Dans les savanes arborées du Tchad: Voyage en agriculture 2343184062, 9782343184067

Le Tchad, complètement enclavé, est un des pays les plus pauvres du monde. La population est à 80% liée à l'agricul

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French Pages 276 [264] Year 2019

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Dans les savanes arborées du Tchad: Voyage en agriculture
 2343184062, 9782343184067

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Clément Mathieu

de l’Académie des Sciences d’Outre-mer

Dans les savanes arborées du Tchad Voyage en agriculture

© L’Harmattan, 2019 5-7, rue de l’École-Polytechnique, 75005 Paris www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-343-18406-7 EAN : 9782343184067

Dans les savanes arborées du Tchad Voyage en agriculture

Clément MATHIEU

de l’Académie des Sciences d’Outre-mer

Dans les savanes arborées du Tchad Voyage en agriculture

DU MÊME AUTEUR "Paysans montagnards de Tanzanie" (en collaboration avec B. Marquet) L’Harmattan, 1994. "Pépiniéristes privés au Burundi" (en collaboration avec Ch. Gasc), Éd. ESAP et AFVP, 1996. "Analyse physique des sols, méthodes choisies" (en collaboration avec F. Pieltain) Lavoisier, 1998. "Dictionnaire de Science du Sol ", 4ème éd.. (en collaboration avec J. Lozet) Lavoisier, 2002. "Analyse chimique des sols, méthodes choisies" (en collaboration avec F. Pieltain) Lavoisier, 2003. "Bases techniques de l’irrigation par aspersion" (en collaboration avec P. Audoye et J. Cl. Chossat) Lavoisier 2007. "Les principaux sols du Monde ou voyage à travers l’épiderme vivant de la Planète" Lavoisier 2009. "Dictionnaire encyclopédique de Science du sol" (en collaboration avec J. Lozet) Lavoisier 2011. "Une jeunesse ardennaise à Oneux-Theux (Belgique)" Coll. Graveurs de Mémoire L’Harmattan, 2014. "Mes chemins d’Afrique, carnet d’un agronome" Ed. Dacres, 2016 "Les divers modes d’irrigation, de la source à la parcelle" (en collaboration avec J. C. Chossat) Lavoisier 2018.

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INTRODUCTION

Le Tchad, pays de l’Afrique centrale, complètement enclavé, à plus de 1000 km de tout accès à la mer, est un des pays les plus pauvres du monde avec un IDH de 0,41 le classant à la 184e place sur 187. Indépendant depuis 1960, le pays a connu une instabilité politique et guerre civile durant des décennies. En plus de l’enclavement, c’est un état fragile confronté à plusieurs problèmes, comme l’analphabétisme, la croissance démographique, l’insuffisance d’écoles secondaires et supérieures, la faiblesse des infrastructures, l’accès à l’eau potable et à l’électricité et cela malgré une ressource pétrolière non négligeable depuis 2003. Ce pays se répartit entre le Sahara, le Sahel et les savanes à climat soudanien. C’est dans cette dernière partie où les cultures pluviales sont possibles que se trouve plus de la moitié de la population à 80 % directement ou indirectement liée à l’agriculture. Mais l’agriculture, avec des sols épuisés, des pluies aléatoires, un équipement très rudimentaire, reste traditionnelle. Le manque de maîtrise de l’eau (l’irrigation) empêche de produire à contre-saison. Introduit durant la période coloniale et restant depuis l’indépendance le principal produit d’exportation, le coton n’a pas apporté aux producteurs les moyens suffisants de développer leur exploitation. Aujourd’hui, la rapidité du développement commercial et technique laisse les agriculteurs désemparés concernant la gestion de leur exploitation, l’acquisition et la modification des modes de production ainsi qu’avec le développement des villes, la prévision et l’organisation du marché. Les groupements de producteurs sont dispersés, isolés et souvent mal organisés, les filières sont quasi inexistantes. Ainsi malgré leurs efforts "en interne" pour suivre ces évolutions une aide importante en formation est indispensable. Les ONG nationales et étrangères œuvrant sur le terrain aident à l’amélioration sensible des performances des systèmes de production 7

animale et végétale, et contribuent ainsi à une amélioration des conditions de vie des populations concernées et par conséquent au progrès social. Mais ces ONG sont peu nombreuses et ne couvrent pas suffisamment le territoire. Le problème de la formation des agriculteurs et des animateursformateurs est récurrent. Ceux-ci sont très demandeurs de formation, d’aide à la gestion et à l’organisation de leurs exploitations. Ils veulent sortir du système autarcique ancestral. Mais sur le terrain, très peu de personnes compétentes peuvent répondre et assurer ces formations, ainsi qu’analyser le fonctionnement des systèmes d’exploitation en mutation. Aussi, après une mission de consultance dans la région de Komé-Doba en 2003 pour un projet agricole financé par le consortium Exxon Mobil, nous avons décidé, en créant une ONG en France (AFTPA) d’aider une ONG tchadienne (ATADER) à Doba pour des programmes de formation pour les agents de l’ONG, pour des groupements d’agriculteurs et pour des paysans par des réunions villageoises. A la suite de missions régulières, chaque année, nous avons mis en place des actions de terrain qui ont fait l’objet d’un suivi régulier selon un protocole élaboré en concertation avec les paysans. Ces actions concernent en priorité l’aide aux paysans pour améliorer leur système de production par une meilleure pratique agriculture-élevage pour fertiliser les champs avec les fumiers et par une meilleure utilisation de la traction animale. Ce livre est le résultat d’une longue aventure quasi imprévue dans la région des savanes soudaniennes. Après la visite d’exploitations, en échangeant avec les paysans lors d’animations villageoises, en revenant régulièrement sur le même terrain, en recherchant l’information, nous avons décidé d’écrire cet essai pour transmettre un document aussi complet que possible aux paysans, aux cadres de l’agriculture et aux responsables techniques et politiques tchadiens de l’urgence du problème de l’agriculture locale, même si nous n’abordons pas la question de la conservation, de la transformation et de la commercialisation des produits. Cet essai traite essentiellement du développement de l’exploitation. L’équation sécurité alimentaire-croissance démographique peut devenir de plus en plus difficile à résoudre si la situation actuelle se prolonge. Les paysans tchadiens sont prêts à s’engager dans une révolution verte de grande envergure s’ils sont aidés et encadrés comme il le faut, ce que nous avons essayé de décrire et de proposer, sachant que ce sera d’abord la responsabilité des autorités nationales, du gouvernement et du Chef de l’Etat, qui devra être engagée. 8

CHAPITRE 1 Sahara, Sahel et Savanes

Avec une superficie de 1 284 000 km2, c’est-à-dire grand comme près de deux fois et demie la France, le Tchad, situé au centre de l’Afrique s’étend sur 1700 km du nord au sud et sur 1000 km d’est en ouest. Situé à plus de 1000 km des côtes maritimes les plus proches, c’est dire si c’est un pays enclavé. Ce territoire est limité au nord par la Libye, à l’est par le Soudan, au sud par la République centrafricaine et à l’ouest par le Cameroun et le Nigéria. C’est un des pays du monde les plus vulnérables concernant les risques environnementaux (PNUE, 2015, cité par Hugon, 2016). Lorsqu’on parle du Tchad à ceux qui connaissent assez mal l’Afrique, ceux-ci assimilent ce pays au désert du Sahara et au Sahel, ce qui n’est pas tout à fait la réalité (figure 1). Oui, la zone saharienne occupe près de la moitié nord du pays allant de la frontière libyenne jusqu’à la région de Kanem et au sud de l’Ennedi au climat désertique aride, les pluies annuelles étant inférieures à 200 mm. C’est le domaine des grands ergs ou de plateaux et massifs dénudés (photo 1) au milieu desquels surgissent çà et là des oasis verdoyants (dans le Tibesti, le Borkou et l’Ennedi) permettant la culture du dattier et le maraîchage. C’est aussi le domaine des dromadaires avec un troupeau estimé à environ 1,5 million de têtes, alimentant un commerce transsaharien important. En descendant vers le sud, le climat devient semi-aride avec des précipitations plus importantes (entre 300 et 600 mm, voire 800 mm 1). C’est la zone sahélienne qui s’étend jusqu’au 13ème parallèle. On y

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Le caractère semi-aride tient à la courte durée de la saison des pluies, de 3 à 4 mois.

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trouve les Lacs Tchad et Fitri avec N’Djamena la capitale et Abéché (photo 2). Prenons Bongor comme limite sud. Le lac Tchad est un lac endoréique, c’est-à-dire que ses eaux ne rejoignent pas l’océan. Depuis des millénaires, sa superficie ne cesse de diminuer. Des sols au sud de N’Djamena et Bongor sont d’anciens dépôts du lac. En 1963, la superficie du lac était de 25 000 km2 et en 2010, elle est 10 fois moins importante, soit 2 500 km2. Si sa superficie varie fortement selon l’importance des précipitations annuelles, la récente diminution massive est principalement due à des pluies de plus en plus rares, des sécheresses importantes (1973, 1984, 2008) et au déboisement. Depuis des décennies, un projet "pharaonique" de remplir le lac en transférant une partie des eaux du Congo et de l’Oubangui refait régulièrement surface (Caramel et Tilouine, 2018) ; un projet qui fascine les chefs d’Etat du bassin du Lac Tchad. Mais les riverains sont défavorables à sa remise en eau, l’asséchement ayant mis à nu des terres fertiles pour le maraîchage dont ils tirent de bons revenus (photo 3). Le Sahel est la zone des steppes herbacées où circulent les éleveurs nomades de zébus. En dehors des zones inondables ou irrigables, la production céréalière (principalement celle du mil) suit les aléas interannuels de la pluviométrie. Les crises alimentaires récurrentes durant la période de soudure obligent l’organisation de banques de céréales. Au sud d’une ligne Bongor – Bousso – Melfi – Am Timan (figure 1), le paysage est beaucoup plus verdoyant et arboré, l’agriculture pluviale fait place aux grandes étendues des steppes sahéliennes. Nous sommes dans le domaine soudanien des savanes arbustives à arborées puis vers la Centrafrique à des savanes arborées à boisées. La pluviométrie varie de 600 mm/an à 1 200 mm/an du nord au sud de cette région. C’est dans cette partie sud du pays qu’on trouve la majorité de la population (environ70 %), les centres de production et de commerce ainsi que les activités agricoles. C’est dans cette région que sont situées les villes de Pala, Moundou, Doba, Sarh et Goré. Très globalement, on peut dire que cette zone agricole soudanienne représente environ un cinquième de la superficie du pays. Les saisons sèche (d’octobre à mai) et pluvieuse (de mai à octobre) sont d’égale durée mais les pluies sont très irrégulières, souvent violentes et peuvent occasionner de graves inondations, isolant parfois totalement certaines agglomérations durant plusieurs semaines.

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Figure 1  Carte bioclimatique simplifiée du Tchad. 1. Zone saharienne 2. Zone sahélienne 3. Zone des savanes soudaniennes

Concernant les variations climatiques, on a assisté de 1968 à 1990 à une diminution irrégulière des précipitations avec une migration des isohyètes moyennes de 100 à 150 km vers le sud ce qui a souvent causé des famines. Mais depuis 1990, on assiste à une reprise de la 11

pluviométrie et à un retour des isohyètes moyennes vers le nord. Peuton parler de changement climatique comme annoncé à l’échelle planétaire ? Les principales productions vivrières sont le mil et le sorgho, l’arachide, les tubercules (taro, manioc, patate douce), le maïs, le niébé, le maraîchage et le riz (en zone inondable) ; la principale culture de rente est le coton qui fut longtemps le moteur du développement rural mais suite à de nombreuses difficultés (suppression de subventions aux intrants, chute des cours mondiaux, faillite de la Cotontchad), les agriculteurs se sont détournés de cette culture pour se réorienter vers une diversification dans le vivrier. Il faut noter qu’à ce sujet, les opportunités du marché intérieur ont motivé la diversification des vivriers à destination des villes où la population ne cesse d’augmenter. Malheureusement, le manque d’encadrement et de moyens ralentit un réel développement dans ce sens. Revenons sur l’élevage des moutons, chèvres et zébus, qui se pratique de deux façons différentes. Ainsi la zone sahélienne est le domaine traditionnel de l’élevage nomade des groupes arabisés (Toubous, Boudoumas, Peuls...). Ce type d’élevage représente 80 % de l’élevage tchadien. Les troupeaux, parfois de plusieurs centaines de têtes de zébus et souvent accompagnés de troupeaux de chèvres ou de moutons voyagent au gré des saisons et sont largement tributaires des ressources naturelles renouvelables (eau et pâturages) mais pénètrent de plus en plus en zone soudanienne. Ce cheptel est évalué à environ 7 millions pour les bovins et à 10 millions pour les chèvres et les moutons. Les éleveurs nomades de plus en plus nombreux sont ainsi confrontés à une situation toujours plus difficile (manque d’espace et périodes de sécheresse). On estime que la moitié des troupeaux se retrouve dans la zone sud, en saison sèche, créant souvent de graves conflits avec les agriculteurs sédentaires, des morts sont parfois à déplorer. Dans la partie soudanienne où les cultivateurs sont essentiellement une population chrétienne et animiste, ceux-ci possèdent très fréquemment un peu de bétail, quelques cochons, quelques chèvres et moutons et pour les plus aisés (environ 60-70 %) des bœufs de trait pour le labour. Ils ont le plus souvent une paire de bœufs. Tous ces troupeaux devraient pouvoir fournir le fumier nécessaire à un enrichissement des sols et favoriser une intégration plus étroite de l’élevage et de l’agriculture. Mais nous en sommes encore très loin. Nous y reviendrons longuement par la suite. Si les frontières rectilignes du Tchad sont aujourd’hui sources de nombreux conflits entre ethnies, c’est parce qu’elles sont le résultat 12

d’une négociation entre colonisateurs français et allemands à la fin du XIXe siècle. Mais l’histoire du pays semble bien plus ancienne que celle de la colonisation, puisque depuis la découverte en 2001 d’un crâne fossile de Sahelanthropus tchadensis surnommé "Toumaï" (vieux de 7 millions d’années), le pays est considéré comme étant l’un des berceaux de l’humanité. Le Tchad protectorat français depuis 1900, est officiellement devenu en 1920 la dernière colonie conquise par la France dans le cadre de l’Afrique équatoriale française (AEF). République autonome en 1958, le Tchad a gagné son indépendance deux ans plus tard avec le Président Tombalbaye un homme du sud (né à Koumra). Néanmoins, l’indépendance n’est pas synonyme de calme. En 1975, Tombalbaye est assassiné lors d’un coup d’état et en 1979, la guerre civile touche tout le pays et plus particulièrement la capitale N’Djamena. En 1982, les forces du Nord menées par Hissène Habré s’emparent de la capitale et celui-ci devient président de la République. Ce n’est pas pour autant que le calme revient surtout dans la partie Nord du pays. En 1990, Hissène Habré est renversé par Idriss Déby qui gouverne depuis le pays. Une certaine stabilité s’installe, à l’exception de l’est, en bordure du Soudan, où entre 2005 et 2009 la rébellion au régime est soutenue par le Soudan. Actuellement (2019), le Président Idriss Déby (67 ans) en est à son cinquième mandat, toujours contesté par une partie de la population. La fragilité du pouvoir et la corruption dans les services de l’État restent les deux principaux "freins" au développement économique et social du pays. A cette fragilité de l’État, il faut ajouter le défi démographique qui menace le Tchad dans les prochaines décennies. En 2015, la population était estimée à environ 11,6 millions d’habitants (figure 2). Avec un taux d’accroissement de 3,6 %, la population double tous les 20 à 30 ans, et cela depuis une centaine d’années. En 1920, l’administration coloniale avait dénombré environ 1,3 millions d’habitants et en 1950 environ 2,3 millions. Selon les prospectives ils seront 14 millions en 2020 et 30 millions en 2050 (FAO, 2009). A cette pression démographique, s’ajoutent les conditions climatiques très instables et l’appauvrissement continu des sols. Dans un pays à majorité musulmane, une politique affirmée de contraception a très peu de chance d’être écoutée par les familles. Et cette augmentation de la démographie pèse sur la répartition des ressources entre les populations. C’est une population très jeune, 46 % ont moins de 15 ans et seulement 3 % ont plus de 65 ans, et l’espérance de vie est à peine de 50 ans (en 2012). Une population pour 13

laquelle il va falloir trouver des emplois, construire des infrastructures de formation, de santé, des logements et surtout qu’il va falloir nourrir, éduquer et soigner. Si la moyenne par km2 est de 10 habitants (ce qui n’a pas grande signification dans un tel pays, avec la moitié de sa superficie en désert), elle est de 56 hab./km2 dans le Logone occidental. Sur l’axe Pala-Kalo-Moundou-Doba-Sahr, elle avoisine par endroit les 125 hab./km2 avec des pics pouvant dépasser les 500 hab./km2 autour des villes. Cependant cette population reste à très forte dominante rurale. L’agriculture représente le moyen de subsistance de 73 % de la population. C’est une agriculture très pauvre, sur des sols à grande majorité acides, fortement dépendante du climat, manquant de moyens, se pratiquant principalement dans le cadre de systèmes de production extensifs basés sur la main-d’œuvre familiale. Pour nourrir correctement le double de la population actuelle, un changement radical et urgent du mode d’agriculture est nécessaire. Peut-on y parvenir ?

Figure 2  Croissance démographique au Tchad durant ces 60 dernières années et prospective.

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Sur le plan du développement économique, avant l’exploitation du pétrole, le Tchad tirait ses ressources de l’agriculture (40 %), des mines et de l’industrie (14 %) et des services (46 %). Les principaux produits d’exportation étaient le coton et les bovins. En 2000, on ne comptait que 300 km de routes asphaltées. En 10 ans, elles sont passées à plus de 2000 km2 grâce à la manne pétrolière, bien que celle-ci soit en grande partie absorbée par la défense nationale. Ainsi depuis 2003, le pays est rentré dans le cercle des pays producteurs de pétrole avec une production d’environ 250 000 barils/jour. Le premier champ pétrolier mis en exploitation par Exxon (Esso) (pour 40 %), Chevron (25 %) et Petronas (35 %) en 2003 est situé à l’ouest de Doba, dans la région de Komé Miandoum. Le pétrole est acheminé au port de Kribi au Cameroun par un pipeline long de 1070 km. Depuis 2006, les Chinois installés au bord du lac Tchad produisent 60 000 barils/jour dont 20 000 sont raffinés à N’Djamena pour les besoins intérieurs. Un nouveau champ devrait s’ouvrir au nord-est de Kelo, à Mangara. Des prospections pourraient avoir lieu dans le nord près de la frontière libyenne, mais là, c’est une autre aventure. Mais, malgré cette nouvelle ressource qui procure des financements très importants à l’Etat tchadien, celui-ci reste un des pays les plus pauvres de la planète. Par l’indice de développement humain (IDH) 3, il se classe 184ème sur 187 juste après le Niger, le Congo (RDC) et la Centrafrique (2016). Si l’argent du pétrole a en partie permis la construction de routes, d’écoles, de dispensaires, de marchés... et même de stades de football, le quotidien de la population n’a pas été changé, la formation des enseignants, des cadres, des techniciens et des agriculteurs est toujours autant négligée. La volonté d’un réel développement pour l’ensemble de la population reste à venir. Toujours sur le plan économique, si le commerce se développe, il se fait au détriment des populations du sud, car les populations détentrices de trésorerie sont les populations musulmanes, éleveurs et commerçants, populations venues du nord. Il faut rappeler qu’en 1979 le renversement politique voit des originaires du nord remplacer des 2

Malheureusement, de faible qualité et sans entretien régulier, des centaines de kilomètres sont de plus en plus dégradés usant les véhicules et augmentant la durée des trajets. 3 Dans le calcul de l’IDH interviennent le PIB par habitant, l’espérance de vie à la naissance et le niveau d’éducation. Le Tchad a un IDH de 0,41. Le premier pays est la Norvège avec un IDH de 0,955 et la France est vingtième avec un IDH de 0,897.

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méridionaux aux commandes de l’Etat, s’accompagnant de la mise en place dans le sud d’un personnel administratif et militaire musulman. Ses chefs y développent leurs propres troupeaux tout en encourageant l’installation de leurs coreligionnaires éleveurs. Le courant migratoire vers le sud concerne également de nombreux petits commerçants sahéliens, qui s’établissent dans les villes et jusque dans les villages de la zone cotonnière. Dans une étude de 1970, le pédologue français J. Pias donnait une répartition du peuplement du Tchad accompagnée d’une carte donnant les limites sud de l’Islam et des transhumances des éleveurs-nomades (figure 3). Aujourd’hui, ces limites n’ont plus aucune signification, la population islamisée occupe tout le pays et les éleveurs-nomades transhument très largement au-delà de la frontière sud du pays jusqu’aux forêts guinéennes de la Centrafrique (Mathieu, 2016). Cette progression des troupeaux nomades vers le sud a débuté avec les grandes sécheresses des années 1970-80 mais elle s’est aussi accentuée depuis l’accroissement démographique de toute la population y compris chez les éleveurs nomades et par voie de conséquence celle du nombre et de la taille des troupeaux. Depuis l’exploitation du pétrole, on assiste depuis 10 ans à une véritable invasion des commerçants venus de N’Djamena et d’autres villes du nord dans toute la zone soudanienne entraînant avec eux les organisations islamiques qui s’occupent non seulement de l’éducation mais également de nombreux secteurs de la société civile (santé, agriculture, œuvres sociales...). En effet si le Tchad est un état laïc, il n’en reste pas moins que le fait religieux est très important dans le pays, que ce soit au niveau individuel ou collectif. L’islam regroupe aujourd’hui plus de 55 % de la population et bien que le salafisme reste très minoritaire il ne faudrait cependant pas négliger sa prochaine influence. Les chrétiens (catholiques et protestants) représentent environ 35 % de la population et les animistes 10 %. Par un encadrement fort les communautés islamiques marquent de plus en plus le territoire en développant l’éducation islamique, les œuvres sociales et socio-économiques. Depuis plusieurs années, dans un contexte politico-militaire structurellement tendu, les heurts se multiplient entre éleveurs musulmans et agriculteurs autochtones chrétiens ou animistes lorsque les troupeaux de bovins envahissent des champs avant les récoltes. De plus en plus fréquemment des rixes avec mort d’homme sont signalées. Il en est de même en ville entre citadins "autochtones" et commerçants musulmans. En s’installant dans les 16

villes, ces derniers ne supportent pas la concurrence des commerçants locaux, ils cherchent à acheter tous les endroits stratégiques (dans les centres, les rues principales, les principaux carrefours) puis achètent des espaces de culture dans les brousses voisines. On peut se demander si les rivalités entre chrétiens et musulmans ne risquent pas de conduire aux mêmes affrontements internes qui sont en train de détruire plusieurs de leurs voisins ? Il ne serait pas étonnant que les problèmes entre éleveurs-nomades et agriculteurs autochtones deviennent l’élément déclencheur d’un nouveau conflit intérieur qui finirait par ruiner tout espoir de développement économique et social, sachant que l’État est de plus en plus impuissant devant les organisations islamiques qui jouissent d’une autonomie qu’aucun État ne peut encadrer (Labida, 2011).

Figure 3  En 1970 limites sud 1. de l’Islam 2. de la transhumance des pasteurs-nomades (d’après J. Pias). Aujourd’hui, ces limites sud n’existent plus.

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Photo 1  Paysage de l’Ennedi (photo RFI).

Photo 2  Un puits au Sahel dans la région d’Abéché (Photo Vannes-Abéché).

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Photo 3  Culture des polders du Lac Tchad (Photo Jeune Afrique).

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CHAPITRE 2 Le sud agricole

Le sud agricole tchadien se confond avec l’espace des savanes arborées qui se caractérisent par une strate herbacée continue, composée essentiellement de graminées vivaces et parsemée plus ou moins d’arbres ou d’arbustes à port fréquemment tortueux. Sur le plan écologique, cette zone du Tchad recouvre deux climats un peu différents, à savoir : ‒ au nord, du 12ème au 10ème parallèles (entre Mongo et Bongor) un climat nord-soudanien avec des précipitations moyennes de 800 à 950 mm/an ; ‒ au sud, du 10ème parallèle jusqu’à la Centrafrique un climat sudsoudanien avec des précipitations moyennes de 950 à 1200 mm/an et jusqu’à 1300 mm/an à l’extrémité sud-ouest du pays. Si ce qui définit le mieux la savane est l’existence d’un tapis de graminées continu et pérenne, il convient d’ajouter celui de leur genèse anthropique. Tous les auteurs, depuis Aubréville (1949) (Jamin et al., 2003) s’accordent à penser que lorsque la saison des pluies est d’une durée suffisante la formation végétale "naturelle" en zone de savane serait une "formation forestière constituée d’arbres et d’arbustes assez rapprochés les uns des autres et couvrant le sol". L’origine de cette artificialisation serait le feu (à usage cynégétique, agricole ou pastoral) et le défrichement agricole. Après une défriche initiale, on peut considérer que le feu est le vecteur principal du maintien des savanes, accentué par le défrichement tournant des jachères. Sur le plan agricole, on relève des éléments d’unité, comme la présence de plantes répandues dans toute la zone : le mil pénicillaire, le sorgho, le maïs, l’arachide, le niébé (haricot), le manioc et souvent 21

le coton. Mais il existe aussi une grande diversité de répartition entre les différentes espèces, engendrée par des conditions climatiques (mil plus répandu dans la zone nord-soudanienne, manioc dans la zone sudsoudanienne) ou encore dans des aires bien localisées, semblant suggérer l’effet d’un déterminisme plus ou moins validé par les sociétés humaines (forte prédominance par exemple du riz et du sorgho de saison sèche encore appelée de décrue dans les plaines inondables).

2.1. Les principales cultures pratiquées A. Les cultures traditionnelles Les mils (Sorghum et Pennisetum) Si les populations ont depuis longtemps adopté les cultures d’importation telles que le maïs, la patate douce, l’arachide et plus récemment le manioc et le riz, les mils (ou sorghos) représentent les céréales de base de l’alimentation des populations du sud. Les origines des sorghos en Afrique sont extrêmement anciennes, elles remonteraient au néolithique (Magrin 2001). Le mil sert à la préparation de la boule, base de l’alimentation traditionnelle mais aussi à la fabrication des boissons alcoolisées (bili bili). Certaines variétés ne servent qu’à cela. A chaque type de mil correspondent des exigences de sols, de précipitations, de places dans le calendrier agricole (Maïkoubou, 2015). Parmi les cultures céréalières de saison des pluies, les sorghos occupent ici environ les deux tiers des superficies, contre un tiers pour les mils alors que la zone sahélienne présente la répartition inverse (Magrin, 2001) (photo 4). ‒ Le mil hâtif court à cycle court (90 à 110 jours), de petite taille, cultivé souvent près de l’enclos familial, bénéficiant de la fumure des déchets ménagers, semé en poquets dès les premières pluies, puis démarié à deux ou trois plants. Coupé souvent à peine mûr pour abréger la soudure. Les tiges sont coupées et brûlées, leurs cendres salées servant à préparer le sel traditionnel. ‒ Le mil (sorgho) rouge à cycle moyen, cultivé le plus souvent dans les champs proches des villages et parfois en association avec les mils blancs, l’arachide ou le niébé. Semé en mai ou juin et récolté en octobre-novembre. 22

‒ Le mil (sorgho) rouge à cycle long, semé en mai-juin généralement sur les champs de brousse, il est récolté tardivement en novembre voire après. Séché au soleil sur des abris de paille, il est ensuite conservé dans les greniers. Il sert aussi à la fabrication de la boisson alcoolisée traditionnelle (bili bili). ‒ Les mils blancs à cycle long, très appréciés, ils constituent la base de l’alimentation de la population. Ils ont des tiges très hautes, de 2,50 m et jusqu’à 3,5 m. Le cycle est de 200 jours, ils sont récoltés en novembre et après. ‒ Le mil chandelle (Pennisetum glaucum), à cycle long (150-180 jours), de juin à décembre, souvent cultivé en lignes, associé avec le niébé ou le pois de terre ou à la volée sur des emplacements en cours de défrichement. ‒ L’éleusine (Eleusinum coracana), c’est une céréale secondaire de petite taille (60 à 120-150 cm) terminée par un panicule de 5 à 7 épis ; semée en mai, elle est récoltée en août-septembre et permet de rompre la disette de soudure, très appréciée pour cette raison malgré les grains très petits et encore durs après la cuisson. Il existe également des systèmes traditionnels de culture de décrue de sorgho repiqués appelés Berbéri au Tchad. Ce sont des cultures décalées par rapport à la saison des pluies. Elles utilisent les réserves en eau des sols argileux inondés ou bien gorgés au cours de la saison des pluies. Au début de la saison sèche, la culture est mise en place, le plus souvent par repiquage de plantules préalablement préparées en pépinières. Les zones de cette culture se trouvent dans la région de Léré, l’axe allant de Pala à Bongor et plus au nord vers N’Djamena et à l’est entre Am Timan et Harazé, où la culture connaît actuellement un grand succès étant donné que ce système permet une seconde récolte sur la même parcelle (photo 5). Le niébé (Vigna unguiculata) Le niébé est une variété de petit haricot très courante en Afrique subsaharienne qui par sa grande qualité nutritionnelle fait de lui un ingrédient de choix pour lutter contre la famine et la malnutrition ou développer l’élevage, c’est une culture en pleine extension en zone soudanienne du Tchad. C’est une plante qui n’est pas difficile sur la qualité du sol, qui a besoin de chaleur et de lumière et qui a la faculté 23

de pousser rapidement. Comme c’est une légumineuse, elle va enrichir le sol en azote à partir de ses nodosités radiculaires. Le niébé joue un rôle important dans l’alimentation humaine en raison de son apport important en protéines – plus du double de la plupart des céréales classiques – Il apporte aussi beaucoup d’amidon et des oligo-éléments, ainsi que de l’acide folique très important pour les femmes enceintes pour la lutte contre la malformation du nouveauné. Il existe des variétés à cycle court (50 jours pour les gousses vertes) et des variétés à cycle long, récoltées en saison sèche. La culture se fait en lignes soit en monoculture (photo 6) soit en association avec le maïs ou le sorgho. En semis simultané avec le sorgho, on remarque que le développement concomitant des deux plantes limite ou supprime celui du striga (Striga senegalensis), plante parasite des racines du sorgho, véritable fléau des régions soudaniennes (Richard et Djoulet, 1985). Une recette très commune avec la farine de niébé est le beignet, cuisiné à toute heure par les femmes au bord des pistes de brousse très fréquentées. Les fanes du niébé sont utilisées pour l’alimentation du bétail en saison sèche. Ce sont là beaucoup d’atouts qui font que cette plante permet de lutter contre la famine et de soutenir le développement de l’élevage. Malheureusement, tant au niveau de la culture qu’au niveau de la conservation des graines, les traitements recommandés contre les insectes sont mal maîtrisés par les producteurs. Le pois de terre (Voandzeia subterranea), Encore appelé pois bambara, est une autre légumineuse annuelle rampante dont les pédoncules après pollinisation des fleurs s’allongent et enfoncent les ovaires dans le sol. Les ovaires s’y développent en gousses contenant une, ou plus rarement deux graines rondes (photo 7). Le pois de terre s’accommode de sols de qualité médiocre et supporte des dates de semis échelonnées. Semé de mai à juillet, il peut être arraché vert et consommé bouilli (décortiqué) en période de soudure. Il a alors un goût de noisette très agréable. Récolté à maturité et conservé dans un grenier, il peut être consommé bouilli, en farine ou grillé. Les fanes sont utilisées pour l’alimentation du bétail. Il est généralement cultivé en champs exclusifs mais aussi en association avec le sorgho.

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Le sésame (Sesamum indicum) C’est une plante érigée annuelle pouvant atteindre de 1 à 2 mètres de hauteur (famille des Pédaliacées) (photo 8). Le fruit est une capsule allongée contenant une soixantaine de petites graines oléagineuses ressemblant aux graines de lin (photo 9). Souvent, il est semé à la volée sur des emplacements en cours de défrichement. Il est considéré comme une avant-culture. Etant devenu une culture d’exportation (principalement vers l’Egypte), aujourd’hui il fait partie de l’assolement souvent en tête d’assolement avant le sorgho, le niébé, etc. Semé en juillet, il est récolté fin décembre. Il préfère des textures sablo-argileuses mais se contente de sols pauvres mais si possible peu acides proches de la neutralité. Le sésame est un oléagineux très apprécié par la population à la fois comme friandise et comme source d’huile. C’est une culture en expansion grâce à une demande du marché extérieur mais également intérieur, surtout en saison des pluies. Malheureusement, la conservation de cette denrée jusqu’à la suivante saison des pluies n’est pas maîtrisée par les producteurs, obligeant ces derniers à écouler plus tôt leur production (Moutedé-Madji, 2018). Le burbayo (Plectranthus esculentus) Encore appelé pomme de terre de Madagascar ou de Livingstone est une plante racine (famille des Lamiacéas) un peu semblable au salsifis (photo 10), très appréciée pour son goût agréable. Sa peau fine nécessite néanmoins de l’éplucher. Planté en mai, la racine est récoltée en octobre-décembre. Elle a la particularité de s’enfoncer profondément en terre. C’est une plante pluriannuelle. Il faut donc prendre soin de creuser autour d’elle pour ne pas la casser. Consommée en remplacement de la pomme de terre ou de la patate douce, cette culture peut bénéficier à de nombreux agriculteurs car elle est facile à cultiver dès que la pluviométrie annuelle dépasse 700 mm et elle est de plus en plus appréciée sur les marchés. Le gombo (Hibiscus esculentus) C’est une malvacée annuelle de 50 cm à 1,50 m de hauteur dont le fruit est une capsule pyramidale de 10 à 15 cm de longueur contenant de nombreuses graines de la grosseur d’un grain de poivre. Le fruit est récolté très jeune, alors que les graines commencent à se former et va

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servir à faire la sauce gluante. Les feuilles de gombos sont aussi utilisées pour les sauces (photo 11). Le gombo est cultivé de préférence derrière les cases ou autour des termitières. B. Les cultures importées L’arachide (Arachis hypogaea) L’arachide ou pistache de terre ou cacahuète, originaire du Brésil, est une légumineuse herbacée. Elle produit des fleurs aériennes par groupes de 2 à 6 mais seules celles situées près du sol donnent naissance à des fruits. Comme chez le pois de terre, le pédoncule de l’ovaire s’allonge et s’enfonce dans le sol pour y développer des gousses qui mûrissent environ quarante jours après la fécondation (photo 12). L’arachide est cultivée soit en culture associée, soit en petites parcelles isolées. Semée dès les premières pluies, elle donne des gousses après 130 jours. Certains agriculteurs n’attendent pas la maturité complète pour procéder à l’arrachage, ils consomment une bonne partie de la récolte en vert au moment des disettes, en période de soudure au mois d’août (Maïkoubou, 2015). Le reste est conservé dans le grenier pour être consommé grillé, en pâte, bouilli ou en sauce. Avec les fluctuations climatiques, les surfaces cultivées varient selon les années entre 150 000 et 200 000 ha. Une huilerie-raffinage (annexe de la Cotontchad) est installée à Moundou et en 2016 une petite huilerie d’arachide a vu le jour à Doba. C’est une culture très répandue et commercialisée par certains producteurs sur le marché local. Elle apparaît de plus en plus comme une culture de rente, en alternative à celle du coton qui est en crise. Mais comme la filière n’est pas organisée, le prix n’est pas garanti en toute période (comme au Sénégal) ce qui limite encore son véritable essor. Le maïs (Zea mays) Plante originaire du Nouveau-Monde (Mexique et Pérou), importée en Espagne puis dans toute l’Europe méridionale, puis en Turquie d’où son nom de blé de Turquie, le maïs n’arriva en Afrique que tardivement. Dans les savanes du Tchad, on peut dire que sa connaissance est récente.

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C’est une graminée herbacée qui peut atteindre 2 à 3 m de hauteur (par exemple la variété Kitalé au Kenya). Son système racinaire est superficiel et ne dépasse pas 50 cm de profondeur d’où l’importance de la richesse du sol dans les couches de surface. Il est cultivé en petite parcelle derrière les cases où il profite de l’apport des déchets ménagers et de la cendre de bois de feu. On observe peu de grandes parcelles de plusieurs ares (photo 13) bien que de plus en plus apprécié pour la consommation familiale et la commercialisation. Semé en mai, il est souvent consommé avant maturité dès juillet en épis cuits ou grillés. Culture d’appoint, le maïs est un aliment de soudure apprécié du fait de son cycle court et ayant un bon rendement lorsqu’un peu fertilisé. Le manioc (Manihot utilissima) Le manioc est une euphorbiacée originaire d’Amérique du Sud, déjà cultivée à l’époque précolombienne. Il est introduit à l’Île de la Réunion vers 1740 et se répand rapidement en Asie avant d’être cultivé en Afrique en bordure des côtes puis vers l’intérieur. Il n’arrivera au Tchad que vers 1926 (Maïkoudou, 2015) dans le sillage de la culture cotonnière, dont il partage les origines méridionales et coloniales oubango-congolaises (Magrin, 2001). Sa culture fut encouragée en 1930 à la suite d’invasions acridiennes qui détruisirent les récoltes de céréales. C’est une plante dont on consomme les racines (riches en fécule) et les jeunes pousses (en purée comme les épinards). Les racines sont aussi la base de la fabrication du tapioca. C’est une culture qui donne peu de travail : bouturé en saison des pluies, elle peut donner, selon les variétés, des racines de manioc amer, au bout de six mois, des racines de manioc doux au bout d’un an. Il constitue un véritable gardemanger avec des réserves permanentes conservées dans le sol aussi longtemps que nécessaire (photo 14). Mais s’il est capable de pousser sur des sols appauvris, il contribue aussi à leur épuisement total et présente ainsi un danger pour leur avenir à long terme. Toutefois, comparé aux mils et sorghos c’est un aliment peu nourrissant mais qui remplit l’estomac. Malgré cet inconvénient, il continue à être cultivé aux côtés des mils comme culture d’appoint lors des mauvaises récoltes de céréales et pour éviter les disettes en période de soudure. Comme nous venons de le dire, il existe deux grandes variétés : le manioc amer et le manioc doux. Le manioc amer contient un principe vénéneux : la manihotoxine qui est à rapprocher de l’acide 27

cyanhydrique. La méthode la plus utilisée pour éliminer cette toxine consiste à découper les racines et à les mettre à rouir dans une eau peu profonde faiblement courante, durant trois à cinq jours selon la température de l’eau. On peut aussi procéder par ébullition dans l’eau en quantité relativement abondante. Le manioc doux peut être consommé frais, sans inconvénient étant donné la très faible teneur en manihotoxine. Cette culture serait menacée de disparition à cause de la pression (destructrice) de l’élevage transhumant et dans une moindre mesure de l’irrégularité de la pluviométrie. Cette plante reste verte pendant la saison sèche, période de séjour de nombreux éleveurs au sud du Tchad qui ne respectent pas les champs des paysans (Moutedé-Madji, 2018). L’igname (Discorea sp.) Le genre Discorea renferme de nombreuses espèces réparties dans les diverses régions du globe. C’est une plante grimpante, volubile. Le tubercule, comestible, parfois très gros, est simple ou lobulé, fasciculé ou multiple. La culture de l’igname reste largement manuelle le plus souvent en butte (photo 15). Les variétés les plus répandues en Afrique sont : ‒ Discorea alata qui a le meilleur rendement est d’origine océanienne, introduite en Asie, Afrique et Amérique ; ‒ Discorea rotundata, serait natif de Guinée, adapté aux régions à saison sèche et le plus cultivé ; ‒ Discorea cayennensis, adapté aux régions à longue saison de pluies, donc en dehors de la zone des savanes du Tchad. La culture débute avec la saison des pluies par des éclats de tubercules. La récolte a lieu neuf à douze mois après la plantation mais la plante peut vivre plusieurs années. Sa culture peut donc être conduite de manière à ne jamais manquer de tubercules. Ceux-ci se consomment cuits comme la pomme de terre. La patate douce (Ipomoea batatas) La patate douce, de la famille des convolvulacées, originaire d’Amérique centrale et méridionale, est une plante vivace bien qu’annuelle par son utilisation. A tiges rampantes dont l’extrémité seule est dressée, ce sont les tubercules qui sont comestibles, pauvres en protides mais ils contiennent de la fécule et d’autres glucides leur 28

conférant une saveur sucrée. Elle a un goût intermédiaire entre la pomme de terre et la châtaigne. La multiplication de la patate douce se fait par bouturage comme le manioc. On se sert de fragments de tiges de 20 à 30 cm de longueur qu’on enterre obliquement dans les buttes de 30-40 cm de hauteur, de manière à laisser émerger leur extrémité de 3 à 4 cm (photo 16). La patate douce est une plante précieuse pour la qualité de son tubercule, sa production abondante, sa précocité, la facilité de conservation des tubercules et sa teneur en fécule. Elle demande cependant beaucoup d’eau et des arrosages ou des irrigations en saison sèche. Elle se consomme bouillie ou frite, après avoir été coupée en tranches. Certains la consomment crue. Le taro (Colocasia sp et Xanthosoma sp) Les taros de la famille des aracées sont des plantes herbacées produisant des tubercules. En Europe, ils sont souvent cultivés comme plante ornementale en raison de leurs grandes et belles feuilles cordiformes, d’un beau vert. Les variétés Colocasia sont originaires d’Asie (Inde, Chine, Japon) et des îles du Pacifique. Les variétés Xanthosoma sont originaires d’Amérique tropicale. Aisément reconnaissables à leurs immenses feuilles longuement pétiolées, ces plantes rhizomateuses peuvent atteindre une hauteur de deux mètres. Très exigeante en eau, les taros cultivés en butte sont surtout localisés dans les endroits humides ou à proximité d’un point d’eau pour être arrosés. Ceux qui les cultivent se bornent généralement à n’entretenir qu’un petit nombre de plants épars. La multiplication se fait le plus généralement à partir de portions de tubercules récoltés à maturité, les rendements peuvent atteindre 15 t/ha. Ils ont les mêmes usages alimentaires que la pomme de terre. Si quelques plants de taro se rencontrent souvent près des habitations (photo 17), pour cette culture le pays Kim présente une forte particularité à savoir l’importance déterminante mais très localisée – sans équivalent dans le pays – de l’implantation récente de la culture du taro. Pour Magrin (2001), l’ethnie Kim marque la transition entre le Tchad méridional et le monde sahélien. Une autre caractéristique de la région est sa situation en zone inondable de la plaine du Logone, où les bourrelets de la berge du fleuve constituent un des axes de circulation majeurs entre N’Djamena et le sud cotonnier. C’est dans ce contexte agro-climatique qu’est introduit le taro dans les années 1950. Dès 1960, avec de nouvelles variétés les 29

Kim bénéficient d’un quasi-monopole de la production. Il est adopté en 1974 dans la plaine de Laï, en 1976 à Kélo et arrive à Pala en 1979 (Magrin, 2001). Ce tubercule s’est imposé dès l’origine chez les Kim comme une culture commerciale de la zone inondable, créant ainsi un paysage particulier autour des villages. Aujourd’hui la production atteint environ 1500 ha et fournit aux Kim des revenus importants. Le maraîchage La grande majorité des cultures maraîchères a été introduite par la colonisation. Les Africains se sont habitués très lentement aux légumes. Mais les habitudes alimentaires ont changé depuis quelques décennies surtout avec le développement des villes et l’apparition des classes moyennes. Le maraîchage a un réel rôle à jouer en milieu rural mais également en zone urbaine et périurbaine. Nous reviendrons plus largement sur cette filière dans un prochain chapitre. C. Les cultures commerciales Toutes les cultures citées précédemment font l’objet d’un commerce sur les marchés locaux, parfois à plus grande échelle, comme l’arachide ou le sésame. Nous n’avons retenu ici que celles qui font l’objet soit d’une commercialisation obligatoire soit d’une commercialisation de plus en plus importante comme le riz, ou nécessitent des périmètres importants comme la canne à sucre. Le coton (Gossypium sp.) Les cotonniers, de la famille des malvacées, étaient cultivés en Chine déjà trois mille ans avant notre ère et en Inde depuis plus de dix mille ans avant notre ère. Connus et cultivés dès le Ve siècle avant notre ère par les Grecs, les Romains et les Egyptiens. Ce sont les croisades qui furent à l’origine de l’usage du coton en Europe occidentale. Les régions d’origine des deux espèces les plus répandues sont l’Asie méridionale ainsi que l’Amérique du Sud. La culture du coton en Afrique (excepté l’Egypte) n’arrive qu’à la fin du XIXe siècle. Imposé par l’administration coloniale au Tchad dès la fin des années 1920, à partir de 1936, le coton doit être cultivé par chaque imposable (adulte de 15 à 50 ans) sur l’espace d’une corde (un peu moins de 50 ares) (Magrin, 2001). Nous reviendrons en détail sur 30

l’histoire de cette culture au Tchad dans un chapitre traitant uniquement des problèmes de la filière. Nous disons ici que c’est la seule culture d’exportation, et que c’est une culture contraignante pour les paysans qui doivent conduire celleci en même temps que celle des plantes vivrières. Les semis commencent avec la saison des pluies début juin jusqu’à la mi-juillet. Trois semaines après les semis, les paysans procèdent au premier sarclage et démariage à un plant et au remplacement des manquants. Un deuxième sarclage accompagné de buttage est effectué pendant le mois d’août. Enfin, un troisième sarclage est fait au mois de septembre (photo 18). L’administration veille, par le biais d’agents spécialisés à ce que les façons culturales soient pratiquées à la date requise. Les récoltes commencent au mois de novembre et se terminent début mars au plus tard. Le coton grain est entassé dans des paniers tressés de tiges de roseau et transporté sur la tête jusqu’à l’enclos familial où certains membres de la famille procèdent à un premier triage. L’achat, l’égrenage et la commercialisation sont le monopole de la Cotontchad. Le riz (Oryza sp.) Le riz fut introduit en République démocratique du Congo par les Arabes au cours du XIXe siècle, tandis qu’au Tchad (sur la rive gauche du Logone), il ne fut introduit qu’en 1910 par les Allemands mais il n’a pris son essor que durant la seconde guerre mondiale. En effet, c’est la crise de subsistance née de l’isolement de l’Afrique durant la seconde guerre mondiale 1939-1945 qui a conduit l’administration française à imposer l’agriculture du riz dans les plaines du moyen Logone (Maïkoubou, 2015). Si le riz est une plante très exigeante en eau (à l’origine c’est une plante de marécage), il existe une riziculture sèche où le riz est cultivé en condition pluviale, il ne dispose alors que de l’eau de pluie pour s’alimenter. Cette riziculture est pratiquée, en général, sur les fronts pionniers en brûlis forestier. Cette pratique subsiste en Asie du SudEst mais très peu en Afrique. Si la riziculture la plus répandue est aquatique, il faut toutefois bien distinguer le riz inondé du riz irrigué. Le riz inondé reçoit uniquement l’eau des pluies et se cultive dans les bas-fonds ou dans des cuvettes fermées permettant de se suffire en eau durant la culture (photo 19). Dans le cas du riz irrigué, l’eau peut provenir des inondations provoquées par la crue des cours d’eau mais il faut aussi pouvoir 31

maintenir une lame d’eau suffisante dans la rizière ce qui en général nécessite l’organisation d’un périmètre d’irrigation spécialement conçu pour cette culture. Au Tchad, la grande majorité des surfaces agricoles concerne le riz inondé et non le riz irrigué. Pour profiter de l’eau des pluies, le riz est semé à la volée au début de la saison des pluies (vers mi-juin à juillet) et est récolté aux mois d’octobre et novembre. La réussite du riz inondé est ainsi liée aux aléas climatiques – pas assez d’eau et le riz crève de sécheresse, trop d’eau sans possibilité de drainage et le riz crève noyé. Les Tchadiens du sud, longtemps habitués au mil et au sorgho, se sont mis à la culture du riz lorsque la qualité du sol et la topographie permettent l’implantation de cette culture. Longtemps considéré comme un plat de luxe (non pas en grain mais en farine pour faire la boule), le riz est rentré progressivement dans l’alimentation de la population et petit à petit la culture du riz s’est implantée comme culture vivrière, procurant chez certains paysans une réelle ressource monétaire. La canne à sucre (Saccharum officinarum) C’est une grande herbe vivace de la famille des graminées, originaire de l’Asie Méridionale. Les Chinois la connaissaient avant notre ère. Les pèlerins des croisades en rapportèrent de Palestine. Les Arabes la propagent au Moyen Age en Egypte, en Sicile et en Espagne. Au début du XVIe siècle, elle est introduite au Brésil. Aujourd’hui, la culture de la canne à sucre s’est étendue à toutes les régions tropicales de l’Afrique centrale. Au Tchad, ce n’est qu’à la fin des années 1960 qu’elle devient une culture industrielle grâce en 1970 à la création de la Compagnie sucrière du Tchad. C’est une plante très exigeante en eau qui occupe le sol pendant quatre ans avant d’être renouvelée. Elle demande un minimum de 8000 m3/ha/an soit une pluviométrie continue d’au moins 800 mm/an, ce qui n’est pas le cas dans la région qui nous concerne d’où la nécessité d’une irrigation importante d’appoint durant les mois secs. Au Tchad elle est cultivée : ‒ d’une manière industrielle à Banda près de Sarh ; ‒ d’une manière familiale en très petite parcelle. A Banda, un périmètre irrigué est créé en 1970 avec l’implantation d’une sucrerie. Aujourd’hui, la superficie consacrée à la culture est d’environ 4300 ha, irrigué par pompage dans le Chari, avec des 32

parcelles irriguées par siphons à partir d’un canal secondaire et d’autres parcelles par aspersion avec rampes pivotantes. La récolte annuelle (échelonnée sur plus de 200 jours) se fait à la main après brûlage des feuilles sur pied. Les traitements phytosanitaires se font par avion. Le sucre produit au Tchad est fortement concurrencé par celui venant du Cameroun, d’autant que l’usine de Banda tourne bien en deçà de sa capacité de production. Les petites parcelles familiales répandues dans toute la région produisent des cannes de petite taille et de faible diamètre, celles-ci sont vendues sur les marchés locaux en bâtons de 30 cm comme friandises. D. Les fruits Le manguier (Mangifera indica) Le manguier de la famille des Anacardiacées est originaire de l’Asie méridionale où sa culture remonte à une époque très reculée. L’époque de son introduction en Afrique centrale est celle de l’arrivée des administrateurs et des missionnaires au début des années 1920. C’est un arbre de 10 à 30 m de hauteur à racines pivotantes, à feuilles persistantes. Le fruit suspendu à un long pédoncule est une drupe oblongue, de forme inégale avec un noyau fibreux d’autant plus petit qu’il s’agit de variétés multipliées par greffe. Le manguier est surtout productif dans les régions tropicales à saison sèche prononcée, ce qui est le cas du sud du Tchad d’où l’omniprésence de cet arbre, parfois en véritable "forêt" dans toute la région de Pala, Moundou, Doba, Sarh et au-delà. Le manguier est héliophile, une insolation généreuse améliore la qualité des fruits. Le sol doit être sain, sablo-argileux de préférence, avec un pH voisin de 6. L’eau stagnante ne convient guère à cet arbre. Il commence à fructifier vers 4 – 6 ans et atteint sa pleine production vers 12 ans. A l’âge de 12 ans, les meilleures variétés produisent plusieurs milliers de fruits (Vandenput, 1981) ; le rendement moyen est de 7 t/ha. La mangue cueillie au moment où elle se détache facilement de son pédoncule est mangée fraîche (de février à juin). On peut également en faire de la mangue séchée, de la confiture, de la gelée ou du jus. Concernant la production de jus, une usine de jus de mangues et tomates a été construite à Doba en 2010, sur fonds publics. Vu la quantité de mangues récoltées à la fin de la saison sèche (mars à mai), 33

ce projet était tout à fait adapté pour rentabiliser des productions souvent abandonnées sur le sol et faisant l’objet de marchés spéculatifs de grossistes peu scrupuleux venant de N’Djamena. Pour plusieurs raisons, cette usine n’a jamais fonctionné. La première raison est l’absence de chambre froide, ce qui empêche le moindre stockage en période de récolte. La première année de son ouverture le fond de roulement a été dépensé sans activité donc sans rentrée d’argent et la société a été déclarée en faillite. Aujourd’hui, le ministère de l’économie cherche un repreneur de l’entreprise pour un franc symbolique. Tous les jus de mangue consommés au Tchad sont importés d’Egypte !! On n’est pas à une aberration près. Le bananier (Musa sp.) La banane, fruit du bananier, est l’une des productions les plus précieuses des régions tropicales où elle sert de nourriture à d’innombrables populations. On en connaît des centaines de variétés. Originaire de l’Asie sud orientale et des îles des Philippines, le bananier a été introduit depuis très longtemps en Afrique. Par exemple, le bananier est connu au Congo avant le XVIe siècle. Il fut introduit en Amérique à partir de 1515. Le bananier de la famille des Musacées est une plante herbacée de 2 à 5 mètres, avec une souche vivace, ou rhizome, d’où naissent de très grandes feuilles qui vont s’emboîter les unes dans les autres, simulant un tronc épais. Du milieu naît sur un axe central une longue inflorescence recourbée vers le sol qui donnera des fruits, le régime de bananes. Lorsque le régime est arrivé à maturité, le stipe qui le porte dépérit. La survivance du plant est assurée par le maintien de rejets nés de la souche. Aussi, après la récolte du régime, le stipe est-il coupé à la base puis débité en morceaux au pied du bananier, ce qui va enrichir le sol en matière organique. Or, le bananier est très exigeant en matière organique et ainsi d’année en année, avec des compléments de matière organique venant de l’extérieur (compost, cendres de foyer, déchets ménagers) le sol va s’enrichir en éléments fertilisants ce qui va profiter à la production de bananes. Le bananier est également très exigeant en eau, une pluviosité mensuelle de 100 à 150 mm est la plus propice. Au Tchad, le manque de régularité des précipitations doit être compensé par des irrigations, ce qui n’est le cas que chez quelques producteurs travaillant pour la commercialisation, alors que ce serait si simple d’effectuer quelques arrosages à partir du puits. Le bananier peut être cultivé seul en verger 34

mais souvent en association avec une plante de couverture comme le haricot. La production est permanente tout au long de l’année. Nous ne rentrerons pas dans l’énumération des nombreuses variétés qui sont souvent des variétés locales. Nous citerons les bananes plantains (Musa paradisiaca) qui sont surtout consommées après cuisson, grillées ou frites et la variété Musa sapientum avec plusieurs clones et des bananes longues (par exemple la Gros-Michel) ou courtes dites parfois des Canaries. Toutes ces bananes de la variété sapientum sont consommées en dessert mais aussi pour la fabrication de la bière. Au Tchad, aucun type de banane n’est commercialisé pour l’exportation mais uniquement pour la commercialisation locale, avec une demande de plus en plus importante. Le goyavier (Psidium guajava) Le goyavier de la famille des myrtacées, est un arbrisseau buissonnant ou un petit arbre à tronc tortueux (photo 20), il est originaire de l’Amérique tropicale. Le fruit selon les variétés est rond, ovoïde ou piriforme de 3 à 10 cm de longueur. La goyave piriforme est généralement la plus appréciée. Sous les climats à saisons bien différenciées comme au Tchad, l’arbre ne fournit qu’une seule récolte de septembre à octobre. C’est un fruit riche en vitamines C et A de plus en plus apprécié en dessert. La goyave peut être consommée fraîche mais aussi cuite. Elle convient très bien pour la préparation de confiture, de gelée, de sirop et de jus. Au Tchad, le jus de goyave est importé d’Egypte !! Le papayer (Carica papaya) Le papayer, de la famille des Caricacées, est originaire d’Amérique centrale et notamment du Mexique. C’est un arbre non ramifié dont le tronc atteint de 3 à 7 mètres de hauteur, et habituellement dioïque (photo 21). Les fleurs femelles à la partie supérieure du tronc produisent des fruits isolés ou par groupes de deux ou trois. La papaye est un fruit à la chair juteuse, parfumée, avec une cavité centrale remplie de plusieurs dizaines de petites graines noires. Le fruit pèse de un à plusieurs kilos et est très apprécié. Il se multiplie généralement par semis en pépinière mais la plantation peut également se faire au départ par boutures ou par greffage. Lorsque les plantules auront atteint une cinquantaine de 35

centimètres, elles seront mises en place au début de la saison des pluies. La couverture du sol par un paillis est recommandée. La fructification débute 9 à 10 mois après la plantation définitive et s’étend sur toute l’année. Malgré la saveur agréable du fruit (fruit juteux, parfumé, sucré), celui-ci est très peu produit au Tchad et donc peu commercialisé sur les marchés locaux. L’arbre demandant un sol léger, meuble et très bien drainé, devrait pouvoir être facilement cultivé près des habitations. Régulièrement arrosé en saison sèche, il devrait produire suffisamment pour compléter l’appoint des petits maraîchers périurbains. Les agrumes On appelle agrumes, de l’italien grumi (acides), les fruits de toutes les aurantiacées comestibles. Les agrumes sont originaires d’Asie (Chine, Birmanie, Malaisie). Les Arabes les ont importés en Occident. Ils sont déjà cultivés vers l’an 1000 en Palestine et en Sicile. Les premières introductions en Afrique centrale par le fleuve Congo ont été faites par les Portugais établis sur la côte occidentale et les Arabes, de leur côté, les auraient introduits par l’Est de l’Afrique. Au Tchad, nous trouvons les oranges, citrons et pamplemousses qui sont très peu commercialisés à l’échelle locale. Il n’existe pratiquement pas de vergers commerciaux. En général, ce sont des fruits de faible qualité (acides pour les oranges et les pamplemousses) peu juteux et souvent fibreux. Il faut remarquer que les agrumes, qui s’accommodent assez bien de températures élevées durant toute l’année (le cas du sud du Tchad) exigent néanmoins beaucoup d’eau d’où la nécessité d’une irrigation régulière en saison sèche. L’établissement d’un verger demande beaucoup de soins donc un certain professionnalisme (qualité du semis, soins anti-maladies, choix des porte-greffes, déplantation, qualité de la taille de formation puis de fructification) si bien qu’il est difficile d’envisager aujourd’hui une production de qualité dans l’environnement agricole actuel de la région. Alors que le consommateur local est de plus en plus demandeur de fruits en quantité et en qualité, pourquoi ne produirait-on pas des oranges et des pamplemousses très sucrés et très juteux au lieu d’importer des pommes et des poires (souvent farineuses) d’Europe ou d’Afrique du Sud ?

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Photo 4  Epillets de mil à chandelles et panicule de sorgho rouge (photo C. Mathieu).

Photo 5  Jeune sorgho de décrue avec andain de sorgho rouge en attente de transport, près de Pala (photo C. Mathieu).

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Photo 6  Parcelle de niébé en lignes à Doba (photo C. Mathieu).

Photo 7  Pois de terre à la récolte à Doba (photo C. Mathieu).

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Photo 8  Champ de sésame en fleurs à Komé (photo C. Mathieu).

Photo 9  Graines de sésame au séchage à Bekondjo (photo C. Mathieu).

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Photo 10  Burbayo à la vente, avec de la canne à sucre, près de Moundou (photo C. Mathieu).

Photo 11  Séchage de feuilles de gombo qui seront utilisées en sauce, près de Doba (photo C. Mathieu).

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Photo 12 .Arachides à la récolte, station ITRAD à Bebédja (photo C, Mathieu).

Photo 13  Champ de maïs au nord de Pala, les bœufs réalisant un sarclage-buttage (photo Ouallou Lama).

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Photo 14  Champ de manioc vers Maïbombaye (photo R. Mathieu).

Photo 15  Champ d’ignames vers Maïbombaye (photo C. Mathieu).

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Photo 16  Repiquage de boutures de patates douces sur buttes, sud de Bébedja (photo C. Mathieu).

Photo 17.  Plants de taro en bordure de parcelle à Doba (photo C. Mathieu).

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Photo 18  Champs de coton fin octobre, près de Pala (photo C, Mathieu).

Photo 19  Champ de riz inondé à maturité à Bekondjo (photo C. Mathieu).

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Photo 20  Goyavier dans un verger de production près de Doba, avec au pied, un apport de matière organique retenu par un bourrelet de terre (photo A. Aujoux).

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Photo 21  Papayers dans une cour de maison à Doba (photo A. Aujoux).

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2.2. Les systèmes d’exploitation Les systèmes de culture des savanes du Tchad sont assez divers, du fait des conditions climatiques et pédologiques variées mais aussi, pour certaines cultures, en raison de conditions socio-économiques locales particulières. Petit à petit des bassins agricoles spécialisés se sont créés. Schématiquement, du nord au sud, les systèmes vivriers sont d’abord dominés par le mil, adapté à la sécheresse, puis par le sorgho, plus flexible, avant de faire place au maïs puis aux tubercules (manioc) dans le sud, en limite avec la Centrafrique. La culture de rente emblématique de la savane tchadienne est le coton, mais elle est loin d’être partout présente comme nous le verrons plus loin, depuis les multiples difficultés de la Cotontchad. Aujourd’hui, la succession des cultures devient de plus en plus continue et plus rarement avec de courtes périodes de jachère intercalées entre les périodes de culture (voir chapitre 4). Les jachères longues (5 à 10 ans ou plus) ne s’observent plus que dans certaines régions peu peuplées comme en Centrafrique. Par le passé, il y a une vingtaine d’années après le coton, les paysans faisaient des cultures associées, sorgho/arachide et sorgho/niébé. A présent il y a beaucoup moins de cultures associées qu’avant. Avec l’augmentation de la population et du coût élevé des céréales et des oléagineux, les paysans préfèrent l’assolement entre arachide – sorgho plutôt que les cultures associées estimant dans ce cas avoir de meilleurs rendements. Beaucoup de villages ont abandonné la culture du coton pour cultiver l’arachide et le sésame. A côté des systèmes pluviaux (mil et sorgho) et sur des parcelles spécifiques localisées dans des cuvettes argileuses (riz), un système basé sur le stockage de l’eau dans le profil permet de conduire une culture de sorgho de décrue (début de saison sèche) comme nous venons de l’expliquer. Le riz peut être aussi localement dominant, chaque fois que les terres sont régulièrement inondées naturellement ou grâce à des réseaux d’irrigation, (région Bongor – Laï, Doba – Bébedja) malheureusement anciens et dégradés ou plus récents mais sommaires. Si ces installations dégradées nous amènent à diagnostiquer un échec économique, à l’inverse nous constatons que de plus en plus de nombreux paysans cultivent cette céréale dès qu’ils ont à leur disposition les zones inondables adéquates.

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Certes, l’importance du riz dans l’économie agricole des populations varie en fonction de leur localisation géographique, mais aussi des aléas climatiques. Comme expliqué plus haut, l’essentiel des surfaces cultivées ne sont pas aménagées pour l’irrigation contrôlée d’où les risques de sécheresse ou d’inondations importantes. Ainsi, on peut distinguer globalement deux situations différentes. Les espaces situés dans des zones inondables de faible étendue jouxtant des zones à production classique avec le coton, les mils et l’arachide. Le riz s’intègre dans ces systèmes d’une façon plus ou moins importante. C’est le cas de Koumra à Doba, puis Piplo, Kelo jusqu’à Fianga, ainsi qu’au nord de Bongor, et de part et d’autre de la Ba-illi au sud de Bousso. En revanche, dans les espaces situés au cœur de la zone inondable, où la topographie limite les possibilités de cultures exondées, le riz constitue la base de l’agriculture, de l’alimentation et, plus généralement, de l’activité économique et commerciale. C’est le cas principalement sur une bande d’une vingtaine de kilomètres de part et d’autre de la vallée du Logone de Béré-Laï, le pays Kim pratiquement jusqu’à Bongor (Magrin, 2001). Si la culture du sorgho est plus importante vers le sud dans les systèmes de culture de saison des pluies, depuis les problèmes climatiques des années 1970-1980, le mil reste présent en association avec le sorgho, de façon à répartir les risques climatiques (Jamin, 2003). Nous verrons que les rendements à l’hectare restent faibles aussi la modicité des excédents en mil et en sorgho explique leur discrétion dans les flux commerciaux. Ceux-ci sont principalement destinés aux villes du Tchad et très peu aux échanges céréaliers avec les pays voisins (Magrin, 2001). Dans le sud de ces savanes, les tubercules deviennent plus importantes que les céréales, particulièrement le manioc, tant pour des raisons de temps de travail que pour des raisons de sécurité. Le manioc n’est pas stocké en grenier comme les céréales (vols, incendies, ravageurs), il reste en terre autant de temps qu’on veut et sa récolte se fait au fur et à mesure des besoins (en place de 8 mois à 3 ans). Longtemps cultivé en associations avec d’autres plantes ou autour des parcelles, on remarque de plus en plus l’existence de vastes parcelles qui lui sont exclusivement consacrées. En plus d’une culture sécuritaire, la diffusion spatiale de la culture du manioc irait-elle de pair avec la généralisation de la consommation d’alcools distillés, dont le plus répandu, l’argui se fabrique à partir des variétés amères de ce tubercule (Magrin, 2001). Cependant, de plus en plus ces champs 48

deviennent vulnérables aux troupeaux nomades et les agriculteurs hésitent à développer davantage cette culture. Partout où les conditions de sol (suffisamment sableux) le permettent, l’arachide est une culture en forte expansion, destinée tant à l’alimentation familiale qu’à la commercialisation et l’exportation principalement en Inde. Au cours des trois dernières décennies, sous l’effet d’une conjoncture cotonnière mauvaise, la production d’arachides a connu une très forte augmentation en surface au point de se hisser parmi les trois principales plantes cultivées avec les mils ou le coton. L’augmentation de la place de l’arachide dans les systèmes agricoles s’explique par un changement important dans l’usage du produit, la part de l’autoconsommation ne cesse de diminuer au profit des quantités commercialisées. Si l’argent du coton perçu en une seule fois alimente les investissements (dot, achat de bœufs ou d’équipements agricoles), l’arachide fournit des revenus étalés dans le temps servant d’abord à payer des dépenses échelonnées (école, nourriture, médicaments,...). Concernant l’arboriculture de rente Magrin (2001) écrit "Splendeur et misère des manguiers". Comme nous l’avons évoqué, au sortir des villes comme dans les villages, les vergers de manguiers font incontestablement partie des paysages de cette zone soudanienne. Dès leur introduction, ils ont été rapidement appréciés en raison de leur croissance rapide, de l’ombre qu’ils procurent et évidemment de leurs fruits qui, en plus de leur goût, peuvent être un complément alimentaire. Mais devant le manque d’une organisation (filière) au moment des récoltes (ramassage, collecte, transport, distribution, transformation) la plus grande partie de la production est autoconsommée ou écoulée à bas prix sur les marchés urbains ou... pourrit sur place ! En estimant qu’un arbre de 10 ans peut donner entre 800 et 1300 kg de mangues par an et que la majorité des familles possède entre 7 à 10 arbres (Magrin, 2001), c’est une récolte possible chaque année entre deux et à cinq tonnes de fruits par famille, ce qui est considérable. Jusqu’à présent de nombreuses initiatives pour organiser la filière ou pour installer des unités de transformation ont échoué pour diverses raisons. Nous avons cité le cas de l’usine de jus de Doba (page 33), Magrin (2001) rapporte le cas à Goré où avec l’aide extérieure (prêtres italiens) une ancienne usine de la Cotontchad aurait pu accueillir une petite unité de transformation. Mais il aurait

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fallu faire évacuer les "combattants"4 qui occupaient l’usine et les bâtiments attenants. L’Etat n’a pas osé faire un choix politique et le projet n’a pas abouti. Les systèmes de cultures des savanes tchadiennes sont confrontées à trois enjeux principaux : les cycles de culture et les calendriers d’activité dans un contexte climatique variable (soit limitant – c’est la sécheresse – mais parfois excessif – ce sont les inondations), la maîtrise des adventices, préoccupation et occupation principale des paysans durant la culture surtout lorsque la pluviométrie est bonne, enfin le maintien de la fertilité du sol, question fondamentale que nous traiterons séparément (chapitres 4 et 5). La méthode des cultures traditionnelles précoloniales était un système de culture sur brûlis avec rotation et jachères plus ou moins longues. Hormis les champs qui sont à proximité de l’habitation, toute l’agriculture repose sur le déboisement de la savane et la reconstitution des sols par les jachères (voir chapitre 4). Lorsque les superficies devant être mises en culture étaient délimitées, les hommes et les femmes s’y rendaient pendant la saison sèche pour abattre les arbustes et couper la végétation herbacée, le tout étalé en surface et laissé sur place à sécher jusqu’à la fin de la saison. Avant les premières pluies (mai-juin) le feu était mis aux broussailles, ce qui constituait un léger apport de cendres enrichissant le sol. Ensuite le champ était grossièrement labouré et le sésame était semé à la volée. La deuxième année était consacrée à la culture de base, c’est-à-dire le sorgho, souvent associé au haricot ou à l’arachide. La troisième année était utilisée de nouveau pour le sorgho ou le mil. Puis revenait la jachère. Avec le coton, celui-ci a pris la place de la tête de rotation en première année, suivi par un an de sorgho puis un an de mil et en quatrième année le manioc qui reste un à deux ans avant un retour à une jachère courte (3 à 5 ans) lorsque c’est encore possible. Mais les champs à proximité des villages s’épuisent de plus en plus ce qui oblige à cultiver de en plus loin avec des problèmes que nous évoquerons ultérieurement. Nous voyons que l’agriculture traditionnelle est une agriculture vivrière familiale de subsistance, sans mécanisation, à l’exception d’un peu de traction animale pour les labours et les transports. Une

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Militaires occupant le lieu sans autorisation.

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longue saison sèche pose très souvent un problème d’alimentation durant la période de "soudure" (réserve alimentaire). Mais depuis quelques décennies, le sud du Tchad est affecté par des mutations accélérées. La première provient de la dégradation climatique dans les années 1970-1980. Les sécheresses sahéliennes ont mis en mouvement de nombreux pasteurs sahéliens vers le sud. Ce courant migratoire vers le sud a concerné aussi de nombreux petits commerçants sahéliens qui se sont établis dans les villes et jusque dans les gros villages de la zone cotonnière. La deuxième mutation est le fait de la désaffection des agriculteurs pour la culture du coton. Si dans certains États africains, le coton ne représentait qu’une ressource annexe de l’économie, il n’en était pas de même au Tchad, où la production cotonnière et les activités qui y sont liées occupaient une place centrale dans l’économie nationale, donc dans l’agriculture de la région concernée. Or cette filière extrêmement incertaine pour les producteurs s’est véritablement effondrée globalement. De nombreux agriculteurs ont totalement abandonné cette culture et se sont orientés vers d’autres productions (vivrier, riz, etc.). La troisième mutation est due à l’exploitation des gisements pétroliers de la région de Doba qui constitue un potentiel de changement important sur l’environnement physique et humain de cette zone de production (expropriation de certaines zones de culture, et flux migratoire important) (voir chapitre 13). Toutes ces mutations contribuent à un changement important pour l’agriculture, à commencer par une demande accrue des produits vivriers et des produits d’élevage. Le Tchad méridional va donc contribuer, sur un mode original, à une certaine révolution du vivrier marchand, qui peut constituer un des principaux moteurs de la mutation actuelle de l’économie rurale régionale. Mais quels agriculteurs vont être concernés par la révolution du vivrier marchand, quels agriculteurs vont pouvoir profiter de ces mutations tout en étant accompagnés pour augmenter leurs diverses productions et pour gérer d’une manière plus efficiente leur exploitation ? Toutes les exploitations pourront-elles répondre à la demande et profiter de cet essor favorable au développement agricole ? Pour répondre à ces questions une photographie de l’agriculture, même partielle, de la région du sud était nécessaire. Or, lorsque nous arrivons dans cette région en 2004, cette photographie n’existe pas. 51

Si nous voulons connaître les vrais problèmes rencontrés par les agriculteurs d’une région, nous devons d’abord connaître leurs capacités de travail et de production, les différentes catégories d’exploitants, leur représentation dans l’ensemble de la région, leur mode de gestion, leurs forces et leurs faiblesses. C’est la raison pour laquelle, en collaboration avec une ONG de Doba, ATADER, nous avons décidé de conduire un programme d’enquêtes dans 8 villages de la Pendé (282 enquêtés sur 1673 exploitants) afin de pouvoir inventorier les différents systèmes d’exploitation existants (Rossignol et Mathieu, 2012, AFTPA). Certes, cet inventaire localisé ne peut servir de généralisation pour tout le sud de Pala à Sarh mais pourra servir d’information et de guide lors d’actions de développement intégré ainsi que pour ajuster des interventions et des appuis de l’Administration et des ONG. La première observation concerne la composition des exploitations et les surfaces cultivées. La moyenne du nombre de personnes par exploitation varie de 6,4 à 11. Ce sont des familles importantes avec plusieurs enfants, des personnes actives et des personnes âgées à charge. Il y a quelques femmes chefs d’exploitations (veuves et divorcées). L’observation suivante concerne le nombre d’actifs par exploitation, il varie de 2 à 4, ce qui nous amène à considérer le nombre de personnes à nourrir par actif par exploitation, il varie de 1,9 à 3,1, ce sont des moyennes très basses. Concernant les surfaces cultivées, les moyennes sont très différentes de village à village, elles sont de 1,42 (Bendoh) à 7,8 (Takapti). Les surfaces minimales étant de 0,5 ou 1 ha et maximales allant jusqu’à 25 ha (une exception à Mogrom) avec aussi de grandes différences selon les villages. Cela nous a amené à considérer les surfaces cultivées par actif, elles varient de 1 à 1,9 ha, ce qui signifie des surfaces très petites par rapport à la force de travail et sous-entend déjà la faiblesse des moyens de production (fertilité des sols, faiblesse des équipements, ...). Une autre observation importante doit être faite concernant les double-actifs, c’est-à-dire les agriculteurs (en général le chef de famille) ayant aussi un emploi à l’extérieur de l’exploitation. Ils concernent exactement 1/3 de l’échantillon global, ils se rencontrent dans tous les villages enquêtés et dans tous les systèmes d’exploitation identifiés. Cela signifie-t-il que l’agriculture n’est pas une activité suffisamment rentable ? Cela peut aussi signifier que certains exploitants trouvent une autre activité durant la longue saison sèche dont est l’objet cette région, ce qui leur permet effectivement d’avoir d’autres ressources monétaires que l’agriculture. 52

Nous reviendrons plus tard sur les rendements obtenus, la conduite de culture et l’utilisation des fumiers et des engrais. Avant de décrire les différents systèmes d’exploitation rencontrés, parlons un peu des animaux et des équipements étant donné l’importance de la traction animale. Nous notons qu’environ les deux tiers des exploitants ont des bœufs, donc la possibilité d’utiliser la traction animale et surtout d’obtenir du fumier. Plus de 50 % sont propriétaires d’une charrue (photo 22). Les propriétaires de charrettes (photo 23) ramenés aux propriétaires de bœufs ne sont que les 2/5. Cela signifie que : ‒ 1/3 des agriculteurs n’ont aucune force de travail autre que leurs bras et leur daba5 ; ‒ il manque encore des charrues chez des propriétaires de bœufs (environ 1/3) ; ‒ il manque surtout des charrettes, outil indispensable, non seulement pour transporter les récoltes mais aussi et surtout le fumier. En dehors de la charrue et de la charrette, il y a peu d’autres équipements de travail : corps butteurs, sarcleuses, bineuses. Aucun semoir n’a été relevé ni aucune herse ou cultivateur. Même le portetout (photo 24) est peu fréquent, à peine chez 1 exploitant sur 8. Nous avons cependant rencontré des paysans n’ayant ni bœuf ni charrue qui les louent au moment des labours et qui ayant une charrette louent également les bœufs au moment des récoltes. Les enquêtes réalisées dans cette région nous ont montré cinq systèmes principaux d’exploitation. 1. Les agriculteurs de subsistance Pour ce groupe, toute la production est consacrée à l’alimentation familiale, l’unique objectif est l’autonomie alimentaire. Aucune vente de produit n’est réalisée. Ce groupe s’observe dans 6 villages sur les 8 enquêtés allant de 13 à 57 % de l’échantillon selon les villages. Toutefois, ce groupe qui consomme toute sa production et ne vend aucune part de sa récolte est malgré tout assez hétérogène, dans le sens que certains ont des bœufs, une charrue, voire une charrette et même 5

Outil africain utilisé indifféremment pour labourer, aérer le sol ou récolter (photo 7).

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utilisent parfois du fumier (alors, comment ne pas pouvoir vendre une partie de la récolte... à cause du nombre de bouches à nourrir ??) alors que d’autres n’ont aucun bovin et n’ont pas d’autre équipement que la daba. Environ 20 % du groupe sont des double-actifs, ce qui signifie que le reste – 80 % – n’ont aucune ressource monétaire... Si certains réussissent d’une certaine façon à survivre en autarcie, d’autres, probablement la majorité, vivent dans une importante et inquiétante précarité pour l’avenir de la famille. L’ensemble du groupe ne participe pas à une agriculture de marché. 2. Les agriculteurs producteurs de vivrier Ces agriculteurs vendent une partie d’une ou de deux cultures vivrières (surtout sorgho et arachide) et leurs ventes peuvent atteindre jusqu’à 90 % de la récolte. Ils ne font ni riz ni coton et ont surtout du petit élevage. Ils sont présents dans 5 villages sur 8 et représentent presqu’un tiers des exploitations de ces villages. Les surfaces de ces exploitations sont assez conformes aux moyennes et peuvent être d’environ 5 ha. Les rendements sont assez conformes aux moyennes, mais aussi parfois supérieurs. Près de 70 % utilisent la traction animale et ont souvent une charrue. Près de 40 % de ce groupe sont des double-actifs. 3. Les agriculteurs-éleveurs Dans ce groupe, nous incluons tous ceux qui utilisent la traction animale. Ils ont souvent plusieurs bœufs, parfois une vache laitière. Ils vendent une partie importante de leur production vivrière et ont un petit élevage important de petits ruminants (avec parfois quelques porcs) et/ou de la basse-cour. Ce petit élevage améliore les conditions d’alimentation de la famille et apporte des revenus supplémentaires. Ce groupe est présent dans 5 villages sur 8 et représente près d’un quart des exploitations de ces villages. Les surfaces des exploitations sont toujours supérieures aux moyennes, variant de 5 à 8 ha et peuvent même dépasser les 15 ha. Le nombre de personnes est aussi supérieur aux moyennes. Les cultures de rente sont très variées, principalement le sorgho avec des rendements quasi toujours supérieurs à la moyenne, puis l’arachide, le sésame, un peu de coton et parfois du riz. Certains ont un verger de manguiers.

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Une des caractéristiques essentielles du groupe est l’importance de l’élevage bovin, tous utilisent la traction animale. Ils ont pratiquement tous une charrue. Le nombre de têtes varie de 3 à 10. Certains ont une charrette ou d’autres équipements (corps butteur, brouette, décortiqueuse, presse à huile). Le petit élevage comme pour le groupe précédent est extrêmement important. Tout cet ensemble procure évidemment des revenus très diversifiés, d’autant que près de 40 % de ces agriculteurs ont aussi une activité extérieure. Mais est-ce pour autant qu’avec tous ces animaux l’utilisation du fumier est généralisée ? La réponse est non. Il y a là une question à se poser sérieusement et à approfondir. 4. Les cotonculteurs Si le coton est encore cultivé dans quelques villages (4 sur 8), il est particulièrement important dans un village (Kagroye) où quasiment tous les agriculteurs en cultivent (92 %) cela sur 30 % des surfaces cultivées. Pourquoi un tel engouement pour cette culture, alors qu’elle a été abandonnée par de nombreux paysans ? L’explication, pour curieuse qu’elle soit, serait tout simplement que le chef de village est resté un gros producteur de coton et que ses administrés, par mimétisme sociétal, font comme lui et continuent cette culture sans trop calculer le vrai bénéfice qu’ils en retirent. Mais ce groupe est loin d’être homogène ; nous avons distingué 4 sous-groupes : ‒ ceux dont le coton est la seule ressource monétaire. toutes les autres cultures servent uniquement à l’alimentation de la famille. Ils représentent 43 % du groupe cotonculteur. Par exploitation, la surface de coton représente 1/3 à 1/4 de la surface cultivée. 50 % utilisent la traction animale ; ‒ ceux qui vendent du vivrier en plus du coton. Ils représentent 23 % du groupe ; ‒ ceux qui vendent du coton, du vivrier et des petits animaux, tous localisés à Kagroye. Ils ont tous de la traction animale et représentent 23 % du groupe ; ‒ enfin un groupe identique au précédent (agriculteurs-éleveurs) mais avec un cheptel bovin important : 3 à 7 bœufs et le double de petits animaux et de volailles par rapport à l’échantillon villageois. Ils ont ainsi des revenus multiples. Ils ne représentent que 10 % du groupe. Plus de 42 % de ce groupe sont des double-actifs. 55

5. Les riziculteurs La culture du riz est liée à un type de sol et à un type d’espace. Le sol doit être imperméable et l’espace doit être inondable durant la saison des pluies. Cela signifie que cette production ne peut être cultivée n’importe où. C’est donc une culture localisée (voir page 31). Dans la région étudiée, de la Pendé et de la Nya, le groupe de riziculteurs cultive aussi du vivrier, mais comme les cotonculteurs, est loin d’être homogène. Nous avons identifié : ‒ les riziculteurs de subsistance qui cultivent une part importante de riz (jusqu’à 40 %) mais rien n’est vendu ; ils consomment tout le riz qu’ils produisent. Ils représentent 14 % du groupe ; ‒ les riziculteurs "stricts" qui vendent une part importante de leur production (jusqu’à 70 %) alors que le sorgho est entièrement consommé par la famille. La surface cultivée en riz représente environ 60 % de l’exploitation (exploitation moyenne de 2,5 ha). Ils représentent de 25 à 50 % des exploitations selon les villages et n’ont pas de traction animale ; ‒ les riziculteurs avec un peu de bétail. Ils ont 1 à 3 bœufs et du petit élevage et utilisent tous la traction animale. Ils vendent entre 40 à 60 % de la récolte de riz, certains ont d’autres cultures de rente ; ‒ les riziculteurs-éleveurs ont une surface totale moyenne supérieure à 4 ha, l’élevage bovin est souvent supérieur à 4 unités. Le petit élevage et la basse-cour sont aussi importants. Ils vendent une grande partie des récoltes. Plus de 40 % de ce groupe sont des double-actifs. Dans tous ces systèmes d’exploitation, nous notons la présence d’une basse-cour parfois importante comprenant surtout des poules et des canards, parfois des pintades et des pigeons, plus rarement des dindes. Il y a très peu de lapins jugés trop fragiles pour l’élevage par les paysans. Toute cette basse-cour est peu entretenue, peu nourrie, elle doit chercher le principal de sa nourriture aux alentours de l’exploitation. Aussi la période de ponte des poules et des pintades est réduite à deux ou trois semaines par an... Quelle surprise pour ces paysans quand nous leur apprenons qu’en France une poule peut pondre 300 œufs par an en élevage traditionnel !! Avec cette pratique, le poulet qui cherche sa nourriture reste maigre et il est loin d’être tendre à la consommation... ils les appellent des poulets cyclistes à cause de leurs cuisses "un peu dures" !! 56

Il existe cependant quelques paysans qui essaient de constituer un élevage un peu rationnel – volailles parquées et nourries avec des céréales – mais la prévention contre les maladies (vaccination, hygiène de l’eau et de l’habitat, ...) n’est pas toujours respectée (par manque de formation) et les déceptions ne sont pas rares. Concernant la traction animale (sur laquelle nous reviendrons dans un prochain chapitre) nous notons une très faible utilisation des chevaux et des ânes. La principale race de cheval est le Barbe Arabe qui se rencontre un peu partout au Tchad, cheval longiligne de 142 cm au garrot auquel il faut ajouter le poney du Logone, cheval de petite taille (125 cm au garrot) extrêmement rustique et robuste mais dont la race serait en danger (FAO, 2008). Nous observons quelques chevaux harnachés avec des charrettes entre Pala et Kélo et Kélo et Bongor. Des ânes qu’on rencontre fréquemment dans le sud sont de petite taille également (90 à 110 cm au garrot). Ils sont surtout utilisés en ville pour la traction de charrettes transportant des briques (photo 25) ou du sable, un peu pour le portage de sacs dans les régions de Kélo, Bongor et Pala, très peu pour les labours dans ces mêmes régions. Alors que dans d’autres régions d’Afrique, ces animaux sont largement employés pour les transports et les travaux des champs, ici les femmes continuent à porter des charges importantes sur la tête plutôt que de s’aider de l’animal. Rappelons qu’un âne peut porter 50 à 60 kg selon sa conformation. Pour citer deux exemples, en Mauritanie les ânes sont attelés normalement avec des charrettes et en Ethiopie, peu de femmes transportent leur charge sur la tête, ce sont les ânes qui transportent les plus grosses charges (photos 26 et 27). Disons un mot sur l’élevage du porc qui est très peu répandu dans la région de Doba et Koumra mais un peu plus fréquent vers Pala et Léré (à proximité du Cameroun) d’où il a été introduit vers 1918. Les porcs élevés au Tchad résultent de croisements entre plusieurs races exotiques. Le plus souvent, en milieu rural, les animaux sont laissés à eux-mêmes, sans soins et sans alimentation adéquats d’où les faibles performances. Les élevages plus performants se rencontrent en milieu urbain (photo 28). Alors que ceux-ci sont reconnus de bon rapport, depuis la peste porcine de 2010, la production n’est pas repartie comme avant, particulièrement dans la région de Pala et de Léré.

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Photo 22  Attelage classique de deux bœufs zébus avec joug de nuque et petite charrue monosoc, région de la Pendé (photo C. Mathieu).

Photo 23  Charrette tirée par deux bœufs zébus, Komé (photo C, Mathieu)

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Photo 24  Exemple de porte-tout (photo C, Mathieu).

Photo 25  Charrette tractée par deux ânes avec joug de cou, charrette mal équilibrée faisant souffrir les animaux, Doba (photo C. Mathieu).

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Photo 26  Ane attelé sommairement à une charrette à bras, Chinguetti, Mauritanie (photo C. Mathieu).

Photo 27  Anes porteurs, Plateau Ethiopien (photo C. Mathieu).

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Photo 28  Elevage intensif urbain de porcs, Doba (photo C. Mathieu).

2.3. Questionnement et constat Lorsque nous posons les questions suivantes aux paysans de la Pendé : ‒ Quel est votre problème agricole le plus important ? ‒ Si vous aviez un besoin de formation à exprimer, lequel choisiriez-vous ? Les réponses se résument facilement à des problèmes agronomiques – fertilité du sol et techniques culturales – et à des problèmes structurels – insuffisance de matériel et manque d’animaux. Quant aux besoins de formation, ils découlent d’une grande partie des différents problèmes rencontrés dans la conduite de l’exploitation. La pauvreté du sol va se répercuter sur les rendements, va toucher l’approvisionnement et influer sur le prix des intrants ainsi que l’urgente nécessité de l’emploi des fumiers et des composts. A plusieurs reprises, le problème des techniques culturales est évoqué, sous-entendu cultive-t-on d’une bonne manière, notre façon

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de faire est-elle la plus logique, la meilleure ? Ce point concerne les besoins de formation. Un point cité par quelques-uns est la lutte contre le striga. Nous ne nous étendrons pas ici sur ce problème, sinon pour rappeler que cette adventice préfère les sols très acides et que sa lutte ne peut être qu’une lutte intégrée en combinant des variétés résistantes, en pratiquant l’association niébé-sorgho (page 24), le sarclage manuel et le désherbage chimique. Pour l’insuffisance de matériel, les agriculteurs se rendent bien compte que sans charrette on ne peut rien transporter, que sans charrue, il faut travailler le sol à la daba et que dire des techniques de récolte quand on voit que tous les champs de riz sont récoltés à la faucille, aucune lame de faucheuse tractée par des bœufs n’existe ! L’insuffisance de matériel est un frein important au développement. Ils se rendent bien compte qu’à deux niveaux différents, le manque d’animaux est également un handicap tout aussi important pour accroître leurs ressources : les bovins comme force de travail, le petit élevage (petits ruminants, porcs) et la basse-cour comme revenus complémentaires soit pour la vente, soit pour l’alimentation de la famille (ex : œufs, poulets, pigeons, etc.). Mais plusieurs questions se posent à ce sujet, dont la première concerne la possibilité de financement pour l’achat de matériel et d’animaux, c’est-à-dire obtenir du crédit. Quand les banques et les pouvoirs publics vont-ils soutenir l’agriculture ? Beaucoup d’agriculteurs évoquent ce problème comme étant celui qui les freine le plus dans leur développement (voir chapitre 10). Une question sociologique se pose également concernant les relations agriculteurs-éleveurs nomades. Les dégâts occasionnés aux cultures dus aux troupeaux des éleveurs nomades sont évoqués de plus en plus, pratiquement dans tous les villages, comme un problème majeur que les paysans rencontrent dans l’exercice de leur travail et pour lequel, malgré les beaux discours des autorités, aucune action concrète ne semble vraiment être envisagée. Les besoins en formation et en information couvrent de très nombreux domaines allant des techniques agricoles jusqu’à la recherche de financement. La connaissance des bonnes techniques agricoles touche en premier lieu les itinéraires techniques mais également les problèmes de conservation et de transformation des produits. L’amélioration des rendements sous-entend les problèmes de fertilisation et la qualité des semences. 62

De nombreux paysans ignorent la bonne conduite du petit élevage – petits ruminants, porcs et basse-cour . Il en est de même de la conduite du maraîchage, de la culture du riz et de la gestion de l’exploitation. Sans être exhaustifs, nous essaierons d’y apporter quelques réponses. Déforestation et bois de feu Chaque jour, des milliers d’hectares de forêts disparaissent de la surface de la Terre. En fait, c’est environ 13 à 15 millions d’hectares qui sont coupés chaque année, soit la superficie d’un quart de la France ou la superficie de la Belgique. Souvent, quand on parle de déforestation, on pense tout de suite à ce qui se passe en Amazonie ou en Afrique centrale (Gabon, Congo, etc.). En contrepartie, le cas de l’Afrique soudano-sahélienne est souvent passé sous silence. Dans la zone soudanienne, les savanes arborées originelles ont quasiment disparu. Quant à la zone sahélienne, voit-on encore quelques rares arbres dans ces immenses steppes, mis à part quelques individus isolés près des habitations. Le Tchad n’échappe pas à la déforestation engagée depuis plusieurs décennies. Le bois de feu et le bois de construction (habitat, clôture) sont exploités quotidiennement sans régénération, sans replantation de jeunes plants. On estime l’utilisation du bois de feu à 1 kg/jour/habitant, 98% des ménages tchadiens utilisent la matière ligneuse comme source d’énergie (Doumgo Sana S., 2009). Combien cette consommation dans ces zones soudanienne et sahélienne rejette-telle de tonnes de CO2 dans l’atmosphère sans restockage dans de jeunes plantations. Cela a été suffisamment montré, ces coupes menacent la biodiversité des savanes et augmentent le risque d’érosion des terres. La protection de l’environnement au Tchad consisterait à prendre des mesures pour limiter l’impact négatif de la déforestation sur son environnement en mettant en place les actions de correction nécessaire. En 2008, le Tchad entre en action pour le plan de la muraille verte de l’Afrique, il lance la semaine nationale de l’arbre (la ceinture verte). Elle consiste à planter des arbres pour endiguer l’avancée du désert. Aux alentours de la capitale, N’Djamena, plus de 26 000 plants de toutes espèces confondues sont mis en terre sur une superficie d’environ 50 hectares (une broutille !). Mais dans le sud la déforestation gagne régulièrement du terrain, quatre régions sont sérieusement touchées : le Logone occidental, le Logone oriental, le Mayo-Kebbi est et le Mayo-Kebbi ouest. Des milliers d’arbres continuent à être abattus pour la fabrication du charbon de bois et pour augmenter l’espace agricole. Les actions entreprises par la population pour protéger l’environnement ne sont que des ordres venant des hautes autorités. On plante des arbres pour stopper l’avancée du désert parce que le Président de la République l’a dit. Aussi 8 ans après le début de la "ceinture verte", après avoir dépensé plus de 12 milliards de F CFA, le Ministre de l’Environnement et de la Pêche6 fait un constat d’échec de ce projet : "... c’est une mise en scène... il est temps de mettre 6

En 2016, Brah Mahamat, ministre, propos rapporté par le journal Tchadinfo.

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fin à cette mascarade...". Pour gagner cette lutte, pour la protection de l’environnement il faut une culture humaine enseignée à chaque citoyen devenu responsable de son propre présent et de son propre futur. En novembre 2017, le Dr. Djiddi7 écrit "Les agents des Eaux-et-Forêts sont devenus eux-mêmes des bûcherons et des charbonniers". Lors d’une descente des hautes autorités sur le terrain, on découvre avec effarement et frayeur que les agents des Eaux et Forêts se sont convertis en vendeurs, plutôt en trafiquants, de bois et de charbon de bois. Silence, ils s’y sucrent à grande échelle et sans bruit. Le trafic de bois et de charbon de bois est si lucratif que de hauts gradés de l’Armée se sont mis à abattre des arbres, à produire du charbon de bois dans la brousse et à vendre pour arrondir leurs fins de mois. Des responsables qui se moquent de cette lutte contre la déforestation et en profitent pour s’enrichir !! Comment résoudre ce grave problème de la déforestation, tout en procurant du bois de feu pour les usages domestiques ? Il n’existe qu’une solution, celle de planter des forêts. Ce procédé peut être à l’initiative des villages comme nous connaissons les exemples au Burundi et au Rwanda où des parcelles de cultures vivrières ont été plantées en eucalyptus destinés à approvisionner la fabrication de charbon de bois et de perches pour la construction (Mathieu et Ntagunama, 1992). L’initiative locale est souvent plus efficace que les grands discours creux des hautes autorités. Au Tchad, des campagnes de foyers améliorés ont bien eu lieu mais leur impact reste limité à quelques endroits, à quelques villes ou villages bien insuffisants pour avoir un réel effet sur l’économie du bois de feu. Le remplacement des foyers à feu libre par des fourneaux améliorés qui permettent des économies de combustible se heurte aux pesanteurs de l’habitude. Début 2009, une loi du gouvernement interdit la production et la vente du charbon de bois pour protéger la forêt. Alors se pose la question : comment faire bouillir la marmite ? La réponse des autorités est double : 1. Dans la mesure des approvisionnements, il faut utiliser le gaz (livré en bouteilles), cuisiner au gaz. Le gaz est importé du Nigeria, des réchauds à gaz sont vendus en quincaillerie, du moins à N’Djamena et dans les "grandes" villes. Mais les gens ne savent pas se servir du gaz, ne connaissant pas son danger : la casserole non surveillée déborde, la flamme s’éteint, le gaz s’échappe. La personne revient et allume une allumette : c’est l’explosion, des maisons pulvérisées, des personnes brûlées, accidentées et même tuées... la rançon de l’avancée technologique non expliquée. Les cadres de la classe moyenne hésitent à équiper leur foyer avec des réchauds au gaz devant le manque d’attention et de formation des femmes pour cette nouvelle technologie. 2. Il faut utiliser le bois mort qu’on trouve en brousse ! C’est vrai qu’il existe une certaine quantité de bois mort en brousse, et du coup, le long des routes des tas de bois mort ont pris la place des sacs de charbon de bois (photos 29 et 30). Mais ce système a ses limites. Que faire quand tout le bois mort sera épuisé ? A cette question que nous posions à un Tchadien, la réponse a été inattendue, conforme à la logique africaine : "Lorsqu’on coupe un arbre, il devient du bois mort... !" Ainsi, il y aura toujours du bois mort... et aucun plan national de reboisement n’est, sinon mis en place, du moins prévu ! Les autorités essaient de renforcer la surveillance en formant les agents des eaux et forêts à distinguer sur 7

Tchad Forum du 01/12/2017.

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les bords des routes le bois mort du bois vivant... ! Est-ce la meilleure idée pour lutter contre la déforestation. Ne serait-il pas plus urgent d’entreprendre de vrais chantiers de plantations mises en défens par la suite. Selon la FAO, sur le continent, la consommation du charbon de bois pourrait doubler, voire tripler, d’ici 2050 (Loury, 2016). Le Tchad n’échappera pas à ce phénomène. Alors comment répondre au problème du besoin d’énergie pour les besoins culinaires sinon replanter plus d’arbres que l’on en abat ?

Photo 29 – Avant 2009, alignement de sacs de charbon de bois, à vendre, le long des routes à Bébedja (photo C. Mathieu).

Photo 30 – Après 2009, le long des routes, tas de "bois mort" vers Kagroye (photo C. Mathieu).

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CHAPITRE 3 Sécurité alimentaire et développement rural 8

3.1. Une situation récurrente Le défi de nourrir la population mondiale estimée en 2018 à 7,6 milliards de personnes s’impose à chaque gouvernement de la Communauté internationale. C’est pour relever ce défi que l’organisation des Nations unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) a été créée en 1945. Aujourd’hui, l’Afrique subsaharienne est particulièrement touchée car elle concentre le plus grand nombre de personnes qui ont besoin d’une assistance alimentaire et si la croissance économique de cette partie du continent est réelle, elle n’est pas suffisante pour accélérer la réduction de la faim et de la malnutrition. La cause la plus évidente est l’accroissement démographique : le nombre de bouches à nourrir augmente. Comme la production locale reste stagnante, ou n’augmente pas assez vite, il faut recourir aux importations, mais il faut les payer (Boussard, 2016). Bien qu’il soit difficile d’obtenir des statistiques précises, on estime qu’un tiers de la population de l’Afrique subsaharienne, soit plus de 300 millions de personnes sont sous-alimentées. La sous-alimentation chronique sévit dans toute la région principalement dans les pays en conflit où le nombre de sousalimentés a augmenté. Dans les autres pays, dont le Tchad, si on constate une certaine amélioration, celle-ci reste lente et irrégulière, ces crises alimentaires étant facilement déclenchées par la moindre sécheresse, inondation, invasion des ravageurs ou récession économique. Et l’Afrique subsaharienne est la seule région du monde où l’on prévoit une aggravation du problème de la faim au cours des 8

Ce chapitre est inspiré en partie de l’ouvrage d’Ali Moustapha Dalal : "La sécurité alimentaire au Tchad", (2017, chez L’Harmattan).

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vingt prochaines années si des mesures radicales ne sont pas prises pour instaurer la paix, améliorer la gouvernance et parvenir au développement économique (et agricole) nécessaire pour inverser la tendance actuelle. Mais qu’appelle-t-on la sécurité alimentaire ? "La sécurité alimentaire existe lorsque tous les humains ont, à tout moment, la possibilité physique, sociale et économique de se procurer une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins et préférences alimentaires pour mener une vie saine et active" : telle est la définition adoptée par un consensus international depuis le Sommet Mondial de l’Alimentation réuni à Rome en 1996. Si la notion d’accès est désormais mise en avant, on considère cependant que la sécurité alimentaire repose sur quatre "piliers" : 1. accès (capacité de produire sa propre alimentation et donc de disposer des moyens de le faire, ou capacité d’acheter sa nourriture et donc de disposer d’un pouvoir d’achat suffisant pour le faire) ; 2. disponibilité (quantités suffisantes d’aliments, qu’ils proviennent de la production intérieure, de stocks, d’importations ou d’aides) ; 3. qualité (des aliments et des régimes alimentaires des points de vue nutritionnel, sanitaire, mais aussi sociaux-culturels) ; 4. stabilité (des capacités d’accès et donc des prix et du pouvoir d’achat, des disponibilités et de la qualité des aliments et des régimes alimentaires). Ainsi définie, la sécurité alimentaire a essentiellement une dimension technique, se distinguant des notions d’autosuffisance alimentaire, de souveraineté alimentaire et de droit à l’alimentation qui apportent des dimensions plus politiques ou juridiques. La définition de la FAO peut être précisée en ajoutant : "La sécurité alimentaire consiste à produire une offre alimentaire qui, en quantité et qualité suffisante, permet aux producteurs alimentaires ruraux de se nourrir et de vendre leurs excédents pour en tirer un revenu satisfaisant afin d’encourager leur productivité et satisfaire la demande des ruraux non-producteurs alimentaires ainsi que celle des urbains" (Llabrès, 2011). Ce concept repose donc sur quatre composantes : la disponibilité des produits alimentaires, la stabilité de l’approvisionnement, l’accessibilité physique et économique et la consommation de denrées saines et suffisantes, nutritives et culturellement acceptables (Dalal, 2017). La sécurité alimentaire devient ainsi une préoccupation qui 68

relève de la compétence des Etats et d’autres organisations. Pour assurer la sécurité alimentaire des populations, il est nécessaire d’adopter une stratégie alimentaire. De manière générale, le terme stratégie alimentaire représente, pour un espace défini et pour une période déterminée, "une approche intégrée de la production, de la distribution, de la consommation et du stockage des produits alimentaires dans le but d’assurer la sécurité alimentaire à toute la population de l’entité considérée" (Degand et al., 1988). Nous voyons que la sécurité alimentaire est un domaine très vaste qui touche plusieurs secteurs dont l’économie, la santé, l’agriculture sans oublier les infrastructures. Elle oblige la mobilisation et le déploiement de moyens humains et matériels qui, eux-mêmes, dépendent de la disponibilité financière. La sécurité alimentaire est, par conséquent, un investissement à long terme où l’agriculture est certainement à la fois le principal organe de commande et la pierre d’achoppement. Dans un pays comme le Tchad sans ressource en matières premières, en dehors du pétrole, il faut de tout urgence augmenter la production agricole, et cette nécessité devient de plus impérative à mesure que le temps passe. Mais comment ? Est-ce réalisable avec les techniques actuelles ? C’est ce dont nous discuterons dans les prochains chapitres. En matière de politique publique et de développement agricole, le problème principal ne concerne plus le savoir mais beaucoup plus le vouloir et le pouvoir (Petit, 2004). Ici, 80 % de la population dépend des activités agricoles pour survivre mais c’est aussi un pays dont la production dépend largement des précipitations pluviométriques très variables dans le temps et dans l’espace. Le Tchad connaît en fait "une sorte de saison à double vitesse dont le cycle évolue en disette et famine tous les quatre ou cinq ans en moyenne et, en sécheresse ou inondation tous les 10 ans" (Moussa, 2012). Aussi la question de la sécurité alimentaire reste-telle cruciale. Selon le PAM et la FAO (2012), l’insécurité alimentaire toucherait environ 40 % de la population, même si par la suite la situation s’est un peu améliorée. Le pays fait partie des pays africains les plus concernés par la sous-alimentation et la malnutrition (Hugon, 2016). Les causes des problèmes alimentaires au Tchad sont nombreuses. En premier lieu, nous citerons le mauvais fonctionnement du marché. Celui-ci se caractérise par une absence de transparence et une entente 69

presque secrète entre les intermédiaires, peu nombreux, pratiquant plus ou moins les prix qu’ils veulent particulièrement au moment des récoltes, d’autant que les producteurs ne sont pas groupés ou organisés en filière. Le manque de transparence empêche d’avoir une vision claire des stocks réellement disponibles, ce qui engendre une spéculation et une inflation anormale. Cette désorganisation est susceptible de provoquer une crise alimentaire. Dans ce pays, l’insécurité alimentaire est un problème endémique causé à la fois par la pauvreté et l’instabilité politique. Au Tchad, les dépenses alimentaires représentent en moyenne 65 % des dépenses totales des ménages mais 70 % pour les ménages les plus pauvres et seulement 59 % pour les ménages les plus aisés (Ministère de l’agriculture, FAO, PAM, 2009). C’est ainsi que les ménages les plus pauvres ne travaillent que pour subvenir à leurs besoins alimentaires dans un intervalle de temps donné. De l’indépendance à 1990, la forte instabilité politique a été l’une des causes majeures des crises alimentaires qu’a connues le pays. Depuis, l’instabilité des pays voisins (Soudan, Libye, Centrafrique), l’afflux des réfugiés a accentué la vulnérabilité des populations locales. On peut aujourd’hui estimer à 400 000 personnes réfugiées au Tchad dont 80 % depuis une décennie (HCR, 2017). La forte croissance démographique constitue également une des causes structurelles des crises alimentaires. Sachant que la population du Tchad peut doubler dans les trente prochaines années, ce n’est pas de bon augure pour le pays. Comment augmenter les rendements agricoles, alors qu’il y a plus de personnes à nourrir et que les autorités ne s’engagent pas dans un réel développement de l’agriculture mais également dans les services de base comme l’accès à l’éducation. Le taux brut de scolarisation des enfants de 7 à 14 ans au niveau national varie de 65 à 70 % selon les sources (PAM, FAO, UNICEF) avec d’importantes disparités selon les zones géographiques et le sexe. Or, on sait que le risque d’insécurité alimentaire diminue grâce à l’augmentation du niveau d’instruction des populations (celles-ci ont des salaires plus élevés et moins d’enfants en général, donc moins de bouches à nourrir).

3.2. Vers quelle stratégie nationale ? Mais la satisfaction des besoins alimentaires et nutritionnels des populations n’est, cependant, possible que si les denrées alimentaires 70

sont disponibles en quantité et en qualité et que les ménages peuvent y accéder sans difficulté. Ce qui signifie, pour le Tchad, qu’il faut augmenter la production afin d’assurer la disponibilité alimentaire et, en même temps, renforcer le pouvoir d’achat des populations pour leur faciliter l’accès à l’alimentation. Certains facteurs d’augmentation de la production et de la productivité agricole relèvent des politiques générales de développement, à commencer par la formation des paysans. L’utilisation par les producteurs de semences améliorées, le recours à la fertilisation organique (par les fumiers) (et parfois chimique) même chez les paysans les moins favorisés, l’organisation technique des travaux de culture et d’élevage, le recours aux matériels agricoles... sont autant de facteurs importants de cette quête de productivité. L’établissement, l’entretien ou la restauration d’infrastructures, principalement l’école, l’électricité, l’eau et les routes, figurent également parmi les stimulants efficaces de la croissance de la production agricole. Ainsi la construction des routes facilitera la distribution de la production. Or, "Les famines n’ont rien de surprenant, ni d’inéluctable, elles peuvent disparaître" (Bessis, 1985). Mais pour cela, il faudrait élaborer et mettre en œuvre une stratégie alimentaire efficace. De nombreuses stratégies nationales, destinées à résoudre ce problème public ont été adoptées. La dernière en date est détaillée dans le Programme National de Sécurité Alimentaire (PNSA) qui définit les axes d’intervention. Cependant, chacun des acteurs impliqués procède suivant une approche qui lui semble pertinente (Dalal, 2017). Parmi les structures chargées de la question de la sécurité alimentaire, le gouvernement tchadien a créé le Comité d’Action pour la Sécurité Alimentaire et la Gestion des Crises (CASAGC), l’Institut Tchadien de Recherches pour le Développement (ITRAD), l’Office National de Développement Rural (ONDR), le Programme National de Sécurité Alimentaire (PNSA) et l’Office National de Sécurité Alimentaire (ONASA) 9. La CASAGC regroupe les structures de collecte et d’analyse de l’information ainsi qu’un comité de prise de décision. Il a en charge la coordination des activités pour la prévention et la gestion des crises alimentaires. Le stock de sécurité alimentaire est géré par l’ONASA 9

Nous aurons l’occasion de revenir sur ces structures gouvernementales récemment réorganisées et sur certaines de leurs actions.

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qui a pour mandat de maintenir un stock de 40 000 tonnes de céréales pour pouvoir intervenir en cas de pénurie alimentaire et d’instabilité des prix (vend et achète sur les marchés locaux mais pratique aussi des importations si nécessaire). L’ONDR10 devait en principe assurer les conseils techniques aux producteurs, fournir des matériels agricoles et d’élevage et faciliter l’émergence et le développement associatif et coopératif dans les milieux ruraux. Malheureusement, la situation structurelle de l’organisme n’a cessé de se dégrader continuellement jusqu’à aujourd’hui (voir page 194). L’ITRAD11 est l’institution étatique spécialisée dans la recherche et la production de semences au Tchad. Aux organismes nationaux, s’ajoutent les organisations intergouvernementales spécialisées dans le domaine de la sécurité alimentaire, ce sont le Programme Alimentaire Mondial (PAM) et l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), organes spécialisés des Nations Unies, auxquels il faut ajouter le Comité Inter-états de lutte contre la Sécheresse au Sahel (CILSS). Le PAM a pour but principal d’apporter une aide d’urgence aux populations souffrant de la faim mais l’aide au développement fait également partie de son mandat. Nous devons aussi ajouter le Conseil National de Concertation des Producteurs du Tchad (CNCPRT) qui regroupe toutes les organisations paysannes et rurales ayant une reconnaissance juridique et fédèrent ainsi les Organisations Paysannes (OP) pour leur représentation au niveau national, la défense de leurs intérêts et la promotion de l’agriculture familiale. Et la Cellule de Liaison et d’Information des Associations Féminines (CELIAF) qui regroupe environ 700 associations féminines œuvrant pour la défense des intérêts des femmes. Plusieurs ONG interviennent également dans des domaines en rapport avec la sécurité alimentaire ; les deux ONG les plus actives dans ce cas précis sont Oxfam International et Action contre la Faim. Ces deux ONG sont très efficaces sur le terrain car elles ont appris à bien connaître les populations tchadiennes et leur rapport aux crises alimentaires. Elles ont développé plusieurs projets d’appui aux ménages touchés par l’insécurité alimentaire et nutritionnelle. 10 11

Aujourd’hui regroupé avec le PNSA et la SODELAC (voir page 194). Voir plus en détail au chapitre 11

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Tous ces organismes nationaux, internationaux et ONG qui œuvrent pour lutter contre l’insécurité alimentaire déploient-ils vraiment les bonnes activités, les bons programmes pour éviter les crises en procurant les moyens aux producteurs d’assurer des récoltes et des stocks suffisants pour une population en croissance permanente ? Aux résultats observés sur le terrain, nous n’en sommes pas convaincus. Les crises alimentaires ne se gèrent pas en priorité à l’aval en distribuant la nourriture aux plus pauvres, aux plus démunis mais en travaillant à l’amont en développant tous les leviers possibles pour augmenter les productions végétales et animales nécessaires pour que cette nourriture puisse être achetée à un prix abordable. Le premier des leviers à utiliser est une meilleure gestion de la fertilité du sol pour aider les paysans à produire plus et mieux.

3.3. La place des paysans Comme la principale source d’activité économique en Afrique subsaharienne, dont le Tchad, est la production agricole, la diminution de la productivité des sols12 signifie non seulement que la quantité de nourriture produite puisse être inférieure, mais également que la production des cultures de rente pour l’exportation soit mise en danger. Malheureusement, depuis des décennies, il a été répété que "l’agriculture africaine en général repose sur une paysannerie sans énergie animale, et la savane tropicale si dévastée par les feux de brousse qui dégradent la végétation, et abîment les sols" (Dumont, 1975). La production doit augmenter, mais les méthodes doivent être économiquement viables, techniquement acceptables et agronomiquement durables et protectrices des sols. Parmi les principaux problèmes figurent la restauration de la fertilité des sols (recyclage du fumier et des résidus de culture, utilisation de légumineuses, agroforesterie, etc.), la gestion de l’eau et le travail du sol. Cette évolution doit s’effectuer à travers un appui aux producteurs afin de leur faciliter l’accès aux facteurs de production tels que les terres, le petit équipement, l’eau, les semences, les engrais, les produits vétérinaires et même le crédit sans négliger un encadrement susceptible d’une formation de meilleure conduite des cultures, des élevages et de l’exploitation. 12

Voir chapitres 4, 5 et 6.

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Le rendement moyen des céréales au Tchad pour la période 2008 à 2012 variait entre 8 et 10 qx/ha (source Banque Mondiale, 2015). Sachant que les surfaces cultivables par personne se réduisent, la croissance démographique combinée à la stagnation des rendements, pourrait conduire à une réduction de 30 % de la production céréalière par habitant en 2025 (OCHA,2012). Pour augmenter la production alimentaire, certaines pistes peuvent être envisagées, d’autres doivent obligatoirement être engagées par : ‒ l’augmentation de la surface des terres cultivées à condition de mettre en place un régime foncier cohérent, de créer des infrastructures routières suffisantes et d’accepter la perte des services environnementaux rendus par les savanes ; ‒ l’utilisation du fumier, des résidus de culture, des engrais verts et des cultures de couverture et l’adoption de l’agroforesterie, ce qui implique une meilleure intégration agriculture-élevage ; ‒ l’utilisation raisonnée des engrais minéraux, avec une meilleure connaissance des sols (teneur en matière organique, pH) ; ‒ le changement des systèmes de culture pour qu’ils deviennent plus productifs et durables (révision des labours, cultures associées) ; ‒ l’utilisation efficace de l’eau. Toutes ces pistes pour augmenter la production alimentaire justifient une reconnaissance forte de la place centrale du paysan comme acteur principal de son propre développement et de sa participation à la sécurité alimentaire. Depuis trop longtemps, les populations rurales ont été exclues du processus d’appropriation des connaissances, de la lutte contre les crises alimentaires et de la participation citoyenne au développement. Au-delà de la production primaire des produits d’origine végétale, animale ou halieutique, la transformation et le stockage des produits jouent un rôle déterminant dans la sécurité alimentaire. Le processus de transformation présente de nombreux avantages notamment la création d’emplois pour les jeunes, en particulier les femmes, et la facilité de commercialiser les produits transformés. La transformation favorise également la conservation des dites denrées et permet aux ménages concernés de se projeter sur le long terme. Mais augmenter la production agricole de manière durable, en mettant en application les pistes énoncées ci-dessus (fertilité des sols, lutte contre l’érosion, achats d’intrants et de petit matériel, etc.) 74

entraîne des coûts directs et indirects (ex : travail de la famille). De tels changements peuvent être à peine supportables, à long terme, pour des petits paysans s’il y a peu de bénéfices à court terme, du fait que la réponse des cultures se produit parfois après plusieurs années. Les paysans n’investiront pas à moins d’être sûrs que leur production pourra être vendue avec un bénéfice. Ils n’accepteront pas non plus de rendre les champs plus fertiles à moins que les avantages, à long terme, leur reviennent, à eux, et non pas à d’autres qui pourraient occuper leur terre. Toutes les contraintes doivent être clairement identifiées et l’Etat doit prendre en charge une partie plus ou moins grande des coûts (formation, subventions, infrastructures, etc.). Le paysan reste l’acteur principal dans la lutte contre les crises alimentaires à condition que les politiques du gouvernement par rapport à ces facteurs économiques et sociaux puissent avoir une influence déterminante sur le fait que les pratiques d’augmentation de la production soient durables ou pas. Dans les politiques de sécurité alimentaire, accepter l’aide ou importer de la nourriture à bas prix peut devenir un obstacle à la production locale. La stabilité de la production à long terme sera menacée si les producteurs croient que, chaque fois qu’ils ont des produits alimentaires à vendre, ceux-ci sont éliminés du marché par des importations bon marché (FAO, 2000). Pas seulement en cas de crise, les importations alimentaires sont, soit complémentaires, soit concurrentielles. Elles permettent aux familles pauvres de se nourrir à faible coût, mais tuent les exploitations familiales dans la plupart des cas. Leurs régulations dépendent de la volonté politique de l’Etat (Berton-Ofouémé, 2017).

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Photo 31 – Le marché aux légumes est accessible aux classes moyennes mais l’est-il aussi aux plus pauvres ? Marché de Doba (photo A. Aujoux).

Photo 32 – Vente de beignets de niébé, le long d’une piste du département de la Pendé, petit commerce de produit de l’exploitation (photo R. Mathieu).

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CHAPITRE 4 Le sol, élément essentiel pour l’agriculture

Est-il encore nécessaire de rappeler que le sol, milieu vivant et essentiel de la biosphère, est l’élément de base pour l’exercice de l’agriculture, sachant que la nature du sol est très variable et que ses caractéristiques physiques, chimiques et biologiques influencent très fortement la fertilité pour les productions végétales et animales. Mais les propriétés du sol sont très différentes selon la nature de la roche d’origine, du climat et des organismes qui ont "fabriqué" le sol, d’où la multitude de sols très différents même dans une seule région et sous un même climat.

4.1. Les grandes classes de sols Dans le sud du Tchad, les formations géologiques se résument entre : ‒ des roches éruptives précambriennes dans l’extrême sud-ouest, à l’ouest de Goré et dans la pointe nord-ouest de Pala ; ‒ des formations tertiaires continentales de Pala à Sarh en passant par Moundou et Doba ; ‒ des formations quaternaires le long du Logone, du sud de Laï à Bongor, liées à l’histoire géologique du lac Tchad. Sur ces formations, nous allons trouver (figure 4) : ‒ des sols minéraux bruts d’érosion dans des régions de basse montagne sur grès, sur cuirasse latéritique sans vocation agricole ; ‒ des sols ferrugineux tropicaux lessivés dispersés un peu dans toute la région, dominants dans la région de Pala et au sud de Sarh entre l’Ouham et le Chari. Ce sont des sols généralement 77

très sableux en surface et à pH entre 5 et 7, très pauvres en cations échangeables ; ‒ des sols ferrallitiques de couleur rouge souvent très profonds, sableux ou sablo-argileux en surface, argileux en profondeur, très pauvres en cations échangeables, à pH 5 à 7 en surface et 4 à 6 en profondeur. Sur les zones hautes, peuvent affleurer des lambeaux de cuirasse latéritique. Localisés de part et d’autre de Moundou, de Koumra à Laï, à l’est de Kelo et au nord-est de Sarh ; ‒ des vertisols, ce sont des sols très argileux (environ 50 % d’argile en surface et 60 % en profondeur) (des argiles gonflantes pour 30 à 50 % de la fraction argileuse) avec un taux de saturation en cations de 60 à 80 % en surface et jusqu’à 100 % en profondeur. Ce sont des sols riches, à vocation cotonnière, ou rizicole s’ils sont inondables. Ils sont localisés dans le moyen Logone et dans les plaines d’inondation du sudest ; ‒ des sols hydromorphes, ils sont la conséquence d’un excès d’eau dans le sol dû, soit à un engorgement plus ou moins profond d’ensemble soit à une inondation temporaire, semi-permanente à permanente. Ils présentent des horizons à pseudo-gley13 ou à gley14. Ces sols hydromorphes peuvent aussi présenter dans certains cas des accumulations de matière organique. Ils sont très répandus dans les dépressions inondées chaque année par les crues du Chari, du Logone, de la Pendé... et affluents. Le pH varie entre 6 et 7. Ces sols sont surtout utilisés en rizières. Ainsi la partie sud du Tchad est occupée par une mosaïque de sols très différents juxtaposés où les sols ferrugineux tropicaux et ferrallitiques acides couvrent la plus grande partie, ce qui va être un premier handicap pour l’agriculture locale. Avec des sols pauvres, il va falloir trouver les ressources nécessaires pour augmenter la productivité de la terre.

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Pseudo-gley : horizon en général de profondeur marqué par des taches d’oxydoréduction de fer donnant une coloration dite panachée (zones oxydées rouille et zones blanchies de fer réduit) – zone à nappe phréatique temporaire. 14 Gley : horizon formé au niveau d’une nappe phréatique permanente, le fer réduit (fer ferreux) se marque par une couleur verdâtre, condition anaérobie permanente.

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Figure 4  Carte des sols et des grandes régions de la partie sud du Tchad (Pias, 1970). A. Tchad méridional, B. Plaines d’inondation du Logone, C. Plaines d’inondation des Bahr Aouk, Keita et Salamat, D. Massif central tchadien, E. Premier delta du Chari et la fosse de Massenya.

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4.2. Nourrir le sol pour mieux nourrir les hommes Lorsque nous réalisons notre première mission d’expertise au Tchad en 200315, la première chose qui nous frappe est l’absence quasi générale de l’utilisation des fumiers. Plus de la moitié des agriculteurs ont des bœufs utilisés pour la traction animale. Les bœufs sont rentrés chaque soir à l’exploitation et attachés au piquet. Le fumier produit n’est pas ramassé pour fertiliser les cultures. C’est un véritable "scandale" agronomique. Aucune formation, aucun agronome tchadien ou expatrié n’a pensé à mener des campagnes de vulgarisation, de formation sur cet aspect fondamental : restituer au sol ce que le sol nous donne pour nous nourrir. La seule pratique de plus en plus difficile à utiliser pour restituer un semblant de fertilité au sol est alors la jachère. Mais alors que celle-ci devrait être d’une durée de 15 à 20 ans pour être efficace, vu le manque de terre suite à la pression démographique, elle est d’une durée de 3 ou 4 ans à peine quand elle est encore pratiquée. Nous allons revenir sur cet aspect traditionnel. Avant de poursuivre, arrêtons-nous un instant sur la notion de fertilité du sol. La fertilité du sol est l’aptitude à produire durablement sous son climat ; cette aptitude se mesure à l’abondance des récoltes qu’il porte, lorsqu’on lui applique les techniques agricoles qui lui conviennent le mieux. On mesure donc cette fertilité par les rendements des plantes cultivées. Cependant, un sol pauvre bien "nourri" peut finir par donner de bonnes récoltes. A l’inverse, un sol riche peut ne fournir que des rendements médiocres à terme s’il est mal cultivé ou non amendé. On doit donc distinguer la fertilité naturelle (au moment t0) de la fertilité acquise ou potentielle (par un bon travail et/ou l’apport d’intrants organiques et/ou chimiques). Pour faire comprendre cette notion de fertilité du sol dans le cycle cultural, lors des animations villageoises réalisées pour les paysans du Tchad méridional, nous partons de la question "Pourquoi faut-il nourrir le sol ?". Nous commençons notre démonstration en partant de la graine. Une graine de sorgho qui pèse bien moins qu’un gramme lorsqu’elle est plantée dans le sol, avec l’eau de la pluie va germer. Une racine va se développer et en même temps une tige avec des feuilles va sortir du

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Voir "Mes chemins d’Afrique, carnet d’un agronome", (2016) chez Dacres éditions.

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sol, grandir, se développer et au sommet produire une panicule avec plusieurs centaines de graines. Comment une seule petite graine peut-elle produire une plante de cette taille ? (figure 5) ‒ tout d’abord avec l’eau du sol (qui vient de la pluie) ; ‒ avec le gaz carbonique (CO2, donc du carbone) qui est présent dans l’air ; ‒ avec des sels minéraux présents dans le sol (ce sont l’azote, le phosphore, le potassium, le fer, le soufre, etc., etc.) Ainsi la graine, puis la plante alimentée par tous ces éléments va produire de la matière végétale et des graines qu’on va récolter. Mais qu’est-ce que la récolte ? La récolte, c’est l’action de prendre une partie de la plante, ici les panicules de sorgho et de les sortir du champ pour les utiliser comme nourriture. Les tiges peuvent être laissées sur le champ et être pâturées par les animaux mais le plus souvent, elles seront aussi récoltées et ramenées à l’exploitation pour servir de fourrage pendant la saison sèche.

Figure 5  Schéma simplifié du cycle cultural.

Pour produire cette récolte, le sol a donné des éléments minéraux à la plante, éléments que nous avons exportés avec la récolte. La conclusion de cet itinéraire est un appauvrissement du sol. Le sol est 81

plus pauvre après la récolte qu’au moment du semis et si on recommence ainsi l’année d’après, on continue à appauvrir le sol et les rendements diminuent. Pour éviter ce schéma, il va donc falloir rendre au sol ce qu’on lui a pris ! Cela s’appelle nourrir le sol. C’est alors que dans la discussion interviennent souvent nos amis paysans pour nous rappeler les pratiques ancestrales de la jachère. Pour bien comprendre le rôle de la jachère dans la reconstitution de la fertilité du sol, nous sommes alors obligés de refaire un peu l’histoire de l’agriculture africaine. Avant l’ère coloniale, l’Africain se contentait de récolter dans la nature les productions diverses dont il avait besoin et qu’il rencontrait au cours de ses nombreuses pérégrinations dans la brousse. Autour des habitations, il y avait le « jardin de case » où on trouvait de nombreuses brèdes, plantes à sel ou aromates, piments, gombos, taros et patates douces puis des bananiers. C’était la période de la protoculture. Mais lorsque les productions sporadiques et insuffisantes de la brousse, et du jardin n’ont plus permis à l’Africain d’assurer sa subsistance dans son intégralité, ce dernier est passé à un système de plantation dans la savane, sans caractère de fixité. La plantation se promenait au gré des exigences de la culture, de la fertilité des sols, de l’humeur même de l’agriculteur. Le système utilisé était donc celui du nomadisme cultural où la jachère plus ou moins longue était pratiquée. Pour que cette forme d’exploitation soit pérenne, dans une certaine circonscription géographique, il fallait une superficie considérable de terres soit vierges, soit régénérées par la jachère spontanée dont une infime partie seulement était mise chaque année en exploitation. En conséquence, la plantation devait périodiquement revenir sur de vieilles terres précédemment mises en culture, mais, où la fertilité avait retrouvé son niveau primitif d’avant défrichement. Durant la période de jachère, les plantes herbacées, les arbustes et les arbres vont puiser leur nourriture dans le sol profond, à plus d’un mètre de profondeur puis leurs déchets de matières organiques (herbes et feuilles mortes) en se minéralisant à la surface du sol vont petit à petit reconstituer une réserve d’éléments nutritifs disponibles pour une prochaine culture. Pour que ce mode d’exploitation puisse se perpétuer, il était indispensable qu’avant chaque réouverture de terre la nature ait restauré le capital fertilité de départ, pour le moins à la surface du sol.

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Van der Pool (cité par Guillemin, 1956) a défini cette utilisation des sols en nomadisme cultural, selon 3 cas, par une courbe qui est en fait une série d’oscillations de relaxation (figure 6).

Figure 6  Courbes de Van der Pool. A. période culturale B. période de régénération C. période stérile D. jachère.

Courbe 1 La période de jachère est très longue, plus longue que celle nécessaire à la reconstitution de la fertilité première : il y a alors une longue période, où le sol est en équilibre avec la nature et ne s’améliore plus, que l’auteur a appelée « période stérile » (sousentendu pour la production agricole). Le système peut se perpétuer sans aucune précaution. Courbe 2 La période de jachère est égale à celle nécessaire à la reconstitution du stock primitif de fertilité. Le sol est exploité au maximum et on se trouve à l’équilibre sol-culture. C’est là, l’utilisation la plus rationnelle des possibilités de régénération par la nature. Mais une extrême prudence est nécessaire. 83

Courbe 3 La période de jachère est inférieure à celle de la reconstitution. Jamais le sol ne peut retrouver sa fertilité première : il s’ensuit que les périodes culturales deviennent de plus en plus courtes, que les terres s’appauvrissent de plus en plus et que l’on arrive petit à petit à la stérilisation du sol. Avec l’augmentation de la population et le développement d’une agriculture de marché, le système traditionnel ne permet plus une jachère de longue durée, qui devrait être, de l’avis de tous les agronomes au moins égale à 20 ans. Dans le système actuel de jachère courte nous nous situons dans le cas de la courbe 3 (figure 6) c’est-à-dire dans le cas d’une infertilisation progressive du sol, d’où la nécessité de changer la technique de reconstitution de la fertilité du sol. Actuellement, les sols agricoles de la zone soudanienne du Tchad sont d’une extrême pauvreté. Sur la base de plusieurs centaines d’analyses de terre, par le laboratoire de l’ITRAD, le constat est alarmant. La moyenne de la teneur en matière organique est de 0,6 p. cent (Dr. Naitormaide, comm. orale, 2017). Autant dire que les sols sont "à l’agonie"16. Ce déficit généralisé provient d’une non-restitution d’intrants (surtout organiques) par les paysans, accentué par les labours ainsi que par l’érosion hydrique. Ces teneurs en matière organique extrêmement faibles sont déjà signalées dès 1981 lors d’une étude des sols cotonniers de cette région (Richard et Djoulet, 1985). Les sols fraîchement labourés au début de la saison des pluies, à structure fragile, sont extrêmement sensibles à l’érosion dès que la pente dépasse 1 à 2 p. cent. Ces sols sont également acides avec des pH variant de 5,0 à 6,7. Ici, se pose le problème possible de la toxicité aluminique (en dessous de pH 5,5) même si elle n’a été reconnue que dans une minorité de cas (Dr. Naitormaide, comm. orale, 2017). Personnellement, à partir de quelques dizaines de mesures de pH dans la région de Doba réalisées par divers acteurs (ORT, AFDI, AFTPA), nous observons une dispersion des résultats allant de pH 4,5 à 6,7 avec une proportion quasi égale de part et d’autre du pH 5,5. Pourquoi signalons-nous avec insistance cet indicateur de pH 5,5 ? Parce qu’en dessous d’un pH de 5,5, le sol présente des caractéristiques défavorables aux plantes cultivées. Dans les pH acides

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Une teneur de 1,5 p. cent sera un minimum pour maintenir une activité biologique suffisante génératrice d’une fertilité acceptable.

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inférieurs à 5,5, l’aluminium échangeable en grande quantité est toxique pour les plantes particulièrement pour les légumineuses. De plus les engrais phosphatés ne sont pratiquement plus disponibles à ces valeurs de pH 5,5 et en dessous. Il y a rétrogradation des phosphates. Aux pH acides le phosphate précipite en phosphate de fer ou d’alumine et devient insoluble. Il n’est plus mobilisé par les plantes. Le phosphore est plus disponible aux plantes aux pH 6,5-7. Il en est de même pour le potassium qui perd de son assimibilité à partir du pH 6,0 et en dessous. Alors pourquoi conseiller aux agriculteurs une fertilisation chimique (qui coûte cher) sans connaître la qualité du sol, au risque d’une efficacité nulle ou négligeable. En rappelant qu’une fertilisation chimique, même correctement appliquée, ne modifie en rien le statut organique du sol, les engrais chimiques ne remplacent pas la matière organique. Maintenant, de quels moyens, le paysan tchadien dispose-t-il pour rendre son sol plus fertile, plus productif ? Dans les régions ayant des sols acides et disposant de roches calcaires, les agriculteurs rectifient le pH de leur sol en utilisant les amendements calcaires. Oui, mais voilà, en Afrique et particulièrement au Tchad le calcaire est pratiquement absent17. Le chaulage des champs n’est pas possible. Il ne reste qu’une solution, c’est l’utilisation systématique du fumier et des composts qui non seulement vont relever progressivement le pH du sol mais sont riches en phosphore et en potassium, qu’ils libèrent lentement pour les plantes. De nombreux exemples de l’utilisation et de l’efficacité des fumiers et des composts dans les sols tropicaux sont cités dans la littérature agricole. Nous ne citerons qu’un exemple au Burundi et au Rwanda (Frankart et al, 1974) où des sols d’altitude à pH 4,0-4,7 sous forêt et sous prairies, à taux de saturation de 10% vont évoluer vers des sols "anthropiques" à pH de 5,8-6,1 et à taux de saturation de 45 à 60 % uniquement par apport continu de matière organique durant plusieurs années. Un de nos tout récents voyages au Zimbabwe (2015) nous a permis de visiter des agriculteurs n’utilisant que du fumier comme fertilisant, jamais d’engrais chimiques et obtenant des rendements tout à fait satisfaisants par rapport aux conditions agroclimatiques de l’endroit. Expliquer que le fumier est à la fois une nourriture particulière pour la vie microbienne (le sol est un corps vivant) et la source de l’azote et de la plupart des minéraux indispensables pour la plante. Or, cette 17

Un seul gisement de calcaire près de Pala, utilisé par la cimenterie.

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nourriture issue du fumier doit être apportée régulièrement au sol (avant par les jachères, aujourd’hui par le fumier et les composts) car elle s’épuise petit à petit avec la production des cultures. Il faut également expliquer l’action de l’humus sur les particules du sol ; son rôle dans la rétention de l’eau (un rôle d’éponge), dans la construction des agrégats (un rôle contre l’érosion) et de la porosité (un rôle dans le drainage naturel). L’humus produit par les fumiers et les composts, substance vivante pour la vie microbienne, est le lien entre les particules minérales du sol et le végétal. Expliquer également, comme dit plus haut, que la fertilisation chimique (les engrais NPK) ne peut être envisagée que si le sol est déjà bien pourvu en matière organique, que si le pH du sol est supérieur à 6,0. Comment apprécier le pH du sol ? En utilisant tout simplement un appareil appelé un pHmètre. Cet appareil d’un coût modique18 devrait faire partie des équipements des ONG et des organismes professionnels opérant sur le terrain avec les agriculteurs afin de les informer sur la qualité de leur sol. En pédologie, c’est la première mesure à réaliser pour connaître le degré de fertilité du sol.

4.3. L’utilisation des fumiers Après toutes ces explications viendront les questions du comment récolter et enrichir les fumiers, des quantités à mettre au champ et comment estimer ces quantités, de l’époque de l’épandage au champ. Il est évident que pour produire du fumier, il faut des animaux en nombre suffisant. C’est peut-être difficile à dire, mais les petits paysans n’ayant aucun bétail ni aucun élevage ne pourront poursuivre un développement normal sans modifier leur moyen de production (acquisition de bœufs, reconversion vers des élevages hors sol, développement du maraîchage, etc.), encore faudrait-il pouvoir profiter de quelques crédits. Les questions de production et de récolte du fumier seront vues au prochain chapitre (l’intégration agriculture-élevage). Voyons ici l’utilisation au champ. Un fumier bien fermenté durant plusieurs mois et épandu sur le champ ne peut être laissé ainsi durant plusieurs jours sans risque de volatilisation de l’azote et minéralisation trop rapide, sans profit pour 18

L’appareil avec les produits nécessaires peut être acquis pour 300-350 euros (230 000 F CFA).

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les jeunes plantules. Il est donc recommandé de l’enfouir légèrement (labour superficiel) le plus tôt possible. Cette opération étant réalisée en tout début de la saison des pluies, juste avant les semis. Comment répartir régulièrement le fumier et quelle quantité épandre par hectare ? Cette question revient à chacune de nos interventions sur le sujet. Par expériences et résultats observés, nous préconisons un apport de 14 à 16 tonnes/hectare en début de rotation, sur le sorgho par exemple. Pour réaliser un tel chantier, nous avançons sur une ligne en déchargeant des tas de fumier tous les 10 pas (environ 7 mètres), des tas d’environ 80 cm de haut. Puis la ligne terminée, nous recommençons une autre ligne de 10 pas (photo 33).

Figure 7 Répartition des fumerons (f) de 7 mètres en 7 mètres (a, b, c, d, zone d’épandage d’un fumeron).

Cette distance de 10 pas entre fumerons, en tous sens, permet de faciliter l’épandage à la fourche. Avec un tel schéma, nous obtenons 200 fumerons à l’hectare. En estimant le poids moyen d’un fumeron à 70-80 kg de fumier, l’apport à l’hectare est d’environ les 14-16 tonnes recommandées. Dans l’état actuel des sols de cette zone soudanienne, un apport de 14-16 t/ha nous semble un minimum pour obtenir des résultats significatifs. Si le paysan ne parvient pas à récolter cette quantité de 14 tonnes de fumier en un an sur son exploitation, alors nous lui conseillons de fumer une surface plus petite qu’un hectare mais en conservant cette charge moyenne conseillée à l’hectare. 87

Pour justifier l’utilisation de cette "richesse" gratuite produite par les animaux et "oubliée" des paysans, nous apportons les exemples suivants : À Bekondjo ‒ maïs sans fumier 12,5 qx/ha ‒ avec fumier (9 t/ha) 37 qx/ha ‒ riz sans fumier 33 qx/ha (paddy) ‒ avec fumier (5 t/ha) 42 qx/ha À Bendoh ‒ sorgho sans fumier 7 qx/ha (moyenne locale) ‒ avec fumier (18 t/ha) 23 qx/ha Près de Pala ‒ maïs avec une poignée de fumier sur chaque poquet au semis (3 graines par poquet, après éclairci à 2 graines), le rendement atteint les 35 qx/ha, avec une saison pluvieuse régulière (voir le champ, photo 13). Enfin, nous rappelons également la durée d’action du fumier, la décomposition lente dans le sol libère peu à peu les principes utiles qu’il contient. On peut considérer sous climat tropical qu’il agit pendant deux ans (à titre purement indicatif) donc qu’il n’est pas nécessaire de fumer chaque année la même parcelle mais d’opérer un retour seulement la troisième année de culture selon l’assolement.

Photo 33 – Fumerons régulièrement répartis sur une parcelle, avant épandage et labour, région de Doba (photo C. Mathieu).

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Les rendements dans la région de la Pendé et de la Nya (Rossignol et Mathieu, 2012) Le sorgho rendement moyen : 7 qx/ha varie de 4 à 14 qx/ha, les Rdt supérieurs à 18-20 qx/ha sont obtenus avec apports importants de fumier (15 t/ha). L’arachide rendement moyen : 10 qx/ha varie de 5 à 22 qx/ha, peut être supérieur à 40 qx/ha (après coton avec engrais et fumier) Le mil pénicillaire rendement moyen : 3,5 qx/ha varie de 1,4 à 5,4 qx/ha, quelques cas supérieurs à 10qx/ha Le sésame rendement moyen : 1qx/ha varie de 0,6 à 2 qx/ha, quelques cas de 4 à 6 qx/ha Le riz rendement moyen : 15 qx/ha varie de 8 à 24 qx/ha, quelques cas de 25 à 30 qx/ha 42 qx/ha avec 5 t/ha de fumier Le coton rendement moyen : 6 qx/ha varie de 5 à 10 qx/ha, quelques rares cas supérieurs à 20 qx/ha La patate douce rendement moyen : 40 qx/ha varie de 30 à 60 qx/ha, peut être supérieur à 60 qx/ha et avoisine 100 qx/ha Le niébé peu cultivé varie de 1 à 3 qx/ha mais peut atteindre 10 à 12 qx/ha Le manioc peu cultivé, rendement moyen 3,7 t/ha le maximum est de 9 t/ha

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CHAPITRE 5 L’intégration agriculture-élevage

5.1. L’évolution de l’élevage dans la zone soudanienne Comme évoqué dans le chapitre précédent, avant l’arrivée des Européens, l’Africain des brousses soudaniennes était peu cultivateur. Il vivait de cueillette, de chasse et de pêche. Avec le rassemblement démographique dans les villages et le développement des cultures vivrières et d’exportation, il s’est petit à petit converti à l’agriculture où l’énergie humaine jouait seule, en l’absence de l’énergie animale. Les premiers animaux élevés par les paysans sont les volailles (poules, canards, pintades) et les chèvres. La chèvre devient alors le principal "cheptel de rente"19 ; elle fournit le lait, et avec le gibier encore abondant, permet une alimentation protéique suffisante. La vente des chevreaux aide à constituer la dot pour se marier. Sa viande n’est consommée qu’à l’occasion de cérémonies. Le troupeau est la tirelire où puiser pour payer un "gros" achat, tel qu’un pantalon ou une chemise. Avant 1960, des "couronnes culturales" autour des villages apparaissent déjà avec un degré d’épuisement le plus marqué près des villages (R. Dumont, 1954), le problème de la fumure des cultures est déjà signalé. Il ne fera que s’amplifier par la suite (Mathieu, 1990). Chez les sédentaires du sud tchadien, l’absence de tradition d’élevage bovin s’explique en grande partie par la présence importante de glossines, vecteurs de la trypanosomose. La limite nord de la glossine serait située au nord du 10° parallèle. Le Chari apparaît comme une frontière. Sa rive droite est pratiquement exempte de trypanosomose, tandis que l’interfluve Chari-Logone est légèrement touché. Les espaces les plus infectés se situent entre les deux Logone et jusqu’à l’Ouham, de Moundou à Moïssala. Au nord de Laï mais 19

Dans les années 1940-1950, cité par R. Dumont (1954).

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aussi à l’ouest de Kelo, la maladie disparaît pratiquement (Magrin, 2001). Quant à la trypanosomose humaine (maladie du sommeil), il existe encore des foyers endémiques dans les régions de Moïssala et Bodo (sud et sud-est de Doba). A l’ouest de la zone soudanienne (Bongor, Léré, Pala, Béinamar), l’existence de traditions d’élevage bovin s’explique par moins de foyers de glossines et par l’influence peul du Nord-Cameroun avec l’existence de la civilisation de la vache chez des populations Massa, Moundang ou Toupouri. Mais le grand changement va avoir trois causes bien distinctes : 1. l’introduction de la culture du coton avec la culture attelée ; 2. les grandes sécheresses des années 1970-1980 ; 3. l’explosion démographique. L’introduction de la culture attelée à la fin des années 1950 par le BDPA devait permettre d’augmenter à la fois les superficies cultivées, la production cotonnière et le revenu des agriculteurs. Cette innovation s’est d’abord effectuée dans les plaines du moyen Logone qui pouvaient fournir en abondance le fourrage nécessaire à l’alimentation du bétail en saison sèche. Malgré les difficultés par ignorance des techniques d’élevage, le cheptel villageois augmente régulièrement : 30 000 bœufs en 1967, 100 000 en 1993, 277 000 en 1992 (Magrin, 2001), et probablement plus d’un million aujourd’hui (Min. de l’élevage et des ressources animales, 2015). En 1992, près du tiers des exploitations soudaniennes possédaient un attelage, c’est-à-dire au moins une charrue et deux bœufs. En 2012, dans la région de la Pendé, 65 % des exploitations possédaient ce même attelage (Rossignol et Mathieu, 2012). Mais en arrivant, la première fois dans cette région en 2003, ce qui nous avait particulièrement choqué, avec une telle quantité de bétail dans les exploitations (ce n’est pas rare d’avoir 4 ou 5 bœufs par exploitation), c’était la non-utilisation du fumier produit comme matière fertilisante pour les cultures (remarque déjà faite page 80). Aujourd’hui, le troupeau des agriculteurs-sédentaires ne cesse d’augmenter pour deux raisons principales. La première raison est un "mimétisme" avec les éleveurs nomades : les agriculteurs qui réussissent à se constituer une trésorerie substantielle ne déposent pas leur argent à la banque (... qui ne leur fait pas crédit !) mais thésaurisent en achetant du bétail bovin. La seconde raison est une prise de conscience de certains agriculteurs sur l’efficacité de l’utilisation du fumier pour enrichir le sol et augmenter les rendements. Cette pratique est lente à se mettre en place

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mais les utilisateurs de fumier sont petit à petit plus nombreux que par le passé. Avec les sécheresses des années 1970-1980, on assiste à un glissement des troupeaux vers le sud. Ces sécheresses ont contribué à bouleverser la géographie de l’élevage au Tchad. Avant les années 1970, la plupart des mouvements saisonniers des pasteurs-nomades ne dépassaient pas le 11 e parallèle (Melfi, Am Timan) (revoir figure 3), même s’il y en avait quelques-uns installés dans la zone soudanienne (Bébédja, Massénya, Goré). Mais à cause de la sécheresse de 1982, les zones pâturées se réduisent d’un tiers en latitude principalement dans les marches sahélo-sahariennes et au contact sahélo-soudanien, "Cette bande de terres méridionales apparut pour de nombreux pasteurs comme un pays à conquérir. La sécheresse de 1984 fut presque une occasion" (Clanet, 1989, cité par Magrin, 2001). Aujourd’hui, aucun document ne permet de présenter une cartographie de la répartition des différentes familles d’éleveurs dans la zone soudanienne entre les Foulbé, les Haoussa, les Fellata Baguirmi, les Arabes Dakara, les Misserié, les Mbororo, etc. Il en est de même concernant le nombre de bovins mobiles région par région. Celui-ci atteindrait plus de 5 millions de bovins transhumants et nomades confondus (Min. de l’élevage et des ressources animales, 2015). Le secteur de l’élevage représente 53 % du PIB et est le deuxième produit d’exportation après le coton, mais cet élevage est essentiellement détenu par les éleveurs nomades. Si l’objectif global du PNDE est d’augmenter durablement la production animale afin d’améliorer et d’accroître la contribution de l’élevage à la croissance de l’économie nationale, à la réduction de la pauvreté et à la sécurité alimentaire (Plan national de développement de l’élevage 2009-2016). Celui-ci décliné en huit objectifs spécifiques n’apporte pas d’attention à une meilleure intégration de l’élevage dans les exploitations familiales, ce qui reconnaîtrait la multifonctionnalité des animaux (viande, travail, lait, fumier...) et la valorisation des ressources des espaces agricoles. Que signifie "l’accroissement durable du volume de production dans un environnement préservé et le renforcement des capacités dans le secteur" ? Comme si l’élevage devait être dissocié de l’agriculture vivrière.

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Les objectifs retenus par le PNDE sont : 1. Accroître la production animale par l’intensification et la diversification tout en sécurisant les systèmes pastoraux et agropastoraux ; 2. Développer les filières animales et encourager les productions spécialisées par la promotion d’un élevage productif et économiquement rentable ; 3. Développer la commercialisation et les exportations par l’introduction de nouvelles technologies de transformation et de conservation ; 4. Améliorer la connaissance du secteur par la maîtrise des données sur les effectifs, et les caractéristiques zoo-économiques du cheptel ; 5. Préserver et renforcer les acquis en matière de santé animale et de recherche vétérinaire ; 6. Mettre en place une politique d’aménagement et de gestion concertée des ressources pastorales ; 7. Renforcer les capacités des services techniques et des professionnels du secteur de l’élevage ; 8. Assurer au secteur de l’élevage un financement substantiel et régulier pour permettre sa production. Nous aurions aimé voir citer dans ces objectifs le rôle de l’élevage dans l’intensification raisonnée et autonome des systèmes de production avec l’aide de la traction animale.

5.2. Le cycle de la fertilité Le projet de tout paysan est d’augmenter sa production végétale et/ou animale pour avoir plus de revenus, c’est-à-dire plus d’argent pour améliorer sa situation de paysan et celle de sa famille. Augmenter la production végétale passe obligatoirement par la qualité du sol et celle des semences. La vie du sol agricole suit le cycle cultural avec le semis, la croissance de la plante puis la récolte ; le sol nourrit la plante, l’homme doit nourrir le sol s’il veut conserver la qualité de production de celui-ci. Ce cycle demande une attention régulière pour pouvoir non seulement maintenir la fertilité des éléments de production mais encore augmenter régulièrement celle-ci. Lors de nos interventions sur le sujet dans les villages, un des premiers arguments des paysans est de nous dire "mais nous n’avons pas les moyens !", auquel nous répondons immédiatement "ne nous parlez pas de moyens, vous en avez mais vous ne voulez pas le savoir ! 94

Si vous avez des bœufs ou d’autres animaux, vous êtes capables de progresser !". Après avoir expliqué le cycle cultural (figure 5), nous nous appuyons sur une figure extraite de l’ouvrage La traction animale de Ph. Lhoste et al. (2010) (figure 8) pour expliquer point par point le projet intégré du cycle de la fertilité en ne négligeant aucun détail pouvant faire progresser l’exploitation. Partons du moment des récoltes avec deux bœufs et une charrette, tous les résidus de récoltes (sorgho, arachide, niébé, riz...) vont être transportés à l’exploitation pour servir de fourrage au bétail. Une première remarque est faite concernant la charrette. 9 fois sur 10, la charrette est mal équipée et mal équilibrée. Dans la traction avec joug de nuque le timon est mal réglé. La charrette n’est pas horizontale et porte sur le cou des animaux (photo 34). L’animal ne doit pas "porter" la charrette mais seulement la tracter. L’animal souffre et lorsqu’il souffre, il se fatigue plus vite et son rendement diminue. La charrette doit donc être tractée horizontalement. Tous les résidus de cultures nourriront les animaux durant la saison sèche. Ici, nous ouvrons une parenthèse sur l’alimentation des animaux. Ceux-ci doivent être correctement nourris durant toute l’année, même durant la saison des pluies lorsque les pâturages sont verts. Un animal rentrant le soir en stabulation doit recevoir un complément d’aliment. Pourquoi pas du fourrage vert (des branches d’arbustes, des plantes fourragères) ou du son de céréales (du son de riz en particulier). En période de travail, il faut aussi abreuver régulièrement les bovins de trait. Les paysans nous font aussi remarquer leur difficulté à s’approvisionner en fourrage durant la saison sèche. Ici autre remarque : à notre connaissance, au Tchad, on n’a pas pensé à utiliser les espaces non cultivés des savanes pour faire du foin de graminées durant la saison des pluies comme cela se pratique au Niger, au Mali ou au Burkina Faso. Au Burkina Faso, ce sont les ruraux non éleveurs qui font le foin, le rassemblent en bottes et le vendent aux éleveurs. Ainsi les ressources gratuites de la savane fournissent l’approvisionnement nécessaire durant la saison sèche. Nous insistons sur l’alimentation du bétail de trait pour deux raisons : ‒ La première, plus l’animal sera bien nourri, plus sa capacité de travail sera importante ; ‒ La seconde, plus l’animal sera bien nourri, plus il produira de fumier. 95

Tous les animaux domestiques (bovins, ânes, caprins et ovins, porcins, volailles) produisent des déjections (fèces et urines) en quantité non négligeable. Le premier travail du paysan est le ramassage journalier. Pour l’effectuer de la manière la plus rationnelle, il faut mettre au point des structures adaptées à la fois pour l’alimentation de l’animal et pour la récolte du fumier. Lorsque les bœufs rentrent des champs pour la nuit, ils sont attachés à des pieux autour desquels ils ne cessent de tourner. Les bouses sont éparpillées et non ramassées (photo 35). Il y a une perte énorme de fertilisants. Aussi dans la région de Doba (Maïbombaye, Nankessé, Mongo) nous avons installé des structures de stabulation (photo 36) où les animaux sont attachés à une barre, les uns à côté des autres ne pouvant pas bouger. Ils peuvent être nourris facilement selon une rangée le long de la barre et le matin lorsqu’ils ont quitté la stabulation pour aller au champ, le fumier de la nuit est ramassé plus facilement.

Figure 8  Intégration de l’agriculture et de l’élevage (extrait de Ph. Lhoste et al., La traction animale, 2010, Quae, CTA)

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Tous les résidus de récolte doivent être stockés (tiges de sorgho et de maïs, paille de riz, fanes d’arachide, de niébé, etc.), la balle de riz peut aussi être utilisée. L’herbe verte séchée procure (de juin à août) un foin de qualité. Le ramassage du fumier à la stabulation se fait tous les jours de l’année, c’est le fumier de nuit. Le cycle de la fertilité commence à ce moment-là. Les outils nécessaires sont une brouette et une pelle, un investissement rapidement compensé par les rendements augmentés des récoltes. De très rares paysans (à Bendoh et Kagroye) avaient déjà fabriqué de telles stabulations. Les stabulations peuvent également servir de structure de stockage pour les fourrages de la saison sèche (photo 37.) Le tas de fumier, c’est le résultat du ramassage de tous les jours de l’année et non seulement quelques semaines avant les labours. On peut également l’enrichir avec tous les déchets organiques ménagers et particulièrement avec les cendres 20 du foyer riches en calcium et en potassium. Lorsqu’on a une basse-cour et un potager, la fabrication du compost est tout à fait possible en respectant certaines conditions d’humidité et d’aération pour la meilleure décomposition possible. Une première question récurrente concerne la nature des fumiers. Peut-on utiliser d’autres fumiers que celui des bœufs ? Tous les fumiers peuvent être utilisés, comme celui des porcs et des ânes y compris les excréments humains... A cette réponse, l’étonnement est total ! Une seconde question concerne la quantité produite par les bœufs. En premier lieu, tout dépendra de l’application au ramassage ! En général, il s’agit de fumier de stabulation semi-permanente (donc de nuit). Aussi y aura-t-il dans le fumier une biomasse végétale provenant de litières et des refus de fourrage. Quel est le poids de l’animal et la quantité de matière sèche ingérée par l’animal ? Autant de questions qui ramènent la production de fumier en stabulation nocturne entre 1,3 et 3,2 t/an par animal. Cela va dépendre aussi de son taux d’humidité et des quantités de matière d’origine végétale ajoutées. Après le ramassage du fumier, vient l’époque de son utilisation. Ce sera au moment des labours, en début de la saison des pluies. Le problème est la capacité du paysan à amener le fumier jusqu’au champ. Tous les paysans ayant des bœufs et une charrue n’ont pas nécessairement une charrette. Mais certains n’hésitent pas à en louer 20

Les cendres de bois contiennent en moyenne 20 à 50 % de calcium, 3 à 9 % de potassium, 4 % de magnésium et un peu de phosphore. Cela varie évidemment avec les espèces consumées.

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une pour ce travail sachant que la location sera largement compensée par le gain de la récolte. Certes un attelage de bœufs avec charrue, charrette et autre mécanisation a ses avantages, mais il ne faut pas sous-estimer les difficultés de sa généralisation (voir encadré). Pour investir dans ces équipements, il faut des résultats suffisamment satisfaisants et si possible une source de crédit. Pas décisif du progrès agricole, la culture attelée nécessite donc, pour la réalisation économique de ces pratiques culturales, une formation à la gestion de l’exploitation (chapitre 7) qui demande un encadrement technique à la fois dense et efficace. L’amortissement d’une telle dépense (une charrette par exemple) par une seule récolte n’est pas possible, il faut donc y associer des activités de transport en plus de celui du fumier, en ajoutant les récoltes et le foin comme cité plus haut, puis au cours de l’année des corvées de bois, d’eau et le transport du village au marché des produits vivriers et artisanaux. Ainsi les femmes déchargées de certaines corvées pourront mieux soigner leurs cultures... et leurs enfants. A ce sujet, nous ne cessons de citer l’exemple du portage en Ethiopie où les ânes portent le bois, les céréales, l’eau, etc. Peu de femmes portent des paquets ou des bassines sur la tête. Après le semis, vient l’époque des sarclages, véritable "goulot d’étranglement " de toutes les cultures tropicales, qui demande entre 10 à 20 journées de travail manuel par hectare selon les cultures. Travail qui est souvent fait trop tardivement lorsque les adventice sont bien développées et parfois même en graine. A la période de l’encadrement pour la culture du coton par les techniciens de l’IRCT et de la Cotontchad, ceux-ci obligeaient les paysans à sortir les mauvaises herbes des champs pour les brûler. Erreur, c’est là une perte de matière organique pour le sol. Il faut sarcler lorsque les adventices sont jeunes, avant la montée en graines et laisser celles-ci se dessécher sur le sol ; elles vont former un léger mulch qui en se décomposant va rendre au sol de la matière organique et les éléments minéraux qu’elles ont soustraits pour se développer. Le cycle de la fertilité doit faire l’objet d’une attention permanente tout au long de l’itinéraire cultural. A la récolte, les champs de sorgho et de mil peuvent servir de "vaine pâture" pour les bovins sédentaires ou les troupeaux nomades. Les animaux pacagent les champs récoltés, mangent les tiges, les feuilles sèches comme les mauvaises herbes repoussées après le dernier sarclage, apportant un peu de fumure, sans que les avantages 98

du parcage systématique dans ce but paraissent bien reconnus. La meilleure chose à faire est de ramener et de stocker à l’exploitation tous les résidus de culture en vue de l’alimentation des animaux durant la saison sèche et ensuite gérer la production de fumier et son utilisation parcelle par parcelle. Après la récolte, le cycle continue par le ramassage des fumiers, l’alimentation journalière des animaux ainsi que leur utilisation régulière à des travaux de transport. Il faut également veiller à une gestion constante de l’aire de stabulation et du tas (ou mieux de la fosse) de fumier. "Relever" le tas de fumier afin que celui-ci ne s’étale pas en surface. En saison sèche, veiller à son humidification par des arrosages réguliers, c’est une contrainte majeure comme pour les composts. Un tas de 1,50 mètre d’épaisseur se dessèche moins qu’un tas moins épais (photo 38), la maturation s’opère ainsi dans de meilleures conditions. Une protection contre la sécheresse et les pluies n’est pas inutile. Mais il n’y a pas seulement que les animaux de trait (bovins et ânes) qui produisent du fumier dans une exploitation. Nombreux sont les paysans qui détiennent quelques chèvres et quelques moutons. Si ceux-ci sont rentrés chaque soir dans une étable ou un enclos (photo 39), le fumier nocturne produit et ramassé chaque matin peut être ajouté au tas de fumier des bovins ou servir à améliorer le compost prévu pour le potager. Il en est de même pour les cochons, bien que les élevages ne soient pas nombreux. Les cochons doivent être gardés en enclos et logés dans une porcherie (photo 28). A partir de ce moment, une quantité non négligeable de fumier peut ainsi être récoltée et utilisée sur les parcelles vivrières. Pour boucler l’inventaire, nous ajouterons le fumier des volatiles. Lors de toutes les visites faites dans les exploitations de la région de la Pendé, nous n’avons vu que deux poulaillers avec enclos (photo 40) et un pigeonnier. Le propriétaire du pigeonnier utilisait très judicieusement les fientes de ses pigeons pour fumer son jardin de légumes. Les sources de fumier sont nombreuses, encore faut-il s’appliquer au ramassage systématique. En terminant cette liste, nous citerons les excréments humains qui, en général, sont complétement perdus par défiance. Peut-on imaginer réutiliser un produit déféqué par notre organisme ? Sujet ardu et parfois même tabou, la question des toilettes est d’abord une question d’hygiène quand on sait que plus de 2 millions d’enfants meurent

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encore chaque année de maladies telles que le choléra, la dysenterie et d’autres maladies causées par le manque d’installations sanitaires. Dans nos interventions, nous ne manquons pas de parler de cette matière organique perdue en raison des obstacles culturels qu’elle pose. Et pour convaincre, nous parlons de l’existence, en Europe, du cabinet au fond du jardin, avant l’arrivée de l’eau courante avec la chasse d’eau, et de l’utilisation de ce produit pour le jardin familial. Ainsi que, par exemple, l’importance de cet engrais dans l’agriculture chinoise avant l’arrivée des engrais chimiques. Le principe des toilettes sèches que nous proposons repose sur la transformation des excréments en compost, grâce à l’ajout de cendres, d’un peu de terre sèche et de feuilles. En plus d’accélérer le processus de compostage, ces éléments éliminent les odeurs et empêchent l’apparition des mouches. Après une période de six à douze mois, le compost peut être utilisé pour le maraîchage en rappelant sa richesse en azote et en phosphore. Un jour l’animateur d’une ONG agricole nous a demandé : "Comment se fait-il que les agriculteurs en France soient si riches ?" Pour résumer notre réponse, nous lui avons répondu : "Parce que depuis bientôt deux siècles, ils utilisent le fumier que leurs animaux produisent". Mais, il faut aussi ajouter les progrès des sélections végétales et animales, l’utilisation des engrais chimiques, mais toujours en portant une attention sur la richesse des sols en matière organique. Après la disparition des élevages dans les plaines céréalières en Europe, il y a eu la pratique des engrais verts. Aussi le fumier – l’humus – la matière organique – reste la clé de la fertilité du sol. Les projets21 qui développent aujourd’hui la production de biogaz chez les petits agriculteurs africains possédant deux vaches ou deux bœufs et un peu de petit élevage vont à l’encontre du cycle de la fertilité que nous préconisons. Bien que le digestat de ce procédé soit riche en azote, potassium et autres nutriments pouvant être répandus sur le sol, le retour au sol de ce digestat équivaut à un apport d’engrais chimiques et non à un apport de matière organique indispensable aux micro-organismes du sol. Cette production de biogaz ne pourrait être conseillée et économiquement valable qu’à partir d’élevage hors-sol (poulets, porcs...) d’une certaine importance. 21

Projets proposés par Africa Biogas Partnership Programm au Burkina Faso, Ethiopie, Kenya, Ouganda et Tanzanie (Spore n° 163, 2013).

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La traction animale a un coût Si la petite mécanisation et la traction animale doivent être développées pour permettre des améliorations substantielles de l’agriculture familiale et par voie de conséquence participer, grâce à de meilleurs rendements, à assurer la sécurité alimentaire, il est parfois difficile pour les paysans, en l’absence de crédit, d’acquérir ou d’augmenter les équipements indispensables pour développer leurs capacités de travail, faute d’économies. Pour comparer le coût des animaux de trait et des équipements agricoles, nous ne disposons pas de données suffisantes concernant les revenus des paysans faute de cahier de gestion tenu par ces derniers. Aussi nos références seront-elles les salaires mensuels versés à quelques salariés exerçant dans les villes. - Le smic officiel est de 60 000 F CFA, - un gardien de bâtiment ou de maison gagne 65 000 F CFA, - un aide-soignant à l’hôpital gagne 70 000 F CFA, - un employé à une pompe à essence gagne 75 000 F CFA, - un agent technique (niveau bac) gagne 250 000 F CFA. Ce que nous pouvons ajouter, ce sont les prix moyens des trois produits agricoles les plus commercialisés : - un sac de 100 kg de sorgho : 15 000 F CFA, - un sac de 80 kg de riz paddy : 22 000 F CFA - un sac de 40 kg d’arachides-coque : 12 000 F CFA. Animaux et équipements agricoles - une paire de bœufs : 200 000 F CFA, - un âne : 40 à 50 000 F CFA, - une charrette avec pneumatiques : 250 à 300 000 F CFA, - une brouette : 20 000 F CFA, - une charrue 10 pouces : 30 000 F CFA, - un porte-tout : 45 à 55 000 FCA, - un semoir à maïs-arachide-sorgho : 70 000 F CFA Si on compare le coût de ces équipements et des animaux de travail avec celui du sorgho, du riz et des arachides, on s’aperçoit qu’une charrette coûte 20 quintaux de sorgho, soit le rendement de 3 hectares de sorgho – rendement moyen observé dans la région. Le paysan tchadien n’ayant aucune ressource de trésorerie se trouve donc dans une situation de blocage pour améliorer sa capacité de travail.  1 euro = 655 F CFA

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5.3. L’élevage et le développement des exploitations22 Nous réservons le problème de la petite mécanisation pour le prochain chapitre. Nous venons d’insister longuement sur l’importance de la production et de l’utilisation des fumiers pour une meilleure productivité des sols. Faisons maintenant un rapide tour d’horizon sur les autres apports de l’élevage, et en particulier de la traction animale dans le quotidien des exploitations. L’introduction dans l’exploitation agricole d’animaux de trait se traduit par une forte réduction de la pénibilité du travail manuel surtout pour les labours ou grattage du sol, les sarclages et les transports. Nous pourrions y ajouter les semis et les récoltes si des instruments adaptés pouvaient être utilisés (semis attelé, barre de fauche pour le riz, etc.). Cet argument justifie à lui seul l’utilisation des animaux dans les systèmes d’exploitation afin de soustraire du travail des champs les femmes et les enfants, ces derniers devant être à l’école et non conduire les attelages à la place du chef d’exploitation. grattage à la houe ou cultivateur labour à la houe à la charrue 10 pouces binage

Culture manuelle

Culture attelée 2 bœufs

30-35

12

200

25-30

160

15

 Le grattage consiste à effecteur des raies sur sol sec non labouré pour favoriser la bonne pénétration des premières pluies. Tableau 1  Temps de travaux en heure par hectare (pour terres légères).

Ce gain de temps pour l’exploitant va le favoriser pour d’autres activités, comme l’artisanat, la transformation des produits mais également des temps de formation ou d’organisation des producteurs, d’animation, etc. Il est clair en revanche que la traction animale et les autres élevages engendrent de nouvelles activités liées à l’entretien des animaux et du matériel, alors que ce sont trop souvent les enfants qui sont astreints à ces tâches comme la conduite de l’attelage et le gardiennage au champ. Pourquoi ne pas tenir les bœufs au piquet comme cela se pratique dans d’autres régions du monde, en Asie, à Haïti ou sur l’Île Rodrigues (Océan indien).

22

Pour en savoir plus sur cet aspect, voir l’ouvrage "La traction animale" de Lhoste et al. (2010) que nous avons consulté.

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La diversification de l’élevage (animaux de trait mais également ovins, caprins et autres) est aussi une façon de sécuriser économiquement l’unité familiale par rapport aux aléas climatiques (mauvaises récoltes) ou aux fluctuations des prix des produits agricoles. Ainsi les animaux d’une exploitation constituent une forme d’épargne sur pieds permettant de répondre plus facilement et rapidement aux aléas économiques. Si les animaux permettent de diversifier dans le temps les revenus de l’exploitation, l’autoconsommation des produits animaux (lait, œufs, viande) contribue qualitativement à l’alimentation et à la sécurité alimentaire de la famille. Imitant les pasteurs nomades, de plus en plus de paysans ayant des bœufs produisent du lait pour leur propre consommation mais envisagent une vente sur les marchés locaux. Ainsi, les produits animaux permettent de sécuriser l’économie et de réguler la trésorerie. L’introduction des animaux dans l’exploitation agricole permet une meilleure valorisation d’un ensemble de productions telles que les résidus de récolte, les sous-produits domestiques et agro-industriels (son de riz, tourteau de coton, drèches de brasserie...). Les herbivores jouent un rôle spécifique dans la valorisation des biomasses pauvres provenant des jachères, des parcours et des récoltes. Bien sûr, la traction animale a parfois été accusée d’augmenter les risques de dégradation des terres en facilitant l’extension de surfaces cultivées et donc des mises en culture de zones plus fragiles particulièrement pour augmenter les zones cotonnières (Dumont, 1954 ; Charrière, 1984 ; Lhoste et al., 2010). Mais lorsque cette technologie est bien maîtrisée (d’où de nouveau, l’urgente nécessité de formation) elle peut aussi devenir un important levier de développement rural par divers moyens : ‒ apport de nutriments au sol, ‒ transport des fumiers, des récoltes, de l’eau, du bois..., ‒ aide à la lutte antiérosive par la construction de banquettes et végétalisation de celles-ci, ‒ travaux selon les courbes de niveau favorisant l’infiltration de l’eau, ‒ diversification économique par la multifonctionnalité (lait, veaux...) etc.

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Fourrages et cultures fourragères Pour accompagner le développement de l’élevage à l’exploitation, il va falloir maîtriser l’alimentation des animaux et accompagner le paysan dans la gestion de ses ressources fourragères. En dehors des pâturages naturels, des jachères et du pacage après récolte, quelles sont les principales ressources fourragères dont dispose le paysan pour l’affouragement à l’exploitation ? Sachant qu’aujourd’hui au Tchad avec l’augmentation du troupeau, le seul pâturage naturel ne suffit pas pour nourrir les animaux d’élevage (Djondang, 2012). Utilisé, entre autres au Mali, Sénégal, Niger et Burkina-Faso, le foin provenant des herbes vertes de brousse, se différencie par sa qualité de la paille ou de l’herbe récoltée sèche. La strate herbeuse des savanes est composée majoritairement de graminées, presque toutes fourragères. Le stade optimal de récolte pour les graminées pérennes se situe juste avant la floraison. La fenaison nécessite de disposer de trois journées sans pluie après la coupe. Après, il faut stocker la récolte dans un endroit protégé de la pluie et des termites, proche si possible de l’étable. Il s’agit là d’une ressource facile à se procurer et un riche complément pour la saison sèche. Actuellement cette pratique n’existe pas au Tchad. Pourquoi ? Les fourrages ligneux, le pâturage aérien, riches en matière azotée, peu utilisés au Tchad, sont cependant des fourrages de choix. En général, la feuillaison arrive avant les pluies et peut constituer une "ration de soudure". Les branches sont coupées par le berger et distribuées sous l’arbre ou transportées jusqu’à l’étable. Parmi les espèces les plus appréciées on trouve Pterocarpus erinaceus (le vène ou palissandre), Ficus gnaphalocarpa, Faidherbia albida (ou acacia albida) et plusieurs autres acacias. Avec une pluviométrie supérieure à 1000 mm/an, on peut aussi citer Leucaena leucocephala (le faux mimosa) et Caliandra calothyrsus (le kalandria). Dans l’optique d’une agroforesterie raisonnée, on peut envisager des plantations en bordure de parcelle de Cajanus indicus (le pois d’Angole ou pigeon pea), Leucaena glauca (le mimosa fourrager) ou encore Acacia decurrens (communément appelé "mimosa") ainsi que les Vetiveria (plusieurs espèces de vetiver). Viennent ensuite les pailles de riz, les tiges de mil, de sorgho et de maïs, les fanes d’arachides, de niébé, de pois de terre qui constituent en général la ration de base et dont la qualité est variable, souvent riches en fibres et pauvres en azote. Durant les périodes de travail (labour, récolte), il faut envisager des aliments concentrés riches en énergie et en azote, pauvres en fibres que sont les tourteaux de coton et d’arachide, les sons de riz et de sorgho, des farines diverses ou des drèches (si proximité d’une brasserie, région de Moundou). Si nous envisageons une intensification des systèmes de culture avec une intégration raisonnée de l’élevage (traction, viande, lait), l’entrée des cultures fourragères dans les assolements est une étape nécessaire de son développement. Plusieurs références existent sur le sujet, nous nous limiterons à quelques exemples. Le premier qui nous vient à l’idée, parce que le seul vu cultivé au Tchad est le mucuna (Mucuna duringiana) (photo 41) qui est une légumineuse à port rampant, couvrant rapidement le sol. Les graines sont comestibles. Il peut occuper le sol durant 2 ans et après être suivi par un sorgho. Il peut éventuellement être pâturé

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durant une très courte période (1 à 2 jours), être donné en fourrage vert à l’étable mais en mélange avec d’autres végétaux (à cause de molécules toxiques). Apporte de l’azote et de la matière organique au sol. Ensuite nous citons : - Stylosanthes gracilis (luzerne tropicale), légumineuse ayant une durée de vie d’environ 3 ans, gardant les feuilles vertes durant la saison sèche, supportant les sols acides et demandant une pluviométrie annuelle d’au moins 600 mm. - Pueraria phaseoloides (Kudzu) originaire de l’Asie, légumineuse volubile à développement lent, très tolérante concernant le pH du sol ; la plantation se fait par boutures de stolons déjà enracinés avec un apport de fumier à la plantation. Il est préconisé comme fourrage sur sol épuisé et plante de couverture. Convient bien comme plante de bordure. - Pennisetum purpureum (Herbe à éléphant, napier), graminée pérenne, utilisée comme fourrage, lutte contre l’érosion et comme brise-vent. Herbe très envahissante pouvant atteindre jusqu’à 6 m de hauteur mais très appréciée comme fourrage de coupe. - Andropogon gayanus (herbe de Gambie), graminée pérenne, tolère des saisons sèches de 5 à 6 mois, pousse en touffes ( 70 cm, haute jusqu’à 4 m). A une valeur nutritive maximale lorsqu’utilisée après 2-3 mois de pousse. Très conseillée pour la nourriture des lapins. - Panicum maximum (herbe de Guinée), graminée pérenne, il est préférable de la multiplier par souche. A rendement élevé et récolte facile, utilisée en "cut and carry", mais n’est pas conseillée pour les chevaux. Après ce court inventaire, nous conseillons un développement des plantes fourragères, autant que possible en bordure de parcelles, en situation antiérosive pour les plantes pérennes et en bandes alternées avec les cultures vivrières pour les plantes annuelles. L’association de l’élevage et de la culture ne sera possible qu’avec des soles de plantes fourragères et une fumure organique des terres provenant des fumiers de tous les animaux de l’exploitation.

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Photo 34  Traction avec joug de nuque, timon trop long, charrette déséquilibrée, les animaux souffrent, Doba (photo R. Mathieu).

Photo 35  Animaux rentrés pour la nuit, les bouses sont éparpillées au sol, pas de ramassage, région de Komé (photo C. Mathieu).

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Photo 36  Structure de stabulation, les animaux défèquent tous vers le même endroit, CPFR de Maïbombaye (photo C. Mathieu).

Photo 37  La structure de stabulation permet d’engranger les fanes d’arachide pour la saison sèche, Mongo-Doba (photo C. Mathieu).

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Photo 38  Tas de fumier relevé par une structure de pétioles de rônier, Mongo-Doba (photo C. Mathieu).

Photo 39  Enclos à chèvres utilisé la nuit, ce qui permet de récolter le fumier pour enrichir le compost, Mongo-Doba (photo A. Aujoux ).

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Photo 40  Poulailler en briques avec enclos fermé, Miandoum au sud de Bébedja (photo C. Mathieu).

Photo 41  Champ de Mucuna, région de Komé (photo C. Mathieu).

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CHAPITRE 6 Pour quelle mécanisation ?

6.1. Le mythe du tracteur N’y a-t-il pas des paysans africains qui auraient rêvé de cultiver un jour un champ assis sur un tracteur ? Le rêve de se mécaniser comme dans les pays occidentaux hante tout paysan africain et pour entretenir leur rêve des conseillers bien-pensants auprès de certaines ONG n’hésitent pas à leur faire croire que la mécanisation motorisée est un facteur important d’augmentation des rendements ! Dans un compte rendu de l’AFDI (Charente) de juin 2007 sous la plume de Céline Denez, on peut lire dans le journal Sud-Ouest (20/10/2007) concernant les actions menées dans le sud du Tchad « nos efforts doivent désormais porter sur les semences, l’utilisation des engrais,... Il convient de prévoir avec eux l’arrivée de la mécanisation » (signé Joël Robelin) (sous-entendu la motorisation). Rien n’est dit sur les qualités du sol. Dans le compte rendu de l’AG de l’AFDI Poitou-Charentes d’avril 2008, rubrique Tchad, on insiste sur la production de semences améliorées et sur « une mécanisation agricole plus avancée semble nécessaire pour atteindre une certaine sécurité alimentaire ». La mécanisation thermique n’a jamais été synonyme de sécurité alimentaire. Dans un rapport d’orientation de l’AG AFDI Charente de juin 2008, le rédacteur écrit : « Pour franchir cette étape (... trouver des techniques adaptées, augmenter les rendements) une avancée des moyens de production est aussi inévitable et passe par la mécanisation, ... et tractée pour les groupements (GUMAC) ou les grandes surfaces ». Ne serait-il pas plus pertinent de parler de "mécanisation attelée".

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Quelle grave erreur que de véhiculer ces propos alors que la traction animale est à peine développée et que le tracteur a plus détruit les sols dans cette région qu’améliorer les rendements comme nous allons le démontrer. Pourquoi laisser croire aux paysans tchadiens que le tracteur va augmenter les rendements23 au même titre que les semences sélectionnées ? Pourquoi leur mettre de fausses idées dans la tête plutôt que de leur expliquer le problème de la production à partir du diagnostic agronomique. Pour faire simple, les composantes du rendement sont Rdt = N x P, à savoir N le nombre de pieds à l’hectare multiplié par P la production d’un pied. Le poids d’un pied est en relation directe avec la qualité de la semence et la fertilité du sol. Le nombre de pieds est en relation directe avec le mode de plantation et la fertilité du sol. Nous voyons clairement que le point de départ est d’abord la fertilité du sol (revoir ce que nous avons écrit au chapitre 4) puis vient ensuite la qualité de la semence. Mais attention une bonne semence dans un sol pauvre ne donnera jamais des rendements exceptionnels. La publicité qui est faite dans la presse spécialisée 24 concernant les semences sélectionnées est une publicité erronée car elle ne parle jamais de la qualité des sols pour obtenir les résultats annoncés. C’est bien le sol qui fournit à la plante les éléments nécessaires à la croissance ! Non ? Mais un jour (2012) non seulement les tracteurs arrivèrent au Tchad et envahirent le paysage agricole. Et cela par le biais du PNSA – le Programme National de la Sécurité Alimentaire – programme créé en 2009 pour distribuer gratuitement auprès des agriculteurs des semences sélectionnées et subventionner l’achat d’engrais chimiques. Le PNSA devait être « un vaste programme qui faisait office de stratégie nationale de sécurité alimentaire » (Dalal, 2017) ayant pour objectif général de « contribuer à combattre l’insécurité alimentaire à l’échelon national par l’augmentation durable de la productivité et du niveau de production, combinée à des mesures susceptibles de garantir l’accessibilité des populations aux denrées alimentaires tout 23

Ce qu’on retrouve également dans une presse spécialisée : « motorisation ... apparaît comme un des facteurs clés pour augmenter la productivité et mettre en valeur des terres comme inexploitées ... » CTA-Spore 180-2010, Oui, augmenter la productivité du travail, mais ne pas confondre avec l’augmentation des rendements. 24 Nous citons par exemple la revue SPORE (du CTA, Wageningen), 195-2010, n° 154-2011.

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en conservant les ressources naturelles de base » (coordination du PNSA, août 2012, p. 52). Mais de quoi s’agissait-il exactement ? Au départ, de 2009 à 2012, il s’agissait de fournir gratuitement aux producteurs des semences sélectionnées de riz, d’arachide, de niébé, de sorgho et de maïs et de subventionner d’une manière importante les engrais (de l’urée et NPK 20-10-10). Il aurait également fourni des insecticides, des fongicides et des appareils de traitement (Dalal, 2017). Après trois campagnes agricoles, selon les informations recueillies auprès du PNSA à Doba (2012) trop peu d’agriculteurs ont bénéficié de ce programme, faute de semences et d’engrais disponibles. Il aurait fallu acheter plus d’engrais et produire plus de semences sélectionnées. Il semblerait que seulement 10 p. cent des agriculteurs aient bénéficié de l’achat d’engrais subventionnés et environ 50 p. cent reçurent gratuitement des semences sélectionnées. Les bénéficiaires ne furent pas toujours ceux qui étaient prévus au départ. Maintenant, parlons des engrais. Pour quelle culture, l’urée étaitelle conseillée ? Nous n’avons pas eu de réponse ; il faut rappeler ici que l’utilisation de l’urée par la plante nécessite une bonne activité microbienne du sol et une teneur satisfaisante en humus (action de l’uréase) pour favoriser son hydrolyse sinon l’urée migre dans le sol comme un nitrate. En ce qui concerne l’engrais composé ternaire 2010-10, pourquoi avoir choisi un engrais riche en azote, l’élément le plus cher par rapport au phosphore et à la potasse ? Sachant que l’azote dans le sol agit rapidement sur la plante et que P et K agissent lentement, pourquoi ne pas donner une préférence aux engrais binaires P et K. On sait aussi que dans les sols très acides (pH inférieur à 5,5), le phosphore est très peu efficace pour la plante puisqu’il subit, dans ce cas, une rétrogradation irréversible. Les agriculteurs connaissent-ils le degré d’acidité de leur sol ? La réponse est non. N’aurait-il pas fallu au préalable lancer une campagne importante sur l’analyse de l’acidité des sols agricoles. La mesure du pH du sol est une mesure très facile à réaliser, l’ITRAD étant tout indiqué pour répondre à ce besoin. Ainsi, le PNSA distribue des engrais chimiques sans conseil, sans vulgarisation ou avertissement préalables sur la fertilisation, ses pratiques, sa complexité, ses règles de bonne conduite. On sait que l’humus est la base de la fertilité des sols et le support de la vie microbienne, mais au Tchad personne n’en parle.

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Maintenant, revenons aux tracteurs. En 2012, le PNSA fut doté d’une nouvelle composante : l’acquisition de mille tracteurs pour effectuer des labours subventionnés, facturés 10 000 F CFA/ha (environ 15,25 euros). Pour conduire ces tracteurs et labourer les champs, il a fallu embaucher des tractoristes... non formés à ce genre de travail. Résultat : de nombreux tracteurs tombèrent en panne (essentiellement les embrayages) et de nombreuses charrues furent cassées. Dans certains secteurs, plus de la moitié des tracteurs étaient en panne en moins de trois mois... d’où une très grosse polémique sur la conduite de ce projet d’autant qu’en 2013, l’achat de mille cinq cents autres tracteurs était prévu !! ... Et mille tracteurs furent ainsi livrés en 2015. Ainsi deux mille tracteurs ont été livrés, d’une puissance allant, selon les modèles de 60 à 85 CV, à deux ou quatre roues motrices (1 ou 2 ponts), coût selon la puissance entre 12 et 18 millions de F CFA25, soit environ 30 milliards de F CFA ou 46 millions d’euros. Ces tracteurs d’origine chinoise ou indienne selon les modèles montés à N’Djamena sont équipés de charrues à 4 disques non réversibles pour environ 80 p. cent d’entre eux et de pulvériseurs à disques (« cover-croop ») pour les 20 p. cent restants. Ils ont été répartis dans tout le pays, par région, dans les centres de l’ONDR. Conjointement à cette composante, des antennes du PNSA ont été installées dans toutes les régions (bâtiments, bureaux climatisés, personnel administratif...). De ces deux mille tracteurs, combien sont encore aujourd’hui en état de marche ainsi que les charrues ? Chaque dépôt montre un nombre important d’engins hors service et peu susceptibles d’être remis en état de marche faute de pièces de rechange et/ou de techniciens en mécanique compétents (photo 42). Nous avons eu l’occasion de rencontrer en 2012 le Chef de Centre du PNSA de Doba et de discuter avec lui de ce problème très important. Ce programme est un échec tant sur le plan technique qu’agronomique, qu’il serait trop long d’expliquer en détail. Les sols sont mal labourés, les ressources consacrées à l’achat de ces tracteurs auraient trouvé une meilleure utilisation pour d’autres programmes. Ce programme de labour avec deux mille tracteurs devait, paraît-il, permettre d’aider à résoudre le problème de la production agricole, donc de la sécurité alimentaire. Belle idée mais complètement 25

Au début de l’opération, l’Etat a permis d’acheter un tracteur à crédit avec des annuités de 900 000 F CFA. Mais vu le nombre important d’impayés, l’opération a été vite suspendue.

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utopique. Et le résultat ne s’est pas fait attendre. Après trois mois de mise en place de ce volet "labour mécanisé" à Doba par exemple, où l’attribution a été de 88 tracteurs, plus de 60 étaient déjà en panne 26. Le problème de ces tracteurs concerne deux aspects, qui sont liés entre eux, dont l’un est mécanique et l’autre agronomique. D’abord l’aspect mécanique, les tractoristes embauchés n’ont jamais conduit un tracteur équipé d’une charrue dans les champs. Leur formation de quelques jours a été très superficielle. Et pour cause... Ya-t-il au Tchad un centre de formation en mécanique agricole avec des compétences suffisantes et éprouvées dans le domaine des labours avec des charrues tractées. La réponse est non !! Le métier de la conduite agricole est un métier qui s’apprend lentement, et demande beaucoup d’expérience. Les incidents les plus fréquemment relevés concernaient l’embourbement. Le sol est trop humide, la charrue est réglée pour une profondeur trop importante, le tracteur peine et à un moment donné, il s’embourbe. Au lieu de relever la charrue, le tractoriste insiste, le tracteur s’enfonce, et en insistant de nouveau l’embrayage chauffe et finit par "couler" ! Autre exemple, la charrue est bloquée par une souche résistante. De nouveau, au lieu de s’arrêter, de relever la charrue, le tractoriste insiste, le tracteur patine ou la charrue casse et c’est à nouveau la panne d’embrayage. La qualité d’un labour va dépendre de la vitesse du tracteur, de la profondeur du labour, en fonction de la texture du sol (sableux, limoneux ou argileux) et surtout de son taux d’humidité au moment du labour. Ce sont tous ces facteurs, leur interférence qui va déterminer la qualité du labour. L’exemple en 2013, au début de la tractorisation dans la région de Doba, les pluies avaient été abondantes et plusieurs agriculteurs avaient fait labourer leur parcelle à riz (sols argileux) par des tracteurs. Combien d’embourbements ? nécessitant parfois de faire appel à un deuxième tracteur pour sortir le premier du champ ! Combien de labours de mauvaise qualité ? Regardons un labour fait avec deux bœufs et une petite charrue monosoc, fait à la vitesse de la marche, 3-4 km à l’heure. C’est un labour régulier, suffisamment émietté, mais pas trop, où le lit de semence est de qualité. Regardons de nombreux champs labourés avec 26

Aucun atelier régional n’a été prévu pour la réparation des tracteurs (moteur, transmission, mécanique générale, etc.). Tout tracteur en panne doit repartir à N’Djamena pour réparation !! Doba se trouve à 570 kilomètres de la capitale !! Aujourd’hui, la situation a très peu évolué.

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tracteur, le spectacle est bien différent... obligeant parfois l’agriculteur à faire une reprise à la daba ! C’est alors un coût supplémentaire. Parlons maintenant du matériel utilisé, la charrue à disques. Quelle a été la motivation de ce choix ? Economique, agronomique, technique ? Nous n’avons pas de réponse. Il est reconnu de manière universelle que la charrue à disques émiette très fortement le sol ce qui est tout à fait déconseillé dans les régions à pluies violentes (ce qui est très souvent le cas, ici au Tchad) donc dégradante pour la structure du sol, sachant qu’il existe des charrues à socs non réversibles, n’ayant pas cet inconvénient pour la structure. Mais il y a plus inquiétant, c’est l’introduction et l’utilisation des pulvériseurs à disques (les cover-cropp). Cet outil n’est pas un outil de labour mais un outil de reprise de labour, de déchaumage ou de préparation du lit de semences. Actuellement, au Tchad, il est utilisé comme un outil de labour en un seul passage!, il travaille peu profond (environ 10 cm) et n’enfouit pas les mauvaises herbes... mais les multiplie ! Les premiers témoignages à ce sujet ont été édifiants : les champs "labourés" avec cet outil en un seul passage n’ont jamais autant été envahis par les mauvaises herbes. Ainsi, en plus des 10 000 F CFA payés pour ce soi-disant "labour", des agriculteurs ont dû en consacrer au moins autant, sinon plus, pour un désherbage rapide et manuel !! (Il a fallu engager des équipes de 3 ou 4 journaliers... !) Un autre constat concerne les rendements après un labour avec le tracteur. Le peu de matière organique présent dans les quelques centimètres de la surface du sol se retrouve enfoui à 25 ou 30 centimètres de profondeur. La terre ramenée en surface est plus pauvre en nutriments, sans compter une structure souvent détruite, les rendements chutent par rapport au labour manuel ou à la petite charrue tractée par les bœufs. Après ce constat accablant technique et agronomique du projet "des tracteurs pour labourer", nous terminerons en nous interrogeant sur la compétence et la responsabilité du (ou des) initiateur(s) de ce projet : non, la promotion de la sécurité alimentaire ne passe pas par la mécanisation des labours. La terre peut être labourée à la main, à la daba, avec la traction animale ou avec un tracteur, sa productivité ne sera pas différente. Ce qui va faire la différence au moment de la récolte, c’est la conjonction de la qualité des semences (semences sélectionnées) et de la qualité du sol contrôlé par les pratiques et techniques du producteur. C’est sur cet aspect capital que tous les 116

efforts devraient être portés par les agriculteurs, les techniciens, les vulgarisateurs, le PNSA, l’ONDR et autres acteurs du développement. Au début 2016, le PNSA étudie la possibilité de céder un certain nombre de ces tracteurs à des groupements d’agriculteurs organisés en CUMA27. Une façon de repasser « la patate chaude », de se débarrasser d’une affaire encombrante avant un échec retentissant d’un projet aussi mal préparé. En 2018, aucune décision de rétrocession à des groupements n’était prise. Mais avant, le Ministère de l’Agriculture souhaiterait faire l’état des lieux concernant le nombre de tracteurs restants en état de marche, le nombre de tracteurs réparables et celui de tracteurs définitivement hors service. Après cet inventaire, il faudrait chiffrer les projets de réparation et obtenir un crédit bancaire (si possible, auprès de la Banque agricole et commerciale) ou mieux... que la banque prenne à sa charge les réparations puis revende les tracteurs aux groupements ou aux paysans à un prix subventionné ! Le projet de "tractorisation" des labours, tel qu’il est conduit, est voué à court terme à l’échec et à l’épuisement des sols mais aussi à celui des ressources financières de l’Administration. Mais qui va vouloir acheter ces tracteurs ? En l’absence d’ateliers de réparation dans les diverses régions et la disponibilité en pièces de rechange, comment pérenniser un projet qui n’aura été qu’un projet politique élaboré sous la responsabilité du directeur national du PNSA, sans parler des conséquences agronomiques que nous venons d’évoquer. Cette histoire n’est pas terminée. Comme le disait René Dumont en 1970, on ne peut pas passer dans la formation "de l’école primaire à l’université sans passer par le secondaire", ce qui signifie dans notre cas qu’on ne peut passer de la daba au tracteur sans passer par la traction animale. Rappelons-nous notre propre histoire. Les tracteurs agricoles sont apparus à la fin du XIXe siècle mais ce n’est que vers les années 1950-1960 qu’ils sont devenus communs dans nos exploitations, alors qu’avec la traction animale toute une mécanisation s’était développé – charrue, semoir, faucheuse, moissonneuse, etc. – et que celle-ci a pu rapidement être facilement "attachée" au tracteur. Le tracteur s’est aussi développé alors que la taille des exploitations s’agrandissait. Cette motomécanisation des travaux agricoles s’est traduite par une accélération de l’exode rural, du fait du remplacement des travailleurs par les nouvelles machines, ces derniers ont alors trouvé des emplois en ville 27

CUMA : coopération d’utilisation de matériel agricole.

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à une époque où les pays du Nord réalisaient leur révolution industrielle (Dufumier, 2010). Cette évolution est-elle possible en Afrique soudanienne. Oui, en Afrique, la tractorisation peut se développer à partir des groupements paysans, à la condition de développer une véritable filière mécanique, et non à la manière des apprentis-sorciers28 qui considèrent que la mécanisation apportera une augmentation des rendements et une meilleure sécurité alimentaire. Dès les années 1970, avec le développement de la traction animale dans la zone cotonnière, les spécialistes de la petite mécanisation mettaient déjà en garde sur l’effet des labours à la charrue sur « l’érosion et le lessivage des terres cultivées... Pour établir des modèles techniques adaptés, la nécessité d’une approche plus globale, écologique, se faisait jour. L’association agro-pastorale apparaissait indispensable (apport de matière organique aux sols cultivés), de même que le reboisement (protecteur, producteur d’énergie et de fourrage) intégré à l’exploitation » (Charrière, 1984). Et René Dumont (1974) d’ajouter « Il n’eut fallu chercher à généraliser la charrue qu’après une intense lutte antiérosive, par quadrillage de brise-vent, de lignes d’herbe... Et surtout par apport de matière organique, de composts... ». Le rôle de la matière organique revient continuellement dans les exemples. Au sud Mali, Dufumier (2010) note que les exploitants agricoles ont été en mesure de substituer progressivement leur ancien système d’agriculture sur abattis-brûlis par des systèmes de cultures amendées chaque année avec des matières organiques à condition d’avoir un nombre de bovins suffisant pour fumer leurs terres et le recours à la charrette attelée pour le transport du fumier étant une des conditions pour accroître les productions à l’unité de surface. Alors qu’aujourd’hui, le labour classique est remis en cause, que les techniques de semis direct en no-tillage ou minimum-tillage se généralisent, nous assistons avec le programme du PNSA à une destruction des sols fragiles de cette zone soudanienne. Et de rappeler qu’en 1994, l’ONDR, dans un fascicule technique (La préparation des champs), préconisait alors sur sol sec, à la fin de la saison sèche, la technique du "grattage" en écrivant « S’il est bien fait, le grattage permet d’éviter le labour. Mais attention, dans ce cas, il faudra effectuer un premier sarclage très tôt, car le grattage n’a pas d’effet 28

Personne qui provoque des événements qu’elle ne peut contrôler. Ici, ce sera la destruction des sols et la non-augmentation des rendements.

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sur la poussée des mauvaises herbes ». Ce travail de grattage étant réalisé avec un outil de sarclage équipé de 3 ou 5 dents. Les protagonistes d’une mécanisation de l’agriculture tchadienne devraient d’abord porter leur effort sur la petite mécanisation à traction animale ou la petite motorisation comme cela se pratique dans bien des régions d’Asie. Regardons par exemple les motoculteurs avec une barre de coupe pour le fauchage du riz, ce qui éviterait bien des heures de dur labeur à la faucille. Toujours concernant le riz, le développement en CUMA des batteuses et des décortiqueuses, et pour le manioc et les céréales, celui des moulins. Le regard fixé uniquement sur le tracteur va à l’encontre d’un développement de progrès de l’agriculture locale. Malheureusement dans un pays aussi pauvre, des petits producteurs épuisés par un travail peu rentable sur des sols pauvres avec parfois des moyens dérisoires se laissent entraîner dans des rêves chimériques par des « esprits malins », qui ignorent (volontairement ou pas) les lois fondamentales de la nature, celles qui régissent les équilibres entre le sol, la plante et le climat en y ajoutant les techniques du paysan. Quand les agriculteurs seront formés aux notions essentielles de l’agronomie, alors seulement ils pourront gérer et non subir leur propre développement.

6.2. Le manque d’équipement Déjà pénalisée par une très faible productivité, l’agriculture du sud du Tchad montre un manque évident en matière d’équipement des exploitations. En rappelant l’enquête réalisée en 2009-2010 dans la région de Doba (Rossignol et Mathieu, 2012), déjà évoquée au chapitre 2 (pages 52 à 57) mais n’ayant que valeur locale, nous apprenons que 66 % des paysans ont deux ou plusieurs bœufs (ce qui signifie que le 1/3 des paysans n’a aucun animal de trait). Mais que dans ce groupe, 20 % n’ont pas de charrue, que 62 % n’ont pas de charrette. Certes, au moment des semis et des récoltes, il existe des locations ou des prêts de charrues et de charrettes entre paysans ou grâce à des GUMAC qui fonctionnent assez bien. Mais en définitive très peu de paysans ont l’ensemble bœufs-charrue-charrette. Sur les 282 paysans enquêtés dans les 8 villages, seulement 4 paysans ont des corps-butteurs, 14 des décortiqueuses d’arachide et 4 des presses à huile, on ne note aucun semoir, herse ou cultivateur, sarcleuse ou bineuse. Est-ce l’effet du hasard de noter ce manque 119

d’équipement parmi les 17 % d’enquêtés dans cette zone. Cela rejoint un peu notre expérience du terrain, nous n’avons jamais vu un semis réalisé avec un petit semoir tracté alors qu’ils sont proposés sur le marché (photo 43). Pour le transport de faible charge, seulement 1 paysan sur huit possède un porte-tout29 (photo 24). Alors que les éleveurs nomades utilisent assez facilement l’âne ou le cheval, en dehors des bœufs-porteurs, aucun de ces animaux de trait – âne, cheval – n’est signalé dans les 281 exploitations enquêtées au Logone oriental. En Mayo-Kebbi, l’âne et le cheval sont très peu utilisés. Nous ajouterons une remarque sur la qualité de l’équipement concernant la charrette et la charrue utilisées dans cette région. La charrette sur pneumatiques n’est fermée que sur les côtés latéraux et non sur toute la longueur (photo 44) ce qui est un inconvénient pour le transport du fumier et bien d’autres matériaux (sable, cailloux, récoltes...). La quantité transportée est moindre par rapport à une charrette fermée sur les quatre côtés30. Mais le plus grave défaut est la longueur du timon. Celui-ci est en général trop long. Le résultat est une charrette déséquilibrée dont le poids porte sur le joug, et fatigue les animaux (photo 36). Alors qu’une paire de bœufs de 650-700 kg (la paire) bien nourris devrait travailler 4 heures par jour (CEEMAT, 1975), notre expérience lors de charriages de fumier au champ note des bœufs très fatigués après à peine 2 heures de travail et cela est dû principalement à une charrette déséquilibrée31. Une autre remarque concerne le type de joug, qui est un joug de nuque ou de garrot constitué d’une grande barre de bois, parfois (mais pas toujours) avec des encoches arrondies permettant le positionnement des animaux. Or, ce joug est moins efficace que le joug frontal ou joug de corne. D’autant que pour le confort de l’animal, le joug de nuque n’est jamais équipé d’un coussinet permettant de ne pas blesser celui-ci lors de la traction. La charrette pourrait aussi être améliorée en l’équipant de lames de ressort comme pratiqué en Inde (Arrignon, 1987). Les ânes peu utilisés en agriculture mais plutôt en ville pour le transport de matériaux de construction (sable, briques) sont aussi attelés par paire avec des jougs de nuque tirant des charges le plus souvent déséquilibrées comme expliqué avec les bœufs (photo 25). Un 29

Des modèles multiporteurs à deux roues sont diffusés dans d’autres pays africains (Soltner, 1987). 30 C’est ce que nous avons proposé de fabriquer à un atelier de Doba, dès 2009. 31 Avec une charrette fermée transportant environ 750 kg de fumier.

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âne doit être attelé à une charrette comme un cheval avec des harnais composés d’une bricole ou d’un collier, d’une sellette, de traits et de reculement32 (comme nous le connaissons au Sénégal, Burkina Faso, Mali, Mauritanie,...) (photo 26). Les charrues à stabilité longitudinale à un soc de 10’ sont des charrues avec une roue de guéret, souvent nommées « charrue à roulette ». Ces charrues obligent un labour en planche ou souvent un retour à vide en début de raie, alors qu’il existe des charrues réversibles à deux corps33 permettant un labour à plat. Le manque d’autres équipements de culture, à savoir les semoirs, cultivateurs, sarcleuses ou bineuses, sans parler de faucheuses pour le riz et le foin, dénote une situation de moindre développement agricole. Certes le coût des matériels et l’absence de crédit possible sont les pierres d’achoppement pour l’amélioration des conditions de productivité du travail. Mais lorsqu’un paysan ayant plusieurs bœufs (parfois plus de 10), des ressources en fumier, cultivant annuellement 7 ou 10 hectares avec des rendements appréciables, s’équipe d’une moto et améliore son habitat, nous estimons qu’il est aussi dans la capacité de développer son parc de matériel et d’améliorer son sort. Ils ne sont pas nombreux dans ce cas, mais l’introduction des matériels en vue d’une culture privilégiée conduit à un accroissement progressif du parc régional, accroissement qui de facto entraîne obligatoirement le développement d’une filière de petite mécanique agricole. Dans de très nombreux pays, entre autres méditerranéens, la force de traction des animaux est convertie en mouvements rotatoires par les manèges. Certaines tâches agricoles, effectuées à la main ou à l’aide de moteurs thermiques, comme moudre, décortiquer, battre les céréales pourraient en bien des endroits être exécutées de cette manière. En définitive, on ne peut que constater une très grande pauvreté du cheptel mort34 des exploitations. On peut aussi se poser la question de savoir pourquoi il n’y a pas eu de transfert de nos équipements de la traction animale, comme cela s’est passé en Afrique du Nord.

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En 2015, nous avons fait fabriquer à Doba une charrette asine sur un modèle venant du Burkina Faso (photo 45). 33 Soit disposant de deux corps séparés par deux étançons, l’axe de rotation étant voisin de l’axe de l’age, c’est ce qu’on appelle les « brabanettes », soit que les deux corps se trouvent reliés par un seul versoir, ce sont alors les tourne-oreille. 34 Ensemble du matériel et des installations d’une exploitation agricole.

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En Afrique du Nord, ce sont les colons qui ont introduit les machines agricoles (faucheuses, charrues brabant, charrues balance, semoirs, etc.), les autochtones ont suivi par la suite. Au Tchad, il n’y a pas eu de terre de colonisation. L’Administration coloniale s’est limitée à développer chez les Tchadiens la culture du coton pour l’exportation en limitant son intervention par l’introduction du labour attelé et l’emploi d’engrais chimiques... tout en ignorant l’utilisation des fumiers. Il faut aussi reconnaître que des machines simples utilisées en Europe avec des animaux de gros format et transférées en Afrique ont été très souvent vouées à l’échec, car la force des animaux disponibles était loin d’équivaloir celle des équins et des bovins d’Europe. Mais aucun projet de petite mécanisation n’a été initié dans cette partie de l’Afrique par la coopération officielle. Les ateliers de forgerons sont l’œuvre des Eglises et des ONG. Dans le cadre de la petite mécanisation de la plupart des opérations culturales, les chercheurs et les constructeurs ont cependant repensé le problème. Dans un souci d’économie, devant des utilisateurs ayant de faibles possibilités financières, les inventeurs ont été conduits à grouper dans la mesure du possible différentes machines en une seule. Il s’agit du polyculteur ou tropiculteur 35. Le polyculteur à traction animale est un porte-outils polyvalent constitué d’un bâti ou châssis comprenant une ou deux roues (suivant les modèles et si possible à pneumatiques pour les deux roues) et selon les cas d’un timon sur lequel est accroché le joug. La principale composante du châssis est une barre porte-outils sur laquelle sont montées diverses pièces travaillantes ou outils avec un système de réglage mécanique simple (figure 9) (photos 46 et 47). Il est équipé pour le labour, le semis, le sarclage et la récolte. Certains châssis peuvent même recevoir un plateau et devenir ainsi une charrette. Il assure une économie appréciable en temps de travail et en énergie consommée. J. Arrignon (1987) cite l’exemple en Inde. Le paysan qui utilise l’araire en bois, d’une longueur de 15 cm, est obligé de parcourir 66,7 km avec ses bœufs pour travailler une superficie d’un hectare. La distance est réduite à 13,3 km lorsqu’il utilise une herse à lame horizontale (minimum tillage) large de 75 cm.

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Voir par exemple l’ONG PROMMATA (à Rimont-Ariège).

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Son autre avantage porte sur son utilisation possible pendant non seulement toute l’année culturale mais durant toute l’année s’il est transformé en petite charrette. L’inconvénient est son coût, quoique modique, même s’il peut être construit localement, il peut être hors de portée d’une partie des paysans. Maintenant que penser des engins motorisés ? Le transfert de technologie motorisée Nord-Sud a entraîné depuis les années 1950 la promotion anarchique et irraisonnée du tracteur agricole dont l’introduction massive vécue ces années-ci au Tchad s’est révélée globalement inadaptée et néfaste pour les sols et les rendements. Mais ce n’est pas pour autant qu’il faille rejeter en bloc la mécanisation motorisée. L’introduction de deux batteuses à riz dans la région de Doba s’avère efficace, mais l’entretien et les réparations devront faire l’objet de la plus grande attention sans quoi elles pourraient rejoindre le cimetière déjà important des tracteurs du PNSA. Notre expérience asiatique nous conduit à prendre en exemple l’utilisation des motoculteurs polyvalents pouvant être équipés de socs de charrues, de barre faucheuse (pour le riz) ou transformés aussi en charrettes. D’autres équipements peuvent être ajoutés. Cet exemple doit être donné avec toujours la même remarque concernant les problèmes du "service après-vente", ceux de l’entretien et des réparations. L’amont qui consiste à vendre ce matériel doit obligatoirement être accompagné d’un aval ce qui est toujours difficile à obtenir, nécessitant des techniciens correctement formés à ces tâches, ce qui aujourd’hui n’existe généralement pas au Tchad. Au risque de nous répéter, la mécanisation avec des tracteurs de 60 CV et plus, (en service de l’Etat) devient dramatique en raison d’erreurs dans le choix du matériel, du manque de formation des utilisateurs, des déceptions s’ensuivent et des gaspillages financiers s’ajoutent aux dégâts agro-écologiques.

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Figure 9 – Modèle de tropiculteur (CEEMAT, 1975).

Mais la mécanisation motorisée n’est toutefois pas à rejeter sans nuance. On peut se demander pourquoi ne pas faire immédiatement bénéficier le paysan des possibilités présentées par la motorisation. Il arrivera effectivement le moment où certains paysans ayant une structure d’exploitation suffisante auront les possibilités, individuellement ou en association, de s’équiper d’un tracteur non seulement pour travailler le sol mais aussi pour semer, pour effectuer les récoltes, transporter et épandre le fumier et transporter divers intrants. Alors l’équipement avec tracteur et ses accessoires culturaux à la taille des besoins pourra être envisagé. Un tracteur de 20 ou 30 CV sera au départ largement suffisant pour réaliser tous les travaux de l’exploitation. Mais au préalable après l’acquisition de compétences agronomiques, il sera fortement recommandé que ces paysans acquièrent aussi une compétence en mécanique. La solution à retenir est fonction de l’environnement général technico-économique, tant en ce qui concerne les équipements généraux envisagés que la compétence des utilisateurs des machines, 124

le tout étant donné par la rentabilité recherchée. Ici, spécialement pour des interventions motorisées, cette rentabilité dépend évidemment des rendements atteints dans les cultures et du prix de vente des produits récoltés et éventuellement transformés ou préparés. Aujourd’hui, ces conditions ne sont pas encore atteintes par l’agriculture locale. Les rendements sont insuffisants et les sols demandent une très nette amélioration en intrants, spécialement en matière organique. L’association agriculture-élevage reste une nécessité.

6.3. La place des forgerons Le forgeron est un acteur incontournable du monde agricole. Le paysan tchadien n’est absolument pas équipé pour réparer lui-même son outillage agricole. Le forgeron tient d’ailleurs une place particulière dans la société africaine (photo 48). Les mythologies ont élevé le forgeron au rang de personnage mythique ou divin. Le thème de la forge et de la métallurgie, considérées comme des arts qui relèvent du sacré, se retrouve dans différentes traditions y compris en Afrique. En Afrique subsaharienne, les forgerons sont toujours craints. Dans les sociétés paysannes, ils jouent un rôle important puisqu’ils produisent les instruments agraires et, dans les sociétés en expansion, les armes pour la guerre. Par le passé, on était forgeron de père en fils. Les forgerons formaient une caste, souvent regroupés dans un quartier du village. Mais petit à petit avec l’introduction des équipements comme les charrues, les brouettes et les charrettes, être forgeron est devenu un métier nécessitant une formation plus diversifiée. Au Tchad, des formations ont été dispensées à partir des années 60 par les Eglises mais aussi par le BDPA. Dans nos relations de terrain, nous connaissons un Maître-forgeron qui n’était pas issu d’une famille de forgerons et qui a été formé à Sarh en 1969. Il s’est ensuite installé puis est devenu formateur à Doba. Durant sa carrière, il totalise la formation de 550 jeunes forgerons. Au Tchad, les équipements agricoles importés représentent une faible part des équipements en service. La fabrication artisanale les ayant pris comme modèle, c’est elle qui assure le gros des fournitures aux paysans. Le forgeron devient ainsi le moteur de l’agriculture, c’est un maillon primordial de la chaîne car "sans forgeron, il n’y aura pas d’outils et donc pas de culture" (dixit Moussa Sakine, Maîtreforgeron, 2017). Les commandes de charrettes, de houes, de charrues, de haches, etc. sont fréquentes. Parfois, les paysans se regroupent et 125

demandent un "prêt" au forgeron qui leur fournit le matériel et qui sera payé après les récoltes. C’est un des rares "prêts" que peuvent avoir les agriculteurs tchadiens. Durant plusieurs décennies, des centres de formation, créés par l’AFDI, ont fonctionné à Sarh, Koumra, Goré, Donia, Doba et Bébedja. A Pala et dans les villages environnants, la formation était assurée par l’ONDR. Ils fonctionnaient d’une manière saisonnière, de février à avril, c’est-à-dire pendant les mois "creux" du point de vue agricole. La formation se faisait par étapes. Le futur élève s’adressait à un centre qui contactait un forgeron chargé de le former. L’élève commençait par coudre son propre soufflet (en peau de chèvre) qu’il emportera, par la suite, chez lui. Puis il apprenait à fabriquer un premier outil (une charrue par exemple). Il retournait ensuite au village où il travaillait en tant que forgeron durant un an. Ensuite, il revenait pour apprendre à forger un nouvel outil. Il emportait toujours les outils qu’il avait forgés. Ainsi, un formateur pouvait avoir, dans sa forge, 12 apprentis regroupés autour de quatre foyers. L’apprenti jouissait aussi d’un suivi de la part du formateur. Celui-ci le visitait dans son village chaque mois. Lors de ces visites, le forgeron formateur pouvait faire des sessions de recyclage pour quelques apprentis forgerons. A l’époque, les élèves forgerons cotisaient pour le groupement afin d’avoir accès aux formations. Mais depuis 2001 (selon nos informations), par manque de moyens (disparition des projets) il n’y a plus d’apprentis formés dans les centres et cela commence à se ressentir dans la profession. Il y a une forte demande en formation mais il manque de formateurs. Cela est d’autant plus préjudiciable qu’avec l’apparition de la motorisation, de nouveaux besoins de compétence sont absolument indispensables. Des "opérations forgerons" visant à la modernisation des ateliers (installation de l’électricité avec postes à souder) et la formation des artisans traditionnels à des techniques plus élaborées devraient être soutenues par des projets de coopérations bilatérales et des ONG. Le premier objectif étant l’émergence d’un secteur artisanal apte à assurer la maintenance de tous les équipements de la traction animale, ainsi que la fabrication d’équipements complets comme les tropiculteurs par exemple. Des réseaux d’artisans compétents (menuisiers associés aux forgerons) pour les réparations et les fabrications d’équipements de traction animale devraient se mettre en place progressivement à la condition d’avoir des centres de formation fonctionnels. Les réseaux d’artisans peuvent présenter l’avantage d’une capacité d’adaptation et 126

d’une flexibilité supérieures aux unités industrielles. La qualité de la fabrication peut être aussi comparable à la production des usines locales ou des outils importés lorsque les forgerons peuvent disposer de matériaux de bonne qualité (Lhoste et al., 2010). Enfin des unités de fabrication artisanale pourraient soumissionner à des appels d’offres et honorer des commandes importantes si elles disposent d’artisans qualifiés et des équipements suffisants de fabrication. Dernière minute : en ce début 2019, avec le financement de la coopération suisse, l’ONG ATADER a formé durant quatre mois 20 nouveaux forgerons-soudeurs, issus des villages autour de Doba. Il est possible que ce projet soit renouvelé en 2020 et 2021. Ce nouvel épisode dans la formation des forgerons est extrêmement important pour cette région.

Photo 42  Un cimetière de tracteurs dans un centre du PNSA (photo C. Mathieu).

Photo 43  Semoirs à arachide pour traction animale mis en vente par divers ateliers (photo C. Mathieu).

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Photo 44 – Charrette fabriquée à Doba, non fermée sur les côtés, un inconvénient pour le transport du fumier (photo C. Mathieu).

Photo 45  Charrette métallique asine fabriquée à Doba selon un modèle vu au Burkina-Faso (photo C. Mathieu).

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Photo 46  La charrue du tropiculteur Burundi (photo C. Mathieu).

Photo 47  La herse et la bineuse du tropiculteur, Burundi (photo C. Mathieu).

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Photo 48  Le forgeron, un maillon important du monde agricole (photo C. Mathieu).

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CHAPITRE 7 La gestion de l’exploitation

7.1. Qu’est-ce que la gestion d’une exploitation agricole ? "La conduite d’une exploitation agricole nécessite à la fois la maîtrise des techniques agricoles de production, des opérations comptables et de gestion, des techniques de vente... et tout cela dans un environnement très administré", telle est l’introduction du message des Chambres d’agriculture de France pour expliquer l’aide qu’elles peuvent apporter aux exploitants dans la gestion de leur entreprise. Mais qu’en est-il en Afrique où l’urgence est d’accroître les rendements ainsi que le revenu de l’exploitation ? Autrement dit, améliorer la gestion des exploitations par des méthodes appropriées. Les deux définitions suivantes de la gestion sont parmi les meilleures qui existent36 : ‒ "L’art des combinaisons rentables" ‒ "L’art de prendre des décisions" Sachant que le pouvoir de décision appartient en principe à l’agriculteur (mais comment prend-il ses décisions ?). La première étape commence par l’inventaire des productions actuelles et possibles dans l’exploitation et la région considérées. En même temps, il faut lister les contraintes qui limitent l’extension de ces diverses productions : ‒ le milieu naturel, contraintes sol et climat ; ‒ les structures, appareil de production : foncier, travail et capital disponibles ; ‒ la surface cultivable ; 36

Les principaux éléments décrits dans cette partie du chapitre sont empruntés au chapitre "économie rurale" du Memento de l’Agronome (1974).

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‒ les débouchés sur le marché, conjoncture des prix ; ‒ les caractères sociaux de la famille et du chef d’exploitation, âge, niveau technique, aptitudes à la gestion, nombre d’actifs... ‒ l’environnement social (coutumes et traditions). On cherche à rassembler les éléments nécessaires pour déterminer le plan de production qui apporte un revenu aussi élevé que possible. Il faut, en général, plusieurs années d’enregistrement pour aboutir à des normes suffisamment précises. Mais dans l’urgence – ce qui est le cas dans la situation présente au Tchad – une simple enquête permet de dégrossir les problèmes (revoir paragraphe 2.2 pages 47 à 57). Dans la recherche de l’amélioration optimale du revenu, il n’est pas toujours nécessaire de calculer un budget complet. Pour répondre à quelques questions urgentes, un budget partiel peut suffire : ‒ faut-il mécaniser l’exploitation ou conserver la culture attelée ? ‒ aurais-je intérêt à introduire du maraîchage irrigué ? ‒ que choisir comme matériel de culture attelée ? ‒ ai-je intérêt à remplacer 2 hectares d’arachide par 2 hectares de maïs ? ‒ quel assolement sera le mieux adapté à l’exploitation ? Pour résoudre ces choix, on réalise une balance comptable dans laquelle le solde créditeur ou débiteur est en faveur ou en défaveur de l’hypothèse. Il est nécessaire de faire des prévisions, des enregistrements, calculer les besoins de la famille. La comptabilité s’avère souvent compliquée car il y a des sorties qui ne sont pas monétaires : les besoins de la famille, le mil pour des cadeaux, pour des fêtes, pour rémunérer la main-d’œuvre. Mais cette méthode présente les avantages suivants : ‒ d’être rapide, simple et légère en calcul ; ‒ n’exige pas un très grand nombre de références ; ‒ de donner des réponses à de nombreuses questions simples. Elle est cependant limitée à des cas simples. Mais, à ce stade, a-ton besoin d’être plus complet ? Certes un budget complet permet un meilleur choix des productions, de déterminer l’effectif animal souhaitable, de mieux contrôler l’utilisation de la main-d’œuvre, de mieux envisager l’évolution des marchés et de faire un plan de trésorerie. Mais lorsqu’aucun plan de gestion n’est appliqué que par la quasi-totalité

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des paysans, il est très difficile d’introduire les premières notions indispensables à un premier démarrage de gestion. Aujourd’hui, il convient de proposer au paysan des méthodes qui permettent de prendre un ensemble de mesures (plan de production) parmi lesquelles il pourra choisir pour augmenter son revenu. Si l’importance des modifications le justifie, il pourra envisager d’améliorer : ‒ le plan d’assolement ; ‒ les plans d’investissement et de trésorerie ; ‒ le plan d’alimentation du bétail ; ‒ le plan d’organisation du travail. En fournissant des cahiers d’enregistrement aux paysans pour noter les entrées et les sorties en argent et en nature, on peut par l’exploitation de ces cahiers entamer des discussions avec eux et : ‒ publier des chiffres ; ‒ établir des modèles de "systèmes d’exploitation" ; ‒ animer des réunions de groupes avec des agriculteurs ayant enregistré et d’autres qui n’enregistrent pas mais se posent des questions ; ‒ organiser des visites d’exploitations qui peuvent montrer ce qui est fait et donner des chiffres correspondants. Une fois les investissements et les améliorations étant définies, il convient ensuite d’en contrôler la réalisation : c’est le but de la comptabilité et des enregistrements techniques, la gestion de l’exploitation devient alors une réalité. L’exploitation agricole est alors gérée comme toute autre entreprise. Si une méthode de gestion est appliquée à un groupe homogène d’exploitations, définie respectivement par la similitude des facteurs prépondérants dans la formation du revenu, le groupe ainsi déterminé peut être représenté par une exploitation-type ou "modèle descriptif" qui schématise la réalité et devient l’exemple servant d’objectif aux exploitations du groupe. Par la suite, l’ensemble des groupes homogènes d’exploitations d’une région agricole se présente alors sous la forme de "familles" d’exploitations-types, dont la connaissance constitue un élément de base des études d’économie régionale.

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7.2. Un carnet de terrain Au-delà des aspects techniques, les difficultés des agriculteurs du Tchad sont aussi de l’ordre de la planification et de la gestion globale de leur entreprise. D’une manière générale, l’agriculteur africain n’a pas de trésorerie. Il dépense son argent dès qu’il en a... souvent pour rembourser ses dettes. S’il manque de nourriture durant la période de soudure (la saison sèche), il n’hésite pas à puiser dans sa réserve de semences destinée à la prochaine saison. Lorsqu’un besoin urgent se fait sentir (maladie, deuil, achats scolaires,...), on vend vite un peu de bétail. Y a-t-il 5 % d’agriculteurs qui tiennent une comptabilité, nous n’en sommes pas certains. Certaines organisations, en particulier certaines ONG tentent, sur le terrain, de sensibiliser les paysans à cet aspect essentiel de la gestion mais sans support pédagogique concret, ils ont les plus grandes difficultés à pérenniser leur message. C’est pourquoi le coordinateur de l’ONG ATADER à Doba avec laquelle nous travaillons nous a demandé de nous attaquer à ce chantier – la formation à la gestion de l’exploitation -. C’est une de nos collègues Claude Rigot, alors professeur d’économie rurale dans une Maison familiale rurale, ayant déjà une expérience africaine et déjà bien rôdée à ce genre d’exercice, qui s’est investie dans ce programme. La première manifestation fut un séminaire de deux jours avec une séance sur le terrain ayant comme thème : "Comment expliquer aux paysans la nécessité d’une gestion de l’exploitation". Cette journée rassemblait les agents techniques d’ATADER, des présidents de groupements d’agriculteurs et une vingtaine d’agriculteurs invités. Une nouvelle fois, on put constater toutes les difficultés qu’avaient les paysans à économiser pour la saison suivante. Ils ignoraient ce qu’ils avaient gagné avec une culture ainsi que leurs besoins pour vivre et progresser. Si nous voulions entreprendre une formation sur ce sujet, le premier point à résoudre était la rédaction d’un support pédagogique à savoir un livret de terrain utilisable par le plus grand nombre, ce qui fut commencé à la mission suivante avec la participation des agents d’ATADER et quelques agriculteurs, rédaction avec vérification dans des exploitations. Un carnet de terrain avec tableaux, exemples et explications fut édité (figure 8), accompagné d’un cahier-fiches pour une durée de comptabilité simple de quatre ans. Nous avions ainsi les outils

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nécessaires pour commencer concrètement la formation des paysans à la gestion de leur exploitation. Ce fut notre collègue Guy Nadaud (retraité de l’ADASEA) rompu à cette pratique qui se chargea d’organiser la formation d’un petit groupe composé d’agents d’ATADER et de quelques agriculteurs dont certains avaient participé précédemment aux enquêtes d’exploitation (voir chapitre 2, pp. 47 à 57). Le déroulement de cette formation montra rapidement les lacunes concernant les événements saisonniers culturaux. Dans la première partie du cahier, on fait l’inventaire de l’exploitation avec les types de culture, le cheptel vivant, le cheptel mort, etc. Jusque-là pas de problème, mais dès qu’on aborde les éléments culturaux... ! Combien de sacs récoltés ? OK, mais sur quelle surface exactement (ne pas confondre corde et hectare !) et combien pèse un sac d’arachide coque ou de sorgho ? Combien ont été vendus ? Combien en a-t-on consommé en famille ? Combien ont été donnés en guise de salaire aux ouvriers lors de la récolte ? Se rappellet-on du prix des engrais ? Combien et à quel prix a-t-on vendu les cabris ? Autant de questions qui restent sans réponse ou avec des réponses très approximatives... On s’aperçoit que ce travail doit commencer par la prise de notes journalières de chaque événement (vente, achat, travaux, réparations,...) dans un simple cahier afin que chaque mois le paysan puisse faire une première synthèse et la reporter sur le cahier-fiches accompagnant le cahier de terrain. Mais même ce procédé est très difficile à mettre en place. On oublie facilement la prise de notes... ou le cahier disparaît ! Que contient le cahier de terrain ? Il commence par un préambule : (la gestion, à quoi cela sert ?) Voilà ce que nous disons : Grâce à votre exploitation vous devez gagner de l’argent et faire vivre correctement votre famille. Mais parfois vous vous plaignez que vous n’avez plus assez d’argent pour passer la période de soudure et/ou que vous ne gagnez pas assez d’argent avec votre exploitation. ‒ alors comment faire ? ? ? ‒ la gestion est un moyen de faire face à ces difficultés et d’éviter de trop s’endetter.

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Qu’est-ce que la gestion d’une exploitation agricole ? 1. Des objectifs à se donner. 2. Faire un ou des programmes et prévoir l’argent ‒ en prenant en compte ce qui vous entoure ; ‒ en prenant en compte ce que vous avez à votre disposition ; ‒ en prenant en compte les dépenses et les recettes de votre programme 3. Faire un choix et décider : est-ce que le programme prévu peut vous permettre de gagner de l’argent ? 4. S’organiser et mettre en pratique notre décision. 5. Evaluer ce que je fais : si cela va ou non. Donc il faut : ‒ Connaître l’argent dont on dispose tout de suite. ‒ Savoir si ce qu’on fait sur l’exploitation rapporte au final de l’argent. ‒ Savoir de combien d’argent la famille a besoin pour les achats de tous les jours. ‒ Savoir de combien d’argent la famille a besoin pour un investissement (les études des enfants, la construction d’une maison, etc.). ‒ Et regarder si l’argent qu’on va gagner est suffisant pour la famille, sinon il faudra économiser ou faire une autre production qui gagne plus d’argent. GERER c’est réussir à gagner de l’argent intelligemment donc il faut : 1. NOTER et se RAPPELER de ce que l’on fait : tenir les comptes. 2. PRÉVOIR ce que l’on doit faire et combien on peut gagner : planifier. 3. Pour GARDER son projet ou le MODIFIER : décider. Après chaque fiche est construite en trois étapes : 1. Explication. 2. Des exemples d’outils de gestion à utiliser. 3. Un exemple d’application. La première partie concerne la présentation de l’exploitation. Pour bien pratiquer la gestion, il faut avant tout maîtriser ce qui se passe aujourd’hui sur l’exploitation. Faire un inventaire de ce qui se fait, de ce qu’il y a sur l’exploitation. 136

La fiche s’intitule : Ce que je fais cette année sur mon exploitation (les cultures pérennes, les cultures annuelles, les animaux, le matériel, les bâtiments). A partir de cet inventaire, on commencera à noter tout ce qui entre et ce qui sort. Une remarque importante pour cet exercice : L’argent gagné grâce aux cultures est appelé ENTRÉES d’argent. Mais les entrées ne sont pas que de l’argent ! Exemple : on vous donne deux sacs de riz paddy : c’est une entrée. L’argent que la famille utilise pour subvenir à ses besoins et l’argent utilisé pour cultiver les champs sont appelés SORTIES d’argent. Mais attention, une sortie n’est pas que de l’argent ! Exemple : vous donnez un repas à votre main-d’œuvre venue récolter le coton, c’est une sortie qu’il faut compter. Ces notions d’entrée et de sortie non numéraire sont très difficiles à intégrer dans l’esprit du paysan tchadien. Après avoir déterminé l’argent que l’on gagne pour chaque culture, pour chaque activité, on peut établir le total pour l’ensemble des cultures et des activités. Mais on doit aussi connaître le montant des sorties, c’est-à-dire des dépenses de la famille, et les dépenses que l’on va faire pour entretenir l’exploitation, d’où l’intérêt de tout noter dans le cahier journalier. L’étape suivante dans le travail de gestion est le calcul des besoins de la famille, des besoins de l’exploitation (semences, aliment pour le bétail) et du disponible pour la vente. Les besoins de la famille ne se limitent pas seulement à la nourriture suffisante pour l’année mais également aux achats divers (habits, médicaments, école...). ‒ Aura-t-il récolté assez pour nourrir les siens ? ‒ Peut-il garder assez des récoltes pour les semences et le bétail ? ‒ Et quelle quantité de la récolte peut-il vendre ? Ces calculs amèneront le paysan à connaître le surplus de récolte pour la vente mais surtout à la bonne période lorsque les prix de vente seront les plus élevés. En travaillant de la sorte, un bilan financier peut être établi et il est alors possible d’envisager un début de trésorerie positive et d’établir un budget prévisionnel de l’exploitation. Le cahier de terrain se poursuit par une fiche regroupant tous les produits de l’exploitation, en rappelant qu’il existe plusieurs types de produits, qui proviennent : 137

‒ des cultures (pérennes ou annuelles) ; ‒ des animaux ; ‒ des services et des autres activités37 que les membres de la famille effectuent. Et d’année en année, on peut voir comment l’exploitation gagne de l’argent le plus facilement pour que l’agriculteur puisse faire son choix. Certaines activités permettent d’obtenir des gains importants avec peu d’efforts et peu d’investissement au départ. Et ce n’est pas forcément les cultures auxquelles on pense qui sont les plus rémunératrices. Avant les récoltes et/ou les ventes d’animaux, il convient de connaître le coût des dépenses pour les semences, les engrais, les aliments du bétail, et de la main-d’œuvre. Cela s’appelle des dépenses variables ou des coûts variables. Connaître le montant des dépenses pour une activité permet de savoir combien d’argent on va devoir dépenser pour être sûr d’avoir assez d’argent à disposition avant cette activité. Pour cela, on doit s’aider de ce qui s’est passé l’année précédente. Il faut donc noter toutes les dépenses réalisées culture par culture. Enfin, un certain nombre de dépenses seront considérées comme particulières : ce sont des dépenses que l’on appelle fixes. C’est par exemple des dépenses qui vont durer dans le temps ou bien ces dépenses existent même s’il n’y a pas d’activité. On ne les compte pas tout de suite dans le coût de production mais on doit aussi les connaître (exemple : la plantation de manguiers, ou l’achat d’un bœuf). C’est ainsi qu’on arrive au calcul de la marge brute. La marge brute permet de savoir si on gagne ou si on perd de l’argent sur une activité précise. On fait cette opération : Les produits relatifs à une activité moins les coûts variables de cette activité = la marge brute. Dans les opérations précédentes, on a calculé l’argent gagné grâce aux activités : les produits. Puis on a calculé l’argent nécessaire pour produire : les coûts variables de production. Après avoir calculé la marge brute pour chaque culture, on obtient, en les additionnant, la marge globale gagnée après une saison 37

De très nombreux paysans sont des double-actifs, leur épouse a parfois un petit commerce de bouche ou d’artisanat.

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agricole. Mais attention, à ce gain, il faudra enlever d’autres coûts : les coûts fixes pour obtenir le revenu. Ces goûts fixes de l’exploitation sont, comme leur nom l’indique, des coûts qui ne vont pas varier d’année en année. Ils ne dépendent pas de la production. Mais ils existent et il faut quand même les payer. Ainsi, même si l’agriculteur ne travaille pas pendant un an, il devra payer ces coûts fixes. Un coût fixe, c’est par exemple, la location d’un bâtiment, le coût d’entretien des outils, etc. Dans les coûts fixes, il y a aussi l’investissement de départ d’une production. Prenons un exemple simple : Un paysan achète 10 poules pondeuses pour un coût de 15 000 F CFA. Les poules vont vivre 4 ans en moyenne donc chaque année, c’est un coût fixe de 3750 FCFA durant 4 ans (ce coût reste même si tout le cheptel meurt la première année de production). Autres charges fixes, les coûts fixes de réparation (ou charges de structure) et les amortissements du matériel (l’achat d’une charrette par exemple qu’on amortit en 10 ou 15 ans). Prenons l’exemple d’une marge brute totale de 120 000 F CFA avec comme charges fixes : ‒ 3750 F CFA pour les poules ; ‒ 10 000 F CFA de coûts de réparation ; ‒ 15 000 F CFA d’amortissement d’une charrette ; ‒ Le revenu de l’année est de : 91 250 F CFA. Mais au revenu de l’exploitation vont se soustraire toutes les dépenses dues à la famille qu’il est nécessaire de connaître (en les ayant notées au jour le jour) afin de savoir s’il y a un problème d’endettement ou bien si un revenu positif permet d’envisager des investissements sur l’exploitation ou la constitution d’une trésorerie. Enfin il reste un inventaire à faire, c’est celui du patrimoine et de son entretien. Le patrimoine est composé des choses qu’on possède et qu’on utilise. C’est le logement, les outils, le vélo, les bœufs, de l’argent à la banque, l’argent que quelqu’un vous doit (les créances)... Avoir beaucoup d’outils, un vélo, une moto, c’est bien mais il faut pouvoir les entretenir. A quoi sert une moto si le moteur est en panne ? Le dernier point qui reste à surveiller est un point délicat puisque c’est celui des dettes et des emprunts qu’il faut rembourser chaque année et il s’agit de savoir si oui ou non le paysan est capable d’honorer ses remboursements. Point extrêmement sensible dans le suivi d’une exploitation. 139

Nous voudrions terminer par un aspect très important dans la gestion de l’exploitation à savoir celui du marché. Le revenu est obtenu grâce à la vente des produits. Pour dépasser le coût de production et rentabiliser la production, il faut savoir vendre à un bon prix. C’est une des choses les plus difficiles à réaliser pour nombre de paysans obligés de vendre immédiatement la récolte pour honorer des dettes contractées précédemment. Vendre à un bon prix nécessite de stocker un maximum de produits et s’informer sur les bonnes périodes de vente. Il faut donc bien choisir sa production. Il ne faut pas cultiver un produit quand il y a déjà trop de paysans qui le produisent sinon les prix s’effondrent. Sur le marché, les prix des cultures dépendent de l’offre et de la demande. Aussi, s’il y a beaucoup d’offres (juste après les récoltes) et pas beaucoup de clients, les prix seront très bas. S’il est possible de transformer la production, cela peut permettre de vendre le produit plus cher et donc de gagner plus d’argent. Il en est de même en variant au maximum les productions. L’agriculture connaît beaucoup de risques comme les maladies, les aléas climatiques. Si on varie les productions en faisant des ateliers ou des cultures différentes, on limite les risques. C’est d’ailleurs une des faiblesses de beaucoup de paysans tchadiens de ne pas varier leur production, en introduisant par exemple le petit élevage ou la bassecour dans leur exploitation. Sur le marché, on manque d’œufs, de poulets de qualité et de lait. Plusieurs niches sont à exploiter mais l’initiative manque terriblement. En conclusion, nous devons accompagner le paysan à réfléchir à quatre éléments essentiels : ‒ calculer la marge des différentes productions ; ‒ réfléchir au choix de l’outillage et de la mécanisation ; ‒ réfléchir à la valorisation, au prix de vente et aux débouchés des produits ; ‒ calculer les besoins en trésorerie (tout en choisissant les productions à cycle court ou à cycle long). Par ce carnet et les formations, nous avons enclenché dans la région de la Pendé un processus indispensable au développement. Malheureusement, notre initiative a rencontré peu de suivi. Il faudrait cependant poursuivre les formations afin de conduire à des modifications d’orientation et de comportement. Le changement des habitudes sera très lent et demandera obligatoirement un 140

accompagnement permanent. Malheureusement la faiblesse de ce dernier reste une des principales pierres d’achoppement du développement.

Figure 10  Première de couverture du fascicule "Carnet de terrain-gestion de l’exploitation agricole", édité par l’AFTPA, en 2012.

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CHAPITRE 8 Le coton, une filière en crise

8.1. Un peu d’histoire Le coton était connu des Grecs et des Romains, et le cotonnier (Gossypium sp.) était cultivé en Egypte dès le V e siècle avant notre ère. Mais sa culture paraît plus ancienne encore au Pérou et en Inde. Ce sont là, d’ailleurs, d’une part, l’Asie méridionale et, d’autre part, l’Amérique du sud, les pays d’origine des deux espèces les plus répandues en culture aujourd’hui. Le groupe asiatique est à fibres courtes et le groupe américain, cultivé, entre autres, en Afrique est à fibres longues. L’industrie en Europe s’est emparée du coton vers la moitié du XVIIIe siècle seulement alors qu’on recevait déjà des tissus de coton provenant de l’Inde. A la fin du XVIII e siècle, les pays de production du coton étaient le Proche-Orient, la Chine, la Guyane, le Surinam, la Guadeloupe, la Martinique, l’Inde, l’Egypte et le sud des Etats-Unis où dans cette dernière région la culture avait pris une extension considérable. Jusqu’à la guerre de Sécession, en 1860, les Etats-Unis étaient maîtres du marché du coton d’exportation : c’était le règne du coton – Cotton is King . A ce moment-là, l’Inde puis l’Australie et l’Egypte profitèrent habilement de la crise pour conquérir le marché. Le coton était déjà connu en Afrique et en particulier au Tchad avant la colonisation. Il avait été introduit par les Arabes et les Portugais. Sa culture occupait de très petites superficies comme culture de case en Afrique équatoriale. Il était plus largement cultivé dans les régions du Sahel où les populations musulmanes avaient l’habitude de se vêtir, ce qui alimentait une demande en textile. En revanche, les zones soudaniennes, au climat peu favorable au coton, n’étaient guère concernées par cette culture (Magrin, 2001).

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La création d’une filière organisée du coton au Tchad remonte à la présence française, mais n’intervient pas tout de suite. L’idée de développer la culture du coton remonte à la mission Lenfant de 1904. Mais dans les faits, il faudra attendre le lendemain de la Première Guerre mondiale pour que se réalisent les premières réalisations importantes. Les premiers essais sur 500 hectares remontent à l’année 1921 au bord du lac de Léré et au Mayo-Kebbi. Le système cotonnier qui se met en place au Tchad à la fin des années 1920, sous l’influence du modèle belge au Congo38, conservera ses principes initiaux tout au long du XX e siècle. L’administration coloniale encourage la culture du coton. La société concessionnaire cotonnière39 quant à elle bénéficie du monopole d’achat de la récolte sur l’étendue de sa concession, où elle est obligée d’acheter au moins 80 % de la production. Le prix d’achat du coton est fixé chaque année par le gouverneur puis après par le gouvernement du Tchad, en fonction des frais supportés par la société mais aussi des cours mondiaux. Le monopole, l’obligation d’achat, la fixation annuelle du prix par l’administration demeurent les éléments pérennes du système. Dans les années 1930 seulement 337 tonnes de coton-graine sont produites, vingt-cinq ans plus tard, ce sera 60 000 tonnes, chiffre qui va atteindre 100 000 tonnes en 1971, puis monter à 175 000 tonnes en 1975 et culminer à 263 500 tonnes en 1998. Après la Seconde Guerre mondiale, l’administration coloniale souhaite augmenter la production de coton dans le cadre de la nouvelle politique de développement des territoires coloniaux afin d’accroître les recettes fiscales pour faire face à l’augmentation des besoins de l’administration territoriale. Pour mener les études nécessaires à ce développement elle crée en 1946 l’IRCT et en 1949 la CFDT. Ainsi avec la création de ces deux organismes, on assiste à la mise en place d’un système d’encadrement d’autant plus indispensable que la culture du coton devient une culture obligatoire 40 et qu’elle était auparavant inconnue des paysans. L’encadrement expatrié et local (les boys coton ou surveillants de culture) va se densifier progressivement. Sur le terrain, les agents vont recenser les cultivateurs imposables (tous les adultes de 15 à 50 ans), en déduire le nombre de cordes à débrousser et accompagner les paysans dans les principaux moments de la culture (surtout les semis et les sarclages). 38

Les premières semences proviennent du Congo belge. La COTONCO fondée en 1929 puis la COTONFRAN en 1934. 40 Jusqu’en 1956. 39

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D’une façon générale, la culture du coton ne va pas modifier l’outillage agricole, qui reste limité à la houe (daba), la hache et la machette, excepté pour le labour avec l’introduction de la culture attelée, des bœufs tractant une petite charrue à un versoir fixe. Malheureusement, l’introduction de la culture attelée n’a pas été suivie par l’étude de la dégradation des sols à coton et de leur restauration par l’emploi des fumiers. En 1995, René Dumont note des rendements très faibles mais aussi "une ruine progressive des sols". Aujourd’hui, ces sols sont exsangues de matière organique et les rendements s’en ressentent terriblement. Mais les conditions écologiques de la zone soudanienne sont-elles vraiment favorables à la culture du coton ? Le coton "fils du soleil" (Capus et Bois, 1912) craint les pluies froides et persistantes et l’abondance des pluies à travers toute sa période de végétation, surtout après l’ouverture de ses capsules. Le sol doit être fertile, perméable et profond. La racine pivotante du coton atteint 30 à 50 cm et jusqu’à 1,20 m pour certaines variétés. Le meilleur sol est une terre meuble profonde argilo-calcaire ou argilo-limoneuse, riche en humus comme par exemple les alluvions du Nil ou du Mississipi ou les lœss d’Asie centrale. Le cotonnier préfère aussi un sol à pH de 6 à 7. Si les conditions climatiques du sud du Tchad sont très acceptables pour la culture du coton, il n’en est pas de même pour les sols, surtout en ce qui concerne l’acidité et le manque d’humus (tout particulièrement lorsqu’on ne restitue pas de matière organique via les fumiers !). Les rendements moyens actuels sont de 0,6 t/ha de cotongraine soit parmi les plus bas des pays cotonniers d’Afrique. Le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Mali et le Togo ont des rendements moyens voisins ou supérieurs à 1 t/ha, seuls le Sénégal et la Centrafrique ont des rendements moyens de 0,65 t/ha (Djondang, 2002). Si on analyse les rendements/ha depuis 1950 jusqu’en 2016, on part d’environ 0,3 t/ha de coton-graine jusqu’en 1964 pour atteindre 0,9 t/ha en 1984. Depuis les rendements n’ont cessé de diminuer pour varier actuellement entre 0,4 et 0,6 t/ha (Padacke, 2016) et cela malgré l’amélioration variétale et la fertilisation chimique pratiquée. Nous allons revenir sur cet aspect. Culture d’exportation pendant la période coloniale, avec l’indépendance, le coton est repris par les autorités nationales du Tchad comme base de développement du pays. A partir de 1960, une convention décennale est négociée entre la COTONFRAN rebaptisée 145

"Compagnie cotonnière Franco-Tchadienne" et l’Etat tchadien. Cette convention consacre alors la participation de l’Etat tchadien au capital de COTONFRAN à hauteur de 20 %. Le schéma de développement de la filière coton ne change pas. Il est toujours caractérisé par une implication importante de l’administration. La recherche et la vulgarisation relèvent de la compétence exclusive des services publics et les activités industrielles et commerciales sont exercées par la COTONFRAN. On compte alors environ 500 000 agriculteurs cultivant environ 300 000 hectares. A partir de 1964, le gouvernement marque un effort majeur d’augmentation de la production à travers l’augmentation de l’utilisation des intrants subventionnés (engrais, insecticides et appareils de traitement). En 1965, l’ONDR, chargé d’assurer l’encadrement technique des agriculteurs, est créé. Il assurera correctement son rôle jusqu’à la fin des années 1980 (voir chapitre 11, page 193). En 1966, la station de Bébedja devient l’unique station de recherches agricoles du Tchad. Enfin en 1968, une Caisse de Stabilisation des Prix du Coton (CSPC) aux producteurs est mise en place sous la tutelle du Ministère des Finances. Le rôle de la CSPC était de garantir et de stabiliser le prix du coton aux producteurs en finançant tout déficit d’exploitation de la société cotonnière. Mais après 10 ans de fonctionnement entre la COTONFRAN et l’Etat tchadien, pour le renouvellement de la convention, la COTONFRAN refuse d’augmenter de 1 F CFA/kg le prix d’achat du coton aux producteurs. A l’issue de ce différend sans issue, l’Etat tchadien rachète les actions de la COTONFRAN et crée la même année (29/10/1971) la Société Cotonnière du Tchad, la COTONTCHAD, société anonyme au capital de 600 millions de F CFA répartis entre les actionnaires à raison de 75 % l’ Etat tchadien, 17 % la CFDT, 2 % l’AFD et 6 % des banques (Padacke, 2016). Les villes qui s’égrènent de Léré à Sarh en passant par Moundou possèdent toutes un quartier industriel organisé autour de l’usine de la Cotontchad mais l’activité se limite à l’égrenage. Le travail du coton et la confection se font dans d’autres pays, les beaux pagnes, les wax, proviennent d’Europe, les tissus imprimés sortent des usines d’Abidjan, de Douala et de Kinshasa (Pourtier, 2010).

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8.2. De crise en crise En 1971, la nouvelle société COTONTCHAD signe une convention de prestation de services avec la CFDT et lance un vaste programme d’investissement de modernisation des 22 usines d’égrenage existantes et renouvelle le parc de camions d’une centaine d’attelages. En 1978, une huilerie-savonnerie est installée à Moundou. A partir des années 1980, on assiste à des épisodes de chute des cours mondiaux du coton 1984/85, 1992/93 et 1999/2000. Mais ces épisodes ne sont pas les seules raisons des crises qui secouent la COTONTCHAD. Celles-ci ont des origines cumulatives : les coûts élevés des intrants et des matériels agricoles, la faiblesse de l’encadrement des producteurs, la pauvreté des sols d’où la faiblesse des rendements, la vétusté de l’outil industriel due au manque d’investissement, de maintien et de renouvellement et surtout la mauvaise gestion interne de la société cotonnière. La première crise de 1984/1985 intervient lors de la chute brutale du cours mondial du coton, alors que le pays connaît aussi des troubles politico-militaires. Cette situation entraîne au total la fermeture de 12 usines d’égrenage, le licenciement massif du personnel, la vente de camions de transport et même de 3 avions, etc. A ce moment-là, l’ONDR se désengage des activités des intrants coton pour se concentrer (très difficilement) sur son rôle de conseil agricole. Son effectif d’encadrement baisse drastiquement (voir page 193). C’est à ce moment, en 1984 que l’IRTC est remplacé par le CIRAD. La deuxième crise de 1992/1993 intervient de nouveau suite à une baisse du cours mondial du coton. Dans un pacte signé entre l’Etat tchadien (l’actionnaire majoritaire) et la CFDT, celui-ci confie à celleci le redressement de la COTONTCHAD par la maîtrise des coûts, l’amélioration des services aux producteurs (paiement du coton, approvisionnement en intrants) et l’investissement dans l’outil industriel (usines, transport). En 1994, suite à la dévaluation du F CFA, les cours du coton remontent. Un nouveau projet, PSAP (Projet des Services Agricoles et Pastoraux) est créé pour assurer le suivi de la distribution des intrants et autres services de commercialisation. La production cotonnière augmente de 97 000 tonnes en 1993/94 à 263 000 tonnes en 1997/98 et la COTOTCHAD se porte mieux car bien gérée par DAGRIS 41 qui 41

DAGRIS ou Développement des Agro-Industries du Sud, acteur majeur de la filière cotonnière en Afrique qui succède à la CFDT.

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a déployé son personnel à des postes clés de la société. Mais le pacte signé précédemment prend fin en 1997 à la veille de la création de l’ITRAD en janvier 1998. En 1999/2000, une nouvelle rechute du cours mondial du coton rend encore vulnérable la filière cotonnière tchadienne mais ce n’est pas la seule raison. Il faut ajouter, après le départ de DAGRIS, la mauvaise gestion technique et financière de la COTONTCHAD, la faible productivité des producteurs, toujours en raison des problèmes d’intrants et des pratiques agricoles ; les revenus des producteurs deviennent de moins en moins incitatifs. Cette crise occasionne la signature d’un contrat de performance entre l’Etat et la COTONTCHAD préconisant l’acceptation des producteurs d’une baisse42 du prix d’achat du kg de coton-graine de 20 F CFA permettant ainsi de réduire le déficit prévisionnel de la COTONTCHAD de 3,7 milliards de F CFA, mais creusant un déficit d’exploitation de 6,6 milliards de F CFA en 2000/2001 (Padacke, 2016). Cette situation a obligé la COTONTCHAD à accepter la mise en place d’un plan de redressement. La principale mesure d’accompagnement de réformes sera la restructuration des organisations des producteurs de coton pour une meilleure conduite de la culture puis la séparation en 2003 entre l’huilerie-savonnerie et la COTONTCHAD par la privatisation de l’huilerie mais le disfonctionnement de la société privatisée oblige le gouvernement à la réintégrer à la COTONTCHAD en 2005. On peut se demander, à ce stade, si les cadres tchadiens sont capables de gérer des entreprises de cette importance. En 2004, le gouvernement organise un atelier national réunissant tous les acteurs de la filière 43 et les bailleurs de fonds44 pour réfléchir sur le mécanisme de sauvetage de la campagne 2004/2005. A l’issue des travaux, un prêt de 4,8 milliards de F CFA est octroyé à l’Etat, prêt rétrocédé à la COTONTCHAD, en partie pour financer des investissements. Mais le montant du crédit octroyé est resté bien insuffisant compte tenu des besoins réels de la COTONTCHAD, on est obligé de constater (maux récurrents !) : ‒ le mauvais état des pistes rurales depuis la fermeture de la Brigade routière en 1992 ; 42

Le prix du kg passant de 170 à 150 F CFA pour la campagne 1999/2000 Producteurs, COTONTCHAD, ONDR, ITRAD. 44 Banque mondiale, Banque africaine de développement, Union européenne, Fonds monétaire international, etc. 43

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‒ L’insuffisance de son propre parc pour la collecte du cotongraine ; ‒ la vétusté de son outil industriel ; ‒ l’insuffisance des intrants fournis à crédit aux producteurs. Toutes ces différentes crises successives, durant lesquelles la COTONTCHAD s’est maintenue grâce à des subventions de l’Etat a conduit celui-ci à la restructuration profonde de la société qui a abouti en 2012 à la création d’une nouvelle société COTONTCHAD SN (Société cotonnière du Tchad-Société nouvelle). Cette nouvelle société s’est dotée d’un projet d’entreprise/plan d’affaires au titre d’un programme de relance de la production cotonnière. De 2012 à 2016, la production amorce une hausse grâce à l’augmentation des superficies par rapport aux années 2005/2010 qui avaient vu une chute vertigineuse des surfaces cultivées ainsi que du tonnage. Le prix du kilo de coton/graine augmente également. Mais était-ce bien nécessaire du créer une nouvelle société cotonnière revenue totalement dans le giron de l’Etat ? Entré en récession faute de recettes pétrolières suffisantes, le Tchad n’a plus pu financer sa société cotonnière. La société nouvelle est arrivée au stade de ne plus être en mesure de fournir les semences et les pesticides ni de payer le coton aux producteurs à un prix raisonnable. En 2017, le coton-graine était de 220 F CFA le kilo contre 250 au Mali. En 2017, la production est tombée à 25 000 tonnes de coton-graine, elle a été divisée par six en deux ans ! (RFI, 02/07/2018). Dans une désorganisation totale, du coton s’est perdu ou n’a pas été égrené. Devant ce sinistre de la filière, après une année de négociations en coulisses, la firme Olam Internationale et le gouvernement tchadien sont parvenus à un accord relatif sur la privatisation partielle de la COTONTCHAD SN ; l’Etat tchadien céderait 60 % de sa participation à Olam et réserverait 5 % aux producteurs à titre gratuit, cette privatisation partielle permettant ainsi à l’Etat de garder un œil sur la gestion de la COTONTCHAD SN. Olam Internationale est une multinationale détenue par le Japonais Mitsubishi et un fonds souverain singapourien, déjà très active en Afrique dans l’agro-industrie qui s’est implantée au Tchad. Elle envisage un ambitieux programme de développement avec la production de coton graine pour un tonnage de 300 000 tonnes d’ici 2023 (aujourd’hui, 2018, la campagne est estimée entre 20 et 30 000 tonnes) ainsi que la construction de 3 nouvelles usines d’égrenage à 149

Kyabe, Doba et Gounou Gaya (RFI, 2018). Son arrivée au Tchad suscite beaucoup d’espoir, c’est un géant du coton, commercialisant un quart de la fibre africaine à elle toute seule. Mais les producteurs échaudés par de fréquentes crises reviendront-ils vers cette culture ? Aujourd’hui, c’est toute une filière de nouveau en crise qu’il faut relancer et motiver (une filière avec une dépendance croissante vis-àvis du marché mondial). Le coton reste en effet le troisième produit d’exportation du pays qui compte près de 400 000 producteurs potentiels alors que 3 millions de personnes dépendent directement des revenus tirés de cette filière. A la signature de l’accord, Olam Internationale s’engageait à payer la dette de l’Etat de la campagne 2016-2017 se montant à 12 milliards de F CFA et à les reverser aux cotonculteurs (dette en juin 2018) pour les convaincre à revenir vers la culture du coton, très fortement concurrencée par celle du vivrier. Mais dès la fin de 2018, la situation entre l’Etat tchadien et la multinationale s’est tendue. La Société Olam avait suspendu ses employés dans plusieurs usines d’égrenage et même l’achat du coton. Ainsi les producteurs de la région de Léré vendaient leur coton à la frontière camerounaise voisine. D’après les rumeurs, le souci se trouvait au niveau du contrat avec l’Etat tchadien. En janvier 2019, le Tchad annonce qu’il reprend 53 millions d’euros de la dette (environ 3,5 milliards de F CFA) selon un accord conclu entre le gouvernement et le groupe Olam. "L’Etat s’occupera du passif de la société et nous allons nous occuper du futur" déclarait alors le directeur général de la COTONTCHAD SN et représentant d’Olam au Tchad (commoafrica. com/16.01.2019). Mais dans un tel rapport de force, le pari d’une reprise de la production cotonnière est loin d’être gagné.

8.3. Situation des producteurs Depuis plusieurs décennies, les producteurs ont dû subir les aléas de la COTONTCHAD puis de la COTONTCHAD SN mais également les fluctuations des cours mondiaux. Dans cette zone cotonnière, il existait traditionnellement des groupements informels réunissant les membres d’une même famille ou des personnes ayant les mêmes affinités dans un but d’entraide ou de travaux en commun ce qui a facilité l’organisation des groupes cotonniers. A partir d’une approche non plus individuelle d’encadrement mais d’une approche de groupe en 1984, l’ONDR décide de constituer les associations villageoises (AV) sur la base de 150

groupements de producteurs. De structuration en restructuration des groupements, en 1992 les AV sont réorganisées en Mouvement Paysan de la zone soudanienne (MPZS) puis en 2000, une nouvelle restructuration aboutit à la création des comités de coordination locaux (CCL) pour lesquels un programme de quatre composantes est mis en place avec diffusion des informations, organisation, formation et suivi-évaluation. Mais la mise en œuvre de ce programme a été suspendue faute de moyens financiers. Que d’énergie toujours dépensée pour des résultats nuls faute de financement. En 2007, les CCL au nombre de 10 s’unissent pour se constituer en une structure nationale dénommée "Union Nationale des Producteurs de coton du Tchad" (UNPCT), structure qui participe, avec les autres acteurs de la filière, aux réunions de détermination des paramètres de la campagne cotonnière (fixation du prix du coton graine et des intrants), de dépouillement des offres des intrants et de préparation de la commercialisation du coton graine (Padacke, 2016). Mais l’UNPCT n’a pas toujours facile à se faire entendre. En 2015, le Ministère de l’Agriculture, grâce à un financement de la BAD, a relancé les activités des CCL en coopératives par l’intermédiaire de l’Association pour le Développement des Actions Communautaires au Tchad (ASSODACT) ; cette association a enclenché la mise en place d’un réseau de diverses structures coopératives des producteurs. Mais quels rôles ont pu jouer ces structures en substitution à l’UNPCT dans un environnement cotonnier en complète désorganisation ? Avec la nouvelle organisation de la COTONTCHAD SN, quel sera le rôle des OPA des producteurs ? A travers toutes ces périodes quels ont été les mécanismes de fixation des prix du coton graine ? En 1968, un mécanisme de fixation du prix du coton est mis en place dans le cadre du fonctionnement de la Caisse de Stabilisation des Prix du Coton (CSPC). En 1994, année de la dissolution de la CSPC, le prix du coton graine est de 90 F CFA/kg. En 1997, sur injonction de la Banque Mondiale, dans le cadre du programme d’ajustement structurel, le mécanisme de fixation de prix est déterminé à partir du cours international de la fibre mesuré par l’indice Cotlook A45. Ce mécanisme engage la COTONTCHAD à verser un différentiel positif de prix aux producteurs si le prix payé d’avance est inférieur au prix calculé ; au contraire, si le prix payé est supérieur au prix calculé, le 45

Indice Cotlook A : moyenne des cinq cotations boursières les plus basses de la journée prises dans 18 origines actuellement prises en considération.

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différentiel négatif constitue un manque à gagner pour la COTONTCHAD. L’application de ce mécanisme a donné des prix qui ont varié entre 150 et 194 F CFA pendant 14 campagnes (figure 11). En 2011, le mécanisme, jugé anachronique, a été déclaré caduc par les principaux acteurs de la filière, le prix est alors fixé sans référence, souvent décidé par l’Etat (Padacke, 2016). Il sera de 215 F CFA de 2011 à 2013 et augmenté à 240 F CFA de 2013 à 2016. Mais devant la difficulté de la CONTONTCHAD SN à payer ses arriérés, et pour sauver la filière, le gouvernement décide pour la campagne 2017-2018 de baisser le prix à 220 F CFA/kg, le prix le plus bas payé dans la zone cotonnière africaine. Une façon peu efficace d’encourager la reprise de la production au moment de l’arrivée d’Olam Internationale dans la filière.

Figure 11  Evolution des prix du coton graine en F CFA/kg de 1950 à 2016 (d’après Padacke, 2016).

Sur le plan international, il convient aussi de noter depuis dix ans la hausse des prix des intrants (engrais, insecticides), alors que le prix du coton graine ne cesse de baisser. La campagne 2011-2012 montre des excédents mondiaux de production. De 2014 à 2018, la Chine baisse drastiquement les importations et opère un important déstockage de ses réserves alors que certains pays sont en forte augmentation de production ; en Afrique c’est le cas de l’Egypte et de la Côte d’Ivoire. Peut-on espérer une reprise des importations chinoises dans un proche avenir ? 152

Au travers de la conjecture nationale (crises financières de la COTONTCHAD, périodes d’instabilité politique et de guerre civile) mais aussi internationale de ces dernières années (coûts des intrants, surproduction) les superficies et la production ont eu une évolution erratique jusqu’à ce jour. Des années 1950 jusqu’en 1998, la tendance générale fut malgré tout à la hausse pour atteindre la production moyenne à l’hectare de 780 kg/coton graine, la production moyenne mondiale à l’hectare étant de 800 kg/coton graine. A partir de là, on assiste à une baisse continue durant 10 ans pour atteindre en 2010, malgré quelques pics de reprise, un niveau plancher de 347 kg/ha, soit un niveau de production de celle des années 40 (Padacke, 2016). Avec la création de la COTONTCHAD SN, on assiste à une légère reprise grâce à une augmentation des producteurs (167 000 en 2010, 295 000 en 2016), des superficies (101 100 ha en 2010, 292 000 ha en 2016) et des rendements, avec 615 kg/ha mais encore loin des rendements moyens mondiaux et des autres pays d’Afrique. La cause principale de la baisse de la production est le faible rendement au champ (figure 12) renforcée par la baisse des superficies emblavées. Le faible rendement au champ s’explique par trois principaux facteurs : 1. L’épuisement des sols Il y a une surexploitation des parcelles sous l’effet d’une pression démographique grandissante, la disparition des jachères et l’insuffisance des engrais chimiques. Les éléments fertilisants essentiels NPKSB exportés annuellement par la culture du coton et les autres cultures ne sont pas restitués au sol. Les doses d’engrais conseillées ne sont pas respectées. Une étude de l’ITRAD, citée par F. Padacke (2016) a montré que la dose de 100 kg de l’engrais NPKSB (19-12-19-5-1,2) plus 50 kg d’urée par hectare conseillée depuis environ 70 ans n’est plus rentable et devrait être revue à 150 kg/ha plus le même complément d’urée. Mais la vulgarisation de cette nouvelle dose, d’ailleurs nettement inférieure à celle de 250 kg d’engrais par hectare (200 kg de l’engrais composé et 50 kg d’urée) pratiquée dans d’autres pays d’Afrique, n’est pas encore effective en milieu rural. La pratique des producteurs observée est plus critique ; les quantités des engrais utilisés en moyenne par ha au Tchad depuis 1996/97 à 2015/16 varient seulement de 1 à 79 kg pour le NPKSB et 0 à 26 kg pour l’urée. Mais si le coût réel des intrants pour le coton est 153

équivalent à environ 300 à 500 kg de coton graine, quel peut-être le revenu du producteur avec un rendement moyen se situant autour de 650 kg/ha (Béroud, cité par Djodang, 2002). 2. Le manque de fumure organique L’utilisation des engrais chimiques ne peut être efficace que sur des sols ayant une teneur minimale en matière organique (revoir page 85) et un pH supérieur à 5,5, mais rares sont les producteurs qui apportent du fumier au champ par manque de disponibilité, par négligence du ramassage quotidien, par manque de matériel de transport et... par manque de volonté. D’où l’urgente nécessité du développement de l’élevage à l’exploitation, de son intégration à l’agriculture (vivrière, mais aussi cotonnière). 3. L’insuffisance de l’encadrement des producteurs Il y a bientôt 40 ans, l’ONDR chargé de l’encadrement coton disposait de près de 1000 agents sur le terrain, le rendement moyen avec des sols non épuisés atteignait 900 kg/ha en 1984 (pourtant dans une période politique peu favorable). Aujourd’hui l’ONDR n’est plus sur le terrain et la COTONTCHAD SN qui devrait assurer le relais dispose d’un nombre très insuffisant d’agents (compétents) pour assurer l’encadrement de proximité souhaité.

Figure 12  Evolution des rendements au champ en kg/ha de 1950 à 2016 (d’après Padacke, 2016).

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La baisse des superficies est due au découragement des producteurs lié au dysfonctionnement de la société cotonnière avec comme conséquences les retards d’enlèvement du coton et du paiement du coton graine. Cette baisse conjuguée à celle des rendements à l’hectare entraîne aussitôt celle de la production totale. On pourrait également ajouter les aléas climatiques plus variables actuellement que par le passé, à savoir les diminutions ou augmentations importantes des pluies, et les épisodes secs plus ou moins longs. Ces perturbations plus fréquentes découragent aussi les producteurs. Nous ne pouvons cependant pas nous empêcher de rapporter une anecdote concernant le village de Kagroye où 92 % des paysans cultivent le coton, situation exceptionnelle relevée lors d’enquêtes en 2010-2011 (Rossignol et Mathieu, 2012), avec des rendements variant de 1,5 à 20 qx/ha de coton graine et une moyenne de 6,6 qx/ha, moyenne légèrement supérieure, à cette date, à la moyenne nationale. Le coton représente dans ce village 30 % de la surface cultivée. Après ce constat, nous nous devions de connaître la raison de l’importance de cette culture dans ce village. La réponse peut étonner mais montre la forte influence de l’autorité locale : le chef de village est un important producteur de coton et la grande majorité des paysans veut suivre son exemple. La transmission de messages, d’exemples, d’applications peut parfois trouver des relais parmi les responsables de proximité. Pour terminer ce tour d’horizon sur l’aspect technico-économique de la culture du coton, nous ajouterons une remarque sociologique quant à "l’argent maudit" du coton. Cette remarque rapportée par Magrin (2001) et faite par un responsable du BELACD de Koumra (1998), résume les possibles effets pervers de l’argent du coton. "La culture du coton fait beaucoup de mal, désorganise tout (...). Le coton se travaille neuf mois sur douze, on vend son vivrier pour avoir l’argent pour faire du coton. Puis on a une masse d’argent d’un seul coup, alors cela enivre. L’argent du coton, c’est l’argent de la fiesta, de la folie, on se réveille ensuite à zéro". Il serait ainsi l’archétype de l’argent qui brûle les doigts, l’argent qui mène à l’alcoolisme, aux dépenses inutiles et à l’endettement vis-à-vis des commerçants. Cette réflexion d’un cadre tchadien ne doit-elle pas nous convaincre une nouvelle fois de l’urgente nécessité de l’éducation à la gestion de l’exploitation. Le développement de l’agriculture est non seulement technique mais un tout où l’éducation socio-économique du paysan est un des piliers de sa formation.

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8.4. Demain, quelle perspective ? Premier producteur de coton en Afrique francophone des années 1960, ces dernières années, le Tchad se situe parmi les derniers pour le rendement au champ l’un des plus faibles du continent. Aussi quels rôles peuvent jouer les principaux acteurs de la filière pour améliorer la situation ? Les producteurs de coton doivent assurer la production individuelle du coton graine et la livraison de leur production à la COTONTCHAD SN à travers leurs organisations AV, CCL et UNPCT. Les relations entre l’UNPCT et la COTONTCHAD SN sont bonnes. Mais cette bonne relation "administrative" n’est pas suffisante pour relancer la production au champ et augmenter le revenu du producteur. Actuellement, l’amont de la filière est négligé et cet amont concerne l’itinéraire technique, à savoir une fertilisation correcte, à commencer par la fumure organique puis seulement après la fumure minérale. Ici le rôle de l’ITRAD est primordial. Un laboratoire d’analyses des terres et un service de conseils sont primordiaux. Sans ces outils indispensables pas de progrès possible ! La production des semences de pré base et de base n’est pas suffisante pour assurer des rendements/ha avoisinant les 800 kg/ha. Cette tâche pourrait être assurée par un service spécialisé indépendant et détaché de l’ITRAD. L’ONDR qui doit s’occuper de l’encadrement du monde rural dans son ensemble pour toutes les cultures agricoles, y compris le coton, doit être réorganisé par la création d’un service compétent chargé de l’appui technique aux producteurs à partir des recommandations de l’ITRAD. Toute la filière formation (ITRAD, ONDR, COTONTCHAD), inexistante aujourd’hui doit être pensée et organisée. Le rôle de l’Etat est engagé dans la survie de la filière Les plans de relance, avec l’introduction d’un nouveau partenaire (Olam internationale), ignorant l’aspect agronomique de la filière peuvent amener à court terme à une nouvelle déconvenue chez les producteurs et engendrer ainsi une énième crise alors que l’importance du coton pour le pays est incontestable à condition de prendre le problème par l’amont et non par la seule organisation administrative de la filière. Si le paysan est l’élément clé de la production du coton, c’est d’abord sa terre qui en est la source première. Une réflexion sur l’aval de la filière devrait également être envisagée par les responsables des affaires de l’Etat. Si la crise économique mondiale est responsable de la chute brutale de la demande du coton, pourquoi ne pas envisager l’option des marchés 156

nationaux et régionaux. A terme, l’alternative à la situation actuelle pourrait être la transformation du coton dans le pays producteur et la commercialisation des produits textiles sur les marchés locaux et régionaux qui représentent des milliers, voire des millions de consommateurs. A condition que les industriels obtiennent l’appui des banques nationales et soient compétitifs sur leurs propres marchés.

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CHAPITRE 9 Le maraîchage et l’agriculture périurbaine

9.1. Un nouveau chapitre agricole En dehors des productions en plein champ, à savoir les cultures vivrières, sorgho, mil, arachide, niébé, maïs, riz, manioc... avec ou sans traction animale, il est certain que de plus en plus une forte demande en légumes se fait sentir, ceci étant dû à une constante modification des habitudes alimentaires particulièrement dans les villes et les foyers urbains secondaires. A l’origine, avant la période coloniale, l’Africain avait près de son habitation un "jardin de case" (voir page 82) avec des brèdes, des plantes à sel, des gombos pour les sauces. Les rares légumes étaient le taro, la patate douce et la banane qui sont plutôt des féculents que des légumes comme la salade, la tomate, la carotte, etc. Ce sont les colons qui ont introduit pratiquement tous les légumes qu’on trouve aujourd’hui sur les marchés d’Afrique (citons : la salade, la tomate, la carotte, le chou, la pomme de terre, le navet, l’aubergine, etc.). Aussi petit à petit l’Africain a introduit ces légumes importés dans son alimentation puis s’est mis à les cultiver. Au Tchad, après l’indépendance et jusqu’à la fin des années 80, un encadrement d’agronomes expatriés s’est occupé, entre autres, de développer et de vulgariser le maraîchage dans les villages. Malheureusement, aujourd’hui, seules quelques ONG assurent très localement cet appui aux maraîchers. Le développement chaotique du maraîchage souffre, comme toute l’agriculture tchadienne, de la faiblesse (ou de l’absence) de l’encadrement du secteur agricole et également du très faible développement de la petite irrigation. Si de petits maraîchers se sont installés le long des rivières ou sur des terrains pouvant être alimentés par un puits, si de petits groupements se sont organisés, de nouveau tous ces maraîchers manquent cruellement d’une formation basique en 159

ce qui concerne la fertilisation et la protection phytosanitaire, ce que nous avons pu constater lors de nos formations sur le terrain. Le choix des productions est aussi un véritable souci de programmation. Toutes ces cultures de légumes débutent normalement à la fin de la saison des pluies, particulièrement les salades et les tomates. Comme les salades poussent rapidement, tout le monde commence par cultiver des salades et lorsque celles-ci ont 4 ou 5 belles feuilles, on les retrouve envahissant les marchés bien avant qu’elles aient formé un légume bien "tourné" et la concurrence aidant les prix s’écroulent. Il en est de même pour les tomates. Aucune réflexion sur la programmation des cultures, sur la gestion des parcelles, l’organisation du travail... Sachant que la saison pluviale focalise la majeure partie du travail agricole, dominé par les cultures de mil et de sorgho, bases de l’alimentation familiale, plutôt que de migrer durant la saison sèche pour un travail à l’extérieur de l’exploitation, le maraîchage peut devenir une diversion opportune pour augmenter le revenu familial, à plus forte raison si on peut disposer du fumier des animaux de l’exploitation. Aujourd’hui, beaucoup de légumes (choux, carottes, pommes de terre, navets, aubergines, etc.) viennent du Cameroun voisin. Qu’attendent les paysans tchadiens pour cultiver ces légumes en quantité suffisante ? Dans notre vulgarisation et soutien à la culture légumière dans la région de Doba, nous distinguons deux niveaux d’activité. Le premier est celui de la culture potagère pour l’alimentation de la famille et le second est l’activité de maraîchage qui consiste à produire des légumes à des fins commerciales. Nous reviendrons sur ces aspects en parlant de l’agriculture péri-urbaine. La production de légumes dans l’exploitation permet par l’autoconsommation dans la famille à une diversification et une amélioration de la diète alimentaire et par la vente une amélioration générale de la qualité de vie. Les revenus supplémentaires générés peuvent permettre à certains bénéficiaires d’acheter des céréales renforçant ainsi leur stock pour la période de soudure, d’agrandir leur cheptel en achetant des caprins et des volailles, de payer les frais de santé ou encore de scolarité. Aujourd’hui, le développement du maraîchage (un peu sporadique en dehors des centres urbains importants) est l’expression d’une dynamique endogène du développement. Il ne répond pas à une politique de promotion ou d’intervention de l’extérieur mais plutôt à la

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défaillance de la culture du coton et parfois des céréales46, à l’augmentation de la population dans les zones urbaines, au changement des habitudes alimentaires, et on pourrait ajouter à la raréfaction des terres disponibles 47 pour la culture pluviale. Malheureusement cette dynamique est freinée par plusieurs handicaps dont le premier est l’accès à l’eau. La pratique du maraîchage requiert une source en eau pérenne qui soit suffisamment accessible. Ceci afin de satisfaire aux travaux d’arrosage soutenu qu’exige une production de légumes durant la saison sèche. Pour satisfaire ce besoin, deux cas de figures se présentent. Le premier est l’installation du maraîchage au bord d’une rivière48 où l’utilisation d’une motopompe devient indispensable. L’acquisition de la motopompe est le premier frein à l’installation. Le second cas est l’accès à l’eau par un puits, on va puiser dans la nappe phréatique. D’une manière globale, la nappe phréatique est relativement accessible. A la fin de la saison des pluies, l’eau peut être à 2 ou 3 m de profondeur et à la fin de la saison sèche à 10-12 m. Mais pour un maraîchage commercial, l’acquisition d’une motopompe est également indispensable. Après, il faut s’équiper des outils indispensables à la culture (bêche, fourche, arrosoir, houe, râteau,...) (photos 49 et 50). Dans cette partie du Tchad, le problème de l’accès à l’eau n’est pas le problème essentiel, mais si l’Etat parvenait à mettre en œuvre des actions simples et efficaces pour gérer les eaux de surface et les eaux souterraines, cela leur permettrait d’obtenir de meilleurs rendements et d’étendre la production sur une plus grande partie de l’année. L’accès aux semences peut poser problème. Celles-ci sont généralement données ou subventionnées par le gouvernement et ses partenaires (FAO ou ONG) mais cela manque d’organisation. Les semences sont données à tous ceux qui les demandent sans faire de distinction. Ainsi, ce n’est pas ceux qui en ont besoin qui bénéficient de ces opérations, ce qui sous-entend qu’il existe des défaillances dans les circuits de distribution et des quantités de semences peuvent être gaspillées. Cette situation oblige les maraîchers n’ayant pu profiter des 46

Une année sur deux la production céréalière nationale est inférieure aux besoins de la population (problème climatique mais aussi faiblesse des rendements par manque de fertilisation et/ou de semences sélectionnées). 47 Si des terres sont encore disponibles en brousse, elles sont trop éloignées des centres d’activités, des villages pour être exploitées économiquement. 48 A Sarh et à Koumra, il y a des jardins individuels de décrue.

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semences sélectionnées à produire leurs propres semences pour un ou deux ans, ce qui n’est pas le plus recommandé. En maraîchage, les deux problèmes essentiels sont la formation et l’accès au crédit. Cultiver des légumes, ce n’est pas aussi simple que de conduire des bœufs au champ pour qu’ils pâturent. Comme nous venons de le rappeler, l’encadrement avec des moniteurs expatriés a disparu. Imaginez les maraîchers isolés et non formés dans les villages. Ils ne savent pas très bien quand et comment semer et planter. Faut-il ou non passer par une pépinière ? Comment faut-il utiliser les engrais et lesquels ? Les fruits et légumes Les fruits - La banane : disponible toute l’année ; - La mangue : disponible de mi-février à mai, très abondante, mal exploitée ; - Le citron : en forte demande ; - La papaye : peu commercialisée, demande beaucoup d’eau ; - La goyave : très demandée ; - L’avocat : en forte demande, mais arbre long à pousser (5 ans), demande beaucoup d’eau ; - Le karité : arbre qui ne produit qu’après 18 ans mais peut vivre 100 ans. La baie est consommée fraîche, l’amande donne le beurre de karité. Les bananes, citrons, papayes et goyaves viennent en quantité du Cameroun Les légumes sont en général très chers, la demande est permanente (toute l’année). Les plus demandés sont la salade, la tomate, l’oignon et les choux. Les pommes de terre viennent du Cameroun. Les condiments Cultivés par les femmes, ce sont les poivrons, le persil, l’ail et le gombo. L’offre est inférieure à la demande, surtout en décembre et janvier (période où le poisson est abondant). Restent très chers.

Les projets personnels nécessitent un important besoin d’encadrement. Des maraîchers confirmés (et il en existe) pourraient devenir des formateurs de qualité. « En recensant les maraîchers motivés, en les formant, en les suivant, on peut faire avancer le maraîchage » (Emile Behoutoum paysan-animateur ATADER à Doba, 2017). Quant au problème d’accès au crédit, nous y reviendrons dans le prochain chapitre. Après avoir développé et installé le maraîchage, se pose la question de l’écoulement des produits. Cet aspect manque complètement d’organisation. Chaque producteur (surtout les femmes) se déplace 162

chaque matin vers les marchés une bassine de légumes sur la tête, ou dans les bassins spécialisés (exemple pour le burbayo) s’installe au bord des axes routiers nationaux. L’organisation des filières n’existe pas. Non seulement, les maraîchers devraient se regrouper pour vendre leurs produits sur les marchés mais avoir dans les centres urbains une boutique communautaire pour avoir un lieu fixe de vente et des acheteurs réguliers, ainsi qu’approvisionner les restaurants. Il faut absolument éviter les grossistes qui achètent à bas prix et revendent bien plus cher. Une autre façon d’envisager le développement du maraîchage est l’organisation de groupements de maraîchers. Leur nombre reste peu important, la majorité des légumes vendus sur les marchés provient des jardins individuels. Le groupement est une association reconnue par tous ses membres respectant un code de participation et dirigé par un bureau exécutif, en évitant le recrutement d’opportunistes profitant des avantages du groupement sans participer à son développement. Si le maraîcher travaillant seul a beaucoup de choses à faire en dehors de son jardin, acheter les intrants, vendre les légumes, l’intérêt de se grouper est de répartir les tâches, faire les achats groupés (semences, engrais, produits de traitement, petit outillage) et ainsi d’obtenir des prix inférieurs aux achats individuels. Lors de la vente, un seul ou deux maraîchers peuvent organiser l’écoulement de toute la production. L’organisation peut également prévoir la production d’une grande variété de légumes et de satisfaire les acheteurs. Si le groupement fonctionne correctement, il lui est peut-être plus facile d’obtenir des crédits, ainsi que l’aide d’un moniteur en maraîchage venant prodiguer ses conseils sur la façon de travailler, de traiter les maladies et de cultiver de nouveaux légumes. Les exemples ne manquent pas (Issa, 2015). Les groupements pourraient également envisager la création de boutiques de groupements comme expliqué précédemment. Mais par expérience vécue le long de la Pendé (Mathieu, 2016) le fonctionnement des jardins communautaires exploités par un système coopératif est parfois défaillant par manque de compétence technique et/ou financière. Les échecs peuvent être rédhibitoires. Aux dires de nos interlocuteurs, c’est à Moundou que les groupements de maraîchers fonctionnent le mieux. A Pala, une ONG locale développe la filière maraîchère pour les jeunes de la ville à travers un projet coopératif de production installé dans les bas-fonds de la ville, en saison sèche. Cette activité contribue 163

non seulement à faire face aux dépenses familiales mais aussi à retenir les jeunes dans l’agriculture en les formant à un métier rémunérateur. Des séances de formation sont prévues afin de maîtriser les techniques pour une meilleure gestion des activités. La réussite des groupements est possible à condition qu’une volonté collective anime chaque participant.

9.2. Les jardins périurbains Si dans les pays occidentaux, l’étalement urbain est mal maîtrisé et les espaces périurbains font l’objet d’aménagements "naturels" (parcs de loisir, jardins maraîchers individuels), en Afrique, l’espace urbain et périurbain libre de construction peut devenir un milieu de production alimentaire. Les exemples de ce type d’utilisation ne manquent pas. Et une simple initiative peut avoir des effets d’entraînement exceptionnels. Nous prendrons l’exemple du projet JEEP en République démocratique du Congo, projet partenaire de l’Institut supérieur agrovétérinaire de Kimwenza près de Kinshasa, projet que nous avons très bien connu dans les années 1998-2000 (Mathieu, 2016). Dans les années 1980, dans la proximité immédiate de l’Université de Kinshasa, des étudiants et des professeurs créaient le village Kinduku (en lingala, Kinduku = amitié) ; en fait, il s’agissait d’un groupement pour développer la production d’aliments pour les étudiants. Petit à petit, par l’exemple, cette activité déborda le cadre initial du projet et s’étendit aux familles situées autour du site de l’Université. En 1989, sous l’impulsion de Jacques Paulus, jésuite et ancien professeur de biologie à l’Université de Kinshasa, le projet Kinduku fut transformé en " Projet Jardins et Elevages de Parcelle" ou projet JEEP. Le nouvel objectif fut une aide au développement pour l’autoproduction de jardinage et de petit élevage dans les parcelles familiales autour du campus universitaire puis dans les villages environnants et cela jusqu’à Kinshasa. Il s’agissait de valoriser un espace en réanimant une activité rurale sur des bases plus techniques, dans des parcelles jouxtant l’habitation, ayant une superficie moyenne de 20 m x 20 m. En 1989, le projet avait touché 2 500 parcelles (ou familles, une famille comptant en moyenne 8 personnes), trois ans après il touchait 7 000 familles et cinq ans après, 11 000 familles. En 2000, il était bien difficile de comptabiliser les superficies concernées. Les principales productions étaient le faux manioc, les légumes, le pois carré africain et l’avocat ; l’élevage comprenait le pigeon, le 164

canard, le lapin et le cobaye. Certaines familles arrivaient à vendre occasionnellement leurs produits sur les marchés de Kinshasa. Ainsi nous voyons qu’à travers une simple initiative mais une vraie dynamique de développement avec des objectifs clairs mais aussi un minimum d’organisation et d’encadrement, on peut créer une véritable agriculture non seulement périurbaine mais aussi urbaine avec ici comme exemple la capitale Kinshasa, cité rurale ! Aujourd’hui, ces activités informelles mais organisées développent des circuits très importants de produits vivriers et de petit élevage procurant les compléments indispensables à l’économie familiale. Dans les villages où nous intervenons, notre message est simple : dans chaque concession, devant chaque habitation, tous les mètres carrés de terre disponibles peuvent être utilisés pour cultiver des légumes. Nul mètre carré ne doit rester nu (photo 51). Avec une houe et un peu de compost, on peut commencer à cultiver quelques salades et quelques pieds de tomate. Dans les cours bétonnées, des récipients (bassins usagés, seaux percés, vases quelconques,...) remplis de terre peuvent aussi être utilisés pour les mêmes usages de culture. De telles utilisations peuvent être vues chez certaines personnes. Dans le Batha Est en zone sahélienne, l’ACTED a développé depuis 2014 un projet de maraîchage en sacs (photo 52) vu le peu de pluie reçue mais ayant l’accès à l’eau du fleuve. Ce maraîchage est principalement orienté vers l’alimentation quotidienne des ménages. Cette technique peut très bien être utilisée dans les cours des habitations de la région soudanienne. Le maraîchage urbain existe déjà depuis quelques années dans la capitale N’Djamena (Nazal et al., 2017). Evidemment cela ne se fait pas sans contraintes d’abord en amont concernant l’insécurité, le problème foncier (disponible ou pas) et l’accès à l’eau. En ce qui concerne la production elle-même, les limites sont toujours liées au faible niveau de technicité des maraîchers, aux difficultés d’approvisionnement en intrants, à la lutte contre les attaques des parasites et des maladies le long des rivières, aux dégâts causés par les hippopotames. Lorsque les Tchadiens nous parlent d’un manque de moyens pour cultiver quelques légumes, à partir du moment où ils disposent d’un puits et d’une houe, que leur manque-t-il encore pour commencer ? Faut-il encore qu’ils se retroussent les manches pour fabriquer du compost avec des déchets de cuisine et la cendre du foyer. Dans l’environnement périurbain, plusieurs d’entre eux ont des cabris et quelques volailles, une occasion pour enrichir le compost du fumier de ces animaux. Nous en profitons alors pour insister sur l’intérêt de 165

l’association du petit élevage et du maraîchage tout comme précédemment celui des cultures vivrières et de l’élevage bovin. Fautil aussi ajouter quelques outils comme un râteau ou un arrosoir ? Mais avec une grande boîte de conserve ayant le fond percé de petits trous, n’est-ce pas suffisant pour arroser les premières plantations ? Avec un peu d’imagination et d’intelligence, la personne intéressée par la production de légumes peut démarrer un petit jardin familial. Toutefois, nous pouvons regretter que l’INADES-formation49 qui produit des fascicules d’apprentissage agricole très bien rédigés n’ait plus les moyens d’atteindre toute la population rurale du sud. Pour la énième fois, nous ne pouvons que déplorer cette absence d’encadrement des maraîchers, à un moment où la profession devrait continuer à se développer et comme nous l’avons déjà dit permettre à une jeunesse rurale de trouver des emplois dans les bourgs et les villages plutôt que d’aller grossir la population désœuvrée des centres urbains et de la capitale.

Photo 49  Repiquage de salades sans outil... avec le doigt, le long de la Pendé (photo C. Mathieu).

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Par manque de moyens, l’INADES a fermé son bureau à Moundou. Il n’y a plus que le siège principal à N’Djamena, très éloigné de la partie sud du Tchad (voir page 196).

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Photo 50  L’arrosoir, premier outil du maraîcher, le long de la Pendé (photo C. Mathieu).

Photo 51  Parcelle de gombos en bordure de piste, Doba (photo C. Mathieu).

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Photo 52 – Culture de légumes en sacs en zone sahélienne, village d’Angatati, janvier 2017 (photo ACTED).

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CHAPITRE 10 Crédit et micro-crédit

10.1. Quelques rappels L’étymologie du terme crédit (participe passé du latin : "credere", croire) rappelle que l’opération est fondée sur la croyance par le créancier, que le débiteur sera à même de payer sa dette à l’échéance. Le créancier est donc "celui qui fait confiance" à un débiteur. Pour le créancier, l’opération donne naissance à une créance sur l’emprunteur, en vertu de laquelle il pourra obtenir le remboursement des fonds et le paiement d’une rémunération (intérêt) selon un échéancier prévu. Pour l’emprunteur, qu’il s’agisse d’une entreprise ou d’un particulier, le crédit consacre l’existence d’une dette et ouvre la mise à disposition d’une ressource financière à caractère temporaire. Le crédit suppose la confiance du créancier en la capacité du débiteur à honorer sa dette selon les termes prévus. C’est pourquoi, il n’existe aucun droit au crédit ; les prêteurs sont toujours libres de refuser un crédit, ce que rappelle souvent la jurisprudence. Avant d’accorder un prêt personnel, la banque (en France) va vérifier si l’emprunteur remplit bien les conditions d’acceptation. La condition d’acceptation la plus courante concerne les capacités de remboursement en démontrant à l’aide de divers documents et justificatifs (la feuille d’impôts par exemple) que l’emprunteur dispose des capacités nécessaires pour régler sereinement les mensualités. Généralement l’organisme de crédit demande davantage de justificatifs pour vérifier que les capacités de remboursement seront stables à long terme. En matière agricole, l’inventaire des biens fonciers, du cheptel mort et vif, ainsi que les revenus nets (marges brutes moins charge de structure) sont autant d’éléments pris en compte pour calculer avec précision les capacités de remboursement. 169

Il sera tenu compte également du statut familial, nombre d’enfants, qualité de propriétaire (biens fonciers) ou locataire. Ainsi l’organisme de crédit pourra évaluer si le dossier correspond ou non à ses conditions d’acceptation. En France, durant la seconde moitié du XIXe siècle, l’agriculture française peine à trouver des crédits à long terme, souples et bon marché. Plusieurs projets de création de banques de l’agriculture voient le jour, mais aucun n’aboutit. En 1884, une loi autorisant la libre association professionnelle ainsi que la formation de syndicats agricoles va permettre la création de caisses locales de crédit agricole. Dans les premières années, l’activité est d’abord exclusivement composée de prêts à court-terme. Il s’agit d’avances sur récoltes qui permettent aux agriculteurs de vivre mieux. Viennent ensuite les emprunts à moyen puis à long terme qui leur permettent de s’équiper, d’acheter du bétail. Cependant, les Caisses locales se trouvent vite confrontées à des problèmes financiers tels que le manque de capitaux ou les garanties insuffisantes des petits exploitants. L’Etat règle ces problèmes puis il impose à la Banque de France d’apporter des ressources au Crédit agricole. Une dotation de 40 millions de francs et une redevance annuelle de 2 millions de francs sont ainsi versées. Dès le début du XXe siècle, les caisses locales et régionales se multiplient. Chaque département est ainsi pourvu d’au moins une caisse à la veille de la Première Guerre mondiale. Cependant, l’Etat continue d’assurer les trois quarts des ressources et le prêt à court terme reste majoritaire. Après 1918, le Crédit agricole est sollicité pour financer le rétablissement d’exploitations endommagées pendant le conflit. Durant les années 1920, la banque continue de développer son maillage territorial et ses activités avec notamment l’ouverture des crédits aux petits artisans ruraux en 1920, le financement de l’électrification des campagnes ou encore le financement des collectivités publiques en zone rurale à partir de 1923. En 1926, la banque est rebaptisée Caisse nationale de Crédit agricole. La pyramide institutionnelle du Crédit agricole est ainsi achevée. Le maillage territorial se poursuivra jusqu’en 1945. Si le Crédit agricole en France (la Banque verte) a été créé pour que les agriculteurs puissent avoir facilement accès à des prêts à court, moyen et long terme pour se développer, cette banque a, aujourd’hui, 170

élargi ses activités à l’ensemble de la population par la création de services concernant l’épargne, l’immobilier, l’assurance, etc. Ce court rappel historique nous montre la nécessité de cette structure financière avec au départ l’aide de l’Etat pour fournir, principalement, l’appui nécessaire à l’agriculture. Mais si les banques viennent à refuser un crédit, existe-t-il un autre moyen d’obtenir un prêt ? Une des solutions est un prêt de particulier à particulier où les taux usuraires peuvent appauvrir plutôt qu’aider l’emprunteur, chose assez fréquente en Afrique, particulièrement dans le milieu rural. Une autre solution consiste à avoir recours au microcrédit. Le microcrédit est l’attribution de prêts de faible montant à des petits entrepreneurs ou artisans ou agriculteurs qui ne peuvent accéder aux prêts bancaires classiques par manque de garantie de remboursements évoqués plus haut. Il se développe surtout dans les pays en développement où il permet de concrétiser des microprojets favorisant l’activité et la création de richesses, mais il se pratique aussi dans les pays développés ou en transition. Sous certaines formes, le microcrédit est ancien. On peut trouver des antécédents dans la pratique du prêt sur gage, à taux faibles ou nuls des monts-de-piété (en Europe, dès le XVIIe siècle), les tontines50 en pays de développement, dans les mutuelles du crédit agricole et les banques populaires créées en Europe à la fin du XIX e siècle. Au cours du XIXe siècle, en France, le mouvement ouvrier organisé est particulièrement porteur des pratiques de crédit mutuel. Ce crédit exige une épargne préalable pour prêter de l’argent (encore appelé coopératives d’épargne et crédits -coopec-).Ce sont notamment les militants socialistes imprégnés des idées de Pierre Joseph Proudhon51 (1809-1865) qui les mettent en œuvre. Il y a le crédit qui n’exige aucune épargne préalable mais demande une garantie solidaire – d’un groupe de personnes en cas de non remboursement. C’est le système repris et développé par le professeur d’économie Muhammad Yunnus. En 1976, le professeur Yunnus crée la Grameen Bank ("Banque des villages"), organisme qui propose des prêts aux plus pauvres du Bangladesh. C’est la première banque qui a accordé des prêts à ceux qui ne possédant rien, ne pouvaient apporter 50

La tontine est le fait qu’un groupe de personnes cotisent pour donner un prêt à l’une d’elles et cela à tour de rôle. 51 Polémiste, journaliste, économiste, philosophe et sociologue français, partisan du mutualisme et du fédéralisme.

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des garanties matérielles. La moyenne des crédits accordés est de 20 à 40 euros. Lors d’une séance de travaux pratiques d’un cours d’investissement, Muhammad Yunnus propose à des étudiants d’interroger les fabricants de tabourets en bambou des plus proches villages. Les 42 femmes artisanes ont besoin de 27 dollars au total pour développer leur activité. Or toutes les banques refusent de financer un trop faible montant à des clients a priori insolvables. Yunnus déclare avoir eu honte de cette situation et prête la somme de sa propre poche. En permettant aux producteurs d’acheter d’avance le bambou sans subir les variations importantes des prix, ils réussissent à créer des emplois et à rembourser intégralement Yunnus. Dans les années 2000 la Grameen Bank a accordé des crédits à plus de 8,3 millions de membres. Pour la création de cette banque, il a reçu le prix Nobel de la paix en 2006. La Banque mondiale a recensé 10 000 institutions de microfinance dans 85 pays, au service de 130 millions de personnes pour un encours de 30 milliards d’euros. En janvier 2005, un rapport de la Banque mondiale a dressé un bilan positif. Le nombre de bénéficiaires y a été estimé à 500 millions (sur les 3 milliards de personnes pauvres). L’Asie et le Pacifique totalisent 83 % des comptes ouverts dans les pays en développement. Mais c’est toutefois en Amérique latine et en particulier en Bolivie que le système connaît son plus grand essor, faisant apparaitre ce pays comme l’un des plus avancés et des plus compétitifs de la microfinance (Wikipédia, 2018). Nous n’avons malheureusement pas pu obtenir des chiffres pour l’Afrique, sinon que le système est très développé, entre autres, en Côte d’Ivoire, au Ghana, Nigéria, Mali, Cameroun et particulièrement au Kenya. Et qu’en est-il au Tchad ?

10.2. Le microcrédit, une bonne ou une mauvaise alternative ? Reprenant les éléments développés par Boussard (2016) concernant la difficulté des paysans de se procurer du capital, deux raisons principales expliquent les réticences des banques vis-à-vis du financement de l’agriculture paysanne africaine. La première raison est le volume de chacun des prêts qui pourraient être accordés à un petit paysan africain est toujours très faible : c’est 100 euros pour s’acheter une bicyclette ou un âne, 50 pour une brouette... Pour une 172

banque traditionnelle, les frais de dossier sont les mêmes que pour prêter 100 mille ou un million d’euros !! Mais le second obstacle à l’utilisation du crédit pour financer des actions agricoles importantes, c’est l’incertitude des résultats, incertitudes sur la capacité de l’emprunteur à rembourser : ‒ le risque de malhonnêteté de l’emprunteur, celui-ci peut être un escroc et disparaître avec l’argent emprunté, ce qui arrive souvent ; ‒ le risque technique en agriculture : volume de la récolte, accident climatique, maladies des plantes et des animaux... dans la quasi-totalité des cas, chez des paysans n’ayant aucun capital ; ‒ le risque des prix : au moment des semailles aucun paysan ne peut être sûr de vendre sa récolte au prix espéré, et risque de concurrence d’agriculture subventionné. Aussi, les principes du "micro-crédit" permettent-ils de contourner ces difficultés, en facturant les dossiers, en pratiquant des taux d’intérêt élevés, en prenant certaines sécurités... ? Lorsque nous parlons des difficultés des paysans tchadiens pour obtenir un crédit afin d’améliorer leur exploitation, acheter une charrette ou une paire de bœufs ou des semences pour les prochains semis, très souvent, nos interlocuteurs en France nous posent la question de l’utilisation du microcrédit. Mais est-ce si facile que cela d’obtenir un microcrédit auprès d’un organisme ne pratiquant pas l’usure ? Ne tombe-t-on pas très vite dans la "zone rouge" de l’usure ? C’est le premier critère d’un microcrédit acceptable. Les taux d’emprunt d’actions de microcrédit sont en moyenne plus élevés que les taux d’emprunt traditionnels. Il n’est pas rare qu’ils soient supérieurs à 10 %52 par mois. Les institutions de microfinance les justifient par des frais et des risques élevés au vu de la vulnérabilité de la clientèle. Les organismes estiment offrir un accès à des crédits maîtrisables aux entrepreneurs actifs et innovants. Les taux élevés sont justifiés selon les cas aux coûts élevés de la main-d’œuvre importante (nécessaire à la sélection et au suivi des clients), les risques des taux d’inflation importants et les besoins en matériel informatique et autres biens (véhicules) importés qui gonflent les coûts de fonctionnement. 52

Une étude réalisée dans 14 pays d’Asie, d’Amérique latine et d’Afrique conclut que 76 % des taux d’intérêt pratiqués par les prêteurs locaux sont supérieurs de 10 % par mois et que 22 % dépassent les 100 % par mois (Baou, 2010).

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Si la microfinance peut jouer un rôle dans la lutte contre la pauvreté, elle doit d’abord répondre à certaines conditions concernant sa réglementation et la rentabilité des crédits de son organisation ce qui n’a pas toujours été le cas dans de nombreuses situations. Or le microcrédit ayant suscité un engouement général, il a attiré de nouveaux acteurs financiers, souvent d’anciens usuriers moins scrupuleux. Dans certaines situations, le microcrédit a surendetté les clients et l’image du secteur a sérieusement été écornée. A des taux d’intérêt élevés entre 20 et 40 %, le microcrédit est alors à priori compétitif sur les marchés financiers et intéresse un nombre croissant de banques, alors que les contrôles imposés par la loi restent faibles (Courrier international, cité par Wikipédia, 2018). Malheureusement, le succès remarquable du microcrédit des années 2000-2010, a entraîné, dans plusieurs régions du monde, des crises enregistrant des taux d’impayés massifs, provoquant une forte diminution de leurs activités (Maroc, Pakistan, Nicaragua et Inde). Un autre risque de l’utilisation du microcrédit est l’accumulation de crédits, non pas pour le développement d‘une microentreprise, mais à la consommation. Dans un reportage d’Envoyé spécial (France 2, 2009) (cité par Wikipédia, 2018), dans divers pays en développement, seules 22 % des entreprises seraient parvenues à développer une activité et à rembourser leur dette, les 78 % restantes accumulent les dettes, revendent leurs biens, leur terrain, leurs bijoux, certains vont jusqu’à se suicider. Une étude de Banerjee et al. (2015) portant sur une population de 11 000 ménages pauvres vivant avec moins de 1,25 $ par jour, conclut qu’une situation intéressante pour sortir de la pauvreté n’est pas le prêt d’argent mais le don sans demande de remboursement d’une petite somme d’argent (en cash) ou mieux le don de vaches, chèvres ou autres animaux de rente, de matériel, avec un accompagnement en début de programme, de la nourriture, des soins de santé, d’une formation aux compétences financières de base pour démarrer un processus d’épargne. Les auteurs estiment que le retour sur dollar investi est nettement plus élevé qu’avec le microcrédit. L’expérience fut menée en Ethiopie, au Ghana, Pakistan, Inde, Pérou et Honduras. Et nous ajoutons de nouveau le rôle des ONG et d’un encadrement compétent des familles, avec un accompagnement contre l’analphabétisme et à la gestion quotidienne des activités.

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10.3. Le cas du Tchad Le système bancaire au Tchad fonctionne comme toutes les banques du monde, c’est un commerce de l’argent et des titres. Il existe huit banques agréées par le gouvernement : ‒ la banque agricole et commerciale (capitaux tchadiens 50 %, capitaux soudanais 50 %) ‒ la banque commerciale du Chari (capitaux tchadiens 50 %, capitaux libyens 50 %) ‒ la banque sahélo-saharienne pour l’investissement et le commerce au Tchad (capitaux libyens) ‒ la Commercial Bank Tchad (capitaux tchadiens 62,50 % puis autres) ‒ l’Ecobank (capitaux Ecobank transnational 73,50 %) ‒ l’Orabank Tchad (capitaux Oragroup) ‒ la Société générale Tchad (capitaux Société générale Paris 40 %, capitaux tchadiens 20 % puis autres) ‒ l’United Bank for Africa Tchad (capitaux UBA 99,97 %). Si on regarde le classement général des 200 premières banques africaines53, aucune banque tchadienne ne figure dans ce classement. Dans le classement des quarante premières banques de l’Afrique centrale, la Commercial Bank Tchad est 14ème, la Société générale Tchad 23ème, l’Ecobank 25ème et l’United Bank for Africa Tchad 38ème, les autres banques ne figurent pas dans ce classement. Autre constat, aucune de ces banques n’est réellement tournée vers le monde rural. Ainsi la BAC (banque agricole et commerciale) affiche dans sa mission être "axée sur le développement basé sur l’agriculture, l’élevage et les affaires commerciales, ... offre une gamme complète de produits bancaires et un excellent service clientèle aux particuliers et aux entreprises... Nos opérations avec les entreprises se concentrent sur les très petites entreprises et/ou familiales, ainsi que les petites et moyennes entreprises. En effet, nous sommes certains que ces entreprises créent le plus grand nombre d’emplois et apportent une contribution essentielle aux économies dans lesquelles elles opèrent...". Où est l’agriculture dans ces programmes puisque "pour la masse rurale" termes de la BAC "Dans notre pays, l’accès aux produits bancaires aux populations rurales est quasi inexistant" ? 53

Selon Jeune Afrique, hors-série n° 49, 2018.

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Il existe bien un réseau de caisses d’épargne et de crédits autogérés (dont le partenaire institutionnel est le Ministère de l’Agriculture et de l’Irrigation) avec comme objectif... de développer un réseau... permettant aux populations rurales et urbaines d’accéder à des services financiers de proximité adaptés à leurs besoins (épargne et crédit)... Mais qu’en est-il réellement ? Avant 2010, la microfinance au Tchad a connu un développement quasi exponentiel, avec l’apport des agences de développement multilatérales et bilatérales, des fondations ou encore d’importantes ONG pour environ 75 % des engagements, le reste provenant de la Banque africaine de développement et le Fonds international pour le développement agricole. Début des années 2000, avec le développement de la microfinance de nombreux acteurs publics et privés ont vu le jour et développé leurs activités (Baou, 2010) : ‒ des coopératives de financement ; ‒ des agences de voyage et des opérateurs de téléphonie mobile ; ‒ des prestataires spécialisés en microfinance, bureaux d’études et ONG ; ‒ des bailleurs de fonds et autres partenaires : FIDA, CARITAS suisse, Intermon-Oxfam, Banque mondiale, PNUD, Union européenne ; ‒ des banques, Ecobank et Financial Bank Tchad (aujourd’hui Orabank Tchad); ‒ une cellule technique du Ministère des finances. En 2006, le Président de la République voulant faire de son mandat (2006-2011) celui du social crée le Ministère de la Microfinance et de la Lutte contre la Pauvreté. Durant les premières années d’existence de ce Ministère (2006-2011), l’Etat lui a alloué trois milliards de F CFA par an. Près de 6 300 projets ont été financés. Le recouvrement des crédits au taux d’intérêt de 3 % avec un délai de 8 mois (10 mois pour l’élevage) n’a été que de 20 % ! D’où le changement d’orientation du Ministère vers d’autres actions, comme l’encadrement de la microfinance. Ce ministère a disparu en 2016 pour être ramené à une cellule spécialisée du Ministère des Finances. Malgré tous les efforts pour résoudre les problèmes de paupérisation des populations rurales, la pauvreté persiste. La microfinance joue-t-elle vraiment son rôle de tremplin pour sortir de la 176

pauvreté, tout en tenant compte des risques rencontrés par les populations à faible revenu ? Une maladie, le décès d’un membre du ménage (apporteur principal de revenu ou non), un accident, une catastrophe naturelle peuvent déstabiliser durablement une famille toute entière. Une situation de crise importante, des dépenses bien au-delà de l’épargne accumulée, peuvent avoir un impact décisif sur la famille, l’obliger à se surendetter, vendre une partie de l’outil productif, compromettant parfois plusieurs années de travail et d’épargne. Un service d’assurance permettant de faire face à ce genre de crise, pourrait être alors un outil complémentaire cohérent. Pour minimiser tous ces risques, en accompagnant la microfinance, l’Etat devrait : ‒ assurer la sécurité sociale de la population ; ‒ créer un fonds de garantie pour les microcrédits, le fonds produisant des intérêts qui pourrait compenser les prêts non remboursés ; ‒ défiscaliser la micro-assurance, les établissements de microfinance devant plutôt être subventionnés. Etant donné que les banques locales disposent des liquidités, pourquoi ne devraient-elles par financer les établissements de microfinance (EMF), afin qu’ils desservent les populations rurales. Un fonds de garantie pourrait être créé par les bailleurs de fonds pour assurer ce refinancement. Les petits entrepreneurs eux-mêmes pourraient s’associer pour créer un établissement de microfinance et évoluer ainsi vers la création d’une banque. N’y aurait-il pas là, un vaste "nouveau marché" pour la micro-finance ? Mais le taux de pénétration des banques classiques est très faible au Tchad : seulement 5 % de la population urbaine a accès aux banques. On peut dire ainsi que 95 % de la population active restent de potentiels demandeurs des produits et services de la microfinance. Et le taux de pénétration de la microfinance est encore plus faible en zone rurale : 3 %. Ce qui veut dire qu’il y a d’autres contraintes qui échappent à l’étude du marché. Certaines pesanteurs socio-culturelles interdisent à une couche importante de la population tchadienne de faire partie de la clientèle des établissements de la microfinance. C’est le cas des prêts à intérêt dans le milieu musulman où l’implantation du microcrédit est très faible (presque toute la partie septentrionale du pays). Il y a également le poids de la tradition dans 177

certaines régions qui font que très peu de femmes adhèrent aux établissements du microcrédit. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de besoins dans ce domaine. Et les besoins des populations rurales sont croissants pour principalement : ‒ des crédits de campagne pour financer les cultures (coton, céréales, riz, sésame, arachide, etc.) ; ‒ des crédits d’équipement en matériels agricoles ; ‒ des crédits de commercialisation des produits agricoles, du bétail et des produits maraîchers ; ‒ des crédits aux femmes pour les différentes activités génératrices de revenus de transformation et de production ; ‒ des crédits de consommation (habitat, biens de consommation, scolarité des enfants). Mais au lieu que les banques et les établissements de microcrédit s’entendent sur le refinancement nécessaire pour financer ces groupes cibles, ils préfèrent opérer chacun de leur côté. Les informations détenues par les uns ne sont pas connues par les autres. Ce qui fait qu’il y a des clients qui prennent des crédits pour rembourser d’autres crédits ou qui prennent simultanément plusieurs crédits (Baou, 2010). C’est ainsi que se posent, entre autres, des difficultés de remboursement. Pourtant si avant 2010 l’impact de la microfinance sur la population tchadienne a été tout à fait positif, comment en est-on arrivé à plusieurs faillites des établissements de microcrédit ? Les causes principales sont connues, il s’agit du non-remboursement des crédits et la mauvaise gestion des établissements. Des agents de crédit se sont eux-mêmes octroyés des crédits sans pouvoir les rembourser. Des crédits de complaisance ont été donnés aux parents et amis. Une autre situation est l’instabilité économique. Certains bénéficiaires ayant de la bonne volonté ont vu leurs affaires péricliter. Ainsi, lorsque la fonction publique fait grève plusieurs mois, le pouvoir d’achat diminue entraînant une dépression sensible. Les prix baissent y compris les produits agricoles, ce qui entraîne une crise économique et le non-remboursement des crédits, à commencer par les paysans. Certains établissements ont eu aussi des problèmes de trésorerie dus au non-respect des engagements pris par les coopérateurs ajoutés à la concurrence sévère dont ils ont été victimes. D’autres causes ont été l’octroi abusif des crédits (et leur non remboursement) en même temps 178

que l’utilisation de fonds importants à la construction des sièges. Lorsque par exemple, les épargnants de ces établissements (Projet d’entreprises54 privées, Tchad-Solutions55, Union Régionale des Coopératives d’Epargne et de Crédit) n’ayant pas reçu leur salaire se sont mis à faire recours à leur épargne pour inscrire leurs enfants à l’école, la crise s’est très vite développée. Les crises ont été telles qu’il est aujourd’hui très difficile de convaincre les gens d’épargner dans un établissement de microfinance. Dans la zone CEMAC, et dans le cadre de la COBAC, une cellule technique chargée des établissements de microfinance (CT-EMF) a été créée en 2002 ayant pour tâches diverses : ‒ d’étudier et de traiter les dossiers d’agrément des EMF avant leur transmission à la Commission Bancaire de l’Afrique Centrale (COBAC) pour avis conforme ; ‒ de préparer les projets de textes d’application de la réglementation relative à la microfinance ; ‒ de faciliter les relations entre la COBAC et les EMF d’une part et le système bancaire et les EMF d’autre part ; ‒ d’organiser les réunions d’information à l’attention des dirigeants des EMF ; ‒ de constituer une banque de données des EMF ; ‒ d’effectuer des missions de supervision et de surveillance des établissements de microfinance en veillant au respect des normes techniques et réglementaires, de vérifier leur organisation et leurs activités. Mais compte tenu du nombre très insuffisant des cadres des organismes de contrôle, les missions sur place n’ont pas été effectuées systématiquement, alors que les problèmes de gestion dans ce secteur sont très nombreux. Les efforts de redressement n’ont pas été à la hauteur des crises "micro-financières" (Baou, 2010). En 2010, l’auteur suggérait une solution intermédiaire entre les banques classiques et les EMF qu’il appelait la "microfinance intégrée". Pour que la microfinance se développe, il faut avant tout réactualiser sa formation et son contrôle par un organe national pourvu en cadres suffisants et compétents centralisant tous les renseignements sur les EMF du pays, organe sous la surveillance du Ministère des finances. Le regroupement en groupes d’épargne et de crédit en entités 54 55

Etablissement disparu. Idem.

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de taille moyenne ayant des capacités financières et techniques accrus est recommandé. D’après Baou (2010), les problèmes de micro-crédit et du crédit en général ne seraient pas liés à l’absence de liquidités mais plutôt au manque de garantie. Aussi pourquoi l’Etat ne mettrait-il pas à la disposition des banques des fonds de garantie à un certain taux ? Les fonds bloqués produiraient des intérêts. L’Etat prêtant à une banque à un taux d’intérêt de 5 %, cette banque à son tour octroyant des crédits à un taux d’intérêt de 10 % ; à la fin de l’année une partie des intérêts ainsi produits pourraient couvrir certains dommages subis par la banque. Au lieu de financer les producteurs qui se retrouvent avec leurs récoltes sur les bras, parfois sans débouchés ou à des prix dérisoires, il faut encourager le financement de la transformation, de la conservation jusqu’au circuit de distribution. Il faut aussi soutenir les entreprises qui travaillent les produits locaux comme le miel, l’huile végétale, l’élevage des poules pondeuses pour réduire la dépendance aux produits importés. Pourquoi octroyer des crédits aux femmes qui achètent des pagnes et autres vêtements au Nigéria, Bénin, Togo et Sénégal, l’argent partant ainsi à l’extérieur. Ce qui reste au pays est la seule marge bénéficiaire qui est d’ailleurs très minime. Le développement commence par la consommation des produits locaux. Le pain pourrait être fabriqué à base de manioc et de maïs au lieu de blé. Un autre aspect est le plafonnement du taux d’intérêt. Avec des intérêts réduits, le pauvre a la facilité de rembourser sa dette mais cela limite la rentabilité des EMF, ce qui réduit sa marge de manœuvre et augmente les risques de grande difficulté d’où l’intérêt de regrouper les petits EMF. L’attribution des crédits aux groupements et aux associations semblent plus intéressants et rentables s’ils financent les moyens de production. Ils comportent aussi moins de risques puisque la caution est solidaire. Si l’un des membres du groupement n’arrive pas à payer, les autres paient à sa place. Mais si un ou deux membres travaillent moins, ils vont tirer les autres vers le bas. En 2014, Akinwuni Adesina, ministre de l’agriculture du Niger, lors d’une conférence internationale à Nairobi 56 rappelait que l’Afrique devrait être un exportateur de produits agricoles, alors 56

Cité dans Spore n° 172 (2014) CTA, p. 14

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qu’elle importait environ 26 milliards d’euros par an rien que pour ses importations alimentaires et soulignait les insuffisances de l’irrigation, des infrastructures, l’ampleur des pertes après récolte et surtout, le manque d’accès au crédit.

10.4. Vers d’autres alternatives Si le micro-crédit peut aider des paysans n’ayant pas accès au prêt ordinaire des banques, celui-ci reste un outil de financement acceptable s’il est géré correctement. Mais pour aider à sortir des difficultés inhérentes au cycle de production-vente, n’existe-t-il pas d’autres moyens plus attractifs ? Nous avons déjà cité l’exemple étudié par Banerjee et al (2015) montrant l’avantage de l’aide directe par don sans demande de remboursement à la condition d’un suivi et d’une aide à la formation aux compétences financières. Les financiers doivent mieux communiquer avec les agriculteurs et ceux-ci doivent mieux comprendre et connaître les produits agrofinanciers qui leur sont accessibles par des formations proposées par les banques et les EMF. Mais ne faut-il pas aller vers une approche globale associant les prêts à des services contribuant à protéger le portefeuille de la banque tout en aidant ses clients à accéder au crédit et à renforcer leur capacité de remboursement. C’est ce que proposent les entrepôts certifiés qui se développent dans plusieurs pays africains 57 (et pourquoi pas au Tchad ?). A cause des incertitudes accompagnant les facteurs externes tels que la sécheresse et/ou les inondations qui rendent l’investissement risqué, les banques africaines (et au Tchad) sont réticentes à financer les activités liées à l’agriculture, d’où la raison première du microcrédit. Nous venons d’en voir toutes les difficultés. Or, pour rémunérer correctement le paysan, pour qu’il puisse vendre au bon moment et au meilleur prix, il faut structurer et organiser le marché. Certains pays africains l’ont bien compris (Spore hors-série, 2013). Un commerce structuré des produits agricoles se développe, avec l’intervention des banques de l’Etat à degré variable (routes, aide à la création d’entrepôts, cadre juridique, ...), sans

57

En Afrique du sud, Ethiopie, Kenya, Madagascar, Malawi, Ouganda et Tanzanie.

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interventionnisme (sous peine de mettre en situation délicate principalement les producteurs). Ces entrepôts certifiés sont des sociétés de négoce de marchandises agricoles où l’agriculteur dépose ses récoltes (maïs, sésame, riz, ...) avec une garantie de protection contre les ravageurs et où l’entrepôt peut vendre des volumes importants au moment où les prix sont les meilleurs. Les systèmes d’entrepôts certifiés délivrant des récépissés d’entrepôt offrent aux banques des solutions de financement et de garanties qui facilitent et sécurisent les échanges. Pour les agriculteurs, ces systèmes réduisent les pertes après récolte en leur offrant des installations de stockage sures et certifiées en leur permettant de surmonter leurs perpétuels problèmes d’obtention de crédits. Le récépissé d’entrepôt (figure 13) est un document qui garantit l’existence et la disponibilité d’une quantité et qualité données des denrées stockées. En donnant au déposant un récépissé d’entrepôt, l’exploitant de l’entrepôt a l’obligation légale de les mettre à la disposition du déposant à une date ultérieure et avec le récépissé l’agriculteur peut l’utiliser comme garantie pour obtenir un emprunt à court terme jusqu’à 60-70 % de la valeur du stock. Au moment de l’achat, l’acheteur paie la banque qui garde le coût du prêt et les intérêts, paie l’exploitant de l’entrepôt et rend le solde à l’agriculteur. Même après ces déductions, le déposant bénéficie (en plus du crédit immédiat) d’un meilleur rapport que s’il avait vendu les denrées juste après la récolte. Dans ce système, cela implique que les banques acceptent d’attendre que les agriculteurs aient vendu leur récolte avant de commencer le remboursement des emprunts. Pour reprendre un slogan en cours au Burkina-Faso : "Une banque des paysans aux conditions des paysans". Mais dans un système parfaitement rôdé, la banque va travailler avec ses réserves en étant garantie du remboursement. Dans cette organisation financière, la banque devrait également aider les agriculteurs à se constituer petit à petit une trésorerie pour pouvoir envisager une amélioration et un agrandissement de leur outil de travail. Peut-on espérer ou souhaiter au Tchad la transgression du micro-crédit vers ce type d’entrepôt certifié, assurant un système plus confortable des crédits pour les agriculteurs ?

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Figure 13  Le financement sur stock dans un système règlementé (d’après Spore hors-série, 2013).

Si les circuits de production peuvent être correctement organisés, la contractualisation peut sécuriser le revenu des agriculteurs en assurant un débouché à leur production, à un prix fixé à l’avance, tout en garantissant à l’entreprise acheteuse un approvisionnement en quantité et en qualité. Mais cela demande une relation de confiance et de parfaite organisation entre l’entreprise et les producteurs. Pour développer ce système, cela passe par la mise en place, par l’entreprise, d’une diversité de services (assistance technique – donc formation – fournitures d’intrants, prêts de campagne, ...) incitant les producteurs à respecter leurs engagements contractuels de livraison. Mais aussi par une meilleure valorisation des productions et un partage plus équitable de la valeur, via la mobilisation d’organisations de producteurs compétents et l’élaboration de contrats suffisamment souples pour s’adapter à la volatilité des prix (Debar, 2018). 183

L’agriculture contractuelle est certes, plus contraignante que le système d’entrepôts certifiés, mais avec un cadre réglementaire imposé par le gouvernement, elle permet un bon fonctionnement des marchés du crédit, des intrants et des produits agricoles, tout en intégrant des petits producteurs dans des filières performantes et durables.

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CHAPITRE 11 Les formations agricoles, la recherche et l’information

11.1. L’enseignement supérieur agronomique Il s’agit de l’Institut universitaire des sciences agronomiques et de l’environnement de Sahr créé en 1997, ouvert en 2000 et rattaché à l’Université de Sahr en 2010. Pour accéder à cette école supérieure, il faut justifier d’un Bac et passer un test abordant les sciences fondamentales (physique, chimie, biologie), la formation dure 3 ans (équivalent de la licence) à la suite de quoi le diplôme d’ingénieur agronome est délivré. La poursuite d’étude en 4ème et 5ème années dans d’autres universités à l’étranger (principalement en Afrique) est possible mais les étudiants eux-mêmes estiment que le diplôme délivré à Sarh est en dessous du niveau des autres universités et pénalise l’accès à d’autres universités. L’enseignement des 3 années s’effectue de la manière suivante : ‒ la première année est un tronc commun pendant laquelle sont enseignées les sciences fondamentales ; ‒ la deuxième année introduit des options permettant à l’élève de se diriger vers une spécialisation. Cette année comporte également un stage à l’extérieur d’un mois. ‒ la troisième année est une année de spécialisation. Cette année comporte aussi un stage d’un mois à 45 jours, avec la rédaction d’un rapport essentiellement bibliographique. Outre les enseignements académiques, la formation comporte quelques travaux dirigés (comme la constitution d’un herbier pour reconnaître les plantes), ainsi que des travaux pratiques dans les parcelles expérimentales de l’école. En fin de cycle, les examens sont

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écrits (aucune soutenance orale) ; il n’y a pas de mémoire de fin d’étude. Pour les anciens de l’école, si la formation est globalement satisfaisante, l’école manque cruellement de moyens : il n’y a pas de laboratoire et le fonds de bibliothèque est très limité avec des ouvrages anciens. De plus, les enseignants titulaires ou les intervenants extérieurs se voient parfois (et même souvent) confier des matières qu’ils ne maîtrisent pas. Plusieurs enseignants n’ont pas de doctorat et certains sont plutôt enclins à ressasser les mêmes choses durant les trois ans, choses qu’ils ont eux-mêmes apprises lors de leurs études, ignorant les dernières avancées dans leur domaine de spécialisation. Une refonte complète de cet enseignement devrait avoir lieu à commencer par la formation des professeurs dans chacune des disciplines, l’exigence d’un doctorat, la formation pédagogique orientée vers l’encadrement de terrain, la participation à un projet d’école par l’insertion de celle-ci dans l’environnement agricole, social et culturel de cette région du sud du Tchad. Depuis la création de l’école, celle-ci a rencontré un autre problème. Au début vers 2000, le secteur de l’agriculture semblait en plein développement et l’école a ouvert la première année à une centaine de candidats mais très vite les offres d’emploi ont été très limitées. Aujourd’hui le nombre de candidats pour ces études atteint à peine la cinquantaine, très souvent acceptés par défaut, le niveau de l’Institut est en baisse et le diplôme perd de sa valeur. En ce moment, on peut estimer que 50 % des diplômés travaillent dans les services agricoles de l’État, 30 % pour des ONG, 15 % dans l’enseignement des sciences de l’enseignement général, moins de 5 % créent leur propre exploitation agricole et quelques-uns n’ont pas trouvé d’emploi.

11.2. Autres enseignements agricoles A. Enseignement public En dehors de l’Institut universitaire de Sarh, on peut ajouter : ‒ l’INSTA, Institut National des Sciences et Techniques d’Abéché où un Département des Sciences et Techniques de l’élevage forme des cadres supérieurs en élevage en 3 et 5 ans ;

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‒ l’INSATA, Institut National des Sciences Agronomiques et Technologies Agro-alimentaires de Laï qui forme des cadres en techniques agro-alimentaires. B. Enseignement privé Plusieurs institutions privées dispensent une formation agricole, nous en citerons quelques-unes, la quasi-totalité étant des institutions catholiques. ‒ le collège agricole professionnel de Badjé, dans le Mayo-Kebbi, créé en 2000, forme à un brevet agricole après l’école primaire ; ‒ le collège agricole professionnel de Bougoudang, dans le MayoKebbi, créé en 1999, forme à un brevet agricole après l’école primaire ; ‒ le collège Elie Tao Baydo à Pala, forme à un brevet d’enseignement professionnel (BEP) et à un brevet des techniques agricoles (BTA). Ces institutions ont pour vocation principale la formation d’exploitants agricoles. Viennent s’ajouter : ‒ l’ESTAF, école des services et techniques agroforestières à N’Djamena, créée en 2002, propose trois filières : la production animale, la foresterie et l’agronomie, en 4 années d’étude après le bac ; ‒ l’ACFA, association culturelle de formation agricole à N’Djamena, créée en 1996, forme en 2 ans après le bac des techniciens supérieurs agricoles ; ‒ le CFAP, centre de formation agro-sylvo-pastorale à N’Djamena, créé en 2000, forme en 2 ans après le bac à une licence professionnelle.

11.3. Les Centres de Formation et de Promotion Rurale (CFPR) "La formation professionnelle agricole et rurale doit avoir pour objectif prioritaire de développer des exploitations agricoles viables et durables en considérant la vie rurale dans son ensemble et non plus seulement la production agricole et moins encore la production d’une seule culture", ainsi s’exprimait Sevéia Doumgo Sena en 2009 lors d’un séminaire du Comité pédagogique inter-écoles à N’Djamena. 187

Quels organismes publics mieux que les CFPR pourraient assurer valablement et rapidement la formation des producteurs ? Amener des jeunes paysans à une meilleure connaissance des bases de l’agriculture, tout en développant divers ateliers porteurs en milieu rural (menuiserie, maçonnerie, couture) et permettre ainsi à ces jeunes de rester dans les zones rurales, d’aider au développement de leurs compétences pour une agriculture de subsistance puis de rente et favoriser ainsi le rôle d’élite pour l’ensemble du milieu agricole. Ce serait le rôle des CFPR. Mais ont-ils vraiment les moyens d’assurer correctement leur mission de formation ? Pour comprendre ce que sont les CFPR revenons un peu sur leur origine et leur histoire. En 1965, les Maisons Familiales et Rurales (MFR) françaises en relation avec des paysans tchadiens créent à Bodjama (Logone oriental) la première MFR tchadienne sur le modèle MFR France, c’est-à-dire un modèle de formation par alternance de jeunes adultes. Par la suite, d’autres MFR verront le jour et seront soutenues par la coopération française jusqu’en 1996-1998 selon les cas. Ces centres prendront le nom de Centres de Formation et de Promotion Rurale (CFPR). Il est certain qu’avec le retrait des aides de la coopération française, ces centres ont périclité rapidement jusqu’à quasi leur fermeture "active", c’est-à-dire avec le seul maintien de quelques formateurs sans pratiquement de stagiaires. Aujourd’hui avec l’aide de quelques MFR françaises, et l’implication nouvelle du ministre de l’agriculture tchadien, les CFPR fonctionnent à nouveau, bien que très difficilement comme l’exemple que nous allons décrire à Maïbombaye. Ces centres sont sous la tutelle du Ministère de l’agriculture qui assure différentes fonctions : ‒ fonction administrative avec la gestion des moniteurs rémunérés par le Ministère ; ‒ supervision du fonctionnement des CFPR pour leurs programmes de formation et la gestion des associations 58 ; ‒ formation pédagogique des moniteurs. Nous ne voyons pas apparaître dans ces fonctions un appui pour les besoins en équipement pédagogique (matériel de terrain et de travaux pratiques). 58

Des associations de paysans aident le financement, bien que modestement, des CFPR, ils sont représentés dans les conseils d’administration des centres.

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Si le Centre de Maïbombaye 59 (à une heure de piste de Doba) a pu s’ouvrir en 2008, c’est grâce à l’aide de 6 MFR de la Charente qui a permis la rénovation des locaux, le financement du salaire de la cuisinière et d’une partie de l’alimentation (petits déjeuners) ainsi que l’achat de quelques matériels pédagogiques. La zone d’action de ce centre concerne quatre cantons comprenant plusieurs dizaines de villages. Ce centre fonctionne sur le principe de l’alternance : les stagiaires sont 2 semaines au Centre puis rentrent 2 semaines dans leur village (dans l’exploitation de leurs parents, quelques-uns sont déjà installés) et ainsi de suite durant 2 ans avec une interruption en été. Les stagiaires doivent fournir leur nourriture. A l’ouverture en 2008, l’équipe pédagogique était composée de 4 personnes dont le chef de centre, il y avait 2 hommes et 2 femmes. Malheureusement dans l’organisation de ces centres, les mutations et les déplacements sont très fréquents. Par exemple, à Maïbombaye en 2013, il n’y a plus que le chef de centre et une monitrice ; en 2014, c’est une nouvelle directrice et un nouveau moniteur. En 2016, c’est encore un autre changement, c’est un nouveau chef de centre... sans moniteur ni monitrice. En 2017, de nouveau un changement avec une directrice et une monitrice. Avec un tel "turn-over", comment envisager le développement d’un projet en partenariat ? C’est quasi impossible et la motivation de l’encadrement n’y est pas. Nous avons essayé de faire mieux ramasser le fumier par le bouvier du centre (ils avaient 4 bœufs) en construisant une aire de stabulation. Les consignes n’ont pas été respectées, le tas de fumier contenait plus de sable que de bouse. L’expérience de fumure d’un champ de sorgho n’a pu avoir lieu. Nous avons aussi proposé d’aider à la constitution d’un atelier de petit élevage (volaille, caprins, lapins, ...) comme outil pédagogique et complément alimentaire pour les stagiaires. Une des réponses fut : « Qui s’occupera des animaux quand les stagiaires ne sont pas là ? » Avec de telles réponses... on peut alors se poser certaines questions ! Pourtant le centre est installé sur 16 hectares de terre agricole avec un puits, il y a également plusieurs manguiers. Un seul hectare est cultivé en sorgho. Un petit potager est installé près du puits. Depuis peu, le Centre participe à la culture du riz sur un champ collectif. Parlons des formations, celles-ci touchent de larges plages d’activités, non seulement agricoles mais aussi artisanales. Une large 59

Centre où notre ONG l’AFTPA est intervenue dès 2009 par des conférences et la construction d’une aire de stabulation pour 6 bœufs.

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part est réservée à l’agriculture et à l’élevage (bovins, petits ruminants, volaille, etc.), au maraîchage mais aussi à la maçonnerie, la menuiserie et la couture. L’enseignement y est surtout théorique, comme déjà dit, vu le manque de moyens sur le site. Il y a une salle de cours avec un tableau noir et de la craie... mais pas de bibliothèque. Pour la formation en menuiserie et en maçonnerie, ce sont des intervenants extérieurs qui officient, ils viennent une journée par quinzaine, avec leurs propres outils. Alors qu’il y a une très forte demande pour le cours de couture, le centre ne dispose que d’une seule machine à coudre pour 8 stagiaires. Depuis 2008 et jusqu’en 2018, il y a eu quatre promotions : ‒ 2008-2010 : 50 stagiaires dont 32 garçons et 18 filles ; ‒ 2010-2012 : 22 stagiaires dont 13 garçons et 9 filles ; ‒ 2014-2016 : 10 stagiaires dont 6 garçons et 4 filles ; ‒ 2016-2018 : 30 stagiaires dont 25 garçons et 5 filles. Les stagiaires sont âgés de 16 à 25 ans. Nous remarquons un trou entre 2012 et 2014, pas de stagiaires inscrits au centre, puis ensuite une reprise difficile. La raison en est simple. Au départ tous ont un projet d’installation dans une des filières étudiées. Et une aide à l’installation a été annoncée prématurément (verbalement puis par écrit) par le gouvernement tchadien, mais l’aide n’est jamais arrivée ! La réaction fut la non-inscription de nouveaux stagiaires tant que cette promesse ne fut pas honorée... ! Nous ne commenterons pas cette situation, nous ne ferons que regretter le manque de précautions dans l’annonce de soutiens non tenus. Le regard que nous portons sur ces centres de formation de jeunes adultes à l’agriculture est qu’ils doivent être soutenus et développés par le gouvernement tchadien, bien plus qu’aujourd’hui. Ils ont un rôle fondamental concernant la vitrine qu’ils doivent présenter à l’agriculture locale. Ils devraient devenir des exploitations modèles. Malheureusement, ils en sont encore loin. Un plaidoyer en faveur de leur développement est urgent sans quoi leurs objectifs échoueront et l’agriculture continuera à rester inerte dans ses fonctions de production alimentaire.

11.4. L’ITRAD Avec le développement de la culture du coton, l’administration coloniale crée en 1946 l’IRCT et en 1949 le CFDT pour mener les 190

études nécessaires au développement de cette culture. A cette occasion, une ferme de multiplication des semences et une station agronomique sont créées dans les deux types de terroirs représentés dans la zone cotonnière, à savoir, pour les sols latéritiques des plateaux du centre et de l’est la station de Bébedja et la ferme de Békamba près de Krouma et pour les sols plus variés et sableux de l’ouest la station de Tikem et la ferme de Karoual (au nord et nord-est de Pala). A la fin des années 1960, la station de Tikem est arrêtée. L’IRCT a intégré le CIRAD en 1985 qui lui-même a rétrocédé en 1998 la station de Bébedja à l’Etat Tchadien (Magrin, 2001) où grâce à la création de l’ITRAD vont se développer des recherches portant aussi sur les cultures vivrières. Aujourd’hui, l’Institut Tchadien de Recherche Agronomique pour le Développement (ITRAD) est un établissement public à caractère scientifique et technique doté de la personnalité juridique et d’autonomie financière. Créé en janvier 1998, après le retrait du CIRAD, l’ITRAD a ainsi mis fin aux différentes structurations et dénominations de la recherche agricole au Tchad. Ses prérogatives couvrent, en principe, les domaines de la production végétale, halieutique et forestière, puis les technologies agroalimentaires, ainsi que les politiques agricoles, la formation et l’encadrement des jeunes cadres nationaux. Il est placé sous la tutelle administrative du Ministère de l’Agriculture et de l’Irrigation et dépend essentiellement de la subvention nationale sur le Trésor public. Le rôle de l’ITRAD est la recherche agricole, moyen essentiel pour accompagner la stratégie du développement du secteur agricole. Mais le pays connaît souvent des déficits en production agricole. Dans ce contexte d’insécurité alimentaire récurrente, les rapports et discours officiels avancent les problèmes de la croissance démographique galopante, et les contraintes du phénomène de changement climatique qui ont des effets négatifs de plus en plus importants sur les productions agricoles. Mais l’ITRAD a-t-il les moyens suffisants pour répondre aux obligations de son mandat ? L’ITRAD dispose de deux centres régionaux (Centre Régional de Recherche Agricole – CRAM) dont l’un est localisé dans la zone sahélienne et l’autre dans la zone soudanienne, à Bébedja, à 30 km à l’ouest de Doba. C’est la station de Bébedja qui nous intéresse. Ce centre concentre ses activités de recherche sur le coton (comme culture de rente et d’exportation) mais aussi sur les vivriers et les cultures fourragères. 191

Les activités importantes de production de semences quant à elles, portent sur les cultures vivrières. Mais quels sont ses moyens ? Le Centre compte en 2017 9 chercheurs dont 2 docteurs en sciences agronomiques (dont le directeur du Centre, en science du sol et 1 en amélioration végétale), 1 doctorant, les autres sont ingénieurs agronomes. Ils sont accompagnés de quelques techniciens. Depuis sa création, l’ITRAD a toujours été un centre important de recherche sur le coton. Aujourd’hui, il participe à un projet régional financé par le Brésil (Tchad, Mali, Togo, Burkina Faso). Cette recherche englobe la culture dans son ensemble (variétés, fertilisation, fibres, etc.). Une importante activité de l’ITRAD à Bébedja est la production des semences vivrières principalement celles du sorgho, du mil et du niébé. L’ITRAD produit les semences de première génération et les semences de prébase60. A partir des semences prébases, la production des semences de base se fait en milieu contrôlé, dans des fermes de producteurs, en appui à l’Institution. Bien que l’ITRAD fasse des efforts importants pour augmenter la production de semences afin de répondre aux besoins des producteurs en semences améliorées (170 tonnes en 2007, 10 fois plus aujourd’hui) (grâce à l’aide financière de la coopération suisse), la seule production de l’ITRAD ne peut couvrir assez rapidement le besoin national en semences améliorées, selon Djondang (2012) mais cela est encore vrai aujourd’hui. Il faut maintenant mettre au point et introduire des variétés adaptées. On peut ajouter un projet sur la protection des végétaux (insecticides) financé par une firme française spécialisée dans les produits phytosanitaires pour cultures tropicales. Mais est-ce vraiment le seul rôle de la recherche agronomique de produire des semences améliorées ? De nouveau le manque de moyens humains et financiers ne permet pas à l’ITRAD d’être l’Institution forte au service du développement agricole. Les secteurs techniques, économiques et sociologiques de l’agriculture sont quasi absents des programmes. Le budget de l’Institution est essentiellement basé sur la subvention de l’Etat, ... qui suit le cours du pétrole ! Avec la baisse du baril de pétrole de 120 à 50 dollars et même à 80 dollars, la subvention est réduite drastiquement et l’ITRAD doit chercher d’autres financements. On peut aussi regretter la difficulté à intéresser des partenaires de la coopération internationale (IRD, CIRAD, FAO,...). La Banque mondiale a prévu de financer prochainement l’emploi de 3 60

G1, G2 et G3 issues de la première génération (GO)

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chercheurs. Un laboratoire d’analyse des terres devrait également voir le jour. Dans la situation actuelle, l’ITRAD souffre d’une insuffisance de personnel qualifié et d’un manque de moyens opérationnels et accuse un handicap important par son absence d’intervention directe dans le milieu agricole. Des recherches appliquées avec une implication directe des paysans (fermes-écoles ou fermes-essais) pourraient être une innovation pertinente pour le développement économique et social de l’agriculture si les moyens suffisants lui étaient alloués, ce qui n’est pas le cas.

11.5. L’ONDR L’Office National de Développement Rural (ONDR) créé en 1965, est une structure étatique autonome liée au Ministère de l’Agriculture, chargée à l’origine d’assurer l’encadrement technique des producteurs, de fournir des matériels agricoles et d’élevage, spécialement pour soutenir la traction animale, d’assurer l’approvisionnement d’intrants et enfin, de faciliter l’émergence et le développement du mouvement associatif et coopératif (groupements, associations et coopératives par exemple) dans les milieux ruraux. L’ONDR entretient des relations avec de nombreuses institutions au rang desquelles, l’ITRAD de laquelle il reçoit des semences et il procède à son tour à leur multiplication avant de les distribuer aux agriculteurs. Au-delà de la signification plus large du sigle, la création de l’ONDR est alors étroitement orientée vers les objectifs cotonniers (Mangin, 2001). Elle répond alors au souci des dirigeants de l’Etat d’obtenir rapidement une augmentation de la production du coton espérant augmenter les revenus des paysans et ceux de l’Etat. Durant les années 70 et 80, l’ONDR a rempli son rôle d’encadrement et de formation auprès des paysans. Des agents techniques œuvraient sur le terrain et des fascicules de vulgarisation ont été édités et diffusés. En 1970, l’effectif du personnel d’encadrement était d’environ 700 agents (Padacke, 2016) Mais dans les années 1980, suite à la restructuration de la filière coton (voir chapitre 8), son rôle sera fortement diminué, d’autant qu’il connaît une situation très difficile, faute de financement. Nombreux agents techniques sont alors licenciés. De 985 agents d’encadrement en 1983, l’ONDR passe à 540 en 1986, 360 en 1990, 310 en 1994 et 207 en 199661 61

Durant plusieurs années et jusqu’en 1996, l’ONDR est soutenu financièrement à 100 % par la coopération française (y compris pour les salaires) ; après 1996, c’est un abandon rapide de la France.

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et va ainsi petit à petit perdre son rôle d’encadrement de terrain et devenir progressivement une agence d’enregistrement. Les difficultés financières de l’ONDR se sont égrainées tout au long des années. Les agents touchent leur salaire avec plusieurs mois d’arriéré. Ainsi, en juin 2017, 600 contractuels de l’ONDR et 155 conseillers du PNSA étaient en grève depuis le mois de février pour réclamer 4 mois de salaire impayés, grève qui paralysa certaines activités des institutions au moment où les activités agricoles reprenaient avec la saison des pluies. En décembre 2016, par adoption à l’Assemblée nationale, a été créée une Agence Nationale D’appui au Développement Rural (ANADER) fusionnant l’ONDR, la SODELAC 62 et le PNSA. Quel changement peut-on attendre de cette nouvelle agence si la refonte statutaire, financière et technique n’est pas au rendez-vous ?

11.6. Les radios rurales Les villes étant des pôles de diffusion des idées, des informations et des innovations, c’est ici que les ondes radiophoniques s’installent et peuvent constituer une des sources d’influence sur le monde rural. Le sud tchadien apparaît à la fois en avance par rapport au reste du pays et en retard par rapport à d’autres pays cotonniers (Mangin, 2001). Les radios locales voient leur apparition à Moundou en 1979, ensuite à Sarh. La première radio rurale fut créée à Sarh en 1987 grâce à l’aide d’une ONG. La mission qu’elle se fixe consiste à intégrer les populations rurales dans le développement national. L’équipe anime alors des émissions de vulgarisation (gestion des terroirs, élevage, etc.) mais diffuse également des informations sur les dates de semis ou de sarclage ou encore sur les prix des céréales et des produits agricoles. Des thèmes telles que l’éducation des filles, le mariage précoce, les vaccinations ou encore la dégradation de l’environnement font l’objet de chroniques régulières. Le contexte de libéralisation publique durant les années 1990 63 va permettre à de nouvelles radios privées de relayer les anciennes stations étatiques. L’origine de ces radios est presque toujours confessionnelle. A Doba, la Voix du paysan fut la première de ces radios64, inaugurée en octobre 1997 (Mangin, 2001), elle émet dans un 62

Société de Développement du Lac Tchad Avec l’arrivée au pouvoir d’Idriss Déby en 1990. 64 Créée avec l’aide du BELACD. 63

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rayon de 80 kilomètres. Par la suite, d’autres radios privées virent le jour à Pala, Bongor, Sahr et Koumra. Citons par exemple les radios diffusant des programmes agricoles dans le Mayo-Kebbi ouest, nous avons : ‒ la radio du diocèse à Pala ; ‒ la radio Soleil (radio communautaire sponsorisée en partie par la mairie de Pala) ; ‒ la radio Développement global (de l’église protestante) ; ‒ la radio nationale tchadienne (antenne de Pala) ; ‒ la radio des Zah-soot (radio communautaire à Léré). Mais très souvent, ces radios manquent de financement, le personnel salarié est réduit au minimum et l’intervention de bénévoles est indispensable à la survie de l’organisme. Ainsi La Voix du paysan à Doba fonctionne avec deux salariés, un technicien radio et un rédacteur, et treize bénévoles. Les sujets abordés par ces radios sont multiples, à commencer par l’information générale et les messages personnels (avis de décès et remerciements pour assistance), la scolarisation des enfants et surtout des filles, les problèmes sociaux (la lutte contre le sida et l’excision des filles), et surtout les pratiques agricoles avec l’intervention de spécialistes invités, d’acteurs locaux, notamment des femmes. Personnellement, nous sommes intervenus deux fois lors de nos interventions avec ATADER à Doba, la question traitée était l’emploi des fumiers pour augmenter les rendements des récoltes. Ces radios ont un impact très important dans le monde rural. Elles sont très écoutées et les paysans n’hésitent pas à contacter les journalistes lorsqu’un problème survient afin que l’information soit relayée, par exemple lorsque des inondations se produisent ou lorsque des champs sont saccagés par des troupeaux d’éleveurs nomades. Mais les autorités tolèrent peu ce genre de reportages. Les journalistes peuvent alors être inquiétés jusqu’à l’emprisonnement ce qui nécessite l’intervention de leur autorité de tutelle (le plus souvent le diocèse). On peut cependant se poser la question de savoir quel est l’impact réel de "la bonne parole dispensée sur les ondes" (Mangin, 2001) et la mise en application des recommandations par les paysans. Certes, ces radios sont un vecteur, parmi d’autres, du discours, des informations pour un meilleur développement agricole mais ces informations sontelles toujours reçues avec conviction et suivies de réalisations acceptées. On peut cependant être impressionné par la popularité de 195

ces récepteurs, qui sont un remède à l’enclavement profond des campagnes. On peut malheureusement regretter les difficultés qui freinent leur développement donc leur impact réel sur le milieu rural. Ces difficultés commencent par la surveillance des autorités quant aux contenus des reportages. La liberté de la presse est parfois entravée. Viennent ensuite le manque de moyens financiers, le manque de formation professionnelle des rédacteurs-reporters. Enfin les cadres de la radio soulignent l’insuffisance d’intervenants extérieurs, notamment de spécialistes, de techniciens ou de responsables de divers groupements d’agriculteurs. Etant donné que ces radios sont financièrement autonomes et qu’elles souffrent d’un manque de moyens, elles font alors payer les intervenants et de nombreuses personnes qui auraient des choses pertinentes à dire n’ont pas les moyens financiers de se déplacer pour le faire.

11.7. L’INADES L’Institut Africain pour le Développement Economique et Social (INADES) fut fondé65 par les jésuites à Abidjan en 1962. Très vite après la fondation fut créé l’INADES-Formation ayant pour objectif de former des adultes ruraux, en valorisant leurs savoirs propres, en utilisant au départ l’usage de la correspondance puis l’emploi de fascicules techniques simples et abordables par ceux sachant lire et compter. Aujourd’hui, l’INADES est présent dans dix pays d’Afrique (Burundi, Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, Kenya, République démocratique du Congo, Rwanda, Tchad et Togo). Ses interventions sont du type formation de paysans, de responsables villageois ou de groupements et de formateurs ; il conduit également des recherches sur les pratiques paysannes, des évaluations et des consultations. Puisque sa vocation est avant tout la formation, l’INADES-Formation ne finance pas, en principe, des projets de développement ni ne donne de soutiens techniques à des projets. En revanche, ses responsables ont l’habitude de mettre en contact les demandeurs avec des organismes financiers compétents. L’INADES, installé au Tchad depuis 1978, avait il y a encore quelques années, un bureau à Moundou avec 12 agents dont 4 65

Avec l’aide et les conseils des enseignants de l’Ecole supérieure d’agriculture de Purpan de Toulouse.

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formateurs, là où le besoin de formation en agriculture, élevage et maraîchage était le plus important. Mais suite à un changement d’objectif de l’un de ses principaux partenaires financiers (Cordaid aux Pays-Bas) qui a choisi de concentrer ses aides sur l’Asie et non plus sur l’Afrique, le bureau de Moundou a dû fermer et licencier ses agents. Aujourd’hui, seul le Bureau central de N’Djamena (avec 11 agents et 3 formateurs) continue ses activités mais jusqu’à quand ? Jusqu’en 2016, l’INADES bénéficiait d’un apport important de l’Union Européenne. Mais en 2017, l’INADES n’a pas réussi à obtenir une aide de l’Institution et les subventions ont été sévèrement réduites. Seuls trois projets restent en cours (2018) grâce à l’aide de partenaires allemands et espagnols, projets dont l’un localisé dans la région de Bongor ; il concerne la culture du mil, du sorgho et du niébé. Ce projet s’intègre dans un projet régional conduit par l’INADES Côte d’Ivoire (le siège social) pour valoriser l’agriculture familiale en améliorant la productivité et la consommation afin de s’alimenter à partir de ses propres productions. Malheureusement aucune action n’est conduite dans les zones de Moundou, Doba et Sarh. Tant bien que mal, l’INADES essaie de poursuivre les formations mais son action est diluée dans l’entreprenariat local 66. Il existe actuellement des formations/actions sous forme de champs-écoles conduites par des groupements d’agriculteurs (des jeunes ou des femmes avec des projets soutenus par l’ONG Alboam France), qui concurrencent l’INADES. Une particularité de l’INADES est la production de fascicules de formation et d’information (plus d’une centaine de titres) traitant des différents aspects de l’agriculture (cultures vivrières, maraîchage, élevage et petit élevage, transformation et conservation des produits, sol et fertilisation, etc.). Mais le stock diminue peu parce que les livres ne sont plus distribués qu’à N’Djamena. Auparavant, grâce à l’antenne de Moundou, une clientèle beaucoup plus importante était touchée. Ces fascicules coûtent en moyenne 300 F CFA (0,5 euros). L’INADES-Formation, organisme rompu aux besoins de formation du monde agricole, tant sur le plan technique que pédagogique, devrait être soutenu par des aides suffisantes pour pouvoir rouvrir l’antenne de Moundou, ouvrir aussi d’autres antennes, par exemple à Bongor et

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Principalement autour des grandes villes, et surtout à N’Djamena.

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à Sarh, et ainsi poursuivre son travail de terrain si nécessaire à la formation des paysans. En note complémentaire, lors d’un entretien avec le Directeur de l’INADES-Tchad à N’Djamena concernant les problèmes actuels de l’agriculture au Tchad, nous avons retenu : ‒ qu’un changement climatique s’observe depuis quelques années, il se manifeste par la raréfaction et le décalage des pluies, ce qui occasionne des impacts importants sur les cultures. Actuellement, la saison des pluies commence seulement vers la mi-juillet au lieu de la mi-juin. Bien que ce décalage existe depuis plus de dix ans, les agriculteurs n’ont pas su s’y adapter. Ils ne savent pas quand semer ou ils sèment trop tôt d’où une perte de semences. La sécheresse d’une part et des pluies trop abondantes détruisent de nombreuses récoltes ; ‒ alors que 80 % de la population vit de l’agriculture, l’Etat ne fait pas de ce secteur un pôle de croissance. Du fait des difficultés et de la précarité des agriculteurs, les jeunes désertent les campagnes pour tenter leur chance en ville. L’Etat devrait donner la priorité à l’encadrement et à la formation agricole dans des centres de formation par alternance et soutenir les groupements et les filières qui manquent d’organisation ; ‒ lors du sommet de Maputo en 2003, les pays de l’Union africaine avaient pris la résolution d’allouer, chaque année, 10 % de leur budget à l’agriculture. Ce ne fut jamais le cas au Tchad et si de l’argent est alloué il n’est pas toujours employé à bon escient (achat de tracteurs qui ne sont pas adaptés au sol au lieu de créer des centres de formation et de soutenir l’organisation de filières de producteurs). La politique agricole actuelle n’est ni adaptée aux besoins du pays ni à l’urgence de l’intervention. Un responsable d’Institution agricole de plus nous confirme ainsi la négligence de l’Etat pour le secteur agricole dans un pays régulièrement touché par l’insécurité alimentaire, des périodes de disette et de famine.

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CHAPITRE 12 Les organisations professionnelles et les ONG

12.1. Les organisations professionnelles agricoles Nous commençons par un rappel, à savoir ce que sont les organisations professionnelles agricoles (OPA) ainsi que leurs fonctions possibles. Une Organisation Professionnelle Agricole (OPA) est un groupement de personnes physiques ou morales, à vocation agricole, qui décident de s’unir pour la défense de leurs intérêts auprès des pouvoirs publics et des tiers, ainsi que pour la fourniture de biens et services à leurs membres. La dénomination d’OPA inclut notamment les coopératives, les associations, les unions, les fédérations, les confédérations, les fondations, les syndicats. Trouver des solutions aux problèmes de ses membres, aider l’ensemble de ses membres à avancer vers un objectif commun, améliorer les conditions de vie de ses membres, défendre les conditions de vie de ses membres, défendre les intérêts sont autant d’objectifs pouvant être poursuivis par une OPA. Une OPA ne joue aucun rôle dans les domaines politiques et confessionnels. A. Les différentes fonctions Une OPA a différentes fonctions possibles aux différents niveaux de structuration, des fonctions de production, de commercialisation, de mobilisation des ressources financières et de représentation et de défense des intérêts.

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Au niveau de la production C’est l’organisation et la mise à disposition des intrants, d’aliments du bétail ou d’équipement. C’est aussi la collecte de la production de ses membres afin d’organiser une meilleure commercialisation. Au niveau d’une fédération, c’est la participation à la conception et à la mise en œuvre des programmes et des projets de développement d’un secteur. Cela peut être aussi le regroupement des commandes (d’intrants ou de matériel) pour peser sur le marché ou encore le regroupement de l’interprofession67 au niveau local. Au niveau de la commercialisation Les OPA peuvent intervenir pour le traitement et le stockage des différents produits des membres pour améliorer leur réponse à la demande du marché. Elles organisent la commercialisation groupée et la recherche des prix rémunérateurs avec des qualités bien identifiées. Au niveau d’une fédération, c’est la collecte et la diffusion des informations sur les prix et les marchés, l’organisation de foires, d’expositions ventes en rapport avec la profession agricole, la mise en place de crédit de campagne, la promotion des produits des membres ou encore la création de magasins de stockage. Cela peut être également la contractualisation au sein de l’interprofession en partenariat avec des PME agroalimentaires pour une meilleure valorisation des productions et un partage plus équitable de la valeur. Il faudra intégrer les OPA dans les marchés structurés. Au niveau de la mobilisation des ressources financières La fédération peut travailler en interne à la mutualisation des moyens financiers des différentes OPA de celle-ci, et en externe à la négociation avec les banques pour le compte des différentes OPA. Ici de nouveau la contractualisation doit faciliter et sécuriser les contrats et les crédits.

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Regroupement de plusieurs acteurs économiques engagés dans une filière de production et/ou de commercialisation commune, acteurs essentiels pour l’organisation des filières. En Afrique, l’interprofession a des difficultés à s’autofinancer. Elle doit souvent faire appel à des bailleurs de fonds étrangers, la plupart du temps français ou canadiens.

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Au niveau de la représentation et de la défense des intérêts La fédération peut participer à la définition, à l’exécution, au suivi et à l’évaluation des politiques et des stratégies dans le domaine de l’agriculture, ainsi qu’au plaidoyer et au lobbying 68 auprès des pouvoirs publics. Elle participe à la mise en place d’une interprofession sur la filière la plus représentée dans la fédération. B. Les OPA au Tchad Qu’en est-il au Tchad des OPA ? Quelles sont leurs activités et leurs résultats ? Au Tchad, il a toujours existé des associations traditionnelles d’entraide et de travail. Elles sont parfois très utiles et sont le signe de la vitalité des villages. Mais elles ont la plupart du temps des activités limitées dans le temps et très souvent leurs structures ne peuvent pas dépasser le niveau du village ou du canton. Si on reprend un peu l’historique des OPA à partir de la période coloniale, ce sont les colons qui ont suscité la création des Sociétés Indigènes de Prévoyance (les SIP), sortes de greniers communautaires, ancêtres des banques de céréales actuelles. Les premières SIP ont été créées en 1945 pour devenir en 1956 les SAP, Sociétés Africaines de Prévoyance et en 1960, à l’indépendance les SMDR, Sociétés Mutuelles de Développement Rural, remplacées à leur tour en 1965 par l’ONDR. Toutes ces dénominations ne changeant rien à leur fonction, ces sociétés n’ayant pas été créées par les bénéficiaires, elles n’étaient pas autonomes, cela restait une approche non participative du monde rural. Aussi, parallèlement à ces structures d’origine administrative, se sont créées à partir de 1960, et particulièrement avec l’aide des églises, des groupements d’agriculteurs et d’éleveurs à partir des besoins de la base et avec leur participation. On peut ainsi citer, par exemple, les groupements JAC (Jeunesse Agricole Chrétienne) de Koumra. Les membres des groupements JAC faisaient des concours de champs bien faits, des enquêtes sur le rendement, des achats de bœufs en commun, ils apprenaient ensemble comment tenir une petite comptabilité, lançaient des concours 68

Stratégie menée par un groupe de pression cherchant à défendre ses propres intérêts auprès des décideurs politiques. Action souvent discrète et indirecte s’appuyant sur une bonne connaissance des circuits décisionnels et sur la constitution de vastes réseaux.

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d’alphabétisation, animaient des loisirs, pratiquaient le sport, etc. Toutes ces activités répondaient aux besoins de la base, mais il s’agissait surtout d’activités plus sociales et culturelles qu’économiques (Monglengar Nandingar, 2016). En 1961, un décret sur la création et le fonctionnement des coopératives voit le jour. Au départ, les principales coopératives sont surtout créées dans le milieu urbain et principalement à N’Djamena. En 1963, la JAC devient une association reconnue et crée en 1964 le centre de formation Monkara à Koumra, centre qui sera repris en 1965 par le Ministère de l’Agriculture (avec l’appui de la coopération suisse) pour devenir le premier Centre de Formation Professionnelle Agricole – CFPA –. Les CFPA deviendront par la suite les CFPR (voir chapitre 11). Après les formations reçues dans ces centres, les stagiaires ont créé dans leurs villages les premiers groupements avec l’appui des formateurs des centres de formation. Plusieurs groupements ont vu le jour de cette manière. Ce sont d’ailleurs ces groupements qui, en 1982, ont été les promoteurs des marchés autogérés pour l’achat de coton-graine dans les villages. La guerre civile de 1979/1982 et la grande sécheresse de 1984/1985 qu’a connu le pays ont aussi contribué à motiver les paysans à s’organiser en groupements. Par la suite, en 1989, 1992 et 1994, plusieurs ordonnances fixent les modalités de création et de fonctionnement des groupements. C’est dans la zone soudanienne que les OPA (ou groupements) se sont multipliées soit à partir d’initiatives paysannes, ou par l’action des animateurs des organismes (ONG) travaillant dans la région ou encore avec la COTONTCHAD et l’ONDR pour la promotion cotonnière (groupements d’intrants de production). Certains groupements se sont transformés en groupements à vocation coopérative lorsque leurs activités économiques ont pu prendre de l’importance et démontrer leur capacité d’organisation et de gestion. Mais aussi d’autres ont disparu avec le départ des bailleurs de fonds ou des animateurs. Il est vrai que c’est en rassemblant leurs forces au sein des OPA (groupements ou coopérations) que les agriculteurs familiaux seront à même de répondre aux exigences des marchés locaux et régionaux. Une approche plus commerciale des OPA est nécessaire. La contractualisation entre agriculteurs, OPA et entreprises d’amont ou d’aval pourrait devenir un outil majeur pour la construction et le renforcement des filières. 202

Mais nombreux sont ces groupements ayant des difficultés de fonctionnement et de gestion soit par manque de ressources financières suffisantes, soit par manque de formation à l’animation et à la gestion, soit les deux à la fois. Il n’est pas non plus inhabituel que le président d’une OPA ayant un rôle déterminant puisse s’accaparer du pouvoir. Vu la multitude des petites OPA existantes dans cette partie sud du Tchad, il serait nécessaire que des regroupements puissent s’opérer et que des formations puissent venir en aide pour une meilleure gestion et une meilleure efficacité par rapport aux objectifs sociaux et économiques de leur création. C. Dans la zone soudanienne Il serait bien difficile de faire un inventaire des OPA existantes dans la zone soudanienne. Aussi, nous citerons quelques exemples connus et rencontrés lors de nos interventions dans cette partie du Tchad. Nous ajouterons cependant que les régions du Logone oriental et des Monts de Lam ont certainement bénéficié depuis les années 1990 d’une grande activité de l’AFDI (national et Poitou-Charentes) pour mettre en place et soutenir diverses OPA qui par la suite donneront, entre autres, naissance à l’ONG ATADER. Dans les autres régions du sud, ce fut la participation d’autres intervenants et de l’ONDR qui fut à l’origine de certaines OPA. AGRUMAC – Association régionale des groupements d’utilisation du matériel agricole en commun (Logone oriental) A regroupé jusqu’à 1600 GUMAC villageois (Mbaitelsem Betel, 2010), structure d’appui au développement local, organise la gestion collective des matériels agricoles, principalement des charrues et des charrettes. Mais lorsque le matériel est acheté, il faut l’entretenir et par manque de financement (location de matériel impayée), l’entraide diminue. Aujourd’hui, par manque d’accès au crédit cette OPA est en "dormance" et limite son action à l’utilisation de deux batteuses (riz, maïs) et quelques charrues dans une trentaine de villages. Le manque de financement reste, non seulement au Tchad mais dans toute l’Afrique, un obstacle majeur au développement de l’agriculture. Si d’autres batteuses à riz et des semoirs à riz pouvaient être financés ainsi que des charrettes pour transporter le fumier et les récoltes, ce serait un vrai progrès pour certains travaux. Certains font 203

cependant remarquer que devant la difficulté d’honorer les échéances bancaires (coût trop élevé de l’investissement), il est préférable de limiter l’effectif à une dizaine d’adhérents par groupement (Clarac, 2006). ATEKOR – Fédérations des groupements féminins (Logone oriental) S’occupe de la formation (cuisine, hygiène, enfants, ...) des femmes dans les villages, aide à la gestion des groupements. En 2008, avec l’aide de l’U.E., avait développé la fabrication et la commercialisation d’une farine (Misola) (à base de mil ou maïs, soja ou arachide) pour enfants en bas âge et personnes âgées mais dut abandonner le projet car vendait cette farine à un prix inférieur au prix de revient ! FAFLOR – Fédération des artisans forgerons du Logone oriental Créée à la suite de la création d’AGRUMAC pour avoir des réparations de matériel près des villages. Regroupe des ateliers de forgerons organisés en plusieurs groupements dans les différents cantons. S’occupe de la formation technique des forgerons, la gestion, l’organisation collective de l’approvisionnement en ferraille et la commercialisation des groupements. Mais l’activité est en forte baisse depuis 2015, par manque de trésorerie. KOMADJI – signifie "Le mil est bon", groupement coordonnant les greniers communautaires et l’approvisionnement en intrants des adhérents. A regroupé jusqu’à 250 greniers communautaires avec une capacité de stockage de 3500 tonnes de céréales, comprenant jusqu’à 2800 membres dont près de 600 femmes (Teyssier et al., 2005) pour une gestion collective de la sécurité alimentaire et la commercialisation des excédents. Son réseau leur permet de coordonner la multiplication et la diffusion des semences sélectionnées. Il organise également des formations et des échanges. Il est partenaire d’une brasserie à Moundou et d’une usine d’huile d’arachide.

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AFAP – Association des femmes pour l’autopromotion à Pala Couvre trois départements, aide les femmes autour de trois actions principales : ‒ La sécurité alimentaire et spécialement l’accès à des aliments pour bébé ; ‒ Le développement de la filière maïs-arachide par la transformation (farine) et la commercialisation des produits ; ‒ La formation agricole (conduite des cultures, utilisation des fumures...). Espoir de Doba – groupement féminin Produit et commercialise des compléments alimentaires (vente dans des contenants de 30 cl) tels que : ‒ Sirop de gingembre (contre la fatigue générale, les malaises articulaires, les courbatures, l’impuissance sexuelle) ; ‒ Sirop de balanites aegyptiaca (riche en vitamine C), (traite les troubles digestifs, les nausées, la constipation et les coliques..., stimule la production de lait chez la femme allaitante, aphrodisiaque) ; ‒ Sirop de tamarin (antiseptique urinaire, cutané, respiratoire, maux de gorge et hypertension artérielle, troubles digestifs et constipation) ; ‒ Poudre de piment ; ‒ Beurre de karité et pois de terre. L’activité est limitée à la ville de Doba et aux proches alentours. Union des groupements féminins en marche pour le développement de la Nya à Bébedja Créée en 2012 avec le soutien financier de l’ONG Africair (ONG du groupe ESSO pétrole) ce qui a permis de construire les locaux et l’achat des premiers équipements. Cette Union regroupe 29 groupements (un groupement par village) et compte environ 360 membres. La fonction principale des groupements est la formation à l’agriculture (élevage et maraîchage), à la couture, au petit commerce et à la transformation des produits locaux (confitures, savon, beurre de karité, couscous à base de céréales : maïs, riz, sorgho). Les formatrices (7 à ce jour), bénévoles travaillent dans les locaux de Bébedja et y 205

organisent les ateliers où les femmes viennent pour se former et transformer leurs produits qu’elles ramènent au village pour les vendre (ou troc). Les bénéfices sont partagés entre le groupement et les femmes. Pour tous ces groupements et unions très dynamiques, la demande en formation est très forte. Même si le fonctionnement du groupe est bien rôdé, le manque de formation est le frein principal au développement et à l’épanouissement des activités. FCEJARLOR – Fédération des cellules des jeunes agriculteurs ruraux du Logone oriental. Créée en 2016, avec l’appui de l’AFDI. Cette fédération se veut de renforcer les compétences des populations rurales et de contribuer à la promotion des initiatives communautaires. Après deux ans d’existence, cette fédération présente dans les 6 départements du Logone oriental compte environ 600 adhérents dont 400 hommes et 200 femmes. Elle envisage de développer des projets de formation sur les techniques agricoles, la fabrication et l’utilisation du compost et la conduite de l’élevage. Dans une première étape, elle a organisé des champs collectifs avec la culture du maïs en sollicitant une certaine compétition entre les différents groupements. Nous nous posons la question de savoir si la pratique des champs collectifs est le meilleur itinéraire pour "améliorer la condition de vie des jeunes agriculteurs et les aider à s’épanouir" (extrait du préambule de leurs statuts). Si on lit bien le préambule et les objectifs décrits dans les statuts, on est bien obligé de reconnaître que la situation agricole actuelle au Tchad nécessite un réveil urgent du monde agricole afin d’ améliorer rapidement la production alimentaire et a fortiori les revenus des paysans. Dans les objectifs, les phrases clé, celles qui nous paraissent les plus concrètes pour changer les choses, nous citerons : ‒ Proposer des idées novatrices ; ‒ Communiquer sur le métier d’agriculteur ; ‒ Former les jeunes, futurs responsables professionnels ; ‒ Assurer la plateforme de concertation entre le secteur public et les acteurs du développement rural ; ‒ Donner aux jeunes agriculteurs... une formation professionnelle ; ‒ Éduquer et organiser la population en groupes de réflexion et d’échanges ; ‒ Former les jeunes agriculteurs aux activités agro-pastorales... 206

Connaissant le penchant très marqué des Africains pour le côté administratif et "fonctionnaire" des groupements, des animations, des fédérations, pour la figuration dans un bureau exécutif, pour la réunionite des assemblées générales plutôt que pour l’action et la réalisation de véritables projets de terrain, lors de la création de cette fédération, nous nous demandions très sincèrement quelle serait l’utilité d’une telle structure. Etait-ce une structure de trop ou une structure indispensable dans le paysage agricole de cette région du sud du Tchad ? De ces objectifs, on peut facilement identifier trois axes essentiels des actions à entreprendre, à savoir : ‒ La formation des agriculteurs, formation à la gestion de l’exploitation, formation à produire mieux et plus, formation au choix des productions ; ‒ L’organisation des filières, du producteur au consommateur ; l’agriculteur doit être un chef d’entreprise et un acteur économique de la production alimentaire ; ‒ La défense des droits des jeunes agriculteurs, le rôle peut être aussi sociologique (et syndical). Si les jeunes agriculteurs du Logone oriental s’attellent à mettre en œuvre ces objectifs, alors oui cette nouvelle structure peut être un moteur de développement rural régional. Mais à y regarder de près, ces objectifs doivent être réalisés de l’intérieur de la structure, par les paysans eux-mêmes et non de l’extérieur par l’un ou l’autre quelconque projet venant les assister et le plus souvent se substituer à leur place. Que la fédération se tourne vers des formateurs (ATADER, AFTPA, INADES, etc.) pour les aider à parfaire leurs connaissances, à identifier leurs forces et leurs faiblesses, nous sommes d’accord. Mais attention, on lit aussi dans la mission de la fédération (dans leurs propres statuts) : ‒ L’assistance dans la recherche de financement pour les jeunes agricultrices et agriculteurs... En somme, la fédération compte sur l’implication active de toutes les parties prenantes telles que communes... bailleurs de fonds, bilatéraux et multilatéraux et partenaires techniques. Des financements extérieurs peuvent être utiles par exemple pour des formations, pour structurer une filière. Mais si le financement extérieur devient une condition sine qua non à l’action, alors la 207

Fédération rentrera dans la catégorie des innombrables structures africaines (et autres) créatrices d’usines à gaz et deviendra, à terme, la risée de tous. Pour l’instant, il est trop tôt pour porter un jugement objectif sur cette nouvelle OPA. Laissons-les s’organiser, se développer, en espérant voir naître une réelle dynamique pour donner envie aux jeunes de faire de l’agriculture un vrai métier afin de nourrir leurs familles et d’autres aussi. D. Défis et partenariats Aussi, voyons-nous au Tchad qu’avec toutes ces structures, ces OPA, que l’organisation des filières agro-alimentaires devant être un levier essentiel pour relever ces défis de production et de commercialisation afin d’améliorer les revenus des producteurs est absente, complètement ignorée, à de très rares exceptions près. Le premier défi étant de nourrir une population qui va doubler (sinon plus) d’ici 2050, qui souvent ne mange pas à sa faim, tout en créant des emplois en grand nombre, pour de nombreux jeunes qui arrivent chaque année sur le marché du travail, est de développer, avec l’aide de ces OPA des PME agro-alimentaires contractuelles afin de sécuriser les débouchés et les approvisionnements. Mais pour fidéliser les producteurs, il faut créer des liens de confiance sur le long terme, la confiance ne se décrétant pas du jour au lendemain, il faut que celle-ci s’instaure peu à peu. Pour cela, les entreprises peuvent offrir aux agriculteurs une palette de services, susceptibles de les fidéliser en répondant à la diversité de leurs besoins (formation, intrants, crédit, ...) En fournissant aux agriculteurs des conseils techniques et de la formation, les PME pourraient créer des conditions propices à l’amélioration des rendements et à la qualité des productions (contrainte de plus en plus forte répondant à la demande des marchés). Les services proposés ainsi par les PME revêteraient une importance cruciale pour les petits agriculteurs, dont les performances techniques sont souvent insuffisantes. Un autre aspect important est la mobilisation de l’épargne et des ressources financières locales. Si la volonté et les idées existent, les moyens ne suivent pas. Compte tenu de la pauvreté en milieu rural, les paysans n’ont pas la possibilité d’apporter une contribution financière importante. Aussi étant donné ces difficultés d’obtenir des fonds suffisamment importants pour financer le démarrage de leurs activités, 208

de plus en plus d’agriculteurs, d’artisans ruraux, de prestataires de services dans les domaines de la petite transformation, prennent conscience de la nécessité d’envisager une nouvelle formule économique, où la collecte de l’épargne locale par l’interprofession pourrait constituer le socle du financement de leur développement (Monglengar Nandingar, 2016). Les contrats au sein de la filière avec l’entreprise doivent permettre aux agriculteurs d’accéder plus facilement à des financements. Ceuxci peuvent être fournis par l’entreprise, sous forme de semences et d’intrants, ou être octroyés par une banque. Par ailleurs, les institutions financières sont plus enclines à octroyer un prêt à un agriculteur, ou à lui consentir un taux d’intérêt plus avantageux, lorsqu’il bénéficie de la garantie d’un contrat. On sait également que la mobilisation de tous les acteurs (producteurs, OPA et entreprises) peut favoriser l’accès plus facile des producteurs au crédit. En conclusion, la construction de filières agro-alimentaires performantes avec des PME "à taille humaine" devrait s’imposer dans cette région agricole du Tchad si on veut nourrir, avec des produits locaux (hors des importations alimentaires massives) une population en forte croissance et dont la demande évolue rapidement sous l’effet de l’urbanisation. Plus largement, le développement des filières agroalimentaires avec à l’amont des agriculteurs et des OPA bien structurées, doit être un facteur potentiel de transformation structurelle de l’économie, susceptible de diminuer la pauvreté, créer des emplois et réduire les inégalités de revenu entre villes et campagnes, éléments qui devraient conditionner à terme la sécurité dans le pays (Neveu Tafforeau et al., 2018). Si la contractualisation au sein des filières agroalimentaires se développe lentement dans l’Afrique de l’ouest ainsi que dans quelques pays de l’Afrique de l’est, il est évident que la situation de l’agriculture tchadienne souffrant d’un manque flagrant d’organisation et de performance est aujourd’hui un handicap majeur pour une évolution rapide de son développement. Beaucoup reste à faire pour accroître la production agricole de manière durable. Or, c’est à ce niveau que les OPA avec l’interprofession, doivent être le lien privilégié du dialogue et du développement en mutualisant tous les acteurs des filières.

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12.2. Les ONG Une organisation non gouvernementale (ONG) est une association à but non lucratif, qui ne relève ni de l’État ni d’institutions internationales, ayant les indépendances financières et politiques et la notion d’intérêt public. C’est une personne morale qui, bien que n’étant pas un gouvernement, intervient dans le champ national ou international. Dans le cas d’organisations internationales, on parle également d’Association de solidarité internationale (ASI) ou d’organisations non gouvernementales internationales. Les organisations internationales non gouvernementales ont une histoire qui remonte au XIXe siècle. On considère parfois le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) comme l’ancêtre des ONG. Cependant l’expression organisation non gouvernementale n’est entrée dans le langage courant qu’avec l’organisation des Nations-Unies en 1945 par un article de la Charte qui donne un rôle consultatif à des organisations qui ne sont ni les gouvernements ni les Etats membres. Aujourd’hui, ces associations concernent les Droits de l’Homme (Amnesty International, ACAT ou ATD Quart Monde), la lutte contre la faim (Action contre la faim), l’accès à l’eau potable, lutte contre les maladies (Médecins du monde), la protection des enfants (Plan France, Fondation Terre des hommes, Vision mondiale), la scolarité (Aide et Action), l’économie mondiale (Mouvements altermondialistes comme ATTAC), la lutte contre la pauvreté (ADA), l’écologie (Les Amis de la Terre) ou alors la protection de la terre (Greenpeace ou WWF). Les ONG ont différents domaines d’intervention, ce qui conduit à les classer dans au moins deux grandes catégories : ‒ Les ONG de plaidoyer. Parmi celles-ci, un groupe non négligeable d’ONG n’a pas pour but l’intérêt public, mais des ambitions idéologiques ou commerciales. On y trouve des lobbys de toute nature, en particulier des lobbys économiques et patronaux ; ‒ Les ONG humanitaires. Elles mettent en place des programmes d’aides éducatives ou caritatives par exemple. Les ONG humanitaires peuvent elles-mêmes se subdiviser en deux grands domaines d’intervention : ‒ Les ONG caritatives (Médecins sans frontières, Médecins du monde, le CICR, Handicap International, Solidarités Internationales, etc.), souvent spécialisées dans l’aide d’urgence ; 210

‒ Les ONG de développement (Plan France, CCFD-Terre Solidaire, GRET, ACF, etc.) engagées sur des programmes à long terme. En général ces dernières sont plus discrètes, les ONG d’urgence étant souvent plus médiatisées. Certaines ONG internationales ont une approche dite "globale", intervenant à la fois sur des urgences humanitaires, des programmes de développement et des activités de plaidoyer (Oxfam international, CARE, etc.). A présent, les ONG doivent répondre encore plus professionnellement que par le passé et sont ainsi contraintes à des emplois salariés alors qu’avant le volontariat était la règle. Au Tchad, toutes les grandes ONG humanitaires internationales sont présentes. Avec les ONF nationales elles sont regroupées au sein de la Fédération des Organisations non gouvernementales au Tchad (FONGT). Elles sont plus de 130 et la plupart d’entre elles interviennent dans les domaines en rapport avec la sécurité alimentaire (tels que la santé, l’éduction ou la formation des activités génératrices des revenus). Oxfam international et Action contre la Faim sont régulièrement citées comme références en matière de lutte contre l’insécurité alimentaire (voir page 72). Les principales régions concernées par leur vulnérabilité étant surtout localisées dans la bande sahélienne (par exemple : le Guéra, le Bahr El Gazal et le Sila). C’est dans cette zone que des ONG nationales Nagdaro et Moustagbal conduisent des programmes importants d’appui aux ménages vulnérables. Dans le cadre de notre étude, nous retiendrons principalement les ONG qui interviennent en zone soudanienne. A. Au Sahel (quelques exemples) L’ONG Nagdaro qui en langue locale veut dire "Nous pouvons" a été créée en 1997 avec l’aide d’ACF arrivée au Tchad à l’occasion de la sécheresse de 1983-1984, qui aujourd’hui est un acteur essentiel dans le centre du pays en matière de sécurité alimentaire. Elle reçoit aussi l’aide d’ACORD. Elle a su acquérir une crédibilité technique auprès du gouvernement tchadien et les autres partenaires au développement. Son objectif global est d’atteindre une production agricole durable, avec un excédent commercialisable dans une zone structurellement déficitaire. Ceci dans l’optique de permettre aux populations de cette zone de satisfaire leurs besoins alimentaires de base tout en maîtrisant la conservation de leur potentiel de production (Dalal A., 2017). 211

L’ONG Moustagbal qui signifie en français "Avenir", créée en 1998, ayant son siège à Mongo (dans le Guéra) œuvre également en faveur des personnes marginalisées et vulnérables dans une approche communautaire en intervenant dans les domaines de la sécurité alimentaire, l’éducation, la santé (en matière de lèpre et de SIDA) et de la réinsertion professionnelle. L’ONG Guéra touristique, créée en 2016 à Mongo, bien qu’association pour la promotion du tourisme solidaire et écologique, œuvre également à la valorisation de la culture et à l’aide à la population à travers la mise en place de micro-projets de développement69. L’ONG développe ainsi des projets sur l’éduction des enfants, la lutte contre l’analphabétisation (en majorité pour les femmes), la formation des jeunes (en agriculture), la lutte contre l’insécurité alimentaire, le manque d’eau, l’aide à la résolution de conflits intercommunautaires, autant de problématiques qu’on peut rencontrer partout au Tchad ! B. BELACD L’ONG BELACD (Bureau d’Etude et de Liaison d’Actions Caritatives et de Développement) est une ONG diocésaine reconnue en 1995 par le gouvernement tchadien, créée vers 1978 par le diocèse de Pala qui regroupe des activités de développement et caritatives au service de la population au Mayo Kebbi. Aujourd’hui, il existe des BELACD dans chaque diocèse du Tchad au nombre de huit et chacun travaille d’une manière autonome. Au départ l’ONG de Pala s’occupe de plusieurs "volets" : la santé (avec la lutte contre le SIDA), l’hydraulique, l’aide aux femmes (surtout l’alphabétisation) et l’éducation (soutien à plusieurs écoles catholiques de villages). Elle reçoit l’aide de plusieurs partenaires (Action contre la Faim, Secours catholique France, Misereor Allemagne, Cardinal Léger Canada, ...) En 2001, un sous-programme handicapé est ajouté au programme santé. Le programme agriculture est structuré autour des filières (arachide, sésame, mil, etc.) et des greniers communautaires puis en 2009 vient s’ajouter la formation de conseillers agricoles (en collaboration avec l’ONG Caritas du Cameroun) et d’animateurs.

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Nous sommes intervenus en 2018 auprès du volontaire français travaillant dans cette ONG pour la mise en place de projets de maraîchage.

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Pour le secteur agricole, l’ONG de Pala travaille avec des groupes de contact, un groupe de contact70 étant composé d’environ 12 familles. Les groupes de contact sont identifiés par les paroisses où il existe déjà des communautés ecclésiastiques ; les prêtres font remonter les besoins vers l’ONG en n’ignorant pas les autres confessions (dixit l’ONG) ce qui fait cependant dire aux détracteurs que BELACD est une ONG uniquement circonscrite aux communautés catholiques. Les groupes choisissent une activité et l’ONG formule un contrat d’appui pour des formations, pour faciliter l’acquisition des vaccins, de petit matériel... Aujourd’hui, par exemple, BELACD Pala compte 9 animateurs agricoles (dont une femme). Un animateur suit environ 10 groupes de contact et apporte une aides aux activités du groupe (techniques culturales, gestion, commercialisation, ...). L’ONG s’occupe également de l’accès à l’eau potable en zone rurale et du forage de puits (plus de 100 puits forés à ce jour) à la demande et avec la participation de la population. Avec l’appauvrissement de plus en plus notoire des terres, un projet à grande échelle de vulgarisation et de plantation d’Acacia albida est en préparation, les effets bénéfiques étant déjà reconnus dans les parties nord et ouest du Mayo Kebbi ouest ce qui est un projet louable. Mais en interrogeant des agriculteurs de la région ayant parfois jusqu’à dix bœufs et n’utilisant pas une seule charrette de fumier (... par absence de charrette dans l’exploitation !) nous ne pouvons nous empêcher de critiquer les cadres de l’ONG pour leur manque de responsabilité dans la formation à la fertilisation organique des sols et à une véritable intégration de l’élevage dans la gestion de l’exploitation. Autre exemple, le BELACD de Doba, créé en 1997 est principalement orienté vers l’agriculture (il a cependant un projet santé). Ses ressources proviennent de la coopération suisse. Il s’occupe de la formation et du suivi des filières arachide et karité grâce à ses onze animateurs techniques. Ses activités s’étendent jusqu’à Koumra. Selon le directeur de cette ONG, un problème majeur est celui de la conservation post-récolte des produits, d’où le conseil et l’organisation de passer par un système coopératif. Nous nous trouvons de nouveau 70

En octobre 2018, nous avons pu visiter le groupe de contact de Margalao (à 15 kilomètres à l’ouest de Pala).

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face à la nécessité de l’organisation des filières et à la contractualisation avec les producteurs. C. ATADER Lors des grandes sécheresses des années 70-80 au Sahel le monde agricole français se mobilise pour intervenir en Afrique. L’AFDI Poitou-Charentes choisit d’apporter son aide dans la partie sud du Tchad, dans la zone de Doba et Donia. Pourquoi cette zone ? Ce fut une histoire de relations humaines : un étudiant tchadien, Jean Baniara, en faculté de droit à Poitiers, avait noué des liens d’amitié avec des agriculteurs de Poitou-Charentes. Quelques années plus tard, vers 1985, Jean Baniara devient ministre de l’Agriculture du Tchad et fait alors appel à l’AFDI de Poitou-Charentes pour apporter une contribution au développement agricole du sud de son pays. De 1989 à 1995, les seuls partenaires locaux de l’AFDI seront l’ONDR et les CFPA. Au cours de cette période, l’AFDI va travailler sur deux axes : ‒ le développement de la culture attelée avec la création de groupements d’utilisation de matériels agricoles en commun (GUMAC), la construction d’un atelier de fabrication et de réparation de matériels agricoles à Doba et la formation de forgerons de brousse, ‒ le stockage et la commercialisation des vivriers avec la construction de greniers en dur et le préfinancement des récoltes. Le projet est alors financé par le ministère de la Coopération française et la Communauté européenne et il est encadré par un jeune agriculteur français permanent à Doba, puis un second. Au terme de cette première étape, 240 GUMAC (pour 1600 exploitations) sont créés, ainsi qu’un atelier de fabrication de petits matériels agricoles à Doba, et 22 banques céréalières villageoises. Il faut ajouter la formation de 70 forgerons et surtout l’émergence d’organisations professionnelles agricoles (OPA) dans le Logone oriental. A partir de 1996 et jusqu’en 1999 commence une seconde étape, celle de la consolidation des organisations professionnelles. Il n’y a plus qu’un seul expatrié qui devient conseiller technique assisté de quatre animateurs tchadiens s’occupant de différents volets.

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En 2000, c’est le passage d’un projet AFDI à un appui AFDI aux projets des Tchadiens. L’AFDI finalise la consolidation des OPA par la constitution de fédérations autonomes (forgerons, greniers communautaires, groupements féminins, GUMAC), leur multiplication et extension géographique, et la création d’une Association Tchadienne des Acteurs du Développement Rural, ATADER, qui est une association de services, à but non lucratif, autorisée à fonctionner par la préfecture du Logone oriental le 28/02/2001. Cette ONG est constituée par les OPA citées, des animateurs tchadiens et la participation de l’AFDI Poitou-Charentes. Ses principaux objectifs sont : ‒ d’assurer au plan local une cohérence d’action entre les différentes structures fédératives, ‒ d’apporter des services aux fédérations adhérentes par des conseils, des formations, des services communs, ... ‒ de faciliter les relations entre les OPA et leurs partenaires, administration, ONG, bailleurs de fonds, ‒ de pérenniser et autonomiser la maîtrise professionnelle du développement. La coordination et la gestion d’ATADER sont alors confiées à un cadre tchadien (ingénieur agronome formé en URSS) qui succède au conseiller technique expatrié. Les principaux partenaires financiers d’ATADER sont alors : ‒ une ONG hispano-britannique Intermon Oxfam, ‒ la Coopération française (AFD), ‒ l’Union européenne, ‒ diverses sources récoltées par l’AFDI Poitou-Charentes. A cette même époque, ATADER est membre du CNCPRT et du ROSOC. Lorsque nous faisons la connaissance de cette ONG en 2003, l’équipe permanente et opérationnelle en plus du coordinateur (qui est en réalité le directeur) est composée de 6 animateurs de terrain dont 1 femme, d’un secrétaire comptable, d’un gestionnaire du magasin, d’un chauffeur et de quelques ouvriers (à la forge) et de 4 gardiens. Ils opèrent sur un secteur d’environ 12 000 km2. Chaque animateur opère dans un secteur géographique ou dans un domaine particulier (un animateur est responsable de la forge à Doba et l’animatrice s’occupe des groupements féminins). Il se déplace à moto et est appuyé dans 215

son travail (relais) par des paysans-animateurs répartis sur l’ensemble de la zone. Ce sont des paysans lettrés ayant aussi des responsabilités dans les OPA. Pour l’ensemble des secteurs, on compte 23 paysansanimateurs généralistes plus 11 paysans-animateurs uniquement pour les greniers communautaires. Vers 2014-2015, on passe à 60 paysansanimateurs Les principaux domaines d’activités incombant aux animateurs concernent : ‒ La production (chez les paysans) et la diffusion de semences améliorées ; ‒ L’implantation et la gestion des greniers communautaires ; ‒ La fertilisation des sols à travers la réalisation de compostières, la plantation d’acacia albida et la protection des parcelles contre l’érosion ; ‒ L’amélioration du travail du sol par la traction animale ; ‒ La vaccination des volailles ; ‒ L’encadrement et l’accompagnement des maraîchers ; ‒ La formation technique pour le travail du fer (la forge) ; ‒ ainsi que des formations de groupe sur la sécurité alimentaire, la gestion des stocks de vivres, etc. Avec notre ONG l’AFTPA, nous interviendrons 71 en appui à la formation : ‒ formation des agents d’ATADER ; ‒ formation des paysans-animateurs ; ‒ formation-animation dans les villages. Ces formations vont concerner : ‒ l’emploi des fumiers comme amendements organiques ; ‒ la gestion de l’exploitation ; ‒ le maraîchage. Malheureusement à partir de 2010, les donateurs vont petit à petit se faire moins généreux puis se retirer. L’AFDI réussira à maintenir des activités de terrain jusque fin 2017 grâce à des projets du FEDUE. Mais le 1er janvier 2018, les agents salariés d’ATADER sont licenciés faute de fonds suffisants. Si la structure OPA subsiste en tant 71

Interviendront sur le terrain, l’auteur, trois ingénieures (dont deux anciennes de Purpan) et un cadre retraité de l’ADASEA ; de 2006 à 2018, 26 missions de deux semaines seront réalisées.

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que telle avec un président et un bureau exécutif, l’ONG n’est plus fonctionnelle, elle espére retrouver dans l’avenir de nouveaux bailleurs de fonds pour reprendre ses activités. Il n’est point nécessaire d’insister sur l’ampleur de la tâche qui reste à faire. L’espace géographique à couvrir est également très vaste. D. D’autres exemples Il n’est plus possible d’ignorer (et de citer) bien d’autres ONG intervenant non seulement dans les villes et les grandes agglomérations mais aussi en milieu rural pour aider la population et en particulier les plus vulnérables – les pauvres, les enfants, les femmes - à surmonter les difficultés journalières, les problèmes de santé et de nutrition. Implicitement, elles contribuent aussi au développement du milieu rural en soignant et en éduquant la population. La bonne santé et l’alphabétisation des paysans sont aussi des leviers du développement. Nous devons cependant reconnaître qu’elles sont plus nombreuses et plus actives dans la zone sahélienne qu’en zone soudanienne, cela étant dû probablement à la grande fragilité de cette zone pré-désertique en matière de sécurité alimentaire (citons le PREPAS, Tchad SOS, l’ACAS et l’AFDI72). Citons quelques exemples : ‒ Solidarité Internationale Tchad intervient au sud mais surtout au Sahel lors des crises alimentaires, s’occupe également de l’éducation et de la santé ; ‒ CARE France intervient depuis 1974 pour la santé spécialement en prévention du SIDA pour les populations nomades et depuis 2014 pour les retournés tchadiens de la RCA, nombreux dans des camps dans la partie sud du pays ; ‒ Save the children (ONG anglaise) défend les droits de l’enfant, organise des "camps de lecture" mais intervient aussi dans l’aide humanitaire d’urgence ; ‒ Le Centre culturel Nicodème à Pala, créé par le Diocèse en 1998 est certainement le centre culturel le plus développé et le mieux équipé du Tchad en dehors de N’Djamena, grâce à l’apport de la coopération de Misereor (Allemagne) et à la compétence de l’encadrement. Il dispose d’une infrastructure très attractive (bibliothèque et salle de lecture, salle de sport, salle de spectacle, restauration, électricité permanente par panneaux 72

AFDI : Association des Femmes pour le Développement Intégré, basée à Abéché.

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voltaïques, ...) et propose de très nombreuses activités éducatives. Le Centre oriente ses principales activités vers : ‒ l’accès des jeunes aux structures éducatives et de formation ; ‒ le problème de la protection des filles ; ‒ l’aide aux écoles de village ; ‒ la lutte contre l’incivisme. Il rayonne dans tout le Mayo Kebbi ouest. ‒ CELIAF (Cellule de liaison et d’Information des associations féminines du Tchad) intervient à travers tout le pays depuis plus de 10 ans en qualité de réseau regroupant environ 700 associations féminines afin de contribuer à l’éradication de toute forme de discrimination entre les sexes. Ce travail d’éradication passe par des espaces d’échange et des ateliers où les femmes peuvent apprendre la lecture, l’écriture et le calcul mais aussi la couture et pour les plus instruites l’informatique. L’analphabétisation est certainement le principal facteur de blocage pour la participation de la femme à toutes les actions de développement y compris dans l’agriculture (sous-entendu y compris l’élevage et le maraîchage). Note : en ce qui concerne la formation agricole, nous rappelons l’ONG INADES que nous avons décrite dans un chapitre précédent. E. Une remarque La grande majorité des ONG fait un travail de soutien remarquable, d’encadrement et d’appui et dans les domaines cités ci-dessus, des progrès sont réalisés. Mais ce qu’il faut aussi constater, c’est qu’il s’agit essentiellement d’actions sectorielles et non de programmes de développement intégré. Une fois passée la première période de coopération d’assistance, force est de constater que des pans entiers de l’exploitation agricole ne sont pas concernés par ces programmes sectoriels 73 du développement du fait, à la fois, du manque de moyens (techniques, financiers et 73

Par exemple : on s’occupe des filières arachide ou sorgho ou coton mais on ignore l’intégration de l’élevage pour la fertilisation des sols, ou le développement de la traction animale ou la conservation après récolte, etc., etc.

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humains) (ce qui est un handicap et non une faute) et du manque de connaissance du fonctionnement de l’exploitation. Aujourd’hui, avec le développement commercial et technique de l’agriculture, avec le besoin de produire pour alimenter les villes, les agriculteurs africains habitués à produire pour manger sont désemparés quant à la gestion de l’exploitation, à l’acquisition ou à la modification de modes de production ainsi qu’à la prévision et à l’organisation du marché, sans parler de l’amélioration des conditions de vie et de santé de leur famille. Est-ce normal que ces connaissances fassent défaut ? Elles sont la conséquence du manque de formation à ce sujet. Les besoins en formation sont importants et urgents : formation des formateurs des ONG, formation des responsables des OPA, formation des paysans dans les villages. Ce monde agricole en pleine transformation réclame des formations adaptées. Les agriculteurs et leurs encadrants réclament des formations d’aide à la gestion, à la création et à l’organisation d’exploitations agricoles de production où tous les volets de cette gestion seraient abordés. Ils veulent sortir du système autarcique ancestral. Or, sur le terrain, très peu de personnes compétentes peuvent répondre et assurer ces formations, ainsi qu’analyser le fonctionnement des systèmes agraires en mutation. Il reste donc une tâche urgente et essentielle de la part des aides extérieures concernant non seulement les moyens techniques et financiers nécessaires au développement mais surtout l’encadrement plus efficace et plus complet pour pouvoir accompagner les agriculteurs dans la transformation urgente d’une agriculture de production et commerciale.

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CHAPITRE 13 L’odeur du pétrole

13.1. Une longue histoire Les premiers travaux de recherche sur le pétrole au Tchad furent effectués de 1952 à 1955 par le Bureau de recherches pétrolières (BRP-France). Dès 1952, les premiers indices de l’or noir dans le bassin de Doba sont mis à jour. Mais malgré cette certitude scientifique, l’attitude officielle de la France (pays colonisateur) consiste à privilégier la thèse de la "pauvreté du sous-sol tchadien", faisant planer le doute sur les potentialités et perspectives pétrolières du Tchad jusqu’au lendemain de l’indépendance (Moutedé-Madji, 2018). Aussitôt après l’indépendance, le premier président du Tchad, François Tombalbaye, fait appel aux Américains pour mener les recherches pétrolières. Mais ce n’est qu’en 1964 que les recherches dans le sud sont reprises sérieusement. C’est la Continental Oil Company (CONOCO) qui obtint le permis de recherche, recherche qui se révèle fructueuse dans la partie méridionale du Tchad. Dans les années 1970, la CONOCO cède 50 % de sa part à Shell, 25 % à Chevron et 12,5 % à Esso. Elle se retire du projet en 1979 et cède ses parts à Esso, avec le début de la guerre civile et de la dégradation de la situation interne. Entretemps (1973), de l’ensemble des forages dans cette région sud, ceux de Miandoum, Komé et Mangara se révèlent très positifs. A l’occasion de l’inauguration par le président Tombalbaye de la découverte du premier forage à la Nya près de Doba le 18 décembre 1973, un homme politique74 déclare (Moutédé-Madjï, 2018) : "Le pétrole devrait servir de moteur du développement des secteurs 74

Gali Gatta Ngothé, député tchadien, aujourd’hui dans l’opposition.

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comme l’agriculture et l’élevage et surtout nous aider à améliorer nos infrastructures de communication afin de construire l’unité du pays". Qu’en est-il aujourd’hui, 15 ans après le début de l’exploitation ? C’est ce que nous allons essayer de voir. En 1982, un nouveau régime s’installe avec Hissène Habré. En 1988, le Tchad signe avec Esso une convention de recherches, d’exploitation et de transport des hydrocarbures. En 1990, avec l’arrivée d’Idriss Déby c’est un autre régime qui parvient au pouvoir. En 1992, Chevron quitte le consortium en vendant ses parts à Elf (France). Dans ce nouveau schéma, Exxon détient 40 % de même que Shell, Elf n’ayant que 20 %. Toujours en 1992, la Banque mondiale fait son entrée dans le projet pour garantir les risques politiques et soutenir financièrement les Etats camerounais et tchadien car le Tchad n’ayant pas de façade maritime, le Cameroun est choisi pour sortir le pétrole via un oléoduc de 1070 km depuis Doba jusqu’au port camerounais de Kribi. En 1999, Shell et Elf quittent le projet sous prétexte officiel que les gisements (gaz et pétrole) angolais sont plus rentables. En 2000, d’autres compagnies, Petronas (malaisien) avec 35 % des parts et Chevron-Petroleum (Société américaine) avec 25 % des parts font leur entrée dans le consortium où Exxon-Mobil (groupe américain) détient alors 40 % des parts. Le 10 octobre 2003, c’est l’inauguration officielle et le début de l’exploitation75. Aujourd’hui, le Tchad se situe à la 10 ème place des pays africains76 producteurs de pétrole avec environ 110 000 barils/jour pour atteindre progressivement 200 000 barils/jour. Si de nouveaux gisements importants ne sont pas découverts, on estime de 30 à 40 ans la durée de production restante au rythme actuel. Or, actuellement, le pétrole représente au Tchad 70 % des recettes d’exportation du pays. Il est possible qu’avec les nouveaux champs pétroliers du Bassin de Bongor et le début de l’exploitation en 2019 du bassin du Logone occidental, la production augmente et par conséquent les recettes d’autant plus avec un baril avoisinant ou supérieur à 70 dollars l’unité.

75

A cette date, nous sommes à Doba pour une mission d’évaluation d’un projet de développement agricole initié par le consortium pétrolier. Doba et les environs sont quadrillés et surveillés par toute l’armée tchadienne à cause de la présence sur place du président Idriss Déby pour cette inauguration historique. 76 Le premier pays étant le Nigéria avec près de 2 millions de barils/jour.

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Toute l’économie du Tchad est basée sur le cours du pétrole. Lorsque le prix du baril a chuté77 en dessous de 50 dollars entre 2014 et 2016, la répercussion sur le budget national a été immédiate, à commencer par le retard du paiement des fonctionnaires ce qui a entraîné des grèves importantes et une déflation durable de l’économie. Avec l’augmentation des cours en 2019 et la mise en chantier de nouveaux champs pétroliers, le pays aura-t-il enfin la capacité à diversifier son économie (dont l’agriculture), à assainir ses finances et à améliorer sa gouvernance ? Avec l’expérience du passé, rien n’est moins sûr.

13.2. Une question de surface Ce projet s’implante dans un milieu ayant une moyenne de population de 15 à 20 habitants au km2 (densité modérée à l’échelle du Tchad), pratiquant l’agriculture en système pluvial extensif avec des jachères longues. Cette population est caractérisée par une pauvreté généralisée, une sécurité alimentaire précaire et ignore tout de la grande industrie. Si la région concernée par l’extraction du pétrole est concentrée sur quelques cantons de la région de Komé, Béro et Miandoum, il faut y ajouter tous les villages touchés par le tracé du pipeline jusque dans les Monts de Lam (figure 14 page 234). Les mutations spatioéconomiques observées dans ces régions depuis l’ère du pétrole sont également transposables dans d’autres régions où les installations pétrolières vont se développer et où de nouveaux pipelines vont être implantés. Ces problèmes d’espace vont toucher des populations de plus en plus nombreuses. Nous nous penchons ici sur le premier espace concerné, celui du Logone oriental, tout en sachant que l’exploitation du gisement de Moundou puis celle des régions de Krim Krim et de Dosséo (dans le Mandoul) affecteront des zones sensiblement plus peuplées que celle des puits de Doba. L’étude d’impact environnemental, réalisée en 1999 avait estimé à 300 puits pétrolifères à réaliser dans le bassin de Doba. Aujourd’hui, on en est à plus de 1000 (Moutédé-Madji, 2018). Cette densification en puits a des conséquences sur l’occupation des terres et nécessite la construction d’infrastructures qui ont pour conséquence 77

Entre 2010 et 2014, le prix du baril avait varié de 80 à 100 US $ l’unité.

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l’immobilisation temporaire ou définitive des terres agricoles. Dans chaque champ pétrolier – Komé, Miandoum, Bolobo – on trouve des centres opérationnels, des unités de traitement de l’eau, du pétrole et du gaz ainsi qu’un réseau de distribution d’électricité, un système de transport par oléoduc, un réseau routier et des stations de collecte nécessaires à l’exploitation de ces champs. Le centre opérationnel principal situé près de Komé comprend, en plus des installations strictement pétrolières, une centrale électrique, des entrepôts, un centre administratif, de formation et de maintenance, une clinique pour le personnel, des logements pour 100 personnes et un terrain d’atterrissage de 3200 ha capable de recevoir des gros porteurs. L’ensemble de ces infrastructures a donc nécessité la disparition définitive des terres agricoles concernées. Depuis le début de l’exploitation (2000-2002) sont venus s’ajouter des "champs satellites" c’est-à-dire plus récemment identifiés avec plus de 80 puits forés et mis en exploitation exigeant ainsi de nouvelles confiscations de terres. Les infrastructures de transport du pétrole concernent l’oléoduc principal78 (traversant une région du Tchad ayant une densité de 25 à 30 hab./km2), les pipelines annexes, des routes, des pistes d’accès et des lignes de haute tension morcellent ainsi les exploitations agricoles. Ce sont probablement les routes et les pistes d’accès qui marquent le plus le paysage. Si ces pistes et routes permettent de désenclaver la région et particulièrement le département des Monts de Lam, il n’en reste pas moins l’existence d’une perte importante des surfaces pour certains villages donc pour de nombreux paysans. A l’échelle de la région entière, l’impact du projet sur les terres cultivables est faible car la surface totale utilisée par le projet par rapport à celle du Logone oriental est presqu’insignifiante. Mais à l’échelle locale, au niveau d’un village, le problème d’occupation des terres devient préoccupant, voire très problématique pour les populations directement concernées, alors que la densification du projet se poursuit. La pression foncière est de plus en plus accentuée dans les champs pétrolifères. Comme dit plus haut, des 300 puits estimés au départ, on dépasse aujourd’hui les 1000. 78

De Komé à Kribi sur la côte maritime du Cameroun, l’oléoduc mesure 1076 km dont 178 km au Tchad, affectant aussi le Cameroun avec les mêmes problèmes des terres qu’au Tchad.

224

Selon une enquête menée en 2010, sur 400 personnes et 12 cantons (tableau 2), on remarque : ‒ dans la zone des champs pétrolifères, une diminution de 52 % des surfaces cultivées par paysan ; ‒ dans la zone du pipeline, une diminution de 34 % des surfaces cultivées par paysan ; ‒ hors zone pétrole, une diminution de 32 %. La baisse des surfaces exploitées en dehors de la zone pétrolifère s’explique à la fois par la forte pression démographique sur les parties nord et est du Logone oriental et l’extension exponentielle de la ville de Doba en raison de l’exploitation pétrolière. Zones géographiques Zones des champs pétrolifères Zone pipeline Hors zone pétrole Total

Nombre personnes enquêtées

Surface totale cultivée avant 2000

Surface moyenne cultivée avant 2000

Surface totale cultivée après 2000

Surface moyenne cultivée après 2000

240

991,00

4,13

473,80

1,97

120 40 400

565,00 134,50 1691,40

4,72 3,36 4,23

376,00 91,80 941,60

3,13 2,30 2,15

Tableau 2 : Occupation des terres selon les zones géographiques avant et après l’exploitation pétrolière (Moutedé-Madji, 2018) (surfaces en hectares)

Vient aussi le problème environnemental. Pour le développement des activités pétrolières, l’opérateur a eu besoin (et encore aujourd’hui) de latérite pour compacter les plates-formes des puits, des routes et des pistes d’accès, etc. Les anciennes carrières abandonnées ne sont pas toujours restaurées selon des normes en vigueur mais deviennent souvent des mares artificielles remplies par les eaux de pluie, dangereuses pour les enfants qui viennent s’y amuser. Pour Esso, ce serait au gouvernement tchadien de refermer ces carrières (Moutédé-Madji, 2018). Quant aux espaces restaurés et restitués aux populations, ceux-ci ne sont pas exploités par les paysans car ils ne présentent plus les qualités agricoles d’avant, la terre végétale de surface n’ayant pas été remise correctement mais mélangée au tout-venant. Or, dans la loi de 1998 concernant la protection de l’environnement, la responsabilité de chacun est bien spécifiée (individuellement et institutions ou associations) dans la lutte contre toute sorte de pollution et de dégradation. Mais les observations

225

de terrain montrent un manque d’application des obligations contractuelles du consortium contenues dans le document officiel rédigé à cet effet. Des villages ont également eu leur accès aux champs agricoles coupés du fait des installations permanentes, les travaux pétroliers ayant priorité sur l’activité agricole des populations. Concernant les déchets qui s’accumulent et polluent l’espace, Esso n’arrive pas à en gérer l’élimination (métaux, papier, plastique, graisse de cuisine, verre, caoutchouc, ...). Une partie est livrée à la population pour en faire usage mais que deviendront les déchets dangereux ? On peut également signaler une pression croissante sur les ressources en eau et forestières. La pression sur les ressources en eau a entraîné des conséquences négatives pour les riziculteurs et les pêcheurs en aval du réseau utilisé par le consortium. La construction des multiples pistes d’accès et routes, des platesformes, des bases de vie, de l’aéroport, du passage du pipe-line a totalement détruit le couvert végétal qui était composé de nombreuses espèces d’importance alimentaire et qui n’ont pas été éligibles à la compensation. Des sites culturels n’ont pas non plus été épargnés. Nous terminerons ce tour d’horizon environnemental en signalant des cas de déversement accidentel de pétrole brut dans des mares (en 2005, 2008, 2011) parfois à très grande proximité des rivières. Aussi quelles seront les conséquences de cette manne pétrolière sur l’avenir socio-économique des paysans concernés qui voient leur espace cultivable diminuer et restent sans appui ni encadrement pour augmenter les rendements des productions ?

13.3. Quelle part pour l’agriculture ? Comme déjà évoqué, le projet pétrolier a affecté de nombreuses terres agricoles cultivées. Parmi ces surfaces, certaines sont définitivement perdues pour l’agriculture, d’autres retournent à leur usage agricole après le retrait des travaux d’implantation et des équipements. Des savanes collectives ont aussi été concernées par le projet pétrolier. A la suite de ces atteintes, il est évident que les agriculteurs et les communautés villageoises concernés subissent des préjudices plus ou moins importants selon l’emplacement et la superficie des terres perdues ou temporairement affectées.

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Pour dédommager ces pertes de biens (habitations, terres, puits, arbres) et de production (cultures sur champ), le projet pétrolier a donné des compensations pour chaque perte identifiée et estimée suivant des valeurs établies (la compensation pouvait s’effectuer en numéraire ou en nature - petite mécanique agricole, vélos, motopompes, etc.). Lors de l’étude de la demande de compensation, le service socioéconomique et environnement du projet pétrolier a évalué également le préjudice (nombre de personnes par famille par rapport à la terre cultivable restante en tenant compte aussi de la situation sociale et professionnelle de l’individu 79). Si le préjudice est important, la personne est éligible à la réinstallation ou à la relocalisation. Autrement dit, si les ressources restantes après affectation ou prise par le projet étaient inférieures à un certain seuil (les pertes étant dans ce cas très importantes) la personne avait droit à une aide supplémentaire à la relocalisation (il s’agit surtout de reconstruction d’habitations), à la réinstallation ou à l’alternative. La réinstallation ou les alternatives comportaient soit : ‒ le changement de village pour retrouver des terres cultivables ; ‒ la formation à un nouveau métier (couturière, maçon, menuisier, maraîcher...) ; ‒ la prise d’un poste de travail chez ESSO ou les sous-traitants (trop souvent temporaires) ; ‒ ou l’encadrement par un projet 80 sous-traité appelé "Formation en cultures améliorées". Lors de la préparation du projet "Agriculture améliorée", on s’est vite aperçu de l’intérêt collectif d’un tel programme. C’était l’occasion de créer une dynamique de groupements d’agriculteurs dans les villages, groupements qui n’existaient pas encore. Suite à cette stratégie de terrain, des groupements ont été légalement constitués dans chaque village avec parfois jusqu’à 5 groupements par village. L’ensemble des personnes inscrites dans les groupements s’est élevée à environ 800 mais concernait une population agricole d’environ 7 000 personnes (agriculteurs, épouses, enfants, personnes à charge). 79

Par individu, on entend le chef de famille ou d’exploitation avec sa ou ses épouses, ses enfants ainsi que les autres personnes qui sont à charge – vieillard, petit frère – ce qui représente souvent entre 10 ou 15 personnes. 80 Projet ORT/ESSO – EMP – SOCIOECO pour lequel nous avons effectué une mission de consultance en 2003.

227

Un beau challenge pour le projet "Formation à l’agriculture améliorée" que de transformer une agriculture itinérante en culture permanente dans cette zone pétrolière tchadienne et d’apporter une réelle contribution au développement socio-économique de l’agriculture locale, sur laquelle nous allons revenir. La compensation individuelle consistait à verser par l’entreprise pétrolière, de l’argent ou du matériel en contrepartie des investissements réalisés sur la terre occupée par les infrastructures du pétrole, permettant ainsi aux personnes de "restaurer" leurs conditions de vie. Mais ce furent les produits que porte la terre qui furent compensés et non la terre elle-même, celle-ci étant considérée comme domaine de l’Etat. De nombreuses discussions entre ESSO et des ONG défendant les paysans eurent lieu pour fixer les barèmes de la compensation car ESSO considérait seulement les récoltes d’une année alors qu’un arbre détruit, par exemple, pouvait produire pendant plusieurs années... ! De nombreuses plantes et arbres fruitiers "sauvages "et pharmaceutiques de la forêt claire ne furent pas pris en compte par ESSO. Les compensations versées en nature et en espèces81 ont représenté une masse d’argent très importante mais qui n’ont pas amélioré la vie des bénéficiaires, révélant le manque de préparation des communautés et des individus à recevoir de telles sommes et à les gérer. Cet argent a eu un effet positif très limité chez les paysans qui n’ont pas connu une amélioration significative de leurs conditions de vie. Au contraire, ces sommes ont contribué à la détérioration de liens sociaux et à la naissance de conflits entre différents paysans qui utilisent la terre. La majorité de la population pense que la compensation a été gaspillée ou a provoqué des jalousies, de la prostitution, de la sorcellerie, etc. Une enquête menée en 2011 dans le village de Pouteguem raconte "Une personne a reçu environ 30 millions (de CFA) en compensation individuelle. Elle a payé six motos et une voiture mais aujourd’hui, elle n’a ni un vélo pour ses déplacements, ni de quoi nourrir sa famille" (Moutedé-Madji, 2018). Et cet exemple s’est répété de nombreuses fois. Il faut aussi ajouter qu’au moment du paiement des compensations, il n’y avait ni banques ni caisses d’épargne dans la zone... elles ne sont venues qu’après (à Doba). Quant aux compensations en nature, leur qualité a été souvent contestée par les bénéficiaires. 81

Parfois plusieurs millions de F CFA versés en une seule fois à un seul individu.

228

Si par le passé, après une bonne récolte un paysan pouvait donner volontairement 82 une partie de cette récolte, ou un poulet, ou un cabri au chef de village, au chef de canton pour accueillir ses étrangers ou donner aux pauvres, dans la zone pétrolière, les autorités locales ont procédé à un prélèvement de 10 % sur les montants versés à chaque personne compensée. C’est dire si ces prélèvements par les autorités ont été source de nombreux conflits entre les autorités elles-mêmes, entre individu et individu, individu et ESSO, entre le chef de canton et organismes de la société civile. Les compensations furent ainsi plus des éléments de désordre (voire de gaspillage) que de progrès sociaux, ESSO ayant complètement oublié le contexte socio-économique très particulier (des populations rurales en pays sous-développé) dans lequel il allait devoir opérer. Pour les éligibles à la réinstallation ou aux alternatives, certains choisirent une formation aux métiers non agricoles (environ 350 personnes) : mécanique, couture, menuiserie, soudure, maçonnerie, maraîchage, boucherie, etc. Mais ces personnes une fois formées mais non aidées à l’installation ont regagné leur village, n’ont pas mis en pratique leur formation et sont retournées à la terre. Il faut ajouter que ces exploitants en formation étaient pris en charge avec leur famille par ESSO et recevaient une bourse de 50 000 F CFA par mois (presqu’un smic), ils étaient plus attirés par cette prise en charge que par l’apprentissage d’un métier. Devant l’échec, ESSO abandonna ces formations. La formation aux techniques agricoles et cultures améliorées eut un certain succès, ESSO sous-traitant cet appui avec l’ONG ORT de 2002 à 2007 (ou 2008 ?) ayant son siège à Doba puis relayée par l’ASSAILD à partir de 2008 ayant son siège à Moundou avec un coordinateur à Bébedja. Comme dit plus haut, au départ près de 800 personnes étaient inscrites dans des groupements villageois pour bénéficier des formations et de l’encadrement (avec 4 ou 5 agents techniques de terrain) mais pour finalement se limiter en 2008-2009 à environ 170 éligibles répartis entre les cantons de Béro, Komé, Miandoum, Mbikou et Miladi. Lorsque nous avons analysé ce projet (Mathieu, 2003) nous portions un certain jugement sur les modalités d’exécution :

82

Comme la dîme, offrande aux églises ou don au marabout pour les musulmans.

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‒ la formation des paysans aux facteurs de la production végétale (itinéraire technique, fertilisation organique et chimique, compostage) ne peut se faire qu’à partir d’exemples locaux, de suivis d’exploitation, de démonstrations de terrain. Sans ces données locales et concrètes, nous aurons très peu d’adhésions de la part des paysans ; ‒ le projet prévoyait l’aide au crédit. Sans crédit, aucun décollage des activités et des moyens de production ne peut être enclenché. Mais ces crédits ne sont pas venus ; ‒ une aide à la commercialisation devait également faire partie du projet. Nous estimions alors que d’expérience il ne fallait pas anticiper avant d’avoir réalisé correctement une phase de production pour l’autoconsommation et d’en avoir assuré la répétabilité. La première et la plus importante remarque que nous avons pu faire sur les activités du projet concernait le manque d’analyse (même partielle) des moyens d’exploitation et de la conduite de l’agriculture locale. On ne disposait d’aucune information sur les systèmes d’exploitation de la région. Deux éléments agronomiques essentiels "sautaient aux yeux" : les fumiers d’un cheptel bovin important (2 paysans sur 3 ayant au moins une paire de bœufs) n’étaient pas utilisés pour amender les cultures (d’où une absence de concept agricultureélevage) et l’utilisation de semences fermières plutôt que des semences sélectionnées produites à la station de Bébedja. De l’avis des paysans, le projet était bien perçu, convaincus que ce projet pouvait les aider efficacement à mieux produire, à produire plus, à améliorer leur situation. Mais le manque de réalisations concrètes (déjà citées) ou leur caractère parfois aléatoire (semences distribuées après les délais de date de semis, insuffisance de petit matériel, ...) impatientaient les paysans, les rendaient sceptiques et même agacés quand ils comparaient le temps consacré à toutes les réunions auxquelles ils participaient et leur charge de travail dans les champs. On notait trois critiques importantes vis-à-vis du projet : ‒ la première concernait le manque de petit matériel en matière de maraîchage (arrosoirs, pelles, râteaux, brouettes...). Au départ, l’aide matérielle est indispensable pour motiver l’engagement dans une nouvelle activité ;

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‒ le choix des légumes à cultiver, une proposition participative et responsable était nécessaire, le projet ne pouvait imposer des légumes non appréciés ; ‒ une demande forte concernait un crédit pour les équipements importants (bœufs, charrettes, charrues). En conclusion sur cet aspect "formation à l’agriculture améliorée", beaucoup d’énergie a été dépensée pour les deux projets successifs ; si quelques résultats ont été signalés, particulièrement en maraîchage, il n’en reste pas moins que les formations réalisées ont manqué de réalisme dans le sens que les sujets abordés se sont limités à des sujets sectoriels au lieu de traiter un projet intégré avec tous les aspects (techniques, économiques, commerciaux, sociaux) d’une intégration agriculture-élevage. Dans la conduite d’une exploitation agricole, les leviers sont multiples et complémentaires, ignorer leurs relations conduit à la stagnation et non au développement. Dans cette zone pétrolifère à très forte ruralité, il faut également évoquer les compensations communautaires qui ont consisté à construire des infrastructures pour les villages affectés par des installations permanentes du projet. La réalisation et le choix de ces compensations ont été confiés à des ONG locales et à la GTZ83 qui ont fait un travail d’animation pour amener les villages à exprimer leurs besoins. C’est ainsi que certains villages ont bénéficié d’écoles ou/et de l’eau potable. Mais très vite, le problème de l’entretien et de la gestion des infrastructures s’est posé. C’est ainsi que sur les treize premières infrastructures hydrauliques réalisées dans seize villages, huit ne fonctionnaient plus peu après (Moutedé-Madji, 2018). A la suite de nombreux mécontentements des communautés villageoises sur l’insuffisance et la défectuosité des premières infrastructures réalisées, ESSO a décidé d’impliquer d’une manière plus importante les ONG locales dont le BELACD de Doba et le JMN84. Mais très souvent le choix des communautés n’a pas été respecté par ESSO, créant sans plus finir de nouveaux conflits. ESSO ayant souvent fait pression sur les chefs de village pour obtenir leur signature sur les nouveaux documents de choix des ouvrages qu’il a voulu imposer aux communautés. Nous ne nous étendrons pas sur l’origine des nombreux conflits fonciers créés par toutes les activités pétrolières : conflits entre 83 84

GTZ agence allemande de coopération internationale. JMN, ONG qui porte le nom de son fondateur Jean-Marie Noireau.

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éleveurs et paysans (conflits récurrents mais amplifiés par l’arrivée du pétrole), conflits entre familles, conflits avec et entre les communautés villageoises ou cantonales, conflits avec les chefs traditionnels, avec l’administration, les acquéreurs de terrain et les investisseurs... En conclusion de son ouvrage sur l’exploitation pétrolière dans le Logone oriental, Moutédé-Madji (2018) écrit : "L’exploitation du pétrole de Doba, au lieu d’être le moteur pour le développement des activités agropastorales, présente plutôt des risques de leur destruction. Que l’exploitation d’une ressource tarissable, le pétrole, ne mette pas en péril celles qui sont pérennes, l’agriculture et la pêche. Les réflexions à venir devraient s’orienter, de manière concertée, vers l’intégration de l’exploitation pétrolière au développement agricole en vue de soutenir la croissance économique actuelle du Tchad, sans compromettre la sauvegarde de ses ressources pérennes... La sensibilisation a essentiellement porté sur les opportunités qu’offrira le projet et les autres effets positifs pour la population. Cette sensibilisation a toujours été accompagnée de nombreuses promesses notamment : la construction et le bitumage des routes dans la zone ; l’électrification de villages ; la construction d’écoles et de centres de santé ; l’emploi pour tous, la distribution mensuelle des revenus pétroliers, etc. Ces populations ont été nourries d’espoirs et d’attentes au-delà de la réalité. Aujourd’hui, c’est la désillusion... ". Avec l’argent du pétrole, entre autres, les 5 % alloués à la région productrice (modeste somme par rapport à l’ensemble de la ressource) on aurait pu enclencher les bases du développement dans le grand sud du Tchad, en particulier pour le milieu rural à travers des investissements dans l’agriculture, principale activité de la population mais aussi du pays (par la formation, l’organisation des services et des OP, les infrastructures, etc.). Ainsi, par exemple, les grands ouvrages (marchés, hôpitaux, stades) (les "éléphants blancs" - Moutédé-Madji, 2018) n’ont concerné que les centres urbains au détriment du milieu rural. Ne fussent que l’infrastructure routière, l’électrification des villages et l’accès à l’eau potable... Beaucoup de réorganisations et d’accompagnement restent à faire.

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Photo 53  La base pétrolière principale, à Komé – voir dans le fond les implantations des puits pétroliers (photo Alwihda info).

Photo 54  Implantation des puits pétroliers dans le paysage agricole, environs de Komé (photo Pascal Regimbaud, 2009).

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Figure 14  Situation actuelle des zones pétrolières et des pipelines au Logone oriental.

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CHAPITRE 14 Sortir de l’impasse

14.1. Les fonctions régaliennes Les recommandations pour un meilleur développement des secteurs et des filières agricoles et agro-alimentaires au Tchad ne manquent pas dans de nombreuses publications et rapports que ce soit ceux des chercheurs, des experts ou des services techniques de l’administration. Notre intention n’est pas d’en produire une énième, sachant qu’elle ne saurait être exhaustive sur ce problème. Nous rappellerons seulement que les différents leviers du développement se situent à tous les échelons de la société, du paysan jusqu’au sommet de l’Etat en passant par les groupements ou organisations professionnelles, les filières, les formateurs, les directeurs des sociétés de crédit, les filières agro-alimentaires et plus particulièrement les services techniques de l’Etat. Il ne peut y avoir de développement sans une participation forte de l’Etat à la construction d’un environnement profitable à l’ensemble de la population et nous retiendrons quatre éléments essentiels, à savoir : l’infrastructure routière, l’accès à l’eau et à l’électricité et l’alphabétisation du plus grand nombre. Lorsque l’on évoque l’état de l’infrastructure routière avec des interlocuteurs ne connaissant pas les milieux africains, ceux-ci peuvent difficilement imaginer les difficultés que peuvent rencontrer les transporteurs dans un pays comme le Tchad. Le Tchad compte 40 000 kilomètres de route dont 25 000 d’intérêt national ou régional (selon les autorités tchadiennes). Seulement 2,5 % de ce réseau routier est asphalté (soit 1000 km) selon les axes vers le sud N’DjamenaKelo-Moundou, Doba-Sahr et vers l’est N’Djamena-Abéché. L’axe Kelo-Pala (vers le Cameroun) dont le revêtement était prévu depuis 2016 reste toujours dans l’état d’une piste très défectueuse. Sur plus 235

de 200 km, dans le secteur asphalté Bongor-Kelo, l’état de dégradation du revêtement est tel qu’une moyenne de 50 km/heure pour un bus ou un camion est impossible à réaliser. Tout le reste du réseau est constitué de pistes en latérites, très mal entretenues avec des passages impossibles durant la saison des pluies. Dans ces conditions, les transports des marchandises et des voyageurs se fait avec les plus grandes difficultés, le matériel souffre et s’use rapidement. Les pièces de rechange ne sont pas fabriquées dans le pays et sont donc importées et payées en devises. Avec l’entrée du pays dans le groupe des pays producteurs de pétrole, celui-ci aurait dû apporter un soin particulier au développement et à l’entretien du réseau routier, un des premiers facteurs indispensables au développement de l’agriculture commerciale. En 2000, l’accès de la population à l’eau potable était d’environ 20 %. Depuis, sous l’impulsion du président Déby mais surtout grâce à l’aide internationale (UE, BAD, AFD, Banque mondiale), on estime, selon les sources, qu’entre 55 et 65 % des Tchadiens ont accès à l’eau potable. Ces estimations sont basées sur le nombre de pompes villageoises installées. Mais ce que les statistiques ne rapportent pas c’est le nombre de pompes hors d’usage faute d’entretien et de pièces de rechange. Et le reste de la population (45 à 55 %) doit se contenter de l’eau des mares et des rivières. Or la bonne santé de la population n’est-elle pas aussi un facteur prioritaire du développement du milieu rural comme du milieu citadin ? Quant aux réseaux d’assainissement des eaux pluviales et des eaux usées dans les villes moyennes, un effort important, aussi grâce à l’aide internationale, a été réalisé pour implanter ces réseaux. Malheureusement, sans entretien régulier des caniveaux, sans éducation de la population, il ne faut pas plus de deux ou trois ans pour que ceux-ci soient complètement remplis de sable ou comblés par les poubelles et les détritus, ceci en l’absence totale d’un ramassage régulier des ordures ménagères et de celles des petits commerces et ateliers. Toute la dépense engagée est alors anéantie par manque d’organisation, de prévoyance et de budgétisation de la part des municipalités. L’objectif de santé public devient alors un facteur d’insalubrité, niche favorable au cycle du moustique vecteur du paludisme. A quoi sert l’amélioration des structures de santé (dispensaires, infirmeries, campagne de vaccination, etc.) si les règles élémentaires d’hygiène ne sont pas respectées. Dans ce cas,

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l’insouciance collective écarte l’individu de ses responsabilités jusqu’à les rejeter sur autrui. Comment réhabiliter la sagesse ancestrale ? Un autre problème, tout aussi important que l’accès à l’eau potable est l’accès à l’électricité aussi bien en milieu rural que dans les villes. Le taux d’accès à l’électricité est estimé à moins de 9 % de la population mais seulement à 1 % en milieu rural. La consommation moyenne par habitant est de 10 kwh/an contre 5000 en Afrique du Sud (Hugon, 2016). Dans la ville de N’Djamena (1 million d’habitants), seulement un tiers de sa population a accès à l’électricité. Dans un pays au potentiel solaire énorme celui-ci doit avoir recours aux centrales, uniquement au gasoil (ce qui revient très cher en fonctionnement) pour alimenter les principales villes : N’Djamena, Moundou (100 000 habitants), Sarh (120 000 habitants), Abéché (77 000 habitants), Faya Largeau (50 000 habitants), Bongor (32 000 habitants) et Doba (30 000 habitants). Dans le sud, les villes de Koumra (50 000 habitants), Pala (42 000 habitants) et Kélo (50 000 habitants) par exemple ne disposent pas de centrales électriques, sans compter des villes moyennes comme Bébedja, Goré, Laï, Dono, Manga, etc. Dans toutes ces villes, avec ou sans centrales électriques, les commerçants et les particuliers les plus aisés utilisent de petits groupes électrogènes pour s’éclairer. Il est très rare de voir un atelier de menuiserie ou de soudure être raccordé au réseau public. La microfinance ne pourrait-elle pas venir en appui au développement de kits solaires individuels ? Ainsi le milieu rural est entièrement dépourvu d’énergie électrique ce qui serait bien indispensable pour la création et le développement d’un artisanat et de petits ateliers utiles à l’agriculture (création et réparation de matériel agricole). Dans les campagnes, la lumière attirerait les jeunes, les équipements se moderniseraient, la vie serait plus attrayante Ainsi le manque d’infrastructures – routes, eau, assainissement, électricité – pénalise gravement l’agriculture. Pour atteindre les objectifs de développement durable et répondre aux exigences liées à l’accélération de l’économie, à l’augmentation de la population citadine et rurale et par voie de conséquence lutter contre l’insécurité alimentaire, les besoins d’investissement total demandent un engagement urgent de l’Etat et des investisseurs privés que nous pouvons encore aujourd’hui difficilement espérer. Rappelons aussi que la biomasse traditionnelle (le bois) reste la principale source d’énergie de la majorité de la population (revoir chapitre 2, pages 63 et 64). 237

Si le consortium pétrolier de Doba a construit une centrale thermique moderne d’une capacité de 120 MW à Komé, celle-ci est exclusivement destinée à alimenter les opérations pétrolières. Les habitants de Komé, eux continuent à s’éclairer à la lampe à pétrole et à cuire les aliments au bois de feu. Aujourd’hui, l’accès à l’électricité en milieu rural est fondamental. Mais celle-ci ne peut se développer que sous l’impulsion d’une forte volonté politique grâce à des financements adaptés. Si par le passé, le coût des technologies disponibles, le faible niveau des revenus et la faible densité de la population rendaient ces programmes d’électrification économiquement quasi impossibles, aujourd’hui les nouvelles technologies solaires offrent des solutions décentralisées techniquement et financièrement adaptées. Dans une nouvelle programmation de l’énergie touchant, entre autres, les mesures législatives favorisant la libéralisation progressive du secteur85, en développant les énergies renouvelables (principalement le solaire), le Tchad espère atteindre d’ici 2030 un taux d’accès à l’électricité de 53 % sur tout le territoire et de 20 % en milieu rural (avec des financements venant de la BAD, de la Banque islamique de développement et de l’Office de l’électricité du Maroc)86. Ce projet qui devrait se réaliser sur une dizaine d’années permettrait une avancée substantielle pour le développement de tous les secteurs de l’économie, principalement primaires et secondaires même si le milieu rural reste encore à la traîne avec seulement un taux d’accès de 20 %. Mais la question que nous posons touche le suivi, l’entretien et la gestion des installations. Les financements futurs sontils assurés ? Comment vont se dérouler les formations des cadres nécessaires, parallèlement à la mise en place des infrastructures de production et de distribution de l’électricité ? Un nouveau challenge où les difficultés de l’après sont souvent négligées dans la réalisation des études. Vient ensuite le problème crucial de l’alphabétisation, considérée comme un facteur majeur de développement, un enjeu économique fondamental et un droit humain. Les savoirs dits "de base" : savoir lire, écrire et compter sont reconnus par tous les Etats comme étant des biens aussi indispensables que la santé. Le premier facteur de 85

Jusqu’à présent la Société Nationale d’Electricité (SNE) disposait d’un monopole d’Etat. Désormais, des opérateurs privés vont pouvoir bénéficier de licences d’exploitation. 86 D’après la Tribune, Afrique, 29/11/2018.

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pauvreté, c’est la précarité éducative. Mais face à ce consensus international, certains pays en développement, dont le Tchad, sont encore très loin d’avoir adopté une politique énergique pour éradiquer drastiquement l’analphabétisme alors que la lutte pour l’alphabétisation constitue un moteur de développement durable, qui contribue à une participation accrue au marché du travail, mais aussi à l’amélioration de la santé et de la nutrition, la réduction de la pauvreté et le développement des chances dans la vie. L’éducation et l’alphabétisation par le développement des écoles sont une des fonctions prioritaires des Etats. Pour le Tchad, les statistiques sont difficiles à connaître. En 2013, le Secrétariat général du Ministère tchadien de l’enseignement fondamental reconnaissait que 78 % de la population était analphabète (69 % d’hommes et 86 % de femmes) rendant impossible tout développement harmonieux et durable. C’est vrai, que depuis un effort très important a été réalisé pour lutter contre l’analphabétisme, effort de l’Etat en développant l’enseignement primaire et secondaire, effort des ONG pour apporter une aide matérielle aux écoles, effort des parents dans les villes moyennes pour créer des écoles privées. Mais la tâche est tellement vaste qu’on estime que près d’un million de jeunes en âge d’aller à l’école n’y vont pas. En 2018, 69 % des jeunes de 15 à 24 ans sont encore analphabètes et seulement 40 % des adultes sont alphabétisés. Pour l’aspect de l’alphabétisation, le Tchad se situe à la 176ème position sur 182 dans le monde. Pour résorber ce problème, un effort politique, social et économique très important est encore nécessaire. Dans le milieu rural, les écoles primaires et secondaires sont dépourvues de tout matériel pédagogique. Les classes parfois construites de branchages, de pieux de rôniers et toit de paille ne sont meublées que d’un tableau et de sièges faits de troncs d’arbres. Aucun petit matériel pour enseigner les volumes, les longueurs ou quelques notions de physique ou de physiologie. Nous nous rappelons notre période d’enseignant à l’Université du Burundi, à Bujumbura, où les bacheliers arrivant de la brousse n’avaient aucune notion des distances courtes (10 mètres, 100 mètres), n’avaient jamais vu un interrupteur ou une prise de courant et plusieurs n’avaient jamais roulé à vélo. Cette situation assez ubuesque n’est pas bien différente pour les jeunes tchadiens des brousses soudaniennes. L’importance de l’école élémentaire pour l’apprentissage des savoirs de base est prioritaire pour les jeunes ruraux, pour ceux qui 239

vont devenir agriculteurs, qui vont être confrontés à une agriculture de marché avec le développement des groupements, des coopératives. Les changements rapides et nécessaires des agricultures africaines (alternatives agro-écologiques avec agro-foresterie, association agriculture-élevage, traction animale, petite motorisation) vont exiger à la fois beaucoup d’intelligence agronomique, des investissements lourds (de la part de l’Etat) sur le plan institutionnel et des infrastructures importantes d’où une urgence de formation des formateurs, de formation des acteurs de la production, donc des agriculteurs. Ceci nous ramène une fois de plus à la responsabilité régalienne de l’Etat en matière d’école des savoirs de base. Relever la condition paysanne par l’alphabétisation massive d’une classe d’âge de 12 à 30 ans pourrait être un objectif rapidement réalisable si on y affectait tout le poids, tous les moyens désirables. Reprenant ici une idée de René Dumont (1975), il suffirait de "mobiliser", donc de motiver des jeunes diplômés universitaires (volontaires et engagés), ayant reçu une formation pédagogique spécialisé de deux mois, pour aller alphabétiser les jeunes paysans dans leurs langues vernaculaires ou en français. Ces alphabétiseurs formeraient en un an une masse importante d’alphabétisés. Et pour ces futurs cadres du pays, ce contact prolongé avec les réalités de la vie rurale constituerait une formation irremplaçable. Cette idée n’est peutêtre qu’un rêve mais qui en 1962, à Cuba, et vers 1970-74 en Algérie a montré l’efficacité d’une telle politique. L’enseignement supérieur doit être revu et complètement corrigé. Les étudiants sont trop nombreux en lettres et en droit et même en économie théorique alors que l’on manque partout de techniciens supérieurs, de gestionnaires, en somme de tout ce qui commande la production, un aspect parmi d’autres déjà mis en évidence une fois de plus par René Dumont (1991). Quant à l’enseignement supérieur agricole largement copié sur les modèles occidentaux, il ne correspondant pas au besoin réel et urgent en cadres de terrain. Les besoins en formation doivent découler directement des nécessités de terrain et non des attributs de la fonction publique. Les formations agricoles doivent engendrer les besoins des nouveaux métiers aux divers niveaux d’organisation (producteurs, groupements, coopératives, transformateurs, etc.). Un nouveau mode rural doit s’organiser, les formations doivent être en adéquation avec ce changement (Mathieu, 2016).

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A cette situation concernant l’urgence de l’école, nous ajoutons celle de l’augmentation du nombre de paysans dans les trente prochaines années. En 2018, la population totale du Tchad est d’environ 15 millions d’habitants dont 70 % de ruraux, soit environ 10,5 millions. En 2050, la population est estimée à environ 30 millions d’habitants dont seulement 46 % de ruraux, mais cela représente encore 14 millions de paysans. Si en 2050, le nombre d’urbains est en nette augmentation, le nombre de ruraux, donc aussi de paysans l’est également (Ngakoutou, 2004). Non seulement en milieu urbain mais également en milieu rural, l’emploi devient le problème majeur. Et l’emploi nécessite au départ une formation qui passe obligatoirement par l’école, à commencer par l’école élémentaire c.q.f.d. ! Certes, en plus des éléments concernant les infrastructures routières, l’accès à l’eau (en qualité et en quantité), à l’électricité et à l’alphabétisation du plus grand nombre, la lutte contre la malnutrition doit être une préoccupation permanente de l’Etat avec tous ses services concernés travaillant dans une meilleure coordination, les structures rurales de santé doivent aussi être soutenues d’une manière plus importante (financement des soins et du personnel) tout en ayant à l’esprit que la première des maladies est la pauvreté (Dr. Gentilini, Académie de médecine et ASOM).

14.2. Accompagner les paysans Comme la population rurale va continuer à augmenter, il va donc y avoir une réduction des surfaces cultivées par habitant. Or, jusqu’à présent les accroissements de production agricole qui ont permis de suivre partiellement la croissance de la population ont été essentiellement le produit d’une extension des surfaces cultivées ce qui ne peut plus se poursuivre et non de progrès significatifs en matière d’intensification. Devant l’urgence, quelle exigence préconiser pour augmenter la croissance agricole en engageant des activités qui permettent de générer rapidement de nouveaux itinéraires techniques ou modifier les itinéraires existants. Sans vouloir détenir la solution miracle, nous pouvons affirmer que le paysan, quel qu’il soit, ne prend confiance que dans des résultats concrets issus d’expériences réalisées dans son milieu. Si le premier stade des transferts d’agrotechnologie va de la recherche en sites expérimentaux à l’extension horizontale dans des sites nouveaux, le 241

second stade va de l’extension horizontale à la diffusion chez le paysan. Dans un premier temps, le fermier sert d’observateur lors des essais en plein champ sur ses propres terres. Dans un deuxième temps, il doit intervenir comme moniteur-animateur du programme diffusé. Nous avons très bien connu cette situation lors d’essais menés au Burundi par le programme IBSNAT (Mathieu et al., 1992 ; Mathieu, 2016). Au Burundi, dès la deuxième année de l’expérimentation, les paysans voisins du site furent impliqués sur leurs terres. Au Tchad, dans le village de Mongo (Doba), l’utilisation de plus en plus régulière des fumiers par les paysans est due à l’exemple des résultats obtenus par un paysan – animateur d’ATADER formé par nos soins. Avant que des techniques puissent être valablement recommandées aux agriculteurs, elles doivent être soumises à la rigueur des essais dans les champs des agriculteurs eux-mêmes. De plus, même si la zone agricole concernée par le programme semble relativement uniforme, il y a presque toujours des variations bio-climatologiques ou pédologiques qui limitent l’application généralisée des résultats obtenus, d’où la nécessité de répartir les champs d’essai à partir des divers systèmes de production identifiés. En 2012, le CPGRP gérant les 5 % des revenus pétroliers affectés à la région productrice mandate l’ONG ATADER de Doba pour préparer un programme appelé "champs-écoles"87 dans le Logone oriental. Une belle initiative et opportunité allant dans le sens souhaité depuis longtemps par nos recommandations. Ce programme consistait à créer dans les 6 départements de la région des champs de démonstration de ¼ d’hectare pour les cultures suivantes : ‒ En saison pluviale : le maïs, le riz et une légumineuse fourrage, soit 1 champ de chaque culture par département, au total 18 parcelles. Ces parcelles devaient bénéficier de toutes les techniques possibles existantes : semences certifiées, traitement phytosanitaire, fumier et engrais, clôtures... ‒ En contre-saison (avec irrigation parce que saison sèche) : la tomate, le haricot, le gombo, la pomme de terre. Soit au total, 42 champs-écoles bénéficiant d’un suivi régulier qui serait réalisé par l’ONG ATADER. Chaque opération culturale donnerait lieu à des démonstrations auprès des agriculteurs et à la 87

La formation participative à travers des "champs-écoles" existe en Afrique déjà depuis 25 ans, formalisée et théorisée par la FAO.

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récole, les rendements obtenus dans les "champs-écoles" seraient comparés avec les rendements locaux obtenus chez les agriculteurs. Des thèmes transversaux devaient être étudiés : faire du compost, utiliser les fumiers et les pailles, faire du fourrage avec des résidus, etc. Notre ONG l’AFTPA devait intervenir à différents niveaux, tout d’abord par l’échantillonnage des sols des parcelles pour analyse, à commencer par la mesure du pH puis par la rédaction de fiches pour le suivi des opérations culturales. Nous ne pouvions que nous réjouir d’un tel programme qui allait enfin permettre une animation globale pour les paysans de cette région du Logone oriental et peut-être audelà. En faisant cependant remarquer "à la condition cependant que tous les moyens nécessaires puissent être disponibles au moment voulu et que les suivis ne soient pas entravés par de quelconques perturbations locales à la mode africaine" (notre rapport de mission n° 10, été 2012). Mais voilà, nous n’eûmes pas à nous en inquiéter, l’année suivante le nouveau conseil d’administration (d’après nos informations) annula tout simplement le programme "champs-écoles". Quelle erreur ! C’était là une des meilleures choses à engager pour montrer la voie par laquelle la production d’une denrée peut s’accroître en tenant compte de l’ensemble des conditions locales (type de sol, climat, disponibilité en fumier, etc.). L’abandon de ce projet était une erreur de plus de la politique agricole nationale. Dans les essais aux champs, si ceux-ci se développent (et ils devront se développer 88), les paysans ont besoin d’une assistance technique régulière et efficace afin d’atteindre la meilleure production possible. Pour amener les paysans à davantage conserver et à mieux utiliser leurs sols, les leviers nécessaires sont de trois ordres relevant respectivement de la vulgarisation-propagande, de la démonstration (champs-écoles) et de l’assistance technique (vulgarisateursencadrants). Ces leviers doivent avoir un rôle de plus en plus primordial à jouer, capables de frapper l’imagination, de retenir l’attention, de forger un souvenir, de provoquer une détermination d’action. Pour cela, les paysans doivent apprendre par l’observation, la pratique, l’intérêt de l’apprenant, pour une appropriation durable des connaissances. Il faut s’adresser non seulement directement aux 88

Nous pouvons espérer que les jeunes agriculteurs du Logone oriental – la FCEJARLOR  (revoir page 206) vont pouvoir développer des programmes d’essais et de démonstration dans les différents départements pour organiser une meilleure formation des paysans.

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paysans mais également aux enfants de ceux-ci, par l’intervention des écoles où des jardins scolaires seront créés. Ce sont des jardins cultivés en respectant l’environnement (compost, sarclage, gestion rationnelle de l’eau) associant des arbres fruitiers, des légumes et des plantes médicinales. Ainsi, très jeunes les enfants sont formés et sensibilisés aux techniques de culture selon des méthodes durables et à la production d’une alimentation de qualité. A travers ces démonstrations, la conservation des sols sera régulièrement expliquée dans ses causes, ses manifestations, ses remèdes avec la mise en place rapide et totale des dits remèdes. Et il sera inlassablement refrappé sur le clou, en répétant à chacun "Protège ta terre, elle te le rendra" (Harroy, 1959). Au Malawi, les revenus des ménages ruraux ont été multipliés par deux après que les paysans ont adopté des pratiques apprises dans les champs-écoles (Karuga et Mkoka, 2017). Pour assurer l’assistance technique, il est alors nécessaire de disposer de vulgarisateurs-animateurs ayant à la fois les compétences requises pour appliquer avec succès les itinéraires techniques recommandés et les notions essentielles pour la gestion de l’exploitation, la conservation et la transformation des produits et les qualifications nécessaires pour transmettre aux paysans, par l’encadrement, les nouveaux savoir-faire. Malheureusement, aujourd’hui la formation des vulgarisateurs est quasi absente des programmes des divers enseignements agricoles existants au Tchad. Les écoles secondaires ou les CPFR forment des exploitants agricoles et les écoles supérieures des cadres de l’agriculture en négligeant cet aspect vulgarisation – transmission des savoirs. La formation des vulgarisateurs-animateurs commence par des stages de formation très fréquents au cours desquels les nouvelles techniques sont enseignées mais également la façon de les transmettre. Il faut pour cela mettre sur pied des programmes de formation qui s’étendent sur toute la durée d’une campagne de production d’une culture donnée avec des périodes en école alternant avec des périodes sur le terrain chez les paysans. Chaque formation débute à la saison des semailles et se poursuit jusqu’à la récolte. Des institutions comme l’ITRAD ou l’Institut universitaire de Sarh peuvent avoir cette vocation de formation à condition que le l’Etat leur en donne les moyens. Si la recherche est souvent perçue comme une activité conduite en laboratoire ou dans les centres d’expérimentation et la vulgarisation comme une activité de terrain dont la principale exigence est 244

l’application de méthodes de formation, à présent une bonne part des recherches doit être conduite sur le terrain en milieu paysan dans les différentes parties de la zone du programme. Les essais dans les champs des agriculteurs apportent aussi une contribution importante au processus de vulgarisation. Une collaboration étroite et continue entre chercheurs et vulgarisateurs est une exigence-clé de tout programme de développement par production (Mosher, 1981). Dans un programme de développement à partir du terrain tel que décrit ci-dessus, il est évident que très fréquemment des activités additionnelles apparaissent. Si la composition des engrais chimiques proposés à la vente dans la zone du programme ne convient pas, alors le personnel du programme (chercheurs et vulgarisateurs) peut intervenir pour obtenir des engrais dont la formulation soit mieux adaptée aux exigences de la production. De même si les crédits sont assortis de conditions et de garanties qui empêchent les petits exploitants d’y avoir accès, les responsables des programmes (OPA et ONG, ONDR, etc.) peuvent aider les paysans à se regrouper pour obtenir les crédits nécessaires. Dans la suite d’un programme de production, il apparaîtra aussi le besoin d’une intervention rapide des techniques améliorées postrécolte telles que le séchage des grains et le stockage afin d’élaborer une juste programmation concernant la meilleure commercialisation. Ici peut aussi intervenir le rôle assigné aux « communications » par les radios rurales, la presse et autres manifestations pour informer les paysans sur la situation des marchés. Les programmes de développement ne doivent pas se limiter à une seule production au risque de favoriser la monoculture – chose trop souvent observée dans certains programmes d’ONG – et de déformer ainsi le modèle de production agricole en ayant pour but non seulement d’augmenter les rendements mais en ayant aussi tendance à étendre les zones d’extension de cette production. Or, le pays a besoin pour assurer une meilleure alimentation ou pour produire pour l’exportation d’engager les paysans dans d’autres types de productions. Pour réaliser cet objectif, il faut aboutir à la multiplicité du personnel de terrain en formant un personnel de vulgarisation compétent pour la totalité des systèmes d’exploitation et prêt à aider les paysans à développer leurs propres capacités à choisir les associations et les systèmes de culture les plus appropriés à leurs exploitations.

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Une autre remarque importante sur l’organisation des petits producteurs pour un meilleur accès au marché concerne l’approche commerciale avec l’aide souhaitée des divers encadrants qui consiste à les aider à produire ce qu’ils peuvent vendre plutôt que de tenter de vendre ce qu’ils produisent (Naidoo, 2012). Si l’assistance technique aux paysans à partir des "champs-écoles" répartis dans toute une région peut être un excellent moyen pour dynamiser l’agriculture régionale, il existe également un modèle agricole où toute la population du village devient acteur du développement. L’exemple "grandeur nature" nous vient d’Ethiopie (Wilbercq, 2016) où les 5000 habitants d’un village ont décidé communautairement de réagir face à la sécheresse, à la situation d’insécurité alimentaire et à l’exode rural. Il a fallu creuser des puits, construire des digues et des canaux et planter des arbres. Les premières années ont été difficiles, mais en introduisant de nouvelles pratiques : compostage, diversification et rotation des cultures, plantation d’arbres fruitiers et fourragers..., les revenus des paysans ont augmenté régulièrement et la production alimentaire a été multipliée par dix (dixit le paysan-président). L’irrigation régulière a fait également son apparition. Les arbres fruitiers (oranges, avocatiers, manguiers) cohabitent avec d’immenses acacias, ces arbres fixateurs d’azote qui fournissent des gousses pour alimenter le bétail (l’intégration agriculture-élevage fait partie du programme) et sur lesquels les abeilles récoltent du pollen. Le miel du village est d’ailleurs exporté à l’étranger. Le village d’Abreha We Atsbeha est devenu un centre d’apprentissage pour d’autres villages et pour des enseignants-chercheurs. Mais cette expérience n’aurait pu réussir sans une certaine discipline acceptée par tous (économie de l’eau, travail pour la communauté, ...). Dans ce village les gens ne pensent pas que la pauvreté vient de la volonté de Dieu, mais plutôt de l’incapacité de travailler dur. Le modèle est en cours de transposition aux villages voisins. Autre réflexion du chef de village "Quand les sols produisent, que le paysan peut travailler à sa faim, il a une autre option que de traverser la Méditerranée. La preuve : plus personne ne veut partir d’ici". Pour information, des expériences un peu similaires sont en cours au Rwanda. Mais comment empêcher le départ du village pour la ville et vers des rêves inaccessibles, en ajoutant que depuis quelque temps la

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séniorité est mise à mal, les jeunes quittent la campagne parce qu’ils ne veulent plus obéir aux anciens ? Alors que l’espace agricole par famille se rétrécit, les jeunes ont du mal à s’installer par manque de terre et si par malheur certains ayant "traîné" dans les tentacules des villes comme N’Djamena ou Moundou reviennent au village, ils sont plutôt mal considérés par les anciens voire même écartés de la vie villageoise. Un autre constat est que de nombreux paysans ont d’énormes difficultés à payer les études (surtout secondaires puis universitaires) de leurs enfants et acceptent difficilement de voir partir à la ville 89 un enfant qui pourrait travailler aux champs. Comment résoudre le problème du chômage des jeunes ruraux. Une alternative choisie en Côte d’Ivoire, avec l’assentiment des anciens, fut de proposer pour les jeunes des formations d’agriculture hors-sol (élevages de poules pondeuses, de poulets, de porcs ou de lapins) ou de maraîchage demandant des petites surfaces (projet Tchanfeto en pays ebrié, Mathieu, 2016) avec des retours assez rapides sur investissement. Mais dans ces cas bien particuliers, le rôle de la formation et de l’encadrement est primordial. Elever et vendre 50 poulets de chair n’est pas bien difficile à condition de respecter certaines règles d’hygiène et de nourriture faute de quoi la perte totale de tout l’élevage peut survenir brusquement. Au Tchad, pays enclavé, les systèmes agricoles traditionnels (cultures sans fumure, retour à la jachère, très petites exploitations) ne sont plus soutenables dans le contexte économique et démographique actuel. Mais attention, il ne s’agit pas non plus, comme certains responsables africains l’envisagent, de faire un passage rapide vers un modèle agricole de type européen, voire américain à savoir la grande culture mécanisée. Ce modèle appliqué ici, présenterait de nombreux inconvénients économiques, sociologiques et agronomiques. D’abord il est fortement consommateur d’intrants chimiques et de mécanisation. Les coûts de production sont largement indexés sur le prix de l’énergie et de l’amortissement. Or, sur une longue période ces coûts ne peuvent qu’augmenter régulièrement et significativement. L’exploitation mécanisée à l’européenne ne peut qu’accélérer un exode rural qui est déjà problématique et ce type d’exploitation est complètement inadapté à la très grande fragilité des sols tropicaux sur lesquels des labours classiques ont des effets désastreux. 89

L’enfant doit quitter le village et les parents doivent louer un logement près du collège ou du lycée et assurer au minimum la nourriture en dehors d’une restauration familiale plus économique.

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Le passage obligé de l’intensification de l’agriculture des zones soudaniennes passe par le développement des systèmes mixtes – agriculture-élevage –, par la mécanisation animale, l’alimentation du bétail et la pratique des cultures fourragères. Plusieurs fois martelée par R. Dumont (1962, 1973), l’utilisation de la fumure animale est l’élément de la durabilité des systèmes mixtes (Lhoste, 2002). A ce sujet, on peut signaler l’absurde séparation des formations90 et des services chargés de la vulgarisation pour l’agriculture d’un côté et pour l’élevage de l’autre, car aucune amélioration de l’élevage (bovins, petit élevage, porcins, etc.) n’est concevable sans une maîtrise de la santé animale.

14.3. L’efficience des services agricoles La relance du développement agricole doit devenir une réelle priorité pour des raisons non seulement de sécurité alimentaire à long terme mais de stabilité sociale et politique du pays. Mais l’accompagnement technique des producteurs ne suffit pas, l’Etat doit s’engager aussi sur d’autres fronts à savoir l’amélioration de l’efficacité des services agricoles gouvernementaux et à travers le contrôle des banques l’organisation et le soutien au crédit aux différentes structures de production (paysans, coopératives, groupements, PME, ...). Concernant le crédit et le microcrédit, nous ne reviendrons pas sur le sujet déjà évoqué précédemment. Une grande transformation du système est nécessaire faute de quoi le développement de la production par les paysans restera bloqué. Concernant les services agricoles gouvernementaux, n’étant pas spécialiste de la question, nous donnons seulement quelques pistes qui nous semblent indispensables pour changer la situation actuelle peu favorable à l’évolution agricole souhaitée. Pour améliorer l’efficacité de tous les services agricoles du gouvernement il faudra imposer des changements d’attitude et de comportement de la part des agents et des hauts fonctionnaires de l’Etat, changements qui peuvent être plus difficiles à obtenir que ceux relatifs au comportement des agriculteurs. Ces comportements très variés allant de la corruption tant décriée, y compris par le Président 90

En République démocratique du Congo, l’école privée supérieure à BAC + 3 créée par les Jésuites à Kiwenza ne s’est pas trompée dans l’élaboration du cursus devant amener les jeunes à s’installer agriculteurs, elle s’intitule Institut supérieur agro-vétérinaire formant tant en agriculture qu’en zootechnie et santé animale.

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Déby dans ses discours (Haroun, 2018), à la compétence professionnelle améliorée par la formation technique permanente. Sans vouloir détailler le sujet et nous basant sur une étude initiée par l’ISNAR en 1981 (Mosher, 1983), pour améliorer l’efficience du personnel nous pouvons proposer les moyens suivants : ‒ Une doléance récurrente des agents est le manque de compétence par manque de formation adéquate dont ils ont besoin. La formation technique doit être spécifique à chaque agent parce que les capacités techniques requises diffèrent d’un agent à l’autre. Les agents des services agricoles seront plus compétents dans la mesure où ils connaîtront les vraies aspirations des paysans et ils doivent pour cela apprendre à penser en termes de systèmes d’exploitation, être des techniciens en même temps que des administrateurs. ‒ Il faut encourager et améliorer l’efficience du personnel par la promotion tout en assurant le bon équipement de travail, d’où une réorganisation des moyens techniques des services (véhicules, ateliers, laboratoires). Si l’ONDR a perdu de son efficacité, c’est aussi par manque de moyens pour être plus présent sur le terrain. Il faut également organiser des visites et des réunions pour donner la possibilité de participer à la prise de décisions. ‒ Il faut revoir l’organisation des services agricoles gouvernementaux (ONDR, CEFOD, PNDE, PNSA, ...) et s’interroger sur les types de services dont le pays a besoin pour accélérer sa croissance agricole (recherche, production, services ruraux, aménagement des terres agricoles, formation, service des statistiques, planification). ‒ La planification agricole ne doit pas être qu’un énoncé des objectifs généraux mais doit détailler ce qui doit être accompli dans chaque région, qui est chargé de le faire et comment cela doit être exécuté. Pour être effective, la planification de l’agriculture doit se faire dans un cadre plus large que celui du seul ministère de l’agriculture, certaines actions importantes pour le développement étant également assurées par d’autres ministères (ex : accès à l’eau, à l’électricité, ...). ‒ Les procédures administratives et de fonctionnement doivent être plus efficaces, plus rapides, elles doivent être modernisées pour accélérer leur exécution (mobilité entre les institutions, communications plus rapides, rédactions des rapports 249

simplifiées, ...). Les réajustements budgétaires par le ministère de l’agriculture doivent être facilités et un fonds de réserve, même peu important, à prévoir pour chaque service agricole, serait très utile à cet effet. ‒ Finalement, la performance des services agricoles pourrait être améliorée en se basant davantage sur la manière de diriger et moins sur l’exercice de l’autorité, hérité du style colonial d’administration. Un bon administrateur au service du développement doit s’assurer constamment que son personnel dispose de tout ce qu’il a besoin pour accomplir son travail dans les meilleures conditions. Agissant ainsi, il faut faire remonter les besoins au plus haut niveau de sa hiérarchie dans un esprit de collaboration efficace et dans une confiance partagée à tous les échelons de l’exécution des tâches. Nous arrivons ainsi au terme de notre "voyage en agriculture" dans les savanes arborées du Tchad, voyage durant lequel nous avons perçu un ensemble de problèmes dont souffrent constamment le monde rural et en particulier les paysans. Certes nous n’avons pas pu analyser complètement cette situation de A à Z mais nous sommes aujourd’hui convaincus que face aux problèmes évoqués et à l’inquiétude qui grandit, il est urgent que l’Etat tchadien "change de logiciel" en matière de développement agricole s’il veut éviter une catastrophe non seulement alimentaire mais aussi économique et sociale. Des moyens simples peuvent être mis en œuvre rapidement. Les paysans tchadiens attendent l’ouverture des crédits, le développement des formations, l’organisation des filières et des marchés mais la volonté politique au plus haut niveau de l’Etat reste la clé du succès. Dans son étude sur la crise de l’Afrique de l’Ouest, Michailof (2015) écrit : "Il ne faut pas s’illusionner. Quels que soient les montants d’aide mobilisés, ceux-ci ne sauraient se substituer à la volonté politique, au courage des élites et des responsables politiques locaux. Ces dernier doivent (...) accepter l’indispensable modernisation de leurs institutions trop souvent pénétrées par le clientélisme et le népotisme". Cette réflexion est tout à fait transposable dans le contexte que nous avons décrit dans ces pages. Le Tchad est en voie de faillite en agriculture plus que de développement, il faut très vite réagir. Lors d’un récent séjour dans le Logone oriental, un cadre agricole tchadien nous posait la question : "Est-ce que l’Etat Tchadien (sous250

entendu au plus haut niveau de l’Etat) veut vraiment que l’agriculture dans cette partie du pays se développe ?". Sommes-nous à même d’apporter la réponse ? Honnêtement c’est non. Mais les paysans tchadiens que nous côtoyons sont courageux, intelligents, ils s’efforcent de nourrir correctement leur famille et sont prêts à produire plus si les bons outils leur sont confiés. Le sort du Tchad se joue dans les vingt ans à venir, l’équation sécurité alimentaire-croissance démographique ne peut être résolue qu’en développant l’agriculture et en créant des emplois pour les jeunes ruraux. Pourtant les avertissements n’ont pas manqué et des solutions ont été proposées. Les paysans tchadiens sont prêts à s’engager dans une révolution verte de grande ampleur mais introduire le changement et favoriser un véritable développement à la fois aux ruraux et aux citadines reste le privilège et la responsabilité des autorités nationales et du gouvernement avec l’engagement du chef de l’Etat.

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REMERCIEMENTS

Ce livre est en premier lieu le produit d’une longue rencontre avec les paysans tchadiens de la zone soudanienne du pays. Certes, plusieurs aspects de la filière agricole n’ont pas été abordés, comme les marchés, la conservation et les transformations des produits faute de connaissance dans ces domaines. Mais le livre a d’abord été écrit pour ces paysans, afin de leur donner un document pouvant les aider à développer leur savoir-faire et leur savoir-être dans ce monde agricole en pleine mutation. Qu’ils soient remerciés pour le dialogue permanent que nous avons entretenu avec eux durant près de 15 ans. Nous souhaitons remercier tout particulièrement Esaïe Mbaitelsem, coordinateur de l’ONG ATADER à Doba, avec qui nous avons eu une collaboration très constructive, fruit d’une longue amitié, voire d’une certaine complicité intellectuelle qui nous est particulièrement agréable à mentionner. A cette collaboration avec le coordinateur d’ATADER, nous associons les agents-animateurs de cette ONG qui nous ont toujours aidés et accompagnés dans nos travaux sur le terrain, il s’agit d’Aristide M’Baïram, Esrom Ngarda+, Médard Nadjoué+, Moussa Sakine et Geneviève Najikouanbaye. Nous tenons aussi à remercier tous les Tchadiens qui, par leurs activités ou les conversations que nous avons pu avoir, nous ont apporté de nombreuses informations utiles sur les problèmes de l’agriculture de leur région, nous citons en particulier : ‒ Abakar Sidjin, directeur de l’INADES à N’Djamena, ‒ Michel Naitormaide, directeur de l’ITRAD à Bébedja, ‒ Emile Béhoutoum, paysan-animateur d’ATADER à Doba, ‒ Joël Allenanamadji, paysan-animateur d’ATADER à Doba, ‒ Nadenane Djiitolabaye, ancien de l’école d’agriculture de Sarh, ‒ Théophile Mbangnadji, président de la fédération des jeunes agriculteurs du Logone oriental, 253

‒ Paraclet Ngarnayel, paysan animateur d’ATADER à Kagroye, ‒ Mbairaba Alnodji, journaliste à la radio "La voix du paysan" à Doba, ‒ Moïse Togjingar, paysan-irrigant à Nassian, ‒ Milla Nckarnodji, présidente d’un groupement féminin à Komé base, ‒ Brigitte Rokoulet Nikian, présidente de l’Union des groupements féminins de la Nya à Bébedja, ‒ Nathalie Neloum, directrice du CPFR à Mbaïbombye, ‒ Josué Lave, ancien directeur du CPFR à Mbaïbombye, ‒ Sœur Ana Delgado, infirmière au Centre de santé à Mbaïbombye, ‒ Jérôme Vaidjoua, coordinateur du Centre culturel Nicodème à Pala, ‒ Nanglem Ngamarde Singangar, directeur du BELACD Caritas à Doba, ‒ Belem Ngarhinguem, chef de canton à Maïbombaye, ‒ Thérèse Tonsem Bertongaï, animatrice agricole à BELACD Caritas à Pala, ‒ Henri Djami, responsable du secteur agriculture de BELACD Caritas à Pala, ‒ Ndo’Dangsou Goua, directeur de BELACD Caritas à Pala ‒ Ouallou Lama, paysans maïsiculteur au Mayo-Kebbi ouest. Peut-être avons-nous oublié certaines ou certains auquel cas nous espérons qu’ils voudront bien nous en excuser. Cet ouvrage ne se serait pas écrit sans la collaboration d’une équipe d’intervenants volontaires sur le terrain participant ainsi à l’acquisition de connaissances et de résultats qui sont évoqués au fil des pages, il s’agit de Claude Rigot, Bastiane Rossignol, Hélène Merianne et Guy Nadaud. Ce fut pour nous un appui précieux tout au long des différentes missions dans cette région africaine, missions qui ne furent d’ailleurs réalisables que grâce aux dons des adhérents de l’ONG AFTPA. Que ces collègues de terrain et adhérents de l’AFTPA trouvent ici l’expression d’un très grand et amical merci. Il convient aussi de remercier les collègues qui ont accepté de relire certains chapitres de l’ouvrage et de l’enrichir par leurs remarques constructives, il s’agit de Jacques Arrignon membre de l’ASOM, Philippe Lhoste chercheur au CIRAD et François de Solan Ingénieur agronome économiste. 254

Nous sommes également reconnaissants à Jacques Blois et Francis Joulin, anciens membres de l’AFDI Charentes-Poitou qui ont facilité mes contacts de départ avec l’ONG ATADER à Doba. Nous les remercions très sincèrement pour toute l’aide apportée. Enfin, last but not least, notre dette de reconnaissance s’adresse également à Amandine Aujoux pour l’excellent travail d’interview réalisé sur le terrain lors de la mission 2017, travail qui nous a permis un premier brainstorming pour commencer la rédaction de cet ouvrage. Qu’elle sache que nous avons essayé de trouver les mots suffisants pour l’en remercier sans pouvoir y arriver...

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TABLE DES SIGLES

ACAT Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (France) ACF Action Contre la Faim (France) ACORD Agence de Coopération et de Recherche pour le Développement (Afrique, Bureau central à Nairobi) ACTED Agence d’aide et de Coopération Technique Et de Développement (France) ADA Appui au Développement Autonome (Luxembourg) ADASEA Association Départementale pour l’Aménagement des Structures des Exploitations Agricoles (France) AFD Agence Française de Développement AFDI Agriculteurs Français et Développement International AFTPA Association France Tchad Pendé Agriculture (France) ASOM Académie des Sciences d’Outre-mer (France) ATADER Association Tchadienne des Acteurs du Développement Rural (Doba, Tchad) ATTAC Association pour la Taxation des Transferts financiers et pour l’Action Citoyenne (International) ASSAILD Association d’appui aux initiatives locales de développement (Moundou, Tchad) BAD Banque Africaine de Développement BELACD Bureau d’Etude et de Liaison d’Actions Caritatives et de Développement (Tchad) BDPA Bureau de Développement de la Production Agricole (France) CARE Coopérative for Assistance and Relief Everywhere (Etats-Unis) CCFD Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement (France) CEEMAT Centre d’Etudes et d’Expérimentation du Machinisme Agricole Tropical (France) CEMAC Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique centrale CFDT Compagnie Française pour le Développement des fibres Textiles CEFOD Centre d’Etude et de Formation pour le Développement (Tchad) CFPA Centre de Formation Professionnelle Agricole (Tchad) CICR Comité International de la Croix Rouge (Suisse) CIRAD Centre International en Recherche Agronomique pour le Développement (France) CNCPRT Conseil National de Concertation des Producteurs Ruraux du Tchad CPFR Centre Professionnel de Formation Rurale (Tchad) CPGRP Comité Provisoire de Gestion des Ressources Pétrolières (Tchad) FAO Food and Agricultural Organisation (Rome) FED Fonds Européen de Développement GRET Groupe de Recherche et d’Echange Technologique (France) GUMAC Groupement d’Utilisation de Matériel Agricole en Commun (Tchad) HCR Haut-Commissariat aux Réfugiés (Nations Unies) (Genève) IBSNAT International Benchmark Site Network for Agro Technology Transfer (US-AID, piloté par l’Université d’Hawaii) IDH Indice de Développement Humain INA Institut National Agronomique (France)

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INADES Institut Africain pour le Développement Economique et Social (Abidjan, antenne à N’Djamena) IRCT Institut de Recherches du Coton et des Textiles exotiques (France) IRD Institut de recherche pour le développement (France) (ex-ORSTOM) ITRAD Institut Tchadien de Recherches Agricoles pour le Développement OCHA Office for the Coordination of Humanitarian Affairs (Nations Unies) ONDR Office National de Développement Rural (Tchad) ONG Organisation Non Gouvernementale ONU Organisation des Nations Unies OPA Organisation Professionnelle Agricole ORT Organization for Rehabilitation and Training (Washington et Genève) OXFAM Oxford Committee for Famine Relief (Royaume Uni) PAM Programme Alimentaire Mondial (agence des Nations Unies) (siège à Rome) PME Petites et Moyennes Entreprises PNDE Plan National de Développement de l’Elevage (Tchad) PNUE Programme des Nations Unies pour l’Environnement (siège à Nairobi) PNSA Programme National de la Sécurité Alimentaire (Tchad) ROSOC Réseau des Organisations de la Société Civile du Logone oriental (Tchad) UE Union Européenne WWF World Wide Fund for nature (International)

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TABLE DES FIGURES, PHOTOS ET TABLEAUX

Figure 1  Carte bioclimatique simplifiée du Tchad ...................................................................................... 11 Figure 2  Croissance démographique au Tchad durant ces 60 dernières années et prospective. .............. 14 Figure 3  En 1970 limites sud 1. de l’Islam 2. de la transhumance des pasteurs-nomades (d’après J. Pias). Aujourd’hui, ces limites sud n’existent plus. ..................................................................... 17 Figure 4  Carte des sols et des grandes régions de la partie sud du Tchad. ................................................ 79 Figure 5  Schéma simplifié du cycle cultural. .............................................................................................. 81 Figure 6  Courbes de Van der Pool ............................................................................................................... 83 Figure 7 Répartition des fumerons de 7 mètres en 7 mètres ........................................................................ 87 Figure 8  Intégration de l’agriculture et de l’élevage ................................................................................... 96 Figure 9 – Modèle de tropiculteur. ................................................................................................................ 124 Figure 10  Première de couverture du fascicule "Carnet de terrain-gestion de l’exploitation agricole", édité par l’AFTPA, en 2012. ......................................................................................................... 141 Figure 11  Evolution des prix du coton graine en F CFA/kg de 1950 à 2016 .......................................... 152 Figure 12  Evolution des rendements au champ en kg/ha de 1950 à 2016 ............................................... 154 Figure 13  Le financement sur stock dans un système règlementé. .......................................................... 183 Figure 14  Situation actuelle des zones pétrolières et des pipelines au Logone oriental ......................... 234

Photo 1  Paysage de l’Ennedi (photo RFI).................................................................................................... 18 Photo 2  Un puits au Sahel dans la région d’Abéché (Photo Vannes-Abéché)........................................... 18 Photo 3  Culture des polders du Lac Tchad (Photo Jeune Afrique). ........................................................... 19 Photo 4  Epillets de mil à chandelles et panicule de sorgho rouge (photo C. Mathieu)............................. 37 Photo 5  Jeune sorgho de décrue avec andain de sorgho rouge en attente de transport, près de Pala (photo C. Mathieu). .................................................................................................................................. 37 Photo 6  Parcelle de niébé en lignes à Doba (photo C. Mathieu). ............................................................... 38 Photo 7  Pois de terre à la récolte à Doba (photo C. Mathieu). ................................................................... 38 Photo 8  Champ de sésame en fleurs à Komé (photo C. Mathieu).............................................................. 39 Photo 9  Graines de sésame au séchage à Bekondjo (photo C. Mathieu). .................................................. 39 Photo 10  Burbayo à la vente, avec de la canne à sucre, près de Moundou (photo C. Mathieu). ............. 40

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Photo 11  Séchage de feuilles de gombo qui seront utilisées en sauce, près de Doba (photo C. Mathieu). ........................................................................................................................................................... 40 Photo 12 .Arachides à la récolte, station ITRAD à Bebédja (photo C, Mathieu). ..................................... 41 Photo 13  Champ de maïs au nord de Pala, les bœufs réalisant un sarclage-buttage (photo Ouallou Lama). ................................................................................................................................................. 41 Photo 14  Champ de manioc vers Maïbombaye (photo R. Mathieu). ......................................................... 42 Photo 15  Champ d’ignames vers Maïbombaye (photo C. Mathieu). ......................................................... 42 Photo 16  Repiquage de boutures de patates douces sur buttes, sud de Bébedja (photo C. Mathieu). ........................................................................................................................................................... 43 Photo 17.  Plants de taro en bordure de parcelle à Doba (photo C. Mathieu). ........................................... 43 Photo 18  Champs de coton fin octobre, près de Pala (photo C, Mathieu). ................................................ 44 Photo 19  Champ de riz inondé à maturité à Bekondjo (photo C. Mathieu). ............................................. 44 Photo 20  Goyavier dans un verger de production près de Doba, avec au pied, un apport de matière organique retenu par un bourrelet de terre (photo A. Aujoux). ......................................................... 45 Photo 21  Papayers dans une cour de maison à Doba (photo A. Aujoux). .................................................. 46 Photo 22  Attelage classique de deux bœufs zébus avec joug de nuque et petite charrue monosoc, région de la Pendé (photo C. Mathieu)........................................................................................... 58 Photo 23  Charrette tirée par deux bœufs zébus, Komé (photo C, Mathieu) .............................................. 58 Photo 24  Exemple de porte-tout (photo C, Mathieu). ................................................................................. 59 Photo 25  Charrette tractée par deux ânes avec joug de cou, charrette mal équilibrée faisant souffrir les animaux, Doba (photo C. Mathieu). ............................................................................................. 59 Photo 26  Ane attelé sommairement à une charrette à bras, Chinguetti, Mauritanie (photo C. Mathieu)............................................................................................................................................ 60 Photo 27  Anes porteurs, Plateau Ethiopien (photo C. Mathieu). ............................................................... 60 Photo 28  Elevage intensif urbain de porcs, Doba (photo C. Mathieu). ..................................................... 61 Photo 29 – Avant 2009, alignement de sacs de charbon de bois, à vendre, le long des routes à Bébedja (photo C. Mathieu). ............................................................................................................................ 65 Photo 30 – Après 2009, le long des routes, tas de "bois mort" vers Kagroye (photo C. Mathieu). ........................................................................................................................................................... 65 Photo 31 – Le marché aux légumes est accessible aux classes moyennes mais l’est-il aussi aux plus pauvres ? Marché de Doba (photo A. Aujoux). ....................................................................................... 76 Photo 32 – Vente de beignets de niébé, le long d’une piste du département de la Pendé, petit commerce de produit de l’exploitation (photo R. Mathieu). .......................................................................... 76 Photo 33 – Fumerons régulièrement répartis sur une parcelle, avant épandage et labour, région de Doba (photo C. Mathieu)............................................................................................................................. 88 Photo 34  Traction avec joug de nuque, timon trop long, charrette déséquilibrée, les animaux souffrent, Doba (photo R. Mathieu)............................................................................................................... 106 Photo 35  Animaux rentrés pour la nuit, les bouses sont éparpillées au sol, pas de ramassage, région de Komé (photo C. Mathieu). ............................................................................................................. 106 Photo 36  Structure de stabulation, les animaux défèquent tous vers le même endroit, CPFR de Maïbombaye (photo C. Mathieu).............................................................................................................. 107

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Photo 37  La structure de stabulation permet d’engranger les fanes d’arachide pour la saison sèche, Mongo-Doba (photo C. Mathieu). ...................................................................................................... 107 Photo 38  Tas de fumier relevé par une structure de pétioles de rônier, Mongo-Doba (photo C. Mathieu)...................................................................................................................................................... 108 Photo 39  Enclos à chèvres utilisé la nuit, ce qui permet de récolter le fumier pour enrichir le compost, Mongo-Doba (photo A. Aujoux ). .................................................................................................. 108 Photo 40  Poulailler en briques avec enclos fermé, Miandoum au sud de Bébedja (photo C. Mathieu). ......................................................................................................................................................... 109 Photo 41  Champ de Mucuna, région de Komé (photo C. Mathieu). ........................................................ 109 Photo 42  Un cimetière de tracteurs dans un centre du PNSA (photo C. Mathieu). ................................ 127 Photo 43  Semoirs à arachide pour traction animale mis en vente par divers ateliers (photo C. Mathieu). ......................................................................................................................................................... 127 Photo 44 – Charrette fabriquée à Doba, non fermée sur les côtés, un inconvénient pour le transport du fumier (photo C. Mathieu). ....................................................................................................... 128 Photo 45  Charrette métallique asine fabriquée à Doba selon un modèle vu au Burkina-Faso (photo C. Mathieu).......................................................................................................................................... 128 Photo 46  La charrue du tropiculteur Burundi (photo C. Mathieu). .......................................................... 129 Photo 47  La herse et la bineuse du tropiculteur, Burundi (photo C. Mathieu). ....................................... 129 Photo 48  Le forgeron, un maillon important du monde agricole (photo C. Mathieu). ........................... 130 Photo 49  Repiquage de salades sans outil... avec le doigt, le long de la Pendé (photo C. Mathieu). ......................................................................................................................................................... 166 Photo 50  L’arrosoir, premier outil du maraîcher, le long de la Pendé (photo C. Mathieu). ................... 167 Photo 51  Parcelle de gombos en bordure de piste, Doba (photo C. Mathieu). ........................................ 167 Photo 52 – Culture de légumes en sacs en zone sahélienne, village d’Angatati, janvier 2017 (photo ACTED). .............................................................................................................................................. 168 Photo 53  La base pétrolière principale, à Komé – voir dans le fond les implantations des puits pétroliers (photo Alwihda info). ............................................................................................................ 233 Photo 54  Implantation des puits pétroliers dans le paysage agricole, environs de Komé (photo Pascal Regimbaud, 2009)................................................................................................................... 233

Tableau 1  Temps de travaux en heure par hectare (pour terres légères).................................................. 102 Tableau 2 : Occupation des terres selon les zones géographiques avant et après l’exploitation pétrolière (Moutedé-Madji, 2018) (surfaces en hectares) ............................................................................ 225

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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION ...................................................................................... 7 CHAPITRE 1 Sahara, Sahel et Savanes ............................................................................. 9 CHAPITRE 2 Le sud agricole .......................................................................................... 21 2.1. Les principales cultures pratiquées .................................................. 22 2.2. Les systèmes d’exploitation ............................................................ 47 2.3. Questionnement et constat .............................................................. 61 CHAPITRE 3 Sécurité alimentaire et développement rural .............................................. 67 3.1. Une situation récurrente .................................................................. 67 3.2. Vers quelle stratégie nationale ? ...................................................... 70 3.3. La place des paysans ....................................................................... 73 CHAPITRE 4 Le sol, élément essentiel pour l’agriculture ................................................ 77 4.1. Les grandes classes de sols ............................................................. 77 4.2. Nourrir le sol pour mieux nourrir les hommes ................................. 80 4.3. L’utilisation des fumiers ................................................................. 86 CHAPITRE 5 L’intégration agriculture-élevage ............................................................... 91 5.1. L’évolution de l’élevage dans la zone soudanienne ......................... 91 5.2. Le cycle de la fertilité ..................................................................... 94 5.3. L’élevage et le développement des exploitations ........................... 102 CHAPITRE 6 Pour quelle mécanisation ? ...................................................................... 111 6.1. Le mythe du tracteur ..................................................................... 111 6.2. Le manque d’équipement .............................................................. 119 6.3. La place des forgerons .................................................................. 125

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CHAPITRE 7 La gestion de l’exploitation ..................................................................... 131 7.1. Qu’est-ce que la gestion d’une exploitation agricole ? ................... 131 7.2. Un carnet de terrain ...................................................................... 134 CHAPITRE 8 Le coton, une filière en crise .................................................................... 143 8.1. Un peu d’histoire .......................................................................... 143 8.2. De crise en crise ........................................................................... 147 8.3. Situation des producteurs .............................................................. 150 8.4. Demain, quelle perspective ? ........................................................ 156 CHAPITRE 9 Le maraîchage et l’agriculture périurbaine ............................................... 159 9.1. Un nouveau chapitre agricole ........................................................ 159 9.2. Les jardins périurbains .................................................................. 164 CHAPITRE 10 Crédit et micro-crédit .............................................................................. 169 10.1. Quelques rappels ........................................................................ 169 10.2. Le microcrédit, une bonne ou une mauvaise alternative ? ............ 172 10.3. Le cas du Tchad .......................................................................... 175 10.4. Vers d’autres alternatives ............................................................ 181 CHAPITRE 11 Les formations agricoles, la recherche et l’information ............................ 185 11.1. L’enseignement supérieur agronomique ...................................... 185 11.2. Autres enseignements agricoles................................................... 186 11.3. Les Centres de Formation et de Promotion Rurale (CFPR) .......... 187 11.4. L’ITRAD.................................................................................... 190 11.5. L’ONDR .................................................................................... 193 11.6. Les radios rurales ........................................................................ 194 11.7. L’INADES ................................................................................. 196 CHAPITRE 12 Les organisations professionnelles et les ONG......................................... 199 12.1. Les organisations professionnelles agricoles................................ 199 12.2. Les ONG .................................................................................... 210 CHAPITRE 13 L’odeur du pétrole ................................................................................... 221 13.1. Une longue histoire ..................................................................... 221 13.2. Une question de surface .............................................................. 223 13.3. Quelle part pour l’agriculture ? ................................................... 226

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CHAPITRE 14 Sortir de l’impasse .................................................................................. 235 14.1. Les fonctions régaliennes ............................................................ 235 14.2. Accompagner les paysans ........................................................... 241 14.3. L’efficience des services agricoles .............................................. 248 REMERCIEMENTS ............................................................................... 253 TABLE DES SIGLES ............................................................................. 257 BIBLIOGRAPHIE .................................................................................. 259 TABLE DES FIGURES, PHOTOS ET TABLEAUX .............................. 267

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Dans les savanes arborées du Tchad Voyage en agriculture

L

e Tchad, pays de l’Afrique centrale, complètement enclavé, est un des pays les plus pauvres du monde. Réparti entre le Sahara, le Sahel et les savanes à climat soudanien, c’est dans cette dernière partie où les cultures pluviales sont possibles que se trouve plus de la moitié de la population, à 80 % liée à l’agriculture. L’agriculture est restée très traditionnelle, autarcique, avec un équipement très rudimentaire et peu de mécanisation à traction animale. Avec la rapidité du développement commercial et technique, les agriculteurs restent désemparés face à la gestion de leur exploitation, l’acquisition et la modification des modes de production ainsi que la prévision et l’organisation des marchés. Le problème de la formation des agriculteurs est récurrent. Ceux-ci sont très demandeurs de formation, d’aide à la gestion et à l’organisation de leurs exploitations. Ils veulent sortir du système autarcique ancestral. Ce livre relate la situation globale de l’agriculture dans cette région des savanes soudaniennes du sud du Tchad en démontrant l’urgence du problème de cette agriculture. L’équation sécurité alimentaire-croissance démographique peut devenir de plus en plus difficile à résoudre si la situation actuelle se prolonge. Les paysans tchadiens sont prêts à s’engager dans une révolution verte de grande envergure s’ils sont aidés et encadrés comme il le faut, sachant que ce sera d’abord la responsabilité des autorités nationales, du gouvernement et du chef de l’État qui devra être engagée. Clément Mathieu, spécialiste de l’étude et de la conservation des sols et d’agronomie tropicale, parcourt le continent africain depuis 46 ans, et plus particulièrement depuis quelques années, la partie sud du Tchad. Aujourd’hui, il se consacre surtout aux activités de formation et de vulgarisation en milieu rural. Il est membre de l’Académie des Sciences d’outre-mer et lauréat de l’Académie d’Agriculture de France.

ISBN : 978-2-343-18406-7

30 €