationnelles possède une caractéristique surprenante. Imaginons aussi une ligne de nombres qui s’étend de 0 à l’infini, comme une règle, chaque fraction rationnelle étant inscrite dessus. Notre but est de couvrir toute la ligne des nombres. Nous produisons chaque fraction rationnelle sous forme d’un parapluie (une simple forme de T). Le premier parapluie a une largeur de ½, le deuxième parapluie une largeur de ¼, et ainsi de suite. Chaque parapluie s’étend pour englober une fraction rationnelle de chaque côté, de sorte que les fractions finissent par bien couvrir toute la ligne des nombres. Mais la série ½ + ¼ + 1/8 tend vers 1. Ainsi un ensemble de parapluies de largeur unité peut couvrir la totalité de la ligne infinie de nombres des fractions rationnelles.
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Une autre preuve de Cantor Quand nous parlons de preuves mathématiques, nous voyons défiler des pages et des pages de formules indéchiffrables. Lorsque le mathématicien britannique Andrew Wiles a résolu le dernier théorème de Fermat en 1995, sa preuve s’étendait sur plus de 100 pages. Et pourtant, la preuve de la cardinalité des fractions rationnelles de Cantor est si simple qu’elle pourrait facilement être prise pour un banal truisme si évident qu’elle n’apporte rien de nouveau. (Pour être exact, il s’agit ici d’une présentation simplifiée – et, pour être rigoureux, il faudrait plutôt dire que « nous pouvons trouver un chemin et nous pouvons y insérer une correspondance biunivoque ».)
Il pouvait paraître évident que tous les nombres peuvent être traités de façon similaire. Mais Cantor ne pouvait pas en rester là. 116
Comme Hipparque, un pythagoricien, l’a découvert à ses dépens, les fractions rationnelles ne sont pas les seuls nombres non entiers. Il y a aussi les irrationnels, c’est-à-dire les nombres dont la partie décimale peut s’étendre à l’infini. Est-ce à dire que l’ensemble entier de ces nombres peut être contenu dans l’aleph-zéro ? Avec une autre simple et saisissante preuve, Cantor a montré que ce n’était pas le cas. Il a imaginé placer chaque nombre décimal, rationnel ou irrationnel, compris entre 0 et 1 dans une liste. S’il y parvenait, il pourrait alors se servir de la même preuve de la correspondance biunivoque, faisant correspondre chaque valeur décimale à la valeur de sa position dans la liste, ce qui permettait de prouver qu’il s’agissait bien d’un nouvel ensemble de l’aleph-zéro.
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Pour mettre en œuvre sa preuve, Cantor avait besoin d’être capable d’étudier des nombres séquentiels dans la liste. S’ils sont dans l’ordre, cela est impossible, car le premier nombre est le 0,000… jusque l’infini et se terminant par un 1 ; le deuxième nombre est identique mais se termine par un 2, et ainsi de suite. Cantor a donc mélangé la liste et sélectionné quelquesuns des premiers nombres.
Regardons la diagonale à travers ces premiers nombres – la première place décimale du premier nombre, puis la deuxième place du deuxième nombre, et ainsi de suite.
Vous pouvez imaginer qu’il s’agit d’un nouveau nombre : 0,220709… À présent, incrémentons chaque chiffre d’une unité. Ainsi, au lieu de lire 0,220709, nous lisons 0,331810… (le 9 devient un 0).
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Pour finir, Cantor a comparé ce nouveau nombre 0,331810… avec son tableau d’origine. Ce n’est pas le premier nombre, car le premier chiffre est différent. Ce n’est pas le deuxième nombre car le deuxième chiffre est différent. Ce n’est pas non plus le troisième nombre. Et ainsi de suite. Cantor a généré en réalité un nouveau nombre qui n’apparaît pas dans la liste. Il a démontré avec une grande simplicité qu’il est impossible de caser tous les nombres décimaux compris entre 0 et 1 dans une liste avec une cardinalité d’aleph-zéro. Le comptage de ces nombres décimaux donnait un résultat encore plus grand – « plus grand » que l’infini.
Nous parlons de nombres transfinis*. Prenez un moment pour réfléchir à cela…
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Des points dans l’espace Une autre chose tout à fait remarquable a été découverte par Cantor. Jusqu’ici, nous avions imaginé une ligne de nombres formant une liste unidimensionnelle et nous avons conclu à l’existence de ce nouvel infini – que Cantor appelait « l’infini du continuum » ou c, dans la mesure où cette ligne inclut tous les nombres du spectre continu entre 0 et 1. C’est-à-dire qu’elle inclut tous les points d’une ligne. Mais combien de points peut-on inscrire dans un carré ou dans un cube ? La dernière des preuves simples apportées par Cantor étend le concept de l’aleph aux points dans l’espace (3D). Nous allons voir de quelle manière pour un carré, mais vous pouvez faire de même avec un nombre quelconque de dimensions.
Alors, combien de points y a-t-il ?
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Nous définissons une position sur une ligne avec un seul nombre. Ainsi, par exemple, sur une ligne qui s’étend de 0 à 1, le mi-chemin sera désigné par 0,5. De la même façon, nous utilisons deux nombres pour localiser un point sur un carré. Sur une carte, ce sont les références de la grille, ou la latitude et la longitude (ou les coordonnées GPS) d’un point ; sur un graphique, les valeurs d’abscisse (X) et d’ordonnée (Y). Ce sont les coordonnées cartésiennes, en hommage au philosophe français René Descartes (1596–1650) qui a montré comment l’algèbre et la géométrie se combinent sur un tel plan.
Toutefois, l’utilisation de deux points pour repérer un point sur le plan n’était pas une invention de Descartes – Ptolémée (env. 90–168) avait déjà des cartes utilisant des doubles coordonnées dans son atlas du monde en l’an 150.
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Dans un carré, si nous imaginons chaque côté (X et Y) comme une ligne allant de 0 à 1, comme notre ligne originale de nombres, nous pouvons nous référer à n’importe quel point avec seulement deux nombres compris entre 0 et 1 appelés les coordonnées X et Y. Canto a remarqué que nous n’avons pas besoin de deux nombres pour faire référence à ce point. On peut créer un nouveau nombre en alternant les chiffres des deux nombres. Ainsi, si X = 0,5921 et Y = 0,2843, une définition unique du point est donnée par 0,52982413, où les chiffres en position impaire identifient la valeur de X et ceux en position paire la valeur de Y.
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Quand on vous a affirmé à l’école qu’il fallait deux nombres pour identifier un point dans un plan à deux dimensions, c’était faux. Chaque point d’un plan peut être déterminé par une seule valeur. Bien entendu, le nouveau nombre contient plus d’information – il a deux fois plus de chiffres après la virgule – mais cela reste un nombre unique. Il s’ensuit que la cardinalité des points dans un carré est identique à celle du continuum de nombres compris entre 0 et 1, c. Le même raisonnement s’applique aux points contenus dans un cube ou dans n’importe quel hypercube à n dimensions.
Chaque point dans l’espace peut être identifié par un seul nombre compris entre 0 et 1.
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Le choc de l’infini Cantor semble avoir été plus choqué par cette découverte – à savoir que 0 s’applique à n’importe quel espace à n dimensions – que par ses autres preuves remarquables. Il nous est difficile de comprendre pourquoi cela l’a affecté autant. La plupart d’entre nous sommes décontenancés par des infinis plus ou moins grands, tandis qu’il y a quelque chose de plus palpable dans l’idée que le nombre de points dans une ligne et le nombre de points dans un espace à trois dimensions (par exemple) sont identiques.
Je le vois mais je n’y crois pas.
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Quelques-unes des réussites de Cantor sont certainement de nature à repousser les limites de notre imagination, mais ce n’était pas en raison de ce que nous avons vu jusqu’ici que Cantor a été conduit à la folie. Cela était dû en partie à la frustration du fait qu’un aspect de l’infini allait lui échapper pour le restant de sa vie. Il avait bien démontré que l’infini du continuum c, de toutes les fractions comprises entre 0 et 1, était plus grand qu’aleph-zéro, mais était-ce le cas aussi de 1, le décompte des alephs-zéro, tout comme vous pourriez dire que 0 représente le décompte de tous les entiers positifs ? Cela semblait raisonnable – mais Cantor était incapable d’en apporter la preuve, et l’idée a pris le nom d’hypothèse du continuum.
Est-ce que l’infini du continuum est aleph-un ( 1) ? 125
Les ensembles de puissance Cantor a franchi un pas dans cette direction, mais pour le comprendre nous avons besoin de voir le concept des ensembles de puissance. Prenons un exemple très simple, un ensemble composé de trois items : un couteau, une fourchette et une cuillère. Cet ensemble possède une cardinalité 3. Mais de plus, il possède davantage de sousensembles que nous identifions comme suit : Rien (l’ensemble vide) Un couteau Une fourchette Une cuillère Un couteau et une fourchette Un couteau et une cuillère Une cuillère et une fourchette Un couteau, une fourchette et une cuillère
C’est-à-dire qu’il y a un total de huit sous-ensembles. Il se trouve que la cardinalité de tous les sous-ensembles d’un ensemble donné, appelé l’ensemble de puissance, sera toujours 2c, où c est la cardinalité de l’ensemble considéré. Dans le cas de nos couverts, nous avons 23, ou 2 × 2 × 2, soit 8. 126
Cette particularité de l’ensemble de puissance s’applique même à l’ensemble vide, mais cela demande que l’on y réfléchisse. Cela voudrait dire que la cardinalité du seul sous-ensemble de l’ensemble vide doit avoir une cardinalité 20. Mais quelle est la valeur de 20 ? Généralement, nous donnons au symbole de puissance le sens « multiplié par lui-même ce nombre de fois ». Par exemple, 23 revient à 2 × 2 × 2 soit 8. Mais pour 20 ? La réponse provient de la manière dont l’arithmétique fonctionne. Si, par exemple, vous multipliez 22 (2 × 2) par 23 (2 × 2 × 2), vous obtenez 25 (2 × 2 × 2 × 2 × 2). Vous avez additionné les puissances. Donc 22 × 20 doit avoir la valeur 22. Donc 20 (ou tant que l’on y est n’importe quoi0) égal 1.
La cardinalité de l’ensemble de puissance de l’ensemble vide est 1.
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Cantor a démontré que l’infini du continuum (c ) était l’ensemble de puissance des nombres réels. Mais il a été incapable de démontrer que c et 1 étaient identiques, alors qu’il a pu montrer que c’était 20, ce qu’il a considéré comme étant un pas dans la bonne direction. Vous pouvez le vérifier par vous-même en écrivant tous les nombres compris entre 0 et 1 en système binaire. En langage binaire, le 0,5 devient 0,1 suivi d’une rangée infinie de zéros, alors que 0,25 devient 0,01 suivi d’une rangée infinie de zéros, et ainsi de suite.
Une valeur quelconque entre 0 et 1 peut être écrite en langage binaire sous la forme d’une rangée de chiffres d’aleph-zéro qui sont soit 0 soit 1.
Chaque fois que nous avons affaire à un ensemble de choses, où chaque item peut prendre une valeur parmi deux, le nombre de combinaisons possibles sera de 2n, où n est le nombre d’items. Nous aurons donc 20 nombres possibles dans l’ensemble des nombres compris entre 0 et 1, lequel possède la cardinalité c. 128
Cantor attaqué Alors qu’il était stressé par ses tentatives pour démontrer son hypothèse du continuum, Cantor fut attaqué par ses pairs de l’université. Un certain Leopold Kronecker (1823–1891), qui avait même été un mentor pour Cantor et qui possédait bien plus d’influence dans l’establishment universitaire, s’était mis en tête de ruiner la carrière de Cantor, simplement parce qu’il ne supportait pas l’idée des implications des travaux de ce dernier. Kronecker était un puriste. Il n’était satisfait que de l’existence des entiers, et des nombres ayant un lien direct avec eux, comme les fractions rationnelles.
Toute autre considération, selon Kronecker, est douteuse – même quelque chose d’aussi simpliste qu’une fraction irrationnelle. Et les alephs de Cantor sont tout simplement blasphématoires !
Kronecker était déterminé à faire en sorte que les travaux de Cantor ne puissent pas être reconnus par ses pairs. 129
Pendant un certain temps, il a semblé que l’issue du duel entre Cantor et Kronecker pouvait aller dans un sens ou dans l’autre. Quand Cantor a apporté la preuve que les points dans un espace à n dimensions avaient la même cardinalité que le continuum des nombres compris entre 0 et 1, il a tout de même réussi à être publié dans une revue allemande de haut niveau, Crelle’s Journal – mais seulement au bout de quelques mois, un délai dû, d’après un éditeur de la revue, au flot continu de commentaires négatifs de Kronecker qui retardaient la parution. Cantor s’en est pris à Kronecker en se portant candidat à un poste de professeur à Berlin, ce qui aurait eu pour effet de faire enrager son rival établi dans la capitale allemande.
Kronecker, en effet, s’est emporté, piqué au vif, et, à l’aide de ses troupes en réserve, a déclenché un tel tapage que les milieux berlinois auraient dit qu’il avait été entendu jusqu’au cœur des déserts de sable d’Afrique, par ses lions, ses tigres et autres hyènes.
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Comme on pouvait s’y attendre, la candidature de Cantor au poste à Berlin n’a pas été retenue. Entre-temps, Kronecker avait mis en place un piège pour son rival. Les articles de Cantor étaient souvent publiés dans Acta Mathematica, une revue dirigée par l’un de ses amis, Magnus Gösta Mittag-Leffler. Kronecker a soumis ses propres articles à Mittag-Leffler. C’était une attaque directe visant Cantor qui pensait avoir trouvé un refuge sûr dans les pages d’Acta Mathematica, et voilà que son ennemi l’envahissait. Comme Kronecker l’a pressenti, Cantor a joué la prima donna, menaçant de cesser de soumettre ses publications à Mittag-Leffler si ce dernier acceptait un seul manuscrit de Kronecker.
Bien entendu, cet incident a affecté les relations entre Cantor et son seul ami le publiant.
Pendant ce temps-là, l’article de Kronecker a disparu.
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La chute de Cantor Sous la pression constante et incessante des attaques de Kronecker et piégé dans les eaux stagnantes de l’université de Halle, incapable de démontrer son hypothèse du continuum, l’esprit de Cantor fut bouleversé.
Il est mort dans un hôpital psychiatrique en 1918, établissement qu’il avait été obligé de fréquenter, de manière régulière, au cours des précédentes années.
Ironie de la situation, les successeurs de Cantor démontreraient qu’il perdait son temps à essayer de cerner la relation qui pouvait exister entre 0 et c. Le premier pas dans cette direction a été franchi par un autre homme dont la stabilité mentale allait être remise en question, en raison de ses travaux contemplatifs sur l’infini. Il s’agit du mathématicien germano-tchèque Kurt Gödel. 132
La preuve bouleversante de Gödel Kurt Gödel (1906–1978) a apporté la preuve la plus bouleversante des mathématiques. Son chef d’œuvre, le théorème de l’incomplétude, énonce que dans tout système mathématique, il subsistera toujours des problèmes impossibles à résoudre. Un système est une série d’axiomes, ou de règles basiques et de suppositions, sur lesquelles se fondent les mathématiques. Pour donner une image très approximative du théorème de Gödel, je vous invite à imaginer comment il convient d’aborder l’affirmation : « Ce système mathématique ne peut démontrer que cette affirmation est vraie. » Cette affirmation est-elle vraie ?
Si le système peut prouver cette affirmation, alors il ne peut pas la démontrer. S’il ne peut pas prouver l’affirmation, il ne peut toujours pas la démontrer.
Quoi qu’il arrive, l’affirmation ne peut tout simplement pas être démontrée.
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Comme Cantor, Gödel était tout sauf stable. Bien que n’étant pas juif, il trouvait que l’Autriche nazie des années 1930 était un lieu de plus en plus gênant pour mener des recherches. En 1939, lui et sa femme décidèrent de fuir aux États-Unis. Ne pouvant y accéder par l’ouest, ils empruntèrent le Transsibérien et arrivèrent à San Francisco en passant par le Japon. En dépit du fait qu’il avait été engagé au prestigieux IAS (Institute of Advanced Studies) à Princeton, Gödel souffrait de plus en plus de paranoïa. Il était persuadé que quelqu’un voulait l’empoisonner et ne consentait à manger que les plats préparés par sa femme. Quand cette dernière mourut, Gödel s’est en effet laissé mourir de faim.
Alors qu’il était en vacances, Gödel, distrait, a failli un jour être arrêté comme espion car il arpentait le front de mer américain en marmonnant en allemand.
Les gens du coin croyaient qu’il attendait de rentrer en contact avec un sous-marin allemand.
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Retour à l’hypothèse du continuum Gödel a réussi à démontrer que l’hypothèse d’un continuum n’était pas incompatible avec la théorie des ensembles, mais son état mental était devenu trop instable pour poursuivre ses travaux sur le problème rencontré par Cantor vis-à-vis de l’infini. C’est un autre mathématicien, Paul Cohen (1934–2007), plus jeune, qui a démontré qu’il ne serait jamais possible de prouver ou d’invalider l’hypothèse du continuum. En effet, personne ne peut être sûr que c, l’infini du continuum de 0 à 1, est identique à 1.
En revanche, j’ai pu démontrer que l’hypothèse du continuum est indépendante des axiomes de la théorie des ensembles – elle fonctionne dans un domaine totalement extérieur aux limites des ensembles.
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André Weil (1906–1998), un mathématicien né en France puis parti s’installer, comme bien d’autres de son époque, aux États-Unis, juste avant le début des hostilités de la Seconde Guerre mondiale, est sans doute celui qui a résumé le mieux la frustration engendrée par le type de résultats laissés par les travaux de Gödel et Cohen sur l’hypothèse du continuum. Elle n’est pas incompatible avec la théorie des ensembles, et cependant elle ne pourra jamais être liée à cette théorie. Elle ne peut ni être prouvée, ni être invalidée. Aussi longtemps que nous serons prisonniers des mêmes axiomes qui ont présidé à la fondation de la théorie des ensembles, il ne sera pas possible de progresser davantage.
Dieu existe puisque les mathématiques sont cohérentes ; le Diable existe aussi puisque nous ne pouvons démontrer le contraire. 136
L’infini existe-t-il ? Peu de mathématiciens étaient aussi pointilleux que Kronecker, mais il n’était pas le seul à se sentir gêné face aux révélations de Cantor sur l’infini. Un contemporain avait fait remarquer que les idées de Cantor « semblaient répugner notre bon sens ». À la fin, nous serons toujours embêtés par l’incertitude qui plane sur les questions suivantes : l’infini existe-t-il vraiment, ou est-ce simplement – comme aurait pu dire Aristote quelque chose de potentiel – un concept pratique ?
Il est difficile d’affirmer qu’il existe un véritable infini dans le monde réel.
Tout comme Aristote, nous devons nous interroger : le temps s’arrête-t-il ou connaîtra-t-il une fin ? Existet-il un point au-delà duquel il nous est impossible de subdiviser le temps ou l’espace ?
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L’infini fractal Une application mathématique qui laisse deviner un infini réel est celle des fractales. Ces dernières offrent une manière de produire un chemin infiniment long dans un espace fini. L’approche la plus simple est la courbe de Koch, établie par le mathématicien suédois Helge von Koch (1879–1924) en 1906. Pour commencer, prenons un triangle équilatéral. Ensuite, plaçons un autre triangle équilatéral, du tiers de la taille du premier, sur chaque arête, dont le sommet pointe vers l’extérieur et la base est centrée sur cette arête. Le périmètre est désormais plus grand. Puis ajoutons encore une rangée de triangles, toujours du tiers de la taille des précédents, sur chaque arête extérieure. Et ainsi de suite. La forme finale, parfois appelée flocon de neige de Koch, a un périmètre qui tend vers l’infini mais ne sort jamais du cercle qui entoure le triangle initial.
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Si on fait un zoom sur un détail de fractale, on croirait voir la forme en entier. Cette « autoressemblance » constitue l’une des caractéristiques de cette forme. Les fractales étaient déjà présentes dans les travaux de Cantor et d’autres, mais n’ont pris leur nom qu’en 1975, quand le mathématicien polonais-franco-américain Benoît Mandelbrot (1924–2010) a inventé ce terme pour souligner que les résultats de ces fonctions mathématiques étaient « fracturés ». Mandelbrot est sans doute plus connu pour ce que l’on appelle l’ensemble Mandelbrot, une forme fractale particulière qui est devenue une image de poster des années 1980.
La bordure de l’ensemble qui produit cette image saisissante devient de plus en plus complexe au fur et à mesure que des détails sont ajoutés.
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Récursivité Une fractale est générée en répétant l’application d’une équation qui est d’ordinaire (relativement) simple, construisant une structure qui devient de plus en plus complexe. Ce n’est pas une coïncidence si les fractales ont gagné en popularité dans les années 1970 et 1980, les ordinateurs devenant des outils de plus en plus courants en mathématiques. L’application répétée d’une formule, dite récursive, est un procédé naturel pour effectuer des calculs par ordinateur. On peut faire soi-même avec un crayon et une règle les premières étapes de l’ensemble de Cantor (voir p. 145) et du flocon de Koch, mais pour un ensemble tel que celui de Mandelbrot, il faut un ordinateur pour obtenir un résultat qui ait du sens.
À la même époque, on s’est rendu compte que de nombreuses formes existant dans la nature ressemblaient à des fractales.
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Les fractales dans la nature Bien que les fractales semblent n’être que des formes mathématiques abstraites – belles mais inutiles –, elles reflètent en réalité des formes que l’on trouve dans la nature. Les arbres, les chaînes de montagnes, les flocons de neige, les nuages sont grossièrement des objets fractals. Ce n’est pas tant que la nature possède un facteur inhérent de construction fractale, mais plutôt le fait que la formation d’objets naturels implique souvent une répétition de processus simples. Les objets naturels sont approximativement de forme fractale parce qu’ils n’obéissent pas à des règles mathématiques rigides – en effet, de nombreux facteurs externes peuvent en modifier la construction –, mais ils présentent un degré de propriété d’autoressemblance commun à de multiples formes fractales.
Quelques-unes de ces formes naturelles – les fougères, par exemple, ou les chaînes de montagnes – sont relativement faciles à modéliser avec des formulations fractales.
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Lorsque les fractales sont devenues populaires, on pensait qu’elles auraient de nombreuses applications. À cette époque, les photographies commençaient à envahir les ordinateurs, où elles prenaient beaucoup de mémoire, alors que cette dernière était limitée. Des chercheurs spécialistes des fractales ont fondé une société, Iterated Systems, pour vendre des logiciels de compression d’images.
En principe, une compression fractale est bien meilleure que le format JPEG qui prédomine, parce que les images ne se bloquent pas quand on zoome sur elles, elles sont simplement de moins en moins nettes.
Mais la technologie n’a jamais suivi et est restée à l’état de niche. Les fractales ont maintes autres utilisations, à la fois analytiques et fonctionnelles, mais pas pour un futur immédiat. 142
Mesurer la longueur d’une côte La courbe de Koch et l’ensemble de Mandelbrot peuvent être envisagés pour résoudre le problème réel du calcul de la longueur d’une côte, par exemple, le périmètre d’une île comme la Grande-Bretagne. Imaginez-vous en train de faire le tour de la côte avec un mètre afin de la mesurer ; vous reviendriez avec un certain chiffre.
Mais si vous utilisez une règle plus petite qui peut s’insérer dans les craquelures et ainsi faire le tour de toutes les aspérités et tous les trous, la distance mesurée sera plus grande.
Jusqu’au moment où nous atteignons l’échelle atomique, cette longueur mesurée peut être aussi grande que vous le souhaitez. Nous avons pris l’habitude de voir la science fournir des valeurs précises, mais voici un cas où la mesure n’a pas de valeur particulière. La seule réponse pourrait être : « Cela dépend. » 143
Dans la pratique, quand on mesure la longueur d’une côte, nous nous heurtons toujours aux limites de la physique. Même en prenant un dispositif de mesure capable de distinguer des différences de taille infiniment petites, on peut considérer que les atomes qui délimitent la côte à mesurer ont une taille finie, qui devrait marquer la limite de la mesure. Si nous allons plus loin, il semble qu’il y ait une distance appelée la longueur de Planck, en dessous de laquelle il est intrinsèquement impossible de prendre une mesure. Cette longueur de Planck est d’environ 1,6 × 10–35 mètre. Elle implique aussi une unité minimale de temps, celui que met la lumière pour parcourir cette distance, soit environ 5,4 × 10–44 seconde.
Peut-être Aristote avait-il tout faux au sujet de notre capacité à subdiviser indéfiniment le temps et l’espace.
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L’ensemble de Cantor Cantor a proposé une catégorie d’ensembles qui établit un rapprochement entre l’infini continu (c) et les fractales. La forme la plus connue est l’ensemble ternaire de Cantor, qui résulte de la répétition d’une action simple sur le continuum entre 0 et 1. Imaginons la ligne complète de 0 à 1 comme une ligne « solide ». Découpons le tiers central de sorte qu’il ne reste que deux blocs, chacun de longueur 1/3, de part et d’autre du trou. Puis découpons le tiers central de chacun de ces deux blocs latéraux. À présent, vous avez quatre blocs. Et ainsi de suite à l’infini.
Le résultat est un motif qui s’estompe graduellement mais ne disparaît jamais. 145
Vous pouvez avoir l’impression que si le processus est poursuivi à l’infini, le motif disparaîtra comme s’il avait été grignoté entièrement, mais il y a une subtilité dans la définition des gros morceaux ôtés qui fait que cela ne peut pas arriver.
Ce qui est découpé est le tiers central « ouvert ». Cela signifie que les extrémités ne sont pas incluses.
Ainsi, quand le segment retiré est, par exemple, celui compris entre 1/3 et 2/3, les deux points 1/3 et 2/3 demeurent – le trou est infinitésimalement plus petit que les segments qui restent, ce qui permet de fournir assez de matière pour que le motif se poursuive.
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L’ensemble de Cantor est une fractale. Peu importe le niveau auquel vous l’analysez, il ressemblera à tous les autres, tout comme dans le cas du flocon de neige de Koch. C’est un ensemble qui ressemble un peu à la série 1 – 1 + 1 – 1 + 1 – 1 + 1… D’un côté, quand l’ensemble s’étend à l’infini, rien ne semble subsister. L’ensemble paraît totalement grignoté et on peut démontrer qu’il n’y a pas d’intervalles (trous) non nuls, c’est-à-dire des « morceaux » qui dépassent la taille du simple point mathématique. Cependant, il y a un ensemble infini de tels points – il possède la même cardinalité que les points de la ligne initiale c.
Il est là et il n’est pas là… 147
Et si l’Univers était infini ? À part les fractales, existe-t-il un infini physique ? Par exemple, l’Univers lui-même est-il infini ? Tout au long de l’histoire des sciences, la réponse a été alternativement « oui » et « non ». Depuis l’époque de la Grèce antique, plusieurs arguments ont circulé quant aux avantages et inconvénients d’un univers infini. Avec le temps, notre perception et notre compréhension de l’échelle de notre Univers n’ont cessé de s’affiner.
Nicolaus Copernicus (1473-1543)
J’ai calculé que notre Univers était environ 90 fois plus grand que l’échelle prédite par Archimède
Au xxe siècle, il a été découvert que même la galaxie la plus proche de la nôtre, la galaxie d’Andromède, se trouvait à une distance de 2 millions d’années-lumière. 148
Nous savons désormais que l’Univers doit mesurer au moins 90 milliards d’années-lumière de diamètre. Bien que nous ne puissions percevoir que la lumière qui voyage depuis le début de l’Univers, soit environ –13,7 milliards d’années, puisque l’Univers est en expansion constante, nous pouvons voir en réalité environ 45 milliards d’années-lumière dans chaque sens. Toutefois, nous ne savons pas avec certitude si cet Univers est fini ou non.
Je crois que l’Univers doit être infini, car s’il était fini, les objets proches du bord extérieur sentiraient une attraction plus forte les attirant vers le centre et, par conséquent, tout s’effondrerait.
Newton
De fait, un univers fini pourrait être une partie seulement d’un multivers infini.
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Les confins de l’Univers existent-ils ? Aussi loin qu’à l’époque des Romains, on soutenait que l’Univers devait être infini, sinon il y aurait forcément un bord et qu’y aurait-il au-delà ? Que se passerait-il si une flèche dépassait ce bord ? Plus récemment, les scientifiques se sont rendu compte qu’un univers fini n’a pas nécessairement de bord.
Pensez à une sphère. Sa surface est finie mais elle ne possède pas de bord.
Il est possible de convertir cette même image en y ajoutant une dimension (le temps) afin de produire un univers fini sans bornes. Mais même s’il avait un bord, nous pensons dorénavant que rien ne peut franchir le bord extérieur, car l’Univers est en expansion si rapide que rien ne peut le rattraper. 150
L’une des approches les plus pragmatiques de la question de l’infini est censée remonter au règne d’Alexandre le Grand. L’un des compagnons du jeune roi de Macédoine lors de ses expéditions en Asie était le philosophe Anaxarque (environ 380–320 avant J.-C.), un étudiant de Démocrite, l’auteur de la première théorie des atomes. Anaxarque avait informé Alexandre qu’il existait un nombre infini de mondes et ce dernier aurait aussitôt fondu en larmes. Quand son ami philosophe lui a demandé ce qui n’allait pas, Alexandre répliqua de manière surprenante.
Ne pensez-vous pas qu’il y a matière à désespérer étant donné que parmi cette multitude de mondes, nous n’avons pas conquis encore un seul d’entre eux ?
Et à y réfléchir, c’est peut-être là que nos généraux actuels se trompent : ils n’envoient pas assez de philosophes au front. 151
Il s’avère, tout simplement, que nous ne connaissons pas la taille de notre Univers. Il semblerait que selon la théorie du Big Bang, notre Univers devrait nécessairement être fini, dans la mesure où tout serait théoriquement parti d’un point. Mais cela n’exclut pas que l’Univers que nous connaissons soit une bulle en expansion à l’intérieur d’un multivers bien plus grand et possiblement infini. Et le fait est que la théorie du Big Bang est seulement l’une des théories qui expliqueraient les données observées, dont certaines iraient dans le sens d’un univers unique infini. Mais nous n’avons pas de preuves irréfutables quant au choix d’une théorie en particulier.
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L’infini quantique Notre meilleure chance de voir réellement l’infini pourrait peut-être provenir un jour de la science naissante du calcul quantique. Il s’agit de calculs où l’élément de base n’utilise pas la propriété « 0/1 » de l’interrupteur (qui ne peut être que « ouvert » ou « fermé »), comme dans le cas d’un ordinateur classique, mais l’état d’une particule quantique comme le photon ou l’électron. Ces particules quantiques obéissent à une série de règles différentes de celles applicables à des objets macroscopiques comme les gens.
La démonstration probablement la plus facile s’appuie sur une expérience qui remonte au xixe siècle, connue sous le nom des fentes de Young.
Erwin Schrödinger (1887-1961)
Spécifiquement, une particule quantique peut se trouver dans plusieurs états simultanément.
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L’expérience des fentes de Young Dans cette expérience d’optique, conçue par Thomas Young (1773–1829), de la lumière est envoyée au travers d’une paire de fentes. Les deux faisceaux de lumière se rencontrent au-delà des fentes et interagissent. En imaginant la lumière sous forme d’ondes, cette « interférence » correspond à deux trains d’ondes qui se croisent. À certains endroits, il y a renforcement de l’onde, les deux ondes s’élevant en même temps, produisant un pic de luminosité particulièrement fort. À d’autres endroits, les ondes s’annulent – se déplaçant en sens opposés – et il en résulte un calme plat. Il en va de même pour la rencontre des faisceaux de lumière au-delà des fentes : ils interfèrent et produisent des bandes claires et sombres sur un écran placé derrière les fentes.
Je me suis servi de cette expérience pour discréditer l’idée selon laquelle la lumière est composée de particules.
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Cependant, il a été découvert au début du xxe siècle que la lumière est réellement composée de particules – les photons. Nous pouvons faire passer les photons l’un après l’autre au travers des fentes de Young. Et le résultat est identique : des bandes claires et sombres alternées sur l’écran placé dans le fond de la cavité. Cela fonctionne uniquement si les photons traversent les deux fentes simultanément et interfèrent.
Si vous placez un capteur afin de déterminer à travers quelle fente passe un photon donné, les bandes de lumière disparaissent.
Ainsi, ces particules quantiques se trouvent à de multiples emplacements, et c’est uniquement le fait de les observer qui les oblige à franchir l’une ou l’autre fente. 155
Le spin Pour un ordinateur quantique, il s’avère plus commode d’utiliser une autre particularité multiforme quantique, le spin. Le spin quantique n’est en réalité qu’une analogie : il ne s’agit pas de décrire des particules qui tournoient (sens du verbe to spin en anglais). Le spin est une propriété de toute particule quantique. Quand il est mesuré, le spin est décrit avec l’une des deux valeurs « up » ou « down ».
Avant d’effectuer les mesures, nous sommes dans l’incapacité de dire quel est le spin de la particule – nous ne pouvons lui donner que des probabilités. Il peut être 47 % up et 53 % down.
Jusqu’au moment de la mesure, la particule se trouve dans les deux états, avec les probabilités appropriées.
Vous pouvez alors considérer le rapport de ces probabilités comme une direction. Si le rapport est de 50 : 50, cette direction sera à mi-chemin entre up et down, et pour tout autre rapport, la direction sera différente.
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Si un ordinateur quantique peut se baser sur cet état de spin pour représenter un élément quantique, le qubit, alors nous avons un ordinateur qui ne manipule pas uniquement des 0 et des 1, mais qui peut utiliser un nombre décimal infiniment long spécifiant la direction exacte entre deux états de spin.
Mais ce n’est pas facile à utiliser cependant. Chaque fois que vous mesurez la valeur d’un qubit, vous annihilez son état (comme avec les photons et les fentes) et les qubits peuvent disparaître aussi au cours d’interactions avec d’autres particules situées autour d’eux.
Mais en principe, un ordinateur quantique est un véritable dispositif qui peut traiter des suites décimales infiniment longues, plutôt que passer par des approximations comme le font les ordinateurs classiques.
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L’infinitésimal Quand on pense à l’infini, nous ne sommes jamais éloignés de son inverse, l’infiniment petit. Bien que se trouvant aux extrémités opposées du spectre mathématique, l’infini et l’infinitésimal sont inévitablement liés. L’infinitésimal peut ne pas induire le même sentiment d’effroi, alors que l’infini nous stupéfait davantage ; pourtant, l’un n’est que l’inverse de l’autre.
Comme nous l’avions vu pour les fluxions et le calcul infinitésimal, tandis que l’infini à l’état brut peut posséder les passionnants alephs et oméga, les infinitésimaux sont les aspects de l’infini les plus aptes à être intégrées dans des applications de la vie courante.
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Le calcul infinitésimal nous permet de contourner les interrogations de Berkeley concernant les « fantômes des quantités disparues » en utilisant des valeurs infiniment petites, plutôt que le véritable inverse de l’infini. Mais dans les années 1960, le mathématicien américain Abraham Robinson (1918–1974) a montré que tout comme les nombres imaginaires qui peuvent avoir une valeur alors que techniquement ils n’ont pas d’existence, les infinitésimaux peuvent également être des outils mathématiques utiles, à la condition que tout rentre dans l’ordre à la fin des opérations.
Il n’est plus nécessaire désormais aussi bien d’essayer de trouver le moyen d’insérer les infinitésimaux dans un schéma classique que de placer -1 dans la ligne des nombres ordinaires.
Au lieu de cela, les infinitésimaux peuvent être traités séparément avec leurs propres opérations mathématiques. 159
L’analyse non standard On ne pouvait pas dire tout simplement : « Appelons infinitésimaux une autre catégorie de nombres ». Robinson a eu recours à une technique appelée la théorie des modèles pour montrer que la même approche qui donne une structure formelle d’opérations arithmétiques sur des nombres réels peut être étendue afin d’englober l’infiniment grand et l’infiniment petit. Cette approche porte le nom d’analyse non standard (ou non conventionnelle).
Cela fournit un moyen d’accepter intuitivement d’évidentes possibilités – comme les fluxions de Newton – mais leur donne aussi le cadre de traitement rigoureux exigé par les mathématiciens.
Il n’était plus nécessaire de s’inquiéter des divisions par zéro, puisque l’infinitésimal disparaissait totalement – vous traitiez des valeurs mathématiques acceptables si non conventionnelles.
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Dans une analyse non conventionnelle, les infinitésimaux sont placés sur une ligne spéciale que les mathématiciens appellent la ligne des nombres hyperréels (qui inclut les infinis et les infinitésimaux) et sont plus grands que – a mais plus petits que a pour toute valeur de a. Ils oscillent en quelque sorte entre le plus petit négatif et le plus petit positif. Le zéro est le seul véritable infinitésimal, toutefois l’analyse non conventionnelle apporte tout un nuage d’autres nombres non réels qui se trouvent dans l’intervalle entre –a et +a. La plupart d’entre nous qui avons appris le calcul différentiel sommes surpris par cette validité des infinitésimaux. L’analyse non conventionnelle est une approche dont la plupart des nonmathématiciens ignorent encore l’existence. Mais il s’agit de techniques mathématiques bien établies.
Pensez à un nombre, n’importe lequel. Il est plus petit que vous ne l’imaginez.
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Les infinitésimaux et le mouvement brownien Un bon exemple d’application de l’analyse non conventionnelle est la modélisation du mouvement brownien. Dans les années 1820, le botaniste Robert Brown (1773–1858) avait remarqué que les grains de pollen gigotaient dans tous les sens quand ils étaient observés dans une goutte d’eau au microscope.
Au début, j’ai pensé qu’il s’agissait d’une force vivante, mais ensuite j’ai constaté le même phénomène avec de minuscules particules de matière définitivement mortes. L’explication correcte du mouvement a été donnée dans les années 1870, celui-là étant dû aux impacts aléatoires des molécules d’eau qui vibraient. En 1905, Einstein a mis au point un modèle mathématique du phénomène – mais cela ne suffisait pas.
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Le modèle d’Einstein pour expliquer le mouvement brownien (publié dans l’un de ses trois articles marquants de 1905, incluant ses premières excursions dans la relativité restreinte et ses idées sur l’effet photoélectrique qui ont mené à la théorique quantique) était un modèle statistique.
Le modèle prédisait de manière satisfaisante l’effet général, mais était incapable de suivre les mouvements des molécules prises individuellement.
Dans les années 1970, le mathématicien canadien Robert Anderson (1951-), professeur d’économie et de mathématiques à l’université de Californie à Berkeley, a utilisé l’analyse non conventionnelle pour tracer des mouvements infinitésimalement petits et cette approche s’est révélée être la seule capable de fournir un modèle fonctionnel du mouvement brownien à ce niveau de détail. Ces quantités non existantes commençaient à peser de tout leur poids.
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Les recherches de Robinson se concentraient sur les infinitésimaux, mais elles placent aussi l’infini sur la ligne des nombres hyperréels. Il peut sembler à première vue que les nombres transfinis de Cantor sortaient du placard pour rejoindre tous les autres, cependant ce n’est pas le cas en réalité. Les alephs de Cantor ne peuvent se placer sur une ligne de nombres comme les infinis de Robinson. Les deux systèmes sont incompatibles.
C’est un peu comme si l’on regardait la photographie d’un objet en 3D. Imaginons les images d’un serpent prises de côté et de devant. Ces photographies sembleraient montrer des objets différents.
Il en va de même pour l’infini. Regardez dans une direction et vous verrez des alephs ; dans une autre, vous obtiendrez une analyse non conventionnelle. Certains mathématiciens estiment que, loin d’être conflictuelles, ces deux approches, en interagissant, donneraient des résultats importants. 164
L’hôtel de Hilbert Ce qui est indiscutablement réel est la fascination pour ce sujet. Prenons deux paradoxes de l’infini. Le premier est l’hôtel de Hilbert, qui emprunte son nom au grand mathématicien allemand David Hilbert (1862–1943). L’hôtel de Hilbert a une caractéristique unique : les chambres sont numérotées en alephs-zéro – un pour chaque chambre dans la série infinie des nombres cardinaux. À présent, imaginons que vous arriviez tard un soir et que le Hilbert soit le seul hôtel dans cette ville. « Désolé, dit le réceptionniste, mais nous sommes complets. » Et vous de répondre : « Pas de problème. »
Déplacez la personne qui occupe la chambre 1 à la chambre 2.
Déplacez l’occupant de la chambre 2 à la chambre 3.
Et ainsi de suite pour toutes les chambres de l’hôtel. Maintenant, tout le monde a une chambre, mais la première est libre et vous pouvez l’occuper. 165
Tout cela semble satisfaisant, mais un car en service spécial arrive devant l’hôtel. À son bord, un ensemble infini de passagers. Le réceptionniste doit encore se confondre en excuses. L’hôtel est complet. Par chance, vous vous trouvez encore à la réception et vous pouvez vous en charger. « Pas de problème », déclarez-vous.
Déplacez la personne qui occupe la chambre 1 à la chambre 2.
Déplacez l’occupant de la chambre 2 à la chambre 4.
Puis l’occupant de la 3 à la 6.
Et ainsi de suite, doublant les numéros des chambres de tout l’hôtel. Désormais, toutes les chambres de numéro impair – un ensemble infini d’entre elles – se trouvent libres pour les nouveaux arrivants. Parfait. 166
Les bien-pensants pourraient défendre l’idée que l’hôtel de Hilbert ne pourra jamais exister. Il n’y a qu’un nombre fini d’atomes dans notre Univers (du moins dans l’Univers issu du Big Bang), estimé en gros à 1080 atomes. Une fois que vous avez épuisé tous les atomes, vous ne pouvez construire davantage de chambres. Par conséquent, l’hôtel ne peut être que fini.
De plus, il faudrait un temps infini pour déplacer les occupants afin de pouvoir recevoir les nouveaux arrivants – ce qui ne serait pas commode du tout.
Mais ce n’est pas le propos. L’hôtel de Hilbert a un côté prévisible une fois les bases de l’arithmétique transfinie assimilées – mais tous les paradoxes qui relèvent de l’infini ne sont pas si abordables. 167
La corne de Gabriel Le second paradoxe, bien plus amusant, est la corne de Gabriel. Il s’agit d’une structure mathématique qui résulte du tracé du graphique 1/x (de sorte que : quand x = 1, y = 1 ; quand x = 2, y = ½ ; quand x = 3, y = 1/3 ; et ainsi de suite, pour toute valeur de x > 1), puis l’on fait tourner la courbe obtenue autour d’un axe. Imaginons que nous prenions la courbe obtenue comme une feuille de papier et que nous la faisions tourner sur 360° autour de l’axe vertical… ou comme un gabarit sur un tour pour découper un objet en 3D. La forme finale ressemble à un cor de chasse, mais sa pointe disparaît dans l’infini.
Le volume de la corne de Gabriel peut maintenant être calculé – c’est pi (π) : 3,14159… Si vous vous demandez comment un objet peut avoir un volume de π, gardez à l’esprit que cette forme s’applique à toute valeur de x plus grande que 1. Si x = 1 mètre, le volume est de π mètres cubes ; si c’est x = 1 kilomètre, le volume sera de π km3. 168
Il est assez amusant de penser que cette corne infiniment longue a un volume fini, qui n’est pas sans rappeler la série 1 + ½ + ¼… qui tend vers 2. Un frisson nous parcourt l’échine à l’idée que la surface de la corne de Gabriel soit infinie. Pour être plus explicite, nous connaissons exactement le volume de peinture nécessaire pour remplir la corne – π unités.
Mais quel que soit le volume de peinture dont nous disposons, nous ne pourrons jamais peindre toute la surface, car celle-là est infinie. Effrayant, n’est-ce pas ?
Les mathématiciens vous diront que ce n’est pas un problème car volume et aire sont deux éléments distincts.
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Tout comme pour l’hôtel de Hilbert, toute tentative d’explication physique de la corne de Gabriel se heurte à des problèmes techniques. La corne devient de plus en plus étroite, à tel point que rapidement (du moins par rapport à une corne infiniment longue), son diamètre sera inférieur à la taille d’une molécule de peinture.
À une certaine distance vers le bas de la corne, vous ne pourrez tout simplement plus peindre, faute de place, et vous n’aurez utilisé, jusquelà, qu’un volume fini de peinture.
Mais il demeure ahurissant qu’une surface qui renferme un volume fini de π unités ait elle-même une aire infinie.
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La jungle de l’infini L’infini est comme une bête sauvage, aperçue dans les profondeurs d’une forêt. Vous pouvez apercevoir rapidement quelque chose, mais peu de temps après, vous n’êtes plus sûr de l’avoir réellement vu. Puis, tout d’un coup, l’animal est là, parfaitement visible. Le véritable problème de l’infini réside dans la « jungle » des symboles et du jargon que les mathématiciens ont créés. Mais en réalité, ce jargon se justifie totalement.
Il n’est pas commode de manipuler le sujet avec précision sans avoir recours à ces incantations presque magiques.
Mais l’objectif de ce livre était d’offrir des vues claires de la plus remarquable des créatures mathématiques. Je vous invite à continuer de profiter pleinement du monde de l’infini.
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Glossaire Algorithme – ensemble de règles permettant de résoudre un problème. Calcul infinitésimal (parfois calculus en latin) – technique qui dépend du concept de l’infini pour déterminer comment une valeur se modifie par rapport à une autre ; il sert aussi pour calculer des aires et des volumes. Cardinalité – propriété d’un ensemble qui en définit sa taille. Deux ensembles ont la même cardinalité si leurs éléments constitutifs peuvent être appariés par correspondance biunivoque. Comptablement infini – un ensemble qui peut être mis en correspondance biunivoque avec les nombres cardinaux est comptablement infini. On l’appelle aussi ensemble dénombrable. Comptage – moyen de suivre un compte en se servant de traits répétés, dérivé du pointage sur les doigts. Différentiation – on se sert du calcul infinitésimal pour déterminer comment une variable varie par rapport à une autre. Si cette dernière est le temps, cela revient à déterminer le taux de changement. Ensemble – collection d’éléments. La théorie des ensembles se base sur les propriétés des ensembles à générer les règles de l’arithmétique. Ensemble vide – ensemble qui ne contient pas d’élément ; il correspond à la valeur zéro. Entier – nombre entier (ne comportant pas de fractions), qui peut prendre une valeur positive ou négative. Fluxions (méthode dite des) – concept et notation utilisés par Newton pour décrire le calcul infinitésimal. Indivisible – terme qui désigne un élément qui a été divisé, de manière répétée, et ne peut plus l’être. Équivalent numérique de l’atome grec. Intégration – on se sert des intégrales pour calculer l’aire sous une courbe ou le volume d’un objet en trois dimensions. C’est l’inverse de la différentiation.
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Ligne de nombres – séquence de nombres (telle que les entiers) placés le long d’une ligne, comme les traits gravés sur une règle. Par convention, cette ligne est horizontale. Nombre irrationnel – nombre qui ne peut être construit à partir du rapport entre deux entiers, tel que la racine carrée de 2. Nombre méconnaissable – nombre qui ne peut être calculé, à moins de l’écrire complètement, chiffre après chiffre. Nombre naturel – nombre entier positif. « Naturel » est pris dans le sens où vous pouvez rencontrer ce nombre d’objets dans la nature. Nombre transcendantal – nombre irrationnel qui ne peut être calculé au moyen d’une équation finie. Nombre transfini – nombre qui dépasse l’aleph-zéro, l’infini des nombres entiers. Nombres cardinaux – nombres permettant de compter, qui renseignent sur combien il y a d’éléments dans un ensemble. Nombres complexes – combinent un nombre réel et un nombre imaginaire, tel 2 + 3i. Un nombre complexe peut être représenté comme un point sur un graphique à deux dimensions, avec les nombres réels sur un axe et les imaginaires sur l’autre. Nombres imaginaires – nombres basés sur la racine carrée de –1. Celle-là n’a pas de valeur réelle, mais on lui en attribue une, désignée par i. Nombres ordinaux – nombres d’ordonnancement qui servent à définir la position d’un élément dans une séquence. Série – addition d’une séquence de nombres. Série convergente – série où le total de la série est une valeur finie. Série divergente – série où la somme totale est infinie. Sous-ensemble – ensemble qui fait partie d’un autre ensemble ; par exemple, les nombres impairs constituent un sous-ensemble des entiers.
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Lectures suggérées A Brief History of Infinity (Une brève histoire de l’infini) – Brian Clegg – qui couvre bien d’autres aspects en un tour d’horizon distrayant de la place de l’infini dans l’histoire. The Calculus Diaries (Les journaux du « calculus ») – Jennifer Ouellette – qui présente de nombreuses applications du calcul différentiel et intégral. From Here to Infinity (D’ici à l’infini) – Ian Stewart – qui ne traite pas principalement de l’infini mais nous offre une visite passionnante au cœur des mathématiques en général. Isaac Newton – James Gleick – sans doute la meilleure biographie de cette personnalité essentielle du développement du calcul différentiel et intégral. The Infinite Book (Le livre de l’infini) – John D. Barrow – un livre intéressant sur l’infini, excellent sur la cosmologie et ses applications, moins sur les mathématiques. The Mystery of the Aleph (Le mystère de l’aleph) – Amir Aczel – une excellente biographie de Georg Cantor et un bon résumé de son œuvre. Understanding the Infinite (Mieux comprendre l’infini) – Shaughan Lavine – qui, sous ce titre « académique », offre un excellent contexte de la compréhension et de l’interprétation du concept de l’infini au travers de l’histoire. Zero – Charles Seife – un résumé attrayant du contexte et de l’importance du zéro, grand rival de l’infini.
Remerciements de l’auteur Je tiens à remercier Duncan Heath pour son accompagnement dans les moments difficiles et pour ses conseils, Olivier Pugh pour ses magnifiques illustrations et Simon Flynn pour m’avoir introduit à la série Icônes. Enfin, un grand merci à mon professeur de mathématiques, Neil Sheldon, une véritable inspiration, qui m’a intéressé dès ma jeunesse aux questions de l’infini.
Remerciements de l’illustrateur J’exprime mes remerciements à Duncan Heath, qui m’a engagé et a géré cet agréable projet de main de maître. Merci aussi à Brian Clegg (et encore à Duncan) qui a rendu mon travail nettement plus facile en me donnant un texte brillant sur lequel travailler. Brian Clegg est un auteur reconnu et primé de textes de vulgarisation scientifique, incluant A Brief History of Infinity (Aperçu sur l’infini), The God Effect (L’effet Dieu), Before the Big Bang (Avant le Big Bang), Inflight Science, How to Build a Time Machine (Comment construire une machine à remonter le temps) et The Universe Inside You (L’Univers qui est en vous). Il est membre de la Royal Society of Arts (l’Académie britannique des arts et lettres). Il est rédacteur en chef du site http://www.popularscience.co.uk. Olivier Pugh est à la fois illustrateur, artiste et infographiste de talent primé à plusieurs reprises. Si la situation l’exige, il est capable de concevoir, dessiner et/ou peindre « n’importe quoi » pour s’en sortir.
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Lectures suggérées A Brief History of Infinity (Une brève histoire de l’infini) – Brian Clegg – qui couvre bien d’autres aspects en un tour d’horizon distrayant de la place de l’infini dans l’histoire. The Calculus Diaries (Les journaux du « calculus ») – Jennifer Ouellette – qui présente de nombreuses applications du calcul différentiel et intégral. From Here to Infinity (D’ici à l’infini) – Ian Stewart – qui ne traite pas principalement de l’infini mais nous offre une visite passionnante au cœur des mathématiques en général. Isaac Newton – James Gleick – sans doute la meilleure biographie de cette personnalité essentielle du développement du calcul différentiel et intégral. The Infinite Book (Le livre de l’infini) – John D. Barrow – un livre intéressant sur l’infini, excellent sur la cosmologie et ses applications, moins sur les mathématiques. The Mystery of the Aleph (Le mystère de l’aleph) – Amir Aczel – une excellente biographie de Georg Cantor et un bon résumé de son œuvre. Understanding the Infinite (Mieux comprendre l’infini) – Shaughan Lavine – qui, sous ce titre « académique », offre un excellent contexte de la compréhension et de l’interprétation du concept de l’infini au travers de l’histoire. Zero – Charles Seife – un résumé attrayant du contexte et de l’importance du zéro, grand rival de l’infini.
Remerciements de l’auteur Je tiens à remercier Duncan Heath pour son accompagnement dans les moments difficiles et pour ses conseils, Olivier Pugh pour ses magnifiques illustrations et Simon Flynn pour m’avoir introduit à la série Icônes. Enfin, un grand merci à mon professeur de mathématiques, Neil Sheldon, une véritable inspiration, qui m’a intéressé dès ma jeunesse aux questions de l’infini.
Remerciements de l’illustrateur J’exprime mes remerciements à Duncan Heath, qui m’a engagé et a géré cet agréable projet de main de maître. Merci aussi à Brian Clegg (et encore à Duncan) qui a rendu mon travail nettement plus facile en me donnant un texte brillant sur lequel travailler. Brian Clegg est un auteur reconnu et primé de textes de vulgarisation scientifique, incluant A Brief History of Infinity (Aperçu sur l’infini), The God Effect (L’effet Dieu), Before the Big Bang (Avant le Big Bang), Inflight Science, How to Build a Time Machine (Comment construire une machine à remonter le temps) et The Universe Inside You (L’Univers qui est en vous). Il est membre de la Royal Society of Arts (l’Académie britannique des arts et lettres). Il est rédacteur en chef du site http://www.popularscience.co.uk. Olivier Pugh est à la fois illustrateur, artiste et infographiste de talent primé à plusieurs reprises. Si la situation l’exige, il est capable de concevoir, dessiner et/ou peindre « n’importe quoi » pour s’en sortir.
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Lectures suggérées A Brief History of Infinity (Une brève histoire de l’infini) – Brian Clegg – qui couvre bien d’autres aspects en un tour d’horizon distrayant de la place de l’infini dans l’histoire. The Calculus Diaries (Les journaux du « calculus ») – Jennifer Ouellette – qui présente de nombreuses applications du calcul différentiel et intégral. From Here to Infinity (D’ici à l’infini) – Ian Stewart – qui ne traite pas principalement de l’infini mais nous offre une visite passionnante au cœur des mathématiques en général. Isaac Newton – James Gleick – sans doute la meilleure biographie de cette personnalité essentielle du développement du calcul différentiel et intégral. The Infinite Book (Le livre de l’infini) – John D. Barrow – un livre intéressant sur l’infini, excellent sur la cosmologie et ses applications, moins sur les mathématiques. The Mystery of the Aleph (Le mystère de l’aleph) – Amir Aczel – une excellente biographie de Georg Cantor et un bon résumé de son œuvre. Understanding the Infinite (Mieux comprendre l’infini) – Shaughan Lavine – qui, sous ce titre « académique », offre un excellent contexte de la compréhension et de l’interprétation du concept de l’infini au travers de l’histoire. Zero – Charles Seife – un résumé attrayant du contexte et de l’importance du zéro, grand rival de l’infini.
Remerciements de l’auteur Je tiens à remercier Duncan Heath pour son accompagnement dans les moments difficiles et pour ses conseils, Olivier Pugh pour ses magnifiques illustrations et Simon Flynn pour m’avoir introduit à la série Icônes. Enfin, un grand merci à mon professeur de mathématiques, Neil Sheldon, une véritable inspiration, qui m’a intéressé dès ma jeunesse aux questions de l’infini.
Remerciements de l’illustrateur J’exprime mes remerciements à Duncan Heath, qui m’a engagé et a géré cet agréable projet de main de maître. Merci aussi à Brian Clegg (et encore à Duncan) qui a rendu mon travail nettement plus facile en me donnant un texte brillant sur lequel travailler. Brian Clegg est un auteur reconnu et primé de textes de vulgarisation scientifique, incluant A Brief History of Infinity (Aperçu sur l’infini), The God Effect (L’effet Dieu), Before the Big Bang (Avant le Big Bang), Inflight Science, How to Build a Time Machine (Comment construire une machine à remonter le temps) et The Universe Inside You (L’Univers qui est en vous). Il est membre de la Royal Society of Arts (l’Académie britannique des arts et lettres). Il est rédacteur en chef du site http://www.popularscience.co.uk. Olivier Pugh est à la fois illustrateur, artiste et infographiste de talent primé à plusieurs reprises. Si la situation l’exige, il est capable de concevoir, dessiner et/ou peindre « n’importe quoi » pour s’en sortir.
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Index Académos 23 Accélération 63-5 Achille et la tortue 20-1 Acta Mathematica 131 Aleph-zéro (aleph nul) 106-8, 111-3, 165 Alexandre le Grand 151 Algèbre 27-9 Algèbre de Boole 93-4 Algorithme 7 Al-Khwarizmi 7 Analyse non standard 160-4 Anaxarque 151 Anderson, Robert 163 Antiphon 60-1 Apeiron 22 d’Aquin, Thomas 45 Archimède 10-4 Aristarque 12 Aristote 23-5, 45, 62, 137 Atomes 60, 167 Augustin d’Hippone 44
Cantor –.université de Halle 88, 132 Cardinalité 96-7, 101-2, 114, 116 Carrés 101-2 Carrés (diagonale des) 34-5 Cercle, aire d’un 60-1 Cerveau (hémisphère droit) 26 Cerveau (hémisphère gauche) 26 Chaitin, Greg 42 Changement 71-3 Chiffres romains 9 Chinois (langue) 90 Cohen, Paul 135-6 Complétude 32 Coordonnées cartésiennes 121 Corne de Gabriel 168-70 Côte, mesure de 143-4 Création 32-3
Berkeley, George 74-7, 81, 159 Bhagavad Gita 46 Bha- skara 79 Big Bang (théorie du) 152 Blake, William 13 Bolzano, Bernard 85-7 Boole, George 93 Brahmagupta 79 Brown, Robert 162
Delta 71 Démocrite 151 Descartes, René 121 Dieu (et l’infini) 44-6 Différentiation 73 Direction 156 Dix (10), la perfection 33-4 Donne, John 13 Dunham, William 92
Calcul différentiel 73 Calcul infinitésimal 68-9, 71-3, 76-7, 80-1, 159 Calcul intégral 73 Calcul quantique 153-7 Cantor, Georg 105-6, 108, 112-9 Cantor – dilemme des points dans l’espace 120, 122-4 Cantor – ensemble de 140, 145-7 Cantor – folie 88, 125, 132 Cantor – infini du continuum 120, 125, 128-32
Ein Sof 46, 106 Einstein, Albert 163-3 Énergie cinétique 28 Ensemble (de Mandelbrot) 139-40, 143 Ensemble vide 98, 127 Ensembles 89-103 Ensembles comptablement infinis 112-3 Ensembles de puissance 126-8 Ensembles dénombrables 112-3
Ensembles infinis 101 Équations quadratiques 28 Espace, points dans 120-4 Esprit unique 32 « ET » 93 Euler, Leonhard 92 Fermat, dernier théorème de 116 Fibonacci, Leonardo 8 Flacon de Klein 84 Flocon de neige (Koch) 138, 147 Fluxions (Newton) 64, 66-7, 69, 71, 74-7, 80 Flux 80 Foi 77 Fractales 138-42, 147 Fractions 30, 37 Fractions rationnelles 113-7 Galilée 50-9, 62, 85-8 Gauss, Johann Carl Friedrich 49 Gautam Buddha 3 Gélon, roi de Syracuse 10, 12 Géométrie 27, 37, 56 Gödel, Kurt 132-6 Googol 5 Grands nombres 3 Gravité 63 Halley, Edmund 76-7, 83 Hegel, G. W. F. 85 Hilbert, David 48, 165-7 Hilbert (hôtel de) 165 Hipparque 36, 117 Homéopathie 69 Hume, David 47-8 Hyperréel (ligne) 161, 164 Hypothèse du continuum 125, 129, 132, 135-6 Illusion (infini) 49 Infini (la jungle) 171 Infini (véritable) 49, 62, 85, 105, 137-8
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de un (1) 58 des nombres ordinaux 110-1 du continuum 120, 125, 136 existence de l’ 137 Les paradoxes de l’ 85 potentiel 25, 62, 85 Infinitésimaux 158-64 Ingram, Charles 4 Intégrale (symbole) 73 Intégration 73 Intersection 96 Itérations (systèmes) 142 Jeux olympiques 25 Kabbale 46, 105 Kasner, Ed 5 Keill, John 69-70 Koch (courbe) 138, 140, 123 Koch, Helge von 138 Kronecker, Leopold 129-32, 137 Latino sine flexione 97 Leibniz, Gottfried Wilhelm 66-73, 80 Le livre du calcul 8 Lemniscate 82, 85, 106 Levine, Shaughan 48 Ligne de nombres 115, 120 Logiciels de compression 142 Loi des similitudes 59 Lumière 154-5 Mandelbrot, Benoît 139 Mathématiques (symboliques) 26 Mathématiques (visuelles) 26 Mittag-Leffler, Magnus Gösta 131 Möbius (ruban de) 84 Moteurs de recherche 93 Mouvement brownien 162-3 Newton, Isaac 62-73, 76-8, 80-1 « NI » 94 Nicolas de Cues 61, 73 Nombres entiers positifs 101, 105, 109 cardinaux 97-8, 108
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complexes 104 entiers 14 imaginaires 103-4 impairs 33 indivisibles 60 irrationnels 36, 43, 117-9 méconnaissables 42 naturels 58 ordinaux 108-9 pairs 33 réels 57, 128 séquences 14-5 transfinis 119, 164 Notation 71-2 Notation piquée 72 o 66, 71, 78, 80-1 Oméga (ω) 110-1 Oméga (Ω) 42 Ondes 154 Opinion 32 Orr, Adam C. 40 « OU » 94 Particules 154-5 Parties 30-1 Peano, Giuseppe 97-8 Pensée visuelle (mode) 30-1 Photons 155 Pi (π) 39 formule 41 infini de 40 Planck (longueur de) 144 Planck, Max 144 Poésie 13 Poincaré, Henri 99 Ptolémée 121 Pythagore 32 Pythagore (théorème de) 34 Pythagoriciens 23-4, 32-9 Quadrature du cercle 38-9 Qubits 157 Racines carrées 34-6 Rapports 36 Récursivité 140 Robinson, Abraham 159-60, 164
Roues (infini) 53-5 Royal Society (Londres) 69-70 Russel, Bertrand 99-100 Russel (paradoxe de) 99-100 Schrödinger, Erwin 153 Sefirot 46 Séquences 14-5 Séries 16 Simplicio 55, 57 Sirrota, Milton 5 Sous-ensembles 90-101 Spin 156-7 Stifel, Michael 43 Symbole de l’infini 82-3 Symboles indiens 6-7 Taille 9 Télescope 51 Tetragonidzein 38 Théorème de l’incomplétude 133 Théorie des modèles 160 The Sand Reckoner 10-1 Union 94 Univers 11, 148-52, 167 Venn (diagrammes de) 91-4 Venn, John 91-2 Wallis, John 41, 82-3, 106 Weil, André 136 Weyl, Hermann 18 Wiles, Andrew 116 X (coordonnées) 121-2 Y (coordonnées) 121-2 Young (fentes de) 153-5 Young, Thomas 154 Zénon (paradoxes de) 19 Zénon d’Élée 19 Zéro (0) 9 division par 78-80 ensemble vide 98 qui tend vers 81